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If you are not located in the United States, you -will have to check the laws of the country where you are located before -using this eBook. - -Title: La légende dorée - traduite du latin d'après les plus anciens manuscrits, avec une - introduction, des notes, et un index alphabétique - -Author: Jacques de Voragine - -Translator: Teodor de Wyzewa - -Release Date: January 31, 2023 [eBook #69917] - -Language: French - -Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team - at https://www.pgdp.net (This file was produced from images - generously made available by The Internet Archive and the - Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)) - -*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LÉGENDE DORÉE *** - - - - - - -LA - -LÉGENDE DORÉE - - - - -OUVRAGES PUBLIÉS PAR TEODOR DE WYZEWA - - - Les Maîtres italiens d’autrefois. Écoles du Nord. Un vol. - in-8º avec 16 gravures hors texte 5 fr. » - - Peintres de jadis et d’aujourd’hui. Les Peintres et la Vie - du Christ.--La Peinture primitive allemande.--La Peinture - suisse.--Quelques figures de Femmes peintres.--Deux - Préraphaëlites.--Puvis de Chavannes.--P.-A. Renoir. Un - vol. in-8º écu, avec 18 gravures hors texte 6 fr. » - - Quelques figures de femmes aimantes ou malheureuses: - I. Deux tragédies. II. Profils de reines. III. Grandes - dames et bourgeoises. IV. Femmes d’auteurs et femmes de - lettres. 3e édition. 2 vol. in-8º écu avec portraits 5 fr. » - - Excentriques et aventuriers de divers pays. Un volume in-8º - écu orné de gravures 5 fr. » - - L’Art et les Mœurs chez les Allemands. Un vol. in-16. 3 fr. 50 - - Beethoven et Wagner. Essai d’histoire et de critique - musicales. Un vol. in-16 3 fr. 50 - - Nos Maîtres. Etudes et portraits littéraires: Mallarmé. - --Villiers de l’Isle-Adam.--Renan et Taine.--Anatole - France.--Jules Laforgue.--L’Art wagnérien.--La Science. - --La Religion de l’amour et de la beauté. Un vol. in-16 3 fr. 50 - - Écrivains étrangers. Trois séries. 3 vol. in-16. Le volume 3 fr. 50 - - Contes chrétiens. Un vol. in-16, avec gravures 3 fr. 50 - - Valbert, ou les récits d’un jeune homme, roman contemporain. - Un vol. in-16 3 fr. 50 - - -TRADUCTIONS - - JOERGENSEN (Johannes).--Saint François d’Assise, sa vie et - son œuvre, traduits du danois avec l’autorisation de - l’auteur. 1 vol. in-8º écu orné de gravures 5 fr. » - --Relié demi-veau fauve, fers spéciaux 9 fr. » - - --Pèlerinages Franciscains, traduits du danois, avec - l’autorisation de l’auteur. Un vol. in-8º écu, avec - gravures 3 fr. 50 - - VORAGINE (le bienheureux Jacques de).--La Légende dorée, - traduite du latin d’après les plus anciens manuscrits, - avec une introduction, des notes et un index alphabétique. - (Ouvrage couronné par l’Académie française.) Un vol. - in-8º écu de 750 pages, broché 5 fr. » - --Relié demi-veau, fers spéciaux 9 fr. » - - BENSON (Robert-Hugh).--Le Maître de la Terre, roman traduit - de l’anglais avec l’autorisation de l’auteur. 14e édition. - Un vol. in-16 3 fr. 50 - - --La Lumière invisible. Scènes et récits de la vie mystique, - traduits avec l’auteur. 3e édition. 1 vol. in-16 3 fr. 50 - - MERRICK (Léonard).--L’Imposteur, roman traduit de l’anglais - avec l’autorisation de l’auteur. Un vol. in-16 3 fr. 50 - - STEVENSON (R.-L.).--Le Mort vivant, roman traduit de - l’anglais. Un vol. in-16 3 fr. 50 - - --Le Reflux, traduit de l’anglais. Un vol. in-16 3 fr. 50 - - TOLSTOÏ.--Résurrection, roman traduit avec l’autorisation - de l’auteur. Un vol. in-16. (Edition complète en un - volume.) 3 fr. 50 - - - - - [Illustration: LA TOUSSAINT - Miniature d’un manuscrit français de «_La légende dorée_» XVe siècle - (Bibl. Nat.).] - - - - - LE BIENHEUREUX JACQUES DE VORAGINE - - LA - LÉGENDE DORÉE - - TRADUITE DU LATIN - D’APRÈS LES PLUS ANCIENS MANUSCRITS - AVEC UNE INTRODUCTION, DES NOTES, - ET UN INDEX ALPHABÉTIQUE, - - PAR - TEODOR DE WYZEWA - - Ouvrage couronné par l’Académie française. - - - PARIS - LIBRAIRIE ACADÉMIQUE - PERRIN ET CIE, LIBRAIRES-ÉDITEURS - 35, QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS, 35 - - 1910 - Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays. - - - - - TIBI, MARGARITÆ MEÆ, - HUNC TUUM LIBRUM PIÈ RESTITUO - - T. W. - - - - -INTRODUCTION - - -L’auteur de la _Légende Dorée_ était, à la fois, un des hommes les plus -savants de son temps, et un saint. Sa vie, si quelque érudit voulait -prendre la peine d’en reconstituer le détail, enrichirait d’un chapitre -précieux l’histoire de la pensée religieuse au treizième siècle; et puis -l’on en tirerait une petite «compilation», qui mériterait d’avoir sa -place entre les plus belles et touchantes vies de saints qu’il nous a, -lui-même, contées[1]. Mais, du reste, son livre suffit à nous le faire -connaître tout entier. Le savant s’y montre à chaque page, aussi varié -dans ses lectures qu’original, ingénieux, souvent profond dans ses -réflexions; et sans cesse, sous la science du théologien, nous -découvrons une âme infiniment pure, innocente, et douce, une vraie âme -d’enfant selon le cœur du Christ. - - [1] On pourrait la placer entre la vie de _Sainte Félicité_ et celle - de _Saint Alexis_, à la date du 13 juillet, où les Dominicains - célèbrent, avec un office propre, la fête du bienheureux Jacques de - Voragine. - - * * * * * - -Le bienheureux Jacques est né, en l’année 1228, à Varage, d’où son nom -latin: Jacobus de Varagine. Et j’imagine que c’est, ensuite, l’erreur -d’un copiste qui, en substituant un _o_ au premier _a_ de son nom, aura -valu à l’auteur de la _Légende Dorée_ de devenir, pour la postérité, -Jacques de Voragine. - -Quant à Varage, où il est né, c’est une charmante ville de la côte de -Gênes, à mi-chemin entre Savone et Voltri. Moins heureuse que sa voisine -Cogoleto,--qui fut, comme l’on sait, la patrie de Christophe Colomb,--la -patrie de Jacques de Voragine n’a rien gardé de ses édifices -d’autrefois, à l’exception des ruines imposantes de ses remparts, et -d’une haute tour de briques que le petit Jacques, peut-être, aura vu -construire: car, avec l’élancement léger de ses colonnettes, et la -sveltesse du clocheton pointu dont elle est couronnée, elle doit dater -de cette première moitié du XIIIe siècle qui fut, en Italie, une époque -incomparable de renaissance chrétienne. Et si le reste de la ville s’est -entièrement renouvelé, depuis cette époque, tout y a conservé cependant -son caractère ancien, ou, pour mieux dire, éternel. Entre des maisons -modernes serpentent, de même que jadis, d’étroites rues pleines d’ombre. -Sur la plage ensoleillée, d’honnêtes artisans façonnent, à leur loisir, -des barques de pêche, pareilles à celles que façonnait, peut-être, le -père de l’auteur de la _Légende Dorée_, dont un chroniqueur génois nous -apprend «qu’il est né de condition basse dans une petite terre». Plus -haut, au-delà des vieux remparts crénelés, se déploie un cirque -merveilleux de collines plantées d’oliviers; et, de quelque côté que les -yeux se tournent, ces collines sont plantées aussi de couvents, de -chapelles, de chemins de croix, qui créent autour de la petite ville une -atmosphère de piété ingénue et joyeuse. - -Mais nulle part l’âme de Varage ne subsiste plus vivante que sur la -place carrée du Municipe, où l’on arrive, du quai, par une belle porte à -créneaux de style féodal. C’est là, sans doute, que se sont réunis en -grand apparat, le 19 février 1251, les représentants des cités de -Savone, d’Albenga et de Vintimille, pour jurer soumission et fidélité à -la république de Gênes. Aujourd’hui, la Place du Municipe n’a plus guère -l’occasion d’assister à des scènes aussi solennelles: mais à toute heure -des badauds s’y promènent de long en large, des mendiants y jouissent -doucement de la vie, des enfants y courent en se querellant; et c’est là -encore que se trouve le marchand d’oiseaux. J’ai vu chez lui, dans des -cages de bois, des merles, des fauvettes, et un couple de jeunes -verdiers, qui m’ont rappelé avec quel empressement Jacques de Voragine, -leur vénérable concitoyen, avait accueilli dans sa _Légende_ toute sorte -d’oiseaux, depuis les moineaux de saint Rémy jusqu’à la perdrix de -l’apôtre saint Jean. Et ainsi cette petite place m’apparaissait tout -imprégnée de son souvenir, lorsque, relevant la tête, je l’ai aperçu -lui-même qui me souriait paternellement. Les habitants de Varage ont eu, -en effet, l’excellente idée de placer sa statue dans une niche, au -fronton de leur maison communale. Peut-être, seulement, avec un légitime -désir de mieux accentuer son autorité, lui ont-ils laissé faire des -épaules trop larges et un ventre trop fourni: de telle sorte qu’on a -d’abord quelque peine à reconnaître, dans ce majestueux prélat, l’humble -moine qui, jusque sur le trône archiépiscopal de Gênes, s’est plu à -vivre en pauvre au profit des pauvres. Mais, ressemblant ou non, c’est -lui qui se tient là; et, sous sa statue, une inscription latine nous -apprend que, dès l’année 1645, la ville de Varage «se l’est choisi pour -patron céleste», _quem cives sui anno 1645 patronem cœlestem sibi -adscriverunt_. Aussi veille-t-il, depuis lors, sur la petite ville, y -maintenant une paix, une grâce, une sérénité, dont je ne crois pas -qu’aucune autre ville de cette âpre Rivière ligure offre l’équivalent. - -Le vent même y est tiède et léger, au plus rude de l’hiver. Et quand -ensuite, dans les rues de Gênes, on grelotte au soleil sous une bise -glacée, on ne peut se défendre d’un vif sentiment de dépit contre -l’ingratitude des Génois, qui, peut-être, a attiré sur leur ville cette -calamité. Car si Jacques de Voragine est né à Varage, c’est à Gênes -qu’il a prodigué tous les trésors de son âme de saint. Il y a joué un -rôle si actif et si bienfaisant que les historiens les plus -«libéraux»,--qui racontent le passé de l’Italie comme si les événements -religieux n’y avaient, pour ainsi dire, point tenu de place,--sont tous -contraints pourtant de rendre hommage au «pieux évêque» de Gênes, père -des pauvres, et «pacificateur des discordes civiles». Or, en vain on -chercherait, dans toute la ville de Gênes, la moindre trace de son -souvenir. Entre des centaines de plaques commémoratives, célébrant un -séjour de Garibaldi, ou la munificence d’un riche bourgeois qui a fait -entourer d’un grillage le pont de Carignan, «pour empêcher les -désespérés de s’ôter la vie», en vain on chercherait une inscription où -figurât le nom du saint évêque «pacificateur». En vain on chercherait -son nom sur les plaques blanches des _via_, _vico_, _vicolo_, _salita_, -dont la vieille cité ligure est plus abondamment pourvue qu’aucune ville -d’Europe. Et l’on songe que cet hommage-là, du moins, serait bien dû à -un homme qui non seulement a comblé Gênes de services plus précieux -encore que les Manin et les Mazzini, mais qui a en outre, pendant plus -de trois siècles, nourri la chrétienté tout entière de belles histoires -et de beaux sentiments. - - * * * * * - -Mais je m’aperçois que je n’ai pas dit encore le peu que je sais sur la -vie de l’auteur de la _Légende Dorée_, et sur son séjour à Gênes en -particulier. - -Né en 1228, il avait seize ans lorsque, en 1244, il entra dans l’ordre -des Frères Prêcheurs, fondé par saint Dominique en 1215. Cet ordre avait -été fondé surtout, on ne l’ignore pas, pour «extirper les hérésies», ce -qui lui assignait une tâche plutôt belliqueuse. Mais, par un phénomène -singulier, l’ordre des Frères Prêcheurs a produit, en plus grand nombre -même que l’ordre rival des Frères Mineurs, des moines d’une suavité -d’âme toute franciscaine. Tel fut, notamment, saint Thomas d’Aquin, le -«docteur angélique»; tels le bienheureux Fra Angelico et son frère Fra -Benedetto; tel encore, un siècle plus tard, le délicat rêveur Fra -Bartolommeo. Et le Frère Jacques de Voragine était de leur race. Tour à -tour novice, moine, professeur de théologie, prédicateur, il unissait à -l’éclat de sa science des mœurs si pures et une vertu si aimable que, -aujourd’hui encore, tous les couvents dominicains du Nord de l’Italie -conservent le souvenir de sa sainteté. A trente-cinq ans, il fut élu par -ses Frères prieur de son couvent. Puis, en 1267, ils lui confièrent le -gouvernement général des monastères dominicains de la province de -Lombardie: fonction infiniment fatigante et difficile, qu’il fut -contraint de remplir pendant dix-huit ans. - -A peine était-il enfin parvenu à s’en décharger que, en 1288, à la mort -de l’archevêque de Gênes Charles Bernard de Parme, le chapitre le -choisit pour succéder à ce prélat. Nous ne savons pas s’il fit alors -comme saint Grégoire, qui s’était échappé de Rome dans un tonneau en -apprenant qu’on s’apprêtait à le proclamer pape: nous savons, en tout -cas, qu’il refusa obstinément le nouvel honneur dont on le menaçait; et -ce fut le patriarche d’Antioche, Obezzon de Fiesque, qui fut nommé à sa -place. Mais quand celui-ci mourut, quatre ans plus tard, le peuple de -Gênes tout entier se joignit au chapitre pour exiger que le Frère -Jacques devînt leur évêque. Le saint moine, cette fois, dut se résigner; -et il dut se résigner encore au voyage de Rome, le pape Nicolas IV lui -ayant exprimé le désir de le sacrer de ses propres mains. -Malheureusement Nicolas IV mourut, le 4 avril, sans avoir pu réaliser -son désir: et tout de suite Jacques de Voragine, s’étant fait sacrer par -l’évêque d’Ostie, reprit le chemin de son diocèse, qu’il s’engagea, dès -lors, à ne plus quitter. - -Aussi bien les occasions n’y manquaient-elles point, pour lui, de -remplir son rôle d’évêque tel qu’il le concevait. Il y avait, avant -tout, à essayer de ramener la paix dans la ville de Gênes, dont les -citoyens, vainqueurs de leurs ennemis de Savone et de Pise, n’en étaient -devenus que plus ardents à s’égorger entre eux. Sans cesse les Guelfes, -partisans des Fiesque et des Grimaldi, protestaient contre la domination -du parti gibelin en brûlant des maisons, en saccageant des églises, en -assassinant, au détour d’une ruelle, quelque inoffensif client des Doria -ou des Spinola: et l’on entend bien que les Gibelins, étant les plus -forts, ne se faisaient pas faute, le jour suivant, de le leur prouver -par des procédés tout pareils. Depuis des années, la guerre sévissait à -demeure dans les rues de Gênes: une guerre si violente que les Génois en -étaient presque aussi fiers que de leurs colonies, se glorifiant -volontiers d’exceller autant dans les luttes civiles que dans les -navales. Or, en 1295, après trois années d’efforts, leur évêque Jacques -de Varage obtint d’eux cette chose incroyable: que Guelfes et Gibelins -consentissent solennellement à se réconcilier. Pour la première fois, -depuis un demi-siècle, un calme fraternel régna dans les petites rues -voisines de Saint-Laurent, de Saint-Donat, et de Saint-Mathieu, qui -formaient alors le centre de la vie génoise. Et quand, onze mois plus -tard, les Guelfes, excités en secret par le roi de Naples Charles II, -attaquèrent de nouveau le parti des Spinola, on vit, racontent les -chroniqueurs, «le pieux évêque Jacques de Varage se précipiter entre les -combattants, pour les séparer au péril de sa vie». - -Mais comment résisterais-je à la tentation de citer le passage de la -_Chronique de Gênes_ où Jacques de Voragine nous raconte lui-même ces -événements, n’oubliant que de faire la moindre allusion à la part très -active que, de l’aveu de tous, nous savons qu’il y a prise? Voici ce -passage, traduit non pas sur l’inexacte copie de la _Chronique de Gênes_ -qui se trouve dans le recueil de Muratori, mais sur un manuscrit -magnifique et vénérable de la Bibliothèque Municipale de Gênes, datant, -selon toute apparence, de la première moitié du XIVe siècle. Le saint -prélat, après s’être longuement étendu sur les mérites des évêques et -archevêques ses prédécesseurs, arrive enfin à son propre épiscopat. «Le -frère Jacques,--nous dit-il,--huitième archevêque de Gênes, a été élu en -1292, et vivra tant que Dieu voudra bien le laisser en vie.» Puis il -mentionne son voyage à Rome, et la mort du pape Nicolas, «qui, -croyons-nous, est entré ainsi au palais céleste». Et voici toute la fin -de cette touchante autobiographie: - - L’an du Seigneur 1295, au mois de janvier, fut conclue une paix - générale et universelle, dans la ville de Gênes, entre ceux qui - s’appelaient Mascarati, ou Gibelins, et ceux qui s’appelaient Rampini, - ou Guelfes: entre lesquels, en vérité, le malin esprit avait depuis - longtemps suscité de nombreuses divisions et querelles de parti. - Soixante ans durant, ces dissensions pleines de dangers avaient - troublé la ville. Mais, grâce à la protection spéciale de - Notre-Seigneur, tous les Génois sont enfin revenus à la paix et à la - concorde, de telle manière qu’ils se sont juré de ne plus faire qu’une - seule société, une seule fraternité, un seul corps. Ce qui a produit - tant de joie que la ville entière s’est remplie de gaîté. Et nous - aussi, dans l’assemblée solennelle où fut conclue la paix, vêtu de nos - ornements pontificaux, nous avons prêché la parole de Dieu; après - quoi, avec notre clergé, nous avons chanté _Te Deum laudamus_, ayant - auprès de nous quatre évêques et abbés mitrés. - - Mais comme, dans ce bas monde, il ne saurait y avoir de pur bien,--car - le pur bien est au ciel, le pur mal en enfer, et notre monde est un - mélange de bien et de mal,--voilà que, hélas! notre cithare a dû - changer ses cantiques joyeux en de nouvelles plaintes, et l’harmonie - de nos orgues a été interrompue par des voix pleines de larmes! En - effet, dans cette même année, au mois de décembre, cinq jours après - Noël, l’ennemi de la paix humaine a excité nos concitoyens à une telle - discorde et tribulation que, au milieu des rues et des places, ils se - sont attaqués l’un l’autre, les armes en main. A quoi ont succédé - nombre de meurtres, de blessures, d’incendies et de rapines. Et - l’aveuglement de la haine commune est allé si loin que, pour s’emparer - de la tour de notre église de Saint-Laurent, une troupe de nos - concitoyens n’a pas craint de mettre le feu à l’église, dont tout le - toit s’est trouvé brûlé. Et cette périlleuse sédition a duré depuis le - cinquième jour de Noël jusqu’au jour du 7 février. C’est à la suite - des événements susdits qu’on a décidé de nommer capitaines du peuple - messires Conrad Spinola et Conrad Doria. - -Et non moins admirable, non moins digne d’être commémoré, fut le rôle -joué à Gênes par Jacques de Voragine en tant que père des pauvres de son -diocèse. De cela non plus il ne fait point mention, dans sa _Chronique_; -mais les auteurs génois s’accordent à nous dire que, durant les six -années de son épiscopat, la ville a été comblée de sa charité. «Toutes -les vertus rivalisaient en lui», reconnaît Muratori, peu suspect de -partialité à l’égard d’un homme dont il traite l’œuvre entière de -«bavardage imbécile». D’autres nous affirment que, aussi longtemps qu’il -fut évêque, pas une fois on ne le vit manger à sa faim. Il allait -lui-même soigner les malades, dans les ruelles du port. Il s’était fait -donner une liste des indigents et «les visitait du matin au soir, -s’entretenant avec eux de leurs menues affaires». Son revenu et celui de -son église, qui, au dire de Muratori, était «des plus gras», tout allait -aux pauvres. Pour avoir autrefois compilé avec attendrissement les -histoires de saint Jean l’Aumônier, de saint Basile, et d’autres «fous -de charité», ces grands saints avaient daigné permettre à leur biographe -de leur ressembler. Et j’imagine que lui aussi, comme l’abbé Sérapion, -aurait été heureux de vendre son évangile pour nourrir un mendiant: -après quoi il aurait répondu à ceux qui se seraient avisés de le lui -reprocher: «Ce livre me disait de vendre ce que j’avais pour en donner -le prix aux pauvres. Or je n’avais plus que lui. Comment aurais-je pu -m’empêcher de le vendre?» - -Avant de mourir, en 1298, il défendit qu’on privât les pauvres du prix -de ses funérailles. Et il demanda que son corps, au lieu de reposer dans -la cathédrale auprès de ceux des autres évêques, fût transporté dans -l’Eglise de son ancien couvent, où on l’a, en effet, déposé, à gauche du -chœur. Mais l’église de Saint-Dominique a été démolie, il y a quelques -années: et parmi ce que l’on a conservé de ses débris, à l’Académie des -Beaux-Arts et au Palais-Blanc, vainement j’ai cherché un vestige de la -sépulture de Jacques de Voragine. - - * * * * * - -Je crois en revanche qu’on pourrait aisément, dans les bibliothèques -françaises et italiennes, retrouver des copies de tous ses ouvrages: car -tous, sans parler de la _Légende Dorée_, ont eu jusqu’au XVe siècle une -célébrité universelle; et quelques-uns ont même été imprimés. A -l’exception de la _Chronique de Gênes_, dont on vient de lire les -dernières pages, ils datent tous des années qui ont précédé l’avènement -du Frère Prêcheur à l’épiscopat. Les auteurs contemporains mentionnent, -surtout, une traduction de la Bible en langue italienne, un volumineux -commentaire de saint Augustin, et plusieurs recueils de sermons. J’ai eu -entre les mains un de ces recueils, à la Bibliothèque Municipale de -Tours, qui, si même elle n’avait hérité que du seul fonds de Marmoutier, -aurait encore de quoi être une des plus riches bibliothèques de France -en œuvres religieuses du moyen âge. Et, en vérité, les sermons de -Jacques de Voragine m’ont paru valoir, eux aussi, que quelque pieux -savant prît un jour la peine de nous les révéler. Tout comme la _Légende -Dorée_, ils ont, sous leur appareil scolastique, une simplicité et une -bonhomie très originales, et les mieux faites du monde pour nous -émouvoir. Le seul malheur est que l’appareil scolastique y tient une -place infiniment plus considérable que dans la _Légende Dorée_, avec une -telle quantité de divisions et de subdivisions, de points coupés en -d’autres points qui se trouvent coupés à leur tour, que, à chaque ligne, -un lecteur d’à présent risque de perdre le fil de l’argumentation, étant -donnée surtout l’absence complète de tout signe graphique qui puisse -l’aider à se reconnaître. Et je crains bien que des motifs semblables ne -nous interdisent, à jamais, de prendre plaisir et profit à la lecture -des _Commentaires_ de Jacques de Voragine _sur saint Augustin_. - -Mais d’ailleurs aucun autre des livres du savant et saint moine n’a eu, -même en son temps, un succès comparable à celui de cette _Légende des -Saints_ que, presque dès son apparition, l’Europe tout entière s’est plu -à appeler la _Légende Dorée_. Ce livre sans pareil doit avoir été écrit -vers 1255, lorsque l’auteur n’était encore qu’un tout jeune professeur -de théologie: car l’_Histoire Lombarde_, qui en forme l’appendice, -s’arrête à la mort de Frédéric II, sans même signaler l’élection au -trône pontifical d’Alexandre IV[2]. Resterait l’hypothèse que Jacques de -Voragine eût écrit sa _Légende_ après l’_Histoire Lombarde_, et se fût, -ensuite, borné à joindre à son nouveau livre cette chronique, rédigée -quelques années plus tôt: mais il n’eût point manqué, en ce cas, de -mettre au courant la fin de sa chronique, de même qu’il a fait pour le -commencement: puisque, aussi bien, parmi les innombrables erreurs qui -ont cours, depuis le seizième siècle, au sujet de la _Légende Dorée_, -aucune n’est plus scandaleusement injuste que celle qui consiste à -représenter comme une rapsodie, comme un mélange incohérent de morceaux -rassemblés au hasard, un livre d’une unité et d’un ensemble parfaits, où -chaque récit se trouve expressément chargé de compléter, de rectifier, -ou de nuancer quelque récit précédent. - - [2] Notons encore que, dans tout son livre, Jacques de Voragine ne - nomme pas une seule fois ce pape, ni, non plus, Thomas d’Aquin, qui, - dès 1255, avait commencé à devenir une des gloires de l’ordre des - Frères Prêcheurs. - - * * * * * - -Non, la _Légende Dorée_ n’est pas une simple rapsodie, ainsi que l’ont -prétendu des critiques, et même des traducteurs, qui, croirait-on, ne se -sont jamais sérieusement occupés de la lire! Et pas davantage elle n’est -une «compilation», au sens où nous entendons aujourd’hui ce mot. On -trouve bien, dans les éditions de la fin du XVe siècle, deux histoires, -celle de _Sainte Apolline_ et celle de _Sainte Paule_, qui reproduisent, -mot pour mot, des textes antérieurs: et ce sont celles-là qu’on cite, -quand on veut prouver que Jacques de Voragine s’est contenté de -transcrire, dans son livre, des passages copiés à droite et à gauche. -Mais le fait est que ces deux histoires ne sont point de Jacques de -Voragine: car elles manquent non seulement dans la plupart des vieux -manuscrits, mais même dans les premières éditions imprimées. Ce sont -donc de ces innombrables interpolations que, au cours des siècles, les -copistes ont introduites dans le texte original de la _Légende -Dorée_[3]: et j’ajoute que, si même nous n’avions pas la ressource de -pouvoir reconstituer ce texte original en éliminant tous les chapitres -qui ne figurent point dans les premiers manuscrits, le style des -chapitres ajoutés suffirait à nous mettre en défiance contre eux. Car -Jacques de Voragine n’est peut-être pas un grand écrivain: mais à coup -sûr il possède un style qui lui appartient en propre, un style, et une -façon de composer, et surtout une façon de raconter; de telle sorte que -les citations les plus diverses prennent aussitôt, sous sa plume, la -même allure et le même attrait. Que l’on compare, à ce point de vue, son -récit des martyres des saints avec le récit qu’en donne le _Bréviaire_: -ou, plutôt encore, qu’on compare ses légendes de _Saint Jean -l’Aumônier_, de _Saint Antoine_, de _Saint Basile_, avec le texte de la -_Vie des Pères_, d’où il nous dit qu’il les a «directement extraites»! -Et l’on comprendra alors ce que sa «compilation» impliquait de travail -personnel, de réelle et précieuse _création_ littéraire. Et l’on -comprendra aussi, très clairement, le caractère et la portée véritables -de la _Légende Dorée_. - - [3] Un exemple suffira pour donner l’idée du nombre fantastique de ces - interpolations. Les éditions de 1470, encore presque conformes au - texte primitif, contiennent environ 280 chapitres: une édition - française de 1480 en contient 440, et l’édition anglaise de Caxton, - 448. - -Mais avant de définir ce caractère et cette portée, il y a une autre -erreur encore que je dois signaler: celle qui consiste à voir dans la -_Légende Dorée_ un recueil de «légendes», autant dire de fables, et -présentées comme telles par l’auteur lui-même. En réalité, _Legenda -Sanctorum_ signifie: lectures de la vie des saints. _Legenda_ est ici -l’équivalent du mot _lectio_, qui, dans le _Bréviaire_, désigne les -passages des auteurs consacrés que le prêtre est tenu de lire entre deux -oraisons. Et Jacques de Voragine n’a nullement l’intention de nous -donner pour des fables les histoires qu’il nous raconte. Il entend que -son lecteur les prenne au sérieux, ainsi qu’il les prend lui-même, sauf -à exprimer souvent des réserves sur la valeur de ses sources, ou, avec -une loyauté admirable, à mettre vivement en relief une contradiction, -une invraisemblance, un risque d’erreur. Et de là ne résulte point que -nous devions, aujourd’hui, admettre la vérité de tous ses récits: aucun -d’eux, au moins dans le détail, n’est proprement article de foi. Mais -par là s’explique que lui, l’auteur, admettant de toute son âme cette -vérité, ait pu employer à ses récits une franchise, une chaleur -d’imagination, et un élan d’émotion qui, depuis des siècles, et -aujourd’hui encore, les revêtent d’un charme où le lecteur le plus -sceptique a peine à résister. Ce livre n’a si profondément touché tant -de cœurs que parce qu’il a jailli, tout entier, du cœur. - - * * * * * - -Et son unique objet était, précisément, de toucher les cœurs. Car la -_Légende Dorée_ est, à sa façon, un des signes les plus caractéristiques -de son temps, du temps qui a produit saint François, saint Dominique, -saint Louis, et rempli le monde d’églises merveilleuses. C’est un temps -où, dans l’Europe entière, le peuple, s’éveillant enfin d’une longue -somnolence, a commencé tout à coup d’aspirer fiévreusement à la vie de -l’esprit. Tout à coup l’architecture, la sculpture, tous les arts se -sont laïcisés, sont sortis des couvents pour aller au peuple. Et, de -même, la pensée religieuse. En même temps qu’il s’occupait à construire -des églises, le peuple réclamait d’être initié aux secrets de la -théologie: il voulait qu’un contact plus intime s’établît désormais -entre Dieu et lui. De là son enthousiasme à accueillir le Pauvre -d’Assise, dont l’âme parfumée n’était qu’une expression plus haute et -plus profonde de toute l’âme populaire. De là l’immense et soudain -succès des deux grands ordres qui, créés pour des fins différentes, -avaient tous deux en commun de s’adresser directement au peuple, de se -mêler au peuple plus étroitement que les ordres antérieurs, et le -séculier même. Le peuple voulait, en quelque sorte, pénétrer jusqu’au -chœur de l’église, afin de mieux célébrer Dieu, étant plus près de lui. -Et c’est à cette tendance que répond la conception de la _Légende -Dorée_, comme par elle s’explique, aussi, l’extraordinaire fortune de ce -livre. - -La _Légende Dorée_ est, essentiellement, une tentative de vulgarisation, -de «laïcisation», de la science religieuse. Bien d’autres théologiens, -avant Jacques de Voragine, avaient écrit non seulement des vies de -saints, mais des commentaires de toutes les fêtes de l’année. Le -_Bréviaire_, par exemple, dès le XIe siècle, avait été compilé, à peu -près sous sa forme d’aujourd’hui, avec des _leçons_ équivalant aux -chapitres de la _Légende Dorée_. Et, à chaque page, le bienheureux -Jacques de Voragine cite d’autres compilations analogues, le _Livre -Mitral_, le _Rational des offices divins_ de maître Jean Beleth, -chanoine d’Amiens, etc. Mais tous ces ouvrages s’adressaient aux -théologiens, aux clercs: et la _Légende Dorée_ s’adresse aux laïcs. Elle -a pour objet de faire sortir, des bibliothèques des couvents, les -trésors de vérité sainte qu’y ont accumulés des siècles de recherches et -de discussions, et de donner à ces trésors la forme la plus simple, la -plus claire possible, et en même temps la plus attrayante: afin de les -mettre à la portée d’âmes naïves et passionnées qui aussitôt -s’efforcent, par mille moyens, de témoigner la joie extrême qu’elles -éprouvent à les accueillir. Voilà pourquoi Jacques de Voragine ne -dédaigne point d’admettre, dans son livre, jusqu’à des récits dont il -avoue lui-même qu’ils ne méritent pas d’être pris bien à cœur! Voilà -pourquoi il ne néglige jamais une occasion d’expliquer longuement le -sens des diverses cérémonies religieuses, la tonsure des prêtres, les -processions, la dédicace des églises! Et voilà pourquoi, tout en nommant -toujours les auteurs dont il «compile» les savants écrits, il a toujours -soin de modifier les passages qu’il leur emprunte, de manière que l’âme -la plus simple puisse les comprendre et en profiter. Sa _Légende_ est, -ainsi, la suite directe de cette traduction italienne de la Bible que -ses biographes signalent comme l’un de ses premiers ouvrages. Et si, au -lieu d’écrire sa _Légende_ en italien, il l’a écrite dans un honnête -latin de sacristie, dont les humanistes de la Renaissance ont eu beau -jeu à railler la médiocrité, c’est que, sans doute, sous cette forme, il -a su que son livre pourrait se répandre plus loin, et ouvrir à plus -d’âmes la maison de Dieu. - -Le fait est qu’il n’y a peut-être pas de livre qui ait été plus souvent -copié et traduit. Toutes les bibliothèques du monde en possèdent des -manuscrits, dont quelques-uns comptent parmi les chefs-d’œuvre des deux -arts délicieux de la calligraphie et de l’enluminure. Et lorsque, deux -cents ans après, l’imprimerie vient, hélas! se substituer à ces deux -arts et les anéantir, c’est encore la _Légende Dorée_ qu’on imprime le -plus. Les catalogues mentionnent près de cent éditions latines -différentes, publiées entre les années 1470 et 1500: sans compter -d’innombrables traductions françaises, anglaises, hollandaises, -polonaises, allemandes, espagnoles, tchèques, etc. Du treizième siècle -jusqu’au seizième, la _Légende Dorée_ reste, par excellence, le livre du -peuple. - -Et je dois ajouter qu’il n’y a peut-être pas de livre, non plus, qui ait -exercé sur le peuple une action plus profonde, ni plus bienfaisante. Car -le «petit» livre du bienheureux Jacques de Voragine,--si l’on me permet -de lui garder une épithète que tous les auteurs anciens s’accordent à -lui attribuer,--a été, pendant ces trois siècles, une source inépuisable -d’idéal pour la chrétienté. En rendant la religion plus ingénue, plus -populaire, et plus pittoresque, il l’a presque revêtue d’un pouvoir -nouveau: ou du moins il a permis aux âmes d’y prendre un nouvel intérêt, -et, pour ainsi dire, de s’y réchauffer plus profondément. Tout de suite -les nefs des églises se sont peuplées d’autels en l’honneur des saints -et des saintes du calendrier. Tout de suite les tailleurs de pierres se -sont mis à sculpter, aux porches des cathédrales, les touchants récits -de la _Légende Dorée_, les peintres, les verriers, à les représenter sur -les murs ou sur les fenêtres. Entrez dans une vieille église de Bruges, -de Cologne, de Tours ou de Sienne: toutes les œuvres d’art qui vous y -accueilleront ne sont que des illustrations immédiates, littérales, de -la _Légende Dorée_. C’est d’après Jacques de Voragine que Memling et -Carpaccio nous racontent le voyage de sainte Ursule avec ses onze mille -compagnes. Quand Piero della Francesca, dans ses fresques d’Arezzo, ou -Agnolo Gaddi dans celles de Florence, nous font assister aux aventures -diverses du bois de la sainte Croix, ils suivent de phrase en phrase le -texte de la _Légende Dorée_. D’autres prennent même, dans le vieux -livre, des sujets profanes, et, comme Thierry Bouts au Musée de -Bruxelles, nous détaillent, d’après l’_Histoire Lombarde_, un acte de -justice de l’empereur Othon. Et il n’y a point jusqu’aux grands tableaux -de Rubens, de Murillo, de Poussin, qui ne reproduisent les scènes des -martyres des saints ou de leurs miracles exactement comme le bienheureux -évêque de Gênes les a «compilées» à notre intention. Toute la part que, -aujourd’hui encore, notre imagination mêle à ce que nous apprennent, de -l’histoire sacrée, les Ecritures et la Tradition, tout cela nous vient, -en droite ligne, de la _Légende Dorée_. - - * * * * * - -Aussi ne saurait-on trop déplorer le profond discrédit qu’ont cru devoir -jeter sur ce livre d’éminents écrivains religieux de la Renaissance et -du XVIIe siècle, depuis Vivès, l’ami d’Erasme, jusqu’à l’impitoyable -Jean de Launoi, le «dénicheur de saints», dont un contemporain disait -qu’il «avait plus détrôné de saints du paradis que dix papes n’en -avaient canonisé». Ces savants hommes ont évidemment lu la _Légende -Dorée_, comme toutes choses, avec l’impression qu’un ministre calviniste -lisait par-dessus leur épaule, guettant une occasion de se moquer d’eux. -Et ainsi ils se sont trouvés empêchés de réfléchir au sens et à la -portée du vieux livre; de telle sorte qu’au lieu d’honorer en Jacques de -Voragine l’un des plus érudits en même temps que le plus vénérable de -leurs devanciers, il n’y a pas d’injure dont ils ne l’aient accablé: -poussés, par leur indignation, jusqu’au calembour, car les uns -l’appelaient un «gouffre d’ordures», jouant sur le sens latin du mot -_vorago_, tandis que d’autres déclaraient que sa _Légende_ n’était pas -d’or, mais de _fer_ et de _plomb_. Ils ne lui pardonnaient pas, -notamment, d’avoir mis saint Georges aux prises avec un dragon avant de -le mettre aux prises avec les tenailles du préfet Dacien, ni d’avoir -raconté que saint Antoine avait rencontré au désert un centaure et un -satyre, ni d’avoir conduit à Rome les onze mille compagnes de sainte -Ursule, ni, en maints endroits, d’avoir confondu les noms et brouillé -les dates. - -Et certes je ne prétends pas que, à la considérer au point de vue -historique, la _Légende Dorée_ ne contienne pas d’affirmations -inexactes, ou, tout au moins, d’une exactitude à jamais incertaine. Je -croirais volontiers, plutôt, qu’elle en est remplie, comme tous les -ouvrages historiques de son temps, comme ceux de tous les temps; et, -sans doute, les écrits mêmes de Vivès et de Launoi, si un érudit voulait -aujourd’hui les contrôler à ce point de vue, apparaîtraient, eux aussi, -amplement pourvus d’erreurs et de légendes. Mais, d’abord, ainsi que le -dit très sagement Bollandus, rien n’est plus injuste que d’attribuer à -Jacques de Voragine la responsabilité d’affirmations qu’il a, toutes, -puisées dans des ouvrages antérieurs, en les contrôlant de son mieux -chaque fois qu’il pu, ou en nous faisant part des doutes qu’elles lui -inspiraient. Pour citer encore une expression de Bollandus, le tort de -Vivès et des autres détracteurs de la _Légende Dorée_ a été «de vouloir -critiquer ce qu’ils ne comprenaient pas et qu’ils ignoraient». Ils -ignoraient qu’un érudit du XIIIe siècle ne disposait point des mêmes -moyens d’information que ceux dont ils disposaient, trois ou quatre -siècles plus tard: c’est-à-dire qu’il manquait de beaucoup de ceux -qu’ils avaient, mais que, peut-être aussi, il en avait d’autres qui -désormais leur manquaient. Et quant à soutenir, comme ils le -soutenaient, que la plupart des récits de la _Légende Dorée_ sont des -fables parce que les documents contemporains n’en font pas mention, -c’est en vérité montrer, à l’égard de ces documents, une crédulité plus -naïve encore que celle des contemporains de Jacques de Voragine à -l’égard du dragon de saint Georges et du centaure de saint Antoine. -Qu’un document soit contemporain des faits qu’il atteste, comme par -exemple nos journaux, ou qu’il leur soit postérieur, comme les histoires -et les chroniques les plus abondantes, on ne risque guère à soutenir que -l’erreur y tient plus de place que la vérité, que de mille choses -considérables ils ne font point mention, et qu’ils en mentionnent mille -autres qui n’ont jamais existé. - -Mais surtout le tort de Vivès et de ses successeurs a été de «vouloir -critiquer ce qu’ils ne comprenaient pas». Ils ne comprenaient pas, en -effet, que des erreurs comme celles qu’ils signalaient dans la _Légende -Dorée_ n’avaient point, pour un lecteur catholique, la même importance -que pour ce ministre calviniste qui hantait leurs rêves. Car, si les -protestants estiment que Dieu, après avoir parlé aux hommes depuis Adam -jusqu’à Jésus-Christ, s’est tu à jamais dès qu’il nous a légué le -Nouveau Testament, c’est, au contraire, la croyance des catholiques que, -suivant sa promesse, il a «envoyé aux hommes son Esprit», pour continuer -à les instruire et à les guider. Lors donc que la Sainte Eglise a -proclamé saints des hommes dont, le plus souvent, la vie et les actes -lui étaient connus de la façon la plus sûre et la plus directe, aucun -catholique n’a le droit de contester le fait de leur sainteté. C’est ce -que ne comprenait pas Launoi, quand, sous prétexte que ses recherches ne -lui avaient pas démontré l’existence de sainte Catherine, il remplaçait -l’office de cette sainte par une messe de _Requiem_: le «dénicheur de -saints» prouvait simplement, par là, qu’il était un sot, à vouloir -mettre ses petites recherches personnelles au-dessus de l’autorité de sa -mère l’Eglise. Et, puisque la sainteté des saints de la _Légende Dorée_ -ne saurait faire de question pour nous, qu’importe ensuite que, à défaut -de l’histoire véritable de leur vie, nous ayons de belles légendes qui -certainement expriment, sinon les faits de cette vie, du moins son âme -et son sens profond? Ainsi l’entendaient les chrétiens des premiers -siècles, qui ne tenaient nullement pour illicite d’embellir à leur -fantaisie, dans leurs chroniques, la vie de la Vierge et des saints, pas -plus que les vieux peintres ne s’interdisaient de représenter leurs -traits à leur fantaisie. Et de même que maintes images de la Vierge, -sans prétendre le moins du monde à être des portraits, ont reçu de Dieu -le pouvoir d’opérer des miracles, de même rien ne nous empêche -d’admettre que Dieu, s’il le juge bon, puisse prêter aux légendes de ses -saints une réalité supérieure. Cela encore était une des croyances -favorites des grands âges chrétiens; et la trace s’en retrouve à chaque -page dans la _Légende Dorée_. Nous y lisons, par exemple, l’histoire -d’un gardien d’église qui, au lieu de donner à un pèlerin un vrai doigt -de saint Augustin, s’était amusé à lui donner le doigt d’un pauvre homme -qui venait de mourir: après quoi, apprenant que ce doigt faisait des -miracles, il était allé voir le corps du saint, et s’était aperçu qu’un -doigt y manquait. Rien n’est impossible à Dieu; et il n’y a point de -Vivès, de Launoi, ni de Baillet, dont l’érudition prévaille contre cet -article de foi. - -Je ne crois pas, au reste, que personne s’avise plus, aujourd’hui, de -reprocher à la _Légende Dorée_ la faiblesse de sa critique, ni -l’incohérence de sa chronologie. Et je suis sûr que personne ne pourra -s’empêcher de sentir l’exquise douceur poétique de cette _Légende_, son -charme ingénu, mais, par-dessus tout, la pureté et la beauté -incomparables de l’esprit chrétien dont elle est imprégnée. Quelque -opinion que l’on ait de l’exactitude documentaire de chacun de ses -récits, on reconnaîtra que leur ensemble forme un manuel parfait de la -vie suivant l’Evangile, un manuel infiniment varié, et d’autant mieux -adapté aux diverses conditions de l’existence humaine. Car la _Légende -Dorée_ restera toujours ce que son auteur a voulu qu’elle fût: un livre -à l’adresse du peuple, offrant à tout homme la leçon et l’exemple qui -peuvent lui convenir. Mais leçons et exemples, malgré leur diversité, y -ont toujours en commun d’être directement inspirés de la parole du -Christ. - -Et la religion qu’on y trouve exprimée est toute d’indulgence et de -consolation. C’est la religion telle que la concevait saint François -d’Assise, telle qu’allait la traduire, deux siècles après, le -bienheureux Fra Angelico, dans ces miniatures et ces fresques dont, -seul, un chrétien peut apprécier la surnaturelle vérité chrétienne. -Qu’on voie avec quelle ardente sympathie Jacques de Voragine nous -raconte les actes charitables des saints, comme il s’échauffe lorsqu’il -nous parle de saint Basile, de saint Jean l’Aumônier, ou de saint -Martin! Peu s’en faut qu’il ne les préfère aux martyrs eux-mêmes, tant -il découvre en eux des disciples fidèles de son divin maître. Et ses -martyrs, combien ils sont joyeux et doux, combien ils ont de tendre -pitié pour leurs persécuteurs! Le préfet qui torturait saint Longin est, -tout à coup, devenu aveugle et supplie le saint de lui rendre la vue: -«Sache, mon pauvre ami, lui répond le saint, que tu ne pourras être -guéri qu’après m’avoir tué! Mais, aussitôt que je serai mort, je prierai -pour toi; et Dieu m’accordera bien la guérison de ton corps et de ton -âme!» Et saint Christophe, de son côté, dit au roi de Samos: «Quand tu -m’auras fait trancher la tête, applique un peu de mon sang sur tes yeux, -et tu recouvreras la vue!» Voilà vraiment de beaux saints; et il n’y a -point de pécheur qui n’ait de quoi reprendre courage, en songeant que, -là-haut, de tels amis s’emploient à plaider pour lui! - -Peut-être même est-ce cet esprit d’indulgence et de compassion infinies -qui, plus encore que le dragon de saint Georges, a valu à la _Légende -Dorée_ la mauvaise humeur de certains écrivains religieux du XVIIe -siècle. Sous l’influence du protestantisme et du jansénisme, nombre -d’excellents catholiques, alors, estimaient imprudent de trop prêcher au -peuple la bonté de Dieu. Les peintres, ayant à peindre Jésus sur la -croix, le représentaient avec les bras levés au ciel, et non plus avec -les bras étendus pour bénir la terre. Les philosophes insistaient sur la -différence essentielle de la bonté divine et de l’humaine. Et tous, -d’une façon générale, ils s’efforçaient plutôt d’effrayer les hommes que -de les rassurer. Peut-être, dans ces conditions, la _Légende Dorée_ leur -aura-t-elle paru trop consolante, je veux dire faite pour nous donner -une notion trop inexacte de l’éternelle justice? Mais aujourd’hui, de -même que nos imaginations ont soif de légendes, nos cœurs ont soif de -pitié et de consolation. Nous avons besoin que Jésus vienne à nous avec -les bras grands ouverts, que, dans nos peines, il nous dise, comme à -l’apôtre dans sa prison d’Antioche: «Mon ami, as-tu cru vraiment que je -t’oubliais?» Nous avons besoin que, comme au brigand qui récitait tous -les jours son _Ave Maria_, il daigne nous promettre le pardon de toutes -nos fautes, en échange du peu de foi que nous pouvons lui offrir. - -«Si tu dois tenir compte de nos iniquités, Seigneur, qui osera affronter -ton jugement?» C’est à ce cri de nos misérables âmes que répond surtout -la _Légende Dorée_, par la voix de ses confesseurs et par l’exemple de -ses pécheresses, nous apportant le témoignage de treize siècles de -christianisme, dont elle est, sinon une histoire toujours bien exacte, à -coup sûr le testament le plus authentique. Elle nous apprend que la -justice de Dieu n’est toute faite que de sa bonté. «Ne craignez pas -trop, nous dit-elle, que le Seigneur vous tienne compte de vos -iniquités! Lui-même, suivant l’expression de saint Bernard, est prêt à -vous faire bénéficier du surplus de ses mérites; et puis il y a, auprès -de lui, la Vierge et tous les saints, qui ne cessent point de le -solliciter en votre faveur. Mais il ne vous pardonnera qu’à la condition -que vous l’aimiez, dans la personne du pauvre et du malade, de la veuve -et de l’orphelin, de tous ceux que la souffrance élève jusqu’à lui; à la -condition que vous restiez humbles d’esprit et de cœur, vous gardant -avec soin des fruits amers de l’arbre de la science, dont le diable vous -affirme qu’ils pourront vous rendre pareils à des dieux; et à la -condition, enfin, que vous honoriez le Seigneur dans la nature, son -œuvre, au lieu de mépriser et de détruire celle-ci comme vous vous -acharnez à le faire. Habituez-vous plutôt à écouter les leçons des -forêts que celles des livres! Obtenez des moineaux qu’ils consentent à -venir manger dans vos mains! Et, quand vous verrez un ours ou un loup -pris au piège, hâtez-vous de courir à lui pour le délivrer! Renoncez à -vous-mêmes pour vivre tout entiers dans le reste du monde: moyennant -quoi le Seigneur non seulement vous préparera une petite place dans son -paradis, mais, dès cette vie, imprimera sur vos lèvres le tranquille et -heureux sourire que vous voyez rayonner sur les lèvres des saints!» -Telle est la leçon que nous enseigne, à toutes ses pages, la _Légende -Dorée_, avec son mauvais style et ses erreurs de dates; et peut-être, -cette leçon, les contemporains même de Jacques de Voragine n’avaient-ils -pas autant que nous besoin de l’entendre! - - * * * * * - -Quant à la traduction de la _Légende Dorée_ que je soumets aujourd’hui -au lecteur français, je dirai seulement que je l’ai faite sur une -édition latine imprimée, en 1517, à Lyon, chez Constantin Fradin; mais, -sans cesse, autant que j’ai pu, je me suis reporté à des éditions plus -anciennes et à des copies manuscrites. - -J’ai retranché, naturellement, la plupart des chapitres des éditions -postérieures qui, ne se trouvant point dans les manuscrits, sont à coup -sûr des interpolations. J’ai cru, cependant, devoir en conserver deux, -qui, du reste, ont été introduits de très bonne heure dans le texte de -la _Légende Dorée_: ceux de _Saint François_ et de _Sainte Elisabeth_. -J’ai écourté, çà et là, quelques développements scolastiques où l’auteur -expliquait, par exemple, les dix motifs, divisés chacun en une dizaine -d’autres, qui avaient décidé le Seigneur à se laisser circoncire ou à -naître d’une vierge. Et je me suis également décidé à retrancher, après -les avoir d’abord traduites, les étymologies placées par l’auteur en -tête de ses chapitres. Bollandus et d’autres écrivains autorisés ont -soutenu que ces étymologies n’étaient point de Jacques de Voragine; mais -je crains bien, hélas! qu’elles ne soient de lui, et ce n’est point ce -scrupule-là qui m’a empêché de les publier. Je les ai retranchées, -simplement, parce qu’elles auraient prêté à rire, sans profit pour -personne. Le saint évêque de Gênes, de même que tous les savants de son -temps, ignorait le grec. Et nous aussi, en vérité, nous l’ignorons, mais -nous en savons assez pour être sûrs que le nom d’Agathe, par exemple, ne -vient point «d’_Aga_, parlant, et de _thau_, perfection». Quand Jacques -de Voragine nous affirme que le nom d’Antoine vient «d’_ana_, en haut, -et de _tenens_, tenant», nous éprouvons malgré nous une tentation de -sourire qui risque de nous faire mal apprécier, ensuite, la touchante -beauté de la vie du saint. L’art d’un temps, pour peu que l’artiste y -ait mis de son cœur, a de quoi nous plaire éternellement: mais la -science d’un temps ne vaut que pour son temps. - -Et, à part ces suppressions et ces abréviations, dont le total ne -dépasse pas une trentaine de pages, j’ai essayé de traduire aussi -fidèlement que possible le texte original de la _Légende Dorée_. Puisse -l’œuvre du vénérable Jacques de Varage retrouver parmi nous, sous cette -forme nouvelle, un peu de sa bienfaisante action d’autrefois! - -T. W. - - - - -LA LÉGENDE DORÉE - - - - -PROLOGUE - -DIVISION DE L’ANNÉE - - -Toute la vie de l’humanité se divise en quatre périodes: la période de -la déviation; celle de la rénovation, ou du retour dans la droite voie; -celle de la réconciliation; et celle du pèlerinage. 1º La période de la -déviation a commencé avec Adam et a duré jusqu’à Moïse: c’est en effet -Adam qui, le premier, s’est détourné de la voie de Dieu. Et cette -première période est représentée, dans l’Eglise, par la partie de -l’année qui va de la Septuagésime jusqu’à Pâques. On récite, pendant -cette partie de l’année, le livre de la _Genèse_, qui est celui où se -trouve racontée la faute de nos premiers parents. 2º La période de la la -rénovation a commencé avec Moïse et a duré jusqu’à la naissance du -Christ: c’est en effet la période où, par les prophètes, les hommes ont -été rappelés à la foi, et renouvelés. Elle est représentée, dans -l’Eglise, par la partie de l’année qui va de l’Avent jusqu’à Noël. Et -l’on y récite Isaïe, qui traite le plus clairement de cette rénovation. -3º La période de la réconciliation est celle où, par le Christ, nous -avons été réconciliés avec Dieu. Elle est représentée, dans l’Eglise, -par la partie de l’année comprise entre Pâques et la Pentecôte. Et on y -lit l’Apocalypse, où est pleinement traité le mystère de cette -réconciliation. 4º Enfin la période du pèlerinage est celle de notre vie -présente, où nous errons, comme des pèlerins, à travers mille obstacles. -Elle est représentée, dans l’Eglise, par la partie de l’année qui va de -l’octave de la Pentecôte jusqu’à l’Avent; et l’on y récite les livres -des _Rois_ et des _Macchabées_, où sont racontés de nombreux combats, -symbolisant la lutte spirituelle qui nous est imposée. Quant à la -section de l’année qui va de Noël jusqu’à la Septuagésime, elle est -classée en partie dans la période de la réconciliation (depuis Noël -jusqu’à l’octave de l’Epiphanie), et en partie dans la période du -pèlerinage (depuis l’octave de l’Epiphanie jusqu’à la Septuagésime). - -Mais bien que la déviation ait précédé la rénovation, l’Eglise préfère -commencer son année par le temps de la rénovation, c’est-à-dire l’Avent, -et cela pour deux motifs: 1º parce que, du fait même que ce temps est -celui de la rénovation, l’Eglise y renouvelle tous ses offices; 2º parce -que, en commençant par le temps de la déviation, elle semblerait -commencer par l’erreur. Et voilà pourquoi elle ne s’en tient pas à -suivre l’ordre des temps, de même que, souvent, ne s’y astreignent pas -les évangélistes dans leurs récits de la vie du Seigneur. - -C’est donc d’après cette division des quatre parties de l’année -ecclésiastique que nous allons procéder à l’étude des diverses fêtes, en -commençant par l’Avent, qui ouvre la période de la rénovation. - - - - -I - -L’AVENT - - -L’Avent ou avènement du Seigneur se célèbre pendant quatre semaines, -pour signifier que cet avènement est de quatre sortes, à savoir: dans la -chair, dans l’esprit, dans la mort, et au Jugement Dernier. La dernière -semaine reste inachevée, pour signifier que la gloire des élus, telle -que la leur donnera le dernier avènement du Seigneur, n’aura point de -fin. Mais bien que l’avènement soit, en réalité, quadruple, l’Eglise -s’occupe spécialement de deux de ses formes, à savoir de l’avènement -dans la chair et de l’avènement au Jugement Dernier. Et, ainsi, le jeûne -de l’Avent est en partie un jeûne de réjouissance, en partie de -contrition. C’est un jeûne de réjouissance par égard à l’avènement du -Seigneur dans la chair, ou incarnation; et c’est un jeûne de contrition -par égard à l’avènement suprême du jugement dernier. - -I. Au sujet de l’avènement dans la chair, on doit considérer deux -choses: son opportunité et son utilité. Son opportunité résulte d’abord -de ce que l’homme, condamné par sa nature à avoir une connaissance -incomplète de Dieu, était tombé dans les pires erreurs de l’idolâtrie, -et se voyait amené à s’écrier: «Illumine mes yeux, etc.» En second lieu, -le Seigneur est venu dans la «plénitude du temps», comme le dit saint -Paul dans l’_Epître aux Galates_. En troisième lieu, il est venu à un -moment où le monde entier était malade, comme le dit saint Augustin: «Le -grand médecin est venu au moment où le monde entier gisait comme un -grand malade.» C’est pourquoi l’Eglise, dans les sept antiennes qui se -chantent avant la Nativité du Seigneur, rappelle la diversité du mal et -l’opportunité du remède divin. Avant l’avènement de Dieu dans la chair, -nous étions ignorants, soumis aux peines éternelles, esclaves du diable, -enchaînés par l’habitude du péché, entourés de ténèbres, exilés de notre -patrie. C’est pourquoi ces antiennes proclament tour à tour Jésus comme -notre docteur, notre rédempteur, notre libérateur, notre guide, notre -illuminateur, et notre sauveur. - -Quant à l’utilité de l’avènement du Christ, diverses autorités la -définissent de façons différentes. Jésus-Christ lui-même, dans -l’évangile de saint Luc, nous dit qu’il est venu pour sept motifs: pour -consoler les pauvres, pour guérir les affligés, pour délivrer les -captifs, pour éclairer les ignorants, pour pardonner aux pécheurs, pour -racheter le genre humain, et pour récompenser chacun d’après ses -mérites. Et saint Bernard dit: «Nous souffrons d’une triple maladie: -nous sommes faciles à séduire, faibles à agir, et fragiles à résister. -En conséquence, l’avènement du Sauveur est nécessaire, d’abord, pour -illuminer notre aveuglement, en second lieu pour secourir notre -faiblesse, et en troisième lieu pour protéger notre fragilité.» - -II. Au sujet du second avènement, c’est-à-dire du Jugement Dernier, nous -devons considérer, tour à tour, les circonstances qui le précéderont, et -celles qui l’accompagneront. - -1º Les circonstances qui précéderont le Jugement Dernier sont de trois -sortes: des signes terribles, l’imposture de l’Antéchrist, et un immense -incendie. - -Les signes qui doivent précéder le Jugement Dernier sont au nombre de -cinq: car saint Luc dit: «Il y aura des signes dans le soleil, dans la -lune et dans les étoiles; sur la terre, les nations seront consternées, -et la mer fera un bruit effroyable par l’agitation de ses flots.» Toutes -choses dont on trouvera le commentaire au livre de l’_Apocalypse_. - -Saint Jérôme, de son côté, a trouvé dans les annales des Hébreux quinze -signes précédant le Jugement Dernier: 1º le premier jour, la mer -s’élèvera à quarante coudées au-dessus des montagnes, et se dressera -immobile comme un mur; 2º le deuxième jour, elle descendra si bas qu’on -pourra à peine la voir; 3º le troisième jour, des monstres marins, -apparaissant sur les flots, pousseront des rugissements qui s’élèveront -jusqu’au ciel; 4º le quatrième jour, l’eau de la mer brûlera; 5º le -cinquième jour, les arbres et tous les végétaux dégageront une rosée -sanglante; 6º le sixième jour, les édifices s’écrouleront; 7º le -septième jour, les pierres se briseront en quatre parties, qui toutes -s’entre-choqueront; 8º le huitième jour, aura lieu un tremblement de -terre universel, qui couchera sur le sol hommes et bêtes; 9º le neuvième -jour, la terre se nivellera, réduisant en poussière montagnes et -collines; 10º le dixième jour, les hommes sortiront des cavernes, et -erreront comme des insensés, sans pouvoir se parler; 11º le onzième -jour, les ossements des morts sortiront des tombeaux; 12º le douzième -jour, les étoiles tomberont; 13º le treizième jour, tous les êtres -vivants mourront pour ressusciter ensuite avec les morts; 14º le -quatorzième jour, le ciel et la terre brûleront; 15º le quinzième jour, -il y aura un nouveau ciel et une nouvelle terre, et tous ressusciteront. - -En second lieu, le Jugement Dernier sera précédé de l’imposture de -l’Antéchrist, qui essaiera de tromper les hommes en quatre manières: 1º -par une fausse exposition des écritures, d’où il essaiera de prouver -qu’il est le Messie promis par la loi; 2º par l’accomplissement de -miracles; 3º par la distribution de présents; 4º par l’infliction de -supplices. - -En troisième lieu, le Jugement Dernier sera précédé d’un violent -incendie, allumé par Dieu pour renouveler le monde, pour faire souffrir -les damnés, et pour mettre en lumière la troupe des élus. - -2º Quant aux circonstances qui accompagneront le Jugement Dernier, on -doit nommer d’abord la répartition des bons et des méchants: car on sait -que le juge descendra dans la Vallée de Josaphat et mettra les bons à sa -droite, et les méchants à sa gauche. Ce qui ne signifie point, ainsi que -le dit très justement saint Jérôme, que tous les hommes doivent parvenir -à prendre place dans cette petite vallée, mais seulement que là sera le -centre du jugement: sans compter que rien n’empêchera Dieu, s’il le -veut, de faire tenir en un petit espace un nombre infini de personnes. - -Vient ensuite la question de savoir en combien de catégories seront -répartis les hommes, au Jugement Dernier. Saint Grégoire admet quatre -catégories, dont deux parmi les damnés, et deux parmi les élus. Car, -parmi les damnés, il y en aura qui seront jugés, et d’autres qui seront -condamnés d’avance, à savoir ceux dont il est dit: «Celui qui ne croira -pas, il sera jugé d’avance!» Du côté des élus, il y en aura qui seront -jugés, et d’autres, les hommes parfaits, jugeront les autres, en ce sens -qu’ils siégeront à côté du juge. - -Figureront également, au Jugement Dernier, les insignes de la passion: -la croix, les clefs et les cicatrices du corps; et Chrysostome dit que -«la croix et les cicatrices seront plus brillantes que les rayons du -soleil». - -Le Juge sera d’une sévérité inflexible. Il ne se laissera fléchir, en -effet, ni par la peur, car il est tout-puissant, ni par les présents, -car il est la richesse même, ni par la haine, car il est la bonté même, -ni par l’amour, car il est la justice même, ni par l’erreur, car il est -la sagesse même. Et contre cette sagesse ne pourront prévaloir ni les -allégations des avocats, ni les sophismes des philosophes, ni les -périodes des orateurs, ni les ruses des hypocrites. - -Et autant le Juge sera sévère, autant l’accusateur sera implacable. Ou -plutôt le pécheur aura en face de lui trois accusateurs: 1º le diable; -2º le péché lui-même; 3º le monde entier; car, comme le dit Chrysostome: -«Ce jour-là, le ciel et la terre, l’eau, le soleil et la lune, le jour -et la nuit, en un mot le monde entier se dressera contre nous devant -Dieu, en témoignage de nos péchés.» - -Et, de même, trois témoins déposeront contre nous, tous les trois -infaillibles. En premier lieu, Dieu lui-même, qui nous dit par la voix -de Jérémie: «Je suis à la fois juge et témoin.» En second lieu, notre -conscience. En troisième lieu l’ange délégué pour notre garde; car nous -lisons dans le livre de Job: «Les cieux (c’est-à-dire les anges) -révéleront son iniquité.» - -Enfin la sentence sera irrévocable. En effet, une sentence est -irrévocable pour trois motifs: 1º l’excellence du juge; 2º l’évidence de -la faute; 3º l’impossibilité de différer le châtiment. Or, dans la -sentence prononcée contre nous au Jugement Dernier, ces trois conditions -se trouveront remplies; et il n’y aura point de roi, d’empereur, ni de -pape, à qui nous puissions faire appel du jugement prononcé contre nous. - - - - -II - -SAINT ANDRÉ, APÔTRE - -(30 novembre) - - -Le martyre de saint André nous a été raconté par des prêtres et des -diacres de Grèce et d’Asie, témoins oculaires de ses derniers instants. - -I. Saint André et quelques autres disciples furent appelés par le -Seigneur à trois reprises successives. La première fois, le Seigneur les -appela à sa _connaissance_. André était un jour auprès de son maître -Jean, lorsque celui-ci s’écria: «Voici venir l’Agneau de Dieu... etc.» -Et aussitôt André alla rejoindre Jésus, et resta près de lui toute une -journée. Il amena aussi à Jésus son frère Simon, l’ayant rencontré sur -son chemin. Puis, le jour suivant, il revint à son métier, qui était de -pêcher le poisson. Mais, quelque temps après, Jésus l’appela à sa -_familiarité_. Etant venu, avec une grande foule, au bord du lac de -Génésareth, que l’on appelle aussi mer de Galilée, il entra dans la -barque de Simon et d’André, et prit une masse énorme de poisson. Alors -André appela Jacques et Jean, qui étaient dans une autre barque; et ils -suivirent le Seigneur: après quoi, de nouveau, ils revinrent à leur -métier. Mais bientôt le Seigneur les appela une troisième fois, et cette -fois à son _discipulat_. Se promenant un jour sur les bords du même lac, -où André et ses compagnons étaient occupés à pêcher, il leur fit signe -de jeter leurs filets, en leur disant: «Suivez-moi, je vous ferai -pêcheurs d’hommes!» Et ils le suivirent, et jamais plus ils ne revinrent -à leur métier de pêcheurs. Une quatrième fois encore, du reste, le -Seigneur appela André; ce fut, cette fois, à son _apostolat_, ainsi que -le raconte l’évangéliste saint Marc, en son chapitre troisième. Il -appela ceux qu’il s’était choisis, et ils vinrent à lui, et il fit en -sorte qu’ils fussent au nombre de douze. - -Après l’ascension du Seigneur, les apôtres s’étant séparés, André alla -pêcher en Scythie, et Matthieu en Ethiopie. Or les Ethiopiens, refusant -d’admettre la prédication de Matthieu, lui arrachèrent les yeux, le -lièrent de chaînes, et le jetèrent en prison, avec l’intention de le -mettre à mort peu de jours après. Alors un ange apparut à saint André, -et lui enjoignit de se rendre en Ethiopie auprès de saint Matthieu. -Saint André ayant répondu qu’il ne connaissait pas le chemin, l’ange lui -ordonna d’aller au bord de la mer, et, là, d’entrer dans le premier -vaisseau qu’il rencontrerait. C’est ce que s’empressa de faire André; et -le vaisseau ne tarda pas à le conduire, avec un vent favorable, jusqu’à -la ville où était saint Matthieu. Puis, sous la garde de l’ange, il -pénétra dans la prison de l’évangéliste, et, à sa vue, pleura beaucoup -et pria. Et voici que le Seigneur, à sa demande, rendit à Matthieu le -bienfait de la vue, dont l’avait privé la cruauté des infidèles. Et -Matthieu sortit de sa prison, et se rendit à Antioche. Mais André, au -contraire, resta en Ethiopie, où les habitants, furieux de l’évasion de -son ami, s’emparèrent de lui et le traînèrent par les places, les mains -liées. Son sang coulait en abondance: et lui, cependant, il ne cessait -pas de prier Dieu pour ses persécuteurs, de telle sorte qu’il finit par -les convertir. Et c’est après cela qu’il partit pour la Grèce.--Voilà, -du moins, ce que l’on raconte; mais j’ai, quant à moi, beaucoup de peine -à y croire: car le fait de la délivrance et de la guérison de -saint Matthieu par saint André impliquerait,--chose bien peu -vraisemblable,--que ce grand évangéliste n’aurait pu obtenir, par -lui-même, ce que son frère André aurait si facilement obtenu pour lui. - -II. Un jeune homme de famille noble avait été converti par saint André -et s’était attaché à lui, malgré la défense de ses parents: sur quoi -ceux-ci mirent le feu à la maison où il demeurait avec l’apôtre. Et -comme déjà la flamme s’élevait, le jeune homme versa sur elle l’eau d’un -flacon, et aussitôt le feu s’éteignit. Alors les parents dirent: «Notre -fils est devenu sorcier!» Et, ayant approché une échelle, ils voulurent -y monter pour s’emparer de leur fils: mais Dieu les rendit aveugles, de -telle façon qu’ils ne pouvaient pas voir les degrés de l’échelle. Et un -homme qui passait par là leur cria: «Pourquoi vous épuiser en une tâche -vaine? Ne voyez-vous donc pas que Dieu combat pour eux? Hâtez-vous de -céder, de peur que la colère de Dieu ne tombe sur vous!» Et beaucoup, -voyant cela, crurent au Seigneur. Quant aux parents du jeune homme, ils -moururent au bout de cinquante jours. - -III. Certaine femme, qui était mariée à un assassin, se trouvait en -couches et ne parvenait pas à enfanter. Elle dit alors à sa sœur: «Va -invoquer pour moi notre maîtresse Diane!» Mais, au lieu de Diane, ce fut -le diable qui répondit. «Inutile de m’invoquer, dit-il à la sœur, car je -ne puis rien pour toi. Va trouver plutôt l’apôtre André: celui-là pourra -secourir ta sœur!» Elle alla donc trouver saint André, et l’amena au lit -de sa sœur malade, Et l’apôtre dit à celle-ci: «Tu mérites ta -souffrance, car tu t’es mal mariée, tu as mal conçu, et, pour comble, tu -as invoqué l’aide des mauvais esprits. Mais repens-toi, crois au Christ, -et tu enfanteras!» Et, en effet, la femme ayant cru, elle mit au monde -un enfant mort, et sa douleur cessa. - -IV. Un vieillard, nommé Nicolas, vint un jour trouver saint André et lui -dit: «Maître, voici que j’ai soixante-dix ans, et jamais je n’ai cessé -de m’adonner à la luxure. J’ai cependant admis l’Evangile, et prié Dieu -de vouloir bien m’accorder le don de la continence. Mais, invétéré dans -le péché, et séduit par de mauvais désirs, au sortir même de tes -prédications je retournais aussitôt à mon vice accoutumé. Or, hier, -enflammé par la concupiscence, j’ai oublié que je tenais en main -l’évangile, et je suis allé dans une maison de débauche. Et voilà que la -prostituée s’écrie en m’apercevant: «Sors d’ici, vieillard, sors d’ici, -ne me touche pas, et ne tente pas d’entrer dans cette maison: car je -vois sur toi des choses merveilleuses, qui me prouvent que tu dois être -un messager de Dieu!» Et moi, stupéfait de ces paroles, je me suis -rappelé que je tenais en main l’Evangile. Or, maintenant, saint apôtre -de Dieu, je viens à toi pour que ta pieuse prière intercède auprès de -Dieu et obtienne mon salut.» Ce qu’ayant entendu, le bienheureux André -se mit à pleurer, et il resta en prière depuis la troisième heure -jusqu’à la neuvième; et, quand il se releva, il refusa de manger, -disant: «Je ne mangerai pas jusqu’à ce que je sache si le Seigneur a eu -pitié de ce pauvre vieillard!» Et, après qu’il eût jeûné ainsi pendant -cinq jours, une voix d’en haut lui dit: «André, tu as obtenu la grâce du -vieillard. Mais de même que tu t’es macéré en jeûnant pour lui, de même -il doit à son tour jeûner pour mériter son salut.» Et le vieillard fit -ainsi: durant six mois il jeûna au pain et à l’eau; après quoi il -s’endormit en paix, plein de bonnes œuvres. Et de nouveau André entendit -la voix, qui, cette fois, lui dit: «Ta prière m’a rendu Nicolas, que -j’avais perdu!» - -V. Or, comme l’apôtre était dans la ville de Nicée, les habitants lui -dirent que, aux portes de la ville, sur le chemin, se tenaient sept -démons qui tuaient les passants. Alors l’apôtre, en présence du peuple, -ordonna à ces démons de venir vers lui, et aussitôt ils vinrent, sous -forme de chiens. Et l’apôtre leur ordonna d’aller dans quelque autre -endroit. Sur quoi les démons s’enfuirent. Et les témoins de ce miracle -reçurent la foi du Christ. Mais voilà qu’en arrivant aux portes d’une -autre ville André rencontra le cadavre d’un jeune homme, qu’on emmenait -pour l’ensevelir. Et on lui dit que sept chiens étaient venus la nuit, -qui avaient tué ce jeune homme dans son lit. Et l’apôtre, tout en -larmes, s’écria: «Je sais, Seigneur, que ce sont les sept démons que -j’ai chassés de Nicée!» Puis il dit au père: «Que me donneras-tu, si je -ressuscite ton fils?»--«Je n’avais rien de plus cher que lui, répondit -le père: c’est donc lui que je te donnerai!» Et, André ayant prié le -Seigneur, le jeune homme se releva et le suivit. - -VI. Des hommes, au nombre de quarante, venaient par mer vers l’apôtre, -afin de recevoir de lui la doctrine de la foi, lorsque le diable souleva -une tempête si forte que tous furent noyés. Mais, leurs corps ayant été -jetés par les vagues sur le rivage, l’apôtre les ressuscita aussitôt. Et -chacun d’eux raconta le miracle qui lui était arrivé. De là vient que, -dans une hymne de l’office du saint, nous lisons: - - Quaterdenos juvenes, - Submersos maris fluctibus, - Vitæ reddidit usibus. - -VII. Ainsi le bienheureux André, s’étant fixé en Achaïe, remplit -d’églises toute cette région et amena un grand nombre de ses habitants à -la foi du Christ. Il convertit, entre autres, la femme du proconsul -Egée, et la régénéra par l’eau sainte du baptême. Mais le proconsul, dès -qu’il l’apprit, entra dans la ville de Patras, et ordonna aux chrétiens -de sacrifier aux idoles. Alors André, s’avançant vers lui, lui dit: «Toi -qui as mérité de devenir juge sur cette terre, tu as le devoir de -reconnaître ton juge qui est au ciel, et, l’ayant reconnu, de l’adorer, -et, l’ayant adoré, de renoncer complètement au culte des faux dieux!» -Mais Egée lui répondit: «Je vois que tu es cet André qui prêche -l’hérésie malfaisante que les princes de Rome ont naguère ordonné -d’exterminer!» Et André: «C’est que les princes de Rome ne savaient pas -encore comment le Fils de Dieu a enseigné que vos idoles étaient des -démons, dont l’enseignement est fait pour offenser Dieu, de telle sorte -que, Dieu les ayant abandonnés, le diable s’empare d’eux et les trompe à -loisir, jusqu’au jour où leurs âmes se dépouillent de leur corps et se -trouvent nues, ne portant avec elles que leurs péchés.» A quoi Egée: -«Votre Jésus, pendant qu’il vous apprenait ces sottises, on l’a attaché -à la potence!» Et André: «C’est pour nous rendre notre salut et non pour -racheter sa propre faute qu’il a spontanément subi le supplice de la -croix.» Alors Egée: «Comment peux-tu dire qu’il ait subi spontanément le -supplice de la croix, tandis que nous savons qu’il a été livré par un de -ses disciples, et emprisonné par les Juifs, et crucifié par les -soldats?» Alors André se mit à démontrer, par cinq arguments, que la -passion du Christ avait été volontaire, car: 1º le Christ avait prévu sa -passion et l’avait prédite à ses disciples, en disant: «Voici que nous -montons à Jérusalem, etc.»; 2º il s’était irrité lorsque Pierre avait -exprimé le désir de l’en détourner; 3º il avait affirmé qu’il avait le -pouvoir, à la fois, de souffrir et de ressusciter; 4º il avait désigné -d’avance l’homme qui le livrerait, avait rompu le pain avec lui, et -n’avait rien fait pour l’éviter; 5º enfin il s’était rendu dans -l’endroit où il savait que le traître viendrait l’arrêter. Et André -ajouta que le mystère de la croix était grand. «Ce n’est pas le moins du -monde un mystère, mais un supplice!--lui répondit Egée.--Et si tu -refuses de m’obéir, je te ferai goûter, à toi aussi, de ce même -mystère!»--«Si j’avais peur du supplice de la croix, répondit André, je -ne prêcherais pas la gloire de la Croix. Mais d’abord je veux -t’apprendre le mystère de la croix, afin que, peut-être, tu consentes à -y croire, et à être sauvé!» - -Et il se mit alors à lui exposer le mystère de la rédemption, lui -prouvant, par cinq arguments, combien ce mystère était nécessaire et -logique, car: 1º le premier homme ayant suscité la mort au moyen d’un -objet en bois, qui était l’arbre du bien et du mal, c’était chose -nécessaire et logique que le Fils de l’Homme chassât la mort en mourant -lui-même sur un objet de bois; 2º le coupable étant fait de terre -immaculée, c’était chose nécessaire et logique que le Rédempteur naquît -d’une vierge immaculée; 3º Adam ayant étendu la main vers le fruit -défendu, c’était chose nécessaire et logique que le second Adam étendît -sur la croix ses mains immaculées; 4º Adam ayant goûté, malgré la -défense de Dieu, une nourriture délicieuse, c’était chose nécessaire et -logique (afin que le contraire chassât le contraire) que Jésus fût -nourri de fiel; 5º Jésus faisant part à l’homme de sa propre -immortalité, c’était chose nécessaire et logique qu’il prît, en échange, -à l’homme sa mortalité. Car si Dieu n’était pas devenu mortel, l’homme -n’aurait pu devenir immortel. - -Alors Egée: «Tu iras conter toutes ces sottises à ceux de ta secte; mais -en attendant, tu vas m’obéir, et sacrifier aux dieux tout-puissants!» Et -André: «A Dieu tout-puissant j’offre tous les jours un Agneau sans -tache, qui, après qu’il a été mangé par tout le peuple, demeure vivant -et tout entier.» Et Egée: «Eh bien, je vais te faire torturer jusqu’à ce -que tu m’aies prouvé que tu es capable de réaliser ce miracle!» Et -aussitôt, il le fit emprisonner. - -Le lendemain matin, étant monté sur son tribunal, il somma de nouveau -André de sacrifier aux idoles, lui disant: «Si tu refuses de m’obéir, je -te ferai attacher à cette croix que tu vantes si fort!» Et il le -menaçait encore d’autres supplices; mais l’apôtre lui répondit: «Ne -crains pas d’inventer le supplice qui te paraîtra le plus terrible: car, -aux yeux de mon Roi, je serai d’autant plus bienvenu que j’aurai plus -souffert patiemment en son nom!» Alors Egée ordonna à vingt et un hommes -de le saisir et de le lier à la croix par les mains et les pieds, afin -que son supplice durât plus longtemps. - -Et, comme on le conduisait à la croix, une foule s’amassa, disant: «Son -sang innocent va périr injustement!» Mais l’apôtre leur demanda de ne -rien faire pour empêcher son martyre. Puis, du plus loin qu’il aperçut -la croix, il la salua, disant: «Salut, croix, qui as été sanctifiée par -le corps du Christ, et ornée de ses membres comme de pierres précieuses! -Avant que le Seigneur fût attaché sur toi, tu inspirais la peur -terrestre; mais, désormais, tu obtiens l’amour céleste, et l’on te -souhaite comme un bienfait. Aussi vais-je à toi assuré et joyeux, pour -que tu m’accueilles amicalement, moi, le disciple de Celui qu’on a pendu -sur toi: car je t’ai toujours aimée, et ai aspiré à ton embrassement. O -bonne croix, ennoblie et embellie par les membres du Seigneur! Longtemps -désirée, constamment aimée, sans cesse recherchée, prends-moi aux hommes -et rends-moi à mon Maître, afin que celui-ci, m’ayant racheté par toi, -me reçoive de toi!» Et, disant ces paroles, il se dévêtit, et livra ses -vêtements à ses bourreaux, qui l’attachèrent sur la croix comme on le -leur avait ordonné. André y resta, vivant, pendant deux jours, et prêcha -à une foule de vingt mille personnes. Le troisième jour, cette foule -commença à menacer de mort le proconsul Egée, disant que c’était chose -abominable de faire souffrir ainsi un saint homme plein de douceur et de -piété. Et Egée, effrayé, vint le faire détacher de la croix. Mais André, -en l’apercevant, lui dit: «Te voici, Egée? Que si tu viens pour faire -pénitence, tu auras ton pardon; mais si tu viens pour me faire détacher -de la croix, sache que je ne dois pas en descendre vivant! Et déjà je -vois mon Roi qui m’attend aux cieux!» - -Des soldats voulurent le délier, mais ils ne purent pas le toucher, car -aussitôt leurs bras retombaient inertes. Et André, voyant que la foule -voulait le détacher, fit, sur sa croix, cette prière, qu’a rapportée -saint Augustin dans son livre _De la Pénitence_: «Seigneur, ne permets -pas que je descende vivant de cette croix: car il est temps que tu -livres mon corps à la terre. Je l’ai porté si longtemps, j’ai tant -veillé, et peiné, que je voudrais maintenant être délivré de cette -obéissance, et déchargé de ce lourd fardeau. Aussi longtemps que j’ai -pu, Père bienfaisant, j’ai résisté aux attaques de mon corps, et, avec -ton aide, je l’ai vaincu. Mais maintenant je te demande, comme -récompense, de ne plus m’ordonner cette lutte, et de reprendre le dépôt -que tu m’as confié. Confie-le maintenant à la terre, pour qu’elle le -garde; et me le rende au jour de la résurrection des corps, afin que, -lui aussi, il ait la récompense qu’il a méritée! Et fais en sorte que je -n’aie plus besoin de veiller, et que mon corps ne m’empêche plus de -tendre librement vers toi, Source de la vie et des joies éternelles!» - -Quand il eut dit ces paroles, une lumière éblouissante, descendant du -ciel, l’entoura pendant une demi-heure, qui le fit invisible; et, quand -cette lumière se dissipa, il rendit l’âme. Maximilla, la femme d’Egée, -emporta son corps et l’ensevelit honorablement. Mais Egée, avant de -rentrer dans sa maison, fut saisi par un démon et expira dans la rue, en -présence de tous. - -On a dit aussi que, du tombeau de saint André, se dégageaient une manne -en forme de farine et une huile odorante, d’après lesquelles les -habitants de la région pouvaient prévoir quelle serait la fécondité de -l’année qui venait: car si l’huile coulait abondante, c’était signe que -la terre porterait beaucoup de fruits, et inversement. Et cela peut en -effet avoir eu lieu jadis; mais aujourd’hui on admet généralement que le -corps du saint n’est plus à Patras, ayant été transporté à -Constantinople. - -VIII. Certain pieux évêque avait pour saint André une vénération si -particulière que, sur le titre de chacun de ses ouvrages, il inscrivait -toujours: «En l’honneur de Dieu et de saint André.» Or le vieil ennemi -du genre humain, jaloux de la sainteté de cet évêque, concentra sur lui -toute sa ruse. Ayant pris la forme d’une femme merveilleusement belle, -il vient à l’évêché et demande à se confesser. L’évêque renvoie la femme -à son pénitencier, qui a plein pouvoir pour entendre sa confession. Mais -la femme répond qu’elle a sur la conscience des secrets qu’elle ne peut -révéler qu’à l’évêque lui-même. De sorte que celui-ci la laisse enfin -entrer. Et elle: «Par grâce, Seigneur, aie pitié de moi! Je suis fille -d’un roi puissant, qui a voulu me marier à un grand prince; et je lui ai -déclaré que j’avais horreur de tout lit conjugal, ayant dédié pour -toujours au Christ ma virginité. Puis, me voyant exposée aux pires -supplices si je persistais dans mon refus, j’ai pris le parti de -m’enfuir, et me suis réfugiée sous les ailes de votre sainteté, avec -l’espoir de trouver auprès de vous un lieu où je puisse me livrer en -repos à la contemplation, éviter les naufrages de la vie, et échapper -aux rumeurs du monde.» Sur quoi l’évêque, admirant chez une personne -aussi noble et aussi belle tant de ferveur et tant d’éloquence, lui -répondit avec bonté: «Ma fille, sois sans crainte, car Celui pour -l’amour duquel tu as si courageusement dédaigné toi-même et les tiens, -celui-là t’accordera dans cette vie le comble de sa grâce et, dans la -vie à venir, la plénitude de sa gloire. Et moi, son serviteur, je me -mets à ta disposition avec tout ce que j’ai; et je veux qu’aujourd’hui -tu manges à ma table.» Mais elle: «Non, mon père, ne me demande point -cela, de peur qu’il n’en résulte quelque méchant soupçon dont l’éclat de -ta renommée puisse avoir à souffrir!» Et l’évêque: «Nous ne serons pas -seuls à table, ce qui fait qu’aucun méchant soupçon ne pourra se -produire!» - -A table, l’évêque et cette femme s’assirent l’un en face de l’autre; et -il ne cessait point de considérer son visage et d’admirer sa beauté. Et, -pendant que ses yeux la fixaient, son âme se blessait: l’antique ennemi -de notre race y enfonçait profondément sa flèche. La femme devenait plus -belle d’instant en instant; et déjà l’évêque était sur le point de -consentir à commettre avec elle une œuvre illicite dès qu’une occasion -s’offrirait à lui, lorsque, tout à coup, un pèlerin se présenta devant -la porte, y frappant à grands coups pour être introduit. On refusa de -lui ouvrir, mais il se mit à frapper et à crier de plus belle. Enfin -l’évêque demanda à la femme si elle ne voyait pas d’empêchement à ce -qu’on laissât entrer cet étranger. Et elle: «Qu’on lui propose une -question très difficile à résoudre! S’il la résout, qu’on le fasse -entrer; sinon qu’on le chasse!» La proposition est adoptée; et l’on -commence à chercher la question que l’on posera. Puis, comme personne ne -la trouve, l’évêque dit à la femme: «Personne de nous ne saurait trouver -cette question aussi bien que toi, belle dame, qui nous surpasses tous -en sagesse et en éloquence!» Alors la femme: «Demandez-lui ce que Dieu a -jamais fait de plus étonnant!» On transmit la question à l’étranger, qui -fit répondre: «C’est la diversité et l’excellence des visages: car, -parmi la foule innombrable d’hommes créés ou à créer, depuis le -commencement jusqu’à la fin du monde, il n’y en a point deux qui aient -le même visage, et cependant Dieu a placé dans chacun de ces visages le -siège de tous les sens du corps.» Ce qu’entendant, l’assistance dit: -«Voilà une excellente réponse!» Alors la femme: «Qu’on lui propose une -seconde question, plus difficile à résoudre! Qu’on lui demande en quel -lieu la terre est plus haute que tout le ciel!» Réponse de l’étranger: -«C’est dans le ciel empyrée, où réside le corps du Christ. Car ce corps, -qui est plus haut que tout le ciel, peut être considéré comme terrestre, -puisqu’il est formé de notre chair.» Cette seconde réponse reçoit la -même approbation de toute l’assistance. Mais la femme dit: «Avant -d’admettre cet homme à la table de l’évêque, qu’on lui pose une -troisième question, plus difficile encore! Qu’on lui demande quelle -distance il y a de la terre au ciel!» A quoi l’étranger fait répondre: -«Va plutôt poser cette question à celui qui t’a envoyée ici! Il connaît, -en effet, cette distance mieux que moi, ayant eu à la mesurer quand il -est tombé du ciel dans l’abîme. Car l’être qui me pose ces questions -n’est pas une femme, mais un diable qui a revêtu la forme d’une femme!» -Et pendant que le messager revenait rapporter cette réponse, à la -stupeur de tous, la femme disparut. Aussitôt l’évêque, rentrant en -lui-même, se fit d’amers reproches; et il envoya vite chercher -l’étranger; mais celui-ci avait également disparu. Alors l’évêque -convoqua le peuple, lui confessa tout, et lui demanda de commencer des -jeûnes et des prières pour que Dieu daignât révéler qui était cet -étranger qui l’avait délivré d’un si grand péril. Et, cette nuit-là -même, Dieu révéla à l’évêque que c’était saint André qui, pour le -sauver, était venu à lui vêtu en pèlerin. - -IX. Le préfet d’une ville s’était emparé d’un champ dépendant d’une -église de saint André. Sur les prières de l’évêque, il fut aussitôt -saisi de fièvres. Il demanda donc à l’évêque de prier pour lui, -promettant de restituer le champ s’il recouvrait la santé. Mais -lorsqu’il l’eut recouvrée, il s’appropria le champ de nouveau. Alors -l’évêque, avant de se mettre en prière, brisa toutes les lampes de -l’église, en disant: «Que cette lumière ne se rallume pas aussi -longtemps que Dieu ne se sera point vengé de son ennemi, et n’aura point -fait rendre à l’église le bien qui lui a été ravi!» Aussitôt voici le -préfet ressaisi de ses fièvres. Il envoie demander à l’évêque de prier -pour lui; et comme l’évêque lui répond qu’il l’a déjà fait, et que Dieu -l’a exaucé, il se fait porter chez lui et le contraint à entrer avec lui -dans l’église, pour prier de nouveau à son intention. Mais à peine -l’évêque a-t-il pénétré dans l’église que le préfet meurt; et aussitôt -le champ est restitué à l’église. - - - - -III - -SAINT NICOLAS, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR - -(6 décembre) - - -La légende de saint Nicolas a été écrite par des docteurs d’Argos, qui -est une ville de la Grèce, et de là viendrait, d’après Isidore, le nom -d’Argoliques donné aux Grecs. Et l’on dit aussi que cette légende a -d’abord été écrite en grec par le patriarche Méthode, puis traduite en -latin, avec de nombreuses additions, par le diacre Jean. - -I. Nicolas, citoyen de la ville de Patras, était né de parents riches et -pieux. Son père s’appelait Epiphane, sa mère Jeanne. Ses parents, après -l’avoir enfanté dans la fleur de leur âge, s’abstinrent ensuite de tout -contact charnel. Le jour même de sa naissance, Nicolas, comme on le -baignait, se dressa et se tint debout dans la baignoire; et, durant -toute son enfance il ne prenait le sein que deux fois par semaine, le -mercredi et le vendredi. Dans sa jeunesse, évitant les plaisirs lascifs -de ses compagnons, il fréquentait les églises, et retenait dans sa -mémoire tous les passages des Saintes Ecritures qu’il y entendait. - -A la mort de ses parents, devenu très riche, il chercha un moyen -d’employer ses richesses, non pour l’éloge des hommes, mais pour la -gloire de Dieu. Or un de ses voisins, homme d’assez noble maison, était -sur le point, par pauvreté, de livrer ses trois jeunes filles à la -prostitution, afin de vivre de ce que rapporterait leur débauche. Dès -que Nicolas en fut informé, il eut horreur d’un tel crime, et, -enveloppant dans un linge une masse d’or, il la jeta, la nuit, par la -fenêtre, dans la maison de son voisin, après quoi il s’enfuit sans être -vu. Et le lendemain l’homme, en se levant, trouva la masse d’or: il -rendit grâces à Dieu, et s’occupa aussitôt de préparer les noces de -l’aînée de ses filles. Quelque temps après, le serviteur de Dieu lui -donna, de la même façon, une nouvelle masse d’or. Le voisin, en la -trouvant, éclata en grandes louanges, et se promit à l’avenir de veiller -pour découvrir qui c’était qui venait ainsi en aide à sa pauvreté. Et -comme, peu de jours après, une masse d’or deux fois plus grande encore -était lancée dans sa maison, il entendit le bruit qu’elle fit en -tombant. Il se mit alors à poursuivre Nicolas, qui s’enfuyait, et à le -supplier de s’arrêter afin qu’il pût voir son visage. Il courait si fort -qu’il finit par rejoindre le jeune homme, et put ainsi le reconnaître. -Se prosternant devant lui, il voulait lui baiser les pieds; mais Nicolas -se refusa à ses remerciements, et exigea que, jusqu’à sa mort, cet homme -gardât le secret sur le service qu’il lui avait rendu. - -II. Après cela, l’évêque de la ville de Myre étant mort, tous les -évêques de la région se réunirent afin de pourvoir à son remplacement. -Il y avait parmi eux un certain évêque de grande autorité, de l’avis -duquel dépendait l’opinion de tous ses collègues. Et cet évêque, les -ayant tous exhortés à jeûner et à prier, entendit dans la nuit une voix -qui lui disait de se poster le matin à la porte de l’église, et de -consacrer comme évêque le premier homme qu’il verrait y entrer. Aussitôt -il révéla cet avertissement aux autres évêques, et s’en alla devant la -porte de l’église. Or, par miracle, Nicolas, envoyé de Dieu, se dirigea -vers l’église avant l’aube, et y entra le premier. L’évêque, -s’approchant de lui, lui demanda son nom. Et lui, qui était plein de la -simplicité de la colombe, répondit en baissant la tête: «Nicolas, -serviteur de Votre Sainteté.» Alors les évêques, l’ayant revêtu de -brillants ornements, l’installèrent dans le siège épiscopal. Mais lui, -dans les honneurs, conservait toujours son ancienne humilité et la -gravité de ses mœurs; il passait ses nuits en prières, macérait son -corps, fuyait la société des femmes; et il était humble dans son -accueil, efficace dans sa parole, actif dans ses conseils, sévère dans -ses réprimandes.--Une chronique rapporte aussi que saint Nicolas prit -part au Concile de Nicée. - -III. Un jour, des matelots, se trouvant en péril sur la mer, prièrent -ainsi avec des larmes: «Nicolas, serviteur de Dieu, si ce que l’on nous -a dit de toi est vrai, fais que nous l’éprouvions à présent!» Aussitôt -quelqu’un apparut devant eux, qui avait la figure du saint, et qui leur -dit: «Vous m’avez appelé, me voici!» Et il se mit à les aider, avec les -voiles et les câbles et les autres agrès du bateau; et, sur-le-champ, la -tempête cessa. Ainsi sauvés, ces matelots rentrèrent dans l’église où -était Nicolas; et ils le reconnurent de suite, bien qu’ils ne l’eussent -jamais vu. Alors ils le remercièrent de leur délivrance; mais il leur -dit d’en remercier Dieu, le mérite n’en pouvant être attribué qu’à la -miséricorde divine et à leur propre foi. - -IV. En un certain temps, toute la province du diocèse de saint Nicolas -fut frappée d’une terrible famine, à tel point que personne n’avait rien -à manger. Là-dessus l’homme de Dieu apprend que des vaisseaux, chargés -de grains, stationnent dans le port. Il s’y rend aussitôt et demande aux -gens de l’équipage de venir en aide aux affamés, ne serait-ce qu’en leur -abandonnant cent muids de grain par vaisseau. Mais eux: «Père, nous ne -l’osons pas, car notre cargaison a été mesurée à Alexandrie, et nous -devons la livrer tout entière aux greniers impériaux!» Le saint leur -répondit: «Faites pourtant ce que je vous dis, et je vous promets, au -nom de Dieu, que les douaniers impériaux ne trouveront aucune diminution -dans votre cargaison!» Et ces hommes firent ainsi; et, lorsqu’ils furent -arrivés à leur destination, ils livrèrent aux greniers impériaux la même -quantité de grain qui avait été mesurée à Alexandrie. Ils virent le -miracle, le publièrent, et glorifièrent Dieu dans la personne de son -serviteur. Or le blé dont ils s’étaient dessaisis fut distribué par -Nicolas suivant les besoins de chacun, et de façon si miraculeuse, que -non seulement il suffit pendant deux ans à nourrir la région, mais qu’il -put encore servir à d’abondantes semailles. - -V. Cette région avait autrefois adoré les idoles; et, au temps même de -saint Nicolas, des paysans avaient gardé la coutume de pratiquer -certains rites païens, sous un arbre consacré à Diane. Pour mettre fin à -cette idolâtrie, le saint fit couper cet arbre. Alors le démon, furieux, -prépara une huile contre nature qui avait la propriété de brûler dans -l’eau et sur les pierres. Puis, prenant la forme d’une religieuse, il -monta dans une barque, accosta des pèlerins qui naviguaient vers saint -Nicolas, et leur dit: «Je regrette de ne pas pouvoir vous accompagner -auprès du saint homme. Veuillez du moins, en souvenir de moi, enduire de -cette huile les murs de son église et de sa maison!» Mais voici que, la -barque du démon s’étant éloignée, les pèlerins virent s’approcher d’eux -une autre barque où était Nicolas. Et celui-ci leur dit: «Cette femme, -que vous a-t-elle dit et que vous a-t-elle donné?» Les pèlerins lui -racontèrent ce qui s’était passé. Alors il leur dit: «Cette femme n’est -pas une religieuse mais l’impudique Diane elle-même; et, si vous en -voulez une preuve, jetez son huile à la mer!» A peine l’eurent-ils jetée -qu’elle s’enflamma, ce qui prouvait bien son caractère contre nature. Et -la seconde barque alors disparut; mais, quand les pèlerins entrèrent -dans l’église de saint Nicolas, ils reconnurent en lui l’homme qui la -montait. - -VI. Certaine nation s’étant révoltée contre l’empire romain, l’empereur -envoya contre elle trois princes, Népotien, Ours, et Apilion. Ceux-ci, -arrêtés en chemin par un vent contraire, firent relâche dans un port du -diocèse de saint Nicolas. Et le saint les invita à dîner chez lui, -voulant préserver son peuple de leurs rapines. Or, en l’absence du -saint, le consul, s’étant laissé corrompre à prix d’argent, avait -condamné à mort trois soldats innocents. Dès que le saint l’apprit, il -pria ses hôtes de l’accompagner, et, accourant avec eux sur le lieu où -devait se faire l’exécution, il trouva les trois soldats déjà à genoux -et la face voilée, et le bourreau brandissant déjà son épée au-dessus de -leurs têtes. Aussitôt Nicolas, enflammé de zèle, s’élance bravement sur -ce bourreau, lui arrache l’épée des mains, délie les trois innocents, et -les emmène, sains et saufs, avec lui. Puis il court au prétoire du -consul, et en force la porte, qui était fermée. Bientôt le consul vient -le saluer avec empressement. Mais le saint lui dit, en le repoussant: -«Ennemi de Dieu, prévaricateur de la loi, comment oses-tu nous regarder -en face, tandis que tu as sur la conscience un crime si affreux?» Et il -l’accabla de reproches, mais, sur la prière des princes, et en présence -de son repentir, il consentit à lui pardonner. Après quoi les messagers -impériaux, ayant reçu sa bénédiction, poursuivirent leur route, et -soumirent les révoltés sans effusion de sang; et ils revinrent alors -vers l’empereur, qui leur fit un accueil magnifique. - -Mais quelques-uns des courtisans, jaloux de leur faveur, corrompirent le -préfet impérial, qui, soudoyé par eux, accusa ces trois princes, devant -son maître, du crime de lèse-majesté. Aussitôt l’empereur, affolé de -colère, les fait mettre en prison et ordonne qu’on les tue, la nuit, -sans les interroger. Informés par leur gardien du sort qui les attend, -les trois princes déchirent leurs manteaux et gémissent amèrement; mais -soudain, l’un d’eux, à savoir Népotien, se rappelant que le bienheureux -Nicolas a naguère sauvé de la mort, en leur présence, trois innocents, -exhorte ses compagnons à invoquer son aide. - -Et en effet, sur leur prière, saint Nicolas apparut cette nuit-là à -l’empereur Constantin, lui disant: «Pourquoi as-tu fait arrêter -injustement ces princes, et les as-tu condamnés à mort tandis qu’ils -sont innocents? Hâte-toi de te lever et fais-les remettre en liberté au -plus vite! Sinon, je prierai Dieu qu’il te suscite une guerre où tu -succomberas, et tu seras livré en pâture aux bêtes!» Et l’empereur: «Qui -es-tu donc, toi qui, entrant la nuit dans mon palais, oses me parler -ainsi?» Et lui: «Je suis Nicolas, évêque de la ville de Myre.» Et le -saint se montra de la même façon au préfet, qu’il épouvanta en lui -disant: «Insensé, pourquoi as-tu consenti à la mise à mort de trois -innocents? Va vite travailler à les faire relâcher! Sinon, ton corps -sera mangé de vers et ta maison aussitôt détruite.» Et le préfet: «Qui -es-tu donc, toi qui me fais de telles menaces?» Et lui: «Sache, dit-il, -que je suis Nicolas, évêque de la ville de Myre!» - -L’empereur et le préfet, s’éveillant, se firent part l’un à l’autre de -leur songe, et s’empressèrent de mander les trois prisonniers. -«Etes-vous sorciers, leur demanda l’empereur pour nous tromper par de -semblables visions?» Ils répondirent qu’ils n’étaient point sorciers, et -qu’ils étaient innocents du crime qu’on leur reprochait. Alors -l’empereur: «Connaissez-vous, leur dit-il, un homme appelé Nicolas?» Et -eux, en entendant ce nom, levèrent les mains au ciel, et prièrent Dieu -que, par le mérite de saint Nicolas, il les sauvât du péril où ils se -trouvaient. Et lorsque l’empereur eut appris d’eux la vie et les -miracles du saint, il leur dit: «Allez et remerciez Dieu, qui vous a -sauvés sur la prière de ce Nicolas! Mais rendez-lui compte de ma -conduite, et portez-lui des présents de ma part; et demandez-lui qu’il -ne me fasse plus de menaces, mais qu’il prie Dieu pour moi et pour mon -empire!» Quelques jours après, les princes vinrent trouver le serviteur -de Dieu, et, se prosternant devant lui, et l’appelant le véritable -serviteur de Dieu, ils lui racontèrent en détail ce qui s’était passé. -Et lui, levant les mains au ciel, il loua Dieu, et renvoya les trois -princes chez eux, après les avoir bien instruits des vérités de la foi. - -VII. Lorsque le Seigneur voulut rappeler à lui saint Nicolas, celui-ci -le pria de lui envoyer ses anges; et, en voyant venir les anges, il -baissa la tête et récita le psaume: _In te, Domine, speravi_, etc. Puis -il rendit l’âme au bruit d’une musique céleste. Cela eut lieu en l’an du -Seigneur 313. Il fut enseveli dans une tombe de marbre; et de sa tête se -mit à couler une source d’huile et de ses pieds une source d’eau; -aujourd’hui encore une huile sainte sort de ses membres, qui apporte la -santé à bien des malades. Cette huile cessa un jour de couler: cela se -produisit lorsque le successeur de saint Nicolas, qui était un homme -excellent, se vit chassé de son siège par des envieux. Mais dès que -l’évêque fut réinstallé sur son siège, l’huile se remit aussitôt à -couler. Longtemps après, les Turcs détruisirent la ville de Myre. Et -comme quarante-sept soldats de la ville de Bari passaient par là, quatre -moines leur ouvrirent la tombe de saint Nicolas: ils prirent ses os, qui -nageaient dans l’huile, et les transportèrent dans la ville de Bari, en -l’an du Seigneur 1087. - -VIII. Certain homme avait emprunté de l’argent à un Juif, en lui jurant, -sur l’autel de saint Nicolas, de le lui rendre aussitôt que possible. Et -comme il tardait à rendre l’argent, le Juif le lui réclama: mais l’homme -lui affirma le lui avoir rendu. Il fut traîné devant le juge, qui lui -enjoignit de jurer qu’il lui avait rendu l’argent. Or l’homme avait mis -tout l’argent de sa dette dans un bâton creux, et, avant de jurer, il -demanda au Juif de lui tenir son bâton. Après quoi il jura qu’il avait -rendu son argent. Et, là-dessus, il reprit son bâton, que le Juif lui -restitua sans le moindre soupçon de sa ruse. Mais voilà que le fraudeur, -rentrant chez lui, s’endormit en chemin et fut écrasé par un chariot, -qui brisa en même temps le bâton rempli d’or. Ce qu’apprenant, le Juif -accourut: mais bien que tous les assistants l’engageassent à prendre -l’argent, il dit qu’il ne le ferait que si, par les mérites de saint -Nicolas, le mort était rendu à la vie: ajoutant que lui-même, en ce cas, -recevrait le baptême et se convertirait à la foi du Christ. Aussitôt le -mort revint à la vie; et le Juif reçut le baptême. - -Un autre Juif, voyant le pouvoir qu’avait saint Nicolas d’opérer des -miracles, plaça dans sa maison une image de ce saint. Et lorsqu’il avait -à sortir pour quelque longue absence, il disait à l’image: «Nicolas, je -te confie la garde de mes biens; que si tu ne veilles pas sur eux comme -je l’exige, je me vengerai en te rouant de coups!» Or un jour, en -l’absence du Juif, des voleurs arrivent qui emportent tout, ne laissant -que l’image. Et le Juif, lorsqu’il se voit dépouillé, dit à l’image: -«Seigneur Nicolas, ne t’avais-je pas installé dans ma maison pour garder -mes biens? Pourquoi donc ne l’as-tu pas fait? C’est toi qui paieras pour -les voleurs! Je vais te rouer de coups: cela refroidira ma rage! «Et il -se mit à frapper cruellement la statue. Alors le saint apparut aux -voleurs, qui se partageaient les dépouilles du Juif, et leur dit: «Voyez -comme j’ai été battu à cause de vous! Mon corps en est encore tout bleu! -Allez vite rendre ce que vous avez pris: faute de quoi la colère de Dieu -retombera sur vous et vous serez pendus.» Et les voleurs: «Qui es-tu -donc, toi qui nous dit tout cela?» Et lui: «Je suis Nicolas, serviteur -du Christ; et celui qui m’a mis en cet état est le Juif que vous avez -volé.» Effrayés, ils courent chez le Juif lui racontent leur vision, -apprennent de lui ce qu’il a fait à la statue, lui rendent tous ses -biens, et rentrent dans la bonne voie, tandis que le Juif, de son côté, -se convertit à la foi chrétienne. - -Certain homme célébrait tous les ans, en grande solennité, la fête de -saint Nicolas, à l’intention de son fils, qui étudiait les -belles-lettres. Or un jour, pendant le repas de la fête, le diable, vêtu -en pèlerin, frappe à la porte et demande l’aumône. Le père ordonne -aussitôt à son fils de porter une aumône au pèlerin; et le jeune homme, -ne trouvant plus le pèlerin devant la porte, le poursuit jusqu’à un -carrefour, où le diable se jette sur lui et l’étrangle. Ce qu’apprenant, -le père se lamente, ramène le corps dans sa maison, le place sur son -lit, et s’écrie: «Saint Nicolas, est-ce donc ici la récompense des -honneurs que je te rends depuis tant d’années?» Et aussitôt l’enfant, -comme se réveillant, ouvre les yeux et se remet sur ses pieds. - -IX. Un noble avait prié saint Nicolas de lui faire obtenir un fils, -promettant qu’en récompense il se rendrait avec son fils au tombeau du -saint et lui offrirait un vase d’or. Le noble obtient un fils et fait -faire un vase d’or. Mais ce vase lui plaît tant qu’il le garde pour -lui-même et, pour le Saint, en fait faire un autre d’égale valeur. Puis -il s’embarque avec son fils pour se rendre au tombeau du saint. En route -le père ordonne à son fils d’aller lui prendre de l’eau dans le vase qui -d’abord avait été destiné à saint Nicolas. Aussitôt le fils tombe dans -la rivière et se noie. Mais le père, malgré toute sa douleur, n’en -poursuit pas moins son voyage. Parvenu dans l’église de saint Nicolas, -il pose sur l’autel le second vase; au même instant une main invisible -le repousse avec le vase, et le jette à terre: l’homme se relève, -s’approche de nouveau de l’autel, est de nouveau renversé. Et voilà -qu’apparaît, au grand étonnement de tous, l’enfant qu’on croyait noyé. -Il tient en main le premier vase, et raconte que, dès qu’il est tombé à -l’eau, saint Nicolas est venu le prendre, et l’a conservé sain et sauf. -Sur quoi le père, ravi de joie, offre les deux vases à saint Nicolas. - -Un homme riche avait obtenu, grâce à l’intercession de saint Nicolas, un -fils qu’il avait appelé Dieudonné. Aussi avait-il construit, en -l’honneur du saint, une chapelle dans sa maison, où il célébrait -solennellement sa fête tous les ans. Or un jour Dieudonné est pris par -la tribu des Agaréniens, et amené en esclavage au roi de cette tribu. -L’année suivante, au jour de la Saint-Nicolas, l’enfant, pendant qu’il -sert le roi, une coupe précieuse en main, se met à pleurer et à -soupirer, en songeant à la douleur de ses parents, et en se rappelant la -joie qu’ils éprouvaient naguère à la Saint-Nicolas. Le roi l’oblige à -lui confesser la cause de sa tristesse; puis, l’ayant apprise: «Ton -Nicolas aura beau faire, tu resteras ici mon esclave!» Mais au même -instant un vent terrible s’élève, renverse le palais du roi, et emporte -l’enfant avec sa coupe, jusqu’au seuil de la chapelle, où ses parents -sont en train de célébrer la fête de saint Nicolas.--Mais, d’après -d’autres auteurs, cet enfant aurait été de la Normandie, et aurait été -ravi par le sultan; et comme celui-ci, le jour de la Saint-Nicolas, -après l’avoir battu, l’avait jeté en prison, voici que l’enfant -s’endormit et, à son réveil, se trouva ramené dans la chapelle de ses -parents. - - - - -IV - -SAINTE LUCIE, VIERGE ET MARTYRE - -(13 décembre) - - -Lucie, vierge syracusaine de famille noble, voyant se répandre à travers -toute la Sicile la gloire de sainte Agathe, se rendit au tombeau de -cette sainte, en compagnie de sa mère Euthicie, qui, depuis quatre ans -déjà, souffrait d’un flux de sang incurable. Les deux femmes arrivèrent -à l’église pendant la messe, et au moment où on lisait le passage de -l’Evangile qui raconte la guérison miraculeuse, par Jésus, d’une femme -atteinte d’un flux de sang. Alors Lucie dit à sa mère: «Si tu crois à ce -qu’on vient de lire, tu dois croire aussi qu’Agathe est maintenant en -présence de Celui pour le nom de qui elle a subi le martyre. Et si tu -crois cela, tu retrouveras la santé en touchant le tombeau de la -sainte!» Aussitôt, tous s’écartant pour leur livrer passage, la mère et -la fille s’approchèrent du tombeau, et se mirent à prier. Et voici que -la jeune fille tomba soudain endormie, et eut un rêve où elle vit sainte -Agathe debout au milieu des anges, toute parée de pierreries, et lui -disant: «Ma sœur Lucie, vierge consacrée à Dieu, pourquoi me demandes-tu -une chose que tu peux toi-même accorder sur-le-champ à ta mère? Vois, ta -foi l’a guérie!» Et Lucie, s’éveillant, dit à sa mère: «Ma mère, tu es -guérie! Mais au nom de celle aux prières de qui tu dois ta guérison, je -te prie de me délier désormais de mes fiançailles, et de distribuer aux -pauvres la dot que tu me destinais!» Sa mère lui répondit: «Attends -plutôt de m’avoir fermé les yeux, et tu feras ensuite ce que tu voudras -de nos biens!» Mais Lucie: «Ce que tu donnes en mourant, dit-elle, tu le -donnes parce que tu ne peux pas l’emporter avec toi. Mais, si tu le -donnes de ton vivant, tu en auras la récompense là-haut!» - -De retour chez elles, Lucie et sa mère commencèrent à distribuer, peu à -peu, tous leurs biens aux pauvres. Et le fiancé de Lucie, l’ayant -appris, en demanda compte à la nourrice de la jeune fille. Cette femme, -en personne rusée, lui répondit que Lucie avait trouvé une propriété -meilleure, qu’elle voulait l’acquérir, et que c’était pour cela qu’elle -vendait une partie de ses biens. Et lui, dans sa sottise, il crut à un -commerce matériel, et se mit à les encourager dans la vente de leurs -biens. Mais quand tout fut vendu et qu’on sut que tout était allé aux -pauvres, le fiancé, furieux, porta plainte devant le consul Paschase, -disant que Lucie était chrétienne et n’obéissait pas aux lois -impériales. - -Paschase, l’ayant aussitôt mandée, lui enjoignit de sacrifier aux -idoles. Mais Lucie lui répondit: «Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est -de visiter les pauvres et de les aider dans leurs besoins. Et comme je -n’ai plus rien à offrir, je vais m’offrir moi-même au Seigneur!» Et -Paschase: «Ce sont là des paroles bonnes à dire à des sots de ton -espèce; mais à moi, qui garde les décrets de mes maîtres, tu les dis en -vain!» Et Lucie: «Tu gardes, toi, les décrets de tes maîtres, et moi je -veux garder la loi de mon Dieu. Tu crains tes maîtres, et moi je crains -Dieu. Tu évites de les offenser, et moi j’évite d’offenser Dieu. Tu -désires leur plaire, et moi je désire plaire au Christ. Fais donc ce que -tu jugeras t’être utile, et moi je ferai ce que je jugerai m’être -utile!» Alors Paschase: «Tu as dépensé ton patrimoine avec des -corrupteurs, et voilà pourquoi tu parles en prostituée!» Mais Lucie: -«Mon patrimoine, je l’ai placé en lieu sûr; et jamais n’ai admis auprès -de moi des corrupteurs, ni du corps, ni de l’âme.» Paschase lui dit: -«Qui sont donc ces corrupteurs du corps et de l’âme?» Et Lucie répondit: -«Les corrupteurs de l’âme, c’est vous, qui engagez les âmes à se -détourner de leur créateur; quant aux corrupteurs du corps, ce sont ceux -qui conseillent de préférer le plaisir corporel aux fêtes éternelles.» -Et Paschase: «Tes paroles (verba) cesseront bien quand nous en viendrons -à te rouer de coups (verbera)!» Et Lucie: «Les paroles de Dieu ne -cesseront jamais.» Et Paschase: «Prétends-tu être Dieu?» Lucie répondit: -«Je suis la servante de Dieu, qui a dit: «Quand vous serez en face des -rois et des princes, etc.» Et Paschase: «Prétends-tu donc avoir en toi -le Saint-Esprit?» Et Lucie: «Celui qui vit dans la chasteté, celui-là -est le temple du Saint-Esprit!» Et Paschase: «Alors je te ferai conduire -dans une maison de débauche. Ton corps y sera violé, et tu perdras ton -Saint-Esprit!» Mais Lucie: «Le corps n’est souillé que si l’âme y -consent; et si, malgré moi, on viole mon corps, ma chasteté s’en -trouvera doublée. Or jamais tu ne pourras contraindre ma volonté. Et -quant à mon corps, le voici, prêt à tous les supplices! Qu’attends-tu? -Fils du diable, commence à satisfaire ton désir malfaisant!» - -Alors Paschase fit venir des proxénètes, et leur dit: «Invitez tout le -peuple à jouir de cette femme, et qu’on use de son corps jusqu’à ce que -mort s’ensuive!» Mais quand les proxénètes voulurent l’entraîner, -l’Esprit-Saint la rendit si pesante qu’en aucune façon ils ne purent la -mouvoir. Et Paschase fit venir mille hommes, et lui fit lier les pieds -et les mains; mais on ne parvenait toujours pas à la soulever. Il fit -venir mille paires de bœufs, mais la vierge continua à rester immobile. -Il fit venir des mages; mais leurs incantations restèrent sans effet. -Alors il dit: «Quel est donc ce maléfice, qui permet à une jeune fille -de ne pas pouvoir être soulevée par un millier d’hommes?» Et Lucie lui -répondit: «Ce n’est pas un maléfice, mais un bienfait du Christ. Et tu -aurais beau ajouter encore dix mille hommes, ils ne parviendraient pas à -me faire bouger.» Paschase s’imagina alors, suivant l’invention de -quelqu’un, que l’urine détruisait les maléfices, et il la fit asperger -d’urine bouillante: mais cela encore fut inutile. Alors le consul, -exaspéré, fit allumer autour d’elle un grand feu, et ordonna de jeter -sur elle de la poix, de la résine, et de l’huile bouillante. Et Lucie -dit: «Dieu m’a accordé de supporter ces délais, dans mon martyre, afin -d’ôter aux croyants la peur de la souffrance et aux non-croyants le -moyen de blasphémer!» - -Les amis de Paschase, le voyant devenir sans cesse plus furieux, -enfoncèrent une épée dans la gorge de la sainte; mais elle, loin d’en -perdre la parole, elle dit: «Je vous annonce que la paix est rendue à -l’Eglise! Aujourd’hui même, Maximien est mort et Dioclétien a été chassé -du trône. Et de même que Dieu a accordé pour protectrice à la ville de -Catane ma sœur Agathe, de même il vient de m’autoriser à être auprès de -lui la protectrice de la ville de Syracuse.» Et, en effet, pendant -qu’elle parlait encore, voici que des envoyés de Rome vinrent saisir -Paschase pour l’emmener, prisonnier, devant le Sénat: car celui-ci avait -appris qu’il s’était rendu coupable de déprédations sans nombre dans -toute la province. Il fut donc conduit à Rome, déféré au Sénat, -convaincu de crime, et puni de la peine capitale. Quant à la vierge -Lucie, elle ne bougea pas du lieu où elle avait souffert, et elle resta -en vie jusqu’à l’arrivée de prêtres qui lui apportèrent la sainte -communion; et toute la foule y assista pieusement. C’est dans le même -lieu qu’elle fut enterrée, et que fut construite une église en son -honneur. Son martyre eut lieu vers l’an du Seigneur 310. - - - - -V - -SAINT THOMAS, APÔTRE - -(21 décembre) - - -I. Thomas l’apôtre, pendant qu’il était à Césarée, le Seigneur lui -apparut et lui dit: «Le roi de l’Inde Gondofer a envoyé son prévôt -Abbanes à la recherche d’un homme habile dans l’art de l’architecture. -Viens, et je te présenterai à lui!» Et Thomas lui dit: «Seigneur je suis -prêt à aller partout où tu m’enverras!» Et Dieu lui dit: «Va donc en -paix, car je serai ton gardien! Et quand tu auras converti l’Inde, tu -viendras à moi avec la palme du martyre!» Puis comme le prévôt marchait -dans le Forum, le Seigneur lui dit: «Que cherches-tu, jeune homme?» -Abbanes répondit: «Mon maître m’a envoyé ici afin que j’engage à son -service d’habiles architectes, car il veut se faire construire un palais -à la manière romaine.» Alors le Seigneur lui présenta Thomas, en lui -assurant qu’il était très habile dans l’art de l’architecture. - -Le vaisseau qui conduisait le prévôt et Thomas fit escale dans une ville -où un roi célébrait les noces de sa fille. Ce roi ayant ordonné que la -ville entière assistât à la fête, Thomas et Abbanes furent forcés d’y -assister. Mais Thomas ne mangeait rien, et gardait les yeux levés vers -le ciel. Or le sommelier, voyant que l’apôtre ne mangeait ni ne buvait, -le frappa sur la joue. Et l’apôtre lui dit: «Mieux vaut pour toi que tu -sois puni sur-le-champ d’une peine passagère, et que dans la vie future -ton acte te soit pardonné. Sache donc que, avant que je me lève de cette -table, la main qui m’a frappé sera apportée ici par des chiens!» Et en -effet, le sommelier étant sorti pour puiser de l’eau, un lion se jeta -sur lui et le tua; et les chiens déchirèrent son corps, et l’un d’eux -apporta sa main droite dans la salle du festin. Cette vengeance est -blâmée par saint Augustin dans son livre contre Faust, et déclarée -apocryphe; d’où vient que beaucoup tiennent la légende pour suspecte. -Mais revenons à notre récit. - -Sur la demande du roi, l’apôtre bénit l’époux et l’épouse, disant: -«Seigneur, donne à ces jeunes gens l’appui de ta droite, et sème dans -leurs âmes la semence de vie!» Et quand l’apôtre fut parti, le jeune -homme trouva dans sa main une branche de palmier toute chargée de -dattes. Et, ayant mangé de ces dattes, l’époux et l’épouse eurent tous -deux le même rêve. Ils virent un roi, paré de diamants, qui les -embrassait et leur disait: «Mon apôtre vous a bénis afin que vous -participiez à la vie éternelle.» - -Ils se réveillèrent, et se racontèrent l’un à l’autre leur rêve. Et -voici que l’apôtre Thomas leur apparut dans leur chambre et leur dit: -«Mon Roi s’est montré à vous tout à l’heure, et me conduit à présent -ici, malgré les portes fermées, pour que, fortifiés par ma bénédiction, -vous gardiez la pureté du corps, qui est la reine de toutes les vertus, -et qui mène au salut éternel. La virginité est la sœur des anges, la -possession de tous biens, la victoire sur les passions, le trophée de la -foi, la défaite des démons, le gage des joies éternelles. Mais, au -contraire, de la volupté naît la corruption, de la corruption naît la -pollution, et de la pollution naît la perdition.» Et, au moment où -l’apôtre leur parlait ainsi, deux anges leur apparurent, qui leur -dirent: «Dieu nous envoie à vous pour vous servir de gardiens, et, si -vous observez bien l’enseignement de l’apôtre, pour Lui transmettre tous -vos vœux.» Puis l’apôtre les baptisa et les instruisit dans la foi. Et, -longtemps après, l’épouse, qui s’appelait Pélagie, subit le martyre, et -l’époux, nommé Denis, fut ordonné évêque de cette même ville. - -II. Poursuivant leur voyage, l’apôtre et Abbanes parvinrent à la cour du -roi de l’Inde. Thomas fit le dessin d’un palais admirable, et le roi lui -donna un grand trésor afin qu’il pût diriger la construction du palais; -après quoi ce roi partit pour une autre province; et l’apôtre distribua -au peuple tout l’argent qu’il avait reçu de lui. Pendant les deux ans -que dura l’absence du roi, l’apôtre ne fit que prêcher, et convertit à -la foi une foule innombrable. Mais le roi, à son retour, ayant appris la -conduite de Thomas, le jeta en prison ainsi qu’Abbanes, avec le projet -de les faire brûler vifs. Là-dessus le frère du roi, nommé Gad, mourut, -et l’on s’apprêta à lui faire de somptueuses funérailles. Or voici que, -le quatrième jour de sa mort, il ressuscita, à la stupeur et à -l’épouvante de tous; et il dit à son frère: «Frère, l’homme que tu veux -faire écorcher et brûler vif est un ami de Dieu, et tous les anges sont -ses serviteurs. Ces anges m’ont conduit au paradis, où ils m’ont montré -un palais merveilleux, fait d’or, d’argent, et de pierres précieuses, et -ils m’ont dit: «Ceci est le palais que Thomas avait construit à ton -frère. Mais ton frère s’en est rendu indigne. Que si tu veux l’habiter à -sa place, nous demanderons à Dieu de te ressusciter pour que tu rachètes -ce palais à ton frère, en lui rendant l’argent qu’il s’imagine avoir -perdu!» Puis, ayant ainsi parlé, Gad courut à la prison de l’apôtre, fit -tomber ses chaînes, et le supplia d’accepter un manteau précieux. Mais -l’apôtre lui dit: «Ignores-tu donc que ceux qui aspirent au pouvoir -céleste ne désirent rien des choses terrestres?» Et, comme l’apôtre -sortait de la prison, le roi vint au-devant de lui, se jeta à ses pieds, -et lui demanda pardon. Et l’apôtre lui dit: «Crois dans le Christ et -fais-toi baptiser, afin de participer au royaume éternel!» Le frère du -roi lui dit: «J’ai vu le palais que tu as construit pour mon frère, et -j’ai obtenu la permission de l’acquérir.» Et l’apôtre: «Cela dépend de -ton frère.» Et le roi: «Que ce palais soit pour moi, et que l’apôtre en -construise un autre pour toi, ou bien encore, si c’est impossible, nous -habiterons celui-là en commun!» Et l’apôtre leur dit: «Il y a, dans le -ciel, d’innombrables palais, préparés depuis l’origine des temps, et qui -s’acquièrent par la foi et l’aumône. Et quant à vos richesses, elles -peuvent bien vous précéder dans ce palais, mais elles ne peuvent -absolument pas vous y suivre!» - -III. Un mois après, l’apôtre fit rassembler tous les pauvres de la -région; et, quand tous furent rassemblés, il fit sortir de la foule les -malades, les infirmes, et les faibles. Alors il pria sur eux, et ceux -d’entre eux qui avaient reçu la foi répondirent _amen_. Alors une grande -lumière descendit du ciel et se répandit sur l’apôtre et sur ces pauvres -gens; et, quand elle fut dissipée, l’apôtre dit: «Relevez-vous: c’est -mon Maître qui est venu, pareil à la foudre, et qui vous a guéris!» Et, -en effet, ils furent tous guéris; et, se relevant, ils glorifièrent Dieu -et l’apôtre. Alors celui-ci se mit à les instruire, leur exposant les -douze degrés de la vertu. Le premier degré est de croire en un Dieu -unique d’essence en triple personne. Et l’apôtre leur expliqua, par -trois exemples sensibles, comment une même essence pouvait avoir trois -personnes: 1º la sagesse dans l’homme est une, et cependant elle est -formée de l’intelligence, de la mémoire, et de l’imagination; 2º une -vigne est formée de trois éléments, le bois, les feuilles et les fruits, -dont l’ensemble ne forme qu’une seule vigne; 3º une tête contient quatre -sens, la vue, le goût, l’ouïe et l’odorat. Le second degré de la vertu -consiste à recevoir le baptême; le troisième à s’abstenir de la luxure; -le quatrième à éviter l’avarice; le cinquième à éviter la gourmandise; -le sixième à faire pénitence; le septième à persévérer dans le bien; le -huitième à pratiquer l’hospitalité; le neuvième à rechercher ce que Dieu -veut que l’on fasse; le dixième à rechercher ce que Dieu veut qu’on ne -fasse pas; le onzième à aimer amis et ennemis; le douzième à veiller -jour et nuit pour ne pas s’écarter de tous ces principes. Ainsi prêcha -l’apôtre; et, quand il eut fini, il baptisa neuf mille hommes, sans -compter les enfants et les femmes. - -IV. Thomas alla ensuite dans l’Inde Supérieure, où il se signala par -d’innombrables miracles. Il convertit une certaine Sintice, qui était -amie de Migdomie, femme d’un parent du roi de la contrée. Et Migdomie -fut prise du désir de voir l’apôtre. Sur le conseil de Sintice, elle ôta -ses riches vêtements, et se mêla à la foule des pauvres que l’apôtre -instruisait. Or l’apôtre était en train de prêcher la misère de cette -vie hasardeuse et fugitive; et il engageait ses auditeurs à recevoir la -parole de Dieu, comparant celle-ci 1º à un collyre, parce qu’elle -illumine les yeux de notre âme; 2º à un emplâtre, parce qu’elle guérit -les plaies de nos péchés; 3º à une nourriture, parce qu’elle nous -alimente des choses célestes. Et Migdomie, ayant entendu l’apôtre, reçut -la foi, et, depuis lors, eut horreur de la couche de son mari. Celui-ci, -dont le nom était Carisius, porta plainte au roi, et fit jeter l’apôtre -en prison. Alors Migdomie vint le trouver dans sa prison, et lui demanda -pardon d’être la cause de son incarcération; mais l’apôtre, la consolant -avec bonté, lui dit qu’il était heureux de souffrir tout cela. Cependant -Carisius pria le roi d’envoyer la reine, sœur de sa femme, auprès de -celle-ci, pour essayer de la ramener à lui. Mais la reine fut convertie -par celle qu’elle voulait pervertir; et, à la vue des miracles de -l’apôtre, elle dit: «Maudits soient ceux qui refusent de croire, en -présence de tant de signes et d’œuvres!» Quand elle revint près de son -mari, celui-ci lui dit: «Pourquoi es-tu restée si longtemps absente?» Et -la reine lui répondit: «Je croyais que Migdomie était folle, mais elle -est au contraire très sage, et, en me conduisant à l’apôtre de Dieu, -elle m’a fait connaître le chemin de la vérité; ceux là seuls sont fous -qui refusent de croire au Christ!» Et, depuis lors, elle refusa de -s’accoupler avec son mari. Et, le roi stupéfait, dit à son beau-frère: -«En voulant te ramener ta femme, j’ai perdu la mienne; elle est même -devenue pire pour moi que la tienne pour toi!» Et il se fit amener -l’apôtre, les mains liées, et le somma de faire en sorte que sa femme et -sa belle-sœur reprissent la vie conjugale. Alors l’apôtre lui démontra -que, aussi longtemps que son beau-frère et lui persisteraient dans -l’erreur, leurs femmes auraient le devoir de ne pas reprendre la vie -conjugale. «Toi qui es roi, lui dit-il, tu tiens à ne pas avoir des -serviteurs impurs, mais, au contraire à avoir des serviteurs purs. A -plus forte raison Dieu aime à avoir des serviteurs chastes et purs. Il -aime, dans ses serviteurs, ce que tu aimes dans les tiens. Comment! J’ai -édifié une haute tour, et tu me dis, à moi qui l’ai édifiée, de la -détruire? J’ai fait surgir une source du sol, et tu me dis de la faire -tarir?» - -Alors le roi, furieux, fit apporter des lames de fer rougies au feu, et -ordonna à l’apôtre de mettre sur elles ses pieds nus. Mais aussitôt, sur -un signe de Dieu, une source jaillit du sol et refroidit le fer. Puis le -roi, conseillé par son beau-frère, le fit plonger dans une fournaise -ardente; mais celle-ci s’éteignit aussitôt, et l’apôtre en sortit, le -lendemain, sain et sauf. Et Carisius dit au roi: «Ordonne-lui de -sacrifier au dieu du soleil, afin qu’il encoure la colère de son dieu, -qui le protège!» Le roi suivit son conseil, mais Thomas lui dit: «Tu -t’imagines que, comme le dit ton beau-frère, mon Dieu se fâchera contre -moi, si j’adore le tien; mais c’est plutôt contre ton dieu qu’il se -fâchera, et il le détruira au moment où je l’adorerai. Si donc mon Dieu -ne détruit pas le tien au moment où je l’adorerai, je consentirai à lui -sacrifier; mais si mon Dieu détruit le tien, promets-moi que tu croiras -en lui!» Et le roi dit: «Tu oses encore me traiter comme si j’étais ton -égal!» Alors l’apôtre ordonna en hébreu au démon qui était dans l’idole -de détruire celle-ci aussitôt qu’il fléchirait les genoux devant elle. -Puis, fléchissant les genoux, il dit: «J’adore, mais non pas cette -idole, j’adore, mais non pas ce métal, j’adore, mais non pas ce -simulacre: j’adore mon maître Jésus-Christ, au nom duquel je t’ordonne, -démon de cette idole, de la détruire aussitôt!» Et aussitôt l’idole -fondit comme de la cire. Sur quoi tous les prêtres poussèrent des -mugissements, et le grand prêtre du temple, levant son épée, transperça -l’apôtre, en disant: «Je venge l’injure faite à mon dieu!» Et le roi et -Carisius s’enfuirent, voyant que le peuple voulait venger l’apôtre et -brûler vif le grand prêtre. Mais les chrétiens enlevèrent le corps, et -l’ensevelirent solennellement. - -Longtemps après, vers l’an du Seigneur 230, le corps de l’apôtre fut -transporté par l’empereur Alexandre, sur la prière des Syriens, dans la -ville d’Edesse, qu’on appelait autrefois Ragès des Mèdes. Or, c’est une -ville où ne peut vivre aucun hérétique, aucun juif, aucun païen, et où -aucun tyran ne peut faire le mal, parce que jadis un roi de cette ville, -nommé Abgar, a eu l’honneur de recevoir une lettre écrite de la propre -main de Notre-Seigneur. Et, en effet, si quelque mal est tenté contre -cette ville, un enfant, debout sur la porte, lit la lettre du Seigneur, -et aussitôt les méchants sont mis en fuite ou font pénitence. - -V. Dans sa _Vie et mort des Saints_, Isidore dit de saint Thomas: -«Thomas, disciple du Christ, et qui ressemblait au Sauveur, fut -incrédule en entendant, mais crut dès qu’il vit. Il prêcha l’Evangile -aux Parthes, aux Mèdes, aux Perses, aux Hircaniens, et aux habitants de -la Bactriane. Abordant à la plage de l’Orient et pénétrant jusqu’aux -nations de l’intérieur, il y poursuivit sa prédication jusqu’au jour de -son martyre. Il mourut transpercé d’un coup de lance.» Et Chrysostome -dit aussi que Thomas parvint jusqu’aux régions des Rois Mages, qui jadis -étaient venus adorer le Christ, qu’il les baptisa, et fit d’eux des -soutiens de la foi chrétienne. - - - - -VI - -LA NATIVITÉ DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST - -(25 décembre) - - -On n’est pas d’accord sur la date de la naissance de Notre-Seigneur -Jésus-Christ dans la chair. Les uns disent qu’elle a eu lieu 5.228 ans -après la naissance d’Adam, d’autres qu’elle a eu lieu 5.900 ans après -cette naissance. C’est Méthode qui a fixé, le premier, la date de 6.000 -ans: mais il l’a trouvée plutôt par inspiration mystique que par calcul -chronologique. On sait, en tout cas, que la naissance du Christ a eu -lieu sous l’empereur Octave, qui s’appelait aussi César, du nom de son -oncle Jules César, et Auguste, parce qu’il avait «augmenté» la -république romaine. Et au moment où le Fils de Dieu est né dans la -chair, une paix universelle régnait dans le monde, réuni tout entier -sous l’autorité pacifique de l’empereur romain. - -Donc César Auguste, étant maître du monde, voulut savoir combien il -possédait de provinces, de villes, de forteresses, de villages et -d’hommes; en conséquence de quoi il décida que tous les hommes de son -empire eussent à se rendre dans la ville ou le village d’où ils étaient -originaires, et à remettre au gouverneur de la province un denier -d’argent, en signe de soumission à l’empire romain. Et c’est ainsi que -Joseph, qui était de la race de David, partit de Nazareth pour se rendre -à Bethléem, où l’appelait le recensement. Et comme le temps approchait -où la Vierge Marie allait être délivrée, et comme Joseph ne savait pas -quand il pourrait être de retour, il l’emmena à Bethléem, ne voulant -point remettre entre des mains étrangères le trésor que Dieu lui avait -confié. Le _Livre de l’Enfance du Sauveur_ raconte, à ce propos, qu’en -approchant de Bethléem la Vierge vit une partie du peuple qui se -réjouissait, et une partie qui gémissait. Et l’ange lui expliqua la -chose en lui disant: «La partie qui se réjouit est le peuple des -Gentils, qui va être admis à la béatitude éternelle. La partie qui gémit -est le peuple des Juifs, car Dieu va le réprouver suivant ses mérites.» - -Puis Joseph et Marie vinrent à Bethléem; et comme, étant pauvres, ils ne -pouvaient pas trouver de place dans les auberges, ils durent s’installer -dans un passage commun, ou abri, qui, d’après l’_Histoire scholastique_, -se trouvait entre deux maisons, et servait de lieu de réunion aux -habitants de Bethléem, ou encore de refuge contre les intempéries de -l’air. Là, Joseph installa une crèche pour son bœuf et son âne; ou bien -encore l’étable s’y trouvait déjà, construite à l’usage des paysans qui -venaient au marché. Et c’est là que, à minuit, la Vierge mit au jour son -fils, et le déposa dans la crèche, sur du foin: lequel foin fut plus -tard emporté à Rome par sainte Hélène; et l’on dit que ni le bœuf ni -l’âne n’osaient y toucher. - -Notons, à ce sujet, que tout fut miraculeux dans cette naissance du -Christ. En premier lieu, c’est chose miraculeuse que la mère du Christ -ait été vierge, après comme avant la naissance de son fils. Et sa -virginité, qui nous est attestée par les prophètes et les évangélistes, -se trouve encore prouvée par un miracle que nous raconte le pape -Innocent III. Pendant les douze ans qu’avait duré la paix du monde, on -avait construit à Rome un temple de la Paix, où l’on avait placé une -statue de Romulus. Et l’oracle d’Apollon, consulté, avait déclaré que -cette statue et le temple resteraient debout jusqu’au jour où une vierge -enfanterait un fils. On en avait conclu que le temple serait éternel, et -l’on était allé jusqu’à inscrire sur le fronton: «Temple éternel de la -Paix». Or, la nuit de la naissance de Notre-Seigneur, ce temple -s’écroula de fond en comble; et c’est sur son emplacement que s’élève -aujourd’hui l’église de Sainte-Marie la Neuve. - -Non moins miraculeuses sont toutes les autres circonstances de la -Nativité. Nous savons, par exemple, qu’elle fut révélée à toutes les -catégories des créatures, depuis les pierres, qui occupent le bas de -l’échelle, jusqu’aux anges, qui en occupent le sommet. - -1º La Nativité fut révélée aux créatures inanimées. On a vu déjà, par -l’exemple ci-dessus, qu’elle se révéla aux pierres d’un temple de Rome. -On sait, en outre, que, la nuit de la Nativité, les ténèbres de la nuit -se changèrent en une lumière de plein jour. A Rome, l’eau d’une source -se changea en huile, et coula ainsi jusque dans le Tibre: or, la Sibylle -avait prophétisé que le Sauveur du monde naîtrait lorsque jaillirait une -source d’huile. Le même jour, des mages qui priaient sur une montagne -virent apparaître une étoile qui avait la forme d’un bel enfant, portant -une croix de feu au-dessus de la tête. Et elle dit aux mages d’aller en -Judée, où ils trouveraient un enfant nouveau-né. Le même jour, trois -soleils apparurent à l’Orient, qui finirent par se fondre en un seul: -symbole évident de la sainte Trinité. Enfin voici ce que nous raconte le -pape Innocent III: «Pour récompenser Octave d’avoir donné la paix au -monde, le Sénat voulait l’adorer comme un dieu. Mais le prudent -empereur, se sachant mortel, ne voulut point se parer du titre -d’immortel avant d’avoir demandé à la Sibylle si le monde verrait -naître, quelque jour, un homme plus grand que lui. Or, le jour de la -Nativité, comme la Sibylle était seule avec l’empereur, elle vit -apparaître, en plein midi, un cercle d’or autour du soleil; et au milieu -du cercle se tenait une vierge, d’une beauté merveilleuse, portant un -enfant sur son sein. La Sibylle montra ce prodige à César, et l’on -entendit une voix qui disait: «Celle-ci est l’autel du ciel!» (_ara -cœli_). Et la Sibylle lui dit: «Cet enfant sera plus grand que toi!» -Aussi la chambre où eut lieu ce miracle a-t-elle été consacrée à la -sainte Vierge; et c’est sur son emplacement que s’élève aujourd’hui -l’église de Sainte-Marie Ara Cœli.» Cependant d’autres historiens -racontent le même fait d’une manière un peu différente. Suivant eux, -Auguste, étant monté au Capitole, et ayant demandé aux dieux de lui -faire savoir qui régnerait après lui, entendit une voix qui lui disait: -«Un enfant éthéré, Fils du Dieu vivant, né d’une vierge sans tache.» Et -c’est alors qu’Auguste aurait élevé cet autel, au-dessous duquel il -aurait inscrit: «Ceci est l’autel du Fils du Dieu vivant!» - -2º La Nativité s’est révélée aux créatures qui possèdent l’existence et -la vie, comme les plantes et les arbres. En effet, dans la nuit de la -naissance du Sauveur, les vignes d’Engade fleurirent, fructifièrent et -produisirent leur vin. - -3º La Nativité s’est révélée aux créatures qui possèdent l’existence, la -vie et le sentiment, c’est-à-dire aux animaux. En effet Joseph, en -partant pour Bethléem, avait emmené avec lui un bœuf et un âne: le bœuf, -peut-être, pour le vendre et pour avoir de quoi payer le denier du cens; -l’âne, sans doute, pour servir à porter la Vierge Marie. Or le bœuf et -l’âne, reconnaissant miraculeusement le Seigneur, s’agenouillèrent -devant lui, et l’adorèrent. - -4º La Nativité s’est révélée aux créatures qui possèdent l’existence, la -vie, le sentiment et la raison, c’est-à-dire aux hommes. En effet, dans -l’heure même où elle eut lieu, des bergers veillaient auprès de leurs -troupeaux, chose qu’ils faisaient deux fois par an, dans la nuit la plus -courte et dans la nuit la plus longue de l’année; car c’était l’usage -des nations antiques de veiller dans les deux nuits des solstices, l’été -vers le jour de la Saint-Jean, et, l’hiver, dans la nuit de Noël. A ces -bergers, donc, un ange apparut qui leur annonça la naissance du Sauveur -et leur enseigna le moyen d’arriver jusqu’à lui. Et ils entendirent une -foule d’anges qui chantaient: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux,» -etc. D’une autre façon encore, la Nativité se révéla par les sodomites, -qui tous, cette nuit-là, périrent, dans le monde entier. Ce à propos de -quoi saint Jérôme nous dit: «Une telle lumière s’éleva, cette nuit-là, -qu’elle éteignit tous ceux qui se livraient à ce vice.» Et saint -Augustin dit que Dieu ne pouvait pas s’incarner dans la nature humaine -aussi longtemps qu’existait, dans cette nature, un vice contre nature. - -5º Enfin la Nativité s’est révélée aux créatures qui possèdent -l’existence, la vie, le sentiment, la raison, et la connaissance, -c’est-à-dire aux anges: car ce sont les anges eux-mêmes, qui, ainsi -qu’on vient de le voir, ont annoncé aux bergers la naissance du Christ. - -Restent à définir les divers objets en vue desquels a eu lieu -l’incarnation de Notre-Seigneur. - -1º Elle a eu lieu, d’abord, pour la confusion des démons. Saint Hugues, -abbé de Cluny, la veille de Noël, vit la sainte Vierge, tenant son fils -sur son sein, et disant: «Voici venir le jour où vont être renouvelés -les oracles des prophètes! Où est désormais l’ennemi qui, jusqu’ici, -prévalait contre les hommes?» A ces mots, le diable sortit de terre, -pour démentir les paroles de Notre Dame: mais son iniquité se trouva en -défaut, car il eut beau parcourir tout le couvent; ni à la chapelle, ni -au réfectoire, ni au dortoir, ni dans la salle du chapitre, aucun moine -ne se laissa détourner de son devoir. D’après Pierre de Cluny, l’enfant, -dans la vision de Saint Hugues, aurait dit à sa mère: «Où est maintenant -la puissance du diable?» Sur quoi le diable, sortant de terre, aurait -répondu: «Je ne puis pas, en effet, pénétrer dans la chapelle, où l’on -chante tes louanges; mais le chapitre, le dortoir et le réfectoire me -restent ouverts!» Or voici que la porte du chapitre se serait trouvée -trop étroite pour lui, la porte du dortoir trop basse, la porte du -réfectoire obstruée d’obstacles infranchissables, lesquels n’étaient -autres que la charité des moines, leur attention à la lecture du jour, -et leur sobriété dans le manger et le boire. - -2º La Nativité a eu lieu, ensuite, pour permettre aux hommes d’obtenir -le pardon de leurs péchés. Un livre d’exemples raconte l’histoire d’une -prostituée qui, s’étant enfin repentie, désespérait de son pardon: et -comme elle se jugeait indigne d’invoquer le Christ glorieux, et le -Christ souffrant la passion, elle se dit que les enfants étaient plus -faciles à apaiser. Elle adjura donc le Christ enfant; et une voix lui -apprit qu’elle était pardonnée. - -3º La Nativité a eu lieu pour nous guérir de notre faiblesse. Car, comme -le dit saint Bernard: «Le genre humain souffre d’une triple maladie, la -naissance, la vie et la mort. Avant le Christ, la naissance était -impure, la vie perverse, la mort dangereuse. Mais le Christ est venu, et -contre ce triple mal nous a apporté un triple remède. Sa naissance a -purifié la nôtre; sa vie a instruit la nôtre; sa mort a détruit la -nôtre.» - -4º Enfin la Nativité a eu lieu pour humilier notre orgueil. Car, ainsi -que le dit saint Augustin: «L’humilité qu’a montrée le fils de Dieu dans -son incarnation nous sert à la fois d’exemple, de consécration, et de -médicament. Elle nous sert d’exemple pour nous apprendre à être humbles -nous-mêmes; de consécration, parce qu’elle nous délivre des liens du -péché; de médicament, parce qu’elle guérit la tumeur de notre vain -orgueil.» - - - - -VII - -SAINTE ANASTASIE, MARTYRE - -(25 décembre) - - -Anastasie était d’une des plus grandes familles de Rome. Elle fut élevée -dans la foi du Christ par sa mère Fantaste, et par le bienheureux -Chrysogone. Mariée contre son gré à un certain Publius, elle feignait un -mal de langueur et se refusait à la vie conjugale. Mais un jour son mari -apprit que, vêtue comme une femme pauvre, et en compagnie d’une de ses -servantes, elle visitait les chrétiens emprisonnés, et leur portait des -secours. Il la fit alors enfermer et garder étroitement, lui refusant -presque toute nourriture. Il espérait ainsi la faire mourir, et jouir à -son aise de sa dot, qui était très grande. Et elle, s’attendant à mourir -d’un jour à l’autre, écrivait des lettres désolées à Chrysogone, qui, -dans ses réponses, s’efforçait de la consoler. Cependant ce fut le mari -d’Anastasie qui mourut, et Anastasie fut mise en liberté. - -Elle avait trois servantes très belles, qui étaient sœurs. L’une -s’appelait Agapète, l’autre Théonie, la troisième Irène. Et toutes trois -étaient chrétiennes. Un préfet, qui s’était pris d’un fol amour pour -elles, les fit enfermer dans la cuisine de la maison, sous le prétexte -qu’elles n’obéissaient pas aux lois impériales; et, certaine nuit, il se -rendit dans cette cuisine afin d’assouvir sa luxure. Mais le Seigneur -lui ôta l’esprit; et voilà que croyant avoir affaire aux trois vierges, -il caressait et couvrait de baisers des poêles, des chaudrons et -d’autres ustensiles semblables; après quoi, s’étant rassasié, il sortit -tout noir de suie et les vêtements déchirés. Ses esclaves, qui -l’attendaient devant la porte de la maison, quand ils le virent ainsi -arrangé, le prirent pour un démon, le rouèrent de coups, et s’enfuirent, -le laissant seul. Il alla trouver l’empereur, pour se plaindre; et, sur -son chemin, les uns le frappaient de verges, les autres lançaient sur -lui de la poussière et de la boue. Mais lui, ayant sur les yeux un -charme qui l’empêchait de voir l’état où il se trouvait, il s’étonnait -que tout le monde se moquât de lui au lieu de l’honorer comme à -l’ordinaire. Et quand enfin on lui apprit dans quel état il se trouvait, -il supposa que les jeunes filles avaient usé de sortilèges. Il les fit -donc venir devant lui, et ordonna de les dépouiller de tous leurs -vêtements, afin de pouvoir au moins les voir nues. Mais aussitôt leurs -vêtements se collèrent à leurs corps de telle façon que personne ne -pouvait les leur enlever. Et le préfet, au moment où il s’apprêtait à -jouir de leur vue, fut saisi d’un sommeil si profond que, même en le -poussant, on ne parvenait pas à le réveiller. Enfin les trois vierges -reçurent la couronne du martyre. - -Quant à Anastasie, elle fut livrée par l’empereur à un autre préfet, -afin qu’il la prît pour femme, après l’avoir forcée à sacrifier aux -idoles. Et cet homme, l’ayant mise dans son lit, voulut l’embrasser: -mais aussitôt il devint aveugle. Il se fit alors conduire au temple des -dieux, et demanda à ceux-ci s’il pouvait guérir. Mais les dieux lui -répondirent: «Pour avoir voulu violer Anastasie, qui est une sainte, tu -nous a été livré afin d’être à jamais torturé avec nous dans l’enfer!» -Et, pendant qu’on le ramenait chez lui, il mourut entre les mains de ses -esclaves. - -Alors Anastasie fut confiée à un autre préfet, qui fut chargé de la -garder. Et cet homme, ayant appris qu’elle était très riche, lui dit en -secret: «Anastasie, si vraiment tu es chrétienne, tu dois faire ce que -t’ordonne ton Maître. Or celui-ci ordonne à ses disciples de renoncer à -tout ce qu’ils possèdent. Donne-moi donc tout ce que tu possèdes, et -va-t’en où tu voudras! Ainsi tu seras une vraie chrétienne.» Mais elle -lui répondit: «Dieu m’a ordonné, en effet, de donner tout ce que -j’avais, mais de le donner aux pauvres et non aux riches. Or tu es -riche: j’agirais contre les préceptes de mon Dieu en te donnant quelque -chose!» - -Anastasie fut alors jetée en prison, pour y mourir de faim; mais sainte -Théodore, qui avait déjà obtenu la couronne du martyre, la nourrit -pendant deux mois de la manne céleste. Enfin elle fut conduite avec deux -cents vierges, dans l’île Palmaria, où de nombreux chrétiens étaient -relégués. Et, quelques jours après son arrivée, le préfet du lieu manda -devant lui tous les chrétiens. Il fit attacher Anastasie à un poteau et -la fit brûler vive; puis il fit périr les autres chrétiens en des -supplices divers. Et il y avait parmi ces chrétiens un homme que l’on -avait dépouillé de toutes ses richesses, et qui répétait toujours: «De -Jésus-Christ, du moins, vous ne pourrez pas me dépouiller!» Sainte -Appolonie fit enlever le corps de sainte Anastasie et l’ensevelit dans -son jardin, où une église fut élevée en son honneur. Le martyre de -sainte Anastasie eut lieu sous le règne de Dioclétien, règne qui -commença vers l’an du Seigneur 287. - - - - -VIII - -SAINT ÉTIENNE, PREMIER MARTYR - -(26 décembre) - - -I. Etienne fut un des sept diacres ordonnés par les apôtres pour le -ministère sacré. On sait, en effet, que, le nombre des disciples se -multipliant, les chrétiens d’origine étrangère se mirent à murmurer -contre les chrétiens d’origine juive, parce que les veuves étaient -négligées dans le ministère quotidien. La cause de ces murmures peut -être comprise de deux façons: ou bien les veuves n’étaient pas admises -dans le ministère, ou bien encore elles y avaient trop de travail, les -apôtres leur ayant confié les soins matériels du culte afin de pouvoir -se consacrer entièrement à la prédication. Toujours est-il que les -apôtres, en présence de ce murmure, réunirent la foule des fidèles et -dirent: «Il n’est pas raisonnable que nous délaissions la prédication de -la parole de Dieu pour nous occuper des soins matériels et pour servir -aux tables. Choisissez donc, frères, sept hommes d’entre vous qui aient -bonne réputation et qui soient pleins de l’Esprit-Saint, afin que nous -leur commettions cet emploi! Et ainsi nous pourrons continuer à nous -occuper de prier et de prêcher.» Cette proposition plut à toute -l’assemblée. On élut sept hommes, dont le premier était Etienne; et on -les présenta aux apôtres qui, après avoir prié, leur imposèrent les -mains. - -Or, Etienne, plein de foi et de courage, faisait de grands miracles -parmi le peuple. Alors les Juifs, le jalousant et désirant se défaire de -lui, engagèrent la lutte contre lui de trois façons: en discutant avec -lui, en subornant de faux témoins contre lui, et en le torturant. Mais -lui, il eut le dessus dans la discussion: il convainquit de fausseté les -faux témoins, et il triompha de ceux qui le torturaient. Dans cette -triple lutte, il reçut du ciel un triple secours. Dans la discussion, il -reçut le secours de l’Esprit-Saint, qui lui donna la sagesse. Devant les -faux témoins, son visage revêtit une pureté angélique qui fit taire -leurs témoignages. Et dans la torture le Christ lui apparut, l’aidant à -supporter le martyre. Quant au détail du discours qu’il tint aux Juifs, -nous le trouvons énoncé tout au long au chapitre VII des _Actes des -Apôtres_. - -Et comme les Juifs, entendant les paroles du saint, étaient transportés -de rage et le menaçaient, Etienne étant rempli du Saint-Esprit et tenant -les yeux levés au ciel, s’écria: «Voici, je vois les cieux ouverts et -Jésus assis à la droite de Dieu!» Alors ils poussèrent de grands cris et -se bouchèrent les oreilles, comme pour ne pas l’entendre blasphémer; et -ils se jetèrent tous ensemble sur lui, et, l’ayant traîné hors de la -ville, ils le lapidèrent. Et les deux faux témoins, qui avaient à lui -jeter la première pierre, ôtèrent leurs vêtements, soit pour éviter de -les souiller au contact d’Etienne, ou pour avoir plus de force; et ils -les mirent aux pieds d’un adolescent qui s’appelait Saul, et qui fut -plus tard saint Paul: de telle sorte que celui-ci, gardant les vêtements -de ceux qui lapidaient Etienne, pour les aider dans leur office, peut -être considéré comme ayant contribué lui-même à le lapider. Et pendant -qu’on le lapidait, Etienne priait, disant: «Seigneur Jésus, reçois mon -esprit!» Puis, s’étant mis à genoux, il cria à haute voix: «Seigneur, ne -leur impute pas à péché ce qu’ils font!» En quoi le martyr imitait le -Christ, qui, dans sa passion, avait prié d’abord pour soi, disant: «Mon -Père, je te livre mon âme!» et avait ensuite prié pour ses bourreaux, -disant: «Mon Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font!» -Et l’auteur des _Actes_ ajoute qu’après avoir ainsi parlé Etienne -«s’endormit dans le Seigneur». Expression belle et juste: car le saint -ne mourut pas, il «s’endormit» dans l’espoir de la résurrection. - -Le martyre d’Etienne eut lieu l’année même de l’Ascension du Seigneur, -le troisième jour d’août. Saint Gamaliel et Nicodème, qui soutenaient -les intérêts des chrétiens dans tous les conseils des Juifs, -ensevelirent saint Etienne dans le champ dudit Gamaliel, et un grand -deuil eut lieu en son honneur; et une persécution violente s’éleva, -bientôt après, contre tous les chrétiens qui étaient à Jérusalem, à tel -point que tous durent se disperser dans les divers quartiers de la Judée -et de la Samarie, à l’exception des apôtres, qui, sans doute, allaient -au-devant de la mort au lieu de la fuir. - -II. Saint Augustin rapporte que le bienheureux Etienne s’est illustré -par d’innombrables miracles: qu’il a six fois ressuscité des morts, et -guéri une foule de malades. Le même auteur rapporte qu’on avait coutume -de mettre des fleurs sur l’autel de saint Etienne, qui, placées ensuite -sur des malades, les guérissaient; et que les linges déposés sur -l’autel, et placés ensuite sur des malades, guérissaient en particulier -les maladies de la moelle. Au livre XXII de sa _Cité de Dieu_, il -raconte le miracle d’une femme aveugle qui fut rendue à la lumière par -le contact d’une fleur prise sur l’autel du saint. Il raconte aussi -l’histoire de l’un des hommes les plus considérables de la ville -d’Hippone, nommé Martial, qui était infidèle et refusait de se -convertir. Cet homme étant malade, son gendre, qui était chrétien, se -rendit à l’église de saint Etienne, y prit des fleurs sur l’autel, et -les posa en secret sous la tête de son beau-père. Et celui-ci, dès qu’au -petit jour il se réveilla, envoya chercher l’évêque. L’évêque se -trouvait absent, mais un prêtre vint chez Martial, et celui-ci demanda à -être baptisé. Et, aussi longtemps qu’il vécut, il répéta ces mots: -«Seigneur Jésus, reçois mon esprit!» sans se douter que c’étaient les -dernières paroles du bienheureux Etienne. - -III. Autre miracle rapporté par saint Augustin. Certaine matrone nommée -Pétronie, qui souffrait depuis longtemps d’une grave maladie contre -laquelle tous les remèdes avaient échoué, s’avisa de consulter un Juif, -qui lui donna une bague ornée d’une pierre, lui disant de se l’appliquer -à nu sur le corps. Et Pétronie suivit le conseil, mais n’en retira aucun -bien. Elle se rendit alors à l’église du Premier Martyr, et demanda sa -guérison à saint Etienne. Aussitôt la bague du Juif, qu’elle avait -attachée par une corde passée autour de ses reins, tomba à terre, sans -que ni la corde ni la bague fussent rompues. Et, depuis cet instant, la -dame fut guérie. - -IV. Autre miracle, non moins étonnant, rapporté par saint Augustin. A -Césarée de Cappadoce vivait une dame noble qui était veuve, mais qui -avait le bonheur d’avoir dix enfants, dont sept garçons et trois filles. -Or, un jour, la mère, se jugeant offensée par ses enfants, les maudit; -et aussitôt, sous l’effet de la malédiction maternelle, les dix enfants -furent frappés d’une même peine, la plus effroyable du monde. Ils se -virent atteints d’un tremblement de tous les membres qui ne se relâchait -ni le jour, ni la nuit. N’osant s’exposer à la vue de leurs concitoyens, -ils quittèrent la ville et se dispersèrent à travers le monde, attirant -partout sur eux l’attention générale. Deux d’entre eux, un frère et sa -sœur, nommés Paul et Palladie, arrivèrent ainsi à Hippone, et -racontèrent leur histoire à saint Augustin, qui était évêque de cette -ville. On était alors quinze jours avant Pâques, et les deux infortunés -se rendaient tous les matins à l’église de saint Etienne, suppliant le -saint d’avoir pitié d’eux. Or, le jour de Pâques, en présence de la -foule, Paul pénétra soudain dans la chapelle du saint, se prosterna -pieusement devant l’autel; et tout le monde le vit ensuite se relever -guéri; et il fut à jamais délivré de son tremblement. Puis sa sœur -Palladie entra à son tour dans la chapelle, et parut soudain frappée -d’un sommeil dont elle se réveilla tout à fait guérie. Le frère et la -sœur furent montrés à la foule, et de grandes actions de grâces furent -adressées à saint Etienne pour leur guérison. - -Nous avons oublié de dire qu’Orose, revenant de chez saint Jérôme, avait -rapporté à saint Augustin des reliques de saint Etienne, et que ce sont -ces reliques qui ont opéré les miracles ci-dessus, et bien d’autres -encore. - -V. Nous devons noter enfin que ce n’est pas le 26 décembre que saint -Etienne a subi le martyre, mais le 3 août, jour où l’Eglise fête -l’Invention de ce saint. Pourquoi cela se fait ainsi, c’est ce que nous -dirons quand nous aurons à parler de l’Invention de saint Etienne. Mais -disons, dès maintenant, que c’est pour une double cause que l’Eglise a -placé tout de suite après la Nativité du Seigneur les trois fêtes de -saint Jean l’Evangéliste, de saint Etienne et des saints Innocents. -D’abord, l’Eglise a voulu adjoindre au Christ ses premiers compagnons; -et la seconde cause est que l’Eglise a voulu réunir les trois genres de -martyres dans le voisinage de la naissance du Christ, qui est la raison -première de tous les martyres. Car il y a trois genres de martyres: le -premier à la fois de volonté et de fait, le second de volonté et non de -fait, le troisième de fait et non de volonté. Or le premier de ces -martyres a eu pour premier représentant saint Etienne, le second saint -Jean, et le troisième les saints Innocents. - - - - -IX - -SAINT JEAN, APÔTRE ET ÉVANGÉLISTE - -(27 décembre) - - -La vie de saint Jean l’Evangéliste a été écrite par Milet, évêque de -Laodicée: un résumé en a été fait par Isidore, dans sa _Vie et Mort des -Saints_. - -I. L’apôtre et évangéliste Jean, lorsque après la Pentecôte les apôtres -se séparèrent, se rendit en Asie, où il fonda de nombreuses églises. Or, -l’empereur Domitien, ayant appris sa renommée, le manda à Rome, et le -fit plonger dans une chaudière d’huile bouillante; mais le saint en -sortit sain et sauf, de même qu’il avait échappé à la corruption des -sens. Ce que voyant, l’empereur le relégua en exil dans l’île de Patmos, -où, vivant seul, il écrivit l’_Apocalypse_. Mais, la même année, le -cruel empereur fut tué, et le Sénat révoqua tout ce qu’il avait décrété. -Ainsi arriva que saint Jean, qui avait été déporté comme un criminel, -revint à Ephèse couvert d’honneurs; et toute la foule accourait -au-devant de lui, disant: «Béni celui qui vient au nom du Seigneur!» Or, -comme il entrait dans la ville, il rencontra le cortège qui conduisait -les restes mortels d’une femme nommée Drusienne, qui autrefois avait été -sa plus fidèle amie, et qui, plus que personne, avait souhaité son -retour. Et les parents de cette femme, et les veuves et les orphelins -d’Ephèse, dirent à saint Jean: «Voici que nous portons en terre -Drusienne, qui toujours, suivant tes conseils, nous nourrissait tous de -la parole divine, et qui plus que personne souhaitait ton retour, -disant: «Oh, si je pouvais revoir l’apôtre de Dieu avant de mourir.» Et -voici que tu es revenu, et qu’elle n’a pas pu te revoir!» Alors l’apôtre -fit déposer à terre le cercueil, le fit ouvrir, et dit: «Drusienne, mon -maître Jésus-Christ te ressuscite! Lève-toi, va dans ta maison, et -prépare-moi mon repas!» Et aussitôt elle se leva et s’en alla vers sa -maison, avec l’impression de s’être éveillée du sommeil, et non de la -mort. - -II. Le lendemain de l’arrivée de saint Jean à Ephèse, un philosophe -nommé Craton convoqua le peuple, sur la place, pour lui montrer comment -on devait mépriser le monde. Il avait ordonné à deux jeunes gens très -riches de vendre tout leur patrimoine, pour acheter en échange des -diamants d’un prix énorme; et, sur son ordre, ces jeunes gens avaient -brisé leurs diamants en présence de tous. Or, l’apôtre passait par -hasard sur la place: il appela le philosophe, et lui prouva tout ce -qu’avait de blâmable une telle façon de mépriser le monde: car le dédain -des richesses n’est méritoire que lorsque les richesses dédaignées -servent au bien des pauvres, et c’est pour cela que le Seigneur a dit au -jeune homme de l’Evangile: «Si tu veux être parfait, va vendre tous tes -biens et donnes-en le produit aux pauvres!» Alors Craton lui dit: «Si -vraiment ton maître est Dieu, et s’il veut que le prix de ces diamants -profite aux pauvres, fais qu’ils reprennent leur intégrité, réalisant -ainsi à la gloire de ton Maître ce que j’ai su réaliser en vue de la -gloire humaine!» Alors saint Jean réunit dans sa main les fragments des -pierres précieuses, et pria; et aussitôt les pierres redevinrent telles -qu’avant d’être brisées, et le philosophe et les deux jeunes gens -crurent en Jésus, et le produit des diamants fut distribué aux pauvres. - -III. Mais un jour ces deux jeunes gens, voyant leurs anciens esclaves -vêtus de manteaux de prix, tandis qu’eux-mêmes étaient mis comme des -mendiants, commencèrent à se désoler. Ce que voyant sur leurs visages, -saint Jean se fit apporter du bord de la mer des roseaux et des pierres, -et les changea en or et en diamants. Et, sur son ordre, tous les -orfèvres de la ville examinèrent pendant sept jours l’or et les diamants -ainsi obtenus; et quand ils eurent déclaré n’en avoir jamais vu d’aussi -purs, le saint dit aux deux jeunes gens: «Allez, et rachetez les terres -que vous avez vendues! Puisque vous avez perdu les trésors du ciel, -soyez florissants, mais afin de vous dessécher; soyez riches -temporellement, mais afin d’être mendiants dans l’éternité!» Et il se -mit alors à parler des richesses, dénombrant les six motifs qui doivent -nous empêcher d’un désir immodéré des biens terrestres. Le premier de -ces motifs est le texte écrit: et saint Jean raconta l’histoire du riche -et de Lazare le pauvre. Le second motif est la nature: l’homme naît nu -et meurt de même. Le troisième motif est la création: car de même que le -soleil, la lune, les étoiles, l’air, sont communs à tous et partagent -entre tous leurs bienfaits, de même entre les hommes tout devrait être -commun. Le quatrième motif est le hasard des richesses. Le cinquième est -le souci qu’elles imposent. Enfin le sixième motif est les mauvaises -conséquences qu’entraîne la possession des richesses, aussi bien dans -cette vie que dans la future. - -IV. Et, pendant que saint Jean parlait ainsi contre les richesses, il -rencontra le convoi d’un jeune homme, mort après trente jours de -mariage. Alors la mère et la veuve de ce jeune homme, et tous ses amis, -se jetèrent en pleurant aux pieds de l’apôtre, le suppliant de -ressusciter le mort au nom de Dieu, comme il avait ressuscité Drusienne. -Et l’apôtre, après avoir longtemps pleuré et prié, ressuscita le jeune -homme, et lui dit de raconter aux deux jeunes riches le châtiment qu’ils -avaient encouru et la gloire qu’ils avaient perdue. Alors le ressuscité -parla de la gloire du paradis et des châtiments de l’enfer, dont il -venait d’être témoin. Il dit aux deux riches, qu’ils avaient perdu des -palais éternels, construits de pierres brillantes, éclairés d’une -lumière merveilleuse, pourvus de mets exquis, et tout remplis de joies -et de délices. Et il leur dit les huit peines de l’enfer, qu’on a -résumées dans ce distique: «Les vers et les ténèbres, le fouet, le froid -et le feu,--la vue du diable, le remords, le désespoir.» Puis il ajouta, -s’adressant aux deux riches: «Et j’ai vu vos anges gardiens qui -pleuraient, qui gémissaient. O malheureux que vous êtes!» Alors le -ressuscité et les deux riches, se prosternant aux genoux de l’apôtre, le -supplièrent d’invoquer le pardon du ciel. Et l’apôtre dit aux deux -jeunes gens: «Faites pénitence pendant trente jours, et priez que les -roseaux et les pierres reprennent leur ancienne forme!» C’est ce qu’ils -firent, et les roseaux et les pierres reprirent leur ancienne forme, et -les deux riches obtinrent leur pardon. - -V. Et lorsque saint Jean eut prêché dans toute l’Asie, les adorateurs -des idoles le traînèrent au temple de Diane, voulant le forcer à -sacrifier à cette déesse. Alors le saint leur offrit cette alternative: -il leur dit que si, en invoquant Diane, ils parvenaient à renverser -l’église du Christ, il sacrifierait à Diane, mais que si, au contraire, -c’était lui qui, en invoquant le Christ, détruisait le temple de Diane, -ils auraient à croire au Christ. La plus grande partie du peuple ayant -consenti à cette épreuve, Jean fit sortir du temple tous ceux qui s’y -trouvaient; puis il pria, et le temple s’écroula, et la statue de Diane -fut réduite en miettes. - -Alors le grand prêtre Aristodème souleva une sédition dans le peuple, au -point que les deux partis s’apprêtaient à en venir aux mains. Et -l’apôtre lui dit: «Que veux-tu que je fasse pour t’apaiser?» Et lui: «Si -tu veux que je croie en ton Dieu, je te donnerai du poison à boire, et, -s’il ne te fait aucun mal, c’est que ton Dieu sera le vrai Dieu.» Et -l’apôtre: «Fais comme tu l’as dit!» Et lui: «Mais je veux que d’abord tu -voies mourir d’autres hommes par l’effet de ce poison, pour en constater -la puissance!» Et Aristodème demanda au proconsul de lui livrer deux -condamnés à mort: il leur donna à boire du poison, et aussitôt ils -moururent. Alors l’apôtre prit à son tour le calice, et, s’étant muni du -signe de la croix, il but tout le poison et n’en éprouva aucun mal: sur -quoi tous se mirent à louer Dieu. Mais Aristodème dit: «Un doute me -reste encore; mais s’il ressuscite les deux hommes qui sont morts par le -poison, je ne douterai plus, et croirai au Christ.» L’apôtre, sans lui -répondre, lui donna son manteau. Et lui: «Pourquoi me donnes-tu ton -manteau? Penses-tu qu’il me transmettra ta foi?» Et saint Jean: «Va -étendre ce manteau sur les cadavres des deux morts en disant: l’apôtre -du Christ m’envoie vers vous, pour que vous ressuscitiez au nom du -Christ!» Et Aristodème fit ainsi, et aussitôt les deux morts -ressuscitèrent. Alors l’apôtre baptisa le grand prêtre et le proconsul -avec toute sa famille; et ceux-ci, plus tard, élevèrent une église en -l’honneur de saint Jean. - -VI. Saint Clément rapporte, ainsi qu’on le lit au livre quatrième de -l’_Histoire ecclésiastique_, qu’un jour saint Jean convertit certain -jeune homme brave et beau, et le confia au soin d’un évêque, comme un -dépôt. Or, quelque temps après, le jeune homme abandonna l’évêque pour -devenir chef de brigands. Et, l’apôtre ayant ensuite redemandé à -l’évêque le dépôt qu’il lui avait confié, l’évêque répondit: «Mon père -vénéré, cet homme est mort, quant à l’âme; il demeure maintenant sur une -montagne, avec des brigands dont il est le chef.» Ce qu’entendant, -l’apôtre déchira son manteau et se frappa la tête de ses poings; et -aussitôt il se fit seller un cheval, et monta, sans escorte, sur la -montagne où était le brigand. Mais celui-ci, pris de honte à sa vue, -enfourcha son cheval et s’enfuit. Or, l’apôtre, oubliant son âge, se mit -à le poursuivre, en lui criant: «Hé, quoi, fils bien-aimé, tu fuis ton -père, qui n’est qu’un vieillard sans armes? Ne crains rien, mon fils, -car je rendrai compte pour toi au Christ, et je t’assure que bien -volontiers je mourrai pour toi, de même que le Christ est mort pour -nous! Reviens, mon fils, reviens! C’est le Seigneur qui m’envoie!» En -entendant ces paroles, le jeune homme se retourna, s’approcha du saint, -et fondit en larmes. Alors l’apôtre se jeta à ses pieds, lui prit la -main, et la couvrit de baisers. Et il pria et jeûna pour lui, et obtint -son pardon; et, plus tard, il l’ordonna évêque. - -VII. Cassien, dans son livre des _Collations_, raconte ceci. On offrit -un jour à saint Jean une perdrix vivante; et comme le saint la caressait -dans sa main, un adolescent dit en riant à ses camarades: «Voyez donc ce -vieillard qui joue avec un oiseau, comme un enfant!» Alors, saint Jean, -devinant la pensée de l’adolescent, l’appela et lui demanda pourquoi il -tenait en main un arc et des flèches. Et l’adolescent: «C’est pour viser -des oiseaux au vol!» Et l’apôtre: «Comment fais-tu cela?» Alors le jeune -homme tendit son arc, et le garda tendu dans sa main. Mais, comme -l’apôtre ne lui disait rien, il ne tarda pas à détendre son arc. Alors -saint Jean: «Mon fils, pourquoi as-tu débandé ton arc?» Et lui: «Si je -l’avais tenu bandé plus longtemps, il serait devenu faible pour lancer -des flèches.» Et l’apôtre: «De même, notre fragile nature humaine -s’affaiblirait pour la contemplation, si, persistant dans sa rigueur, -elle refusait de céder parfois à sa fragilité. Ne sais-tu pas que -l’aigle, qui vole plus haut que tous les autres oiseaux, et qui regarde -le soleil en face, doit cependant, de par sa nature, descendre vers la -terre: de même l’esprit humain, après s’être un peu relâché de la -contemplation des choses célestes, y revient ensuite avec plus -d’ardeur.» - -VIII. Et saint Jérôme nous rapporte ceci: «Saint Jean, qui demeura à -Ephèse jusqu’à l’extrême vieillesse, devint si faible que ses disciples -avaient à le porter à l’église, et qu’il pouvait à peine ouvrir la -bouche; mais à tout instant il répétait cette seule et même phrase: «Mes -enfants, aimez-vous les uns les autres!» Or, un jour, les fidèles qui -étaient près de lui, s’étonnant de ce qu’il répétât toujours la même -chose, lui en demandèrent le motif. Et le saint leur répondit: «Parce -que c’est le grand précepte du Seigneur; et, si seulement on applique -celui-là, cela suffit.» - -IX. Hélinand rapporte, d’autre part, que lorsque saint Jean eut à écrire -son évangile, il ordonna d’abord aux fidèles de jeûner et de prier, afin -que Dieu l’inspirât. Et quand, ensuite, il se fut retiré dans le lieu -solitaire où il allait écrire le livre divin, il pria que ce livre fût -abrité contre l’outrage des vents et des pluies. Et l’on dit que, -aujourd’hui encore, ce lieu est respecté par les éléments. - -X. Enfin voici ce que nous lisons dans le livre d’Isidore: «Quand saint -Jean fut arrivé à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans, l’an -soixante-septième de la passion du Seigneur, Jésus lui apparut avec ses -disciples et lui dit: «Viens à moi, mon bien-aimé, car voici le temps où -tu vas pouvoir manger à ma table avec tes frères!» Et saint Jean se -levant se mit en marche. Mais Jésus lui dit: «Non, c’est dimanche que tu -viendras à moi.» Donc, le dimanche suivant, tout le peuple s’assembla -dans l’église. Et saint Jean, retrouvant ses forces, prêcha dès le chant -du coq, leur disant d’être stables dans la foi et fervents pour les -ordres du Christ. Après quoi il fit creuser, près de l’autel, une fosse -carrée, et il en fit jeter la terre hors de l’église; et, descendant -dans la fosse et étendant les mains vers le ciel, il dit: «Invité à ta -table, mon Seigneur Jésus-Christ, voici que je viens, en te remerciant -d’avoir daigné m’inviter, car tu sais que je l’ai désiré de tout mon -cœur!» Lorsqu’il eut ainsi prié, une lumière aveuglante l’entoura. Et -lorsque la lumière se dissipa, le saint avait disparu, et la fosse était -remplie de manne; et l’on dit que cette manne sort aujourd’hui encore de -la fosse, à la manière d’une source.» - -XI. Saint Edmond, roi d’Angleterre avait coutume de ne rien refuser à -ceux qui lui demandaient au nom de saint Jean l’Evangéliste. Un jour, -pendant l’absence du chambellan du roi, certain pèlerin s’approcha -d’Edmond et lui demanda l’aumône au nom de saint Jean l’Evangéliste. Et -le roi, n’ayant rien d’autre qu’il pût lui donner, lui donna la bague de -prix qu’il portait au doigt. Or, plusieurs jours après, un soldat -anglais, qui se trouvait outremer, rencontra le même pèlerin; et -celui-ci lui remit la bague, lui disant de la porter à son roi avec ces -paroles: «Celui pour l’amour de qui tu as donné cette bague, c’est lui -qui te la renvoie!» D’où apparut clairement que c’était saint Jean -lui-même qui s’était montré au roi sous l’habit d’un pèlerin. - - - - -X - -LES SAINTS INNOCENTS - -(28 décembre) - - -Les Innocents sont appelés de ce nom pour trois motifs, à savoir: en -raison de leur vie, en raison de leur martyre, et en raison de -l’innocence que leur mort leur a acquise. Ils sont innocents en raison -de leur vie, parce qu’ils ont eu une vie innocente, c’est-à-dire n’ont -pu, de leur vivant, nuire à personne. Ils sont innocents en raison de -leur martyre, parce qu’ils ont souffert injustement et sans être -coupables d’aucun crime. Enfin ils sont innocents en raison des suites -de leur mort, parce que leur martyre leur a conféré l’innocence -baptismale, c’est-à-dire les a purifiés du péché originel. - -I. Les Innocents ont été mis à mort par Hérode d’Ascalon. L’Ecriture -Sainte cite en effet trois Hérode, fameux tous trois pour leur cruauté. -Le premier est appelé Hérode d’Ascalon: c’est sous son règne qu’est né -le Seigneur et qu’ont été mis à mort les Innocents. Le second s’appelle -Hérode Antipas: c’est lui qui a ordonné la décollation de saint Jean. -Enfin le troisième est Hérode Agrippa, qui a mis à mort saint Jacques et -a fait emprisonner saint Pierre. C’est ce que résument ces deux vers: - - Ascalonita necat pueros, Antipa Johannem, - Agrippa Jacobum, claudens in carcere Petrum. - -Mais racontons brièvement l’histoire du premier de ces Hérode. Antipater -l’Iduméen, comme nous le lisons dans l’_Histoire scholastique_, prit -pour femme une nièce du roi des Arabes et eut d’elle un fils, qu’il -appela Hérode, et qui fut surnommé ensuite Hérode d’Ascalon. Celui-ci -fut fait, par César-Auguste, roi de Judée: ce fut la première fois que -la Judée reçut un roi étranger. Cet Hérode eut à son tour six fils: -Antipater, Alexandre, Aristobule, Archélaüs, Hérode Antipas, et -Philippe. Alexandre et Aristobule, nés de la même mère, qui était juive, -furent envoyés dans leur jeunesse, à Rome pour s’y instruire aux arts -libéraux; puis ils revinrent à Jérusalem, et Alexandre devint -grammairien, tandis qu’Aristobule se distingua par la subtilité de son -éloquence. Et souvent ils se querellaient avec leur père au sujet de la -succession au trône. Puis, comme leur père, irrité, contre eux, parlait -de les déshériter, ils entreprirent de le faire tuer. Hérode, prévenu, -les chassa; et les deux jeunes princes se rendirent à Rome, où ils -portèrent plainte contre leur père devant l’empereur. - -Cependant les mages vinrent à Jérusalem, s’informant de la naissance du -nouveau roi que leur annonçaient les présages. Et Hérode, en les -entendant, craignit que, de la famille des vrais rois de Judée, un -enfant ne fût né qui pourrait le chasser comme usurpateur. Il demanda -donc aux rois mages de venir lui signaler l’enfant royal dès qu’ils -l’auraient trouvé, feignant de vouloir adorer celui qu’en réalité il se -proposait de tuer. Mais les mages s’en retournèrent dans leur pays par -une autre route. Et Hérode, ne les voyant pas revenir, crut que, honteux -d’avoir été trompés par l’étoile, ils s’en étaient retournés sans oser -le revoir; et, là-dessus, il renonça à s’enquérir de l’enfant. Pourtant, -quand il apprit ce qu’avaient dit les bergers et ce qu’avaient -prophétisé Siméon et Anne, toute sa peur le reprit, et il résolut de -faire massacrer tous les enfants de Bethléem, de façon que l’enfant -inconnu dont il avait peur pérît à coup sûr. Mais Joseph, averti par un -ange, s’enfuit avec l’enfant et la mère en Egypte, dans la ville -d’Hermopolis, et y resta sept ans, jusqu’à la mort d’Hérode. Et -Cassiodore nous dit, dans son _Histoire tripartite_, qu’on peut voir à -Hermopolis, en Thébaïde, un arbre de l’espèce des persides, qui guérit -les maladies, si l’on applique sur le cou des malades un de ses fruits, -ou une de ses feuilles, ou une partie de son écorce. Cet arbre, lorsque -la sainte Vierge fuyait en Egypte avec son fils, s’est incliné jusqu’à -terre, et a pieusement adoré le Christ. - -II. Or, pendant qu’Hérode méditait le massacre des enfants, lui-même fut -mandé par lettre devant Auguste, pour se défendre de l’accusation de ses -deux fils. Et après qu’il eut discuté avec ses fils en présence de -l’empereur, celui-ci décida que les fils devaient obéir en tout à leur -père, qui était libre de laisser son trône à qui il voudrait. C’est -alors qu’Hérode, revenu de Rome, et rendu plus audacieux par la -confirmation de la faveur impériale, ordonna de tuer tous les enfants -âgés de moins de deux ans. Cet ordre s’explique fort bien si l’on songe -que, le voyage d’Hérode à Rome ayant duré un an, un espace de près de -deux ans devait s’être écoulé depuis le moment où l’étoile avait révélé -aux mages la naissance de l’enfant royal. Mais saint Jean Chrysostome -croit que le décret d’Hérode ordonnait, au contraire, le massacre de -tous les enfants ayant plus de deux ans; car l’étoile, d’après lui, -serait apparue aux mages un an avant la naissance de Jésus; et Hérode -était resté un an à Rome, et sans doute il s’imaginait que, lorsque -l’étoile était apparue aux mages, l’enfant était déjà né. Le fait est -que certains os des saints Innocents, qui se sont conservés, sont trop -grands pour provenir d’enfants de moins de deux ans; encore qu’on puisse -dire que peut-être la taille humaine était alors beaucoup plus grande -qu’elle ne l’est aujourd’hui. Quant à Hérode, il fut aussitôt puni de -son crime: car Macrobe et un autre chroniqueur rapportent qu’un fils -d’Hérode se trouvait en nourrice à Bethléem, et fut massacré avec les -autres enfants. - -III. Mais Dieu, le juge des juges, ne permit pas que le châtiment d’un -tel crime se bornât à cette seule mort. L’homme qui avait privé de leurs -fils des pères sans nombre fut, lui-même, misérablement privé des siens. -En effet, Alexandre et Aristobule devinrent de nouveau suspects à -Hérode. Un de leurs complices révéla qu’Alexandre lui avait promis -beaucoup de présents s’il parvenait à empoisonner son père; d’autre -part, le barbier d’Hérode révéla qu’Alexandre lui avait promis de le -récompenser si, pendant qu’il rasait son père, il voulait étrangler le -vieillard. Aussi Hérode, dans sa colère, les fit-il mettre à mort; et il -finit par déposséder de sa succession au trône son fils aîné Antipater, -au profit de son autre fils Hérode Antipas. Et comme il avait, en outre, -une affection toute paternelle pour les deux enfants d’Aristobule, -Hérode Agrippa et Hérodiade, femme de son fils Philippe, Antipater se -prit à l’égard de son père d’une haine si violente qu’il essaya de -l’empoisonner; et Hérode, l’ayant su, le fit jeter en prison. C’est à -cette occasion que César-Auguste dit à ses familiers: «J’aimerais mieux -être le porc d’Hérode que son fils, car, en sa qualité de Juif, il -épargne les porcs, tandis qu’il tue ses fils.» - -IV. Quant à Hérode lui-même, il avait environ soixante-dix ans lorsqu’il -fut frappé d’une grave maladie. Il avait une fièvre très violente, une -décomposition du corps, une inflammation des pieds, des vers dans les -testicules, l’haleine courte, et une puanteur insupportable. Placé par -les médecins dans un bain d’huile, il en fut retiré quasi mort. Mais, en -apprenant que les Juifs attendaient avec joie l’instant de sa mort, il -fit jeter en prison des jeunes gens des plus nobles familles de tout le -royaume, et dit à sa sœur Salomé: «Je sais que les Juifs vont se réjouir -de ma mort; mais beaucoup d’entre eux s’en affligeront si tu veux obéir -à ma recommandation, et, dès que je serai mort, faire égorger tous les -jeunes gens que je tiens en prison: car, de cette manière, toute la -Judée me pleurera malgré elle!» - -Il avait l’habitude de manger, après tous ses repas, une pomme, qu’il -pelait lui-même; et comme une toux affreuse le torturait, il tourna -contre sa poitrine le couteau dont il se servait pour peler sa pomme. -Mais un de ses parents arrêta sa main et l’empêcha de se tuer. Cependant -toute la cour, le croyant mort, se remplit de cris; et Antipater s’en -réjouit fort dans sa prison, et promit de récompenser ses gardiens s’ils -le délivraient. Ce qu’apprenant, Hérode fit tuer son fils par des -soldats, et nomma, pour lui succéder, Archélaüs. Il mourut cinq jours -après, ayant été très heureux dans sa fortune politique, mais très -malheureux dans sa vie privée. Salomé, sa sœur, fit remettre en liberté -tous ceux que le roi lui avait ordonné de tuer. Voilà du moins ce que -nous lisons dans l’_Histoire scholastique_; mais Remi, dans son -Commentaire de saint Matthieu, dit au contraire qu’Hérode se transperça -du couteau dont il se servait pour peler ses fruits, et que Salomé, sa -sœur, fit mettre à mort tous ceux qu’il avait jetés en prison. - - - - -XI - -SAINT THOMAS DE CANTORBERY, ÉVÊQUE ET MARTYR - -(29 décembre) - - -I. Thomas de Cantorbery, pendant qu’il était à la cour du roi -d’Angleterre, y fut témoin d’actes contraires à la religion. Il quitta -alors la cour, et se retira auprès de l’évêque de Cantorbery, qui le -sacra archidiacre. Mais ensuite, sur la prière de l’évêque, il accepta -de devenir chancelier du roi, afin que la sagesse dont il était doué lui -permît d’empêcher les attaques des méchants contre l’Eglise. Et le roi -se prit d’une telle affection pour lui, que, à la mort de l’archevêque -de Cantorbery, il lui offrit de le faire nommer pour le remplacer. -Thomas, après avoir longtemps résisté, finit par tendre les épaules au -manteau archi-épiscopal, tant était grande son obéissance! Et aussitôt -sa nouvelle dignité fit de lui un autre homme, absolument parfait. Il se -mit à macérer sa chair par le jeûne et par un cilice, dont il se -couvrait non seulement le haut du corps, mais aussi les jambes -jusqu’au-dessous des genoux. Et il cachait si soigneusement sa sainteté -que son costume extérieur ressemblait à celui des autres évêques, sans -que rien y révélât l’austérité de ses mœurs privées. Et tous les jours, -se mettant à genoux, il lavait les pieds à treize pauvres, qu’ensuite il -nourrissait, et à qui il donnait encore quatre deniers d’argent. - -Mais le roi s’efforçait de le fléchir à sa propre volonté, au détriment -de l’Eglise. Il voulait que Thomas approuvât, comme avaient fait ses -prédécesseurs, certaines coutumes royales qui étaient contraires à la -liberté de l’Eglise. Et comme le nouvel archevêque s’y refusait, il -s’attira la colère du roi et des grands. Un jour, le roi le pressa si -fort, lui et les autres évêques, allant jusqu’à les menacer de mort, -que, trompé par le conseil des grands de l’Etat, il donna son -approbation au désir du roi. Mais quand il vit le danger qui allait en -résulter pour les âmes, il résolut de se punir lui-même, et il renonça -au service des autels, jusqu’au jour où le souverain pontife le jugerait -digne de rentrer en fonction. Et lorsque le roi lui demanda de confirmer -par écrit ce qu’il avait approuvé de vive voix, il s’y refusa avec -courage, et, tenant sa croix levée, il s’éloigna, poursuivi par les cris -de mort des impies. Et deux chevaliers qui lui étaient fidèles vinrent -en pleurant lui révéler, sous serment, que plusieurs chevaliers -complotaient sa mort. Sur quoi l’homme de Dieu, craignant plutôt pour -l’Eglise que pour lui-même, s’enfuit, fut reçu à Sens par le pape -Alexandre, qui le fit entrer dans le monastère de Pontigny; après quoi -il vint en France. Et comme le roi avait envoyé à Rome pour demander -qu’un légat vînt trancher ce différend, et comme sa demande avait été -repoussée, sa colère contre l’archevêque ne connut plus de bornes. Il -s’empara de tout ce qui appartenait à Thomas et aux siens, et condamna à -l’exil toute sa famille, sans considération d’âge, de sexe, ni d’état. - -Cependant, l’évêque, tous les jours, priait pour le roi et pour -l’Angleterre. Un jour le ciel lui révéla que le moment approchait où il -pourrait rejoindre son église, et que le Christ lui réservait bientôt la -palme du martyre. Et en effet, après sept ans d’exil, il fut rappelé en -Angleterre, et reçu par tous avec les plus grands honneurs. - -Quelques jours avant le martyre du saint, un jeune homme, -miraculeusement rappelé à la vie, dit que son âme avait été conduite -jusqu’au Saint des Saints, et que là, parmi les apôtres, il avait vu un -siège, et qu’un ange lui avait dit que ce siège était réservé à un haut -dignitaire de l’Eglise anglaise. - -II. Certain prêtre, qui célébrait tous les jours une messe en l’honneur -de la sainte Vierge, fut accusé devant l’archevêque, et celui-ci le -suspendit de sa charge, le jugeant idiot et inconscient. Or comme saint -Thomas avait à recoudre son cilice, et, en attendant de pouvoir le -recoudre, l’avait caché sous son lit, la sainte Vierge apparut au prêtre -et lui dit: «Va trouver l’archevêque et dis-lui que Celle pour l’amour -de qui tu célébrais des messes a recousu elle-même son cilice, qui est -sous son lit; et dis-lui qu’elle t’envoie à lui, afin qu’il lève -l’interdit dont il t’a frappé!» Et saint Thomas découvrit qu’en effet -son cilice avait été recousu. Il leva l’interdit du prêtre, en le priant -de lui garder le secret sur le cilice qu’il portait. - -III. Et, de même que par le passé, il défendit les droits de l’Eglise, -sans que le roi pût le fléchir par prière ni par force. Alors le roi, -voyant qu’il ne pouvait le fléchir, envoya vers lui des soldats en -armes, qui, pénétrant dans la cathédrale, demandèrent à haute voix où -était l’archevêque. Celui-ci vint au-devant d’eux, et leur dit: «Me -voici; que me voulez-vous?» Et eux: «Nous venons pour te tuer, ta -dernière heure a sonné!» Alors il leur dit: «Je suis prêt à mourir pour -Dieu, et pour la défense de la justice, et pour la défense des libertés -de l’Eglise. Mais puisque c’est moi que vous cherchez, je vous ordonne, -de la part de Dieu tout-puissant, et sous peine d’anathème, de ne faire -aucun mal à personne de mes prêtres! Quant à moi, je recommande l’Eglise -et je me recommande moi-même à Dieu, à la sainte Vierge, à saint Denis -et à tous les saints.» Puis cela dit, il tendit sa tête vénérable au -glaive des impies, qui lui tranchèrent le haut du crâne, faisant jaillir -sa cervelle sur le pavé du temple. Ainsi saint Thomas souffrit le -martyre, en l’an du Seigneur 1174. - -Et, au moment où son clergé allait célébrer pour lui la messe des morts, -voici que, à ce que l’on raconte, le chœur des anges vint interrompre la -voix des chantres, et se mit à chanter la messe des martyrs _Lætabitur -justus in Domino_. Honneur, en vérité, unique: mais bien mérité par un -saint qui a souffert le martyre pour l’Eglise, dans l’église, durant la -messe, entouré de son clergé! Et Dieu a daigné faire bien d’autres -miracles encore à la prière de ce saint, rendant la vue aux aveugles, -l’ouïe aux sourds, la marche aux boiteux, et la vie aux morts. Bien des -malades guérirent pour avoir touché l’eau qui avait servi à laver les -linges tachés du sang de saint Thomas. - -IV. Certaine dame anglaise qui, par coquetterie et pour devenir plus -belle, souhaitait d’avoir les yeux noirs, avait fait vœu, à cette -intention, de visiter pieds nus le tombeau de saint Thomas. Or quand, -après s’être prosternée en prière, elle se releva, elle s’aperçut -qu’elle était devenue complètement aveugle. Aussitôt, pleine de -repentir, elle supplia saint Thomas non plus de lui donner des yeux -noirs mais de lui rendre ses yeux. Et elle finit par l’obtenir, dit-on, -mais à grand’peine. - -V. Un oiseau savant et qui savait parler, se voyant un jour poursuivi -par un épervier, répéta la phrase qu’on lui avait apprise: «Saint -Thomas, viens à mon aide!» Aussitôt l’épervier tomba mort, et l’autre -oiseau fut sauvé. - -VI. Certain homme, que saint Thomas avait beaucoup aimé, se voyant très -malade, alla au tombeau du saint, et demanda sa santé, qui lui fut -rendue. Mais comme il rentrait chez lui guéri de tout mal, l’idée lui -vint que, peut-être, cette guérison de son corps ne convenait pas au -bien de son âme. Il revint donc au tombeau du saint, et pria que, si sa -guérison ne devait pas être utile à son âme, son état de maladie lui fût -rendu. Et aussitôt il se retrouva malade comme auparavant. - -VII. Quant aux meurtriers du saint, la vengeance du ciel s’abattit sur -eux. Les uns se mangèrent les doigts avec leurs dents, d’autres -pourrirent vivants, d’autres furent paralysés, d’autres encore perdirent -la raison. - - - - -XII - -SAINT SILVESTRE, PAPE - -(31 décembre) - - -La légende de saint Silvestre a été compilée par Eusèbe de Césarée. -Saint Blaise, dans une réunion de soixante-cinq évêques, en a recommandé -la lecture aux catholiques. - -I. Silvestre avait pour mère une femme qui s’appelait Juste, et qui -n’était pas moins juste de fait que de nom. Instruit par le saint prêtre -Cyrin, il eut de bonne heure le goût de l’hospitalité. Il recueillit -chez lui le chrétien Timothée, que personne ne voulait recueillir, par -crainte de la persécution. Et ce Timothée prêcha là, pendant un an et -trois mois, après quoi il reçut la couronne du martyre. Or le préfet -Tarquin, s’imaginant que Timothée était très riche, réclama ses -richesses à Silvestre, le menaçant de mort s’il ne les lui livrait. Et -quand il eut reconnu que Timothée n’avait absolument rien laissé, il -ordonna à Silvestre de sacrifier aux idoles, faute de quoi il aurait à -subir, le lendemain, toute sorte de supplices. Et Silvestre lui dit: -«Insensé, c’est toi qui, cette nuit même, commenceras à subir les -supplices éternels, et seras forcé, bon gré mal gré, de reconnaître que -le Dieu que nous adorons est le seul vrai Dieu!» Là-dessus, Silvestre -fut conduit en prison, et Tarquin se rendit à un repas où il était -invité. Or, pendant qu’il mangeait, une arête de poisson se fixa dans sa -gorge, de telle manière qu’il ne put ni l’avaler ni la rejeter. Il -mourut donc cette nuit-là, et Silvestre sortit de sa prison, à la grande -joie de tous; car il était aimé non seulement des chrétiens, mais aussi -des païens. Il était, en effet, angélique de visage, éloquent de parole, -pur de corps, saint d’œuvres, grand d’intelligence, zélé de foi, patient -d’espoir, débordant de charité. - -Et lorsque mourut Melchiade, évêque de Rome, la foule entière élut -Silvestre pour le remplacer. Ainsi devenu souverain pontife, Silvestre -fit dresser la liste de tous les orphelins, de toutes les veuves et de -tous les pauvres, et ordonna que l’on pourvût aux besoins de tous. Il -institua le jeûne du mercredi, du vendredi, et du samedi, et décréta que -le jeudi serait réservé au Seigneur de même que le dimanche, donnant -pour motifs que: 1º le jeudi est le jour où Jésus est monté au ciel; 2º -que c’est le jour où il a institué le sacrement de l’Eucharistie; 3º que -c’est le jour où l’Eglise prépare le saint chrême. - -II. Constantin s’étant mis à persécuter les chrétiens, Silvestre sortit -de Rome et se retira avec son clergé sur une montagne voisine. Mais -voici que Constantin lui-même, en châtiment de sa persécution, fut -atteint d’une lèpre incurable. Les prêtres des idoles lui conseillèrent -alors de faire égorger, aux portes de la ville, trois mille enfants, et -de se baigner dans leur sang tout chaud. Mais, en arrivant au lieu où -tous les enfants étaient rassemblés, Constantin vit les mères de ces -enfants qui accouraient au-devant de lui, les cheveux dénoués, et avec -des gémissements à fendre l’âme. Alors, tout en larmes, il fit arrêter -son char; et, se tenant debout, il dit: «Ecoutez-moi, comtes, -chevaliers, et gens du peuple, qui m’entourez! La dignité du peuple -romain naît de la pitié qui a toujours présidé à nos mœurs; et c’est -cette pitié qui, jadis, a fait décréter la peine de mort contre -quiconque tuerait un enfant, même à la guerre. Or quelle cruauté -serait-ce, si nous faisions nous-mêmes à nos enfants ce que nous -défendons que l’on fasse aux enfants de nos ennemis? A quoi nous -servirait d’avoir vaincu les barbares, si nous nous laissions vaincre, -nous-mêmes, par la barbarie? Donc, que la pitié triomphe, dans cette -circonstance! Mieux vaut pour moi mourir et conserver la vie à ces -innocents que de recouvrer, par leur mort, une vie souillée de cruauté!» -Et il ordonna que les enfants fussent rendus à leurs mères, et -reconduits chez eux avec des présents, de telle sorte que les mères, qui -étaient venues en pleurant d’angoisse, revinrent dans leur maison en -pleurant de joie. Quant à l’empereur, il s’enferma dans son palais, -résigné à mourir de son mal. Mais, la nuit suivante, saint Pierre et -saint Paul lui apparurent, qui lui dirent: «Parce que tu t’es refusé à -verser le sang innocent, notre Seigneur Jésus-Christ nous a envoyés à -toi pour t’indiquer un moyen de recouvrer la santé! Mande devant toi -l’évêque Silvestre qui se cache sur le mont Soracte: il te désignera une -source où tu te plongeras trois fois, au bout desquelles tu seras guéri -de ta lèpre. Mais toi, en échange, tu détruiras les temples des idoles, -tu rouvriras les églises du Christ, et tu deviendras désormais son -adorateur!» Aussitôt Constantin, s’éveillant, envoya une escorte à la -recherche de Silvestre. - -Et celui-ci, en voyant venir cette escorte, se crut appelé à la palme du -martyre. Il se présenta donc courageusement, après s’être recommandé à -Dieu, et avoir une dernière fois exhorté ses compagnons. Et Constantin -lui dit: «Merci d’être venu!» et il lui raconta tout son rêve. Après -quoi il lui demanda qui étaient les deux dieux qui lui étaient apparus; -et Silvestre lui répondit que ce n’était point des dieux, mais des -apôtres du Christ. Il se fit alors apporter le portrait des apôtres, et -Constantin reconnut aussitôt saint Pierre et saint Paul. Silvestre -l’admit donc au rang de catéchumène, lui imposa un jeûne de sept jours, -et lui enjoignit de faire ouvrir toutes les prisons. Et quand Constantin -fut descendu dans l’eau du baptême, une grande lumière l’environna, et -il en sortit pur de toute lèpre, et dit qu’il avait vu le Christ dans -les cieux. Et, pendant les sept jours qui suivirent son baptême, il -promulgua des lois mémorables entre toutes. Le premier jour, il décréta -que le Christ serait adoré des Romains comme le vrai Dieu; le second -jour, que tout blasphème contre le Christ serait puni; le troisième -jour, que toute injure faite à un chrétien entraînerait la confiscation -de la moitié des biens; le quatrième jour, que, de même que l’empereur -de Rome, l’évêque de Rome serait le premier de l’empire, et commanderait -à tous les évêques; le cinquième jour, que tout homme se réfugiant dans -une église aurait l’immunité de sa personne; le sixième jour, que nul ne -pourrait construire une église dans une ville sans la permission de son -supérieur ecclésiastique; le septième jour, que la dixième partie des -biens royaux serait affectée à l’édification des églises; le huitième -jour, l’empereur se rendit à l’église de Saint-Pierre et se confessa à -haute voix de ses fautes; puis, prenant une bêche, il creusa, le -premier, la terre, à l’endroit où allait s’élever la basilique nouvelle, -et il emporta sur ses épaules douze hottes de terre, qu’il jeta hors de -l’église. - -III. Lorsqu’elle apprit cette conversion, l’impératrice Hélène, mère de -Constantin, qui se trouvait alors à Béthanie, écrivit à son fils pour le -louer d’avoir renoncé au culte des idoles, mais aussi pour le blâmer -vivement de ce que, au lieu de croire au Dieu des Juifs, il se fût mis à -adorer comme dieu un homme crucifié. L’empereur lui répondit de ramener -avec elle à Rome les principaux docteurs juifs, en ajoutant qu’il les -placerait en face des docteurs chrétiens, afin que la discussion -réciproque fit apparaître la vérité en matière de foi. Hélène ramena -donc avec elle cent soixante et un docteurs juifs, dont douze surtout -brillaient par leur science et leur éloquence. Et quand Silvestre avec -son clergé se présenta devant l’empereur pour discuter avec ces Juifs, -on convint, d’un commun accord, de prendre pour arbitres du débat deux -païens très savants et très estimés, appelés Craton et Zénophile. Alors, -en présence de ces arbitres, saint Silvestre réfuta tour à tour les -arguments des douze fameux docteurs juifs, dont les noms étaient: -Abiathar, Jonas, Godolias, Annas, Doeth, Chusi, Benjamin, Aroel, Jubal, -Thara, Siléon et Zambri. Et, chaque fois, les deux arbitres, et -l’empereur et sa mère, et la foule s’accordèrent à reconnaître qu’il -avait complètement réfuté et anéanti les arguments de son adversaire. Si -bien que, exaspéré, Zambri, le douzième docteur, s’écria: «Je m’étonne -que vous, juges très sages, vous prêtiez foi aux ambages des paroles et -vous imaginiez que la toute-puissance de Dieu se puisse estimer par la -raison humaine. Finissons-en avec les paroles, et venons-en aux faits! -Insensés ceux qui adorent le crucifié, tandis que le nom du Dieu -tout-puissant est si fort que nulle créature ne supporte de l’entendre! -Et, pour que je vous prouve la vérité de ce que je dis, faites-moi -amener un taureau furieux: dès qu’il aura entendu ce nom sacré, il -mourra sur-le-champ!» Et Silvestre lui dit: «Mais alors, toi-même, -comment as-tu pu entendre ce nom sans mourir?» Et Zambri répondit: «Il -ne t’appartient pas de connaître ce mystère, à toi, l’ennemi des Juifs!» -Et l’on amena un taureau furieux, que cent hommes vigoureux avaient -peine à traîner; et aussitôt que Zambri eut prononcé un nom dans son -oreille, on vit la bête mugir, renverser les yeux, et tomber morte. Sur -quoi tous les Juifs d’acclamer violemment leur homme et d’insulter -Silvestre. Mais alors celui-ci: «Ce nom, que ce docteur a prononcé, -dit-il, n’est pas le nom de Dieu, mais celui du pire des démons, car mon -Dieu Jésus-Christ non seulement ne tue pas les vivants, mais fait -revivre les morts. De pouvoir tuer et de ne pas pouvoir faire revivre, -c’est le propre des lions, des serpents, et d’autres bêtes féroces. Si -donc cet homme veut me prouver que ce n’est pas le nom d’un démon qu’il -a prononcé, qu’il fasse revivre ce qu’il a tué! Car Dieu a écrit: «Je -tuerai et je ferai revivre!» Et comme les juges invitaient Zambri à -ressusciter le taureau, il dit: «Que Silvestre le ressuscite, au nom de -Jésus le Galiléen, et nous croirons tous en lui!» Et tous les Juifs -firent la même promesse. Alors Silvestre, après une prière, s’approcha -de l’oreille du taureau mort, et dit: «O nom de malédiction et de mort, -sors de cette bête par ordre du Seigneur Jésus, au nom duquel je dis: -«Taureau, lève-toi, et va aussitôt en paix rejoindre ton troupeau!» Et -aussitôt le taureau se leva et s’en alla en toute douceur. Et alors -l’impératrice, les Juifs, les juges, et tous les témoins du miracle, se -convertirent à la foi chrétienne. - -Quelques jours après, les prêtres des idoles vinrent trouver Constantin -et lui dirent: «Saint Empereur, il y a un dragon qui est dans une fosse, -et qui, depuis que tu as reçu la foi du Christ, fait périr tous les -jours, par son souffle, plus de trois cents hommes!» L’empereur rapporta -la chose à Silvestre, qui lui répondit: «Par la vertu du Christ, -j’obligerai ce dragon à renoncer à tout mal!» Et les prêtres promirent -que, s’il faisait cela, ils se convertiraient au Christ. Alors Silvestre -se mit en prière; et, le Saint-Esprit lui apparut et lui dit: «Descends -aussitôt, sans crainte, dans la fosse du dragon avec deux de tes -prêtres; et, quand tu seras en face de lui, dis lui ces paroles: «Le -Seigneur Jésus, né d’une vierge, crucifié et enseveli, puis ressuscité -et assis à la droite de son Père, doit un jour venir ici pour juger les -vivants et les morts; or donc, toi, Satan, attends en ce lieu qu’il -vienne!» Après quoi tu lui lieras la gueule d’un fil, que tu cachetteras -d’un anneau portant le signe de la croix. Et après cela vous viendrez -tous les trois chez moi, pour manger le pain que je vous aurai préparé.» - -Silvestre, avec deux prêtres, descendit dans la fosse, par cent -cinquante marches, portant en main deux lanternes. Il dit au dragon les -paroles du Saint-Esprit, puis il lui lia la bouche, qui sifflait de -rage, il la cacheta comme il avait à le faire; et, en sortant de la -fosse, il trouva deux mages qui l’avaient suivi afin de voir s’il osait -réellement affronter le dragon. Ces deux mages gisaient à terre presque -morts, asphyxiés par le souffle empesté du monstre. Le saint les ranima, -les ramena sains et saufs; et, aussitôt, ils se convertirent, ainsi -qu’une foule immense. Et enfin le bienheureux Silvestre, sentant -s’approcher la mort, donna à son clergé trois avertissements: ils les -avertit de s’aimer entre eux, de gouverner leurs églises avec diligence, -et de protéger leur troupeau de la morsure des loups. Et, cela fait, il -s’endormit heureusement dans le Seigneur, en l’an de grâce 320. - - - - -XIII - -LA CIRCONCISION DE N.-S. JÉSUS-CHRIST - -(1er janvier) - - -Quatre motifs rendent célèbre et solennel le jour de la Circoncision du -Seigneur. - -1º Ce jour est l’octave de la Nativité. Cette fête, une des plus grandes -de celles que célèbre l’Eglise, n’a point d’octave propre: car les -octaves de la mort des saints signifient que ceux-ci, après leur mort, -renaissent à une vie nouvelle: tandis que la Nativité du Seigneur ne -comporte pas d’octave, ayant eu pour suite la passion et la mort. De -même n’ont d’octave propre ni la Nativité de la Vierge, ni celle de -saint Jean-Baptiste, ni Pâques,--puisque cette fête a déjà elle-même -pour objet de célébrer la résurrection.--Ces fêtes n’ont que des -«octaves complémentaires», où nous complétons le culte de ces fêtes -elles-mêmes: et telle est, en ce jour de la Circoncision, l’octave de la -Nativité; - -2º La Circoncision symbolise pour nous l’imposition au Seigneur d’un nom -nouveau, pour notre salut. Rappelons, à ce propos, que le Seigneur a eu -trois noms, à savoir: Fils de Dieu, Christ et Jésus. Fils de Dieu le -désigne en tant que Dieu; Christ en tant qu’homme; Jésus en tant que -Dieu fait homme; - -3º La Circoncision célèbre la première effusion du sang du Christ pour -les hommes. On sait, en effet, que le Christ a versé cinq fois son sang -pour nous: 1º dans la Circoncision, et ce fut le commencement de notre -rédemption; 2º dans la prière, en témoignage de son désir de notre -rédemption; 3º dans la flagellation, et ce fut le mérite de notre -rédemption; 4º dans la crucifixion, et ce fut le prix de notre -rédemption; 5º dans l’ouverture de son flanc sous le coup de lance, et -ce fut le sacre de notre rédemption. - -4º Enfin la Circoncision célèbre le fait même de la circoncision du -Seigneur. Celui-ci, en consentant à se laisser circoncire, avait -plusieurs motifs: 1º il voulait montrer qu’il avait vraiment revêtu la -chair humaine: car seul un corps véritable peut émettre du sang; 2º il -voulait nous montrer que, nous aussi, nous devions accepter la -circoncision spirituelle, c’est-à-dire nous livrer au travail de notre -purification; 3º le Seigneur s’est laissé circoncire pour ôter aux Juifs -toute excuse dans leur conduite; car, s’il n’avait pas été circoncis, -ils auraient pu lui dire: «Nous ne t’avons pas accueilli, mais c’est -parce que tu étais différent de nos pères!» 4º le Seigneur a voulu -montrer son approbation de la loi de Moïse, «qu’il était venu non pas -détruire, mais compléter et réaliser». - -Au sujet de la chair sacrée de la circoncision du Seigneur, on a dit -qu’un ange l’avait apportée à Charlemagne, qui l’avait solennellement -déposée à Aix-la-Chapelle, dans l’église de Notre-Dame. Et l’on dit -qu’elle se trouve aujourd’hui à Rome, dans l’église appelée le Saint des -Saints; et de là vient le pèlerinage que l’on fait, en ce jour, à cette -église. - -Notons enfin que les païens, autrefois, se livraient, le premier jour de -l’année, à toutes sortes de pratiques superstitieuses que les chrétiens -ont eu beaucoup de peine à déraciner, et dont saint Augustin nous parle -dans un de ses sermons. Ces païens s’étaient imaginés de prendre pour -dieu un certain chef appelé Janus; et c’était lui qu’ils honoraient ce -jour-là, le représentant avec deux visages, dont un tourné vers l’année -passée, l’autre vers la nouvelle. On avait aussi l’habitude de se -déguiser sous des formes monstrueuses: les uns se revêtaient de peaux de -bêtes, d’autres n’avaient pas honte d’introduire leurs corps virils dans -des tuniques de femme. Et saint Augustin ajoute: «Quiconque garde -quelque chose des coutumes païennes, je crains bien que le nom de -chrétien ne puisse guère lui servir!» - - - - -XIV - -L’ÉPIPHANIE - -(6 janvier) - - -L’Epiphanie se célèbre en souvenir d’un quadruple miracle. C’est en -effet ce jour-là que les mages ont adoré le Christ, que saint Jean a -baptisé le Christ, que le Christ a changé l’eau en vin, et qu’il a -rassasié cinq mille hommes avec cinq pains. Et cette fête porte quatre -noms: 1º elle s’appelle _Epiphanie_, en souvenir de l’étoile que les -mages aperçurent au-dessus d’eux; 2º elle s’appelle Théophanie, parce -que, le jour du baptême du Christ, la Trinité divine apparut tout -entière, le Père dans la voix, le Fils dans la chair, le Saint-Esprit -sous la forme d’une colombe; 3º elle s’appelle Béthanie (de _Beth_, -maison), parce qu’aux noces de Cana Jésus montra sa divinité dans une -maison; 4º enfin elle s’appelle Phagiphanie, en souvenir du jour où le -Christ a nourri cinq mille hommes avec cinq pains. Mais nous devons -ajouter que l’on doute que ce quatrième miracle se soit accompli ce -jour-là: car saint Jean nous dit que «le temps de la Pâque approchait». - -Au reste, le premier de ces quatre miracles est celui que l’Eglise -célèbre tout particulièrement; de telle sorte que nous n’aurons à nous -occuper ici que de lui. Donc, treize jours après la naissance du Christ, -trois mages vinrent à Jérusalem. Leurs noms étaient, en grec, Appellius, -Amérius, et Damascus; en hébreu, Galgalat, Malgalath et Sarathin; en -latin, Gaspard, Balthasar, et Melchior. Ces trois mages étaient des -sages, et en même temps des rois; car le mot mage, qui signifie -imposteur et sorcier, a aussi le sens de «homme très savant». - -On peut se demander pourquoi ces mages vinrent à Jérusalem, puisque ce -n’était point là que le Christ était né. Remi en donne quatre raisons: -1º les mages ignoraient le lieu exact de la naissance du Christ, et sont -venus à Jérusalem parce qu’ils supposaient qu’un enfant aussi -merveilleux ne pouvait être né que dans la capitale du royaume; 2º ils -sont venus à Jérusalem pour consulter les savants et les scribes de la -ville sur le lieu de naissance du Sauveur; 3º ils sont venus à Jérusalem -pour ôter aux Juifs l’excuse de pouvoir dire qu’ils ignoraient le temps -de la naissance du Messie; 4º enfin ils sont venus à Jérusalem pour -condamner, par le spectacle de leur zèle, l’indifférence et la mollesse -des Juifs. - -Saint Jean Chrysostome nous donne une autre explication de la venue des -mages à Jérusalem. C’étaient, suivant lui, des astrologues qui, de père -en fils, passaient trois jours par mois sur une haute montagne, dans -l’attente de l’étoile qu’avait prédite Balaam. Or, dans la nuit de la -naissance du Christ, une étoile leur apparut qui avait la forme d’un -merveilleux enfant, avec une croix de feu sur la tête; et elle leur dit: -«Allez vite dans la terre de Juda, vous y trouverez un enfant nouveau-né -qui est le roi que vous attendez!» - -On peut se demander ensuite comment douze jours ont pu leur suffire pour -faire un si long trajet, depuis les confins de l’Orient jusqu’à -Jérusalem, que l’on dit située au centre du monde. Suivant Remi, c’est -l’Enfant divin lui-même qui les a conduits. Ou encore, suivant d’autres, -la rapidité de leur course tient à ce qu’ils étaient montés sur des -dromadaires, animaux très rapides, qui font plus de chemin en un jour -que les chevaux en trois. - -Arrivés à Jérusalem, ils ne demandèrent pas si le roi des Juifs était -né, car ils le savaient déjà par l’étoile. Ils demandèrent où était né -le roi des Juifs. Ce qu’entendant, Hérode se troubla fort, et la ville -entière avec lui. Hérode en fut troublé pour trois raisons: 1º il -craignait que les Juifs ne prissent pour maître ce roi nouveau-né; 2º il -craignait d’être mis en accusation par les Romains, s’il permettait à un -homme non proclamé roi par Auguste de revêtir le titre de roi; 3º comme -le dit saint Grégoire, un roi terrestre ne pouvait manquer de se sentir -troublé, se voyant en présence du roi des Cieux. Et quant au trouble des -Juifs, il s’expliquait également par trois raisons, d’après Chrysostome: -1º par l’impossibilité où sont les impies de se réjouir de l’avènement -du juste; 2º par l’adulation de ces Juifs pour Hérode, dont ils voyaient -le trouble; 3º par l’incertitude où ils étaient de leur sort devant la -perspective d’une révolution. - -Hérode, ayant convoqué tous les prêtres et scribes, leur demanda où -était né le Christ. Et quand il apprit que c’était à Bethléem, il le dit -aux mages, en leur demandant de venir lui rendre compte de ce qu’ils -auraient vu; lui-même, prétendait-il, irait alors adorer l’enfant -nouveau-né: mais en réalité il ne songeait qu’à le faire périr. - -Autre particularité: l’étoile cessa de guider les mages dès qu’ils -furent entrés à Jérusalem, sans doute pour forcer les mages à s’enquérir -du lieu de la nativité du Christ, et ainsi à fournir devant tous le -témoignage du miracle. Quant à la nature même de cette étoile, les uns -disent que c’était l’Esprit-Saint qui avait pris cette forme pour guider -les mages, d’autres que c’était un ange; d’autres enfin, dont nous -partageons l’avis, supposent que cette étoile était un astre -nouvellement créé, qui, ayant rempli sa mission, sera rentré dans le -sein de la matière universelle. D’après Fulgence, cette étoile différait -de toutes les autres en trois choses: 1º elle n’était pas localisée dans -le firmament, mais pendait dans les airs, près de la terre; 2º elle -était si brillante qu’on la voyait même en plein jour, éclipsant la -lumière du soleil; 3º elle marchait en avant des mages, comme une -personne vivante, au lieu de suivre le mouvement circulaire des autres -étoiles. - -Entrés dans la crèche, et y ayant trouvé l’enfant avec sa mère, les -mages se mirent à genoux, et offrirent, en présent, de l’or, de -l’encens, et de la myrrhe. Le choix de ces présents et leur don -s’expliquent par plusieurs motifs: 1º c’était l’usage, chez les anciens, -de ne jamais approcher d’un dieu ou d’un roi sans lui offrir des -présents; et les mages, qui venaient des confins de la Perse et de la -Chaldée, à l’endroit où coule le fleuve Saba (d’après l’_Histoire -scholastique_), apportaient les présents qu’avaient coutume d’offrir les -Perses et les Chaldéens; 2º d’après saint Bernard, l’or était destiné à -alléger la pauvreté de la Vierge, l’encens à effacer la mauvaise odeur -de l’étable, la myrrhe à consolider les membres de l’enfant en expulsant -les vers de ses intestins; 3º ces trois présents signifiaient la royauté -du Christ, sa divinité, et son humanité: car l’or sert pour le tribut -royal, l’encens pour le sacrifice divin, la myrrhe pour la sépulture des -morts; 4º enfin ces trois présents signifient ce que nous devons offrir -au Christ: car l’or est le symbole de l’amour, l’encens celui de la -prière, et la myrrhe symbolise la mortification de la chair. - -Ayant adoré l’enfant Jésus, les mages, qu’un songe avait avertis de ne -point retourner auprès d’Hérode, s’en revinrent dans leurs pays par un -autre chemin. Leurs corps furent retrouvés par Hélène, mère de -Constantin, qui les transporta à Constantinople. Plus tard, saint -Eustorge les transporta à Milan, dont il était évêque, et les déposa -dans l’église qui appartient aujourd’hui à notre Ordre des Frères -prêcheurs. Mais lorsque l’empereur Henri s’empara de Milan, il fit -transporter les corps des mages, par le Rhin, à Cologne, où le peuple -les entoure d’une grande dévotion. - - - - -XV - -SAINT RÉMY, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR - -(14 janvier) - - -La vie de saint Rémy a été écrite par Hincmar, archevêque de Reims. - -I. La naissance de ce glorieux docteur et confesseur de la foi a été -prophétisée par un ermite, dans les circonstances que voici. Au moment -où la persécution des Vandales désolait toute la France, un saint -ermite, qui était aveugle, priait avec ardeur pour la paix de l’Eglise -des Gaules. Or un ange lui apparut et lui dit: «Sache que la femme qui -s’appelle Ciline mettra au monde un fils du nom de Rémy, qui délivrera -son peuple des attaques des méchants!» Aussi l’ermite, dès qu’il -s’éveilla, se fit-il conduire à la maison de Ciline et lui raconta sa -vision. Et comme la dame refusait d’y croire,--car elle était déjà -vieille, et avait renoncé à l’espoir d’enfanter,--l’ermite lui dit: -«Sache que, lorsque ton enfant aura pris le sein, tu n’auras qu’à me -frotter les yeux de ton lait pour qu’aussitôt je recouvre la vue!» Et -tout arriva, en effet, de cette façon. - -Dès sa jeunesse, Rémy évita le monde et entra dans un couvent. Mais à -vingt-deux ans sa renommée, sans cesse croissante, lui valut d’être -choisi par tout le peuple pour l’archevêché de Reims. Et c’était un -homme d’une telle douceur que, quand il mangeait, les moineaux venaient -sur sa table, et qu’il les nourrissait dans le creux de sa main. Ayant -été un jour reçu dans la maison d’une dame, et apprenant que celle-ci -n’avait plus de vin, saint Rémy entra dans sa cave, fit un signe de -croix sur le tonneau; et voici que le vin en jaillit en telle abondance -que toute la cave s’en trouva inondée. - -Le roi de France Clovis était alors païen, et sa pieuse femme ne -parvenait pas à le convertir. Mais un jour, se voyant menacé par -l’immense armée des Allemands, il fit vœu au Dieu qu’adorait sa femme de -se convertir à lui, s’il lui accordait la victoire sur ses ennemis. Et -Dieu lui accorda la victoire, de sorte qu’il se rendit auprès de saint -Rémy et demanda à être baptisé. Mais, en arrivant aux fonds baptismaux, -l’évêque et le roi s’aperçurent que le saint chrême manquait; et voici -qu’une colombe, fendant les airs, apporta dans son bec une ampoule -pleine de saint chrême, dont le prélat oignit le roi. Et cette ampoule -se conserve dans l’église de Reims, où elle sert, aujourd’hui encore, au -sacre des rois de France. - -II. Longtemps après, Génébald, homme sage et pieux, qui avait épousé la -nièce de saint Rémy, mais s’était séparé d’elle, d’un commun accord, par -scrupule de piété, fut ordonné évêque de Laon par saint Rémy. Mais comme -ce Génébald avait permis à sa femme de venir souvent s’instruire auprès -de lui, ces fréquents entretiens allumèrent le désir dans son âme, et le -firent tomber dans le péché. Et la femme, ayant mis au monde un fils, -manda cette nouvelle à l’évêque, qui, rempli de honte, lui dit: «Puisque -cet enfant est le résultat d’un larcin, je veux qu’il s’appelle Larron!» -Mais plus tard, il permit de nouveau à sa femme de venir s’instruire -auprès de lui, et de nouveau il finit par se précipiter dans le péché. -Et comme, cette fois, sa femme mit au monde une fille, il dit: «Je veux -que cette fille s’appelle Renarde!» Puis, rentrant en lui-même, il alla -se jeter aux pieds de saint Rémy, et le pria de lui ôter du cou l’étole -épiscopale. Mais saint Rémy s’y refusa; et après l’avoir doucement -consolé, il l’enferma pendant sept ans dans une cellule, et, durant cet -intervalle, gouverna lui-même son diocèse. Or, la septième année, comme -Génébald célébrait sa messe, un ange lui apparut, qui lui annonça que -son péché lui était remis, et lui ordonna de quitter sa cellule. Alors -Génébald répondit: «Je ne le puis pas, car mon maître Rémy a fermé cette -porte et l’a scellée de son sceau.» L’ange lui dit alors: «Afin que tu -saches que le ciel s’est rouvert, cette porte va s’ouvrir sans que le -sceau soit brisé!» Et aussitôt la porte s’ouvrit. Mais alors Génébald, -se jetant en croix sur le sol, dit: «Si même le Seigneur Jésus venait me -mettre en liberté, je ne sortirais pas d’ici sans y être autorisé par -mon chef Rémy, qui m’a enfermé!» Alors saint Rémy, mandé par l’ange, -vint à Laon, et replaça Génébald sur son siège épiscopal; et Génébald -persévéra dans la piété jusqu’à sa mort, et Larron, son fils, lui -succéda sur son siège, et mérita même d’être canonisé. Enfin saint Rémy -s’endormit en paix, vers l’an 500. Le jour de sa fête est aussi celui où -se célèbre la naissance de saint Hilaire, évêque de Poitiers. - - - - -XVI - -SAINT HILAIRE, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR - -(14 janvier) - - -Hilaire, évêque de Poitiers, originaire de l’Aquitaine, brilla parmi les -hommes comme l’étoile Lucifer parmi les astres. Marié, et père d’une -fille, il s’était mis, après la naissance de cet enfant, et tout en -restant laïc, à mener la vie d’un moine: si bien que, en raison de sa -vie et de sa science, il fut élu évêque. Et il défendit contre les -hérétiques, non seulement son diocèse, mais la France entière, ce qui ne -l’empêcha pas d’être un jour exilé, en compagnie du bienheureux Eusèbe, -évêque de Verceil, l’empereur ayant écouté l’avis de deux autres évêques -qui avaient été corrompus par l’hérésie d’Arius, ainsi d’ailleurs que -l’empereur lui-même. Et lorsque cette hérésie se fut propagée partout, -l’empereur ayant permis à tous les évêques de se réunir pour discuter la -vérité de la foi, saint Hilaire se rendit à la réunion; mais lesdits -évêques obtinrent de l’empereur l’ordre, pour lui, de retourner aussitôt -à Poitiers. Et comme, durant son retour, il était descendu dans l’île -Gallibaria[4], qui était toute pleine de serpents, aucun de ces animaux -n’osa l’approcher; et lui, il planta au milieu de l’île un poteau, et -défendit aux serpents de le dépasser, de telle sorte que la moitié de -l’île fut pour eux non comme une terre, mais comme une mer. - - [4] Petite île de la Méditerranée, à quelques centaines de mètres - d’Alassio. - -A Poitiers, lorsqu’il y revint, il ressuscita par ses prières un enfant -mort sans baptême. Longtemps il resta prosterné, en prière; et enfin -tous deux se relevèrent ensemble, le vieillard, de sa prière, et -l’enfant, de la mort. Et comme la fille d’Hilaire, Apia, voulait se -marier, son père lui adressa un discours qui la décida à rester dans -l’état de virginité. Mais son père, craignant qu’elle ne fléchît un jour -dans cette résolution, pria le Seigneur de la rappeler à lui, au lieu de -la laisser vivre plus longtemps; et ainsi fut fait, car, peu de jours -après, la jeune fille mourut; et Hilaire l’ensevelit de ses propres -mains. Alors la mère de la bienheureuse Apia pria l’évêque d’obtenir -pour elle aussi ce qu’il avait obtenu pour sa fille. Et Hilaire le fit, -et par sa prière, l’envoya au ciel. - -En ce temps-là, le pape Léon, s’étant laissé corrompre par l’hérésie, -convoqua en concile tous les évêques; et Hilaire, qui n’avait pas été -convoqué, vint à ce concile. Alors le pape, apprenant son arrivée, -défendit que personne se levât pour lui ni lui fît une place. Et lorsque -Hilaire entra, le pape lui dit: «Tu es Hilaire le Gaulois?» Et lui: «Je -ne suis pas Gaulois, mais évêque dans les Gaules.» Et le pape: «Donc tu -es Hilaire des Gaules, et moi je suis Léon, évêque et juge suprême, -assis sur le siège apostolique!» Alors Hilaire: «Si tu es Léon (lion), -du moins tu n’es pas le lion de la tribu de Juda; et peut-être es-tu -juge, mais certes tu ne juges pas sur le siège divin!» Alors l’évêque, -indigné, se leva, disant: «Attends ici un moment, je vais revenir tout à -l’heure, et saurai bien te traiter suivant ton mérite!» Et Hilaire: -«Mais si tu ne reviens pas, qui me répondra pour toi?» Et lui: «Je -reviendrai à l’instant, et verrai à humilier ton orgueil!» Là-dessus le -pape se rendit où l’appelait un besoin naturel, et il fut saisi de -dysenterie, et il mourut là misérablement, perdant tous ses boyaux. -Cependant Hilaire, voyant que personne ne se levait pour lui faire -place, s’assit patiemment à terre, disant: «La terre est à -Notre-Seigneur!» Et aussitôt la terre, à l’endroit où il était assis, -s’éleva, de façon qu’Hilaire se trouva au niveau des autres évêques. Et -lorsque fut apportée la nouvelle de la mort misérable du pape, Hilaire, -se levant, ramena tous les évêques à la foi catholique, et les renvoya -dans leurs diocèses. Nous devons toutefois ajouter que ce miracle de la -mort du pape Léon reste douteux, car ni l’_Histoire ecclésiastique_, ni -la _Tripartite_ n’en font mention, et aucune chronique ne signale -l’existence, à cette époque, d’un pape de ce nom; et enfin saint Jérôme -dit que «la sainte Eglise romaine est toujours restée immaculée, sans se -souiller d’aucune hérésie». Mais on peut supposer que peut-être ce Léon, -sans avoir été élu pape régulièrement, avait usurpé le titre de pape; ou -peut-être encore le nom de Léon n’était-il qu’un surnom du pape Libère, -dont on sait qu’il a favorisé l’hérésie de l’empereur Constantin. - -Quand enfin, après de nombreux miracles, saint Hilaire, vieux et malade, -sentit approcher la mort, il appela le prêtre Léonce, son favori, et le -pria de sortir de sa maison et puis de revenir lui faire part de ce -qu’il aurait entendu. Et Léonce sortit, et revint dire qu’il avait -entendu le bruit de la ville en tumulte. Et, vers minuit, une lumière -surnaturelle, telle que Léonce lui-même ne pouvait en supporter la vue, -entra dans la chambre de l’évêque: elle s’évanouit peu à peu, emportant -avec elle l’âme de saint Hilaire. Celui-ci florissait vers l’an 340, -sous le règne de Constantin. - - - - -XVII - -SAINT FÉLIX, PRÊTRE ET CONFESSEUR - -(14 janvier) - - -On raconte que saint Félix était maître d’école, et traitait ses élèves -avec une rigueur extrême. Et comme, pris par les païens, il proclamait -ouvertement sa foi chrétienne, il fut livré aux mains des enfants de son -école, qui le tuèrent à coup de poinçons. Pourtant l’Eglise paraît nous -affirmer que saint Félix n’a pas été martyr mais seulement confesseur. -Et une autre légende raconte que, l’évêque de Nole Maxime étant un jour -tombé à terre, à demi mort de faim et de froid (car il s’était enfui -pour échapper à la persécution), Félix, averti par un ange, vint à son -secours; et comme il n’avait apporté avec lui aucune nourriture, il -pressa dans la bouche de l’évêque le jus d’une grappe de raisin qu’il -vit miraculeusement attachée à une haie voisine, après quoi, prenant le -vieillard sur ses épaules, il l’emporta chez lui; et, à la mort de -Maxime, c’est lui qui fut élu évêque à sa place. - -Un jour qu’il prêchait, et que ses persécuteurs le poursuivaient, il se -cacha entre des murs en ruines; et aussitôt Dieu ordonna à des araignées -de tisser leur toile devant l’entrée de cette ruine: si bien que, en -apercevant cette toile d’araignée, les persécuteurs s’en allèrent, -convaincus que personne n’était entré par là. Saint Félix se cacha -ensuite dans un autre lieu, où une femme le nourrit pendant trois mois -sans voir une seule fois son visage. Enfin, au retour de la paix, il -revint à son église, et c’est là qu’il s’endormit dans le Seigneur. Il -fut enterré aux portes de la ville, dans un endroit nommé Pinci. - -Il avait un frère, qui s’appelait, lui aussi, Félix, et qui montra un -grand courage dans la persécution. Et l’on raconte que saint Félix -cultivait un jardin, et que des voleurs, qui avaient entrepris de lui -dérober ses légumes, ne purent s’empêcher, toute la nuit, de lui -cultiver son jardin, de telle sorte que, le lendemain matin, saint Félix -les trouva ainsi occupés. Aux compliments qu’il leur fit, les voleurs -avouèrent leurs mauvais desseins; et le saint les renvoya doucement chez -eux. Un autre jour certains païens, venus pour s’emparer de saint Félix, -éprouvèrent une douleur affreuse dans les mains; et comme ils hurlaient, -le saint leur dit: «Si vous voulez que votre douleur cesse aussitôt, -dites: le Christ est Dieu!» Et ils le dirent et furent guéris. Alors le -prêtre des idoles vint le trouver et dit: «Seigneur évêque, mon dieu a -pris la fuite dès qu’il t’a vu venir, en me disant qu’il ne pouvait pas -supporter ta vertu. Si donc mon dieu te craint à ce point, combien -davantage je dois te craindre!» Et Félix l’instruisit dans la foi -chrétienne, et le baptisa. - - - - -XVIII - -SAINT PAUL, ERMITE - -(15 janvier) - - -Paul fut le premier ermite, ainsi que l’atteste saint Jérôme, qui a -écrit sa vie. Pour échapper aux persécutions de Décius, il se retira -dans un immense désert, et là, au fond d’une caverne, il demeura pendant -soixante ans inconnu aux hommes. - -Ce Décius se nommait aussi Gallien, et avait commencé de régner en l’an -256. Il tourmentait cruellement les chrétiens. Il fit un jour saisir -deux jeunes chrétiens, fit enduire de miel le corps de l’un d’eux, et le -fit exposer, sous un soleil torride, aux piqûres des mouches, des -abeilles et des guêpes; l’autre jeune homme fut placé sur un lit -moelleux, dans un lieu charmant où l’air était doux, rempli du murmure -de l’eau, du chant des oiseaux, et du parfum des fleurs; et ce jeune -homme fut lié, avec des cordes enguirlandées de fleurs, de façon à ne -pouvoir remuer ni les pieds ni les mains. Le méchant empereur fit venir -auprès de ce jeune homme certaine femme aussi impure que belle, qui -reçut l’ordre de souiller la chair de ce jeune chrétien, rempli du seul -amour de Dieu. Mais celui-ci, dès qu’il sentit dans sa chair des -mouvements contraires à la raison, n’ayant point d’arme pour se -défendre, coupa sa langue avec ses dents et la cracha au visage de -l’impudique, échappant ainsi à la tentation par l’excès de la douleur, -et se préparant un trophée à jamais admirable. - -Effrayé de tels supplices et d’autres encore, saint Paul s’enfuit au -désert. Et lorsque saint Antoine vint à son tour au désert, s’imaginant -être le premier ermite, un songe lui apprit qu’un autre ermite, meilleur -que lui, avait droit à son hommage. Aussi saint Antoine s’efforça-t-il -de découvrir cet autre ermite. Et comme il le cherchait par les forêts, -il rencontra d’abord un centaure, à demi-homme, à demi-cheval, qui lui -dit d’aller devant lui. Il rencontra ensuite un animal qui portait des -dattes, et qui, par le haut du corps ressemblait à un homme, avec le -ventre et les pieds d’une chèvre. Antoine lui demanda qui il était: il -répondit qu’il était un satyre, c’est-à-dire une de ces créatures que -les païens prenaient pour des dieux des bois. Enfin saint Antoine -rencontra un loup, qui le conduisit jusqu’à la cellule de saint Paul. Or -celui-ci, pressentant l’arrivée d’un homme, avait fermé sa porte. Mais -Antoine le supplia de lui ouvrir, affirmant qu’il mourrait sur place -plutôt que de se retirer. Et Paul, vaincu par ses prières, lui ouvrit; -et aussitôt les deux ermites se jetèrent dans les bras l’un de l’autre. - -Et comme l’heure de midi approchait, un corbeau vint apporter un pain -formé de deux parties. Et comme Antoine s’en étonnait, Paul lui dit que -Dieu le nourrissait tous les jours de cette façon: il avait seulement -doublé la ration, ce jour-là, à cause de la visite d’Antoine. Là-dessus -s’engagea une pieuse dispute pour savoir qui des deux serait le plus -digne de diviser le pain. Paul voulait que ce fût Antoine, en sa qualité -d’hôte, Antoine voulait que ce fût Paul, en sa qualité d’aîné. Enfin -tous deux prirent le pain, et le divisèrent en parties égales. - -Et comme Antoine s’en revenait vers sa cellule, il vit passer au-dessus -de lui deux anges portant l’âme de Paul. Il retourna aussitôt sur ses -pas, et trouva le corps de Paul agenouillé dans l’attitude de la prière, -de telle sorte qu’il crut qu’il était vivant. Le saint, cependant, était -mort; et Antoine s’écria: «O âme sainte, ce que tu faisais dans la vie, -tu en gardes le signe jusque dans la mort!» Et pendant qu’il songeait au -moyen d’ensevelir Paul, voici qu’arrivèrent deux lions qui creusèrent -une fosse, aidèrent à la sépulture, et s’en retournèrent dans leur -forêt. Et Antoine prit le manteau de Paul, fait de feuilles de palmier: -il le revêtit, depuis lors, aux jours de fêtes. La mort de Paul eut lieu -vers l’an 287. - - - - -XIX - -SAINT MACAIRE, ERMITE - -(15 janvier) - - -Macaire, étant abbé, et marchant dans le désert, entra pour dormir dans -un monument où étaient ensevelis des corps de païens; et il plaça un de -ces corps sous sa tête, en guise d’oreiller. Et les démons, voulant -l’effrayer, appelaient, disant: «Lève-toi et viens avec nous au bain!» -Et un autre démon, s’étant introduit dans le corps du mort, et prenant -une voix de femme, répondait: «Je ne puis me lever, car un étranger -s’est mis sur moi!» Mais Macaire, sans s’effrayer, dit au corps, après -l’avoir battu: «Lève-toi et va-t’en, si tu le peux!» Ce qu’entendant, -les démons s’enfuirent, en criant à haute voix: «Seigneur, tu nous as -vaincus!» - -Un jour, saint Macaire, traversant un marais pour regagner sa cellule, -rencontra le diable, qui, armé d’une faux, voulut le frapper et ne put y -parvenir. Et le démon lui dit: «J’ai beaucoup à souffrir de ton fait, -Macaire, et cela, parce que je ne parviens pas à te vaincre. Je fais -pourtant tout ce que tu fais; tu jeûnes et moi je ne mange pas, tu -veilles et moi je ne dors pas; et il n’y a qu’une seule chose où tu me -dépasses.» Et l’abbé dit: «Quelle est donc cette chose?» Et le diable: -«C’est ton humilité, en raison de laquelle je suis sans force contre -toi!» - -Ayant trop à souffrir de la tentation, Macaire, mit sur ses épaules un -grand sac rempli de sable, et alla le porter dans le désert, plusieurs -jours de suite. Théosèbe, le rencontrant, lui dit: «Abbé, pourquoi -portes-tu ce fardeau?» Et il lui répondit: «Pour tourmenter mon corps -qui me tourmente!» Une autre fois, il vit Satan vêtu d’un manteau percé -de trous et auquel pendaient d’innombrables flacons. Et Macaire lui dit: -«Où vas-tu?» Et lui: «Je porte à boire aux frères!» Et Macaire: «Mais -pourquoi as-tu tant de flacons?» Et le diable: «C’est pour être sûr de -contenter les frères; car si un des flacons ne leur plaît pas, je leur -offrirai de l’autre ou du troisième, jusqu’à ce que l’un de mes flacons -soit à leur goût!» Plus tard, le voyant revenir, Macaire lui dit: «Eh -bien, qu’as-tu fait?» Il répondit: «Tous se sont sanctifiés et ont -refusé mes flacons, à l’exception d’un seul, nommé Théotiste.» Aussitôt -Macaire, se levant, alla trouver ce frère, et, par ses discours, le -délivra de la tentation. Et le lendemain, Macaire, rencontrant de -nouveau le diable, lui dit: «Où vas-tu?» Il répondit: «Chez les frères!» -Et Macaire, quand il le vit revenir, lui demanda: «Eh bien, comment vont -les frères?» Et le diable répondit: «Mal!» Et Macaire: «Comment cela?» -Et le diable: «Ils sont tous saints, et, pour comble de malheur, le seul -d’entre eux que j’avais est perdu pour moi, et est même devenu le plus -saint de tous!» Et le vieillard, quand il entendit ces paroles, rendit -grâces à Dieu. - -Un autre jour, Macaire, ayant trouvé un crâne de mort, lui demanda de -qui il avait été la tête. «--D’un païen!--Et où est ton âme?--En enfer!» -Macaire demanda au crâne si sa place en enfer était très profonde. -«--Aussi profonde que la terre par rapport au ciel!--Et y a-t-il des -âmes logées encore plus bas que la tienne?--Oui, celles des Juifs!--Et, -au-dessous des Juifs, y a-t-il encore d’autres âmes?--Oui, celles des -mauvais chrétiens qui, rachetés par le sang du Christ, font bon marché -de ce privilège!» - -Ce bon abbé tua, un jour, de sa main, une puce; et, l’ayant tuée, il fut -désolé d’avoir vengé sa propre injure; et pour se punir, il resta -pendant six mois tout nu dans le désert, jusqu’à ce que tout son corps -ne fût plus qu’une plaie. Et après cela, il s’endormit en paix, laissant -au monde le souvenir de grandes vertus. - - - - -XX - -SAINT MARCEL - -(16 janvier) - - -Marcel était pape à Rome. Ayant osé reprocher à l’empereur Maximien sa -cruauté à l’égard des chrétiens, et s’étant permis de célébrer la messe -dans la maison d’une femme noble consacrée au Christ, il excita à tel -point la rage de l’empereur, que celui-ci changea cette maison en -écurie, et contraignit Marcel à y garder les chevaux, en qualité -d’esclave. Et saint Marcel, après de nombreuses années de cet esclavage, -s’endormit dans le Seigneur vers l’an 287. - - - - -XXI - -SAINT ANTOINE, ERMITE - -(17 janvier) - - -La vie de ce saint a été écrite par saint Anastase. - -I. Antoine avait vingt ans lorsqu’il entendit lire, à l’Eglise, les -paroles de Jésus: «Si tu veux être parfait, vends ce que tu possèdes, et -donnes-en le produit aux pauvres!» Aussitôt Antoine vendit tous ses -biens, en donna le produit aux pauvres, et alla se faire ermite au -désert. Il eut à y soutenir des tentations innombrables de la part des -démons. Un jour qu’il avait vaincu par sa foi le démon de la luxure, le -diable lui apparut sous la forme d’un enfant noir, et, se prosternant -devant lui, se reconnut vaincu. Une autre fois, comme il était dans une -tombe d’Egypte, la foule des démons le maltraita si affreusement qu’un -de ses compagnons le crut mort et l’emporta sur ses épaules; mais comme -tous les frères, rassemblés, le pleuraient, il se releva et demanda à -l’homme qui l’avait apporté de le rapporter à l’endroit où il l’avait -trouvé. Et comme il y gisait, accablé de la douleur que lui causaient -ses blessures, les démons reparurent, sous diverses formes d’animaux -féroces, et se remirent à le déchirer avec leurs dents, leurs cornes, et -leurs griffes. Alors, soudain, une lumière merveilleuse remplit le -caveau, et mit en fuite tous les démons; et Antoine se trouva aussitôt -guéri. Et alors, comprenant que c’était Jésus qui venait à son secours, -le saint lui dit: «Où étais-tu tout à l’heure, bon Jésus, et pourquoi -n’étais-tu pas ici pour me secourir et guérir mes blessures?» Et le -Seigneur lui répondit: «Antoine, j’étais là, mais j’attendais de voir -ton combat; et maintenant que tu as lutté avec courage, je répandrai ta -gloire dans le monde entier!» Et telle était la ferveur du saint, que -lorsque l’empereur Maximien mettait à mort les chrétiens, il suivait les -martyrs jusqu’au lieu de leur supplice, espérant être supplicié avec -eux; et il s’affligeait fort de voir que le martyre lui était refusé. - -II. Etant venu dans une autre partie du désert, il y trouva un grand -disque d’argent; et il se dit: «D’où peut venir ce disque d’argent, en -un lieu où ne se voient nulles traces d’hommes? Si un voyageur l’avait -perdu, il serait revenu le chercher, et l’aurait certainement retrouvé, -grand comme est ce disque. Satan, c’est encore un de tes tours! Mais tu -ne parviendras pas à ébranler ma volonté!» Et, comme il disait cela, le -disque s’évanouit en fumée. Il trouva ensuite une énorme masse d’or; -mais il l’évita comme le feu, et s’enfuit sur une montagne où il resta -vingt ans, éclatant de miracles. Un jour qu’il était ravi en esprit, il -vit le monde tout couvert de filets étroitement unis. Et il s’écria: -«Oh! qui pourra s’échapper hors de ces filets?» Et une voix lui -répondit: «L’humilité!» Une autre fois, comme les anges l’emportaient -dans les airs, les démons voulurent l’empêcher de passer en lui -rappelant les péchés qu’il avait commis depuis sa naissance. Mais les -anges: «Vous n’avez pas à parler de ces péchés, que la grâce du Christ a -déjà effacés. Mais, si vous en connaissez qu’Antoine ait commis depuis -qu’il est moine, dites-les!» Et, comme les diables se taisaient, Antoine -put librement s’élever dans les airs et en redescendre. - -III. Saint Antoine raconte qu’il a vu, un jour, certain diable de haute -taille qui, osant se faire passer pour la Providence divine, lui dit: -«Que veux-tu, Antoine, afin que je te le donne?» Mais le saint, s’armant -de sa foi, lui cracha au visage, se jeta sur lui, et aussitôt le diable -s’évanouit. Une autre fois le diable lui apparut dans un corps d’une -taille si haute que sa tête semblait toucher le ciel. Antoine lui ayant -demandé qui il était, il avoua qu’il était Satan, et ajouta: «Pourquoi -les moines me combattent-ils, et pourquoi les chrétiens me -maudissent-ils?» Et Antoine: «Ils ont raison de le faire, car tu ne -cesses de les tourmenter!» Et le diable: «Ce n’est pas moi qui les -tourmente, mais ce sont eux qui se tourmentent eux-mêmes: car moi je ne -puis plus rien, depuis que le règne du Christ s’est répandu sur toute la -terre.» - -IV. Quelqu’un demanda à saint Antoine: «Que dois-je faire pour plaire à -Dieu?» Et le saint lui répondit: «Où que tu ailles, aie toujours Dieu -devant les yeux; quoi que tu fasses, obéis aux préceptes de la Sainte -Ecriture; et, dans quelque lieu que tu te trouves, restes-y! Fais ces -trois choses, et tu seras sauvé!» Un abbé ayant demandé, lui aussi, à -saint Antoine ce qu’il devait faire, le saint répondit: «Ne te fie pas à -ta justice, contiens ton ventre et ta langue, et, quand une chose est -passée, ne la regrette pas!» Et il dit encore: «De même que les poissons -meurent si on les met à sec, de même les moines qui s’attardent hors de -leur cellule et fréquentent les séculiers se relâchent de leur bon -propos.» Et il dit encore: «Celui qui vit dans la solitude est délivré -de trois guerres, à savoir: contre l’ouïe, la vue et la parole, et n’a à -lutter que contre son cœur.» - -V. Saint Antoine disait que les mouvements du corps pouvaient être de -trois sortes: les uns provenant de la nature même, les autres de l’excès -d’aliments, d’autres enfin de la suggestion du démon. Un frère de son -ermitage avait renoncé au siècle, mais non pas entièrement, car il -gardait encore quelques biens. Et Antoine lui dit: «Va acheter de la -viande!» Et comme le frère revenait avec la viande, des chiens se -jetèrent sur lui et le mordirent. Alors Antoine lui dit: «Ceux qui -renoncent au monde et qui veulent garder des biens, c’est ainsi qu’ils -sont déchirés par les démons!» - -Un jour qu’il s’ennuyait dans sa cellule, il dit: «Seigneur, je veux -être sauvé, et mes pensées ne me le permettent pas!» Alors, sortant de -sa cellule, il vit un inconnu qui était assis et travaillait, après quoi -il se relevait et priait. Or cet inconnu était un ange, et il dit à -Antoine: «Fais ainsi, et tu seras sauvé!» - -Et un jour, comme Antoine travaillait avec ses frères, ceux-ci -l’entendirent prier Dieu de détourner du monde le malheur qui se -préparait. Puis, comme les frères lui demandaient quel était ce malheur, -il répondit, avec des larmes et des sanglots: «J’ai vu dans le ciel -l’autel de Dieu entouré par une multitude de chevaux qui foulaient aux -pieds les choses saintes; et j’ai entendu la voix du Seigneur disant: -«Mon autel sera souillé!» Et, en effet, deux ans après, les ariens -hérétiques rompirent l’unité de l’Eglise, souillèrent les choses -saintes, et foulèrent aux pieds les autels chrétiens. - -VI. Un chef égyptien, nommé Ballachius, s’étant affilié à la secte des -ariens, persécutait l’Eglise de Dieu, et faisait exposer à nu et battre -de verges les moines et les religieuses. Alors saint Antoine lui -écrivit: «Je vois la colère de Dieu prête à s’abattre sur toi. Cesse de -persécuter les chrétiens, si tu veux la détourner de toi!» Le malheureux -lut la lettre, en rit, la jeta à terre, fit battre les moines qui -l’avaient apportée, et les chargea de dire à leur maître Antoine que, -lui aussi, il sentirait bientôt la rigueur de sa discipline. Or, cinq -jours après, Ballachius, ayant voulu monter un de ses chevaux, animal -d’une douceur parfaite, fut renversé par ce cheval, mordu, foulé aux -pieds; et il mourut le surlendemain. - -Un jour, les frères demandèrent à Antoine le secret du salut. Le saint -leur répondit: «N’avez-vous pas entendu que Jésus a dit: «Si l’on te -frappe sur une joue, tends l’autre joue?» Et eux: «Oui, mais cela est -au-dessus de nos forces!» Et Antoine: «Alors souffrez du moins avec -patience d’être frappés sur une joue!» Et eux: «Cela encore est -au-dessus de nos forces!» Et saint Antoine: «Alors contentez-vous, du -moins, de ne pas frapper plus qu’on ne vous aura frappés!» Et eux: «Cela -même est encore au-dessus de nos forces!» Sur quoi Antoine, se tournant -vers son disciple, lui dit: «Va préparer une liqueur fortifiante pour -ces frères, car en vérité ils sont bien débiles; et quant à vous, la -prière est la seule chose que je puisse vous recommander!» Tout cela se -lit dans les _Vies des Pères_. Enfin saint Antoine, parvenu à l’âge de -cent cinq ans, s’endormit en paix après avoir embrassé ses frères: il -mourut sous le règne de Constantin, qui monta sur le trône en l’an 340. - - - - -XXII - -SAINT FABIEN, PAPE ET MARTYR - -(20 janvier) - - -Fabien était citoyen romain; et, un jour que la foule avait à élire un -nouveau pape, il se joignit à elle pour connaître l’issue de l’élection. -Or, voici qu’une colombe blanche descendit du ciel et se posa sur la -tête de Fabien: ce que voyant, la foule l’élut pape. Alors, comme le -rapporte le pape Damase, il envoya dans les diverses régions du monde -sept diacres et sept sous-diacres, chargés de recueillir par écrit tous -les actes des martyrs. Il fit également bâtir de nombreuses basiliques -sur les lieux où étaient ensevelis ces saints martyrs. Et c’est lui -aussi qui a décidé que, tous les ans, le jour de la Sainte-Cène[5], le -saint chrême de l’année précédente serait brûlé et remplacé par un -nouveau, consacré en ce même jour. Et Haimon rapporte que, l’empereur -Philippe ayant voulu assister à la veillée de Pâques et participer aux -sacrements, le pape Fabien lui résista et lui défendit l’accès de -l’église jusqu’à ce qu’il eut confessé ses péchés et fait pénitence. -Enfin saint Fabien, dans la treizième année de son pontificat, obtint la -couronne du martyre, ayant été décapité sur l’ordre de Décius. Son -martyre eut lieu vers l’an du Seigneur 253. - - [5] Le jeudi saint. - - - - -XXIII - -SAINT SÉBASTIEN, MARTYR - -(20 janvier) - - -I. Sébastien, originaire de Narbonne et citoyen de Milan, était animé -d’une foi chrétienne très ardente. Mais les empereurs païens Maximien et -Dioclétien avaient pour lui une telle affection qu’ils l’avaient nommé -chef de la première cohorte; et l’avaient attaché à leur personne. Et -lui, il ne portait la chlamyde militaire que pour pouvoir aider et -consoler les chrétiens persécutés. - -Or comme, un jour, deux frères jumeaux, Marcellin et Marc, allaient être -décapités pour s’être refusés à abjurer la foi du Christ, leurs parents -vinrent les trouver pour les engager à se laisser fléchir. Leur mère, -d’abord, se présenta devant eux, les cheveux dénoués, les vêtements -déchirés, la poitrine nue, et leur dit: «O mes fils chéris, une misère -inouïe et un deuil affreux s’abattent sur moi! Malheureuse que je suis, -je perds mes fils de leur propre gré! Si l’ennemi me les avait enlevés, -je serais allée les lui reprendre au plus fort du combat; si des juges -s’étaient emparés d’eux pour les mettre en prison, je me serais fait -tuer pour les délivrer. Mais ceci est un nouveau genre de mort, où la -victime prie le bourreau de la frapper, où le vivant aspire à ne plus -vivre, et invite la mort au lieu de l’éviter. Ceci est un nouveau genre -de souffrance, où la jeunesse des fils, spontanément, se perd, tandis -que la vieillesse des parents est condamnée à survivre!» Ensuite arriva -le père, conduit sur les bras de ses esclaves; et ce vieillard, la tête -couverte de cendres, s’écria: «Je suis venu dire adieu à mes fils, qui, -de leur plein gré, ont voulu nous quitter! O mes fils, bâton de ma -vieillesse et sang de mon cœur, pourquoi avez-vous ainsi soif de la -mort? Que tous les jeunes gens viennent pleurer sur ces jeunes gens -obstinés à périr! Que tous les vieillards viennent pleurer avec moi sur -la mort de mes fils! Et vous, mes yeux, éteignez-vous à force de larmes, -pour que je ne voie pas mes fils tomber sous le glaive!» Puis arrivèrent -les femmes des deux jeunes gens, tenant dans leurs bras leurs fils, et -gémissant, et disant: «A qui nous confiez-vous, qui prendra soin de ces -enfants, qui se partagera vos biens? Avez-vous donc des cœurs de fer, -vous qui dédaignez vos parents, repoussez vos femmes, reniez vos fils?» -Et déjà le courage des deux jeunes gens commençait à mollir, lorsque -saint Sébastien, qui assistait à la scène, s’avança et dit: «Braves -soldats du Christ, que ces flatteries et ces prières ne vous fassent pas -renoncer à la couronne éternelle!» Puis, se tournant vers les parents, -il leur dit: «Soyez sans crainte! Ils ne seront pas séparés de vous, -mais, au contraire, ils iront vous préparer au Ciel des demeures -durables!» Et pendant que saint Sébastien parlait ainsi, il se trouva -entouré d’une grande lumière descendue du ciel, et on le vit soudain -revêtu d’un manteau étincelant de blancheur, avec sept anges debout -devant lui. Et Zoé, la femme de Nicostrate, dans la maison de qui les -deux gens étaient gardés, vint se prosterner aux pieds de Sébastien, et -l’implora par signes, car elle avait perdu l’usage de la parole. Alors -le saint dit: «Si je suis le serviteur du Christ, et si les choses que -j’ai dites sont vraies, ô toi qui as ouvert la bouche du prophète -Zacharie, ouvre la bouche de cette femme!» Et la femme, retrouvant la -parole, s’écria: «Béni soit ton discours, et bénis ceux qui croient à ce -que tu dis! car j’ai vu un ange debout devant toi et tenant un livre où -il inscrivait toutes tes paroles!» Et le mari de cette femme, se jetant -à son tour aux pieds du saint, implora son pardon, après quoi, brisant -les chaînes des martyrs, il les pria de s’en aller en liberté. Mais eux, -ils déclarèrent que, pour rien au monde, ils ne renonceraient à la -victoire qu’ils avaient remportée. Et telles étaient la grâce et la -vertu divines de la parole de saint Sébastien que non seulement il -fortifia Marcellin et Marc dans la constance du martyre, mais qu’il -convertit aussi leur père Tranquillin, et leur mère, et d’autres -personnes, qui toutes furent baptisées par le prêtre Polycarpe. - -Et le vieux Tranquillin, qui était atteint d’une maladie grave, guérit -dès qu’il fut baptisé. Ce qu’apprenant le préfet de la ville de Rome, -qui était lui-même très malade, demanda à Tranquillin de lui amener -l’homme qui l’avait guéri. Et quand le vieillard lui eut amené Sébastien -et Polycarpe, il les pria de lui rendre la santé. Mais Sébastien lui dit -qu’il ne guérirait que s’il permettait à Polycarpe et à lui de briser en -sa présence les idoles des dieux. Et, le préfet Chromace ayant fini par -y consentir, les deux saints brisèrent plus de deux cents idoles. Puis -ils dirent à Chromace: «Puisque l’acte que nous venons de faire ne t’a -pas rendu la santé, c’est donc que, ou bien tu n’as pas encore abjuré -tes erreurs, ou bien que tu gardes debout quelque autre idole!» Alors il -avoua qu’il possédait, dans sa maison, une chambre où était représenté -tout le système des étoiles, et qui lui permettait de prévoir l’avenir: -ajoutant que son père avait dépensé plus de deux cents livres d’or pour -l’installation de cette chambre. Et saint Sébastien: «Aussi longtemps -que cette chambre ne sera pas détruite, tu ne retrouveras pas la santé!» -Et Chromace consentit à ce qu’elle fût détruite. Mais son fils Tiburce, -jeune homme des plus remarquables, s’écria: «Je ne souffrirai pas que -l’on détruise impunément une œuvre aussi magnifique! Mais comme, d’autre -part, je souhaite de tout mon cœur le retour de mon père à la santé, je -propose que l’on chauffe deux fours, et que, si après la destruction de -cette chambre mon père ne guérit pas, les deux chrétiens soient brûlés -vifs!» Et Sébastien: «Qu’il en soit fait comme tu as dit!» Et pendant -qu’il brisait la chambre magique, un ange apparut au préfet et lui -annonça que le Seigneur Jésus lui avait rendu la santé. Alors le préfet -et son fils Tiburce et quatre mille personnes de sa maison reçurent le -baptême. Et Zoé, qui s’était convertie la première, fut prise par les -infidèles et mourut après de longues tortures; ce qu’apprenant le vieux -Tranquillin s’écria: «Voici que les femmes nous devancent au martyre!» -Et lui-même fut lapidé peu de jours après. - -Or, saint Tiburce reçut l’ordre d’offrir de l’encens aux dieux, ou bien -de marcher pieds nus sur des charbons ardents. Alors, ayant fait le -signe de la croix, il se mit à marcher sur les charbons ardents, en -disant: «Il me semble que je marche sur un lit de roses.» Et le préfet -Fabien lui dit: «Oui, je sais que votre Christ vous a enseigné des -artifices magiques!» Mais Tiburce: «Tais-toi, malheureux, car tu n’es -pas digne de prononcer ce saint nom!» Et le préfet, furieux, lui fit -couper la tête. Quant à Marcellin et à Marc, ils furent attachés à un -poteau, et là ils chantaient joyeusement: «Quelle belle et douce chose, -pour deux frères, d’être réunis..., etc.» Alors le préfet leur dit: -«Malheureux, renoncez à votre folie, et regagnez votre liberté!» Mais -eux: «Jamais nous n’avons été aussi heureux, et nous te supplions de -nous laisser ainsi jusqu’à ce que nos âmes soient délivrées de -l’enveloppe de nos corps!» Sur quoi le préfet leur fit percer le flanc à -coups de lance; et ainsi s’acheva leur martyre. - -Après cela, ce préfet dénonça Sébastien à l’empereur Dioclétien, qui, -l’ayant appelé, lui dit: «Ingrat, je t’ai placé au premier rang dans mon -palais, et toi tu as travaillé contre moi et mes dieux!» Et Sébastien: -«Pour toi et pour l’Etat romain j’ai toujours prié Dieu, qui est dans le -Ciel.» Alors Dioclétien le fit attacher à un poteau au milieu du champ -de Mars, et ordonna à ses soldats de le percer de flèches. Et les -soldats lui lancèrent tant de flèches qu’il fut tout couvert de pointes -comme un hérisson; après quoi, le croyant mort, ils l’abandonnèrent. Et -voici que peu de jours après, saint Sébastien, debout sur l’escalier du -palais, aborda les deux empereurs et leur reprocha durement le mal -qu’ils faisaient aux chrétiens. Et les empereurs dirent: «N’est-ce point -là Sébastien, que nous avons fait tuer à coups de flèches?» Et -Sébastien: «Le Seigneur a daigné me rappeler à la vie, afin qu’une fois -encore je vienne à vous, et vous reproche le mal que vous faites aux -serviteurs du Christ!» Alors les empereurs le firent frapper de verges -jusqu’à ce que mort s’ensuivît, et ils firent jeter son corps à l’égout, -pour empêcher que les chrétiens ne le vénérassent comme la relique d’un -martyr. Mais, dès la nuit suivante, saint Sébastien apparut à sainte -Lucine, lui révéla où était son corps, et lui ordonna de l’ensevelir -auprès des restes des apôtres: ce qui fut fait. Il subit le martyre vers -l’an du Seigneur 187. - -II. Saint Grégoire rapporte, au premier livre de ses _Dialogues_, -l’histoire que voici. Certaine femme de la Toscane, récemment mariée, -avait été invitée à la dédicace d’une église de saint Sébastien. Mais, -la nuit qui précédait la cérémonie, elle se sentit si vivement stimulée -par la volupté charnelle qu’elle ne put s’abstenir des caresses de son -mari. Or, le matin suivant, cette femme se rendit cependant à l’église, -ayant plus de honte des hommes que de Dieu. Mais à peine entrée dans la -chapelle où étaient les reliques de saint Sébastien, un diable s’empara -d’elle, et se mit à la tourmenter en présence de tous. Alors le prêtre -de l’église la couvrit du voile de l’autel, et aussitôt le diable -s’empara de ce prêtre. On conduisit la femme chez des magiciens; mais, -au cours de leurs incantations, une légion entière de démons, -c’est-à-dire une troupe de six mille six cent soixante-six d’entre eux, -pénétra dans cette femme pour la tourmenter encore davantage. Et seul un -pieux vieillard, nommé Fortunat, réussit par ses prières à chasser les -diables du corps de la femme. - -On lit dans les _Annales lombardes_ qu’au temps du roi Humbert l’Italie -entière fut atteinte d’une peste si malfaisante qu’on avait peine à -trouver quelqu’un pour ensevelir les cadavres: et cette peste ravageait -surtout Pavie. Alors, un ange révéla que le mal ne cesserait que si l’on -élevait un autel à saint Sébastien, dans la ville de Pavie. Et l’on -éleva aussitôt cet autel dans l’église de Saint-Pierre aux Liens: sur -quoi la peste disparut tout à fait. Et les reliques de saint Sébastien -furent transportées à Pavie, de Rome, où avait eu lieu son martyre. - - - - -XXIV - -SAINTE AGNÈS, VIERGE ET MARTYRE - -(21 janvier) - - -I. Agnès, vierge très sage, avait treize ans lorsqu’elle perdit la mort -et trouva la vie. Elle était jeune d’années, mais mûre d’esprit et -d’âme; elle était belle de visage, mais plus belle de cœur. Le fils d’un -préfet, la voyant revenir de l’école, se prit d’amour pour elle. Il lui -promit des diamants et de nombreuses richesses si elle consentait à être -sa femme. Mais Agnès lui répondit: «Eloigne-toi de moi, aiguillon du -péché, aliment du crime, poison de l’âme, car je me suis déjà donnée à -un autre amant!» Elle se mit à lui faire l’éloge de son amant et fiancé, -vantant chez lui les cinq qualités que les fiancées estiment le plus -chez leurs fiancés, à savoir: la noblesse de race, la beauté, la -richesse, le courage uni à la force, et enfin l’amour. Et elle dit: -«Celui que j’aime est plus noble que toi, le soleil et la lune admirent -sa beauté, ses richesses sont inépuisables, il est assez puissant pour -faire revivre les morts, et son amour dépasse tout amour. Il a mis son -anneau à mon doigt, m’a donné un collier de pierres précieuses, et m’a -vêtue d’une robe tissée d’or. Il a posé un signe sur mon visage, pour -m’empêcher d’aimer aucun autre que lui, et il a arrosé mes genoux de son -sang. Déjà je me suis donnée à ses caresses, déjà son corps s’est mêlé à -mon corps; et il m’a fait voir un trésor incomparable qu’il m’a promis -de me donner si je persévérais à l’aimer.» Ce qu’entendant, le jeune -homme devint malade d’amour, en danger de mort. Son père va trouver la -jeune fille, au nom de son fils; mais Agnès lui répond qu’elle ne peut -violer la foi promise à son premier fiancé! Alors le préfet lui demande -quel est ce fiancé, et comme quelqu’un lui fait entendre que c’est le -Christ qu’elle appelle son fiancé, il se met d’abord à la questionner -doucement, puis la menace de la punir si elle refuse de répondre. Mais -Agnès lui dit: «Fais ce que tu voudras, je ne te livrerai pas mon -secret!» Alors le préfet: «Choisis entre deux partis! Ou bien sacrifie à -Vesta avec les vierges de la déesse, si tu tiens à ta virginité, ou bien -je te ferai enfermer avec des prostituées!» Mais elle: «Je ne -sacrifierai pas à tes dieux, et cependant je ne me laisserai pas -souiller, car j’ai près de moi un gardien de mon corps, un ange du -Seigneur!» Alors le préfet la fit dépouiller de ses vêtements, et -conduire toute nue dans une maison de débauche. Mais Dieu lui fit -pousser des cheveux en telle abondance que ces cheveux la couvraient -mieux que tous les vêtements. Et, quand elle entra dans le mauvais lieu, -elle y trouva un ange qui l’attendait, tenant une tunique d’une -blancheur éclatante. Et ainsi le lupanar devint pour elle un lieu de -prière, et l’ange l’éclaira d’une lumière surnaturelle. - -Or, le fils du préfet vint dans ce lieu avec d’autres jeunes gens, et -invita ses compagnons à jouir d’abord de la jeune fille. Mais, en -pénétrant dans la chambre d’Agnès, ils furent si effrayés de la vue de -cette lumière qu’ils s’enfuirent auprès du fils du préfet; et lui, les -traitant de lâches, se rua dans la chambre, plein de fureur. Mais -aussitôt le diable l’étrangla, Dieu l’ayant abandonné. Alors le préfet, -tout en larmes, se rendit auprès d’Agnès, et l’interrogea sur la mort de -son fils. Et Agnès: «Celui dont il voulait réaliser la volonté a reçu -pouvoir sur lui, et l’a tué.» Et le préfet lui dit: «Si tu ne veux pas -que je croie que c’est toi qui l’as tué par des artifices magiques, -demande et obtiens qu’il ressuscite!» Et, sur la prière d’Agnès, le -jeune homme ressuscita, et se mit à confesser publiquement le Christ. - -Mais alors les prêtres des dieux, soulevant le peuple, s’écrièrent: «A -mort la magicienne, qui, par sorcellerie, change les âmes et pervertit -les cerveaux!» Cependant le préfet, en présence d’un tel miracle, aurait -voulu la délivrer; mais, craignant la proscription, il se retira -tristement, et laissa Agnès sous la garde d’un lieutenant. Et celui-ci, -dont le nom était Aspasius, fit jeter la jeune fille dans un feu ardent; -mais la flamme, se séparant en deux, brûlait la foule des païens sans -toucher Agnès. Alors Aspasius lui fit plonger un poignard dans la gorge: -et c’est ainsi que le fiancé céleste la prit pour épouse, après l’avoir -ornée de la couronne du martyre. Ce martyre eut lieu, à ce que l’on -croit, sous le règne de Constantin le Grand, qui régnait vers l’an 309. -Et comme les parents de sainte Agnès et les autres chrétiens -l’ensevelissaient avec joie, à grand’peine ils échappèrent à la pluie de -pierres que les païens lançaient contre eux. - -II. Sainte Agnès avait une sœur de lait nommée Emérantienne, vierge -pleine de sainteté, et qui se préparait à recevoir le baptême. Or cette -jeune fille se tint debout devant le sépulcre d’Agnès, et se mit à -invectiver les païens qui l’avaient tuée, jusqu’à ce que ces païens la -tuèrent elle-même à coups de pierres. Aussitôt la terre trembla, et la -foudre de Dieu s’abattit sur ce lieu, tuant bon nombre de païens: de -telle sorte que, depuis lors, on laissa les fidèles s’approcher du -tombeau sans leur faire aucun mal. Et le corps d’Emérantienne fut -enseveli auprès de celui de sainte Agnès. Et, huit jours après, comme -les parents de celle-ci veillaient autour du tombeau, ils virent un -chœur de vierges en robes d’or; et parmi elles ils virent la -bienheureuse Agnès, ayant à côté d’elle un agneau plus blanc que la -neige. Et elle leur dit: «Voyez, afin que vous ne me pleuriez pas comme -morte, mais que vous vous réjouissiez avec moi et vous félicitiez avec -moi; car j’ai été admise désormais à siéger au milieu de cette troupe de -lumière!» C’est à cause de cette vision que l’Eglise célèbre, huit jours -après la fête de sainte Agnès, l’octave de cette fête. - -III. La nouvelle de cette vision parvint jusqu’à Constance, fille de -Constantin, qui était affligée d’une lèpre très maligne. Aussitôt la -jeune princesse se rendit au tombeau de la sainte, et là, après avoir -prié, elle vit en rêve sainte Agnès lui disant: «Constance, sois -constante! Crois au Christ et tu seras guérie!» Se réveillant soudain, -Constance se trouva guérie; elle reçut le baptême, fit élever une -basilique sur le tombeau de la sainte, et y rassembla autour d’elle de -nombreuses vierges qui, comme elle, vécurent toute leur vie dans la -chasteté. - -IV. Certain prêtre de l’église de sainte Agnès, nommé Paulin, commença -un jour à être tourmenté d’une terrible tentation de la chair; et, comme -il ne voulait pas offenser Dieu, il demanda au souverain pontife la -permission de prendre femme. Mais le pape, qui connaissait sa bonté et -sa simplicité, lui remit un anneau orné d’une émeraude, et lui dit de -s’adresser avec la même demande à une belle statue de sainte Agnès qui -se trouvait dans son église. Et comme le prêtre demandait à sainte Agnès -de l’autoriser à se marier, la statue étendit tout à coup vers lui son -doigt annulaire, y passa l’anneau donné par le pape, puis retira sa -main; et, sur-le-champ, le prêtre fut délivré de toutes ses tentations. -Telle est, dit-on, l’origine de l’anneau qui se voit aujourd’hui encore -au doigt de la statue. Mais d’autres disent que cet anneau fut donné par -le pape à un prêtre qui se trouva chargé, en même temps, de veiller sur -la basilique de sainte Agnès comme sur une épouse; car, faute de soins, -le temple vénérable tombait en ruines; et la statue de la sainte aurait -passé l’anneau à son doigt en signe d’acceptation de ces fiançailles. - - - - -XXV - -SAINT VINCENT, MARTYR - -(22 janvier) - - -Le martyre de saint Vincent a été raconté, dit-on, par saint Augustin. -Prudence l’a chanté en des vers magnifiques. - -I. Vincent, noble de race, mais plus noble encore de foi et de piété, -était diacre du saint évêque Valère; et comme il avait plus d’éloquence -que le vieil évêque, celui-ci lui avait confié le soin de prêcher à sa -place, afin de pouvoir mieux se livrer, lui-même, à la prière et à la -contemplation. Or, sur l’ordre du gouverneur Dacien, tous deux furent -conduits à Valence et jetés en prison. Le gouverneur les y laissa -longtemps sans nourriture; puis, quand il les crut presque morts de -faim, il les fit amener devant lui. Et, en voyant qu’ils étaient pleins -de santé et de joie, il devint furieux et s’écria: «Comment, oses-tu, -Valère, sous prétexte de religion, résister aux décrets de tes princes?» -Saint Valère se mit en devoir de répondre, avec sa douceur habituelle; -mais Vincent lui dit: «Père vénéré, ce n’est pas le moment de murmurer -d’une voix faible, comme si l’on avait peur, mais de parler haut et -librement! Si donc tu veux me l’ordonner, mon père, je répondrai pour -toi à ce juge!» Et Valère: «Fils bien-aimé, depuis longtemps déjà je -t’ai confié le soin de parler à ma place. Je te charge à présent de -répondre au nom de la foi que nous défendons.» Alors Vincent, se -tournant vers Dacien: «Sache, lui dit-il, toi qui nous accuses, que pour -nous, chrétiens, c’est un blasphème affreux de renier notre foi!» -Dacien, de plus en plus irrité, envoya le vieil évêque en exil; et, tant -pour punir le jeune diacre de son audace que pour effrayer par son -exemple les autres chrétiens, il fit étendre Vincent sur un chevalet, et -ordonna qu’on lui rompît les membres. Et lorsque l’on eut rompu les -membres du saint, le gouverneur lui dit: «Hé bien, Vincent, voilà ton -misérable corps dans un bel état!» Mais le saint lui répondit en -souriant: «C’est ce que j’ai de tout temps souhaité!» Dacien, exaspéré, -le menaça d’autres supplices, s’il persistait à ne pas céder. Mais -Vincent: «Insensé, plus tu crois te fâcher contre moi, plus en réalité -tu as pitié de moi. Laisse-toi donc aller à toute ta malice! Tu verras -que, avec l’aide de Dieu, j’aurai plus de pouvoir dans les supplices que -toi en me suppliciant!» Et comme le gouverneur criait, et frappait les -bourreaux pour les punir de leur mollesse, Vincent lui dit encore: -«Pauvre Dacien, c’est toi-même qui me venges de mes bourreaux!» Le -gouverneur écumait de rage. «Pourquoi vos mains faiblissent-elles? -dit-il aux bourreaux. Vous avez pu avoir raison d’adultères et de -parricides, et leur arracher des aveux: pourquoi, seul, ce Vincent -reste-t-il au-dessus de vos coups?» Alors les bourreaux enfoncèrent des -peignes de fer dans les côtes du saint, à tel point que, de tout son -corps, le sang coulait, et que ses entrailles sortaient entre les côtes -brisées. Et Dacien lui dit: «Vincent, aie pitié de toi! Tu peux encore -recouvrer ta belle jeunesse et t’épargner d’autres supplices qu’on -apprête pour toi!» Mais Vincent: «Langue empoisonnée, je ne crains pas -tes tourments; mais, ce qui m’effraie, c’est que tu feignes d’avoir -pitié de moi. Car plus je te vois furieux, plus grand est mon plaisir. -Garde-toi de rien atténuer aux supplices que tu me prépares, afin que -j’aie plus d’occasions de te montrer ma victoire!» Alors Dacien le fit -retirer du chevalet, fit apporter un gril, et ordonna d’allumer un grand -feu. Et le saint, par ses paroles, encourageait les bourreaux à presser -leur travail. Puis, montant de son plein gré sur le gril, il offrit au -feu tous ses membres, pendant que des pointes enflammés s’enfonçaient -dans ses chairs, et pendant qu’on jetait du sel dans le feu, pour que ce -sel, pénétrant dans ses plaies, lui rendît plus cruelle la sensation de -la brûlure. Et, après ses jointures, ses entrailles elles-mêmes furent -transpercées et se répandirent autour de lui; et lui, immobile et les -yeux levés au ciel, il invoquait le Seigneur. - -Les bourreaux vinrent en apporter la nouvelle à Dacien. «Hélas, dit -celui-ci, il nous a vaincus! Mais pour prolonger son supplice, jetez-le -maintenant dans le plus sombre des cachots, après avoir semé sur le sol -des pointes très aiguës; et, lui ayant lié les pieds, laissez-le là! -Puis, quand il sera mort, venez me le dire!» Et les cruels serviteurs -s’empressèrent d’obéir à leur maître, plus cruel encore. Mais voici que -le Roi pour qui souffre le glorieux soldat, voici qu’il change sa peine -en une gloire nouvelle. Car les ténèbres du cachot se trouvent chassées -par une immense lumière, l’aspérité des pointes se change en un lit de -douces fleurs, les liens des pieds se brisent, et des anges viennent -consoler le martyr. Et celui-ci, marchant sur les fleurs, chante avec -les anges; l’harmonie du chant, le parfum des fleurs se répandent hors -de la prison. Les gardiens, épouvantés, regardent à l’intérieur du -cachot, par les fentes de la porte, et le spectacle qu’ils aperçoivent -les convertit à la foi du Christ. Mais Dacien, apprenant cette nouvelle -défaite, dit: «Décidément, cet homme nous a vaincus. Inutile de lutter -davantage. Qu’on le transporte sur un lit, pour le ranimer; et quand il -commencera à se remettre, nous verrons à lui faire goûter d’autres -supplices!» On transporta donc le saint sur un lit; et là, après s’être -un peu reposé, il rendit l’âme. Cela se passait vers l’an du Seigneur -287, sous le règne des empereurs Dioclétien et Maximien. - -Mais Dacien, en apprenant cette mort, fut saisi à la fois de frayeur et -de honte. Et il dit: «Puisque je n’ai pu le vaincre vivant, du moins je -le punirai mort et me rassasierai de son châtiment. De cette façon, -j’aurai le dernier mot sur lui!» Et il fit exposer le corps du saint -dans un champ, pour y être dévoré par les bêtes et les oiseaux de proie. -Mais aussitôt des anges vinrent garder le corps, le protégeant contre -l’approche des bêtes. Un corbeau gigantesque chassa à grands coups -d’ailes les loups et les oiseaux de proie, puis se tint immobile devant -le corps, considérant avec admiration les anges chargés de le garder. Et -Dacien, à cette nouvelle, dit: «Je crains bien que, même mort, il ne se -laisse pas vaincre par moi!» Il tenta cependant une dernière épreuve. Il -fit attacher au corps une énorme pierre et le fit jeter à la mer, pour -être dévoré par les poissons. Mais en vain les matelots essayèrent de -submerger le corps; celui-ci se mit à flotter, devançant les matelots, -et rejoignit le rivage, où il fut recueilli par une pieuse femme qui, -avec l’aide de ses frères chrétiens, l’ensevelit solennellement. - -II. Saint Augustin dit de ce martyre: «Le bienheureux Vincent vainquit -dans les mots et vainquit dans les maux, il vainquit dans la confession -et dans la tribulation, il vainquit broyé et vainquit noyé.» Et saint -Ambroise, dans une préface, dit: «Vincent est rompu, écartelé, coupé, -flagellé, brûlé; mais son esprit reste indomptable, parce qu’il craint -Dieu plus que le siècle et aime mieux mourir au monde qu’à Dieu.» Et -Prudence, qui brillait sous le règne de Théodore l’Ancien, vers l’an du -Seigneur 387, nous raconte que saint Vincent dit encore à Dacien: «Les -tourments, les prisons, les pointes de fer, les flammes et la mort, tout -cela n’est qu’un jeu pour le chrétien.» Alors Dacien: «Qu’on le lie et -qu’on lui détende les bras en tous sens jusqu’à ce que toutes les -jointures de ses os éclatent et que son foie lui sorte du corps!» Mais -le soldat de Dieu se riait de ces supplices, reprochant au fer de ne pas -entrer plus avant en lui. Et plus tard, dans le cachot, un des anges lui -dit: «Lève-toi, saint martyr, et viens prendre ta place dans la troupe -céleste! Soldat invincible, le plus brave des braves, les tortures -elles-mêmes te craignent comme leur vainqueur!» Et Prudence, après avoir -raconté cela, s’écrie: «Héros sublime, tu as obtenu une double palme, tu -t’es rendu digne d’un double laurier!» - - - - -XXVI - -SAINT JEAN L’AUMONIER, CONFESSEUR - -(23 janvier) - - -I. Jean, patriarche d’Alexandrie, une nuit qu’il était en prière, vit -une jeune fille merveilleusement belle qui se tenait debout près de lui -et qui avait sur la tête une couronne d’olivier. Jean, stupéfait, lui -demanda qui elle était, et la jeune fille lui répondit: «Je suis la -miséricorde, c’est moi qui ai amené sur la terre le Fils de Dieu. -Prends-moi pour femme et tu t’en trouveras bien!» Et en effet, Jean -devint depuis lors si miséricordieux qu’il fut appelé «Eleymon», -c’est-à-dire l’aumônier. Il avait l’habitude d’appeler les pauvres «ses -maîtres»; et c’est à son exemple que les hospitaliers donnent aux -pauvres le titre de «seigneurs». Un jour, ayant rassemblé ses -serviteurs, il leur dit: «Allez par toute la ville, et dressez-moi une -liste de tous mes seigneurs.» Et comme on ne comprenait pas ce qu’il -voulait dire, il reprit: «Ceux que vous appelez indigents et mendiants, -je les appelle, moi, nos maîtres et seigneurs. Ce sont eux, en effet, -qui, seuls, peuvent nous donner le royaume des cieux.» Et pour exhorter -les fidèles à l’aumône, il avait l’habitude de leur raconter l’histoire -que voici: - -Un jour, des mendiants se chauffaient au soleil, et s’amusaient à -comparer le mérite des riches de la ville, louant les bons et blâmant -les méchants. Vint à passer par là un receveur d’impôts nommé Pierre, -homme riche et puissant, mais sans pitié pour les pauvres, et qui -faisait chasser brutalement ceux qui mendiaient à sa porte. Les -mendiants se trouvèrent d’accord pour constater que pas un d’entre eux -n’avait jamais reçu de lui une aumône. Alors l’un d’entre eux dit à ses -compagnons: «Voulez-vous gager avec moi que, aujourd’hui même, je me -ferai donner une aumône par lui?» La gageure fut tenue, et le mendiant, -s’avançant vers Pierre, lui demanda l’aumône. Or le receveur marchait -accompagné d’un esclave qui portait des pains de seigle dans un panier; -et, dans sa colère, ne trouvant pas de caillou sous la main, il prit un -pain dans le panier et le lança sur le mendiant. Celui-ci saisit le -pain, et courut montrer à ses compagnons l’aumône qu’il avait reçue. -Deux jours après, Pierre tomba malade et eut une vision. Il se vit -comparaissant devant le tribunal suprême, et, sur l’un des plateaux de -la balance, des diables tout noirs déposaient ses péchés, tandis que de -l’autre côté se tenaient tristement des anges vêtus de blanc, ne -trouvant rien à mettre pour faire contre-poids. Et l’un de ces anges -dit: «En vérité nous n’avons rien à mettre sur ce plateau, si ce n’est -un pain de seigle qu’il a donné au Christ il y a deux jours, et encore -malgré lui!» Et les anges mirent ce pain sur le plateau, et Pierre vit -qu’il faisait contrepoids à tous ses péchés. Et les anges lui dirent: -«Ajoute quelque chose à ce pain de seigle, si tu ne veux pas tomber -entre les mains de tous ces méchants diables!» Alors Pierre, -s’éveillant, dit: «En vérité, si un seul pain de seigle, jeté par colère -à un pauvre, m’a été d’un tel profit, combien davantage me profitera de -donner tous mes biens aux pauvres!» Donc, le jour suivant, comme il -allait dans la rue, vêtu de son meilleur manteau, et qu’un naufragé lui -demandait de quoi se couvrir, il se dépouilla de son manteau précieux et -le lui donna; mais le naufragé, aussitôt, courut le vendre à un -brocanteur. Et Pierre, en voyant son manteau à l’étalage du brocanteur, -s’affligea fort, se disant: «Je ne suis pas digne, même, qu’un mendiant -garde rien en souvenir de moi!» Mais la nuit suivante, il vit en rêve un -inconnu qui brillait plus que le soleil, et qui avait une croix sur sa -tête; et il vit que cet inconnu portait sur ses épaules le manteau que -lui, Pierre, avait donné au naufragé. Et l’inconnu lui dit: «De quoi -t’affliges-tu?» Pierre lui raconta alors la cause de sa peine. Et -l’inconnu, qui était Jésus, lui dit: «Reconnais-tu ce manteau?» Et lui: -«Oui, Seigneur!» Et le Seigneur: «Je m’en revêts parce que tu me l’as -donné! J’avais froid et tu m’as couvert. Merci de ta bonne volonté!» -Alors Pierre, se réveillant, commença à bénir les pauvres, et dit: «Vive -Dieu, je ne mourrai pas avant d’être devenu l’un d’entre eux!» Il donna -donc aux pauvres tout ce qu’il avait. Puis, appelant son notaire, il lui -dit: «Emmène-moi à Jérusalem et vends-moi comme esclave à quelque -chrétien, après quoi tu distribueras aux pauvres le prix de la vente!» -Et comme le notaire s’y refusait, Pierre lui dit: «Fais ce que je te -demande, et voici de l’argent pour te récompenser! Mais si tu ne le fais -pas, c’est moi qui te vendrai aux barbares.» Alors le notaire le revêtit -de haillons, le conduisit à Jérusalem, et le vendit à un argentier, -moyennant trente pièces d’or qu’il distribua aux pauvres. Et Pierre, -devenu esclave, se chargeait, spontanément des tâches les plus viles, au -point que les autres esclaves eux-mêmes se moquaient de lui, le -battaient, et le méprisaient comme un fou. Mais le Seigneur lui -apparaissait souvent, et le consolait en lui montrant les vêtements et -tous les autres dons qu’il avait reçus de lui. Cependant, à -Constantinople, qui était la patrie de Pierre, l’empereur et les -citoyens déploraient sa disparition. Or, un jour, des habitants de -Constantinople, venus à Jérusalem pour visiter les lieux sacrés, furent -invités à dîner chez le maître de Pierre; et ils se dirent à l’oreille: -«Combien cet esclave que voici ressemble au noble Pierre, le receveur -d’impôts!» Et l’un d’eux, l’ayant bien observé, dit: «En vérité, c’est -le seigneur Pierre lui-même! Je vais aller à lui et je le ramènerai de -force à Constantinople!» Aussitôt l’esclave, se voyant découvert, -s’enfuit. Le portier de la maison était sourd et muet; mais Pierre, dès -qu’il fut arrivé près de la porte, lui parla afin qu’il lui ouvrît. Et -aussitôt le sourd-muet retrouva l’ouïe et la parole. Il ouvrit à Pierre, -puis, abordant les autres esclaves, il leur dit: «L’esclave qui faisait -la cuisine vient de s’enfuir; mais c’était sans doute un esclave de Dieu -et non de notre maître, car lorsqu’il m’a ordonné de lui ouvrir la -porte, une flamme a jailli de sa bouche qui, touchant ma bouche et mes -oreilles, m’a aussitôt rendu la parole et l’ouïe.» Et tous, sortant de -la maison, se mirent à la recherche du fugitif, mais sans pouvoir le -retrouver. Sur quoi ils firent tous pénitence d’avoir traité avec mépris -un homme de Dieu. - -II. Un moine nommé Vital eut l’idée d’éprouver saint Jean, pour voir si -cet homme, d’ailleurs parfait, se laissait persuader par les on-dit, et -était facilement accessible au scandale. Il se rendit donc à Alexandrie -et se fit donner la liste de toutes les courtisanes. Puis, entrant chez -elles tour à tour, il leur disait: «Donne-moi cette nuit, et, en échange -de l’argent que je t’offrirai, consens à t’abstenir jusqu’à demain de -toute fornication!» Et il passait toutes les nuits chez ces courtisanes, -mais agenouillé dans un coin de la chambre et priant pour elles; et, le -matin, il s’en allait en leur défendant de révéler ce qu’il avait fait. -Il y eut cependant une de ces femmes qui divulgua la chose: et, en -punition, un démon s’empara d’elle. Et tous lui disaient: «Tu n’as que -ce que tu mérites, menteuse! car ce mauvais moine est allé chez toi pour -forniquer, et non pour autre chose!» Et, tous les soirs, le moine Vital -disait à ceux qui l’entouraient: «Il faut maintenant que je m’en aille, -parce que telle ou telle courtisane m’attend!» Et à ceux qui lui -faisaient des reproches, il répondait: «N’ai-je pas un corps, comme tout -le monde? Et les moines ne sont-ils pas des hommes comme les autres?» -Alors on lui disait: «Défroque-toi plutôt, l’abbé, et prend une femme -chez toi, afin de ne pas scandaliser les autres!» Mais Vital, feignant -la colère, leur répondait: «Laissez-moi tranquille, vous m’ennuyez! Dieu -vous a-t-il constitués mes juges? Occupez-vous donc de vous-mêmes! -Personne ne vous demandera de rendre compte de moi!» Il criait cela très -haut, pour que le bruit en revînt à saint Jean; et l’on pense bien que -celui-ci ne fut pas longtemps à connaître le scandale de la ville. Mais, -avec l’aide de Dieu, il sut endurcir son cœur au point de ne prêter -aucune créance à tout ce que l’on disait de Vital. - -Et celui-ci, tout en continuant son manège, priait Dieu que, après sa -mort, le vrai sens de sa conduite pût être révélé à saint Jean et aux -autres hommes. Il y eut une foule de courtisanes qui, grâce à lui, se -convertirent et se vouèrent à la vie religieuse. Mais un matin, comme il -sortait de chez l’une d’elles, il rencontra quelqu’un qui se rendait -chez elle pour forniquer; et cet homme donna au moine un soufflet, en -disant: «Misérable, ne te corrigeras-tu donc jamais de ton immondice!» -Et Vital: «Mon ami je te revaudrai ce soufflet!» Et en effet, quelques -heures plus tard, voici qu’un diable, sous la forme d’un nègre, applique -sur la joue de cet homme un terrible soufflet, en lui disant: «Reçois ce -soufflet de la part de l’abbé Vital!» Et ce diable s’empara de lui et le -tourmenta si fort que la foule s’amassait à ses cris. Mais Vital, voyant -son repentir, pria pour lui et obtint qu’il fût délivré. Puis, sentant -approcher la mort, ce bon moine laissa un papier où était écrit: -«Gardez-vous de juger personne trop tôt!» Et, quand il fut mort, toutes -les courtisanes révélèrent la pureté de sa conduite et tous, dans -Alexandrie, glorifiaient Dieu à cette occasion, mais surtout saint Jean, -qui disait: «Combien j’aurais voulu mériter de recevoir, à la place de -Vital, le soufflet qu’il a reçu!» - -III. Un pauvre vint à Jean en habit de pèlerin et lui demanda l’aumône. -Jean dit à son économe: «Donne-lui six pièces d’argent!» L’homme s’en -alla alors changer d’habit et revint demander l’aumône au patriarche. Et -celui-ci dit à son économe: «Donne-lui six pièces d’or!» L’économe les -lui donna, mais, quand le mendiant fut parti, il dit à Jean: «Père, cet -homme est venu deux fois aujourd’hui sous des habits différents, et deux -fois a reçu l’aumône!» Mais saint Jean feignit de ne pas l’avoir -reconnu. Et le mendiant, ayant changé d’habit une troisième fois, revint -de nouveau lui demander l’aumône; alors l’économe fit signe à saint Jean -que c’était le même mendiant. Mais saint Jean lui répondit: «Va et -donne-lui douze pièces d’or; car qui sait si ce n’est pas mon Seigneur -Jésus-Christ qui veut me tenter, pour voir qui se fatiguera le premier, -lui de demander ou moi de donner?» - -IV. Un jour le patrice voulut employer à des achats une somme qui -appartenait à l’église, et que le patriarche voulait faire distribuer -aux pauvres. Les deux hommes discutèrent longtemps, et se séparèrent -fâchés l’un contre l’autre. Mais, à l’approche de la neuvième heure, -saint Jean fit dire au patrice par son archiprêtre: «Seigneur, le soleil -va bientôt se coucher!» Et le patrice, entendant ces paroles, fondit en -larmes, et courut demander pardon à saint Jean. - -V. Un neveu de saint Jean avait été insulté par un boutiquier et était -venu se plaindre à son oncle. Celui-ci lui répondit: «Comment est-ce -possible que quelqu’un ait osé te contredire et ouvrir la bouche contre -toi? Mon fils, fie-toi à moi: je ferai aujourd’hui quelque chose dont la -ville entière sera étonnée!» Ce qu’entendant, le jeune homme fut -consolé, croyant que son oncle allait faire fouetter l’impertinent. Mais -saint Jean, le voyant consolé, lui dit: «Mon fils, si tu es vraiment le -neveu de Mon Humilité, prépare-toi à recevoir le fouet en présence de -tous! Car la vraie parenté ne vient pas de la chair et du sang, mais se -reconnaît à la vertu de l’âme.» Et il envoya chercher le boutiquier, et -l’affranchit de tout tribut. Et tous comprirent ce qu’il avait voulu -dire en annonçant qu’il ferait quelque chose dont la ville entière -serait étonnée. - -VI. Apprenant que, dès qu’un empereur était couronné, on commençait à -lui construire un tombeau de marbre et de métal, saint Jean se fit -construire, lui aussi, un tombeau; mais il ordonna qu’on le laissât -inachevé, et que tous les jours, pendant qu’il officierait à la tête de -son clergé, on vînt lui dire: «Hâte-toi de faire achever ta tombe, car -tu ne sais pas à quelle heure la mort viendra te prendre!» - -VII. Un homme riche fut peiné de voir que saint Jean couchait dans des -draps grossiers; et il lui fit don d’une couverture de grand prix. Mais -le saint, ayant mis cette couverture sur son lit, ne put dormir de toute -la nuit, tant le tourmentait la pensée que trois cents de ses -«seigneurs» auraient eu de quoi se couvrir avec le prix de cette -couverture. Et il se disait en pleurant: «Combien d’hommes se sont -couchés cette nuit sans avoir dîné, combien d’hommes sont exposés à la -pluie, sur les places, et claquent des dents, au froid de la nuit! Et -toi, après avoir mangé d’excellents poissons, tu t’es couché avec tous -tes péchés dans un lit, sous une couverture qui vaut trente-six deniers! -Non, non, le misérable Jean ne se couvrira plus de cette façon-là!» Et, -dès que le jour parut, le saint fit vendre la couverture, et en donna le -prix aux pauvres. Et le riche, à cette nouvelle, acheta une seconde -couverture et la donna au saint, le priant, cette fois, de la garder -pour lui. Le saint prit la couverture, mais aussitôt la fit vendre, et -en fit distribuer le prix aux pauvres. Le riche la racheta, la rapporta -au saint et lui dit: «Nous verrons qui se fatiguera le premier, toi de -revendre ou moi de racheter!» Et le saint se complaisait à vendanger -ainsi le riche, disant que ce n’était point pécher, mais bien agir, de -dépouiller des riches avec l’intention de donner aux pauvres. - -VIII. Voulant engager les fidèles à l’aumône, saint Jean leur racontait -souvent l’histoire de saint Sérapion. Celui-ci, ayant donné son manteau -à un pauvre, rencontra un autre pauvre, qui souffrait du froid. Il lui -donna alors sa tunique, et resta tout nu, tenant en main l’Evangile. -Alors un passant lui demanda: «Abbé; qui t’a dépouillé?» Et l’abbé, -montrant l’Evangile, répondit: «Voici celui qui m’a dépouillé!» Mais, -voyant ensuite un autre pauvre, il alla vendre son Evangile pour lui en -donner le prix. Et comme on lui demandait ce qu’il avait fait de son -Evangile, il répondit: «Cet Evangile me disait: vends ce que tu possèdes -et donnes-en le prix aux pauvres! Or je n’avais que lui! Pour lui obéir, -je l’ai vendu!» - -IX. Un mendiant à qui saint Jean avait fait donner cinq deniers, se -fâcha de n’avoir pas reçu davantage, et se mit à insulter publiquement -le patriarche. Les serviteurs de celui-ci voulaient le chasser; mais -saint Jean le leur défendit en disant: «Laissez-le, frères, laissez-le -me maudire! J’ai pu, moi, pendant soixante ans, insulter le Christ par -mes péchés: de quel droit m’opposerais-je à ce que cet homme m’insultât -un moment?» Et il fit apporter le petit sac où était son argent, et -ordonna que le mendiant y prît autant qu’il voudrait. - -X. Le peuple ayant pris l’habitude de sortir de l’église, après -l’évangile, pour aller bavarder vainement sur la place, le patriarche -sortit un jour de l’église avec eux, après l’évangile, et s’assit au -milieu d’eux sur la place. Et comme tous s’en étonnaient, il leur dit: -«Mes chers enfants, la place du berger est au milieu de son troupeau. Ou -bien donc vous rentrerez dans l’église et j’y rentrerai avec vous pour -achever ma messe, ou bien vous resterez ici, et j’y resterai comme -vous!» Deux fois il fit de même, et ainsi il habitua le peuple à ne plus -sortir de l’église pendant les offices. - -XI. Un jeune homme avait enlevé une nonne, et le clergé l’accusait -devant saint Jean, demandant qu’il fût excommunié: car il avait perdu -deux âmes, la sienne et celle de sa maîtresse. Mais saint Jean se -refusait à rien faire contre lui, disant à son clergé: «Non, mes fils, -pas du tout! Et c’est vous qui, en ce moment, commettez deux péchés. -Vous péchez d’abord en allant contre le précepte du Seigneur, qui a dit: -_Ne jugez pas, vous ne serez pas jugés!_ Et puis, vous péchez aussi par -présomption, car vous ignorez si ces deux malheureux continuent à -pécher, ou si, au contraire, ils ne commencent pas déjà à se repentir.» - -XII. Souvent, pendant ses prières, le bienheureux saint Jean avait des -extases où on l’entendait s’entretenir familièrement avec le Seigneur. -Et quand, saisi de fièvre, il comprit qu’il allait mourir, il s’écria: -«Je te remercie, mon Dieu, de ce que ta bonté ait exaucé le vœu de ma -faiblesse, qui souhaitait de ne rien posséder en mourant qu’un seul drap -de lit! Et maintenant ce drap, va pouvoir, lui aussi, être donné aux -pauvres!» Après quoi il mourut, et son corps vénérable fut placé dans un -tombeau où se trouvaient déjà les corps de deux évêques; et voici que -ces corps s’écartèrent miraculeusement, pour faire une place, au milieu -d’eux, au bienheureux Jean. - -XIII. Peu de jours avant sa mort, une pécheresse vint lui dire qu’elle -avait commis de tels péchés qu’elle n’osait s’en confesser à personne. -Le saint lui conseilla d’écrire sur un papier ses péchés, de cacheter le -papier, et de le lui apporter, ajoutant qu’il prierait pour elle. Et la -femme fit tout cela; mais quand, quelques jours après, elle apprit la -mort du saint, elle s’épouvanta à la pensée que sa confession pourrait -tomber entre des mains étrangères. Elle se rendit donc au tombeau du -saint, et supplia celui-ci de lui faire savoir où se trouvait son -papier. Et voici que saint Jean sortit de son tombeau, en habit -pontifical, s’appuyant sur l’épaule des deux évêques qui gisaient près -de lui. Et il dit à la femme: «Pourquoi nous importunes-tu dans notre -repos, moi et ces deux saints hommes qui me tiennent compagnie?» Et il -lui tendit son papier avec le cachet qu’elle y avait mis, disant: «Ouvre -ton cachet, et lis ta confession!» Mais elle, ayant brisé le cachet, vit -que la liste de ses péchés avait été effacée, et remplacée par -l’inscription suivante: «Je te remets tes péchés en considération de la -prière de Jean, mon serviteur.» Et la femme rendit grâces à Dieu; et -saint Jean, avec ses deux compagnons, rentra dans son tombeau. - -Ce grand saint florissait vers l’an du Seigneur 605, sous le règne de -l’empereur Phocas. - - - - -XXVII - -LA CONVERSION DE SAINT PAUL - -(25 janvier) - - -La conversion de l’apôtre saint Paul eut lieu la même année que la -passion du Christ et la lapidation de saint Etienne: mais cela n’est -vrai qu’à la condition de considérer l’année comme la succession de -douze mois, et non point comme l’espace compris entre le 1er janvier et -le 31 décembre: car la crucifixion du Christ a eu lieu le 25 mars, la -lapidation de saint Etienne le 3 août, et la conversion de saint Paul le -25 janvier. - -Trois raisons expliquent pourquoi l’Eglise célèbre cette conversion -plutôt que celle des autres saints: 1º c’est que cette conversion -constitue un plus grand exemple, pour nous prouver qu’il n’y a point de -pécheur qui ne puisse espérer sa grâce; 2º c’est qu’elle provoque une -plus grande joie, car l’Eglise s’est d’autant plus réjouie de la -conversion de saint Paul qu’elle s’était plus affligée de ses -persécutions; 3º c’est que cette conversion a eu un caractère plus -miraculeux, Dieu ayant voulu montrer que, de son plus cruel persécuteur, -il pouvait faire son plus fidèle prédicateur. - - - - -XXVIII - -SAINT JULIEN, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR - -(26 janvier) - - -I. Saint Julien fut évêque du Mans. C’était, dit-on, le même homme que -ce Simon le Lépreux qui, guéri de sa lèpre par Jésus, invita celui-ci à -sa table. Après l’ascension du Seigneur il fut ordonné évêque du Mans. -Il brilla de nombreuses vertus, ressuscita trois morts, et s’endormit -lui-même dans la paix du Seigneur. Peut-être est-ce ce saint Julien-là -que les voyageurs invoquent pour leur faire trouver une bonne -hospitalité sur leur route: ce privilège lui viendrait, en ce cas, de -l’honneur qu’il a eu d’offrir l’hospitalité à notre Seigneur. Mais, plus -vraisemblablement le saint Julien qu’on nomme «l’Hospitalier» est un -autre saint Julien, dont nous raconterons l’histoire tout à l’heure, à -savoir celui qui a tué ses parents sans les connaître. - -II. Il y eut un autre saint Julien, qui fut originaire d’Auvergne, noble -de race, mais plus noble encore de foi, et qui, par soif du martyre, -allait au-devant de ses persécuteurs. Enfin le consul Crispin envoya un -de ses officiers avec ordre de le tuer: ce qu’apprenant Julien courut à -la rencontre de l’officier, et tendit son corps à ses coups. On porta sa -tête coupé à son ami Ferréol, en le menaçant d’une mort semblable s’il -ne sacrifiait aussitôt aux idoles. Et comme saint Ferréol s’y refusait, -on le tua, et on mit dans le même tombeau son corps et la tête de saint -Julien. Et de longues années après, saint Mamert, évêque de Vienne, -trouva la tête de saint Julien entre les mains de saint Ferréol; et -cette tête était intacte et fraîche comme si on l’eût ensevelie le jour -même.--Grégoire de Tours raconte qu’un paysan qui voulait labourer le -dimanche eut aussitôt les doigts contractés de telle façon que la cognée -dont il se servait pour nettoyer le soc de sa charrue se trouvât -attachée à sa main; et ce paysan ne fut guéri que deux années plus tard, -dans l’église de saint Julien, sur les prières de ce saint. - -III. Il y eut encore un autre saint Julien, qui était frère de saint -Jules; ces deux frères vinrent trouver l’empereur Théodose, qui était -plein de zèle pour la foi chrétienne, et lui demandèrent la permission -d’élever partout, sur leur chemin, des églises à la place des temples -des idoles. L’empereur le leur permit volontiers, et leur donna un écrit -aux termes duquel tout le monde devait leur obéir et les aider, sous -peine de mort. Or, comme, près de Tours, saint Julien et saint Jules -étaient occupés à construire une église dans un lieu nommé Joué, et se -faisaient aider par tous les passants, une compagnie d’hommes, qui -avaient à passer par là en voiture, se dirent: «Quelle excuse -pourrions-nous trouver pour passer librement, sans devoir nous arrêter -et travailler à construire l’église?» Et ils se dirent: «Que l’un de -nous se couche sur le dos, au fond de la voiture; nous le couvrirons -d’un drap et nous dirons que nous conduisons un mort: sur quoi on nous -laissera passer librement.» L’un de ces hommes s’étendit donc dans la -voiture, et ses compagnons lui dirent: «Ne parle pas, ferme les yeux, et -fais semblant d’être mort jusqu’à ce que nous ayons dépassé l’église que -l’on construit!» Et lorsque la voiture arriva à l’endroit où Julien et -Jules construisaient l’église, les deux saints dirent aux voyageurs: -«Chers enfants, daignez-vous arrêter un moment, pour nous donner un coup -de main dans notre travail!» Les voyageurs répondirent: «Nous ne pouvons -nous arrêter, car nous conduisons un mort, dans notre voiture!» Et saint -Julien leur dit: «Mes enfants, pourquoi mentez-vous?» Et eux: «Seigneur, -nous ne mentons pas: c’est la vérité que nous vous disons!» Et saint -Julien leur dit: «Qu’il en soit donc comme vous le dites!» Et les -voyageurs, piquant leurs bœufs, s’éloignèrent; et quand ils furent -arrivés à quelque distance, ils se mirent à appeler leur compagnon, en -lui disant: «Lève-toi maintenant, et, aide-nous à stimuler le bœuf, car -nous n’avançons pas!» Et comme l’homme ne bougeait pas, ils se mirent à -le secouer, en disant: «Rêves-tu? Allons, lève-toi!» Et, comme il ne -répondait toujours pas, ils le découvrirent; et ils virent qu’il était -mort. Personne, depuis ce moment, n’osa plus mentir aux serviteurs de -Dieu. - -IV. Il y eut encore un autre saint Julien. Celui-là, qui était de -famille noble, se trouvait un jour à la chasse, dans sa jeunesse, et -poursuivait un cerf, lorsque soudain le cerf, sur un signe de Dieu, se -retourna vers lui et lui dit: «Comment oses-tu me poursuivre, toi qui es -destiné à être l’assassin de ton père et de ta mère?» Et le jeune homme, -à ces paroles, fut si épouvanté, que, pour empêcher la prédiction du -cerf de se réaliser, il s’éloigna secrètement, traversa d’immenses -régions, et parvint enfin dans un royaume où il entra au service du roi. -Il se conduisit avec tant d’éclat dans la guerre et dans la paix que le -roi le créa chevalier, et lui donna pour femme la veuve d’un très riche -seigneur. Cependant, les parents de Julien, désolés de sa disparition, -erraient à travers le monde, en quête de leur fils, jusqu’à ce qu’ils -arrivèrent, un jour, au château qui était maintenant la demeure de -Julien. Mais celui-ci, par hasard, n’était pas au château, et ce fut sa -femme qui reçut les deux voyageurs. Et quand ils lui eurent raconté -toute leur histoire, elle comprit qu’ils étaient les parents de son -mari: car celui-ci, sans doute, lui avait souvent parlé d’eux. Aussi -leur fit-elle l’accueil le plus tendre, par amour pour son mari; et elle -les fit coucher dans son propre lit. Le lendemain matin, pendant qu’elle -était à l’église, voici que Julien rentra. Il s’approcha du lit pour -réveiller sa femme; et, voyant deux personnes qui dormaient sous les -draps, il crut que c’était sa femme avec un amant. Sans rien dire, il -tira son épée et tua les deux dormeurs. Puis, sortant de la maison, il -rencontra sa femme qui revenait de l’église, et il lui demanda, -stupéfait, qui étaient les deux personnes qui dormaient dans son lit. Et -sa femme lui répondit: «Ce sont tes parents, qui longtemps t’ont -cherché! Je les ai fait coucher dans notre lit.» Ce qu’entendant, Julien -pensa mourir de chagrin. Il fondit en larmes, et dit: «Que vais-je -devenir, misérable que je suis? Ce sont mes chers parents que j’ai tués! -J’ai accompli la prédiction du cerf, pour avoir essayé d’y échapper! -Adieu donc, ma douce petite sœur, car je n’aurai plus de repos jusqu’à -ce que je sache que Dieu a agréé mon repentir!» Mais elle: «Ne crois -pas, mon frère bien-aimé, que je te laisse partir sans moi! De même que -j’ai participé à ta joie, je participerai à tes douleurs!» Ainsi, -s’enfuyant ensemble, ils allèrent demeurer au bord d’un grand fleuve -dont la traversée était pleine de périls; et là, tout en faisant -pénitence, ils transportaient d’une rive à l’autre ceux qui voulaient -traverser le fleuve. Et ils les recueillaient dans un hôpital qu’ils -avaient construit. Et, longtemps après, par une nuit glaciale, Julien, -qui s’était couché accablé de fatigue, entendit la voix plaintive d’un -étranger qui lui demandait de lui faire traverser le fleuve. Aussitôt, -se levant, il courut vers l’étranger, à demi mort de froid; et il -l’emporta dans sa maison, et alluma un grand feu pour le réchauffer. -Puis, le voyant toujours glacé, il le porta dans son lit et le couvrit -avec soin. Or voici que cet étranger, qui était rongé de lèpre et -répugnant à voir, se transforma en un ange éclatant de lumière. Et tout -en s’élevant dans les airs il dit à son hôte: «Julien, le Seigneur m’a -envoyé vers toi pour t’apprendre que ton repentir a été agréé, et que ta -femme et toi pourrez bientôt vous reposer en Dieu.» Et l’ange disparut, -et, peu de temps après, Julien et sa femme s’endormirent dans le -Seigneur, pleins d’aumônes et de bonnes œuvres. - -V. Et il y eut encore un autre Julien, qui, celui-là, ne fût pas un -saint, mais un monstre abominable: c’est, à savoir, Julien l’Apostat. Ce -Julien fut d’abord moine, et feignit une grande piété. Mais voici ce que -raconte de lui maître Jean Beleth, dans sa _Somme de l’Office de -l’Eglise_. Certaine femme avait trois pots pleins d’or, et, pour cacher -l’or, elle l’avait recouvert de cendres; et elle avait remis les pots à -la garde de Julien, qu’elle tenait pour le plus saint moine du couvent. -Mais Julien, dès qu’il eut les pots, regarda ce qu’ils contenaient, et -il prit tout l’or qui s’y trouvait, mit des cendres à sa place, et -s’enfuit à Rome avec cet or volé. Et il fit si bien que, grâce à cet or, -il devint consul, et fut ensuite élevé à l’empire. - -Il avait été instruit dès l’enfance dans l’art de la magie, et y avait -pris beaucoup de goût. Un jour (à ce que raconte l’_Histoire -tripartite_), encore enfant, il invoqua les démons en l’absence de son -maître; et aussitôt apparut devant lui une nombreuse troupe de démons, -sous la forme de nègres d’Ethiopie. Alors Julien, effrayé, se hâta de -faire le signe de la croix; et aussitôt les démons disparurent. Et le -maître de Julien lui dit, au récit de cette aventure: «C’est que les -démons ne haïssent et ne craignent rien autant que le signe de la -croix!» Aussi, lorsque Julien fut élevé à l’empire, se rappelant cette -aventure, et désirant recourir à l’art de la magie, il renia sa foi, -détruisit partout le signe de la croix, et persécuta les chrétiens de -toutes ses forces, afin de se faire mieux obéir des démons. - -On lit dans les _Vies des Pères_ que Julien, ayant envahi la Perse, -envoya un démon en occident pour savoir ce qui s’y passait; mais le -démon dut rester immobile pendant dix jours devant la cellule d’un -moine, et revint vers Julien sans avoir pu continuer sa route. Et il dit -à l’empereur: «J’ai attendu pendant dix jours que ce maudit moine -s’interrompît de prier, car, sa prière m’empêchait de passer; mais, le -dixième jour, comme il ne s’interrompait toujours pas, j’ai dû -rebrousser chemin et revenir ici.» Alors Julien, furieux, dit qu’en -arrivant au désert il tirerait vengeance de ce moine. - -Les démons lui avaient promis qu’il vaincrait les Perses. Son sophiste -dit un jour à un chrétien: «Que penses-tu que fasse, à cette heure, le -fils du charpentier?» Et le chrétien répondit: «Il prépare le cercueil -de Julien.» Et lorsque Julien arriva à Césarée de Cappadoce (ainsi que -le raconte l’histoire de saint Basile, et que l’atteste Fulbert, évêque -de Chartres), saint Basile vint au-devant de lui et lui fit présent de -quatre pains d’orge. Et Julien, furieux, refusa de les prendre, et, en -échange, fit porter à saint Basile une botte de foin, en disant: «Reçois -l’équivalent de ce que tu m’as donné!» Et saint Basile répondit: «Nous -t’avons donné, nous, ce que nous mangions nous-mêmes; et toi, tu nous as -donné ce que tu fais manger à tes bêtes!» Et Julien irrité, répondit: -«Quand j’aurai soumis les Perses, je détruirai votre ville et y ferai -promener la charrue, et elle méritera plus de s’appeler «frumentifère» -qu’«hominifère.» - -La nuit suivante, saint Basile vit en rêve une multitude d’anges réunis -dans l’église de Notre-Dame. Et au milieu d’eux trônait une femme, qui -leur disait: «Faites-moi venir tout de suite le vaillant Mercure, afin -qu’il tue l’apostat Julien, qui, dans sa superbe, blasphème contre mon -Fils et moi!» Ce Mercure était un soldat chrétien que Julien avait mis à -mort en punition de sa foi, et qui se trouvait enterré avec ses armes -dans l’église Notre-Dame. Et aussitôt saint Mercure apparut devant -l’auguste assemblée, et, sur l’ordre de la Vierge, se prépara au combat. -Frappé de ce rêve, saint Basile, dès qu’il fut levé, fit ouvrir le -tombeau de saint Mercure, et vit que le saint ni ses armes n’y étaient -plus. Il interrogea le gardien de l’église, mais celui-ci lui jura que, -la veille encore, il avait vu les armes du saint à leur place -accoutumée. Et quand saint Basile se fit de nouveau ouvrir le tombeau, -le matin suivant, le corps du saint s’y trouvait réinstallé avec ses -armes; et sa lance était rouge de sang. Et bientôt quelqu’un, qui -revenait de l’armée, raconta qu’un chevalier inconnu était venu attaquer -Julien au milieu de ses gardes, l’avait transpercé de sa lance, et -s’était éloigné si vite qu’on n’avait pu le rejoindre. - -Et l’infâme Julien, avant de mourir, prit dans sa main des gouttes de -son sang et les lança en l’air, disant: «Tu as vaincu, Galiléen!» Après -quoi il rendit son âme misérable; et son corps, abandonné des siens, -resta sans sépulture; et les Perses lui arrachèrent la peau, que leur -roi fit tendre sur le trône où il s’asseyait. - - - - -XXIX - -LA SEPTUAGÉSIME - - -La septuagésime désigne le temps de la déchéance, la sexagésime celui de -l’abandon, la quinquagésime celui de la rémission, et la quadragésime -celui de la pénitence spirituelle. - -La septuagésime a été instituée pour trois motifs: 1º comme un rachat; -2º comme un signe; 3º comme une représentation. - -1º Les saints Pères avaient décidé que, pour vénérer le jour de -l’Ascension, une fête solennelle aurait lieu tous les cinq jours, où -l’on serait dispensé du jeûne; mais comme les fêtes des saints sont -ensuite survenues, on a dû renoncer à célébrer cette fête tous les cinq -jours. Et c’est pour racheter (ou pour compenser) ces fêtes, que les -Pères nous ont imposé une semaine d’abstinence, qu’ils ont appelée la -septuagésime. - -2º La septuagésime est également un signe: elle signifie la déchéance, -l’exil, et la tribulation du genre humain, depuis Adam jusqu’à la fin du -monde. Ces sept jours signifient les sept milliers d’années que dure le -monde: car, six mille ans se sont écoulés depuis Adam jusqu’à -l’ascension du Christ; et tout le temps qui s’écoule depuis l’ascension -jusqu’à la fin du monde constitue un septième millénaire, dont Dieu seul -connaît le terme. - -3º Enfin la septuagésime représente les soixante-dix ans que dura pour -Israël la captivité de Babylone, qui, à son tour, représentent le temps -de notre pérégrination terrestre. Dans ce temps d’exil, l’Eglise, -accablée de tribulations, et presque désespérée, chante: _Circumdederunt -me gemitus morbis_, etc. Mais, pour l’empêcher de désespérer tout à -fait, l’épître et l’évangile de la septuagésime lui proposent un triple -remède et une triple récompense. Le remède consiste à travailler dans la -vigne de l’âme, puis à courir dans le stade de la vie présente, enfin à -lutter dans l’arène contre les tentations du diable. Et les trois -récompenses sont: le denier accordé au bon vigneron, les -applaudissements au coureur, la couronne au combattant. - - - - -XXX - -LA SEXAGÉSIME - - -La sexagésime a été instituée comme remplacement, comme signe, et comme -représentation. - -1º Le pape Melchiade et saint Sylvestre ont décidé que, tous les -samedis, les fidèles pourraient manger deux fois, de façon à ne pas -s’affaiblir par un jeûne trop prolongé. Mais, pour remplacer ces -samedis, ils ont ajouté une semaine au carême, et l’ont appelée la -sexagésime. - -2º La sexagésime signifie le temps de veuvage de l’Eglise, et sa -tristesse en l’absence de son époux; car on accordait aux veuves la -soixantième partie (_sexagesima_) des récoltes. Mais, pour se consoler -de cette absence de l’époux, deux ailes sont données à l’Eglise, à -savoir l’exercice des six œuvres de miséricorde, et l’accomplissement du -Décalogue. Et en effet «sexagésime» signifie dix fois six: dix, c’est le -Décalogue; six, ce sont les œuvres de miséricorde. - -3º Enfin, la sexagésime représente le mystère de notre rédemption, ou -plutôt les six mystères, qui sont: l’Incarnation, la Nativité, la -Passion, la Descente aux Enfers, la Résurrection et l’Ascension. - - - - -XXXI - -LA QUINQUAGÉSIME - - -La quinquagésime a été instituée comme complément, comme signe, et comme -représentation. - -1º Nous devrions jeûner pendant quarante jours, à la ressemblance du -Christ, et en réalité nous ne jeûnons que pendant trente-six jours, car -les dimanches sont libres de jeûnes. Et les dimanches sont libres de -jeûnes tant à cause de la joie de la résurrection qu’à cause de -l’exemple du Christ, qui, le jour de sa résurrection, a mangé deux fois, -à savoir avec les disciples d’Emmaüs, et avec ses disciples réunis à -Jérusalem, quand il est entré chez eux toutes portes fermées. En -compensation de ces quatre jours, perdus pour le jeûne, l’Eglise a -institué les quatre derniers jours de la quinquagésime, puis le clergé, -voulant donner au peuple l’exemple de la sainteté, a résolu de jeûner -encore pendant les deux jours précédant ceux-là; et ainsi s’est trouvée -constituée une semaine entière de jeûne, que le pape Telesphore a -sanctionnée, comme le dit saint Ambroise, sous le nom de quinquagésime. - -2º La quinquagésime signifie le temps de la rémission des péchés; car, -tous les cinquante ans, avait lieu une année de jubilé, où les dettes -étaient remises, où les esclaves étaient libérés, et où tous rentraient -en possession de leurs biens. - -3º Enfin la quinquagésime représente l’état de béatitude. Car, tous les -cinquante ans, les esclaves étaient libérés; cinquante jours après -l’immolation de l’agneau, la loi fut donnée; et c’est cinquante jours -après Pâques qu’est descendu l’Esprit-Saint. - -L’épître et l’évangile de la quinquagésime nous enseignent que trois -choses sont nécessaires, pour que l’œuvre de la pénitence soit parfaite: -1º la charité, qui nous est recommandée par l’épître; 2º le souvenir de -la passion du Seigneur, et, 3º la foi, qui nous sont recommandés dans -l’évangile, par le récit du miracle de l’aveugle guéri. - - - - -XXXII - -LA QUADRAGÉSIME - - -Le jeûne de la quadragésime s’explique par trois raisons: 1º l’évangile -de saint Matthieu indique quarante générations du Christ; 2º le Christ -est resté quarante jours avec ses disciples après sa résurrection; 3º le -monde se divise en quatre parties, l’année en quatre saisons, l’univers -en quatre éléments, la nature humaine en quatre tempéraments, la loi -nouvelle en quatre évangiles. Et comme nous avons transgressé cette loi, -et aussi l’ancienne, qui consistait en dix commandements, il convient -que nous jeûnions pendant quatre fois dix fois, c’est-à-dire quarante -jours. - - - - -XXXIII - -LE JEÛNE DES QUATRE-TEMPS - - -Le jeûne des Quatre-Temps a été institué par le pape Calixte. Il -consiste à jeûner quatre fois par an, suivant les quatre saisons. Ce -jeûne se justifie par quatre arguments: - -1º Le printemps étant une saison humide, nous jeûnons au printemps pour -tempérer en nous les humeurs pernicieuses, c’est-à-dire la luxure. L’été -étant une saison chaude et sèche, nous jeûnons pour châtier en nous la -sécheresse de l’avarice. L’automne étant une saison également sèche, -mais froide, nous jeûnons pour châtier la sécheresse froide de -l’orgueil. Enfin l’hiver étant une saison froide et humide, nous jeûnons -pour châtier le froid de l’infidélité et de la malice. - -2º Le jeûne des Quatre-Temps a pour objet de nous rappeler le jeûne des -Juifs, qui jeûnaient quatre fois par an, avant la Pâque, avant la -Pentecôte, avant la fête des Tabernacles et avant la dédication de -décembre. - -3º L’homme étant formé de quatre éléments, quant au corps, et de trois -facultés, quant à l’âme, nous devons jeûner quatre fois par an, pendant -trois jours chaque fois. - -4º Le printemps se rapporte à l’enfance, l’été à l’adolescence, -l’automne à l’âge viril, l’hiver à la vieillesse. Nous devons donc -jeûner au printemps pour être innocents comme des enfants; en été, pour -être forts comme des adolescents, en automne, pour être mûrs par la -justice, comme le veut l’âge viril; en hiver pour acquérir la sagesse et -la probité des vieillards. Ou, plutôt encore, nous devons jeûner en -hiver pour expier les fautes commises par nous pendant les saisons -précédentes. - - - - -XXXIV - -SAINT JEAN CHRYSOSTOME, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR - -(27 janvier) - - -Jean, surnommé Chrysostome, naquit à Antioche, de Second et d’Anture, -nobles tous deux. Sa vie, sa généalogie, son caractère, et les -persécutions qu’il eut à subir, se trouvent racontés tout au long dans -l’_Histoire tripartite_. - -Après avoir étudié la philosophie, il l’abandonna pour s’occuper -uniquement des choses divines. Ordonné prêtre, il eut un zèle de -chasteté qui le fit accuser de sévérité excessive. Plus fervent que -doux, exécutant toujours sans scrupule ce que lui ordonnait sa -conscience, il passait pour arrogant aux yeux de ceux qui ne le -connaissaient point. Mais personne ne l’égalait pour enseigner, pour -expliquer, comme aussi pour corriger les mœurs. Ayant été fait évêque, -sous le règne des empereurs Honorius et Arcade, et pendant que Damase -occupait le siège de saint Pierre, il voulut aussitôt réformer la vie de -son clergé, et s’attira ainsi la haine de tous. On le traitait -d’insensé, on le diffamait partout; et comme jamais il n’invitait -personne à sa table, ni n’acceptait aucune invitation, on faisait courir -le bruit que cela provenait de ce qu’il avait une façon dégoûtante de -manger; tandis que, en réalité, il n’agissait ainsi que par abstinence, -et parce que le moindre excès de nourriture lui donnait des maux de -tête. D’ailleurs le peuple l’aimait beaucoup, à cause de ses sermons, et -ne tenait nul compte des calomnies répandues contre lui. Mais la haine -dont il était l’objet grandit encore lorsqu’on le vit s’attaquer -courageusement aux plus gros personnages. Et il y eut une chose, en -particulier, qui produisit une émotion générale. Le consul Eutrope, -favori de l’empereur, voulant soumettre à sa juridiction ceux qui se -réfugiaient dans les églises, obtint de l’empereur une loi annulant le -droit d’asile, et permettant d’extraire des églises ceux qui s’y étaient -réfugiés. Or, peu de temps après, Eutrope lui-même, ayant offensé -l’empereur, se réfugia dans l’église de Jean Chrysostome et se cacha -sous l’autel. Alors l’évêque, venant à lui, lui adressa une homélie -pleine des plus durs reproches; après quoi il le laissa prendre par -l’empereur, qui lui fit couper la tête. Et bien des gens s’indignèrent -de ce que, en présence du malheur de son ennemi, l’évêque n’eût eu pour -lui aucune pitié. Il était d’ailleurs sans pitié dans toutes ses -invectives contre les méchants; et par là s’explique qu’il ait soulevé -tant de haines. L’évêque d’Alexandrie, Théophile, notamment, s’efforçait -de déposséder Jean de son siège épiscopal, pour mettre à sa place un -prêtre nommé Isidore. Mais le peuple continuait à défendre Jean, et à se -repaître de son enseignement. - -Et Jean, non content de gouverner avec vigueur le diocèse de -Constantinople, s’occupait aussi de maintenir le bon ordre dans les -provinces voisines, par de sages lois qu’il obtenait de l’empereur. -Quand il apprit qu’en Phénicie on sacrifiait encore aux idoles, il y -envoya des prêtres et des moines et y fit détruire tous les temples. - -En ce temps-là, un Celte nommé Gaïmas, barbare d’humeur tyrannique, et -dépravé par l’hérésie arienne, fut créé tribun des soldats. Il demanda à -l’empereur qu’une église fût concédée aux ariens dans Constantinople. Et -l’empereur, désirant le satisfaire, pria Jean de se déposséder pour lui -d’une de ses églises. Mais Jean lui répondit, enflammé d’un saint zèle: -«Empereur, garde-toi de consentir à cela, et de livrer aux chiens un -lieu sacré! Et ne crains pas ce barbare; mais plutôt laisse-moi -m’entretenir avec lui, et écoute, en secret, ce que nous dirons! Je me -charge de réfréner sa langue de telle sorte qu’il n’ose plus renouveler -sa demande!» L’empereur les convoqua donc tous deux pour le lendemain. -Et comme Gaïmas réclamait pour lui une église, Jean lui dit: «Toutes les -églises te sont ouvertes, et nul ne te défend d’y prier.» Et Gaïmas: «Je -suis d’une autre secte, et j’ai bien le droit d’exiger une église pour -mon culte, après tous les services que j’ai rendus à la république!» Et -Jean: «Tu as déjà reçu bien des récompenses, et au delà de ton mérite! -Tu as été créé tribun des soldats, tu as revêtu la toge consulaire: -songe seulement à ce que tu étais autrefois et à ce qu’a fait de toi la -faveur de ton maître! Et, te rappelant tout cela, garde-toi d’être -ingrat pour ton bienfaiteur!» Ainsi il lui ferma la bouche, et le -contraignit au silence. Mais Gaïmas, voyant qu’il ne pouvait rien contre -lui ouvertement, ordonna à une troupe de barbares de mettre le feu, le -nuit, à son palais. Et l’on sut alors avec quelle assistance saint Jean -gardait la ville. Car la troupe des barbares vit s’avancer contre elle -une troupe d’anges en armes, qui, aussitôt, les mirent en fuite. Ces -barbares vinrent rapporter la chose à Gaïmas, qui en fut très étonné, se -demandant quels pouvaient être ces soldats qu’il ne connaissait pas. La -nuit suivante, le même miracle se reproduisit. Et, la nuit qui suivit -celle-là, Gaïmas lui-même, s’étant mis à la tête de ses hommes, se -trouva repoussé par une cohorte invincible, qu’il se figura être formée -de soldats recrutés en secret par l’évêque, et tenus cachés par lui au -fond de son palais. Sortant alors de Constantinople, il se rendit en -Thrace, y réunit une grande armée de barbares, et s’apprêta à dévaster -tout le pays. L’empereur, effrayé, chargea l’évêque Jean de se rendre -auprès de lui en ambassadeur; et Jean se mit courageusement en route, -oubliant son inimitié. Or Gaïmas, ayant reconnu ses torts et le bon -droit de l’évêque, vint au-devant de lui, lui baisa la main, et ordonna -à ses fils d’embrasser ses genoux. - -Vers le même temps surgit, dans l’église, la question de savoir si Dieu -avait un corps; et de cette question naquirent des luttes sans fin. La -majorité des moines, dans leur simplicité, se laissèrent séduire par -ceux qui soutenaient que Dieu avait un corps. Et comme, au contraire, -l’évêque d’Alexandrie, Théophile, connaissant la vérité, avait -solennellement condamné ceux qui prêtaient à Dieu une forme humaine, les -moines d’Egypte, sortis de leurs cellules, vinrent à Alexandrie pour -exciter le peuple à la révolte contre l’évêque. Celui-ci, effrayé, leur -dit: «Vous m’apparaissez comme la face même de Dieu!» Et eux: «Puisque -tu reconnais que Dieu a une face comme nous, aie soin de prononcer -l’anathème contre les livres d’Origène, qui contredisent notre opinion! -Que si tu ne le fais pas, nous te tiendrons pour rebelle aux empereurs -et à Dieu, et nous te traiterons en conséquence!» Et lui: «Epargnez-moi, -car je suis prêt à faire ce qui vous plaira!» Et ainsi il détourna la -colère des moines. Mais on entend bien que ce sont seulement les simples -d’esprit, parmi les moines, qui se laissèrent séduire par une erreur -aussi puérile. - -Tandis que cela se passait en Egypte, Jean, à Constantinople, maintenait -la pure doctrine, à l’admiration de tous. Mais les ariens, dont le -nombre avait grandi, et qui possédaient une église en dehors de la -ville, poussaient l’audace jusqu’à pénétrer, le dimanche, dans l’église -même de Jean, en chantant leurs hymnes et antiennes, ou bien encore en -disant, par dérision à l’adresse des orthodoxes: «Voilà donc les -insensés qui prétendent que trois ne font qu’un!» Alors Jean, craignant -que les simples ne se laissassent entraîner à l’hérésie, ordonna aux -fidèles de se réunir la nuit dans les églises, pour entendre des -prédications et chanter des hymnes. Et il organisa aussi des -processions, où l’on portait des croix d’argent avec des flambeaux -d’argent. Sur quoi les ariens, furieux, poussèrent leur audace jusqu’au -meurtre. Une nuit, l’eunuque Brison, qui assistait Jean dans ses offices -de nuit, fut frappé d’une pierre à l’aine; et un certain nombre d’hommes -des deux partis furent mis à mort. De telle sorte que l’empereur, pour -arrêter le scandale, interdit formellement aux ariens de chanter leurs -hymnes en public. - -Vers le même temps l’évêque Sévérien, favori de l’empereur et de -l’impératrice, vint à Constantinople, et fut affectueusement accueilli -par Jean, qui, lorsqu’il partit pour l’Asie, lui laissa la garde de son -église. Mais Sévérien, au lieu de s’acquitter loyalement de cette -mission, travailla à détourner sur lui-même la faveur que le peuple -accordait à Jean. Et comme le prêtre Sérapion avait averti Jean de ce -qui se passait, Sévérien, furieux, s’écria: «Si ce Sérapion ne meurt -pas, je veux que le Christ n’ait pas été incarné!» Ce qu’apprenant, -Jean, à son retour, le chassa de la ville comme blasphémateur. La chose -déplut fort à l’impératrice, qui, rappelant Sévérien, demanda à Jean de -se réconcilier avec lui. Mais Jean s’y refusa; et l’impératrice, pour le -fléchir, dut mettre sur ses genoux son fils Théodose. - -Vers le même temps, Théophile, l’évêque d’Alexandrie, chassa injustement -un saint homme nommé Dioscore, et cet Isidore qu’autrefois il avait -soutenu. Tous deux vinrent alors à Constantinople pour se plaindre de -lui; mais Jean, tout en les honorant fort, ne voulut point prendre parti -pour eux avant de mieux connaître la cause. Cependant, on rapporta -faussement à Théophile que Jean avait pris parti pour eux; et Théophile, -furieux, n’en travailla que plus ardemment à le déposséder de son siège -épiscopal. Cachant sa véritable intention, il écrivit aux divers évêques -pour leur dire qu’il condamnait les livres d’Origène. Il circonvint -aussi le saint et glorieux évêque de Chypre, Epiphane, qui, ayant réuni -son clergé, lui interdit la lecture d’Origène, et écrivit à Jean pour -lui demander de suivre son exemple. Mais Jean, sans s’émouvoir de toutes -les intrigues organisées contre lui, continuait à développer la pure -doctrine de l’Eglise. - -Enfin Théophile laissa voir ouvertement sa haine, et révéla son désir de -déposséder Jean de son siège. Il eut aussitôt pour le seconder bon -nombre de prêtres et de fonctionnaires impériaux, qui ne cherchaient -qu’une occasion de se débarrasser de l’évêque. - -Peu de temps après, Epiphane vint à Constantinople, pour faire condamner -les écrits d’Origène. Par égard pour son ami Théophile, il déclina -l’invitation de Jean. Et tel était le respect qu’on avait pour lui que, -sur sa demande, bien des gens souscrivirent à la condamnation d’Origène. -D’autres, au contraire, s’y refusèrent, et parmi eux Théotine, évêque de -Sicée, homme célèbre par la droiture de sa vie. Jean, cependant, -supporta sans se fâcher qu’Epiphane intervînt dans les affaires de son -église, en dehors de toute règle. Il demandait seulement à Epiphane de -prendre rang parmi ses évêques. Mais Epiphane répondit qu’il n’en ferait -rien aussi longtemps que Jean n’aurait pas chassé Dioscore et souscrit à -la condamnation des livres d’Origène. Et bientôt Epiphane, devant la -résistance de Jean, commença à attaquer celui-ci comme un défenseur des -hérétiques. Jean lui écrivit alors: «Tu as fait bien des choses contre -les règles, Epiphane! Tu as ordonné des prêtres dans mon église, tu y as -célébré les offices saints, de ta propre autorité, tu as refusé de -répondre à mes invitations. Que si le peuple se soulève contre toi, la -responsabilité en sera toute à toi seul!» Au reçu de cette lettre, -Epiphane quitta Constantinople. Mais, avant de partir, il écrivit à -Jean: «J’espère que tu ne mourras pas évêque!» A quoi Jean répondit: -«J’espère que tu ne rentreras pas vivant dans ta patrie!» Et les deux -prophéties se réalisèrent: car Epiphane mourut en chemin, et Jean, -dépossédé de son épiscopat, finit sa vie en exil. - -Cet Epiphane, dont les reliques eurent, plus tard, le privilège de -chasser les démons, était un homme d’une générosité merveilleuse. Un -jour, comme il avait dépensé en aumônes tout le trésor de son église, un -inconnu vint tout à coup lui apporter un sac plein d’or, après quoi il -disparut, et jamais on ne sut d’où il était venu. Une autre fois, des -méchants, voulant tromper Epiphane pour en obtenir de l’argent, -imaginèrent la ruse que voici: l’un d’eux s’étendit à terre, -contrefaisant le mort, tandis que l’autre, debout près de lui, feignait -de se lamenter, et gémissait qu’il n’avait pas d’argent pour ensevelir -son ami. Survient Epiphane, qui prie pour le repos de l’âme du mort, -pourvoit à sa sépulture, console le survivant, et s’en va. Aussitôt -l’homme de secouer son compagnon, en lui disant: «Lève-toi, nous allons -pouvoir nous régaler!» Mais en vain il le secouait, car le malheureux -était mort. L’imposteur, désolé, courut avouer sa faute à Epiphane, en -le suppliant de ressusciter son compagnon. Et Epiphane le consola de son -mieux, mais ne voulut point ressusciter le mort, afin que l’accident -servît d’exemple à ceux qui seraient tentés de tromper les ministres de -Dieu. - -Or, quand Epiphane eut quitté Constantinople, on rapporta à Jean que -l’impératrice Eudoxie avait excité contre lui ce vénérable évêque. -Aussitôt Jean, avec son zèle accoutumé, fit, en présence de tous, un -sermon où il parlait de toutes les femmes en des termes très violents. -Et l’on fut unanime à considérer ce sermon comme dirigé contre -l’impératrice. Ce qu’apprenant, celle-ci se plaignit à l’empereur, et -réclama vengeance. Poussé par elle, l’empereur ordonna la convocation du -synode réclamé par Théophile, et auquel Jean s’était toujours opposé. - -Aussitôt Théophile convoqua tous les évêques ennemis de Jean; et -ceux-ci, réunis à Constantinople, ne s’occupaient plus des livres -d’Origène mais se posaient ouvertement en adversaires de Jean. Ils -sommèrent celui-ci de comparaître devant eux. Mais Jean, malgré quatre -appels, refusa de se livrer à des ennemis, et réclama la convocation -d’un synode universel. Sur quoi les évêques le condamnèrent, sans avoir -rien trouvé à lui reprocher, sinon son refus de se rendre à leur -citation. En conséquence, l’empereur ordonna qu’il fût au plus vite -envoyé en exil; mais le peuple, indigné, se souleva en sa faveur et -refusa de le laisser sortir de l’église, demandant que sa condamnation -fût portée devant un concile général. Alors Jean, pour éviter que la -sédition ne s’étendît, quitta l’église à l’insu du peuple et partit pour -l’exil. Mais le peuple, dès qu’il l’apprit, se souleva plus encore; et -bon nombre de ses anciens ennemis se convertirent à sa cause, -reconnaissant qu’on l’avait calomnié. - -Cependant Sévérien, dont nous avons parlé plus haut, diffamait Jean -jusque dans son église. Il disait que, si même Jean n’avait pas commis -d’autre faute, son orgueil aurait suffi à justifier sa condamnation. Et -cet impudent propos accrut à tel point la fureur du peuple contre les -évêques et l’empereur lui-même, qu’Eudoxie dut prier son mari de faire -revenir d’exil celui qu’elle avait contribué à chasser: sans compter -que, un grand tremblement de terre ayant ravagé la ville, le peuple -avait été d’accord pour voir là un châtiment de l’injuste expulsion de -Jean. - -On envoya donc à celui-ci des ambassadeurs pour le prier de revenir au -plus vite. A trois reprises il s’y refusa; mais, la troisième fois, il -fut ramené de force à Constantinople, où tout le peuple vint au-devant -de lui avec des cierges et des lampes. Et comme il se refusait à -s’asseoir sur son siège épiscopal aussi longtemps que le synode n’aurait -pas retiré la sentence portée contre lui, c’est encore de force que le -peuple le réinstalla sur son siège et l’amena à prêcher de nouveau. -Aussitôt Théophile s’enfuit de Constantinople. Lorsqu’il arriva à -Hierapolis, l’évêque de cette ville venait de mourir, et sa succession -avait été offerte à un saint moine appelé Lamon. Celui-ci ne voulait à -aucun prix accepter une telle offre. Et comme Théophile insistait pour -qu’il l’acceptât, il feignit enfin de consentir, en disant: «Demain, ce -qui plaît à Dieu s’accomplira!» Le lendemain, comme on l’engageait de -nouveau à accepter l’épiscopat, il dit: «Adressons d’abord une prière au -Seigneur!» Et, quand il eut achevé sa prière, on s’aperçut que sa vie -s’était achevée du même coup. - -Jean, cependant, persistait vigoureusement dans sa doctrine. On venait -alors d’élever, sur une place, en face de l’église de Sainte-Sophie, une -statue d’argent de l’impératrice Eudoxie: et des jeux publics y avaient -lieu en son honneur. Jean en fut indigné, voyant là un outrage à son -église. Il s’arma donc la langue de nouveau, avec son intrépidité -ordinaire: et au lieu de supplier l’empereur de faire cesser le -scandale, il employa toute son éloquence à protester contre celui-ci. Ce -dont l’impératrice s’offensa profondément; et de nouveau elle mit tout -en œuvre pour faire condamner Jean par un synode d’évêques. C’est alors -que Jean, dans son église, prononça contre elle l’homélie fameuse qui -commençait ainsi: «Une fois de plus Hérodiade délire, une fois de plus -elle rêve de voir la tête de Jean déposée sur un plat!» Et la fureur -d’Eudoxie redoubla encore. - -Mais, comme un de ses serviteurs voulait tuer Jean, le peuple s’empara -de lui; et on l’aurait mis à mort si le préfet n’avait eu la précaution -de le faire disparaître. Quelques jours après, le domestique d’un prêtre -se jeta sur Jean et voulut le tuer. Retenu par des fidèles, il frappa -trois d’entre eux, et, la foule étant accourue, il commit encore -d’autres meurtres. Mais le peuple continuait à tenir Jean sous sa garde, -entourant sa maison, nuit et jour, pour empêcher qu’on ne l’attaquât. - -Sur le conseil d’Eudoxie, un nouveau synode d’évêques se réunit à -Constantinople, avec la mission de condamner Jean; et, la veille de -Noël, l’empereur défendit à Jean de donner la communion avant de s’être -justifié des accusations portées contre lui. Les évêques, de leur côté, -le condamnèrent une deuxième fois, lui reprochant, à présent, d’avoir -siégé sur son trône épiscopal après sa déposition. Et, aux approches de -Pâques, l’empereur manda à Jean défense d’entrer désormais dans son -église, puisque deux synodes l’avaient condamné. Sur son ordre, Jean fut -chassé de Constantinople et relégué dans une petite ville, à la -frontière de l’empire, dans le voisinage immédiat de cruels barbares. -Mais Dieu, dans sa clémence, ne permit point que son fidèle athlète -demeurât longtemps en cette situation. Comme Jean, fatigué d’un long -voyage, souffrait cruellement de ses maux de tête, exposé à l’ardeur -insupportable du soleil, son âme s’envola de son corps, à Cumanes, le -quatorzième jour de septembre. - -A sa mort, une grêle effroyable s’abattit sur Constantinople et tous les -environs; et tous reconnurent là un signe de la colère de Dieu, à cause -de l’injuste condamnation de Jean. Croyance qui se trouva confirmée -encore, quatre jours après, par la mort subite de l’impératrice Eudoxie. - -Les évêques d’Occident, désolés de la mort de l’admirable docteur, se -refusèrent à communiquer avec les évêques d’Orient jusqu’au jour où le -nom sacré de saint Jean Chrysostome serait réinstallé dans l’honneur à -lui dû. Et le pieux Théodose, fils d’Arcade, fit transporter les restes -de saint Jean à Constantinople, où, les invoquant dévotement, il demanda -au saint d’intercéder en faveur de ses parents Arcade et Eudoxie, qui -avaient péché contre lui dans leur ignorance. - -Ce Théodose était un prince si clément que jamais il ne voulut condamner -à mort aucun de ceux qui lui faisaient du mal. Il disait à ce propos: -«Hélas, que ne m’est-il possible, plutôt, de rappeler à la vie les -morts!» Sa cour ressemblait à un monastère; et il ne cessait point de -lire des livres sacrés. Il avait une femme, nommée Eudoxie, qui écrivit -de nombreux poèmes. Et il avait aussi une fille, également nommée -Eudoxie, qu’il donna en mariage à Valentinien, associé par lui à -l’empire. - -Jean Chrysostome mourut vers l’an du Seigneur 407. Ajoutons que tout ce -qu’on vient de lire est directement extrait de l’_Histoire tripartite_. - - - - -XXXV - -LA PURIFICATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE - -(2 février) - - -I. La Purification se célèbre le quarantième jour après la Nativité du -Seigneur; et cette fête porte aussi les noms d’Hypopante et de -Chandeleur. On l’appelle la Purification, parce que, quarante jours -après la Nativité du Seigneur, la Vierge vint au temple, pour être -purifiée suivant la loi. Car la loi juive avait décrété que toute femme -ayant enfanté un fils restait absolument impure pendant sept jours, -c’est-à-dire exclue à la fois du contact de l’homme et de l’entrée du -temple. Après sept jours, elle devenait pure quant au contact de -l’homme, mais restait impure pendant trente-trois jours encore quant à -l’entrée du temple. Enfin, le quarantième jour après sa délivrance, elle -était admise dans le temple, où elle offrait son enfant avec des -présents. Que si elle avait mis au monde une fille, la durée de son état -d’impureté était doublée, tant quant au contact de l’homme que quant à -l’entrée du temple. - -La Vierge Marie n’avait pas à se soumettre à cette loi de purification, -puisque sa grossesse ne venait point d’une semence humaine, mais de -l’inspiration divine. Cependant elle voulut se soumettre à cette loi, -pour quatre raisons: 1º pour donner l’exemple de l’humilité; 2º pour -rendre hommage à la Loi, que son divin fils venait accomplir et non -point détruire; 3º pour mettre fin à la purification juive, et pour -commencer la purification chrétienne, qui se fait par la foi, purifiant -les cœurs; 4º pour nous apprendre à nous purifier, durant toute notre -vie. - -Donc la Vierge vint au temple, y présenta son fils, et le racheta -moyennant cinq cicles. Car les premiers nés des douze tribus pouvaient -se racheter, tandis que les premiers nés des lévites ne le pouvaient -pas, et, parvenus à l’âge adulte, devaient tous servir dans le Temple. -Et comme le Christ était de la tribu de Juda, il avait à être racheté. -La Vierge offrit pour lui au Seigneur un couple de tourterelles, ce qui -était l’offrande des pauvres, tandis que l’agneau était l’offrande des -riches. Et l’on peut se demander, à ce propos, si la Vierge Marie, qui -avait reçu des mages un grand poids d’or, n’avait pas le moyen d’acheter -un agneau. Mais nous devons admettre, avec saint Bernard, que la Vierge, -au lieu de garder cet or pour elle-même, l’avait aussitôt distribué aux -pauvres; ou bien, peut-être, le réservait-elle pour les sept années de -sa fuite en Egypte; ou peut-être encore les mages n’avaient-ils pas -offert une grande quantité d’or, mais simplement un peu d’or, à titre de -symbole mystique? - -En second lieu, cette fête s’appelle l’Hypopante, ou Présentation, parce -que le Christ fut présenté au Temple, où Siméon et Anne le reçurent. Et -Siméon, le prenant dans son sein, le bénit en disant: «Tu peux -maintenant congédier ton serviteur, etc.» Et Siméon, dans son cantique, -appela Jésus de trois noms: salut, lumière et gloire du peuple d’Israël. - -En troisième lieu, cette fête s’appelle la Chandeleur, parce que les -fidèles portent, ce jour-là, des cierges allumés. Et cette institution -s’explique par quatre raisons: - -1º Elle a pour objet de corriger une habitude païenne. Car autrefois les -Romains, pour honorer la déesse Februa, mère du dieu Mars, avaient -coutume, tous les cinq ans, les premiers jours de février, d’illuminer -la ville avec des cierges et des torches, pour obtenir de la déesse que -son fils Mars leur assurât la victoire sur leurs ennemis. Et -l’intervalle de cinq ans compris entre ces fêtes s’appelait un lustre. -Les Romains avaient aussi la coutume de célébrer, durant le mois de -février, Pluton, et les autres dieux infernaux; et, pour obtenir leur -faveur à l’égard des âmes des morts, ils leur offraient des victimes -solennelles, et passaient toute une nuit à chanter leurs louanges, avec -des torches et des cierges allumés. Les femmes, surtout, célébraient -cette fête, à cause de l’une des fables de leur religion. Car les poètes -avaient dit que Pluton, frappé de la beauté de Proserpine, l’avait -enlevée et en avait fait sa femme; mais que les parents de la déesse, ne -sachant ce qu’elle était devenue, l’avaient longtemps cherchée avec des -torches et des cierges allumés: en souvenir de quoi les femmes romaines -faisaient leur procession, pour se gagner la faveur de Proserpine. Et, -comme c’est toujours chose difficile de renoncer à une habitude, le pape -Serge décréta que, pour donner à cette habitude-là une portée -chrétienne, on honorerait tous les ans la Vierge, dans ce jour, en -portant à la main un cierge bénit. De cette façon l’ancienne coutume -subsistait, mais relevée par une intention nouvelle. - -2º La Chandeleur a été instituée pour démontrer la pureté de la Vierge. -Pour bien affirmer cette pureté aux yeux de tous, l’Eglise a ordonné que -nous portions des cierges allumés, comme afin de dire: «Vierge -bienheureuse, tu n’as pas besoin de purification, mais au contraire tu -es toute lumière, toute pureté!» Telle était, en effet, la pureté de la -Vierge qu’elle rayonnait même au dehors d’elle, éteignant chez les -autres tout mouvement de concupiscence charnelle. Aussi les Juifs nous -disent-ils que, bien que Marie ait été d’une beauté merveilleuse, aucun -homme jamais n’a pu la désirer. - -3º La procession de la Chandeleur symbolise celle que firent Marie, -Joseph, Siméon et Anne, lorsqu’ils présentèrent au temple l’enfant -Jésus. - -4º Enfin la Chandeleur a pour but notre instruction. Elle nous apprend -que, si nous voulons être purifiés devant Dieu, nous devons posséder la -foi sincère, l’action désintéressée, et l’intention droite. Car le -cierge allumé représente la foi avec les bonnes œuvres. Et la mèche qui -est cachée dans la cire représente l’intention droite, dont saint -Grégoire nous dit: «Que vos œuvres soient publiques, mais que vos -intentions demeurent cachées!» - -II. Une femme noble avait pour la sainte Vierge une grande dévotion. -Elle s’était fait construire une chapelle près de sa maison; et, tous -les jours, son chapelain disait devant elle une messe en l’honneur de la -Vierge. Mais un jour, qui était la fête de la Purification, cette femme -ne put pas assister à sa messe, soit que son chapelain se fût absenté, -ou que, suivant d’autres, elle se fût défaite de tous ses vêtements, par -générosité, et n’eût pas de quoi se vêtir pour la messe. Désespérée, -elle se prosterna devant l’autel de la Vierge, sans doute dans sa -chambre; et soudain, ravie en extase, elle se vit transportée dans une -église merveilleuse où entraient une foule de vierges, sous la conduite -d’une d’entre elles, la plus belle de toutes, couronnée d’un diadème. Et -lorsque toutes se furent assises, une troupe de jeunes gens vinrent -s’asseoir près d’elles. Puis apparut un homme apportant un énorme -faisceau de cierges qu’il distribua aux assistants, en commençant par la -Vierge couronnée qui occupait la place d’honneur. Cet homme vint enfin à -notre matrone, et lui remit également un cierge, qu’elle reçut avec -joie. Elle regarda ensuite dans le chœur, et vit s’avancer vers l’autel -deux porteurs de cierges, puis un sous-diacre, puis un diacre, enfin un -prêtre revêtu des ornements sacrés, comme pour célébrer la messe. Et -elle reconnut que les deux acolytes étaient saint Vincent et saint -Laurent, que le diacre et le sous-diacre étaient deux anges, et que le -prêtre était le Christ lui-même, Et la messe commença, chantée à haute -voix par les officiants, tandis que toute l’assistance, en chœur, -l’accompagnait. Quand vint l’offrande, la reine des vierges, les autres -vierges et toute l’assistance allèrent, suivant l’usage, s’agenouiller -devant le prêtre et lui remettre leurs cierges. Seule la matrone restait -debout, au fond de l’église. Alors le prêtre lui envoya la reine des -vierges, pour lui dire que c’était une inconvenance de le faire attendre -si longtemps. Mais la matrone répondit que le prêtre eût à continuer sa -messe, car elle ne voulait pas rendre son cierge. On lui délégua un -autre messager: elle répondit que, par piété, elle garderait toujours le -cierge qui lui avait été remis. Un troisième messager alla vers elle, -avec ordre de lui enlever par force le cierge, si elle se refusait à -venir l’offrir. Et comme elle continuait à s’y refuser, une longue lutte -s’engagea entre le messager et elle, jusqu’à ce qu’enfin le cierge se -rompît, de telle façon que la matrone et le messager en gardaient en -main chacun une moitié. Là-dessus, la dame se réveilla de sa vision, et -constata qu’elle tenait en main la moitié d’un cierge. Ce que voyant, -elle rendit d’immenses grâces à Notre Dame, qui lui avait permis -d’assister à la messe ce jour-là, et à une messe comme celle où elle -avait assisté. Après quoi elle garda le cierge comme une relique des -plus précieuses; et quiconque le touchait était aussitôt guéri, de -quelque maladie qu’il fût atteint. - - - - -XXXVI - -SAINT BLAISE, ÉVÊQUE ET MARTYR - -(3 février) - - -I. Blaise s’étant signalé par sa mansuétude et sa sainteté, les -chrétiens de Sébaste en Cappadoce l’élurent pour leur évêque; et lorsque -les persécutions de Dioclétien l’eurent forcé à quitter son évêché, il -se réfugia dans une caverne, et y mena la vie d’un ermite. Les oiseaux -lui apportaient sa nourriture, et venaient en foule vers lui, et ne -s’envolaient pas avant qu’il les eût bénis. Et lorsque l’un d’eux était -malade, il venait à lui, et recouvrait la santé. Or, certain jour, -l’équipage du gouverneur de la province, après avoir longtemps battu le -pays sans rencontrer aucun gibier, parvint à l’endroit où s’était retiré -saint Blaise, et y vit une foule énorme d’oiseaux et d’autres bêtes, -entourant l’ermite comme pour lui demander de les protéger. Et, en -effet, les chasseurs ne purent absolument pas mettre la main sur eux. -Etonnés, ils firent part de la chose à leur maître, qui ordonna que -l’ermite fût amené devant lui. Cette même nuit, saint Blaise vit trois -fois, en rêve, le Christ, qui lui dit: «Lève-toi et offre-moi un -sacrifice!» Et voilà qu’arrivèrent les soldats, disant: «Viens, le -gouverneur t’appelle!» Et saint Blaise leur répondit: «Bienvenus -êtes-vous, mes enfants! Je vois que Dieu ne m’a pas oublié!» - -II. Sur tout son chemin il ne cessa point de prêcher, et fit, en -présence de ses gardiens, de nombreux miracles. Une femme lui amena son -fils, dans le gosier duquel s’était fixée une arête de poisson; elle le -déposa à ses pieds et demanda, en pleurant, qu’il fût guéri. Et saint -Blaise, étendant les mains sur lui, pria Dieu qu’il fût guéri; et -l’enfant fut guéri aussitôt. Une autre femme, qui était très pauvre, -vint demander à saint Blaise de lui faire rendre son unique pourceau, -qu’un loup lui avait enlevé. Et le saint lui dit en souriant: «Bonne -femme, ne te fais pas de chagrin! Ton pourceau te sera rendu!» Et -aussitôt on vit accourir le loup, qui rapportait à la veuve le pourceau -qu’il lui avait pris. - -III. Dès qu’il fut arrivé dans la ville, saint Blaise fut jeté en -prison. Le lendemain, le gouverneur se le fit amener, et, d’abord essaya -de le séduire par de douces paroles, lui disant: «Bonjour, Blaise ami -des dieux!» Et Blaise: «Bonjour aussi à toi, excellent gouverneur! Mais -ne donne pas le nom de dieux à des démons, qui rôtissent au feu éternel -avec ceux qui les honorent!» Le gouverneur, furieux, le fit battre de -verges et reconduire dans sa prison. Et Blaise lui dit: «Insensé! -Espères-tu donc m’enlever, par tes punitions, l’amour d’un Dieu qui est -en moi et qui me donne la force de supporter toutes les punitions?» -Apprenant qu’on l’avait mis en prison, la veuve à qui il avait fait -rendre son pourceau tua le pourceau et lui en envoya la tête et les -pieds, ainsi qu’un pain et une chandelle. Et saint Blaise rassasia sa -faim, et fit dire à la veuve: «Offre tous les ans une chandelle dans -l’église qui portera mon nom, et tu t’en trouveras bien, toi, et tous -ceux qui feront comme toi!» La veuve le fit tous les ans, et vécut -depuis lors dans la prospérité. - -IV. Cependant le gouverneur, voyant qu’il ne pouvait convertir le saint -au culte des dieux, le fit suspendre à un poteau et ordonna qu’on lui -labourât les chairs avec des pointes de fer. Après quoi il le fit -ramener dans sa prison. - -Or sept femmes, suivant le saint, recueillaient les gouttes de son sang. -Le gouverneur les fit saisir et voulut les forcer à sacrifier aux dieux. -Mais elles dirent: «Si tu veux que nous adorions tes dieux, fais-les -conduire au bord de l’étang, afin que, lorsqu’on les aura lavés, nous -puissions les adorer!» Le gouverneur y consentit volontiers. Et les sept -femmes, empoignant les idoles, les lancèrent au milieu de l’étang, -disant: «Si ce sont des dieux, nous le verrons bien!» Et comme le -gouverneur, exaspéré, invectivait ses officiers, qui avaient permis un -tel sacrilège, les sept femmes lui dirent: «Si ces idoles avaient été -des dieux, elles auraient bien prévu ce que nous avions l’intention de -leur faire!» Le préfet fit préparer, d’une part, du plomb fondu, des -peignes de fer et sept casques de fer rougi, et, d’autre part, sept -tuniques de lin. Et il dit aux femmes de choisir entre ces tuniques et -les pires supplices. Alors l’une des femmes, qui était mère de deux -petits enfants, saisit les tuniques de lin et les jeta au feu. Et ses -enfants lui dirent: «Mère chérie, ne nous laisse pas derrière toi, mais, -de même que tu nous as remplis de la douceur de ton lait, remplis-nous -de la douceur du royaume des cieux!» Alors le gouverneur les fit -attacher à des poteaux, et fit labourer leurs corps de pointes de fer. -Mais leur chair restait blanche comme la neige, et, au lieu de sang, du -lait en jaillissait. Et, pendant qu’on les torturait, un ange leur -apparut et les consola en leur disant: «Soyez sans crainte, car le bon -ouvrier qui a bien commencé sa tâche et qui l’a bien finie se trouve -récompensé en conséquence! «Alors le gouverneur les fit plonger dans un -four ardent; mais le feu s’éteignit aussitôt, et elles en sortirent -intactes. Et le gouverneur leur dit: «Cessez maintenant vos sortilèges -magiques, et adorez nos dieux!» Mais elles lui répondirent: «Achève ce -que tu as commencé, car déjà on nous attend dans le royaume des cieux!» -Le gouverneur ordonna alors qu’on leur coupât la tête. Et au moment où -le bourreau s’approchait d’elles, elles tombèrent à genoux et prièrent -en ces termes: «Dieu, qui nous a arrachées aux ténèbres et nous a -conduites vers la douce lumière, reçois nos âmes dans la vie éternelle!» -Après quoi elles eurent la tête tranchée et s’envolèrent au ciel. - -V. Le gouverneur fit ensuite venir saint Blaise et lui dit: «Une -dernière fois, veux-tu, oui ou non, adorer les dieux?» Et Blaise: -«Impie, je ne crains pas tes menaces. Je te livre mon corps, fais-en ce -que tu voudras!» Le gouverneur donna ordre de le jeter dans l’étang. -Mais saint Blaise fit le signe de la croix sur l’eau de l’étang, et -aussitôt celle-ci se figea comme une terre sèche. Et le saint dit: «Si -vos dieux sont de vrais dieux, montrez leur pouvoir en entrant dans -cette eau!» Et soixante-cinq hommes entrèrent dans l’eau et furent -noyés. Et un ange descendit vers saint Blaise et lui dit: «Blaise, sors -de l’étang et va recevoir la couronne que Dieu t’a préparée!» Et, quand -il fut sorti de l’étang, le gouverneur lui dit: «Refuses-tu toujours -d’adorer les dieux?» Et Blaise: «Apprends, malheureux, que je suis -serviteur du Christ, et ne saurais adorer les démons!» Le gouverneur le -condamna à être décapité. Et le saint, avant de tendre le cou au -bourreau, pria Dieu que tous ceux qui, souffrant d’une maladie de la -gorge, imploreraient son aide, fussent exaucés et guéris. Et voici -qu’une voix, du haut du ciel, lui dit que ce qu’il demandait lui était -accordé. Après quoi, le saint fut décapité, en compagnie des deux petits -enfants. Ce martyre eut lieu vers l’an du Seigneur 283. - - - - -XXXVII - -SAINT IGNACE, ÉVÊQUE ET MARTYR - -(4 février) - - -Saint Ignace était disciple de saint Jean, et évêque d’Antioche. Il -écrivit à la Vierge Marie une lettre ainsi conçue: «A Marie, qui a porté -le Christ, son humble serviteur Ignace. En ma qualité de néophyte et de -disciple de Jean, à qui ton Fils t’a confiée en mourant, je viens te -demander réconfort et consolation. Car j’ai entendu raconter les choses -les plus extraordinaires au sujet de ton fils Jésus, et j’hésite à les -croire. Et je te demande, à toi qui l’as toujours connu de près et qui -as su ses secrets, de me confirmer la vérité de ce que j’ai entendu. -Adieu! Les néophytes qui sont ici avec moi attendent aussi de toi leur -réconfort.» Et la bienheureuse Vierge Marie, mère de Dieu, lui répondit -en ces termes: «A Ignace, disciple aimé, l’humble servante de -Jésus-Christ. Ce que Jean t’a raconté et appris de Jésus, tout cela est -vrai. Crois-y fermement, et garde ton vœu de chrétienté, et conforme à -ce vœu tes actes et tes sentiments! J’irai d’ailleurs te voir ainsi que -Jean et tous ceux qui sont avec toi. Persévère courageusement dans ta -foi; et que la persécution ne te trouble pas, mais que ton esprit -fleurisse et exulte dans le Dieu sauveur! Amen.» - -II. Saint Ignace s’acquit une telle autorité que même l’admirable et -parfait docteur saint Denis, disciple de l’apôtre Paul, ne dédaigna pas -d’invoquer son témoignage pour la confirmation de ses paroles. Il nous -dit, en effet lui-même, dans son livre sur les noms de Dieu, que -quelques-uns ont objecté que le mot d’_amour_ n’était pas de mise pour -définir le sentiment du chrétien à l’égard de Dieu; mais, pour réfuter -cette objection, il ajoute, «Saint Ignace n’a-t-il pas écrit que son -_amour_ était crucifié?» - -III. On lit, dans l’_Histoire tripartite_, que saint Ignace entendit un -jour des anges qui, debout sur une montagne, chantaient des antiennes. -C’est alors qu’il résolut de faire chanter des antiennes à l’église, et -de faire entonner les psaumes d’après les antiennes. - -IV. Et, après avoir longtemps prié pour la paix des églises, redoutant -les dangers non pour soi-même, mais pour les faibles, il se présenta -devant l’empereur Trajan, fier de ses victoires, et qui menaçait de mort -tous les chrétiens. Et saint Ignace déclara à Trajan qu’il était -chrétien; sur quoi l’empereur le fit lier de chaînes, le confia à la -garde de dix soldats, et l’envoya à Rome, en lui signifiant que, là, il -serait livré en pâture aux bêtes. Et, pendant qu’on le conduisait à -Rome, il écrivait des lettres à toutes les églises, pour les fortifier -dans la foi du Christ. Dans une de ces lettres, adressée à l’église de -Rome, il priait cette église de ne rien faire pour s’opposer à son -martyre. Et il ajoutait: «Depuis la Syrie jusqu’à Rome, je lutte déjà -contre des bêtes féroces: car je suis gardé par dix soldats plus cruels -que des léopards; mais leur cruauté est pour moi pleine d’instruction. -Et quant aux bêtes bienfaisantes que l’on prépare pour moi à Rome, j’ai -hâte qu’on les lâche sur moi, j’ai hâte de leur offrir ma chair en -pâture! Je les inviterai à me dévorer. Je les supplierai de ne pas -craindre de toucher mon corps, comme elles ont fait parfois pour -d’autres martyrs. Mes chers frères, pardonnez-moi, mais je sais mieux -que personne ce qui me convient. Le feu, la croix, les bêtes, la rupture -des os, le morcellement de tous les membres, et tous les supplices que -le diable pourra inventer, c’est tout cela qui me convient, car tout -cela me rendra digne d’être admis en présence de Jésus!» - -A Rome, Trajan le fit venir, et lui dit: «Ignace, pourquoi excites-tu à -la révolte mes sujets d’Antioche et les convertis-tu à la foi -chrétienne?» Et Ignace: «Plût à Dieu que je pusse t’y convertir, toi -aussi; car tu obtiendrais à ce prix le seul pouvoir réel et durable!» Et -Trajan: «Sacrifie aux dieux, et je te nommerai le premier de mes -prêtres!» Et Ignace: «Je ne sacrifierai pas à tes dieux, et je n’ai que -faire du titre que tu m’offres. Fais de moi ce que tu voudras, rien ne -parviendra à me changer!» Alors Trajan dit aux bourreaux: «Frappez-lui -les épaules d’un fouet muni de plomb, déchirez-lui les côtes de pointes -de fer, et frottez ses plaies de pierres aiguës!» Et comme, sous tous -ces tourments, Ignace restait inflexible, Trajan dit: «Qu’on apporte des -charbons ardents et qu’on le fasse marcher sur eux, pieds nus.» Et -Ignace: «Ni le feu ni l’eau bouillante ne pourront éteindre en moi -l’amour de Jésus-Christ!» Et Trajan: «C’est la sorcellerie qui te permet -de résister aux supplices que je t’impose!» Mais Ignace: «Non, les -chrétiens ne sont point des sorciers, et notre loi n’a rien de commun -avec la sorcellerie; et c’est vous qui pratiquez le maléfice, en adorant -les idoles!» Alors Trajan dit: «Déchirez-lui le dos avec des ongles de -fer, et envenimez les plaies en y jetant du sel! Mais Ignace se borna à -dire: «Que sont les souffrances de ce monde en comparaison de la gloire -future?» Alors Trajan lui fit remettre des chaînes, le fit enfermer au -fond d’un cachot, défendit qu’on lui donnât à manger ni à boire, et -déclara que, trois jours après, on le livrerait aux bêtes dans le -cirque. - -Donc, trois jours après, l’empereur, le sénat, et tout le peuple se -rendirent au cirque pour voir le combat de l’évêque d’Antioche et des -bêtes féroces. Et Trajan dit: «Puisque cet Ignace montre tant d’orgueil -et d’obstination, qu’on lui lie les membres et qu’on lâche sur lui deux -lions, afin que rien ne reste de son misérable corps!» Et Ignace, se -tournant vers la foule, lui dit: «Romains qui assistez à ce combat, -sachez que ma peine n’est point sans récompense, car ce n’est point pour -ma dépravation, mais pour ma piété que je souffre ici!» Et il dit -encore, d’après ce que rapporte l’_Histoire ecclésiastique_: «Je suis le -froment du Christ, et les dents des bêtes vont me broyer afin de me -changer en un pain savoureux!» Ce qu’entendant, l’empereur dit: «Grande -est la patience de ces chrétiens! Où est le Grec qui souffrirait tout -cela pour son Dieu!» Et Ignace lui répondit: «Ce n’est point ma propre -vertu qui me donne la force de souffrir, mais l’aide du Christ!» Après -quoi il se mit à provoquer les lions pour le contraindre à le dévorer. -Et les deux terribles lions s’élancèrent enfin sur lui et -l’étranglèrent; mais rien ne put les forcer à manger sa chair. Et -Trajan, à ce spectacle, fut rempli d’étonnement. Il quitta le cirque, -après avoir ordonné qu’on ne s’opposât pas à ceux qui voudraient enlever -le corps d’Ignace. Et les chrétiens enlevèrent ce corps, et -l’ensevelirent avec honneur. Et, quelque temps après, Trajan reçut une -lettre de Pline le Jeune, où celui-ci intercédait en faveur des -chrétiens, louant fort leurs vertus. Alors l’empereur eut regret des -maux qu’il avait infligés à Ignace; et il décida que, désormais, les -chrétiens ne seraient plus recherchés, mais qu’on punirait seulement -ceux qui feraient profession publique de leur foi. - -V. Et l’on raconte encore que saint Ignace, parmi tous les tourments -qu’il eut à subir, ne cessa point d’invoquer le nom de Jésus-Christ. Et -comme ses bourreaux lui demandaient pourquoi il répétait si souvent ce -nom, il répondit: «C’est que je porte ce nom inscrit dans mon cœur!» Et -en effet, après sa mort, on ouvrit son cœur, et on y trouva le nom de -Jésus-Christ écrit en lettres d’or. Et, à la vue de ce miracle, de -nombreux païens se convertirent. - -Saint Bernard dit de ce saint, à propos du psaume _Qui habitat_: «Le -grand saint Ignace, élève du disciple préféré de Jésus, et martyr -lui-même, saluait Marie, dans les lettres qu’il lui écrivait, du nom de -Porte-Christ, Titre en vérité admirable, et commémoration d’un honneur -infini!» - - - - -XXXVIII - -SAINTE AGATHE, VIERGE ET MARTYRE - -(5 février) - - -I. Agathe, vierge, de famille noble et d’une grande beauté, habitait -Catane, où, dès l’enfance, elle cultivait saintement le Seigneur. Or, le -consul de Sicile, Quintien, homme d’extraction basse, débauché, avare et -idolâtre, convoitait de la prendre pour femme. Etant d’extraction basse, -il pensait qu’un mariage avec une jeune fille noble le ferait respecter; -étant débauché, il désirait jouir de la beauté d’Agathe; étant avare, il -guettait ses richesses; étant idolâtre, il rêvait de l’amener à -sacrifier aux dieux. Mais comme la jeune fille, sollicitée par lui, -restait inébranlable dans sa foi et sa chasteté, il la livra à une -entremetteuse nommée Aphrodise et à ses neuf filles, qui vivaient de -leur corps; et il ordonna à ces créatures d’insister pendant trente -jours auprès d’Agathe pour la faire changer d’avis. Et ces femmes -s’ingéniaient à la détourner de la bonne voie, tantôt par la promesse de -grands plaisirs, tantôt par la menace de cruels supplices. Mais sainte -Agathe leur disait: «Mon âme s’appuie sur la pierre et a ses fondements -dans le Christ; et vos paroles ne sont que du vent, vos promesses des -pluies, et les supplices dont vous voulez m’effrayer ne sont que des -flots battant le rivage. En vain tout cela fait assaut contre ma maison; -celle-ci est solide et ne tombera pas!» Mais tout en parlant ainsi elle -pleurait jour et nuit, et priait, et implorait du ciel la palme du -martyre. Et Aphrodise, la voyant rester inébranlable, dit au consul: «Ce -serait chose plus facile d’amollir une pierre ou de changer du fer en -plomb que d’écarter de sa direction chrétienne l’âme de cette jeune -fille!» - -II. Alors Quintien se fit amener Agathe et lui dit: «De quelle condition -es-tu?» Et elle: «Non seulement je suis noble, mais aussi d’une famille -illustre, comme peut l’attester toute ma maison!» Et Quintien: «Si tu es -noble, pourquoi as-tu des mœurs d’esclave?» Et elle: «Parce que je suis -l’esclave du Christ!» Et Quintien: «Si tu te dis noble, comment peux-tu, -en même temps, te dire esclave?» Et elle: «L’esclavage du Christ est la -noblesse suprême.» Alors le consul lui dit de sacrifier aux dieux, ou, -si elle s’y refusait, de s’apprêter à tous les supplices. Et Agathe lui -dit: «Que ta femme soit comme ta déesse, Vénus, et que tu sois, -toi-même, comme a été ton dieu Jupiter!» Alors Quintien la fit -souffleter, disant: «Ne t’avise pas d’injurier ton juge!» Mais Agathe -lui répondit: «Je m’étonne que, raisonnable comme tu es, tu aies la -sottise d’appeler dieux des êtres à qui tu ne veux point que ta femme et -toi vous ressembliez. Tu dis, en effet, que je t’ai injurié en te -souhaitant d’être comme Jupiter. Or, si tes dieux sont bons, je ne t’ai -rien souhaité que de bon; et si, au contraire, tu détestes leur coupable -amour, tu n’as plus qu’à devenir chrétien comme je suis chrétienne.» Et -le consul: «Assez parlé! Sacrifie aux dieux, ou je te ferai mourir dans -les pires supplices!» Et, comme elle bravait ses menaces et -l’invectivait devant tous, il la fit conduire en prison. Elle y alla -joyeuse et triomphante, comme à un festin. - -III. Le lendemain, le consul lui dit: «Renie le Christ et adore les -dieux!» Puis, sur son refus, il la fit attacher à un chevalet pour être -torturée. Et Agathe dit: «J’éprouve, parmi ces souffrances, la joie -qu’éprouve un homme qui apprend une bonne nouvelle, ou qui voit ce qu’il -a longtemps désiré voir, ou qui reçoit un immense trésor!» Le consul, -furieux, lui fit tordre les seins, et ordonna ensuite de les lui -arracher. Et Agathe: «Tyran cruel et impie, n’as-tu pas honte de couper, -chez une femme, ce que tu as toi-même sucé chez ta mère? Mais sache que -j’ai d’autres mamelles, dans mon âme, dont le lait me nourrit, et sur -lesquelles tu es sans pouvoir!» Alors le consul la fit remettre en -prison, défendant qu’aucun médecin vînt la visiter, ni qu’on lui donnât -rien à manger ni à boire. Or, voici qu’à minuit un vieillard entra dans -sa prison, précédé d’un enfant qui portait une torche. Et ce vieillard -lui dit: «Ce consul insensé qui t’a fait souffrir, tu l’as fait souffrir -davantage encore par tes réponses. Et moi, qui ai assisté à ton -supplice, j’ai vu que les plaies de tes seins pouvaient être guéries.» -Et Agathe: «Jamais je n’ai usé pour mon corps de remèdes matériels: ce -serait une honte que je perdisse aujourd’hui ce que j’ai su garder -jusqu’ici!» Et le vieillard lui dit: «Ma fille, que ta pudeur ne -s’alarme pas de moi, car je suis chrétien!» Et Agathe: «En vérité, ma -pudeur ne saurait s’alarmer, car, d’abord, tu es un vieillard, et puis, -mon corps se trouve si affreusement déchiré qu’il ne peut inspirer de -convoitise à personne. Mais je te remercie, respectable père, d’avoir -daigné t’intéresser à moi!» Et le vieillard: «Mais alors, pourquoi ne -veux-tu pas me permettre de te guérir?» Agathe répondit: «Parce que j’ai -pour maître Jésus-Christ, qui, s’il le juge bon, peut, avec un seul mot, -me guérir de suite!» Alors le vieillard sourit, et lui dit: «Eh bien, ma -fille, je suis l’apôtre de Jésus, et c’est lui qui m’a envoyé vers toi -pour t’annoncer en son nom que tu étais guérie!» Sur quoi ce vieillard, -qui était saint Pierre, disparut, répandant sur son passage une lumière -si prodigieuse que tous les gardes de la prison s’enfuirent, épouvantés. -Et sainte Agathe se trouva entièrement guérie, avec ses deux seins -restaurés par miracle. Et, comme les portes de la prison étaient -ouvertes, d’autres prisonniers l’engagèrent à s’enfuir avec eux. Mais -elle répondit: «A Dieu ne plaise que je perde, en m’enfuyant, la -couronne qui m’est réservée, et que j’expose aussi les gardes à souffrir -de mon fait!» - -IV. Quatre jours après, le consul la fit comparaître devant lui, et, de -nouveau, lui ordonna d’adorer les dieux. Et Agathe: «Tes paroles ne sont -que du vent; comment veux-tu, insensé, que j’adore les pierres, et que -je renie le Dieu du ciel qui m’a guérie?» Et le consul: «Qui t’a -guérie?» Et Agathe: «Le Christ, fils de Dieu!» Et Quintien: «Oses-tu -citer de nouveau ce nom que je ne veux pas entendre?» Et Agathe: «Tant -que je vivrai, mon cœur et mes lèvres invoqueront le Christ!» Et -Quintien: «Nous allons bien voir si ton Christ te guérit une seconde -fois!» Il ordonna alors de répandre des tessons brisés, d’y mêler des -charbons ardents, et de traîner la jeune fille, toute nue, sur ce lit -mortel. Mais pendant qu’on procédait au supplice, un grand tremblement -de terre survint, qui ébranla toute la ville, renversa le palais, et -écrasa deux conseillers de Quintien. Et tout le peuple accourut vers le -consul, lui reprochant d’avoir causé cette catastrophe par l’injuste -punition infligée à Agathe. Alors Quintien, qui redoutait à la fois le -tremblement de terre et la sédition du peuple, fit ramener Agathe dans -sa prison, où elle se mit en prière et dit: «Seigneur Jésus, toi qui -m’as créée et gardée depuis l’enfance, toi qui as préservé mon corps de -souillure et mon esprit de l’amour du siècle, toi qui m’as permis de -vaincre les souffrances, reçois maintenant mon âme dans ta miséricorde!» -Et, après avoir ainsi prié à très haute voix, elle expira. Cela se -passait vers l’an du Seigneur 253, sous le règne de l’empereur Décius. - -V. Les fidèles oignirent son corps d’aromates et le placèrent dans un -sarcophage. Et voici qu’un jeune homme revêtu d’une tunique de soie, et -accompagné de cent autres beaux jeunes gens en tuniques blanches, -s’approcha du tombeau, y déposa une tablette de marbre, et disparut -aussitôt avec ses compagnons. Et, sur la tablette était écrit ceci: «Ame -sainte, spontanée, honneur à Dieu et délivrance de la patrie.» Ce qui -signifie qu’Agathe eut une âme sainte, s’offrit spontanément au martyre, -fit honneur à Dieu, et sauva sa patrie. Et le don miraculeux de cette -tablette de marbre eut pour résultat que même les païens et les Juifs -commencèrent à vénérer le tombeau de la sainte. Quant à Quintien, il se -rendait à la maison de sainte Agathe, dans l’espoir d’y découvrir des -trésors cachés, lorsque les deux chevaux de son char se mirent à frémir -des dents et à ruer; et l’un d’eux le mordit, l’autre, d’un coup de -sabot, le lança dans le fleuve, où jamais son corps ne put être -retrouvé. - -VI. Un an environ après la mort de sainte Agathe, une montagne voisine -de Catane se rompit et un torrent de feu en jaillit, qui, sautant de -rocher en rocher et brûlant tout sur son passage, menaçait de s’abattre -bientôt sur la ville. Alors la foule des païens courut au tombeau de la -sainte, arracha le voile qui le couvrait et l’étendit au pied de la -montagne; et ce voile arrêta la descente du feu, et sauva la ville. Ce -miracle eut lieu le jour même de l’anniversaire de la naissance de -sainte Agathe. - - - - -XXXIX - -SAINT VAST, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR - -(6 février) - - -Vast fut ordonné par saint Rémy à l’évêché d’Arras. En arrivant à la -porte de cette ville, il rencontra deux mendiants, un boiteux et un -aveugle, qui lui demandèrent l’aumône. Et il leur dit: «Je n’ai ni or ni -argent, mais ce que j’ai, je vous le donne!» Et il pria pour eux, et -tous deux furent guéris.--Un loup s’était installé dans une église -abandonnée: saint Vast lui ordonna de sortir de l’église et de n’y plus -jamais revenir, et le loup obéit. - -La quarantième année de son épiscopat, après avoir converti une foule de -païens par sa parole et son exemple, saint Vast vit une colonne de feu -qui descendait du ciel jusque sur sa maison. Il comprit que sa fin -approchait; et, en effet, peu de temps après il s’endormit dans le -Seigneur, vers l’an 550. Et comme on l’enterrait, le vieux saint Omer, -qui, étant aveugle, se désolait de ne pouvoir pas voir le corps du saint -évêque, recouvra la vue; puis, quand il eut vu le corps du saint, il -demanda et obtint de redevenir aveugle. - - - - -XL - -SAINT AMAND, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR - -(6 février) - - -Né de parents nobles, Amand se fit moine dès sa jeunesse. Se promenant -dans son monastère, il vit un serpent: il pria Dieu, fit le signe de la -croix, et obtint que la bête rentrât dans son nid pour n’en plus jamais -sortir. Il se rendit, plus tard, au tombeau de saint Martin et y resta -quinze ans, couvert d’un cilice, et sans autre aliment que de l’eau et -du pain d’orge. - -S’étant rendu à Rome, il voulut prier toute la nuit dans l’église de -saint Pierre; mais le gardien de l’église le chassa brutalement. Alors -le saint s’endormit devant la porte, et saint Pierre lui apparut, qui -lui ordonna de se rendre en Gaule pour y faire honte de ses crimes au -roi Dagobert. Mais ce roi, irrité, lui enjoignit tout de suite de sortir -de son royaume. - -Cependant Dagobert, qui se désolait de n’avoir pas de fils, finit par en -obtenir un, à force de prières; et l’idée lui vint de faire baptiser son -fils par saint Amand. Il fit donc rechercher celui-ci, se prosterna à -ses pieds, le supplia de lui pardonner et de baptiser le fils que le -Seigneur lui avait accordé. Le saint consentit volontiers à la première -de ces demandes, mais se refusa à la seconde, ne voulant se mêler en -rien aux choses séculières. Il céda pourtant aux instances du roi; et, -au moment où il baptisait l’enfant, celui-ci lui répondit à haute voix: -_Amen_. Le roi le promut alors à l’évêché de Maestricht. Mais comme -saint Amand voyait qu’on y faisait peu de cas de sa prédication, il se -rendit en Gascogne. Là, un jongleur qui se moquait de ses paroles fut -envahi du démon et se déchira de ses propres dents, avouant qu’il avait -fait injure à un homme de Dieu. - -Certain évêque fit garder l’eau dans laquelle saint Amand s’était lavé -les mains; et cette eau rendit, plus tard, la vue à un aveugle. Une -autre fois, le saint, avec l’approbation du roi, voulut faire construire -un monastère en un certain lieu; et l’évêque d’une ville voisine, à qui -ce projet déplaisait, envoya ses serviteurs pour chasser le saint, ou -même pour le tuer. Et les serviteurs, abordant le saint, lui dirent par -ruse qu’ils le conduiraient dans un autre lieu plus convenable encore -pour la construction. Et le saint devina leur malice; mais, ayant soif -du martyre, il les suivit jusqu’au haut d’une montagne où ils se -proposaient de le tuer. Or, voici qu’une pluie et un brouillard si épais -couvrirent la montagne que les serviteurs de l’évêque ne se voyaient pas -les uns les autres. Ils crurent qu’ils allaient mourir et, prosternés -aux pieds du saint, ils le supplièrent d’obtenir de Dieu de s’en aller -vivants. Et, sur la prière du saint, le beau temps reparut, et les -serviteurs de l’évêque s’en retournèrent chez eux; et saint Amand fit -encore beaucoup d’autres miracles avant de s’endormir dans la paix du -Seigneur. Ce saint florissait vers l’an 653, sous le règne d’Héraclius. - - - - -XLI[6] - -SAINTE APOLLINE, VIERGE ET MARTYRE - -(9 février) - - [6] Ce chapitre, qui manque dans plusieurs anciens manuscrits, n’est - probablement pas de Jacques de Voragine. - - -Sous l’empereur Décius une grande persécution sévit, à Alexandrie, -contre les serviteurs de Dieu. Prévenant les édits de l’empereur, un -misérable, nommé Divin, excita contre les chrétiens une foule -superstitieuse, qui, enflammée par lui, devint tout altérée du sang des -fidèles. On s’empara d’abord de quelques saintes personnes des deux -sexes, dont les unes eurent le corps déchiré membre à membre, les yeux -crevés, le visage mutilé, et furent ensuite chassées de la ville; -d’autres qu’on avait traînées devant les idoles, et qui, loin de vouloir -les adorer, les accablaient d’invectives, se voyaient traînées par les -rues de la ville, les pieds enchaînés, jusqu’à ce que leurs corps s’en -allassent en morceaux. - -Or il y avait à Alexandrie une vierge admirable nommée Apolline, déjà -fort avancée en âge, et tout éclatante de chasteté, de pureté, de piété -et de charité. Et lorsque la foule furieuse eut envahi les maisons des -serviteurs de Dieu, Apolline fut conduite au tribunal des impies. -S’acharnant sur elle, ses persécuteurs commencèrent par lui arracher -toutes ses dents; puis, ayant allumé un grand bûcher, ils la menacèrent -de l’y jeter vive, si elle se refusait à blasphémer avec eux. Mais elle, -dès qu’elle vit le bûcher allumé, se recueillit d’abord un instant en -elle-même, puis, s’échappant des mains de ses bourreaux, s’élança dans -le feu dont on la menaçait, effrayant même la cruauté des persécuteurs. -Eprouvée déjà par divers supplices, elle ne se laissa vaincre ni par ses -souffrances, ni par l’ardeur des flammes, qui n’était rien en -comparaison de l’ardeur allumée en elle par les rayons de la vérité. - - - - -XLII - -SAINT VALENTIN, PRÊTRE ET MARTYR - -(14 février) - - -Valentin était un saint prêtre. L’empereur Claude se le fit amener, et -lui dit: «Pourquoi donc, Valentin, ne t’acquiers-tu pas notre amitié en -adorant nos dieux et en renonçant à tes vaines superstitions?» Et -Valentin: «Si tu connaissais la grâce de Dieu, tu ne parlerais pas -ainsi, et c’est toi qui, renonçant à tes idoles, adorerais le Dieu du -Ciel!» Alors un des familiers de Claude dit: «Oserais-tu médire de la -sainteté de nos dieux?» Et Valentin: «Vos dieux ne sont que de -misérables créatures humaines, et remplies d’impureté.» Alors Claude: -«Si ton Christ est le vrai Dieu, dis-moi la vérité!» Et Valentin: «La -vérité est que le Christ est le seul Dieu, et que, si tu crois en lui, -ton âme sera sauvée, ton pouvoir s’accroîtra, tes ennemis seront -vaincus!» Et Claude, se tournant vers les assistants, leur dit: -«Romains, entendez-vous comme cet homme parle bien et avec sagesse?» -Mais le préfet dit: «On trompe l’empereur! Faudra-t-il donc que nous -abandonnions ce que nous avions tenu pour vrai depuis l’enfance?» Et ces -paroles endurcirent le cœur de Claude, qui livra saint Valentin à un -prince de sa cour, en le chargeant de le garder prisonnier chez lui. - -Et quand il fut arrivé dans la maison de ce prince, Valentin s’écria: -«Seigneur Jésus, lumière unique, illumine cette maison afin qu’on te -reconnaisse comme le vrai Dieu!» Sur quoi le prince lui dit: «Puisque tu -affirmes que ton Christ est la lumière, demande-lui de rendre la vue à -ma fille aveugle! S’il le fait, je croirai en lui!» Valentin se mit en -prière, rendit la vue à l’aveugle, et convertit toute la maison. Mais -l’empereur ne l’en fit pas moins décapiter. Ce martyre eut lieu en l’an -du Seigneur 280. - - - - -XLIII - -SAINTE JULIENNE, VIERGE ET MARTYRE - -(16 février) - - -Julienne était fiancée à Euloge, préfet de Nicomédie; mais elle refusait -d’entrer dans le lit d’Euloge avant qu’il eût reçu la foi du Christ. -Alors son père, furieux de sa désobéissance, la fit mettre à nu, rouer -de coups, et la livra ensuite au préfet. Et celui-ci lui dit: «Ma douce -Julienne, pourquoi m’as-tu trompé par tes promesses d’amour, puisque, -aujourd’hui, tu refuses ma main?» Et elle: «Si tu veux adorer mon Dieu, -je serai à toi; sinon, jamais tu ne seras mon maître!» Et le préfet: -«Bien-aimée, je ne puis consentir à ce que tu me demandes, car -l’empereur me ferait couper le cou!» Et Julienne: «Si tu crains si fort -un empereur mortel, combien davantage je dois craindre mon empereur à -moi, qui est immortel! Fais de moi ce que tu voudras, rien ne pourra me -fléchir!» Alors le préfet la fit battre de verges, puis, pendant une -demi-journée, il la fit suspendre par les cheveux et lui fit verser sur -la tête du plomb fondu. Et comme, de tout cela, elle n’avait aucun mal, -il lui fit mettre des chaînes et l’enferma dans une prison. - -Là un diable vint la voir, sous l’apparence d’un ange, et lui dit: -«Julienne, je suis un ange du Seigneur, et mon maître m’envoie vers toi -pour t’engager à sacrifier aux dieux: car le Seigneur a pitié de toi, et -veut t’épargner un affreux supplice suivi d’une mort affreuse.» Alors -Julienne fondit en larmes et s’écria: «Jésus mon Seigneur, sauve-moi du -péril de mon âme en me faisant connaître qui est celui qui me donne un -tel conseil!» Et une voix d’en haut lui dit de saisir son visiteur et de -le contraindre à avouer lui-même qui il était. Julienne ayant donc saisi -le faux ange, et lui ayant demandé qui il était, il répondit qu’il était -un démon, envoyé par son père pour la tromper. Julienne lui demanda qui -était son père. Et le démon répondit: «C’est Belzébuth, qui nous conduit -à mal faire, et nous bat cruellement toutes les fois que nous nous -laissons vaincre par les chrétiens. Aussi suis-je sûr de payer cher -cette journée, où je n’ai pu triompher de toi!» Et, entre autres choses -qu’il lui avoua, il lui dit que les diables souffrent surtout pendant -que les chrétiens célèbrent la messe, ou pendant que se font les prières -et les prédications. Alors Julienne lui lia les mains derrière le dos, -et, l’ayant jeté à terre, elle le battit rudement avec la chaîne dont on -l’avait liée; et le diable la suppliait avec de grands cris, lui disant: -«Bonne Julienne, ayez pitié de moi!» Puis, le préfet ayant donné ordre -qu’on la tirât de sa prison, elle traîna derrière elle le démon, -toujours lié. Et le démon la priait, en lui disant: «Madame Julienne, -cessez de me rendre ridicule, ou bien jamais plus je ne pourrai avoir -d’action sur aucun chrétien! On dit que les chrétiens sont -miséricordieux, et vous, cependant, vous ne voulez pas avoir un peu -pitié de moi!» Mais la sainte n’en continua pas moins à le traîner par -tout le marché, après quoi elle le jeta dans une latrine. - -Le préfet fit étendre sainte Julienne sur une roue qui lui broya tous -les os jusqu’à en faire jaillir la moelle; mais un ange détruisit la -roue et guérit la sainte. Ce que voyant, tous les assistants crurent au -Christ, et subirent aussitôt le martyre. Cinq cents hommes et cent -trente femmes eurent la tête tranchée. Le préfet fit ensuite plonger la -sainte dans une chaudière de plomb fondu; mais le plomb se refroidit -soudain au point de devenir comme un bain tiède. Alors le préfet maudit -ses dieux, pour leur impuissance à punir une jeune femme qui leur -faisait tant d’outrages. Puis il ordonna qu’elle eût la tête tranchée. -Et comme on la conduisait à l’échafaud, voici que le démon qu’elle avait -battu se montra de nouveau, cette fois sous l’apparence d’un jeune -homme; et il criait aux bourreaux: «Ne ménagez pas cette coquine, car -elle a dit les pires choses de vos dieux, et m’a moi-même battu cette -nuit! Rendez-lui ce qu’elle mérite!» Mais comme Julienne, qui avait les -yeux fermés, les entrouvrait pour voir celui qui parlait ainsi, le démon -s’enfuit en criant: «Malheur à moi, elle va encore me prendre et me -lier!» Et la sainte subit son supplice; et, quelques jours après, le -préfet, qui voyageait sur mer, périt dans une tempête avec trente-quatre -hommes. Leurs corps, que la mer avait vomis sur le rivage, furent -dévorés par les bêtes et les oiseaux de proie. - - - - -XLIV - -LA CHAIRE DE SAINT PIERRE A ANTIOCHE - -(22 février) - - -L’église célèbre en ce jour la Chaire de saint Pierre parce que c’est en -ce jour que ce saint, à Antioche, s’assit pour la première fois dans le -siège pontifical. Et l’institution de cette fête est due à quatre -causes. - -1º Comme saint Pierre prêchait à Antioche, le préfet Théophile lui dit: -«Pierre, pourquoi corromps-tu mon peuple?» Et comme Pierre lui prêchait -la foi du Christ, il le fit enchaîner et jeter en prison, où il ordonna -qu’on le laissât sans boire et sans manger. Mais Pierre, déjà -défaillant, reprit assez de forces pour lever les yeux au ciel et pour -dire: «Jésus-Christ, soutien des malheureux, sois mon soutien dans ces -tribulations!» Et le Seigneur lui répondit: «Crois-tu donc que je t’aie -abandonné? Bientôt viendra quelqu’un qui secourra ta misère!» En effet, -saint Paul, en apprenant l’incarcération de Pierre, vint trouver -Théophile, et se présenta à lui comme un artiste d’une habileté extrême, -sachant sculpter le bois et le marbre, peindre sur la toile, etc. -Théophile le pria d’habiter chez lui. Et, peu de jours après, Paul -pénétra secrètement dans le cachot de Pierre. Voyant celui-ci presque -mort d’épuisement, il pleura des larmes amères; puis, se jetant dans ses -bras, il lui dit: «O Pierre, mon frère, ma gloire, ma joie, moitié de -mon âme, reprends tes forces!» Alors Pierre, ouvrant les yeux et le -reconnaissant, se mit à pleurer, mais sans pouvoir parler. Paul lui -ouvrit la bouche et y versa de la nourriture, qui ne tarda pas à le -réconforter. Puis, se rendant auprès de Théophile, saint Paul lui dit: -«O bon Théophile, homme aimable et hospitalier, rappelle-toi qu’un petit -mal suffit pour détruire un grand bien! Qu’as-tu fait de ce serviteur de -Dieu qui s’appelle Pierre? Faible et pauvre, il ne vit que par la -parole: et c’est un tel homme que tu as pu mettre en prison! Sans -compter que, si tu l’avais laissé en liberté, il aurait pu t’être utile; -car on dit qu’il guérit les malades et ressuscite les morts!» Et -Théophile: «Ce sont là des fables, mon cher Paul, car si cet homme -pouvait ressusciter des morts, il pourrait bien se délivrer lui-même de -sa prison!» Et Paul: «On m’a dit que, de même que le Christ, qui ensuite -est ressuscité, n’a pas voulu descendre de sa croix, de même ce Pierre, -pour suivre l’exemple de son maître, refuse de se délivrer, préférant -souffrir pour le Christ.» Alors Théophile: «Eh bien, va lui dire que je -lui rendrai sa liberté s’il ressuscite mon fils, mort depuis quatorze -ans!» Paul rapporta cette condition à Pierre, qui lui dit: «C’est là un -bien grand miracle qu’on exige de moi: mais la grâce de Dieu le fera par -moi!» Puis, conduit au sépulcre du fils de Théophile, il ordonna qu’on -ouvrît la porte, et le mort ressuscita.--Mais nous devons avouer que ce -miracle ne nous paraît pas très vraisemblable: d’abord à cause des -quatorze ans que Dieu aurait permis que le mort passât dans son tombeau; -et puis, surtout, à cause de la ruse et du mensonge que l’histoire prête -à saint Paul. Toujours est-il que Théophile et tout le peuple d’Antioche -finirent par se convertir au Seigneur, et construisirent une magnifique -église au milieu de laquelle ils mirent une chaire très élevée pour -Pierre, d’où il put être vu et entendu par tous. Il y siégea pendant -sept ans avant de se rendre à Rome, où il siégea ensuite dans la chaire -romaine pendant vingt-cinq ans. Et c’est en souvenir de cet événement -que l’Eglise célèbre cette fête, parce que, ce jour-là, pour la première -fois, les chefs de l’Eglise commencèrent à être élevés en nom et en -puissance. - -Cette fête est, comme l’on sait, la troisième de celles où l’Eglise -célèbre le glorieux successeur du Christ. Saint Pierre a, en effet, -mérité d’avoir trois fêtes, d’abord parce qu’il a été privilégié, parmi -les apôtres, en trois choses: en autorité, en amour du Christ, et en -pouvoir d’opérer des miracles. De plus, saint Pierre a été le prince de -toute l’Eglise, qui est répandue dans les trois parties du monde, -l’Asie, l’Afrique et l’Europe: de là les trois fêtes où l’Eglise -l’honore. Enfin, saint Pierre, depuis qu’il a reçu la faculté de lier ou -de délier, nous délivre des trois genres de péchés, ceux de la pensée, -de la parole et de l’acte, comme aussi de ceux que nous commettons -envers Dieu, envers le prochain et envers nous-mêmes. - -2º La seconde cause de l’institution de cette fête se trouve indiquée -dans l’_Itinéraire de Clément_. Comme saint Pierre s’approchait -d’Antioche, tous les habitants vinrent au-devant de lui revêtus de -cilices, les pieds nus et la tête couverte de cendres, en signe de leur -repentir, car ils avaient cru aux mensonges de Simon le Magicien. Et -Pierre, heureux de ce repentir, fit placer devant lui tous les malades -et les possédés; et dès qu’il eut invoqué sur eux le nom de Dieu, une -immense lumière apparut et tous furent guéris. Pendant la semaine qui -suivit, plus de dix mille hommes reçurent le baptême. Ce que voyant, le -préfet Théophile transforma son palais en basilique, et y fit placer -pour l’apôtre une chaire très élevée d’où il pût être vu et entendu par -tous. Et la contradiction n’est qu’apparente entre cette histoire et -celle que nous venons de raconter: car rien n’empêche que Pierre ait été -mis en prison par Théophile et délivré par l’entremise de saint Paul, -puis que, pendant un de ses voyages, les habitants d’Antioche se soient -laissés prendre aux mensonges de Simon le Magicien, et s’en soient enfin -repentis. - -3º En troisième lieu cette fête,--qu’on appelle aussi le Banquet de -saint Pierre,--doit son institution à une coutume ancienne que l’Eglise -a transformée en une fête chrétienne. En effet, maître Jean Beleth -raconte que c’était l’usage chez les païens, au mois de février, d’aller -porter un repas sur la tombe des morts. Les païens croyaient que ces -repas étaient mangés par les âmes de leurs parents défunts, tandis qu’en -réalité c’étaient les démons qui s’en régalaient. Et comme les premiers -convertis au christianisme avaient peine à se départir de cette coutume, -on résolut de substituer au banquet des morts, le jour de la Chaire de -saint Pierre, un banquet célébré en l’honneur du saint. - -4º Et cette fête a aussi pour objet de célébrer l’institution de la -tonsure des prêtres. Car, pendant que Pierre prêchait à Antioche, on lui -fit raser la tête en signe d’infamie; et ce signe d’infamie fut ensuite -adopté par tout le clergé, en signe d’honneur. Au point de vue -symbolique, la tonsure signifie la conservation de la pureté, l’abandon -des ornements extérieurs et le renoncement aux biens temporels. Et si la -tonsure est de forme circulaire, c’est pour donner à entendre que, le -cercle étant la plus parfaite des figures, les prêtres doivent veiller à -représenter sur terre la perfection chrétienne. - - - - -XLV - -SAINT MATHIAS, APÔTRE - -(24 février) - - -La vie de saint Mathias, telle qu’elle se lit dans les églises, a été -écrite, croit-on, par le vénérable Bède. - -I. Mathias fut appelé à prendre, parmi les apôtres, la place laissée -vide par la défection de Judas. Et, puisque l’occasion s’en présente à -nous, nous allons d’abord résumer ce que l’on a dit de l’origine et de -la jeunesse de Judas lui-même. Certaine histoire, qui malheureusement -est apocryphe et ne mérite que peu de créance, raconte à ce sujet ce qui -suit: - -Il y avait à Jérusalem un homme appelé Ruben (et de son autre nom Simon) -de la tribu de Dan (ou, selon saint Jérôme, de la tribu d’Issachar) et -marié à une femme nommée Ciborée. Or, une nuit, après que les deux époux -eussent accompli le devoir conjugal, Ciborée, s’étant endormie, eut un -songe dont elle s’éveilla tout effrayée, avec des gémissements et des -soupirs. Et elle dit à son mari: «J’ai vu en rêve que j’enfantais un -fils monstrueux, qui devait causer la perte de toute notre race.» Et -Ruben: «Quelle sottise scandaleuse tu dis là! Le diable, sans doute, te -fait délirer!» Mais elle: «Si notre acte de cette nuit a pour effet que -je conçoive un fils, ce sera la preuve que je ne suis point victime -d’une illusion diabolique, mais que mon rêve est bien la révélation de -la vérité!» Et comme, neuf mois après cette nuit, elle mit au monde un -fils, son mari et elle furent épouvantés, et ne surent que faire: car -ils avaient horreur de tuer leur enfant, et, d’autre part, ne pouvaient -consentir à nourrir le futur destructeur de leur race. Ils décidèrent -enfin de poser l’enfant dans un petit panier et de le laisser aller au -gré des flots. Et ceux-ci poussèrent le panier jusqu’à une île nommée -Iscarioth, d’où viendrait le nom de Judas Iscarioth donné à l’apôtre -maudit. Et la reine de cette île, qui n’avait point d’enfants, ayant -aperçu le panier pendant qu’elle se promenait sur le rivage, le fit -tirer de l’eau, et s’écria, quand elle vit l’enfant: «Oh! comme je -serais heureuse d’avoir un tel enfant, afin que mon trône, après moi, ne -restât pas vide!» Et elle fit nourrir l’enfant en cachette, et feignit -d’être enceinte, et présenta l’enfant comme son fils, ce qui fut fêté -par tout le royaume. Le roi, enchanté d’être père, fit élever l’enfant -avec toute la magnificence qui convenait à son rang. Or, peu de temps -après, la reine fut vraiment enceinte du fait de son mari, et mit au -monde un fils. Les deux enfants furent élevés ensemble; mais Judas, dans -leurs jeux, injuriait et battait souvent l’enfant royal, et le faisait -pleurer: sur quoi la reine, qui savait qu’il n’était pas son fils, le -faisait très souvent battre à son tour. Mais rien ne parvenait à -corriger le méchant enfant. Un jour enfin toute la vérité se découvrit, -et l’on sut que Judas n’était pas le vrai fils du roi. Alors Judas, -plein de honte et de jalousie, tua secrètement le vrai fils du roi, son -frère supposé. Puis, craignant d’en être puni, il s’enfuit avec ses -familiers à Jérusalem, où le préfet Pilate (tant on a raison de dire que -qui se ressemble s’assemble) reconnut en lui un caractère pareil au -sien, et se prit pour lui d’une vive affection. - -Voilà donc Judas régnant en maître à la cour de Pilate. Et un jour, -Pilate, considérant un champ de pommes voisin de son palais, éprouva un -extrême désir de goûter aux pommes de ce champ. Or ce champ appartenait -à Ruben, le père de Judas; mais ni Judas ne connaissait son père, ni -celui-ci ne savait que Judas était son fils. Et Judas, voyant le désir -de Pilate, entra dans le champ et cueillit des pommes. Et comme Ruben le -surprit, tous deux commencèrent par s’injurier, puis en vinrent aux -coups; et Judas finit par tuer Ruben en le frappant d’une pierre sur la -nuque. Après quoi il porta les pommes à Pilate et lui raconta ce qui -s’était passé. Et lorsque la mort de Ruben fut connue, Pilate donna à -son favori Judas tous les biens du mort, et le maria avec la veuve de -celui-ci, qui n’était autre que sa mère Ciborée. - -Un soir, Ciborée soupirait si tristement que Judas, son nouveau mari, -lui demanda ce qu’elle avait. Elle lui répondit: «Hélas! je suis la plus -malheureuse de toutes les femmes! J’ai dû noyer mon unique enfant, on -m’a tué mon mari, et, pour comble de misère, Pilate m’a forcée à me -remarier malgré mon deuil!» Elle raconta alors l’histoire de l’enfant; -et Judas lui raconta toutes ses aventures; et ils découvrirent ainsi que -Judas avait tué son père et épousé sa mère. Alors, sur le conseil de -Ciborée, le misérable voulut faire pénitence, et, étant allé trouver -Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, il implora de lui le pardon de ses péchés. -Voilà ce qu’on lit dans cette histoire apocryphe. Doit-on tenir pour -vraie ou non cette suite d’aventures? C’est au lecteur à en décider: -mais, suivant nous, elle mérite infiniment plus d’être rejetée -qu’admise. - -Ce qui est, au contraire, certain, c’est que Notre-Seigneur fit de Judas -son disciple, et l’élut au nombre de ses douze apôtres. Et Judas entra -si fort dans sa familiarité qu’il devint son procureur. C’était lui, en -effet, qui portait les aumônes qu’on donnait à Jésus; et, sans doute, il -ne se faisait pas faute de les voler. Peu de temps avant la passion de -Notre-Seigneur, il s’irrita de ce qu’on ne vendît point un parfum qu’on -avait donné à Jésus, et qui valait trois cents deniers: car, sans doute, -il avait projeté de s’approprier cette somme. Il alla donc trouver les -Juifs, et leur vendit le Christ pour trente deniers. Notons que deux -versions ont cours sur ce point. L’une prétend que les deniers obtenus -par Judas valaient chacun dix deniers ordinaires, de façon qu’en les -recevant Judas eut l’équivalent des trois cents deniers que lui aurait -procurés la vente du parfum. D’après l’autre version, Judas avait -l’habitude de s’approprier la dixième partie de l’argent qu’on lui -donnait à garder; et ainsi les trente deniers reçus des Juifs ont été, -pour lui, l’équivalent du profit qu’il aurait tiré de la vente du -parfum. Mais, dès qu’il eut reçu les trente deniers, la honte le prit; -et il les rapporta, et il alla se pendre à un arbre, et son corps creva -par le milieu, et tous ses boyaux se répandirent sur le sol. Il ne les -vomit point par la bouche, car sa bouche ne pouvait pas être profanée, -ayant eu l’honneur de toucher le visage glorieux du Christ. Et il mourut -en l’air, car, ayant offensé les anges dans le ciel et les hommes sur la -terre, il avait mérité de périr entre ciel et terre. - -II. Or, quelques jours après l’Ascension du Seigneur, saint Pierre se -leva au milieu des disciples et dit: «Frères, il faut que, de ceux qui -ont été avec nous tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, -il y en ait un pour témoigner avec nous de sa résurrection.» Alors les -disciples présentèrent deux d’entre eux, à savoir: 1º Joseph, appelé -Barsabas, et surnommé le Juste en raison de sa sainteté; 2º Mathias, -dont l’auteur des _Actes_ a jugé inutile de faire l’éloge, estimant que -le fait de son élection à l’apostolat rendait tous les éloges superflus. -Et, tombant en prière, les apôtres dirent: «Toi, Seigneur, qui connais -les cœurs de tous, montre-nous lequel de ces deux hommes tu as choisi -pour prendre la place de Judas, dans le ministère et l’apostolat!» Et -l’on jeta les sorts, et le sort désigna Mathias, qui, d’un commun -accord, fut adjoint aux onze apôtres. - -Saint Jérôme fait observer, à ce propos, que l’exemple de ce choix ne -prouve nullement qu’on doive se servir du sort pour les élections -religieuses: car le privilège du petit nombre ne saurait constituer la -loi de tous. Comme le dit en effet, Bède, c’est seulement au jour de la -Pentecôte que fut consommée l’hostie immolée dans la Passion; c’est au -jour de la Pentecôte que la vérité du dogme se trouva entièrement -constituée. Or, l’élection de Mathias étant avant la Pentecôte, on s’y -est servi du sort pour se conformer à la loi ancienne, suivant laquelle -le grand prêtre était choisi au sort. Mais, dès que la Pentecôte eut -achevé d’abroger l’ancienne loi, ce n’est plus au sort que furent élus -les sept diacres, mais bien par le choix des disciples; et ils furent -ensuite ordonnés par l’imposition des mains des apôtres. - -III. L’apôtre Mathias eut pour mission d’évangéliser la Judée. Il y -prêcha de longues années, fit de nombreux miracles, et s’endormit enfin -dans la paix du Seigneur. Certains auteurs affirment, cependant, qu’il -souffrit le martyre et périt sur la croix. Son corps est, dit-on, -enseveli à Rome, sous une dalle de porphyre, dans l’église Sainte-Marie -Majeure, et l’on y montre sa tête aux fidèles. - -D’après une autre légende, qui a cours à Trèves, Mathias serait né à -Bethléem, d’une famille noble de la tribu de Juda. Prêchant en Judée, il -éclairait les aveugles, purifiait les lépreux, chassait les démons, -rendait aux boiteux la marche, aux sourds l’ouïe, et la vie aux morts. -Il opéra de nombreuses conversions: sur quoi les Juifs, par jalousie, le -firent passer en jugement. Là deux faux témoins, qui l’avaient accusé, -lui jetèrent des pierres; et il voulut que ces pierres fussent -ensevelies avec lui, en témoignage contre eux. Et pendant qu’on le -lapidait il eut la tête tranchée d’une hache, à la manière romaine, et -rendit l’âme à Dieu, les mains tendues vers le ciel. La même légende -ajoute que son corps, après avoir été transporté de Judée à Rome, se -trouve aujourd’hui dans une église de Trèves. - -IV. Suivant une autre légende, Mathias serait allé en Macédoine, et y -aurait bu, au nom du Christ, une potion empoisonnée qui privait de la -vue ceux qui en buvaient. Mais non seulement Mathias n’en aurait -souffert aucun mal: la légende veut encore qu’il ait rendu la vue, par -une simple imposition de mains, à plus de deux cent cinquante personnes -que la susdite potion avait aveuglées. Les habitants de la province lui -auraient, ensuite, attaché les mains derrière le dos et l’auraient -enfermé dans une prison; et le Seigneur, venant à lui entouré d’une -grande lumière, aurait rompu ses liens et l’aurait remis en liberté. Et -comme, ensuite, quelques-uns des Macédoniens persistaient dans l’erreur, -le saint leur aurait dit: «Je vous annonce que vous descendrez vivants -en enfer!» Sur quoi la terre se serait ouverte, et les aurait engloutis. - - - - -XLVI - -SAINT GRÉGOIRE, PAPE - -(12 mars) - - -La vie de saint Grégoire, écrite d’abord par Paul, historiographe des -Lombards, a été ensuite soigneusement résumée par le diacre Jean. - -I. Grégoire, fils de Gordien et de Sylvie, était de famille sénatoriale. -Bien que, dès l’adolescence, il eût atteint au plus haut sommet de la -philosophie, et bien qu’il fût, en outre, fort riche, il résolut de -renoncer à tous ses biens et de se consacrer au service de Dieu. Mais -comme il ajournait sa conversion, pensant pouvoir servir le Christ tout -en remplissant les fonctions d’un juge laïque, le goût des choses -séculières commença à grandir en lui à tel point qu’il fut tenté de -servir le monde non seulement en acte, mais aussi en esprit. Enfin, -après la mort de son père, il fonda six monastères en Sicile, et un -septième à Rome, dans sa propre maison; et là, ôtant ses vêtements de -soie ornés d’or et de pierreries, il vécut sous l’humble habit du moine. -Et il arriva bientôt à un état de perfection qu’il se rappelait, plus -tard, en ces termes, dans l’introduction d’un de ses _dialogues_: «Mon -âme malheureuse, accablée sous le poids de ses occupations, aime à se -rappeler le bonheur qu’elle avait jadis pendant mon séjour au monastère; -alors tout le cours des choses fugitives lui était indifférent, -accoutumée qu’elle était à ne penser qu’aux choses célestes; et souvent -elle sortait, par la contemplation, du cloître de la chair; et la mort -même, qui presque toujours apparaît comme une peine, lui apparaissait -comme l’entrée dans la vie, et la douce récompense de toutes les -peines.» Et Grégoire infligeait de telles privations à son corps que son -estomac s’était paralysé, et qu’il souffrait fréquemment de ces arrêts -de vie que les Grecs appellent des «syncopes». - -II. Un jour, comme il était occupé à écrire dans une cellule du -monastère dont il était abbé, un ange lui apparut sous la forme d’un -naufragé et lui demanda l’aumône. Grégoire lui fit donner six deniers -d’argent; mais, quelques heures après, le naufragé revint, disant qu’il -avait beaucoup perdu et trop peu reçu. Grégoire lui fit de nouveau -donner six deniers d’argent; et une troisième fois le mendiant revint, -sollicitant l’aumône avec plus d’insistance que jamais; alors l’économe -du monastère dit à Grégoire qu’on n’avait plus rien à donner, sinon une -écuelle d’argent dans laquelle la mère de Grégoire avait coutume -d’envoyer des légumes à son fils. Aussitôt Grégoire fit donner cette -écuelle au mendiant, qui la reçut avec joie et disparut. Et ce mendiant -était un ange qui, comme nous le dirons plus loin, se révéla ensuite -lui-même à saint Grégoire. - -III. Certain jour, saint Grégoire, passant sur le marché, vit de jeunes -esclaves, d’une extrême beauté de forme et de visage, qui étaient à -vendre. Il demanda au marchand d’où étaient ces jeunes gens. Le marchand -répondit qu’ils étaient de la Grande-Bretagne, et que tous les habitants -de ce pays avaient les mêmes cheveux blonds et la même beauté de figure. -Grégoire demanda s’ils étaient chrétiens. Et, apprenant qu’ils étaient -païens, il s’écria: «Hélas, faut-il que d’aussi beaux visages -appartiennent encore au prince des ténèbres!» Il demanda comment -s’appelait ce peuple, et le marchand lui dit qu’on l’appelait le peuple -«anglique». Et le saint dit: «Bien nommés sont-ils, ces Angliques, ou -plutôt Angéliques, car ils ont vraiment des visages d’anges!» Alors il -se rendit auprès du Souverain Pontife et obtint de lui, à grand’force de -prières, d’être envoyé en Bretagne pour convertir les Anglais. Mais à -peine s’était-il mis en route que les Romains, troublés de son départ, -dirent au pape: «En renvoyant Grégoire, tu as offensé saint Pierre et -détruit Rome!» Si bien que le pape, effrayé, ordonna que l’on courût à -sa poursuite pour le ramener. Et comme Grégoire, ayant déjà fait trois -jours de route, s’occupait à lire en certain lieu, et que ses compagnons -dormaient, une cigale survint qui le força à se distraire de sa lecture -et lui dit qu’il eût à rester dans ce lieu. Aussitôt Grégoire exhorta -ses compagnons à le quitter au plus vite, et, reprenant sa lecture, il -resta immobile jusqu’à ce que les messagers du pape, l’ayant rejoint, le -forcèrent à rentrer avec eux. Il rentra donc à Rome, bien malgré lui; et -le pape le fit sortir de son monastère, et le nomma son cardinal-diacre. - -IV. Le Tibre, étant sorti de son lit, avait grossi d’une façon si -démesurée qu’il avait coulé jusque par-dessus les murs de Rome, et avait -renversé plusieurs maisons. Puis, quand l’inondation avait pris fin, une -foule de serpents, dragons, et autres monstres, apportés par les flots -et laissés par eux, avaient corrompu l’air de leur pourriture, et ainsi -s’était produite une peste si meurtrière que l’on croyait voir des -flèches tombant du ciel et tuant les Romains. La première victime de -cette peste fut le pape Pélage; après quoi, le mal prit une telle -extension que, par la mort des habitants, il vida un très grand nombre -des maisons de Rome. Mais comme l’Eglise de Dieu ne pouvait rester sans -chef, le peuple entier élut pour pape Grégoire, bien que celui-ci s’en -défendît de toutes ses forces. Le jour où il devait être consacré, il -parla au peuple, organisa une procession et des litanies, et exhorta les -fidèles à prier Dieu avec plus de ferveur. Et pendant que le peuple, -rassemblé autour de lui, priait, la peste fit périr, en moins d’une -heure, quatre-vingt-dix personnes, parmi les auditeurs; mais Grégoire -n’en continua pas moins à prêcher, exhortant le peuple à ne se relâcher -de sa prière que quand la peste aurait disparu. Puis, la procession -achevée, il voulut s’enfuir de Rome, pour empêcher qu’on le consacrât -comme pape. Mais il ne le put, car les portes étaient gardées jour et -nuit afin qu’il ne pût sortir. Il obtint enfin de certains marchands -d’être transporté hors de la ville dans un tonneau; et, se réfugiant -dans une caverne, au fond des bois, il y resta caché pendant trois -jours. Mais les hommes envoyés à sa recherche aperçurent une colonne -lumineuse qui descendait du ciel jusque sur l’endroit où il était caché; -et un moine reconnut, dans cette colonne, des anges qui montaient et -descendaient. Aussitôt Grégoire fut pris et traîné à Rome par le peuple -tout entier, et consacré en qualité de souverain pontife. - -La peste continuant à sévir, il ordonna que, le jour de Pâques, on -promenât en procession, autour de la ville, l’image de la sainte Vierge -que possède l’église de Sainte-Marie Majeure, et qui fut peinte, dit-on, -par saint Luc, aussi habile dans l’art de la peinture que dans celui de -la médecine. Et aussitôt l’image sacrée dissipa l’infection de l’air, -comme si la peste ne pouvait supporter sa présence; partout où passait -l’image, l’air devenait pur et vivifiant. Et l’on raconte que, autour de -l’image, la voix des anges se fit entendre, chantant: «Reine des cieux, -réjouis-toi, alléluia, car ton divin fils est ressuscité, alléluia, -comme il l’a dit, alléluia.» Et aussitôt saint Grégoire ajouta: «Mère de -Dieu, priez pour nous, alléluia!» Alors il vit, au-dessus de la -forteresse de Crescence, un grand ange qui essuyait et remettait au -fourreau un glaive ensanglanté; et le saint comprit que la peste était -finie; et en effet elle l’était. Et depuis lors cette forteresse prit le -nom de Fort-Saint-Ange. Après quoi saint Grégoire, réalisant son ancien -désir, envoya en Angleterre Augustin, Mélitus, Jean, et quelques autres -prêtres, et convertit les Anglais, par leur entremise, comme aussi par -ses prières et par ses mérites. - -V. Telle était l’humilité de saint Grégoire, que jamais il ne permettait -qu’on fît son éloge. A l’évêque Etienne, qui l’avait loué dans ses -lettres, il répondait: «Vous m’accablez d’éloges dans vos lettres, et -cependant il est écrit qu’on doit s’abstenir de louer un homme aussi -longtemps qu’il vit.» De même, dans une lettre à Anastase, patriarche -d’Antioche: «Les éloges que vous me donnez m’embarrassent fort. Car je -considère ce que je suis, et j’ai conscience de ne rien avoir qui mérite -de telles éloges; et, d’autre part, considérant ce que vous êtes, je -n’admets point que vous puissiez mentir.» Quant aux appellations -flatteuses, il les rejetait absolument. Il écrivait à Euloge, patriarche -d’Alexandrie, qui l’avait appelé _pape universel_: «Je prie Votre -Sainteté de ne plus m’appeler de ce titre. Car ce n’est point un honneur -pour moi qu’un titre obtenu aux dépens de mes frères!» Et lorsque Jean, -évêque de Constantinople, eut obtenu par fraude du Synode le titre de -pape universel, saint Grégoire écrivit à son sujet: «Qui est celui qui, -contre les statuts évangéliques, contre les décrets canoniques, ose -s’affubler d’un titre nouveau?» Il n’admettait même point que les autres -évêques le considérassent comme leur donnant des ordres; et il écrivait -à Euloge: «Je vous prie de ne plus employer, à mon endroit, l’expression -d’_ordres_, car je sais qui je suis et qui vous êtes: en titre, vous -êtes mes frères, en sainteté, vous êtes mes pères!» Dans l’excès de son -humilité, il ne tolérait point que les femmes se dissent ses servantes. -Il écrivait à la patricienne Rusticana: «Une chose m’a fâché, dans votre -lettre: c’est que, à plusieurs reprises, vous vous y soyez appelée _ma -servante_. Comment pouvez-vous vous dire la servante d’un homme qui, en -acceptant la charge de l’épiscopat, est devenu le serviteur de tous?» Le -premier, il se proclama «le serviteur des serviteurs de Dieu»; et il -ordonna que ses successeurs porteraient le même titre. Il ne voulut pas -non plus, par humilité, publier ses livres de son vivant; et, en -comparaison des livres des autres, il tenait les siens pour dénués de -toute valeur. Il écrivait à Innocent, préfet d’Afrique: «Que vous me -demandiez communication de mes Commentaires sur _Job_, cela fait honneur -à votre application. Mais si vous désirez vous nourrir d’un aliment -délicieux, lisez plutôt les ouvrages de votre compatriote saint -Augustin, et, pouvant jouir de cet or, ne vous occupez point de mon -misérable billon!» On lit aussi, dans un livre traduit du grec en latin, -qu’un saint abbé nommé Jean, étant venu à Rome pour voir les tombeaux -des apôtres, rencontra le pape Grégoire passant par la ville. Et -Grégoire, voyant qu’il voulait s’agenouiller devant lui, prit les -devants, s’agenouilla le premier devant l’abbé, et ne se releva qu’après -que l’abbé se fut relevé. - -VI. La charité de saint Grégoire égalait son humilité. Il était si -charitable qu’il pourvoyait aux besoins non seulement des pauvres de -Rome, mais aussi de pauvres des pays les plus lointains. Il avait fait -dresser une liste de tous les indigents, et leur venait largement en -aide. Il envoyait des secours aux moines du mont Sinaï, entretenait à -ses frais un monastère fondé par lui à Jérusalem, et offrait tous les -ans quatre-vingts livres d’or dont vivaient trois mille servantes de -Dieu. Il recevait tous les jours à sa table les pèlerins et autres -étrangers, quels qu’ils fussent. Et parmi ces hôtes il y en eut un qui, -au moment où saint Grégoire s’apprêtait à lui verser l’eau du -lave-mains, disparut sans qu’on sût par où il était passé. Et, la nuit -suivante, le Seigneur apparut à saint Grégoire, et lui dit: «Les autres -jours, tu me reçois dans la personne des pauvres; mais, hier, c’est ma -propre personne que tu as reçue.» - -Un autre jour, il avait demandé à son chancelier d’inviter à sa table -douze pèlerins. Et, pendant le repas, considérant les convives, il vit -qu’ils étaient treize, et le fit remarquer à son chancelier. Mais -celui-ci, après les avoir comptés, lui dit: «Croyez-moi, Saint-Père, ils -ne sont que douze!» Et Grégoire s’aperçut alors que l’un des convives, -assis non loin de lui, changeait constamment de figure, ayant tantôt -l’apparence d’un jeune homme, et tantôt d’un vieillard. Quand le repas -fut achevé, Grégoire conduisit ce convive dans sa chambre et le supplia -de daigner lui dire son nom. Et le convive lui répondit: «Eh bien, sache -que je suis ce naufragé à qui tu as, jadis, donné l’écuelle d’argent où -ta mère avait l’habitude de t’envoyer des légumes! Et sache aussi que -c’est depuis le jour où tu m’as donné cette écuelle que le Seigneur t’a -destiné à devenir le chef de son Eglise et le successeur de l’apôtre -Pierre.» Et Grégoire: «Mais toi, comment as-tu su que le Seigneur me -destinait à ces fonctions?» Et l’inconnu: «Je l’ai su parce que je suis -un ange, chargé maintenant par le Seigneur de veiller sur toi.» Et -aussitôt il disparut. - -VII. Il y avait alors un ermite, homme d’une grande vertu, qui avait -tout abandonné pour se consacrer à Dieu, et qui ne possédait rien qu’une -chatte, qu’il s’amusait parfois à caresser sur ses genoux. Cet ermite -pria Dieu de lui révéler en quelle compagnie il serait admis dans la -demeure céleste, en récompense de son renoncement. Et Dieu lui révéla -qu’il y serait admis en compagnie de Grégoire, le pontife de Rome. Sur -quoi l’ermite fut désolé, se disant que sa pauvreté ne lui profiterait -guère, si elle ne suffisait pas pour le mettre au-dessus d’un homme -aussi riche en richesses mondaines. Mais le Seigneur lui dit: «Le riche -n’est pas celui qui possède la richesse, mais celui qui la désire. Et tu -ne saurais comparer ta pauvreté à la richesse de Grégoire, car tu prends -plus de plaisir à caresser ta chatte que Grégoire à posséder des biens -qu’il méprise, et dont il ne se sert que pour subvenir aux besoins de -tous.» Et le solitaire pria Dieu, depuis lors, de lui faire la grâce de -l’admettre aux récompenses réservées à saint Grégoire. - -VIII. Ayant été accusé devant l’empereur Maurice et ses fils d’avoir -causé la mort d’un évêque, Grégoire écrivit à un familier de l’empereur -une lettre où il disait: «Fais entendre à mes maîtres que si moi, leur -esclave, je voulais me mêler de nuire aux Lombards, la race des Lombards -n’aurait plus aujourd’hui ni roi, ni chefs, et serait dans la confusion. -Mais je crains trop Dieu pour oser me mêler de causer la mort de -personne.» Admirable humilité: car Grégoire, qui était souverain -pontife, s’appelait l’esclave de l’empereur, et appelait celui-ci son -maître! Admirable innocence: car l’empereur lombard Maurice persécutait -Grégoire et l’Eglise de Dieu, et Grégoire se refusait à causer la mort -de ses pires ennemis! Il écrivait, entre autres choses, à Maurice: «Je -suis si plein de péchés que, sans doute, vous apaisez Dieu d’autant plus -que vous me persécutez davantage.» Mais un jour l’empereur vit se -dresser devant lui un inconnu qui, vêtu en moine, brandissait devant lui -une épée tirée du fourreau, et lui prédisait la mort par l’épée. -Aussitôt Maurice, effrayé, cessa de persécuter Grégoire, et pria Dieu de -le punir plutôt dans cette vie que de réserver son châtiment pour la vie -à venir. Et aussitôt la voix divine ordonna, dans une vision, que -Maurice, sa femme, ses fils et ses filles fussent livrés, pour être -tués, au soldat Phocas. Et ainsi fut fait: car, peu de temps après, un -soldat nommé Phocas tua l’empereur avec toute sa famille, et lui succéda -au trône impérial. - -IX. Un jour de Pâques, Grégoire, célébrant la messe dans l’église de -Sainte-Marie Majeure, venait de dire: _Pax Domini!_ Et voici qu’un ange -lui répondit à haute voix: _Et cum spiritu tuo!_ C’est depuis lors que -le pape, au jour de Pâques, officie dans cette église, et, que, -lorsqu’il dit _Pax Domini_, personne des assistants n’a le droit de lui -répondre. - -X. Il y avait eu autrefois à Rome un empereur païen nommé Trajan qui, -quoique païen, avait montré une grande bonté. On racontait que, un jour -qu’il se hâtait de partir pour une guerre, une veuve était venue le -trouver, toute en larmes, lui disant: «Je te supplie de venger le sang -de mon fils, tué injustement!» Trajan lui avait répondu que, s’il -revenait vivant de la guerre, il vengerait la mort du jeune homme. Mais -la veuve: «Et si tu meurs à la guerre, qui me fera justice?» Et Trajan: -«Celui qui régnera après moi!» Et la veuve: «Mais toi, quel profit en -auras-tu, si c’est un autre qui me fait justice?» Et Trajan: «Aucun -profit!» Et la veuve: «Ne vaut-il pas mieux pour toi que tu me fasses -justice toi-même, de manière à t’assurer la récompense de ta bonne -action?» Et Trajan, ému de pitié, était descendu de son cheval, et -s’était occupé de faire justice du meurtre de l’innocent. On raconte -aussi qu’un fils de Trajan, parcourant à cheval les rues de la ville, -avait tué le fils d’une pauvre femme: sur quoi l’empereur avait donné -son propre fils comme esclave à la mère de la victime, et avait -magnifiquement doté cette femme. - -Or, comme un jour, Grégoire passait par le Forum de Trajan, le souvenir -lui revint de la justice et de la bonté de ce vieil empereur: si bien -que, en arrivant à la basilique de Saint-Pierre, il pleura amèrement sur -lui et pria pour lui. Et voici qu’une voix d’en-haut lui répondit: -«Grégoire, j’ai accueilli ta demande et libéré Trajan de la peine -éternelle; mais prends bien garde à l’avenir de ne plus prier pour aucun -damné!» D’après Damascène, la voix aurait simplement dit à Grégoire: -«J’exauce ta prière et je pardonne à Trajan.» Ce point est absolument -hors de doute, mais on ne s’accorde pas sur les détails qui l’entourent. -Les uns prétendent que Trajan a été rappelé à la vie, de façon à pouvoir -devenir chrétien et obtenir ainsi son pardon. D’autres disent que l’âme -de Trajan ne fut pas absolument libérée du supplice éternel, mais que sa -peine fut simplement suspendue jusqu’au jour du jugement dernier. -D’autres encore soutiennent que la punition de Trajan fut simplement -adoucie, à la demande de Grégoire. D’autres--comme le diacre Jean, qui a -compilé l’histoire du saint--affirment que celui-ci n’a point prié pour -Trajan, mais pleuré pour lui. D’autres estiment que Trajan a été exempté -de la peine matérielle, qui consiste à être tourmenté en enfer, mais -qu’il n’a pas été exempté de la peine morale, qui consiste à être privé -de la vue de Dieu. - -Certains auteurs veulent aussi que la voix céleste, après avoir accordé -à Grégoire le pardon de Trajan, ait ajouté: «Mais toi, pour avoir prié -pour un damné, tu dois être puni! Choisis donc entre deux peines: ou -bien deux jours de souffrances en purgatoire après ta mort, ou bien, -pour tout le temps qui te reste à vivre, une vie de souffrance et de -maladie!» Et le saint aurait choisi ce dernier parti. Le fait est que, -depuis lors, il ne cessa plus d’être malade, tourmenté tantôt par la -fièvre, tantôt par la goutte, tantôt par des maux d’estomac -intolérables. Il écrit, dans une de ses lettres: «La goutte et d’autres -maladies me font tant souffrir que la vie me pèse, et que j’aspire au -remède que me sera la mort.» - -XI. Une femme qui, parfois, offrait du pain à l’église, suivant l’usage -des fidèles, se mit un jour à sourire en entendant saint Grégoire -s’écrier à l’autel, pendant la consécration de l’hostie: «Que le corps -de Notre-Seigneur Jésus-Christ te profite dans la vie éternelle!» -Aussitôt le saint détourna la main qui allait mettre l’hostie dans la -bouche de cette femme, et déposa la sainte hostie sur l’autel. Puis, en -présence de tout le peuple, il demanda à la femme de quoi elle avait osé -rire. Et la femme répondit: «J’ai ri parce que tu appelais «corps de -Dieu» un pain que j’avais pétri de mes propres mains.» Alors Grégoire se -prosterna et pria Dieu pour l’incrédulité de cette femme; et, quand il -se releva, il vit que l’hostie déposée sur l’autel s’était changée en un -morceau de chair ayant la forme d’un doigt. Il montra alors cette chair -à la femme incrédule, qui revint à la foi. Et le saint pria de nouveau, -et la chair redevint du pain, et Grégoire la donna en communion à la -femme. - -XII. Certains princes ayant demandé au pape des reliques précieuses, -Grégoire leur donna un petit fragment de la dalmatique de saint Jean -l’Evangéliste. Or les princes, tenant une telle relique pour indigne -d’eux, là rendirent dédaigneusement à saint Grégoire. Alors celui-ci, -après avoir prié, perça l’étoffe avec la pointe d’un couteau; et -aussitôt un flot de sang en jaillit, attestant ainsi miraculeusement le -prix de la relique. - -XIII. Un riche Romain qui avait abandonné sa femme, et que Grégoire -avait puni de l’excommunication, voulut se venger du pontife; ne pouvant -rien par lui-même contre lui, il s’adressa à des magiciens qui lui -promirent d’envoyer un démon dans le corps du cheval de Grégoire, de -façon à faire périr celui-ci. Et voici que, au moment où Grégoire -montait sur son cheval, l’animal, possédé du démon, se mit à ruer si -fort que personne ne parvenait à le retenir. Mais Grégoire vit aussitôt -le caractère diabolique de l’entreprise; et, d’un seul signe de croix, -il apaisa la fureur du cheval, et rendit aveugles les magiciens, qui -vinrent confesser leur crime et furent ensuite admis à la grâce du -baptême. Grégoire refusa cependant de les guérir de leur cécité, de peur -qu’ils ne revinssent à leur magie, mais il les fit nourrir, leur vie -durant, aux frais de l’Eglise. - -XIV. On lit encore, dans le livre que les Grecs appellent _Lymon_, le -trait que voici. L’abbé du monastère fondé par saint Grégoire vint un -jour dire au saint que l’un des moines avait en sa possession trois -pièces d’argent. Et Grégoire, pour faire un exemple, excommunia ce -moine. Or, peu de temps après, le moine mourut, et Grégoire, en -apprenant sa mort, fut désolé de l’avoir laissé mourir sans absolution. -Il écrivit du moins, sur une feuille de papier, un acte par lequel il -absolvait le défunt de l’excommunication prononcée contre lui; et il -chargea un de ses diacres de placer ce papier sur la poitrine du moine. -Et, la nuit suivante, le moine apparut à son abbé et lui dit que, depuis -sa mort, il avait été tenu en prison, mais qu’il venait enfin de -recevoir sa grâce. - -XV. Saint Grégoire institua l’office et le chant ecclésiastiques, ainsi -qu’une école de chant. Et il fit élever, à cette intention, deux -maisons: l’une proche la basilique de Saint-Pierre, l’autre proche -l’église de Latran. On montre aujourd’hui encore, dans l’une de ces -maisons, le lit sur lequel il s’étendait pour composer ses chants, le -fouet dont il menaçait les élèves de l’école, ainsi qu’un antiphonaire -écrit de sa main. C’est aussi lui qui ajouta au canon de la messe les -paroles suivantes: «Et nous te prions de maintenir nos jours dans ta -paix, de nous sauver de la damnation éternelle, et de nous admettre dans -le troupeau de tes élus!» - -Enfin saint Grégoire, après avoir siégé sur le trône de saint Pierre -pendant treize ans, six mois, et dix jours, s’endormit dans le Seigneur, -tout plein de bonnes œuvres. Sa mort eut lieu en l’an 604, sous le règne -de Phocas. - -XVI. Après sa mort, Rome et toute la région furent envahies par la -famine; et les pauvres, que Grégoire avait coutume de nourrir -généreusement, venaient trouver son successeur et lui disaient: -«Seigneur, notre père Grégoire avait coutume de nous nourrir, que Ta -Sainteté ne nous laisse pas mourir de faim!» Mais ces paroles irritaient -le pape, qui répondait: «Grégoire a toujours eu en vue la popularité et -y a tout sacrifié; mais nous, nous ne pouvons rien pour vous!» Sur quoi -il renvoyait les pauvres sans les secourir. Alors saint Grégoire lui -apparut trois fois, et le gronda doucement de sa dureté comme de son -injustice. Mais le pape ne prit aucun soin de s’amender. La quatrième -fois, Grégoire lui apparut avec un visage terrible et le frappa à la -tête: et le pape mourut peu de temps après. - -Pendant que la même famine durait encore, quelques envieux commencèrent -à déprécier saint Grégoire, affirmant qu’il avait gaspillé, en prodigue, -tout le trésor de l’Eglise. Et, pour s’en venger sur sa mémoire, ils -engagèrent le clergé à brûler les écrits du saint. On en brûla -effectivement un certain nombre; et l’on s’apprêtait à brûler le reste, -lorsque le diacre Pierre, qui avait été le familier du saint, et à qui -celui-ci avait dicté les quatre livres de ses _Dialogues_, s’opposa -vivement à cette destruction. Il dit d’abord qu’elle ne pouvait servir à -rien, les écrits du saint s’étant répandus dans toutes les parties du -monde. Et il ajouta que c’était un horrible sacrilège de détruire -l’œuvre d’un homme sur la tête duquel il avait vu si souvent descendre -l’Esprit-Saint sous la forme d’une colombe. Et le diacre dit que, pour -attester la vérité de cette affirmation, il était prêt à mourir -aussitôt; et il déclara que, s’il n’obtenait point la mort qu’il -demandait, il consentirait à ce que les livres de son maître fussent -détruits. Car saint Grégoire lui avait dit que, si jamais il révélait le -miracle de la sainte colombe, il mourrait sur-le-champ. Après quoi le -vénérable Pierre revêtit son costume solennel de diacre, et jura, sur -les saints Evangiles, la vérité de ce qu’il avait affirmé; et, au moment -où il achevait son serment, son âme s’envola au ciel sans éprouver les -douleurs de la mort. - -XVII. Un moine du monastère de saint Grégoire avait amassé une somme -d’argent. Alors le saint apparut en rêve à un autre moine et lui dit de -signifier à son compagnon qu’il eût à distribuer son pécule et à faire -pénitence, faute de quoi il mourrait le troisième jour. Ce qu’entendant, -le moine, épouvanté, fit pénitence et distribua son pécule. Mais il n’en -fut pas moins saisi d’une fièvre si forte que, pendant trois jours, il -parut sur le point de rendre l’âme. Ses frères, l’entourant, chantaient -des psaumes, jusqu’à ce que, le troisième jour, s’interrompant de -chanter, ils se mirent à l’accabler de reproches. Mais voici que soudain -le moine, revivant, et rouvrant les yeux avec un sourire, leur dit: «Que -le Seigneur vous pardonne, mes frères, de m’avoir si durement jugé! Et -si désormais vous voyez quelqu’un en train de mourir, puissiez-vous lui -accorder non des reproches, mais votre compassion! Sachez donc que je -viens de passer en jugement, avec un diable pour accusateur, et que, -avec l’aide de saint Grégoire, j’ai bien répondu à toutes les objections -de l’ennemi, sauf à une seule, que j’ai dû reconnaître pour fondée et à -cause de laquelle j’ai subi ces trois jours de tortures. Puis il -s’écria: «O André, André, tu périras dès cette année, toi qui, par tes -mauvais conseils, m’as exposé à un tel danger!» Et là-dessus le moine -mourut. Or il y avait à Rome un certain André qui, à l’instant même où -le moine le nomma ainsi par son nom, fut atteint d’un mal épouvantable, -mais sans parvenir à mourir malgré ses souffrances. Et ce malheureux -ayant appelé près de lui les moines du monastère, leur avoua que, sur -son conseil, le moine défunt avait volé quelques-uns des manuscrits de -la bibliothèque et les avait vendus à des étrangers. Et à peine eut-il -achevé cette confession qu’il ferma les yeux et rendit l’âme. - -XVIII. En un temps où l’office ambrosien était encore employé dans les -églises plus volontiers que l’office grégorien, le pape Adrien réunit un -concile qui décida que l’office grégorien devait seul être -universellement observé. Et, conformément à cette décision, l’empereur -Charlemagne obligeait, par des menaces et des supplices le clergé de -toutes ses provinces à employer l’office grégorien, brûlait les livres -de l’office ambrosien, et mettait en prison bon nombre de prêtres qui -voulaient rester fidèles à cet office. Alors l’évêque saint Eugène -conseilla au pape de rappeler le concile; et ce nouveau concile décida -que le missel ambrosien et le missel grégorien seraient placés, côte à -côte, sur l’autel de Saint-Pierre, que les portes de l’église seraient -fermées et cachetées du sceau des évêques et du concile; et que ceux-ci, -toute la nuit, prieraient Dieu de leur révéler, par quelque signe, -lequel des deux offices devait être employé de préférence dans les -églises. Et, tout cela ayant été fait, lorsqu’on rouvrit les portes de -l’église, le lendemain matin, les deux missels qu’on avait laissés -fermés furent trouvés tous deux également ouverts. Mais une autre -version veut que le missel grégorien ait été miraculeusement divisé, et -qu’on ait trouvé ses pages éparses sur l’autel, tandis que le missel -ambrosien était ouvert, mais restait à la place où on l’avait mis: ce -qui fut considéré comme un signe pour faire entendre que l’office -grégorien devait se répandre à travers le monde, tandis que l’ambrosien -devait continuer à être employé dans l’église de Saint-Ambroise. Et, en -effet, c’est là ce que décidèrent les Pères du concile et qui est en -usage aujourd’hui encore. - -XIX. Le diacre Jean, qui a compilé la vie de saint Grégoire, raconte -ceci. Un jour, pendant qu’il était occupé à son travail, un inconnu se -montra devant lui, portant les signes sacerdotaux, et vêtu d’un manteau -blanc si transparent qu’on voyait, par-dessous, le noir de la tunique. -Cet inconnu s’approcha du diacre et éclata de rire. Et comme Jean lui -demandait ce qui pouvait faire rire de la sorte un personnage aussi -grave, il lui répondit: «C’est de te voir écrivant l’histoire de morts -que tu n’as jamais connus de leur vivant!» Et Jean lui dit: «Je n’ai pas -connu personnellement saint Grégoire, c’est vrai, mais j’écris sur lui -ce que l’on m’en a rapporté.» Et l’étranger: «Au reste, peu m’importe ce -que tu fais; mais moi, je ne cesserai pas de faire ce que je puis!» Et, -là-dessus, le voici qui éteint la lampe à la lumière de laquelle -écrivait le diacre, et qui lui donne un coup si fort que le pauvre -diacre s’imagine être tué. Alors se présente à lui saint Grégoire, ayant -à sa droite saint Nicolas, à sa gauche le diacre Pierre; et il lui dit: -«Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?» Et comme l’inconnu se -cachait sous le lit, Grégoire prend des mains de Pierre une grande -torche et brûle le visage de cet inconnu au point de le rendre noir, -comme un Ethiopien. Une étincelle tombe alors sur le manteau blanc et le -consume; et cet inconnu, qui n’est autre que le diable, apparaît noir -comme de la suie. Et le diacre Pierre dit à saint Grégoire: «En vérité -nous l’avons bien noirci!» Et Grégoire: «Ce n’est pas nous qui l’avons -noirci, nous l’avons simplement fait paraître tel qu’il était!» Sur quoi -ils s’envolent, laissant dans la cellule de Jean un grande lumière. - - - - -XLVII - -SAINT LONGIN, MARTYR - -(15 mars) - - -Longin était le centurion qui avait été chargé par Pilate d’assister, -avec ses soldats, à la crucifixion du Seigneur, et qui avait percé de sa -lance le flanc divin. Il se convertit à la foi en voyant les signes qui -suivirent la mort de Jésus, c’est-à-dire l’éclipse du soleil et le -tremblement de terre. Mais on dit que ce qui contribua surtout à le -convertir fut que, souffrant d’un mal d’yeux, il toucha par hasard ses -yeux avec une goutte du sang du Christ, qui découlait le long de sa -lance, et recouvra aussitôt la santé. Il renonça au service militaire, -se fit instruire par les apôtres, et, pendant vingt-huit ans, mena la -vie monastique à Césarée de Cappadoce, faisant de nombreuses conversions -par sa parole et son exemple. - -Il fut amené devant le gouverneur de la province, qui, sur son refus de -sacrifier aux idoles, lui fit arracher toutes les dents et couper la -langue. Mais Longin ne perdit point, pour cela, le don de la parole. -Saisissant une hache, il se mit à briser toutes les idoles, en disant: -«Si ce sont des dieux, qu’ils le fassent voir!» Et de toutes les idoles -sortirent des démons, qui entrèrent dans le corps du gouverneur et de -ses compagnons. Et Longin dit à ces démons: «Pourquoi habitez-vous dans -les idoles?» Ils répondirent: «Nous nous logeons partout où n’est pas -invoqué le nom du Christ et où ne figure pas le signe de la croix!» -Cependant le gouverneur avait perdu la vue. Et Longin lui dit: «Sache, -mon pauvre ami, que tu ne pourras être guéri qu’après m’avoir tué! Mais -aussitôt que tu m’auras tué je prierai pour toi, et obtiendrai la -guérison de ton corps et de ton âme!» Le gouverneur lui fit donc -trancher la tête; après quoi, se prosternant devant son cadavre, il -pleura et fit pénitence; et aussitôt il recouvra la vue et la santé; et -il acheva sa vie dans les bonnes œuvres. - - - - -XLVIII - -SAINT PATRICE, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR - -(17 mars) - - -I. Saint Patrice vivait vers l’an du Seigneur 280. Un jour, pendant -qu’il prêchait la Passion du Christ au roi d’Ecosse, il transperça par -accident le pied de ce roi avec la pointe du bourdon sur lequel il -s’appuyait. Et le roi se laissa faire et souffrit sans se plaindre, -s’imaginant que le saint évêque l’avait blessé à dessein, et que, pour -être admis à la foi du Christ, on avait d’abord à subir des souffrances -pareilles à celles qu’avait subies le Christ. Et quand le saint comprit -la pieuse erreur du roi, il en fut émerveillé. Il le guérit par ses -prières et obtint, en outre, pour tout son royaume, que nul animal -venimeux ne pût y nuire. On dit même que, grâce à saint Patrice, -l’écorce du bois, en Ecosse, a le pouvoir de guérir les venins. - -II. Certain homme avait volé à son voisin un mouton et l’avait mangé. -Saint Patrice exhorta à plusieurs reprises le voleur, quel qu’il fût, à -avouer son vol et à faire pénitence; et comme personne ne se déclarait, -il ordonna un jour, au nom de Jésus, en pleine église, que, dans le -ventre du voleur, le mouton dérobé se fît connaître en bêlant. Et -aussitôt le mouton se mit à bêler dans le ventre du voleur, qui avoua sa -faute et fit pénitence. Et les autres habitants s’abstinrent désormais -de voler. - -III. Saint Patrice avait coutume de saluer pieusement toutes les croix -qu’il rencontrait. Mais, un jour, il passa devant une grande et belle -croix sans la voir. Ses compagnons le lui ayant fait observer, une voix -sortit de terre et lui dit: «Si tu n’as pas vu cette croix, c’est que -l’homme qui est enterré sous elle est un païen, et indigne de l’emblème -sacré!» Et saint Patrice fit enlever la croix, qu’on avait mise là par -erreur. - -IV. Prêchant en Irlande, et n’obtenant que peu de fruit de sa -prédication, saint Patrice pria Dieu de se révéler aux Irlandais par -quelque signe qui les effrayât et les amenât à faire pénitence. Alors, -sur l’ordre de Dieu, il dessina un grand cercle avec son bâton, et -aussitôt la terre s’ouvrit dans ce cercle, et un puits très profond -apparut. Et saint Patrice apprit, par révélation, que ce puits -conduisait à un purgatoire, et que ceux qui voudraient y descendre y -expieraient leurs péchés et seraient dispensés de tout purgatoire après -leur mort, mais que la plupart de ceux qui y entreraient n’en pourraient -plus jamais sortir. Et quelques-uns entrèrent dans le puits, mais, en -effet, ils ne revinrent plus. - -Or, longtemps après la mort de saint Patrice, un noble nommé Nicolas, -qui avait commis beaucoup de péchés, consentit à faire pénitence en -entrant dans le purgatoire du saint. Après s’être préparé pendant quinze -jours par le jeûne et la prière, il se fit ouvrir l’accès du puits, et -se trouva dans un oratoire où des moines, vêtus de blanc et occupés à -officier, lui dirent de s’armer de constance, car il aurait à subir, de -la part du diable, de nombreuses tentations. Mais ils ajoutèrent que, au -moment où il commencerait à souffrir, il ne devait pas manquer de -s’écrier: «Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, aie pitié de moi malgré -mes péchés!» Puis ces moines disparurent, et Nicolas se trouva entouré -de démons qui, d’abord, essayèrent, par de douces promesses, de -l’engager à leur obéir. Puis, sur son refus, il entendit des -rugissements de bêtes féroces, et ce fut comme si tous les éléments se -fussent bouleversés. Alors, tremblant d’épouvante, il s’écria: -«Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, aie pitié de moi malgré mes péchés!» -Et aussitôt le tumulte s’apaisa. Nicolas fut ensuite conduit dans un -autre lieu où une foule de démons l’entourèrent et lui dirent: «Te -figures-tu que tu puisses nous échapper? Non, certes, et c’est à présent -que nous allons commencer à te tourmenter!» Sur quoi il se trouva devant -un grand feu et les démons lui dirent: «Si tu ne cèdes pas, nous te -jetterons dans ce feu!» Et en effet ils le saisirent et le jetèrent dans -le feu. Mais lui, dès qu’il sentit la flamme, il invoqua Jésus-Christ, -et aussitôt le feu s’éteignit. Il fut ensuite conduit dans un autre -lieu, où il vit des hommes, qu’on brûlait vifs, d’autres qu’on écrasait -sur des pointes de fer rouge, d’autres qui, étendus à plat ventre, -mordaient la terre en demandant grâce, pendant que des démons les -rouaient de coups. A d’autres, des serpents dévoraient les membres; à -d’autres, des monstres arrachaient les entrailles avec des pointes de -fer rouge. Et comme Nicolas refusait toujours d’obéir aux diables, -ceux-ci se préparèrent à lui faire subir ces divers tourments. Mais, de -nouveau, il invoqua Jésus, et fut délivré de ces tourments, il fut -ensuite transporté dans un autre lieu où il vit des hommes qu’on -enfermait dans une glacière, et où se trouvait une grande roue, portant -des hommes accrochés à chacun de ses rayons; et cette roue tournait si -vite qu’elle semblait former un cercle de feu. Il vit aussi une grande -maison contenant des fosses pleines de métal en fusion; et dans ces -fosses des hommes plongeaient qui un pied, qui les deux pieds, qui le -corps jusqu’aux genoux, qui le corps jusqu’au ventre, qui le corps -jusqu’à la poitrine, qui le corps jusqu’au cou, qui le corps jusqu’aux -yeux; et Nicolas traversait tous ces lieux en invoquant Jésus-Christ. Il -vit, plus loin, un énorme trou d’où s’échappaient une fumée affreuse et -une puanteur intolérable; et des hommes s’efforçaient d’en sortir, mais -les démons les y replongeaient. Et les démons dirent à Nicolas: «Ce lieu -que tu vois, c’est le cercle de l’enfer qu’habite notre Seigneur -Belzébuth. Et si tu refuses de nous obéir, nous te jetterons dans ce -trou; et quand tu y seras entré, jamais plus tu ne pourras en sortir!» -Nicolas resta inflexible; et les démons le jetèrent dans le trou, et la -souffrance qu’il ressentit fut si vive qu’il oublia presque d’invoquer -le nom du Seigneur. Il finit cependant par s’écrier,--de cœur, n’ayant -plus de voix: «Jésus-Christ, etc.» Et aussitôt il sortit du trou, et -toute la foule des démons s’évanouit. Il fut ensuite conduit dans un -lieu où il avait à passer sur un pont très étroit, et poli comme une -glace, et sous lequel coulait un grand fleuve de soufre et de feu. Déjà -il désespérait de pouvoir franchir ce pont, lorsqu’il se rappela la -prière qui, bien souvent déjà, l’avait sauvé du danger. Et, posant avec -confiance son pied sur le pont, il s’écria: «Jésus-Christ, aie pitié, -etc.» Alors s’éleva une clameur si épouvantable que c’est à grand’peine -que Nicolas s’empêcha de tomber; mais de nouveau il invoqua Jésus, et il -répéta l’invocation à chaque pas qu’il fit sur le pont, et ainsi il put -traverser ce pont jusqu’au bout. Et quand il l’eut traversé, il se -trouva dans une prairie d’une douceur merveilleuse, où s’épanouissaient -mille variétés de fleurs admirables. Et deux beaux jeunes gens vinrent à -sa rencontre et le conduisirent devant la porte d’une ville toute -resplendissante d’or et de pierreries; et de la porte de cette ville se -dégageait un parfum si plaisant que Nicolas oublia, en le respirant, -toutes les terreurs et toutes les souffrances où il venait d’échapper. -Et les deux jeunes gens lui dirent que cette ville était le paradis. -Mais comme Nicolas voulait y entrer, les deux jeunes gens lui dirent -qu’il eût d’abord à rejoindre les siens sur la terre, en repassant par -où il avait passé; mais que, cette fois, les démons ne lui feraient plus -aucun mal, et s’enfuiraient, épouvantés, à sa vue. Et les jeunes gens -ajoutèrent que, trente jours après, Nicolas pourrait s’endormir dans le -Seigneur, et devenir à jamais citoyen de la ville céleste. Alors Nicolas -remonta sur la terre, à l’endroit d’où il était parti. Il fit part à -tous de ce qui lui était arrivé; et, trente jours après, il s’endormit -heureusement dans le Seigneur. - - - - -XLIX - -SAINT BENOIT, ABBÉ - -(21 mars) - - -La vie de saint Benoît a été écrite par saint Grégoire. - -I. Benoît était originaire de la province de Nursie, mais ses parents -l’avaient conduit, tout enfant encore, à Rome, afin qu’il s’y livrât aux -études libérales. Et lui, dès l’enfance, il renonça à ces études et -s’enfuit de Rome, pour aller vivre au désert. Sa nourrice, qui l’aimait -tendrement, le suivit jusqu’à un certain lieu appelé Œside. Là, voulant -cuire du pain, elle emprunta un crible pour passer le froment; et, comme -elle avait mis ce crible sur la table, elle le fit tomber par mégarde, -de telle sorte qu’il se brisa en deux. Alors Benoît, la voyant pleurer, -prit les deux moitiés, fit une prière sur elles, et obtint qu’elles se -rejoignissent sans trace de fracture. Puis, fuyant sa nourrice, il se -réfugia dans une caverne où, pendant trois ans, il vécut ignoré de tous -les hommes à l’exception d’un moine nommé Romain, qui pourvoyait à son -entretien. La caverne où se trouvait Benoît étant d’un accès difficile, -ce Romain attachait un pain à une longue corde, et le lançait ainsi à -Benoît du haut de la montagne. Et il avait attaché à la corde une -clochette dont le son avertissait le jeune ermite d’avoir à sortir pour -prendre le pain. Or le vieil ennemi des hommes, voyant cela, brisa la -clochette, de manière à ce que Benoît ne fût plus averti de l’arrivée de -son pain. Et voilà que certain prêtre, qui se préparait à fêter le jour -de Pâques, vit apparaître le Seigneur, qui lui dit: «Tu t’apprêtes là à -un festin, et, au même moment, dans une caverne de la montagne, mon -serviteur souffre de la faim!» Aussitôt le prêtre se leva; et, quand il -eut enfin trouvé la retraite de Benoît, il lui dit: «Lève-toi et -mangeons ensemble le repas que j’apporte, car c’est aujourd’hui la fête -de Pâques!» Et Benoît lui dit: «Oui, c’est une vraie fête, puisque j’ai -le bonheur de te voir!» Car, dans son isolement, il ne savait pas que -c’était en effet le jour de Pâques. Et le prêtre lui dit: «Sache que -c’est aujourd’hui vraiment le jour de la Résurrection, et que le -Seigneur lui-même m’envoie vers toi pour te relever de ton abstinence!» -Après quoi, ayant béni Dieu, ils mangèrent ensemble. - -Un autre jour, un merle noir se mit à voler avec insistance tout contre -le visage de Benoît; mais celui-ci fit un signe de croix, et aussitôt -l’oiseau disparut. Un autre jour encore, le diable lui remit devant les -yeux l’image d’une femme qu’il avait vue jadis, et alluma dans sa chair -une telle convoitise que peu s’en fallut que Benoît, vaincu par la -volupté, n’abandonnât sa solitude. Mais soudain, revenant à lui, il se -mit à nu, se roula dans les épines et les ronces qui entouraient sa -cellule, se déchira tout le corps, et fit sortir la plaie de son âme par -les plaies de sa peau; et ainsi il vainquit le péché. Et, depuis ce -temps, jamais plus il ne connut la tentation charnelle. - -Cependant sa renommée se répandait aux alentours. Et lorsque mourut -l’abbé d’un monastère voisin, tous les moines vinrent le trouver pour le -prier de se mettre à leur tête. Longtemps Benoît refusa, leur disant -qu’il n’était point le chef qui leur convenait, vu leurs mœurs. Mais il -finit par consentir. Et, comme il appliquait la règle avec une grande -rigueur, les moines se reprochèrent de l’avoir pris pour abbé. Un jour -donc ils mêlèrent du poison à son vin, et le lui offrirent au moment où -il allait se coucher. Mais Benoît fit le signe de la croix, et aussitôt -le vase de verre se brisa, comme cassé par une pierre. Et Benoît, -comprenant que ce vase contenait un breuvage de mort, puisqu’il n’avait -pu supporter le signe de la vie, se leva, avec un sourire tranquille, et -dit: «Que Dieu tout-puissant vous pardonne, mes frères! Mais ne vous -l’avais-je pas dit, que vos mœurs et les miennes ne se convenaient pas?» -Et là-dessus il s’en retourna dans sa caverne, où sa sainteté s’affirma -par de nombreux miracles. Les fidèles venaient à lui en si grande foule -qu’il fonda douze monastères. - -Dans un de ces monastères se trouvait un moine qui, pendant que ses -frères priaient, sortait de la chapelle pour se livrer à des occupations -temporelles. Informé de cette conduite par l’abbé du monastère, Benoît -vit que ce moine, à la chapelle, était entraîné dehors par un petit nain -noir, qui le tirait par le pan de sa robe. Et il dit à l’abbé et à un -moine nommé Maur: «Ne voyez-vous pas cet homme qui l’entraîne?» Ils -répondirent: «Non!» Et il leur dit: «Prions, afin que, vous aussi, vous -le voyiez!» Et ils prièrent, et alors saint Maur vit le nain, mais -l’abbé ne put le voir. Le lendemain, Benoît rencontra hors de la -chapelle le moine entraîné par le diable; il le frappa de son bâton; et, -depuis lors, ce moine ne manqua plus aux offices, comme si, de son coup -de bâton, Benoît avait assommé le diable qui l’entraînait. - -Trois des monastères étaient placés sur une montagne escarpée; et les -moines, qui avaient à descendre jusqu’en bas pour puiser de l’eau, -suppliaient Benoît de transporter ailleurs leurs monastères. Or, une -nuit, Benoît gravit la montagne avec un jeune frère, pria longtemps, et -posa trois pierres en un certain lieu. Et le lendemain il dit aux -moines: «Allez à l’endroit où vous trouverez trois pierres, et, là, -creusez le sol!» Ils y allèrent, virent que l’eau suintait déjà du -rocher, creusèrent une fosse; et aussitôt celle-ci se remplit d’eau; et -aujourd’hui encore l’eau en jaillit en telle abondance qu’elle descend -jusqu’au bas de la montagne. - -Un jour, un homme fauchait les ronces près du monastère, lorsque le fer -de sa faux se détacha du manche et tomba dans un abîme sans fond, ce -dont l’homme s’affligea fort. Mais saint Benoît mit le manche de la faux -dans le creux de la fontaine, et bientôt le fer, sortant du rocher, -nagea jusqu’au manche. Une autre fois, le jeune moine Placide, pendant -qu’il puisait de l’eau, tomba dans le torrent, et, en un clin d’œil, -roula jusqu’au bas de la montagne. Saint Benoît, dans sa cellule, en eut -aussitôt la vision, et appelant le moine Maur, lui ordonna d’aller -chercher Placide. Saint Maur, après avoir reçu la bénédiction de saint -Benoît, se plongea dans le torrent, avec l’impression de marcher sur la -terre ferme. Il rejoignit Placide, le retira de l’eau par les cheveux, -et vint en rendre compte à saint Benoît, qui en attribua tout le mérite -à l’obéissance de saint Maur. - -Un prêtre, nommé Florent, jaloux du saint, empoisonna un pain et le lui -envoya comme un présent. Le saint accepta l’envoi avec reconnaissance et -dit à un corbeau qu’il avait l’habitude de nourrir: «Au nom de -Jésus-Christ, prends ce pain et va le jeter en un endroit où aucun homme -ne puisse y toucher!» Alors le corbeau se mit à voler autour du pain -avec le bec ouvert et les ailes déployées, comme expliquant qu’il aurait -voulu obéir, et ne le pouvait pas. Et le saint lui disait: «Prends, ne -crains rien, et fais ce que je te dis!» Enfin le corbeau prit le pain et -s’envola; et il revint sain et sauf au bout de trois jours. Sur quoi -Florent, voyant qu’il ne pouvait tuer le corps du maître, entreprit de -faire périr l’âme de ses disciples. Il amena dans le jardin du monastère -sept jeunes femmes nues qui chantaient et dansaient, pour engager les -moines à la volupté. Ce que voyant de la fenêtre de sa cellule, Benoît -craignit pour ses disciples, et, prenant avec lui quelques-uns d’entre -eux, s’en alla demeurer ailleurs. Mais au moment où Florent, debout sur -le seuil, se réjouissait de le voir partir, il fit un faux pas et se tua -sur le coup. Alors Maur, courant vers saint Benoît, lui cria avec -enthousiasme: «Reviens, car l’homme qui te persécutait vient de mourir!» -Mais, en l’entendant, Benoît soupira, désolé à la fois de la mort de son -ennemi et de ce que son disciple préféré se fût réjoui de cette mort. Il -infligea au moine une pénitence, et poursuivit son chemin. - -Mais, en changeant de séjour, il ne changea point d’adversaire. Arrivé -au mont Cassin, il transforma en une église, dédiée à saint -Jean-Baptiste, un temple d’Apollon qui se trouvait là; et il convertit à -la foi les habitants du voisinage. Mais le vieil ennemi lui apparaissait -tous les jours sous les formes les plus terribles, et, lançant des -flammes par les yeux, lui disait: «Béni! Béni!» Et comme le saint ne -répondait rien, le diable reprenait: «Maudit, maudit, et non Béni, -pourquoi t’acharnes-tu à me persécuter?» Un autre jour, les frères -voulant soulever une pierre pour bâtir l’église, découvrirent que la -pierre était si lourde qu’on ne pouvait la soulever. Alors saint Benoît -fit le signe de la croix, et aussitôt il souleva la pierre avec une -extrême facilité, ce qui prouva que c’était le diable qui avait pesé sur -elle. Une autre fois, le diable apparut à saint Benoît et l’informa -qu’il se rendait auprès des frères occupés à construire l’église. -Aussitôt Benoît envoya à ceux-ci un novice pour leur dire: «Frères, -soyez prudents, car le méchant esprit est près de vous!» Et à peine le -messager leur avait-il dit ces paroles, que le diable fit tomber un pan -de mur, qui écrasa sous sa chute le pauvre novice. Mais saint Benoît se -fit apporter le mort, tout meurtri, dans un sac, et, ayant prié sur lui, -le ressuscita. - -Un laïc pieux venait tous les ans voir saint Benoît; et il avait coutume -de faire la route à jeun, par manière de mortification. Or, un jour, un -voyageur inconnu se joignit à lui; et, comme l’heure s’avançait, cet -inconnu montra au pèlerin des provisions qu’il portait, et lui dit -«Frère, restaurons-nous, pour ne pas être trop fatigués!» Deux fois -l’étranger fit cette offre au pèlerin, qui persista dans son abstinence. -Mais une troisième fois, comme on s’était assis dans une belle prairie -auprès d’une source, le pèlerin, exténué, finit par se laisser tenter. -Et Benoît, dès qu’il le vit entrer chez lui, lui dit: «Hé bien, mon -frère, le méchant ennemi a échoué deux fois à te persuader, mais la -troisième fois il y a réussi!» Et le pèlerin, tout honteux, se jeta aux -pieds du saint. - -Totila, roi des Goths, voulut savoir si saint Benoît avait vraiment le -don de vision. Il imagina donc d’envoyer au saint, avec une grande -pompe, un de ses écuyers, revêtu du manteau royal. Et le saint, en -l’apercevant, lui cria: «Mon fils, ôte tout ce que tu portes là sur toi, -car cela ne t’appartient pas!» Et l’écuyer se dévêtit aussitôt de son -appareil royal, épouvanté d’avoir osé tendre un piège à un tel homme. - -Un clerc qui était possédé du démon fut amené à saint Benoît, qui le -guérit et lui dit: «Va, mais garde toi de manger de la viande et aussi -d’entrer dans les saints ordres; car le jour où tu entreras dans les -ordres, le diable reprendra ses droits sur toi.» Et le clerc suivit -longtemps cette recommandation; mais un jour, dépité de voir promus aux -ordres sacrés des clercs plus jeunes et moins dignes que lui, il oublia -l’avis de saint Benoît et reçut les ordres; et aussitôt le diable -recommença à le tourmenter et ne le lâcha plus qu’il n’eût causé sa -mort. - -Un homme envoya à saint Benoît deux flacons de vin; mais l’enfant qui -les portait en cacha un sur la route, et ne donna que l’autre au saint. -Celui-ci reçut le flacon avec reconnaissance, et, au moment où l’enfant -repartait, il lui dit: «Mon fils, garde-toi de boire du flacon que tu as -caché, mais penche-le avec précaution et tu verras ce qu’il contient!» -L’enfant, confus, s’enfuit au plus vite, et, arrivé auprès du flacon, le -pencha avec précaution; et il en vit sortir un affreux serpent. - -Un soir, comme saint Benoît mangeait son souper, un moine, qui était -fils d’un sénateur, fut chargé de le servir et de lui tenir la lumière. -Et ce jeune homme se dit: «Qui est cet homme, pour que je le serve à -table et lui tienne la lumière?» Et aussitôt le saint lui dit: «Sonde -ton cœur, mon fils, sonde ton cœur!» Puis, appelant ses frères, il fit -enlever la lampe des mains du jeune moine et ordonna à celui-ci de -s’enfermer dans sa cellule. - -Un certain Goth nommé Galla, et qui appartenait à l’hérésie arienne, -brûlait d’une haine si féroce contre les religieux catholiques, qu’il -tuait tous les clercs ou moines qu’il rencontrait. Un jour cet homme -avait envahi les biens d’un paysan et torturait celui-ci des pires -supplices; alors le paysan déclara qu’il avait mis sa personne et ses -biens sous la protection de Benoît. Sur quoi Galla fit surseoir au -supplice du paysan, mais lui fit lier les mains et lui ordonna de -marcher devant lui, pour lui montrer ce Benoît à qui il avait cédé ses -biens. Et le paysan le conduisit au monastère de saint Benoît, et lui -montra celui-ci occupé à lire tranquillement dans sa cellule. Galla, -dans sa folle fureur, cria au saint: «Allons, lève-toi, et restitue à ce -paysan les biens qu’il t’a confiés!» Au son de cette voix inconnue, -saint Benoît leva les yeux; et, au moment où son regard s’arrêtait sur -le paysan, les fortes courroies qui liaient les mains de celui-ci se -rompirent d’un seul coup. Et Galla, effrayé d’un tel miracle, se jeta -aux pieds du saint, se recommandant à ses prières. Mais le saint ne se -leva point de sa lecture; il se borna à appeler des frères, et les -chargea d’emmener Galla dans la chapelle, pour qu’il reçût la -bénédiction. Et lorsque le Goth revint auprès de lui, il l’engagea à se -relâcher de sa folle cruauté. Et Galla, avant de repartir, promit de ne -jamais rien exiger du paysan, que le saint avait délivré par son seul -regard. - -Une grande famine désolait toute la Campanie; et, dans le monastère de -saint Benoît, les frères s’aperçurent un jour qu’ils ne possédaient plus -que cinq pains. Mais saint Benoît, les voyant affligés, leur adressa une -indulgente admonestation pour les corriger de leur pusillanimité; après -quoi, pour les consoler, il leur dit: «Comment pouvez-vous être en peine -d’une chose aussi peu importante? Aujourd’hui le pain manque, mais rien -ne vous prouve que demain vous n’en aurez pas en abondance!» Or, le -lendemain, on trouva devant les portes de la cellule de saint Benoît -deux cents muids de farine, sans qu’on puisse savoir, aujourd’hui -encore, à quel messager Dieu a confié le soin de les apporter. A la vue -de ce miracle, les frères, rendant grâces à Dieu, apprirent à ne plus -désespérer parmi la disette. - -On amena un jour à saint Benoît un enfant atteint du mal éléphantin, au -point que ses cheveux tombaient et que toute la peau de son crâne -enflait; et à ce mal se joignait une faim que rien ne pouvait apaiser. -Mais le saint le guérit aussitôt; et, par la suite, cet enfant persévéra -dans les bonnes œuvres jusqu’au jour où il s’endormit dans le Seigneur. - -Envoyant deux frères en un certain lieu où il voulait faire construire -un monastère, saint Benoît leur promit de venir les y rejoindre, à une -date déterminée, pour leur donner ses instructions. Or, dans la nuit du -jour où il leur avait promis de les rejoindre, les deux frères le virent -en rêve, et entendirent qu’il leur donnait diverses instructions. Mais -ils refusèrent d’attacher de l’importance à un rêve, et, après avoir -vainement attendu saint Benoît, ils revinrent vers lui et lui dirent: -«Père, nous t’avons attendu suivant ta promesse, et tu n’es pas venu!» -Et le saint: «Que dites-vous là, mes frères? Ne me suis-je pas montré à -vous et ne vous ai-je pas donné toutes mes instructions? Allez, et -faites ce que je vous ai prescrit dans votre rêve!» - -Non loin du monastère de saint Benoît vivaient deux religieuses de -famille noble, qui avaient le malheur de ne pas savoir retenir leur -langue, et qui, par leurs bavardages, fâchaient souvent leur confesseur. -Celui-ci se plaignit d’elles à saint Benoît, qui leur fit dire: «Retenez -votre langue, ou bien je vous excommunierai!» Il n’avait fait cette -menace que pour les corriger; mais elles, sans se corriger, moururent -toutes deux peu de temps après, et furent ensevelies dans la chapelle de -leur couvent. Et là, à la messe, au moment où le diacre prononçait les -paroles: «_Que celui qui n’est pas admis à la communion s’en aille!_» la -nourrice de ces deux femmes les vit, plusieurs fois de suite, se dresser -dans leurs tombeaux et sortir de l’église. Et lorsque saint Benoît en -fut informé, il dit: «Offrez de ma part cette offrande pour elles, et -leur excommunication sera levée!» Ainsi fut fait; et, depuis lors, les -deux femmes ne sortirent plus de leurs tombeaux. - -Un moine, étant allé voir ses parents sans avoir reçu la bénédiction, -mourut pendant qu’il était chez eux. On l’ensevelit; mais, à deux -reprises, la terre rejeta son cadavre. Alors les parents vinrent prier -saint Benoît d’intervenir. Et le saint, prenant une hostie consacrée, -leur dit: «Mettez ceci sur la poitrine de votre fils avant de -l’ensevelir de nouveau!» Les parents firent ainsi, et la terre ne rejeta -plus le cadavre. - -Un moine, qui s’ennuyait au monastère, importuna si fort saint Benoît de -ses doléances, que le saint, irrité, lui permit de s’en aller. Mais le -moine, à peine sorti du monastère, rencontra un dragon qui, la gueule -ouverte, voulait le dévorer. Et il se mit à crier au secours. Les frères -accoururent et ne virent point trace de dragon, mais ramenèrent dans sa -cellule le moine, tout tremblant, qui promit bien de ne plus s’en aller. - -Pendant une famine qui désolait la région, saint Benoît fit donner aux -pauvres tout ce que l’on pouvait trouver, de telle sorte que rien ne -resta plus au monastère, qu’un peu d’huile dans un vase de verre. Et -cette huile aussi, saint Benoît ordonna au frère économe de la donner à -un pauvre. Mais l’économe refusa d’obéir, afin que, du moins, cette -huile restât pour les frères. Ce qu’apprenant, saint Benoît la fit jeter -par la fenêtre, ne voulant point que quelque chose restât au monastère -qui fût le produit de la désobéissance. Mais le vase eut beau tomber sur -d’énormes rochers, il ne se brisa point, et pas une seule goutte d’huile -ne se répandit. Saint Benoît fit alors reprendre le vase et le fit -donner au pauvre. Et aussitôt un grand tonneau, qui était dans la cave -du monastère, se remplit d’huile, à tel point que tout le pavé en fut -inondé. - -Saint Benoît était un jour allé voir sa sœur et avait dîné avec elle; -mais, malgré les supplications de sa sœur, il avait refusé de passer la -nuit sous son toit. Et sa sœur pria Dieu avec force larmes, et aussitôt -une pluie torrentielle succéda au beau temps, de façon qu’on ne pouvait -songer à sortir, même pour faire un pas. Et saint Benoît, contristé, -dit: «Dieu te pardonne, ma sœur, qu’as-tu fait là?» Et la sœur: «Je t’ai -prié, et tu as refusé de m’entendre; alors j’ai prié Dieu et il m’a -entendue! Il a changé mes larmes en pluie pour te forcer à rester près -de moi.» Et, en effet, le saint passa la nuit près d’elle, et jusqu’au -matin tous deux s’entretinrent des choses sacrées. Or, voici que, trois -jours après, saint Benoît, dans sa cellule, vit l’âme de sa sœur montant -au ciel sous la forme d’une colombe. Il fit transporter son corps au -monastère, et l’ensevelit dans le tombeau qu’il avait préparé pour elle. - -Une nuit, saint Benoît, debout à la fenêtre de sa cellule, vit une -grande lumière se substituer aux ténèbres. Et il aperçut, dans un rayon -plus éclatant que tous ceux du soleil, l’âme de l’évêque de Capoue, -Germain, qu’on emportait au ciel. Il comprit aussitôt que cette âme -venait de quitter le corps de l’évêque; et, en effet, saint Germain -était mort en ce même instant. - -L’année de sa mort, saint Benoît annonça à ses frères qu’il allait -mourir. Et six jours avant sa fin, il se fit creuser sa fosse. Le -lendemain, une fièvre le saisit, qui alla tous les jours s’aggravant. Le -sixième jour, il se fit transporter à la chapelle et reçut le corps du -Seigneur en manière de viatique. Puis, soutenu par ses disciples, il se -tint debout, les mains levées au ciel, et rendit le dernier soupir au -milieu d’une prière. - -II. Or, ce même jour, deux frères, dont l’un était enfermé dans sa -cellule, et dont l’autre se trouvait très loin, eurent tous deux la -révélation de la mort du saint. Car ils virent une voie lumineuse qui, -partant de la cellule de saint Benoît, montait à l’orient jusqu’au ciel. -Et un inconnu leur demanda ce qu’était cette voie. Et comme tous deux -répondaient qu’ils l’ignoraient, l’inconnu leur dit: «Sachez donc que -c’est la voie par laquelle le bienheureux Benoît monte au ciel!» - -Il fut enseveli dans l’oratoire de Saint-Jean-Baptiste, qu’il avait fait -construire sur les ruines d’un temple d’Apollon. Il florissait vers l’an -du Seigneur 518, au temps de Justin l’Ancien. - - - - -L - -SAINT TIMOTHÉE, PRÊTRE ET MARTYR - -(24 mars) - - -Saint Timothée était d’Antioche; mais c’est à Rome que se fête -l’anniversaire de sa naissance, parce que c’est dans cette ville qu’il -fut ordonné prêtre, sous le pape Melchiade, par Sylvestre, qui devint -plus tard évêque de Rome. Et Sylvestre non seulement l’ordonna prêtre et -le reçut dans sa maison, mais il ne craignit pas de louer en public sa -vie et sa doctrine. Pendant un an et trois mois, Timothée enseigna la -vérité du Christ, faisant de nombreuses conversions; après quoi, Dieu -l’ayant jugé digne du martyre, il fut pris par les païens, livré au -préfet Tarquin, soumis à un long emprisonnement et à mille tortures, et -enfin, en bon athlète de Dieu, décapité en compagnie d’assassins. La -nuit suivante, saint Sylvestre emporta son corps dans sa maison, où il -manda aussitôt l’évêque Melchiade. Celui-ci vint avec ses prêtres et -diacres, passa toute la nuit en prières auprès du corps, et consacra -ainsi son martyre. Le lendemain, une pieuse femme nommée Théone demanda -au pape susdit de pouvoir enterrer Timothée dans son jardin, à côté du -lieu où reposait l’apôtre Paul: s’offrant, si on lui donnait le corps, à -lui élever à ses frais un tombeau. Et les chrétiens accueillirent sa -demande d’autant plus volontiers qu’ils étaient heureux de voir enseveli -à côté de saint Paul ce martyr, qui avait été jadis le disciple du grand -apôtre. - - - - -LI - -L’ANNONCIATION - -(25 mars) - - -I. La fête de l’Annonciation célèbre le souvenir du jour où un ange a -annoncé l’avènement du fils de Dieu dans la chair. - -La Vierge était restée, depuis sa troisième année jusqu’à sa -quatorzième, dans le temple avec les autres vierges. Puis, sur la -révélation de Dieu, elle avait été fiancée à Joseph, et celui-ci s’était -rendu à Bethléem, d’où il était originaire, afin de préparer les choses -nécessaires pour les noces. Et Marie, pendant ce temps, était revenue -dans la maison de ses parents, à Nazareth. C’est là que l’ange Gabriel -lui apparut, et la salua, en lui disant: «Je vous salue, Marie, pleine -de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les -femmes!» Ce qu’entendant, Marie fut profondément troublée des paroles de -l’ange et se demanda ce que signifiait cette salutation. Notons à ce -propos qu’elle fut troublée des paroles de l’ange, non de sa vision: car -souvent elle voyait des anges. Et l’ange, la réconfortant, lui dit: «Ne -craignez pas, Marie, car vous ayez trouvé grâce auprès du Seigneur. -Voici que vous allez concevoir et mettre au monde un fils, qui -s’appellera Jésus, c’est-à-dire le Sauveur, parce qu’il sauvera son -peuple de ses péchés.» Et Marie dit à l’ange: «Comment sera-ce possible, -puisque je ne connais aucun homme?» Elle voulait dire par là: «Puisque -je suis résolue à ne point connaître d’homme!» Et l’ange, répondant, lui -dit: «L’Esprit-Saint surviendra en vous, et vous fera concevoir.» Alors -Marie, étendant les mains et levant les yeux au ciel, dit: «Me voici, la -servante du Seigneur! Que me soit fait suivant ta parole!» Puis, se -relevant, elle se rendit sur la montagne, auprès d’Elisabeth; et comme -elle la saluait, l’enfant saint Jean bondit de joie dans le ventre de sa -mère. - -II. Un soldat riche et noble avait renoncé au siècle et était entré dans -l’Ordre de Cîteaux. Mais il était si illettré que les moines, rougissant -de son ignorance, chargèrent un maître de lui donner des leçons. Or il -eut beau recevoir des leçons; il ne put rien apprendre que deux mots: -_Ave Maria_, qu’il allait répétant toute la journée. Quand il mourut, et -qu’on l’ensevelit avec les autres frères, voici que sur sa tombe poussa -un lys magnifique, qui portait inscrit sur chacune de ses feuilles en -lettres d’or: _Ave Maria_. Les frères, étonnés d’un si grand miracle, -enlevèrent la terre du tombeau, et virent que le lys prenait sa racine -dans la bouche du mort. Ainsi ils comprirent avec quelle dévotion il -avait dit ces deux mots. - -III. Un brigand s’était construit une forteresse au bord d’une route, et -dépouillait sans miséricorde tous les passants; mais il récitait tous -les jours la Salutation Angélique, sans qu’aucun empêchement pût l’y -faire manquer. Un jour vint à passer un saint moine, que les compagnons -du brigand se mirent en devoir de dépouiller: mais l’homme de Dieu leur -demanda à être conduit près de leur chef, disant qu’il avait un secret à -lui communiquer. Amené en présence du brigand, il demanda à celui-ci de -réunir tous les habitants de la forteresse, afin qu’il leur prêchât la -parole de Dieu. Mais, lorsqu’ils furent assemblés, le religieux dit: -«Vous n’êtes pas tous là; quelqu’un manque!» Et comme on lui disait que -personne ne manquait: «Cherchez bien,» reprenait-il; «vous verrez qu’il -manque quelqu’un! «Alors un des brigands s’écria: «En effet, un des -valets n’est pas ici!» Et le moine: «C’est précisément lui que -j’attends.» On l’envoya donc chercher, mais, à la vue de l’homme de -Dieu, il roula des yeux effrayés, se démena comme un insensé, et refusa -d’approcher. Et l’homme de Dieu lui dit: «Au nom de Notre-Seigneur -Jésus-Christ je t’adjure de dire qui tu es et pourquoi tu es venu ici!» -Le valet répondit: «Puisque je suis forcé de parler, sachez que je ne -suis pas un homme, mais un démon, qui, sous forme humaine, demeure -depuis quatorze ans auprès de ce brigand. Notre chef m’avait envoyé -auprès de lui pour guetter le jour où il négligerait de réciter la -Salutation Angélique; car, ce jour-là, il nous aurait appartenu, et -j’avais ordre de l’étrangler sur-le-champ. Seule, cette prière -quotidienne l’empêchait de tomber en notre pouvoir. Mais j’ai eu beau le -guetter: pas une fois il n’a manqué à la réciter.» Ce qu’entendant, le -brigand, stupéfait, tomba aux pieds de l’homme de Dieu, demanda son -pardon, et se convertit désormais à une vie meilleure. - - - - -LII - -LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR - - -La passion du Christ fut, en premier lieu, ignominieuse. Elle eut lieu -sur le mont du Calvaire, où l’on châtiait les malfaiteurs. Elle eût lieu -au moyen de la croix, qui était le supplice le plus honteux de tous. Et -elle eut lieu dans une compagnie ignominieuse, puisque le Christ fut -crucifié entre deux larrons. L’un d’eux, celui qui était à droite, et -s’appelait Dismas (d’après l’évangile de Nicodème), se convertit et fut -sauvé; l’autre, appelé Gesmas, fut damné pour l’éternité. - -En second lieu, la passion du Christ fut injuste: car il n’avait point -péché, et l’on n’avait point trouvé de ruse dans sa bouche. On -l’accusait surtout de trois choses: de s’opposer à ce qu’on payât le -tribut, de se dire roi, et de se prétendre le Fils de Dieu. - -En troisième lieu, la passion de Christ fut d’autant plus douloureuse -qu’elle lui fut infligée par les hommes de sa race, qui auraient dû être -ses amis, et à qui il avait rendu d’innombrables services. - -En quatrième lieu, la passion du Christ fut douloureuse à cause de la -délicatesse de son corps, et parce qu’il eut à la subir en chacun de ses -sens. Il la subit en effet dans les yeux, car il pleura. (Il pleura deux -autres fois, en voyant pleurer la famille de Lazare, et en prévoyant la -ruine de Jérusalem: mais, dans le premier cas, ce furent des larmes -d’amour, dans le second des larmes de pitié, tandis que les larmes de sa -passion furent des larmes de douleur.) Il subit sa passion dans son -ouïe, car il eut à entendre toutes sortes d’opprobres et de blasphèmes. -Il eut à la subir dans son odorat: car le calvaire où il fut crucifié -était infecté de la puanteur des cadavres qu’on y laissait après le -supplice. Il subit la passion dans son goût: car, ayant demandé à boire, -il obtint du vinaigre mêlé de myrrhe et de fiel. Le vinaigre, dit-on, -faisait mourir plus vite les crucifiés; le fiel avait pour objet de -faire souffrir Jésus dans son goût. Et Jésus subit la passion dans son -toucher: car il n’y eut pas une partie de son corps depuis la plante des -pieds jusqu’au haut de la tête, qui n’eût à souffrir de la cruauté des -bourreaux. - -Mais autant cette passion fut douloureuse pour le Christ, autant pour -nous elle fut fructueuse. Et son utilité est triple, à savoir par la -rémission des péchés, la collation de la grâce, et la démonstration de -la gloire céleste. - -La passion du Christ eut trois auteurs, qui tous furent justement punis -de leurs crimes. C’est d’abord Judas, qui livra le Christ par avidité, -puis les Juifs, qui le livrèrent par envie, enfin Pilate, qui le livra -par lâcheté. Mais le récit du châtiment de Judas se trouve dans -l’histoire de saint Mathias, celui du châtiment des Juifs, dans -l’histoire de saint Jacques le Mineur. Quant au châtiment et à toute la -vie de Pilate, le récit suivant nous en est donné par une histoire, qui -est, en vérité, apocryphe. - -Un roi nommé Tyrus, ayant séduit une jeune fille nommée Pyla, fille d’un -meunier nommé Atus, eut d’elle un fils; et Pyla donna à son fils un nom -composé du sien propre et du nom de son père, à savoir Pylatus. Et -lorsque Pilate eut trois ans, sa mère le transmit au roi, qui le donna -pour compagnon de jeux à son fils légitime, à peu près du même âge. Mais -le fils légitime, de même qu’il était plus noble de naissance que -Pilate, était encore plus habile que lui à tous les exercices de son -âge: de telle sorte que Pilate, miné par la jalousie jusqu’à ressentir -une douleur dans le foie, tua son frère. Ce qu’apprenant, le roi -convoqua son assemblée pour la consulter sur ce qu’il devait faire du -meurtrier. Tous furent d’avis de le mettre à mort; mais le roi, rentrant -en lui-même, ne voulut point doubler un crime d’un autre crime, et -envoya son fils à Rome, en otage du tribut annuel qu’il devait à -l’empire. - -Or se trouvait à Rome, en même temps, le fils du roi de France, envoyé -de la même façon, en otage. Pilate l’eut pour compagnon, et, le voyant -supérieur à lui tant pour les mœurs que pour le talent, en fut jaloux et -le tua. Et comme les Romains se demandaient ce qu’ils pourraient faire -de lui, ils se dirent: «Un gaillard qui a déjà tué son frère et son -compagnon peut être très utile à la république pour dompter ses -ennemis!» Ils l’envoyèrent donc, en qualité de juge, dans l’île de Pont, -dont les habitants ne pouvaient supporter aucun juge. Et Pilate, sachant -que sa vie était l’enjeu de ses succès, fit si bien, par les promesses -et les menaces, par les récompenses et les supplices, qu’il dompta cette -race, qu’on croyait indomptable. En souvenir de quoi il fut appelé -Pilate le Pontien ou Ponce Pilate. - -Or Hérode, en apprenant l’habileté de cet homme, l’invita à venir à -Jérusalem, et lui transmit son pouvoir sur les Juifs. Mais Pilate, plus -tard, obtint de Tibère, à force d’argent, de remplacer Hérode dans toute -son autorité: ce qui eut pour effet de brouiller Pilate et Hérode, -jusqu’au jour où celui-ci, pour se réconcilier, envoya à Pilate -Notre-Seigneur Jésus. - -Lorsque Pilate eut transmis Jésus aux Juifs pour le crucifier, il -craignit que l’empereur Tibère ne s’offensât de ce qu’il avait condamné -le sang innocent, et, pour se justifier, il envoya à l’empereur un de -ses familiers. Tibère souffrait alors d’une grave maladie, et comme on -lui disait qu’il y avait à Jérusalem un médecin qui, d’un seul mot, -guérissait toutes les maladies, l’empereur (ignorant que ce médecin -venait d’être mis à mort par Pilate), dit à un de ses familiers, nommé -Volusien: «Va vite au-delà des mers, et dis à Pilate de m’envoyer ce -médecin!» Volusien se mit en route; mais Pilate, effrayé, demanda un -délai de quatorze jours. - -Pendant ce temps Volusien, ayant rencontré une femme nommée Véronique, -qui avait connu Jésus, lui demanda où il pourrait trouver celui-ci. Et -Véronique lui dit: «Hélas, Jésus était mon maître et mon Dieu, mais -Pilate, par envie, l’a condamné et fait crucifier!» Volusien fut désolé -et dit: «Je regrette de ne pouvoir pas accomplir l’ordre de mon maître.» -Et Véronique: «Comme Jésus était toujours en route pour prêcher, et que -sa présence me manquait fort, je me rendis un jour chez un peintre pour -qu’il me fît son portrait, sur une toile que je lui portais. Or le -Seigneur, m’ayant rencontrée, et ayant su où j’allais, appuya ma toile -contre sa face, et je vis que son image s’y était gravée. Que si -l’empereur ton maître regarde pieusement cette image, il sera aussitôt -guéri.» Et Volusien: «Peut-on acquérir cette image pour de l’or ou de -l’argent?» Et Véronique: «Non, mais on peut en acquérir le bénéfice par -une piété sincère. Je vais aller à Rome avec toi, je montrerai l’image à -César, et puis je reviendrai ici!» Ainsi fut fait, et Volusien dit à -Tibère: «Ce Jésus que tu désirais voir a été injustement condamné et -crucifié par Pilate et les Juifs. Mais j’ai amené avec moi une femme qui -possède une image de Jésus, et qui dit que, si tu regardes cette image -avec dévotion, tu recouvreras bientôt la santé.» Alors Tibère fit tendre -tout le chemin d’étoffes de soie, et se fit présenter l’image et, dès -qu’il l’eut regardée, il recouvra la santé. - -Ponce Pilate fut alors conduit à Rome, et Tibère, furieux, ordonna qu’on -le fît venir devant lui. Mais Pilate avait pris la précaution de revêtir -la tunique sans couture de Nôtre-Seigneur: de telle sorte que Tibère, en -le voyant, oublia toute sa fureur, et ne put s’empêcher de le traiter -avec déférence. A peine l’eut-il congédié, que sa fureur le ressaisit de -plus belle: mais, chaque fois qu’il le revoyait, sa fureur tombait, au -grand étonnement de tous. Enfin, sur l’ordre de Dieu, et peut-être sur -le conseil d’un chrétien, Tibère fit dépouiller Pilate de sa tunique, -et, pouvant désormais s’abandonner à sa fureur contre lui, il le fit -jeter en prison pour y attendre la mort honteuse qu’il lui réservait. Ce -qu’apprenant, Pilate prit son couteau et se tua. Son cadavre fut attaché -à une grosse pierre et lancé dans le Tibre; mais les esprits malins et -sordides s’emparèrent avec joie de ce corps malin et sordide; tantôt le -plongeant dans l’eau, tantôt le ravissant dans les airs, ils causaient -d’innombrables inondations, tempêtes, etc., dont tout le monde était -effrayé. Aussi les Romains retirèrent-ils du Tibre ce cadavre malfaisant -et l’envoyèrent-ils à Vienne, par dérision, pour y être plongé dans le -Rhône, car le nom de Vienne provient de _Via gehennæ_, qui veut dire: -Voie de la malédiction. Mais, là encore, les mauvais esprits -recommencèrent leurs tours, si bien que les habitants de Vienne, pressés -de se défaire de ce vase de malédiction, l’ensevelirent sur le -territoire de la ville de Lausanne. Mais les habitants de cette ville, -voulant eux aussi s’en débarrasser, le jetèrent au fond d’un puits -entouré de hautes montagnes, et l’on dit que, aujourd’hui encore, on -voit bouillonner, en ce lieu, des machinations diaboliques. - -Tel est le récit qu’on lit dans la susdite histoire apocryphe: je laisse -au lecteur le soin de juger du degré de confiance qu’il mérite. Et je -dois ajouter que, d’après l’_Histoire scholastique_, Pilate fut accusé -par les Juifs, devant Tibère, d’avoir permis le massacre des Innocents, -et d’avoir fait placer dans les temples des images païennes, et d’avoir -affecté à son usage personnel l’argent déposé dans les troncs: toutes -accusations qui lui valurent d’être exilé à Lyon, d’où il était -originaire, et où il est mort, l’opprobre de sa race. D’autre part -Eusèbe et Bède, dans leur chronique, ne parlent point de son exil, mais -disent seulement que, accablé de justes calamités, il se tua de ses -propres mains. - - - - -LIII - -LA RÉSURRECTION DE NOTRE-SEIGNEUR - - -La résurrection du Christ eut lieu le troisième jour après sa mort. Elle -eut lieu sans que le sépulcre s’ouvrît. Car de même que Nôtre-Seigneur a -pu sortir du ventre de sa mère sans que celui-ci s’ouvrît, de même qu’il -a pu entrer auprès de ses disciples sans que la porte s’ouvrît, de même -il a pu se relever de son sépulcre sans que celui-ci s’ouvrît. On lit à -ce propos, dans l’_Histoire scholastique_, que, l’an du Seigneur 505, un -moine de Saint-Laurent Hors les Murs eut un jour la surprise de voir sa -ceinture se projeter devant lui sans être dénouée ni rompue; et qu’il -entendit, au même moment, une voix lui disant: «C’est ainsi que le -Christ a pu sortir de son sépulcre sans que celui-ci s’ouvrît.» - -Le Christ est ressuscité avec son corps propre et réel. - -Nous avons, de cela, cinq preuves: 1º la parole de l’ange, qui ne -saurait mentir; 2º les fréquentes apparitions du Christ; 3º le fait -qu’il a mangé avec ses disciples; 4º le fait qu’il s’est laissé toucher, -ce qui prouve que son corps était véritable; 5º le fait qu’il a montré -ses cicatrices, ce qui prouve que ce corps était le même qui avait subi -la passion. Et toutes ces preuves nous portent à croire que les -disciples ont eu des doutes sur la réalité de la résurrection corporelle -du Christ. - -Saint Denis rapporte, dans son épître à Démophile, que le Christ, après -son Ascension, est apparu à un saint homme nommé Carpe et lui a dit: «Je -suis prêt à souffrir de nouveau pour le salut des hommes.» C’est ce même -Carpe qui, voyant un chrétien perverti par un infidèle, en eut tant de -chagrin qu’il en devint malade. C’était un homme d’une telle sainteté, -que jamais il ne célébrait la messe sans être honoré d’une vision -divine. Et comme il devait prier pour la conversion des deux infidèles, -il ne pouvait s’empêcher de demander en même temps que le feu du ciel -s’abattît sur eux et mît fin au scandale de leur vie. Or, à minuit, -pendant qu’il exprimait ce vœu, la maison où il était lui apparut -divisée en deux; et au milieu était une immense fournaise, tandis -qu’au-dessus, dans le ciel ouvert, Jésus trônait entouré de la multitude -des anges. Puis, tout près de la fournaise, vinrent se placer en -tremblant les deux infidèles; des serpents s’efforçaient, en les mordant -et en les entourant, de les entraîner, de force, dans la fournaise; et -il y avait là des hommes qui les y poussaient aussi. Et Carpe fut si -ravi de ce châtiment qu’il oublia de regarder la vision supérieure, -regrettant seulement que les deux pécheurs tardassent aussi longtemps à -tomber dans la fournaise. Or, lorsque enfin il se décida à relever la -tête, il vit que Jésus, ayant pitié des deux malheureux, se levait de -son trône céleste, descendait vers eux avec la multitude des anges, leur -tendait la main, et les sauvait de la fournaise. Après quoi Jésus dit à -Carpe: «Frappez-moi encore, je suis prêt à souffrir de nouveau pour -sauver les hommes!» - -Le Christ ressuscité est apparu cinq fois le jour même de sa -résurrection, et cinq fois encore durant les jours suivants: 1º il -apparut d’abord à Marie-Madeleine, afin de montrer qu’il était mort pour -sauver les pécheurs; 2º il apparut ensuite aux femmes qui revenaient du -tombeau; 3º il apparut ensuite à Simon, mais sans qu’on sache où ni à -quel moment; 4º il apparut ensuite aux disciples allant à Emmaüs; 5º il -apparut aux disciples réunis; 6º le jour de l’octave de sa résurrection, -le Christ apparut aux disciples réunis, en présence de Thomas, qui avait -dit qu’il ne croirait que quand il verrait; 7º il apparut à ses -disciples occupés à pêcher le poisson; 8º il leur apparut sur le mont -Thabor; 9º il leur apparut pendant qu’ils étaient couchés dans le -cénacle, et les blâma de leur crédulité et de la dureté de leur cœur; -10º enfin il leur apparut sur le mont des Oliviers au moment de son -ascension. - -Et il y a encore trois autres apparitions qui nous sont rapportées comme -s’étant produites le jour de sa résurrection, mais, de celles-là, les -textes saints ne font point mention: 1º il apparut à Jacques, fils -d’Alphée, ainsi qu’on le trouvera exposé dans l’histoire de ce saint; 2º -d’après l’Evangile de Nicodème, il apparut à Joseph d’Arimathie. Nous -lisons, en effet, dans cet évangile que les Juifs, en apprenant que -Joseph avait réclamé le corps de Jésus et l’avait placé dans son -monument, s’emparèrent de lui et l’enfermèrent dans une chambre -soigneusement scellée, avec l’intention de le mettre à mort après le -sabbat; et voilà que Jésus, la nuit même de sa résurrection, fit -soulever par quatre anges la maison où était enfermé Joseph, s’approcha -de celui-ci, lui donna un baiser, et, l’emmenant avec, lui, le -reconduisit dans sa maison d’Arimathie; 3º enfin on croit généralement -que le Christ est apparu, en premier lieu, à la Vierge Marie. Les -évangélistes, en vérité, n’en disent rien; mais si l’on devait -interpréter leur silence comme une négation, on devrait en conclure que, -pas une seule fois, le Christ ressuscité ne serait apparu à sa mère. - -On sait que, dans l’intervalle de sa passion et de sa résurrection, le -Christ est descendu dans les limbes, pour y faire sortir les saints -Pères qui y attendaient sa venue. L’Evangile ne nous donne aucun détail -sur cette descente aux limbes; mais nous en trouvons un récit, -d’ailleurs très sujet à caution, dans l’évangile de Nicodème. D’après ce -livre, deux fils du vieux Siméon, Carin et Leucius, ressuscitèrent avec -le Christ, et se montrèrent à Anne, à Caïphe, à Nicodème, à Joseph -d’Arimathie et à Gamaliel. Et comme on leur demandait ce que le Christ -avait fait, aux enfers, ils répondirent: «Pendant que nous étions -plongés dans les ténèbres, en compagnie de nos pères les patriarches, -soudain une lumière d’or et de pourpre nous a environnés.» Aussitôt -Adam, le père du genre humain, s’est écrié joyeusement: «Cette lumière -est celle de l’auteur de toute lumière, qui nous a promis de nous -envoyer sa lumière éternelle!» Puis Isaïe s’est écrié: «Ceci est le Fils -de Dieu, lumière du Père, de même que je l’ai prédit de mon vivant, -quand j’ai dit que le peuple, qui marchait dans les ténèbres, verrait -une grande lumière.» Puis est survenu notre père Siméon qui a dit: -«Glorifiez le Seigneur, que j’ai tenu enfant dans mes mains, et de qui -j’ai dit, sous la dictée de l’Esprit-Saint: maintenant mes yeux ont vu -cela.» Puis est survenu un ermite qui nous a dit: «Je suis Jean, qui ai -baptisé le Christ, et lui ai préparé les voies, et qui l’ai désigné du -doigt en disant: voici l’Agneau de Dieu! Je suis descendu ici -aujourd’hui pour vous annoncer que le Christ va bientôt venir près de -vous.» Puis Seth dit: «Comme je me rendais aux portes du paradis, pour -prier Dieu de me transmettre, par son ange, un peu d’huile de l’arbre de -miséricorde, afin que j’en oignisse le corps de mon père Adam, l’ange -Michel m’apparut et me dit que je ne pourrais pas avoir de cette huile -avant que se fussent écoulés cinq mille cinq cents ans.» Ce -qu’entendant, tous les patriarches et prophètes furent remplis de joie; -mais Satan, prince de la mort, dit à l’enfer: «Prépare-toi à recevoir -Jésus, qui se glorifie d’être le Fils de Dieu, et qui cependant craint -la mort, car il a dit que son âme était triste jusqu’à la mort, etc. Il -a rendu l’ouïe à bien des hommes que j’avais faits sourds, et remis sur -leurs pieds bien des hommes que j’avais faits boiteux.» A quoi l’enfer -répondit: «Si tu es puissant, quel homme est donc ce Jésus, qui, tout en -craignant la mort, résiste à ta puissance?» Et Satan: «Je l’ai tenté, -j’ai excité le peuple contre lui, j’ai aiguisé la lance qui l’a -transpercé, je lui ai mêlé du fiel et du vinaigre, j’ai préparé le bois -de sa croix. D’un instant à l’autre, il va mourir, et je te l’amènerai.» -L’enfer lui répondit: «Au nom de ton pouvoir et du mien, je te conjure -de ne pas me l’amener ici, car j’ai eu déjà à reconnaître la -toute-puissance de sa parole, et je n’ai pas pu l’empêcher, tout -récemment encore, de m’enlever Lazare.» Au même instant, une voix haute -comme le tonnerre s’est fait entendre, qui disait: «Enfer, relève tes -portes, car voici que va entrer le roi de gloire!» A ces mots, les -démons accoururent et fermèrent les portes d’airain avec des barres de -fer. Et David s’écria: «N’ai-je point prédit que le Seigneur briserait -les portes d’airain?» De nouveau, la voix retentit et dit: «Enfer, -relève tes portes!» Puis le Roi de gloire entra; et tendant sa main, il -prit la main d’Adam et lui dit: «Paix à toi et à tous les justes d’entre -tes fils!» Puis il sortit des enfers, et tous les saints le suivirent. -Jésus remit ensuite Adam à l’archange Michel, qui le fit entrer au -paradis. Et comme nous y entrions tous, nous vîmes venir à nous deux -vieillards, dont l’un nous dit: «Je suis Enoch, et mon compagnon est -Elie, qui s’est élevé jusqu’ici dans un char de feu. Tous deux, nous -n’avons pas encore goûté de la mort, car nous sommes destinés à attendre -la venue de l’Antéchrist, à combattre avec lui, à être tués par lui, et, -le troisième jour, à être élevés dans les nuages.» Pendant qu’Enoch -parlait, survint un homme qui portait une croix sur ses épaules; et il -leur dit: «J’étais un larron, et, étant crucifié près de Jésus, j’ai cru -en lui, et l’ai prié de se souvenir de moi dans le royaume de son Père. -Alors il m’a répondu que, aujourd’hui même, je serais avec lui dans le -paradis. Et il m’a dit que si l’on refusait de me laisser entrer, le -signe de cette croix suffirait à me faire ouvrir les portes. En effet, -on vient de m’admettre ici, et de m’indiquer ma place sur le côté droit -du paradis.» Et lorsque Carin et Leucius eurent dit cela, soudain ils se -transfigurèrent, et on ne les revit plus. - - - - -LIV - -SAINT SECOND, MARTYR - -(30 mars) - - -1. Second était un vaillant soldat, en même temps qu’un admirable -chevalier du Christ, pour qui il souffrit glorieusement le martyre dans -la ville d’Asti; et, aujourd’hui encore, cette ville s’honore de son -souvenir et le vénère comme un saint patron. Il fut d’abord instruit -dans la foi du Christ par le bienheureux Calocérus, que le préfet -Sapritius avait fait enfermer dans la prison d’Asti. Or comme, un jour, -ce Sapritius se préparait à sortir d’Asti pour se rendre à Tortone et -pour y présider à l’exécution d’un autre prisonnier chrétien, le -bienheureux Marcien, Second lui demanda de pouvoir l’accompagner, -soi-disant pour se distraire, mais en réalité pour voir Marcien. Et -voici qu’au sortir des murs d’Asti une colombe descendit sur le casque -de Second; et Sapritius dit à son compagnon: «Vois-tu, Second, comme nos -dieux t’aiment? Ils te font rendre hommage par les oiseaux du ciel!» -Plus tard, quand ils arrivèrent au fleuve Tanaro, Second vit un ange qui -marchait sur l’eau et qui lui disait: «Second, aie la foi, et tu -marcheras de même sur les adorateurs des idoles!» Et Sapritius: «Mon -frère Second, j’entends les dieux qui t’adressent la parole!» Et quand -ils arrivèrent à un autre fleuve, nommé la Bormida, de nouveau un ange -leur apparut, marchant sur les eaux; et il dit à Second: «Crois-tu en -Jésus, ou bien doutes-tu?» Et Second répondit: «Je crois à la vérité de -sa passion!» Et Sapritius dit: «Qu’entends-je là?». En arrivant à -Tortone, ils virent sur la porte de la prison le bienheureux Marcien, -qui, mis en liberté par un ange, dit à Second: «Second, entre dans la -voie de vérité, et marches-y, et tu recevras la palme de la foi!» Et -Sapritius lui dit: «Qui est cet homme, qui nous parle ainsi comme en -songe?» Et Second répondit: «Ce qui te fait l’effet d’un songe est pour -moi un avertissement et une consolation!» - -II. Second se rendit ensuite à Milan; et, devant les portes de la ville, -il rencontra Faustin et Jonitas, qui eux aussi étaient prisonniers pour -leur foi, mais qu’un ange avait fait sortir de la prison et conduits -jusque-là. Et ces deux saints hommes le baptisèrent avec l’eau d’un -nuage qui se changea en pluie. Alors voici soudain qu’une colombe -descendit du ciel, apportant une hostie consacrée, qu’elle donna à -Faustin et à Jonitas, qui, à leur tour, la remirent à Second, en le -chargeant d’aller la porter au bienheureux Marcien. Second rebroussa -chemin; et, la nuit, comme il était parvenu au bord du Pô, un ange vint -au-devant de lui, prit son cheval par la bride, et lui fit traverser les -eaux du fleuve comme sur un pont; puis, à Tortone, il fit entrer Second -dans la cellule où Marcien était revenu s’enfermer. Ainsi Second put -remettre à Marcien la sainte hostie; et Marcien, la prenant, dit: «Que -le corps et le sang du Seigneur soient avec moi dans la vie éternelle!» -Puis, sur l’ordre de l’ange, Second sortit de la prison et se rendit à -son hôtellerie. Et, le lendemain, lorsque Marcien eut subi le martyre, -Second enleva son corps et l’ensevelit. - -III. Ce qu’apprenant, Sapritius le fit venir et lui dit: «A ce que je -vois, tu fais profession d’être chrétien?--Oui.--Aspires-tu donc à -mourir dans les supplices?--C’est toi, plutôt, qui mériterais de mourir -ainsi!» Puis, comme il se refusait à sacrifier aux idoles, le préfet le -fit dépouiller de ses vêtements, mais aussitôt un ange s’approcha de lui -et le couvrit d’un manteau. Sapritius le fit alors suspendre sur un -chevalet, et ordonna qu’il fût torturé jusqu’à ce que se rompissent -toutes les articulations de ses bras; mais, de nouveau, le Seigneur lui -rendit aussitôt la santé. Le préfet, exaspéré, le fit enfermer dans la -prison. Mais là un ange lui apparut qui lui dit «Lève-toi, Second, et -suis-moi! Je te conduirai vers ton Créateur.» Puis l’ange le conduisit -jusqu’à la ville d’Asti et le fit entrer dans la prison ou se trouvait -Calocérus; et le Sauveur y était aussi. L’apercevant, Second se jeta à -ses pieds. Mais le Sauveur: «Ne crains rien, Second, car je suis ton -Maître, et je t’arracherai à tous les maux!» Après quoi, les ayant -bénis, il remonta au ciel. - -IV. Or le lendemain matin, à Tortone, les gardes envoyés par Sapritius -trouvèrent la prison fermée comme la veille, mais n’y trouvèrent plus -Second. Sapritius revint alors à Asti. Afin de châtier au moins -Calocérus, il se fit amener celui-ci; mais voilà qu’on lui annonce que -Second est dans la prison avec Calocérus! Le préfet les fit donc venir -tous deux, et leur dit: «Ce sont nos dieux qui, sachant que vous les -dédaigniez, veulent que vous périssiez ensemble!» Et, sur leur nouveau -refus de sacrifier aux idoles, il leur fit répandre sur la tête et dans -la bouche un mélange de poix et de résine bouillante. Mais eux, ils -buvaient ce mélange comme une eau délicieuse, et disaient d’une voix -claire: «Seigneur, que tes dons sont doux à ma gorge!» Enfin Sapritius -ordonna que tous deux fussent décapités, Second à Asti, et Calocérus -dans la ville d’Albenga. Et, aussitôt que saint Second eut été décapité, -des anges enlevèrent son corps, et l’ensevelirent avec beaucoup de -chants et de louanges. Ce martyre eut lieu le troisième jour des -calendes d’avril. - - - - -LV - -SAINT MAMERTIN, ABBÉ - -(30 mars) - - -Mamertin fut d’abord païen. Pendant qu’il adorait une idole, il perdit -un œil, et une de ses mains se dessécha. Il crut avoir offensé ses -dieux, et voulut courir au temple pour obtenir son pardon. Mais il -rencontra en route un saint homme nommé Savin, qui lui demanda d’où lui -était venue son infirmité. Il répondit: «J’ai offensé mes dieux et -maintenant je vais les prier de me rendre ce que, dans leur colère, ils -m’ont enlevé.» Et Savin: «Tu te trompes, mon frère, en prenant les -démons pour des dieux. Va plutôt trouver Germain, évêque d’Auxerre et, -si tu suis ses conseils, tu seras guéri!» Mamertin partit aussitôt; mais -la pluie le força à s’arrêter, en route, dans un lieu où étaient -ensevelis saint Amator et plusieurs autres saints évêques. Dans une -cellule placée sur une tombe de saint Concordien, il trouva un abri pour -la nuit. Et il vit en rêve un homme qui, venant jusqu’à la porte de la -cellule, appelait saint Concordien pour assister à une fête, où il -disait que se trouvaient déjà saint Amator, saint Pèlerin et d’autres -évêques. Et une voix répondit de la tombe: «Je ne puis venir cette nuit, -étant forcé de veiller sur mon hôte, pour l’empêcher d’être dévoré par -les serpents qui habitent ici.» Mais bientôt l’inconnu revint et dit: -«Saint Concordien, lève-toi, viens, et emmène avec toi ton sous-diacre -Vivien et son acolyte Junien! Alexandre se chargera de veiller sur ton -hôte.» Et Mamertin vit ensuite que saint Concordien, le prenant par la -main, l’emmenait avec lui; mais, lorsqu’ils furent arrivés près des -autres évêques, saint Amator dit: «Qui est cet étranger que tu nous -amènes?» Et saint Concordien: «C’est mon hôte!» Et saint Amator: -«Chasse-le d’ici, car il est impur et ne saurait rester avec nous!» Sur -quoi Mamertin, toujours en rêve, se prosterna devant saint Amator, qui -lui ordonna de se rendre au plus vite auprès de saint Germain. Aussi, -dès qu’il fut éveillé, courut-il vers ce saint; et dès que celui-ci eut -entendu l’histoire de son rêve, il retourna avec lui au tombeau de saint -Concordien. Là, sous la pierre du tombeau, ils virent un grand nombre de -serpents dont la longueur dépassait dix pieds. Et saint Germain leur -ordonna de sortir de là, pour aller se cacher dans un lieu où ils ne -pourraient faire de mal à personne. C’est ainsi que Mamertin fut -baptisé. Il recouvra aussitôt la santé, et entra dans le monastère de -saint Germain, dont il devint abbé, après la mort de saint Ollodius. - -Il y avait alors, dans ce monastère, un saint moine nommé Marin, dont -Mamertin voulut éprouver l’obéissance. Il lui confia donc la tâche la -plus vile du monastère, qui consistait à paître les bœufs. Et saint -Marin, pendant qu’il gardait ses bœufs et ses vaches dans le bois, -rayonnait d’une telle sainteté, que tous les oiseaux du bois accouraient -à lui pour qu’il les nourrît de sa main. Un sanglier s’étant réfugié -dans sa cellule, il le sauva des chiens qui le poursuivaient, et lui -permit de s’en aller librement. Un jour, des voleurs le dépouillèrent de -ses vêtements, ne lui laissant qu’une petite tunique. Et le voici qui -court derrière eux, et qui leur crie: «Revenez, Messieurs, car j’ai -encore trouvé ce denier dans la doublure de ma tunique! Et peut-être en -aurez-vous besoin!» Aussitôt les voleurs, retournant sur leurs pas, lui -enlevèrent la tunique avec le denier et le laissèrent complètement nu. -Après quoi ils reprirent le chemin de leur caverne; mais ils marchèrent -toute la nuit, et, à l’aube, ils se retrouvèrent devant la cellule du -saint berger. Celui-ci, les ayant salués tendrement, les reçut dans sa -cellule, leur lava les pieds, et s’occupa de leur préparer à manger. Ce -que voyant, les voleurs, stupéfaits, eurent honte de leur conduite et se -convertirent tous à la foi. - -Un jour, un jeune moine du monastère de saint Mamertin s’était amusé à -tendre un piège à un ours qui attaquait les brebis; et l’ours, la nuit, -s’était laissé prendre. Mais saint Mamertin, ayant deviné la chose du -fond de son lit, se leva, alla trouver l’ours, et lui dit: «Que fais-tu -là, malheureux? Va-t’en bien vite pour n’être pas pris!» Et il le -délivra et le laissa partir. - -Lorsqu’il mourut, on porta son corps à Auxerre. Mais, comme on passait -près d’une prison, le corps devint tout à coup si lourd qu’on ne put le -faire avancer, jusqu’au moment où un des prisonniers, dont les chaînes -s’étaient rompues miraculeusement, accourut et aida à porter le corps -jusqu’à la ville. Saint Mamertin fut enterré en grande pompe dans -l’église de Saint-Germain. - - - - -LVI - -SAINTE MARIE L’ÉGYPTIENNE, PÉCHERESSE - -(2 avril) - - -Sainte Marie l’Egyptienne, qu’on appelle aussi la Pécheresse, mena -pendant quarante-sept ans, au désert, une vie de repentir et de -privations. Certain abbé, nommé Zosime, qui avait franchi le Jourdain et -parcourait le désert, dans l’espoir d’y rencontrer quelque saint ermite, -aperçut un jour devant lui une créature bizarre, toute nue, avec un -corps tout noir et brûlé du soleil. Cette créature aussitôt s’enfuit, et -Zosime se mit à courir à sa poursuite, de toute la force de ses jambes. -Alors elle lui dit: «Abbé Zosime, pourquoi me poursuis-tu? Pardonne-moi -de ne pouvoir me retourner vers toi; mais c’est que je suis une femme et -que je suis nue! Lance-moi ton manteau, afin que, m’en étant couverte, -je puisse te regarder sans honte!» L’abbé, stupéfait de s’entendre -appeler par son nom, lui jeta son manteau, et, se prosternant devant -elle la pria de le bénir. Mais elle: «C’est à toi plutôt de me bénir, -mon père, toi qui as revêtu la dignité du sacerdoce!» Et Zosime, voyant -qu’elle connaissait non seulement son nom, mais aussi sa qualité de -prêtre, s’étonnait davantage encore, et mettait encore plus d’insistance -à lui demander sa bénédiction. Alors elle dit: «Que béni soit Dieu, -rédempteur de nos âmes!» Et pendant qu’elle priait, avec les mains -étendues, il vit qu’elle était soulevée de terre à la hauteur d’une -coudée. Sur quoi un doute surgit dans l’âme du vieil abbé, qui se -demanda si ce n’était pas un esprit, faisant semblant de prier pour le -décevoir. Mais elle: «Que Dieu te rassure, abbé, et t’empêche de prendre -une pauvre pécheresse pour un mauvais esprit!» Zosime la somma alors, au -nom du Seigneur, d’avoir à lui dire qui elle était. Et elle: «Père, -pardonne-moi, mais si je t’avoue qui je suis, tu t’enfuiras effrayé -comme à la vue d’un serpent, et tes oreilles seront souillées de mes -paroles, et l’air sera empesté de mon impureté!» Mais, comme Zosime -insistait, elle finit par lui dire: - -«Je m’appelle Marie, et suis née en Egypte. Venue à Alexandrie, vers -l’âge de douze ans, j’y ai fait pendant dix-sept ans métier de fille -publique, vendant mon corps à qui en voulait. Mais, un jour, comme des -habitants de la ville partaient pour adorer la sainte Croix à Jérusalem, -je priai les matelots de me laisser m’embarquer avec eux. Ils me -demandèrent si j’avais l’argent du passage. Et je leur répondis que je -n’avais point d’argent, mais que, pour payer mon passage, je leur -offrais mon corps. Et ainsi ils me prirent, et ce fut mon corps qui -servit à les payer. Mais voici qu’à Jérusalem, comme je me présentais -avec les autres pèlerins aux portes de l’église, je me sentis soudain -repoussée par une force invisible, qui ne me permit point d’entrer dans -l’église. Vingt fois je m’approchai des portes; vingt fois, sur le -seuil, cette force invisible me retint et m’empêcha d’entrer. Et tous -les autres entraient librement, sans que rien les en empêchât: de telle -sorte que, sitôt revenue à l’auberge, je compris que c’était là une -conséquence de ma vie criminelle; et je me mis à me déchirer la -poitrine, à verser des larmes amères, et à soupirer du plus profond de -mon cœur. Puis, apercevant sur le mur une image de la bienheureuse -Vierge Marie, je me mis à la supplier de m’obtenir le pardon de mes -péchés, et la permission d’entrer dans l’église pour adorer la sainte -Croix; en échange de quoi je promis de renoncer au monde et de vivre -désormais dans la chasteté. Cette prière me rendit confiance, et de -nouveau je me présentais aux portes de l’église; et voilà que, cette -fois, je pus y entrer sans aucun empêchement. Et, pendant que j’adorais -pieusement la sainte Croix, un inconnu me remit trois pièces de monnaie, -avec lesquels j’achetai trois pains. Et j’entendis une voix qui me -disait: «Traverse le Jourdain, et tu seras sauvée!» Je traversai donc le -Jourdain et vins dans ce désert, où, depuis quarante-six ans, je demeure -sans avoir jamais vu figure humaine, vivant des trois pains que j’ai -emportés avec moi, et qui, devenus maintenant durs comme des pierres, -suffisent encore à ma nourriture. Quant à mes vêtements, depuis -longtemps déjà ils sont tombés en morceaux. Et, pendant les dix-sept -premières années de mon séjour au désert, j’ai été tourmentée de -tentations charnelles; mais, à présent, par la grâce de Dieu, je les ai -toutes vaincues. Voilà mon histoire. Je te l’ai racontée afin que tu -daignes prier Dieu pour moi!» - -Alors le vieillard, se prosternant à terre, bénit le Seigneur dans la -personne de sa servante. Et celle-ci lui dit: «Ecoute ce que je vais te -demander! C’est que, le jour de Pâques, tu passes de nouveau le -Jourdain, en apportant avec toi une hostie consacrée. Je t’attendrai sur -le rivage, et recevrai de ta main le corps du Seigneur, car je n’ai plus -communié depuis le jour de mon arrivée ici!» Le vieillard s’en retourna -donc dans son monastère; et, l’année suivante, aux approches de la fête -de Pâques, il revint jusqu’à la rive du Jourdain, emportant avec lui une -hostie consacrée. Et voici qu’il aperçut la femme debout sur l’autre -rive. Et voici que, ayant fait le signe de la croix sur les eaux, elle -se mit à marcher sur elles et parvint ainsi jusqu’au vieillard. -Celui-ci, émerveillé de ce miracle, voulut se prosterner humblement à -ses pieds. Mais elle lui dit: «Mon père, garde-toi de te prosterner -devant moi, surtout maintenant que tu es porteur du corps du Christ; -mais daigne seulement revenir encore vers moi l’année prochaine!» Puis, -ayant reçu le sacrement, elle fit de nouveau un signe de croix, et de -nouveau marcha sur les eaux jusqu’à l’autre rive. - -L’année suivante, Zosime ne la trouva plus sur le rivage. Il passa le -fleuve, se rendit à l’endroit où il l’avait vue la première fois; et là -il la vit, morte, étendue sur le sable. Alors il fondit en larmes; et il -n’osait point toucher ses restes, par crainte de lui déplaire, car elle -était nue. Mais tandis qu’il songeait aux moyens de l’ensevelir, il lut -une inscription tracée sur le sable: «Zosime, ensevelis mon corps, rends -mes cendres à la terre, et prie pour moi le Seigneur, sur l’ordre de qui -j’ai enfin été délivrée de ce monde, le second jour d’avril!» Ainsi le -vieillard découvrit qu’elle était morte presque aussitôt après avoir -reçu la sainte communion. Et comme il s’épuisait à creuser une fosse, il -vit un lion, qui, doucement, s’approchait de lui. Et il lui dit: «Cette -sainte femme m’a ordonné d’ensevelir son corps; mais, vieux comme je le -suis, et n’ayant point de bêche, je ne parviens pas à creuser la fosse. -Toi donc, mon ami, creuse une fosse, afin que nous puissions ensevelir -le corps vénéré de Marie l’Egyptienne!» Et aussitôt le lion se mit à -creuser une grande fosse, après quoi il s’en alla, doux comme un agneau; -et le vieillard s’en retourna vers son monastère en glorifiant Dieu. - - - - -LVII - -SAINT AMBROISE, ÉVÊQUE ET DOCTEUR - -(4 avril) - - -La vie de saint Ambroise a été écrite par Paulin, évêque de Nole, dans -une lettre à saint Augustin. - -I. Saint Ambroise était fils d’un préfet de Rome nommé Ambroise. Pendant -qu’il dormait dans son berceau, un essaim d’abeilles descendit sur lui, -et les abeilles entraient dans sa bouche comme dans une ruche; après -quoi elles s’envolèrent si haut que l’œil humain les perdait de vue. -Alors le père de l’enfant s’écria: «Cet enfant, s’il vit, deviendra -quelque chose de grand!» Plus tard Ambroise, étant adolescent, et voyant -que sa mère et sa sœur baisaient les mains des prêtres, offrit un jour à -sa sœur ses propres mains à baiser, par manière de jeu, et ajouta -qu’elle aurait un jour à les lui baiser sérieusement. Il étudia les -lettres à Rome, et plaida au prétoire avec tant d’éclat que l’empereur -Valentinien le chargea de gouverner les provinces de la Ligurie et de -l’Emilie. Il vint donc à Milan, où tout le peuple s’était réuni pour -élire un évêque. Et comme les ariens et les catholiques se querellaient -au sujet de cette élection, Ambroise intervint entre eux pour apaiser -leur querelle. Et voici qu’une voix d’enfant se fit entendre tout à -coup, disant qu’Ambroise lui-même devait être élu évêque: ce à quoi tout -le peuple consentit, de telle sorte qu’Ambroise fut élu par acclamation. -Mais lui, dès qu’il le sut, s’efforça de les détourner de ce choix en -les terrorisant: sortant de l’église il se rendit à son tribunal, et, -contre son habitude, condamna plusieurs prévenus à des peines -corporelles. Cependant le peuple persistait dans son choix et continuait -à l’acclamer, disant: «Que la faute de ton péché retombe sur nous!» -Alors, tout troublé, Ambroise rentra chez lui et y fit venir, au su de -tous, des filles publiques, espérant que la vue de ce scandale -détournerait le peuple de le prendre pour évêque. Mais cela même ne -servit de rien, car le peuple persistait à lui dire: «Que ta faute -retombe sur nous!» Alors Ambroise, désespéré, résolut de s’enfuir au -milieu de la nuit, et se mit en route dans la direction du Tessin. Mais, -après avoir marché toute la nuit, il se retrouva, le matin, devant une -porte de Milan qu’on appelle la Porte Romaine. Il y fut reconnu par le -peuple, et gardé par lui; et l’on rendit compte de la chose à l’empereur -Valentinien, qui fut enchanté de voir qu’on prenait pour évêque un de -ses fonctionnaires. Et le bon préfet, père d’Ambroise, se réjouissait de -voir sa prédiction réalisée. Cependant Ambroise, à Milan, était de -nouveau parvenu à se cacher, mais de nouveau il fut retrouvé. Il reçut -le baptême, car il n’était encore que catéchumène, et, huit jours après, -il montait dans la chaire épiscopale. Et comme, quatre ans plus tard, il -était retourné à Rome et que sa sœur lui baisait respectueusement la -main, il lui dit en riant: «Eh bien, ne l’avais-je pas prédit, que tu -aurais un jour à me baiser la main pour de bon?» - -II. Ambroise vint un jour ordonner un évêque dans une ville où -l’impératrice Justine et d’autres hérétiques voulaient faire élire un -homme de leur secte. Et voici qu’une jeune fille arienne, plus hardie -que les autres, monta dans la chaire où se tenait saint Ambroise, et se -mit à le tirer par le pan de son manteau; elle espérait l’entraîner vers -un groupe de femmes qui l’auraient frappé et jeté hors de l’église. Mais -Ambroise lui dit: «Si indigne que je sois de mon sacerdoce, tu n’as pas -le droit de porter la main sur un prêtre! Crains le jugement de Dieu, et -prends garde que quelque mal n’en résulte pour toi!» Paroles que -l’événement ne tarda pas à confirmer: car, le lendemain, la jeune fille -mourut, et Ambroise la conduisit jusqu’au lieu de sa sépulture, rendant -ainsi le bien pour le mal. Et l’exemple de cette mort effraya toute la -ville. - -Revenu à Milan, saint Ambroise eut à éviter d’innombrables pièges de -l’impératrice Justine qui, par l’argent et par les honneurs, excitait le -peuple contre lui. Et comme plusieurs s’efforçaient de le contraindre à -quitter la ville, l’un d’eux, plus mal avisé que les autres, loua une -maison tout contre l’église et y tint prêt un char à quatre chevaux, de -façon à pouvoir emmener au plus vite l’évêque quand, avec l’aide de -Justine, il serait parvenu à s’emparer de lui. Mais Dieu voulut que, le -jour où cet homme avait espéré emmener saint Ambroise hors de Milan, ce -fut lui-même qui dût partir pour l’exil sur son quadrige. Et Ambroise, -rendant le bien pour le mal, s’occupa de pourvoir à son entretien. - -Certain hérétique, homme acharné à la discussion et très difficile à -convertir, comme un jour il entendait prêcher saint Ambroise, vit un -ange qui lui soufflait à l’oreille les paroles de son discours. Ce que -voyant, cet homme se mit à défendre la foi qu’il attaquait. - -III. Il y avait à Milan un sorcier qui conjurait les démons et les -envoyait vers Ambroise pour le tourmenter; mais les démons, revenant -vers lui, déclaraient tous qu’ils ne pouvaient s’approcher ni -d’Ambroise, ni de sa maison, parce qu’un feu terrible entourait tout cet -édifice, si bien que, même à distance, ils en sentaient la brûlure. Un -autre démon, qui s’était emparé de l’esprit d’un homme, sortait de -l’esprit de cet homme toutes les fois que celui-ci entrait à Milan, et -reprenait possession de lui toutes les fois que l’homme sortait de la -ville. Interrogé sur les motifs de sa conduite, ce démon répondit qu’il -avait peur de se trouver en contact avec saint Ambroise. Il y eut aussi -un homme qui, à l’instigation de Justine, entra de nuit dans la chambre -du saint pour le poignarder; mais au moment où il levait le bras, prêt à -frapper, son bras se trouva soudain desséché. - -Les habitants de la ville de Thessalonique s’étaient rendus coupables -envers l’empereur; et celui-ci, sur la prière d’Ambroise, leur avait -d’abord pardonné; mais ensuite, excité par la malice de ses courtisans, -il avait fait mettre à mort plusieurs des habitants de la ville. -Ambroise, dès qu’il l’apprit, interdit à l’empereur l’accès de son -église. Et comme Théodose lui disait que le sage David lui-même avait -commis un meurtre et un adultère, l’évêque lui répondit: «Tu l’as imité -dans ses erreurs, imite-le maintenant dans sa pénitence!» Et l’empereur -fut si touché de ces paroles qu’il entreprit aussitôt de faire -pénitence. - -IV. Se promenant un jour dans Milan, saint Ambroise fit un faux pas, et -tomba. Un passant, à cette vue, se mit à rire. Mais le saint lui dit: -«Toi qui es debout, prends garde à ne pas tomber!» Et, en effet, au même -instant, le rieur s’étendit à terre et eut à déplorer sa propre chute, -après s’être moqué de celle d’autrui. - -Un autre jour, Ambroise, s’étant rendu au palais d’un magistrat nommé -Macédonius, auprès de qui il voulait intercéder pour un accusé, trouva -les portes du palais fermées et ne put se faire admettre. Sur quoi il -dit au magistrat: «Toi aussi, bientôt, tu viendras à mon église, et tu -en trouveras les portes ouvertes, mais tu ne parviendras pas à y -entrer!» Et, en effet, peu de temps après, Macédonius, poursuivi par ses -ennemis, voulut se réfugier dans l’église; mais bien que toutes les -portes fussent ouvertes, un pouvoir invisible l’empêcha d’entrer. - -Saint Ambroise institua dans l’église de Milan des chants et un office -qui y sont célébrés, aujourd’hui encore. Il vivait avec tant d’austérité -qu’il jeûnait tous les jours, sauf le jour du sabbat, le dimanche et les -jours de grande fête. Telle était sa générosité qu’il donnait aux -églises et aux pauvres tout ce qu’il pouvait avoir, ne gardant rien pour -lui-même. Telle était sa compassion que, lorsque quelqu’un lui racontait -un de ses péchés, il en pleurait si amèrement que le pécheur était forcé -de pleurer avec lui. Telles étaient son humilité et sa passion au -travail qu’il écrivait tous ses livres de sa propre main, aussi -longtemps que ses forces le lui permettaient. Telles étaient sa piété et -la douceur de son âme qu’en apprenant la mort d’un saint prêtre ou -évêque il pleurait au point de ne pouvoir pas être consolé: et il -expliquait qu’il ne pleurait point parce que ces saints hommes étaient -entrés dans la gloire, mais parce qu’ils l’y avaient précédé lui-même, -laissant un vide impossible à remplir. Et tels étaient son courage et sa -fermeté qu’il avait coutume de reprocher ouvertement leurs vices à -l’empereur et aux princes. - -V. On raconte que saint Ambroise, pendant un voyage à Rome, reçut -l’hospitalité dans une villa de Toscane, chez un homme extrêmement -riche, et qu’il s’informa avec insistance auprès de son hôte sur sa -condition de fortune. A quoi l’hôte répondit: «Ma condition, seigneur, a -toujours été heureuse et glorieuse. Voyez, j’ai des richesses infinies, -un nombre incalculable d’esclaves et de serviteurs; toujours tous mes -vœux ont été réalisés, et jamais rien ne m’est arrivé de contraire, ni -même de désagréable.» Ce qu’entendant, saint Ambroise fut stupéfait; et -il dit à ses compagnons de route: «Levez-vous, et fuyons au plus vite -d’ici, car le Seigneur n’a point de place dans cette maison. Hâtez-vous, -mes enfants, hâtons-nous de fuir, de peur que la vengeance divine ne -nous surprenne ici et ne nous enveloppe dans l’expiation des péchés de -ces gens-là!» Et à peine Ambroise et ses compagnons avaient-ils quitté -la maison, que, soudain, la terre s’ouvrit et engloutit, sans laisser de -trace, ce riche et tout ce qui lui appartenait. Ce que voyant, Ambroise -dit: «Voyez, mes frères, comme Dieu nous traite avec miséricorde quand -il nous envoie des épreuves, et comme il nous traite avec sévérité quand -il nous envoie une longue suite de plaisirs!» Et l’on ajoute que, -aujourd’hui encore, un fossé très profond reste creusé en ce lieu, pour -garder le témoignage de cet événement. - -VI. Cependant, saint Ambroise voyait croître de jour en jour parmi les -hommes la cupidité, cette source de tous les maux. Il la voyait croître -surtout chez les fonctionnaires, qui trafiquaient de tout, et aussi chez -les dignitaires de l’Eglise. Et cette vue lui inspira une telle douleur -qu’il pria Dieu de le délivrer du commerce d’un siècle aussi corrompu. -Dieu entendit sa prière; et, un jour, le saint évêque annonça à ses -frères qu’après les fêtes de Pâques il ne serait plus avec eux. Or, -quelques jours avant Pâques, pendant que, couché dans son lit, il -dictait à son secrétaire une explication du psaume XLIII, le secrétaire -vit soudain une langue de feu descendre sur lui, et pénétrer dans sa -bouche. Et aussitôt le visage du saint revêtit une blancheur de neige, -pour reprendre bientôt après sa couleur ordinaire. Et, ce même jour, le -saint dut cesser d’écrire comme de dicter, de telle sorte qu’il ne put -pas même achever le commentaire du psaume; et la faiblesse de son corps -allait augmentant d’heure en heure. Alors le comte d’Italie rassembla -tous les notables de Milan, leur dit que la mort d’un tel homme serait -un danger mortel pour le pays, et leur demanda d’aller trouver le saint -pour l’engager à obtenir de Dieu la prolongation de sa vie, durant une -année. Mais saint Ambroise s’y refusa, disant: «Je n’ai ni honte, ni -peur de mourir.» - -Quatre diacres, qui se trouvaient dans une chambre très éloignée de -celle où était couché saint Ambroise, discutaient entre eux la question -de savoir qui l’on devrait élire pour évêque à la mort du saint. Et au -moment où l’un d’eux citait le nom de Simplicien, saint Ambroise, de son -lit, s’écria trois fois: «Il est vieux, mais c’est le meilleur de tous!» -Et, en effet, ce fut Simplicien qui fut élu en remplacement d’Ambroise. - -Et celui-ci, sur le lit où il agonisait, vit ensuite Jésus s’approcher -de lui et lui sourire tendrement. Et comme Honoré, évêque de Verceil, -qui attendait d’un instant à l’autre, la nouvelle de la mort d’Ambroise, -s’était laissé aller au sommeil, il entendit en rêve une voix qui, trois -fois, lui répétait: «Lève-toi, car l’heure approche où il va mourir!» -Sur quoi l’évêque se rendit en grande hâte à Milan, donna à Ambroise la -sainte communion, lui étendit les bras en forme de croix, et recueillit -son dernier soupir. Cette mort eut lieu en l’an du Seigneur 399. - -Et dans la nuit de Pâques, qui fut celle de la translation à l’église du -corps de saint Ambroise, une foule de petits enfants chrétiens virent -celui-ci en rêve; les uns le virent assis dans sa chaire, les autres y -montant; et il y en eut qui racontèrent à leurs parents qu’ils avaient -vu une étoile au-dessus de sa tête. - -VII. Saint Ambroise peut être cité comme le modèle d’une foule de vertus -chrétiennes. Il peut être cité, premièrement, comme un modèle de -générosité. Tout ce qu’il avait appartenait aux pauvres. Et lorsque -l’empereur voulut lui prendre une église, il répondit: «Si vous me -demandiez ce qui m’appartient, je vous le donnerais, bien que tout ce -qui m’appartient appartienne aux pauvres.» Secondement, il peut être -cité comme un modèle de chasteté, car il resta vierge toute sa vie. -Troisièmement, il nous offre l’exemple de la fermeté dans la foi, car à -l’empereur, qui voulait lui ôter l’église, il répondit: «Vous m’ôterez -la vie avant de m’arracher de mon siège!» Quatrièmement, saint Ambroise -nous est un modèle de la soif du martyre. Un préfet de Valentinien -l’ayant menacé de le mettre à mort, il lui répondit: «Fasse Dieu que tu -puisses réaliser ta menace, et que tous tes traits épargnent l’Eglise -pour n’accabler que moi seul!» En cinquième lieu, saint Ambroise nous -est un modèle d’application à la prière. Nous lisons, en effet, dans le -XIe livre de l’_Histoire ecclésiastique_ que, contre les fureurs de -Justine, il ne se défendait que par le jeûne, la veille et les prières -au pied de l’autel. - -En sixième lieu, saint Ambroise peut être cité comme un modèle de -constance. Sa constance nous apparaît surtout en trois choses: 1º dans -sa défense de la vérité catholique contre les attaques de Justine, mère -de l’empereur Valentinien, et protectrice de l’hérésie arienne; 2º dans -sa défense de la liberté de l’Eglise, lorsque l’empereur voulut lui -enlever certaine basilique pour la livrer aux ariens. Il nous dit -lui-même, dans son 23e décret, comment il résista à l’empereur, en lui -disant: «Ne commets point la faute, empereur, de prétendre que tu aies -aucun droit dans les choses divines! A l’empereur appartiennent les -palais, mais les églises sont aux prêtres. Naboth, autrefois, a défendu -de son propre sang la vigne qu’on voulait lui prendre: s’il a refusé de -céder sa vigne, comment peux-tu t’imaginer que nous te céderons une -église du Christ? Le tribut est à César, et nous ne refusons pas de le -lui donner; mais les églises sont à Dieu, et nous ne pouvons donc pas -les donner à César.» Enfin, 3º la constance de saint Ambroise nous -apparaît dans la façon dont il a su blâmer le vice et l’iniquité. On lit -dans l’_Histoire tripartite_ que, le peuple de Thessalonique s’étant -révolté et ayant tué quelques fonctionnaires, l’empereur Théodose en fut -si irrité qu’il fit mettre à mort tous les habitants de la ville, au -nombre de près de cinq mille, sans distinguer les innocents des -coupables. Or, lorsqu’il vint ensuite à Milan et voulut entrer dans -l’église, saint Ambroise le reçut devant la porte et lui interdit -l’entrée, en lui disant: «Comment, empereur, après un tel crime, ne -reconnais-tu pas l’énormité de ta présomption? Ou bien, peut-être, ta -dignité impériale t’empêcherait-elle de reconnaître tes péchés? Tu es -prince, ô empereur, mais tu es, comme les autres hommes, l’esclave de -Dieu. Comment oserais-tu étendre vers Dieu des mains encore tachées du -sang innocent? Comment oserais-tu prier Dieu, dans son temple, avec la -même bouche qui a proféré un ordre injuste et monstrueux? Allons, -retire-toi, afin de ne pas accroître d’un second péché le poids du -premier!» Et l’empereur, pleurant et gémissant, reprit le chemin de son -palais. Et comme le chef de ses troupes lui demandait la cause de sa -tristesse: «Hélas! répondit-il, aux esclaves et aux mendiants les -églises sont ouvertes, et moi seul n’ai pas le droit d’y pénétrer!» -Alors Rufin: «Si tu veux, je vais courir vers Ambroise, pour qu’il te -délivre de son excommunication!» Et il insista si fort que Théodose -finit par le laisser aller. Mais dès qu’Ambroise vit Rufin, il lui dit: -«Tu imites l’impudence des chiens, Rufin, en aboyant contre la majesté -divine!» Et comme Rufin le suppliait pour son maître, Ambroise, enflammé -du feu céleste, lui dit: «Je te déclare que je lui interdis l’accès du -saint lieu. Et s’il change son pouvoir en tyrannie, volontiers -j’accepterai la mort!» Rufin rapporta ces paroles à l’empereur, qui dit: -«Je vais aller vers Ambroise, pour recevoir, en face, ses justes -reproches.» Alors Ambroise, continuant à lui défendre l’entrée de -l’église, lui dit: «Quelle pénitence as-tu faite après un tel crime?» Et -l’empereur lui dit: «C’est à toi de l’imposer, à moi d’obéir!» Et il fit -pénitence publique jusqu’à ce que son excommunication fût levée. Plus -tard, étant entré dans l’église, il pénétra dans le chœur, mais Ambroise -lui demanda ce qu’il venait y faire, et comme il répondait qu’il était -venu pour assister au saint sacrifice, Ambroise lui dit: «O empereur, le -chœur de l’église est réservé aux seuls prêtres. Retire-toi donc d’ici, -et va rejoindre le reste des fidèles dans la nef: car la pourpre fait de -toi un empereur, mais nullement un prêtre!» Et l’empereur obéit -aussitôt. Et comme, de retour à Constantinople, il se tenait dans la nef -de la cathédrale, l’évêque lui fit dire d’entrer dans le chœur; mais -Théodose s’y refusa, disant: «Je sais maintenant, grâce à Ambroise, la -différence qu’il y a entre un empereur et un prêtre.» - -En septième lieu, saint Ambroise peut être cité comme modèle pour la -sainteté de sa doctrine: car sa doctrine est si pleine de profondeur que -saint Jérôme a pu dire de lui, dans ses _Douze Docteurs_: «Toutes les -phrases de saint Ambroise sont des colonnes de la foi et de toutes les -vertus.» Et saint Augustin ajoute que «les adversaires eux-mêmes n’ont -jamais osé reprendre la doctrine d’Ambroise, ni le sens très pur qu’il a -eu des Livres Saints». Et telle était l’autorité de saint Ambroise que, -pour tous les auteurs du temps, chacune de ses paroles faisait foi. Dans -sa lettre à Janvier, Augustin raconte que, sa mère, s’étonnant de ce que -l’on ne jeûnât pas à Milan le jour du sabbat, en demanda la cause à -Ambroise, qui lui dit: «Quand je vais à Rome, je jeûne le jour du -sabbat. Et de même toi, lorsque tu te trouves dans un diocèse, fais en -sorte d’en suivre les usages, si tu ne veux scandaliser personne, ni -être scandalisée par personne!» Et Augustin ajoute que, depuis lors, -après avoir beaucoup réfléchi à ces paroles, il en est venu à les tenir -pour un oracle céleste. - -La vie et la passion des saints Tiburce et Valérien,--que l’église fête -également le 4 avril,--se trouveront racontées dans l’histoire de sainte -Cécile. - - - - -LVIII - -SAINT SIXTE, PAPE ET MARTYR - -(6 avril) - - -I. Le pape Sixte était originaire d’Athènes et avait d’abord étudié la -philosophie. Il devint, plus tard, disciple du Christ, et fut élu -souverain Pontife. Il comparut devant Décius et Valérien, avec ses deux -diacres Felicissime et Agapite. Et Décius, voyant qu’il ne parvenait pas -à le persuader par ses arguments, le fit conduire au temple de Mars pour -y sacrifier aux idoles, faute de quoi il aurait à être jeté en prison. -Et saint Laurent, courant derrière Sixte, lui disait: «Père, où vas-tu -sans ton fils? Prêtre, où vas-tu sans ton assistant?» Et Sixte: «Mon -fils, ne crois pas que je t’abandonne; mais de plus grands combats -t’attendent encore pour la foi du Christ. Dans trois jours tu me -suivras, comme le lévite suit le prêtre. Et, en attendant, reçois les -trésors de l’Eglise, et distribue-les à qui bon te semblera!» Laurent -distribua ces trésors aux chrétiens pauvres. Et le préfet Valérien -voyant que Sixte refusait de sacrifier aux idoles, ordonna qu’il eût la -tête tranchée. Or, comme on le conduisait au supplice, de nouveau saint -Laurent courut derrière lui en lui disant: «Ne m’abandonne pas, saint -père, car j’ai déjà dépensé les trésors que tu m’as remis!» Sur quoi les -soldats, l’entendant parler de trésors, s’emparèrent de lui. Puis ils -tranchèrent la tête de Sixte et celles de ses deux compagnons. - -II. Le même jour, l’Eglise célèbre la fête de la Transfiguration du -Seigneur. Et certaines églises célèbrent aussi la fête du Sang du Christ -avec le vin nouveau, lorsqu’elles peuvent s’en procurer; et le peuple -communie de ce vin. Cela se fait en souvenir de ce que, durant la Cène, -le Seigneur a dit à ses disciples: «Maintenant je ne boirai plus de ce -jus de la vigne, jusqu’à ce que j’en boive du nouveau dans le royaume de -mon père.» On dit cependant que ce n’est point ce jour-là qu’eut lieu la -transfiguration, mais qu’elle fut seulement, ce jour-là, révélée par les -apôtres. Elle eut lieu, en réalité, au commencement du printemps; mais -défense fut faite aux disciples d’en parler, et ce n’est que ce jour-là -qu’ils la révélèrent. C’est du moins ce qu’on lit dans le livre appelé -_Mitral_. - - - - -LIX - -SAINT GEORGES, MARTYR - -(23 avril) - - -I. Georges était originaire de Cappadoce, et servait dans l’armée -romaine, avec le grade de tribun. Le hasard d’un voyage le conduisit un -jour dans les environs d’une ville de la province de Libye, nommée -Silène. Or, dans un vaste étang voisin de cette ville habitait un dragon -effroyable qui, maintes fois, avait mis en fuite la foule armée contre -lui, et qui, s’approchant parfois des murs de la ville, empoisonnait de -son souffle tous ceux qui se trouvaient à sa portée. Pour apaiser la -fureur de ce monstre et pour l’empêcher d’anéantir la ville tout -entière, les habitants s’étaient mis d’abord à lui offrir, tous les -jours, deux brebis. Mais bientôt le nombre des brebis se trouva si -réduit qu’on dut, chaque jour, livrer au dragon une brebis et une -créature humaine. On tirait donc au sort le nom d’un jeune homme ou -d’une jeune fille; et aucune famille n’était exceptée de ce choix. Et -déjà presque tous les jeunes gens de la ville avaient été dévorés -lorsque, le jour même de l’arrivée de saint Georges, le sort avait -désigné pour victime la fille unique du roi. Alors ce vieillard, désolé, -avait dit: «Prenez mon or et mon argent, et la moitié de mon royaume, -mais rendez-moi ma fille, afin que lui soit épargnée une mort si -affreuse!» Mais son peuple, furieux, lui répondit: «C’est toi-même, ô -roi, qui as fait cet édit; et maintenant que, à cause de lui, tous nos -enfants ont péri, tu voudrais que ta fille échappât à la loi? Non, il -faut qu’elle périsse comme les autres, ou bien nous te brûlerons avec -toute ta maison!» Ce qu’entendant, le roi fondit en larmes, et dit à sa -fille: «Hélas, ma douce enfant, que ferai-je de toi? Et ne me sera-t-il -pas donné de voir un jour tes noces?» Après quoi, voyant qu’il ne -parviendrait pas à obtenir le salut de sa fille, il la revêtit de robes -royales, la couvrit de baisers, et lui dit: «Hélas, ma douce enfant, -j’espérais voir se nourrir sur ton sein des enfants royaux, et voici que -tu dois me quitter pour aller servir de pâture à cet horrible dragon! -Hélas, ma douce enfant, j’espérais pouvoir inviter à tes noces tous les -princes du pays, et orner de perles mon palais, et entendre le son -joyeux des orgues et des tambours; et voici que je dois t’envoyer à ce -dragon qui doit te dévorer!» Et il la renvoya en lui disant encore: -«Hélas, ma fille, que ne suis-je mort avant ce triste jour!» Alors la -jeune fille tomba aux pieds de son père, pour recevoir sa bénédiction; -après quoi, sortant de la ville, elle marcha vers l’étang où était le -monstre. - -Saint Georges, qui passait par là, la vit toute en larmes, et lui -demanda ce qu’elle avait. Et elle: «Bon jeune homme, remonte vite sur -ton cheval et fuis, pour ne pas mourir de la même mort dont je vais -mourir!» Et saint Georges: «Ne crains point cela, mon enfant, mais -dis-moi pourquoi tu pleures ainsi, sous les yeux de cette foule qui se -tient debout sur les murs?» Et elle: «A ce que je vois, bon jeune homme, -tu as le cœur généreux, et tu veux périr avec moi! Mais, je t’en -supplie, enfuis-toi au plus vite!» Et Georges: «Je ne partirai point -d’ici que tu ne m’aies dit ce que tu as!» Alors, la jeune fille lui -raconta toute son histoire, et Georges lui dit: «Mon enfant, sois sans -crainte, car, au nom du Christ, je te secourrai!» Mais elle: «Vaillant -chevalier, hâte-toi de te secourir toi-même, pour ne point périr avec -moi! C’est assez que je sois seule à périr!» - -Et pendant qu’ils parlaient ainsi, le dragon souleva sa tête au-dessus -de l’étang. La jeune fille, toute tremblante, s’écria: «Fuis, cher -seigneur, fuis au plus vite!» Mais Georges, après être remonté sur son -cheval et s’être muni du signe de la croix, assaillit bravement le -dragon qui s’avançait vers lui et, brandissant sa lance et se -recommandant à Dieu, il fit au monstre une blessure qui le renversa sur -le sol. Et le saint dit à la jeune fille: «Mon enfant, ne crains rien, -et lance ta ceinture autour du cou du dragon!» La jeune fille fit ainsi, -et le dragon, se redressant, se mit à la suivre comme un petit chien -qu’on mènerait en laisse. - -Mais, en le voyant s’avancer vers la ville, les habitants épouvantés -prirent la fuite, bien certains que tous allaient être dévorés. Saint -Georges leur fit signe de revenir, et leur dit: «Soyez sans crainte, car -le Seigneur m’a permis de vous délivrer des méfaits de ce monstre! -Croyez au Christ, recevez le baptême, et je tuerai votre persécuteur!» -Alors le roi et tout son peuple se firent baptiser; on baptisa, ce -jour-là vingt mille hommes ainsi qu’une foule de femmes et d’enfants. Et -saint Georges, tirant son épée, tua le dragon, qui fut emporté hors de -la ville sur un char attelé de quatre paires de bœufs. Et le roi fit -élever, en l’honneur de la sainte Vierge et de saint Georges, une -immense église, de laquelle jaillit une source vive dont l’eau guérit -toutes les maladies de langueur. Le roi offrit aussi à saint Georges une -grosse somme d’argent; mais le saint, sans rien prendre pour lui, la fit -distribuer aux pauvres. Il enseigna ensuite au roi quatre choses: Il lui -apprit: 1º à avoir soin de l’église de Dieu; 2º à honorer les prêtres; -3º à suivre assidûment les offices divins; 4º à garder toujours le -souvenir des pauvres. Après quoi, ayant encore embrassé le vieux roi, il -prit congé de lui. - -D’autres auteurs racontent cependant l’histoire d’une autre façon. Ils -disent que, au moment où le dragon s’avançait pour dévorer la jeune -fille, saint Georges, ayant fait le signe de la croix, se jeta sur lui -et le tua du coup. - -II. En ce temps-là, sous le règne de Dioclétien et Maximien, le préfet -Dacien ouvrit contre les fidèles une persécution si violente que, dans -l’espace d’un mois, dix-sept mille d’entre eux reçurent la couronne du -martyre, et que beaucoup d’autres, à force de souffrir dans les -tourments, fléchirent et se résignèrent à sacrifier aux idoles. Ce que -voyant, saint Georges, éperdu de douleur, se dépouilla de tous ses -biens, rejeta ses habits guerriers pour revêtir le manteau des -chrétiens, et, s’élançant au milieu de la place publique, s’écria: «Tous -vos dieux ne sont que des démons; et c’est notre Seigneur qui a créé le -ciel et la terre!» Le préfet, irrité, lui dit: «Comment oses-tu, -présomptueux, blasphémer contre nos dieux! Qui es-tu, et d’où viens-tu?» -Et saint Georges: «Je me nomme Georges, je descends d’une famille noble -de la Cappadoce et, avec l’aide de mon Dieu, j’ai combattu en Palestine; -mais maintenant j’ai renoncé à tout pour servir plus librement le Dieu -du ciel.» Alors le préfet, ne pouvant le fléchir, le fit étendre sur un -chevalet et ordonna que tous ses membres fussent déchirés, l’un après -l’autre, par des ongles de fer; il lui fit aussi brûler le corps avec -des torches ardentes, et fit frotter avec du sel les plaies par où -sortaient ses entrailles. Mais, la nuit suivante, le Seigneur apparut à -saint Georges avec une grande lumière, et le réconforta si doucement, -par sa vision et par ses paroles, que toutes les souffrances lui -parurent légères. Et Dacien, voyant que les tourments n’avaient point de -prise sur lui, fit venir un magicien, et lui dit: «Ces chrétiens ont des -sortilèges qui leur adoucissent les tourments et les rendent -intraitables.» Et le magicien répondit: «Si je ne parviens pas à avoir -raison des sortilèges de Georges, je consens que tu m’ôtes la vie!» Sur -quoi, après avoir invoqué ses dieux, il versa du poison dans du vin, et -fit boire ce vin à saint Georges: celui-ci le but en faisant un signe de -croix, et n’en souffrit aucun mal. Le magicien mit alors dans le vin une -dose plus forte de poison; le saint fit un signe de croix, et but le vin -sans avoir aucun mal. Ce que voyant, le magicien se prosterna à ses -pieds, le supplia en pleurant de lui pardonner, et demanda à devenir -chrétien: le préfet lui fit couper la tête peu de temps après. Quant à -saint Georges, il le fit placer sur une roue qu’entouraient de toutes -parts des glaives à deux tranchants; mais la roue se brisa au premier -mouvement, et saint Georges fut retrouvé sain et sauf où on l’avait mis. -Dacien le fit alors plonger dans une chaudière de plomb fondu; mais lui, -ayant fait le signe de la croix, il n’éprouva que la sensation d’un bain -rafraîchissant. - -Alors Dacien, voyant que menaces et tortures étaient sans prise sur lui, -pensa l’amollir par des flatteries et lui dit: «Tu vois, mon cher -Georges, quelle est la mansuétude de nos dieux, qui te laissent -patiemment blasphémer contre eux, et qui n’en restent pas moins prêts à -te favoriser pour peu que tu consentes à te convertir! Fais donc ce que -je te conseille, mon cher enfant, renonce à ta superstition et sacrifie -à nos dieux, afin d’obtenir d’eux et de nous d’immenses honneurs!» Et -saint Georges lui répondit en souriant: «Pourquoi n’as-tu pas, dès le -début, cherché à me persuader par de douces paroles plutôt que par des -tourments? Soit, je suis prêt à faire ce que tu me conseilles!» Dacien, -tout joyeux de cette promesse, fit annoncer à son de trompe que tout le -peuple eût à se rendre au temple, où Georges, après une longue -résistance, allait enfin sacrifier aux dieux. Toute la ville fut -pavoisée comme pour une fête, et des milliers de personnes se pressèrent -devant le temple. Et Georges, dès qu’il y fut entré, s’agenouilla et -pria le Seigneur de détruire sur-le-champ ce temple avec ses idoles. Et -sur-le-champ un feu, tombant du ciel, brûla le temple, les idoles et les -prêtres; et la terre, s’entr’ouvrant, engloutit leurs restes. C’est de -ce miracle que parle saint Ambroise quand il nous dit: «Georges, le -fidèle soldat du Christ, en un temps où le christianisme était caché, -seul osa courageusement proclamer sa foi dans le Fils de Dieu. Et la -grâce divine, lui donna en récompense, une telle fermeté qu’il brava -mille menaces et mille tortures. O bienheureux et admirable combattant -de Dieu! Et non seulement il ne se laissa point séduire par l’offre du -pouvoir temporel, mais, se jouant de son persécuteur il anéantit le -temple avec toutes ses idoles.» Alors Dacien se fit amener Georges et -lui dit: «Par quels maléfices as-tu osé, scélérat, commettre un tel -forfait?» Et Georges: «Maître, tu te trompes. Viens avec moi dans un -autre temple, et tu me verras sacrifier aux idoles!» Et lui: «Je devine -ta ruse! tu veux me faire périr, comme tu as fait déjà périr mon temple -et mes dieux!» Alors Georges: «Mais, malheureux, si tes dieux n’ont pas -pu se secourir eux-mêmes, comment pourraient-ils t’être d’aucun -secours?» - -Dacien, exaspéré, dit à sa femme Alexandrie: «Je mourrai de dépit, car -cet homme est plus fort que moi!» Mais elle: «Tyran sanguinaire, ne -t’ai-je pas dit de ne plus tourmenter les chrétiens, parce que leur Dieu -combattait pour eux? Sache maintenant que, moi aussi, je veux devenir -chrétienne!» Le préfet, étonné, s’écria: «Comment? Toi-même tu t’es -laissée séduire?» Et il la fit suspendre par les cheveux et battre de -verges. Et elle, pendant qu’on la battait, dit à Georges: «Georges, -lumière de vérité, que penses-tu qu’il advienne de moi, qui vais mourir -sans avoir été régénérée par l’eau du baptême?» Et Georges: «N’aie point -de doute à ce sujet, ma fille, car l’effusion de ton sang te tiendra -lieu de baptême et te vaudra la couronne céleste!» Alors Alexandrie, -après avoir prié le Seigneur, rendit l’âme. C’est ce qu’atteste saint -Ambroise et il ajoute que «cet exemple nous prouve que le martyre -permet, à défaut du baptême, de posséder le royaume des cieux». - -Le lendemain, Dacien ordonna que saint Georges fût traîné par toute la -ville, puis décapité. Et le saint pria Dieu que quiconque implorerait -son aide obtînt la réalisation de son désir; et une voix divine se fit -entendre qui lui dit que sa prière était exaucée. Puis, ayant fini de -prier, saint Georges eut la tête tranchée. Quant à Dacien, comme il -quittait le lieu du supplice pour rentrer dans son palais, le feu du -ciel tomba sur lui et le consuma avec ses ministres. - -III. Grégoire de Tours raconte que des moines qui portaient des reliques -de saint Georges, et qui s’étaient arrêtés en route dans un certain -oratoire, ne purent soulever la châsse où étaient ces reliques, aussi -longtemps qu’ils n’en eurent pas laissé une partie dans cet oratoire. - -IV. On lit dans l’histoire d’Antioche que, durant la croisade, comme les -chrétiens allaient assiéger Jérusalem, un jeune homme merveilleusement -beau apparut à un prêtre. Il lui dit qu’il était saint Georges, chef des -armées chrétiennes, et que si les croisés emportaient de ses reliques à -Jérusalem, il serait là avec eux. Et comme les croisés, assiégeant la -ville, n’osaient point grimper aux échelles par crainte des Sarrasins -qui défendaient les murs, saint Georges se montra à eux, vêtu d’une -armure blanche qu’ornait une croix rouge. Il leur fit signe de le suivre -sans crainte à l’assaut des murs. Et eux, ainsi encouragés, ils -repoussèrent les Sarrasins et conquirent la ville. - - - - -LX - -SAINT MARC, ÉVANGÉLISTE - -(25 avril) - - -I. L’évangéliste Marc était de la tribu de Lévi et remplissait les -fonctions de prêtre. Baptisé par saint Pierre et instruit par lui dans -la foi chrétienne, il l’accompagna lorsque ce saint partit pour Rome. Et -là, comme saint Pierre prêchait l’évangile, les fidèles prièrent Marc de -mettre par écrit le récit de la vie du Seigneur, de façon à leur en -laisser un souvenir durable. Marc écrivit donc ce récit, tel qu’il -l’entendait de la bouche de son maître saint Pierre; et celui-ci, après -avoir examiné son travail et en avoir constaté la parfaite exactitude, -l’approuva comme pouvant être admis par tous les fidèles. - -Puis, voyant la constance de Marc dans la foi, il l’envoya à Aquilée, où -sa prédication convertit au christianisme une foule innombrable, et où -l’on conserve aujourd’hui encore, très pieusement, un manuscrit de son -évangile qui passe pour écrit de sa main. Enfin saint Marc, ayant achevé -son œuvre à Aquilée, revint à Rome, emmenant avec lui un citoyen -d’Aquilée, Hermagoras, qu’il avait converti, et que saint Pierre, sur sa -recommandation, consacra évêque de sa ville natale. Cet Hermagoras -gouverna dès lors son diocèse d’une façon exemplaire, jusqu’au jour où, -pris par les infidèles, il reçut la couronne glorieuse du martyre. - -Quant à Marc, saint Pierre l’envoya ensuite à Alexandrie, où, le -premier, il prêcha la parole de Dieu. Le savant juif Philon avoue -lui-même que, dès son arrivée dans cette ville, une multitude d’hommes -se trouvèrent unis dans la foi et la continence. Papias, évêque -d’Hiéropolis, a d’ailleurs résumé en beau style quelques-uns de ses -sermons, et Pierre Damien nous dit de lui: «Dieu lui accorda une si -précieuse faveur que, dès son arrivée à Alexandrie, tous ceux qu’il -convertit acquirent aussitôt une perfection de mœurs presque monastique, -ce à quoi lui-même les a d’ailleurs encouragés non seulement par ses -miracles, mais aussi par l’exemple de ses propres mœurs. Et Dieu lui a -encore permis de revenir, après sa mort, en Italie, de telle sorte que -la terre où il a écrit son évangile a obtenu l’honneur de posséder ses -reliques. Bienheureuse es-tu, Alexandrie, qui as été empourprée de son -sang triomphal! Bienheureuse es-tu, Italie, qui as été enrichie du -trésor de ses restes!» - -Telle était l’humilité de saint Marc qu’il se coupa le pouce afin de ne -pouvoir pas être ordonné prêtre: mais saint Pierre passa outre, et le -consacra évêque d’Alexandrie. On raconte que, en arrivant dans cette -ville, son soulier se rompit et qu’il le donna à réparer à un savetier -rencontré sur sa route. Le savetier, en réparant le soulier, se blessa -grièvement à la main gauche, sur quoi il s’écria: «Ah! Dieu unique!» Ce -qu’entendant, saint Marc dit: «En vérité le Seigneur bénit mon chemin!» -Puis, ayant fait de la boue avec sa salive, il en frotta la main du -savetier et aussitôt la guérit. Cet homme, étonné de sa puissance, le -fit entrer dans sa maison et se mit à lui demander qui il était et d’où -il venait. Saint Marc lui répondit qu’il était le serviteur du Seigneur -Jésus. Le savetier dit: «Je voudrais bien voir ton maître!» Et saint -Marc lui répondit: «Je vais te le faire voir!» Puis il se mit à -l’évangéliser, et le baptisa avec toute sa maison. Mais bientôt des -hommes de la ville, apprenant l’arrivée d’un Juif qui méprisait leurs -dieux, lui tendirent des pièges; et lui, en ayant été informé, il créa -évêque à sa place l’homme qu’il avait guéri, et qui s’appelait Aniane; -après quoi lui-même se rendit en Pentapole, où il resta deux ans. Il -revint ensuite à Alexandrie, où il avait construit une église au bord de -la mer, dans l’endroit qui se nomme l’Abattoir; et il trouva que le -nombre des fidèles s’était encore augmenté. Mais les prêtres des faux -dieux mirent de nouveau tout en œuvre pour s’emparer de lui. Et, le jour -de Pâques, pendant qu’il célébrait la messe, ils l’entourèrent, lui -passèrent une corde au cou et le traînèrent par les rues de la ville, -comme un bœuf mené à l’abattoir. Ses chairs pendaient jusqu’à terre, et -le pavé s’arrosait de son sang. Dans la prison où on l’enferma ensuite, -il fut consolé par des anges; et Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même -daigna le visiter et lui dire: «Que la paix soit avec toi, Marc, mon -évangéliste! Ne crains rien, car je suis près de toi pour te défendre.» -Le lendemain, les prêtres le traînèrent de nouveau, la corde au cou, à -travers la ville. Mais au moment où il disait: _In manus tuas commendo -spiritum meum!_ il rendit son âme au Seigneur. Cela se passait sous le -règne de Néron. - -Et comme les païens voulaient brûler le corps du martyr, soudain l’air -se troubla, la grêle s’abattit, le tonnerre mugit, les éclairs -jaillirent; si bien que chacun dut prendre la fuite, laissant intact le -corps de saint Marc, que les chrétiens se hâtèrent de prendre et -d’ensevelir pieusement dans son église. Saint Marc avait un long nez, -des sourcils épais, de beaux yeux, une barbe touffue, une taille moyenne -et un port excellent. Il était âgé d’une cinquantaine d’années lorsqu’il -souffrit le martyre. Son miracle de la main guérie a été célébré par -saint Ambroise. - -II. L’an du Seigneur 468, sous le règne de l’empereur Léon, les -Vénitiens transportèrent le corps de saint Marc, d’Alexandrie, à Venise, -où l’on construisit en l’honneur du saint une église d’une beauté -merveilleuse. Ce furent certains marchands vénitiens qui, se trouvant à -Alexandrie, obtinrent, par des prières et des promesses, que les deux -prêtres préposés à la garde du corps leur permissent d’emporter -secrètement le corps et de l’emmener à Venise. Mais quand ils -soulevèrent la pierre du tombeau, un si fort parfum se répandit par -toute la ville d’Alexandrie que chacun se demandait avec étonnement d’où -pouvait venir cette douce odeur. Et comme, durant le voyage, les -marchands avaient dit à l’équipage d’un autre bateau quel était le saint -corps qu’ils emportaient avec eux, des hommes de cet équipage leur -dirent: «Peut-être les Egyptiens vous ont-ils trompés, en vous donnant -un autre corps que celui de saint Marc?» Mais aussitôt le vaisseau où -était le corps se retourna contre l’autre vaisseau, fondit sur lui, lui -fit une brèche, et aurait achevé de l’anéantir si tout l’équipage ne -s’était empressé de proclamer que le corps était bien celui de saint -Marc. Une autre fois, le pilote ayant perdu son chemin, dans la nuit, et -ne sachant plus où se trouvait le vaisseau, saint Marc apparut au moine -chargé de garder son corps, et lui dit: «Va dire aux matelots de plier -tout de suite les voiles pour ralentir la course du vaisseau, car la -terre est toute proche!» Les matelots suivirent ce conseil, et bien leur -en prit: car le lendemain, au petit jour, ils s’aperçurent qu’ils -étaient dans le voisinage d’une île sur laquelle, sans la protection de -saint Marc, le vaisseau se serait brisé. Et, dans tous les pays où le -vaisseau faisait relâche, les habitants, sans qu’on leur eût rien dit du -trésor qu’il portait, accouraient en s’écriant: «Oh! comme vous êtes -heureux de pouvoir porter le corps de saint Marc! Laissez-nous l’adorer -pieusement!» Et il y avait sur le vaisseau un matelot qui restait -incrédule: mais le diable s’empara de lui et le tourmenta jusqu’à ce -que, mis en présence du corps, il eût déclaré qu’il y croyait. Et depuis -lors cet homme, ainsi délivré du diable, eut pour saint Marc une -dévotion toute particulière. - -A Venise, le corps du saint fut placé sous une des colonnes de marbre de -l’église; et un petit nombre de personnes seulement furent admises à -connaître l’endroit où il était déposé, de façon qu’il pût être gardé -plus sûrement. Or voici que, ces quelques personnes étant mortes, on se -trouva ne plus savoir du tout où était déposé le saint trésor; et toutes -les recherches qu’on fit pour le découvrir restèrent sans effet. Grande -fut la désolation, aussi bien parmi les laïcs que parmi les clercs. La -foule tremblait à la pensée que son saint patron avait peut-être été -dérobé. Un jeûne solennel fut ordonné, une procession parcourut en -grande pompe toutes les rues de Venise. Et voici que, à la vue et à -l’émerveillement de tous, les pierres de l’une des colonnes s’ébranlent -et tombent, mettant à découvert le caveau où est caché le corps. Toute -la ville, ravie de bonheur, remercie Dieu d’un tel miracle, et depuis -lors, le jour anniversaire de ce miracle est célébré à Venise comme une -fête solennelle. - -III. Un jeune homme qui avait la poitrine rongée par un cancer implora -l’assistance de saint Marc: la nuit suivante, il vit en rêve un pèlerin -qui marchait d’un pas rapide sur une route. Le jeune homme lui ayant -demandé qui il était et pourquoi il marchait si vite, le pèlerin -répondit qu’il était saint Marc, et qu’il courait au secours d’un -vaisseau en danger; après quoi, étendant la main, il toucha le malade, -qui se réveilla entièrement guéri. Or, peu de temps après, un vaisseau -entra dans le port de Venise; et l’équipage raconta que, étant en -danger, il avait invoqué saint Marc, qui l’avait secouru. - -IV. Des marchands vénitiens se rendaient à Alexandrie, dans un vaisseau -qui appartenait à des Sarrasins. Une tempête s’étant élevée, les -marchands sautèrent dans une barque, et, à l’instant même où ils -sortaient du vaisseau, celui-ci fut englouti par les vagues, et tous les -Sarrasins furent noyés. Seul, l’un d’entre eux, se voyant près de périr, -invoqua saint Marc, et fit vœu, s’il était sauvé, de recevoir le baptême -dans l’église du saint. Et aussitôt lui apparut un étranger tout vêtu de -lumière, qui, le retirant des flots, l’installa dans la barque avec les -Vénitiens. - -Or, cet homme, étant arrivé à Alexandrie, oublia sa miraculeuse -délivrance et le vœu qu’il avait fait en échange. Mais saint Marc lui -apparut de nouveau, pour lui faire honte de son ingratitude: si bien que -le Sarrasin, tout confus, se mit en route pour Venise, où il reçut avec -le baptême le nom de Marc, et désormais il crut parfaitement au Christ, -et termina sa vie dans les bonnes œuvres. - -V. Un homme qui travaillait au haut du campanile de Saint-Marc, à -Venise, perdit pied tout à coup et se mit à tomber; mais ayant imploré -saint Marc pendant sa chute, il put s’accrocher à une poutre qu’il -trouva devant lui, et descendit de là sans danger le long d’une corde -qu’on lui lança, après quoi il s’en retourna achever son travail. - -VI. Un fidèle chrétien, qui était au service d’un noble de Provence, -avait fait le vœu de visiter le tombeau de saint Marc, mais ne pouvait -obtenir de son maître la permission de se rendre à Venise. Enfin, -sacrifiant sa peur du châtiment corporel à sa peur de la disgrâce -céleste, il partit sans demander la permission, et alla prier au tombeau -du saint. Quand il revint auprès de son maître, celui-ci, furieux, -ordonna de lui crever les yeux. Aussitôt ses esclaves, plus cruels -encore que leur maître, étendirent sur le sol leur pieux compagnon, et -se mirent en devoir de lui crever les yeux avec des pointes de fer. Mais -tout leur zèle ne leur servait à rien, car les pointes se brisaient en -touchant les yeux. Alors le maître ordonna de rompre à coups de hache -les membres du malheureux, et de lui couper les pieds; mais le fer des -haches s’amollissait et devenait du plomb. Alors le maître ordonna de -lui briser les dents avec des marteaux de fer. Mais de nouveau le fer -s’amollit, comme hébété par la puissance de Dieu. Ce que voyant, le -maître, stupéfait, se repentit, demanda pardon à l’esclave, et alla -prier avec lui au tombeau de saint Marc. - -VII. Un soldat fut si grièvement blessé au bras, dans une bataille, -qu’il eut la main presque détachée. Et médecins et amis lui -conseillaient de se la faire couper: mais il hésitait, ayant honte de -devenir manchot, car il était réputé pour très adroit de ses mains. Il -demanda enfin qu’on lui remît en place la main pendante, et qu’on -l’attachât avec des linges: après quoi il invoqua l’aide de saint Marc, -et aussitôt sa main recouvra son ancienne santé. Seule une cicatrice -resta toujours visible, pour porter témoignage du précieux miracle. - -VIII. Un habitant de Mantoue, ayant été faussement accusé par des -infâmes, fut mis en prison. Il y était depuis quarante jours et -s’ennuyait fort, lorsque enfin, après s’être mortifié par trois jours de -jeûne, il invoqua l’appui de saint Marc. Aussitôt le saint lui apparut, -et lui dit de sortir de sa prison. Mais l’homme, jugeant la chose -impossible, crut qu’il avait rêvé et ne tint nul compte de l’ordre du -saint. Une seconde fois, puis une troisième fois, le saint lui apparut -et lui renouvela son ordre. Alors le prisonnier, voyant que la porte de -sa cellule était ouverte, sortit, après avoir brisé comme de l’étoupe -les chaînes de ses pieds. Et il allait, en plein jour, au milieu des -gardiens et des autres habitants de la ville, sans que personne d’entre -eux pût le voir. Il parvint ainsi à Venise, où il s’empressa d’aller -pieusement rendre grâces au tombeau de saint Marc. - -IX. Comme toute la Pouille souffrait de disette, et que la pluie -s’obstinait à ne point tomber pour arroser le sol, on apprit que cette -calamité venait de ce que les habitants ne célébraient point la fête de -saint Marc. Ils s’empressèrent donc d’invoquer ce saint, avec la -promesse de célébrer solennellement sa fête; et aussitôt saint Marc, les -délivrant de la sécheresse, leur accorda un air sain et la pluie qu’ils -désiraient. - - - - -LXI - -SAINT MARCELIN, PAPE - -(26 avril) - - -Saint Marcelin, pape, gouverna l’église de Rome pendant neuf ans et -quatre mois. Sur l’ordre de Dioclétien et de Maximien, il fut arrêté et -mis en demeure de sacrifier aux idoles. Il s’y refusa d’abord; mais, -comme on le menaçait de diverses tortures, la peur de la souffrance fit -qu’il consentit à sacrifier, sur l’autel, deux grains d’encens. Grande -fut la joie des infidèles, mais plus grande encore la tristesse des -fidèles. Ceux-ci se rendent en foule auprès de Marcelin et lui -reprochent son manque de courage; et Marcelin, tout confus, demande à -être jugé par l’assemblée des évêques. Mais les évêques lui disent: «En -ta qualité de souverain pontife, aucun homme sur terre ne saurait être -ton juge; mais recueille-toi en toi-même, et juge-toi de ta propre -bouche!» Alors Marcelin, plein de repentir et pleurant amèrement, se -déposa lui-même de ses fonctions de pape; mais la foule s’empressa de le -réélire. Ce qu’apprenant, les empereurs le firent de nouveau arrêter; et -comme, cette fois, il se refusait absolument à sacrifier aux dieux, ils -ordonnèrent qu’il eût la tête tranchée; après quoi, leur rage s’accrut à -tel point qu’en un seul mois ils firent périr dix-sept mille chrétiens. -Quant à Marcelin, se jugeant indigne de la sépulture chrétienne, il -décréta, avant de mourir, que tous ceux qui voudraient l’ensevelir -seraient excommuniés. Et ainsi son corps resta privé de sépulture -pendant trente-cinq jours. Mais, au bout de ce temps, saint Pierre -apparut à son successeur, le pape Marcel, et lui dit: «Mon frère Marcel, -pourquoi tardes-tu à m’ensevelir?» Et Marcel: «Mais, maître, est-ce que -vous n’êtes pas enseveli depuis longtemps?» Et l’apôtre: «Je me -considérerai comme n’étant pas enseveli aussi longtemps que je verrai -Marcelin privé de sépulture.» Et le pape: «Mais, maître, ne savez-vous -donc pas qu’il a excommunié tout ceux qui penseraient à l’ensevelir?» Et -saint Pierre: «Ne sais-tu pas qu’il est écrit que celui qui s’humilie -sera élevé? Va donc, et ensevelis Marcelin au pied de mon tombeau!» Et -le pape fit ainsi; obéissant à l’ordre de l’apôtre. - - - - -LXII - -SAINT VITAL, MARTYR - -(28 avril) - - -Saint Vital, chevalier consulaire, eut pour fils, de sa femme Valérie, -les deux saints Gervais et Protais. Entrant un jour dans la ville de -Ravenne en compagnie d’un juge nommé Paulin, il se trouva assister à -l’exécution d’un médecin chrétien qui avait nom Urcisin. Et comme -celui-ci, déjà éprouvé par divers supplices, paraissait effrayé, saint -Vital lui cria: «Hé, mon frère le médecin, toi qui avais l’habitude de -guérir les autres, ne te laisse pas mourir toi-même de la mort -éternelle, et ne perds pas la couronne que Dieu t’a préparée!» Ce -qu’entendant, Urcisin reprit courage, et, rougissant de sa lâcheté, -accepta avec joie le martyre; et saint Vital, après l’avoir enseveli -chrétiennement, refusa d’aller rejoindre son maître Paulin. Celui-ci, -furieux, le fit étendre sur un chevalet. Et Vital lui dit: «Comment -peux-tu croire, insensé, que tu parviendras à me détourner de ma foi, -moi qui ai souvent empêché les autres d’en être détournés?» Et Paulin -dit à ses serviteurs: «Conduisez-le au temple, et, s’il refuse de -sacrifier, creusez une fosse très profonde, jusqu’à ce que vous ayez -trouvé de l’eau; et alors ensevelissez-le tout vivant, la tête en bas!» -C’est ce qu’ils firent, et ainsi saint Vital fut enseveli vivant, sous -le règne de l’empereur Néron. Mais le prêtre païen, qui avait suggéré -aux juges l’idée de cette mort, fut aussitôt envahi par un démon. -Pendant sept jours il délira sur le lieu où avait été ensevelie sa -victime, disant: «Tu me brûles, Vital!» Et, le septième jour, il se -précipita dans le fleuve et périt misérablement. - -La femme de saint Vital, sainte Valérie, se rendant à Milan, rencontra -des païens qui sacrifiaient aux idoles et qui l’engagèrent à prendre sa -part de leur sacrifice. Mais elle répondit: «Sachez que je suis -chrétienne et que je n’ai pas le droit de me mêler à vos cérémonies!» -Alors ces hommes se jetèrent sur elle et la battirent si cruellement que -ses serviteurs l’emportèrent à Milan à demi morte, et que, trois jours -après, son âme s’envola joyeusement vers le Seigneur. - - - - -LXIII - -SAINT PIERRE LE NOUVEAU, MARTYR - -(29 avril) - - -I. Pierre le Nouveau, martyr, de l’ordre des Frères Prêcheurs, naquit -dans la ville de Vérone. De même qu’une lumière brillante jaillissant de -la fumée, ou qu’un lys blanc surgissant parmi des ronces, ou qu’une rose -s’épanouissant entre des épines, ce grand confesseur de la foi naquit de -parents aveuglés par l’erreur: car son père et sa mère appartenaient -tous deux à la secte hérétique, dont lui-même sut, dès l’enfance, se -tenir à l’écart. - -Il avait sept ans, et revenait un jour de l’école, lorsque son oncle, -hérétique comme ses parents, lui demanda ce que ses maîtres lui -apprenaient. L’enfant répondit qu’ils lui apprenaient à dire: «Je crois -en Dieu, père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, etc.» Sur -quoi l’oncle: «Ne dis pas que Dieu est le créateur du ciel et de la -terre, car ce n’est pas Dieu, mais le diable, qui a créé toutes les -choses qui se voient!» Mais l’enfant répondit qu’il préférait dire comme -on le lui avait appris à l’école, et croire à ce qu’il avait lu dans les -livres saints. En vain son oncle s’efforçait de le convaincre, à grand -renfort d’autorités de sa secte: l’enfant, plein de l’Esprit-Saint, -retournait contre lui tous ses arguments, le frappant ainsi de son -propre glaive, sans lui laisser d’issue par où s’échapper. Et l’oncle, -furieux de se voir confondre par un enfant, se plaignit au père du petit -Pierre, insistant pour que celui-ci quittât aussitôt l’école qu’il -fréquentait. «Je crains, en effet, disait-il, que ce Pierrot, ses études -achevées, se rallie à l’odieuse église de Rome, et aide par là à -détruire notre foi!» En quoi cet hérétique, à son insu, se montra bon -prophète, car Pierre était en effet destiné à détruire la perfide -hérésie d’Arius. Mais Dieu fit en sorte que le père refusa de suivre le -conseil de son frère, se disant qu’il pourrait toujours ramener son fils -aux doctrines de sa secte lorsque l’enfant aurait achevé son éducation. -Or l’enfant, jugeant que c’était chose peu sûre d’habiter avec des -scorpions, et dédaignant le monde, et haïssant l’erreur de ses parents, -s’empressa, dès sa sortie de l’école, d’entrer dans l’ordre des Frères -Prêcheurs. Le pape Innocent nous dit à ce sujet, dans son épître: -«Renonçant de bonne heure aux mensonges du monde, le bienheureux Pierre -s’affilia à l’ordre des Prêcheurs. Il y passa près de trente ans et -lutta vaillamment pour la défense de sa foi, jusqu’au jour où ses -ennemis, exaspérés des coups qu’il leur portait, lui fournirent -l’occasion d’un enviable martyre. Et ainsi Pierre, s’appuyant sur la -pierre de la foi, s’éleva enfin jusqu’au trône du Christ. Toute sa vie, -aussi, il garda intacte la virginité de son corps et de son âme, et -jamais il n’éprouva l’atteinte d’aucun péché mortel, suivant ce qu’ont -attesté ses confesseurs. Et toute sa vie il mortifia sa chair en -s’abstenant de tout excès de nourriture ou de boisson. Et, de peur que, -durant son repos, il ne fût tenté de succomber aux pièges de l’ennemi, -il s’exerçait sans relâche à défendre sa foi. La nuit même, après un -court sommeil, il se levait, et étudiait les vérités du dogme. Quant à -ses journées, il les employait à prêcher contre les tentations du monde, -ou bien à recevoir des confessions, ou bien à réfuter par d’excellentes -raisons la doctrine empoisonnée des hérétiques, et l’on sait combien, -avec l’aide de Dieu, il parvint à briller dans ces réfutations. Pieux, -humble et doux, obéissant, patient, plein de charité et de compassion, -il attirait à lui tous les cœurs par le parfum même de ses vertus. Et -dans l’ardeur de sa foi, il suppliait le Seigneur de ne point l’ôter de -ce monde autrement qu’en l’autorisant à boire le calice de la passion: -et sa prière finit par être exaucée.» - -II. Nombreux furent les miracles qu’il fit de son vivant. Comme, un -jour, à Milan, il interrogeait un évêque hérétique que les fidèles -avaient fait prisonnier, et comme nombre d’évêques, de prêtres et -d’habitants de la ville se trouvaient réunis autour de lui, et comme -cette foule souffrait d’une chaleur torride, l’hérétique s’écria en -présence de tous: «O Pierre, si tu es aussi saint que l’affirme ce -peuple stupide, pourquoi le laisses-tu étouffer de chaleur, et ne -demandes-tu pas à ton Dieu d’envoyer un nuage, qui rafraîchisse l’air?» -Et Pierre, lui répondit: «Si tu veux promettre de renoncer à ton hérésie -et de te convertir à la foi catholique, je prierai Dieu, et il fera ce -que tu demandes!» Alors tous les hérétiques, qui entouraient leur évêque -lui crièrent: «Promets, promets!» Ils croyaient, en effet, impossible le -miracle annoncé par Pierre, car on ne voyait pas au ciel l’ombre même du -moindre nuage. Et, au contraire, les catholiques s’affligeaient de la -proposition de Pierre, craignant qu’un échec ne nuisît aux intérêts de -leur foi. Et comme l’hérétique refusait de s’engager, Pierre lui dit, -d’un ton plein de confiance: «N’importe! Afin que le vrai Dieu, créateur -des choses visibles et invisibles, se montre ici pour la consolation des -fidèles et la confusion des hérétiques, je le prie de faire en sorte -qu’un nuage vienne se placer entre le soleil et cette foule!» Après quoi -il fit le signe de la croix, et aussitôt un nuage se déploya au ciel; -et, pendant une grande heure, ce nuage abrita la foule de la chaleur du -soleil, à la manière d’un pavillon. - -III. On conduisit un jour vers saint Pierre, à Milan, un homme nommé -Asserbus, qui, depuis cinq ans, était paralysé au point de devoir être -traîné dans un petit chariot. Saint Pierre fit sur lui le signe de la -croix, et aussitôt le paralytique se releva guéri. Et le saint fit -encore, de son vivant, bien d’autres miracles, dont quelques-uns nous -sont rappelés par le pape Innocent dans l’épître déjà citée. Telle -l’histoire d’un jeune homme noble qui avait dans la gorge une horrible -tumeur, l’empêchant de parler comme de respirer: le saint fit sur lui le -signe de la croix et le couvrit de son propre manteau, et aussitôt il le -guérit. Et plus tard le même noble, souffrant de douleurs internes, et -se voyant menacé de mort, se fit apporter ce manteau, qu’il avait -conservé. A peine s’en fut-il couvert, qu’il vomit un ver à deux têtes -et tout noir de poils; et aussitôt il se sentit guéri. Une autre fois, -saint Pierre rendit la parole à un jeune homme muet, en lui introduisant -un doigt dans la bouche et en brisant le lien qui retenait sa langue. - -IV. Or, comme la peste de l’hérésie sévissait en Lombardie, et que déjà -plusieurs villes en étaient contaminées, le souverain pontife délégua -dans les diverses parties de la province des inquisiteurs, tous -appartenant à l’ordre des Frères Prêcheurs, et leur confia le soin de -détruire cette peste diabolique. A Milan le nombre des hérétiques était -particulièrement grand, et l’hérésie y possédait des partisans qui -joignaient à leur influence politique une éloquence pleine de ruses et -un savoir malfaisant. Aussi le souverain pontife, connaissant -l’intrépide bravoure de Pierre, sa fermeté, et son éloquence, le choisit -pour mener la lutte à Milan et dans le Milanais, lui concédant à cet -effet autorité plénière. Et le saint, prenant à cœur sa mission, -harcelait les hérétiques sans leur laisser de repos; il confondait leurs -arguments, les réfutait, leur opposait la vérité divine, de telle sorte -que personne ne pouvait résister à sa sagesse et à l’Esprit qui parlait -par lui. Ce que voyant, les hérétiques, consternés, se mirent à méditer -sa mort, avec l’idée qu’ils retrouveraient la paix s’ils parvenaient à -se débarrasser d’un aussi vaillant adversaire. Et un jour, comme Pierre -revenait de Côme à Milan, il reçut en chemin la palme du martyre. Le -pape Innocent raconte que, sur la route, le saint fut assailli par un -hérétique qui, se jetant sur lui comme le loup sur l’agneau, lui porta à -la tête de cruelles blessures. Et le saint ne fit entendre ni plainte ni -murmure, mais plutôt s’offrit en victime à son assassin, et, souffrant -patiemment, se contenta de dire: «Seigneur, je remets mon âme entre tes -mains!» Après quoi il récita encore le symbole de la foi, ainsi que -l’ont rapporté son assassin lui-même,--qui tomba aux mains des fidèles -peu de temps après,--et un frère dominicain qui accompagnait Pierre, et -qui, frappé lui aussi, survécut quelques jours à ses blessures. Puis, -voyant que le martyr tardait à mourir, l’assassin tira son couteau et -lui transperça le flanc. Ainsi Pierre eut l’insigne bonheur de pouvoir -être à la fois, dans cette même journée, confesseur, martyr et aussi -prophète; car le matin, au moment de se mettre en route, comme ses -frères lui disaient que, fatigué et souffrant de la fièvre, il aurait -peine à aller d’une seule traite jusqu’à Milan, il leur avait répondu: -«Si je ne parviens pas jusqu’au couvent de mes frères, saint Simplicien -pourra toujours me donner un abri pour la nuit. Or, le soir, lorsque son -corps sacré fut ramené à Milan, les frères, en raison de la fréquence de -la foule, se trouvèrent empêchés de le conduire jusqu’à leur couvent, si -bien qu’ils le déposèrent dans l’église de saint Simplicien, où il resta -toute la nuit. Mais son assassin et ses complices furent trompés dans -leurs prévisions: car Pierre, par son martyre, contribua autant et plus -que par les actes de sa vie à convertir les hérétiques. Il y contribua -si puissamment, par le souvenir de ses mérites et par d’éclatants -miracles, que la plupart des hérétiques renoncèrent à leurs erreurs pour -rentrer dans le sein de l’église romaine. La ville et le comté de Milan -se trouvèrent, en quelques jours, purgés de l’hérésie. Et bon nombre des -plus influents et des plus fameux, parmi les prédicateurs de l’hérésie, -entrèrent dans l’ordre des Prêcheurs, ordre qui, aujourd’hui encore, -continue à lutter énergiquement contre l’hérésie. Ainsi notre Samson, en -mourant, tua plus de Philistins qu’il n’en aurait tués s’il fût resté en -vie[7]. - - [7] Le martyre de saint Pierre le Nouveau avait eu lieu en 1252, deux - ou trois ans à peine avant le temps où Jacques de Voragine écrivait - sa _Légende_. - -V. Et, après sa mort, Dieu permit que son triomphe fût illustré par de -nombreux miracles, dont quelques-uns nous sont rapportés par le pape -Innocent. C’est ainsi que, plusieurs fois, les lampes suspendues -au-dessus de son tombeau, s’allumèrent d’elles-mêmes. Un homme qui, -étant à table, dépréciait la sainteté et les miracles de Pierre, sentit -soudain le morceau qu’il mangeait s’arrêter dans sa gorge de manière -qu’il ne pouvait ni l’avaler ni le rejeter. Déjà son visage avait changé -de couleur, déjà il devinait l’approche de la mort, lorsque, se -repentant, il fit vœu de ne plus jamais employer sa langue à mal parler -du saint: et aussitôt il rejeta la bouchée qui l’étranglait, et se -trouva délivré. - -VI. Lorsque le pape Innocent IV inscrivit Pierre au nombre des saints, -les Frères Prêcheurs, réunis en chapitre à Milan, voulurent déterrer le -corps du saint pour le transporter sous un autel. Et, bien que plus -d’une année se fût écoulée depuis le martyre, le corps fut trouvé intact -comme s’il n’était enseveli que depuis la veille. Les frères -l’étendirent sur une estrade, où le peuple fût admis à le voir et à -l’honorer. - -Certain jeune homme du nom de Guiffroy, de la ville de Côme, gardait un -fragment de la tunique de saint Pierre. Un hérétique, pour se moquer de -lui, lui conseilla de jeter au feu ce fragment, disant que, si les -flammes l’épargnaient, la sainteté de Pierre serait par là prouvée, et -que lui-même, dans ce cas, se convertirait. Guiffroy jeta donc le -fragment du manteau de saint Pierre sur des charbons enflammés; mais le -fragment se tint d’abord en l’air au-dessus du feu, puis, retombant sur -lui, l’éteignit du coup. Alors l’incrédule dit: «Un fragment de mon -manteau en fera tout autant!» On alluma d’autres charbons et on y plaça, -en face l’un de l’autre, les deux fragments de manteaux. Et le manteau -de l’hérétique fut, tout de suite, brûlé, tandis que celui de saint -Pierre éteignit le feu sans qu’un seul de ses poils fût endommagé. Ce -que voyant, l’hérétique revint à la vérité, et fit part à tous du -miracle dont il avait été témoin. - -VII. On raconte que certain hérétique, dialecticien éloquent et -infatigable, discutant avec saint Pierre, le pressait d’arguments si -subtils que le saint, désolé, entra dans une église voisine, et pria -Dieu, avec des larmes, de défendre pour lui la cause de sa foi. Après -quoi, revenant vers l’hérétique, il lui dit d’exposer de nouveau ses -raisons. Mais l’hérétique était devenu muet, au point qu’il ne put -prononcer une seule parole: ce qui arriva à la grande confusion de son -parti, et les fidèles en rendirent de grandes grâces à Dieu. - -VIII. Un hérétique nommé Opiso, étant un jour entré dans la chapelle des -frères, à Milan, et ayant aperçu deux deniers sur la tombe de saint -Pierre, s’empara de ces deniers en disant: «Voilà qui est bon pour -m’offrir à boire!» Et aussitôt il fut saisi d’un tremblement, et se -trouva incapable de faire un seul pas. Epouvanté, il restitua les deux -deniers et se convertit. - -IX. Dans un couvent de Florence, une religieuse, étant en prière le jour -du martyre du saint, vit la Vierge Marie assise sur son trône de gloire -et faisant asseoir près d’elle deux frères de l’ordre des Prêcheurs. -Elle demanda qui étaient ces frères; et une voix lui répondit: «C’est le -frère Pierre et son compagnon, qui viennent de s’élever jusqu’au ciel -comme la fumée de l’encens.» Et, plus tard, cette religieuse, souffrant -d’une grave maladie, invoqua saint Pierre et fut aussitôt guérie. - -X. Un clerc qui revenait de Maguelone à Montpellier, se fit un effort -dans l’aîne, en sautant; et il souffrait horriblement, et ne pouvait -marcher. Il entendit raconter qu’une femme atteinte d’un cancer avait -étendu sur sa plaie un peu de terre arrosée du sang de Saint Pierre, et -ainsi avait été guérie. Alors il dit: «Mon Dieu, je n’ai point de cette -terre; mais puisque, par les mérites du saint, tu as pu donner à cette -terre un tel pouvoir, tu peux bien le donner aussi à celle que j’ai sous -les pieds!» Et, ramassant une poignée de terre, après avoir invoqué le -martyr, il se frotta l’aîne et fut aussitôt guéri. - -XI. L’an du Seigneur 1259[8], un habitant d’Apostelle, nommé Benoît, -avait les jambes enflées comme des outres, le ventre ballonné comme une -femme en couches, le visage dévoré d’une énorme tumeur, et chacun était -effrayé de lui comme d’un monstre. Or comme, un jour, il demandait -l’aumône à une vieille femme, celle-ci lui dit: «Tu aurais plutôt besoin -d’une fosse que de tout autre bien; mais suis mon conseil, va au couvent -des Frères Prêcheurs, confesse tes péchés, et invoque l’aide de saint -Pierre Martyr!» L’homme se rendit au couvent des Frères, mais en trouva -la porte encore fermée. Il s’étendit devant cette porte et s’endormit. -Et voici que lui apparut un Frère qui, le cachant sous sa cape, -l’introduisit dans l’église; et, en effet, quand Benoît s’éveilla, il se -trouvait dans l’église et complètement guéri. Ce qui fut une grande -source d’étonnement et d’admiration pour tous ceux qui, ayant vu la -veille cet homme presque mort, le retrouvèrent soudain rendu à la santé. - - [8] Cette date ne peut malheureusement pas aider à connaître l’année - où fut écrite la _Légende Dorée_, car la plupart des miracles de - saint Pierre Martyr paraissent avoir été interpolés par des copistes - de l’ordre des Frères Prêcheurs. Certains manuscrits en énumèrent - ainsi plus de cent. - - - - -LXIV - -SAINT PHILIPPE, APÔTRE - -(1er mai) - - -L’apôtre Philippe prêchait depuis vingt ans en Scythie, lorsque les -païens s’emparèrent de lui, et voulurent le contraindre à sacrifier -devant une statue du dieu Mars. Mais soudain un énorme dragon, sortant -du pied de la statue, mit à mort le fils du prêtre, qui préparait le feu -du sacrifice, et les deux tribuns qui avaient fait arrêter Philippe; en -même temps qu’il répandait une haleine si fétide, que tout le reste des -assistants en était étouffé. Et Philippe dit: «Croyez-moi, brisez cette -statue, et à sa place, adorez la croix du Seigneur, afin que ceux -d’entre vous qui souffrent soient guéris, et que ces trois morts -ressuscitent!» Mais les païens, de plus en plus malades, criaient: «Fais -seulement que nous soyons guéris, et nous te promettons de détruire -aussitôt la statue!» Alors, Philippe, parlant au dragon, lui ordonna de -s’enfuir dans un lieu désert, où il ne pût faire de mal à personne: le -dragon obéit, s’enfuit et ne se montra jamais plus. Après quoi Philippe -guérit tous ceux que l’haleine du dragon avait rendus malades, et obtint -que les trois morts fussent rendus à la vie. Il convertit ainsi la ville -entière, et passa un an encore à prêcher dans ses murs. Puis, y ayant -ordonné des prêtres et des diacres, il se rendit dans une ville d’Asie -appelée Hierapolis, où il éteignit l’hérésie des Ebionites, qui -prétendaient que le Christ s’était incarné dans une chair différente de -notre chair humaine. - -Il avait avec lui ses deux filles, d’une grande sainteté, par -l’entremise desquelles Dieu convertissait à la foi de nombreuses âmes. -Quant à Philippe, une semaine avant sa mort, il convoqua les évêques et -les prêtres, et leur dit: «Le Seigneur m’accorde encore sept jours pour -continuer à vous instruire.» Il était alors âgé de quatre-vingt-sept -ans. Et en effet, une semaine après, il fut pris par les infidèles et -attaché par eux à une croix, à l’exemple du maître divin dont il -prêchait la doctrine. C’est ainsi que son âme s’envola heureusement au -trône du Seigneur; et on ensevelit près de lui les deux vierges, ses -filles, l’une à sa droite, l’autre à sa gauche. - -Isidore nous dit, dans son livre sur l’origine, la vie et la mort des -saints: «Philippe le Galiléen prêcha le Christ, convertit à la foi les -nations barbares des bords de l’Océan, et fut enfin crucifié, lapidé, et -mis à mort, à Hierapolis, dans la province de Phrygie, où il repose -entre ses deux filles.» - -D’un autre Philippe, qui fit partie des sept premiers diacres, saint -Jérôme nous dit qu’il est mort à Césarée, le huitième jour des ides de -juillet, après avoir accompli de nombreux miracles, et qu’il fut enterré -avec ses trois filles, tandis qu’une quatrième repose à Ephèse. Mais le -premier Philippe diffère de celui-là, ayant été apôtre et non diacre, -ayant été enterré à Hierapolis et non à Césarée, et ayant eu deux filles -et non quatre. L’_Histoire ecclésiastique_, en vérité, paraît affirmer -que ce fut l’apôtre Philippe qui eut quatre filles douées du don de -prophétie; mais l’opinion de saint Jérôme, sur ce point, mérite plus de -créance. - - - - -LXV - -SAINT JACQUES LE MINEUR, APÔTRE - -(1er mai) - - -I. Le saint Jacques dont nous allons parler est désigné sous différents -noms. On l’appelle notamment Jacques fils d’Alphée, ou Jacques le frère -du Seigneur, ou encore Jacques le Mineur et Jacques le Juste. Il est -Jacques, fils d’Alphée, non seulement à cause du nom de son père, mais -aussi à cause du sens d’Alphée, qui signifie sage, ou leçon, où encore -millième. Et, en effet, saint Jacques fut sage dans la science divine, -il fut une leçon pour les autres, il fuit le monde qu’il dédaignait, et -il voulut être le millième par humilité. Son nom de «frère du Seigneur» -lui vient, croit-on, de ce qu’il ressemblait si fort au Seigneur, par -les traits du visage, que plus d’une fois on le confondit avec lui. -Aussi, lorsque les Juifs vinrent s’emparer du Christ, craignirent-ils de -prendre Jacques au lieu du Christ; et c’est pour ce motif qu’ils -ordonnèrent à Judas de leur désigner le Christ en lui donnant un baiser. -Cette explication du nom de saint Jacques nous est, en outre, confirmée -par saint Ignace dans sa lettre à l’évangéliste Jean, où nous lisons: -«Avec ta permission, je voudrais me rendre à Jérusalem pour voir le -vénérable Jacques, surnommé le Juste, dont on dit qu’il ressemblait si -fort à Jésus-Christ de figure, de manières, et de langage, qu’on aurait -pu le tenir pour son frère jumeau.» - -Ou bien encore ce surnom peut venir de ce que Jésus et Jacques étaient -enfants de deux sœurs, et que le père de Jacques, Cléophas, était le -frère de Joseph. Mais, en tout cas, ce nom de «frère du Seigneur» ne -saurait venir, comme d’aucuns l’ont prétendu, de ce que Jacques fût le -fils de Joseph, le mari de la Vierge: car il était fils de Marie, fille -de Cléophas, qui lui-même était frère de Joseph, le mari de la Vierge. -Les Juifs, en effet, appelaient frères tous ceux que rattachaient entre -eux les liens du sang. Quant au nom de Jacques Mineur, il s’oppose à -celui de Jacques Majeur, le fils de Zébédée, qui, bien qu’il ait reçu la -vocation après l’autre Jacques, était cependant son aîné par l’âge. -Enfin, le surnom de Juste nous rappelle l’éminente sainteté de Jacques, -qui, d’après saint Jérôme, était l’objet d’une vénération si profonde -que le peuple se disputait l’honneur de toucher les pans de son manteau. -Et voici, ce qu’écrit de sa sainteté Hégésippe, qui eut l’occasion de -connaître les apôtres: «La direction de l’Eglise fut confiée à Jacques, -le frère du Seigneur, que tous se sont toujours accordé à appeler le -Juste. Telle était sa sainteté, dès le ventre de sa mère, que jamais il -ne but de vin ni de bière, jamais il ne mangea de viande, jamais il ne -s’oignit d’huile, jamais il n’eut besoin de prendre des bains. Toute sa -vie il fut vêtu d’un simple manteau de toile. Et, à force de -s’agenouiller pour prier, on voyait sur ses genoux des durillons comme -ceux qui se forment sous les pieds. Aussi lui seul, parmi les apôtres, -en raison de sa sainteté, était-il admis à pénétrer dans le Saint des -Saints.» On dit également qu’il fut le premier, parmi les apôtres, à -célébrer la messe, les disciples lui ayant fait l’honneur de lui confier -la célébration de la première messe à Jérusalem, après l’ascension du -Seigneur, et avant même qu’il fût ordonné évêque. Saint Jérôme ajoute, -dans son écrit contre Jovinien, que Jacques le Mineur ne connut jamais -les plaisirs de la chair. Lorsque Jésus mourut sur la croix, Jacques fit -le vœu de ne rien manger jusqu’à ce que son maître fût ressuscité -d’entre les morts. Le jour même de sa résurrection, Jésus lui apparut, -et dit à ceux qui étaient avec lui: «Préparez la table et le pain!» -Puis, prenant le pain, il le bénit et le donna à Jacques, en lui disant: -«Lève-toi et mange, mon frère, car le Fils de l’Homme est ressuscité -d’entre les morts!» - -La septième année de son épiscopat, au jour de Pâques, les apôtres se -réunirent à Jérusalem et rapportèrent à Jacques tout ce que le Seigneur -avait fait par leur entremise depuis leur séparation. Après quoi -Jacques, pendant sept jours, prêcha dans le temple avec les autres -apôtres, en présence de Caïphe et d’un grand nombre de Juifs; et déjà -ceux-ci étaient sur le point de demander le baptême, lorsque soudain un -autre Juif, entrant dans le temple, se mit à crier: «O hommes d’Israël, -que faites-vous? Vous laisserez-vous longtemps encore tromper par ces -magiciens?» Et cet homme excita le peuple à un tel degré que les apôtres -faillirent être lapidés. Il s’élança lui-même sur l’estrade d’où Jacques -prêchait, et le précipita au bas de cette estrade, de façon qu’il le -rendit boiteux pour le reste de sa vie. Ainsi, sept ans après -l’ascension du Christ, Jacques eut une première fois à souffrir pour son -maître. - -La trentième année de son épiscopat, les Juifs, dépités de ne pouvoir -tuer saint Paul, qui en avait appelé à César et avait été mandé à Rome, -tournèrent leur fièvre de persécution contre saint Jacques, et -cherchèrent une occasion de le faire périr. Hégésippe, le contemporain -des apôtres, nous raconte que les Juifs vinrent trouver Jacques et lui -dirent: «Nous te demandons de ramener dans la bonne voie les gens du -peuple qui, dans leur aveuglement, croient que Jésus était le Messie. Si -tu détournes de Jésus la foule qui va se réunir pour les fêtes de -Pâques, nous t’obéirons tous, et te rendrons tous hommage comme au plus -juste d’entre nous.» Ils le conduisirent ensuite au haut du temple et se -mirent à lui crier: «Homme juste, toi à qui nous devons tous obéir, -dis-nous ton avis sur l’erreur des gens du peuple au sujet de ce Jésus -qu’on a crucifié!» Mais Jacques, trompant leur attente, s’écria d’une -voix immense: «Que m’interrogez-vous sur le Fils de l’Homme? Le voici -lui-même assis dans le ciel à la droite de son Père, en attendant qu’il -revienne juger les vivants et les morts!» Ce qu’entendant, les chrétiens -furent remplis de joie; mais les scribes et les pharisiens se dirent: -«Nous avons eu tort d’invoquer son témoignage! Montons à présent jusqu’à -lui et précipitons-le à terre, afin que la foule, effrayée, ne s’avise -pas de croire à ses paroles!» Là-dessus, ils s’écrièrent: «Eh quoi! le -juste lui-même est tombé dans l’erreur!» Puis ils montèrent sur le haut -du temple et le précipitèrent sur le sol, où ils se mirent à lui jeter -des pierres. Mais lui, se relevant sur ses genoux, disait: «Je t’en -prie, maître, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font!» Alors un -des prêtres, fils de Rahab, s’écria: «Que faites-vous, insensés? Voici -que ce juste que vous lapidez prie pour vous!» Alors un des Juifs, -saisissant un marteau de foulon, asséna sur la tête de saint Jacques un -coup vigoureux qui fit jaillir la cervelle. Et ainsi le martyr rendit -son âme à Dieu, sous le règne de Néron. Il fut enseveli près du temple. -La foule voulut venger sa mort et s’emparer de ses meurtriers, mais -ceux-ci, déjà, avaient pris la fuite. - -II. Josèphe rapporte que c’est en châtiment du meurtre de Jacques qu’a -été autorisée la destruction de Jérusalem, ainsi que la dispersion des -Juifs. Mais plus encore que la mort de Jacques, c’est la mort du -Seigneur qui a attiré sur Jérusalem ce terrible châtiment, selon ce -qu’avait dit le Seigneur lui-même: «On ne te laissera pas pierre sur -pierre, puisque tu n’as point connu le temps de ta visitation!» Mais -comme Dieu ne veut pas la mort du pécheur, cinquante ans de délai furent -laissés aux Juifs pour faire pénitence, en même temps que la prédication -des apôtres, et en particulier celle de saint Jacques le Mineur, les -exhortait sans cesse à se repentir. Et ce n’est pas tout. Ne pouvant -convertir les Juifs par la prédication des apôtres, le Seigneur voulut -au moins les effrayer par des prodiges; et Josèphe nous rapporte toute -une série de prodiges qui se produisirent pendant ces cinquante années -de délai. Une étoile, pareille à un glaive, flamboya au-dessus de la -ville pendant une année entière. Un jour de fête des Azymes, à neuf -heures de la nuit, une lumière aussi brillante que celle du midi entoura -le temple. Dans la même fête, une génisse qu’on allait sacrifier, déjà -livrée aux mains des prêtres, enfanta un agneau. Plusieurs jours après, -au coucher du soleil, on vit courir de toutes parts, sur les nuages, des -chars remplis de troupes en armes. La nuit de la Pentecôte, les prêtres -qui entraient dans le temple pour préparer les sacrifices, entendirent -d’étranges bruits comme d’écroulement, pendant que des voix invisibles -disaient: «Quittons ces lieux!» Enfin, quatre ans avant la guerre, le -jour de la fête des Tabernacles, un certain Jésus, fils d’Ananias, se -mit à crier: «Voix de l’Orient, voix de l’Occident, voix des quatre -points cardinaux, voix sur Jérusalem et sur le temple, voix sur les -époux et les épouses, voix sur le peuple tout entier!» Cet homme fut -saisi, frappé de verges, mais toujours il répétait les mêmes paroles, -criant plus fort à chaque coup reçu. On le conduisit devant le juge, on -le tortura jusqu’à mettre à nu les os de ses membres. Mais lui, sans -pleurer ni demander grâce, hurlait toujours les mêmes paroles, ajoutant -encore: «Malheur à toi, malheur à toi, Jérusalem!» - -Alors, comme les Juifs ne se laissaient ni toucher par les -avertissements ni effrayer par les prodiges, le Seigneur envoya à -Jérusalem Vespasien et Titus, qui détruisirent la ville de fond en -comble. Et voici quelle fut l’occasion de leur arrivée à Jérusalem, à ce -que nous raconte certaine histoire, en vérité apocryphe. Pilate, -comprenant qu’il avait condamné un innocent, et craignant la colère de -l’empereur Tibère, lui envoya, pour s’excuser de la mort de Jésus, un -messager nommé Albain. Or, à cette époque, Vespasien gouvernait, au nom -de Tibère, le pays des Galates, et Albain, poussé par la tempête sur la -côte de Galatie, fut amené en présence de Vespasien. Et c’était la -coutume du pays que tout naufragé qui y débarquait devenait l’esclave du -prince. Vespasien demanda à Albain qui il était, d’où il venait, et où -il allait. Et Albain: «Je suis habitant de Jérusalem, je viens de cette -ville, et je me rends à Rome.» Alors Vespasien: «Tu viens du pays des -mages, et, par suite, tu dois connaître le secret de guérir. Vois donc à -me donner tes soins!» Car Vespasien avait dans le nez, depuis l’enfance, -une espèce de vermine, d’où lui était venu son surnom même de Vespasien. -Albain répondit: «Seigneur, je ne connais point la médecine, et ne puis -donc pas te guérir.» Mais Vespasien: «Si tu ne me guéris, tu seras mis à -mort!» Alors Albain lui dit: «Celui qui a su rendre la vue aux aveugles, -exorcisé les démons, ressuscité les morts, celui-là pourra te guérir, -non pas moi!» Et Vespasien: «Qui est donc celui-là?» Et Albain: «C’est -Jésus de Nazareth, que les Juifs ont mis à mort par jalousie. Si tu -crois en lui, tu retrouveras aussitôt la santé!» Et Vespasien: «Je crois -que, s’il a pu ressusciter les morts, il pourra me délivrer de mon -infirmité!» Et aussitôt les vers lui sortirent du nez, et il retrouva la -santé. Rempli de joie, il s’écria: «Oui, certes, c’était un Fils de -Dieu, celui qui a pu me guérir! Et je vais demander à César la -permission de me rendre à Jérusalem, pour châtier tous ceux qui ont -livré cet homme et l’ont fait mourir. Quant à toi, Albain, retourne -auprès de ton maître, je te rends la liberté!» Vespasien alla donc à -Rome, afin d’obtenir de Tibère la permission de détruire Jérusalem et -toute la Judée. Et pendant de nombreuses années il réunit des troupes, -sous le règne de Néron, pendant que les Juifs, de leur côté, se -révoltaient contre l’Empire. Mais d’autres chroniques affirment que ce -n’était point le zèle pour le Christ qui le faisait agir, mais le désir -de réprimer l’insurrection des Juifs. Enfin il se mit en route vers -Jérusalem, avec une nombreuse armée, et, le jour de Pâques, il mit le -siège autour de la ville, où se trouva ainsi enfermée une foule de Juifs -venus de la campagne pour les fêtes. Sur son chemin, il attaqua une -ville de Judée nommée Jonapata, dont Josèphe était le chef; et celui-ci, -après une courageuse résistance, voyant que la destruction de la ville -était imminente, se réfugia avec onze autres Juifs dans un souterrain, -où ses compagnons et lui souffrirent de la faim pendant quatre jours. -Ces malheureux, malgré l’avis de Josèphe, aimaient mieux mourir là que -de se soumettre au joug de Vespasien. Ils résolurent donc de se tuer les -uns les autres, afin d’offrir leur sang à Dieu en sacrifice; et comme -Josèphe était le principal d’entre eux, c’était lui qu’on voulait mettre -à mort le premier. Mais Josèphe, personnage prudent, et qui tenait à la -vie, se constitua le juge du sacrifice, et décida que l’on tirerait au -sort, deux par deux, ceux qui auraient à être tués les premiers. Après -quoi, il livra à la mort tantôt l’un tantôt l’autre de ses compagnons, -jusqu’à ce qu’enfin ne restèrent plus que lui-même et l’homme qui devait -tirer au sort avec lui. Alors Josèphe, adroitement, prit à cet homme son -épée, et lui demanda ensuite s’il préférait vivre ou mourir. L’homme, -épouvanté, le supplia de lui conserver la vie. Josèphe s’adressa en -secret à un familier de Vespasien, et le pria de demander à son maître -que grâce lui fût faite de la vie. Amené devant Vespasien, il lui dit: -«Prince, je t’informe que l’empereur de Rome vient de mourir, et que le -Sénat t’a nommé pour le remplacer!» Et Vespasien: «Si tu es prophète, -pourquoi n’as-tu pas prédit à cette ville qu’elle aurait à se soumettre -à moi?» Cependant, quelques jours après, des délégués arrivèrent de Rome -pour annoncer à Vespasien qu’il était élevé à l’Empire. Le nouvel -empereur partit pour Rome, laissant à son fils Titus le soin de -poursuivre le siège de Jérusalem. - -La même histoire apocryphe raconte ensuite que Titus, en apprenant -l’honneur échu à son père, fut rempli d’une joie qui lui tordit les -nerfs et paralysa ses membres. Ce qu’apprenant, Josèphe devina la cause -véritable de la maladie, et s’ingénia à y trouver un remède, se fondant -sur le principe que les contraires peuvent être guéris par leurs -contraires. Or, Titus avait un esclave qui lui était si odieux qu’il ne -pouvait, sans souffrir, le voir ni même entendre prononcer son nom. -Josèphe dit donc à Titus: «Si tu veux être guéri, aie soin de saluer -tous ceux que tu verras en ma compagnie!» Titus s’engagea à le faire. Et -aussitôt Josèphe fit préparer un festin où il se plaça en face de Titus, -en faisant asseoir à sa droite l’esclave détesté. Et dès que Titus -l’aperçut, il eut un frémissement d’aversion qui, aussitôt, réchauffa -ses nerfs, refroidis par l’excès de joie, et le guérit de sa paralysie. -Et, depuis lors, il rendit sa faveur à l’esclave et admit Josèphe dans -son amitié. Telle est l’histoire; mais je laisse au jugement du lecteur -le soin de décider si une telle histoire valait même la peine d’être -rapportée. - -Le fait est que Jérusalem fut assiégée par Titus, pendant deux ans, et -qu’entre autres maux, dont elle eut à souffrir au cours de ce siège, -elle eut à souffrir une famine si affreuse que les parents arrachaient -la nourriture non seulement des mains mais de la bouche même des -enfants, et les enfants de la bouche des parents; les plus vigoureux des -jeunes gens erraient par les rues comme des fantômes et tombaient morts, -épuisés de faim; souvent ceux qui ensevelissaient les morts mouraient -sur les cadavres, si bien qu’on finit par ne plus ensevelir les morts, -et qu’on se borna à les précipiter en masse du haut des murs. Titus, -voyant les fossés remplis de ces cadavres, leva les mains au ciel, -pleura, et dit: «Seigneur, tu vois que ce n’est point moi qui les ai -fait mourir!» Et la famine était telle que les assiégés mangeaient leurs -chaussures. Une femme noble et riche, voyant des pillards envahir et -dépouiller sa maison, s’écria, tandis qu’elle élevait en l’air son -enfant nouveau-né: «Fils plus infortuné d’une mère infortunée, pour quel -destin te réserverais-je au milieu de tant de misères? Viens, mon -enfant, sois pour ta mère une nourriture, pour les pillards un scandale, -pour les siècles un avertissement!» Sur quoi elle étrangla son fils, le -fit cuire, en mangea la moitié, et cacha l’autre moitié. Or, voici que -les pillards, sentant une odeur de viande cuite, se précipitèrent dans -la maison et menacèrent la femme de la tuer si elle ne leur livrait sa -provision de viande. Alors la femme, leur montrant les membres de son -enfant: «Tenez, leur dit-elle, je vous ai réservé la meilleure partie!» -Une telle horreur les envahit qu’ils ne surent que répondre. Et elle: -«C’est mon fils, leur dit-elle, le péché est sur moi: mangez sans -crainte, puisque moi-même, qui l’ai mis au monde, en ai mangé la -première; et si l’horreur vous retient, j’achèverai seule de manger ce -dont j’ai déjà mangé la moitié!» - -Enfin, la seconde année du règne de Vespasien, Titus prit Jérusalem, -détruisit le temple de fond en comble; et, de même que les Juifs avaient -acheté le Christ pour trente deniers, de même Titus ordonna qu’on -vendît trente Juifs pour un seul denier. Josèphe raconte que -quatre-vingt-dix-sept mille Juifs furent vendus, et que onze mille -périrent par la faim ou le fer. On raconte encore que Titus, en entrant -à Jérusalem, aperçut un mur plus épais que les autres; il y fit -pratiquer une ouverture, et l’on vit derrière le mur un vieillard -d’aspect vénérable qui, aux questions qu’on lui posa, répondit qu’il -s’appelait Joseph, qu’il était de la ville d’Arimathie, et que les Juifs -l’avaient enfermé et muré là parce qu’il avait enseveli le corps du -Christ. Il ajouta que, depuis lors, il avait été nourri et soutenu par -des anges descendant du ciel. Mais, d’autre part, l’évangile de Nicodème -nous dit que Joseph d’Arimathie, ayant été muré par les Juifs, avait été -délivré par le Christ et ramené par lui dans sa ville natale. Après -cela, rien n’empêche d’admettre que, revenu à Arimathie, Joseph ait -continué à prêcher le Christ et ait été muré par les Juifs une seconde -fois. - -A la mort de Vespasien, Titus succéda à son père sur le trône: homme -plein de clémence et de générosité, dont Eusèbe de Césarée et Jérôme -nous rapportent que, certain jour, se rappelant qu’il n’avait fait ce -jour-là aucune bonne action, il s’est écrié: «O mes amis, j’ai perdu ma -journée!» Longtemps après, certains Juifs voulurent reconstruire -Jérusalem. Mais, étant sortis de leurs maisons, le matin, pour y -travailler, ils aperçurent à terre des croix faites de rosée: ils -s’enfuirent, épouvantés. Le matin suivant, quand ils se remirent à -l’ouvrage, chacun d’eux vit une croix de sang peinte sur son manteau, ce -qui, de nouveau, les mit en fuite. Enfin, le troisième jour, une vapeur -brûlante sortit du sol, qui les consuma. C’est du moins ce que raconte -Milet, dans sa chronique. - - - - -LXVI - -L’INVENTION DE LA SAINTE CROIX - -(3 mai) - - -Sous le nom de l’Invention de la Sainte Croix, l’Eglise fête -l’anniversaire du jour où a été retrouvée la croix de Notre-Seigneur. -Cet événement eut lieu plus de deux cents ans après la résurrection du -Christ. - -On lit dans l’_Evangile de Nicodème_ que, un jour que le vieil Adam -était malade, son fils Seth se rendit jusqu’à la porte du Paradis et -demanda de l’huile de l’arbre de miséricorde, afin d’en frotter le corps -de son père et de lui rendre ainsi la santé. Or, l’archange Michel lui -apparut et lui dit: «N’espère pas obtenir, par tes larmes ni par tes -prières, de l’huile de l’arbre de miséricorde, car les hommes ne -pourront obtenir de cette huile que dans cinq mille cinq cents -ans»,--c’est-à-dire après la passion du Christ. Une autre chronique -raconte que l’archange Michel offrit cependant à Seth un rameau de -l’arbre miraculeux, en lui ordonnant de le planter sur le mont Liban. -Une autre histoire, en vérité apocryphe, ajoute que cet arbre était le -même qui avait fait pécher Adam, et que l’ange, en donnant le rameau à -Seth, lui dit que, le jour où ce rameau porterait des fruits, son père -recouvrerait la santé. Et Seth, de retour chez lui trouva son père déjà -mort; il planta le rameau sur la tombe d’Adam, et le rameau devint un -grand arbre qui vivait encore au temps de Salomon. - -Ce prince, frappé de la beauté de l’arbre, le fit couper afin qu’il -servît à la construction du temple; mais là, on ne put trouver aucun -endroit où le placer: car tantôt il paraissait trop long et tantôt trop -court; et, quand les ouvriers essayaient de le couper à la longueur -voulue, ils s’apercevaient ensuite qu’ils l’avaient trop coupé: de telle -sorte que, impatientés, ils le jetèrent en travers d’un lac, pour servir -de pont. Or la reine de Saba, venant à Jérusalem pour consulter la -sagesse de Salomon, et ayant à traverser le susdit lac, vit en esprit -que le Sauveur du monde serait un jour attaché au bois de cet arbre. -Elle refusa donc de mettre le pied sur lui, et, au contraire, -s’agenouilla pour l’adorer. Une autre histoire veut que la reine de Saba -ait vu le bois miraculeux dans le temple même, et que de retour dans son -pays, elle ait écrit à Salomon qu’à ce bois serait un jour attaché -l’homme dont la mort mettrait fin au royaume des Juifs; sur quoi Salomon -aurait fait enlever l’arbre et aurait ordonné de l’enfouir profondément -sous terre. Et, à l’endroit où l’arbre était enfoui, se forma plus tard -la piscine probatique: si bien que ce n’était pas seulement la descente -d’un ange, mais aussi la vertu du bois caché sous terre, qui produisait, -dans cette piscine, la commotion de l’eau et guérissait les malades. - -Enfin l’on raconte que, aux approches de la passion du Christ, le bois -sortit de terre, et que les Juifs, le voyant surnager à la surface de -l’eau, le prirent pour en faire la croix du Seigneur. Mais la tradition -affirme, d’autre part, que la croix du Christ fut faite de quatre bois -différents, à savoir de palmier, de cyprès, d’olivier et de cèdre, -chacune de ces espèces servant à l’une des quatre parties de la croix, -c’est-à-dire la poutre verticale, l’horizontale, la tablette placée au -sommet, et le tronc soutenant la croix, ou encore, selon Grégoire de -Tours, la tablette placée sous les pieds du Christ. Mais jusqu’à quel -point sont vraies les diverses légendes que nous venons de rapporter, -c’est ce dont le lecteur jugera par lui-même: car le fait est qu’on ne -les trouve mentionnées dans aucune chronique ni histoire authentique. - -Après la passion du Christ, le bois précieux de la croix resta caché -sous terre pendant plus de deux cents ans; il fut enfin retrouvé par -Hélène, mère de l’empereur Constantin, dans les circonstances que nous -allons raconter. - -En ce temps-là, une multitude innombrable de barbares se rassembla sur -la rive du Danube, s’apprêtant à traverser le fleuve afin de soumettre à -leur domination l’Occident tout entier. A cette nouvelle, l’empereur -Constantin se mit en marche avec son armée et vint camper sur l’autre -rive du Danube; mais, comme le nombre des barbares augmentait toujours, -et que déjà ils commençaient à traverser le fleuve, Constantin fut saisi -de frayeur à la pensée de la bataille qu’il aurait à livrer. Or la nuit, -un ange le réveilla et lui dit de lever la tête; et Constantin aperçut -au ciel l’image d’une croix faite d’une lumière éclatante; et au-dessus -de l’image était écrit, en lettres d’or: «Ce signe te donnera la -victoire!» Alors, réconforté par la vision céleste, il fit faire une -croix de bois, et la fit porter en avant de son armée: puis, fondant sur -l’ennemi, il l’extermina ou le mit en fuite. Après quoi il convoqua les -prêtres des divers temples, et leur demanda de quel dieu cette croix -était le signe. Les prêtres ne savaient que répondre, lorsque survinrent -des chrétiens, qui expliquèrent à l’empereur le mystère de la Sainte -Croix et le dogme de la Trinité. Et Constantin, les ayant entendus, crut -au Christ: il reçut le baptême des mains du pape Eusèbe, ou, suivant -d’autres auteurs, de celles d’Eusèbe, évêque de Césarée. - -Mais, ici encore, nous avons affaire à une légende qui se trouve -contredite par l’_Histoire tripartite_, par l’_Histoire ecclésiastique_, -par la vie de saint Sylvestre et par la chronique des papes. Aussi une -autre tradition affirme-t-elle que le Constantin en question n’était pas -le fameux empereur qui fut converti et baptisé par le saint pape -Sylvestre, mais que c’était un autre Constantin, père de celui-là. Et -cette tradition ajoute que, à la mort de son père, Constantin, se -rappelant la victoire que le défunt avait due à la vertu de la sainte -croix, envoya sa mère Hélène à Jérusalem pour y retrouver cette croix -miraculeuse. - -L’_Histoire ecclésiastique_ nous donne, de la victoire de Constantin, -une autre version. Suivant elle, la bataille aurait eu lieu près du Pont -Albin, où Constantin se serait rencontré avec Maxence, qui voulait -envahir l’empire romain. Et comme l’empereur, anxieux, levait les yeux -au ciel pour en implorer du secours, il vit à l’orient, sur le ciel, le -signe resplendissant de la croix entouré d’anges, qui lui dirent: -«Constantin, ce signe te donnera la victoire!» Et comme Constantin se -demandait ce que cela signifiait, le Christ lui apparut la nuit, avec le -même signe, et lui ordonna d’en faire exécuter une image, qui lui -servirait d’aide dans la bataille. Alors Constantin, sûr désormais de la -victoire, fit sur son front le signe de la croix, et prit dans sa main -une croix d’or. Après quoi il pria Dieu que sa main, qui avait tenu le -signe de la croix, n’eût pas à être tachée de sang romain. Et en effet -Maxence, au moment où il traversait le fleuve, oublia qu’il avait fait -miner les ponts pour tromper Constantin, passa lui-même sur un pont -miné, et se noya dans le fleuve. Alors Constantin fut reconnu empereur -sans opposition; et une chronique, suffisamment autorisée, ajoute que, -cependant, il hésita quelque temps encore à se convertir tout à fait, -jusqu’au jour où, saint Pierre et saint Paul lui étant apparus, il fut -guéri de sa lèpre, et reçut enfin le baptême des mains du pape -Sylvestre. D’autre part saint Ambroise, dans sa lettre à Théodose, et -l’_Histoire tripartite_, affirment que, même alors, il ajourna son -baptême, afin d’être baptisé dans les flots du Jourdain. Et c’est aussi -ce que nous dit la chronique de saint Jérôme. - -Mais, quoi qu’il en soit de cette question, le fait est que c’est la -mère de Constantin, Hélène, qui présida à l’Invention de la Sainte -Croix. Cette Hélène, suivant les uns, aurait été d’abord fille -d’auberge, et le père de Constantin l’aurait épousée pour sa beauté. -D’autres affirment qu’elle était fille unique de Coël, roi des Bretons, -que le père de Constantin l’avait épousée lorsqu’il était venu en -Bretagne, et que, ainsi, après la mort de Coël, il était devenu le -maître de l’île. C’est aussi ce qu’affirment les Bretons, bien qu’une -autre version veuille qu’Hélène ait été de Trèves. - -Arrivée à Jérusalem, Hélène fit mander devant elle tous les savants -juifs de la région. Et ceux-ci, effrayés, se disaient l’un à l’autre: -«Pour quel motif la reine peut-elle bien nous avoir convoqués?» - -Alors l’un d’eux, nommé Judas, dit: «Je sais qu’elle veut apprendre de -nous où se trouve le bois de la croix sur laquelle a été crucifié Jésus. -Or mon aïeul Zachée a dit à mon père Simon, qui me l’a répété en -mourant: «Mon fils, quand on t’interrogera sur la croix de Jésus, ne -manque pas à révéler où elle se trouve, faute de quoi on te fera subir -mille tourments; et cependant ce jour-là sera la fin du règne des Juifs, -et ceux-là régneront désormais qui adoreront la croix, car l’homme qu’on -a crucifié était le Fils de Dieu!» Et j’ai dit à mon père: «Mon père, si -nos aïeux ont su que Jésus était le fils de Dieu, pourquoi l’ont-ils -crucifié?» Et mon père m’a répondu: «Le Seigneur sait que mon père -Zachée s’est toujours refusé à approuver leur conduite. Ce sont les -Pharisiens qui ont fait crucifier Jésus, parce qu’il dénonçait leurs -vices. Et Jésus est ressuscité, le troisième jour, et est monté au ciel -en présence de ses disciples. Et mon oncle Etienne a cru en lui; ce -pourquoi les Juifs, dans leur folie, l’ont lapidé. Vois donc, mon fils, -à ne jamais blasphémer Jésus ni ses disciples!» Ainsi parla Judas; et -les Juifs lui dirent: «Jamais nous n’avons entendu rien de pareil.» Mais -lorsqu’ils se trouvèrent devant la reine, et que celle-ci leur demanda -en quel lieu Jésus avait été crucifié, tous refusèrent de la renseigner: -si bien qu’elle ordonna, qu’ils fussent jetés au feu. Alors les Juifs, -épouvantés, lui désignèrent Judas, en disant: «Princesse, cet homme-ci, -fils d’un prophète, sait toutes choses mieux que nous, et te révélera ce -que tu veux connaître!» Alors la reine les congédia tous à l’exception -de Judas, à qui elle dit: «Choisis entre la vie et la mort! Si tu veux -vivre, indique-moi le lieu qu’on appelle Golgotha, et dis-moi où je -pourrai découvrir la croix du Christ!» Judas lui répondit: «Comment le -saurais-je, puisque deux cents ans se sont écoulés depuis lors, et qu’à -ce moment je n’étais pas né?» Et la reine: «Je te ferai mourir de faim, -si tu ne veux pas me dire la vérité!» Sur quoi elle fit jeter Judas dans -un puits à sec, et défendit qu’on lui donnât aucune nourriture. - -Le septième jour, Judas, épuisé par la faim, demanda à sortir du puits, -promettant de révéler où était la croix. Et comme il arrivait à -l’endroit où elle était cachée, il sentit dans l’air un merveilleux -parfum d’aromates; de telle sorte que, stupéfait, il s’écria: «En -vérité, Jésus, tu es le sauveur du monde!» - -Or, il y avait en ce lieu un temple de Vénus qu’avait fait construire -l’empereur Adrien, de façon que quiconque y viendrait adorer le Christ -parût en même temps adorer Vénus. Et, pour ce motif, les chrétiens -avaient cessé de fréquenter ce lieu. Mais Hélène fit raser le temple; -après quoi Judas commença lui-même à fouiller le sol et découvrit, à -vingt pas sous terre, trois croix qu’il fit aussitôt porter à la reine. - -Restait seulement à reconnaître celle de ces croix où avait été attaché -le Christ. On les posa toutes trois sur une grande place, et Judas, -voyant passer le cadavre d’un jeune homme qu’on allait enterrer, arrêta -le cortège, et mit sur le cadavre l’une des croix, puis une autre. Le -cadavre restait toujours immobile. Alors Judas mit sur lui la troisième -croix; et aussitôt le mort revint à la vie. D’autres historiens -racontent que c’est Macaire, évêque de Jérusalem, qui reconnut la vraie -croix, en ravivant par elle une femme déjà presque morte. Et saint -Ambroise affirme que Macaire reconnut la croix à l’inscription placée -jadis par Pilate au-dessus d’elle. - -Judas se fit ensuite baptiser, prit le nom de Cyriaque, et, à la mort de -Macaire, fut ordonné évêque de Jérusalem. Or sainte Hélène, désirant -avoir les clous qui avaient transpercé Jésus, demanda à l’évêque de les -rechercher. Cyriaque se rendit de nouveau sur le Golgotha, et se mit en -prière; et aussitôt, étincelants comme de l’or, se montrèrent les clous, -qu’il s’empressa de porter à la reine. Et celle-ci, s’agenouillant et -baissant la tête, les adora pieusement. - -Elle rapporta à son fils Constantin une partie de la croix, laissant -l’autre partie dans l’endroit où elle l’avait trouvée. Elle donna -également à son fils les clous, qui, d’après Grégoire de Tours, étaient -au nombre de quatre. Deux de ces clous furent placés dans les freins -dont Constantin se servait pour la guerre; un troisième fut placé sur la -statue de Constantin qui dominait la ville de Rome. Quant au quatrième, -Hélène le jeta elle-même dans la mer Adriatique, qui jusqu’alors avait -été un gouffre dangereux pour les navigateurs. Et c’est elle aussi qui -ordonna qu’on fêtât tous les ans, en grande solennité, l’anniversaire de -l’invention de la Sainte Croix. - -Le saint évêque Cyriaque fut, plus tard, mis à mort par Julien -l’Apostat, qui s’efforçait de détruire en tous lieux le signe de la -croix. Julien, avant de partir pour la guerre contre les Perses, invita -Cyriaque à sacrifier aux idoles; et, sur son refus, il lui fit couper la -main droite, en disant: «Cette main a écrit bien des lettres qui ont -détourné plus d’une âme du culte des dieux!» Mais l’évêque lui répondit: -«Insensé, tu me rends là un précieux service; car cette main était un -scandale pour moi, ayant jadis écrit bien des lettres aux synagogues -pour détourner les Juifs du culte du Christ.» Alors Julien lui fit -verser dans la bouche du plomb fondu, et puis, l’ayant fait étendre sur -un lit de fer, il fit jeter sur lui des charbons ardents mêlés de sel et -de graisse. Cyriaque, cependant, restait inflexible. Et Julien lui dit: -«Si tu ne veux pas sacrifier aux dieux, proclame du moins que tu n’es -pas chrétien!» Sur le refus de Cyriaque, il le fit jeter parmi des -serpents venimeux; mais aussitôt les serpents périrent, sans faire aucun -mal à l’évêque. Julien le fit jeter dans une chaudière pleine d’huile -bouillante; et Cyriaque, au moment d’y entrer, pria Dieu de lui accorder -le second baptême du martyre. Sur quoi Julien, exaspéré, ordonna qu’on -lui perçât la poitrine à coups de glaive; et c’est ainsi que le saint -évêque rendit son âme à Dieu. - -Quant à la vertu souveraine de la sainte Croix, elle nous est prouvée -par l’histoire d’un pieux intendant que certain magicien conduisit, par -ruse, dans un lieu où il avait évoqué les démons. L’intendant aperçut -dans ce lieu un grand Ethiopien, assis sur un trône élevé, et entouré -d’autres noirs portant des lances et des verges. L’Ethiopien, qui était -Lucifer lui-même, dit à l’intendant: «Si tu veux m’adorer et me servir, -et renier ton Christ, je te ferai asseoir à ma droite!» Mais l’intendant -déclara qu’il préférait rester le serviteur du Christ; et, au moment où -il faisait le signe de la croix, toute la foule des démons s’évanouit. -Plus tard, le même intendant entra, avec son maître, dans l’église de -Sainte-Sophie; et là, comme tous deux se tenaient debout devant une -image du Christ, le maître vit que cette image avait les yeux fixés sur -l’intendant. Il fit alors passer celui-ci à droite, puis à gauche: les -yeux de l’image suivaient ses mouvements, et restaient toujours fixés -sur lui. Le maître, émerveillé, demanda à son intendant par quoi il -s’était rendu digne d’un si grand honneur. Et l’intendant répondit qu’il -n’avait conscience d’aucun acte qui pût lui valoir cet honneur, à cela -près qu’un jour, en présence du diable, il avait refusé de renier le -Christ. - - - - -LXVII - -LES ROGATIONS - - -Les Rogations, ou Litanies, se célèbrent deux fois par an; la première -fois le jour de la fête de saint Marc, la seconde fois pendant les trois -jours qui précèdent l’Ascension. La première de ces deux Litanies -s’appelle Majeure, la seconde Mineure. Le mot Litanie signifie -supplication ou prière. - -La première Litanie a trois noms: On l’appelle la Litanie Majeure, ou la -procession septiforme, ou les Croix-Noires. On l’appelle la Litanie -Majeure: 1º parce qu’elle a été instituée par Grégoire le Grand; 2º -parce qu’elle a été instituée à Rome, siège des apôtres; 3º parce -qu’elle a été instituée dans des circonstances graves et mémorables. Car -les Romains, après avoir vécu dans la continence pendant le carême, -s’abandonnaient ensuite à une telle débauche de jeux et de plaisirs, que -Dieu, irrité, leur envoya une terrible peste, qu’on appelle _inguinale_ -parce qu’elle a pour symptôme l’enflure de l’aîne. Et cette peste fut si -cruelle que les hommes mouraient dans la rue, à table, en jouant, en -causant. Souvent un homme éternuait, et dans cet éternuement rendait -l’âme. Aussi, lorsqu’on entendait quelqu’un éternuer, s’empressait-on de -lui dire: «Que Dieu vous aide!» Et c’est de là, dit-on, que s’est -conservée cette habitude. De même, souvent, un homme bâillait, et -sur-le-champ il rendait l’âme. Aussi, dès que quelqu’un se sentait une -approche de bâillement, il s’empressait de faire le signe de la croix; -et c’est de là encore que s’est gardée cette habitude. Quant au -développement de cette peste et à sa guérison miraculeuse, ainsi qu’à -l’institution de la Litanie, nous avons déjà raconté tout cela dans -l’histoire de saint Grégoire. - -On appelle cette Litanie la _procession septiforme_ parce que saint -Grégoire disposait la procession, qu’on faisait ce jour-là, en sept -rangs. En premier lieu venait tout le clergé, puis venaient les moines -et les religieux, puis les religieuses, puis les enfants, puis les laïcs -mâles, puis les veuves et les vierges, enfin les femmes mariées. Et -comme nous ne pouvons guère, aujourd’hui, compter dans notre procession -sur le concours de ces divers éléments, nous remplaçons les sept rangs -par sept récitations de la Litanie. - -En troisième lieu cette fête s’appelle les Croix-Noires, parce que, en -signe de deuil et de pénitence, non seulement toute la procession était -vêtue de noir, mais les croix et les autels étaient voilés de crêpe -noir. - -La Litanie Mineure, qui se célèbre pendant les trois jours qui précèdent -l’Ascension, a été instituée avant la Majeure, vers l’an 458, par saint -Mamert, évêque de Vienne, sous le règne de l’empereur Léon. On l’appelle -aussi les Rogations, et aussi la Procession. - -On l’appelle Litanie Mineure par opposition à la Majeure, comme ayant -été instituée par un moindre dignitaire de l’Eglise, en un lieu moindre, -et dans de moindres circonstances. Il y avait alors à Vienne de -fréquents tremblements de terre, qui renversaient les maisons et bon -nombre d’églises; on entendait, la nuit, des bruits effrayants; et, le -jour de Pâques un feu tomba du ciel, qui consuma le palais du roi. Et, -de même qu’autrefois Dieu avait permis aux démons d’entrer dans le corps -d’un troupeau de porcs, les loups et autres bêtes féroces entraient -librement dans les maisons, dévorant enfants et vieillards, hommes et -femmes. Devant une telle réunion de calamités, l’évêque susdit ordonna -un jeûne de trois jours, institua les litanies et obtint de cette façon -la cessation du mal dont souffrait la ville. Plus tard l’Eglise décréta -que cette Litanie serait observée par tous les fidèles. - -La Litanie Mineure s’appelle aussi fête des Rogations, parce que nous -implorons, ces trois jours-là, les suffrages de tous les saints, leur -demandant, par nos prières et nos jeûnes: 1º que Dieu pacifie les -guerres, particulièrement fréquentes au printemps; 2º qu’il conserve et -multiplie les fruits, qui commencent à naître; 3º qu’il réprime en nous -les mouvements charnels, qui sont toujours plus violents en cette -saison; 4º pour que, par ces prières et ce jeûne, nous nous préparions -mieux à recevoir le Saint-Esprit et à nous en rendre dignes. - -Enfin cette fête s’appelle aussi Procession parce que l’Eglise fait, ces -jours-là, une grande procession où l’on porte des croix, où l’on sonne -toutes les cloches, et où l’on invoque, en particulier, le patronage de -tous les saints. On porte les croix et on sonne les cloches pour -effrayer les démons, ou bien encore on porte les croix pour effrayer les -démons, et on sonne les cloches pour rappeler aux fidèles leur devoir de -prier, en présence du danger de la tentation. Dans certaines églises, -surtout dans les églises françaises, on a aussi l’habitude de porter en -procession un dragon avec une longue queue gonflée de paille, et que -l’on dégonfle devant la croix, le troisième jour: ce qui signifie que, -avant la Loi et sous la Loi, le diable a régné en ce monde, mais que le -Christ, par la grâce de sa Passion, l’a chassé de son royaume. Et l’on a -également coutume de chanter, à ces processions, le cantique des anges: -_Sancte Deus, sancte fortis, sancte et immortalis, miserere nobis._ - -Jean de Damas rapporte que, à Constantinople, un jour qu’on célébrait -les Litanies, un enfant qui se trouvait parmi la foule fut ravi au ciel, -où les anges lui apprirent ce cantique; après quoi, revenant à sa place -dans la foule, il chanta le cantique qu’il venait d’apprendre; et -aussitôt cessa la calamité pour laquelle s’étaient organisées les -Litanies. Aussi le synode de Chalcédoine sanctionna-t-il l’usage -universel de ce cantique, qui a le privilège d’inspirer aux démons une -peur toute particulière. - - - - -LXVIII - -SAINT JEAN PORTE-LATINE - -(6 mai) - - -L’apôtre et évangéliste Jean prêchait à Ephèse lorsque le proconsul le -fit saisir et lui ordonna de sacrifier aux dieux. Sur son refus, il fut -jeté en prison; et le proconsul écrivit à l’empereur Domitien une lettre -où il l’accusait d’être sacrilège, de mépriser les dieux, et d’adorer la -croix. Domitien, au reçu de cette lettre, fit venir saint Jean à Rome. -Là, après lui avoir fait raser les cheveux en signe d’infamie, il le -condamna à être plongé dans une chaudière d’huile bouillante, en -présence de la foule, devant une des portes de la ville, nommée -Porte-Latine. Mais le saint n’y éprouva aucun mal, et en sortit tout à -fait intact. C’est en souvenir de ce miracle que les chrétiens ont -élevé, en ce lieu, une église, et qu’on célèbre l’anniversaire du -supplice de saint Jean comme la fête de son martyre. - -Cependant le saint, sorti de la chaudière, continuait à prêcher le -Christ, jusqu’à ce que, par ordre de Domitien, il fut relégué dans l’île -de Pathmos. Et nous devons ajouter, à ce propos, que, si les empereurs -romains persécutaient les apôtres, ce n’était point parce que ceux-ci -prêchaient le Christ, mais parce qu’ils affirmaient la divinité du -Christ sans que cette divinité eût été reconnue par le Sénat romain, -comme le voulait la loi. Et l’_Histoire ecclésiastique_ raconte que, -Pilate ayant écrit à Tibère pour lui exposer la mort du Seigneur, Tibère -se déclara prêt à imposer aux Romains la foi chrétienne; mais le Sénat -s’y refusa, parce que le Christ avait été nommé dieu sans son -autorisation. Suivant une autre chronique, le refus du Sénat vint de ce -que le Christ ne se fût pas d’abord révélé à Rome. Suivant une autre -encore, le Sénat refusa d’admettre le Christ parce que celui-ci prêchait -le mépris du monde, tandis que les Romains étaient, par nature, avides -et ambitieux. Enfin Orose soutient que le Sénat fut fâché de ce que -Pilate eût annoncé les miracles du Christ à Tibère et non à lui; et que -Tibère, irrité à son tour du refus du Sénat, mit à mort bon nombre de -sénateurs et en exila plusieurs autres. - -On raconte aussi que la mère de saint Jean, apprenant que son fils était -prisonnier à Rome, se mit en route pour l’aller voir; mais en arrivant à -Rome elle découvrit que saint Jean était parti pour l’île de Pathmos. -Elle reprit alors le chemin de la Palestine, et, en voyage, elle mourut, -dans une ville de la Campanie appelée Vétulana. Son corps resta -longtemps caché dans une caverne, jusqu’au jour où saint Jean révéla à -saint Jacques où il se trouvait. Le corps fut alors transporté avec de -grands honneurs dans une église de Vétulana, où il opéra de nombreux -miracles. - - - - -LXIX - -SAINT GORDIEN, MARTYR - -(10 mai) - - -Gordien était officier de l’empereur Julien. Chargé par celui-ci de -faire sacrifier aux idoles un chrétien du nom de Janvier, il fut -converti par la prédication de ce chrétien, et reçut le baptême avec sa -femme, appelée Marine et cinquante-trois autres personnes. Ce -qu’apprenant, Julien fit envoyer Janvier en exil et ordonna que Gordien -eût la tête tranchée s’il refusait de sacrifier aux idoles. - -Saint Gordien eut donc la tête tranchée, et son corps resta offert aux -chiens pendant huit jours; mais comme il se conservait absolument -intact, il fut enfin recueilli par des parents du martyr et enterré à un -mille de Rome avec les restes de saint Epimaque, que le susdit Julien -avait fait mourir précédemment. - - - - -LXX - -SAINTS NÉRÉE ET ACHILLÉE, MARTYRS - -(12 mai) - - -Nérée et Achillée, qui reçurent le baptême des mains de l’apôtre saint -Pierre, étaient eunuques, et attachés au service particulier de -Domicille, nièce de l’empereur Domitien. Or, comme cette princesse était -fiancée à Aurélien, fils d’un consul, et qu’on la revêtait de pourpre et -de pierreries, Nérée et Achillée lui prêchèrent la foi. Ils lui -recommandèrent la virginité, comme une vertu chère à Dieu et innée dans -l’homme. Ils lui dirent que la femme était soumise à son mari, que -souvent elle avait à subir des coups, que souvent aussi elle s’exposait -à de mauvaises grossesses, et que, ayant peine déjà à supporter les -avertissements tendres de sa mère, elle se condamnait, par le mariage, à -supporter de bien autres injures. Domicille leur répondait: «Je sais que -mon père était jaloux et que ma mère a eu à souffrir de lui; mais -pourquoi croirais-je que mon mari dût lui ressembler?» Et eux: «Parce -que, tant qu’ils sont fiancés, ils paraissent pleins de douceur, tandis -que, après le mariage, ils règnent en maîtres cruels; sans compter que -souvent, ils préfèrent les servantes à leur maîtresse. Et toutes les -autres vertus qu’on a perdues peuvent se reconquérir par la pénitence, -tandis que, seule, la virginité ne se reconquiert pas.» Alors Domicilie -crut en Jésus, fit vœu de virginité, et reçut le voile des mains de -saint Clément. - -Sur quoi son fiancé, avec la permission de Domitien, la rélégua, avec -Nérée et Achillée, dans l’île de Pont, s’imaginant, par là, pouvoir -fléchir la jeune fille. Quelque temps après, il se rendit lui-même dans -cette île, et offrit de nombreux présents aux deux eunuques, pour qu’ils -intervinssent en sa faveur auprès de leur maîtresse; mais eux, -dédaignant ses offres, n’en mettaient que plus de zèle à la raffermir -dans sa foi. Sommés de sacrifier aux idoles, ils dirent ne pouvoir le -faire, puisqu’ils avaient reçu le saint baptême. Et, en conséquence, -tous deux eurent la tête tranchée, l’an du Seigneur 80. Leurs corps -furent ensevelis auprès du tombeau de sainte Pétronille. - -Puis le consul condamna aux plus durs travaux trois autres esclaves de -Domicille, Victorin, Euthice et Maron. Et il ordonna enfin qu’Euthice -fût frappé à mort, Victorin étouffé dans un bain de fiente, Maron écrasé -sous une grosse pierre. Mais Maron, lorsqu’on jeta sur lui cette pierre -immense, que soixante-dix hommes pouvaient à peine mouvoir, la reçut -aisément sur ses épaules, et la porta comme un caillou à deux milles de -là. Ce que voyant, plusieurs se convertirent; et le consul le fit mettre -à mort. - -Puis le consul rappela d’exil la jeune fille et envoya vers elle ses -deux sœurs de lait, Euphrosine et Théodore, avec mission de la -persuader; mais Domicille les convertit à la foi chrétienne. Alors -Aurélien se rendit chez Domicille avec les fiancés de ces deux jeunes -filles et trois jongleurs, afin de célébrer son mariage avec elle: mais -Domicille avait déjà converti les deux fiancés. Cependant, le consul la -mit de force dans son lit, ordonna aux jongleurs de chanter, aux deux -jeunes gens de danser avec lui, et voulut s’entraîner ainsi à violer la -jeune vierge. Mais bientôt les jongleurs se lassèrent de chanter, les -deux danseurs de danser; et lui, emporté par un vertige, ne s’arrêta -point de danser pendant deux jours, jusqu’à ce qu’enfin il mourût de -fatigue. - -Son frère Luxurius obtint alors de l’empereur la permission de mettre à -mort tous les chrétiens de la ville. Il fit incendier, la nuit, le lit -où reposaient les trois vierges; et celles-ci rendirent, en priant, -leurs âmes à Dieu. Saint Césaire, le lendemain, retrouva leurs trois -corps absolument intacts. - - - - -LXXI - -SAINT PANCRACE, MARTYR - -(12 mai) - - -Pancrace, de famille noble, ayant perdu son père et sa mère pendant un -séjour en Phrygie, fut remis à la charge de son oncle Denis. En -compagnie de son oncle il revint à Rome, où sa famille possédait un -grand patrimoine; et c’est ainsi qu’ils firent connaissance avec le pape -Corneille, qui se cachait, avec les fidèles, dans le voisinage de leur -propriété. Convaincus par la prédication de Corneille, Denis et Pancrace -reçurent la foi du Christ; après quoi Denis mourut en paix, et Pancrace, -fait prisonnier, fut amené devant l’empereur. Il avait alors à peine -quatorze ans. Et l’empereur Dioclétien lui dit: «Enfant, laisse-moi te -donner un conseil et te sauver d’une mort affreuse: car je sais qu’à ton -âge on est facilement trompé, et puis tu es de noble race, et fils d’un -homme que j’ai beaucoup aimé. Ecoute-moi donc, renonce à la folie de ton -christianisme; et je te traiterai comme mon propre fils!» Mais Pancrace -lui répondit: «Je suis enfant par le corps, c’est vrai, mais je porte un -cœur d’homme; et, par la grâce de mon maître Jésus-Christ, tes supplices -m’apparaissent aussi vains que cette idole qui est là devant moi. Quant -aux dieux que tu m’engages à adorer, ils n’ont été que des imposteurs, -souillant les femmes de leur propre maison et n’épargnant pas même leurs -parents. Que si tu avais aujourd’hui des esclaves qui agissent comme -eux, tu t’empresserais de les mettre à mort. Et je m’étonne que tu ne -rougisses pas d’adorer de tels dieux!» Alors l’empereur, honteux de se -voir vaincu par un enfant, lui fit trancher la tête, sur la Voie -Aurélienne, l’an du Seigneur 287. Le corps du martyr fut pieusement -enseveli par Cocavilla, femme d’un sénateur. - -Grégoire de Tours raconte que, lorsqu’un faux témoin s’approche du -tombeau de saint Pancrace, ou bien il tombe aussitôt mort sur les -dalles, ou bien un démon s’empare de lui et le fait délirer. Deux hommes -étaient en procès, et le juge ne parvenait pas à découvrir le coupable. -Dans son zèle de justice, ce juge conduisit les deux hommes à l’autel de -saint Pierre et leur fit jurer à tous deux qu’ils étaient innocents, -priant l’apôtre de lui faire reconnaître la vérité par quelque signe -miraculeux. Et comme tous deux, ayant juré, ne souffraient aucun mal, le -juge, indigné, s’écria: «Le vieux saint Pierre est décidément trop -indulgent! Allons plutôt consulter le jeune saint Pancrace!» Et comme, -sur le tombeau du saint, le vrai coupable allait recommencer à se -parjurer, il ne parvint pas à lever la main, et tomba mort dès l’instant -d’après. De là vient que, aujourd’hui encore, dans les cas difficiles, -on a coutume de faire jurer les accusés sur les reliques de saint -Pancrace. - - - - -LXXII - -SAINT BONIFACE, MARTYR - -(14 mai) - - -Passion de saint Boniface, qui souffrit le martyre dans la ville de -Tarse, sous le règne de Dioclétien, et fut enseveli à Rome, sur la Voie -Latine. - -Boniface était, à Rome, l’intendant d’une dame noble nommée Aglaé, et -entretenait avec elle des rapports coupables. Un jour enfin, sa -maîtresse et lui, comme avertis par un signe divin, décidèrent que -Boniface irait chercher les corps des martyrs, avec l’espoir que son -culte pour eux leur vaudrait, à tous deux, d’obtenir leur salut. -Boniface se mit donc en route; et lorsqu’il arriva dans la ville de -Tarse, il dit à ses compagnons: «Amis, occupez-vous de nous trouver un -logement! J’ai hâte, moi, d’aller voir ceux pour qui je suis venu.» -Après quoi, étant accouru sur la place publique, il vit les bienheureux -martyrs, l’un pendu avec du feu sous les pieds, un autre étendu sur un -chevalet, un autre labouré d’ongles de fer, un autre les mains coupées; -et tandis que, brûlant lui-même de l’amour du Christ, il considérait ces -supplices divers, il se mit à invoquer le Dieu des martyrs. Puis, -s’approchant d’eux, il s’assit à leurs pieds, baisa leurs chaînes, et -dit: «Martyrs du Christ, foulez aux pieds le démon, prenez patience! -votre peine n’est rien en comparaison du repos et de la joie qui vous -attendent!» Ce qu’entendant, le juge Simplicius le fit mander à son -tribunal et lui dit: «Qui es-tu?» Le saint répondit: «Je me nomme -Boniface, et je suis chrétien.» Alors le juge, irrité, le fit prendre, -et ordonna qu’on labourât son corps de pointes de fer jusqu’à mettre à -nu tous ses os. Il ordonna ensuite qu’on introduisît des aiguillons sous -les ongles de ses doigts. Et comme le martyr, les yeux levés au ciel, se -réjouissait parmi tous ces tourments, le méchant juge ordonna qu’on lui -ouvrît la bouche et qu’on y versât du plomb bouillant. Mais le martyr -répétait toujours: «Je te rends grâces, Seigneur Jésus!» Alors le juge -le fit plonger, la tête en bas, dans une cuve de poix bouillante; et, -comme, de cela non plus, le martyr ne souffrait aucun mal, le juge -ordonna qu’il eût la tête tranchée. Et à l’instant où on lui trancha la -tête, se produisit un grand tremblement de terre, qui convertit nombre -d’infidèles en leur montrant la vertu du Christ. - -Cependant, les autres serviteurs d’Aglaé, qui avaient accompagné -Boniface, allaient par la ville, en quête de lui, et, ne le trouvant -pas, se disaient: «Sûrement il sera occupé à quelque adultère, ou à -s’enivrer dans quelque cabaret!» Comme ils parlaient, ils rencontrèrent -dans la rue un des officiers impériaux. Ils lui demandèrent: -«N’aurais-tu pas vu ici un étranger, un Romain?» Il leur répondit: -«Hier, sur la place, un étranger a eu la tête tranchée.» Ils lui dirent: -«Quelle figure avait-il? l’homme que nous cherchons est trapu et solide, -avec une chevelure abondante; et vêtu d’un manteau rouge.» Alors -l’officier répondit: «L’homme que vous cherchez, c’est lui que nous -avons torturé et mis à mort hier!» Mais eux: «Tu dois te tromper: -l’homme que nous cherchons est un ivrogne et un débauché!» L’officier -leur dit: «Venez, et vous le verrez!» Et lorsqu’il leur eût montré le -corps du martyr et sa tête vénérable, ils lui dirent: «Oui, c’est bien -celui que nous cherchions; donne-nous ses restes!» L’officier se refusa -à les leur donner gratuitement. Mais, en échange de cinq cents sous, ils -obtinrent d’emporter le corps du martyr, qu’ils s’empressèrent d’oindre -d’aromates et d’envelopper de linges de prix; après quoi ils le -ramenèrent à Rome, se réjouissant et glorifiant Dieu. - -Un ange du ciel apparut à la maîtresse du martyr, et lui révéla sa mort -bienheureuse. Aussitôt Aglaé partit à la rencontre de son corps, et fit -élever une église digne de lui à l’endroit même où elle le rencontra, -éloigné de la ville d’environ cinq stades. Le martyre de saint Boniface -eut lieu le quatorzième jour du mois de mai; son ensevelissement, le -neuvième jour de juillet. - -Ensuite Aglaé, renonçant au monde, distribua tous ses biens aux pauvres, -affranchit tous ses esclaves, et, par ses jeûnes et ses prières, -s’acquit tant de faveur auprès de Jésus, qu’elle put accomplir des -miracles en son nom. Elle survécut ainsi douze ans au martyr, auprès de -qui elle fut enterrée. - - - - -LXXIII - -L’ASCENSION DE NOTRE-SEIGNEUR - - -L’Ascension de Notre-Seigneur a eu lieu quarante jours après sa -résurrection. Ce jour-là, il apparut deux fois à ses disciples. Une -première fois, il apparut aux onze apôtres assis à table. Les apôtres, -ainsi que d’autres disciples, et aussi des femmes, habitaient la partie -de Jérusalem appelée Mello, sur la montagne de Sion, où David s’était -construit un palais. Il y avait là un grand cénacle où Jésus, naguère, -avait fait préparer la Pâque; à présent, les onze apôtres y demeuraient, -tandis que les autres disciples habitaient à l’entour, dans des -auberges. Or, comme les Onze étaient à table dans ce cénacle, le -Seigneur leur apparut. Il leur reprocha leur incrédulité, mangea avec -eux, et leur dit de se rendre sur le mont des Oliviers, au versant -tourné vers Béthanie. C’est là que, pour la seconde fois ce jour-là, il -leur apparut: il leva les mains, les bénit, et, en leur présence, monta -au ciel. - -Au sujet du lieu de l’Ascension, Sulpice, évêque de Jérusalem, raconte -que, lorsque plus tard on y éleva une église, l’endroit précis où -s’étaient posés les pieds du Christ ne put absolument pas être recouvert -de dalles: les plaques de marbre qu’on y mettait se rompaient, et -sautaient au visage de ceux qui les mettaient. Aujourd’hui encore, on y -voit, dans une poussière calcaire, des traces de pieds. - - - - -LXXIV - -LA PENTECÔTE - - -La Pentecôte célèbre le souvenir du jour où le Saint-Esprit est descendu -sur les apôtres en langues de feu, ainsi que le raconte le livre des -_Actes_. Au sujet de cette descente du Saint-Esprit, six questions sont -à considérer: 1º par qui il a été envoyé; 2º de quelle manière il a été -envoyé; 3º à quel moment il a été envoyé; 4º combien de fois il a été -envoyé; 5º à qui il a été envoyé; 6º pourquoi il a été envoyé. - -1º Le Saint-Esprit a été envoyé par le Père, le Fils, et par lui-même. -En effet, Jésus dit, dans l’évangile de saint Jean: «Le Saint-Esprit, -que mon Père vous enverra en mon nom»; et il dit aussi: «Quand je vous -aurai quittés, je vous l’enverrai!» Mais le Saint-Esprit est aussi venu -de lui-même, étant Dieu. Citons à ce propos, la définition que donne -saint Ambroise de la divinité: «Un Dieu se reconnaît ou bien à ce qu’il -est sans péché, ou bien à ce qu’il remet les péchés, ou bien à ce qu’il -est créateur et non créature, ou bien à ce qu’il est adoré et non -adorant.» Et le pape Léon dit: «L’Esprit-Saint est l’inspirateur de la -foi, le docteur de la science, la source de l’amour et la cause du -salut.» - -2º L’Esprit-Saint est envoyé de deux façons: d’une façon invisible quand -il pénètre dans les âmes, et d’une façon visible quand il apparaît avec -des signes visibles. De sa mission invisible, l’évangile de saint Jean -dit: «L’Esprit souffle où il veut et tu entends sa voix, mais sans -savoir d’où il vient ni où il va.» Quant à la mission visible du -Saint-Esprit, elle s’est manifestée par cinq signes: 1º sous la forme -d’une colombe au baptême du Christ (saint Luc, III); 2º sous la forme -d’un nuage lumineux, à la transfiguration du Christ (saint Matthieu, -XVI); 3º sous la forme d’un souffle (saint Jean, XX); 4º sous la forme -d’un feu, et 5º sous la forme d’une langue: ces deux dernières -manifestations ont eu lieu en ce jour de la Pentecôte. - -3º L’Esprit-Saint a été envoyé aux apôtres le cinquantième jour après la -Pâque. - -4º L’Esprit-Saint a été envoyé aux apôtres trois fois, d’après la -_Glosse_: avant la passion, après la résurrection et après l’ascension. -La première fois, il a été envoyé aux apôtres pour leur permettre de -faire des miracles (saint Matthieu, XII). D’où l’on ne doit point -conclure que quiconque possède l’Esprit-Saint puisse faire des miracles: -car, comme le dit saint Grégoire: «Les miracles ne font pas le saint, -mais ne sont que son signe»; et, d’autre part, on peut faire des -miracles sans avoir l’Esprit-Saint, puisque les méchants eux-mêmes ont -pu se vanter de faire des miracles. La seconde fois, l’Esprit-Saint a -été envoyé aux apôtres pour leur permettre de pardonner les péchés; car -Jésus leur a dit: «Recevez l’Esprit-Saint et ceux à qui vous remettrez -leurs péchés, etc.» Et nous devons noter, à ce propos, que personne ne -peut remettre les péchés, quant à la tache qui est dans l’âme, ni quant -à l’offense commise envers Dieu. Quand on dit qu’un prêtre absout, cela -signifie seulement qu’il annonce au pécheur que Dieu l’a absous, ou bien -qu’il change la peine du purgatoire en une peine temporelle, ou bien -encore qu’il relâche une partie de cette peine temporelle. Enfin, la -troisième fois, en ce jour de la Pentecôte, l’Esprit-Saint a été envoyé -aux apôtres pour fortifier leurs cœurs, et pour leur donner le courage -d’affronter toutes les persécutions. - -5º L’Esprit-Saint a été envoyé aux disciples, qui étaient prêts à le -recevoir, en raison de sept qualités qui étaient en eux: car ils étaient -tranquilles, unis par l’amour, recueillis, persévérants dans la prière, -humbles, pacifiques et élevés dans la contemplation. - -6º L’Esprit-Saint a été envoyé sur terre pour six motifs: 1º pour -consoler les affligés; 2º pour vivifier les morts; 3º pour sanctifier et -pour purifier; 4º pour consolider l’amour au milieu des discordes; 5º -pour sauver les justes; 6º enfin pour instruire les ignorants, car le -Christ a dit: «Mon Esprit vous apprendra tout.» - - - - -LXXV - -SAINT URBAIN, PAPE ET MARTYR - -(25 mai) - - -Urbain succéda au pape Calixte; et, sous son pontificat, se produisit -une grande persécution des chrétiens. Mais enfin l’empire échut à -Alexandre dont la mère Ammée avait été convertie au christianisme par -Origène. Cette sainte femme obtint de son fils, à force de prières, -qu’il renonçât à persécuter les chrétiens. - -Cependant, le préfet Almaque, qui avait décapité sainte Cécile, -continuait à sévir cruellement contre les chrétiens. Il fit rechercher -soigneusement saint Urbain, le découvrit--sur la dénonciation d’un -certain Carpasius--dans une grotte où il était caché avec trois prêtres -et trois diacres, et les fit jeter en prison. Il le manda ensuite en sa -présence, lui reprocha d’avoir corrompu cinq mille personnes, parmi -lesquelles la sacrilège Cécile et deux hommes illustres, Tiburce et -Valérien. Après quoi il le somma d’avoir à lui restituer le trésor de -Cécile. Mais Urbain: «A ce que je vois, ta cruauté à l’égard des saints -s’inspire davantage de ta cupidité que de ta dévotion à tes dieux. Sache -donc que le trésor de sainte Cécile est monté au ciel par les mains des -pauvres!» Le préfet fit alors battre Urbain et ses compagnons avec des -verges plombées. Et comme le pontife invoquait le Seigneur sous son nom -d’Elyon, il s’écria en souriant: «Ce vieillard veut paraître savant, et -voilà pourquoi il emploie des mots que nous ignorons!» Mais comme les -martyrs restaient fermes dans leur foi, ils furent reconduits dans la -prison, où Urbain baptisa le geôlier Anolinus et trois tribuns que le -préfet lui avait envoyés. Ce qu’apprenant, celui-ci fit trancher la tête -à Anolinus, puis ordonna à Urbain et à ses compagnons de répandre de -l’encens devant une idole; mais, sur la prière d’Urbain, l’idole -s’abattit de son piédestal et tua les vingt-deux prêtres qui lui -rendaient hommage. De nouveau roués de coups, les chrétiens furent de -nouveau sommés de sacrifier devant une idole; mais ils crachèrent sur -l’idole, firent le signe de la croix, et, s’étant donné réciproquement -le baiser de paix, se laissèrent mettre à mort, sous le règne de -l’empereur Alexandre. - -Aussitôt l’homme qui les avait dénoncés, Carpasius, fut saisi du démon, -et, avant de mourir étouffé, se mit à blasphémer ses dieux et à faire -malgré lui l’éloge des chrétiens; sur quoi sa femme, Arménie, sa fille -Lucine, et toute sa famille reçurent le baptême des mains du saint -prêtre Fortunat, et ensevelirent pieusement les corps des martyrs. - - - - -LXXVI - -SAINTE PÉTRONILLE, VIERGE - -(31 mai) - - -Pétronille, dont la vie nous a été racontée par saint Marcel, était la -fille de l’apôtre saint Pierre; et celui-ci, la voyant trop belle, -obtint de Dieu qu’elle souffrît de la fièvre. Or un jour, comme ses -disciples étaient auprès de lui, Tite lui dit: «Toi qui guéris tous les -malades, pourquoi ne fais-tu pas que Pétronille se lève de son lit?» Et -Pierre lui répondit: «Parce que cela me convient ainsi!» Ce qui ne -signifie nullement, d’ailleurs, qu’il n’ait pas eu le moyen de la -guérir; car, aussitôt, il lui dit: «Lève-toi, Pétronille, et viens vite -nous servir!» La jeune fille, guérie, se leva et vint les servir. Mais, -quand elle eut fini, son père lui dit: «Pétronille, retourne dans ton -lit!» Elle y retourna, et fut tout de suite reprise de sa fièvre. Et -plus tard, lorsqu’elle commença à être parfaite dans l’amour de Dieu, -son père lui rendit la parfaite santé. - -Alors un seigneur, nommé Flaccus, frappé de sa beauté, vint la demander -en mariage. Et elle répondit: «Si tu veux m’épouser, envoie-moi des -jeunes filles qui me conduisent jusque dans ta maison!» Mais quand elles -furent arrivées, Pétronille se mit à jeûner et à prier, communia, se -coucha dans son lit, et, après trois jours, rendit son âme à Dieu. - -Alors Flaccus, se voyant déçu, s’adressa à une compagne de Pétronille -appelée Félicula, la sommant de se marier avec lui ou de se sacrifier -aux idoles. La jeune fille s’étant refusée à faire aucune de ces deux -choses, Flaccus la jeta en prison, où elle resta sept jours sans manger -ni boire; puis il ordonna qu’elle fût torturée sur un chevalet et que -son corps fût jeté à la voirie. Saint Nicodème en retira ses restes et -les ensevelit: ce qui lui valut à son tour d’être emprisonné, frappé de -lanières plombées, et jeté dans le Tibre, d’où le clerc Juste retira ses -restes pour les ensevelir honorablement. - - - - -LXXVII - -SAINT PIERRE L’EXORCISTE, MARTYR - -(2 juin) - - -Pierre l’exorciste avait été mis en prison par un préfet qui persécutait -les chrétiens. Or la fille du geôlier de la prison, nommé Archémius, -était possédée d’un démon qui la faisait beaucoup souffrir. Et un jour -que son père s’en plaignait devant son prisonnier, celui-ci lui dit que, -s’il voulait croire au Christ, sa fille recouvrerait aussitôt la santé. -Archémius lui répondit: «Je me demande comment ton maître pourrait -guérir ma fille, tandis qu’il n’a pas même le pouvoir de te délivrer, -toi qui souffres tant pour lui!» Et Pierre: «Mon Dieu a bien le pouvoir -de me délivrer, mais il veut que, par des souffrances passagères, nous -parvenions à une gloire éternelle.» Et Archémius: «Hé bien, je vais te -mettre une double chaîne: et si ton Dieu te délivre, et s’il guérit ma -fille, je croirai au Christ!» Or, cette même nuit, Pierre, délivré de sa -double chaîne, tout vêtu de blanc, et tenant en main une croix, apparut -devant Archémius, qui se prosterna à ses pieds. Puis, trouvant sa fille -guérie, le geôlier reçut le baptême avec toute sa maison; et plusieurs -des prisonniers, s’étant convertis, furent baptisés par le prêtre -Marcellin. Ce qu’apprenant, le préfet se fit amener tous ces -prisonniers. Et Archémius, tout en les convoquant et en leur baisant les -mains, leur dit que ceux qui redouteraient d’aller au martyre pouvaient -s’enfuir impunément. - -Cependant le préfet, apprenant que Marcellin et Pierre avaient baptisé -leurs compagnons, les fit mettre tous deux dans des cachots séparés. -Marcellin, dépouillé de ses vêtements, dut s’étendre sur du verre brisé, -avec privation de manger et de boire; Pierre fut enfermé au haut d’une -tour, dans une cellule sans air et sans lumière, où il fut également -condamné à mourir de faim. Mais un ange vint les délivrer l’un et -l’autre et les reconduisit auprès d’Archémius, leur enjoignant de se -présenter devant le préfet sept jours plus tard, après avoir, pendant -ces sept jours, réconforté leurs frères prisonniers. Or le préfet, ne -les trouvant plus dans leurs cachots, manda Archémius, et, sur son refus -de sacrifier aux idoles, ordonna qu’il fût enterré vif avec sa femme. Et -les deux saints, à cette nouvelle, sortirent de leur cachette, -rejoignirent Archémius dans son cachot, où saint Marcellin célébra la -messe, et dirent ensuite aux incrédules: «Voyez, nous aurions pu -délivrer Archémius et rester cachés; mais nous n’avons voulu faire ni -l’un ni l’autre!» Alors les païens, irrités, tuèrent Archémius à coups -d’épée et lapidèrent sa femme et sa fille. Quant à Marcellin et à -Pierre, ils eurent la tête tranchée, à l’entrée d’une forêt qui -aujourd’hui encore porte le nom de «blanche», en commémoration de leur -martyre. Un certain Dorothée vit leurs deux âmes, toutes couvertes de -soie éclatante et de pierreries, être emportées au ciel par des anges: -sur quoi lui-même devint chrétien, et plus tard mourut dans le Seigneur. -Le martyre des saints Pierre et Marcellin eut lieu sous le règne de -l’empereur Dioclétien. - - - - -LXXVIII - -SAINTE SOPHIE ET SES TROIS FILLES - -MARTYRES[9] - -(4 juin) - - [9] Ce chapitre manque dans plusieurs manuscrits, et pourrait bien - être une interpolation. - - -Nous allons raconter le martyre de Sophie et de ses trois filles, Foi, -Espérance et Charité. C’est à sainte Sophie qu’est consacrée la -cathédrale de Constantinople. - -Cette sainte avait élevé ses filles sagement dans la crainte de Dieu. La -première de ses filles avait onze ans, la seconde dix, et la troisième -huit. Etant venue à Rome avec elles, et visitant les églises tous les -dimanches, elle fut dénoncée à l’empereur Adrien, qui fut si frappé de -la beauté des trois vierges qu’il offrit de les adopter comme ses -propres filles. Mais les trois vierges refusent l’offre et se proclament -chrétiennes. Alors Foi est rouée de coups par trente-six soldats. En -second lieu, on lui arrache les mamelles, et des mamelles jaillit du -sang, et du lait des blessures. Les spectateurs acclament la jeune -fille, et celle-ci, toute joyeuse, insulte son persécuteur. En troisième -lieu, elle est mise sur un gril ardent, en quatrième lieu plongée dans -un mélange d’huile bouillante et de cire. Et comme tout cela ne lui fait -aucun mal, en cinquième lieu on lui tranche la tête. Vient ensuite le -tour de sa sœur Espérance; mais elle, non plus, ne consent pas à -sacrifier aux idoles. On la plonge dans un chaudron plein de graisse, de -cire et de résine. Des gouttes tombant de ce chaudron brûlent les -infidèles, mais la jeune fille ne souffre aucun mal. Enfin, on lui -tranche la tête. La troisième fille, encore tout enfant, refuse à son -tour de flatter Adrien et de lui obéir. Le cruel empereur lui fait -rompre les membres; il la fait fouetter; il la fait jeter dans un four -enflammé d’où sortent des étincelles qui tuent six mille païens; mais la -petite ne souffre aucun mal, et se promène parmi les flammes comme -rayonnante d’or. On la perce alors de pointes de fer rouge, et on finit -par lui trancher la tête: ainsi elle recueille la couronne du martyre. - -La sainte mère ensevelit pieusement les restes de ses filles, puis, se -couchant sur leur tombeau, elle dit: «Filles chéries, prenez-moi près de -vous!» Et aussitôt elle s’endormit en paix, et fut ensevelie avec ses -filles. Et on doit la considérer comme triplement martyre, car elle a -souffert de tous les supplices infligés à ses trois filles. Quant à -l’empereur Adrien, il pourrit vivant et finit par crever, en avouant -qu’il avait injustement torturé des saintes de Dieu. - - - - -LXXIX - -SAINTS PRIME ET FÉLICIEN, MARTYRS - -(9 juin) - - -Prime et Félicien furent dénoncés à Dioclétien par les prêtres des -temples, qui affirmaient ne rien pouvoir obtenir de leurs dieux aussi -longtemps que ces deux hommes refuseraient de sacrifier. Tous deux -furent alors jetés en prison, mais un ange vint les délivrer. Ramenés -devant l’empereur, et comme ils persistaient dans leur foi, ils furent -cruellement frappés de lanières. Après quoi le préfet dit à Félicien, -qui était un vieillard, d’avoir égard pour son âge et de sacrifier aux -dieux. Mais Félicien: «Sur les quatre-vingts ans que j’ai vécus, en -voici trente déjà que j’ai reconnu la vérité, et choisi de vivre pour -mon Dieu, qui peut me délivrer de tes mains!» Alors le préfet le fit -ligoter, lui fit enfoncer des clous dans les mains et les pieds, et lui -dit: «Tu resteras ainsi jusqu’à ce que tu aies cédé!» Et comme le saint -gardait un visage joyeux, il le fit de nouveau torturer et lui refusa -toute nourriture. Puis, appelant devant lui saint Prime, qu’il avait -séparé de son compagnon, il lui dit: «Ecoute, ton frère Félicien s’est -soumis au décret de l’empereur, et il est maintenant en grand honneur au -palais. Imite donc son exemple!» Mais Prime: «Bien que tu sois fils du -diable, tu as dit vrai en partie, lorsque tu as affirmé que mon frère -s’était soumis à la volonté de l’empereur suprême, qui est Dieu!» Le -préfet, furieux, lui fit brûler les côtes, et lui fit verser dans la -bouche du plomb bouillant, tout cela en présence de Félicien qu’il -espérait effrayer: mais Prime avala le plomb avec délice, comme de l’eau -fraîche. Alors le préfet fit lancer sur eux deux lions; mais ceux-ci -s’étendirent aussitôt à leurs pieds et restèrent là comme de doux -agneaux. Des ours, qui furent ensuite lâchés contre les saints, se -comportèrent de la même façon. Et à ce spectacle assistaient plus de -douze mille personnes, dont cinq cents se convertirent au Seigneur. -Enfin le préfet fit trancher la tête aux deux saints, et ordonna que -leurs corps fussent jetés en pâture aux chiens et aux oiseaux. Mais -ceux-ci n’osèrent y toucher, et les deux corps, recueillis par les -chrétiens, furent pieusement ensevelis. - - - - -LXXX - -SAINT BARNABÉ, APÔTRE - -(11 juin) - - -Le lévite Barnabé, originaire de Chypre, était un des soixante-deux -disciples du Seigneur. On trouve son nom très souvent cité dans les -_Actes des Apôtres_, qui nous racontent ses voyages avec saint Paul, ses -prédications et ses miracles. Le même livre nous apprend encore comment -Barnabé s’est séparé de saint Paul. Un de leurs disciples, Jean, -surnommé Marc, les avait quittés. Lorsqu’il revint, plein de repentir, -Barnabé lui pardonna et consentit à le reprendre pour disciple, tandis -que Paul, au contraire, s’y refusa. En quoi tous deux agirent par -intention pieuse: car Barnabé pardonna par charité chrétienne, et -l’inflexibilité de Paul lui fut commandée par la rigueur de sa justice. -Et, d’ailleurs, cette séparation des deux saints fut sans doute inspirée -d’en haut, afin que, s’étant séparés, ils pussent prêcher à un plus -grand nombre de gens. Comme Barnabé se trouvait dans la ville d’Icone, -le susdit Jean, son compagnon, vit apparaître un homme au visage -resplendissant, qui lui dit: «Jean, sois ferme dans ta foi, car bientôt -tu ne t’appelleras plus Jean, mais Sublime!» Le disciple rapporta cette -vision à son maître qui lui dit: «Ne révèle à personne ce que tu viens -de voir, car, à moi aussi, le Seigneur est apparu cette nuit, m’a -ordonné d’être ferme, et m’a promis que bientôt je recueillerais les -récompenses éternelles!» Et, la même nuit encore, saint Paul, qui -prêchait également à Antioche, vit en rêve un ange qui lui dit: -«Hâte-toi de te rendre à Jérusalem!» Et comme Barnabé voulait se rendre -dans l’île de Chypre, pour revoir encore ses parents, et que Paul se -préparait au voyage de Jérusalem, l’Esprit-Saint fit qu’ils purent se -dire adieu de la façon suivante. Paul ayant répété à Barnabé ce que lui -avait dit l’ange, Barnabé répondit: «Que la volonté de Dieu soit faite! -Quant à moi, je vais en Chypre pour y finir ma vie: de telle sorte que -je ne te reverrai plus!» Puis il se jeta en pleurant aux pieds de saint -Paul; et celui-ci, plein de compassion, lui dit: Ne pleure pas, car -c’est aussi la volonté de Dieu que tu ailles en Chypre. L’ange, en -effet, m’a dit cette nuit de ne point m’opposer à ton départ, attendu -qu’en Chypre tu opérerais de nombreux miracles, et recevrais la couronne -du martyre.» - -Barnabé se rendit donc en Chypre avec Jean. Il avait emporté avec lui -l’Evangile de saint Matthieu: et, en posant cet évangile sur la tête des -malades, il en guérissait un grand nombre, avec l’aide de Dieu. Comme -ils sortaient de Chypre, ils rencontrèrent le mage Elymas, que saint -Paul avait privé, pour un temps, de l’usage de ses yeux. Cet homme barra -le passage aux deux chrétiens, et les empêcha d’entrer à Paphos. Mais un -jour, devant les murs de cette ville, Barnabé vit une foule d’hommes et -de femmes qui célébraient une fête, en courant tout nus. Il en fut si -indigné qu’il maudit le temple de ces païens; et aussitôt ce temple -s’écroula, écrasant dans sa chute bon nombre de païens. - -Enfin, Barnabé se rendit à Salamine, où le susdit Elymas souleva une -sédition contre lui. Les Juifs de la ville s’emparèrent du saint, -l’accablèrent d’injures, et le livrèrent au juge, en réclamant qu’il fût -châtié. Quelque temps après, on apprit la prochaine arrivée à Salamine -d’un certain Eusèbe, homme très influent, de la famille de Néron. Alors -les Juifs, craignant que ce haut fonctionnaire n’arrachât de leurs mains -Barnabé pour lui rendre la liberté, s’empressèrent de lui passer une -corde au cou, de le traîner ainsi hors de la ville, et là, aussitôt, de -le brûler vif. Puis ces impies, ne se trouvant pas encore rassasiés, -enfermèrent les os du saint dans un vase de plomb, qu’ils résolurent de -lancer à la mer. Mais Jean, son compagnon, s’étant levé de nuit, avec -deux autres de ses disciples, s’emparèrent de ses reliques, et les -ensevelirent secrètement dans une crypte, où elles demeurèrent ignorées -jusque vers l’an 500, sous le règne de Zénon et le pontificat de Gélase. -A cette date, elles révélèrent elles-mêmes leur présence, et furent -ainsi découvertes. Ajoutons que saint Dorothée affirme que saint -Barnabé, avant de venir à Antioche, a prêché à Rome et a été élu évêque -de Milan. - - - - -LXXXI - -SAINT BASILE, ÉVÊQUE ET DOCTEUR - -(14 juin) - - -I. Saint Basile, dont la vie a été écrite par Amphiloque, évêque -d’Icone, était un évêque vénérable et un éminent docteur; et à quel -degré de sainteté il s’était élevé, c’est ce que put apprendre, dans une -vision, certain ermite nommé Ephrem. Cet Ephrem, étant en extase, vit -une colonne de feu dont le sommet touchait au ciel, et il entendit une -voix qui disait, d’en haut: «Basile est grand comme cette colonne!» -L’ermite se rendit donc à la ville, le jour de l’Epiphanie, désireux de -connaître un si grand homme. Mais, en voyant l’évêque revêtu de l’étole -blanche et occupé à officier au milieu de la troupe de son clergé, il se -dit: «Sans doute je me serai dérangé en vain; car, pour vivre entouré de -tels honneurs, cet homme n’est certainement pas le saint que je pensais. -Je ne puis croire qu’un homme qui vit entouré de tels honneurs soit -regardé au ciel comme une colonne de feu, de préférence à nous, qui -portons le poids des saisons dans nos ermitages!» Mais Basile, devinant -sa pensée, le fit venir en sa présence; et Ephrem vit alors qu’une -langue de feu était dans sa bouche, et il lui dit: «Oui, Basile, tu es -vraiment grand, oui, Basile, tu es vraiment une colonne de feu, et c’est -vraiment l’Esprit-Saint qui parle par ta bouche!» Et il dit encore à -l’évêque: «Je t’en prie, saint père, obtiens pour moi que je parle -grec!» Et Basile: «Quelle étrange chose tu souhaites là!» Mais il pria -pour lui, et aussitôt Ephrem sut parler la langue grecque. - -II. Un autre ermite, voyant Basile officier dans son église en habit -pontifical, le méprisa, car il s’imaginait que cette pompe plaisait à -l’évêque. Mais voici qu’il entendit une voix qui lui disait: «Tu prends -plus de plaisir à caresser le dos de ta chatte, dans ton ermitage, que -Basile n’en prend à vivre dans l’appareil de sa dignité!» - -III. L’empereur Valens, qui favorisait les ariens, leur donna une église -qu’il enleva aux catholiques. Alors Basile vint le trouver et lui dit: -«Sire, il est écrit que l’honneur du roi aime la justice. Pourquoi donc -as-tu consenti à ce que les catholiques fussent dépouillés de leur -église au profit des ariens?» Et l’empereur: «Voici de nouveau que tu -viens m’injurier, Basile! cela n’est pas digne de toi!» Mais Basile: «Il -est digne de moi de mourir même, au besoin, pour la justice!» Alors -Démosthène, préfet de la table impériale et partisan des ariens, se mit -à l’invectiver. Et Basile lui dit: «Mon ami, ton affaire est de faire -cuire les poulets de l’empereur, et non pas de faire cuire les dogmes -divins!» Sur quoi le garde-bouche se tut, plein de confusion. Et -l’empereur dit: «Basile, va et sois arbitre entre les deux partis, mais -ne te laisse pas entraîner par ton amour excessif du peuple!» Alors -Basile se rendit à l’endroit où catholiques et ariens étaient -rassemblés, fit fermer les portes de l’église, et ordonna à chacun des -deux partis de les sceller de son sceau, ajoutant que l’église devrait -appartenir au parti qui, par ses prières, parviendrait à l’ouvrir. Sur -quoi, tous s’étant mis d’accord, les ariens prièrent durant trois jours -et trois nuits, et vinrent ensuite voir les portes de l’église; mais -celles-ci restaient fermées. Alors Basile conduisit son clergé en -procession jusqu’à l’église; et là, après avoir prié, du bout de son -bâton pastoral il toucha les portes, en leur enjoignant de s’ouvrir. Et -aussitôt les portes s’ouvrirent; et l’église fut restituée aux -catholiques. - -IV. L’_Histoire tripartite_ raconte que l’empereur promit de grandes -récompenses à Basile s’il voulait se convertir à l’arianisme. Mais -l’évêque: «Seul un enfant pourrait se rendre à de telles raisons; car, -pour peu qu’on ait pratiqué les sciences divines, on sait que les dogmes -de la foi ne souffrent pas qu’on altère la moindre de leurs syllabes!» -Alors l’empereur voulut écrire la sentence d’exil de l’évêque; mais, à -trois reprises, la plume se brisa entre ses doigts; et, à la troisième -reprise, sa main fut saisie d’un grand tremblement; et l’empereur, -honteux de lui-même, renonça à son projet. - -V. Un saint homme nommé Héradius avait une fille unique, qu’il voulait -consacrer au Seigneur. Mais le diable, dans sa haine du genre humain, -enflamma d’un grand amour pour la jeune fille un des esclaves du susdit -Héradius. Et l’esclave, voyant que c’était chose impossible pour lui -d’être admis à partager la couche d’une si noble jeune fille, vint -trouver un sorcier et lui promit beaucoup d’argent s’il voulait l’aider. -Et le sorcier lui dit: «Je ne puis rien pour toi; mais, si tu veux, je -t’enverrai vers le diable, mon maître; et si tu fais ce qu’il te dira, -tu obtiendras ton désir.» Et le jeune homme dit: «Je suis prêt à tout -pour avoir cette jeune fille!» Alors le sorcier l’envoya vers le diable -avec une lettre, en lui disant: «Rends-toi, à l’heure de minuit, sur le -tombeau d’un païen, et, là, invoque les démons en élevant en l’air la -lettre que voici!» Le jeune homme fit tout cela, et bientôt il vit -apparaître le prince des ténèbres, entouré d’une foule de démons; et -Satan, ayant lu la lettre, lui dit: «Crois-tu en moi, toi qui veux que -j’accomplisse ta volonté?» L’esclave répondit: «Seigneur, je crois en -toi!» Et le diable: «Et renies-tu ton ancien maître le Christ?» Et -l’esclave: «Je le renie!» Mais le diable lui dit: «C’est que vous -autres, les chrétiens, vous êtes des perfides! Quand vous avez besoin de -moi, vous venez à moi; et, quand ensuite vous avez obtenu ce que vous -désiriez, aussitôt vous me reniez de nouveau pour vous retourner vers -votre Christ, qui, avec son indulgence ordinaire, ne manque jamais à -vous accueillir. Mais toi, si tu veux que j’accomplisse ton désir, tu -auras à m’écrire de ta propre main un papier où tu reconnaîtras que tu -renonces au Christ, au baptême, et à la foi chrétienne, pour devenir mon -serviteur.» L’esclave écrivit aussitôt le papier et le donna au diable. -Alors celui-ci manda devant lui ceux de ses démons qui étaient préposés -à la luxure: il leur ordonna de s’approcher de la fille d’Héradius et de -lui inspirer l’amour du jeune esclave. Et les démons y réussirent si -bien que la jeune fille, se roulant à terre, suppliait son père d’une -voix lamentable: «Aie pitié de moi, père, aie pitié de moi, car je -souffre cruellement à cause de l’amour que j’éprouve pour un de nos -esclaves! Montre-moi ta tendresse paternelle, et permets-moi de m’unir à -ce jeune homme, que j’aime! Et, si tu t’y refuses, bientôt tu me verras -mourir, et tu en seras responsable au jour du jugement!» Le père était -désolé. Il disait: «Malheureux que je suis! Qu’est-il arrivé à ma pauvre -fille? Qui m’a dérobé mon trésor? Qui a éteint la douce lumière de mes -yeux? Ma fille, je voulais te donner pour femme à l’époux céleste, et -j’espérais avoir ainsi mon salut grâce à toi! Et toi, voici que la -luxure amoureuse t’a rendue folle! Permets-moi, ma chère fille, de -t’unir au Seigneur suivant mon projet!» Mais la jeune fille continuait à -crier que, si son père n’accomplissait pas son désir, elle mourrait de -chagrin. Et elle pleurait amèrement, et délirait, de telle sorte que son -père, désespéré, sur le conseil de ses amis, céda à son désir et la -maria avec l’esclave, après lui avoir légué tous ses biens. Mais bientôt -des voisins dirent à la jeune femme que son mari n’entrait jamais à -l’église, ne faisait jamais le signe de la croix, ne priait jamais, et, -sans doute, n’était pas chrétien. La jeune femme, entendant cela, fut -épouvantée. Elle rapporta la chose à son mari; et, comme celui-ci -affectait de ne point prendre au sérieux ces accusations, elle lui dit: -«Si tu veux que je te croie, tu entreras demain à l’église avec moi!» -Alors le mari, ne pouvant pas dissimuler davantage, lui raconta toute -son aventure, dont elle fut bouleversée; et, tout en larmes, elle courut -raconter à saint Basile ce qui était arrivé à son mari et à elle. - -Alors le saint fit venir le mari, lui fit tout avouer, et lui dit: «Cher -fils, veux-tu revenir à Dieu?» Et le jeune homme: «Ah! mon père, je le -voudrais de tout mon cœur, mais je ne le puis, car je me suis livré au -diable, et ai renié le Christ, et ai donné au diable un papier où j’ai -écrit mon reniement, de ma propre main!» Et Basile: «Ne t’en fais point -de souci! Jésus est bon: il t’admettra à faire pénitence!» Puis, -s’approchant du jeune homme, il lui fit au front le signe de la croix, -et l’enferma dans une cellule, où il revint le voir trois jours après. -Et il lui demanda comment il se trouvait. Et le jeune homme: «Seigneur, -je suis bien en peine, car les diables, tenant en main mon papier, -m’invectivent jour et nuit en me disant: C’est toi qui es venu nous -trouver, et non pas nous qui sommes allés te chercher!» Alors saint -Basile lui dit: «Mon fils, ne crains rien, mais aie seulement la foi!» -Puis il lui donna un peu de nourriture, fit de nouveau sur lui le signe -de la croix, l’enferma de nouveau, et pria pour lui. Revenant le voir, -quelques jours après, il lui demanda comment il se trouvait. Le jeune -homme répondit: «Mon père, j’entends toujours leurs cris et leurs -reproches, mais du moins je ne les vois plus!» Et de nouveau l’évêque -lui donna de la nourriture, fit sur lui le signe de la croix, l’enferma, -et pria pour lui. Le quarantième jour, il lui demanda une troisième fois -comment il se trouvait. Et le jeune homme: «Je me trouve très bien, mon -saint père, car aujourd’hui je t’ai vu, en rêve, combattant pour moi et -vainquant le diable!» - -Alors Basile le fit sortir de sa cellule, le recommanda aux prières de -son clergé, des moines et du peuple; puis, le prenant par la main, il le -conduisit vers l’église. Or le diable, avec la troupe des démons, -accourut, et, tout en restant invisibles, ils saisirent le jeune homme -et s’efforcèrent de l’arracher des mains de l’évêque. Et Satan, toujours -invisible, disait, d’une voix si haute que chacun pouvait l’entendre: -«Basile, tu me fais tort! Cet homme m’appartient! Et ce n’est pas moi -qui suis allé le chercher: il est venu à moi de son plein gré, s’est -offert à moi et a renié le Christ. J’ai là, dans ma main, l’écrit qu’il -m’a signé!» Mais Basile lui répondit: «Nous ne cesserons pas de prier, -jusqu’à ce que tu nous aies rendu cet écrit!» Et comme Basile priait, -les mains levées au ciel, voici qu’une feuille de papier, traversant les -airs, tomba dans ses mains au vu de tous. Et Basile la montra au jeune -homme, en lui disant: «Frère, reconnais-tu cette écriture?» Et le jeune -homme: «Certes, car elle vient de ma propre main!» Alors Basile, après -avoir déchiré le papier, fit entrer le jeune homme dans l’église, -l’initia aux saints mystères, lui imposa une règle de vie, et le rendit -à sa femme. - -VI. Certaine femme qui avait sur la conscience beaucoup de péchés, en -avait écrit la liste; et comme, un jour, elle avait commis un péché plus -grave que tous les autres, elle l’inscrivit aussi dans sa liste; après -quoi elle remit sa liste à saint Basile en lui demandant de prier pour -que ses péchés lui fussent remis. Le saint pria, et la femme, rouvrant -le papier, vit que tous ses péchés étaient effacés de la liste, à -l’exception du plus grave d’entre eux. Elle dit alors au saint: «Aie -pitié de moi, et obtiens la miséricorde de Dieu pour ce péché-là, comme -tu l’as obtenue pour tous les autres!» Et Basile lui dit: «Hélas, ma -sœur, je ne suis qu’un pécheur comme toi, et j’ai moi-même besoin -d’indulgence, au moins autant que toi!» Mais comme la femme insistait, -il lui dit: «Va trouver le saint ermite Ephrem! Celui-là, sans doute, -pourra obtenir ce que tu demandes.» Et la femme alla à l’ermite Ephrem, -et lui dit pourquoi Basile l’envoyait à lui. Mais l’ermite répondit: -«Hélas, ma fille, je ne suis qu’un pauvre pécheur! Retourne vers Basile! -Il a déjà obtenu pour toi le pardon de tes autres péchés: il obtiendra -bien encore le pardon de celui-là! Mais hâte-toi, si tu veux le trouver -en vie!» Et, au moment où la femme rentrait en ville, voici qu’on -portait au cimetière le corps du saint. Alors la femme s’écria: «Que -Dieu nous voie et qu’il juge entre moi et toi, car tu m’as envoyée vers -un homme qui ne pouvait rien pour moi, tandis que tu avais toi-même le -pouvoir de me gagner le pardon du ciel!» Alors elle jeta sur le cercueil -le papier où était écrit son péché; et quand on reprit le papier, on vit -que le dernier péché avait été effacé, comme tous les autres. - -VII. Au moment où il sentait qu’il allait mourir, saint Basile appela -près de lui un savant médecin juif nommé Joseph, qu’il aimait beaucoup, -et qu’il aurait voulu convertir à la foi du Christ. Et Joseph, lui ayant -tâté le pouls, reconnut que l’heure de mourir était venue pour lui. Il -dit donc aux serviteurs de l’évêque: «Préparez ce qui est nécessaire à -sa sépulture, car il va mourir d’un instant à l’autre!» Mais Basile, -l’ayant entendu, lui dit: «Tu ne sais pas ce que tu dis!» Et Joseph: -«Seigneur, je ne me trompe pas! Bientôt le soleil va se coucher, et toi -aussi tu t’éteindras avec le soleil.» Alors Basile: «Et que diras-tu si -je ne meurs pas aujourd’hui?» Et Joseph: «Seigneur, c’est impossible!» -Et Basile: «Mais si cependant, je survis jusqu’à la sixième heure de -demain, que feras-tu?» Et Joseph: «Si tu survis jusqu’à cette heure-là, -je consens moi-même à mourir!» Et Basile: «Consens seulement à mourir au -péché, pour vivre dans le Christ!» Et Joseph: «Seigneur, je comprends ce -que tu veux dire: et si tu survis jusqu’à la sixième heure de demain, je -ferai ce que tu m’engages à faire!» Alors saint Basile, qui, suivant la -nature, devait mourir en ce jour, obtint de Dieu que la mort l’épargnât -jusqu’au lendemain. Et Joseph, voyant qu’il ne mourait pas, en fut -émerveillé, et crut au Christ. Sur quoi Basile, trouvant dans son âme la -force de vaincre la faiblesse de son corps, se leva de son lit, entra -dans l’église, et baptisa Joseph de sa propre main; puis il revint -s’étendre sur son lit, et aussitôt rendit doucement son âme à Dieu. Ce -grand saint florissait vers l’an du Seigneur 370. - - - - -LXXXII - -SAINTS VIT ET MODESTE, MARTYRS - -(15 juin) - - -Vit, enfant admirable, n’avait que douze ans lorsqu’il souffrit le -martyre, en Sicile. Déjà dans sa maison son père avait coutume de le -battre, parce qu’il méprisait les idoles et se refusait à les adorer: ce -qu’apprenant, le préfet Valérien manda l’enfant devant lui, et, sur son -refus de sacrifier, le fit frapper de verges. Mais aussitôt les bras de -ceux qui frappaient, et la main même du préfet, séchèrent. Et le préfet -de crier: «Malheur à moi, j’ai perdu la main droite!» Alors Vit lui dit: -«Appelle tes dieux, et qu’ils te guérissent s’ils le peuvent!» Et le -préfet: «Prétends-tu que tu aurais le pouvoir de me guérir?» Et Vit: -«Oui, j’ai ce pouvoir au nom du Seigneur!» Et aussitôt, sur la prière de -l’enfant, le préfet et les bourreaux recouvrèrent l’usage de leurs bras. -Sur quoi le préfet dit au père de Vit: «Emmène ton fils, de crainte -qu’il ne lui arrive malheur!» - -Alors son père, l’ayant ramené dans sa maison, essaya de le corrompre -par de belles musiques, et des jeux de jeunes filles, et d’autres -délices. Mais, un jour qu’il l’avait enfermé dans sa chambre, une odeur -merveilleuse sortit de cette chambre et parvint jusqu’à lui: sur quoi, -regardant par la porte de la chambre, il aperçut sept anges debout -auprès de son fils. Il s’écria: «Les dieux sont venus dans ma maison!» -Et aussitôt il devint aveugle. - -A ses cris, toute la ville accourut et notamment Valérien, qui lui -demanda ce qui lui était arrivé. Et lui: «J’ai vu des dieux de feu, et -je n’ai pu supporter leur vue!» Conduit au temple de Jupiter, il promit, -si ses yeux se rouvraient, d’offrir un taureau avec des cornes dorées. -Puis, comme cette promesse restait sans effet, il implora son fils de -lui rendre la vue, et, sur la prière de l’enfant, ses yeux se -rouvrirent. - -Mais comme ce miracle même ne parvenait pas à le convaincre, et qu’il -songeait au contraire à tuer son fils, un ange apparut à Modeste, -professeur de l’enfant, et lui ordonna, de faire monter celui-ci dans -une barque pour le conduire vers une autre terre. En mer, un aigle -venait leur apporter leur nourriture; et nombreux furent les miracles -qu’ils accomplirent, dans les diverses régions où ils abordèrent. - -Or le fils de l’empereur Dioclétien fut possédé d’un démon qui déclara -qu’il ne sortirait point si l’on ne faisait venir Vit le Lucanien. On se -mit donc à chercher Vit; et, quand il fut découvert, Dioclétien lui dit: -«Enfant, as-tu vraiment le pouvoir de guérir mon enfant?» Et Vit: «Je -n’ai pas ce pouvoir, mais mon Maître l’a!» Et il imposa les mains sur -l’enfant possédé, et aussitôt le démon s’enfuit. Alors Dioclétien lui -dit: «Enfant, aie pitié de toi-même et sacrifie aux dieux, pour échapper -à une mort terrible!» Vit, s’y étant refusé, fut jeté en prison avec -Modeste. Mais soudain leurs chaînes tombèrent, et leur cachot s’emplit -d’une lumière éblouissante. Ce qu’apprenant, l’empereur les fit plonger -dans de la poix bouillante: mais ils en sortirent sans avoir aucun mal. -Puis un lion farouche fut lâché sur eux; mais la bête, vaincue par la -vertu de leur foi, s’étendit à leurs pieds. Enfin Dioclétien fit -suspendre l’enfant à un chevalet, ainsi que son professeur Modeste et sa -nourrice Crescence, qui toujours l’avait accompagné. Mais aussitôt l’air -se trouble, la terre tremble, le tonnerre mugit, les temples des idoles -s’écroulent, écrasant nombre de païens. Et l’empereur, fuyant épouvanté, -se frappait de ses poings, et disait: «Malheur à moi, qu’un enfant a -vaincu!» Quant aux trois martyrs, ils se retrouvèrent, dès l’instant -d’après, au bord d’un fleuve; et c’est là que, après avoir prié, ils -rendirent leurs âmes au Seigneur. Des aigles se chargèrent de veiller -sur leurs corps jusqu’à ce qu’une matrone, appelée Florence, les ayant -retrouvés, les ensevelit avec grand honneur. - - - - -LXXXIII - -SAINT CYR ET SA MÈRE SAINTE JULITE, MARTYRS - -(15 juin) - - -Cyr était fils de Julite, noble dame d’Icone, qui, pour échapper à la -persécution, s’était réfugiée à Tarse, en Cilicie, avec son enfant alors -âgé de trois ans. Julite fut amenée devant le préfet Alexandre: et ses -deux servantes, la voyant prise, s’enfuirent aussitôt, de telle sorte -qu’elle eut à porter dans ses bras le petit Cyr, encore emmaillotté dans -ses langes. Or le préfet, voyant que Julite refusait de sacrifier aux -idoles, lui ôta son enfant des bras, et la fit battre de lanières -plombées. Et l’enfant, assistant au supplice de sa mère, se mit à -pleurer et à pousser des cris. En vain le préfet, le tenant sur ses -genoux, essayait de le séduire par des baisers et des caresses: le petit -repoussait avec horreur ces caresses du bourreau de sa mère, et lui -lacérait le visage de ses ongles, et répétait, de sa voix d’enfant: «Moi -aussi, je suis chrétien!» Enfin il mordit le préfet à l’épaule: sur quoi -Alexandre, furieux, le précipita du haut de son tribunal, de telle sorte -que son petit cerveau se répandit sur les marches. Et Julite, tout -heureuse, rendait grâce à Dieu de ce que son fils la devançât au royaume -céleste. Elle-même fut, ensuite, écorchée vive, plongée dans de la poix -bouillante, et enfin décapitée. - -Cependant une autre légende raconte que l’enfant, au moment de son -martyre, n’était pas encore en âge de parler, mais que l’Esprit-Saint -avait parlé par sa bouche quand il avait dit au préfet: «Je suis -chrétien.» Le préfet lui avait alors demandé qui l’avait instruit; et -l’enfant avait répondu: «Je m’étonne de ta sottise, et de ce que, voyant -mon âge, tu me demandes qui m’a instruit de la science divine!» Et, -pendant son martyre il aurait continué à répéter: «Je suis chrétien!» -et, chaque fois, ce cri lui aurait rendu de nouvelles forces. - -Le préfet, pour les empêcher d’être ensevelis par les chrétiens, fit -découper les membres de l’enfant et ceux de la mère, et ordonna qu’ils -fussent dispersés au vent. Mais un ange rassembla les membres épars, que -les chrétiens ensevelirent nuitamment. Et lorsque, sous le règne de -Constantin le Grand, la paix fut enfin restituée à l’Eglise, une vieille -servante, qui avait assisté à l’ensevelissement, révéla le lieu où se -trouvaient les deux corps: et ceux-ci, depuis, sont pour toute la ville -un objet de grande de dévotion. Le martyre de la mère et de l’enfant eut -lieu vers l’an 230, sous le règne de l’empereur Alexandre. - - - - -LXXXIV - -SAINTE MARINE, VIERGE - -(18 juin) - - -Marine était fille unique. Son père, devenu veuf, entra dans un -monastère; et, ayant fait prendre à sa fille un costume masculin, il -demanda à l’abbé et aux autres moines de recevoir dans le monastère son -unique fils: ce qui lui fut accordé, de telle sorte que la jeune fille -fut reçue parmi les moines, et porta le nom de frère Marin. Elle vivait -très pieusement, et dans une obéissance parfaite. Quand elle eut -vingt-sept ans, son père, sentant la mort approcher, l’appela à son -chevet et lui dit de ne jamais révéler à personne qu’elle était une -femme. - -Or la jeune fille allait souvent aux champs avec la charrue et les -bœufs, ou bien était chargée de rapporter du bois au monastère; et -souvent elle recevait l’hospitalité dans la maison d’un homme dont la -fille, séduite par un soldat, était devenue grosse. Cette fille, -interrogée, s’avisa d’affirmer qu’elle avait été violée par le frère -Marin. Et celui-ci, interrogé à son tour, se reconnut coupable: en -conséquence de quoi il fut aussitôt chassé du monastère. Pendant trois -ans, il se tint devant la porte du monastère, ne se nourrissant que de -miettes de pain. Quand l’enfant dont on le croyait père fut sevré, on le -remit à l’abbé, qui le remit au frère Marin; et pendant deux ans encore -celui-ci en prit soin, supportant tout avec une extrême patience, sans -cesser de rendre grâces à Dieu. - -Enfin les frères, touchés de son humilité et de sa patience, le -reprirent au monastère, où ils lui confièrent des besognes trop viles -pour eux; et lui, il acceptait tout gaîment, et faisait tout patiemment -et pieusement. Après une longue vie de bonnes œuvres, il rendit son âme -au Seigneur. Et pendant que ses frères lavaient son corps, qu’ils -s’apprêtaient à ensevelir misérablement, comme le corps d’un grand -pécheur, ils s’aperçurent que le frère Marin était une femme. Etonnés et -effrayés, ils confessèrent avoir été durs et cruels envers la servante -de Dieu; et tous, se jetant à genoux, devant son cadavre, implorèrent le -pardon de leur conduite. Son corps fut enseveli avec honneur dans la -chapelle du monastère. Et quant à la fille qui l’avait accusée, elle fut -possédée du démon, et avoua son crime; mais, conduite au tombeau de la -vierge, elle fut aussitôt guérie. A ce tombeau, aujourd’hui encore, le -peuple vient de toutes parts; et de nombreux miracles s’y accomplissent -tous les jours. - - - - -LXXXV - -SAINTS GERVAIS ET PROTAIS, MARTYRS - -(19 juin) - - -I. Gervais et Protais, frères jumeaux, étaient fils de saint Vital et de -sainte Valérie. Ayant donné tous leurs biens aux pauvres, ils vivaient -avec saint Nazaire, qui se construisait un oratoire près d’Embrun, et à -qui un enfant nommé Celse[10] apportait des pierres. Puis, lorsque les -trois saints furent conduits vers l’empereur Néron, le petit Celse les -suivait en se lamentant: et comme un des soldats lui avait donné un -soufflet, Nazaire le gronda de sa cruauté: sur quoi, les soldats -furieux, l’accablèrent de coups de pied, l’enfermèrent dans un cachot, -et finirent par le jeter à l’eau. Gervais et Protais furent conduits à -Milan, où ils furent bientôt rejoints par Nazaire, miraculeusement -sauvé. - - [10] Jacques de Voragine ajoute que cet enfant ne pouvait pas, vu les - dates, être saint Celse, qui ne se joignit à saint Nazaire que - beaucoup plus tard. - -Or, dans le même temps, vint à Milan le comte Astase, qui partait en -guerre contre les Marcomans; et les païens accoururent à lui, lui -déclarant que leurs dieux se refusaient à les protéger aussi longtemps -que Gervais et Protais n’auraient pas été immolés. Les deux chrétiens -furent donc sommés de sacrifier aux idoles. Et comme Gervais disait que -toutes les idoles étaient sourdes et muettes, et que seul son Dieu -pouvait donner la victoire, Astase, furieux, le fit frapper à mort de -lanières plombées. Puis il fit venir Protais et lui dit: «Malheureux, -évite de périr misérablement comme ton frère!» Et Protais: «Qui de nous -deux est malheureux, moi, qui ne le crains pas, ou toi qui me crains?» -Et Astase: «Eh! misérable, comment peux-tu dire que je te craigne?» Et -Protais: «Tu crains que je ne te nuise, si je refuse de sacrifier à tes -dieux: car si tu ne craignais pas cela, tu n’essaierais pas à me -contraindre à ce sacrifice!» Alors Astase le fit étendre sur un -chevalet. Et Protais: «Je n’ai point de colère contre toi, comte, car je -sais que les yeux de ton cœur sont aveugles; mais plutôt j’ai pitié de -toi, parce que tu ignores ce que tu fais. Continue donc à me supplicier, -afin que je puisse partager avec mon frère la faveur de notre Maître!» -Astase lui fit trancher la tête. Et Philippe, serviteur du Christ, vint -avec son fils, la nuit, prendre les corps des deux martyrs, qu’il -ensevelit secrètement chez lui dans un sarcophage de pierre, déposant -sous leurs têtes un écrit qui indiquait leur origine, leur vie, et les -circonstances de leur mort. Et leur martyre eut lieu sous l’empereur -Néron. - -II. Les corps des deux saints restèrent longtemps cachés: ils furent -découverts au temps de saint Ambroise, et de la façon que nous allons -rapporter. Donc Ambroise se trouvait, une nuit, dans l’église des saints -Nabor et Félix; et comme, après avoir longtemps prié, il était tombé -dans un état intermédiaire entre la veille et le sommeil, deux beaux -jeunes gens vêtus de blanc lui apparurent, priant avec lui, les bras -étendus. Alors Ambroise demanda que, si c’était là une illusion, elle -s’évanouît, et que, si c’était une réalité, elle se révélât de nouveau à -lui. Et les deux jeunes gens lui apparurent de nouveau au chant du coq; -et, la nuit suivante, ils lui apparurent une troisième fois, mais cette -fois en compagnie d’une autre personne, en qui il reconnut l’apôtre -saint Paul. Et saint Paul lui dit: «Tu vois là deux jeunes gens qui, -dédaignant tous les biens de la terre, ont fidèlement suivi mes leçons. -Leurs corps habitent le lieu où tu te trouves. A douze pieds sous terre -tu trouveras un coffre de pierre contenant leurs restes, ainsi qu’un -écrit où tu apprendras leurs noms et l’histoire de leur fin.» Aussitôt -saint Ambroise convoqua les évêques voisins: puis, creusant la terre, il -entra le premier dans la fosse, et y trouva tout ce que lui avait dit -saint Paul. Et bien que trois siècles et plus se fussent écoulés depuis -la mort des deux saints, leurs corps étaient aussi intacts que s’ils -n’étaient là que depuis la veille. Et une odeur délicieuse s’en -exhalait. Et un aveugle, ayant touché le cercueil, recouvra la vue, et -bien d’autres malades furent guéris par l’intercession des deux saints. - -C’est le jour anniversaire de leur fête que fut rétablie la paix entre -les Lombards et l’Empire romain. En souvenir de quoi le pape Grégoire -ordonna que, dans l’introït de la messe et dans les autres offices, le -jour de leur fête, fussent introduites des allusions à cette heureuse -paix. - -III. Au vingtième livre de sa _Cité de Dieu_, saint Augustin raconte -que, en sa présence et en celle de l’empereur, un aveugle recouvra la -vue, à Milan, devant le tombeau des, saints Gervais et Protais. Mais si -cet aveugle était ou non celui dont nous avons parlé plus haut, c’est ce -que nous ne saurions dire. Nous lisons dans le même livre qu’un jeune -homme qui baignait son cheval dans un fleuve, près d’Hippone, fut -attaqué par un démon et jeté à l’eau, à demi mort. Mais comme, le soir, -on chantait dans l’église des saints Gervais et Protais, non loin de là, -le jeune homme entra dans l’église et se cramponna à l’autel, d’où -personne ne pouvait l’arracher. En vain le démon l’adjurait de -s’éloigner de l’autel: il menaçait de se couper les membres, si on le -faisait sortir. Et lorsque enfin il sortit, ses yeux jaillirent de -l’orbite, et ne restèrent plus attachés que par une veine: mais, peu de -jours après, par les mérites des saints Gervais et Protais, le jeune -homme recouvra la santé; et ses yeux, qu’on avait rentrés tant bien que -mal dans les orbites, se rouvrirent à la lumière. - - - - -LXXXVI - -LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE - -(24 juin) - - -I. La nativité de saint Jean-Baptiste a été annoncée par un archange de -la façon qu’on va lire. Le roi David, comme le raconte l’_Histoire -scholastique_, voulant donner plus de développement au culte divin, -institua vingt-quatre grands prêtres, dont l’un, supérieur aux autres, -portait le titre de prince des prêtres. Et chacun des vingt-quatre, -grands prêtres, à son tour, remplissait les fonctions de prince des -prêtres pendant une semaine. La huitième semaine, le sort désigna, pour -cette fonction, le grand prêtre Abias, de la famille duquel fut, plus -tard, Zacharie. Or Zacharie et sa femme étaient parvenus à la vieillesse -sans avoir d’enfants. Et un jour qu’il était entré dans le Temple, pour -mettre de l’encens sur l’autel, pendant qu’une grande foule l’attendait -au dehors, l’archange Gabriel lui apparut. Et comme Zacharie, à sa vue, -s’effrayait, l’archange lui dit: «N’aie pas peur, Zacharie, car ta -prière a été exaucée!» - -Nous devons dire ici en passant, d’après la _Glosse_, que c’est le -propre des bons anges de rassurer aussitôt par des paroles -bienveillantes ceux qu’ils effraient en leur apparaissant; et, au -contraire, les démons qui prennent la forme d’anges, dès qu’ils voient -qu’on s’effraie de leur présence, ont coutume d’accroître encore la -terreur qu’ils inspirent. - -Gabriel annonça donc à Zacharie qu’il aurait un fils nommé Jean, qui -jamais ne boirait de vin ni d’autre boisson fermentée, et qui, devant le -trône du Seigneur, précéderait le prophète Elie lui-même en esprit et en -vertu. Et Zacharie, considérant sa vieillesse et la stérilité de sa -femme, eut des doutes, et, à la façon des Juifs, demanda à l’ange un -signe matériel à l’appui de sa prédiction. Sur quoi l’ange, pour le -punir de n’avoir point cru à sa parole, en manière de signe le rendit -muet. Et lorsque Zacharie se présenta ensuite devant le peuple, et qu’on -vit qu’il était devenu muet, il fit entendre, par des signes, qu’il -avait eu une vision dans le Temple. Puis, ayant achevé la semaine de son -office, il rentra dans sa maison, et Elisabeth conçut un enfant de ses -œuvres, et, pendant cinq mois, elle se cacha, parce que, comme le dit -saint Ambroise, elle avait honte d’être grosse à son âge, et qu’on la -soupçonnât, dans sa vieillesse, de s’être abandonnée au plaisir de la -chair: ce qui, d’autre part, ne l’empêchait point de se réjouir de ce -que le Seigneur l’eût délivrée de l’opprobre de la stérilité, car c’est -un opprobre, pour les femmes, de ne pas avoir ce fruit de leurs noces en -vue duquel se célèbrent les noces, et par qui se justifie l’accouplement -charnel. - -Elisabeth était grosse de six mois, lorsque la bienheureuse Vierge -Marie, qui avait déjà conçu le Sauveur, vint la voir pour la féliciter. -Et, au moment où elle la saluait, saint Jean, déjà rempli de -l’Esprit-Saint, et sentant l’approche du Fils de Dieu, se mit à bondir -de joie dans le ventre de sa mère, comme pour saluer par ses mouvements -celui qu’il ne pouvait pas encore saluer par la voix. Puis la sainte -Vierge resta trois mois avec sa parente, la soignant dans sa grossesse; -et ce fut elle qui, de ses saintes mains, reçut l’enfant nouveau-né, et -remplit, en quelque sorte, pour lui, l’office de sage-femme. - -Le saint précurseur du Christ eut neuf privilèges singuliers: 1º sa -naissance fut annoncée par le même ange qui annonça la naissance du -Christ; 2º il bondit dans le ventre de sa mère; 3º il fut recueilli -entre les bras de la Mère de Dieu; 4º il délia, en naissant, la langue -de son père; 5º il institua le sacrement de baptême; 6º il annonça la -mission du Christ; 7º il baptisa le Christ; 8º il eut l’honneur d’être -loué par-dessus tous par le Christ; 9º il annonça la venue du Christ à -ceux qui étaient dans les limbes. C’est à cause de ces neuf privilèges -que le Seigneur le déclara un prophète, et plus qu’un prophète. - -Sa nativité, selon maître Guillaume d’Auxerre, est célébrée par l’Eglise -pour trois raisons: 1º parce qu’il fut sanctifié dès le ventre de sa -mère; 2º parce qu’il remplit dans la vie un rôle d’une importance -exceptionnelle, étant venu comme un porte-lumière pour nous annoncer la -joie du salut; 3º parce que sa naissance même fut une cause de joie. En -effet l’archange avait dit: «Et beaucoup se réjouiront de sa nativité.» -Aussi est-ce juste que, nous aussi, nous nous en réjouissions. - -Nous devons noter que ce jour de la nativité de saint Jean-Baptiste est -aussi le jour où saint Jean l’Evangéliste rendit son âme à Dieu. Mais -l’Eglise a placé la fête de l’Evangéliste trois jours après Noël, parce -que c’est ce jour-là qu’a été consacrée la basilique élevée en son -honneur, tandis que la fête de la nativité de saint Jean-Baptiste se -célèbre le jour même où ce saint est né. D’où l’on doit bien se garder -de conclure, cependant, que l’Evangéliste soit inférieur au Baptiste, -comme le cadet à l’aîné. Et Dieu a même daigné nous apprendre, par un -exemple formel, qu’il ne lui convenait pas que l’on discutât la question -de savoir lequel des deux saints était le plus grand. Il y avait, en -effet, deux savants théologiens dont l’un préférait saint Jean-Baptiste, -l’autre saint Jean l’Evangéliste: si bien qu’ils convinrent d’un jour -pour une discussion en règle. Et comme chacun s’inquiétait de recueillir -des autorités et de bons arguments à l’appui de ses préférences, à -chacun d’eux se montra le saint Jean qu’il préférait, et lui dit: «Nous -nous accordons fort bien au ciel; ne vous disputez donc pas sur la terre -à notre sujet!» Ce dont les deux docteurs se firent part l’un à l’autre -ainsi qu’au peuple, en bénissant Dieu. - -II. L’historiographe des Lombards, Paul, diacre de l’Eglise romaine et -moine du Mont-Cassin, s’apprêtait un jour à bénir un cierge, lorsque -tout à coup sa voix, auparavant très belle, s’enroua. Et, pour recouvrer -sa voix, il composa en l’honneur de saint Jean l’hymne _Ut queant laxis -resonare fibris_, où il demandait à Dieu que sa voix lui fût rendue, -comme elle l’avait été autrefois à Zacharie. - -III. Le même Paul rapporte, dans son _Histoire lombarde_, qu’un voleur -ouvrit un jour le tombeau où le roi lombard Rocharith s’était fait -enterrer, dans l’église de saint Jean-Baptiste. Alors saint Jean lui -apparut et lui dit: «Puisque tu as osé toucher à ces objets précieux qui -m’étaient confiés, tu ne pourras plus désormais entrer dans mon église!» -Et ainsi fut fait, car chaque fois que cet homme voulut entrer dans -l’église de saint Jean, une main invisible lui asséna sur la gorge un -coup si violent qu’il se vit forcé de rebrousser chemin. - - - - -LXXXVII - -SAINTS JEAN ET PAUL, MARTYRS - -(26 juin) - - -Jean et Paul étaient officiers de Constance, fille de l’empereur -Constantin. Or, comme les Scythes occupaient la Thrace et la Dacie, -Gallican, le chef de l’armée romaine envoyée contre eux, demandait que, -en récompense, on lui donnât pour femme la fille de Constantin; et les -principaux citoyens de Rome insistaient en faveur de sa demande. Mais -Constantin s’en affligeait fort; car il savait que sa fille, depuis -qu’elle avait été guérie par sainte Agnès, avait fait vœu de virginité, -et se laisserait tuer plutôt que d’enfreindre son vœu. Cependant -Constance, confiante en l’aide de Dieu, conseilla à son père de -consentir à son mariage avec Gallican, le jour où celui-ci reviendrait -vainqueur, à la condition seulement que Gallican lui permît de garder -près d’elle les deux filles qu’il avait eues d’un premier mariage, et -qu’en échange il prît avec lui ses deux officiers Jean et Paul. Et ainsi -fut convenu. Mais Gallican, s’étant mis en route avec une nombreuse -armée, fut battu par les Scythes et assiégé par eux dans une ville de -Thrace. Alors Jean et Paul, s’approchant de lui, lui dirent: «Fais un -vœu au Dieu du ciel, et tu seras vainqueur!» Et lorsque Gallican eut -fait le vœu de devenir chrétien, un jeune homme, portant la croix sur -l’épaule, lui apparut et lui dit: «Prends ton épée et suis-moi!» -Gallican, suivant l’ange, se précipita dans le camp ennemi, parvint -jusqu’au roi des Scythes, le tua, épouvanta l’armée ennemie, et la -soumit à la domination romaine. Et l’on raconte que deux chevaliers en -armes lui apparurent, qui se tinrent à ses côtés jusqu’à la fin du -combat. Il se convertit donc au christianisme; et, reçu à Rome avec de -grands honneurs, il demanda à Constantin de ne pas épouser sa fille, car -il avait promis au Christ, de vivre désormais dans la continence. Ses -deux filles, converties par Constance, étaient devenues, elles aussi, de -pieuses chrétiennes. Et bientôt Gallican, renonçant à son commandement, -distribua tous ses biens, et se mit à servir Dieu dans la pauvreté. Et -il faisait tant de miracles que, à sa seule vue, les démons s’enfuyaient -des corps des possédés. Aussi la renommée de sa sainteté se -répandit-elle dans le monde entier; et de l’Orient et de l’Occident on -venait voir ce patricien, cet ancien consul, qui lavait les pieds aux -pauvres qui leur versait de l’eau sur les mains, qui les servait à -table, qui soignait les malades, et vivait ainsi en esclave de Dieu. - -A la mort de Constantin l’empire échut à son fils Constance, qui s’était -laissé corrompre par l’hérésie des ariens. Et comme le frère de -Constantin avait laissé deux fils, Gallus et Julien, Constance promut -Gallus au titre de César et l’envoya contre les Juifs révoltés; mais, -plus tard, il le tua. Alors Julien, craignant d’avoir le sort de son -frère, entra dans un monastère, où, à force de simuler la piété, il fut -ordonné lecteur; et là le démon consulté par lui, lui apprit qu’il -serait promu à l’empire. Et, quelque temps après, Constance, pressé par -la nécessité, éleva Julien au titre de César, et l’envoya en Gaule, où -il montra une grande valeur. - -A la mort de Constance, Julien, devenu empereur, ordonna que Gallican -eût à sacrifier aux dieux où à s’éloigner de Rome: car il n’osait pas -mettre à mort un tel homme. Gallican se rendit donc à Alexandrie, où les -infidèles lui transpercèrent le cœur, lui donnant ainsi la couronne du -martyre. - -Quant à Julien, il colorait du témoignage de l’Evangile l’avidité -sacrilège dont il était possédé. Il dépouillait les chrétiens et leur -disait: «C’est votre Christ lui-même qui dit, dans son Evangile, que -celui-là ne saurait être son disciple qui ne renonce pas à tout ce qu’il -a!» Aussi, quand il apprit que Jean et Paul, avec l’argent que leur -avait laissé la pieuse Constance, subvenaient aux besoins des chrétiens -pauvres, il les fit venir tous deux et leur dit qu’ils devaient le -servir de la même façon qu’ils avaient servi Constantin. A quoi ils -répondirent: «Nous servions le glorieux empereur Constantin parce que -lui-même se proclamait le serviteur du Christ; mais toi, comme tu as -abandonné la sainte religion, nous nous sommes retirés de toi, et nous -dédaignons de t’obéir!» Et Julien leur dit: «Sachez que j’ai été clerc -dans votre Eglise, et que, si j’avais voulu, je m’y serais élevé aux -premières dignités: mais, considérant que c’était chose vaine de -pratiquer la paresse, je me suis livré à l’art de la guerre; et ayant -sacrifié aux dieux, j’ai été par eux élevé à l’empire. Quant à vous, -nourris à la cour, vous avez le devoir de rester près de moi, où vous -serez au premier rang de mes serviteurs. Mais que si vraiment vous me -méprisez, je serai forcé d’agir, pour vous en empêcher!» Et les deux -saints répondirent: «Nous mettons Dieu au-dessus de toi; et nous ne -craignons pas tes menaces, mais seulement d’encourir l’inimitié de Dieu -tout-puissant.» Et Julien: «Si, dans dix jours, vous ne venez pas de -votre plein gré près de moi, vous ferez, contraints, ce que vous aurez -refusé de faire volontairement!» Et eux: «Imagine que les dix jours sont -déjà passés, et accomplis dès aujourd’hui ce dont tu nous menaces!» Et -Julien: «Vous croyez que les chrétiens vont faire de vous des martyrs? -Sachez donc que, si vous ne m’obéissez, ce n’est pas en martyrs que je -vous punirai, mais en ennemis publics!» - -Alors Jean et Paul, pendant dix jours, redoublant leurs aumônes, -distribuèrent aux pauvres tout l’argent qui leur restait. Le dixième -jour, ils virent arriver près d’eux un certain Térentien, qui leur dit: -«Notre maître Julien vous envoie cette petite statue de Jupiter, pour -que vous brûliez de l’encens devant elle: si vous ne le faites pas, vous -périrez tous deux.» Et les saints lui dirent: «Si tu as pour maître -Julien, obéis à ses ordres; mais nous, nous n’avons d’autre maître que -Jésus-Christ!» Alors Térentien les fit décapiter en secret, et fit -ensevelir leurs corps dans leur maison; et il répandit le bruit qu’ils -étaient partis en exil. Mais bientôt son fils fut possédé d’un démon qui -le faisait beaucoup souffrir: ce que voyant, Térentien avoua son crime, -se fit chrétien, et écrivit lui-même le récit du martyre des deux -saints; en échange de quoi son fils fut délivré. - -Saint Grégoire raconte, dans une de ses homélies, qu’une femme, qui -visitait souvent l’église des deux martyrs, aperçut un jour devant sa -porte, en revenant de cette église, deux moines en manteaux de pèlerins. -Elle leur fit, aussitôt, donner l’aumône par son intendant. Mais eux, -s’approchant d’elle, lui dirent: «Puisque tu aimes à nous faire visite, -nous te réclamerons au jour du jugement, et, tout ce que nous pourrons -faire pour toi, nous le ferons!» Puis, cela dit, ils disparurent. - - - - -LXXXVIII - -SAINT LÉON, PAPE - -(28 juin) - - -Le pape Léon, célébrant la messe dans l’église de Sainte-Marie Majeure, -faisait, suivant la coutume, communier les fidèles, lorsqu’une femme lui -déposa un baiser sur la main, ce qui fit naître en lui une véhémente -tentation charnelle. Mais l’homme de Dieu, se châtiant lui-même avec -plus de sévérité que ne l’aurait fait aucun autre juge, s’amputa en -secret la main qui avait été cause du scandale. Cependant le peuple -murmurait de ne pas voir le Souverain Pontife célébrer l’office divin -comme de coutume. Alors Léon s’adressa à la sainte Vierge, se remettant -de tout à sa providence. Et la Vierge aussitôt lui apparut, et, de ses -saintes mains, lui rendit sa main, lui ordonnant de procéder au divin -sacrifice. Et Léon révéla au peuple ce qui lui était arrivé, montrant à -tous la main qui venait de lui être miraculeusement restituée. - -C’est le pape Léon qui présida le concile de Chalcédoine, où l’on décida -que les vierges seules pourraient prendre le voile, et où fut également -décrété que, désormais, la Vierge Marie serait appelée «Mère de Dieu». - -Et comme Attila ravageait l’Italie, saint Léon, après avoir prié pendant -trois jours et trois nuits dans l’église des apôtres, dit aux siens: -«Qui veut me suivre, me suive!» Et Attila, dès qu’il l’aperçut, -descendit de son cheval, se prosterna à ses pieds, et lui dit de -demander tout ce qu’il voudrait. Le pape lui demanda, et obtint -aussitôt, qu’il quitterait l’Italie et rendrait la liberté à tous ses -captifs. Et comme les compagnons d’Attila lui reprochaient que lui, le -vainqueur du monde, se fût laissé vaincre par un prêtre, le barbare -répondit: «J’ai agi dans mon intérêt et dans le vôtre, car j’ai vu, à la -droite de cet homme, un guerrier gigantesque qui m’a dit, l’épée en -main: «Si tu n’obéis à ce prêtre, tu périras avec tous les tiens!» - -Le pape Léon, ayant écrit une lettre à Fabien, évêque de Constantinople, -contre Eutychès et Nestorius, la déposa sur le tombeau de saint Pierre, -et, priant le saint, lui dit: «Tout ce que, en ma qualité d’homme, j’ai -écrit d’erroné dans cette, lettre, toi, gardien de l’Eglise, corrige-le -et rectifie-le!» Et, quarante jours après, saint Pierre lui apparut et -lui dit: «J’ai lu et corrigé!» Et, lorsque Léon reprit sa lettre, il la -trouva corrigée et rectifiée par la main de l’apôtre. - -Une autre fois, Léon passa quarante jours à jeûner et à prier sur le -tombeau de saint Pierre, afin d’obtenir le pardon de ses péchés. Et -saint Pierre, lui apparaissant, lui dit: «J’ai prié pour toi le -Seigneur, et il t’a remis tous tes péchés. Mais tu devras seulement te -renseigner au sujet de l’imposition des mains,» c’est-à-dire veiller à -ce que cette imposition se fasse de la manière convenable. Saint Léon -mourut vers l’an du Seigneur 460. - - - - -LXXXIX - -SAINT PIERRE, APÔTRE - -(29 juin) - - -I. L’apôtre Pierre surpassait en ferveur les autres apôtres: car il -voulut connaître le nom de celui qui livrerait Jésus, et, comme dit -saint Augustin, il n’eût pas manqué de déchirer avec ses dents le -traître, s’il avait connu son nom: et, à cause de cela, Jésus ne voulut -point le lui nommer, parce que, comme dit Chrysostome, s’il l’avait -nommé, Pierre se serait aussitôt levé et l’aurait égorgé. C’est lui -aussi qui, sur les flots, marcha vers Jésus, et qui fut choisi par Jésus -pour assister à la transfiguration, comme aussi à la résurrection de la -fille de Jaïre; c’est lui qui trouva la pièce de monnaie dans la bouche -du poisson; c’est lui qui reçut du Seigneur les clefs du royaume des -cieux, qui fut chargé de paître les agneaux du Christ, qui, le jour de -la Pentecôte, convertit trois mille hommes par sa prédication, qui -annonça la mort à Ananias et à Saphir, qui guérit le paralytique Enée, -qui baptisa Corneille, qui ressuscita Tabite, qui, par l’ombre seule de -son corps, rendit la santé aux malades, qui fut emprisonné par Hérode et -délivré par un ange. Quant à ce que furent sa nourriture et son -vêtement, lui-même nous l’apprend, dans le livre de Clément: «Je ne me -nourris, dit-il, que de pain avec des olives, et, plus rarement, avec -quelques légumes; pour vêtement j’ai toujours la tunique et le manteau -que tu vois sur moi; et, ayant tout cela, je ne demande rien d’autre.» -On dit aussi qu’il portait toujours dans son sein un suaire dont il se -servait pour essuyer ses larmes, parce que, toutes les fois qu’il se -rappelait la douce voix de son divin maître, il ne pouvait s’empêcher de -pleurer de tendresse. Il pleurait aussi au souvenir de son reniement; -et, de là, lui était venue une telle habitude de pleurer que Clément -nous rapporte que son visage semblait tout brûlé de larmes. Clément nous -dit encore que, la nuit, en entendant le chant du coq, il se mettait en -prières, et que de nouveau les larmes coulaient de ses yeux. Et nous -savons aussi, par le témoignage de Clément, que, le jour où la femme de -Pierre fut conduite au martyre, son mari, l’appelant par son nom, lui -cria joyeusement: «Ma femme, souviens-toi du Seigneur!» - -Un jour, Pierre envoya en prédication deux de ses disciples: l’un d’eux -mourut en chemin, l’autre revint faire part à son maître de ce qui était -arrivé. Ce dernier était, suivant les uns, saint Martial, suivant -d’autres, saint Materne, et suivant d’autres encore, saint Front; le -disciple qui était mort était le prêtre Georges. Alors Pierre remit au -survivant son bâton, lui disant d’aller le poser sur le cadavre de son -compagnon. Et, dès qu’il l’eut fait, le mort, qui gisait déjà depuis -quarante jours, aussitôt revint à la vie. - -II. En ce temps-là vivait à Jérusalem un magicien nommé Simon qui se -prétendait la Vérité Première, promettait de rendre immortels ceux qui -croiraient en lui, et disait que rien ne lui était impossible. Il disait -encore, ainsi que nous le rapporte le livre de Clément: «Je serai adoré -publiquement comme un dieu, je recevrai les honneurs divins, et je -pourrai faire tout ce que je voudrai. Un jour que ma mère Rachel m’avait -envoyé aux champs pour moissonner, j’ordonnai à une faux de moissonner -d’elle-même, et elle se mit à l’œuvre, et fit dix fois plus d’ouvrage -que les autres.» Il disait aussi, d’après Jérôme: «Je suis le Verbe de -Dieu, je suis l’Esprit-Saint, je suis Dieu tout entier!» Il faisait -mouvoir des serpents d’airain, il faisait rire des statues de pierre et -de bronze, il faisait chanter les chiens. Or cet homme voulut discuter -avec Pierre, et lui montrer qu’il était Dieu. Au jour convenu, Pierre se -rencontra avec lui, et dit aux assistants: «Que la paix soit avec vous, -mes frères, qui aimez la vérité!» Alors Simon: «Nous n’avons pas besoin -de ta paix: car si nous nous tenons en paix, nous ne pourrons pas -travailler à découvrir la vérité. Les voleurs aussi ont la paix entre -eux. N’invoque donc pas la paix, mais la lutte; et la paix ne se -produira que lorsque l’un de nous deux aura vaincu l’autre.» Et Pierre: -«Pourquoi crains-tu le mot de paix? La guerre ne naît que du péché; et -où il n’y a pas péché, il y a paix. C’est dans les discussions que se -trouvent la vérité, c’est par les œuvres que se réalise la justice.» Et -Simon: «Tout cela ne signifie rien. Mais moi je te montrerai la -puissance de ma divinité, et tu seras forcé de m’adorer: car je suis la -Vertu Première, je puis voler dans les airs, créer de nouveaux arbres, -changer les pierres en pain, rester dans la flamme sans souffrir aucun -mal; tout ce que je veux faire, je peux le faire.» Mais Pierre discutait -une à une toutes ses paroles, et découvrait la fraude de tous ses -maléfices. Et Simon, voyant qu’il ne pouvait résister à Pierre, jeta à -l’eau tous ses livres de magie, afin de n’être pas dénoncé comme -magicien, et s’en alla à Rome, pour s’y faire adorer comme un dieu. Et -Pierre, dès qu’il le sut, le suivit à Rome. - -III. Il y arriva dans la quatrième année du règne de Claude, y passa -vingt-cinq ans, et y ordonna, en qualité de coadjuteurs, deux évêques, -Lin et Clef, l’un pour le dehors, l’autre pour la ville même. -Infatigable à prêcher, il convertissait à la foi de nombreux païens, -guérissait de nombreux malades; et, comme il faisait toujours l’éloge de -la chasteté, les quatre concubines du préfet Agrippa, converties par -lui, refusèrent de retourner près de leur amant: en telle sorte que -celui-ci, furieux, cherchait une occasion de perdre l’apôtre. Or le -Seigneur apparut à Pierre et lui dit: «Simon et Néron ont de mauvais -desseins contre toi; mais ne crains rien, car je suis avec toi, et je te -donnerai comme consolation la société de mon serviteur Paul, qui, dès -demain, arrivera à Rome.» Sur quoi Pierre, comme le raconte Lin, -devinant que la fin de son pontificat approchait, se rendit à -l’assemblée des fidèles, prit par la main Clément, l’ordonna évêque, et -le fit asseoir dans sa chaire. Le lendemain, ainsi que le Seigneur -l’avait annoncé, Paul arriva à Rome, et, en compagnie de Pierre, -commença à y prêcher le Christ. - -Cependant le magicien Simon était si aimé de Néron qu’on savait qu’il -tenait entre ses mains les destinées de la ville entière. Un jour, comme -il se trouvait en présence de Néron, il avait su changer son visage de -telle sorte que tantôt il paraissait un vieillard, et tantôt un -adolescent: ce que voyant, Néron avait cru qu’il était vraiment le fils -de Dieu. Un autre jour, le magicien dit à l’empereur: «Pour te -convaincre que je suis le fils de Dieu, fais-moi trancher la tête; et, -le troisième jour, je ressusciterai!» Néron ordonna à son bourreau de -lui trancher la tête. Mais Simon, par un artifice magique, fit en sorte -que le bourreau, croyant le décapiter, décapita un bélier; après quoi, -il cacha les membres du bélier, laissa sur le pavé les traces du sang, -et se cacha lui-même pendant trois jours. Le troisième jour il comparut -devant Néron, et lui dit: «Fais effacer les traces de mon sang sur le -pavé, car voici que je suis ressuscité, comme je te l’ai promis!» Et -Néron ne douta plus de sa divinité. Un autre jour encore, pendant que -Simon était auprès de Néron dans une chambre, un diable qui avait revêtu -sa figure parla au peuple sur le Forum. Enfin il sut inspirer aux -Romains un tel respect qu’ils lui élevèrent une statue, sous laquelle -fut placée l’inscription: «Au saint dieu Simon.» - -Or Pierre et Paul, s’étant introduits auprès de Néron, dévoilaient tous -les maléfices du magicien; et Pierre, notamment, disait que, de même -qu’il y a dans le Christ deux substances, la divine et l’humaine, de -même il y avait en Simon deux substances, à savoir l’humaine et la -diabolique. Et Simon déclara: «Je ne souffrirai pas plus longtemps cet -adversaire! Je vais ordonner à mes anges de me venger de lui!» Et -Pierre: «Je ne crains pas tes anges, mais ce sont eux qui me craignent!» -Et Néron: «Tu ne crains pas Simon, qui, par ses actes même, prouve sa -divinité?» Et Pierre: «Si la divinité est vraiment en lui, qu’il dise ce -que je pense et ce que je fais en ce moment! Et d’abord je vais te dire -ma pensée à l’oreille, afin qu’il n’ait pas l’audace de mentir!» Néron -lui dit: «Approche-toi et dis-moi ce que tu penses!» Et Pierre lui dit à -l’oreille: «Fais-moi apporter en secret du pain d’orge!» Puis, quand il -eut reçu le pain et l’eut béni en le cachant dans sa manche, il dit: -«Que Simon dise maintenant, ce que j’ai dit, pensé, et fait!» Mais -Simon, au lieu de s’avouer vaincu, reprit: «Que Pierre dise plutôt ce -que je pense, moi!» Et Pierre: «Ce que pense Simon, je montrerai que je -le sais, en faisant ce à quoi il aura pensé!» Alors Simon, furieux, -s’écria: «Que de grands chiens arrivent et le dévorent!» Et aussitôt de -grands chiens apparurent qui se jetèrent sur l’apôtre: mais celui-ci -leur offrit le pain qu’il venait de bénir; et aussitôt il les mit en -fuite. Et il dit à Néron: «Voilà comment j’ai prouvé, non par mes -paroles, mais par mes actes, que je savais ce que penserait Simon contre -moi!» Et Simon dit: «Ecoutez, Pierre et Paul, je ne puis rien vous faire -ici, et je vous épargne pour aujourd’hui; mais nous nous retrouverons, -et alors je vous jugerai!» - -Le même Simon, dans son orgueil, osa se vanter de pouvoir ressusciter -les morts. Et comme certain jeune homme venait de mourir, on appela -Pierre et Simon et, sur le désir de ce dernier, on décida qu’on ferait -mourir celui des deux qui ne pourrait pas ressusciter le mort. Après -quoi Simon, par ses incantations, fit en sorte que le mort remua la -tête, et déjà tous, avec de grands cris, voulaient lapider Pierre. Mais -celui-ci, ayant obtenu le silence, s’écria: «Si ce jeune homme est -vraiment vivant, qu’il se lève, qu’il marche, et qu’il parle: faute de -quoi vous saurez que c’est un démon qui fait remuer la tête du mort. -Mais qu’avant tout on écarte Simon du lit, pour mettre à nu les -artifices du diable!» On écarta donc Simon du lit, et aussitôt le mort -reprit son immobilité. Mais alors Pierre, se tenant à distance, et ayant -prié, dit: «Jeune homme, au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et -marche!» Et aussitôt le mort, ressuscité, se leva et marcha. Sur quoi le -peuple voulut lapider Simon. Mais Pierre dit: «Il est suffisamment puni, -en ayant à reconnaître la défaite de ses artifices! Et notre Maître nous -a enseigné à rendre le bien pour le mal.» Et Simon: «Sachez, Pierre et -Paul, que, malgré voire désir, je ne daignerai pas vous accorder la -couronne du martyre!» Et Pierre: «Puissions-nous obtenir ce que nous -désirons; mais toi, puisses-tu n’avoir que du mal, car toutes tes -paroles ne sont que mensonges!» - -Alors Simon se rendit à la maison de son disciple Marcel et lui dit, -après avoir attaché un grand chien à sa porte: «Je verrai bien si -Pierre, qui a l’habitude de venir te voir, pourra désormais entrer chez -toi!» Et Pierre, lorsqu’il vint chez Marcel, d’un signe de croix détacha -le chien, qui, depuis lors, se mit à caresser tout le monde à -l’exception de Simon, qu’il étendit à terre et voulut étrangler. Il -l’aurait étranglé si Pierre, accourant, ne lui avait défendu de lui -faire aucun mal. Et, en effet, le chien ne toucha plus au corps de -Simon, mais il déchira tous ses vêtements. Et là-dessus le peuple, mais -surtout les enfants, se mirent à poursuivre le magicien, qu’ils -chassèrent hors de la ville comme un loup. De telle sorte que Simon, -tout honteux, n’osa point se montrer pendant une année entière; et son -disciple Marcel, convaincu par ces miracles, devint désormais le -disciple de Pierre. - -Mais, plus tard, Simon revint à Rome et rentra en faveur auprès de -Néron. Un jour, il convoqua le peuple, et déclara que, gravement offensé -par les Galiléens, il allait abandonner la ville, que jusqu’alors il -avait protégée de sa présence: ajoutant qu’il allait monter au ciel, -puisque la terre n’était plus digne de le porter. Donc, au jour convenu, -il monta sur une haute tour, ou, suivant Lin, sur le Capitole; et, de -là, il se mit à voler dans les airs, avec une couronne de laurier sur la -tête. Et Néron dit aux deux apôtres: «Simon dit la vérité; vous, vous -n’êtes que des imposteurs.» Et Pierre dit à Paul: «Lève la tête, et -regarde!» Paul leva la tête, vit Simon qui volait, et dit à Pierre: -«Pierre, ne tarde pas davantage à achever ton œuvre, car déjà le -Seigneur nous appelle!» Alors Pierre s’écria: «Anges de Satan, qui -soutenez cet homme dans les airs, au nom de mon maître Jésus-Christ, je -vous ordonne de ne plus le soutenir!» Et aussitôt Simon fut précipité -sur le sol, où il se brisa le crâne et mourut. - -Ce qu’apprenant, Néron fut désolé de la perte d’un tel homme, et dit aux -apôtres qu’il les en punirait. Il les remit entre les mains d’un haut -fonctionnaire nommé Paulin, qui les fit jeter en prison, sous la garde -de deux soldats, Procès et Martinien. Mais ceux-ci, convertis par -Pierre, leur ouvrirent la prison et les remirent en liberté, ce qui leur -valut, après le martyre des apôtres, d’avoir tous deux la tête tranchée -par ordre de Néron. Or Pierre, cédant enfin aux supplications de ses -frères, résolut de s’éloigner de Rome; mais comme il arrivait à une des -portes de la ville, à l’endroit où s’élève aujourd’hui l’église -Sainte-Marie ad Passus, il rencontra le Christ qui venait au-devant de -lui; et il lui dit: «Seigneur où vas-tu?» Et le Seigneur répondit: «Je -vais à Rome, afin d’y être de nouveau crucifié!» Et Pierre: «De nouveau -crucifié?» Et le Seigneur: «Oui!» Et Pierre dit: «Alors, Seigneur, je -vais retourner à Rome, pour être crucifié avec toi!» Sur quoi le -Seigneur remonta au Ciel, laissant Pierre tout en larmes. Et celui-ci, -comprenant que l’heure de son martyre était venue, revint à Rome, où il -fut saisi par les ministres de Néron, et conduit devant le préfet -Agrippa; et Lin rapporte que son vieux visage rayonnait de joie. Le -préfet lui dit: «Tu es bien l’homme qui te plais à vivre parmi les gens -du peuple, et à éloigner du lit de leurs maris les femmes des -faubourgs?» Mais Pierre répondit: «Je ne me plais que dans la croix du -Seigneur!» Alors, en sa qualité d’étranger, il fut condamné au supplice -de la croix: tandis que Paul, qui était citoyen romain, fut condamné à -avoir la tête tranchée. - -Dans sa lettre à Timothée sur la mort de saint Paul, Denis rapporte que -la foule des païens et des juifs ne se fatiguait point de frapper les -deux apôtres et de leur cracher au visage: Et lorsque vint le moment de -leur séparation, Paul dit à Pierre: «Que la paix soit avec toi, -fondement des églises, pasteur des agneaux du Christ!» Et Pierre dit à -Paul: «Va en paix, prédicateur de la vérité et du bien, médiateur du -salut des justes!» Après quoi, Denis suivit son maître Paul, car les -deux apôtres furent exécutés en deux endroits différents. Et Pierre, -quand il fut en face de la croix, dit: «Mon maître est descendu du ciel -sur la terre, aussi a-t-il été élevé sur la croix. Mais moi, qu’il a -daigné appeler de la terre au ciel, je veux que, sur ma croix, ma tête -soit tournée vers la terre et mes pieds vers le ciel. Donc, -crucifiez-moi la tête en bas, car je ne suis pas digne de mourir de la -même façon que mon Maître Jésus.» Et ainsi fut fait: on retourna la -croix, de sorte qu’il fut placé la tête en bas et les pieds en haut. -Cependant, le peuple, furieux, voulait tuer Néron et le préfet, et -délivrer l’apôtre: mais celui-ci les priait de ne pas empêcher son -martyre. Et alors Dieu ouvrit les yeux de ceux qui pleuraient; et ils -virent des anges debout avec des couronnes de roses et de lys, et -Pierre, debout entre eux, recevait du Christ un livre dont il lisait -tout haut les paroles. Et l’apôtre, reconnaissant que les fidèles -voyaient sa gloire, les recommanda une dernière fois à Dieu, et rendit -l’esprit. - -Alors deux frères, Marcel et Apulée, ses disciples, le descendirent de -la croix, et l’ensevelirent après l’avoir embaumé d’aromates. Et, le -même jour, Pierre et Paul apparurent à Denis, qui les vit entrer tous -deux par la porte de la ville, la main dans la main, vêtus de lumière, -et la tête ceinte d’une couronne de clarté. - -IV. Mais Néron ne resta pas sans châtiment pour ce crime et pour tous -les autres qu’il commit, et dont nous allons brièvement rapporter -quelques-uns. On lit, d’abord, dans une histoire en vérité apocryphe, -que, comme Sénèque, le maître de Néron, s’attendait à recevoir la digne -récompense de ses travaux, Néron lui dit que, pour sa récompense, il -aurait le droit de choisir l’arbre aux branches duquel il serait pendu. -Et comme Sénèque demandait comment il avait pu mériter d’être condamné à -mort, Néron fit agiter au-dessus de sa tête la pointe d’une épée, de -telle sorte que Sénèque, effrayé, fermait les yeux et baissait la tête. -Et Néron lui dit: «Mon maître, pourquoi baisses-tu la tête devant ce -glaive?» Sénèque lui répondit: «Etant homme, je crains la mort et ne -désire point mourir.» Et Néron: «Hé bien, moi aussi je te crains, comme -déjà je te craignais dans mon enfance, et je ne vivrai pas tranquille -tant que tu vivras!» Alors Sénèque dit: «Si je dois mourir, accorde-moi -du moins de choisir mon genre de mort!» Et Néron: «Choisis-le à ton gré, -pourvu seulement que tu meures tout de suite!» Sur quoi Sénèque s’ouvrit -les veines dans un bain, et mourut de l’écoulement de son sang, -justifiant ainsi le présage de son nom; car _se necans_ signifie: qui se -tue de sa propre main. Ce Sénèque eut deux frères, dont l’un, le -déclamateur Julien Gallion, se tua également de sa propre main, et dont -l’autre, Méla, fut père du poète Lucain, qui, par ordre de Néron, -s’ouvrit les veines. - -Toujours d’après la même histoire apocryphe, Néron, entraîné par sa -folie sanguinaire, ordonna de mettre à mort sa mère et de lui couper le -ventre, afin de voir la façon dont il avait habité dans son sein. Or les -médecins lui disaient: «Les lois divines et humaines défendent qu’un -fils tue sa mère, qui l’a enfanté dans la douleur, et s’est fatiguée à -le nourrir.» Mais Néron: «Faites en sorte que je conçoive un enfant dans -mon sein, afin que je puisse me rendre compte de ce que ma mère a -souffert en m’enfantant!» Et les médecins: «La chose est impossible, -étant contraire à la nature et à la raison!» Mais Néron: «Si vous ne -faites pas en sorte que je conçoive un enfant, vous mourrez tous dans -les pires supplices!» Alors les médecins, l’ayant enivré, lui firent -avaler une grenouille, qui gonfla dans son ventre et lui donna -l’illusion d’être pareil à une femme enceinte. Mais bientôt, la douleur -devenant trop forte, il dit: «Hâtez l’heure de mon accouchement, car ma -grossesse me fatigue et m’étouffe!» Ils lui donnèrent alors un vomitif, -et aussitôt il rendit la grenouille qu’il avait dans le ventre, mais -tout infectée d’humeur et toute tachée de sang. Et lui, en voyant cette -chose monstrueuse, demanda: «Etais-je ainsi moi-même lorsque je suis -sorti du sein de ma mère?» Et eux: «Oui!» Alors l’insensé ordonna qu’on -nourrît son enfant, et qu’on l’enfermât, en guise de berceau, dans -l’écaille d’une tortue. Mais tout cela ne se trouve point mentionné dans -les chroniques, et doit être considéré comme apocryphe. - -Plus tard, Néron, admirant le récit de l’incendie de Troie, fit brûler -Rome pendant sept jours et sept nuits; et lui, assistant à l’incendie du -haut d’une tour, il récitait pompeusement des morceaux de _l’Iliade_. Il -pêchait avec des filets d’or, prétendait chanter mieux que tous les -tragédiens et joueurs de cithare, faisait changer les hommes en femmes, -et jouait lui-même le rôle d’une femme auprès d’un homme. Mais à la fin -les Romains, ne pouvant supporter davantage sa folie, se jetèrent sur -lui et le poursuivirent jusqu’en dehors de la ville. Alors, se voyant -perdu, il aiguisa avec ses dents la pointe d’un bâton et se l’enfonça -dans le cœur. Ou bien encore, suivant d’autres, il aurait été dévoré par -les loups. Et l’on raconte qu’après sa mort, les Romains, ayant retrouvé -la grenouille qu’il avait vomie, allèrent la brûler hors des murs de la -ville: et, depuis ce moment, l’endroit où avait été cachée la grenouille -(_latuerat rana_) porta le nom de Lateran ou Latran. - -V. Au temps du pape saint Corneille, des Grecs pieux volèrent les corps -des apôtres, qu’ils voulaient emporter dans leur pays; mais les démons -habitant les idoles furent contraints, par la force divine, de crier: -«Au secours, Romains, car on emporte vos dieux!» Sur quoi toute la ville -se mit à la poursuite des voleurs: car les fidèles comprenaient qu’il -était question des apôtres, et les païens croyaient qu’il était question -de leurs idoles, si bien que les Grecs, épouvantés, jetèrent les corps -des apôtres dans un puits voisin des catacombes, d’où les fidèles -parvinrent plus tard à les retirer. Et comme on hésitait pour savoir -lesquels des os appartenaient à saint Pierre et lesquels à saint Paul, -on pria et jeûna et une voix du ciel répondit: «Les os les plus grands -sont ceux du prédicateur, les plus petits ceux du pêcheur.» Et les os -des deux saints se séparèrent spontanément et ceux de chacun des deux -saints furent rapportés dans l’église qui leur était consacrée. -Cependant d’autres auteurs prétendent que le pape Sylvestre fit peser -dans une balance les os les plus grands et les plus petits, en -proportion égale, et donner à chaque église la moitié exacte des deux -corps. - -VI. Saint Grégoire raconte, dans son _Dialogue_, que, près de l’église -où repose le corps de saint Pierre, vivait un saint homme nommé -Agontius. Or, une jeune fille paralytique passait toutes ses journées -dans cette église: elle rampait sur les mains, car ses reins et ses -pieds étaient paralysés. Et comme depuis longtemps elle implorait saint -Pierre de lui rendre la santé, le saint lui apparut et lui dit: «Va -trouver Agontius, qui demeure près d’ici; il te guérira!» Aussitôt la -jeune fille se mit à se traîner à travers les bâtiments de l’église, -dans l’espoir de découvrir où était cet Agontius. Mais voici que ce -dernier vint au-devant d’elle; et elle lui dit: «Notre pasteur et père -nourricier saint Pierre m’envoie vers toi pour que tu me guérisses de -mon infirmité!» Et Agontius: «Si vraiment c’est lui qui t’envoie, -lève-toi et marche!» Après quoi il lui tendit la main pour l’aider à se -lever, et aussitôt elle fut guérie, sans garder la moindre trace de sa -paralysie. - -Grégoire rapporte aussi, dans le même livre, l’histoire d’une jeune -romaine nommée Galla, fille du consul et patricien Symmaque, qui devint -veuve après un an de mariage. Mais tandis que son âge et sa fortune -l’engageaient à se remarier, elle préféra s’unir, en noces spirituelles, -à Dieu. Et comme son corps était dévoré d’un feu intérieur, les médecins -dirent que, si elle se refusait toujours aux caresses des hommes, la -chaleur qui était en elle lui ferait pousser une barbe sur le visage. Et -c’est, en effet, ce qui lui arriva. Mais elle n’eut aucune crainte de -cette difformité extérieure, comprenant bien que rien de tel ne pouvait -l’empêcher d’être aimée de son mari céleste, si seulement elle restait -pure au dedans. Abandonnant la vie séculière, elle entra dans un couvent -qui dépendait de l’église de saint Pierre; et là, longtemps, elle servit -Dieu par la prière et par les aumônes. Elle fut enfin atteinte d’un -cancer au sein. Et comme, auprès de son lit, étaient toujours allumés -deux flambeaux,--parce que, aimant la lumière, elle ne pouvait supporter -ni les ténèbres spirituelles ni les corporelles,--elle vit l’apôtre -Pierre debout devant elle entre les deux flambeaux. Alors, pleine -d’amour et de joie, elle s’écria: «Qu’est-ce, mon maître? Mes péchés me -sont-ils remis?» Et lui, inclinant la tête avec un sourire bienveillant, -répondit: «Oui! viens!» Et elle: «Je demande que ma mère chérie -l’abbesse vienne avec moi!» Galla rapporta la chose à l’abbesse; et, -trois jours après, toutes deux moururent ensemble. - -Saint Grégoire nous dit encore qu’un prêtre d’une grande sainteté, étant -sur le point de mourir, s’écria: «Bienvenus êtes-vous, mes maîtres, qui -daignez vous approcher d’un misérable esclave tel que moi!» Et comme les -assistants lui demandaient à qui il parlait ainsi: «Ne voyez-vous donc -pas que les saints apôtres Pierre et Paul sont là près de moi?» Et, -pendant qu’il recommençait à remercier les deux apôtres, son âme fut -délivrée des liens du corps. - -VII. Certains auteurs ont mis en doute que Pierre et Paul aient été -martyrisés le même jour, et ont prétendu qu’ils étaient morts à un an -d’intervalle. Mais saint Jérôme et tous les saints qui traitent de cette -question s’accordent à dire que le martyre des deux saints eut lieu le -même jour et la même année. C’est, d’ailleurs, ce qui apparaît -clairement de l’épître de Denis. La vérité est seulement que les deux -saints n’ont pas été suppliciés au même endroit; et quand le pape Léon -dit qu’ils l’ont été au même endroit, il entend simplement par là que -tous deux ont été suppliciés à Rome. - -Mais bien qu’ils soient morts le même jour et à la même heure, saint -Grégoire a ordonné que leur fête soit célébrée séparément, et que la -commémoration de saint Paul ait lieu le lendemain de celle de saint -Pierre. Celui-ci mérite, en effet, d’être honoré le premier, étant à la -fois supérieur en dignité et antérieur en conversion: sans compter que -son titre de souverain pontife achève de lui donner tous les droits à -cette primauté. - - - - -XC - -SAINT PAUL, APÔTRE - -(30 juin) - - -L’apôtre Paul, après sa conversion, eut à souffrir de nombreuses -persécutions, dont saint Hilaire résume l’histoire en ces termes: «A -Philippes il fut frappé de verges, mis en prison, et attaché par les -pieds à une barre de bois; à Lystre, il fut lapidé; à Icone et à -Thessalonique, injustement accusé; à Ephèse, livré aux bêtes; à Damas, -jeté du haut d’un mur; à Jérusalem, arrêté, frappé, lié, attaqué; à -Césarée, mis en prison; dans son voyage d’Italie, exposé à une tempête; -enfin à Rome, sous Néron, jugé et mis à mort.» - -Nous devons ajouter qu’à Lystre il guérit un paralytique, ressuscita un -jeune homme tombé d’une fenêtre, et fit encore beaucoup d’autres -miracles. A Mitylène, une vipère le mordit à la main sans lui faire -aucun mal; et l’on dit que toute la descendance de l’homme dont il était -l’hôte est à l’abri du venin des serpents; au point que, quand un enfant -naît dans cette race, on met des serpents dans son berceau, pour -reconnaître s’il est bien le fils de son père. Et Haymon raconte que -Paul travaillait de ses mains depuis le chant du coq jusqu’à la -cinquième heure, puis se livrait à la prédication jusqu’à la nuit, et -estimait que les quelques heures qui lui restaient suffisaient fort bien -pour sa nourriture, son sommeil, et ses prières. - -Lorsqu’il vint à Rome, Néron, qui n’était pas encore confirmé dans -l’empire, apprit que les Juifs lui cherchaient querelle au sujet de leur -loi et de la foi chrétienne; mais il n’y prit point garde et laissa Paul -aller librement où il voulait. Saint Jérôme, de son côté, raconte que, -la vingt-cinquième année après la passion du Seigneur, et la seconde -année du règne du Néron, Paul vint à Rome comme prisonnier, mais y resta -deux ans libre, puis, relâché par l’empereur, alla prêcher l’évangile en -Occident, et fut enfin décapité le même jour où saint Pierre fut -crucifié, dans la quatorzième année du règne de Néron. - -Sa science et sa piété étaient si éclatantes qu’il eut même pour -disciples et pour amis plusieurs familiers de la maison de Néron, et que -lecture fut faite devant Néron de quelques-uns de ses écrits. Un soir -qu’il prêchait dans une cour, un jeune homme nommé Patrocle, que Néron -aimait beaucoup, monta sur une fenêtre pour mieux l’entendre: il tomba -de la fenêtre et se tua. Ce qu’apprenant, Néron, désolé de sa mort, lui -choisit un successeur; mais Paul se fit apporter le cadavre de Patrocle, -le ressuscita, et l’envoya chez Néron avec ses compagnons. Et Néron, -effrayé de cette visite de l’homme qu’il savait mort, refusa d’abord de -le recevoir. Puis, quand il l’eut reçu: «Patrocle, tu es vivant?» Et -lui: «Oui, César!» Et Néron: «Qui t’a rendu la vie?» Et lui: -«Jésus-Christ, roi des siècles!» Alors, Néron, furieux: «Et ainsi, c’est -ce roi que tu sers?» Et lui: «Puissé-je servir celui qui m’a réveillé -des morts!» Au même instant cinq autres des familiers de l’empereur, qui -se trouvaient là, lui dirent: «César, pourquoi t’irriter contre un jeune -homme qui te répond la vérité? Sache donc que, nous aussi, nous sommes -les soldats de ce roi invincible!» Ce qu’entendant, Néron les fit jeter -en prison, malgré toute l’amitié qu’il avait eue pour eux. Puis il fit -rechercher tous les chrétiens, et, sans les interroger, les condamna -tous aux plus affreux supplices. Et quand Paul, enchaîné, comparut -devant lui: «Serviteur d’un grand roi, mais mon prisonnier; pourquoi -détournes-tu de leur devoir mes officiers?» Et Paul: «Ce n’est pas -seulement à ta cour que je recrute mes soldats, mais dans le monde -entier. Et toi-même, si tu veux te soumettre à notre loi, tu seras -sauvé! Ce roi est si puissant, qu’il viendra juger tous les hommes et -brûlera ce monde!» Sur quoi Néron, furieux de ces paroles fit brûler -tous les chrétiens à l’exception de Paul, qu’il condamna à avoir la tête -tranchée comme coupable de lèse-majesté. Et tel fut le massacre des -chrétiens que le peuple de Rome envahit le palais, menaçant de se -révolter, et disant: «César, mets un terme au massacre, car les hommes -que tu fais périr sont nos parents, et les meilleurs soutiens de -l’empire!» Si bien que l’empereur, effrayé, révoqua son édit, et déclara -qu’il se réservait le droit de juger les chrétiens. - -Paul comparut donc une seconde fois devant lui. Et Néron, repris de -fureur à sa vue, s’écria: «Emmenez d’ici et décapitez ce malfaiteur!» Et -Paul: «Néron, ma souffrance ne durera que quelques instants, et puis je -vivrai pendant une éternité auprès de mon maître Jésus!» Et Néron: -«Coupez-lui la tête, pour qu’il sache que je suis plus fort que son -maître! Et nous verrons bien, ensuite, s’il vit encore!» Et Paul: «Pour -que tu saches que je continuerai de vivre après la mort de mon corps, je -t’apparaîtrai vivant quand on m’aura coupé la tête! Ainsi tu verras que -le Christ est le Dieu de la vie, et non pas de la mort!» Puis il se -laissa conduire au lieu de son supplice. - -En chemin, les trois soldats qui le conduisaient lui dirent: «Quel est -donc ce roi que vous aimez tant, et quelle récompense attendez-vous de -lui?» Paul leur parla si bien du royaume de Dieu qu’il les convertit. -Ils le prièrent de s’enfuir. Et lui: «Non, mes frères, je ne suis pas un -fuyard, mais un soldat du Christ. Quand je serai mort, des fidèles -enlèveront mes restes, pour les transporter en un certain lieu. Et vous, -venez en ce lieu demain matin! Vous y trouverez deux hommes en prière, -nommés Tite et Luc; Vous leur direz pourquoi je vous ai envoyés vers -eux; ils vous baptiseront, et vous serez admis au royaume céleste.» -Survinrent alors deux autres soldats, envoyés par Néron pour voir s’il -avait subi sa peine. Et comme il voulait également les convertir, ils -lui dirent: «Si tu ressuscites après ta mort, nous croirons à tes -paroles; mais, maintenant, marche plus vite pour aller recevoir le -châtiment qui t’est dû!» Un peu plus loin, sous la porte d’Ostie, il -rencontra une femme chrétienne appelée Plautille, qu’on appelait aussi -Lemobie; et cette femme, toute en larmes, se recommanda à ses prières. -Et Paul lui dit: «Plautille, ma chère enfant, prête-moi le voile dont tu -recouvres ta tête; je m’en lierai les yeux et puis tu le reprendras!» Et -les bourreaux se moquaient d’elle, disant: «Comment peux-tu donner à cet -imposteur un objet aussi précieux?» - -Parvenu au lieu de sa passion, Paul se tourna vers l’Orient, et, les -yeux levés au ciel, il pria longtemps. Puis, ayant dit adieu à ses -frères, il s’attacha autour des yeux le voile de Plautille, -s’agenouilla, tendit le cou, et fut décapité. Et lorsque déjà sa tête -était séparée de son tronc, sa bouche prononça, en hébreu, le nom de -Jésus, que, vivante, elle avait eu tant de douceur à répéter sans cesse! -De sa blessure jaillit d’abord un flot de lait, jusque sur le manteau -d’un soldat, puis le sang coula, et de son corps s’exhala un parfum -délicieux. Or Néron, ayant appris tous ces miracles fut grandement -effrayé, et s’enferma chez lui avec ses confidents. Soudain, toutes les -portes étant fermées, Paul entra et lui dit: «César, me voici, soldat du -roi éternel et invincible! Et toi, malheureux, tu mourras d’une mort -éternelle, pour avoir injustement tué les serviteurs de ce roi!» Cela -dit, il disparut. Néron, épouvanté, ne sut plus ce qu’il faisait. Sur le -conseil de ses amis, il fit remettre en liberté Patrocle, Barnabé et les -autres chrétiens. Cependant, les soldats qui avaient conduit Paul -vinrent le lendemain matin au tombeau du martyr. Ils y trouvèrent Tite -et Luc occupés à prier, et, debout au milieu d’eux, Paul lui-même. Tite -et Luc en voyant les soldats, s’enfuirent, et Paul disparut. Mais les -soldats crièrent aux deux disciples: «Nous ne venons pas ici pour vous -persécuter, mais pour recevoir de vous le baptême, ainsi que nous l’a -ordonné Paul, qui était tout à l’heure debout près de vous!» Ce -qu’entendant, les disciples revinrent sur leurs pas et les baptisèrent -avec une grande joie. - -La tête de Paul fut jetée dans une fosse avec une foule d’autres, de -telle sorte qu’on ne parvenait guère à la retrouver. Mais un jour, comme -on vidait la fosse, un berger ramassa un crâne, du bout de son bâton, et -le mit dans son étable. Et pendant trois nuits ce berger et son maître -virent une lumière ineffable briller au-dessus de ce crâne. Ce -qu’apprenant, l’évêque et les fidèles reconnurent que c’était la tête de -Paul. On la porta donc en grande pompe, et déjà l’on s’apprêtait à la -placer au-dessus du tronc lorsque le patriarche dit: «Tant de saints -martyrs ont eu leurs têtes jetées, pêle-mêle, dans cette fosse, que nous -ne pouvons pas être sûrs que ceci soit la tête de saint Paul. Mettons-la -donc plutôt à ses pieds; et si c’est vraiment sa tête, que le tronc se -retourne pour l’avoir sur ses épaules!» Ainsi fut fait; et voilà que, à -l’étonnement de tous, le corps se retourna dans le cercueil! Et tous, -bénissant Dieu, reconnurent que c’était bien là la tête de Paul. C’est -du moins ce que raconte saint Denis, dans sa lettre à Timothée. - -Grégoire de Tours affirme que les chaînes de saint Paul font de nombreux -miracles. Lorsque des fidèles désirent avoir un peu de limaille de ces -chaînes, un prêtre frotte les chaînes avec une lime; et parfois la -limaille s’obtient aussitôt, tandis que d’autres fois le prêtre a beau -frotter très longtemps, pas un grain de limaille ne tombe des chaînes. - -On lit, dans le même Grégoire de Tours, qu’un désespéré se préparait un -lacet pour se pendre, tout en ne cessant pas de répéter: «Saint Paul, -viens à mon secours!» Alors lui apparut une ombre sinistre, qui lui dit: -«Hé mon ami, fais vite ce que tu as à faire!» Mais lui, tout en -préparant son lacet, répétait toujours: «Saint Paul, viens à mon -secours!» Et quand il eut achevé le lacet, une autre ombre apparut, et -dit à celle qui exhortait l’homme à se tuer: «Fuis, malheureux, car -voici saint Paul qui arrive!» Aussitôt l’ombre sinistre s’évanouit, et -l’homme, revenant à lui, jeta son lacet et fit pénitence. - - - - -XCI - -LES SEPT FILS DE SAINTE FÉLICITÉ, MARTYRS - -(10 juillet) - - -Sainte Félicité eut sept fils, nommés Janvier, Félix, Philippe, Sylvain, -Alexandre, Vital et Martial. Par ordre de l’empereur Antonin, le préfet -Publius fit venir leur mère, et lui conseilla d’avoir pitié d’elle-même -et de ses fils. Mais elle répondit: «Ni tes flatteries ne pourront me -séduire, ni tes menaces m’effrayer: car l’Esprit-Saint qui est en moi -m’assure que, vivante, je te vaincrai, et, morte, mieux encore!» Puis, -se tournant vers ses fils, elle leur dit: «Mes fils, levez les yeux au -ciel, et voyez le Christ qui nous y attend! Et puis combattez -courageusement pour le Christ et montrez-vous fidèles dans son amour!» -Ce qu’entendant, le préfet la fit souffleter. Mais comme la mère et ses -fils persévéraient dans leur foi, les sept jeunes gens furent condamnés -à des supplices divers, sous les yeux de leur mère, qui leur prodiguait -les encouragements. Aussi, saint Grégoire, dans ses homélies, -appelle-t-il sainte Félicité «plus que martyre», car elle souffrit sept -fois dans ses sept fils, et une huitième fois dans son propre corps. -Elle-même, en effet, après avoir vu mourir ses enfants, reçut à son tour -la palme du martyre. Leur mort eut lieu vers l’an du Seigneur 110. - - - - -XCII - -SAINT ALEXIS, CONFESSEUR - -(17 juillet) - - -Alexis était fils d’Euphémien, noble romain qui occupait une des -premières places à la cour de l’empereur, et qui avait à son service -trois mille esclaves vêtus de soie avec des ceintures dorées. Euphémien -était, avec cela, un homme très charitable: tous les jours on préparait -chez lui trois tables, pour les pauvres, les orphelins, les veuves et -les étrangers; et c’était Euphémien lui-même qui les servait; après -quoi, à neuf heures, il prenait enfin son repas, en compagnie d’autres -hommes bons et pieux comme lui. Sa femme, nommée Aglaé, partageait sa -foi et tous ses sentiments. Longtemps ils n’eurent point d’enfants; mais -le ciel, cédant à leurs prières, finit par leur accorder un fils; et, -dès qu’ils l’eurent, ils firent vœu de vivre désormais dans la chasteté. - -L’enfant reçut l’instruction la plus libérale; et plus tard, quand il -fut parvenu à la puberté, on choisit dans la maison de l’empereur une -belle jeune fille qu’on lui donna pour femme. Mais, la nuit des noces, -dès qu’il se trouva seul dans sa chambre avec sa jeune femme, il se mit -à l’instruire dans la crainte de Dieu et à lui inspirer le goût de la -virginité; puis il lui remit son anneau d’or et le ruban qui lui servait -de ceinture, et il lui dit: «Prends cela et garde-le aussi longtemps que -Dieu le voudra; et que le Seigneur soit entre nous!» Le lendemain, -emportant une partie de son bien, il s’embarqua secrètement sur un -navire qui le conduisit à Laodicée; et il se rendit, de là, à Edesse, -ville de Syrie, où l’on conservait l’image de Jésus-Christ -miraculeusement gravée sur un linge. - -Arrivé dans cette ville, il distribua aux pauvres tout l’argent qu’il -avait apporté avec lui, se vêtit de haillons, et s’installa parmi la -foule des mendiants, à l’entrée de l’église de Notre-Dame. Et, sur les -aumônes qu’il recevait, il ne gardait pour lui que ce qui était -strictement nécessaire: le reste allait aux autres pauvres de la ville. - -Or son père Euphémien, désolé de son départ, envoya aux quatre coins du -monde des serviteurs chargés de le retrouver. Et quelques-uns de ces -serviteurs vinrent à Edesse, ou, sans reconnaître Alexis, ils lui firent -l’aumône ainsi qu’à d’autres mendiants: ce dont Alexis remercia Dieu, -disant: «Je te rends grâce, Seigneur, de ce que tu m’aies permis de -recevoir l’aumône de mes serviteurs!» Cependant les serviteurs, de -retour à Rome, déclarèrent à ses parents que nulle part ils n’avaient pu -le retrouver. Sa mère, dès le jour de son départ, avait étendu un sac -sur le pavé de sa chambre, en disant: «Je passerai toutes mes nuits à -pleurer sur ce sac, jusqu’à ce que mon fils me soit rendu!» Et la femme -d’Alexis avait dit à sa belle-mère: «Jusqu’à ce que j’aie eu des -nouvelles de mon cher mari, je resterai près de toi comme une -tourterelle solitaire!» Or, après qu’Alexis eut servi Dieu pendant -dix-sept ans sous le porche de l’église, l’image miraculeuse de la -Vierge, qui était dans cette église, dit au gardien: «Fais entrer -l’homme de Dieu, car il est digne du royaume céleste, et l’esprit divin -repose sur lui, et sa prière monte comme l’encens jusqu’au visage de -Dieu!» Le gardien ne savait pas de qui la Vierge voulait parler; mais -elle lui dit: «Le mendiant qui se trouve à la porte de l’église, c’est -lui!» Alors le gardien s’empressa de faire entrer Alexis dans l’église, -ce qui valut au mendiant l’attention et le respect de tous. Mais lui, -afin de fuir la gloire humaine, revint à Laodicée, où il s’embarqua sur -un vaisseau qui partait pour Tarse en Cilicie. Et ce vaisseau, par la -volonté de Dieu, se trouva jeté dans le port de Rome. Ce que voyant, -Alexis se dit: «Sans me faire connaître, je demeurerai dans la maison de -mon père, de façon à n’être à charge à personne!» Rencontrant donc son -père qui revenait du palais, entouré d’une foule de quémandeurs, il alla -au-devant de lui, et lui dit: «Serviteur de Dieu, je suis étranger. -Daigne m’admettre dans ta maison et me laisser manger les miettes de ta -table, afin que, si quelqu’un des tiens se trouve à l’étranger, Dieu ait -pareillement pitié de lui!» Sur quoi son père, se souvenant de son fils, -offrit à l’étranger une chambre dans sa maison, le fit nourrir des mets -de sa propre table, et attacha à sa personne un serviteur spécial. Mais -lui, il passait tout son temps en prières, macérant son corps par le -jeûne et les veilles. Et les familiers de la maison se moquaient de lui -et lui versaient de l’eau sale sur la tête: mais il supportait tout sans -jamais se plaindre. - -Il vécut ainsi dix-sept ans, inconnu, dans la maison de son père. Puis, -l’Esprit-Saint lui ayant annoncé que le terme de sa vie était proche, il -se procura un papier avec de l’encre, et consigna par écrit toute -l’histoire de sa vie. - -Le dimanche suivant, après la messe, une voix se fit entendre dans le -temple, disant: «Venez à moi, vous tous qui souffrez, et je vous -consolerai!» Ce qu’entendant, toute la foule, effrayée, se prosterna la -face contre terre. Et la voix dit de nouveau: «Cherchez l’homme de Dieu, -afin qu’il prie pour Rome!» On chercha sans trouver personne. Alors la -voix dit: «Cherchez dans la maison d’Euphémien!» Mais celui-ci, -interrogé, répondit qu’il ne connaissait point l’homme qu’on cherchait. - -Alors les empereurs Arcade et Honorius se rendirent dans sa maison avec -le pape Innocent; et voici que le serviteur chargé d’Alexis vint trouver -son maître et lui dit: «Seigneur, peut-être l’homme qu’on cherche est-il -votre étranger, car personne ne l’égale en patience et en sainteté!» -Aussitôt Euphémien courut à la chambre de l’étranger; il trouva celui-ci -déjà mort, mais avec un visage illuminé comme celui d’un ange. Et -Euphémien voulut prendre le papier qu’il tenait en main, mais le mort -refusa de s’en dessaisir. Ce qu’apprenant, les empereurs et le pontife -s’approchèrent de lui à leur tour, et lui dirent: «Quelque pécheurs que -nous soyons, nous tenons le gouvernail de l’empire, et le pontife que -voici préside à tout le troupeau de l’Eglise. Donne-nous donc ce papier, -pour que nous sachions ce qui y est écrit!» Et le pape voulut prendre le -papier de la main du mort, qui aussitôt le lui abandonna. Lecture -publique en fut faite devant la foule, parmi laquelle se trouvait -Euphémien. - -Aussitôt qu’il apprit la vérité, Euphémien fut si désespéré qu’il perdit -connaissance et s’affaissa sur le sol. Puis, revenant un peu à lui, il -déchira ses vêtements, s’arracha les cheveux et la barbe; et, se roulant -sur le corps de son fils, il disait: «Hélas, mon fils, pourquoi m’as-tu -tant affligé et laissé gémir pendant si longtemps?» De son côté, la mère -d’Alexis, les vêtements déchirés et les cheveux en désordre, levait les -yeux au ciel, s’écriant: «O hommes, laissez-moi passer, pour que je voie -mon fils, la consolation de mon âme, celui qui a sucé le lait de mes -mamelles!» Puis, parvenue auprès du corps, elle s’étendit sur lui en -gémissant:» Hélas, mon fils, lumière de mes yeux, pourquoi as-tu si -cruellement agi envers nous? Tu nous voyais pleurer, ton père et moi, et -tu ne te montrais pas à nous! Les esclaves t’injuriaient et tu ne disais -rien!» Puis elle reprenait, en couvrant de baisers son angélique visage: -«Pleurez tous avec moi, vous qui êtes ici: car, pendant dix-sept ans, je -l’ai eu dans ma maison sans savoir que c’était mon fils!» Et la femme -d’Alexis, toute vêtue de deuil, accourut en pleurant, et dit: «Malheur à -moi, qui désormais suis veuve, et n’ai plus personne sur qui lever les -yeux!» Et la foule, entendant ces discours, pleurait amèrement. - -Alors le pontife et les empereurs placèrent le corps sur un dais -somptueux, le firent conduire à travers la ville, et firent annoncer -qu’on avait enfin trouvé l’homme de Dieu que tout le monde, jusque-là, -avait cherché en vain. Et tout le monde accourait au-devant du saint. Et -les malades qui touchaient son corps étaient aussitôt guéris, les -aveugles recouvraient la vue, les possédés étaient affranchis de leur -possession. Si bien que les deux empereurs, à la vue de tant de -miracles, voulurent porter eux-mêmes le dais avec le pontife, afin -d’être sanctifiés par le contact du corps. Ils ordonnèrent aussi de -distribuer au peuple de l’or et de l’argent, de manière à détourner son -attention et à permettre que le corps du saint poursuivît son chemin -jusqu’à l’église. Mais la foule, oubliant son amour de l’argent, se -précipitait, de plus en plus abondante, pour toucher le corps d’Alexis; -et c’est à grand’peine, que celui-ci put enfin parvenir jusqu’à l’église -de Saint-Boniface, où, en l’espace d’une semaine, on lui éleva un -monument tout orné d’or et de pierres précieuses. C’est dans ce monument -que fut placé son corps: et un parfum si doux s’en exhalait, que tous -croyaient que le monument était rempli d’aromates. - -Saint Alexis mourut le dix-septième jour de juillet, en l’an du Seigneur -398. - - - - -XCIII - -SAINTE MARGUERITE, VIERGE ET MARTYRE - -(20 juillet) - - -Marguerite naquit à Antioche, où son père, Théodose, était patriarche de -la religion païenne. Après sa naissance, elle fut confiée aux soins -d’une nourrice chez qui elle s’instruisit de la foi du Christ: de telle -sorte que, parvenue à l’âge adulte, elle reçut le baptême, ce qui lui -valut la haine de son père. Or, un jour que, âgée de quinze ans, elle -s’occupait avec d’autres jeunes filles a garder les brebis de sa -nourrice, le préfet Olybrius vint à passer près de l’endroit où elle se -trouvait, et, voyant, une jeune fille d’une beauté merveilleuse, ne -tarda pas à s’enflammer d’amour pour elle. Il appela donc ses serviteurs -et leur dit: «Allez vous emparer de cette jeune fille: si elle est de -naissance libre, je la prendrai pour femme; si elle est esclave, j’en -ferai ma concubine.» Et quand l’enfant lui fut amenée, il l’interrogea -sur sa condition, son nom et sa religion. Elle répondit qu’elle était de -condition noble, qu’elle s’appelait Marguerite, et qu’elle était -chrétienne. Alors le préfet: «Les deux premières de ces trois choses te -conviennent à merveille, car tout est noble en toi, et il n’y a point de -perle (_margarita_) qui égale ta beauté. Mais la troisième chose ne te -convient pas, c’est-à-dire qu’une jeune fille si belle et si noble ait, -pour Dieu, un crucifié.» Et elle: «D’où sais-tu que le Christ a été -crucifié?» Et lui: «Je l’ai lu dans les livres des chrétiens!» Et -Marguerite: «Puisque tu as lu ces livres, tu y as vu à la fois le -supplice du Christ et sa gloire; comment donc oses-tu croire à l’un et -nier l’autre?» Après quoi elle lui affirma que le Christ s’était -spontanément soumis à son supplice pour notre rédemption, mais que, -maintenant, il vivait de la vie éternelle. Et le préfet, irrité, la fit -jeter en prison. - -Le lendemain, il la manda de nouveau, et lui dit: «Enfant stupide, aie -pitié de ta beauté, et adore nos dieux, si tu veux être heureuse!» Mais -elle: «J’adore celui qui fait trembler la terre, qui épouvante la mer et -que craignent toutes les créatures!» Et le préfet: «Si tu ne me cèdes, -je ferai lacérer ton corps!» Mais elle: «Je n’ai pas de souhait plus -cher que de mourir pour le Christ, qui s’est condamné lui-même à mourir -pour moi!» Alors le préfet la fit attacher à un chevalet; et on la -battit si cruellement, d’abord avec des verges, puis avec des pointes de -fer, que ses os furent mis à nu, et que le sang jaillit de son corps -comme d’une source pure. Et tous les assistants disaient: «O Marguerite, -quelle pitié nous avons de toi! Oh! quelle beauté tu as perdue par ton -incrédulité! Mais à présent, du moins, pour conserver ta vie, reviens à -la vraie foi!» Et elle: «O mauvais conseillers, éloignez-vous de moi! Ce -supplice de ma chair est le salut de mon âme!» Puis, s’adressant au -préfet: «Chien insatiable et impudent, tu as pouvoir sur ma chair, mais -mon âme n’appartient qu’au Christ!» Cependant le préfet, n’ayant pas la -force de voir une telle effusion de sang, se cachait le visage avec son -manteau. Il la fit enfin détacher du chevalet, et ordonna qu’elle fût -reconduite dans sa prison, qui, aussitôt, s’illumina d’une immense -clarté. - -Dans sa prison, Marguerite pria le Seigneur de lui faire apparaître, -sous forme visible, l’ennemi qui luttait contre elle. Et voici que lui -apparut un dragon hideux, qui voulut se jeter sur elle pour la dévorer. -Mais elle fit le signe de la croix, et le dragon disparut. Ou encore, -comme l’affirme une légende, le monstre la saisit par la tête et -l’introduisit dans sa bouche; et c’est alors qu’elle fit un signe de -croix par la vertu duquel le dragon creva, et la vierge sortit de son -corps sans avoir aucun mal. Mais cette légende est apocryphe, et on -s’accorde à la tenir pour une fable sans fondement. - -S’obstinant à vouloir tromper Marguerite, le démon lui apparut sous la -forme d’un jeune homme. Et comme elle s’était mise en prières, il -s’approcha d’elle, lui prit la main, et lui dit: «Que ce que tu as déjà -fait te suffise: cesse maintenant de me tourmenter!» Mais Marguerite le -saisit par la tête, l’étendit à terre, et, posant sur lui son pied -droit, elle dit: «Démon orgueilleux, prosterne-toi sous le pied d’une -femme!» Mais le démon criait: «O Marguerite, je suis vaincu, et, pour -comble de honte, vaincu par une petite fille, et dont le père et la mère -ont été mes amis!» - -La sainte le força à lui dire pourquoi il était venu: c’était pour -l’engager à obéir aux ordres du préfet. Elle lui demanda ensuite -pourquoi il tentait si obstinément les chrétiens. Il répondit que -c’était, d’abord, parce qu’il haïssait tous les hommes vertueux, et -ensuite parce que, dans sa jalousie, il voulait ôter aux chrétiens un -bonheur que, lui-même, il avait perdu. Il ajouta que Salomon avait -enfermé dans un vase une foule de démons, mais que, après sa mort, les -hommes, en voyant du feu sortir de ce vase, s’étaient figuré qu’il -contenait un trésor, l’avaient brisé, et avaient ainsi remis les démons -en liberté. Enfin Marguerite, ayant forcé le démon à tous ces aveux, -souleva son pied et dit: «Va-t’en, misérable!» Et aussitôt le démon -s’enfuit. - -Ayant vaincu le prince, elle n’eut pas de peine à vaincre son ministre. -Le lendemain, comme de nouveau elle se refusait à sacrifier aux idoles, -elle fut dépouillée de ses vêtements et brûlée avec des torches -ardentes; et tous s’étonnaient qu’une enfant pût supporter tant de -supplices divers. Seul, le préfet resta impitoyable: pour aggraver sa -douleur par la variété des souffrances, il la fit plonger dans un bassin -plein d’eau; mais aussitôt la terre trembla, le bassin se brisa, et la -jeune fille en sortit saine et sauve sous les yeux de la foule. Ce que -voyant, cinq mille personnes se convertirent, et furent punies de mort -pour le nom du Christ. Enfin le préfet, redoutant d’autres conversions, -ordonna qu’elle fût au plus vite décapitée. Mais elle, après avoir -obtenu la permission de faire une prière, pria pour elle-même et pour -ses persécuteurs, et aussi pour ceux qui, par la suite, invoqueraient -son nom. Elle demanda, en particulier, que toutes les fois qu’une femme -en couches invoquerait son nom, l’enfant pût naître sans avoir aucun -mal. Et une voix du ciel lui dit que toutes ses prières étaient -exaucées. Alors, se relevant, elle dit au bourreau: «Mon frère, tire -maintenant ton épée et frappe-moi!» Le bourreau, d’un seul coup, lui -trancha la tête; et c’est ainsi qu’elle reçut la couronne du martyre, le -quatorzième jour des calendes d’août, suivant les uns, suivant d’autres -le troisième jour des ides de juillet. - - - - -XCIV - -SAINTE PRAXÈDE, VIERGE - -(21 juillet) - - -Praxède, vierge, et sa sœur Pudentienne, eurent pour frères les saints -Donat et Timothée, qui furent instruits dans la foi par les apôtres. Au -milieu des persécutions, elles ensevelirent les corps de nombreux -chrétiens. Elles distribuèrent aussi aux pauvres tous leurs biens. Et -elles s’endormirent enfin dans le Seigneur, vers l’an 165, sous le règne -des empereurs Marc et Antoine II. - - - - -XCV - -SAINTE MARIE-MADELEINE, PÉCHERESSE - -(22 juillet) - - -I. Marie-Madeleine naquit de parents nobles, et qui descendaient de -famille royale. Son père s’appelait Syrus, sa mère Eucharie. Avec son -frère Lazare et sa sœur Marthe, elle possédait la place forte de -Magdala, voisine de Genézareth, Béthanie, près de Jérusalem, et une -grande partie de cette dernière ville; mais cette vaste possession fut -partagée de telle manière que Lazare eut la partie de Jérusalem, Marthe, -Béthanie, et que Magdala revint en propre à Marie, qui tira de là son -surnom de Magdeleine. Et comme Madeleine s’abandonnait tout entière aux -délices des sens, et que Lazare servait dans l’armée, c’était la sage -Marthe qui s’occupait d’administrer les biens de sa sœur et de son -frère. Tous trois, d’ailleurs, après l’ascension de Jésus-Christ, -vendirent leurs biens et en déposèrent le prix aux pieds des apôtres. - -Autant Madeleine était riche, autant elle était belle; et elle avait si -complètement livré son corps à la volupté qu’on ne la connaissait plus -que sous le nom de la Pécheresse. Mais, comme Jésus allait prêchant çà -et là, elle apprit un jour, sous l’inspiration divine, qu’il s’était -arrêté dans la maison de Simon le lépreux; et aussitôt elle y courut; -mais, n’osant pas se mêler aux disciples, elle se tint à l’écart, lava -de ses larmes les pieds du Seigneur, les essuya de ses cheveux et les -oignit d’un onguent précieux: car l’extrême chaleur forçait les -habitants de cette région à se servir, plusieurs fois par jour, d’eau et -d’onguent. Et comme le Pharisien Simon s’étonnait de voir qu’un prophète -se laissât toucher par une prostituée, le Seigneur le blâma de son -orgueilleuse justice, et dit que tous les péchés de cette femme lui -étaient remis. Et, depuis lors, il n’y eut point de grâce qu’il -n’accordât à Marie-Madeleine, ni de signe d’affection qu’il ne lui -témoignât. Il chassa d’elle sept démons, il l’admit dans sa familiarité, -il daigna demeurer chez elle, et, en toute occasion, se plut à la -défendre. Il la défendit devant le pharisien qui la disait impure, et -devant sa sœur Marthe, qui l’accusait de paresse, et devant Judas, qui -lui reprochait sa prodigalité. Et il ne pouvait la voir pleurer sans -pleurer lui-même. C’est par faveur pour elle qu’il ressuscita son frère, -mort depuis quatre jours, qu’il guérit Marthe d’un flux de sang dont -elle souffrait depuis sept ans, et qu’il choisit la servante de Marthe, -Martille, pour prononcer cette parole mémorable: «Bienheureux le ventre -qui t’a porté!» Madeleine eut aussi l’honneur d’assister à la mort de -Jésus, au pied de la croix; c’est elle qui oignit de parfum le corps de -Jésus après sa mort, et qui resta près du tombeau tandis que tous les -disciples s’en étaient éloignés, et à qui Jésus ressuscité apparut tout -d’abord. - -Après l’ascension du Seigneur, la quatorzième année après la Passion, -les disciples se répandirent dans les diverses contrées pour y semer la -parole divine; et saint Pierre confia Marie-Madeleine à saint Maximin, -l’un des soixante-douze disciples du Seigneur. Alors saint Maximin, -Marie-Madeleine, Lazare, Marthe, Martille, et avec eux saint Cédon, -l’aveugle-né guéri par Jésus, ainsi que d’autres chrétiens encore, -furent jetés par les infidèles sur un bateau et lancés à la mer, sans -personne pour diriger le bateau. Les infidèles espéraient que, de cette -façon, ils seraient tous noyés à la fois. Mais le bateau, conduit par la -grâce divine, arriva heureusement dans le port de Marseille. Là, -personne ne voulut recevoir les nouveaux venus, qui s’abritèrent sous le -portique d’un temple. Et, lorsque Marie-Madeleine vit les païens se -rendre dans leur temple pour sacrifier aux idoles, elle se leva, le -visage calme, se mit à les détourner du culte des idoles et à leur -prêcher le Christ. Et tous l’admirèrent, autant pour son éloquence que -pour sa beauté: éloquence qui n’avait rien de surprenant dans une bouche -qui avait touché les pieds du Seigneur. - -II. Or le chef de la province se rendit dans le temple pour sacrifier -aux idoles, espérant obtenir ainsi un enfant, car leur mariage était -resté sans fruit. Mais Madeleine, par sa prédication, les dissuada de -sacrifier aux idoles. Et, quelques jours après, elle apparut en rêve à -la femme de ce chef et lui dit: «Pourquoi, étant riches, laissez-vous -mourir de faim et de froid les serviteurs de Dieu?» Et elle la menaça de -la colère divine si elle se refusait à faire en sorte que son mari -devînt plus charitable. Mais la femme eut peur de parler à son mari de -cette vision. Madeleine lui apparut encore la nuit suivante; et, de -nouveau, elle négligea d’en avertir son mari. Enfin, la troisième nuit, -Madeleine se montra, tout irritée et le visage enflammé, et elle lui -reprocha amèrement la dureté de son cœur. La femme se réveilla toute -tremblante, et vit que son mari tremblait aussi. «Seigneur, lui -dit-elle, as-tu vu de ton côté ce que j’ai vu en rêve?» Et le mari -répondit: «J’ai vu la chrétienne, qui m’a reproché mon manque de -charité, et m’a menacé de la colère divine. Que devons-nous faire?» Et -la femme: «Mieux vaut lui obéir que d’encourir la colère de son Dieu!» -Ils donnèrent donc l’hospitalité aux chrétiens, et promirent de pourvoir -à tous leurs besoins. - -Un jour que Marie-Madeleine prêchait, ce même chef lui dit: «Te crois-tu -en état de défendre la foi que tu prêches?» Et elle: «Certes, je suis -prête à défendre une foi qui se trouve encore fortifiée tous les jours -par les miracles et la prédication de mon maître Pierre, l’évêque de -Rome!» Alors le chef et sa femme lui dirent: «Nous t’obéirons en toute -chose si tu parviens à obtenir pour nous, de ton Dieu, la naissance d’un -fils.» Et Marie-Madeleine pria le Seigneur pour eux, et sa prière fut -entendue, car bientôt la femme se trouva enceinte. - -Alors le chef résolut de se rendre auprès de Pierre, pour savoir de lui -si ce que Madeleine disait du Christ était vrai. Et sa femme lui dit: -«Eh! quoi, mon ami, penses-tu donc partir sans moi?» Et lui: «Je ne puis -songer à te prendre avec moi, car tu es enceinte, et les dangers de la -mer sont grands!» Mais elle insista si fort, comme savent faire les -femmes, et se jeta à ses pieds avec tant de larmes, qu’elle finit par -obtenir ce qu’elle demandait. Madeleine fit sur eux le signe de la -croix, pour les mettre à l’abri des pièges du démon, et ils partirent, -laissant à la garde de Madeleine tout ce qu’ils n’emportaient pas avec -eux sur le bateau. Or, après un jour et une nuit du voyage, la mer se -leva, la tempête souffla; et la femme du chef, accablée de frayeur et -toute secouée par l’orage, enfanta un fils avant le terme naturel, et, -l’ayant enfanté, mourut. Quant à l’enfant nouveau-né, il tremblait de -faim, cherchait vainement le sein maternel et poussait des cris -lamentables. Le malheureux père se désespérait, disant: «Hélas! que -vais-je faire? J’ai désiré avoir un fils, et voilà que, par ce désir, -j’ai perdu à la fois ma femme et mon fils!» Cependant les matelots -s’écriaient: «Qu’on jette à la mer ce cadavre, car aussi longtemps qu’il -sera avec nous la tempête continuera à nous tourmenter!» Déjà même ils -s’étaient emparés du cadavre pour le jeter à la mer, malgré les -supplications du pèlerin, lorsque apparut à l’horizon une terre -inconnue. L’apercevant, le pèlerin obtint des matelots, à force de -prières et de promesses, qu’on transportât sur cette terre le cadavre de -sa femme et l’enfant nouveau-né. On aborda donc, et l’on se mit en -devoir de creuser une fosse. Mais le sol était si dur qu’on ne pouvait -le creuser; de telle sorte que le pèlerin enveloppa le cadavre dans un -manteau, et le disposa dans un endroit écarté, après lui avoir placé -l’enfant sur la poitrine. Puis, après avoir invoqué l’aide de -Marie-Madeleine, il remonta à bord et poursuivit sa route. - -Quand il arriva auprès de Pierre, celui-ci vint à sa rencontre; et, -voyant sur son manteau le signe de la croix, il lui demanda qui il était -et d’où il venait. Le pèlerin lui raconta toute son histoire. Et Pierre: -«Que la paix rentre en toi, et prends ton mal en patience! Ta femme dort -et son enfant avec elle. Mais Dieu est puissant: il peut tout enlever et -tout rendre. Il pourra, s’il le veut, changer ta tristesse en joie:» -Pierre le conduisit ensuite à Jérusalem, lui montra tous les lieux où le -Christ avait prêché et fait des miracles, le lieu de sa passion et celui -de son ascension; et pendant deux ans il l’instruisit dans la foi. Après -quoi le pèlerin reprit la mer pour rentrer dans sa patrie. Et comme, sur -l’ordre de Dieu, le vent avait poussé de nouveau le bateau près de l’île -où avaient été déposés la femme morte et l’enfant, le pèlerin obtint des -matelots la permission d’y aborder. - -Or, le petit garçon, dont Marie-Madeleine s’était chargée, et sur qui -elle veillait de loin pour le maintenir en vie, venait souvent jouer -dans le sable du rivage; et le pèlerin, en approchant de l’île, fut très -surpris de voir cet enfant en un tel lieu. L’enfant, de son côté, -n’ayant jamais vu aucun homme, prit peur, et se réfugia auprès de sa -mère morte, dont il téta le sein à son habitude. Et le pèlerin, s’étant -approché, aperçut sa femme, qui semblait dormir, et un bel enfant qui -lui tétait le sein. Alors il prit l’enfant dans ses bras et s’écria: «O -bienheureuse Marie-Madeleine, combien ma joie serait grande si seulement -ma femme vivait encore et pouvait rentrer avec moi dans notre patrie! Et -je sais que toi, qui m’as donné un enfant, et qui pendant deux ans as -veillé sur lui, tu aurais le pouvoir d’obtenir du ciel que la vie fût -rendue à la mère!» A peine avait-il ainsi parlé que sa femme ouvrit les -yeux, comme si elle s’éveillait, et dit: «Bénie sois-tu, -Marie-Madeleine, qui m’as tenu lieu de sage-femme dans mes couches et -m’as fidèlement secourue dans tous mes besoins!» Et le pèlerin -stupéfait: «Es-tu donc vivante, ma femme chérie?» Et elle: «Oui, certes; -et je reviens à présent du pèlerinage dont tu reviens toi-même. Et, -quand saint Pierre te conduisait dans Jérusalem, te montrant tous les -lieux où a vécu et est mort le Christ, j’étais là aussi, sous la -conduite de sainte Marie-Madeleine.» Le pèlerin, ravi de joie, remonta -sur le bateau avec sa femme et son enfant; et, peu de temps après, ils -entrèrent dans le port de Marseille. Ils trouvèrent là Marie-Madeleine -occupée à prêcher avec ses disciples. Se jetant à ses pieds, ils lui -racontèrent tout ce qui leur était arrivé; et saint Maximin les baptisa -solennellement. - -Alors les habitants de Marseille détruisirent tous les temples des -idoles, qu’ils remplacèrent par des églises chrétiennes; et, d’un -consentement unanime, ils nommèrent Lazare évêque de Marseille. Puis -Marie-Madeleine et ses disciples se rendirent à Aix, où, par de nombreux -miracles, ils convertirent le peuple à la foi du Christ; et saint -Maximin y fut élu évêque. - -III. Cependant sainte Marie-Madeleine, désireuse de contempler les -choses célestes, se retira dans une grotte de la montagne, que lui avait -préparée la main des anges, et pendant trente ans elle y resta à l’insu -de tous. Il n’y avait là ni cours d’eau, ni herbe, ni arbre; ce qui -signifiait que Jésus voulait nourrir la sainte des seuls mets célestes, -sans lui accorder aucun des plaisirs terrestres. Mais, tous les jours, -les anges l’élevaient dans les airs, où, pendant une heure, elle -entendait leur musique; après quoi, rassasiée de ce repas délicieux, -elle redescendait dans sa grotte, sans avoir le moindre besoin -d’aliments corporels. - -Or, certain prêtre, voulant mener une vie solitaire, s’était aménagé une -cellule à douze stades de la grotte de Madeleine. Et, un jour, le -Seigneur lui ouvrit les yeux, de telle sorte qu’il vit les anges entrer -dans la grotte, prendre la sainte, la soulever dans les airs et la -ramener à terre une heure après. Sur quoi le prêtre, afin de mieux -constater la réalité de sa vision, se mit à courir vers l’endroit où -elle lui était apparue; mais, lorsqu’il fut arrivé à une portée de -pierre de cet endroit, tous ses membres furent paralysés; il en -retrouvait l’usage pour s’en éloigner, mais, dès qu’il voulait se -rapprocher, ses jambes lui refusaient leur service. Il comprit alors -qu’il y avait là un mystère sacré, supérieur à l’expérience humaine. Et, -invoquant le Christ, il s’écria: «Je t’en adjure par le Seigneur! si tu -es une personne humaine, toi qui habites cette grotte, réponds-moi et -dis-moi la vérité!» Et, après qu’il eut répété trois fois cette -adjuration, sainte Marie-Madeleine lui répondit: «Approche-toi -davantage, et tu sauras tout ce que tu désires savoir!» Puis, lorsque la -grâce du ciel eut permis au prêtre de faire encore quelques pas en -avant, la sainte lui dit: «Te souviens-tu d’avoir lu, dans l’évangile, -l’histoire de Marie, cette fameuse pécheresse qui lava les pieds du -Sauveur, les essuya de ses cheveux, et obtint le pardon de tous ses -péchés?» Et le prêtre: «Oui, je m’en souviens; et, depuis trente ans -déjà, notre sainte Eglise célèbre ce souvenir.» Alors la sainte: «Je -suis cette pécheresse. Depuis trente ans, je vis ici à l’insu de tous; -et, tous les jours, les anges m’emmènent au ciel, où j’ai le bonheur -d’entendre de mes propres oreilles les chants de la troupe céleste. Or, -voici que le moment est prochain où je dois quitter cette terre pour -toujours. Va donc trouver l’évêque Maximin, et dis-lui que, le jour de -Pâques, dès qu’il sera levé, il se rende dans son oratoire: il m’y -trouvera, amenée par les anges.» Et le prêtre, pendant qu’elle lui -parlait, ne la voyait pas, mais il entendait une voix d’une suavité -angélique. - -Il courut aussitôt vers saint Maximin, à qui il rendit compte de ce -qu’il avait vu et entendu, et, le dimanche suivant, à la première heure -du matin, le saint évêque, entrant dans son oratoire, aperçut -Marie-Madeleine encore entourée des anges qui l’avaient amenée. Elle -était élevée à deux coudées de terre, les mains étendues. Et, comme -saint Maximin avait peur d’approcher, elle lui dit: «Père, ne fuis pas -ta fille!» Et Maximin raconte lui-même, dans ses écrits, que le visage -de la sainte, accoutumé à une longue vision des anges, était devenu si -radieux, qu’on aurait pu plus facilement regarder en face les rayons du -soleil que ceux de ce visage. Alors l’évêque, ayant rassemblé son -clergé, donna à sainte Marie-Madeleine le corps et le sang du Seigneur; -et, aussitôt qu’elle eut reçu la communion, son corps s’affaissa devant -l’autel et son âme s’envola vers le Seigneur. Et telle était l’odeur de -sa sainteté, que, pendant sept jours, l’oratoire en fut parfumé. Saint -Maximin fit ensevelir en grande pompe le corps de la sainte, et demanda -à être lui-même enterré près d’elle, après sa mort. - -Le livre attribué par les uns à Hégésippe, par d’autres à Josèphe, -raconte l’histoire de Marie-Madeleine presque de la même façon. Il -ajoute seulement que le prêtre trouva la sainte enfermée dans sa -cellule, que, sur sa demande, il lui donna un manteau dont elle se -couvrit, et que c’est avec lui qu’elle se rendit à l’église, où, après -avoir communié, elle s’endormit en paix devant l’autel. - -IV. Au temps de Charlemagne, Girard, duc de Bourgogne, désolé de ne -pouvoir pas avoir un fils, faisait de grandes charités aux pauvres, et -construisait nombre d’églises et de monastères. Lorsqu’il eut ainsi -construit le monastère de Vézelay, l’abbé de ce monastère, sur sa -demande, envoya à Aix un moine avec une escorte, afin qu’il essayât, si -la chose était possible, de ramener de cette ville le corps de sainte -Madeleine. Le moine, en arrivant à Aix, vit la ville détruite de fond en -comble par les païens; mais un heureux hasard lui permit de découvrir un -tombeau de marbre qu’il supposa être celui de la sainte: car toute -l’histoire de celle-ci y était sculptée. La nuit suivante, donc, le -moine ouvrit le tombeau, prit les ossements qui s’y trouvaient, et les -rapporta à son hôtellerie. Et, dans cette même nuit, sainte Madeleine, -lui apparaissant en rêve, lui dit d’être sans crainte et de poursuivre -son œuvre. Le moine s’en retourna vers son monastère avec les précieuses -reliques; mais, quand il arriva à une demi-lieue du monastère, ni lui ni -ses compagnons ne purent faire avancer davantage les reliques jusqu’à ce -que l’abbé fût venu au-devant d’elles, et les eût fait solennellement -conduire en procession. - -V. Un soldat, qui avait l’habitude de faire, tous les ans, un pèlerinage -au tombeau de sainte Madeleine, fut tué dans un combat. Ses parents, -pleurant autour de son cercueil, reprochaient pieusement à la sainte -d’avoir permis que leur fils mourût sans confession. Et voilà que tout à -coup le mort, à la surprise générale, se leva et demanda un prêtre. -Puis, lorsqu’il se fut confessé et eut reçu l’extrême-onction, aussitôt -il s’endormit en paix dans le Seigneur. - -VI. Sur un bateau en péril, une femme, qui était enceinte, invoqua -sainte Madeleine, faisant le vœu que, si elle était sauvée et s’il lui -naissait un fils, elle donnerait cet enfant au monastère de la -Madeleine. Alors une femme d’apparence surnaturelle s’approcha d’elle, -et, la prenant par le menton, la conduisit saine et sauve jusqu’au -rivage: en récompense de quoi, la naufragée, ayant mis au monde un fils, -remplit fidèlement son vœu. - -VII. Certains auteurs racontent que Marie-Madeleine était la fiancée de -saint Jean l’Evangéliste, et que celui-ci s’apprêtait à l’épouser -lorsque le Christ, survenant au milieu de ses noces, l’appela à lui: ce -dont Madeleine fut si indignée que, depuis lors, elle se livra tout -entière à la volupté. Mais c’est là une légende fausse et gratuite: et -le Frère Albert, dans sa préface à l’évangile de saint Jean, nous -affirme que la fiancée que le saint quitta pour suivre Jésus, resta -vierge toute sa vie, et vécut, plus tard, dans la société de la Vierge -Marie. - -VIII. Un aveugle se rendait en pèlerinage au monastère de Vézelay. -Lorsque l’homme qui le conduisait lui dit que déjà on apercevait -l’église, l’aveugle s’écria: «O sainte Marie-Madeleine, ne me sera-t-il -jamais donné de voir ton église?» Et aussitôt il recouvra la vue. - -IX. Un homme qui était en prison appela à son aide Marie-Madeleine; et, -dans le nuit, une femme inconnue lui apparut, qui brisa ses chaînes, lui -ouvrit la porte de la prison, et lui ordonna de s’enfuir. - -X. Un clerc de Flandre, nommé Etienne, était tombé dans une telle -dépravation qu’il se livrait à tous les vices, et ne voulait pas même -entendre parler des choses du salut. Il gardait seulement une grande -dévotion à Marie-Madeleine, et ne manquait pas de jeûner la veille de sa -fête. Or, comme il visitait le tombeau de la sainte, celle-ci lui -apparut, tout en larmes, et soutenue des deux côtés par des anges. Et -elle lui dit: «Pourquoi, Etienne, te conduis-tu d’une façon si indigne -de moi? Mais moi, du jour où tu as commencé à m’invoquer, j’ai toujours -prié le Seigneur pour toi! Maintenant donc, lève-toi et fais pénitence, -et je ne t’abandonnerai pas jusqu’à ce que tu te sois réconcilié avec -Dieu!» Et Etienne se sentit rempli d’une telle grâce divine que, -renonçant au siècle, il entra en religion, et mena depuis lors une vie -parfaite. A sa mort, on vit Marie-Madeleine descendre vers lui, soutenue -par deux anges, et emporter son âme au ciel comme une blanche colombe. - - - - -XCVI - -SAINT APOLLINAIRE, MARTYR - -(23 juillet) - - -Apollinaire, disciple de l’apôtre Pierre, fut envoyé par son maître, de -Rome, à Ravenne, où il guérit la femme d’un tribun et la baptisa, ainsi -que son mari et toute sa maison. Ce qu’apprenant, le magistrat de la -ville le fit arrêter et conduire au temple de Jupiter, pour qu’il y -sacrifiât aux idoles. Et comme Apollinaire, voyant l’or et l’argent qui -ornaient les idoles, s’écriait qu’on ferait mieux de donner tout cela -aux pauvres, il fut sur-le-champ battu de verges et laissé à demi mort. -Mais ses disciples le recueillirent et, pendant sept mois, il vécut dans -la maison d’une veuve, où, peu à peu, les forces lui revinrent. - -Il se rendit ensuite dans la ville de Classe, pour y guérir un homme -noble qui avait perdu la parole. Et, au moment où il entrait dans la -maison de cet homme, une jeune fille possédée du démon s’écria: -«Eloigne-toi, serviteur de Dieu, ou bien je te ferai emporter hors de la -ville pieds et poings liés!» Et Apollinaire ordonna au démon qui était -en elle de la quitter, ce qu’il fit aussitôt. Puis, s’approchant du -muet, il invoqua Dieu sur lui et le guérit; et plus de cinq cents -personnes se convertirent au Christ. Mais les païens, pour l’empêcher de -prononcer le nom de Jésus, le frappèrent de verges; et lui, gisant à -terre, il continuait à proclamer le vrai Dieu. Alors ils le firent se -tenir debout, les pieds nus, sur des pointes de fer; et comme il -continuait à prêcher le Christ, ils le chassèrent de la ville. - -Apollinaire revint à Ravenne, où un patricien, nommé Rufus, l’appela -près de sa fille qui était malade. Et à peine était-il entré dans la -maison de Rufus que cette jeune fille mourut. Alors Rufus: «Mieux eût -valu que tu n’entrasses point dans ma maison, car les dieux s’en sont -irrités, et ont refusé de guérir ma fille! Et maintenant que peux-tu -pour elle?» Mais Apollinaire: «Sois sans crainte; et jure-moi seulement -que, si ta fille revient à la vie, tu la laisseras librement se -consacrer au service de son Créateur!» Rufus l’ayant juré, le saint fit -une prière, et aussitôt la jeune femme se leva; après quoi, confessant -le Christ, elle reçut le baptême avec sa mère et toute sa maison; et -elle resta vierge durant toute sa vie. - -La nouvelle en étant parvenue à l’empereur, celui-ci écrivit au préfet -du prétoire que, si Apollinaire refusait de sacrifier aux idoles, il eût -à être envoyé en exil. Et le préfet, pour obtenir d’Apollinaire qu’il -sacrifiât aux idoles, le fit battre de verges et attacher à un chevalet. -Et comme le saint continuait à prêcher le Christ, il fit verser de l’eau -bouillante dans ses plaies, le chargea de chaînes et voulut que, dans -cet état, il partît pour l’exil. Mais les chrétiens, indignés à la vue -d’une telle cruauté, s’élancèrent sur les païens, dont ils tuèrent plus -de deux cents. Le préfet, épouvanté, se cacha dans son palais et y fit -cacher Apollinaire, qu’il fit ensuite transporter à bord d’un bateau -avec trois clercs, ses disciples. Mais, sur le bateau, le saint échappa -aux périls de la tempête et convertit les deux soldats chargés de sa -garde. Revenu à Ravenne, il fut repris par les païens et conduit au -temple d’Apollon où, sur un signe de lui, la statue du dieu se brisa en -morceaux. Alors les prêtres le conduisirent devant le juge Taurus; mais -celui-ci avait un fils aveugle à qui le saint rendit la vue; et le juge, -émerveillé de ce miracle, se convertit et, pendant quatre ans, le saint -demeura dans sa maison. Au bout de ce temps, les prêtres l’accusèrent -auprès de l’empereur Vespasien: mais celui-ci se borna à dire que, si -quelqu’un refusait de sacrifier aux idoles, il aurait à être puni de -l’exil; ajoutant que ce n’était pas aux hommes de venger les dieux, mais -aux dieux eux-mêmes, s’ils le jugeaient bon. Alors le patricien -Démosthène somma le saint de sacrifier aux idoles; et, sur son refus, il -le livra à un centurion qui, déjà, s’était secrètement converti au -christianisme. Ce centurion, pour dérober le saint à la fureur de la -foule païenne, le conduisit dans un faubourg habité par des lépreux; -mais la foule le suivit jusque-là, le roua de coups, et l’accabla de -blessures mortelles. Il survécut cependant toute une semaine encore, -enseignant ses disciples. Puis il rendit l’âme, et fut solennellement -enseveli par les chrétiens. Ce martyre eut lieu sous le règne de -Vespasien, vers l’an du Seigneur 70. - - - - -XCVII - -SAINTE CHRISTINE, VIERGE ET MARTYRE - -(24 juillet) - - -Christine, jeune fille noble, naquit à Tyr, en Italie. Comme elle était -fort belle, et que nombre d’hommes la demandaient en mariage, ses -parents, qui voulaient la consacrer au culte des dieux, l’enfermèrent -dans une tour, avec douze suivantes, en compagnie d’idoles d’or et -d’argent. Mais elle, instruite par l’esprit divin, elle avait horreur de -sacrifier aux idoles, et jetait par la fenêtre l’encens qu’elle aurait -dû brûler devant les dieux. Et ses suivantes dirent à son père; «Ta -fille, notre maîtresse, dédaigne de sacrifier à nos dieux et se proclame -chrétienne!» Le père voulut, par des caresses, ramener sa fille au culte -des dieux. Mais elle: «Ce n’est pas à des dieux mortels, mais au Dieu -céleste que j’offre mon sacrifice!» Et son père: «Ma fille, si tu -n’offres de sacrifice qu’à un seul Dieu, les autres dieux en seront -fâchés!» Et elle: «Tu as raison sans t’en douter; car le fait est que -j’offre mon sacrifice au Père, au Fils et au Saint-Esprit.» Et le père: -«Si tu adores trois dieux, pourquoi refuses-tu d’adorer les autres?» -Mais elle: «Ces trois dieux n’en forment qu’un seul!» - -Christine brisa ensuite les idoles de son père et distribua aux pauvres -l’or et l’argent dont elles étaient faites. Son père, furieux de sa -désobéissance, la fit dévêtir, et ordonna à douze de ses serviteurs de -la frapper, ce qu’ils firent jusqu’à ce que les forces leur manquèrent. -Alors Christine dit à son père: «Homme sans honneur, sans pudeur et -détesté de Dieu, vois: les bourreaux n’ont plus la force de me frapper! -que ne demandes-tu à tes dieux de leur rendre des forces?» Le père la -fit charger de chaînes et jeter en prison. - -Ce qu’apprenant, sa mère déchira ses vêtements, et, s’étant rendue -auprès d’elle, se jeta à ses pieds et lui dit: «Ma chère fille, lumière -de mes yeux, aie pitié de moi!» Mais elle: «Je ne suis plus ta fille, -mais bien celle du Dieu dont je porte le nom!» Enfin la mère, ne -parvenant pas à la persuader, revint vers son mari et lui répéta ses -réponses. Alors le père fit comparaître Christine devant lui et lui dit: -«Si tu ne veux pas sacrifier aux dieux, c’est toi-même qui sera -sacrifiée et tu cesseras d’être ma fille!» Mais elle: «Je te remercie du -moins de ce que tu ne m’appelles plus la fille du diable que tu es; car -ce qui naît d’un diable ne peut être que diabolique!» Alors il ordonna -qu’on lui déchirât les chairs et qu’on rompît ses membres. Mais -Christine, prenant des morceaux de sa chair, les lui jetait au visage, -et lui disait: «Prends cela, tyran et mange cette chair que tu as -engendrée!» Son père la fit ensuite attacher à une roue et fit allumer -sous elle un bûcher où l’on jeta de l’huile; mais une grande flamme en -jaillit, qui tua quinze cents personnes sans lui faire aucun mal. - -Son père, qui attribuait tous ces miracles à des artifices magiques, la -fit ramener en prison et ordonna que, la nuit, elle fût jetée à la mer -avec une grande pierre attachée au cou. Mais aussitôt les anges la -maintinrent au-dessus de l’eau, et le Christ, descendant vers elle, la -baptisa dans la mer; après quoi il la confia à l’archange Michel, qui la -ramena sur le rivage. - -Son père, exaspéré, lui dit: «Par quels maléfices parviens-tu à dompter -jusqu’aux flots de la mer?» Mais elle: «Homme malheureux et stupide, ne -comprends-tu pas que c’est le Christ qui m’accorde cette grâce?» Son -père la fit jeter en prison, avec l’intention de la faire décapiter le -jour suivant; mais, dans la nuit, ce mauvais père, qui s’appelait -Urbain, fut trouvé mort dans son palais. - -Il eut pour successeur un magistrat non moins inique, nommé Elius, qui -la fit plonger dans une chaudière allumée avec de l’huile, de la résine -et de la poix; et il ordonna à quatre hommes de secouer la chaudière, -pour activer la flamme. Mais Christine louait Dieu de ce que, née d’hier -à la foi, il lui permît d’être bercée comme un petit enfant. Et le juge, -furieux, lui fit raser la tête et la fit conduire nue à travers la ville -jusqu’au temple d’Apollon; mais là, sur un signe d’elle, la statue du -dieu tomba en poussière; ce dont le juge fut si effrayé qu’il en mourut. - -Il eut pour successeur Julien, qui fit plonger Christine dans une -fournaise ardente; elle y resta cinq jours saine et sauve, chantant avec -des anges et se promenant avec eux. Julien fit lancer sur elle deux -aspics, deux vipères et deux couleuvres. Mais les vipères lui léchèrent -les pieds, les aspics se pendirent sur sa poitrine, et les couleuvres, -s’enroulant autour de son cou, léchèrent sa sueur. Alors Julien dit à -son mage: «Profite de ton art pour exciter ces bêtes!» Mais les bêtes, -aussitôt, se retournèrent contre le mage et le tuèrent. Puis Christine -leur ordonna de se réfugier dans le désert; et elle montra encore son -pouvoir en ressuscitant un mort. Alors Julien lui fit trancher les -mamelles, d’où jaillit du lait au lieu de sang. Puis il lui fit couper -la langue; mais Christine n’en continua pas moins de parler et, prenant -un morceau de sa langue coupée, elle le jeta au visage de Julien, qui -fut atteint à l’œil, et aussitôt perdit la vue. Enfin Julien fit lancer -deux flèches dans son cœur et une dans son côté, et la sainte, ainsi -frappée, mourut. Cela se passait vers l’an du Seigneur 287, sous -Dioclétien. - -Le corps de sainte Christine repose aujourd’hui dans une place forte -appelée Bolsène et qui est située entre Viterbe et Civita-Vecchia. Quant -à la ville de Tyr, qui était située tout près de là, elle a été détruite -de fond en comble. - - - - -XCVIII - -SAINT JACQUES LE MAJEUR, APÔTRE - -(25 juillet) - - -I. L’apôtre Jacques, fils de Zébédée, après l’ascension du Seigneur, -prêcha d’abord en Judée et en Samarie, puis il se rendit en Espagne pour -y semer la parole divine. Mais voyant que son séjour en Espagne était -sans profit et qu’il n’était parvenu à y former que neuf disciples, il y -laissa deux de ces disciples, et, avec les sept autres, revint en Judée. -Jean Beleth assure même que, pendant tout son séjour en Espagne il ne -put faire qu’une seule conversion. - -Rentré en Judée, il se remit à prêcher la parole de Dieu. Sur la demande -des pharisiens, un mage nommé Hermogène envoya vers lui son disciple -Philet pour le convaincre devant les Juifs de la fausseté de sa -prédication. Mais ce fut, au contraire, l’apôtre qui, en présence de la -foule, convertit Philet, tant par ses arguments que par ses miracles; et -le disciple du mage, quand il s’en retourna près de son maître, lui -vanta la doctrine de Jacques, lui raconta ses miracles, lui dit qu’il -était résolu à devenir chrétien, et l’engagea à imiter son exemple. -Alors Hermogène, furieux, se servit de la magie pour l’immobiliser de -telle sorte que le malheureux Philet n’avait plus la force de faire un -mouvement; et il lui dit: «Nous verrons bien si ton Jacques parviendra à -te délivrer!» Or Jacques, informé de la chose, envoya à Philet un linge -qu’il avait sur le corps. Et à peine Philet eut-il touché ce linge que, -délivré de ses chaînes magiques, il brava Hermogène et alla rejoindre -l’apôtre. Le mage, exaspéré, ordonna aux démons de lui amener Jacques et -Philet chargés de chaînes, pour intimider, par cet exemple, les autres -disciples. Mais les démons, arrivés en face de Jacques, commencèrent à -gémir piteusement, en disant: «Apôtre Jacques, aie pitié de nous, car -voici que nous brûlons avant notre temps!» Et Jacques: «Pourquoi -venez-vous ici?» Et les démons: «C’est Hermogène qui nous a envoyés pour -que nous nous emparions de toi et de Philet; mais aussitôt l’ange de -Dieu nous a liés avec des chaînes de feu, et il ne cesse pas de nous -torturer.» Et Jacques: «Que l’ange de Dieu vous rende la liberté: mais -ce n’est qu’à la condition que vous vous empariez d’Hermogène et me -l’ameniez ici enchaîné, sans cependant lui faire aucun mal!» Les démons -firent comme il l’ordonnait; et Jacques dit à Philet: «Suivons l’exemple -du Christ, qui nous a enseigné de rendre le bien pour le mal! Hermogène -t’a enchaîné; toi, délivre-le!» Et comme Hermogène, débarrassé de ses -liens, se tenait tout confus devant l’apôtre, celui-ci lui dit: «Va -librement où tu veux aller! car notre doctrine n’admet pas que personne -se convertisse malgré lui!» Et Hermogène lui dit: «Je connais l’humeur -vindicative des démons. Ils me tueront si tu ne me donnes pas, pour me -protéger, quelque objet t’ayant appartenu.» Alors Jacques lui donna son -bâton; et le mage alla chercher ses livres, et les rapporta à l’apôtre, -qui lui ordonna de les jeter à la mer. Après quoi Hermogène, se jetant à -ses pieds, lui dit: «Libérateur des âmes, reçois en pénitent celui que -tu as daigné secourir tandis qu’il t’enviait et cherchait à te nuire!» -Et, depuis lors, il se montra parfait dans la crainte de Dieu. - -Mais les Juifs, furieux de cette conversion, vinrent trouver Jacques et -lui reprochèrent de prêcher la divinité de Jésus. Et l’apôtre leur -prouva si clairement cette divinité, par le témoignage des livres -saints, que plusieurs d’entre eux se convertirent. Ce que voyant, le -grand prêtre Abiathar souleva le peuple, fit passer une corde autour du -cou de l’apôtre, et le conduisit devant Hérode Agrippa, qui le condamna -à avoir la tête tranchée. Or, comme on le conduisait au supplice, un -paralytique, gisant sur la route, le supplia de lui rendre la santé. Et -Jacques lui dit: «Au nom de Jésus-Christ, pour qui je vais souffrir la -mort, sois guéri, lève-toi et bénis ton Créateur!» Et aussitôt le malade -guérit, se leva et bénit le Seigneur. Alors le scribe qui conduisait -Jacques se jeta à ses pieds, lui demanda pardon, et lui dit qu’il -voulait devenir chrétien. Ce que voyant, Abiathar le fit saisir et lui -dit: «Si tu ne maudis pas le nom du Christ, tu seras toi-même décapité -avec Jacques!» Et le scribe: «Maudis sois-tu toi-même, et que le nom du -Christ soit béni à jamais!» Alors Abiathar le fit frapper au visage, et -obtint d’Hérode qu’il partageât le supplice de l’apôtre. Et comme on -s’apprêtait à les décapiter tous deux, Jacques demanda au bourreau un -vase plein d’eau, dont il se servit pour baptiser le scribe, nommé -Joséas: après quoi tous deux eurent la tête tranchée. Ce martyre eut -lieu le huitième jour des calendes d’avril; mais l’Eglise a décidé que -la fête de saint Jacques Majeur serait célébrée le huitième jour des -calendes d’août (25 juillet), date où le corps du saint fut transporté à -Compostelle. - -II. Après la mort de Jacques, ses disciples, par crainte des Juifs, -placèrent le corps sur un bateau, s’y embarquèrent avec lui, se confiant -à la sagesse divine; et les anges conduisirent le bateau en Galice; dans -le royaume d’une reine qui s’appelait Louve, et qui méritait de porter -ce nom. Les disciples déposèrent le corps sur une grande pierre, qui, à -son contact, mollit comme de la cire et forma d’elle-même un sarcophage -adapté au corps. Puis les disciples se rendirent auprès de la reine -Louve et lui dirent: «Notre-Seigneur Jésus-Christ t’envoie le corps de -son disciple, afin que tu reçoives mort celui que tu n’as pas voulu -recevoir vivant!» Ils lui racontèrent le miracle qui avait permis au -bateau de naviguer sans gouvernail; et ils la prièrent de désigner un -lieu pour la sépulture du saint. Alors la méchante reine les envoya -traîtreusement au roi d’Espagne, sous prétexte de lui demander son -autorisation; et le roi s’empara d’eux et les jeta en prison. Mais, la -nuit, un ange leur ouvrit les portes de la prison et les remit en -liberté. Le roi, dès qui l’apprit, envoya des soldats à leur poursuite; -mais, au moment où ces soldats allaient franchir un pont, le pont se -rompit et tous furent noyés. A cette nouvelle, le roi eut peur pour -lui-même, et se repentit. Il envoya d’autres hommes à la recherche des -disciples de Jacques, mais, cette fois, avec mission de leur dire que, -s’ils voulaient revenir, il n’aurait rien à leur refuser. Ils revinrent -donc et convertirent toute la ville à la foi du Christ, puis ils -retournèrent auprès de Louve, pour lui faire part du consentement du -roi. Et la reine, furieuse, leur répondit: «Allez prendre, dans la -montagne, des bœufs que j’ai là, mettez-leur un joug, et emportez le -corps de votre maître dans un lieu où vous puissiez lui élever un -tombeau!» La perfide créature savait, en effet, que ces prétendus bœufs -étaient des taureaux indomptés; et elle se disait que, si les disciples -de Jacques leur mettaient le joug, les taureaux ne manqueraient point de -les tuer et de jeter à terre le corps du saint. Mais il n’y a point de -sagesse qui vaille contre Dieu. Les disciples, ne soupçonnant point la -ruse, gravirent la montagne, où d’abord un dragon vomissait des flammes; -ils lui présentèrent une croix, et le dragon se rompit en deux. Il -firent ensuite le signe de la croix, et les taureaux, devenus doux comme -des agneaux, se laissèrent mettre le joug, et coururent porter le corps -du saint dans le palais même de la Louve: ce que voyant, celle-ci, -émerveillée, crut en Jésus, transforma son palais en une église de -Saint-Jacques, et la dota magnifiquement. Et le reste de sa vie s’écoula -dans les bonnes œuvres. - -III. Le pape Calixte raconte qu’un certain Bernard, du diocèse de -Modène, ayant été enchaîné en haut d’une tour, ne cessait d’invoquer -saint Jacques. Le saint lui apparut et lui dit: «Viens, suis-moi en -Galice!» Puis il brisa les chaînes du prisonnier, et disparut. Alors -Bernard s’élança du haut de la tour, qui avait plus de soixante coudées, -et il descendit ainsi à terre sans se faire aucun mal. - -Bède raconte qu’un homme avait commis tant de péchés que son évêque -hésitait à l’absoudre. Enfin l’évêque envoya cet homme au tombeau de -saint Jacques avec un papier où étaient inscrits ses péchés. Le jour de -la Saint-Jacques, le papier fut placé sur le tombeau du saint; et quand -le pécheur, après une fervente prière, reprit le papier et l’ouvrit, il -vit que la liste de ses péchés se trouvait effacée. - -Hubert de Besançon raconte que l’an 1070, trente hommes de Lorraine, qui -allaient en pèlerinage au tombeau de saint Jacques, se jurèrent de se -rendre service mutuellement, à l’exception d’un seul qui ne voulut point -jurer. L’un de ces pèlerins tomba malade, en route, et ses compagnons -l’attendirent pendant quinze jours; mais enfin tous l’abandonnèrent à -l’exception de celui qui avait refusé de jurer. Et, le soir, le malade -mourut au pied du mont Saint-Michel. Alors son compagnon s’épouvanta -fort, et de la solitude du lieu, et de l’obscurité de la nuit, et du -voisinage du cadavre. Mais saint Jacques lui apparut sous la forme d’un -cavalier, et le consola en lui disant: «Confie-moi ce mort, et monte en -croupe derrière moi sur mon cheval!» Et dans cette même nuit, le saint, -lui faisant franchir une distance de plus de quinze étapes, l’amena à -une demi-lieue de Saint-Jacques de Compostelle. Il lui ordonna ensuite -de rassembler les chanoines pour ensevelir le mort, et aussi de dire à -ses vingt-huit compagnons que, ayant manqué à leur serment, ils ne -tireraient aucun profit de leur pèlerinage. - -Un Allemand qui se rendait avec son fils au tombeau de saint Jacques, en -l’an 1020, s’arrêta en route dans la ville de Toulouse. L’hôte chez qui -ils logeaient enivra le père et cacha, dans son sac, un vase d’argent. -Le lendemain, comme les pèlerins voulaient repartir, l’hôte les accusa -de lui avoir volé un vase qui, en effet, fut retrouvé dans leur sac. Le -magistrat devant qui ils furent conduits les condamna à remettre tout -leur bien à l’hôte qu’ils avaient voulu dépouiller, et il ordonna, en -outre, que l’un des deux eût à être pendu. Après un long conflit où le -père voulait mourir pour son fils et le fils pour son père, ce fut le -fils qui l’emporta. Il fut pendu, et le père, désolé, poursuivit son -pèlerinage. Lorsqu’il revint à Toulouse, trente-six jours après, il -courut au gibet où pendait son fils, et commença à pousser des cris -lamentables. Mais voilà que le fils, lui adressant la parole, lui dit: -«Mon cher père, ne pleure pas, car rien de mauvais ne m’est arrivé, -grâce à l’appui de saint Jacques qui m’a toujours nourri et soutenu!» Ce -qu’entendant, le père courut vers la ville; et la foule détacha de la -potence son fils, qui se trouva en parfaite santé; et ce fut l’hôte -qu’on pendit à sa place. - -D’après Hugues de Saint-Victor, un pèlerin, qui se rendait au tombeau de -saint Jacques, vit le diable lui apparaître sous la forme du saint; et -le faux saint Jacques, après lui avoir exposé les misères de la vie -terrestre, l’engagea à se tuer en l’honneur de lui. Le naïf pèlerin prit -son épée et se tua sur-le-champ. Et déjà la foule allait mettre à mort -l’hôte chez qui il demeurait, et que l’on soupçonnait d’être son -assassin, lorsque soudain le mort, revenant à la vie, raconta, que, au -moment où le démon le conduisait en enfer, le vrai saint Jacques était -intervenu, et avait sommé les démons de lui rendre la vie. - -Hugues, abbé de Cluny, nous raconte un autre miracle de saint Jacques. -Un jeune homme du diocèse de Lyon, qui avait une grande dévotion pour le -saint et faisait de fréquents pèlerinages à son tombeau, se laissa un -jour tenter en chemin, et commit le péché de fornication. Alors le -diable lui apparut, sous la forme de saint Jacques, et lui dit: «Je suis -l’apôtre Jacques, à qui tu as l’habitude de venir faire visite. Mais, -cette fois, tu peux te dispenser de poursuivre ton chemin, car ton péché -ne te sera remis que si tu te coupes entièrement les parties génitales. -Et tu serais plus heureux encore si tu avais le courage de te tuer, et -de souffrir ainsi le martyre en mon nom!» Donc, la nuit suivante, -pendant que ses compagnons dormaient, le jeune homme se coupa les -parties génitales, après quoi il se transperça le ventre d’un coup de -couteau. Le lendemain matin, ses compagnons, épouvantés, s’enfuirent, de -peur d’être soupçonnés d’homicide. Mais au moment où l’on préparait le -cercueil du mort, celui-ci, à l’étonnement de tous, revint à la vie. Il -raconta que, après sa mort, déjà les démons entraînaient son âme vers -l’enfer lorsque le véritable saint Jacques accourut au-devant d’eux et -se mit à les gourmander. Le saint le conduisit ensuite dans une prairie -où se tenait assise la sainte Vierge, conversant avec d’autres saints. -Et dès que saint Jacques eut intercédé auprès d’elle en faveur du jeune -homme, elle manda les démons et ordonna que le mort fût rendu à la vie. -Seules, les cicatrices de l’opération qu’il s’était faite lui restèrent -toujours. - -Autre miracle, rapporté par le pape Calixte. Vers l’an du Seigneur 1100, -un Français se rendait à Saint-Jacques-de-Compostelle avec sa femme et -ses fils, en partie pour fuir la contagion qui désolait son pays, en -partie pour voir le tombeau du saint. Dans la ville de Pampelune, sa -femme mourut, et leur hôte le dépouilla de tout son argent, lui prenant -même la jument sur le dos de laquelle il conduisait ses enfants. Alors -le pauvre père prit deux de ses enfants sur ses épaules, et traîna les -autres par la main. Un homme qui passait avec un âne eut pitié de lui et -lui donna son âne, afin qu’il pût mettre ses enfants sur le dos de la -bête. Arrivé à Saint-Jacques-de-Compostelle, le Français vit le saint -qui lui demanda s’il le reconnaissait, et qui lui dit: «Je suis l’apôtre -Jacques. C’est moi qui t’ai donné un âne pour venir ici et qui te le -donnerai de nouveau pour t’en retourner. Mais sache que l’hôte qui t’a -dépouillé va mourir et que tout ce qu’il t’a pris te sera rendu!» Elles -choses arrivèrent comme le saint l’avait dit; et, dès que le pèlerin -rentra en possession de son cheval, l’âne qui avait porté ses enfants -disparut aussitôt. - -Miracle rapporté par Hubert de Besançon. Trois soldats du diocèse de -Lyon allaient en pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. L’un d’eux, -rencontrant une femme qui le priait de la décharger de son sac, prit le -sac et le mit sur son cheval. Il rencontra ensuite un malade qui -défaillait sur la route. Il le mit sur son cheval, prit en main son -bourdon ainsi que le sac de la femme, et se mit à marcher à pied, -derrière le cheval. Mais l’ardeur du soleil et la fatigue l’épuisèrent -si fort que, arrivé en Galice, il tomba gravement malade. Ses compagnons -lui rappelèrent le salut de son âme; mais, pendant trois jours, il -n’ouvrit point la bouche. Enfin, le quatrième jour, il soupira -profondément et dit: «Grâces soient rendues à saint Jacques, par les -mérites de qui me voici délivré! Car, pendant ces trois jours, des -démons m’avaient assailli et me serraient de partout, me mettant dans -l’impossibilité de vous répondre. Mais, tout à l’heure, enfin, j’ai vu -entrer ici saint Jacques, portant dans une main, comme une lance, le -bourdon du mendiant, et dans l’autre main, comme un bouclier, le sac de -la femme; et il s’est jeté sur les démons, et les a mis en fuite. -Maintenant appelez vite un prêtre, car je sens que ma vie va bientôt -finir!» Puis se tournant vers l’un d’eux en particulier, il lui dit: -«Ami, sache que le maître que tu sers est damné, et qu’il va mourir de -malemort!» L’ami ainsi prévenu, quand il revint de son pèlerinage, -avertit son maître; mais celui-ci ne tint nul compte de l’avertissement -et refusa de s’amender; et, peu de temps après, il fut tué à la guerre, -d’un coup de lance. - -Miracle rapporté par le pape Calixte. Un pèlerin de Vézelay, qui se -rendait au tombeau de saint Jacques, se trouva, un jour, à court -d’argent; et, comme il avait honte de mendier, il trouva sous un arbre, -sous lequel il s’était endormi, un pain cuit dans la cendre. Aussi bien -avait-il rêvé, dans son sommeil, que saint Jacques se chargeait de le -nourrir. Et, de ce pain, il vécut pendant quinze jours, jusqu’à son -retour dans son pays. Non qu’il se privât d’en manger à sa faim, deux -fois par jour; mais, le lendemain, il retrouvait le pain tout entier -dans son sac. - -Autre miracle rapporté par le pape Calixte. Un habitant de Barcelone, -étant allé en pèlerinage au tombeau de saint Jacques, lui demanda, comme -seule faveur, de n’être jamais retenu prisonnier. Or, comme il s’en -retournait par mer, il fut pris par des Sarrasins, qui le vendirent -comme esclave: mais les chaînes dont on voulait le lier se brisaient -aussitôt. Il fut ainsi vendu et revendu douze fois; mais, la treizième -fois, on lui mit une double chaîne qui ne se brisa plus. Il invoqua -saint Jacques, qui apparut et lui dit: «Tous ces maux t’ont été infligés -parce que, dans mon église, tu as oublié le salut de ton âme pour ne -t’occuper que de la liberté de ton corps. Mais le Seigneur, dans sa -miséricorde, m’a envoyé pour te délivrer.» Aussitôt les chaînes de -l’esclave se brisèrent, et il revint dans son pays en portant dans ses -mains une partie de ces chaînes, comme signe du miracle. - -L’an du Seigneur 238, la veille de la fête de saint Jacques, dans la -place forte de Prato, située entre Florence et Pistoie, un jeune paysan, -d’esprit un peu simple, mit le feu à la grange de son tuteur, qui -voulait le dépouiller de son héritage. Arrêté, il avoua sa faute, et fut -attaché à la queue d’un cheval. Mais, s’étant voué à saint Jacques, il -fut traîné sur un sol pierreux sans que son corps ni même sa chemise -eussent aucun mal. On l’attacha ensuite à un poteau, au pied duquel on -alluma un grand feu; mais il invoqua de nouveau saint Jacques et la -flamme ne lui fit aucun mal. Les juges voulurent recommencer le -supplice, mais la foule le délivra; et l’on s’accorda pour louer Dieu, -et l’apôtre saint Jacques son serviteur. - - - - -XCIX - -SAINT CHRISTOPHE, MARTYR - -(28 juillet) - - -I. Christophe était un Cananéen d’énorme stature, qui avait douze -coudées de hauteur et un visage effrayant. Et voici ce que racontent à -son sujet quelques vieux auteurs: - -Etant au service du roi de son pays, l’idée lui vint un jour de se -mettre en quête du plus puissant prince qui fût au monde, et de servir -désormais celui-là. Il vint donc auprès de certain roi, dont on disait -couramment qu’aucun autre prince ne l’égalait en puissance. Ce roi, le -voyant tel qu’il était, l’accueillit volontiers et lui donna un logement -dans son palais. Or un jour, un jongleur chantait, en présence du roi, -une chanson, où il nommait fréquemment le diable. Et le roi, qui était -chrétien, ne manquait pas de faire le signe de la croix dès qu’il -entendait prononcer le nom du diable: ce que voyant, Christophe, étonné, -demanda au roi ce que signifiait le geste qu’il faisait. Et comme le roi -refusait de le lui dire, il répondit: «Si tu ne me le dis pas, je -quitterai ton service!» Alors le roi lui dit: «Chaque fois que j’entends -nommer le diable, je me protège par ce signe, de peur qu’il ne prenne -pouvoir sur moi et ne me nuise.» Alors Christophe: «Si tu crains que le -diable ne te nuise, c’est donc qu’il est plus grand et plus puissant que -toi! Aussi vais-je te dire adieu et me mettre en quête du diable, pour -lui offrir mes services: car je n’étais venu ici que parce que je -m’imaginais y trouver le plus puissant prince du monde!» Puis il prit -congé du roi et se mit en quête du diable. Il rencontra, dans un désert, -une grande armée, dont le chef, personnage féroce et terrible, vint -au-devant de lui, et lui demanda où il allait. Et Christophe: «Je vais -en quête du diable pour lui offrir mes services.» Et lui: «Je suis celui -que tu cherches!» Christophe, tout heureux, le prit pour maître. Mais, -comme il passait avec lui devant une croix, élevée au bord d’une route, -le diable, épouvanté, s’enfuit, et fit un long détour afin d’éviter la -croix. Ce que voyant, Christophe, étonné, lui en demanda la cause, le -menaçant de le quitter s’il refusait de lui répondre. Alors le diable -lui dit: «C’est qu’un homme appelé Christ a été attaché sur une croix, -et, depuis lors, dès que je vois le signe de la croix, j’ai peur et je -m’enfuis.» Et Christophe: «C’est donc que ce Christ est plus grand et -plus puissant que toi! Ainsi j’ai perdu mes peines, et n’ai pas encore -trouvé le plus grand prince du monde! Je vais te dire adieu, pour me -mettre en quête du Christ.» - -Il chercha longtemps quelqu’un qui pût le renseigner. Enfin il rencontra -un ermite qui lui dit: «Le maître que tu désires servir exige d’abord de -toi que tu jeûnes souvent.» Et Christophe: «Qu’il exige de moi autre -chose, car cette chose-là est au-dessus de mes forces!» Et l’ermite: «Il -exige que tu fasses de nombreuses prières.» Et Christophe: «Voilà encore -une chose que je ne peux pas faire, car je ne sais pas même ce que c’est -que prier!» Alors l’ermite: «Connais-tu un fleuve qu’il y a dans ce -pays, et qu’on ne peut traverser sans péril de mort?» Et Christophe: «Je -le connais.» Et l’ermite: «Grand et fort comme tu es, si tu demeurais -près de ce fleuve, et si tu aidais les voyageurs à le traverser, cela -serait très agréable au Christ que tu veux servir; et peut-être -consentirait-il à se montrer à toi.» Et Christophe: «Voilà enfin une -chose que je puis faire; et je te promets de la faire pour servir le -Christ!» Puis il se rendit sur la rive du fleuve, s’y construisit une -cabane, et, se servant d’un tronc d’arbre en guise de bâton pour mieux -marcher dans l’eau, il transportait d’une rive à l’autre tous ceux qui -avaient à traverser le fleuve. - -Beaucoup de temps s’étant écoulé ainsi, il dormait une nuit dans sa -cabane, lorsqu’il entendit une voix d’enfant qui l’appelait et lui -disait: «Christophe, viens et fais-moi traverser le fleuve!» Aussitôt -Christophe s’élança hors de sa cabane, mais il ne trouva personne. Et, -de nouveau, lorsqu’il rentra chez lui, la même voix l’appela. Mais, -cette fois encore, étant sorti, il ne trouva personne. Enfin, sur un -troisième appel, il vit un enfant qui le pria de l’aider à traverser le -fleuve. Christophe prit l’enfant sur ses épaules, s’arma de son bâton, -et entra dans l’eau pour traverser le fleuve. Mais voilà que, peu à peu, -l’eau enflait, et que l’enfant devenait lourd comme un poids de plomb; -et sans cesse l’eau devenait plus haute et l’enfant plus lourd, de telle -sorte que Christophe crut bien qu’il allait périr. Il parvint cependant -jusqu’à l’autre rive. Et, y ayant déposé l’enfant, il lui dit: «Ah! mon -petit, tu m’as mis en grand danger; et tu as tant pesé sur moi que, si -j’avais porté le monde entier, je n’aurais pas eu les épaules plus -chargées!» Et l’enfant lui répondit: «Ne t’en étonne pas, Christophe; -car non seulement tu as porté sur tes épaules le monde entier, mais -aussi Celui qui a créé le monde. Je suis en effet le Christ, ton maître, -celui que tu sers en faisant ce que tu fais. Et, en signe de la vérité -de mes paroles, quand tu auras franchi le fleuve, plante dans la terre -ton bâton, près de ta cabane: tu le verras, demain matin, chargé de -fleurs et de fruits.» Sur quoi l’enfant disparut; et Christophe, ayant -planté son bâton, le retrouva, dès le matin suivant, transformé en un -beau palmier plein de feuilles et de dattes. - -II. Il eut, plus tard, l’occasion de se rendre à Samos, ville de Lycie; -et, comme il ne comprenait pas la langue des habitants, il se mit en -prière, pour demander à Dieu l’intelligence de cette langue. Et -lorsqu’il l’eut obtenue, il se couvrit le visage, se rendit au cirque, -et se mit à réconforter les chrétiens qu’on y torturait. Alors un des -juges le frappa au visage. Et Christophe, se découvrant, lui dit: «Si je -n’étais chrétien, je vengerais aussitôt une telle injure!» Puis il -planta en terre son bâton et pria le Seigneur d’y faire pousser des -feuilles, pour que ce miracle convertît le peuple. Le miracle se -produisit en effet, et huit mille hommes se convertirent. - -Alors le roi envoya vers lui deux cents soldats, pour s’en emparer: mais -les soldats, s’étant approchés, le virent en prière, et n’osèrent point -le toucher. Le roi en envoya deux cents autres: le trouvant en prière, -ils se mirent à genoux et prièrent avec lui. Et Christophe, se relevant, -leur dit: «Que voulez-vous?» Ils lui répondirent: «C’est le roi qui nous -a envoyés, pour que nous t’enchaînions et te conduisions vers lui!» -Alors Christophe: «Si je le veux, vous ne pourrez ni m’enchaîner ni me -conduire nulle part.» Et les soldats: «Si tu ne veux pas venir avec -nous, va-t’en librement où tu voudras, et nous dirons au roi que nous -n’avons pas pu te trouver!» Mais lui: «Pas du tout, je suis prêt à aller -avec vous.» Il les convertit cependant, d’abord, à la foi du Christ; -puis il leur ordonna de lui lier les mains derrière le dos et de le -conduire ainsi auprès du roi. Et le roi, en l’apercevant, eut peur et -s’enfuit de son trône. Puis, reprenant courage, il l’interrogea sur son -nom et sur sa patrie. Et Christophe: «Avant mon baptême je m’appelais, -le Réprouvé; maintenant je m’appelle le Porte-Christ.» Et le roi: «Tu -t’es donné là un nom bien sot, le nom de ce Christ crucifié qui ne t’a -servi ni ne pourra jamais te servir de rien. Pourquoi ne veux-tu pas -plutôt sacrifier à nos dieux?» Et Christophe: «Eh bien, toi, tu mérites -ton nom de Dagnus, car tu es le complice du diable, et tes dieux ne sont -que de vaines images!» Et le roi: «Nourri parmi les bêtes féroces, tu ne -sais dire que des choses bonnes pour elles, et incompréhensibles pour -l’espèce humaine. Je te préviens seulement que, si tu consens à -sacrifier à nos dieux, tu recevras de moi de grands honneurs; mais que, -si tu refuses, tu périras dans les supplices.» Et, comme le saint -refusait de sacrifier, il le fit jeter en prison; et il fit décapiter -les soldats qui, envoyés vers lui, s’étaient convertis à la foi du -Christ. Il fit ensuite introduire dans la cellule du prisonnier deux -belles filles, nommées Nicée et Aquiline, leur promettant de grandes -récompenses si elles amenaient Christophe à pécher avec elles. Mais -Christophe, en les apercevant, se mit aussitôt en prière. Et comme les -deux filles tournaient autour de lui pour l’embrasser, il se leva et -leur dit: «Que cherchez-vous, mes enfants, et pourquoi vous a-t-on -introduites ici?» Et elles, effrayées de l’éclat de son regard, lui -dirent: «Saint homme de Dieu, aie pitié de nous, et aide-nous à croire -au Dieu que tu prêches!» Ce qu’apprenant, le roi les fit comparaître -devant lui, et leur dit: «Vous êtes-vous donc laissées séduire, vous -aussi? En tout cas je vous jure que, si vous ne sacrifiez pas aux dieux, -vous périrez de malemort!» Alors elles lui répondirent: «Si tu veux que -nous sacrifiions, ordonne que le peuple entier se réunisse dans le -temple!» Puis, entrant dans le temple, elles lancèrent leurs ceintures -autour du cou des idoles, les tirèrent à elles, les mirent en poussière, -et dirent aux assistants: «Allez maintenant chercher les médecins, et -dites-leur de guérir vos dieux!» Alors, par ordre du roi, Aquiline est -pendue à un arbre; on attache à ses pieds une énorme pierre, et on lui -rompt tous les membres. Et, lorsqu’elle a rendu son âme au Seigneur, sa -sœur Nicée est jetée dans le feu: mais elle en sort sans souffrir aucun -mal; et le roi, aussitôt, la fait décapiter. - -Mandant ensuite Christophe, il le fait frapper de verges de fer, lui -fait placer sur la tête un casque de fer rouge, le fait attacher sur un -siège de fer rouge. Mais celui-ci se brise comme de la cire, et -Christophe se relève sans avoir aucun mal. Alors le roi le fait attacher -à un tronc d’arbre, et ordonne à quatre mille soldats de tirer sur lui. -Mais leur flèches restent suspendues en l’air: aucune d’elles ne -parvient à atteindre Christophe. Et comme le roi, le croyant déjà tout -transpercé de flèches, lui crie des insultes, soudain une flèche se -retourne contre lui, le frappe à l’œil, et le rend aveugle. Alors -Christophe: «Je sais que c’est aujourd’hui que je vais mourir. Quand je -serai mort, applique un peu de mon sang sur tes yeux, et tu recouvreras -la vue!» Le roi lui fait aussitôt trancher la tête; puis, prenant un peu -de son sang, il s’en frotte les yeux; et aussitôt il recouvre la vue. -Alors le roi se convertit, reçoit le baptême, et décrète que toute -personne qui blasphémera contre Dieu ou contre saint Christophe aura -aussitôt la tête tranchée. - - - - -C - -LES SEPT DORMANTS - -(28 juillet) - - -Les sept dormants étaient de la ville d’Ephèse. Or, l’empereur Décius, -persécuteur des chrétiens, étant venu à Ephèse, y fit construire des -temples au milieu de la ville, afin que tous y vinssent avec lui -sacrifier aux idoles. Et comme il avait fait rechercher tous les -chrétiens, pour les forcer à sacrifier ou à mourir, si grande était la -terreur de ses châtiments que l’ami reniait son ami, le fils son père, -et le père son fils. Et sept chrétiens d’Ephèse, Maximien, Malchus, -Martien, Denis, Jean, Sérapion et Constantin, souffraient beaucoup de -cet état de choses. Ayant horreur de sacrifier aux idoles, ils restaient -cachés dans leurs maisons, jeûnaient et priaient. Leur absence ne tarda -pas à être remarquée, car ils étaient parmi les premiers fonctionnaires -du palais. Ils furent donc saisis et conduits devant Décius qui, sur -leur aveu qu’ils étaient chrétiens, ne voulut point les condamner de -suite, mais leur fixa un délai jusqu’à son retour, afin qu’ils eussent -le temps de réfléchir et de se rétracter. Mais eux, après avoir -distribué leurs biens aux pauvres, ils se réfugièrent sur le mont -Célion, et prirent le parti d’y vivre cachés. Chaque matin, l’un d’eux -rentrait en ville pour les provisions, déguisé en mendiant. - -Lorsque Décius fut de retour à Ephèse, Malchus, qui était allé en ville -ce jour-là, revint, tout effrayé, dire à ses compagnons que l’empereur -les cherchait pour le sacrifice aux idoles. Et tandis qu’ils étaient à -table, causant entre eux avec des larmes, Dieu voulut que soudain ils -s’endormissent tous les sept. Le matin suivant, comme Décius -s’affligeait déjà de la perte d’aussi bons serviteurs, on lui dit que -les sept officiers, après avoir donné leurs biens aux pauvres, étaient -allés se cacher sur le mont Célion. Décius fit alors venir leurs parents -et leur ordonna, sous peine de mort, de lui révéler tout ce qu’ils -savaient. Les parents confirmèrent la dénonciation portée contre leurs -fils, à qui ils ne pouvaient pardonner de s’être dépouillés de tous -leurs biens. Et Décius, inspiré à son insu par l’esprit divin, fit -obstruer de pierres l’entrée de la caverne où étaient les sept jeunes -gens, afin qu’ils y mourussent d’épuisement. Ainsi fut fait; et deux -chrétiens Théodore et Rufin, placèrent secrètement parmi les pierres une -relation du martyre des sept saints. - -Or, longtemps après la mort de Décius et de toute sa génération, la -trentième année de l’empire de Théodose, l’hérésie se répandit, en tous -lieux, de ceux qui niaient la résurrection des morts. Et Théodose, en -bon chrétien, était si désolé des progrès de cette hérésie impie que, -retiré au fond de son palais, et couvert d’un cilice, il pleurait -pendant des journées entières. Ce que voyant, Dieu, dans sa miséricorde, -résolut de consoler le deuil des chrétiens et de les confirmer dans -l’espoir de la résurrection des morts. Et c’est aux sept martyrs -d’Ephèse qu’il confia l’honneur d’en porter témoignage. - -Il inspira à un certain habitant d’Ephèse de faire construire des -étables sur le mont Célion. Et lorsque les maçons ouvrirent la caverne, -les sept dormants se réveillèrent, se saluèrent, comme s’ils n’avaient -dormi qu’une nuit, et, se rappelant les angoisses de la veille, -demandèrent à Malchus s’il savait ce que Décius avait décidé contre eux. -Malchus répondit qu’il allait descendre en ville pour chercher du pain, -et qu’il reviendrait le soir leur rapporter des nouvelles. Il prit cinq -pièces de monnaie, sortit de la caverne, et fut un peu surpris des -pierres qu’il trouva entassées devant l’entrée. Parvenu à la porte de la -ville, il fut plus surpris encore de voir sur cette porte le signe de la -croix. Il alla vers une autre porte, puis une autre encore: le signe de -la croix se trouvait sur toutes, si bien que Malchus crut qu’il rêvait -toujours. Poursuivant son chemin, il arriva au marché. Il entendit que -tous y nommaient le Christ, et sa stupeur ne connut point de bornes. -«Est-ce possible, demanda-t-il, que, dans cette ville où personne hier -n’osait nommer le Christ, chacun le nomme librement aujourd’hui? Et, -d’ailleurs, cette ville n’est pas Ephèse, car les bâtiments y sont tout -autres; et cependant le lieu est le même, et il n’y a point d’autre -ville aux environs!» On lui dit que cette ville était bien Ephèse; et -peu s’en fallut que, se croyant fou, il ne s’en retournât aussitôt vers -ses compagnons. Mais il voulut, tout de même, acheter du pain; et le -boulanger à qui il s’adressa considéra avec surprise les pièces de -monnaie qu’il lui présentait. On lui demanda s’il avait découvert un -trésor ancien. Et Malchus, persuadé qu’on allait le traîner devant -l’empereur, supplia qu’on le laissât partir, sauf à garder l’argent et -les pains. Mais les marchands, le retenant, lui dirent: «D’où es-tu, et -où as-tu trouvé le trésor des anciens empereurs? Dis-nous-le, pour que -nous partagions avec toi: sinon, nous te dénoncerons!» Et comme Malchus, -épouvanté, ne savait que répondre, on lui passa une corde au cou, et on -le traîna par les rues de la ville, et chacun se répétait que ce jeune -homme avait découvert un trésor. En vain Malchus scrutait des yeux la -foule, espérant y trouver un visage connu. Il ne voyait que des faces -nouvelles; et sa stupéfaction le rendait muet. - -Ce qu’apprenant, l’évêque saint Martin et le proconsul Antipater le -firent amener devant eux avec ses pièces d’argent et lui demandèrent où -il avait trouvé ces vieilles pièces de monnaie. Il leur répondit qu’il -n’avait rien trouvé, et que ces pièces venaient de la bourse de ses -parents. On lui demanda d’où il était. Et lui: «Hé, d’ici, à moins que -cette ville ne soit pas Ephèse!» Et le proconsul: «Fais venir tes -parents, pour qu’ils te reconnaissent!» Il nomma ses parents: personne -ne les connaissait. Et le proconsul: «Comment prétends-tu nous faire -croire que cet argent te vienne de tes parents, quand les inscriptions -qu’il porte sont vieilles de près de quatre cents ans, datant des -premiers jours de l’empereur Décius? Et comment oses-tu, jeune homme, -tromper les sages et les anciens d’Ephèse? Tu seras châtié si tu ne nous -révèles où tu as trouvé cet argent!» Alors Malchus leur dit: «O nom du -ciel, seigneurs, répondez à ce que je vais vous demander, et je vous -dirai ensuite tout ce qui est dans mon cœur. L’empereur Décius, qui -était ici hier, où est-il à présent?» Alors l’évêque: «Mon fils, il n’y -a pas aujourd’hui sur terre d’empereur appelé Décius; mais il y en avait -un autrefois, il y a très longtemps.» Et Malchus: «Seigneur, je suis -trop stupéfait, et personne ne me croit. Mais suivez-moi, je vous -montrerai mes compagnons, sur le mont Célion, et vous les croirez! Ce -que je sais, c’est que nous fuyons la colère de l’empereur Décius, et -que j’ai vu cet empereur rentrer hier ici, dans la ville d’Ephèse.» - -Sur l’ordre de l’évêque, qui devinait là un dessein de Dieu le -proconsul, le clergé, et une grande foule suivirent Malchus jusque dans -la caverne; et l’évêque, en y entrant, trouva parmi les pierres un écrit -scellé de deux sceaux d’argent; et il lut cet écrit à la foule -assemblée. Il pénétra ensuite auprès des saints, qu’il trouva assis dans -leur caverne, avec des visages rayonnants comme des roses en fleur. -Aussitôt l’évêque et le proconsul avertirent Théodose, pour qu’il vînt -assister au miracle de Dieu. Et Théodose, se levant du sac sur lequel il -était étendu, et glorifiant Dieu, vint de Constantinople à Ephèse. Il -monta jusqu’à la caverne, vit les saints, dont les visages rayonnaient -comme des soleils, et, après s’être prosterné devant eux et les avoir -embrassés, il s’écria en pleurant: «A vous voir, c’est comme si je -voyais le Seigneur ressuscitant Lazare!» Alors Maximien lui dit: «C’est -pour toi que Dieu nous a ressuscités avant le jour de la grande -résurrection, afin que tu n’aies point de doute sur la réalité de -celle-ci!» Puis, cela dit, tous les sept ils s’endormirent de nouveau, -la tête penchée, et ils rendirent leurs âmes à Dieu. - -L’empereur, après les avoir encore embrassés en pleurant, ordonna que -l’on construisît pour eux des cercueils d’or. Mais, la même nuit, ils -lui apparurent, et lui dirent que, de même qu’ils avaient jusque-là -dormi dans la terre, et étaient ressuscités de la terre, c’était dans la -terre encore qu’ils voulaient reposer jusqu’au jour de la résurrection -suprême. Du moins Théodose fit orner leur sépulcre de pierres dorées. Et -les évêques qui proclamaient la résurrection des morts obtinrent gain de -cause. La légende veut que les sept saints aient dormi pendant 372 ans; -mais la chose est douteuse, car c’est en l’an 448 qu’ils ressuscitèrent, -et Décius régna en l’an 252: de sorte que, plus vraisemblablement, leur -sommeil miraculeux ne dura que 196 ans. - - - - -CI - -SAINTS NAZAIRE ET CELSE, MARTYRS - -(28 Juillet) - - -La vie des saints Nazaire et Celse nous est racontée par saint Ambroise. -Les uns veulent que ce soit d’après un livre des saints Gervais et -Protais, d’autres, d’après un livre écrit par un philosophe ayant une -dévotion spéciale pour saint Nazaire; et l’on ajoute que le livre de ce -philosophe fut placé dans le tombeau des deux saints par Cérasius, qui -les ensevelit. - -Nazaire était fils d’un noble Juif nommé Africain, et de sainte -Perpétue, Romaine de grande famille qui avait été baptisée par l’apôtre -saint Pierre. A l’âge de neuf ans, l’enfant s’étonnait beaucoup de voir -que son père et sa mère observassent deux cultes différents, et que sa -mère suivît la loi du baptême, tandis que son père suivait celle du -sabbat. Et chacun de ses deux parents essayait de l’amener à sa foi: -mais il hésitait, se demandant à laquelle des deux il devait adhérer. -Enfin, par la grâce de Dieu, c’est à la foi de sa mère qu’il adhéra. Il -reçut le baptême du saint pape Lin; ce qu’apprenant, son père s’efforça -de le détourner de sa sainte résolution en lui décrivant les -innombrables supplices infligés aux chrétiens. - -Notons en passant que, quand l’histoire raconte que Nazaire fut baptisé -par le pape Lin, cela ne veut pas dire que saint Lin fût pape au moment -du baptême, mais seulement qu’il devait plus tard devenir pape. Car -Nazaire, ainsi qu’on le verra ci-dessous, survécut de nombreuses années -à son baptême, et son martyre eut lieu sous le règne de Néron, sous le -règne duquel eut aussi lieu le martyre de saint Pierre. Or on sait que -saint Lin fut pape après la mort de saint Pierre. - -Nazaire, sans se laisser émouvoir par les avertissements paternels, -continuait à prêcher le Christ. Enfin ses parents, qui craignaient pour -lui les persécutions, obtinrent de lui qu’il quittât Rome. Ils lui -donnèrent sept mulets chargés de trésors; et lui, parcourant les villes -d’Italie, il distribuait tout aux pauvres. La dixième année de son -départ de Rome, il vint à Plaisance, puis à Milan, où il apprit que les -saints Gervais et Protais se trouvaient emprisonnés. Il s’empressa -d’aller les voir, dans leur prison, pour les encourager dans la foi. Ce -qu’apprenant, le préfet de la ville le fit venir devant lui. Et comme il -persistait à confesser le Christ, il fut chassé de Milan après avoir été -roué de coups. De nouveau il errait de ville en ville, lorsque sa mère, -qui était morte, lui apparut et lui enjoignit de se rendre en Gaule. -Pendant qu’il se trouvait dans une ville des Gaules nommée Genève, où il -avait fait de nombreuses conversions, une dame noble lui amena son fils, -un beau jeune homme appelé Celse, en le priant de le baptiser et de le -prendre avec lui. Le préfet des Gaules, dès qu’il le sut, fit saisir -Nazaire et Celse, leur fit lier les mains, et les fit enfermer en prison -avec une chaîne au cou, se promettant de les torturer le jour suivant. -Mais sa femme lui déclara que c’était chose injuste de vouloir venger -des dieux tout-puissants en mettant à mort des hommes qui n’avaient fait -aucun mal. Et le préfet, touché de ses paroles, remit en liberté les -deux saints, mais en leur interdisant de prêcher dans sa province. - -Nazaire se rendit alors à Trèves, où, le premier, il prêcha le Christ, -et lui éleva une église. Ce qu’apprenant, le gouverneur Cornélius le -dénonça à l’empereur Néron, qui envoya cent hommes pour s’emparer de -lui. Ces hommes, l’ayant trouvé dans l’église qu’il avait construite, -lui lièrent les mains en disant: «Le grand Néron t’appelle.» Et Nazaire -leur dit: «Votre maître a des serviteurs dignes de lui! Vous auriez pu -simplement venir me dire: _Néron t’appelle_; et je serais venu.» Mais -les soldats ne s’obstinèrent pas moins à le tenir enchaîné; et comme le -jeune Celse pleurait, ils le battaient pour le forcer à les suivre. -Ainsi ils arrivèrent en présence de Néron, qui les fit jeter en prison, -en attendant qu’il eût imaginé des supplices pour les faire périr. - -Or, comme Néron avait, un jour, envoyé des chasseurs à la poursuite de -bêtes féroces, celles-ci pénétrèrent en grand nombre dans les jardins -impériaux, où elles blessèrent et tuèrent une foule de gens. Néron -lui-même fut blessé au pied, et eut grand’peine à regagner son palais. -Et la blessure continua longtemps à le faire souffrir: si bien que, se -souvenant de Nazaire et de Celse, il pensa que les dieux étaient irrités -contre lui pour son retard à faire mourir ces infidèles. Il ordonna donc -qu’on amenât devant lui Nazaire et le jeune Celse, en ne leur épargnant -pas les coups durant le trajet. Quand Nazaire comparut devant lui, il -vit que sa figure brillait comme le soleil: et, se croyant le jouet d’un -artifice de magie, il enjoignit au saint de laisser là ses sortilèges et -de sacrifier aux dieux. Nazaire fut donc conduit dans un temple. Il -demanda à y être laissé seul; puis il pria, et toutes les idoles se -brisèrent. Ce qu’apprenant, Néron le fit précipiter dans la mer, -ordonnant que, si par hasard il s’en échappait, on le brûlât vif, et que -ses cendres fussent jetées à l’eau. - -Nazaire et le petit Celse furent mis dans un bateau, et, parvenus en -pleine mer, ils furent jetés dans les flots. Mais aussitôt une tempête -terrible s’éleva autour du bateau, tandis que les deux saints nageaient -doucement sur les flots tout unis. Alors les bourreaux, se voyant en -danger, se repentirent du mal qu’ils avaient fait aux saints. Et voici -que Nazaire, marchant sur l’eau avec le petit Celse, leur apparut, le -visage souriant, les rejoignit sur le bateau, apaisa la tempête par sa -prière, et parvint ainsi avec eux à un endroit voisin de la ville de -Gênes. Il prêcha longtemps dans cette ville, puis se rendit à Milan, où -il avait naguère laissé Gervais et Protais. Ce qu’apprenant, le préfet -Anolin fit garder Celse dans la maison d’une dame de la ville, et -enjoignit à Nazaire de quitter Milan. Le saint se rendit à Rome, où il -trouva son père devenu chrétien. Le vieillard lui raconta que l’apôtre -Pierre lui était apparu, et l’avait averti d’avoir à suivre auprès du -Christ sa femme et son fils. Mais bientôt Nazaire fut pris de nouveau et -reconduit à Milan, où, en compagnie du petit Celse, il eut la tête -tranchée, au-delà de la Porte Romaine, dans un endroit nommé les -Trois-Murs. - -Des chrétiens recueillirent leurs corps et les ensevelirent dans leur -jardin. Mais, la même nuit, les deux saints apparurent à un pieux homme -nommé Cérasius, à qui ils dirent de prendre leurs corps dans sa maison, -et de les ensevelir très profondément, pour les dérober aux recherches -de Néron. Et Cérasius: «Seigneurs, ne voudriez-vous pas, auparavant, -guérir ma fille qui est paralysée?» Aussitôt la jeune fille se trouva -guérie; et Cérasius enterra les deux saints comme ils l’avaient demandé. -Longtemps après, le Seigneur révéla à saint Ambroise l’endroit où -étaient leurs corps; le corps de Nazaire était encore arrosé de son -sang, absolument intact avec ses cheveux et sa barbe; et un parfum -merveilleux s’en dégageait. Saint Ambroise laissa le corps de saint -Celse à l’endroit où il reposait, et fit transporter celui de saint -Nazaire dans l’église des Saints Apôtres. Le martyre des deux saints eut -lieu sous Néron, vers l’an du Seigneur 52. - - - - -CII - -SAINT FÉLIX, PAPE ET MARTYR - -(29 juillet) - - -Félix fut élu pape en remplacement de Libère, et du consentement de -celui-ci, qui, n’ayant pas voulu approuver l’hérésie arienne, avait été -envoyé en exil par Constance, fils de Constantin. Félix, ainsi promu à -la papauté, convoqua un concile de quarante-huit évêques, qui condamna -comme hérétiques l’empereur Constance et deux prêtres, ses conseillers. -Sur quoi, Constance, furieux, destitua Félix de l’évêché de Rome, et -rappela Libère qui, amolli par l’exil, se résigna à tolérer l’hérésie. -La persécution prit alors une telle étendue que, avec l’assentiment -tacite de Libère, une foule de prêtres et de clercs furent tués presque -dans l’église. Félix, qui s’était retiré dans sa maison, y fut pris et -eut la tête tranchée. Il souffrit le martyre en l’an du Seigneur 360. - - - - -CIII - -SAINTS SIMPLICE ET FAUSTIN, MARTYRS - -(29 juillet) - - -Simplice et Faustin, qui étaient frères, souffrirent pour la foi à Rome, -sous l’empereur Dioclétien. Après de nombreux supplices, ils eurent la -tête tranchée, et leurs corps furent jetés dans le Tibre. Mais leur -sœur, nommée Béatrice, retira de l’eau leurs corps et les ensevelit -chrétiennement. Sur quoi, le préfet Lucrèce la fit saisir et lui ordonna -de sacrifier aux idoles. Et, comme elle refusait, il la fit étrangler, -la nuit, par ses serviteurs. Une vierge nommée Lucine déroba le corps de -Béatrice, et l’ensevelit à côté des corps de ses frères. - -Quelques jours après, le préfet, qui avait pris possession de la maison -des martyrs, y prépara un grand festin où il invita ses amis. Or un -enfant nouveau-né, que sa mère avait amené là, se mit tout à coup à -parler et dit: «Ecoute, Lucrèce, tu as envahi et occis, et maintenant tu -es tombé au pouvoir de l’ennemi!» Et aussitôt Lucrèce, tout tremblant, -fut pris par le démon, qui pendant trois heures le tortura si fort qu’il -mourut avant d’avoir pu se lever de table. Ce que voyant, tous les -assistants se convertirent à la foi chrétienne; et ils racontaient à -tous comment Dieu avait vengé le martyre de ses trois saints. Ce martyre -eut lieu vers l’an du Seigneur 287. - - - - -CIV - -SAINTE MARTHE, VIERGE - -(29 juillet) - - -I. Marthe, l’hôtesse du Christ, avait pour père Syrus, pour mère -Eucharie. Son père, qui était de race royale, gouverna la Syrie et -beaucoup d’autres régions maritimes. Marthe, suivant toute probabilité, -n’eut jamais de mari. Elle s’occupait d’administrer la maison, et, quand -elle recevait le Seigneur, non seulement elle se donnait une peine -infinie pour bien l’accueillir, mais elle eût encore voulu que sa sœur -Madeleine fît comme elle. Après l’ascension du Seigneur, Marthe, avec -son frère Lazare, sa sœur Madeleine, et saint Maximin, à qui -l’Esprit-Saint les avait recommandés, furent jetés par les infidèles sur -un bateau sans voiles, sans rames, et sans gouvernail. Et le Seigneur, -comme l’on sait, les conduisit à Marseille. Ils se rendirent de là sur -le territoire d’Aix, et y firent de nombreuses conversions. De Marthe, -en particulier, on rapporte qu’elle était fort éloquente, et que tous -l’aimaient. - -Or il y avait à ce moment sur les bords du Rhône, dans une forêt sise -entre Avignon et Arles, un dragon, mi-animal, mi-poisson, plus gros -qu’un bœuf, plus long qu’un cheval, avec des dents aiguës comme des -cornes, et de grandes ailes aux deux côtés du corps; et ce monstre tuait -tous les passagers et submergeait les bateaux. Il était venu par mer de -la Galatie; il avait pour parents le Léviathan, monstre à forme de -serpent, qui habite les eaux, et l’Onagre, animal terrible que produit -la Galatie, et qui brûle comme avec du feu tout ce qu’il touche. Or -sainte Marthe, sur la prière du peuple, alla vers le dragon. L’ayant -trouvé dans sa forêt, occupé à dévorer un homme, elle lui jeta de l’eau -bénite, et lui montra une croix. Aussitôt le monstre, vaincu, se rangea -comme un mouton près de la sainte, qui lui passa sa ceinture autour du -cou et le conduisit au village voisin, où aussitôt le peuple le tua à -coups de pierres et de lances. Et comme ce dragon était connu des -habitants sous le nom de Tarasque, ce lieu, en souvenir de lui, prit le -nom de Tarascon: il s’appelait jusque-là Nerluc, c’est-à-dire noir lac, -à cause des sombres forêts qui y bordaient le fleuve. Et sainte Marthe, -après avoir vaincu le dragon, obtint de sa sœur et du prêtre Maximin la -permission de rester dans ce lieu, où elle ne cessa pas de prier et de -jeûner, jusqu’à ce qu’enfin une grande congrégation de religieuses s’y -réunît auprès d’elle, en même temps qu’une grande basilique fut -construite en l’honneur de la vierge Marie. Et Marthe vivait là de la -vie la plus dure, ne mangeant qu’une fois par jour, se privant de chair, -de graisse, d’œufs, de fromage et de vin. - -Un jour qu’elle prêchait à Avignon, au bord du Rhône, un jeune homme, -qui se trouvait sur l’autre rive, eut un tel désir de l’entendre que, ne -trouvant point de bateau pour traverser le fleuve, il ôta ses vêtements -et voulut passer à la nage: mais aussitôt une vague l’entoura et -l’étouffa. Son corps fut retrouvé le lendemain, et déposé aux pieds de -sainte Marthe, dans l’espoir que celle-ci parviendrait à le ressusciter. -Et la sainte, s’étant prosternée sur le sol, les bras en croix, pria -ainsi: «Seigneur Jésus, toi qui as jadis ressuscité mon frère Lazare, -que tu aimais, toi qui as reçu mon hospitalité, prends en considération -la foi de ceux qui m’entourent, et ressuscite cet enfant!» Puis elle -prit la main du jeune homme, qui aussitôt se leva et reçut le saint -baptême. - -Saint Ambroise nous dit que c’est Marthe, aussi, qui était l’hémorroïsse -guérie par le Christ. Nous savons, d’autre part, que sainte Marthe fut -avertie de sa mort un an d’avance, et que, pendant toute l’année qui -suivit cet avertissement, elle souffrit de la fièvre. Huit jours avant -sa mort, elle entendit le chœur des anges qui emportaient au ciel l’âme -de Marie-Madeleine. Aussitôt, rassemblant ses frères et ses sœurs, elle -leur fit part de cette heureuse nouvelle. Puis, pressentant sa propre -fin; elle les pria de rester près d’elle jusqu’à sa mort, avec des -flambeaux allumés. Or, la nuit d’avant sa mort, pendant que tous ses -gardes-malades dormaient, un vent violent éteignit les lumières. Et la -sainte, voyant accourir autour d’elle la troupe des mauvais esprits, -invoqua l’aide de son hôte divin. Et aussitôt elle vit approcher sa sœur -Madeleine, qui, tenant en main une torche, ralluma les flambeaux et les -lampes. Et pendant que les deux sœurs s’appelaient par leur nom, survint -le Christ, qui dit à Marthe: «Viens, chère hôtesse, demeurer maintenant -avec moi! Tu m’as accueilli dans ta maison, je t’accueillerai dans mon -ciel; et j’exaucerai, par amour pour toi, tous ceux qui t’invoqueront.» -Le matin suivant, Marthe se fit transporter dehors, pour voir encore le -ciel, se fit poser sur de la cendre, demanda qu’on tînt une croix devant -elle, et qu’on lui lût la passion dans l’évangile de saint Luc. Et au -moment où le lecteur répétait: «Mon père, je remets mon âme entre tes -mains», elle rendit l’âme. - -II. Le lendemain, qui était dimanche, vers trois heures, saint Front -était occupé à célébrer la messe à Périgueux. Après l’épître, il -s’endormit sur son siège, et le Seigneur lui apparut, et lui dit: «Mon -cher Front, si tu veux tenir la promesse que tu as faite jadis à mon -hôtesse Marthe, lève-toi et suis-moi!» Et aussitôt saint Front, conduit -par le Christ, se vit transporté à Tarascon, où il assista aux obsèques -de la sainte, et aida à placer son corps dans le sépulcre. Cependant, à -Périgueux, le diacre qui allait lire l’Evangile réveilla l’évêque pour -lui demander sa bénédiction. Et saint Front, soudain réveillé, répondit: -«Mes frères, pourquoi m’avez-vous réveillé? Notre-Seigneur Jésus m’avait -conduit aux obsèques de son hôtesse sainte Marthe; et, comme je me -préparais à l’ensevelir, j’ai laissé dans la sacristie mon anneau et mes -deux gants. Et vous m’avez réveillé si vite que je n’ai pas eu le temps -de les reprendre. Hâtez-vous donc d’envoyer des messagers, qui me les -rapportent!» Aussitôt des messagers partirent pour Tarascon. Ils -trouvèrent dans la sacristie l’anneau et les gants de saint Front; et -ils laissèrent dans la sacristie l’un de ces gants, en témoignage du -miracle. - -III. De nombreux miracles se produisirent au tombeau de la sainte. -Clovis, roi de France, qui avait reçu le baptême des mains de saint -Remi, fut guéri par sainte Marthe d’une grave maladie des reins. En -souvenir de quoi, il dédia à l’église de la sainte la terre, les maisons -et les châteaux qui se trouvaient dans un rayon de trois milles des deux -côtés du Rhône. Et il affranchit ces lieux de toute servitude. - -La vie de sainte Marthe a été écrite pour nous par sa servante Martille, -qui se rendit plus tard en Esclavonie pour y prêcher l’Evangile, et qui -y mourut, dix ans après la mort de sa maîtresse. - - - - -CV - -SAINTS ABDON ET SENNEN, MARTYRS - -(30 juillet) - - -Abdon et Sennen souffrirent le martyre sous le règne de l’empereur -Décius. Ce prince, ayant conquis la Babylonie et d’autres provinces, y -avait trouvé des chrétiens, et les avait emmenés avec lui à Cordoue, où -il les avait fait périr sous divers supplices. Alors, deux nobles de la -région, Abdon et Sennen, ensevelirent les corps de ces chrétiens, ce qui -leur valut d’être dénoncés à Décius, qui les fit enchaîner et conduire, -derrière lui, à Rome. Là, en présence du Sénat, on les somma ou bien de -sacrifier aux idoles, et de recouvrer ainsi leur liberté, ou bien d’être -livrés en pâture aux bêtes. Et comme ils dédaignaient et insultaient les -idoles, ils furent traînés dans le cirque, où on lâcha sur eux deux -lions et quatre ours, mais qui, loin de les attaquer, se rangèrent -autour d’eux pour leur servir de garde. Ce que voyant, Décius les fit -transpercer à coups de poignard, leur fit lier les pieds, et fit jeter -leurs cadavres devant l’idole du soleil. Ils y restèrent trois jours, -après quoi le sous-diacre Quirin les recueillit et les ensevelit dans sa -maison. Cela se passait vers l’an du Seigneur 253. Plus tard, sous le -règne de Constantin, les martyrs révélèrent eux-mêmes le lieu de leur -sépulture; et les chrétiens transportèrent leurs restes au cimetière -Pontien, où le Seigneur, par leur entremise, accorde au peuple une foule -de bienfaits. - - - - -CVI - -SAINT GERMAIN, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR - -(31 juillet) - - -I. Germain, de naissance noble, naquit à Auxerre. Après avoir été -soigneusement instruit dans les sciences libérales, il se rendit à Rome -pour apprendre le droit, et s’y acquit un tel renom que le Sénat -l’envoya en Gaule, pour gouverner le duché de Bourgogne. Or dans la -ville d’Auxerre, que Germain administrait avec une sollicitude toute -particulière, on voyait sur la grand’place un pin aux branches duquel il -faisait suspendre, par vanité, les têtes du gibier qu’il avait tué à la -chasse. Et souvent le saint évêque de la ville, Amator, lui reprochait -ce trait de vanité, l’engageant à faire plutôt couper cet arbre; mais -Germain refusait de s’y résigner. Un jour, cependant, en l’absence de -Germain, l’évêque coupa l’arbre et le fit brûler. Sur quoi Germain, -oubliant son christianisme, arriva avec ses troupes et menaça l’évêque -de le faire périr. Le prélat, à qui l’Esprit-Saint venait de révéler que -Germain lui succéderait sur son siège épiscopal, céda devant sa fureur -et se retira à Autun. Mais, plus tard, il revint à Auxerre, enferma par -ruse Germain dans son église, et le tonsura, en lui prédisant qu’il -serait son successeur. Et, en effet, après sa mort, le peuple tout -entier élut pour évêque Germain, qui, dès lors, distribua ses biens aux -pauvres, et ne traita plus sa femme que comme une sœur. Et, pendant -trente ans, il se mortifia le corps de telle façon que jamais il ne -mangea de pain de froment, ni de légumes, ni ne but de vin, ni -n’assaisonna de sel ce qu’il mangeait. Ou plutôt il prenait bien du vin -deux fois par an, à Noël et à Pâques, mais il y mêlait tant d’eau qu’il -ne pouvait pas même sentir le goût du vin. Le soir, à son unique repas, -il mangeait un pain d’orge où il avait d’abord semé des cendres. Hiver -comme été, il n’était vêtu que d’un cilice et d’une tunique; et ces -tuniques, quand il ne les donnait pas à quelqu’un, lui duraient jusqu’au -jour où, de vieillesse, elles tombaient en morceaux. Rarement il mettait -à ses pieds des chaussures, et une ceinture autour de ses reins. Son lit -n’était fait que de cendres, d’un cilice, et d’un sac, sans même un -oreiller pour soulever sa tête. Et toujours il portait à son cou des -reliques de saints. Telle fut la vie de cet évêque, vie qui semblerait -incroyable si elle n’était accompagnée de nombreux miracles. Et ses -miracles furent tels qu’ils nous paraîtraient fantastiques, si ses -mérites ne suffisaient pas à les justifier. - -Un jour, ayant reçu l’hospitalité dans une maison, il vit qu’après le -repas on apprêtait de nouveau la table. Il en demanda la raison: on lui -répondit qu’on apprêtait la table pour les braves femmes qui marchaient -la nuit. Germain résolut de veiller toute la nuit; et il vit arriver une -troupe de démons sous forme d’hommes et de femmes. Il leur défendit -alors de sortir, et réveillant ses hôtes, leur demanda s’ils -reconnaissaient ces personnes. Les hôtes répondirent que ces personnes -étaient leurs voisins et leurs voisines. Sur quoi Germain, défendant -toujours aux démons de sortir, envoya voir chez les voisins et voisines -en question, qui, tous furent trouvés dormant dans leur lit. Alors les -démons, sommés par lui de dire la vérité, reconnurent qui ils étaient et -avouèrent qu’ils venaient pour tromper les hommes. - -II. A cette époque florissait saint Loup, évêque de Troyes. Comme le roi -Attila assiégeait la ville, saint Loup monta sur l’une des portes et -demanda à l’assiégeant qui il était. Et Attila: «Je suis le fléau de -Dieu!» Alors l’humble serviteur de Dieu dit, en gémissant: «Et moi, -hélas, je suis le Loup, le dévastateur du troupeau de Dieu! Je mérite -d’être frappé par le fléau de Dieu!» Et il fit ouvrir les portes de la -ville. Mais Dieu aveugla de telle sorte les Barbares, qu’ils -traversèrent la ville d’une porte à l’autre, sans voir personne, et par -conséquent, sans faire aucun mal. C’est en compagnie de ce même saint -Loup que saint Germain se mit en route pour se rendre en -Grande-Bretagne, où pullulaient les hérétiques. Pendant qu’ils étaient -en mer, une terrible tempête se leva; mais, sur la prière de saint -Germain, les flots s’apaisèrent aussitôt. Arrivés en Grande-Bretagne, -les deux saints, furent reçus avec honneur par le peuple; puis, ayant -convaincu les hérétiques, ils retournèrent dans leurs diocèses. - -III. Un jour que Germain, malade, était couché dans un certain bourg; un -grand incendie se produisit dans le bourg. On supplia l’évêque de se -laisser transporter ailleurs, pour échapper aux flammes, mais il s’y -refusa; et le fait est que la flamme, qui détruisit toutes les maisons -voisines, ne toucha pas à celle où il se trouvait. - -IV. Plus tard, comme il était revenu en Grande-Bretagne pour réfuter les -hérétiques, un de ses disciples, s’étant mis en route pour le rejoindre, -tomba malade et mourut dans la ville de Tonnerre. Et saint Germain, lors -de son retour, s’étant arrêté dans cette ville, fit ouvrir le sépulcre, -et demanda au mort s’il désirait de nouveau lutter à ses côtés. Mais le -mort, se relevant, répondit qu’il était si heureux qu’il préférait ne -pas se réveiller. Le saint y consentit; et son disciple, baissant de -nouveau la tête, de nouveau s’endormit dans le Seigneur. - -V. Pendant qu’il prêchait en Grande-Bretagne, le roi de ce pays lui -refusa l’hospitalité, ainsi qu’à ses compagnons. Mais un porcher, qui se -rendait chez lui, ayant vu Germain et ses compagnons épuisés de faim et -de froid, les recueillit dans sa maison, et tua pour eux le seul veau -qu’il possédait. Or, après le repas, saint Germain fit rassembler tous -les ossements du veau sous la peau, et, à sa prière, Dieu rendit la vie -à l’animal. Le lendemain, l’évêque vint trouver le roi et lui demanda -avec force pourquoi il lui avait refusé l’hospitalité. Le roi, surpris, -ne savait que répondre. Et le saint: «Hors d’ici, s’écria-t-il, et -laisse la royauté à un plus digne!» Puis Germain, sur l’ordre de Dieu, -fit venir le porcher et sa femme; et, au grand étonnement de tous, il -proclama roi cet homme qui l’avait accueilli. C’est depuis lors que la -nation des Bretons est gouvernée par des rois provenant d’une race de -porchers. - -VI. Comme les Saxons faisaient la guerre aux Bretons et se voyaient en -nombre insuffisant, ils invoquèrent l’aide des deux saints, qui, leur -ayant prêché l’Evangile, les convertirent bientôt à la foi chrétienne. -Le jour de Pâques, dans la ferveur de leur foi, les Saxons jetèrent -leurs armes avant d’aller au combat: ce qu’apprenant, leurs adversaires, -enhardis, voulurent s’élancer contre l’ennemi désarmé. Mais Germain, se -tenant auprès de l’armée qu’il avait convertie, les avertit d’avoir tous -à répondre: Alleluia! lorsque lui-même s’écrierait: Alleluia! Ainsi fut -fait: et ce cri remplit les assaillants d’une telle frayeur que tous -s’enfuirent, jetant bas les armes, comme si les montagnes et le ciel -lui-même se précipitaient sur eux. - -VII. Un jour, passant par Autun, saint Germain se rendit au tombeau de -l’évêque, saint Cassien, et demanda à celui-ci comment il se portait. -Aussitôt le défunt, du fond de son tombeau, répondit, d’une voix haute -et claire que tous purent entendre: «Je jouis d’un doux repos, en -attendant la venue du Rédempteur.» Et Germain: «Repose-toi donc dans le -Christ, et daigne intercéder pour nous, afin que nous obtenions d’être -admis aux joies de la sainte résurrection!» - -VIII. Passant par Ravenne, il fut reçu avec honneur par la reine -Placidie et son fils Valentinien, qui, à l’heure du repas, lui -envoyèrent un vase d’argent rempli des mets les plus délicats. Mais -Germain distribua les mets aux serviteurs et garda le vase d’argent pour -ses pauvres. En échange, il envoya à la reine une écuelle de bois -contenant un pain d’orge: présent dont la reine se réjouit si fort -qu’elle fit recouvrir l’écuelle d’une enveloppe d’argent. Une autre -fois, cette reine l’invita à sa table, et l’évêque accepta. Mais, comme -il était épuisé par les jeûnes et les prières, il monta sur son âne, -pour se rendre au palais. Or, pendant le repas, l’âne mourut. Ce -qu’apprenant la reine fit donner à l’évêque un magnifique cheval. Mais -Germain: «Mon âne me suffit. M’ayant amené ici, c’est lui encore qui -m’emmènera!» Puis, allant au cadavre de l’âne: «Lève-toi, lui dit-il, et -retournons à l’auberge!» Et aussitôt l’âne, se relevant, se secoua comme -si rien de mauvais ne lui était arrivé. - -Avant de quitter Ravenne, saint Germain prédit que sa fin approchait. En -effet, peu de jours après, il fut pris d’une fièvre qui, au bout d’une -semaine, l’emporta. Son corps fut transporté en Gaule, ainsi qu’il -l’avait demandé à la reine. Cette mort eut lieu en l’an 430. - -IX. Saint Germain avait promis à Eusèbe, évêque de Verceil, d’assister à -l’inauguration d’une église qu’il venait de construire. Or Eusèbe, -apprenant la mort de saint Germain, n’en fit pas moins allumer des -cierges pour la cérémonie: mais les cierges s’éteignaient sitôt allumés. -Alors Eusèbe comprit qu’il devait ajourner la dédicace de l’église, et -choisir un autre évêque pour y présider. Mais comme le corps de saint -Germain passait par Verceil, on le fit entrer dans la susdite église et -aussitôt tous les cierges s’allumèrent miraculeusement. Sur quoi Eusèbe -se rappela la promesse de saint Germain et comprit que celui-ci, mort, -faisait ce que vivant il avait promis. Mais on ne doit point croire -qu’il s’agisse là du grand saint Eusèbe de Verceil: celui-ci est mort -sous le règne de Valens, cinquante ans avant la mort de saint Germain. -C’est donc qu’il y aura eu à Verceil un autre évêque nommé Eusèbe, à qui -sera arrivé le miracle que nous venons de raconter. - - - - -CVII - -SAINT EUSÈBE, ÉVÊQUE ET MARTYR - -(1er août) - - -Eusèbe gardait, depuis l’enfance, une telle chasteté, que, lorsqu’il -reçut le baptême des mains du pape Eusèbe, qui lui donna son nom, on vit -des mains d’anges le soulever dans la fontaine sacrée. Et comme, un -jour, certaine dame noble, séduite par sa beauté, voulait entrer dans -son lit, les anges l’empêchèrent d’en approcher: de telle sorte que, le -lendemain matin, elle se jeta à ses pieds et lui demanda pardon. Ordonné -prêtre, il brilla d’une telle sainteté, que, pendant les messes qu’il -célébrait, on voyait des mains d’anges lui soulever les mains. - -Plus tard, lorsque toute l’Italie fut ravagée de la peste de -l’arianisme, que favorisait l’empereur Constance, le pape Julien -consacra Eusèbe évêque de Verceil, ville qui avait alors la primauté -parmi toutes les villes italiennes. Ce qu’apprenant, les hérétiques -firent fermer toutes les portes de l’église principale de Verceil, -consacrée à la sainte Vierge. Mais Eusèbe, étant entré dans la ville, -s’agenouilla devant le portail de l’église; et bientôt, sur ses prières, -toutes les portes s’ouvrirent d’elles-mêmes. Il rejeta ensuite de son -siège l’évêque de Milan, Maxence, corrompu par l’hérésie, et ordonna à -sa place le catholique Denis. Et c’est ainsi qu’il allait, purgeant de -la peste arienne toute l’Eglise d’Occident, pendant qu’Athanase en -purgeait toute l’Eglise d’Orient. L’auteur de l’arianisme était un -prêtre d’Alexandrie nommé Arius. Il affirmait que le Christ était une -pure créature, qu’un temps avait existé où il n’était pas, et qu’il -avait été créé pour nous. Aussi Constantin le Grand rassembla-t-il à -Nicée un concile où l’erreur d’Arius fut condamnée. Quant à Arius -lui-même, il mourut, peu de temps après, d’une mort misérable; tous ses -intestins lui sortirent du corps par le derrière. Mais le fils de -Constantin, Constance, se laissa corrompre par l’hérésie. Et, furieux -contre Eusèbe, il réunit en concile de nombreux évêques, et manda à ce -concile Denis, et Eusèbe lui-même, qui, sachant que la majorité du -concile était convertie à l’erreur, refusa de venir, alléguant sa -vieillesse. Pour rendre cette excuse impossible, l’empereur réunit le -concile à Milan, tout près de Verceil. Eusèbe, cependant, ne s’y rendit -point. Constance ordonna aux ariens d’exposer leur doctrine; puis il -enjoignit à l’évêque Denis et à vingt-neuf autres évêques de souscrire à -cette doctrine. Ce qu’apprenant, Eusèbe quitta Verceil et se mit en -route pour Milan, s’attendant à y souffrir tous les supplices. - -Il rencontra, en chemin, un fleuve qu’il devait traverser. Sur son -ordre, un bateau, qui se trouvait près de la rive opposée, vint de -lui-même vers lui et le transporta avec ses compagnons, sans qu’il y eût -sur ce bateau personne pour le conduire. Alors Denis vint au-devant de -lui, et, tombant à ses pieds, lui demanda son pardon. Arrivé à Milan, -Eusèbe ne se laissa fléchir ni par les menaces de l’empereur ni par ses -caresses. Et il dit: «Vous prétendez que le fils est inférieur au père: -pourquoi donc avez-vous préféré à moi, évêque de Verceil, mon fils et -élève Denis?» Alors on lui fit voir la profession de foi rédigée par les -ariens, et que Denis avait signée. Mais lui: «Pour rien au monde je ne -mettrai ma signature derrière celle de mon subordonné. Brûlez plutôt ce -papier, et écrivez-en un autre, que je puisse signer!» Aussitôt, sur un -ordre de Dieu, le papier prit feu, avec les signatures de Denis et des -autres vingt-neuf évêques. Alors les ariens écrivirent un nouveau -papier, qu’ils voulurent faire signer à Eusèbe et à ces autres évêques. -Mais ceux-ci, raffermis dans la foi par Eusèbe, refusèrent de signer, et -dirent même tout haut qu’ils étaient ravis de voir brûler le papier -qu’ils avaient signé par contrainte. Sur quoi, Constance, furieux, livra -Eusèbe aux ariens. - -Et ceux-ci, le saisissant au milieu des autres évêques et le rouant de -coups, le traînèrent de bas en haut, puis de haut en bas, sur l’escalier -du palais. Puis, comme il avait la tête toute sanglante de coups, et -s’obstinait à ne pas vouloir signer, ils lui lièrent les mains derrière -le dos, et le menèrent par la ville avec une corde au cou. Mais lui, -remerciant Dieu, proclamait qu’il était prêt à mourir pour la foi -catholique. Alors Constance fit envoyer en exil le pape Libère, Denis, -Paulin, et tous les autres évêques qui avaient suivi leur exemple. Quant -à Eusèbe lui-même il fut conduit dans une ville de Palestine appelée -Lyclopolis. Là il fut enfermé dans un cachot si étroit et si bas qu’il -ne pouvait ni étendre les jambes, ni se tourner d’un côté sur l’autre, -ni relever la tête, ni remuer autre chose que ses épaules et ses coudes. - -Après la mort de Constance, son successeur Julien, voulant plaire à -tous, rappela les évêques exilés, fit rouvrir les temples des dieux, et -permit à chacun de vivre tranquillement sous telle loi qu’on voudrait. -C’est alors qu’Eusèbe, revenant de son exil, alla trouver Athanase et -lui exposa tout ce qu’il avait souffert. - -A la mort de Julien, sous le règne de Jovinien, Eusèbe revint à Verceil, -où le peuple le reçut avec une grande joie. Mais, de nouveau, sous le -règne de Valens, le nombre des ariens grandit. Ces hérétiques -assiégèrent la maison d’Eusèbe, le traînèrent dehors et le lapidèrent. -Ainsi il rendit son âme au Seigneur. Il fut enseveli dans l’église qu’il -avait lui-même construite. Et l’on ajoute qu’il obtint, par ses prières, -en faveur de Verceil, que nul arien ne pût vivre dans cette ville. - -Eusèbe, à en croire la chronique, vécut au moins quatre-vingt-huit ans. -Il florissait vers l’an 350. - - - - -CVIII - -LES SAINTS MACHABÉES - -(1er août) - - -Les Machabées étaient sept frères qui, avec leur vénérable mère et le -prêtre Eléazar, refusèrent de manger de la viande de porc, afin -d’observer la loi: ce qui leur valut d’endurer des supplices inouïs, -ainsi qu’on le trouvera décrit tout au long dans le second livre des -_Machabées_. Notons, à ce propos, que l’Eglise d’Orient célèbre des -fêtes de saints de l’un et de l’autre Testament, tandis que l’Eglise -d’Occident ne fête point les saints de l’Ancien Testament, et cela parce -que ces saints descendirent d’abord aux enfers. Elle ne fête que les -saints Innocents, dans la personne de chacun desquels c’est le Christ -lui-même qui fut tué, et les Machabées. Quant à ceux-ci, elle les fête -pour quatre motifs, bien qu’ils soient, eux aussi, descendus aux enfers. -C’est, d’abord, à cause de la prérogative du martyre, les Machabées -ayant enduré des supplices plus cruels que ceux des autres saints de -l’Ancien Testament. En second lieu, à cause de leur caractère -symbolique, et du mystère qu’ils représentent. Le chiffre 7 est, en -effet, le symbole de l’universalité. Et, en conséquence, les sept -Machabées représentent, d’une façon symbolique, tous les saints de -l’ancien Testament. En troisième lieu, l’Eglise fête les Machabées à -cause de l’exemple de constance et de patience qu’ils ont donné. Enfin, -l’Eglise les fête à cause du motif de leur supplice: car c’est pour -défendre la loi de Moïse qu’ils ont été martyrisés, de même que les -chrétiens doivent être prêts à l’être pour la défense de la loi -évangélique. Ces trois dernières raisons de la fête des Machabées se -trouvent énoncées dans la _Somme_ de maître Jean Beleth. - - - - -CIX - -SAINT PIERRE AUX LIENS - -(1er août) - - -La fête de Saint-Pierre aux Liens a été instituée pour quatre motifs: 1º -en souvenir de la délivrance de saint Pierre; 2º en souvenir de la -délivrance de saint Alexandre; 3º pour la destruction du rite des -gentils; 4º afin d’obtenir notre délivrance des liens de nos péchés. - -1º L’_Histoire scholastique_ raconte qu’Hérode Agrippa, étant venu à -Rome, se lia d’amitié avec Caïus, neveu de l’empereur Tibère. Or, un -jour qu’Hérode était dans un char avec Caïus, il leva les mains au ciel -et dit: «Puissé-je voir mourir ton vieil oncle, et te voir devenir le -maître du monde!» Sa parole fut entendue par le cocher du char, qui, -aussitôt, la rapporta à Tibère. Et celui-ci, indigné, jeta Hérode en -prison. Là, comme le prisonnier s’appuyait un jour contre un arbre sur -les branches duquel se tenait un hibou, un de ses compagnons, homme -habile en divination, lui dit: «Sois sans crainte, car tu seras vite -délivré, et tu t’élèveras si haut, que tes amis en seront jaloux. Mais -quand tu verras un oiseau pareil à celui-ci au-dessus de ta tête, cela -signifiera que tu n’auras plus que cinq jours à vivre.» Quelque temps -après, Tibère mourut. Caïus, devenu empereur, délivra Hérode, et le -renvoya en Judée avec le titre de roi. Et Hérode, sitôt rentré à -Jérusalem, se mit en quête d’un chrétien qu’il pût tourmenter. La veille -du jour des Azymes, il tua de son épée Jacques, le frère de Jean. Puis, -voyant que cela était agréable aux Juifs, le jour même des Azymes il fit -arrêter Pierre et le fit jeter en prison, avec l’intention de le livrer -au peuple après la fête des Pâques. Mais un ange, pénétrant, de nuit, -dans la prison du saint, le délivra de ses liens et lui ordonna d’aller -reprendre librement sa prédication. Le roi, impatient de se venger, -ordonna que les gardiens de la prison, coupables d’avoir laissé échapper -Pierre, eussent à subir les peines les plus cruelles. Mais Dieu ne -voulut point que la délivrance de Pierre fût pour personne une cause de -mal. En effet Hérode, s’étant rendu à Césarée, y fut frappé de la main -d’un ange, et mourut. - -Voici, à ce sujet, ce que raconte Josèphe, au livre XIX de ses -_Antiquités_: «Hérode, étant venu à Césarée, où l’attendait une grande -foule, se vêtit d’une robe brillante, toute tissée d’or et d’argent, et -se mit en route pour se rendre au théâtre. Et dès que les rayons du -soleil touchèrent la robe, leurs reflets doublèrent l’éclat des deux -métaux, si bien que la foule, effrayée, crut voir là l’indice d’une -nature plus qu’humaine. Hérode se vit donc entouré de gens qui lui -criaient: «Jusqu’ici nous t’avons tenu pour un homme; mais dès -maintenant nous te proclamons un dieu!» Et, pendant qu’Hérode acceptait -avec plaisir ces hommages, il vit soudain, au-dessus de sa tête, un -hibou; sur quoi, comprenant que sa mort approchait, il dit au peuple: -«Moi, votre dieu, voici que je vais mourir!» Aussitôt des vers -envahirent son corps et se mirent à le ronger. Il mourut cinq jours -après.» - -C’est donc en souvenir de la miraculeuse délivrance du prince des -apôtres que l’Eglise célèbre la fête de saint Pierre aux Liens. Aussi -lit-on, dans l’épître de cette fête, la mention de ce miracle. - -2º Le second motif de la fête est la commémoration de la délivrance du -pape saint Alexandre, le sixième pape qui gouverna l’Eglise après saint -Pierre. Ce pontife était tenu prisonnier par le tribun Quirin, ainsi que -le préfet de Rome Hermès, qu’il avait converti à la foi. Et Quirin dit à -Hermès: «Je m’étonne qu’un homme raisonnable comme toi renonce aux -honneurs de la préfecture pour rêver de je ne sais quelle autre vie!» Et -Hermès: «Moi aussi, autrefois, je raillais tout cela, et croyais que -notre vie terrestre était l’unique vie.» Et Quirin: «Prouve-moi qu’il y -a une autre vie, et aussitôt tu m’auras pour disciple!» Et Hermès: «Le -saint Alexandre, que tu tiens enchaîné, te le prouvera mieux que je ne -saurais le faire.» Et Quirin, furieux: «Je te demande de me prouver -cela, et tu me renvoies à Alexandre, que je tiens enchaîné à cause de -ses crimes! Je te séparerai de cet Alexandre, et je vous mettrai tous -les deux sous double garde; et, si je le trouve avec toi, ou toi avec -lui, je veux bien me convertir et vous écouter!» Or, pendant -qu’Alexandre était en prière, un ange vint vers lui et le conduisit dans -la prison d’Hermès, de telle sorte que Quirin, à sa grande surprise, les -trouva ensemble. Hermès lui raconta alors comment Alexandre avait -ressuscité son fils. Et Quirin dit à Alexandre: «Ma fille Balbine -souffre de la goutte. Si tu peux obtenir sa guérison, je te promets de -me convertir à ta foi.» Et Alexandre: «Va vite la chercher et -amène-la-moi dans ma cellule!» Et Quirin: «Puisque tu es ici, comment -pourrai-je te trouver dans ta cellule?» Et Alexandre: «Va vite, car -celui qui m’a conduit ici va tout de suite me reconduire là-bas!» Et la -fille de Quirin, dès qu’elle entra dans la cellule d’Alexandre, y trouva -celui-ci et se prosterna à ses pieds, voulant baiser ses chaînes. Mais -Alexandre lui dit: «Ma fille, ce ne sont point mes chaînes que tu dois -baiser, mais celles qui ont servi pour saint Pierre. Fais-les -rechercher, baise-les pieusement, et tu recouvreras la santé!» Aussitôt -Quirin fit rechercher les chaînes qui avaient servi pour saint Pierre; -et, les ayant retrouvées, il les donna à sa fille. Et celle-ci, dès -qu’elle les eut baisées, recouvra la santé. Alors Quirin, plein de -repentir, remit en liberté Alexandre et se fit baptiser avec toute sa -maison. Saint Alexandre institua une fête en souvenir de ce jour; et il -fit élever, en l’honneur de saint Pierre, une église où il déposa les -chaînes du saint, et qui fut nommée Saint-Pierre aux Liens. Au jour de -cette fête, une foule innombrable se réunit dans l’église susdite, pour -baiser les chaînes de l’apôtre Pierre. - -3º Le troisième motif de l’institution de la fête nous est raconté par -Bède de la façon suivante. L’empereur Octave et Antoine s’étaient -partagés l’empire de telle façon qu’Octave avait eu l’Occident et -Antoine l’Orient. Mais Antoine, homme débauché et lubrique, répudia la -sœur d’Octave, qu’il avait épousée, et prit pour femme Cléopâtre, reine -d’Egypte. Octave, indigné, marcha avec son armée contre Antoine, et le -vainquit. Antoine et Cléopâtre durent s’enfuir; et, désespérés, ils se -donnèrent la mort. Alors Octave détruisit le royaume d’Egypte, et fit de -l’Egypte une province romaine. Puis il entra à Alexandrie, et la -dépouilla de ses richesses au profit de Rome, qu’avaient dévastée les -guerres civiles. Aussi put-il dire de Rome: «Je l’ai trouvée de briques, -je la laisse de marbre.» Il augmenta à tel point la chose publique -romaine que, le premier, il fut appelé «auguste»; et ce titre se -transmit à tous ses successeurs sur le trône impérial. Et c’est en -souvenir de lui que le mois qui d’abord s’appelait sextile (étant en -effet le sixième depuis Mars) a porté désormais le nom d’Auguste ou -d’août. Et jusqu’au règne de Théodose, c’est-à-dire jusque vers l’an -426, les Romains fêtèrent tous les ans, l’anniversaire de la victoire -d’Octave, qui avait eu lieu le 1er août. - -Or, la fille de Théodose, Eudoxie, femme de Valentinien, s’étant rendue -à Jérusalem par suite d’un vœu, acheta chez un Juif, pour une somme -énorme, les deux chaînes qui avaient servi, sous le règne d’Hérode, à -enchaîner saint Pierre. De retour à Rome le 1er août, elle fut désolée -de voir que les Romains continuaient à fêter le souvenir d’un empereur -païen. Mais comme, d’autre part, elle savait que c’était là une coutume -trop ancienne pour pouvoir être aisément supprimée, elle eut l’idée de -maintenir la fête, mais en la consacrant au souvenir de saint Pierre. -Elle s’entendit donc avec le saint pape Pelage, qui, par d’éloquentes -exhortations, décida le peuple à remplacer le souvenir de l’empereur -païen par celui du prince des apôtres. Et Eudoxie, pour consacrer cette -heureuse décision, donna au peuple les chaînes qu’elle avait rapportées -de Jérusalem. On mit ces chaînes auprès de celles qui avaient enchaîné -saint Pierre à Rome, sous Néron. Et les deux paires de chaînes se -soudèrent aussitôt ensemble, pour ne plus constituer qu’une seule -chaîne. - -Et combien cette chaîne miraculeuse a de pouvoir, c’est ce que l’on vit -en l’an 969. Cette année-là, un comte de la cour de l’empereur Othon fut -si cruellement envahi du démon qu’il se déchirait de ses propres dents. -Alors, sur l’ordre de l’empereur, le possédé fut conduit vers le pape -Jean, qui lui mit au cou la chaîne de saint Pierre. Et le diable, ne -pouvant supporter un poids aussi pesant, s’enfuit aussitôt en présence -de tous. Ce que voyant, Théodoric, évêque de Metz, s’empara de la chaîne -et dit qu’il ne la lâcherait plus, à moins qu’on ne lui coupât les -mains. Sur quoi une grande querelle s’éleva entre le pape et l’évêque, -jusqu’à ce qu’enfin l’empereur, pour la faire cesser, eût obtenu du pape -qu’un chaînon de la chaîne serait donné à l’évêque. - -La _Chronique_ de Milet et l’_Histoire tripartite_ racontent que le -diable, dépité de ce qu’un Juif eût vendu à l’impératrice Eudoxie les -chaînes de saint Pierre, se vengea sur ses compatriotes: il leur apparut -sous la forme de Moïse, leur promit de les faire marcher à pieds secs -sur la mer, et en noya un grand nombre. - -4º Enfin le quatrième objet de la fête de Saint-Pierre aux Liens est, -par l’image de la délivrance du saint, de nous rappeler que, nous aussi, -nous avons à être délivrés des liens du péché. Et le récit d’un miracle, -que nous lisons dans le livre des _Miracles de la sainte Vierge_, suffit -à prouver que les clefs remises par Jésus à saint Pierre lui permettent -de délivrer des chaînes du péché ceux-mêmes qui sont condamnés à la -perdition. Il y avait à Cologne, au couvent de Saint-Pierre, un moine -léger, vicieux et paillard. Ce moine étant mort subitement, les démons -l’accusaient, rappelant tous les péchés qu’il avait commis. Et les -bonnes œuvres qu’il avait accomplies, de leur côté, l’excusaient, -rappelant son obéissance à ses chefs et son zèle pour le chant des -psaumes. Or, saint Pierre, de qui ce moine et son couvent dépendaient, -s’approcha de Dieu pour demander sa grâce. La sainte Vierge joignit ses -instances aux siennes; et ils obtinrent du Seigneur que le moine fût -autorisé à revenir sur terre pour faire pénitence. Alors saint Pierre -mit en fuite les démons en leur montrant les clefs qu’il tenait en main. -Puis il rendit la vie au moine après lui avoir imposé, comme pénitence, -de réciter tous les jours le psaume _Miserere mei, Domine_. C’est le -moine lui-même qui, après sa résurrection, raconta à ses frères tout ce -qu’on vient de lire. - - - - -CX - -SAINT ÉTIENNE, PAPE ET MARTYR - -(2 août) - - -Le pape Etienne avait converti de nombreux païens, par la parole et par -l’exemple, et avait enterré les corps de nombreux martyrs, lorsque en -l’an 260, les empereurs Valérien et Gallien le firent rechercher ainsi -que son clergé, pour les forcer à sacrifier aux idoles. Et les -empereurs, par un édit, déclaraient que ceux qui les livreraient -deviendraient maîtres de tous leurs biens. Aussi dix membres du clergé -ne tardèrent-ils pas à être dénoncés, arrêtés, et, sur leur refus de -sacrifier, décapités sans jugement. Le lendemain, le pape Etienne fut -arrêté à son tour, et conduit au temple de Mars, pour y adorer les -idoles. Mais il pria Dieu de détruire ce temple; et aussitôt la plus -grande partie du temple s’écroula, et la foule s’enfuit, épouvantée, de -telle sorte qu’Etienne put se rendre librement au cimetière de sainte -Lucie. Ce qu’apprenant, Valérien envoya à sa poursuite des soldats, qui -le trouvèrent célébrant sa messe. Quand il eut achevé, il s’assit -courageusement sur son siège pour recevoir le coup mortel. Et les -soldats lui tranchèrent la tête. - - - - -CXI - -L’INVENTION DE SAINT ÉTIENNE, PREMIER MARTYR - -(3 août) - - -L’invention ou découverte du corps de saint Etienne, eut lieu en l’an -417, la septième année du règne d’Honorius. Un prêtre, nommé Lucien, -faisait la sieste dans son lit, sur le territoire de Jérusalem, lorsque -lui apparut un vieillard de haute taille et de noble visage, avec une -barbe touffue, chaussé de brodequins dorés, et vêtu d’un manteau blanc -où étaient tissés de l’or, des pierres précieuses et des croix. Et ce -vieillard, d’un bâton d’or, qu’il tenait en main, toucha le prêtre et -lui dit: «Hâte-toi d’ouvrir nos tombeaux, car il n’est point convenable -que nous reposions plus longtemps dans un lieu méprisé! Va donc, et dis -à Jean, évêque de Jérusalem, qu’il transporte nos restes dans un lieu -honorable!» Et Lucien dit: «Seigneur, qui es-tu?» Et le vieillard: «Je -suis Gamaliel, qui ai nourri l’apôtre Paul et lui ai enseigné la Loi. -Mais près de moi, dans mon tombeau, repose saint Etienne, qui, après -avoir été lapidé par les Juifs, fut jeté hors de la ville pour être -dévoré par les bêtes et les oiseaux de proie. Or, le maître pour qui il -avait souffert le martyre, n’a point permis que cela arrivât; de sorte, -que j’ai pu recueillir pieusement ses restes et les ensevelir dans mon -propre caveau. Et il y a aussi, dans mon tombeau, Nicodème, mon neveu, -celui qui vint trouver Jésus la nuit, et qui fut baptisé par Pierre et -par Jean. Les princes des prêtres en furent si irrités que, sans la peur -qu’ils avaient de nous, ils l’auraient tué. Du moins, ils le -dépouillèrent de tous ses biens comme de ses dignités, et, l’ayant battu -de verges, le laissèrent à demi mort. Je le recueillis dans ma maison, -où il survécut encore quelques jours; et puis, quand il mourut, je le -fis ensevelir aux pieds de saint Etienne. Enfin, il y a aussi, dans mon -tombeau, mon fils Abibas, qui, à l’âge de vingt ans, fut baptisé en même -temps que moi, et, restant chaste toute sa vie, apprit la Loi de la -bouche de Paul, mon élève. Quant à mon autre fils Sélémie et à ma femme -Œthée, qui ne voulurent point recevoir la foi du Christ, ils n’ont pas -été jugés dignes d’être ensevelis avec nous. Tu trouveras leurs corps -ailleurs, leurs sépulcres sont vides.» Cela dit, saint Gamaliel -disparut. Et Lucien, s’éveillant, pria Dieu que, si sa vision était -vraie, elle lui apparût encore une seconde fois, et une troisième. - -La semaine suivante, Gamaliel lui apparut de nouveau, et lui demanda -pourquoi il avait négligé de faire ce qu’il lui avait ordonné. Et -Lucien: «Je ne l’ai pas négligé; mais j’ai prié le Seigneur que, si ma -vision venait bien de lui, il me la fît apparaître deux autres fois -encore.» Et Gamaliel: «Je vais t’apprendre, par des symboles, de quelle -façon tu pourras distinguer les reliques de chacun de nous!» Après quoi -il lui montra trois vases d’or et un vase d’argent. L’un des vases d’or -était plein de roses rouges, les deux autres de roses blanches; le vase -d’argent était plein de safran. Et Gamaliel dit: «Ces vases sont nos -cercueils. Le vase plein de roses rouges est le cercueil de saint -Etienne, qui, seul de nous, a mérité la couronne du martyre. Les deux -vases pleins de roses blanches sont mon cercueil et celui de Nicodème, -parce que nous avons persévéré, d’un cœur sincère, dans la foi du -Christ. Enfin, le vase d’argent, plein de safran, est le cercueil de mon -fils Abibas, qui brillait d’une blancheur virginale, et mourut en état -de pureté.» Cela dit, il disparut de nouveau. La semaine suivante, il -apparut une troisième fois au prêtre, à qui il reprocha ses retards et -sa négligence. Aussitôt Lucien courut à Jérusalem, et raconta tout à -l’évêque Jean. L’évêque, avec tout son clergé, se rendit dans le jardin -du prêtre; et à peine eut-on commencé à fouiller le sol qu’une odeur -délicieuse en sortit, au contact de laquelle soixante-dix personnes -furent guéries de diverses maladies. Les cercueils des saints furent -transportés dans l’église de Jérusalem où saint Etienne avait jadis -rempli les fonctions d’archidiacre. - -Cette invention de saint Etienne eut lieu le jour où l’Eglise célèbre -aujourd’hui la passion du saint. Mais on en a transporté la fête à un -autre jour, afin que, le jour où l’on a coutume de fêter le saint, -l’hommage des fidèles s’adressât plutôt à son martyre qu’à la découverte -de ses reliques. - -Quant à la translation de celles-ci, voici comment nous la raconte saint -Augustin. Un sénateur de Constantinople, nommé Alexandre, se rendit à -Jérusalem avec sa femme, et fit construire, en l’honneur de saint -Etienne, une belle église, où il ordonna qu’on l’ensevelît lui-même -après sa mort. Mais, sept ans après sa mort, sa veuve Julienne, rentrant -dans sa patrie, voulut emporter avec elle le corps de son mari. Alors -l’évêque, qu’elle suppliait de l’y autoriser, lui montra deux cercueils -d’argent et lui dit: «Je ne sais pas lequel de ces deux cercueils est -celui de ton mari!» Et elle: «Moi, je le sais bien!» Sur quoi, elle -s’élança, et couvrit de baisers le corps de saint Etienne. Et ainsi, -croyant reprendre le corps de son mari, elle prit, par hasard, celui du -premier martyr. Et comme elle le conduisait par mer à Constantinople, on -entendit le chant des anges, une odeur merveilleuse se répandit à bord -du bateau, et les démons, furieux, suscitèrent une affreuse tempête. -Mais, comme les matelots tremblaient d’épouvante, saint Etienne leur -apparut en personne, et leur dit: «C’est moi qui suis avec vous, ne -craignez rien!» Et aussitôt le calme succéda à la tempête. Le bateau -parvint alors sans encombre jusqu’à Constantinople, où le corps de saint -Etienne fut pieusement déposé dans une église. - -Enfin, nous allons raconter de quelle manière fut faite la conjonction -du corps de saint Etienne avec celui de saint Laurent. Eudoxie, fille de -Théodose, qui se trouvait à Rome, était possédée d’un démon qui la -persécutait cruellement. Alors son père, qui demeurait à Constantinople, -lui enjoignit de venir près de lui, afin qu’elle pût toucher les -reliques de saint Etienne. Mais le démon qui était en elle se mit à -crier: «Si Etienne ne vient pas à Rome, je ne sortirai pas d’où je -suis!» Ce qu’apprenant, Théodose obtint du clergé et du peuple de -Constantinople, que les reliques de saint Etienne fussent échangées -contre celles de saint Laurent, qui, jusqu’alors, étaient gardées à -Rome. L’empereur écrivit donc au pape Pélage pour lui demander cet -échange; et le pape réunit un concile de cardinaux, qui y consentit. Des -cardinaux furent alors envoyés à Constantinople pour y prendre le corps -de saint Etienne, et des Grecs furent envoyés à Rome pour en ramener les -reliques de saint Laurent. - -Le corps de saint Etienne ayant été d’abord débarqué à Capoue, les -habitants de Capoue obtinrent de pouvoir en garder le bras droit; et une -église métropolitaine fut fondée pour recevoir la précieuse relique. -Puis le corps du martyr fut transporté à Rome, où on voulait le déposer -dans l’église de Saint-Pierre aux Liens. Mais quand le cortège passa -devant l’église où était le corps de saint Laurent, les porteurs durent -s’arrêter, retenus par une force mystérieuse qui les empêchait -d’avancer. Et le démon, dans la princesse, criait: «Vous perdez vos -peines, car Etienne a choisi sa demeure auprès de son frère Laurent!» -C’est donc auprès de saint Laurent que le corps fut déposé; et à peine -Eudoxie l’eut-elle touché que le démon qui la tourmentait l’abandonna. -Cependant, saint Laurent, comme s’il se réjouissait de l’arrivée de son -frère saint Etienne, se retira dans le fond de son tombeau, laissant -dans le milieu une grande place vide pour son compagnon. Et, au moment -où les Grecs voulurent mettre la main sur le corps de saint Laurent pour -l’emporter, ils furent soudain précipités à terre, et, malgré les -prières du pape Pélage, ils moururent quelques jours après. Puis on -entendit, dans les cieux, une voix qui disait: «Heureuse es-tu, Rome, de -pouvoir contenir dans un même tombeau les corps glorieux de Laurent et -d’Etienne!» C’est ainsi que fut opérée cette conjonction, l’an du -Seigneur 425. - -Dans le livre XXII de la _Cité de Dieu_, saint Augustin raconte -l’histoire de six morts ressuscités par l’intermédiaire de saint -Etienne: 1º l’un de ces morts entrait déjà en décomposition, lorsque, le -nom de saint Etienne ayant été invoqué sur lui, aussitôt il revint à la -vie; 2º un enfant, écrasé par une charrette, ressuscita et recouvra la -santé lorsque sa mère l’eut porté à l’église de saint Etienne; 3º une -religieuse, qu’on avait portée dans l’église de saint Etienne, et qui y -était morte après avoir été administrée, se releva guérie au vu et à -l’étonnement de tous; 4º une jeune fille d’Hippone étant morte, son père -porta sa tunique à l’église de saint Etienne; et, quand il l’étendit -ensuite sur le corps de sa fille, celle-ci ressuscita aussitôt; 5º un -jeune homme retrouva la vie lorsqu’on eut frotté son corps avec l’huile -de saint Etienne; 6º un enfant, transporté mort dans l’église de saint -Etienne, revint à la vie dès qu’on eut invoqué le nom du saint. - - - - -CXII - -SAINT DOMINIQUE, CONFESSEUR - -(4 août) - - -I. Dominique, père et fondateur de l’ordre des Frères Prêcheurs, naquit -en Espagne, dans un village appelé Callahorra, du diocèse d’Osma. Son -père s’appelait Félix, et sa mère Jeanne. Sa mère, avant qu’il fût né, -rêva qu’elle portait dans son sein un petit chien, qui tenait dans sa -bouche une torche allumée; et le petit chien, sorti de son sein, -embrasait de sa torche le monde entier. Plus tard, la marraine du petit -Dominique crut voir, sur le front de l’enfant, une étoile qui éclairait -le monde entier. Et, pendant qu’il était encore confié aux soins de sa -nourrice, plusieurs fois on le vit, la nuit, se lever de son berceau -pour aller s’étendre sur la terre nue. Envoyé à Valence pour faire ses -études, il travaillait avec tant de zèle que, pendant dix ans, il ne -prit pas une goutte de vin. Et comme la famine régnait à Valence, il -vendit ses livres et tout son mobilier pour en distribuer le prix aux -pauvres. - -Bientôt sa renommée s’étendit à tel point que l’évêque d’Osma le nomma -chanoine de son église; et, peu de temps après, les autres chanoines -l’élurent pour leur sous-prieur. Et lui, nuit et jour, il étudiait et -priait, demandant à Dieu la grâce de pouvoir se dévouer tout entier au -salut de son prochain. - -S’étant rendu avec son évêque à Toulouse, il ramena à la foi du Christ -son hôte, qui était hérétique, et l’offrit au Seigneur comme la prémice -de sa moisson future. On lit aussi, dans la _Chronique du comte de -Montfort_, que, un jour, après avoir prêché contre les hérétiques, il -rédigea par écrit les arguments dont il s’était servi, et remit le -papier à l’un de ses adversaires, afin que celui-ci pût réfléchir sur -ses objections. Or l’hérétique fit voir ce papier à ses compagnons -assemblés. Ceux-ci lui dirent de jeter le papier au feu et que, s’il -brûlait, c’était la preuve de la vérité de leurs doctrines, et que si, -au contraire, il ne brûlait pas, cela prouverait la vérité de la foi -romaine. Trois fois de suite le papier fut jeté au feu; trois fois de -suite il en rejaillit sans éprouver le moindre dommage. Mais les -hérétiques, persévérant dans leur erreur, se jurèrent de ne parler à -personne de ce miracle. Seul un soldat qui se trouvait là, et qui -adhérait un peu à la foi catholique, raconta plus tard le miracle dont -il avait été témoin. Ce miracle arriva auprès du Mont de la Victoire. - -A la mort de l’évêque d’Osma, Dominique se trouva presque seul à lutter -contre les hérétiques. Ceux-ci, l’accablant de railleries, lui lançaient -de la boue, des crachats et autres ordures, ou bien encore, par -dérision, lui attachaient de la paille dans le dos. Ils le menaçaient -également de mort, mais lui, sans rien craindre, répondait: «Je ne suis -pas digne de la gloire du martyre, et n’ai pas encore mérité le bienfait -de la mort!» Une autre fois, s’étant rendu en un lieu où on lui tendait -des pièges, il s’avançait en chantant et le sourire aux lèvres. Etonnés, -les hérétiques lui dirent: «L’idée de la mort ne te trouble-t-elle pas? -Et qu’aurais-tu fait, si nous avions mis la main sur toi?» Et lui: «Je -vous aurais priés de ne pas me faire mourir tout de suite, mais peu à -peu, en me mutilant membre par membre.» - -Il apprit un jour qu’un homme, contraint par la misère, s’était affilié -aux hérétiques. Aussitôt le saint résolut de se vendre lui-même, de -façon que l’hérétique pût, grâce à l’argent qui résulterait de cette -vente, se délivrer de son erreur et se convertir à la vraie religion. Et -il se serait en effet vendu, si Dieu n’avait pourvu d’une autre façon -aux besoins de l’homme qu’il voulait sauver. Une autre fois, comme une -femme se lamentait devant lui de ne pouvoir délivrer son frère, retenu -en captivité par les Sarrasins, Dominique, touché de pitié, offrit de se -vendre lui-même pour racheter le captif. Mais Dieu, fort heureusement, -ne lui permit point de le faire, ayant besoin de lui pour le rachat -spirituel de bien d’autres captifs. - -Peu à peu il se mit à projeter la création d’un ordre ayant pour mission -de parcourir le monde en prêchant, et de fortifier la foi contre les -hérétiques. Etant donc resté pendant dix ans dans la région de Toulouse, -depuis la mort de l’évêque d’Osma jusqu’à la réunion du Concile de -Latran, il se mit en route pour Rome en compagnie de Foulques, évêque de -Toulouse. A Rome, il demanda au pape Innocent l’autorisation de fonder -un grand ordre, qui porterait le nom d’ordre des Frères Prêcheurs. Et -comme le pape hésitait à lui accorder cette autorisation, il vit en rêve -que l’église de Latran allait s’écrouler; et voici qu’il vit arriver -Dominique, qui, avec ses seules épaules, soutenait l’église qui allait -s’écrouler. A son réveil, le pape, comprenant le sens de son rêve, -accueillit volontiers la demande du saint, ajoutant que, s’il voulait -choisir, pour son ordre, une des règles déjà approuvées par l’église, -l’ordre serait aussitôt approuvé. Revenu auprès de ses frères, qui -étaient au nombre de seize, il lui fit part des paroles du pape. Sur -quoi les Frères, à l’unanimité, choisirent la règle de saint Augustin, y -ajoutant seulement certaines pratiques encore plus rigoureuses, qu’ils -résolurent de garder à jamais. Et, après la mort d’Innocent, sous le -pontificat d’Honorius, en l’an du Seigneur 1216, l’ordre fondé par -Dominique fut décidément autorisé. - -Et l’on raconte que, un jour que Dominique, à Rome, priait dans l’église -de Saint-Pierre pour demander cette autorisation, les deux princes des -apôtres, Pierre et Paul, lui apparurent; saint Pierre lui tendit un -bâton, saint Paul, un livre, et tous deux lui dirent: «Va et prêche, car -tu as été élu de Dieu pour cette mission!» Et il crut voir ses fils, -deux par deux, se répandant à travers le monde. Aussi, dès qu’il fut -revenu à Toulouse, dispersa-t-il ses Frères, envoyant les uns en -Espagne, d’autres à Paris, d’autres à Bologne, tandis que lui-même s’en -retournait à Rome. - -Un moine, ayant été ravi en extase, vit la Vierge qui, agenouillée et -les mains jointes, implorait son Fils en faveur des hommes. Et le Fils, -voyant son insistance, lui dit: «Ma mère, que puis-je ou dois-je encore -faire pour eux? Je leur ai envoyé mes patriarches et mes prophètes, et -ils ne se sont pas corrigés. Je suis venu moi-même vers eux, je leur ai -envoyé mes apôtres: ils nous ont mis à mort. Je leur ai envoyé mes -martyrs, mes docteurs et mes confesseurs: ils ne les ont pas écoutés. -Cependant, comme je ne veux rien te refuser, je leur donnerai encore mes -Frères Prêcheurs, pour qu’ils puissent les éclairer et les purifier. -Mais si les hommes rejettent encore ceux-là, je serai forcé de sévir -contre eux!» Un autre moine eut une vision analogue, le jour où douze -abbés de Cîteaux arrivèrent à Toulouse pour combattre les hérétiques. -Cette fois, la Vierge dit au Fils: «Mon cher enfant, ce n’est point -contre leurs méchancetés, mais d’après ta propre compassion que tu dois -agir.» Et le Fils, vaincu par ses prières, lui dit: «A ta demande, je -vais encore leur envoyer mes Frères Prêcheurs pour les instruire et les -avertir; mais s’ils continuent à ne pas se corriger, je n’aurais -désormais plus de pitié pour eux!» - -Un Frère Mineur, qui avait été longtemps le compagnon de saint François, -raconta à plusieurs Frères de l’ordre des Prêcheurs que, pendant que -Dominique était à Rome pour la confirmation de son ordre, il vit, une -nuit, le Christ debout dans les airs et tenant en main trois lances, -qu’il brandissait contre le monde. Et sa Mère, accourant au-devant de -lui, lui demanda ce qu’il allait faire. Et Lui: «Le monde est tout -rempli de trois vices: l’orgueil, l’avarice, et la concupiscence; aussi -ai-je résolu de le détruire avec ces trois lances!» Alors la Vierge, se -jetant à ses genoux, lui dit: «Fils bien-aimé, aie pitié et tempère ta -justice de miséricorde!» Et le Christ: «Ne vois-tu pas les injures qui -me sont faites?» Et la Vierge: «Mon fils, retiens ta fureur et attends -un peu; car je connais un fidèle serviteur et vaillant lutteur qui, -parcourant le monde, le soumettra à ta domination. Et je lui donnerai -pour assistant un autre serviteur, qui rivalisera avec lui de zèle et de -courage.» Et Jésus: «Ta vue m’a apaisé, mais je serais curieux de voir -les deux hommes à qui tu promets de si hautes destinées!» Alors elle -présenta au Christ saint Dominique. Et le Christ: «Oui, voilà un bon et -vaillant lutteur!» Puis elle lui présenta saint François, dont il fit le -même éloge. Or, saint Dominique, qui, jamais encore n’avait vu son -glorieux rival, le reconnut dans l’église, le lendemain, à la suite de -ce rêve où il l’avait vu. Il courut à lui, l’embrassa pieusement, et lui -dit: «Tu es mon compagnon, nos routes iront de pair. Unissons-nous, et -aucun adversaire ne prévaudra contre nous!» Puis il lui raconta la -vision qu’il avait eue; et depuis lors, ils n’eurent plus qu’un seul -cœur et qu’une seule âme en Dieu, et ils recommandèrent à leurs -successeurs de garder fidèlement cette amitié réciproque. - -Un novice, de la Pouille, que saint Dominique avait reçu dans son ordre, -fut tellement perverti par ses anciens compagnons qu’il voulait -absolument jeter son froc pour retourner dans le monde. Alors saint -Dominique, après avoir longtemps prié, revêtit le novice de ses -vêtements de laïc; mais aussitôt celui-ci se mit à crier: «Je brûle, je -me consume, ôtez-moi au plus vite cette maudite chemise qui va me -réduire en cendres!» Et il n’eut point de repos que son froc ne lui fût -rendu et qu’il ne se fût réinstallé dans sa cellule. - -Pendant que saint Dominique était à Bologne, un des Frères, la nuit, fut -tourmenté par le diable. Ce qu’apprenant, le Frère Régnier, de Lausanne, -fit part de la chose à saint Dominique, qui ordonna de transporter le -possédé dans l’église, devant l’autel. Et lorsque dix Frères furent -péniblement parvenus à le transporter, le saint dit: «Je te somme, -misérable, de me dire pourquoi tu tourmentes une créature de Dieu!» Et -le diable répondit: «Je tourmente ce moine, parce qu’il l’a mérité. -Hier, en effet, il a bu, en ville, sans la permission de son prieur, et -sans avoir fait le signe de la croix. Alors je suis entré en lui, sous -la forme d’un moustique, en me mêlant au vin qu’il buvait.» Sur ces -entrefaites, la cloche du monastère sonna pour les matines. Et aussitôt -le diable dit: «Je ne puis demeurer ici plus longtemps, car voilà que -les capucins se lèvent!» Et il s’enfuit. - -Un jour que saint Dominique traversait un fleuve, aux environs de -Toulouse, ses livres tombèrent à l’eau. Or trois jours après, un -pêcheur, ayant jeté sa ligne en ce lieu, crut bien avoir pris un lourd -poisson; et il retira de l’eau les livres du saint, aussi intacts que -s’ils avaient été soigneusement gardés dans une armoire. - -Une nuit, étant arrivé à la porte d’un monastère pendant que les moines -dormaient, Dominique se fit scrupule de les réveiller. Il se mit en -prière, et soudain, se vit transporté à l’intérieur du monastère, avec -son compagnon, sans que les portes eussent été ouvertes. - -Un étudiant débauché vint, certain jour de fête, dans l’église des -Frères, à Bologne, pour entendre la messe. Or c’était saint Dominique -lui-même qui officiait ce jour-là. Au moment de l’offertoire, l’étudiant -s’approcha et baisa pieusement la main du saint, dont il sentit -s’exhaler un parfum délicieux. Et aussitôt la fièvre du plaisir se -refroidit en lui, miraculeusement, au point qu’il devint désormais -chaste et continent. - -Un prêtre, témoin du zèle qu’apportaient à leur prédication saint -Dominique et ses Frères, résolut d’entrer dans leur ordre, si seulement -il pouvait se procurer un Nouveau Testament, dont il avait besoin pour -prêcher. Or, au même instant, un jeune homme vint le trouver, et lui -offrit de lui vendre un Nouveau Testament, que le prêtre s’empressa -d’acheter. Mais comme, après cela, il hésitait encore, il fit un signe -de croix sur le livre et l’ouvrit ensuite au hasard; et ses yeux -tombèrent sur un passage des _Actes_, où il lut: «Lève-toi, descends et -va avec eux sans hésitation, car c’est moi qui les ai envoyés!» Et -aussitôt, se levant, il rejoignit les Frères. - -Un maître de théologie de Toulouse, homme de grande science et de grand -renom, préparait un jour sa leçon lorsque, vaincu par le sommeil, il -s’endormit sur son siège. Et il vit en rêve qu’on lui présentait sept -étoiles. Et soudain ces étoiles commencèrent à grandir en nombre et en -éclat, de telle sorte que, bientôt, elles illuminèrent le monde. Se -réveillant, il fut très étonné de ce rêve. Et, au moment où il entrait -dans la salle de ses leçons, saint Dominique et six de ses frères -vinrent respectueusement l’écouter: et aussitôt il comprit qu’ils -étaient les sept étoiles qu’il avait vues dans son rêve. - -Pendant que Dominique était à Rome, un savant homme, nommé Reginald, -doyen de Saint-Aignan d’Orléans, et qui avait enseigné le droit canon à -Paris, se mit en route pour Rome, par voie de mer, en compagnie de -l’évêque d’Orléans. Cet homme avait depuis longtemps le désir de se -consacrer tout entier à la prédication, mais ne savait pas encore sous -quelle forme il devait le faire. Un cardinal, qui éprouvait le même -désir, lui apprit l’institution des Frères Prêcheurs. On fit venir saint -Dominique, qui leur expliqua son projet. Sur quoi le théologien résolut -d’entrer dans son ordre. Mais, au même moment, il fut pris d’une grande -fièvre qui faillit l’emporter. Alors saint Dominique se mit à invoquer -la Vierge, qu’il avait choisie, expressément, pour patronne de son -ordre. Il lui demanda de vouloir bien lui concéder Reginald, au moins -pour quelque temps. Et voici que, soudain, le malade qui, déjà, -attendait la mort, vit venir à lui la Reine de Miséricorde, accompagnée -de deux jeunes filles merveilleusement belles; et elle lui dit: -«Demande-moi ce que tu voudras et je te l’accorderai!» Et, pendant qu’il -songeait à ce qu’il pouvait lui demander, une des deux jeunes filles lui -conseilla de ne rien demander, mais plutôt de s’en remettre tout à fait -à la Reine de Miséricorde: ce qu’il fit. Alors la Vierge, étendant la -main, oignit ses oreilles, ses narines, ses mains, et ses pieds, avec un -onguent qu’elle avait apporté, puis elle dit: «Après-demain je -t’enverrai une ampoule qui achèvera de te rendre la santé!» Puis elle -lui montra un habit de moine, en lui disant: «Voici l’habit de ton -ordre!» Et lorsque saint Dominique, qui avait eu la même vision, vint -chez Reginald, le jour suivant, il le trouva en pleine convalescence. -Et, le jour d’après, la Mère de Dieu revint auprès de Reginald, et lui -oignit de nouveau le corps, de telle façon que non seulement sa fièvre -disparut à jamais, mais que toute ardeur de concupiscence l’abandonna. -Lui-même a avoué que, pas une seule fois depuis lors, il n’a ressenti -même le premier mouvement d’un désir charnel. Et cette seconde vision -eut pour témoin, avec Reginald et saint Dominique, un religieux de -l’ordre des Hospitaliers, qui en fut grandement surpris. Aussi Dominique -s’empressa-t-il de la raconter à ses frères, en même temps qu’il leur -faisait revêtir l’habit que la Vierge avait montré à Reginald, et qui -était un peu différent de celui que les frères portaient jusqu’alors. -Quant à Reginald, il se rendit à Bologne pour y prêcher, et contribua -beaucoup à accroître le nombre des frères; après quoi il se rendit à -Paris et y mourut presque dès son arrivée. - -Un jeune homme, neveu du cardinal de Fossa-Nova, tomba de cheval dans un -fossé où il se tua; mais saint Dominique, ayant prié sur lui, le -ressuscita. Il ressuscita également un architecte qui, conduit par des -frères dans la crypte de Saint-Sixte, avait été écrasé par la chute d’un -mur. Dans le même couvent, comme les frères, au nombre de quarante, y -étaient assemblés, ils virent qu’ils n’avaient à manger qu’un tout petit -pain. Saint Dominique leur ordonna de couper ce pain en quarante -parties. Et comme chacun des frères prenait avec joie sa bouchée, deux -jeunes gens, exactement pareils, entrèrent dans le réfectoire portant -des pains dans les plis de leurs manteaux. Ils déposèrent les pains à la -tête de la table sans rien dire, et puis disparurent, de telle façon que -personne ne sut ni d’où ils étaient venus, ni comment ils étaient -partis. Alors saint Dominique, étendant les mains vers ses Frères: «Eh -bien, mes chers Frères, voilà que vous avez de quoi manger!» - -Un jour qu’il était en voyage et que la pluie tombait à verse, il fit le -signe de la croix; et aussitôt la pluie l’épargna, lui et son compagnon, -de telle sorte que, pendant que le sol ruisselait d’eau, pas une goutte -ne se voyait dans un espace de trois coudées tout à l’entour d’eux. Une -autre fois, près de Toulouse, comme il passait un fleuve en bateau, le -batelier exigea de lui un denier pour prix de la traversée. En vain le -saint lui promettait le royaume des cieux, ajoutant que, disciple du -Christ, il n’avait jamais ni or, ni argent. L’homme, le tirant par sa -chape, lui disait: «Je veux un denier ou ta chape!» Alors le saint leva -les yeux au ciel et pria; puis baissant les yeux à terre, il aperçut un -denier, sans doute tombé du ciel. Et il dit au batelier: «Tiens, frère, -prends ce que tu demandes et laisse-moi aller en paix!» - -Une autre fois, le saint rencontra en route un religieux qui lui était -proche par la sainteté, mais absolument étranger par la langue. Et il -regrettait fort de ne pouvoir pas se réchauffer l’âme en s’entretenant -avec lui des choses divines. Mais Dieu permit que, pendant trois jours, -jusqu’à leur arrivée dans l’endroit où ils allaient, ils comprissent et -parlassent la langue l’un de l’autre. - -Une autre fois, voulant délivrer un possédé, il lui mit autour du cou sa -propre étole, et ordonna aux démons de ne plus le tourmenter. Et les -démons: «Permets-nous de sortir sans nous torturer comme tu fais!» Mais -lui: «Je ne vous laisserai sortir que si vous me donnez des garants pour -me certifier que jamais plus vous ne reviendrez.» Et eux: «Quels garants -pourrions-nous t’offrir?» Et lui: «Les saints martyrs dont les chefs -reposent dans cette église!» Et eux: «C’est impossible, car ils sont nos -ennemis!» Et lui: «Si vous ne le faites pas, je ne cesserai pas de vous -torturer.» Alors ils promirent de faire tout le possible; et, après un -instant, ils reprirent: «Hé bien, les saints martyrs nous ont accordé la -faveur de se porter garants pour nous!» Et comme Dominique leur -demandait un signe qui le lui prouvât, ils répondirent: «Allez à la -châsse où sont les têtes des martyrs, et vous la trouverez retournée en -sens inverse!» On y alla, et l’on vit que les démons avaient dit vrai. - -Un jour, comme il prêchait, des femmes hérétiques se jetèrent à ses -pieds, en disant: «Serviteur de Dieu, prête-nous ton aide! car si ce que -tu as prêché aujourd’hui est vrai, longtemps l’esprit d’erreur nous a -aveuglées.» Et lui: «Ayez la constance d’attendre un moment, et vous -verrez à quel dieu vous avez adhéré!» Et elles virent s’élancer parmi -elles un chat terrible, grand comme un chien, avec de gros yeux pleins -de flammes, une langue énorme et sanguinolente descendant jusque sur son -nombril, et une queue très courte, laissant à nu son derrière, dont -sortait une puanteur intolérable. L’animal tourna plusieurs fois autour -des femmes, et disparut enfin dans le clocher, grimpant le long de la -corde d’une cloche. Et les femmes, ayant vu ce prodige, se convertirent -à la foi catholique. - -Etant à Toulouse, Dominique vit un jour conduire au bûcher des -hérétiques qu’il avait convaincus d’erreur. Et comme il reconnaissait -parmi eux un homme appelé Raymond, il dit aux exécuteurs: «Sauvez -celui-ci, de façon qu’il ne soit pas brûlé avec les autres!» Puis, se -tournant vers Raymond, il lui dit doucement: «Je sais, mon fils, qu’un -jour tu deviendras un homme de bien et un saint!» Et, en effet, -l’hérétique, après avoir encore persisté dans son hérésie pendant vingt -ans, se convertit et entra dans l’ordre des Prêcheurs, où il mena la vie -la plus exemplaire. - -Comme il était un jour au couvent de saint Sixte, à Rome, il eut une -illumination divine après laquelle, convoquant le chapitre des frères, -il leur annonça que quatre d’entre eux mourraient bientôt, deux quant au -corps, et deux quant à l’âme. Et en effet, peu de temps après, deux des -frères rendirent leur âme à Dieu et deux autres se défroquèrent. - -Il y avait à Bologne un savant maître, nommé Conrad le Teuton, dont les -frères souhaitaient vivement qu’il entrât dans leur ordre. Or, un soir -que saint Dominique s’entretenait familièrement avec le prieur du -monastère Cistercien de Casa Mariæ, il lui dit, entre autres choses: -«Prieur, je vais t’avouer un secret dont je n’ai jamais fait part à -personne, et dont je te prie, toi aussi, de ne faire part à personne -tant que je vivrai. Sache donc que, jusqu’à présent, je n’ai jamais rien -demandé au ciel qui ne m’ait aussitôt été accordé!» A quoi le prieur -répondit: «Eh bien, mon Père, demande au ciel que Conrad entre dans ton -ordre, ainsi que le souhaitent les frères!» Quelques heures plus tard, -quand les offices furent achevés, et que tout le monde se fut mis au -lit, Dominique resta seul dans l’église, et pria jusqu’au lendemain. Et, -le lendemain matin, comme les frères s’assemblaient dans l’église pour -les matines, voici qu’entra tout à coup maître Conrad, qui, s’étant -prosterné aux pieds de saint Dominique, demanda à revêtir l’habit de son -ordre. Et, depuis ce moment, Conrad mena la vie la plus exemplaire. Plus -tard, comme il avait déjà fermé les yeux, ses frères le croyaient mort, -lorsque soudain, rouvrant les yeux et promenant son regard d’un frère à -l’autre, il dit: «Que le Seigneur soit avec vous!» Les Frères -répondirent: «Et avec ton esprit!» Sur quoi Conrad ajouta: «Que les âmes -des fidèles reposent en paix!» Et aussitôt il s’endormit dans le -Seigneur. - -Dominique, en vrai serviteur de Dieu, avait une parfaite égalité d’âme, -sauf quand il était ému de compassion; et, comme un cœur joyeux rend le -visage gai, la composition tranquille de son intérieur se manifestait -dans la bienveillance souriante de ses traits. Il passait ses journées -en compagnie de ses frères et de ses compagnons, réservant ses nuits -pour la prière: et ainsi il donnait ses journées à son prochain, ses -nuits à Dieu. Souvent, pendant la messe, à l’élévation, il avait -l’esprit ravi au point de voir le Christ lui-même incarné dans l’hostie. -Presque toujours il passait la nuit dans l’église; et quand la fatigue -l’accablait, il sommeillait un instant, soit devant l’autel, ou la tête -appuyée sur une pierre. Trois fois par nuit il s’infligeait la -discipline avec une chaîne de fer, la première fois pour lui-même, la -seconde pour les pécheurs vivants, la troisième pour ceux du purgatoire. - -Ayant été un jour élu évêque de Cîteaux, il refusa formellement -d’accepter cet honneur, déclarant qu’il aimait mieux mourir que de -consentir à ce qu’une élection se fît sur son nom. On lui demandait -pourquoi il demeurait plutôt dans le diocèse de Carcassonne que dans -celui de Toulouse, qui était le sien. Il répondit: «Parce que, dans le -diocèse de Toulouse, je trouve bien des gens qui m’honorent, tandis que, -dans celui de Carcassonne, tout le monde m’attaque.» Et comme on lui -demandait quel était le livre où il avait le plus étudié, il répondit: -«Le livre de la charité!» - -Certaine nuit, pendant que saint Dominique priait dans son église de -Bologne, le diable lui apparut sous la figure d’un frère. Et le saint, -croyant voir un de ses frères, lui faisait signe d’aller se coucher avec -ses compagnons. Mais le diable, par dérision, lui répondait en lui -adressant les mêmes signes de tête. Alors le saint, voulant savoir quel -était le frère qui méprisait ainsi ses ordres, alluma une chandelle à -l’une des lampes, et reconnut aussitôt à qui il avait affaire. Il se mit -donc à invectiver véhémentement le diable, qui osa, à son tour, lui -reprocher d’avoir rompu la règle du silence, en lui parlant. Le saint -lui rappela que son titre d’abbé le dégageait de la règle du silence. -Après quoi il le somma de lui dire comment il tentait les frères dans le -chœur. Et le diable: «Je les fais venir trop tard et repartir trop tôt.» -Dominique lui demanda comment il tentait les frères au dortoir. Et le -diable: «Je les fais coucher trop tôt, se lever trop tard.» Saint -Dominique lui demanda comment il tentait les frères au réfectoire. Et le -démon, tout en sautant d’une table à l’autre, se borna à répéter -plusieurs fois: «Par le plus et par le moins!» Interrogé sur ce qu’il -voulait dire, il répondit: «J’excite les uns à trop manger, pour -qu’ainsi ils pèchent par gourmandise; j’en excite d’autres à ne pas -assez manger, pour qu’ainsi ils deviennent plus faibles et soient moins -aptes au service de Dieu.» Dominique demanda ensuite au diable comment -il tentait les frères au parloir. Et le diable: «Oh! ce lieu-là est mon -véritable domaine; car lorsque les frères s’y réunissent pour parler -entre eux, je les excite à bavarder en désordre, à se perdre en paroles -inutiles et à ouvrir la bouche tous en même temps.» Enfin Dominique le -conduisit au chapitre du couvent: mais le diable ne voulut à aucun prix, -y pénétrer, disant: «Ce lieu-ci est pour moi la malédiction et l’enfer, -car j’y perds tout ce que j’ai gagné dans le reste du couvent. Dès que -j’ai amené un frère à pécher, il vient se purger ici de sa faute et la -confesser publiquement.» Et, cela dit, il disparut. - -C’est à Bologne que Dominique sentit les premières atteintes de la -maladie qui devait l’emporter. Il vit en rêve un beau jeune homme qui -l’appelait, et lui disait: «Viens, mon bien-aimé, viens à la joie, -viens!» Aussitôt il rassembla les frères de Bologne, au nombre de douze, -et leur remit son testament, en leur disant: «Voici ce que je vous -laisse en héritage paternel: la charité, l’humilité et la pauvreté!» Il -défendit, par tous les moyens possibles, que son ordre pût jamais -posséder aucun bien temporel, appelant la malédiction de Dieu sur celui -qui voudrait souiller, de la poussière des richesses terrestres, l’ordre -des Frères Prêcheurs. Et comme ses frères se désolaient de son état, il -leur dit doucement: «Mes fils, que la dissolution de mon corps ne vous -trouble point! Et ne doutez point que, mort, je vous serai plus utile -que je ne l’ai été de mon vivant!» Puis il s’endormit dans le Seigneur, -en l’an 1221. - -II. Sa mort fut aussitôt révélée au Frère Guale, qui était alors prieur -des dominicains de Brescia, et qui devint plus tard évêque de cette -ville. Ce saint homme sommeillait dans la chapelle du couvent, la tête -appuyée au mur, lorsqu’il vit le ciel s’ouvrir pour livrer passage à -deux échelles blanches, dont l’une était tenue par le Christ, l’autre -par la Vierge, et le long desquelles montaient et descendaient -joyeusement des anges. Entre les deux échelles était attaché un siège où -se tenait assis un frère, la tête couverte d’un voile; et Jésus et la -Vierge tiraient les échelles jusqu’à ce que le siège fût entré dans le -ciel. Et Guale, étant venu ensuite à Bologne, apprit que le même jour, à -la même heure, saint Dominique avait rendu l’âme. - -Un autre Frère, nommé Raon, se trouvait, ce jour-là, dans une chapelle -de Tibur, où il célébrait la messe. Et, comme il savait que Dominique -était malade, il voulut prier pour sa santé, à l’endroit du canon où -mention est faite des vivants. Mais aussitôt il fut ravi en extase, et -vit Dominique sortant de Bologne par une voie royale, la tête ceinte -d’une couronne d’or, et accompagné de deux anges resplendissants. Il -nota le jour et l’heure, qui coïncidaient avec ceux de la mort du saint. - -III. Quelque temps après sa mort, et en présence du grand nombre de -miracles qu’opéraient ses reliques, les fidèles crurent devoir -transporter celles-ci dans un lieu plus en vue. On ouvrit donc le caveau -où le corps du saint avait été déposé; et une odeur délicieuse s’en -exhala, qui effaçait tous les parfums du monde, et qui imprégnait non -seulement les restes mêmes du saint corps, mais aussi le cercueil et la -terre entassée alentour. Et ceux des frères qui avaient touché aux -reliques gardaient ce parfum surnaturel attaché à leurs mains. - -IV. Un noble de Hongrie était venu, avec sa femme et son petit garçon, -visiter les reliques du saint dans une église de Silon. Et comme -l’enfant, tombé gravement malade, était mort, son père porta son cadavre -devant l’autel de saint Dominique, et s’écria tout en larmes: «Grand -saint, je suis venu joyeux vers toi, je m’en vais désolé! Je suis venu -avec mon fils, je m’en vais sans lui! Je t’en prie, rends-moi mon fils, -rends-moi la joie de mon cœur!» Aussitôt l’enfant se releva, et se mit à -marcher dans l’église.--Une autre fois, comme un des serviteurs d’une -dame noble de Hongrie s’était noyé, et que son corps n’avait été retiré -de l’eau qu’après un très long délai, la dame pria saint Dominique de le -ressusciter, promettant, si elle était exaucée, de donner la liberté au -serviteur mort, et d’aller en pèlerinage, pieds nus, aux reliques du -saint. Aussitôt le mort ressuscita; et la dame accomplit son vœu.--Une -autre fois encore, en Hongrie, un homme dont le fils venait de mourir -invoqua l’aide de saint Dominique. Le lendemain, au chant du coq, -l’enfant ouvrit les yeux et dit à son père: «D’où vient, mon père, que -tu aies le visage si creusé et pâli?» Et le père: «C’est l’effet de mes -larmes, mon fils, parce que tu étais mort et que je restais seul, privé -de toute joie!» Et l’enfant: «Sache donc, mon père, que saint Dominique, -ayant pitié de ton chagrin, a obtenu, par ses mérites, que je te fusse -rendu!» - -V. Dans la même province de Hongrie, une dame qui se préparait à faire -célébrer une messe en l’honneur de saint Dominique ne trouva point de -prêtre dans l’église, à l’heure où elle vint. Alors elle enveloppa dans -un linge les trois cierges qu’elle avait préparés, les posa dans un -vase, et sortit pour un moment. Quand elle revint, les trois cierges -étaient allumés à l’intérieur du linge; et ils se consumèrent sans que -le linge en eût la moindre brûlure. - -VI. Un étudiant de Bologne, nommé Nicolas, souffrait si cruellement -d’une maladie des reins qu’il ne pouvait se lever de son lit et que sa -cuisse gauche était desséchée. Il invoqua l’aide de saint Dominique, et, -soudain, ayant entouré sa cuisse d’un filament de cierge, il se trouva -guéri au point de pouvoir se rendre, sans béquilles, au tombeau du -saint. Et innombrables sont les autres miracles que Dieu fit, dans la -même ville, par l’entremise de son serviteur Dominique. - -VII. En Sicile, dans la ville de Palerme, une jeune fille souffrait de -la pierre. Sa mère la recommanda à saint Dominique. Et, la nuit -suivante, le saint apparut à la jeune fille, lui posa dans la main la -pierre qui la faisait souffrir, et disparut. La jeune fille se réveilla -guérie; et sa mère porta la pierre miraculeuse au couvent des frères, où -l’on s’empressa de la suspendre devant l’image de saint Dominique. - -VIII. Dans la même ville, pendant la fête de la Translation de saint -Dominique, des femmes qui revenaient de l’église virent une autre femme -qui filait, assise devant sa porte. Elles lui reprochèrent -charitablement de ne point s’abstenir de travail servile pendant la fête -d’un si grand saint. Mais elle, furieuse, répondit: «Bon à vous, les -chéries des frères, de célébrer la fête de votre saint!» Aussitôt des -tumeurs se produisirent dans ses yeux, et des vers en sortirent, au -point qu’une voisine en retira dix-huit de chaque œil. Toute confuse, la -femme se fit conduire à l’église des frères, y confessa ses péchés, et -fit le vœu de ne plus jamais parler mal de saint Dominique. Sur quoi la -santé lui fut rendue. - -XI. Maître Alexandre, évêque de Vendôme, rapporte, qu’un étudiant de -Bologne, adonné aux vanités du siècle, eut une vision miraculeuse. Il -vit qu’il était dans un grand champ, où une tempête effroyable -descendait sur lui. Il voulut alors se réfugier dans une maison voisine; -mais il la trouva fermée; et, comme il frappait à la porte pour être -reçu, une voix féminine lui répondit: «Je suis la Justice, et ceci est -ma maison; et tu ne peux y entrer, n’étant pas un juste!» L’étudiant, -consterné, alla frapper à la porte d’une autre maison, d’où une voix lui -répondit: «Je suis la Vérité et ceci est ma maison; et je ne puis te -recevoir, parce que la vérité ne saurait secourir celui qui ne l’aime -pas!» Enfin, d’une troisième maison, lui fut répondu: «Ceci est la -maison de la Paix, et il n’y a point de paix pour les impies, mais -seulement pour les hommes de bonne volonté! Ecoute cependant un bon -conseil! Près d’ici habite une de nos sœurs qui est toujours prête à -secourir les malheureux. Va la trouver, et fais ce qu’elle te dira!» Et, -de cette quatrième maison, une voix répondit: «Je suis la Miséricorde, -et je vais t’indiquer un moyen d’être sauvé de la tempête qui te menace. -Va à la maison des Frères Prêcheurs; tu y trouveras l’étable de la -pénitence et le pâturage de la sainte doctrine, et l’enfant Jésus, qui -te sauvera!» Ayant eu cette vision, l’étudiant s’éveilla, courut à la -maison des Frères, et revêtit l’habit de l’ordre. - - - - -CXIII - -SAINT DONAT, ÉVÊQUE ET MARTYR - -(7 août) - - -I. Donat fut instruit avec l’empereur Julien, qui, comme l’on sait, fut -ordonné sous-diacre. Mais, dès que Julien parvint à l’empire, il fit -tuer le père et la mère de Donat. Et celui-ci se réfugia dans la ville -d’Arezzo, où, demeurant auprès du moine Hilaire, il opérait de nombreux -miracles. Le préfet de la ville lui amena un jour son fils, qui était -possédé du démon; et l’esprit immonde, s’écria: «Au nom du Seigneur -Jésus-Christ, Donat, ne me tourmente point pour me forcer à sortir de ma -maison!» Mais sur la prière de Donat, le fils du préfet fut aussitôt -délivré. - -II. Un percepteur du fisc en Toscane, nommé Eustache, allant en voyage, -confia les deniers publics à la garde de sa femme nommée Euphrosine. Et -celle-ci, voyant la province envahie par des ennemis, cacha l’argent; -après quoi elle mourut. Son mari, quand il revint, ne put retrouver -l’argent. Condamné au supplice avec ses enfants, il eut recours à saint -Donat. Et celui-ci, s’étant rendu avec lui au tombeau de sa femme, pria -le Seigneur; puis, à haute voix, il dit: «Euphrosine, au nom de -l’Esprit-Saint, je t’adjure de nous dire où tu as caché l’argent!» -Aussitôt on entendit une voix, sortant du tombeau, qui disait: «Sous le -seuil de notre maison, c’est là que je l’ai enfoui!» Et, en effet, -l’argent fut retrouvé où la voix l’avait dit. - -III. Quelques jours après, l’évêque Satyre s’endormit dans le Seigneur, -et tout le clergé élut Donat pour le remplacer. Or, comme un jour, -suivant ce que rapporte Grégoire dans son _Dialogue_, le peuple -communiait pendant la messe, le diacre qui portait le calice sacré fut -soudain poussé par les païens si vivement qu’il tomba, et que le calice -fut brisé en morceaux. Mais Donat, voyant sa douleur et celle du peuple, -réunit les morceaux du calice, pria sur eux, et aussitôt ils se -rejoignirent pour reprendre leur forme première. Seul un de ces morceaux -fut caché par le diable. Il manque aujourd’hui encore au calice, qui -garde ainsi le témoignage du miracle. Et les païens, à la vue de ce -miracle, se convertirent au nombre de quatre-vingts, et reçurent le -baptême. - -IV. Il y avait, près d’Arezzo, une fontaine empoisonnée: quiconque en -buvait mourait aussitôt. Et comme saint Donat s’y rendait sur son âne, -pour demander à Dieu la purification de l’eau, un dragon terrible sortit -de la fontaine, et, enroulant sa queue autour des pieds de l’âne, se -dressa contre Donat. Mais celui-ci, l’ayant frappé d’une verge, ou, -suivant d’autres, lui ayant craché dans la gueule, le tua sur-le-champ. -Puis il pria le Seigneur, et l’eau de la fontaine se trouva purifiée. -Une autre fois, comme ses compagnons et lui avaient très soif, il pria -le Seigneur, et une source jaillit du sol, sous ses pieds. - -V. La fille de l’empereur Théodose, étant possédée d’un démon, fut -amenée à saint Donat, qui dit: «Sors, esprit immonde, et cesse de -demeurer dans un corps créé par Dieu!» Et le démon: «Où irai-je, et par -où sortirai-je?» Et Donat: «D’où es-tu venu ici?» Et le démon: «Du -désert!» Et Donat: «Retourne au désert!» Et le démon: «Je vois sur toi -le signe de la croix, d’où un feu jaillit contre moi. Donne-moi un -passage pour sortir et je sortirai!» Et Donat: «Soit, je te laisserai -passer, pour que tu t’en retournes d’où tu es venu!» Et le démon sortit, -en faisant trembler toute la maison. - -VI. Un mort était conduit au tombeau lorsqu’un homme survint qui, tenant -en main un papier, affirma que le mort lui devait deux cents sous, et -déclara qu’il s’opposerait à l’ensevelissement jusqu’à ce qu’on l’eût -payé. La femme du mort vint, toute pleurante, rapporter la chose à saint -Donat; elle ajouta que cet homme avait, depuis longtemps, reçu en -totalité l’argent qu’il réclamait. Alors le saint marcha vers le -cercueil, et, prenant la main du mort, lui dit: «Ecoute-moi!» Le mort -répondit: «Je t’écoute!» Et saint Donat: «Lève-toi, et arrange-toi avec -cet homme, qui s’oppose à ton ensevelissement!» Le mort se releva dans -son cercueil, prouva en présence de tous qu’il avait déjà payé la dette, -et, saisissant le papier, le déchira. Puis il dit à saint Donat: «Et -maintenant, mon père, fais que je me rendorme!» Et Donat: «Fort bien, -mon fils, repose en paix!» - -VII. Comme, depuis près de trois ans, la pluie refusait de tomber, et -que la stérilité était grande, les infidèles vinrent trouver l’empereur -Théodose et lui demandèrent de leur livrer Donat, dont ils accusaient -les artifices magiques. Averti par l’empereur, Donat se rendit sur la -place, pria le Seigneur, et obtint aussitôt une pluie abondante. Puis il -revint chez lui, sans une goutte d’eau sur son vêtement, tandis que tous -les autres étaient trempés de pluie. - -VIII. Plus tard, lorsque les Goths ravagèrent l’Italie et que bon nombre -de chrétiens renièrent leur foi, le préfet Evadracien, à qui saint Donat -et saint Hilaire reprochaient son apostasie, fit saisir les deux saints, -et leur ordonna de sacrifier à Jupiter. Sur leur refus, Hilaire fut -dépouillé de ses vêtements, et roué de coups, dont il mourut. Donat fut -jeté en prison, puis décapité. C’était en l’an du Seigneur 380. - - - - -CXIV - -SAINT CYRIAQUE ET SES COMPAGNONS, MARTYRS - -(8 août) - - -Cyriaque, qui avait été ordonné diacre par le pape Marcel, fut arrêté -avec ses compagnons, et condamné par Maximien à bêcher de la terre, pour -la porter ensuite sur ses épaules jusqu’à un endroit où l’on -construisait des thermes. Il y avait là un digne vieillard, saint -Saturnin, que Cyriaque et Sisinnius aidaient à porter sa charge de -terre. Puis le préfet fit saisir saint Cyriaque et demanda qu’on le lui -amenât. Or, pendant que l’officier Apronien le conduisait au palais du -préfet, soudain une voix jaillit du ciel avec une grande lumière, -disant: «Venez, enfants bénis de mon père!» Aussitôt Apronien se -convertit, se fit baptiser et vint l’avouer au préfet. Et celui-ci: -«Ainsi, tu es devenu chrétien?» Et l’officier: «Hélas, que de jours j’ai -perdus!» Le préfet lui répondit: «C’est maintenant que tu vas vraiment -perdre tes jours!» Et il lui fit trancher la tête. Il la fit trancher -également, après de nombreux supplices, à Saturnin et à Sisinnius, sur -leur refus de sacrifier aux idoles. - -Or la fille de Dioclétien, nommée Arthémie, était possédée d’un démon -qui, par sa bouche, disait: «Je ne sortirai point d’ici, à moins qu’on -ne fasse venir le diacre Cyriaque!» On alla donc chercher Cyriaque, et -le démon lui dit: «Si tu yeux que je sorte d’ici, donne-moi un récipient -où je puisse entrer!» Et Cyriaque: «Voici mon corps! Si tu peux, -entres-y!» Mais le démon: «Je ne puis pas entrer dans ce récipient-là, -car il est scellé et clos de toutes parts. Mais sache que, si tu me fais -sortir d’ici, à mon tour je te ferai aller jusqu’en Babylonie!» Et -lorsque Cyriaque l’eut fait sortir, Arthémie s’écria qu’elle voyait le -Dieu qu’il prêchait. Elle se fit donc baptiser par Cyriaque; et celui-ci -vécut quelque temps en paix dans la maison que lui donnèrent Dioclétien -et sa femme Serena. - -Mais, un jour, un messager du roi des Perses, vint demander à Dioclétien -la permission d’emmener Cyriaque auprès de son roi, dont la fille était -possédée d’un démon. Sur la prière de Dioclétien, Cyriaque s’embarqua -volontiers pour la Babylonie, avec ses compagnons Large et Smaragde. Et -le démon, dès qu’il fut arrivé, lui demanda, par la bouche de la jeune -fille: «Eh bien, Cyriaque, es-tu fatigué?» Et Cyriaque: «Je ne suis -point fatigué, ayant partout, pour me soutenir, le secours de Dieu!» Et -le démon: «Tout de même, je t’ai amené où je voulais!» Alors Cyriaque -lui dit: «Par ordre de Jésus, sors d’ici!» Et aussitôt le démon sortit, -en disant: «O nom terrible, qui me contraint à sortir!» Cyriaque baptisa -ensuite la jeune fille avec son père, sa mère, et beaucoup d’autres -personnes. Il refusa d’accepter les présents qu’on lui offrait, et vécut -pendant quarante-cinq jours de pain et d’eau: après quoi il revint à -Rome. - -Mais, deux mois plus tard, Dioclétien mourut, et son successeur -Maximien, furieux de la conversion de sa belle-sœur Arthémie, fit -arrêter Cyriaque, et le fit traîner devant son char, nu et chargé de -chaînes. Puis il ordonna à son ministre Carpasius de le forcer à -sacrifier avec ses compagnons, ou, sur leur refus, de les mettre à mort. -Carpasius fit verser de la poix bouillante sur la tête de Cyriaque, le -fit attacher à un chevalet, et enfin lui fit trancher la tête, ainsi -qu’à tous ses compagnons. L’empereur, en récompense, lui donna la maison -du saint; et comme, pour se moquer des chrétiens, Carpasius se baignait -dans le lieu où Cyriaque avait coutume de baptiser, il mourut à -l’improviste, ainsi que dix-neuf compagnons qu’il avait invités à sa -table. Et, depuis lors, les païens commencèrent à redouter et à vénérer -les chrétiens. - - - - -CXV - -SAINT LAURENT, MARTYR - -(10 août) - - -I. Laurent, lévite et martyr, était d’origine espagnole et fut amené à -Rome par saint Sixte, qui l’ordonna son archidiacre. En ce temps-là, -l’empereur Philippe et son fils, également nommé Philippe, étaient -devenus chrétiens, et s’efforçaient de travailler au bien de l’Eglise. -Ce Philippe fut le premier empereur qui reçut la foi du Christ; il avait -été converti, suivant les uns, par Origène, suivant d’autres, par saint -Ponce. Il régnait dans la millième année de la fondation de Rome, Dieu -ayant voulu que cet anniversaire de la ville sainte appartînt au Christ -et non aux idoles. Or Philippe avait un officier nommé Décius qui -s’était rendu célèbre par sa bravoure guerrière. Envoyé en Gaule pour -soumettre à l’empire les Gaulois rebelles, Décius s’acquitta si -heureusement de sa mission que Philippe, pour mieux honorer son retour, -alla au-devant de lui jusqu’à Vérone. Mais Décius, enivré par son -succès, convoita l’empire, et projeta la mort de son maître. Une nuit -que celui-ci dormait sous sa tente, Décius s’introduisit secrètement -auprès de lui et l’étrangla; après quoi il se gagna, à force de -promesses et de récompenses, l’armée qui était venue à Vérone avec le -défunt empereur, et il marcha sur Rome à grandes étapes. Alors le fils -de Philippe, effrayé, confia à saint Sixte et à saint Laurent tout le -trésor de son père en leur enjoignant de le distribuer aux églises et -aux pauvres, dans le cas où lui-même serait tué par Décius. Puis il -s’enfuit et se cacha, pendant que le Sénat allait au-devant de Décius et -le confirmait dans l’empire. Et Décius, afin de prouver que ce n’était -point par trahison qu’il avait tué son maître, mais par zèle religieux, -se mit à persécuter cruellement les chrétiens, ordonnant de les égorger -tous sans miséricorde. Des milliers de chrétiens moururent dans cette -persécution, et le jeune Philippe, entre autres, y recueillit la -couronne du martyre. - -Décius fit alors rechercher le trésor de Philippe. On lui amena saint -Sixte, dont on lui dit à la fois qu’il était chrétien et qu’il détenait -le trésor cherché. Et Décius le fit jeter en prison, pour le forcer à -renier le Christ et à livrer le trésor. Et Laurent, marchant derrière -son maître Sixte, lui criait: «Père, où vas-tu sans ton fils? Prêtre, où -vas-tu sans ton diacre?» Et saint Sixte lui répondait: «Ne crois pas, -mon fils, que je t’abandonne! Mais tu as encore à soutenir de plus -grandes luttes pour la foi du Christ. Dans trois jours, tu me rejoindras -au ciel!» Et il lui remit tout le trésor de Philippe, en lui -recommandant de le distribuer aux églises et aux pauvres. Aussi Laurent -commença-t-il tout de suite à rechercher les chrétiens, pour secourir -chacun d’eux d’après son besoin. Dans cette même nuit, il guérit une -veuve que tourmentait depuis longtemps un terrible mal de tête, et, d’un -signe de croix, rendit la vue à un aveugle. - -Cependant, saint Sixte, s’étant refusé à adorer les idoles, fut condamné -à avoir la tête tranchée. Et Laurent, marchant derrière lui, lui criait: -«Saint Père, ne m’abandonne pas, car j’ai dépensé déjà le trésor que tu -m’avais confié!» Ce qu’entendant, les soldats s’emparèrent de Laurent et -le conduisirent devant le tribun Parthenius. Et celui-ci le mena devant -Décius, qui lui dit: «Où est le trésor qu’on nous a dit que tu cachais?» -Et comme Laurent ne répondait pas, Décius le livra au préfet Valérien, -avec ordre de le supplicier de la façon la plus affreuse s’il refusait -de sacrifier aux idoles et de rendre le trésor. Valérien, à son tour, -mit Laurent sous la garde d’un officier nommé Hippolyte, qui le jeta en -prison avec une foule d’autres chrétiens. Or il y avait, dans la prison, -un païen nommé Lucillus, qui, à force de pleurer, avait perdu la vue. -Laurent lui promit de lui rendre la vue s’il voulait croire au Christ et -recevoir le baptême. Lucillus se hâta d’y consentir, et demanda avec -insistance à être baptisé. Laurent lui ordonna d’abord de se confesser, -puis, lui versant de l’eau sur la tête, il le baptisa au nom du Christ. -Et aussitôt Lucillus recouvra la vue: de telle sorte que tous les -aveugles vinrent trouver Laurent qui, par ses prières, obtint que -l’usage des yeux leur fût rendu. Ce que voyant, Hippolyte lui dit: -«Montre-moi le trésor!» Et Laurent: «O Hippolyte, si tu veux bien croire -dans notre Seigneur Jésus-Christ, je te montrerai mon trésor, et tu -auras, en outre, la vie éternelle!» Et Hippolyte: «Si tu fais ce que tu -dis, je ferai moi-même ce à quoi tu m’exhortes!» Et il se convertit, et -reçut le baptême avec tous les siens. Et, pendant qu’on le baptisait, il -dit: «Je vois les âmes des saints se réjouir dans le ciel!» - -Là-dessus, Valérien manda à Hippolyte de lui amener Laurent. Et Laurent -lui dit: «Allons ensemble, car la même gloire se prépare pour toi et -pour moi!» Au tribunal, Laurent, interrogé de nouveau sur le trésor, -demanda un délai de trois jours, que Valérien lui accorda en le confiant -de nouveau à la garde d’Hippolyte. Pendant ces trois jours, Laurent -recueillit des pauvres, des boiteux, des aveugles, et les amena à -Valérien en présence de Décius, et il dit: «Voici des trésors éternels, -qui jamais ne décroissent, mais croissent toujours! Et quant au trésor -de Philippe, les mains de ces malheureux l’ont porté au ciel.» Et -Valérien: «Que signifie tout cela? Hâte-toi de sacrifier!» Et Laurent: -«Qui doit-on adorer, la créature, ou le créateur?» Décius, furieux, le -fit frapper de pointes de fer, et ordonna qu’on usât sur lui toutes les -variétés de supplices. Et comme il l’engageait une dernière fois à -sacrifier, pour éviter tant de souffrances, Laurent répondit: «Tu ne -sais pas que tu m’offres là un festin que j’ai toujours souhaité!» -Alors, sur l’ordre de Décius, il fut dépouillé de ses vêtements, battu -de verges, et on lui laboura les côtes avec un fer rouge. Et il dit: -«Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi, ton serviteur, qui, interrogé, -t’ai proclamé pour mon maître!» Et Décius lui dit: «Je sais que, par ton -art magique, tu te délivres de la souffrance, mais je parviendrai bien à -te faire souffrir!» Sur quoi il le fit frapper longtemps de courroies -plombées. Et Laurent s’écria: «Seigneur Jésus-Christ, reçois mon âme!» -Mais une voix du haut du ciel répondit: «Bien d’autres combats encore te -sont réservés!» Décius, qui avait également entendu la voix, fut rempli -de rage, et dit: «Romains, vous avez entendu comment les démons -consolaient ce sacrilège, qui n’a de respect ni pour vos dieux, ni pour -vos princes!» Et, de nouveau, il fit flageller Laurent, qui, le sourire -aux lèvres, rendait grâces à Dieu et priait pour les assistants. - -En ce moment, un soldat nommé Romain se convertit, et dit à Laurent: «Je -vois devant toi un beau jeune homme qui essuie avec un linge le sang de -tes membres. Je t’en supplie, au nom de Dieu, ne quitte pas la terre -sans m’avoir baptisé!» Et comme Décius avait ordonné à Valérien de faire -reconduire Laurent en prison, sous la garde d’Hippolyte, Romain, -apportant une cruche pleine d’eau, se jeta aux pieds du martyr et reçut -de lui le baptême. Ce qu’apprenant, Décius le fit frapper de verges, -puis décapiter. - -La même nuit, Laurent comparut de nouveau devant Décius. Et comme -Hippolyte pleurait, et criait qu’il était chrétien, Laurent lui dit: -«Cache encore le Christ au dedans de toi! Et, quand tu m’entendras -t’appeler, viens!» Alors Décius dit à Laurent: «Si tu ne veux pas -sacrifier aux dieux, toute la nuit se passera pour toi en supplices!» Et -Laurent: «Ma nuit n’a rien d’obscur, étant toute pleine de lumière!» -Alors Décius s’écria: «Qu’on apporte un lit de fer, pour que ce criminel -y passe la nuit!» On étendit donc Laurent sur un gril sous lequel on mit -des charbons enflammés, et où on le maintint avec des fourches de fer. -Et Laurent dit à Valérien: «Sache, malheureux, que ces charbons -m’apportent la fraîcheur, et à toi le feu éternel!» Puis, s’adressant à -Décius; d’un visage joyeux: «Eh bien, tu m’as suffisamment rôti d’un -côté, retourne-moi de l’autre côté, après quoi je serai à point!» Et, -levant les yeux au ciel, il s’écria: «Je te rends grâces, Seigneur, de -ce que tu m’aies jugé digne d’entrer dans ton royaume!» Et c’est ainsi -qu’il rendit l’âme. - -Décius, tout confus, s’en alla avec Valérien dans le palais de Tibère, -laissant sur le gril le corps du saint, qu’Hippolyte vint prendre, le -lendemain, dès l’aurore, et ensevelit dans le champ Véranien, avec -l’aide du prêtre Justin. Et tous les chrétiens, pleurant et gémissant, -célébrèrent cette mort par trois jours de veilles et de jeûnes. - -II. Saint Grégoire, dans son _Dialogue_, raconte l’histoire d’une -religieuse nommée Sabine, qui sut en vérité garder la continence de la -chair, mais ne sut pas retenir sa langue. Lorsqu’on l’eut enterrée dans -l’église de saint Laurent, devant l’autel du martyr, une partie de son -corps resta intacte, l’autre fut trouvée brûlée par le diable. - -III. Grégoire de Tours rapporte qu’un prêtre, qui réparait une église de -saint Laurent, et n’avait à sa disposition qu’une poutre trop courte, -pria saint Laurent qui avait nourri les pauvres, de le secourir dans sa -misère. Et aussitôt la poutre grandit de telle façon qu’il y en eut même -en excès un assez long morceau. Le prêtre coupa ce surplus en petites -tranches, dont l’application guérit bien des maladies. Le même miracle -nous est attesté par saint Fortunat. Il eut lieu dans une place forte -d’Italie nommée Brione. - -IV. Un autre prêtre, nommé Sanctulus, voulant réparer une église de -saint Laurent que les Lombards avaient brûlée, avait engagé de nombreux -ouvriers. Il s’aperçut un jour qu’il n’avait pas de quoi les nourrir; -mais, ayant prié le saint, il trouva dans sa huche un pain d’une -blancheur merveilleuse. Et ce pain était si petit qu’il pouvait à peine -suffire à un repas de trois personnes; mais saint Laurent ne voulut -point que ses ouvriers manquassent de nourriture; et il multiplia cet -unique pain de telle façon que, pendant dix jours, tous les ouvriers -purent en manger. - -V. Vincent, dans sa _Chronique_, raconte que l’église Saint-Laurent, à -Milan, possédait un calice de cristal d’une beauté admirable. Ce calice, -un jour qu’un diacre le portait à l’autel, lui tomba des mains et se -brisa en morceaux. Mais le diacre, désespéré, recueillit les morceaux, -les posa sur l’autel, et invoqua saint Laurent. Et aussitôt le calice -redevint entier. - -VI. On lit dans le _Livre des Miracles de la Vierge_ qu’un juge nommé -Etienne demeurait à Rome, qui se laissait volontiers corrompre par des -présents. Ce juge s’appropria injustement trois maisons qui dépendaient -de l’église de Saint-Laurent, et un jardin qui appartenait à l’église de -Sainte-Agnès. Après sa mort, quand il comparut au tribunal de Dieu, -saint Laurent s’approcha de lui avec indignation, et, à trois reprises, -lui tordit le bras. Et sainte Agnès, passant devant lui avec les autres -vierges, détourna de lui son visage pour ne pas le voir. Alors le -souverain juge déclara que, puisqu’il s’était approprié le bien d’autrui -et avait fait commerce de la justice, il aurait à aller rejoindre le -traître Judas. Mais saint Projet, que cet Etienne avait beaucoup aimé de -son vivant, s’approcha de saint Laurent et de sainte Agnès, et leur -demanda de lui pardonner. Ils intercédèrent donc pour lui, et la sainte -Vierge se joignit à eux: si bien qu’ils obtinrent que son âme revînt -dans son corps afin que, pendant trente jours, il pût faire pénitence. -La Vierge lui imposa, en outre, de réciter tous les jours un psaume. -Après quoi il fut rendu à la vie; mais, tant qu’il vécut, son bras resta -noir et tordu, comme si c’était, son véritable corps qui eût souffert. -Et, après avoir restitué tout ce qu’il avait pris, et fait pénitence -pendant trente jours, il rendit son âme au Seigneur. - -VII. Enfin on lit dans la vie de l’empereur Henri que, ce prince et sa -femme Cunégonde ayant toujours vécu dans la chasteté, le diable persuada -au mari que sa femme le trompait avec un de ses officiers: et -l’empereur, furieux, ordonna que Cunégonde eût à marcher, pieds nus, sur -des charbons ardents. Or Cunégonde, avant de commencer l’épreuve, -s’écria: «Toi qui sais que Henri ni personne n’ont touché mon corps, -Christ, secours-moi!» Et Henri, poussé par la jalousie, la frappa au -visage; mais elle entendit une voix qui lui disait: «Vierge, la Vierge -Marie te délivrera!» Puis elle marcha sur les charbons ardents sans -ressentir aucun mal. - -Quand Henri mourut, un ermite vit passer devant sa cellule une foule de -démons, qui lui dirent qu’ils allaient assister au jugement de -l’empereur, afin d’essayer de se le faire adjuger. Mais bientôt l’ermite -vit revenir les démons, qui lui racontèrent qu’ils avaient perdu leur -peine, car, lorsqu’ils avaient mis dans la balance le soupçon conjugal -d’Henri et ses autres péchés, saint Laurent était survenu, et avait mis -dans l’autre plateau de la balance un grand calice d’or qui avait fait -contrepoids: ce dont les diables avaient été si furieux, qu’ils avaient -brisé une des oreilles du calice. Et en effet, l’empereur défunt avait -fait don à l’église d’Einstetten, en l’honneur de saint Laurent, pour -qui il avait une dévotion particulière, d’un grand calice d’or massif. -Et l’on put constater, que, le jour de la mort de l’empereur, une des -anses de ce calice se trouva brisée. - -VIII. Nous devons noter que le martyre de saint Laurent est considéré -comme le plus excellent de tous les martyres des saints, tant pour le -nombre et la cruauté des supplices endurés que pour le courage montré -par le saint; et aussi pour la bonne influence exercée par sa mort. De -là vient que saint Laurent, entre tous les martyrs, possède trois -privilèges quant aux offices célébrés en son honneur. Il est, d’abord, -le seul martyr dont la fête soit précédée d’une veille. En second lieu, -il est le seul dont la fête ait une octave, de même que, seul, saint -Martin est honoré d’une octave, parmi les confesseurs. En troisième -lieu, saint Laurent a le privilège d’une régression des antiennes, -privilège qu’il partage avec saint Paul: et cela pour rappeler qu’il est -le plus parfait des martyrs, de même que saint Paul est le plus parfait -des prédicateurs. - - - - -CXVI - -SAINT HIPPOLYTE, MARTYR - -(13 août) - - -I. Après avoir enseveli le corps de saint Laurent, Hippolyte rentra chez -lui, donna le baiser de paix à ses serviteurs, partagea avec eux la -sainte communion que lui avait apportée le prêtre Justin, et se mit à -table pour le dîner. Mais, en ce moment, arrivèrent des soldats qui -s’emparèrent de lui et le conduisirent auprès de Décius. Et celui-ci, -dès qu’il l’aperçut, lui dit en souriant: «Es-tu donc devenu mage, toi -aussi, pour te mêler, comme tu l’as fait, d’enlever le corps de -Laurent?» Et Hippolyte: «Je l’ai fait non point parce que je suis mage, -mais parce que je suis chrétien!» Alors Décius, furieux, le fit -dépouiller de ses vêtements, et lui fit écraser le visage à coups de -pierres. Mais Hippolyte: «En croyant me dépouiller; tu ne fais que me -mieux orner!» Et Décius: «Es-tu donc devenu fou, pour ne pas rougir même -de ta nudité? Allons, sacrifie aux dieux, afin de ne pas périr comme ton -Laurent!» Et Hippolyte: «Puissé-je mériter de suivre l’exemple de ce -Laurent que tu oses nommer de ta bouche impure!» Sur quoi Décius le fit -battre de verges et déchirer de lanières ferrées. Mais Hippolyte -raillait tous les tourments, et ne cessait point de se proclamer -chrétien. Décius lui fit rendre son ancien costume militaire, espérant -l’engager par là à reprendre ses anciennes fonctions d’officier. Mais -Hippolyte lui répondit qu’il était désormais soldat dans l’armée du -Christ. Et Décius, exaspéré, le livra à son préfet Valérien, qu’il -autorisa à s’approprier tous ses biens, et à lui infliger les pires -supplices. Valérien apprit alors que tous les serviteurs d’Hippolyte -étaient aussi chrétiens. Il les fit donc comparaître devant lui, et les -somma de sacrifier aux idoles. Mais la nourrice d’Hippolyte, Concorde, -lui répondit au nom de tous: «Nous aimons mieux mourir honnêtement avec -notre maître que de vivre malhonnêtement!» Et Valérien: «La race des -esclaves ne peut être corrigée que par des supplices!» Puis, en présence -d’Hippolyte, il la fit frapper de verges plombées jusqu’à ce qu’elle -mourût. Et Hippolyte: «Je te remercie, Seigneur, d’avoir bien voulu -admettre ma nourrice parmi tes saints!» - -Valérien fit ensuite conduire Hippolyte et ses serviteurs en dehors de -la Porte de Tibur. Et Hippolyte, encourageant ses compagnons, leur -disait: «Mes frères, soyez sans crainte, car nous allons être bientôt -réunis devant Dieu!» Valérien ordonna que tous les serviteurs eussent -d’abord la tête tranchée en présence d’Hippolyte; puis il fit attacher -celui-ci par les pieds, au cou de chevaux indomptés, qui le traînèrent -sur des chardons et des cailloux jusqu’à ce qu’il rendît l’âme. Il -mourut en l’an du Seigneur 251. - -Le prêtre Justin enleva les corps des martyrs et les ensevelit à côté du -corps de saint Laurent: mais il ne put retrouver le corps de sainte -Concorde, qui avait été jeté à l’égout. Or, un soldat, nommé Porphyre, -croyant que la vieille femme avait dans ses vêtements de l’or et des -pierreries, alla chez un égoutier nommé Irénée, qui était secrètement -chrétien, et lui dit: «Retire de l’égout le corps de Concorde, car je -crois bien qu’elle avait de l’or et des pierreries dans ses vêtements!» -Et ainsi Irénée connut l’endroit où avait été jeté le corps de la -sainte. Il le retira donc de l’égout; et quand Porphyre eut constaté -qu’il s’était trompé dans son espérance, Irénée appela un de ses -compagnons, nommé Abonde, avec l’aide duquel il porta le corps chez -saint Justin, qui le fit ensevelir à côté de ceux des autres martyrs. Ce -qu’apprenant; Valérien fit jeter vivants à l’égout Irénée et Abonde, -dont les corps furent joints par saint Justin à ceux des autres martyrs. - -Peu de temps après, comme Décius et Valérien, dans un char d’or, se -rendaient à l’amphithéâtre pour persécuter les chrétiens, Décius, -brusquement possédé du démon, s’écria: «O Hippolyte, que lourdes sont -les chaînes dont tu m’as chargé!» Et, au même instant, Valérien s’écria: -«O Laurent, tes chaînes de feu me brûlent les chairs!» Et Valérien -mourut sur-le-champ. Décius, revenu chez lui, survécut trois jours -encore, pendant lesquels il ne cessait point de crier: «O Laurent et -Hippolyte, relâchez-vous un moment de me torturer!» Et telle fut sa -misérable mort. Ce que voyant, sa femme Triphonie se dépouilla de tous -ses biens, et, en compagnie de sa fille Cyrille, alla demander à saint -Justin de la baptiser. Elle mourut le lendemain, étant en prière. Et -quarante-sept soldats, ayant appris que l’impératrice et sa fille -étaient devenues chrétiennes, vinrent se faire baptiser avec leurs -familles. Ils reçurent le baptême des mains du pape Denis, qui avait -succédé à saint Sixte. Et l’empereur Claude fit étrangler Cyrille et -décapiter tous les chrétiens; et leurs corps furent réunis à ceux de -saint Laurent et de ses compagnons. - -Nous devons noter, à ce propos, que la mention de l’empereur Claude -achève de prouver que ce n’est point l’empereur Décius, mais un César de -ce nom, qui a martyrisé saint Laurent et saint Hippolyte. Car ce n’est -pas à l’empereur Décius qu’a succédé Claude, mais à l’empereur Gallien. -De telle sorte qu’on peut admettre ou bien que ce Gallien s’appelait -aussi Décius, ou bien encore, comme le dit un chroniqueur, que Gallien, -pour l’assister dans ses fonctions, avait créé César un certain Décius. - -II. Un bouvier, nommé Pierre, était allé aux champs le jour de la fête -de sainte Marie-Madeleine, et accablait ses bœufs de jurons -blasphématoires. Soudain la foudre s’abattit sur lui, lui brûlant les -chairs et les muscles d’une jambe, de telle façon que ses os se -trouvèrent presque détachés. Se traînant alors jusqu’à une église de la -Vierge, il cacha son tibia dans un recoin, et, tout en larmes, supplia -Marie de venir à son aide. La nuit suivante, à la demande de la Vierge, -saint Hippolyte alla prendre le tibia dans l’église et le replaça dans -la jambe du bouvier, comme on greffe une bouture. Aux cris du malade, -toute sa famille accourut, et découvrit avec stupeur, qu’il avait de -nouveau ses deux tibias. Mais lui, réveillé, crut d’abord qu’on se -moquait de lui. Et quand il s’aperçut de la réalité du miracle, il -sentit que sa jambe nouvelle était trop molle pour soutenir son corps. -Il resta donc boiteux pendant une année entière. Puis la Vierge lui -apparut, accompagnée de saint Hippolyte, et dit à celui-ci de compléter -sa guérison. Et quand le bouvier se réveilla, il se trouva entièrement -guéri. - -Il entra alors dans un monastère, où le diable ne cessa point de le -tenter, lui apparaissant, de préférence, sous la forme d’une jeune femme -nue. Un jour enfin, le moine, exaspéré, prit son étole de prêtre et la -passa autour du cou de sa visiteuse. Aussitôt le diable s’enfuit; et la -jeune femme se transforma en un cadavre pourri, qui remplit tout le -couvent de sa puanteur. Par quoi l’on vit clairement que le diable, pour -tenter Pierre, s’était introduit dans le corps d’une femme morte. - - - - -CXVII - -L’ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE - -(15 août) - - -I. Un écrit apocryphe, attribué à saint Jean l’Evangéliste, nous raconte -la façon dont eut lieu l’assomption de la Vierge. - -Lorsque les apôtres se furent séparés, pour aller prêcher l’évangile aux -nations, la sainte Vierge resta dans leur maison, qui était près de la -montagne de Sion. Elle ne cessait point de visiter pieusement tous les -lieux consacrés par son fils, c’est-à-dire ceux de son baptême, de son -jeûne, de sa prière, de sa passion, de sa sépulture, de sa résurrection -et de son ascension. Et Epiphane nous apprend qu’elle survécut -vingt-quatre ans à l’ascension de son fils. Il ajoute que, comme la -Vierge avait quinze ans lorsqu’elle mit au monde le Christ, et comme -celui-ci avait passé sur cette terre trente-trois ans, elle avait donc -soixante-douze ans lorsqu’elle mourut. Mais il paraît plus probable -d’admettre, comme nous le lisons ailleurs, qu’elle ne survécut à son -fils que douze ans, et qu’elle avait soixante ans, lors de son -assomption: car l’_Histoire ecclésiastique_ nous dit que, pendant douze -ans, les apôtres prêchèrent en Judée et dans les régions voisines. - -Un jour enfin, comme le désir de revoir son fils agitait très vivement -la Vierge et la faisait pleurer très abondamment, voici qu’un ange -entouré de lumière se présenta devant elle, la salua respectueusement -comme la mère de son maître, et lui dit: «Je vous salue, Bienheureuse -Marie! Et je vous apporte ici une branche de palmier du paradis, que -vous ferez porter devant votre cercueil, dans trois jours, car votre -fils vous attend près de lui!» Et Marie: «Si j’ai trouvé grâce devant -tes yeux, daigne me dire ton nom! Mais, surtout, je te demande avec -instance que mes fils et frères, les apôtres, se rassemblent autour de -moi, afin que je puisse les voir de mes yeux avant de mourir, et rendre -mon âme à Dieu en leur présence, et être ensevelie par eux! Et je te -demande encore ceci: que mon âme, en sortant de mon corps, ne rencontre -aucun méchant esprit, et échappe au pouvoir de Satan!» Et l’ange: -«Pourquoi désirez-vous savoir mon nom, qui est grand et admirable? Mais -sachez qu’aujourd’hui même tous les apôtres se réuniront ici, et que -c’est en leur présence que s’exhalera votre âme! Car celui qui, jadis, a -transporté le prophète de Judée à Babylone, celui-là n’a besoin que d’un -moment pour amener ici tous les apôtres. Et quant au malin esprit, -qu’avez-vous à le craindre, vous qui lui avez broyé la tête sous votre -pied, et l’avez dépouillé de son pouvoir?» Cela dit, l’ange remonta au -ciel; et la palme qu’il avait apportée brillait d’une clarté extrême. -C’était un rameau vert, mais avec des feuilles aussi lumineuses que -l’étoile du matin. - -Or, comme saint Jean prêchait à Ephèse, une nuée blanche le souleva, et -le déposa au seuil de la maison de Marie. Jean frappa à la porte, entra -et salua respectueusement la Vierge. Et elle, pleurant de joie: «Mon -fils Jean, tu te souviens des paroles de ton maître, qui m’a recommandé -à toi comme une mère, et toi à moi comme un fils. Et voici que le -Seigneur me rappelle, et que je confie mon corps à ta sollicitude. Car -j’ai appris que les Juifs se proposaient, dès que je serais morte, de -ravir mes restes et de les brûler. Mais toi, fais porter cette palme -devant mon cercueil lorsque vous conduirez mon corps au tombeau!» Et -Jean lui dit: «Oh! comme je voudrais que tous les apôtres mes frères -fussent ici, pour préparer tes funérailles, et proclamer tes louanges!» -Et, pendant qu’il disait cela, tous les apôtres, dans les lieux divers -où ils prêchaient, furent soulevés par des nuées, et déposés devant la -maison de Marie. Et quand ils se virent réunis là, ils se dirent, tout -surpris: «Pour quel motif le Seigneur nous a-t-il rassemblés -aujourd’hui?» Alors Jean sortit vers eux, leur annonça la mort prochaine -de la Vierge, et ajouta: «Prenez garde, mes frères, à ne point pleurer -quand elle sera morte, de peur que le peuple en voyant vos larmes, ne -soit troublé et ne se dise: «Ces gens-là prêchent aux autres la -résurrection, et, eux-mêmes, ils ont peur de la mort!» Et saint Denis, -le disciple de saint Paul, dans son livre sur les _Noms de Dieu_, nous -fait un récit analogue, ajoutant que lui aussi était là, et que la -Vierge sommeillait pendant l’arrivée des apôtres. - -Quand la Vierge vit tous les apôtres réunis, elle bénit le Seigneur et -s’assit au milieu d’eux, parmi des lampes allumées. Or, vers la -troisième heure de la nuit, Jésus arriva avec la légion des anges, la -troupe des patriarches, l’armée des martyrs, les cohortes des -confesseurs et les chœurs des vierges; et toute cette troupe sainte, -rangée devant le trône de Marie, se mit à chanter des cantiques de -louanges. Puis Jésus dit: «Viens, mon élue, afin que je te place sur mon -trône, car je désire t’avoir près de moi!» Et Marie: «Seigneur, je suis -prête!» Et toute la troupe sainte chanta doucement les louanges de -Marie. Après quoi Marie elle-même chanta: «Toutes les générations me -proclameront bienheureuse, en raison du grand honneur que me fait Celui -qui peut tout!» Et le chef du chœur céleste entonna: «Viens du Liban, -fiancée, pour être couronnée!» Et Marie: «Me voici, je viens, car il a -été écrit de moi que je devais faire ta volonté, ô mon Dieu, parce que -mon esprit exultait en toi!» Et ainsi l’âme de Marie sortit de son -corps, et s’envola dans le sein de son fils, affranchie de la douleur -comme elle l’avait été de la souillure. Et Jésus dit aux apôtres: -«Transportez le corps de la Vierge dans la vallée de Josaphat, -déposez-le dans un monument que vous y trouverez, et attendez-moi là -pendant trois jours!» Et aussitôt le corps de Marie fut entouré de roses -et de lys, symbole des martyrs, des anges, des confesseurs et des -vierges. Et ainsi l’âme de Marie fut emportée joyeusement au ciel, où -elle s’assit sur le trône de gloire à la droite de son fils. - -Pendant ce temps, trois vierges, qui se trouvaient là, dévêtirent le -corps pour le laver; mais, aussi longtemps que dura leur travail, le -corps brilla d’une telle lumière qu’elles-mêmes qui le touchaient ne -parvenaient pas à le voir. Puis les apôtres soulevèrent pieusement le -corps, et le posèrent dans un cercueil. Et Jean dit à Pierre: «C’est -toi, Pierre, qui porteras cette palme devant le cercueil; car le -Seigneur t’a préféré à nous, et t’a constitué le berger de ses brebis!» -Et Pierre: «C’est à toi, plutôt, de la porter! car tu as été élu par le -Seigneur pendant que ton corps était encore vierge, et c’est toi aussi -qui as été jugé digne de reposer sur le sein du Seigneur. Tu porteras -donc cette palme; et moi je porterai le cercueil avec les porteurs, -pendant que nos autres frères, entourant le cercueil, chanteront les -louanges de Dieu.» Et Paul dit: «Moi, qui suis le plus petit de vous -tous, je porterai le cercueil avec toi!» Pierre et Paul soulevèrent donc -le cercueil; et Pierre entonna: _Exiit Israël de Ægypto, alleluia!_ Et -les autres apôtres suivirent en chantant. Et le Seigneur couvrit d’un -nuage le cercueil et les apôtres, de telle façon qu’on entendait leurs -voix sans les voir. Et des anges s’étaient joints aux apôtres, chantant -aussi, et remplissant toute la terre de sons merveilleux. - -Attirés par la douceur de cette musique, tous les Juifs accouraient, -s’informant de ce qui se passait. Quelqu’un leur dit: «C’est Marie que -les disciples de Jésus portent au tombeau!» Sur quoi les Juifs de -prendre les armes et de s’exhorter l’un l’autre, en disant: «Venez, nous -tuerons tous les disciples, et nous brûlerons ce corps qui a porté -l’imposteur!» Et le prince des prêtres, furieux, s’écria: «Voilà donc le -tabernacle de celui qui a troublé notre race! Et voilà les honneurs -qu’on lui rend!» Ce disant, il voulut s’approcher du cercueil pour le -jeter à terre. Mais aussitôt ses deux mains se desséchèrent, et -restèrent attachées au cercueil, pendant que les anges, cachés dans les -nuées, aveuglaient tous les autres Juifs. Et le prince des prêtres -gémissait et disait: «Saint Pierre, ne m’oublie pas dans ma peine, mais -prie ton Dieu pour moi! Rappelle-toi comment, un jour, je te suis venu -en aide et t’ai excusé, quand une servante t’accusait!» Et Pierre lui -dit: «Je n’ai pas le loisir de m’occuper de toi; mais si tu veux croire -en Jésus-Christ et en celle qui l’a enfanté, j’espère que tu pourras -recouvrer la santé!» Et le prince des prêtres: «Je crois que Jésus est -le fils de Dieu et que voici sa sainte mère!» Aussitôt ses mains se -détachèrent du cercueil; mais ses bras restaient desséchés et endoloris. -Et Pierre lui dit: «Baise ce cercueil et dis que tu crois en -Jésus-Christ!» Ce qu’ayant fait, le prêtre recouvra aussitôt la santé; -et Pierre lui dit: «Prends cette palme des mains de notre frère Jean, et -pose-la sur les yeux de tes compagnons privés de la vue; et tous ceux -d’entre eux qui croiront recouvreront la vue; mais ceux qui refuseront -de croire seront privés de leur vue pour l’éternité!» - -Puis les apôtres déposèrent la Vierge dans le monument qui l’attendait, -et s’assirent à l’entour, comme Jean le leur avait ordonné. Et, le -troisième jour, Jésus vint avec une troupe d’anges, les salua et leur -dit: «Que la paix soit avec vous!» A quoi ils répondirent: «Gloire à -toi, Seigneur!» Et Jésus leur dit: «Quel honneur pensez-vous que je -doive accorder à celle qui m’a enfanté?» Et eux: «Nous croyons, -Seigneur, que, de même que tu règnes dans les siècles des siècles, -vainqueur de la mort, de même tu ressusciteras le corps de ta mère, et -le placeras à ta droite pour l’éternité!» Et aussitôt apparut l’archange -Michel, présentant au Seigneur l’âme de Marie. Et Jésus dit: «Lève-toi, -ma mère, ma colombe, tabernacle de gloire, vase de vie, temple céleste, -afin que, de même que tu n’as point senti la souillure du contact -charnel, tu n’aies pas non plus à souffrir la décomposition de ton -corps!» Et l’âme de Marie rentra dans son corps, et la troupe des anges -l’emporta au ciel. Et comme Thomas, qui n’avait pas assisté au miracle -de l’assomption, refusait d’y croire, voici que la ceinture qui -entourait le corps de la Vierge tomba du ciel dans ses mains, intacte et -encore nouée, de manière à lui faire comprendre que le corps de la -Vierge avait été emporté tout entier au ciel. - -Mais tout ce qu’on vient de lire est absolument apocryphe, comme le dit -saint Jérôme dans sa lettre à Paul et Eustochius. Mais le saint ajoute: -«Il y a cependant un certain nombre de faits que nous devons croire -vrais, car d’autres témoignages de saints les ont confirmés; et ces -faits sont, à savoir: l’appui divin promis et montré à la Vierge, la -réunion de tous les apôtres, la mort sans douleur, les préparatifs de -l’ensevelissement dans la vallée de Josaphat, la persécution des Juifs, -la production de miracles, enfin l’assomption simultanée de l’âme et du -corps. D’autres détails doivent être considérés comme des symboles, et -d’autres enfin, tels que l’absence et le doute de Thomas, doivent être -rejetés sans hésitation.» - -On dit encore que les vêtements de la Vierge sont restés dans le -tombeau, pour la consolation des fidèles; et c’est de l’un de ces -vêtements que l’on raconte le miracle suivant. Comme le duc des Normands -assiégeait la ville de Chartres, l’évêque de cette ville attacha à une -lance, en manière de drapeau, la tunique de la Vierge, qui était -conservée dans sa cathédrale; après quoi, suivi de tout le peuple, il -sortit de la ville et marcha vers les ennemis, qui, aussitôt, aveuglés -et comme paralysés restèrent immobiles. Ce que voyant, les habitants de -Chartres se mirent à les massacrer. Mais leur cruauté déplut à la -Vierge, qui, dès cet instant, fit disparaître miraculeusement la sainte -tunique. - -II. Un clerc, qui avait pour la Vierge une dévotion particulière, -s’efforçait en quelque sorte de la consoler, tous les jours, de la -douleur que lui causaient les cinq plaies du Christ. Il lui disait: -«Réjouis-toi, mère de Dieu, vierge immaculée, toi qui as reçu la joie de -l’ange, toi qui as enfanté l’éclat de la lumière éternelle, réjouis-toi, -seule mère vierge, que louent toutes les créatures!» Or cet homme, étant -malade, et se voyant près de mourir, fut pris d’épouvante. Sur quoi la -Vierge, lui apparaissant, lui dit: «Mon fils, comment peux-tu ainsi -trembler de frayeur, toi qui m’as si souvent rappelé mes joies? -Réjouis-toi plutôt, toi aussi! Et, pour avoir la joie éternelle, viens -avec moi!» - -III. Un chevalier riche et puissant avait dissipé ses biens avec tant de -prodigalité qu’il se trouva réduit à l’indigence. Sa femme, personne des -plus vertueuses, avait une dévotion particulière pour la Vierge Marie. -Or un jour, à l’approche d’une fête où, autrefois, il avait l’habitude -de faire des dons très abondants, cet homme, honteux de n’avoir plus -rien à donner, s’enfuit dans un endroit désert pour y rester caché -pendant le temps de la fête. Et voilà qu’un cheval terrible s’approche -de lui, monté par un cavalier plus terrible encore. Et ce cavalier, lui -ayant demandé la cause de son chagrin, lui promet de le rendre plus -riche et plus glorieux qu’auparavant, si seulement il consent à lui -obéir. Et l’homme s’engage à obéir au prince des ténèbres, dès que -celui-ci aura tenu la promesse qu’il lui fait. Et le cavalier: «Rentre -chez toi, et va voir dans tel et tel lieu de ta maison! Tu y trouveras -de l’or, de l’argent et des pierres précieuses! Mais ce n’est qu’à la -condition que tu t’engages, tel et tel jour, à m’amener ici ta femme!» -L’homme s’y engage, revient chez lui et y trouve les trésors annoncés -par le diable. De nouveau il achète des palais, distribue des présents, -acquiert des esclaves. Puis, à l’approche du jour fixé par le diable, il -appelle sa femme et lui dit: «Monte à cheval, car nous avons à aller -assez loin d’ici!» La femme, épouvantée, mais n’osant point contredire -son mari, se recommande à la Vierge et se met en route. En passant -devant une église, elle descend de son cheval, entre dans l’église, et -demande à son mari de l’attendre un instant. Et là, comme de nouveau -elle invoque la Vierge, celle-ci lui envoie un profond sommeil; après -quoi, descendant elle-même de l’autel, elle prend la forme et revêt les -robes de la femme, sort de l’église, et monte à cheval, de telle sorte -que l’homme croit que c’est sa femme qui chevauche à côté de lui. Mais -voilà que, lorsqu’ils arrivent au lieu du rendez-vous, le prince des -ténèbres, qui accourait vers eux, s’arrête, se met à trembler et dit au -chevalier: «Traître, est-ce ainsi que tu te joues de moi en récompense -de tant de bienfaits? Je t’avais dit de m’amener ta femme, et, au lieu -d’elle, c’est la Vierge Marie qui vient avec toi! J’espérais tourmenter -ta femme, pour me venger du dommage qu’elle me faisait par sa piété, et -Celle que tu m’amènes, c’est elle qui va me tourmenter et me renvoyer en -enfer!» L’homme, frappé d’étonnement et de terreur, restait interdit. Et -la Vierge dit au démon: «Maudit, comment as-tu osé projeter de nuire à -ma chère servante? Pour te punir, je t’ordonne de rentrer de suite en -enfer, et te défends, désormais, de vouloir faire aucun mal à toute -personne qui m’invoquera!» Le diable s’enfuit en gémissant. Le -chevalier, sautant de son cheval, se prosterna aux pieds de la Vierge -qui, après lui avoir reproché son crime, lui ordonna d’aller rejoindre -sa femme, endormie dans l’église, et puis de rejeter toutes les -richesses qui lui venaient du diable. Alors l’homme, resté seul, courut -jusqu’à l’église: il réveilla sa femme, et lui raconta ce qui lui était -arrivé. Après quoi tous deux, rentrés dans leur maison, rejetèrent -toutes les richesses du diable et vécurent pieusement dans le culte de -la Vierge Marie, qui ne se fit pas faute, à son tour, de les combler de -richesses. - -IV. Un homme chargé de péchés fut ravi en esprit au jugement de Dieu. Il -vit arriver Satan, qui dit au Seigneur: «Il n’y a, dans cette âme, rien -qui t’appartienne! Elle est à moi tout entière, et j’en ai une preuve -irréfutable!» Et le Seigneur: «Quelle est cette preuve?» Et Satan: -«C’est ta propre parole. Car tu as dit à Adam et à Eve: «Si vous mangez -de ce fruit, vous mourrez «aussitôt!» Or cet homme est de la race de -ceux qui ont mangé du fruit défendu; et, par conséquent, il doit être -voué à la mort éternelle!» Alors Le Seigneur invita l’homme à se -défendre; mais l’homme ne trouva rien à dire. Puis le démon reprit: «Et -cette âme me revient encore par prescription, car il y a déjà trente ans -qu’elle n’obéit qu’à moi!» De nouveau, l’homme ne trouva rien à -répondre. Mais le Seigneur, ne voulant pas encore porter la sentence -contre lui, lui accorda un délai de huit jours, afin qu’il pût se -recueillir et préparer sa défense. Et comme le malheureux s’éloignait, -tout tremblant et tout désolé, un inconnu l’aborda et lui demanda la -cause de sa tristesse. Et, quand il l’eût apprise, il lui dit: «Sois -sans crainte, car je te viendrai en aide!» Le pécheur lui demanda son -nom. Et l’inconnu: «Je m’appelle la Vérité!» Puis un second inconnu -promit également son secours au pécheur, et lui dit qu’il s’appelait la -Justice. Et en effet, huit jours après, comme Satan reproduisait son -premier argument, la Vérité lui répondit: «Il y a deux sortes de mort, -la mort corporelle et la mort éternelle. Et la parole que tu cites, -démon, ne se rapporte qu’à la mort corporelle, non à la mort éternelle. -Car tous meurent quant au corps, mais tous ne meurent point quant à la -vie éternelle.» Sur quoi Satan, se voyant vaincu, exposa son second -argument; mais la Justice lui répondit: «En effet, cet homme t’a -longtemps servi, mais jamais sa raison n’a cessé de murmurer en lui et -de le lui reprocher!» Alors Satan dit: «Cette âme doit me revenir, car, -si même elle a fait quelque bien, la somme de ses péchés est -incomparablement plus lourde!» Alors le Seigneur: «Qu’on apporte les -balances, et qu’on y pèse le bien et le mal qu’il a faits!» Mais la -Vérité et la Justice dirent au pécheur: «De toute ton âme, recours à la -Mère de Miséricorde, qui est assise à côté du Seigneur, et efforce-toi -de te gagner son appui!» L’homme fit ainsi, et la Vierge Marie, venant à -son aide, posa sa main sur le plateau de la balance où se trouvaient les -quelques bonnes actions du pécheur. Et en vain le diable essayait de -faire pencher le balance de l’autre côté: l’appui de la Vierge prévalut, -et le pécheur fut remis en liberté. Après quoi, s’éveillant de sa -vision, il fit pénitence et se convertit à une meilleure vie. - -V. Dans la ville de Bourges, vers l’an du Seigneur 527, comme les -chrétiens communiaient le jour de Pâques, un enfant juif se joignit à -eux et reçut la sainte hostie. Rentré chez lui, il rapporta la chose à -son père qui, furieux, le jeta dans une fournaise enflammée. Mais -aussitôt la Vierge, prenant la forme d’une statue que l’enfant avait vue -sur l’autel, s’approcha de lui et le protégea des flammes. Cependant, -aux cris de la mère, une foule de chrétiens et de Juifs accoururent qui, -voyant que l’enfant restait sain et sauf dans le feu, l’en retirèrent, -et l’interrogèrent sur le miracle qui l’avait préservé. Et l’enfant -répondit: «La belle dame que j’ai vue sur l’autel, c’est elle qui est -venue près de moi, et a empêché les flammes de m’atteindre!» Alors les -chrétiens saisirent le père de l’enfant et le jetèrent dans la -fournaise, où ce vilain homme fut aussitôt réduit en cendres. - -VI. Des moines se promenaient, un matin, au bord d’un fleuve, et se -divertissaient à toute sorte de bavardages frivoles, lorsqu’ils virent -tout à coup un bateau qui s’approchait avec un grand bruit de rames. Et -ils demandèrent aux matelots: «Qui êtes-vous?» Et eux: «Nous sommes des -démons, et nous conduisons en enfer l’âme d’Ebroïn, maire au palais du -roi de France, qui a apostasié du monastère de Saint-Gall!» Ce -qu’entendant, les moines, épouvantés, s’écrièrent: «Sainte Marie, priez -pour nous! «Et les démons leur dirent: «Vous avez été bien inspirés -d’invoquer Marie, car vous venions vous chercher pour vous emporter -aussi, afin de vous punir de la façon dont vous bavardez au lieu de -prier!» - -VII. Il y avait un moine qui était grand paillard, mais très dévot à la -Vierge Marie. Or une nuit, comme il allait à son péché accoutumé et -qu’il passait devant l’autel, il récita l’_Ave Maria_. Puis, sortant de -l’église, il voulut traverser la rivière, tomba dans l’eau et mourut. -Aussitôt les démons emportèrent son âme. Et comme des anges accouraient -pour la délivrer, les démons leur dirent: «Pourquoi venez-vous? Il n’y a -rien à vous, dans cette âme!» Mais ensuite arriva la Vierge Marie, leur -demandant de quel droit ils emportaient cette âme. Et ils répondirent: -«Nous l’avons trouvée achevant sa vie dans le péché!» Mais la Vierge: -«Vous mentez, car je sais que cet homme avait coutume de m’adresser une -prière avant de partir, et aussi quand il revenait! Au reste, déférons -la chose à la décision du souverain juge!» Et le Seigneur décida, sur la -demande de la Vierge, que l’âme du moine pût rentrer dans son corps pour -faire pénitence de ses péchés. Cependant les autres moines, ne voyant -point leur frère aux matines, se mettent à le chercher, le retirent du -fleuve, et s’apprêtent à l’ensevelir, quand tout à coup il ressuscite, -et leur raconte ce qui lui est arrivé. - -VIII. Une femme était tourmentée par un démon qui se montrait à elle -sous forme humaine; et ni l’aspersion d’eau bénite, ni aucun autre -remède ne parvenait à la délivrer. Alors un saint homme lui conseilla -que, la prochaine fois que le démon lui apparaîtrait, elle étendît les -mains au ciel et s’écriât: «Sainte Marie, venez à mon secours!» La femme -fit ainsi; et le diable s’arrêta comme frappé d’une pierre. Puis il dit: -«Qu’un diable encore pire que moi entre dans la bouche de celui qui t’a -appris cela!» Puis il disparut, et jamais plus il n’osa l’approcher. - - - - -CXVIII - -SAINT BERNARD, DOCTEUR - -(21 août) - - -Bernard naquit en Bourgogne, au château de Fontaine, de parents nobles -et pieux. Son père, vaillant homme d’armes, s’appelait Célestin, sa mère -se nommait Aleth. Elle eut sept enfants, six fils et une fille, tous -voués par elle au service de Dieu dès avant leur naissance; et elle tint -à les nourrir tous de son propre lait, comme pour leur transmettre, avec -son lait, une part de ses vertus. Puis, quand ils grandissaient, elle -les élevait pour la vie du cloître plus que pour celle de la cour, les -accoutumant à une nourriture grossière et commune. - -Bernard était son troisième fils. Pendant qu’elle le portait encore dans -son sein, elle eut un rêve où elle se vit donnant le jour à un petit -chien tout blanc, et qui aboyait d’une voix vigoureuse. Elle raconta -ensuite son rêve à un homme de Dieu, qui, inspiré d’en haut, lui dit: -«Tu seras mère d’un petit chien excellent qui, gardien de la maison de -Dieu, aboiera vigoureusement contre ses ennemis!» - -Enfant, Bernard souffrait de cruels maux de tête. Un jour une jeune -femme vint auprès de lui, pour adoucir sa souffrance par des chants; -mais l’enfant, indigné, la chassa de sa chambre. Et Dieu le récompensa -de son zèle, car, aussitôt après, il se leva de son lit et fut guéri. La -nuit de Noël, comme le petit Bernard, attendant l’office du matin dans -l’église, se demandait à quelle heure de la nuit le Christ était né, -l’enfant Jésus lui apparut tel qu’il était sorti du sein de sa mère. -Aussi, toute sa vie, crut-il que c’était à cette heure-là qu’était né le -Seigneur. Et, depuis lors, il acquit une compétence spéciale dans tout -ce qui touchait à la Nativité du Christ, ce qui lui permit de parler -mieux que personne de la Vierge et de l’Enfant, et d’expliquer le récit -évangélique relatif à l’Annonciation. - -Or le vieil ennemi de l’homme, voyant le petit Bernard en des -dispositions si saines, s’efforça de tendre des pièges à sa chasteté. -Mais comme, un jour, à l’instigation du diable, l’enfant avait tenu -longtemps les yeux fixés sur une femme, soudain il rougit de lui-même, -et, pour se punir, il entra dans l’eau glacée d’un étang, d’où il ne -sortit que transi jusqu’aux os. Une autre fois, une jeune fille nue -pénétra dans son lit pendant qu’il dormait. Bernard, dès qu’il -l’aperçut, lui céda en silence la part du lit qu’il occupait; après -quoi, s’étant retourné de l’autre côté, il s’endormit. Et la -malheureuse, après l’avoir longtemps touché et caressé, fut prise de -honte malgré son impudeur, de telle sorte qu’elle se releva et s’enfuit, -pleine à la fois d’horreur pour elle-même et d’admiration pour le saint -jeune homme. Une autre fois, comme Bernard avait reçu l’hospitalité dans -la maison d’une dame, celle-ci, en voyant sa beauté, fut saisie d’un vif -désir de s’accoupler à lui. Elle se leva de son lit, et alla s’étendre -dans le lit de son hôte. Mais celui-ci, dès qu’il sentit quelqu’un près -de lui, se mit à crier: «Au voleur! Au voleur!» Aussitôt la femme -s’enfuit, toute la maison fut sur pied, on alluma des lanternes, on -chercha le voleur. Puis, comme on ne trouvait personne, chacun retourna -dans son lit et se rendormit, à l’exception de la dame, qui, ne pouvant -dormir, de nouveau se leva et entra dans le lit de Bernard. Et, de -nouveau, le jeune homme se mit à crier: «Au voleur!» Nouvelle alerte, -nouvelles investigations. Et, une troisième fois encore, la dame se vit -repoussée de la même façon, si bien qu’elle finit par renoncer à son -mauvais dessein, soit par crainte ou par découragement. Or le lendemain, -en route, les compagnons de Bernard lui demandèrent pourquoi il avait -tant de fois rêvé de voleurs. Et il leur dit: «J’ai eu, en effet, cette -nuit, à repousser les assauts d’un voleur: car mon hôtesse a essayé de -m’enlever un trésor que je n’aurais plus jamais recouvré si je l’avais -perdu!» - -Tout cela persuada à Bernard que c’était chose peu sûre de cohabiter -avec le serpent. Il projeta donc de s’enfuir du monde, et d’entrer dans -l’ordre de Cîteaux. Ce qu’apprenant, ses frères voulurent d’abord, par -tous les moyens, le détourner de son projet. Mais Dieu lui accorda tant -de faveurs que non seulement lui-même ne fut point détourné de son -projet: il convertit encore à son projet tous ses frères et bon nombre -d’amis. Un de ses frères nommé Gérard, qui était dans l’armée, estimait -particulièrement folle l’intention de Bernard. Alors celui-ci, déjà tout -enflammé de foi, et excité en outre par son amour fraternel, dit à -Gérard: «Je sais, je sais, mon frère, seule la souffrance t’amènera à -m’entendre!» Puis, lui mettant un doigt sur l’aîne: «Hélas, le jour est -prochain où une lance percera ce flanc et ouvrira la voie, dans ton -cœur, au projet que maintenant tu désapprouves chez moi!» Et en effet, -peu de jours après, Gérard fut blessé d’un coup de lance à l’endroit que -Bernard lui avait désigné; après quoi, il fut pris par l’ennemi et jeté -en prison. Là, Bernard vint le trouver, et lui dit: «Je sais, mon frère -Gérard, que bientôt nous partirons d’ici pour entrer dans un monastère!» -Et, la même nuit, les chaînes du prisonnier tombèrent, la porte de la -prison s’ouvrit; et Gérard dit à son frère qu’il avait changé d’avis et -voulait se faire moine. - -L’an du Seigneur 1112, la quinzième année de l’institution du couvent de -Cîteaux, Bernard entra dans ce couvent avec plus de trente compagnons. -Il était alors âgé d’environ vingt-deux ans. - -Au moment où Bernard quittait la maison paternelle avec ses frères, -Guido, qui était l’aîné, aperçut le petit Nivard, le plus jeune de ses -frères, qui jouait sur la place avec d’autres enfants. «Hé--lui -dit-il--mon frère Nivard, c’est sur toi seul que va reposer -l’administration de nos biens terrestres!» Mais l’enfant, mûri par la -foi, répondit: «Vous voulez donc avoir pour vous le ciel et me laisser -la terre? Ce n’est point là un partage équitable!» Il resta quelque -temps encore auprès de son père, et alla, lui aussi, se faire moine, dès -qu’il fut en âge. - -Quant à Bernard, aussitôt qu’il fut entré en religion, tout son esprit -fut si profondément occupé et absorbé par Dieu que la vie sensible cessa -d’exister pour lui. Habitant depuis plus d’un an déjà la cellule des -novices, il ne savait pas encore de quelle forme en était la voûte. -Passant la plupart de son temps dans la chapelle, il était persuadé que -le mur près duquel il se tenait n’avait qu’une seule fenêtre, tandis -qu’en réalité il en avait trois. - -L’abbé de Cîteaux envoya des frères pour construire une maison à -Clairvaux, et désigna Bernard pour être leur abbé. Bernard vécut là dans -une extrême pauvreté, ne mangeant souvent qu’une sorte de soupe faite -avec des feuilles de hêtre. Il veillait la nuit, au delà des forces -humaines, tenant le sommeil pour l’équivalent de la mort, et ne -regrettant rien davantage que les quelques instants perdus à dormir. Il -ne trouvait aucun plaisir, non plus, dans la nourriture, et ne mangeait -que par force, ayant même perdu la faculté de discerner la saveur des -mets. C’est ainsi qu’un jour il but de l’huile en guise d’eau, et ne -s’en aperçut que lorsque des frères lui firent observer que ses lèvres -n’étaient pas mouillées. Une autre fois, et pendant plusieurs jours de -suite, il mangea du sang caillé en croyant manger du beurre. L’eau seule -lui plaisait, en lui rafraîchissant la bouche et la gorge. - -Tout ce qu’il savait sur les saints mystères, il disait qu’il l’avait -appris en méditant dans les bois. Et il aimait à dire à ses amis que ses -seuls professeurs avaient été les chênes et les hêtres. Un jour,--comme -il le raconte lui-même dans ses écrits,--il essayait de graver d’avance, -dans son esprit, les paroles qu’il dirait à ses frères; mais voici -qu’une voix lui dit: «Aussi longtemps que tu garderas en toi cette -idée-là, tu n’en auras point d’autres!» Dans ses vêtements, il aimait la -pauvreté, mais non la malpropreté, disant de celle-ci qu’elle était -signe ou de négligence, ou de vanité intérieure, ou de recherche de la -gloire extérieure. Il avait toujours présent à l’esprit ce proverbe, -qu’il répétait volontiers: «Celui qui fait ce que personne ne fait, tout -le monde le remarque!» Aussi ne porta-t-il un cilice que tant qu’il put -le faire secrètement; mais, dès qu’il vit que la chose était connue, il -rejeta son cilice pour faire comme tout le monde. - -Il ne cessait point de montrer, par son exemple, qu’il possédait les -trois genres de patience, qui consistaient, suivant lui, à supporter les -injures, la perte des biens et la peine corporelle. Un évêque, qu’il -avait amicalement admonesté dans une lettre, lui répondit, avec une -amertume insensée, par une lettre qui commençait ainsi: «Salut à toi, et -non pas blasphème!»--comme s’il donnait à entendre que la lettre de -Bernard avait contenu des blasphèmes. Mais Bernard se borna à répondre -qu’il ne croyait pas avoir en lui l’esprit de blasphème, et que jamais -il n’avait maudit personne, ni surtout un prince de l’Eglise. Une autre -fois, un abbé lui envoya six cents marcs pour la construction d’un -monastère; mais toute la somme fut prise, en route, par des voleurs. Ce -qu’apprenant, il se borna à dire: «Béni soit Dieu, qui nous a allégés de -ce fardeau!» Enfin, une autre fois, un chanoine régulier vint le trouver -et lui demanda instamment à être admis dans son monastère. Et comme -Bernard l’engageait à retourner plutôt dans son église, le chanoine lui -dit: «Pourquoi recommandes-tu la perfection dans tes livres, si tu ne -consens pas à en laisser approcher ceux qui le désirent? Je voudrais -avoir ici tes livres pour les détruire ligne à ligne!» Et Bernard: «Dans -aucun de mes livres tu n’as lu que tu ne pouvais pas parvenir à la -perfection en restant dans ton église. Ce que j’ai recommandé dans tous -mes livres, c’est l’amélioration des mœurs, et non le changement de -lieu!» Sur quoi le chanoine, affolé de rage, le frappa si durement sur -la joue que la rougeur succéda au coup, et l’enflure à la rougeur. Et -déjà les assistants allaient se jeter sur le sacrilège, lorsque Bernard -les supplia, au nom du Christ, de ne lui faire aucun mal. - -Son père, qui était resté seul dans sa maison, finit par se retirer, lui -aussi, dans un monastère, où il mourut peu de temps après, chargé -d’années. Sa sœur, mariée, était en danger de succomber aux richesses et -aux plaisirs de ce monde, lorsque, étant venue voir ses frères, mais y -étant venue avec une escorte et en grand apparat, Bernard eut -l’impression que c’était le diable qui l’envoyait pour corrompre les -âmes; et il ne voulut ni aller lui-même au-devant d’elle, ni permettre à -ses frères d’y aller. Alors, voyant que pas un de ses frères ne voulait -la reconnaître, à l’exception d’un seul d’entre eux, qui était alors -portier, et qui la traitait de «fumier en robes», la sœur fondit en -larmes et s’écria: «Si même je suis une pécheresse, c’est pour des -créatures comme moi que le Christ est mort! Et c’est précisément parce -que je me sens pécheresse que j’ai besoin des conseils et de l’entretien -des gens de bien. Si mon frère dédaigne ma personne corporelle, que du -moins le serviteur de Dieu prenne considération de mon âme! qu’il -vienne, qu’il me donne des ordres! et je suis prête à accomplir tout ce -qu’il m’ordonnera!» Alors Bernard, entendant cette promesse, vint -au-devant d’elle avec ses frères. Et, comme il ne pouvait songer à la -séparer de son mari, il lui interdit, en premier lieu, tous les plaisirs -mondains, et lui recommanda de suivre l’exemple de leur mère. Et la -sœur, de retour chez elle, changea si complètement que, vivant parmi le -siècle, elle menait la vie d’une nonne dans un cloître. Elle finit même, -à force de prières, par obtenir de son mari qu’il consentît à la rupture -du lien conjugal, et lui permît d’entrer dans un couvent. - -Un jour, Bernard, malade et presque à bout de forces, fut emporté en -esprit devant le tribunal de Dieu. Et Satan y vint, de son côté, la -bouche remplie d’accusations injustes contre lui. Et, quand l’adversaire -eut fini de parler, Bernard, confus et troublé, se borna à répondre: «Je -l’avoue, je ne suis point digne d’obtenir le ciel par mes propres -mérites. Mais comme mon maître Jésus a obtenu le ciel par deux mérites, -à savoir l’héritage de son père et les souffrances de sa passion, j’ai -l’espoir que, se contentant d’un seul de ces mérites, il voudra bien me -faire don de l’autre!» Ce qu’entendant, l’ennemi s’en alla tout honteux, -et Bernard s’éveilla de sa vision. - -Par l’excès de son abstinence, de son travail, et de ses veilles, il -avait fatigué son corps au point d’être presque toujours malade, et -d’avoir peine à suivre les offices du couvent. Un jour qu’il se sentait -en fort mauvais état, les prières des frères eurent pour effet de lui -rendre un peu de santé. Sur quoi, les réunissant tous autour de lui, il -leur dit: «Pourquoi retenez-vous le pauvre homme que je suis? Vous êtes -si forts que vous l’emportez sur moi, là-haut: mais, de grâce, -accordez-moi de m’en aller de ce monde!» - -Plusieurs villes l’élurent pour évêque, entre autres Gênes et Milan. Et -il n’osait ni accepter ni refuser, disant seulement qu’il ne -s’appartenait point, mais était délégué pour le service d’autrui. Et, -d’autre part, sur son conseil, ses frères avaient obtenu du Souverain -Pontife la promesse que personne ne pourrait leur enlever celui qui -était leur joie et leur réconfort. - -Un jour que Bernard était allé chez les Chartreux et les avait édifiés -par sa vertu, le prieur des Chartreux fut cependant frappé de voir que -la selle de son cheval était d’une élégance inaccoutumée, ce qui -semblait dénoter un certain goût de luxe. Mais quand on rapporta à -Bernard l’observation du prieur, il demanda avec surprise quelle était -cette selle: car il était venu de Clairvaux jusqu’à la Chartreuse sans -même voir sur quel siège il était assis. Une autre fois, comme il avait -marché toute la journée le long du lac de Lausanne, ses compagnons lui -demandèrent, le soir, ce qu’il en pensait; et il leur répondit -ingénument qu’il ne savait pas même où était ce lac. Toujours on le -trouvait en prière, ou en méditation, ou occupé à lire ou à écrire, ou à -s’entretenir avec ses Frères. Un jour, comme il prêchait devant le -peuple, et que tous buvaient ses paroles, l’idée lui vint soudain de se -dire: «Tu prêches vraiment très bien, et on a plaisir à t’entendre!» -Alors, devinant la tentation qui se cachait sous cette idée, il se -demanda s’il ne ferait pas bien de cesser de parler. Mais aussitôt, -réconforté du secours divin, il répondit tout bas au tentateur: «Ce -n’est pas toi qui m’as fait commencer de parler, ce n’est pas toi qui -m’empêcheras d’achever!» Après quoi il acheva tranquillement sa -prédication. - -Un moine qui, dans le siècle, avait été un ribaud et un joueur, fut -tenté par le malin esprit et voulut rentrer dans le siècle. Bernard, le -voyant bien décidé, lui demanda de quoi il vivrait. Et le moine: «Je -sais jouer aux dés, et de cela je vivrai!» Et Bernard: «Si je te confie -un capital, me promets-tu de revenir tous les ans partager tes gains -avec moi?» Le moine, tout joyeux, le lui promit volontiers. Donc Bernard -lui fit donner vingt sols et le laissa partir. Or le moine, dès qu’il se -trouva libre, perdit toute la somme, et revint, plein de honte, à la -porte du couvent. Aussitôt Bernard s’avança vers lui en tendant la main, -comme pour recevoir la moitié de son gain. Et lui: «Hélas, mon père, je -n’ai rien gagné, et j’ai même été dépouillé de notre capital! Je ne puis -que m’offrir moi-même en échange de la somme perdue!» Et Bernard lui -répondit avec bonté: «Si c’est ainsi, mieux vaut que je reprenne ce -capital-là, plutôt que de les perdre tous deux!» - -Un jour Bernard, chevauchant en compagnie d’un paysan, lui parla, par -hasard, de la difficulté qu’il avait à prier avec attention. Sur quoi le -rustre, d’un ton méprisant, répondit que, quant à lui, jamais il ne se -laissait distraire pendant qu’il priait. Alors Bernard lui dit: -«Séparons-nous un moment, et commence, avec toute l’attention possible, -l’oraison dominicale! Que si tu parviens à la réciter tout entière sans -une seule distraction de pensée, je te donnerai la jument que je monte. -Mais j’ai assez de confiance en ta loyauté pour être sûr que, si quelque -distraction te vient, tu me l’avoueras!» Aussitôt le paysan, tout -joyeux, et considérant déjà la jument comme acquise, se mit à l’écart, -se recueillit, et commença son _Pater_. Mais à peine était-il arrivé à -la moitié, que, tout à coup, il se demanda si la selle de Bernard serait -à lui avec la jument. Et aussitôt il se rendit compte de sa distraction, -et vint l’avouer à Bernard. - -Une autre fois, une énorme quantité de mouches ayant envahi le monastère -construit par Bernard, et y causant une grande vexation, le saint dit en -riant: «Je les excommunie!» Et, le lendemain, toutes les mouches avaient -disparu. - -Il avait été envoyé par le Souverain Pontife à Milan, pour réconcilier -cette ville avec l’Eglise. Sur son retour, il s’arrêta à Pavie, où un -mari lui amena sa femme, qui était possédée du démon. Bernard la renvoya -à l’église de saint Cyr; mais celui-ci, pour honorer son hôte, la lui -renvoya. Et le diable, par la bouche de la possédée, ricanait, en -disant: «Ce n’est point le petit Cyr, ni le petit Bernard qui seront de -taille à me faire sortir!» A quoi Bernard répondit: «Ce ne sera point -Cyr ni Bernard qui te chassera, mais le Seigneur Jésus!» Puis il pria -Jésus, et l’esprit immonde s’écria: «Comme je voudrais sortir de cette -femme; mais je ne le puis, car le grand maître m’en empêche!» Et -Bernard: «Qui est le grand maître?» Et le diable: «Jésus de Nazareth!» -Et Bernard: «L’as-tu jamais vu?» Et le diable: «Oui!» Et Bernard: «Où -l’as-tu vu?» Et le diable: «Dans le ciel!» Et Bernard: «As-tu donc été -dans le ciel?» Et le diable: «Oui!» Et Bernard: «Comment en es-tu -sorti?» Et le diable: «J’en ai été précipité avec Lucifer!» Il disait -tout cela d’une voix lugubre, parlant toujours par la bouche de la -femme, en présence de tous. Et Bernard lui dit: «Aimerais-tu retourner -au ciel?» Et le diable, avec un gémissement piteux: «Hélas! il est trop -tard!» Puis, sur l’ordre de Bernard, il sortit de la femme; mais à peine -le saint s’était-il remis en route, que le mari, accourant derrière lui, -lui apprit que le maudit avait de nouveau pris possession de sa femme. -Alors Bernard lui conseilla d’attacher au cou de sa femme un papier -contenant ces mots: «Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, je te -défends, démon, de toucher désormais à cette femme!» Ainsi fut fait, et -force fut au diable de respecter la défense. - -Il y avait en Aquitaine une pauvre femme que tourmentait, depuis six -ans, un incube luxurieux. Lorsque Bernard arriva dans l’endroit où -vivait cette femme, l’incube défendit à sa victime de s’approcher du -saint, la menaçant, si elle le faisait, de n’être plus désormais son -amant, mais son persécuteur. La femme, cependant, vint trouver Bernard, -et lui raconta en gémissant le mal dont elle souffrait. Et Bernard: -«Prends mon bâton et mets-le dans ton lit, et nous verrons ensuite ce -que l’ennemi osera faire!» La nuit, dès que la femme fut dans son lit, -l’incube accourut; mais non seulement il ne put se livrer à sa maudite -tâche de toutes les nuits: il ne put même pas s’approcher du lit. Il -s’en alla, furieux, avec des menaces terribles. Ce qu’apprenant, Bernard -réunit tous les habitants de la ville, leur fit tenir en main des -cierges allumés; et tous, d’une même voix, excommunièrent le diable, lui -défendant désormais l’accès de la ville. Depuis lors, la femme se trouva -délivrée. - -Bernard était venu en Aquitaine pour réconcilier avec l’Eglise le duc de -cette province. Et comme celui-ci se refusait à toute réconciliation, -Bernard alla vers l’autel, consacra l’hostie, la posa sur une patène, et -sortit avec elle de l’église. Alors, abordant d’une voix terrible le duc -d’Aquitaine, qui, en qualité d’excommunié, se tenait en dehors de -l’église sans oser entrer, il lui dit: «Nous t’avons prié, et tu as -dédaigné notre prière! Voici que vient vers toi le fils de la Vierge, le -maître suprême de l’Eglise que tu persécutes! Voici que vient vers toi -ton juge, entre les mains duquel sera remise ton âme! Oseras-tu le -dédaigner aussi, comme ses serviteurs?» Aussitôt le duc sentit tous ses -membres fléchir, et se prosterna aux pieds de Bernard. Et celui-ci, le -touchant de la sandale, lui ordonna de se lever, pour entendre la -sentence de Dieu. Le duc se releva, tout tremblant, et exécuta aussitôt -tout ce que lui ordonna saint Bernard. - -Celui-ci se rendit également en Allemagne pour apaiser une grande -discorde. Et l’archevêque de Mayence envoya au-devant de lui un -vénérable clerc, qui lui dit qu’il venait de la part de son maître. Mais -Bernard lui répondit: «Non, c’est un autre maître qui t’a envoyé!» -Etonné, le clerc répondit qu’il venait de la part de l’archevêque. Mais -Bernard lui répétait toujours: «Tu te trompes, mon fils, tu te trompes! -C’est un maître plus puissant qui t’a envoyé, car c’est le Christ -lui-même!» Alors le clerc, comprenant le sens de ses paroles, lui dit: -«Tu crois donc que je veux devenir moine? je n’en ai jamais eu la pensée -un seul instant!» Et cela n’empêcha point ce clerc, avant même d’être -rentré à Mayence, de dire adieu au siècle pour devenir moine. - -Un noble soldat, qui s’était fait moine, était tourmenté d’une tentation -cruelle. Un de ses frères, le voyant toujours triste, lui en demanda le -motif. Et le moine répondit: «Je me désole de penser qu’il n’y aura plus -pour moi de joie en ce monde!» Le mot fut rapporté à Bernard, qui, ému -de pitié, pria pour le malheureux frère. Et aussitôt celui-ci devint -aussi gai et aussi joyeux qu’il avait été triste jusque-là. - -Lorsque mourut saint Malachie, évêque d’Irlande, qui était venu achever -sa vie dans le monastère de saint Bernard, celui-ci célébra la messe en -son honneur. Et Dieu, soudain, lui fit connaître la gloire du défunt, de -telle sorte que, après la communion, changeant la forme de sa prière, il -s’écria joyeusement: «Dieu, qui as daigné admettre le bienheureux -Malachie au nombre de tes saints, permets, nous t’en prions, que, de -même que nous célébrons la fête de sa mort, nous imitions aussi -l’exemple de sa vie!» Le diacre fit signe à Bernard qu’il se trompait -dans sa prière. Mais Bernard: «Pas du tout! Je sais ce que je dis!» -Après quoi il alla baiser les restes du saint. - -A l’approche du carême, Bernard demanda aux étudiants de vouloir bien -s’abstenir, au moins pendant les saints jours, de leurs amusements et de -leurs débauches. Mais, comme ils s’y refusaient, il leur fit verser du -vin, en disant: «Buvez donc de ce vin des âmes!» Et à peine l’eurent-ils -bu qu’ils furent tout changés. Et eux, qui n’avaient pas voulu accorder -à Dieu quelques journées, ils lui accordèrent tout le temps de leur vie. - -Enfin saint Bernard, sentant la mort approcher, dit à ses frères: «Je -vous laisse en héritage l’exemple de trois vertus que je me suis efforcé -toute ma vie de pratiquer. J’ai toujours évité de scandaliser personne; -j’ai toujours eu moins de confiance en moi-même que dans les autres, et -jamais je n’ai tiré vengeance de mes persécuteurs.» Puis il s’endormit -au milieu de ses fils, en l’an 1143, dans la soixante-troisième année de -son âge, après avoir fondé cent soixante monastères, accompli de -nombreux miracles et écrit une foule de livres et de traités. - -Après sa mort, sa gloire fut révélée à de nombreuses personnes. Il -apparut notamment à un certain abbé, et l’engagea à le suivre. Puis il -le conduisit au pied d’une montagne, et lui dit: «Reste ici, pendant que -je vais monter là-haut!» L’abbé lui demanda ce qu’il allait faire. Et -Bernard: «Je vais apprendre!» Et l’abbé, tout surpris: «Que veux-tu -apprendre, mon père, toi qui n’a pas aujourd’hui ton pareil pour la -science?» Et Bernard: «Il n’y a ici-bas ni science, ni connaissance, -c’est là-haut seulement qu’il y a plénitude de science, c’est là-haut -qu’est la vraie connaissance de la vérité!» Et, ce disant, il disparut. -Or l’abbé, ayant noté le jour et l’heure de cette vision, découvrit -qu’elle avait coïncidé avec la mort de saint Bernard. Et nombreux, ou -plutôt innombrables, sont les miracles que Dieu opéra ensuite par -l’entremise de ce grand saint. - - - - -CXIX - -SAINT TIMOTHÉE, MARTYR - -(22 août) - - -Timothée souffrit le martyre sous le règne de Néron. Pendant que le -préfet de Rome le torturait cruellement, lui faisant arroser les reins -de chaux vive, le saint rendait grâce à Dieu. Alors deux anges, -descendant à ses côtés, lui dirent: «Lève la tête, et vois!» Levant la -tête, il vit les cieux ouverts, et, là, Jésus tenait en main une -couronne de pierreries, et lui disait: «De ma main tu recevras cette -couronne!» Un homme qui se trouvait là, nommé Apollinaire, vit, lui -aussi, la vision céleste, et, aussitôt, se fit baptiser. Et comme tous -deux, Timothée et Apollinaire, persévéraient à confesser le Seigneur, le -préfet les fit décapiter. C’était en l’an du Seigneur 57. - - - - -CXX - -SAINT SYMPHORIEN, MARTYR - -(22 août) - - -Symphorien était originaire d’Autun. Dès l’adolescence, il se fit -remarquer par la gravité de ses mœurs. Et, comme, le jour de la fête de -Vénus, les païens présentaient au préfet Héraclius une statue de cette -déesse, Symphorien refusa d’adorer la statue: en punition de quoi il fut -roué de coups et jeté en prison. Le préfet lui offrit ensuite de -nombreux présents, s’il voulait sacrifier aux idoles. Mais Symphorien -lui dit: «Notre Dieu, de même qu’il sait récompenser les mérites, sait -aussi punir les péchés. Et vos présents sont des poisons enveloppés de -miel. Et votre avidité même, quand elle croit tout avoir, ne possède -rien; et votre joie ressemble au verre, qui, dès qu’il commence à -briller, se brise en morceaux!» Ce qu’entendant, le juge, furieux, -ordonna que Symphorien fût mis à mort. - -Pendant qu’on le conduisait au supplice, sa mère, du haut d’un mur, lui -criait: «Mon fils, mon fils, souviens-toi de la vie éternelle! regarde -en haut, contemple Celui qui règne dans les cieux! Tu sentiras alors que -ta vie ne t’est pas enlevée, mais, au contraire, changée en une vie -meilleure!» Bientôt après, Symphorien fut décapité. Son corps, pris par -les chrétiens, fut enseveli religieusement. Et tant de miracles se -produisirent sur son tombeau, que les païens eux-mêmes le tinrent en -grand honneur. Grégoire de Tours raconte notamment qu’un chrétien, ayant -arrosé trois cailloux du sang qui avait jailli du tronc coupé de saint -Symphorien, mit ces cailloux dans une boîte d’argent, et prit l’habitude -de les porter sur lui. Et comme, un jour, le camp où il était se trouva -détruit de fond en comble par un incendie, la boîte seule resta intacte, -avec l’étui de bois où elle était enfermée. Le martyre du saint eut lieu -en l’an du Seigneur 270. - - - - -CXXI - -SAINT BARTHÉLEMY, APÔTRE - -(24 août) - - -I. L’apôtre Barthélemy se rendit aux Indes, qui sont placées à -l’extrémité du monde. Là, il entra dans un temple où était une idole -nommée Astaroth; et il s’installa dans ce temple comme un pèlerin. Or -l’idole Astaroth était habitée par un démon qui prétendait guérir les -maladies, encore que, en réalité, il ne les guérît point, mais empêchât -seulement les malades de souffrir. Et voici que, une foule énorme de -pèlerins étant entrée dans le temple où était l’idole, celle-ci refusa -complètement d’exercer sur les malades son action accoutumée. Les -pèlerins se rendirent alors dans une ville voisine, où se trouvait une -autre idole nommée Bérith; et ils demandèrent à celle-ci pourquoi -Astaroth les laissait sans réponse. Et Bérith leur dit: «C’est -qu’Astaroth est chargée de chaînes de feu, qui ne lui permettent ni de -respirer ni de parler, et cela depuis l’instant où l’apôtre Barthélemy -est entré dans le temple!» Et eux: «Qui est donc ce Barthélemy?» Et le -démon Bérith: «C’est un ami du Dieu du ciel, venu dans notre province -pour en chasser tous les dieux indiens.» Et eux: «A quel signe -pourrons-nous le reconnaître?» Et Bérith: «Il a les cheveux noirs et -crépus, la chair blanche, les yeux grands, les narines égales et bien -ouvertes, la barbe épaisse avec quelques poils blancs, la stature -moyenne; et il est vêtu d’un manteau blanc avec des pierres rouges aux -angles. Vingt-six ans d’âge; et cette propriété, que son vêtement et ses -sandales ne peuvent ni s’user ni se salir, bien que cent fois, jour et -nuit, il s’agenouille pour prier. Quand il marche, des anges -l’accompagnent, l’empêchant de se fatiguer et de souffrir de la soif. -Toujours joyeux d’âme et de visage, il sait tout, comprend toutes les -langues, prévoit tout; et déjà il sait que je vous parle en ce moment. -Je vous en prie, s’il consent à se montrer à vous, demandez-lui de ne -point venir ici, car ses anges ne manqueraient point de me traiter comme -ils ont traité mon compagnon Astaroth!» On chercha donc Barthélemy -pendant deux jours, mais sans pouvoir le découvrir. - -Cependant, comme l’apôtre passait dans une rue, un démon s’écria, par la -bouche d’un possédé: «Barthélemy, apôtre de Dieu, tes prières me -brûlent!» Et l’apôtre: «Tais-toi, et sors de cet homme!» Et aussitôt le -possédé se trouva délivré. La nouvelle du miracle parvint alors au roi -du pays, qui s’appelait Polème. Et comme celui-ci avait une fille folle, -il fit prier l’apôtre de venir la guérir. L’apôtre vint, et trouva la -jeune fille liée avec des chaînes, car elle mordait ceux qui -l’approchaient. Il ordonna aussitôt de la délivrer: et comme les -ministres du roi n’osaient la toucher, il leur dit: «Ne craignez rien, -car j’ai déjà enchaîné le démon qui était en elle!» Et, en effet, dès -qu’on lui eut ôté ses chaînes, elle recouvra l’esprit. Alors le roi fit -placer sur des chameaux tout un trésor d’or, d’argent et de pierres -précieuses, et ordonna qu’on le portât à l’apôtre, qui était reparti. -Mais en vain on le chercha dans tout le royaume. - -Le lendemain, le roi était seul dans sa chambre lorsque Barthélemy lui -apparut, et lui dit: «Pourquoi m’as-tu fait chercher, hier, avec tes -présents? Ces présents sont nécessaires à ceux qui désirent les choses -terrestres, mais non à moi, qui ne désire rien de terrestre!» Après quoi -il exposa à Polème le mystère de notre rédemption et les sacrements de -la foi. Et il ajouta que, si le roi voulait recevoir le baptême, il se -chargerait ensuite de lui montrer son ancien dieu tout lié de chaînes. -Le lendemain, comme les prêtres sacrifiaient aux idoles près du palais -du roi, le diable se mit à leur crier: «Malheureux, cessez de m’offrir -des sacrifices: car je suis enchaîné de chaînes de feu par un ange de -Jésus-Christ, que les Juifs ont crucifié! Ce Jésus a dompté la mort -elle-même, notre souveraine, et il a enchaîné notre prince, qui, est -l’auteur de toute mort!» Aussitôt la foule voulut abattre les idoles, à -grand renfort de cordes; mais on ne put y parvenir. Alors l’apôtre -ordonna au démon de sortir de l’idole et de briser celle-ci. Et aussitôt -le démon, sortant de l’idole, mit en pièces celle-ci et toutes les -autres qui étaient dans le temple. Alors Barthélemy, ayant prié Dieu, -guérit tous les malades venus en pèlerinage auprès d’Astaroth. Puis il -dédia à Dieu le temple, et ordonna au démon de se retirer dans un lieu -désert. Et, au même instant, on vit un ange qui, volant tout à l’entour -du temple, fit, à ses quatre coins, le signe de la croix, en disant: «De -même que le Seigneur vous a purifiés de vos maladies, de même il purifie -ce temple de toute souillure! Et avant que le démon qui habitait ici -s’en aille au désert, Dieu m’a ordonné de vous le montrer. Ne le -craignez pas, mais imprimez sur votre front le signe que vous m’avez vu -faire aux quatre coins du temple!» Et l’ange leur montra un Ethiopien -tout noir, au visage pointu, avec une barbe touffue, des poils sur tout -le corps, des yeux enflammés, une bouche vomissant du soufre, et les -mains enchaînées derrière le dos. Alors le roi se fit baptiser avec sa -femme, ses fils et tout son peuple; et, désormais, renonçant à sa -royauté, il devint disciple de l’apôtre. - -Les prêtres des idoles, chassés par Polème, se rendirent auprès du frère -de celui-ci, Astiage, et se plaignirent devant lui des méfaits de -l’apôtre. Astiage, furieux, envoya à la recherche de Barthélémy toute -une armée, qui finit par s’emparer de lui. Et Astiage: «Est-ce toi qui -as séduit mon frère?» Et l’apôtre: «Je ne l’ai point séduit, mais -converti!» Et Astiage: «De même que tu as amené mon frère à abandonner -ses dieux pour le tien, de même je saurai bien te faire abandonner ton -Dieu pour sacrifier aux miens!» Et l’apôtre: «Le dieu qu’adorait ton -frère, je l’ai enchaîné, au vu de tous, et forcé à détruire ses idoles! -Si tu parviens à faire subir le même traitement à mon Dieu, je -consentirai à adorer tes simulacres; mais si tu n’y parviens pas, je -détruirai tes simulacres pour que tu croies en mon Dieu.» A peine -avait-il ainsi parlé, qu’on vint annoncer au roi que son idole Baldak -venait de tomber de son piédestal et de se briser en morceaux. Ce -qu’apprenant, le roi, furieux, déchira en deux son manteau de pourpre, -ordonna que l’apôtre fût battu de verges, et le fit enfin écorcher vif. -Les chrétiens enlevèrent le corps du martyr, et lui accordèrent les -honneurs qui lui étaient dus. Quant au roi Astiage et aux prêtres des -idoles, ils furent saisis par des démons, et périrent misérablement. Au -contraire, l’ex-roi Polème fut ordonné évêque, et, durant vingt ans, -s’acquitta saintement des devoirs de l’épiscopat. - -Sur le genre exact du martyre de saint Barthélemy les avis diffèrent: -car saint Dorothée affirme expressément qu’il a été crucifié. Et il -ajoute que son supplice eut lieu dans une ville d’Arménie nommée Albane, -comme aussi qu’il fut crucifié la tête en bas. D’autre part, saint -Théodore assure que l’apôtre a été écorché vif; et il y a encore -d’autres historiens qui prétendent qu’il a eu la tête tranchée. Mais, au -fait, cette contradiction n’est qu’apparente: car rien n’empêche de -penser que le saint ait été d’abord mis en croix, puis, pour plus de -souffrances, écorché vif, et enfin décapité. - -II. Le bienheureux Théodore, abbé et docteur, après avoir raconté le -martyre de saint Barthélemy, dont il place la scène à Albane en Arménie, -écrit ce qui suit: «La fureur de ses bourreaux était telle que la mort -même ne l’apaisa point. Elle s’acharna contre son corps même, qui fut -jeté à la mer avec ceux de quatre autres martyrs. Et les cinq corps -vénérables, abandonnés au courant des flots, abordèrent dans une île -voisine de la Sicile appelée Lipari, où ils furent recueillis par -l’évêque d’Ostie, qui se trouvait là en ce moment. Mais quatre d’entre -eux, laissant à Lipari les restes de Barthélemy, poursuivirent leurs -routes vers d’autres régions. L’un d’eux, Papin, se rendit dans une -ville de Sicile, appelée Milas; un autre, Lucien, parvint à Messine; les -deux derniers furent envoyés par Dieu en Calabre, Grégoire dans la ville -de Colone, Achace dans la ville de Chalé. Quant à Barthélemy, il fut -reçu à grand renfort d’hymnes et de cierges, et un temple magnifique -s’éleva en son honneur. Et le mont de Vulcain, qui lançait des flammes -jusque sur les habitants de Lipari, s’éloigna soudain à sept stades de -là, de telle sorte que, aujourd’hui encore, se dressant au bord de la -mer, il apparaît comme la figuration d’un feu prenant la fuite.» - -III. L’an du Seigneur 331, les Sarrasins, ayant envahi l’île de Lipari, -brisèrent le tombeau de saint Barthélemy, et dispersèrent ses os. Mais à -peine eurent-ils quitté l’île, que le saint apparut à un moine et lui -dit: «Lève-toi et recueille mes os, qui sont dispersés!» Et le moine: -«Pourquoi recueillerais-je tes os, ou te rendrais-je un honneur -quelconque, à toi qui as laissé dévaster notre île sans nous prêter -secours?» Et le saint: «Pendant longtemps le Seigneur, sur ma prière, a -épargné ce peuple; mais ses péchés sont devenus si nombreux que je n’ai -plus pu obtenir leur pardon.» Le moine lui demanda alors à quel signe il -pourrait reconnaître ses os, parmi tous ceux que les Sarrasins avaient -dispersés. Et le saint: «Va les chercher pendant la nuit, et recueille -ceux que tu verras briller comme du feu!» Le moine fit ainsi, recueillit -les os de l’apôtre, et les transporta par mer à Bénévent, métropole de -la Pouille. Et aujourd’hui encore les habitants de Bénévent prétendent -posséder le corps de saint Barthélemy, bien que, d’après l’opinion -générale, ce corps se trouve désormais à Rome. - -IV. L’empereur Frédéric, s’étant emparé de Bénévent, avait ordonné de -détruire toutes les églises de la ville. Or voici qu’un habitant de -celle-ci aperçut des hommes vêtus de blanc, et tout resplendissants, qui -semblaient s’entretenir entre eux. Il demanda à l’un d’eux qui ils -étaient, et l’inconnu répondit: «Celui que tu vois là-bas est l’apôtre -Barthélemy, et nous sommes les autres saints qui avions des églises dans -cette ville. Nous nous sommes réunis ici pour nous entendre sur le -châtiment que nous devions exiger contre l’impie qui nous a chassés de -nos demeures. Et nous venons de juger qu’il aura à comparaître sans -retard devant le tribunal de Dieu, pour rendre compte de son sacrilège.» -Et, en effet, peu de temps après, ledit empereur périt misérablement. - -V. On lit dans un livre de _Miracles des Saints_ que, pendant qu’un -maître célébrait la fête de saint Barthélemy, le diable lui apparut sous -la forme d’une jeune fille merveilleusement belle. Le maître l’invita à -sa table, ne sachant qui elle était; et elle s’efforçait de l’exciter -par ses caresses. Or, voici que saint Barthélemy se présenta devant la -porte, en habit de pèlerin, et pria qu’on le reçût au nom de saint -Barthélemy. La femme engagea le prêtre à lui envoyer du pain sans le -recevoir; mais le pèlerin refusa d’y toucher. Et il fit demander au -prêtre de lui faire dire ce qui était le plus propre à l’homme. La jeune -femme lui fit répondre: «C’est le péché, avec lequel l’homme est conçu, -naît et vit.» Le pèlerin déclara la réponse exacte. Il fit ensuite -demander au prêtre de lui dire quel était le lieu n’ayant qu’un seul -pied, et où Dieu avait opéré son plus grand miracle. Le prêtre fut -d’avis que c’était la croix; la femme dit: «C’est la tête de l’homme, -dans laquelle Dieu a créé comme un second monde en raccourci.» Et le -pèlerin approuva les deux réponses. Puis il fit demander, en troisième -lieu, quelle distance il y avait du sommet du ciel au fond de l’enfer. -Le prêtre répondit qu’il l’ignorait. Mais la femme: «Hélas, je le sais, -moi, car j’ai franchi cette distance, et voici que je vais avoir à la -franchir de nouveau!» Après quoi cette femme, reprenant sa forme de -diable, se précipita dans l’abîme avec un grand cri; et, quand on -chercha ensuite le pèlerin, on ne le trouva plus. Une histoire semblable -nous est aussi racontée touchant saint André. - - - - -CXXII - -SAINT AUGUSTIN, DOCTEUR - -(28 août) - - -I. Augustin, illustre docteur de l’Eglise, naquit dans la ville de -Carthage, en Afrique, de parents nobles. Son père s’appelait Patrice, sa -mère Monique. Il fut suffisamment instruit dans les arts libéraux, dès -sa jeunesse, pour mériter d’être considéré comme un philosophe éminent -et un remarquable rhéteur. Il lut et approfondit l’œuvre d’Aristote et -tous les autres livres qu’on pouvait lire alors. Et il nous dit lui-même -dans ses _Confessions_: «Tous les livres qu’on appelle _libéraux_, je -les ai lus, étant, à cette époque, le misérable esclave de désirs -mauvais. Quant à ce qui est de la grammaire et de l’éloquence, de la -géométrie, des nombres et de la musique, je l’ai appris aisément sans le -secours d’aucun maître. Mais la science, sans la charité, ne fait que -nous gonfler au lieu de nous édifier.» - -Il était tombé dans l’hérésie des Manichéens, qui niaient la réalité du -Christ et la résurrection de la chair. Il persévéra dans cette hérésie -pendant neuf ans. Mais, dès l’âge de dix-neuf ans, comme il lisait le -livre d’un philosophe où était exposée la vanité du monde, il fut désolé -de ne point trouver dans ce livre le nom de Jésus-Christ, dont sa mère -l’avait imprégné. - -Sa mère, de son côté, pleurait beaucoup et ne négligeait rien pour le -ramener à la foi véritable. Or, un jour, elle vit en rêve un jeune homme -qui lui demanda la cause de sa tristesse. Elle lui répondit qu’elle -pleurait la perdition de son fils. Et l’inconnu lui dit: «Sois sans -crainte, car là où tu es, il est aussi!» L’excellente femme n’en -insistait pas moins auprès de son évêque afin qu’il daignât intercéder -pour son fils. Et l’évêque, d’une voix prophétique, lui dit: «Sois sans -crainte, car c’est chose impossible que Dieu laisse périr l’enfant de -tant de larmes!» - -Après avoir longtemps enseigné la rhétorique à Carthage, Augustin vint à -Rome et y réunit de nombreux disciples. Sa mère l’avait suivi jusqu’aux -portes de Carthage, résolue à l’accompagner si elle ne parvenait pas à -le faire rester. Mais il la trompa, et, la nuit, partit seul, ce dont la -pauvre femme eut un grand chagrin. Matin et soir, tous les jours, elle -allait à l’église et priait pour son fils. - -En ce temps-là, les Athéniens demandèrent à Symmaque, préfet impérial, -qu’Augustin leur fût envoyé comme professeur de rhétorique. Mais le -jeune homme préféra se rendre à Milan, où se trouvait alors saint -Ambroise. Et lorsque sa mère, qui n’avait point de repos loin de lui, -vint le retrouver à Milan, elle put constater qu’il n’était plus -manichéen, sans être encore vraiment catholique. Mais il avait commencé -à s’attacher à saint Ambroise et à écouter souvent sa prédication. Or, -un jour, le saint avait longuement démontré les erreurs des manichéens, -tant par des preuves tirées du raisonnement que par d’autres tirées de -l’autorité; et, dès ce moment, l’hérésie avait presque disparu du cœur -d’Augustin. Quant à ce qui lui arriva plus tard, lui-même le raconte -tout au long dans ses _Confessions_. Partagé entre son goût pour la voie -du Christ et sa crainte de pénétrer dans une voie aussi étroite, il -hésitait, lorsque Dieu lui inspira la pensée d’aller consulter saint -Simplicien, en qui brillait la lumière de la grâce divine. Et Simplicien -se mit aussitôt à l’encourager, en lui disant: «Combien d’enfants -servent Dieu dans l’Eglise! Et toi, savant docteur, tu n’oses le faire! -Jette-toi dans les bras de Dieu! Il te recevra et te sauvera!» - -Vers le même temps arriva d’Afrique un ami d’Augustin, nommé Pontien; et -cet homme lui raconta la vie et les miracles du grand Antoine, qui était -mort en Egypte sous l’empire de Constantin. L’exemple de ce saint alluma -une telle ardeur dans l’âme d’Augustin que, se précipitant chez un de -ses amis, nommé Alipe, il s’écria: «Que tardons-nous? Les ignorants se -lèvent et gagnent le ciel; et nous, avec toute notre science, nous nous -plongeons en enfer!» Puis il s’enfuit dans un jardin, s’étendit sous un -figuier, et se mit à pleurer amèrement. Or, pendant qu’il pleurait, il -entendit une voix qui lui disait: «Prends et lis, prends et lis!» -Aussitôt il ouvrit les _Actes des Apôtres_ et lut, au hasard: -«Revêtez-vous du Seigneur Jésus!» Aussitôt les ténèbres du doute -achevèrent de se dissiper en lui. - -Cependant il souffrait de maux de dents si forts que, comme il le dit -lui-même, il était presque tenté d’admettre l’opinion du philosophe -Corneille, qui plaçait le souverain bien de l’âme dans la sagesse, et le -souverain bien du corps dans l’absence de douleur. Ses maux de dents -étaient, en effet, si vifs qu’il en avait perdu l’usage de la parole. Ne -pouvant parler à ses amis, il leur écrivait, sur des tablettes de cire, -pour leur demander de prier tous pour lui, afin que le Seigneur apaisât -sa souffrance. Puis, en leur compagnie, il fléchit les genoux, pria et -aussitôt fut guéri. Il demanda aussi par lettre à saint Ambroise de lui -indiquer ce qu’il devait lire des Livres Saints, pour devenir plus apte -à la foi chrétienne. Ambroise lui recommanda le prophète Isaïe, à cause -de la façon dont s’y trouvent prophétisés l’Evangile et la vocation des -gentils. Et comme Augustin, d’abord, ne comprenait point le vrai sens du -livre, Ambroise lui dit de le relire plus tard, quand il serait plus -exercé dans la lecture des Livres Saints. - -Enfin, à l’approche de Pâques, Augustin, alors âgé de trente ans, reçut -le baptême, en compagnie de son fils Adéodat, enfant plein -d’intelligence, qu’il avait enfanté pendant qu’il était encore païen et -philosophe. Et son ami Alipe se fit baptiser le même jour. Ce jour-là, -Ambroise s’écria: _Te Deum laudamus!_ Augustin répondit: _Te Dominum -confitemur!_ Et ainsi, se répondant l’un à l’autre, ils composèrent -jusqu’au bout cette hymne, ainsi que l’atteste Honorius dans son _Miroir -de l’Eglise_. - -Confirmé désormais dans la foi catholique, il abandonna tout l’espoir -qu’il avait mis dans le siècle, et se retira notamment des écoles où il -enseignait. Il nous dit lui-même, dans ses _Confessions_, de quelle -douceur l’amour divin inondait son âme. Peu de temps après, en compagnie -de Nébrode et d’Evode, ainsi que de sa mère, il s’embarqua pour -retourner en Afrique; mais, en arrivant au port d’Ostie, il eut la -douleur de voir mourir sa pieuse mère. Rentré dans son domaine familial, -il jeûnait et priait avec ses disciples, écrivait des livres et -prêchait. Et sa renommée se répandit en tous lieux. Telle était cette -renommée qu’Augustin évitait à dessein d’entrer dans les villes où l’on -avait besoin d’un évêque, par crainte d’être promu de force au siège -épiscopal. - -Mais il y avait à Hippone un homme très riche qui lui fit dire que, si -seulement il l’entendait parler, il renoncerait sans doute au siècle. -Augustin, aussitôt, se mit en route pour l’aller voir; et voici que -l’évêque d’Hippone Valère, apprenant son arrivée, l’ordonna, presque -malgré lui, prêtre de son église. Et comme il s’affligeait de cet -honneur, de braves gens, mettant son chagrin sur le compte de son -orgueil, lui disaient, pour le consoler, que sans doute cette prêtrise -était au-dessous de ce qu’il valait, mais que, du moins, elle avait -l’avantage de l’approcher de l’épiscopat. Aussitôt élu prêtre, Augustin -institua un monastère à Hippone, et commença à vivre suivant la règle -établie par les saints apôtres. Et comme l’évêque Valère, qui était -grec, ne connaissait pas très bien la langue latine, il conféra à -Augustin le droit de prêcher en sa présence, dans l’église, -contrairement à l’usage de l’Eglise d’Orient. Ne pouvant s’acquitter -lui-même de cette prédication, le saint évêque voulait, du moins, qu’un -autre s’en acquittât. Et c’est ainsi qu’Augustin réfuta et convainquit -le prêtre manichéen Fortunat, et d’autres hérétiques, manichéens, -donatistes, et rebaptisateurs. - -Cependant Valère craignait qu’Augustin ne lui fût enlevé pour devenir -évêque dans quelque autre ville: car il avait été forcé, une fois déjà, -de le cacher, pour empêcher qu’on ne l’emmenât occuper ailleurs un siège -épiscopal. Il finit par obtenir de l’archevêque de Carthage la -permission de se retirer lui-même de son siège d’Hippone, et d’y être -remplacé par Augustin. En vain celui-ci fit tout au monde pour s’y -refuser: force lui fut de céder. Et le regret qu’il en eut s’accrut -encore lorsque, plus tard, il apprit qu’un concile avait défendu qu’un -nouvel évêque fût ordonné du vivant de l’ancien. - -Ses vêtements, sa chaussure, ses ornements n’étaient ni trop luxueux, ni -trop négligés, mais d’une élégance moyenne et conforme à l’usage. Sa -table fut toujours d’une frugalité extrême. Mais, tout en ne se -nourrissant que de légumes, il avait presque toujours de la viande pour -ses hôtes et pour les malades. Un jour qu’il avait invité des amis à un -repas familier, un de ses hôtes eut la curiosité de pénétrer dans sa -cuisine. N’y trouvant aucun plat chaud, il demanda à Augustin quels mets -il avait commandés pour le repas. Et Augustin lui répondit: «Je n’en -sais pas plus que toi!» - -Il disait que saint Ambroise lui avait appris trois choses: 1º à ne -jamais se mêler de marier personne; 2º à ne jamais encourager une -dispute; 3º à ne jamais aller à un repas où il était invité. Telles -étaient sa pureté et son humilité, qu’il s’accusait humblement devant -Dieu, dans ses _Confessions_, de péchés minimes, dont la plupart d’entre -nous ne se soucieraient même pas. Il s’accusait, par exemple, d’avoir -joué aux osselets dans son enfance, au lieu d’aller à l’école; il -s’accusait d’avoir mis de la mauvaise volonté à lire ou à apprendre; il -s’accusait d’avoir toujours, dans son enfance, pris plaisir à l’_Enéide_ -et d’avoir pleuré de la mort de Didon; il s’accusait d’avoir dérobé des -fruits, sur la table de ses parents, pour les donner à ses compagnons de -jeux; il s’accusait d’avoir, à seize ans, cueilli une poire sur un arbre -qui n’était pas à lui. Et il s’accusait aussi de la petite jouissance -qu’il éprouvait parfois à manger, ajoutant que le chrétien doit prendre -ses aliments à regret, comme une médecine. Il s’accusait d’avoir exercé -librement son odorat, son ouïe et sa vue, se reprochant, par exemple, -son plaisir à voir courir un chien, ou à écouter de beaux chants -d’église. Enfin il s’accusait de son appétit de louanges et de son désir -de gloire, encore que ces sentiments aient toujours été chez lui d’une -modération extraordinaire. - -Il excellait à réfuter les hérétiques, de telle sorte que ceux-ci -disaient publiquement que ce n’était point péché de le tuer, affirmant -que ceux qui le tueraient comme un loup ne pourraient, par là, qu’être -agréables à Dieu. Aussi fut-il sans cesse exposé à tomber dans leurs -pièges; et un jour, comme il était en route, sûrement il aurait péri si -la Providence n’avait fait en sorte que ses meurtriers se trompassent de -chemin. - -Pauvre lui-même, il n’oubliait jamais ses frères les pauvres, partageant -avec eux ce qu’il pouvait avoir. Souvent même il leur distribuait les -offrandes faites pour l’église dans les vases sacrés. Jamais il ne -voulut acheter une maison, ni un champ. Quand on lui léguait un -héritage, il le refusait, disant que cet héritage devait revenir plutôt -aux enfants ou aux proches du légataire. Il n’avait guère souci non plus -des biens de l’Eglise, n’étant occupé, jour et nuit, que des choses -divines. Jamais il n’eut le goût de faire bâtir, disant que les -constructions nouvelles étaient un empêchement pour une âme qui voulait -rester libre de tout ennui matériel, et s’abandonner tout entière à la -méditation. Non pas, cependant, qu’il désapprouvât absolument tout -projet de construction nouvelle: il ne désapprouvait que le goût -passionné que certains en avaient. - -Il louait par-dessus tout ceux qui avaient le désir de la mort, et il -aimait à citer, à ce propos, l’exemple de trois évêques: 1º l’exemple de -saint Ambroise qui, comme on lui demandait de prier pour obtenir une -prolongation de sa vie, répondait: «Je n’ai point si mal vécu que je -doive avoir honte de continuer à vivre, mais je ne crains pas non plus -de mourir, car Dieu est un bon maître»; 2º l’exemple d’un autre évêque, -qui disait, dans les mêmes circonstances, en réponse à ceux qui lui -représentaient sa vie comme nécessaire à son église: «Si je ne dois -jamais mourir, c’est bien; mais si je dois mourir un jour, pourquoi pas -tout de suite?»; 3º enfin Augustin aimait à citer un troisième évêque -qui, étant très malade, avait prié pour recouvrer la santé; et un jeune -homme d’une beauté merveilleuse lui était apparu, qui lui avait dit, -d’une voix indignée: «Vous avez peur de souffrir, vous ne voulez pas -mourir, que ferai-je de vous?» - -Jamais Augustin ne voulut qu’aucune femme demeurât avec lui, pas même sa -cousine, ni les filles de son frère, qui s’étaient vouées au service de -Dieu. Jamais il ne voulait parler, seul, à une femme, sauf quand elle -avait un secret à lui communiquer. Il fut le bienfaiteur de ses parents, -mais en leur apprenant à n’avoir pas besoin de richesses, et non pas en -leur donnant des richesses. Rarement il consentait à intercéder pour -quelqu’un, de vive voix ou par lettre, disant que, «le plus souvent, une -faveur qu’on demandait devenait une gêne.» Pour juger une cause, il -aimait mieux se trouver avec des inconnus qu’avec des amis, disant que, -parmi les inconnus, il pouvait plus librement découvrir les bons, et -s’en faire des amis, tandis que, à juger des amis, il risquait -fatalement d’en perdre un, celui contre qui il devrait décider. - -De nombreuses églises l’invitaient à prêcher; il y enseignait la parole -de Dieu et convertissait une foule d’hérétiques. Parfois, en prêchant, -il faisait des digressions; et il disait alors que c’était sans doute -Dieu qui lui inspirait ces digressions pour le salut de quelqu’un; et -l’on cite, en effet, le cas d’un manichéen qui fut ainsi converti par -saint Augustin, celui-ci s’étant interrompu du sujet qu’il traitait pour -réfuter l’erreur des manichéens. - -C’était le temps où les Goths s’étaient emparé de Rome, et où idolâtres -et hérétiques attaquaient vivement l’Eglise chrétienne. Voilà pourquoi -Augustin écrivit son livre de la _Cité de Dieu_, où il montra que -c’était la destinée des justes d’être opprimés dans cette vie, et la -destinée des impies d’y prospérer. Il décrivait, dans ce livre, deux -cités et deux rois, Jérusalem, dont le roi est le Christ, et Babylone, -où règne le diable; ajoutant que la cité du diable reposait sur l’amour -de soi et la cité de Dieu sur l’amour de Dieu. - -En l’an du Seigneur 440, les Vandales envahirent l’Afrique, dévastant -tout sans épargner le sexe ni l’âge. Ils arrivèrent ainsi jusqu’à -Hippone, qu’ils assiégèrent vigoureusement. Grande fut la désolation -d’Augustin, lorsque cette calamité se joignit pour lui aux maux de la -vieillesse; il pleurait jour et nuit, à voir les uns tués, d’autres mis -en fuite, les églises privées de prêtres, les maisons renversées. A -peine se consolait-il en se rappelant cette pensée d’un sage: «Celui-là -est un petit homme qui croit voir une grande chose quand il voit tomber -des arbres ou mourir des mortels.» Enfin, rassemblant ses frères, il -leur dit: «J’ai demandé à Dieu, ou bien qu’il nous sauvât de ce péril, -ou qu’il nous donnât la patience, ou qu’il me retirât de cette vie, pour -m’épargner d’être témoin de tant de malheurs.» Ce fut cette troisième -chose qu’il obtint. Le troisième mois du siège, il fut saisi de fièvre -et dut s’aliter. Comprenant que l’heure de la dissolution de son corps -était proche, il fit copier les sept psaumes de la pénitence et les fit -coller sur le mur, en face de son lit, afin de pouvoir les lire à toute -heure. Voulant se donner plus entièrement à Dieu, pendant les dix jours -qui précédèrent sa mort, il ne laissa entrer personne auprès de lui, à -l’exception du médecin et du serviteur chargé de lui porter sa -nourriture. Cependant un malade parvint jusqu’à lui, le suppliant de lui -imposer les mains pour le guérir de sa maladie. Et Augustin: «Hé, mon -fils, que demandes-tu là? Crois-tu donc que, si j’avais un tel pouvoir, -je n’en userais pas pour moi-même?» Mais le malade insistait, affirmant -qu’une voix lui avait promis, en rêve, qu’Augustin lui rendrait la -santé. Et Augustin, voyant sa foi, pria pour lui et le guérit. Il guérit -aussi beaucoup de possédés, et fit encore une foule d’autres miracles. -Il en raconte deux, dans la _Cité de Dieu_, sans dire que c’est lui-même -qui les a opérés. C’est, d’abord, une jeune fille qui fut délivrée de la -possession du démon quand elle fut frottée avec une huile où un prêtre -avait mêlé ses larmes, en priant pour elle. Et c’est ensuite un évêque -guérissant, par ses prières, un jeune homme qu’il n’avait jamais vu. -Dans les deux cas, Augustin nous parle évidemment de lui-même; et son -humilité seule l’empêche de se nommer. - -Au moment même de mourir, Augustin, inspiré de Dieu, enseigna à ses -frères que jamais un chrétien ne devait mourir sans la confession et -l’eucharistie, quels que fussent, par ailleurs, ses mérites. Il mourut -dans la soixante-dix-septième année de son âge, et la quarantième de son -épiscopat, ayant tous les membres intacts, ainsi que la vue et l’ouïe. -Il ne fit point de testament, attendu que, en sa qualité de pauvre du -Christ, il n’avait rien à léguer. Ce grand saint, qui, par son génie et -sa science, dépasse incomparablement tous les autres docteurs de -l’Eglise, florissait vers l’an 400. - -II. Plus tard, lorsque les barbares occupèrent Hippone et profanèrent -les saints lieux, le corps d’Augustin fut enlevé par les fidèles et -transporté en Sardaigne. Plus tard encore, l’an 718, deux cent -quatre-vingts ans après la mort du saint, le pieux roi lombard -Luitprand, ayant appris que la Sardaigne était dévastée par les -Sarrasins, envoya dans l’île des messagers qu’il chargea de transporter -les saintes reliques à Pavie. Ces messagers, à force d’argent, obtinrent -d’emporter les reliques et les amenèrent à Gênes, où le roi Luitprand -vint au-devant d’elles en grande cérémonie. Mais, le lendemain matin, -vainement on essaya de soulever le cercueil pour lui faire continuer son -voyage. On ne put le soulever que lorsque le roi eut fait vœu de -construire, au même endroit, une église en l’honneur de saint Augustin. -Pareil miracle se produisit, le lendemain, dans une villa du diocèse de -Tortone, appelée Casal; et, là aussi, le roi construisit une église en -l’honneur de saint Augustin. Il donna, en outre, la villa, avec toutes -ses dépendances, aux serviteurs de l’église, en possession perpétuelle. -Et comme il vit bien, d’après ces deux faits, que le saint désirait -avoir une église dans tous les endroits où son corps s’arrêtait, il -décida, une fois pour toutes, d’élever une église dans chacun de ces -endroits. C’est ainsi que, en grande pompe, le corps parvint à Pavie, où -il fut déposé dans l’église de Saint-Pierre, qu’on appelle communément -Ciel-d’Or. - -III. Un meunier qui avait une dévotion spéciale pour saint Augustin, fut -atteint d’un mauvais abcès à la jambe. Il invoqua le saint; et celui-ci, -lui étant apparu en rêve, lui frotta la jambe avec la main. Le -lendemain, le meunier se réveilla guéri. - -IV. Un enfant souffrait de la pierre, et les médecins allaient l’opérer, -lorsque sa mère, craignant les dangers de l’opération, pria saint -Augustin de lui venir en aide. Aussitôt l’enfant rendit la pierre avec -son urine, et recouvra la santé. - -V. Dans un monastère qui s’appelait l’Aumône, un moine, ayant été ravi -en esprit la veille de la fête de saint Augustin, vit descendre du ciel -une nuée brillante, sur laquelle était assis le saint docteur en habits -pontificaux, illuminant l’Eglise entière des deux rayons enflammés qui -sortaient de ses yeux. De son côté, saint Bernard vit un jour un beau -jeune homme debout dans une église, et dont la bouche était une fontaine -d’où jaillissait tant d’eau que l’église tout entière en était remplie. -Et saint Bernard comprit que c’était Augustin, dont la doctrine, -fontaine de vérité, arrosait toute l’Eglise. - -VI. Un pieux pèlerin donna une grosse somme au moine chargé de la garde -du corps de saint Augustin, pour obtenir de lui l’un des doigts du -saint. Mais le moine, ayant pris l’argent, enveloppa dans de la soie le -doigt d’un mort quelconque, et le donna au pèlerin en lui affirmant que -c’était bien le doigt d’Augustin. Or le pèlerin adorait pieusement cette -fausse relique, ne cessant point de la baiser ou de la serrer sur son -cœur; de telle sorte que Dieu, touché de sa ferveur, transforma la -fausse relique en un vrai doigt de saint Augustin. Et le pèlerin, revenu -chez lui, opéra tant de miracles avec sa relique que le bruit en arriva -jusqu’à Pavie. Le moine, alors, révéla comment il avait donné au pèlerin -le doigt d’un mort inconnu. Mais quand on ouvrit le cercueil, on vit -qu’un des doigts du saint manquait réellement. - -VII. Dans le monastère de Fontaine, en Bourgogne, vivait un moine nommé -Hugues qui, admirant avec passion saint Augustin, le priait souvent -d’obtenir pour lui qu’il mourût le jour de sa fête. Quinze jours avant -la fête du saint, ce moine fut pris de fièvre; la veille de la fête, on -le déposa à terre, presque mort. Et, soudain, un autre moine, qui priait -dans la chapelle, vit entrer en procession plusieurs hommes tout vêtus -de blanc, que suivait un évêque de figure vénérable. Le moine demanda -qui étaient ces hommes et où ils allaient. Et l’un d’eux lui répondit -que c’était saint Augustin qui venait, avec ses chanoines, assister à la -mort de son ami, pour emporter ensuite son âme au glorieux royaume. - -VIII. Du vivant d’Augustin, une femme, qui avait à souffrir de la part -de méchants, vint trouver le saint pour lui demander conseil. Elle le -trouva occupé à étudier; et il ne leva point les yeux sur elle, ni ne -répondit à ses paroles. En vain elle s’approcha de lui, et lui parla -dans l’oreille, craignant que, dans sa sainteté, il ne voulût point -regarder un visage de femme. Augustin ne lui répondit toujours pas, ne -parut pas l’entendre; et elle s’en alla toute triste. Mais le lendemain, -comme Augustin célébrait la messe, ladite femme fut ravie en esprit et -se vit transportée devant le tribunal de la Sainte Trinité, Augustin -était là aussi, la tête baissée. Et la femme entendit une voix qui lui -disait: «Lorsque tu es allée chez Augustin, il se trouvait ainsi en -présence de la Sainte Trinité, et voilà pourquoi il ne s’est pas même -aperçu de ta visite! Mais, à présent, si tu retournes chez lui, il -t’accueillera avec plaisir et te sera de bon conseil.» La femme retourna -donc chez Augustin, et tout se passa comme la voix l’avait dit. - -IX. On raconte aussi que certain homme de Dieu, ayant été ravi en -esprit, vit tous les saints dans leur gloire, à l’exception de saint -Augustin. Il demanda où était celui-ci. Et une voix lui répondit: «Il -est au plus haut des cieux, admis en présence de la Sainte Trinité!» - -X. Le marquis Malaspina, ayant jeté en prison certains habitants de -Pavie, les condamna au supplice de la soif, pour leur extorquer une -grosse rançon. Les uns buvaient leur urine, d’autres se préparaient à -rendre l’âme. Le plus jeune d’entre eux eut l’idée d’invoquer l’aide de -saint Augustin, pour qui il avait une dévotion spéciale. Et voilà que, à -minuit, saint Augustin apparut à ce jeune homme, le prit parla main, le -conduisit jusqu’au fleuve, et lui mit sur la langue une feuille de vigne -trempée dans l’eau; et le jeune homme en fut si rafraîchi que le plus -parfait nectar n’aurait plus eu pour lui la moindre saveur. - -XI. Un curé qui avait une grande dévotion pour saint Augustin, et qui, -depuis trois ans, était malade dans son lit, invoqua le saint la veille -de sa fête, en entendant sonner les vêpres. Et le saint lui apparut, -tout vêtu de blanc, l’appela trois fois par son nom, et lui dit: «Voici -celui que tu as si souvent appelé! lève-toi vite et célèbre-moi l’office -des vêpres!» Aussitôt le curé, guéri, se leva, entra dans l’église, à la -stupéfaction de tous, et y célébra pieusement l’office. - -XII. Un berger avait entre les deux épaules un ulcère qui le privait de -toutes ses forces. Il invoqua saint Augustin, qui lui apparut en rêve, -mit sa main sur l’ulcère, et le guérit entièrement. Le même homme, par -la suite, devint aveugle, et de nouveau invoqua l’aide de saint -Augustin. Celui-ci lui apparut à l’heure de midi, lui frotta les yeux, -et aussitôt lui rendit la vue. - -XIII. L’an du Seigneur 912, une troupe de quarante malades, venus -d’Allemagne et de France, se rendaient en pèlerinage à Rome, pour y -visiter les tombeaux des apôtres. Les uns étaient conduits sur des -sellettes, d’autres marchaient sur des béquilles, d’autres, privés de la -vue, se traînaient à la suite de leurs compagnons, d’autres encore -avaient les mains et les pieds paralysés. Ayant franchi les Alpes et -étant arrivés au village de Cana, à trois milles de Pavie, ils virent -venir au-devant d’eux saint Augustin, qui, sortant de l’église des -saints Come et Damien, les salua et leur demanda où ils allaient. Puis -il leur dit: «Allez à Pavie, dans l’église de Saint-Pierre, qu’on -appelle aussi le Ciel-d’Or; là, on aura pitié de vous!» Ils lui -demandèrent qui il était, et lui: «Je suis Augustin, jadis évêque -d’Hippone!» Et aussitôt il disparut. Les pèlerins, arrivés à Pavie, se -rendirent au monastère de Saint-Pierre; et là, ayant appris que le corps -de saint Augustin y était déposé, ils s’écrièrent, d’une voix unanime: -«Saint Augustin, viens à notre aide!» Moines et bourgeois, attirés par -leurs cris, affluaient pour les voir. Et soudain, sous l’effet de -tension de leurs nerfs, les pèlerins commencèrent à perdre leur sang, de -telle sorte que, depuis le seuil du monastère jusqu’au tombeau de saint -Augustin, le sol se trouva tout ensanglanté. Mais dès qu’ils furent -parvenus au tombeau du saint, tous recouvrèrent une santé parfaite. -Depuis ce jour, la renommée du saint ne cessa point de grandir; et une -foule de malades se pressaient autour de son tombeau; puis, ayant été -guéris, ils offraient des cadeaux à l’église, en gage de reconnaissance. -Et bientôt la masse de ces cadeaux fut telle qu’elle encombra la -chapelle tout entière ainsi que tout le porche, au point de rendre la -circulation difficile autour du tombeau. Forcés par la nécessité, les -moines firent transporter cette masse de cadeaux en un autre endroit. - - - - -CXXIII - -SAINTE THÉODORE[11] - -(28 août) - - [11] L’Eglise fête, en ce même jour, une autre sainte Théodore, vierge - et martyre, qui est, comme l’on sait, l’héroïne d’une des plus - belles tragédies de Corneille. - - -Théodore, femme d’illustre maison, demeurait à Alexandrie, sous le règne -de l’empereur Zénon. Elle était mariée à un homme riche et qui craignait -Dieu; mais le diable, jaloux de sa sainteté, excita dans l’âme d’un -autre citoyen d’Alexandrie le désir de la posséder, de telle sorte que -cet homme ne cessait point de l’importuner de ses instances et de ses -présents, qu’elle repoussait toujours dédaigneusement. Enfin cet homme -envoya vers elle une magicienne qui l’engagea à avoir pitié de lui et à -se livrer à lui. Et comme Théodore répondait que, vivant sous l’œil de -Dieu qui voyait toutes choses, jamais elle ne se résoudrait à commettre -un aussi grand péché, la magicienne lui dit: «Tout ce qui se fait dans -le jour, Dieu le voit et le sait; mais ce qui se fait le soir, après le -coucher du soleil, Dieu l’ignore!» Sur quoi la dame, trompée par ce -mensonge, se laissa toucher de pitié, et fit dire à l’homme qui l’aimait -qu’elle l’autorisait à venir la voir après le coucher du soleil. L’homme -n’eut garde d’y manquer: il vint le soir, entra dans le lit de Théodore, -et puis s’en alla. Mais Théodore, revenant à elle, pleurait amèrement et -se frappait au visage, disant: «Hélas! hélas! j’ai perdu mon âme, j’ai -détruit mon honneur!» Le mari, revenant à la maison, et trouvant sa -femme toute en larmes, sans savoir la cause de son chagrin, s’ingéniait -à la consoler: mais elle se refusait à toute consolation. - -Le lendemain matin, elle se rendit dans un couvent de nonnes, et demanda -à l’abbesse si Dieu avait pu connaître un grave péché qu’elle avait -commis la veille, après la tombée du soir. Et l’abbesse: «Rien n’est -caché à Dieu, qui voit et sait tout ce qui arrive, sans distinction -d’heure ni de lieu.» Alors la jeune femme, pleurant amèrement, dit: -«Donne-moi le livre du saint Evangile, pour que j’y cherche moi-même ma -destinée!» Elle ouvrit le livre et lut: «Ce que j’ai écrit, je l’ai -écrit!» - -Elle revint chez elle; et un jour, pendant que son mari était absent, -elle se coupa les cheveux, revêtit un vêtement d’homme, et se rendit -dans un couvent de moines, qui était à huit lieues d’Alexandrie. Là, -elle demanda à être admise parmi les moines, et sa demande lui fut -accordée. Interrogée sur son nom, elle dit qu’elle s’appelait Théodore. -Puis sous le nom de frère Théodore, elle remplit toutes les tâches les -plus dures du couvent, avec une humilité parfaite et à la satisfaction -de tous. - -Quelques années plus tard, l’abbé ordonna au frère Théodore d’atteler -deux bœufs et d’aller chercher de l’huile à Alexandrie. Or, le mari de -Théodore ne cessait point de pleurer et de se désoler, pensant que sa -femme s’en était allée avec un autre homme. Et voici qu’un ange lui -apparut, qui lui dit: «Demain matin, lève-toi de bonne heure et va sur -le chemin du martyre de l’apôtre Pierre; et la première personne que tu -rencontreras, ce sera ta femme Théodore!» En effet, Théodore, dès -qu’elle aperçut son mari, le reconnut, et se dit: «Hélas! mon cher mari, -combien je peine pour être rachetée du péché que j’ai commis envers -toi!» Mais, lorsqu’elle fut près de lui, elle se borna à le saluer, en -disant: «Grâces soient rendues à Notre-Seigneur!» Le mari, lui, ne la -reconnut pas sous son déguisement, et passa toute la journée et la nuit -à attendre sa femme sur le chemin. Et, le lendemain matin, une voix d’en -haut lui dit: «Le moine qui t’a salué hier matin, c’était ta femme!» - -Cependant, Théodore était parvenue à une telle sainteté, qu’elle faisait -de nombreux miracles. Elle obtint, notamment, de ressusciter, par ses -prières, un homme qu’une bête féroce avait mis en pièces; et la bête, -dès qu’elle l’eut maudite, mourut aussitôt. Mais le diable, jaloux de sa -sainteté, lui apparut et lui dit: «Prostituée et adultère, tu as -abandonnée ton mari, et tu es venue ici lutter contre moi. Sache donc -que, par mon pouvoir terrible, je saurai t’attaquer et te faire renier -ton crucifix!» Sur quoi Théodore fit le signe de la croix, et aussitôt -le démon s’évanouit. Mais un jour, comme elle revenait de la ville avec -son attelage, elle reçut l’hospitalité dans une maison où une jeune -fille s’approcha d’elle, et lui dit: «Viens dormir avec moi!» Le moine -s’y étant refusé, la fille alla trouver un autre homme qui demeurait -dans la maison. Et, lorsque plus tard, son ventre se trouva enflé, et -qu’on lui demanda de qui elle était enceinte, elle répondit: «Du moine -Théodore, qui a couché avec moi!» L’enfant fut donc remis à l’abbé du -monastère qui, après l’avoir placé sur les épaules de frère Théodore, -accabla celui-ci de reproches et le chassa du monastère. Et, pendant -sept années, la sainte vécut à la porte du monastère, nourrissant -l’enfant du lait du troupeau. - -Or le diable, jaloux d’une telle patience, prit la forme du mari de -Théodore, et, apparaissant devant elle, lui dit: «Que fais-tu là, chère -maîtresse, pendant que je languis de toi et ne parviens pas à me -consoler? Viens donc, ma lumière; et, si tu as couché avec un autre -homme, je te le pardonne!» Et elle, croyant que c’était vraiment son -mari, lui dit: «Jamais plus je n’habiterai avec toi, mon cher mari, -parce qu’un autre homme a couché avec moi, et que je veux faire -pénitence de ma faute à ton égard!» Puis elle se mit en prières, et -aussitôt le faux mari s’évanouit, de telle sorte qu’elle reconnut que -c’était le diable. Une autre fois, celui-ci, voulant l’effrayer, lança -sur elle des esprits déguisés en bêtes féroces; et il leur criait: -«Dévorez cette prostituée!» Mais elle se mit en prières et les bêtes -disparurent. - -Une autre fois, une armée passa près d’elle; et un chef la commandait -que tous adoraient; et ils dirent à Théodore: «Debout, et adore notre -prince!» Mais elle répondit: «Je n’adore que mon Dieu!» Dénoncée au -chef, celui-ci la fit rouer de coups; et puis, armée et chef, tout -s’évanouit, car tout cela n’était qu’une ruse du diable. Et maintes fois -encore elle fut ainsi tentée et persécutée, mais toujours sa prière lui -assura la victoire. - -Enfin, après sept années, l’abbé, admirant sa patience, lui pardonna et -l’autorisa à rentrer dans le monastère avec son enfant. Elle y vécut -deux ans de la façon la plus sainte. Puis, un jour, elle appela l’enfant -et s’enferma avec lui dans sa cellule. Ce qu’apprenant, l’abbé ordonna à -des moines d’aller écouter à la porte ce que disait le frère Théodore. -Et celui-ci, couvrant l’enfant de baisers, lui disait: «Mon fils chéri, -le terme de ma vie approche! Je te laisse à Dieu, qui sera ton père et -ton soutien. Mon enfant, ne te relâche pas de jeûner et de prier, et de -servir humblement tes frères!» Puis, ayant dit cela, Théodore rendit son -âme au Seigneur et s’endormit doucement en lui: mais l’enfant, à cette -vue, éclata en sanglots. Or la même nuit, l’abbé du monastère eut une -vision. Il vit de grandes noces qui se préparaient; et toute la troupe -des anges, des prophètes, des martyrs et des saints était là; et au -milieu d’eux se tenait une femme environnée de gloire, qui bientôt alla -s’asseoir sur le lit nuptial; et tous, debout, la saluaient. Et une voix -s’éleva, qui dit: «Cette femme est le frère Théodore, faussement accusé -d’avoir eu un enfant!» L’abbé, réveillé, courut avec ses frères à la -cellule du moine défunt; et, en découvrant celui-ci, ils virent que -c’était une femme; et l’abbé, ayant mandé le père de la jeune fille qui -l’avait dénoncé, lui dit: «L’amant de ta fille est mort!» Puis, relevant -le manteau du mort, il lui montra que c’était une femme. - -Le lendemain, l’abbé entendit une voix qui lui disait: «Lève-toi, monte -à cheval, et va à la ville; et, le premier homme que tu rencontreras, -prends-le en croupe et ramène-le ici!» L’abbé se mit donc en route: en -chemin, il rencontra un homme qui courait. Et cet homme, interrogé, lui -dit: «Ma femme vient de mourir; je cours la revoir!» Alors l’abbé prit -en croupe, sur son cheval, le mari de Théodore; et lorsqu’ils furent -arrivés auprès de la morte, ils pleurèrent beaucoup, et ils -l’ensevelirent solennellement. Après quoi le mari demanda à habiter la -cellule de sa femme, et y demeura tout le reste de ses jours. Quant à -l’enfant adopté par Théodore, il suivit si bien l’exemple de vertu que -lui avait donné sa mère nourricière que, à la mort de l’abbé, les -moines, d’une commune voix, l’appelèrent à les diriger. - - - - -CXXIV - -LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE - -(29 août) - - -I. La fête de la Décollation de saint Jean-Baptiste se célèbre pour -quatre motifs, que nous expose l’_Office mitral_: 1º pour commémorer la -décollation du saint; 2º pour commémorer la combustion de ses os; 3º -pour commémorer la découverte de son chef; 4º pour commémorer la -translation d’un de ses doigts, et la dédicace de son église. - -1º Racontons d’abord la décollation du saint, d’après l’_Histoire -ecclésiastique_. Hérode Antipas, fils du grand Hérode, se rendant à -Rome, et s’étant arrêté en chemin chez son frère Philippe, s’entendit -secrètement avec Hérodiade, femme de Philippe, et qui, suivant Josèphe, -était sœur d’Hérode Agrippa: ils convinrent que, au retour d’Antipas, -celui-ci répudierait sa femme pour épouser Hérodiade. Ce qu’apprenant, -la femme d’Antipas, fille du roi de Damas Arétas, s’enfuit auprès de son -père sans attendre le retour de son mari. Et celui-ci, dès qu’il fut -revenu, épousa Hérodiade, s’aliénant ainsi, à la fois, le roi Arétas, -Hérode Agrippa et Philippe. - -Or saint Jean lui reprochait en termes très vifs d’avoir violé la Loi, -en épousant la femme de son frère, du vivant de celui-ci. Ce que voyant, -Hérode le fit jeter en prison, tant pour plaire à sa femme que pour -empêcher Jean de soulever le peuple contre lui. Cependant il n’osait le -tuer, par crainte du peuple. Mais comme sa femme et lui voulaient sa -mort, ils convinrent en secret que, dans une fête qui allait être donnée -pour l’anniversaire de la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodiade -danserait devant lui, qu’en récompense ils l’autoriseraient à obtenir ce -qu’elle lui demanderait, que la jeune fille lui demanderait alors la -tête de saint Jean, et que lui, tout en affectant d’être désolé de son -serment se déclarerait ainsi forcé à le tenir. - -Donc, pendant le festin, la jeune fille arrive, danse devant tous, plaît -à tous; et le roi lui promet de lui offrir tout ce qu’elle lui -demandera; et elle, sur le conseil de sa mère, demande la tête de saint -Jean, que le roi lui accorde en feignant de déplorer son serment. Puis -le bourreau se rend dans la prison, coupe la tête de saint Jean, la -remet à la jeune fille, qui va la présenter à sa méchante mère. - -Dans un sermon prêché pour la fête de la Décollation de saint Jean, -saint Augustin, cite, à cette occasion, l’exemple que voici: «Un homme -plein de droiture et de bonne foi m’a raconté que, exaspéré de voir -qu’un de ses débiteurs niait sa dette, il l’avait provoqué à prêter -serment. Le débiteur jura, et l’honnête homme perdit son procès. Et, en -outre, la nuit suivante, ce créancier se vit, en rêve, conduit devant le -juge, qui lui dit: «Pourquoi as-tu provoqué ton débiteur à jurer, quand -tu savais qu’il ferait un faux serment?» Le créancier répondit: «Cet -homme niait sa dette!» Mais le juge: «Mieux valait perdre ta dette que -de tuer l’âme d’autrui en l’amenant à se parjurer!» Sur quoi, le juge le -fit battre de verges, et si fort que, le lendemain à son réveil, tout -son dos en portait les traces.» - -Quant à Hérode, il ne resta pas impuni. L’_Histoire scholastique_ -raconte en effet qu’Hérode Agrippa, désespéré de sa pauvreté, entra un -jour dans une tour pour s’y laisser mourir de faim. Ce qu’apprenant, sa -sœur Hérodiade supplia son mari, le tétrarque Hérode Antipas, de venir -en aide à son frère. Ainsi fut fait; mais comme, un jour, les deux -Hérode dînaient ensemble, le tétrarque, échauffé par le vin, se mit à -reprocher à Hérode Agrippa tous les bienfaits dont il l’avait comblé. -Sur quoi Hérode Agrippa, irrité, s’enfuit à Rome, où il s’acquit tant de -faveur auprès de Caligula, que celui-ci le nomma tétrarque de deux -provinces, et lui promit de le nommer roi de Judée. A cette nouvelle, -Hérodiade insista vivement auprès de son mari pour qu’il se rendît à -Rome, et sollicitât pour lui-même le titre de roi. Et Hérode, d’abord, -s’y refusait, préférant la tranquillité à un honneur périlleux; mais -enfin il se laissa convaincre, et se rendit à Rome. Aussitôt Agrippa -écrivit à Caligula que son beau-frère s’était allié avec le roi des -Parthes, et projetait de se soulever contre le joug romain: en preuve de -quoi il ajoutait qu’Antipas, dans ses places fortes, avait assez d’armes -pour équiper soixante-dix mille hommes: Caligula; au reçu de cette -lettre, demanda à Hérode si c’était vrai qu’il eût, dans ses places -fortes, une telle quantité d’armes. Et Hérode, qui ne soupçonnait rien, -avoua le fait: sur quoi Caligula, persuadé qu’Agrippa lui avait écrit la -vérité, condamna le tétrarque à l’exil, en laissant à Hérodiade la -permission de rentrer à Jérusalem. Mais Hérodiade se refusa à quitter -son mari, disant que, comme elle avait partagé sa prospérité, elle -voulait encore partager sa misère. Tous deux furent donc rélégués à -Lyon, où ils finirent leur vie misérablement. - -2º La combustion des os de saint Jean-Baptiste eut lieu le jour de la -fête de sa décollation, comme si Dieu avait accordé au saint la faveur -d’un second martyre. Les disciples de Jean avaient enseveli son corps à -Sébaste, en Palestine, entre les corps des prophètes Elisée et Abdias. -Et comme de nombreux miracles se produisaient en ce lieu, Julien -l’Apostat fit d’abord disperser au vent les os du saint; puis, les -miracles ne cessant point, ils les fit brûler, réduire en poudre et -disperser dans les champs. Mais pendant qu’on les recueillait pour les -brûler, des moines de Jérusalem se mêlèrent aux païens, et emportèrent -une grande partie des saints ossements. Ils les remirent à Philippe, -évêque de Jérusalem, qui les envoya plus tard à Athanase, évêque -d’Alexandrie. Et plus tard encore l’évêque d’Alexandrie, Théophile, les -installa dans un ancien temple de Sérapis, dont il fit une basilique en -l’honneur de saint Jean. Ajoutons qu’aujourd’hui ces reliques vénérables -se trouvent à Gênes, ainsi que l’ont solennellement confirmé les papes -Alexandre III et Innocent IV. - -Et, de même qu’Hérode, Julien, le second persécuteur de saint -Jean-Baptiste, ne resta pas impuni: nous avons raconté déjà ses -persécutions et son châtiment dans l’histoire de _Saint Julien_, dont la -fête vient après la Conversion de saint Paul. Mais l’_Histoire -tripartite_ nous donne encore, sur le règne et la mort de l’Apostat, -d’autres détails, qui méritent d’être signalés. - -A la mort de Constance, Julien, voulant plaire à tous, permit que chacun -suivît librement le culte qui lui convenait. Il chassa aussi, de sa -cour, les eunuques, les cuisiniers et les barbiers: les eunuques, parce -que sa femme était morte, et qu’il n’avait pas l’intention de se -remarier; les cuisiniers, parce qu’il mangeait de la façon la plus -simple et la plus frugale; les barbiers, parce que, disait-il, «un seul -suffit à faire beaucoup d’ouvrage». Il dicta également un grand nombre -de livres, où il déchirait tous les empereurs qui avaient régné avant -lui.--Un jour qu’il sacrifiait aux idoles, on lui montra, dans les -entrailles d’une victime, une croix entourée d’une couronne. Signe dont -les augures furent effrayés, car ils y lisaient l’unité, la victoire et -l’éternité de la croix. Mais Julien les consola, en leur disant que ce -signe signifiait que le dogme chrétien eût à être enfermé dans un cercle -étroit, d’où on devait bien se garder de le laisser sortir.--A -Constantinople, comme il sacrifiait à la déesse de la Fortune, le vieil -évêque de Chalcédoine, Maris, à qui l’âge avait fait perdre la vue, vint -lui reprocher son apostasie. Et Julien: «Tout de même, ton Galiléen n’a -pas pu te garder la vue!» Et Maris: «Il n’y a rien dont je remercie -autant mon Dieu que de m’avoir fermé les yeux, de façon à m’empêcher de -te voir dépouillé de la foi!» Et Julien s’en alla sans rien répondre.--A -Antioche, il fit jeter à terre les vases et vêtements sacrés, s’assit -au-dessus d’eux et les salit de sa fiente; et bientôt cette partie de -son corps se remplit de vers qui rongeaient ses boyaux; et jamais, tant -qu’il vécut, il ne put se guérir de cette maladie.--Plus terrible encore -fut le châtiment infligé à un de ses préfets, nommé Julien, qui avait -osé uriner dans un vase sacré. Celui-là vit tout à coup sa bouche -changée en orifice fécal.--Dans un sacrifice célébré en présence de -Julien, une goutte d’eau soi-disant consacrée tomba sur la tunique de -Valentinien, qui, en secret, était resté fidèle au Christ. Alors -Valentinien, indigné, frappa le prêtre du temple, lui reprochant de -l’avoir souillé: ce qui lui valut d’être exilé par Julien, mais aussi, -plus tard, d’être promu à l’empire.--Par haine des chrétiens, Julien fit -reconstruire à ses frais le temple des Juifs; mais, au moment où on le -construisait, un vent terrible dispersa tout le ciment, après quoi un -tremblement de terre acheva d’anéantir le reste du travail. Et, le -lendemain, le signe de la croix apparut dans le ciel, et l’on vit des -croix gravées sur les vêtements des Juifs.--Lorsque, dans son expédition -contre les Perses, Julien mit le siège devant Ctésiphon, le roi des -Perses lui offrit la moitié de son royaume s’il consentait à se retirer. -Mais Julien refusa dédaigneusement; car, croyant à la métempsycose, -d’après Pythagore et Platon, il s’imaginait avoir en lui l’âme -d’Alexandre. Et, soudain, une flèche, lui entrant dans le côté, mit fin -à sa vie. Quant à savoir qui lui lança cette flèche, c’est ce que, -jusqu’à présent, on ignore. Mais, qu’elle ait été lancée par un homme ou -un ange, ou encore par un démon,--comme l’affirme Calixte,--à coup sur -c’est sur l’ordre de Dieu qu’elle a châtié l’Apostat. - -3º C’est encore en ce jour qu’a été retrouvée, dit-on, la tête de saint -Jean. Celui-ci avait été décapité dans une place forte d’Arabie nommée -Machéron; mais Hérodiade avait emporté sa tête à Jérusalem, et l’avait -fait enterrer près de son palais, craignant que le prophète ne -ressuscitât si sa tête rejoignait son tronc. Or, sous le règne de -Marcien, qui commença de régner en l’an 353, saint Jean révéla -l’emplacement de son chef à deux moines qui étaient venus à Jérusalem. -Aussitôt les moines, courant à ce qui avait été le palais d’Hérode, -découvrirent la sainte relique, entourée d’un sac de peau, que l’on -avait fait, sans doute, avec le vêtement du Baptiste. Et comme ensuite -les moines emportaient leur trouvaille dans leur pays, un potier de la -ville d’Emèse, que la pauvreté avait chassé de chez lui, se joignit à -eux. Ce potier fut chargé de porter la besace qui contenait la tête de -saint Jean; et voici que, sur le conseil du saint, qui lui était apparu, -il faussa compagnie aux moines, emporta la tête du saint dans sa ville -natale, la cacha dans une grotte, et, grâce à son culte pour elle, -s’acquit une fortune considérable. En mourant, il révéla son secret à sa -sœur, mais avec défense de le révéler jamais à une autre personne qu’à -son héritier direct. Et, longtemps plus tard, le moine saint Marcel, qui -vivait dans cette grotte, vit en rêve une troupe d’anges, qui -chantaient: «Voici que vient saint Jean-Baptiste!» Puis il vit entrer le -saint, que les anges soutenaient des deux côtés, et qui bénissait tous -ceux qui l’approchaient. Et comme Marcel se prosternait, pour recevoir -sa bénédiction, saint Jean le releva, et lui donna le baiser de paix: -après quoi il lui dit qu’il venait de Sébaste pour demeurer en ce lieu. -Une autre nuit, Marcel, soudain réveillé, vit une étoile brillante, -fixée dans la porte de sa cellule. Il se leva et voulut la toucher: mais -elle se transporta dans un autre coin de sa cellule, jusqu’à ce qu’elle -s’arrêta au-dessus de l’endroit où était enfoui le chef de saint Jean. -Marcel creusa la terre, en cet endroit, et découvrit l’urne avec le -saint trésor. Et comme un des assistants refusait de croire au miracle, -sa main sécha dès qu’il toucha l’urne, et resta attachée à celle-ci. -Enfin, grâce aux prières de Marcel, cette main put se détacher, mais -elle resta sèche jusqu’au moment où, sur l’ordre de saint Jean, le chef -vénérable fut déposé dans l’église de la ville. Et, depuis ce temps, on -commença à célébrer, dans cette ville, la Décollation de saint -Jean-Baptiste, au jour anniversaire de l’invention de son chef. - -Plus tard encore, ce chef fut transporté à Constantinople. Comme on l’y -transportait, par ordre de l’empereur Valence, le char qui le conduisait -s’arrêta d’abord à Chalcédoine, sans que nulle force d’hommes ni de -bœufs pût l’entraîner plus loin. Mais par la suite, Théodose demanda à -la jeune fille qui gardait la relique, dans l’église de Chalcédoine, si -elle lui permettait d’essayer à nouveau de transporter la relique à -Constantinople. Et la jeune fille le permit, se figurant que, cette fois -encore, la sainte relique refuserait de sortir de la ville. Alors le -pieux empereur, enveloppant la relique dans sa pourpre impériale, la -transporta à Constantinople où il éleva en son honneur une église -magnifique. Plus tard encore, sous le règne de Pépin, la sainte tête fut -transportée en Gaule, à Poitiers, où, par ses mérites, plusieurs morts -ressuscitèrent. - -Notons ici en passant que, d’après une tradition, la jeune fille qui -avait dansé pour obtenir la tête de saint Jean, aurait reçu, elle aussi, -son châtiment, de même qu’Hérode, Hérodiade et Julien. Un jour qu’elle -patinait sur la glace, la glace se fendit, et elle fut noyée. Ou encore, -suivant d’autres, la terre s’ouvrit pour la dévorer. - -4º Enfin l’on raconte que le doigt dont saint Jean s’était servi pour -désigner le Seigneur ne put pas être brûlé avec le reste de ses os. -Retrouvé par les moines susdits, ce doigt fut ensuite transporté par -sainte Thècle au-delà des Alpes, et déposé par elle dans l’église de -Saint-Martin. Mais, d’après Jean Beleth, c’est en Normandie que ce doigt -aurait été porté par sainte Thècle, et une église consacrée en son -honneur, ce même jour. Et de là viendrait le choix de ce jour pour -commémorer la Décollation. - -II. Dans une ville de Gaule appelée aujourd’hui Saint-Jean-de-Maurienne, -une femme priait Dieu avec instance pour obtenir une relique de saint -Jean. Et comme ses prières ne lui servaient de rien, elle s’enhardit -jusqu’à faire le serment de ne rien avaler tant qu’elle n’aurait pas -obtenu ce qu’elle demandait. Après plusieurs jours de jeûne elle -aperçut, sur l’autel, un pouce d’une blancheur merveilleuse, et déjà -elle s’empressait d’aller prendre cette sainte relique, lorsque -survinrent trois évêques qui voulurent en avoir chacun leur part. Mais -aussitôt, trois gouttes de sang tombèrent, du doigt miraculeux, sur le -linge qu’ils tendaient au-dessous de lui. Et, laissant le doigt à la -femme, chacun des évêques prit pour lui une de ces gouttes, en -remerciant Dieu, du grand honneur qu’il daignait leur faire. - -III. La reine des Lombards, Theudeline, fit construire une riche église, -en l’honneur de saint Jean-Baptiste, à Monza, près de Milan. Et Paul, -l’historiographe des Lombards, raconte que les empereurs Constantin et -Constant, qui désiraient arracher l’Italie aux Lombards, firent demander -à un saint ermite quelle serait l’issue de la guerre. Et l’ermite -répondit: «Saint Jean ne cesse pas d’intercéder pour les Lombards, par -reconnaissance pour leur reine qui lui a élevé une église. Mais un temps -viendra où cette église sera délaissée, et alors l’empire des Lombards -prendra fin.» C’est en effet ce qui arriva, au temps de l’empereur -Charlemagne. - - - - -CXXV - -SAINT SAVINIEN, MARTYR, ET SAINTE SAVINE - -(29 août) - - -I. Savinien et Savine étaient les enfants d’un noble païen nommé Savin, -qui les avait eus de ses deux mariages successifs. Or, Savinien, ayant -lu le verset _Asperges me, Domine_, demanda ce que signifiaient ces -mots. Personne ne put les lui expliquer. Alors, se réfugiant dans sa -chambre, il se roulait dans la cendre sur un cilice, disant qu’il aimait -mieux mourir que de ne pas comprendre le sens de ces paroles. Sur quoi -un ange lui apparut et lui dit: «Ne te tue point à force de te torturer, -car tu as trouvé grâce devant Dieu; et quand tu auras reçu le baptême, -aussitôt, devenu pur comme la neige, tu comprendras ce que tu désires -comprendre!» Resté seul, Savinien, tout joyeux, refusa désormais de -vénérer les idoles, ce qui lui valut d’être fort grondé par son père. -Celui-ci lui disait souvent: «Si tu ne veux pas adorer nos dieux, mieux -vaut au moins que tu meures seul, plutôt que de nous entraîner tous dans -la mort avec toi!» Alors le jeune homme s’enfuit en secret, et se rendit -à la ville de Troyes. Là, étant arrivé au bord de la Seine, il pria Dieu -de lui permettre de recevoir le baptême dans l’eau de ce fleuve. Dieu le -lui permit, et, après son baptême, une voix d’en haut lui dit: «Tu as -trouvé, maintenant, ce que tu as si longtemps peiné à chercher!» Après -quoi Savinien ficha son bâton en terre, et, quand il eut prié, ce bâton, -au vu de tous, se couvrit de feuilles et de fleurs. Et onze cent huit -personnes, ayant vu ce miracle, se convertirent à la foi chrétienne. - -Ce qu’apprenant, l’empereur Aurélien envoya des soldats pour s’emparer -de lui: mais les soldats, l’ayant trouvé en prière, n’osèrent -l’approcher. L’empereur lui envoya d’autres soldats, qui, l’ayant -également trouvé en prière, prièrent d’abord avec lui; puis, s’étant -relevés ils le conduisirent devant l’empereur. Celui-ci, sur son refus -de sacrifier, lui fit lier les pieds et les mains et le fit frapper de -pointes de fer. Et Savinien: «Inflige-moi d’autres tourments encore, si -tu le peux!» L’empereur le fit placer sur un bûcher, au milieu de la -ville, et ordonna qu’on répandît de l’huile sur le bois, pour attiser le -feu. Mais voici que, levant les yeux sur lui, l’empereur le vit debout -en prière au plus fort des flammes. Il en fut si étonné qu’il tomba à la -renverse. Et il dit à Savinien: «Bête malfaisante, n’as-tu donc pas déjà -assez des âmes que tu as trompées, et veux-tu encore me tromper moi-même -par tes artifices magiques?» Et Savinien: «Bien d’autres âmes encore -seront converties par moi, et ton âme aussi, parmi elles!» Mais -l’empereur, entendant ces paroles, blasphéma le nom de Dieu. Le -lendemain, il fit attacher Savinien à un tronc d’arbre et ordonna qu’on -lui lançât des flèches: mais les flèches restaient suspendues en l’air, -sans que pas une l’atteignît. Le lendemain l’empereur vint le trouver et -lui dit: «Que ton Dieu vienne donc, à présent, et te délivre de ces -flèches!» Et aussitôt une des flèches, se détournant, vint s’enfoncer -dans l’œil de l’empereur qui, aussitôt, perdit la vue. Furieux, il fit -reconduire le saint en prison, et ordonna que, le lendemain, il eût la -tête tranchée. Mais Savinien pria Dieu qu’il lui permît de se -transporter à l’endroit ou il avait reçu le baptême; et aussitôt ses -chaînes se brisèrent, les portes de la prison s’ouvrirent, et le saint -put passer librement au milieu des soldats. Parvenu au fleuve, et voyant -que des soldats le poursuivaient, il marcha sur l’eau comme sur des -pierres, et atteignit ainsi l’endroit où il avait été baptisé. Puis, -quand les soldats eurent, à leur tour, franchi le fleuve, il leur dit: -«Après m’avoir frappé de votre hache, portez un peu de mon sang à -l’empereur, afin qu’il recouvre la vue et reconnaisse la puissance de -Dieu!» Décapité, il souleva sa tête dans ses mains, et la porta à -quarante-neuf pas de là. Et l’empereur, dès qu’il eut frotté ses yeux du -sang du saint martyr, recouvra aussitôt la vue; et il dit: «Vraiment bon -et grand est le Dieu des chrétiens!» Et certaine femme qui, depuis -quarante ans, avait perdu la vue, se fit conduire à l’endroit où gisait -le corps du saint, et, ayant prié, recouvra aussitôt la vue. Saint -Savinien souffrit le martyre en l’an 279, au mois de février. Mais nous -avons placé ici son histoire afin de la joindre à celle de sa sœur, à -qui s’adresse surtout la fête de ce jour. - -II. Cette sœur, appelée Savine, ne cessait point de pleurer son frère et -de supplier pour lui les idoles. Mais, un jour, un ange lui apparut en -rêve et lui dit: «Savine, ne pleure pas! Abandonne tout ce que tu -possèdes, et tu trouveras ton frère élevé à un grand honneur!» Quand -elle s’éveilla, Savine demanda à sa sœur de lait: «N’as-tu rien vu ni -entendu?» Et elle: «Maîtresse, j’ai entendu une voix qui te parlait, -mais je ne sais pas ce qu’elle te disait.» Et Savine: «Est-ce que tu ne -me dénonceras pas?» Et la sœur de lait: «Non certes, maîtresse! Tout ce -que tu feras sera bien, pourvu seulement que tu ne t’ôtes point la vie!» -Et, le lendemain, toutes deux s’enfuirent. Et comme son père ne -parvenait pas à la retrouver, il dit, levant les mains au ciel: «S’il y -a vraiment là-haut un Dieu puissant, qu’il détruise mes idoles, qui -n’ont pas su protéger mes enfants!» Alors Dieu, d’un coup de tonnerre, -brisa toutes les idoles: ce que voyant, un grand nombre de personnes se -convertirent à la foi chrétienne. - -Cependant Savine, venant à Rome, fut baptisée par le pape Eusèbe, guérit -deux aveugles et deux paralytiques, et demeura cinq ans dans la ville. -Mais un jour un ange lui apparut en rêve et lui dit: «Savine, n’as-tu -donc abandonné toutes tes richesses que pour venir ici vivre dans les -délices? Lève-toi, et va dans la ville de Troyes, pour y retrouver ton -frère!» Alors Savine dit à sa sœur de lait: «Nous devons nous en aller -d’ici!» Et elle: «Maîtresse où veux-tu aller? Ici tu es aimée de tous, -et tu veux aller chercher la mort dans des pays étrangers!» Mais Savine: -«Dieu aura soin de nous!» - -Puis, prenant un pain d’orge, elle se rendit à Ravenne, et entra dans la -maison d’un riche dont la fille était mourante. Et comme elle demandait -à la servante de ce riche qu’on lui accordât l’hospitalité, la servante -lui dit: «Comment pourrais-tu recevoir l’hospitalité ici, où la fille de -mes maîtres est en train de mourir, et où tous sont plongés dans la -désolation?» Mais Savine: «Je ferai en sorte qu’elle ne meure pas!» -Puis, entrant dans la maison, elle prit la main de la mourante, qui, -aussitôt, se releva guérie. On voulut retenir Savine, mais elle -poursuivit son chemin. Arrivée à un mille de Troyes, elle s’arrêta pour -prendre un peu de repos. Vint à passer un homme noble de la ville, nommé -Licérius, qui leur demanda: «D’où êtes-vous?» Et Savine: «Seigneur, je -suis étrangère, et je cherche mon frère Savinien, perdu pour moi depuis -longtemps!» Alors Licérius: «L’homme que tu cherches a été décapité pour -le Christ, il y a peu de temps, et c’est ici même qu’il est enseveli!» -Sur quoi Savine, se prosternant en prière, dit:» Mon Dieu, qui m’as -toujours gardée dans la chasteté, laisse-moi maintenant reposer dans ce -lieu! Je te recommande ma sœur de lait, qui a tout supporté pour moi. Et -fais en sorte que je puisse voir, dans ton royaume, mon frère, qu’il ne -m’a pas été donné de voir dans ce monde!» Puis, ayant ainsi prié, elle -rendit son âme au Seigneur. Ce que voyant, sa compagne se mit à pleurer, -car elle n’avait même pas les moyens nécessaires pour l’ensevelir. Mais -Licérius envoya chercher, en ville, des hommes pour ensevelir -l’étrangère; et ainsi Savine fut mise au tombeau. - -C’est le même jour aussi que l’Eglise célèbre la fête de sainte Sabine, -qui était femme d’un soldat nommé Valentin, et qui fut décapitée sous le -règne d’Adrien, pour avoir refusé de sacrifier aux idoles. - - - - -CXXVI - -SAINTS FÉLIX ET ADAUCT, MARTYRS - -(30 août) - - -Le prêtre Félix souffrit le martyre sous le règne de Dioclétien et de -Maximien, en compagnie, de son frère, qui, comme lui, s’appelait Félix -et était prêtre comme lui. Le frère aîné, ayant été conduit au temple de -Sérapis pour y sacrifier, souffla sur le visage de la statue, qui, -aussitôt, se renversa. Il renversa de la même façon, successivement, la -statue de Mercure et celle de Diane. Alors, après l’avoir torturé sur un -chevalet, on le conduisit devant un arbre sacrilège afin qu’il y -sacrifiât. Mais lui, s’étant mis à genoux et ayant prié, souffla sur -l’arbre qui, aussitôt, se déracina et tomba à terre, brisant l’autel. -Sur quoi le préfet le fit décapiter à l’endroit même, et ordonna que son -corps y fût laissé pour servir de pâture aux loups et aux chiens. Et, au -moment où on allait le mettre à mort, son frère; sortant de la foule, se -proclama chrétien. Tous deux furent donc décapités ensemble, après -s’être longuement embrassés. Et les chrétiens, ne connaissant pas le nom -du second martyr, l’appelèrent _Adauctus_ (ajouté), parce qu’il s’était -ajouté à saint Félix pour recevoir la couronne du martyre. Les deux -saints furent ensevelis dans la fosse qu’avait creusée l’arbre en se -déracinant. Et quand les païens voulurent les déterrer, le diable les en -empêcha en s’emparant d’eux. Leur martyre eut lieu l’an du Seigneur 287. - - - - -CXXVII - -SAINT LOUP, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR - -(1er septembre) - - -Loup naquit à Orléans d’une famille royale. S’étant de bonne heure -distingué par ses vertus, il fut élu archevêque de Sens. Il donnait aux -pauvres tout ce qu’il avait; et comme, un jour, il en avait invité un -grand nombre à sa table, et que le vin manquait, il répondit au -sommelier qui venait le lui annoncer: «Je crois bien que Dieu, qui -nourrit les oiseaux, ne refusera pas de compléter notre charité!» Et, en -effet, un messager arriva au même instant, qui annonça que cent tonneaux -de vin attendaient à la porte. - -On reprochait beaucoup à l’évêque l’affection qu’il témoignait à une -jeune religieuse, fille de son prédécesseur. Alors, en présence de ceux -qui l’accusaient, il fit venir la jeune fille et l’embrassa, disant: -«Les paroles des hommes ne sauraient nuire à celui que ne souille pas sa -propre conscience!» - -Comme le roi des Francs Clotaire, étant entré en Bourgogne, avait -ordonné à son sénéchal d’assiéger la ville de Sens, saint Loup se rendit -à l’église de Saint-Etienne et se mit à faire sonner la cloche: ce -qu’entendant, les ennemis furent saisis d’une telle frayeur qu’ils -s’enfuirent, par crainte d’être tués sur place. Et quand le roi, étant -devenu maître de la Bourgogne, envoya à Sens un autre sénéchal, -celui-ci, furieux de ce que l’évêque ne fût pas venu au devant de lui -avec des présents, le calomnia si cruellement auprès de son maître que -celui-ci l’envoya en exil. Mais, dans l’exil comme sur son siège, le -saint brilla par sa science et par ses miracles. Et bientôt les -habitants de Sens, ayant mis à mort l’évêque par qui l’on avait remplacé -saint Loup, obtinrent du roi le rappel de celui-ci. Et quand le roi le -vit épuisé de privations, il se prosterna devant lui, lui demanda -pardon, et l’envoya à Sens après l’avoir comblé de présents. Et l’on -raconte que, comme il passait en bateau par Paris, la foule des -prisonniers virent s’ouvrir les portes de leurs cellules et tomber leurs -chaînes, de façon qu’ils purent se rendre librement au devant de lui. - -Un dimanche, pendant qu’il célébrait la messe, une pierre précieuse -tomba du ciel dans son calice: le roi la fit mettre plus tard parmi ses -reliques. - -Le roi Clotaire, apprenant que la cloche de Saint-Etienne de Sens avait -un son d’une douceur merveilleuse, fit transporter cette cloche à Paris, -pour pouvoir l’entendre à sa guise. Mais, cet ordre ayant déplu à saint -Loup, la cloche perdit toute sa douceur dès qu’elle sortit de Sens. Ce -que voyant, le roi la fit aussitôt restituer; et, lorsque la cloche fut -arrivée à sept milles, de Sens, elle sonna si fort que toute la ville -l’entendit: de telle sorte que saint Loup put aller à sa rencontre. - -Une nuit, tenté par le diable, il se fit apporter un verre d’eau froide; -puis comprenant les ruses de l’ennemi, il posa son oreiller sur le verre -et y tint le diable enfermé jusqu’au matin suivant. Une autre fois, -revenant chez lui de sa visite aux églises de la ville, il entendit des -prêtres parlant à voix haute et disant qu’ils voulaient forniquer avec -des femmes. Alors, il entra dans son oratoire et pria pour eux; et -aussitôt l’aiguillon de la tentation cessa de les tourmenter, et ils -vinrent humblement lui demander pardon. - -Enfin saint Loup s’éteignit en paix, en l’an du Seigneur 610. - - - - -CXXVIII - -SAINT GILLES, ABBÉ - -(1er septembre) - - -Gilles, athénien, était de famille noble, et avait étudié, dès -l’enfance, les lettres sacrées. Un jour, comme il se rendait à l’église, -un malade, couché sur une place, lui demanda l’aumône. Gilles lui donna -sa tunique; et dès que le malade la revêtit, il guérit. A la mort de ses -parents, Gilles abandonna au Christ tout son patrimoine. Il guérit un -jour, par sa prière, un homme qui venait d’être mordu par un serpent. Il -guérit aussi un possédé qui, se tenant dans l’église, troublait de ses -cris les autres chrétiens. Mais bientôt, craignant les dangers de la -faveur humaine, Gilles s’enfuit secrètement au bord de la mer. Il -aperçut là des matelots qui allaient périr dans une tempête: il pria et -aussitôt la tempête s’apaisa. En reconnaissance de quoi les matelots, -apprenant qu’il voulait aller à Rome, s’offrirent à l’y emmener -gratuitement avec eux. - -Mais en arrivant à Arles, Gilles s’y arrêta, et demeura deux ans avec -saint Césaire, évêque de cette ville, où il guérit une femme atteinte de -fièvre depuis trois ans. Puis, ayant soif du désert, il s’éloigna -secrètement d’Arles, et vécut longtemps en compagnie de l’ermite -Veredôme, dans un endroit où, en sa faveur, Dieu voulut bien faire -cesser la stérilité du sol. Mais, comme le bruit de ses miracles se -répandait partout, Gilles, craignant de nouveau les dangers de la -louange humaine, quitta son compagnon et s’enfonça encore dans le -désert, où il eut le bonheur de trouver une grotte auprès d’une source. -Il y eut pour nourricière une biche qui, à de certaines heures, venait -lui donner son lait. - -Or, un jour, les fils du roi, qui chassaient par là, virent cette biche -et la poursuivirent avec leurs chiens. Effrayée, elle se réfugia aux -pieds de saint Gilles. Et celui-ci, étonné de ses cris, sortit de sa -cellule et entendit les chasseurs. Il demanda alors à Dieu que fût -sauvée la bête qu’il lui avait donnée pour nourricière. Et en effet -aucun des chiens n’osait s’approcher de la biche. La nuit étant proche, -les chasseurs s’en revinrent chez eux. Et le lendemain, de nouveau, ils -durent rentrer chez eux sans avoir pris la biche. Ce qu’apprenant, le -roi se rendit sur les lieux avec l’évêque et une foule de chasseurs. Et -comme, de nouveau, les chiens refusaient d’approcher, un des chasseurs, -par accident, blessa d’une flèche le saint, qui demandait grâce pour la -biche. Après quoi les chasseurs se frayèrent un chemin jusqu’à la -grotte, aperçurent un vieillard en habit monacal avec une biche étendue -à ses pieds. Le roi et l’évêque s’avancèrent alors vers lui, lui -demandèrent qui il était, d’où il était venu, comment il avait pu -arriver à un endroit aussi sauvage, et enfin par qui il avait été -blessé. Puis, lui ayant demandé pardon de cette blessure dont ils -étaient cause, ils lui donnèrent des remèdes pour la guérir, en même -temps que de nombreux présents. Mais le saint ne voulut même pas jeter -les yeux sur les présents ni sur les remèdes. Bien plus, sachant que la -vertu devenait plus parfaite dans la maladie, il pria Dieu de ne plus -recouvrer la santé aussi longtemps qu’il vivrait. - -Le roi, cependant, lui fit de fréquentes visites, pour recevoir de lui -l’aliment spirituel. Et toujours il lui offrait des trésors, et toujours -le saint refusait de les accepter. Il conseilla enfin au roi d’employer -plutôt ces trésors à construire un monastère, où serait pratiquée dans -toute sa rigueur la discipline monastique. Et le roi suivit son conseil; -mais, quand le monastère fut construit, il insista par ses prières et -ses larmes pour forcer saint Gilles à en devenir l’abbé[12]. - - [12] A Saint-Gilles-du-Gard, entre Arles et Lunel, sur le petit Rhône. - -La renommée du saint parvint jusqu’au roi Charles, qui le manda près de -lui et le reçut avec déférence. Il lui demanda, entre autres choses, de -vouloir bien prier pour que lui fût remis un très grand péché qu’il -avait commis jadis, et qu’il n’osait avouer à personne, pas même au -saint. Et le dimanche suivant, pendant que Gilles, célébrant sa messe, -priait pour le roi, un ange lui apparut qui déposa sur l’autel une -feuille où était écrit que, grâce à ses prières, le péché du roi se -trouvait pardonné. Et l’on dit aussi que, sur cette feuille, une main -céleste avait ajouté que quiconque invoquerait saint Gilles pour la -rémission d’un péché, obtiendrait cette rémission, pourvu seulement -qu’il ne commît plus le même péché. Gilles porta la feuille au roi, qui -se repentit humblement. Puis le saint reprit le chemin de son monastère. -Et à Nîmes, en passant, il ressuscita le fils d’un des chefs de la -ville, qui venait de mourir. - -Peu de temps après, prévoyant que son monastère allait être saccagé par -les ennemis, il se rendit à Rome, et obtint du pape, pour son église, un -privilège, ainsi que deux portes en bois de cyprès où se trouvaient -sculptées les images des apôtres. Après quoi, ayant confié ces portes au -Tibre, et les ayant recommandées à la conduite divine, il retourna vers -son monastère; et, sur le chemin, à Tiberon, il guérit un paralytique. -Et quand il revint à son monastère, il trouva les portes qui -l’attendaient dans le port. Après avoir rendu grâces à Dieu, il les -dressa au seuil de son église, tant pour l’ornement de celle-ci que pour -qu’elles fussent le témoignage du pacte accordé au monastère par la -curie romaine. - -Enfin, comprenant par révélation que le jour de sa mort approchait, il -en informa ses frères et leur demanda de prier pour lui. Et quand il se -fut endormi dans le Seigneur, bien des personnes affirmèrent avoir -entendu des chœurs d’anges transportant son âme au ciel. Cette mort eut -lieu en l’an du Seigneur 700. - - - - -CXXIX - -LA NATIVITÉ DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE - -(8 septembre) - - -I. La glorieuse Vierge Marie était de la tribu de Juda, et de la race -royale de David. On sait que Matthieu et Luc, dans leurs évangiles, nous -retracent la généalogie, non pas de Marie, mais de Joseph, qui cependant -n’a eu aucune part à la conception du Christ: c’est, dit-on, pour se -conformer à la coutume des Ecritures, où n’est prise en considération -que la généalogie des hommes, non celle des femmes. Quoi qu’il en soit, -d’ailleurs, la sainte Vierge descendait certainement de la race de -David: car les mêmes évangélistes, qui admettent expressément la -conception toute divine de Jésus, attestent à plusieurs reprises que -Jésus était de la semence de David. - -Ce roi, en effet, eut, entre autres fils, Nathan et Salomon. De la race -de Nathan fut (suivant Jean de Damas), Lévi, qui engendra Melchi et -Panthar; Panthar engendra Barpanthar, qui engendra Joachim, qui fut père -de la Vierge Marie. Et il y eut un des descendants de Nathan qui épousa -une descendante de Salomon; et lorsque Héli, de la tribu de Nathan, -mourut sans enfants, son frère utérin Jacob, qui était de la tribu de -Salomon, épousa sa veuve et engendra d’elle Joseph. Celui-ci était donc, -par la nature, fils de Jacob et descendant de Salomon; mais, par la loi, -il était fils d’Héli et de la descendance de Nathan, car, dans les cas -de ce genre, la loi assignait les enfants au premier mari. - -D’autre part, l’_Histoire ecclésiastique_ et Bède, dans sa _Chronique_, -racontent qu’Hérode, pour faire croire à la postérité qu’il était noble -et descendait d’Israël, fit brûler toutes les généalogies des Juifs, qui -étaient conservées dans les archives secrètes du Temple. Mais il y eut -des Nazaréens, parents du Christ, qui reconstituèrent la généalogie de -leur divin parent, en partie d’après leurs traditions de famille, en -partie d’après des livres qu’ils avaient conservés. A eux nous devons de -savoir que la femme de Joachim, nommée Anne, eut une sœur, nommée -Ismérie, qui fut mère d’Elisabeth et d’Eliude. Elisabeth fut mère de -saint Jean-Baptiste; d’Eliude naquit Eminen, et d’Eminen naquit saint -Servais, dont le corps est conservé dans la ville de Maëstricht, qui -relève de l’évêché de Liège. Quant à Anne, la tradition rapporte qu’elle -a eu successivement trois maris: Joachim, Cléophas et Salomé. De Joachim -elle eut une fille, la Vierge Marie, qu’elle donna en mariage à Joseph. -Puis, après la mort de Joachim, elle épousa Cléophas, frère de Joseph, -de qui elle eut une autre fille, également appelée Marie, et donnée plus -tard en mariage à Alphée. Cette seconde Marie eut d’Alphée quatre fils, -Jacques le Mineur, Joseph le Juste, Simon et Jude. Enfin, de son -troisième mariage avec Salomé, Anne eut encore une fille, également -appelée Marie, et qui épousa Zébédée. Et c’est de cette troisième Marie -et de Zébédée que sont nés Jacques le Majeur et Jean l’Evangéliste. - -D’autre part, saint Jérôme nous dit, dans son _Prologue_, avoir lu dans -son enfance un petit livre où se trouvait racontée l’histoire de la -naissance de la sainte Vierge; et il nous transcrit cette histoire, mais -seulement de souvenir, et très longtemps après l’avoir lue. Donc, -suivant ce récit, Joachim, qui était Galiléen, et de la ville de -Nazareth, s’était marié avec sainte Anne, qui était de Bethléem, en -Judée. Tous deux vivaient sans reproche, accomplissant tous les -commandements du Seigneur; ils faisaient de tous leurs biens trois parts -égales, dont ils ne gardaient qu’une seule pour eux-mêmes et leur -famille, en donnant une au temple, l’autre aux pauvres et aux pèlerins. -Et comme, après vingt ans de mariage, ils n’avaient point d’enfant, ils -firent vœu que, si Dieu leur accordait un enfant, ils le voueraient au -service divin. Le jour de la fête de la Dédicace, Joachim, s’étant rendu -à Jérusalem, comme il faisait pour les trois grandes fêtes de l’année, -alla présenter son offrande au Temple avec ceux de sa tribu. Mais le -prêtre le repoussa avec indignation de l’autel, affirmant que c’était un -scandale qu’un homme infécond, incapable d’augmenter le peuple de Dieu, -présentât son offrande à un Dieu qui avait mis sur lui le signe de sa -malédiction. Sur quoi Joachim, tout confus, n’osa point retourner chez -lui, et s’en alla séjourner avec ses bergers. Mais, pendant qu’il se -trouvait là, un ange lui apparut un jour avec une grande lumière, et lui -dit: «Je suis envoyé vers toi par le Seigneur, pour t’annoncer que tes -prières ont été entendues, et que tes aumônes se sont élevées jusqu’au -trône divin. Dieu a vu ta honte, et entendu l’injuste reproche qu’on t’a -fait de ta stérilité. Car Dieu ne punit point la nature, mais seulement -le péché. Et souvent, quand il ferme une matrice, il le fait afin de -l’ouvrir ensuite plus miraculeusement, de manière qu’on sache que ce -n’est point de la luxure que naît l’enfant qui doit naître. Est-ce que -Sara, la mère de votre race, n’a pas supporté jusqu’à l’âge de -quatre-vingt-dix ans l’opprobre de la stérilité, avant de donner le jour -à Isaac, a qui fut renouvelée la promesse de la bénédiction de tout son -peuple? Est-ce que Rachel n’a pas été longtemps stérile avant d’enfanter -Joseph, qui commanda à toute l’Egypte? Qui fut plus fort que Samson, ou -plus saint que Samuel? Et cependant l’un et l’autre sont nés de mères -stériles. Sache donc que, de la même façon, Anne, ta femme, te donnera -une fille que tu appelleras Marie. Celle-ci, suivant ton vœu, sera -consacrée au Seigneur dès l’enfance; dès le ventre de sa mère elle sera -pleine du Saint-Esprit; et, afin que sa pureté ne puisse donner lieu à -aucun soupçon, elle ne sera pas élevée au dehors, mais toujours gardée à -l’intérieur du temple. Et, de même qu’elle sera née d’une mère stérile, -d’elle naîtra miraculeusement le Fils du Très-Haut, qui aura nom Jésus, -et qui apportera le salut à toutes les nations. Quant au signe qui te -prouvera la vérité de mes paroles, écoute! En arrivant à la Porte d’Or, -à Jérusalem, tu rencontreras ta femme Anne, qui, inquiète de ta longue -absence, se réjouira grandement de ta vue!» Cela dit, l’ange disparut; -mais il apparut ensuite à Anne, qui pleurait amèrement l’absence de son -mari; il lui annonça ce qu’il venait d’annoncer à Joachim, et lui -ordonna de se rendre à Jérusalem, devant la Porte d’Or, pour y -rencontrer son mari. Anne et Joachim se rencontrèrent donc, tous deux, -se réjouissant de leur vision et de la postérité qui leur était promise. -Et, ayant adoré le Seigneur, ils revinrent chez eux. - -C’est ainsi qu’Anne conçut et mit au monde une fille, qui fut appelée -Marie. Et lorsque furent achevées les trois années de l’allaitement, -l’enfant fut conduite au temple avec des offrandes. Le temple était -situé sur une montagne; et, pour parvenir à l’autel des holocaustes, qui -se trouvait à l’extérieur, on avait encore à monter quinze marches, -correspondant aux quinze psaumes graduels. Et voici que la petite fille -monta toutes ces marches sans l’aide de personne, comme si elle était -déjà dans la perfection de l’âge. Puis, quand elle eut accompli son -offrande, ses parents revinrent chez eux, la laissant avec les autres -vierges dans le temple; et là, tous les jours, elle croissait en -sainteté, visitée par les anges, et admise à la vision divine. Elle -s’était imposé pour règle de rester en prière depuis le matin jusqu’à la -troisième heure; jusqu’à la neuvième heure, ensuite, elle s’occupait à -tisser la laine; après quoi elle se remettait en prière, jusqu’au moment -où un ange venait lui apporter sa nourriture. - -Quand elle eut quatorze ans, le prêtre déclara que les vierges -instruites dans le temple et qui étaient parvenues à leur puberté -devaient retourner chez elles, pour être unies à des hommes en légitime -mariage. Les autres vierges obéirent à cet ordre. Seule, Marie dit -qu’elle ne pouvait y obéir, car ses parents l’avaient consacrée au -service de Dieu, et elle-même avait voué sa virginité au Seigneur. Ce -qui mit le prêtre en grand embarras, car il n’osait ni rompre un -vœu,--l’Ecriture ayant dit: «Faites des vœux et remplissez-les!»--ni -autoriser un acte contraire aux usages. Lors de la fête qui suivit, les -vieillards convoqués furent d’avis qu’en matière si douteuse on devait -s’en remettre à l’inspiration divine. Et, comme tous étaient en prière, -une voix sortit du fond du temple, disant que tous les hommes nubiles et -non mariés de la maison de David devaient s’approcher de l’autel, chacun -portant une baguette à la main; et la voix ajoutait que la Vierge Marie -aurait à épouser celui d’entre eux dont la baguette produirait des -feuilles. Or il y avait là un homme de la maison de David nommé Joseph, -qui, seul, ne se présenta point devant le prêtre, estimant inconvenant -de prétendre, à son âge, devenir le mari d’une vierge de quatorze ans. -De telle sorte que le miracle prédit par la voix divine n’eut point -lieu. Et le prêtre, de nouveau, interrogea le Seigneur, qui répondit que -celui-là seul n’avait pas apporté sa baguette qui était destiné à -devenir le mari de la vierge. Force fut donc à Joseph de se présenter à -l’autel; et aussitôt sa baguette produisit des feuilles, et l’on vit -descendre sur elle une colombe, du haut du ciel. Alors Joseph, se -trouvant ainsi fiancé, se rendit à Bethléem, sa patrie, afin de -s’occuper de préparer ses noces, tandis que Marie retournait à Nazareth, -dans la maison de ses parents, avec sept vierges de son âge que le -prêtre lui avait données pour compagnes. C’est vers ce temps-là que -l’ange Gabriel lui apparut, pendant qu’elle était en prière, et lui -annonça que d’elle naîtrait le Fils de Dieu. - -Le jour exact où devait être commémorée la nativité de la Vierge fut -très longtemps ignoré des fidèles. Mais un jour, suivant ce que rapporte -Jean Beleth, un saint homme, qui vivait dans la contemplation, s’aperçut -que tous les ans à la même date, le 6 septembre, il entendait une -merveilleuse musique d’anges, célébrant une fête. Il supplia le Ciel de -lui révéler quelle fête c’était qu’on célébrait au ciel ce jour-là; et -il obtint pour réponse que c’était le jour anniversaire de la naissance -de la glorieuse Vierge Marie: ce dont il fut chargé, en outre, de faire -part aux fils de la sainte Eglise, pour qu’ils s’unissent, dans la -célébration de la fête, avec les troupes célestes. La chose fut -rapportée au Souverain Pontife et aux autres chefs de l’Eglise qui, -ayant prié et jeûné, et consulté les témoignages de l’Ecriture et des -traditions, décrétèrent que, désormais, ce jour du 6 septembre serait -universellement consacré à la célébration de la naissance de la Vierge -Marie. - -Quant à l’octave de cette fête, elle n’a été instituée que plus tard, -par le pape Innocent IV, qui était d’origine génoise; et voici dans -quelles circonstances. Lorsque mourut Grégoire IX, les Romains -enfermèrent tous les cardinaux dans une salle pour les forcer à choisir -au plus vite un nouveau chef de l’Eglise. Mais comme les cardinaux ne -parvenaient pas à se mettre d’accord, ce qui leur valait d’être fort -molestés par les Romains, ils firent vœu à là Reine du Ciel que si, -grâce à elle, ils pouvaient enfin s’accorder, et sortir de leur conclave -sans être maltraités, ils décréteraient désormais que fût célébrée -l’octave de sa Nativité. Et, en effet, ils tombèrent d’accord pour élire -Célestin. Mais celui-ci vécut trop peu de temps pour réaliser le vœu des -membres du conclave; et ce fut son successeur, Innocent IV, qui le -réalisa. - -Notons, à ce propos, que les trois nativités célébrées par l’Eglise, -celles du Christ, de la Vierge et de saint Jean-Baptiste, ont toutes les -trois des octaves, mais que, seule la nativité de la Vierge n’est point -précédée d’une vigile. En effet ces trois nativités désignent trois -naissances spirituelles: car avec Jean nous renaissons dans l’eau, avec -Marie dans la pénitence, et dans la gloire avec le Christ. Or notre -renaissance dans le baptême et notre renaissance dans la gloire doivent -être précédées de contrition, tandis que notre renaissance dans la -pénitence est en elle-même une contrition. - -II. Un très vaillant capitaine, et qui n’était pas moins dévot à la -Vierge se rendait un jour à un tournoi lorsqu’il rencontra, en chemin, -un monastère élevé en l’honneur de Notre Dame, et y entra pour entendre -la messe. Mais les messes se succédaient les unes aux autres, et le -capitaine, par égard pour la Vierge, tenait à n’en manquer aucune. Enfin -il put sortir, et courut à l’endroit du combat. Et voilà qu’il -rencontra, avant d’y arriver, des gens qui déjà en revenaient, et qui le -félicitèrent de la valeur qu’il y avait déployée. Cet éloge lui fut -confirmé par tous ceux qui avaient assisté au tournoi; et il y en eut -même qui vinrent lui rappeler qu’il les avait défaits. Sur quoi cet -homme, comprenant que la Reine des Cieux lui avait rendu sa politesse, -raconta ce qui lui était arrivé, et, retournant au monastère, s’engagea -depuis lors entièrement au service du Fils de la sainte Vierge. - -III. Une veuve avait un fils unique qu’elle aimait tendrement. Apprenant -que ce fils avait été pris par l’ennemi, enchaîné et mis en prison, elle -fondit en larmes, et, s’adressant à la Vierge, pour qui elle avait un -culte spécial, elle lui demanda avec insistance la libération de son -fils. Mais quand elle vit enfin que ses prières restaient sans effet, -elle se rendit dans une église où se trouvait sculptée une image de -Marie. Là, debout devant l’image, elle dit: «Vierge sainte, je t’ai -suppliée de délivrer mon fils, et tu n’as pas voulu venir au secours -d’une malheureuse mère; j’ai imploré ton patronage pour mon fils, et tu -me l’as refusé! Eh bien, de même, que mon fils m’a été enlevé, de même -je vais t’enlever le tien, et le garderai en otage!» Ce que disant, elle -s’approcha, prit la statue de l’enfant sur le sein de la Vierge, -l’emporta chez elle, l’entoura d’un linge sans tache, et l’enferma sous -clef dans un coffre, heureuse d’avoir un si bon otage du retour de son -fils. Or, la nuit suivante, la Vierge apparut au jeune homme, lui ouvrit -la porte de sa prison, et lui dit: «Dis à ta mère, mon enfant, qu’elle -me rende mon fils, maintenant que je lui ai rendu le sien!» Le jeune -homme vint donc retrouver sa mère, et lui raconta sa miraculeuse -délivrance. Et elle, ravie de joie, s’empressa d’aller rendre à la -Vierge l’enfant Jésus, en lui disant: «Je te remercie, dame céleste, de -ce que tu m’aies restitué mon fils, et je te restitue le tien en -échange!» - -IV. Il y avait un voleur qui commettait le plus de larcins qu’il -pouvait, mais qui avait une grande dévotion pour la Vierge Marie, et ne -cessait point de l’invoquer. Un jour, pris en flagrant délit, il fut -condamné à être pendu. Et on le pendit en effet: mais aussitôt la Vierge -Marie vint à son aide, et, pendant trois jours, le tint dans ses bras, -de telle sorte que sa pendaison ne lui fit aucun mal. Le troisième jour, -ceux qui l’avaient pendu, passant par hasard près de lui, furent surpris -de le trouver vivant et la mine joyeuse. Ils pensèrent que la corde -avait été mal attachée, et voulurent l’achever à coups d’épées; mais la -Vierge opposait sa main à leurs épées, et aucun de leurs coups -n’atteignait le voleur. Celui-ci leur raconta enfin l’assistance qu’il -avait reçue de la Vierge Marie, et eux, par amour pour Notre Dame, ils -le relâchèrent. Et le voleur se fit moine, et, tant qu’il vécut, resta -au service de la Mère de Dieu. - -V. Un clerc, très dévot à la Vierge Marie, ne trouvait de plaisir qu’à -chanter ses heures. Mais, ayant hérité de tous les biens de ses parents, -il fut contraint par ses amis à prendre femme, et à gouverner son -héritage. Il se mit donc en route pour célébrer ses noces; mais en -chemin, rencontrant une église, il y entra pour réciter les heures de la -Vierge. Et voici que la Vierge lui apparut, le visage sévère, et lui -dit: «Infidèle, pourquoi m’abandonnes-tu, moi ton amie et ta fiancée? -Pourquoi me préfères-tu une autre femme?» Le clerc, plein de contrition, -alla rejoindre ses compagnons, et, leur cachant ce qui lui était arrivé, -laissa célébrer ses noces. Mais, au milieu de la nuit, il s’enfuit de sa -maison, entra dans un monastère, et se voua tout entier au service de la -Vierge Marie. - -VI. Un bon prêtre de village ne célébrait jamais d’autre messe que celle -de la Vierge. Dénoncé à son évêque, et mandé devant lui, il lui avoua -qu’il ne savait pas d’autre messe que celle-là; sur quoi l’évêque le -blâma sévèrement, et le suspendit de son office. Mais la nuit suivante, -la Vierge apparut à l’évêque, le gronda à son tour, lui demanda pourquoi -il avait si mal traité son serviteur, et ajouta qu’il mourrait avant -trente jours, si le pauvre prêtre n’était pas restitué dans sa fonction. -Sur quoi l’évêque, épouvanté, fit revenir le prêtre, s’excusa devant -lui, lui rendit sa fonction et lui enjoignit de ne jamais célébrer -d’autre messe que celle de Marie. - -VII. Il y avait un clerc qui était frivole et débauché, mais qui, -cependant, aimait beaucoup la sainte Vierge, et récitait assidûment ses -heures. Une nuit, en rêve, il se vit transporté au tribunal de Dieu. Et -le Seigneur disait aux assistants: «Jugez vous-mêmes quelle peine mérite -cet homme, pour qui j’ai eu tant de patience, sans qu’il fît voir le -moindre signe d’amélioration!» Tous furent d’avis qu’il méritait d’être -damné. Seule la Vierge Marie se leva et dit à son Fils: «Mon Fils, -j’implore ta clémence pour cet homme! Permets-lui de vivre encore, par -égard pour moi, bien que, par ses propres mérites, il soit dû à la -mort!» Et le Seigneur: «Je consens, en ta faveur, à ajourner sa -sentence; mais c’est à la condition qu’il se corrigera!» Alors la -Vierge, se tournant vers le clerc, lui dit: «Va maintenant et cesse de -pécher, de peur que ne t’arrive plus de mal encore!» Et le clerc, se -réveillant, changea ses mœurs, entra en religion et finit sa vie dans -les bonnes œuvres. - -VIII. Il y avait en Sicile, l’an du Seigneur 537, un homme appelé -Théophile, vicaire d’un évêque, qui, sous les ordres de son chef, -administrait si sagement le diocèse que, lorsque l’évêque mourut, tout -le peuple l’élut par acclamation pour le remplacer. Mais lui, content de -son vicariat, préféra qu’on prît pour évêque un autre prêtre. Et -celui-ci, peu de temps après, le dépouilla de ses fonctions de vicaire: -ce dont il eut tant de dépit que, pour recouvrer ses fonctions, il alla -demander l’aide d’un sorcier juif. Le sorcier appela le diable, qui se -hâta d’accourir. Sur son ordre, Théophile renia le Christ et la Vierge, -écrivit son reniement avec son propre sang, scella l’écrit avec son -anneau, et le donna au diable, se vouant ainsi à son service. Le diable, -donc, le fit rentrer en grâce auprès de l’évêque et restituer dans sa -dignité. Mais alors Théophile, rentrant en lui-même, fut désolé de ce -qu’il avait fait, et supplia la Vierge glorieuse de lui venir en aide. -Marie lui apparut, lui fit de vifs reproches de son impiété, lui ordonna -de renoncer au diable, exigea qu’il proclamât sa foi dans le Christ et -dans toute la doctrine chrétienne, et finit par obtenir sa grâce de son -divin Fils, en signe de quoi, lui apparaissant une seconde fois, elle -lui posa sur la poitrine l’écrit qu’il avait donné au diable: afin de -lui prouver, par là, qu’il n’était plus esclave du démon, et que, grâce -à elle, il redevenait libre. Ce que voyant Théophile, transporté de -joie, raconta, devant l’évêque et le peuple tout entier, le miracle qui -venait de lui arriver, et, trois jours après, il s’endormit en paix dans -le Seigneur. - -IX. Un mari et sa femme, ayant marié leur fille unique, et ne pouvant se -résigner à se séparer d’elle, la gardaient dans leur maison, ainsi que -leur gendre. Et la mère de la jeune femme, par amour pour sa fille, -avait pour son gendre une affection très vive: ce qui fit dire aux -méchantes langues que ce n’était point par amour pour sa fille qu’elle -aimait son gendre, mais bien pour son propre compte. De telle sorte que -la femme, craignant que cette calomnie ne se répandît, promit à deux -paysans de leur donner à chacun vingt sous s’ils voulaient étrangler -secrètement le gendre. Et un jour, les ayant enfermés dans son cellier, -elle envoya son mari hors de la maison, fit également sortir sa fille, -et demanda à son gendre d’aller chercher du vin dans le cellier, où, -aussitôt, les deux paysans se jetèrent sur lui et l’étranglèrent. Alors -la femme porta le mort dans le lit de sa fille, et l’y installa comme -s’il dormait. Le soir, lorsque son mari et sa fille revinrent, elle -ordonna à sa fille d’aller réveiller son mari, et de l’appeler à table. -La fille trouve son mari mort, accourt l’annoncer à ses parents: et -toute la famille de se lamenter, y compris la femme qui avait commis -l’homicide. Mais cette femme finit par se repentir sincèrement de son -crime, et alla se confesser de tout à un prêtre. Or, quelque temps -après, une querelle s’éleva entre cette femme et le prêtre qui, -publiquement, lui reprocha le meurtre de son gendre. Les parents du mort -apprennent la chose, font passer la femme en jugement; et elle est -condamnée à être brûlée. Alors, se voyant près de mourir, elle se -réfugie dans l’église de la Vierge, et s’y prosterne en prière, avec -force larmes. On la contraint à sortir de l’église, et on la jette sur -un grand bûcher allumé: mais elle s’y tient debout, saine et sauve, sans -ombre de mal. En vain les parents du mort apportent sur le bûcher de -nouveaux sarments allumés. Puis, voyant que le feu n’a pas de prise sur -elle, ils la transpercent de coups de lance. Mais le juge, témoin du -miracle, les force à s’éloigner. Et puis, examinant avec soin la -condamnée, il découvre que les coups de lance l’ont atteinte et blessée, -mais que le feu n’a laissé sur elle aucune trace. On la ramène dans sa -maison, on la ranime par des bains, et des stimulants. Mais Dieu, pour -l’empêcher d’être davantage en butte au soupçon des hommes, la fait -mourir trois jours après, repentante, et ne cessant point de célébrer -les louanges de la Vierge Marie. - - - - -CXXX - -SAINT ADRIEN ET SES COMPAGNONS, MARTYRS - -(9 septembre) - - -Adrien subit le martyre sous le règne de l’empereur Maximien. Celui-ci, -se trouvant à Nicomédie, ordonna aux habitants de rechercher et de lui -amener tous les chrétiens. On vit alors le voisin dénoncer son voisin, -le parent dénoncer son parent, les uns y étant poussés par la peur du -châtiment, d’autres par le désir de la récompense promise. Trente-trois -chrétiens se trouvèrent ainsi arrêtés et conduits devant l’empereur. Et -celui-ci: «Ne savez-vous pas quelles peines j’ai édictées contre les -chrétiens!» Et eux: «Nous le savons, et nous nous moquons de tes ordres -stupides!» Alors l’empereur les fit frapper de nerfs de bœuf, leur fit -enfoncer des pierres dans la bouche, et les fit jeter en prison, -couverts de chaînes. Alors Adrien, qui commandait les soldats, admirant -la constance des martyrs, leur dit: «Je vous en prie, au nom de votre -Dieu, dites-moi quelle est la récompense que vous attendez pour tant de -tortures!» Et les saints lui dirent: «La récompense que Dieu accorde à -ceux qui l’aiment, jamais l’œil n’en a vu de semblable, ni l’oreille -n’en a entendu, ni le cœur n’en a rêvé.» Alors Adrien, s’avançant, dit à -l’empereur: «Inscris-moi avec eux, car, moi aussi, je suis chrétien!» Ce -qu’entendant, l’empereur le fit charger de chaînes et jeter en prison. - -Et Nathalie, femme d’Adrien, quand elle sut l’arrestation de son mari, -fondit en larmes et déchira ses vêtements. Mais quand elle apprit que -c’était pour la foi du Christ qu’Adrien avait été emprisonné, toute -joyeuse elle courut à la prison et se mit à baiser les chaînes de son -mari et des autres martyrs. Car elle était chrétienne; mais, par crainte -de la persécution, elle s’en était cachée. Et elle dit à son mari: -«Heureux es-tu, Adrien, mon seigneur, d’avoir trouvé des richesses bien -supérieures à celles que t’ont laissées tes parents, des richesses dont -seront privés, au jour du jugement, ceux-là même qui possèdent les plus -grands biens!» Elle l’exhorta ensuite à dédaigner toute gloire -terrestre, à n’écouter ni amis ni parents, et à avoir toujours le cœur -levé vers les choses du ciel. Et Adrien lui dit: «Va-t’en maintenant, ma -sœur! le jour de notre supplice, je te ferai venir, afin que tu assistes -à nos derniers moments.» Et Nathalie rentra dans sa maison, après avoir -recommandé aux autres saints d’instruire son mari et de l’encourager. - -Lorsque Adrien sut que le jour du dernier supplice était arrivé, il -obtint de ses gardiens, moyennant des présents, qu’ils lui permissent -d’aller jusque dans sa maison pour chercher sa femme, afin de tenir la -promesse qu’il lui avait faite. Et quelqu’un, en le voyant venir, le -devança, et courut dire à Nathalie: «Ton mari a été relâché, car le -voici qui vient!» Et elle, s’imaginant qu’Adrien avait eu peur du -martyre, pleurait amèrement. Dès qu’elle l’aperçut, elle se hâta de -fermer devant lui la porte de la maison en disant: «Que s’éloigne de moi -celui qui s’est éloigné de Dieu!» Et, se tournant vers lui: «Malheureux, -qui donc te forçait de commencer une œuvre que tu étais incapable -d’achever? Dis-moi pourquoi tu t’es enfui avant la bataille, comment tu -as succombé avant même qu’une seule flèche ait été lancée? Malheur à -moi! Que ferai-je, liée comme je le suis à ce renégat?» Et saint Adrien, -entendant tout cela, se réjouissait dans son cœur, admirant cette femme -jeune, belle et noble, avec qui il était marié depuis quatorze mois. -Mais quand il la vit trop affligée, il lui dit: «Ce n’est point pour -éviter le martyre que je suis venu ici, mais pour te chercher, suivant -ma promesse!» Et elle, refusant de le croire: «Voyez, comme ce traître -essaie de me séduire! Voyez comme ment ce nouveau Judas! Eloigne-toi de -moi, misérable! Et sache que je vais me tuer, pour n’avoir plus à vivre -avec toi!» Et comme elle refusait toujours de lui ouvrir, il lui dit: -«Ouvre-moi vite, car je vais devoir repartir, et tu ne me verras plus, -et tu regretteras, plus tard, de ne m’avoir pas revu avant mon départ!» -Ce qu’entendant, Nathalie lui ouvrit, et, quand ils se furent longuement -embrassés, ils allèrent ensemble à la prison, où Nathalie essuyait avec -des linges précieux les plaies béantes des martyrs. - -Quand l’empereur les fit comparaître devant lui, ils étaient tous encore -si accablés de leur supplice précédent qu’ils se trouvaient incapables -de marcher. On dut donc les porter comme des bêtes blessées; seul Adrien -s’avançait à pied derrière eux, les mains enchaînées. L’empereur l’ayant -fait étendre sur un chevalet, Nathalie s’approcha de lui et lui dit: -«Mon cher seigneur, n’aie garde de trembler en présence du supplice! -Quelques minutes de souffrance, et aussitôt après tu te réjouiras parmi -les anges!» Puis, voyant avec quel courage son mari recevait les coups, -elle courut vers les autres saints pour le leur annoncer. Cependant, -l’empereur défendait à Adrien de blasphémer ses dieux. Et lui: «Si je -souffre tous ces tourments pour blasphémer de faux dieux, combien donc -en souffriras-tu, toi, qui blasphèmes le seul Dieu véritable?» Et -Maximien: «Ce sont ces imposteurs qui t’ont enseigné de telles paroles!» -Mais Adrien: «Ne les appelle pas des imposteurs! car ils sont les -docteurs de la vie éternelle!» Et Nathalie, toute joyeuse, allait -rapporter aux autres saints les paroles de son mari. L’empereur fit -ensuite frapper Adrien par quatre hommes d’une force prodigieuse; et ils -le frappèrent si cruellement, que ses entrailles lui sortaient du corps. -Après quoi l’empereur le fit ramener en prison avec les autres -chrétiens. Nous devons ajouter ici qu’Adrien était un frêle et beau -jeune homme de vingt-huit ans. Et Nathalie, le voyant étendu à terre, -tout meurtri, lui soutenait la tête de ses mains et lui disait: «Heureux -es-tu, mon seigneur, d’avoir été admis au nombre des saints! Heureux -es-tu, lumière de ma vie, de pouvoir souffrir pour celui qui a souffert -pour toi! Souffre encore, mon doux ami, afin de mieux voir ensuite la -gloire céleste!» - -Or l’empereur apprenant que plusieurs femmes soignaient les saints dans -la prison, défendit désormais qu’on les laissât entrer. Mais Nathalie se -coupa les cheveux, revêtit des habits d’homme et revint prodiguer ses -soins aux prisonniers. Elle engagea aussi, par son exemple, d’autres -femmes à l’imiter. Et elle demanda à son mari, quand il serait dans sa -gloire, de prier pour elle, afin que Dieu la rappelât vite loin de ce -monde, mais en laissant intact son jeune corps. Cependant, l’empereur, -averti de ce qui se passait dans la prison, ordonna de tuer les martyrs -en leur brisant les membres. Et Nathalie, craignant que la vue du -supplice des autres n’effrayât son mari, demanda au bourreau de -commencer par lui. On lui coupa les pieds, on lui rompit les membres, et -Nathalie demanda, en outre, qu’on lui coupât une main, de façon à ce -qu’il ne restât pas en arrière des autres saints pour la souffrance. -Cela fait, Adrien rendit son âme à Dieu; et les autres chrétiens, -tendant tour à tour leurs pieds à la hache des bourreaux, moururent -comme lui. Et l’empereur fit brûler leurs corps; mais Nathalie cacha -dans son sein la main de son mari. Et quand elle vit jeter au feu le -corps d’Adrien, elle ne put résister au désir de s’élancer dans les -flammes pour le rejoindre. Mais aussitôt une pluie abondante se mit à -tomber qui éteignit la flamme; de telle sorte que les chrétiens purent -recueillir les corps des martyrs et les transporter à Constantinople, -d’où on les rapporta en grande pompe à Nicomédie lorsque fut restituée -la paix à l’Eglise. Ce martyre eut lieu l’an du Seigneur 280. - -Nathalie, après la mort de son mari, demeurait dans sa maison, -conservant pieusement la main du martyr; et toujours, pour se consoler, -elle gardait cette main sous son oreiller. Or un tribun, la voyant -belle, riche et noble, lui envoya des dames de la ville pour la demander -en mariage. Nathalie leur répondit: «Quel honneur pour moi de devenir la -femme d’un tel homme! Accordez-moi seulement trois jours de délai, pour -me préparer à ce mariage!» Elle disait cela pour pouvoir s’enfuir. Or, -la même nuit, un des martyrs lui apparut en rêve, et, la consolant -doucement, lui enjoignit de se rendre au lieu où étaient les corps des -martyrs. Dès son réveil, elle prit la main coupée d’Adrien, et -s’embarqua sur un vaisseau avec d’autres fidèles. Ce qu’apprenant, le -tribun la poursuivit sur mer avec une troupe de soldats; mais une -tempête se leva qui en noya un grand nombre et força les autres à -rentrer au port. - -Au milieu de la nuit, le diable, ayant pris la forme d’un marin, et -étant monté sur un bateau fantastique, apparut aux compagnons de -Nathalie et leur dit: «D’où venez-vous et où allez-vous?» Ils -répondirent: «Nous venons de Nicomédie et nous allons à Constantinople!» -Alors le diable: «En ce cas, vous faites fausse route, c’est à gauche -qu’est votre chemin!» Il leur disait cela pour les envoyer contre des -rochers, où ils n’auraient pas manqué de périr. Mais lorsqu’ils eurent -changé les voiles, Adrien se montra soudain devant eux, sur un autre -bateau, leur apprit que c’était le diable qui leur avait parlé, leur -ordonna de suivre la direction qu’ils suivaient précédemment, et, -navigant devant eux, il leur montra le chemin. Et Nathalie, en revoyant -son mari, fut saisie d’une joie immense. - -Le matin avant l’aube, le vaisseau aborda à Constantinople. Aussitôt -Nathalie se rendit à la maison où étaient les corps des martyrs, et -replaça la main d’Adrien avec le reste du corps. Puis elle pria; et -Adrien lui apparut en rêve, lui enjoignant de venir le retrouver dans la -paix éternelle. Réveillée, elle raconta son rêve aux assistants, leur -dit adieu et rendit l’âme. Et son corps fut placé près de ceux des -martyrs. - - - - -CXXXI - -SAINT GORGON ET SAINT DOROTHÉE, MARTYRS - -(9 septembre) - - -Gorgon et Dorothée étaient, à Nicomédie, les chefs de la troupe qui -gardait le palais de Dioclétien. Mais, pour pouvoir suivre plus -librement leur maître divin, ils se démirent de leur fonction et se -proclamèrent chrétiens. Ce qu’entendant, l’empereur fut désolé à la -pensée de perdre d’aussi nobles et dévoués serviteurs. Mais comme ni les -menaces, ni les flatteries ne parvenaient à les émouvoir, il les fit -étendre sur le chevalet, fit déchirer leurs corps avec des fouets et des -griffes de fer, fit jeter du vinaigre et du sel dans leurs intestins -perforés; puis comme ils n’en éprouvaient aucun mal, il les fit mettre -sur un gril; et ils avaient l’impression d’être couchés sur un lit de -fleurs. Alors Dioclétien les fit pendre, et laissa leurs corps en pâture -aux chiens et aux loups. Mais les corps demeurèrent intacts jusqu’au -moment où les fidèles purent les recueillir. Ce martyre eut lieu en l’an -du Seigneur 280. - -Longtemps après, le corps de saint Gorgon fut transporté à Rome. Plus -tard encore, en l’an 763, l’évêque de Metz, neveu du roi Pépin, fit -transporter ce corps en Gaule et l’ensevelit au monastère de Gorgocie. - - - - -CXXXII - -SAINTS PROTHE ET HYACINTHE, MARTYRS - -(11 septembre) - - -Prothe et Hyacinthe étaient compagnons d’études d’Eugénie, fille d’un -noble romain nommé Philippe. Celui-ci, ayant été nommé par le Sénat -préfet d’Alexandrie, avait emmené avec lui dans cette ville sa femme -Claudie, ses fils Avit et Serge, et sa fille Eugénie, instruite -excellemment dans la connaissance des arts et des lettres. A quinze ans, -Eugénie fut demandée en mariage par Aquilin, fils du consul Aquilin. -Mais elle: «Ce n’est point d’après la naissance qu’on doit se choisir un -mari, mais d’après les mœurs et le caractère!» - -Un hasard fit tomber entre ses mains la doctrine de saint Paul, et -aussitôt son âme commença à devenir chrétienne. Les chrétiens avaient -alors l’autorisation de demeurer dans un village voisin d’Alexandrie. -Eugénie s’y rendit, comme en promenade, et elle entendit que les -chrétiens chantaient: «Tous les dieux des nations ne sont que des -idoles; un seul Dieu a créé le ciel et la terre.» Alors elle dit à ses -compagnons d’études Prothe et Hyacinthe: «Nous avons approfondi tous les -syllogismes des philosophes, les catégories d’Aristote, et les idées de -Platon, et les préceptes de Socrate. Mais voici que la phrase que -chantent ces chrétiens détruit tout ce qu’ont dit les poètes, les -orateurs et les philosophes. Une puissance usurpée a fait de moi votre -supérieure; mais à présent la sagesse fait de moi votre sœur. Donc, -soyez mes frères, et suivons le Christ!» Les deux esclaves y -consentirent, et Eugénie, ayant revêtu des habits masculins, se rendit -avec eux dans un monastère dont l’abbé était un saint homme nommé -Hélénus. Cet Hélénus, discutant un jour avec un hérétique, et ne -parvenant pas à le convaincre par ses arguments, fit allumer un grand -feu, et offrit à son adversaire d’y entrer avec lui, sous la condition -que celui des deux qui en sortirait indemne, serait considéré comme -professant la vérité. Puis il entra lui-même, le premier, dans la -flamme, et en sortit sans le moindre mal. Et l’hérétique, ayant refusé -d’y entrer à son tour, fut honteusement chassé par la foule. C’est donc -vers cet Hélénus que se rendit la jeune fille, et elle lui dit qu’elle -était un homme. Et lui: «Tu as bien raison de le dire, car, bien que tu -sois femme, tu agis en homme!» Après quoi il l’admit au nombre de ses -moines avec Prothe et Hyacinthe, et lui ordonna de prendre le nom de -frère Eugène. - -Cependant, le père et la mère d’Eugénie, ne la voyant pas revenir chez -eux, la firent rechercher partout sans pouvoir la trouver. Des devins, -consultés par eux, leur répondirent que la jeune fille avait été -transportée au ciel, où elle était devenue un astre. Aussi le père -fit-il exécuter une statue de sa fille, et enjoignit-il au peuple de -l’adorer. Et Eugénie, dans son monastère, vivait avec ses compagnons -dans la crainte de Dieu, de telle sorte que, à la mort de l’abbé, c’est -elle qui fut élue pour le remplacer. - -Il y avait alors à Alexandrie une femme riche et noble, appelée -Mélancie, que sainte Eugénie avait guérie de la fièvre quarte en -l’oignant d’huile au nom de Jésus. Cette femme, frappée de l’élégance et -de la beauté de celui qu’elle croyait être le Frère Eugène, se prit pour -lui d’un violent amour, et songea aux moyens d’entrer en relations -intimes avec lui. Elle imagina de feindre une maladie, et de prier le -Frère de venir la voir. Et, quand il fut venu, elle lui révéla combien -elle le désirait; après quoi, le suppliant de s’unir charnellement à -elle, elle se jeta à son cou et le couvrit de baisers. Indigné de cette -conduite, le Frère Eugène lui dit: «Tu mérites bien ton nom de Mélancie, -car tu es pleine de noirceur, et la digne fille du prince des ténèbres!» -Aussitôt la dame, furieuse de sa déception, et craignant en outre d’être -dénoncée, se résolut à dénoncer la première, et proclama que le Frère -Eugène avait voulu la violer. S’étant rendue chez le préfet Philippe, -elle lui dit: «Un jeune chrétien, venu chez moi sous prétexte de me -guérir, a eu l’impudence de se jeter sur moi pour me violer; et sans -l’aide de ma servante, qui se trouvait dans ma chambre, le monstre -aurait assouvi sur moi son ignoble désir.» Ce qu’entendant, le préfet, -irrité, fit saisir Eugénie et les autres serviteurs du Christ, et -déclara que tous seraient livrés aux bêtes. Quand Eugénie fut amenée -devant lui, il lui dit: «Apprends-nous donc, scélérat, si c’est votre -Christ qui vous a ordonné de violer les femmes de noble maison!» Alors -Eugénie, baissant la tête pour n’être pas reconnue, répondit: «Notre -Christ nous a enseigné la chasteté, et a promis la vie éternelle à ceux -dont les âmes et les corps seraient purs. Quant à cette Mélancie, nous -pourrions la convaincre de faux témoignage; mais mieux vaut que nous -souffrions nous-mêmes, car, pour faire la preuve de son mensonge, nous -devrions sacrifier le fruit de notre patience!» On fit alors venir la -servante de Mélancie; cette femme, stylée par sa maîtresse, répéta que -le Frère Eugène avait voulu violer celle-ci. Et Eugénie: «Puisque c’est -ainsi, puisque l’impudique ose accuser d’un tel crime les serviteurs du -Christ, je dévoilerai la vérité, non point par orgueil, mais pour la -gloire de Dieu!» Disant cela, elle coupa sa tunique de haut en bas, -jusqu’à la ceinture, et l’on vit qu’elle était une femme. Et elle dit au -préfet: «Je suis Eugénie, ta fille, Claudie est ma mère, Avit et Serge, -que je vois assis près de toi, sont mes frères, et les deux moines que -voici sont Prothe et Hyacinthe!» Aussitôt le père, reconnaissant sa -fille; se jeta dans ses bras en pleurant, et au même instant une flamme, -descendue des cieux, consuma Mélancie et tous ses faux témoins. - -C’est ainsi qu’Eugénie convertit son père, sa mère, ses frères, et toute -leur maison. Philippe, se démettant de ses fonctions, fut élu évêque par -les chrétiens, et souffrit le martyre pour la foi. Eugénie revint, avec -ses frères et sa mère, à Rome, où ils firent de nombreuses conversions. -Et un jour, par ordre de l’empereur, elle fut attachée à une grosse -pierre et jetée dans le Tibre; mais la pierre se détacha de son corps, -et on vit la jeune fille marcher saine et sauve sur les eaux. On la -plongea dans une fournaise ardente; la flamme s’éteignit aussitôt. On -l’enferma dans un cachot sans fenêtre; mais la cachot se remplit d’un -rayonnement de lumière. On la laissa dix jours sans nourriture; le -dixième jour, le Sauveur lui apparut, lui offrit un pain, et lui dit: -«Reçois cette nourriture de ma main! Je suis ton Sauveur, que tu as aimé -de toute ton âme! Et sache que, le jour anniversaire de ma naissance -terrestre, je t’appellerai près de moi!» Et en effet, le jour de Noël, -un bourreau trancha la tête de la sainte. Alors celle-ci apparut à sa -mère, et lui annonça que, le dimanche suivant, elles se retrouveraient -au ciel. Et en effet, le dimanche suivant, Claudie, pendant qu’elle se -tenait en prière, rendit son âme à Dieu. Quant à Prothe et Hyacinthe, -sur leur refus de sacrifier aux idoles, ils eurent la tête tranchée. -Cela se passait sous le règne de Valérien et de Gallien, en l’an du -Seigneur 256. - - - - -CXXXIII - -L’EXALTATION DE LA SAINTE CROIX - -(14 septembre) - - -I. La fête de l’Exaltation de la Sainte Croix a été instituée en -souvenir d’un solennel hommage rendu à la croix du Seigneur. L’an 615, -Dieu permit que son peuple fût livré en proie à la cruauté des païens. -Cette année-là, le roi des Perses, Cosroës, conquérant du monde, vint à -Jérusalem, et y fut frappé de terreur devant le sépulcre du Christ; -mais, en s’en allant, il emporta avec lui la partie de la sainte croix -que sainte Hélène avait laissée à Jérusalem. Puis, rentré dans sa -capitale, il imagina de se faire passer pour dieu. Il se construisit une -tour d’or et d’argent toute semée de pierreries, et y plaça les images -du soleil, de la lune et des étoiles. Au sommet de la tour il -recueillait de l’eau, qui montait jusque-là par un conduit secret, et il -la faisait pleuvoir sur la ville comme une vraie pluie. Il y avait aussi -sous la tour, dans une caverne, des chevaux qui tournaient en traînant -des chars, de telle sorte qu’ils semblaient ébranler la tour, avec un -bruit imitant le tonnerre. Abandonnant à son fils le soin du royaume, -Cosroës se retira dans cette tour, s’assit dans un trône, comme s’il -était Dieu le Père, plaça à sa droite le bois de la croix pour -représenter le Fils, à gauche plaça le coq pour représenter le -Saint-Esprit, et ordonna qu’on lui rendît le culte divin. - -Alors l’empereur Héraclius réunit une nombreuse armée, et vint livrer -bataille au fils de Cosroës sur les bords du Danube. Et les deux princes -convinrent qu’ils lutteraient seuls sur un pont, de telle sorte que le -vainqueur pût obtenir l’empire sans aucun dommage pour l’une ni l’autre -armée. Et l’on décréta que quiconque voudrait aider son prince aurait -les jambes et les bras coupés, et serait jeté dans le fleuve. Mais -Héraclius se recommanda à Dieu et à la sainte croix. Aussi fut-il -vainqueur, après une longue lutte, et soumit-il à son empire l’armée -ennemie. Tout le peuple de Cosroës se convertit à la foi chrétienne et -reçut le baptême. Seul Cosroës ignorait l’issue de la guerre: car, afin -d’être adoré comme un dieu, il n’admettait aucun homme à lui parler -familièrement. Mais Héraclius parvint jusqu’à lui et, le trouvant assis -sur son trône doré, il lui dit: «Puisque tu as honoré en une certaine -mesure le bois de la sainte croix, je te laisserai la vie et le pouvoir -royal si tu consens à recevoir le baptême; si, au contraire, tu t’y -refuses, je te trancherai la tête!» Cosroës ayant refusé de se -convertir, Héraclius tira son épée et lui trancha la tête. Puis, quand -il l’eut fait ensevelir avec les honneurs dus à sa royauté, il fit -baptiser son jeune fils âgé de dix ans, le présenta lui-même sur les -fonts baptismaux, et lui transmit le royaume de son père. Il fit -seulement détruire la tour de Cosroës, et en distribua l’argent à son -armée, réservant l’or et les pierreries pour servir à la reconstruction -des églises que le tyran avait détruites. - -Il alla ensuite rapporter à Jérusalem la sainte croix. Et comme, sur son -cheval royal et avec ses ornements impériaux, il descendait du mont des -Oliviers, il arriva devant la porte par où était entré Notre-Seigneur, -la veille de sa passion. Or voici que les pierres de la porte se -rejoignirent de façon à former comme un mur. Et au-dessus de la porte -apparut un ange qui, tenant en main le signe de la croix, dit: «Lorsque -le Roi des Cieux est entré par cette porte, ce n’est pas avec un luxe -princier, mais en pauvre, et monté sur un petit âne: en quoi il vous a -laissé un exemple d’humilité que vous devez suivre!» Puis, cela dit, -l’ange disparut. Alors l’empereur, tout en larmes, se déchaussa, se -dépouilla de ses vêtements jusqu’à la chemise, et, prenant la croix du -Seigneur, il en frappa humblement la porte qui, se soulevant, le laissa -passer avec toute sa suite. Et une odeur délicieuse se dégagea du bois -sacré. Et l’empereur s’écria pieusement: «O croix plus splendide que -tous les astres, célèbre et chère, qui seule as mérité de porter l’âme -du monde, doux bois, clous précieux, sauvez la troupe qui se réunit -aujourd’hui pour vous louer, munie de votre signe!» Et aussitôt que la -croix fut restituée en son lieu, les anciens miracles se renouvelèrent. -Des morts ressuscitèrent, quatre paralytiques furent guéris, dix lépreux -furent purifiés, quinze aveugles recouvrèrent la vue, des démons -s’enfuirent des corps dont ils s’étaient emparés; et ainsi l’empereur, -après avoir reconstruit les églises et les avoir comblées de présents, -revint dans sa capitale. - -Cependant d’autres chroniques donnent un autre récit de cette exaltation -de la sainte croix. Elles prétendent que, comme Cosroës s’était emparé -de Jérusalem et qu’Héraclius voulait faire la paix avec lui, le roi des -Perses avait juré de ne pas accorder la paix aux Romains aussi longtemps -qu’ils n’auraient pas renié le crucifix pour adorer le soleil. Sur quoi -Héraclius, rempli d’un saint zèle, l’avait attaqué, battu et repoussé -jusqu’à Ctésiphon. Là Cosroës, atteint de dysenterie, avait voulu -couronner roi son fils Medase. Ce qu’apprenant, son fils aîné, Syroïs, -s’était allié avec Héraclius, avait jeté son père en prison et l’avait -enfin fait tuer à coups de flèches. Il avait ensuite rendu à Héraclius -le bois de la croix, ainsi que le patriarche Zacharie, que Cosroës avait -également emmené de Jérusalem. Et l’empereur s’était empressé de -rapporter la croix à Jérusalem, d’où il l’avait ensuite transportée à -Constantinople. - -II. A Constantinople, un Juif, étant entré dans l’église de -Sainte-Sophie, avait aperçu une image du Christ. Voyant qu’il était -seul, il tira son épée, visa l’image et frappa le Christ à la gorge: et -aussitôt un flot de sang jaillit, qui arrosa le visage et toute la tête -du Juif. Celui-ci, épouvanté, prit l’image, la jeta dans un puits, et -s’enfuit. Il fut rencontré par un chrétien, qui lui dit: «D’où viens-tu, -Juif? Tu as commis un meurtre!» Et comme le Juif niait, le chrétien lui -dit: «Certes, tu as commis un meurtre, car tu as encore la tête tout -arrosée de sang!» Et le Juif: «En vérité le Dieu des chrétiens est un -grand Dieu, et tout confirme sa foi! Ce n’est pas un homme que j’ai -frappé, mais l’image du Christ, et aussitôt le sang a jailli de sa -gorge!» Puis le Juif conduisit ce chrétien jusqu’au puits, d’où l’on -retira l’image sainte. Et, aujourd’hui encore, on voit la trace de la -blessure dans la gorge du Christ. - -III. Dans la ville de Berith, en Syrie, un chrétien, qui avait loué un -logement à l’année, avait fixé au mur une croix, devant laquelle il -faisait ses prières. Mais, au bout d’une année, il se loua un autre -logement et oublia d’emporter le crucifix. Le logement fut alors loué à -un Juif qui, un jour, invita à dîner un de ses concitoyens. Et voici -que, à table, l’invité aperçoit sur le mur le crucifix. Furieux, il -demande à son hôte comment il ose garder chez lui l’image du Nazaréen. -En vain l’hôte lui jure, par tous les serments de sa race, que jamais -encore il ne s’est aperçu de la présence du crucifix. L’invité feint de -se calmer, dit adieu à son hôte affectueusement, et s’en va le dénoncer -au chef des Juifs. Aussitôt tous les Juifs de la ville s’assemblent, -envahissent le logement, et, apercevant la croix, accablent d’injures et -de coups leur malheureux frère, qu’ils jettent, à demi mort, sur les -pierres du chemin. Après quoi ils foulent aux pieds l’image sainte, et -recommencent sur elle tous les sacrilèges de la passion du Seigneur. -Mais, au moment où ils lui percent le flanc d’un coup de lance, voici -que de l’eau et du sang en jaillissent si abondamment qu’un grand vase -s’en trouve rempli. Les Juifs, stupéfaits, emportent ce sang dans leur -synagogue; et tout malade qui l’applique sur son corps est aussitôt -guéri. Ce que voyant, les Juifs vont raconter toute l’histoire à -l’évêque du diocèse et reçoivent le baptême. L’évêque transvase le sang -miraculeux dans des ampoules de cristal; puis, mandant près de lui le -chrétien à qui appartenait le crucifix, il le questionne sur la -provenance de celui-ci. Et le chrétien lui répond: «Ce crucifix est -l’œuvre de Nicodème, qui, en mourant, l’a légué à Gamaliel, qui l’a -légué lui-même à Zachée, qui l’a légué à Jacques, qui l’a légué à Simon. -Après la destruction de Jérusalem, les fidèles l’ont emporté dans le -royaume d’Agrippa, et ainsi il est venu entre les mains de mes parents, -qui me l’ont légué par héritage.» Ce miracle eut lieu en l’an 750. C’est -en souvenir de lui que, le 3 décembre, l’Eglise institua la fête du -Souvenir de la Passion: ou encore, suivant d’autres, le 5 novembre. A -Rome, une église fut consacrée en l’honneur du Sauveur, où l’on conserve -aujourd’hui encore une ampoule de ce sang, et où une fête solennelle est -célébrée à son sujet. - -IV. Les infidèles eux-mêmes reconnaissent la vertu de la croix. D’après -saint Grégoire, au troisième livre de ses _Dialogues_, André, évêque de -Fondi, ayant permis à une religieuse de demeurer avec lui, le diable, -pour le tenter, lui imprima dans l’esprit l’image de cette femme, de -telle façon que, dans son lit, il était poursuivi de pensées lubriques. -Or, certain soir, un Juif, venant à Rome, et ne trouvant plus de place -dans les auberges, s’installa pour la nuit dans un temple d’Apollon. Et, -bien qu’il ne fût pas chrétien, il avait si peur d’être puni par les -Romains comme un sacrilège, que, par précaution, il eut l’idée de faire -le signe de la croix. Or voici que, s’éveillant au milieu de la nuit, il -vit toute la troupe des mauvais esprits réunis en conseil, autour d’un -chef qui interrogeait chacun d’eux sur le mal qu’il avait réussi à -faire. - -Saint Grégoire, pour abréger, ne nous dit rien de la discussion qui eut -lieu entre ces démons: mais nous pouvons nous en faire une idée d’après -un autre exemple, qui se trouve cité dans la vie des Pères. Nous y -lisons, en effet, qu’un homme, étant entré dans un temple d’idoles, vit -Satan assis et toutes ses milices debout devant lui. Et Satan dit -d’abord à l’un des mauvais esprits: «D’où viens-tu?» Et le démon: «J’ai -été dans telle province, j’y ai suscité des guerres, causé toute sorte -de troubles, et répandu beaucoup de sang. Voilà ce que j’ai à -t’annoncer!» Et Satan lui dit: «En combien de temps as-tu fait cela?» Et -lui: «En trente jours.» Et Satan: «Pourquoi as-tu mis tant de temps?» Et -il dit à ses serviteurs: «Fouettez-le de verges, et ne craignez pas -d’appuyer!» Puis un autre diable vint et dit: «Seigneur, j’ai été sur la -mer, où j’ai soulevé de grandes tempêtes et fait périr une grande -quantité d’hommes.» Et Satan: «En combien de temps as-tu fait cela?» Et -lui: «En vingt jours.» Satan le fit fouetter de la même façon en disant: -«Tu ne t’es pas fatigué, pour faire si peu de chose en tant de jours!» -Puis vint un troisième diable qui dit: «J’ai été dans une ville où il y -avait une noce. J’ai produit une rixe, où beaucoup de sang a été -répandu, et où le marié, notamment, est mort. Voilà ce que j’ai à -t’annoncer!» Et Satan: «En combien de temps as-tu fait cela?» Et le -diable: «En dix jours.» Et Satan: «Tu n’as pas honte d’avoir fait si peu -d’ouvrage en tant de jours!» Et il le fit fouetter comme les deux -précédents. Puis vint un quatrième diable qui dit: «Je suis allé dans le -désert, et pendant quarante ans j’ai peiné autour d’un certain moine; -mais je viens enfin de le précipiter dans un péché de chair!» A ces -mots, Satan se leva de son trône, alla vers ce diable, lui posa sur la -tête sa propre couronne et le fit asseoir près de lui, en disant: «Tu as -fait là une grande action, et il n’y a personne qui ait mieux employé -son temps!» - -C’est sans doute à un débat du même genre qu’aura assisté le Juif dont -parle saint Grégoire. Toujours est-il que, après que de nombreux diables -eurent rendu compte de leurs méfaits, l’un d’eux s’avança et révéla -quelle tentation charnelle il avait inspirée à l’évêque André, ajoutant -que, la veille, à l’heure des vêpres, il avait poussé si loin son œuvre -de tentation que l’évêque avait, par manière de caresse, posé sa main -sur le dos de la religieuse. Alors Satan l’exhorta à compléter son -œuvre, qui lui vaudrait une gloire merveilleuse parmi ses pairs. Puis il -lui dit d’aller voir quel était le téméraire qui avait osé venir se -coucher dans son temple. Le Juif, comme l’on pense, tremblait de tous -ses membres; mais le diable, s’étant approché de lui, découvrit qu’il -était muni du signe de la croix. Et il dit à ses compagnons: «C’est un -vase vide, en vérité, mais marqué du signe contre lequel nous ne pouvons -rien!» Aussitôt toute la foule des mauvais esprits disparut; et le Juif, -réveillé, alla trouver l’évêque, à qui il raconta sa vision. Aussitôt -André gémit profondément et renvoya de sa maison toutes les femmes qui -s’y trouvaient. Le Juif, de son côté, se fit baptiser. - -V. Saint Grégoire rapporte également dans ses _Dialogues_, qu’une -religieuse, étant entrée dans un jardin, aperçut une laitue qui la tenta -si fort qu’elle y mordit sans l’avoir bénie d’un signe de croix. -Aussitôt le diable pénétra en elle. Et comme saint Equice venait pour -l’exorciser, le diable s’écria: «Qu’ai-je fait de mal? J’étais -tranquillement assis, là, sur cette laitue, et voilà que cette -religieuse est venue et m’a mordu!» Mais, sur l’ordre du saint, il fut -bientôt forcé de déguerpir. - -VI. Enfin on lit, au livre XI de l’_Histoire ecclésiastique_, que -l’empereur Théodose fit effacer sur les murs d’Alexandrie les emblèmes -de Sérapis, et fit peindre, à leur place, le signe de la croix. Ce que -voyant, les païens et leurs prêtres se firent aussitôt baptiser, disant -qu’une ancienne tradition les avait avertis que leur religion perdrait -tout pouvoir le jour où viendrait chez eux le signe de la vie: car il y -avait dans leur langue une lettre, tenue pour sacrée, qui avait la forme -de la croix, et qui, d’après leur doctrine, était le symbole de la vie -future. - - - - -CXXXIV - -SAINTE EUPHÉMIE, VIERGE ET MARTYRE - -(16 septembre) - - -Euphémie, fille d’un sénateur, voyant les supplices infligés aux -chrétiens sous le règne de Dioclétien, se rendit auprès du juge Priscus -et confessa publiquement le Christ. Ce juge ordonnait que les chrétiens -fussent mis à mort l’un après l’autre, et que les survivants -assistassent au martyre de leurs compagnons, espérant par là les -épouvanter et les détourner de leur foi. Or Euphémie, à chaque nouvelle -exécution qui se faisait en sa présence, pleurait et se désolait comme -si elle-même avait été suppliciée; ce dont le juge se réjouissait, -pensant qu’elle consentirait à sacrifier aux idoles. Il lui demanda -enfin de quoi elle se plaignait. Et elle: «Etant de race noble, je me -plains de ce que tu me préfères des inconnus et des gens de rien, et de -ce que tu leur permettes d’arriver avant moi à la gloire promise!» Sur -quoi le juge, furieux de sa déception, la fit jeter en prison, mais sans -la charger de chaînes. Le lendemain, amenée de nouveau devant le juge, -elle se plaignit de nouveau de ce que, contrairement à la loi, elle -seule n’eût pas été chargée de chaînes. Le juge la fit remettre en -prison, après avoir ordonné qu’elle fût souffletée; et l’ayant suivie -dans la prison, il voulut assouvir sur elle sa concupiscence; mais, à la -prière de la vierge, la force divine paralysa le bras qu’il levait sur -elle. Et Priscus, croyant à un sortilège, envoya vers elle un de ses -fonctionnaires pour lui promettre toute sorte de faveurs si elle -consentait à devenir sa maîtresse. Mais l’envoyé trouva la prison -fermée, de telle sorte qu’il ne put ni l’ouvrir avec ses clés ni en -briser la porte à coups de hache. Et il fut possédé d’un démon, qui le -contraignit à se déchirer les chairs de ses propres mains. - -Le juge décida ensuite que la sainte eût à être placée sur une roue dont -les rayons étaient remplis de charbons ardents; et l’auteur de cette -roue s’entendit avec les bourreaux pour que, sur un signe de lui, la -flamme, sortant des rayons, consumât le corps d’Euphémie. Mais Dieu fit -en sorte que ce fût cet homme lui-même qui fut consumé tandis -qu’Euphémie, délivrée par un ange, apparut debout, saine et sauve, dans -les airs. Alors un certain Appellien dit au juge: «Le pouvoir de ces -chrétiens ne peut être vaincu que par le fer. Je te conseille donc de la -faire décapiter!» On éleva alors un échafaud; mais le premier homme qui -voulut étendre la main sur Euphémie, pour l’y faire monter, eut aussitôt -la main paralysée et fut emporté à demi mort. Un autre, nomme Sosthène, -arrivé près d’elle, se convertit tout de suite, lui demanda pardon et, -tirant son épée, déclara au juge qu’il se tuerait lui-même plutôt que de -toucher à celle que défendaient les anges. - -Désespérant de la tuer par ce moyen, le juge dit à son chancelier de -mander auprès d’elle les jeunes gens les plus vigoureux et les plus -ardents de la ville, afin qu’ils usassent de son corps jusqu’à la faire -mourir. Mais le premier qui entra dans la prison aperçut une troupe de -vierges resplendissantes qui priaient autour d’Euphémie; et aussitôt il -devint chrétien. Alors le juge la fit suspendre par les cheveux, puis, -devant l’inefficacité de ce nouveau supplice, la condamna à être privée -de nourriture et à être pressée comme une olive entre d’énormes pierres. -Elle resta ainsi pendant sept jours, nourrie par un ange; et, au bout de -sept jours, les quatre grosses pierres se trouvèrent réduites en une -fine cendre. - -Honteux d’être vaincu par une jeune fille, le juge la fit plonger dans -une fosse où se trouvaient trois bêtes d’une férocité effroyable. Mais -ces bêtes accoururent près d’elle pour la caresser, et, joignant leurs -queues, lui firent comme un trône où le juge la vit s’asseoir. Enfin un -bourreau, entrant dans la fosse, perça d’un glaive le côté de la sainte, -qui acheva ainsi les épreuves de son martyre. Pour le récompenser, le -juge le revêtit d’un manteau de soie et lui ceignit les reins d’une -ceinture dorée; mais, au moment où cet homme sortait de la fosse, un -lion s’élança sur lui et le dévora, ne laissant que le manteau, la -ceinture et quelques ossements. Quant au juge Priscus, il en vint à se -dévorer lui-même, et rendit son âme au démon. Sainte Euphémie fut -ensevelie à Chalcédoine, l’an du Seigneur 280; et, par ses mérites, tous -les Juifs et païens de Chalcédoine se convertirent au christianisme. - - - - -CXXXV - -SAINT LAMBERT, ÉVÊQUE ET MARTYR - -(17 septembre) - - -Lambert était noble de naissance, mais il fut plus noble encore par la -sainteté de sa vie. Instruit dans les Ecritures dès son enfance, il -était si aimé de tous que, après la mort de son maître Théodard, il fut -élu, à sa place, évêque de Maëstricht. Le roi Childéric avait pour lui -une estime toute particulière, et le préférait à tous les autres -évêques, jusqu’à ce que, un jour, trompé par la malice croissante des -envieux, il le chassa de son siège, et nomma Féramond pour le remplacer. - -Lambert se réfugia alors dans un monastère où, pendant sept ans, il -donna l’exemple de la plus haute vertu. Mais une nuit, comme il se -levait pour prier, il fit par hasard un grand bruit sur le pavé. Et -l’abbé, entendant le bruit, dit: «Que celui qui a fait ce bruit aille -aussitôt à la croix!» Aussitôt Lambert, pieds nus, et couvert d’un -cilice, courut vers la croix qui était à la porte du monastère, et y -resta jusqu’au matin, dans la neige et la glace. Et quand, le lendemain, -l’abbé vit que c’était lui qui était allé à la croix, il l’envoya -chercher, et, avec tous les moines, lui demanda pardon. Et l’évêque les -accueillit avec une indulgence parfaite. Sept ans après, Féramond fut -enfin chassé de son siège, et saint Lambert y remonta, par ordre du roi -Pépin. Et comme deux méchants recommençaient à le tourmenter, ses amis -les tuèrent ainsi qu’ils le méritaient. Vers le même temps, Lambert fit -de vifs reproches à Pépin au sujet d’une courtisane qu’il gardait près -de lui. Alors le frère de cette courtisane, qui servait à la cour, -s’entendit avec Dodon, frère des deux hommes qui avaient été tués; et, -ayant assemblé une armée, ils assiégèrent la maison de l’évêque. -Celui-ci était en prière quand un de ses serviteurs vint lui annoncer -que la maison était assiégée. Le saint prit d’abord un poignard; mais -bientôt il se ravisa et jeta le poignard, préférant vaincre ses ennemis -par sa mort que de souiller de leur sang ses mains sacrées. Il engagea -ses compagnons à confesser leurs péchés et à attendre courageusement la -mort; puis il se remit en prière; et aussitôt les impies, forçant les -portes, s’élancèrent sur lui et le mirent à mort. Quand ils se furent -retirés, un des serviteurs de Lambert embarqua secrètement son corps sur -un bateau et le transporta dans l’église, où il fut enseveli en grande -pompe par les habitants, désolés de sa mort. Cette mort eut lieu en l’an -du Seigneur 620. - - - - -CXXXVI - -SAINT CORNEILLE, PAPE ET MARTYR - -(18 septembre) - - -Le pape Corneille, successeur de saint Fabien, fut relégué en exil avec -son clergé par l’empereur Décius. En exil, il reçut une lettre -d’encouragement de saint Cyprien, évêque de Carthage. Revenu à Rome, il -comparut devant Décius, qui, après l’avoir fait frapper de verges -plombées, ordonna qu’il fût conduit au temple de Mars, pour sacrifier -aux idoles, ou, en cas de refus, pour subir la peine capitale. Comme on -le conduisait, un soldat le pria de s’arrêter dans sa maison et de prier -pour sa femme Sallustie, qui, depuis cinq ans, était paralysée. -Corneille, par sa prière, guérit cette femme: sur quoi son mari et elle, -ainsi que vingt autres soldats, se convertirent à la foi chrétienne. Et -Décius les fit tous conduire au temple de Mars; et comme ils se -refusaient à sacrifier, tous subirent le martyre avec saint Corneille. -Ce martyre eut lieu en l’an 253. - -Trois ans plus tard, Cyprien, évêque de Carthage, fut envoyé en exil par -le proconsul Patron. Mais le proconsul Galère, successeur de Patron, le -rappela à Carthage et le condamna à la peine capitale. Et Cyprien, après -avoir remercié Dieu de cette condamnation, recommanda à ses amis de -donner quinze pièces d’or à son bourreau pour le récompenser. Puis, -fermant les yeux, il reçut le coup mortel, en l’an 256. - - - - -CXXXVII - -SAINT EUSTACHE, MARTYR - -(20 septembre) - - -Eustache s’appelait d’abord Placide. Il commandait les armées de -l’empereur Trajan. C’était un homme bon et miséricordieux, mais adonné -au culte des idoles. Il avait une femme, païenne comme lui, et comme lui -excellente; et deux fils, à qui il avait fait donner l’éducation la plus -raffinée. - -Et, comme il persistait dans les bonnes œuvres, Dieu le jugea digne -d’être admis à la voie de la vérité. Un jour, étant à la chasse, il -rencontra un troupeau de cerfs, parmi lesquels s’en trouvait un plus -grand et plus beau que les autres, et qui, dès qu’il aperçut les -chasseurs, se sépara de ses compagnons pour s’enfoncer dans le bois. -Aussitôt Placide se mit à le poursuivre; mais, après une longue course, -le cerf grimpa sur un rocher; et Placide, arrêté au pied du rocher, -songeait aux moyens de l’atteindre. Et comme il observait avec attention -le cerf, il vit briller entre ses cornes une grande croix avec l’image -de Notre-Seigneur. Et Dieu, parlant par la bouche du cerf, comme jadis -par celle de l’âne de Balaam, lui dit: «Placide, pourquoi me -persécutes-tu? C’est par faveur pour toi que je te suis apparu sous -cette forme; et je suis le Christ, que tu sers sans le connaître. Car -tes aumônes sont montées jusqu’à moi; et c’est, pour cela que je suis -venu, afin de te faire la chasse, par l’entremise de ce cerf à qui tu -fais la chasse!» Ce qu’entendant, Placide, effrayé, sauta de cheval et -se prosterna. Une heure après, se relevant, il dit: «Explique-moi qui tu -es, et je croirai en toi!» Et la voix: «Placide, je suis le Christ, qui -ai créé le ciel et la terre, qui ai séparé la lumière des ténèbres, qui -ai constitué les années et les jours, qui ai formé l’homme du limon de -la terre, qui me suis incarné pour le salut du genre humain, qui ai été -crucifié, enseveli, et qui suis ressuscité le troisième jour!» Ce -qu’entendant, Placide se prosterna de nouveau et dit: «Seigneur, je -crois en toi!» Et la voix: «Si tu crois, va trouver l’évêque, et -fais-toi baptiser!» Et Placide: «Seigneur, permets-tu que j’instruise de -tout cela ma femme et mes fils, pour que, eux aussi, ils croient en -toi?» Et la voix: «Instruis-les de tout cela, afin qu’ils se purifient -avec toi! Et demain, reviens à cette place; je t’apparaîtrai de nouveau -et je te révélerai ce qui doit arriver.» De retour chez lui, Placide, au -lit, raconta l’aventure à sa femme, qui lui dit: «Figure-toi, mon ami, -que j’ai vu, moi aussi, en rêve, la nuit passée, un crucifix, et qu’il -m’a annoncé que demain, avec mon mari et mes fils, je viendrais à lui! -Je sais maintenant que c’était Jésus-Christ.» Ils se rendirent donc -aussitôt auprès de l’évêque de Rome, qui les baptisa avec grande joie, -donnant à Placide le nom d’Eustache, à sa femme celui de Théospite, et -nommant ses fils Théospit et Agapet. - -Après cela Eustache repartit de nouveau en chasse, de nouveau se sépara -de son escorte, et, arrivé au pied du rocher, aperçut de nouveau sa -vision de la veille. Se prosternant, la face contre terre, il dit: -«Daigne, Seigneur, tenir la promesse que tu as faite à ton serviteur!» -Et la voix: «Heureux es-tu, Eustache, d’avoir reçu le signe de ma grâce! -Mais déjà le diable, furieux de ton abandon, arme contre toi. Sache donc -que tu auras beaucoup à souffrir, avant d’obtenir la couronne de la -victoire! Ne défaille pas, ne regrette pas ton ancienne gloire; car je -veux que tu apparaisses aux hommes comme un autre Job. Et quand tu seras -au comble de l’humiliation, je viendrai à toi et t’apporterai une gloire -nouvelle. Dis-moi seulement si tu te résignes à subir toutes ces -épreuves!» Et Eustache: «Seigneur, si c’est nécessaire, envoie-moi -toutes les épreuves, à la condition que tu daignes m’accorder la force -de les supporter!» Alors le Seigneur s’envola au ciel, et Eustache, -revenu chez lui, raconta à sa femme ce second miracle. - -Peu de jours après, la peste fit périr tous les domestiques d’Eustache, -puis ses chevaux et tout son bétail. Ce furent ensuite des voleurs qui, -voyant sa maison ainsi dévastée, y pénétrèrent la nuit, emportèrent tout -ce qu’il y avait, dans la maison, d’or, d’argent et d’objets de valeur: -si bien qu’Eustache fut encore trop heureux de pouvoir s’enfuir, nu, -avec sa femme et ses fils. Honteux de leur nudité, ils prenaient le -chemin de l’Egypte afin de s’y cacher. Arrivés au bord de la mer, ils -trouvèrent un bateau et y montèrent. Or le maître du bateau, frappé de -la beauté de la femme d’Eustache, éprouva le désir de la posséder. Et -comme les voyageurs n’avaient pas de quoi payer leur transport, cet -homme exigea que la jeune femme lui fût laissée en gage: ce à quoi -Eustache ne voulut point consentir. Alors le maître du bateau ordonna à -ses matelots de le jeter à la mer. Et Eustache, l’ayant appris, dut se -résigner à leur laisser sa femme. Tristement il s’en allait avec ses -deux enfants, et il gémissait, et il disait: «Malheur à moi et à vous, -car voici que votre mère se trouve livrée à un autre mari!» Il parvint -ainsi jusqu’à la rive d’un grand fleuve dont les eaux étaient si hautes -qu’il n’osait pas les traverser à la nage avec ses deux fils. Il laissa -donc l’un d’eux sur le bord, tandis qu’il transportait l’autre. Puis -ayant achevé cette première traversée, il déposa l’enfant sur l’autre -rive, et revint chercher celui qu’il avait laissé derrière lui. Mais, -comme il se trouvait au milieu du fleuve, il vit un loup qui, s’élançant -sur l’enfant qu’il allait chercher, le prenait entre ses dents et -l’emportait dans le bois. Désespéré, Eustache voulut du moins rejoindre -l’enfant à qui il avait fait déjà passer le fleuve. Mais, avant -d’atteindre au rivage, il vit qu’un lion accourait et lui enlevait son -second fils. Alors le pauvre homme se mit à gémir et à s’arracher les -cheveux; et, certes, il se serait noyé, si la Providence divine ne -l’avait retenu. - -Cependant des bergers, voyant un lion qui emportait un enfant, se mirent -à sa poursuite avec leurs chiens; et Dieu permit que le lion rejetât -l’enfant sans lui faire aucun mal. De même des laboureurs poursuivirent -le loup et parvinrent à retirer de sa gueule l’autre enfant. Mais -Eustache, qui ignorait tout cela, pleurait et disait: «Malheureux -suis-je, jadis si riche, maintenant dépouillé de tout! Seigneur, tu m’as -dit que j’aurais à être tenté comme Job: mais ma peine dépasse celle de -ce saint homme, qui avait du moins un fumier où s’étendre, et des amis -pour en avoir pitié, et une femme! A moi, hélas, on a tout pris!» Il se -rendit dans un village où, pendant quinze ans, il cultiva les champs -pour gagner de quoi vivre. Et ses fils, élevés dans d’autres villages, -grandissaient sans savoir qu’ils étaient frères l’un de l’autre. La -femme d’Eustache, elle aussi, vivait encore; et Dieu n’avait point -permis qu’elle fût possédée par l’homme à qui son mari avait dû la -laisser: ce misérable en effet, était mort avant d’avoir pu la toucher. - -Or l’empereur et le peuple de Rome avaient beaucoup à souffrir des -assauts des ennemis. Et l’empereur, se rappelant Placide, qui maintes -fois lui avait assuré la victoire, se désolait de sa fuite soudaine. Il -envoya donc des soldats dans les diverses parties du monde pour le -rechercher, promettant richesses et honneurs à ceux qui parviendraient à -découvrir sa retraite. Et deux de ces soldats, qui jadis avaient servi -sous les ordres de Placide, vinrent dans le village où vivait leur -ancien chef. Placide, qui travaillait dans son champ, les reconnut -aussitôt: et les souvenirs qu’ils évoquèrent en lui ravivèrent sa peine. -Et il s’écria: «Seigneur, de même que j’ai pu revoir ces hommes, mes -compagnons d’autrefois, ne pourrai-je pas revoir un jour ma chère femme? -car, pour mes fils, je sais qu’ils ont été dévorés par des bêtes -féroces!» Puis il vint au-devant des soldats, qui, sans le reconnaître, -lui demandèrent s’il ne savait rien d’un étranger nommé Placide, ayant -une femme et deux fils. Il répondit qu’il n’en savait rien; mais il les -pria d’être ses hôtes; et, leur cachant ses larmes, il les servait de -son mieux. Et eux, le considérant, se disaient: «Combien cet homme -ressemble à celui que nous cherchons!» Et l’un d’eux dit à l’autre: -«Voyons un peu s’il a sur la tête une cicatrice, comme Placide en avait -une, à la suite d’une blessure!» Ils découvrirent la cicatrice, et, -certains désormais d’avoir retrouvé l’homme qu’ils cherchaient, ils se -jetèrent dans ses bras et l’interrogèrent sur sa femme et sur ses fils. -Il leur répondit que ses fils étaient morts, et sa femme prisonnière. -Puis les soldats, après avoir raconté aux voisins, accourus en foule, la -vaillance et la gloire de leur ancien chef, revêtirent celui-ci d’un -manteau somptueux, et se mirent en route avec lui pour se rendre auprès -de l’empereur. Ils marchèrent pendant quinze jours. Et l’empereur, -apprenant l’arrivée de Placide, courut au-devant de lui, et le couvrit -de baisers. Et il le contraignit à reprendre son emploi de jadis, à la -tête de l’armée. - -Mais Eustache, dénombrant ses troupes, et les jugeant insuffisantes, -ordonna de faire une grande levée dans les villes et villages de -l’empire. Et, dans chacun des deux villages où étaient élevés ses deux -fils, ce furent eux qui se trouvèrent désignés, par le suffrage de tous, -comme les plus robustes et les plus vaillants. Ils furent conduits au -camp du général, qui, frappé de leur beauté et de leur vertu, se prit -d’affection pour eux et les attacha à sa personne. - -Ayant défait l’ennemi, Eustache s’arrêta pendant trois jours, avec son -armée, dans la ville où demeurait sa femme, qui y tenait une petite -auberge. Et Dieu voulut que les deux jeunes gens prissent logement chez -leur mère, qu’ils ne connaissaient point. Et là, assis à table, ils se -racontaient leurs souvenirs d’enfance. Et leur mère écoutait avidement -leurs paroles. Or l’aîné disait au plus jeune: «De mon enfance je ne me -rappelle rien, si ce n’est que mon père était général d’armée, que -j’avais une mère très belle, et un petit frère également très beau. Une -nuit, nous sommes sortis de notre maison, et plus tard nous avons laissé -sur un bateau, je ne sais pourquoi, notre mère; et j’ai vu ensuite, de -l’autre rive d’un fleuve, qu’un loup emportait mon frère; et moi-même, -quelques instants après, j’ai été emporté par un lion. Mais des bergers -m’ont sauvé et nourri.» Ce qu’entendant, le second soldat se mit à -pleurer et dit: «Par Dieu, je suis ton frère, car les laboureurs qui -m’ont élevé m’ont raconté qu’ils m’avaient tiré de la gueule d’un loup, -au bord du même fleuve!» Et, tout en larmes, ils se jetèrent aux bras -l’un de l’autre. Leur mère, cependant, qui avait entendu leur récit, se -rendit le lendemain chez le chef de l’armée et lui dit: «Je te prie, -Seigneur, de me faire ramener dans ma patrie, car je suis romaine et de -race noble!» Et, tandis qu’elle parlait, levant les yeux sur Eustache, -elle le reconnut. Elle se jeta à ses pieds et lui dit qui elle était. -Eustache, la reconnaissant de son côté, la couvrit de baisers, et -glorifia Dieu, consolateur des affligés. Puis sa femme lui dit: «Mon -ami, où sont nos fils?» Et lui: «Des bêtes les ont dévorés!» Et il lui -raconta comment ils les avait perdus. Et elle: «Rendons grâces à Dieu, -car, de même qu’il nous a permis de nous retrouver l’un l’autre, je -crois qu’il va nous permettre de retrouver nos enfants.» Sur quoi elle -lui répéta le récit des deux jeunes soldats. Et Eustache, les ayant -mandés, leur fit encore répéter leurs récits; et il reconnut ses fils; -et sa femme et lui, fondant en larmes, ne se fatiguaient point de les -embrasser. - -Mais, lorsque Eustache revint à Rome avec son armée victorieuse, Trajan -venait de mourir, et à sa place venait de monter sur le trône le méchant -Adrien. Celui-ci, cependant, fit l’accueil le plus empressé au vainqueur -des barbares, et offrit en son honneur un repas magnifique. Mais, le -lendemain, s’étant rendu au temple pour sacrifier aux idoles, il vit -qu’Eustache se refusait à tout sacrifice. Il lui en demanda la raison. -Et Eustache: «Je n’adore pas d’autre dieu que le Christ, et à lui seul -je puis sacrifier!» Alors, l’empereur, furieux, le fit exposer dans -l’arène avec sa femme et ses fils, et fit lâcher sur eux un lion féroce. -Mais le lion, s’étant approché d’eux, baissa la tête comme pour les -saluer, et s’éloigna humblement. L’empereur les fit ensuite plonger à -l’intérieur d’un bœuf d’airain rougi au feu, et pendant trois jours il -les y laissa. Le troisième jour, quand on les retira, ils étaient morts, -mais pas un cheveu, pas une partie de leur corps n’avait trace de -brûlure. Les chrétiens emportèrent leurs corps, et, plus tard, -construisirent un oratoire sur le lieu où ils les avaient ensevelis. Ce -martyre s’accomplit le douzième jour d’octobre, en l’an du Seigneur 120, -sous le règne d’Adrien. - - - - -CXXXVIII - -SAINT MATTHIEU, APÔTRE - -(21 septembre) - - -I. L’apôtre Matthieu, prêchant en Ethiopie, y trouva sur son chemin deux -mages nommés Zaroës et Arphaxal qui, par leurs sortilèges, parvenaient à -priver les hommes de l’usage de leur langue, ce qui leur avait donné une -telle vanité qu’ils se faisaient adorer comme des dieux. Or Matthieu, -étant arrivé dans la ville de Nadabar, et y ayant été accueilli par -l’eunuque de la reine Candace, qu’avait baptisé l’apôtre Philippe, -déroutait de telle sorte les artifices des deux mages que, tout ce que -ceux-ci faisaient pour le mal des hommes, il le faisait servir à leur -bien. On vint un jour lui dire que les mages s’avançaient, accompagnés -de deux dragons qui, vomissant du feu par la bouche et les naseaux, -semaient la mort sur leur passage. Aussitôt l’apôtre fit le signe de la -croix et alla à leur rencontre. Et, dès que les dragons l’aperçurent, -ils vinrent humblement s’étendre à ses pieds. Alors Matthieu dit aux -mages: «Où donc est votre pouvoir? Réveillez vos dragons, si vous le -pouvez!» Et quand la foule se fut rassemblée, il ordonna aux dragons de -s’en aller, au nom de Jésus; et ils s’éloignèrent sans faire aucun mal. -Matthieu se mit alors à exposer au peuple la gloire du paradis -terrestre, élevé tout près du ciel, plus haut que les plus hautes -montagnes. Il dit que, dans ce jardin, n’existaient ni ronces ni épines, -que les roses et les lys ne s’y fanaient jamais, que tout y gardait une -éternelle jeunesse, que les orgues des anges y jouaient jour et nuit, et -que les oiseaux y répondaient à l’appel qu’on leur faisait. Et il dit -que, de ce paradis terrestre, l’homme avait été chassé, mais que la -nativité du Christ lui avait ouvert la porte du paradis céleste. - -Or, pendant qu’il prêchait ainsi, un grand tumulte se produisit, et l’on -apprit que le fils du roi venait de mourir. Ne pouvant le ressusciter, -les mages avaient imaginé de persuader au roi qu’il avait été appelé à -faire partie des dieux, de telle sorte qu’on s’apprêtait à lui élever -une statue et un temple. Mais l’eunuque susdit, ayant fait mettre les -mages sous bonne garde, appela Matthieu, qui, ayant prié, ressuscita le -mort. Ce que voyant le roi, qui s’appelait Egippe, fit dire, dans toutes -les provinces de son royaume: «Venez voir un dieu qui se cache sous la -figure d’un homme!» La foule arriva donc de toutes parts, avec des -couronnes d’or et mille autres présents, prête à offrir des sacrifices -au nouveau dieu. Mais l’apôtre les réprimanda, en leur disant: «Hommes, -que faites-vous? Je ne suis pas un dieu, mais le serviteur de mon maître -Jésus-Christ!» Puis, sur son ordre, l’or et l’argent que la foule avait -apportés furent employés à la construction d’une grande église, qui se -trouva achevée en trente jours. Et l’apôtre y vécut trente-trois ans, et -il convertit toute l’Ethiopie. Le roi Egippe se fit baptiser avec sa -femme et toute sa maison. Et sa fille Euphigénie, s’étant vouée à Dieu, -fut placée par l’apôtre à la tête d’un couvent de plus de deux cents -vierges. - -Mais, plus tard, le roi Hirtacus, qui avait succédé à Egippe, désira -prendre pour femme la pieuse Euphigénie, et promit à l’apôtre la moitié -de son royaume si, par son entremise, elle consentait à ce mariage. -L’apôtre lui dit de se rendre à l’église, le dimanche suivant, comme -faisait son prédécesseur; ajoutant que là, en présence d’Euphigénie, il -apprendrait combien c’était chose bonne qu’un mariage suivant Dieu. Et -le roi s’empressa de se rendre à l’église, car il croyait que Matthieu -voulait engager Euphigénie à devenir sa femme. Et en effet Matthieu, en -présence de tout le peuple, commença par exposer les avantages d’une -sainte union; ce dont le roi se réjouit fort, pensant que l’objet de -l’apôtre était de convaincre Euphigénie. Mais alors Matthieu reprit, -poursuivant son discours: «Le mariage étant ainsi chose sacrée et -inviolable, un esclave qui voudrait posséder la femme de son roi -mériterait la mort. Et de même toi, Hirtacus, sachant qu’Euphigénie est -la femme du roi éternel, comment oses-tu songer à prendre la femme de -plus puissant que toi?» Ce qu’entendant, le roi, fou de rage, sortit de -l’église. L’apôtre, plein de constance et d’intrépidité, engagea le -peuple à la patience, et bénit Euphigénie, qui, épouvantée, s’était -prosternée à ses pieds. Quand la messe fut achevée, le roi envoya dans -l’église un bourreau qui, frappant par derrière, de son épée, l’apôtre -debout devant l’autel et les mains jointes, en prière, le tua sur place, -et lui assura ainsi la couronne du martyre. - -La foule, indignée, s’apprêtait à courir au palais du roi pour y mettre -le feu, lorsque les prêtres et les diacres la retinrent, l’engageant à -célébrer plutôt, joyeusement, le martyre de l’apôtre. Et le roi, voyant -que ni les entremetteuses ni les mages ne parvenaient à fléchir la -résolution d’Euphigénie, fit disposer un cercle de flammes autour de son -couvent, pour la faire périr avec les autres vierges. Mais saint -Matthieu, apparaissant à celles-ci, détourna le feu de leur maison, vers -le palais du roi, qui se trouva aussitôt consumé. Seuls le roi et son -fils unique échappèrent à l’incendie; et aussitôt le fils, confessant -les crimes de son père, courut au tombeau de l’apôtre, tandis que le -père, atteint d’une lèpre hideuse et incurable, se donna la mort de sa -propre main. Alors le peuple prit pour roi le frère d’Euphigénie, qui -régna soixante ans. Ce prince, et après lui son fils, étendirent encore -le culte du Christ, remplissant d’églises toute l’Ethiopie. Quant à -Zaroës et Arphaxal, dès le jour où Matthieu avait ressuscité le fils du -roi, ils s’étaient enfuis en Perse, où les apôtres Simon et Jude -devaient, à leur tour, déjouer victorieusement leurs sortilèges. - -II. Quatre choses sont particulièrement remarquables chez saint -Matthieu: 1º c’est d’abord la rapidité de son obéissance; car dès que le -Christ l’appela, aussitôt il abandonna son péage, sans s’occuper du -détriment qu’il causait à ses patrons, et s’attacha absolument au -Christ; 2º c’est ensuite sa largesse ou libéralité: car aussitôt il -prépara pour le Christ un grand repas dans sa maison; 3º c’est, en -troisième lieu, son humilité, qui s’est montrée de deux façons: car, -d’abord, lui seul, parmi les évangélistes, a ouvertement reconnu, qu’il -était publicain; et puis, quand les Pharisiens ont murmuré de ce que le -Christ s’asseyait à la table d’un pécheur, Matthieu ne leur a rien -répondu, tandis qu’il aurait pu leur rappeler qu’eux-mêmes étaient -infiniment plus pécheurs que lui; 4º enfin l’évangile de Matthieu -occupe, dans l’Eglise, une place privilégiée. Il y est, en effet, plus -souvent cité que les autres, de même que les Psaumes de David sont cités -plus souvent que le reste de l’Ancien Testament. - -Le manuscrit de ce vénérable évangile, écrit de la propre main de saint -Matthieu, fut retrouvé vers l’an 500, avec les reliques de saint -Barnabé. Celui-ci le portait toujours sur lui, et c’est en le mettant -sur la tête des malades qu’il les guérissait. - - - - -CXXXIX - -SAINT MAURICE ET SES COMPAGNONS, MARTYRS - -(22 septembre) - - -I. Maurice était le chef de la sainte légion connue sous le nom de -Légion Thébaine. Cette légion s’appelait ainsi à cause de la ville de -Thèbes, patrie des légionnaires, ville d’une fertilité et d’une richesse -merveilleuses, et dont les habitants avaient la réputation d’être grands -de taille, courageux au combat, pleins de sagesse et d’intelligence. -Thèbes avait cent portes et était placée sur le fleuve Nil, qui -s’appelle, aussi Gyon, et qui a sa source dans le Paradis Terrestre. -C’est à Thèbes que prêcha saint Jacques, frère du Seigneur; et, grâce à -lui, les Thébains se trouvèrent parfaitement instruits dans la foi du -Christ. - -Or, en l’an 277, Dioclétien et Maximien, voulant extirper du monde -entier la foi du Christ, envoyèrent dans toutes les provinces où se -trouvaient des chrétiens une lettre déclarant que, si les chrétiens ne -se convertissaient pas au culte des idoles, des supplices terribles leur -seraient réservés. Mais les chrétiens, ayant reçu cette lettre, -congédièrent les messagers sans leur donner de réponse. Alors les deux -empereurs, furieux, mandèrent aux diverses provinces que tous les hommes -valides eussent à être armés et à venir à Rome pour faire partie des -troupes impériales. Sur quoi les Thébains, se conformant au principe -chrétien de rendre à César ce qui appartenait à César, organisèrent une -légion de six mille six cent soixante-six soldats, qu’ils envoyèrent aux -empereurs afin qu’ils assistassent ceux-ci dans les guerres, à la -condition de ne point prendre les armes contre les chrétiens. Cette -légion avait pour chef saint Maurice: ses porte-étendards s’appelaient -Candide, Innocent, Exupère, Victor et Constantin. - -Dioclétien confia la Légion Thébaine à son associé Maximien, qui se -rendait en Gaule avec une grande armée. Et, avant le départ, le saint -pape Marcelin exhorta les légionnaires à se laisser tuer plutôt que de -manquer à leur foi chrétienne. Or, lorsque l’armée eut traversé les -Alpes, l’empereur ordonna que toutes les légions sacrifiassent aux -idoles et jurassent, d’une seule voix, de combattre les rebelles, et -tout particulièrement les chrétiens. Ce qu’entendant, la Légion Thébaine -se sépara du reste de l’armée et alla s’établir à huit milles plus loin, -dans un endroit magnifique appelé Agaune, sur la rive du Rhône[13]. Et -quand Maximien lui enjoignit de venir sacrifier aux dieux avec le reste -de l’armée, les légionnaires répondirent qu’ils ne pouvaient le faire, -étant eux-mêmes chrétiens. L’empereur, furieux, s’écria: «Que ces -traîtres sachent donc que ce n’est pas seulement moi-même, mais encore -mes dieux que je vais venger d’eux!» Et il envoya vers la Légion -Thébaine une autre de ses légions, avec ordre de décapiter un sur dix -des légionnaires rebelles. Et les saints, tendant avec joie leurs cous, -se disputaient l’un à l’autre l’honneur de recevoir la mort. - - [13] Aujourd’hui Saint-Maurice-en-Valais. - -Alors saint Maurice, se levant parmi eux, leur parla ainsi: «Je vous -félicite d’être tous prêts à mourir pour le Christ! J’ai supporté que -vos compagnons fussent mis à mort parce que j’ai voulu suivre le -précepte du Seigneur, qui a dit à Pierre de remettre son épée au -fourreau. Mais maintenant que nous voici entourés des cadavres de nos -compagnons, et que nos manteaux sont rougis de leur sang, suivons-les à -notre tour dans le martyre!» Puis, avec l’assentiment de toute la -légion, il fit porter à l’empereur la réponse suivante: «Empereur, nous -sommes tes soldats, et nous avons pris les armes pour défendre la chose -publique. Nous ne sommes ni des traîtres ni des lâches, mais rien ne -nous fera abandonner la foi du Christ!» L’empereur, en entendant cette -réponse, ordonna que de nouveau la Légion fût décimée. Et ainsi fut -fait. Alors le porte-étendard Exupère, se dressant au milieu de ses -compagnons avec son étendard, dit: «Notre glorieux chef Maurice nous a -parlé de la gloire de nos compagnons défunts. Exupère, lui non plus, n’a -point pris les armes pour résister à de telles attaques. Que nos bras -droits jettent donc à terre ces armes terrestres, et ne soient plus -armés que de vertu chrétienne!» Après quoi, avec l’assentiment de tous, -il fit répondre à l’empereur: «Empereur, nous sommes tes soldats, mais -nous sommes les esclaves du Christ. A toi nous devons le service -militaire, à lui l’innocence de nos cœurs. De toi nous recevons le prix -de notre travail, de lui nous avons reçu le principe de notre vie. Et -nous sommes prêts à subir tous les tourments plutôt que de renier sa -foi!» Alors l’empereur ordonna à son armée de cerner toute la Légion, de -façon que pas un seul des légionnaires n’échappât à la mort. Ces soldats -du Christ furent donc entourés par les soldats du diable, égorgés, -foulés aux pieds des chevaux, et consacrés au Christ par un glorieux -martyre. Cela eut lieu en l’an du Seigneur 280. - -Cependant, Dieu permit que plusieurs des légionnaires s’échappassent, -qui, venant dans d’autres régions, y prêchèrent le nom du Christ. De ce -nombre furent Solutor, Adventor et Octave, qui se rendirent à Turin, -Alexandre, qui vint à Bergame, Segond, qui évangélisa Vintimille, et -aussi les bienheureux Constant, Victor Ours, et d’autres encore. - -Or, pendant que les bourreaux de la Légion, s’étant partagé le butin, -mangeaient ensemble, un vieillard nommé Victor passa par hasard près -d’eux. Invité à s’asseoir avec eux, il leur demanda comment ils avaient -le courage de manger parmi tant de cadavres. Et lorsqu’il apprit que -c’était pour la foi du Christ que leurs victimes étaient mortes, il -soupira profondément, déclarant qu’il aurait été bien heureux de périr -avec elles: sur quoi, les bourreaux, découvrant qu’il était chrétien, -l’égorgèrent aussitôt. - -Plus tard Maximien et Dioclétien se dépouillèrent tous deux, le même -jour, de la pourpre impériale, le premier à Milan, le second à -Nicomédie, laissant l’empire à trois jeunes gens, Constance, Maxime et -Galère. Mais comme Maximien voulait reprendre le pouvoir, il fut -poursuivi par son gendre Constance, et finit ses jours par la pendaison. - -Le corps de saint Innocent, un des légionnaires, était tombé dans les -eaux du Rhône; il en fut retiré et enseveli avec les autres corps, dans -l’église du lieu, par les évêques Domitien, de Genève, Gratus, d’Aoste, -et Protais. A la construction de cette église était employé un artisan -païen. Le dimanche, il travaillait seul, pendant que ses compagnons -célébraient le jour du Seigneur. Or la Légion sacrée lui apparut, et lui -reprocha de profaner, comme il faisait, le jour sacré, en s’occupant -d’un travail manuel au lieu de s’occuper des choses divines. Et aussitôt -cet artisan, convaincu, courut à l’église et demanda à devenir chrétien. - -II. Certaine femme avait confié son fils à l’abbé du monastère de -Saint-Maurice en Valais, où reposent les corps des saints martyrs. Le -jeune homme mourut au milieu de ses études; et sa mère, désespérée, le -pleurait jour et nuit. Alors saint Maurice lui apparut et lui dit: «Ne -pleure point ton fils comme s’il était mort, mais sache qu’il habite -avec nous. Que si tu en désires une preuve, demain et tous les jours de -ta vie lève-toi à temps pour assister aux matines: tu entendras la voix -de ton fils parmi les voix des moines qui chantent les psaumes!» Et en -effet, la mère, tous les matins, entendit la voix de son fils mêlée à -celle des moines. - -III. Le roi Gontran qui, ayant renoncé aux pompes du monde, distribuait -ses trésors aux pauvres et aux églises, envoya un prêtre à Saint-Maurice -pour demander quelques reliques des saints légionnaires. Mais comme le -prêtre revenait avec les reliques, une grande tempête s’éleva sur le lac -de Lausanne, où le bateau qui le portait faillit périr; mais il plaça -sur les flots la châsse qui contenait les reliques, et aussitôt un grand -calme succéda à la tempête. - -IV. L’an du Seigneur 963, des moines, qui venaient de Rome et avaient -obtenu du pape Jean les corps du pape saint Urbain et du martyr saint -Tiburce, visitèrent en passant l’église des saints martyrs. Ils -obtinrent de l’abbé et des moines d’emporter aussi le corps de saint -Maurice et la tête de saint Innocent, pour les placer à Auxerre, dans -l’église que saint Germain avait dédiée à ces deux saints. - -V. Pierre Damien raconte qu’il y avait en Bourgogne un clerc orgueilleux -et ambitieux qui s’était emparé par force d’une église de saint Maurice. -Et comme, un jour, à la fin de la messe, il entendait chanter que -«quiconque s’élève sera abaissé», le misérable s’écria: «C’est faux, -car, si je m’étais humilié devant mes ennemis, je ne posséderais pas -aujourd’hui une aussi riche église!» Mais aussitôt la foudre, pareille à -un glaive de feu, pénétra dans la bouche qui venait de prononcer ce -blasphème; et le mauvais clerc fut tué sur-le-champ. - - - - -CXL - -SAINTE JUSTINE, VIERGE ET MARTYRE - -(26 septembre) - - -Justine était fille d’un prêtre païen d’Antioche. Tous les jours, assise -à sa fenêtre, elle entendait lire l’Evangile par le diacre Proclus: et -c’est ainsi qu’elle se convertit à la foi chrétienne. Sa mère fit part -de la chose à son père, un soir, dans le lit où ils dormaient ensemble. -Et quand ils se furent endormis, le Christ leur apparut, entouré -d’anges, et leur dit: «Venez à moi, je vous donnerai le royaume des -cieux!» Réveillés, ils se firent baptiser avec leur fille. - -Sainte Justine eut beaucoup à souffrir d’un mage nommé Cyprien, qu’elle -finit par convertir à la foi du Christ. Ce Cyprien, qui avait été -consacré au diable dès l’âge de sept ans, pratiquait les arts magiques, -et savait, par exemple, changer les femmes en chevaux. S’étant pris -d’amour pour Justine, c’est à la magie qu’il eut recours pour parvenir à -la posséder, comme aussi pour la livrer à un certain Acladius, qui était -également amoureux de la jeune fille. Il appelle donc le diable, qui, -lui apparaissant, lui demande ce qu’il lui veut. Et Cyprien: «J’aime une -jeune fille de la secte des Galiléens. Peux-tu faire en sorte que je la -possède?» Et le diable: «Comment ne le pourrais-je pas, moi qui ai pu -chasser l’homme du paradis, forcer Caïn à tuer son frère, amener les -Juifs à tuer le Christ, et troubler et corrompre l’humanité entière? -Prends cet onguent et enduis-en la porte de sa maison; et moi, aussitôt, -j’allumerai dans son cœur un grand amour pour toi.» La nuit suivante, le -démon s’approche de Justine et s’efforce d’exciter son cœur à cet amour -criminel. Mais elle, sentant le danger, se recommande pieusement au -Seigneur et munit tout son corps du signe de la croix. A ce signe, le -diable, épouvanté, s’enfuit et revient près de Cyprien, à qui il avoue -son échec. Cyprien le renvoie, et appelle un diable plus puissant. Et -celui-ci: «Je sais ton désir, et j’ai vu l’échec de mon compagnon. Mais -moi, je ferai mieux que lui, et je réussirai où il a échoué!» Après quoi -il se rend chez Justine et s’efforce d’exciter son âme à l’amour de -Cyprien. Mais la sainte, de nouveau, repousse la tentation au moyen d’un -signe de croix. Alors Cyprien invoque le prince des diables et lui dit: -«Votre pouvoir est-il donc si petit qu’une jeune fille suffise à le -vaincre?» Le diable, piqué au jeu, prend la forme d’une jeune fille, et, -s’approchant de Justine, lui dit: «Je viens près de toi pour vivre avec -toi dans la chasteté; mais dis-moi d’abord, je te prie, quelle sera la -récompense de nos efforts!» Et Justine: «La récompense sera grande, et -la peine petite!» Alors le démon: «Mais Dieu n’a-t-il pas dit aux hommes -de croître et de multiplier et de remplir la terre? Je crains, chère -amie, qu’en persévérant dans la chasteté nous ne désobéissions à Dieu au -lieu de le satisfaire!» Et Justine, sous l’action du démon, commença à -douter, et son cœur s’enflamma de concupiscence, au point que déjà elle -voulait se lever pour aller se chercher un amant. Mais bientôt, revenant -à elle, et comprenant à qui elle avait affaire, elle se munit du signe -de la croix, et le diable s’évanouit sous son souffle, comme une cire -qui fond. Il prit alors la forme d’un beau jeune homme, s’approcha -d’elle dans le lit où elle était couchée, et voulut se jeter sur elle -pour l’embrasser. Mais Justine, devinant le malin esprit, le repoussa -d’un signe de croix. Alors le diable, avec la permission de Dieu, -l’accabla de fièvre, et répandit la peste dans la ville d’Antioche, et -fit proclamer, par des possédés, que toute la ville périrait si Justine -ne consentait pas à prendre un mari. Aussitôt la foule se pressa devant -la maison des parents de Justine, demandant que la jeune fille fût -livrée à un mari pour détourner le fléau. Mais Justine, après avoir -résisté pendant sept ans, pria pour eux et la peste disparut. - -Voyant enfin l’inutilité de toutes ses ruses, le diable revêtit la forme -de Justine, pour salir du moins la réputation de la sainte. Sous cette -forme, il vint trouver Cyprien et se jeta dans ses bras. Et Cyprien, -ravi de joie, s’écria: «Merci d’être venue, Justine, la plus belle des -femmes!» Mais le diable ne put supporter d’entendre nommer Justine, et -aussitôt s’évanouit en fumée. Et Cyprien, se voyant déçu, fut rempli de -tristesse. Longtemps il veilla devant la porte de la jeune fille, se -transformant tantôt en femme, tantôt en oiseau; mais, devant la jeune -fille, il n’était plus ni femme, ni oiseau, et reprenait aussitôt sa -forme naturelle. Et de même Acladius, qui s’était transformé par magie -en moineau, et voletait devant la fenêtre de Justine, reprit sa forme -première dès que la jeune fille l’aperçut. Et son épouvante fut extrême, -car il craignait de se tuer en tombant. Mais Justine eut pitié de lui, -et le fit descendre par une échelle, en l’avertissant de renoncer à ses -folies, s’il ne voulait pas s’exposer à être condamné comme magicien. - -Alors Cyprien invoqua une dernière fois le diable et lui dit: «Dis-moi, -je t’en prie, en quoi réside le pouvoir de cette jeune fille?» Et le -diable: «Je te le dirai, si tu consens à me jurer solennellement que -jamais tu ne t’éloigneras de moi.» Et Cyprien: «Je te le jure!» Alors le -diable: «C’est en faisant le signe de la croix que cette jeune fille -détruit tout mon pouvoir.» Et Cyprien: «Donc le crucifié a plus de -pouvoir que toi?» Et le diable: «Il a plus de pouvoir que tout le reste -du monde, et c’est lui qui livre au feu éternel tous ceux que nous -parvenons à séduire.» Alors Cyprien: «Ainsi, je dois, moi aussi, devenir -l’ami du crucifié, pour éviter ce châtiment?» Et le diable: «Tu m’as -juré solennellement de ne jamais t’éloigner de moi!» Mais Cyprien: «Je -te méprise avec tout ton vain pouvoir, et je renonce à toi et à tous tes -diables, et je me munis du signe de la croix!» Et aussitôt le diable -s’enfuit, tout confus. Alors Cyprien se rendit auprès de l’évêque. Et -celui-ci, croyant qu’il venait pour tromper les chrétiens, lui dit: «Que -ceux-là te suffisent, Cyprien, qui sont hors de l’Eglise: contre -l’Eglise, tu n’as pas de pouvoir!» Mais Cyprien lui raconta ce qui lui -était arrivé et lui demanda à être baptisé. Et, depuis lors, il se -distingua si éminemment, tant par la science que par la vertu, que, à la -mort de l’évêque, il fut lui-même ordonné évêque. Il fit entrer Justine -dans un monastère, où elle devint abbesse d’une foule de saintes jeunes -filles. Et souvent saint Cyprien écrivait des lettres aux martyrs pour -les encourager dans leur lutte. Or le seigneur de la région fit -comparaître devant lui Cyprien et Justine, et leur enjoignit de -sacrifier aux idoles. Et comme ils persistaient dans la foi du Christ, -il les fit plonger dans une chaudière pleine de cire, de poix, et de -graisse. Mais ils n’en éprouvèrent aucun mal, et s’y rafraîchirent comme -dans un bain d’eau froide. Alors le prêtre des idoles dit à ce préfet: -«Laisse-moi me mettre devant la chaudière, et aussitôt je vaincrai tout -le pouvoir de ces deux imposteurs!» Et quand il fut devant la chaudière, -il s’écria: «Grand est le Dieu Hercule, et grand Jupiter, le père des -dieux!» Et aussitôt jaillit une flamme qui le consuma. Alors Cyprien et -Justine furent extraits de la chaudière et décapités. Leurs corps -restèrent pendant sept jours livrés aux chiens; ils furent ensuite -transportés à Rome et reposent aujourd’hui, dit-on, à Plaisance. Leur -martyre eut lieu sous Dioclétien, le 6 octobre 280. - - - - -CXLI - -SAINTS COME ET DAMIEN, MARTYRS - -(27 septembre) - - -I. Come et Damien étaient frères. Ils naquirent dans la ville d’Egée, -d’une pieuse mère, nommée Théodote. Ayant appris la médecine, ils -reçurent de l’Esprit-Saint une telle faveur qu’ils purent guérir toutes -les maladies, non seulement des hommes, mais même des chevaux; et jamais -ils n’admettaient qu’on les payât de leurs soins. Or une dame, appelée -Palladie, qui avait déjà dépensé en frais de médecins tout ce qu’elle -avait, vint trouver les deux frères, qui la guérirent aussitôt. Elle -offrit alors à Damien un petit présent, que, d’abord, il refusa -d’accepter, mais que, cependant, il accepta enfin, non point par -cupidité, mais par égard pour le zèle et la bonne volonté de la pauvre -femme qui le lui offrait. Et Come, dès qu’il le sut, ordonna qu’après sa -mort ses restes fussent ensevelis à part de ceux de son frère. Mais, la -nuit suivante, le Seigneur lui apparut, et excusa Damien de -l’acceptation du présent. - -Entendant leur renommée, le proconsul Lysias les fit venir, et leur -demanda quels étaient leurs noms, leur patrie, leur fortune. A quoi les -saints répondirent: «Nos noms sont Come et Damien, et nous avons encore -trois autres frères qui s’appellent Antime, Léonce et Euprépie; notre -patrie est l’Arabie; et quant à la fortune, c’est chose que les -chrétiens ne connaissent pas.» Alors le proconsul fit aussi venir leurs -frères; puis, sur leur refus de sacrifier aux idoles, il leur fit percer -de clous les pieds et les mains. Comme ils se raillaient de ces -supplices, il les fit ensuite charger de chaînes et précipiter dans la -mer; mais aussitôt un ange les retira des flots, et ils se retrouvèrent -devant le proconsul. Et celui-ci: «Vous êtes de puissants sorciers, pour -faire de telles choses! Enseignez-moi donc vos sortilèges, au nom de mes -dieux!» Aussitôt deux démons s’emparèrent de lui et le frappèrent -durement au visage. Et lui, se tournant vers les deux saints: «Par -pitié, mes amis, priez pour moi votre Dieu!» Ils prièrent, et les démons -s’enfuirent. Alors Lysias: «Voyez-vous combien mes dieux sont irrités de -ce que j’aie eu la pensée de les abandonner! Aussi, désormais, ne vous -permettrai-je plus de les blasphémer!» Alors il les fit jeter dans un -grand feu; mais la flamme ne leur fit aucun mal, et brûla seulement un -grand nombre de païens, qui se tenaient à l’entour. - -Attachés sur un chevalet, un ange les préserve de toute souffrance, et -la fatigue des bourreaux met un terme au supplice. Alors le proconsul -fait conduire en prison les trois frères de Come et de Damien; et quant -à ceux-ci, il les fait mettre en croix et lapider. Mais les pierres -qu’on leur lance rejaillissent sur ceux qui les lancent, et en blessent -un grand nombre. Alors le proconsul, furieux, fait ramener les trois -autres frères, et ordonne que les deux saints, sur leur croix, soient -percés de flèches; mais les flèches, au lieu d’entrer dans leurs chairs, -se retournent contre ceux qui les lancent. Enfin le proconsul, confus de -sa défaite, les fait décapiter tous les cinq, au lever du jour. - -Les chrétiens, se rappelant la parole de Come, voulurent alors enterrer -Damien à part de ses frères; mais soudain on entendit un chameau qui, -prenant voix humaine, ordonna d’ensevelir ensemble les cinq martyrs. -Cela se passait sous le règne de Dioclétien. - -II. Un paysan s’était endormi dans son champ, après la moisson, -lorsqu’un serpent lui entra dans la bouche. Réveillé, le paysan revint -chez lui sans rien sentir; mais, vers le soir, il fut pris de -souffrances atroces. Il invoqua alors saints Come et Damien, se rendit -dans leur église; et, dès qu’il y fut arrivé, voici que le serpent lui -sortit de la bouche comme il y était entré. - -III. Un homme qui partait pour un long voyage recommanda sa femme aux -saints Come et Damien; après quoi il lui indiqua un signe qui, lorsqu’on -le ferait devant elle, signifierait qu’on vient de sa part et pour -l’appeler. Or le diable, l’ayant vu indiquer ce signe, va trouver la -femme, et lui dit qu’il vient la chercher de la part de son mari. Et -elle, hésitant: «Je reconnais bien le signe; mais je ne te croirai que -si tu me le jures, au nom des saints martyrs Come et Damien, à qui mon -mari m’a recommandée!» Le diable le lui jura, et elle le suivit. Mais -bientôt, quand ils arrivèrent dans un lieu écarté, elle s’aperçut que -son guide voulait la jeter à bas de son cheval, pour la tuer. Alors elle -s’écria: «Saints Come et Damien, secourez-moi, car c’est en me fiant à -vous que j’ai suivi cet homme!» Et aussitôt les deux saints accoururent -à son secours, avec une troupe toute vêtue de blanc, et forcèrent le -diable à s’enfuir honteusement. - -IV. Le pape Félix fit construire à Rome une grande église en l’honneur -des deux saints. Cette église avait pour gardien un homme qui avait une -jambe toute rongée par un cancer. Et voici que, dans son sommeil, le -pieux gardien vit saints Come et Damien lui apparaître avec des -onguents. Et l’un des deux saints dit à l’autre: «Où trouverons nous des -chairs fraîches, pour mettre à la place des chairs pourries que nous -allons couper?» L’autre saint répondit: «On a enterré aujourd’hui un -Maure dans le cimetière de Saint-Pierre aux Liens; prenons une de ses -jambes et donnons-la à notre serviteur!» Et les deux saints firent -ainsi; après quoi ils donnèrent au gardien la jambe du Maure, et -rapportèrent dans le tombeau de celui-ci la jambe du malade. Et -celui-ci, à son réveil, se voyant guéri, raconta à tous sa vision, et le -miracle qui l’avait suivie. On courut alors au tombeau du Maure: on -découvrit qu’une de ses jambes manquait, et que, à sa place, se trouvait -la jambe malade du gardien. - - - - -CXLII - -SAINT MICHEL, ARCHANGE - -(29 septembre) - - -Le nom de Michel signifie «pareil à un dieu». Saint Grégoire dit que, -chaque fois que Dieu veut faire un grand acte de résistance, c’est -l’archange saint Michel qu’il charge de le représenter. C’est lui, en -effet, comme dit Daniel, qui, au temps de l’Antéchrist, se lèvera pour -défendre les élus; c’est lui qui a lutté contre Satan et ses mauvais -anges, et qui les a chassés du ciel; c’est lui qui a arraché au diable -le corps de Moïse, que le diable voulait détruire pour se faire lui-même -adorer des Juifs; c’est lui qui recueille les âmes des saints et les -conduit au paradis; c’est lui qui fut jadis prince de la synagogue, et -dont Dieu fit ensuite le prince de son Eglise; c’est lui qui apporta aux -Egyptiens les sept plaies, qui partagea les eaux de la mer Rouge, qui -conduisit le peuple dans le désert jusqu’à la terre promise; c’est lui -qui, dans l’armée des anges, porte la bannière du Christ; c’est lui qui -tuera l’Antéchrist au mont des Oliviers; c’est à sa voix que les morts -ressusciteront; et c’est lui qui, au jour du jugement dernier, -présentera la croix, les clefs, la lance et la couronne d’épines. - -La fête de saint Michel a pour objet de célébrer son apparition, sa -victoire, sa dédication et son souvenir. - -1º Son apparition s’est manifestée en plusieurs circonstances. Il est -apparu, d’abord, sur le mont Gargan, qui se trouve en Pouille, auprès de -la ville de Manfrédonie. L’an du Seigneur 390, vivait dans cette ville -un homme, nommé Garganus, qui possédait un énorme troupeau de bœufs et -de moutons. Et comme ses troupeaux paissaient au flanc de la montagne, -un taureau, laissant ses compagnons, grimpa jusqu’au sommet de la -montagne. Garganus se mit à sa recherche, avec une foule de ses -serviteurs, et le trouva enfin, au sommet de la montagne, près de -l’entrée d’une caverne. Furieux, il lança contre lui une flèche -empoisonnée; mais celle-ci, comme repoussée par le vent, se retourna -vers lui et le frappa lui-même. Ce qu’apprenant, la ville entière fut -émue et vint demander à l’évêque l’explication du prodige. L’évêque -ordonna un jeûne de trois jours, au bout duquel saint Michel apparut, et -lui dit: «Sache que c’est par ma volonté que cet homme a été frappé de -sa flèche! Je suis l’archange Michel. J’ai résolu de me garder ce lieu; -et j’ai eu recours à ce signe pour faire connaître que j’en étais -l’habitant et le gardien.» Aussitôt l’évêque, avec toute la ville, se -rendit en procession sur la montagne. Et, personne n’osant entrer dans -la caverne, on pria l’archange devant le seuil. - -La seconde apparition eut lieu vers l’an du Seigneur 710, dans un lieu -appelé la Tombelaine, qui est au bord de la mer, à une distance de six -milles de la ville d’Avranches. Saint Michel apparut à l’évêque de cette -ville et lui ordonna de lui élever une église en cet endroit. Et comme -l’évêque doutait de l’endroit exact ou devait être construite l’église, -l’archange lui dit qu’elle devait s’élever à l’endroit où l’on -trouverait un taureau caché par des voleurs. Or il y avait, dans cet -endroit, deux roches qu’aucune force humaine ne pouvait soulever. Saint -Michel apparut à un habitant, lui ordonna de se rendre en ce lieu, et de -soulever les roches. Et l’homme les souleva aussi aisément que si elles -n’avaient eu aucun poids. Ainsi fut construite cette église; et l’on y -transporta, de l’église du mont Gargan, une partie du manteau que -l’archange avait déposé sur l’autel, et une partie du marbre sur lequel -s’étaient posés ses pieds. Et, comme on manquait d’eau en cet endroit, -l’archange dit de creuser un trou dans un rocher très dur; et -aujourd’hui encore l’eau en jaillit, avec une extrême abondance. Cette -apparition est célébrée en ce lieu, le 17 novembre, par une fête -solennelle. - -Le même lieu fut témoin d’un autre miracle mémorable. Il y a là une -montagne que la mer entoure de toutes parts; mais, le jour de la fête de -saint Michel, un passage s’y ouvre pour le peuple. Or, un jour qu’une -grande foule s’y pressait vers l’église, une femme s’y trouvait mêlée -qui était enceinte et près d’accoucher. Et voici que, tout à coup, les -vagues affluèrent d’un grand élan, et toute la foule épouvantée s’enfuit -sur le rivage, à l’exception de la femme enceinte qui, ne pouvant fuir, -fut prise par les flots. Mais l’archange saint Michel la garda de tout -mal. Au milieu des flots, elle enfanta un fils, qu’elle allaita de son -sein; puis la mer lui livra passage, et on la vit sortir avec son -enfant. - -La troisième apparition eut lieu à Rome, au temps du pape Grégoire. Ce -pape avait institué de grandes litanies, à cause de la peste qui -sévissait à Rome. Et un jour, comme il priait pour son peuple, il vit -d’abord, au-dessus d’une forteresse appelée autrefois le tombeau -d’Adrien, un grand ange qui essuyait un glaive tout sanglant et le -remettait au fourreau. Saint Grégoire reconnut l’archange Michel, et, -comprenant que sa prière avait été exaucée, il fit construire en cet -endroit une église en l’honneur des saints Anges. Et, aujourd’hui -encore, la forteresse porte le nom de Fort Saint-Ange. Le souvenir de -cette apparition se célèbre le 7 mai, en même temps que celui de -l’apparition du mont Gargan. - -La quatrième apparition est celle que nous raconte l’_Histoire -tripartite_. Il y a, près de Constantinople, un endroit où l’on -célébrait autrefois la déesse Vesta, mais où s’élève aujourd’hui une -église en l’honneur de saint Michel, et cet endroit porte le nom de -Michaëlium. Un homme, appelé Aquilin, y souffrait de la fièvre. Les -médecins lui donnèrent une potion; mais il la rendit, et ensuite il -rendait tout ce qu’il avalait. Se voyant sur le point de mourir, il se -fit transporter au lieu que j’ai dit; et là saint Michel, lui -apparaissant, lui dit de faire, avec du miel, du vin et du poivre un -breuvage où il tremperait tous ses aliments. Aquilin le fit, et fut -guéri, bien que ce fût chose contraire aux lois de la médecine de faire -prendre à un fiévreux des boissons chaudes. - -2º Non moins nombreuses sont les victoires de saint Michel. La première -est celle qu’il fit remporter aux habitants de la susdite ville de -Manfrédonie. En effet, peu de temps après l’apparition du mont Gargan, -les Napolitains, encore païens, se mirent en guerre contre les habitants -de Manfrédonie et ceux d’une ville voisine, Bénévent. Les Manfrédoniens, -sur le conseil de leur évêque, demandèrent un armistice de trois jours, -pendant lesquels ils jeûnèrent et invoquèrent l’assistance de leur -patron saint Michel. La troisième nuit, saint Michel apparut à l’évêque, -lui dit que ses prières étaient exaucées, promit la victoire à ses -concitoyens, et leur conseilla d’attaquer l’ennemi à quatre heures du -matin. Et à peine l’attaque était-elle commencée que le mont Gargan -mugit terriblement, les éclairs luirent en foule, suivis d’une obscurité -profonde; et six cents hommes de l’armée ennemie périrent, tant par le -fer des Manfrédoniens, que par les flèches de feu provenant d’un arc -invisible. Le reste des Napolitains, ayant reconnu la puissance de -l’archange, abjurèrent leur idolâtrie pour se convertir à la foi -chrétienne. - -En second lieu doit être citée la victoire que remporta saint Michel -quand il chassa du ciel le dragon, c’est-à-dire Lucifer, avec toute sa -suite. On sait, en effet, comment, Lucifer ayant aspiré à devenir l’égal -de Dieu, l’archange porte-enseigne des armées célestes le chassa du ciel -avec toute sa suite et les enferma, jusqu’au jour du jugement dernier, -dans les ténèbres infernales. Car les démons n’ont le droit d’habiter ni -dans le ciel, qui est la partie supérieure de l’air, ni sur la terre, où -leur séjour nous serait intolérable. Mais ils habitent un espace entre -le ciel et la terre: de façon que lorsqu’ils regardent en haut, ils -souffrent de la vue du ciel qu’ils ont perdu; et lorsqu’ils regardent en -bas, ils envient le sort des hommes, qui peuvent s’élever là d’où -eux-mêmes sont tombés. Mais souvent, avec la permission de Dieu, ils -descendent parmi nous pour nous éprouver, et volent autour de nous comme -des mouches. Et ils sont innombrables, et tout l’air que nous respirons -en est rempli comme de mouches. Mais, suivant l’opinion d’Origène leur -nombre diminue à chaque victoire que nous remportons sur eux: car un -démon qui a été vaincu par un saint homme ne peut plus, désormais, -tenter personne au moyen du vice sur lequel il a été vaincu. - -Une autre victoire est celle que saint Michel et ses compagnons -remportent tous les jours sur les démons, en nous défendant contre eux -et en nous délivrant de leurs tentations. Et c’est en trois façons que -les anges nous délivrent de la tentation des démons: 1º en refrénant le -pouvoir des démons; 2º en refrénant notre concupiscence; 3º en imprimant -dans notre esprit le souvenir de la passion du Seigneur. - -Quatrième victoire: celle que l’archange saint Michel remportera sur -l’Antéchrist quand il le tuera. Car on verra alors, comme le dit Daniel, -le prince Michel se lever et protéger les élus contre l’Antéchrist. -Puis, comme le dit la _Glosse de l’Apocalypse_, l’Antéchrist feindra -d’être mort, se cachera pendant deux jours, puis reparaîtra, se disant -ressuscité, et au moyen d’artifices magiques s’élèvera dans les airs. -Mais quand il sera parvenu sur le mont des Oliviers, à l’endroit d’où le -Seigneur est monté au ciel, Michel se dressera en face de lui et le -tuera. - -3º La fête de saint Michel est considérée comme une fête de dédication, -parce que saint Michel a révélé aux Manfrédoniens que le sommet du mont -Gargan lui appartenait et devait lui être dédié. Revenus de leur -victoire, les Manfrédoniens se demandèrent s’ils devaient entrer dans le -lieu que s’était réservé l’archange, pour le consacrer. L’évêque s’en -rapporta, sur ce point, au pape Pélage, qui lui conseilla de s’en -rapporter à saint Michel lui-même. De nouveau il y eut trois jours de -prières et de jeûnes. Le troisième jour, saint Michel apparut à l’évêque -et lui dit: «Vous n’avez pas besoin de consacrer l’église que je me suis -construite, car je l’ai consacrée moi-même!» Et il ordonna à l’évêque de -se rendre en ce lieu le lendemain et les jours suivants, avec la foule, -pour y prier, ajoutant qu’il se constituait le patron spécial de la -ville. Et, en signe de la susdite consécration, il leur dit qu’ils -trouveraient des traces de pas d’homme gravées sur le marbre. Le -lendemain, donc, l’évêque et tout le peuple entrèrent dans la caverne; -ils y trouvèrent une grande crypte avec trois autels, dont deux à -l’occident et un à l’orient, ce dernier entouré d’un manteau rouge. On y -célébra la messe, tous les assistants communièrent, et l’évêque établit -en ce lieu des prêtres et des clercs, pour y célébrer l’office divin. -Dans cette caverne se trouve une source d’eau transparente et douce, que -le peuple boit après la communion, et qui guérit diverses maladies. Et -c’est en apprenant tout cela que le Souverain Pontife a ordonné de fêter -ce jour, dans le monde entier, en souvenir de saint Michel. - -4º Enfin l’Eglise célèbre, ce jour-là, le souvenir de saint Michel et de -tous les anges. Nous devons, en effet, nous souvenir d’eux, et les louer -et les honorer, pour de nombreux motifs: ils sont nos gardiens, nos -assistants, nos frères et concitoyens, les porteurs de nos âmes au ciel, -les représentants de nos prières devant Dieu, et nos consolateurs dans -les tribulations. Ils sont, d’abord, nos gardiens: car tout homme a près -de lui deux anges, un mauvais pour l’éprouver, et un bon pour le garder. -Notre bon ange nous garde dès le sein de notre mère, c’est lui qui nous -empêche, sitôt nés, de mourir avant de recevoir le baptême; et, dans -l’âge adulte, il nous exhorte au bien, et nous défend contre -l’oppression du tentateur. En second lieu, les anges sont nos -assistants; car, comme le dit le livre des _Hébreux_, ils sont des -esprits chargés de missions. Et rien ne montre autant la bonté divine, -ainsi que l’amour de Dieu pour nous, que ce fait que Dieu charge ces -esprits sublimes, qui sont ses familiers, de venir nous aider dans notre -salut. En troisième lieu, les anges sont nos frères et nos concitoyens. -Car tous les élus sont répartis parmi la hiérarchie des anges, d’après -leurs mérites; les uns sont placés parmi les anges du degré supérieur, -d’autres parmi ceux du degré inférieur, d’autres parmi ceux du degré -moyen. Et seule la sainte Vierge est au-dessus d’eux tous. En quatrième -lieu, les anges sont les porteurs de nos âmes au ciel: ainsi, dans -l’Evangile de saint Luc, le mendiant Lazare est «porté par un ange dans -le sein d’Abraham». En cinquième lieu, ils sont les représentants de nos -prières devant Dieu: témoin l’ange disant à Tobie: «Pendant que tu -priais en pleurant et ensevelissais les morts, j’ai présenté ta prière -au Seigneur.» En sixième et dernier lieu, les anges sont nos -consolateurs dans les tribulations. Ils le sont de trois façons: 1º en -nous réconfortant et raffermissant; 2º en nous aidant à souffrir; 3º en -réfrigérant nos tribulations, comme l’a fait l’ange du Livre de Daniel -qui, étant descendu dans la fournaise auprès des trois jeunes gens, y -fit souffler, au milieu des flammes, une brise parfumée. - - - - -CXLIII - -SAINT FURSY, ÉVÊQUE - -(29 septembre) - - -L’évêque Fursy, après une longue vie pleine de vertus, rendit son âme à -Dieu. Il vit alors venir à lui trois anges, dont deux emportèrent son -âme, tandis que le troisième les précédait, armé d’un bouclier blanc, et -tenant en main un glaive de feu. Il vit aussi des démons qui, pour -l’empêcher d’avancer, lançaient sur lui des flèches enflammées; mais -l’ange qui le précédait parait ces flèches avec son bouclier, et -aussitôt les éteignait. Alors les démons dirent aux anges: «Cet homme a -souvent tenu des discours oiseux; il n’a pas le droit d’être admis dans -l’assemblée des bienheureux!» Et l’ange: «Si vous n’apportez point la -preuve qu’il ait eu de grandes vices, de ses menus défauts il ne sera -point puni!» Alors un des démons: «Si Dieu est juste, cet homme ne sera -point sauvé; car l’évangile dit que celui-là n’entrera pas au royaume -des cieux qui n’aura point su s’abaisser pour devenir pareil à un -enfant!» Et l’ange: «Cet homme a eu l’innocence dans le cœur; mais -l’habitude humaine l’a empêché d’en faire un plein usage.» Et le démon: -«De même que, par habitude, il a mal agi, le juge suprême doit le punir -par sa loi!» Et l’ange: «Que Dieu juge entre nous!» Il y eût alors un -combat, et l’ange terrassa ses adversaires. - -Puis un des diables dit: «Le serviteur qui, connaissant la volonté de -son maître, ne s’y conforme pas, doit être puni!» Et l’ange: «En quoi -donc cet homme ne s’est-il donc pas conformé à la volonté de son -maître?» Et le démon: «Il a reçu des dons des méchants!» Et l’ange: «Il -a cru que chacun d’eux avait fait pénitence!» Et le démon: «Il aurait -dû, d’abord, s’assurer de cette pénitence!» Et l’ange: «Que Dieu juge -entre nous!» De nouveau ils luttèrent, et l’ange resta victorieux. Alors -le démon, revenant à la charge: «Je croyais jusqu’ici que Dieu ne -mentait jamais. Or, il a promis de punir, dans l’éternité, toutes les -fautes non expiées sur la terre. Et l’homme que voici n’est point puni, -bien qu’il ait accepté un manteau d’un certain usurier. Où donc est la -justice de Dieu?» Et l’ange: «Tu ignores la profondeur des jugements de -Dieu!» Alors le diable frappa si cruellement Fursy que, par la suite, -celui-ci garda toujours le souvenir du coup. Puis, prenant en enfer un -des damnés, il le lança sur lui; et le damné, en tombant sur lui, lui -brûla une mâchoire et une épaule; et, dans ce damné, Fursy reconnut -l’usurier dont il avait accepté le manteau. Et l’ange dit au mort: -«C’est ta faute même qui te brûle: car, si tu n’avais pas accepté le don -de ce méchant, Dieu n’aurait point permis que tu fusses ainsi châtié!» - -Revenant à la charge, le démon dit: «L’homme, d’après l’évangile, doit -aimer son prochain comme lui-même.» Et l’ange: «Cet homme a toujours -fait le bien à son prochain!» Mais le diable: «Cela ne suffit pas si, en -outre, il n’a pas aimé son prochain autant que lui-même! Fursy n’a pas -rempli la parole de Dieu: il doit être damné!» De nouveau, ange et démon -luttèrent, et la victoire resta à l’ange. - -Alors le démon: «Si Dieu est juste, cet homme mérite d’être châtié; car -il a promis de renoncer au siècle, et, au contraire, il a aimé le -siècle!» Et l’ange: «S’il a aimé les choses du siècle, ce n’est pas pour -en jouir lui-même, mais pour les donner aux pauvres!» Et le diable: «De -quelque façon qu’il les ait aimées, il a agi contre le précepte divin!» -De nouveau il y eut une lutte, mais Dieu fit en sorte que les anges -restèrent victorieux, et que le mort se vit entouré d’une immense -clarté. - -Alors un des anges lui dit: «Retourne-toi et regarde le monde!» Fursy, -s’étant retourné, vit une vallée de ténèbres au-dessus de laquelle -brillaient quatre grands feux. Et l’ange lui dit: «Tu vois les quatre -feux qui brûlent le monde: le feu du mensonge, le feu de la cupidité, le -feu de la dissension, et le feu de l’impiété.» Puis Fursy vit que ces -quatre feux se fondaient en un seul, et se rapprochaient de lui. -Effrayé, il dit à l’ange: «Seigneur, le feu s’approche de moi!» Et -l’ange: «Comme tu ne l’as pas allumé, il ne te brûlera point; car ce feu -atteint les hommes d’après leurs mérites. Et, dans la mesure où le corps -a brûlé de désirs illicites, il brûlera du feu infernal!» - -Et, après tout cela, l’âme de Fursy rentra dans son corps, à la grande -surprise de ceux qui veillaient le cadavre. Et le vieil évêque vécut -encore quelque temps; après quoi il mourut, chargé de bonnes œuvres. - - - - -CXLIV - -SAINT JÉRÔME, DOCTEUR - -(30 septembre) - - -Jérôme, fils d’Eusèbe, de race noble, naquit dans la ville de Stridon, -aux confins de la Dalmatie et de la Pannonie. Dès sa jeunesse il vint à -Rome, et s’y instruisit pleinement dans les lettres grecques, latines et -hébraïques. Il eut pour professeur de grammaire Donat, et pour -professeur de rhétorique l’orateur Victorin: ce qui ne l’empêchait pas -d’étudier avec ardeur les Saintes Ecritures. Mais, un jour, comme il le -raconte lui-même dans une lettre, la simplicité du langage dans les -livres des Prophètes l’offusqua si fort qu’il ne voulut plus lire que -Cicéron et Platon. Or, vers le milieu du Carême, il fut pris d’une -fièvre subite qui faillit le tuer. Et comme déjà l’on préparait ses -funérailles, soudain il se vit conduit devant le tribunal de Dieu. -Interrogé sur sa condition, il répondit qu’il était chrétien. Mais le -juge: «Tu mens, tu n’es pas chrétien, mais cicéronien!» Après quoi il le -condamna à être battu. Et Jérôme de s’écrier: «Ayez pitié de moi, -Seigneur, ayez pitié de moi!» Et tous les assistants demandaient grâce -pour lui, en considération de sa jeunesse. Enfin il s’écria: «Seigneur, -si je lis jamais des livres profanes, c’est que je t’aurai renié!» Et -aussitôt il revint à lui, dans son lit; et il vit qu’il était tout en -larmes, et qu’il avait les épaules encore bleues des coups reçus par lui -au tribunal céleste. Aussi mit-il, depuis lors, autant de zèle à lire -les livres sacrés qu’il en avait mis, auparavant, à lire les livres -profanes. - -A l’âge de vingt-neuf ans, il fut ordonné prêtre et cardinal de l’Eglise -romaine, puis, à la mort du pape Libère, on fut unanime à le proclamer -digne du sacerdoce suprême. Mais, comme il avait réprimandé la débauche -de certains prêtres et moines, ceux-ci, indignés, lui tendirent toute -sorte de pièges. Un matin, à son réveil, il trouva sur son lit un -vêtement de femme, que des méchants avaient déposé là. Croyant que -c’était son propre vêtement, il le revêtit, et se rendit ainsi à -l’église, ce qui permit de dire qu’il avait eu une femme dans son lit. -Alors, ne voulant plus être exposé à de pareilles folies, il quitta Rome -et se rendit auprès de Grégoire de Nazianze, évêque de Constantinople, -qui acheva de l’instruire dans les lettres sacrées. - -Il alla ensuite au désert; et lui-même raconte, dans sa lettre à -Eustoche, tout ce qu’il y souffrait pour l’amour du Christ: «Dans cette -morne solitude brûlée du soleil, je me figurais assister aux délices de -Rome. Mes membres déformés n’étaient vêtus que d’un sac, ma peau était -noire comme celle d’un Ethiopien; et toujours des larmes, toujours des -gémissements; et quand, malgré ma résistance, le sommeil m’accablait, -j’étalais mes os sur le sol nu. Je ne te dis rien de ma nourriture et de -ma boisson. Mais sache que, vivant en compagnie des scorpions et des -bêtes féroces, souvent j’étais tourmenté de rêves lascifs où je croyais -assister à des danses de jeunes filles. Alors je me fouettais jour et -nuit, jusqu’à ce que le Seigneur m’eût rendu le calme.» - -Ayant ainsi fait pénitence pendant quatre ans, il alla demeurer dans la -ville de Bethléem, s’offrant comme un chien domestique à l’étable de son -maître. Il y fit transporter sa bibliothèque, qu’il avait formée avec -beaucoup de soin; et toute la journée, sans rien manger, il s’occupait -de lire et d’écrire. Il resta là pendant cinquante-cinq ans et six mois, -entouré de nombreux disciples qui l’aidaient à traduire et à commenter -les Saintes Ecritures. Et l’on dit aussi qu’il resta chaste toute sa -vie, bien que lui-même ait écrit dans une lettre à Pammaque: «Ma vertu -préférée est la virginité, encore que je ne puisse pas me vanter de la -posséder.» Enfin il arriva à un tel degré de faiblesse que, étendu sur -sa couche, il se soulevait à l’aide d’une corde attachée au plafond, -pour pouvoir assister aux offices de son monastère. - -Un soir, pendant que Jérôme était assis avec ses frères pour écouter la -lecture sainte, voici qu’un lion entra en boitant dans le monastère. -Aussitôt tous les frères s’enfuirent: seul Jérôme alla au-devant de lui -comme au-devant d’un hôte, et, le lion lui ayant montré sa patte -blessée, il appela des frères et leur ordonna de laver sa plaie et d’en -prendre soin. Ainsi fut fait; et le lion, guéri, habita parmi les frères -comme un animal domestique. Sur quoi Jérôme, comprenant que ce lion leur -avait été envoyé plus encore pour leur utilité que pour la guérison de -sa patte, pris conseil avec ses frères et ordonna au lion de conduire au -pâturage et de garder un âne qu’ils avaient, et qui leur servait à -porter du bois. Et ainsi fut fait. Le lion se comportait en berger -parfait, toujours prêt à protéger l’âne, et ne manquant jamais de le -ramener au monastère à l’heure des repas. Mais un jour, comme le lion -s’était endormi, des marchands avec des chameaux, qui passaient par là -virent un âne seul et s’empressèrent de le voler. Quand le lion, -éveillé, s’aperçut de l’absence de son compagnon, il le chercha partout -en rugissant; puis, n’ayant pu le retrouver, il revint tristement à la -porte du monastère, mais, par honte, n’osa pas entrer. Or les frères, -voyant qu’il arrivait en retard et sans l’âne, supposèrent que, forcé -par la faim, il l’avait mangé. Ils refusèrent donc de lui donner sa -ration, et lui dirent: «Va chercher le reste de l’âne, et fais-en ton -dîner!» Cependant comme ils hésitaient à croire qu’il se fût rendu -coupable d’un tel acte, ils allèrent au pâturage en quête de quelque -indice; mais, n’ayant rien trouvé, ils revinrent raconter la chose à -Jérôme. Alors, de l’avis de celui-ci, ils confièrent au lion le travail -de l’âne, et l’employèrent à porter leur bois: tâche dont la bête -s’acquittait avec une patience exemplaire. Mais un jour, sa tâche -achevée, le voilà qui se met à courir par les champs, et voilà qu’il -aperçoit de loin des marchands, avec des chameaux et un âne s’avançant à -leur tête pour les guider, suivant l’usage du pays. Aussitôt le lion, se -jetant sur la caravane avec un rugissement terrible, força les marchands -à prendre la fuite. Après quoi, frappant le sol de sa queue, il obligea -les chameaux à l’accompagner jusqu’au monastère, où Jérôme, dès qu’il -les vit, dit à ses frères: «Lavez les pieds à nos hôtes, servez-leur à -manger, et puis attendons la volonté de Dieu!» Et voici que le lion se -mit à courir joyeusement d’un frère à l’autre, se prosternant devant -chacun d’eux comme s’il leur demandait pardon de quelque faute. Et -Jérôme, prévoyant l’avenir, dit à ses frères: «Préparez-vous à -accueillir encore d’autres hôtes!» Et en effet, au même instant, on vint -lui annoncer que des étrangers étaient là, qui voulaient voir l’abbé. Et -tout de suite les marchands, se jetant à ses pieds, lui demandèrent -pardon de leur vol; et lui, les relevant avec bonté, leur dit de -reprendre ce qui leur appartenait, mais de respecter désormais le bien -d’autrui. Et les marchands, en témoignage de leur reconnaissance, le -forcèrent à accepter une mesure d’huile, lui promettant que, tous les -ans, eux et leurs héritiers donneraient aux frères une mesure pareille. - -Comme, jusqu’alors, on avait le droit de chanter dans les églises -n’importe quels chants, l’empereur Théodose demanda au pape Damase de -lui indiquer un savant docteur à qui il pût confier le soin de régler le -chant des offices. Et Damase, sachant l’érudition et la sagesse de -Jérôme, le choisit pour cette tâche difficile. C’est donc Jérôme qui -définit les chants qui convenaient aux différentes fêtes, et qui décida -qu’à la fin de tous les psaumes devrait être chanté le _Gloria Patri_. -C’est lui aussi qui répartit les épîtres et évangiles pour tous les -dimanches de l’année. Et son projet, envoyé par lui de Bethléem, fut -approuvé du pape et des cardinaux, qui le sanctionnèrent à perpétuité. - -Enfin, parvenu à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans et six mois, il -rendit l’âme, et fut enterré à l’entrée de la grotte où avait été déposé -le corps du Seigneur. Sa mort eut lieu en l’an du Seigneur 398. - - - - -CXLV - -LA TRANSLATION DE SAINT RÉMY - -(1er octobre) - - -Rémy convertit au Christ le roi et toute la nation des Francs. Le roi -avait une femme nommée Clotilde qui, très fervente chrétienne, -s’efforçait en vain de convertir son mari à sa foi. Or, Clotilde, ayant -mis au monde un fils, obtint du roi, à force d’instances, de le faire -baptiser. Mais l’enfant, dès qu’il fut baptisé, mourut. Et le roi Clovis -lui dit: «Tu vois toi-même, maintenant, quel misérable dieu est ton -Christ, puisqu’il ne peut même pas garder en vie un enfant qui, lui -ayant été consacré, aurait, plus tard, imposé son culte à tout le -royaume!» Mais Clotilde: «Au contraire, je vois là une grande preuve -d’amour de la part de mon Dieu, qui, recueillant le premier fruit de mon -ventre, a daigné lui accorder son royaume infini, bien supérieur au -tien!» Plus tard, elle conçut de nouveau et, enfanta un autre fils -qu’elle parvint également à faire baptiser. Et, de nouveau, l’enfant -tomba malade au point qu’on désespérait de sa vie. Et Clovis dit à sa -femme: «Quand même tu enfanterais mille fils, ils périraient tous si tu -les baptisais!» Pourtant ce second enfant guérit; et ce fut lui qui, -dans la suite, succéda à Clovis. - -Celui-ci finit par se convertir à la foi chrétienne, ainsi que nous -l’avons raconté dans un chapitre précédent, qu’on trouvera tout de suite -après celui de l’Epiphanie. Après sa conversion, il dit à saint Rémy: -«Je vais faire ma sieste; et toi, tout le terrain que ta pourras -parcourir jusqu’à mon réveil, tu le prendras pour ton église!» Et ainsi -fut fait. Mais il y avait, sur ce terrain, un meunier qui ne voulut -point permettre à saint Rémy de traverser son moulin. Et le saint lui -dit: «Mon ami, tu consentiras bien à partager ce moulin avec nous?» Et -comme le meunier s’obstinait à n’y point consentir, soudain la roue du -moulin se mit à tourner en sens contraire. Sur quoi le meunier, -rappelant saint Rémy: «Serviteur de Dieu, reviens, et que le moulin vous -appartienne comme à moi!» Mais Rémy: «Non, il n’appartiendra plus ni à -toi ni à moi!» Et en effet, aussitôt la terre s’ouvrit et engloutit le -moulin. - -La fête qu’on célèbre en ce jour ne commémore point la mort de saint -Rémy, mais bien sa «translation» Car, comme on transportait le corps du -saint à l’église des saints Timothée et Appolinaire, voici qu’en passant -devant l’église de Saint-Christophe la châsse se mit tout à coup à peser -si lourd qu’aucune force humaine ne pouvait la soulever. Alors les -porteurs prièrent Dieu de leur faire voir par un signe s’il voulait que -le corps fût déposé dans cette église de Saint-Christophe, où se -trouvaient déjà conservées d’innombrables reliques de saints. Et -aussitôt la châsse se laissa soulever comme un fétu de paille; et on la -déposa solennellement dans cette église, où elle fit force miracles. - -Plus tard, on agrandit cette église, et l’on construisit une crypte, -derrière l’autel, pour recevoir le corps de saint Rémy. Mais, de -nouveau, la châsse qui contenait ce corps se trouva si lourde qu’on dut -renoncer à la transporter. Et voilà que, le lendemain matin, qui était -le premier jour d’octobre, on vit que la châsse de saint Rémy avait été -transportée par des anges dans la crypte. Et, plus tard encore, les -restes du saint furent transportés dans une autre crypte plus belle, où -ils reposent aujourd’hui dans une châsse d’argent. - - - - -CXLVI - -SAINT LÉGER, ÉVÊQUE ET MARTYR - -(2 octobre) - - -Léger mérita par ses vertus d’être élu évêque d’Autun. A la mort du roi -Clotaire, et comme on était en peine de choisir un nouveau roi, Léger, -inspiré de Dieu, et avec l’approbation des princes, mit sur le trône le -jeune Childéric, frère de Clotaire, merveilleusement doué pour la -royauté. Seul Ebroïn, ministre de Clotaire, aurait voulu élever au trône -un autre frère du roi défunt, nommé Thierry: et cela non point dans -l’intérêt du royaume, mais dans le sien propre, parce que, chassé du -pouvoir et détesté de tous, il redoutait la colère de Childéric et des -princes. Aussi cet Ebroïn, dès qu’il vit échouer ses efforts, -demanda-t-il au roi la permission d’entrer dans un monastère. Childéric -le lui permit, en même temps qu’il plaçait sous bonne garde son frère -Thierry, afin de prévenir ses mauvais desseins. Après quoi grâce aux -conseils de l’évêque tout le royaume jouit d’une paix admirable. Mais au -bout de quelque temps le roi, corrompu par de méchantes influences, se -prit d’une telle haine contre le saint évêque, qu’il cherchait le moyen -de le faire périr. Alors l’évêque, plein de douceur et embrassant comme -des amis ses pires ennemis, invita le roi à célébrer la fête de Pâques -dans sa cathédrale. Et, le matin de cette fête, il apprit que le roi -avait l’intention de l’assassiner. Il n’en reçut pas moins son meurtrier -à sa table; mais le soir venu, il se réfugia au monastère de Luxeuil, où -il servit avec charité Ebroïn lui-même, qui se cachait dans ce monastère -sous l’habit d’un moine. - -Peu de temps après, Childéric mourut, et Thierry monta sur le trône. -Alors Léger, touché des larmes et des prières de son peuple, et -contraint par l’ordre de son abbé, reprit possession de son siège -épiscopal, tandis qu’Ebroïn, de son côté, ayant jeté le froc, était -nommé sénéchal du nouveau roi. Or cet Ebroïn, qui auparavant déjà était -mauvais, devint pire encore depuis ce moment, et ne pensa qu’aux moyens -de se défaire de Léger. Il envoya des soldats pour s’emparer du saint; -et celui-ci, pendant qu’il sortait de sa ville en habit pontifical, fut -appréhendé, eut les yeux crevés, et fut jeté en prison où il resta deux -ans. Ebroïn le fit ensuite amener au palais du roi avec son frère Garin. -Et comme tous deux, bravant le ministre, répondaient sagement et -pacifiquement, Ebroïn fit lapider Garin, et ordonna que Léger fût -traîné, un jour entier, pieds nus sur des pierres très aiguës. Puis, -apprenant que l’évêque continuait à louer Dieu dans ses tourments, il -lui fit couper la langue et le fit ramener en prison. Mais le saint ne -perdit pas l’usage de la parole. Plus ardemment que jamais, au -contraire, il se livra à la prédication: il prédit même tous les détails -de sa mort, ainsi que celle d’Ebroïn. Et une immense lumière entourait -sa tête comme une couronne, ce dont tous les assistants furent -émerveillés. Alors Ebroïn ordonna à quatre bourreaux de lui trancher la -tête. Et comme ceux-ci conduisaient le saint au lieu du supplice, il -leur dit: «Mes chers frères, ne vous fatiguez pas à faire ce long -chemin, mais plutôt exécutez ici l’ordre de celui qui vous a envoyés!» -Alors trois d’entre eux furent si touchés que, tombant à ses pieds, ils -lui demandèrent pardon. Le quatrième, au contraire, eut le triste -courage d’exécuter sa mission: et, dès qu’il l’eut fait, un démon -s’empara de lui et le jeta dans le feu, où il périt misérablement. - -Deux ans après, Ebroïn, apprenant que le corps du saint s’illustrait par -de nombreux miracles, chargea un officier d’aller s’informer par -lui-même de ce qui en était. L’officier plein de morgue et d’arrogance, -foula aux pieds le tombeau, du saint, en s’écriant: «Que meurent tous -ceux qui croient qu’un mort peut faire des miracles!» Et voilà qu’un -démon s’empara de lui et le tua sur-le-champ. Ce qu’apprenant, Ebroïn -souffrit plus cruellement encore de l’envie; et, un jour, suivant la -prédiction du saint, il se tua lui-même en se perçant de son épée. Le -martyre de saint Léger eut lieu en l’an du Seigneur 680, sous le règne -de l’empereur Constantin IV. - - - - -CXLVII - -SAINT FRANÇOIS, CONFESSEUR[14] - -(4 octobre) - - [14] Ce chapitre ne figure pas dans les plus anciens manuscrits, ou - n’y figure qu’en appendice, parmi les _Legendæ a quibusdam aliis - superadditæ_. Son style et les défauts de sa composition - suffiraient, du reste, à le distinguer des chapitres «compilés» par - Jacques de Voragine. La rivalité des ordres dominicains et - franciscains aura, évidemment, empêché le vénérable Frère Prêcheur - d’admettre dans sa _Légende_ le Pauvre d’Assise. - - -François, serviteur et ami du Très-Haut, naquit dans la ville d’Assise, -et fut d’abord marchand. Jusqu’à vingt ans, il mena une vie dissipée; -mais Dieu, l’ayant touché de l’aiguillon de la maladie, le transforma -subitement en un tout autre homme. - -Etant allé à Rome en pèlerinage, il se dépouilla de ses vêtements, -revêtit ceux d’un mendiant, et s’assit parmi les pauvres devant l’église -de Saint-Pierre. Il serait resté avec eux si ses amis ne l’en avaient -empêché. Le diable, pour le détourner de ses saintes intentions, lui -montra un jour une femme d’Assise qui était bossue, et lui dit que, s’il -persistait dans son projet, il deviendrait pareil à cette femme. Mais le -Seigneur le réconforta en lui disant: «François, si tu veux me bien -connaître, fais ta douceur des choses amères, et méprise-toi toi-même!» -Rencontrant un lépreux, dont tous avaient horreur, il s’approcha de lui -et le baisa sur la bouche: et aussitôt le lépreux disparut. Alors -François se rendit à la léproserie, et, baisant les mains des habitants, -il leur distribua tout ce qu’il avait. - -Un jour qu’il était entré, pour prier, dans l’église de Saint-Damien, -l’image du Christ lui parla miraculeusement et lui dit: «François, va -réparer ma maison, car, comme tu vois, elle tombe en ruine!» Et, dès ce -moment, son âme se fondit de tendresse, et la compassion du Christ se -grava dans son cœur. Dans son désir de réparer l’église, il vendit tout -ce qu’il possédait. Et comme le prêtre à qui il offrait son argent -refusait de le prendre, par crainte de ses parents, il jeta cet argent -comme de la poussière. Puis, son père lui en ayant fait reproche, il se -dépouilla encore de ses vêtements et s’offrit, tout nu, au Seigneur. -Après quoi, pour détruire l’effet des malédictions de son père, il -demanda à un simple d’esprit de devenir son père et de le bénir. - -Un de ses frères, le voyant à peine vêtu, pendant l’hiver, et transi de -froid, dit à un passant: «Demande donc à François de te vendre pour -quelques sous de sa sueur!» Mais François, l’ayant entendu, répondit -gaîment: «Je ne puis, car je l’ai déjà vendue au Seigneur!» Une autre -fois, entendant lire les paroles que le Seigneur avait dites à ses -disciples sur leur mission, il résolut de devenir le serviteur des -pauvres, ôta la chaussure de ses pieds, revêtit un manteau grossier, et -se ceignit d’une corde. Traversant un bois, par un temps de neige, il -fut pris par des voleurs qui lui demandèrent qui il était. Et comme il -leur répondit qu’il était un héraut de Dieu, ils le renversèrent dans la -neige en lui disant: «Gis donc en paix, héraut de Dieu!» - -Cependant une grande foule d’hommes, nobles et manants, clercs et -laïques, rejetant la pompe du siècle, s’attachèrent à lui. Il leur -enseigna la perfection évangélique, qui consiste à vivre dans la -pauvreté et la simplicité. Il écrivit, en outre, pour eux, une règle -évangélique, que le pape Innocent confirma. Et, dès lors, il se mit à -semer avec une nouvelle ardeur la semence de la parole divine, -parcourant sans arrêt les villes et les villages. - -Il y avait alors un frère qui, à ne voir que les actes, faisait l’effet -d’un saint, mais qui avait cette singularité qu’il poussait la règle du -silence jusqu’à ne pas vouloir ouvrir la bouche pour se confesser. Et -comme les autres frères faisaient son éloge, François leur dit: «Mes -frères, ne louez pas trop, chez lui, une conduite qui n’est peut-être -pas exempte d’un peu de diablerie! Que ce frère consente à se confesser -au moins une fois par semaine! Et, s’il ne le fait pas, c’est donc que -sa soi-disant vertu n’est que pour nous tromper!» Mais le frère, invité -à se confesser, mit un doigt sur sa bouche, et hocha la tête en signe de -refus. Et le fait est que, peu de temps après, il se pervertit et finit -sa vie dans la dissipation. - -Un jour, comme François chevauchait sur un âne, en compagnie de frère -Léonard, qui était d’une famille noble d’Assise, celui-ci, qui marchait -à pied, se dit tout à coup: «Ce n’est point mes parents qui auraient -consenti à se laisser ainsi traiter par les siens!» Et aussitôt -François, descendant de son âne, dit à Léonard: «Ce n’est point chose -convenable que toi, qui es noble, tu ailles à pied tandis que je -chevauche!» Sur quoi Léonard, confus, se jeta à ses pieds et lui demanda -pardon. - -Une autre fois, une femme noble accourut au-devant de lui; et, toute -haletante de sa course, elle lui dit: «Prie pour moi, père, car mon mari -m’empêche de mener la vie que je voudrais, et s’oppose à ce que je serve -pieusement le Christ!» Et lui: «Va en paix, ma fille, et dis à ton mari, -de ma part, que le temps du salut est arrivé!» Elle redit la chose à son -mari; et celui-ci, aussitôt, changea, et s’engagea à la laisser vivre -dans la continence. - -Il aimait à ce point la pauvreté qu’il l’appelait sa maîtresse, et que, -quand il rencontrait un plus pauvre que lui, il se sentait tout honteux. -Un jour qu’un pauvre passait près de lui, il dit à son compagnon: «Otons -vite nos manteaux, donnons-les à cet homme, et, nous prosternant à ses -pieds, proclamons-nous coupables!» Une autre fois, il rencontra trois -femmes, exactement pareilles l’une à l’autre, qui le saluèrent en -disant: «Bienvenue soit Madame la Pauvreté!» Puis, elles disparurent, et -jamais on ne les revit. - -Etant venu à Arezzo et y ayant trouvé la guerre civile, il dit à frère -Sylvestre, son compagnon: «Va devant la porte de la ville, et, de la -part Dieu, ordonne aux démons de sortir de la ville!» Et à peine -Sylvestre eut-il obéi que les citoyens d’Arezzo se réconcilièrent.--Ce -même Sylvestre, pendant qu’il n’était encore que prêtre séculier, vit en -songe une croix d’or qui sortait de la bouche de François, et dont les -bras embrassaient toute la terre. Aussitôt il renonça au monde pour -imiter l’exemple de l’homme de Dieu. - -Pendant que François était en prière, trois fois le diable l’appela par -son nom. Et, chaque fois, François lui répondit; après quoi il ajouta: -«Il n’y a point de pécheur au monde qui ne puisse espérer de Dieu son -pardon s’il se convertit!» Alors le diable, voyant qu’il ne pouvait pas -le tenter de cette manière, lui envoya une cruelle tentation de la -chair. Et François, ayant enlevé son manteau, se frappait avec sa -ceinture en disant: «Hélas, mon frère âne, voilà comment il faut que tu -subisses le fouet!» Puis, comme la tentation persistait, il se roula -dans la neige; et, ayant fait sept petits tas de neige, il dit à son -corps: «Regarde, voici ta femme, voici tes deux fils et tes deux filles, -et voici ton serviteur et ta servante! Hâte-toi de les vêtir, car ils -meurent de froid! Et si tu trouves trop difficile de t’occuper d’eux, ne -t’occupe donc que de servir ton maître!» Aussitôt le diable, tout -confus, s’en alla; et François, glorifiant Dieu, rentra dans sa cellule. - -Un frère, compagnon du saint, ayant été ravi en extase, vit les trônes -du ciel, et, parmi eux, un trône plus haut et plus brillant que les -autres. Et une voix lui dit: «C’était le siège d’un des archanges -déchus; et maintenant nous le préparons pour l’humble François.» Alors, -s’éveillant, le frère demanda à François ce qu’il pensait de lui-même. -Et François: «Je m’apparais comme le plus grand des pécheurs.» Aussitôt -l’Esprit-Saint dit à l’oreille du frère: «Reconnais combien était vraie -ta vision; car ce siège, perdu par l’orgueil, sera gagné par -l’humilité!» - -Une autre fois, François lui-même, étant ravi en extase, vit au-dessus -de sa tête un séraphin crucifié, qui lui imprima si profondément les -signes de la crucifixion que ce fut comme si François avait été vraiment -crucifié. Et désormais le saint porta sur ses mains, ses pieds, et son -côté, les stigmates de la croix; mais, dans son humilité, il les cachait -avec tant de soin, que peu d’hommes les virent avant sa mort, où, au -contraire, tous purent les voir. Et la réalité de ces stigmates -s’attesta encore par de nombreux miracles, parmi lesquels nous nous -bornerons à citer les deux suivants: - -1º Dans la Pouille, un homme appelé Roger, étant devant une image de -saint François, se demanda si le miracle des stigmates était vrai, ou si -ce n’était pas une pieuse illusion, ou même une supercherie des frères. -Et aussitôt, il entendit comme le bruit d’une flèche, et il se sentit la -main gauche traversée, sous son gant; et en effet, quand il eut ôté le -gant, il vit que sa paume était grièvement blessée. Mais comme il se -repentait, et se jurait qu’il ne cesserait plus désormais de croire aux -stigmates de saint François, sa blessure disparut peu de temps après. - -2º Dans le royaume de Castille, un homme, qui se rendait en pèlerinage à -une église de saint François, tomba dans un piège préparé pour un autre -homme, et fut mortellement blessé. Or, au milieu de la nuit, comme la -cloche des frères sonnait pour les matines, la femme du mort se mit à -crier: «Mon mari, lève-toi, et va aux matines, car la cloche t’appelle!» -Et aussitôt le mort fit un signe de la main comme pour demander qu’on -retirât l’épée qui lui traversait la gorge; et une main invisible retira -cette épée et le mort se releva, entièrement guéri. Et il dit: «Saint -François, venu à mon secours, a apposé ses stigmates sur mes blessures, -et, par leur contact, les a miraculeusement guéries. Puis, comme il -voulait repartir, je lui ai fait signe de retirer l’épée que j’avais -dans la gorge, et qui m’empêchait de parler!» - -Saint François et saint Dominique, ces deux flambeaux du monde, se -rencontrèrent à Rome devant l’évêque d’Ostie, qui devint plus tard -souverain pontife. Et l’évêque leur dit: «Pourquoi ne ferions-nous pas -de vos frères des évêques et des prélats, puisqu’ils dépassent les -autres frères par le savoir comme par l’exemple?» Il y eut alors entre -les deux saints une longue lutte d’humilité, car chacun d’eux voulait -laisser à l’autre l’honneur de répondre le premier. Enfin l’humilité de -François l’emporta, car ce fut Dominique qui parla le premier; et -l’humilité de Dominique l’emporta elle aussi, car ce fut par obéissance -qu’il consentit à parler. Donc il dit: «Seigneur, mes frères sont élevés -déjà à un rang assez haut, par le seul fait de leur titre de frères; et -je ne saurais permettre, quant à moi, qu’ils acceptassent une autre -marque de dignité.» Puis François, à son tour, répondit: «Seigneur, mes -frères portent le nom de _mineurs_, précisément afin qu’ils n’aient pas -la présomption de se croira _majeurs_!» - -Avec sa simplicité de colombe, saint François exhortait toutes les -créatures à l’amour de Dieu. Il prêchait aux oiseaux, qui l’écoutaient, -se laissaient prendre par lui, ne s’envolaient qu’avec sa permission. A -la Portioncule, tout près de sa cellule, une cigale chantait; il étendit -la main vers elle et lui dit: «Ma sœur la cigale, viens ici!» Aussitôt -la cigale grimpa sur sa main. Et lui: «Chante, ma sœur la cigale, et -loue ton Créateur!» Il se refusait à souffler les lampes et les -chandelles, ne voulant point profaner la lumière en y touchant. Il ne -marchait qu’avec égard sur les pierres, en considération de l’esprit -qu’il voyait en elles; il retirait de la route les vermisseaux, par -crainte qu’ils ne fussent foulés aux pieds des passants; il faisait -apporter du miel et du vin aux abeilles dans les rigueurs de l’hiver. La -vue du soleil, de la lune et des étoiles, le remplissait d’une joie -ineffable; et il ne manquait jamais de les inviter à l’amour du -Créateur. Un jour, traversant les marais de la Vénétie, il trouva une -grande multitude d’oiseaux qui chantaient; et il dit à son compagnon: -«Voici nos sœurs les avettes qui louent leur Créateur! Allons au milieu -d’elles pour chanter nos heures!» Mais comme le chant des oiseaux -l’empêchait d’entendre sa voix et celle de son compagnon, il leur dit: -«Chères sœurs, chantez moins fort, jusqu’à ce que nous ayons fini notre -office!» Et les oiseaux obéirent; et, quand il eut achevé ses laudes, il -leur donna de nouveau la permission de chanter à leur aise. Une autre -fois, rencontrant sur la route une troupe d’oiseaux, il les salua -tendrement et leur dit: «Mes frères les oiseaux, vous avez bien des -raisons de louer votre créateur, qui vous a revêtus de plumes, vous a -donné des ailes pour voler, a fait pour vous la pureté de l’air, et -gouverne votre vie sans vous en imposer le souci!» Aussitôt les oiseaux -commencèrent à tendre le cou vers lui, et l’écoutèrent avec grande -attention. Et pas un seul ne s’envola avant qu’il eût achevé de parler. - -Il avait une grave maladie d’yeux, et l’aggravait encore par ses larmes. -Et comme ses frères l’engageaient à moins pleurer, pour épargner sa vue, -il leur dit: «Comment pourrais-je, par amour pour la lumière terrestre, -qui nous est commune avec les mouches, renoncer au spectacle de la -lumière éternelle?» - -Il préférait s’entendre blâmer que louer; et il avait demandé à un de -ses frères que, dès que le peuple faisait l’éloge de sa sainteté, ce -frère lui répétât dans l’oreille les pires injures. Et comme ce frère, -bien malgré lui, le traitait de rustre inutile et stupide, François tout -joyeux, lui disait: «Que Dieu te bénisse, car ce que tu dis là est bien -vrai, et voilà les choses que je mérite d’entendre!» Ce parfait -serviteur de Dieu préférait aussi servir que commander, obéir -qu’ordonner. Il s’était constitué un gardien, à la volonté duquel il se -soumettait aveuglément. Au frère qui l’accompagnait dans sa route, il -avait toujours soin de promettre obéissance; et c’était toujours lui qui -le servait. - -Un jour qu’il passait par la Pouille, il trouva, à terre, une bourse qui -paraissait gonflée de deniers. Son compagnon voulait la ramasser, pour -en distribuer le contenu aux pauvres, mais François lui dit: «Mon cher -fils, nous n’avons pas le droit de prendre le bien d’autrui!» Cependant, -comme le frère insistait, François lui permit de prendre la bourse et de -l’ouvrir; et ils virent qu’au lieu d’argent elle contenait une grosse -vipère. Sur quoi le saint dit: «L’argent, pour les serviteurs de Dieu, -n’est jamais autre chose qu’une vipère venimeuse.» - -Etant l’hôte d’un habitant d’Alexandrie, en Lombardie, cet homme lui -demanda que, pour observer le précepte de l’évangile, il consentît à -manger tout ce qu’on lui servirait. Le saint promit; et l’hôte lui fit -servir un magnifique chapon. Ce qu’apprenant, un impie se présenta -devant eux, pendant qu’ils mangeaient, et leur demanda l’aumône au nom -de Dieu. Saint François lui fit aussitôt donner une part du chapon; et -l’impie, au lieu de la manger, la garda avec soin; puis, le lendemain, -pendant que le saint prêchait, il montra le morceau en disant: «Tenez, -voici de quoi se nourrit cet homme, que vous honorez comme un saint! Car -c’est lui-même qui m’a donné, hier soir, ce reste de sa table!» Et il -montrait le morceau de chapon, mais la foule ne voyait qu’un morceau de -poisson, et l’on traitait de fou l’accusateur du saint. Et quand -celui-ci s’aperçut du miracle, tout honteux il demanda pardon; et -aussitôt la viande reprit sa forme première. - -François voulait qu’on traitât avec un respect tout particulier les -mains des prêtres, qui ont le pouvoir de transformer le pain en le corps -de Dieu. Et il disait souvent: «Si je rencontrais ensemble un grand -saint du ciel et un pauvre petit prêtre, je courrais d’abord baiser les -mains du prêtre, et je dirais au saint: «Attends-moi un instant, saint -Laurent, car les mains de cet homme produisent le Verbe vivant, et il -faut d’abord que je leur fasse ma révérence!» - -Innombrables sont les miracles qu’il opéra pendant sa vie. Le pain même -qu’on lui apportait à bénir guérissait les malades. Il changeait l’eau -en vin, et tout malade qui goûtait de ce vin recouvrait la santé. Et -quand, après une longue maladie, il sentit la mort s’approcher, il se -fit déposer sur la terre nue, bénit tous ses frères, et, en souvenir de -la Cène, partagea entre eux une bouchée de pain. Il invitait la mort -elle-même à louer Dieu avec lui, la saluant avec joie, et lui disant: -«Bienvenue est ma sœur la mort!» C’est ainsi qu’il s’endormit dans le -Seigneur. - -Un frère nommé Augustin, qui cultivait le jardin du couvent, tomba -malade et perdit la parole. Mais tout à coup il s’écria: «Attends-moi, -mon père, attends-moi! Je viens avec toi.» Et comme ses frères lui -demandaient ce qu’il voulait dire, il répondit: «Ne voyez-vous pas notre -père François, qui marche dans le ciel?» Et aussitôt, s’endormant dans -le Seigneur, il rejoignit son maître. - -Une femme, qui avait une piété spéciale pour saint François mourut, -pendant que le clergé célébrait ses obsèques, soudain elle se redressa -sur son lit, et dit à l’un des prêtres: «Mon père, je veux me confesser. -J’étais morte, et j’allais être condamnée à la prison éternelle, car -j’avais sur la conscience un péché dont je ne m’étais confessée à -personne. Mais saint François a daigné prier pour moi, et a obtenu que -je revinsse à la vie pour révéler mon péché et en recevoir mon pardon.» -Elle se confessa, reçut l’absolution et s’endormit dans le Seigneur. - -Un paysan de Vicera, à qui des frères franciscains demandaient une -charrue, leur répondit: «Plutôt que de vous donner ma charrue, -j’aimerais mieux vous écorcher, et votre saint François avec vous!» Peu -de temps après, le fils de cet homme tomba malade et mourut. Et son -père, se roulant à terre, invoquait saint François: «C’est moi qui ai -commis le péché, c’est moi que tu devais punir! Grand saint, rends à un -pieux suppliant ce que tu as enlevé à l’impie blasphémateur!» Et -aussitôt le fils, ressuscité, lui dit: «Quand je suis mort, saint -François m’a conduit par un chemin long et sombre jusque dans une belle -prairie; et puis il m’a dit: «Retourne maintenant chez ton père, mon -cher enfant, je ne veux pas te retenir plus longtemps!» - -Un pauvre demandait à un riche de lui prolonger le crédit d’une dette, -par amour pour saint François. A quoi le riche répondit; «Je -t’enfermerai dans un lieu où François lui-même ne pourra pas te venir en -aide.» Et il le fit jeter en prison. Mais, le soir même, saint François -apparut au prisonnier, brisa ses chaînes et le ramena dans sa maison. - -Un soldat, après avoir déprécié les miracles de saint François pendant -qu’il jouait aux dés, s’écria: «Si François est saint, que ces deux dés -amènent donc le total 18!» Aussitôt l’un des deux dés se trouva porter -12 au lieu de 6, et neuf fois de suite ce miracle se renouvela. Mais le -soldat, aggravant son ancienne folie d’une folie pire encore, s’écria: -«Si ce François est vraiment un saint, je veux que mon corps tombe -aujourd’hui percé d’une épée!» Et, dès que la partie fut finie, le neveu -de cet homme, s’étant pris de querelle avec lui, tira son épée et lui en -transperça le ventre, ce dont il mourut sur-le-champ. - -Un homme qu’une paralysie empêchait de se mouvoir invoquait saint -François, en disant: «Secours-moi, saint François, en souvenir de ma -dévotion et des services que je t’ai rendus; car autrefois je t’ai porté -sur mon âne, j’ai baisé tes pieds et tes mains; et voici que je meurs -dans de cruelles souffrances!» Aussitôt le saint, lui apparaissant, lui -toucha les jambes avec un bâton qui avait la forme du T grec. Et le -malade recouvra la santé, mais le signe du T grec resta à jamais gravé -sur sa peau. Or c’était de ce signe que saint François avait coutume de -signer ses lettres. - -Dans la ville de Pomereto, en Pouille, une mère, ayant perdu sa fille -unique, invoquait en pleurant l’aide de saint François. Celui-ci lui -apparut et lui dit: «Ne pleure pas, car la lumière de sa lampe, que tu -crois éteinte, va se rallumer sur mon intercession!» La mère, donc, ne -permit point qu’on emportât le corps de sa fille et bientôt, prenant -celle-ci dans ses bras, elle la releva saine et sauve. Une autre fois, à -Rome, l’intercession du saint rendit la vie à un petit garçon qui -s’était tué en tombant de la fenêtre d’un palais. A Suze, saint François -ressuscita de la même façon, pour répondre aux prières d’une mère, un -jeune homme qui était mort sous les décombres d’une maison, et qu’on se -préparait déjà à ensevelir. - -Le frère Jacques de Riéti, traversant un fleuve avec d’autres frères, se -noya au moment où ses compagnons descendaient déjà sur le rivage. Les -survivants invoquèrent l’aide de saint François, et le noyé lui-même, -déjà à demi mort, l’invoquait de son côté. Et voici que ses compagnons -le virent marcher sur les vagues comme sur du sable, et ramener jusqu’au -rivage le bateau submergé. Et ils virent même que ses vêtements étaient -secs, au point que pas une goutte d’eau ne les avait mouillés. - - - - -CLXVIII - -SAINTE PÉLAGIE, PÉCHERESSE - -(8 octobre) - - -Pélagie était une des femmes les plus nobles, les plus riches et les -plus belles de la ville d’Antioche. Ambitieuse et vaine, impudique de -corps et d’âme, elle se promenait orgueilleusement par la ville, de -telle sorte qu’on ne voyait rien sur elle que de l’or, de l’argent, et -des pierreries, et que, sur son passage, elle remplissait l’air de -parfums capiteux. Devant et derrière elle, marchait une troupe nombreuse -de jeunes hommes et de jeunes femmes, également vêtus de robes -éclatantes. Elle fut, un jour, rencontrée, en cet équipage, par un saint -homme nommé Néron, évêque d’Héliopolis, qui s’appelle aujourd’hui -Damiette. Et Néron, voyant qu’elle avait plus de souci de plaire au -monde que lui-même n’en avait de plaire à Dieu, se mit à pleurer. Puis, -se jetant sur le pavé, il frappait son visage contre terre, priant Dieu -de lui pardonner. Et il dit à ceux qui étaient avec lui: «En vérité je -vous le dis, Dieu produira cette femme contre nous au jour du jugement: -car elle met plus de soin à s’orner pour plaire à ses amants terrestres -que nous n’en mettons à orner nos âmes pour plaire à l’époux céleste!» -Après quoi il s’endormit, et eut un rêve. Il se vit célébrant la messe, -et autour de lui volait une colombe noire et puante. Il ordonna à ses -catéchumènes de la chasser, et la colombe disparut; mais après la messe -elle revint, et lui-même la plongea dans un vase d’eau, d’où elle sortit -toute blanche et toute parfumée; et elle s’envola si haut qu’on la -perdit de vue. Ayant fait ce rêve, Néron s’éveilla. Or, un jour qu’il -prêchait dans l’église en présence de Pélagie, celle-ci fut si touchée -qu’elle lui envoya le message suivant: «Au saint évêque, disciple du -Christ, Pélagie, disciple du diable! Si tu es vraiment le disciple du -Christ, qui, à ce que l’on dit, est descendu du ciel pour les pécheurs, -daigne m’accueillir, moi qui suis une pécheresse, mais qui me repens!» -L’évêque lui répondit: «Par grâce, ne tente pas mon humilité, car je -suis homme, et pécheur! Mais si vraiment tu désires être sauvée, viens -me voir non pas seul, mais parmi les fidèles!» Et elle vint vers lui, en -présence de la foule, et se jeta à ses pieds, et lui dit en pleurant: -«Je suis Pélagie, plage d’iniquité, toute ruisselante du flot de mes -péchés, je suis un abîme de perdition, je suis un piège d’âmes; mais à -présent j’ai horreur de tout cela!» L’évêque lui demanda son nom. Et -elle: «A ma naissance je fus appelée Pélagie, mais l’éclat de mes -vêtements m’a fait donner le surnom de Marguerite.» Alors l’évêque la -reçut avec bonté, lui imposa une pénitence, l’instruisit dans la crainte -de Dieu et la régénéra par le saint baptême. - -Or, une nuit, pendant que Pélagie dormait, le diable vint la réveiller -et lui dit: «Ma chère Marguerite, pourquoi m’as-tu abandonné, moi qui -t’ai toujours ornée de gloire et de richesse?» Pélagie fit le signe de -la croix, souffla sur le diable et le mit en fuite. Le lendemain, elle -rassembla tout ce qu’elle possédait et le distribua aux pauvres. Après -quoi, sans prévenir personne, elle s’enfuit à Jérusalem. Là, prenant -l’habit d’un ermite, elle s’installa dans une cellule, sur le mont des -Oliviers. Et elle servait Dieu dans l’abstinence, et bientôt elle devint -célèbre dans toute la région, sous le nom de frère Pélage. Or, un diacre -de l’évêque Néron étant venu à Jérusalem pour visiter les lieux saints, -l’évêque de Jérusalem lui parla d’un saint ermite nommé Pelage, et -l’engagea à aller le voir. Et Pélagie aussitôt le reconnut, tandis que -lui ne la reconnaissait point, amaigrie et changée comme elle l’était. -Et elle lui dit: «L’évêque Néron vit-il encore?» Et lui: «Oui.» Et elle: -«Qu’il prie le Seigneur pour moi, car c’est vraiment un apôtre du -Christ!» Le lendemain, le diacre revint la voir; mais, comme il frappait -à sa porte sans obtenir de réponse, il ouvrit la fenêtre de la cellule, -et vit que le frère Pelage était mort. Il courut annoncer la chose à -l’évêque, qui vint, avec son clergé et ses moines, pour ensevelir le -saint ermite. Et voilà qu’en retirant de la cellule le cadavre du -défunt, on découvrit que celui-ci était une femme! Sainte Pélagie mourut -le 8 octobre de l’an du Seigneur 290. - - - - -CXLIX - -SAINTE MARGUERITE, VIERGE - -(8 octobre) - - -Marguerite était une vierge très belle, très noble et très riche. Elle -fut élevée par ses parents dans un tel amour des bonnes mœurs et de la -pudeur qu’elle s’efforçait, autant que possible, de se dérober aux -regards des hommes. Elle fut enfin demandée en mariage par un jeune -noble; et, comme les deux familles consentaient à cette union, le jour -des noces fut décidé. Mais, ce jour-là, pendant que toute la noblesse de -la ville célébrait joyeusement la fête nuptiale, la jeune fiancée, -prosternée à terre et toute en larmes, songea avec épouvante à l’ordure -qu’étaient toutes les joies de cette vie en comparaison de la perte de -sa virginité. Aussi se refusa-t-elle aux caresses de son mari; et, quand -celui-ci se fut endormi, elle coupa ses cheveux, prit un vêtement -d’homme, et s’enfuit. Après avoir longtemps marché, elle se réfugia dans -un monastère où elle devint moine sous le nom de Frère Pélage. Et telle -fut la sainteté de ses mœurs que, sur l’ordre de son abbé, et malgré sa -résistance, elle dut se résigner à devenir le supérieur d’un couvent de -nonnes. Alors le diable, jaloux d’elle, chercha un moyen de la perdre. -Il poussa une des religieuses à commettre le péché de chair; et quand la -coupable se trouva forcée d’avouer sa grossesse, religieuses et moines, -consternés, furent unanimes à considérer comme son séducteur le Frère -Pélage, celui-ci étant le seul homme qui vécût auprès d’elle. Marguerite -fut donc chassée ignominieusement du monastère et enfermée dans une -grotte, où on lui apportait, de temps à autre, un pain d’orge et une -cruche d’eau. Mais elle, supportant cette épreuve avec patience, ne -cessait point de rendre grâces à Dieu. Enfin, lorsqu’elle se sentit sur -le point de mourir, elle écrivit à l’abbé et aux moines: «De naissance -noble, je portais dans le siècle le nom de Marguerite; mais j’ai pris le -nom de Pélage parce que j’ai traversé la plage des tentations. Je -demande maintenant que mes saintes sœurs m’ensevelissent, afin que les -femmes reconnaissent une vierge en celle que les calomniateurs ont fait -passer pour un débauché!» Au reçu de cette lettre, les religieuses -coururent à la grotte de l’ermite; elles reconnurent que le Frère Pélage -était une femme, une pure vierge; et elle fut ensevelie avec honneur -dans le couvent de femmes qu’elle avait dirigé; et religieuses et moines -firent pénitence de l’injuste traitement qu’elle avait subi. - - - - -CL - -SAINTE THAÏS, COURTISANE - -(8 octobre) - - -La courtisane Thaïs était si belle que beaucoup d’hommes, ayant vendu -tous leurs biens par amour pour elle, s’étaient vus réduits à l’extrême -misère, et que le seuil de sa maison était arrosé du sang de ses amants, -poussés par leur jalousie à s’entretuer. Ce qu’apprenant, le solitaire -Paphnuce se procura une pièce d’argent, revêtit un habit séculier, et se -rendit dans la ville d’Egypte où demeurait la courtisane: après quoi il -remit à celle-ci sa pièce d’argent, comme afin de pouvoir pécher avec -elle. Et Thaïs, ayant reçu la pièce d’argent, lui dit: «Entrons dans ma -chambre!» Paphnuce entra dans cette chambre, où il y avait un lit tout -couvert d’étoffes de prix. Mais comme la courtisane l’invitait à monter -sur ce lit, il lui dit: «Si tu as une autre chambre, plus retirée, -allons plutôt là!» Elle le conduisit dans plusieurs autres chambres; -mais toujours il disait qu’il avait peur d’être vu. Alors Thaïs: «J’ai -dans ma maison une chambre où personne ne peut entrer; mais si c’est -Dieu que tu crains, il n’y a pas de lieu au monde où tu puisses te -dérober à ses regards!» Et Paphnuce: «Tu sais donc que Dieu existe?» -Elle répondit qu’elle le savait, qu’elle connaissait aussi la vie future -et le châtiment des pécheurs. Alors Paphnuce: «Si tu connais tout cela, -pourquoi as-tu causé la perte de tant d’âmes? Tu auras à rendre compte à -Dieu de toutes ces âmes, en même temps que de la tienne: et sûrement tu -seras damnée!» Ce qu’entendant, Thaïs se jeta aux pieds du solitaire, -fondit en larmes, et s’écria: «Mais je sais aussi qu’on peut se -repentir, mon père, et j’ai confiance dans ta prière pour m’obtenir la -remise de mes péchés! Accorde-moi seulement trois heures de délai, et, -après cela, j’irai où tu m’ordonneras d’aller, et je ferai ce que tu -m’ordonneras de faire!» Elle profita de ce délai pour recueillir tous -les richesses qu’elle avait gagnées par ses péchés, et, les transportant -sur la grande place, en présence de la foule, elle y mit le feu, et elle -disait: «Venez tous, vous qui avez péché avec moi, et voyez ce que je -fais de vos présents!» Puis, quand elle eut tout brûlé (et il y avait là -des objets dont l’ensemble valait 400 livres d’or) elle rejoignit -Paphnuce, qui la conduisit dans un couvent de femmes. Il l’enferma dans -une étroite cellule, en mura la porte, et ne laissa qu’une petite -fenêtre par où l’on devait, tous les jours, lui apporter un peu de pain -et d’eau. Et comme ensuite il se retirait, elle lui dit: «Que -m’ordonnes-tu, mon père, au sujet de l’endroit où je devrai uriner et -déposer mes excréments?» Et Paphnuce: «Tu feras tout cela dans ta -cellule, ainsi que tu le mérites!» Elle lui demanda ensuite comment elle -devait prier. Et lui: «Tu n’es pas digne de prononcer le nom de Dieu, ni -de lever les mains au ciel, car tes mains et les lèvres sont pleines -d’impureté. Tu te borneras donc à te prosterner du côté de l’Orient, et -à répéter toujours cette phrase: «Toi qui m’as créée, aie pitié de moi!» - -Après que Thaïs fut ainsi restée enfermée pendant trois ans, Paphnuce -eut pitié d’elle et vint trouver saint Antoine, pour lui demander si -Dieu n’avait pas encore remis les péchés de la pénitente. Antoine réunit -alors ses disciples, et leur enjoignit de rester en oraison, chacun de -son côté, jusqu’à ce que Dieu révélât à l’un d’eux l’objet de la visite -du solitaire Paphnuce. Et comme les disciples étaient en oraison, l’un -d’eux, Paul, vit au ciel un grand lit couvert d’étoffes précieuses, et -gardé par trois vierges au visage rayonnant. Ces trois vierges étaient -la peur des châtiments futurs, la honte des péchés commis et la passion -de la justice de Dieu. Et comme Paul disait à ces trois vierges que ce -lit était sans doute réservé à Antoine, une voix d’en haut lui répondit: -«Non, ce lit n’est point pour ton père Antoine, mais pour la courtisane -Thaïs!» Le lendemain, Paul s’empressa de raconter sa vision; et -Paphnuce, découvrant ainsi la volonté du ciel, s’empressa d’aller au -monastère pour ouvrir la cellule de la pénitente. Mais celle-ci le -suppliait de la laisser enfermée. Et il lui dit: «Sors de là, car Dieu -t’a remis tes péchés. Il te les a remis non seulement à cause de la -pénitence, mais parce que tu as toujours gardé sa crainte au fond de ton -âme!» Elle vécut encore quinze jours, et s’endormit en paix. - -Un autre solitaire nommé Ephrem, voulut convertir de la même façon une -autre courtisane. Comme celle-ci essayait impudemment de l’inciter au -péché, il lui dit: «Suis-moi!» Après quoi il la conduisit dans un lieu -où se trouvait une grande foule, et il lui dit: «Couche-toi, pour que je -m’unisse à toi!» Et elle: «Comment pourrais-je faire cela, quand toute -cette foule me regarde?» Et Ephrem: «Si tu rougis d’être vue par des -hommes, ne devrais-tu pas rougir bien plus encore devant ton Créateur, -dont le regard pénètre jusqu’au plus profond des ténèbres?» Alors la -courtisane, toute confuse, s’enfuit. - - - - -CLI - -SAINTS DENIS, RUSTIQUE ET ÉLEUTHÈRE, MARTYRS - -(9 octobre) - - -I. Denis l’Aréopagite fut converti à la foi du Christ par l’apôtre saint -Paul. Son surnom d’Aréopagite lui venait du nom d’un faubourg d’Athènes -où il demeurait, et qui s’appelait Aréopage, c’est-à-dire faubourg de -Mars, parce qu’on y voyait un temple du dieu Mars. Dans ce faubourg, qui -était la demeure favorite des savants, Denis se livrait à l’étude de la -philosophie; et on l’appelait aussi le Théosophe, c’est-à-dire l’homme -versé dans la science de Dieu. Et il avait avec lui un compagnon -d’études nommé Apollophane. Or, le jour de la passion du Christ, la -ville d’Athènes, de même que le monde entier, fut soudain remplie d’une -épaisse ténèbre; et les savants d’Athènes ne parvenaient pas à découvrir -la cause naturelle de ce fait étrange, tout à fait différent des -éclipses ordinaires. Ajoutons, à ce propos, que de nombreux témoignages -attestent l’universalité de la soudaine ténèbre qui suivit la mort du -Seigneur. Elle fut constatée en Grèce comme à Rome, et dans l’Asie -Mineure. Et l’on raconte que Denis, en présence de ce phénomène, aurait -dit à ses compatriotes: «Cette nuit nouvelle présage le prochain -avènement d’une lumière nouvelle, dont le monde entier sera illuminé.» -Sur quoi les Athéniens élevèrent un autel où ils mirent cette -inscription: _Au Dieu inconnu_. - -Et lorsque saint Paul vint à Athènes, il vit cet autel et s’écria: «Ce -Dieu que vous adorez sans le connaître, je suis venu vous le révéler!» -Puis, s’adressant à Denis comme au plus savant des philosophes, il lui -demanda qui était ce Dieu inconnu. Et Denis: «C’est le seul vrai Dieu, -mais il se cache à nous et nous est inconnu.» Et saint Paul: «Ce Dieu -est celui que je viens vous révéler, celui qui a créé le ciel et la -terre, et qui a revêtu la forme humaine, et a subi la mort, et est -ressuscité le troisième jour.» Et, comme Denis continuait a discuter -avec Paul, un aveugle vint à passer près d’eux. Alors Denis dit à Paul: -«Si, au nom de ton Dieu, tu dis à cet aveugle de recouvrer la vue, et -s’il la recouvre, je me convertirai aussitôt à ta foi. Mais afin que tu -ne puisses pas employer de formule magique, je te dicterai moi-même la -formule que tu devras employer pour guérir cet aveugle au nom de ton -maître Jésus!» Alors Paul, pour écarter tout soupçon, dit à Denis de -prononcer lui-même les paroles qu’il voulait lui dicter, et qui étaient -celles-ci: «Au nom de Jésus-Christ, né d’une vierge, puis crucifié, puis -ressuscité des morts et monté au ciel, recouvre la vue!» Et dès que -Denis eut prononcé ces paroles, aussitôt l’aveugle fut guéri de sa -cécité. Alors Denis reçut le baptême, avec sa femme Damaris, et toute sa -maison. Saint Paul l’instruisit ensuite, pendant trois ans, des vérités -de la la foi; et il finit par l’ordonner évêque d’Athènes. Et Denis, par -l’ardeur de sa prédication, convertit à la foi chrétienne sa ville -natale, ainsi que la plus grande partie de la région environnante. - -Il nous donne à entendre lui-même, dans ses livres, que c’est à lui que -saint Paul a révélé ce qu’il a vu lorsque, dans son ravissement, il a -été transporté au troisième ciel. Et le fait est que Denis nous a -décrit, avec une clarté et une abondance parfaites, la hiérarchie des -anges, leurs ordres, dispositions et offices. Il nous parle de tout cela -comme si, au lieu de l’avoir appris d’une autre bouche, lui-même avait -été ravi au troisième ciel. Et il eut aussi le don de prophétie, ainsi -que nous le voyons par la lettre qu’il écrivit à l’évangéliste Jean, -exilé dans l’île de Pathmos. Il lui disait, dans cette lettre: -«Réjouis-toi, frère bien-aimé, car tu seras délivré de ton exil de -Pathmos, et tu retourneras sur la terre d’Asie, et tu y laisseras à ceux -qui viendront après toi le souvenir de la façon dont tu auras imité -l’exemple du Christ!» Et il nous apprend aussi, dans son livre sur les -noms divins, qu’il fut un de ceux qui assistèrent au dernier sommeil de -la sainte Vierge. - -Lorsqu’il apprit que saint Pierre et saint Paul étaient tenus en prison -à Rome, sous Néron, il nomma un autre évêque à sa place et se mit en -route pour aller voir les deux saints. Et lorsque ceux-ci eurent rendu -leurs âmes à Dieu, le pape Clément envoya Denis en France, lui donnant -pour compagnons Rustique et Eleuthère. - -Denis se rendit alors à Paris où il fit de nombreuses conversions, éleva -plusieurs églises et ordonna bon nombre de prêtres. Et telle était la -grâce céleste qui brillait en lui que, souvent, comme le peuple -s’élançait vers lui pour l’attaquer, à l’instigation des prêtres des -idoles, les assaillants sentaient toute leur fureur s’évanouir dès -qu’ils se trouvaient en présence de lui. Les uns se prosternaient à ses -pieds; les autres, effrayés, prenaient la fuite. Mais le diable, furieux -de voir son culte diminuer de jour en jour; inspira à l’empereur -Domitien la pensée inhumaine d’ordonner que quiconque découvrirait un -chrétien serait tenu de le faire sacrifier aux idoles, sous peine d’être -lui-même sévèrement puni. Et un préfet nommé Fescennius fut envoyé de -Rome contre les chrétiens de Paris. Ce préfet, ayant trouvé Denis occupé -à prêcher devant le peuple, ordonna de l’arrêter, de le garrotter avec -une grosse corde et de l’amener à son prétoire, en compagnie des deux -saints Rustique et Eleuthère. - -Pendant que les trois saints, en présence du préfet, proclamaient -courageusement leur foi, arriva certaine dame noble qui affirma que son -mari avait été séduit par les trois imposteurs. Le préfet manda aussitôt -ce mari, qui, persévérant dans sa foi, fut mis à mort sur-le-champ. -Quant aux trois saints, ils furent flagellés par douze soldats, chargés -de chaînes et jetés en prison. Le lendemain, Denis fut étendu, nu, sur -un gril enflammé. Et lui, au milieu de ses souffrances, rendait grâce à -Dieu. Il fut ensuite donné en pâture à des bêtes féroces, dont on avait -excité la faim par un jeûne prolongé. Mais, au moment où ces animaux -s’élançaient sur lui, il fit sur eux le signe de la croix; et eux, tout -de suite, l’entourèrent doucement, comme des agneaux. Le préfet le fit -alors mettre en croix, puis, après l’avoir longtemps torturé, le fit -reconduire en prison avec d’autres chrétiens. Et là, pendant que Denis -célébrait la messe, Jésus lui apparut, entouré d’une immense lumière, et -lui dit, en lui offrant un pain: «Prends ceci, mon fils, en témoignage -de la reconnaissance qui t’est due!» Le lendemain, après d’autres -supplices, les trois saints eurent la tête tranchée à coups de hache, -devant l’idole du dieu Mercure. Mais aussitôt le corps de saint Denis se -redressa, prit dans ses mains sa tête coupée, et, sous la conduite d’un -ange, marcha pendant deux milles, depuis la colline de Montmartre, -c’est-à-dire mont des martyrs, jusqu’au lieu où reposent aujourd’hui ses -restes par le fait de son propre choix et de la providence divine. - -Et aussitôt s’éleva dans ce lieu une musique d’anges si harmonieuse que, -parmi la foule de ceux qui l’entendirent, la femme du préfet Lisbius, -nommée Laertia, se proclama chrétienne, ce qui lui valut d’être -décapitée, et de recevoir ainsi le baptême du sang. Le fils de cette -femme, nommé Vibius, après avoir servi à Rome sous trois empereurs, se -fit baptiser en revenant à Paris et adopta la vie religieuse. - -Les infidèles, craignant que les chrétiens n’ensevelissent les corps des -saints Rustique et Eleuthère, enjoignirent qu’ils fussent jetés dans la -Seine. Mais une femme noble invita à sa table les porteurs des deux -corps; puis, pendant qu’ils mangeaient, elle leur déroba les corps et -les fit ensevelir secrètement dans son champ, où ils restèrent jusqu’à -ce que, la persécution ayant cessé, on pût les réunir au corps de saint -Denis. Les trois saints subirent le martyre sous le règne de Domitien, -en l’an du Seigneur 96. Saint Denis était alors âgé de quatre-vingt-dix -ans. - -II. Sous le règne de Louis, fils de Charlemagne, des envoyés de -l’empereur de Constantinople, Michel, apportèrent à la cour de France, -entre autres présents, une traduction latine du livre de saint Denis sur -la _Hiérarchie_; et, la nuit suivante, dix-neuf malades se trouvèrent -guéris dans l’église du saint. - -III. Un jour que l’évêque d’Arles, saint Rieul, célébrait la messe dans -sa cathédrale, il joignit aux noms des apôtres ceux «des bienheureux -martyrs Denis, Rustique et Eleuthère». Après quoi lui-même et les -assistants furent très étonnés de ce qu’il avait dit, car personne ne -connaissait encore le martyre des trois saints. Et voilà que trois -colombes descendirent sur la croix de l’autel, qui portaient écrits sur -leurs poitrines, en lettres de sang, les noms des trois saints. Et ainsi -tous comprirent que les âmes des saints s’étaient enfuies de leurs -corps. - -IV. En l’an du Seigneur 644, le roi de France Dagobert, qui avait dès -l’enfance une grande vénération pour saint Denis, mourut. Et un saint -homme vit alors, dans un rêve, que l’âme du roi était emportée au ciel -pour être jugée, et que bon nombre de saints lui reprochaient les maux -causés par lui à leurs églises. Et comme déjà les mauvais anges -s’apprêtaient à mener l’âme en enfer, survint saint Denis, qui intercéda -pour elle et obtint sa libération. On ajoute même que l’âme de Dagobert -serait alors rentrée dans son corps afin de pouvoir faire pénitence. Au -contraire le roi Clovis, ayant ouvert irrespectueusement le cercueil du -saint, et lui ayant brisé un os du bras, ne tarda pas à mourir dans un -accès de démence. - -V. Enfin nous devons signaler que Hincmar, évêque de Reims, et aussi -Jean Scot, dans leurs lettres à Charlemagne, attestent tous deux que -saint Denis, l’apôtre des Gaules, était bien le même homme que Denis -l’Aréopagite: c’est donc à tort que d’aucuns l’ont nié, se fondant sur -une prétendue contradiction des dates. - - - - -CLII - -SAINT CALIXTE, PAPE ET MARTYR - -(14 octobre) - - -Le pape Calixte souffrit le martyre en l’an du Seigneur 222, sous -l’empereur Alexandre. Cette année-là, la partie la plus élevée de Rome -fut détruite par un incendie, et la main gauche d’une grande statue de -Jupiter fut trouvée fondue. Alors tous les prêtres païens vinrent -demander à l’empereur Alexandre qu’il ordonnât des sacrifices pour -apaiser la colère des dieux. Et pendant qu’on célébrait ces sacrifices, -le matin du jour de la semaine consacrée à Jupiter, la foudre, tombant -soudain, tua quatre des prêtres, et l’autel de Jupiter fut brûlé, et le -soleil s’obscurcit à tel point que le peuple, effrayé, s’enfuit hors de -la ville. Sur quoi le consul Palmace demanda à l’empereur la destruction -complète des chrétiens, qu’il rendait responsables de ces calamités. Et, -l’empereur ayant agréé sa demande, il se mit en route avec des soldats -vers le quartier du Transtévère où Calixte se tenait caché avec son -clergé. Mais, en route, tous les soldats de son escorte perdirent -soudain la vue. L’empereur ordonna alors que, le jour de Mercure, un -sacrifice fût offert à ce dieu, pour obtenir de lui une réponse au sujet -de tout ce qui se passait. Et, pendant le sacrifice, une des vierges du -temple de Mercure, nommée Julienne, s’écria soudain: «Le Dieu de Calixte -est le seul vrai Dieu, et c’est lui qui est indigné de nos pollutions!» -Ce qu’entendant, Palmace se rendit auprès de Calixte qui s’était réfugié -dans la ville de Ravenne, et se fit baptiser avec sa femme et toute sa -maison. Et comme il persévérait dans les jeûnes et les prières, un -soldat, nommé Simplice, vint le trouver, et lui promit de se convertir à -sa foi s’il réussissait à guérir sa femme, frappée de paralysie. Palmace -pria donc pour elle; et voici qu’elle-même accourut vers lui, en disant: -«Baptise-moi au nom du Christ, qui m’a guérie!» Et Calixte la baptisa, -ainsi que son mari et d’autres païens. Ce qu’apprenant, l’empereur fit -trancher la tête à tous ceux que Calixte avait baptisés, et laissa -pendant cinq jours Calixte lui-même sans nourriture ni boisson. Puis, -voyant que tout cela restait inutile, il le fit fouetter pendant -plusieurs jours; et il le fit enfin jeter dans un puits avec une pierre -attachée au cou. Le prêtre Astère retira du puits le corps du saint, et -lui donna une sépulture chrétienne. - - - - -CLIII - -SAINT LÉONARD, ABBÉ - -(15 octobre) - - -I. Léonard vivait vers l’an 500. Fils d’un des premiers fonctionnaires -de la cour de France, il fut baptisé par saint Remi, archevêque de -Reims, et instruit par lui des vérités de la foi. Et telle fut sa faveur -auprès de son souverain qu’il obtint la permission de mettre en liberté -tous les prisonniers qu’il voulait délivrer. Longtemps le roi le garda -près de lui, jusqu’à ce qu’enfin la voix du peuple le contraignit à lui -offrir un évêché. Mais Léonard refusa cet honneur, et, aspirant à la -solitude, il se rendit à Orléans avec un autre chrétien nommé Liphard. -Ils vécurent là pendant quelque temps de la vie cénobitique; mais -ensuite Liphard resta seul sur la rive de la Loire, et Léonard, conduit -par l’Esprit-Saint, se rendit en Aquitaine pour y prêcher le Christ. Il -prêchait dans les villes et les villages, et opérait de nombreux -miracles; mais, de préférence, il habitait dans une forêt voisine de -Limoges, où se trouvait une des chasses favorites du roi. Or, un jour, -comme le roi était venu chasser dans la forêt, et que la reine, par -amour pour lui, l’y avait suivi, celle-ci éprouva soudain les douleurs -de l’enfantement. Le roi et toute la cour s’affligeaient fort du danger -où ils la voyaient; et Léonard, qui passait parla, entendit leurs -gémissements. Emu de pitié, il aborda le roi, qui, en apprenant qu’il -était disciple de saint Remi, s’empressa de le conduire auprès de la -reine, afin qu’il priât pour elle et pour l’enfant qui allait naître. -Léonard se mit en prière, et obtint aussitôt ce qu’il demandait à Dieu. -Alors le roi lui offrit de nombreux présents; mais le saint les refusa, -l’engageant plutôt à les donner aux pauvres. Du moins le roi voulut lui -donner la forêt où se trouvait son ermitage. Mais lui: «Non, je n’aurais -que faire de toute la forêt; mais donne-moi seulement l’espace que -pourra parcourir mon petit âne durant la nuit!» Ce à quoi le roi -consentit volontiers. Et Léonard, dans l’espace ainsi obtenu, -construisit un monastère, où il vécut dans l’abstinence en compagnie de -deux moines. Et il appela ce lieu Nobliac, pour rappeler la grande -noblesse du roi qui le lui avait donné. Et comme l’eau manquait à une -lieue alentour, Léonard fit creuser un puits, pria, et le puits se -remplit d’eau. Et il brilla par tant de miracles que tout prisonnier qui -invoquait son nom se trouvait aussitôt délivré, en souvenir de quoi il -offrait au saint les chaînes de ses mains et de ses pieds. Et plusieurs -de ces prisonniers restèrent avec lui pour servir le Seigneur. Il y eut -aussi sept familles nobles qui, vendant tous leurs biens, et en -distribuant le profit aux pauvres, vinrent demeurer près de lui dans la -forêt. Enfin saint Léonard rendit son âme à Dieu le quinzième jour -d’octobre; et, après sa mort, une voix d’en haut révéla au clergé de son -église que, à cause de l’affluence de la foule, son corps eût à être -transporté dans une église nouvelle. Le clergé et le peuple passèrent -alors trois jours dans le jeûne et la prière; après quoi, regardant -autour d’eux, ils virent toute la région couverte de neige, à -l’exception d’un seul endroit qui était resté vert. Et ils comprirent -que c’était là que saint Léonard voulait être enseveli. Ils l’y -transportèrent donc; et l’énorme quantité de chaînes qu’on voit, -aujourd’hui encore, suspendues en ex-voto autour de sa tombe, suffisent -à prouver combien il a opéré de miracles en faveur des prisonniers. - -II. Le vicomte de Limoges, pour effrayer les méchants, avait fait -sceller au pied de la plus haute tour de son palais une lourde chaîne -qu’il faisait attacher au cou des criminels; et ceux-ci, exposés aux -intempéries de l’air, souffraient là un supplice pire que mille morts. -Or un serviteur de saint Léonard se trouva un jour attaché à cette -chaîne sans avoir fait aucun mal; dans sa détresse, il pria saint -Léonard de le délivrer, lui rappelant combien d’autres prisonniers il -avait déjà délivrés. Et aussitôt le saint lui apparut, tout vêtu de -blanc, et lui dit: «Ne crains rien, mais prends cette chaîne, et -suis-moi jusqu’à mon église!» Devant la porte de l’église, le saint -disparut; et le prisonnier, après avoir raconté à tous sa miraculeuse -aventure, suspendit la grosse chaîne au-dessus du tombeau. - -III. Un homme vivait, auprès du monastère de saint Léonard, qui -entretenait pour le saint une dévotion toute particulière. Cet homme fut -pris par un tyran. Et le tyran se disait: «Léonard délivre tous les -prisonniers: tous mes efforts seront vains pour l’empêcher de délivrer -aussi celui-là. Mais je sais ce que je vais faire! Sous ma tour je ferai -creuser une fosse, où je jetterai mon prisonnier avec des chaînes aux -pieds; et à l’entrée de la fosse j’élèverai une arche de bois que je -remplirai de soldats armés. Car Léonard a beau briser toutes les -chaînes, jamais encore je n’ai entendu qu’il pénétrât sous terre.» Le -tyran fit donc comme il avait dit; et comme le prisonnier invoquait -saint Léonard, celui-ci, la nuit, vint à son aide. Il commença d’abord -par retourner l’arche de bois où étaient les soldats, écrasant ceux-ci -sous son poids. Puis, descendant au fond de la fosse avec une grande -lumière, il prit la main de son serviteur et lui dit: «Dors-tu, ou es-tu -éveillé? Je suis Léonard que tu as appelé!» Et le prisonnier: «Seigneur, -secours-moi!» Aussitôt le saint, brisant ses chaînes, le prit sur ses -épaules et l’emporta hors de la tour; après quoi il le ramena jusque -dans sa maison, s’entretenant avec lui comme un ami avec son ami. - -IV. Un pèlerin, qui revenait du tombeau de saint Léonard, fut pris par -des brigands, en Auvergne, et enfermé dans un caveau. En vain il -suppliait les brigands de le remettre en liberté, au nom de saint -Léonard. Ils répondaient toujours qu’ils ne le relâcheraient point avant -qu’il se fût racheté par une forte rançon. Alors le prisonnier: «Que -saint Léonard, mon patron, décide donc entre vous et moi!» Et, la nuit -suivante, le saint apparut au chef de la troupe et lui ordonna de -relâcher le pèlerin. Mais le chef, quand il s’éveilla, n’attacha point -d’importance à son rêve; et il fit de même la nuit suivante, où le saint -lui apparut de nouveau. La troisième nuit, saint Léonard vint chercher -le prisonnier et l’emmena hors de la forteresse; et, dès l’instant -d’après, la grosse tour de celle-ci s’écroula, écrasant tous les -brigands, à l’exception du chef qui, les membres brisés, comprit enfin -combien il avait eu tort de dédaigner les avertissements de saint -Léonard. - -V. Un soldat, emprisonné en Bretagne, invoqua saint Léonard: aussitôt -celui-ci, au vu et à la stupeur de tous, entra dans la prison, brisa les -chaînes de l’homme qui l’invoquait, les lui mit dans les mains, et -l’entraîna au dehors, sans que personne osât lui résister. - -VI. Il y a eu encore un autre saint Léonard, également moine et plein de -vertu, dont le corps repose aujourd’hui dans la ville de Corbigny. -Celui-là, étant abbé de son monastère, s’humiliait au point d’apparaître -comme le dernier des moines. Son exemple entraînait tant de vocations -que des envieux le dénoncèrent au roi Clotaire, disant à celui-ci que, -s’il n’y mettait bon ordre, Léonard finirait par dépeupler son royaume. -Le roi, trop crédule, envoya à Corbigny une troupe pour chasser Léonard -de son monastère. Mais à peine ces soldats eurent-ils vu et entendu le -saint que, touchés, ils demandèrent à devenir ses disciples. Alors le -roi, pénitent, vint demander pardon au saint, et priva de leurs honneurs -ceux qui l’avaient dénoncé; mais Léonard, intercédant pour eux, obtint -leur grâce. Il obtint aussi de Dieu, comme l’autre saint Léonard, la -permission de faire tomber les chaînes de ceux qui invoqueraient son -nom. Et un jour qu’il était en prière, un grand serpent sortit de terre -à ses pieds, et rampa le long de son corps. Mais Léonard n’en acheva pas -moins sa prière; après quoi il s’écria: «Je sais que, depuis la -création, tu tourmentes les hommes autant que cela t’est possible. Mais -si, maintenant, Dieu m’a livré à toi, inflige-moi la punition que j’ai -méritée!» Et aussitôt le serpent, sortant par son capuchon, s’étendit -mort à ses pieds. - -Un jour de l’année du Seigneur 570, saint Léonard, après avoir tranché -une querelle entre deux évêques, annonça qu’il mourrait le jour suivant; -et en effet c’est ce jour-là qu’il rendit son âme à Dieu. - - - - -CLIV - -SAINT LUC, ÉVANGÉLISTE - -(18 octobre) - - -I. Luc, Syrien, était d’Antioche, et avait d’abord étudié la médecine. -Certains auteurs veulent qu’il ait fait partie des soixante-douze -disciples du Seigneur; mais on peut admettre avec plus de vraisemblance -l’opinion de saint Jérôme, qui nous dit que saint Luc fut disciple des -apôtres, et non du Seigneur lui-même. Il fut si parfait dans sa vie -qu’il reçut une quadruple ordination, quant à Dieu, quant au prochain, -quant à lui-même et quant à son office. Et, en signe de cette quadruple -ordination, des auteurs le décrivent comme ayant quatre faces, la face -d’un homme, celle d’un lion, celle d’un bœuf et celle d’un aigle. Chacun -des évangélistes, d’ailleurs, a eu ainsi quatre faces, qui lui ont -permis d’écrire de l’humanité du Christ, de sa passion, de sa -résurrection et de sa divinité. Mais l’usage est, plus communément, de -désigner chacun des quatre évangélistes par une seule de ces faces. -Suivant saint Jérôme, Matthieu a pour attribut l’homme, parce qu’il -insiste surtout sur l’humanité du Christ; Luc a pour attribut le bœuf, -parce qu’il traite surtout du sacerdoce du Christ; Jean a pour attribut -l’aigle, parce que, volant plus haut que les autres, il nous parle -surtout de la divinité du Christ; et Marc a pour attribut le lion parce -que son évangile nous témoigne surtout de la résurrection. Car on dit -que les lionceaux, quand ils naissent, gisent pendant trois jours comme -des cadavres, et puis sont réveillés par le rugissement de leur mère. - -Si maintenant on veut savoir les raisons de la quadruple ordination de -saint Luc, on les apprend en étudiant la vie de ce saint. - -1º Il fut d’abord ordonné quant à Dieu. Cette ordination, suivant saint -Bernard, se fait par l’affection, la cogitation et l’intention. Or saint -Luc fut saint par l’affection, car saint Jérôme dit de lui: «Il mourut -en Bithynie, plein de l’Esprit-Saint.» Il fut ensuite pur dans la -cogitation; nous savons qu’il resta vierge de corps et d’âme. Et son -intention fut droite, car, dans tout ce qu’il faisait, il ne cherchait -que la gloire du Seigneur. - -2º Saint Luc fut ordonné quant au prochain. Il donna, en effet, au -prochain tout ce qu’il put en subsides, car il accompagna saint Paul -dans toutes ses épreuves, et, ne le quittant jamais, l’aida dans sa -prédication. Il donna aussi au prochain tout ce qu’il put en conseils, -car il rédigea, à l’usage de tous, ce qu’il savait de la doctrine -évangélique et apostolique. Et l’on peut dire aussi qu’il donna au -prochain tout ce qu’il put en service; car d’excellents auteurs, et -notamment saint Grégoire, affirment qu’il fut, avec Cléophas, un des -deux disciples d’Emmaüs; bien que saint Ambroise donne à ce second -disciple un autre nom. - -3º Saint Luc fut ordonné quant à lui-même. D’abord il vécut sobrement: -car saint Jérôme dit qu’il n’eut jamais de femme ni de fils. Il vécut -aussi modestement: car, dans son évangile, il cita le nom de Cléophas et -omit de citer le sien. - -4º Saint Luc fut ordonné quant à son office, qui était d’écrire -l’évangile. On croit, en effet, qu’il recourut tout particulièrement à -la sainte Vierge comme à l’arche de son Testament, et que c’est d’elle -qu’il apprit bien des choses, notamment sur des sujets qu’elle seule -pouvait connaître: tels l’Annonciation, la Nativité et autres sujets -dont il est seul à parler. Et l’on sait aussi que saint Paul approuvait -tout particulièrement l’évangile de saint Luc, à tel point que saint -Jérôme a pu dire: «Toutes les fois que saint Paul parle de l’Evangile, -c’est de l’Evangile de saint Luc qu’il veut parler.» - -II. On lit dans l’Histoire d’Antioche que les chrétiens de cette ville, -après s’être souillés par beaucoup de vices, furent assiégés par une -armée turque qui les fit cruellement souffrir de faim et de privations. -Mais lorsque, se repentant, ils se convertirent pleinement au Seigneur, -certain religieux, qui priait, la nuit, dans l’église de Sainte-Marie à -Tripoli, vit apparaître un homme tout vêtu de blanc et rayonnant de -lumière. Et cet homme, interrogé, dit qu’il était saint Luc, et qu’il -venait d’Antioche, où le Seigneur avait convoqué les milices du ciel, -ainsi que les apôtres et les martyrs, pour venir en aide aux chrétiens -assiégés. Et, en effet, ceux-ci, miraculeusement stimulés, mirent en -déroute l’armée des Turcs. - - - - -CLV - -LES ONZE MILLE VIERGES, MARTYRES - -(21 octobre) - - -I. Il y avait en Bretagne un roi très chrétien, nommé Nothus ou Maurus, -qui mit au monde une fille nommée Ursule. Et celle-ci était si bonne, si -sage, et si belle, que sa renommée s’étendait partout. Or le roi -d’Angleterre, souverain très puissant et qui avait soumis à son empire -de nombreuses nations, forma le projet de marier son fils unique avec -cette princesse, dont tout le monde vantait l’esprit et le corps. Le -jeune homme, de son côté, était très enflammé à l’idée de ce mariage. -Une ambassade fut donc envoyée auprès du père d’Ursule; et le roi -d’Angleterre promit aux ambassadeurs de les récompenser s’ils ramenaient -la jeune fille, mais, au contraire, les menaça de les châtier s’ils -revenaient sans elle. Alors le père d’Ursule prit peur: car, d’une part, -il redoutait la rancune d’un souverain plus puissant que lui, et, -d’autre part, il ne pouvait admettre que sa fille devînt la femme d’un -païen, ce à quoi Ursule, d’ailleurs, n’aurait jamais consenti. Alors -celle-ci, inspirée d’en haut, fit proposer au jeune prince de lui -envoyer dix vierges, et de donner pour compagnes mille vierges à chacune -de ces dix-là ainsi qu’à elle-même: ajoutant qu’en compagnie de ces onze -mille vierges elle demandait à rester pendant un espace de trois ans, -pour se rendre avec elles à Rome, sur une flotte, et y obtenir la -consécration de sa virginité. Le jeune prince, de son côté, aurait à -recevoir le baptême, et à s’instruire, pendant ces trois ans, des -vérités de la foi: après quoi Ursule consentirait à devenir sa femme. Et -l’on entend bien que, si elle imposait de telles conditions, c’était -dans l’espoir de décourager le jeune prince, tout en gardant à son père -la faveur du roi anglais. - -Mais le jeune homme admit très volontiers les conditions d’Ursule, et se -fit baptiser, et pressa son père d’exécuter tout ce qu’Ursule avait -demandé. Alors des vierges arrivèrent de toutes parts dans la capitale -du roi Maurus, et de toutes parts la foule afflua pour être témoin d’un -aussi grand spectacle. De nombreux évêques voulurent aussi se joindre au -pèlerinage des onze mille vierges: parmi eux se trouvait, notamment, -l’évêque de Bâle, Pantulus, qui se rendit avec elles jusqu’à Rome, et, -au retour, partagea leur martyre. On voyait là aussi sainte Gérasine, -reine de Sicile qui, ayant épousé un tyran cruel, l’avait transformé en -un doux agneau. Elle était sœur de l’évêque Matrisius et de Daria, la -mère de sainte Ursule. Dès que le père de celle-ci lui eut révélé par -lettre le secret du voyage, elle se mit aussitôt en route pour la -Bretagne avec ses quatre filles Babille, Julienne, Victoire et Dorée. Et -son petit garçon Adrien, par amour pour ses sœurs, voulut se joindre -aussi à l’expédition. C’est sur le conseil de Gérasine que les onze -mille vierges furent réparties en groupes, d’après les divers royaumes -dont elles provenaient. Et c’est encore sainte Gérasine qui se chargea -de commander à tous ces groupes, et elle subit le martyre en leur -compagnie. - -Enfin tout se trouva prêt pour le départ. Et, pendant que sainte Ursule -s’occupait de convertir les onze mille vierges, la reine Gérasine -instruisait les chevaliers de l’escorte, leur faisant prêter le serment -d’un nouvel ordre de chevalerie. Puis on se mit en route; et, dans -l’espace d’une seule journée, sous un vent favorable, la sainte caravane -arriva dans un port des Gaules nommé Tiel, puis à Cologne, où un ange -apparut à Ursule pour lui annoncer que ses compagnes et elle -reviendraient à Cologne et y recevraient la couronne du martyre. De là, -poursuivant leur chemin vers Rome, les vierges arrivèrent à Bâle: elles -y laissèrent leurs vaisseaux et poursuivirent leur voyage à pied. - -Elles furent reçues à Rome avec grand honneur par le pape Cyriaque, qui, -étant né lui-même en Bretagne, se trouvait avoir de nombreux parents -dans le pèlerinage. Et, la même nuit, une vision révéla à Cyriaque qu’il -recevrait les palmes du martyre en compagnie des onze mille vierges. -Aussi, sans rien révéler de cette vision, s’empressa-t-il de baptiser -celles des vierges qui n’avaient pas encore reçu le baptême. Puis, quand -il jugea le moment venu, il déclara à son clergé réuni qu’il se -démettait de toutes ses fonctions et dignités, pour se joindre à la -troupe des onze mille vierges. En vain tous les prêtres, et surtout les -cardinaux, l’accusèrent d’être en délire, et lui firent honte -d’abandonner son pontificat pour suivre un troupeau de femmes. Sans les -écouter, il ordonna en son lieu un saint homme nommé Amet, qui gouverna -l’Eglise après lui. Et comme il renonçait à son pontificat, -contrairement à la volonté de son clergé, celui-ci le raya de la liste -des papes. Et, dès ce jour, le saint chœur des onze mille vierges perdit -toute sa faveur auprès de la curie romaine. - -Or deux chefs de l’armée romaine, Maxime et Africain, hommes impies et -méchants, voyant cette grande multitude de vierges, et toute la foule -qui se pressait pour grossir leur pèlerinage, craignirent que ce -pèlerinage ne donnât trop d’extension à la religion chrétienne. Ils -envoyèrent donc secrètement des exprès à Jules, chef des Huns, pour -l’engager à attendre à Cologne, avec son armée, le retour des onze mille -vierges, et pour les massacrer. - -Cependant, les vierges se mirent en route pour leur retour, en compagnie -du pape Cyriaque, du cardinal Vincent et de Jacques, archevêque -d’Antioche, qui était, lui aussi, originaire de Bretagne. Jacques, qui -était venu à Rome pour voir le pape, allait déjà repartir pour Antioche -lorsque, apprenant le prochain départ des vierges, il prit le parti -d’aller avec elles au-devant du martyre. Et de même fit encore Maurice, -évêque de Modène, qui était l’oncle de Babille et de Julienne; de même -firent Follau, évêque de Lucques, et Sulpice, évêque de Ravenne. - -Cependant le fiancé de sainte Ursule, qui s’appelait Ethéré, était -devenu roi de son pays, à la mort de son père, et avait converti sa mère -à la foi du Christ. Un jour, une vision d’en haut lui apprit qu’Ursule -venait de quitter Rome; et une voix lui ordonna d’aller aussitôt à sa -rencontre, pour souffrir avec elle le martyre dans la ville de Cologne. -Il se mit aussitôt en route avec sa mère, sa petite sœur Florentine et -l’évêque Clément. Vinrent aussi se joindre au pèlerinage Marcule, évêque -de Grèce et sa nièce Constance, fille de Dorothée, roi de -Constantinople. Cette Constance avait été fiancée à un fils de roi; -mais, son fiancé étant mort avant le mariage, elle s’était consacrée au -Seigneur. - -Lorsque toute cette troupe arriva à Cologne, elle trouva la ville -investie par les Huns. Et ces barbares, avec de grands cris, se jetèrent -sur les pieuses vierges, qu’ils massacrèrent toutes, comme des loups -s’élançant sur un troupeau d’agneaux. Seule, Ursule restait encore -vivante. Et le prince des Huns, émerveillé de sa beauté, lui offrit de -l’épouser, pour la consoler de la mort de ses compagnes. Mais, comme la -sainte repoussait avec horreur sa proposition, furieux de se voir -dédaigné, il la transperça d’une flèche et acheva son martyre. - -Il y eut cependant encore une autre vierge, nommée Cordule, qui d’abord, -épouvantée, se cacha au fond d’un bateau et y resta toute la nuit. Mais, -le lendemain, elle courut d’elle-même au-devant de la mort. Et, comme -l’Eglise omettait ensuite de la mentionner dans la célébration de la -fête des onze mille vierges--car on croyait qu’elle avait échappé au -supplice de ses compagnes--elle apparut un jour à une recluse et lui -révéla qu’elle avait, elle aussi, obtenu la couronne du martyre. - -La tradition veut que ce martyre ait eu lieu en l’an du Seigneur 238. -Mais la vraisemblance des dates contredit cette affirmation. Car, en -238, ni la Sicile, ni Constantinople n’avaient des rois, tandis que l’on -cite parmi les martyrs de Cologne, la reine de Sicile et la fille du roi -de Constantinople. Plus vraisemblablement, le martyre des onze mille -vierges aura eu lieu à l’époque des invasions des Huns et des Goths, et, -par exemple, sous le règne de l’empereur Marcien, qui régnait en l’an -452. - -II. Certain abbé reçut de l’abbesse de Cologne le corps d’une des -vierges, moyennant la promesse de le placer dans un cercueil d’argent. -Mais comme, durant toute une année, le corps restait placé dans son -cercueil de bois, les moines virent un matin la vierge en personne -descendre de l’autel, s’incliner pieusement, puis se retirer en passant -au milieu du chœur. Alors l’abbé, allant au cercueil, le trouva vide. Il -courut à Cologne, fit part de la chose à l’abbesse; et en effet le corps -de la martyre se retrouva à la place d’où on l’avait pris. Mais en vain -l’abbé demanda pardon et promit que, si on lui donnait de nouveau une -des saintes reliques, il s’empresserait de lui faire faire un cercueil -de prix. Il ne put rien obtenir. - -III. Un religieux qui avait pour les onze mille vierges une dévotion -particulière, vit un jour apparaître devant lui une belle jeune femme, -qui lui demanda s’il la connaissait. Et comme il déclarait ne la point -connaître, elle lui dit: «Je suis une des vierges que tu aimes à -invoquer. Et, pour te récompenser de ta piété, nous avons obtenu de -t’assister à l’heure de ta mort, pourvu seulement que, d’ici là, tu aies -récité, onze mille fois l’oraison dominicale!» Puis la vision disparut, -et le religieux s’empressa de réciter onze mille fois la sainte prière. -Après quoi, sentant l’heure de sa mort approcher, il fit appeler son -abbé et demanda à recevoir l’extrême-onction. Mais au moment où on la -lui administrait, il s’écria soudain qu’on eût à s’écarter, pour faire -place aux saintes martyres qui accouraient près de lui. Interrogé par -son abbé, il lui raconta alors la promesse qu’il avait obtenue; et tous, -aussitôt, sortirent de sa cellule. Et quand ils y revinrent, ils virent -que l’âme de leur frère s’était envolée. - - - - -CLVI - -SAINT CRISANT ET SAINTE DARIA, MARTYRS - -(25 octobre) - - -Crisant était fils d’un noble de Narbonne nommé Solime. Celui-ci, ne -pouvant détourner son fils de la foi du Christ, le fit enfermer dans une -chambre en compagnie de cinq jeunes filles chargées de le séduire par -leurs caresses. Mais Crisant pria Dieu de le rendre vainqueur de la bête -féroce qu’est la concupiscence; et aussitôt les cinq jeunes filles -furent envahies d’un sommeil profond, dont elles ne pouvaient s’éveiller -que hors la chambre. Alors une prêtresse de Diane, nommée Daria, vierge -pleine de sagesse et de beauté, s’offrit à ramener Crisant au culte des -idoles. Elle se rendit chez lui, et, comme le jeune homme lui reprochait -la pompe de ses vêtements, elle répondit qu’elle ne s’était point vêtue -ainsi pour l’amour de cette pompe, mais dans l’espoir de mieux servir la -cause des dieux. Crisant lui reprocha ensuite de prendre pour des dieux -des êtres que ceux-là même qui les ont inventés représentent comme -chargés de vices et d’impudicité. Et comme Daria lui répondait que, sous -les noms de ces dieux, c’étaient les divers éléments qu’adoraient les -philosophes, le jeune homme lui dit: «Si l’un vénère la terre comme une -déesse tandis qu’un autre la cultive pour avoir du blé, c’est celui-là -que la déesse récompense le plus; et de même pour la mer et les autres -éléments!» Puis Crisant convertit Daria, et le jeune couple, feignant -d’être uni par le lien du mariage charnel, tandis qu’il ne l’était que -par des liens spirituels, opéra autour de lui de nombreuses conversions -entre lesquelles on cite notamment celles du tribun Claude, de sa femme, -de ses enfants et d’autres officiers. - -Le préfet Numérien fit alors jeter Crisant dans une prison infecte, mais -la puanteur de cette prison se changea en un parfum merveilleux. Daria, -de son côté, fut placée dans un lupanar; mais aussitôt un lion, -s’enfuyant de l’amphithéâtre, vint garder la porte de ce mauvais lieu. -Arrive un homme envoyé par le préfet pour corrompre la vierge: le lion -s’empare de lui, et, d’un signe de tête, demande à Daria ce qu’il doit -en faire. Daria répond qu’elle est prête à recevoir l’envoyé; et -aussitôt celui-ci, converti, s’en va proclamer, par toute la ville, la -sainteté de la jeune femme. Arrivent ensuite des chasseurs, chargés de -s’emparer du lion; mais c’est le fauve qui s’empare d’eux et les dépose -aux pieds de la vierge, qui les convertit. Enfin le préfet ordonne -d’allumer un grand feu devant l’entrée de la maison, de façon que Daria -et le lion périssent brûlés. Et Daria, voyant l’effroi du lion, lui -permet de s’enfuir où bon lui semblera. - -Mille autres supplices furent encore infligés à Crisant et à Daria, sans -que les deux martyrs en eussent aucun mal. Enfin tous deux, par ordre du -préfet, se virent jetés dans une fosse, et écrasés sous les pierres. Ils -moururent sous l’épiscopat de Carus de Narbonne, qui monta sur son siège -en l’an du Seigneur 211. - - - - -CLVII - -SAINTS SIMON ET JUDE, APÔTRES - -(28 octobre) - - -I. Simon et Jude, appelé aussi Thadée, originaires de Cana, étaient -frères de Jacques le Mineur et fils de Marie Cléophas, femme d’Alphée. - -Après l’ascension du Seigneur, Jude fut envoyé par Thomas auprès du roi -d’Edesse Abgare, qui avait écrit à Notre-Seigneur Jésus la lettre -suivante: «Abgare, roi, fils d’Euchassie, au bon Jésus qui s’est montré -dans le pays de Jérusalem, salut! J’ai entendu parler de toi, des -guérisons que tu fais sans drogues et sans herbes, et que tu rends la -vue aux aveugles, la marche aux paralytiques, la pureté aux lépreux et -la vie aux morts: et j’ai conclu de tout cela que, pour accomplir tant -de merveilles, tu devais être ou bien Dieu lui-même descendu des cieux, -ou bien le fils de Dieu. Je t’écris donc pour que tu daignes prendre la -peine de venir jusque chez moi, pour me guérir d’une maladie qui me -tourmente depuis longtemps. J’ai appris aussi que les Juifs murmuraient -contre toi et voulaient te tendre des pièges. Viens chez moi, je t’en -prie! J’ai à moi une ville qui, en vérité, est petite, mais honnête, et -qui nous suffira bien à tous deux!» Et le Seigneur Jésus répondit en ces -termes: «Heureux es-tu, toi qui as cru en moi sans m’avoir vu! car il -est écrit de moi que ceux qui me verront ne croiront pas, et que ceux -qui ne me verront pas croiront. Quant à ce que tu me demandes de venir -auprès de toi, il faut d’abord que j’accomplisse ce pour quoi je suis -envoyé et qu’ensuite je retourne auprès de Celui qui m’a envoyé. Mais, -dès que je serai remonté au ciel, je t’enverrai un de mes disciples, -pour te guérir et te donner la vraie vie!» Alors Abgare, comprenant -qu’il devait renoncer à voir le Christ en personne, chargea du moins un -peintre d’aller faire son portrait. Mais lorsque ce peintre arriva -devant le Christ, il trouva le visage de celui-ci rayonnant d’un tel -éclat qu’il ne parvint pas à en discerner clairement les traits, ni, par -suite, à les dessiner. Ce que voyant, le Seigneur appuya sa sainte face -sur le manteau du peintre et y grava ainsi son image à l’intention du -bon roi Abgare. Et Jean de Damas, qui nous raconte tout cela d’après une -vieille chronique, nous décrit aussi ce portrait du Seigneur. Il nous -affirme qu’on y voit l’image d’un homme avec de grands yeux, d’épais -sourcils, un visage allongé, et des épaules un peu voûtées, ce qui est -signe de maturité. Quant à la lettre du Christ, tel était son pouvoir -que, dans la ville d’Edesse, aucun hérétique ni païen ne pouvait vivre, -et qu’aucun tyran ne pouvait opprimer les habitants. Mais lorsque -Edesse, plus tard, fut prise et profanée par les Sarrasins, elle perdit -le privilège de cette sainte lettre. - -Lors donc que Jude Thadée vint auprès d’Abgare, pour accomplir la -promesse faite par Jésus, le roi découvrit aussitôt sur son visage un -rayonnement de splendeur divine. Emerveillé et épouvanté, il dit: «Tu es -vraiment le disciple de Jésus, fils de Dieu, qui m’a promis de m’envoyer -l’un de ses disciples pour me guérir et pour me donner la vraie vie!» Et -Thadée: «Si tu crois dans le Fils de Dieu, tous les désirs de ton cœur -seront réalisés!» Et Abgare: «Certes, je crois en lui; et bien -volontiers j’égorgerais les méchants Juifs qui l’ont crucifié!» Or le -roi Abgare était lépreux; mais Thadée prit la lettre du Seigneur, lui en -frotta le visage, et aussitôt sa lèpre disparut. - -II. Jude prêcha ensuite en Mésopotamie et dans le Pont, et Simon en -Egypte. Puis ils se rendirent en Perse, et y trouvèrent deux mages -Zaroës et Arphaxal, que saint Matthieu avait chassés de l’Ethiopie. En -ce temps-là Baradac, général babylonien, qui s’apprêtait à partir en -guerre contre les Indiens, consulta ses dieux sur l’issue de sa -campagne. Et il obtint pour réponse que ses dieux ne pourraient lui -répondre aussi longtemps que les deux apôtres chrétiens seraient dans le -pays. Baradac fit alors rechercher les deux apôtres, leur demanda qui -ils étaient et pourquoi ils étaient venus. Et ils répondirent: «De -nation, nous sommes Hébreux, de condition, serviteurs du Christ; et nous -sommes venus ici pour ton salut et celui des tiens.» Et Baradac: «Je -vous écouterai plus à loisir quand je serai revenu vainqueur de mon -expédition.» Et les apôtres: «Mieux vaudrait pour toi connaître dès -maintenant celui qui, seul, peut te donner la victoire!» Et Baradac: «Si -vous êtes plus puissants que nos dieux, prédites-moi quelle sera l’issue -de ma campagne!» Et les apôtres: «Pour que tu reconnaisses combien tes -dieux sont menteurs, demande-leur d’abord de répondre à ta question!» -Alors les devins, consultés, prédirent une grande guerre, et une grande -fuite de peuples après la bataille. Sur quoi les apôtres se mirent à -rire. Et Baradac: «Comment! Je tremble d’effroi, et vous riez?» Et les -apôtres: «Sois sans crainte, car la paix est entrée ici avec nous. -Demain, à la troisième heure, des envoyés viendront te trouver ici de la -part des Indiens, pour te demander la paix et se soumettre à ton -pouvoir.» Alors ce fut au tour des prêtres de railler, et ils dirent à -Baradac: «Ces gens-là veulent te tromper afin que, pendant que tu seras -sans défiance, l’ennemi se jette sur toi!» Et les apôtres: «Nous ne -t’avons pas dit d’attendre un mois, mais seulement un jour! Dès demain, -tu auras la paix et la victoire!» Alors Baradac les fit tenir sous bonne -garde les uns et les autres. Le lendemain, tout arriva comme les apôtres -l’avaient prédit; et comme Baradac voulait châtier les devins de leur -mensonge, les apôtres l’en empêchèrent, disant qu’ils n’étaient pas -envoyés pour tuer les vivants, mais pour vivifier les morts. Baradac en -fut très surpris, comme aussi de l’insistance qu’ils mettaient à refuser -ses présents. Il les conduisit donc à son roi, et lui dit: «Sire, voici -des dieux cachés sous la figure humaine!» Mais les mages, jaloux des -apôtres, les accusèrent d’être des méchants, qui méditaient la fin du -royaume. Alors Baradac: «Si vous l’osez, discutez avec ces deux hommes!» -Et les mages: «Nous ne voulons pas discuter avec eux; mais fais venir -ici les hommes les plus éloquents de la ville; et, s’ils peuvent parler, -nous reconnaîtrons notre ignorance.» Et, en effet, amenés devant eux, -les plus habiles avocats devinrent aussitôt muets et incapables même de -s’exprimer par gestes. Et les mages dirent au roi: «Pour te prouver -notre pouvoir, nous allons leur permettre de parler, mais nous leur -défendrons de marcher; puis nous leur permettrons de marcher, mais nous -les empêcherons de voir, même avec les yeux ouverts.» Et tout cela -arriva comme ils l’avaient dit. Alors Baradac mena les avocats en -présence des apôtres. Et en voyant ceux-ci tout vêtus de haillons, les -avocats les méprisèrent au fond de leur cœur. Mais Simon leur dit: -«C’est chose fréquente que des écrins d’or et de diamant ne contiennent -que des matières viles, tandis que de viles caisses de bois enferment -des bijoux faits de pierres précieuses. Mais si vous promettez de -renoncer au culte des idoles et d’adorer le Dieu invisible, nous ferons -sur vous le signe de la croix, et vous pourrez confondre les mages!» -Ainsi fut fait; et lorsque les avocats revinrent auprès des mages, -ceux-ci n’eurent plus aucun pouvoir sur eux. Alors la foule se mit à les -insulter, et fit amener des serpents pour les étouffer. Mais les deux -apôtres, appelés par le roi, prirent les serpents dans leurs manteaux et -les lancèrent sur les mages, en disant: «Au nom du Seigneur, vous ne -mourrez pas, mais, déchirés par les serpents, vous remplirez l’air de -vos cris de douleur!» Aussitôt les serpents se mirent à dévorer leurs -chairs, et les mages hurlaient comme des loups; et le roi et la foule -priaient les apôtres d’ordonner aux serpents de les mettre à mort. Mais -les apôtres: «Nous avons été envoyés pour ressusciter les morts, et non -pour tuer les vivants!» Après quoi, ayant prié Dieu, ils ordonnèrent aux -serpents de reprendre, dans le corps des mages, tout le venin qu’ils y -avaient déposé, puis de s’enfuir aux lieux d’où ils étaient venus. Les -serpents obéirent; et, pendant cette seconde épreuve, la douleur des -mages fut plus vive encore. Et les apôtres leur dirent: «Vous souffrirez -ainsi pendant trois jours, afin de vous guérir de votre malice!» Mais, -le troisième jour, venant à eux, les apôtres leur dirent: -«Notre-Seigneur ne veut pas qu’on le serve par force, donc levez-vous, -soyez délivrés de vos souffrances, et allez-vous-en, avec plein pouvoir -de faire ce que vous voudrez!» Et les mages s’en allèrent guéris, mais -sans renoncer à leur malice; et ils soulevèrent contre les apôtres la -Babylonie tout entière. - -Plus tard, la fille d’un des principaux de la ville, ayant mis au monde -un enfant, accusa un saint diacre de l’avoir violée. Les parents -voulaient tuer le diacre; mais les apôtres, survenant, demandèrent quand -l’enfant était né. Et les parents: «Hier, à la première heure!» Et les -apôtres: «Amenez ici cet enfant, et amenez en même temps le diacre que -vous accusez!» Cela fait, les apôtres dirent à l’enfant: «Enfant, au nom -de Jésus, dis-nous si c’est bien cet homme-là qui t’a procréé!» Et -l’enfant: «Cet homme-là est chaste et saint, et n’a jamais souillé sa -chair!» Sur quoi les parents de la jeune fille pressèrent les apôtres de -faire dire à l’enfant quel était le vrai coupable. Mais les apôtres: -«Notre tâche est de faire absoudre les innocents, non de perdre les -coupables!» - -Vers le même temps, deux tigres féroces, qu’on avait enfermés dans des -caveaux, s’échappèrent, dévorant tous ceux qu’ils rencontraient. Alors -les apôtres vinrent au-devant d’eux et, ayant invoqué le nom du -Seigneur, les rendirent doux comme des agneaux. Ils voulurent ensuite -s’en aller de la ville, mais, à la demande des habitants, ils y -restèrent encore pendant un an et trois mois; et, durant ce temps, plus -de soixante mille personnes furent baptisées, y compris le roi et les -principaux seigneurs. - -Cependant, les deux mages susdits s’étaient rendus dans une ville nommée -Suamir, où il y avait soixante-dix prêtres des idoles; et ils excitèrent -ces prêtres contre les apôtres. Lors donc que ceux-ci, après avoir -parcouru toute la province, arrivèrent dans cette ville, les prêtres et -le peuple s’emparèrent d’eux et les conduisirent au temple du soleil. -Sur quoi un ange apparut aux deux saints et leur dit: «Choisissez l’une -de ces deux alternatives: ou bien la mort immédiate de ces méchants, ou -votre martyre!» Et les apôtres: «Ce que nous demandons, c’est que Dieu -convertisse ces hommes, et nous accorde, à nous, la palme du martyre!» -Puis, au milieu d’un grand silence, ils dirent à la foule: «Afin que -vous sachiez que ces idoles sont pleines de démons, nous ordonnons à -ceux-ci d’en sortir, et de briser, chacun, sa statue!» Aussitôt, des -statues sortirent des Ethiopiens, noirs et nus, qui, après les avoir -brisées, s’enfuirent avec des cris terribles. Ce que voyant, les prêtres -se jetèrent sur les apôtres et les égorgèrent. Et aussitôt, dans un ciel -d’une sérénité parfaite, des coups de foudre jaillirent qui fendirent en -deux le temple et réduisirent les mages à l’état de charbons. Et le roi -fit transporter les corps des apôtres dans sa capitale, où il éleva en -leur honneur une église magnifique. - -D’autre part, Isidore, dans son livre sur la mort des apôtres, Eusèbe -dans son _Histoire ecclésiastique_, Bède dans ses commentaires des -_Actes des Apôtres_ et Jean Beleth dans sa _Somme_, affirment que saint -Simon souffrit le supplice de la croix. Suivant eux, le saint, après -avoir prêché en Egypte, revint à Jérusalem, où les apôtres l’élurent, -d’une voix unanime, pour remplacer Jacques le Mineur sur le siège -épiscopal. Il gouverna donc l’Eglise de Jérusalem pendant nombre -d’années et ressuscita trente morts. Il avait atteint l’âge de cent -vingt ans, lorsque, sous le règne de Trajan, il fut pris et mis en croix -par le consul Atticus. Mais ces mêmes écrivains admettent que ce saint -Simon peut avoir été un autre Simon, fils de Cléophas et neveu de saint -Joseph. - - - - -CLVIII - -SAINT QUENTIN, MARTYR - -(31 octobre) - - -Quentin était de famille noble et citoyen romain. Il était venu dans la -ville d’Amiens et y opérait de nombreux miracles, lorsque, par ordre de -Maximien, le préfet de la ville s’empara de lui, et le jeta en prison -après l’avoir fait rouer de coups. Mais un ange délivra le prisonnier, -qui s’empressa de retourner sur la grand’place pour y prêcher au peuple. -Arrêté de nouveau, étendu sur un chevalet où ses veines se rompirent, -cruellement frappé de nerfs de bœuf, brûlé avec de l’huile, de la poix -et de la graisse bouillantes, il supportait tout, et raillait le préfet. -Celui-ci, furieux, lui fit jeter au visage de la chaux, du vinaigre et -de la moutarde. Puis, voyant que cela même ne l’émouvait point, il le -fit transporter en un lieu du Vermandois; et là, après lui avoir fait -enfoncer deux grands clous dans la tête, et dix autres sous les ongles -et dans la chair, il ordonna enfin de le décapiter. - -Le corps du saint, jeté dans une rivière, y resta caché pendant -cinquante-cinq ans. Il fut retrouvé par une dame noble de Rome, dans les -conditions que voici. Cette dame qui était aveugle et très pieuse, fut -avertie la nuit par un ange d’avoir à se rendre au camp de Vermandois, -pour y retrouver le corps de saint Quentin et l’ensevelir. Elle se -rendit donc au lieu dit, avec une nombreuse escorte, et, arrivée là, se -mit en prière. Et aussitôt le corps de saint Quentin flotta, intact et -parfumé, à la surface des eaux. La dame, qui en récompense de ses soins, -avait recouvré la vue, s’occupa d’ensevelir le saint, ordonna de bâtir -une église sur son tombeau, et, cela fait, s’en retourna à Rome. - - - - -CLIX - -LA TOUSSAINT - -(1er novembre) - - -La fête de la Toussaint a été instituée pour quatre objets: en premier -lieu, pour commémorer la consécration d’un certain temple; en second -lieu pour suppléer à des omissions; en troisième lieu pour expier nos -négligences; en quatrième lieu pour nous faciliter l’accomplissement de -nos vœux. - -1º Voici d’abord l’histoire de la consécration du temple. Les Romains, -devenus maîtres du monde, avaient construit un temple énorme, au milieu -duquel ils avaient placé leur idole; et tout à l’entour étaient les -idoles de toutes les provinces conquises, la face tournée vers l’idole -des Romains. Et l’on raconte que, lorsque l’une des provinces se -révoltait, son idole, par un artifice diabolique, tournait le dos à -celle des Romains; sur quoi Rome envoyait dans cette province une -nombreuse armée. Mais bientôt ce temple ne suffit pas aux Romains, qui -construisirent pour chaque dieu un temple particulier. Et comme tous les -dieux ne pouvaient pas avoir un temple à eux dans la ville, les Romains, -pour mieux étaler leur folie, construisirent en l’honneur de tous les -dieux un temple plus admirable encore que les autres, et l’appelèrent le -Panthéon, ce qui signifie le temple de tous les dieux. Pour tromper le -peuple, les prêtres des idoles lui racontèrent que la déesse Cybèle, -qu’ils appelaient la mère de tous les dieux, leur était apparue; et -cette déesse leur aurait dit que, si Rome voulait remporter la victoire -sur toutes les nations, on eût à élever, à tous les dieux ses fils, un -temple magnifique. Ce temple fut construit sur une base circulaire, afin -de symboliser l’éternité des dieux; mais lorsqu’on eût élevé les murs à -une certaine hauteur, on vit qu’ils ne pouvaient pas tenir à cause de la -largeur du diamètre. Alors, on imagina de remplir l’intérieur de terre, -pour faire tenir les murs; et à cette terre on mêla quelques pièces -d’argent. Puis, quand le temple fut achevé, on déclara que tous ceux qui -emporteraient de la terre pour le déblayer auraient le droit de -s’approprier tout ce qu’ils trouveraient dans la terre: sur quoi le -peuple se précipita en foule dans le temple, avec l’espoir de -s’approprier les pièces d’argent mêlées à la terre, et le temple ne -tarda pas à être déblayé. On dit aussi que, au sommet du temple, les -Romains placèrent une coupole de bronze doré où étaient sculptées toutes -les provinces; mais cette coupole, plus tard, tomba, laissant un vide -dans le toit du temple. Or, sous le règne de l’empereur Phocas, lorsque -depuis longtemps déjà Rome était devenue chrétienne, le pape Boniface, -quatrième successeur de saint Grégoire, obtint de l’empereur le susdit -temple, le débarrassa de toutes ses idoles, et, le 3 mai de l’année 605, -le consacra à la Vierge Marie et à tous les martyrs: d’où il reçut le -nom de Sainte-Marie aux Martyrs, mais le peuple l’appelle plus -couramment Sainte-Marie la Ronde. Plus tard encore, un pape nommé -Grégoire transporta au 1er novembre la date de la fête anniversaire de -cette consécration: car à cette fête les fidèles venaient en foule, pour -rendre hommage aux saints martyrs, et le pape jugea meilleur que la fête -fut célébrée à un moment de l’année où, les vendanges et les moissons -étant faites, les pèlerins pouvaient plus facilement trouver à se -nourrir. En même temps, ce pape décréta qu’on célébrerait, ce jour-là, -dans l’Eglise tout entière, non seulement l’anniversaire de cette -consécration, mais la mémoire de tous les saints. Et ainsi ce temple, -qui avait été construit pour toutes les idoles, se trouve aujourd’hui -consacré à tous les saints. - -2º La fête de la Toussaint a été instituée pour suppléer à des -omissions: car il y a beaucoup de saints que nous oublions, et qui non -seulement n’ont pas de fête propre, mais qui ne se trouvent même pas -commémorés dans nos prières. C’est, en effet, chose impossible que nous -célébrions séparément la fête de tous les saints, tant à cause de leur -innombrable quantité que de notre faiblesse et du manque de temps. Dans -l’épître qu’il a mise en préface à son calendrier, saint Jérôme dit: «A -l’exception du 1er janvier, il n’y a pas, dans toute l’année, un seul -jour où l’on ne puisse trouver inscrite la mémoire d’au moins cinq mille -martyrs. Et c’est pour cela que l’Eglise, dans sa sagesse, ne pouvant -pas accorder à chacun des saints un jour de fête spécial, a décrété que, -du moins, une fois par an, tous les saints seraient fêtés ensemble en -grande solennité.» - -3º La fête de la Toussaint a été instituée pour expier des négligences. -Car bien que nous ne célébrions la fête que de peu de saints, encore -négligeons-nous souvent ceux-là même, par ignorance ou par paresse. Et -c’est de ce péché que nous pouvons nous délivrer en célébrant d’une -façon générale tous les saints, le jour de la Toussaint. - -Notons, à ce propos, que les saints du Nouveau Testament que nous fêtons -en ce jour, comme dans tout le cours de l’année, se répartissent en -quatre catégories: les apôtres, les martyrs, les confesseurs et les -vierges. La première catégorie est celle des apôtres, qui dépassent tous -les autres saints en dignité, en pouvoir, en sainteté et en efficacité. -La seconde catégorie est celle des martyrs, dont l’excellence se -manifeste en ce qu’ils ont souffert des maux très variés, avec une -constance invariable et une extrême utilité pour le salut des hommes. La -troisième catégorie est celle des confesseurs, qui ont proclamé Dieu de -trois façons: par le cœur, la bouche, et les œuvres. Enfin, la quatrième -catégorie est celle des vierges, dont la dignité et l’excellence se -manifestent en ce que: 1º elles sont les épouses du Roi éternel; 2º -elles sont comparables aux anges; 3º elles jouissent au Ciel de nombreux -privilèges (étant admises à porter la couronne de l’auréole, à chanter -les cantiques, à marcher derrière l’Agneau, etc.); 4º elles sont -supérieures aux femmes mariées. Car, comme le dit saint Augustin, «la -fécondité la plus riche et la plus heureuse, pour une femme, est celle -qui consiste non à s’alourdir le ventre mais à s’agrandir l’âme», -attendu que «la fécondité du ventre ne remplit, que la terre, tandis que -la fécondité de l’âme remplit le ciel». Gilbert dit que, «si l’état de -mariage est bon, la virginité est meilleure». Et saint Jérôme écrit, -dans sa lettre à Pammaque: «Entre l’état de mariage et la virginité, la -différence est la même qu’entre l’état de non-péché et l’état de bonnes -œuvres; ou encore, d’une façon plus simple, qu’entre le bien et le -mieux.» - -4º Enfin la fête de la Toussaint a été instituée pour nous faciliter -l’obtention de nos vœux. De même que nous honorons en ce jour tous les -saints, de même nous leur demandons d’intercéder, tous ensemble, pour -nous, de façon à nous faire avoir plus facilement la miséricorde de -Dieu. Les saints peuvent, en effet, intercéder pour nous par leurs -mérites et par leur affection: par leurs mérites, en ce que le surplus -de leurs bonnes œuvres s’emploie à compenser nos fautes; par leur -affection, en ce qu’ils demandent à Dieu que nos vœux se réalisent, -chose qu’ils ne font, cependant, que quand ils savent que cela ne -contrarie pas la volonté de Dieu. - -Et que, dans ce jour, tous les saints se joignent pour intercéder en -notre faveur, c’est ce que prouve une vision qui eut lieu l’année qui -suivit l’institution de cette fête. Le jour de la Toussaint de cette -année-là, le gardien de l’église de Saint-Pierre, après avoir pieusement -fait le tour de tous les autels et imploré les suffrages de tous les -saints, s’assoupit un moment devant l’autel de saint Pierre. Il fut -alors ravi en extase et vit le Roi des Rois assis sur son trône, avec -tous les anges autour de lui. Puis vint la Vierge des Vierges, avec un -diadème de feu autour de la tête, et suivie de la foule innombrable des -vierges. Dès qu’elle entra, le Roi se leva et la fit asseoir sur un -trône, près de lui. Puis vint un homme vêtu de poils de chameau, et -suivi d’une multitude de vieillards vénérables; puis un autre homme, en -habits de pontife, suivi d’un groupe d’hommes habillés de la même façon. -Derrière eux s’avança une foule innombrable de soldats, que suivait à -son tour une foule infinie d’hommes de toutes les nations. Tous, -parvenus devant le Roi des Rois, s’agenouillèrent devant lui et se -mirent à l’adorer. L’homme en habits pontificaux entonna les matines; et -ainsi commença le service divin. Et l’ange qui avait conduit le susdit -gardien lui expliqua ensuite le sens de cette vision. Il lui dit que la -Vierge assise sur le trône était la mère de Dieu, que l’homme vêtu de -poils de chameau était saint Jean-Baptiste, ayant derrière lui les -patriarches et les prophètes; que l’homme en habits pontificaux était -saint Pierre, suivi des apôtres; que les soldats étaient les martyrs, et -que la foule était formée des saints confesseurs. Et l’ange dit au -gardien que tous ces saints étaient venus en présence du Roi des Rois -pour le remercier de l’honneur que lui rendaient, en ce jour, les -hommes, et pour prier pour le monde entier. Puis l’ange conduisit le -gardien dans un autre lieu, où il lui montra des personnes des deux -sexes, dont les unes étaient vêtues d’or, ou assises à des tables -somptueuses, tandis que d’autres, nues et misérables, mendiaient du -secours. Et l’ange dit au gardien: «Ce lieu est le Purgatoire. Les Ames -que tu vois dans l’abondance sont celles qu’assistent copieusement les -suffrages de leurs amis; les âmes de ces mendiants sont celles de -personnes qui n’ont point d’amis, au ciel ni sur la terre, pour -s’occuper d’elles.» Et l’ange ordonna au gardien de rapporter tout cela -au souverain pontife, afin que, après la fête de la Toussaint, il -instituât la fête des Ames, c’est-à-dire une fête où, du moins, des -suffrages communs s’élèveraient au Ciel en faveur de ceux qui n’avaient -personne pour adresser en leur faveur des suffrages particuliers. - - - - -CLX - -LE JOUR DES AMES - -(2 novembre) - - -L’Eglise a institué, en ce jour, la commémoration des fidèles défunts, -afin d’accorder un bénéfice général de prières à ceux, parmi ces -défunts, qui n’en possèdent point de particuliers. Cette fête a été -instituée à la suite de la vision racontée au chapitre précédent. Pierre -Damien raconte aussi que saint Odilon, abbé de Cluny, apprenant que l’on -entendait souvent sortir de l’Etna les hurlements des démons, et les -voix plaintives d’âmes défuntes qui demandaient à être arrachées de -leurs mains par des aumônes et des prières, décida que, dans les -monastères de son ordre, la fête de la Toussaint serait suivie de la -commémoration des âmes défuntes; et cette décision fut ensuite approuvée -par l’Eglise entière. - -Trois questions sont à considérer, à propos de cette fête: 1º quelles -sont les âmes qui vont au purgatoire? 2º par qui sont-elles châtiées? 3º -en quel lieu vont-elles? - -1º Trois sortes d’âmes vont en purgatoire: d’abord celles qui meurent -sans avoir accompli la pénitence qui leur a été imposée; en second lieu -celles à qui le prêtre, par ignorance ou par négligence, n’a pas imposé -une pénitence suffisante; en troisième lieu celles qui emportent avec -elles, en mourant, «le bois, le foin et la stipule», c’est-à-dire qui, -tout en adorant Dieu, restent attachées aux biens de la terre. - -2º Sur la question de savoir par qui sont châtiées les âmes du -purgatoire, on est d’accord pour affirmer que leur purgation et punition -se fait par de mauvais anges, et non par de bons anges. Et l’on doit -croire, au contraire, que les bons anges visitent souvent leurs frères -et concitoyens dans le purgatoire, les consolent et les exhortent à -souffrir avec patience. - -3º Enfin, touchant le lieu du purgatoire, bon nombre de savants estiment -qu’il se trouve dans le voisinage de l’enfer, bien que d’autres -prétendent qu’il est situé dans l’air, et dans la zone torride. Nous -savons, d’autre part, que la toute-puissance divine peut assigner aux -diverses âmes des demeures différentes, et cela pour cinq causes: 1º -pour l’allégement de leur punition; 2º pour leur plus prompte -libération; 3º pour notre instruction; 4º pour l’expiation d’une faute -commise dans un certain lieu; 5º en raison de la prière d’un saint. -Chacune de ces causes peut être illustrée par un exemple. - -Première cause: allégement de la punition. Saint Grégoire rapporte que -plusieurs saints ont connu, par révélation, que des âmes étaient -simplement punies par le séjour dans les ténèbres. - -Seconde cause: plus prompte libération. Cela signifie que certaines âmes -sont placées en des lieux d’où elles puissent révéler aux vivants leur -misérable condition, et obtenir d’eux des prières pour être plus vite -tirées de peine. C’est ainsi que des pêcheurs du diocèse de saint -Théobald prirent en automne un grand morceau de glace, prise qui leur -fut plus agréable que celle d’un poisson, parce que leur évêque -souffrait de douleurs dans les pieds, et n’avait point de glace pour se -rafraîchir les membres malades. Mais un jour l’évêque entendit sortir du -glaçon une voix humaine qui lui dit: «Je suis une âme condamnée à -séjourner dans ce glaçon pour mes péchés; et je pourrais être délivrée -si tu disais pour moi trente messes pendant trente jours de suite!» Mais -comme l’évêque avait déjà dit la moitié des trente messes, et se -préparait à en dire une nouvelle, le diable souleva un grand conflit -entre les habitants de la ville: l’évêque, mandé pour apaiser la -discorde, se dépouilla de ses ornements sacrés, et ne dit point la messe -ce jour-là. Il eût donc à recommencer le lendemain une nouvelle -trentaine, et déjà il avait dit vingt messes lorsqu’une immense armée -assiégea la ville, et l’obligea cette fois encore, à passer la journée -loin de son église. Il recommença, le lendemain, une nouvelle trentaine; -et déjà il s’apprêtait pour la dernière messe lorsqu’on vint lui -annoncer que sa maison était en feu. Mais, comme on voulait qu’il -interrompît sa messe, il s’écria: «Si même la ville entière brûlait, je -dirais ma messe jusqu’au bout!» Et à peine l’eut-il dite que la glace -fondit, et que le feu s’évanouit comme un brouillard, sans laisser aucun -dommage. - -Troisième cause: notre instruction. Des âmes peuvent être placées en un -lieu d’où elles nous avertissent de la grandeur des peines que nous -vaudront nos péchés. C’est de quoi nous avons un exemple dans un fait -arrivé à Paris, et qui nous est raconté par le Chantre Parisien. Maître -Silo avait demandé à un docteur de ses amis, qui était malade, de -revenir, après sa mort, pour lui faire part de l’état où il se trouvait. -Quelques jours après, le docteur défunt lui apparut tout vêtu d’une -chape de parchemin où étaient inscrits des sophismes; et, à l’intérieur, -cette chape était garnie de charbons ardents. Et il dit à son ancien -compagnon: «Cette chape pèse plus lourdement à mon corps que si je -portais une tour sur mes épaules! Elle m’a été imposée en punition de la -gloire que m’avaient value mes sophismes.» Et comme maître Silo estimait -que c’était là une punition assez facile à supporter, le défunt lui dit -de lui toucher la main, et, de sa main, fit tomber sur lui une goutte de -sueur: cette goutte perfora la main de maître Silo plus cruellement que -n’aurait fait une flèche, et il y sentit une douleur épouvantable. Alors -le défunt lui dit: «Voilà ce que je sens dans tout mon corps!» Sur quoi -maître Silo, effrayé de l’énormité d’une telle peine, résolut de -renoncer au siècle et d’entrer en religion, ce qu’il fit après avoir -d’abord composé, à l’usage de ses collègues et élèves, le distique -suivant: - - Linquo choas ranis, cra corvis, vanaque vanis. - Ad logicam pergo quæ mortis non timet ergo[15]. - - [15] J’abandonne le coassement aux grenouilles, le croassement aux - corbeaux et les vanités aux vains; et je vais vers la seule logique - qui ne redoute point les _ergo_ de la mort! - -Quatrième cause: l’expiation d’une faute. Saint Augustin dit en effet -que certaines âmes subissent leur peine dans le lieu même où elles ont -commis leur faute, et c’est ce que prouve un exemple raconté par saint -Grégoire dans son quatrième dialogue. Un prêtre trouvait toujours, -lorsqu’il entrait dans son bain, un homme inconnu qui le servait avec de -grands égards. Et comme un jour, pour le récompenser, il lui offrait du -pain bénit, l’inconnu lui répondit tristement: «Hélas, mon Père, je ne -puis toucher à ce pain consacré! J’étais autrefois le maître de ce lieu, -et j’y suis retenu aujourd’hui, après ma mort, en punition de mes -fautes. Mais je te prie d’offrir à Dieu ce pain pour mes péchés; et, le -jour où tu ne me trouveras plus ici, tu sauras que tes prières auront -été exaucées.» Le prêtre offrit pour lui la sainte hostie pendant une -semaine; après quoi, quand il revint au bain, il ne le trouva plus. - -Cinquième cause: la prière d’un saint. C’est ainsi que, dans le chapitre -consacré à la fête de saint Patrice, nous avons raconté comment ce saint -a obtenu, pour certains morts, d’avoir leur purgatoire en un certain -lieu sous la terre. - -On peut se demander, ensuite, quels sont les suffrages qui peuvent aider -les âmes du purgatoire. Parmi ceux qui sont les plus utiles à ces âmes, -figurent la prière des amis, les aumônes, l’immolation de la sainte -hostie et l’observation des jeûnes. - -L’utilité des prières des amis nous est prouvée par l’exemple de -Paschase, tel que nous le raconte saint Grégoire dans ses _Dialogues_. -Ce Paschase était un homme plein de vertu et de sainteté; mais comme on -avait élu deux souverains pontifes, et qu’ensuite l’Eglise s’était -décidée à reconnaître l’un d’entre eux, Paschase s’était obstiné, -jusqu’à sa mort, à lui préférer l’autre. Quand il mourut, un possédé fut -guéri en touchant sa dalmatique, posée sur son cercueil. Mais, longtemps -après, l’évêque de Capoue, Germain, étant entré au bain pour cause de -santé, aperçut le susdit Paschase qui le servait humblement. Effrayé, il -se demanda ce que pouvait faire là un si saint homme. Et Paschase lui -dit qu’il portait le châtiment d’avoir soutenu la mauvaise cause dans la -rivalité des deux papes. Et il ajouta: «Prie Dieu pour moi; et le jour -où tu ne me retrouveras plus ici, c’est que ta prière aura été exaucée!» -Germain pria donc pour lui; et, quelques jours après, en revenant au -bain, il ne le vit plus.--Autre exemple: Pierre de Cluny raconte qu’un -prêtre, qui célébrait tous les jours une messe pour les morts, fut -dénoncé à son évêque, et suspendu de son office. Or, un jour que -l’évêque traversait le cimetière pour célébrer les matines, les morts se -soulevèrent contre lui en disant: «Cet évêque, non content de ne point -dire de messe pour nous, nous a encore enlevé notre prêtre. Mais, s’il -ne répare point le mal qu’il a fait, la mort l’attend!» Aussi l’évêque -s’empressa-t-il de lever la suspension du prêtre, et de dire lui-même, -désormais, des messes pour les morts. - -Combien sont agréables aux morts les prières des vivants, c’est ce que -nous prouve un exemple cité par le Chantre Parisien. Un homme avait -coutume, en traversant le cimetière, de réciter un psaume pour les -morts. Et comme, un jour, ses ennemis le poursuivaient dans le -cimetière, les morts se soulevèrent, le protégèrent et mirent en fuite -ses ennemis épouvantés. - -Voici maintenant, d’après saint Grégoire, un exemple qui prouve combien -les aumônes sont précieuses pour la libération des âmes défuntes. Un -soldat, qui était mort et revenu à la vie, raconta qu’il avait vu un -pont sous lequel coulait un fleuve noir et fétide. Au delà du pont -s’étendait une belle prairie, parée de fleurs parfumées, et où se -promenaient, par groupes, des hommes vêtus de blanc. Mais tout pécheur -qui s’aventurait sur le pont tombait dans l’horrible fleuve, et seuls -les justes s’avançaient d’un pas sûr jusque dans la prairie. Et le -soldat vit, dans ce fleuve, un homme nommé Pierre, qui était couché sur -le dos, ayant sur soi un énorme poids de fer. Et on lui dit que cet -homme souffrait cette peine parce que, de son vivant, quand il avait à -châtier un coupable, il le faisait par cruauté plus que par obéissance. -Un autre homme, nommé Etienne, était déjà tombé dans le fleuve, lorsque -des hommes vêtus de blanc le prirent par les bras et le hissèrent jusque -dans la prairie. Et l’on dit au soldat que ces hommes représentaient les -aumônes d’Etienne luttant contre les vices de sa chair. - -Combien l’immolation de l’hostie peut servir aux défunts, c’est ce que -nous prouvent de nombreux exemples. Saint Grégoire raconte, dans ses -_Dialogues_, qu’un de ses moines, nommé Juste, étant sur le point de -mourir, avait avoué qu’il possédait secrètement trois pièces d’or. Saint -Grégoire ordonna de placer ces trois pièces dans son cercueil, en -disant: «Que ton argent t’accompagne dans la perdition!» Mais en même -temps il demanda aux frères d’immoler l’hostie pour le mort pendant -trente jours. Au bout des trente jours, le mort apparut à un de ses -frères. Et comme celui-ci lui demandait en quel état il se trouvait: -«J’ai été, jusqu’ici, en fort mauvais état; mais, ce matin, j’ai été -admis à la communion et ma peine a cessé!» - -L’immolation de l’hostie peut même servir pour les vivants. Un homme, -dont tous les compagnons avaient été écrasés sous une roche, dans une -mine d’argent, restait vivant, mais se trouvait enfermé dans la mine, -faute d’issue. Sa femme, le croyant mort, faisait dire tous les jours -une messe pour lui, où elle assistait elle-même. Mais pendant trois -jours le diable, l’arrêtant sur son chemin, lui dit: «Inutile d’aller -plus loin, car la messe est déjà dite!» De telle sorte que, pendant ces -trois jours, la femme ne fit point célébrer de messe pour son mari, et -ne put pas non plus offrir sur l’autel le pain, la cruche de vin et le -cierge qu’elle offrait tous les jours. Or, peu de temps après, un homme -qui travaillait dans la mine entendit une voix qui semblait venir -d’au-dessous de lui, et qui lui disait: «Ne frappe pas aussi fort, car -voici une grosse pierre qui menace de tomber sur moi!» Alors le mineur -cessa de creuser en cet endroit, et, sur le côté, se fraya un chemin -jusqu’à un endroit où il trouva, vivant et en parfaite santé, celui que -l’on croyait mort. Et comme on lui demandait comment il avait pu vivre -là si longtemps, il dit que, tous les jours, excepté pendant trois -jours, une main invisible lui avait apporté du pain, une cruche de vin -et un cierge allumé. Ce qu’entendant sa femme, ravie de bonheur, comprit -que c’était de son offrande que son mari avait vécu. Ce miracle, que -nous raconte Pierre de Cluny, a eu lieu dans un village appelé -Ferrières, du diocèse de Grenoble. Et pareillement saint Grégoire -raconte l’histoire d’un marin qui allait périr en mer lorsqu’une messe, -dite pour lui par un prêtre, lui permit de sortir des flots. Et comme on -lui demandait de quoi il avait pu vivre, sur son épave, il dit qu’un -inconnu lui avait apporté un pain: or, c’était à l’heure même où le -prêtre immolait l’hostie pour lui. - -Les jeûnes et autres pénitences, de la part des parents et amis des -morts, peuvent également être d’un grand prix pour abréger aux âmes la -durée de leur peine. Une veuve se désespérait de sa pauvreté, lorsque le -diable lui apparut et lui promit de la rendre riche, si elle consentait -à faire ce qu’il voudrait. La femme y consentit; et le diable lui -ordonna quatre choses: 1º de contraindre à la fornication des hommes -d’église qui demeuraient chez elle; 2º d’accueillir chez soi des -pauvres, mais pour les renvoyer ensuite nus, au milieu de la nuit; 3º -d’empêcher les prières à l’église, en parlant très haut; et 4º de ne -souffler mot de tout cela à âme qui vive. Or, comme cette, femme allait -mourir, et que son fils l’engageait à se confesser, elle lui avoua ce -qu’elle avait fait, et lui dit que, tel étant son cas, aucune confession -ne pourrait la sauver. Mais comme le fils insistait en pleurant, et -promettait de faire pour elle autant de pénitence qu’il faudrait, elle -finit par consentir à ce qu’il allât chercher un prêtre. Mais, avant que -le prêtre ne fût arrivé, les démons se jetèrent sur elle, lui causant -une frayeur si forte, qu’elle en mourut. Son fils n’en confessa pas -moins au prêtre le péché de sa mère; et celle-ci, après qu’il eût fait -pénitence pendant sept ans, lui apparut, pour le remercier de l’avoir -délivrée. - -Mais nous devons ajouter que ces suffrages, pour avoir de la valeur, -doivent provenir de personnes étant elles-mêmes vertueuses: car les -suffrages des méchants ne servent de rien aux âmes des défunts. Un -soldat était couché avec sa femme dans son lit; et, comme la lune -envoyait ses rayons dans la chambre, le soldat s’étonnait de ce que les -créatures raisonnables refusassent d’obéir à la loi divine, tandis que -les êtres sans raison y obéissaient: après quoi il se mit à parler des -péchés d’un de ses camarades, qui était mort. Mais au même instant le -mort entra dans la chambre et lui dit: «Mon ami, ne pense mal de -personne; et, si j’ai péché envers toi, pardonne-le-moi!» Le soldat lui -ayant demandé en quel état il se trouvait, il répondit: «Je suis torturé -de mille façons, en punition surtout d’avoir violé un cimetière et d’y -avoir blessé quelqu’un pour lui dérober sa cape. C’est cette cape que je -suis condamné à porter sur mon dos; et une montagne n’y pèserait pas -davantage!» Il demanda à son camarade de faire dire des prières pour -lui. Mais comme son camarade lui proposait de les faire dire par tel et -tel prêtre, le mort, sans rien répondre, secouait la tête en signe de -refus. Enfin le vivant lui demanda s’il voulait qu’un certain ermite -priât pour lui. Et le mort: «Oh! plût à Dieu que celui-là consentît à -prier pour moi!» Et il dit encore à son compagnon, avant de disparaître: -«Je te préviens que, dans deux ans d’aujourd’hui, tu mourras à ton -tour!» De telle sorte que le soldat put changer de vie, et s’endormir -dans le Seigneur. - -Quand nous disons que les suffrages offerts par les méchants ne peuvent -servir aux morts, on entend bien que nous voulons parler des prières, -jeûnes, etc., mais non des sacrements, tels que la célébration de la -messe, dont le plus mauvais prêtre ne saurait empêcher le caractère -sacré. Et les mourants doivent, à ce propos, se garder de commettre à -des méchants le soin de veiller, après leur mort, sur le salut de leurs -âmes, afin que ne leur arrive point l’aventure qui arriva à certain -soldat partant pour combattre les Maures avec Charlemagne. Ce soldat -avait demandé à un de ses parents, au cas où il mourrait, de vendre son -cheval et d’en distribuer le prix aux pauvres. Après quoi le soldat -mourut: mais son parent, trouvant le cheval à son goût, le garda pour -lui. Or, peu de temps après, le mort lui apparut et lui dit: «Infidèle -parent, tu m’as fait souffrir pendant huit jours les peines du -purgatoire, en ne donnant pas aux pauvres le prix de mon cheval; mais tu -en seras puni, car, aujourd’hui même, les diables vont emporter ton âme -en enfer!» Et, au même instant, on entendit dans l’air une grande -clameur, comme des cris de lions, d’ours et de loups; et l’âme du -mauvais parent fut emportée en enfer. - - - - -CLXI - -LES QUATRE COURONNÉS, MARTYRS - -(8 novembre) - - -Les quatre couronnés s’appelaient Sévère, Sévérien, Carpophore et -Victorin. Par l’ordre de Dioclétien, ils furent battus de verges -plombées jusqu’à ce que mort s’ensuivît. On fut pendant très longtemps -sans trouver les noms de ces quatre martyrs; et l’Eglise, faute de -connaître leurs noms, décida de célébrer leur fête le même jour que -celle de cinq autres martyrs, Claude, Castor, Symphorien, Nicostrate et -Simplice, qui subirent le martyre deux ans plus tard. Ces cinq martyrs -étaient sculpteurs; et comme ils se refusaient à sculpter une idole pour -Dioclétien, ils furent enfermés vivants dans des tonneaux plombés, et -précipités dans la mer, en l’an du Seigneur 287. C’est donc le jour de -la fête de ces cinq martyrs que le pape Melchiade ordonna que fussent -commémorés, sous le nom des Quatre Couronnés, les quatre autres martyrs -dont on ignorait les noms. Et bien que, par la suite, une révélation -divine eût permis de connaître les noms de ces saints, l’usage se -conserva de les désigner sous le nom collectif des Quatre Couronnés. - - - - -CLXII - -SAINT THÉODORE, MARTYR - -(9 novembre) - - -Théodore souffrit le martyre dans la ville des Marmanites, sous le règne -des empereurs Dioclétien et Maximien. Comme le préfet de la ville lui -disait que, s’il sacrifiait aux idoles, il serait restitué dans son -ancienne dignité militaire, il répondit: «Je sers maintenant dans -l’armée de mon Dieu et de son fils, Jésus-Christ!» Et le préfet: «Ainsi -ton Dieu a un fils?» Et Théodore: «Oui.» Et le préfet: «Pouvons-nous le -connaître?» Et Théodore: «Plût au ciel que vous le connussiez et -vinssiez à lui!» Ayant reçu l’ordre de sacrifier aux idoles, Théodore -entra, de nuit, dans le temple de Mars, et y mit le feu. Dénoncé par -quelqu’un qui l’avait vu faire, il fut jeté en prison pour y mourir de -faim. Mais le Seigneur lui apparut et lui dit: «Aie confiance, mon -serviteur Théodore, car je suis avec toi!» Puis une troupe d’anges, -vêtus de blanc, entra dans la cellule et se mit à chanter des psaumes -avec le prisonnier. Ce que voyant, les gardiens s’enfuirent, épouvantés. - -Le lendemain Théodore fut de nouveau invité à sacrifier aux idoles. Et -il dit: «Vous pouvez brûler mes chairs et me prodiguer tous les -supplices; tant que respireront mes narines je ne renierai point mon -Dieu!» Il fut alors pendu à un poteau, et on lui déchira les chairs si -cruellement que ses côtes furent mises à nu. Alors le préfet: «Théodore, -veux-tu être avec nous ou avec ton Christ?» Et lui: «C’est avec mon -Christ que j’ai été, et suis, et serai!» Le préfet le fit brûler sur un -bûcher, où il rendit l’âme; mais son corps resta intact, et une odeur -délicieuse s’en exhalait, et l’on entendit une voix qui disait: «Viens, -mon aimé, entre dans la joie de ton Seigneur!» Et bon nombre -d’assistants virent le ciel s’ouvrir. Ce martyre eut lieu en l’an du -Seigneur 287. - - - - -CLXIII - -SAINT MARTIN, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR - -(11 novembre) - - -I. Martin était originaire de la Pannonie; mais il fut élevé à Pavie, en -Italie, et servit ensuite les empereurs Constantin et Julien, avec son -père, qui était tribun des soldats. Cependant, ce n’est pas de son plein -gré qu’il entra dans l’armée: car, inspiré d’en haut dès son enfance, à -l’âge de douze ans il s’était enfui dans une église, pour demander à -devenir catéchumène; et il se serait fait ermite, si la faiblesse de sa -santé ne l’en eût empêché. Mais lorsque les empereurs résolurent que les -fils des vétérans eussent à servir avec leurs pères, force fut au jeune -Martin de s’enrôler. Il avait alors quinze ans. Et, du moins, ne -voulut-il avoir qu’un seul serviteur, que d’ailleurs lui-même se -plaisait à servir, lui brossant ses vêtements et lui ôtant sa chaussure. -Un jour d’hiver, comme il passait sous une des portes d’Amiens, il -rencontra un pauvre qui était tout nu. Aussitôt, coupant en deux, avec -son épée, le manteau dont il était recouvert, il en donna à ce pauvre -une des deux moitiés. Et, la nuit suivante, il vit le Christ lui-même -vêtu de cette moitié de manteau; et il entendit que Notre-Seigneur -disait aux anges qui l’entouraient: «Ce manteau, Martin me l’a donné -quand il n’était encore que catéchumène!» Le saint jeune homme, au -reste, ne tira de cette vision aucune vanité, mais y vit seulement une -nouvelle preuve de la bonté de Dieu. A dix-huit ans, il se fit baptiser. -Il aurait voulu se consacrer tout entier au Seigneur; mais son tribun -lui demanda de servir deux années encore, lui promettant de le laisser, -ensuite, libre de se retirer. Or, au bout de ces deux ans, et comme les -barbares envahissaient la Gaule, l’empereur Julien distribua de l’argent -entre les soldats chargés de les repousser. Mais Martin refusa d’en -prendre sa part, disant: «Je suis soldat du Christ et n’ai pas le droit -de combattre!» Julien, indigné, lui dit que ce n’était pas par piété, -mais par peur qu’il renonçait au service, devant la guerre imminente. Et -l’intrépide jeune homme lui répondit: «Puisque tu mets ma conduite sur -le compte de la lâcheté, je me présenterai demain sans armes en face de -l’ennemi, et je braverai ses coups avec le signe de la croix en guise de -casque et de bouclier.» Julien donna l’ordre qu’on le mît en demeure de -faire comme il avait dit. Mais le lendemain, dès le matin, l’ennemi -annonça qu’il se rendait avec tous ses biens: et ainsi la victoire fut -obtenue sans perte de sang, par le seul mérite du saint. - -Au sortir de l’armée, Martin se rendit auprès de saint Hilaire, évêque -de Poitiers, qui l’ordonna son coadjuteur. Mais une nuit, en rêve, le -Seigneur l’avertit d’avoir à aller visiter ses parents, qui étaient -restés païens. Il se mit en route, prévoyant avec raison qu’il aurait à -traverser toutes sortes d’épreuves. Au passage des Alpes, il fut attaqué -par des voleurs, qui, après lui avoir lié les mains derrière le dos, le -laissèrent à la garde de l’un d’eux. Et comme, avant de le laisser, ils -lui demandaient s’il avait peur, il répondit que jamais au contraire il -n’avait été plus rassuré, car il savait que la miséricorde divine se -faisait voir le plus volontiers dans les tentations. Resté seul avec le -voleur, il lui prêcha l’évangile, et le convertit: de telle sorte que -cet homme, après l’avoir reconduit sur la grand’route, mena depuis lors -une vie honorable. A Milan, ensuite, c’est le diable lui-même qui, -prenant forme humaine, aborda Martin et lui demanda où il allait. Et -Martin: «Je vais où mon maître m’appelle!» Et le diable: «Où que tu -ailles, tu trouveras le diable contre toi!» Mais Martin lui répondit: -«Avec l’aide du Créateur je ne crains rien de la créature!» Enfin, -arrivé à Pavie, Martin convertit sa mère: son père, au contraire, -persévéra dans l’idolâtrie. - -Peu de temps après, l’hérésie arienne s’étant répandue à Pavie, et -Martin se trouvant à peu près seul à y résister, on le chassa de la -ville, non sans l’avoir battu. Il revint à Milan et y fonda un -monastère; mais, de là encore, les ariens le bannirent. En compagnie -d’un seul prêtre, il se réfugia dans l’île Gallinaria. Pendant qu’il y -était, il absorba un jour, par erreur, de la graine d’ellébore; et déjà -le poison allait le faire mourir, lorsque, par la force de sa prière, il -vainquit à la fois le danger et la douleur. Enfin, ayant appris que -saint Hilaire était revenu d’exil, il alla le rejoindre, et fonda un -monastère près de Poitiers[16]. Là, un jour, il apprit qu’un catéchumène -venait de mourir sans avoir reçu le baptême. Il se rendit dans la -cellule du défunt, pria sur son corps et le rappela à la vie. Et ce -catéchumène rapporta que, au moment où on l’entraînait déjà en enfer, -deux anges avaient murmuré à l’oreille de son juge que c’était là le -pécheur pour qui priait saint Martin. Et le saint rendit également la -vie à un homme qui s’était pendu, ce qui permit à cet homme de faire -pénitence. - - [16] A Ligugé. - -L’évêque de Tours étant mort, la ville désigna Martin pour lui succéder. -En vain quelques évêques s’opposèrent à cette élection, sous prétexte -que Martin était négligé dans ses vêtements et d’humble figure. Il n’en -fut pas moins promu à l’évêché, malgré ses ennemis, et aussi malgré lui. -Et comme il ne pouvait supporter le tumulte de la ville, il fonda, à -deux milles de Tours, un monastère[17], où il vécut dans l’abstinence, -en compagnie de quatre-vingts disciples. Aucun d’eux ne buvait de vin, -sauf en cas de maladie; et le bien-être même, dans ce monastère, était -tenu pour un péché. - - [17] Marmoutier (ou le Monastère de Martin). - -Voyant qu’on invoquait comme un martyr un homme dont il ne pouvait -découvrir ni la vie ni les mérites, Martin se mit un jour en prière sur -la tombe du soi-disant martyr, et demanda à Dieu de vouloir bien lui -faire savoir ce qui en était. Alors, se retournant, il vit une ombre -noire qui, interrogée par lui, répondit que, loin d’être l’ombre d’un -saint, elle était celle d’un voleur, et frappée en châtiment de ses -crimes. Sur quoi Martin fit détruire l’autel consacré à ce prétendu -saint. - -Sévère et Gallus, disciples de saint Martin, racontent que ce saint -aborda un jour l’empereur Valentinien avec une requête, et que -l’empereur fit fermer devant lui les portes de son palais, sachant que -celui-ci venait demander des choses qu’on ne pouvait lui accorder. Mais -Martin, ayant été ainsi repoussé trois fois de suite, se vêtit d’un -cilice, se couvrit de cendres, et pendant une semaine s’abstint de -manger et de boire. Puis, averti par un ange, il se rendit au palais, et -pénétra librement jusqu’à l’empereur. Celui-ci, furieux de voir qu’il -avait pu entrer, refusa de se lever pour l’accueillir; mais le feu prit -à son trône, et si rapidement qu’il en eut la partie postérieure du -corps brûlée: de telle sorte que force lui fut bien de se lever. Alors, -reconnaissant la puissance divine, il se jeta dans les bras du saint et -lui accorda d’avance tout ce qu’il venait demander. - -Les mêmes auteurs nous racontent comment le saint ressuscita un mort. -Une mère l’ayant prié de ressusciter son jeune fils, qui venait de -mourir, le saint s’agenouilla, en présence d’une foule innombrable de -païens, et aussitôt l’enfant revint à la vie: sur quoi tous les païens -reçurent la foi. - -Telle était la sainteté de Martin que tout lui obéissait, même les -éléments, les arbres, et les bêtes. Un jour qu’il avait mis le feu à un -temple païen, et que le vent avait porté la flamme sur une maison -voisine, il monta sur le toit de cette maison, se plaça au milieu de la -flamme; et l’on vit celle-ci se retourner contre le vent pour épargner -la maison. Une autre fois, dans un naufrage, un marchand non encore -converti s’écria: «Dieu de Martin, sauve-nous!» et aussitôt le calme -succéda à la tempête. Une autre fois, comme Martin voulait abattre un -pin consacré au diable, en présence d’une foule de paysans, un de -ceux-ci lui dit: «Si tu as vraiment confiance en ton Dieu, laisse-nous -abattre cet arbre et le faire tomber sur toi!» Et au moment où l’arbre -était sur le point de tomber, Martin fit le signe de la croix, et -l’arbre, retombant de l’autre côté, faillit écraser les paysans qui se -trouvaient là, et qui, devant ce miracle, se convertirent à la foi. Un -autre jour, voyant des chiens qui poursuivaient un lièvre, il leur -ordonna de renoncer à leur poursuite: aussitôt les chiens s’arrêtèrent, -et vinrent se ranger près du saint, comme s’ils étaient tenus à la -laisse. Un autre jour, sur son ordre, un serpent qui traversait un -fleuve rebroussa chemin et retourna d’où il était venu. Et saint Martin, -gémissant, s’écria: «Les serpents m’écoutent, et les hommes ne veulent -pas m’écouter!» - -Parmi les vertus du saint, on doit citer, d’abord, l’humilité. Etant à -Paris, il alla au-devant d’un lépreux qui faisait horreur à tous, -l’embrassa, le bénit et lui rendit la santé. Jamais il ne voulut -s’asseoir dans sa cathèdre: il s’asseyait sur un petit siège rustique du -genre des trépieds. En second lieu, il brilla par sa dignité: car il fut -égal aux apôtres par les grâces qu’il reçut du Saint-Esprit. Un jour, -comme il était seul dans sa cellule, et que ses disciples, Sévère et -Gallus, l’attendaient devant la porte, ceux-ci entendirent soudain -plusieurs voix féminines qui s’entretenaient avec lui. Ils lui -demandèrent ensuite ce qui en était. Et lui: «Je veux bien vous le dire, -mais à la condition que vous ne le répétiez à personne. Sachez donc que -les saintes Agnès, Thècle, et Marie ont daigné me faire visite!» Et il -avoua que souvent il recevait la visite de ces saintes, ainsi que celle -des apôtres Pierre et Paul. En troisième lieu, il brilla par sa justice. -Ayant été un jour invité à dîner par l’empereur Maxime, et ayant tenu, -le premier, la coupe en main, il ne passa pas ensuite celle-ci à -l’empereur, comme on s’y attendait, mais à un de ses prêtres, qu’il -estimait le plus digne de cet honneur. En quatrième lieu, il brillait -par la patience. Durant son épiscopat, il se laissait impunément -injurier par ses clercs, et sans cesser, pour cela, de leur témoigner sa -faveur. Jamais personne ne le vit se fâcher, ni s’affliger, ni railler. -Un jour, comme il s’avançait sur son âne, vêtu d’un manteau noir, et -que, à sa vue, les chevaux d’une compagnie de soldats s’étaient -effrayés, les soldats se jetèrent sur lui et le battirent cruellement. -Mais plus ils le frappaient, moins il paraissait se soucier de leurs -coups. Puis, quand ils voulurent remonter sur leurs chevaux, ces bêtes -refusèrent de bouger, malgré tous les coups de fouet: si bien que les -soldats, revenant vers Martin, lui demandèrent pardon de leurs péchés; -et, sur l’ordre du saint, les chevaux consentirent à se remettre en -route. Martin brillait aussi par l’assiduité dans la prière. Même quand -il lisait ou travaillait, il ne cessait point de prier. Et il brillait -aussi par l’austérité. Son disciple Sévère raconte, dans sa lettre à -Eusèbe, que Martin, étant un jour venu dans une ville de son diocèse, y -trouva, préparé à son intention, un lit moelleux; et lui, ayant horreur -de ce luxe, se coucha sur le sol, sans autre vêtement qu’un cilice, -ainsi qu’il faisait tous les jours. Or, vers minuit, la paille qu’il -avait rejetée prit feu; et Martin, s’éveillant, se trouva entouré par -les flammes. Il fit alors le signe de la croix; et quand les moines, -effrayés, accoururent s’attendant à le trouver brûlé, ils virent avec -surprise que l’incendie ne lui avait fait aucun mal. Le saint brillait -aussi par sa compassion à l’égard des pécheurs: il excusait les pires -crimes dès qu’il voyait qu’on s’en repentait. Et comme le diable le lui -reprochait, il répondit: «Si toi-même, malheureux, tu renonçais à -tourmenter les hommes, j’aurais encore assez de confiance en ton -repentir pour te promettre la miséricorde de Notre-Seigneur!» Il -brillait aussi par sa bonté pour les pauvres. Un jour qu’il se rendait à -son église pour y célébrer une fête, un pauvre le suivit, qui était tout -nu. Martin recommanda à son archidiacre de lui donner des vêtements; et, -comme l’archidiacre ne se pressait point de le faire, Martin, entré dans -sa sacristie, donna au pauvre sa propre tunique, en lui recommandant de -s’éloigner au plus vite. Puis, lorsque l’archidiacre vint l’avertir -qu’il eût à célébrer sa messe, il répondit qu’il ne pouvait la célébrer, -aussi longtemps que le pauvre n’aurait pas eu un vêtement. Alors -l’archidiacre se rendit au marché, et y acheta, pour quelque sous, une -méchante tunique, qu’il vint jeter au pieds de saint Martin: car il -ignorait que celui-ci avait besoin d’un vêtement pour lui-même, ayant -donné le sien au pauvre. Et le saint revêtit cette misérable tunique, -qui lui descendait à peine jusqu’aux genoux, et dont les manches lui -venaient aux coudes; et c’est dans ce costume qu’il célébra sa messe. -Et, pendant qu’il la célébrait, les assistants virent qu’un globe de feu -apparaissait au-dessus de sa tête. Une autre fois, rencontrant une femme -qui s’était coupé les cheveux, il dit en plaisantant à ses disciples: -«Voilà une personne qui a suivi le précepte de l’évangile! Elle avait -deux tuniques, et elle s’est séparée de l’une d’elles. Imitez son -exemple!» Il brillait aussi par sa puissance à chasser les démons. -Voyant un jour une vache qui était possédée, et qui causait de grands -dommages, il la força de s’arrêter, en levant le doigt. Puis, lorsqu’il -aperçut le démon assis sur son dos, il lui cria: «Eloigne-toi de là, et -cesse de tourmenter cette bête innocente!» Aussitôt le démon s’enfuit et -la vache, après s’être agenouillée devant le saint, rejoignit son -troupeau. Il brillait aussi par son habileté à reconnaître les démons. -Il les découvrait sous tous leurs déguisements, qu’ils prissent la forme -de Jupiter, ou celle de Mercure, ou celle de Vénus ou de Minerve. Un -jour le diable lui apparut sous la forme d’un roi, vêtu de pourpre, le -diadème au front, et tout couvert d’or et de pierreries, avec un visage -tranquille et souriant. Et il lui dit, après un long silence: «Martin, -reconnais celui que tu adores! Je suis le Christ! Et, étant descendu sur -la terre, c’est à toi, le premier, que j’ai voulu apparaître!» Et comme -Martin ne répondait toujours pas: «Martin, pourquoi hésites-tu à croire, -puisque tu me vois? Je suis le Christ!» Alors le grand saint répondit: -«Mon Seigneur Jésus, pour revenir sur la terre, ne se vêtirait point de -pourpre, et ne mettrait pas un diadème sur son front!» Sur quoi le démon -disparut, remplissant de puanteur la cellule du saint. - -Saint Martin connut et révéla longtemps d’avance le moment de sa mort. -Un jour qu’il s’était rendu dans le diocèse de Candes, pour y apaiser -une discorde, il sentit que les forces de son corps l’abandonnaient, et -annonça à ses disciples que son heure approchait. Alors, les disciples, -tout en larmes: «Père, pourquoi nous abandonnes-tu dans la désolation? -Car voici que les loups ravisseurs envahissent ton troupeau!» Alors, -touché de leurs larmes et de leurs prières, il pria ainsi: «Seigneur, si -je suis encore nécessaire à ton peuple, je ne refuse point de poursuivre -ma tâche; que ta volonté soit faite!» Mais il était fort en peine de -savoir ce qu’il préférait, ne pouvant se résigner, ni à abandonner son -troupeau, ni à retarder le moment de sa comparution devant le Christ. Et -comme il souffrait de la fièvre, et que ses disciples le priaient de -laisser mettre un peu de paille sur sa couche, il répondit: «Non, mes -enfants, un chrétien ne doit mourir que sur des cendres!» Il se tenait -étendu sur le dos, les yeux et les bras levés vers le ciel; et comme ses -prêtres l’engageaient à alléger la fatigue de son corps en se couchant -sur le côté: «Mes frères, laissez-moi regarder plutôt le ciel que la -terre!» Puis, voyant que le diable le regardait: «Que fais-tu là, -méchante bête? tu ne peux plus rien contre moi, car je vois déjà Abraham -qui m’ouvre les bras!» Et, ce disant, il rendit l’âme; et son visage -resplendit comme s’il était déjà revêtu de la gloire suprême; et les -assistants entendirent le chœur des anges l’accompagnant au ciel. Il -mourut à l’âge de quatre-vingt-un ans, vers l’an du Seigneur 395, sous -le règne des empereurs Honorius et Arcade. - -A ses obsèques se réunirent les habitants du Poitou et ceux de la -Touraine; et une grande altercation s’éleva entre eux. Les Poitevins -disaient: «Il est moine de chez nous, c’est à nous que revient son -corps!» Et les Tourangeaux: «Dieu vous l’a enlevé pour nous le donner!» -La nuit, pendant que les Poitevins dorment, les Tourangeaux s’emparent -du corps, le jettent, par la fenêtre, dans un bateau, et l’emportent, le -long de la Loire, jusqu’à la ville de Tours. - -II. Le matin de la mort du saint, saint Séverin, évêque de Cologne, -visitant son église à son ordinaire, entendit chanter les anges dans le -ciel. Il appela son archidiacre et lui demanda s’il n’entendait rien. Le -diacre eut beau tendre le col, dresser les oreilles, et se hausser sur -le bout des pieds en s’appuyant sur un bâton: il dut avouer qu’il -n’entendait rien. Cependant, l’évêque ayant prié pour lui, il commença à -entendre des voix dans le ciel. Et saint Séverin lui dit: «C’est mon -maître Martin qui vient de quitter le monde, et que les anges emportent -au ciel!» Et, en effet, l’archidiacre, quelques jours après, apprit qu’à -cette même heure saint Martin était mort. Et, quelques jours plus tard, -à Milan, saint Ambroise s’endormit au milieu de sa messe, entre la -prophétie et l’épître. Personne n’osant l’éveiller, deux ou trois heures -se passèrent ainsi. Enfin ses diacres se décidèrent à le tirer de son -sommeil, en lui disant que le peuple s’impatientait. Et lui: «Mon frère -Martin vient de mourir, et j’ai assisté à ses obsèques; mais, en -m’éveillant comme vous l’avez fait, vous m’avez empêché d’être présent -aux dernières réponses!» - -III. Maître Jean Beleth affirme que les rois de France ont coutume, dans -les batailles, de porter la chape de saint Martin. - -IV. Soixante-quatre ans après la mort du saint, saint Perpet, ayant bâti -en son honneur une grande église, voulut y transporter son corps. Mais -en vain son clergé et lui veillèrent et jeûnèrent pendant trois jours: -le cercueil ne se laissait point soulever. Et comme déjà ils allaient -renoncer, un beau vieillard leur apparut, qui leur dit: -«Qu’attendez-vous? Ne voyez-vous pas que Martin lui-même est prêt à vous -aider?» Puis il leur prêta un coup de main, et le cercueil fut soulevé -sans aucune difficulté. Cette translation eut lieu au mois de juillet. - -V. Il y avait alors, à Tours, deux compagnons, dont l’un était aveugle -et l’autre paralytique. L’aveugle portait le paralytique, et le -paralytique guidait l’aveugle; et, vivant ainsi, ils tiraient un gros -profit de la mendicité. Quand ils apprirent qu’on portait le corps de -saint Martin en procession à l’église nouvelle pour l’y déposer, ils -craignirent que la procession ne passât dans la rue où ils se tenaient, -et que saint Martin ne s’avisât de les guérir: car ils se disaient que, -guéris, ils perdraient leur gagne-pain. Ils imaginèrent donc de s’enfuir -de chez eux, et se réfugièrent dans une rue où, certainement, la -procession ne devait point passer. Et, pendant qu’ils fuyaient, ils -rencontrèrent le corps de saint Martin, qui les guérit tous les deux. -Tant il est vrai que Dieu accorde ses bienfaits à ceux-là même qui ne -les demandent pas! - - - - -CLXIV - -SAINT BRICE, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR - -(13 novembre) - - -Brice était diacre de saint Martin, et, suivant l’exemple de maints -autres, il ne se faisait pas faute de railler son vénérable évêque. Un -pauvre lui ayant un jour demandé où était Martin, Brice lui répondit: -«Si c’est ce fou que tu cherches, regarde, car le voici qui, comme un -insensé, considère le ciel!» Le pauvre alla donc trouver Martin, et -obtint de lui ce qu’il demandait. Après quoi le saint, appelant Brice, -lui dit: «Ainsi, Brice, je te fais l’effet d’être un fou?» Et comme le -diacre, honteux, voulait nier, Martin lui dit: «Ne voyais-tu pas que mon -oreille était tout près de ta bouche, tout à l’heure, quand tu parlais -de moi? Eh bien, écoute ce que je vais te dire! J’ai obtenu du Seigneur -de t’avoir pour successeur dans l’épiscopat; mais je dois t’avertir que -tu auras à traverser bien des épreuves!» Et Brice continuait de railler, -disant: «Me trompais-je en affirmant que ce vieillard était fou?» - -Or, à la mort de saint Martin, Brice fut élu évêque de Tours. Et, dès ce -moment, bien qu’il gardât encore son ancien orgueil, il s’adonna tout -entier à la prière. Quant à sa chasteté, jamais il ne l’avait entamée, -ni ne devait l’entamer. Cependant, la trentième année de son épiscopat, -une religieuse qui lui lavait ses vêtements, fut séduite et enfanta un -fils. Sur quoi le peuple s’amassa avec des pierres devant la porte de -l’évêque, disant: «Trop longtemps, par piété pour saint Martin, nous -avons fermé les yeux sur ta luxure; mais dorénavant nous renonçons à -baiser tes mains, souillées de vices!» Alors l’évêque, indigné: «Qu’on -m’amène ici l’enfant de cette femme!» Ainsi fut fait; et à cet enfant, -qui était âgé de trente jours, Brice dit: «Au nom du Fils de Dieu, je te -somme de dire si c’est moi qui t’ai engendré!» Et l’enfant: «Non, ce -n’est pas toi!» Mais le peuple ne voulut voir dans tout cela qu’un -artifice magique. Alors Brice, au vu de tous, prit dans son manteau des -charbons ardents, et les porta jusqu’au tombeau de saint Martin; puis il -rouvrit son manteau, et l’on vit que les charbons l’avaient laissé -intact. Et Brice dit: «De même que mon manteau est resté intact sous les -charbons ardents, de même mon corps est pur du commerce de la femme!» - -Mais le peuple continuait à ne pas le croire. Accablé d’outrages et -d’injures, chassé de son siège épiscopal, Brice se rendit auprès du pape -et y resta sept ans, faisant pénitence de ses péchés à l’égard de saint -Martin. Le peuple de Tours envoya à Rome Justinien, afin qu’il se -défendît, en présence de Brice, d’avoir accepté de se substituer à lui -dans l’épiscopat. Mais ce Justinien mourut en arrivant à Verceil; et le -peuple de Tours élut à sa place un certain Germain. Cependant Brice, -après sept années d’exil, reprit le chemin de Tours, avec l’autorisation -du pape; et comme il était arrivé déjà à un mille de Tours, il apprit -d’en haut que Germain venait de mourir. Ce qu’apprenant, Brice dit à ses -compagnons: «Levez-vous, car nous avons à ensevelir l’évêque de Tours!» -Et, en effet, pendant que Brice entrait par l’une des portes de la -ville, d’une autre porte sortaient les restes mortels de Germain. Et -saint Brice, après l’avoir enseveli, reprit possession de son siège, où, -pendant sept années encore, il donna l’exemple de toutes les vertus. Il -mourut en paix dans la quarante-huitième année de son épiscopat. - - - - -CLXV - -SAINTE ELISABETH, VEUVE[18] - -(20 novembre) - - [18] Ce chapitre, qui manque dans la plupart des manuscrits anciens, - n’est certainement pas de Jacques de Voragine. - - -1º Elisabeth, fille d’un illustre roi de Hongrie, anoblit encore par sa -foi et ses vertus la race très noble dont elle était sortie. Elevée, -pour ainsi dire, au-dessus de la nature humaine, toute petite encore -elle dédaignait les jeux enfantins, ne s’occupant qu’à avancer toujours -dans la vénération de Dieu. A cinq ans, elle avait tant de plaisir à -prier dans l’église que ses compagnes ou ses servantes ne parvenaient -pas à l’en faire sortir. Même en jouant, on la voyait toujours courir du -côté d’une chapelle, afin de pouvoir plus facilement y entrer. Et quand -elle y était entrée, elle fléchissait les genoux, ou s’étendait à plat -sur les dalles, ou, sans savoir lire, prenait en main un psautier, de -peur que quelqu’un ne vînt la déranger. Et dans ses jeux d’enfants, -c’était en Dieu qu’elle mettait toutes ses espérances. De tout ce -qu’elle gagnait ou qu’on lui donnait, elle réservait la dixième partie -pour des petites filles pauvres, à qui elle recommandait, en même temps, -de saluer souvent d’une prière la Vierge Marie. - -A mesure qu’elle grandissait en âge, elle grandissait plus encore en -dévotion. Elle s’était choisi pour patronne la sainte Vierge, et avait -prié saint Jean l’Evangéliste de se constituer le gardien de sa -chasteté. Pour saint Pierre, aussi, elle avait une telle dévotion -qu’elle ne refusait rien de ce qu’on lui demandait au nom de ce saint. - -Craignant que les succès du monde ne lui devinssent trop agréables, elle -s’ingéniait à s’en ôter toujours une partie. Quand elle gagnait à -quelque jeu, elle s’arrêtait de jouer en se disant: «Je renonce au reste -pour l’amour de Dieu!» Dans les danses, après avoir fait un tour avec -ses compagnes, elle leur disait: «Que cet unique tour nous suffise! -Renonçons aux autres pour l’amour de Dieu!» Le luxe dans les vêtements -lui était odieux. Elle s’était interdit, notamment, de mettre des gants, -le dimanche, avant l’heure de midi. Elle s’était imposé un nombre -déterminé de prières; et lorsque les servantes la mettaient au lit avant -qu’elle eût achevé de les réciter, elle se tenait éveillée pour aller -jusqu’au bout. Et toujours elle s’astreignait à tout cela par des vœux -solennels, de façon que personne, par persuasion, ne pût ensuite l’en -détourner. Quant aux offices religieux, elle les suivait avec tant de -révérence que, pendant la lecture de l’évangile et la consécration de -l’hostie, elle ôtait ses manchettes et se dépouillait de tous ses -ornements. - -Ainsi elle vécut, sagement et innocemment, toute sa vie de jeune fille, -jusqu’au jour où, sur l’ordre de son père, elle fut forcée d’entrer dans -la vie de mariage. Elle se soumit, bien contre son gré, à l’union -conjugale, non point pour y trouver du plaisir, mais pour ne point -paraître dédaigner les ordres de son père, comme aussi pour procréer des -fils au service de Dieu. Fidèle à la couche nuptiale, toujours elle -resta chaste d’intention. Et elle fit vœu devant maître Conrad, que, si -elle survivait à son mari, elle observerait une continence perpétuelle. -Elle épousa le landgrave de Thuringe; mais, tout en changeant de -condition de vie, elle ne changea point de disposition intérieure. -Jamais elle ne cessa de montrer sa dévotion et son humilité devant Dieu; -son austérité et son abstinence à l’égard de soi-même; sa largesse et sa -compassion envers les pauvres. Sa ferveur pour la prière était si grande -qu’elle devançait à l’église ses servantes même, comme si elle eût -voulu, par des prières secrètes, obtenir de Dieu quelque grâce spéciale. -La nuit, souvent elle se relevait pour prier, malgré la défense que, par -sollicitude pour sa santé, lui en faisait son mari. Elle s’était -entendue avec une de ses servantes pour que celle-ci, les nuits où elle -tarderait à se réveiller, la tirât de son sommeil en lui donnant un coup -sur les pieds. Et une nuit, la servante, au lieu de frapper sur les -pieds de sa maîtresse, frappa sur ceux du mari, qui, soudain réveillé, -comprit toute la chose, mais, sagement, feignit de ne s’être aperçu de -rien. Toujours aussi Elisabeth pleurait en priant; mais ces douces -larmes n’altéraient son visage que pour lui donner une expression d’une -joie céleste. - -Modèle d’humilité, elle s’attachait à ne pas dédaigner même les choses -les plus viles et les plus repoussantes. Ayant rencontré un mendiant -dont tout le visage n’était qu’une plaie ignoble et infecte, elle le -recueillit sur son sein, lui coupa les cheveux et lui lava la tête, en -présence de ses servantes qui se moquaient du pauvre homme. Aux -Rogations, elle suivait la procession pieds nus, en robe de laine; et, à -chaque station, on la voyait prendre place parmi les mendiantes. -Lorsqu’elle se rendait à l’église pour ses relevailles, jamais elle ne -s’ornait comme les autres femmes; mais, à l’exemple de la Vierge -immaculée, elle se rendait à l’autel en portant elle-même le nouveau-né -dans ses langes; et humblement elle offrait un agneau et un cierge. -Après quoi, rentrée au palais, elle donnait à une pauvre femme la robe -qui lui avait servi pour la cérémonie. C’est également par humilité que, -avec le consentement de son mari, et réserve faite des droits conjugaux, -elle prêta vœu d’obéissance à maître Conrad, le tenant pour son -supérieur en science et en religion. Et un jour, comme Conrad l’appelait -à une prédication, une visite survint qui l’empêcha d’obéir: ce dont le -savant homme fut si irrité qu’il refusa de lui pardonner sa -désobéissance jusqu’au moment où, l’ayant fait mettre en chemise, il -l’eût vu battre de verges en compagnie de celles de ses servantes qui -l’avaient encouragée à désobéir. - -Elle s’imposait une abstinence si rigoureuse qu’elle macérait son corps -par les veilles, les jeûnes et les disciplines. Dès que son mari était -absent, elle passait les nuits en prière. Et telle était sa tempérance -dans le boire et le manger que, souvent, à la table somptueuse de son -mari, elle se contentait de pain sec. Elle finit même par s’abstenir -tout à fait, sur l’ordre de maître Conrad, de toucher à aucun des mets -que mangeait son mari. Ce qui ne l’empêchait point de s’asseoir à table, -de servir les convives et de les égayer par son urbanité, tout en -cachant avec soin sa propre abstinence. Et son mari supportait tout cela -avec patience, affirmant qu’il suivrait lui-même volontiers l’exemple de -sa femme s’il ne craignait de mettre en émoi toute sa famille. - -Mais autant elle aimait les privations pour soi, autant elle était -généreuse pour les pauvres. Elle subvenait à leurs besoins avec tant de -largesse que tous l’appelaient la mère des pauvres. Elle habillait de -ses propres mains ceux qui étaient nus, elle ensevelissait les mendiants -et les pèlerins, elle présentait les enfants aux fonts baptismaux, après -leur avoir elle-même cousu leurs langes. Un jour, elle donna à une -mendiante une robe si belle que la pauvre femme, dans l’excès de sa -joie, s’évanouit et tomba inanimée. Ce que voyant, Elisabeth se repentit -amèrement; mais elle pria pour la morte, et aussitôt celle-ci se releva -guérie. Souvent aussi elle filait la laine avec ses servantes, et, de la -laine filée par elle, faisait faire des vêtements. Elle nourrissait les -affamés. Pendant que le landgrave son mari s’était rendu à la cour de -l’empereur Frédéric, qui était alors à Crémone, elle fit recueillir tout -le grain des granges royales et l’employa à nourrir, tous les jours, les -pauvres qu’elle convoqua de toutes parts. Quand l’argent lui manquait, -elle vendait ses ornements, ou ceux de ses servantes, pour en offrir le -produit aux pauvres. De la même façon, elle désaltérait ceux qui avaient -soif. Un jour qu’elle distribuait de la cervoise aux pauvres, on -s’aperçut que la liqueur ne diminuait pas dans le vase, malgré la grande -quantité qui s’en trouvait versée. Elle-même, encore, recevait les -pauvres et les pèlerins. Elle fit construire une grande maison au pied -du château, afin d’y recueillir les malades; et tous les jours, malgré -la difficulté des descentes et des montées, elle s’y rendait en -personne, prodiguant aux malades les cadeaux, les soins et les saintes -paroles. Dans la même maison elle faisait élever et nourrir des enfants -pauvres; et à ces enfants elle se montrait toujours si douce et si -humble que tous l’appelaient leur mère, et que, dès qu’elle entrait, ils -l’entouraient tous comme leur mère. Un jour qu’elle était allée acheter -pour eux de petits vases et de petits anneaux de verre, ainsi qu’une -foule d’autres jouets fragiles, elle laissa tomber sur les pierres -toutes ses emplettes; mais pas un seul des objets de verre ne se brisa. -En un mot, il n’y a pas une seule des sept œuvres de miséricorde qu’elle -ne remplît avec un zèle et une ferveur admirables. - -Une part d’éloges revient aussi au mari d’Elisabeth qui, malgré les -innombrables affaires temporelles qui l’occupaient, restait fidèle au -service de Dieu, et, faute de pouvoir se livrer lui-même aux œuvres de -miséricorde, laissait du moins à sa femme toute liberté de s’y livrer. -C’est pour répondre au vœu de sa femme qu’il partit pour la croisade, de -façon à employer ses armes pour la défense de la foi. Et pendant qu’il -était en Terre Sainte, ce pieux et bon prince rendit son âme au -Seigneur. Aussitôt Elisabeth embrassa avec ardeur l’état de veuve, -renouvelant le vœu de chasteté qu’elle avait fait jadis en prévision -d’un veuvage possible. - -Cependant, quand la mort de son mari fut connue en Thuringe, des parents -du landgrave la chassèrent de son château comme dissipatrice et -prodigue. Et elle dut se réfugier, à la nuit tombante, dans une étable à -porcs, qui dépendait de la maison d’un cabaretier. Et, le lendemain -matin, s’étant rendue au couvent des Frères Mineurs, elle pria ceux-ci -de chanter le _Te Deum laudamus_, pour remercier Dieu des épreuves qu’Il -lui envoyait. On lui enjoignit alors d’aller demeurer avec ses enfants -dans la maison d’un de ses ennemis, où on lui avait assigné pour -domicile un endroit des plus restreints. Fort mal reçue par l’hôte et -l’hôtesse, elle ne tarda point à repartir, après avoir dit adieu aux -murs de sa chambre en ajoutant: «J’eusse préféré dire adieu aux hommes à -qui appartiennent ces murs, s’ils m’avaient traitée avec plus de bonté!» -Après quoi elle revint à sa première retraite, confiant ses enfants à -diverses personnes. Et comme, un jour, marchant dans un sentier d’une -boue profonde, elle posait les pieds sur des pierres, une vieille femme -qu’elle avait comblée de bienfaits voulut marcher sur les mêmes pierres, -et refusa de lui livrer passage: si bien que la sainte tomba. Mais, -s’étant relevée, elle fut tout heureuse d’avoir à secouer la boue dont -elle était couverte. - -Quelque temps après, une abbesse, sa marraine, prenant en pitié son -extrême misère, la conduisit auprès de son oncle l’évêque de Bamberg, -qui la reçut fort bien, mais la retint chez lui avec l’intention de la -marier en secondes noces. Ce qu’apprenant, les servantes qui -l’accompagnaient fondirent en larmes; mais la sainte les réconforta en -disant: «J’ai confiance dans le Seigneur, pour l’amour duquel j’ai fait -vœu de chasteté. Il saura bien m’encourager dans ma résolution, éloigner -de moi toute violence, et dissoudre les mauvais projets des hommes. Ou -que si mon oncle, malgré mes refus, s’obstinait à vouloir me remarier, -j’aurais toujours la ressource de me couper le nez de mes propres mains, -ce qui suffirait bien pour que personne ne s’avisât plus de me prendre -pour femme!» Et, en effet, comme son oncle l’avait fait conduire dans un -château d’où il lui défendait de sortir, voici que, sur l’ordre de Dieu, -les restes de son mari furent ramenés de Terre Sainte. Et force fut à -l’évêque de la laisser partir, pour aller à la rencontre de ces chères -reliques. - -Alors Elisabeth revêtit l’habit religieux, et, se vouant à la pauvreté, -forma le projet d’aller mendier de porte en porte; mais maître Conrad le -lui défendit. Elle ne porta plus désormais qu’un humble manteau gris; et -comme les manches de sa tunique s’étaient déchirées, elle les rapiéça -avec une étoffe d’une autre couleur. Ce qu’apprenant, son père, le roi -de Hongrie, lui envoya un de ses officiers, pour qu’il la ramenât dans -sa patrie. Et l’officier, la voyant ainsi vêtue et assise à son rouet -avec des servantes, fut rempli à la fois de honte et de respect. Et il -s’écria que jamais encore fille de roi n’avait porté une robe si -grossière. Mais en vain il insista pour la ramener en Hongrie. La sainte -préféra rester, pauvre, parmi ses pauvres. - -Pour achever de faire disparaître tout obstacle entre Dieu et elle, elle -pria Dieu d’arracher même de son cœur la tendresse qu’elle avait pour -ses enfants. Et une voix d’en haut lui répondit que sa prière était -exaucée. Sur quoi elle dit à ses compagnes: «Le Seigneur a entendu ma -voix, car non seulement tous les biens temporels m’apparaissent comme du -fumier, mais voici que de mes fils même je ne me soucie plus que dans la -mesure où je me soucie du reste des hommes!» De son côté, maître Conrad, -pour l’éprouver et la mortifier, la séparait des personnes qu’elle -aimait le mieux. C’est ainsi qu’il lui enjoignit de ne plus voir deux -servantes qu’elle connaissait depuis l’enfance, et qu’elle aimait plus -que toutes les autres. Et la sainte obéit, après bien des larmes versées -de part et d’autre. Elle était prompte à l’obéissance. Un jour qu’elle -était entrée dans un couvent de religieuses sans en avoir obtenu -l’autorisation de maître Conrad, celui-ci la fit battre si durement, -que, trois semaines après, son corps conservait les traces des coups. - -Dans son humilité, elle n’admettait point que ses servantes lui -donnassent le nom de maîtresse, ni lui parlassent autrement qu’on parle -à un inférieur. Elle lavait elle-même tous les ustensiles de cuisine, -s’ingéniant à les cacher afin que ses servantes ne pussent les laver -pour elle. Et elle leur disait que, si elle avait pu connaître une -manière de vivre plus méprisable encore, c’est avec joie qu’elle -l’aurait adoptée. - -Ces humbles tâches ne l’empêchaient point de se livrer assidûment à la -contemplation; et souvent elle avait des visions célestes. Souvent aussi -sa prière était si fervente qu’elle enflammait d’autres personnes. -Appelant un jour à elle un jeune homme luxueusement vêtu, elle lui dit: -«Tu parais avoir une vie bien dissolue, tandis que tu devrais t’occuper -de servir ton créateur. Veux-tu que je prie Dieu pour toi?» Et lui: «Je -le veux, et je t’en supplie vivement!» Elle se mit donc en prière et le -jeune homme pria avec elle. Trois fois le jeune homme lui demanda de -cesser de prier, car il se sentait envahi d’une flamme qui le consumait. -Mais elle pria jusqu’au bout; et, quand elle eut fini, le jeune homme, -illuminé de la grâce divine, revint à lui, et entra aussitôt dans -l’ordre des Frères Mineurs. - -Son nouveau genre de vie, au reste, ne la refroidit point dans son zèle -pour les œuvres de miséricorde. Ayant reçu en dot une somme de deux -mille marcs, elle en distribua une partie aux pauvres, et, avec le -reste, fit construire à Marbourg un grand hôpital. Aussi tous -l’accusaient-ils de dissipation et de prodigalité. Couramment on la -traitait de folle; et, comme elle recevait avec joie toutes les injures, -on lui disait que, pour montrer tant de joie, elle avait bien vite -oublié le souvenir de son mari. - -Et elle, après avoir construit son hôpital, ne pensa plus qu’à devenir -l’humble servante des pauvres. Elle-même les baignait, les couvrait dans -leur lit, et disait en souriant à ses compagnes: «Que Dieu est bon de -nous permettre ainsi de le baigner et de le couvrir!» Une nuit, ayant à -soigner un enfant borgne et rempli de vermine, elle le porta sept fois -de suite aux latrines, et lava ses linges affreusement souillés. Une -autre fois, elle lava et mit au lit une femme atteinte d’une lèpre -hideuse; elle essuya et banda ses ulcères, coupa ses ongles et, -agenouillée devant elle, la déchaussa pour oindre les plaies de ses -pieds. Et lorsque le soin des pauvres lui laissait quelques instants, -elle filait de la laine qu’on lui envoyait d’un monastère; après quoi -elle distribuait aux pauvres l’argent ainsi gagné. S’occupant elle-même -d’administrer la répartition de ses dons, elle décréta un jour que toute -femme qui viendrait la solliciter sans un besoin réel serait punie de la -perte de ses cheveux. Or voilà qu’une jeune fille nommée Radegonde, et -qui avait une chevelure d’une beauté merveilleuse, vint à l’hôpital de -sainte Elisabeth en solliciteuse, non pas en vérité pour recevoir -l’aumône, mais pour voir sa sœur qui était malade. Ayant ainsi -contrevenu à la loi, elle fut aussitôt condamnée à perdre ses cheveux: -ce dont elle ne se fit pas faute de pleurer et de se lamenter. Et comme -quelques-uns des assistants affirmaient qu’elle était innocente, -Elisabeth dit: «En tout cas, n’ayant plus ses cheveux, elle mettra moins -d’ardeur à la danse, et fera voir moins de vanité!» Interrogeant ensuite -la jeune fille, elle apprit que celle-ci serait depuis longtemps déjà -entrée dans un couvent si elle n’en avait été empêchée par son amour -passionné pour sa chevelure. Sur quoi Elisabeth lui dit: «Je suis plus -heureuse de t’avoir fait couper tes cheveux que je ne le serais -d’apprendre l’élection de mon fils à l’empire!» Aussitôt la jeune fille -prit l’habit religieux, et vint demeurer à l’hôpital avec sainte -Elisabeth. - -Une pauvre femme ayant mis au monde une fille, sainte Elisabeth tint -l’enfant sur les fonts baptismaux, l’appela de son nom, lui donna les -manches de fourrure d’une de ses suivantes, pour lui servir de -couverture, et donna à la mère ses propres sandales. Mais, trois -semaines après, la femme, abandonnant son enfant, s’enfuit avec son -mari. Sainte Elisabeth, dès qu’elle l’apprit, se mit en prière; et -aussitôt la femme et le mari, empêchés d’avancer dans leur fuite, durent -revenir sur leurs pas, et se jeter au pieds de sainte Elisabeth. Et -celle-ci, après les avoir grondés justement de leur ingratitude, leur -rendit l’enfant à nourrir et les pourvut du nécessaire. - -Ainsi approcha le temps où le Seigneur s’apprêta à rappeler à lui sa -chère servante, pour l’admettre à la contemplation du royaume des anges. -Alitée avec la fièvre, et la face tournée contre le mur, les assistantes -entendirent une douce mélodie sortir de ses lèvres. Et comme une de ses -compagnes l’interrogeait, elle répondit: «Un petit oiseau, s’étant posé -entre moi et le mur, chantait, avec tant de douceur, que je n’ai pu -m’empêcher de chanter avec lui.» Jusqu’aux plus cruels moments de sa -maladie, jamais elle ne perdit sa gaîté, et jamais elle ne se relâcha de -prier. La veille de sa mort, elle dit: «Voici qu’approche minuit, -l’heure où le Christ a voulu naître et reposer dans une étable!» Et -lorsque déjà l’heure de sa mort fut toute proche, elle dit: «Voici venir -l’instant où Dieu a appelé ses amis aux noces célestes!» Et elle -s’endormit dans le Seigneur, en l’an de grâce 1226. - -Pendant les quatre jours qui précédèrent son inhumation, aucune mauvaise -odeur ne se dégagea de son corps, mais, au contraire, un parfum s’en -exhala qui réconfortait tous les cœurs. Et, le jour de ses obsèques, on -vit sur l’église une foule d’oiseaux que personne jamais n’avait vus -auparavant, et qui paraissaient célébrer les funérailles de la sainte, -tant leurs chants étaient doux, mesurés et savants. Et il y eut là une -abondante clameur des pauvres, une extrême piété du peuple. Les uns -s’arrachaient les cheveux de désespoir, d’autres s’efforçaient de -dérober une parcelle du linceul de la sainte, afin de la garder comme la -plus belle relique. Et l’on découvrit, peu de temps après, que le -monument où l’on avait déposé le corps de sainte Elisabeth s’était -miraculeusement rempli d’une huile parfumée. - - - - -CLXVI - -SAINTE CÉCILE, VIERGE ET MARTYRE - -(22 novembre) - - -Cécile, jeune fille romaine, de race noble, et nourrie dès le berceau -dans la foi du Christ, portait toujours un évangile caché dans sa -poitrine, priait nuit et jour, et demandait au Seigneur de lui conserver -sa virginité. Elle fut cependant fiancée à un jeune homme nommé -Valérien. Le jour de ses noces, elle revêtit ses chairs d’un cilice, -par-dessous les robes dorées; et, pendant que les orgues jouaient, elle, -s’adressant à Dieu seul, chantait: «Permets, Seigneur, que mon cœur et -mon corps restent immaculés!» Vint enfin la nuit, et Cécile se trouva -seule avec son fiancé dans le silence de sa chambre. Et elle lui dit: -«Doux jeune homme bien-aimé, j’ai un mystère à te révéler, à la -condition seulement que tu me jures de ne point me trahir!» Puis, -Valérien le lui ayant juré, elle lui dit: «Sache donc que j’ai pour -amant un ange de Dieu, et que mon amant est jaloux de mon corps. S’il -apprenait que, même légèrement, tu m’aies touché d’un amour impur, -aussitôt il te frapperait et te ferait perdre la fleur de ta belle -jeunesse. Mais si, au contraire, il apprend que tu m’aimes d’un amour -pur, il t’aimera autant que moi et te montrera sa gloire!» Alors -Valérien, inspiré de Dieu, dit: «Si tu veux que je te croie, fais-moi -voir cet amant! Et si c’est en vérité un ange, je ferai ce que tu me -demandes. Mais si ton amant est un homme, je le tuerai avec toi!» Et -Cécile: «Pour que tu voies mon amant, il faut que tu croies dans le vrai -Dieu, et que tu promettes de te faire baptiser. Va à trois milles d’ici, -dans la voie Apienne! Tu y trouveras des pauvres, à qui tu diras que -Cécile t’envoie vers eux pour qu’ils te conduisent auprès du saint -vieillard Urbain. Et quand tu seras en présence de ce vieillard, -répète-lui mes paroles! Il te purifiera; et, à ton retour ici, tu verras -l’ange!» Valérien se mit en route, et alla trouver l’évêque saint -Urbain, qui se cachait parmi les tombeaux des martyrs. Et quand il lui -eut répété les paroles de Cécile, le vieillard, levant les mains au -ciel, s’écria: «Seigneur Jésus-Christ, bon pasteur, recueille le fruit -de la semence que tu as semée en Cécile! Car voici que, ayant reçu pour -mari un lion farouche, ta servante te l’as envoyé comme un doux agneau!» -Aussitôt apparut un vieillard tout vêtu de blanc, qui tenait un livre -écrit en lettres d’or. A sa vue, Valérien, épouvanté, se jeta sur le -sol; mais le vieillard le releva et lut dans son livre: «Un seul Dieu, -une seule foi, un seul baptême!» Puis il dit à Valérien: «Crois-tu à -tout cela, ou bien doutes-tu encore?» Et Valérien de s’écrier: «Il n’y a -rien sous le ciel à quoi je croie davantage!» Aussitôt le vieillard -disparut. Valérien reçut le baptême des mains de saint Urbain; et, quand -il revint auprès de Cécile, il la trouva s’entretenant avec un ange, -dans sa chambre. Et cet ange tenait en main deux couronnes de roses et -de lis, dont il donna l’une à Cécile et l’autre à Valérien, en disant: -«Gardez ces couronnes avec un cœur pur et un corps immaculé, car je vous -les ai apportées du paradis de Dieu! Jamais elles ne se faneront ni ne -perdront leur parfum; mais ceux-là seuls pourront les voir qui aimeront -la chasteté. Quant à toi, Valérien, puisque tu as suivi le sage conseil -de Cécile, demande ce que tu veux, et tu l’obtiendras!» Et Valérien: «Il -n’y a rien dans cette vie qui ne me soit plus précieux que l’affection -de mon frère unique. Je désirerais donc, que comme moi, il reconnût la -vérité!» Et l’ange: «Ta demande plaît à Dieu. Sache que tous deux, ton -frère et toi, vous irez au Seigneur avec la palme du martyre!» - -Là-dessus entra dans la chambre le frère de Valérien, Tiburce. Et, -frappé du parfum des fleurs, il dit: «Je me demande d’où peut venir, en -cette saison, ce parfum de roses et de lis. Sans compter que, si même -j’avais les mains pleines de ces fleurs, je ne me sentirais pas imprégné -de leur parfum aussi profondément!» Et Valérien: «C’est que nous avons -des couronnes faites de ces fleurs, et dont l’éclat n’est pas moins -merveilleux que le parfum. Mais tes yeux ne peuvent les voir; ils le -pourront, seulement, si tu consens à partager notre foi.» Et Tiburce: -«Est-ce que je rêve, ou bien me parles-tu vraiment?» Et Valérien: «C’est -jusqu’à présent que nous avons rêvé; et désormais nous nous sommes -éveillés à la vérité.» Et Tiburce: «Comment sais-tu cela?» Et Valérien: -«C’est un ange qui me l’a appris; et tu pourrais le voir, comme nous, -si, après avoir renoncé aux idoles, tu te faisais purifier.» Après quoi -Cécile lui démontra avec tant d’évidence l’inanité des idoles, que -Tiburce s’écria: «Celui qui ne croit pas à cela est une bête brute!» -Alors Cécile, lui baisant la poitrine, dit: «Je reconnais en toi mon -frère, et c’est Dieu qui a fait de toi mon frère, comme de ton frère il -a fait mon mari. Va donc avec Valérien pour te faire purifier, afin qu’à -ton retour tu puisses contempler le visage de l’ange!» Et elle demanda à -Valérien de conduire son frère auprès de l’évêque Urbain. Alors Tiburce: -«Serait-ce le même Urbain qui se cache quelque part, après avoir été -tant de fois condamné? Mais, si on le découvre, on le brûlera, et nous -serons brûlés avec lui; et, pendant que nous chercherons au ciel une -divinité cachée, nous trouverons sur la terre les angoisses du -supplice!» Et Cécile: «Si la vie d’ici-bas était notre seule vie, nous -aurions raison de redouter de la perdre. Mais il y a une autre vie, -meilleure, et qui ne se perdra point. C’est celle que nous a annoncée le -Fils de Dieu.» Puis elle lui raconta l’avènement du Christ et sa -passion. Si bien que Tiburce dit à son frère: «Par pitié, conduis-moi -vite vers cet homme de Dieu, pour que je reçoive ma purification!» Et -dès qu’il fut baptisé, il put, lui aussi, voir l’ange, et obtenir de lui -ce qu’il désirait. - -Ainsi convertis, Valérien et Tiburce passaient leur temps à distribuer -des aumônes et à ensevelir les corps des martyrs. Ce qu’apprenant, le -préfet Almaque leur demanda pourquoi ils ensevelissaient des hommes -justement condamnés pour leurs crimes. Et Tiburce: «Plût à Dieu que nous -fussions dignes d’être les esclaves de ceux que tu appelles des -criminels! Car ils ont su dédaigner ce qui paraît exister et n’existe -pas; et ils ont trouvé ce qui paraît ne pas exister et qui existe!» Et -Almaque: «De quoi parles-tu là?» Et Tiburce: «Ce qui paraît exister et -qui n’existe pas, c’est tout ce qui est dans ce monde; et c’est cela qui -conduit l’homme, lui aussi, à ne pas exister. Et ce qui paraît ne pas -exister et qui existe, c’est le salut des justes.» Le préfet lui -répondit qu’il déraisonnait. Puis, s’adressant à Valérien: «Puisque ton -frère a le cerveau dérangé, toi, du moins, essaie de me répondre -raisonnablement! Dis-moi ce qui vous porte à dédaigner les plaisirs de -la vie et à rechercher les souffrances.» Valérien répondit que, l’hiver, -il avait vu des oisifs se moquant du pénible travail des laboureurs; -mais, l’été venu, et la saison des moissons, ceux-là se réjouissaient -dont on s’était moqué, tandis que les railleurs se mettaient à pleurer. -«Et de même, nous aussi, nous supportons la fatigue et les injures; mais -plus tard nous recevrons la gloire et la récompense éternelles. Et vous, -qui éprouvez ici-bas une joie partagée, vous trouverez dans l’avenir le -deuil éternel!» Et le préfet: «Ainsi nous, princes glorieux, nous -n’aurions à attendre qu’un deuil éternel, tandis que vous, misérables, -vous posséderiez une joie sans fin?» Et Valérien: «Vous n’êtes que de -pauvres hommes, et non pas des princes. Nés comme nous, vous aurez -seulement à rendre à Dieu des comptes plus forts.» Alors le préfet: «A -quoi bon tous ces bavardages? Sacrifiez aux dieux, et vous vous en irez -librement!» Et comme les deux saints se refusaient à sacrifier, le -préfet les confia à la garde de Maxime, qui allait, lui aussi, devenir -un saint. Et Maxime leur dit: «O fleur pourprée de la jeunesse, ô couple -charmant et tendre, d’où vient que vous couriez ainsi à la mort comme à -un festin?» Valérien lui répondit que, s’il voulait partager leur foi, -il pourrait, après leur mort, contempler la gloire de leurs âmes. Et -Maxime: «Je veux que la foudre m’anéantisse, si, quand j’aurai vu ce que -vous me promettez, je ne proclame pas que votre Dieu est le seul vrai -Dieu!» Sur quoi Maxime et toute sa famille et tous les gardiens se -convertirent, et reçurent le baptême des mains d’Urbain, qui vint en -secret dans la prison. - -Le lendemain, à l’aurore, Cécile s’écria: «Allez, soldats du Christ, -rejetez l’œuvre des ténèbres, et revêtez les armes de lumière!» On -conduisit les martyrs à quatre milles de Rome, devant une statue de -Jupiter. Et comme ils se refusaient à sacrifier, ils eurent la tête -tranchée. Et Maxime affirma sous serment qu’il avait vu des anges -briller autour d’eux et emporter leurs âmes vers le ciel, pareilles à -des vierges qu’on porte dans leur lit. Ce qu’entendant, Almaque ordonna -que Maxime fût frappé de verges plombées jusqu’à ce que mort s’ensuivît. -Cécile recueillit son corps et l’ensevelit à côté de ceux des deux -saints. - -Après cela, Almaque s’enquit des biens laissés par ceux-ci. Et, -découvrant que la femme de Valérien était chrétienne, il lui ordonna de -sacrifier aux idoles, sous peine de mort. Les soldats qui la -conduisaient l’engageaient à se soumettre, désolés de voir une jeune -femme si belle et si noble se livrer à la mort. Et elle leur dit: «Chers -amis, ce n’est point là perdre sa jeunesse, mais faire un échange; c’est -donner de la boue et recevoir de l’or, c’est donner une cabane et -recevoir un palais. Si quelqu’un vous offrait une livre pour un sou, ne -vous hâteriez-vous pas d’accepter son offre? Or Dieu rend au centuple -tout ce qu’on lui donne. Croyez-vous à tout ce que je vous dis?» Et eux: -«Nous croyons que ton maître le Christ est le vrai Dieu, puisqu’il -possède une servante telle que toi!» Et l’évêque Urbain les baptisa, au -nombre de plus de quatre cents. - -Puis Cécile comparut devant Almaque et répondit à ses questions en -proclamant sa foi. Alors Almaque: «Laisse maintenant tes folies, et -sacrifie aux dieux!» Et Cécile: «C’est toi qui me parais atteint de -folie: car, là où tu vois des dieux, nous ne voyons que des pierres. -Etends la main, et constate du moins par le toucher ce que tes yeux ne -parviennent pas à voir!» Almaque, furieux, la fit ramener dans sa -maison, où, jour et nuit, il ordonna qu’elle fût plongée dans un bain -d’eau bouillante. Mais elle y resta comme en un lieu frais, et sans que -même une goutte de sueur parût sur elle. Ce qu’apprenant, Almaque -ordonna qu’elle eût la tête tranchée dans son bain. Le bourreau la -frappa de trois coups de hache; et comme elle vivait toujours, et que la -loi défendait de frapper les condamnés de plus de trois coups, la sainte -fut laissée encore respirante. Elle survécut trois jours à son supplice. -Elle distribua aux pauvres tous ses biens, et recommanda à l’évêque -Urbain tous les fidèles qu’elle avait convertis, en disant: «J’ai -demandé au ciel ces trois jours de délai pour te faire une dernière fois -mes recommandations, et pour te prier de consacrer une église sur -l’emplacement de cette maison où je meurs.» Puis elle rendit l’âme, et -saint Urbain, après l’avoir ensevelie, transforma sa maison en église, -comme elle l’avait demandé. Elle mourut à l’âge de vingt-trois ans, en -l’an du Seigneur 200, sous l’empereur Alexandre. Mais d’autres -historiens veulent que son martyre ait eu lieu vingt ans plus tard, sous -le règne de Marc-Aurèle. - - - - -CLXVII - -SAINT CLÉMENT, PAPE ET MARTYR - -(23 novembre) - - -I. L’évêque Clément était romain et de famille noble. Son père -s’appelait Faustinien, sa mère Macidienne; il avait deux frères, dont -l’un s’appelait Faust, l’autre Faustin. Or Macidienne était si belle que -le frère de son mari se prit pour elle d’un amour passionné. Et comme il -la pressait vivement, et qu’elle ne voulait ni se livrer ni le dénoncer, -de peur de susciter l’inimitié entre les deux frères, elle forma le -projet de s’éloigner de Rome pour quelque temps, de façon que son -absence éteignît l’amour coupable qu’enflammait sa présence. Pour -obtenir de son mari le consentement de son départ, elle imagina de lui -raconter qu’une voix lui avait dit, en rêve, de quitter Rome aussitôt, -avec ses deux jumeaux Faust et Faustin, faute de quoi ils périraient -tous. Le mari, épouvanté, envoya sa femme et ses deux enfants à Athènes, -gardant près lui, pour le consoler, son plus jeune fils Clément, âgé de -cinq ans. Et le bateau qui portait Macidienne fit naufrage, durant la -nuit. Macidienne, rejetée par les flots, se réfugia sur un rocher, d’où -elle se serait certainement précipitée à la mer, dans l’excès de sa -douleur, si elle n’avait pas conservé du moins l’espoir de retrouver les -cadavres de ses fils, qu’elle croyait noyés. En vain des femmes, qui -demeuraient dans ces régions, s’efforçaient de la consoler en lui -racontant leurs propres infortunes. Une de ces femmes, cependant, finit -par la décider à demeurer chez elle, en lui disant qu’elle avait, -elle-même, perdu dans un naufrage son mari, encore tout jeune, et que -jamais elle n’avait consenti à se remarier. Mais bientôt Macidienne -sentit faiblir ses mains, que, dans son désespoir, elle avait longtemps -déchirées avec ses dents. Et comme la femme qui l’avait recueillie était -tombée malade et ne pouvait plus se lever, la mère de Clément se trouva -contrainte de mendier pour avoir de quoi se nourrir ainsi que son -hôtesse. - -Un an après son départ de Rome, son mari envoya des serviteurs à Athènes -pour s’informer de ce qu’étaient devenus sa femme et ses fils. Les -envoyés ne revinrent pas. D’autres serviteurs, qu’il envoya ensuite, -revinrent, mais pour annoncer qu’ils n’avaient pu découvrir aucune trace -de Macidienne et de ses enfants. Alors Faustinien, laissant Clément à la -garde de tuteurs, partit lui-même pour Athènes; et il ne revint pas. -Ainsi Clément se trouva orphelin, sans aucune nouvelle de ses parents ni -de ses frères. - -Il s’adonna tout entier à l’étude, et atteignit jusqu’aux plus profonds -secrets de la philosophie. Il désirait surtout se renseigner sur -l’immortalité de l’âme; et lorsqu’un des maîtres qu’il consultait lui -affirmait que son âme était immortelle, il en éprouvait une grande joie; -mais lorsqu’un autre philosophe lui disait que l’âme était mortelle, il -recommençait à se désoler. En ce temps-là vint à Rome saint Barnabé, -pour prêcher la doctrine du Christ; et tous les philosophes le -raillaient comme un insensé. Clément, qui d’abord le raillait de même -que ses confrères, lui posa un jour, par moquerie, la question suivante: -«D’où vient que le moucheron, qui est tout petit, possède six pattes et -des ailes, tandis que l’éléphant, qui est énorme, ne possède point -d’ailes et seulement quatre pattes?» Alors Barnabé: «Malheureux, je ne -serais pas en peine de répondre à ta question, si tu me la posais -seulement par amour de la vérité. Mais c’est chose absurde, en ce -moment, de rien vous dire au sujet des créatures, puisque vous ne voulez -pas connaître l’auteur de toutes les créatures! Ignorant le Créateur, ce -n’est que justice que vous erriez sur les créatures!» Et ces paroles -s’enfoncèrent si profondément dans le cœur du jeune philosophe, qu’il -s’attacha à Barnabé et s’instruisit près de lui dans la foi du Christ. -Après quoi il se rendit en Judée auprès de saint Pierre qui acheva de -l’instruire, et lui démontra avec évidence l’immortalité de l’âme. - -En ce temps-là, deux disciples de Simon le Magicien, Aquila et Nicétas, -reconnaissant les mensonges de leur maître, rejoignirent saint Pierre et -devinrent ses disciples. Et un jour que Pierre s’était rendu avec ses -disciples dans l’île où demeurait Macidienne, la mère de Clément, ils -aperçurent, sur le seuil d’un temple, qui était la principale curiosité -de cette île, une femme qui mendiait. Ils lui reprochèrent de ne pas se -servir de ses mains pour gagner sa vie en travaillant. Et la femme: -«Seigneur, je n’ai en vérité que les apparences de mes mains, car j’ai -tout à fait perdu la force de m’en servir; et je regrette de n’avoir -point jadis suivi mon instinct qui me poussait à me précipiter dans la -mer, plutôt que de poursuivre une vie misérable.» Et Pierre: «Que dis-tu -là? Ignores-tu donc que les âmes de ceux qui se tuent sont sévèrement -punies?» Et elle: «Ah, si j’avais la certitude que les âmes vivent après -la mort, je me tuerais aussitôt avec joie, pour pouvoir au moins un -instant revoir mes deux fils chéris!» Et comme Pierre lui demandait la -cause d’un tel désespoir, elle lui raconta toutes ses aventures. Et -Pierre: «J’ai un disciple nommé Clément qui m’a raconté une histoire -toute pareille à la tienne, touchant sa mère et ses frères!» Ce -qu’entendant, la femme s’évanouit de stupeur. Puis elle dit, revenant à -elle: «C’est moi qui suis la mère de ce jeune homme!» Et, se jetant aux -pieds de saint Pierre, elle le supplia de la conduire de suite en -présence de son fils. Et Pierre: «Ton fils est ici, dans notre bateau; -mais quand tu le verras, efforce-toi de ne rien dire jusqu’à ce que nous -ayons quitté le rivage de l’île!» Et quand Clément vit revenir saint -Pierre tenant par la main une vieille femme, il ne put s’empêcher -d’abord de rire de ce spectacle. Mais bientôt Macidienne, assise près de -son fils, ne put se contenir davantage et se jeta dans ses bras. Et lui, -la croyant folle, la repoussait avec indignation. Alors Pierre: «Que -fais-tu, mon fils Clément? Ne repousse point ta mère!» Et Clément -reconnut sa mère, et tout en larmes, la couvrit de baisers. Saint Pierre -se fit ensuite conduire chez la vieille hôtesse de Macidienne, qui -gisait paralysée; aussitôt il la guérit. Puis Macidienne interrogea -Clément sur son son père. Et lui: «Il s’est mis en route pour te -chercher et n’est jamais revenu!» En réponse, Macidienne soupira; mais -la grande joie d’avoir retrouvé son fils la consolait presque de tous -ses chagrins. - -Survinrent alors Nicétas et Aquila. Et comme ils demandaient quelle -était la femme qu’ils voyaient, Clément leur dit: «C’est ma mère, que -Dieu m’a rendue par l’entremise de Pierre!» Pierre leur raconta alors -toute l’histoire. Et aussitôt Nicétas et Aquila se levèrent tout -troublés. Et ils dirent: «Dieu puissant, rêvons-nous ou cela est-il -réel?» Et, reconnaissant la réalité de ce qu’ils voyaient et -entendaient, ils s’écrièrent: «C’est nous qui sommes ce Faust et ce -Faustin, que notre mère croit noyés!» Et ils se jetèrent au cou de -Macidienne, grandement surprise. Et celle-ci, dès qu’elle reconnut ses -deux fils, faillit mourir de joie. Puis, revenant à elle: «De grâce, mes -chers enfants, racontez-moi comment vous êtes encore en vie?» Et eux: -«Après le naufrage, comme nous naviguions sur une planche, des pirates -nous trouvèrent, qui nous emmenèrent, et finirent par nous vendre à une -honnête veuve nommée Justine. Cette femme nous traita comme ses fils, et -nous instruisit dans les arts libéraux. Nous nous attachâmes ensuite à -l’un de nos condisciples, Simon le Magicien. Mais ayant reconnu sa -fausseté, nous l’abandonnâmes, et, par l’entremise de Zachée, nous -devînmes disciples de Pierre.» - -Le jour suivant, saint Pierre se retira, pour prier, dans un lieu -écarté, en compagnie de ses trois disciples. Là, un pauvre vieillard -d’aspect vénérable les aborda, et leur dit: «J’ai pitié de vous, mes -frères, en voyant à quelles erreurs vous entraîne votre piété! Car il -n’existe ni Dieu, ni Providence, mais tout se trouve engendré par le -simple hasard, ainsi que je l’ai constaté clairement par mon propre -exemple.» Et Clément, considérant ce vieillard, se sentait troublé, et -avait l’impression de l’avoir déjà vu quelque part ailleurs. Sur l’ordre -de Pierre, les trois disciples discutèrent longtemps avec l’inconnu pour -lui démontrer la réalité de la Providence. Et comme, à plusieurs -reprises, par respect pour son âge, ils l’avaient appelé «père», Aquila -dit tout à coup: «Pourquoi donnons-nous à cet homme un titre que nous -n’avons le droit de donner à personne sur terre?» Puis, se tournant vers -le vieillard, il lui dit: «Mon père, ne te fâche point de ce que je -viens de dire, car notre loi nous défend de donner le nom de père à -aucun être humain!» Là-dessus, tous les assistants se mirent à rire. Et -comme Aquila en demandait le motif, Clément lui dit: «Ne vois-tu pas que -tu fais toi-même ce que tu nous reproches, et que tu dis «père» à ce -vieillard?» Mais Aquila affirma qu’il ne se souvenait plus d’avoir -employé ce mot. Et quand le débat sur la Providence fut épuisé, le -vieillard dit: «Je serais tout prêt à admettre la réalité d’une -Providence, si je n’avais eu dans ma vie la preuve manifeste du hasard -aveugle qui dirige les choses. Sachez donc que ma femme, née sous la -constellation de Vénus et de Saturne, se trouvait par là prédestinée à -commettre l’adultère, à s’éprendre d’un esclave et à être noyée. Or, -c’est ce qui lui est arrivé. S’étant éprise d’un esclave, et craignant -le danger et la honte, elle s’est enfuie avec lui et a péri en mer. Et -mon frère m’a raconté qu’elle s’était d’abord éprise de lui, mais que, -sur son refus de la satisfaire, elle avait retourné vers un de nos -esclaves la concupiscence où la condamnait sa destinée.» Après quoi le -vieillard leur dit comment sa femme, sous prétexte d’un rêve qu’elle -aurait eu, avait quitté Rome avec ses deux fils pour se rendre à -Athènes. Les trois disciples, à ces mots, reconnurent leur père et -voulurent se jeter dans ses bras; mais Pierre leur dit d’attendre qu’il -le leur eût permis. Et il dit au vieillard: «Si je te fais voir -aujourd’hui ta femme avec tes trois fils, et si je te prouve qu’elle t’a -toujours été fidèle, admettras-tu le néant de ta soi-disant -prédestination?» Et le vieillard: «Ce que tu me proposes là est aussi -impossible qu’il est impossible d’échapper à sa destinée!» Et Pierre: -«Sache donc que voici ton fils Clément et tes deux jumeaux Faust et -Faustin!» Ce qu’entendant, le vieillard tomba évanoui. A peine avait-il -repris les sens que sa femme s’approcha, criant: «Où est mon cher mari -et maître?» Et le vieillard s’élança au-devant d’elle, et l’embrassa en -pleurant. Et Pierre lui raconta en détail l’histoire de sa femme et de -ses enfants. - -Pendant que Faustinien vivait ainsi avec toute sa famille, on vint lui -annoncer que deux de ses amis étaient les hôtes de Simon le Magicien. -Faustinien, enchanté, s’empressa de leur faire visite, et, pendant qu’il -était là, on vint annoncer qu’un ministre de l’empereur était arrivé à -Antioche avec mission de rechercher et de mettre à mort tous les -magiciens. Alors Simon, par un sortilège, imprima sa propre ressemblance -sur le visage de Faustinien. Il fit cela par haine des fils de -Faustinien, qui l’avaient abandonné, et afin que Faustinien fût arrêté -et tué à sa place. Et lui-même, après cela, s’enfuit vers une autre -région. Or, quand Faustinien revint auprès de ses fils, ceux-ci furent -effrayés de voir un homme qui, avec la voix de leur père, avait le -visage de Simon. Seul, saint Pierre voyait le visage de Faustinien tel -qu’il était en réalité; et il s’étonnait fort de l’effroi que le -vieillard paraissait inspirer aux siens. Puis, lorsqu’il eut enfin -compris ce qui s’était passé, il dit à Faustinien: «Naguère, pendant que -j’étais à Antioche, Simon, par ses calomnies, a excité le peuple contre -moi au point qu’on voulait me déchirer à coups de dents. Donc, puisque -tu as maintenant le visage de Simon, va à Antioche, rétracte en présence -du peuple tout ce que le vrai Simon a dit de moi; et ensuite je viendrai -moi-même à Antioche pour te rendre ton visage naturel!» - -Tout cela se trouve raconté dans l’_Itinéraire_ de Clément; mais ce -livre est apocryphe et ne doit pas être cru à la lettre. Nous ne -saurions croire, notamment, que saint Pierre ait pu ordonner à -Faustinien de se faire passer pour Simon, car c’est là un mensonge que -Dieu ne saurait approuver. Gardons-nous donc de prendre tout ce récit -pour entièrement authentique! - -Faustinien--toujours d’après notre livre--se rendit à Antioche, convoqua -le peuple, et dit: «Moi, Simon, je proclame et avoue m’être trompé dans -tout ce que je vous ai dit de Pierre, qui n’est ni un imposteur, ni un -magicien, mais un apôtre envoyé pour le salut des hommes!» Et, quand il -eut excité dans le peuple l’amour de Pierre, celui-ci vint à son tour, -et, ayant prié, effaça entièrement de son visage la ressemblance de -Simon. Ce qu’apprenant, Simon lui-même accourut et dit au peuple: «Je -m’étonne que, après la façon dont je vous ai engagés à vous défier des -impostures de Pierre, vous ayez non seulement écouté cet homme, mais que -vous lui ayez fait l’accueil le plus empressé!» Sur qui la foule, se -retournant contre lui avec colère, l’accabla de reproches, et le chassa -honteusement de la ville. Voilà ce que nous raconte Clément lui-même, ou -du moins l’auteur de l’ouvrage qui lui est attribué. - -II. Plus tard, saint Pierre, étant venu à Rome, et voyant approcher -l’heure de sa passion, ordonna Clément évêque à sa place. Mais, à la -mort du prince des apôtres, le sage Clément se démit de ses fonctions en -faveur de Lin, puis de Clet: car il craignait que cet exemple ne -perpétuât dans l’Eglise, l’usage, pour les papes, d’élire eux-mêmes leur -successeur, ce qui aurait rendu héréditaire la possession du -Saint-Siège. D’autres auteurs, cependant, croient que Lin et Clet n’ont -jamais été proprement des papes, mais seulement des coadjuteurs de saint -Pierre, et que c’est à ce titre qu’ils figurent dans le catalogue des -pontifes. Le fait est que, après eux, Clément fut élu pape et contraint -à accepter cet honneur. Et tel était l’éclat de ses mœurs que les Juifs -et les païens l’aimaient presque autant que le troupeau des chrétiens. -Il avait fait dresser la liste complète de tous les pauvres des diverses -provinces, et il veillait à ce que ceux qu’il avait baptisés ne fussent -jamais exposés au déshonneur de la mendicité. - -Il avait consacré au Seigneur la vierge Domicille, nièce de l’empereur -Domitien. Et la vertueuse Théodore, femme d’un ami de l’empereur nommé -Sisinnius, convertie par lui, avait fait vœu de ne plus se départir -désormais de la chasteté. Or Sisinnius, par jalousie, et voulant savoir -ce que sa femme allait faire dans l’église des chrétiens, la suivit -secrètement dans cette église. Aussitôt, il devint aveugle et sourd; et -il dit à ses esclaves: «Conduisez-moi vite hors d’ici!» Mais les -esclaves, le tenant par la main, tournaient en tous sens, dans l’église, -sans pouvoir en sortir. Ce que voyant, Théodore voulut d’abord se -cacher, par crainte que son mari ne la reconnût; mais quand elle comprit -que Sisinnius était devenu aveugle et sourd, et ne pouvait sortir de -l’église, elle pria Dieu; puis elle dit aux esclaves: «Allez maintenant, -et ramenez votre maître dans sa maison!» Après quoi elle raconta à saint -Clément ce qui venait d’arriver. Sur sa demande, le saint se rendit dans -sa maison, pria, et aussitôt le mari recouvra l’ouïe et la vue. Mais -alors celui-ci, rouvrant les yeux, et apercevant l’évêque debout près de -sa femme, fut pris de fureur, soupçonnant quelque artifice magique, et -ordonna à ses serviteurs de s’emparer de Clément, de le lier et de -l’emporter en prison. Mais les serviteurs, au lieu de lier le saint, -entouraient de leurs liens une colonne de pierre; et Sisinnius, lui -aussi, croyait que c’était Clément qu’on liait devant lui. Cependant, -Clément, devenu invisible pour Sisinnius et ses serviteurs, put se -retirer librement, après avoir recommandé à Théodore de prier pour la -conversion de son mari. Et pendant qu’elle priait, saint Pierre lui -apparut et lui dit: «Par toi ton mari sera sauvé, afin que -s’accomplissent ces mots de mon frère Paul: _le mari infidèle sera sauvé -par la femme fidèle_!» Ayant dit cela, saint Pierre disparut; et au même -instant Sisinnius manda sa femme pour la prier de faire venir près de -lui l’évêque Clément. Celui-ci vint, l’instruisit dans la foi et le -baptisa avec trois cent treize personnes de sa maison. Et Sisinnius, à -son tour, convertit au Christ une foule de nobles et d’amis de -l’empereur Nerva. - -Alors le prince des prêtres païens, à force d’argent, provoqua une -grande sédition du peuple contre saint Clément. Le préfet Mamertin -écrivit aussitôt à l’empereur Trajan, qui répondit que Clément, s’il -refusait de sacrifier aux idoles, eût à être exilé au delà des mers dans -les déserts de la Chersonèse. Et Mamertin, qui avait eu l’occasion de -connaître la sainteté de l’évêque, lui dit en pleurant: «Puisse le Dieu -que tu sers te secourir en cette circonstance!» Il lui donna un bateau -qu’il approvisionna de tout le nécessaire; et bon nombre de clercs et de -laïcs le suivirent dans son exil. Arrivé en Chersonèse, Clément y trouva -déjà plus de deux mille chrétiens, condamnés à tailler le marbre pour -les statues des dieux païens. Et comme ils allaient au-devant de lui -avec des pleurs et des larmes, il les consolait en disant: «Je n’ai -point mérité l’honneur que me fait le Seigneur en me choisissant pour -être le chef de martyrs tels que vous!» Et comme ils lui disaient qu’ils -étaient forcés d’aller chercher de l’eau à six milles de là, Clément -répondit: «Prions tous Notre-Seigneur Jésus-Christ pour que, de même -qu’il a fait jaillir l’eau du roc dans le désert du Sinaï, il donne en -ce lieu à ses confesseurs une source d’eau fraîche!» Alors, ayant prié, -Clément vit un agneau qui, de sa patte levée, semblait lui désigner -quelque chose. Aussitôt, reconnaissant la présence du Christ, il marcha -au lieu désigné, et dit: «Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, -frappez le sol en ce lieu!» Mais comme personne ne voyait l’agneau, -personne ne put frapper le sol à l’endroit où il se trouvait. Seul -Clément, prenant une baguette, donna un léger coup sous le pied de -l’agneau; et aussitôt une source jaillit, qui ne tarda pas à devenir un -fleuve. Le bruit du miracle se répandit dans la région, si bien qu’en un -seul jour plus de cinq cents personnes reçurent le baptême, et que, dans -l’espace d’une année, soixante-quinze églises furent construites dans la -province. - -Trois ans après, l’empereur Trajan, informé de ces miracles, envoya en -Chersonèse un de ses officiers. Mais celui-ci, voyant que le peuple tout -entier était prêt à mourir, recula devant un si grand nombre -d’exécutions, et se contenta de faire précipiter dans la mer saint -Clément, avec une ancre attachée à son cou. Et il disait: «Désormais, du -moins, ces gens-là ne pourront plus l’adorer comme un Dieu!» Or, comme -toute la foule se tenait sur le rivage, deux des disciples de Clément, -Corneille et Phébus, prièrent Dieu de leur montrer le corps de son -martyr. Aussitôt la mer se retira à trois milles du rivage; et tous, -marchant à pieds secs dans son lit, parvinrent jusqu’à une grotte de -marbre où ils virent le corps de saint Clément, avec l’ancre auprès de -lui. Et une voix du ciel leur défendit d’emporter le corps loin de ce -lieu. - -III. Depuis lors, tous les ans, à l’anniversaire du martyre de saint -Clément, la mer se retirait de la même façon pendant une semaine, -permettant aux fidèles d’atteindre, à pieds secs, le tombeau du saint. -Et, à l’une de ces fêtes, une femme vint là avec son petit garçon. Or -voici qu’après les cérémonies de la fête, et comme l’enfant s’était -endormi, on entendit un bruit soudain de flots qui approchaient; et la -femme, épouvantée, s’enfuit avec la foule en oubliant son enfant. -Arrivée sur la plage, la pauvre femme se désolait, élevant jusqu’au ciel -des cris lamentables. Et longtemps elle espéra, du moins, que les flots -lui rapporteraient le cadavre de son fils. Enfin, voyant son espérance -déçue, elle s’en retourna dans sa maison et y passa une année dans les -larmes. Mais, l’année suivante, étant revenue au tombeau de saint -Clément et ayant prié le saint, elle aperçut son fils couché à l’endroit -où elle l’avait laissé. Elle crut qu’il était mort, et s’approcha pour -emporter son cadavre. Grandes furent sa surprise et sa joie lorsqu’elle -découvrit que l’enfant n’était qu’endormi. Elle le réveilla, le couvrit -de baisers et lui demanda ce qu’il avait fait, pendant toute cette -année. Mais l’enfant, très surpris, répondit qu’il croyait n’avoir dormi -que quelques instants. - -IV. Léon, évêque d’Ostie, raconte que, sous le règne de l’empereur -Michel, un prêtre, surnommé le Philosophe, vint en Chersonèse pour -interroger les habitants sur les actes de saint Clément et de ses -compagnons. Mais les habitants, qui étaient presque tous des nouveaux -venus, dans la région, ne purent lui fournir aucun renseignement. Le -fait est que, en raison de la corruption de ces habitants, le miracle du -retrait de la mer avait depuis longtemps cessé; sans compter que, -pendant que ce miracle durait encore, les barbares avaient détruit le -temple où reposait le cercueil de saint Clément. Alors le Philosophe se -rendit dans une petite ville nommée Géorgie; puis, en compagnie de -l’évêque, du clergé et du peuple, il se mit en quête des saintes -reliques. Et pendant qu’on fouillait le sol du rivage, en priant et en -chantant des hymnes, Dieu permit qu’on découvrît le corps, ainsi que -l’ancre, que les flots avaient portés jusque-là. Le Philosophe conduisit -ensuite le corps de saint Clément à Rome, et le déposa dans l’église qui -porte aujourd’hui le nom du saint. Et ce corps continue à opérer -d’innombrables miracles. Cependant, à en croire une autre chronique, le -corps de saint Clément aurait été retrouvé et rapporté à Rome par le -bienheureux Cyrille, évêque des Moraves. - - - - -CLXVIII - -SAINT CHRYSOGONE, MARTYR - -(24 novembre) - - -Chrysogone fut jeté, par ordre de Dioclétien, dans une prison où sainte -Anastasie le nourrissait de ses aumônes. Et lorsque Anastasie se trouva -à son tour emprisonnée par son mari, elle écrivit à son maître -Chrysogone la lettre suivante: «Anastasie au saint confesseur du Christ -Chrysogone. Mariée à un homme sacrilège, j’ai feint une maladie pour me -dérober à sa couche; et, jour et nuit, je reste prosternée devant -Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. Et mon mari, non content de dépenser mon -patrimoine avec des idolâtres, me tient si étroitement enfermée que je -m’attends à mourir d’un instant à l’autre. Et bien que cette mort n’ait -rien que de glorieux, je souffre de voir que les richesses que j’avais -consacrées à Dieu et aux pauvres se trouvent ainsi gaspillées par ces -êtres indignes. Adieu, saint homme, ne m’oublie pas!» Et Chrysogone lui -répondit: «Garde-toi de te laisser troubler par l’adversité! Bientôt -Jésus t’appellera à lui, et, comme après les ténèbres de la nuit, tu -verras la lumière éclatante de Dieu; et à l’hiver succédera pour toi un -doux été doré. Adieu et prie pour moi!» - -Cependant, le mari de sainte Anastasie, pour achever de se délivrer -d’elle, ne lui faisait plus donner, dans sa prison, qu’un quartier de -pain. La sainte écrivit alors à Chrysogone: «La fin de mon corps -approche. Puisse mon âme être accueillie par Celui pour l’amour de qui -je supporte tout ce que te racontera la vieille femme qui te remettra -cette lettre!» Et Chrysogone lui répondit: «Les bonheurs et les malheurs -de ce monde aboutissent à une seule et même fin. C’est sur une seule et -même mer que naviguent les misérables bateaux que sont nos corps. Mais -certains de ces bateaux, attachés par de fortes chaînes, traversent sans -danger les plus cruelles tempêtes, tandis que d’autres, plus fragiles, -échouent et se brisent même en pleine bonace. Toi donc, servante du -Christ, arme-toi de la croix et prépare-toi à l’œuvre de Dieu!» - -Lorsque Dioclétien vint à Aquilée, pour mettre à mort les chrétiens, il -fit venir devant lui saint Chrysogone et lui dit: «Si tu veux sacrifier -aux dieux, je te nommerai préfet de ce pays et j’élèverai ta famille au -rang consulaire!» Mais Chrysogone répondit: «Je n’adore qu’un seul Dieu, -qui est dans le ciel, et je méprise tes dignités comme de la boue!» Sur -l’ordre de l’empereur, il eut la tête tranchée. Cela se passait en l’an -du Seigneur 287. Le prêtre Zèle ensevelit pieusement les deux tronçons -de son corps. - - - - -CLXIX - -SAINTE CATHERINE, VIERGE ET MARTYRE - -(25 novembre) - - -I. Catherine, fille du roi Coste, fut instruite dès son enfance dans -tous les arts libéraux. Lorsque l’empereur Maxence convoqua à Alexandrie -tous les habitants de la province, riches et pauvres, pour sacrifier aux -idoles, Catherine, qui avait alors dix-huit ans, et qui était restée -seule dans son palais avec de nombreux serviteurs, entendit un jour un -grand bruit mêlé de chants et de gémissements. Elle demanda d’où cela -provenait; et quand elle le sut, prenant avec elle quelques serviteurs -et se munissant du signe de la croix, elle se rendit sur la place, où -elle vit de nombreux chrétiens qui, par peur de la mort, se laissaient -conduire aux temples pour y sacrifier. Blessée de cette vue jusqu’au -fond de son cœur elle aborda audacieusement l’empereur et lui dit: «Je -viens te saluer, empereur, à la fois par déférence pour ta dignité et -parce que je veux t’engager à t’éloigner du culte de tes dieux pour -reconnaître le seul vrai créateur!» Puis, debout devant la porte d’un -temple, elle se mit à discuter avec Maxence, conformément aux diverses -modes du syllogisme, par allégorie et par métaphore. Après quoi, -revenant au langage commun, elle dit: «Je me suis adressée jusqu’ici au -savant, en toi. Mais à présent, dis-moi comment tu as pu rassembler -cette foule pour célébrer la sottise des idoles!» Et comme elle -démontrait savamment la vérité de l’incarnation, l’empereur, stupéfait, -ne sut d’abord que lui répondre. Enfin il lui dit: «O femme, laisse-moi -achever le sacrifice, et ensuite je te répondrai!» Et il la fit conduire -dans son palais, où il ordonna qu’elle fût soigneusement gardée: car il -avait été très frappé de sa science et de sa beauté. Catherine était en -effet d’une beauté merveilleuse, que personne ne pouvait voir sans en -être ravi. - -Après la fête, l’empereur se rendit au palais et dit à Catherine: «J’ai -entendu ton éloquence et admiré ta sagesse; mais, absorbé comme je -l’étais par la cérémonie, je n’ai pas pu pleinement comprendre tout ce -que tu disais. Dis-moi donc à présent qui tu es!» Et elle: «Je suis -Catherine, fille du roi Coste. Née dans la pourpre, et élevée dès -l’enfance dans les arts libéraux, j’ai dédaigné tout cela pour me -réfugier auprès de mon Seigneur Jésus-Christ. Et quant aux dieux que tu -adores, ils ne sauraient secourir ni toi, ni personne!» Et l’empereur: -«Je le vois, tu cherches à nous décevoir par ta pernicieuse éloquence, -en t’efforçant d’argumenter à la manière des philosophes!» Et, -comprenant qu’il ne parviendrait pas à lui répondre lui-même, il manda -en grande hâte, à Alexandrie, tous les grammairiens et rhéteurs du -temps, leur promettant de grandes récompenses s’ils parvenaient à -réfuter la jeune fille. Il en vint ainsi plus de cinquante, tous fameux -dans les sciences de ce monde. Et comme ils demandaient pourquoi on les -avait fait venir de régions si lointaines, l’empereur répondit: «C’est -que nous avons ici une jeune fille d’une sagesse et d’un esprit -incomparables, qui réfute tous les savants, et prétend que tous nos -dieux ne sont que des démons. Réfutez-la, et je vous renverrai chez vous -chargés d’honneurs et de présents!» Alors un des orateurs s’écria: «O -étrange projet, de rassembler tous les savants des quatre coins du monde -pour tenir tête à une jeune fille que le moindre de nos clients -réduirait au silence!» Et l’empereur: «Je pouvais en vérité la -contraindre à sacrifier aux dieux, ou la châtier en cas de refus; mais -j’ai jugé meilleur qu’elle fût confondue par vos arguments.» Alors les -orateurs: «Qu’on amène donc en notre présence cette jeune fille, afin -qu’elle avoue sa témérité, et reconnaisse n’avoir même jamais vu de -vrais savants!» - -Mais Catherine, en apprenant le combat qui se préparait pour elle, se -recommanda au Seigneur; et un ange descendit vers elle pour l’engager à -la fermeté, lui affirmant que, non seulement elle ne serait pas vaincue -par ses adversaires, mais que même elle les convertirait et leur -procurerait la palme du martyre. Amenée en présence des orateurs, elle -dit à Maxence: «De quel droit opposes-tu cinquante orateurs à une seule -jeune fille? et pourquoi promets-tu de les récompenser, en cas de -victoire, tandis que tu me forces à lutter sans espoir de récompense? -Mais j’aurai ma récompense dans mon Seigneur Jésus-Christ, espoir et -couronne de ceux qui luttent pour lui!» Les orateurs lui dirent alors -que c’était chose impossible qu’un Dieu devînt homme et connût la -souffrance. Mais elle répondit en leur montrant que les païens eux-mêmes -avaient prédit l’incarnation du Christ. La Sibylle n’avait-elle pas dit: -«Heureux le Dieu qui pend sur une croix de bois!» Et Catherine continua -de discuter ainsi avec les orateurs, les réfutant par des raisons -évidentes, jusqu’à ce que, stupéfaits, ils ne surent plus que lui dire. -Alors l’empereur, furieux, leur reprocha de se laisser vaincre -honteusement par une jeune fille. Et l’un de ces orateurs, qui était le -plus savant, et parlait au nom de ses confrères, dit: «Tu sais, -empereur, que personne jamais n’a pu nous résister; mais c’est l’esprit -même de Dieu qui parle en cette jeune fille; et elle nous a remplis -d’une telle admiration que nous n’osons plus dire un seul mot contre ce -Christ qui nous apparaît désormais comme le seul vrai Dieu!» Ce -qu’entendant, l’empereur, exaspéré, les fit tous brûler au milieu de la -ville; et Catherine, en même temps qu’elle les réconfortait, achevait de -les instruire des vérités de la foi. Et, comme ils se plaignaient -d’avoir à mourir sans être baptisés, elle leur répondit: «Soyez sans -crainte, car l’effusion de votre sang vous tiendra lieu de baptême!» -Alors, s’étant munis du signe de la croix, ils furent précipités dans -les flammes; et ils rendirent leurs âmes de telle façon que ni leurs -cheveux, ni leurs vêtements, ne furent touchés par le feu. - -Pendant que les chrétiens s’occupaient de les ensevelir, Maxence dit à -Catherine: «Noble jeune fille, aie pitié de ta jeunesse, et je te ferai -impératrice dans mon palais, et le peuple entier adorera ton image, au -milieu de la ville!» Mais elle: «Cesse de dire des choses dont la pensée -même est un crime. J’ai pris le Christ pour fiancé, lui seul est ma -gloire et mon amour; et ni caresses ni tourments ne pourront me -détourner de lui!» L’empereur la fit alors dépouiller de ses vêtements; -il la fit frapper de griffes de fer, puis, l’ayant jetée dans une -obscure prison, il ordonna que pendant dix jours on la laissât sans -nourriture. - -Là-dessus, l’empereur se vit forcé de se rendre dans une autre province. -Or sa femme, qui avait pour amant un officier nommé Porphyre, vint, la -nuit, dans la prison de Catherine. Et, y étant entrée, elle vit la -cellule remplie d’une clarté immense, et elle vit que les anges -pansaient les plaies de la prisonnière. Et celle-ci, s’étant mise à lui -décrire les joies éternelles, la convertit et lui prédit la couronne du -martyre. Ce qu’apprenant, Porphyre alla se jeter, lui aussi, aux pieds -de Catherine, et il reçut la foi du Christ avec deux cents de ses -hommes. - -Quand l’empereur revint, douze jours après son départ, il se fit amener -la jeune fille, qu’il s’attendait à voir anéantie par ce jeûne prolongé. -La voyant au contraire resplendissante de vie, il soupçonna que -quelqu’un l’avait nourrie, dans sa prison, et décréta que ses gardiens -fussent mis à la torture. Mais Catherine: «Aucun être humain ne m’a -nourrie, mais bien le Christ par l’entremise de ses anges.» Alors -l’empereur, plus frappé que jamais de sa beauté, lui proposa, une fois -de plus, de l’élever au trône avec lui. Et comme elle s’y refusait, il -lui dit: «Choisis entre deux choses, ou bien de sacrifier aux idoles, et -de vivre, ou bien de mourir dans des tourments effroyables!» Et elle: -«Quelques tourments que tu puisses imaginer, n’hésite pas à me les -infliger, car j’ai soif d’offrir ma chair et mon sang à Jésus, qui a -offert pour moi sa chair et son sang! Lui seul est mon Dieu, mon maître, -mon mari et mon amant!» Alors un préfet conseilla à l’empereur de faire -préparer quatre roues garnies de pointes de fer, et de s’en servir pour -déchirer les chairs de Catherine, de façon à épouvanter, par un tel -exemple, les autres chrétiens. Et l’on décida que, de ces quatre roues, -où l’on attacha la sainte, deux seraient poussées dans un sens et deux -dans un autre, pour que les membres de Catherine fussent arrachés et -broyés en morceaux. Mais la sainte pria Dieu que, pour la gloire de son -nom et pour la conversion des assistants, il anéantît cette affreuse -machine. Et voici qu’un ange secoua si fortement la masse énorme des -quatre roues, que quatre mille païens périrent écrasés. - -En ce moment l’impératrice, qui avait assisté à la scène du haut du -palais, s’enhardit à descendre, et reprocha à son mari tant de cruauté. -Le roi lui fit arracher les mamelles, puis trancher la tête. Et -l’impératrice, allant au martyre demanda à Catherine de prier pour elle. -Et Catherine: «Sois sans crainte, princesse aimée de Dieu, car ta -royauté passagère va se changer aujourd’hui en une royauté éternelle, et -en échange d’un mari mortel tu en acquerras un immortel!» Sur quoi, -l’impératrice, raffermie, encouragea ses bourreaux à exécuter leur -mission. Ils la conduisirent donc hors de la ville, lui arrachèrent les -mamelles avec des pointes de fer et lui coupèrent la tête. Et Porphyre, -recueillant ses restes, les ensevelit. - -I. Le lendemain, Maxence envoya au supplice les bourreaux de sa femme, -qu’il soupçonnait d’avoir dérobé le corps de celle-ci. Mais Porphyre, -s’élançant au milieu de la foule, s’écria: «C’est moi qui ai enseveli la -servante du Christ, ayant reçu comme elle la foi chrétienne!» Maxence, -fou de douleur, poussa un rugissement terrible et s’écria: «Malheureux -que je suis! voici maintenant que Porphyre lui-même s’est laissé -séduire, mon seul confident, le seul en qui j’avais confiance!» Et comme -il le dénonçait à ses soldats, ceux-ci répondirent: «Nous aussi, nous -sommes chrétiens et prêts à mourir!» Sur quoi, l’empereur, ivre de rage, -les fit tous décapiter ainsi que Porphyre, et ordonna que leurs restes -fussent jetés aux chiens. - -Puis, se tournant vers Catherine: «Bien que, par tes sortilèges, tu aies -causé la mort de l’impératrice, je t’offre encore, cependant, de devenir -la première dans mon palais!» Et comme, de nouveau, elle repoussait son -offre avec indignation, il la condamna à être décapitée. Or, pendant -qu’on la menait au supplice, elle dit, les yeux levés au ciel: «Espoir -et salut des croyants, honneur et gloire des vierges, Jésus, mon bon -maître, exauce ma prière! Fais en sorte que toute personne qui -m’invoquera, soit à l’heure de la mort ou dans le danger, se trouve -secourue en souvenir de ma passion!» Et une voix, du haut du ciel, lui -répondit: «Viens, ma chère fiancée, les portes du ciel sont ouvertes -devant toi. Et à ceux qui célébreront pieusement ton martyre je promets -le secours qu’ils demanderont!» Après quoi la sainte eut la tête -tranchée, et de son corps jaillit du lait au lieu de sang. Et des anges, -recueillant ses restes, les transportèrent de ce lieu sur le mont Sinaï, -où ils ne l’ensevelirent que vingt jours après. Aujourd’hui encore, une -huile miraculeuse découle de ses os, qui guérit aussitôt les membres -affaiblis. Sainte Catherine fut martyrisée vers l’an du Seigneur 310. -Quant à la façon dont Maxence fut puni de ce crime et des autres qu’il -avait commis, nous l’avons racontée déjà en traitant de l’Invention de -la Sainte Croix[19]. - - [19] La légende du _Mariage mystique_ de sainte Catherine apparaît, - pour la première fois, dans une traduction anglaise de la _Légende - dorée_ par le frère Jean de Bungay, datée de 1438. Et c’est - également vers cette date que certains peintres du Nord (à Cologne, - à Bruges) ont commencé à introduire le _Mariage mystique_ dans leur - représentation des actes de sainte Catherine. - -III. Un moine de Rouen s’était rendu au mont Sinaï, et, pendant sept -ans, avait pieusement prié sainte Catherine. Au bout de ce temps, il -demanda à la sainte la grâce de posséder un fragment de ses reliques; et -aussitôt de la main de la sainte se détacha un doigt, que le moine -emporta joyeusement dans son monastère.--Un autre moine, après avoir eu -longtemps une dévotion spéciale pour sainte Catherine, avait peu à peu -négligé d’invoquer la sainte. Or un jour, étant en prière, il vit passer -devant lui une troupe de vierges dont l’une, en l’approchant, se -détourna et se couvrit le visage. Et comme il demandait à ses compagnes -qui elle était, une d’elles lui répondit: «C’est Catherine, que jadis tu -connaissais bien! Mais comme maintenant tu parais ne plus la connaître, -elle s’est voilé le visage en t’apercevant, pour passer près de toi -comme une inconnue!» - -IV. Certains auteurs se demandent si, au lieu de Maxence, ce n’est pas -plutôt Maximin qui a présidé au martyre de sainte Catherine. Il y avait -alors trois empereurs: 1º Constantin, qui avait succédé à son père; 2º -Maxence, fils de Maximilien, élu à Rome par les soldats; 3º Maximin, -proclamé César en Orient. Et, suivant les chroniques, Maxence -persécutait les chrétiens à Rome, pendant que Maximin les persécutait en -Orient. On suppose donc qu’il y aura eu, dans le premier récit du -martyre de sainte Catherine, une faute d’écriture, et que c’est Maximin -qu’on doit lire au lieu de Maxence. - - - - -CLXX - -SAINTS BARLAAM ET JOSAPHAT, ABBÉS - -(27 novembre) - - -Barlaam, dont l’histoire nous est racontée par Jean de Damas, convertit -à la foi chrétienne le roi Josaphat. - -En un temps où l’Inde entière était pleine de chrétiens, surgit un roi -puissant nommé Avennir, qui persécuta cruellement les chrétiens et -surtout les moines. Or l’ami et principal officier de ce roi, touché de -la grâce divine, s’enfuit de la cour pour entrer dans un ordre -monastique. Le roi, irrité, le fit rechercher par tout le désert; et, -quand on l’eut trouvé, il le fit comparaître devant lui. Et, voyant vêtu -d’un manteau grossier cet homme naguère élégant et riche, il lui dit: -«Insensé, quelle folie t’a pris de changer ton honneur en infamie?» Et -le religieux: «Si tu veux connaître mes motifs, chasse d’abord loin de -toi tes ennemies!» Le roi lui demanda qui étaient ces ennemies. Et lui: -«Ce sont la colère et la concupiscence, car ce sont elles qui -t’empêchent de voir la vérité.» Et le roi: «Parle, maintenant!» Et lui: -«Les insensés, ce sont ceux qui dédaignent comme n’existant point les -choses qui existent, et qui poursuivent comme des réalités les choses -qui n’existent pas.» Après quoi il lui expliqua longuement le mystère de -l’incarnation et les vérités de la foi. Et le roi lui dit: «Si tu ne -m’avais pas fait promettre, tout à l’heure, de bannir d’ici la colère -pendant que je t’écouterais, je t’enverrais maintenant au bûcher! -Lève-toi et fuis loin de mes yeux, et malheur à toi si je te retrouve -jamais!» Et l’homme de Dieu s’en alla tout triste, car il avait bien -espéré subir le martyre. - -Le roi Avennir n’avait pas d’enfant. Il eut enfin un fils, qui était -d’une beauté merveilleuse, et qui fut appelé Josaphat. En l’honneur de -sa naissance, le roi fit célébrer de grands sacrifices; et il réunit -soixante astrologues, qu’il interrogea sur les destinées futures de -l’enfant. Tous répondirent qu’il serait grand en puissance et en -richesse; mais le plus sage d’entre eux ajouta: «O roi, l’enfant qui -t’est né sera en effet tout cela, mais dans un autre royaume que le -tien! car, si je ne me trompe, il sera un des princes de cette religion -chrétienne que tu persécutes!» Ce qu’entendant, le roi, effrayé, fit -construire à l’écart un magnifique palais, qu’il donna pour demeure à -son fils; et il lui donna pour compagnons de beaux jeunes gens, en leur -recommandant de ne jamais parler à Josaphat ni de la vieillesse, ni de -la maladie, ni de la pauvreté, ni de rien d’attristant: de telle sorte -que l’esprit de l’enfant, tout occupé de choses gaies, n’eût jamais -l’occasion de penser à l’avenir. Si l’un des compagnons de Josaphat -était malade, il aurait aussitôt à être remplacé par un autre bien -portant. Mais surtout, défense était faite de jamais mentionner le nom -ou la doctrine du Christ. - -Il y avait alors auprès du roi un haut fonctionnaire qui était chrétien, -mais en secret. Cet homme, chassant un jour avec le roi, aperçut à terre -un mendiant qu’une bête féroce avait blessé au pied. Et le mendiant le -pria de le recueillir chez lui, ajoutant qu’il pourrait lui rendre -service. Alors le ministre: «Je consens volontiers à te recueillir chez -moi, mais je ne vois guère comment tu pourrais m’être utile!» Et le -mendiant: «C’est que je suis médecin des paroles. Si quelqu’un souffre -d’une parole qu’il a dite ou entendue, je sais des remèdes pour le -guérir.» Le ministre, sans prendre au sérieux les mots du mendiant, -l’emmena chez lui et le soigna, par charité chrétienne. Or des hommes -jaloux et méchants, pour nuire à ce ministre, l’accusèrent auprès du -prince non seulement d’être chrétien, mais de flatter le peuple pour -s’emparer du pouvoir. Et ils dirent au roi: «Si tu veux en avoir la -preuve, reçois-le en particulier, et dis-lui que, sentant l’approche de -la mort, tu as l’intention de renoncer au trône pour te faire moine! Tu -verras bien ce qu’il te répondra.» Le roi suivit leur conseil; et le -ministre, ne soupçonnant point la ruse, loua fort l’intention -qu’exprimait son maître. Ce dont le roi fut rempli de fureur, car il y -voyait la preuve de la trahison du ministre. Mais il se contint et ne -répondit rien. Sur quoi le ministre, tout confus de cet accueil, alla -raconter la chose au mendiant qu’il avait recueilli. Et celui-ci, en -véritable «médecin des paroles», lui dit: «Le roi te soupçonne de -vouloir le détrôner. Lève-toi vite, coupe tes cheveux, revêts un cilice, -et va chez le roi. Et quand il te demandera ce que cela signifie, tu lui -répondras que tu es prêt à le suivre dans son monastère, voulant -partager ses privations comme tu as partagé sa prospérité!» Le ministre -fit ainsi, et le roi, après avoir puni les dénonciateurs, l’éleva encore -à de plus hautes dignités. - -Cependant, le prince Josaphat était parvenu à l’âge adulte. Etonné de ce -que son père le tînt enfermé, il interrogeait là-dessus son serviteur -favori, ajoutant que cette défense de sortir lui ôtait le goût de manger -et de boire. Le roi, informé de cela, lui fit donner des chevaux et lui -permit de sortir dans la campagne, à la condition qu’une escorte le -précédât pour écarter de ses yeux tout spectacle attristant. Or -Josaphat, dans une de ses promenades, rencontra un lépreux et un -aveugle. Stupéfait, il demanda ce que c’était. Et ses compagnons: «Ce -sont là des maux qui arrivent aux hommes!» Et lui: «A tous les hommes?» -Et, sur leur réponse négative, il reprit: «Sait-on du moins à l’avance -quels hommes doivent être atteints de ces maux?» Et ses compagnons: «Qui -pourrait connaître l’avenir des hommes?» Sur quoi Josaphat rentra chez -lui plein d’anxiété. - -Une autre fois, il rencontra un homme brisé par la vieillesse. L’homme -avait un visage rugueux, un dos voûté, une bouche sans dents, une parole -balbutiante. Etonné, Josaphat demanda ce que c’était. Et quand on lui -eût répondu que c’était l’âge qui avait mis l’homme en cet état, il -demanda: «Et quelle sera sa fin?» On lui répondit: «La mort!» Et lui: -«Est-ce que tous doivent mourir, ou seulement quelques-uns?» On lui -répondit: «Tous!» Et Josaphat: «A quel âge?» Et eux: «On peut vivre -jusqu’à quatre-vingts ou cent ans, et puis on meurt.» Et le jeune homme, -roulant dans son cœur toutes ces pensées nouvelles, se désolait en -secret, bien que, devant son père, il continuât de feindre la gaîté. - -Or, un saint moine nommé Barlaam vivait alors dans le désert de Sennaar. -Instruit par l’Esprit-Saint de ce qui arrivait au fils du roi, il prit -l’habit d’un marchand, se rendit à la capitale, et, abordant le -précepteur du prince, il lui dit: «Je suis marchand, et j’ai à vendre -une pierre merveilleuse qui ouvre les yeux aux aveugles et les oreilles -aux sourds, rend la parole aux muets et la raison aux fous. Conduis-moi -près du jeune prince, pour que je la lui montre!» Et le précepteur: «Je -me connais en pierres. Montre-moi celle dont tu parles, et, si elle est -telle que tu le dis, le fils du roi te l’achètera!» Mais Barlaam: «Ma -pierre a encore cette propriété que seuls peuvent la voir ceux qui sont -chastes et que n’a point corrompus le péché. Avec les yeux que tu as, tu -ne pourrais pas la voir, tandis qu’on m’a dit que le fils du roi était -chaste et ignorait le mal.» Le précepteur le conduisit alors devant -Josaphat, qui l’accueillit avec déférence. Et Barlaam: «Prince, tu as -bien fait de me recevoir, sans dédaigner mon humble figure! Tu as fait -comme un roi qui, quand il voyageait dans son carrosse doré et -rencontrait des mendiants en haillons, descendait de son carrosse et -leur baisait les pieds. Les ministres de ce roi, n’osant le blâmer -ouvertement, dirent à son frère comment il se conduisait; et le frère, -lui aussi, en fut scandalisé. Or c’était l’usage que, lorsqu’un homme -était condamné à mort, le crieur du roi venait sonner de la trompe -devant sa maison. Un soir, donc, le roi envoya son crieur sonner de la -trompe devant la maison de son frère. Ce qu’entendant, celui-ci se crut -condamné à mort. Il ne put dormir de toute la nuit, fit son testament, -s’habilla tout de noir et vint en pleurant au palais du roi avec sa -femme et ses enfants. Et le roi lui dit: «Sot que tu es! Tu t’es effrayé -en entendant le messager de ton frère, envers qui tu sais que tu n’es -point coupable; et tu me blâmes de m’émouvoir à la vue des messagers de -Dieu, contre qui j’ai si souvent péché!» Après cela le roi prit quatre -coffres. Dans deux d’entre eux, qu’il fit garnir d’or à l’extérieur, il -mit à l’intérieur des ossements en putréfaction. Dans les deux autres, -qu’il fit garnir de poix à l’extérieur, il mit à l’intérieur des -diamants et des perles. Puis, convoquant les ministres qui s’étaient -plaints de lui à son frère, il leur demanda quels étaient les plus -précieux des quatre coffres. Ils désignèrent aussitôt ceux qui étaient -couverts d’or, dédaignant les deux autres. Alors le roi fit ouvrir les -deux coffres dorés, et une puanteur infecte s’en exhala. Et le roi: «Ces -coffres sont l’image de ceux qui, somptueusement vêtus, ont dans leur -cœur le vice et l’impureté.» Puis il fit ouvrir les deux autres coffres, -et on y vit luire l’éclat des pierreries. Et il dit: «Ceci est l’image -des pauvres que vous m’avez blâmé d’honorer: car, sous leurs haillons -misérables, ils rayonnent de l’éclat de toutes les vertus.» - -Puis Barlaam expliqua longuement à Josaphat l’incarnation, la passion et -la résurrection du Christ. Il lui parla aussi du jugement dernier et de -la rétribution des bons et des méchants. Et, pour lui faire entendre -l’erreur des idolâtres, il lui raconta la parabole suivante: Un archer, -ayant pris un rossignol, voulait le tuer. Mais, l’oiseau: «Homme, quel -profit auras-tu de ma mort? Pour ton ventre même je ne ferai qu’une -bouchée! Tandis que, si tu veux me rendre le vol, je te donnerai trois -conseils excellents à suivre.» L’archer, étonné, promit à l’oiseau de le -remettre en liberté en échange des trois conseils. Et le rossignol lui -dit: «1º n’essaie jamais d’atteindre des choses qui sont hors -d’atteinte; 2º ne t’afflige jamais d’une perte irréparable; 3º ne crois -jamais des choses incroyables. Retiens ces trois conseils, et tu t’en -trouveras bien!» L’archer, suivant sa promesse, lâcha le rossignol. Et -celui-ci, volant dans les airs, lui dit: «Malheur à toi, homme, car tu -as fait une sottise, et tu as perdu un grand trésor! Sache donc que j’ai -dans mon ventre un diamant deux fois plus gros qu’un œuf d’autruche!» Ce -qu’entendant, l’archer fut désolé d’avoir remis en liberté le rossignol; -et, pour le reprendre, il lui disait: «Viens dans ma maison, tu y verras -bien des choses curieuses, et je te ferai un beau cadeau!» Et le -rossignol: «Maintenant je reconnais, sans erreur possible, que tu es un -sot, car de mes trois conseils tu ne tires aucun profit. Tu t’affliges -de m’avoir perdu, tandis que tu ne saurais me ravoir; tu t’efforces de -m’atteindre, tandis que c’est chose impossible; et tu crois que je puis -avoir dans le ventre un diamant dix fois plus gros que mon corps tout -entier!» Et Barlaam ajouta: «Non moins stupides sont ceux qui croient -aux idoles et invoquent l’appui de statues qu’ils ont eux-mêmes -fabriquées!» - -Puis Barlaam exposa au jeune prince le mensonge et la vanité des -plaisirs du monde. Et, à l’appui de ses arguments, il lui raconta les -apologues suivants. Il lui dit, d’abord, que ceux qui désirent les -plaisirs corporels au détriment de leur âme ressemblent à un homme qui, -fuyant devant une licorne, tomba dans un précipice. En tombant, il -s’accrocha des deux mains à un arbuste et enfonça ses pieds dans une -boue glissante. Il vit alors que deux rats, un blanc et un noir, -rongeaient les racines de l’arbuste et étaient déjà sur le point de le -détacher. Au fond de l’abîme, il vit un dragon terrible qui ouvrait la -bouche pour le dévorer; et, dans la boue où s’étaient enfoncés ses -pieds, il vit quatre vipères qui levaient la tête. Mais soudain il -aperçut une goutte de miel qui découlait d’une branche de l’arbuste. Et -aussitôt, oubliant tous les dangers qui l’entouraient, il se laissa -aller à la douceur de manger ce miel. Et Barlaam dit à Josaphat: «La -licorne, c’est la mort, que l’homme s’efforce de fuir. L’abîme, c’est -notre monde de misère. L’arbuste c’est notre vie, dont les racines sont -rongées jour et nuit, et dont l’écroulement est sans cesse plus proche. -Les quatre vipères sont les quatre éléments, dont le désordre amène la -dissolution du corps. Le dragon, c’est le diable. Et la goutte de miel, -ce sont les plaisirs décevants dont la poursuite nous détourne de la vue -de notre destinée.» - -Autre exemple. Ceux qui aiment le monde sont pareils à un homme qui -avait trois amis, dont il l’aimait l’un plus que lui-même, le second -autant que lui-même, le troisième moins que lui-même. Cet homme, étant -en danger de mort, courut invoquer l’aide du premier ami. Et celui-ci: -«Malheureux, je ne puis rien pour toi! J’ai d’autres amis avec qui je -dois me réjouir. Tout ce que je puis faire pour toi, c’est de te donner -ces deux cilices, pour te couvrir en cas de besoin.» L’homme alla -trouver son second ami, qui lui dit: «Je n’ai que faire de souffrir avec -toi, étant moi-même accablé de souci. Je puis seulement, si tu veux, te -faire un pas de conduite jusqu’à la porte du tribunal.» Alors l’homme, -désespéré, aller trouver son troisième ami, et lui dit, la mine basse: -«J’ose à peine te parler, car je ne t’ai pas aimé comme je le devais. -Mais, dans l’embarras où je me trouve, et sans autres amis, je me suis -dit que peut-être tu ne refuserais pas de me secourir.» Et l’ami, avec -un bon sourire, lui répondit: «Certes, tu es pour moi un ami très cher, -et je n’oublie pas le service que tu m’as rendu! Viens, je vais aller -avec toi au tribunal, pour t’empêcher d’être livré à tes ennemis!» Et -Barlaam ajouta: «Le premier de ces amis est la possession des richesses, -pour qui l’homme s’expose à mille dangers, et de qui, à l’heure de la -mort, il ne tire aucun profit, si ce n’est des linceuls pour -l’ensevelir. Le second ami, ce sont la femme, les fils, les parents, qui -nous font un pas de conduite jusqu’à notre tombeau, et puis s’en -retournent aussitôt à leurs affaires. Le troisième ami, c’est la foi, -l’espérance, la charité et l’aumône, et toutes les bonnes œuvres, qui, -lorsque nous mourons, nous accompagnent au tribunal de Dieu et nous -délivrent de nos ennemis les démons.» - -Barlaam dit encore ceci: «Dans une grande ville, on avait l’habitude -d’élire pour prince, tous les ans, un homme étranger et inconnu, à qui -on laissait plein pouvoir de faire ce qu’il voulait; mais au bout de -l’année, tandis que cet homme ne songeait qu’à sa jouissance, se croyant -destiné à régner toujours, voilà que tous les citoyens s’insurgeaient -contre lui, le traînaient nu par les rues de la ville, et le reléguaient -dans une île déserte où il mourait de faim et de froid. Or il y eut un -de ces princes improvisés qui, ayant appris la coutume de ses sujets, -prit la précaution de déposer dans l’île de grands trésors, de telle -sorte que, quand il y fut à son tour relégué, il ne manqua de rien. -Cette ville est le monde; ses citoyens sont les princes des ténèbres; et -à l’improviste la mort survient, qui nous relègue dans le feu de -l’enfer. Et notre provision de richesses pour l’autre vie ne peut se -faire que par l’entremise des pauvres.» - -Quand Barlaam eut ainsi achevé d’instruire le fils du roi, celui-ci -voulut tout abandonner pour le suivre. Mais Barlaam lui répondit, que, -s’il faisait cela, il serait pareil à certain jeune homme qui, après -avoir refusé de se marier avec une jeune fille riche et noble, s’enfuit -dans un lieu où il trouva une autre jeune fille, très pauvre, -travaillant et priant auprès de son vieux père. Et il lui dit: «Femme, -que fais-tu là? Manquant de tout, tu rends grâces à Dieu comme si tu en -avais reçu de grands biens!» Et la jeune fille: «Les choses extérieures -ne sont pas à nous, mais seulement celles qui sont au dedans de nous. Or -Dieu m’a accordé de grands biens: car il m’a faite à son image, il m’a -appelée à sa gloire et m’a ouvert la porte de son royaume.» Le jeune -homme, la voyant aussi sage que belle, la demanda en mariage à son père. -Et celui-ci: «Tu ne peux pas épouser ma fille, car tu es fils de gens -nobles et riches, et je ne suis qu’un pauvre homme!» Et comme le jeune -homme insistait, le vieillard lui dit: «Je ne puis te la donner en -mariage, car tu la conduirais dans la maison de ton père, et elle est -mon unique enfant.» Et le jeune homme: «Je resterai près de vous et me -conformerai en tout à votre manière de vivre!» Puis, dépouillant ses -vêtements précieux, il endossa un manteau de bure pareil à celui du -vieillard, se fixa près de lui et épousa la jeune fille. Et après que le -vieillard eut éprouvé sa constance, il le conduisit enfin dans la -chambre nuptiale; et, là, il lui montra un trésor comme il n’en avait -jamais vu, et le lui donna tout entier. - -A cela le jeune prince Josaphat répondit: «Je comprends l’allusion que -contient ton récit. Mais dis-moi, père, quel âge tu as et où tu -demeures, car je ne veux pas me séparer de toi.» Et Barlaam: «Il y a -quarante-cinq ans que je demeure au désert de Sennaar.» Alors Josaphat: -«Mais tu as l’air d’avoir plus de soixante-dix ans!» Et Barlaam: «Oui, -tel est mon âge, si l’on compte mes années depuis ma naissance. Mais je -n’admets pas que l’on compte, dans la mesure de ma vie, le temps que -j’ai dépensé aux vanités du monde: car pendant ce temps-là j’étais mort, -et des années de mort ne doivent pas compter dans la vie.» Et comme -Josaphat insistait pour le suivre au désert, Barlaam lui dit: «Si tu le -fais, je ne pourrai jouir de ta société, et je serai cause de -persécution pour mes frères! Reste plutôt ici; et quand tu jugeras le -temps opportun, tu viendras me rejoindre!» Puis, ayant baptisé le -prince, il l’embrassa une dernière fois et s’en retourna au désert. - -Quand le roi apprit que son fils était devenu chrétien, il en éprouva -une vive douleur. Alors un de ses amis, nommé Arachis, pour le consoler, -lui dit: «Je connais un ermite qui est de notre religion et qui -ressemble tout à fait à Barlaam. Que cet homme, se faisant passer pour -Barlaam, défende d’abord la foi chrétienne; puis qu’il se laisse réfuter -et renie son christianisme; et ton fils le reniera, lui aussi!» Le roi -feignit donc d’organiser une grande expédition pour rechercher Barlaam, -et fit savoir à son fils qu’il l’avait retrouvé. Ce qu’apprenant, -Josaphat se désola d’abord de la capture de son maître; mais bientôt -Dieu lui révéla que ce n’était pas le vrai Barlaam. Alors le roi, venant -chez son fils, lui dit: «Mon enfant, tu m’as causé une grande tristesse, -tu as déshonoré mes cheveux blancs et tu m’as ôté la lumière de mes -yeux! Pourquoi, mon cher fils, as-tu abandonné le culte de mes dieux?» -Et Josaphat; «Mon père, pourquoi t’affliger de ce que j’aie été admis à -participer d’un grand bien? Quel père a jamais paru triste de la -prospérité de son fils?» Sur quoi le roi, furieux, se plaignit à Arachis -de l’endurcissement de Josaphat. Arachis lui conseilla de ne pas lui -parler aussi sévèrement, ajoutant qu’avec de douces flatteries on en -viendrait mieux à bout. Aussi, le lendemain, le roi dit-il à son fils, -en le couvrant de baisers: «Mon fils chéri, honore et respecte ton vieux -père! Ne sais-tu pas le bien que c’est d’obéir à son père et de le -rendre heureux? Ne sais-tu pas que tous ceux qui y ont manqué ont péri -misérablement?» Et Josaphat: «Il y a un temps pour aimer et un temps -pour obéir, un temps de paix et un temps de guerre. Mais, à ceux qui -nous détournent de Dieu, nous ne devons jamais obéir, fussent-ils même -nos parents!» Alors le roi, voyant sa constance: «Puisque rien ne peut -te fléchir, viens, et nous croirons tous deux aux mêmes vérités. -Barlaam, qui t’a converti, est ici prisonnier. Convoque tous les -chrétiens, et que les hommes de ma religion et ceux de la tienne -discutent librement! Si ce sont les chrétiens qui l’emportent, nous -croirons à leur Dieu; et si ce sont les hommes de notre religion, tu -renonceras à ton christianisme!» Josaphat consentit à cette proposition -et fut mis en présence du faux Barlaam. - -Aussitôt il lui dit: «Tu sais, Barlaam, comment tu m’as instruit! Si -donc tu défends la foi que tu m’as enseignée, je resterai ton disciple -jusqu’à la fin de mes jours. Mais si, au contraire, tu te laisses -vaincre, j’arracherai moi-même ton cœur et ta langue et les donnerai aux -chiens, pour que désormais personne ne s’avise plus d’induire en erreur -un fils de roi!» Ce qu’entendant le faux Barlaam, dont le vrai nom était -Nachor, trembla et se troubla cruellement, car il se voyait pris à son -propre piège. Il réfléchit que le plus prudent était d’être de l’avis du -fils du roi. Or un rhéteur se leva et lui dit: «Es-tu Barlaam, qui as -induit en erreur le fils du roi?» Et lui: «Je suis Barlaam, qui n’ai pas -induit en erreur le fils du roi, mais au contraire qui l’ai délivré de -l’erreur!» Et le rhéteur: «Alors que les plus sages et les plus savants -des hommes ont adoré nos dieux, comment oses-tu t’insurger contre eux?» -Et le faux Barlaam: «Les Chaldéens, les Grecs et les Egyptiens ont -commis l’erreur de prendre pour des dieux de simples créatures. Les -Chaldéens ont adoré les éléments, créés pour l’utilité de l’homme. Les -Grecs ont adoré des hommes criminels, tels que Saturne, qui dévorait ses -fils et s’était coupé ses parties génitales; tels que Jupiter, qui, pour -commettre l’adultère, aimait à prendre des formes d’animaux; tels encore -que Vénus, qui trompait son mari avec Adonis. Les Egyptiens ont adoré -des bêtes, le bœuf, le mouton, le porc, et d’autres encore. Seuls les -chrétiens adorent le fils du vrai Dieu qui est descendu des cieux pour -sauver les hommes.» Et Nachor continua de défendre la foi chrétienne, en -sorte que les rhéteurs, stupéfaits, ne surent que répondre. Et Josaphat -se réjouissait fort de voir que le Seigneur faisait défendre la vérité -par la bouche d’un ennemi. Mais le roi, au contraire, était furieux. Il -s’empressa de lever la séance, sous prétexte d’ajourner le débat au -lendemain. Et Josaphat lui dit: «Si tu ne veux pas qu’on doute de ta -justice, permets à mon maître de passer la nuit avec moi, pour que nous -convenions ensemble de nos réponses pour demain! Et toi, de la même -façon, entends-toi avec tes rhéteurs!» Le roi et Nachor y consentirent, -espérant toujours l’induire en erreur. Mais lorsque Nachor se rendit au -palais de Josaphat, celui-ci lui dit: «Ne crois pas que j’ignore qui tu -es! Je sais que tu n’es pas Barlaam, mais l’astrologue Nachor.» Puis il -lui exposa si bien les voies du salut qu’il le convertit. Et, le -lendemain, Nachor s’en alla au désert, où, ayant reçu le baptême, il se -fit ermite. - -Cependant, un mage nommé Théodas, instruit de tout cela, vint trouver le -roi et lui dit qu’il connaissait un moyen de détourner Josaphat de son -christianisme. Et le roi: «Si tu parviens à cela, je t’élèverai une -statue d’or et ordonnerai qu’on t’offre des sacrifices comme à un dieu!» -Alors Théodas: «Eloigne de ton fils tous ses compagnons, et introduis -dans son palais des femmes belles et ornées, pour qu’elles le servent et -passent tout leur temps avec lui! Moi, je lui enverrai un de mes -esprits, qui l’enflammera de concupiscence. Car rien n’a autant de -pouvoir pour séduire les jeunes gens qu’un visage de femme! Certain roi -venait de voir naître un fils lorsque les médecins lui dirent que si, -pendant dix ans, l’enfant apercevait une seule fois le soleil ou la -lune, il perdrait l’usage de ses yeux. Alors ce roi fit enfermer son -fils, jusqu’à l’âge de dix ans, dans une grotte souterraine. Les dix ans -écoulés, il ordonna qu’on étalât devant son fils toutes les choses du -monde, afin qu’il apprît à les connaître ainsi que leurs noms. L’enfant -apprit à connaître, de cette façon, les noms de l’or et de l’argent, des -pierres précieuses, des chevaux, et de tout le reste. Mais quand il -demanda quel était le nom des femmes, le ministre du roi lui répondit en -plaisantant qu’on les appelait _des diables à séduire les hommes_. Et -lorsque ensuite le roi demanda à son fils ce qu’il aimait le mieux, de -toutes les choses qu’il avait vues, l’enfant répondit que c’était, à -beaucoup près, _les diables à séduire les hommes_.» - -Aussitôt le roi, congédiant tous les compagnons de son fils, les -remplaça par de belles jeunes filles, qui ne cessaient point de -l’exciter à la luxure. Et le malin esprit envoyé par le mage pénétra -dans le cœur du jeune homme et y alluma un grand feu. De telle sorte -que, brûlé tout ensemble au dehors et au dedans, le malheureux Josaphat -souffrait cruellement. Mais il se recommandait à Dieu; et Dieu finit par -éloigner de lui toute tentation. - -Alors le roi envoya à son fils une jeune princesse d’une beauté -merveilleuse. Et comme Josaphat lui prêchait le Christ, elle répondit: -«Si tu veux me détourner du culte des idoles, marie-toi avec moi! Car -les chrétiens eux-mêmes approuvent le mariage; puisque leurs -patriarches, leurs prophètes et leur apôtre Pierre étaient mariés.» Mais -Josaphat: «Chère amie, ce sont là de vaines paroles. Les chrétiens -peuvent, en effet, se marier, mais non pas ceux qui ont promis au Christ -de garder leur virginité!» Et elle: «Soit! mais si tu veux sauver mon -âme, accorde-moi du moins une petite grâce! Accouple-toi avec moi cette -nuit seulement, et je te promets que, demain matin, je me ferai -chrétienne!» Elle parlait avec tant d’instance, et était si belle, -qu’elle commença à ébranler sérieusement la tour de son âme. Ce que -voyant, Satan dit à ses compagnons: «Voyez comme cette jeune fille -ébranle l’âme que nous n’avons pu toucher! Profitons de l’occasion pour -nous précipiter dans cette âme!» Alors le pauvre jeune homme, se voyant -si tenté--car il l’était et par sa concupiscence et par son désir de -sauver la jeune fille,--se mit à pleurer et tomba en prière. Et, pendant -sa prière, il s’endormit et eut un rêve. Il se vit amené dans un pré -fleuri où les feuilles des arbres, sous une brise légère, murmuraient -doucement et exhalaient un parfum merveilleux. Il y avait là des fruits -d’un goût incomparable, des eaux d’une limpidité ravissante, des sièges -et des lits ornés d’or et de pierreries. Et une voix lui dit que c’était -là le séjour des bienheureux. Il demanda la permission d’y rester, mais -la voix lui répondit: «Tu pourras y revenir un jour, si tu sais résister -à tes mauvais désirs.» Puis il vit, dans son rêve, un lieu sinistre et -fétide, et la voix lui dit que c’était le séjour des damnés. Et, -lorsqu’il s’éveilla, la beauté de la jeune fille lui parut exhaler la -même puanteur. - -Les malins esprits s’en retournèrent auprès de Théodas, et lui dirent: -«Tant qu’il n’avait pas fait le signe de la croix, nous pouvions -pénétrer en lui et le troubler vivement. Mais dès qu’il eut fait ce -signe, nous dûmes nous enfuir.» Alors Théodas se rendit lui-même auprès -de Josaphat, espérant le séduire par de belles paroles. Mais ce fut lui -qui fut pris par celui qu’il voulait prendre. Converti par Josaphat, il -reçut le baptême, et mena, depuis lors, une vie exemplaire. - -Le roi, désespéré, abandonna à son fils la moitié de son royaume. Et -Josaphat, malgré son extrême impatience de se réfugier au désert, jugea -utile, dans l’intérêt de la foi, d’accepter pour quelque temps le -royaume qui lui était offert. Il construisit de nombreuses églises, -dressa partout des croix, et convertit tous ses sujets. Son père -lui-même finit par se laisser convaincre par la prédication de son fils. -Il crut en Jésus-Christ, reçut le baptême, laissa le royaume entier à -Josaphat, et acheva sa vie dans la pénitence. - -Après cela, Josaphat voulut, à son tour, se retirer dans le désert; mais -longtemps les prières de son peuple le retinrent. Un jour enfin, il -s’enfuit, donna à un pauvre ses habits royaux, et, en échange, revêtit -ses haillons. Ainsi il erra dans le désert pendant deux ans, sans -pouvoir trouver Barlaam. Enfin, apercevant un caveau, il frappa à la -porte et dit: «Père, bénis-moi!» Et Barlaam, entendant sa voix, sortit -du caveau. Ils s’embrassèrent longuement, heureux de se revoir. Josaphat -raconta à Barlaam tout ce qui lui était arrivé; et, ensemble, ils en -rendirent grâces à Dieu. Et Josaphat vécut là de nombreuses années, dans -la vertu et les privations. Quant à Barlaam, lorsqu’il eut accompli sa -destinée, il mourut en paix à l’âge de quatre-vingts ans, l’an du -Seigneur 400. Josaphat, lui, renonça à son royaume dans la -vingt-cinquième année de son âge; il vécut ensuite au désert pendant -trente-cinq ans, et puis s’endormit, à son tour, dans le Seigneur[20]. - - [20] C’est l’histoire de saint Josaphat qui a fait affirmer à Max - Müller,--et à bien d’autres, après lui,--que «Boudha était devenu un - saint de l’Eglise catholique». En effet, au dire de ces savants, le - nom de «Josaphat» ne peut être qu’une déformation de «Bodhisattva»; - et il y a, dans le fameux _Lalila Vistara_, une légende qui rappelle - ce que Jean de Damas et Jacques de Voragine nous racontent de - l’enfance du fils du roi Avennir. Quant à l’esprit profondément - chrétien qui anime tout le récit de la _Légende Dorée_, sous la - délicieuse couleur orientale dont il est revêtu, c’est apparemment - chose sans importance, ou, en tout cas, incapable de prévaloir - contre l’identité manifeste des deux noms de «Josaphat» et de - «Bodhisattva»! - - - - -CLXXI - -SAINT JACQUES L’INTERCIS, MARTYR - -(27 novembre) - - -Le martyr Jacques, surnommé l’Intercis[21], noble de naissance, mais -plus noble encore par sa foi, était originaire de la ville d’Elape, dans -le pays des Perses. Né de parents chrétiens, et marié à une femme -chrétienne, il vivait dans la familiarité du roi des Perses, qui finit -même par le décider à sacrifier aux idoles. Ce qu’entendant, la mère et -la femme de Jacques lui écrivirent aussitôt: «En obéissant à un mortel, -tu as abandonné Celui de qui dépend la vie, tu as changé la vérité en -mensonge; en cédant à un mortel, tu as renié le juge des vivants et des -morts. Sache donc que, désormais, nous te serons étrangères, et que -jamais plus tu ne nous reverras!» Et Jacques, ayant lu cette lettre, -s’écria en pleurant: «Si ma mère et ma femme me sont devenues -étrangères, combien plus étranger doit m’être devenu mon Dieu!» Et comme -il se repentait amèrement de sa faute, on fit savoir au roi que Jacques -était de nouveau chrétien. Alors le roi le fit comparaître et lui dit: -«Réponds-moi, es-tu Nazaréen?» Et Jacques: «Oui!» Et lui: «Donc tu es -mage!» Et Jacques: «Dieu me préserve d’être mage!» Et comme le roi le -menaçait de nombreux supplices, Jacques répondit: «Tes menaces ne -sauraient me troubler, car tes paroles me traversent plus vite les -oreilles que le vent ne met de temps à passer sur un rocher!» Et le roi: -«Sois prudent, ne t’expose pas à une mort cruelle!» Et Jacques: «Ce -n’est point là une mort, mais plutôt un sommeil, d’où l’on ne tarde pas -à se réveiller pour la résurrection!» Et le roi: «Ne crois pas les -Nazaréens qui prétendent que la mort n’est qu’un sommeil, car les plus -grands empereurs la redoutent!» Et Jacques: «Quant à nous, nous ne -craignons point la mort, car elle n’est pour nous que l’entrée de la -vie!» Alors le roi, sur le conseil de ses amis, décida que, pour -l’exemple, Jacques serait mutilé membre à membre. Et comme plusieurs -témoins, émus de pitié, pleuraient sur le saint, celui-ci leur dit: «Ne -pleurez pas sur moi, mais sur vous-mêmes, car moi, je vais à la vie, et -vous, au supplice éternel!» - - [21] Ce surnom, qui signifie «le coupé en morceaux» est une allusion - au martyre du saint. - -Alors les bourreaux lui coupèrent le pouce de la main droite, et Jacques -s’écria: «Seigneur Jésus, reçois ce rameau de l’arbre de la miséricorde; -car le vigneron coupe le sarment de sa vigne afin qu’elle germe mieux et -soit couronnée de fruits!» Et le bourreau: «Si tu consens à céder, je -puis encore te faire grâce et guérir ta main!» Et, comme Jacques s’y -refusait, il lui coupa un second doigt. Et Jacques dit: «Reçois ces deux -rameaux que tu as plantés!» Au troisième doigt coupé, il dit: «Délivré -d’une triple tentation, je bénis le Père, le Fils et le Saint-Esprit!» -Au quatrième doigt, Jacques dit: «Protecteur des fils d’Israël, quatre -fois béni, reçois de ton serviteur ce quatrième hommage!» Enfin, au -cinquième doigt: «Maintenant ma joie est complète!» - -Alors les bourreaux lui dirent: «Aie maintenant pitié de ton âme! Et ne -t’afflige pas d’avoir perdu une main, car il y a bien des hommes qui -n’ont qu’une main, et qui abondent en honneurs et richesses!» Et -Jacques: «Quand les bergers tondent leurs brebis, se contentent-ils de -couper la laine du côté droit, en laissant tout entière celle du côté -gauche?» On lui coupa le petit doigt de la main gauche. Et lui: -«Seigneur, étant le plus grand, tu as voulu devenir, pour nous, le plus -petit! Reprends le corps que tu as racheté de ton propre sang!» Au -septième doigt, il dit: «Sept fois par jour j’ai loué le Seigneur!» Au -huitième: «C’est le huitième jour que Jésus a été circoncis. Permets à -l’âme de ton serviteur, Seigneur, d’être, elle aussi, purifiée par les -rites sacrés!» Au neuvième doigt, il dit: «C’est à la neuvième heure que -le Christ a expiré sur la croix. Aussi, Seigneur, suis-je heureux de te -proclamer et de te remercier, dans la douleur de l’amputation de mon -neuvième doigt.» Enfin, au dixième doigt, il dit: «La dixième lettre de -l’alphabet, _iota_, est la lettre par laquelle commence le nom de -Jésus-Christ!» Alors quelques-uns des assistants dirent: «O toi que nous -avons aimé, feins tout au moins de renier ton Dieu pour obtenir la vie -sauve! On t’a, en vérité, coupé les mains; mais nous connaissons des -médecins très habiles qui sauront te guérir de ta souffrance.» Et -Jacques: «Loin de moi une aussi honteuse dissimulation! Celui qui -regarde en arrière pendant qu’il conduit la charrue ne saurait être -propre au royaume de Dieu.» Sur quoi les bourreaux, furieux, lui -coupèrent tour à tour les dix doigts de ses pieds. Et à chaque doigt -coupé il glorifiait Dieu d’une façon nouvelle. On lui coupa ensuite le -pied droit, puis le pied gauche, puis le bras droit et le bras gauche, -puis la jambe droite jusqu’à la cuisse. Et le saint, se tordant sous la -douleur, s’écria: «Seigneur Jésus-Christ, aide-moi, car voici que -s’emparent de moi les gémissements de la mort!» Et il dit aux bourreaux: -«Le Seigneur me revêtira d’une chair nouvelle, que vos blessures ne -sauront atteindre!» Et déjà les bourreaux commençaient à se fatiguer, -ayant travaillé sur lui de la première jusqu’à la neuvième heure. Ils -lui coupèrent cependant encore la jambe gauche, jusqu’à la cuisse. Et -saint Jacques s’écria: «Dieu des vivants et des morts, écoute-moi, qui -suis à demi vivant et à demi mort! Je n’ai plus de doigts ni de mains à -tendre vers toi, plus de genoux à fléchir devant toi! Je suis comme une -maison qui s’effondre, ayant perdu toutes les colonnes, qui la -soutenaient. Ecoute-moi, Seigneur Jésus, et tire mon âme de sa prison!» -A peine eut-il dit cela qu’un des bourreaux s’approcha et lui trancha la -tête. Il mourut le jour du 27 novembre. - - - - -CLXXII - -SAINT SATURNIN, SAINTE PERPÉTUE, SAINTE FÉLICITÉ ET LEURS COMPAGNONS, -MARTYRS - -(23 et 29 novembre)[22] - - [22] La fête de saint Saturnin de Toulouse est célébrée le 29 - novembre; celle de sainte Félicité et de ses compagnons, le 23 du - même mois. - - -I. Saturnin, ordonné prêtre par les disciples des apôtres, fut désigné -pour aller occuper l’évêché de Toulouse. Et comme, dès qu’il fut entré -dans la ville, tous les démons cessèrent de répondre aux questions qu’on -leur faisait, un des païens dit que, si l’on ne tuait pas Saturnin, on -n’obtiendrait plus jamais rien des dieux. On s’empara donc de Saturnin; -et celui-ci, sur son refus de sacrifier, fut attaché au pied d’un -taureau furieux, qu’on précipita ensuite le long des marches du -Capitole. Le saint eut la tête brisée, la cervelle écrasée; et ainsi, il -reçut heureusement la couronne du martyre. Deux femmes recueillirent son -corps, et, par peur des païens, le cachèrent dans un puits, d’où les -successeurs de saint Saturnin le transportèrent, plus tard, dans un lieu -consacré. - -II. Il y eut un autre Saturnin qui souffrit le martyre à Rome, en l’an -286, sous Maximien. Le préfet de la ville, après l’avoir longtemps tenu -en prison, le fit attacher sur un chevalet, où il fut roué de coups. On -lui brûla ensuite les côtes, et l’on finit par le décapiter. - -III. Il y eut un autre Saturnin qui souffrit le martyre en Afrique avec -son frère Satire, un compagnon nommé Révocat, la sœur de celui-ci, -nommée Félicité, et une femme noble nommée Perpétue. Ayant refusé de -sacrifier aux idoles, ils furent tous jetés en prison. Ce que voyant, le -père de Perpétue courut à la prison, et dit: «Ma fille, qu’as-tu fait? -Tu as déshonoré ta famille! car jamais encore personne de ta race n’a -été emprisonné!» Et quand il apprit que sa fille était chrétienne, il -s’élança sur elle pour lui crever les yeux. Or, cette nuit-là, Perpétue -eut un rêve qu’elle raconta en ces termes à ses compagnons: «J’ai vu une -échelle d’or qui s’élevait jusqu’au ciel, si étroite qu’on ne pouvait y -grimper qu’un à un, et encore à la condition d’être petit de taille. Car -à droite et à gauche, sur les portants, étaient fixés des couteaux et -des glaives très aigus, de telle sorte que ceux qui grimpaient ne -pouvaient regarder ni derrière eux ni autour d’eux, mais étaient forcés -d’avoir toujours les yeux levés au ciel. Sous l’échelle se tenait un -immense et terrible dragon, essayant d’effrayer tous ceux qui voulaient -grimper. Et j’ai vu Satire grimper sur l’échelle, parvenir jusqu’en -haut, puis se retourner, et nous faire signe de le suivre sans crainte.» -Ce qu’entendant, tous les prisonniers rendirent grâce à Dieu, car ils -comprirent qu’ils avaient été élus pour le martyre. Amenés devant le -juge, ils refusèrent de sacrifier: sur quoi le juge fit séparer les -trois hommes des deux femmes, et dit à Félicité: «As-tu un mari?» Et -elle: «Oui, mais je le dédaigne!» Et lui: «Aie pitié de toi, jeune -femme, et consens à vivre, d’autant plus que tu portes un enfant dans -ton ventre!» Mais elle: «Fais de moi ce que tu voudras, jamais tu ne -m’amèneras à ta volonté!» Cependant, les parents et le mari de Perpétue -avaient amené à celle-ci son petit garçon encore à la mamelle. Et le -père de la sainte dit à sa fille: «Mon doux enfant, aie pitié de moi, de -ta pauvre mère, et de ton mari, qui ne pourra pas vivre sans toi!» Mais -Perpétue ne se laissait point toucher. Alors son père lui jeta au cou -son petit garçon. Mais elle, repoussant l’enfant, dit aux siens: -«Eloignez-vous de moi, ennemis de Dieu, car je ne vous connais plus!» -Après quoi le préfet, voyant la constance des martyrs, les renvoya en -prison. Et comme les saints s’affligeaient sur Félicité, qui était alors -enceinte de huit mois, Dieu fit alors en sorte qu’elle éprouva soudain -les douleurs de l’enfantement, et mit au monde un fils vivant. Et les -gardiens lui disaient: «Si tu souffres si cruellement dès à présent, que -sera-ce quand tu comparaîtras devant le juge?» Mais Félicité: «Ici, je -souffre pour moi; là-bas Dieu souffrira pour moi!» On les fit ensuite -sortir de prison, les mains liées derrière le dos, et on les conduisit -dans l’amphithéâtre. Satire et Perpétue furent dévorés par des lions, -Révocat et Félicité par des léopards; et Saturnin eut la tête tranchée. -Cela se passait vers l’an 256, sous les empereurs Valérien et Gallien. - - - - -CLXXIII[23] - -SAINT PASTEUR, ABBÉ - - [23] Les cinq chapitres qui suivent forment, en appendice à la - _Légende des Saints_, une sorte de manuel de la vie monastique. - - -Saint Pasteur demeura de longues années au désert, avec ses frères, et -se distingua par sa sainteté. Sa mère désirait beaucoup revoir ses fils; -et comme ils s’y refusaient, elle se rendit un jour au devant d’eux -pendant qu’ils allaient à la ruche. Mais aussitôt ils s’enfuirent dans -leurs cellules, dont ils barricadèrent les portes. Et elle, debout -devant la porte de la cellule de Pasteur, pleurait et gémissait. -Pasteur, à travers la porte, lui dit: «Vieille femme, qu’as-tu à crier -ainsi?» Mais elle, entendant sa voix redoublait ses cris, disant: «Je -veux vous voir, mes chers fils! Est-ce donc mal, que je vous revoie? Ne -suis-je pas votre mère, qui vous ai allaités?» Et son fils: «Veux-tu -nous voir dans ce monde-ci ou dans l’autre?» Et elle: «Si je ne peux pas -dans celui-ci, que du moins je le puisse dans l’autre, mes enfants!» Et -Pasteur: «Si tu te résignes chrétiennement à ne pas nous voir dans ce -monde-ci, tu nous verras certainement dans l’autre!» Sur quoi la vieille -s’en alla toute réconfortée. - -Le juge de la province voulait, lui aussi, voir Pasteur, qui refusait de -se laisser voir. Ce juge fit alors jeter en prison le neveu de l’ermite, -en disant: «Si Pasteur vient intercéder pour lui, je le relâcherai!» La -mère de l’enfant vint pleurer devant la porte de Pasteur. Et comme -celui-ci ne lui répondait pas, elle lui dit: «Si même tu as des -entrailles de fer, insensibles à toute compassion, qu’au moins la voix -du sang te parle en faveur de mon fils!» Mais son frère se borna à lui -faire répondre: «Pasteur n’a jamais eu de fils!» La mère du prisonnier -revint toute en larmes auprès du juge, qui lui dit: «Qu’au moins ton -frère dise un mot pour ton fils et je le remettrai en liberté!» Mais -Pasteur se borna à lui répondre: «Examine la cause suivant ta loi; et, -s’il est digne de mort, mets-le à mort; s’il est innocent, fais-en ce -qui te plaira!» Pasteur disait à ses frères: «Pour être libre de ce -monde, le moine n’a qu’à détester deux choses.» Et comme un de ses -frères lui demandait ce que c’était, il répondit: «La jouissance -charnelle et la vaine gloire. Si tu veux trouver le repos dans ce monde -et dans l’autre, dis-toi toujours: qui suis-je? Et ne juge personne!» Un -frère d’un couvent ayant commis une faute, l’abbé, sur le conseil d’un -ermite, le chassa. Or, comme ce frère s’enfuyait, désespéré, Pasteur -l’appela, le consola, et lui demanda d’aller chercher l’ermite qui -l’avait dénoncé. Et à cet ermite il dit: «Il y avait deux hommes, dont -chacun venait de perdre son fils. Et voici que l’un des deux abandonna -son propre mort pour aller pleurer le mort de l’autre!» L’ermite comprit -la parabole, et se repentit. Une autre fois, un frère dit à Pasteur -qu’il voulait s’en aller, parce qu’on lui avait rapporté, d’un de ses -frères, des choses qui l’avaient scandalisé. Pasteur lui répondit de ne -pas croire ces choses, qui n’étaient pas vraies. Et le frère: «Pardon, -elles sont vraies, car c’est le frère Fidèle qui me les a rapportées!» -Et Pasteur: «Celui qui te les a rapportées ne saurait être Fidèle; car, -s’il était fidèle, il ne songerait pas à dénoncer ses frères!» Et le -frère: «Mais je l’ai vu aussi de mes propres yeux!» Et Pasteur: «Sais-tu -ce que c’est qu’une paille et qu’une poutre? Eh bien, mets-toi dans -l’esprit que tes péchés à toi sont comme une poutre, et ceux de ton -frère comme un fétu de paille!» - -Un frère qui avait commis un grand péché voulut faire pénitence pendant -trois ans. Mais d’abord il demanda à Pasteur si c’était beaucoup. Et -Pasteur: «C’est beaucoup!» Le frère demanda si un an de pénitence serait -suffisant. Et Pasteur: «C’est beaucoup!» On en vint à proposer quarante -jours; mais Pasteur dit encore: «C’est beaucoup!» Et il ajouta: -«J’estime que si un homme se repent de tout son cœur, et se promet de ne -pas recommencer son péché, Dieu se contente parfaitement d’une pénitence -même de trois jours.» - -Un frère lui demanda ce qu’il devait faire d’un héritage qui venait de -lui échoir. Pasteur lui dit de revenir trois jours après. Et, trois -jours après, il lui dit: «Si tu donnes ton argent à l’Eglise, on le -dépensera en repas; si tu le donnes à tes parents, tu n’en auras point -de récompense; si tu le donnes aux pauvres, tu seras certain de l’avoir -bien placé. Mais au reste fais ce que tu voudras, car je ne me sens pas -le droit de rien décider!» Voilà ce que nous apprend sur saint Pasteur -la _Vie des Pères du Désert_. - - - - -CLXXIV - -SAINT JEAN, ABBÉ - - -Jean, abbé, s’entretenant avec un autre solitaire, Episius, qui depuis -quarante ans vivait au désert, lui demanda quel profit il en avait -retiré. Episius répondit: «Depuis que je suis au désert, jamais le -soleil ne m’a vu mangeant!» Et Jean: «Ni moi en colère!» De la même -façon, comme l’évêque Epiphane nourrissait de viande le solitaire -Hilarion, celui-ci lui dit: «Pardonne-moi, car depuis que j’ai revêtu -cet habit, je n’ai point mangé de nourriture animale.» Et l’évêque: -«Moi, depuis que j’ai revêtu cet habit, jamais j’ai permis que quelqu’un -allât dormir qui avait dans son cœur un grief contre moi; et, moi-même, -jamais je ne me suis endormi en ayant au cœur un grief contre -quelqu’un.» Et Hilarion: «Pardonne-moi, car tu es meilleur que moi!» - -Jean résolut un jour de ne rien faire pour lui-même, à la façon des -anges, afin de se consacrer plus entièrement à Dieu. Il se dépouilla -donc de son froc, sortit de sa cellule, et, pendant une semaine, resta -étendu dans le désert. Mais au bout de cette semaine, mourant de faim et -tout dévoré des morsures des mouches et des guêpes, il alla frapper à la -porte d’un de ses frères. Et celui-ci: «Qui es-tu?» Et lui: «Je suis -Jean!» Mais le frère: «C’est impossible! Jean est devenu un ange, et -n’est plus parmi les hommes!» Et Jean: «Je t’assure que c’est moi!» Mais -le frère lui refusa de lui ouvrir la porte et le laissa en peine -jusqu’au lendemain. Puis, lui ouvrant enfin la porte, il lui dit: «Si tu -n’es qu’un homme, tu as besoin de travailler pour te nourrir et pour -vivre!» Et Jean: «Pardonne-moi, frère, car j’ai péché!» - -Jean étant sur le point de mourir, ses frères lui demandèrent de leur -laisser quelques bonnes paroles, en guise d’héritage. Mais il gémit et -dit: «Jamais je n’ai fait ma propre volonté, et jamais je n’ai rien -enseigné qu’en le faisant moi-même!» Tout cela est extrait de la _Vie -des Pères_. - - - - -CLXXV - -SAINT MOÏSE, ABBÉ - - -Le solitaire Moïse dit à un de ses frères, qui lui demandait de -l’instruire: «Enferme-toi dans ta cellule, et elle t’enseignera tout!» - -Un vieillard malade voulait se rendre en Egypte pour ne pas être trop à -charge aux frères. Moïse lui dit: «Ne t’en va pas, car tu commettrais le -péché de chair!» Et le vieillard: «Comment peux-tu me dire cela, à moi -qui ne suis plus qu’un cadavre?» Il partit donc, et une jeune fille le -soigna par dévouement; et quand il fut convalescent, il la viola. -Lorsqu’elle eut enfanté un fils, le vieillard prit l’enfant dans ses -langes, et, le jour d’une grande fête, entra dans l’église où les frères -étaient rassemblés. Et il leur dit: «Vous voyez cet enfant? C’est le -fils de la désobéissance! Prenez bien garde à vous, mes frères, et priez -pour moi!» Après quoi il revint s’enfermer dans sa cellule. - -Un des frères ayant péché, on envoya chercher Moïse, qui arriva en -portant sur son dos un sac plein de sable. Et comme on lui demandait ce -que cela signifiait: «Ce sont mes péchés qui courent derrière moi, mais, -comme je ne les vois pas, voici que je viens juger les péchés d’autrui!» -Les frères comprirent et pardonnèrent au coupable. On raconte une chose -analogue du solitaire Prieur, qui, ayant à juger un de ses frères, fit -porter derrière lui un grand sac de sable et, devant lui, un sac plus -petit. Et il dit: «Le grand sac, ce sont mes péchés mais comme ils sont -derrière moi, je ne les vois pas et ne m’en afflige pas; le petit sac, -ce sont les péchés de mon frère; et comme ils sont devant moi, je suis -tout prêt à les juger avec sévérité.» - -Moïse fut ordonné prêtre, et l’évêque lui dit, en le revêtant du -superhuméral: «Te voilà tout blanc!» Et lui: «Seigneur, que ne puis-je -l’être plutôt au dedans!» Puis l’évêque, voulant l’éprouver, dit à son -clergé de le repousser au moment où il approcherait de l’autel, et -d’écouter ensuite ce qu’il dirait. On fit ainsi, et on entendit qu’il -disait: «Voilà qui est bien fait pour toi! car, n’étant pas un homme, -pourquoi as-tu eu la présomption d’aller parmi les hommes?» Tout cela -est extrait de la _Vie des Pères._ - - - - -CLXXVI - -SAINT ARSÈNE, ABBÉ - - -Arsène, étant encore à Rome, dans le palais de ses parents, priait Dieu -de le diriger dans les voies du salut. Il entendit une voix qui lui dit: -«Fuis les hommes et tu sera sauvé!» Il adopta donc la vie monacale; et -dès qu’il l’eut fait; la voix lui dit: «Retraite, silence, repos!» - -Au sujet de ce «repos» que doivent rechercher les serviteurs du Christ, -on lit dans la _Vie des Pères_, l’histoire suivante. Trois frères -s’étant fait moines, l’un choisit pour tâche de ramener la paix parmi -les gens en discorde, le second, de soigner les malades, le troisième, -de se reposer dans la solitude. Sur quoi le premier se mit en devoir -d’apaiser les querelles; mais il ne put plaire à tous; et, désespérant -de son œuvre, il se rendit chez son frère. Il le trouva non moins abattu -que lui-même. Et c’est dans cet état qu’ils se rendirent tous deux -auprès du troisième frère. Quand ils lui eurent raconté leurs déboires, -l’ermite versa de l’eau dans un bassin et leur dit: «Regardez-vous dans -cette eau quand elle est troublée!» Puis il leur dit: «Regardez-vous -maintenant dans la même eau devenue tranquille!» Cette fois; ils virent -leur visage reflété dans l’eau. Et leur frère leur dit: «De la même -façon, ceux qui vivent au milieu des hommes se trouvent hors d’état de -voir leurs propres péchés; mais, dès qu’ils se reposent, ils peuvent -voir leurs péchés.» - -Une vieille dame noble et pieuse vint voir le solitaire Arsène, et, par -l’entremise de l’archevêque Théophile, lui fit demander de la recevoir. -Comme Arsène s’y refusait, elle se rendit jusqu’à sa cellule, l’aperçut -debout devant la porte, et se prosterna à ses pieds. Et Arsène, après -l’avoir relevée, avec indignation: «Malheureuse femme, pourquoi as-tu -entrepris ce voyage? Tu vas maintenant revenir à Rome; tu y raconteras à -toutes les femmes que tu as vu le solitaire Arsène, et toutes voudront -venir pour me voir aussi!» Et la dame: «Si Dieu me permet de revenir à -Rome; je ferais en sorte qu’aucune femme ne vienne ici: mais je te -supplie de prier pour moi et de ne pas m’oublier!» Mais lui: «Je vais -prier Dieu qu’il efface ton souvenir de mon cœur!» Ce qu’entendant la -dame, confuse, s’en retourna en ville, et, à force de s’affliger, fut -prise de fièvre. L’archevêque, venu près d’elle pour la consoler; lui -dit: «Ne sais-tu donc pas que tu es une femme, et que c’est par les -femmes que l’ennemi attaque le plus volontiers les saints? Voilà -pourquoi Arsène t’a dit ce qu’il t’a dit! Mais, quant à ton âme, tu peux -être certaine qu’il priera pour elle!» Et la vieille dame, ainsi -consolée, recouvra la santé. - -La _Vie des Pères_ raconte, à ce même propos, l’histoire d’un moine qui, -ayant à porter sa vieille mère pour traverser un fleuve, commença par -s’envelopper les mains dans son manteau. Et sa mère: «Pourquoi -couvres-tu tes mains, mon enfant?» Et lui: «Le corps de toute femme est -fait de feu! J’ai peur que, en te touchant, l’image des autres femmes ne -me revienne à l’esprit!» - -Arsène passa toute sa vie assis dans sa cellule, ayant dans son sein un -linge pour essuyer les pleurs qui coulaient de ses yeux. Il veillait -toute la nuit. Et, le matin, tombant de fatigue, il disait au sommeil: -«Viens, mauvais serviteur!» et il s’endormait pour un peu de temps. Il -disait: «Une heure de bon sommeil doit suffire au moine!» - -Le père d’Arsène, qui était un riche sénateur, laissa à son fils, en -mourant, toute sa fortune. Alors un certain Magistrien vint lui apporter -le testament paternel; et lui, le prenant en main, voulait le déchirer. -Magistrien le supplia de n’en rien faire, disant que, s’il le faisait, -on lui trancherait la tête. Et Arsène: «Je suis mort avant mon père. -Comment donc peut-il faire de moi son héritier?» Et il rendit le -testament sans vouloir le lire. - -Un jour, une voix lui dit: «Viens, je te montrerai les œuvres des -hommes!» Puis, l’ayant conduit en un certain lieu, l’ange lui montra -d’abord un Ethiopien s’occupant à faire un fagot de bois si lourd qu’il -ne pouvait l’emporter. L’ange lui fit voir ensuite un homme qui puisait -de l’eau dans un lac pour la verser dans une citerne creuse, d’où l’eau, -tout de suite, retournait dans le lac. Il lui montra aussi deux hommes -qui portaient une longue poutre; mais quand ils voulurent entrer dans le -temple, ils ne le purent, à cause de la façon dont ils portaient la -poutre. Et l’ange dit: «Ceux-ci, ce sont ceux qui subissent le joug de -Dieu avec orgueil, non avec humilité; et, pour ce motif, ils ne peuvent -entrer dans le royaume de Dieu. L’homme qui fait les fagots est le -pécheur que sa pénitence n’empêche pas de pécher de nouveau, et qui -ajoute ainsi l’iniquité à l’iniquité. L’homme qui verse de l’eau dans la -citerne sans fond est l’homme qui, en mêlant les bonnes et les mauvaises -actions, perd le bénéfice de ses bonnes actions.» Tout cela est extrait -de la _Vie des Pères_. - - - - -CLXXVII - -AGATHON, ABBÉ - - -Le solitaire Agathon garda, pendant trois ans, une pierre dans sa -bouche, afin de s’accoutumer au silence. Un autre frère, entrant au -milieu d’une assemblée, se dit: «Tu n’es qu’un âne. Fais donc comme -l’âne, qui brait et ne parle pas, reçoit l’injure et ne réponds rien!» -Un autre frère, chassé de table, ne répondit rien. Plus tard, interrogé -sur le motif de sa conduite, il répondit: «J’ai voulu ressembler au -chien, qui, quand on le chasse, s’en va!» - -Interrogé sur la plus difficile de toutes les vertus, Agathon répondit: -«C’est de prier Dieu; car, dans les autres travaux, on peut toujours se -reposer; tandis que l’homme qui prie doit toujours lutter.» Et il disait -à ses frères: «Vous devez toujours vivre entre vous comme au premier -instant où vous vous rencontrez, et ne point vous faire de confidences. -Car il n’y a point de pire passion que la confidence, et c’est elle qui -engendre toutes les passions. Un homme irrité, même s’il ressuscitait -les morts, ne plairait encore ni à Dieu ni aux hommes. Deux frères -avaient vécu longtemps ensemble sans que rien pût jamais les irriter -l’un contre l’autre. Un jour, l’un d’eux dit à l’autre: «Essayons de -nous quereller, comme font les autres hommes!» Et l’autre: «Mais je ne -sais pas comment on fait pour se quereller.» Et son frère: «Tiens, je -pose là cette cruche, je dis qu’elle est à moi, tu réponds qu’elle est à -toi, et voilà une querelle!» Ils mettent donc la cruche au milieu de la -cellule. Et l’un dit à l’autre: «Ceci est à moi!» L’autre répond: «Mais -non, c’est à moi!» Et son frère: «Eh bien oui, c’est à toi! tu peux le -prendre!» Et ainsi ils se séparèrent sans être parvenus à se quereller. - -Avant de mourir, Agathon resta immobile pendant trois jours, les yeux -ouverts. Ses frères lui demandèrent ce qu’il faisait. Et lui: «J’attends -le jugement de Dieu!» Et eux: «En as-tu peur?» Et lui: «Je me suis -efforcé autant que j’ai pu d’obéir aux ordres de Dieu. Mais je suis -homme, et je ne sais pas si mes œuvres plairont au Seigneur!» Et eux: -«Tes œuvres ne sont-elles donc pas suivant Dieu?» Et lui: «Je ne saurai -cela que quand je comparaîtrai devant Lui. Car la justice de Dieu ne -peut pas être la même que celle des hommes.» Et comme ses frères -voulaient continuer à l’interroger, il leur dit: «Par pitié, ne me dites -plus rien, car je suis occupé!» Et, cela dit, il rendit l’âme -joyeusement. Tout cela est extrait de la _Vie des Pères_. - - - - -CLXXVIII - -SAINT PÉLAGE, PAPE[24] - - [24] C’est ici que Jacques de Voragine a placé son _Histoire - lombarde_, qui n’est en somme, comme l’on va voir, qu’une chronique - des principaux événements politiques et religieux, depuis le Ve - jusqu’au XIIIe siècle. - - -Pélage fut un pape d’une grande sainteté, qui mourut plein de bonnes -œuvres, après avoir gouverné l’Eglise de la façon la plus louable. Nous -devons ajouter que ce Pélage n’est pas celui qui fut pape immédiatement -avant saint Grégoire. A saint Pélage succéda Jean III, à Jean III -Benoît, à Benoît un autre Pélage, qui eut pour successeur saint -Grégoire. - -C’est sous le pontificat de saint Pélage que les Lombards sont arrivés -en Italie; et comme leur histoire est généralement peu connue, j’ai -décidé de la résumer ici, d’après l’_Histoire lombarde_ de -l’historiographe Paul, et diverses chroniques. - - -Les Lombards. - -I. Les Lombards étaient un grand peuple germanique qui, sorti de l’île -de Scandinavie, sur le rivage septentrional de l’Europe, parvint enfin, -après de nombreux combats et voyages, en Pannonie, où il s’installa à -demeure, n’osant pas s’avancer plus loin vers le sud. On les appela -d’abord les Vinules, puis les Lombards, à cause des longues barbes -qu’ils avaient coutume de porter. Or, pendant qu’ils étaient encore en -Germanie, leur roi Agilmud trouva, dans une piscine, sept enfants -jumeaux que leur mère, une femme galante, avait jetés là pour les faire -mourir. Le roi, surpris, retournait ces enfants avec sa lance, lorsque -l’un d’eux saisit la lance dans sa main. Ce que voyant, le roi le fit -élever, lui donna le nom de Lamission, et lui prédit un grand avenir. En -effet, ce Lamission se distingua si fort qu’à la mort d’Agilmud ce fut -lui que les Lombards élurent pour roi. - -Vers le même temps, c’est-à-dire vers l’an 490, un évêque arien, ayant à -baptiser un homme appelé Barbe, lui dit: «Je te baptise au nom du Père, -par le Fils, dans le Saint-Esprit»; ce par quoi il voulait signifier que -le Fils et le Saint-Esprit étaient inférieurs au Père. Mais aussitôt -toute l’eau disparut de la piscine qui servait au baptême, et Barbe se -convertit à la foi véritable.--Vers le même temps encore fleurirent deux -frères utérins, saints Médard et Gildart, qui naquirent le même jour, -furent consacrés évêques le même jour, moururent le même jour et furent -béatifiés le même jour.--Et il y a encore un autre miracle que nous -devons raconter ici. L’an 450, pendant que l’hérésie arienne pullulait -en Gaule, l’unité de substance des trois personnes de la Trinité fut -démontrée aux hommes par un symbole visible. Sigebert raconte en effet -que l’évêque de Bazas, célébrant sa messe, vit tomber sur l’autel trois -gouttes transparentes, d’égale grandeur, qui, se réunissant, formèrent -un unique diamant d’une beauté merveilleuse. L’évêque plaça ce diamant -au milieu d’une croix d’or: aussitôt toutes les autres pierres de la -croix se détachèrent et tombèrent. Ce diamant paraissait obscur aux -impies tandis qu’il s’illuminait pour les yeux des justes; il donnait la -santé aux malades et renforçait la piété de ceux qui adoraient la croix. - -Dans la suite, les Lombards eurent un autre roi nommé Alboin, qui défit -et tua le roi des Gépides: ce qui lui valut d’être ensuite attaqué par -le fils de ce roi, qu’il défit et tua pareillement. Après quoi, il prit -pour femme la fille de ce roi, nommée Rosemonde; et, en même temps, du -crâne du roi vaincu il se fit faire une coupe, ornée d’argent; et il -s’en servait pour boire. - -L’empire romain était alors gouverné par Justin le Petit, avec l’aide -d’un eunuque nommé Narsès, homme de sens et de valeur, qui avait -repoussé l’invasion des Goths, et rendu la paix à toute l’Italie. Mais -les grands honneurs dont il jouissait lui attirèrent l’envie des -Romains: faussement accusé auprès de l’empereur, il perdit ses dignités; -et l’impératrice Sophie, pour achever de l’humilier, le condamna à -dévider et à filer la laine avec ses servantes. A quoi Narsès se résigna -en disant qu’il tisserait pour l’impératrice une toile dont, aussi -longtemps qu’elle vivrait, elle ne pourrait sortir. - -Et en effet ce Narsès, s’étant retiré à Naples, manda aux Lombards -d’abandonner leur misérable Pannonie pour venir prendre possession du -sol fertile de l’Italie. Ce qu’entendant, Alboin se mit en route avec -ses Lombards, et pénétra en Italie, l’an du Seigneur 568. Ils -s’emparaient de toutes les villes qu’ils trouvaient sur leur passage, -mettant à mort tous les habitants: car Alboin s’était juré de tuer tous -les chrétiens. Mais quand ils voulurent entrer à Pavie, après un siège -de trois ans, le cheval du roi s’agenouilla devant la porte de la ville, -et, pressé de coups d’éperon, refusa de se relever. Alors un chrétien -expliqua au roi la cause du miracle; et c’est ainsi qu’Alboin renonça à -son serment. Les Lombards pénétrèrent ensuite à Milan. En peu de temps, -ils subjuguèrent presque toute l’Italie, à l’exception de Rome et de la -Romagne. - -Se trouvant à Vérone, dans un grand festin, Alboin versa à boire à sa -femme dans le crâne du roi Gépide, en lui disant: «Bois avec ton père!» -Ce qui remplit Rosemonde de haine contre son mari. Or, il y avait un -chef lombard qui avait pour concubine une servante de la reine. -Rosemonde, une nuit, prit place dans le lit de sa servante, y reçut le -chef, puis, après s’être donnée à lui, lui dit: «Sais-tu qui je suis?» -Il répondit en nommant sa concubine. Mais elle: «Pas du tout! Je suis -Rosemonde; et tu viens de perpétrer un crime qui, si tu ne tues pas -Alboin, te vaudra certainement d’être tué par lui! Donc, je veux que tu -me venges de mon mari, qui, ayant tué mon père, m’a fait boire dans son -crâne en guise de coupe!» Le chef se refusa à tuer lui-même Alboin, mais -promit de trouver quelqu’un pour accomplir le crime. Alors la reine -enleva de la chambre du roi toutes les armes qui s’y trouvaient, et lia -fortement le glaive qu’Alboin mettait toujours à la tête de son lit, de -manière que le roi ne pût le tirer du fourreau. Lorsque le meurtrier -pénétra dans la chambre, le roi, qui l’avait vu venir, sauta hors de son -lit, et, ne parvenant pas à tirer son glaive, saisit un escabeau et se -défendit vaillamment. Mais le meurtrier, mieux armé que lui, eut enfin -sur lui le dessus, et le tua. Puis, emportant tous les trésors du -palais, il s’enfuit avec Rosemonde à Ravenne. Mais là, Rosemonde, ayant -vu un jeune et beau préfet, et l’ayant désiré pour mari, versa du poison -dans le verre de son complice; et lui, après en avoir bu, fut étonné -d’un goût amer, et ordonna à Rosemonde de boire le reste. Rosemonde, le -couteau sur la gorge, dut boire le breuvage empoisonné; et c’est ainsi -que tous deux périrent. - -Enfin un roi lombard, nommé Adaloth, se fit baptiser et reçut la foi du -Christ. Plus tard, une reine lombarde nommée Théodelinde, personne -pieuse et sage, fit construire un bel oratoire à Monza. Elle convertit à -sa foi son mari Agisulphe, qui fut duc de Turin avant de devenir roi des -Lombards. Et c’est sur le conseil de Théodelinde que ce roi fit -définitivement la paix avec l’Empire et l’Eglise romaine. Cette paix fut -conclue le jour des saints Gervais et Protais; et c’est pourquoi saint -Grégoire fit chanter à l’office de la messe, le jour de ces saints: -_Loquetur Dominus pacem_, etc. Saint Grégoire était d’ailleurs l’ami de -la reine Théodelinde, à qui il dédia ses _Dialogues_. Et la paix, -conclue le jour des saints Gervais et Protais, fut confirmée le jour de -Saint-Jean-Baptiste par la conversion générale des Lombards. En souvenir -de quoi Théodelinde fit construire à Monza le susdit oratoire, dédié à -saint Jean, qu’une vision avait, en outre, révélé à un saint homme comme -le patron et le défenseur des Lombards. - -Grégoire, à sa mort, eut pour successeur Savin, qui eut pour successeur -Boniface III, à qui succéda Boniface IV. C’est à la prière de ce dernier -que l’empereur Phocas, en l’an 660, donna à l’Eglise chrétienne le -Panthéon de Rome. Et c’est sur les prières de Boniface III qu’il -consentit à reconnaître la chaire de Rome comme la tête de toutes les -Eglises, titre que revendiquait, jusqu’alors, l’église de -Constantinople. - - -Mahomet. - -II. C’est sous le pontificat de Boniface IV, après la mort de Phocas et -sous le règne d’Héraclius, vers l’an du Seigneur 610, que le mage et -faux prophète Mahomet commença à induire en erreur les Ismaëlites ou -descendants d’Agar, c’est-à-dire les Sarrasins. Et voici, d’après une -histoire de cet imposteur, comment il s’y prit. Un clerc fameux, dépité -de ne pouvoir obtenir de la curie romaine un honneur qu’il désirait -obtenir, se réfugia outre-mer, où il fit de nombreuses dupes. -Rencontrant Mahomet, il lui déclara qu’il le mettrait à la tête de son -peuple. Et, d’abord, il accoutuma une colombe à venir manger des grains -qu’il introduisait dans l’oreille du jeune Sarrasin: de telle sorte que -la colombe, dès qu’elle apercevait Mahomet, accourait sur son épaule et -mettait son bec dans son oreille. Alors le clerc susdit, ayant convoqué -le peuple, lui dit que celui-là devrait être son chef que lui -désignerait l’Esprit-Saint, descendant sur lui sous la forme d’une -colombe. Puis il lâcha la colombe, qui vint se placer sur l’épaule de -Mahomet et lui becqueta dans l’oreille. Le peuple crut que c’était le -Saint-Esprit qui descendait sur lui, pour lui dicter à l’oreille la -parole de Dieu. Ainsi Mahomet trompa les Sarrasins, qui, le prenant pour -chef, envahirent le royaume de la Perse et tout l’empire d’Orient -jusqu’à Alexandrie. - -Voilà ce que raconte une chronique populaire; mais plus vraisemblable -est une autre version, que nous allons rapporter maintenant. D’après -celle-ci, Mahomet, inventant lui-même des lois, feignait de les recevoir -de l’Esprit-Saint, sous la forme d’une colombe. Dans ces lois, il -introduisit bon nombre de choses empruntées à l’Ancien et au Nouveau -Testament. Car, dans sa première jeunesse, il avait été marchand, avait -parcouru avec ses chameaux l’Egypte et la Palestine, et s’était souvent -entretenu avec des Juifs et des chrétiens. De là vient que les -Sarrasins, de même que les Juifs, pratiquent la circoncision; et -s’abstiennent de la viande du porc: Mahomet leur ayant fait croire que -le porc avait été créé, après le déluge, de la fiente du chameau. Avec -les chrétiens, les Sarrasins croient en un seul Dieu tout-puissant, -créateur de toutes choses. Mêlant ainsi le vrai au faux, Mahomet affirme -que Moïse a été un grand prophète, et le Christ un prophète plus grand -encore, né d’une vierge et par la seule vertu de Dieu. Il dit aussi, -dans son _Alcoran_, que le Christ, dans son enfance, a créé des oiseaux -avec le limon de la terre. Mais il dit ensuite que ce n’est point le -Christ lui-même qui à subi la passion et est ressuscité: d’après lui, -c’est un autre homme qui aurait subi la passion, à la place du Christ. - -Une femme noble nommée Cadicha, qui était à la tête d’une province -appelée Corocanie, voyant cet homme admis dans la familiarité des Juifs -et des Sarrasins, crut que la majesté divine était en lui. Et, comme -elle était veuve, elle le prit pour mari, ce qui le rendit maître de -toute la province. Et lui, par ses artifices, il fit croire non -seulement à cette femme, mais aux Juifs et aux Sarrasins, qu’il était le -Messie promis par la Loi. Mais, dans la suite, Mahomet eut de fréquents -accès d’épilepsie. Et comme Cadicha s’en affligeait, car cette maladie -était considérée comme un signe d’impureté, il imagina de lui dire que -ses accès étaient causés par l’émotion qu’il ressentait des fréquentes -visites de l’archange Gabriel. - -Ailleurs encore on lit que le maître de Mahomet fut un moine appelé -Serge, qui fut chassé par ses frères pour avoir partagé l’hérésie des -Nestoriens, ou, suivant d’autres, celle des Jacobites: secte qui prêche -la circoncision, et prétend que le Christ a été non un Dieu, mais un -homme juste et saint, conçu du Saint-Esprit, et né d’une vierge, toutes -choses que croient également les Mahométans. Ce serait donc ce Serge qui -aurait instruit Mahomet dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Car -jusque-là le jeune homme, avec toute la race des Arabes, adorait Vénus; -et aujourd’hui encore, le jour sacré, pour les Sarrasins, est le -vendredi, de même que pour les Juifs le samedi ou sabbat, et pour les -chrétiens le dimanche, ou jour du Seigneur. - -Enrichi de la fortune de sa femme Cadicha, Mahomet prit une telle -ambition qu’il rêva de devenir maître de l’Arabie entière. Mais comme il -voyait qu’il ne pourrait pas dominer les Arabes par la violence, il -résolut de se faire passer pour prophète, de manière à les subjuguer par -une apparente sainteté. Tenant dans un lieu secret le susdit Serge, il -lui demandait conseil sur toutes choses, et disait ensuite au peuple que -c’était l’archange Gabriel qui le conseillait. Ainsi tout le peuple se -laissa séduire et l’accepta pour chef. On dit aussi que Serge, qui avait -été moine, voulut que les Sarrasins revêtissent l’habit monacal, ou du -moins la cagoule sans le capuchon, et que, à l’imitation des moines, ils -fissent, à heure fixe, de nombreuses génuflexions et prières, mais en se -tournant vers le midi, pour se distinguer des Juifs, qui se tournaient -vers l’occident, et des chrétiens, qui se tournaient vers l’orient. Et, -en effet, ce sont des pratiques que les Sarrasins observent encore -aujourd’hui. Nombreuses sont les lois que Mahomet, à l’instigation de -Serge, prit dans la loi mosaïque. C’est ainsi que les Sarrasins font de -fréquentes ablutions; avant de prier, ils doivent se purifier en se -lavant les mains, les bras, le visage, la bouche et tous les membres de -leurs corps. Dans leurs prières, ils adorent Dieu, qui n’a point d’égal, -et Mahomet, son prophète. Ils jeûnent pendant un mois entier de l’année; -et, pendant ce jeûne, ils ne peuvent manger que la nuit. Aussi longtemps -qu’il fait assez clair pour qu’on distingue le blanc du noir, ils ne -peuvent ni manger, ni boire, ni se souiller en s’unissant à la femme. Ce -n’est que depuis le coucher du soleil jusqu’à l’aube du jour suivant -qu’ils peuvent manger, boire et se servir de leurs femmes légitimes. Une -fois par an, ils doivent se rendre en pèlerinage à la Mecque, où se -trouve une maison appelée la Maison de Dieu, qu’ils disent avoir été -construite par Adam, et où ils croient qu’ont prié tous les prophètes, -depuis Abraham et Ismaël jusqu’à Mahomet. Ils doivent faire le tour de -cette maison, vêtus de robes sans couture, et jeter des pierres à -l’intérieur, pour lapider le diable. Toutes les viandes leur sont -permises, sauf le porc, le sang et les animaux qui ne sont point tués de -la main des hommes. Chacun d’eux a le droit d’avoir à la fois quatre -femmes, et de répudier ses femmes trois fois. Ils peuvent, en outre, -avoir, en aussi grande quantité qu’ils veulent, des captives et -concubines, qu’ils ont le droit de revendre à volonté, à moins qu’elles -n’aient enfanté de leurs œuvres. Ils ont également le droit de prendre -des femmes dans leur propre famille, pour fortifier leur race. L’homme -surpris avec une femme adultère est lapidé avec elle; l’homme surpris en -fornication avec une femme ne lui appartenant pas est frappé de -quatre-vingts coups de verges. Seul Mahomet prétendit que, par la voix -de l’ange Gabriel, Dieu lui avait permis d’approcher les femmes des -autres, afin d’engendrer des sages et des prophètes. Un jour, cependant, -un de ses esclaves, qui avait une femme très belle, l’ayant trouvée avec -Mahomet, la répudia. Et Mahomet la prit chez lui avec ses autres femmes; -mais, craignant les murmures du peuple, il raconta qu’une charte lui -avait été donnée du ciel, d’après laquelle la femme répudiée par son -mari appartenait à celui qui l’avait recueillie: loi que les Sarrasins -observent encore aujourd’hui. Quand l’un d’entre eux est accusé en -justice, il n’a qu’à affirmer, sous serment, son innocence pour être -acquitté. Les voleurs sont d’abord battus de verges; à la seconde -récidive on leur coupe une main; à la troisième, un pied. Enfin, l’usage -du vin est absolument interdit. A ceux qui obéissent à tous les -commandements de sa loi, Mahomet promet le paradis, c’est-à-dire un -jardin de délices tout arrosé de cours d’eau, où ils auront des demeures -éternelles, un ciel toujours pur et doux, des mets excellents, des -vêtements de soie, et où ils pourront s’accoupler en mille façons -voluptueuses avec des vierges d’une beauté surnaturelle. Des anges s’y -promèneront à toute heure, leur offrant du lait et du vin dans des vases -d’or et d’argent. Ses élus y verront aussi trois fleuves, l’un de lait, -l’autre de miel et l’autre de vin. Et ils y verront des anges si grands -qu’ils auront besoin d’une journée entière pour mesurer l’espace compris -entre leurs deux yeux. Ceux qui ne croient pas en Mahomet seront au -contraire condamnés à un enfer sans fin. Mais de quelques péchés qu’un -homme soit chargé, si, dans l’instant de sa mort, il croit à Mahomet, -celui-ci obtiendra de Dieu son salut à l’heure du jugement. - -Les Sarrasins croient encore bien d’autres choses au sujet de leur faux -prophète: par exemple que Dieu, en créant le ciel et la terre, avait -devant les yeux le nom de Mahomet, et que, si Mahomet n’avait pas dû -naître, Dieu n’aurait créé ni le ciel ni la terre. On raconte aussi que -Mahomet a pris la lune dans son sein, l’a partagée en deux, puis -reformée entière. On raconte que, des ennemis voulant lui faire avaler -du poison dans de la viande d’agneau, l’agneau lui aurait dit: -«Garde-toi de me manger, car j’ai en moi du poison!» Ce qui n’empêcha -pas Mahomet de mourir empoisonné. - - -Charlemagne. - -III. Mais il est temps que notre plume revienne à l’histoire des -Lombards. Ceux-ci, donc, bien qu’ils eussent reçu la foi du Christ, -causaient cependant de nombreux ennuis à l’empire romain. Mais plus -tard, Pépin, le maire du palais du roi des Francs, étant mort, son fils -Charles Martel lui succéda, qui, après de nombreuses victoires, laissa -sa charge à ses deux fils Charles et Pépin. Mais Charles, renonçant au -monde, entra au monastère du Mont Cassin, tandis que son frère Pépin, -sans avoir le titre de roi, gérait vaillamment le royaume des Francs. Le -roi véritable, Childéric, au contraire, était paresseux et inutile, de -telle sorte que Pépin demanda au pape Zacharie si, se contentant d’avoir -le nom de roi, cet incapable devait continuer à régner. A quoi le pape -répondit que celui-là devait être roi qui savait bien gérer le royaume. -Ce qu’entendant les Francs enfermèrent Childéric dans un monastère et -firent roi Pépin, en l’an du Seigneur 750. - -Or, peu de temps après, Astolphe, roi des Lombards, dépouilla l’Eglise -romaine de ses possessions; et le pape Etienne, qui avait succédé à -Zacharie, réclama contre eux l’aide du roi Pépin. Celui-ci vint en -Italie avec une nombreuse armée, assiégea le roi Astolphe, et obtint de -lui quarante otages, comme gage de sa promesse de ne plus inquiéter -l’Eglise romaine et de lui rendre tout ce qu’il lui avait enlevé. Mais -dès que Pépin se fut retiré, Astolphe tint pour nulles toutes ses -promesses: ce dont il ne tarda pas à être puni, car, peu après, au -moment où il partait pour la chasse, il mourut subitement. Il eut pour -successeur Desiderius. - -C’est vers le même temps que le roi des Goths, Théodoric, qui gouvernait -l’Italie par ordre de l’empereur, et qui était infecté de l’hérésie -arienne, exila le philosophe Boëce, qui, avec son gendre Symmaque, avait -illustré la république et défendu l’autorité du Sénat romain. Exilé à -Pavie, Boëce y écrivit son livre de la _Consolation_. Il fut ensuite mis -à mort par ordre de Théodoric. Sa femme, nommée Elpès, passe pour être -l’auteur de l’hymne des apôtres Pierre et Paul, qui commence ainsi: -_Felix per omnes festum mundi cardines_. Elle composa aussi sa propre -épitaphe, ainsi conçue: - - Elpes dicta fui, Siciliæ regionis alumna, - Quam procul a patria conjugis egit amor; - Porticibus sacris jam nunc peregrina quiesco, - Judicis oberni testificata thronum. - -Le roi Théodoric mourut subitement. Saint Grégoire raconte qu’un saint -ermite le vit enfoncer, nu, dans la chaudière de Vulcain, par le pape -Jean et Symmaque, qu’il avait mis à mort. - -En l’an du Seigneur 687, florissait en Angleterre le vénérable Bède, -prêtre et moine, qui a sa place parmi les saints, mais que l’Eglise -appelle d’ordinaire le «Vénérable», et non le «saint». On raconte, en -effet, qu’un jour, dans sa vieillesse, sa vue s’étant obscurcie, il se -faisait conduire par un guide, au bras duquel il allait par villes et -villages, prêchant la parole de Dieu. Or un jour, comme il traversait -une vallée déserte jonchée de grosses pierres, le guide, par moquerie, -dit à Bède qu’il y avait là une foule nombreuse, qui attendait en -silence sa prédication. Le vieillard se mit donc à prêcher; et au moment -où il terminait son discours par les mots _Per omnia secula seculorum_, -toutes les pierres lui répondirent à haute voix, _Amen, venerabilis -pater_! On raconte aussi que, après sa mort, un prêtre s’occupait à -écrire un distique latin qu’il voulait faire graver sur son tombeau. Il -avait déjà écrit le premier vers: _Hac sunt in fossa_, et il avait -d’abord songé à mettre au second vers: _Bedæ sancti ossa_. Mais ce -second vers n’allait pas bien pour la mesure: de sorte que le prêtre se -coucha, se réservant de réfléchir jusqu’au lendemain. En voici que, le -lendemain, en arrivant au tombeau, il trouva le distique complété ainsi -de la main des anges: - - Hac sunt in fossa - Bedæ venerabilis ossa. - -Et l’on raconte encore que le vénérable Bède, au jour de l’Ascension, se -fit transporter à l’autel, où il récita jusqu’au bout l’antienne _O Rex -gloriæ, Domine virtutum_; après quoi il s’endormit dans le Seigneur, et -un parfum sortit de lui, si doux, que tous se croyaient transportés en -paradis. Son corps est conservé, avec de grands honneurs, dans la ville -de Gênes. - -Vers le même temps, à savoir en l’an 700, Racord, roi des Frisons, au -moment de recevoir le baptême, et comme il avait déjà un de ses pieds -dans la piscine, demanda tout à coup si c’était au ciel ou en enfer que -se trouvaient la plupart de ses ancêtres; puis, apprenant que c’était en -enfer, il retira le pied qu’il avait mis dans l’eau, et dit: «Mieux vaut -aller avec le plus grand nombre qu’avec le plus petit!» Mais on raconte -qu’il n’agit ainsi que sur la promesse fallacieuse du démon, qui lui -avait dit que, trois jours après, il lui donnerait des biens -incomparables; et, le quatrième jour, ce Racord mourut, d’une mort -subite, pour l’éternité.--La même année, on raconte qu’en Campanie du -blé, de l’orge et des légumes tombèrent du ciel sous forme de pluie. - -En l’an 740, comme on transportait le corps de saint Benoît du Mont -Cassin au monastère de Fleury-sur-Loire, et le corps de sa sœur sainte -Scolastique au Mans, un moine du Mont Cassin s’opposa à cette -translation; mais les miracles de Dieu et la résistance des Francs -eurent raison de sa défense.--La même année, il y eut un grand -tremblement de terre, qui détruisit certaines villes, et en transporta -d’autres à une distance de plus de six milles, avec tous leurs murs et -tous leurs habitants. La même année encore fut faite la translation à -Rome de sainte Pétronille, fille de l’apôtre saint Pierre, sur le -tombeau de marbre de laquelle ce grand saint avait écrit lui-même: «A -Pétronille dorée, ma bien chère fille!» Et c’est encore vers ce temps -que les Tyriens ravagèrent l’Arménie. Ces barbares, ayant été atteints -d’une peste, reçurent des chrétiens le conseil de se tondre la tête en -forme de croix. Et ils ont gardé jusqu’à nos jours cette pratique, en -souvenir de la guérison ainsi obtenue. - -A la mort du glorieux Pépin, son fils Charlemagne monta sur le trône. Le -pape Adrien lui envoya des légats pour lui demander secours contre le -roi des Lombards Desiderius, qui, à l’exemple de son père Astolphe, -vexait, en toute manière, l’Eglise romaine. Sur quoi Charles, ayant -rassemblé une grande armée, entra en Italie par le mont Cenis, mit le -siège devant Pavie, s’empara de Desiderius et de toute sa famille, les -exila en Gaule, et rendit à l’Eglise tous les droits que les Lombards -lui avaient enlevés. Il avait dans son armée deux vaillants soldats du -Christ, Amicus et Amélius, qui furent tués à Mortara, dans la bataille -où Charlemagne défit les Lombards. Et ainsi se termina le règne de ces -Lombards, qui désormais n’eurent plus de chefs que ceux que leur -désignaient les empereurs. - -Charles se rendit ensuite à Rome, où le pape, dans un synode de cent -cinquante-quatre évêques, lui conféra le droit d’élire les souverains -pontifes et d’investir, avant leur consécration, les archevêques et -évêques des diverses provinces. C’est aussi à Rome que le pape sacra -rois les fils de Charlemagne, Pépin, roi d’Italie, et Louis, roi -d’Aquitaine. Mais Pépin, convaincu d’avoir conspiré contre son père, fut -tonsuré et fait moine. - -En l’an 780, sous le règne de l’impératrice Irène et de son fils -Constantin, un homme découvrit, sous un mur en Thrace, un coffre de -pierre où se trouvait le cadavre d’un homme avec cette inscription: «Le -Christ naîtra de la Vierge Marie. Et c’est sous les empereurs Constantin -et Irène que tu me reverras, ô soleil!» - -A la mort d’Adrien, Léon fut élu pape, homme infiniment vénérable, mais -à qui les proches d’Adrien firent crever les yeux et couper la langue -par la populace, pendant qu’il célébrait les litanies. Mais Dieu lui -rendit miraculeusement la vue et la parole; après quoi Charlemagne le -réinstalla dans son siège et châtia les coupables. - -Alors les Romains, sur le conseil du pape, l’an du Seigneur 784, d’un -accord unanime, se séparèrent de l’empire de Constantinople et -proclamèrent empereur Charlemagne, qui reçut la couronne impériale des -mains du pape Léon. Car, bien que depuis Constantin le siège de l’empire -fût transporté à Constantinople, les empereurs continuèrent à garder le -titre d’empereurs romains jusqu’au jour où ce titre fut décerné au roi -des Francs. Et, depuis ce temps, il y eut deux empires, l’un appelé Grec -ou d’Orient, l’autre romain. - -C’est au temps de Charlemagne, et à son instigation, que l’office -ambrosien fut solennellement remplacé par l’office grégorien. Saint -Ambroise, persécuté par l’impératrice Justine et les siens, et s’étant -réfugié dans son église avec la foule des catholiques, avait fait -chanter, à la manière orientale, des hymnes et des psaumes, pour -empêcher les fidèles de sentir le poids de leur réclusion. Et son -institution fut ensuite adoptée dans toutes les églises: mais saint -Grégoire, plus tard, y fit nombre de changements, d’additions et de -suppressions. D’ailleurs, c’est par une longue suite de modifications -que les Pères ont constitué l’office divin. Par exemple, on a commencé -la messe de trois manières différentes: on la commençait d’abord par des -leçons, comme cela se fait encore au samedi saint; plus tard le pape -Célestin remplaça les leçons par des psaumes; et saint Grégoire ne garda -qu’un verset du psaume de l’_Introït_, qui, avant lui, se chantait tout -entier. Les psaumes, autrefois, étaient chantés par tous les fidèles, -formant une couronne autour de l’autel: de là vient le nom de _chœur_ -donné à la partie de l’église qui entoure l’autel. Plus tard Flavien et -Théodore firent chanter les psaumes alternativement, ayant appris cet -usage de saint Ignace, à qui Dieu lui-même l’avait révélé. Ensuite saint -Jérôme ajouta, au chant des psaumes, l’épître et l’évangile. Saint -Ambroise, Gélase et saint Grégoire ajoutèrent d’autres chants et -d’autres prières: c’est d’eux que vient l’usage de chanter les graduels, -les traits et l’Alleluia. Dans le _Gloria in excelsis_, les mots -_Laudamus te_ et suivants furent ajoutés, d’après les uns, par saint -Hilaire, d’après d’autres par le pape Symmaque ou encore par le pape -Télesphore. Notker, abbé de Saint-Gall, composa le premier des séquences -pour être chantées à la place des neumes de l’Alleluia; et le pape -Nicolas permit de chanter ces séquences à la messe. Germain de Trèves -composa le _Rex omnipotens_, le _Sancti spiritus adsit_, l’_Ave maria_, -et l’Antienne _Alma Redemptoris Mater_. L’évêque Pierre de Compostelle -composa le _Salve Regina_. Et Sigebert affirme, d’autre part, que c’est -au roi de France Robert que nous devons la séquence: _Sancti spiritus_. - -Charlemagne, au dire de l’archevêque Turpin, était beau, mais d’aspect -farouche. Sa taille avait huit pieds de longueur, son visage une palme -et demie, sa barbe une palme, et son front un pied. Il était si fort, -qu’il tranchait d’un seul coup d’épée un cavalier armé et son cheval, -redressait à la fois quatre fers à cheval et levait de terre, d’une -seule main, jusqu’à la hauteur de sa tête, un soldat en armes. Il -mangeait un lièvre entier ou deux poules, ou une oie, mais était si -sobre pour sa boisson, faite de vin coupé d’eau, qu’il buvait rarement -plus de trois fois par repas. Il construisit de nombreux monastères et -mourut saintement, faisant du Christ son héritier. - -Il eut pour successeur à l’empire, en l’an 815, son fils Louis le -Débonnaire, sous le règne duquel les évêques et prêtres renoncèrent à -porter des ceintures brodées d’or, des manteaux précieux et autres -ornements séculiers. L’évêque d’Orléans Théodule, faussement accusé -auprès de Louis, fut emprisonné par lui à Angers. Mais un jour que -l’empereur, à la fête des Rameaux, suivait une procession qui passait -devant la prison, Théodule chanta, par la fenêtre, les beaux vers qu’il -venait de composer: _Gloria, laus et honor tibi sit_, etc.; et -l’empereur en fut si charmé qu’il remit l’évêque en liberté et lui -rendit son siège.--A ce même empereur Louis, les envoyés de l’empereur -grec Michel apportèrent, entre autres présents, la traduction latine des -livres de saint Denis sur la _hiérarchie_; le livre fut déposé dans -l’église du saint, et, la même nuit, dix-neuf malades y furent guéris. - -A la mort de Louis, l’empire échut à Lothaire: mais les frères de -celui-ci, Charles et Louis, lui firent la guerre, et il y eut en France -un carnage sans pareil. Enfin, par traité, Charles régna sur la France, -Louis sur l’Allemagne et Lothaire sur l’Italie, ainsi que sur cette -partie de la France qui s’est appelée depuis Lotharingie ou Lorraine. Ce -même Lothaire, plus tard, transmit l’empire à son fils Louis et revêtit -l’habit monacal. - -Le pape d’alors était Serge, un Romain qui avait pour premier nom, à ce -que l’on dit, Bouche de Porc. C’est depuis ce temps que les papes eurent -à changer de nom en montant sur le trône apostolique: d’abord parce que -le Seigneur a changé les noms de ses apôtres; en second lieu pour -signifier qu’un pape doit changer de vie et devenir parfait; en -troisième lieu pour empêcher qu’un homme occupant une fonction si belle -soit forcé de porter un vilain nom. - -C’est sous le règne de l’empereur Louis qu’à Brescia, en Italie, on vit -pleuvoir du sang pendant trois jours et trois nuits. Vers le même temps -d’innombrables sauterelles envahirent la Gaule, ayant six paires -d’ailes, six pieds et deux dents dures comme des pierres. Elles -traversèrent tout le royaume, détruisant partout la végétation, jusqu’à -ce qu’enfin une tempête les noya dans la mer de Bretagne; mais leurs -cadavres, rejetés sur le rivage, amenèrent, en pourrissant, une peste -qui fit mourir le tiers de la population. - - -Les empereurs allemands. - -IV. En l’an 938, l’empire échut à Othon Ier. Celui-ci, un jour de -Pâques, avait fait préparer un grand repas pour les princes, ses -vassaux. Et le petit garçon d’un de ces princes, ayant pris un plat sur -la table, fut renversé à terre, d’un coup de bâton, par l’officier qui -portait les plats. Le précepteur de l’enfant tua aussitôt cet officier; -et, comme l’empereur voulait le condamner sans jugement, cet homme le -renversa lui-même et voulut l’étrangler. Mais Othon, arraché de ses -mains, pardonna au précepteur, disant que lui-même avait été coupable de -n’avoir pas respecté le caractère sacré de la fête. - -A Othon Ier succéda Othon II. Celui-ci, apprenant que les Italiens -violaient souvent la paix, vint à Rome, et y offrit un grand banquet, -sur les marches de l’église, à tous les princes et prélats de la ville. -Et, pendant qu’ils mangeaient, l’empereur les fit tous charger de -chaînes; puis, leur reprochant amèrement la violation de la paix, il fit -trancher la tête à ceux qui étaient coupables, et permit aux autres -d’achever leur repas. - -Il eut pour successeur, en l’an 984, Othon III, surnommé Merveille du -Monde. Ce prince avait une femme qui voulait se prostituer à un certain -comte. Et comme celui-ci se refusait à un tel crime, elle le noircit -auprès de l’empereur, qui le fit décapiter sans jugement. Mais le comte, -avant de subir sa peine, pria sa femme de prouver son innocence, après -sa mort, par l’épreuve du fer rouge. Un jour donc, la veuve se présente -devant l’empereur avec la tête de son mari et lui demande de quel -châtiment est digne celui qui a mis à mort un innocent. L’empereur lui -répond qu’un tel homme est digne de la mort. Et la veuve: «C’est toi qui -es cet homme: car, à la suggestion de ta femme, tu as fait périr mon -mari innocent; et je m’offre à le confirmer par l’épreuve du fer rouge!» -Ce que voyant, l’empereur, stupéfait, se remit entre les mains de cette -femme, pour être puni. Mais le pape intervint, et obtint de la veuve, -successivement, quatre délais, dont l’un était de dix jours, l’autre de -huit, l’autre de sept et l’autre de six. Alors l’empereur, ayant examiné -la cause et reconnu la vérité, ordonna que sa femme fût brûlée vive, et -céda à la veuve, pour racheter sa faute, quatre châteaux. Ces châteaux -se voient encore aujourd’hui dans le diocèse de Luna, et ne portent -d’autres noms que les chiffres Dix, Huit, Sept et Six. - -L’empire échut ensuite à saint Henri, prince de Bavière. Ce prince maria -sa sœur, nommée Galla, au roi de Hongrie Etienne, encore païen, et qu’il -convertit ainsi que tout son peuple. Et Etienne acquit une telle piété -qu’il mérita de devenir saint lui aussi, et de faire de nombreux -miracles. Quant à l’empereur Henri et à sa femme Cunégonde, ils vécurent -ensemble dans la chasteté et s’endormirent en Dieu. - -A saint Henri succéda Conrad, qui avait épousé la nièce du saint. Il -emprisonna bon nombre d’évêques italiens, et incendia un faubourg de -Milan, ville dont l’évêque s’était évadé de sa prison. Mais, le jour de -la Pentecôte, comme l’empereur assistait à la messe dans une petite -église voisine de Milan, cette église fut soudain secouée de coups de -foudre et d’éclairs si violents que bon nombre d’assistants moururent de -frayeur. Et l’évêque Bruno, qui célébrait la messe, et le secrétaire de -l’empereur, et d’autres encore dirent qu’ils avaient vu, pendant la -messe, saint Ambroise debout devant Conrad, et le menaçant. - -Sous le règne de ce Conrad, en l’an 1025, un certain comte Léopold, -craignant la colère du roi, s’était réfugié dans une île, où il habitait -une cabane avec sa femme, qui était enceinte. Or l’empereur, comme il -chassait dans cette île, fut surpris par la nuit, et dut demander -l’hospitalité dans la cabane. La même nuit, la femme de Léopold mit au -jour un fils; et une voix dit à Conrad que l’enfant qui venait de naître -serait son gendre. Le lendemain, Conrad ordonna à deux de ses hommes -d’enlever par force cet enfant, de le tuer, et de lui apporter son cœur. -Mais les deux hommes, touchés de pitié à la vue du bel enfant, le -posèrent sur un arbre, et apportèrent à l’empereur le cœur d’un lièvre. -Et un prince qui passait par là entendit les vagissements de l’enfant, -le recueillit, et, n’ayant point d’enfant de sa femme, il le fit passer -pour son propre fils. Et cet enfant, nommé Henri, était si beau, si -sage, et si plaisant en toute manière, que Conrad, l’ayant vu, désira le -garder près de lui. Mais bientôt un doute lui vint, et il crut -reconnaître dans ce jeune homme l’enfant dont il avait jadis ordonné la -mort. Pour se débarrasser de lui, il le chargea de porter à -l’impératrice une lettre où il avait écrit ceci: «Dès que cette lettre -te parviendra, ne manque pas de faire mourir le jeune homme qui te -l’aura apportée!» Mais Henri s’arrêta, en chemin, dans un ermitage, et -s’y endormit de fatigue. L’ermite, voyant la lettre impériale, dont le -sceau s’était ouvert, eut la curiosité de la lire: et, l’ayant lue, et -ayant eu horreur du crime projeté, il y substitua ces mots: «Donne notre -fille en mariage au porteur de cette lettre!» Aussitôt l’impératrice, -voyant cette lettre revêtue du sceau impérial, fit célébrer, à -Aix-la-Chapelle, les noces de sa fille avec le jeune Henri. Ce -qu’apprenant, l’empereur comprit l’inutilité de lutter davantage contre -la volonté de Dieu, et décida que son gendre régnerait après lui. A -l’endroit où naquit Henri s’élève aujourd’hui encore le célèbre -monastère d’Ursanie. Et Henri, devenu empereur, éloigna de sa cour tous -les jongleurs, pour donner aux pauvres tout l’argent qu’on leur donnait. - -Sous son règne un grand schisme se fit dans l’Eglise, et trois papes -furent élus en même temps. Après quoi ils vendirent, tous trois, leur -titre à un prêtre nommé Gratien qui, lorsque l’empereur Henri marcha sur -Rome pour faire cesser le schisme, alla au devant de lui et lui offrit -une couronne d’or, espérant ainsi se le rendre favorable. Mais Henri, -ayant convoqué le synode, convainquit ce Gratien de simonie, le déposa, -et fit procéder à l’élection d’un nouveau pape: encore que, d’après -d’autres auteurs, ce serait Gratien lui-même qui, reconnaissant son -erreur, aurait demandé à Henri d’être déposé. - -A cet Henri succéda un autre Henri. Sous son règne, Bruno fut élu pape, -qui prit le nom de Léon, et qui composa les hymnes d’un grand nombre de -saints. Comme il se rendait à Rome, pour prendre possession de son -siège, il entendit chanter par les anges l’introït _Dicit Dominus, ego -cogito_, etc. C’est aussi à ce moment que l’Eglise fut troublée par -l’hérésie de Bérenger, qui prétendait que le corps et le sang du Christ -ne se trouvaient point réellement dans l’hostie, mais y étaient -seulement figurés: hérésie qui fut remarquablement réfutée par Lanfranc -de Pavie, prieur du Bec, qui fut le maître de saint Anselme de -Cantorbery. - -Puis régna Henri IV, sous le règne de qui fleurit Lanfranc. Et c’est -alors que, attiré par l’enseignement de ce docteur, vint à lui le -Bourguignon Anselme, qui devait ensuite lui succéder dans le prieuré du -Bec. Sous le même règne, Jérusalem, qui avait été prise par les -Sarrazins, fut reconquise par les fidèles. C’est aussi le temps où les -restes de saint Nicolas furent transportés à Bari. Du couvent de Molesme -sortirent vingt et un moines, avec leur abbé saint Robert, pour aller -fonder un ordre nouveau dans la solitude de Cîteaux. Le prieur de Cluny -Hildebrand fut élu pape sous le nom de Grégoire. Hildebrand, tandis -qu’il n’était encore que légat à Lyon, convainquit miraculeusement de -simonie l’archevêque d’Embrun. Cet archevêque corrompait tous ses -accusateurs et l’on ne parvenait pas à le convaincre. Mais Hildebrand -lui ordonna de dire: «Gloire au Père, au Fils, et au Saint-Esprit!» Et -l’archevêque disait bien: «Gloire au Père, et au Fils», mais en vain il -s’efforçait d’ajouter: «Et au Saint-Esprit»: car il avait péché contre -le Saint-Esprit. Alors il reconnut son péché, fut déposé, et put de -nouveau nommer à haute voix le Saint-Esprit. Ce miracle nous est raconté -par Bonizzi, dans le livre qu’il a dédié à la comtesse Mathilde. En l’an -1107, Henri IV mourut à Spire, et y fut enseveli avec les empereurs -précédents: et l’on grava ce vers, sur son tombeau: - - Filius hîc, pater hîc, avus hîc, proavus jacet istic. - -A Henri IV succéda Henri V, qui s’empara du pape et des cardinaux, et ne -les remit en liberté qu’en échange du droit d’investir les évêques et -les abbés. C’est sous son règne que saint Bernard, avec ses frères, -entra au monastère de Cîteaux. Dans la paroisse de Liège, une truie -enfanta un pourceau qui avait un visage d’homme; ailleurs naquit un -poulet avec quatre pattes. - -A Henri V succéda Lothaire. Sous son règne naquit en Espagne un monstre -qui avait deux corps et deux visages, à moitié homme, à moitié chien. - -Sous Conrad, qui fut fait empereur en 1138, mourut le savant et pieux -docteur Hugues de Saint-Victor. Dans sa dernière maladie, ne pouvant -plus prendre aucune nourriture, il demandait cependant à recevoir -l’hostie sainte. Les frères, pour le calmer, lui apportèrent une hostie -non consacrée. Mais lui: «Mes frères, pourquoi voulez-vous me tromper? -Ce n’est point mon Seigneur que vous m’avez apporté là!» Alors ils lui -apportèrent une hostie consacrée. Et lui, voyant qu’il ne pouvait pas -l’avaler, leva les mains au ciel, et dit: «Que le Fils remonte vers le -Père, et que l’âme remonte à Dieu qui l’a faite!» Ce disant, il rendit -l’âme, et l’hostie disparut miraculeusement.--Sous le même règne, -Eugène, abbé du monastère de Saint-Anastase, est élu pape. Renvoyé de -Rome, où les sénateurs ont nommé un autre pape, il vient en Gaule, et -envoie devant lui saint Bernard, qui prêche les voies de Dieu et fait de -nombreux miracles.--C’est aussi le temps où fleurit Gilbert de la -Porrée. - -En l’an 1154, l’empire échoit à Frédéric, neveu de Conrad. C’est le -temps où fleurit maître Pierre Lombard, évêque de Paris, qui compile -excellemment la _Glosse_ du psautier et des Epîtres de saint -Paul.--Trois lunes apparaissent au ciel, puis trois soleils, et au -milieu le signe de la croix.--Contre le pape canonique Alexandre deux -autres cardinaux se font nommer papes, et allèguent la faveur de -l’empereur. Et ce schisme dure dix-huit ans, pendant lesquels l’armée -allemande de Frédéric attaque les Romains à Monte Porto, et les massacre -en si grand nombre, depuis l’heure de none jusqu’à l’heure des vêpres, -que jamais il n’y eut autant de Romains tués à la fois, bien que, jadis, -Annibal ait pu remplir trois coffres avec les bagues prises par lui aux -doigts des patriciens massacrés. Beaucoup des victimes de Frédéric sont -enterrées dans l’église des saints Etienne et Laurent. - -Frédéric, pendant qu’il visite la Terre Sainte et se baigne dans un -fleuve, est tué, ou, suivant d’autres, se noie, en l’an 1190. Il a pour -successeur son fils Henri. Sous son règne ont lieu des pluies si -terribles, avec tant de tonnerres, d’éclairs, et de tempêtes, que de -mémoire d’homme, on en n’a point connu de pareilles. Des pierres grosses -comme des œufs se mêlent à la pluie, détruisent les arbres, les vignes, -les moissons, et tuent nombre d’hommes. Et l’on voit aussi voler dans -les airs des corbeaux et autres oiseaux qui, portant dans leur bec des -charbons allumés, incendient les maisons. - -Henri VI s’était montré si tyrannique à l’égard de l’Eglise que, à sa -mort, le pape Innocent III s’opposa à ce que son frère Philippe fût élu -empereur, et fit couronner roi d’Allemagne, à Aix-la-Chapelle, Othon, -prince de Saxe. C’est alors que des chevaliers français, qui voyageaient -outre-mer après la délivrance de la Terre Sainte, s’emparèrent de -Constantinople. C’est aussi de ce moment que date la création de l’ordre -des Frères Prêcheurs, et de tous les autres frères. Et Innocent III -envoya aussi des ambassadeurs à Philippe, roi de France, pour le sommer -d’envahir le territoire des Albigeois et de détruire l’hérésie. Sur quoi -Philippe, s’étant emparé des hérétiques, les fit tous brûler. - -Enfin Innocent couronna Othon empereur, et lui fit jurer de respecter -les droits de l’Eglise; mais Othon, sitôt élu, rompit son serment, et -fit confisquer les biens de tous ceux qui se rendraient en pèlerinage à -Rome: sur quoi le pape l’excommunia et le déposa de l’empire. C’est -alors que vécut sainte Elisabeth, fille du roi de Hongrie et femme du -landgrave de Thuringe: entre autres miracles innombrables, on dit -qu’elle ressuscita seize morts, rendit la vue à un aveugle-né, et que, -aujourd’hui encore, une huile découle de ses saintes reliques. - -Après la déposition d’Othon, Frédéric, fils d’Henri, fut élu empereur et -couronné par le pape Honorius. Ce prince édicta d’abord des lois -excellentes pour la liberté de l’Eglise et contre les hérétiques. Mais -plus tard, enivré à son tour par l’excès de gloire et de fortune, il se -montra tyrannique à l’égard de l’Eglise, emprisonna deux cardinaux, fit -saisir des prélats que le pape Grégoire IX convoquait pour un concile, -et se vit excommunié par ce pontife. Puis Grégoire, accablé de -tribulations, mourut, et Innocent IV, Génois d’origine, réunit à Lyon un -concile qui déposa Frédéric. Et, depuis sa déposition et sa mort, le -siège impérial a été vacant; il l’est encore à l’heure où nous écrivons -ceci. - - - - -CLXXIX - -LA DÉDICACE DE L’ÉGLISE[25] - - [25] La _Dédicace de l’Eglise_ était, autrefois, le dernier office du - _Bréviaire_, dont la _Légende Dorée_ n’est qu’une façon d’adaptation - à l’usage du peuple. - - -I. La dédicace des églises est comptée par l’Eglise au nombre des -grandes fêtes. Nous avons à considérer, par rapport à cette fête, trois -questions: 1º pourquoi doit-on «dédier» ou consacrer une église? 2º -comment se fait cette consécration? 3º par qui et comment une église -est-elle profanée? - -1º Il y a, dans une église, deux choses que l’on doit consacrer, à -savoir l’autel et le temple lui-même. L’autel est consacré pour trois -motifs: 1º Pour devenir digne de recevoir le sacrement du Seigneur, -c’est-à-dire le corps et le sang du Christ, que nous immolons en -souvenir de sa passion, ainsi qu’il nous l’a lui-même ordonné. Et c’est -encore pour nous rappeler cette passion et ce sacrement qu’on place sur -l’autel, et dans toute l’église, l’image du crucifix et d’autres images, -afin qu’elles soient comme les livres des fidèles laïcs. 2º Pour devenir -digne de servir de lieu à l’invocation du nom du Seigneur. Cette -invocation, quand elle se fait sur l’autel, s’appelle proprement -_missa_, messe, en raison de la mission céleste du Christ dans l’hostie. -Et nous devons noter, à ce propos, que la messe se chante en trois -langues, en grec, en hébreu, et en latin, en souvenir de la triple -inscription mise sur la croix, et aussi pour signifier que toutes les -langues doivent célébrer Dieu. Latins sont l’évangile, l’épître, -l’oraison et le chant; grecs sont les mots _Kyrie eleison_, _Christe -eleison_, qui se chantent neuf fois en souvenir des neuf ordres des -anges; enfin hébreux sont les mots _alleluia_, _amen_, _sabaoth_, et -_hosanna_. 3º Pour devenir digne de servir de lieu au chant religieux. -Ce chant lui-même est de trois sortes: les psaumes, les leçons, et les -chants proprement dits. - -Quant au temple où se trouve l’autel, l’Eglise le consacre pour cinq -motifs: 1º pour en chasser le diable et son pouvoir. Saint Grégoire -rapporte dans un de ses _Dialogues_ que, lorsque les reliques de saint -Sébastien et de sainte Agathe furent déposées dans une église qui avait -servi de temple à l’hérésie arienne, la foule vit un porc courir, çà et -là, se frayant un chemin vers la porte; et dès qu’il eut atteint la -porte il disparut. La nuit suivante, on entendit, dans le toit de cette -église, un bruit effroyable, comme si quelqu’un courait çà et là, -cherchant à s’enfuir. Ce tapage se reproduisit encore les deux nuits -suivantes, et avec tant de force qu’on crut bien que l’église allait -s’écrouler. Mais la quatrième nuit, on ne l’entendit plus, et désormais -l’église se trouva purifiée. 2º Pour que ceux qui se réfugient dans -l’église puissent être sauvés. Et c’est en symbole de ce salut spirituel -que certaines églises, lors de leur consécration, reçoivent des princes -le privilège du droit d’asile, c’est-à-dire la permission de mettre à -l’abri des poursuites ceux qui viennent s’y réfugier. 3º Pour que les -prières faites dans l’église soient exaucées. Notons, ici, que les -prières, dans l’église, s’adressent du côté de l’orient, parce que nous -considérons l’orient comme le lieu de l’Eden, notre première patrie, et -parce que c’est du côté de l’orient que les apôtres ont vu le Christ -monter au ciel. 4º Pour que nous puissions célébrer, dans le temple, les -louanges de Dieu. Ces louanges se célèbrent dans les sept heures -canoniques, à savoir: matines, prime, tierce, sexte, none, vêpres, et -complies. Car, bien que nous soyons tenus de louer Dieu à toute heure, -l’Eglise, en considération de notre faiblesse, nous a permis de louer -spécialement Dieu à ces sept moments privilégiés, dont chacun correspond -à un souvenir sacré. C’est en effet, à minuit, heure des matines, qu’est -né le Christ, qu’il a été pris par les Juifs, et qu’il est descendu aux -enfers. Prime est l’heure où le Christ lui-même avait coutume de se -rendre au temple et c’est aussi l’heure où il apparut aux saintes -femmes, après sa résurrection. Tierce est l’heure où le Christ, attaché -à une colonne qui montre encore les traces de son sang, a été flagellé -par ordre de Pilate, et c’est aussi l’heure où l’Esprit-Saint a été -envoyé aux apôtres. Sexte est l’heure où le Christ a été attaché à la -croix avec des clous, et où la terre entière s’est couverte de ténèbres. -None est l’heure où le Christ a rendu son âme, où l’on a percé son -flanc, et où il est monté au ciel. Vêpres est l’heure où il a institué -le sacrement de l’Eucharistie, où il a lavé les pieds des disciples, où -il a été mis au tombeau, et où il est apparu aux disciples d’Emmaüs. -Complies est l’heure où il a sué des gouttes de sang, et où, ressuscité, -il est venu annoncer la paix à ses disciples. Enfin, 5º, l’Eglise doit -être consacrée pour que puissent y être administrés les sacrements -ecclésiastiques. - -2º--Voyons maintenant de quelle manière se fait la consécration de -l’autel, et celle du temple entier. Pour consacrer l’autel, on figure -d’abord, aux quatre coins, quatre croix avec de l’eau bénite; puis on -fait sept fois le tour de l’autel; puis on l’asperge sept fois d’eau -bénite mêlée d’hysope; puis on y brûle de l’encens; puis on l’oint avec -le saint chrême; enfin on le recouvre d’une nappe immaculée. Ces six -opérations symbolisent les vertus que doivent posséder ceux qui -approchent de l’autel. 1º Ils doivent avoir les quatre sortes d’amour -sanctionnées par la croix du Christ, c’est-à-dire l’amour de Dieu, -l’amour de soi-même, l’amour des amis, et l’amour des ennemis. Et les -quatre croix signifient aussi le salut des quatre parties du monde par -la croix. 2º Les sept tours de l’autel symbolisent la vigilance que le -Seigneur exige de ses prêtres. Et ils peuvent rappeler aussi les sept -chemins de Jésus-Christ, à savoir: du ciel dans le sein de la Vierge, de -ce sein à la crèche, de la crèche dans le monde, du monde sur la croix, -de la croix dans le tombeau, du tombeau aux enfers, et des enfers au -ciel. 3º Les sept aspersions d’eau bénite symbolisent les sept fois que -le Christ a versé son sang, à savoir: dans la circoncision, au Jardin -des Oliviers, dans la flagellation, dans le couronnement d’épines, dans -le percement de ses mains, dans le percement de ses pieds, et dans le -percement de son flanc. 4º La fumée de l’encens symbolise la prière, qui -doit s’élever au ciel avec ferveur et dévotion. 5º L’onction du saint -chrême signifie que le prêtre doit avoir la conscience pure et le parfum -de la bonne réputation. 6º Enfin les nappes immaculées symbolisent la -pureté des bonnes œuvres, qui cachent la nudité de l’âme et l’ornent de -beauté. - -Quant à la consécration du temple tout entier, elle comprend également -plusieurs parties. D’abord l’évêque fait trois fois le tour de l’église, -et, chaque fois qu’il passe devant la porte, il frappe celle-ci de son -bâton pastoral, en disant: _Aperite portas principes vestras_, etc. Puis -on asperge d’eau bénite l’intérieur et l’extérieur du temple; on fait -aussi, sur le pavé, une croix de cendres et de sable, et on y écrit, en -travers, l’alphabet grec et l’alphabet latin; sur les murs, on peint des -croix qu’on oint de saint chrême, et devant lesquelles on allume des -cierges. Et voici maintenant la signification de ces diverses -cérémonies: 1º Le triple tour de l’Eglise signifie que celle-ci est -consacrée en l’honneur de la Sainte Trinité. Ou bien encore il désigne -le triple état des âmes sauvées par l’Eglise, à savoir l’état de -virginité, l’état de continence, et l’état de mariage. Cette distinction -des trois états se retrouve, suivant Richard de Saint-Victor, dans la -disposition matérielle de l’église: car le sanctuaire correspond à -l’état de virginité, le chœur, à l’état de continence, et la nef à -l’état de mariage. 2º La triple percussion à la porte symbolise le droit -qu’a le Christ de pénétrer dans l’église, à savoir, en sa qualité de -créateur, de rédempteur et de glorificateur. 3º La triple récitation de -la formule _aperite portas_ désigne la triple puissance du Seigneur, à -savoir: dans le ciel, dans le monde, et dans l’enfer. 4º L’aspersion -d’eau bénite a pour objet, d’abord, l’expulsion du démon, que l’eau -bénite a pour vertu propre de chasser. Cette aspersion a aussi pour -objet la purification de l’église, qui, comme toutes choses terrestres, -est corrompue et souillée. Et cette aspersion a enfin pour objet de -relever l’église de toute malédiction, et d’y substituer la bénédiction -de Dieu. 5º L’inscription des deux alphabets représente la conjonction -du peuple juif et du peuple des gentils, et aussi la conjonction des -deux testaments, lesquelles, toutes deux, ont été consommées par la -croix du Christ. 6º La peinture des croix sur les murs a pour objet -d’effrayer les démons, et de marquer le triomphe du Christ, dont la -croix est l’étendard. 7º Enfin les cierges allumés devant ces croix, au -nombre de douze, symbolisent les douze apôtres, qui ont illuminé le -monde par la foi du Christ. - -3º Quant à la question de savoir par qui une église est profanée, nous -devons nous rappeler que le Temple même de Dieu a été profané par trois -hommes: Jéroboam, Nabuzardam, et Antiochus. 1º Jéroboam a profané le -temple par avarice, afin que le royaume n’échût pas à Roboam. Et, de -même, l’église de Dieu se trouve profanée par l’avarice des clercs. -Saint Bernard a dit: «Citez-moi donc un prélat qui ne mette pas plus de -vigilance à vider la bourse de ses sujets qu’à extirper les vices!» Et -l’église est encore profanée lorsqu’elle est construite avec un argent -acquis par l’avarice, c’est-à-dire mal gagné. Un usurier, ayant fait -construire une église, invita l’évêque à venir la consacrer. Mais -l’évêque, en y entrant, aperçut le diable assis dans la cathèdre en -habit épiscopal. Ce que voyant, l’évêque s’enfuit avec ses clercs, -l’église ayant déjà été consacrée par le diable; et aussitôt le diable -détruisit cette église avec un grand fracas; 2º Quant à Nabuzardam, dont -le livre des _Rois_ nous apprend qu’il incendia le temple de Dieu, -c’était un chef cuisinier. Et, de même, l’église est profanée lorsque -ceux qui doivent la servir sont adonnés à la gourmandise ou à la luxure, -et, suivant la parole de l’apôtre «ont fait de leur ventre leur dieu». -3º Le roi Antiochus, qui souilla et profana le Temple de Dieu, était le -plus orgueilleux des hommes, et le plus ambitieux. Et, de même, les -églises sont souvent profanées par l’orgueil et l’ambition du clergé. - -Profané trois fois, le Temple a été aussi consacré trois fois: par -Moïse, par Salomon, et par Juda Macchabée; ce qui nous indique que, à la -dédicace de l’église, doivent concourir l’humilité de Moïse, la sagesse -de Salomon, et le zèle de Juda Macchabée pour la défense de la foi. - -II. Voilà ce que nous avons eu à dire de la consécration de l’église; -mais nous devons ajouter qu’il y a une autre église qui doit être non -moins solennellement consacrée à Dieu: c’est, à savoir, l’église -spirituelle, que forme l’assemblée de tous les fidèles. Elle a pour -pierres d’angle la foi, l’espérance, la charité, et les bonnes œuvres; -choses qui, comme le dit saint Grégoire, sont toujours égales, car nous -espérons dans la mesure où nous croyons, nous aimons dans la mesure où -nous croyons et espérons; et nos œuvres sont en proportion de notre foi, -de notre espérance, et de notre charité. L’autel de cette église est -notre cœur, sur lequel autel nous devons offrir à Dieu trois choses: la -flamme de la dilection, l’encens de l’oraison, et le sacrifice de la -pénitence. - -Et, de même que l’église matérielle, ce temple spirituel doit être -consacré solennellement. D’abord son prêtre, le Christ, en fait trois -fois le tour, en nous rappelant les péchés de notre bouche, de notre -cœur, et de nos œuvres. Et il frappe trois fois à la porte fermée de -notre cœur, par ses bienfaits, par ses conseils, et par ses épreuves. Et -l’église spirituelle doit être aussi arrosée trois fois d’eau, à -l’intérieur, et à l’extérieur; et cela par les larmes intérieures et -extérieures, que nous devons verser en considérant: 1º que nous avons -vécu dans le péché; 2º que nous sommes misérables; 3º que nous sommes -privés de la gloire des justes. Quant à l’alphabet écrit dans notre -cœur, il consiste en trois choses qui se trouvent gravées en nous: 1º la -règle de nos actions; 2º le témoignage des bienfaits de Dieu; 3º -l’accusation de nos propres péchés. Et nous devons enfin peindre des -croix dans nos âmes, c’est-à-dire assumer les macérations de la -pénitence; et devant ces croix nous devons allumer des cierges, et nous -devons les oindre d’huile sainte, ce qui signifie que nous devons, non -seulement les supporter avec patience, mais encore avec zèle et avec -plaisir. - -Et celui qui aura procédé à cette consécration de lui-même, celui-là -sera vraiment un temple dédié au Seigneur. Celui-là sera vraiment digne -que le Christ habite en lui sous la forme de la Grâce divine, en -attendant que lui-même soit admis à habiter dans la Gloire du Christ. Ce -que daigne nous accorder le Dieu qui vit et règne dans les siècles des -siècles! Ainsi soit-il! - - -FIN - - - - -INDEX ALPHABÉTIQUE[26] - - [26] Les chiffres en caractères gras signifient que les noms auxquels - ils se rapportent font l’objet d’un chapitre spécial. - - (Note du transcripteur: ces chiffres ont été notés entre signes - égale dans la transcription, comme ceci: =379=.) - - Il a été, naturellement, impossible d’introduire dans cet index des - noms comme Dieu, Jésus ou comme le Diable, Satan, etc., qui se - trouvent répétés presque à toutes les pages. - - - -Abbanès, 31 et suiv. - -Abdias, prophète, 478. - -Abdon (saint), =379=. - -Abgar, roi d’Edesse, 37, 596 et suiv. - -Abias, grand prêtre, 304. - -Abiathar, grand-prêtre, 354. - -Abiathar, docteur, 68. - -Abibas, fils de s. Gamaliel, 395 et suiv. - -Abonde (saint), 428. - -Abraham, 550, 626, 697. - -Achace (saint), 457. - -Achaïe, 10, - -Achillée (saint), =272= et suiv. - -Acladius, 538, 540. - -Adaloth, 693. - -Adam, XXII, 1, 37, 121, 205, 206, 259, 260, 437, 697. - -Adéodat, fils de saint Augustin, 462. - -Adonis, 673. - -Adriatique (mer), 265. - -Adrien (saint), martyr, =503= et suiv. - -Adrien (saint), compagnon de sainte Ursule, 591. - -Adrien, pape, 178, 701. - -Adrien, empereur, 264, 285, 529, 530, 546. - -Adventor (saint), 536. - -Africain, père de saint Nazaire, 370. - -Africain, 592. - -Afrique, 159, 170, 680. - -Agapet (saint), 525 et suiv. - -Agapète, Irène, et Thionie, (saintes), 43. - -Agapite (saint), 225. - -Agar, 694. - -Agarenien, 26. - -Agathe (sainte), XXVIII, 27, 30, =146= et suiv., 712. - -Agathon (saint), =689= et suiv. - -Agaune, 534. - -Agilmude, 691. - -Agisulphe, 693. - -Aglaé (sainte), 275 et suiv. - -Aglaé, mère de saint Alexis, 330 et suiv. - -Agnès (sainte), =97= et suiv., 307, 424, 425, 623. - -Agontius, 322. - -Agrippa, préfet, 314 et suiv. - -Aix-en-Provence, 343, 345, 375. - -Aix-la-Chapelle, 72, 707, 710. - -Alassio, 79. - -Albain, messager de Pilate, 255. - -Albane, 457. - -Albenga, III, 209. - -Albert (le frère), 346. - -Albigeois, 711. - -Alboin, 691, 692 et suiv. - -Aleth, mère de saint Bernard, 440. - -Alexandre (saint), fils de sainte Félicité, 329. - -Alexandre (saint), ermite, 210. - -Alexandre (saint), légion thébaine, 536. - -Alexandre, (saint), pape, 388, 390 et suiv. - -Alexandre III, pape, 62, 479, 710. - -Alexandre IV, pape, XII. - -Alexandre, évêque, 414. - -Alexandre le Grand, 480. - -Alexandre, empereur, 36, 280, 281, 298, 582. - -Alexandre, fils d’Hérode, 58 et suiv. - -Alexandre, préfet, 298 et suiv. - -Alexandre, sénateur, 396. - -Alexandrie (sainte), 231. - -Alexandrie, 21, 105 et suiv., 126 et suiv., 152 et suiv., 169, 213, 233 -et suiv., 309, 385, 391, 472 et suiv., 509 et suiv., 518, 656 et suiv., -694. - -Alexandrie (Italie), 568. - -Alexis (saint), =330= et suiv. - -Alipe, 461 et suiv. - -Allemagne, 704, 710. - -Almaque, préfet, 280, 641 et suiv. - -Alpes, 481, 534, 628. - -Alphée, 250, 494, 596. - -Amand (saint), =151= et suiv. - -Amator (saint), 210 et suiv., 380. - -Ambroise (saint), 104, 123, =216= et suiv., 230, 235, 262, 264, 279, -302, 305, 370, 373, 377, 460 et suiv., 589, 626, 702, 703. - -Ambroise, père de saint Ambroise, 216. - -Amerius, 73. - -Amet (saint), pape, 592. - -Amicus et Aurélius (saints), 701. - -Amiens, XVI, 602, 619. - -Aminée, 280. - -Amphiloque, évêque, 289. - -Ananias, 254, 312. - -Anastase (saint), 87, 169. - -Anastasie (sainte), =43= et suiv., 655 et suiv. - -André (saint), =7= et suiv., 459. - -André, évêque, 516. - -André, 177 et suiv. - -Angelico, (le bienheureux fra) V, XXIV. - -Angers, 704. - -Angleterre, 56, 61, 62, 169, 590, 699. - -Aniane, évêque, 234. - -Annas, 68. - -Anne (sainte), 58, 136, 137, 494 et suiv. - -Anne, grand-prêtre, 205. - -Annibal, 710. - -Anolin, geôlier, 281. - -Anolin, préfet, 373. - -Anselme (saint), 708. - -Antime (saint), 542. - -Antioche, VI, XXV, 8, 125, 142 et suiv., 157 et suiv., 169, 194, 232, -288 et suiv., 480, 538, 539, 571, 588, 589, 590, 650. - -Antiochus, 716. - -Antipater, père d’Hérode, 57. - -Antipater, fils d’Hérode, 58, 60, 369. - -Antoine (saint), XIV, XX, XXVIII, 83 et suiv., =87= et suiv., 461, 576. - -Antoine (Marc-), 391. - -Antoine II, empereur, 338. - -Antonin, empereur, 329. - -Anture, mère de saint Jean Chrysostome, 125. - -Aoste, 536. - -Aphrodise, 146, 147. - -Apia, 79 et suiv. - -Apilion, 22. - -Apollinaire (saint), 452. - -Apollinaire (saint), =347= et suiv. - -Apolline (sainte), XIII, =152= et suiv. - -Apollon, 39, 188, 194, 348, 351, 516. - -Apollophane, 577. - -Apostelle, 248. - -Appellius, 73. - -Apronien (saint), 418. - -Apulée, disciple de s. Pierre, 319. - -Aquila, 646 et suiv. (V. _Faustin_). - -Aquilée, 233, 656. - -Aquilin, consul, 509. - -Aquilin, 547. - -Aquiline (sainte), 364 et suiv. - -Aquitaine, 79, 449, 450, 584, 702. - -Arabie, 542. - -Arachis, 671 et suiv. - -Arcade, empereur, 125, 134, 332, 626. - -Archélaüs, fils d’Hérode, 58 et suiv. - -Archémius, geôlier, 283 et suiv. - -Aréopage, 577. - -Aretas, roi, 476. - -Arezzo, XIX, 415, 416, 564. - -Argos, 18. - -Arimathie, 205, 258. - -Aristobule, fils d’Hérode, 58 et suiv. - -Aristodème, 53, 54. - -Aristote, 509. - -Arius, 79, 242, 385. - -Arles, 376, 490, 492, 581. - -Arménie, femme de Carpasius, 281. - -Arménie, 701. - -Aroël, 68. - -Arphaxal, 530, 532, 598. - -Arras, 150. - -Arsène (saint), =686= et suiv. - -Arthémie, fille de Dioclétien, 418 et suiv. - -Asie, 7, 50, 53, 159, 249, 578, 579. - -Aspasius, 99. - -Asserbus, 244. - -Assise, 561 et suiv. - -Astaroth, 454 et suiv. - -Astase (comte), 301 et suiv. - -Astère (saint), 583. - -Asti, 207 et suiv. - -Astyage, 456. - -Astolphe, 699. - -Athanase (saint), 385, 387, 479. - -Athènes, 225, 577, 578, 645, 649. - -Atticus, 602. - -Attila, 311, 381. - -Atus, 199. - -Auguste (César-Octave), 38, 40, 57 et suiv., 74, 391 et suiv. - -Augustin (saint), XI, XII, XXIII, 3, 14, 31, 41, 42, 47 et suiv., 72, -104, 170, 216, 224, 303, 312, 396, 398, 401, =459= et suiv., 477, 606, -611. - -Augustin (frère), 569. - -Augustin, prêtre, 169. - -Aurélien, empereur, 484 et suiv. - -Aurélien, consul, 272 et suiv. - -Autun, 380, 383, 452, 559. - -Auvergne, 115, 586. - -Auxerre, 210 et suiv., 380, 537. - -Avennir, 663 et suiv. - -Avignon, 376. - -Avit, 509, 511. - -Avranches, 546. - - -Babille (sainte), 591. - -Babylone, 121, 431, 466. - -Babylonie, 379, 418, 690. - -Bactriane, 37. - -Baillet, XXIII. - -Balaam, 74, 524. - -Balachius, 90. - -Balbine (sainte), 390 et suiv. - -Baldak, idole, 456. - -Bâle, 591, 592. - -Bamberg, 634. - -Balthazar, 73. - -Baradac, 598 et suiv. - -Barbe, 691. - -Barcelone, 360. - -Bari, 24, 708. - -Barlaam (saint), =663= et suiv. - -Barnabé (saint), =287= et suiv., 327, 533, 646. - -Barpanthar, 493. - -Barsabas, 463. - -Barthélemy (saint), =453= et suiv. - -Bartolomméo (Fra), V. - -Basile (saint), X, 119, =289= et suiv. - -Bavière, 706. - -Bazas, 691. - -Béatrice (sainte), 374 et suiv. - -Bec (le Prieuré du), 708. - -Bède (le vénérable saint), 160, 164, 202, 356, 391, 493, 602, 609 et -suiv. - -Beleth (maître Jean), XVI, 118, 160, 352, 388, 482, 497, 602, 627. - -Belzébuth, 156, 183. - -Benedetto (Fra), V. - -Bénévent, 458, 547. - -Benjamin, 68. - -Benoît (saint), =184= et suiv., 701. - -Benoît, pape, 690. - -Benoît, 248. - -Bérenger, hérétique, 708. - -Bergame, 536. - -Bérith, ville, 515. - -Bérith, idole, 454. - -Bernard (saint), XXVI, 4, 42, 76, 135, 146, =440= et suiv., 469, 588, -709, 710, 716. - -Bernard, 356. - -Béthanie, 68, 278, 338. - -Bethléem, 38, 58, 59, 75, 164, 195, 494, 497, 554, 557. - -Bithynie, 589. - -Blaise (saint), 65, =139= et suiv. - -Bodhisattva, 676. - -Boëce, 699. - -Bollandus, XX, XXI, XXVIII. - -Bologne, 401 et suiv. - -Bolsène, 352. - -Boniface (saint), =275= et suiv. - -Boniface III, pape, 694. - -Boniface IV, 604, 694. - -Bonizzi, 709. - -Bormida (la), 208. - -Boudha, 676. - -Bourges, 438. - -Bourgogne, 440, 489, 537. - -Bouts (Thierry), XIX. - -Brescia, 705. - -Bretagne, 590 et suiv., 705. - -Bretagne (Grande-), 167, 263, 382, 586. - -Brice (saint), =627= et suiv. - -Brione, 424. - -Brison, eunuque, 128. - -Bruges, XVIII, 662. - -Bruno, évêque (Léon IX), 706 et suiv. - -Bruxelles, XIX. - - -Cadicha, 695 et suiv. - -Caïn, 538. - -Caïphe, 205, 252. - -Caïus Caligula, 388 et suiv., 478. - -Calabre, 457. - -Calahorra, 399. - -Calixte (saint), pape, 124, 280, 356 et suiv., =582= et suiv. - -Calixte, ami de Julien l’Apostat, 480. - -Calocerus (saint), 207 et suiv. - -Calvaire (mont du), 198. - -Campanie, 191, 271, 701. - -Cana, 73, 596. - -Cana, près Pavie, 471. - -Candace, 530. - -Candes, 625. - -Candide (saint), 534. - -Cantorbery, 61. - -Capoue, 193, 397. - -Cappadoce, 139, 226, 229. - -Carcassonne, 410. - -Carin, fils de saint Siméon, 205, 207. - -Carisius, 35 et suiv. - -Carpaccio, XIX. - -Carpasius, 281, 419. - -Carpe (saint), 203 et suiv. - -Carpophore (saint), 616. - -Carthage, 459, 460, 523. - -Carus, évêque de Narbonne, 596. - -Casal, 468. - -Casa Mariæ, 408. - -Cassien (saint), 54, 384. - -Cassin (mont), 188, 698, 701. - -Cassiodore, 58. - -Castille, 565. - -Castor (saint), 617. - -Catane, 30, 146, 150. - -Catherine (sainte), XXII, =656= et suiv. - -Caxton, XIII. - -Cécile (sainte), 224, 280 et suiv., =639= et suiv. - -Cedon (saint), 339. - -Célestin, pape, 498, 703. - -Célestin, père de s. Bernard, 440. - -Célion (mont), 366 et suiv. - -Celse (saint), =370= et suiv. - -Celse, 301. - -Cenis (mont), 701. - -Cérasius, 370, 373. - -Césaire (saint), 273, 490. - -César (Jules), 38. - -Césarée, 31, 48, 119, 180, 250, 261, 324, 389. - -Chalcédoine, 269, 311, 479, 482, 521. - -Chaldée, 76. - -Chalé, 457. - -Chantre parisien (le), 611, 614. - -Charité (sainte), 284. - -Charlemagne, 72, 178, 345, 483, 582, 616, 701 et suiv. - -Charles-Martel, roi, 492, 698. - -Charles le Chauve, 704. - -Charles II, roi de Naples, VII. - -Chartres, 119, 435. - -Chartreuse (Grande-), 446, 447. - -Chersonèse, 652. - -Childéric, roi, 521, 559, 698 et suiv. - -Christine (sainte), =349= et suiv. - -Christophe (saint), XXIV, =361= et suiv. - -Chromace, 94. - -Chrysogone (saint), 43, =655= et suiv. - -Chrysostome (Voir _Jean_). - -Chusi, 68. - -Chypre, 129, 287, 288. - -Ciborée, 161 et suiv. - -Cicéron, 553. - -Cilicie, 298, 331. - -Ciline, 77. - -Cîteaux, 196, 402, 409, 443, 708, 709. - -Civita-Vecchia, 352. - -Clairvaux, 443, 447. - -Classe, 347. - -Claude (saint), 617. - -Claude, empereur, 314. - -Claude II, 153, 154, 428. - -Claude, tribun, 596. - -Claudie, 509 et suiv. - -Clément (saint), pape, 54, 272, 312, 313, 315, 579, =644= et suiv. - -Clément (saint), évêque, 593. - -Cléopâtre, 391. - -Cléophas, frère de s. Joseph, 251, 494. - -Cléophas, disciple de Jésus, 589. - -Clet (saint), 314, 651. - -Clotaire, roi, 489, 559, 587. - -Clotilde (sainte), 557. - -Clovis, 77, 378, 557, 582. - -Cluny, 41, 608, 708. - -Cocavilla, 274. - -Coël, roi, 263. - -Cogoleto, II. - -Cologne, XVIII, 76, 393, 592 et suiv., 626, 662. - -Colomb (Christophe), II. - -Colone, 457. - -Côme (saint), =541= et suiv. - -Côme, ville, 245, 246. - -Compostelle, 354 et suiv. - -Concorde (sainte), 427 et suiv. - -Concordien (saint), 210 et suiv. - -Conrad le Teuton, 408 et suiv. - -Conrad Ier, empereur, 706 et suiv. - -Conrad II, 709, 710. - -Conrad (maître), 631 et suiv. - -Constance (sainte), martyre, 593. - -Constance, empereur, 374, 385 et suiv., 536. - -Constance, fille de Constantin, 100, 307 et suiv., 479. - -Constant (saint), 536. - -Constant, empereur, 483. - -Constantin (saint), 366 et suiv. - -Constantin (saint), légion thébaine, 534. - -Constantin, père de Constantin le Grand, 262. - -Constantin le Grand, 23, 66 et suiv., 76, 99 et suiv., 261 et suiv., -299, 308 et suiv., 370, 385, 461, 483, 618, 662, 702. - -Constantin II, 81, 91, 702. - -Constantin IV, 561. - -Constantinople, 76, 107, 125 et suiv., 169, 269, 369, 396 et suiv., 479, -482, 507, 547, 694, 702, 710. - -Constantinople (église Sainte-Sophie à), 266, 284, 515. - -Corbigny, 587. - -Cordoue, 379. - -Cordule, 593. - -Corneille (saint), pape, 274, 312, 321, =523=. - -Corneille, disciple de saint Clément, 653. - -Corneille (Pierre), 472. - -Corneille, philosophe, 461. - -Cornélius, 372. - -Corocanie, 694. - -Cosroës, 512 et suiv. - -Coste, roi, 656. - -Couronnés (les Quatre), saints, 616. - -Craton, 51, 68. - -Crémone, 634. - -Crescence (sainte), 297. - -Crescence, 169. - -Crisant (saint), =595= et suiv. - -Crispin, 115. - -Ctésiphon, 480, 515. - -Cumanes, 133. - -Cunégonde (sainte), 425, 706. - -Cybèle, 604. - -Cyprien (saint), d’Antioche, 538 et suiv. - -Cyprien (saint), 523. - -Cyr (saint), =298= et suiv., 448. - -Cyriaque (saint), =417= et suiv. - -Cyriaque (saint), Judas, 265 et suiv. - -Cyriaque (saint), pape, 592. - -Cyrille (saint), évêque des Moraves, 655. - -Cyrille (sainte), 428. - -Cyrin (saint), de Carthage, 65. - - -Dacie, 307. - -Dacien, préfet de Rome, XX, 229 et suiv. - -Dacien, préfet de Valence, 101 et suiv. - -Dagnus, 363 et suiv. - -Dagobert, 151, 581, 582. - -Dalmatie, 553. - -Damaris (sainte), 578. - -Damas, 324, 476. - -Damascène (Jean de Damas), 173, 269, 493, 597, 663. - -Damascus, 73. - -Damase, pape, 91, 125, 556. - -Damien (saint), =541= et suiv. - -Damiette, 571. - -Dan, 161. - -Daniel, 544. - -Danube, 261, 513. - -Daria (sainte), martyre, =595=. - -Daria (sainte), mère de sainte Ursule, 591. - -David, 38, 206, 219, 278, 304, 493, 497, 533. - -Décius, empereur, 92, 149, 152, 225, 366 et suiv., 420 et suiv., 428, -429, 523. - -Décius (Gallien), 83. - -Démophile, 203. - -Démosthène, préfet, 290. - -Démosthène, patricien, 349. - -Denis (saint), l’Aréopagite, 63, 143, 203, 319, 323, 328, 432, =577= et -suiv., 704. - -Denis (saint), un des Sept Dormants, 366 et suiv. - -Denis, pape, 428. - -Denis, évêque, 385, 386. - -Denis, oncle de saint Pancrace, 274. - -Denis, 32. - -Desiderius, roi lombard, 699, 701. - -Diane, 21, 53, 487, 595. - -Didon, 464. - -Dieudonné, 26. - -Dioclétien, 30, 92, 95, 103, 229, 239, 274 et suiv., 284, 286, 297, 352, -418 et suiv., 487, 508, 519, 534, 541, 543, 616, 655. - -Dioscore, 129 et suiv. - -Dismas, 198. - -Divin, 153. - -Doeth, 68. - -Dodon, 522. - -Domicille (sainte), 272 et suiv., 651. - -Dominique (saint), XV, =399= et suiv., 565, 566. - -Domitien, évêque, 536. - -Domitien, empereur, 50, 270, 272, 579, 651. - -Donat (saint), 337, =415= et suiv. - -Donat, grammairien, 553. - -Dorée (sainte), 591. - -Doria, VII, IX. - -Dormants (les Sept), saints, =366= et suiv. - -Dorothée (saint), 289, 457. - -Dorothée (saint), compagnon de saint Gorgon, 508. - -Dorothée, roi de Constantinople, 593. - -Dorothée, 284. - -Drusienne (sainte), 50, 52. - - -Ebionites, 249. - -Ebroïn, 439, 559 et suiv. - -Ecosse, 181. - -Edesse, 36, 330, 331, 596, 598. - -Edmond (saint), 56. - -Egée, ville, 541. - -Egée, 11 et suiv. - -Egippe, 531. - -Egypte, 58, 87, 127, 128, 135, 213, 391, 461, 495, 526, 575, 598, 602, -685, 695. - -Elape (Perse), 677. - -Eléazar, 387. - -Eleuthère (saint), =577= et suiv. - -Elie, 206, 304. - -Elisabeth (sainte), mère de saint Jean-Baptiste, 305, 494. - -Elisabeth (sainte) de Hongrie, XXVII, =629= et suiv., 711. - -Elisée, 478. - -Eliude, 494. - -Elius, 351. - -Elpès, 699. - -Elymas, 288. - -Embrun, 710. - -Emérantienne (sainte), 99. - -Emèse, 481. - -Emilie, 216. - -Eminen, 494. - -Emmaüs, 122, 204, 589. - -Enée, 312. - -Engade, 40. - -Enoch, 206, 207. - -Ephèse, 50 et suiv., 250, 270, 324, 366 et suiv., 431. - -Ephrem (saint), 289, 290, 294. - -Ephrem, abbé, 577. - -Epimaque (saint), 271. - -Epiphane (saint), évêque, 129 et suiv., 430, 684. - -Epiphane, père de saint Nicolas, 18. - -Episius, 684. - -Equice (saint), 518. - -Erasme, XIX. - -Esclavonie, 378. - -Espagne, 352, 399. - -Espérance (sainte), 284. - -Ethéré (saint), 593. - -Ethiopie, 8, 118, 530 et suiv., 598. - -Etienne (saint), martyr, =45= et suiv., 113, 114, 265, =394= et suiv. - -Etienne de Hongrie (saint), 706. - -Etienne (saint), pape, =393= et suiv. - -Etienne, évêque, 169. - -Etienne, juge, 424. - -Etienne, clerc, 346 et suiv. - -Eucharie, 338, 375. - -Euchassie, 597. - -Eudoxie, mère de Théodose, 131. - -Eudoxie, fille de Théodose, 134, 392, 397 et suiv. - -Eugène (saint), 178. - -Eugène, pape, 709. - -Eugénie (sainte), 509 et suiv. - -Euloge, patriarche, 169. - -Euloge, préfet, 155. - -Euphémie (sainte), =519= et suiv. - -Euphémien, père de saint Alexis, 330 et suiv. - -Euphigénie, 531 et suiv. - -Euphrosine (sainte), sœur de lait de sainte Domicille, 273. - -Euphrosine, 415. - -Euprépie (sainte), 542. - -Europe, 159. - -Eusèbe (saint), évêque de Verceil, 79, 202, 288, =384= et suiv. - -Eusèbe, de Césarée, 65, 258, 261, 602. - -Eusèbe, pape, 261, 486. - -Eusèbe, père de saint Jérôme, 553. - -Eustache (saint), =524= et suiv. - -Eustache, 415. - -Eustochius, 435, 554. - -Eustorge (saint), 76. - -Euthice (saint), 273. - -Euthicie, 27. - -Eutrope, 125 et suiv. - -Eutychès, 311. - -Evadracien, 417. - -Eve, 437. - -Evode, 462. - -Exupère (saint), 534, 535. - - -Fabien (saint), pape, =91= et suiv., 523. - -Fabien, évêque, 311. - -Fabien, préfet, 95. - -Fantaste, 43. - -Faust, 644 et suiv. - -Faustin (saint), 208. - -Faustin, 644 et suiv. - -Faustinien, 644 et suiv. - -Februa, 136. - -Félicien (saint), =286=. - -Félicissime (saint), 225. - -Félicité (sainte), =329=. - -Félicité (sainte), =679= et suiv. - -Félicula (sainte), 282. - -Félix, (saint), évêque, =81= et suiv. - -Félix (saint), pape, =374=, 544. - -Félix et Adauct (saints), =487= et suiv. - -Félix (saint), fils de sainte Félicité, 329. - -Félix, père de saint Dominique, 399. - -Féramond, 521 et suiv. - -Ferréol (saint), 115. - -Ferrières-en-Dauphiné, 614. - -Fescennius, 580. - -Fiesque, VII. - -Fiesque (Obezzon de), VI. - -Flaccus, 282. - -Flavien, pape, 703. - -Fleury-sur-Loire, 701. - -Florence (sainte), 298. - -Florence, ville, 360. - -Florent, prêtre, 187 et suiv. - -Florentine (sainte), 593. - -Foi (sainte), 284. - -Follau (saint), 593. - -Fondi, 516. - -Fontaine, 440, 469. - -Fortunat (saint), 96, 281, 424. - -Fortunat, 463. - -Fossa Nova, 406. - -Foulques, évêque de Toulouse, 401. - -Fradin, XXVII. - -France, 62, 77, 79, 200, 471, 579, 581, 583, 627, 704. - -Francesca (Piero della), XIX. - -François (saint), XV, XXIV, XXVII, 402, 403, =561= et suiv. - -Frédéric Barberousse, empereur, 458, 633, 710. - -Frédéric II, empereur, XII, 711. - -Frisons, 700. - -Front (saint), 313, 377 et suiv. - -Fulbert, 119. - -Fulgence, 75. - -Fursy (saint), =551= et suiv. - - -Gabriel (saint), archange, 195, 304, 497, 697. - -Gade, 33. - -Gaïmas, 126, 127. - -Galatie, 255, 376. - -Galère, empereur, 536. - -Galère, proconsul, 523. - -Galgalat, 73. - -Galice, 354, 356, 359. - -Galla, fille de Symmaque, 322, 323. - -Galla, reine de Hongrie, 706. - -Galla, Goth, 190, 191. - -Gallican (saint), 307, 308. - -Gallien, empereur, 394, 429, 512, 681. - -Gallinaria, île, 79, 620. - -Gallus, 621. - -Gallus, 308. - -Gamaliel (saint), 47, 205, 394, 516. - -Gargan (saint), 545 et suiv. - -Garganus, 545. - -Garibaldi, IV. - -Garin, 560. - -Gascogne, 152. - -Gaspard, 73. - -Gaule, 77, 80, 151, 371, 380, 384, 420, 482, 534, 619, 691, 701, 705. - -Gélase, pape, 289, 703. - -Genebald, 77, 78. - -Gênes, II, III et suiv. 373, 446, 468, 479, 700. - -Genève, 371, 536. - -Génésareth, 7, 338. - -Georges (saint), XX, XXI, XXV, =226= et suiv. - -Georges, prêtre, 313. - -Géorgie, 654. - -Gépides, 691. - -Gérard, frère de saint Bernard, 442. - -Gérasine (sainte), 591. - -Gergovie, 508. - -Germain-l’Auxerrois (saint), 210, 211, =380= et suiv., 537. - -Germain (saint), évêque de Capoue, 193, 612. - -Germain de Trèves, 703. - -Germain, évêque de Tours, 629. - -Germanie, 691. - -Gervais (saint), 248, =301= et suiv., 370, 371, 373, 693. - -Gesmas, 198. - -Gilbert de la Porrée, 606, 710. - -Gildart (saint), 691. - -Gilles (saint), =490= et suiv. - -Girard, duc de Bourgogne, 345. - -Godolias, 68. - -Golgotha, 204. - -Gondofer, roi, 31. - -Gontran, 537. - -Gordien (saint), =271= et suiv. - -Gordien, père de saint Grégoire, 165. - -Gorgon et Dorothée (saints), =508=. - -Goths, 417, 466, 692. - -Gratien, prêtre, 708. - -Gratus, évêque, 536. - -Grèce, 7, 8, 18, 578. - -Grégoire (saint), VI, 6, 74, 96, 137, =165= et suiv., 184, 267, 279, -303, 310, 322 et suiv., 329, 415, 423, 516 et suiv., 544, 546, 547, 589, -604, 609, 612, 613, 614, 690, 693, 694, 699, 702, 712, 716. - -Grégoire de Nazianze (saint), 554. - -Grégoire de Tours (saint), 115, 231, 260, 265, 274, 328, 423, 453. - -Grégoire (saint), martyr, 457. - -Grégoire II, pape, 605. - -Grégoire VII (Voir _Hildebrand_). - -Grégoire IX, 498, 711. - -Grégorien (chant), 702 et suiv. - -Grenoble, 614. - -Grimaldi, VII. - -Guale, évêque, 411. - -Guido, frère de saint Bernard, 443. - -Guilfroy, 246. - -Guillaume d’Auxerre, 305. - - -Haimon, 92, 324. - -Hébreux, 4. - -Hégésippe, 251, 253, 345. - -Hélène (sainte), 39, 68, 76, 261 et suiv., 512. - -Helenus (saint), abbé, 509, 510. - -Héli, 493. - -Hélinaud, 55. - -Henri (saint) empereur, 425, 708. - -Henri II, 707, 708. - -Henri III, 708. - -Henri IV, 708. - -Henri V, 76, 709. - -Henri VI, 710. - -Héraclius, empereur, 152, 513 et suiv. - -Héraclius II, 694. - -Héraclius, préfet, 453. - -Héraclius (saint), 291, 292. - -Hercule, 541. - -Hermagoras (saint), 233. - -Hermès, préfet, 390. - -Hermogène, 352 et suiv. - -Hermopolis, 58. - -Hérode d’Ascalon, 57 et suiv., 74 et suiv., 476, 493. - -Hérode Antipas, 57, 58, 60, 200, 476 et suiv., 482. - -Hérode Agrippa, 57, 60, 312, 354, 588, 389, 392, 477, 478. - -Hérodiade, 133, 476 et suiv., 482, 483. - -Hiérapolis, 132, 233, 249. - -Hilaire (saint), évêque, 78, =79= et suiv., 324, 619, 620, 703. - -Hilaire (saint), moine, 415, 417. - -Hilarion, solitaire, 684. - -Hildebrand, 708. - -Hincmar, 76, 582. - -Hippolyte (saint), 421 et suiv., =426= et suiv. - -Hippone, 47, 48, 303, 398, 462 et suiv. - -Hirtacus, 531 et suiv. - -Hongrie, 629, 635, 711. - -Honoré (saint), 221. - -Honorius (saint), 462. - -Honorius, empereur, 125, 332, 394, 401, 626. - -Hubert de Besançon, 356, 359. - -Hugues de Cluny, (saint), 41, 42, 357. - -Hugues de Saint-Victor, 357, 709. - -Humbert, roi, 97. - -Hyacinthe (saint), =509= et suiv. - - -Icone, 287, 298, 324. - -Ignace (saint), =142= et suiv.,251, 703. - -Inde, 31, 32, 34, 453, 663. - -Innocent (saint), 534, 536. - -Innocent Ier, pape, 332, 401. - -Innocent III, 39, 40, 710, 711. - -Innocent IV, 242, 245, 246, 479, 498, 711. - -Innocent, préfet, 170. - -Innocents (les saints), 49, 59 et suiv., 202, 387. - -Irène, impératrice, 702. - -Irénée (saint), 428. - -Islande, 181 et suiv., 450. - -Isaïe, 1, 205, 462. - -Iscarioth (île), 161. - -Isidore (saint), 18, 37, 50, 249, 602. - -Isidore, prêtre, 126, 129. - -Ismaël, 697. - -Ismérie, 494. - -Issachar, 161. - -Italie, VI, 97, 221, 233, 311, 324, 349, 371, 385, 417, 483, 690 et -suiv., 699, 704, 705. - - -Jacob, 493. - -Jacobites, 695. - -Jacques le Majeur (saint), 251, 271, =352= et suiv., 494. - -Jacques le Mineur (saint), 7, 57, 199, 204, =250= et suiv. - -Jacques l’Intercis (saint), =676= et suiv. - -Jacques (saint), archevêque d’Antioche, 592. - -Jacques de Riéti, frère, 571. - -Jaïre, 312. - -Janus, 72. - -Janvier (saint), 224, 271, 329. - -Jean-Baptiste (saint), 51, 71, 73, 188, 194, 205, =304= et suiv., 395, -=476= et suiv., 494, 498, 607, 693 et suiv. - -Jean l’Evangéliste (saint), III, 7, 49, =50= et suiv., 73, 142, 143, -175, 251, =270= et suiv., 278, 279, 306, 346, 430 et suiv., 494, 579, -588, 630. - -Jean l’Aumônier (saint), X, =105= et suiv. - -Jean (saint), martyr, =307= et suiv. - -Jean Chrysostome (saint), 6, 37, 59, 74, 75, =125= et suiv., 312. - -Jean (saint) Dormant, =366= et suiv. - -Jean (saint), abbé, 170, =684=. - -Jean III, pape, 690, 699. - -Jean XIII, pape, 392. - -Jean, évêque de Jérusalem, 394, 396. - -Jean, évêque de Constantinople, 169. - -Jean le Diacre, 18, 165, 174, 179. - -Jean, prêtre, 169. - -Jean de Damas (Voir _Damascène_). - -Jean-Marc, disciple de saint Barnabé, 287 et suiv. - -Jean de Bungay, 662. - -Jeanne, mère de saint Nicolas, 18. - -Jeanne, mère de saint Dominique, 399. - -Jéroboam, 716. - -Jérôme (saint), 4, 5, 49, 55, 81, 83, 161, 224, 250, 251, 252, 258, 262, -313, 323, 323, 435, =553= et suiv., 588, 605, 606, 703. - -Jérusalem, 12, 47, 58, 73, 74, 107, 122, 161, 162, 170, 198, 200, 213, -232, 251 et suiv., 260 et suiv., 277, 288, 313, 324, 338, 341, 342, 389, -392, 394, 396, 466, 478 et suiv., 495, 496, 512, 514, 516, 572, 573, -602, 708. - -Jésus, fils d’Ananias, 254. - -Joachim (saint), 493 et suiv. - -Job, 7, 525, 527. - -Jonapata, 256. - -Jonas, 68. - -Josaphat (saint), =663= et suiv. - -Josaphat (vallée de), 5, 432, 433. - -Joséas, 354. - -Joseph (saint), 38, 40, 58, 137, 195, 251, 493 et suiv. - -Joseph, fils de Jacob, 494. - -Joseph le Juste (Barsabas), 163, 494. - -Joseph d’Arimathie, 204, 205, 258. - -Joseph, médecin, 295. - -Josèphe, 253 et suiv., 345, 389, 476. - -Joué-lès-Tours, 115. - -Jourdain, 212, 214, 262. - -Jovinien, empereur, 387. - -Jovinien, 252. - -Jubal, 68. - -Juda, 493. - -Juda Macchabée, 716. - -Judas (Voir _s. Cyriaque_). - -Judas Iscarioth, 160 et suiv., 199, 250, 424. - -Jude (saint), apôtre, 494, 532, =596= et suiv. - -Judée, 39, 47, 57, 58, 74, 164, 165, 255, 352, 389, 430, 431, 478, 494. - -Jules (saint), 115 et suiv. - -Jules, roi des Huns, 592. - -Julien (saint), évêque du Mans, =114=. - -Julien (saint) d’Auvergne, =115=. - -Julien (saint), martyr, =115= et suiv. - -Julien l’Hospitalier (saint), =116= et suiv. - -Julien l’Apostat, 118 et suiv., 265 et suiv., 271, 308 et suiv., 478 et -suiv., 618, 619. - -Julien II, empereur, 387, 415, 479. - -Julien Gallion, 320. - -Julien, pape, 385. - -Julien, préfet, 480. - -Julien, juge, 351, 352, - -Julienne (sainte), martyre, =155= et suiv. - -Julienne (sainte) compagne de sainte Ursule, 591. - -Julienne, vierge, 583. - -Julienne, 396. - -Julite (sainte), =298= et suiv. - -Junien (saint), 210. - -Jupiter, 147, 297, 310, 347, 417, 541, 582, 625, 643, 673, 683. - -Just, 283. - -Juste, mère de saint Sylvestre, 65. - -Justin l’Ancien, empereur, 194. - -Justin (saint), 423, 426 et suiv. - -Justin le Petit, empereur, 692. - -Justine (sainte), =538= et suiv. - -Justine, 648. - -Justine, impératrice, 217 et suiv., 702. - -Justinien, évêque de Tours, 629. - - -Lambert (saint), =521= et suiv. - -Laërtia (sainte), 580. - -Lamission, 691. - -Lamon, moine, 132. - -Lanfranc, 708. - -Laodicée, 330, 331. - -Laon, 78. - -Large (saint), 418. - -Larron (saint), 78. - -Latran, 401. - -Launoi (J. de), XIX et suiv. - -Laurent (saint), 138, 225, 397 et suiv., =419= et suiv., 426 et suiv., -568. - -Lausanne, 202, 447, 537. - -Lazare (saint), 198, 206, 338 et suiv., 369, 375 et suiv. - -Lazare (le pauvre), 550. - -Léger (saint), =559= et suiv. - -Léon (saint), pape, 279, =310= et suiv. - -Léon, pape, 80 et suiv. - -Léon III, pape, 702. - -Léon IX, pape (Voir _Bruno_). - -Léon, évêque d’Ostie, 654. - -Léon, empereur, 235, 268. - -Léonard (saint), de Limoges, =583= et suiv. - -Léonard (saint), de Corbigny, 587. - -Léonard (frère), 563. - -Léonce (saint), 542. - -Léonce, 81. - -Léopold, 706. - -Leucius, fils de saint Siméon, 205 et suiv. - -Lévi, 232, 493. - -Liban (mont), 259, 432. - -Libère, pape, 81, 374, 386, 554. - -Libye, 226. - -Licérius, 486 et suiv. - -Liège, 494, 709. - -Ligugé, 620. - -Ligurie, 216. - -Limoges, 584 et suiv. - -Lin (saint), pape, 314 et suiv., 323, 371, 651. - -Liphart (saint), 584. - -Lisbius, préfet, 580. - -Loire, 584. - -Lombardie, VI, 244, 568. - -Lombards, 690 et suiv. - -Longin (saint), XXIV, =180=. - -Lorraine, 704. - -Lothaire, empereur, 704. - -Louis (saint), XV. - -Louis le Débonnaire, 581, 702. - -Louis II, empereur, 704, 705. - -Louis, roi d’Aquitaine, 702. - -Loup (saint), 381, =488= et suiv. - -Louve (reine), 355 et suiv. - -Luc (saint), 4, 168, 279, 327, 328, 377, 493, 550, =588= et suiv. - -Lucain, 320. - -Lucie (sainte), =27= et suiv., 394. - -Lucien (saint), 457. - -Lucien, prêtre, 394 et suiv. - -Lucillus, 421. - -Lucine (sainte), 96, 281, 375. - -Lucques, 593. - -Lucrèce, préfet, 374 et suiv. - -Luna, 706. - -Luitprand, roi, 468. - -Lunel, 492. - -Luxeuil, 559. - -Luxurius, 273. - -Lycie, 363. - -Lycopolis, 386. - -Lyon, XXVII, 202, 357, 359, 478, 708, 711. - -Lysias, 542. - -Lystre, 324. - - -Macaire (saint), abbé, =85= et suiv. - -Macaire (saint), évêque, 264, 265. - -Macédoine, 165. - -Macédonius, 219. - -Machabées (les saints), =387= et suiv. - -Machéron, 480. - -Macidienne, 644 et suiv. - -Macrobe, 59. - -Maëstricht, 151, 494, 521. - -Magdala, 338. - -Mages (rois), 37, =73= et suiv. - -Magistrien, 688. - -Maguelone, 247. - -Mahomet, 694 et suiv. - -Malachie (saint), 450, 451. - -Malaspina (marquis), 470. - -Malchus (saint), 366 et suiv. - -Mamert (saint), 115, 268. - -Mamertin (saint), =210= et suiv. - -Mamertin, 652. - -Manfredonie, 545, 547. - -Manin, V. - -Mans (le), 124, 701. - -Mantoue, 238. - -Marbourg, 637. - -Marc (saint), l’évangéliste, 8, =232= et suiv., 267, 588. - -Marc et Marcellin (saints), 92, 94 et suiv. - -Marc, empereur, 338. - -Marc (Voir _Jean_). - -Marcel (saint), pape, =87=, 239, 282, 317, 319, 417. - -Marcel (saint), moine, 481. - -Marcelin (saint), pape, =239= et suiv., 534. - -Marcellin, prêtre, 283 et suiv. - -Marcien (saint), 207 et suiv. - -Marcien, empereur, 481, 594. - -Marcule (saint), 593. - -Marguerite (sainte), martyre, =334= et suiv. - -Marguerite (sainte), vierge, =573= et suiv. - -Marie (la bienheureuse Vierge), 38, 40, 58, 63, 76, =134= et suiv., 142, -168, =195= et suiv., 205, 213, 228, 247, 251, 305, 311, 331, 358, 385, -393, 401, 402, 405, 411, 424, 425, =430= et suiv., 493 et suiv., 550, -579, 589, 604, 607, 630, 702. - -Marie Cléophas (sainte), 251, 596. - -Marie-Madeleine (sainte), 204, =338= et suiv., 375, 377. - -Marie l’Egyptienne (sainte), =212= et suiv. - -Marie, femme d’Alphée, 494. - -Marie, femme de Zébédée, 494. - -Marin (saint), moine, 211. - -Marine (sainte), =299= et suiv. - -Maris, évêque, 479. - -Marmanites, 617. - -Marmoutiers, XI, 621. - -Maron (saint), 273. - -Mars, 136, 225, 248, 249, 394, 617. - -Marseille, 339 et suiv., 375. - -Marthe (sainte), 338, 339, =375= et suiv. - -Martial (saint), fils de sainte Félicité, 329. - -Martial, 47, 48. - -Martial, 313. - -Martien (saint), 366 et suiv. - -Martille (sainte), 339, 378. - -Martin (saint), XXIV, 368, =618= et suiv., 627 et suiv. - -Martin, 151, 426. - -Martinien, 318. - -Materne (saint), 313. - -Mathias (saint), =160= et suiv., 199. - -Mathilde (comtesse), 709. - -Matthieu (saint), 8, 9, 61, 123, 279, 288, 493, =530= et suiv., 588, -598. - -Martisius (saint), 591. - -Maur (saint), 186 et suiv. - -Maurice (saint), =533= et suiv. - -Maurice (saint), évêque, 593. - -Maurice, empereur, 162. - -Maurus, 590. - -Maxence, évêque de Milan, 385. - -Maxence, empereur, 262, 656 et suiv. - -Maxime (saint), martyr, 642. - -Maxime (saint), évêque, 81, 82. - -Maxime, empereur, 536, 623. - -Maxime, 592. - -Maximien (saint), 366 et suiv. - -Maximien, empereur, 30, 87, 88, 92, 104, 229, 239, 417, 419, 487, 503, -505, 534 et suiv., 602, 617, 680. - -Maximilla, 15. - -Maximin (saint), 339 et suiv., 375, 376. - -Maximin, 662. - -Mayence, 450. - -Mazzini, V. - -Mecque (la), 697. - -Médard (saint), 691. - -Méduse, 515. - -Méla, 320. - -Mélancie, 510, 511. - -Melchi, 493. - -Melchiade, pape, 65, 121, 194, 195, 617. - -Melchior, 73. - -Melitus (saint), 169. - -Mello, 277. - -Memling, XIX. - -Mercure (saint), 119. - -Mercure, 487, 580, 583, 625. - -Mésopotamie, 598. - -Messine, 452. - -Méthode, 18, 37. - -Metz, 508. - -Michaelium, 547. - -Michel (saint), archange, 206, 259, 351, 434, =544= et suiv. - -Michel, empereur, 581, 654, 704. - -Migdomie, 34 et suiv. - -Milan, 76, 92, 208, 216 et suiv., 241 et suiv., 289, 301, 303, 371, 373, -385, 386, 424, 446, 448, 460, 536, 620, 626, 692, 707. - -Milas, 456. - -Milet, 50, 259, 392. - -Minerve, 625. - -Mitylène, 324. - -Modène, 356. - -Modeste (saint), =296= et suiv. - -Moïse, 1, 72, 388, 392, 544, 695, 716. - -Moïse (saint), abbé, =685= et suiv. - -Molesme, 708. - -Monique (sainte), 459 et suiv. - -Monte-Porto, 710. - -Montfort (comte de), 399. - -Montmartre, 580. - -Montpellier, 247. - -Mont-Saint-Michel, 356, 545 et suiv. - -Monza, 483, 693 et suiv. - -Moraves, 655. - -Mortara, 701. - -Muller (Max), 673. - -Muratori, VIII, IX, X. - -Murillo, XIX. - -Myre, 19, 24. - - -Naboth, 222. - -Nabor (saint), 302. - -Nabuzardam, 716. - -Nachor, 672 et suiv. - -Nadabar, 530. - -Naples, 692. - -Narbonne, 92, 595, 596. - -Narsès, 692. - -Nathalie (sainte), 504 et suiv. - -Nazaire (saint), 301, =370= et suiv. - -Nazareth, 38, 195, 494, 497. - -Nébrode, 462. - -Népotien, 22. - -Nestorien, 695. - -Nérée (saint), =272= et suiv. - -Néron (saint), 571 et suiv. - -Néron, 234, 240, 253, 255, 301, 314 et suiv., 371 et suiv., 392, 452, -579. - -Nerva, empereur, 652. - -Nestorius, 311. - -Nicée (sainte), 364, 365. - -Nicée, 10, 11, 20, 385. - -Nicétas (Faustinien), 647 et suiv. - -Nicodème (saint), 47, 198, 204 et suiv., 282, 395 et suiv., 516. - -Nicolas (saint), =18= et suiv., 179, 708. - -Nicolas I, pape, 703. - -Nicolas IV, pape, VI. - -Nicolas, d’Irlande, 182 et suiv. - -Nicolas, de Bologne, 413. - -Nicolas, 9, 10. - -Nicomédie, 155, 503, 507, 508, 536. - -Nicostrate (saint), 617. - -Nicostrate, 93. - -Nil, 533. - -Nîmes, 492. - -Nivard, 443. - -Nobliac, 584. - -Noie, 81, 216. - -Normandie, 27. - -Nothus, 590. - -Notker, 703. - -Numérien, 596. - -Nursie, 184. - - -Octave (voir _Auguste_). - -Octave (saint), 536. - -Odilon, abbé de Cluny, 608. - -Œside, 185. - -Œthée, 395. - -Oliviers (mont des), 204, 278, 543, 549, 572, 714. - -Ollodius (saint), 211. - -Olybrius, 334 et suiv. - -Omer (saint), 151. - -Opiso, 247. - -Origène, 128, 129, 130, 280, 419, 548. - -Orléans, 405, 488, 584, 704. - -Orose, 49, 271. - -Osma, 399, 401. - -Ostie, VI, 325, 457, 462, 566, 654. - -Othon Ier, 705. - -Othon II, 392, 705. - -Othon III, XIX, 705. - -Othon IV, 711. - -Ours (saint), 536. - -Ours, 22. - - -Palerme, 413. - -Palestine, 229, 272, 386, 478, 695. - -Palladie, 542. - -Palmace, 582 et suiv. - -Palmaroli (îles), 45. - -Pammaque, 556, 606. - -Pampelune, 358. - -Pancrace (saint), =274= et suiv. - -Pannonie, 553, 618, 690. - -Panthar, 493. - -Pantulus (saint), évêque de Bâle, 591. - -Paphnuce (saint), 575 et suiv. - -Paphos, 288. - -Papias, 233. - -Papin, 457. - -Paris, 405, 489, 579, 580, 610, 622, 710. - -Parme (ch. B. de), VI. - -Parthenins, 421. - -Paschase, 28 et suiv. - -Paschase, 612. - -Pasteur (saint), =682= et suiv. - -Patmos, 50, 270, 271, 579. - -Patras, 11, 15, 18. - -Patrice (saint), =181= et suiv., 611. - -Patrice, père de saint Augustin, 459. - -Patrocle, 324 et suiv. - -Patron, 523. - -Paul (saint), apôtre, 3, 4, 6, 67, 143, 157 et suiv., 195, 252, 262, -287, 288, 302, 315 et suiv., =324= et suiv., 395, 401, 426, 479, 509, -577, 578, 579, 589, 623, 710. - -Paul (saint), ermite, =83= et suiv. - -Paul (saint), martyr, =307= et suiv. - -Paul, historiographe, 165, 306, 307, 483, 690. - -Paul, moine, 576. - -Paul et Palladie, 48, 49. - -Paule (sainte), XIII. - -Paulin (saint), évêque, 216, 386. - -Paulin, prêtre, 100. - -Paulin, officier de Néron, 318. - -Paulin, juge, 248. - -Pavie, 97, 448, 468 et suiv., 618, 692, 701, 708. - -Pélage (saint), pape, 168, 392, 397 et suiv., 549, =690= et suiv. - -Pélage (frère) (Voir sainte Pélagie). - -Pélage II, pape, 690. - -Pélagie (sainte), pécheresse, =571= et suiv. - -Pélagie (sainte), 32. - -Pèlerin (saint), 210. - -Pentapole, 234. - -Pépin, 508, 522, 698, 701, 702. - -Périgueux, 377 et suiv. - -Perpétue (sainte), 370. - -Perpétue (sainte), 679 et suiv. - -Perse, 75, 118, 418, 532, 598. - -Pétronie, 48. - -Pétronille (sainte), 273, =282=, 701. - -Phébus, 653. - -Philet, 352, 353. - -Philippe (saint), apôtre, =248= et suiv., 530. - -Philippe (saint), diacre, 250. - -Philippe (saint), père de sainte Eugénie, 509 et suiv. - -Philippe (saint), fils de sainte Félicité, 329. - -Philippe, évêque, 479. - -Philippe, chrétien sous Néron, 302. - -Philippe, fils d’Hérode, 58, 60, 476. - -Philippe, empereur, 92, 419, 420. - -Philippe-Auguste, 711. - -Philippe, frère d’Henri VI, 710. - -Philippes, 324. - -Philon le Juif, 233. - -Phocas, empereur, 113, 172, 176, 604, 694. - -Phrygie, 250, 274. - -Pierre (saint), apôtre, 57, 67, 68, 148, 151, =157= et suiv., 167, 171, -176, 232, 233, 239, 240, 262, 272 et suiv., 282, 301, =312= et suiv., -324 et suiv., 340, 341, 347, 370 et suiv., =388= et suiv., 395, 401, -433, 434, 473, 535, 579, 623, 630, 647 et suiv., 701. - -Pierre l’Exorciste (saint), =283= et suiv. - -Pierre (saint), diacre, 176 et suiv. - -Pierre le Nouveau (saint), =241= et suiv. - -Pierre Damien, 233, 537, 608. - -Pierre de Cluny, 42, 612. - -Pierre de Compostelle, 703. - -Pierre Lombard, 710. - -Pierre, bouvier, 429. - -Pierre, 613. - -Pilate (Ponce-), 162, 180, 199 et suiv., 254, 264, 270 et suiv., 713. - -Pinci, 82. - -Pise, VII. - -Pistole, 360. - -Placide (saint), 187. - -Placide (saint Eustache), 524 et suiv. - -Placidie, 383. - -Plaisance, 371, 541. - -Platon, 480, 509, 553. - -Plautille, 327. - -Pline le Jeune, 145. - -Pluton, 136. - -Pô (le), 208. - -Poitiers, 78, 79, 482, 619, 620. - -Poitou, 626. - -Polème, 455 et suiv. - -Polycarpe (saint), 94. - -Pomereto, 570. - -Ponce (saint), 419. - -Pont (Asie), 598. - -Pont (île), 200, 277. - -Pontien, 461. - -Pontigny, 62. - -Porphyre (saint), 659 et suiv. - -Porphyre, 427, 428. - -Pouille, 238, 403, 545, 565, 567, 570. - -Poussin, XIX. - -Prato, 360. - -Praxède (sainte), =337= et suiv. - -Prieur (saint), solitaire, 686. - -Prime (saint), =286=. - -Priscus, juge, 519 et suiv. - -Procès, 318. - -Proclus, diacre, 538. - -Projet (saint), 424. - -Proserpine, 136. - -Protais (saint), 240, =301= et suiv., 370. - -Protais, évêque, 536. - -Prothe (saint), =509= et suiv. - -Provence, 237. - -Prudence, 101, 104. - -Prudentienne, 337. - -Publius, préfet, 329. - -Publius, 43. - -Pyla, 199. - -Pythagore, 480. - - -Quentin (saint), =602= et suiv. - -Quintien, 146 et suiv. - -Quirin, tribun, 390, 391. - - -Rachel, mère de Simon le Magicien, 313. - -Rachel, 495. - -Racord, 700, 701. - -Rahab, 253. - -Raon, frère, 412. - -Ravenne, 240, 347, 348, 383, 384, 486, 583, 593, 693. - -Raymond (saint), 408. - -Reginald de Saint-Aignan, 405, 406. - -Rénier, frère, 403. - -Reims, 76, 77, 558, 583. - -Remi, 61, 73, 74, 378. - -Remi (saint), III, =76= et suiv., 583. - -Renarde, 78. - -Révocat (saint), 680. - -Rhin, 76. - -Rhône, 202, 376, 492, 334, 536. - -Richard de Saint-Victor, 715. - -Rieul (saint), 581. - -Robert (saint), 708. - -Robert, roi de France, 703. - -Roboam, 716. - -Rocharith, 307. - -Romain (saint), 185. - -Romain, soldat, 422. - -Rome, VI, XX, 11, 30, 39, 43, 50, 58, 59, 62, 65 et suiv., 72, 87, 97, -118, 143, 144, =151=, 158, 164 et suiv., 170 et suiv., 173, 176, 178, -185, =194=, 199, 201, 216, 217, 220, 232, 239, 252, 256, 265, 267, 270, -274, 275, 289, 307, 314, 315, 317, 318, 321 et suiv., 331, 332, 340, -347, 371, 379, 380, 388, 390 et suiv., 401, 405, 408, 419, 424, 452, -458, 466, 476, 478, 486, 490, 492, 508, 511, 516, 534, 537, 541, 544, -546, 553, 554, 561, 565, 570, 578, 579, 580, 582, 591, 592, 593, 603, -604, 629, 643, 646, 654, 655, 662, 680, 686, 687, 701, 702, 708, 709. - -Rome, Capitole, 317. - -Rome, Champ de Mars, 96. - -Rome, Eglise Ara-Cœli, 40. - -Rome, Eglise Sainte-Agnès, 424. - -Rome, Eglise Saint-Boniface, 334. - -Rome, Eglise Saint-Jean-de-Latran, 176. - -Rome, Eglise Saint-Laurent-hors-les-Murs, 203, 710. - -Rome, Eglise Sainte-Marie-ad-Passus, 318. - -Rome, Eglise Sainte-Marie-la-Neuve, 39. - -Rome, Eglise Sainte-Marie-la-Ronde, 605, 694. - -Rome, Eglise Sainte-Marie-Majeure, 164, 168, 172, 310. - -Rome, Eglise Saint-Pierre, 173, 176, 178, 401, 561, 607. - -Rome, Eglise Saint-Pierre aux Liens, 97, 388, 391 et suiv., 397, 544. - -Rome, Fort Saint-Ange, 169, 267, 547. - -Rome, Panthéon (Voir _Sainte-Marie-la-Ronde_). - -Rome, Porte Latine, 270. - -Rome, Transtévère, 583. - -Romulus, 39. - -Rosemonde, 692 et suiv. - -Rouen, 662. - -Ruben, 161. - -Rubens, XIX. - -Rufin, 367. - -Rufin, préfet, 223. - -Rusticana, 170. - -Rustique (saint), =577= et suiv. - - -Saba (reine de), 260. - -Sabine (sainte), 487. - -Sabine, 423. - -Saint-Denis, 580. - -Saint-Gall, 439, 703. - -Saint-Gilles (Gard), 492. - -Saint-Jean-de-Maurienne, 483. - -Saint-Maurice-en-Valais, 534 et suiv. - -Salamine, 288. - -Sallustie (sainte), 523. - -Salomé, mari de sainte Anne, 494. - -Salomé, 60, 61. - -Salomon, 260, 336, 493, 716. - -Samarie, 47, 352. - -Samos, XXIV, 363. - -Samson, 246, 495. - -Samuel, 495. - -Sanctulus, 424. - -Saphir, 312. - -Sapricius, 207 et suiv. - -Sarah, 495. - -Sarathin, 73. - -Sardaigne, 468. - -Sarrazins, 360, 400, 457, 458, 468. - -Satire (saint), 680 et suiv. - -Saturne, 649, 673. - -Saturnin (saint), 417 et suiv. - -Saturnin (saint), de Toulouse, =679= et suiv. - -Satyre (saint), 415. - -Savin (saint), d’Auxerre, 210. - -Savin, 483. - -Savin, pape, 694. - -Savine (sainte), =483= et suiv. - -Savinien (saint), =483= et suiv. - -Savone, II, III, VII. - -Saxe, 710. - -Scandinavie, 690. - -Scholastique, (sainte), 193, 701. - -Scot (Jean), 582. - -Scythie, 8, 248. - -Sébaste, 139, 478. - -Sébastien (saint), =92= et suiv., 712. - -Second (saint), =207= et suiv. - -Second, 125. - -Segond, 536. - -Seine, 581. - -Selenne, 395. - -Sénèque, 320. - -Sennaar, 666. - -Sennen (saint), =379=. - -Sens, 62, 488, 489. - -Sérapion (saint), abbé, X, 129. - -Sérapion (saint), =366= et suiv. - -Sérapis, 479, 487, 518. - -Serena, 417. - -Serge, pape, 136, 704. - -Serge, frère de sainte Eugénie, 509, 511. - -Serge, moine, 695 et suiv. - -Servais (saint), 494. - -Seth, 205, 259 et suiv. - -Sévère (saint), martyr, 616. - -Sévère (Sulpice), 621, 623. - -Séverien (saint), martyr, 616. - -Séverien, évêque, 128 et suiv. - -Séverin (saint), 626. - -Sibylle, 39 et suiv., 658. - -Sicée, 130. - -Sicile, 27, 146, 166, 296, 413, 457, 501, 591, 594. - -Sienne, XVIII. - -Sigebert, 691. - -Silène, ville, 226. - -Siléon, 68. - -Silo (maître), 610, 611. - -Silon, 412. - -Siméon (saint), 58, 136 et suiv., 205. - -Simon (saint), apôtre, 7, 204, 494, 516, 532, 596 et suiv. - -Simon (saint), fils de Cléophas, 602. - -Simon le Lépreux, 114, 338. - -Simon, père de saint Cyriaque, 263. - -Simon le Magicien, 159, 313 et suiv., 646, 649, 650. - -Simon, pharisien, 339. - -Simon, père de Judas, 161. - -Simplice (saint), =374= et suiv. - -Simplice (saint), martyr, 617. - -Simplice (saint), martyr, 583. - -Simplicien (saint), 221, 245, 461. - -Simplicius, 276. - -Sinaï (mont), 170, 653, 662. - -Sintice, 34. - -Sion (mont), 270, 430. - -Sisinnius (saint), 417 et suiv., 651 et suiv. - -Sixte (s.), =225= et suiv., 419, 428. - -Smaragde (saint), 418. - -Socrate, 509. - -Solime, 595. - -Solutor (saint), 536. - -Sophie (sainte), =284= et suiv. - -Sophie, impératrice, 692. - -Sosthène (saint), 520. - -Spinola, VII, IX. - -Stridon, 553. - -Suamir, 601. - -Sulpice (saint), évêque de Ravenne, 593. - -Sulpice, évêque, 278. - -Suze, 570. - -Sylvain (saint), 329. - -Sylvestre (saint), =65= et suiv., 121, 194 et suiv., 261 et suiv., 322. - -Sylvestre (frère), 564. - -Sylvie, mère de saint Grégoire, 165. - -Symmaque, pape, 703. - -Symmaque, consul, 322. - -Symmaque, gendre de Boëce, 699. - -Symmaque, préfet, 460. - -Symphorien (saint), =452= et suiv. - -Symphorien (saint), 617. - -Syracuse, 27, 30. - -Syrie, 143, 330, 375, 515. - -Syroïs, 515. - -Syrus, 338, 375. - - -Tabite, 312. - -Tanaro, 208. - -Tarascon, 376, 378. - -Tarquin, 65. - -Tarquin, préfet, 195. - -Tarse, 275, 298, 331. - -Taurus, juge, 349. - -Télesphore, pape, 122, 703. - -Térentien, 310. - -Thabor (mont), 204. - -Thadée (Voir _Saint Jude_, apôtre). - -Thaïs (sainte), =575= et suiv. - -Thara, 68. - -Thébaïde, 58. - -Thècle (sainte), 482, 623. - -Thèbes, 533, 534. - -Théobald (saint), 609 et suiv. - -Théodard, 521. - -Théodas, 673 et suiv. - -Théodelinde, 483, 693. - -Théodore (sainte), 472 et suiv. - -Théodore (sainte), martyre, =472=. - -Théodore (sainte), femme de Sisinnius, 651 et suiv. - -Théodore (sainte), Romaine, 45. - -Théodore (saint), martyr, =617= et suiv. - -Théodore (saint), abbé et docteur, 457. - -Théodore, pape, 703. - -Théodore l’Ancien, empereur, 104. - -Théodore, chrétien, 367. - -Théodore, sœur de lait de sainte Domicille, 273. - -Théodoric, évêque de Metz, 392. - -Théodoric, roi des Goths, 699. - -Théodose, empereur, 115, 129, 134, 218, 223, 224, 262, 367 et suiv., -391, 392, 416, 417, 482, 518, 556. - -Théodose, père de sainte Marguerite, 334. - -Théodule, évêque d’Orléans, 704. - -Théophile, évêque d’Alexandrie, 126, 127, 129, 131, 132, 479. - -Théophile, vicaire, 501, 502. - -Théophile, préfet d’Antioche, 157 et suiv. - -Théone (sainte), 195. - -Théosèbe, 85. - -Théospit (saint), 525 et suiv. - -Théospite (sainte), 525 et suiv. - -Théotine, 130. - -Théotiste, 85. - -Thessalonique, 218, 223, 324. - -Thierry, 559. - -Thomas (saint), apôtre, =31= et suiv., 204, 433, 455, 596. - -Thomas (saint), évêque de Cantorbery, =61=. - -Thomas d’Aquin (saint), V, XII. - -Thrace, 127, 307, 702. - -Thuringe, 631, 634, 711. - -Tiburce, 641 et suiv. - -Tiel, 592. - -Timothée, =452=. - -Tombelaine, 545. - -Tortone, 207 et suiv., 468. - -Totila, 189. - -Toulouse, 357, 399, 401 et suiv., 679. - -Touraine, 626. - -Tours, XI, XVIII, 621 et suiv., 628 et suiv. - -Trajan, 143 et suiv., 173, 174, 524, 529, 602, 652, 653. - -Tranquillin (saint), 94, 95. - -Trèves, 165, 263, 372. - -Triphonie, 428. - -Tripoli, 590. - -Troie, 321. - -Troyes, 381, 484, 486. - -Turin, 536, 693. - -Turpin, archevêque, 703. - -Tyr, 349, 352. - -Tyriens, 701. - -Tyrus, père de Pilate, 199. - - -Urbain (saint), =280= et suiv., 537, 639 et suiv. - -Urbain, père de sainte Christine, 349 et suiv. - -Urcisin (saint), 240. - -Ursanie, 707. - -Ursule (sainte) et les onze mille Vierges, XIX, XX, =590= et suiv. - - -Valence (Espagne), 101, 399. - -Valens, empereur, 290, 387, 482. - -Valentin (saint), =153= et suiv. - -Valentinien, empereur, 134, 216, 222, 383, 392, 480, 621. - -Valère (saint), 101. - -Valère, évêque, 463. - -Valérie (sainte), 240 et suiv., 301. - -Valérien (saint), 224, 281, 639 et suiv. - -Valérien, empereur, 285, 394, 428, 512, 681. - -Valérien, préfet, 296 et suiv., 421. - -Vandales, 77, 466. - -Varage, I et suiv. - -Vast (saint), =150= et suiv. - -Vendôme, 414. - -Venise, 235 et suiv. - -Vénus, 147, 264, 452, 625, 649, 673, 696. - -Verceil, 79, 221, 387, 629. - -Veredôme, 490. - -Vermandois, 603. - -Vérone, 241, 420, 692. - -Véronique (sainte), 200 et suiv. - -Vespasien, empereur, 254 et suiv., 349. - -Vesta, 98, 547. - -Vétulana, 271. - -Vézelay, 345, 346, 359. - -Vibius, 581. - -Vicera, 569. - -Victoire (sainte), légion thébaine, 534, 536. - -Victor (saint), 534. - -Victorin (saint), martyr, 617. - -Victorin (saint), 273. - -Victorin, orateur, 553. - -Vienne (Dauphiné), 115, 202, 268. - -Vincent (saint), martyr, =101= et suiv., 138. - -Vincent (saint), cardinal, 592. - -Vincent de Beauvais, 424. - -Vintimille, III, 536. - -Vit (saint), =296= et suiv. - -Vital (saint), martyr, 329. - -Vital (saint), père de saint Gervais, =240= et suiv., 301. - -Vital (saint), abbé, 108 et suiv. - -Viterbe, 353. - -Vivès, XIX et suiv. - -Vivien (saint), 210. - -Voltri, II. - -Volusien, 200, 201. - -Voragine (Jacques de), I et suiv., 152, 301, 629, 690. - - -Zacharie (saint), 93, 304 et suiv. - -Zacharie, pape, 698, 699. - -Zacharie, patriarche, 515. - -Zachée, 263, 516, 648. - -Zambri, 68, 69. - -Zaroës, 530, 598. - -Zébédée, 251, 352, 494. - -Zèle, prêtre, 656. - -Zénon, 289, 472. - -Zénophile, 68. - -Zoé (sainte), 93, 95. - -Zosime (saint), abbé, 212 et suiv. - - - - -TABLE DES MATIÈRES - - - Pages. - Introduction I - Prologue.--Division de l’année 1 - I.--L’Avent 3 - II.--Saint André, apôtre (30 novembre) 7 - III.--Saint Nicolas, évêque et confesseur (6 décembre) 18 - IV.--Sainte Lucie, vierge et martyre (13 décembre) 27 - V.--Saint Thomas, apôtre (21 décembre) 31 - VI.--La Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ - (25 décembre) 37 - VII.--Sainte Anastasie, martyre (25 décembre) 43 - VIII.--Saint Etienne, premier martyr (26 décembre) 45 - IX.--Saint Jean, apôtre et évangéliste (27 décembre) 50 - X.--Les saints Innocents (28 décembre) 57 - XI.--Saint Thomas de Cantorbery, évêque et martyr - (29 décembre) 61 - XII.--Saint Sylvestre, pape (31 décembre) 65 - XIII.--La Circoncision de Notre-Seigneur Jésus-Christ - (1er janvier) 71 - XIV.--L’Epiphanie (6 janvier) 73 - XV.--Saint Remi, évêque et confesseur (14 janvier) 76 - XVI.--Saint Hilaire, évêque et confesseur (14 janvier) 79 - XVII.--Saint Félix, prêtre et confesseur (14 janvier) 81 - XVIII.--Saint Paul, ermite (15 janvier) 83 - XIX.--Saint Macaire, ermite (15 janvier) 85 - XX.--Saint Marcel (16 janvier) 87 - XXI.--Saint Antoine, ermite (17 janvier) 87 - XXII.--Saint Fabien, pape et martyr (20 janvier) 91 - XXIII.--Saint Sébastien, martyr (20 janvier) 92 - XXIV.--Sainte Agnès, vierge et martyre (21 janvier) 97 - XXV.--Saint Vincent, martyr (22 janvier) 101 - XXVI.--Saint Jean l’Aumônier, confesseur (23 janvier) 105 - XXVII.--La Conversion de saint Paul (25 janvier) 113 - XXVIII.--Saint Julien, évêque et confesseur (26 janvier) 114 - XXIX.--La Septuagésime 120 - XXX.--La Sexagésime 121 - XXXI.--La Quinquagésime 122 - XXXII.--La Quadragésime 123 - XXXIII.--Le Jeûne des Quatre-Temps 124 - XXXIV.--Saint Jean Chrysostome, évêque et confesseur - (27 janvier) 125 - XXXV.--La Purification de la Bienheureuse Vierge Marie - (2 février) 134 - XXXVI.--Saint Blaise, évêque et martyr (3 février) 139 - XXXVII.--Saint Ignace, évêque et martyr (4 février) 142 - XXXVIII.--Sainte Agathe, vierge et martyre (5 février) 146 - XXXIX.--Saint Vast, évêque et confesseur (6 février) 150 - XL.--Saint Amand, évêque et confesseur (6 février) 151 - XLI.--Sainte Apolline, vierge et martyre (9 février) 152 - XLII.--Saint Valentin, prêtre et martyr (14 février) 153 - XLIII.--Sainte Julienne, vierge et martyre (16 février) 155 - XLIV.--La Chaire de saint Pierre à Antioche (22 février) 157 - XLV.--Saint Mathias, apôtre (24 février) 160 - XLVI.--Saint Grégoire, pape (12 mars) 165 - XLVII.--Saint Longin, martyr (15 mars) 180 - XLVIII.--Saint Patrice, évêque et confesseur (17 mars) 181 - XLIX.--Saint Benoît, abbé (21 mars) 184 - L.--Saint Timothée, prêtre et martyr (24 mars) 194 - LI.--L’Annonciation (25 mars) 195 - LII.--La Passion de Notre-Seigneur 198 - LIII.--La Résurrection de Notre-Seigneur 202 - LIV.--Saint Second, martyr (30 mars) 207 - LV.--Saint Mamertin, abbé (30 mars) 210 - LVI.--Sainte Marie l’Egyptienne, pécheresse (2 avril) 212 - LVII.--Saint Ambroise, évêque et docteur (4 avril) 216 - LVIII.--Saint Sixte, pape et martyr (6 avril) 225 - LIX.--Saint Georges, martyr (23 avril) 226 - LX.--Saint Marc, évangéliste (25 avril) 232 - LXI.--Saint Marcelin, pape (26 avril) 239 - LXII.--Saint Vital, martyr (28 avril) 240 - LXIII.--Saint Pierre le Nouveau, martyr (29 avril) 241 - LXIV.--Saint Philippe, apôtre (1er mai) 248 - LXV.--Saint Jacques le Mineur, apôtre (1er mai) 250 - LXVI.--L’invention de la sainte Croix (3 mai) 259 - LXVII.--Les Rogations 267 - LXVIII.--Saint Jean Porte-Latine (6 mai) 270 - LXIX.--Saint Gordien, martyr (10 mai) 271 - LXX.--Saints Nérée et Achillée, martyrs (12 mai) 272 - LXXI.--Saint Pancrace, martyr (12 mai) 274 - LXXII.--Saint Boniface, martyr (14 mai) 275 - LXXIII.--L’ascension de Notre-Seigneur 277 - LXXIV.--La Pentecôte 278 - LXXV.--Saint Urbain, pape et martyr (25 mai) 280 - LXXVI.--Sainte Pétronille, vierge (31 mai) 282 - LXXVII.--Saint Pierre l’Exorciste, martyr (2 juin) 283 - LXXVIII.--Sainte Sophie et ses trois filles, martyres (4 juin) 284 - LXXIX.--Saints Prime et Félicien, martyrs (9 juin) 286 - LXXX.--Saint Barnabé, apôtre (11 juin) 287 - LXXXI.--Saint Basile, évêque et docteur (14 juin) 289 - LXXXII.--Saints Vit et Modeste, martyrs (15 juin) 296 - LXXXIII.--Saint Cyr et sa mère sainte Julite, martyrs (15 juin) 298 - LXXXIV.--Sainte Marine, vierge (18 juin) 299 - LXXXV.--Saints Gervais et Protais, martyrs (19 juin) 301 - LXXXVI.--La Nativité de saint Jean-Baptiste (24 juin) 304 - LXXXVII.--Saints Jean et Paul, martyrs (26 juin) 307 - LXXXVIII.--Saint Léon, pape (28 juin) 310 - LXXXIX.--Saint Pierre, apôtre (29 juin) 312 - XC.--Saint Paul, apôtre (30 juin) 324 - XCI.--Les sept fils de sainte Félicité, martyrs - (10 juillet) 329 - XCII.--Saint Alexis, confesseur (17 juillet) 330 - XCIII.--Sainte Marguerite, vierge et martyre (20 juillet) 334 - XCIV.--Sainte Praxède, vierge (21 juillet) 337 - XCV.--Sainte Marie-Madeleine, pécheresse (22 juillet) 338 - XCVI.--Saint Apollinaire, martyr (23 juillet) 347 - XCVII.--Sainte Christine, vierge et martyre (24 juillet) 349 - XCVIII.--Saint Jacques le Majeur, apôtre (25 juillet) 352 - XCIX.--Saint Christophe, martyr (28 juillet) 361 - C.--Les Sept Dormants (28 juillet) 366 - CI.--Saint Nazaire et Celse, martyrs (28 juillet) 370 - CII.--Saint Félix, pape et martyr (29 juillet) 374 - CIII.--Saints Simplice et Faustin, martyrs (29 juillet) 374 - CIV.--Sainte Marthe, vierge (29 juillet) 375 - CV.--Saints Abdon et Sennen, martyrs (30 juillet) 379 - CVI.--Saint Germain, évêque et confesseur (31 juillet) 380 - CVII.--Saint Eusèbe, évêque et martyr (1er août) 384 - CVIII.--Les saints Machabées (1er août) 387 - CIX.--Saint Pierre aux Liens (1er août) 388 - CX.--Saint Etienne, pape et martyr (2 août) 393 - CXI.--L’Invention de saint Etienne, premier martyr - (3 août) 394 - CXII.--Saint Dominique, confesseur (4 août) 399 - CXIII.--Saint Donat, évêque et martyr (7 août) 415 - CXIV.--Saint Cyriaque et ses compagnons, martyrs (8 août) 417 - CXV.--Saint Laurent, martyr (10 août) 419 - CXVI.--Saint Hippolyte, martyr (13 août) 426 - CXVII.--L’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie - (15 août) 430 - CXVIII.--Saint Bernard, docteur (21 août) 440 - CXIX.--Saint Timothée, martyr (22 août) 452 - CXX.--Saint Symphorien, martyr (22 août) 452 - CXXI.--Saint Barthélémy, apôtre (24 août) 453 - CXXII.--Saint Augustin, docteur (28 août) 459 - CXXIII.--Sainte Théodore (28 août) 472 - CXXIV.--La Décollation de saint Jean-baptiste (29 août) 476 - CXXV.--Saint Savinien, martyr, et sainte Savine (29 août) 483 - CXXVI.--Saints Félix et Adauct, martyrs (30 août) 487 - CXXVII.--Saint Loup, évêque et confesseur (1er septembre) 488 - CXXVIII.--Saint Gilles, abbé (1er septembre) 490 - CXXIX.--La Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie - (8 septembre) 493 - CXXX.--Saint Adrien et ses compagnons, martyrs (9 septembre) 503 - CXXXI.--Saint Gorgon et saint Dorothée, martyrs (9 septembre) 508 - CXXXII.--Saints Prothe et Hyacinthe, martyrs (11 septembre) 509 - CXXXIII.--L’exaltation de la sainte Croix (14 septembre) 512 - CXXXIV.--Sainte Euphémie, vierge et martyre (16 septembre) 519 - CXXXV.--Saint Lambert, évêque et martyr (17 septembre) 521 - CXXXVI.--Saint Corneille, pape et martyr (18 septembre) 523 - CXXXVII.--Saint Eustache, martyr (20 septembre) 524 - CXXXVIII.--Saint Matthieu, apôtre (21 septembre) 530 - CXXXIX.--Saint Maurice et ses compagnons, martyrs - (22 septembre) 533 - CXL.--Sainte Justine, vierge et martyre (26 septembre) 538 - CXLI.--Saints Come et Damien, martyrs (27 septembre) 541 - CXLII.--Saint Michel archange (29 septembre) 544 - CXLIII.--Saint Fursy, évêque (29 septembre) 551 - CXLIV.--Saint Jérôme, docteur (30 septembre) 553 - CXLV.--La Translation de saint Remi (1er octobre) 557 - CXLVI.--Saint Léger, évêque et martyr (2 octobre) 559 - CXLVII.--Saint François, confesseur (4 octobre) 561 - CXLVIII.--Sainte Pélagie, pécheresse (8 octobre) 571 - CXLIX.--Sainte Marguerite, vierge (8 octobre) 573 - CL.--Sainte Thaïs, courtisane (8 octobre) 575 - CLI.--Saints Denis, Rustique et Eleuthère, martyrs - (9 octobre) 577 - CLII.--Saint Calixte, pape et martyr (14 octobre) 582 - CLIII.--Saint Léonard, abbé (15 octobre) 583 - CLIV.--Saint Luc, évangéliste (18 octobre) 588 - CLV.--Les Onze Mille Vierges, martyres (21 octobre) 590 - CLVI.--Saint Crisant et sainte Daria, martyrs (25 octobre) 595 - CLVII.--Saints Simon et Jude, apôtres (28 octobre) 596 - CLVIII.--Saint Quentin, martyr (31 octobre) 602 - CLIX.--La Toussaint (1er novembre) 603 - CLX.--Le Jour des Ames (2 novembre) 608 - CLXI.--Les Quatre Couronnés, martyrs (8 novembre) 616 - CLXII.--Saint Théodore, martyr (9 novembre) 617 - CLXIII.--Saint Martin, évêque et confesseur (11 novembre) 618 - CLXIV.--Saint Brice, évêque et confesseur (13 novembre) 627 - CLXV.--Sainte Elisabeth, veuve (20 novembre) 629 - CLXVI.--Sainte Cécile, vierge et martyre (22 novembre) 639 - CLXVII.--Saint Clément, pape et martyr (23 novembre) 644 - CLXVIII.--Saint Chrysogone, martyr (24 novembre) 655 - CLXIX.--Sainte Catherine, vierge et martyre (25 novembre) 656 - CLXX.--Saints Barlaam et Josaphat, abbés (27 novembre) 663 - CLXXI.--Saint Jacques l’Intercis, martyr (27 novembre) 676 - CLXXII.--Saint Saturnin, sainte Perpétue, sainte Félicité et - leurs compagnons, martyrs (23 et 29 novembre) 679 - CLXXIII.--Saint Pasteur, abbé 682 - CLXXIV.--Saint Jean, abbé 684 - CLXXV.--Saint Moïse, abbé 685 - CLXXVI.--Saint Arsène, abbé 686 - CLXXVII.--Agathon, abbé 689 - CLXXVIII.--Saint Pélage, pape 690 - CLXXIX.--La Dédicace de l’Eglise 711 - Index alphabétique 719 - - -E. GREVIN--IMPRIMERIE DE LAGNY - -*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LÉGENDE DORÉE *** - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the -United States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ -concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, -and may not be used if you charge for an eBook, except by following -the terms of the trademark license, including paying royalties for use -of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for -copies of this eBook, complying with the trademark license is very -easy. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the -trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone -providing copies of Project Gutenberg™ electronic works in -accordance with this agreement, and any volunteers associated with the -production, promotion and distribution of Project Gutenberg™ -electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, -including legal fees, that arise directly or indirectly from any of -the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this -or any Project Gutenberg™ work, (b) alteration, modification, or -additions or deletions to any Project Gutenberg™ work, and (c) any -Defect you cause. - -Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™ - -Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of -computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. 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Hart was the originator of the Project -Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of -volunteer support. - -Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online -at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you -are not located in the United States, you will have to check the laws of the -country where you are located before using this eBook. -</div> -</div> - -<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: <span lang='fr' xml:lang='fr'>La légende dorée</span></p> -<p style='display:block; margin-left:2em; text-indent:0; margin-top:0; margin-bottom:1em;'><span lang='fr' xml:lang='fr'>traduite du latin d'après les plus anciens manuscrits, avec une introduction, des notes, et un index alphabétique</span></p> -<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Jacques de Voragine</p> -<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Translator: Teodor de Wyzewa</p> -<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Release Date: January 31, 2023 [eBook #69917]</p> -<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Language: French</p> - <p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em; text-align:left'>Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive and the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))</p> -<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>LA LÉGENDE DORÉE</span> ***</div> -<div class="c x-ebookmaker-drop"><img src="images/cover.jpg" alt="" /></div> -<div class="break"></div> -<p class="c large top6em">LA<br /> -LÉGENDE DORÉE</p> - -<div class="break"></div> - -<p class="c top4em">OUVRAGES PUBLIÉS PAR TEODOR DE WYZEWA</p> - - -<table summary=""> -<tr><td class="drap"><b>Les Maîtres italiens d’autrefois.</b> Écoles du Nord. Un vol. in-8<sup>o</sup> -avec 16 gravures hors texte</td> -<td class="bot r w35"><div>5 fr. <span class="cent">»</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><b>Peintres de jadis et d’aujourd’hui.</b> Les Peintres et la Vie du -Christ. — La Peinture primitive allemande. — La Peinture suisse. — Quelques -figures de Femmes peintres. — Deux Préraphaëlites. — Puvis -de Chavannes. — P.-A. Renoir. Un vol. in-8<sup>o</sup> écu, avec -18 gravures hors texte</td> -<td class="bot r"><div>6 fr. <span class="cent">»</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><b>Quelques figures de femmes aimantes ou malheureuses</b> : -I. Deux tragédies. II. Profils de reines. III. Grandes dames et bourgeoises. -IV. Femmes d’auteurs et femmes de lettres. 3e édition. -2 vol. in-8<sup>o</sup> écu avec portraits</td> -<td class="bot r"><div>5 fr. <span class="cent">»</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><b>Excentriques et aventuriers de divers pays.</b> Un volume in-8<sup>o</sup> -écu orné de gravures</td> -<td class="bot r"><div>5 fr. <span class="cent">»</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><b>L’Art et les Mœurs chez les Allemands.</b> -Un vol. in-16</td> -<td class="bot r"><div>3 fr. <span class="cent">50</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><b>Beethoven et Wagner.</b> Essai d’histoire et de critique musicales. -Un vol. in-16</td> -<td class="bot r"><div>3 fr. <span class="cent">50</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><b>Nos Maîtres.</b> Etudes et portraits littéraires : Mallarmé. — Villiers -de l’Isle-Adam. — Renan et Taine. — Anatole France. — Jules -Laforgue. — L’Art wagnérien. — La Science. — La Religion -de l’amour et de la beauté. Un vol. in-16</td> -<td class="bot r"><div>3 fr. <span class="cent">50</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><b>Écrivains étrangers.</b> Trois séries. -3 vol. in-16. Le volume</td> -<td class="bot r"><div>3 fr. <span class="cent">50</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><b>Contes chrétiens.</b> Un vol. in-16, avec gravures</td> -<td class="bot r"><div>3 fr. <span class="cent">50</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><b>Valbert</b>, ou les récits d’un jeune homme, roman contemporain. -Un vol. in-16</td> -<td class="bot r"><div>3 fr. <span class="cent">50</span></div></td></tr> - -<tr><td colspan="2" class="c pad"><div>TRADUCTIONS</div></td></tr> -<tr><td class="drap">JOERGENSEN (<span class="sc">Johannes</span>). — <b>Saint François d’Assise</b>, sa vie -et son œuvre, traduits du danois avec l’autorisation de l’auteur. -1 vol. in-8<sup>o</sup> écu orné de gravures</td> -<td class="bot r"><div>5 fr. <span class="cent">»</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap2">— Relié demi-veau fauve, fers spéciaux</td> -<td class="bot r"><div>9 fr. <span class="cent">»</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap">— <b>Pèlerinages Franciscains</b>, traduits du danois, avec l’autorisation -de l’auteur. Un vol. in-8<sup>o</sup> écu, avec gravures</td> -<td class="bot r"><div>3 fr. <span class="cent">50</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap">VORAGINE (le bienheureux <span class="sc">Jacques de</span>). — <b>La Légende dorée</b>, -traduite du latin d’après les plus anciens manuscrits, avec une -introduction, des notes et un index alphabétique. (<i>Ouvrage couronné -par l’Académie française.</i>) Un vol. in-8<sup>o</sup> écu de 750 pages, -broché</td> -<td class="bot r"><div>5 fr. <span class="cent">»</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap2">— Relié demi-veau, fers spéciaux</td> -<td class="bot r"><div>9 fr. <span class="cent">»</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap">BENSON (<span class="sc">Robert-Hugh</span>). — <b>Le Maître de la Terre</b>, roman -traduit de l’anglais avec l’autorisation de l’auteur. 14<sup>e</sup> édition. -Un vol. in-16</td> -<td class="bot r"><div>3 fr. <span class="cent">50</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap">— <b>La Lumière invisible.</b> Scènes et récits de la vie mystique, traduits -avec l’auteur. 3<sup>e</sup> édition. 1 vol. in-16</td> -<td class="bot r"><div>3 fr. <span class="cent">50</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap">MERRICK (<span class="sc">Léonard</span>). — <b>L’Imposteur</b>, roman traduit de l’anglais -avec l’autorisation de l’auteur. Un vol. in-16</td> -<td class="bot r"><div>3 fr. <span class="cent">50</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap">STEVENSON (R.-L.). — <b>Le Mort vivant</b>, roman traduit de -l’anglais. Un vol. in-16</td> -<td class="bot r"><div>3 fr. <span class="cent">50</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap">— <b>Le Reflux</b>, traduit de l’anglais. -Un vol. in-16</td> -<td class="bot r"><div>3 fr. <span class="cent">50</span></div></td></tr> -<tr><td class="drap">TOLSTOÏ. — <b>Résurrection</b>, roman traduit avec l’autorisation de -l’auteur. Un vol. in-16. (Edition complète en un volume.)</td> -<td class="bot r"><div>3 fr. <span class="cent">50</span></div></td></tr> -</table> -<div class="break"></div> - -<div class="c"><img src="images/illu.jpg" alt="" /> -<div class="c">LA TOUSSAINT<br /> -Miniature d’un manuscrit français de « <i>La légende dorée</i> » -<small>XV</small><sup>e</sup> siècle (Bibl. Nat.).</div> -</div> -<div class="break"></div> - -<p class="c large top2em">LE BIENHEUREUX JACQUES DE VORAGINE</p> - - -<h1><span class="small">LA</span><br /> -LÉGENDE DORÉE</h1> - -<p class="c"><b>TRADUITE DU LATIN<br /> -D’APRÈS LES PLUS ANCIENS MANUSCRITS</b><br /> -<span class="small">AVEC UNE INTRODUCTION, DES NOTES,<br /> -ET UN INDEX ALPHABÉTIQUE,</span></p> - -<p class="c"><span class="small g">PAR</span><br /> -<b class="large">TEODOR DE WYZEWA</b></p> - -<p class="c i">Ouvrage couronné par l’Académie française.</p> - - -<p class="c gap"><span class="large g">PARIS</span><br /> -<span class="small i">LIBRAIRIE ACADÉMIQUE</span><br /> -PERRIN ET C<sup>IE</sup>, LIBRAIRES-ÉDITEURS -35, <span class="xsmall">QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS</span>, 35</p> - -<p class="c">1910<br /> -<span class="xsmall">Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.</span></p> - -<div class="break"></div> - - -<p class="c top6em i" lang="la" xml:lang="la">TIBI, MARGARITÆ MEÆ,<br /> -HUNC TUUM LIBRUM PIÈ RESTITUO</p> - -<p class="offr i">T. W.</p> - - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="pi">-i-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="intro">INTRODUCTION</h2> - - -<p>L’auteur de la <i>Légende Dorée</i> était, à la fois, un -des hommes les plus savants de son temps, et un -saint. Sa vie, si quelque érudit voulait prendre la -peine d’en reconstituer le détail, enrichirait d’un -chapitre précieux l’histoire de la pensée religieuse -au treizième siècle ; et puis l’on en tirerait une petite -« compilation », qui mériterait d’avoir sa place -entre les plus belles et touchantes vies de saints -qu’il nous a, lui-même, contées<a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a>. Mais, du reste, son -livre suffit à nous le faire connaître tout entier. Le -savant s’y montre à chaque page, aussi varié dans -ses lectures qu’original, ingénieux, souvent profond -dans ses réflexions ; et sans cesse, sous la -science du théologien, nous découvrons une âme -infiniment pure, innocente, et douce, une vraie âme -d’enfant selon le cœur du Christ.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> On pourrait la placer entre la vie de <i>Sainte Félicité</i> et celle de -<i>Saint Alexis</i>, à la date du 13 juillet, où les Dominicains célèbrent, -avec un office propre, la fête du bienheureux Jacques de Voragine.</p> -</div> -<hr /> - - -<p>Le bienheureux Jacques est né, en l’année 1228, -à Varage, d’où son nom latin : <span lang="la" xml:lang="la">Jacobus de Varagine</span>. -Et j’imagine que c’est, ensuite, l’erreur d’un copiste -qui, en substituant un <i>o</i> au premier <i>a</i> de son nom, -aura valu à l’auteur de la <i>Légende Dorée</i> de devenir, -pour la postérité, Jacques de Voragine.</p> - -<p><span class="pagenum" id="pii">-ii-</span> Quant à Varage, où il est né, c’est une charmante -ville de la côte de Gênes, à mi-chemin entre -Savone et Voltri. Moins heureuse que sa voisine -Cogoleto, — qui fut, comme l’on sait, la patrie de -Christophe Colomb, — la patrie de Jacques de Voragine -n’a rien gardé de ses édifices d’autrefois, à -l’exception des ruines imposantes de ses remparts, -et d’une haute tour de briques que le petit Jacques, -peut-être, aura vu construire : car, avec l’élancement -léger de ses colonnettes, et la sveltesse du clocheton -pointu dont elle est couronnée, elle doit dater -de cette première moitié du <small>XIII</small><sup>e</sup> siècle qui fut, en -Italie, une époque incomparable de renaissance -chrétienne. Et si le reste de la ville s’est entièrement -renouvelé, depuis cette époque, tout y a conservé -cependant son caractère ancien, ou, pour -mieux dire, éternel. Entre des maisons modernes -serpentent, de même que jadis, d’étroites rues -pleines d’ombre. Sur la plage ensoleillée, d’honnêtes -artisans façonnent, à leur loisir, des barques -de pêche, pareilles à celles que façonnait, peut-être, -le père de l’auteur de la <i>Légende Dorée</i>, -dont un chroniqueur génois nous apprend « qu’il -est né de condition basse dans une petite terre ». Plus -haut, au-delà des vieux remparts crénelés, se -déploie un cirque merveilleux de collines plantées -d’oliviers ; et, de quelque côté que les yeux se -tournent, ces collines sont plantées aussi de couvents, -de chapelles, de chemins de croix, qui créent -autour de la petite ville une atmosphère de piété -ingénue et joyeuse.</p> - -<p>Mais nulle part l’âme de Varage ne subsiste plus -<span class="pagenum" id="piii">-iii-</span> vivante que sur la place carrée du Municipe, où l’on -arrive, du quai, par une belle porte à créneaux de -style féodal. C’est là, sans doute, que se sont réunis -en grand apparat, le 19 février 1251, les représentants -des cités de Savone, d’Albenga et de Vintimille, -pour jurer soumission et fidélité à la république -de Gênes. Aujourd’hui, la Place du Municipe -n’a plus guère l’occasion d’assister à des scènes -aussi solennelles : mais à toute heure des badauds -s’y promènent de long en large, des mendiants y -jouissent doucement de la vie, des enfants y courent -en se querellant ; et c’est là encore que se trouve le -marchand d’oiseaux. J’ai vu chez lui, dans des -cages de bois, des merles, des fauvettes, et un -couple de jeunes verdiers, qui m’ont rappelé avec -quel empressement Jacques de Voragine, leur vénérable -concitoyen, avait accueilli dans sa <i>Légende</i> -toute sorte d’oiseaux, depuis les moineaux de saint -Rémy jusqu’à la perdrix de l’apôtre saint Jean. Et -ainsi cette petite place m’apparaissait tout imprégnée -de son souvenir, lorsque, relevant la tête, je -l’ai aperçu lui-même qui me souriait paternellement. -Les habitants de Varage ont eu, en effet, l’excellente -idée de placer sa statue dans une niche, au -fronton de leur maison communale. Peut-être, seulement, -avec un légitime désir de mieux accentuer -son autorité, lui ont-ils laissé faire des épaules trop -larges et un ventre trop fourni : de telle sorte qu’on -a d’abord quelque peine à reconnaître, dans ce -majestueux prélat, l’humble moine qui, jusque sur -le trône archiépiscopal de Gênes, s’est plu à vivre -en pauvre au profit des pauvres. Mais, ressemblant -<span class="pagenum" id="piv">-iv-</span> ou non, c’est lui qui se tient là ; et, sous sa statue, -une inscription latine nous apprend que, dès l’année -1645, la ville de Varage « se l’est choisi pour -patron céleste », <i lang="la" xml:lang="la">quem cives sui anno 1645 patronem -cœlestem sibi adscriverunt</i>. Aussi veille-t-il, -depuis lors, sur la petite ville, y maintenant une -paix, une grâce, une sérénité, dont je ne crois pas -qu’aucune autre ville de cette âpre Rivière ligure -offre l’équivalent.</p> - -<p>Le vent même y est tiède et léger, au plus rude -de l’hiver. Et quand ensuite, dans les rues de Gênes, -on grelotte au soleil sous une bise glacée, on ne -peut se défendre d’un vif sentiment de dépit contre -l’ingratitude des Génois, qui, peut-être, a attiré sur -leur ville cette calamité. Car si Jacques de Voragine -est né à Varage, c’est à Gênes qu’il a prodigué -tous les trésors de son âme de saint. Il y a joué un -rôle si actif et si bienfaisant que les historiens les -plus « libéraux », — qui racontent le passé de -l’Italie comme si les événements religieux n’y -avaient, pour ainsi dire, point tenu de place, — sont -tous contraints pourtant de rendre hommage -au « pieux évêque » de Gênes, père des pauvres, et -« pacificateur des discordes civiles ». Or, en vain on -chercherait, dans toute la ville de Gênes, la moindre -trace de son souvenir. Entre des centaines de -plaques commémoratives, célébrant un séjour de -Garibaldi, ou la munificence d’un riche bourgeois -qui a fait entourer d’un grillage le pont de Carignan, -« pour empêcher les désespérés de s’ôter la vie », -en vain on chercherait une inscription où figurât le -nom du saint évêque « pacificateur ». En vain on -<span class="pagenum" id="pv">-v-</span> chercherait son nom sur les plaques blanches des -<i lang="it" xml:lang="it">via</i>, <i lang="it" xml:lang="it">vico</i>, <i lang="it" xml:lang="it">vicolo</i>, <i lang="it" xml:lang="it">salita</i>, dont la vieille cité ligure -est plus abondamment pourvue qu’aucune ville -d’Europe. Et l’on songe que cet hommage-là, du -moins, serait bien dû à un homme qui non seulement -a comblé Gênes de services plus précieux -encore que les Manin et les Mazzini, mais qui a en -outre, pendant plus de trois siècles, nourri la chrétienté -tout entière de belles histoires et de beaux -sentiments.</p> - -<hr /> - - -<p>Mais je m’aperçois que je n’ai pas dit encore le -peu que je sais sur la vie de l’auteur de la <i>Légende -Dorée</i>, et sur son séjour à Gênes en particulier.</p> - -<p>Né en 1228, il avait seize ans lorsque, en 1244, -il entra dans l’ordre des Frères Prêcheurs, fondé -par saint Dominique en 1215. Cet ordre avait été -fondé surtout, on ne l’ignore pas, pour « extirper les -hérésies », ce qui lui assignait une tâche plutôt -belliqueuse. Mais, par un phénomène singulier, -l’ordre des Frères Prêcheurs a produit, en plus grand -nombre même que l’ordre rival des Frères Mineurs, -des moines d’une suavité d’âme toute franciscaine. -Tel fut, notamment, saint Thomas d’Aquin, le -« docteur angélique » ; tels le bienheureux Fra -Angelico et son frère Fra Benedetto ; tel encore, -un siècle plus tard, le délicat rêveur Fra Bartolommeo. -Et le Frère Jacques de Voragine était de -leur race. Tour à tour novice, moine, professeur de -théologie, prédicateur, il unissait à l’éclat de sa -science des mœurs si pures et une vertu si aimable -que, aujourd’hui encore, tous les couvents dominicains -<span class="pagenum" id="pvi">-vi-</span> du Nord de l’Italie conservent le souvenir de -sa sainteté. A trente-cinq ans, il fut élu par ses -Frères prieur de son couvent. Puis, en 1267, ils lui -confièrent le gouvernement général des monastères -dominicains de la province de Lombardie : fonction -infiniment fatigante et difficile, qu’il fut contraint -de remplir pendant dix-huit ans.</p> - -<p>A peine était-il enfin parvenu à s’en décharger -que, en 1288, à la mort de l’archevêque de Gênes -Charles Bernard de Parme, le chapitre le choisit -pour succéder à ce prélat. Nous ne savons pas s’il -fit alors comme saint Grégoire, qui s’était échappé -de Rome dans un tonneau en apprenant qu’on -s’apprêtait à le proclamer pape : nous savons, en -tout cas, qu’il refusa obstinément le nouvel honneur -dont on le menaçait ; et ce fut le patriarche -d’Antioche, Obezzon de Fiesque, qui fut nommé à -sa place. Mais quand celui-ci mourut, quatre ans plus -tard, le peuple de Gênes tout entier se joignit au -chapitre pour exiger que le Frère Jacques devînt -leur évêque. Le saint moine, cette fois, dut se -résigner ; et il dut se résigner encore au voyage de -Rome, le pape Nicolas IV lui ayant exprimé le -désir de le sacrer de ses propres mains. Malheureusement -Nicolas IV mourut, le 4 avril, sans avoir pu -réaliser son désir : et tout de suite Jacques de -Voragine, s’étant fait sacrer par l’évêque d’Ostie, -reprit le chemin de son diocèse, qu’il s’engagea, -dès lors, à ne plus quitter.</p> - -<p>Aussi bien les occasions n’y manquaient-elles -point, pour lui, de remplir son rôle d’évêque tel -qu’il le concevait. Il y avait, avant tout, à essayer -<span class="pagenum" id="pvii">-vii-</span> de ramener la paix dans la ville de Gênes, dont les -citoyens, vainqueurs de leurs ennemis de Savone et -de Pise, n’en étaient devenus que plus ardents à -s’égorger entre eux. Sans cesse les Guelfes, partisans -des Fiesque et des Grimaldi, protestaient -contre la domination du parti gibelin en brûlant -des maisons, en saccageant des églises, en assassinant, -au détour d’une ruelle, quelque inoffensif -client des Doria ou des Spinola : et l’on entend bien -que les Gibelins, étant les plus forts, ne se faisaient -pas faute, le jour suivant, de le leur prouver par -des procédés tout pareils. Depuis des années, la -guerre sévissait à demeure dans les rues de Gênes : -une guerre si violente que les Génois en étaient -presque aussi fiers que de leurs colonies, se glorifiant -volontiers d’exceller autant dans les luttes -civiles que dans les navales. Or, en 1295, après trois -années d’efforts, leur évêque Jacques de Varage -obtint d’eux cette chose incroyable : que Guelfes et -Gibelins consentissent solennellement à se réconcilier. -Pour la première fois, depuis un demi-siècle, un -calme fraternel régna dans les petites rues voisines de -Saint-Laurent, de Saint-Donat, et de Saint-Mathieu, -qui formaient alors le centre de la vie génoise. Et -quand, onze mois plus tard, les Guelfes, excités en -secret par le roi de Naples Charles II, attaquèrent -de nouveau le parti des Spinola, on vit, racontent -les chroniqueurs, « le pieux évêque Jacques de -Varage se précipiter entre les combattants, pour -les séparer au péril de sa vie ».</p> - -<p>Mais comment résisterais-je à la tentation de citer -le passage de la <i>Chronique de Gênes</i> où Jacques de -<span class="pagenum" id="pviii">-viii-</span> Voragine nous raconte lui-même ces événements, -n’oubliant que de faire la moindre allusion à la part -très active que, de l’aveu de tous, nous savons qu’il -y a prise ? Voici ce passage, traduit non pas sur -l’inexacte copie de la <i>Chronique de Gênes</i> qui se -trouve dans le recueil de Muratori, mais sur un -manuscrit magnifique et vénérable de la Bibliothèque -Municipale de Gênes, datant, selon toute -apparence, de la première moitié du <small>XIV</small><sup>e</sup> siècle. Le -saint prélat, après s’être longuement étendu sur les -mérites des évêques et archevêques ses prédécesseurs, -arrive enfin à son propre épiscopat. « Le frère -Jacques, — nous dit-il, — huitième archevêque de -Gênes, a été élu en 1292, et vivra tant que Dieu -voudra bien le laisser en vie. » Puis il mentionne son -voyage à Rome, et la mort du pape Nicolas, « qui, -croyons-nous, est entré ainsi au palais céleste ». Et -voici toute la fin de cette touchante autobiographie :</p> - -<blockquote> -<p>L’an du Seigneur 1295, au mois de janvier, fut conclue -une paix générale et universelle, dans la ville de -Gênes, entre ceux qui s’appelaient Mascarati, ou Gibelins, -et ceux qui s’appelaient Rampini, ou Guelfes : -entre lesquels, en vérité, le malin esprit avait depuis -longtemps suscité de nombreuses divisions et querelles -de parti. Soixante ans durant, ces dissensions pleines de -dangers avaient troublé la ville. Mais, grâce à la protection -spéciale de Notre-Seigneur, tous les Génois sont -enfin revenus à la paix et à la concorde, de telle manière -qu’ils se sont juré de ne plus faire qu’une seule société, -une seule fraternité, un seul corps. Ce qui a produit -tant de joie que la ville entière s’est remplie de gaîté. Et -nous aussi, dans l’assemblée solennelle où fut conclue la -paix, vêtu de nos ornements pontificaux, nous avons -prêché la parole de Dieu ; après quoi, avec notre clergé, -<span class="pagenum" id="pix">-ix-</span> nous avons chanté <i lang="la" xml:lang="la">Te Deum laudamus</i>, ayant auprès de -nous quatre évêques et abbés mitrés.</p> - -<p>Mais comme, dans ce bas monde, il ne saurait y avoir -de pur bien, — car le pur bien est au ciel, le pur mal en -enfer, et notre monde est un mélange de bien et de mal, — voilà -que, hélas ! notre cithare a dû changer ses cantiques -joyeux en de nouvelles plaintes, et l’harmonie de nos -orgues a été interrompue par des voix pleines de larmes ! -En effet, dans cette même année, au mois de décembre, -cinq jours après Noël, l’ennemi de la paix humaine a -excité nos concitoyens à une telle discorde et tribulation -que, au milieu des rues et des places, ils se sont attaqués -l’un l’autre, les armes en main. A quoi ont succédé -nombre de meurtres, de blessures, d’incendies et de -rapines. Et l’aveuglement de la haine commune est allé -si loin que, pour s’emparer de la tour de notre église de -Saint-Laurent, une troupe de nos concitoyens n’a pas -craint de mettre le feu à l’église, dont tout le toit s’est -trouvé brûlé. Et cette périlleuse sédition a duré depuis -le cinquième jour de Noël jusqu’au jour du 7 février. -C’est à la suite des événements susdits qu’on a décidé de -nommer capitaines du peuple messires Conrad Spinola -et Conrad Doria.</p> -</blockquote> - -<p>Et non moins admirable, non moins digne d’être -commémoré, fut le rôle joué à Gênes par Jacques -de Voragine en tant que père des pauvres de son -diocèse. De cela non plus il ne fait point mention, -dans sa <i>Chronique</i> ; mais les auteurs génois s’accordent -à nous dire que, durant les six années de -son épiscopat, la ville a été comblée de sa charité. -« Toutes les vertus rivalisaient en lui », reconnaît -Muratori, peu suspect de partialité à l’égard d’un -homme dont il traite l’œuvre entière de « bavardage -imbécile ». D’autres nous affirment que, -aussi longtemps qu’il fut évêque, pas une fois on -<span class="pagenum" id="px">-x-</span> ne le vit manger à sa faim. Il allait lui-même -soigner les malades, dans les ruelles du port. Il -s’était fait donner une liste des indigents et « les -visitait du matin au soir, s’entretenant avec eux -de leurs menues affaires ». Son revenu et celui -de son église, qui, au dire de Muratori, était « des -plus gras », tout allait aux pauvres. Pour avoir -autrefois compilé avec attendrissement les histoires -de saint Jean l’Aumônier, de saint Basile, et -d’autres « fous de charité », ces grands saints -avaient daigné permettre à leur biographe de leur -ressembler. Et j’imagine que lui aussi, comme -l’abbé Sérapion, aurait été heureux de vendre son -évangile pour nourrir un mendiant : après quoi il -aurait répondu à ceux qui se seraient avisés de le -lui reprocher : « Ce livre me disait de vendre ce -que j’avais pour en donner le prix aux pauvres. Or -je n’avais plus que lui. Comment aurais-je pu -m’empêcher de le vendre ? »</p> - -<p>Avant de mourir, en 1298, il défendit qu’on -privât les pauvres du prix de ses funérailles. Et il -demanda que son corps, au lieu de reposer dans la -cathédrale auprès de ceux des autres évêques, fût -transporté dans l’Eglise de son ancien couvent, où -on l’a, en effet, déposé, à gauche du chœur. Mais -l’église de Saint-Dominique a été démolie, il y a -quelques années : et parmi ce que l’on a conservé -de ses débris, à l’Académie des Beaux-Arts et au -Palais-Blanc, vainement j’ai cherché un vestige de -la sépulture de Jacques de Voragine.</p> - -<hr /> - - -<p>Je crois en revanche qu’on pourrait aisément, -<span class="pagenum" id="pxi">-xi-</span> dans les bibliothèques françaises et italiennes, retrouver -des copies de tous ses ouvrages : car tous, -sans parler de la <i>Légende Dorée</i>, ont eu jusqu’au -<small>XV</small><sup>e</sup> siècle une célébrité universelle ; et quelques-uns -ont même été imprimés. A l’exception de la <i>Chronique -de Gênes</i>, dont on vient de lire les dernières -pages, ils datent tous des années qui ont précédé -l’avènement du Frère Prêcheur à l’épiscopat. Les -auteurs contemporains mentionnent, surtout, une -traduction de la Bible en langue italienne, un -volumineux commentaire de saint Augustin, et -plusieurs recueils de sermons. J’ai eu entre les -mains un de ces recueils, à la Bibliothèque Municipale -de Tours, qui, si même elle n’avait hérité que -du seul fonds de Marmoutier, aurait encore de -quoi être une des plus riches bibliothèques de -France en œuvres religieuses du moyen âge. Et, -en vérité, les sermons de Jacques de Voragine -m’ont paru valoir, eux aussi, que quelque pieux -savant prît un jour la peine de nous les révéler. -Tout comme la <i>Légende Dorée</i>, ils ont, sous leur -appareil scolastique, une simplicité et une bonhomie -très originales, et les mieux faites du monde -pour nous émouvoir. Le seul malheur est que -l’appareil scolastique y tient une place infiniment -plus considérable que dans la <i>Légende Dorée</i>, avec -une telle quantité de divisions et de subdivisions, -de points coupés en d’autres points qui se trouvent -coupés à leur tour, que, à chaque ligne, un lecteur -d’à présent risque de perdre le fil de l’argumentation, -étant donnée surtout l’absence complète de -tout signe graphique qui puisse l’aider à se reconnaître. -<span class="pagenum" id="pxii">-xii-</span> Et je crains bien que des motifs semblables -ne nous interdisent, à jamais, de prendre plaisir et -profit à la lecture des <i>Commentaires</i> de Jacques de -Voragine <i>sur saint Augustin</i>.</p> - -<p>Mais d’ailleurs aucun autre des livres du savant et -saint moine n’a eu, même en son temps, un succès comparable -à celui de cette <i>Légende des Saints</i> que, presque -dès son apparition, l’Europe tout entière s’est plu à -appeler la <i>Légende Dorée</i>. Ce livre sans pareil doit avoir -été écrit vers 1255, lorsque l’auteur n’était encore -qu’un tout jeune professeur de théologie : car -l’<i>Histoire Lombarde</i>, qui en forme l’appendice, -s’arrête à la mort de Frédéric II, sans même signaler -l’élection au trône pontifical d’Alexandre IV<a id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">[2]</a>. -Resterait l’hypothèse que Jacques de Voragine eût -écrit sa <i>Légende</i> après l’<i>Histoire Lombarde</i>, et se -fût, ensuite, borné à joindre à son nouveau livre -cette chronique, rédigée quelques années plus tôt : -mais il n’eût point manqué, en ce cas, de mettre au -courant la fin de sa chronique, de même qu’il a fait -pour le commencement : puisque, aussi bien, parmi -les innombrables erreurs qui ont cours, depuis le -seizième siècle, au sujet de la <i>Légende Dorée</i>, aucune -n’est plus scandaleusement injuste que celle qui -consiste à représenter comme une rapsodie, comme -un mélange incohérent de morceaux rassemblés au -hasard, un livre d’une unité et d’un ensemble -parfaits, où chaque récit se trouve expressément -<span class="pagenum" id="pxiii">-xiii-</span> chargé de compléter, de rectifier, ou de nuancer -quelque récit précédent.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_2" href="#FNanchor_2"><span class="label">[2]</span></a> Notons encore que, dans tout son livre, Jacques de Voragine -ne nomme pas une seule fois ce pape, ni, non plus, Thomas -d’Aquin, qui, dès 1255, avait commencé à devenir une des gloires -de l’ordre des Frères Prêcheurs.</p> -</div> -<hr /> - - -<p>Non, la <i>Légende Dorée</i> n’est pas une simple rapsodie, -ainsi que l’ont prétendu des critiques, et -même des traducteurs, qui, croirait-on, ne se sont -jamais sérieusement occupés de la lire ! Et pas -davantage elle n’est une « compilation », au sens -où nous entendons aujourd’hui ce mot. On trouve -bien, dans les éditions de la fin du <small>XV</small><sup>e</sup> siècle, deux -histoires, celle de <i>Sainte Apolline</i> et celle de <i>Sainte -Paule</i>, qui reproduisent, mot pour mot, des textes -antérieurs : et ce sont celles-là qu’on cite, quand on -veut prouver que Jacques de Voragine s’est contenté -de transcrire, dans son livre, des passages copiés à -droite et à gauche. Mais le fait est que ces deux -histoires ne sont point de Jacques de Voragine : -car elles manquent non seulement dans la plupart -des vieux manuscrits, mais même dans les premières -éditions imprimées. Ce sont donc de ces -innombrables interpolations que, au cours des -siècles, les copistes ont introduites dans le texte -original de la <i>Légende Dorée</i><a id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a> : et j’ajoute que, -si même nous n’avions pas la ressource de pouvoir -reconstituer ce texte original en éliminant -tous les chapitres qui ne figurent point dans les -premiers manuscrits, le style des chapitres ajoutés -suffirait à nous mettre en défiance contre eux. Car -<span class="pagenum" id="pxiv">-xiv-</span> Jacques de Voragine n’est peut-être pas un grand -écrivain : mais à coup sûr il possède un style qui -lui appartient en propre, un style, et une façon de -composer, et surtout une façon de raconter ; de telle -sorte que les citations les plus diverses prennent -aussitôt, sous sa plume, la même allure et le même -attrait. Que l’on compare, à ce point de vue, son récit -des martyres des saints avec le récit qu’en donne le -<i>Bréviaire</i> : ou, plutôt encore, qu’on compare ses -légendes de <i>Saint Jean l’Aumônier</i>, de <i>Saint Antoine</i>, -de <i>Saint Basile</i>, avec le texte de la <i>Vie des Pères</i>, -d’où il nous dit qu’il les a « directement extraites » ! -Et l’on comprendra alors ce que sa « compilation » -impliquait de travail personnel, de réelle et précieuse -<i>création</i> littéraire. Et l’on comprendra aussi, -très clairement, le caractère et la portée véritables -de la <i>Légende Dorée</i>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_3" href="#FNanchor_3"><span class="label">[3]</span></a> Un exemple suffira pour donner l’idée du nombre fantastique -de ces interpolations. Les éditions de 1470, encore presque conformes -au texte primitif, contiennent environ 280 chapitres : une -édition française de 1480 en contient 440, et l’édition anglaise de -Caxton, 448.</p> -</div> -<p>Mais avant de définir ce caractère et cette portée, -il y a une autre erreur encore que je dois signaler : -celle qui consiste à voir dans la <i>Légende Dorée</i> un -recueil de « légendes », autant dire de fables, et présentées -comme telles par l’auteur lui-même. En -réalité, <i lang="la" xml:lang="la">Legenda Sanctorum</i> signifie : lectures de la -vie des saints. <i lang="la" xml:lang="la">Legenda</i> est ici l’équivalent du mot -<i lang="la" xml:lang="la">lectio</i>, qui, dans le <i>Bréviaire</i>, désigne les passages des -auteurs consacrés que le prêtre est tenu de lire entre -deux oraisons. Et Jacques de Voragine n’a nullement -l’intention de nous donner pour des fables les histoires -qu’il nous raconte. Il entend que son lecteur -les prenne au sérieux, ainsi qu’il les prend lui-même, -sauf à exprimer souvent des réserves sur la -valeur de ses sources, ou, avec une loyauté admirable, -<span class="pagenum" id="pxv">-xv-</span> à mettre vivement en relief une contradiction, -une invraisemblance, un risque d’erreur. Et -de là ne résulte point que nous devions, aujourd’hui, -admettre la vérité de tous ses récits : aucun -d’eux, au moins dans le détail, n’est proprement -article de foi. Mais par là s’explique que lui, l’auteur, -admettant de toute son âme cette vérité, ait -pu employer à ses récits une franchise, une chaleur -d’imagination, et un élan d’émotion qui, depuis des -siècles, et aujourd’hui encore, les revêtent d’un -charme où le lecteur le plus sceptique a peine à -résister. Ce livre n’a si profondément touché tant de -cœurs que parce qu’il a jailli, tout entier, du cœur.</p> - -<hr /> - - -<p>Et son unique objet était, précisément, de toucher -les cœurs. Car la <i>Légende Dorée</i> est, à sa façon, un -des signes les plus caractéristiques de son temps, -du temps qui a produit saint François, saint Dominique, -saint Louis, et rempli le monde d’églises -merveilleuses. C’est un temps où, dans l’Europe -entière, le peuple, s’éveillant enfin d’une longue -somnolence, a commencé tout à coup d’aspirer fiévreusement -à la vie de l’esprit. Tout à coup l’architecture, -la sculpture, tous les arts se sont laïcisés, -sont sortis des couvents pour aller au peuple. -Et, de même, la pensée religieuse. En même temps -qu’il s’occupait à construire des églises, le peuple -réclamait d’être initié aux secrets de la théologie : -il voulait qu’un contact plus intime s’établît désormais -entre Dieu et lui. De là son enthousiasme à -accueillir le Pauvre d’Assise, dont l’âme parfumée -n’était qu’une expression plus haute et plus profonde -<span class="pagenum" id="pxvi">-xvi-</span> de toute l’âme populaire. De là l’immense et -soudain succès des deux grands ordres qui, créés -pour des fins différentes, avaient tous deux en commun -de s’adresser directement au peuple, de se -mêler au peuple plus étroitement que les ordres -antérieurs, et le séculier même. Le peuple voulait, -en quelque sorte, pénétrer jusqu’au chœur de -l’église, afin de mieux célébrer Dieu, étant plus -près de lui. Et c’est à cette tendance que répond la -conception de la <i>Légende Dorée</i>, comme par elle -s’explique, aussi, l’extraordinaire fortune de ce -livre.</p> - -<p>La <i>Légende Dorée</i> est, essentiellement, une tentative -de vulgarisation, de « laïcisation », de la -science religieuse. Bien d’autres théologiens, avant -Jacques de Voragine, avaient écrit non seulement -des vies de saints, mais des commentaires de toutes -les fêtes de l’année. Le <i>Bréviaire</i>, par exemple, dès -le <small>XI</small><sup>e</sup> siècle, avait été compilé, à peu près sous sa -forme d’aujourd’hui, avec des <i>leçons</i> équivalant -aux chapitres de la <i>Légende Dorée</i>. Et, à chaque -page, le bienheureux Jacques de Voragine cite -d’autres compilations analogues, le <i>Livre Mitral</i>, le -<i>Rational des offices divins</i> de maître Jean Beleth, chanoine -d’Amiens, etc. Mais tous ces ouvrages s’adressaient -aux théologiens, aux clercs : et la <i>Légende -Dorée</i> s’adresse aux laïcs. Elle a pour objet de faire -sortir, des bibliothèques des couvents, les trésors de -vérité sainte qu’y ont accumulés des siècles de -recherches et de discussions, et de donner à ces trésors -la forme la plus simple, la plus claire possible, -et en même temps la plus attrayante : afin de les -<span class="pagenum" id="pxvii">-xvii-</span> mettre à la portée d’âmes naïves et passionnées qui -aussitôt s’efforcent, par mille moyens, de témoigner -la joie extrême qu’elles éprouvent à les accueillir. -Voilà pourquoi Jacques de Voragine ne dédaigne -point d’admettre, dans son livre, jusqu’à des récits -dont il avoue lui-même qu’ils ne méritent pas d’être -pris bien à cœur ! Voilà pourquoi il ne néglige jamais -une occasion d’expliquer longuement le sens des -diverses cérémonies religieuses, la tonsure des -prêtres, les processions, la dédicace des églises ! Et -voilà pourquoi, tout en nommant toujours les -auteurs dont il « compile » les savants écrits, il a -toujours soin de modifier les passages qu’il leur -emprunte, de manière que l’âme la plus simple -puisse les comprendre et en profiter. Sa <i>Légende</i> -est, ainsi, la suite directe de cette traduction italienne -de la Bible que ses biographes signalent -comme l’un de ses premiers ouvrages. Et si, au -lieu d’écrire sa <i>Légende</i> en italien, il l’a écrite -dans un honnête latin de sacristie, dont les humanistes -de la Renaissance ont eu beau jeu à railler -la médiocrité, c’est que, sans doute, sous cette -forme, il a su que son livre pourrait se répandre -plus loin, et ouvrir à plus d’âmes la maison de -Dieu.</p> - -<p>Le fait est qu’il n’y a peut-être pas de livre qui -ait été plus souvent copié et traduit. Toutes les -bibliothèques du monde en possèdent des manuscrits, -dont quelques-uns comptent parmi les chefs-d’œuvre -des deux arts délicieux de la calligraphie -et de l’enluminure. Et lorsque, deux cents ans -après, l’imprimerie vient, hélas ! se substituer à ces -<span class="pagenum" id="pxviii">-xviii-</span> deux arts et les anéantir, c’est encore la <i>Légende -Dorée</i> qu’on imprime le plus. Les catalogues mentionnent -près de cent éditions latines différentes, -publiées entre les années 1470 et 1500 : sans -compter d’innombrables traductions françaises, -anglaises, hollandaises, polonaises, allemandes, -espagnoles, tchèques, etc. Du treizième siècle jusqu’au -seizième, la <i>Légende Dorée</i> reste, par excellence, -le livre du peuple.</p> - -<p>Et je dois ajouter qu’il n’y a peut-être pas de -livre, non plus, qui ait exercé sur le peuple une -action plus profonde, ni plus bienfaisante. Car le -« petit » livre du bienheureux Jacques de Voragine, — si -l’on me permet de lui garder une épithète -que tous les auteurs anciens s’accordent à lui attribuer, — a -été, pendant ces trois siècles, une source -inépuisable d’idéal pour la chrétienté. En rendant la -religion plus ingénue, plus populaire, et plus pittoresque, -il l’a presque revêtue d’un pouvoir nouveau : -ou du moins il a permis aux âmes d’y -prendre un nouvel intérêt, et, pour ainsi dire, de s’y -réchauffer plus profondément. Tout de suite les nefs -des églises se sont peuplées d’autels en l’honneur -des saints et des saintes du calendrier. Tout de suite -les tailleurs de pierres se sont mis à sculpter, aux -porches des cathédrales, les touchants récits de la -<i>Légende Dorée</i>, les peintres, les verriers, à les représenter -sur les murs ou sur les fenêtres. Entrez dans -une vieille église de Bruges, de Cologne, de Tours -ou de Sienne : toutes les œuvres d’art qui vous y -accueilleront ne sont que des illustrations immédiates, -littérales, de la <i>Légende Dorée</i>. C’est d’après -<span class="pagenum" id="pxix">-xix-</span> Jacques de Voragine que Memling et Carpaccio -nous racontent le voyage de sainte Ursule avec ses -onze mille compagnes. Quand Piero della Francesca, -dans ses fresques d’Arezzo, ou Agnolo Gaddi dans celles -de Florence, nous font assister aux aventures diverses -du bois de la sainte Croix, ils suivent de phrase en -phrase le texte de la <i>Légende Dorée</i>. D’autres prennent -même, dans le vieux livre, des sujets profanes, et, -comme Thierry Bouts au Musée de Bruxelles, nous -détaillent, d’après l’<i>Histoire Lombarde</i>, un acte de -justice de l’empereur Othon. Et il n’y a point jusqu’aux -grands tableaux de Rubens, de Murillo, de Poussin, -qui ne reproduisent les scènes des martyres des saints -ou de leurs miracles exactement comme le bienheureux -évêque de Gênes les a « compilées » à notre -intention. Toute la part que, aujourd’hui encore, notre -imagination mêle à ce que nous apprennent, de -l’histoire sacrée, les Ecritures et la Tradition, tout cela -nous vient, en droite ligne, de la <i>Légende Dorée</i>.</p> - -<hr /> - - -<p>Aussi ne saurait-on trop déplorer le profond -discrédit qu’ont cru devoir jeter sur ce livre -d’éminents écrivains religieux de la Renaissance -et du <small>XVII</small><sup>e</sup> siècle, depuis Vivès, l’ami d’Erasme, -jusqu’à l’impitoyable Jean de Launoi, le « dénicheur -de saints », dont un contemporain disait -qu’il « avait plus détrôné de saints du paradis que -dix papes n’en avaient canonisé ». Ces savants -hommes ont évidemment lu la <i>Légende Dorée</i>, -comme toutes choses, avec l’impression qu’un ministre -calviniste lisait par-dessus leur épaule, -guettant une occasion de se moquer d’eux. Et -<span class="pagenum" id="pxx">-xx-</span> ainsi ils se sont trouvés empêchés de réfléchir au -sens et à la portée du vieux livre ; de telle sorte -qu’au lieu d’honorer en Jacques de Voragine l’un des -plus érudits en même temps que le plus vénérable -de leurs devanciers, il n’y a pas d’injure dont ils ne -l’aient accablé : poussés, par leur indignation, -jusqu’au calembour, car les uns l’appelaient un -« gouffre d’ordures », jouant sur le sens latin du -mot <i lang="la" xml:lang="la">vorago</i>, tandis que d’autres déclaraient que sa -<i>Légende</i> n’était pas d’or, mais de <i>fer</i> et de <i>plomb</i>. -Ils ne lui pardonnaient pas, notamment, d’avoir -mis saint Georges aux prises avec un dragon avant -de le mettre aux prises avec les tenailles du préfet -Dacien, ni d’avoir raconté que saint Antoine avait -rencontré au désert un centaure et un satyre, ni -d’avoir conduit à Rome les onze mille compagnes -de sainte Ursule, ni, en maints endroits, d’avoir -confondu les noms et brouillé les dates.</p> - -<p>Et certes je ne prétends pas que, à la considérer -au point de vue historique, la <i>Légende Dorée</i> ne -contienne pas d’affirmations inexactes, ou, tout au -moins, d’une exactitude à jamais incertaine. Je -croirais volontiers, plutôt, qu’elle en est remplie, -comme tous les ouvrages historiques de son temps, -comme ceux de tous les temps ; et, sans doute, les -écrits mêmes de Vivès et de Launoi, si un érudit -voulait aujourd’hui les contrôler à ce point de vue, -apparaîtraient, eux aussi, amplement pourvus -d’erreurs et de légendes. Mais, d’abord, ainsi que -le dit très sagement Bollandus, rien n’est plus -injuste que d’attribuer à Jacques de Voragine la -responsabilité d’affirmations qu’il a, toutes, puisées -<span class="pagenum" id="pxxi">-xxi-</span> dans des ouvrages antérieurs, en les contrôlant de -son mieux chaque fois qu’il pu, ou en nous faisant -part des doutes qu’elles lui inspiraient. Pour citer -encore une expression de Bollandus, le tort de Vivès -et des autres détracteurs de la <i>Légende Dorée</i> -a été « de vouloir critiquer ce qu’ils ne comprenaient -pas et qu’ils ignoraient ». Ils ignoraient qu’un érudit du -<small>XIII</small><sup>e</sup> siècle ne disposait point des mêmes moyens -d’information que ceux dont ils disposaient, trois -ou quatre siècles plus tard : c’est-à-dire qu’il manquait -de beaucoup de ceux qu’ils avaient, mais que, -peut-être aussi, il en avait d’autres qui désormais -leur manquaient. Et quant à soutenir, comme ils -le soutenaient, que la plupart des récits de la -<i>Légende Dorée</i> sont des fables parce que les documents -contemporains n’en font pas mention, c’est -en vérité montrer, à l’égard de ces documents, une -crédulité plus naïve encore que celle des contemporains -de Jacques de Voragine à l’égard du dragon -de saint Georges et du centaure de saint Antoine. -Qu’un document soit contemporain des faits -qu’il atteste, comme par exemple nos journaux, ou -qu’il leur soit postérieur, comme les histoires et -les chroniques les plus abondantes, on ne risque -guère à soutenir que l’erreur y tient plus de place -que la vérité, que de mille choses considérables ils -ne font point mention, et qu’ils en mentionnent -mille autres qui n’ont jamais existé.</p> - -<p>Mais surtout le tort de Vivès et de ses successeurs -a été de « vouloir critiquer ce qu’ils ne comprenaient -pas ». Ils ne comprenaient pas, en effet, que des -erreurs comme celles qu’ils signalaient dans la -<span class="pagenum" id="pxxii">-xxii-</span> <i>Légende Dorée</i> n’avaient point, pour un lecteur -catholique, la même importance que pour ce ministre -calviniste qui hantait leurs rêves. Car, si les protestants -estiment que Dieu, après avoir parlé aux -hommes depuis Adam jusqu’à Jésus-Christ, s’est tu -à jamais dès qu’il nous a légué le Nouveau Testament, -c’est, au contraire, la croyance des catholiques -que, suivant sa promesse, il a « envoyé aux hommes -son Esprit », pour continuer à les instruire et à les -guider. Lors donc que la Sainte Eglise a proclamé saints -des hommes dont, le plus souvent, la vie et les actes -lui étaient connus de la façon la plus sûre et la plus -directe, aucun catholique n’a le droit de contester -le fait de leur sainteté. C’est ce que ne comprenait -pas Launoi, quand, sous prétexte que ses recherches -ne lui avaient pas démontré l’existence de sainte -Catherine, il remplaçait l’office de cette sainte -par une messe de <i lang="la" xml:lang="la">Requiem</i> : le « dénicheur de -saints » prouvait simplement, par là, qu’il était un -sot, à vouloir mettre ses petites recherches personnelles -au-dessus de l’autorité de sa mère l’Eglise. -Et, puisque la sainteté des saints de la <i>Légende Dorée</i> -ne saurait faire de question pour nous, qu’importe -ensuite que, à défaut de l’histoire véritable de leur -vie, nous ayons de belles légendes qui certainement -expriment, sinon les faits de cette vie, du moins -son âme et son sens profond ? Ainsi l’entendaient -les chrétiens des premiers siècles, qui ne tenaient -nullement pour illicite d’embellir à leur fantaisie, -dans leurs chroniques, la vie de la Vierge et des -saints, pas plus que les vieux peintres ne s’interdisaient -de représenter leurs traits à leur fantaisie. -<span class="pagenum" id="pxxiii">-xxiii-</span> Et de même que maintes images de la Vierge, sans -prétendre le moins du monde à être des portraits, -ont reçu de Dieu le pouvoir d’opérer des miracles, -de même rien ne nous empêche d’admettre que -Dieu, s’il le juge bon, puisse prêter aux légendes de -ses saints une réalité supérieure. Cela encore était -une des croyances favorites des grands âges chrétiens ; -et la trace s’en retrouve à chaque page dans -la <i>Légende Dorée</i>. Nous y lisons, par exemple, -l’histoire d’un gardien d’église qui, au lieu de donner -à un pèlerin un vrai doigt de saint Augustin, s’était -amusé à lui donner le doigt d’un pauvre homme -qui venait de mourir : après quoi, apprenant que ce -doigt faisait des miracles, il était allé voir le corps -du saint, et s’était aperçu qu’un doigt y manquait. -Rien n’est impossible à Dieu ; et il n’y a point de -Vivès, de Launoi, ni de Baillet, dont l’érudition -prévaille contre cet article de foi.</p> - -<p>Je ne crois pas, au reste, que personne s’avise -plus, aujourd’hui, de reprocher à la <i>Légende Dorée</i> -la faiblesse de sa critique, ni l’incohérence de sa -chronologie. Et je suis sûr que personne ne pourra -s’empêcher de sentir l’exquise douceur poétique de -cette <i>Légende</i>, son charme ingénu, mais, par-dessus -tout, la pureté et la beauté incomparables de l’esprit -chrétien dont elle est imprégnée. Quelque opinion -que l’on ait de l’exactitude documentaire de chacun -de ses récits, on reconnaîtra que leur ensemble forme -un manuel parfait de la vie suivant l’Evangile, un -manuel infiniment varié, et d’autant mieux adapté -aux diverses conditions de l’existence humaine. Car -la <i>Légende Dorée</i> restera toujours ce que son auteur -<span class="pagenum" id="pxxiv">-xxiv-</span> a voulu qu’elle fût : un livre à l’adresse du peuple, -offrant à tout homme la leçon et l’exemple qui -peuvent lui convenir. Mais leçons et exemples, -malgré leur diversité, y ont toujours en commun -d’être directement inspirés de la parole du Christ.</p> - -<p>Et la religion qu’on y trouve exprimée est toute -d’indulgence et de consolation. C’est la religion -telle que la concevait saint François d’Assise, telle -qu’allait la traduire, deux siècles après, le bienheureux -Fra Angelico, dans ces miniatures et ces fresques -dont, seul, un chrétien peut apprécier la surnaturelle -vérité chrétienne. Qu’on voie avec quelle -ardente sympathie Jacques de Voragine nous raconte -les actes charitables des saints, comme il -s’échauffe lorsqu’il nous parle de saint Basile, de -saint Jean l’Aumônier, ou de saint Martin ! Peu -s’en faut qu’il ne les préfère aux martyrs eux-mêmes, -tant il découvre en eux des disciples fidèles -de son divin maître. Et ses martyrs, combien ils -sont joyeux et doux, combien ils ont de tendre -pitié pour leurs persécuteurs ! Le préfet qui torturait -saint Longin est, tout à coup, devenu aveugle -et supplie le saint de lui rendre la vue : « Sache, -mon pauvre ami, lui répond le saint, que tu ne -pourras être guéri qu’après m’avoir tué ! Mais, aussitôt -que je serai mort, je prierai pour toi ; et Dieu -m’accordera bien la guérison de ton corps et de ton -âme ! » Et saint Christophe, de son côté, dit au roi -de Samos : « Quand tu m’auras fait trancher la -tête, applique un peu de mon sang sur tes yeux, -et tu recouvreras la vue ! » Voilà vraiment de -beaux saints ; et il n’y a point de pécheur qui n’ait -<span class="pagenum" id="pxxv">-xxv-</span> de quoi reprendre courage, en songeant que, là-haut, -de tels amis s’emploient à plaider pour lui !</p> - -<p>Peut-être même est-ce cet esprit d’indulgence et -de compassion infinies qui, plus encore que le dragon -de saint Georges, a valu à la <i>Légende Dorée</i> la -mauvaise humeur de certains écrivains religieux du -<small>XVII</small><sup>e</sup> siècle. Sous l’influence du protestantisme et -du jansénisme, nombre d’excellents catholiques, -alors, estimaient imprudent de trop prêcher au -peuple la bonté de Dieu. Les peintres, ayant à -peindre Jésus sur la croix, le représentaient avec -les bras levés au ciel, et non plus avec les bras -étendus pour bénir la terre. Les philosophes insistaient -sur la différence essentielle de la bonté divine -et de l’humaine. Et tous, d’une façon générale, -ils s’efforçaient plutôt d’effrayer les hommes que -de les rassurer. Peut-être, dans ces conditions, la -<i>Légende Dorée</i> leur aura-t-elle paru trop consolante, -je veux dire faite pour nous donner une notion -trop inexacte de l’éternelle justice ? Mais aujourd’hui, -de même que nos imaginations ont soif -de légendes, nos cœurs ont soif de pitié et de consolation. -Nous avons besoin que Jésus vienne à -nous avec les bras grands ouverts, que, dans nos -peines, il nous dise, comme à l’apôtre dans sa prison -d’Antioche : « Mon ami, as-tu cru vraiment que -je t’oubliais ? » Nous avons besoin que, comme au -brigand qui récitait tous les jours son <i lang="la" xml:lang="la">Ave Maria</i>, -il daigne nous promettre le pardon de toutes nos -fautes, en échange du peu de foi que nous pouvons -lui offrir.</p> - -<p>« Si tu dois tenir compte de nos iniquités, Seigneur, -<span class="pagenum" id="pxxvi">-xxvi-</span> qui osera affronter ton jugement ? » C’est à -ce cri de nos misérables âmes que répond surtout -la <i>Légende Dorée</i>, par la voix de ses confesseurs et -par l’exemple de ses pécheresses, nous apportant le -témoignage de treize siècles de christianisme, dont -elle est, sinon une histoire toujours bien exacte, -à coup sûr le testament le plus authentique. Elle -nous apprend que la justice de Dieu n’est toute faite -que de sa bonté. « Ne craignez pas trop, nous -dit-elle, que le Seigneur vous tienne compte de -vos iniquités ! Lui-même, suivant l’expression de -saint Bernard, est prêt à vous faire bénéficier du -surplus de ses mérites ; et puis il y a, auprès de -lui, la Vierge et tous les saints, qui ne cessent point -de le solliciter en votre faveur. Mais il ne vous -pardonnera qu’à la condition que vous l’aimiez, -dans la personne du pauvre et du malade, de la -veuve et de l’orphelin, de tous ceux que la souffrance -élève jusqu’à lui ; à la condition que vous -restiez humbles d’esprit et de cœur, vous gardant -avec soin des fruits amers de l’arbre de la science, -dont le diable vous affirme qu’ils pourront vous -rendre pareils à des dieux ; et à la condition, enfin, -que vous honoriez le Seigneur dans la nature, son -œuvre, au lieu de mépriser et de détruire celle-ci -comme vous vous acharnez à le faire. Habituez-vous -plutôt à écouter les leçons des forêts que celles des -livres ! Obtenez des moineaux qu’ils consentent à -venir manger dans vos mains ! Et, quand vous verrez -un ours ou un loup pris au piège, hâtez-vous de -courir à lui pour le délivrer ! Renoncez à vous-mêmes -pour vivre tout entiers dans le reste du -<span class="pagenum" id="pxxvii">-xxvii-</span> monde : moyennant quoi le Seigneur non seulement -vous préparera une petite place dans son paradis, -mais, dès cette vie, imprimera sur vos lèvres le tranquille -et heureux sourire que vous voyez rayonner -sur les lèvres des saints ! » Telle est la leçon que nous -enseigne, à toutes ses pages, la <i>Légende Dorée</i>, avec -son mauvais style et ses erreurs de dates ; et peut-être, -cette leçon, les contemporains même de -Jacques de Voragine n’avaient-ils pas autant que -nous besoin de l’entendre !</p> - -<hr /> - - -<p>Quant à la traduction de la <i>Légende Dorée</i> que je -soumets aujourd’hui au lecteur français, je dirai -seulement que je l’ai faite sur une édition latine -imprimée, en 1517, à Lyon, chez Constantin Fradin ; -mais, sans cesse, autant que j’ai pu, je me suis -reporté à des éditions plus anciennes et à des copies -manuscrites.</p> - -<p>J’ai retranché, naturellement, la plupart des chapitres -des éditions postérieures qui, ne se trouvant -point dans les manuscrits, sont à coup sûr des interpolations. -J’ai cru, cependant, devoir en conserver -deux, qui, du reste, ont été introduits de très -bonne heure dans le texte de la <i>Légende Dorée</i> : -ceux de <i>Saint François</i> et de <i>Sainte Elisabeth</i>. J’ai -écourté, çà et là, quelques développements scolastiques -où l’auteur expliquait, par exemple, les dix -motifs, divisés chacun en une dizaine d’autres, -qui avaient décidé le Seigneur à se laisser circoncire -ou à naître d’une vierge. Et je me suis également -décidé à retrancher, après les avoir d’abord -traduites, les étymologies placées par l’auteur en -<span class="pagenum" id="pxxviii">-xxviii-</span> tête de ses chapitres. Bollandus et d’autres écrivains -autorisés ont soutenu que ces étymologies -n’étaient point de Jacques de Voragine ; mais je -crains bien, hélas ! qu’elles ne soient de lui, et ce -n’est point ce scrupule-là qui m’a empêché de les -publier. Je les ai retranchées, simplement, parce -qu’elles auraient prêté à rire, sans profit pour personne. -Le saint évêque de Gênes, de même que -tous les savants de son temps, ignorait le grec. Et -nous aussi, en vérité, nous l’ignorons, mais nous -en savons assez pour être sûrs que le nom d’Agathe, -par exemple, ne vient point « d’<i>Aga</i>, parlant, et de -<i>thau</i>, perfection ». Quand Jacques de Voragine nous -affirme que le nom d’Antoine vient « d’<i>ana</i>, en -haut, et de <i lang="la" xml:lang="la">tenens</i>, tenant », nous éprouvons malgré -nous une tentation de sourire qui risque de -nous faire mal apprécier, ensuite, la touchante -beauté de la vie du saint. L’art d’un temps, pour -peu que l’artiste y ait mis de son cœur, a de quoi -nous plaire éternellement : mais la science d’un -temps ne vaut que pour son temps.</p> - -<p>Et, à part ces suppressions et ces abréviations, -dont le total ne dépasse pas une trentaine de pages, -j’ai essayé de traduire aussi fidèlement que possible -le texte original de la <i>Légende Dorée</i>. Puisse -l’œuvre du vénérable Jacques de Varage retrouver -parmi nous, sous cette forme nouvelle, un peu de -sa bienfaisante action d’autrefois !</p> - -<p class="sign">T. W.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p1">-1-</span></p> - -<p class="c xlarge">LA LÉGENDE DORÉE</p> - - - - -<h2 class="nobreak" id="prologue">PROLOGUE<br /> -DIVISION DE L’ANNÉE</h2> - - -<p>Toute la vie de l’humanité se divise en quatre périodes : -la période de la déviation ; celle de la rénovation, ou du -retour dans la droite voie ; celle de la réconciliation ; et -celle du pèlerinage. 1<sup>o</sup> La période de la déviation a commencé -avec Adam et a duré jusqu’à Moïse : c’est en effet -Adam qui, le premier, s’est détourné de la voie de Dieu. -Et cette première période est représentée, dans l’Eglise, -par la partie de l’année qui va de la Septuagésime jusqu’à -Pâques. On récite, pendant cette partie de l’année, -le livre de la <i>Genèse</i>, qui est celui où se trouve racontée -la faute de nos premiers parents. 2<sup>o</sup> La période de la -la rénovation a commencé avec Moïse et a duré jusqu’à -la naissance du Christ : c’est en effet la période où, par -les prophètes, les hommes ont été rappelés à la foi, et -renouvelés. Elle est représentée, dans l’Eglise, par la -partie de l’année qui va de l’Avent jusqu’à Noël. Et l’on -y récite Isaïe, qui traite le plus clairement de cette rénovation. -3<sup>o</sup> La période de la réconciliation est celle où, par -le Christ, nous avons été réconciliés avec Dieu. Elle est -représentée, dans l’Eglise, par la partie de l’année comprise -entre Pâques et la Pentecôte. Et on y lit l’Apocalypse, -où est pleinement traité le mystère de cette réconciliation. -4<sup>o</sup> Enfin la période du pèlerinage est celle de -notre vie présente, où nous errons, comme des pèlerins, -à travers mille obstacles. Elle est représentée, dans -l’Eglise, par la partie de l’année qui va de l’octave de la -Pentecôte jusqu’à l’Avent ; et l’on y récite les livres des -<i>Rois</i> et des <i>Macchabées</i>, où sont racontés de nombreux -combats, symbolisant la lutte spirituelle qui nous est imposée. -<span class="pagenum" id="p2">-2-</span> Quant à la section de l’année qui va de Noël jusqu’à -la Septuagésime, elle est classée en partie dans la période -de la réconciliation (depuis Noël jusqu’à l’octave de -l’Epiphanie), et en partie dans la période du pèlerinage -(depuis l’octave de l’Epiphanie jusqu’à la Septuagésime).</p> - -<p>Mais bien que la déviation ait précédé la rénovation, -l’Eglise préfère commencer son année par le temps de la -rénovation, c’est-à-dire l’Avent, et cela pour deux motifs : -1<sup>o</sup> parce que, du fait même que ce temps est celui -de la rénovation, l’Eglise y renouvelle tous ses offices ; -2<sup>o</sup> parce que, en commençant par le temps de la déviation, -elle semblerait commencer par l’erreur. Et voilà -pourquoi elle ne s’en tient pas à suivre l’ordre des temps, -de même que, souvent, ne s’y astreignent pas les évangélistes -dans leurs récits de la vie du Seigneur.</p> - -<p>C’est donc d’après cette division des quatre parties de -l’année ecclésiastique que nous allons procéder à l’étude -des diverses fêtes, en commençant par l’Avent, qui ouvre -la période de la rénovation.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p3">-3-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c1">I<br /> -L’AVENT</h2> - - -<p>L’Avent ou avènement du Seigneur se célèbre pendant -quatre semaines, pour signifier que cet avènement est -de quatre sortes, à savoir : dans la chair, dans l’esprit, -dans la mort, et au Jugement Dernier. La dernière -semaine reste inachevée, pour signifier que la gloire des -élus, telle que la leur donnera le dernier avènement du -Seigneur, n’aura point de fin. Mais bien que l’avènement -soit, en réalité, quadruple, l’Eglise s’occupe spécialement -de deux de ses formes, à savoir de l’avènement dans la -chair et de l’avènement au Jugement Dernier. Et, ainsi, le -jeûne de l’Avent est en partie un jeûne de réjouissance, -en partie de contrition. C’est un jeûne de réjouissance par -égard à l’avènement du Seigneur dans la chair, ou -incarnation ; et c’est un jeûne de contrition par égard à -l’avènement suprême du jugement dernier.</p> - -<p>I. Au sujet de l’avènement dans la chair, on doit -considérer deux choses : son opportunité et son utilité. -Son opportunité résulte d’abord de ce que l’homme, -condamné par sa nature à avoir une connaissance incomplète -de Dieu, était tombé dans les pires erreurs de -l’idolâtrie, et se voyait amené à s’écrier : « Illumine mes -yeux, etc. » En second lieu, le Seigneur est venu dans la -« plénitude du temps », comme le dit saint Paul dans -l’<i>Epître aux Galates</i>. En troisième lieu, il est venu à un -moment où le monde entier était malade, comme le dit -saint Augustin : « Le grand médecin est venu au moment -où le monde entier gisait comme un grand malade. » -C’est pourquoi l’Eglise, dans les sept antiennes qui se -chantent avant la Nativité du Seigneur, rappelle la diversité -du mal et l’opportunité du remède divin. Avant -l’avènement de Dieu dans la chair, nous étions ignorants, -<span class="pagenum" id="p4">-4-</span> soumis aux peines éternelles, esclaves du diable, -enchaînés par l’habitude du péché, entourés de ténèbres, -exilés de notre patrie. C’est pourquoi ces antiennes proclament -tour à tour Jésus comme notre docteur, notre -rédempteur, notre libérateur, notre guide, notre illuminateur, -et notre sauveur.</p> - -<p>Quant à l’utilité de l’avènement du Christ, diverses -autorités la définissent de façons différentes. Jésus-Christ -lui-même, dans l’évangile de saint Luc, nous dit qu’il -est venu pour sept motifs : pour consoler les pauvres, -pour guérir les affligés, pour délivrer les captifs, pour -éclairer les ignorants, pour pardonner aux pécheurs, -pour racheter le genre humain, et pour récompenser -chacun d’après ses mérites. Et saint Bernard dit : « Nous -souffrons d’une triple maladie : nous sommes faciles à -séduire, faibles à agir, et fragiles à résister. En conséquence, -l’avènement du Sauveur est nécessaire, d’abord, -pour illuminer notre aveuglement, en second lieu pour -secourir notre faiblesse, et en troisième lieu pour protéger -notre fragilité. »</p> - -<p>II. Au sujet du second avènement, c’est-à-dire du -Jugement Dernier, nous devons considérer, tour à tour, -les circonstances qui le précéderont, et celles qui l’accompagneront.</p> - -<p>1<sup>o</sup> Les circonstances qui précéderont le Jugement Dernier -sont de trois sortes : des signes terribles, l’imposture -de l’Antéchrist, et un immense incendie.</p> - -<p>Les signes qui doivent précéder le Jugement Dernier -sont au nombre de cinq : car saint Luc dit : « Il y -aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les -étoiles ; sur la terre, les nations seront consternées, et la -mer fera un bruit effroyable par l’agitation de ses flots. » -Toutes choses dont on trouvera le commentaire au livre -de l’<i>Apocalypse</i>.</p> - -<p>Saint Jérôme, de son côté, a trouvé dans les annales -des Hébreux quinze signes précédant le Jugement Dernier : -1<sup>o</sup> le premier jour, la mer s’élèvera à quarante -coudées au-dessus des montagnes, et se dressera immobile -comme un mur ; 2<sup>o</sup> le deuxième jour, elle descendra -<span class="pagenum" id="p5">-5-</span> si bas qu’on pourra à peine la voir ; 3<sup>o</sup> le troisième -jour, des monstres marins, apparaissant sur les flots, -pousseront des rugissements qui s’élèveront jusqu’au -ciel ; 4<sup>o</sup> le quatrième jour, l’eau de la mer brûlera ; -5<sup>o</sup> le cinquième jour, les arbres et tous les végétaux -dégageront une rosée sanglante ; 6<sup>o</sup> le sixième jour, les -édifices s’écrouleront ; 7<sup>o</sup> le septième jour, les pierres -se briseront en quatre parties, qui toutes s’entre-choqueront ; -8<sup>o</sup> le huitième jour, aura lieu un tremblement de -terre universel, qui couchera sur le sol hommes et -bêtes ; 9<sup>o</sup> le neuvième jour, la terre se nivellera, réduisant -en poussière montagnes et collines ; 10<sup>o</sup> le dixième jour, -les hommes sortiront des cavernes, et erreront comme -des insensés, sans pouvoir se parler ; 11<sup>o</sup> le onzième jour, -les ossements des morts sortiront des tombeaux ; 12<sup>o</sup> le -douzième jour, les étoiles tomberont ; 13<sup>o</sup> le treizième -jour, tous les êtres vivants mourront pour ressusciter -ensuite avec les morts ; 14<sup>o</sup> le quatorzième jour, le ciel -et la terre brûleront ; 15<sup>o</sup> le quinzième jour, il y aura un -nouveau ciel et une nouvelle terre, et tous ressusciteront.</p> - -<p>En second lieu, le Jugement Dernier sera précédé de -l’imposture de l’Antéchrist, qui essaiera de tromper les -hommes en quatre manières : 1<sup>o</sup> par une fausse exposition -des écritures, d’où il essaiera de prouver qu’il est le -Messie promis par la loi ; 2<sup>o</sup> par l’accomplissement de -miracles ; 3<sup>o</sup> par la distribution de présents ; 4<sup>o</sup> par l’infliction -de supplices.</p> - -<p>En troisième lieu, le Jugement Dernier sera précédé -d’un violent incendie, allumé par Dieu pour renouveler -le monde, pour faire souffrir les damnés, et pour mettre -en lumière la troupe des élus.</p> - -<p>2<sup>o</sup> Quant aux circonstances qui accompagneront le Jugement -Dernier, on doit nommer d’abord la répartition des -bons et des méchants : car on sait que le juge descendra -dans la Vallée de Josaphat et mettra les bons à sa droite, -et les méchants à sa gauche. Ce qui ne signifie point, -ainsi que le dit très justement saint Jérôme, que tous les -hommes doivent parvenir à prendre place dans cette -petite vallée, mais seulement que là sera le centre du -<span class="pagenum" id="p6">-6-</span> jugement : sans compter que rien n’empêchera Dieu, s’il -le veut, de faire tenir en un petit espace un nombre infini -de personnes.</p> - -<p>Vient ensuite la question de savoir en combien de -catégories seront répartis les hommes, au Jugement Dernier. -Saint Grégoire admet quatre catégories, dont deux -parmi les damnés, et deux parmi les élus. Car, parmi les -damnés, il y en aura qui seront jugés, et d’autres qui -seront condamnés d’avance, à savoir ceux dont il est dit : -« Celui qui ne croira pas, il sera jugé d’avance ! » Du -côté des élus, il y en aura qui seront jugés, et d’autres, -les hommes parfaits, jugeront les autres, en ce sens -qu’ils siégeront à côté du juge.</p> - -<p>Figureront également, au Jugement Dernier, les -insignes de la passion : la croix, les clefs et les cicatrices -du corps ; et Chrysostome dit que « la croix et les -cicatrices seront plus brillantes que les rayons du -soleil ».</p> - -<p>Le Juge sera d’une sévérité inflexible. Il ne se laissera -fléchir, en effet, ni par la peur, car il est tout-puissant, -ni par les présents, car il est la richesse même, ni par -la haine, car il est la bonté même, ni par l’amour, car il -est la justice même, ni par l’erreur, car il est la sagesse -même. Et contre cette sagesse ne pourront prévaloir ni -les allégations des avocats, ni les sophismes des philosophes, -ni les périodes des orateurs, ni les ruses des -hypocrites.</p> - -<p>Et autant le Juge sera sévère, autant l’accusateur sera -implacable. Ou plutôt le pécheur aura en face de lui -trois accusateurs : 1<sup>o</sup> le diable ; 2<sup>o</sup> le péché lui-même ; -3<sup>o</sup> le monde entier ; car, comme le dit Chrysostome : -« Ce jour-là, le ciel et la terre, l’eau, le soleil et la lune, -le jour et la nuit, en un mot le monde entier se dressera -contre nous devant Dieu, en témoignage de nos péchés. »</p> - -<p>Et, de même, trois témoins déposeront contre nous, -tous les trois infaillibles. En premier lieu, Dieu lui-même, -qui nous dit par la voix de Jérémie : « Je suis à -la fois juge et témoin. » En second lieu, notre conscience. -En troisième lieu l’ange délégué pour notre garde ; car -<span class="pagenum" id="p7">-7-</span> nous lisons dans le livre de Job : « Les cieux (c’est-à-dire -les anges) révéleront son iniquité. »</p> - -<p>Enfin la sentence sera irrévocable. En effet, une sentence -est irrévocable pour trois motifs : 1<sup>o</sup> l’excellence -du juge ; 2<sup>o</sup> l’évidence de la faute ; 3<sup>o</sup> l’impossibilité de -différer le châtiment. Or, dans la sentence prononcée -contre nous au Jugement Dernier, ces trois conditions -se trouveront remplies ; et il n’y aura point de roi, d’empereur, -ni de pape, à qui nous puissions faire appel du -jugement prononcé contre nous.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c2">II<br /> -SAINT ANDRÉ, <span class="small">APÔTRE<br /> -(30 novembre)</span></h2> - - -<p>Le martyre de saint André nous a été raconté par -des prêtres et des diacres de Grèce et d’Asie, témoins -oculaires de ses derniers instants.</p> - -<p>I. Saint André et quelques autres disciples furent -appelés par le Seigneur à trois reprises successives. La -première fois, le Seigneur les appela à sa <i>connaissance</i>. -André était un jour auprès de son maître Jean, lorsque -celui-ci s’écria : « Voici venir l’Agneau de Dieu… etc. » -Et aussitôt André alla rejoindre Jésus, et resta près de -lui toute une journée. Il amena aussi à Jésus son frère -Simon, l’ayant rencontré sur son chemin. Puis, le jour -suivant, il revint à son métier, qui était de pêcher le -poisson. Mais, quelque temps après, Jésus l’appela à sa -<i>familiarité</i>. Etant venu, avec une grande foule, au bord -du lac de Génésareth, que l’on appelle aussi mer de -Galilée, il entra dans la barque de Simon et d’André, et -prit une masse énorme de poisson. Alors André appela -Jacques et Jean, qui étaient dans une autre barque ; et -ils suivirent le Seigneur : après quoi, de nouveau, ils -<span class="pagenum" id="p8">-8-</span> revinrent à leur métier. Mais bientôt le Seigneur les -appela une troisième fois, et cette fois à son <i>discipulat</i>. Se -promenant un jour sur les bords du même lac, où André -et ses compagnons étaient occupés à pêcher, il leur fit -signe de jeter leurs filets, en leur disant : « Suivez-moi, -je vous ferai pêcheurs d’hommes ! » Et ils le suivirent, -et jamais plus ils ne revinrent à leur métier de pêcheurs. -Une quatrième fois encore, du reste, le Seigneur appela -André ; ce fut, cette fois, à son <i>apostolat</i>, ainsi que le -raconte l’évangéliste saint Marc, en son chapitre troisième. -Il appela ceux qu’il s’était choisis, et ils vinrent à -lui, et il fit en sorte qu’ils fussent au nombre de douze.</p> - -<p>Après l’ascension du Seigneur, les apôtres s’étant -séparés, André alla pêcher en Scythie, et Matthieu en -Ethiopie. Or les Ethiopiens, refusant d’admettre la -prédication de Matthieu, lui arrachèrent les yeux, le -lièrent de chaînes, et le jetèrent en prison, avec l’intention -de le mettre à mort peu de jours après. Alors -un ange apparut à saint André, et lui enjoignit de se -rendre en Ethiopie auprès de saint Matthieu. Saint -André ayant répondu qu’il ne connaissait pas le chemin, -l’ange lui ordonna d’aller au bord de la mer, et, là, -d’entrer dans le premier vaisseau qu’il rencontrerait. -C’est ce que s’empressa de faire André ; et le vaisseau -ne tarda pas à le conduire, avec un vent favorable, jusqu’à -la ville où était saint Matthieu. Puis, sous la garde -de l’ange, il pénétra dans la prison de l’évangéliste, et, -à sa vue, pleura beaucoup et pria. Et voici que le Seigneur, -à sa demande, rendit à Matthieu le bienfait de la -vue, dont l’avait privé la cruauté des infidèles. Et -Matthieu sortit de sa prison, et se rendit à Antioche. -Mais André, au contraire, resta en Ethiopie, où les -habitants, furieux de l’évasion de son ami, s’emparèrent -de lui et le traînèrent par les places, les mains liées. -Son sang coulait en abondance : et lui, cependant, il ne -cessait pas de prier Dieu pour ses persécuteurs, de telle -sorte qu’il finit par les convertir. Et c’est après cela qu’il -partit pour la Grèce. — Voilà, du moins, ce que l’on -raconte ; mais j’ai, quant à moi, beaucoup de peine à y -<span class="pagenum" id="p9">-9-</span> croire : car le fait de la délivrance et de la guérison de -saint Matthieu par saint André impliquerait, — chose -bien peu vraisemblable, — que ce grand évangéliste -n’aurait pu obtenir, par lui-même, ce que son frère André -aurait si facilement obtenu pour lui.</p> - -<p>II. Un jeune homme de famille noble avait été converti -par saint André et s’était attaché à lui, malgré la défense -de ses parents : sur quoi ceux-ci mirent le feu à la maison -où il demeurait avec l’apôtre. Et comme déjà la flamme -s’élevait, le jeune homme versa sur elle l’eau d’un flacon, -et aussitôt le feu s’éteignit. Alors les parents dirent : -« Notre fils est devenu sorcier ! » Et, ayant approché une -échelle, ils voulurent y monter pour s’emparer de leur -fils : mais Dieu les rendit aveugles, de telle façon qu’ils -ne pouvaient pas voir les degrés de l’échelle. Et un -homme qui passait par là leur cria : « Pourquoi vous -épuiser en une tâche vaine ? Ne voyez-vous donc pas -que Dieu combat pour eux ? Hâtez-vous de céder, de -peur que la colère de Dieu ne tombe sur vous ! » Et beaucoup, -voyant cela, crurent au Seigneur. Quant aux -parents du jeune homme, ils moururent au bout de cinquante -jours.</p> - -<p>III. Certaine femme, qui était mariée à un assassin, se -trouvait en couches et ne parvenait pas à enfanter. Elle -dit alors à sa sœur : « Va invoquer pour moi notre maîtresse -Diane ! » Mais, au lieu de Diane, ce fut le diable -qui répondit. « Inutile de m’invoquer, dit-il à la sœur, -car je ne puis rien pour toi. Va trouver plutôt l’apôtre -André : celui-là pourra secourir ta sœur ! » Elle alla donc -trouver saint André, et l’amena au lit de sa sœur malade, -Et l’apôtre dit à celle-ci : « Tu mérites ta souffrance, car -tu t’es mal mariée, tu as mal conçu, et, pour comble, tu -as invoqué l’aide des mauvais esprits. Mais repens-toi, -crois au Christ, et tu enfanteras ! » Et, en effet, la femme -ayant cru, elle mit au monde un enfant mort, et sa douleur -cessa.</p> - -<p>IV. Un vieillard, nommé Nicolas, vint un jour trouver -saint André et lui dit : « Maître, voici que j’ai soixante-dix -ans, et jamais je n’ai cessé de m’adonner à la luxure. -<span class="pagenum" id="p10">-10-</span> J’ai cependant admis l’Evangile, et prié Dieu de vouloir -bien m’accorder le don de la continence. Mais, invétéré -dans le péché, et séduit par de mauvais désirs, au sortir -même de tes prédications je retournais aussitôt à mon vice -accoutumé. Or, hier, enflammé par la concupiscence, j’ai -oublié que je tenais en main l’évangile, et je suis allé -dans une maison de débauche. Et voilà que la prostituée -s’écrie en m’apercevant : « Sors d’ici, vieillard, sors -d’ici, ne me touche pas, et ne tente pas d’entrer -dans cette maison : car je vois sur toi des choses merveilleuses, -qui me prouvent que tu dois être un messager -de Dieu ! » Et moi, stupéfait de ces paroles, je me -suis rappelé que je tenais en main l’Evangile. Or, maintenant, -saint apôtre de Dieu, je viens à toi pour que ta -pieuse prière intercède auprès de Dieu et obtienne mon -salut. » Ce qu’ayant entendu, le bienheureux André se -mit à pleurer, et il resta en prière depuis la troisième -heure jusqu’à la neuvième ; et, quand il se releva, il -refusa de manger, disant : « Je ne mangerai pas jusqu’à ce -que je sache si le Seigneur a eu pitié de ce pauvre vieillard ! » -Et, après qu’il eût jeûné ainsi pendant cinq jours, -une voix d’en haut lui dit : « André, tu as obtenu la grâce -du vieillard. Mais de même que tu t’es macéré en jeûnant -pour lui, de même il doit à son tour jeûner pour -mériter son salut. » Et le vieillard fit ainsi : durant six -mois il jeûna au pain et à l’eau ; après quoi il s’endormit -en paix, plein de bonnes œuvres. Et de nouveau -André entendit la voix, qui, cette fois, lui dit : « Ta prière -m’a rendu Nicolas, que j’avais perdu ! »</p> - -<p>V. Or, comme l’apôtre était dans la ville de Nicée, les -habitants lui dirent que, aux portes de la ville, sur le -chemin, se tenaient sept démons qui tuaient les passants. -Alors l’apôtre, en présence du peuple, ordonna à ces -démons de venir vers lui, et aussitôt ils vinrent, sous -forme de chiens. Et l’apôtre leur ordonna d’aller dans -quelque autre endroit. Sur quoi les démons s’enfuirent. -Et les témoins de ce miracle reçurent la foi du Christ. -Mais voilà qu’en arrivant aux portes d’une autre ville -André rencontra le cadavre d’un jeune homme, qu’on -<span class="pagenum" id="p11">-11-</span> emmenait pour l’ensevelir. Et on lui dit que sept chiens -étaient venus la nuit, qui avaient tué ce jeune homme -dans son lit. Et l’apôtre, tout en larmes, s’écria : « Je -sais, Seigneur, que ce sont les sept démons que j’ai -chassés de Nicée ! » Puis il dit au père : « Que me donneras-tu, -si je ressuscite ton fils ? » — « Je n’avais rien -de plus cher que lui, répondit le père : c’est donc lui -que je te donnerai ! » Et, André ayant prié le Seigneur, -le jeune homme se releva et le suivit.</p> - -<p>VI. Des hommes, au nombre de quarante, venaient par -mer vers l’apôtre, afin de recevoir de lui la doctrine de -la foi, lorsque le diable souleva une tempête si forte que -tous furent noyés. Mais, leurs corps ayant été jetés par -les vagues sur le rivage, l’apôtre les ressuscita aussitôt. -Et chacun d’eux raconta le miracle qui lui était arrivé. -De là vient que, dans une hymne de l’office du saint, -nous lisons :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse" lang="la" xml:lang="la">Quaterdenos juvenes,</div> -<div class="verse" lang="la" xml:lang="la">Submersos maris fluctibus,</div> -<div class="verse" lang="la" xml:lang="la">Vitæ reddidit usibus.</div> -</div> - -<p>VII. Ainsi le bienheureux André, s’étant fixé en Achaïe, -remplit d’églises toute cette région et amena un grand -nombre de ses habitants à la foi du Christ. Il convertit, -entre autres, la femme du proconsul Egée, et la régénéra -par l’eau sainte du baptême. Mais le proconsul, dès qu’il -l’apprit, entra dans la ville de Patras, et ordonna aux -chrétiens de sacrifier aux idoles. Alors André, s’avançant -vers lui, lui dit : « Toi qui as mérité de devenir juge sur -cette terre, tu as le devoir de reconnaître ton juge qui -est au ciel, et, l’ayant reconnu, de l’adorer, et, l’ayant -adoré, de renoncer complètement au culte des faux -dieux ! » Mais Egée lui répondit : « Je vois que tu es cet -André qui prêche l’hérésie malfaisante que les princes -de Rome ont naguère ordonné d’exterminer ! » Et André : -« C’est que les princes de Rome ne savaient pas encore -comment le Fils de Dieu a enseigné que vos idoles étaient -des démons, dont l’enseignement est fait pour offenser -<span class="pagenum" id="p12">-12-</span> Dieu, de telle sorte que, Dieu les ayant abandonnés, le -diable s’empare d’eux et les trompe à loisir, jusqu’au -jour où leurs âmes se dépouillent de leur corps et se -trouvent nues, ne portant avec elles que leurs péchés. » -A quoi Egée : « Votre Jésus, pendant qu’il vous apprenait -ces sottises, on l’a attaché à la potence ! » Et -André : « C’est pour nous rendre notre salut et non -pour racheter sa propre faute qu’il a spontanément -subi le supplice de la croix. » Alors Egée : « Comment -peux-tu dire qu’il ait subi spontanément le supplice -de la croix, tandis que nous savons qu’il a été livré -par un de ses disciples, et emprisonné par les Juifs, -et crucifié par les soldats ? » Alors André se mit à -démontrer, par cinq arguments, que la passion du Christ -avait été volontaire, car : 1<sup>o</sup> le Christ avait prévu sa passion -et l’avait prédite à ses disciples, en disant : « Voici -que nous montons à Jérusalem, etc. » ; 2<sup>o</sup> il s’était irrité -lorsque Pierre avait exprimé le désir de l’en détourner ; -3<sup>o</sup> il avait affirmé qu’il avait le pouvoir, à la fois, de souffrir -et de ressusciter ; 4<sup>o</sup> il avait désigné d’avance l’homme -qui le livrerait, avait rompu le pain avec lui, et n’avait -rien fait pour l’éviter ; 5<sup>o</sup> enfin il s’était rendu dans l’endroit -où il savait que le traître viendrait l’arrêter. Et -André ajouta que le mystère de la croix était grand. -« Ce n’est pas le moins du monde un mystère, mais -un supplice ! — lui répondit Egée. — Et si tu refuses de -m’obéir, je te ferai goûter, à toi aussi, de ce même -mystère ! » — « Si j’avais peur du supplice de la croix, -répondit André, je ne prêcherais pas la gloire de la -Croix. Mais d’abord je veux t’apprendre le mystère de -la croix, afin que, peut-être, tu consentes à y croire, et -à être sauvé ! »</p> - -<p>Et il se mit alors à lui exposer le mystère de la rédemption, -lui prouvant, par cinq arguments, combien ce -mystère était nécessaire et logique, car : 1<sup>o</sup> le premier -homme ayant suscité la mort au moyen d’un objet en -bois, qui était l’arbre du bien et du mal, c’était chose -nécessaire et logique que le Fils de l’Homme chassât -la mort en mourant lui-même sur un objet de bois ; -<span class="pagenum" id="p13">-13-</span> 2<sup>o</sup> le coupable étant fait de terre immaculée, c’était -chose nécessaire et logique que le Rédempteur naquît -d’une vierge immaculée ; 3<sup>o</sup> Adam ayant étendu la main -vers le fruit défendu, c’était chose nécessaire et logique -que le second Adam étendît sur la croix ses mains immaculées ; -4<sup>o</sup> Adam ayant goûté, malgré la défense de Dieu, -une nourriture délicieuse, c’était chose nécessaire et -logique (afin que le contraire chassât le contraire) que -Jésus fût nourri de fiel ; 5<sup>o</sup> Jésus faisant part à l’homme -de sa propre immortalité, c’était chose nécessaire et -logique qu’il prît, en échange, à l’homme sa mortalité. -Car si Dieu n’était pas devenu mortel, l’homme n’aurait -pu devenir immortel.</p> - -<p>Alors Egée : « Tu iras conter toutes ces sottises à -ceux de ta secte ; mais en attendant, tu vas m’obéir, et -sacrifier aux dieux tout-puissants ! » Et André : « A Dieu -tout-puissant j’offre tous les jours un Agneau sans tache, -qui, après qu’il a été mangé par tout le peuple, demeure -vivant et tout entier. » Et Egée : « Eh bien, je vais te -faire torturer jusqu’à ce que tu m’aies prouvé que tu es -capable de réaliser ce miracle ! » Et aussitôt, il le fit -emprisonner.</p> - -<p>Le lendemain matin, étant monté sur son tribunal, il -somma de nouveau André de sacrifier aux idoles, lui -disant : « Si tu refuses de m’obéir, je te ferai attacher à -cette croix que tu vantes si fort ! » Et il le menaçait -encore d’autres supplices ; mais l’apôtre lui répondit : -« Ne crains pas d’inventer le supplice qui te paraîtra le -plus terrible : car, aux yeux de mon Roi, je serai d’autant -plus bienvenu que j’aurai plus souffert patiemment en -son nom ! » Alors Egée ordonna à vingt et un hommes -de le saisir et de le lier à la croix par les mains et les -pieds, afin que son supplice durât plus longtemps.</p> - -<p>Et, comme on le conduisait à la croix, une foule -s’amassa, disant : « Son sang innocent va périr injustement ! » -Mais l’apôtre leur demanda de ne rien faire -pour empêcher son martyre. Puis, du plus loin qu’il -aperçut la croix, il la salua, disant : « Salut, croix, qui -as été sanctifiée par le corps du Christ, et ornée de ses -<span class="pagenum" id="p14">-14-</span> membres comme de pierres précieuses ! Avant que le -Seigneur fût attaché sur toi, tu inspirais la peur terrestre ; -mais, désormais, tu obtiens l’amour céleste, et -l’on te souhaite comme un bienfait. Aussi vais-je à toi -assuré et joyeux, pour que tu m’accueilles amicalement, -moi, le disciple de Celui qu’on a pendu sur toi : car je -t’ai toujours aimée, et ai aspiré à ton embrassement. -O bonne croix, ennoblie et embellie par les membres du -Seigneur ! Longtemps désirée, constamment aimée, -sans cesse recherchée, prends-moi aux hommes et rends-moi -à mon Maître, afin que celui-ci, m’ayant racheté -par toi, me reçoive de toi ! » Et, disant ces paroles, il se -dévêtit, et livra ses vêtements à ses bourreaux, qui -l’attachèrent sur la croix comme on le leur avait -ordonné. André y resta, vivant, pendant deux jours, et -prêcha à une foule de vingt mille personnes. Le troisième -jour, cette foule commença à menacer de mort le -proconsul Egée, disant que c’était chose abominable de -faire souffrir ainsi un saint homme plein de douceur et -de piété. Et Egée, effrayé, vint le faire détacher de la -croix. Mais André, en l’apercevant, lui dit : « Te voici, -Egée ? Que si tu viens pour faire pénitence, tu auras -ton pardon ; mais si tu viens pour me faire détacher de -la croix, sache que je ne dois pas en descendre vivant ! -Et déjà je vois mon Roi qui m’attend aux cieux ! »</p> - -<p>Des soldats voulurent le délier, mais ils ne purent pas -le toucher, car aussitôt leurs bras retombaient inertes. -Et André, voyant que la foule voulait le détacher, fit, sur -sa croix, cette prière, qu’a rapportée saint Augustin -dans son livre <i>De la Pénitence</i> : « Seigneur, ne permets -pas que je descende vivant de cette croix : car il est -temps que tu livres mon corps à la terre. Je l’ai porté si -longtemps, j’ai tant veillé, et peiné, que je voudrais -maintenant être délivré de cette obéissance, et déchargé -de ce lourd fardeau. Aussi longtemps que j’ai pu, Père -bienfaisant, j’ai résisté aux attaques de mon corps, et, -avec ton aide, je l’ai vaincu. Mais maintenant je te -demande, comme récompense, de ne plus m’ordonner -cette lutte, et de reprendre le dépôt que tu m’as confié. -<span class="pagenum" id="p15">-15-</span> Confie-le maintenant à la terre, pour qu’elle le garde ; -et me le rende au jour de la résurrection des corps, afin -que, lui aussi, il ait la récompense qu’il a méritée ! Et -fais en sorte que je n’aie plus besoin de veiller, et que -mon corps ne m’empêche plus de tendre librement vers -toi, Source de la vie et des joies éternelles ! »</p> - -<p>Quand il eut dit ces paroles, une lumière éblouissante, -descendant du ciel, l’entoura pendant une demi-heure, -qui le fit invisible ; et, quand cette lumière se dissipa, -il rendit l’âme. Maximilla, la femme d’Egée, emporta -son corps et l’ensevelit honorablement. Mais Egée, avant -de rentrer dans sa maison, fut saisi par un démon et -expira dans la rue, en présence de tous.</p> - -<p>On a dit aussi que, du tombeau de saint André, se -dégageaient une manne en forme de farine et une huile -odorante, d’après lesquelles les habitants de la région -pouvaient prévoir quelle serait la fécondité de l’année -qui venait : car si l’huile coulait abondante, c’était signe -que la terre porterait beaucoup de fruits, et inversement. -Et cela peut en effet avoir eu lieu jadis ; mais -aujourd’hui on admet généralement que le corps du -saint n’est plus à Patras, ayant été transporté à Constantinople.</p> - -<p>VIII. Certain pieux évêque avait pour saint André une -vénération si particulière que, sur le titre de chacun de ses -ouvrages, il inscrivait toujours : « En l’honneur de Dieu -et de saint André. » Or le vieil ennemi du genre humain, -jaloux de la sainteté de cet évêque, concentra sur lui -toute sa ruse. Ayant pris la forme d’une femme merveilleusement -belle, il vient à l’évêché et demande à se confesser. -L’évêque renvoie la femme à son pénitencier, qui -a plein pouvoir pour entendre sa confession. Mais la -femme répond qu’elle a sur la conscience des secrets -qu’elle ne peut révéler qu’à l’évêque lui-même. De sorte -que celui-ci la laisse enfin entrer. Et elle : « Par grâce, -Seigneur, aie pitié de moi ! Je suis fille d’un roi puissant, -qui a voulu me marier à un grand prince ; et je lui ai -déclaré que j’avais horreur de tout lit conjugal, ayant -dédié pour toujours au Christ ma virginité. Puis, me -<span class="pagenum" id="p16">-16-</span> voyant exposée aux pires supplices si je persistais dans -mon refus, j’ai pris le parti de m’enfuir, et me suis réfugiée -sous les ailes de votre sainteté, avec l’espoir de -trouver auprès de vous un lieu où je puisse me livrer en -repos à la contemplation, éviter les naufrages de la vie, -et échapper aux rumeurs du monde. » Sur quoi l’évêque, -admirant chez une personne aussi noble et aussi belle -tant de ferveur et tant d’éloquence, lui répondit avec -bonté : « Ma fille, sois sans crainte, car Celui pour -l’amour duquel tu as si courageusement dédaigné toi-même -et les tiens, celui-là t’accordera dans cette vie le -comble de sa grâce et, dans la vie à venir, la plénitude de -sa gloire. Et moi, son serviteur, je me mets à ta disposition -avec tout ce que j’ai ; et je veux qu’aujourd’hui tu -manges à ma table. » Mais elle : « Non, mon père, ne me -demande point cela, de peur qu’il n’en résulte quelque méchant -soupçon dont l’éclat de ta renommée puisse avoir -à souffrir ! » Et l’évêque : « Nous ne serons pas seuls à -table, ce qui fait qu’aucun méchant soupçon ne pourra -se produire ! »</p> - -<p>A table, l’évêque et cette femme s’assirent l’un en -face de l’autre ; et il ne cessait point de considérer son -visage et d’admirer sa beauté. Et, pendant que ses -yeux la fixaient, son âme se blessait : l’antique ennemi -de notre race y enfonçait profondément sa flèche. -La femme devenait plus belle d’instant en instant ; et -déjà l’évêque était sur le point de consentir à commettre -avec elle une œuvre illicite dès qu’une occasion s’offrirait -à lui, lorsque, tout à coup, un pèlerin se présenta -devant la porte, y frappant à grands coups pour être -introduit. On refusa de lui ouvrir, mais il se mit à frapper -et à crier de plus belle. Enfin l’évêque demanda à la -femme si elle ne voyait pas d’empêchement à ce qu’on -laissât entrer cet étranger. Et elle : « Qu’on lui propose -une question très difficile à résoudre ! S’il la résout, qu’on -le fasse entrer ; sinon qu’on le chasse ! » La proposition -est adoptée ; et l’on commence à chercher la question -que l’on posera. Puis, comme personne ne la trouve, -l’évêque dit à la femme : « Personne de nous ne -<span class="pagenum" id="p17">-17-</span> saurait trouver cette question aussi bien que toi, belle -dame, qui nous surpasses tous en sagesse et en -éloquence ! » Alors la femme : « Demandez-lui ce que -Dieu a jamais fait de plus étonnant ! » On transmit la -question à l’étranger, qui fit répondre : « C’est la diversité -et l’excellence des visages : car, parmi la foule -innombrable d’hommes créés ou à créer, depuis le commencement -jusqu’à la fin du monde, il n’y en a point -deux qui aient le même visage, et cependant Dieu a -placé dans chacun de ces visages le siège de tous les -sens du corps. » Ce qu’entendant, l’assistance dit : -« Voilà une excellente réponse ! » Alors la femme : -« Qu’on lui propose une seconde question, plus difficile -à résoudre ! Qu’on lui demande en quel lieu la terre est -plus haute que tout le ciel ! » Réponse de l’étranger : -« C’est dans le ciel empyrée, où réside le corps du Christ. -Car ce corps, qui est plus haut que tout le ciel, peut être -considéré comme terrestre, puisqu’il est formé de notre -chair. » Cette seconde réponse reçoit la même approbation -de toute l’assistance. Mais la femme dit : « Avant -d’admettre cet homme à la table de l’évêque, qu’on lui -pose une troisième question, plus difficile encore ! Qu’on -lui demande quelle distance il y a de la terre au ciel ! » -A quoi l’étranger fait répondre : « Va plutôt poser cette -question à celui qui t’a envoyée ici ! Il connaît, en effet, -cette distance mieux que moi, ayant eu à la mesurer -quand il est tombé du ciel dans l’abîme. Car l’être qui -me pose ces questions n’est pas une femme, mais un -diable qui a revêtu la forme d’une femme ! » Et pendant -que le messager revenait rapporter cette réponse, à la -stupeur de tous, la femme disparut. Aussitôt l’évêque, -rentrant en lui-même, se fit d’amers reproches ; et il -envoya vite chercher l’étranger ; mais celui-ci avait également -disparu. Alors l’évêque convoqua le peuple, lui -confessa tout, et lui demanda de commencer des jeûnes -et des prières pour que Dieu daignât révéler qui était cet -étranger qui l’avait délivré d’un si grand péril. Et, cette -nuit-là même, Dieu révéla à l’évêque que c’était saint -André qui, pour le sauver, était venu à lui vêtu en pèlerin.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p18">-18-</span> IX. Le préfet d’une ville s’était emparé d’un champ dépendant -d’une église de saint André. Sur les prières de -l’évêque, il fut aussitôt saisi de fièvres. Il demanda donc -à l’évêque de prier pour lui, promettant de restituer le -champ s’il recouvrait la santé. Mais lorsqu’il l’eut recouvrée, -il s’appropria le champ de nouveau. Alors l’évêque, -avant de se mettre en prière, brisa toutes les lampes de -l’église, en disant : « Que cette lumière ne se rallume -pas aussi longtemps que Dieu ne se sera point vengé de -son ennemi, et n’aura point fait rendre à l’église le bien -qui lui a été ravi ! » Aussitôt voici le préfet ressaisi de -ses fièvres. Il envoie demander à l’évêque de prier pour -lui ; et comme l’évêque lui répond qu’il l’a déjà fait, et -que Dieu l’a exaucé, il se fait porter chez lui et le contraint -à entrer avec lui dans l’église, pour prier de nouveau -à son intention. Mais à peine l’évêque a-t-il pénétré -dans l’église que le préfet meurt ; et aussitôt le -champ est restitué à l’église.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c3">III<br /> -SAINT NICOLAS, <span class="small">ÉVÊQUE ET CONFESSEUR<br /> -(6 décembre)</span></h2> - - -<p>La légende de saint Nicolas a été écrite par des docteurs -d’Argos, qui est une ville de la Grèce, et de là -viendrait, d’après Isidore, le nom d’Argoliques donné -aux Grecs. Et l’on dit aussi que cette légende a d’abord -été écrite en grec par le patriarche Méthode, puis traduite -en latin, avec de nombreuses additions, par le diacre Jean.</p> - -<p>I. Nicolas, citoyen de la ville de Patras, était né de -parents riches et pieux. Son père s’appelait Epiphane, -sa mère Jeanne. Ses parents, après l’avoir enfanté dans -la fleur de leur âge, s’abstinrent ensuite de tout contact -charnel. Le jour même de sa naissance, Nicolas, comme on -<span class="pagenum" id="p19">-19-</span> le baignait, se dressa et se tint debout dans la baignoire ; -et, durant toute son enfance il ne prenait le sein que -deux fois par semaine, le mercredi et le vendredi. Dans -sa jeunesse, évitant les plaisirs lascifs de ses compagnons, -il fréquentait les églises, et retenait dans sa mémoire -tous les passages des Saintes Ecritures qu’il y entendait.</p> - -<p>A la mort de ses parents, devenu très riche, il chercha -un moyen d’employer ses richesses, non pour l’éloge des -hommes, mais pour la gloire de Dieu. Or un de ses -voisins, homme d’assez noble maison, était sur le point, -par pauvreté, de livrer ses trois jeunes filles à la prostitution, -afin de vivre de ce que rapporterait leur débauche. -Dès que Nicolas en fut informé, il eut horreur d’un tel -crime, et, enveloppant dans un linge une masse d’or, il -la jeta, la nuit, par la fenêtre, dans la maison de son voisin, -après quoi il s’enfuit sans être vu. Et le lendemain -l’homme, en se levant, trouva la masse d’or : il rendit -grâces à Dieu, et s’occupa aussitôt de préparer les noces -de l’aînée de ses filles. Quelque temps après, le serviteur -de Dieu lui donna, de la même façon, une nouvelle masse -d’or. Le voisin, en la trouvant, éclata en grandes louanges, -et se promit à l’avenir de veiller pour découvrir qui -c’était qui venait ainsi en aide à sa pauvreté. Et comme, -peu de jours après, une masse d’or deux fois plus grande -encore était lancée dans sa maison, il entendit le bruit -qu’elle fit en tombant. Il se mit alors à poursuivre Nicolas, -qui s’enfuyait, et à le supplier de s’arrêter afin qu’il pût -voir son visage. Il courait si fort qu’il finit par rejoindre -le jeune homme, et put ainsi le reconnaître. Se prosternant -devant lui, il voulait lui baiser les pieds ; mais -Nicolas se refusa à ses remerciements, et exigea que, -jusqu’à sa mort, cet homme gardât le secret sur le service -qu’il lui avait rendu.</p> - -<p>II. Après cela, l’évêque de la ville de Myre étant mort, -tous les évêques de la région se réunirent afin de pourvoir -à son remplacement. Il y avait parmi eux un certain -évêque de grande autorité, de l’avis duquel dépendait -l’opinion de tous ses collègues. Et cet évêque, les ayant -tous exhortés à jeûner et à prier, entendit dans la nuit -<span class="pagenum" id="p20">-20-</span> une voix qui lui disait de se poster le matin à la porte de -l’église, et de consacrer comme évêque le premier -homme qu’il verrait y entrer. Aussitôt il révéla cet avertissement -aux autres évêques, et s’en alla devant la porte -de l’église. Or, par miracle, Nicolas, envoyé de Dieu, se -dirigea vers l’église avant l’aube, et y entra le premier. -L’évêque, s’approchant de lui, lui demanda son nom. Et -lui, qui était plein de la simplicité de la colombe, répondit -en baissant la tête : « Nicolas, serviteur de Votre -Sainteté. » Alors les évêques, l’ayant revêtu de brillants -ornements, l’installèrent dans le siège épiscopal. Mais -lui, dans les honneurs, conservait toujours son ancienne -humilité et la gravité de ses mœurs ; il passait ses nuits -en prières, macérait son corps, fuyait la société des -femmes ; et il était humble dans son accueil, efficace -dans sa parole, actif dans ses conseils, sévère dans ses -réprimandes. — Une chronique rapporte aussi que saint -Nicolas prit part au Concile de Nicée.</p> - -<p>III. Un jour, des matelots, se trouvant en péril sur la -mer, prièrent ainsi avec des larmes : « Nicolas, serviteur -de Dieu, si ce que l’on nous a dit de toi est vrai, -fais que nous l’éprouvions à présent ! » Aussitôt quelqu’un -apparut devant eux, qui avait la figure du saint, -et qui leur dit : « Vous m’avez appelé, me voici ! » Et -il se mit à les aider, avec les voiles et les câbles et les -autres agrès du bateau ; et, sur-le-champ, la tempête -cessa. Ainsi sauvés, ces matelots rentrèrent dans l’église -où était Nicolas ; et ils le reconnurent de suite, bien -qu’ils ne l’eussent jamais vu. Alors ils le remercièrent -de leur délivrance ; mais il leur dit d’en remercier Dieu, -le mérite n’en pouvant être attribué qu’à la miséricorde -divine et à leur propre foi.</p> - -<p>IV. En un certain temps, toute la province du diocèse -de saint Nicolas fut frappée d’une terrible famine, à tel -point que personne n’avait rien à manger. Là-dessus -l’homme de Dieu apprend que des vaisseaux, chargés de -grains, stationnent dans le port. Il s’y rend aussitôt et -demande aux gens de l’équipage de venir en aide aux -affamés, ne serait-ce qu’en leur abandonnant cent muids -<span class="pagenum" id="p21">-21-</span> de grain par vaisseau. Mais eux : « Père, nous ne l’osons -pas, car notre cargaison a été mesurée à Alexandrie, et -nous devons la livrer tout entière aux greniers impériaux ! » -Le saint leur répondit : « Faites pourtant ce -que je vous dis, et je vous promets, au nom de Dieu, -que les douaniers impériaux ne trouveront aucune diminution -dans votre cargaison ! » Et ces hommes firent -ainsi ; et, lorsqu’ils furent arrivés à leur destination, ils -livrèrent aux greniers impériaux la même quantité de -grain qui avait été mesurée à Alexandrie. Ils virent le -miracle, le publièrent, et glorifièrent Dieu dans la personne -de son serviteur. Or le blé dont ils s’étaient dessaisis -fut distribué par Nicolas suivant les besoins de -chacun, et de façon si miraculeuse, que non seulement -il suffit pendant deux ans à nourrir la région, mais qu’il -put encore servir à d’abondantes semailles.</p> - -<p>V. Cette région avait autrefois adoré les idoles ; et, au -temps même de saint Nicolas, des paysans avaient gardé -la coutume de pratiquer certains rites païens, sous un -arbre consacré à Diane. Pour mettre fin à cette idolâtrie, -le saint fit couper cet arbre. Alors le démon, furieux, prépara -une huile contre nature qui avait la propriété de -brûler dans l’eau et sur les pierres. Puis, prenant la -forme d’une religieuse, il monta dans une barque, accosta -des pèlerins qui naviguaient vers saint Nicolas, et leur -dit : « Je regrette de ne pas pouvoir vous accompagner -auprès du saint homme. Veuillez du moins, en souvenir -de moi, enduire de cette huile les murs de son église et -de sa maison ! » Mais voici que, la barque du démon -s’étant éloignée, les pèlerins virent s’approcher d’eux -une autre barque où était Nicolas. Et celui-ci leur dit : -« Cette femme, que vous a-t-elle dit et que vous a-t-elle -donné ? » Les pèlerins lui racontèrent ce qui s’était -passé. Alors il leur dit : « Cette femme n’est pas une -religieuse mais l’impudique Diane elle-même ; et, si vous -en voulez une preuve, jetez son huile à la mer ! » A peine -l’eurent-ils jetée qu’elle s’enflamma, ce qui prouvait -bien son caractère contre nature. Et la seconde barque -alors disparut ; mais, quand les pèlerins entrèrent dans -<span class="pagenum" id="p22">-22-</span> l’église de saint Nicolas, ils reconnurent en lui l’homme -qui la montait.</p> - -<p>VI. Certaine nation s’étant révoltée contre l’empire -romain, l’empereur envoya contre elle trois princes, -Népotien, Ours, et Apilion. Ceux-ci, arrêtés en chemin -par un vent contraire, firent relâche dans un port du -diocèse de saint Nicolas. Et le saint les invita à dîner -chez lui, voulant préserver son peuple de leurs rapines. -Or, en l’absence du saint, le consul, s’étant laissé corrompre -à prix d’argent, avait condamné à mort trois -soldats innocents. Dès que le saint l’apprit, il pria ses -hôtes de l’accompagner, et, accourant avec eux sur le -lieu où devait se faire l’exécution, il trouva les trois soldats -déjà à genoux et la face voilée, et le bourreau brandissant -déjà son épée au-dessus de leurs têtes. Aussitôt -Nicolas, enflammé de zèle, s’élance bravement sur ce -bourreau, lui arrache l’épée des mains, délie les trois innocents, -et les emmène, sains et saufs, avec lui. Puis il court -au prétoire du consul, et en force la porte, qui était -fermée. Bientôt le consul vient le saluer avec empressement. -Mais le saint lui dit, en le repoussant : « Ennemi -de Dieu, prévaricateur de la loi, comment oses-tu nous -regarder en face, tandis que tu as sur la conscience un -crime si affreux ? » Et il l’accabla de reproches, mais, -sur la prière des princes, et en présence de son repentir, -il consentit à lui pardonner. Après quoi les messagers -impériaux, ayant reçu sa bénédiction, poursuivirent -leur route, et soumirent les révoltés sans effusion de -sang ; et ils revinrent alors vers l’empereur, qui leur fit -un accueil magnifique.</p> - -<p>Mais quelques-uns des courtisans, jaloux de leur faveur, -corrompirent le préfet impérial, qui, soudoyé par eux, -accusa ces trois princes, devant son maître, du crime -de lèse-majesté. Aussitôt l’empereur, affolé de colère, -les fait mettre en prison et ordonne qu’on les tue, la nuit, -sans les interroger. Informés par leur gardien du sort -qui les attend, les trois princes déchirent leurs manteaux -et gémissent amèrement ; mais soudain, l’un d’eux, -à savoir Népotien, se rappelant que le bienheureux -<span class="pagenum" id="p23">-23-</span> Nicolas a naguère sauvé de la mort, en leur présence, -trois innocents, exhorte ses compagnons à invoquer son -aide.</p> - -<p>Et en effet, sur leur prière, saint Nicolas apparut cette -nuit-là à l’empereur Constantin, lui disant : « Pourquoi -as-tu fait arrêter injustement ces princes, et les as-tu -condamnés à mort tandis qu’ils sont innocents ? Hâte-toi -de te lever et fais-les remettre en liberté au plus vite ! -Sinon, je prierai Dieu qu’il te suscite une guerre où tu -succomberas, et tu seras livré en pâture aux bêtes ! » Et -l’empereur : « Qui es-tu donc, toi qui, entrant la nuit -dans mon palais, oses me parler ainsi ? » Et lui : -« Je suis Nicolas, évêque de la ville de Myre. » Et le -saint se montra de la même façon au préfet, qu’il épouvanta -en lui disant : « Insensé, pourquoi as-tu consenti -à la mise à mort de trois innocents ? Va vite travailler -à les faire relâcher ! Sinon, ton corps sera mangé de vers -et ta maison aussitôt détruite. » Et le préfet : « Qui es-tu -donc, toi qui me fais de telles menaces ? » Et lui : -« Sache, dit-il, que je suis Nicolas, évêque de la ville de -Myre ! »</p> - -<p>L’empereur et le préfet, s’éveillant, se firent part -l’un à l’autre de leur songe, et s’empressèrent de -mander les trois prisonniers. « Etes-vous sorciers, leur -demanda l’empereur pour nous tromper par de semblables -visions ? » Ils répondirent qu’ils n’étaient point -sorciers, et qu’ils étaient innocents du crime qu’on leur -reprochait. Alors l’empereur : « Connaissez-vous, leur -dit-il, un homme appelé Nicolas ? » Et eux, en entendant -ce nom, levèrent les mains au ciel, et prièrent Dieu que, -par le mérite de saint Nicolas, il les sauvât du péril où -ils se trouvaient. Et lorsque l’empereur eut appris d’eux -la vie et les miracles du saint, il leur dit : « Allez et -remerciez Dieu, qui vous a sauvés sur la prière de ce -Nicolas ! Mais rendez-lui compte de ma conduite, et -portez-lui des présents de ma part ; et demandez-lui -qu’il ne me fasse plus de menaces, mais qu’il prie Dieu -pour moi et pour mon empire ! » Quelques jours après, -les princes vinrent trouver le serviteur de Dieu, et, se -<span class="pagenum" id="p24">-24-</span> prosternant devant lui, et l’appelant le véritable serviteur -de Dieu, ils lui racontèrent en détail ce qui s’était passé. -Et lui, levant les mains au ciel, il loua Dieu, et renvoya -les trois princes chez eux, après les avoir bien instruits -des vérités de la foi.</p> - -<p>VII. Lorsque le Seigneur voulut rappeler à lui saint -Nicolas, celui-ci le pria de lui envoyer ses anges ; et, en -voyant venir les anges, il baissa la tête et récita le -psaume : <i lang="la" xml:lang="la">In te, Domine, speravi</i>, etc. Puis il rendit l’âme -au bruit d’une musique céleste. Cela eut lieu en l’an du -Seigneur 313. Il fut enseveli dans une tombe de marbre ; -et de sa tête se mit à couler une source d’huile et de ses -pieds une source d’eau ; aujourd’hui encore une huile -sainte sort de ses membres, qui apporte la santé à bien -des malades. Cette huile cessa un jour de couler : cela -se produisit lorsque le successeur de saint Nicolas, qui -était un homme excellent, se vit chassé de son siège par -des envieux. Mais dès que l’évêque fut réinstallé sur son -siège, l’huile se remit aussitôt à couler. Longtemps -après, les Turcs détruisirent la ville de Myre. Et comme -quarante-sept soldats de la ville de Bari passaient par -là, quatre moines leur ouvrirent la tombe de saint Nicolas : -ils prirent ses os, qui nageaient dans l’huile, et les -transportèrent dans la ville de Bari, en l’an du Seigneur -1087.</p> - -<p>VIII. Certain homme avait emprunté de l’argent à un -Juif, en lui jurant, sur l’autel de saint Nicolas, de le lui -rendre aussitôt que possible. Et comme il tardait à -rendre l’argent, le Juif le lui réclama : mais l’homme -lui affirma le lui avoir rendu. Il fut traîné devant le juge, -qui lui enjoignit de jurer qu’il lui avait rendu l’argent. Or -l’homme avait mis tout l’argent de sa dette dans un bâton -creux, et, avant de jurer, il demanda au Juif de lui tenir -son bâton. Après quoi il jura qu’il avait rendu son -argent. Et, là-dessus, il reprit son bâton, que le Juif lui -restitua sans le moindre soupçon de sa ruse. Mais voilà -que le fraudeur, rentrant chez lui, s’endormit en chemin -et fut écrasé par un chariot, qui brisa en même temps le -bâton rempli d’or. Ce qu’apprenant, le Juif accourut : -<span class="pagenum" id="p25">-25-</span> mais bien que tous les assistants l’engageassent à prendre -l’argent, il dit qu’il ne le ferait que si, par les mérites de -saint Nicolas, le mort était rendu à la vie : ajoutant que -lui-même, en ce cas, recevrait le baptême et se convertirait -à la foi du Christ. Aussitôt le mort revint à la -vie ; et le Juif reçut le baptême.</p> - -<p>Un autre Juif, voyant le pouvoir qu’avait saint Nicolas -d’opérer des miracles, plaça dans sa maison une image -de ce saint. Et lorsqu’il avait à sortir pour quelque longue -absence, il disait à l’image : « Nicolas, je te confie la -garde de mes biens ; que si tu ne veilles pas sur eux -comme je l’exige, je me vengerai en te rouant de coups ! » -Or un jour, en l’absence du Juif, des voleurs arrivent -qui emportent tout, ne laissant que l’image. Et le Juif, -lorsqu’il se voit dépouillé, dit à l’image : « Seigneur -Nicolas, ne t’avais-je pas installé dans ma maison pour -garder mes biens ? Pourquoi donc ne l’as-tu pas fait ? -C’est toi qui paieras pour les voleurs ! Je vais te rouer -de coups : cela refroidira ma rage ! « Et il se mit à -frapper cruellement la statue. Alors le saint apparut aux -voleurs, qui se partageaient les dépouilles du Juif, et leur -dit : « Voyez comme j’ai été battu à cause de vous ! Mon -corps en est encore tout bleu ! Allez vite rendre ce que -vous avez pris : faute de quoi la colère de Dieu retombera -sur vous et vous serez pendus. » Et les voleurs : -« Qui es-tu donc, toi qui nous dit tout cela ? » Et lui : -« Je suis Nicolas, serviteur du Christ ; et celui qui m’a -mis en cet état est le Juif que vous avez volé. » Effrayés, -ils courent chez le Juif lui racontent leur vision, -apprennent de lui ce qu’il a fait à la statue, lui rendent -tous ses biens, et rentrent dans la bonne voie, tandis -que le Juif, de son côté, se convertit à la foi chrétienne.</p> - -<p>Certain homme célébrait tous les ans, en grande solennité, -la fête de saint Nicolas, à l’intention de son fils, -qui étudiait les belles-lettres. Or un jour, pendant le -repas de la fête, le diable, vêtu en pèlerin, frappe à la -porte et demande l’aumône. Le père ordonne aussitôt à -son fils de porter une aumône au pèlerin ; et le jeune -<span class="pagenum" id="p26">-26-</span> homme, ne trouvant plus le pèlerin devant la porte, le -poursuit jusqu’à un carrefour, où le diable se jette sur -lui et l’étrangle. Ce qu’apprenant, le père se lamente, -ramène le corps dans sa maison, le place sur son lit, et -s’écrie : « Saint Nicolas, est-ce donc ici la récompense -des honneurs que je te rends depuis tant d’années ? » -Et aussitôt l’enfant, comme se réveillant, ouvre les yeux -et se remet sur ses pieds.</p> - -<p>IX. Un noble avait prié saint Nicolas de lui faire obtenir -un fils, promettant qu’en récompense il se rendrait avec -son fils au tombeau du saint et lui offrirait un vase d’or. -Le noble obtient un fils et fait faire un vase d’or. Mais -ce vase lui plaît tant qu’il le garde pour lui-même et, -pour le Saint, en fait faire un autre d’égale valeur. Puis -il s’embarque avec son fils pour se rendre au tombeau -du saint. En route le père ordonne à son fils d’aller lui -prendre de l’eau dans le vase qui d’abord avait été destiné -à saint Nicolas. Aussitôt le fils tombe dans la rivière et se -noie. Mais le père, malgré toute sa douleur, n’en poursuit -pas moins son voyage. Parvenu dans l’église de saint -Nicolas, il pose sur l’autel le second vase ; au même instant -une main invisible le repousse avec le vase, et le -jette à terre : l’homme se relève, s’approche de nouveau -de l’autel, est de nouveau renversé. Et voilà qu’apparaît, -au grand étonnement de tous, l’enfant qu’on croyait -noyé. Il tient en main le premier vase, et raconte que, -dès qu’il est tombé à l’eau, saint Nicolas est venu le -prendre, et l’a conservé sain et sauf. Sur quoi le père, -ravi de joie, offre les deux vases à saint Nicolas.</p> - -<p>Un homme riche avait obtenu, grâce à l’intercession -de saint Nicolas, un fils qu’il avait appelé Dieudonné. -Aussi avait-il construit, en l’honneur du saint, une -chapelle dans sa maison, où il célébrait solennellement -sa fête tous les ans. Or un jour Dieudonné est pris par -la tribu des Agaréniens, et amené en esclavage au roi de -cette tribu. L’année suivante, au jour de la Saint-Nicolas, -l’enfant, pendant qu’il sert le roi, une coupe précieuse en -main, se met à pleurer et à soupirer, en songeant à la -douleur de ses parents, et en se rappelant la joie qu’ils -<span class="pagenum" id="p27">-27-</span> éprouvaient naguère à la Saint-Nicolas. Le roi l’oblige -à lui confesser la cause de sa tristesse ; puis, l’ayant -apprise : « Ton Nicolas aura beau faire, tu resteras ici -mon esclave ! » Mais au même instant un vent terrible -s’élève, renverse le palais du roi, et emporte l’enfant avec -sa coupe, jusqu’au seuil de la chapelle, où ses parents -sont en train de célébrer la fête de saint Nicolas. — Mais, -d’après d’autres auteurs, cet enfant aurait été de la -Normandie, et aurait été ravi par le sultan ; et comme -celui-ci, le jour de la Saint-Nicolas, après l’avoir battu, -l’avait jeté en prison, voici que l’enfant s’endormit et, à -son réveil, se trouva ramené dans la chapelle de ses -parents.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c4">IV<br /> -SAINTE LUCIE, <span class="small">VIERGE ET MARTYRE<br /> -(13 décembre)</span></h2> - - -<p>Lucie, vierge syracusaine de famille noble, voyant -se répandre à travers toute la Sicile la gloire de sainte -Agathe, se rendit au tombeau de cette sainte, en compagnie -de sa mère Euthicie, qui, depuis quatre ans déjà, -souffrait d’un flux de sang incurable. Les deux femmes -arrivèrent à l’église pendant la messe, et au moment où -on lisait le passage de l’Evangile qui raconte la guérison -miraculeuse, par Jésus, d’une femme atteinte d’un flux -de sang. Alors Lucie dit à sa mère : « Si tu crois à ce -qu’on vient de lire, tu dois croire aussi qu’Agathe est -maintenant en présence de Celui pour le nom de qui elle -a subi le martyre. Et si tu crois cela, tu retrouveras la -santé en touchant le tombeau de la sainte ! » Aussitôt, -tous s’écartant pour leur livrer passage, la mère et la -fille s’approchèrent du tombeau, et se mirent à prier. -Et voici que la jeune fille tomba soudain endormie, et -eut un rêve où elle vit sainte Agathe debout au milieu -<span class="pagenum" id="p28">-28-</span> des anges, toute parée de pierreries, et lui disant : « Ma -sœur Lucie, vierge consacrée à Dieu, pourquoi me -demandes-tu une chose que tu peux toi-même accorder -sur-le-champ à ta mère ? Vois, ta foi l’a guérie ! » Et -Lucie, s’éveillant, dit à sa mère : « Ma mère, tu es guérie ! -Mais au nom de celle aux prières de qui tu dois ta -guérison, je te prie de me délier désormais de mes -fiançailles, et de distribuer aux pauvres la dot que tu -me destinais ! » Sa mère lui répondit : « Attends plutôt -de m’avoir fermé les yeux, et tu feras ensuite ce que tu -voudras de nos biens ! » Mais Lucie : « Ce que tu donnes -en mourant, dit-elle, tu le donnes parce que tu ne peux -pas l’emporter avec toi. Mais, si tu le donnes de ton vivant, -tu en auras la récompense là-haut ! »</p> - -<p>De retour chez elles, Lucie et sa mère commencèrent -à distribuer, peu à peu, tous leurs biens aux pauvres. -Et le fiancé de Lucie, l’ayant appris, en demanda -compte à la nourrice de la jeune fille. Cette femme, en -personne rusée, lui répondit que Lucie avait trouvé -une propriété meilleure, qu’elle voulait l’acquérir, et que -c’était pour cela qu’elle vendait une partie de ses biens. -Et lui, dans sa sottise, il crut à un commerce matériel, -et se mit à les encourager dans la vente de leurs biens. -Mais quand tout fut vendu et qu’on sut que tout était -allé aux pauvres, le fiancé, furieux, porta plainte devant -le consul Paschase, disant que Lucie était chrétienne et -n’obéissait pas aux lois impériales.</p> - -<p>Paschase, l’ayant aussitôt mandée, lui enjoignit de -sacrifier aux idoles. Mais Lucie lui répondit : « Le sacrifice -qui plaît à Dieu, c’est de visiter les pauvres et de -les aider dans leurs besoins. Et comme je n’ai plus rien -à offrir, je vais m’offrir moi-même au Seigneur ! » Et -Paschase : « Ce sont là des paroles bonnes à dire à des sots -de ton espèce ; mais à moi, qui garde les décrets de mes -maîtres, tu les dis en vain ! » Et Lucie : « Tu gardes, toi, -les décrets de tes maîtres, et moi je veux garder la loi -de mon Dieu. Tu crains tes maîtres, et moi je crains -Dieu. Tu évites de les offenser, et moi j’évite d’offenser -Dieu. Tu désires leur plaire, et moi je désire plaire au -<span class="pagenum" id="p29">-29-</span> Christ. Fais donc ce que tu jugeras t’être utile, et moi -je ferai ce que je jugerai m’être utile ! » Alors Paschase : -« Tu as dépensé ton patrimoine avec des corrupteurs, et -voilà pourquoi tu parles en prostituée ! » Mais Lucie : -« Mon patrimoine, je l’ai placé en lieu sûr ; et jamais n’ai -admis auprès de moi des corrupteurs, ni du corps, ni de -l’âme. » Paschase lui dit : « Qui sont donc ces corrupteurs -du corps et de l’âme ? » Et Lucie répondit : « Les -corrupteurs de l’âme, c’est vous, qui engagez les âmes à -se détourner de leur créateur ; quant aux corrupteurs du -corps, ce sont ceux qui conseillent de préférer le plaisir -corporel aux fêtes éternelles. » Et Paschase : « Tes -paroles (<span lang="la" xml:lang="la">verba</span>) cesseront bien quand nous en viendrons -à te rouer de coups (<span lang="la" xml:lang="la">verbera</span>) ! » Et Lucie : « Les paroles -de Dieu ne cesseront jamais. » Et Paschase : « Prétends-tu -être Dieu ? » Lucie répondit : « Je suis la servante de -Dieu, qui a dit : « Quand vous serez en face des rois et -des princes, etc. » Et Paschase : « Prétends-tu donc -avoir en toi le Saint-Esprit ? » Et Lucie : « Celui qui vit -dans la chasteté, celui-là est le temple du Saint-Esprit ! » -Et Paschase : « Alors je te ferai conduire dans une maison -de débauche. Ton corps y sera violé, et tu perdras -ton Saint-Esprit ! » Mais Lucie : « Le corps n’est souillé -que si l’âme y consent ; et si, malgré moi, on viole mon -corps, ma chasteté s’en trouvera doublée. Or jamais tu -ne pourras contraindre ma volonté. Et quant à mon -corps, le voici, prêt à tous les supplices ! Qu’attends-tu ? -Fils du diable, commence à satisfaire ton désir malfaisant ! »</p> - -<p>Alors Paschase fit venir des proxénètes, et leur dit : -« Invitez tout le peuple à jouir de cette femme, et qu’on -use de son corps jusqu’à ce que mort s’ensuive ! » Mais -quand les proxénètes voulurent l’entraîner, l’Esprit-Saint -la rendit si pesante qu’en aucune façon ils ne purent la -mouvoir. Et Paschase fit venir mille hommes, et lui fit -lier les pieds et les mains ; mais on ne parvenait toujours -pas à la soulever. Il fit venir mille paires de bœufs, -mais la vierge continua à rester immobile. Il fit venir -des mages ; mais leurs incantations restèrent sans effet. -<span class="pagenum" id="p30">-30-</span> Alors il dit : « Quel est donc ce maléfice, qui permet à -une jeune fille de ne pas pouvoir être soulevée par un -millier d’hommes ? » Et Lucie lui répondit : « Ce n’est -pas un maléfice, mais un bienfait du Christ. Et tu aurais -beau ajouter encore dix mille hommes, ils ne parviendraient -pas à me faire bouger. » Paschase s’imagina -alors, suivant l’invention de quelqu’un, que l’urine -détruisait les maléfices, et il la fit asperger d’urine -bouillante : mais cela encore fut inutile. Alors le consul, -exaspéré, fit allumer autour d’elle un grand feu, et -ordonna de jeter sur elle de la poix, de la résine, et de -l’huile bouillante. Et Lucie dit : « Dieu m’a accordé de -supporter ces délais, dans mon martyre, afin d’ôter aux -croyants la peur de la souffrance et aux non-croyants -le moyen de blasphémer ! »</p> - -<p>Les amis de Paschase, le voyant devenir sans cesse plus -furieux, enfoncèrent une épée dans la gorge de la sainte ; -mais elle, loin d’en perdre la parole, elle dit : « Je vous -annonce que la paix est rendue à l’Eglise ! Aujourd’hui -même, Maximien est mort et Dioclétien a été chassé du -trône. Et de même que Dieu a accordé pour protectrice -à la ville de Catane ma sœur Agathe, de même il vient -de m’autoriser à être auprès de lui la protectrice de la -ville de Syracuse. » Et, en effet, pendant qu’elle parlait -encore, voici que des envoyés de Rome vinrent saisir -Paschase pour l’emmener, prisonnier, devant le Sénat : -car celui-ci avait appris qu’il s’était rendu coupable de -déprédations sans nombre dans toute la province. Il fut -donc conduit à Rome, déféré au Sénat, convaincu de -crime, et puni de la peine capitale. Quant à la vierge -Lucie, elle ne bougea pas du lieu où elle avait souffert, -et elle resta en vie jusqu’à l’arrivée de prêtres qui lui -apportèrent la sainte communion ; et toute la foule y -assista pieusement. C’est dans le même lieu qu’elle fut -enterrée, et que fut construite une église en son honneur. -Son martyre eut lieu vers l’an du Seigneur 310.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p31">-31-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c5">V<br /> -SAINT THOMAS, <span class="small">APÔTRE<br /> -(21 décembre)</span></h2> - - -<p>I. Thomas l’apôtre, pendant qu’il était à Césarée, le -Seigneur lui apparut et lui dit : « Le roi de l’Inde Gondofer -a envoyé son prévôt Abbanes à la recherche d’un -homme habile dans l’art de l’architecture. Viens, et je te -présenterai à lui ! » Et Thomas lui dit : « Seigneur je suis -prêt à aller partout où tu m’enverras ! » Et Dieu lui dit : -« Va donc en paix, car je serai ton gardien ! Et quand -tu auras converti l’Inde, tu viendras à moi avec la -palme du martyre ! » Puis comme le prévôt marchait dans -le Forum, le Seigneur lui dit : « Que cherches-tu, jeune -homme ? » Abbanes répondit : « Mon maître m’a envoyé -ici afin que j’engage à son service d’habiles architectes, -car il veut se faire construire un palais à la manière -romaine. » Alors le Seigneur lui présenta Thomas, en -lui assurant qu’il était très habile dans l’art de l’architecture.</p> - -<p>Le vaisseau qui conduisait le prévôt et Thomas fit -escale dans une ville où un roi célébrait les noces de sa -fille. Ce roi ayant ordonné que la ville entière assistât à -la fête, Thomas et Abbanes furent forcés d’y assister. -Mais Thomas ne mangeait rien, et gardait les yeux -levés vers le ciel. Or le sommelier, voyant que l’apôtre -ne mangeait ni ne buvait, le frappa sur la joue. Et -l’apôtre lui dit : « Mieux vaut pour toi que tu sois puni -sur-le-champ d’une peine passagère, et que dans la vie -future ton acte te soit pardonné. Sache donc que, avant -que je me lève de cette table, la main qui m’a frappé -sera apportée ici par des chiens ! » Et en effet, le sommelier -étant sorti pour puiser de l’eau, un lion se jeta sur -lui et le tua ; et les chiens déchirèrent son corps, et l’un -d’eux apporta sa main droite dans la salle du festin. -Cette vengeance est blâmée par saint Augustin dans son -<span class="pagenum" id="p32">-32-</span> livre contre Faust, et déclarée apocryphe ; d’où vient que -beaucoup tiennent la légende pour suspecte. Mais revenons -à notre récit.</p> - -<p>Sur la demande du roi, l’apôtre bénit l’époux et -l’épouse, disant : « Seigneur, donne à ces jeunes gens -l’appui de ta droite, et sème dans leurs âmes la semence -de vie ! » Et quand l’apôtre fut parti, le jeune homme -trouva dans sa main une branche de palmier toute chargée -de dattes. Et, ayant mangé de ces dattes, l’époux et -l’épouse eurent tous deux le même rêve. Ils virent -un roi, paré de diamants, qui les embrassait et leur disait : -« Mon apôtre vous a bénis afin que vous participiez à la -vie éternelle. »</p> - -<p>Ils se réveillèrent, et se racontèrent l’un à l’autre leur -rêve. Et voici que l’apôtre Thomas leur apparut dans leur -chambre et leur dit : « Mon Roi s’est montré à vous tout -à l’heure, et me conduit à présent ici, malgré les portes -fermées, pour que, fortifiés par ma bénédiction, vous gardiez -la pureté du corps, qui est la reine de toutes les vertus, -et qui mène au salut éternel. La virginité est la -sœur des anges, la possession de tous biens, la victoire -sur les passions, le trophée de la foi, la défaite des démons, -le gage des joies éternelles. Mais, au contraire, -de la volupté naît la corruption, de la corruption naît la -pollution, et de la pollution naît la perdition. » Et, au -moment où l’apôtre leur parlait ainsi, deux anges leur -apparurent, qui leur dirent : « Dieu nous envoie à vous -pour vous servir de gardiens, et, si vous observez bien -l’enseignement de l’apôtre, pour Lui transmettre tous -vos vœux. » Puis l’apôtre les baptisa et les instruisit dans -la foi. Et, longtemps après, l’épouse, qui s’appelait -Pélagie, subit le martyre, et l’époux, nommé Denis, fut -ordonné évêque de cette même ville.</p> - -<p>II. Poursuivant leur voyage, l’apôtre et Abbanes parvinrent -à la cour du roi de l’Inde. Thomas fit le dessin -d’un palais admirable, et le roi lui donna un grand trésor -afin qu’il pût diriger la construction du palais ; après -quoi ce roi partit pour une autre province ; et l’apôtre -distribua au peuple tout l’argent qu’il avait reçu de lui. -<span class="pagenum" id="p33">-33-</span> Pendant les deux ans que dura l’absence du roi, l’apôtre -ne fit que prêcher, et convertit à la foi une foule innombrable. -Mais le roi, à son retour, ayant appris la conduite de -Thomas, le jeta en prison ainsi qu’Abbanes, avec -le projet de les faire brûler vifs. Là-dessus le frère du roi, -nommé Gad, mourut, et l’on s’apprêta à lui faire de somptueuses -funérailles. Or voici que, le quatrième jour de -sa mort, il ressuscita, à la stupeur et à l’épouvante de -tous ; et il dit à son frère : « Frère, l’homme que tu veux -faire écorcher et brûler vif est un ami de Dieu, et tous -les anges sont ses serviteurs. Ces anges m’ont conduit -au paradis, où ils m’ont montré un palais merveilleux, -fait d’or, d’argent, et de pierres précieuses, et ils m’ont dit : -« Ceci est le palais que Thomas avait construit à ton frère. -Mais ton frère s’en est rendu indigne. Que si tu veux -l’habiter à sa place, nous demanderons à Dieu de te -ressusciter pour que tu rachètes ce palais à ton frère, -en lui rendant l’argent qu’il s’imagine avoir perdu ! » -Puis, ayant ainsi parlé, Gad courut à la prison de -l’apôtre, fit tomber ses chaînes, et le supplia d’accepter -un manteau précieux. Mais l’apôtre lui dit : « Ignores-tu -donc que ceux qui aspirent au pouvoir céleste ne désirent -rien des choses terrestres ? » Et, comme l’apôtre sortait -de la prison, le roi vint au-devant de lui, se jeta à ses -pieds, et lui demanda pardon. Et l’apôtre lui dit : « Crois -dans le Christ et fais-toi baptiser, afin de participer au -royaume éternel ! » Le frère du roi lui dit : « J’ai vu le -palais que tu as construit pour mon frère, et j’ai obtenu -la permission de l’acquérir. » Et l’apôtre : « Cela dépend -de ton frère. » Et le roi : « Que ce palais soit pour moi, -et que l’apôtre en construise un autre pour toi, ou bien -encore, si c’est impossible, nous habiterons celui-là en -commun ! » Et l’apôtre leur dit : « Il y a, dans le ciel, -d’innombrables palais, préparés depuis l’origine des -temps, et qui s’acquièrent par la foi et l’aumône. Et -quant à vos richesses, elles peuvent bien vous précéder -dans ce palais, mais elles ne peuvent absolument pas -vous y suivre ! »</p> - -<p>III. Un mois après, l’apôtre fit rassembler tous les -<span class="pagenum" id="p34">-34-</span> pauvres de la région ; et, quand tous furent rassemblés, -il fit sortir de la foule les malades, les infirmes, et les -faibles. Alors il pria sur eux, et ceux d’entre eux qui -avaient reçu la foi répondirent <i>amen</i>. Alors une grande -lumière descendit du ciel et se répandit sur l’apôtre et sur -ces pauvres gens ; et, quand elle fut dissipée, l’apôtre dit : -« Relevez-vous : c’est mon Maître qui est venu, pareil à -la foudre, et qui vous a guéris ! » Et, en effet, ils furent -tous guéris ; et, se relevant, ils glorifièrent Dieu et l’apôtre. -Alors celui-ci se mit à les instruire, leur exposant les -douze degrés de la vertu. Le premier degré est de -croire en un Dieu unique d’essence en triple personne. -Et l’apôtre leur expliqua, par trois exemples sensibles, -comment une même essence pouvait avoir trois personnes : -1<sup>o</sup> la sagesse dans l’homme est une, et cependant -elle est formée de l’intelligence, de la mémoire, et -de l’imagination ; 2<sup>o</sup> une vigne est formée de trois éléments, -le bois, les feuilles et les fruits, dont l’ensemble -ne forme qu’une seule vigne ; 3<sup>o</sup> une tête contient -quatre sens, la vue, le goût, l’ouïe et l’odorat. Le second -degré de la vertu consiste à recevoir le baptême ; le troisième -à s’abstenir de la luxure ; le quatrième à éviter -l’avarice ; le cinquième à éviter la gourmandise ; le -sixième à faire pénitence ; le septième à persévérer dans -le bien ; le huitième à pratiquer l’hospitalité ; le neuvième -à rechercher ce que Dieu veut que l’on fasse ; le -dixième à rechercher ce que Dieu veut qu’on ne fasse -pas ; le onzième à aimer amis et ennemis ; le douzième -à veiller jour et nuit pour ne pas s’écarter de tous ces -principes. Ainsi prêcha l’apôtre ; et, quand il eut fini, il -baptisa neuf mille hommes, sans compter les enfants et -les femmes.</p> - -<p>IV. Thomas alla ensuite dans l’Inde Supérieure, où il -se signala par d’innombrables miracles. Il convertit une -certaine Sintice, qui était amie de Migdomie, femme d’un -parent du roi de la contrée. Et Migdomie fut prise du -désir de voir l’apôtre. Sur le conseil de Sintice, elle ôta -ses riches vêtements, et se mêla à la foule des pauvres -que l’apôtre instruisait. Or l’apôtre était en train de prêcher -<span class="pagenum" id="p35">-35-</span> la misère de cette vie hasardeuse et fugitive ; et il -engageait ses auditeurs à recevoir la parole de Dieu, -comparant celle-ci 1<sup>o</sup> à un collyre, parce qu’elle illumine -les yeux de notre âme ; 2<sup>o</sup> à un emplâtre, parce qu’elle -guérit les plaies de nos péchés ; 3<sup>o</sup> à une nourriture, -parce qu’elle nous alimente des choses célestes. Et -Migdomie, ayant entendu l’apôtre, reçut la foi, et, depuis -lors, eut horreur de la couche de son mari. Celui-ci, dont -le nom était Carisius, porta plainte au roi, et fit jeter -l’apôtre en prison. Alors Migdomie vint le trouver dans -sa prison, et lui demanda pardon d’être la cause de son -incarcération ; mais l’apôtre, la consolant avec bonté, lui dit -qu’il était heureux de souffrir tout cela. Cependant Carisius -pria le roi d’envoyer la reine, sœur de sa femme, -auprès de celle-ci, pour essayer de la ramener à lui. Mais -la reine fut convertie par celle qu’elle voulait pervertir ; -et, à la vue des miracles de l’apôtre, elle dit : « Maudits -soient ceux qui refusent de croire, en présence de tant -de signes et d’œuvres ! » Quand elle revint près de son -mari, celui-ci lui dit : « Pourquoi es-tu restée si longtemps -absente ? » Et la reine lui répondit : « Je croyais -que Migdomie était folle, mais elle est au contraire très -sage, et, en me conduisant à l’apôtre de Dieu, elle m’a -fait connaître le chemin de la vérité ; ceux là seuls sont fous -qui refusent de croire au Christ ! » Et, depuis lors, elle -refusa de s’accoupler avec son mari. Et, le roi stupéfait, -dit à son beau-frère : « En voulant te ramener ta femme, -j’ai perdu la mienne ; elle est même devenue pire pour -moi que la tienne pour toi ! » Et il se fit amener l’apôtre, -les mains liées, et le somma de faire en sorte que sa -femme et sa belle-sœur reprissent la vie conjugale. -Alors l’apôtre lui démontra que, aussi longtemps que -son beau-frère et lui persisteraient dans l’erreur, leurs -femmes auraient le devoir de ne pas reprendre la vie -conjugale. « Toi qui es roi, lui dit-il, tu tiens à ne pas -avoir des serviteurs impurs, mais, au contraire à avoir -des serviteurs purs. A plus forte raison Dieu aime à -avoir des serviteurs chastes et purs. Il aime, dans ses -serviteurs, ce que tu aimes dans les tiens. Comment ! -<span class="pagenum" id="p36">-36-</span> J’ai édifié une haute tour, et tu me dis, à moi qui l’ai -édifiée, de la détruire ? J’ai fait surgir une source du sol, -et tu me dis de la faire tarir ? »</p> - -<p>Alors le roi, furieux, fit apporter des lames de fer -rougies au feu, et ordonna à l’apôtre de mettre sur elles -ses pieds nus. Mais aussitôt, sur un signe de Dieu, une -source jaillit du sol et refroidit le fer. Puis le roi, conseillé -par son beau-frère, le fit plonger dans une fournaise -ardente ; mais celle-ci s’éteignit aussitôt, et -l’apôtre en sortit, le lendemain, sain et sauf. Et Carisius -dit au roi : « Ordonne-lui de sacrifier au dieu du soleil, -afin qu’il encoure la colère de son dieu, qui le protège ! » -Le roi suivit son conseil, mais Thomas lui dit : « Tu -t’imagines que, comme le dit ton beau-frère, mon Dieu -se fâchera contre moi, si j’adore le tien ; mais c’est -plutôt contre ton dieu qu’il se fâchera, et il le détruira -au moment où je l’adorerai. Si donc mon Dieu ne détruit -pas le tien au moment où je l’adorerai, je consentirai -à lui sacrifier ; mais si mon Dieu détruit le tien, -promets-moi que tu croiras en lui ! » Et le roi dit : « Tu -oses encore me traiter comme si j’étais ton égal ! » -Alors l’apôtre ordonna en hébreu au démon qui était -dans l’idole de détruire celle-ci aussitôt qu’il fléchirait -les genoux devant elle. Puis, fléchissant les genoux, -il dit : « J’adore, mais non pas cette idole, j’adore, -mais non pas ce métal, j’adore, mais non pas ce simulacre : -j’adore mon maître Jésus-Christ, au nom duquel -je t’ordonne, démon de cette idole, de la détruire -aussitôt ! » Et aussitôt l’idole fondit comme de la cire. -Sur quoi tous les prêtres poussèrent des mugissements, -et le grand prêtre du temple, levant son épée, transperça -l’apôtre, en disant : « Je venge l’injure faite à mon dieu ! » -Et le roi et Carisius s’enfuirent, voyant que le peuple -voulait venger l’apôtre et brûler vif le grand prêtre. -Mais les chrétiens enlevèrent le corps, et l’ensevelirent -solennellement.</p> - -<p>Longtemps après, vers l’an du Seigneur 230, le corps -de l’apôtre fut transporté par l’empereur Alexandre, sur -la prière des Syriens, dans la ville d’Edesse, qu’on appelait -<span class="pagenum" id="p37">-37-</span> autrefois Ragès des Mèdes. Or, c’est une ville où ne -peut vivre aucun hérétique, aucun juif, aucun païen, et -où aucun tyran ne peut faire le mal, parce que jadis un -roi de cette ville, nommé Abgar, a eu l’honneur de -recevoir une lettre écrite de la propre main de Notre-Seigneur. -Et, en effet, si quelque mal est tenté contre -cette ville, un enfant, debout sur la porte, lit la lettre du -Seigneur, et aussitôt les méchants sont mis en fuite ou -font pénitence.</p> - -<p>V. Dans sa <i>Vie et mort des Saints</i>, Isidore dit de saint -Thomas : « Thomas, disciple du Christ, et qui ressemblait -au Sauveur, fut incrédule en entendant, mais crut -dès qu’il vit. Il prêcha l’Evangile aux Parthes, aux -Mèdes, aux Perses, aux Hircaniens, et aux habitants de -la Bactriane. Abordant à la plage de l’Orient et pénétrant -jusqu’aux nations de l’intérieur, il y poursuivit -sa prédication jusqu’au jour de son martyre. Il mourut -transpercé d’un coup de lance. » Et Chrysostome dit -aussi que Thomas parvint jusqu’aux régions des Rois -Mages, qui jadis étaient venus adorer le Christ, qu’il -les baptisa, et fit d’eux des soutiens de la foi chrétienne.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c6">VI<br /> -LA NATIVITÉ -DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST<br /> -<span class="small">(25 décembre)</span></h2> - - -<p>On n’est pas d’accord sur la date de la naissance de -Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la chair. Les uns -disent qu’elle a eu lieu 5.228 ans après la naissance -d’Adam, d’autres qu’elle a eu lieu 5.900 ans après cette -naissance. C’est Méthode qui a fixé, le premier, la date -de 6.000 ans : mais il l’a trouvée plutôt par inspiration -mystique que par calcul chronologique. On sait, en tout -<span class="pagenum" id="p38">-38-</span> cas, que la naissance du Christ a eu lieu sous l’empereur -Octave, qui s’appelait aussi César, du nom de son -oncle Jules César, et Auguste, parce qu’il avait « augmenté » -la république romaine. Et au moment où le Fils -de Dieu est né dans la chair, une paix universelle régnait -dans le monde, réuni tout entier sous l’autorité pacifique -de l’empereur romain.</p> - -<p>Donc César Auguste, étant maître du monde, voulut -savoir combien il possédait de provinces, de villes, de -forteresses, de villages et d’hommes ; en conséquence -de quoi il décida que tous les hommes de son empire -eussent à se rendre dans la ville ou le village d’où ils -étaient originaires, et à remettre au gouverneur de la -province un denier d’argent, en signe de soumission à -l’empire romain. Et c’est ainsi que Joseph, qui était de -la race de David, partit de Nazareth pour se rendre à -Bethléem, où l’appelait le recensement. Et comme le -temps approchait où la Vierge Marie allait être délivrée, -et comme Joseph ne savait pas quand il pourrait être -de retour, il l’emmena à Bethléem, ne voulant point -remettre entre des mains étrangères le trésor que Dieu -lui avait confié. Le <i>Livre de l’Enfance du Sauveur</i> -raconte, à ce propos, qu’en approchant de Bethléem la -Vierge vit une partie du peuple qui se réjouissait, et une -partie qui gémissait. Et l’ange lui expliqua la chose en -lui disant : « La partie qui se réjouit est le peuple des -Gentils, qui va être admis à la béatitude éternelle. La -partie qui gémit est le peuple des Juifs, car Dieu va le -réprouver suivant ses mérites. »</p> - -<p>Puis Joseph et Marie vinrent à Bethléem ; et comme, -étant pauvres, ils ne pouvaient pas trouver de place dans -les auberges, ils durent s’installer dans un passage -commun, ou abri, qui, d’après l’<i>Histoire scholastique</i>, -se trouvait entre deux maisons, et servait de lieu de réunion -aux habitants de Bethléem, ou encore de refuge -contre les intempéries de l’air. Là, Joseph installa une -crèche pour son bœuf et son âne ; ou bien encore l’étable -s’y trouvait déjà, construite à l’usage des paysans qui -venaient au marché. Et c’est là que, à minuit, la Vierge -<span class="pagenum" id="p39">-39-</span> mit au jour son fils, et le déposa dans la crèche, sur du -foin : lequel foin fut plus tard emporté à Rome par -sainte Hélène ; et l’on dit que ni le bœuf ni l’âne n’osaient -y toucher.</p> - -<p>Notons, à ce sujet, que tout fut miraculeux dans cette -naissance du Christ. En premier lieu, c’est chose miraculeuse -que la mère du Christ ait été vierge, après -comme avant la naissance de son fils. Et sa virginité, -qui nous est attestée par les prophètes et les évangélistes, -se trouve encore prouvée par un miracle que nous -raconte le pape Innocent III. Pendant les douze ans -qu’avait duré la paix du monde, on avait construit à -Rome un temple de la Paix, où l’on avait placé une statue -de Romulus. Et l’oracle d’Apollon, consulté, avait -déclaré que cette statue et le temple resteraient debout -jusqu’au jour où une vierge enfanterait un fils. On en -avait conclu que le temple serait éternel, et l’on était -allé jusqu’à inscrire sur le fronton : « Temple éternel de -la Paix ». Or, la nuit de la naissance de Notre-Seigneur, -ce temple s’écroula de fond en comble ; et c’est sur -son emplacement que s’élève aujourd’hui l’église de -Sainte-Marie la Neuve.</p> - -<p>Non moins miraculeuses sont toutes les autres circonstances -de la Nativité. Nous savons, par exemple, -qu’elle fut révélée à toutes les catégories des créatures, -depuis les pierres, qui occupent le bas de l’échelle, jusqu’aux -anges, qui en occupent le sommet.</p> - -<p>1<sup>o</sup> La Nativité fut révélée aux créatures inanimées. On -a vu déjà, par l’exemple ci-dessus, qu’elle se révéla aux -pierres d’un temple de Rome. On sait, en outre, que, la -nuit de la Nativité, les ténèbres de la nuit se changèrent -en une lumière de plein jour. A Rome, l’eau d’une source -se changea en huile, et coula ainsi jusque dans le Tibre : -or, la Sibylle avait prophétisé que le Sauveur du monde -naîtrait lorsque jaillirait une source d’huile. Le même -jour, des mages qui priaient sur une montagne virent -apparaître une étoile qui avait la forme d’un bel enfant, -portant une croix de feu au-dessus de la tête. Et elle dit -aux mages d’aller en Judée, où ils trouveraient un enfant -<span class="pagenum" id="p40">-40-</span> nouveau-né. Le même jour, trois soleils apparurent à -l’Orient, qui finirent par se fondre en un seul : symbole -évident de la sainte Trinité. Enfin voici ce que nous -raconte le pape Innocent III : « Pour récompenser Octave -d’avoir donné la paix au monde, le Sénat voulait l’adorer -comme un dieu. Mais le prudent empereur, se sachant -mortel, ne voulut point se parer du titre d’immortel avant -d’avoir demandé à la Sibylle si le monde verrait naître, -quelque jour, un homme plus grand que lui. Or, le jour -de la Nativité, comme la Sibylle était seule avec l’empereur, -elle vit apparaître, en plein midi, un cercle d’or -autour du soleil ; et au milieu du cercle se tenait une -vierge, d’une beauté merveilleuse, portant un enfant sur -son sein. La Sibylle montra ce prodige à César, et l’on -entendit une voix qui disait : « Celle-ci est l’autel du ciel ! » -(<i lang="la" xml:lang="la">ara cœli</i>). Et la Sibylle lui dit : « Cet enfant sera plus -grand que toi ! » Aussi la chambre où eut lieu ce miracle -a-t-elle été consacrée à la sainte Vierge ; et c’est sur son -emplacement que s’élève aujourd’hui l’église de Sainte-Marie -<span lang="la" xml:lang="la">Ara Cœli</span>. » Cependant d’autres historiens racontent -le même fait d’une manière un peu différente. Suivant -eux, Auguste, étant monté au Capitole, et ayant demandé -aux dieux de lui faire savoir qui régnerait après lui, -entendit une voix qui lui disait : « Un enfant éthéré, Fils -du Dieu vivant, né d’une vierge sans tache. » Et c’est -alors qu’Auguste aurait élevé cet autel, au-dessous -duquel il aurait inscrit : « Ceci est l’autel du Fils du -Dieu vivant ! »</p> - -<p>2<sup>o</sup> La Nativité s’est révélée aux créatures qui possèdent -l’existence et la vie, comme les plantes et les -arbres. En effet, dans la nuit de la naissance du Sauveur, -les vignes d’Engade fleurirent, fructifièrent et produisirent -leur vin.</p> - -<p>3<sup>o</sup> La Nativité s’est révélée aux créatures qui possèdent -l’existence, la vie et le sentiment, c’est-à-dire -aux animaux. En effet Joseph, en partant pour Bethléem, -avait emmené avec lui un bœuf et un âne : le bœuf, peut-être, -pour le vendre et pour avoir de quoi payer le denier -du cens ; l’âne, sans doute, pour servir à porter la Vierge -<span class="pagenum" id="p41">-41-</span> Marie. Or le bœuf et l’âne, reconnaissant miraculeusement -le Seigneur, s’agenouillèrent devant lui, et l’adorèrent.</p> - -<p>4<sup>o</sup> La Nativité s’est révélée aux créatures qui possèdent -l’existence, la vie, le sentiment et la raison, -c’est-à-dire aux hommes. En effet, dans l’heure même où -elle eut lieu, des bergers veillaient auprès de leurs troupeaux, -chose qu’ils faisaient deux fois par an, dans la -nuit la plus courte et dans la nuit la plus longue de -l’année ; car c’était l’usage des nations antiques de veiller -dans les deux nuits des solstices, l’été vers le jour -de la Saint-Jean, et, l’hiver, dans la nuit de Noël. A ces -bergers, donc, un ange apparut qui leur annonça la -naissance du Sauveur et leur enseigna le moyen d’arriver -jusqu’à lui. Et ils entendirent une foule d’anges qui -chantaient : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, » etc. -D’une autre façon encore, la Nativité se révéla par les -sodomites, qui tous, cette nuit-là, périrent, dans le -monde entier. Ce à propos de quoi saint Jérôme nous -dit : « Une telle lumière s’éleva, cette nuit-là, qu’elle -éteignit tous ceux qui se livraient à ce vice. » Et saint -Augustin dit que Dieu ne pouvait pas s’incarner dans la -nature humaine aussi longtemps qu’existait, dans cette -nature, un vice contre nature.</p> - -<p>5<sup>o</sup> Enfin la Nativité s’est révélée aux créatures qui -possèdent l’existence, la vie, le sentiment, la raison, et -la connaissance, c’est-à-dire aux anges : car ce sont les -anges eux-mêmes, qui, ainsi qu’on vient de le voir, ont -annoncé aux bergers la naissance du Christ.</p> - -<p>Restent à définir les divers objets en vue desquels a -eu lieu l’incarnation de Notre-Seigneur.</p> - -<p>1<sup>o</sup> Elle a eu lieu, d’abord, pour la confusion des -démons. Saint Hugues, abbé de Cluny, la veille de Noël, -vit la sainte Vierge, tenant son fils sur son sein, et disant : -« Voici venir le jour où vont être renouvelés les -oracles des prophètes ! Où est désormais l’ennemi qui, -jusqu’ici, prévalait contre les hommes ? » A ces mots, le -diable sortit de terre, pour démentir les paroles de -Notre Dame : mais son iniquité se trouva en défaut, car -<span class="pagenum" id="p42">-42-</span> il eut beau parcourir tout le couvent ; ni à la chapelle, ni -au réfectoire, ni au dortoir, ni dans la salle du chapitre, -aucun moine ne se laissa détourner de son devoir. -D’après Pierre de Cluny, l’enfant, dans la vision de Saint -Hugues, aurait dit à sa mère : « Où est maintenant la -puissance du diable ? » Sur quoi le diable, sortant de -terre, aurait répondu : « Je ne puis pas, en effet, pénétrer -dans la chapelle, où l’on chante tes louanges ; mais -le chapitre, le dortoir et le réfectoire me restent ouverts ! » -Or voici que la porte du chapitre se serait trouvée -trop étroite pour lui, la porte du dortoir trop basse, la -porte du réfectoire obstruée d’obstacles infranchissables, -lesquels n’étaient autres que la charité des -moines, leur attention à la lecture du jour, et leur -sobriété dans le manger et le boire.</p> - -<p>2<sup>o</sup> La Nativité a eu lieu, ensuite, pour permettre aux -hommes d’obtenir le pardon de leurs péchés. Un livre -d’exemples raconte l’histoire d’une prostituée qui, s’étant -enfin repentie, désespérait de son pardon : et comme elle -se jugeait indigne d’invoquer le Christ glorieux, et le -Christ souffrant la passion, elle se dit que les enfants -étaient plus faciles à apaiser. Elle adjura donc le Christ -enfant ; et une voix lui apprit qu’elle était pardonnée.</p> - -<p>3<sup>o</sup> La Nativité a eu lieu pour nous guérir de notre -faiblesse. Car, comme le dit saint Bernard : « Le genre -humain souffre d’une triple maladie, la naissance, la vie -et la mort. Avant le Christ, la naissance était impure, la -vie perverse, la mort dangereuse. Mais le Christ est -venu, et contre ce triple mal nous a apporté un triple -remède. Sa naissance a purifié la nôtre ; sa vie a instruit -la nôtre ; sa mort a détruit la nôtre. »</p> - -<p>4<sup>o</sup> Enfin la Nativité a eu lieu pour humilier notre -orgueil. Car, ainsi que le dit saint Augustin : « L’humilité -qu’a montrée le fils de Dieu dans son incarnation nous -sert à la fois d’exemple, de consécration, et de médicament. -Elle nous sert d’exemple pour nous apprendre à -être humbles nous-mêmes ; de consécration, parce qu’elle -nous délivre des liens du péché ; de médicament, parce -qu’elle guérit la tumeur de notre vain orgueil. »</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p43">-43-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c7">VII<br /> -SAINTE ANASTASIE, <span class="small">MARTYRE<br /> -(25 décembre)</span></h2> - - -<p>Anastasie était d’une des plus grandes familles de -Rome. Elle fut élevée dans la foi du Christ par sa mère -Fantaste, et par le bienheureux Chrysogone. Mariée -contre son gré à un certain Publius, elle feignait un -mal de langueur et se refusait à la vie conjugale. Mais -un jour son mari apprit que, vêtue comme une femme -pauvre, et en compagnie d’une de ses servantes, elle -visitait les chrétiens emprisonnés, et leur portait des -secours. Il la fit alors enfermer et garder étroitement, -lui refusant presque toute nourriture. Il espérait ainsi -la faire mourir, et jouir à son aise de sa dot, qui était -très grande. Et elle, s’attendant à mourir d’un jour à -l’autre, écrivait des lettres désolées à Chrysogone, qui, -dans ses réponses, s’efforçait de la consoler. Cependant -ce fut le mari d’Anastasie qui mourut, et Anastasie fut -mise en liberté.</p> - -<p>Elle avait trois servantes très belles, qui étaient sœurs. -L’une s’appelait Agapète, l’autre Théonie, la troisième -Irène. Et toutes trois étaient chrétiennes. Un préfet, qui -s’était pris d’un fol amour pour elles, les fit enfermer dans -la cuisine de la maison, sous le prétexte qu’elles n’obéissaient -pas aux lois impériales ; et, certaine nuit, il se rendit -dans cette cuisine afin d’assouvir sa luxure. Mais le -Seigneur lui ôta l’esprit ; et voilà que croyant avoir -affaire aux trois vierges, il caressait et couvrait de -baisers des poêles, des chaudrons et d’autres ustensiles -semblables ; après quoi, s’étant rassasié, il sortit tout -noir de suie et les vêtements déchirés. Ses esclaves, qui -l’attendaient devant la porte de la maison, quand ils le -virent ainsi arrangé, le prirent pour un démon, le -rouèrent de coups, et s’enfuirent, le laissant seul. Il alla -trouver l’empereur, pour se plaindre ; et, sur son chemin, -<span class="pagenum" id="p44">-44-</span> les uns le frappaient de verges, les autres lançaient sur -lui de la poussière et de la boue. Mais lui, ayant sur les -yeux un charme qui l’empêchait de voir l’état où il se -trouvait, il s’étonnait que tout le monde se moquât de -lui au lieu de l’honorer comme à l’ordinaire. Et quand -enfin on lui apprit dans quel état il se trouvait, il supposa -que les jeunes filles avaient usé de sortilèges. -Il les fit donc venir devant lui, et ordonna de les dépouiller -de tous leurs vêtements, afin de pouvoir au moins -les voir nues. Mais aussitôt leurs vêtements se collèrent -à leurs corps de telle façon que personne ne pouvait les -leur enlever. Et le préfet, au moment où il s’apprêtait -à jouir de leur vue, fut saisi d’un sommeil si profond que, -même en le poussant, on ne parvenait pas à le réveiller. -Enfin les trois vierges reçurent la couronne du martyre.</p> - -<p>Quant à Anastasie, elle fut livrée par l’empereur à un -autre préfet, afin qu’il la prît pour femme, après l’avoir -forcée à sacrifier aux idoles. Et cet homme, l’ayant mise -dans son lit, voulut l’embrasser : mais aussitôt il devint -aveugle. Il se fit alors conduire au temple des dieux, et -demanda à ceux-ci s’il pouvait guérir. Mais les dieux lui -répondirent : « Pour avoir voulu violer Anastasie, qui -est une sainte, tu nous a été livré afin d’être à jamais -torturé avec nous dans l’enfer ! » Et, pendant qu’on le -ramenait chez lui, il mourut entre les mains de ses -esclaves.</p> - -<p>Alors Anastasie fut confiée à un autre préfet, qui fut -chargé de la garder. Et cet homme, ayant appris qu’elle -était très riche, lui dit en secret : « Anastasie, si vraiment -tu es chrétienne, tu dois faire ce que t’ordonne ton -Maître. Or celui-ci ordonne à ses disciples de renoncer à -tout ce qu’ils possèdent. Donne-moi donc tout ce que -tu possèdes, et va-t’en où tu voudras ! Ainsi tu seras une -vraie chrétienne. » Mais elle lui répondit : « Dieu m’a -ordonné, en effet, de donner tout ce que j’avais, mais de le -donner aux pauvres et non aux riches. Or tu es riche : -j’agirais contre les préceptes de mon Dieu en te donnant -quelque chose ! »</p> - -<p>Anastasie fut alors jetée en prison, pour y mourir de -<span class="pagenum" id="p45">-45-</span> faim ; mais sainte Théodore, qui avait déjà obtenu la -couronne du martyre, la nourrit pendant deux mois de -la manne céleste. Enfin elle fut conduite avec deux -cents vierges, dans l’île Palmaria, où de nombreux -chrétiens étaient relégués. Et, quelques jours après -son arrivée, le préfet du lieu manda devant lui tous -les chrétiens. Il fit attacher Anastasie à un poteau et la -fit brûler vive ; puis il fit périr les autres chrétiens en -des supplices divers. Et il y avait parmi ces chrétiens -un homme que l’on avait dépouillé de toutes ses richesses, -et qui répétait toujours : « De Jésus-Christ, du moins, -vous ne pourrez pas me dépouiller ! » Sainte Appolonie fit -enlever le corps de sainte Anastasie et l’ensevelit dans -son jardin, où une église fut élevée en son honneur. Le -martyre de sainte Anastasie eut lieu sous le règne de -Dioclétien, règne qui commença vers l’an du Seigneur -287.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c8">VIII<br /> -SAINT ÉTIENNE, <span class="small">PREMIER MARTYR<br /> -(26 décembre)</span></h2> - - -<p>I. Etienne fut un des sept diacres ordonnés par -les apôtres pour le ministère sacré. On sait, en effet, que, -le nombre des disciples se multipliant, les chrétiens -d’origine étrangère se mirent à murmurer contre les -chrétiens d’origine juive, parce que les veuves étaient -négligées dans le ministère quotidien. La cause de ces -murmures peut être comprise de deux façons : ou bien -les veuves n’étaient pas admises dans le ministère, ou -bien encore elles y avaient trop de travail, les apôtres -leur ayant confié les soins matériels du culte afin de -pouvoir se consacrer entièrement à la prédication. -Toujours est-il que les apôtres, en présence de ce murmure, -réunirent la foule des fidèles et dirent : « Il n’est -<span class="pagenum" id="p46">-46-</span> pas raisonnable que nous délaissions la prédication -de la parole de Dieu pour nous occuper des soins matériels -et pour servir aux tables. Choisissez donc, frères, -sept hommes d’entre vous qui aient bonne réputation et -qui soient pleins de l’Esprit-Saint, afin que nous leur commettions -cet emploi ! Et ainsi nous pourrons continuer à -nous occuper de prier et de prêcher. » Cette proposition -plut à toute l’assemblée. On élut sept hommes, dont le -premier était Etienne ; et on les présenta aux apôtres -qui, après avoir prié, leur imposèrent les mains.</p> - -<p>Or, Etienne, plein de foi et de courage, faisait de grands -miracles parmi le peuple. Alors les Juifs, le jalousant et -désirant se défaire de lui, engagèrent la lutte contre -lui de trois façons : en discutant avec lui, en subornant -de faux témoins contre lui, et en le torturant. Mais lui, -il eut le dessus dans la discussion : il convainquit de -fausseté les faux témoins, et il triompha de ceux qui le -torturaient. Dans cette triple lutte, il reçut du ciel un -triple secours. Dans la discussion, il reçut le secours de -l’Esprit-Saint, qui lui donna la sagesse. Devant les faux -témoins, son visage revêtit une pureté angélique qui -fit taire leurs témoignages. Et dans la torture le Christ -lui apparut, l’aidant à supporter le martyre. Quant au -détail du discours qu’il tint aux Juifs, nous le trouvons -énoncé tout au long au chapitre <small>VII</small> des <i>Actes des -Apôtres</i>.</p> - -<p>Et comme les Juifs, entendant les paroles du saint, -étaient transportés de rage et le menaçaient, Etienne -étant rempli du Saint-Esprit et tenant les yeux levés -au ciel, s’écria : « Voici, je vois les cieux ouverts et -Jésus assis à la droite de Dieu ! » Alors ils poussèrent de -grands cris et se bouchèrent les oreilles, comme pour -ne pas l’entendre blasphémer ; et ils se jetèrent tous -ensemble sur lui, et, l’ayant traîné hors de la ville, ils le -lapidèrent. Et les deux faux témoins, qui avaient à lui -jeter la première pierre, ôtèrent leurs vêtements, soit pour -éviter de les souiller au contact d’Etienne, ou pour avoir -plus de force ; et ils les mirent aux pieds d’un adolescent -qui s’appelait Saul, et qui fut plus tard saint Paul : de -<span class="pagenum" id="p47">-47-</span> telle sorte que celui-ci, gardant les vêtements de ceux -qui lapidaient Etienne, pour les aider dans leur office, -peut être considéré comme ayant contribué lui-même à -le lapider. Et pendant qu’on le lapidait, Etienne priait, -disant : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit ! » Puis, -s’étant mis à genoux, il cria à haute voix : « Seigneur, -ne leur impute pas à péché ce qu’ils font ! » En quoi le -martyr imitait le Christ, qui, dans sa passion, avait -prié d’abord pour soi, disant : « Mon Père, je te livre -mon âme ! » et avait ensuite prié pour ses bourreaux, -disant : « Mon Père, pardonne-leur, car ils ne savent -pas ce qu’ils font ! » Et l’auteur des <i>Actes</i> ajoute qu’après -avoir ainsi parlé Etienne « s’endormit dans le Seigneur ». -Expression belle et juste : car le saint ne mourut pas, il -« s’endormit » dans l’espoir de la résurrection.</p> - -<p>Le martyre d’Etienne eut lieu l’année même de l’Ascension -du Seigneur, le troisième jour d’août. Saint Gamaliel -et Nicodème, qui soutenaient les intérêts des chrétiens -dans tous les conseils des Juifs, ensevelirent saint -Etienne dans le champ dudit Gamaliel, et un grand -deuil eut lieu en son honneur ; et une persécution violente -s’éleva, bientôt après, contre tous les chrétiens qui -étaient à Jérusalem, à tel point que tous durent se disperser -dans les divers quartiers de la Judée et de la -Samarie, à l’exception des apôtres, qui, sans doute, -allaient au-devant de la mort au lieu de la fuir.</p> - -<p>II. Saint Augustin rapporte que le bienheureux Etienne -s’est illustré par d’innombrables miracles : qu’il a six -fois ressuscité des morts, et guéri une foule de malades. -Le même auteur rapporte qu’on avait coutume de mettre -des fleurs sur l’autel de saint Etienne, qui, placées ensuite -sur des malades, les guérissaient ; et que les linges -déposés sur l’autel, et placés ensuite sur des malades, -guérissaient en particulier les maladies de la moelle. Au -livre XXII de sa <i>Cité de Dieu</i>, il raconte le miracle d’une -femme aveugle qui fut rendue à la lumière par le contact -d’une fleur prise sur l’autel du saint. Il raconte aussi -l’histoire de l’un des hommes les plus considérables de -la ville d’Hippone, nommé Martial, qui était infidèle et -<span class="pagenum" id="p48">-48-</span> refusait de se convertir. Cet homme étant malade, son -gendre, qui était chrétien, se rendit à l’église de saint -Etienne, y prit des fleurs sur l’autel, et les posa en secret -sous la tête de son beau-père. Et celui-ci, dès qu’au petit -jour il se réveilla, envoya chercher l’évêque. L’évêque se -trouvait absent, mais un prêtre vint chez Martial, et -celui-ci demanda à être baptisé. Et, aussi longtemps qu’il -vécut, il répéta ces mots : « Seigneur Jésus, reçois mon -esprit ! » sans se douter que c’étaient les dernières -paroles du bienheureux Etienne.</p> - -<p>III. Autre miracle rapporté par saint Augustin. Certaine -matrone nommée Pétronie, qui souffrait depuis -longtemps d’une grave maladie contre laquelle tous les -remèdes avaient échoué, s’avisa de consulter un Juif, -qui lui donna une bague ornée d’une pierre, lui disant de -se l’appliquer à nu sur le corps. Et Pétronie suivit le -conseil, mais n’en retira aucun bien. Elle se rendit alors -à l’église du Premier Martyr, et demanda sa guérison à -saint Etienne. Aussitôt la bague du Juif, qu’elle avait -attachée par une corde passée autour de ses reins, tomba -à terre, sans que ni la corde ni la bague fussent rompues. -Et, depuis cet instant, la dame fut guérie.</p> - -<p>IV. Autre miracle, non moins étonnant, rapporté par -saint Augustin. A Césarée de Cappadoce vivait une dame -noble qui était veuve, mais qui avait le bonheur d’avoir -dix enfants, dont sept garçons et trois filles. Or, un jour, -la mère, se jugeant offensée par ses enfants, les maudit ; -et aussitôt, sous l’effet de la malédiction maternelle, les -dix enfants furent frappés d’une même peine, la plus -effroyable du monde. Ils se virent atteints d’un tremblement -de tous les membres qui ne se relâchait ni le jour, -ni la nuit. N’osant s’exposer à la vue de leurs concitoyens, -ils quittèrent la ville et se dispersèrent à travers -le monde, attirant partout sur eux l’attention générale. -Deux d’entre eux, un frère et sa sœur, nommés Paul et -Palladie, arrivèrent ainsi à Hippone, et racontèrent leur -histoire à saint Augustin, qui était évêque de cette ville. -On était alors quinze jours avant Pâques, et les deux -infortunés se rendaient tous les matins à l’église de saint -<span class="pagenum" id="p49">-49-</span> Etienne, suppliant le saint d’avoir pitié d’eux. Or, le -jour de Pâques, en présence de la foule, Paul pénétra -soudain dans la chapelle du saint, se prosterna pieusement -devant l’autel ; et tout le monde le vit ensuite se -relever guéri ; et il fut à jamais délivré de son tremblement. -Puis sa sœur Palladie entra à son tour dans la -chapelle, et parut soudain frappée d’un sommeil dont -elle se réveilla tout à fait guérie. Le frère et la sœur furent -montrés à la foule, et de grandes actions de grâces furent -adressées à saint Etienne pour leur guérison.</p> - -<p>Nous avons oublié de dire qu’Orose, revenant de chez -saint Jérôme, avait rapporté à saint Augustin des reliques -de saint Etienne, et que ce sont ces reliques qui ont opéré -les miracles ci-dessus, et bien d’autres encore.</p> - -<p>V. Nous devons noter enfin que ce n’est pas le -26 décembre que saint Etienne a subi le martyre, mais -le 3 août, jour où l’Eglise fête l’Invention de ce saint. -Pourquoi cela se fait ainsi, c’est ce que nous dirons -quand nous aurons à parler de l’Invention de saint -Etienne. Mais disons, dès maintenant, que c’est pour -une double cause que l’Eglise a placé tout de suite après -la Nativité du Seigneur les trois fêtes de saint Jean -l’Evangéliste, de saint Etienne et des saints Innocents. -D’abord, l’Eglise a voulu adjoindre au Christ ses premiers -compagnons ; et la seconde cause est que l’Eglise a voulu -réunir les trois genres de martyres dans le voisinage de -la naissance du Christ, qui est la raison première de -tous les martyres. Car il y a trois genres de martyres : -le premier à la fois de volonté et de fait, le second de -volonté et non de fait, le troisième de fait et non de -volonté. Or le premier de ces martyres a eu pour premier -représentant saint Etienne, le second saint Jean, et le -troisième les saints Innocents.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p50">-50-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c9">IX<br /> -SAINT JEAN, <span class="small">APÔTRE ET ÉVANGÉLISTE<br /> -(27 décembre)</span></h2> - - -<p>La vie de saint Jean l’Evangéliste a été écrite par -Milet, évêque de Laodicée : un résumé en a été fait par -Isidore, dans sa <i>Vie et Mort des Saints</i>.</p> - -<p>I. L’apôtre et évangéliste Jean, lorsque après la Pentecôte -les apôtres se séparèrent, se rendit en Asie, où il -fonda de nombreuses églises. Or, l’empereur Domitien, -ayant appris sa renommée, le manda à Rome, et le fit -plonger dans une chaudière d’huile bouillante ; mais le -saint en sortit sain et sauf, de même qu’il avait échappé -à la corruption des sens. Ce que voyant, l’empereur le -relégua en exil dans l’île de Patmos, où, vivant seul, il -écrivit l’<i>Apocalypse</i>. Mais, la même année, le cruel -empereur fut tué, et le Sénat révoqua tout ce qu’il avait -décrété. Ainsi arriva que saint Jean, qui avait été déporté -comme un criminel, revint à Ephèse couvert -d’honneurs ; et toute la foule accourait au-devant de lui, -disant : « Béni celui qui vient au nom du Seigneur ! » -Or, comme il entrait dans la ville, il rencontra le cortège -qui conduisait les restes mortels d’une femme -nommée Drusienne, qui autrefois avait été sa plus fidèle -amie, et qui, plus que personne, avait souhaité son -retour. Et les parents de cette femme, et les veuves et -les orphelins d’Ephèse, dirent à saint Jean : « Voici que -nous portons en terre Drusienne, qui toujours, suivant -tes conseils, nous nourrissait tous de la parole divine, -et qui plus que personne souhaitait ton retour, disant : -« Oh, si je pouvais revoir l’apôtre de Dieu avant de -mourir. » Et voici que tu es revenu, et qu’elle n’a pas -pu te revoir ! » Alors l’apôtre fit déposer à terre le cercueil, -le fit ouvrir, et dit : « Drusienne, mon maître Jésus-Christ -te ressuscite ! Lève-toi, va dans ta maison, et -prépare-moi mon repas ! » Et aussitôt elle se leva et -<span class="pagenum" id="p51">-51-</span> s’en alla vers sa maison, avec l’impression de s’être -éveillée du sommeil, et non de la mort.</p> - -<p>II. Le lendemain de l’arrivée de saint Jean à Ephèse, -un philosophe nommé Craton convoqua le peuple, sur la -place, pour lui montrer comment on devait mépriser le -monde. Il avait ordonné à deux jeunes gens très riches -de vendre tout leur patrimoine, pour acheter en échange -des diamants d’un prix énorme ; et, sur son ordre, ces -jeunes gens avaient brisé leurs diamants en présence de -tous. Or, l’apôtre passait par hasard sur la place : il -appela le philosophe, et lui prouva tout ce qu’avait de -blâmable une telle façon de mépriser le monde : car le -dédain des richesses n’est méritoire que lorsque les -richesses dédaignées servent au bien des pauvres, et -c’est pour cela que le Seigneur a dit au jeune homme de -l’Evangile : « Si tu veux être parfait, va vendre tous tes -biens et donnes-en le produit aux pauvres ! » Alors Craton -lui dit : « Si vraiment ton maître est Dieu, et s’il veut que -le prix de ces diamants profite aux pauvres, fais qu’ils -reprennent leur intégrité, réalisant ainsi à la gloire de -ton Maître ce que j’ai su réaliser en vue de la gloire -humaine ! » Alors saint Jean réunit dans sa main les -fragments des pierres précieuses, et pria ; et aussitôt les -pierres redevinrent telles qu’avant d’être brisées, et le -philosophe et les deux jeunes gens crurent en Jésus, et -le produit des diamants fut distribué aux pauvres.</p> - -<p>III. Mais un jour ces deux jeunes gens, voyant leurs -anciens esclaves vêtus de manteaux de prix, tandis qu’eux-mêmes -étaient mis comme des mendiants, commencèrent -à se désoler. Ce que voyant sur leurs visages, saint Jean se -fit apporter du bord de la mer des roseaux et des pierres, -et les changea en or et en diamants. Et, sur son ordre, -tous les orfèvres de la ville examinèrent pendant sept -jours l’or et les diamants ainsi obtenus ; et quand ils -eurent déclaré n’en avoir jamais vu d’aussi purs, le saint -dit aux deux jeunes gens : « Allez, et rachetez les terres -que vous avez vendues ! Puisque vous avez perdu les trésors -du ciel, soyez florissants, mais afin de vous dessécher ; -soyez riches temporellement, mais afin d’être mendiants -<span class="pagenum" id="p52">-52-</span> dans l’éternité ! » Et il se mit alors à parler des richesses, -dénombrant les six motifs qui doivent nous empêcher -d’un désir immodéré des biens terrestres. Le premier de -ces motifs est le texte écrit : et saint Jean raconta -l’histoire du riche et de Lazare le pauvre. Le second -motif est la nature : l’homme naît nu et meurt de même. -Le troisième motif est la création : car de même que le -soleil, la lune, les étoiles, l’air, sont communs à tous et -partagent entre tous leurs bienfaits, de même entre les -hommes tout devrait être commun. Le quatrième motif est -le hasard des richesses. Le cinquième est le souci qu’elles -imposent. Enfin le sixième motif est les mauvaises conséquences -qu’entraîne la possession des richesses, aussi -bien dans cette vie que dans la future.</p> - -<p>IV. Et, pendant que saint Jean parlait ainsi contre les -richesses, il rencontra le convoi d’un jeune homme, mort -après trente jours de mariage. Alors la mère et la veuve -de ce jeune homme, et tous ses amis, se jetèrent en -pleurant aux pieds de l’apôtre, le suppliant de ressusciter -le mort au nom de Dieu, comme il avait ressuscité -Drusienne. Et l’apôtre, après avoir longtemps pleuré et -prié, ressuscita le jeune homme, et lui dit de raconter -aux deux jeunes riches le châtiment qu’ils avaient -encouru et la gloire qu’ils avaient perdue. Alors le ressuscité -parla de la gloire du paradis et des châtiments -de l’enfer, dont il venait d’être témoin. Il dit aux deux -riches, qu’ils avaient perdu des palais éternels, construits -de pierres brillantes, éclairés d’une lumière merveilleuse, -pourvus de mets exquis, et tout remplis de joies -et de délices. Et il leur dit les huit peines de l’enfer, -qu’on a résumées dans ce distique : « Les vers et les -ténèbres, le fouet, le froid et le feu, — la vue du diable, -le remords, le désespoir. » Puis il ajouta, s’adressant -aux deux riches : « Et j’ai vu vos anges gardiens qui -pleuraient, qui gémissaient. O malheureux que vous -êtes ! » Alors le ressuscité et les deux riches, se prosternant -aux genoux de l’apôtre, le supplièrent d’invoquer -le pardon du ciel. Et l’apôtre dit aux deux jeunes gens : -« Faites pénitence pendant trente jours, et priez que les -<span class="pagenum" id="p53">-53-</span> roseaux et les pierres reprennent leur ancienne forme ! » -C’est ce qu’ils firent, et les roseaux et les pierres -reprirent leur ancienne forme, et les deux riches obtinrent -leur pardon.</p> - -<p>V. Et lorsque saint Jean eut prêché dans toute l’Asie, -les adorateurs des idoles le traînèrent au temple de -Diane, voulant le forcer à sacrifier à cette déesse. Alors -le saint leur offrit cette alternative : il leur dit que si, en -invoquant Diane, ils parvenaient à renverser l’église du -Christ, il sacrifierait à Diane, mais que si, au contraire, -c’était lui qui, en invoquant le Christ, détruisait le temple -de Diane, ils auraient à croire au Christ. La plus grande -partie du peuple ayant consenti à cette épreuve, Jean fit -sortir du temple tous ceux qui s’y trouvaient ; puis il -pria, et le temple s’écroula, et la statue de Diane fut -réduite en miettes.</p> - -<p>Alors le grand prêtre Aristodème souleva une sédition -dans le peuple, au point que les deux partis s’apprêtaient -à en venir aux mains. Et l’apôtre lui dit : « Que -veux-tu que je fasse pour t’apaiser ? » Et lui : « Si tu -veux que je croie en ton Dieu, je te donnerai du poison à -boire, et, s’il ne te fait aucun mal, c’est que ton Dieu -sera le vrai Dieu. » Et l’apôtre : « Fais comme tu l’as dit ! » -Et lui : « Mais je veux que d’abord tu voies mourir -d’autres hommes par l’effet de ce poison, pour en constater -la puissance ! » Et Aristodème demanda au proconsul -de lui livrer deux condamnés à mort : il leur -donna à boire du poison, et aussitôt ils moururent. Alors -l’apôtre prit à son tour le calice, et, s’étant muni du -signe de la croix, il but tout le poison et n’en éprouva -aucun mal : sur quoi tous se mirent à louer Dieu. Mais -Aristodème dit : « Un doute me reste encore ; mais s’il -ressuscite les deux hommes qui sont morts par le poison, -je ne douterai plus, et croirai au Christ. » L’apôtre, -sans lui répondre, lui donna son manteau. Et lui : -« Pourquoi me donnes-tu ton manteau ? Penses-tu qu’il -me transmettra ta foi ? » Et saint Jean : « Va étendre ce -manteau sur les cadavres des deux morts en disant : -l’apôtre du Christ m’envoie vers vous, pour que vous -<span class="pagenum" id="p54">-54-</span> ressuscitiez au nom du Christ ! » Et Aristodème fit ainsi, -et aussitôt les deux morts ressuscitèrent. Alors l’apôtre -baptisa le grand prêtre et le proconsul avec toute sa -famille ; et ceux-ci, plus tard, élevèrent une église en -l’honneur de saint Jean.</p> - -<p>VI. Saint Clément rapporte, ainsi qu’on le lit au livre -quatrième de l’<i>Histoire ecclésiastique</i>, qu’un jour saint -Jean convertit certain jeune homme brave et beau, et le -confia au soin d’un évêque, comme un dépôt. Or, quelque -temps après, le jeune homme abandonna l’évêque pour -devenir chef de brigands. Et, l’apôtre ayant ensuite redemandé -à l’évêque le dépôt qu’il lui avait confié, l’évêque -répondit : « Mon père vénéré, cet homme est mort, quant -à l’âme ; il demeure maintenant sur une montagne, avec -des brigands dont il est le chef. » Ce qu’entendant, -l’apôtre déchira son manteau et se frappa la tête de ses -poings ; et aussitôt il se fit seller un cheval, et monta, -sans escorte, sur la montagne où était le brigand. Mais -celui-ci, pris de honte à sa vue, enfourcha son cheval et -s’enfuit. Or, l’apôtre, oubliant son âge, se mit à le poursuivre, -en lui criant : « Hé, quoi, fils bien-aimé, tu fuis -ton père, qui n’est qu’un vieillard sans armes ? Ne crains -rien, mon fils, car je rendrai compte pour toi au Christ, et -je t’assure que bien volontiers je mourrai pour toi, de -même que le Christ est mort pour nous ! Reviens, mon -fils, reviens ! C’est le Seigneur qui m’envoie ! » En entendant -ces paroles, le jeune homme se retourna, s’approcha -du saint, et fondit en larmes. Alors l’apôtre se jeta à ses -pieds, lui prit la main, et la couvrit de baisers. Et il pria -et jeûna pour lui, et obtint son pardon ; et, plus tard, il -l’ordonna évêque.</p> - -<p>VII. Cassien, dans son livre des <i>Collations</i>, raconte -ceci. On offrit un jour à saint Jean une perdrix vivante ; -et comme le saint la caressait dans sa main, un adolescent -dit en riant à ses camarades : « Voyez donc ce -vieillard qui joue avec un oiseau, comme un enfant ! » -Alors, saint Jean, devinant la pensée de l’adolescent, -l’appela et lui demanda pourquoi il tenait en main un -arc et des flèches. Et l’adolescent : « C’est pour viser des -<span class="pagenum" id="p55">-55-</span> oiseaux au vol ! » Et l’apôtre : « Comment fais-tu cela ? » -Alors le jeune homme tendit son arc, et le garda tendu -dans sa main. Mais, comme l’apôtre ne lui disait rien, il -ne tarda pas à détendre son arc. Alors saint Jean : -« Mon fils, pourquoi as-tu débandé ton arc ? » Et lui : -« Si je l’avais tenu bandé plus longtemps, il serait devenu -faible pour lancer des flèches. » Et l’apôtre : « De -même, notre fragile nature humaine s’affaiblirait pour -la contemplation, si, persistant dans sa rigueur, elle -refusait de céder parfois à sa fragilité. Ne sais-tu pas -que l’aigle, qui vole plus haut que tous les autres -oiseaux, et qui regarde le soleil en face, doit cependant, -de par sa nature, descendre vers la terre : de même l’esprit -humain, après s’être un peu relâché de la contemplation -des choses célestes, y revient ensuite avec plus -d’ardeur. »</p> - -<p>VIII. Et saint Jérôme nous rapporte ceci : « Saint Jean, -qui demeura à Ephèse jusqu’à l’extrême vieillesse, devint -si faible que ses disciples avaient à le porter à l’église, -et qu’il pouvait à peine ouvrir la bouche ; mais à tout -instant il répétait cette seule et même phrase : « Mes -enfants, aimez-vous les uns les autres ! » Or, un jour, les -fidèles qui étaient près de lui, s’étonnant de ce qu’il -répétât toujours la même chose, lui en demandèrent le -motif. Et le saint leur répondit : « Parce que c’est le -grand précepte du Seigneur ; et, si seulement on -applique celui-là, cela suffit. »</p> - -<p>IX. Hélinand rapporte, d’autre part, que lorsque saint -Jean eut à écrire son évangile, il ordonna d’abord aux -fidèles de jeûner et de prier, afin que Dieu l’inspirât. Et -quand, ensuite, il se fut retiré dans le lieu solitaire où il -allait écrire le livre divin, il pria que ce livre fût abrité -contre l’outrage des vents et des pluies. Et l’on dit que, -aujourd’hui encore, ce lieu est respecté par les éléments.</p> - -<p>X. Enfin voici ce que nous lisons dans le livre d’Isidore : -« Quand saint Jean fut arrivé à l’âge de quatre-vingt-dix-huit -ans, l’an soixante-septième de la passion du -Seigneur, Jésus lui apparut avec ses disciples et lui -dit : « Viens à moi, mon bien-aimé, car voici le temps -<span class="pagenum" id="p56">-56-</span> où tu vas pouvoir manger à ma table avec tes frères ! » -Et saint Jean se levant se mit en marche. Mais Jésus -lui dit : « Non, c’est dimanche que tu viendras à moi. » -Donc, le dimanche suivant, tout le peuple s’assembla -dans l’église. Et saint Jean, retrouvant ses forces, prêcha -dès le chant du coq, leur disant d’être stables dans la -foi et fervents pour les ordres du Christ. Après quoi il fit -creuser, près de l’autel, une fosse carrée, et il en fit jeter -la terre hors de l’église ; et, descendant dans la fosse et -étendant les mains vers le ciel, il dit : « Invité à ta table, -mon Seigneur Jésus-Christ, voici que je viens, en te -remerciant d’avoir daigné m’inviter, car tu sais que je -l’ai désiré de tout mon cœur ! » Lorsqu’il eut ainsi -prié, une lumière aveuglante l’entoura. Et lorsque la -lumière se dissipa, le saint avait disparu, et la fosse -était remplie de manne ; et l’on dit que cette manne sort -aujourd’hui encore de la fosse, à la manière d’une -source. »</p> - -<p>XI. Saint Edmond, roi d’Angleterre avait coutume de -ne rien refuser à ceux qui lui demandaient au nom de -saint Jean l’Evangéliste. Un jour, pendant l’absence du -chambellan du roi, certain pèlerin s’approcha d’Edmond -et lui demanda l’aumône au nom de saint Jean l’Evangéliste. -Et le roi, n’ayant rien d’autre qu’il pût lui -donner, lui donna la bague de prix qu’il portait au doigt. -Or, plusieurs jours après, un soldat anglais, qui se trouvait -outremer, rencontra le même pèlerin ; et celui-ci lui -remit la bague, lui disant de la porter à son roi avec -ces paroles : « Celui pour l’amour de qui tu as donné -cette bague, c’est lui qui te la renvoie ! » D’où apparut -clairement que c’était saint Jean lui-même qui s’était -montré au roi sous l’habit d’un pèlerin.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p57">-57-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c10">X<br /> -LES SAINTS INNOCENTS<br /> -<span class="small">(28 décembre)</span></h2> - - -<p>Les Innocents sont appelés de ce nom pour trois -motifs, à savoir : en raison de leur vie, en raison de leur -martyre, et en raison de l’innocence que leur mort leur -a acquise. Ils sont innocents en raison de leur vie, parce -qu’ils ont eu une vie innocente, c’est-à-dire n’ont pu, -de leur vivant, nuire à personne. Ils sont innocents en -raison de leur martyre, parce qu’ils ont souffert injustement -et sans être coupables d’aucun crime. Enfin ils -sont innocents en raison des suites de leur mort, parce -que leur martyre leur a conféré l’innocence baptismale, -c’est-à-dire les a purifiés du péché originel.</p> - -<p>I. Les Innocents ont été mis à mort par Hérode d’Ascalon. -L’Ecriture Sainte cite en effet trois Hérode, fameux -tous trois pour leur cruauté. Le premier est appelé -Hérode d’Ascalon : c’est sous son règne qu’est né le -Seigneur et qu’ont été mis à mort les Innocents. Le -second s’appelle Hérode Antipas : c’est lui qui a ordonné -la décollation de saint Jean. Enfin le troisième -est Hérode Agrippa, qui a mis à mort saint Jacques et -a fait emprisonner saint Pierre. C’est ce que résument -ces deux vers :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse" lang="la" xml:lang="la">Ascalonita necat pueros, Antipa Johannem,</div> -<div class="verse" lang="la" xml:lang="la">Agrippa Jacobum, claudens in carcere Petrum.</div> -</div> - -<p>Mais racontons brièvement l’histoire du premier de -ces Hérode. Antipater l’Iduméen, comme nous le lisons -dans l’<i>Histoire scholastique</i>, prit pour femme une nièce -du roi des Arabes et eut d’elle un fils, qu’il appela -Hérode, et qui fut surnommé ensuite Hérode d’Ascalon. -Celui-ci fut fait, par César-Auguste, roi de Judée : ce -fut la première fois que la Judée reçut un roi étranger. -<span class="pagenum" id="p58">-58-</span> Cet Hérode eut à son tour six fils : Antipater, Alexandre, -Aristobule, Archélaüs, Hérode Antipas, et Philippe. -Alexandre et Aristobule, nés de la même mère, qui -était juive, furent envoyés dans leur jeunesse, à Rome -pour s’y instruire aux arts libéraux ; puis ils revinrent -à Jérusalem, et Alexandre devint grammairien, tandis -qu’Aristobule se distingua par la subtilité de son éloquence. -Et souvent ils se querellaient avec leur père au -sujet de la succession au trône. Puis, comme leur père, -irrité, contre eux, parlait de les déshériter, ils entreprirent -de le faire tuer. Hérode, prévenu, les chassa ; -et les deux jeunes princes se rendirent à Rome, où ils -portèrent plainte contre leur père devant l’empereur.</p> - -<p>Cependant les mages vinrent à Jérusalem, s’informant -de la naissance du nouveau roi que leur annonçaient les -présages. Et Hérode, en les entendant, craignit que, de -la famille des vrais rois de Judée, un enfant ne fût né -qui pourrait le chasser comme usurpateur. Il demanda -donc aux rois mages de venir lui signaler l’enfant royal -dès qu’ils l’auraient trouvé, feignant de vouloir adorer -celui qu’en réalité il se proposait de tuer. Mais les mages -s’en retournèrent dans leur pays par une autre route. -Et Hérode, ne les voyant pas revenir, crut que, honteux -d’avoir été trompés par l’étoile, ils s’en étaient retournés -sans oser le revoir ; et, là-dessus, il renonça à s’enquérir -de l’enfant. Pourtant, quand il apprit ce qu’avaient dit les -bergers et ce qu’avaient prophétisé Siméon et Anne, -toute sa peur le reprit, et il résolut de faire massacrer -tous les enfants de Bethléem, de façon que l’enfant -inconnu dont il avait peur pérît à coup sûr. Mais -Joseph, averti par un ange, s’enfuit avec l’enfant et la -mère en Egypte, dans la ville d’Hermopolis, et y resta -sept ans, jusqu’à la mort d’Hérode. Et Cassiodore nous -dit, dans son <i>Histoire tripartite</i>, qu’on peut voir à -Hermopolis, en Thébaïde, un arbre de l’espèce des -persides, qui guérit les maladies, si l’on applique sur -le cou des malades un de ses fruits, ou une de ses -feuilles, ou une partie de son écorce. Cet arbre, lorsque -la sainte Vierge fuyait en Egypte avec son fils, s’est -<span class="pagenum" id="p59">-59-</span> incliné jusqu’à terre, et a pieusement adoré le Christ.</p> - -<p>II. Or, pendant qu’Hérode méditait le massacre des -enfants, lui-même fut mandé par lettre devant Auguste, -pour se défendre de l’accusation de ses deux fils. Et -après qu’il eut discuté avec ses fils en présence de -l’empereur, celui-ci décida que les fils devaient obéir -en tout à leur père, qui était libre de laisser son trône -à qui il voudrait. C’est alors qu’Hérode, revenu de Rome, -et rendu plus audacieux par la confirmation de la faveur -impériale, ordonna de tuer tous les enfants âgés de -moins de deux ans. Cet ordre s’explique fort bien si -l’on songe que, le voyage d’Hérode à Rome ayant duré -un an, un espace de près de deux ans devait s’être -écoulé depuis le moment où l’étoile avait révélé aux -mages la naissance de l’enfant royal. Mais saint Jean -Chrysostome croit que le décret d’Hérode ordonnait, au -contraire, le massacre de tous les enfants ayant plus de -deux ans ; car l’étoile, d’après lui, serait apparue aux -mages un an avant la naissance de Jésus ; et Hérode -était resté un an à Rome, et sans doute il s’imaginait -que, lorsque l’étoile était apparue aux mages, l’enfant -était déjà né. Le fait est que certains os des saints Innocents, -qui se sont conservés, sont trop grands pour -provenir d’enfants de moins de deux ans ; encore qu’on -puisse dire que peut-être la taille humaine était alors -beaucoup plus grande qu’elle ne l’est aujourd’hui. -Quant à Hérode, il fut aussitôt puni de son crime : car -Macrobe et un autre chroniqueur rapportent qu’un fils -d’Hérode se trouvait en nourrice à Bethléem, et fut massacré -avec les autres enfants.</p> - -<p>III. Mais Dieu, le juge des juges, ne permit pas que -le châtiment d’un tel crime se bornât à cette seule mort. -L’homme qui avait privé de leurs fils des pères sans -nombre fut, lui-même, misérablement privé des siens. -En effet, Alexandre et Aristobule devinrent de nouveau -suspects à Hérode. Un de leurs complices révéla -qu’Alexandre lui avait promis beaucoup de présents -s’il parvenait à empoisonner son père ; d’autre part, le -barbier d’Hérode révéla qu’Alexandre lui avait promis -<span class="pagenum" id="p60">-60-</span> de le récompenser si, pendant qu’il rasait son père, il -voulait étrangler le vieillard. Aussi Hérode, dans sa -colère, les fit-il mettre à mort ; et il finit par déposséder -de sa succession au trône son fils aîné Antipater, au -profit de son autre fils Hérode Antipas. Et comme il -avait, en outre, une affection toute paternelle pour les -deux enfants d’Aristobule, Hérode Agrippa et Hérodiade, -femme de son fils Philippe, Antipater se prit à l’égard -de son père d’une haine si violente qu’il essaya de l’empoisonner ; -et Hérode, l’ayant su, le fit jeter en prison. -C’est à cette occasion que César-Auguste dit à ses familiers : -« J’aimerais mieux être le porc d’Hérode que son -fils, car, en sa qualité de Juif, il épargne les porcs, tandis -qu’il tue ses fils. »</p> - -<p>IV. Quant à Hérode lui-même, il avait environ soixante-dix -ans lorsqu’il fut frappé d’une grave maladie. Il avait -une fièvre très violente, une décomposition du corps, -une inflammation des pieds, des vers dans les testicules, -l’haleine courte, et une puanteur insupportable. Placé -par les médecins dans un bain d’huile, il en fut retiré -quasi mort. Mais, en apprenant que les Juifs attendaient -avec joie l’instant de sa mort, il fit jeter en prison des -jeunes gens des plus nobles familles de tout le royaume, -et dit à sa sœur Salomé : « Je sais que les Juifs vont se -réjouir de ma mort ; mais beaucoup d’entre eux s’en -affligeront si tu veux obéir à ma recommandation, et, -dès que je serai mort, faire égorger tous les jeunes gens -que je tiens en prison : car, de cette manière, toute la -Judée me pleurera malgré elle ! »</p> - -<p>Il avait l’habitude de manger, après tous ses repas, -une pomme, qu’il pelait lui-même ; et comme une toux -affreuse le torturait, il tourna contre sa poitrine le couteau -dont il se servait pour peler sa pomme. Mais un de -ses parents arrêta sa main et l’empêcha de se tuer. -Cependant toute la cour, le croyant mort, se remplit de -cris ; et Antipater s’en réjouit fort dans sa prison, et promit -de récompenser ses gardiens s’ils le délivraient. Ce -qu’apprenant, Hérode fit tuer son fils par des soldats, et -nomma, pour lui succéder, Archélaüs. Il mourut cinq -<span class="pagenum" id="p61">-61-</span> jours après, ayant été très heureux dans sa fortune politique, -mais très malheureux dans sa vie privée. Salomé, -sa sœur, fit remettre en liberté tous ceux que le roi lui -avait ordonné de tuer. Voilà du moins ce que nous -lisons dans l’<i>Histoire scholastique</i> ; mais Remi, dans son -Commentaire de saint Matthieu, dit au contraire qu’Hérode -se transperça du couteau dont il se servait pour -peler ses fruits, et que Salomé, sa sœur, fit mettre à mort -tous ceux qu’il avait jetés en prison.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c11">XI<br /> -SAINT THOMAS DE CANTORBERY, <span class="small">ÉVÊQUE ET MARTYR<br /> -(29 décembre)</span></h2> - - -<p>I. Thomas de Cantorbery, pendant qu’il était à la -cour du roi d’Angleterre, y fut témoin d’actes contraires -à la religion. Il quitta alors la cour, et se retira auprès de -l’évêque de Cantorbery, qui le sacra archidiacre. Mais -ensuite, sur la prière de l’évêque, il accepta de devenir -chancelier du roi, afin que la sagesse dont il était doué -lui permît d’empêcher les attaques des méchants contre -l’Eglise. Et le roi se prit d’une telle affection pour lui, -que, à la mort de l’archevêque de Cantorbery, il lui offrit -de le faire nommer pour le remplacer. Thomas, après -avoir longtemps résisté, finit par tendre les épaules au -manteau archi-épiscopal, tant était grande son obéissance ! -Et aussitôt sa nouvelle dignité fit de lui un autre homme, -absolument parfait. Il se mit à macérer sa chair par le -jeûne et par un cilice, dont il se couvrait non seulement -le haut du corps, mais aussi les jambes jusqu’au-dessous -des genoux. Et il cachait si soigneusement sa sainteté -que son costume extérieur ressemblait à celui des autres -évêques, sans que rien y révélât l’austérité de ses mœurs -privées. Et tous les jours, se mettant à genoux, il lavait -<span class="pagenum" id="p62">-62-</span> les pieds à treize pauvres, qu’ensuite il nourrissait, et à -qui il donnait encore quatre deniers d’argent.</p> - -<p>Mais le roi s’efforçait de le fléchir à sa propre volonté, -au détriment de l’Eglise. Il voulait que Thomas approuvât, -comme avaient fait ses prédécesseurs, certaines coutumes -royales qui étaient contraires à la liberté de l’Eglise. -Et comme le nouvel archevêque s’y refusait, il s’attira -la colère du roi et des grands. Un jour, le roi le pressa si -fort, lui et les autres évêques, allant jusqu’à les menacer -de mort, que, trompé par le conseil des grands de l’Etat, -il donna son approbation au désir du roi. Mais quand il -vit le danger qui allait en résulter pour les âmes, il résolut -de se punir lui-même, et il renonça au service des autels, -jusqu’au jour où le souverain pontife le jugerait -digne de rentrer en fonction. Et lorsque le roi lui demanda -de confirmer par écrit ce qu’il avait approuvé de vive -voix, il s’y refusa avec courage, et, tenant sa croix levée, -il s’éloigna, poursuivi par les cris de mort des impies. Et -deux chevaliers qui lui étaient fidèles vinrent en pleurant -lui révéler, sous serment, que plusieurs chevaliers complotaient -sa mort. Sur quoi l’homme de Dieu, craignant -plutôt pour l’Eglise que pour lui-même, s’enfuit, fut reçu -à Sens par le pape Alexandre, qui le fit entrer dans le -monastère de Pontigny ; après quoi il vint en France. -Et comme le roi avait envoyé à Rome pour demander -qu’un légat vînt trancher ce différend, et comme sa -demande avait été repoussée, sa colère contre l’archevêque -ne connut plus de bornes. Il s’empara de tout ce -qui appartenait à Thomas et aux siens, et condamna à -l’exil toute sa famille, sans considération d’âge, de sexe, -ni d’état.</p> - -<p>Cependant, l’évêque, tous les jours, priait pour le roi -et pour l’Angleterre. Un jour le ciel lui révéla que le -moment approchait où il pourrait rejoindre son église, -et que le Christ lui réservait bientôt la palme du martyre. -Et en effet, après sept ans d’exil, il fut rappelé en Angleterre, -et reçu par tous avec les plus grands honneurs.</p> - -<p>Quelques jours avant le martyre du saint, un jeune -<span class="pagenum" id="p63">-63-</span> homme, miraculeusement rappelé à la vie, dit que son âme -avait été conduite jusqu’au Saint des Saints, et que là, -parmi les apôtres, il avait vu un siège, et qu’un ange lui -avait dit que ce siège était réservé à un haut dignitaire -de l’Eglise anglaise.</p> - -<p>II. Certain prêtre, qui célébrait tous les jours une messe -en l’honneur de la sainte Vierge, fut accusé devant l’archevêque, -et celui-ci le suspendit de sa charge, le jugeant -idiot et inconscient. Or comme saint Thomas avait à -recoudre son cilice, et, en attendant de pouvoir le recoudre, -l’avait caché sous son lit, la sainte Vierge apparut -au prêtre et lui dit : « Va trouver l’archevêque et -dis-lui que Celle pour l’amour de qui tu célébrais des -messes a recousu elle-même son cilice, qui est sous -son lit ; et dis-lui qu’elle t’envoie à lui, afin qu’il lève -l’interdit dont il t’a frappé ! » Et saint Thomas découvrit -qu’en effet son cilice avait été recousu. Il leva l’interdit -du prêtre, en le priant de lui garder le secret sur le cilice -qu’il portait.</p> - -<p>III. Et, de même que par le passé, il défendit les droits -de l’Eglise, sans que le roi pût le fléchir par prière ni par -force. Alors le roi, voyant qu’il ne pouvait le fléchir, -envoya vers lui des soldats en armes, qui, pénétrant dans -la cathédrale, demandèrent à haute voix où était l’archevêque. -Celui-ci vint au-devant d’eux, et leur dit : « Me -voici ; que me voulez-vous ? » Et eux : « Nous venons -pour te tuer, ta dernière heure a sonné ! » Alors il leur -dit : « Je suis prêt à mourir pour Dieu, et pour la défense -de la justice, et pour la défense des libertés de l’Eglise. -Mais puisque c’est moi que vous cherchez, je vous ordonne, -de la part de Dieu tout-puissant, et sous peine d’anathème, -de ne faire aucun mal à personne de mes prêtres ! Quant -à moi, je recommande l’Eglise et je me recommande moi-même -à Dieu, à la sainte Vierge, à saint Denis et à tous -les saints. » Puis cela dit, il tendit sa tête vénérable au -glaive des impies, qui lui tranchèrent le haut du crâne, -faisant jaillir sa cervelle sur le pavé du temple. Ainsi -saint Thomas souffrit le martyre, en l’an du Seigneur 1174.</p> - -<p>Et, au moment où son clergé allait célébrer pour lui -<span class="pagenum" id="p64">-64-</span> la messe des morts, voici que, à ce que l’on raconte, le -chœur des anges vint interrompre la voix des chantres, -et se mit à chanter la messe des martyrs <i lang="la" xml:lang="la">Lætabitur justus -in Domino</i>. Honneur, en vérité, unique : mais bien mérité -par un saint qui a souffert le martyre pour l’Eglise, -dans l’église, durant la messe, entouré de son clergé ! -Et Dieu a daigné faire bien d’autres miracles encore à la -prière de ce saint, rendant la vue aux aveugles, l’ouïe aux -sourds, la marche aux boiteux, et la vie aux morts. Bien -des malades guérirent pour avoir touché l’eau qui avait -servi à laver les linges tachés du sang de saint Thomas.</p> - -<p>IV. Certaine dame anglaise qui, par coquetterie et pour -devenir plus belle, souhaitait d’avoir les yeux noirs, -avait fait vœu, à cette intention, de visiter pieds nus le -tombeau de saint Thomas. Or quand, après s’être prosternée -en prière, elle se releva, elle s’aperçut qu’elle était -devenue complètement aveugle. Aussitôt, pleine de repentir, -elle supplia saint Thomas non plus de lui donner -des yeux noirs mais de lui rendre ses yeux. Et elle finit -par l’obtenir, dit-on, mais à grand’peine.</p> - -<p>V. Un oiseau savant et qui savait parler, se voyant un -jour poursuivi par un épervier, répéta la phrase qu’on -lui avait apprise : « Saint Thomas, viens à mon aide ! » -Aussitôt l’épervier tomba mort, et l’autre oiseau fut -sauvé.</p> - -<p>VI. Certain homme, que saint Thomas avait beaucoup -aimé, se voyant très malade, alla au tombeau du saint, -et demanda sa santé, qui lui fut rendue. Mais comme il -rentrait chez lui guéri de tout mal, l’idée lui vint que, -peut-être, cette guérison de son corps ne convenait pas -au bien de son âme. Il revint donc au tombeau du saint, -et pria que, si sa guérison ne devait pas être utile à son -âme, son état de maladie lui fût rendu. Et aussitôt il se -retrouva malade comme auparavant.</p> - -<p>VII. Quant aux meurtriers du saint, la vengeance du ciel -s’abattit sur eux. Les uns se mangèrent les doigts avec -leurs dents, d’autres pourrirent vivants, d’autres furent -paralysés, d’autres encore perdirent la raison.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p65">-65-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c12">XII<br /> -SAINT SILVESTRE, <span class="small">PAPE<br /> -(31 décembre)</span></h2> - - -<p>La légende de saint Silvestre a été compilée par Eusèbe -de Césarée. Saint Blaise, dans une réunion de soixante-cinq -évêques, en a recommandé la lecture aux catholiques.</p> - -<p>I. Silvestre avait pour mère une femme qui s’appelait -Juste, et qui n’était pas moins juste de fait que de nom. -Instruit par le saint prêtre Cyrin, il eut de bonne heure -le goût de l’hospitalité. Il recueillit chez lui le chrétien -Timothée, que personne ne voulait recueillir, par crainte -de la persécution. Et ce Timothée prêcha là, pendant -un an et trois mois, après quoi il reçut la couronne -du martyre. Or le préfet Tarquin, s’imaginant que -Timothée était très riche, réclama ses richesses à Silvestre, -le menaçant de mort s’il ne les lui livrait. Et -quand il eut reconnu que Timothée n’avait absolument -rien laissé, il ordonna à Silvestre de sacrifier aux idoles, -faute de quoi il aurait à subir, le lendemain, toute sorte -de supplices. Et Silvestre lui dit : « Insensé, c’est toi qui, -cette nuit même, commenceras à subir les supplices éternels, -et seras forcé, bon gré mal gré, de reconnaître que -le Dieu que nous adorons est le seul vrai Dieu ! » Là-dessus, -Silvestre fut conduit en prison, et Tarquin se -rendit à un repas où il était invité. Or, pendant qu’il -mangeait, une arête de poisson se fixa dans sa gorge, -de telle manière qu’il ne put ni l’avaler ni la rejeter. Il -mourut donc cette nuit-là, et Silvestre sortit de sa prison, -à la grande joie de tous ; car il était aimé non seulement -des chrétiens, mais aussi des païens. Il était, en -effet, angélique de visage, éloquent de parole, pur de -corps, saint d’œuvres, grand d’intelligence, zélé de foi, -patient d’espoir, débordant de charité.</p> - -<p>Et lorsque mourut Melchiade, évêque de Rome, la -<span class="pagenum" id="p66">-66-</span> foule entière élut Silvestre pour le remplacer. Ainsi -devenu souverain pontife, Silvestre fit dresser la liste de -tous les orphelins, de toutes les veuves et de tous les -pauvres, et ordonna que l’on pourvût aux besoins de tous. -Il institua le jeûne du mercredi, du vendredi, et du samedi, -et décréta que le jeudi serait réservé au Seigneur -de même que le dimanche, donnant pour motifs que : -1<sup>o</sup> le jeudi est le jour où Jésus est monté au ciel ; 2<sup>o</sup> que -c’est le jour où il a institué le sacrement de l’Eucharistie ; -3<sup>o</sup> que c’est le jour où l’Eglise prépare le saint chrême.</p> - -<p>II. Constantin s’étant mis à persécuter les chrétiens, -Silvestre sortit de Rome et se retira avec son clergé sur -une montagne voisine. Mais voici que Constantin lui-même, -en châtiment de sa persécution, fut atteint d’une -lèpre incurable. Les prêtres des idoles lui conseillèrent -alors de faire égorger, aux portes de la ville, trois mille -enfants, et de se baigner dans leur sang tout chaud. -Mais, en arrivant au lieu où tous les enfants étaient rassemblés, -Constantin vit les mères de ces enfants qui accouraient -au-devant de lui, les cheveux dénoués, et -avec des gémissements à fendre l’âme. Alors, tout en -larmes, il fit arrêter son char ; et, se tenant debout, il dit : -« Ecoutez-moi, comtes, chevaliers, et gens du peuple, qui -m’entourez ! La dignité du peuple romain naît de la pitié -qui a toujours présidé à nos mœurs ; et c’est cette pitié -qui, jadis, a fait décréter la peine de mort contre quiconque -tuerait un enfant, même à la guerre. Or quelle -cruauté serait-ce, si nous faisions nous-mêmes à nos -enfants ce que nous défendons que l’on fasse aux enfants -de nos ennemis ? A quoi nous servirait d’avoir vaincu les -barbares, si nous nous laissions vaincre, nous-mêmes, -par la barbarie ? Donc, que la pitié triomphe, dans cette -circonstance ! Mieux vaut pour moi mourir et conserver -la vie à ces innocents que de recouvrer, par leur mort, une -vie souillée de cruauté ! » Et il ordonna que les enfants -fussent rendus à leurs mères, et reconduits chez eux avec -des présents, de telle sorte que les mères, qui étaient venues -en pleurant d’angoisse, revinrent dans leur maison -en pleurant de joie. Quant à l’empereur, il s’enferma -<span class="pagenum" id="p67">-67-</span> dans son palais, résigné à mourir de son mal. Mais, la -nuit suivante, saint Pierre et saint Paul lui apparurent, -qui lui dirent : « Parce que tu t’es refusé à verser le -sang innocent, notre Seigneur Jésus-Christ nous a envoyés -à toi pour t’indiquer un moyen de recouvrer la -santé ! Mande devant toi l’évêque Silvestre qui se cache -sur le mont Soracte : il te désignera une source où tu te -plongeras trois fois, au bout desquelles tu seras guéri de -ta lèpre. Mais toi, en échange, tu détruiras les temples -des idoles, tu rouvriras les églises du Christ, et tu deviendras -désormais son adorateur ! » Aussitôt Constantin, -s’éveillant, envoya une escorte à la recherche de Silvestre.</p> - -<p>Et celui-ci, en voyant venir cette escorte, se crut -appelé à la palme du martyre. Il se présenta donc courageusement, -après s’être recommandé à Dieu, et avoir -une dernière fois exhorté ses compagnons. Et Constantin -lui dit : « Merci d’être venu ! » et il lui raconta tout -son rêve. Après quoi il lui demanda qui étaient les deux -dieux qui lui étaient apparus ; et Silvestre lui répondit -que ce n’était point des dieux, mais des apôtres du -Christ. Il se fit alors apporter le portrait des apôtres, et -Constantin reconnut aussitôt saint Pierre et saint Paul. -Silvestre l’admit donc au rang de catéchumène, lui -imposa un jeûne de sept jours, et lui enjoignit de faire -ouvrir toutes les prisons. Et quand Constantin fut descendu -dans l’eau du baptême, une grande lumière l’environna, -et il en sortit pur de toute lèpre, et dit qu’il -avait vu le Christ dans les cieux. Et, pendant les sept -jours qui suivirent son baptême, il promulgua des lois -mémorables entre toutes. Le premier jour, il décréta que -le Christ serait adoré des Romains comme le vrai Dieu ; -le second jour, que tout blasphème contre le Christ serait -puni ; le troisième jour, que toute injure faite à un chrétien -entraînerait la confiscation de la moitié des biens ; -le quatrième jour, que, de même que l’empereur de Rome, -l’évêque de Rome serait le premier de l’empire, et commanderait -à tous les évêques ; le cinquième jour, que -tout homme se réfugiant dans une église aurait l’immunité -<span class="pagenum" id="p68">-68-</span> de sa personne ; le sixième jour, que nul ne -pourrait construire une église dans une ville sans la permission -de son supérieur ecclésiastique ; le septième -jour, que la dixième partie des biens royaux serait affectée -à l’édification des églises ; le huitième jour, l’empereur -se rendit à l’église de Saint-Pierre et se confessa -à haute voix de ses fautes ; puis, prenant une bêche, -il creusa, le premier, la terre, à l’endroit où allait s’élever -la basilique nouvelle, et il emporta sur ses épaules -douze hottes de terre, qu’il jeta hors de l’église.</p> - -<p>III. Lorsqu’elle apprit cette conversion, l’impératrice -Hélène, mère de Constantin, qui se trouvait alors à -Béthanie, écrivit à son fils pour le louer d’avoir renoncé au -culte des idoles, mais aussi pour le blâmer vivement de -ce que, au lieu de croire au Dieu des Juifs, il se fût mis -à adorer comme dieu un homme crucifié. L’empereur lui -répondit de ramener avec elle à Rome les principaux docteurs -juifs, en ajoutant qu’il les placerait en face des docteurs -chrétiens, afin que la discussion réciproque fit apparaître -la vérité en matière de foi. Hélène ramena donc -avec elle cent soixante et un docteurs juifs, dont douze -surtout brillaient par leur science et leur éloquence. Et -quand Silvestre avec son clergé se présenta devant l’empereur -pour discuter avec ces Juifs, on convint, d’un -commun accord, de prendre pour arbitres du débat deux -païens très savants et très estimés, appelés Craton et -Zénophile. Alors, en présence de ces arbitres, saint Silvestre -réfuta tour à tour les arguments des douze fameux -docteurs juifs, dont les noms étaient : Abiathar, Jonas, -Godolias, Annas, Doeth, Chusi, Benjamin, Aroel, Jubal, -Thara, Siléon et Zambri. Et, chaque fois, les deux arbitres, -et l’empereur et sa mère, et la foule s’accordèrent -à reconnaître qu’il avait complètement réfuté et anéanti -les arguments de son adversaire. Si bien que, exaspéré, -Zambri, le douzième docteur, s’écria : « Je m’étonne que -vous, juges très sages, vous prêtiez foi aux ambages des -paroles et vous imaginiez que la toute-puissance de Dieu -se puisse estimer par la raison humaine. Finissons-en avec -les paroles, et venons-en aux faits ! Insensés ceux qui -<span class="pagenum" id="p69">-69-</span> adorent le crucifié, tandis que le nom du Dieu tout-puissant -est si fort que nulle créature ne supporte de l’entendre ! -Et, pour que je vous prouve la vérité de ce que je -dis, faites-moi amener un taureau furieux : dès qu’il aura -entendu ce nom sacré, il mourra sur-le-champ ! » Et Silvestre -lui dit : « Mais alors, toi-même, comment as-tu pu -entendre ce nom sans mourir ? » Et Zambri répondit : « Il -ne t’appartient pas de connaître ce mystère, à toi, l’ennemi -des Juifs ! » Et l’on amena un taureau furieux, que -cent hommes vigoureux avaient peine à traîner ; et aussitôt -que Zambri eut prononcé un nom dans son oreille, -on vit la bête mugir, renverser les yeux, et tomber morte. -Sur quoi tous les Juifs d’acclamer violemment leur homme -et d’insulter Silvestre. Mais alors celui-ci : « Ce nom, que -ce docteur a prononcé, dit-il, n’est pas le nom de Dieu, -mais celui du pire des démons, car mon Dieu Jésus-Christ -non seulement ne tue pas les vivants, mais fait revivre -les morts. De pouvoir tuer et de ne pas pouvoir faire -revivre, c’est le propre des lions, des serpents, et d’autres -bêtes féroces. Si donc cet homme veut me prouver -que ce n’est pas le nom d’un démon qu’il a prononcé, -qu’il fasse revivre ce qu’il a tué ! Car Dieu a écrit : « Je -tuerai et je ferai revivre ! » Et comme les juges invitaient -Zambri à ressusciter le taureau, il dit : « Que Silvestre le -ressuscite, au nom de Jésus le Galiléen, et nous croirons -tous en lui ! » Et tous les Juifs firent la même promesse. -Alors Silvestre, après une prière, s’approcha de l’oreille -du taureau mort, et dit : « O nom de malédiction et de -mort, sors de cette bête par ordre du Seigneur Jésus, au -nom duquel je dis : « Taureau, lève-toi, et va aussitôt en -paix rejoindre ton troupeau ! » Et aussitôt le taureau se -leva et s’en alla en toute douceur. Et alors l’impératrice, -les Juifs, les juges, et tous les témoins du miracle, se -convertirent à la foi chrétienne.</p> - -<p>Quelques jours après, les prêtres des idoles vinrent -trouver Constantin et lui dirent : « Saint Empereur, il -y a un dragon qui est dans une fosse, et qui, depuis que -tu as reçu la foi du Christ, fait périr tous les jours, par -son souffle, plus de trois cents hommes ! » L’empereur -<span class="pagenum" id="p70">-70-</span> rapporta la chose à Silvestre, qui lui répondit : « Par la -vertu du Christ, j’obligerai ce dragon à renoncer à tout -mal ! » Et les prêtres promirent que, s’il faisait cela, ils -se convertiraient au Christ. Alors Silvestre se mit en -prière ; et, le Saint-Esprit lui apparut et lui dit : « Descends -aussitôt, sans crainte, dans la fosse du dragon avec -deux de tes prêtres ; et, quand tu seras en face de lui, dis -lui ces paroles : « Le Seigneur Jésus, né d’une vierge, -crucifié et enseveli, puis ressuscité et assis à la droite -de son Père, doit un jour venir ici pour juger les -vivants et les morts ; or donc, toi, Satan, attends en ce -lieu qu’il vienne ! » Après quoi tu lui lieras la gueule -d’un fil, que tu cachetteras d’un anneau portant le signe -de la croix. Et après cela vous viendrez tous les trois -chez moi, pour manger le pain que je vous aurai préparé. »</p> - -<p>Silvestre, avec deux prêtres, descendit dans la fosse, -par cent cinquante marches, portant en main deux lanternes. -Il dit au dragon les paroles du Saint-Esprit, -puis il lui lia la bouche, qui sifflait de rage, il la cacheta -comme il avait à le faire ; et, en sortant de la fosse, il -trouva deux mages qui l’avaient suivi afin de voir s’il -osait réellement affronter le dragon. Ces deux mages -gisaient à terre presque morts, asphyxiés par le souffle -empesté du monstre. Le saint les ranima, les ramena sains -et saufs ; et, aussitôt, ils se convertirent, ainsi qu’une foule -immense. Et enfin le bienheureux Silvestre, sentant -s’approcher la mort, donna à son clergé trois avertissements : -ils les avertit de s’aimer entre eux, de gouverner -leurs églises avec diligence, et de protéger leur troupeau -de la morsure des loups. Et, cela fait, il s’endormit heureusement -dans le Seigneur, en l’an de grâce 320.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p71">-71-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c13">XIII<br /> -LA CIRCONCISION DE N.-S. JÉSUS-CHRIST<br /> -<span class="small">(1<sup>er</sup> janvier)</span></h2> - - -<p>Quatre motifs rendent célèbre et solennel le jour de -la Circoncision du Seigneur.</p> - -<p>1<sup>o</sup> Ce jour est l’octave de la Nativité. Cette fête, une -des plus grandes de celles que célèbre l’Eglise, n’a point -d’octave propre : car les octaves de la mort des saints -signifient que ceux-ci, après leur mort, renaissent à une -vie nouvelle : tandis que la Nativité du Seigneur ne -comporte pas d’octave, ayant eu pour suite la passion et -la mort. De même n’ont d’octave propre ni la Nativité -de la Vierge, ni celle de saint Jean-Baptiste, ni Pâques, — puisque -cette fête a déjà elle-même pour objet de -célébrer la résurrection. — Ces fêtes n’ont que des -« octaves complémentaires », où nous complétons le -culte de ces fêtes elles-mêmes : et telle est, en ce jour -de la Circoncision, l’octave de la Nativité ;</p> - -<p>2<sup>o</sup> La Circoncision symbolise pour nous l’imposition -au Seigneur d’un nom nouveau, pour notre salut. Rappelons, -à ce propos, que le Seigneur a eu trois noms, à -savoir : Fils de Dieu, Christ et Jésus. Fils de Dieu le -désigne en tant que Dieu ; Christ en tant qu’homme ; -Jésus en tant que Dieu fait homme ;</p> - -<p>3<sup>o</sup> La Circoncision célèbre la première effusion du -sang du Christ pour les hommes. On sait, en effet, que le -Christ a versé cinq fois son sang pour nous : 1<sup>o</sup> dans la -Circoncision, et ce fut le commencement de notre rédemption ; -2<sup>o</sup> dans la prière, en témoignage de son désir de -notre rédemption ; 3<sup>o</sup> dans la flagellation, et ce fut le -mérite de notre rédemption ; 4<sup>o</sup> dans la crucifixion, et ce -fut le prix de notre rédemption ; 5<sup>o</sup> dans l’ouverture de -son flanc sous le coup de lance, et ce fut le sacre de -notre rédemption.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p72">-72-</span> 4<sup>o</sup> Enfin la Circoncision célèbre le fait même de la circoncision -du Seigneur. Celui-ci, en consentant à se laisser -circoncire, avait plusieurs motifs : 1<sup>o</sup> il voulait -montrer qu’il avait vraiment revêtu la chair humaine : -car seul un corps véritable peut émettre du sang ; 2<sup>o</sup> il -voulait nous montrer que, nous aussi, nous devions accepter -la circoncision spirituelle, c’est-à-dire nous livrer -au travail de notre purification ; 3<sup>o</sup> le Seigneur s’est -laissé circoncire pour ôter aux Juifs toute excuse dans -leur conduite ; car, s’il n’avait pas été circoncis, ils -auraient pu lui dire : « Nous ne t’avons pas accueilli, -mais c’est parce que tu étais différent de nos pères ! » -4<sup>o</sup> le Seigneur a voulu montrer son approbation de la -loi de Moïse, « qu’il était venu non pas détruire, mais -compléter et réaliser ».</p> - -<p>Au sujet de la chair sacrée de la circoncision du Seigneur, -on a dit qu’un ange l’avait apportée à Charlemagne, -qui l’avait solennellement déposée à Aix-la-Chapelle, -dans l’église de Notre-Dame. Et l’on dit -qu’elle se trouve aujourd’hui à Rome, dans l’église -appelée le Saint des Saints ; et de là vient le pèlerinage -que l’on fait, en ce jour, à cette église.</p> - -<p>Notons enfin que les païens, autrefois, se livraient, le -premier jour de l’année, à toutes sortes de pratiques -superstitieuses que les chrétiens ont eu beaucoup de -peine à déraciner, et dont saint Augustin nous parle -dans un de ses sermons. Ces païens s’étaient imaginés -de prendre pour dieu un certain chef appelé Janus ; -et c’était lui qu’ils honoraient ce jour-là, le représentant -avec deux visages, dont un tourné vers l’année -passée, l’autre vers la nouvelle. On avait aussi l’habitude -de se déguiser sous des formes monstrueuses : les -uns se revêtaient de peaux de bêtes, d’autres n’avaient -pas honte d’introduire leurs corps virils dans des -tuniques de femme. Et saint Augustin ajoute : « Quiconque -garde quelque chose des coutumes païennes, je -crains bien que le nom de chrétien ne puisse guère lui -servir ! »</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p73">-73-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c14">XIV<br /> -L’ÉPIPHANIE<br /> -<span class="small">(6 janvier)</span></h2> - - -<p>L’Epiphanie se célèbre en souvenir d’un quadruple -miracle. C’est en effet ce jour-là que les mages ont adoré -le Christ, que saint Jean a baptisé le Christ, que le -Christ a changé l’eau en vin, et qu’il a rassasié cinq -mille hommes avec cinq pains. Et cette fête porte quatre -noms : 1<sup>o</sup> elle s’appelle <i>Epiphanie</i>, en souvenir de -l’étoile que les mages aperçurent au-dessus d’eux ; -2<sup>o</sup> elle s’appelle Théophanie, parce que, le jour du baptême -du Christ, la Trinité divine apparut tout entière, le -Père dans la voix, le Fils dans la chair, le Saint-Esprit -sous la forme d’une colombe ; 3<sup>o</sup> elle s’appelle Béthanie -(de <i>Beth</i>, maison), parce qu’aux noces de Cana Jésus -montra sa divinité dans une maison ; 4<sup>o</sup> enfin elle -s’appelle Phagiphanie, en souvenir du jour où le Christ -a nourri cinq mille hommes avec cinq pains. Mais nous -devons ajouter que l’on doute que ce quatrième miracle se -soit accompli ce jour-là : car saint Jean nous dit que « le -temps de la Pâque approchait ».</p> - -<p>Au reste, le premier de ces quatre miracles est celui -que l’Eglise célèbre tout particulièrement ; de telle sorte -que nous n’aurons à nous occuper ici que de lui. Donc, -treize jours après la naissance du Christ, trois mages -vinrent à Jérusalem. Leurs noms étaient, en grec, -Appellius, Amérius, et Damascus ; en hébreu, Galgalat, -Malgalath et Sarathin ; en latin, Gaspard, Balthasar, -et Melchior. Ces trois mages étaient des sages, et en -même temps des rois ; car le mot mage, qui signifie -imposteur et sorcier, a aussi le sens de « homme très -savant ».</p> - -<p>On peut se demander pourquoi ces mages vinrent à -Jérusalem, puisque ce n’était point là que le Christ -était né. Remi en donne quatre raisons : 1<sup>o</sup> les mages -<span class="pagenum" id="p74">-74-</span> ignoraient le lieu exact de la naissance du Christ, et -sont venus à Jérusalem parce qu’ils supposaient qu’un -enfant aussi merveilleux ne pouvait être né que dans la -capitale du royaume ; 2<sup>o</sup> ils sont venus à Jérusalem pour -consulter les savants et les scribes de la ville sur le lieu -de naissance du Sauveur ; 3<sup>o</sup> ils sont venus à Jérusalem -pour ôter aux Juifs l’excuse de pouvoir dire qu’ils ignoraient -le temps de la naissance du Messie ; 4<sup>o</sup> enfin ils -sont venus à Jérusalem pour condamner, par le spectacle -de leur zèle, l’indifférence et la mollesse des Juifs.</p> - -<p>Saint Jean Chrysostome nous donne une autre explication -de la venue des mages à Jérusalem. C’étaient, -suivant lui, des astrologues qui, de père en fils, passaient -trois jours par mois sur une haute montagne, dans -l’attente de l’étoile qu’avait prédite Balaam. Or, dans la -nuit de la naissance du Christ, une étoile leur apparut -qui avait la forme d’un merveilleux enfant, avec une -croix de feu sur la tête ; et elle leur dit : « Allez vite dans -la terre de Juda, vous y trouverez un enfant nouveau-né -qui est le roi que vous attendez ! »</p> - -<p>On peut se demander ensuite comment douze jours -ont pu leur suffire pour faire un si long trajet, depuis -les confins de l’Orient jusqu’à Jérusalem, que l’on dit -située au centre du monde. Suivant Remi, c’est l’Enfant -divin lui-même qui les a conduits. Ou encore, suivant -d’autres, la rapidité de leur course tient à ce qu’ils -étaient montés sur des dromadaires, animaux très rapides, -qui font plus de chemin en un jour que les -chevaux en trois.</p> - -<p>Arrivés à Jérusalem, ils ne demandèrent pas si le roi -des Juifs était né, car ils le savaient déjà par l’étoile. Ils -demandèrent où était né le roi des Juifs. Ce qu’entendant, -Hérode se troubla fort, et la ville entière avec lui. -Hérode en fut troublé pour trois raisons : 1<sup>o</sup> il craignait -que les Juifs ne prissent pour maître ce roi nouveau-né ; -2<sup>o</sup> il craignait d’être mis en accusation par les Romains, -s’il permettait à un homme non proclamé roi par Auguste -de revêtir le titre de roi ; 3<sup>o</sup> comme le dit saint Grégoire, -un roi terrestre ne pouvait manquer de se sentir troublé, -<span class="pagenum" id="p75">-75-</span> se voyant en présence du roi des Cieux. Et quant au -trouble des Juifs, il s’expliquait également par trois -raisons, d’après Chrysostome : 1<sup>o</sup> par l’impossibilité où -sont les impies de se réjouir de l’avènement du juste ; -2<sup>o</sup> par l’adulation de ces Juifs pour Hérode, dont ils -voyaient le trouble ; 3<sup>o</sup> par l’incertitude où ils étaient de -leur sort devant la perspective d’une révolution.</p> - -<p>Hérode, ayant convoqué tous les prêtres et scribes, -leur demanda où était né le Christ. Et quand il apprit -que c’était à Bethléem, il le dit aux mages, en leur -demandant de venir lui rendre compte de ce qu’ils -auraient vu ; lui-même, prétendait-il, irait alors adorer -l’enfant nouveau-né : mais en réalité il ne songeait qu’à -le faire périr.</p> - -<p>Autre particularité : l’étoile cessa de guider les mages -dès qu’ils furent entrés à Jérusalem, sans doute pour -forcer les mages à s’enquérir du lieu de la nativité du -Christ, et ainsi à fournir devant tous le témoignage du -miracle. Quant à la nature même de cette étoile, les uns -disent que c’était l’Esprit-Saint qui avait pris cette forme -pour guider les mages, d’autres que c’était un ange ; -d’autres enfin, dont nous partageons l’avis, supposent -que cette étoile était un astre nouvellement créé, qui, -ayant rempli sa mission, sera rentré dans le sein de la -matière universelle. D’après Fulgence, cette étoile différait -de toutes les autres en trois choses : 1<sup>o</sup> elle n’était -pas localisée dans le firmament, mais pendait dans les -airs, près de la terre ; 2<sup>o</sup> elle était si brillante qu’on la -voyait même en plein jour, éclipsant la lumière du soleil ; -3<sup>o</sup> elle marchait en avant des mages, comme une personne -vivante, au lieu de suivre le mouvement circulaire -des autres étoiles.</p> - -<p>Entrés dans la crèche, et y ayant trouvé l’enfant avec -sa mère, les mages se mirent à genoux, et offrirent, en -présent, de l’or, de l’encens, et de la myrrhe. Le choix de -ces présents et leur don s’expliquent par plusieurs -motifs : 1<sup>o</sup> c’était l’usage, chez les anciens, de ne jamais -approcher d’un dieu ou d’un roi sans lui offrir des présents ; -et les mages, qui venaient des confins de la Perse -<span class="pagenum" id="p76">-76-</span> et de la Chaldée, à l’endroit où coule le fleuve Saba -(d’après l’<i>Histoire scholastique</i>), apportaient les présents -qu’avaient coutume d’offrir les Perses et les Chaldéens ; -2<sup>o</sup> d’après saint Bernard, l’or était destiné à alléger la -pauvreté de la Vierge, l’encens à effacer la mauvaise -odeur de l’étable, la myrrhe à consolider les membres -de l’enfant en expulsant les vers de ses intestins ; 3<sup>o</sup> ces -trois présents signifiaient la royauté du Christ, sa divinité, -et son humanité : car l’or sert pour le tribut royal, -l’encens pour le sacrifice divin, la myrrhe pour la sépulture -des morts ; 4<sup>o</sup> enfin ces trois présents signifient ce -que nous devons offrir au Christ : car l’or est le symbole -de l’amour, l’encens celui de la prière, et la myrrhe -symbolise la mortification de la chair.</p> - -<p>Ayant adoré l’enfant Jésus, les mages, qu’un songe -avait avertis de ne point retourner auprès d’Hérode, -s’en revinrent dans leurs pays par un autre chemin. -Leurs corps furent retrouvés par Hélène, mère de -Constantin, qui les transporta à Constantinople. Plus -tard, saint Eustorge les transporta à Milan, dont il était -évêque, et les déposa dans l’église qui appartient -aujourd’hui à notre Ordre des Frères prêcheurs. Mais -lorsque l’empereur Henri s’empara de Milan, il fit transporter -les corps des mages, par le Rhin, à Cologne, où -le peuple les entoure d’une grande dévotion.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c15">XV<br /> -SAINT RÉMY, <span class="small">ÉVÊQUE ET CONFESSEUR<br /> -(14 janvier)</span></h2> - - -<p>La vie de saint Rémy a été écrite par Hincmar, archevêque -de Reims.</p> - -<p>I. La naissance de ce glorieux docteur et confesseur de -la foi a été prophétisée par un ermite, dans les circonstances -que voici. Au moment où la persécution des -<span class="pagenum" id="p77">-77-</span> Vandales désolait toute la France, un saint ermite, qui -était aveugle, priait avec ardeur pour la paix de l’Eglise -des Gaules. Or un ange lui apparut et lui dit : « Sache -que la femme qui s’appelle Ciline mettra au monde un -fils du nom de Rémy, qui délivrera son peuple des -attaques des méchants ! » Aussi l’ermite, dès qu’il -s’éveilla, se fit-il conduire à la maison de Ciline et lui raconta -sa vision. Et comme la dame refusait d’y croire, — car -elle était déjà vieille, et avait renoncé à l’espoir -d’enfanter, — l’ermite lui dit : « Sache que, lorsque ton -enfant aura pris le sein, tu n’auras qu’à me frotter les -yeux de ton lait pour qu’aussitôt je recouvre la vue ! » Et -tout arriva, en effet, de cette façon.</p> - -<p>Dès sa jeunesse, Rémy évita le monde et entra dans -un couvent. Mais à vingt-deux ans sa renommée, sans -cesse croissante, lui valut d’être choisi par tout le peuple -pour l’archevêché de Reims. Et c’était un homme d’une -telle douceur que, quand il mangeait, les moineaux -venaient sur sa table, et qu’il les nourrissait dans le creux -de sa main. Ayant été un jour reçu dans la maison d’une -dame, et apprenant que celle-ci n’avait plus de vin, saint -Rémy entra dans sa cave, fit un signe de croix sur le -tonneau ; et voici que le vin en jaillit en telle abondance -que toute la cave s’en trouva inondée.</p> - -<p>Le roi de France Clovis était alors païen, et sa pieuse -femme ne parvenait pas à le convertir. Mais un jour, se -voyant menacé par l’immense armée des Allemands, il fit -vœu au Dieu qu’adorait sa femme de se convertir à lui, s’il -lui accordait la victoire sur ses ennemis. Et Dieu lui accorda -la victoire, de sorte qu’il se rendit auprès de saint Rémy -et demanda à être baptisé. Mais, en arrivant aux fonds -baptismaux, l’évêque et le roi s’aperçurent que le saint -chrême manquait ; et voici qu’une colombe, fendant les -airs, apporta dans son bec une ampoule pleine de saint -chrême, dont le prélat oignit le roi. Et cette ampoule se -conserve dans l’église de Reims, où elle sert, aujourd’hui -encore, au sacre des rois de France.</p> - -<p>II. Longtemps après, Génébald, homme sage et pieux, -qui avait épousé la nièce de saint Rémy, mais s’était -<span class="pagenum" id="p78">-78-</span> séparé d’elle, d’un commun accord, par scrupule de piété, -fut ordonné évêque de Laon par saint Rémy. Mais comme -ce Génébald avait permis à sa femme de venir souvent -s’instruire auprès de lui, ces fréquents entretiens allumèrent -le désir dans son âme, et le firent tomber dans le -péché. Et la femme, ayant mis au monde un fils, manda -cette nouvelle à l’évêque, qui, rempli de honte, lui dit : -« Puisque cet enfant est le résultat d’un larcin, je veux -qu’il s’appelle Larron ! » Mais plus tard, il permit de -nouveau à sa femme de venir s’instruire auprès de lui, -et de nouveau il finit par se précipiter dans le péché. Et -comme, cette fois, sa femme mit au monde une fille, il -dit : « Je veux que cette fille s’appelle Renarde ! » Puis, -rentrant en lui-même, il alla se jeter aux pieds de saint -Rémy, et le pria de lui ôter du cou l’étole épiscopale. -Mais saint Rémy s’y refusa ; et après l’avoir doucement -consolé, il l’enferma pendant sept ans dans une cellule, -et, durant cet intervalle, gouverna lui-même son diocèse. -Or, la septième année, comme Génébald célébrait sa -messe, un ange lui apparut, qui lui annonça que son -péché lui était remis, et lui ordonna de quitter sa -cellule. Alors Génébald répondit : « Je ne le puis pas, -car mon maître Rémy a fermé cette porte et l’a scellée -de son sceau. » L’ange lui dit alors : « Afin que tu saches -que le ciel s’est rouvert, cette porte va s’ouvrir sans que -le sceau soit brisé ! » Et aussitôt la porte s’ouvrit. Mais -alors Génébald, se jetant en croix sur le sol, dit : « Si -même le Seigneur Jésus venait me mettre en liberté, je -ne sortirais pas d’ici sans y être autorisé par mon chef -Rémy, qui m’a enfermé ! » Alors saint Rémy, mandé -par l’ange, vint à Laon, et replaça Génébald sur son -siège épiscopal ; et Génébald persévéra dans la piété -jusqu’à sa mort, et Larron, son fils, lui succéda sur -son siège, et mérita même d’être canonisé. Enfin saint -Rémy s’endormit en paix, vers l’an 500. Le jour de sa -fête est aussi celui où se célèbre la naissance de saint -Hilaire, évêque de Poitiers.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p79">-79-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c16">XVI<br /> -SAINT HILAIRE, <span class="small">ÉVÊQUE ET CONFESSEUR<br /> -(14 janvier)</span></h2> - - -<p>Hilaire, évêque de Poitiers, originaire de l’Aquitaine, -brilla parmi les hommes comme l’étoile Lucifer parmi -les astres. Marié, et père d’une fille, il s’était mis, après -la naissance de cet enfant, et tout en restant laïc, à -mener la vie d’un moine : si bien que, en raison de sa -vie et de sa science, il fut élu évêque. Et il défendit -contre les hérétiques, non seulement son diocèse, mais -la France entière, ce qui ne l’empêcha pas d’être un -jour exilé, en compagnie du bienheureux Eusèbe, évêque -de Verceil, l’empereur ayant écouté l’avis de deux autres -évêques qui avaient été corrompus par l’hérésie d’Arius, -ainsi d’ailleurs que l’empereur lui-même. Et lorsque -cette hérésie se fut propagée partout, l’empereur ayant -permis à tous les évêques de se réunir pour discuter la -vérité de la foi, saint Hilaire se rendit à la réunion ; -mais lesdits évêques obtinrent de l’empereur l’ordre, -pour lui, de retourner aussitôt à Poitiers. Et comme, -durant son retour, il était descendu dans l’île Gallibaria<a id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">[4]</a>, -qui était toute pleine de serpents, aucun de ces -animaux n’osa l’approcher ; et lui, il planta au milieu de -l’île un poteau, et défendit aux serpents de le dépasser, -de telle sorte que la moitié de l’île fut pour eux non -comme une terre, mais comme une mer.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_4" href="#FNanchor_4"><span class="label">[4]</span></a> Petite île de la Méditerranée, à quelques centaines de mètres -d’Alassio.</p> -</div> -<p>A Poitiers, lorsqu’il y revint, il ressuscita par ses -prières un enfant mort sans baptême. Longtemps il -resta prosterné, en prière ; et enfin tous deux se relevèrent -ensemble, le vieillard, de sa prière, et l’enfant, de -la mort. Et comme la fille d’Hilaire, Apia, voulait se -marier, son père lui adressa un discours qui la décida à -<span class="pagenum" id="p80">-80-</span> rester dans l’état de virginité. Mais son père, craignant -qu’elle ne fléchît un jour dans cette résolution, pria le -Seigneur de la rappeler à lui, au lieu de la laisser vivre -plus longtemps ; et ainsi fut fait, car, peu de jours après, -la jeune fille mourut ; et Hilaire l’ensevelit de ses propres -mains. Alors la mère de la bienheureuse Apia pria -l’évêque d’obtenir pour elle aussi ce qu’il avait obtenu -pour sa fille. Et Hilaire le fit, et par sa prière, l’envoya -au ciel.</p> - -<p>En ce temps-là, le pape Léon, s’étant laissé corrompre -par l’hérésie, convoqua en concile tous les -évêques ; et Hilaire, qui n’avait pas été convoqué, vint à -ce concile. Alors le pape, apprenant son arrivée, défendit -que personne se levât pour lui ni lui fît une place. Et -lorsque Hilaire entra, le pape lui dit : « Tu es Hilaire le -Gaulois ? » Et lui : « Je ne suis pas Gaulois, mais évêque -dans les Gaules. » Et le pape : « Donc tu es Hilaire des -Gaules, et moi je suis Léon, évêque et juge suprême, -assis sur le siège apostolique ! » Alors Hilaire : « Si tu -es Léon (lion), du moins tu n’es pas le lion de la tribu -de Juda ; et peut-être es-tu juge, mais certes tu ne -juges pas sur le siège divin ! » Alors l’évêque, indigné, -se leva, disant : « Attends ici un moment, je vais revenir -tout à l’heure, et saurai bien te traiter suivant ton -mérite ! » Et Hilaire : « Mais si tu ne reviens pas, qui me -répondra pour toi ? » Et lui : « Je reviendrai à l’instant, -et verrai à humilier ton orgueil ! » Là-dessus le pape se -rendit où l’appelait un besoin naturel, et il fut saisi de -dysenterie, et il mourut là misérablement, perdant tous -ses boyaux. Cependant Hilaire, voyant que personne ne -se levait pour lui faire place, s’assit patiemment à terre, -disant : « La terre est à Notre-Seigneur ! » Et aussitôt -la terre, à l’endroit où il était assis, s’éleva, de façon -qu’Hilaire se trouva au niveau des autres évêques. Et -lorsque fut apportée la nouvelle de la mort misérable du -pape, Hilaire, se levant, ramena tous les évêques à la foi -catholique, et les renvoya dans leurs diocèses. Nous devons -toutefois ajouter que ce miracle de la mort du pape -Léon reste douteux, car ni l’<i>Histoire ecclésiastique</i>, ni la -<span class="pagenum" id="p81">-81-</span> <i>Tripartite</i> n’en font mention, et aucune chronique ne -signale l’existence, à cette époque, d’un pape de ce -nom ; et enfin saint Jérôme dit que « la sainte Eglise -romaine est toujours restée immaculée, sans se souiller -d’aucune hérésie ». Mais on peut supposer que peut-être -ce Léon, sans avoir été élu pape régulièrement, -avait usurpé le titre de pape ; ou peut-être encore le -nom de Léon n’était-il qu’un surnom du pape Libère, -dont on sait qu’il a favorisé l’hérésie de l’empereur -Constantin.</p> - -<p>Quand enfin, après de nombreux miracles, saint Hilaire, -vieux et malade, sentit approcher la mort, il appela -le prêtre Léonce, son favori, et le pria de sortir de -sa maison et puis de revenir lui faire part de ce qu’il -aurait entendu. Et Léonce sortit, et revint dire qu’il -avait entendu le bruit de la ville en tumulte. Et, vers -minuit, une lumière surnaturelle, telle que Léonce lui-même -ne pouvait en supporter la vue, entra dans la -chambre de l’évêque : elle s’évanouit peu à peu, emportant -avec elle l’âme de saint Hilaire. Celui-ci florissait -vers l’an 340, sous le règne de Constantin.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c17">XVII<br /> -SAINT FÉLIX, <span class="small">PRÊTRE ET CONFESSEUR<br /> -(14 janvier)</span></h2> - - -<p>On raconte que saint Félix était maître d’école, et -traitait ses élèves avec une rigueur extrême. Et comme, -pris par les païens, il proclamait ouvertement sa foi -chrétienne, il fut livré aux mains des enfants de son école, -qui le tuèrent à coup de poinçons. Pourtant l’Eglise -paraît nous affirmer que saint Félix n’a pas été martyr -mais seulement confesseur. Et une autre légende raconte -que, l’évêque de Nole Maxime étant un jour tombé à -<span class="pagenum" id="p82">-82-</span> terre, à demi mort de faim et de froid (car il s’était enfui -pour échapper à la persécution), Félix, averti par un ange, -vint à son secours ; et comme il n’avait apporté avec lui -aucune nourriture, il pressa dans la bouche de l’évêque -le jus d’une grappe de raisin qu’il vit miraculeusement -attachée à une haie voisine, après quoi, prenant le vieillard -sur ses épaules, il l’emporta chez lui ; et, à la mort -de Maxime, c’est lui qui fut élu évêque à sa place.</p> - -<p>Un jour qu’il prêchait, et que ses persécuteurs le poursuivaient, -il se cacha entre des murs en ruines ; et aussitôt -Dieu ordonna à des araignées de tisser leur toile devant -l’entrée de cette ruine : si bien que, en apercevant cette -toile d’araignée, les persécuteurs s’en allèrent, convaincus -que personne n’était entré par là. Saint Félix se cacha -ensuite dans un autre lieu, où une femme le nourrit -pendant trois mois sans voir une seule fois son visage. -Enfin, au retour de la paix, il revint à son église, et -c’est là qu’il s’endormit dans le Seigneur. Il fut enterré -aux portes de la ville, dans un endroit nommé Pinci.</p> - -<p>Il avait un frère, qui s’appelait, lui aussi, Félix, et qui -montra un grand courage dans la persécution. Et l’on -raconte que saint Félix cultivait un jardin, et que des -voleurs, qui avaient entrepris de lui dérober ses légumes, -ne purent s’empêcher, toute la nuit, de lui cultiver son -jardin, de telle sorte que, le lendemain matin, saint Félix -les trouva ainsi occupés. Aux compliments qu’il leur fit, -les voleurs avouèrent leurs mauvais desseins ; et le saint -les renvoya doucement chez eux. Un autre jour certains -païens, venus pour s’emparer de saint Félix, éprouvèrent -une douleur affreuse dans les mains ; et comme ils hurlaient, -le saint leur dit : « Si vous voulez que votre douleur -cesse aussitôt, dites : le Christ est Dieu ! » Et ils le dirent -et furent guéris. Alors le prêtre des idoles vint le trouver -et dit : « Seigneur évêque, mon dieu a pris la fuite dès -qu’il t’a vu venir, en me disant qu’il ne pouvait pas -supporter ta vertu. Si donc mon dieu te craint à ce point, -combien davantage je dois te craindre ! » Et Félix l’instruisit -dans la foi chrétienne, et le baptisa.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p83">-83-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c18">XVIII<br /> -SAINT PAUL, <span class="small">ERMITE<br /> -(15 janvier)</span></h2> - - -<p>Paul fut le premier ermite, ainsi que l’atteste saint -Jérôme, qui a écrit sa vie. Pour échapper aux persécutions -de Décius, il se retira dans un immense désert, et -là, au fond d’une caverne, il demeura pendant soixante -ans inconnu aux hommes.</p> - -<p>Ce Décius se nommait aussi Gallien, et avait commencé -de régner en l’an 256. Il tourmentait cruellement -les chrétiens. Il fit un jour saisir deux jeunes chrétiens, -fit enduire de miel le corps de l’un d’eux, et le fit -exposer, sous un soleil torride, aux piqûres des mouches, -des abeilles et des guêpes ; l’autre jeune homme fut placé -sur un lit moelleux, dans un lieu charmant où l’air était -doux, rempli du murmure de l’eau, du chant des oiseaux, -et du parfum des fleurs ; et ce jeune homme fut lié, avec -des cordes enguirlandées de fleurs, de façon à ne pouvoir -remuer ni les pieds ni les mains. Le méchant empereur -fit venir auprès de ce jeune homme certaine -femme aussi impure que belle, qui reçut l’ordre de -souiller la chair de ce jeune chrétien, rempli du seul -amour de Dieu. Mais celui-ci, dès qu’il sentit dans sa -chair des mouvements contraires à la raison, n’ayant -point d’arme pour se défendre, coupa sa langue avec ses -dents et la cracha au visage de l’impudique, échappant -ainsi à la tentation par l’excès de la douleur, et se préparant -un trophée à jamais admirable.</p> - -<p>Effrayé de tels supplices et d’autres encore, saint -Paul s’enfuit au désert. Et lorsque saint Antoine vint à -son tour au désert, s’imaginant être le premier ermite, -un songe lui apprit qu’un autre ermite, meilleur que lui, -avait droit à son hommage. Aussi saint Antoine s’efforça-t-il -de découvrir cet autre ermite. Et comme il le cherchait -par les forêts, il rencontra d’abord un centaure, à -<span class="pagenum" id="p84">-84-</span> demi-homme, à demi-cheval, qui lui dit d’aller devant lui. -Il rencontra ensuite un animal qui portait des dattes, et -qui, par le haut du corps ressemblait à un homme, avec -le ventre et les pieds d’une chèvre. Antoine lui demanda -qui il était : il répondit qu’il était un satyre, c’est-à-dire -une de ces créatures que les païens prenaient pour des -dieux des bois. Enfin saint Antoine rencontra un loup, -qui le conduisit jusqu’à la cellule de saint Paul. Or -celui-ci, pressentant l’arrivée d’un homme, avait fermé -sa porte. Mais Antoine le supplia de lui ouvrir, affirmant -qu’il mourrait sur place plutôt que de se retirer. Et Paul, -vaincu par ses prières, lui ouvrit ; et aussitôt les deux -ermites se jetèrent dans les bras l’un de l’autre.</p> - -<p>Et comme l’heure de midi approchait, un corbeau vint -apporter un pain formé de deux parties. Et comme -Antoine s’en étonnait, Paul lui dit que Dieu le nourrissait -tous les jours de cette façon : il avait seulement doublé la -ration, ce jour-là, à cause de la visite d’Antoine. Là-dessus -s’engagea une pieuse dispute pour savoir qui des deux -serait le plus digne de diviser le pain. Paul voulait que -ce fût Antoine, en sa qualité d’hôte, Antoine voulait que -ce fût Paul, en sa qualité d’aîné. Enfin tous deux prirent -le pain, et le divisèrent en parties égales.</p> - -<p>Et comme Antoine s’en revenait vers sa cellule, il vit -passer au-dessus de lui deux anges portant l’âme de -Paul. Il retourna aussitôt sur ses pas, et trouva le corps -de Paul agenouillé dans l’attitude de la prière, de telle -sorte qu’il crut qu’il était vivant. Le saint, cependant, -était mort ; et Antoine s’écria : « O âme sainte, ce que tu -faisais dans la vie, tu en gardes le signe jusque dans -la mort ! » Et pendant qu’il songeait au moyen d’ensevelir -Paul, voici qu’arrivèrent deux lions qui creusèrent une -fosse, aidèrent à la sépulture, et s’en retournèrent dans -leur forêt. Et Antoine prit le manteau de Paul, fait de -feuilles de palmier : il le revêtit, depuis lors, aux jours de -fêtes. La mort de Paul eut lieu vers l’an 287.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p85">-85-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c19">XIX<br /> -SAINT MACAIRE, <span class="small">ERMITE<br /> -(15 janvier)</span></h2> - - -<p>Macaire, étant abbé, et marchant dans le désert, entra -pour dormir dans un monument où étaient ensevelis des -corps de païens ; et il plaça un de ces corps sous sa -tête, en guise d’oreiller. Et les démons, voulant l’effrayer, -appelaient, disant : « Lève-toi et viens avec nous -au bain ! » Et un autre démon, s’étant introduit dans le -corps du mort, et prenant une voix de femme, répondait : -« Je ne puis me lever, car un étranger s’est mis sur -moi ! » Mais Macaire, sans s’effrayer, dit au corps, -après l’avoir battu : « Lève-toi et va-t’en, si tu le peux ! » -Ce qu’entendant, les démons s’enfuirent, en criant à -haute voix : « Seigneur, tu nous as vaincus ! »</p> - -<p>Un jour, saint Macaire, traversant un marais pour -regagner sa cellule, rencontra le diable, qui, armé -d’une faux, voulut le frapper et ne put y parvenir. Et le -démon lui dit : « J’ai beaucoup à souffrir de ton fait, -Macaire, et cela, parce que je ne parviens pas à te -vaincre. Je fais pourtant tout ce que tu fais ; tu jeûnes et -moi je ne mange pas, tu veilles et moi je ne dors pas ; et -il n’y a qu’une seule chose où tu me dépasses. » Et l’abbé -dit : « Quelle est donc cette chose ? » Et le diable : -« C’est ton humilité, en raison de laquelle je suis sans -force contre toi ! »</p> - -<p>Ayant trop à souffrir de la tentation, Macaire, mit -sur ses épaules un grand sac rempli de sable, et alla -le porter dans le désert, plusieurs jours de suite. -Théosèbe, le rencontrant, lui dit : « Abbé, pourquoi -portes-tu ce fardeau ? » Et il lui répondit : « Pour tourmenter -mon corps qui me tourmente ! » Une autre fois, il -vit Satan vêtu d’un manteau percé de trous et auquel -pendaient d’innombrables flacons. Et Macaire lui dit : -« Où vas-tu ? » Et lui : « Je porte à boire aux frères ! » -<span class="pagenum" id="p86">-86-</span> Et Macaire : « Mais pourquoi as-tu tant de flacons ? » -Et le diable : « C’est pour être sûr de contenter les -frères ; car si un des flacons ne leur plaît pas, je leur -offrirai de l’autre ou du troisième, jusqu’à ce que l’un de -mes flacons soit à leur goût ! » Plus tard, le voyant revenir, -Macaire lui dit : « Eh bien, qu’as-tu fait ? » Il -répondit : « Tous se sont sanctifiés et ont refusé mes -flacons, à l’exception d’un seul, nommé Théotiste. » -Aussitôt Macaire, se levant, alla trouver ce frère, et, -par ses discours, le délivra de la tentation. Et le lendemain, -Macaire, rencontrant de nouveau le diable, lui dit : -« Où vas-tu ? » Il répondit : « Chez les frères ! » Et Macaire, -quand il le vit revenir, lui demanda : « Eh bien, -comment vont les frères ? » Et le diable répondit : « Mal ! » -Et Macaire : « Comment cela ? » Et le diable : « Ils sont -tous saints, et, pour comble de malheur, le seul d’entre -eux que j’avais est perdu pour moi, et est même devenu -le plus saint de tous ! » Et le vieillard, quand il entendit -ces paroles, rendit grâces à Dieu.</p> - -<p>Un autre jour, Macaire, ayant trouvé un crâne de -mort, lui demanda de qui il avait été la tête. « — D’un -païen ! — Et où est ton âme ? — En enfer ! » Macaire -demanda au crâne si sa place en enfer était très profonde. -« — Aussi profonde que la terre par rapport au -ciel ! — Et y a-t-il des âmes logées encore plus bas que -la tienne ? — Oui, celles des Juifs ! — Et, au-dessous des -Juifs, y a-t-il encore d’autres âmes ? — Oui, celles des -mauvais chrétiens qui, rachetés par le sang du Christ, -font bon marché de ce privilège ! »</p> - -<p>Ce bon abbé tua, un jour, de sa main, une puce ; et, -l’ayant tuée, il fut désolé d’avoir vengé sa propre injure ; -et pour se punir, il resta pendant six mois tout nu -dans le désert, jusqu’à ce que tout son corps ne fût plus -qu’une plaie. Et après cela, il s’endormit en paix, laissant -au monde le souvenir de grandes vertus.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p87">-87-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c20">XX<br /> -SAINT MARCEL<br /> -<span class="small">(16 janvier)</span></h2> - - -<p>Marcel était pape à Rome. Ayant osé reprocher à l’empereur -Maximien sa cruauté à l’égard des chrétiens, et -s’étant permis de célébrer la messe dans la maison d’une -femme noble consacrée au Christ, il excita à tel point -la rage de l’empereur, que celui-ci changea cette maison -en écurie, et contraignit Marcel à y garder les chevaux, -en qualité d’esclave. Et saint Marcel, après de nombreuses -années de cet esclavage, s’endormit dans le Seigneur -vers l’an 287.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c21">XXI<br /> -SAINT ANTOINE, <span class="small">ERMITE<br /> -(17 janvier)</span></h2> - - -<p>La vie de ce saint a été écrite par saint Anastase.</p> - -<p>I. Antoine avait vingt ans lorsqu’il entendit lire, à l’Eglise, -les paroles de Jésus : « Si tu veux être parfait, -vends ce que tu possèdes, et donnes-en le produit aux -pauvres ! » Aussitôt Antoine vendit tous ses biens, en -donna le produit aux pauvres, et alla se faire ermite au -désert. Il eut à y soutenir des tentations innombrables -de la part des démons. Un jour qu’il avait vaincu par sa -foi le démon de la luxure, le diable lui apparut sous la -forme d’un enfant noir, et, se prosternant devant lui, se -reconnut vaincu. Une autre fois, comme il était dans -une tombe d’Egypte, la foule des démons le maltraita -si affreusement qu’un de ses compagnons le crut mort -et l’emporta sur ses épaules ; mais comme tous les -<span class="pagenum" id="p88">-88-</span> frères, rassemblés, le pleuraient, il se releva et demanda -à l’homme qui l’avait apporté de le rapporter à l’endroit -où il l’avait trouvé. Et comme il y gisait, accablé de -la douleur que lui causaient ses blessures, les démons -reparurent, sous diverses formes d’animaux féroces, et -se remirent à le déchirer avec leurs dents, leurs cornes, -et leurs griffes. Alors, soudain, une lumière merveilleuse -remplit le caveau, et mit en fuite tous les démons ; et -Antoine se trouva aussitôt guéri. Et alors, comprenant -que c’était Jésus qui venait à son secours, le saint lui dit : -« Où étais-tu tout à l’heure, bon Jésus, et pourquoi -n’étais-tu pas ici pour me secourir et guérir mes blessures ? » -Et le Seigneur lui répondit : « Antoine, j’étais -là, mais j’attendais de voir ton combat ; et maintenant que -tu as lutté avec courage, je répandrai ta gloire dans le -monde entier ! » Et telle était la ferveur du saint, que -lorsque l’empereur Maximien mettait à mort les chrétiens, -il suivait les martyrs jusqu’au lieu de leur supplice, -espérant être supplicié avec eux ; et il s’affligeait fort de -voir que le martyre lui était refusé.</p> - -<p>II. Etant venu dans une autre partie du désert, il y -trouva un grand disque d’argent ; et il se dit : « D’où -peut venir ce disque d’argent, en un lieu où ne se voient -nulles traces d’hommes ? Si un voyageur l’avait perdu, -il serait revenu le chercher, et l’aurait certainement -retrouvé, grand comme est ce disque. Satan, c’est encore -un de tes tours ! Mais tu ne parviendras pas à ébranler -ma volonté ! » Et, comme il disait cela, le disque s’évanouit -en fumée. Il trouva ensuite une énorme masse d’or ; -mais il l’évita comme le feu, et s’enfuit sur une montagne -où il resta vingt ans, éclatant de miracles. Un jour qu’il -était ravi en esprit, il vit le monde tout couvert de -filets étroitement unis. Et il s’écria : « Oh ! qui pourra -s’échapper hors de ces filets ? » Et une voix lui répondit : -« L’humilité ! » Une autre fois, comme les anges -l’emportaient dans les airs, les démons voulurent l’empêcher -de passer en lui rappelant les péchés qu’il avait -commis depuis sa naissance. Mais les anges : « Vous -n’avez pas à parler de ces péchés, que la grâce du Christ -<span class="pagenum" id="p89">-89-</span> a déjà effacés. Mais, si vous en connaissez qu’Antoine ait -commis depuis qu’il est moine, dites-les ! » Et, comme -les diables se taisaient, Antoine put librement s’élever -dans les airs et en redescendre.</p> - -<p>III. Saint Antoine raconte qu’il a vu, un jour, certain -diable de haute taille qui, osant se faire passer pour la -Providence divine, lui dit : « Que veux-tu, Antoine, -afin que je te le donne ? » Mais le saint, s’armant de sa -foi, lui cracha au visage, se jeta sur lui, et aussitôt le -diable s’évanouit. Une autre fois le diable lui apparut -dans un corps d’une taille si haute que sa tête semblait -toucher le ciel. Antoine lui ayant demandé qui il était, il -avoua qu’il était Satan, et ajouta : « Pourquoi les moines -me combattent-ils, et pourquoi les chrétiens me maudissent-ils ? » -Et Antoine : « Ils ont raison de le faire, car -tu ne cesses de les tourmenter ! » Et le diable : « Ce n’est -pas moi qui les tourmente, mais ce sont eux qui se tourmentent -eux-mêmes : car moi je ne puis plus rien, -depuis que le règne du Christ s’est répandu sur toute la -terre. »</p> - -<p>IV. Quelqu’un demanda à saint Antoine : « Que dois-je -faire pour plaire à Dieu ? » Et le saint lui répondit : « Où -que tu ailles, aie toujours Dieu devant les yeux ; quoi que -tu fasses, obéis aux préceptes de la Sainte Ecriture ; et, -dans quelque lieu que tu te trouves, restes-y ! Fais ces -trois choses, et tu seras sauvé ! » Un abbé ayant demandé, -lui aussi, à saint Antoine ce qu’il devait faire, le saint -répondit : « Ne te fie pas à ta justice, contiens ton ventre -et ta langue, et, quand une chose est passée, ne la -regrette pas ! » Et il dit encore : « De même que les poissons -meurent si on les met à sec, de même les moines -qui s’attardent hors de leur cellule et fréquentent les -séculiers se relâchent de leur bon propos. » Et il dit -encore : « Celui qui vit dans la solitude est délivré de -trois guerres, à savoir : contre l’ouïe, la vue et la parole, -et n’a à lutter que contre son cœur. »</p> - -<p>V. Saint Antoine disait que les mouvements du corps -pouvaient être de trois sortes : les uns provenant de la -nature même, les autres de l’excès d’aliments, d’autres -<span class="pagenum" id="p90">-90-</span> enfin de la suggestion du démon. Un frère de son ermitage -avait renoncé au siècle, mais non pas entièrement, -car il gardait encore quelques biens. Et Antoine lui dit : -« Va acheter de la viande ! » Et comme le frère revenait -avec la viande, des chiens se jetèrent sur lui et le mordirent. -Alors Antoine lui dit : « Ceux qui renoncent au -monde et qui veulent garder des biens, c’est ainsi qu’ils -sont déchirés par les démons ! »</p> - -<p>Un jour qu’il s’ennuyait dans sa cellule, il dit : « Seigneur, -je veux être sauvé, et mes pensées ne me le permettent -pas ! » Alors, sortant de sa cellule, il vit un inconnu -qui était assis et travaillait, après quoi il se -relevait et priait. Or cet inconnu était un ange, et il dit -à Antoine : « Fais ainsi, et tu seras sauvé ! »</p> - -<p>Et un jour, comme Antoine travaillait avec ses frères, -ceux-ci l’entendirent prier Dieu de détourner du monde -le malheur qui se préparait. Puis, comme les frères lui -demandaient quel était ce malheur, il répondit, avec des -larmes et des sanglots : « J’ai vu dans le ciel l’autel de -Dieu entouré par une multitude de chevaux qui foulaient -aux pieds les choses saintes ; et j’ai entendu la voix -du Seigneur disant : « Mon autel sera souillé ! » Et, en -effet, deux ans après, les ariens hérétiques rompirent -l’unité de l’Eglise, souillèrent les choses saintes, et foulèrent -aux pieds les autels chrétiens.</p> - -<p>VI. Un chef égyptien, nommé Ballachius, s’étant affilié -à la secte des ariens, persécutait l’Eglise de Dieu, et -faisait exposer à nu et battre de verges les moines et -les religieuses. Alors saint Antoine lui écrivit : « Je vois -la colère de Dieu prête à s’abattre sur toi. Cesse de persécuter -les chrétiens, si tu veux la détourner de toi ! » Le -malheureux lut la lettre, en rit, la jeta à terre, fit battre -les moines qui l’avaient apportée, et les chargea de dire -à leur maître Antoine que, lui aussi, il sentirait bientôt -la rigueur de sa discipline. Or, cinq jours après, Ballachius, -ayant voulu monter un de ses chevaux, animal -d’une douceur parfaite, fut renversé par ce cheval, -mordu, foulé aux pieds ; et il mourut le surlendemain.</p> - -<p>Un jour, les frères demandèrent à Antoine le secret du -<span class="pagenum" id="p91">-91-</span> salut. Le saint leur répondit : « N’avez-vous pas entendu -que Jésus a dit : « Si l’on te frappe sur une joue, tends -l’autre joue ? » Et eux : « Oui, mais cela est au-dessus -de nos forces ! » Et Antoine : « Alors souffrez du moins -avec patience d’être frappés sur une joue ! » Et eux : -« Cela encore est au-dessus de nos forces ! » Et saint -Antoine : « Alors contentez-vous, du moins, de ne pas -frapper plus qu’on ne vous aura frappés ! » Et eux : -« Cela même est encore au-dessus de nos forces ! » Sur -quoi Antoine, se tournant vers son disciple, lui dit : -« Va préparer une liqueur fortifiante pour ces frères, -car en vérité ils sont bien débiles ; et quant à vous, la -prière est la seule chose que je puisse vous recommander ! » -Tout cela se lit dans les <i>Vies des Pères</i>. Enfin -saint Antoine, parvenu à l’âge de cent cinq ans, s’endormit -en paix après avoir embrassé ses frères : il mourut -sous le règne de Constantin, qui monta sur le trône -en l’an 340.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c22">XXII<br /> -SAINT FABIEN, <span class="small">PAPE ET MARTYR<br /> -(20 janvier)</span></h2> - - -<p>Fabien était citoyen romain ; et, un jour que la foule -avait à élire un nouveau pape, il se joignit à elle pour -connaître l’issue de l’élection. Or, voici qu’une colombe -blanche descendit du ciel et se posa sur la tête de -Fabien : ce que voyant, la foule l’élut pape. Alors, comme -le rapporte le pape Damase, il envoya dans les diverses -régions du monde sept diacres et sept sous-diacres, -chargés de recueillir par écrit tous les actes des martyrs. -Il fit également bâtir de nombreuses basiliques sur les -lieux où étaient ensevelis ces saints martyrs. Et c’est -lui aussi qui a décidé que, tous les ans, le jour de la -Sainte-Cène<a id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">[5]</a>, le saint chrême de l’année précédente -<span class="pagenum" id="p92">-92-</span> serait brûlé et remplacé par un nouveau, consacré en -ce même jour. Et Haimon rapporte que, l’empereur -Philippe ayant voulu assister à la veillée de Pâques et -participer aux sacrements, le pape Fabien lui résista et -lui défendit l’accès de l’église jusqu’à ce qu’il eut confessé -ses péchés et fait pénitence. Enfin saint Fabien, dans la -treizième année de son pontificat, obtint la couronne du -martyre, ayant été décapité sur l’ordre de Décius. Son -martyre eut lieu vers l’an du Seigneur 253.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_5" href="#FNanchor_5"><span class="label">[5]</span></a> Le jeudi saint.</p> -</div> -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c23">XXIII<br /> -SAINT SÉBASTIEN, <span class="small">MARTYR<br /> -(20 janvier)</span></h2> - - -<p>I. Sébastien, originaire de Narbonne et citoyen de -Milan, était animé d’une foi chrétienne très ardente. -Mais les empereurs païens Maximien et Dioclétien avaient -pour lui une telle affection qu’ils l’avaient nommé chef -de la première cohorte ; et l’avaient attaché à leur personne. -Et lui, il ne portait la chlamyde militaire que pour -pouvoir aider et consoler les chrétiens persécutés.</p> - -<p>Or comme, un jour, deux frères jumeaux, Marcellin -et Marc, allaient être décapités pour s’être refusés à -abjurer la foi du Christ, leurs parents vinrent les trouver -pour les engager à se laisser fléchir. Leur mère, -d’abord, se présenta devant eux, les cheveux dénoués, -les vêtements déchirés, la poitrine nue, et leur dit : -« O mes fils chéris, une misère inouïe et un deuil affreux -s’abattent sur moi ! Malheureuse que je suis, je perds -mes fils de leur propre gré ! Si l’ennemi me les avait -enlevés, je serais allée les lui reprendre au plus fort du -combat ; si des juges s’étaient emparés d’eux pour les -mettre en prison, je me serais fait tuer pour les délivrer. -Mais ceci est un nouveau genre de mort, où la victime -prie le bourreau de la frapper, où le vivant aspire à ne -<span class="pagenum" id="p93">-93-</span> plus vivre, et invite la mort au lieu de l’éviter. Ceci est -un nouveau genre de souffrance, où la jeunesse des fils, -spontanément, se perd, tandis que la vieillesse des parents -est condamnée à survivre ! » Ensuite arriva le père, -conduit sur les bras de ses esclaves ; et ce vieillard, la -tête couverte de cendres, s’écria : « Je suis venu dire -adieu à mes fils, qui, de leur plein gré, ont voulu nous -quitter ! O mes fils, bâton de ma vieillesse et sang de -mon cœur, pourquoi avez-vous ainsi soif de la mort ? -Que tous les jeunes gens viennent pleurer sur ces jeunes -gens obstinés à périr ! Que tous les vieillards viennent -pleurer avec moi sur la mort de mes fils ! Et vous, mes -yeux, éteignez-vous à force de larmes, pour que je ne -voie pas mes fils tomber sous le glaive ! » Puis arrivèrent -les femmes des deux jeunes gens, tenant dans leurs bras -leurs fils, et gémissant, et disant : « A qui nous confiez-vous, -qui prendra soin de ces enfants, qui se partagera -vos biens ? Avez-vous donc des cœurs de fer, vous qui -dédaignez vos parents, repoussez vos femmes, reniez -vos fils ? » Et déjà le courage des deux jeunes gens commençait -à mollir, lorsque saint Sébastien, qui assistait -à la scène, s’avança et dit : « Braves soldats du Christ, -que ces flatteries et ces prières ne vous fassent pas -renoncer à la couronne éternelle ! » Puis, se tournant vers -les parents, il leur dit : « Soyez sans crainte ! Ils ne seront -pas séparés de vous, mais, au contraire, ils iront vous -préparer au Ciel des demeures durables ! » Et pendant -que saint Sébastien parlait ainsi, il se trouva entouré -d’une grande lumière descendue du ciel, et on le vit -soudain revêtu d’un manteau étincelant de blancheur, -avec sept anges debout devant lui. Et Zoé, la femme de -Nicostrate, dans la maison de qui les deux gens étaient -gardés, vint se prosterner aux pieds de Sébastien, et l’implora -par signes, car elle avait perdu l’usage de la parole. -Alors le saint dit : « Si je suis le serviteur du Christ, et -si les choses que j’ai dites sont vraies, ô toi qui as ouvert -la bouche du prophète Zacharie, ouvre la bouche de -cette femme ! » Et la femme, retrouvant la parole, -s’écria : « Béni soit ton discours, et bénis ceux qui croient -<span class="pagenum" id="p94">-94-</span> à ce que tu dis ! car j’ai vu un ange debout devant toi -et tenant un livre où il inscrivait toutes tes paroles ! » -Et le mari de cette femme, se jetant à son tour aux pieds -du saint, implora son pardon, après quoi, brisant les -chaînes des martyrs, il les pria de s’en aller en liberté. -Mais eux, ils déclarèrent que, pour rien au monde, ils ne -renonceraient à la victoire qu’ils avaient remportée. Et -telles étaient la grâce et la vertu divines de la parole de -saint Sébastien que non seulement il fortifia Marcellin -et Marc dans la constance du martyre, mais qu’il convertit -aussi leur père Tranquillin, et leur mère, et d’autres -personnes, qui toutes furent baptisées par le prêtre -Polycarpe.</p> - -<p>Et le vieux Tranquillin, qui était atteint d’une maladie -grave, guérit dès qu’il fut baptisé. Ce qu’apprenant -le préfet de la ville de Rome, qui était lui-même -très malade, demanda à Tranquillin de lui amener -l’homme qui l’avait guéri. Et quand le vieillard lui eut -amené Sébastien et Polycarpe, il les pria de lui rendre -la santé. Mais Sébastien lui dit qu’il ne guérirait que -s’il permettait à Polycarpe et à lui de briser en sa présence -les idoles des dieux. Et, le préfet Chromace ayant -fini par y consentir, les deux saints brisèrent plus de -deux cents idoles. Puis ils dirent à Chromace : « Puisque -l’acte que nous venons de faire ne t’a pas rendu la santé, -c’est donc que, ou bien tu n’as pas encore abjuré tes -erreurs, ou bien que tu gardes debout quelque autre -idole ! » Alors il avoua qu’il possédait, dans sa maison, -une chambre où était représenté tout le système des -étoiles, et qui lui permettait de prévoir l’avenir : -ajoutant que son père avait dépensé plus de deux cents -livres d’or pour l’installation de cette chambre. Et -saint Sébastien : « Aussi longtemps que cette chambre -ne sera pas détruite, tu ne retrouveras pas la santé ! » -Et Chromace consentit à ce qu’elle fût détruite. Mais son -fils Tiburce, jeune homme des plus remarquables, s’écria : -« Je ne souffrirai pas que l’on détruise impunément une -œuvre aussi magnifique ! Mais comme, d’autre part, je -souhaite de tout mon cœur le retour de mon père à la -<span class="pagenum" id="p95">-95-</span> santé, je propose que l’on chauffe deux fours, et que, si -après la destruction de cette chambre mon père ne guérit -pas, les deux chrétiens soient brûlés vifs ! » Et Sébastien : -« Qu’il en soit fait comme tu as dit ! » Et pendant -qu’il brisait la chambre magique, un ange apparut au -préfet et lui annonça que le Seigneur Jésus lui avait -rendu la santé. Alors le préfet et son fils Tiburce et quatre -mille personnes de sa maison reçurent le baptême. Et -Zoé, qui s’était convertie la première, fut prise par les -infidèles et mourut après de longues tortures ; ce qu’apprenant -le vieux Tranquillin s’écria : « Voici que les -femmes nous devancent au martyre ! » Et lui-même fut -lapidé peu de jours après.</p> - -<p>Or, saint Tiburce reçut l’ordre d’offrir de l’encens -aux dieux, ou bien de marcher pieds nus sur des charbons -ardents. Alors, ayant fait le signe de la croix, il se -mit à marcher sur les charbons ardents, en disant : « Il -me semble que je marche sur un lit de roses. » Et le -préfet Fabien lui dit : « Oui, je sais que votre Christ -vous a enseigné des artifices magiques ! » Mais Tiburce : -« Tais-toi, malheureux, car tu n’es pas digne de prononcer -ce saint nom ! » Et le préfet, furieux, lui fit couper -la tête. Quant à Marcellin et à Marc, ils furent attachés -à un poteau, et là ils chantaient joyeusement : -« Quelle belle et douce chose, pour deux frères, d’être -réunis…, etc. » Alors le préfet leur dit : « Malheureux, -renoncez à votre folie, et regagnez votre liberté ! » Mais -eux : « Jamais nous n’avons été aussi heureux, et nous -te supplions de nous laisser ainsi jusqu’à ce que nos -âmes soient délivrées de l’enveloppe de nos corps ! » -Sur quoi le préfet leur fit percer le flanc à coups de -lance ; et ainsi s’acheva leur martyre.</p> - -<p>Après cela, ce préfet dénonça Sébastien à l’empereur -Dioclétien, qui, l’ayant appelé, lui dit : « Ingrat, je t’ai -placé au premier rang dans mon palais, et toi tu as travaillé -contre moi et mes dieux ! » Et Sébastien : « Pour -toi et pour l’Etat romain j’ai toujours prié Dieu, qui est -dans le Ciel. » Alors Dioclétien le fit attacher à un -poteau au milieu du champ de Mars, et ordonna à ses -<span class="pagenum" id="p96">-96-</span> soldats de le percer de flèches. Et les soldats lui lancèrent -tant de flèches qu’il fut tout couvert de pointes -comme un hérisson ; après quoi, le croyant mort, ils -l’abandonnèrent. Et voici que peu de jours après, saint -Sébastien, debout sur l’escalier du palais, aborda les -deux empereurs et leur reprocha durement le mal qu’ils -faisaient aux chrétiens. Et les empereurs dirent : « N’est-ce -point là Sébastien, que nous avons fait tuer à coups -de flèches ? » Et Sébastien : « Le Seigneur a daigné me -rappeler à la vie, afin qu’une fois encore je vienne à vous, -et vous reproche le mal que vous faites aux serviteurs -du Christ ! » Alors les empereurs le firent frapper de -verges jusqu’à ce que mort s’ensuivît, et ils firent jeter -son corps à l’égout, pour empêcher que les chrétiens ne -le vénérassent comme la relique d’un martyr. Mais, dès -la nuit suivante, saint Sébastien apparut à sainte Lucine, -lui révéla où était son corps, et lui ordonna de l’ensevelir -auprès des restes des apôtres : ce qui fut fait. Il subit -le martyre vers l’an du Seigneur 187.</p> - -<p>II. Saint Grégoire rapporte, au premier livre de ses -<i>Dialogues</i>, l’histoire que voici. Certaine femme de la -Toscane, récemment mariée, avait été invitée à la dédicace -d’une église de saint Sébastien. Mais, la nuit qui -précédait la cérémonie, elle se sentit si vivement stimulée -par la volupté charnelle qu’elle ne put s’abstenir des -caresses de son mari. Or, le matin suivant, cette femme -se rendit cependant à l’église, ayant plus de honte des -hommes que de Dieu. Mais à peine entrée dans la chapelle -où étaient les reliques de saint Sébastien, un diable -s’empara d’elle, et se mit à la tourmenter en présence de -tous. Alors le prêtre de l’église la couvrit du voile de -l’autel, et aussitôt le diable s’empara de ce prêtre. On -conduisit la femme chez des magiciens ; mais, au cours -de leurs incantations, une légion entière de démons, -c’est-à-dire une troupe de six mille six cent soixante-six -d’entre eux, pénétra dans cette femme pour la tourmenter -encore davantage. Et seul un pieux vieillard, -nommé Fortunat, réussit par ses prières à chasser les -diables du corps de la femme.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p97">-97-</span> On lit dans les <i>Annales lombardes</i> qu’au temps du -roi Humbert l’Italie entière fut atteinte d’une peste si -malfaisante qu’on avait peine à trouver quelqu’un pour -ensevelir les cadavres : et cette peste ravageait surtout -Pavie. Alors, un ange révéla que le mal ne cesserait -que si l’on élevait un autel à saint Sébastien, dans la ville -de Pavie. Et l’on éleva aussitôt cet autel dans l’église -de Saint-Pierre aux Liens : sur quoi la peste disparut -tout à fait. Et les reliques de saint Sébastien furent -transportées à Pavie, de Rome, où avait eu lieu son -martyre.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c24">XXIV<br /> -SAINTE AGNÈS, <span class="small">VIERGE ET MARTYRE<br /> -(21 janvier)</span></h2> - - -<p>I. Agnès, vierge très sage, avait treize ans lorsqu’elle -perdit la mort et trouva la vie. Elle était jeune d’années, -mais mûre d’esprit et d’âme ; elle était belle de visage, -mais plus belle de cœur. Le fils d’un préfet, la voyant -revenir de l’école, se prit d’amour pour elle. Il lui promit -des diamants et de nombreuses richesses si elle -consentait à être sa femme. Mais Agnès lui répondit : -« Eloigne-toi de moi, aiguillon du péché, aliment du -crime, poison de l’âme, car je me suis déjà donnée à un -autre amant ! » Elle se mit à lui faire l’éloge de son -amant et fiancé, vantant chez lui les cinq qualités que les -fiancées estiment le plus chez leurs fiancés, à savoir : la -noblesse de race, la beauté, la richesse, le courage uni -à la force, et enfin l’amour. Et elle dit : « Celui que -j’aime est plus noble que toi, le soleil et la lune admirent -sa beauté, ses richesses sont inépuisables, il est assez -puissant pour faire revivre les morts, et son amour -dépasse tout amour. Il a mis son anneau à mon doigt, -m’a donné un collier de pierres précieuses, et m’a -<span class="pagenum" id="p98">-98-</span> vêtue d’une robe tissée d’or. Il a posé un signe sur mon -visage, pour m’empêcher d’aimer aucun autre que lui, -et il a arrosé mes genoux de son sang. Déjà je me suis -donnée à ses caresses, déjà son corps s’est mêlé à mon -corps ; et il m’a fait voir un trésor incomparable qu’il m’a -promis de me donner si je persévérais à l’aimer. » Ce -qu’entendant, le jeune homme devint malade d’amour, -en danger de mort. Son père va trouver la jeune fille, au -nom de son fils ; mais Agnès lui répond qu’elle ne peut -violer la foi promise à son premier fiancé ! Alors le préfet -lui demande quel est ce fiancé, et comme quelqu’un -lui fait entendre que c’est le Christ qu’elle appelle son -fiancé, il se met d’abord à la questionner doucement, -puis la menace de la punir si elle refuse de répondre. -Mais Agnès lui dit : « Fais ce que tu voudras, je ne te -livrerai pas mon secret ! » Alors le préfet : « Choisis entre -deux partis ! Ou bien sacrifie à Vesta avec les vierges de la -déesse, si tu tiens à ta virginité, ou bien je te ferai enfermer -avec des prostituées ! » Mais elle : « Je ne sacrifierai -pas à tes dieux, et cependant je ne me laisserai pas -souiller, car j’ai près de moi un gardien de mon corps, -un ange du Seigneur ! » Alors le préfet la fit dépouiller -de ses vêtements, et conduire toute nue dans une maison -de débauche. Mais Dieu lui fit pousser des cheveux en -telle abondance que ces cheveux la couvraient mieux que -tous les vêtements. Et, quand elle entra dans le mauvais -lieu, elle y trouva un ange qui l’attendait, tenant une -tunique d’une blancheur éclatante. Et ainsi le lupanar -devint pour elle un lieu de prière, et l’ange l’éclaira -d’une lumière surnaturelle.</p> - -<p>Or, le fils du préfet vint dans ce lieu avec d’autres -jeunes gens, et invita ses compagnons à jouir d’abord de -la jeune fille. Mais, en pénétrant dans la chambre -d’Agnès, ils furent si effrayés de la vue de cette lumière -qu’ils s’enfuirent auprès du fils du préfet ; et lui, les -traitant de lâches, se rua dans la chambre, plein de -fureur. Mais aussitôt le diable l’étrangla, Dieu l’ayant -abandonné. Alors le préfet, tout en larmes, se rendit -auprès d’Agnès, et l’interrogea sur la mort de son fils. -<span class="pagenum" id="p99">-99-</span> Et Agnès : « Celui dont il voulait réaliser la volonté a -reçu pouvoir sur lui, et l’a tué. » Et le préfet lui dit : -« Si tu ne veux pas que je croie que c’est toi qui l’as tué -par des artifices magiques, demande et obtiens qu’il -ressuscite ! » Et, sur la prière d’Agnès, le jeune homme -ressuscita, et se mit à confesser publiquement le Christ.</p> - -<p>Mais alors les prêtres des dieux, soulevant le peuple, -s’écrièrent : « A mort la magicienne, qui, par sorcellerie, -change les âmes et pervertit les cerveaux ! » Cependant -le préfet, en présence d’un tel miracle, aurait -voulu la délivrer ; mais, craignant la proscription, il se -retira tristement, et laissa Agnès sous la garde d’un -lieutenant. Et celui-ci, dont le nom était Aspasius, fit -jeter la jeune fille dans un feu ardent ; mais la flamme, -se séparant en deux, brûlait la foule des païens sans -toucher Agnès. Alors Aspasius lui fit plonger un poignard -dans la gorge : et c’est ainsi que le fiancé céleste -la prit pour épouse, après l’avoir ornée de la couronne -du martyre. Ce martyre eut lieu, à ce que l’on croit, -sous le règne de Constantin le Grand, qui régnait vers -l’an 309. Et comme les parents de sainte Agnès et les -autres chrétiens l’ensevelissaient avec joie, à grand’peine -ils échappèrent à la pluie de pierres que les païens -lançaient contre eux.</p> - -<p>II. Sainte Agnès avait une sœur de lait nommée Emérantienne, -vierge pleine de sainteté, et qui se préparait -à recevoir le baptême. Or cette jeune fille se tint debout -devant le sépulcre d’Agnès, et se mit à invectiver les -païens qui l’avaient tuée, jusqu’à ce que ces païens la -tuèrent elle-même à coups de pierres. Aussitôt la terre -trembla, et la foudre de Dieu s’abattit sur ce lieu, tuant -bon nombre de païens : de telle sorte que, depuis lors, -on laissa les fidèles s’approcher du tombeau sans leur -faire aucun mal. Et le corps d’Emérantienne fut enseveli -auprès de celui de sainte Agnès. Et, huit jours après, -comme les parents de celle-ci veillaient autour du tombeau, -ils virent un chœur de vierges en robes d’or ; et -parmi elles ils virent la bienheureuse Agnès, ayant à côté -d’elle un agneau plus blanc que la neige. Et elle leur -<span class="pagenum" id="p100">-100-</span> dit : « Voyez, afin que vous ne me pleuriez pas comme -morte, mais que vous vous réjouissiez avec moi et vous -félicitiez avec moi ; car j’ai été admise désormais à siéger -au milieu de cette troupe de lumière ! » C’est à cause de -cette vision que l’Eglise célèbre, huit jours après la fête -de sainte Agnès, l’octave de cette fête.</p> - -<p>III. La nouvelle de cette vision parvint jusqu’à Constance, -fille de Constantin, qui était affligée d’une lèpre -très maligne. Aussitôt la jeune princesse se rendit au -tombeau de la sainte, et là, après avoir prié, elle vit en -rêve sainte Agnès lui disant : « Constance, sois constante ! -Crois au Christ et tu seras guérie ! » Se réveillant -soudain, Constance se trouva guérie ; elle reçut le -baptême, fit élever une basilique sur le tombeau de la -sainte, et y rassembla autour d’elle de nombreuses -vierges qui, comme elle, vécurent toute leur vie dans la -chasteté.</p> - -<p>IV. Certain prêtre de l’église de sainte Agnès, nommé -Paulin, commença un jour à être tourmenté d’une terrible -tentation de la chair ; et, comme il ne voulait pas -offenser Dieu, il demanda au souverain pontife la permission -de prendre femme. Mais le pape, qui connaissait -sa bonté et sa simplicité, lui remit un anneau orné -d’une émeraude, et lui dit de s’adresser avec la même -demande à une belle statue de sainte Agnès qui se trouvait -dans son église. Et comme le prêtre demandait à -sainte Agnès de l’autoriser à se marier, la statue étendit -tout à coup vers lui son doigt annulaire, y passa -l’anneau donné par le pape, puis retira sa main ; et, sur-le-champ, -le prêtre fut délivré de toutes ses tentations. -Telle est, dit-on, l’origine de l’anneau qui se voit -aujourd’hui encore au doigt de la statue. Mais d’autres -disent que cet anneau fut donné par le pape à un prêtre -qui se trouva chargé, en même temps, de veiller sur la -basilique de sainte Agnès comme sur une épouse ; car, -faute de soins, le temple vénérable tombait en ruines ; et -la statue de la sainte aurait passé l’anneau à son doigt -en signe d’acceptation de ces fiançailles.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p101">-101-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c25">XXV<br /> -SAINT VINCENT, <span class="small">MARTYR<br /> -(22 janvier)</span></h2> - - -<p>Le martyre de saint Vincent a été raconté, dit-on, par -saint Augustin. Prudence l’a chanté en des vers magnifiques.</p> - -<p>I. Vincent, noble de race, mais plus noble encore de -foi et de piété, était diacre du saint évêque Valère ; et -comme il avait plus d’éloquence que le vieil évêque, -celui-ci lui avait confié le soin de prêcher à sa place, afin -de pouvoir mieux se livrer, lui-même, à la prière -et à la contemplation. Or, sur l’ordre du gouverneur -Dacien, tous deux furent conduits à Valence et jetés -en prison. Le gouverneur les y laissa longtemps -sans nourriture ; puis, quand il les crut presque -morts de faim, il les fit amener devant lui. Et, en -voyant qu’ils étaient pleins de santé et de joie, il devint -furieux et s’écria : « Comment, oses-tu, Valère, sous -prétexte de religion, résister aux décrets de tes -princes ? » Saint Valère se mit en devoir de répondre, -avec sa douceur habituelle ; mais Vincent lui dit : « Père -vénéré, ce n’est pas le moment de murmurer d’une voix -faible, comme si l’on avait peur, mais de parler haut et -librement ! Si donc tu veux me l’ordonner, mon père, -je répondrai pour toi à ce juge ! » Et Valère : « Fils -bien-aimé, depuis longtemps déjà je t’ai confié le soin -de parler à ma place. Je te charge à présent de répondre -au nom de la foi que nous défendons. » Alors Vincent, -se tournant vers Dacien : « Sache, lui dit-il, toi qui nous -accuses, que pour nous, chrétiens, c’est un blasphème -affreux de renier notre foi ! » Dacien, de plus en plus -irrité, envoya le vieil évêque en exil ; et, tant pour punir -le jeune diacre de son audace que pour effrayer par son -exemple les autres chrétiens, il fit étendre Vincent sur un -chevalet, et ordonna qu’on lui rompît les membres. Et -<span class="pagenum" id="p102">-102-</span> lorsque l’on eut rompu les membres du saint, le gouverneur -lui dit : « Hé bien, Vincent, voilà ton misérable -corps dans un bel état ! » Mais le saint lui répondit en -souriant : « C’est ce que j’ai de tout temps souhaité ! » -Dacien, exaspéré, le menaça d’autres supplices, s’il persistait -à ne pas céder. Mais Vincent : « Insensé, plus tu -crois te fâcher contre moi, plus en réalité tu as pitié de -moi. Laisse-toi donc aller à toute ta malice ! Tu verras -que, avec l’aide de Dieu, j’aurai plus de pouvoir dans -les supplices que toi en me suppliciant ! » Et comme le -gouverneur criait, et frappait les bourreaux pour les -punir de leur mollesse, Vincent lui dit encore : « Pauvre -Dacien, c’est toi-même qui me venges de mes bourreaux ! » -Le gouverneur écumait de rage. « Pourquoi -vos mains faiblissent-elles ? dit-il aux bourreaux. Vous -avez pu avoir raison d’adultères et de parricides, et leur -arracher des aveux : pourquoi, seul, ce Vincent reste-t-il -au-dessus de vos coups ? » Alors les bourreaux enfoncèrent -des peignes de fer dans les côtes du saint, à tel point que, -de tout son corps, le sang coulait, et que ses entrailles -sortaient entre les côtes brisées. Et Dacien lui dit : -« Vincent, aie pitié de toi ! Tu peux encore recouvrer ta -belle jeunesse et t’épargner d’autres supplices qu’on -apprête pour toi ! » Mais Vincent : « Langue empoisonnée, -je ne crains pas tes tourments ; mais, ce qui m’effraie, -c’est que tu feignes d’avoir pitié de moi. Car plus -je te vois furieux, plus grand est mon plaisir. Garde-toi -de rien atténuer aux supplices que tu me prépares, afin -que j’aie plus d’occasions de te montrer ma victoire ! » -Alors Dacien le fit retirer du chevalet, fit apporter un -gril, et ordonna d’allumer un grand feu. Et le saint, par -ses paroles, encourageait les bourreaux à presser leur -travail. Puis, montant de son plein gré sur le gril, il -offrit au feu tous ses membres, pendant que des pointes -enflammés s’enfonçaient dans ses chairs, et pendant -qu’on jetait du sel dans le feu, pour que ce sel, pénétrant -dans ses plaies, lui rendît plus cruelle la sensation de la -brûlure. Et, après ses jointures, ses entrailles elles-mêmes -furent transpercées et se répandirent autour de -<span class="pagenum" id="p103">-103-</span> lui ; et lui, immobile et les yeux levés au ciel, il invoquait -le Seigneur.</p> - -<p>Les bourreaux vinrent en apporter la nouvelle à -Dacien. « Hélas, dit celui-ci, il nous a vaincus ! Mais -pour prolonger son supplice, jetez-le maintenant dans le -plus sombre des cachots, après avoir semé sur le sol des -pointes très aiguës ; et, lui ayant lié les pieds, laissez-le -là ! Puis, quand il sera mort, venez me le dire ! » Et les -cruels serviteurs s’empressèrent d’obéir à leur maître, -plus cruel encore. Mais voici que le Roi pour qui souffre -le glorieux soldat, voici qu’il change sa peine en une -gloire nouvelle. Car les ténèbres du cachot se trouvent -chassées par une immense lumière, l’aspérité des pointes -se change en un lit de douces fleurs, les liens des pieds -se brisent, et des anges viennent consoler le martyr. Et -celui-ci, marchant sur les fleurs, chante avec les anges ; -l’harmonie du chant, le parfum des fleurs se répandent -hors de la prison. Les gardiens, épouvantés, regardent -à l’intérieur du cachot, par les fentes de la porte, et le -spectacle qu’ils aperçoivent les convertit à la foi du -Christ. Mais Dacien, apprenant cette nouvelle défaite, -dit : « Décidément, cet homme nous a vaincus. Inutile -de lutter davantage. Qu’on le transporte sur un -lit, pour le ranimer ; et quand il commencera à se -remettre, nous verrons à lui faire goûter d’autres supplices ! » -On transporta donc le saint sur un lit ; et là, -après s’être un peu reposé, il rendit l’âme. Cela se passait -vers l’an du Seigneur 287, sous le règne des empereurs -Dioclétien et Maximien.</p> - -<p>Mais Dacien, en apprenant cette mort, fut saisi à la -fois de frayeur et de honte. Et il dit : « Puisque je n’ai -pu le vaincre vivant, du moins je le punirai mort et me -rassasierai de son châtiment. De cette façon, j’aurai le -dernier mot sur lui ! » Et il fit exposer le corps du saint -dans un champ, pour y être dévoré par les bêtes et les -oiseaux de proie. Mais aussitôt des anges vinrent garder -le corps, le protégeant contre l’approche des bêtes. Un -corbeau gigantesque chassa à grands coups d’ailes les -loups et les oiseaux de proie, puis se tint immobile devant -<span class="pagenum" id="p104">-104-</span> le corps, considérant avec admiration les anges chargés -de le garder. Et Dacien, à cette nouvelle, dit : « Je -crains bien que, même mort, il ne se laisse pas vaincre -par moi ! » Il tenta cependant une dernière épreuve. Il -fit attacher au corps une énorme pierre et le fit jeter à -la mer, pour être dévoré par les poissons. Mais en vain -les matelots essayèrent de submerger le corps ; celui-ci -se mit à flotter, devançant les matelots, et rejoignit le -rivage, où il fut recueilli par une pieuse femme qui, avec -l’aide de ses frères chrétiens, l’ensevelit solennellement.</p> - -<p>II. Saint Augustin dit de ce martyre : « Le bienheureux -Vincent vainquit dans les mots et vainquit dans les -maux, il vainquit dans la confession et dans la tribulation, -il vainquit broyé et vainquit noyé. » Et saint -Ambroise, dans une préface, dit : « Vincent est rompu, -écartelé, coupé, flagellé, brûlé ; mais son esprit reste -indomptable, parce qu’il craint Dieu plus que le siècle -et aime mieux mourir au monde qu’à Dieu. » Et Prudence, -qui brillait sous le règne de Théodore l’Ancien, -vers l’an du Seigneur 387, nous raconte que saint -Vincent dit encore à Dacien : « Les tourments, les -prisons, les pointes de fer, les flammes et la mort, tout -cela n’est qu’un jeu pour le chrétien. » Alors Dacien : -« Qu’on le lie et qu’on lui détende les bras en tous sens -jusqu’à ce que toutes les jointures de ses os éclatent et -que son foie lui sorte du corps ! » Mais le soldat de Dieu -se riait de ces supplices, reprochant au fer de ne pas -entrer plus avant en lui. Et plus tard, dans le cachot, un -des anges lui dit : « Lève-toi, saint martyr, et viens -prendre ta place dans la troupe céleste ! Soldat invincible, -le plus brave des braves, les tortures elles-mêmes -te craignent comme leur vainqueur ! » Et Prudence, -après avoir raconté cela, s’écrie : « Héros sublime, tu -as obtenu une double palme, tu t’es rendu digne d’un -double laurier ! »</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p105">-105-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c26">XXVI<br /> -SAINT JEAN L’AUMONIER, <span class="small">CONFESSEUR<br /> -(23 janvier)</span></h2> - - -<p>I. Jean, patriarche d’Alexandrie, une nuit qu’il était -en prière, vit une jeune fille merveilleusement belle qui -se tenait debout près de lui et qui avait sur la tête une -couronne d’olivier. Jean, stupéfait, lui demanda qui elle -était, et la jeune fille lui répondit : « Je suis la miséricorde, -c’est moi qui ai amené sur la terre le Fils de -Dieu. Prends-moi pour femme et tu t’en trouveras -bien ! » Et en effet, Jean devint depuis lors si miséricordieux -qu’il fut appelé « Eleymon », c’est-à-dire l’aumônier. -Il avait l’habitude d’appeler les pauvres « ses -maîtres » ; et c’est à son exemple que les hospitaliers -donnent aux pauvres le titre de « seigneurs ». Un jour, -ayant rassemblé ses serviteurs, il leur dit : « Allez par -toute la ville, et dressez-moi une liste de tous mes seigneurs. » -Et comme on ne comprenait pas ce qu’il voulait -dire, il reprit : « Ceux que vous appelez indigents et -mendiants, je les appelle, moi, nos maîtres et seigneurs. -Ce sont eux, en effet, qui, seuls, peuvent nous donner le -royaume des cieux. » Et pour exhorter les fidèles à l’aumône, -il avait l’habitude de leur raconter l’histoire que -voici :</p> - -<p>Un jour, des mendiants se chauffaient au soleil, et -s’amusaient à comparer le mérite des riches de la ville, -louant les bons et blâmant les méchants. Vint à passer -par là un receveur d’impôts nommé Pierre, homme -riche et puissant, mais sans pitié pour les pauvres, et -qui faisait chasser brutalement ceux qui mendiaient à sa -porte. Les mendiants se trouvèrent d’accord pour constater -que pas un d’entre eux n’avait jamais reçu de lui -une aumône. Alors l’un d’entre eux dit à ses compagnons : -« Voulez-vous gager avec moi que, aujourd’hui -même, je me ferai donner une aumône par lui ? » La -<span class="pagenum" id="p106">-106-</span> gageure fut tenue, et le mendiant, s’avançant vers Pierre, -lui demanda l’aumône. Or le receveur marchait accompagné -d’un esclave qui portait des pains de seigle dans -un panier ; et, dans sa colère, ne trouvant pas de caillou -sous la main, il prit un pain dans le panier et le lança -sur le mendiant. Celui-ci saisit le pain, et courut montrer -à ses compagnons l’aumône qu’il avait reçue. Deux -jours après, Pierre tomba malade et eut une vision. Il -se vit comparaissant devant le tribunal suprême, et, sur -l’un des plateaux de la balance, des diables tout noirs -déposaient ses péchés, tandis que de l’autre côté se -tenaient tristement des anges vêtus de blanc, ne trouvant -rien à mettre pour faire contre-poids. Et l’un de ces -anges dit : « En vérité nous n’avons rien à mettre sur -ce plateau, si ce n’est un pain de seigle qu’il a donné au -Christ il y a deux jours, et encore malgré lui ! » Et les -anges mirent ce pain sur le plateau, et Pierre vit qu’il -faisait contrepoids à tous ses péchés. Et les anges lui -dirent : « Ajoute quelque chose à ce pain de seigle, si tu -ne veux pas tomber entre les mains de tous ces méchants -diables ! » Alors Pierre, s’éveillant, dit : « En vérité, -si un seul pain de seigle, jeté par colère à un pauvre, -m’a été d’un tel profit, combien davantage me profitera -de donner tous mes biens aux pauvres ! » Donc, le jour -suivant, comme il allait dans la rue, vêtu de son meilleur -manteau, et qu’un naufragé lui demandait de quoi se -couvrir, il se dépouilla de son manteau précieux et le lui -donna ; mais le naufragé, aussitôt, courut le vendre à un -brocanteur. Et Pierre, en voyant son manteau à l’étalage -du brocanteur, s’affligea fort, se disant : « Je ne suis pas -digne, même, qu’un mendiant garde rien en souvenir de -moi ! » Mais la nuit suivante, il vit en rêve un inconnu -qui brillait plus que le soleil, et qui avait une croix -sur sa tête ; et il vit que cet inconnu portait sur ses -épaules le manteau que lui, Pierre, avait donné au naufragé. -Et l’inconnu lui dit : « De quoi t’affliges-tu ? » -Pierre lui raconta alors la cause de sa peine. Et l’inconnu, -qui était Jésus, lui dit : « Reconnais-tu ce manteau ? » Et -lui : « Oui, Seigneur ! » Et le Seigneur : « Je m’en revêts -<span class="pagenum" id="p107">-107-</span> parce que tu me l’as donné ! J’avais froid et tu m’as -couvert. Merci de ta bonne volonté ! » Alors Pierre, se -réveillant, commença à bénir les pauvres, et dit : « Vive -Dieu, je ne mourrai pas avant d’être devenu l’un d’entre -eux ! » Il donna donc aux pauvres tout ce qu’il avait. -Puis, appelant son notaire, il lui dit : « Emmène-moi à -Jérusalem et vends-moi comme esclave à quelque chrétien, -après quoi tu distribueras aux pauvres le prix de -la vente ! » Et comme le notaire s’y refusait, Pierre lui dit : -« Fais ce que je te demande, et voici de l’argent pour te -récompenser ! Mais si tu ne le fais pas, c’est moi qui te -vendrai aux barbares. » Alors le notaire le revêtit de -haillons, le conduisit à Jérusalem, et le vendit à un -argentier, moyennant trente pièces d’or qu’il distribua -aux pauvres. Et Pierre, devenu esclave, se chargeait, -spontanément des tâches les plus viles, au point que les -autres esclaves eux-mêmes se moquaient de lui, le battaient, -et le méprisaient comme un fou. Mais le Seigneur -lui apparaissait souvent, et le consolait en lui montrant les -vêtements et tous les autres dons qu’il avait reçus de lui. -Cependant, à Constantinople, qui était la patrie de Pierre, -l’empereur et les citoyens déploraient sa disparition. Or, -un jour, des habitants de Constantinople, venus à Jérusalem -pour visiter les lieux sacrés, furent invités à dîner -chez le maître de Pierre ; et ils se dirent à l’oreille : -« Combien cet esclave que voici ressemble au noble -Pierre, le receveur d’impôts ! » Et l’un d’eux, l’ayant -bien observé, dit : « En vérité, c’est le seigneur Pierre -lui-même ! Je vais aller à lui et je le ramènerai de force -à Constantinople ! » Aussitôt l’esclave, se voyant découvert, -s’enfuit. Le portier de la maison était sourd et -muet ; mais Pierre, dès qu’il fut arrivé près de la porte, -lui parla afin qu’il lui ouvrît. Et aussitôt le sourd-muet -retrouva l’ouïe et la parole. Il ouvrit à Pierre, puis, -abordant les autres esclaves, il leur dit : « L’esclave qui -faisait la cuisine vient de s’enfuir ; mais c’était sans -doute un esclave de Dieu et non de notre maître, car -lorsqu’il m’a ordonné de lui ouvrir la porte, une flamme -a jailli de sa bouche qui, touchant ma bouche et mes -<span class="pagenum" id="p108">-108-</span> oreilles, m’a aussitôt rendu la parole et l’ouïe. » Et tous, -sortant de la maison, se mirent à la recherche du fugitif, -mais sans pouvoir le retrouver. Sur quoi ils firent tous -pénitence d’avoir traité avec mépris un homme de -Dieu.</p> - -<p>II. Un moine nommé Vital eut l’idée d’éprouver saint -Jean, pour voir si cet homme, d’ailleurs parfait, se laissait -persuader par les on-dit, et était facilement accessible -au scandale. Il se rendit donc à Alexandrie et se -fit donner la liste de toutes les courtisanes. Puis, entrant -chez elles tour à tour, il leur disait : « Donne-moi cette -nuit, et, en échange de l’argent que je t’offrirai, consens à -t’abstenir jusqu’à demain de toute fornication ! » Et il -passait toutes les nuits chez ces courtisanes, mais agenouillé -dans un coin de la chambre et priant pour elles ; -et, le matin, il s’en allait en leur défendant de révéler ce -qu’il avait fait. Il y eut cependant une de ces femmes qui -divulgua la chose : et, en punition, un démon s’empara -d’elle. Et tous lui disaient : « Tu n’as que ce que tu -mérites, menteuse ! car ce mauvais moine est allé chez -toi pour forniquer, et non pour autre chose ! » Et, tous -les soirs, le moine Vital disait à ceux qui l’entouraient : -« Il faut maintenant que je m’en aille, parce que telle -ou telle courtisane m’attend ! » Et à ceux qui lui faisaient -des reproches, il répondait : « N’ai-je pas un -corps, comme tout le monde ? Et les moines ne sont-ils -pas des hommes comme les autres ? » Alors on lui disait : -« Défroque-toi plutôt, l’abbé, et prend une femme chez -toi, afin de ne pas scandaliser les autres ! » Mais Vital, -feignant la colère, leur répondait : « Laissez-moi tranquille, -vous m’ennuyez ! Dieu vous a-t-il constitués mes -juges ? Occupez-vous donc de vous-mêmes ! Personne -ne vous demandera de rendre compte de moi ! » Il criait -cela très haut, pour que le bruit en revînt à saint Jean ; -et l’on pense bien que celui-ci ne fut pas longtemps à -connaître le scandale de la ville. Mais, avec l’aide de Dieu, -il sut endurcir son cœur au point de ne prêter aucune -créance à tout ce que l’on disait de Vital.</p> - -<p>Et celui-ci, tout en continuant son manège, priait -<span class="pagenum" id="p109">-109-</span> Dieu que, après sa mort, le vrai sens de sa conduite pût -être révélé à saint Jean et aux autres hommes. Il y eut -une foule de courtisanes qui, grâce à lui, se convertirent -et se vouèrent à la vie religieuse. Mais un matin, comme -il sortait de chez l’une d’elles, il rencontra quelqu’un -qui se rendait chez elle pour forniquer ; et cet homme -donna au moine un soufflet, en disant : « Misérable, ne -te corrigeras-tu donc jamais de ton immondice ! » Et -Vital : « Mon ami je te revaudrai ce soufflet ! » Et en effet, -quelques heures plus tard, voici qu’un diable, sous la -forme d’un nègre, applique sur la joue de cet homme un -terrible soufflet, en lui disant : « Reçois ce soufflet de la -part de l’abbé Vital ! » Et ce diable s’empara de lui et le -tourmenta si fort que la foule s’amassait à ses cris. Mais -Vital, voyant son repentir, pria pour lui et obtint qu’il -fût délivré. Puis, sentant approcher la mort, ce bon moine -laissa un papier où était écrit : « Gardez-vous de juger -personne trop tôt ! » Et, quand il fut mort, toutes les courtisanes -révélèrent la pureté de sa conduite et tous, dans -Alexandrie, glorifiaient Dieu à cette occasion, mais surtout -saint Jean, qui disait : « Combien j’aurais voulu -mériter de recevoir, à la place de Vital, le soufflet qu’il -a reçu ! »</p> - -<p>III. Un pauvre vint à Jean en habit de pèlerin et lui demanda -l’aumône. Jean dit à son économe : « Donne-lui -six pièces d’argent ! » L’homme s’en alla alors changer -d’habit et revint demander l’aumône au patriarche. Et -celui-ci dit à son économe : « Donne-lui six pièces d’or ! » -L’économe les lui donna, mais, quand le mendiant fut -parti, il dit à Jean : « Père, cet homme est venu deux -fois aujourd’hui sous des habits différents, et deux fois a -reçu l’aumône ! » Mais saint Jean feignit de ne pas l’avoir -reconnu. Et le mendiant, ayant changé d’habit une troisième -fois, revint de nouveau lui demander l’aumône ; -alors l’économe fit signe à saint Jean que c’était le même -mendiant. Mais saint Jean lui répondit : « Va et donne-lui -douze pièces d’or ; car qui sait si ce n’est pas mon -Seigneur Jésus-Christ qui veut me tenter, pour voir qui se -fatiguera le premier, lui de demander ou moi de donner ? »</p> - -<p><span class="pagenum" id="p110">-110-</span> IV. Un jour le patrice voulut employer à des achats une -somme qui appartenait à l’église, et que le patriarche -voulait faire distribuer aux pauvres. Les deux hommes -discutèrent longtemps, et se séparèrent fâchés l’un -contre l’autre. Mais, à l’approche de la neuvième heure, -saint Jean fit dire au patrice par son archiprêtre : -« Seigneur, le soleil va bientôt se coucher ! » Et le patrice, -entendant ces paroles, fondit en larmes, et courut -demander pardon à saint Jean.</p> - -<p>V. Un neveu de saint Jean avait été insulté par un -boutiquier et était venu se plaindre à son oncle. Celui-ci -lui répondit : « Comment est-ce possible que quelqu’un -ait osé te contredire et ouvrir la bouche contre toi ? Mon -fils, fie-toi à moi : je ferai aujourd’hui quelque chose -dont la ville entière sera étonnée ! » Ce qu’entendant, le -jeune homme fut consolé, croyant que son oncle allait -faire fouetter l’impertinent. Mais saint Jean, le voyant -consolé, lui dit : « Mon fils, si tu es vraiment le neveu -de Mon Humilité, prépare-toi à recevoir le fouet en présence -de tous ! Car la vraie parenté ne vient pas de la -chair et du sang, mais se reconnaît à la vertu de l’âme. » -Et il envoya chercher le boutiquier, et l’affranchit de -tout tribut. Et tous comprirent ce qu’il avait voulu dire -en annonçant qu’il ferait quelque chose dont la ville entière -serait étonnée.</p> - -<p>VI. Apprenant que, dès qu’un empereur était couronné, -on commençait à lui construire un tombeau de marbre et -de métal, saint Jean se fit construire, lui aussi, un tombeau ; -mais il ordonna qu’on le laissât inachevé, et que -tous les jours, pendant qu’il officierait à la tête de son -clergé, on vînt lui dire : « Hâte-toi de faire achever ta -tombe, car tu ne sais pas à quelle heure la mort viendra -te prendre ! »</p> - -<p>VII. Un homme riche fut peiné de voir que saint Jean -couchait dans des draps grossiers ; et il lui fit don d’une -couverture de grand prix. Mais le saint, ayant mis cette -couverture sur son lit, ne put dormir de toute la nuit, -tant le tourmentait la pensée que trois cents de ses « seigneurs » -auraient eu de quoi se couvrir avec le prix de -<span class="pagenum" id="p111">-111-</span> cette couverture. Et il se disait en pleurant : « Combien -d’hommes se sont couchés cette nuit sans avoir dîné, -combien d’hommes sont exposés à la pluie, sur les -places, et claquent des dents, au froid de la nuit ! Et toi, -après avoir mangé d’excellents poissons, tu t’es couché -avec tous tes péchés dans un lit, sous une couverture -qui vaut trente-six deniers ! Non, non, le misérable Jean -ne se couvrira plus de cette façon-là ! » Et, dès que le -jour parut, le saint fit vendre la couverture, et en donna -le prix aux pauvres. Et le riche, à cette nouvelle, acheta -une seconde couverture et la donna au saint, le priant, -cette fois, de la garder pour lui. Le saint prit la couverture, -mais aussitôt la fit vendre, et en fit distribuer le -prix aux pauvres. Le riche la racheta, la rapporta au -saint et lui dit : « Nous verrons qui se fatiguera le premier, -toi de revendre ou moi de racheter ! » Et le saint -se complaisait à vendanger ainsi le riche, disant que ce -n’était point pécher, mais bien agir, de dépouiller des -riches avec l’intention de donner aux pauvres.</p> - -<p>VIII. Voulant engager les fidèles à l’aumône, saint Jean -leur racontait souvent l’histoire de saint Sérapion. Celui-ci, -ayant donné son manteau à un pauvre, rencontra un -autre pauvre, qui souffrait du froid. Il lui donna alors -sa tunique, et resta tout nu, tenant en main l’Evangile. -Alors un passant lui demanda : « Abbé ; qui t’a dépouillé ? » -Et l’abbé, montrant l’Evangile, répondit : « Voici celui -qui m’a dépouillé ! » Mais, voyant ensuite un autre -pauvre, il alla vendre son Evangile pour lui en donner le -prix. Et comme on lui demandait ce qu’il avait fait de son -Evangile, il répondit : « Cet Evangile me disait : vends -ce que tu possèdes et donnes-en le prix aux pauvres ! Or -je n’avais que lui ! Pour lui obéir, je l’ai vendu ! »</p> - -<p>IX. Un mendiant à qui saint Jean avait fait donner -cinq deniers, se fâcha de n’avoir pas reçu davantage, et -se mit à insulter publiquement le patriarche. Les serviteurs -de celui-ci voulaient le chasser ; mais saint Jean le -leur défendit en disant : « Laissez-le, frères, laissez-le me -maudire ! J’ai pu, moi, pendant soixante ans, insulter le -Christ par mes péchés : de quel droit m’opposerais-je à -<span class="pagenum" id="p112">-112-</span> ce que cet homme m’insultât un moment ? » Et il fit -apporter le petit sac où était son argent, et ordonna que -le mendiant y prît autant qu’il voudrait.</p> - -<p>X. Le peuple ayant pris l’habitude de sortir de l’église, -après l’évangile, pour aller bavarder vainement sur la -place, le patriarche sortit un jour de l’église avec eux, -après l’évangile, et s’assit au milieu d’eux sur la place. -Et comme tous s’en étonnaient, il leur dit : « Mes chers -enfants, la place du berger est au milieu de son troupeau. -Ou bien donc vous rentrerez dans l’église et j’y rentrerai -avec vous pour achever ma messe, ou bien vous -resterez ici, et j’y resterai comme vous ! » Deux fois il fit -de même, et ainsi il habitua le peuple à ne plus sortir -de l’église pendant les offices.</p> - -<p>XI. Un jeune homme avait enlevé une nonne, et le -clergé l’accusait devant saint Jean, demandant qu’il fût -excommunié : car il avait perdu deux âmes, la sienne et -celle de sa maîtresse. Mais saint Jean se refusait à rien -faire contre lui, disant à son clergé : « Non, mes fils, pas -du tout ! Et c’est vous qui, en ce moment, commettez -deux péchés. Vous péchez d’abord en allant contre le précepte -du Seigneur, qui a dit : <i>Ne jugez pas, vous ne serez -pas jugés !</i> Et puis, vous péchez aussi par présomption, -car vous ignorez si ces deux malheureux continuent à -pécher, ou si, au contraire, ils ne commencent pas déjà -à se repentir. »</p> - -<p>XII. Souvent, pendant ses prières, le bienheureux saint -Jean avait des extases où on l’entendait s’entretenir -familièrement avec le Seigneur. Et quand, saisi de fièvre, -il comprit qu’il allait mourir, il s’écria : « Je te remercie, -mon Dieu, de ce que ta bonté ait exaucé le vœu de ma -faiblesse, qui souhaitait de ne rien posséder en mourant -qu’un seul drap de lit ! Et maintenant ce drap, va pouvoir, -lui aussi, être donné aux pauvres ! » Après quoi il -mourut, et son corps vénérable fut placé dans un tombeau -où se trouvaient déjà les corps de deux évêques ; -et voici que ces corps s’écartèrent miraculeusement, -pour faire une place, au milieu d’eux, au bienheureux -Jean.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p113">-113-</span> XIII. Peu de jours avant sa mort, une pécheresse vint -lui dire qu’elle avait commis de tels péchés qu’elle -n’osait s’en confesser à personne. Le saint lui conseilla -d’écrire sur un papier ses péchés, de cacheter le papier, -et de le lui apporter, ajoutant qu’il prierait pour elle. Et -la femme fit tout cela ; mais quand, quelques jours après, -elle apprit la mort du saint, elle s’épouvanta à la pensée -que sa confession pourrait tomber entre des mains étrangères. -Elle se rendit donc au tombeau du saint, et supplia -celui-ci de lui faire savoir où se trouvait son papier. -Et voici que saint Jean sortit de son tombeau, en habit -pontifical, s’appuyant sur l’épaule des deux évêques qui -gisaient près de lui. Et il dit à la femme : « Pourquoi -nous importunes-tu dans notre repos, moi et ces deux -saints hommes qui me tiennent compagnie ? » Et il lui -tendit son papier avec le cachet qu’elle y avait mis, -disant : « Ouvre ton cachet, et lis ta confession ! » Mais -elle, ayant brisé le cachet, vit que la liste de ses péchés -avait été effacée, et remplacée par l’inscription suivante : -« Je te remets tes péchés en considération de la prière de -Jean, mon serviteur. » Et la femme rendit grâces à Dieu ; -et saint Jean, avec ses deux compagnons, rentra dans son -tombeau.</p> - -<p>Ce grand saint florissait vers l’an du Seigneur 605, -sous le règne de l’empereur Phocas.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c27">XXVII<br /> -LA CONVERSION DE SAINT PAUL<br /> -<span class="small">(25 janvier)</span></h2> - - -<p>La conversion de l’apôtre saint Paul eut lieu la même -année que la passion du Christ et la lapidation de saint -Etienne : mais cela n’est vrai qu’à la condition de considérer -l’année comme la succession de douze mois, et non -<span class="pagenum" id="p114">-114-</span> point comme l’espace compris entre le 1<sup>er</sup> janvier et le -31 décembre : car la crucifixion du Christ a eu lieu le -25 mars, la lapidation de saint Etienne le 3 août, et la conversion -de saint Paul le 25 janvier.</p> - -<p>Trois raisons expliquent pourquoi l’Eglise célèbre cette -conversion plutôt que celle des autres saints : 1<sup>o</sup> c’est que -cette conversion constitue un plus grand exemple, pour -nous prouver qu’il n’y a point de pécheur qui ne puisse -espérer sa grâce ; 2<sup>o</sup> c’est qu’elle provoque une plus -grande joie, car l’Eglise s’est d’autant plus réjouie de la -conversion de saint Paul qu’elle s’était plus affligée de -ses persécutions ; 3<sup>o</sup> c’est que cette conversion a eu un -caractère plus miraculeux, Dieu ayant voulu montrer -que, de son plus cruel persécuteur, il pouvait faire son -plus fidèle prédicateur.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c28">XXVIII<br /> -SAINT JULIEN, <span class="small">ÉVÊQUE ET CONFESSEUR<br /> -(26 janvier)</span></h2> - - -<p>I. Saint Julien fut évêque du Mans. C’était, dit-on, le -même homme que ce Simon le Lépreux qui, guéri de -sa lèpre par Jésus, invita celui-ci à sa table. Après l’ascension -du Seigneur il fut ordonné évêque du Mans. Il -brilla de nombreuses vertus, ressuscita trois morts, et -s’endormit lui-même dans la paix du Seigneur. Peut-être -est-ce ce saint Julien-là que les voyageurs invoquent -pour leur faire trouver une bonne hospitalité sur leur -route : ce privilège lui viendrait, en ce cas, de l’honneur -qu’il a eu d’offrir l’hospitalité à notre Seigneur. Mais, -plus vraisemblablement le saint Julien qu’on nomme -« l’Hospitalier » est un autre saint Julien, dont nous -raconterons l’histoire tout à l’heure, à savoir celui qui a -tué ses parents sans les connaître.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p115">-115-</span> II. Il y eut un autre saint Julien, qui fut originaire -d’Auvergne, noble de race, mais plus noble encore de -foi, et qui, par soif du martyre, allait au-devant de ses -persécuteurs. Enfin le consul Crispin envoya un de ses -officiers avec ordre de le tuer : ce qu’apprenant Julien -courut à la rencontre de l’officier, et tendit son corps à -ses coups. On porta sa tête coupé à son ami Ferréol, en -le menaçant d’une mort semblable s’il ne sacrifiait -aussitôt aux idoles. Et comme saint Ferréol s’y refusait, -on le tua, et on mit dans le même tombeau son corps et -la tête de saint Julien. Et de longues années après, saint -Mamert, évêque de Vienne, trouva la tête de saint Julien -entre les mains de saint Ferréol ; et cette tête était -intacte et fraîche comme si on l’eût ensevelie le jour -même. — Grégoire de Tours raconte qu’un paysan qui -voulait labourer le dimanche eut aussitôt les doigts contractés -de telle façon que la cognée dont il se servait -pour nettoyer le soc de sa charrue se trouvât attachée à -sa main ; et ce paysan ne fut guéri que deux années -plus tard, dans l’église de saint Julien, sur les prières de -ce saint.</p> - -<p>III. Il y eut encore un autre saint Julien, qui était frère -de saint Jules ; ces deux frères vinrent trouver l’empereur -Théodose, qui était plein de zèle pour la foi chrétienne, -et lui demandèrent la permission d’élever partout, sur -leur chemin, des églises à la place des temples des idoles. -L’empereur le leur permit volontiers, et leur donna un -écrit aux termes duquel tout le monde devait leur obéir et -les aider, sous peine de mort. Or, comme, près de Tours, -saint Julien et saint Jules étaient occupés à construire une -église dans un lieu nommé Joué, et se faisaient aider par -tous les passants, une compagnie d’hommes, qui avaient -à passer par là en voiture, se dirent : « Quelle excuse -pourrions-nous trouver pour passer librement, sans -devoir nous arrêter et travailler à construire l’église ? » -Et ils se dirent : « Que l’un de nous se couche sur le dos, -au fond de la voiture ; nous le couvrirons d’un drap et -nous dirons que nous conduisons un mort : sur quoi on -nous laissera passer librement. » L’un de ces hommes -<span class="pagenum" id="p116">-116-</span> s’étendit donc dans la voiture, et ses compagnons lui -dirent : « Ne parle pas, ferme les yeux, et fais semblant -d’être mort jusqu’à ce que nous ayons dépassé l’église -que l’on construit ! » Et lorsque la voiture arriva à l’endroit -où Julien et Jules construisaient l’église, les deux -saints dirent aux voyageurs : « Chers enfants, daignez-vous -arrêter un moment, pour nous donner un coup de -main dans notre travail ! » Les voyageurs répondirent : -« Nous ne pouvons nous arrêter, car nous conduisons un -mort, dans notre voiture ! » Et saint Julien leur dit : -« Mes enfants, pourquoi mentez-vous ? » Et eux : « Seigneur, -nous ne mentons pas : c’est la vérité que nous -vous disons ! » Et saint Julien leur dit : « Qu’il en soit donc -comme vous le dites ! » Et les voyageurs, piquant leurs -bœufs, s’éloignèrent ; et quand ils furent arrivés à -quelque distance, ils se mirent à appeler leur compagnon, -en lui disant : « Lève-toi maintenant, et, aide-nous à -stimuler le bœuf, car nous n’avançons pas ! » Et comme -l’homme ne bougeait pas, ils se mirent à le secouer, en -disant : « Rêves-tu ? Allons, lève-toi ! » Et, comme il ne -répondait toujours pas, ils le découvrirent ; et ils virent -qu’il était mort. Personne, depuis ce moment, n’osa -plus mentir aux serviteurs de Dieu.</p> - -<p>IV. Il y eut encore un autre saint Julien. Celui-là, qui -était de famille noble, se trouvait un jour à la chasse, dans -sa jeunesse, et poursuivait un cerf, lorsque soudain le -cerf, sur un signe de Dieu, se retourna vers lui et lui dit : -« Comment oses-tu me poursuivre, toi qui es destiné à -être l’assassin de ton père et de ta mère ? » Et le jeune -homme, à ces paroles, fut si épouvanté, que, pour -empêcher la prédiction du cerf de se réaliser, il s’éloigna -secrètement, traversa d’immenses régions, et parvint -enfin dans un royaume où il entra au service du roi. Il -se conduisit avec tant d’éclat dans la guerre et dans la -paix que le roi le créa chevalier, et lui donna pour -femme la veuve d’un très riche seigneur. Cependant, les -parents de Julien, désolés de sa disparition, erraient à -travers le monde, en quête de leur fils, jusqu’à ce qu’ils -arrivèrent, un jour, au château qui était maintenant la -<span class="pagenum" id="p117">-117-</span> demeure de Julien. Mais celui-ci, par hasard, n’était pas -au château, et ce fut sa femme qui reçut les deux voyageurs. -Et quand ils lui eurent raconté toute leur histoire, -elle comprit qu’ils étaient les parents de son mari : car -celui-ci, sans doute, lui avait souvent parlé d’eux. Aussi -leur fit-elle l’accueil le plus tendre, par amour pour son -mari ; et elle les fit coucher dans son propre lit. Le lendemain -matin, pendant qu’elle était à l’église, voici que -Julien rentra. Il s’approcha du lit pour réveiller sa -femme ; et, voyant deux personnes qui dormaient sous -les draps, il crut que c’était sa femme avec un amant. -Sans rien dire, il tira son épée et tua les deux dormeurs. -Puis, sortant de la maison, il rencontra sa femme qui -revenait de l’église, et il lui demanda, stupéfait, qui -étaient les deux personnes qui dormaient dans son lit. -Et sa femme lui répondit : « Ce sont tes parents, qui -longtemps t’ont cherché ! Je les ai fait coucher dans -notre lit. » Ce qu’entendant, Julien pensa mourir de -chagrin. Il fondit en larmes, et dit : « Que vais-je devenir, -misérable que je suis ? Ce sont mes chers parents que -j’ai tués ! J’ai accompli la prédiction du cerf, pour avoir -essayé d’y échapper ! Adieu donc, ma douce petite sœur, -car je n’aurai plus de repos jusqu’à ce que je sache que -Dieu a agréé mon repentir ! » Mais elle : « Ne crois pas, -mon frère bien-aimé, que je te laisse partir sans moi ! -De même que j’ai participé à ta joie, je participerai à tes -douleurs ! » Ainsi, s’enfuyant ensemble, ils allèrent -demeurer au bord d’un grand fleuve dont la traversée -était pleine de périls ; et là, tout en faisant pénitence, ils -transportaient d’une rive à l’autre ceux qui voulaient -traverser le fleuve. Et ils les recueillaient dans un hôpital -qu’ils avaient construit. Et, longtemps après, par une -nuit glaciale, Julien, qui s’était couché accablé de fatigue, -entendit la voix plaintive d’un étranger qui lui demandait -de lui faire traverser le fleuve. Aussitôt, se levant, -il courut vers l’étranger, à demi mort de froid ; et il -l’emporta dans sa maison, et alluma un grand feu pour -le réchauffer. Puis, le voyant toujours glacé, il le porta -dans son lit et le couvrit avec soin. Or voici que cet -<span class="pagenum" id="p118">-118-</span> étranger, qui était rongé de lèpre et répugnant à voir, -se transforma en un ange éclatant de lumière. Et tout -en s’élevant dans les airs il dit à son hôte : « Julien, le -Seigneur m’a envoyé vers toi pour t’apprendre que ton -repentir a été agréé, et que ta femme et toi pourrez -bientôt vous reposer en Dieu. » Et l’ange disparut, et, peu -de temps après, Julien et sa femme s’endormirent dans le -Seigneur, pleins d’aumônes et de bonnes œuvres.</p> - -<p>V. Et il y eut encore un autre Julien, qui, celui-là, ne -fût pas un saint, mais un monstre abominable : c’est, à -savoir, Julien l’Apostat. Ce Julien fut d’abord moine, -et feignit une grande piété. Mais voici ce que raconte de -lui maître Jean Beleth, dans sa <i>Somme de l’Office de -l’Eglise</i>. Certaine femme avait trois pots pleins d’or, et, -pour cacher l’or, elle l’avait recouvert de cendres ; et -elle avait remis les pots à la garde de Julien, qu’elle tenait -pour le plus saint moine du couvent. Mais Julien, dès -qu’il eut les pots, regarda ce qu’ils contenaient, et il prit -tout l’or qui s’y trouvait, mit des cendres à sa place, et -s’enfuit à Rome avec cet or volé. Et il fit si bien que, -grâce à cet or, il devint consul, et fut ensuite élevé à -l’empire.</p> - -<p>Il avait été instruit dès l’enfance dans l’art de la magie, -et y avait pris beaucoup de goût. Un jour (à ce que -raconte l’<i>Histoire tripartite</i>), encore enfant, il invoqua -les démons en l’absence de son maître ; et aussitôt apparut -devant lui une nombreuse troupe de démons, sous la forme -de nègres d’Ethiopie. Alors Julien, effrayé, se hâta de -faire le signe de la croix ; et aussitôt les démons disparurent. -Et le maître de Julien lui dit, au récit de cette -aventure : « C’est que les démons ne haïssent et ne -craignent rien autant que le signe de la croix ! » Aussi, -lorsque Julien fut élevé à l’empire, se rappelant cette -aventure, et désirant recourir à l’art de la magie, il renia -sa foi, détruisit partout le signe de la croix, et persécuta -les chrétiens de toutes ses forces, afin de se faire mieux -obéir des démons.</p> - -<p>On lit dans les <i>Vies des Pères</i> que Julien, ayant envahi -la Perse, envoya un démon en occident pour savoir ce -<span class="pagenum" id="p119">-119-</span> qui s’y passait ; mais le démon dut rester immobile pendant -dix jours devant la cellule d’un moine, et revint -vers Julien sans avoir pu continuer sa route. Et il dit à -l’empereur : « J’ai attendu pendant dix jours que ce -maudit moine s’interrompît de prier, car, sa prière -m’empêchait de passer ; mais, le dixième jour, comme -il ne s’interrompait toujours pas, j’ai dû rebrousser -chemin et revenir ici. » Alors Julien, furieux, dit qu’en -arrivant au désert il tirerait vengeance de ce moine.</p> - -<p>Les démons lui avaient promis qu’il vaincrait les -Perses. Son sophiste dit un jour à un chrétien : « Que -penses-tu que fasse, à cette heure, le fils du charpentier ? » -Et le chrétien répondit : « Il prépare le cercueil de Julien. » -Et lorsque Julien arriva à Césarée de Cappadoce (ainsi -que le raconte l’histoire de saint Basile, et que l’atteste -Fulbert, évêque de Chartres), saint Basile vint au-devant -de lui et lui fit présent de quatre pains d’orge. Et Julien, -furieux, refusa de les prendre, et, en échange, fit porter -à saint Basile une botte de foin, en disant : « Reçois -l’équivalent de ce que tu m’as donné ! » Et saint Basile -répondit : « Nous t’avons donné, nous, ce que nous mangions -nous-mêmes ; et toi, tu nous as donné ce que tu fais -manger à tes bêtes ! » Et Julien irrité, répondit : « Quand -j’aurai soumis les Perses, je détruirai votre ville et y -ferai promener la charrue, et elle méritera plus de s’appeler -« frumentifère » qu’« hominifère. »</p> - -<p>La nuit suivante, saint Basile vit en rêve une multitude -d’anges réunis dans l’église de Notre-Dame. Et au -milieu d’eux trônait une femme, qui leur disait : « Faites-moi -venir tout de suite le vaillant Mercure, afin qu’il -tue l’apostat Julien, qui, dans sa superbe, blasphème -contre mon Fils et moi ! » Ce Mercure était un soldat -chrétien que Julien avait mis à mort en punition de sa -foi, et qui se trouvait enterré avec ses armes dans -l’église Notre-Dame. Et aussitôt saint Mercure apparut -devant l’auguste assemblée, et, sur l’ordre de la Vierge, -se prépara au combat. Frappé de ce rêve, saint Basile, -dès qu’il fut levé, fit ouvrir le tombeau de saint Mercure, -et vit que le saint ni ses armes n’y étaient plus. Il -<span class="pagenum" id="p120">-120-</span> interrogea le gardien de l’église, mais celui-ci lui jura -que, la veille encore, il avait vu les armes du saint à leur -place accoutumée. Et quand saint Basile se fit de nouveau -ouvrir le tombeau, le matin suivant, le corps du saint s’y -trouvait réinstallé avec ses armes ; et sa lance était rouge -de sang. Et bientôt quelqu’un, qui revenait de l’armée, -raconta qu’un chevalier inconnu était venu attaquer -Julien au milieu de ses gardes, l’avait transpercé de sa -lance, et s’était éloigné si vite qu’on n’avait pu le rejoindre.</p> - -<p>Et l’infâme Julien, avant de mourir, prit dans sa main -des gouttes de son sang et les lança en l’air, disant : -« Tu as vaincu, Galiléen ! » Après quoi il rendit son âme -misérable ; et son corps, abandonné des siens, resta sans -sépulture ; et les Perses lui arrachèrent la peau, que leur -roi fit tendre sur le trône où il s’asseyait.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c29">XXIX<br /> -LA SEPTUAGÉSIME</h2> - - -<p>La septuagésime désigne le temps de la déchéance, la -sexagésime celui de l’abandon, la quinquagésime celui -de la rémission, et la quadragésime celui de la pénitence -spirituelle.</p> - -<p>La septuagésime a été instituée pour trois motifs : -1<sup>o</sup> comme un rachat ; 2<sup>o</sup> comme un signe ; 3<sup>o</sup> comme -une représentation.</p> - -<p>1<sup>o</sup> Les saints Pères avaient décidé que, pour vénérer -le jour de l’Ascension, une fête solennelle aurait lieu -tous les cinq jours, où l’on serait dispensé du jeûne ; mais -comme les fêtes des saints sont ensuite survenues, on a -dû renoncer à célébrer cette fête tous les cinq jours. Et -c’est pour racheter (ou pour compenser) ces fêtes, que -les Pères nous ont imposé une semaine d’abstinence, -qu’ils ont appelée la septuagésime.</p> - -<p>2<sup>o</sup> La septuagésime est également un signe : elle -<span class="pagenum" id="p121">-121-</span> signifie la déchéance, l’exil, et la tribulation du genre -humain, depuis Adam jusqu’à la fin du monde. Ces sept -jours signifient les sept milliers d’années que dure le -monde : car, six mille ans se sont écoulés depuis Adam -jusqu’à l’ascension du Christ ; et tout le temps qui -s’écoule depuis l’ascension jusqu’à la fin du monde constitue -un septième millénaire, dont Dieu seul connaît le -terme.</p> - -<p>3<sup>o</sup> Enfin la septuagésime représente les soixante-dix -ans que dura pour Israël la captivité de Babylone, qui, à -son tour, représentent le temps de notre pérégrination -terrestre. Dans ce temps d’exil, l’Eglise, accablée de -tribulations, et presque désespérée, chante : <i lang="la" xml:lang="la">Circumdederunt -me gemitus morbis</i>, etc. Mais, pour l’empêcher -de désespérer tout à fait, l’épître et l’évangile de la -septuagésime lui proposent un triple remède et une -triple récompense. Le remède consiste à travailler dans -la vigne de l’âme, puis à courir dans le stade de la vie -présente, enfin à lutter dans l’arène contre les tentations -du diable. Et les trois récompenses sont : le denier -accordé au bon vigneron, les applaudissements au coureur, -la couronne au combattant.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c30">XXX<br /> -LA SEXAGÉSIME</h2> - - -<p>La sexagésime a été instituée comme remplacement, -comme signe, et comme représentation.</p> - -<p>1<sup>o</sup> Le pape Melchiade et saint Sylvestre ont décidé -que, tous les samedis, les fidèles pourraient manger -deux fois, de façon à ne pas s’affaiblir par un jeûne -trop prolongé. Mais, pour remplacer ces samedis, ils -ont ajouté une semaine au carême, et l’ont appelée la -sexagésime.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p122">-122-</span> 2<sup>o</sup> La sexagésime signifie le temps de veuvage de -l’Eglise, et sa tristesse en l’absence de son époux ; car -on accordait aux veuves la soixantième partie (<i lang="la" xml:lang="la">sexagesima</i>) -des récoltes. Mais, pour se consoler de cette -absence de l’époux, deux ailes sont données à l’Eglise, à -savoir l’exercice des six œuvres de miséricorde, et l’accomplissement -du Décalogue. Et en effet « sexagésime » -signifie dix fois six : dix, c’est le Décalogue ; six, ce sont -les œuvres de miséricorde.</p> - -<p>3<sup>o</sup> Enfin, la sexagésime représente le mystère de notre -rédemption, ou plutôt les six mystères, qui sont : l’Incarnation, -la Nativité, la Passion, la Descente aux Enfers, -la Résurrection et l’Ascension.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c31">XXXI<br /> -LA QUINQUAGÉSIME</h2> - - -<p>La quinquagésime a été instituée comme complément, -comme signe, et comme représentation.</p> - -<p>1<sup>o</sup> Nous devrions jeûner pendant quarante jours, à la -ressemblance du Christ, et en réalité nous ne jeûnons -que pendant trente-six jours, car les dimanches sont -libres de jeûnes. Et les dimanches sont libres de jeûnes -tant à cause de la joie de la résurrection qu’à cause de -l’exemple du Christ, qui, le jour de sa résurrection, a -mangé deux fois, à savoir avec les disciples d’Emmaüs, -et avec ses disciples réunis à Jérusalem, quand il est -entré chez eux toutes portes fermées. En compensation -de ces quatre jours, perdus pour le jeûne, l’Eglise a -institué les quatre derniers jours de la quinquagésime, -puis le clergé, voulant donner au peuple l’exemple de la -sainteté, a résolu de jeûner encore pendant les deux -jours précédant ceux-là ; et ainsi s’est trouvée constituée -une semaine entière de jeûne, que le pape Telesphore a -<span class="pagenum" id="p123">-123-</span> sanctionnée, comme le dit saint Ambroise, sous le nom -de quinquagésime.</p> - -<p>2<sup>o</sup> La quinquagésime signifie le temps de la rémission -des péchés ; car, tous les cinquante ans, avait lieu une -année de jubilé, où les dettes étaient remises, où les -esclaves étaient libérés, et où tous rentraient en possession -de leurs biens.</p> - -<p>3<sup>o</sup> Enfin la quinquagésime représente l’état de béatitude. -Car, tous les cinquante ans, les esclaves étaient -libérés ; cinquante jours après l’immolation de l’agneau, -la loi fut donnée ; et c’est cinquante jours après Pâques -qu’est descendu l’Esprit-Saint.</p> - -<p>L’épître et l’évangile de la quinquagésime nous -enseignent que trois choses sont nécessaires, pour que -l’œuvre de la pénitence soit parfaite : 1<sup>o</sup> la charité, qui -nous est recommandée par l’épître ; 2<sup>o</sup> le souvenir de la -passion du Seigneur, et, 3<sup>o</sup> la foi, qui nous sont recommandés -dans l’évangile, par le récit du miracle de -l’aveugle guéri.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c32">XXXII<br /> -LA QUADRAGÉSIME</h2> - - -<p>Le jeûne de la quadragésime s’explique par trois raisons : -1<sup>o</sup> l’évangile de saint Matthieu indique quarante -générations du Christ ; 2<sup>o</sup> le Christ est resté quarante -jours avec ses disciples après sa résurrection ; 3<sup>o</sup> le monde -se divise en quatre parties, l’année en quatre saisons, -l’univers en quatre éléments, la nature humaine en -quatre tempéraments, la loi nouvelle en quatre évangiles. -Et comme nous avons transgressé cette loi, et -aussi l’ancienne, qui consistait en dix commandements, -il convient que nous jeûnions pendant quatre fois dix -fois, c’est-à-dire quarante jours.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p124">-124-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c33">XXXIII<br /> -LE JEÛNE DES QUATRE-TEMPS</h2> - - -<p>Le jeûne des Quatre-Temps a été institué par le pape -Calixte. Il consiste à jeûner quatre fois par an, suivant -les quatre saisons. Ce jeûne se justifie par quatre arguments :</p> - -<p>1<sup>o</sup> Le printemps étant une saison humide, nous jeûnons -au printemps pour tempérer en nous les humeurs -pernicieuses, c’est-à-dire la luxure. L’été étant une -saison chaude et sèche, nous jeûnons pour châtier en -nous la sécheresse de l’avarice. L’automne étant une -saison également sèche, mais froide, nous jeûnons pour -châtier la sécheresse froide de l’orgueil. Enfin l’hiver -étant une saison froide et humide, nous jeûnons pour -châtier le froid de l’infidélité et de la malice.</p> - -<p>2<sup>o</sup> Le jeûne des Quatre-Temps a pour objet de nous -rappeler le jeûne des Juifs, qui jeûnaient quatre fois par -an, avant la Pâque, avant la Pentecôte, avant la fête des -Tabernacles et avant la dédication de décembre.</p> - -<p>3<sup>o</sup> L’homme étant formé de quatre éléments, quant -au corps, et de trois facultés, quant à l’âme, nous -devons jeûner quatre fois par an, pendant trois jours -chaque fois.</p> - -<p>4<sup>o</sup> Le printemps se rapporte à l’enfance, l’été à l’adolescence, -l’automne à l’âge viril, l’hiver à la vieillesse. -Nous devons donc jeûner au printemps pour être innocents -comme des enfants ; en été, pour être forts comme -des adolescents, en automne, pour être mûrs par la -justice, comme le veut l’âge viril ; en hiver pour acquérir -la sagesse et la probité des vieillards. Ou, plutôt -encore, nous devons jeûner en hiver pour expier les -fautes commises par nous pendant les saisons précédentes.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p125">-125-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c34">XXXIV<br /> -SAINT JEAN CHRYSOSTOME, <span class="small">ÉVÊQUE ET CONFESSEUR<br /> -(27 janvier)</span></h2> - - -<p>Jean, surnommé Chrysostome, naquit à Antioche, de -Second et d’Anture, nobles tous deux. Sa vie, sa généalogie, -son caractère, et les persécutions qu’il eut à subir, -se trouvent racontés tout au long dans l’<i>Histoire tripartite</i>.</p> - -<p>Après avoir étudié la philosophie, il l’abandonna -pour s’occuper uniquement des choses divines. Ordonné -prêtre, il eut un zèle de chasteté qui le fit accuser de sévérité -excessive. Plus fervent que doux, exécutant toujours -sans scrupule ce que lui ordonnait sa conscience, -il passait pour arrogant aux yeux de ceux qui ne le connaissaient -point. Mais personne ne l’égalait pour enseigner, -pour expliquer, comme aussi pour corriger les -mœurs. Ayant été fait évêque, sous le règne des empereurs -Honorius et Arcade, et pendant que Damase occupait -le siège de saint Pierre, il voulut aussitôt réformer -la vie de son clergé, et s’attira ainsi la haine de tous. On -le traitait d’insensé, on le diffamait partout ; et comme -jamais il n’invitait personne à sa table, ni n’acceptait aucune -invitation, on faisait courir le bruit que cela provenait -de ce qu’il avait une façon dégoûtante de manger ; tandis -que, en réalité, il n’agissait ainsi que par abstinence, et -parce que le moindre excès de nourriture lui donnait des -maux de tête. D’ailleurs le peuple l’aimait beaucoup, à -cause de ses sermons, et ne tenait nul compte des calomnies -répandues contre lui. Mais la haine dont il était -l’objet grandit encore lorsqu’on le vit s’attaquer courageusement -aux plus gros personnages. Et il y eut une -chose, en particulier, qui produisit une émotion générale. -Le consul Eutrope, favori de l’empereur, voulant -soumettre à sa juridiction ceux qui se réfugiaient dans -les églises, obtint de l’empereur une loi annulant le -<span class="pagenum" id="p126">-126-</span> droit d’asile, et permettant d’extraire des églises ceux -qui s’y étaient réfugiés. Or, peu de temps après, -Eutrope lui-même, ayant offensé l’empereur, se réfugia -dans l’église de Jean Chrysostome et se cacha sous l’autel. -Alors l’évêque, venant à lui, lui adressa une homélie -pleine des plus durs reproches ; après quoi il le laissa -prendre par l’empereur, qui lui fit couper la tête. Et -bien des gens s’indignèrent de ce que, en présence du -malheur de son ennemi, l’évêque n’eût eu pour lui aucune -pitié. Il était d’ailleurs sans pitié dans toutes ses -invectives contre les méchants ; et par là s’explique qu’il -ait soulevé tant de haines. L’évêque d’Alexandrie, Théophile, -notamment, s’efforçait de déposséder Jean de son -siège épiscopal, pour mettre à sa place un prêtre nommé -Isidore. Mais le peuple continuait à défendre Jean, et à -se repaître de son enseignement.</p> - -<p>Et Jean, non content de gouverner avec vigueur le -diocèse de Constantinople, s’occupait aussi de maintenir -le bon ordre dans les provinces voisines, par de -sages lois qu’il obtenait de l’empereur. Quand il apprit -qu’en Phénicie on sacrifiait encore aux idoles, il y envoya -des prêtres et des moines et y fit détruire tous les -temples.</p> - -<p>En ce temps-là, un Celte nommé Gaïmas, barbare -d’humeur tyrannique, et dépravé par l’hérésie arienne, -fut créé tribun des soldats. Il demanda à l’empereur -qu’une église fût concédée aux ariens dans Constantinople. -Et l’empereur, désirant le satisfaire, pria Jean de -se déposséder pour lui d’une de ses églises. Mais Jean -lui répondit, enflammé d’un saint zèle : « Empereur, -garde-toi de consentir à cela, et de livrer aux chiens un -lieu sacré ! Et ne crains pas ce barbare ; mais plutôt -laisse-moi m’entretenir avec lui, et écoute, en secret, ce -que nous dirons ! Je me charge de réfréner sa langue -de telle sorte qu’il n’ose plus renouveler sa demande ! » -L’empereur les convoqua donc tous deux pour le lendemain. -Et comme Gaïmas réclamait pour lui une église, -Jean lui dit : « Toutes les églises te sont ouvertes, et -nul ne te défend d’y prier. » Et Gaïmas : « Je suis -<span class="pagenum" id="p127">-127-</span> d’une autre secte, et j’ai bien le droit d’exiger une église -pour mon culte, après tous les services que j’ai rendus -à la république ! » Et Jean : « Tu as déjà reçu bien des -récompenses, et au delà de ton mérite ! Tu as été créé -tribun des soldats, tu as revêtu la toge consulaire : -songe seulement à ce que tu étais autrefois et à ce qu’a -fait de toi la faveur de ton maître ! Et, te rappelant -tout cela, garde-toi d’être ingrat pour ton bienfaiteur ! » -Ainsi il lui ferma la bouche, et le contraignit au silence. -Mais Gaïmas, voyant qu’il ne pouvait rien contre lui -ouvertement, ordonna à une troupe de barbares de -mettre le feu, le nuit, à son palais. Et l’on sut alors avec -quelle assistance saint Jean gardait la ville. Car la -troupe des barbares vit s’avancer contre elle une troupe -d’anges en armes, qui, aussitôt, les mirent en fuite. Ces -barbares vinrent rapporter la chose à Gaïmas, qui en -fut très étonné, se demandant quels pouvaient être ces -soldats qu’il ne connaissait pas. La nuit suivante, le -même miracle se reproduisit. Et, la nuit qui suivit celle-là, -Gaïmas lui-même, s’étant mis à la tête de ses hommes, -se trouva repoussé par une cohorte invincible, qu’il se -figura être formée de soldats recrutés en secret par -l’évêque, et tenus cachés par lui au fond de son palais. -Sortant alors de Constantinople, il se rendit en Thrace, -y réunit une grande armée de barbares, et s’apprêta à dévaster -tout le pays. L’empereur, effrayé, chargea l’évêque -Jean de se rendre auprès de lui en ambassadeur ; et -Jean se mit courageusement en route, oubliant son inimitié. -Or Gaïmas, ayant reconnu ses torts et le bon -droit de l’évêque, vint au-devant de lui, lui baisa la main, -et ordonna à ses fils d’embrasser ses genoux.</p> - -<p>Vers le même temps surgit, dans l’église, la question -de savoir si Dieu avait un corps ; et de cette question -naquirent des luttes sans fin. La majorité des moines, -dans leur simplicité, se laissèrent séduire par ceux qui -soutenaient que Dieu avait un corps. Et comme, au contraire, -l’évêque d’Alexandrie, Théophile, connaissant la -vérité, avait solennellement condamné ceux qui prêtaient -à Dieu une forme humaine, les moines d’Egypte, -<span class="pagenum" id="p128">-128-</span> sortis de leurs cellules, vinrent à Alexandrie pour exciter -le peuple à la révolte contre l’évêque. Celui-ci, effrayé, -leur dit : « Vous m’apparaissez comme la face même de -Dieu ! » Et eux : « Puisque tu reconnais que Dieu a une -face comme nous, aie soin de prononcer l’anathème -contre les livres d’Origène, qui contredisent notre opinion ! -Que si tu ne le fais pas, nous te tiendrons pour -rebelle aux empereurs et à Dieu, et nous te traiterons -en conséquence ! » Et lui : « Epargnez-moi, car je suis -prêt à faire ce qui vous plaira ! » Et ainsi il détourna la -colère des moines. Mais on entend bien que ce sont seulement -les simples d’esprit, parmi les moines, qui se laissèrent -séduire par une erreur aussi puérile.</p> - -<p>Tandis que cela se passait en Egypte, Jean, à Constantinople, -maintenait la pure doctrine, à l’admiration -de tous. Mais les ariens, dont le nombre avait grandi, et -qui possédaient une église en dehors de la ville, poussaient -l’audace jusqu’à pénétrer, le dimanche, dans -l’église même de Jean, en chantant leurs hymnes et antiennes, -ou bien encore en disant, par dérision à l’adresse -des orthodoxes : « Voilà donc les insensés qui prétendent -que trois ne font qu’un ! » Alors Jean, craignant que les -simples ne se laissassent entraîner à l’hérésie, ordonna -aux fidèles de se réunir la nuit dans les églises, pour -entendre des prédications et chanter des hymnes. Et il -organisa aussi des processions, où l’on portait des croix -d’argent avec des flambeaux d’argent. Sur quoi les -ariens, furieux, poussèrent leur audace jusqu’au meurtre. -Une nuit, l’eunuque Brison, qui assistait Jean dans ses -offices de nuit, fut frappé d’une pierre à l’aine ; et un -certain nombre d’hommes des deux partis furent mis à -mort. De telle sorte que l’empereur, pour arrêter le scandale, -interdit formellement aux ariens de chanter leurs -hymnes en public.</p> - -<p>Vers le même temps l’évêque Sévérien, favori de -l’empereur et de l’impératrice, vint à Constantinople, et -fut affectueusement accueilli par Jean, qui, lorsqu’il -partit pour l’Asie, lui laissa la garde de son église. Mais -Sévérien, au lieu de s’acquitter loyalement de cette mission, -<span class="pagenum" id="p129">-129-</span> travailla à détourner sur lui-même la faveur que le -peuple accordait à Jean. Et comme le prêtre Sérapion -avait averti Jean de ce qui se passait, Sévérien, furieux, -s’écria : « Si ce Sérapion ne meurt pas, je veux que le -Christ n’ait pas été incarné ! » Ce qu’apprenant, Jean, à -son retour, le chassa de la ville comme blasphémateur. -La chose déplut fort à l’impératrice, qui, rappelant Sévérien, -demanda à Jean de se réconcilier avec lui. Mais -Jean s’y refusa ; et l’impératrice, pour le fléchir, dut -mettre sur ses genoux son fils Théodose.</p> - -<p>Vers le même temps, Théophile, l’évêque d’Alexandrie, -chassa injustement un saint homme nommé Dioscore, -et cet Isidore qu’autrefois il avait soutenu. Tous -deux vinrent alors à Constantinople pour se plaindre de -lui ; mais Jean, tout en les honorant fort, ne voulut -point prendre parti pour eux avant de mieux connaître -la cause. Cependant, on rapporta faussement à Théophile -que Jean avait pris parti pour eux ; et Théophile, -furieux, n’en travailla que plus ardemment à le déposséder -de son siège épiscopal. Cachant sa véritable -intention, il écrivit aux divers évêques pour leur dire -qu’il condamnait les livres d’Origène. Il circonvint aussi -le saint et glorieux évêque de Chypre, Epiphane, qui, -ayant réuni son clergé, lui interdit la lecture d’Origène, -et écrivit à Jean pour lui demander de suivre son -exemple. Mais Jean, sans s’émouvoir de toutes les -intrigues organisées contre lui, continuait à développer -la pure doctrine de l’Eglise.</p> - -<p>Enfin Théophile laissa voir ouvertement sa haine, et -révéla son désir de déposséder Jean de son siège. Il eut -aussitôt pour le seconder bon nombre de prêtres et de -fonctionnaires impériaux, qui ne cherchaient qu’une -occasion de se débarrasser de l’évêque.</p> - -<p>Peu de temps après, Epiphane vint à Constantinople, -pour faire condamner les écrits d’Origène. Par égard -pour son ami Théophile, il déclina l’invitation de Jean. -Et tel était le respect qu’on avait pour lui que, sur sa -demande, bien des gens souscrivirent à la condamnation -d’Origène. D’autres, au contraire, s’y refusèrent, et -<span class="pagenum" id="p130">-130-</span> parmi eux Théotine, évêque de Sicée, homme célèbre -par la droiture de sa vie. Jean, cependant, supporta -sans se fâcher qu’Epiphane intervînt dans les affaires -de son église, en dehors de toute règle. Il demandait -seulement à Epiphane de prendre rang parmi ses -évêques. Mais Epiphane répondit qu’il n’en ferait rien -aussi longtemps que Jean n’aurait pas chassé Dioscore -et souscrit à la condamnation des livres d’Origène. Et -bientôt Epiphane, devant la résistance de Jean, commença -à attaquer celui-ci comme un défenseur des hérétiques. -Jean lui écrivit alors : « Tu as fait bien des choses -contre les règles, Epiphane ! Tu as ordonné des prêtres -dans mon église, tu y as célébré les offices saints, de ta -propre autorité, tu as refusé de répondre à mes invitations. -Que si le peuple se soulève contre toi, la responsabilité -en sera toute à toi seul ! » Au reçu de cette -lettre, Epiphane quitta Constantinople. Mais, avant de -partir, il écrivit à Jean : « J’espère que tu ne mourras -pas évêque ! » A quoi Jean répondit : « J’espère que tu ne -rentreras pas vivant dans ta patrie ! » Et les deux prophéties -se réalisèrent : car Epiphane mourut en chemin, -et Jean, dépossédé de son épiscopat, finit sa vie en -exil.</p> - -<p>Cet Epiphane, dont les reliques eurent, plus tard, le -privilège de chasser les démons, était un homme d’une -générosité merveilleuse. Un jour, comme il avait dépensé -en aumônes tout le trésor de son église, un inconnu vint -tout à coup lui apporter un sac plein d’or, après quoi il -disparut, et jamais on ne sut d’où il était venu. Une -autre fois, des méchants, voulant tromper Epiphane pour -en obtenir de l’argent, imaginèrent la ruse que voici : -l’un d’eux s’étendit à terre, contrefaisant le mort, tandis -que l’autre, debout près de lui, feignait de se lamenter, -et gémissait qu’il n’avait pas d’argent pour ensevelir -son ami. Survient Epiphane, qui prie pour le repos de -l’âme du mort, pourvoit à sa sépulture, console le survivant, -et s’en va. Aussitôt l’homme de secouer son compagnon, -en lui disant : « Lève-toi, nous allons pouvoir -nous régaler ! » Mais en vain il le secouait, car le malheureux -<span class="pagenum" id="p131">-131-</span> était mort. L’imposteur, désolé, courut avouer sa -faute à Epiphane, en le suppliant de ressusciter son compagnon. -Et Epiphane le consola de son mieux, mais ne -voulut point ressusciter le mort, afin que l’accident servît -d’exemple à ceux qui seraient tentés de tromper les -ministres de Dieu.</p> - -<p>Or, quand Epiphane eut quitté Constantinople, on -rapporta à Jean que l’impératrice Eudoxie avait excité -contre lui ce vénérable évêque. Aussitôt Jean, avec son -zèle accoutumé, fit, en présence de tous, un sermon où -il parlait de toutes les femmes en des termes très violents. -Et l’on fut unanime à considérer ce sermon comme -dirigé contre l’impératrice. Ce qu’apprenant, celle-ci se -plaignit à l’empereur, et réclama vengeance. Poussé par -elle, l’empereur ordonna la convocation du synode -réclamé par Théophile, et auquel Jean s’était toujours -opposé.</p> - -<p>Aussitôt Théophile convoqua tous les évêques ennemis -de Jean ; et ceux-ci, réunis à Constantinople, ne s’occupaient -plus des livres d’Origène mais se posaient ouvertement -en adversaires de Jean. Ils sommèrent celui-ci -de comparaître devant eux. Mais Jean, malgré quatre -appels, refusa de se livrer à des ennemis, et réclama -la convocation d’un synode universel. Sur quoi les évêques -le condamnèrent, sans avoir rien trouvé à lui reprocher, -sinon son refus de se rendre à leur citation. En conséquence, -l’empereur ordonna qu’il fût au plus vite envoyé -en exil ; mais le peuple, indigné, se souleva en sa faveur -et refusa de le laisser sortir de l’église, demandant que -sa condamnation fût portée devant un concile général. -Alors Jean, pour éviter que la sédition ne s’étendît, -quitta l’église à l’insu du peuple et partit pour l’exil. -Mais le peuple, dès qu’il l’apprit, se souleva plus encore ; -et bon nombre de ses anciens ennemis se convertirent à -sa cause, reconnaissant qu’on l’avait calomnié.</p> - -<p>Cependant Sévérien, dont nous avons parlé plus haut, -diffamait Jean jusque dans son église. Il disait que, si -même Jean n’avait pas commis d’autre faute, son orgueil -aurait suffi à justifier sa condamnation. Et cet impudent -<span class="pagenum" id="p132">-132-</span> propos accrut à tel point la fureur du peuple contre les -évêques et l’empereur lui-même, qu’Eudoxie dut prier -son mari de faire revenir d’exil celui qu’elle avait contribué -à chasser : sans compter que, un grand tremblement -de terre ayant ravagé la ville, le peuple avait été -d’accord pour voir là un châtiment de l’injuste expulsion -de Jean.</p> - -<p>On envoya donc à celui-ci des ambassadeurs pour le -prier de revenir au plus vite. A trois reprises il s’y refusa ; -mais, la troisième fois, il fut ramené de force à Constantinople, -où tout le peuple vint au-devant de lui avec des -cierges et des lampes. Et comme il se refusait à s’asseoir -sur son siège épiscopal aussi longtemps que le synode -n’aurait pas retiré la sentence portée contre lui, c’est -encore de force que le peuple le réinstalla sur son -siège et l’amena à prêcher de nouveau. Aussitôt Théophile -s’enfuit de Constantinople. Lorsqu’il arriva à Hierapolis, -l’évêque de cette ville venait de mourir, et sa -succession avait été offerte à un saint moine appelé -Lamon. Celui-ci ne voulait à aucun prix accepter une -telle offre. Et comme Théophile insistait pour qu’il -l’acceptât, il feignit enfin de consentir, en disant : « Demain, -ce qui plaît à Dieu s’accomplira ! » Le lendemain, -comme on l’engageait de nouveau à accepter l’épiscopat, -il dit : « Adressons d’abord une prière au Seigneur ! » Et, -quand il eut achevé sa prière, on s’aperçut que sa vie -s’était achevée du même coup.</p> - -<p>Jean, cependant, persistait vigoureusement dans sa -doctrine. On venait alors d’élever, sur une place, en face -de l’église de Sainte-Sophie, une statue d’argent de l’impératrice -Eudoxie : et des jeux publics y avaient lieu en -son honneur. Jean en fut indigné, voyant là un outrage -à son église. Il s’arma donc la langue de nouveau, avec -son intrépidité ordinaire : et au lieu de supplier l’empereur -de faire cesser le scandale, il employa toute son -éloquence à protester contre celui-ci. Ce dont l’impératrice -s’offensa profondément ; et de nouveau elle mit tout -en œuvre pour faire condamner Jean par un synode -d’évêques. C’est alors que Jean, dans son église, prononça -<span class="pagenum" id="p133">-133-</span> contre elle l’homélie fameuse qui commençait -ainsi : « Une fois de plus Hérodiade délire, une fois de -plus elle rêve de voir la tête de Jean déposée sur un -plat ! » Et la fureur d’Eudoxie redoubla encore.</p> - -<p>Mais, comme un de ses serviteurs voulait tuer Jean, le -peuple s’empara de lui ; et on l’aurait mis à mort si le -préfet n’avait eu la précaution de le faire disparaître. -Quelques jours après, le domestique d’un prêtre se jeta -sur Jean et voulut le tuer. Retenu par des fidèles, il -frappa trois d’entre eux, et, la foule étant accourue, il -commit encore d’autres meurtres. Mais le peuple continuait -à tenir Jean sous sa garde, entourant sa maison, -nuit et jour, pour empêcher qu’on ne l’attaquât.</p> - -<p>Sur le conseil d’Eudoxie, un nouveau synode d’évêques -se réunit à Constantinople, avec la mission de condamner -Jean ; et, la veille de Noël, l’empereur défendit à Jean de -donner la communion avant de s’être justifié des accusations -portées contre lui. Les évêques, de leur côté, le condamnèrent -une deuxième fois, lui reprochant, à présent, -d’avoir siégé sur son trône épiscopal après sa déposition. -Et, aux approches de Pâques, l’empereur manda à Jean -défense d’entrer désormais dans son église, puisque deux -synodes l’avaient condamné. Sur son ordre, Jean fut -chassé de Constantinople et relégué dans une petite -ville, à la frontière de l’empire, dans le voisinage immédiat -de cruels barbares. Mais Dieu, dans sa clémence, -ne permit point que son fidèle athlète demeurât longtemps -en cette situation. Comme Jean, fatigué d’un -long voyage, souffrait cruellement de ses maux de tête, -exposé à l’ardeur insupportable du soleil, son âme s’envola -de son corps, à Cumanes, le quatorzième jour de -septembre.</p> - -<p>A sa mort, une grêle effroyable s’abattit sur Constantinople -et tous les environs ; et tous reconnurent là un -signe de la colère de Dieu, à cause de l’injuste condamnation -de Jean. Croyance qui se trouva confirmée encore, -quatre jours après, par la mort subite de l’impératrice -Eudoxie.</p> - -<p>Les évêques d’Occident, désolés de la mort de l’admirable -<span class="pagenum" id="p134">-134-</span> docteur, se refusèrent à communiquer avec les -évêques d’Orient jusqu’au jour où le nom sacré de -saint Jean Chrysostome serait réinstallé dans l’honneur -à lui dû. Et le pieux Théodose, fils d’Arcade, fit transporter -les restes de saint Jean à Constantinople, où, les -invoquant dévotement, il demanda au saint d’intercéder -en faveur de ses parents Arcade et Eudoxie, qui avaient -péché contre lui dans leur ignorance.</p> - -<p>Ce Théodose était un prince si clément que jamais il -ne voulut condamner à mort aucun de ceux qui lui faisaient -du mal. Il disait à ce propos : « Hélas, que ne -m’est-il possible, plutôt, de rappeler à la vie les morts ! » -Sa cour ressemblait à un monastère ; et il ne cessait -point de lire des livres sacrés. Il avait une femme, nommée -Eudoxie, qui écrivit de nombreux poèmes. Et il -avait aussi une fille, également nommée Eudoxie, qu’il -donna en mariage à Valentinien, associé par lui à l’empire.</p> - -<p>Jean Chrysostome mourut vers l’an du Seigneur 407. -Ajoutons que tout ce qu’on vient de lire est directement -extrait de l’<i>Histoire tripartite</i>.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c35">XXXV<br /> -LA PURIFICATION DE LA BIENHEUREUSE -VIERGE MARIE<br /> -<span class="small">(2 février)</span></h2> - - -<p>I. La Purification se célèbre le quarantième jour -après la Nativité du Seigneur ; et cette fête porte aussi -les noms d’Hypopante et de Chandeleur. On l’appelle la -Purification, parce que, quarante jours après la Nativité -du Seigneur, la Vierge vint au temple, pour être purifiée -suivant la loi. Car la loi juive avait décrété que toute -femme ayant enfanté un fils restait absolument impure -pendant sept jours, c’est-à-dire exclue à la fois du contact -<span class="pagenum" id="p135">-135-</span> de l’homme et de l’entrée du temple. Après sept -jours, elle devenait pure quant au contact de l’homme, -mais restait impure pendant trente-trois jours encore -quant à l’entrée du temple. Enfin, le quarantième jour -après sa délivrance, elle était admise dans le temple, où -elle offrait son enfant avec des présents. Que si elle -avait mis au monde une fille, la durée de son état d’impureté -était doublée, tant quant au contact de l’homme -que quant à l’entrée du temple.</p> - -<p>La Vierge Marie n’avait pas à se soumettre à cette -loi de purification, puisque sa grossesse ne venait point -d’une semence humaine, mais de l’inspiration divine. -Cependant elle voulut se soumettre à cette loi, pour -quatre raisons : 1<sup>o</sup> pour donner l’exemple de l’humilité ; -2<sup>o</sup> pour rendre hommage à la Loi, que son divin -fils venait accomplir et non point détruire ; 3<sup>o</sup> pour -mettre fin à la purification juive, et pour commencer -la purification chrétienne, qui se fait par la foi, purifiant -les cœurs ; 4<sup>o</sup> pour nous apprendre à nous purifier, -durant toute notre vie.</p> - -<p>Donc la Vierge vint au temple, y présenta son fils, -et le racheta moyennant cinq cicles. Car les premiers -nés des douze tribus pouvaient se racheter, tandis que -les premiers nés des lévites ne le pouvaient pas, et, -parvenus à l’âge adulte, devaient tous servir dans le -Temple. Et comme le Christ était de la tribu de Juda, -il avait à être racheté. La Vierge offrit pour lui au Seigneur -un couple de tourterelles, ce qui était l’offrande -des pauvres, tandis que l’agneau était l’offrande des -riches. Et l’on peut se demander, à ce propos, si la -Vierge Marie, qui avait reçu des mages un grand poids -d’or, n’avait pas le moyen d’acheter un agneau. Mais -nous devons admettre, avec saint Bernard, que la -Vierge, au lieu de garder cet or pour elle-même, l’avait -aussitôt distribué aux pauvres ; ou bien, peut-être, le -réservait-elle pour les sept années de sa fuite en Egypte ; -ou peut-être encore les mages n’avaient-ils pas offert -une grande quantité d’or, mais simplement un peu d’or, -à titre de symbole mystique ?</p> - -<p><span class="pagenum" id="p136">-136-</span> En second lieu, cette fête s’appelle l’Hypopante, ou -Présentation, parce que le Christ fut présenté au -Temple, où Siméon et Anne le reçurent. Et Siméon, le -prenant dans son sein, le bénit en disant : « Tu peux -maintenant congédier ton serviteur, etc. » Et Siméon, -dans son cantique, appela Jésus de trois noms : salut, -lumière et gloire du peuple d’Israël.</p> - -<p>En troisième lieu, cette fête s’appelle la Chandeleur, -parce que les fidèles portent, ce jour-là, des cierges allumés. -Et cette institution s’explique par quatre raisons :</p> - -<p>1<sup>o</sup> Elle a pour objet de corriger une habitude païenne. -Car autrefois les Romains, pour honorer la déesse Februa, -mère du dieu Mars, avaient coutume, tous les cinq -ans, les premiers jours de février, d’illuminer la ville -avec des cierges et des torches, pour obtenir de la -déesse que son fils Mars leur assurât la victoire sur leurs -ennemis. Et l’intervalle de cinq ans compris entre ces -fêtes s’appelait un lustre. Les Romains avaient aussi la -coutume de célébrer, durant le mois de février, Pluton, -et les autres dieux infernaux ; et, pour obtenir leur -faveur à l’égard des âmes des morts, ils leur offraient -des victimes solennelles, et passaient toute une nuit à -chanter leurs louanges, avec des torches et des cierges -allumés. Les femmes, surtout, célébraient cette fête, à -cause de l’une des fables de leur religion. Car les poètes -avaient dit que Pluton, frappé de la beauté de Proserpine, -l’avait enlevée et en avait fait sa femme ; mais que -les parents de la déesse, ne sachant ce qu’elle était devenue, -l’avaient longtemps cherchée avec des torches et -des cierges allumés : en souvenir de quoi les femmes -romaines faisaient leur procession, pour se gagner la -faveur de Proserpine. Et, comme c’est toujours chose -difficile de renoncer à une habitude, le pape Serge -décréta que, pour donner à cette habitude-là une portée -chrétienne, on honorerait tous les ans la Vierge, dans ce -jour, en portant à la main un cierge bénit. De cette façon -l’ancienne coutume subsistait, mais relevée par une intention -nouvelle.</p> - -<p>2<sup>o</sup> La Chandeleur a été instituée pour démontrer la -<span class="pagenum" id="p137">-137-</span> pureté de la Vierge. Pour bien affirmer cette pureté aux -yeux de tous, l’Eglise a ordonné que nous portions des -cierges allumés, comme afin de dire : « Vierge bienheureuse, -tu n’as pas besoin de purification, mais au -contraire tu es toute lumière, toute pureté ! » Telle était, -en effet, la pureté de la Vierge qu’elle rayonnait même au -dehors d’elle, éteignant chez les autres tout mouvement -de concupiscence charnelle. Aussi les Juifs nous disent-ils -que, bien que Marie ait été d’une beauté merveilleuse, -aucun homme jamais n’a pu la désirer.</p> - -<p>3<sup>o</sup> La procession de la Chandeleur symbolise celle -que firent Marie, Joseph, Siméon et Anne, lorsqu’ils -présentèrent au temple l’enfant Jésus.</p> - -<p>4<sup>o</sup> Enfin la Chandeleur a pour but notre instruction. -Elle nous apprend que, si nous voulons être purifiés -devant Dieu, nous devons posséder la foi sincère, l’action -désintéressée, et l’intention droite. Car le cierge allumé -représente la foi avec les bonnes œuvres. Et la mèche -qui est cachée dans la cire représente l’intention droite, -dont saint Grégoire nous dit : « Que vos œuvres soient -publiques, mais que vos intentions demeurent cachées ! »</p> - -<p>II. Une femme noble avait pour la sainte Vierge une -grande dévotion. Elle s’était fait construire une chapelle -près de sa maison ; et, tous les jours, son chapelain disait -devant elle une messe en l’honneur de la Vierge. Mais un -jour, qui était la fête de la Purification, cette femme ne -put pas assister à sa messe, soit que son chapelain se -fût absenté, ou que, suivant d’autres, elle se fût défaite -de tous ses vêtements, par générosité, et n’eût pas de -quoi se vêtir pour la messe. Désespérée, elle se prosterna -devant l’autel de la Vierge, sans doute dans sa -chambre ; et soudain, ravie en extase, elle se vit transportée -dans une église merveilleuse où entraient une -foule de vierges, sous la conduite d’une d’entre elles, la -plus belle de toutes, couronnée d’un diadème. Et lorsque -toutes se furent assises, une troupe de jeunes gens -vinrent s’asseoir près d’elles. Puis apparut un homme -apportant un énorme faisceau de cierges qu’il distribua -aux assistants, en commençant par la Vierge couronnée -<span class="pagenum" id="p138">-138-</span> qui occupait la place d’honneur. Cet homme vint enfin à -notre matrone, et lui remit également un cierge, qu’elle -reçut avec joie. Elle regarda ensuite dans le chœur, et -vit s’avancer vers l’autel deux porteurs de cierges, puis -un sous-diacre, puis un diacre, enfin un prêtre revêtu des -ornements sacrés, comme pour célébrer la messe. Et -elle reconnut que les deux acolytes étaient saint Vincent -et saint Laurent, que le diacre et le sous-diacre étaient -deux anges, et que le prêtre était le Christ lui-même, -Et la messe commença, chantée à haute voix par les -officiants, tandis que toute l’assistance, en chœur, -l’accompagnait. Quand vint l’offrande, la reine des -vierges, les autres vierges et toute l’assistance allèrent, -suivant l’usage, s’agenouiller devant le prêtre et lui -remettre leurs cierges. Seule la matrone restait debout, -au fond de l’église. Alors le prêtre lui envoya la reine des -vierges, pour lui dire que c’était une inconvenance de le -faire attendre si longtemps. Mais la matrone répondit -que le prêtre eût à continuer sa messe, car elle ne voulait -pas rendre son cierge. On lui délégua un autre messager : -elle répondit que, par piété, elle garderait toujours -le cierge qui lui avait été remis. Un troisième messager -alla vers elle, avec ordre de lui enlever par force -le cierge, si elle se refusait à venir l’offrir. Et comme elle -continuait à s’y refuser, une longue lutte s’engagea entre -le messager et elle, jusqu’à ce qu’enfin le cierge se -rompît, de telle façon que la matrone et le messager en -gardaient en main chacun une moitié. Là-dessus, la -dame se réveilla de sa vision, et constata qu’elle tenait en -main la moitié d’un cierge. Ce que voyant, elle rendit -d’immenses grâces à Notre Dame, qui lui avait permis -d’assister à la messe ce jour-là, et à une messe comme -celle où elle avait assisté. Après quoi elle garda le cierge -comme une relique des plus précieuses ; et quiconque -le touchait était aussitôt guéri, de quelque maladie -qu’il fût atteint.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p139">-139-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c36">XXXVI<br /> -SAINT BLAISE, <span class="small">ÉVÊQUE ET MARTYR<br /> -(3 février)</span></h2> - - -<p>I. Blaise s’étant signalé par sa mansuétude et sa sainteté, -les chrétiens de Sébaste en Cappadoce l’élurent pour leur -évêque ; et lorsque les persécutions de Dioclétien l’eurent -forcé à quitter son évêché, il se réfugia dans une caverne, -et y mena la vie d’un ermite. Les oiseaux lui apportaient -sa nourriture, et venaient en foule vers lui, et ne s’envolaient -pas avant qu’il les eût bénis. Et lorsque l’un -d’eux était malade, il venait à lui, et recouvrait la santé. -Or, certain jour, l’équipage du gouverneur de la province, -après avoir longtemps battu le pays sans rencontrer -aucun gibier, parvint à l’endroit où s’était retiré saint -Blaise, et y vit une foule énorme d’oiseaux et d’autres -bêtes, entourant l’ermite comme pour lui demander de -les protéger. Et, en effet, les chasseurs ne purent absolument -pas mettre la main sur eux. Etonnés, ils firent part -de la chose à leur maître, qui ordonna que l’ermite fût -amené devant lui. Cette même nuit, saint Blaise vit trois -fois, en rêve, le Christ, qui lui dit : « Lève-toi et offre-moi -un sacrifice ! » Et voilà qu’arrivèrent les soldats, disant : -« Viens, le gouverneur t’appelle ! » Et saint Blaise leur -répondit : « Bienvenus êtes-vous, mes enfants ! Je vois -que Dieu ne m’a pas oublié ! »</p> - -<p>II. Sur tout son chemin il ne cessa point de prêcher, et -fit, en présence de ses gardiens, de nombreux miracles. -Une femme lui amena son fils, dans le gosier duquel -s’était fixée une arête de poisson ; elle le déposa à ses -pieds et demanda, en pleurant, qu’il fût guéri. Et saint -Blaise, étendant les mains sur lui, pria Dieu qu’il fût -guéri ; et l’enfant fut guéri aussitôt. Une autre femme, -qui était très pauvre, vint demander à saint Blaise de lui -faire rendre son unique pourceau, qu’un loup lui avait -enlevé. Et le saint lui dit en souriant : « Bonne femme, ne -<span class="pagenum" id="p140">-140-</span> te fais pas de chagrin ! Ton pourceau te sera rendu ! » -Et aussitôt on vit accourir le loup, qui rapportait à la -veuve le pourceau qu’il lui avait pris.</p> - -<p>III. Dès qu’il fut arrivé dans la ville, saint Blaise fut jeté -en prison. Le lendemain, le gouverneur se le fit amener, -et, d’abord essaya de le séduire par de douces paroles, -lui disant : « Bonjour, Blaise ami des dieux ! » Et Blaise : -« Bonjour aussi à toi, excellent gouverneur ! Mais ne -donne pas le nom de dieux à des démons, qui rôtissent -au feu éternel avec ceux qui les honorent ! » Le gouverneur, -furieux, le fit battre de verges et reconduire dans sa -prison. Et Blaise lui dit : « Insensé ! Espères-tu donc -m’enlever, par tes punitions, l’amour d’un Dieu qui est -en moi et qui me donne la force de supporter toutes les -punitions ? » Apprenant qu’on l’avait mis en prison, la -veuve à qui il avait fait rendre son pourceau tua le pourceau -et lui en envoya la tête et les pieds, ainsi qu’un pain -et une chandelle. Et saint Blaise rassasia sa faim, et fit -dire à la veuve : « Offre tous les ans une chandelle dans -l’église qui portera mon nom, et tu t’en trouveras bien, -toi, et tous ceux qui feront comme toi ! » La veuve le fit -tous les ans, et vécut depuis lors dans la prospérité.</p> - -<p>IV. Cependant le gouverneur, voyant qu’il ne pouvait -convertir le saint au culte des dieux, le fit suspendre à -un poteau et ordonna qu’on lui labourât les chairs avec -des pointes de fer. Après quoi il le fit ramener dans sa -prison.</p> - -<p>Or sept femmes, suivant le saint, recueillaient les -gouttes de son sang. Le gouverneur les fit saisir et voulut -les forcer à sacrifier aux dieux. Mais elles dirent : « Si tu -veux que nous adorions tes dieux, fais-les conduire au -bord de l’étang, afin que, lorsqu’on les aura lavés, nous -puissions les adorer ! » Le gouverneur y consentit volontiers. -Et les sept femmes, empoignant les idoles, les lancèrent -au milieu de l’étang, disant : « Si ce sont des dieux, -nous le verrons bien ! » Et comme le gouverneur, exaspéré, -invectivait ses officiers, qui avaient permis un tel sacrilège, -les sept femmes lui dirent : « Si ces idoles avaient été des -dieux, elles auraient bien prévu ce que nous avions -<span class="pagenum" id="p141">-141-</span> l’intention de leur faire ! » Le préfet fit préparer, d’une -part, du plomb fondu, des peignes de fer et sept casques -de fer rougi, et, d’autre part, sept tuniques de lin. Et il dit -aux femmes de choisir entre ces tuniques et les pires -supplices. Alors l’une des femmes, qui était mère de deux -petits enfants, saisit les tuniques de lin et les jeta au feu. -Et ses enfants lui dirent : « Mère chérie, ne nous laisse -pas derrière toi, mais, de même que tu nous as remplis -de la douceur de ton lait, remplis-nous de la douceur du -royaume des cieux ! » Alors le gouverneur les fit attacher -à des poteaux, et fit labourer leurs corps de pointes de fer. -Mais leur chair restait blanche comme la neige, et, au -lieu de sang, du lait en jaillissait. Et, pendant qu’on les -torturait, un ange leur apparut et les consola en leur -disant : « Soyez sans crainte, car le bon ouvrier qui a bien -commencé sa tâche et qui l’a bien finie se trouve récompensé -en conséquence ! « Alors le gouverneur les fit plonger -dans un four ardent ; mais le feu s’éteignit aussitôt, et elles -en sortirent intactes. Et le gouverneur leur dit : « Cessez -maintenant vos sortilèges magiques, et adorez nos -dieux ! » Mais elles lui répondirent : « Achève ce que -tu as commencé, car déjà on nous attend dans le -royaume des cieux ! » Le gouverneur ordonna alors qu’on -leur coupât la tête. Et au moment où le bourreau s’approchait -d’elles, elles tombèrent à genoux et prièrent en -ces termes : « Dieu, qui nous a arrachées aux ténèbres et -nous a conduites vers la douce lumière, reçois nos âmes -dans la vie éternelle ! » Après quoi elles eurent la tête -tranchée et s’envolèrent au ciel.</p> - -<p>V. Le gouverneur fit ensuite venir saint Blaise et lui -dit : « Une dernière fois, veux-tu, oui ou non, adorer les -dieux ? » Et Blaise : « Impie, je ne crains pas tes menaces. -Je te livre mon corps, fais-en ce que tu voudras ! » Le -gouverneur donna ordre de le jeter dans l’étang. Mais -saint Blaise fit le signe de la croix sur l’eau de l’étang, -et aussitôt celle-ci se figea comme une terre sèche. Et -le saint dit : « Si vos dieux sont de vrais dieux, montrez -leur pouvoir en entrant dans cette eau ! » Et soixante-cinq -hommes entrèrent dans l’eau et furent noyés. Et un -<span class="pagenum" id="p142">-142-</span> ange descendit vers saint Blaise et lui dit : « Blaise, sors -de l’étang et va recevoir la couronne que Dieu t’a préparée ! » -Et, quand il fut sorti de l’étang, le gouverneur -lui dit : « Refuses-tu toujours d’adorer les dieux ? » Et -Blaise : « Apprends, malheureux, que je suis serviteur -du Christ, et ne saurais adorer les démons ! » Le gouverneur -le condamna à être décapité. Et le saint, avant de -tendre le cou au bourreau, pria Dieu que tous ceux qui, -souffrant d’une maladie de la gorge, imploreraient son -aide, fussent exaucés et guéris. Et voici qu’une voix, du -haut du ciel, lui dit que ce qu’il demandait lui était -accordé. Après quoi, le saint fut décapité, en compagnie -des deux petits enfants. Ce martyre eut lieu vers l’an du -Seigneur 283.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c37">XXXVII<br /> -SAINT IGNACE, <span class="small">ÉVÊQUE ET MARTYR<br /> -(4 février)</span></h2> - - -<p>Saint Ignace était disciple de saint Jean, et évêque -d’Antioche. Il écrivit à la Vierge Marie une lettre ainsi conçue : -« A Marie, qui a porté le Christ, son humble serviteur -Ignace. En ma qualité de néophyte et de disciple de -Jean, à qui ton Fils t’a confiée en mourant, je viens te -demander réconfort et consolation. Car j’ai entendu raconter -les choses les plus extraordinaires au sujet de -ton fils Jésus, et j’hésite à les croire. Et je te demande, à -toi qui l’as toujours connu de près et qui as su ses secrets, -de me confirmer la vérité de ce que j’ai entendu. -Adieu ! Les néophytes qui sont ici avec moi attendent -aussi de toi leur réconfort. » Et la bienheureuse Vierge -Marie, mère de Dieu, lui répondit en ces termes : « A -Ignace, disciple aimé, l’humble servante de Jésus-Christ. -Ce que Jean t’a raconté et appris de Jésus, tout cela est -vrai. Crois-y fermement, et garde ton vœu de chrétienté, -<span class="pagenum" id="p143">-143-</span> et conforme à ce vœu tes actes et tes sentiments ! J’irai -d’ailleurs te voir ainsi que Jean et tous ceux qui sont -avec toi. Persévère courageusement dans ta foi ; et que la -persécution ne te trouble pas, mais que ton esprit fleurisse -et exulte dans le Dieu sauveur ! Amen. »</p> - -<p>II. Saint Ignace s’acquit une telle autorité que même -l’admirable et parfait docteur saint Denis, disciple de -l’apôtre Paul, ne dédaigna pas d’invoquer son témoignage -pour la confirmation de ses paroles. Il nous dit, -en effet lui-même, dans son livre sur les noms de Dieu, que -quelques-uns ont objecté que le mot d’<i>amour</i> n’était pas -de mise pour définir le sentiment du chrétien à l’égard -de Dieu ; mais, pour réfuter cette objection, il ajoute, -« Saint Ignace n’a-t-il pas écrit que son <i>amour</i> était crucifié ? »</p> - -<p>III. On lit, dans l’<i>Histoire tripartite</i>, que saint Ignace -entendit un jour des anges qui, debout sur une montagne, -chantaient des antiennes. C’est alors qu’il résolut -de faire chanter des antiennes à l’église, et de faire -entonner les psaumes d’après les antiennes.</p> - -<p>IV. Et, après avoir longtemps prié pour la paix des -églises, redoutant les dangers non pour soi-même, mais -pour les faibles, il se présenta devant l’empereur Trajan, -fier de ses victoires, et qui menaçait de mort tous les chrétiens. -Et saint Ignace déclara à Trajan qu’il était chrétien ; -sur quoi l’empereur le fit lier de chaînes, le confia à la -garde de dix soldats, et l’envoya à Rome, en lui signifiant -que, là, il serait livré en pâture aux bêtes. Et, pendant -qu’on le conduisait à Rome, il écrivait des lettres à toutes -les églises, pour les fortifier dans la foi du Christ. Dans -une de ces lettres, adressée à l’église de Rome, il priait -cette église de ne rien faire pour s’opposer à son martyre. -Et il ajoutait : « Depuis la Syrie jusqu’à Rome, je lutte déjà -contre des bêtes féroces : car je suis gardé par dix soldats -plus cruels que des léopards ; mais leur cruauté est -pour moi pleine d’instruction. Et quant aux bêtes bienfaisantes -que l’on prépare pour moi à Rome, j’ai -hâte qu’on les lâche sur moi, j’ai hâte de leur offrir ma -chair en pâture ! Je les inviterai à me dévorer. Je les -<span class="pagenum" id="p144">-144-</span> supplierai de ne pas craindre de toucher mon corps, -comme elles ont fait parfois pour d’autres martyrs. -Mes chers frères, pardonnez-moi, mais je sais mieux -que personne ce qui me convient. Le feu, la croix, les -bêtes, la rupture des os, le morcellement de tous les -membres, et tous les supplices que le diable pourra -inventer, c’est tout cela qui me convient, car tout cela -me rendra digne d’être admis en présence de Jésus ! »</p> - -<p>A Rome, Trajan le fit venir, et lui dit : « Ignace, pourquoi -excites-tu à la révolte mes sujets d’Antioche et les -convertis-tu à la foi chrétienne ? » Et Ignace : « Plût à -Dieu que je pusse t’y convertir, toi aussi ; car tu obtiendrais -à ce prix le seul pouvoir réel et durable ! » Et Trajan : -« Sacrifie aux dieux, et je te nommerai le premier -de mes prêtres ! » Et Ignace : « Je ne sacrifierai pas à tes -dieux, et je n’ai que faire du titre que tu m’offres. Fais -de moi ce que tu voudras, rien ne parviendra à me changer ! » -Alors Trajan dit aux bourreaux : « Frappez-lui les -épaules d’un fouet muni de plomb, déchirez-lui les côtes -de pointes de fer, et frottez ses plaies de pierres aiguës ! » -Et comme, sous tous ces tourments, Ignace restait inflexible, -Trajan dit : « Qu’on apporte des charbons ardents -et qu’on le fasse marcher sur eux, pieds nus. » Et Ignace : -« Ni le feu ni l’eau bouillante ne pourront éteindre en -moi l’amour de Jésus-Christ ! » Et Trajan : « C’est la sorcellerie -qui te permet de résister aux supplices que je -t’impose ! » Mais Ignace : « Non, les chrétiens ne sont -point des sorciers, et notre loi n’a rien de commun -avec la sorcellerie ; et c’est vous qui pratiquez le maléfice, -en adorant les idoles ! » Alors Trajan dit : « Déchirez-lui le -dos avec des ongles de fer, et envenimez les plaies en y -jetant du sel ! Mais Ignace se borna à dire : « Que sont -les souffrances de ce monde en comparaison de la gloire -future ? » Alors Trajan lui fit remettre des chaînes, le fit -enfermer au fond d’un cachot, défendit qu’on lui donnât -à manger ni à boire, et déclara que, trois jours après, on -le livrerait aux bêtes dans le cirque.</p> - -<p>Donc, trois jours après, l’empereur, le sénat, et tout le -peuple se rendirent au cirque pour voir le combat de -<span class="pagenum" id="p145">-145-</span> l’évêque d’Antioche et des bêtes féroces. Et Trajan dit : -« Puisque cet Ignace montre tant d’orgueil et d’obstination, -qu’on lui lie les membres et qu’on lâche sur lui deux lions, -afin que rien ne reste de son misérable corps ! » Et -Ignace, se tournant vers la foule, lui dit : « Romains qui -assistez à ce combat, sachez que ma peine n’est point sans -récompense, car ce n’est point pour ma dépravation, -mais pour ma piété que je souffre ici ! » Et il dit encore, -d’après ce que rapporte l’<i>Histoire ecclésiastique</i> : « Je -suis le froment du Christ, et les dents des bêtes vont me -broyer afin de me changer en un pain savoureux ! » Ce -qu’entendant, l’empereur dit : « Grande est la patience de -ces chrétiens ! Où est le Grec qui souffrirait tout cela pour -son Dieu ! » Et Ignace lui répondit : « Ce n’est point ma -propre vertu qui me donne la force de souffrir, mais -l’aide du Christ ! » Après quoi il se mit à provoquer les -lions pour le contraindre à le dévorer. Et les deux terribles -lions s’élancèrent enfin sur lui et l’étranglèrent ; mais -rien ne put les forcer à manger sa chair. Et Trajan, à -ce spectacle, fut rempli d’étonnement. Il quitta le cirque, -après avoir ordonné qu’on ne s’opposât pas à ceux qui -voudraient enlever le corps d’Ignace. Et les chrétiens -enlevèrent ce corps, et l’ensevelirent avec honneur. Et, -quelque temps après, Trajan reçut une lettre de Pline -le Jeune, où celui-ci intercédait en faveur des chrétiens, -louant fort leurs vertus. Alors l’empereur eut regret -des maux qu’il avait infligés à Ignace ; et il décida que, -désormais, les chrétiens ne seraient plus recherchés, -mais qu’on punirait seulement ceux qui feraient profession -publique de leur foi.</p> - -<p>V. Et l’on raconte encore que saint Ignace, parmi tous -les tourments qu’il eut à subir, ne cessa point d’invoquer le -nom de Jésus-Christ. Et comme ses bourreaux lui demandaient -pourquoi il répétait si souvent ce nom, il répondit : -« C’est que je porte ce nom inscrit dans mon -cœur ! » Et en effet, après sa mort, on ouvrit son cœur, -et on y trouva le nom de Jésus-Christ écrit en lettres -d’or. Et, à la vue de ce miracle, de nombreux païens se -convertirent.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p146">-146-</span> Saint Bernard dit de ce saint, à propos du psaume <i lang="la" xml:lang="la">Qui -habitat</i> : « Le grand saint Ignace, élève du disciple préféré -de Jésus, et martyr lui-même, saluait Marie, dans -les lettres qu’il lui écrivait, du nom de Porte-Christ, -Titre en vérité admirable, et commémoration d’un honneur -infini ! »</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c38">XXXVIII<br /> -SAINTE AGATHE, <span class="small">VIERGE ET MARTYRE<br /> -(5 février)</span></h2> - - -<p>I. Agathe, vierge, de famille noble et d’une grande -beauté, habitait Catane, où, dès l’enfance, elle cultivait -saintement le Seigneur. Or, le consul de Sicile, Quintien, -homme d’extraction basse, débauché, avare et idolâtre, -convoitait de la prendre pour femme. Etant d’extraction -basse, il pensait qu’un mariage avec une jeune fille noble -le ferait respecter ; étant débauché, il désirait jouir de la -beauté d’Agathe ; étant avare, il guettait ses richesses ; -étant idolâtre, il rêvait de l’amener à sacrifier aux dieux. -Mais comme la jeune fille, sollicitée par lui, restait inébranlable -dans sa foi et sa chasteté, il la livra à une -entremetteuse nommée Aphrodise et à ses neuf filles, qui -vivaient de leur corps ; et il ordonna à ces créatures -d’insister pendant trente jours auprès d’Agathe pour la -faire changer d’avis. Et ces femmes s’ingéniaient à la -détourner de la bonne voie, tantôt par la promesse de -grands plaisirs, tantôt par la menace de cruels supplices. -Mais sainte Agathe leur disait : « Mon âme s’appuie sur -la pierre et a ses fondements dans le Christ ; et vos paroles -ne sont que du vent, vos promesses des pluies, et -les supplices dont vous voulez m’effrayer ne sont que -des flots battant le rivage. En vain tout cela fait assaut -contre ma maison ; celle-ci est solide et ne tombera pas ! » -Mais tout en parlant ainsi elle pleurait jour et nuit, et -priait, et implorait du ciel la palme du martyre. Et -<span class="pagenum" id="p147">-147-</span> Aphrodise, la voyant rester inébranlable, dit au consul : -« Ce serait chose plus facile d’amollir une pierre ou de -changer du fer en plomb que d’écarter de sa direction -chrétienne l’âme de cette jeune fille ! »</p> - -<p>II. Alors Quintien se fit amener Agathe et lui dit : -« De quelle condition es-tu ? » Et elle : « Non seulement -je suis noble, mais aussi d’une famille illustre, comme -peut l’attester toute ma maison ! » Et Quintien : « Si tu es -noble, pourquoi as-tu des mœurs d’esclave ? » Et elle : -« Parce que je suis l’esclave du Christ ! » Et Quintien : -« Si tu te dis noble, comment peux-tu, en même -temps, te dire esclave ? » Et elle : « L’esclavage du -Christ est la noblesse suprême. » Alors le consul lui dit -de sacrifier aux dieux, ou, si elle s’y refusait, de s’apprêter -à tous les supplices. Et Agathe lui dit : « Que ta femme -soit comme ta déesse, Vénus, et que tu sois, toi-même, -comme a été ton dieu Jupiter ! » Alors Quintien la fit -souffleter, disant : « Ne t’avise pas d’injurier ton juge ! » -Mais Agathe lui répondit : « Je m’étonne que, raisonnable -comme tu es, tu aies la sottise d’appeler dieux des -êtres à qui tu ne veux point que ta femme et toi vous -ressembliez. Tu dis, en effet, que je t’ai injurié en te -souhaitant d’être comme Jupiter. Or, si tes dieux sont -bons, je ne t’ai rien souhaité que de bon ; et si, au contraire, -tu détestes leur coupable amour, tu n’as plus -qu’à devenir chrétien comme je suis chrétienne. » Et le -consul : « Assez parlé ! Sacrifie aux dieux, ou je te ferai -mourir dans les pires supplices ! » Et, comme elle bravait -ses menaces et l’invectivait devant tous, il la fit conduire -en prison. Elle y alla joyeuse et triomphante, comme à -un festin.</p> - -<p>III. Le lendemain, le consul lui dit : « Renie le Christ -et adore les dieux ! » Puis, sur son refus, il la fit attacher -à un chevalet pour être torturée. Et Agathe dit : -« J’éprouve, parmi ces souffrances, la joie qu’éprouve un -homme qui apprend une bonne nouvelle, ou qui voit ce -qu’il a longtemps désiré voir, ou qui reçoit un immense -trésor ! » Le consul, furieux, lui fit tordre les seins, et -ordonna ensuite de les lui arracher. Et Agathe : « Tyran -<span class="pagenum" id="p148">-148-</span> cruel et impie, n’as-tu pas honte de couper, chez une -femme, ce que tu as toi-même sucé chez ta mère ? Mais -sache que j’ai d’autres mamelles, dans mon âme, dont le -lait me nourrit, et sur lesquelles tu es sans pouvoir ! » -Alors le consul la fit remettre en prison, défendant qu’aucun -médecin vînt la visiter, ni qu’on lui donnât rien à -manger ni à boire. Or, voici qu’à minuit un vieillard -entra dans sa prison, précédé d’un enfant qui portait -une torche. Et ce vieillard lui dit : « Ce consul insensé -qui t’a fait souffrir, tu l’as fait souffrir davantage encore -par tes réponses. Et moi, qui ai assisté à ton supplice, -j’ai vu que les plaies de tes seins pouvaient être guéries. » -Et Agathe : « Jamais je n’ai usé pour mon corps de remèdes -matériels : ce serait une honte que je perdisse -aujourd’hui ce que j’ai su garder jusqu’ici ! » Et le vieillard -lui dit : « Ma fille, que ta pudeur ne s’alarme pas de -moi, car je suis chrétien ! » Et Agathe : « En vérité, ma -pudeur ne saurait s’alarmer, car, d’abord, tu es un vieillard, -et puis, mon corps se trouve si affreusement -déchiré qu’il ne peut inspirer de convoitise à personne. -Mais je te remercie, respectable père, d’avoir daigné -t’intéresser à moi ! » Et le vieillard : « Mais alors, -pourquoi ne veux-tu pas me permettre de te guérir ? » -Agathe répondit : « Parce que j’ai pour maître Jésus-Christ, -qui, s’il le juge bon, peut, avec un seul mot, me -guérir de suite ! » Alors le vieillard sourit, et lui dit : -« Eh bien, ma fille, je suis l’apôtre de Jésus, et c’est lui -qui m’a envoyé vers toi pour t’annoncer en son nom que -tu étais guérie ! » Sur quoi ce vieillard, qui était saint -Pierre, disparut, répandant sur son passage une lumière -si prodigieuse que tous les gardes de la prison s’enfuirent, -épouvantés. Et sainte Agathe se trouva entièrement -guérie, avec ses deux seins restaurés par miracle. -Et, comme les portes de la prison étaient ouvertes, -d’autres prisonniers l’engagèrent à s’enfuir avec eux. -Mais elle répondit : « A Dieu ne plaise que je perde, en -m’enfuyant, la couronne qui m’est réservée, et que j’expose -aussi les gardes à souffrir de mon fait ! »</p> - -<p>IV. Quatre jours après, le consul la fit comparaître -<span class="pagenum" id="p149">-149-</span> devant lui, et, de nouveau, lui ordonna d’adorer les dieux. -Et Agathe : « Tes paroles ne sont que du vent ; comment -veux-tu, insensé, que j’adore les pierres, et que je renie -le Dieu du ciel qui m’a guérie ? » Et le consul : « Qui t’a -guérie ? » Et Agathe : « Le Christ, fils de Dieu ! » Et -Quintien : « Oses-tu citer de nouveau ce nom que je ne -veux pas entendre ? » Et Agathe : « Tant que je vivrai, -mon cœur et mes lèvres invoqueront le Christ ! » Et -Quintien : « Nous allons bien voir si ton Christ te guérit -une seconde fois ! » Il ordonna alors de répandre des -tessons brisés, d’y mêler des charbons ardents, et de -traîner la jeune fille, toute nue, sur ce lit mortel. Mais -pendant qu’on procédait au supplice, un grand tremblement -de terre survint, qui ébranla toute la ville, -renversa le palais, et écrasa deux conseillers de Quintien. -Et tout le peuple accourut vers le consul, lui -reprochant d’avoir causé cette catastrophe par l’injuste -punition infligée à Agathe. Alors Quintien, qui redoutait -à la fois le tremblement de terre et la sédition du peuple, -fit ramener Agathe dans sa prison, où elle se mit en -prière et dit : « Seigneur Jésus, toi qui m’as créée et gardée -depuis l’enfance, toi qui as préservé mon corps de -souillure et mon esprit de l’amour du siècle, toi qui m’as -permis de vaincre les souffrances, reçois maintenant -mon âme dans ta miséricorde ! » Et, après avoir ainsi -prié à très haute voix, elle expira. Cela se passait vers -l’an du Seigneur 253, sous le règne de l’empereur Décius.</p> - -<p>V. Les fidèles oignirent son corps d’aromates et le -placèrent dans un sarcophage. Et voici qu’un jeune -homme revêtu d’une tunique de soie, et accompagné de -cent autres beaux jeunes gens en tuniques blanches, -s’approcha du tombeau, y déposa une tablette de marbre, -et disparut aussitôt avec ses compagnons. Et, sur la -tablette était écrit ceci : « Ame sainte, spontanée, honneur -à Dieu et délivrance de la patrie. » Ce qui signifie -qu’Agathe eut une âme sainte, s’offrit spontanément au -martyre, fit honneur à Dieu, et sauva sa patrie. Et le don -miraculeux de cette tablette de marbre eut pour résultat -que même les païens et les Juifs commencèrent à vénérer -<span class="pagenum" id="p150">-150-</span> le tombeau de la sainte. Quant à Quintien, il se rendait -à la maison de sainte Agathe, dans l’espoir d’y découvrir -des trésors cachés, lorsque les deux chevaux de son -char se mirent à frémir des dents et à ruer ; et l’un d’eux -le mordit, l’autre, d’un coup de sabot, le lança dans le -fleuve, où jamais son corps ne put être retrouvé.</p> - -<p>VI. Un an environ après la mort de sainte Agathe, une -montagne voisine de Catane se rompit et un torrent de -feu en jaillit, qui, sautant de rocher en rocher et brûlant -tout sur son passage, menaçait de s’abattre bientôt -sur la ville. Alors la foule des païens courut au tombeau -de la sainte, arracha le voile qui le couvrait et l’étendit -au pied de la montagne ; et ce voile arrêta la descente du -feu, et sauva la ville. Ce miracle eut lieu le jour même -de l’anniversaire de la naissance de sainte Agathe.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c39">XXXIX<br /> -SAINT VAST, <span class="small">ÉVÊQUE ET CONFESSEUR<br /> -(6 février)</span></h2> - - -<p>Vast fut ordonné par saint Rémy à l’évêché d’Arras. -En arrivant à la porte de cette ville, il rencontra deux -mendiants, un boiteux et un aveugle, qui lui demandèrent -l’aumône. Et il leur dit : « Je n’ai ni or ni argent, mais -ce que j’ai, je vous le donne ! » Et il pria pour eux, et -tous deux furent guéris. — Un loup s’était installé dans -une église abandonnée : saint Vast lui ordonna de sortir -de l’église et de n’y plus jamais revenir, et le loup obéit.</p> - -<p>La quarantième année de son épiscopat, après avoir -converti une foule de païens par sa parole et son exemple, -saint Vast vit une colonne de feu qui descendait du ciel -jusque sur sa maison. Il comprit que sa fin approchait ; -et, en effet, peu de temps après il s’endormit dans le -Seigneur, vers l’an 550. Et comme on l’enterrait, le -<span class="pagenum" id="p151">-151-</span> vieux saint Omer, qui, étant aveugle, se désolait de ne -pouvoir pas voir le corps du saint évêque, recouvra la -vue ; puis, quand il eut vu le corps du saint, il demanda -et obtint de redevenir aveugle.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c40">XL<br /> -SAINT AMAND, <span class="small">ÉVÊQUE ET CONFESSEUR<br /> -(6 février)</span></h2> - - -<p>Né de parents nobles, Amand se fit moine dès sa jeunesse. -Se promenant dans son monastère, il vit un serpent : -il pria Dieu, fit le signe de la croix, et obtint que -la bête rentrât dans son nid pour n’en plus jamais sortir. -Il se rendit, plus tard, au tombeau de saint Martin et y -resta quinze ans, couvert d’un cilice, et sans autre aliment -que de l’eau et du pain d’orge.</p> - -<p>S’étant rendu à Rome, il voulut prier toute la nuit dans -l’église de saint Pierre ; mais le gardien de l’église le -chassa brutalement. Alors le saint s’endormit devant la -porte, et saint Pierre lui apparut, qui lui ordonna de se -rendre en Gaule pour y faire honte de ses crimes au roi -Dagobert. Mais ce roi, irrité, lui enjoignit tout de suite de -sortir de son royaume.</p> - -<p>Cependant Dagobert, qui se désolait de n’avoir pas de -fils, finit par en obtenir un, à force de prières ; et l’idée lui -vint de faire baptiser son fils par saint Amand. Il fit donc -rechercher celui-ci, se prosterna à ses pieds, le supplia -de lui pardonner et de baptiser le fils que le Seigneur -lui avait accordé. Le saint consentit volontiers à la première -de ces demandes, mais se refusa à la seconde, ne -voulant se mêler en rien aux choses séculières. Il céda -pourtant aux instances du roi ; et, au moment où il baptisait -l’enfant, celui-ci lui répondit à haute voix : <i>Amen</i>. -Le roi le promut alors à l’évêché de Maestricht. Mais -<span class="pagenum" id="p152">-152-</span> comme saint Amand voyait qu’on y faisait peu de cas de -sa prédication, il se rendit en Gascogne. Là, un jongleur -qui se moquait de ses paroles fut envahi du démon et se -déchira de ses propres dents, avouant qu’il avait fait -injure à un homme de Dieu.</p> - -<p>Certain évêque fit garder l’eau dans laquelle saint -Amand s’était lavé les mains ; et cette eau rendit, plus -tard, la vue à un aveugle. Une autre fois, le saint, avec -l’approbation du roi, voulut faire construire un monastère -en un certain lieu ; et l’évêque d’une ville voisine, -à qui ce projet déplaisait, envoya ses serviteurs pour -chasser le saint, ou même pour le tuer. Et les serviteurs, -abordant le saint, lui dirent par ruse qu’ils le conduiraient -dans un autre lieu plus convenable encore -pour la construction. Et le saint devina leur malice ; -mais, ayant soif du martyre, il les suivit jusqu’au haut -d’une montagne où ils se proposaient de le tuer. Or, -voici qu’une pluie et un brouillard si épais couvrirent la -montagne que les serviteurs de l’évêque ne se voyaient -pas les uns les autres. Ils crurent qu’ils allaient mourir -et, prosternés aux pieds du saint, ils le supplièrent d’obtenir -de Dieu de s’en aller vivants. Et, sur la prière du -saint, le beau temps reparut, et les serviteurs de l’évêque -s’en retournèrent chez eux ; et saint Amand fit encore -beaucoup d’autres miracles avant de s’endormir dans la -paix du Seigneur. Ce saint florissait vers l’an 653, sous -le règne d’Héraclius.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c41">XLI<a id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">[6]</a><br /> -SAINTE APOLLINE, <span class="small">VIERGE ET MARTYRE<br /> -(9 février)</span></h2> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_6" href="#FNanchor_6"><span class="label">[6]</span></a> Ce chapitre, qui manque dans plusieurs anciens manuscrits, -n’est probablement pas de Jacques de Voragine.</p> -</div> - -<p>Sous l’empereur Décius une grande persécution sévit, -à Alexandrie, contre les serviteurs de Dieu. Prévenant -<span class="pagenum" id="p153">-153-</span> les édits de l’empereur, un misérable, nommé Divin, excita -contre les chrétiens une foule superstitieuse, qui, enflammée -par lui, devint tout altérée du sang des fidèles. -On s’empara d’abord de quelques saintes personnes des -deux sexes, dont les unes eurent le corps déchiré -membre à membre, les yeux crevés, le visage mutilé, et -furent ensuite chassées de la ville ; d’autres qu’on avait -traînées devant les idoles, et qui, loin de vouloir les -adorer, les accablaient d’invectives, se voyaient traînées -par les rues de la ville, les pieds enchaînés, jusqu’à ce -que leurs corps s’en allassent en morceaux.</p> - -<p>Or il y avait à Alexandrie une vierge admirable nommée -Apolline, déjà fort avancée en âge, et tout éclatante -de chasteté, de pureté, de piété et de charité. Et -lorsque la foule furieuse eut envahi les maisons des serviteurs -de Dieu, Apolline fut conduite au tribunal des -impies. S’acharnant sur elle, ses persécuteurs commencèrent -par lui arracher toutes ses dents ; puis, ayant -allumé un grand bûcher, ils la menacèrent de l’y jeter vive, -si elle se refusait à blasphémer avec eux. Mais elle, dès -qu’elle vit le bûcher allumé, se recueillit d’abord un instant -en elle-même, puis, s’échappant des mains de ses -bourreaux, s’élança dans le feu dont on la menaçait, -effrayant même la cruauté des persécuteurs. Eprouvée -déjà par divers supplices, elle ne se laissa vaincre ni -par ses souffrances, ni par l’ardeur des flammes, qui -n’était rien en comparaison de l’ardeur allumée en elle -par les rayons de la vérité.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c42">XLII<br /> -SAINT VALENTIN, <span class="small">PRÊTRE ET MARTYR<br /> -(14 février)</span></h2> - - -<p>Valentin était un saint prêtre. L’empereur Claude -se le fit amener, et lui dit : « Pourquoi donc, Valentin, -<span class="pagenum" id="p154">-154-</span> ne t’acquiers-tu pas notre amitié en adorant nos -dieux et en renonçant à tes vaines superstitions ? » -Et Valentin : « Si tu connaissais la grâce de Dieu, tu ne -parlerais pas ainsi, et c’est toi qui, renonçant à tes idoles, -adorerais le Dieu du Ciel ! » Alors un des familiers de -Claude dit : « Oserais-tu médire de la sainteté de nos -dieux ? » Et Valentin : « Vos dieux ne sont que de misérables -créatures humaines, et remplies d’impureté. » Alors -Claude : « Si ton Christ est le vrai Dieu, dis-moi la vérité ! » -Et Valentin : « La vérité est que le Christ est le seul -Dieu, et que, si tu crois en lui, ton âme sera sauvée, ton -pouvoir s’accroîtra, tes ennemis seront vaincus ! » Et -Claude, se tournant vers les assistants, leur dit : « Romains, -entendez-vous comme cet homme parle bien et avec sagesse ? » -Mais le préfet dit : « On trompe l’empereur ! -Faudra-t-il donc que nous abandonnions ce que nous -avions tenu pour vrai depuis l’enfance ? » Et ces paroles -endurcirent le cœur de Claude, qui livra saint Valentin à -un prince de sa cour, en le chargeant de le garder prisonnier -chez lui.</p> - -<p>Et quand il fut arrivé dans la maison de ce prince, -Valentin s’écria : « Seigneur Jésus, lumière unique, illumine -cette maison afin qu’on te reconnaisse comme le -vrai Dieu ! » Sur quoi le prince lui dit : « Puisque tu -affirmes que ton Christ est la lumière, demande-lui de -rendre la vue à ma fille aveugle ! S’il le fait, je croirai en -lui ! » Valentin se mit en prière, rendit la vue à l’aveugle, -et convertit toute la maison. Mais l’empereur ne l’en fit -pas moins décapiter. Ce martyre eut lieu en l’an du Seigneur -280.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p155">-155-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c43">XLIII<br /> -SAINTE JULIENNE, <span class="small">VIERGE ET MARTYRE<br /> -(16 février)</span></h2> - - -<p>Julienne était fiancée à Euloge, préfet de Nicomédie ; -mais elle refusait d’entrer dans le lit d’Euloge avant -qu’il eût reçu la foi du Christ. Alors son père, furieux -de sa désobéissance, la fit mettre à nu, rouer de coups, -et la livra ensuite au préfet. Et celui-ci lui dit : « Ma -douce Julienne, pourquoi m’as-tu trompé par tes promesses -d’amour, puisque, aujourd’hui, tu refuses ma -main ? » Et elle : « Si tu veux adorer mon Dieu, je serai -à toi ; sinon, jamais tu ne seras mon maître ! » Et le -préfet : « Bien-aimée, je ne puis consentir à ce que tu -me demandes, car l’empereur me ferait couper le cou ! » -Et Julienne : « Si tu crains si fort un empereur mortel, -combien davantage je dois craindre mon empereur à -moi, qui est immortel ! Fais de moi ce que tu voudras, -rien ne pourra me fléchir ! » Alors le préfet la fit battre -de verges, puis, pendant une demi-journée, il la fit -suspendre par les cheveux et lui fit verser sur la tête du -plomb fondu. Et comme, de tout cela, elle n’avait aucun -mal, il lui fit mettre des chaînes et l’enferma dans une -prison.</p> - -<p>Là un diable vint la voir, sous l’apparence d’un -ange, et lui dit : « Julienne, je suis un ange du Seigneur, -et mon maître m’envoie vers toi pour t’engager à sacrifier -aux dieux : car le Seigneur a pitié de toi, et -veut t’épargner un affreux supplice suivi d’une mort -affreuse. » Alors Julienne fondit en larmes et s’écria : -« Jésus mon Seigneur, sauve-moi du péril de mon âme -en me faisant connaître qui est celui qui me donne un -tel conseil ! » Et une voix d’en haut lui dit de saisir son -visiteur et de le contraindre à avouer lui-même qui il -était. Julienne ayant donc saisi le faux ange, et lui ayant -demandé qui il était, il répondit qu’il était un démon, -<span class="pagenum" id="p156">-156-</span> envoyé par son père pour la tromper. Julienne lui -demanda qui était son père. Et le démon répondit : -« C’est Belzébuth, qui nous conduit à mal faire, et nous bat -cruellement toutes les fois que nous nous laissons vaincre -par les chrétiens. Aussi suis-je sûr de payer cher cette -journée, où je n’ai pu triompher de toi ! » Et, entre autres -choses qu’il lui avoua, il lui dit que les diables souffrent -surtout pendant que les chrétiens célèbrent la messe, ou -pendant que se font les prières et les prédications. -Alors Julienne lui lia les mains derrière le dos, et, -l’ayant jeté à terre, elle le battit rudement avec la chaîne -dont on l’avait liée ; et le diable la suppliait avec de -grands cris, lui disant : « Bonne Julienne, ayez pitié de -moi ! » Puis, le préfet ayant donné ordre qu’on la tirât -de sa prison, elle traîna derrière elle le démon, toujours -lié. Et le démon la priait, en lui disant : « Madame Julienne, -cessez de me rendre ridicule, ou bien jamais -plus je ne pourrai avoir d’action sur aucun chrétien ! On -dit que les chrétiens sont miséricordieux, et vous, -cependant, vous ne voulez pas avoir un peu pitié de -moi ! » Mais la sainte n’en continua pas moins à le traîner -par tout le marché, après quoi elle le jeta dans une latrine.</p> - -<p>Le préfet fit étendre sainte Julienne sur une roue qui -lui broya tous les os jusqu’à en faire jaillir la moelle ; -mais un ange détruisit la roue et guérit la sainte. Ce que -voyant, tous les assistants crurent au Christ, et subirent -aussitôt le martyre. Cinq cents hommes et cent trente -femmes eurent la tête tranchée. Le préfet fit ensuite -plonger la sainte dans une chaudière de plomb fondu ; mais -le plomb se refroidit soudain au point de devenir comme -un bain tiède. Alors le préfet maudit ses dieux, pour -leur impuissance à punir une jeune femme qui leur faisait -tant d’outrages. Puis il ordonna qu’elle eût la tête tranchée. -Et comme on la conduisait à l’échafaud, voici que -le démon qu’elle avait battu se montra de nouveau, cette -fois sous l’apparence d’un jeune homme ; et il criait aux -bourreaux : « Ne ménagez pas cette coquine, car elle a dit -les pires choses de vos dieux, et m’a moi-même battu -cette nuit ! Rendez-lui ce qu’elle mérite ! » Mais comme -<span class="pagenum" id="p157">-157-</span> Julienne, qui avait les yeux fermés, les entrouvrait pour -voir celui qui parlait ainsi, le démon s’enfuit en criant : -« Malheur à moi, elle va encore me prendre et me lier ! » -Et la sainte subit son supplice ; et, quelques jours après, -le préfet, qui voyageait sur mer, périt dans une tempête -avec trente-quatre hommes. Leurs corps, que la mer -avait vomis sur le rivage, furent dévorés par les bêtes -et les oiseaux de proie.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c44">XLIV<br /> -LA CHAIRE DE SAINT PIERRE A ANTIOCHE<br /> -<span class="small">(22 février)</span></h2> - - -<p>L’église célèbre en ce jour la Chaire de saint Pierre -parce que c’est en ce jour que ce saint, à Antioche, -s’assit pour la première fois dans le siège pontifical. -Et l’institution de cette fête est due à quatre causes.</p> - -<p>1<sup>o</sup> Comme saint Pierre prêchait à Antioche, le préfet -Théophile lui dit : « Pierre, pourquoi corromps-tu mon -peuple ? » Et comme Pierre lui prêchait la foi du Christ, -il le fit enchaîner et jeter en prison, où il ordonna qu’on -le laissât sans boire et sans manger. Mais Pierre, déjà -défaillant, reprit assez de forces pour lever les yeux au -ciel et pour dire : « Jésus-Christ, soutien des malheureux, -sois mon soutien dans ces tribulations ! » Et le -Seigneur lui répondit : « Crois-tu donc que je t’aie -abandonné ? Bientôt viendra quelqu’un qui secourra ta -misère ! » En effet, saint Paul, en apprenant l’incarcération -de Pierre, vint trouver Théophile, et se présenta à -lui comme un artiste d’une habileté extrême, sachant -sculpter le bois et le marbre, peindre sur la toile, etc. -Théophile le pria d’habiter chez lui. Et, peu de jours après, -Paul pénétra secrètement dans le cachot de Pierre. -Voyant celui-ci presque mort d’épuisement, il pleura des -larmes amères ; puis, se jetant dans ses bras, il lui dit : -<span class="pagenum" id="p158">-158-</span> « O Pierre, mon frère, ma gloire, ma joie, moitié de mon -âme, reprends tes forces ! » Alors Pierre, ouvrant les -yeux et le reconnaissant, se mit à pleurer, mais sans -pouvoir parler. Paul lui ouvrit la bouche et y versa de la -nourriture, qui ne tarda pas à le réconforter. Puis, se -rendant auprès de Théophile, saint Paul lui dit : « O bon -Théophile, homme aimable et hospitalier, rappelle-toi -qu’un petit mal suffit pour détruire un grand bien ! Qu’as-tu -fait de ce serviteur de Dieu qui s’appelle Pierre ? Faible -et pauvre, il ne vit que par la parole : et c’est un tel -homme que tu as pu mettre en prison ! Sans compter que, -si tu l’avais laissé en liberté, il aurait pu t’être utile ; car -on dit qu’il guérit les malades et ressuscite les morts ! » -Et Théophile : « Ce sont là des fables, mon cher Paul, -car si cet homme pouvait ressusciter des morts, il -pourrait bien se délivrer lui-même de sa prison ! » Et Paul : -« On m’a dit que, de même que le Christ, qui ensuite -est ressuscité, n’a pas voulu descendre de sa croix, de -même ce Pierre, pour suivre l’exemple de son maître, -refuse de se délivrer, préférant souffrir pour le Christ. » -Alors Théophile : « Eh bien, va lui dire que je lui -rendrai sa liberté s’il ressuscite mon fils, mort depuis -quatorze ans ! » Paul rapporta cette condition à Pierre, -qui lui dit : « C’est là un bien grand miracle qu’on exige -de moi : mais la grâce de Dieu le fera par moi ! » -Puis, conduit au sépulcre du fils de Théophile, il -ordonna qu’on ouvrît la porte, et le mort ressuscita. — Mais -nous devons avouer que ce miracle ne nous paraît -pas très vraisemblable : d’abord à cause des quatorze ans -que Dieu aurait permis que le mort passât dans son tombeau ; -et puis, surtout, à cause de la ruse et du mensonge -que l’histoire prête à saint Paul. Toujours est-il que -Théophile et tout le peuple d’Antioche finirent par se -convertir au Seigneur, et construisirent une magnifique -église au milieu de laquelle ils mirent une chaire très -élevée pour Pierre, d’où il put être vu et entendu par -tous. Il y siégea pendant sept ans avant de se rendre à -Rome, où il siégea ensuite dans la chaire romaine pendant -vingt-cinq ans. Et c’est en souvenir de cet événement -<span class="pagenum" id="p159">-159-</span> que l’Eglise célèbre cette fête, parce que, ce jour-là, -pour la première fois, les chefs de l’Eglise commencèrent -à être élevés en nom et en puissance.</p> - -<p>Cette fête est, comme l’on sait, la troisième de celles -où l’Eglise célèbre le glorieux successeur du Christ. -Saint Pierre a, en effet, mérité d’avoir trois fêtes, d’abord -parce qu’il a été privilégié, parmi les apôtres, en trois -choses : en autorité, en amour du Christ, et en pouvoir -d’opérer des miracles. De plus, saint Pierre a été le -prince de toute l’Eglise, qui est répandue dans les trois -parties du monde, l’Asie, l’Afrique et l’Europe : de là -les trois fêtes où l’Eglise l’honore. Enfin, saint Pierre, -depuis qu’il a reçu la faculté de lier ou de délier, nous -délivre des trois genres de péchés, ceux de la pensée, de -la parole et de l’acte, comme aussi de ceux que nous -commettons envers Dieu, envers le prochain et envers -nous-mêmes.</p> - -<p>2<sup>o</sup> La seconde cause de l’institution de cette fête se -trouve indiquée dans l’<i>Itinéraire de Clément</i>. Comme -saint Pierre s’approchait d’Antioche, tous les habitants -vinrent au-devant de lui revêtus de cilices, les pieds nus -et la tête couverte de cendres, en signe de leur repentir, -car ils avaient cru aux mensonges de Simon le Magicien. -Et Pierre, heureux de ce repentir, fit placer devant lui -tous les malades et les possédés ; et dès qu’il eut invoqué -sur eux le nom de Dieu, une immense lumière apparut -et tous furent guéris. Pendant la semaine qui suivit, -plus de dix mille hommes reçurent le baptême. Ce que -voyant, le préfet Théophile transforma son palais en -basilique, et y fit placer pour l’apôtre une chaire très -élevée d’où il pût être vu et entendu par tous. Et la contradiction -n’est qu’apparente entre cette histoire et celle -que nous venons de raconter : car rien n’empêche que -Pierre ait été mis en prison par Théophile et délivré par -l’entremise de saint Paul, puis que, pendant un de ses -voyages, les habitants d’Antioche se soient laissés -prendre aux mensonges de Simon le Magicien, et s’en -soient enfin repentis.</p> - -<p>3<sup>o</sup> En troisième lieu cette fête, — qu’on appelle aussi -<span class="pagenum" id="p160">-160-</span> le Banquet de saint Pierre, — doit son institution à une -coutume ancienne que l’Eglise a transformée en une fête -chrétienne. En effet, maître Jean Beleth raconte que -c’était l’usage chez les païens, au mois de février, d’aller -porter un repas sur la tombe des morts. Les païens -croyaient que ces repas étaient mangés par les âmes de -leurs parents défunts, tandis qu’en réalité c’étaient les -démons qui s’en régalaient. Et comme les premiers -convertis au christianisme avaient peine à se départir -de cette coutume, on résolut de substituer au banquet -des morts, le jour de la Chaire de saint Pierre, un banquet -célébré en l’honneur du saint.</p> - -<p>4<sup>o</sup> Et cette fête a aussi pour objet de célébrer l’institution -de la tonsure des prêtres. Car, pendant que Pierre -prêchait à Antioche, on lui fit raser la tête en signe d’infamie ; -et ce signe d’infamie fut ensuite adopté par tout -le clergé, en signe d’honneur. Au point de vue symbolique, -la tonsure signifie la conservation de la pureté, -l’abandon des ornements extérieurs et le renoncement -aux biens temporels. Et si la tonsure est de forme circulaire, -c’est pour donner à entendre que, le cercle étant la -plus parfaite des figures, les prêtres doivent veiller à -représenter sur terre la perfection chrétienne.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c45">XLV<br /> -SAINT MATHIAS, <span class="small">APÔTRE<br /> -(24 février)</span></h2> - - -<p>La vie de saint Mathias, telle qu’elle se lit dans les -églises, a été écrite, croit-on, par le vénérable Bède.</p> - -<p>I. Mathias fut appelé à prendre, parmi les apôtres, la -place laissée vide par la défection de Judas. Et, puisque -l’occasion s’en présente à nous, nous allons d’abord -résumer ce que l’on a dit de l’origine et de la jeunesse -<span class="pagenum" id="p161">-161-</span> de Judas lui-même. Certaine histoire, qui malheureusement -est apocryphe et ne mérite que peu de créance, -raconte à ce sujet ce qui suit :</p> - -<p>Il y avait à Jérusalem un homme appelé Ruben (et de -son autre nom Simon) de la tribu de Dan (ou, selon -saint Jérôme, de la tribu d’Issachar) et marié à une -femme nommée Ciborée. Or, une nuit, après que les deux -époux eussent accompli le devoir conjugal, Ciborée, -s’étant endormie, eut un songe dont elle s’éveilla tout -effrayée, avec des gémissements et des soupirs. Et elle -dit à son mari : « J’ai vu en rêve que j’enfantais un fils -monstrueux, qui devait causer la perte de toute notre -race. » Et Ruben : « Quelle sottise scandaleuse tu dis là ! -Le diable, sans doute, te fait délirer ! » Mais elle : « Si notre -acte de cette nuit a pour effet que je conçoive un fils, ce -sera la preuve que je ne suis point victime d’une illusion -diabolique, mais que mon rêve est bien la révélation de -la vérité ! » Et comme, neuf mois après cette nuit, elle -mit au monde un fils, son mari et elle furent épouvantés, -et ne surent que faire : car ils avaient horreur de tuer -leur enfant, et, d’autre part, ne pouvaient consentir à -nourrir le futur destructeur de leur race. Ils décidèrent -enfin de poser l’enfant dans un petit panier et de le -laisser aller au gré des flots. Et ceux-ci poussèrent le -panier jusqu’à une île nommée Iscarioth, d’où viendrait le -nom de Judas Iscarioth donné à l’apôtre maudit. Et la reine -de cette île, qui n’avait point d’enfants, ayant aperçu -le panier pendant qu’elle se promenait sur le rivage, le -fit tirer de l’eau, et s’écria, quand elle vit l’enfant : « Oh ! -comme je serais heureuse d’avoir un tel enfant, afin que -mon trône, après moi, ne restât pas vide ! » Et elle fit -nourrir l’enfant en cachette, et feignit d’être enceinte, -et présenta l’enfant comme son fils, ce qui fut fêté par -tout le royaume. Le roi, enchanté d’être père, fit élever -l’enfant avec toute la magnificence qui convenait à son -rang. Or, peu de temps après, la reine fut vraiment -enceinte du fait de son mari, et mit au monde un fils. -Les deux enfants furent élevés ensemble ; mais Judas, -dans leurs jeux, injuriait et battait souvent l’enfant -<span class="pagenum" id="p162">-162-</span> royal, et le faisait pleurer : sur quoi la reine, qui savait -qu’il n’était pas son fils, le faisait très souvent battre à -son tour. Mais rien ne parvenait à corriger le méchant -enfant. Un jour enfin toute la vérité se découvrit, et l’on -sut que Judas n’était pas le vrai fils du roi. Alors Judas, -plein de honte et de jalousie, tua secrètement le vrai fils du -roi, son frère supposé. Puis, craignant d’en être puni, il -s’enfuit avec ses familiers à Jérusalem, où le préfet -Pilate (tant on a raison de dire que qui se ressemble -s’assemble) reconnut en lui un caractère pareil au sien, -et se prit pour lui d’une vive affection.</p> - -<p>Voilà donc Judas régnant en maître à la cour de Pilate. -Et un jour, Pilate, considérant un champ de pommes -voisin de son palais, éprouva un extrême désir de goûter -aux pommes de ce champ. Or ce champ appartenait à -Ruben, le père de Judas ; mais ni Judas ne connaissait -son père, ni celui-ci ne savait que Judas était son fils. Et -Judas, voyant le désir de Pilate, entra dans le champ et -cueillit des pommes. Et comme Ruben le surprit, tous -deux commencèrent par s’injurier, puis en vinrent aux -coups ; et Judas finit par tuer Ruben en le frappant d’une -pierre sur la nuque. Après quoi il porta les pommes à -Pilate et lui raconta ce qui s’était passé. Et lorsque la -mort de Ruben fut connue, Pilate donna à son favori -Judas tous les biens du mort, et le maria avec la veuve -de celui-ci, qui n’était autre que sa mère Ciborée.</p> - -<p>Un soir, Ciborée soupirait si tristement que Judas, -son nouveau mari, lui demanda ce qu’elle avait. Elle lui -répondit : « Hélas ! je suis la plus malheureuse de toutes -les femmes ! J’ai dû noyer mon unique enfant, on m’a -tué mon mari, et, pour comble de misère, Pilate m’a -forcée à me remarier malgré mon deuil ! » Elle raconta -alors l’histoire de l’enfant ; et Judas lui raconta toutes -ses aventures ; et ils découvrirent ainsi que Judas avait -tué son père et épousé sa mère. Alors, sur le conseil de -Ciborée, le misérable voulut faire pénitence, et, étant -allé trouver Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, il implora de -lui le pardon de ses péchés. Voilà ce qu’on lit dans -cette histoire apocryphe. Doit-on tenir pour vraie ou -<span class="pagenum" id="p163">-163-</span> non cette suite d’aventures ? C’est au lecteur à en décider : -mais, suivant nous, elle mérite infiniment plus d’être -rejetée qu’admise.</p> - -<p>Ce qui est, au contraire, certain, c’est que Notre-Seigneur -fit de Judas son disciple, et l’élut au nombre de -ses douze apôtres. Et Judas entra si fort dans sa familiarité -qu’il devint son procureur. C’était lui, en effet, qui -portait les aumônes qu’on donnait à Jésus ; et, sans doute, -il ne se faisait pas faute de les voler. Peu de temps -avant la passion de Notre-Seigneur, il s’irrita de ce -qu’on ne vendît point un parfum qu’on avait donné à -Jésus, et qui valait trois cents deniers : car, sans doute, -il avait projeté de s’approprier cette somme. Il alla donc -trouver les Juifs, et leur vendit le Christ pour trente -deniers. Notons que deux versions ont cours sur ce point. -L’une prétend que les deniers obtenus par Judas valaient -chacun dix deniers ordinaires, de façon qu’en les recevant -Judas eut l’équivalent des trois cents deniers que -lui aurait procurés la vente du parfum. D’après l’autre -version, Judas avait l’habitude de s’approprier la dixième -partie de l’argent qu’on lui donnait à garder ; et ainsi les -trente deniers reçus des Juifs ont été, pour lui, l’équivalent -du profit qu’il aurait tiré de la vente du parfum. -Mais, dès qu’il eut reçu les trente deniers, la honte le -prit ; et il les rapporta, et il alla se pendre à un arbre, et -son corps creva par le milieu, et tous ses boyaux se répandirent -sur le sol. Il ne les vomit point par la bouche, car -sa bouche ne pouvait pas être profanée, ayant eu l’honneur -de toucher le visage glorieux du Christ. Et il mourut -en l’air, car, ayant offensé les anges dans le ciel et les -hommes sur la terre, il avait mérité de périr entre ciel -et terre.</p> - -<p>II. Or, quelques jours après l’Ascension du Seigneur, -saint Pierre se leva au milieu des disciples et dit : -« Frères, il faut que, de ceux qui ont été avec nous tout le -temps que le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, il y en -ait un pour témoigner avec nous de sa résurrection. » -Alors les disciples présentèrent deux d’entre eux, à -savoir : 1<sup>o</sup> Joseph, appelé Barsabas, et surnommé le Juste -<span class="pagenum" id="p164">-164-</span> en raison de sa sainteté ; 2<sup>o</sup> Mathias, dont l’auteur des -<i>Actes</i> a jugé inutile de faire l’éloge, estimant que le fait -de son élection à l’apostolat rendait tous les éloges -superflus. Et, tombant en prière, les apôtres dirent : -« Toi, Seigneur, qui connais les cœurs de tous, montre-nous -lequel de ces deux hommes tu as choisi pour -prendre la place de Judas, dans le ministère et l’apostolat ! » -Et l’on jeta les sorts, et le sort désigna Mathias, -qui, d’un commun accord, fut adjoint aux onze apôtres.</p> - -<p>Saint Jérôme fait observer, à ce propos, que l’exemple -de ce choix ne prouve nullement qu’on doive se servir -du sort pour les élections religieuses : car le privilège -du petit nombre ne saurait constituer la loi de tous. -Comme le dit en effet, Bède, c’est seulement au jour de -la Pentecôte que fut consommée l’hostie immolée dans -la Passion ; c’est au jour de la Pentecôte que la vérité du -dogme se trouva entièrement constituée. Or, l’élection -de Mathias étant avant la Pentecôte, on s’y est servi du -sort pour se conformer à la loi ancienne, suivant laquelle -le grand prêtre était choisi au sort. Mais, dès que la -Pentecôte eut achevé d’abroger l’ancienne loi, ce n’est -plus au sort que furent élus les sept diacres, mais bien -par le choix des disciples ; et ils furent ensuite ordonnés -par l’imposition des mains des apôtres.</p> - -<p>III. L’apôtre Mathias eut pour mission d’évangéliser la -Judée. Il y prêcha de longues années, fit de nombreux -miracles, et s’endormit enfin dans la paix du Seigneur. -Certains auteurs affirment, cependant, qu’il souffrit le -martyre et périt sur la croix. Son corps est, dit-on, enseveli -à Rome, sous une dalle de porphyre, dans l’église -Sainte-Marie Majeure, et l’on y montre sa tête aux -fidèles.</p> - -<p>D’après une autre légende, qui a cours à Trèves, -Mathias serait né à Bethléem, d’une famille noble de la -tribu de Juda. Prêchant en Judée, il éclairait les aveugles, -purifiait les lépreux, chassait les démons, rendait aux -boiteux la marche, aux sourds l’ouïe, et la vie aux morts. -Il opéra de nombreuses conversions : sur quoi les Juifs, -par jalousie, le firent passer en jugement. Là deux faux -<span class="pagenum" id="p165">-165-</span> témoins, qui l’avaient accusé, lui jetèrent des pierres ; et -il voulut que ces pierres fussent ensevelies avec lui, en -témoignage contre eux. Et pendant qu’on le lapidait il -eut la tête tranchée d’une hache, à la manière romaine, -et rendit l’âme à Dieu, les mains tendues vers le ciel. -La même légende ajoute que son corps, après avoir été -transporté de Judée à Rome, se trouve aujourd’hui dans -une église de Trèves.</p> - -<p>IV. Suivant une autre légende, Mathias serait allé en -Macédoine, et y aurait bu, au nom du Christ, une potion -empoisonnée qui privait de la vue ceux qui en buvaient. -Mais non seulement Mathias n’en aurait souffert aucun -mal : la légende veut encore qu’il ait rendu la vue, par -une simple imposition de mains, à plus de deux cent -cinquante personnes que la susdite potion avait aveuglées. -Les habitants de la province lui auraient, ensuite, -attaché les mains derrière le dos et l’auraient enfermé -dans une prison ; et le Seigneur, venant à lui entouré -d’une grande lumière, aurait rompu ses liens et l’aurait -remis en liberté. Et comme, ensuite, quelques-uns des -Macédoniens persistaient dans l’erreur, le saint leur -aurait dit : « Je vous annonce que vous descendrez -vivants en enfer ! » Sur quoi la terre se serait ouverte, et -les aurait engloutis.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c46">XLVI<br /> -SAINT GRÉGOIRE, <span class="small">PAPE<br /> -(12 mars)</span></h2> - - -<p>La vie de saint Grégoire, écrite d’abord par Paul, -historiographe des Lombards, a été ensuite soigneusement -résumée par le diacre Jean.</p> - -<p>I. Grégoire, fils de Gordien et de Sylvie, était de famille -sénatoriale. Bien que, dès l’adolescence, il eût atteint -au plus haut sommet de la philosophie, et bien qu’il fût, -<span class="pagenum" id="p166">-166-</span> en outre, fort riche, il résolut de renoncer à tous ses -biens et de se consacrer au service de Dieu. Mais comme -il ajournait sa conversion, pensant pouvoir servir le -Christ tout en remplissant les fonctions d’un juge laïque, -le goût des choses séculières commença à grandir en lui -à tel point qu’il fut tenté de servir le monde non seulement -en acte, mais aussi en esprit. Enfin, après la -mort de son père, il fonda six monastères en Sicile, et -un septième à Rome, dans sa propre maison ; et là, ôtant -ses vêtements de soie ornés d’or et de pierreries, il vécut -sous l’humble habit du moine. Et il arriva bientôt à un -état de perfection qu’il se rappelait, plus tard, en ces -termes, dans l’introduction d’un de ses <i>dialogues</i> : « Mon -âme malheureuse, accablée sous le poids de ses occupations, -aime à se rappeler le bonheur qu’elle avait jadis -pendant mon séjour au monastère ; alors tout le cours -des choses fugitives lui était indifférent, accoutumée -qu’elle était à ne penser qu’aux choses célestes ; et souvent -elle sortait, par la contemplation, du cloître de la -chair ; et la mort même, qui presque toujours apparaît -comme une peine, lui apparaissait comme l’entrée dans -la vie, et la douce récompense de toutes les peines. » -Et Grégoire infligeait de telles privations à son corps que -son estomac s’était paralysé, et qu’il souffrait fréquemment -de ces arrêts de vie que les Grecs appellent des -« syncopes ».</p> - -<p>II. Un jour, comme il était occupé à écrire dans une -cellule du monastère dont il était abbé, un ange lui apparut -sous la forme d’un naufragé et lui demanda l’aumône. -Grégoire lui fit donner six deniers d’argent ; mais, -quelques heures après, le naufragé revint, disant qu’il -avait beaucoup perdu et trop peu reçu. Grégoire lui fit de -nouveau donner six deniers d’argent ; et une troisième -fois le mendiant revint, sollicitant l’aumône avec plus d’insistance -que jamais ; alors l’économe du monastère dit à -Grégoire qu’on n’avait plus rien à donner, sinon une -écuelle d’argent dans laquelle la mère de Grégoire avait -coutume d’envoyer des légumes à son fils. Aussitôt -Grégoire fit donner cette écuelle au mendiant, qui la -<span class="pagenum" id="p167">-167-</span> reçut avec joie et disparut. Et ce mendiant était un ange -qui, comme nous le dirons plus loin, se révéla ensuite -lui-même à saint Grégoire.</p> - -<p>III. Certain jour, saint Grégoire, passant sur le marché, -vit de jeunes esclaves, d’une extrême beauté de forme -et de visage, qui étaient à vendre. Il demanda au marchand -d’où étaient ces jeunes gens. Le marchand répondit -qu’ils étaient de la Grande-Bretagne, et que tous les -habitants de ce pays avaient les mêmes cheveux blonds -et la même beauté de figure. Grégoire demanda s’ils -étaient chrétiens. Et, apprenant qu’ils étaient païens, il -s’écria : « Hélas, faut-il que d’aussi beaux visages appartiennent -encore au prince des ténèbres ! » Il demanda -comment s’appelait ce peuple, et le marchand lui dit -qu’on l’appelait le peuple « anglique ». Et le saint dit : -« Bien nommés sont-ils, ces Angliques, ou plutôt Angéliques, -car ils ont vraiment des visages d’anges ! » Alors -il se rendit auprès du Souverain Pontife et obtint de -lui, à grand’force de prières, d’être envoyé en Bretagne -pour convertir les Anglais. Mais à peine s’était-il mis -en route que les Romains, troublés de son départ, -dirent au pape : « En renvoyant Grégoire, tu as offensé -saint Pierre et détruit Rome ! » Si bien que le pape, -effrayé, ordonna que l’on courût à sa poursuite pour le -ramener. Et comme Grégoire, ayant déjà fait trois jours -de route, s’occupait à lire en certain lieu, et que ses -compagnons dormaient, une cigale survint qui le força à -se distraire de sa lecture et lui dit qu’il eût à rester dans -ce lieu. Aussitôt Grégoire exhorta ses compagnons à le -quitter au plus vite, et, reprenant sa lecture, il resta -immobile jusqu’à ce que les messagers du pape, l’ayant -rejoint, le forcèrent à rentrer avec eux. Il rentra donc à -Rome, bien malgré lui ; et le pape le fit sortir de son -monastère, et le nomma son cardinal-diacre.</p> - -<p>IV. Le Tibre, étant sorti de son lit, avait grossi d’une -façon si démesurée qu’il avait coulé jusque par-dessus -les murs de Rome, et avait renversé plusieurs maisons. -Puis, quand l’inondation avait pris fin, une foule de serpents, -dragons, et autres monstres, apportés par les flots -<span class="pagenum" id="p168">-168-</span> et laissés par eux, avaient corrompu l’air de leur pourriture, -et ainsi s’était produite une peste si meurtrière -que l’on croyait voir des flèches tombant du ciel et tuant -les Romains. La première victime de cette peste fut le -pape Pélage ; après quoi, le mal prit une telle extension -que, par la mort des habitants, il vida un très grand -nombre des maisons de Rome. Mais comme l’Eglise de -Dieu ne pouvait rester sans chef, le peuple entier élut -pour pape Grégoire, bien que celui-ci s’en défendît de -toutes ses forces. Le jour où il devait être consacré, -il parla au peuple, organisa une procession et des -litanies, et exhorta les fidèles à prier Dieu avec plus de -ferveur. Et pendant que le peuple, rassemblé autour de -lui, priait, la peste fit périr, en moins d’une heure, quatre-vingt-dix -personnes, parmi les auditeurs ; mais Grégoire -n’en continua pas moins à prêcher, exhortant le -peuple à ne se relâcher de sa prière que quand la peste -aurait disparu. Puis, la procession achevée, il voulut -s’enfuir de Rome, pour empêcher qu’on le consacrât -comme pape. Mais il ne le put, car les portes étaient -gardées jour et nuit afin qu’il ne pût sortir. Il obtint -enfin de certains marchands d’être transporté hors de la -ville dans un tonneau ; et, se réfugiant dans une caverne, -au fond des bois, il y resta caché pendant trois jours. -Mais les hommes envoyés à sa recherche aperçurent une -colonne lumineuse qui descendait du ciel jusque sur -l’endroit où il était caché ; et un moine reconnut, dans -cette colonne, des anges qui montaient et descendaient. -Aussitôt Grégoire fut pris et traîné à Rome par le peuple -tout entier, et consacré en qualité de souverain pontife.</p> - -<p>La peste continuant à sévir, il ordonna que, le jour de -Pâques, on promenât en procession, autour de la ville, -l’image de la sainte Vierge que possède l’église de -Sainte-Marie Majeure, et qui fut peinte, dit-on, par saint -Luc, aussi habile dans l’art de la peinture que dans -celui de la médecine. Et aussitôt l’image sacrée dissipa -l’infection de l’air, comme si la peste ne pouvait supporter -sa présence ; partout où passait l’image, l’air devenait -pur et vivifiant. Et l’on raconte que, autour de -<span class="pagenum" id="p169">-169-</span> l’image, la voix des anges se fit entendre, chantant : -« Reine des cieux, réjouis-toi, alléluia, car ton divin fils est -ressuscité, alléluia, comme il l’a dit, alléluia. » Et aussitôt -saint Grégoire ajouta : « Mère de Dieu, priez pour -nous, alléluia ! » Alors il vit, au-dessus de la forteresse -de Crescence, un grand ange qui essuyait et remettait -au fourreau un glaive ensanglanté ; et le saint comprit -que la peste était finie ; et en effet elle l’était. Et depuis -lors cette forteresse prit le nom de Fort-Saint-Ange. -Après quoi saint Grégoire, réalisant son ancien désir, -envoya en Angleterre Augustin, Mélitus, Jean, et -quelques autres prêtres, et convertit les Anglais, par leur -entremise, comme aussi par ses prières et par ses mérites.</p> - -<p>V. Telle était l’humilité de saint Grégoire, que jamais -il ne permettait qu’on fît son éloge. A l’évêque Etienne, -qui l’avait loué dans ses lettres, il répondait : « Vous -m’accablez d’éloges dans vos lettres, et cependant il est -écrit qu’on doit s’abstenir de louer un homme aussi longtemps -qu’il vit. » De même, dans une lettre à Anastase, -patriarche d’Antioche : « Les éloges que vous me -donnez m’embarrassent fort. Car je considère ce que je -suis, et j’ai conscience de ne rien avoir qui mérite de -telles éloges ; et, d’autre part, considérant ce que vous -êtes, je n’admets point que vous puissiez mentir. » Quant -aux appellations flatteuses, il les rejetait absolument. Il -écrivait à Euloge, patriarche d’Alexandrie, qui l’avait -appelé <i>pape universel</i> : « Je prie Votre Sainteté de ne -plus m’appeler de ce titre. Car ce n’est point un honneur -pour moi qu’un titre obtenu aux dépens de mes -frères ! » Et lorsque Jean, évêque de Constantinople, eut -obtenu par fraude du Synode le titre de pape universel, -saint Grégoire écrivit à son sujet : « Qui est celui qui, -contre les statuts évangéliques, contre les décrets canoniques, -ose s’affubler d’un titre nouveau ? » Il n’admettait -même point que les autres évêques le considérassent comme -leur donnant des ordres ; et il écrivait à Euloge : « Je -vous prie de ne plus employer, à mon endroit, l’expression -d’<i>ordres</i>, car je sais qui je suis et qui vous êtes : en -<span class="pagenum" id="p170">-170-</span> titre, vous êtes mes frères, en sainteté, vous êtes mes -pères ! » Dans l’excès de son humilité, il ne tolérait -point que les femmes se dissent ses servantes. Il écrivait -à la patricienne Rusticana : « Une chose m’a fâché, dans -votre lettre : c’est que, à plusieurs reprises, vous vous y -soyez appelée <i>ma servante</i>. Comment pouvez-vous vous -dire la servante d’un homme qui, en acceptant la charge de -l’épiscopat, est devenu le serviteur de tous ? » Le premier, -il se proclama « le serviteur des serviteurs de Dieu » ; et -il ordonna que ses successeurs porteraient le même titre. -Il ne voulut pas non plus, par humilité, publier ses -livres de son vivant ; et, en comparaison des livres des -autres, il tenait les siens pour dénués de toute valeur. -Il écrivait à Innocent, préfet d’Afrique : « Que vous -me demandiez communication de mes Commentaires sur -<i>Job</i>, cela fait honneur à votre application. Mais si vous -désirez vous nourrir d’un aliment délicieux, lisez plutôt -les ouvrages de votre compatriote saint Augustin, et, -pouvant jouir de cet or, ne vous occupez point de mon -misérable billon ! » On lit aussi, dans un livre traduit du -grec en latin, qu’un saint abbé nommé Jean, étant venu à -Rome pour voir les tombeaux des apôtres, rencontra le -pape Grégoire passant par la ville. Et Grégoire, voyant -qu’il voulait s’agenouiller devant lui, prit les devants, -s’agenouilla le premier devant l’abbé, et ne se releva -qu’après que l’abbé se fut relevé.</p> - -<p>VI. La charité de saint Grégoire égalait son humilité. -Il était si charitable qu’il pourvoyait aux besoins non -seulement des pauvres de Rome, mais aussi de pauvres -des pays les plus lointains. Il avait fait dresser une liste -de tous les indigents, et leur venait largement en aide. -Il envoyait des secours aux moines du mont Sinaï, entretenait -à ses frais un monastère fondé par lui à Jérusalem, -et offrait tous les ans quatre-vingts livres d’or dont vivaient -trois mille servantes de Dieu. Il recevait tous les jours à -sa table les pèlerins et autres étrangers, quels qu’ils -fussent. Et parmi ces hôtes il y en eut un qui, au moment -où saint Grégoire s’apprêtait à lui verser l’eau du lave-mains, -disparut sans qu’on sût par où il était passé. Et, -<span class="pagenum" id="p171">-171-</span> la nuit suivante, le Seigneur apparut à saint Grégoire, -et lui dit : « Les autres jours, tu me reçois dans la personne -des pauvres ; mais, hier, c’est ma propre personne -que tu as reçue. »</p> - -<p>Un autre jour, il avait demandé à son chancelier d’inviter -à sa table douze pèlerins. Et, pendant le repas, considérant -les convives, il vit qu’ils étaient treize, et le fit -remarquer à son chancelier. Mais celui-ci, après les -avoir comptés, lui dit : « Croyez-moi, Saint-Père, ils ne -sont que douze ! » Et Grégoire s’aperçut alors que l’un des -convives, assis non loin de lui, changeait constamment -de figure, ayant tantôt l’apparence d’un jeune homme, et -tantôt d’un vieillard. Quand le repas fut achevé, Grégoire -conduisit ce convive dans sa chambre et le supplia -de daigner lui dire son nom. Et le convive lui répondit : -« Eh bien, sache que je suis ce naufragé à qui tu as, jadis, -donné l’écuelle d’argent où ta mère avait l’habitude de -t’envoyer des légumes ! Et sache aussi que c’est depuis -le jour où tu m’as donné cette écuelle que le Seigneur -t’a destiné à devenir le chef de son Eglise et le successeur -de l’apôtre Pierre. » Et Grégoire : « Mais toi, comment -as-tu su que le Seigneur me destinait à ces fonctions ? » -Et l’inconnu : « Je l’ai su parce que je suis un ange, -chargé maintenant par le Seigneur de veiller sur toi. » -Et aussitôt il disparut.</p> - -<p>VII. Il y avait alors un ermite, homme d’une grande -vertu, qui avait tout abandonné pour se consacrer à -Dieu, et qui ne possédait rien qu’une chatte, qu’il s’amusait -parfois à caresser sur ses genoux. Cet ermite pria -Dieu de lui révéler en quelle compagnie il serait admis -dans la demeure céleste, en récompense de son renoncement. -Et Dieu lui révéla qu’il y serait admis en compagnie -de Grégoire, le pontife de Rome. Sur quoi l’ermite -fut désolé, se disant que sa pauvreté ne lui profiterait -guère, si elle ne suffisait pas pour le mettre au-dessus -d’un homme aussi riche en richesses mondaines. Mais -le Seigneur lui dit : « Le riche n’est pas celui qui possède -la richesse, mais celui qui la désire. Et tu ne saurais -comparer ta pauvreté à la richesse de Grégoire, car -<span class="pagenum" id="p172">-172-</span> tu prends plus de plaisir à caresser ta chatte que Grégoire -à posséder des biens qu’il méprise, et dont il ne se -sert que pour subvenir aux besoins de tous. » Et le -solitaire pria Dieu, depuis lors, de lui faire la grâce de -l’admettre aux récompenses réservées à saint Grégoire.</p> - -<p>VIII. Ayant été accusé devant l’empereur Maurice et ses -fils d’avoir causé la mort d’un évêque, Grégoire écrivit à -un familier de l’empereur une lettre où il disait : « Fais -entendre à mes maîtres que si moi, leur esclave, je voulais -me mêler de nuire aux Lombards, la race des Lombards -n’aurait plus aujourd’hui ni roi, ni chefs, et serait -dans la confusion. Mais je crains trop Dieu pour oser me -mêler de causer la mort de personne. » Admirable humilité : -car Grégoire, qui était souverain pontife, s’appelait -l’esclave de l’empereur, et appelait celui-ci son -maître ! Admirable innocence : car l’empereur lombard -Maurice persécutait Grégoire et l’Eglise de Dieu, et -Grégoire se refusait à causer la mort de ses pires ennemis ! -Il écrivait, entre autres choses, à Maurice : « Je suis -si plein de péchés que, sans doute, vous apaisez Dieu -d’autant plus que vous me persécutez davantage. » Mais -un jour l’empereur vit se dresser devant lui un inconnu -qui, vêtu en moine, brandissait devant lui une épée tirée -du fourreau, et lui prédisait la mort par l’épée. Aussitôt -Maurice, effrayé, cessa de persécuter Grégoire, et pria -Dieu de le punir plutôt dans cette vie que de réserver -son châtiment pour la vie à venir. Et aussitôt la voix -divine ordonna, dans une vision, que Maurice, sa femme, -ses fils et ses filles fussent livrés, pour être tués, au -soldat Phocas. Et ainsi fut fait : car, peu de temps -après, un soldat nommé Phocas tua l’empereur avec -toute sa famille, et lui succéda au trône impérial.</p> - -<p>IX. Un jour de Pâques, Grégoire, célébrant la messe -dans l’église de Sainte-Marie Majeure, venait de dire : -<i lang="la" xml:lang="la">Pax Domini !</i> Et voici qu’un ange lui répondit à haute -voix : <i lang="la" xml:lang="la">Et cum spiritu tuo !</i> C’est depuis lors que le pape, -au jour de Pâques, officie dans cette église, et, que, -lorsqu’il dit <i lang="la" xml:lang="la">Pax Domini</i>, personne des assistants n’a le -droit de lui répondre.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p173">-173-</span> X. Il y avait eu autrefois à Rome un empereur païen -nommé Trajan qui, quoique païen, avait montré une -grande bonté. On racontait que, un jour qu’il se hâtait de -partir pour une guerre, une veuve était venue le trouver, -toute en larmes, lui disant : « Je te supplie de venger le -sang de mon fils, tué injustement ! » Trajan lui avait -répondu que, s’il revenait vivant de la guerre, il vengerait -la mort du jeune homme. Mais la veuve : « Et si tu -meurs à la guerre, qui me fera justice ? » Et Trajan : -« Celui qui régnera après moi ! » Et la veuve : « Mais -toi, quel profit en auras-tu, si c’est un autre qui me fait -justice ? » Et Trajan : « Aucun profit ! » Et la veuve : « Ne -vaut-il pas mieux pour toi que tu me fasses justice toi-même, -de manière à t’assurer la récompense de ta bonne -action ? » Et Trajan, ému de pitié, était descendu de son -cheval, et s’était occupé de faire justice du meurtre de -l’innocent. On raconte aussi qu’un fils de Trajan, parcourant -à cheval les rues de la ville, avait tué le fils d’une -pauvre femme : sur quoi l’empereur avait donné son -propre fils comme esclave à la mère de la victime, et -avait magnifiquement doté cette femme.</p> - -<p>Or, comme un jour, Grégoire passait par le Forum -de Trajan, le souvenir lui revint de la justice et de la -bonté de ce vieil empereur : si bien que, en arrivant à la -basilique de Saint-Pierre, il pleura amèrement sur lui et -pria pour lui. Et voici qu’une voix d’en-haut lui répondit : -« Grégoire, j’ai accueilli ta demande et libéré Trajan -de la peine éternelle ; mais prends bien garde à -l’avenir de ne plus prier pour aucun damné ! » D’après -Damascène, la voix aurait simplement dit à Grégoire : -« J’exauce ta prière et je pardonne à Trajan. » Ce point est -absolument hors de doute, mais on ne s’accorde pas sur -les détails qui l’entourent. Les uns prétendent que Trajan -a été rappelé à la vie, de façon à pouvoir devenir chrétien -et obtenir ainsi son pardon. D’autres disent que l’âme de -Trajan ne fut pas absolument libérée du supplice éternel, -mais que sa peine fut simplement suspendue jusqu’au -jour du jugement dernier. D’autres encore soutiennent -que la punition de Trajan fut simplement adoucie, à la -<span class="pagenum" id="p174">-174-</span> demande de Grégoire. D’autres — comme le diacre Jean, -qui a compilé l’histoire du saint — affirment que celui-ci -n’a point prié pour Trajan, mais pleuré pour lui. -D’autres estiment que Trajan a été exempté de la peine -matérielle, qui consiste à être tourmenté en enfer, mais -qu’il n’a pas été exempté de la peine morale, qui consiste -à être privé de la vue de Dieu.</p> - -<p>Certains auteurs veulent aussi que la voix céleste, -après avoir accordé à Grégoire le pardon de Trajan, ait -ajouté : « Mais toi, pour avoir prié pour un damné, tu -dois être puni ! Choisis donc entre deux peines : ou bien -deux jours de souffrances en purgatoire après ta mort, ou -bien, pour tout le temps qui te reste à vivre, une vie de -souffrance et de maladie ! » Et le saint aurait choisi ce -dernier parti. Le fait est que, depuis lors, il ne cessa plus -d’être malade, tourmenté tantôt par la fièvre, tantôt par -la goutte, tantôt par des maux d’estomac intolérables. -Il écrit, dans une de ses lettres : « La goutte et d’autres -maladies me font tant souffrir que la vie me pèse, et que -j’aspire au remède que me sera la mort. »</p> - -<p>XI. Une femme qui, parfois, offrait du pain à l’église, -suivant l’usage des fidèles, se mit un jour à sourire en -entendant saint Grégoire s’écrier à l’autel, pendant la -consécration de l’hostie : « Que le corps de Notre-Seigneur -Jésus-Christ te profite dans la vie éternelle ! » Aussitôt -le saint détourna la main qui allait mettre l’hostie dans -la bouche de cette femme, et déposa la sainte hostie sur -l’autel. Puis, en présence de tout le peuple, il demanda à -la femme de quoi elle avait osé rire. Et la femme répondit : -« J’ai ri parce que tu appelais « corps de Dieu » un -pain que j’avais pétri de mes propres mains. » Alors -Grégoire se prosterna et pria Dieu pour l’incrédulité de -cette femme ; et, quand il se releva, il vit que l’hostie -déposée sur l’autel s’était changée en un morceau de -chair ayant la forme d’un doigt. Il montra alors cette -chair à la femme incrédule, qui revint à la foi. Et le saint -pria de nouveau, et la chair redevint du pain, et Grégoire -la donna en communion à la femme.</p> - -<p>XII. Certains princes ayant demandé au pape des -<span class="pagenum" id="p175">-175-</span> reliques précieuses, Grégoire leur donna un petit fragment -de la dalmatique de saint Jean l’Evangéliste. Or les -princes, tenant une telle relique pour indigne d’eux, là -rendirent dédaigneusement à saint Grégoire. Alors celui-ci, -après avoir prié, perça l’étoffe avec la pointe d’un -couteau ; et aussitôt un flot de sang en jaillit, attestant -ainsi miraculeusement le prix de la relique.</p> - -<p>XIII. Un riche Romain qui avait abandonné sa femme, -et que Grégoire avait puni de l’excommunication, voulut -se venger du pontife ; ne pouvant rien par lui-même contre -lui, il s’adressa à des magiciens qui lui promirent d’envoyer -un démon dans le corps du cheval de Grégoire, de -façon à faire périr celui-ci. Et voici que, au moment où -Grégoire montait sur son cheval, l’animal, possédé du -démon, se mit à ruer si fort que personne ne parvenait à -le retenir. Mais Grégoire vit aussitôt le caractère diabolique -de l’entreprise ; et, d’un seul signe de croix, il apaisa -la fureur du cheval, et rendit aveugles les magiciens, qui -vinrent confesser leur crime et furent ensuite admis à -la grâce du baptême. Grégoire refusa cependant de les -guérir de leur cécité, de peur qu’ils ne revinssent à leur -magie, mais il les fit nourrir, leur vie durant, aux frais de -l’Eglise.</p> - -<p>XIV. On lit encore, dans le livre que les Grecs appellent -<i>Lymon</i>, le trait que voici. L’abbé du monastère fondé par -saint Grégoire vint un jour dire au saint que l’un des -moines avait en sa possession trois pièces d’argent. Et -Grégoire, pour faire un exemple, excommunia ce moine. -Or, peu de temps après, le moine mourut, et Grégoire, en -apprenant sa mort, fut désolé de l’avoir laissé mourir -sans absolution. Il écrivit du moins, sur une feuille de -papier, un acte par lequel il absolvait le défunt de l’excommunication -prononcée contre lui ; et il chargea un de -ses diacres de placer ce papier sur la poitrine du moine. -Et, la nuit suivante, le moine apparut à son abbé et lui -dit que, depuis sa mort, il avait été tenu en prison, mais -qu’il venait enfin de recevoir sa grâce.</p> - -<p>XV. Saint Grégoire institua l’office et le chant ecclésiastiques, -ainsi qu’une école de chant. Et il fit élever, à cette -<span class="pagenum" id="p176">-176-</span> intention, deux maisons : l’une proche la basilique de -Saint-Pierre, l’autre proche l’église de Latran. On montre -aujourd’hui encore, dans l’une de ces maisons, le lit sur -lequel il s’étendait pour composer ses chants, le fouet -dont il menaçait les élèves de l’école, ainsi qu’un antiphonaire -écrit de sa main. C’est aussi lui qui ajouta au -canon de la messe les paroles suivantes : « Et nous te -prions de maintenir nos jours dans ta paix, de nous -sauver de la damnation éternelle, et de nous admettre -dans le troupeau de tes élus ! »</p> - -<p>Enfin saint Grégoire, après avoir siégé sur le trône -de saint Pierre pendant treize ans, six mois, et dix -jours, s’endormit dans le Seigneur, tout plein de bonnes -œuvres. Sa mort eut lieu en l’an 604, sous le règne de -Phocas.</p> - -<p>XVI. Après sa mort, Rome et toute la région furent -envahies par la famine ; et les pauvres, que Grégoire avait -coutume de nourrir généreusement, venaient trouver -son successeur et lui disaient : « Seigneur, notre père -Grégoire avait coutume de nous nourrir, que Ta Sainteté -ne nous laisse pas mourir de faim ! » Mais ces paroles irritaient -le pape, qui répondait : « Grégoire a toujours eu en -vue la popularité et y a tout sacrifié ; mais nous, nous -ne pouvons rien pour vous ! » Sur quoi il renvoyait les -pauvres sans les secourir. Alors saint Grégoire lui -apparut trois fois, et le gronda doucement de sa dureté -comme de son injustice. Mais le pape ne prit aucun -soin de s’amender. La quatrième fois, Grégoire lui -apparut avec un visage terrible et le frappa à la tête : et -le pape mourut peu de temps après.</p> - -<p>Pendant que la même famine durait encore, quelques -envieux commencèrent à déprécier saint Grégoire, affirmant -qu’il avait gaspillé, en prodigue, tout le trésor de -l’Eglise. Et, pour s’en venger sur sa mémoire, ils engagèrent -le clergé à brûler les écrits du saint. On en brûla -effectivement un certain nombre ; et l’on s’apprêtait à -brûler le reste, lorsque le diacre Pierre, qui avait été le -familier du saint, et à qui celui-ci avait dicté les quatre -livres de ses <i>Dialogues</i>, s’opposa vivement à cette destruction. -<span class="pagenum" id="p177">-177-</span> Il dit d’abord qu’elle ne pouvait servir à rien, les -écrits du saint s’étant répandus dans toutes les parties -du monde. Et il ajouta que c’était un horrible sacrilège -de détruire l’œuvre d’un homme sur la tête duquel il -avait vu si souvent descendre l’Esprit-Saint sous la forme -d’une colombe. Et le diacre dit que, pour attester la -vérité de cette affirmation, il était prêt à mourir aussitôt ; -et il déclara que, s’il n’obtenait point la mort qu’il demandait, -il consentirait à ce que les livres de son maître -fussent détruits. Car saint Grégoire lui avait dit que, -si jamais il révélait le miracle de la sainte colombe, il -mourrait sur-le-champ. Après quoi le vénérable Pierre -revêtit son costume solennel de diacre, et jura, sur les -saints Evangiles, la vérité de ce qu’il avait affirmé ; et, au -moment où il achevait son serment, son âme s’envola au -ciel sans éprouver les douleurs de la mort.</p> - -<p>XVII. Un moine du monastère de saint Grégoire avait -amassé une somme d’argent. Alors le saint apparut en -rêve à un autre moine et lui dit de signifier à son compagnon -qu’il eût à distribuer son pécule et à faire pénitence, -faute de quoi il mourrait le troisième jour. Ce -qu’entendant, le moine, épouvanté, fit pénitence et distribua -son pécule. Mais il n’en fut pas moins saisi d’une -fièvre si forte que, pendant trois jours, il parut sur le point -de rendre l’âme. Ses frères, l’entourant, chantaient des -psaumes, jusqu’à ce que, le troisième jour, s’interrompant -de chanter, ils se mirent à l’accabler de reproches. Mais -voici que soudain le moine, revivant, et rouvrant les yeux -avec un sourire, leur dit : « Que le Seigneur vous pardonne, -mes frères, de m’avoir si durement jugé ! Et si désormais -vous voyez quelqu’un en train de mourir, puissiez-vous -lui accorder non des reproches, mais votre compassion ! -Sachez donc que je viens de passer en jugement, avec un -diable pour accusateur, et que, avec l’aide de saint Grégoire, -j’ai bien répondu à toutes les objections de l’ennemi, -sauf à une seule, que j’ai dû reconnaître pour fondée -et à cause de laquelle j’ai subi ces trois jours de tortures. -Puis il s’écria : « O André, André, tu périras dès cette -année, toi qui, par tes mauvais conseils, m’as exposé à -<span class="pagenum" id="p178">-178-</span> un tel danger ! » Et là-dessus le moine mourut. Or il y -avait à Rome un certain André qui, à l’instant même où -le moine le nomma ainsi par son nom, fut atteint d’un -mal épouvantable, mais sans parvenir à mourir malgré -ses souffrances. Et ce malheureux ayant appelé près de -lui les moines du monastère, leur avoua que, sur son -conseil, le moine défunt avait volé quelques-uns des -manuscrits de la bibliothèque et les avait vendus à des -étrangers. Et à peine eut-il achevé cette confession qu’il -ferma les yeux et rendit l’âme.</p> - -<p>XVIII. En un temps où l’office ambrosien était encore -employé dans les églises plus volontiers que l’office grégorien, -le pape Adrien réunit un concile qui décida que -l’office grégorien devait seul être universellement -observé. Et, conformément à cette décision, l’empereur -Charlemagne obligeait, par des menaces et des -supplices le clergé de toutes ses provinces à employer -l’office grégorien, brûlait les livres de l’office -ambrosien, et mettait en prison bon nombre de prêtres -qui voulaient rester fidèles à cet office. Alors l’évêque -saint Eugène conseilla au pape de rappeler le concile ; -et ce nouveau concile décida que le missel ambrosien -et le missel grégorien seraient placés, côte à côte, -sur l’autel de Saint-Pierre, que les portes de l’église -seraient fermées et cachetées du sceau des évêques et du -concile ; et que ceux-ci, toute la nuit, prieraient Dieu de -leur révéler, par quelque signe, lequel des deux offices -devait être employé de préférence dans les églises. Et, -tout cela ayant été fait, lorsqu’on rouvrit les portes de -l’église, le lendemain matin, les deux missels qu’on -avait laissés fermés furent trouvés tous deux également -ouverts. Mais une autre version veut que le missel grégorien -ait été miraculeusement divisé, et qu’on ait trouvé -ses pages éparses sur l’autel, tandis que le missel ambrosien -était ouvert, mais restait à la place où on l’avait -mis : ce qui fut considéré comme un signe pour faire -entendre que l’office grégorien devait se répandre à travers -le monde, tandis que l’ambrosien devait continuer -à être employé dans l’église de Saint-Ambroise. Et, en -<span class="pagenum" id="p179">-179-</span> effet, c’est là ce que décidèrent les Pères du concile et -qui est en usage aujourd’hui encore.</p> - -<p>XIX. Le diacre Jean, qui a compilé la vie de saint Grégoire, -raconte ceci. Un jour, pendant qu’il était occupé -à son travail, un inconnu se montra devant lui, portant -les signes sacerdotaux, et vêtu d’un manteau blanc -si transparent qu’on voyait, par-dessous, le noir de la tunique. -Cet inconnu s’approcha du diacre et éclata de -rire. Et comme Jean lui demandait ce qui pouvait faire -rire de la sorte un personnage aussi grave, il lui répondit : -« C’est de te voir écrivant l’histoire de morts que -tu n’as jamais connus de leur vivant ! » Et Jean lui dit : -« Je n’ai pas connu personnellement saint Grégoire, c’est -vrai, mais j’écris sur lui ce que l’on m’en a rapporté. » -Et l’étranger : « Au reste, peu m’importe ce que tu fais ; -mais moi, je ne cesserai pas de faire ce que je puis ! » Et, -là-dessus, le voici qui éteint la lampe à la lumière de -laquelle écrivait le diacre, et qui lui donne un coup si -fort que le pauvre diacre s’imagine être tué. Alors se -présente à lui saint Grégoire, ayant à sa droite saint -Nicolas, à sa gauche le diacre Pierre ; et il lui dit : -« Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Et -comme l’inconnu se cachait sous le lit, Grégoire prend -des mains de Pierre une grande torche et brûle le visage -de cet inconnu au point de le rendre noir, comme un -Ethiopien. Une étincelle tombe alors sur le manteau -blanc et le consume ; et cet inconnu, qui n’est autre que -le diable, apparaît noir comme de la suie. Et le diacre -Pierre dit à saint Grégoire : « En vérité nous l’avons bien -noirci ! » Et Grégoire : « Ce n’est pas nous qui l’avons -noirci, nous l’avons simplement fait paraître tel qu’il -était ! » Sur quoi ils s’envolent, laissant dans la cellule -de Jean un grande lumière.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p180">-180-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c47">XLVII<br /> -SAINT LONGIN, <span class="small">MARTYR<br /> -(15 mars)</span></h2> - - -<p>Longin était le centurion qui avait été chargé par -Pilate d’assister, avec ses soldats, à la crucifixion du Seigneur, -et qui avait percé de sa lance le flanc divin. Il -se convertit à la foi en voyant les signes qui suivirent la -mort de Jésus, c’est-à-dire l’éclipse du soleil et le tremblement -de terre. Mais on dit que ce qui contribua surtout -à le convertir fut que, souffrant d’un mal d’yeux, il -toucha par hasard ses yeux avec une goutte du sang du -Christ, qui découlait le long de sa lance, et recouvra -aussitôt la santé. Il renonça au service militaire, se fit -instruire par les apôtres, et, pendant vingt-huit ans, -mena la vie monastique à Césarée de Cappadoce, faisant -de nombreuses conversions par sa parole et son exemple.</p> - -<p>Il fut amené devant le gouverneur de la province, qui, -sur son refus de sacrifier aux idoles, lui fit arracher -toutes les dents et couper la langue. Mais Longin ne -perdit point, pour cela, le don de la parole. Saisissant -une hache, il se mit à briser toutes les idoles, en disant : -« Si ce sont des dieux, qu’ils le fassent voir ! » Et de -toutes les idoles sortirent des démons, qui entrèrent -dans le corps du gouverneur et de ses compagnons. Et -Longin dit à ces démons : « Pourquoi habitez-vous dans -les idoles ? » Ils répondirent : « Nous nous logeons partout -où n’est pas invoqué le nom du Christ et où ne -figure pas le signe de la croix ! » Cependant le gouverneur -avait perdu la vue. Et Longin lui dit : « Sache, -mon pauvre ami, que tu ne pourras être guéri qu’après -m’avoir tué ! Mais aussitôt que tu m’auras tué je prierai -pour toi, et obtiendrai la guérison de ton corps et de ton -âme ! » Le gouverneur lui fit donc trancher la tête ; après -quoi, se prosternant devant son cadavre, il pleura et fit -pénitence ; et aussitôt il recouvra la vue et la santé ; et il -acheva sa vie dans les bonnes œuvres.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p181">-181-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c48">XLVIII<br /> -SAINT PATRICE, <span class="small">ÉVÊQUE ET CONFESSEUR<br /> -(17 mars)</span></h2> - - -<p>I. Saint Patrice vivait vers l’an du Seigneur 280. Un -jour, pendant qu’il prêchait la Passion du Christ au roi -d’Ecosse, il transperça par accident le pied de ce roi -avec la pointe du bourdon sur lequel il s’appuyait. Et le -roi se laissa faire et souffrit sans se plaindre, s’imaginant -que le saint évêque l’avait blessé à dessein, et que, -pour être admis à la foi du Christ, on avait d’abord à -subir des souffrances pareilles à celles qu’avait subies le -Christ. Et quand le saint comprit la pieuse erreur du -roi, il en fut émerveillé. Il le guérit par ses prières et obtint, -en outre, pour tout son royaume, que nul animal -venimeux ne pût y nuire. On dit même que, grâce à -saint Patrice, l’écorce du bois, en Ecosse, a le pouvoir -de guérir les venins.</p> - -<p>II. Certain homme avait volé à son voisin un mouton -et l’avait mangé. Saint Patrice exhorta à plusieurs reprises -le voleur, quel qu’il fût, à avouer son vol et à -faire pénitence ; et comme personne ne se déclarait, il -ordonna un jour, au nom de Jésus, en pleine église, que, -dans le ventre du voleur, le mouton dérobé se fît connaître -en bêlant. Et aussitôt le mouton se mit à bêler dans le -ventre du voleur, qui avoua sa faute et fit pénitence. Et -les autres habitants s’abstinrent désormais de voler.</p> - -<p>III. Saint Patrice avait coutume de saluer pieusement -toutes les croix qu’il rencontrait. Mais, un jour, il passa -devant une grande et belle croix sans la voir. Ses compagnons -le lui ayant fait observer, une voix sortit de -terre et lui dit : « Si tu n’as pas vu cette croix, c’est que -l’homme qui est enterré sous elle est un païen, et indigne -de l’emblème sacré ! » Et saint Patrice fit enlever -la croix, qu’on avait mise là par erreur.</p> - -<p>IV. Prêchant en Irlande, et n’obtenant que peu de fruit -<span class="pagenum" id="p182">-182-</span> de sa prédication, saint Patrice pria Dieu de se révéler -aux Irlandais par quelque signe qui les effrayât et les -amenât à faire pénitence. Alors, sur l’ordre de Dieu, il -dessina un grand cercle avec son bâton, et aussitôt la -terre s’ouvrit dans ce cercle, et un puits très profond -apparut. Et saint Patrice apprit, par révélation, que ce -puits conduisait à un purgatoire, et que ceux qui voudraient -y descendre y expieraient leurs péchés et seraient -dispensés de tout purgatoire après leur mort, -mais que la plupart de ceux qui y entreraient n’en pourraient -plus jamais sortir. Et quelques-uns entrèrent -dans le puits, mais, en effet, ils ne revinrent plus.</p> - -<p>Or, longtemps après la mort de saint Patrice, un noble -nommé Nicolas, qui avait commis beaucoup de péchés, -consentit à faire pénitence en entrant dans le purgatoire -du saint. Après s’être préparé pendant quinze jours par -le jeûne et la prière, il se fit ouvrir l’accès du puits, et -se trouva dans un oratoire où des moines, vêtus de blanc -et occupés à officier, lui dirent de s’armer de constance, car -il aurait à subir, de la part du diable, de nombreuses -tentations. Mais ils ajoutèrent que, au moment où il -commencerait à souffrir, il ne devait pas manquer de -s’écrier : « Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, aie pitié de -moi malgré mes péchés ! » Puis ces moines disparurent, -et Nicolas se trouva entouré de démons qui, d’abord, -essayèrent, par de douces promesses, de l’engager à leur -obéir. Puis, sur son refus, il entendit des rugissements -de bêtes féroces, et ce fut comme si tous les éléments -se fussent bouleversés. Alors, tremblant d’épouvante, -il s’écria : « Jésus-Christ, fils du Dieu vivant, aie pitié -de moi malgré mes péchés ! » Et aussitôt le tumulte -s’apaisa. Nicolas fut ensuite conduit dans un autre lieu -où une foule de démons l’entourèrent et lui dirent : « Te -figures-tu que tu puisses nous échapper ? Non, certes, et -c’est à présent que nous allons commencer à te tourmenter ! » -Sur quoi il se trouva devant un grand feu et les -démons lui dirent : « Si tu ne cèdes pas, nous te jetterons -dans ce feu ! » Et en effet ils le saisirent et le jetèrent dans -le feu. Mais lui, dès qu’il sentit la flamme, il invoqua Jésus-Christ, -<span class="pagenum" id="p183">-183-</span> et aussitôt le feu s’éteignit. Il fut ensuite conduit -dans un autre lieu, où il vit des hommes, qu’on brûlait -vifs, d’autres qu’on écrasait sur des pointes de fer rouge, -d’autres qui, étendus à plat ventre, mordaient la terre -en demandant grâce, pendant que des démons les rouaient -de coups. A d’autres, des serpents dévoraient les membres ; -à d’autres, des monstres arrachaient les entrailles avec -des pointes de fer rouge. Et comme Nicolas refusait -toujours d’obéir aux diables, ceux-ci se préparèrent à -lui faire subir ces divers tourments. Mais, de nouveau, il -invoqua Jésus, et fut délivré de ces tourments, il fut -ensuite transporté dans un autre lieu où il vit des -hommes qu’on enfermait dans une glacière, et où se -trouvait une grande roue, portant des hommes accrochés -à chacun de ses rayons ; et cette roue tournait si vite -qu’elle semblait former un cercle de feu. Il vit aussi une -grande maison contenant des fosses pleines de métal -en fusion ; et dans ces fosses des hommes plongeaient -qui un pied, qui les deux pieds, qui le corps -jusqu’aux genoux, qui le corps jusqu’au ventre, qui le -corps jusqu’à la poitrine, qui le corps jusqu’au cou, qui -le corps jusqu’aux yeux ; et Nicolas traversait tous ces -lieux en invoquant Jésus-Christ. Il vit, plus loin, un énorme -trou d’où s’échappaient une fumée affreuse et une puanteur -intolérable ; et des hommes s’efforçaient d’en sortir, mais -les démons les y replongeaient. Et les démons dirent à -Nicolas : « Ce lieu que tu vois, c’est le cercle de l’enfer -qu’habite notre Seigneur Belzébuth. Et si tu refuses de -nous obéir, nous te jetterons dans ce trou ; et quand tu y -seras entré, jamais plus tu ne pourras en sortir ! » Nicolas -resta inflexible ; et les démons le jetèrent dans le trou, et -la souffrance qu’il ressentit fut si vive qu’il oublia presque -d’invoquer le nom du Seigneur. Il finit cependant par -s’écrier, — de cœur, n’ayant plus de voix : « Jésus-Christ, -etc. » Et aussitôt il sortit du trou, et toute la -foule des démons s’évanouit. Il fut ensuite conduit dans -un lieu où il avait à passer sur un pont très étroit, et -poli comme une glace, et sous lequel coulait un grand -fleuve de soufre et de feu. Déjà il désespérait de pouvoir -<span class="pagenum" id="p184">-184-</span> franchir ce pont, lorsqu’il se rappela la prière qui, -bien souvent déjà, l’avait sauvé du danger. Et, posant -avec confiance son pied sur le pont, il s’écria : « Jésus-Christ, -aie pitié, etc. » Alors s’éleva une clameur si épouvantable -que c’est à grand’peine que Nicolas s’empêcha -de tomber ; mais de nouveau il invoqua Jésus, et il répéta -l’invocation à chaque pas qu’il fit sur le pont, et ainsi -il put traverser ce pont jusqu’au bout. Et quand il l’eut -traversé, il se trouva dans une prairie d’une douceur -merveilleuse, où s’épanouissaient mille variétés de fleurs -admirables. Et deux beaux jeunes gens vinrent à sa -rencontre et le conduisirent devant la porte d’une ville -toute resplendissante d’or et de pierreries ; et de la porte -de cette ville se dégageait un parfum si plaisant que -Nicolas oublia, en le respirant, toutes les terreurs et -toutes les souffrances où il venait d’échapper. Et les -deux jeunes gens lui dirent que cette ville était le paradis. -Mais comme Nicolas voulait y entrer, les deux jeunes -gens lui dirent qu’il eût d’abord à rejoindre les siens sur -la terre, en repassant par où il avait passé ; mais que, -cette fois, les démons ne lui feraient plus aucun mal, et -s’enfuiraient, épouvantés, à sa vue. Et les jeunes gens -ajoutèrent que, trente jours après, Nicolas pourrait s’endormir -dans le Seigneur, et devenir à jamais citoyen de -la ville céleste. Alors Nicolas remonta sur la terre, à -l’endroit d’où il était parti. Il fit part à tous de ce qui -lui était arrivé ; et, trente jours après, il s’endormit heureusement -dans le Seigneur.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c49">XLIX<br /> -SAINT BENOIT, <span class="small">ABBÉ<br /> -(21 mars)</span></h2> - - -<p>La vie de saint Benoît a été écrite par saint Grégoire.</p> - -<p>I. Benoît était originaire de la province de Nursie, mais -<span class="pagenum" id="p185">-185-</span> ses parents l’avaient conduit, tout enfant encore, à Rome, -afin qu’il s’y livrât aux études libérales. Et lui, dès l’enfance, -il renonça à ces études et s’enfuit de Rome, pour -aller vivre au désert. Sa nourrice, qui l’aimait tendrement, -le suivit jusqu’à un certain lieu appelé Œside. Là, -voulant cuire du pain, elle emprunta un crible pour passer -le froment ; et, comme elle avait mis ce crible sur la table, -elle le fit tomber par mégarde, de telle sorte qu’il se brisa -en deux. Alors Benoît, la voyant pleurer, prit les deux -moitiés, fit une prière sur elles, et obtint qu’elles se -rejoignissent sans trace de fracture. Puis, fuyant sa -nourrice, il se réfugia dans une caverne où, pendant -trois ans, il vécut ignoré de tous les hommes à l’exception -d’un moine nommé Romain, qui pourvoyait à son -entretien. La caverne où se trouvait Benoît étant d’un -accès difficile, ce Romain attachait un pain à une longue -corde, et le lançait ainsi à Benoît du haut de la montagne. -Et il avait attaché à la corde une clochette dont le -son avertissait le jeune ermite d’avoir à sortir pour -prendre le pain. Or le vieil ennemi des hommes, voyant -cela, brisa la clochette, de manière à ce que Benoît ne -fût plus averti de l’arrivée de son pain. Et voilà que certain -prêtre, qui se préparait à fêter le jour de Pâques, -vit apparaître le Seigneur, qui lui dit : « Tu t’apprêtes là -à un festin, et, au même moment, dans une caverne de la -montagne, mon serviteur souffre de la faim ! » Aussitôt -le prêtre se leva ; et, quand il eut enfin trouvé la retraite -de Benoît, il lui dit : « Lève-toi et mangeons ensemble -le repas que j’apporte, car c’est aujourd’hui la fête de -Pâques ! » Et Benoît lui dit : « Oui, c’est une vraie fête, -puisque j’ai le bonheur de te voir ! » Car, dans son isolement, -il ne savait pas que c’était en effet le jour de -Pâques. Et le prêtre lui dit : « Sache que c’est aujourd’hui -vraiment le jour de la Résurrection, et que le Seigneur -lui-même m’envoie vers toi pour te relever de ton -abstinence ! » Après quoi, ayant béni Dieu, ils mangèrent -ensemble.</p> - -<p>Un autre jour, un merle noir se mit à voler avec -insistance tout contre le visage de Benoît ; mais celui-ci -<span class="pagenum" id="p186">-186-</span> fit un signe de croix, et aussitôt l’oiseau disparut. Un -autre jour encore, le diable lui remit devant les yeux -l’image d’une femme qu’il avait vue jadis, et alluma dans -sa chair une telle convoitise que peu s’en fallut que -Benoît, vaincu par la volupté, n’abandonnât sa solitude. -Mais soudain, revenant à lui, il se mit à nu, se roula -dans les épines et les ronces qui entouraient sa cellule, -se déchira tout le corps, et fit sortir la plaie de son âme -par les plaies de sa peau ; et ainsi il vainquit le péché. -Et, depuis ce temps, jamais plus il ne connut la tentation -charnelle.</p> - -<p>Cependant sa renommée se répandait aux alentours. -Et lorsque mourut l’abbé d’un monastère voisin, tous les -moines vinrent le trouver pour le prier de se mettre à -leur tête. Longtemps Benoît refusa, leur disant qu’il -n’était point le chef qui leur convenait, vu leurs mœurs. -Mais il finit par consentir. Et, comme il appliquait la -règle avec une grande rigueur, les moines se reprochèrent -de l’avoir pris pour abbé. Un jour donc ils -mêlèrent du poison à son vin, et le lui offrirent au moment -où il allait se coucher. Mais Benoît fit le signe de la croix, -et aussitôt le vase de verre se brisa, comme cassé par une -pierre. Et Benoît, comprenant que ce vase contenait un -breuvage de mort, puisqu’il n’avait pu supporter le signe -de la vie, se leva, avec un sourire tranquille, et dit : « Que -Dieu tout-puissant vous pardonne, mes frères ! Mais -ne vous l’avais-je pas dit, que vos mœurs et les miennes -ne se convenaient pas ? » Et là-dessus il s’en retourna dans -sa caverne, où sa sainteté s’affirma par de nombreux -miracles. Les fidèles venaient à lui en si grande foule -qu’il fonda douze monastères.</p> - -<p>Dans un de ces monastères se trouvait un moine qui, -pendant que ses frères priaient, sortait de la chapelle -pour se livrer à des occupations temporelles. Informé -de cette conduite par l’abbé du monastère, Benoît vit -que ce moine, à la chapelle, était entraîné dehors par un -petit nain noir, qui le tirait par le pan de sa robe. Et il -dit à l’abbé et à un moine nommé Maur : « Ne voyez-vous -pas cet homme qui l’entraîne ? » Ils répondirent : « Non ! » -<span class="pagenum" id="p187">-187-</span> Et il leur dit : « Prions, afin que, vous aussi, vous le -voyiez ! » Et ils prièrent, et alors saint Maur vit le nain, -mais l’abbé ne put le voir. Le lendemain, Benoît rencontra -hors de la chapelle le moine entraîné par le diable ; -il le frappa de son bâton ; et, depuis lors, ce moine ne -manqua plus aux offices, comme si, de son coup de -bâton, Benoît avait assommé le diable qui l’entraînait.</p> - -<p>Trois des monastères étaient placés sur une montagne -escarpée ; et les moines, qui avaient à descendre jusqu’en -bas pour puiser de l’eau, suppliaient Benoît de transporter -ailleurs leurs monastères. Or, une nuit, Benoît gravit la -montagne avec un jeune frère, pria longtemps, et posa -trois pierres en un certain lieu. Et le lendemain il dit -aux moines : « Allez à l’endroit où vous trouverez trois -pierres, et, là, creusez le sol ! » Ils y allèrent, virent que -l’eau suintait déjà du rocher, creusèrent une fosse ; et -aussitôt celle-ci se remplit d’eau ; et aujourd’hui encore -l’eau en jaillit en telle abondance qu’elle descend jusqu’au -bas de la montagne.</p> - -<p>Un jour, un homme fauchait les ronces près du monastère, -lorsque le fer de sa faux se détacha du manche et -tomba dans un abîme sans fond, ce dont l’homme s’affligea -fort. Mais saint Benoît mit le manche de la faux dans -le creux de la fontaine, et bientôt le fer, sortant du rocher, -nagea jusqu’au manche. Une autre fois, le jeune -moine Placide, pendant qu’il puisait de l’eau, tomba dans -le torrent, et, en un clin d’œil, roula jusqu’au bas de la -montagne. Saint Benoît, dans sa cellule, en eut aussitôt la -vision, et appelant le moine Maur, lui ordonna d’aller chercher -Placide. Saint Maur, après avoir reçu la bénédiction -de saint Benoît, se plongea dans le torrent, avec l’impression -de marcher sur la terre ferme. Il rejoignit Placide, -le retira de l’eau par les cheveux, et vint en rendre -compte à saint Benoît, qui en attribua tout le mérite à -l’obéissance de saint Maur.</p> - -<p>Un prêtre, nommé Florent, jaloux du saint, empoisonna -un pain et le lui envoya comme un présent. Le saint -accepta l’envoi avec reconnaissance et dit à un corbeau -qu’il avait l’habitude de nourrir : « Au nom de Jésus-Christ, -<span class="pagenum" id="p188">-188-</span> prends ce pain et va le jeter en un endroit où -aucun homme ne puisse y toucher ! » Alors le corbeau -se mit à voler autour du pain avec le bec ouvert et les -ailes déployées, comme expliquant qu’il aurait voulu -obéir, et ne le pouvait pas. Et le saint lui disait : -« Prends, ne crains rien, et fais ce que je te dis ! » Enfin -le corbeau prit le pain et s’envola ; et il revint sain et -sauf au bout de trois jours. Sur quoi Florent, voyant -qu’il ne pouvait tuer le corps du maître, entreprit de -faire périr l’âme de ses disciples. Il amena dans le -jardin du monastère sept jeunes femmes nues qui -chantaient et dansaient, pour engager les moines à la -volupté. Ce que voyant de la fenêtre de sa cellule, Benoît -craignit pour ses disciples, et, prenant avec lui quelques-uns -d’entre eux, s’en alla demeurer ailleurs. Mais au moment -où Florent, debout sur le seuil, se réjouissait de -le voir partir, il fit un faux pas et se tua sur le coup. -Alors Maur, courant vers saint Benoît, lui cria avec enthousiasme : -« Reviens, car l’homme qui te persécutait -vient de mourir ! » Mais, en l’entendant, Benoît soupira, -désolé à la fois de la mort de son ennemi et de ce que son -disciple préféré se fût réjoui de cette mort. Il infligea au -moine une pénitence, et poursuivit son chemin.</p> - -<p>Mais, en changeant de séjour, il ne changea point d’adversaire. -Arrivé au mont Cassin, il transforma en une -église, dédiée à saint Jean-Baptiste, un temple d’Apollon -qui se trouvait là ; et il convertit à la foi les habitants -du voisinage. Mais le vieil ennemi lui apparaissait tous -les jours sous les formes les plus terribles, et, lançant -des flammes par les yeux, lui disait : « Béni ! Béni ! » Et -comme le saint ne répondait rien, le diable reprenait : -« Maudit, maudit, et non Béni, pourquoi t’acharnes-tu à -me persécuter ? » Un autre jour, les frères voulant soulever -une pierre pour bâtir l’église, découvrirent que la pierre -était si lourde qu’on ne pouvait la soulever. Alors saint -Benoît fit le signe de la croix, et aussitôt il souleva la -pierre avec une extrême facilité, ce qui prouva que c’était -le diable qui avait pesé sur elle. Une autre fois, le diable -apparut à saint Benoît et l’informa qu’il se rendait auprès -<span class="pagenum" id="p189">-189-</span> des frères occupés à construire l’église. Aussitôt Benoît -envoya à ceux-ci un novice pour leur dire : « Frères, -soyez prudents, car le méchant esprit est près de vous ! » -Et à peine le messager leur avait-il dit ces paroles, que -le diable fit tomber un pan de mur, qui écrasa sous sa -chute le pauvre novice. Mais saint Benoît se fit apporter -le mort, tout meurtri, dans un sac, et, ayant prié sur lui, -le ressuscita.</p> - -<p>Un laïc pieux venait tous les ans voir saint Benoît ; -et il avait coutume de faire la route à jeun, par manière -de mortification. Or, un jour, un voyageur inconnu se joignit -à lui ; et, comme l’heure s’avançait, cet inconnu -montra au pèlerin des provisions qu’il portait, et lui dit -« Frère, restaurons-nous, pour ne pas être trop fatigués ! » -Deux fois l’étranger fit cette offre au pèlerin, qui -persista dans son abstinence. Mais une troisième fois, -comme on s’était assis dans une belle prairie auprès -d’une source, le pèlerin, exténué, finit par se laisser tenter. -Et Benoît, dès qu’il le vit entrer chez lui, lui dit : -« Hé bien, mon frère, le méchant ennemi a échoué deux -fois à te persuader, mais la troisième fois il y a réussi ! » -Et le pèlerin, tout honteux, se jeta aux pieds du saint.</p> - -<p>Totila, roi des Goths, voulut savoir si saint Benoît -avait vraiment le don de vision. Il imagina donc d’envoyer -au saint, avec une grande pompe, un de ses -écuyers, revêtu du manteau royal. Et le saint, en l’apercevant, -lui cria : « Mon fils, ôte tout ce que tu portes là -sur toi, car cela ne t’appartient pas ! » Et l’écuyer se -dévêtit aussitôt de son appareil royal, épouvanté d’avoir -osé tendre un piège à un tel homme.</p> - -<p>Un clerc qui était possédé du démon fut amené à -saint Benoît, qui le guérit et lui dit : « Va, mais garde toi -de manger de la viande et aussi d’entrer dans les -saints ordres ; car le jour où tu entreras dans les ordres, -le diable reprendra ses droits sur toi. » Et le clerc suivit -longtemps cette recommandation ; mais un jour, dépité -de voir promus aux ordres sacrés des clercs plus jeunes -et moins dignes que lui, il oublia l’avis de saint Benoît -et reçut les ordres ; et aussitôt le diable recommença à -<span class="pagenum" id="p190">-190-</span> le tourmenter et ne le lâcha plus qu’il n’eût causé sa -mort.</p> - -<p>Un homme envoya à saint Benoît deux flacons de -vin ; mais l’enfant qui les portait en cacha un sur la -route, et ne donna que l’autre au saint. Celui-ci reçut le -flacon avec reconnaissance, et, au moment où l’enfant -repartait, il lui dit : « Mon fils, garde-toi de boire du flacon -que tu as caché, mais penche-le avec précaution et -tu verras ce qu’il contient ! » L’enfant, confus, s’enfuit au -plus vite, et, arrivé auprès du flacon, le pencha avec précaution ; -et il en vit sortir un affreux serpent.</p> - -<p>Un soir, comme saint Benoît mangeait son souper, un -moine, qui était fils d’un sénateur, fut chargé de le servir -et de lui tenir la lumière. Et ce jeune homme se dit : -« Qui est cet homme, pour que je le serve à table et lui -tienne la lumière ? » Et aussitôt le saint lui dit : « Sonde -ton cœur, mon fils, sonde ton cœur ! » Puis, appelant -ses frères, il fit enlever la lampe des mains du jeune -moine et ordonna à celui-ci de s’enfermer dans sa cellule.</p> - -<p>Un certain Goth nommé Galla, et qui appartenait à -l’hérésie arienne, brûlait d’une haine si féroce contre -les religieux catholiques, qu’il tuait tous les clercs ou moines -qu’il rencontrait. Un jour cet homme avait -envahi les biens d’un paysan et torturait celui-ci des -pires supplices ; alors le paysan déclara qu’il avait mis -sa personne et ses biens sous la protection de Benoît. -Sur quoi Galla fit surseoir au supplice du paysan, mais -lui fit lier les mains et lui ordonna de marcher devant -lui, pour lui montrer ce Benoît à qui il avait cédé ses -biens. Et le paysan le conduisit au monastère de saint -Benoît, et lui montra celui-ci occupé à lire tranquillement -dans sa cellule. Galla, dans sa folle fureur, cria -au saint : « Allons, lève-toi, et restitue à ce paysan les -biens qu’il t’a confiés ! » Au son de cette voix inconnue, -saint Benoît leva les yeux ; et, au moment où son regard -s’arrêtait sur le paysan, les fortes courroies qui liaient -les mains de celui-ci se rompirent d’un seul coup. Et -Galla, effrayé d’un tel miracle, se jeta aux pieds du -saint, se recommandant à ses prières. Mais le saint ne -<span class="pagenum" id="p191">-191-</span> se leva point de sa lecture ; il se borna à appeler des -frères, et les chargea d’emmener Galla dans la chapelle, -pour qu’il reçût la bénédiction. Et lorsque le -Goth revint auprès de lui, il l’engagea à se relâcher de -sa folle cruauté. Et Galla, avant de repartir, promit de -ne jamais rien exiger du paysan, que le saint avait délivré -par son seul regard.</p> - -<p>Une grande famine désolait toute la Campanie ; et, -dans le monastère de saint Benoît, les frères s’aperçurent -un jour qu’ils ne possédaient plus que cinq pains. Mais -saint Benoît, les voyant affligés, leur adressa une indulgente -admonestation pour les corriger de leur pusillanimité ; -après quoi, pour les consoler, il leur dit : « Comment -pouvez-vous être en peine d’une chose aussi peu -importante ? Aujourd’hui le pain manque, mais rien ne -vous prouve que demain vous n’en aurez pas en abondance ! » -Or, le lendemain, on trouva devant les portes -de la cellule de saint Benoît deux cents muids de farine, -sans qu’on puisse savoir, aujourd’hui encore, à quel messager -Dieu a confié le soin de les apporter. A la vue de -ce miracle, les frères, rendant grâces à Dieu, apprirent -à ne plus désespérer parmi la disette.</p> - -<p>On amena un jour à saint Benoît un enfant atteint -du mal éléphantin, au point que ses cheveux tombaient -et que toute la peau de son crâne enflait ; et à ce mal se -joignait une faim que rien ne pouvait apaiser. Mais le -saint le guérit aussitôt ; et, par la suite, cet enfant persévéra -dans les bonnes œuvres jusqu’au jour où il s’endormit -dans le Seigneur.</p> - -<p>Envoyant deux frères en un certain lieu où il voulait -faire construire un monastère, saint Benoît leur -promit de venir les y rejoindre, à une date déterminée, -pour leur donner ses instructions. Or, dans la nuit du -jour où il leur avait promis de les rejoindre, les deux -frères le virent en rêve, et entendirent qu’il leur donnait -diverses instructions. Mais ils refusèrent d’attacher de -l’importance à un rêve, et, après avoir vainement attendu -saint Benoît, ils revinrent vers lui et lui dirent : « Père, -nous t’avons attendu suivant ta promesse, et tu n’es -<span class="pagenum" id="p192">-192-</span> pas venu ! » Et le saint : « Que dites-vous là, mes frères ? -Ne me suis-je pas montré à vous et ne vous ai-je pas -donné toutes mes instructions ? Allez, et faites ce que je -vous ai prescrit dans votre rêve ! »</p> - -<p>Non loin du monastère de saint Benoît vivaient -deux religieuses de famille noble, qui avaient le malheur -de ne pas savoir retenir leur langue, et qui, par leurs -bavardages, fâchaient souvent leur confesseur. Celui-ci -se plaignit d’elles à saint Benoît, qui leur fit dire : « Retenez -votre langue, ou bien je vous excommunierai ! » -Il n’avait fait cette menace que pour les corriger ; mais -elles, sans se corriger, moururent toutes deux peu de -temps après, et furent ensevelies dans la chapelle de -leur couvent. Et là, à la messe, au moment où le diacre -prononçait les paroles : « <i>Que celui qui n’est pas admis à -la communion s’en aille !</i> » la nourrice de ces deux -femmes les vit, plusieurs fois de suite, se dresser dans -leurs tombeaux et sortir de l’église. Et lorsque saint -Benoît en fut informé, il dit : « Offrez de ma part cette -offrande pour elles, et leur excommunication sera levée ! » -Ainsi fut fait ; et, depuis lors, les deux femmes ne sortirent -plus de leurs tombeaux.</p> - -<p>Un moine, étant allé voir ses parents sans avoir -reçu la bénédiction, mourut pendant qu’il était chez eux. -On l’ensevelit ; mais, à deux reprises, la terre rejeta son -cadavre. Alors les parents vinrent prier saint Benoît -d’intervenir. Et le saint, prenant une hostie consacrée, -leur dit : « Mettez ceci sur la poitrine de votre fils avant -de l’ensevelir de nouveau ! » Les parents firent ainsi, et -la terre ne rejeta plus le cadavre.</p> - -<p>Un moine, qui s’ennuyait au monastère, importuna -si fort saint Benoît de ses doléances, que le saint, irrité, -lui permit de s’en aller. Mais le moine, à peine sorti du -monastère, rencontra un dragon qui, la gueule ouverte, -voulait le dévorer. Et il se mit à crier au secours. Les -frères accoururent et ne virent point trace de dragon, -mais ramenèrent dans sa cellule le moine, tout tremblant, -qui promit bien de ne plus s’en aller.</p> - -<p>Pendant une famine qui désolait la région, saint -<span class="pagenum" id="p193">-193-</span> Benoît fit donner aux pauvres tout ce que l’on pouvait -trouver, de telle sorte que rien ne resta plus au monastère, -qu’un peu d’huile dans un vase de verre. Et cette -huile aussi, saint Benoît ordonna au frère économe de -la donner à un pauvre. Mais l’économe refusa d’obéir, -afin que, du moins, cette huile restât pour les frères. Ce -qu’apprenant, saint Benoît la fit jeter par la fenêtre, ne -voulant point que quelque chose restât au monastère qui -fût le produit de la désobéissance. Mais le vase eut beau -tomber sur d’énormes rochers, il ne se brisa point, et -pas une seule goutte d’huile ne se répandit. Saint Benoît -fit alors reprendre le vase et le fit donner au pauvre. Et -aussitôt un grand tonneau, qui était dans la cave du -monastère, se remplit d’huile, à tel point que tout le -pavé en fut inondé.</p> - -<p>Saint Benoît était un jour allé voir sa sœur et avait -dîné avec elle ; mais, malgré les supplications de sa -sœur, il avait refusé de passer la nuit sous son toit. Et -sa sœur pria Dieu avec force larmes, et aussitôt une pluie -torrentielle succéda au beau temps, de façon qu’on ne -pouvait songer à sortir, même pour faire un pas. Et saint -Benoît, contristé, dit : « Dieu te pardonne, ma sœur, qu’as-tu -fait là ? » Et la sœur : « Je t’ai prié, et tu as refusé -de m’entendre ; alors j’ai prié Dieu et il m’a entendue ! -Il a changé mes larmes en pluie pour te forcer à rester -près de moi. » Et, en effet, le saint passa la nuit près -d’elle, et jusqu’au matin tous deux s’entretinrent des -choses sacrées. Or, voici que, trois jours après, saint -Benoît, dans sa cellule, vit l’âme de sa sœur montant -au ciel sous la forme d’une colombe. Il fit transporter -son corps au monastère, et l’ensevelit dans le tombeau -qu’il avait préparé pour elle.</p> - -<p>Une nuit, saint Benoît, debout à la fenêtre de sa -cellule, vit une grande lumière se substituer aux ténèbres. -Et il aperçut, dans un rayon plus éclatant que -tous ceux du soleil, l’âme de l’évêque de Capoue, Germain, -qu’on emportait au ciel. Il comprit aussitôt que cette âme -venait de quitter le corps de l’évêque ; et, en effet, saint -Germain était mort en ce même instant.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p194">-194-</span> L’année de sa mort, saint Benoît annonça à ses -frères qu’il allait mourir. Et six jours avant sa fin, il se -fit creuser sa fosse. Le lendemain, une fièvre le saisit, -qui alla tous les jours s’aggravant. Le sixième jour, il -se fit transporter à la chapelle et reçut le corps du Seigneur -en manière de viatique. Puis, soutenu par ses -disciples, il se tint debout, les mains levées au ciel, et -rendit le dernier soupir au milieu d’une prière.</p> - -<p>II. Or, ce même jour, deux frères, dont l’un était enfermé -dans sa cellule, et dont l’autre se trouvait très -loin, eurent tous deux la révélation de la mort du saint. -Car ils virent une voie lumineuse qui, partant de la cellule -de saint Benoît, montait à l’orient jusqu’au ciel. Et un -inconnu leur demanda ce qu’était cette voie. Et comme -tous deux répondaient qu’ils l’ignoraient, l’inconnu leur -dit : « Sachez donc que c’est la voie par laquelle le -bienheureux Benoît monte au ciel ! »</p> - -<p>Il fut enseveli dans l’oratoire de Saint-Jean-Baptiste, -qu’il avait fait construire sur les ruines d’un temple -d’Apollon. Il florissait vers l’an du Seigneur 518, au -temps de Justin l’Ancien.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c50">L<br /> -SAINT TIMOTHÉE, <span class="small">PRÊTRE ET MARTYR<br /> -(24 mars)</span></h2> - - -<p>Saint Timothée était d’Antioche ; mais c’est à Rome -que se fête l’anniversaire de sa naissance, parce que c’est -dans cette ville qu’il fut ordonné prêtre, sous le pape -Melchiade, par Sylvestre, qui devint plus tard évêque -de Rome. Et Sylvestre non seulement l’ordonna prêtre -et le reçut dans sa maison, mais il ne craignit pas de -louer en public sa vie et sa doctrine. Pendant un an -et trois mois, Timothée enseigna la vérité du Christ, -<span class="pagenum" id="p195">-195-</span> faisant de nombreuses conversions ; après quoi, Dieu -l’ayant jugé digne du martyre, il fut pris par les païens, -livré au préfet Tarquin, soumis à un long emprisonnement -et à mille tortures, et enfin, en bon athlète de Dieu, -décapité en compagnie d’assassins. La nuit suivante, -saint Sylvestre emporta son corps dans sa maison, où il -manda aussitôt l’évêque Melchiade. Celui-ci vint avec -ses prêtres et diacres, passa toute la nuit en prières -auprès du corps, et consacra ainsi son martyre. Le lendemain, -une pieuse femme nommée Théone demanda au -pape susdit de pouvoir enterrer Timothée dans son jardin, -à côté du lieu où reposait l’apôtre Paul : s’offrant, -si on lui donnait le corps, à lui élever à ses frais un -tombeau. Et les chrétiens accueillirent sa demande d’autant -plus volontiers qu’ils étaient heureux de voir enseveli -à côté de saint Paul ce martyr, qui avait été jadis le -disciple du grand apôtre.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c51">LI<br /> -L’ANNONCIATION<br /> -<span class="small">(25 mars)</span></h2> - - -<p>I. La fête de l’Annonciation célèbre le souvenir du -jour où un ange a annoncé l’avènement du fils de Dieu -dans la chair.</p> - -<p>La Vierge était restée, depuis sa troisième année jusqu’à -sa quatorzième, dans le temple avec les autres -vierges. Puis, sur la révélation de Dieu, elle avait été -fiancée à Joseph, et celui-ci s’était rendu à Bethléem, -d’où il était originaire, afin de préparer les choses nécessaires -pour les noces. Et Marie, pendant ce temps, était -revenue dans la maison de ses parents, à Nazareth. C’est -là que l’ange Gabriel lui apparut, et la salua, en lui -disant : « Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur -<span class="pagenum" id="p196">-196-</span> est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les -femmes ! » Ce qu’entendant, Marie fut profondément -troublée des paroles de l’ange et se demanda ce que -signifiait cette salutation. Notons à ce propos qu’elle fut -troublée des paroles de l’ange, non de sa vision : car -souvent elle voyait des anges. Et l’ange, la réconfortant, -lui dit : « Ne craignez pas, Marie, car vous ayez trouvé -grâce auprès du Seigneur. Voici que vous allez concevoir -et mettre au monde un fils, qui s’appellera Jésus, -c’est-à-dire le Sauveur, parce qu’il sauvera son peuple de -ses péchés. » Et Marie dit à l’ange : « Comment sera-ce -possible, puisque je ne connais aucun homme ? » Elle -voulait dire par là : « Puisque je suis résolue à ne point -connaître d’homme ! » Et l’ange, répondant, lui dit : -« L’Esprit-Saint surviendra en vous, et vous fera concevoir. » -Alors Marie, étendant les mains et levant les yeux -au ciel, dit : « Me voici, la servante du Seigneur ! Que -me soit fait suivant ta parole ! » Puis, se relevant, elle se -rendit sur la montagne, auprès d’Elisabeth ; et comme -elle la saluait, l’enfant saint Jean bondit de joie dans le -ventre de sa mère.</p> - -<p>II. Un soldat riche et noble avait renoncé au siècle et -était entré dans l’Ordre de Cîteaux. Mais il était si illettré -que les moines, rougissant de son ignorance, chargèrent -un maître de lui donner des leçons. Or il eut -beau recevoir des leçons ; il ne put rien apprendre que -deux mots : <i lang="la" xml:lang="la">Ave Maria</i>, qu’il allait répétant toute la journée. -Quand il mourut, et qu’on l’ensevelit avec les autres -frères, voici que sur sa tombe poussa un lys magnifique, -qui portait inscrit sur chacune de ses feuilles en lettres -d’or : <i lang="la" xml:lang="la">Ave Maria</i>. Les frères, étonnés d’un si grand miracle, -enlevèrent la terre du tombeau, et virent que le -lys prenait sa racine dans la bouche du mort. Ainsi ils -comprirent avec quelle dévotion il avait dit ces deux -mots.</p> - -<p>III. Un brigand s’était construit une forteresse au bord -d’une route, et dépouillait sans miséricorde tous les passants ; -mais il récitait tous les jours la Salutation Angélique, -sans qu’aucun empêchement pût l’y faire manquer. -<span class="pagenum" id="p197">-197-</span> Un jour vint à passer un saint moine, que les compagnons -du brigand se mirent en devoir de dépouiller : -mais l’homme de Dieu leur demanda à être conduit près -de leur chef, disant qu’il avait un secret à lui communiquer. -Amené en présence du brigand, il demanda à -celui-ci de réunir tous les habitants de la forteresse, afin -qu’il leur prêchât la parole de Dieu. Mais, lorsqu’ils furent -assemblés, le religieux dit : « Vous n’êtes pas tous là ; -quelqu’un manque ! » Et comme on lui disait que personne -ne manquait : « Cherchez bien, » reprenait-il ; -« vous verrez qu’il manque quelqu’un ! « Alors un des -brigands s’écria : « En effet, un des valets n’est pas ici ! » -Et le moine : « C’est précisément lui que j’attends. » On -l’envoya donc chercher, mais, à la vue de l’homme de -Dieu, il roula des yeux effrayés, se démena comme un -insensé, et refusa d’approcher. Et l’homme de Dieu lui -dit : « Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ je t’adjure -de dire qui tu es et pourquoi tu es venu ici ! » Le -valet répondit : « Puisque je suis forcé de parler, sachez -que je ne suis pas un homme, mais un démon, qui, sous -forme humaine, demeure depuis quatorze ans auprès de -ce brigand. Notre chef m’avait envoyé auprès de lui -pour guetter le jour où il négligerait de réciter la Salutation -Angélique ; car, ce jour-là, il nous aurait appartenu, -et j’avais ordre de l’étrangler sur-le-champ. Seule, -cette prière quotidienne l’empêchait de tomber en notre -pouvoir. Mais j’ai eu beau le guetter : pas une fois il n’a -manqué à la réciter. » Ce qu’entendant, le brigand, stupéfait, -tomba aux pieds de l’homme de Dieu, demanda son -pardon, et se convertit désormais à une vie meilleure.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p198">-198-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c52">LII<br /> -LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR</h2> - - -<p>La passion du Christ fut, en premier lieu, ignominieuse. -Elle eut lieu sur le mont du Calvaire, où l’on châtiait -les malfaiteurs. Elle eût lieu au moyen de la croix, qui -était le supplice le plus honteux de tous. Et elle eut lieu -dans une compagnie ignominieuse, puisque le Christ fut -crucifié entre deux larrons. L’un d’eux, celui qui était à -droite, et s’appelait Dismas (d’après l’évangile de Nicodème), -se convertit et fut sauvé ; l’autre, appelé Gesmas, -fut damné pour l’éternité.</p> - -<p>En second lieu, la passion du Christ fut injuste : car il -n’avait point péché, et l’on n’avait point trouvé de ruse -dans sa bouche. On l’accusait surtout de trois choses : -de s’opposer à ce qu’on payât le tribut, de se dire roi, et -de se prétendre le Fils de Dieu.</p> - -<p>En troisième lieu, la passion de Christ fut d’autant -plus douloureuse qu’elle lui fut infligée par les hommes -de sa race, qui auraient dû être ses amis, et à qui il avait -rendu d’innombrables services.</p> - -<p>En quatrième lieu, la passion du Christ fut douloureuse -à cause de la délicatesse de son corps, et parce -qu’il eut à la subir en chacun de ses sens. Il la subit en -effet dans les yeux, car il pleura. (Il pleura deux autres -fois, en voyant pleurer la famille de Lazare, et en prévoyant -la ruine de Jérusalem : mais, dans le premier cas, -ce furent des larmes d’amour, dans le second des larmes -de pitié, tandis que les larmes de sa passion furent des -larmes de douleur.) Il subit sa passion dans son ouïe, car -il eut à entendre toutes sortes d’opprobres et de blasphèmes. -Il eut à la subir dans son odorat : car le calvaire -où il fut crucifié était infecté de la puanteur des cadavres -qu’on y laissait après le supplice. Il subit la passion -dans son goût : car, ayant demandé à boire, il obtint du -vinaigre mêlé de myrrhe et de fiel. Le vinaigre, dit-on, -<span class="pagenum" id="p199">-199-</span> faisait mourir plus vite les crucifiés ; le fiel avait pour -objet de faire souffrir Jésus dans son goût. Et Jésus subit -la passion dans son toucher : car il n’y eut pas une -partie de son corps depuis la plante des pieds jusqu’au -haut de la tête, qui n’eût à souffrir de la cruauté des -bourreaux.</p> - -<p>Mais autant cette passion fut douloureuse pour le -Christ, autant pour nous elle fut fructueuse. Et son utilité -est triple, à savoir par la rémission des péchés, la -collation de la grâce, et la démonstration de la gloire -céleste.</p> - -<p>La passion du Christ eut trois auteurs, qui tous furent -justement punis de leurs crimes. C’est d’abord Judas, -qui livra le Christ par avidité, puis les Juifs, qui le livrèrent -par envie, enfin Pilate, qui le livra par lâcheté. -Mais le récit du châtiment de Judas se trouve dans l’histoire -de saint Mathias, celui du châtiment des Juifs, -dans l’histoire de saint Jacques le Mineur. Quant au châtiment -et à toute la vie de Pilate, le récit suivant nous -en est donné par une histoire, qui est, en vérité, apocryphe.</p> - -<p>Un roi nommé Tyrus, ayant séduit une jeune fille -nommée Pyla, fille d’un meunier nommé Atus, eut d’elle -un fils ; et Pyla donna à son fils un nom composé du -sien propre et du nom de son père, à savoir Pylatus. Et -lorsque Pilate eut trois ans, sa mère le transmit au roi, -qui le donna pour compagnon de jeux à son fils légitime, -à peu près du même âge. Mais le fils légitime, de même -qu’il était plus noble de naissance que Pilate, était encore -plus habile que lui à tous les exercices de son âge : de -telle sorte que Pilate, miné par la jalousie jusqu’à ressentir -une douleur dans le foie, tua son frère. Ce qu’apprenant, -le roi convoqua son assemblée pour la consulter -sur ce qu’il devait faire du meurtrier. Tous furent d’avis -de le mettre à mort ; mais le roi, rentrant en lui-même, -ne voulut point doubler un crime d’un autre crime, et -envoya son fils à Rome, en otage du tribut annuel qu’il -devait à l’empire.</p> - -<p>Or se trouvait à Rome, en même temps, le fils du roi -<span class="pagenum" id="p200">-200-</span> de France, envoyé de la même façon, en otage. Pilate -l’eut pour compagnon, et, le voyant supérieur à lui tant -pour les mœurs que pour le talent, en fut jaloux et le tua. -Et comme les Romains se demandaient ce qu’ils pourraient -faire de lui, ils se dirent : « Un gaillard qui a déjà -tué son frère et son compagnon peut être très utile à la -république pour dompter ses ennemis ! » Ils l’envoyèrent -donc, en qualité de juge, dans l’île de Pont, dont les habitants -ne pouvaient supporter aucun juge. Et Pilate, sachant -que sa vie était l’enjeu de ses succès, fit si bien, par -les promesses et les menaces, par les récompenses et les -supplices, qu’il dompta cette race, qu’on croyait indomptable. -En souvenir de quoi il fut appelé Pilate le Pontien -ou Ponce Pilate.</p> - -<p>Or Hérode, en apprenant l’habileté de cet homme, -l’invita à venir à Jérusalem, et lui transmit son pouvoir -sur les Juifs. Mais Pilate, plus tard, obtint de Tibère, à -force d’argent, de remplacer Hérode dans toute son autorité : -ce qui eut pour effet de brouiller Pilate et Hérode, -jusqu’au jour où celui-ci, pour se réconcilier, envoya à -Pilate Notre-Seigneur Jésus.</p> - -<p>Lorsque Pilate eut transmis Jésus aux Juifs pour le -crucifier, il craignit que l’empereur Tibère ne s’offensât -de ce qu’il avait condamné le sang innocent, et, pour se -justifier, il envoya à l’empereur un de ses familiers. -Tibère souffrait alors d’une grave maladie, et comme on -lui disait qu’il y avait à Jérusalem un médecin qui, d’un -seul mot, guérissait toutes les maladies, l’empereur -(ignorant que ce médecin venait d’être mis à mort par -Pilate), dit à un de ses familiers, nommé Volusien : -« Va vite au-delà des mers, et dis à Pilate de m’envoyer -ce médecin ! » Volusien se mit en route ; mais Pilate, -effrayé, demanda un délai de quatorze jours.</p> - -<p>Pendant ce temps Volusien, ayant rencontré une -femme nommée Véronique, qui avait connu Jésus, lui -demanda où il pourrait trouver celui-ci. Et Véronique lui -dit : « Hélas, Jésus était mon maître et mon Dieu, mais -Pilate, par envie, l’a condamné et fait crucifier ! » Volusien -fut désolé et dit : « Je regrette de ne pouvoir pas -<span class="pagenum" id="p201">-201-</span> accomplir l’ordre de mon maître. » Et Véronique : -« Comme Jésus était toujours en route pour prêcher, et -que sa présence me manquait fort, je me rendis un jour -chez un peintre pour qu’il me fît son portrait, sur une -toile que je lui portais. Or le Seigneur, m’ayant rencontrée, -et ayant su où j’allais, appuya ma toile contre sa -face, et je vis que son image s’y était gravée. Que si -l’empereur ton maître regarde pieusement cette image, -il sera aussitôt guéri. » Et Volusien : « Peut-on acquérir -cette image pour de l’or ou de l’argent ? » Et Véronique : -« Non, mais on peut en acquérir le bénéfice par une -piété sincère. Je vais aller à Rome avec toi, je montrerai -l’image à César, et puis je reviendrai ici ! » Ainsi fut fait, -et Volusien dit à Tibère : « Ce Jésus que tu désirais voir -a été injustement condamné et crucifié par Pilate et les -Juifs. Mais j’ai amené avec moi une femme qui possède -une image de Jésus, et qui dit que, si tu regardes cette -image avec dévotion, tu recouvreras bientôt la santé. » -Alors Tibère fit tendre tout le chemin d’étoffes de soie, -et se fit présenter l’image et, dès qu’il l’eut regardée, il -recouvra la santé.</p> - -<p>Ponce Pilate fut alors conduit à Rome, et Tibère, furieux, -ordonna qu’on le fît venir devant lui. Mais Pilate -avait pris la précaution de revêtir la tunique sans couture -de Nôtre-Seigneur : de telle sorte que Tibère, en le -voyant, oublia toute sa fureur, et ne put s’empêcher de -le traiter avec déférence. A peine l’eut-il congédié, que -sa fureur le ressaisit de plus belle : mais, chaque fois -qu’il le revoyait, sa fureur tombait, au grand étonnement -de tous. Enfin, sur l’ordre de Dieu, et peut-être sur le -conseil d’un chrétien, Tibère fit dépouiller Pilate de sa -tunique, et, pouvant désormais s’abandonner à sa fureur -contre lui, il le fit jeter en prison pour y attendre la -mort honteuse qu’il lui réservait. Ce qu’apprenant, -Pilate prit son couteau et se tua. Son cadavre fut attaché -à une grosse pierre et lancé dans le Tibre ; mais -les esprits malins et sordides s’emparèrent avec joie de -ce corps malin et sordide ; tantôt le plongeant dans l’eau, -tantôt le ravissant dans les airs, ils causaient d’innombrables -<span class="pagenum" id="p202">-202-</span> inondations, tempêtes, etc., dont tout le monde -était effrayé. Aussi les Romains retirèrent-ils du Tibre -ce cadavre malfaisant et l’envoyèrent-ils à Vienne, par -dérision, pour y être plongé dans le Rhône, car le nom de -Vienne provient de <i lang="la" xml:lang="la">Via gehennæ</i>, qui veut dire : Voie de -la malédiction. Mais, là encore, les mauvais esprits recommencèrent -leurs tours, si bien que les habitants de -Vienne, pressés de se défaire de ce vase de malédiction, -l’ensevelirent sur le territoire de la ville de Lausanne. -Mais les habitants de cette ville, voulant eux -aussi s’en débarrasser, le jetèrent au fond d’un puits entouré -de hautes montagnes, et l’on dit que, aujourd’hui -encore, on voit bouillonner, en ce lieu, des machinations -diaboliques.</p> - -<p>Tel est le récit qu’on lit dans la susdite histoire apocryphe : -je laisse au lecteur le soin de juger du degré de -confiance qu’il mérite. Et je dois ajouter que, d’après -l’<i>Histoire scholastique</i>, Pilate fut accusé par les Juifs, -devant Tibère, d’avoir permis le massacre des Innocents, -et d’avoir fait placer dans les temples des images païennes, -et d’avoir affecté à son usage personnel l’argent déposé -dans les troncs : toutes accusations qui lui valurent d’être -exilé à Lyon, d’où il était originaire, et où il est mort, -l’opprobre de sa race. D’autre part Eusèbe et Bède, dans -leur chronique, ne parlent point de son exil, mais disent -seulement que, accablé de justes calamités, il se tua de -ses propres mains.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c53">LIII<br /> -LA RÉSURRECTION DE NOTRE-SEIGNEUR</h2> - - -<p>La résurrection du Christ eut lieu le troisième jour -après sa mort. Elle eut lieu sans que le sépulcre s’ouvrît. -Car de même que Nôtre-Seigneur a pu sortir du ventre -de sa mère sans que celui-ci s’ouvrît, de même qu’il a pu -entrer auprès de ses disciples sans que la porte s’ouvrît, -<span class="pagenum" id="p203">-203-</span> de même il a pu se relever de son sépulcre sans que -celui-ci s’ouvrît. On lit à ce propos, dans l’<i>Histoire scholastique</i>, -que, l’an du Seigneur 505, un moine de Saint-Laurent -Hors les Murs eut un jour la surprise de voir sa -ceinture se projeter devant lui sans être dénouée ni rompue ; -et qu’il entendit, au même moment, une voix lui -disant : « C’est ainsi que le Christ a pu sortir de son -sépulcre sans que celui-ci s’ouvrît. »</p> - -<p>Le Christ est ressuscité avec son corps propre et réel.</p> - -<p>Nous avons, de cela, cinq preuves : 1<sup>o</sup> la parole de -l’ange, qui ne saurait mentir ; 2<sup>o</sup> les fréquentes apparitions -du Christ ; 3<sup>o</sup> le fait qu’il a mangé avec ses disciples ; -4<sup>o</sup> le fait qu’il s’est laissé toucher, ce qui prouve que -son corps était véritable ; 5<sup>o</sup> le fait qu’il a montré ses -cicatrices, ce qui prouve que ce corps était le même qui -avait subi la passion. Et toutes ces preuves nous portent -à croire que les disciples ont eu des doutes sur la réalité -de la résurrection corporelle du Christ.</p> - -<p>Saint Denis rapporte, dans son épître à Démophile, -que le Christ, après son Ascension, est apparu à un saint -homme nommé Carpe et lui a dit : « Je suis prêt à -souffrir de nouveau pour le salut des hommes. » C’est ce -même Carpe qui, voyant un chrétien perverti par un -infidèle, en eut tant de chagrin qu’il en devint malade. -C’était un homme d’une telle sainteté, que jamais il ne -célébrait la messe sans être honoré d’une vision divine. -Et comme il devait prier pour la conversion des deux -infidèles, il ne pouvait s’empêcher de demander en même -temps que le feu du ciel s’abattît sur eux et mît fin au -scandale de leur vie. Or, à minuit, pendant qu’il exprimait -ce vœu, la maison où il était lui apparut divisée en -deux ; et au milieu était une immense fournaise, tandis -qu’au-dessus, dans le ciel ouvert, Jésus trônait entouré -de la multitude des anges. Puis, tout près de la fournaise, -vinrent se placer en tremblant les deux infidèles ; des -serpents s’efforçaient, en les mordant et en les entourant, -de les entraîner, de force, dans la fournaise ; et il y avait -là des hommes qui les y poussaient aussi. Et Carpe fut -si ravi de ce châtiment qu’il oublia de regarder la vision -<span class="pagenum" id="p204">-204-</span> supérieure, regrettant seulement que les deux pécheurs -tardassent aussi longtemps à tomber dans la fournaise. -Or, lorsque enfin il se décida à relever la tête, il vit que -Jésus, ayant pitié des deux malheureux, se levait de son -trône céleste, descendait vers eux avec la multitude des -anges, leur tendait la main, et les sauvait de la fournaise. -Après quoi Jésus dit à Carpe : « Frappez-moi encore, je -suis prêt à souffrir de nouveau pour sauver les hommes ! »</p> - -<p>Le Christ ressuscité est apparu cinq fois le jour même -de sa résurrection, et cinq fois encore durant les jours -suivants : 1<sup>o</sup> il apparut d’abord à Marie-Madeleine, afin -de montrer qu’il était mort pour sauver les pécheurs ; -2<sup>o</sup> il apparut ensuite aux femmes qui revenaient du tombeau ; -3<sup>o</sup> il apparut ensuite à Simon, mais sans qu’on sache -où ni à quel moment ; 4<sup>o</sup> il apparut ensuite aux disciples -allant à Emmaüs ; 5<sup>o</sup> il apparut aux disciples réunis ; 6<sup>o</sup> le -jour de l’octave de sa résurrection, le Christ apparut -aux disciples réunis, en présence de Thomas, qui avait -dit qu’il ne croirait que quand il verrait ; 7<sup>o</sup> il apparut à -ses disciples occupés à pêcher le poisson ; 8<sup>o</sup> il leur apparut -sur le mont Thabor ; 9<sup>o</sup> il leur apparut pendant qu’ils -étaient couchés dans le cénacle, et les blâma de leur -crédulité et de la dureté de leur cœur ; 10<sup>o</sup> enfin il leur -apparut sur le mont des Oliviers au moment de son -ascension.</p> - -<p>Et il y a encore trois autres apparitions qui nous sont -rapportées comme s’étant produites le jour de sa résurrection, -mais, de celles-là, les textes saints ne font point -mention : 1<sup>o</sup> il apparut à Jacques, fils d’Alphée, ainsi qu’on -le trouvera exposé dans l’histoire de ce saint ; 2<sup>o</sup> d’après -l’Evangile de Nicodème, il apparut à Joseph d’Arimathie. -Nous lisons, en effet, dans cet évangile que les Juifs, en -apprenant que Joseph avait réclamé le corps de Jésus et -l’avait placé dans son monument, s’emparèrent de lui et -l’enfermèrent dans une chambre soigneusement scellée, -avec l’intention de le mettre à mort après le sabbat ; et -voilà que Jésus, la nuit même de sa résurrection, fit soulever -par quatre anges la maison où était enfermé Joseph, -s’approcha de celui-ci, lui donna un baiser, et, l’emmenant -<span class="pagenum" id="p205">-205-</span> avec, lui, le reconduisit dans sa maison d’Arimathie ; -3<sup>o</sup> enfin on croit généralement que le Christ est apparu, -en premier lieu, à la Vierge Marie. Les évangélistes, en -vérité, n’en disent rien ; mais si l’on devait interpréter -leur silence comme une négation, on devrait en conclure -que, pas une seule fois, le Christ ressuscité ne serait -apparu à sa mère.</p> - -<p>On sait que, dans l’intervalle de sa passion et de sa -résurrection, le Christ est descendu dans les limbes, -pour y faire sortir les saints Pères qui y attendaient sa -venue. L’Evangile ne nous donne aucun détail sur cette -descente aux limbes ; mais nous en trouvons un récit, -d’ailleurs très sujet à caution, dans l’évangile de Nicodème. -D’après ce livre, deux fils du vieux Siméon, -Carin et Leucius, ressuscitèrent avec le Christ, et se -montrèrent à Anne, à Caïphe, à Nicodème, à Joseph -d’Arimathie et à Gamaliel. Et comme on leur demandait -ce que le Christ avait fait, aux enfers, ils répondirent : -« Pendant que nous étions plongés dans les ténèbres, -en compagnie de nos pères les patriarches, soudain -une lumière d’or et de pourpre nous a environnés. » -Aussitôt Adam, le père du genre humain, s’est écrié -joyeusement : « Cette lumière est celle de l’auteur de -toute lumière, qui nous a promis de nous envoyer sa -lumière éternelle ! » Puis Isaïe s’est écrié : « Ceci est -le Fils de Dieu, lumière du Père, de même que je l’ai -prédit de mon vivant, quand j’ai dit que le peuple, qui -marchait dans les ténèbres, verrait une grande -lumière. » Puis est survenu notre père Siméon qui -a dit : « Glorifiez le Seigneur, que j’ai tenu enfant dans -mes mains, et de qui j’ai dit, sous la dictée de l’Esprit-Saint : -maintenant mes yeux ont vu cela. » Puis est -survenu un ermite qui nous a dit : « Je suis Jean, qui ai -baptisé le Christ, et lui ai préparé les voies, et qui l’ai -désigné du doigt en disant : voici l’Agneau de Dieu ! -Je suis descendu ici aujourd’hui pour vous annoncer -que le Christ va bientôt venir près de vous. » Puis -Seth dit : « Comme je me rendais aux portes du paradis, -pour prier Dieu de me transmettre, par son ange, un -<span class="pagenum" id="p206">-206-</span> peu d’huile de l’arbre de miséricorde, afin que j’en -oignisse le corps de mon père Adam, l’ange Michel -m’apparut et me dit que je ne pourrais pas avoir de -cette huile avant que se fussent écoulés cinq mille cinq -cents ans. » Ce qu’entendant, tous les patriarches et -prophètes furent remplis de joie ; mais Satan, prince de -la mort, dit à l’enfer : « Prépare-toi à recevoir Jésus, qui -se glorifie d’être le Fils de Dieu, et qui cependant -craint la mort, car il a dit que son âme était triste -jusqu’à la mort, etc. Il a rendu l’ouïe à bien des -hommes que j’avais faits sourds, et remis sur leurs -pieds bien des hommes que j’avais faits boiteux. » A -quoi l’enfer répondit : « Si tu es puissant, quel homme -est donc ce Jésus, qui, tout en craignant la mort, -résiste à ta puissance ? » Et Satan : « Je l’ai tenté, j’ai -excité le peuple contre lui, j’ai aiguisé la lance qui l’a -transpercé, je lui ai mêlé du fiel et du vinaigre, j’ai -préparé le bois de sa croix. D’un instant à l’autre, il -va mourir, et je te l’amènerai. » L’enfer lui répondit : -« Au nom de ton pouvoir et du mien, je te conjure de ne -pas me l’amener ici, car j’ai eu déjà à reconnaître la -toute-puissance de sa parole, et je n’ai pas pu l’empêcher, -tout récemment encore, de m’enlever Lazare. » -Au même instant, une voix haute comme le tonnerre -s’est fait entendre, qui disait : « Enfer, relève tes portes, -car voici que va entrer le roi de gloire ! » A ces mots, -les démons accoururent et fermèrent les portes d’airain -avec des barres de fer. Et David s’écria : « N’ai-je point -prédit que le Seigneur briserait les portes d’airain ? » -De nouveau, la voix retentit et dit : « Enfer, relève tes -portes ! » Puis le Roi de gloire entra ; et tendant sa -main, il prit la main d’Adam et lui dit : « Paix à toi et à -tous les justes d’entre tes fils ! » Puis il sortit des -enfers, et tous les saints le suivirent. Jésus remit ensuite -Adam à l’archange Michel, qui le fit entrer au paradis. -Et comme nous y entrions tous, nous vîmes venir à nous -deux vieillards, dont l’un nous dit : « Je suis Enoch, et -mon compagnon est Elie, qui s’est élevé jusqu’ici -dans un char de feu. Tous deux, nous n’avons pas -<span class="pagenum" id="p207">-207-</span> encore goûté de la mort, car nous sommes destinés à -attendre la venue de l’Antéchrist, à combattre avec -lui, à être tués par lui, et, le troisième jour, à être -élevés dans les nuages. » Pendant qu’Enoch parlait, -survint un homme qui portait une croix sur ses épaules ; -et il leur dit : « J’étais un larron, et, étant crucifié près -de Jésus, j’ai cru en lui, et l’ai prié de se souvenir de -moi dans le royaume de son Père. Alors il m’a répondu -que, aujourd’hui même, je serais avec lui dans le paradis. -Et il m’a dit que si l’on refusait de me laisser -entrer, le signe de cette croix suffirait à me faire -ouvrir les portes. En effet, on vient de m’admettre ici, -et de m’indiquer ma place sur le côté droit du paradis. » -Et lorsque Carin et Leucius eurent dit cela, soudain -ils se transfigurèrent, et on ne les revit plus.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c54">LIV<br /> -SAINT SECOND, <span class="small">MARTYR<br /> -(30 mars)</span></h2> - - -<p>1. Second était un vaillant soldat, en même temps -qu’un admirable chevalier du Christ, pour qui il souffrit -glorieusement le martyre dans la ville d’Asti ; et, aujourd’hui -encore, cette ville s’honore de son souvenir et le -vénère comme un saint patron. Il fut d’abord instruit -dans la foi du Christ par le bienheureux Calocérus, que -le préfet Sapritius avait fait enfermer dans la prison -d’Asti. Or comme, un jour, ce Sapritius se préparait à -sortir d’Asti pour se rendre à Tortone et pour y présider -à l’exécution d’un autre prisonnier chrétien, le bienheureux -Marcien, Second lui demanda de pouvoir l’accompagner, -soi-disant pour se distraire, mais en réalité -pour voir Marcien. Et voici qu’au sortir des murs d’Asti -une colombe descendit sur le casque de Second ; et -<span class="pagenum" id="p208">-208-</span> Sapritius dit à son compagnon : « Vois-tu, Second, -comme nos dieux t’aiment ? Ils te font rendre hommage -par les oiseaux du ciel ! » Plus tard, quand ils arrivèrent -au fleuve Tanaro, Second vit un ange qui marchait sur -l’eau et qui lui disait : « Second, aie la foi, et tu marcheras -de même sur les adorateurs des idoles ! » Et -Sapritius : « Mon frère Second, j’entends les dieux qui -t’adressent la parole ! » Et quand ils arrivèrent à un autre -fleuve, nommé la Bormida, de nouveau un ange leur -apparut, marchant sur les eaux ; et il dit à Second : -« Crois-tu en Jésus, ou bien doutes-tu ? » Et Second -répondit : « Je crois à la vérité de sa passion ! » Et -Sapritius dit : « Qu’entends-je là ? ». En arrivant à -Tortone, ils virent sur la porte de la prison le bienheureux -Marcien, qui, mis en liberté par un ange, dit à -Second : « Second, entre dans la voie de vérité, et -marches-y, et tu recevras la palme de la foi ! » Et -Sapritius lui dit : « Qui est cet homme, qui nous parle -ainsi comme en songe ? » Et Second répondit : « Ce qui -te fait l’effet d’un songe est pour moi un avertissement -et une consolation ! »</p> - -<p>II. Second se rendit ensuite à Milan ; et, devant les -portes de la ville, il rencontra Faustin et Jonitas, qui eux -aussi étaient prisonniers pour leur foi, mais qu’un ange -avait fait sortir de la prison et conduits jusque-là. Et ces -deux saints hommes le baptisèrent avec l’eau d’un nuage -qui se changea en pluie. Alors voici soudain qu’une colombe -descendit du ciel, apportant une hostie consacrée, -qu’elle donna à Faustin et à Jonitas, qui, à leur tour, la -remirent à Second, en le chargeant d’aller la porter au -bienheureux Marcien. Second rebroussa chemin ; et, la -nuit, comme il était parvenu au bord du Pô, un ange vint -au-devant de lui, prit son cheval par la bride, et lui fit -traverser les eaux du fleuve comme sur un pont ; puis, à -Tortone, il fit entrer Second dans la cellule où Marcien -était revenu s’enfermer. Ainsi Second put remettre à -Marcien la sainte hostie ; et Marcien, la prenant, dit : « Que -le corps et le sang du Seigneur soient avec moi dans la -vie éternelle ! » Puis, sur l’ordre de l’ange, Second sortit -<span class="pagenum" id="p209">-209-</span> de la prison et se rendit à son hôtellerie. Et, le lendemain, -lorsque Marcien eut subi le martyre, Second enleva -son corps et l’ensevelit.</p> - -<p>III. Ce qu’apprenant, Sapritius le fit venir et lui dit : « A -ce que je vois, tu fais profession d’être chrétien ? — Oui. — Aspires-tu -donc à mourir dans les supplices ? — C’est -toi, plutôt, qui mériterais de mourir ainsi ! » Puis, comme -il se refusait à sacrifier aux idoles, le préfet le fit -dépouiller de ses vêtements, mais aussitôt un ange s’approcha -de lui et le couvrit d’un manteau. Sapritius le fit -alors suspendre sur un chevalet, et ordonna qu’il fût torturé -jusqu’à ce que se rompissent toutes les articulations -de ses bras ; mais, de nouveau, le Seigneur lui rendit aussitôt -la santé. Le préfet, exaspéré, le fit enfermer dans -la prison. Mais là un ange lui apparut qui lui dit « Lève-toi, -Second, et suis-moi ! Je te conduirai vers ton Créateur. » -Puis l’ange le conduisit jusqu’à la ville d’Asti et -le fit entrer dans la prison ou se trouvait Calocérus ; et le -Sauveur y était aussi. L’apercevant, Second se jeta à ses -pieds. Mais le Sauveur : « Ne crains rien, Second, car -je suis ton Maître, et je t’arracherai à tous les maux ! » -Après quoi, les ayant bénis, il remonta au ciel.</p> - -<p>IV. Or le lendemain matin, à Tortone, les gardes envoyés -par Sapritius trouvèrent la prison fermée comme la -veille, mais n’y trouvèrent plus Second. Sapritius revint -alors à Asti. Afin de châtier au moins Calocérus, il se fit -amener celui-ci ; mais voilà qu’on lui annonce que Second -est dans la prison avec Calocérus ! Le préfet les fit donc venir -tous deux, et leur dit : « Ce sont nos dieux qui, sachant -que vous les dédaigniez, veulent que vous périssiez ensemble ! » -Et, sur leur nouveau refus de sacrifier aux -idoles, il leur fit répandre sur la tête et dans la bouche un -mélange de poix et de résine bouillante. Mais eux, ils buvaient -ce mélange comme une eau délicieuse, et disaient -d’une voix claire : « Seigneur, que tes dons sont doux à -ma gorge ! » Enfin Sapritius ordonna que tous deux fussent -décapités, Second à Asti, et Calocérus dans la ville d’Albenga. -Et, aussitôt que saint Second eut été décapité, des -anges enlevèrent son corps, et l’ensevelirent avec beaucoup -<span class="pagenum" id="p210">-210-</span> de chants et de louanges. Ce martyre eut lieu le troisième -jour des calendes d’avril.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c55">LV<br /> -SAINT MAMERTIN, <span class="small">ABBÉ<br /> -(30 mars)</span></h2> - - -<p>Mamertin fut d’abord païen. Pendant qu’il adorait une -idole, il perdit un œil, et une de ses mains se dessécha. -Il crut avoir offensé ses dieux, et voulut courir au temple -pour obtenir son pardon. Mais il rencontra en route un -saint homme nommé Savin, qui lui demanda d’où lui était -venue son infirmité. Il répondit : « J’ai offensé mes dieux -et maintenant je vais les prier de me rendre ce que, dans -leur colère, ils m’ont enlevé. » Et Savin : « Tu te trompes, -mon frère, en prenant les démons pour des dieux. -Va plutôt trouver Germain, évêque d’Auxerre et, si -tu suis ses conseils, tu seras guéri ! » Mamertin partit -aussitôt ; mais la pluie le força à s’arrêter, en route, dans -un lieu où étaient ensevelis saint Amator et plusieurs -autres saints évêques. Dans une cellule placée sur une -tombe de saint Concordien, il trouva un abri pour la nuit. -Et il vit en rêve un homme qui, venant jusqu’à la porte -de la cellule, appelait saint Concordien pour assister à -une fête, où il disait que se trouvaient déjà saint Amator, -saint Pèlerin et d’autres évêques. Et une voix répondit -de la tombe : « Je ne puis venir cette nuit, étant forcé de -veiller sur mon hôte, pour l’empêcher d’être dévoré par -les serpents qui habitent ici. » Mais bientôt l’inconnu -revint et dit : « Saint Concordien, lève-toi, viens, et emmène -avec toi ton sous-diacre Vivien et son acolyte Junien ! -Alexandre se chargera de veiller sur ton hôte. » Et -Mamertin vit ensuite que saint Concordien, le prenant par -la main, l’emmenait avec lui ; mais, lorsqu’ils furent -arrivés près des autres évêques, saint Amator dit : « Qui est -<span class="pagenum" id="p211">-211-</span> cet étranger que tu nous amènes ? » Et saint Concordien : -« C’est mon hôte ! » Et saint Amator : « Chasse-le d’ici, -car il est impur et ne saurait rester avec nous ! » Sur quoi -Mamertin, toujours en rêve, se prosterna devant saint -Amator, qui lui ordonna de se rendre au plus vite auprès -de saint Germain. Aussi, dès qu’il fut éveillé, courut-il -vers ce saint ; et dès que celui-ci eut entendu l’histoire de -son rêve, il retourna avec lui au tombeau de saint Concordien. -Là, sous la pierre du tombeau, ils virent un -grand nombre de serpents dont la longueur dépassait -dix pieds. Et saint Germain leur ordonna de sortir de là, -pour aller se cacher dans un lieu où ils ne pourraient faire -de mal à personne. C’est ainsi que Mamertin fut baptisé. -Il recouvra aussitôt la santé, et entra dans le monastère -de saint Germain, dont il devint abbé, après la mort de -saint Ollodius.</p> - -<p>Il y avait alors, dans ce monastère, un saint moine -nommé Marin, dont Mamertin voulut éprouver l’obéissance. -Il lui confia donc la tâche la plus vile du monastère, -qui consistait à paître les bœufs. Et saint Marin, -pendant qu’il gardait ses bœufs et ses vaches dans le -bois, rayonnait d’une telle sainteté, que tous les oiseaux -du bois accouraient à lui pour qu’il les nourrît de sa main. -Un sanglier s’étant réfugié dans sa cellule, il le sauva -des chiens qui le poursuivaient, et lui permit de s’en aller -librement. Un jour, des voleurs le dépouillèrent de ses -vêtements, ne lui laissant qu’une petite tunique. Et le -voici qui court derrière eux, et qui leur crie : « Revenez, -Messieurs, car j’ai encore trouvé ce denier dans la -doublure de ma tunique ! Et peut-être en aurez-vous -besoin ! » Aussitôt les voleurs, retournant sur leurs pas, -lui enlevèrent la tunique avec le denier et le laissèrent -complètement nu. Après quoi ils reprirent le chemin de -leur caverne ; mais ils marchèrent toute la nuit, et, à l’aube, -ils se retrouvèrent devant la cellule du saint berger. Celui-ci, -les ayant salués tendrement, les reçut dans sa cellule, -leur lava les pieds, et s’occupa de leur préparer à manger. -Ce que voyant, les voleurs, stupéfaits, eurent honte -de leur conduite et se convertirent tous à la foi.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p212">-212-</span> Un jour, un jeune moine du monastère de saint -Mamertin s’était amusé à tendre un piège à un ours qui -attaquait les brebis ; et l’ours, la nuit, s’était laissé -prendre. Mais saint Mamertin, ayant deviné la chose du -fond de son lit, se leva, alla trouver l’ours, et lui dit : -« Que fais-tu là, malheureux ? Va-t’en bien vite pour -n’être pas pris ! » Et il le délivra et le laissa partir.</p> - -<p>Lorsqu’il mourut, on porta son corps à Auxerre. Mais, -comme on passait près d’une prison, le corps devint tout -à coup si lourd qu’on ne put le faire avancer, jusqu’au -moment où un des prisonniers, dont les chaînes s’étaient -rompues miraculeusement, accourut et aida à porter le -corps jusqu’à la ville. Saint Mamertin fut enterré en -grande pompe dans l’église de Saint-Germain.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c56">LVI<br /> -SAINTE MARIE L’ÉGYPTIENNE, <span class="small">PÉCHERESSE<br /> -(2 avril)</span></h2> - - -<p>Sainte Marie l’Egyptienne, qu’on appelle aussi la Pécheresse, -mena pendant quarante-sept ans, au désert, une -vie de repentir et de privations. Certain abbé, nommé Zosime, -qui avait franchi le Jourdain et parcourait le désert, -dans l’espoir d’y rencontrer quelque saint ermite, aperçut -un jour devant lui une créature bizarre, toute nue, -avec un corps tout noir et brûlé du soleil. Cette créature -aussitôt s’enfuit, et Zosime se mit à courir à sa poursuite, -de toute la force de ses jambes. Alors elle lui dit : « Abbé -Zosime, pourquoi me poursuis-tu ? Pardonne-moi de ne -pouvoir me retourner vers toi ; mais c’est que je suis une -femme et que je suis nue ! Lance-moi ton manteau, afin -que, m’en étant couverte, je puisse te regarder sans -honte ! » L’abbé, stupéfait de s’entendre appeler par son -nom, lui jeta son manteau, et, se prosternant devant elle -<span class="pagenum" id="p213">-213-</span> la pria de le bénir. Mais elle : « C’est à toi plutôt de me -bénir, mon père, toi qui as revêtu la dignité du sacerdoce ! » -Et Zosime, voyant qu’elle connaissait non seulement -son nom, mais aussi sa qualité de prêtre, s’étonnait -davantage encore, et mettait encore plus d’insistance à -lui demander sa bénédiction. Alors elle dit : « Que béni -soit Dieu, rédempteur de nos âmes ! » Et pendant qu’elle -priait, avec les mains étendues, il vit qu’elle était soulevée -de terre à la hauteur d’une coudée. Sur quoi un -doute surgit dans l’âme du vieil abbé, qui se demanda -si ce n’était pas un esprit, faisant semblant de prier pour -le décevoir. Mais elle : « Que Dieu te rassure, abbé, et -t’empêche de prendre une pauvre pécheresse pour un -mauvais esprit ! » Zosime la somma alors, au nom du -Seigneur, d’avoir à lui dire qui elle était. Et elle : « Père, -pardonne-moi, mais si je t’avoue qui je suis, tu t’enfuiras -effrayé comme à la vue d’un serpent, et tes oreilles seront -souillées de mes paroles, et l’air sera empesté de -mon impureté ! » Mais, comme Zosime insistait, elle finit -par lui dire :</p> - -<p>« Je m’appelle Marie, et suis née en Egypte. Venue à -Alexandrie, vers l’âge de douze ans, j’y ai fait pendant -dix-sept ans métier de fille publique, vendant mon corps -à qui en voulait. Mais, un jour, comme des habitants de -la ville partaient pour adorer la sainte Croix à Jérusalem, -je priai les matelots de me laisser m’embarquer -avec eux. Ils me demandèrent si j’avais l’argent du passage. -Et je leur répondis que je n’avais point d’argent, -mais que, pour payer mon passage, je leur offrais mon -corps. Et ainsi ils me prirent, et ce fut mon corps qui -servit à les payer. Mais voici qu’à Jérusalem, comme je -me présentais avec les autres pèlerins aux portes de -l’église, je me sentis soudain repoussée par une force -invisible, qui ne me permit point d’entrer dans l’église. -Vingt fois je m’approchai des portes ; vingt fois, sur le -seuil, cette force invisible me retint et m’empêcha d’entrer. -Et tous les autres entraient librement, sans que -rien les en empêchât : de telle sorte que, sitôt revenue à -l’auberge, je compris que c’était là une conséquence de -<span class="pagenum" id="p214">-214-</span> ma vie criminelle ; et je me mis à me déchirer la poitrine, -à verser des larmes amères, et à soupirer du plus -profond de mon cœur. Puis, apercevant sur le mur une -image de la bienheureuse Vierge Marie, je me mis à la -supplier de m’obtenir le pardon de mes péchés, et la -permission d’entrer dans l’église pour adorer la sainte -Croix ; en échange de quoi je promis de renoncer au -monde et de vivre désormais dans la chasteté. Cette -prière me rendit confiance, et de nouveau je me présentais -aux portes de l’église ; et voilà que, cette fois, je pus -y entrer sans aucun empêchement. Et, pendant que -j’adorais pieusement la sainte Croix, un inconnu me remit -trois pièces de monnaie, avec lesquels j’achetai trois -pains. Et j’entendis une voix qui me disait : « Traverse -le Jourdain, et tu seras sauvée ! » Je traversai donc le -Jourdain et vins dans ce désert, où, depuis quarante-six -ans, je demeure sans avoir jamais vu figure humaine, -vivant des trois pains que j’ai emportés avec moi, et -qui, devenus maintenant durs comme des pierres, -suffisent encore à ma nourriture. Quant à mes vêtements, -depuis longtemps déjà ils sont tombés en morceaux. -Et, pendant les dix-sept premières années de mon -séjour au désert, j’ai été tourmentée de tentations charnelles ; -mais, à présent, par la grâce de Dieu, je les ai -toutes vaincues. Voilà mon histoire. Je te l’ai racontée -afin que tu daignes prier Dieu pour moi ! »</p> - -<p>Alors le vieillard, se prosternant à terre, bénit le Seigneur -dans la personne de sa servante. Et celle-ci lui -dit : « Ecoute ce que je vais te demander ! C’est que, le -jour de Pâques, tu passes de nouveau le Jourdain, en -apportant avec toi une hostie consacrée. Je t’attendrai sur -le rivage, et recevrai de ta main le corps du Seigneur, -car je n’ai plus communié depuis le jour de mon arrivée -ici ! » Le vieillard s’en retourna donc dans son monastère ; -et, l’année suivante, aux approches de la fête de -Pâques, il revint jusqu’à la rive du Jourdain, emportant -avec lui une hostie consacrée. Et voici qu’il aperçut la -femme debout sur l’autre rive. Et voici que, ayant fait le -signe de la croix sur les eaux, elle se mit à marcher sur -<span class="pagenum" id="p215">-215-</span> elles et parvint ainsi jusqu’au vieillard. Celui-ci, émerveillé -de ce miracle, voulut se prosterner humblement à -ses pieds. Mais elle lui dit : « Mon père, garde-toi de te -prosterner devant moi, surtout maintenant que tu es porteur -du corps du Christ ; mais daigne seulement revenir -encore vers moi l’année prochaine ! » Puis, ayant reçu le -sacrement, elle fit de nouveau un signe de croix, et de -nouveau marcha sur les eaux jusqu’à l’autre rive.</p> - -<p>L’année suivante, Zosime ne la trouva plus sur le -rivage. Il passa le fleuve, se rendit à l’endroit où il -l’avait vue la première fois ; et là il la vit, morte, étendue -sur le sable. Alors il fondit en larmes ; et il n’osait -point toucher ses restes, par crainte de lui déplaire, car -elle était nue. Mais tandis qu’il songeait aux moyens de -l’ensevelir, il lut une inscription tracée sur le sable : -« Zosime, ensevelis mon corps, rends mes cendres à la -terre, et prie pour moi le Seigneur, sur l’ordre de qui j’ai -enfin été délivrée de ce monde, le second jour d’avril ! » -Ainsi le vieillard découvrit qu’elle était morte presque -aussitôt après avoir reçu la sainte communion. Et comme -il s’épuisait à creuser une fosse, il vit un lion, qui, doucement, -s’approchait de lui. Et il lui dit : « Cette sainte -femme m’a ordonné d’ensevelir son corps ; mais, vieux -comme je le suis, et n’ayant point de bêche, je ne parviens -pas à creuser la fosse. Toi donc, mon ami, creuse -une fosse, afin que nous puissions ensevelir le corps -vénéré de Marie l’Egyptienne ! » Et aussitôt le lion se -mit à creuser une grande fosse, après quoi il s’en alla, -doux comme un agneau ; et le vieillard s’en retourna -vers son monastère en glorifiant Dieu.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p216">-216-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c57">LVII<br /> -SAINT AMBROISE, <span class="small">ÉVÊQUE ET DOCTEUR<br /> -(4 avril)</span></h2> - - -<p>La vie de saint Ambroise a été écrite par Paulin, évêque -de Nole, dans une lettre à saint Augustin.</p> - -<p>I. Saint Ambroise était fils d’un préfet de Rome nommé -Ambroise. Pendant qu’il dormait dans son berceau, un -essaim d’abeilles descendit sur lui, et les abeilles entraient -dans sa bouche comme dans une ruche ; après -quoi elles s’envolèrent si haut que l’œil humain les perdait -de vue. Alors le père de l’enfant s’écria : « Cet enfant, -s’il vit, deviendra quelque chose de grand ! » Plus -tard Ambroise, étant adolescent, et voyant que sa mère -et sa sœur baisaient les mains des prêtres, offrit un -jour à sa sœur ses propres mains à baiser, par manière -de jeu, et ajouta qu’elle aurait un jour à les lui baiser -sérieusement. Il étudia les lettres à Rome, et plaida au -prétoire avec tant d’éclat que l’empereur Valentinien le -chargea de gouverner les provinces de la Ligurie et de -l’Emilie. Il vint donc à Milan, où tout le peuple s’était -réuni pour élire un évêque. Et comme les ariens et les -catholiques se querellaient au sujet de cette élection, -Ambroise intervint entre eux pour apaiser leur querelle. -Et voici qu’une voix d’enfant se fit entendre tout à coup, -disant qu’Ambroise lui-même devait être élu évêque : ce -à quoi tout le peuple consentit, de telle sorte qu’Ambroise -fut élu par acclamation. Mais lui, dès qu’il le sut, -s’efforça de les détourner de ce choix en les terrorisant : -sortant de l’église il se rendit à son tribunal, et, contre -son habitude, condamna plusieurs prévenus à des peines -corporelles. Cependant le peuple persistait dans son -choix et continuait à l’acclamer, disant : « Que la faute -de ton péché retombe sur nous ! » Alors, tout troublé, Ambroise -rentra chez lui et y fit venir, au su de tous, des -filles publiques, espérant que la vue de ce scandale détournerait -<span class="pagenum" id="p217">-217-</span> le peuple de le prendre pour évêque. Mais -cela même ne servit de rien, car le peuple persistait à -lui dire : « Que ta faute retombe sur nous ! » Alors -Ambroise, désespéré, résolut de s’enfuir au milieu de la -nuit, et se mit en route dans la direction du Tessin. -Mais, après avoir marché toute la nuit, il se retrouva, le -matin, devant une porte de Milan qu’on appelle la Porte -Romaine. Il y fut reconnu par le peuple, et gardé par -lui ; et l’on rendit compte de la chose à l’empereur Valentinien, -qui fut enchanté de voir qu’on prenait pour -évêque un de ses fonctionnaires. Et le bon préfet, père -d’Ambroise, se réjouissait de voir sa prédiction réalisée. -Cependant Ambroise, à Milan, était de nouveau parvenu -à se cacher, mais de nouveau il fut retrouvé. Il reçut le -baptême, car il n’était encore que catéchumène, et, huit -jours après, il montait dans la chaire épiscopale. Et -comme, quatre ans plus tard, il était retourné à Rome -et que sa sœur lui baisait respectueusement la main, il -lui dit en riant : « Eh bien, ne l’avais-je pas prédit, -que tu aurais un jour à me baiser la main pour de -bon ? »</p> - -<p>II. Ambroise vint un jour ordonner un évêque dans une -ville où l’impératrice Justine et d’autres hérétiques -voulaient faire élire un homme de leur secte. Et voici -qu’une jeune fille arienne, plus hardie que les autres, -monta dans la chaire où se tenait saint Ambroise, et se -mit à le tirer par le pan de son manteau ; elle espérait -l’entraîner vers un groupe de femmes qui l’auraient -frappé et jeté hors de l’église. Mais Ambroise lui dit : -« Si indigne que je sois de mon sacerdoce, tu n’as pas le -droit de porter la main sur un prêtre ! Crains le jugement -de Dieu, et prends garde que quelque mal n’en résulte pour -toi ! » Paroles que l’événement ne tarda pas à confirmer : -car, le lendemain, la jeune fille mourut, et Ambroise la -conduisit jusqu’au lieu de sa sépulture, rendant ainsi le -bien pour le mal. Et l’exemple de cette mort effraya -toute la ville.</p> - -<p>Revenu à Milan, saint Ambroise eut à éviter d’innombrables -pièges de l’impératrice Justine qui, par l’argent -<span class="pagenum" id="p218">-218-</span> et par les honneurs, excitait le peuple contre lui. Et -comme plusieurs s’efforçaient de le contraindre à quitter -la ville, l’un d’eux, plus mal avisé que les autres, loua -une maison tout contre l’église et y tint prêt un char à -quatre chevaux, de façon à pouvoir emmener au plus -vite l’évêque quand, avec l’aide de Justine, il serait parvenu -à s’emparer de lui. Mais Dieu voulut que, le jour -où cet homme avait espéré emmener saint Ambroise hors -de Milan, ce fut lui-même qui dût partir pour l’exil sur -son quadrige. Et Ambroise, rendant le bien pour le mal, -s’occupa de pourvoir à son entretien.</p> - -<p>Certain hérétique, homme acharné à la discussion et -très difficile à convertir, comme un jour il entendait -prêcher saint Ambroise, vit un ange qui lui soufflait à -l’oreille les paroles de son discours. Ce que voyant, cet -homme se mit à défendre la foi qu’il attaquait.</p> - -<p>III. Il y avait à Milan un sorcier qui conjurait les démons -et les envoyait vers Ambroise pour le tourmenter ; -mais les démons, revenant vers lui, déclaraient -tous qu’ils ne pouvaient s’approcher ni d’Ambroise, ni -de sa maison, parce qu’un feu terrible entourait tout cet -édifice, si bien que, même à distance, ils en sentaient la -brûlure. Un autre démon, qui s’était emparé de l’esprit -d’un homme, sortait de l’esprit de cet homme toutes les -fois que celui-ci entrait à Milan, et reprenait possession -de lui toutes les fois que l’homme sortait de la ville. Interrogé -sur les motifs de sa conduite, ce démon répondit -qu’il avait peur de se trouver en contact avec saint Ambroise. -Il y eut aussi un homme qui, à l’instigation de -Justine, entra de nuit dans la chambre du saint pour le -poignarder ; mais au moment où il levait le bras, prêt à -frapper, son bras se trouva soudain desséché.</p> - -<p>Les habitants de la ville de Thessalonique s’étaient -rendus coupables envers l’empereur ; et celui-ci, sur la -prière d’Ambroise, leur avait d’abord pardonné ; mais -ensuite, excité par la malice de ses courtisans, il avait -fait mettre à mort plusieurs des habitants de la ville. -Ambroise, dès qu’il l’apprit, interdit à l’empereur l’accès -de son église. Et comme Théodose lui disait que le sage -<span class="pagenum" id="p219">-219-</span> David lui-même avait commis un meurtre et un adultère, -l’évêque lui répondit : « Tu l’as imité dans ses erreurs, -imite-le maintenant dans sa pénitence ! » Et l’empereur -fut si touché de ces paroles qu’il entreprit aussitôt de -faire pénitence.</p> - -<p>IV. Se promenant un jour dans Milan, saint Ambroise -fit un faux pas, et tomba. Un passant, à cette vue, se mit -à rire. Mais le saint lui dit : « Toi qui es debout, prends -garde à ne pas tomber ! » Et, en effet, au même instant, -le rieur s’étendit à terre et eut à déplorer sa propre -chute, après s’être moqué de celle d’autrui.</p> - -<p>Un autre jour, Ambroise, s’étant rendu au palais d’un -magistrat nommé Macédonius, auprès de qui il voulait -intercéder pour un accusé, trouva les portes du palais -fermées et ne put se faire admettre. Sur quoi il dit au -magistrat : « Toi aussi, bientôt, tu viendras à mon -église, et tu en trouveras les portes ouvertes, mais tu ne -parviendras pas à y entrer ! » Et, en effet, peu de temps -après, Macédonius, poursuivi par ses ennemis, voulut -se réfugier dans l’église ; mais bien que toutes les portes -fussent ouvertes, un pouvoir invisible l’empêcha d’entrer.</p> - -<p>Saint Ambroise institua dans l’église de Milan des -chants et un office qui y sont célébrés, aujourd’hui encore. -Il vivait avec tant d’austérité qu’il jeûnait tous les -jours, sauf le jour du sabbat, le dimanche et les jours de -grande fête. Telle était sa générosité qu’il donnait aux -églises et aux pauvres tout ce qu’il pouvait avoir, ne gardant -rien pour lui-même. Telle était sa compassion que, -lorsque quelqu’un lui racontait un de ses péchés, il en -pleurait si amèrement que le pécheur était forcé de -pleurer avec lui. Telles étaient son humilité et sa passion -au travail qu’il écrivait tous ses livres de sa propre -main, aussi longtemps que ses forces le lui permettaient. -Telles étaient sa piété et la douceur de son âme qu’en -apprenant la mort d’un saint prêtre ou évêque il pleurait -au point de ne pouvoir pas être consolé : et il expliquait -qu’il ne pleurait point parce que ces saints hommes -étaient entrés dans la gloire, mais parce qu’ils l’y avaient -<span class="pagenum" id="p220">-220-</span> précédé lui-même, laissant un vide impossible à remplir. -Et tels étaient son courage et sa fermeté qu’il avait -coutume de reprocher ouvertement leurs vices à l’empereur -et aux princes.</p> - -<p>V. On raconte que saint Ambroise, pendant un voyage -à Rome, reçut l’hospitalité dans une villa de Toscane, -chez un homme extrêmement riche, et qu’il s’informa -avec insistance auprès de son hôte sur sa condition de -fortune. A quoi l’hôte répondit : « Ma condition, seigneur, -a toujours été heureuse et glorieuse. Voyez, -j’ai des richesses infinies, un nombre incalculable d’esclaves -et de serviteurs ; toujours tous mes vœux ont -été réalisés, et jamais rien ne m’est arrivé de contraire, ni -même de désagréable. » Ce qu’entendant, saint Ambroise -fut stupéfait ; et il dit à ses compagnons de route : -« Levez-vous, et fuyons au plus vite d’ici, car le Seigneur -n’a point de place dans cette maison. Hâtez-vous, -mes enfants, hâtons-nous de fuir, de peur que la vengeance -divine ne nous surprenne ici et ne nous enveloppe -dans l’expiation des péchés de ces gens-là ! » Et -à peine Ambroise et ses compagnons avaient-ils quitté -la maison, que, soudain, la terre s’ouvrit et engloutit, -sans laisser de trace, ce riche et tout ce qui lui appartenait. -Ce que voyant, Ambroise dit : « Voyez, mes frères, -comme Dieu nous traite avec miséricorde quand il nous -envoie des épreuves, et comme il nous traite avec sévérité -quand il nous envoie une longue suite de plaisirs ! » -Et l’on ajoute que, aujourd’hui encore, un fossé très profond -reste creusé en ce lieu, pour garder le témoignage -de cet événement.</p> - -<p>VI. Cependant, saint Ambroise voyait croître de jour -en jour parmi les hommes la cupidité, cette source de -tous les maux. Il la voyait croître surtout chez les fonctionnaires, -qui trafiquaient de tout, et aussi chez les -dignitaires de l’Eglise. Et cette vue lui inspira une telle -douleur qu’il pria Dieu de le délivrer du commerce d’un -siècle aussi corrompu. Dieu entendit sa prière ; et, un -jour, le saint évêque annonça à ses frères qu’après les -fêtes de Pâques il ne serait plus avec eux. Or, quelques -<span class="pagenum" id="p221">-221-</span> jours avant Pâques, pendant que, couché dans son lit, il -dictait à son secrétaire une explication du psaume XLIII, -le secrétaire vit soudain une langue de feu descendre sur -lui, et pénétrer dans sa bouche. Et aussitôt le visage du -saint revêtit une blancheur de neige, pour reprendre bientôt -après sa couleur ordinaire. Et, ce même jour, le saint -dut cesser d’écrire comme de dicter, de telle sorte qu’il -ne put pas même achever le commentaire du psaume ; et la -faiblesse de son corps allait augmentant d’heure en heure. -Alors le comte d’Italie rassembla tous les notables de -Milan, leur dit que la mort d’un tel homme serait un danger -mortel pour le pays, et leur demanda d’aller trouver -le saint pour l’engager à obtenir de Dieu la prolongation -de sa vie, durant une année. Mais saint Ambroise s’y -refusa, disant : « Je n’ai ni honte, ni peur de mourir. »</p> - -<p>Quatre diacres, qui se trouvaient dans une chambre -très éloignée de celle où était couché saint Ambroise, -discutaient entre eux la question de savoir qui l’on -devrait élire pour évêque à la mort du saint. Et au -moment où l’un d’eux citait le nom de Simplicien, saint -Ambroise, de son lit, s’écria trois fois : « Il est vieux, -mais c’est le meilleur de tous ! » Et, en effet, ce fut Simplicien -qui fut élu en remplacement d’Ambroise.</p> - -<p>Et celui-ci, sur le lit où il agonisait, vit ensuite Jésus -s’approcher de lui et lui sourire tendrement. Et comme -Honoré, évêque de Verceil, qui attendait d’un instant -à l’autre, la nouvelle de la mort d’Ambroise, s’était -laissé aller au sommeil, il entendit en rêve une voix qui, -trois fois, lui répétait : « Lève-toi, car l’heure approche -où il va mourir ! » Sur quoi l’évêque se rendit en grande -hâte à Milan, donna à Ambroise la sainte communion, lui -étendit les bras en forme de croix, et recueillit son dernier -soupir. Cette mort eut lieu en l’an du Seigneur 399.</p> - -<p>Et dans la nuit de Pâques, qui fut celle de la translation -à l’église du corps de saint Ambroise, une foule -de petits enfants chrétiens virent celui-ci en rêve ; les -uns le virent assis dans sa chaire, les autres y montant ; -et il y en eut qui racontèrent à leurs parents qu’ils -avaient vu une étoile au-dessus de sa tête.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p222">-222-</span> VII. Saint Ambroise peut être cité comme le modèle -d’une foule de vertus chrétiennes. Il peut être cité, premièrement, -comme un modèle de générosité. Tout ce -qu’il avait appartenait aux pauvres. Et lorsque l’empereur -voulut lui prendre une église, il répondit : « Si -vous me demandiez ce qui m’appartient, je vous le donnerais, -bien que tout ce qui m’appartient appartienne aux -pauvres. » Secondement, il peut être cité comme un -modèle de chasteté, car il resta vierge toute sa vie. Troisièmement, -il nous offre l’exemple de la fermeté dans la -foi, car à l’empereur, qui voulait lui ôter l’église, il -répondit : « Vous m’ôterez la vie avant de m’arracher de -mon siège ! » Quatrièmement, saint Ambroise nous est un -modèle de la soif du martyre. Un préfet de Valentinien -l’ayant menacé de le mettre à mort, il lui répondit : -« Fasse Dieu que tu puisses réaliser ta menace, et que -tous tes traits épargnent l’Eglise pour n’accabler que -moi seul ! » En cinquième lieu, saint Ambroise nous est -un modèle d’application à la prière. Nous lisons, en effet, -dans le XI<sup>e</sup> livre de l’<i>Histoire ecclésiastique</i> que, contre -les fureurs de Justine, il ne se défendait que par le jeûne, -la veille et les prières au pied de l’autel.</p> - -<p>En sixième lieu, saint Ambroise peut être cité comme -un modèle de constance. Sa constance nous -apparaît surtout en trois choses : 1<sup>o</sup> dans sa défense -de la vérité catholique contre les attaques de Justine, -mère de l’empereur Valentinien, et protectrice de l’hérésie -arienne ; 2<sup>o</sup> dans sa défense de la liberté de l’Eglise, -lorsque l’empereur voulut lui enlever certaine basilique -pour la livrer aux ariens. Il nous dit lui-même, dans -son 23<sup>e</sup> décret, comment il résista à l’empereur, en lui -disant : « Ne commets point la faute, empereur, de prétendre -que tu aies aucun droit dans les choses divines ! -A l’empereur appartiennent les palais, mais les églises -sont aux prêtres. Naboth, autrefois, a défendu de -son propre sang la vigne qu’on voulait lui prendre : s’il -a refusé de céder sa vigne, comment peux-tu t’imaginer -que nous te céderons une église du Christ ? Le tribut est -à César, et nous ne refusons pas de le lui donner ; mais -<span class="pagenum" id="p223">-223-</span> les églises sont à Dieu, et nous ne pouvons donc pas les -donner à César. » Enfin, 3<sup>o</sup> la constance de saint Ambroise -nous apparaît dans la façon dont il a su blâmer le vice -et l’iniquité. On lit dans l’<i>Histoire tripartite</i> que, le -peuple de Thessalonique s’étant révolté et ayant tué -quelques fonctionnaires, l’empereur Théodose en fut si -irrité qu’il fit mettre à mort tous les habitants de la -ville, au nombre de près de cinq mille, sans distinguer -les innocents des coupables. Or, lorsqu’il vint ensuite à -Milan et voulut entrer dans l’église, saint Ambroise le -reçut devant la porte et lui interdit l’entrée, en lui -disant : « Comment, empereur, après un tel crime, ne -reconnais-tu pas l’énormité de ta présomption ? Ou bien, -peut-être, ta dignité impériale t’empêcherait-elle de -reconnaître tes péchés ? Tu es prince, ô empereur, mais -tu es, comme les autres hommes, l’esclave de Dieu. -Comment oserais-tu étendre vers Dieu des mains encore -tachées du sang innocent ? Comment oserais-tu prier -Dieu, dans son temple, avec la même bouche qui a proféré -un ordre injuste et monstrueux ? Allons, retire-toi, -afin de ne pas accroître d’un second péché le poids du -premier ! » Et l’empereur, pleurant et gémissant, reprit -le chemin de son palais. Et comme le chef de ses troupes -lui demandait la cause de sa tristesse : « Hélas ! répondit-il, -aux esclaves et aux mendiants les églises sont -ouvertes, et moi seul n’ai pas le droit d’y pénétrer ! » -Alors Rufin : « Si tu veux, je vais courir vers Ambroise, -pour qu’il te délivre de son excommunication ! » Et il -insista si fort que Théodose finit par le laisser aller. -Mais dès qu’Ambroise vit Rufin, il lui dit : « Tu imites -l’impudence des chiens, Rufin, en aboyant contre la -majesté divine ! » Et comme Rufin le suppliait pour son -maître, Ambroise, enflammé du feu céleste, lui dit : « Je -te déclare que je lui interdis l’accès du saint lieu. Et s’il -change son pouvoir en tyrannie, volontiers j’accepterai la -mort ! » Rufin rapporta ces paroles à l’empereur, qui dit : -« Je vais aller vers Ambroise, pour recevoir, en face, ses -justes reproches. » Alors Ambroise, continuant à lui -défendre l’entrée de l’église, lui dit : « Quelle pénitence -<span class="pagenum" id="p224">-224-</span> as-tu faite après un tel crime ? » Et l’empereur lui dit : -« C’est à toi de l’imposer, à moi d’obéir ! » Et il fit pénitence -publique jusqu’à ce que son excommunication fût -levée. Plus tard, étant entré dans l’église, il pénétra -dans le chœur, mais Ambroise lui demanda ce qu’il -venait y faire, et comme il répondait qu’il était venu pour -assister au saint sacrifice, Ambroise lui dit : « O empereur, -le chœur de l’église est réservé aux seuls prêtres. -Retire-toi donc d’ici, et va rejoindre le reste des fidèles -dans la nef : car la pourpre fait de toi un empereur, -mais nullement un prêtre ! » Et l’empereur obéit aussitôt. -Et comme, de retour à Constantinople, il se tenait -dans la nef de la cathédrale, l’évêque lui fit dire d’entrer -dans le chœur ; mais Théodose s’y refusa, disant : -« Je sais maintenant, grâce à Ambroise, la différence -qu’il y a entre un empereur et un prêtre. »</p> - -<p>En septième lieu, saint Ambroise peut être cité -comme modèle pour la sainteté de sa doctrine : car sa -doctrine est si pleine de profondeur que saint Jérôme -a pu dire de lui, dans ses <i>Douze Docteurs</i> : « Toutes les -phrases de saint Ambroise sont des colonnes de la foi et -de toutes les vertus. » Et saint Augustin ajoute que « les -adversaires eux-mêmes n’ont jamais osé reprendre la -doctrine d’Ambroise, ni le sens très pur qu’il a eu des -Livres Saints ». Et telle était l’autorité de saint Ambroise -que, pour tous les auteurs du temps, chacune de ses -paroles faisait foi. Dans sa lettre à Janvier, Augustin -raconte que, sa mère, s’étonnant de ce que l’on ne jeûnât -pas à Milan le jour du sabbat, en demanda la cause à -Ambroise, qui lui dit : « Quand je vais à Rome, je jeûne -le jour du sabbat. Et de même toi, lorsque tu te trouves -dans un diocèse, fais en sorte d’en suivre les usages, si -tu ne veux scandaliser personne, ni être scandalisée par -personne ! » Et Augustin ajoute que, depuis lors, après -avoir beaucoup réfléchi à ces paroles, il en est venu à les -tenir pour un oracle céleste.</p> - -<p>La vie et la passion des saints Tiburce et Valérien, — que -l’église fête également le 4 avril, — se trouveront -racontées dans l’histoire de sainte Cécile.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p225">-225-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c58">LVIII<br /> -SAINT SIXTE, <span class="small">PAPE ET MARTYR<br /> -(6 avril)</span></h2> - - -<p>I. Le pape Sixte était originaire d’Athènes et avait -d’abord étudié la philosophie. Il devint, plus tard, disciple -du Christ, et fut élu souverain Pontife. Il comparut -devant Décius et Valérien, avec ses deux diacres Felicissime -et Agapite. Et Décius, voyant qu’il ne parvenait -pas à le persuader par ses arguments, le fit conduire au -temple de Mars pour y sacrifier aux idoles, faute de -quoi il aurait à être jeté en prison. Et saint Laurent, -courant derrière Sixte, lui disait : « Père, où vas-tu sans -ton fils ? Prêtre, où vas-tu sans ton assistant ? » Et Sixte : -« Mon fils, ne crois pas que je t’abandonne ; mais de -plus grands combats t’attendent encore pour la foi du -Christ. Dans trois jours tu me suivras, comme le lévite -suit le prêtre. Et, en attendant, reçois les trésors de -l’Eglise, et distribue-les à qui bon te semblera ! » Laurent -distribua ces trésors aux chrétiens pauvres. Et le préfet -Valérien voyant que Sixte refusait de sacrifier aux -idoles, ordonna qu’il eût la tête tranchée. Or, comme on -le conduisait au supplice, de nouveau saint Laurent courut -derrière lui en lui disant : « Ne m’abandonne pas, -saint père, car j’ai déjà dépensé les trésors que tu m’as -remis ! » Sur quoi les soldats, l’entendant parler de trésors, -s’emparèrent de lui. Puis ils tranchèrent la tête de -Sixte et celles de ses deux compagnons.</p> - -<p>II. Le même jour, l’Eglise célèbre la fête de la Transfiguration -du Seigneur. Et certaines églises célèbrent -aussi la fête du Sang du Christ avec le vin nouveau, -lorsqu’elles peuvent s’en procurer ; et le peuple communie -de ce vin. Cela se fait en souvenir de ce que, -durant la Cène, le Seigneur a dit à ses disciples : -« Maintenant je ne boirai plus de ce jus de la vigne, -jusqu’à ce que j’en boive du nouveau dans le royaume -<span class="pagenum" id="p226">-226-</span> de mon père. » On dit cependant que ce n’est point ce -jour-là qu’eut lieu la transfiguration, mais qu’elle fut -seulement, ce jour-là, révélée par les apôtres. Elle eut -lieu, en réalité, au commencement du printemps ; mais -défense fut faite aux disciples d’en parler, et ce n’est -que ce jour-là qu’ils la révélèrent. C’est du moins ce -qu’on lit dans le livre appelé <i>Mitral</i>.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c59">LIX<br /> -SAINT GEORGES, <span class="small">MARTYR<br /> -(23 avril)</span></h2> - - -<p>I. Georges était originaire de Cappadoce, et servait dans -l’armée romaine, avec le grade de tribun. Le hasard d’un -voyage le conduisit un jour dans les environs d’une ville -de la province de Libye, nommée Silène. Or, dans un -vaste étang voisin de cette ville habitait un dragon -effroyable qui, maintes fois, avait mis en fuite la foule -armée contre lui, et qui, s’approchant parfois des murs -de la ville, empoisonnait de son souffle tous ceux qui se -trouvaient à sa portée. Pour apaiser la fureur de ce -monstre et pour l’empêcher d’anéantir la ville tout -entière, les habitants s’étaient mis d’abord à lui offrir, tous -les jours, deux brebis. Mais bientôt le nombre des brebis -se trouva si réduit qu’on dut, chaque jour, livrer au dragon -une brebis et une créature humaine. On tirait donc -au sort le nom d’un jeune homme ou d’une jeune fille ; -et aucune famille n’était exceptée de ce choix. Et déjà -presque tous les jeunes gens de la ville avaient été dévorés -lorsque, le jour même de l’arrivée de saint Georges, -le sort avait désigné pour victime la fille unique du roi. -Alors ce vieillard, désolé, avait dit : « Prenez mon or et -mon argent, et la moitié de mon royaume, mais rendez-moi -ma fille, afin que lui soit épargnée une mort si -<span class="pagenum" id="p227">-227-</span> affreuse ! » Mais son peuple, furieux, lui répondit : « C’est -toi-même, ô roi, qui as fait cet édit ; et maintenant que, à -cause de lui, tous nos enfants ont péri, tu voudrais que -ta fille échappât à la loi ? Non, il faut qu’elle périsse -comme les autres, ou bien nous te brûlerons avec toute -ta maison ! » Ce qu’entendant, le roi fondit en larmes, et -dit à sa fille : « Hélas, ma douce enfant, que ferai-je de toi ? -Et ne me sera-t-il pas donné de voir un jour tes noces ? » -Après quoi, voyant qu’il ne parviendrait pas à obtenir -le salut de sa fille, il la revêtit de robes royales, la couvrit -de baisers, et lui dit : « Hélas, ma douce enfant, j’espérais -voir se nourrir sur ton sein des enfants royaux, -et voici que tu dois me quitter pour aller servir de pâture -à cet horrible dragon ! Hélas, ma douce enfant, j’espérais -pouvoir inviter à tes noces tous les princes du pays, et -orner de perles mon palais, et entendre le son joyeux des -orgues et des tambours ; et voici que je dois t’envoyer à -ce dragon qui doit te dévorer ! » Et il la renvoya en lui -disant encore : « Hélas, ma fille, que ne suis-je mort -avant ce triste jour ! » Alors la jeune fille tomba aux -pieds de son père, pour recevoir sa bénédiction ; après -quoi, sortant de la ville, elle marcha vers l’étang où était -le monstre.</p> - -<p>Saint Georges, qui passait par là, la vit toute en -larmes, et lui demanda ce qu’elle avait. Et elle : « Bon -jeune homme, remonte vite sur ton cheval et fuis, pour -ne pas mourir de la même mort dont je vais mourir ! » -Et saint Georges : « Ne crains point cela, mon enfant, -mais dis-moi pourquoi tu pleures ainsi, sous les yeux de -cette foule qui se tient debout sur les murs ? » Et elle : -« A ce que je vois, bon jeune homme, tu as le cœur généreux, -et tu veux périr avec moi ! Mais, je t’en supplie, -enfuis-toi au plus vite ! » Et Georges : « Je ne partirai -point d’ici que tu ne m’aies dit ce que tu as ! » Alors, la -jeune fille lui raconta toute son histoire, et Georges lui -dit : « Mon enfant, sois sans crainte, car, au nom du Christ, -je te secourrai ! » Mais elle : « Vaillant chevalier, hâte-toi -de te secourir toi-même, pour ne point périr avec moi ! -C’est assez que je sois seule à périr ! »</p> - -<p><span class="pagenum" id="p228">-228-</span> Et pendant qu’ils parlaient ainsi, le dragon souleva -sa tête au-dessus de l’étang. La jeune fille, toute tremblante, -s’écria : « Fuis, cher seigneur, fuis au plus vite ! » -Mais Georges, après être remonté sur son cheval et -s’être muni du signe de la croix, assaillit bravement le -dragon qui s’avançait vers lui et, brandissant sa lance et -se recommandant à Dieu, il fit au monstre une blessure -qui le renversa sur le sol. Et le saint dit à la jeune fille : -« Mon enfant, ne crains rien, et lance ta ceinture autour -du cou du dragon ! » La jeune fille fit ainsi, et le dragon, -se redressant, se mit à la suivre comme un petit chien -qu’on mènerait en laisse.</p> - -<p>Mais, en le voyant s’avancer vers la ville, les habitants -épouvantés prirent la fuite, bien certains que tous allaient -être dévorés. Saint Georges leur fit signe de revenir, et -leur dit : « Soyez sans crainte, car le Seigneur m’a permis -de vous délivrer des méfaits de ce monstre ! Croyez au -Christ, recevez le baptême, et je tuerai votre persécuteur ! » -Alors le roi et tout son peuple se firent baptiser ; -on baptisa, ce jour-là vingt mille hommes ainsi qu’une -foule de femmes et d’enfants. Et saint Georges, tirant -son épée, tua le dragon, qui fut emporté hors de la ville -sur un char attelé de quatre paires de bœufs. Et le roi -fit élever, en l’honneur de la sainte Vierge et de saint -Georges, une immense église, de laquelle jaillit une -source vive dont l’eau guérit toutes les maladies de langueur. -Le roi offrit aussi à saint Georges une grosse -somme d’argent ; mais le saint, sans rien prendre pour -lui, la fit distribuer aux pauvres. Il enseigna ensuite au -roi quatre choses : Il lui apprit : 1<sup>o</sup> à avoir soin de -l’église de Dieu ; 2<sup>o</sup> à honorer les prêtres ; 3<sup>o</sup> à suivre -assidûment les offices divins ; 4<sup>o</sup> à garder toujours le -souvenir des pauvres. Après quoi, ayant encore embrassé -le vieux roi, il prit congé de lui.</p> - -<p>D’autres auteurs racontent cependant l’histoire d’une -autre façon. Ils disent que, au moment où le dragon -s’avançait pour dévorer la jeune fille, saint Georges, -ayant fait le signe de la croix, se jeta sur lui et le tua du -coup.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p229">-229-</span> II. En ce temps-là, sous le règne de Dioclétien et Maximien, -le préfet Dacien ouvrit contre les fidèles une persécution -si violente que, dans l’espace d’un mois, dix-sept -mille d’entre eux reçurent la couronne du martyre, -et que beaucoup d’autres, à force de souffrir dans les -tourments, fléchirent et se résignèrent à sacrifier aux -idoles. Ce que voyant, saint Georges, éperdu de douleur, -se dépouilla de tous ses biens, rejeta ses habits guerriers -pour revêtir le manteau des chrétiens, et, s’élançant au -milieu de la place publique, s’écria : « Tous vos dieux -ne sont que des démons ; et c’est notre Seigneur qui a -créé le ciel et la terre ! » Le préfet, irrité, lui dit : « Comment -oses-tu, présomptueux, blasphémer contre nos -dieux ! Qui es-tu, et d’où viens-tu ? » Et saint Georges : -« Je me nomme Georges, je descends d’une famille noble -de la Cappadoce et, avec l’aide de mon Dieu, j’ai combattu -en Palestine ; mais maintenant j’ai renoncé à tout pour servir -plus librement le Dieu du ciel. » Alors le préfet, ne pouvant -le fléchir, le fit étendre sur un chevalet et ordonna que -tous ses membres fussent déchirés, l’un après l’autre, par -des ongles de fer ; il lui fit aussi brûler le corps avec des -torches ardentes, et fit frotter avec du sel les plaies par -où sortaient ses entrailles. Mais, la nuit suivante, le Seigneur -apparut à saint Georges avec une grande lumière, -et le réconforta si doucement, par sa vision et par ses -paroles, que toutes les souffrances lui parurent légères. -Et Dacien, voyant que les tourments n’avaient point de -prise sur lui, fit venir un magicien, et lui dit : « Ces chrétiens -ont des sortilèges qui leur adoucissent les tourments -et les rendent intraitables. » Et le magicien répondit : -« Si je ne parviens pas à avoir raison des sortilèges -de Georges, je consens que tu m’ôtes la vie ! » Sur quoi, -après avoir invoqué ses dieux, il versa du poison dans -du vin, et fit boire ce vin à saint Georges : celui-ci le -but en faisant un signe de croix, et n’en souffrit aucun -mal. Le magicien mit alors dans le vin une dose plus forte -de poison ; le saint fit un signe de croix, et but le vin -sans avoir aucun mal. Ce que voyant, le magicien se prosterna -à ses pieds, le supplia en pleurant de lui pardonner, -<span class="pagenum" id="p230">-230-</span> et demanda à devenir chrétien : le préfet lui fit couper -la tête peu de temps après. Quant à saint Georges, il -le fit placer sur une roue qu’entouraient de toutes parts -des glaives à deux tranchants ; mais la roue se brisa au -premier mouvement, et saint Georges fut retrouvé sain -et sauf où on l’avait mis. Dacien le fit alors plonger dans -une chaudière de plomb fondu ; mais lui, ayant fait le -signe de la croix, il n’éprouva que la sensation d’un bain -rafraîchissant.</p> - -<p>Alors Dacien, voyant que menaces et tortures étaient -sans prise sur lui, pensa l’amollir par des flatteries et -lui dit : « Tu vois, mon cher Georges, quelle est la mansuétude -de nos dieux, qui te laissent patiemment blasphémer -contre eux, et qui n’en restent pas moins prêts à -te favoriser pour peu que tu consentes à te convertir ! Fais -donc ce que je te conseille, mon cher enfant, renonce -à ta superstition et sacrifie à nos dieux, afin d’obtenir -d’eux et de nous d’immenses honneurs ! » Et saint -Georges lui répondit en souriant : « Pourquoi n’as-tu pas, -dès le début, cherché à me persuader par de douces -paroles plutôt que par des tourments ? Soit, je suis -prêt à faire ce que tu me conseilles ! » Dacien, tout -joyeux de cette promesse, fit annoncer à son de trompe -que tout le peuple eût à se rendre au temple, où Georges, -après une longue résistance, allait enfin sacrifier aux -dieux. Toute la ville fut pavoisée comme pour une fête, -et des milliers de personnes se pressèrent devant le -temple. Et Georges, dès qu’il y fut entré, s’agenouilla -et pria le Seigneur de détruire sur-le-champ ce temple -avec ses idoles. Et sur-le-champ un feu, tombant du ciel, -brûla le temple, les idoles et les prêtres ; et la terre, s’entr’ouvrant, -engloutit leurs restes. C’est de ce miracle -que parle saint Ambroise quand il nous dit : « Georges, -le fidèle soldat du Christ, en un temps où le christianisme -était caché, seul osa courageusement proclamer -sa foi dans le Fils de Dieu. Et la grâce divine, lui donna -en récompense, une telle fermeté qu’il brava mille -menaces et mille tortures. O bienheureux et admirable -combattant de Dieu ! Et non seulement il ne se laissa -<span class="pagenum" id="p231">-231-</span> point séduire par l’offre du pouvoir temporel, mais, se -jouant de son persécuteur il anéantit le temple avec -toutes ses idoles. » Alors Dacien se fit amener Georges -et lui dit : « Par quels maléfices as-tu osé, scélérat, commettre -un tel forfait ? » Et Georges : « Maître, tu te -trompes. Viens avec moi dans un autre temple, et tu -me verras sacrifier aux idoles ! » Et lui : « Je devine ta -ruse ! tu veux me faire périr, comme tu as fait déjà périr -mon temple et mes dieux ! » Alors Georges : « Mais, -malheureux, si tes dieux n’ont pas pu se secourir eux-mêmes, -comment pourraient-ils t’être d’aucun secours ? »</p> - -<p>Dacien, exaspéré, dit à sa femme Alexandrie : « Je -mourrai de dépit, car cet homme est plus fort que moi ! » -Mais elle : « Tyran sanguinaire, ne t’ai-je pas dit de ne -plus tourmenter les chrétiens, parce que leur Dieu combattait -pour eux ? Sache maintenant que, moi aussi, je -veux devenir chrétienne ! » Le préfet, étonné, s’écria : -« Comment ? Toi-même tu t’es laissée séduire ? » Et il -la fit suspendre par les cheveux et battre de verges. -Et elle, pendant qu’on la battait, dit à Georges : -« Georges, lumière de vérité, que penses-tu qu’il advienne -de moi, qui vais mourir sans avoir été régénérée par -l’eau du baptême ? » Et Georges : « N’aie point de doute -à ce sujet, ma fille, car l’effusion de ton sang te tiendra -lieu de baptême et te vaudra la couronne céleste ! » Alors -Alexandrie, après avoir prié le Seigneur, rendit l’âme. -C’est ce qu’atteste saint Ambroise et il ajoute que « cet -exemple nous prouve que le martyre permet, à défaut -du baptême, de posséder le royaume des cieux ».</p> - -<p>Le lendemain, Dacien ordonna que saint Georges -fût traîné par toute la ville, puis décapité. Et le saint -pria Dieu que quiconque implorerait son aide obtînt la -réalisation de son désir ; et une voix divine se fit entendre -qui lui dit que sa prière était exaucée. Puis, ayant fini -de prier, saint Georges eut la tête tranchée. Quant à -Dacien, comme il quittait le lieu du supplice pour rentrer -dans son palais, le feu du ciel tomba sur lui et le -consuma avec ses ministres.</p> - -<p>III. Grégoire de Tours raconte que des moines qui portaient -<span class="pagenum" id="p232">-232-</span> des reliques de saint Georges, et qui s’étaient arrêtés -en route dans un certain oratoire, ne purent soulever -la châsse où étaient ces reliques, aussi longtemps qu’ils -n’en eurent pas laissé une partie dans cet oratoire.</p> - -<p>IV. On lit dans l’histoire d’Antioche que, durant la croisade, -comme les chrétiens allaient assiéger Jérusalem, -un jeune homme merveilleusement beau apparut à un -prêtre. Il lui dit qu’il était saint Georges, chef des armées -chrétiennes, et que si les croisés emportaient de ses -reliques à Jérusalem, il serait là avec eux. Et comme -les croisés, assiégeant la ville, n’osaient point grimper -aux échelles par crainte des Sarrasins qui défendaient -les murs, saint Georges se montra à eux, vêtu d’une -armure blanche qu’ornait une croix rouge. Il leur fit -signe de le suivre sans crainte à l’assaut des murs. Et -eux, ainsi encouragés, ils repoussèrent les Sarrasins -et conquirent la ville.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c60">LX<br /> -SAINT MARC, <span class="small">ÉVANGÉLISTE<br /> -(25 avril)</span></h2> - - -<p>I. L’évangéliste Marc était de la tribu de Lévi et remplissait -les fonctions de prêtre. Baptisé par saint Pierre -et instruit par lui dans la foi chrétienne, il l’accompagna -lorsque ce saint partit pour Rome. Et là, comme -saint Pierre prêchait l’évangile, les fidèles prièrent -Marc de mettre par écrit le récit de la vie du Seigneur, -de façon à leur en laisser un souvenir durable. Marc -écrivit donc ce récit, tel qu’il l’entendait de la bouche -de son maître saint Pierre ; et celui-ci, après avoir examiné -son travail et en avoir constaté la parfaite exactitude, -l’approuva comme pouvant être admis par tous les -fidèles.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p233">-233-</span> Puis, voyant la constance de Marc dans la foi, il l’envoya -à Aquilée, où sa prédication convertit au christianisme -une foule innombrable, et où l’on conserve aujourd’hui -encore, très pieusement, un manuscrit de son -évangile qui passe pour écrit de sa main. Enfin saint -Marc, ayant achevé son œuvre à Aquilée, revint à -Rome, emmenant avec lui un citoyen d’Aquilée, Hermagoras, -qu’il avait converti, et que saint Pierre, sur sa -recommandation, consacra évêque de sa ville natale. -Cet Hermagoras gouverna dès lors son diocèse d’une -façon exemplaire, jusqu’au jour où, pris par les infidèles, -il reçut la couronne glorieuse du martyre.</p> - -<p>Quant à Marc, saint Pierre l’envoya ensuite à Alexandrie, -où, le premier, il prêcha la parole de Dieu. Le -savant juif Philon avoue lui-même que, dès son arrivée -dans cette ville, une multitude d’hommes se trouvèrent -unis dans la foi et la continence. Papias, évêque d’Hiéropolis, -a d’ailleurs résumé en beau style quelques-uns -de ses sermons, et Pierre Damien nous dit de lui : « Dieu -lui accorda une si précieuse faveur que, dès son arrivée -à Alexandrie, tous ceux qu’il convertit acquirent -aussitôt une perfection de mœurs presque monastique, -ce à quoi lui-même les a d’ailleurs encouragés non seulement -par ses miracles, mais aussi par l’exemple de ses -propres mœurs. Et Dieu lui a encore permis de revenir, -après sa mort, en Italie, de telle sorte que la terre où il -a écrit son évangile a obtenu l’honneur de posséder -ses reliques. Bienheureuse es-tu, Alexandrie, qui as -été empourprée de son sang triomphal ! Bienheureuse -es-tu, Italie, qui as été enrichie du trésor de ses restes ! »</p> - -<p>Telle était l’humilité de saint Marc qu’il se coupa le -pouce afin de ne pouvoir pas être ordonné prêtre : mais -saint Pierre passa outre, et le consacra évêque d’Alexandrie. -On raconte que, en arrivant dans cette ville, son -soulier se rompit et qu’il le donna à réparer à un savetier -rencontré sur sa route. Le savetier, en réparant le -soulier, se blessa grièvement à la main gauche, sur quoi -il s’écria : « Ah ! Dieu unique ! » Ce qu’entendant, saint -Marc dit : « En vérité le Seigneur bénit mon chemin ! » -<span class="pagenum" id="p234">-234-</span> Puis, ayant fait de la boue avec sa salive, il en frotta -la main du savetier et aussitôt la guérit. Cet homme, -étonné de sa puissance, le fit entrer dans sa maison et -se mit à lui demander qui il était et d’où il venait. Saint -Marc lui répondit qu’il était le serviteur du Seigneur -Jésus. Le savetier dit : « Je voudrais bien voir ton -maître ! » Et saint Marc lui répondit : « Je vais te le -faire voir ! » Puis il se mit à l’évangéliser, et le baptisa -avec toute sa maison. Mais bientôt des hommes de la -ville, apprenant l’arrivée d’un Juif qui méprisait leurs -dieux, lui tendirent des pièges ; et lui, en ayant été -informé, il créa évêque à sa place l’homme qu’il avait -guéri, et qui s’appelait Aniane ; après quoi lui-même -se rendit en Pentapole, où il resta deux ans. Il revint -ensuite à Alexandrie, où il avait construit une église au -bord de la mer, dans l’endroit qui se nomme l’Abattoir ; -et il trouva que le nombre des fidèles s’était encore -augmenté. Mais les prêtres des faux dieux mirent de -nouveau tout en œuvre pour s’emparer de lui. Et, le jour -de Pâques, pendant qu’il célébrait la messe, ils l’entourèrent, -lui passèrent une corde au cou et le traînèrent -par les rues de la ville, comme un bœuf mené à l’abattoir. -Ses chairs pendaient jusqu’à terre, et le pavé s’arrosait -de son sang. Dans la prison où on l’enferma ensuite, il -fut consolé par des anges ; et Notre-Seigneur Jésus-Christ -lui-même daigna le visiter et lui dire : « Que la paix -soit avec toi, Marc, mon évangéliste ! Ne crains rien, -car je suis près de toi pour te défendre. » Le lendemain, -les prêtres le traînèrent de nouveau, la corde au cou, à -travers la ville. Mais au moment où il disait : <i lang="la" xml:lang="la">In manus -tuas commendo spiritum meum !</i> il rendit son âme au -Seigneur. Cela se passait sous le règne de Néron.</p> - -<p>Et comme les païens voulaient brûler le corps du -martyr, soudain l’air se troubla, la grêle s’abattit, le -tonnerre mugit, les éclairs jaillirent ; si bien que chacun -dut prendre la fuite, laissant intact le corps de saint -Marc, que les chrétiens se hâtèrent de prendre et d’ensevelir -pieusement dans son église. Saint Marc avait -un long nez, des sourcils épais, de beaux yeux, une -<span class="pagenum" id="p235">-235-</span> barbe touffue, une taille moyenne et un port excellent. -Il était âgé d’une cinquantaine d’années lorsqu’il souffrit -le martyre. Son miracle de la main guérie a été célébré -par saint Ambroise.</p> - -<p>II. L’an du Seigneur 468, sous le règne de l’empereur -Léon, les Vénitiens transportèrent le corps de saint -Marc, d’Alexandrie, à Venise, où l’on construisit en l’honneur -du saint une église d’une beauté merveilleuse. Ce -furent certains marchands vénitiens qui, se trouvant à -Alexandrie, obtinrent, par des prières et des promesses, -que les deux prêtres préposés à la garde du corps leur -permissent d’emporter secrètement le corps et de l’emmener -à Venise. Mais quand ils soulevèrent la pierre du -tombeau, un si fort parfum se répandit par toute la ville -d’Alexandrie que chacun se demandait avec étonnement -d’où pouvait venir cette douce odeur. Et comme, durant -le voyage, les marchands avaient dit à l’équipage d’un -autre bateau quel était le saint corps qu’ils emportaient -avec eux, des hommes de cet équipage leur dirent : « Peut-être -les Egyptiens vous ont-ils trompés, en vous donnant -un autre corps que celui de saint Marc ? » Mais aussitôt -le vaisseau où était le corps se retourna contre l’autre -vaisseau, fondit sur lui, lui fit une brèche, et aurait -achevé de l’anéantir si tout l’équipage ne s’était empressé -de proclamer que le corps était bien celui de -saint Marc. Une autre fois, le pilote ayant perdu son -chemin, dans la nuit, et ne sachant plus où se trouvait -le vaisseau, saint Marc apparut au moine chargé de garder -son corps, et lui dit : « Va dire aux matelots de plier -tout de suite les voiles pour ralentir la course du vaisseau, -car la terre est toute proche ! » Les matelots suivirent -ce conseil, et bien leur en prit : car le lendemain, -au petit jour, ils s’aperçurent qu’ils étaient dans le voisinage -d’une île sur laquelle, sans la protection de saint -Marc, le vaisseau se serait brisé. Et, dans tous les pays -où le vaisseau faisait relâche, les habitants, sans qu’on -leur eût rien dit du trésor qu’il portait, accouraient en -s’écriant : « Oh ! comme vous êtes heureux de pouvoir -porter le corps de saint Marc ! Laissez-nous l’adorer -<span class="pagenum" id="p236">-236-</span> pieusement ! » Et il y avait sur le vaisseau un matelot qui -restait incrédule : mais le diable s’empara de lui et le -tourmenta jusqu’à ce que, mis en présence du corps, il -eût déclaré qu’il y croyait. Et depuis lors cet homme, -ainsi délivré du diable, eut pour saint Marc une dévotion -toute particulière.</p> - -<p>A Venise, le corps du saint fut placé sous une des -colonnes de marbre de l’église ; et un petit nombre de -personnes seulement furent admises à connaître l’endroit -où il était déposé, de façon qu’il pût être gardé plus sûrement. -Or voici que, ces quelques personnes étant mortes, -on se trouva ne plus savoir du tout où était déposé le -saint trésor ; et toutes les recherches qu’on fit pour le -découvrir restèrent sans effet. Grande fut la désolation, -aussi bien parmi les laïcs que parmi les clercs. La foule -tremblait à la pensée que son saint patron avait peut-être -été dérobé. Un jeûne solennel fut ordonné, une procession -parcourut en grande pompe toutes les rues de -Venise. Et voici que, à la vue et à l’émerveillement de -tous, les pierres de l’une des colonnes s’ébranlent et -tombent, mettant à découvert le caveau où est caché le -corps. Toute la ville, ravie de bonheur, remercie Dieu -d’un tel miracle, et depuis lors, le jour anniversaire de -ce miracle est célébré à Venise comme une fête solennelle.</p> - -<p>III. Un jeune homme qui avait la poitrine rongée par -un cancer implora l’assistance de saint Marc : la nuit -suivante, il vit en rêve un pèlerin qui marchait d’un pas -rapide sur une route. Le jeune homme lui ayant demandé -qui il était et pourquoi il marchait si vite, le pèlerin répondit -qu’il était saint Marc, et qu’il courait au secours -d’un vaisseau en danger ; après quoi, étendant la main, -il toucha le malade, qui se réveilla entièrement guéri. -Or, peu de temps après, un vaisseau entra dans le port -de Venise ; et l’équipage raconta que, étant en danger, -il avait invoqué saint Marc, qui l’avait secouru.</p> - -<p>IV. Des marchands vénitiens se rendaient à Alexandrie, -dans un vaisseau qui appartenait à des Sarrasins. Une -tempête s’étant élevée, les marchands sautèrent dans -<span class="pagenum" id="p237">-237-</span> une barque, et, à l’instant même où ils sortaient du vaisseau, -celui-ci fut englouti par les vagues, et tous les -Sarrasins furent noyés. Seul, l’un d’entre eux, se voyant -près de périr, invoqua saint Marc, et fit vœu, s’il était -sauvé, de recevoir le baptême dans l’église du saint. Et -aussitôt lui apparut un étranger tout vêtu de lumière, -qui, le retirant des flots, l’installa dans la barque avec les -Vénitiens.</p> - -<p>Or, cet homme, étant arrivé à Alexandrie, oublia sa -miraculeuse délivrance et le vœu qu’il avait fait en -échange. Mais saint Marc lui apparut de nouveau, pour -lui faire honte de son ingratitude : si bien que le Sarrasin, -tout confus, se mit en route pour Venise, où il reçut -avec le baptême le nom de Marc, et désormais il crut -parfaitement au Christ, et termina sa vie dans les -bonnes œuvres.</p> - -<p>V. Un homme qui travaillait au haut du campanile de -Saint-Marc, à Venise, perdit pied tout à coup et se mit à -tomber ; mais ayant imploré saint Marc pendant sa chute, -il put s’accrocher à une poutre qu’il trouva devant lui, -et descendit de là sans danger le long d’une corde qu’on -lui lança, après quoi il s’en retourna achever son travail.</p> - -<p>VI. Un fidèle chrétien, qui était au service d’un noble -de Provence, avait fait le vœu de visiter le tombeau de -saint Marc, mais ne pouvait obtenir de son maître la -permission de se rendre à Venise. Enfin, sacrifiant sa -peur du châtiment corporel à sa peur de la disgrâce -céleste, il partit sans demander la permission, et alla prier -au tombeau du saint. Quand il revint auprès de son -maître, celui-ci, furieux, ordonna de lui crever les yeux. -Aussitôt ses esclaves, plus cruels encore que leur maître, -étendirent sur le sol leur pieux compagnon, et se mirent -en devoir de lui crever les yeux avec des pointes de fer. -Mais tout leur zèle ne leur servait à rien, car les pointes se -brisaient en touchant les yeux. Alors le maître ordonna -de rompre à coups de hache les membres du malheureux, -et de lui couper les pieds ; mais le fer des haches -s’amollissait et devenait du plomb. Alors le maître ordonna -de lui briser les dents avec des marteaux de fer. -<span class="pagenum" id="p238">-238-</span> Mais de nouveau le fer s’amollit, comme hébété par la -puissance de Dieu. Ce que voyant, le maître, stupéfait, se -repentit, demanda pardon à l’esclave, et alla prier avec -lui au tombeau de saint Marc.</p> - -<p>VII. Un soldat fut si grièvement blessé au bras, dans -une bataille, qu’il eut la main presque détachée. Et -médecins et amis lui conseillaient de se la faire couper : -mais il hésitait, ayant honte de devenir manchot, car il -était réputé pour très adroit de ses mains. Il demanda -enfin qu’on lui remît en place la main pendante, et -qu’on l’attachât avec des linges : après quoi il invoqua -l’aide de saint Marc, et aussitôt sa main recouvra son -ancienne santé. Seule une cicatrice resta toujours visible, -pour porter témoignage du précieux miracle.</p> - -<p>VIII. Un habitant de Mantoue, ayant été faussement -accusé par des infâmes, fut mis en prison. Il y était depuis -quarante jours et s’ennuyait fort, lorsque enfin, -après s’être mortifié par trois jours de jeûne, il invoqua -l’appui de saint Marc. Aussitôt le saint lui apparut, et -lui dit de sortir de sa prison. Mais l’homme, jugeant la -chose impossible, crut qu’il avait rêvé et ne tint nul -compte de l’ordre du saint. Une seconde fois, puis une -troisième fois, le saint lui apparut et lui renouvela son -ordre. Alors le prisonnier, voyant que la porte de sa -cellule était ouverte, sortit, après avoir brisé comme de -l’étoupe les chaînes de ses pieds. Et il allait, en plein -jour, au milieu des gardiens et des autres habitants de -la ville, sans que personne d’entre eux pût le voir. Il -parvint ainsi à Venise, où il s’empressa d’aller pieusement -rendre grâces au tombeau de saint Marc.</p> - -<p>IX. Comme toute la Pouille souffrait de disette, et que -la pluie s’obstinait à ne point tomber pour arroser le sol, -on apprit que cette calamité venait de ce que les habitants -ne célébraient point la fête de saint Marc. Ils s’empressèrent -donc d’invoquer ce saint, avec la promesse -de célébrer solennellement sa fête ; et aussitôt saint -Marc, les délivrant de la sécheresse, leur accorda un air -sain et la pluie qu’ils désiraient.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p239">-239-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c61">LXI<br /> -SAINT MARCELIN, <span class="small">PAPE<br /> -(26 avril)</span></h2> - - -<p>Saint Marcelin, pape, gouverna l’église de Rome pendant -neuf ans et quatre mois. Sur l’ordre de Dioclétien -et de Maximien, il fut arrêté et mis en demeure de sacrifier -aux idoles. Il s’y refusa d’abord ; mais, comme on -le menaçait de diverses tortures, la peur de la souffrance -fit qu’il consentit à sacrifier, sur l’autel, deux grains -d’encens. Grande fut la joie des infidèles, mais plus -grande encore la tristesse des fidèles. Ceux-ci se rendent -en foule auprès de Marcelin et lui reprochent son -manque de courage ; et Marcelin, tout confus, demande -à être jugé par l’assemblée des évêques. Mais les -évêques lui disent : « En ta qualité de souverain pontife, -aucun homme sur terre ne saurait être ton juge ; mais -recueille-toi en toi-même, et juge-toi de ta propre -bouche ! » Alors Marcelin, plein de repentir et pleurant -amèrement, se déposa lui-même de ses fonctions de -pape ; mais la foule s’empressa de le réélire. Ce qu’apprenant, -les empereurs le firent de nouveau arrêter ; et -comme, cette fois, il se refusait absolument à sacrifier -aux dieux, ils ordonnèrent qu’il eût la tête tranchée ; -après quoi, leur rage s’accrut à tel point qu’en un seul -mois ils firent périr dix-sept mille chrétiens. Quant à -Marcelin, se jugeant indigne de la sépulture chrétienne, -il décréta, avant de mourir, que tous ceux qui voudraient -l’ensevelir seraient excommuniés. Et ainsi son corps -resta privé de sépulture pendant trente-cinq jours. Mais, -au bout de ce temps, saint Pierre apparut à son successeur, -le pape Marcel, et lui dit : « Mon frère Marcel, -pourquoi tardes-tu à m’ensevelir ? » Et Marcel : « Mais, -maître, est-ce que vous n’êtes pas enseveli depuis longtemps ? » -Et l’apôtre : « Je me considérerai comme n’étant -pas enseveli aussi longtemps que je verrai Marcelin -<span class="pagenum" id="p240">-240-</span> privé de sépulture. » Et le pape : « Mais, maître, ne -savez-vous donc pas qu’il a excommunié tout ceux qui -penseraient à l’ensevelir ? » Et saint Pierre : « Ne sais-tu -pas qu’il est écrit que celui qui s’humilie sera élevé ? Va -donc, et ensevelis Marcelin au pied de mon tombeau ! » -Et le pape fit ainsi ; obéissant à l’ordre de l’apôtre.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c62">LXII<br /> -SAINT VITAL, <span class="small">MARTYR<br /> -(28 avril)</span></h2> - - -<p>Saint Vital, chevalier consulaire, eut pour fils, de sa -femme Valérie, les deux saints Gervais et Protais. Entrant -un jour dans la ville de Ravenne en compagnie -d’un juge nommé Paulin, il se trouva assister à l’exécution -d’un médecin chrétien qui avait nom Urcisin. Et -comme celui-ci, déjà éprouvé par divers supplices, paraissait -effrayé, saint Vital lui cria : « Hé, mon frère le -médecin, toi qui avais l’habitude de guérir les autres, -ne te laisse pas mourir toi-même de la mort éternelle, et -ne perds pas la couronne que Dieu t’a préparée ! » Ce -qu’entendant, Urcisin reprit courage, et, rougissant de -sa lâcheté, accepta avec joie le martyre ; et saint Vital, -après l’avoir enseveli chrétiennement, refusa d’aller rejoindre -son maître Paulin. Celui-ci, furieux, le fit -étendre sur un chevalet. Et Vital lui dit : « Comment -peux-tu croire, insensé, que tu parviendras à me détourner -de ma foi, moi qui ai souvent empêché les autres -d’en être détournés ? » Et Paulin dit à ses serviteurs : -« Conduisez-le au temple, et, s’il refuse de sacrifier, -creusez une fosse très profonde, jusqu’à ce que vous -ayez trouvé de l’eau ; et alors ensevelissez-le tout vivant, -la tête en bas ! » C’est ce qu’ils firent, et ainsi saint Vital -fut enseveli vivant, sous le règne de l’empereur Néron. -Mais le prêtre païen, qui avait suggéré aux juges l’idée -<span class="pagenum" id="p241">-241-</span> de cette mort, fut aussitôt envahi par un démon. Pendant -sept jours il délira sur le lieu où avait été ensevelie sa -victime, disant : « Tu me brûles, Vital ! » Et, le septième -jour, il se précipita dans le fleuve et périt misérablement.</p> - -<p>La femme de saint Vital, sainte Valérie, se rendant à -Milan, rencontra des païens qui sacrifiaient aux idoles -et qui l’engagèrent à prendre sa part de leur sacrifice. -Mais elle répondit : « Sachez que je suis chrétienne et -que je n’ai pas le droit de me mêler à vos cérémonies ! » -Alors ces hommes se jetèrent sur elle et la battirent si -cruellement que ses serviteurs l’emportèrent à Milan à -demi morte, et que, trois jours après, son âme s’envola -joyeusement vers le Seigneur.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c63">LXIII<br /> -SAINT PIERRE LE NOUVEAU, <span class="small">MARTYR<br /> -(29 avril)</span></h2> - - -<p>I. Pierre le Nouveau, martyr, de l’ordre des Frères -Prêcheurs, naquit dans la ville de Vérone. De même -qu’une lumière brillante jaillissant de la fumée, ou qu’un -lys blanc surgissant parmi des ronces, ou qu’une rose -s’épanouissant entre des épines, ce grand confesseur -de la foi naquit de parents aveuglés par l’erreur : car -son père et sa mère appartenaient tous deux à la secte -hérétique, dont lui-même sut, dès l’enfance, se tenir à -l’écart.</p> - -<p>Il avait sept ans, et revenait un jour de l’école, lorsque -son oncle, hérétique comme ses parents, lui demanda -ce que ses maîtres lui apprenaient. L’enfant répondit -qu’ils lui apprenaient à dire : « Je crois en Dieu, père -tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, etc. » Sur -quoi l’oncle : « Ne dis pas que Dieu est le créateur du -ciel et de la terre, car ce n’est pas Dieu, mais le diable, -<span class="pagenum" id="p242">-242-</span> qui a créé toutes les choses qui se voient ! » Mais l’enfant -répondit qu’il préférait dire comme on le lui avait -appris à l’école, et croire à ce qu’il avait lu dans les -livres saints. En vain son oncle s’efforçait de le convaincre, -à grand renfort d’autorités de sa secte : l’enfant, -plein de l’Esprit-Saint, retournait contre lui tous -ses arguments, le frappant ainsi de son propre glaive, -sans lui laisser d’issue par où s’échapper. Et l’oncle, -furieux de se voir confondre par un enfant, se plaignit -au père du petit Pierre, insistant pour que celui-ci quittât -aussitôt l’école qu’il fréquentait. « Je crains, en -effet, disait-il, que ce Pierrot, ses études achevées, se -rallie à l’odieuse église de Rome, et aide par là à détruire -notre foi ! » En quoi cet hérétique, à son insu, se montra -bon prophète, car Pierre était en effet destiné à détruire -la perfide hérésie d’Arius. Mais Dieu fit en sorte que le -père refusa de suivre le conseil de son frère, se disant -qu’il pourrait toujours ramener son fils aux doctrines de -sa secte lorsque l’enfant aurait achevé son éducation. Or -l’enfant, jugeant que c’était chose peu sûre d’habiter -avec des scorpions, et dédaignant le monde, et haïssant -l’erreur de ses parents, s’empressa, dès sa sortie de -l’école, d’entrer dans l’ordre des Frères Prêcheurs. Le -pape Innocent nous dit à ce sujet, dans son épître : -« Renonçant de bonne heure aux mensonges du monde, -le bienheureux Pierre s’affilia à l’ordre des Prêcheurs. Il -y passa près de trente ans et lutta vaillamment pour la -défense de sa foi, jusqu’au jour où ses ennemis, exaspérés -des coups qu’il leur portait, lui fournirent l’occasion -d’un enviable martyre. Et ainsi Pierre, s’appuyant sur la -pierre de la foi, s’éleva enfin jusqu’au trône du Christ. -Toute sa vie, aussi, il garda intacte la virginité de son -corps et de son âme, et jamais il n’éprouva l’atteinte -d’aucun péché mortel, suivant ce qu’ont attesté ses confesseurs. -Et toute sa vie il mortifia sa chair en s’abstenant -de tout excès de nourriture ou de boisson. Et, de -peur que, durant son repos, il ne fût tenté de succomber -aux pièges de l’ennemi, il s’exerçait sans relâche à -défendre sa foi. La nuit même, après un court sommeil, -<span class="pagenum" id="p243">-243-</span> il se levait, et étudiait les vérités du dogme. Quant à -ses journées, il les employait à prêcher contre les tentations -du monde, ou bien à recevoir des confessions, ou -bien à réfuter par d’excellentes raisons la doctrine empoisonnée -des hérétiques, et l’on sait combien, avec -l’aide de Dieu, il parvint à briller dans ces réfutations. -Pieux, humble et doux, obéissant, patient, plein de -charité et de compassion, il attirait à lui tous les cœurs -par le parfum même de ses vertus. Et dans l’ardeur de -sa foi, il suppliait le Seigneur de ne point l’ôter de ce -monde autrement qu’en l’autorisant à boire le calice de -la passion : et sa prière finit par être exaucée. »</p> - -<p>II. Nombreux furent les miracles qu’il fit de son vivant. -Comme, un jour, à Milan, il interrogeait un évêque -hérétique que les fidèles avaient fait prisonnier, et -comme nombre d’évêques, de prêtres et d’habitants de -la ville se trouvaient réunis autour de lui, et comme -cette foule souffrait d’une chaleur torride, l’hérétique -s’écria en présence de tous : « O Pierre, si tu es aussi -saint que l’affirme ce peuple stupide, pourquoi le laisses-tu -étouffer de chaleur, et ne demandes-tu pas à ton -Dieu d’envoyer un nuage, qui rafraîchisse l’air ? » Et -Pierre, lui répondit : « Si tu veux promettre de renoncer -à ton hérésie et de te convertir à la foi catholique, je -prierai Dieu, et il fera ce que tu demandes ! » Alors tous -les hérétiques, qui entouraient leur évêque lui crièrent : -« Promets, promets ! » Ils croyaient, en effet, impossible -le miracle annoncé par Pierre, car on ne voyait -pas au ciel l’ombre même du moindre nuage. Et, au contraire, -les catholiques s’affligeaient de la proposition de -Pierre, craignant qu’un échec ne nuisît aux intérêts de -leur foi. Et comme l’hérétique refusait de s’engager, -Pierre lui dit, d’un ton plein de confiance : « N’importe ! -Afin que le vrai Dieu, créateur des choses visibles et -invisibles, se montre ici pour la consolation des fidèles et -la confusion des hérétiques, je le prie de faire en sorte -qu’un nuage vienne se placer entre le soleil et cette -foule ! » Après quoi il fit le signe de la croix, et aussitôt -un nuage se déploya au ciel ; et, pendant une grande -<span class="pagenum" id="p244">-244-</span> heure, ce nuage abrita la foule de la chaleur du soleil, à -la manière d’un pavillon.</p> - -<p>III. On conduisit un jour vers saint Pierre, à Milan, -un homme nommé Asserbus, qui, depuis cinq ans, était -paralysé au point de devoir être traîné dans un petit -chariot. Saint Pierre fit sur lui le signe de la croix, et -aussitôt le paralytique se releva guéri. Et le saint fit -encore, de son vivant, bien d’autres miracles, dont -quelques-uns nous sont rappelés par le pape Innocent -dans l’épître déjà citée. Telle l’histoire d’un jeune homme -noble qui avait dans la gorge une horrible tumeur, l’empêchant -de parler comme de respirer : le saint fit sur lui -le signe de la croix et le couvrit de son propre manteau, -et aussitôt il le guérit. Et plus tard le même noble, souffrant -de douleurs internes, et se voyant menacé de mort, -se fit apporter ce manteau, qu’il avait conservé. A peine -s’en fut-il couvert, qu’il vomit un ver à deux têtes et -tout noir de poils ; et aussitôt il se sentit guéri. Une -autre fois, saint Pierre rendit la parole à un jeune homme -muet, en lui introduisant un doigt dans la bouche et en -brisant le lien qui retenait sa langue.</p> - -<p>IV. Or, comme la peste de l’hérésie sévissait en Lombardie, -et que déjà plusieurs villes en étaient contaminées, -le souverain pontife délégua dans les diverses parties -de la province des inquisiteurs, tous appartenant à -l’ordre des Frères Prêcheurs, et leur confia le soin de -détruire cette peste diabolique. A Milan le nombre des -hérétiques était particulièrement grand, et l’hérésie y -possédait des partisans qui joignaient à leur influence -politique une éloquence pleine de ruses et un savoir -malfaisant. Aussi le souverain pontife, connaissant l’intrépide -bravoure de Pierre, sa fermeté, et son éloquence, le -choisit pour mener la lutte à Milan et dans le Milanais, -lui concédant à cet effet autorité plénière. Et le saint, -prenant à cœur sa mission, harcelait les hérétiques sans -leur laisser de repos ; il confondait leurs arguments, les -réfutait, leur opposait la vérité divine, de telle sorte que -personne ne pouvait résister à sa sagesse et à l’Esprit -qui parlait par lui. Ce que voyant, les hérétiques, consternés, -<span class="pagenum" id="p245">-245-</span> se mirent à méditer sa mort, avec l’idée qu’ils -retrouveraient la paix s’ils parvenaient à se débarrasser -d’un aussi vaillant adversaire. Et un jour, comme Pierre -revenait de Côme à Milan, il reçut en chemin la palme -du martyre. Le pape Innocent raconte que, sur la route, -le saint fut assailli par un hérétique qui, se jetant sur -lui comme le loup sur l’agneau, lui porta à la tête de -cruelles blessures. Et le saint ne fit entendre ni plainte -ni murmure, mais plutôt s’offrit en victime à son assassin, -et, souffrant patiemment, se contenta de dire : -« Seigneur, je remets mon âme entre tes mains ! » Après -quoi il récita encore le symbole de la foi, ainsi que l’ont -rapporté son assassin lui-même, — qui tomba aux mains -des fidèles peu de temps après, — et un frère dominicain -qui accompagnait Pierre, et qui, frappé lui aussi, -survécut quelques jours à ses blessures. Puis, voyant -que le martyr tardait à mourir, l’assassin tira son couteau -et lui transperça le flanc. Ainsi Pierre eut l’insigne -bonheur de pouvoir être à la fois, dans cette même journée, -confesseur, martyr et aussi prophète ; car le matin, -au moment de se mettre en route, comme ses frères lui -disaient que, fatigué et souffrant de la fièvre, il aurait -peine à aller d’une seule traite jusqu’à Milan, il leur -avait répondu : « Si je ne parviens pas jusqu’au couvent -de mes frères, saint Simplicien pourra toujours me donner -un abri pour la nuit. Or, le soir, lorsque son corps -sacré fut ramené à Milan, les frères, en raison de la fréquence -de la foule, se trouvèrent empêchés de le conduire -jusqu’à leur couvent, si bien qu’ils le déposèrent -dans l’église de saint Simplicien, où il resta toute la -nuit. Mais son assassin et ses complices furent trompés -dans leurs prévisions : car Pierre, par son martyre, contribua -autant et plus que par les actes de sa vie à convertir -les hérétiques. Il y contribua si puissamment, par -le souvenir de ses mérites et par d’éclatants miracles, -que la plupart des hérétiques renoncèrent à leurs erreurs -pour rentrer dans le sein de l’église romaine. La ville et -le comté de Milan se trouvèrent, en quelques jours, purgés -de l’hérésie. Et bon nombre des plus influents et -<span class="pagenum" id="p246">-246-</span> des plus fameux, parmi les prédicateurs de l’hérésie, -entrèrent dans l’ordre des Prêcheurs, ordre qui, aujourd’hui -encore, continue à lutter énergiquement contre -l’hérésie. Ainsi notre Samson, en mourant, tua plus -de Philistins qu’il n’en aurait tués s’il fût resté en vie<a id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">[7]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_7" href="#FNanchor_7"><span class="label">[7]</span></a> Le martyre de saint Pierre le Nouveau avait eu lieu en 1252, -deux ou trois ans à peine avant le temps où Jacques de Voragine -écrivait sa <i>Légende</i>.</p> -</div> -<p>V. Et, après sa mort, Dieu permit que son triomphe -fût illustré par de nombreux miracles, dont quelques-uns -nous sont rapportés par le pape Innocent. C’est ainsi -que, plusieurs fois, les lampes suspendues au-dessus de -son tombeau, s’allumèrent d’elles-mêmes. Un homme -qui, étant à table, dépréciait la sainteté et les miracles -de Pierre, sentit soudain le morceau qu’il mangeait -s’arrêter dans sa gorge de manière qu’il ne pouvait ni -l’avaler ni le rejeter. Déjà son visage avait changé de -couleur, déjà il devinait l’approche de la mort, lorsque, -se repentant, il fit vœu de ne plus jamais employer sa -langue à mal parler du saint : et aussitôt il rejeta la -bouchée qui l’étranglait, et se trouva délivré.</p> - -<p>VI. Lorsque le pape Innocent IV inscrivit Pierre au -nombre des saints, les Frères Prêcheurs, réunis en -chapitre à Milan, voulurent déterrer le corps du saint -pour le transporter sous un autel. Et, bien que plus -d’une année se fût écoulée depuis le martyre, le corps -fut trouvé intact comme s’il n’était enseveli que depuis -la veille. Les frères l’étendirent sur une estrade, où le -peuple fût admis à le voir et à l’honorer.</p> - -<p>Certain jeune homme du nom de Guiffroy, de la ville -de Côme, gardait un fragment de la tunique de saint -Pierre. Un hérétique, pour se moquer de lui, lui conseilla -de jeter au feu ce fragment, disant que, si les flammes -l’épargnaient, la sainteté de Pierre serait par là prouvée, -et que lui-même, dans ce cas, se convertirait. Guiffroy -jeta donc le fragment du manteau de saint Pierre sur -des charbons enflammés ; mais le fragment se tint -d’abord en l’air au-dessus du feu, puis, retombant -sur lui, l’éteignit du coup. Alors l’incrédule dit : « Un -<span class="pagenum" id="p247">-247-</span> fragment de mon manteau en fera tout autant ! » -On alluma d’autres charbons et on y plaça, en face l’un -de l’autre, les deux fragments de manteaux. Et le -manteau de l’hérétique fut, tout de suite, brûlé, tandis -que celui de saint Pierre éteignit le feu sans qu’un seul -de ses poils fût endommagé. Ce que voyant, l’hérétique -revint à la vérité, et fit part à tous du miracle dont il -avait été témoin.</p> - -<p>VII. On raconte que certain hérétique, dialecticien -éloquent et infatigable, discutant avec saint Pierre, le -pressait d’arguments si subtils que le saint, désolé, -entra dans une église voisine, et pria Dieu, avec des -larmes, de défendre pour lui la cause de sa foi. Après -quoi, revenant vers l’hérétique, il lui dit d’exposer de -nouveau ses raisons. Mais l’hérétique était devenu muet, -au point qu’il ne put prononcer une seule parole : ce qui -arriva à la grande confusion de son parti, et les fidèles -en rendirent de grandes grâces à Dieu.</p> - -<p>VIII. Un hérétique nommé Opiso, étant un jour entré -dans la chapelle des frères, à Milan, et ayant aperçu deux -deniers sur la tombe de saint Pierre, s’empara de ces -deniers en disant : « Voilà qui est bon pour m’offrir à -boire ! » Et aussitôt il fut saisi d’un tremblement, et se -trouva incapable de faire un seul pas. Epouvanté, il -restitua les deux deniers et se convertit.</p> - -<p>IX. Dans un couvent de Florence, une religieuse, étant -en prière le jour du martyre du saint, vit la Vierge -Marie assise sur son trône de gloire et faisant asseoir -près d’elle deux frères de l’ordre des Prêcheurs. Elle -demanda qui étaient ces frères ; et une voix lui répondit : -« C’est le frère Pierre et son compagnon, qui viennent -de s’élever jusqu’au ciel comme la fumée de l’encens. » -Et, plus tard, cette religieuse, souffrant d’une grave -maladie, invoqua saint Pierre et fut aussitôt guérie.</p> - -<p>X. Un clerc qui revenait de Maguelone à Montpellier, -se fit un effort dans l’aîne, en sautant ; et il souffrait horriblement, -et ne pouvait marcher. Il entendit raconter -qu’une femme atteinte d’un cancer avait étendu sur sa -plaie un peu de terre arrosée du sang de Saint Pierre, et -<span class="pagenum" id="p248">-248-</span> ainsi avait été guérie. Alors il dit : « Mon Dieu, je n’ai -point de cette terre ; mais puisque, par les mérites du -saint, tu as pu donner à cette terre un tel pouvoir, tu peux -bien le donner aussi à celle que j’ai sous les pieds ! » -Et, ramassant une poignée de terre, après avoir invoqué -le martyr, il se frotta l’aîne et fut aussitôt guéri.</p> - -<p>XI. L’an du Seigneur 1259<a id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">[8]</a>, un habitant d’Apostelle, -nommé Benoît, avait les jambes enflées comme des -outres, le ventre ballonné comme une femme en couches, -le visage dévoré d’une énorme tumeur, et chacun était -effrayé de lui comme d’un monstre. Or comme, un jour, -il demandait l’aumône à une vieille femme, celle-ci lui -dit : « Tu aurais plutôt besoin d’une fosse que de tout -autre bien ; mais suis mon conseil, va au couvent des -Frères Prêcheurs, confesse tes péchés, et invoque l’aide -de saint Pierre Martyr ! » L’homme se rendit au couvent -des Frères, mais en trouva la porte encore fermée. Il -s’étendit devant cette porte et s’endormit. Et voici que -lui apparut un Frère qui, le cachant sous sa cape, l’introduisit -dans l’église ; et, en effet, quand Benoît s’éveilla, il -se trouvait dans l’église et complètement guéri. Ce qui -fut une grande source d’étonnement et d’admiration pour -tous ceux qui, ayant vu la veille cet homme presque -mort, le retrouvèrent soudain rendu à la santé.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_8" href="#FNanchor_8"><span class="label">[8]</span></a> Cette date ne peut malheureusement pas aider à connaître -l’année où fut écrite la <i>Légende Dorée</i>, car la plupart des miracles -de saint Pierre Martyr paraissent avoir été interpolés par des copistes -de l’ordre des Frères Prêcheurs. Certains manuscrits en -énumèrent ainsi plus de cent.</p> -</div> -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c64">LXIV<br /> -SAINT PHILIPPE, <span class="small">APÔTRE<br /> -(1<sup>er</sup> mai)</span></h2> - - -<p>L’apôtre Philippe prêchait depuis vingt ans en Scythie, -lorsque les païens s’emparèrent de lui, et voulurent le -<span class="pagenum" id="p249">-249-</span> contraindre à sacrifier devant une statue du dieu Mars. -Mais soudain un énorme dragon, sortant du pied de la -statue, mit à mort le fils du prêtre, qui préparait le -feu du sacrifice, et les deux tribuns qui avaient fait -arrêter Philippe ; en même temps qu’il répandait une -haleine si fétide, que tout le reste des assistants en était -étouffé. Et Philippe dit : « Croyez-moi, brisez cette statue, -et à sa place, adorez la croix du Seigneur, afin que -ceux d’entre vous qui souffrent soient guéris, et que ces -trois morts ressuscitent ! » Mais les païens, de plus en -plus malades, criaient : « Fais seulement que nous -soyons guéris, et nous te promettons de détruire aussitôt -la statue ! » Alors, Philippe, parlant au dragon, lui -ordonna de s’enfuir dans un lieu désert, où il ne pût faire -de mal à personne : le dragon obéit, s’enfuit et ne se -montra jamais plus. Après quoi Philippe guérit tous ceux -que l’haleine du dragon avait rendus malades, et obtint -que les trois morts fussent rendus à la vie. Il convertit -ainsi la ville entière, et passa un an encore à prêcher -dans ses murs. Puis, y ayant ordonné des prêtres et des -diacres, il se rendit dans une ville d’Asie appelée Hierapolis, -où il éteignit l’hérésie des Ebionites, qui prétendaient -que le Christ s’était incarné dans une chair -différente de notre chair humaine.</p> - -<p>Il avait avec lui ses deux filles, d’une grande sainteté, -par l’entremise desquelles Dieu convertissait à la foi de -nombreuses âmes. Quant à Philippe, une semaine avant -sa mort, il convoqua les évêques et les prêtres, et leur -dit : « Le Seigneur m’accorde encore sept jours pour -continuer à vous instruire. » Il était alors âgé de quatre-vingt-sept -ans. Et en effet, une semaine après, il fut pris -par les infidèles et attaché par eux à une croix, à -l’exemple du maître divin dont il prêchait la doctrine. -C’est ainsi que son âme s’envola heureusement au trône -du Seigneur ; et on ensevelit près de lui les deux vierges, -ses filles, l’une à sa droite, l’autre à sa gauche.</p> - -<p>Isidore nous dit, dans son livre sur l’origine, la vie -et la mort des saints : « Philippe le Galiléen prêcha le -Christ, convertit à la foi les nations barbares des bords -<span class="pagenum" id="p250">-250-</span> de l’Océan, et fut enfin crucifié, lapidé, et mis à mort, à -Hierapolis, dans la province de Phrygie, où il repose -entre ses deux filles. »</p> - -<p>D’un autre Philippe, qui fit partie des sept premiers -diacres, saint Jérôme nous dit qu’il est mort à Césarée, -le huitième jour des ides de juillet, après avoir accompli -de nombreux miracles, et qu’il fut enterré avec ses trois -filles, tandis qu’une quatrième repose à Ephèse. Mais le -premier Philippe diffère de celui-là, ayant été apôtre et -non diacre, ayant été enterré à Hierapolis et non à -Césarée, et ayant eu deux filles et non quatre. L’<i>Histoire -ecclésiastique</i>, en vérité, paraît affirmer que ce fut -l’apôtre Philippe qui eut quatre filles douées du don de -prophétie ; mais l’opinion de saint Jérôme, sur ce point, -mérite plus de créance.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c65">LXV<br /> -SAINT JACQUES LE MINEUR, <span class="small">APÔTRE<br /> -(1<sup>er</sup> mai)</span></h2> - - -<p>I. Le saint Jacques dont nous allons parler est désigné -sous différents noms. On l’appelle notamment Jacques -fils d’Alphée, ou Jacques le frère du Seigneur, ou encore -Jacques le Mineur et Jacques le Juste. Il est Jacques, fils -d’Alphée, non seulement à cause du nom de son père, -mais aussi à cause du sens d’Alphée, qui signifie sage, -ou leçon, où encore millième. Et, en effet, saint Jacques -fut sage dans la science divine, il fut une leçon pour les -autres, il fuit le monde qu’il dédaignait, et il voulut -être le millième par humilité. Son nom de « frère du Seigneur » -lui vient, croit-on, de ce qu’il ressemblait si fort -au Seigneur, par les traits du visage, que plus d’une -fois on le confondit avec lui. Aussi, lorsque les Juifs -vinrent s’emparer du Christ, craignirent-ils de prendre -Jacques au lieu du Christ ; et c’est pour ce motif qu’ils -ordonnèrent à Judas de leur désigner le Christ en lui -<span class="pagenum" id="p251">-251-</span> donnant un baiser. Cette explication du nom de saint -Jacques nous est, en outre, confirmée par saint Ignace -dans sa lettre à l’évangéliste Jean, où nous lisons : -« Avec ta permission, je voudrais me rendre à Jérusalem -pour voir le vénérable Jacques, surnommé le Juste, -dont on dit qu’il ressemblait si fort à Jésus-Christ de -figure, de manières, et de langage, qu’on aurait pu le -tenir pour son frère jumeau. »</p> - -<p>Ou bien encore ce surnom peut venir de ce que Jésus -et Jacques étaient enfants de deux sœurs, et que le père -de Jacques, Cléophas, était le frère de Joseph. Mais, en -tout cas, ce nom de « frère du Seigneur » ne saurait venir, -comme d’aucuns l’ont prétendu, de ce que Jacques -fût le fils de Joseph, le mari de la Vierge : car il était -fils de Marie, fille de Cléophas, qui lui-même était frère -de Joseph, le mari de la Vierge. Les Juifs, en effet, appelaient -frères tous ceux que rattachaient entre eux les -liens du sang. Quant au nom de Jacques Mineur, il -s’oppose à celui de Jacques Majeur, le fils de Zébédée, -qui, bien qu’il ait reçu la vocation après l’autre Jacques, -était cependant son aîné par l’âge. Enfin, le surnom de -Juste nous rappelle l’éminente sainteté de Jacques, qui, -d’après saint Jérôme, était l’objet d’une vénération si -profonde que le peuple se disputait l’honneur de toucher -les pans de son manteau. Et voici, ce qu’écrit de sa sainteté -Hégésippe, qui eut l’occasion de connaître les -apôtres : « La direction de l’Eglise fut confiée à Jacques, -le frère du Seigneur, que tous se sont toujours accordé -à appeler le Juste. Telle était sa sainteté, dès le ventre -de sa mère, que jamais il ne but de vin ni de bière, jamais -il ne mangea de viande, jamais il ne s’oignit -d’huile, jamais il n’eut besoin de prendre des bains. -Toute sa vie il fut vêtu d’un simple manteau de toile. Et, -à force de s’agenouiller pour prier, on voyait sur ses genoux -des durillons comme ceux qui se forment sous les -pieds. Aussi lui seul, parmi les apôtres, en raison de sa -sainteté, était-il admis à pénétrer dans le Saint des -Saints. » On dit également qu’il fut le premier, parmi les -apôtres, à célébrer la messe, les disciples lui ayant fait -<span class="pagenum" id="p252">-252-</span> l’honneur de lui confier la célébration de la première -messe à Jérusalem, après l’ascension du Seigneur, et -avant même qu’il fût ordonné évêque. Saint Jérôme -ajoute, dans son écrit contre Jovinien, que Jacques le -Mineur ne connut jamais les plaisirs de la chair. Lorsque -Jésus mourut sur la croix, Jacques fit le vœu de ne rien -manger jusqu’à ce que son maître fût ressuscité d’entre -les morts. Le jour même de sa résurrection, Jésus lui -apparut, et dit à ceux qui étaient avec lui : « Préparez -la table et le pain ! » Puis, prenant le pain, il le bénit -et le donna à Jacques, en lui disant : « Lève-toi et -mange, mon frère, car le Fils de l’Homme est ressuscité -d’entre les morts ! »</p> - -<p>La septième année de son épiscopat, au jour de -Pâques, les apôtres se réunirent à Jérusalem et rapportèrent -à Jacques tout ce que le Seigneur avait fait par -leur entremise depuis leur séparation. Après quoi -Jacques, pendant sept jours, prêcha dans le temple -avec les autres apôtres, en présence de Caïphe et d’un -grand nombre de Juifs ; et déjà ceux-ci étaient sur le -point de demander le baptême, lorsque soudain un -autre Juif, entrant dans le temple, se mit à crier : -« O hommes d’Israël, que faites-vous ? Vous laisserez-vous -longtemps encore tromper par ces magiciens ? » -Et cet homme excita le peuple à un tel degré -que les apôtres faillirent être lapidés. Il s’élança -lui-même sur l’estrade d’où Jacques prêchait, et le précipita -au bas de cette estrade, de façon qu’il le rendit -boiteux pour le reste de sa vie. Ainsi, sept ans après -l’ascension du Christ, Jacques eut une première fois à -souffrir pour son maître.</p> - -<p>La trentième année de son épiscopat, les Juifs, dépités -de ne pouvoir tuer saint Paul, qui en avait appelé à -César et avait été mandé à Rome, tournèrent leur fièvre -de persécution contre saint Jacques, et cherchèrent une -occasion de le faire périr. Hégésippe, le contemporain -des apôtres, nous raconte que les Juifs vinrent trouver -Jacques et lui dirent : « Nous te demandons de ramener -dans la bonne voie les gens du peuple qui, dans leur -<span class="pagenum" id="p253">-253-</span> aveuglement, croient que Jésus était le Messie. Si tu -détournes de Jésus la foule qui va se réunir pour les -fêtes de Pâques, nous t’obéirons tous, et te rendrons -tous hommage comme au plus juste d’entre nous. » Ils le -conduisirent ensuite au haut du temple et se mirent à lui -crier : « Homme juste, toi à qui nous devons tous obéir, -dis-nous ton avis sur l’erreur des gens du peuple au -sujet de ce Jésus qu’on a crucifié ! » Mais Jacques, trompant -leur attente, s’écria d’une voix immense : « Que -m’interrogez-vous sur le Fils de l’Homme ? Le voici lui-même -assis dans le ciel à la droite de son Père, en attendant -qu’il revienne juger les vivants et les morts ! » Ce -qu’entendant, les chrétiens furent remplis de joie ; mais -les scribes et les pharisiens se dirent : « Nous avons eu -tort d’invoquer son témoignage ! Montons à présent jusqu’à -lui et précipitons-le à terre, afin que la foule, effrayée, -ne s’avise pas de croire à ses paroles ! » Là-dessus, -ils s’écrièrent : « Eh quoi ! le juste lui-même est -tombé dans l’erreur ! » Puis ils montèrent sur le haut du -temple et le précipitèrent sur le sol, où ils se mirent à lui -jeter des pierres. Mais lui, se relevant sur ses genoux, -disait : « Je t’en prie, maître, pardonne-leur, car ils ne -savent ce qu’ils font ! » Alors un des prêtres, fils de -Rahab, s’écria : « Que faites-vous, insensés ? Voici que -ce juste que vous lapidez prie pour vous ! » Alors un des -Juifs, saisissant un marteau de foulon, asséna sur la -tête de saint Jacques un coup vigoureux qui fit jaillir la -cervelle. Et ainsi le martyr rendit son âme à Dieu, sous -le règne de Néron. Il fut enseveli près du temple. La -foule voulut venger sa mort et s’emparer de ses meurtriers, -mais ceux-ci, déjà, avaient pris la fuite.</p> - -<p>II. Josèphe rapporte que c’est en châtiment du meurtre -de Jacques qu’a été autorisée la destruction de Jérusalem, -ainsi que la dispersion des Juifs. Mais plus encore que -la mort de Jacques, c’est la mort du Seigneur qui a attiré -sur Jérusalem ce terrible châtiment, selon ce qu’avait -dit le Seigneur lui-même : « On ne te laissera pas pierre -sur pierre, puisque tu n’as point connu le temps de ta -visitation ! » Mais comme Dieu ne veut pas la mort du -<span class="pagenum" id="p254">-254-</span> pécheur, cinquante ans de délai furent laissés aux Juifs -pour faire pénitence, en même temps que la prédication -des apôtres, et en particulier celle de saint Jacques le -Mineur, les exhortait sans cesse à se repentir. Et ce -n’est pas tout. Ne pouvant convertir les Juifs par la prédication -des apôtres, le Seigneur voulut au moins les -effrayer par des prodiges ; et Josèphe nous rapporte -toute une série de prodiges qui se produisirent pendant -ces cinquante années de délai. Une étoile, pareille à un -glaive, flamboya au-dessus de la ville pendant une année -entière. Un jour de fête des Azymes, à neuf heures de la -nuit, une lumière aussi brillante que celle du midi entoura -le temple. Dans la même fête, une génisse qu’on allait -sacrifier, déjà livrée aux mains des prêtres, enfanta un -agneau. Plusieurs jours après, au coucher du soleil, on vit -courir de toutes parts, sur les nuages, des chars remplis -de troupes en armes. La nuit de la Pentecôte, les prêtres -qui entraient dans le temple pour préparer les sacrifices, -entendirent d’étranges bruits comme d’écroulement, pendant -que des voix invisibles disaient : « Quittons ces -lieux ! » Enfin, quatre ans avant la guerre, le jour de la -fête des Tabernacles, un certain Jésus, fils d’Ananias, -se mit à crier : « Voix de l’Orient, voix de l’Occident, voix -des quatre points cardinaux, voix sur Jérusalem et sur -le temple, voix sur les époux et les épouses, voix sur le -peuple tout entier ! » Cet homme fut saisi, frappé de -verges, mais toujours il répétait les mêmes paroles, -criant plus fort à chaque coup reçu. On le conduisit -devant le juge, on le tortura jusqu’à mettre à nu les os de -ses membres. Mais lui, sans pleurer ni demander grâce, -hurlait toujours les mêmes paroles, ajoutant encore : -« Malheur à toi, malheur à toi, Jérusalem ! »</p> - -<p>Alors, comme les Juifs ne se laissaient ni toucher par -les avertissements ni effrayer par les prodiges, le Seigneur -envoya à Jérusalem Vespasien et Titus, qui détruisirent -la ville de fond en comble. Et voici quelle fut l’occasion -de leur arrivée à Jérusalem, à ce que nous raconte -certaine histoire, en vérité apocryphe. Pilate, comprenant -qu’il avait condamné un innocent, et craignant la colère de -<span class="pagenum" id="p255">-255-</span> l’empereur Tibère, lui envoya, pour s’excuser de la mort -de Jésus, un messager nommé Albain. Or, à cette -époque, Vespasien gouvernait, au nom de Tibère, le pays -des Galates, et Albain, poussé par la tempête sur la -côte de Galatie, fut amené en présence de Vespasien. Et -c’était la coutume du pays que tout naufragé qui y débarquait -devenait l’esclave du prince. Vespasien demanda -à Albain qui il était, d’où il venait, et où il allait. Et -Albain : « Je suis habitant de Jérusalem, je viens de -cette ville, et je me rends à Rome. » Alors Vespasien : -« Tu viens du pays des mages, et, par suite, tu dois -connaître le secret de guérir. Vois donc à me donner tes -soins ! » Car Vespasien avait dans le nez, depuis l’enfance, -une espèce de vermine, d’où lui était venu son surnom -même de Vespasien. Albain répondit : « Seigneur, je ne -connais point la médecine, et ne puis donc pas te guérir. » -Mais Vespasien : « Si tu ne me guéris, tu seras mis à -mort ! » Alors Albain lui dit : « Celui qui a su rendre la -vue aux aveugles, exorcisé les démons, ressuscité les -morts, celui-là pourra te guérir, non pas moi ! » Et -Vespasien : « Qui est donc celui-là ? » Et Albain : « C’est -Jésus de Nazareth, que les Juifs ont mis à mort par -jalousie. Si tu crois en lui, tu retrouveras aussitôt la -santé ! » Et Vespasien : « Je crois que, s’il a pu ressusciter -les morts, il pourra me délivrer de mon infirmité ! » -Et aussitôt les vers lui sortirent du nez, et il retrouva la -santé. Rempli de joie, il s’écria : « Oui, certes, c’était un -Fils de Dieu, celui qui a pu me guérir ! Et je vais demander -à César la permission de me rendre à Jérusalem, -pour châtier tous ceux qui ont livré cet homme et l’ont -fait mourir. Quant à toi, Albain, retourne auprès de ton -maître, je te rends la liberté ! » Vespasien alla donc à -Rome, afin d’obtenir de Tibère la permission de détruire -Jérusalem et toute la Judée. Et pendant de nombreuses -années il réunit des troupes, sous le règne de Néron, -pendant que les Juifs, de leur côté, se révoltaient contre -l’Empire. Mais d’autres chroniques affirment que ce -n’était point le zèle pour le Christ qui le faisait agir, -mais le désir de réprimer l’insurrection des Juifs. Enfin -<span class="pagenum" id="p256">-256-</span> il se mit en route vers Jérusalem, avec une nombreuse -armée, et, le jour de Pâques, il mit le siège autour de la -ville, où se trouva ainsi enfermée une foule de Juifs -venus de la campagne pour les fêtes. Sur son chemin, -il attaqua une ville de Judée nommée Jonapata, dont -Josèphe était le chef ; et celui-ci, après une courageuse -résistance, voyant que la destruction de la ville était -imminente, se réfugia avec onze autres Juifs dans un -souterrain, où ses compagnons et lui souffrirent de la -faim pendant quatre jours. Ces malheureux, malgré -l’avis de Josèphe, aimaient mieux mourir là que de se -soumettre au joug de Vespasien. Ils résolurent donc -de se tuer les uns les autres, afin d’offrir leur sang à -Dieu en sacrifice ; et comme Josèphe était le principal -d’entre eux, c’était lui qu’on voulait mettre à mort le -premier. Mais Josèphe, personnage prudent, et qui tenait -à la vie, se constitua le juge du sacrifice, et décida que -l’on tirerait au sort, deux par deux, ceux qui auraient à -être tués les premiers. Après quoi, il livra à la mort -tantôt l’un tantôt l’autre de ses compagnons, jusqu’à ce -qu’enfin ne restèrent plus que lui-même et l’homme qui -devait tirer au sort avec lui. Alors Josèphe, adroitement, -prit à cet homme son épée, et lui demanda ensuite -s’il préférait vivre ou mourir. L’homme, épouvanté, le -supplia de lui conserver la vie. Josèphe s’adressa en secret -à un familier de Vespasien, et le pria de demander à son -maître que grâce lui fût faite de la vie. Amené devant -Vespasien, il lui dit : « Prince, je t’informe que l’empereur -de Rome vient de mourir, et que le Sénat t’a -nommé pour le remplacer ! » Et Vespasien : « Si tu es -prophète, pourquoi n’as-tu pas prédit à cette ville qu’elle -aurait à se soumettre à moi ? » Cependant, quelques -jours après, des délégués arrivèrent de Rome pour -annoncer à Vespasien qu’il était élevé à l’Empire. Le -nouvel empereur partit pour Rome, laissant à son fils -Titus le soin de poursuivre le siège de Jérusalem.</p> - -<p>La même histoire apocryphe raconte ensuite que Titus, -en apprenant l’honneur échu à son père, fut rempli d’une -joie qui lui tordit les nerfs et paralysa ses membres. Ce -<span class="pagenum" id="p257">-257-</span> qu’apprenant, Josèphe devina la cause véritable de la -maladie, et s’ingénia à y trouver un remède, se fondant -sur le principe que les contraires peuvent être guéris par -leurs contraires. Or, Titus avait un esclave qui lui était -si odieux qu’il ne pouvait, sans souffrir, le voir ni même -entendre prononcer son nom. Josèphe dit donc à Titus : -« Si tu veux être guéri, aie soin de saluer tous ceux que -tu verras en ma compagnie ! » Titus s’engagea à le -faire. Et aussitôt Josèphe fit préparer un festin où il se -plaça en face de Titus, en faisant asseoir à sa droite -l’esclave détesté. Et dès que Titus l’aperçut, il eut un -frémissement d’aversion qui, aussitôt, réchauffa ses nerfs, -refroidis par l’excès de joie, et le guérit de sa paralysie. -Et, depuis lors, il rendit sa faveur à l’esclave et admit -Josèphe dans son amitié. Telle est l’histoire ; mais je -laisse au jugement du lecteur le soin de décider si une -telle histoire valait même la peine d’être rapportée.</p> - -<p>Le fait est que Jérusalem fut assiégée par Titus, pendant -deux ans, et qu’entre autres maux, dont elle eut à -souffrir au cours de ce siège, elle eut à souffrir une famine -si affreuse que les parents arrachaient la nourriture -non seulement des mains mais de la bouche même des -enfants, et les enfants de la bouche des parents ; les plus -vigoureux des jeunes gens erraient par les rues comme -des fantômes et tombaient morts, épuisés de faim ; souvent -ceux qui ensevelissaient les morts mouraient sur -les cadavres, si bien qu’on finit par ne plus ensevelir les -morts, et qu’on se borna à les précipiter en masse du -haut des murs. Titus, voyant les fossés remplis de ces -cadavres, leva les mains au ciel, pleura, et dit : « Seigneur, -tu vois que ce n’est point moi qui les ai fait -mourir ! » Et la famine était telle que les assiégés mangeaient -leurs chaussures. Une femme noble et riche, -voyant des pillards envahir et dépouiller sa maison, -s’écria, tandis qu’elle élevait en l’air son enfant nouveau-né : -« Fils plus infortuné d’une mère infortunée, pour -quel destin te réserverais-je au milieu de tant de misères ? -Viens, mon enfant, sois pour ta mère une nourriture, -pour les pillards un scandale, pour les siècles un -<span class="pagenum" id="p258">-258-</span> avertissement ! » Sur quoi elle étrangla son fils, le fit cuire, -en mangea la moitié, et cacha l’autre moitié. Or, voici -que les pillards, sentant une odeur de viande cuite, se -précipitèrent dans la maison et menacèrent la femme -de la tuer si elle ne leur livrait sa provision de viande. -Alors la femme, leur montrant les membres de son enfant : -« Tenez, leur dit-elle, je vous ai réservé la meilleure -partie ! » Une telle horreur les envahit qu’ils ne -surent que répondre. Et elle : « C’est mon fils, leur dit-elle, -le péché est sur moi : mangez sans crainte, puisque -moi-même, qui l’ai mis au monde, en ai mangé la première ; -et si l’horreur vous retient, j’achèverai seule de -manger ce dont j’ai déjà mangé la moitié ! »</p> - -<p>Enfin, la seconde année du règne de Vespasien, Titus -prit Jérusalem, détruisit le temple de fond en comble ; -et, de même que les Juifs avaient acheté le Christ pour -trente deniers, de même Titus ordonna qu’on vendît trente -Juifs pour un seul denier. Josèphe raconte que quatre-vingt-dix-sept -mille Juifs furent vendus, et que onze mille -périrent par la faim ou le fer. On raconte encore que -Titus, en entrant à Jérusalem, aperçut un mur plus épais -que les autres ; il y fit pratiquer une ouverture, et l’on -vit derrière le mur un vieillard d’aspect vénérable qui, -aux questions qu’on lui posa, répondit qu’il s’appelait -Joseph, qu’il était de la ville d’Arimathie, et que les Juifs -l’avaient enfermé et muré là parce qu’il avait enseveli le -corps du Christ. Il ajouta que, depuis lors, il avait été -nourri et soutenu par des anges descendant du ciel. -Mais, d’autre part, l’évangile de Nicodème nous dit que -Joseph d’Arimathie, ayant été muré par les Juifs, avait -été délivré par le Christ et ramené par lui dans sa ville -natale. Après cela, rien n’empêche d’admettre que, revenu -à Arimathie, Joseph ait continué à prêcher le -Christ et ait été muré par les Juifs une seconde fois.</p> - -<p>A la mort de Vespasien, Titus succéda à son père sur -le trône : homme plein de clémence et de générosité, dont -Eusèbe de Césarée et Jérôme nous rapportent que, certain -jour, se rappelant qu’il n’avait fait ce jour-là aucune -bonne action, il s’est écrié : « O mes amis, j’ai perdu ma -<span class="pagenum" id="p259">-259-</span> journée ! » Longtemps après, certains Juifs voulurent -reconstruire Jérusalem. Mais, étant sortis de leurs maisons, -le matin, pour y travailler, ils aperçurent à terre -des croix faites de rosée : ils s’enfuirent, épouvantés. Le -matin suivant, quand ils se remirent à l’ouvrage, chacun -d’eux vit une croix de sang peinte sur son manteau, ce -qui, de nouveau, les mit en fuite. Enfin, le troisième jour, -une vapeur brûlante sortit du sol, qui les consuma. -C’est du moins ce que raconte Milet, dans sa chronique.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c66">LXVI<br /> -L’INVENTION DE LA SAINTE CROIX<br /> -<span class="small">(3 mai)</span></h2> - - -<p>Sous le nom de l’Invention de la Sainte Croix, l’Eglise -fête l’anniversaire du jour où a été retrouvée la croix de -Notre-Seigneur. Cet événement eut lieu plus de deux -cents ans après la résurrection du Christ.</p> - -<p>On lit dans l’<i>Evangile de Nicodème</i> que, un jour que le -vieil Adam était malade, son fils Seth se rendit jusqu’à -la porte du Paradis et demanda de l’huile de l’arbre de -miséricorde, afin d’en frotter le corps de son père et de -lui rendre ainsi la santé. Or, l’archange Michel lui apparut -et lui dit : « N’espère pas obtenir, par tes larmes -ni par tes prières, de l’huile de l’arbre de miséricorde, -car les hommes ne pourront obtenir de cette huile que -dans cinq mille cinq cents ans », — c’est-à-dire après la -passion du Christ. Une autre chronique raconte que -l’archange Michel offrit cependant à Seth un rameau de -l’arbre miraculeux, en lui ordonnant de le planter sur le -mont Liban. Une autre histoire, en vérité apocryphe, -ajoute que cet arbre était le même qui avait fait pécher -Adam, et que l’ange, en donnant le rameau à Seth, lui -dit que, le jour où ce rameau porterait des fruits, son -<span class="pagenum" id="p260">-260-</span> père recouvrerait la santé. Et Seth, de retour chez lui -trouva son père déjà mort ; il planta le rameau sur la -tombe d’Adam, et le rameau devint un grand arbre qui -vivait encore au temps de Salomon.</p> - -<p>Ce prince, frappé de la beauté de l’arbre, le fit couper -afin qu’il servît à la construction du temple ; mais là, on -ne put trouver aucun endroit où le placer : car tantôt il -paraissait trop long et tantôt trop court ; et, quand les -ouvriers essayaient de le couper à la longueur voulue, -ils s’apercevaient ensuite qu’ils l’avaient trop coupé : de -telle sorte que, impatientés, ils le jetèrent en travers d’un -lac, pour servir de pont. Or la reine de Saba, venant à -Jérusalem pour consulter la sagesse de Salomon, et -ayant à traverser le susdit lac, vit en esprit que le Sauveur -du monde serait un jour attaché au bois de cet -arbre. Elle refusa donc de mettre le pied sur lui, et, au -contraire, s’agenouilla pour l’adorer. Une autre histoire -veut que la reine de Saba ait vu le bois miraculeux dans -le temple même, et que de retour dans son pays, elle -ait écrit à Salomon qu’à ce bois serait un jour attaché -l’homme dont la mort mettrait fin au royaume des Juifs ; -sur quoi Salomon aurait fait enlever l’arbre et aurait -ordonné de l’enfouir profondément sous terre. Et, à l’endroit -où l’arbre était enfoui, se forma plus tard la piscine -probatique : si bien que ce n’était pas seulement la descente -d’un ange, mais aussi la vertu du bois caché sous -terre, qui produisait, dans cette piscine, la commotion -de l’eau et guérissait les malades.</p> - -<p>Enfin l’on raconte que, aux approches de la passion -du Christ, le bois sortit de terre, et que les Juifs, le -voyant surnager à la surface de l’eau, le prirent pour en -faire la croix du Seigneur. Mais la tradition affirme, -d’autre part, que la croix du Christ fut faite de quatre -bois différents, à savoir de palmier, de cyprès, d’olivier -et de cèdre, chacune de ces espèces servant à l’une des -quatre parties de la croix, c’est-à-dire la poutre verticale, -l’horizontale, la tablette placée au sommet, -et le tronc soutenant la croix, ou encore, selon Grégoire -de Tours, la tablette placée sous les pieds du -<span class="pagenum" id="p261">-261-</span> Christ. Mais jusqu’à quel point sont vraies les diverses -légendes que nous venons de rapporter, c’est ce dont le -lecteur jugera par lui-même : car le fait est qu’on ne les -trouve mentionnées dans aucune chronique ni histoire -authentique.</p> - -<p>Après la passion du Christ, le bois précieux de la -croix resta caché sous terre pendant plus de deux cents -ans ; il fut enfin retrouvé par Hélène, mère de l’empereur -Constantin, dans les circonstances que nous allons -raconter.</p> - -<p>En ce temps-là, une multitude innombrable de barbares -se rassembla sur la rive du Danube, s’apprêtant à -traverser le fleuve afin de soumettre à leur domination -l’Occident tout entier. A cette nouvelle, l’empereur -Constantin se mit en marche avec son armée et vint -camper sur l’autre rive du Danube ; mais, comme le -nombre des barbares augmentait toujours, et que déjà -ils commençaient à traverser le fleuve, Constantin fut -saisi de frayeur à la pensée de la bataille qu’il aurait à -livrer. Or la nuit, un ange le réveilla et lui dit de lever -la tête ; et Constantin aperçut au ciel l’image d’une croix -faite d’une lumière éclatante ; et au-dessus de l’image -était écrit, en lettres d’or : « Ce signe te donnera la victoire ! » -Alors, réconforté par la vision céleste, il fit -faire une croix de bois, et la fit porter en avant de son -armée : puis, fondant sur l’ennemi, il l’extermina ou le -mit en fuite. Après quoi il convoqua les prêtres des divers -temples, et leur demanda de quel dieu cette croix -était le signe. Les prêtres ne savaient que répondre, -lorsque survinrent des chrétiens, qui expliquèrent à -l’empereur le mystère de la Sainte Croix et le dogme -de la Trinité. Et Constantin, les ayant entendus, crut au -Christ : il reçut le baptême des mains du pape Eusèbe, -ou, suivant d’autres auteurs, de celles d’Eusèbe, évêque -de Césarée.</p> - -<p>Mais, ici encore, nous avons affaire à une légende qui -se trouve contredite par l’<i>Histoire tripartite</i>, par l’<i>Histoire -ecclésiastique</i>, par la vie de saint Sylvestre et par -la chronique des papes. Aussi une autre tradition -<span class="pagenum" id="p262">-262-</span> affirme-t-elle que le Constantin en question n’était pas -le fameux empereur qui fut converti et baptisé par le -saint pape Sylvestre, mais que c’était un autre Constantin, -père de celui-là. Et cette tradition ajoute que, à la -mort de son père, Constantin, se rappelant la victoire -que le défunt avait due à la vertu de la sainte croix, -envoya sa mère Hélène à Jérusalem pour y retrouver -cette croix miraculeuse.</p> - -<p>L’<i>Histoire ecclésiastique</i> nous donne, de la victoire -de Constantin, une autre version. Suivant elle, la bataille -aurait eu lieu près du Pont Albin, où Constantin se -serait rencontré avec Maxence, qui voulait envahir -l’empire romain. Et comme l’empereur, anxieux, levait -les yeux au ciel pour en implorer du secours, il vit à -l’orient, sur le ciel, le signe resplendissant de la croix -entouré d’anges, qui lui dirent : « Constantin, ce signe -te donnera la victoire ! » Et comme Constantin se demandait -ce que cela signifiait, le Christ lui apparut la nuit, -avec le même signe, et lui ordonna d’en faire exécuter -une image, qui lui servirait d’aide dans la bataille. Alors -Constantin, sûr désormais de la victoire, fit sur son -front le signe de la croix, et prit dans sa main une croix -d’or. Après quoi il pria Dieu que sa main, qui avait tenu -le signe de la croix, n’eût pas à être tachée de sang -romain. Et en effet Maxence, au moment où il traversait -le fleuve, oublia qu’il avait fait miner les ponts pour -tromper Constantin, passa lui-même sur un pont miné, -et se noya dans le fleuve. Alors Constantin fut reconnu -empereur sans opposition ; et une chronique, suffisamment -autorisée, ajoute que, cependant, il hésita quelque -temps encore à se convertir tout à fait, jusqu’au jour où, -saint Pierre et saint Paul lui étant apparus, il fut guéri -de sa lèpre, et reçut enfin le baptême des mains du pape -Sylvestre. D’autre part saint Ambroise, dans sa lettre -à Théodose, et l’<i>Histoire tripartite</i>, affirment que, -même alors, il ajourna son baptême, afin d’être baptisé -dans les flots du Jourdain. Et c’est aussi ce que nous dit -la chronique de saint Jérôme.</p> - -<p>Mais, quoi qu’il en soit de cette question, le fait est -<span class="pagenum" id="p263">-263-</span> que c’est la mère de Constantin, Hélène, qui présida à -l’Invention de la Sainte Croix. Cette Hélène, suivant les -uns, aurait été d’abord fille d’auberge, et le père de -Constantin l’aurait épousée pour sa beauté. D’autres -affirment qu’elle était fille unique de Coël, roi des -Bretons, que le père de Constantin l’avait épousée lorsqu’il -était venu en Bretagne, et que, ainsi, après la mort -de Coël, il était devenu le maître de l’île. C’est aussi -ce qu’affirment les Bretons, bien qu’une autre version -veuille qu’Hélène ait été de Trèves.</p> - -<p>Arrivée à Jérusalem, Hélène fit mander devant elle -tous les savants juifs de la région. Et ceux-ci, effrayés, -se disaient l’un à l’autre : « Pour quel motif la reine -peut-elle bien nous avoir convoqués ? »</p> - -<p>Alors l’un d’eux, nommé Judas, dit : « Je sais qu’elle -veut apprendre de nous où se trouve le bois de la croix -sur laquelle a été crucifié Jésus. Or mon aïeul Zachée a -dit à mon père Simon, qui me l’a répété en mourant : -« Mon fils, quand on t’interrogera sur la croix de Jésus, -ne manque pas à révéler où elle se trouve, faute de quoi -on te fera subir mille tourments ; et cependant ce jour-là -sera la fin du règne des Juifs, et ceux-là régneront désormais -qui adoreront la croix, car l’homme qu’on a crucifié -était le Fils de Dieu ! » Et j’ai dit à mon père : -« Mon père, si nos aïeux ont su que Jésus était le fils de -Dieu, pourquoi l’ont-ils crucifié ? » Et mon père m’a -répondu : « Le Seigneur sait que mon père Zachée s’est -toujours refusé à approuver leur conduite. Ce sont les -Pharisiens qui ont fait crucifier Jésus, parce qu’il dénonçait -leurs vices. Et Jésus est ressuscité, le troisième -jour, et est monté au ciel en présence de ses disciples. -Et mon oncle Etienne a cru en lui ; ce pourquoi les Juifs, -dans leur folie, l’ont lapidé. Vois donc, mon fils, à ne -jamais blasphémer Jésus ni ses disciples ! » Ainsi parla -Judas ; et les Juifs lui dirent : « Jamais nous n’avons -entendu rien de pareil. » Mais lorsqu’ils se trouvèrent -devant la reine, et que celle-ci leur demanda en quel lieu -Jésus avait été crucifié, tous refusèrent de la renseigner : -si bien qu’elle ordonna, qu’ils fussent jetés au feu. -<span class="pagenum" id="p264">-264-</span> Alors les Juifs, épouvantés, lui désignèrent Judas, en -disant : « Princesse, cet homme-ci, fils d’un prophète, -sait toutes choses mieux que nous, et te révélera ce que -tu veux connaître ! » Alors la reine les congédia tous à -l’exception de Judas, à qui elle dit : « Choisis entre la -vie et la mort ! Si tu veux vivre, indique-moi le lieu qu’on -appelle Golgotha, et dis-moi où je pourrai découvrir la -croix du Christ ! » Judas lui répondit : « Comment le -saurais-je, puisque deux cents ans se sont écoulés depuis -lors, et qu’à ce moment je n’étais pas né ? » Et la reine : -« Je te ferai mourir de faim, si tu ne veux pas me dire -la vérité ! » Sur quoi elle fit jeter Judas dans un puits à -sec, et défendit qu’on lui donnât aucune nourriture.</p> - -<p>Le septième jour, Judas, épuisé par la faim, demanda à -sortir du puits, promettant de révéler où était la croix. -Et comme il arrivait à l’endroit où elle était cachée, il -sentit dans l’air un merveilleux parfum d’aromates ; de -telle sorte que, stupéfait, il s’écria : « En vérité, Jésus, -tu es le sauveur du monde ! »</p> - -<p>Or, il y avait en ce lieu un temple de Vénus qu’avait -fait construire l’empereur Adrien, de façon que quiconque -y viendrait adorer le Christ parût en même temps adorer -Vénus. Et, pour ce motif, les chrétiens avaient cessé de -fréquenter ce lieu. Mais Hélène fit raser le temple ; après -quoi Judas commença lui-même à fouiller le sol et découvrit, -à vingt pas sous terre, trois croix qu’il fit aussitôt -porter à la reine.</p> - -<p>Restait seulement à reconnaître celle de ces croix où -avait été attaché le Christ. On les posa toutes trois sur -une grande place, et Judas, voyant passer le cadavre -d’un jeune homme qu’on allait enterrer, arrêta le cortège, -et mit sur le cadavre l’une des croix, puis une autre. Le -cadavre restait toujours immobile. Alors Judas mit sur -lui la troisième croix ; et aussitôt le mort revint à la vie. -D’autres historiens racontent que c’est Macaire, évêque -de Jérusalem, qui reconnut la vraie croix, en ravivant -par elle une femme déjà presque morte. Et saint Ambroise -affirme que Macaire reconnut la croix à l’inscription -placée jadis par Pilate au-dessus d’elle.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p265">-265-</span> Judas se fit ensuite baptiser, prit le nom de Cyriaque, -et, à la mort de Macaire, fut ordonné évêque de Jérusalem. -Or sainte Hélène, désirant avoir les clous qui -avaient transpercé Jésus, demanda à l’évêque de les -rechercher. Cyriaque se rendit de nouveau sur le Golgotha, -et se mit en prière ; et aussitôt, étincelants comme -de l’or, se montrèrent les clous, qu’il s’empressa de -porter à la reine. Et celle-ci, s’agenouillant et baissant -la tête, les adora pieusement.</p> - -<p>Elle rapporta à son fils Constantin une partie de la -croix, laissant l’autre partie dans l’endroit où elle l’avait -trouvée. Elle donna également à son fils les clous, qui, -d’après Grégoire de Tours, étaient au nombre de quatre. -Deux de ces clous furent placés dans les freins dont -Constantin se servait pour la guerre ; un troisième fut -placé sur la statue de Constantin qui dominait la ville de -Rome. Quant au quatrième, Hélène le jeta elle-même -dans la mer Adriatique, qui jusqu’alors avait été un -gouffre dangereux pour les navigateurs. Et c’est elle -aussi qui ordonna qu’on fêtât tous les ans, en grande -solennité, l’anniversaire de l’invention de la Sainte -Croix.</p> - -<p>Le saint évêque Cyriaque fut, plus tard, mis à mort -par Julien l’Apostat, qui s’efforçait de détruire en tous -lieux le signe de la croix. Julien, avant de partir pour la -guerre contre les Perses, invita Cyriaque à sacrifier aux -idoles ; et, sur son refus, il lui fit couper la main droite, -en disant : « Cette main a écrit bien des lettres qui ont -détourné plus d’une âme du culte des dieux ! » Mais -l’évêque lui répondit : « Insensé, tu me rends là un précieux -service ; car cette main était un scandale pour -moi, ayant jadis écrit bien des lettres aux synagogues -pour détourner les Juifs du culte du Christ. » Alors -Julien lui fit verser dans la bouche du plomb fondu, et -puis, l’ayant fait étendre sur un lit de fer, il fit jeter sur -lui des charbons ardents mêlés de sel et de graisse. -Cyriaque, cependant, restait inflexible. Et Julien lui dit : -« Si tu ne veux pas sacrifier aux dieux, proclame du -moins que tu n’es pas chrétien ! » Sur le refus de Cyriaque, -<span class="pagenum" id="p266">-266-</span> il le fit jeter parmi des serpents venimeux ; mais -aussitôt les serpents périrent, sans faire aucun mal à -l’évêque. Julien le fit jeter dans une chaudière pleine -d’huile bouillante ; et Cyriaque, au moment d’y entrer, -pria Dieu de lui accorder le second baptême du martyre. -Sur quoi Julien, exaspéré, ordonna qu’on lui perçât la -poitrine à coups de glaive ; et c’est ainsi que le saint -évêque rendit son âme à Dieu.</p> - -<p>Quant à la vertu souveraine de la sainte Croix, elle -nous est prouvée par l’histoire d’un pieux intendant que -certain magicien conduisit, par ruse, dans un lieu où il -avait évoqué les démons. L’intendant aperçut dans ce lieu -un grand Ethiopien, assis sur un trône élevé, et entouré -d’autres noirs portant des lances et des verges. L’Ethiopien, -qui était Lucifer lui-même, dit à l’intendant : « Si -tu veux m’adorer et me servir, et renier ton Christ, je -te ferai asseoir à ma droite ! » Mais l’intendant déclara -qu’il préférait rester le serviteur du Christ ; et, au -moment où il faisait le signe de la croix, toute la foule -des démons s’évanouit. Plus tard, le même intendant -entra, avec son maître, dans l’église de Sainte-Sophie ; -et là, comme tous deux se tenaient debout devant une -image du Christ, le maître vit que cette image avait les -yeux fixés sur l’intendant. Il fit alors passer celui-ci à -droite, puis à gauche : les yeux de l’image suivaient ses -mouvements, et restaient toujours fixés sur lui. Le -maître, émerveillé, demanda à son intendant par quoi -il s’était rendu digne d’un si grand honneur. Et l’intendant -répondit qu’il n’avait conscience d’aucun acte qui -pût lui valoir cet honneur, à cela près qu’un jour, en -présence du diable, il avait refusé de renier le Christ.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p267">-267-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c67">LXVII<br /> -LES ROGATIONS</h2> - - -<p>Les Rogations, ou Litanies, se célèbrent deux fois par -an ; la première fois le jour de la fête de saint Marc, la -seconde fois pendant les trois jours qui précèdent l’Ascension. -La première de ces deux Litanies s’appelle -Majeure, la seconde Mineure. Le mot Litanie signifie -supplication ou prière.</p> - -<p>La première Litanie a trois noms : On l’appelle la -Litanie Majeure, ou la procession septiforme, ou les -Croix-Noires. On l’appelle la Litanie Majeure : 1<sup>o</sup> parce -qu’elle a été instituée par Grégoire le Grand ; 2<sup>o</sup> parce -qu’elle a été instituée à Rome, siège des apôtres ; 3<sup>o</sup> parce -qu’elle a été instituée dans des circonstances graves et -mémorables. Car les Romains, après avoir vécu dans la -continence pendant le carême, s’abandonnaient ensuite à -une telle débauche de jeux et de plaisirs, que Dieu, irrité, -leur envoya une terrible peste, qu’on appelle <i>inguinale</i> -parce qu’elle a pour symptôme l’enflure de l’aîne. Et cette -peste fut si cruelle que les hommes mouraient dans la -rue, à table, en jouant, en causant. Souvent un homme -éternuait, et dans cet éternuement rendait l’âme. Aussi, -lorsqu’on entendait quelqu’un éternuer, s’empressait-on -de lui dire : « Que Dieu vous aide ! » Et c’est de là, dit-on, -que s’est conservée cette habitude. De même, souvent, -un homme bâillait, et sur-le-champ il rendait l’âme. -Aussi, dès que quelqu’un se sentait une approche de -bâillement, il s’empressait de faire le signe de la croix ; et -c’est de là encore que s’est gardée cette habitude. Quant -au développement de cette peste et à sa guérison miraculeuse, -ainsi qu’à l’institution de la Litanie, nous avons -déjà raconté tout cela dans l’histoire de saint Grégoire.</p> - -<p>On appelle cette Litanie la <i>procession septiforme</i> parce -que saint Grégoire disposait la procession, qu’on faisait -ce jour-là, en sept rangs. En premier lieu venait tout le -<span class="pagenum" id="p268">-268-</span> clergé, puis venaient les moines et les religieux, puis les -religieuses, puis les enfants, puis les laïcs mâles, puis -les veuves et les vierges, enfin les femmes mariées. Et -comme nous ne pouvons guère, aujourd’hui, compter -dans notre procession sur le concours de ces divers éléments, -nous remplaçons les sept rangs par sept récitations -de la Litanie.</p> - -<p>En troisième lieu cette fête s’appelle les Croix-Noires, -parce que, en signe de deuil et de pénitence, non seulement -toute la procession était vêtue de noir, mais les -croix et les autels étaient voilés de crêpe noir.</p> - -<p>La Litanie Mineure, qui se célèbre pendant les trois -jours qui précèdent l’Ascension, a été instituée avant -la Majeure, vers l’an 458, par saint Mamert, évêque de -Vienne, sous le règne de l’empereur Léon. On l’appelle -aussi les Rogations, et aussi la Procession.</p> - -<p>On l’appelle Litanie Mineure par opposition à la -Majeure, comme ayant été instituée par un moindre -dignitaire de l’Eglise, en un lieu moindre, et dans de -moindres circonstances. Il y avait alors à Vienne de -fréquents tremblements de terre, qui renversaient les -maisons et bon nombre d’églises ; on entendait, la nuit, -des bruits effrayants ; et, le jour de Pâques un feu tomba -du ciel, qui consuma le palais du roi. Et, de même -qu’autrefois Dieu avait permis aux démons d’entrer dans -le corps d’un troupeau de porcs, les loups et autres -bêtes féroces entraient librement dans les maisons, -dévorant enfants et vieillards, hommes et femmes. -Devant une telle réunion de calamités, l’évêque susdit -ordonna un jeûne de trois jours, institua les litanies et -obtint de cette façon la cessation du mal dont souffrait la -ville. Plus tard l’Eglise décréta que cette Litanie serait -observée par tous les fidèles.</p> - -<p>La Litanie Mineure s’appelle aussi fête des Rogations, -parce que nous implorons, ces trois jours-là, les suffrages -de tous les saints, leur demandant, par nos -prières et nos jeûnes : 1<sup>o</sup> que Dieu pacifie les guerres, -particulièrement fréquentes au printemps ; 2<sup>o</sup> qu’il conserve -et multiplie les fruits, qui commencent à naître ; -<span class="pagenum" id="p269">-269-</span> 3<sup>o</sup> qu’il réprime en nous les mouvements charnels, qui -sont toujours plus violents en cette saison ; 4<sup>o</sup> pour que, -par ces prières et ce jeûne, nous nous préparions mieux -à recevoir le Saint-Esprit et à nous en rendre dignes.</p> - -<p>Enfin cette fête s’appelle aussi Procession parce que -l’Eglise fait, ces jours-là, une grande procession où -l’on porte des croix, où l’on sonne toutes les cloches, et -où l’on invoque, en particulier, le patronage de tous les -saints. On porte les croix et on sonne les cloches pour -effrayer les démons, ou bien encore on porte les croix -pour effrayer les démons, et on sonne les cloches pour -rappeler aux fidèles leur devoir de prier, en présence du -danger de la tentation. Dans certaines églises, surtout -dans les églises françaises, on a aussi l’habitude de -porter en procession un dragon avec une longue queue -gonflée de paille, et que l’on dégonfle devant la croix, le -troisième jour : ce qui signifie que, avant la Loi et sous -la Loi, le diable a régné en ce monde, mais que le Christ, -par la grâce de sa Passion, l’a chassé de son royaume. -Et l’on a également coutume de chanter, à ces processions, -le cantique des anges : <i lang="la" xml:lang="la">Sancte Deus, sancte -fortis, sancte et immortalis, miserere nobis.</i></p> - -<p>Jean de Damas rapporte que, à Constantinople, un -jour qu’on célébrait les Litanies, un enfant qui se trouvait -parmi la foule fut ravi au ciel, où les anges lui -apprirent ce cantique ; après quoi, revenant à sa place -dans la foule, il chanta le cantique qu’il venait d’apprendre ; -et aussitôt cessa la calamité pour laquelle -s’étaient organisées les Litanies. Aussi le synode de -Chalcédoine sanctionna-t-il l’usage universel de ce cantique, -qui a le privilège d’inspirer aux démons une peur -toute particulière.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p270">-270-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c68">LXVIII<br /> -SAINT JEAN PORTE-LATINE<br /> -<span class="small">(6 mai)</span></h2> - - -<p>L’apôtre et évangéliste Jean prêchait à Ephèse lorsque -le proconsul le fit saisir et lui ordonna de sacrifier aux -dieux. Sur son refus, il fut jeté en prison ; et le proconsul -écrivit à l’empereur Domitien une lettre où il l’accusait -d’être sacrilège, de mépriser les dieux, et d’adorer -la croix. Domitien, au reçu de cette lettre, fit venir saint -Jean à Rome. Là, après lui avoir fait raser les cheveux -en signe d’infamie, il le condamna à être plongé dans -une chaudière d’huile bouillante, en présence de la foule, -devant une des portes de la ville, nommée Porte-Latine. -Mais le saint n’y éprouva aucun mal, et en sortit tout à -fait intact. C’est en souvenir de ce miracle que les chrétiens -ont élevé, en ce lieu, une église, et qu’on célèbre -l’anniversaire du supplice de saint Jean comme la fête de -son martyre.</p> - -<p>Cependant le saint, sorti de la chaudière, continuait -à prêcher le Christ, jusqu’à ce que, par ordre de Domitien, -il fut relégué dans l’île de Pathmos. Et nous devons -ajouter, à ce propos, que, si les empereurs romains persécutaient -les apôtres, ce n’était point parce que ceux-ci -prêchaient le Christ, mais parce qu’ils affirmaient la -divinité du Christ sans que cette divinité eût été reconnue -par le Sénat romain, comme le voulait la loi. Et -l’<i>Histoire ecclésiastique</i> raconte que, Pilate ayant écrit à -Tibère pour lui exposer la mort du Seigneur, Tibère se -déclara prêt à imposer aux Romains la foi chrétienne ; -mais le Sénat s’y refusa, parce que le Christ avait été -nommé dieu sans son autorisation. Suivant une autre -chronique, le refus du Sénat vint de ce que le Christ ne -se fût pas d’abord révélé à Rome. Suivant une autre -encore, le Sénat refusa d’admettre le Christ parce que -<span class="pagenum" id="p271">-271-</span> celui-ci prêchait le mépris du monde, tandis que les -Romains étaient, par nature, avides et ambitieux. Enfin -Orose soutient que le Sénat fut fâché de ce que Pilate -eût annoncé les miracles du Christ à Tibère et non à lui ; -et que Tibère, irrité à son tour du refus du Sénat, mit à -mort bon nombre de sénateurs et en exila plusieurs autres.</p> - -<p>On raconte aussi que la mère de saint Jean, apprenant -que son fils était prisonnier à Rome, se mit en route -pour l’aller voir ; mais en arrivant à Rome elle découvrit -que saint Jean était parti pour l’île de Pathmos. Elle -reprit alors le chemin de la Palestine, et, en voyage, -elle mourut, dans une ville de la Campanie appelée -Vétulana. Son corps resta longtemps caché dans une -caverne, jusqu’au jour où saint Jean révéla à saint -Jacques où il se trouvait. Le corps fut alors transporté -avec de grands honneurs dans une église de Vétulana, -où il opéra de nombreux miracles.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c69">LXIX<br /> -SAINT GORDIEN, <span class="small">MARTYR<br /> -(10 mai)</span></h2> - - -<p>Gordien était officier de l’empereur Julien. Chargé -par celui-ci de faire sacrifier aux idoles un chrétien du -nom de Janvier, il fut converti par la prédication de ce -chrétien, et reçut le baptême avec sa femme, appelée -Marine et cinquante-trois autres personnes. Ce qu’apprenant, -Julien fit envoyer Janvier en exil et ordonna que -Gordien eût la tête tranchée s’il refusait de sacrifier aux -idoles.</p> - -<p>Saint Gordien eut donc la tête tranchée, et son corps -resta offert aux chiens pendant huit jours ; mais comme -il se conservait absolument intact, il fut enfin recueilli -par des parents du martyr et enterré à un mille de Rome -avec les restes de saint Epimaque, que le susdit Julien -avait fait mourir précédemment.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p272">-272-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c70">LXX<br /> -SAINTS NÉRÉE ET ACHILLÉE, <span class="small">MARTYRS<br /> -(12 mai)</span></h2> - - -<p>Nérée et Achillée, qui reçurent le baptême des mains -de l’apôtre saint Pierre, étaient eunuques, et attachés -au service particulier de Domicille, nièce de l’empereur -Domitien. Or, comme cette princesse était fiancée à -Aurélien, fils d’un consul, et qu’on la revêtait de pourpre -et de pierreries, Nérée et Achillée lui prêchèrent la foi. Ils -lui recommandèrent la virginité, comme une vertu chère -à Dieu et innée dans l’homme. Ils lui dirent que la femme -était soumise à son mari, que souvent elle avait à subir -des coups, que souvent aussi elle s’exposait à de mauvaises -grossesses, et que, ayant peine déjà à supporter -les avertissements tendres de sa mère, elle se condamnait, -par le mariage, à supporter de bien autres injures. -Domicille leur répondait : « Je sais que mon père était -jaloux et que ma mère a eu à souffrir de lui ; mais pourquoi -croirais-je que mon mari dût lui ressembler ? » Et -eux : « Parce que, tant qu’ils sont fiancés, ils paraissent -pleins de douceur, tandis que, après le mariage, ils -règnent en maîtres cruels ; sans compter que souvent, ils -préfèrent les servantes à leur maîtresse. Et toutes les -autres vertus qu’on a perdues peuvent se reconquérir -par la pénitence, tandis que, seule, la virginité ne se -reconquiert pas. » Alors Domicilie crut en Jésus, fit vœu -de virginité, et reçut le voile des mains de saint Clément.</p> - -<p>Sur quoi son fiancé, avec la permission de Domitien, -la rélégua, avec Nérée et Achillée, dans l’île de Pont, -s’imaginant, par là, pouvoir fléchir la jeune fille. Quelque -temps après, il se rendit lui-même dans cette île, et -offrit de nombreux présents aux deux eunuques, pour -qu’ils intervinssent en sa faveur auprès de leur maîtresse ; -mais eux, dédaignant ses offres, n’en mettaient que plus -<span class="pagenum" id="p273">-273-</span> de zèle à la raffermir dans sa foi. Sommés de sacrifier -aux idoles, ils dirent ne pouvoir le faire, puisqu’ils -avaient reçu le saint baptême. Et, en conséquence, -tous deux eurent la tête tranchée, l’an du Seigneur 80. -Leurs corps furent ensevelis auprès du tombeau de sainte -Pétronille.</p> - -<p>Puis le consul condamna aux plus durs travaux trois -autres esclaves de Domicille, Victorin, Euthice et Maron. -Et il ordonna enfin qu’Euthice fût frappé à mort, Victorin -étouffé dans un bain de fiente, Maron écrasé sous -une grosse pierre. Mais Maron, lorsqu’on jeta sur lui -cette pierre immense, que soixante-dix hommes pouvaient -à peine mouvoir, la reçut aisément sur ses épaules, -et la porta comme un caillou à deux milles de là. Ce -que voyant, plusieurs se convertirent ; et le consul le fit -mettre à mort.</p> - -<p>Puis le consul rappela d’exil la jeune fille et envoya -vers elle ses deux sœurs de lait, Euphrosine et Théodore, -avec mission de la persuader ; mais Domicille les -convertit à la foi chrétienne. Alors Aurélien se rendit -chez Domicille avec les fiancés de ces deux jeunes filles -et trois jongleurs, afin de célébrer son mariage avec elle : -mais Domicille avait déjà converti les deux fiancés. -Cependant, le consul la mit de force dans son lit, ordonna -aux jongleurs de chanter, aux deux jeunes gens de -danser avec lui, et voulut s’entraîner ainsi à violer la -jeune vierge. Mais bientôt les jongleurs se lassèrent de -chanter, les deux danseurs de danser ; et lui, emporté -par un vertige, ne s’arrêta point de danser pendant deux -jours, jusqu’à ce qu’enfin il mourût de fatigue.</p> - -<p>Son frère Luxurius obtint alors de l’empereur la permission -de mettre à mort tous les chrétiens de la ville. -Il fit incendier, la nuit, le lit où reposaient les trois -vierges ; et celles-ci rendirent, en priant, leurs âmes à -Dieu. Saint Césaire, le lendemain, retrouva leurs trois -corps absolument intacts.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p274">-274-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c71">LXXI<br /> -SAINT PANCRACE, <span class="small">MARTYR<br /> -(12 mai)</span></h2> - - -<p>Pancrace, de famille noble, ayant perdu son père et sa -mère pendant un séjour en Phrygie, fut remis à la charge -de son oncle Denis. En compagnie de son oncle il revint -à Rome, où sa famille possédait un grand patrimoine ; -et c’est ainsi qu’ils firent connaissance avec le pape -Corneille, qui se cachait, avec les fidèles, dans le voisinage -de leur propriété. Convaincus par la prédication -de Corneille, Denis et Pancrace reçurent la foi du Christ ; -après quoi Denis mourut en paix, et Pancrace, fait prisonnier, -fut amené devant l’empereur. Il avait alors à -peine quatorze ans. Et l’empereur Dioclétien lui dit : -« Enfant, laisse-moi te donner un conseil et te sauver -d’une mort affreuse : car je sais qu’à ton âge on est facilement -trompé, et puis tu es de noble race, et fils d’un -homme que j’ai beaucoup aimé. Ecoute-moi donc, renonce -à la folie de ton christianisme ; et je te traiterai comme -mon propre fils ! » Mais Pancrace lui répondit : « Je suis -enfant par le corps, c’est vrai, mais je porte un cœur -d’homme ; et, par la grâce de mon maître Jésus-Christ, -tes supplices m’apparaissent aussi vains que cette idole -qui est là devant moi. Quant aux dieux que tu m’engages -à adorer, ils n’ont été que des imposteurs, souillant les -femmes de leur propre maison et n’épargnant pas même -leurs parents. Que si tu avais aujourd’hui des esclaves -qui agissent comme eux, tu t’empresserais de les mettre -à mort. Et je m’étonne que tu ne rougisses pas d’adorer -de tels dieux ! » Alors l’empereur, honteux de se voir -vaincu par un enfant, lui fit trancher la tête, sur la Voie -Aurélienne, l’an du Seigneur 287. Le corps du martyr -fut pieusement enseveli par Cocavilla, femme d’un sénateur.</p> - -<p>Grégoire de Tours raconte que, lorsqu’un faux témoin -<span class="pagenum" id="p275">-275-</span> s’approche du tombeau de saint Pancrace, ou bien il -tombe aussitôt mort sur les dalles, ou bien un démon -s’empare de lui et le fait délirer. Deux hommes étaient en -procès, et le juge ne parvenait pas à découvrir le coupable. -Dans son zèle de justice, ce juge conduisit les deux -hommes à l’autel de saint Pierre et leur fit jurer à tous -deux qu’ils étaient innocents, priant l’apôtre de lui faire -reconnaître la vérité par quelque signe miraculeux. Et -comme tous deux, ayant juré, ne souffraient aucun mal, -le juge, indigné, s’écria : « Le vieux saint Pierre est décidément -trop indulgent ! Allons plutôt consulter le jeune -saint Pancrace ! » Et comme, sur le tombeau du saint, le -vrai coupable allait recommencer à se parjurer, il ne -parvint pas à lever la main, et tomba mort dès l’instant -d’après. De là vient que, aujourd’hui encore, dans les -cas difficiles, on a coutume de faire jurer les accusés -sur les reliques de saint Pancrace.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c72">LXXII<br /> -SAINT BONIFACE, <span class="small">MARTYR<br /> -(14 mai)</span></h2> - - -<p>Passion de saint Boniface, qui souffrit le martyre dans -la ville de Tarse, sous le règne de Dioclétien, et fut -enseveli à Rome, sur la Voie Latine.</p> - -<p>Boniface était, à Rome, l’intendant d’une dame noble -nommée Aglaé, et entretenait avec elle des rapports -coupables. Un jour enfin, sa maîtresse et lui, comme -avertis par un signe divin, décidèrent que Boniface irait -chercher les corps des martyrs, avec l’espoir que son -culte pour eux leur vaudrait, à tous deux, d’obtenir leur -salut. Boniface se mit donc en route ; et lorsqu’il arriva -dans la ville de Tarse, il dit à ses compagnons : « Amis, -occupez-vous de nous trouver un logement ! J’ai hâte, -moi, d’aller voir ceux pour qui je suis venu. » Après quoi, -<span class="pagenum" id="p276">-276-</span> étant accouru sur la place publique, il vit les bienheureux -martyrs, l’un pendu avec du feu sous les pieds, un autre -étendu sur un chevalet, un autre labouré d’ongles de -fer, un autre les mains coupées ; et tandis que, brûlant -lui-même de l’amour du Christ, il considérait ces supplices -divers, il se mit à invoquer le Dieu des martyrs. -Puis, s’approchant d’eux, il s’assit à leurs pieds, baisa -leurs chaînes, et dit : « Martyrs du Christ, foulez aux -pieds le démon, prenez patience ! votre peine n’est -rien en comparaison du repos et de la joie qui vous -attendent ! » Ce qu’entendant, le juge Simplicius le fit -mander à son tribunal et lui dit : « Qui es-tu ? » Le saint -répondit : « Je me nomme Boniface, et je suis chrétien. » -Alors le juge, irrité, le fit prendre, et ordonna qu’on -labourât son corps de pointes de fer jusqu’à mettre à nu -tous ses os. Il ordonna ensuite qu’on introduisît des -aiguillons sous les ongles de ses doigts. Et comme le -martyr, les yeux levés au ciel, se réjouissait parmi tous -ces tourments, le méchant juge ordonna qu’on lui ouvrît -la bouche et qu’on y versât du plomb bouillant. Mais le -martyr répétait toujours : « Je te rends grâces, Seigneur -Jésus ! » Alors le juge le fit plonger, la tête en bas, dans -une cuve de poix bouillante ; et, comme, de cela non plus, -le martyr ne souffrait aucun mal, le juge ordonna qu’il -eût la tête tranchée. Et à l’instant où on lui trancha la -tête, se produisit un grand tremblement de terre, qui -convertit nombre d’infidèles en leur montrant la vertu -du Christ.</p> - -<p>Cependant, les autres serviteurs d’Aglaé, qui avaient -accompagné Boniface, allaient par la ville, en quête de -lui, et, ne le trouvant pas, se disaient : « Sûrement il -sera occupé à quelque adultère, ou à s’enivrer dans -quelque cabaret ! » Comme ils parlaient, ils rencontrèrent -dans la rue un des officiers impériaux. Ils lui demandèrent : -« N’aurais-tu pas vu ici un étranger, un Romain ? » -Il leur répondit : « Hier, sur la place, un étranger a eu -la tête tranchée. » Ils lui dirent : « Quelle figure avait-il ? -l’homme que nous cherchons est trapu et solide, avec -une chevelure abondante ; et vêtu d’un manteau rouge. » -<span class="pagenum" id="p277">-277-</span> Alors l’officier répondit : « L’homme que vous cherchez, -c’est lui que nous avons torturé et mis à mort hier ! » -Mais eux : « Tu dois te tromper : l’homme que nous cherchons -est un ivrogne et un débauché ! » L’officier leur -dit : « Venez, et vous le verrez ! » Et lorsqu’il leur eût -montré le corps du martyr et sa tête vénérable, ils lui -dirent : « Oui, c’est bien celui que nous cherchions ; -donne-nous ses restes ! » L’officier se refusa à les leur -donner gratuitement. Mais, en échange de cinq cents sous, -ils obtinrent d’emporter le corps du martyr, qu’ils s’empressèrent -d’oindre d’aromates et d’envelopper de linges -de prix ; après quoi ils le ramenèrent à Rome, se réjouissant -et glorifiant Dieu.</p> - -<p>Un ange du ciel apparut à la maîtresse du martyr, et -lui révéla sa mort bienheureuse. Aussitôt Aglaé partit à -la rencontre de son corps, et fit élever une église digne -de lui à l’endroit même où elle le rencontra, éloigné de -la ville d’environ cinq stades. Le martyre de saint Boniface -eut lieu le quatorzième jour du mois de mai ; son -ensevelissement, le neuvième jour de juillet.</p> - -<p>Ensuite Aglaé, renonçant au monde, distribua tous ses -biens aux pauvres, affranchit tous ses esclaves, et, par -ses jeûnes et ses prières, s’acquit tant de faveur auprès -de Jésus, qu’elle put accomplir des miracles en son nom. -Elle survécut ainsi douze ans au martyr, auprès de qui -elle fut enterrée.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c73">LXXIII<br /> -L’ASCENSION DE NOTRE-SEIGNEUR</h2> - - -<p>L’Ascension de Notre-Seigneur a eu lieu quarante -jours après sa résurrection. Ce jour-là, il apparut deux -fois à ses disciples. Une première fois, il apparut aux -onze apôtres assis à table. Les apôtres, ainsi que -d’autres disciples, et aussi des femmes, habitaient la -partie de Jérusalem appelée Mello, sur la montagne de -<span class="pagenum" id="p278">-278-</span> Sion, où David s’était construit un palais. Il y avait là un -grand cénacle où Jésus, naguère, avait fait préparer la -Pâque ; à présent, les onze apôtres y demeuraient, tandis -que les autres disciples habitaient à l’entour, dans -des auberges. Or, comme les Onze étaient à table dans -ce cénacle, le Seigneur leur apparut. Il leur reprocha -leur incrédulité, mangea avec eux, et leur dit de se -rendre sur le mont des Oliviers, au versant tourné vers -Béthanie. C’est là que, pour la seconde fois ce jour-là, -il leur apparut : il leva les mains, les bénit, et, en leur -présence, monta au ciel.</p> - -<p>Au sujet du lieu de l’Ascension, Sulpice, évêque de -Jérusalem, raconte que, lorsque plus tard on y éleva une -église, l’endroit précis où s’étaient posés les pieds du -Christ ne put absolument pas être recouvert de dalles : -les plaques de marbre qu’on y mettait se rompaient, et -sautaient au visage de ceux qui les mettaient. Aujourd’hui -encore, on y voit, dans une poussière calcaire, des -traces de pieds.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c74">LXXIV<br /> -LA PENTECÔTE</h2> - - -<p>La Pentecôte célèbre le souvenir du jour où le Saint-Esprit -est descendu sur les apôtres en langues de feu, -ainsi que le raconte le livre des <i>Actes</i>. Au sujet de cette -descente du Saint-Esprit, six questions sont à considérer : -1<sup>o</sup> par qui il a été envoyé ; 2<sup>o</sup> de quelle manière il a -été envoyé ; 3<sup>o</sup> à quel moment il a été envoyé ; 4<sup>o</sup> combien -de fois il a été envoyé ; 5<sup>o</sup> à qui il a été envoyé ; -6<sup>o</sup> pourquoi il a été envoyé.</p> - -<p>1<sup>o</sup> Le Saint-Esprit a été envoyé par le Père, le Fils, -et par lui-même. En effet, Jésus dit, dans l’évangile de -saint Jean : « Le Saint-Esprit, que mon Père vous -enverra en mon nom » ; et il dit aussi : « Quand je vous -aurai quittés, je vous l’enverrai ! » Mais le Saint-Esprit -<span class="pagenum" id="p279">-279-</span> est aussi venu de lui-même, étant Dieu. Citons à ce propos, -la définition que donne saint Ambroise de la divinité : -« Un Dieu se reconnaît ou bien à ce qu’il est sans péché, -ou bien à ce qu’il remet les péchés, ou bien à ce qu’il est -créateur et non créature, ou bien à ce qu’il est adoré et -non adorant. » Et le pape Léon dit : « L’Esprit-Saint est -l’inspirateur de la foi, le docteur de la science, la source -de l’amour et la cause du salut. »</p> - -<p>2<sup>o</sup> L’Esprit-Saint est envoyé de deux façons : d’une façon -invisible quand il pénètre dans les âmes, et d’une façon -visible quand il apparaît avec des signes visibles. De -sa mission invisible, l’évangile de saint Jean dit : -« L’Esprit souffle où il veut et tu entends sa voix, mais -sans savoir d’où il vient ni où il va. » Quant à la mission -visible du Saint-Esprit, elle s’est manifestée par -cinq signes : 1<sup>o</sup> sous la forme d’une colombe au baptême -du Christ (saint Luc, <small>III</small>) ; 2<sup>o</sup> sous la forme d’un nuage -lumineux, à la transfiguration du Christ (saint Matthieu, -<small>XVI</small>) ; 3<sup>o</sup> sous la forme d’un souffle (saint Jean, <small>XX</small>) ; -4<sup>o</sup> sous la forme d’un feu, et 5<sup>o</sup> sous la forme d’une -langue : ces deux dernières manifestations ont eu lieu en -ce jour de la Pentecôte.</p> - -<p>3<sup>o</sup> L’Esprit-Saint a été envoyé aux apôtres le cinquantième -jour après la Pâque.</p> - -<p>4<sup>o</sup> L’Esprit-Saint a été envoyé aux apôtres trois fois, -d’après la <i>Glosse</i> : avant la passion, après la résurrection -et après l’ascension. La première fois, il a été -envoyé aux apôtres pour leur permettre de faire des -miracles (saint Matthieu, <small>XII</small>). D’où l’on ne doit point -conclure que quiconque possède l’Esprit-Saint puisse -faire des miracles : car, comme le dit saint Grégoire : -« Les miracles ne font pas le saint, mais ne sont que son -signe » ; et, d’autre part, on peut faire des miracles sans -avoir l’Esprit-Saint, puisque les méchants eux-mêmes -ont pu se vanter de faire des miracles. La seconde fois, -l’Esprit-Saint a été envoyé aux apôtres pour leur permettre -de pardonner les péchés ; car Jésus leur a dit : -« Recevez l’Esprit-Saint et ceux à qui vous remettrez -leurs péchés, etc. » Et nous devons noter, à ce propos, -<span class="pagenum" id="p280">-280-</span> que personne ne peut remettre les péchés, quant à la -tache qui est dans l’âme, ni quant à l’offense commise -envers Dieu. Quand on dit qu’un prêtre absout, cela -signifie seulement qu’il annonce au pécheur que Dieu l’a -absous, ou bien qu’il change la peine du purgatoire en -une peine temporelle, ou bien encore qu’il relâche une -partie de cette peine temporelle. Enfin, la troisième fois, -en ce jour de la Pentecôte, l’Esprit-Saint a été envoyé -aux apôtres pour fortifier leurs cœurs, et pour leur donner -le courage d’affronter toutes les persécutions.</p> - -<p>5<sup>o</sup> L’Esprit-Saint a été envoyé aux disciples, qui -étaient prêts à le recevoir, en raison de sept qualités qui -étaient en eux : car ils étaient tranquilles, unis par -l’amour, recueillis, persévérants dans la prière, humbles, -pacifiques et élevés dans la contemplation.</p> - -<p>6<sup>o</sup> L’Esprit-Saint a été envoyé sur terre pour six -motifs : 1<sup>o</sup> pour consoler les affligés ; 2<sup>o</sup> pour vivifier les -morts ; 3<sup>o</sup> pour sanctifier et pour purifier ; 4<sup>o</sup> pour consolider -l’amour au milieu des discordes ; 5<sup>o</sup> pour sauver les -justes ; 6<sup>o</sup> enfin pour instruire les ignorants, car le Christ -a dit : « Mon Esprit vous apprendra tout. »</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c75">LXXV<br /> -SAINT URBAIN, <span class="small">PAPE ET MARTYR<br /> -(25 mai)</span></h2> - - -<p>Urbain succéda au pape Calixte ; et, sous son pontificat, -se produisit une grande persécution des chrétiens. -Mais enfin l’empire échut à Alexandre dont la mère -Ammée avait été convertie au christianisme par Origène. -Cette sainte femme obtint de son fils, à force de prières, -qu’il renonçât à persécuter les chrétiens.</p> - -<p>Cependant, le préfet Almaque, qui avait décapité -sainte Cécile, continuait à sévir cruellement contre les -<span class="pagenum" id="p281">-281-</span> chrétiens. Il fit rechercher soigneusement saint Urbain, -le découvrit — sur la dénonciation d’un certain Carpasius — dans -une grotte où il était caché avec trois -prêtres et trois diacres, et les fit jeter en prison. Il le -manda ensuite en sa présence, lui reprocha d’avoir corrompu -cinq mille personnes, parmi lesquelles la sacrilège -Cécile et deux hommes illustres, Tiburce et Valérien. -Après quoi il le somma d’avoir à lui restituer le trésor -de Cécile. Mais Urbain : « A ce que je vois, ta cruauté -à l’égard des saints s’inspire davantage de ta cupidité -que de ta dévotion à tes dieux. Sache donc que le trésor -de sainte Cécile est monté au ciel par les mains des -pauvres ! » Le préfet fit alors battre Urbain et ses compagnons -avec des verges plombées. Et comme le pontife -invoquait le Seigneur sous son nom d’Elyon, il s’écria -en souriant : « Ce vieillard veut paraître savant, et voilà -pourquoi il emploie des mots que nous ignorons ! » Mais -comme les martyrs restaient fermes dans leur foi, ils -furent reconduits dans la prison, où Urbain baptisa le -geôlier Anolinus et trois tribuns que le préfet lui avait -envoyés. Ce qu’apprenant, celui-ci fit trancher la tête à -Anolinus, puis ordonna à Urbain et à ses compagnons -de répandre de l’encens devant une idole ; mais, sur la -prière d’Urbain, l’idole s’abattit de son piédestal et tua les -vingt-deux prêtres qui lui rendaient hommage. De nouveau -roués de coups, les chrétiens furent de nouveau -sommés de sacrifier devant une idole ; mais ils crachèrent -sur l’idole, firent le signe de la croix, et, s’étant donné -réciproquement le baiser de paix, se laissèrent mettre à -mort, sous le règne de l’empereur Alexandre.</p> - -<p>Aussitôt l’homme qui les avait dénoncés, Carpasius, -fut saisi du démon, et, avant de mourir étouffé, se mit -à blasphémer ses dieux et à faire malgré lui l’éloge des -chrétiens ; sur quoi sa femme, Arménie, sa fille Lucine, -et toute sa famille reçurent le baptême des mains du -saint prêtre Fortunat, et ensevelirent pieusement les -corps des martyrs.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p282">-282-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c76">LXXVI<br /> -SAINTE PÉTRONILLE, <span class="small">VIERGE<br /> -(31 mai)</span></h2> - - -<p>Pétronille, dont la vie nous a été racontée par saint -Marcel, était la fille de l’apôtre saint Pierre ; et celui-ci, -la voyant trop belle, obtint de Dieu qu’elle souffrît de la -fièvre. Or un jour, comme ses disciples étaient auprès -de lui, Tite lui dit : « Toi qui guéris tous les malades, -pourquoi ne fais-tu pas que Pétronille se lève de son -lit ? » Et Pierre lui répondit : « Parce que cela me convient -ainsi ! » Ce qui ne signifie nullement, d’ailleurs, -qu’il n’ait pas eu le moyen de la guérir ; car, aussitôt, il -lui dit : « Lève-toi, Pétronille, et viens vite nous servir ! » -La jeune fille, guérie, se leva et vint les servir. -Mais, quand elle eut fini, son père lui dit : « Pétronille, -retourne dans ton lit ! » Elle y retourna, et fut tout de -suite reprise de sa fièvre. Et plus tard, lorsqu’elle commença -à être parfaite dans l’amour de Dieu, son père lui -rendit la parfaite santé.</p> - -<p>Alors un seigneur, nommé Flaccus, frappé de sa beauté, -vint la demander en mariage. Et elle répondit : « Si tu -veux m’épouser, envoie-moi des jeunes filles qui me -conduisent jusque dans ta maison ! » Mais quand elles -furent arrivées, Pétronille se mit à jeûner et à prier, -communia, se coucha dans son lit, et, après trois jours, -rendit son âme à Dieu.</p> - -<p>Alors Flaccus, se voyant déçu, s’adressa à une compagne -de Pétronille appelée Félicula, la sommant de se -marier avec lui ou de se sacrifier aux idoles. La jeune -fille s’étant refusée à faire aucune de ces deux choses, -Flaccus la jeta en prison, où elle resta sept jours sans -manger ni boire ; puis il ordonna qu’elle fût torturée sur -un chevalet et que son corps fût jeté à la voirie. Saint -Nicodème en retira ses restes et les ensevelit : ce qui lui -valut à son tour d’être emprisonné, frappé de lanières -<span class="pagenum" id="p283">-283-</span> plombées, et jeté dans le Tibre, d’où le clerc Juste retira -ses restes pour les ensevelir honorablement.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c77">LXXVII<br /> -SAINT PIERRE L’EXORCISTE, <span class="small">MARTYR<br /> -(2 juin)</span></h2> - - -<p>Pierre l’exorciste avait été mis en prison par un préfet -qui persécutait les chrétiens. Or la fille du geôlier de la -prison, nommé Archémius, était possédée d’un démon qui -la faisait beaucoup souffrir. Et un jour que son père s’en -plaignait devant son prisonnier, celui-ci lui dit que, s’il -voulait croire au Christ, sa fille recouvrerait aussitôt -la santé. Archémius lui répondit : « Je me demande -comment ton maître pourrait guérir ma fille, tandis qu’il -n’a pas même le pouvoir de te délivrer, toi qui souffres -tant pour lui ! » Et Pierre : « Mon Dieu a bien le pouvoir -de me délivrer, mais il veut que, par des souffrances -passagères, nous parvenions à une gloire éternelle. » Et -Archémius : « Hé bien, je vais te mettre une double -chaîne : et si ton Dieu te délivre, et s’il guérit ma fille, je -croirai au Christ ! » Or, cette même nuit, Pierre, délivré -de sa double chaîne, tout vêtu de blanc, et tenant en -main une croix, apparut devant Archémius, qui se prosterna -à ses pieds. Puis, trouvant sa fille guérie, le geôlier -reçut le baptême avec toute sa maison ; et plusieurs -des prisonniers, s’étant convertis, furent baptisés par le -prêtre Marcellin. Ce qu’apprenant, le préfet se fit amener -tous ces prisonniers. Et Archémius, tout en les convoquant -et en leur baisant les mains, leur dit que ceux qui -redouteraient d’aller au martyre pouvaient s’enfuir impunément.</p> - -<p>Cependant le préfet, apprenant que Marcellin et Pierre -avaient baptisé leurs compagnons, les fit mettre tous -deux dans des cachots séparés. Marcellin, dépouillé de -ses vêtements, dut s’étendre sur du verre brisé, avec -<span class="pagenum" id="p284">-284-</span> privation de manger et de boire ; Pierre fut enfermé au -haut d’une tour, dans une cellule sans air et sans -lumière, où il fut également condamné à mourir de faim. -Mais un ange vint les délivrer l’un et l’autre et les reconduisit -auprès d’Archémius, leur enjoignant de se présenter -devant le préfet sept jours plus tard, après avoir, -pendant ces sept jours, réconforté leurs frères prisonniers. -Or le préfet, ne les trouvant plus dans leurs cachots, -manda Archémius, et, sur son refus de sacrifier -aux idoles, ordonna qu’il fût enterré vif avec sa femme. -Et les deux saints, à cette nouvelle, sortirent de leur -cachette, rejoignirent Archémius dans son cachot, où -saint Marcellin célébra la messe, et dirent ensuite aux -incrédules : « Voyez, nous aurions pu délivrer Archémius -et rester cachés ; mais nous n’avons voulu faire ni -l’un ni l’autre ! » Alors les païens, irrités, tuèrent Archémius -à coups d’épée et lapidèrent sa femme et sa -fille. Quant à Marcellin et à Pierre, ils eurent la tête -tranchée, à l’entrée d’une forêt qui aujourd’hui encore -porte le nom de « blanche », en commémoration de leur -martyre. Un certain Dorothée vit leurs deux âmes, toutes -couvertes de soie éclatante et de pierreries, être emportées -au ciel par des anges : sur quoi lui-même devint -chrétien, et plus tard mourut dans le Seigneur. Le -martyre des saints Pierre et Marcellin eut lieu sous le -règne de l’empereur Dioclétien.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c78">LXXVIII<br /> -SAINTE SOPHIE ET SES TROIS FILLES<br /> -<span class="small">MARTYRES<a id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">[9]</a><br /> -(4 juin)</span></h2> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_9" href="#FNanchor_9"><span class="label">[9]</span></a> Ce chapitre manque dans plusieurs manuscrits, et pourrait -bien être une interpolation.</p> -</div> - -<p>Nous allons raconter le martyre de Sophie et de ses -trois filles, Foi, Espérance et Charité. C’est à sainte -Sophie qu’est consacrée la cathédrale de Constantinople.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p285">-285-</span> Cette sainte avait élevé ses filles sagement dans la -crainte de Dieu. La première de ses filles avait onze ans, -la seconde dix, et la troisième huit. Etant venue à Rome -avec elles, et visitant les églises tous les dimanches, elle -fut dénoncée à l’empereur Adrien, qui fut si frappé de la -beauté des trois vierges qu’il offrit de les adopter comme -ses propres filles. Mais les trois vierges refusent l’offre -et se proclament chrétiennes. Alors Foi est rouée de -coups par trente-six soldats. En second lieu, on lui -arrache les mamelles, et des mamelles jaillit du sang, et -du lait des blessures. Les spectateurs acclament la jeune -fille, et celle-ci, toute joyeuse, insulte son persécuteur. -En troisième lieu, elle est mise sur un gril ardent, en -quatrième lieu plongée dans un mélange d’huile bouillante -et de cire. Et comme tout cela ne lui fait aucun mal, -en cinquième lieu on lui tranche la tête. Vient ensuite le -tour de sa sœur Espérance ; mais elle, non plus, ne consent -pas à sacrifier aux idoles. On la plonge dans un chaudron -plein de graisse, de cire et de résine. Des gouttes -tombant de ce chaudron brûlent les infidèles, mais la jeune -fille ne souffre aucun mal. Enfin, on lui tranche la tête. -La troisième fille, encore tout enfant, refuse à son tour -de flatter Adrien et de lui obéir. Le cruel empereur lui -fait rompre les membres ; il la fait fouetter ; il la -fait jeter dans un four enflammé d’où sortent des étincelles -qui tuent six mille païens ; mais la petite ne -souffre aucun mal, et se promène parmi les flammes -comme rayonnante d’or. On la perce alors de pointes de -fer rouge, et on finit par lui trancher la tête : ainsi elle -recueille la couronne du martyre.</p> - -<p>La sainte mère ensevelit pieusement les restes de ses -filles, puis, se couchant sur leur tombeau, elle dit : -« Filles chéries, prenez-moi près de vous ! » Et aussitôt -elle s’endormit en paix, et fut ensevelie avec ses filles. -Et on doit la considérer comme triplement martyre, car -elle a souffert de tous les supplices infligés à ses trois -filles. Quant à l’empereur Adrien, il pourrit vivant et -finit par crever, en avouant qu’il avait injustement torturé -des saintes de Dieu.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p286">-286-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c79">LXXIX<br /> -SAINTS PRIME ET FÉLICIEN, <span class="small">MARTYRS<br /> -(9 juin)</span></h2> - - -<p>Prime et Félicien furent dénoncés à Dioclétien par les -prêtres des temples, qui affirmaient ne rien pouvoir obtenir -de leurs dieux aussi longtemps que ces deux -hommes refuseraient de sacrifier. Tous deux furent alors -jetés en prison, mais un ange vint les délivrer. Ramenés -devant l’empereur, et comme ils persistaient dans leur -foi, ils furent cruellement frappés de lanières. Après quoi -le préfet dit à Félicien, qui était un vieillard, d’avoir égard -pour son âge et de sacrifier aux dieux. Mais Félicien : -« Sur les quatre-vingts ans que j’ai vécus, en voici trente -déjà que j’ai reconnu la vérité, et choisi de vivre pour -mon Dieu, qui peut me délivrer de tes mains ! » Alors le -préfet le fit ligoter, lui fit enfoncer des clous dans les -mains et les pieds, et lui dit : « Tu resteras ainsi jusqu’à -ce que tu aies cédé ! » Et comme le saint gardait -un visage joyeux, il le fit de nouveau torturer et lui refusa -toute nourriture. Puis, appelant devant lui saint -Prime, qu’il avait séparé de son compagnon, il lui dit : -« Ecoute, ton frère Félicien s’est soumis au décret de -l’empereur, et il est maintenant en grand honneur au -palais. Imite donc son exemple ! » Mais Prime : « Bien -que tu sois fils du diable, tu as dit vrai en partie, lorsque -tu as affirmé que mon frère s’était soumis à la volonté -de l’empereur suprême, qui est Dieu ! » Le préfet, furieux, -lui fit brûler les côtes, et lui fit verser dans la -bouche du plomb bouillant, tout cela en présence de -Félicien qu’il espérait effrayer : mais Prime avala le -plomb avec délice, comme de l’eau fraîche. Alors le préfet -fit lancer sur eux deux lions ; mais ceux-ci s’étendirent -aussitôt à leurs pieds et restèrent là comme de -doux agneaux. Des ours, qui furent ensuite lâchés contre -<span class="pagenum" id="p287">-287-</span> les saints, se comportèrent de la même façon. Et à ce -spectacle assistaient plus de douze mille personnes, dont -cinq cents se convertirent au Seigneur. Enfin le préfet -fit trancher la tête aux deux saints, et ordonna que leurs -corps fussent jetés en pâture aux chiens et aux oiseaux. -Mais ceux-ci n’osèrent y toucher, et les deux corps, -recueillis par les chrétiens, furent pieusement ensevelis.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c80">LXXX<br /> -SAINT BARNABÉ, <span class="small">APÔTRE<br /> -(11 juin)</span></h2> - - -<p>Le lévite Barnabé, originaire de Chypre, était un des -soixante-deux disciples du Seigneur. On trouve son -nom très souvent cité dans les <i>Actes des Apôtres</i>, qui -nous racontent ses voyages avec saint Paul, ses prédications -et ses miracles. Le même livre nous apprend encore -comment Barnabé s’est séparé de saint Paul. Un de -leurs disciples, Jean, surnommé Marc, les avait quittés. -Lorsqu’il revint, plein de repentir, Barnabé lui pardonna -et consentit à le reprendre pour disciple, tandis que -Paul, au contraire, s’y refusa. En quoi tous deux agirent -par intention pieuse : car Barnabé pardonna par charité -chrétienne, et l’inflexibilité de Paul lui fut commandée -par la rigueur de sa justice. Et, d’ailleurs, cette séparation -des deux saints fut sans doute inspirée d’en haut, -afin que, s’étant séparés, ils pussent prêcher à un plus -grand nombre de gens. Comme Barnabé se trouvait dans -la ville d’Icone, le susdit Jean, son compagnon, vit -apparaître un homme au visage resplendissant, qui lui -dit : « Jean, sois ferme dans ta foi, car bientôt tu ne t’appelleras -plus Jean, mais Sublime ! » Le disciple rapporta -cette vision à son maître qui lui dit : « Ne révèle à personne -ce que tu viens de voir, car, à moi aussi, le Seigneur -<span class="pagenum" id="p288">-288-</span> est apparu cette nuit, m’a ordonné d’être ferme, -et m’a promis que bientôt je recueillerais les récompenses -éternelles ! » Et, la même nuit encore, saint Paul, -qui prêchait également à Antioche, vit en rêve un ange -qui lui dit : « Hâte-toi de te rendre à Jérusalem ! » Et -comme Barnabé voulait se rendre dans l’île de Chypre, -pour revoir encore ses parents, et que Paul se préparait au -voyage de Jérusalem, l’Esprit-Saint fit qu’ils purent se dire -adieu de la façon suivante. Paul ayant répété à Barnabé ce -que lui avait dit l’ange, Barnabé répondit : « Que la -volonté de Dieu soit faite ! Quant à moi, je vais en Chypre -pour y finir ma vie : de telle sorte que je ne te reverrai -plus ! » Puis il se jeta en pleurant aux pieds de saint -Paul ; et celui-ci, plein de compassion, lui dit : Ne -pleure pas, car c’est aussi la volonté de Dieu que tu -ailles en Chypre. L’ange, en effet, m’a dit cette nuit de -ne point m’opposer à ton départ, attendu qu’en Chypre -tu opérerais de nombreux miracles, et recevrais la couronne -du martyre. »</p> - -<p>Barnabé se rendit donc en Chypre avec Jean. Il avait -emporté avec lui l’Evangile de saint Matthieu : et, en -posant cet évangile sur la tête des malades, il en guérissait -un grand nombre, avec l’aide de Dieu. Comme ils -sortaient de Chypre, ils rencontrèrent le mage Elymas, -que saint Paul avait privé, pour un temps, de l’usage de -ses yeux. Cet homme barra le passage aux deux chrétiens, -et les empêcha d’entrer à Paphos. Mais un jour, -devant les murs de cette ville, Barnabé vit une foule -d’hommes et de femmes qui célébraient une fête, en -courant tout nus. Il en fut si indigné qu’il maudit le -temple de ces païens ; et aussitôt ce temple s’écroula, -écrasant dans sa chute bon nombre de païens.</p> - -<p>Enfin, Barnabé se rendit à Salamine, où le susdit Elymas -souleva une sédition contre lui. Les Juifs de la ville -s’emparèrent du saint, l’accablèrent d’injures, et le -livrèrent au juge, en réclamant qu’il fût châtié. Quelque -temps après, on apprit la prochaine arrivée à Salamine -d’un certain Eusèbe, homme très influent, de la famille de -Néron. Alors les Juifs, craignant que ce haut fonctionnaire -<span class="pagenum" id="p289">-289-</span> n’arrachât de leurs mains Barnabé pour lui -rendre la liberté, s’empressèrent de lui passer une corde -au cou, de le traîner ainsi hors de la ville, et là, aussitôt, -de le brûler vif. Puis ces impies, ne se trouvant pas encore -rassasiés, enfermèrent les os du saint dans un vase de -plomb, qu’ils résolurent de lancer à la mer. Mais Jean, -son compagnon, s’étant levé de nuit, avec deux autres -de ses disciples, s’emparèrent de ses reliques, et les ensevelirent -secrètement dans une crypte, où elles demeurèrent -ignorées jusque vers l’an 500, sous le règne de -Zénon et le pontificat de Gélase. A cette date, elles révélèrent -elles-mêmes leur présence, et furent ainsi découvertes. -Ajoutons que saint Dorothée affirme que saint -Barnabé, avant de venir à Antioche, a prêché à Rome -et a été élu évêque de Milan.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c81">LXXXI<br /> -SAINT BASILE, <span class="small">ÉVÊQUE ET DOCTEUR<br /> -(14 juin)</span></h2> - - -<p>I. Saint Basile, dont la vie a été écrite par Amphiloque, -évêque d’Icone, était un évêque vénérable et un éminent -docteur ; et à quel degré de sainteté il s’était élevé, c’est -ce que put apprendre, dans une vision, certain ermite -nommé Ephrem. Cet Ephrem, étant en extase, vit une -colonne de feu dont le sommet touchait au ciel, et il -entendit une voix qui disait, d’en haut : « Basile est -grand comme cette colonne ! » L’ermite se rendit donc -à la ville, le jour de l’Epiphanie, désireux de connaître -un si grand homme. Mais, en voyant l’évêque revêtu de -l’étole blanche et occupé à officier au milieu de la troupe -de son clergé, il se dit : « Sans doute je me serai -dérangé en vain ; car, pour vivre entouré de tels honneurs, -cet homme n’est certainement pas le saint que je pensais. -Je ne puis croire qu’un homme qui vit entouré de tels -<span class="pagenum" id="p290">-290-</span> honneurs soit regardé au ciel comme une colonne de feu, -de préférence à nous, qui portons le poids des saisons -dans nos ermitages ! » Mais Basile, devinant sa pensée, -le fit venir en sa présence ; et Ephrem vit alors qu’une -langue de feu était dans sa bouche, et il lui dit : « Oui, -Basile, tu es vraiment grand, oui, Basile, tu es vraiment -une colonne de feu, et c’est vraiment l’Esprit-Saint qui -parle par ta bouche ! » Et il dit encore à l’évêque : « Je -t’en prie, saint père, obtiens pour moi que je parle grec ! » -Et Basile : « Quelle étrange chose tu souhaites là ! » Mais -il pria pour lui, et aussitôt Ephrem sut parler la langue -grecque.</p> - -<p>II. Un autre ermite, voyant Basile officier dans son -église en habit pontifical, le méprisa, car il s’imaginait -que cette pompe plaisait à l’évêque. Mais voici qu’il -entendit une voix qui lui disait : « Tu prends plus de -plaisir à caresser le dos de ta chatte, dans ton ermitage, -que Basile n’en prend à vivre dans l’appareil de sa -dignité ! »</p> - -<p>III. L’empereur Valens, qui favorisait les ariens, leur -donna une église qu’il enleva aux catholiques. Alors -Basile vint le trouver et lui dit : « Sire, il est écrit que -l’honneur du roi aime la justice. Pourquoi donc as-tu -consenti à ce que les catholiques fussent dépouillés de -leur église au profit des ariens ? » Et l’empereur : -« Voici de nouveau que tu viens m’injurier, Basile ! cela -n’est pas digne de toi ! » Mais Basile : « Il est digne de -moi de mourir même, au besoin, pour la justice ! » Alors -Démosthène, préfet de la table impériale et partisan des -ariens, se mit à l’invectiver. Et Basile lui dit : « Mon -ami, ton affaire est de faire cuire les poulets de l’empereur, -et non pas de faire cuire les dogmes divins ! » Sur -quoi le garde-bouche se tut, plein de confusion. Et l’empereur -dit : « Basile, va et sois arbitre entre les deux -partis, mais ne te laisse pas entraîner par ton amour -excessif du peuple ! » Alors Basile se rendit à l’endroit -où catholiques et ariens étaient rassemblés, fit fermer les -portes de l’église, et ordonna à chacun des deux partis -de les sceller de son sceau, ajoutant que l’église devrait -<span class="pagenum" id="p291">-291-</span> appartenir au parti qui, par ses prières, parviendrait à -l’ouvrir. Sur quoi, tous s’étant mis d’accord, les ariens -prièrent durant trois jours et trois nuits, et vinrent -ensuite voir les portes de l’église ; mais celles-ci restaient -fermées. Alors Basile conduisit son clergé en procession -jusqu’à l’église ; et là, après avoir prié, du bout de son -bâton pastoral il toucha les portes, en leur enjoignant -de s’ouvrir. Et aussitôt les portes s’ouvrirent ; et l’église -fut restituée aux catholiques.</p> - -<p>IV. L’<i>Histoire tripartite</i> raconte que l’empereur promit -de grandes récompenses à Basile s’il voulait se convertir -à l’arianisme. Mais l’évêque : « Seul un enfant pourrait -se rendre à de telles raisons ; car, pour peu qu’on ait -pratiqué les sciences divines, on sait que les dogmes de -la foi ne souffrent pas qu’on altère la moindre de leurs -syllabes ! » Alors l’empereur voulut écrire la sentence -d’exil de l’évêque ; mais, à trois reprises, la plume se -brisa entre ses doigts ; et, à la troisième reprise, sa main -fut saisie d’un grand tremblement ; et l’empereur, -honteux de lui-même, renonça à son projet.</p> - -<p>V. Un saint homme nommé Héradius avait une fille -unique, qu’il voulait consacrer au Seigneur. Mais le -diable, dans sa haine du genre humain, enflamma d’un -grand amour pour la jeune fille un des esclaves du susdit -Héradius. Et l’esclave, voyant que c’était chose impossible -pour lui d’être admis à partager la couche d’une -si noble jeune fille, vint trouver un sorcier et lui promit -beaucoup d’argent s’il voulait l’aider. Et le sorcier lui -dit : « Je ne puis rien pour toi ; mais, si tu veux, je t’enverrai -vers le diable, mon maître ; et si tu fais ce qu’il te -dira, tu obtiendras ton désir. » Et le jeune homme dit : -« Je suis prêt à tout pour avoir cette jeune fille ! » Alors -le sorcier l’envoya vers le diable avec une lettre, en lui -disant : « Rends-toi, à l’heure de minuit, sur le tombeau -d’un païen, et, là, invoque les démons en élevant en l’air -la lettre que voici ! » Le jeune homme fit tout cela, et -bientôt il vit apparaître le prince des ténèbres, entouré -d’une foule de démons ; et Satan, ayant lu la lettre, lui -dit : « Crois-tu en moi, toi qui veux que j’accomplisse -<span class="pagenum" id="p292">-292-</span> ta volonté ? » L’esclave répondit : « Seigneur, je crois en -toi ! » Et le diable : « Et renies-tu ton ancien maître le -Christ ? » Et l’esclave : « Je le renie ! » Mais le diable -lui dit : « C’est que vous autres, les chrétiens, vous êtes -des perfides ! Quand vous avez besoin de moi, vous venez -à moi ; et, quand ensuite vous avez obtenu ce que vous -désiriez, aussitôt vous me reniez de nouveau pour vous -retourner vers votre Christ, qui, avec son indulgence -ordinaire, ne manque jamais à vous accueillir. Mais toi, -si tu veux que j’accomplisse ton désir, tu auras à m’écrire -de ta propre main un papier où tu reconnaîtras que tu -renonces au Christ, au baptême, et à la foi chrétienne, -pour devenir mon serviteur. » L’esclave écrivit aussitôt -le papier et le donna au diable. Alors celui-ci manda -devant lui ceux de ses démons qui étaient préposés à la -luxure : il leur ordonna de s’approcher de la fille d’Héradius -et de lui inspirer l’amour du jeune esclave. Et -les démons y réussirent si bien que la jeune fille, se -roulant à terre, suppliait son père d’une voix lamentable : -« Aie pitié de moi, père, aie pitié de moi, car je souffre -cruellement à cause de l’amour que j’éprouve pour un de -nos esclaves ! Montre-moi ta tendresse paternelle, et -permets-moi de m’unir à ce jeune homme, que j’aime ! Et, -si tu t’y refuses, bientôt tu me verras mourir, et tu en -seras responsable au jour du jugement ! » Le père était -désolé. Il disait : « Malheureux que je suis ! Qu’est-il -arrivé à ma pauvre fille ? Qui m’a dérobé mon trésor ? -Qui a éteint la douce lumière de mes yeux ? Ma fille, je -voulais te donner pour femme à l’époux céleste, et -j’espérais avoir ainsi mon salut grâce à toi ! Et toi, voici -que la luxure amoureuse t’a rendue folle ! Permets-moi, -ma chère fille, de t’unir au Seigneur suivant mon projet ! » -Mais la jeune fille continuait à crier que, si son père -n’accomplissait pas son désir, elle mourrait de chagrin. -Et elle pleurait amèrement, et délirait, de telle sorte que -son père, désespéré, sur le conseil de ses amis, céda à -son désir et la maria avec l’esclave, après lui avoir légué -tous ses biens. Mais bientôt des voisins dirent à la jeune -femme que son mari n’entrait jamais à l’église, ne faisait -<span class="pagenum" id="p293">-293-</span> jamais le signe de la croix, ne priait jamais, et, sans -doute, n’était pas chrétien. La jeune femme, entendant -cela, fut épouvantée. Elle rapporta la chose à son mari ; -et, comme celui-ci affectait de ne point prendre au -sérieux ces accusations, elle lui dit : « Si tu veux que je te -croie, tu entreras demain à l’église avec moi ! » Alors le -mari, ne pouvant pas dissimuler davantage, lui raconta -toute son aventure, dont elle fut bouleversée ; et, tout -en larmes, elle courut raconter à saint Basile ce qui -était arrivé à son mari et à elle.</p> - -<p>Alors le saint fit venir le mari, lui fit tout avouer, et -lui dit : « Cher fils, veux-tu revenir à Dieu ? » Et le jeune -homme : « Ah ! mon père, je le voudrais de tout mon -cœur, mais je ne le puis, car je me suis livré au diable, -et ai renié le Christ, et ai donné au diable un papier où -j’ai écrit mon reniement, de ma propre main ! » Et -Basile : « Ne t’en fais point de souci ! Jésus est bon : il -t’admettra à faire pénitence ! » Puis, s’approchant du jeune -homme, il lui fit au front le signe de la croix, et l’enferma -dans une cellule, où il revint le voir trois jours -après. Et il lui demanda comment il se trouvait. Et le -jeune homme : « Seigneur, je suis bien en peine, car les -diables, tenant en main mon papier, m’invectivent -jour et nuit en me disant : C’est toi qui es venu nous -trouver, et non pas nous qui sommes allés te chercher ! » -Alors saint Basile lui dit : « Mon fils, ne crains rien, -mais aie seulement la foi ! » Puis il lui donna un peu de -nourriture, fit de nouveau sur lui le signe de la croix, -l’enferma de nouveau, et pria pour lui. Revenant le voir, -quelques jours après, il lui demanda comment il se trouvait. -Le jeune homme répondit : « Mon père, j’entends -toujours leurs cris et leurs reproches, mais du moins je -ne les vois plus ! » Et de nouveau l’évêque lui donna -de la nourriture, fit sur lui le signe de la croix, l’enferma, -et pria pour lui. Le quarantième jour, il lui demanda -une troisième fois comment il se trouvait. Et le -jeune homme : « Je me trouve très bien, mon saint père, -car aujourd’hui je t’ai vu, en rêve, combattant pour moi -et vainquant le diable ! »</p> - -<p><span class="pagenum" id="p294">-294-</span> Alors Basile le fit sortir de sa cellule, le recommanda -aux prières de son clergé, des moines et du peuple ; puis, -le prenant par la main, il le conduisit vers l’église. Or -le diable, avec la troupe des démons, accourut, et, tout -en restant invisibles, ils saisirent le jeune homme et s’efforcèrent -de l’arracher des mains de l’évêque. Et Satan, -toujours invisible, disait, d’une voix si haute que chacun -pouvait l’entendre : « Basile, tu me fais tort ! Cet homme -m’appartient ! Et ce n’est pas moi qui suis allé le chercher : -il est venu à moi de son plein gré, s’est offert à -moi et a renié le Christ. J’ai là, dans ma main, l’écrit -qu’il m’a signé ! » Mais Basile lui répondit : « Nous ne -cesserons pas de prier, jusqu’à ce que tu nous aies rendu -cet écrit ! » Et comme Basile priait, les mains levées au -ciel, voici qu’une feuille de papier, traversant les airs, -tomba dans ses mains au vu de tous. Et Basile la montra -au jeune homme, en lui disant : « Frère, reconnais-tu -cette écriture ? » Et le jeune homme : « Certes, car elle -vient de ma propre main ! » Alors Basile, après avoir -déchiré le papier, fit entrer le jeune homme dans l’église, -l’initia aux saints mystères, lui imposa une règle de vie, -et le rendit à sa femme.</p> - -<p>VI. Certaine femme qui avait sur la conscience beaucoup -de péchés, en avait écrit la liste ; et comme, un jour, -elle avait commis un péché plus grave que tous les autres, -elle l’inscrivit aussi dans sa liste ; après quoi elle remit -sa liste à saint Basile en lui demandant de prier pour -que ses péchés lui fussent remis. Le saint pria, et la -femme, rouvrant le papier, vit que tous ses péchés étaient -effacés de la liste, à l’exception du plus grave d’entre -eux. Elle dit alors au saint : « Aie pitié de moi, et obtiens -la miséricorde de Dieu pour ce péché-là, comme tu -l’as obtenue pour tous les autres ! » Et Basile lui dit : -« Hélas, ma sœur, je ne suis qu’un pécheur comme toi, -et j’ai moi-même besoin d’indulgence, au moins autant -que toi ! » Mais comme la femme insistait, il lui dit : -« Va trouver le saint ermite Ephrem ! Celui-là, sans -doute, pourra obtenir ce que tu demandes. » Et la -femme alla à l’ermite Ephrem, et lui dit pourquoi Basile -<span class="pagenum" id="p295">-295-</span> l’envoyait à lui. Mais l’ermite répondit : « Hélas, ma -fille, je ne suis qu’un pauvre pécheur ! Retourne vers -Basile ! Il a déjà obtenu pour toi le pardon de tes autres -péchés : il obtiendra bien encore le pardon de celui-là ! -Mais hâte-toi, si tu veux le trouver en vie ! » Et, -au moment où la femme rentrait en ville, voici qu’on -portait au cimetière le corps du saint. Alors la femme -s’écria : « Que Dieu nous voie et qu’il juge entre moi et -toi, car tu m’as envoyée vers un homme qui ne pouvait -rien pour moi, tandis que tu avais toi-même le pouvoir -de me gagner le pardon du ciel ! » Alors elle jeta sur le -cercueil le papier où était écrit son péché ; et quand on -reprit le papier, on vit que le dernier péché avait été -effacé, comme tous les autres.</p> - -<p>VII. Au moment où il sentait qu’il allait mourir, -saint Basile appela près de lui un savant médecin -juif nommé Joseph, qu’il aimait beaucoup, et qu’il -aurait voulu convertir à la foi du Christ. Et Joseph, lui -ayant tâté le pouls, reconnut que l’heure de mourir était -venue pour lui. Il dit donc aux serviteurs de l’évêque : -« Préparez ce qui est nécessaire à sa sépulture, car il va -mourir d’un instant à l’autre ! » Mais Basile, l’ayant -entendu, lui dit : « Tu ne sais pas ce que tu dis ! » Et -Joseph : « Seigneur, je ne me trompe pas ! Bientôt le -soleil va se coucher, et toi aussi tu t’éteindras avec le -soleil. » Alors Basile : « Et que diras-tu si je ne meurs -pas aujourd’hui ? » Et Joseph : « Seigneur, c’est impossible ! » -Et Basile : « Mais si cependant, je survis jusqu’à -la sixième heure de demain, que feras-tu ? » Et Joseph : -« Si tu survis jusqu’à cette heure-là, je consens moi-même -à mourir ! » Et Basile : « Consens seulement à -mourir au péché, pour vivre dans le Christ ! » Et Joseph : -« Seigneur, je comprends ce que tu veux dire : et si tu -survis jusqu’à la sixième heure de demain, je ferai ce -que tu m’engages à faire ! » Alors saint Basile, qui, suivant -la nature, devait mourir en ce jour, obtint de Dieu -que la mort l’épargnât jusqu’au lendemain. Et Joseph, -voyant qu’il ne mourait pas, en fut émerveillé, et crut au -Christ. Sur quoi Basile, trouvant dans son âme la force -<span class="pagenum" id="p296">-296-</span> de vaincre la faiblesse de son corps, se leva de son lit, -entra dans l’église, et baptisa Joseph de sa propre main ; -puis il revint s’étendre sur son lit, et aussitôt rendit doucement -son âme à Dieu. Ce grand saint florissait vers -l’an du Seigneur 370.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c82">LXXXII<br /> -SAINTS VIT ET MODESTE, <span class="small">MARTYRS<br /> -(15 juin)</span></h2> - - -<p>Vit, enfant admirable, n’avait que douze ans lorsqu’il -souffrit le martyre, en Sicile. Déjà dans sa maison son -père avait coutume de le battre, parce qu’il méprisait -les idoles et se refusait à les adorer : ce qu’apprenant, -le préfet Valérien manda l’enfant devant lui, et, sur son -refus de sacrifier, le fit frapper de verges. Mais aussitôt -les bras de ceux qui frappaient, et la main même du préfet, -séchèrent. Et le préfet de crier : « Malheur à moi, j’ai -perdu la main droite ! » Alors Vit lui dit : « Appelle tes -dieux, et qu’ils te guérissent s’ils le peuvent ! » Et le préfet : -« Prétends-tu que tu aurais le pouvoir de me guérir ? » -Et Vit : « Oui, j’ai ce pouvoir au nom du Seigneur ! » -Et aussitôt, sur la prière de l’enfant, le préfet et les -bourreaux recouvrèrent l’usage de leurs bras. Sur quoi -le préfet dit au père de Vit : « Emmène ton fils, de -crainte qu’il ne lui arrive malheur ! »</p> - -<p>Alors son père, l’ayant ramené dans sa maison, -essaya de le corrompre par de belles musiques, et des -jeux de jeunes filles, et d’autres délices. Mais, un jour -qu’il l’avait enfermé dans sa chambre, une odeur merveilleuse -sortit de cette chambre et parvint jusqu’à -lui : sur quoi, regardant par la porte de la chambre, il -aperçut sept anges debout auprès de son fils. Il s’écria : -« Les dieux sont venus dans ma maison ! » Et aussitôt -il devint aveugle.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p297">-297-</span> A ses cris, toute la ville accourut et notamment Valérien, -qui lui demanda ce qui lui était arrivé. Et lui : -« J’ai vu des dieux de feu, et je n’ai pu supporter leur -vue ! » Conduit au temple de Jupiter, il promit, si ses -yeux se rouvraient, d’offrir un taureau avec des cornes -dorées. Puis, comme cette promesse restait sans effet, il -implora son fils de lui rendre la vue, et, sur la prière -de l’enfant, ses yeux se rouvrirent.</p> - -<p>Mais comme ce miracle même ne parvenait pas à le -convaincre, et qu’il songeait au contraire à tuer son fils, -un ange apparut à Modeste, professeur de l’enfant, et lui -ordonna, de faire monter celui-ci dans une barque pour -le conduire vers une autre terre. En mer, un aigle venait -leur apporter leur nourriture ; et nombreux furent -les miracles qu’ils accomplirent, dans les diverses régions -où ils abordèrent.</p> - -<p>Or le fils de l’empereur Dioclétien fut possédé d’un -démon qui déclara qu’il ne sortirait point si l’on ne faisait -venir Vit le Lucanien. On se mit donc à chercher -Vit ; et, quand il fut découvert, Dioclétien lui dit : -« Enfant, as-tu vraiment le pouvoir de guérir mon enfant ? » -Et Vit : « Je n’ai pas ce pouvoir, mais mon -Maître l’a ! » Et il imposa les mains sur l’enfant possédé, -et aussitôt le démon s’enfuit. Alors Dioclétien lui dit : -« Enfant, aie pitié de toi-même et sacrifie aux dieux, -pour échapper à une mort terrible ! » Vit, s’y étant refusé, -fut jeté en prison avec Modeste. Mais soudain leurs -chaînes tombèrent, et leur cachot s’emplit d’une lumière -éblouissante. Ce qu’apprenant, l’empereur les fit plonger -dans de la poix bouillante : mais ils en sortirent sans -avoir aucun mal. Puis un lion farouche fut lâché sur eux ; -mais la bête, vaincue par la vertu de leur foi, s’étendit -à leurs pieds. Enfin Dioclétien fit suspendre l’enfant à -un chevalet, ainsi que son professeur Modeste et sa -nourrice Crescence, qui toujours l’avait accompagné. -Mais aussitôt l’air se trouble, la terre tremble, le tonnerre -mugit, les temples des idoles s’écroulent, écrasant -nombre de païens. Et l’empereur, fuyant épouvanté, se -frappait de ses poings, et disait : « Malheur à moi, qu’un -<span class="pagenum" id="p298">-298-</span> enfant a vaincu ! » Quant aux trois martyrs, ils se retrouvèrent, -dès l’instant d’après, au bord d’un fleuve ; et c’est -là que, après avoir prié, ils rendirent leurs âmes au -Seigneur. Des aigles se chargèrent de veiller sur leurs -corps jusqu’à ce qu’une matrone, appelée Florence, les -ayant retrouvés, les ensevelit avec grand honneur.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c83">LXXXIII<br /> -SAINT CYR ET SA MÈRE SAINTE JULITE, -<span class="small">MARTYRS<br /> -(15 juin)</span></h2> - - -<p>Cyr était fils de Julite, noble dame d’Icone, qui, -pour échapper à la persécution, s’était réfugiée à -Tarse, en Cilicie, avec son enfant alors âgé de trois ans. -Julite fut amenée devant le préfet Alexandre : et ses -deux servantes, la voyant prise, s’enfuirent aussitôt, de -telle sorte qu’elle eut à porter dans ses bras le petit Cyr, -encore emmaillotté dans ses langes. Or le préfet, -voyant que Julite refusait de sacrifier aux idoles, lui ôta -son enfant des bras, et la fit battre de lanières plombées. -Et l’enfant, assistant au supplice de sa mère, se mit -à pleurer et à pousser des cris. En vain le préfet, le tenant -sur ses genoux, essayait de le séduire par des baisers -et des caresses : le petit repoussait avec horreur ces -caresses du bourreau de sa mère, et lui lacérait le visage -de ses ongles, et répétait, de sa voix d’enfant : -« Moi aussi, je suis chrétien ! » Enfin il mordit le préfet -à l’épaule : sur quoi Alexandre, furieux, le précipita -du haut de son tribunal, de telle sorte que son petit cerveau -se répandit sur les marches. Et Julite, tout heureuse, -rendait grâce à Dieu de ce que son fils la devançât -au royaume céleste. Elle-même fut, ensuite, écorchée -vive, plongée dans de la poix bouillante, et enfin décapitée.</p> - -<p>Cependant une autre légende raconte que l’enfant, -au moment de son martyre, n’était pas encore en âge -<span class="pagenum" id="p299">-299-</span> de parler, mais que l’Esprit-Saint avait parlé par sa -bouche quand il avait dit au préfet : « Je suis chrétien. » -Le préfet lui avait alors demandé qui l’avait instruit ; -et l’enfant avait répondu : « Je m’étonne de ta -sottise, et de ce que, voyant mon âge, tu me demandes -qui m’a instruit de la science divine ! » Et, pendant son -martyre il aurait continué à répéter : « Je suis chrétien ! » -et, chaque fois, ce cri lui aurait rendu de nouvelles -forces.</p> - -<p>Le préfet, pour les empêcher d’être ensevelis par les -chrétiens, fit découper les membres de l’enfant et ceux -de la mère, et ordonna qu’ils fussent dispersés au vent. -Mais un ange rassembla les membres épars, que les -chrétiens ensevelirent nuitamment. Et lorsque, sous le -règne de Constantin le Grand, la paix fut enfin restituée -à l’Eglise, une vieille servante, qui avait assisté à l’ensevelissement, -révéla le lieu où se trouvaient les deux -corps : et ceux-ci, depuis, sont pour toute la ville un -objet de grande de dévotion. Le martyre de la mère et -de l’enfant eut lieu vers l’an 230, sous le règne de l’empereur -Alexandre.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c84">LXXXIV<br /> -SAINTE MARINE, <span class="small">VIERGE<br /> -(18 juin)</span></h2> - - -<p>Marine était fille unique. Son père, devenu veuf, entra -dans un monastère ; et, ayant fait prendre à sa fille un -costume masculin, il demanda à l’abbé et aux autres -moines de recevoir dans le monastère son unique fils : -ce qui lui fut accordé, de telle sorte que la jeune fille fut -reçue parmi les moines, et porta le nom de frère Marin. -Elle vivait très pieusement, et dans une obéissance -parfaite. Quand elle eut vingt-sept ans, son père, sentant -la mort approcher, l’appela à son chevet et lui dit -de ne jamais révéler à personne qu’elle était une femme.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p300">-300-</span> Or la jeune fille allait souvent aux champs avec la -charrue et les bœufs, ou bien était chargée de rapporter -du bois au monastère ; et souvent elle recevait l’hospitalité -dans la maison d’un homme dont la fille, séduite -par un soldat, était devenue grosse. Cette fille, interrogée, -s’avisa d’affirmer qu’elle avait été violée par le -frère Marin. Et celui-ci, interrogé à son tour, se reconnut -coupable : en conséquence de quoi il fut aussitôt -chassé du monastère. Pendant trois ans, il se tint devant -la porte du monastère, ne se nourrissant que de miettes -de pain. Quand l’enfant dont on le croyait père fut -sevré, on le remit à l’abbé, qui le remit au frère Marin ; -et pendant deux ans encore celui-ci en prit soin, supportant -tout avec une extrême patience, sans cesser de -rendre grâces à Dieu.</p> - -<p>Enfin les frères, touchés de son humilité et de sa -patience, le reprirent au monastère, où ils lui confièrent -des besognes trop viles pour eux ; et lui, il acceptait -tout gaîment, et faisait tout patiemment et pieusement. -Après une longue vie de bonnes œuvres, il rendit son -âme au Seigneur. Et pendant que ses frères lavaient son -corps, qu’ils s’apprêtaient à ensevelir misérablement, -comme le corps d’un grand pécheur, ils s’aperçurent -que le frère Marin était une femme. Etonnés et effrayés, -ils confessèrent avoir été durs et cruels envers la servante -de Dieu ; et tous, se jetant à genoux, devant son -cadavre, implorèrent le pardon de leur conduite. Son -corps fut enseveli avec honneur dans la chapelle du -monastère. Et quant à la fille qui l’avait accusée, elle -fut possédée du démon, et avoua son crime ; mais, conduite -au tombeau de la vierge, elle fut aussitôt guérie. -A ce tombeau, aujourd’hui encore, le peuple vient de -toutes parts ; et de nombreux miracles s’y accomplissent -tous les jours.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p301">-301-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c85">LXXXV<br /> -SAINTS GERVAIS ET PROTAIS, <span class="small">MARTYRS<br /> -(19 juin)</span></h2> - - -<p>I. Gervais et Protais, frères jumeaux, étaient fils de -saint Vital et de sainte Valérie. Ayant donné tous leurs -biens aux pauvres, ils vivaient avec saint Nazaire, -qui se construisait un oratoire près d’Embrun, et à qui -un enfant nommé Celse<a id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">[10]</a> apportait des pierres. Puis, -lorsque les trois saints furent conduits vers l’empereur -Néron, le petit Celse les suivait en se lamentant : et -comme un des soldats lui avait donné un soufflet, -Nazaire le gronda de sa cruauté : sur quoi, les soldats -furieux, l’accablèrent de coups de pied, l’enfermèrent -dans un cachot, et finirent par le jeter à l’eau. Gervais -et Protais furent conduits à Milan, où ils furent bientôt -rejoints par Nazaire, miraculeusement sauvé.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_10" href="#FNanchor_10"><span class="label">[10]</span></a> Jacques de Voragine ajoute que cet enfant ne pouvait pas, vu -les dates, être saint Celse, qui ne se joignit à saint Nazaire que -beaucoup plus tard.</p> -</div> -<p>Or, dans le même temps, vint à Milan le comte Astase, -qui partait en guerre contre les Marcomans ; et les -païens accoururent à lui, lui déclarant que leurs dieux se -refusaient à les protéger aussi longtemps que Gervais -et Protais n’auraient pas été immolés. Les deux chrétiens -furent donc sommés de sacrifier aux idoles. Et -comme Gervais disait que toutes les idoles étaient -sourdes et muettes, et que seul son Dieu pouvait donner -la victoire, Astase, furieux, le fit frapper à mort de -lanières plombées. Puis il fit venir Protais et lui dit : -« Malheureux, évite de périr misérablement comme ton -frère ! » Et Protais : « Qui de nous deux est malheureux, -moi, qui ne le crains pas, ou toi qui me crains ? » -Et Astase : « Eh ! misérable, comment peux-tu dire que -je te craigne ? » Et Protais : « Tu crains que je ne te -nuise, si je refuse de sacrifier à tes dieux : car si tu ne -<span class="pagenum" id="p302">-302-</span> craignais pas cela, tu n’essaierais pas à me contraindre -à ce sacrifice ! » Alors Astase le fit étendre sur un chevalet. -Et Protais : « Je n’ai point de colère contre toi, -comte, car je sais que les yeux de ton cœur sont -aveugles ; mais plutôt j’ai pitié de toi, parce que tu -ignores ce que tu fais. Continue donc à me supplicier, -afin que je puisse partager avec mon frère la faveur de -notre Maître ! » Astase lui fit trancher la tête. Et Philippe, -serviteur du Christ, vint avec son fils, la nuit, -prendre les corps des deux martyrs, qu’il ensevelit -secrètement chez lui dans un sarcophage de pierre, -déposant sous leurs têtes un écrit qui indiquait leur origine, -leur vie, et les circonstances de leur mort. Et leur -martyre eut lieu sous l’empereur Néron.</p> - -<p>II. Les corps des deux saints restèrent longtemps cachés : -ils furent découverts au temps de saint Ambroise, -et de la façon que nous allons rapporter. Donc Ambroise -se trouvait, une nuit, dans l’église des saints Nabor et -Félix ; et comme, après avoir longtemps prié, il était -tombé dans un état intermédiaire entre la veille et le -sommeil, deux beaux jeunes gens vêtus de blanc lui -apparurent, priant avec lui, les bras étendus. Alors -Ambroise demanda que, si c’était là une illusion, elle -s’évanouît, et que, si c’était une réalité, elle se révélât de -nouveau à lui. Et les deux jeunes gens lui apparurent -de nouveau au chant du coq ; et, la nuit suivante, ils lui -apparurent une troisième fois, mais cette fois en compagnie -d’une autre personne, en qui il reconnut l’apôtre saint -Paul. Et saint Paul lui dit : « Tu vois là deux jeunes -gens qui, dédaignant tous les biens de la terre, ont fidèlement -suivi mes leçons. Leurs corps habitent le lieu où -tu te trouves. A douze pieds sous terre tu trouveras un -coffre de pierre contenant leurs restes, ainsi qu’un écrit -où tu apprendras leurs noms et l’histoire de leur fin. » -Aussitôt saint Ambroise convoqua les évêques voisins : -puis, creusant la terre, il entra le premier dans la fosse, -et y trouva tout ce que lui avait dit saint Paul. Et bien -que trois siècles et plus se fussent écoulés depuis la -mort des deux saints, leurs corps étaient aussi intacts -<span class="pagenum" id="p303">-303-</span> que s’ils n’étaient là que depuis la veille. Et une odeur -délicieuse s’en exhalait. Et un aveugle, ayant touché le -cercueil, recouvra la vue, et bien d’autres malades -furent guéris par l’intercession des deux saints.</p> - -<p>C’est le jour anniversaire de leur fête que fut rétablie -la paix entre les Lombards et l’Empire romain. En -souvenir de quoi le pape Grégoire ordonna que, dans -l’introït de la messe et dans les autres offices, le jour de -leur fête, fussent introduites des allusions à cette heureuse -paix.</p> - -<p>III. Au vingtième livre de sa <i>Cité de Dieu</i>, saint Augustin -raconte que, en sa présence et en celle de l’empereur, -un aveugle recouvra la vue, à Milan, devant le tombeau -des, saints Gervais et Protais. Mais si cet aveugle était -ou non celui dont nous avons parlé plus haut, c’est ce que -nous ne saurions dire. Nous lisons dans le même livre -qu’un jeune homme qui baignait son cheval dans un fleuve, -près d’Hippone, fut attaqué par un démon et jeté à l’eau, à -demi mort. Mais comme, le soir, on chantait dans l’église -des saints Gervais et Protais, non loin de là, le jeune homme -entra dans l’église et se cramponna à l’autel, d’où personne -ne pouvait l’arracher. En vain le démon l’adjurait -de s’éloigner de l’autel : il menaçait de se couper les -membres, si on le faisait sortir. Et lorsque enfin il sortit, -ses yeux jaillirent de l’orbite, et ne restèrent plus attachés -que par une veine : mais, peu de jours après, par -les mérites des saints Gervais et Protais, le jeune -homme recouvra la santé ; et ses yeux, qu’on avait rentrés -tant bien que mal dans les orbites, se rouvrirent à -la lumière.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p304">-304-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c86">LXXXVI<br /> -LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE<br /> -<span class="small">(24 juin)</span></h2> - - -<p>I. La nativité de saint Jean-Baptiste a été annoncée -par un archange de la façon qu’on va lire. Le roi David, -comme le raconte l’<i>Histoire scholastique</i>, voulant donner -plus de développement au culte divin, institua vingt-quatre -grands prêtres, dont l’un, supérieur aux autres, -portait le titre de prince des prêtres. Et chacun des -vingt-quatre, grands prêtres, à son tour, remplissait les -fonctions de prince des prêtres pendant une semaine. La -huitième semaine, le sort désigna, pour cette fonction, le -grand prêtre Abias, de la famille duquel fut, plus tard, -Zacharie. Or Zacharie et sa femme étaient parvenus à la -vieillesse sans avoir d’enfants. Et un jour qu’il était entré -dans le Temple, pour mettre de l’encens sur l’autel, -pendant qu’une grande foule l’attendait au dehors, -l’archange Gabriel lui apparut. Et comme Zacharie, à -sa vue, s’effrayait, l’archange lui dit : « N’aie pas peur, -Zacharie, car ta prière a été exaucée ! »</p> - -<p>Nous devons dire ici en passant, d’après la <i>Glosse</i>, que -c’est le propre des bons anges de rassurer aussitôt par -des paroles bienveillantes ceux qu’ils effraient en leur -apparaissant ; et, au contraire, les démons qui prennent -la forme d’anges, dès qu’ils voient qu’on s’effraie de leur -présence, ont coutume d’accroître encore la terreur qu’ils -inspirent.</p> - -<p>Gabriel annonça donc à Zacharie qu’il aurait un fils -nommé Jean, qui jamais ne boirait de vin ni d’autre -boisson fermentée, et qui, devant le trône du Seigneur, -précéderait le prophète Elie lui-même en esprit et en -vertu. Et Zacharie, considérant sa vieillesse et la stérilité -de sa femme, eut des doutes, et, à la façon des Juifs, -demanda à l’ange un signe matériel à l’appui de sa -prédiction. Sur quoi l’ange, pour le punir de n’avoir point -<span class="pagenum" id="p305">-305-</span> cru à sa parole, en manière de signe le rendit muet. Et -lorsque Zacharie se présenta ensuite devant le peuple, -et qu’on vit qu’il était devenu muet, il fit entendre, par -des signes, qu’il avait eu une vision dans le Temple. -Puis, ayant achevé la semaine de son office, il rentra dans -sa maison, et Elisabeth conçut un enfant de ses œuvres, -et, pendant cinq mois, elle se cacha, parce que, comme -le dit saint Ambroise, elle avait honte d’être grosse à son -âge, et qu’on la soupçonnât, dans sa vieillesse, de s’être -abandonnée au plaisir de la chair : ce qui, d’autre part, -ne l’empêchait point de se réjouir de ce que le Seigneur -l’eût délivrée de l’opprobre de la stérilité, car c’est un -opprobre, pour les femmes, de ne pas avoir ce fruit de -leurs noces en vue duquel se célèbrent les noces, et par -qui se justifie l’accouplement charnel.</p> - -<p>Elisabeth était grosse de six mois, lorsque la bienheureuse -Vierge Marie, qui avait déjà conçu le Sauveur, -vint la voir pour la féliciter. Et, au moment où elle la -saluait, saint Jean, déjà rempli de l’Esprit-Saint, et sentant -l’approche du Fils de Dieu, se mit à bondir de joie dans -le ventre de sa mère, comme pour saluer par ses -mouvements celui qu’il ne pouvait pas encore saluer par -la voix. Puis la sainte Vierge resta trois mois avec sa -parente, la soignant dans sa grossesse ; et ce fut elle qui, -de ses saintes mains, reçut l’enfant nouveau-né, et remplit, -en quelque sorte, pour lui, l’office de sage-femme.</p> - -<p>Le saint précurseur du Christ eut neuf privilèges -singuliers : 1<sup>o</sup> sa naissance fut annoncée par le même -ange qui annonça la naissance du Christ ; 2<sup>o</sup> il bondit -dans le ventre de sa mère ; 3<sup>o</sup> il fut recueilli entre les bras -de la Mère de Dieu ; 4<sup>o</sup> il délia, en naissant, la langue de -son père ; 5<sup>o</sup> il institua le sacrement de baptême ; 6<sup>o</sup> il -annonça la mission du Christ ; 7<sup>o</sup> il baptisa le Christ ; -8<sup>o</sup> il eut l’honneur d’être loué par-dessus tous par le -Christ ; 9<sup>o</sup> il annonça la venue du Christ à ceux qui -étaient dans les limbes. C’est à cause de ces neuf privilèges -que le Seigneur le déclara un prophète, et plus -qu’un prophète.</p> - -<p>Sa nativité, selon maître Guillaume d’Auxerre, est -<span class="pagenum" id="p306">-306-</span> célébrée par l’Eglise pour trois raisons : 1<sup>o</sup> parce qu’il -fut sanctifié dès le ventre de sa mère ; 2<sup>o</sup> parce qu’il -remplit dans la vie un rôle d’une importance exceptionnelle, -étant venu comme un porte-lumière pour nous -annoncer la joie du salut ; 3<sup>o</sup> parce que sa naissance même -fut une cause de joie. En effet l’archange avait dit : « Et -beaucoup se réjouiront de sa nativité. » Aussi est-ce -juste que, nous aussi, nous nous en réjouissions.</p> - -<p>Nous devons noter que ce jour de la nativité de saint -Jean-Baptiste est aussi le jour où saint Jean l’Evangéliste -rendit son âme à Dieu. Mais l’Eglise a placé la fête -de l’Evangéliste trois jours après Noël, parce que c’est -ce jour-là qu’a été consacrée la basilique élevée en son -honneur, tandis que la fête de la nativité de saint Jean-Baptiste -se célèbre le jour même où ce saint est né. D’où -l’on doit bien se garder de conclure, cependant, que -l’Evangéliste soit inférieur au Baptiste, comme le cadet -à l’aîné. Et Dieu a même daigné nous apprendre, par un -exemple formel, qu’il ne lui convenait pas que l’on discutât -la question de savoir lequel des deux saints était -le plus grand. Il y avait, en effet, deux savants théologiens -dont l’un préférait saint Jean-Baptiste, l’autre saint -Jean l’Evangéliste : si bien qu’ils convinrent d’un jour -pour une discussion en règle. Et comme chacun -s’inquiétait de recueillir des autorités et de bons arguments -à l’appui de ses préférences, à chacun d’eux se -montra le saint Jean qu’il préférait, et lui dit : « Nous -nous accordons fort bien au ciel ; ne vous disputez donc pas -sur la terre à notre sujet ! » Ce dont les deux docteurs se -firent part l’un à l’autre ainsi qu’au peuple, en bénissant -Dieu.</p> - -<p>II. L’historiographe des Lombards, Paul, diacre de -l’Eglise romaine et moine du Mont-Cassin, s’apprêtait un -jour à bénir un cierge, lorsque tout à coup sa voix, -auparavant très belle, s’enroua. Et, pour recouvrer sa -voix, il composa en l’honneur de saint Jean l’hymne -<i lang="la" xml:lang="la">Ut queant laxis resonare fibris</i>, où il demandait à Dieu -que sa voix lui fût rendue, comme elle l’avait été autrefois -à Zacharie.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p307">-307-</span> III. Le même Paul rapporte, dans son <i>Histoire lombarde</i>, -qu’un voleur ouvrit un jour le tombeau où le roi -lombard Rocharith s’était fait enterrer, dans l’église de -saint Jean-Baptiste. Alors saint Jean lui apparut et lui -dit : « Puisque tu as osé toucher à ces objets précieux -qui m’étaient confiés, tu ne pourras plus désormais -entrer dans mon église ! » Et ainsi fut fait, car chaque -fois que cet homme voulut entrer dans l’église de saint -Jean, une main invisible lui asséna sur la gorge un coup -si violent qu’il se vit forcé de rebrousser chemin.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c87">LXXXVII<br /> -SAINTS JEAN ET PAUL, <span class="small">MARTYRS<br /> -(26 juin)</span></h2> - - -<p>Jean et Paul étaient officiers de Constance, fille de -l’empereur Constantin. Or, comme les Scythes occupaient -la Thrace et la Dacie, Gallican, le chef de -l’armée romaine envoyée contre eux, demandait que, en -récompense, on lui donnât pour femme la fille de Constantin ; -et les principaux citoyens de Rome insistaient -en faveur de sa demande. Mais Constantin s’en affligeait -fort ; car il savait que sa fille, depuis qu’elle avait été -guérie par sainte Agnès, avait fait vœu de virginité, et -se laisserait tuer plutôt que d’enfreindre son vœu. Cependant -Constance, confiante en l’aide de Dieu, conseilla à -son père de consentir à son mariage avec Gallican, le -jour où celui-ci reviendrait vainqueur, à la condition -seulement que Gallican lui permît de garder près d’elle -les deux filles qu’il avait eues d’un premier mariage, -et qu’en échange il prît avec lui ses deux officiers Jean -et Paul. Et ainsi fut convenu. Mais Gallican, s’étant -mis en route avec une nombreuse armée, fut battu par les -Scythes et assiégé par eux dans une ville de Thrace. Alors -Jean et Paul, s’approchant de lui, lui dirent : « Fais un -<span class="pagenum" id="p308">-308-</span> vœu au Dieu du ciel, et tu seras vainqueur ! » Et lorsque -Gallican eut fait le vœu de devenir chrétien, un jeune -homme, portant la croix sur l’épaule, lui apparut et lui -dit : « Prends ton épée et suis-moi ! » Gallican, suivant -l’ange, se précipita dans le camp ennemi, parvint jusqu’au -roi des Scythes, le tua, épouvanta l’armée ennemie, -et la soumit à la domination romaine. Et l’on raconte que -deux chevaliers en armes lui apparurent, qui se tinrent -à ses côtés jusqu’à la fin du combat. Il se convertit donc -au christianisme ; et, reçu à Rome avec de grands honneurs, -il demanda à Constantin de ne pas épouser sa fille, -car il avait promis au Christ, de vivre désormais dans la -continence. Ses deux filles, converties par Constance, -étaient devenues, elles aussi, de pieuses chrétiennes. Et -bientôt Gallican, renonçant à son commandement, -distribua tous ses biens, et se mit à servir Dieu dans -la pauvreté. Et il faisait tant de miracles que, à sa seule -vue, les démons s’enfuyaient des corps des possédés. -Aussi la renommée de sa sainteté se répandit-elle dans -le monde entier ; et de l’Orient et de l’Occident on venait -voir ce patricien, cet ancien consul, qui lavait les pieds -aux pauvres qui leur versait de l’eau sur les mains, qui -les servait à table, qui soignait les malades, et vivait ainsi -en esclave de Dieu.</p> - -<p>A la mort de Constantin l’empire échut à son fils -Constance, qui s’était laissé corrompre par l’hérésie des -ariens. Et comme le frère de Constantin avait laissé deux -fils, Gallus et Julien, Constance promut Gallus au titre -de César et l’envoya contre les Juifs révoltés ; mais, -plus tard, il le tua. Alors Julien, craignant d’avoir le sort -de son frère, entra dans un monastère, où, à force de -simuler la piété, il fut ordonné lecteur ; et là le démon -consulté par lui, lui apprit qu’il serait promu à l’empire. -Et, quelque temps après, Constance, pressé par la nécessité, -éleva Julien au titre de César, et l’envoya en Gaule, -où il montra une grande valeur.</p> - -<p>A la mort de Constance, Julien, devenu empereur, -ordonna que Gallican eût à sacrifier aux dieux où à -s’éloigner de Rome : car il n’osait pas mettre à mort un -<span class="pagenum" id="p309">-309-</span> tel homme. Gallican se rendit donc à Alexandrie, où -les infidèles lui transpercèrent le cœur, lui donnant ainsi -la couronne du martyre.</p> - -<p>Quant à Julien, il colorait du témoignage de l’Evangile -l’avidité sacrilège dont il était possédé. Il dépouillait les -chrétiens et leur disait : « C’est votre Christ lui-même -qui dit, dans son Evangile, que celui-là ne saurait être -son disciple qui ne renonce pas à tout ce qu’il a ! » -Aussi, quand il apprit que Jean et Paul, avec l’argent -que leur avait laissé la pieuse Constance, subvenaient aux -besoins des chrétiens pauvres, il les fit venir tous deux -et leur dit qu’ils devaient le servir de la même façon -qu’ils avaient servi Constantin. A quoi ils répondirent : -« Nous servions le glorieux empereur Constantin parce -que lui-même se proclamait le serviteur du Christ ; mais -toi, comme tu as abandonné la sainte religion, nous nous -sommes retirés de toi, et nous dédaignons de t’obéir ! » -Et Julien leur dit : « Sachez que j’ai été clerc dans votre -Eglise, et que, si j’avais voulu, je m’y serais élevé aux -premières dignités : mais, considérant que c’était chose -vaine de pratiquer la paresse, je me suis livré à l’art de -la guerre ; et ayant sacrifié aux dieux, j’ai été par eux -élevé à l’empire. Quant à vous, nourris à la cour, vous -avez le devoir de rester près de moi, où vous serez au -premier rang de mes serviteurs. Mais que si vraiment -vous me méprisez, je serai forcé d’agir, pour vous en -empêcher ! » Et les deux saints répondirent : « Nous -mettons Dieu au-dessus de toi ; et nous ne craignons pas -tes menaces, mais seulement d’encourir l’inimitié de -Dieu tout-puissant. » Et Julien : « Si, dans dix jours, vous -ne venez pas de votre plein gré près de moi, vous ferez, -contraints, ce que vous aurez refusé de faire volontairement ! » -Et eux : « Imagine que les dix jours sont -déjà passés, et accomplis dès aujourd’hui ce dont tu nous -menaces ! » Et Julien : « Vous croyez que les chrétiens -vont faire de vous des martyrs ? Sachez donc que, si vous -ne m’obéissez, ce n’est pas en martyrs que je vous -punirai, mais en ennemis publics ! »</p> - -<p>Alors Jean et Paul, pendant dix jours, redoublant leurs -<span class="pagenum" id="p310">-310-</span> aumônes, distribuèrent aux pauvres tout l’argent qui -leur restait. Le dixième jour, ils virent arriver près d’eux -un certain Térentien, qui leur dit : « Notre maître Julien -vous envoie cette petite statue de Jupiter, pour que vous -brûliez de l’encens devant elle : si vous ne le faites pas, -vous périrez tous deux. » Et les saints lui dirent : « Si -tu as pour maître Julien, obéis à ses ordres ; mais nous, -nous n’avons d’autre maître que Jésus-Christ ! » Alors -Térentien les fit décapiter en secret, et fit ensevelir leurs -corps dans leur maison ; et il répandit le bruit qu’ils -étaient partis en exil. Mais bientôt son fils fut possédé -d’un démon qui le faisait beaucoup souffrir : ce que voyant, -Térentien avoua son crime, se fit chrétien, et écrivit lui-même -le récit du martyre des deux saints ; en échange -de quoi son fils fut délivré.</p> - -<p>Saint Grégoire raconte, dans une de ses homélies, -qu’une femme, qui visitait souvent l’église des deux martyrs, -aperçut un jour devant sa porte, en revenant de cette -église, deux moines en manteaux de pèlerins. Elle leur fit, -aussitôt, donner l’aumône par son intendant. Mais eux, -s’approchant d’elle, lui dirent : « Puisque tu aimes à nous -faire visite, nous te réclamerons au jour du jugement, et, -tout ce que nous pourrons faire pour toi, nous le ferons ! » -Puis, cela dit, ils disparurent.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c88">LXXXVIII<br /> -SAINT LÉON, <span class="small">PAPE<br /> -(28 juin)</span></h2> - - -<p>Le pape Léon, célébrant la messe dans l’église de -Sainte-Marie Majeure, faisait, suivant la coutume, communier -les fidèles, lorsqu’une femme lui déposa un baiser -sur la main, ce qui fit naître en lui une véhémente tentation -charnelle. Mais l’homme de Dieu, se châtiant lui-même -avec plus de sévérité que ne l’aurait fait aucun -<span class="pagenum" id="p311">-311-</span> autre juge, s’amputa en secret la main qui avait été -cause du scandale. Cependant le peuple murmurait de -ne pas voir le Souverain Pontife célébrer l’office divin -comme de coutume. Alors Léon s’adressa à la sainte -Vierge, se remettant de tout à sa providence. Et la -Vierge aussitôt lui apparut, et, de ses saintes mains, lui -rendit sa main, lui ordonnant de procéder au divin sacrifice. -Et Léon révéla au peuple ce qui lui était arrivé, -montrant à tous la main qui venait de lui être miraculeusement -restituée.</p> - -<p>C’est le pape Léon qui présida le concile de Chalcédoine, -où l’on décida que les vierges seules pourraient -prendre le voile, et où fut également décrété que, désormais, -la Vierge Marie serait appelée « Mère de Dieu ».</p> - -<p>Et comme Attila ravageait l’Italie, saint Léon, après -avoir prié pendant trois jours et trois nuits dans l’église -des apôtres, dit aux siens : « Qui veut me suivre, me -suive ! » Et Attila, dès qu’il l’aperçut, descendit de son -cheval, se prosterna à ses pieds, et lui dit de demander -tout ce qu’il voudrait. Le pape lui demanda, et obtint -aussitôt, qu’il quitterait l’Italie et rendrait la liberté à -tous ses captifs. Et comme les compagnons d’Attila lui -reprochaient que lui, le vainqueur du monde, se fût laissé -vaincre par un prêtre, le barbare répondit : « J’ai agi -dans mon intérêt et dans le vôtre, car j’ai vu, à la droite -de cet homme, un guerrier gigantesque qui m’a dit, l’épée -en main : « Si tu n’obéis à ce prêtre, tu périras avec tous -les tiens ! »</p> - -<p>Le pape Léon, ayant écrit une lettre à Fabien, évêque -de Constantinople, contre Eutychès et Nestorius, la -déposa sur le tombeau de saint Pierre, et, priant le saint, -lui dit : « Tout ce que, en ma qualité d’homme, j’ai écrit -d’erroné dans cette, lettre, toi, gardien de l’Eglise, corrige-le -et rectifie-le ! » Et, quarante jours après, saint -Pierre lui apparut et lui dit : « J’ai lu et corrigé ! » Et, -lorsque Léon reprit sa lettre, il la trouva corrigée et rectifiée -par la main de l’apôtre.</p> - -<p>Une autre fois, Léon passa quarante jours à jeûner et -à prier sur le tombeau de saint Pierre, afin d’obtenir le -<span class="pagenum" id="p312">-312-</span> pardon de ses péchés. Et saint Pierre, lui apparaissant, -lui dit : « J’ai prié pour toi le Seigneur, et il t’a remis -tous tes péchés. Mais tu devras seulement te renseigner -au sujet de l’imposition des mains, » c’est-à-dire veiller -à ce que cette imposition se fasse de la manière convenable. -Saint Léon mourut vers l’an du Seigneur 460.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c89">LXXXIX<br /> -SAINT PIERRE, <span class="small">APÔTRE<br /> -(29 juin)</span></h2> - - -<p>I. L’apôtre Pierre surpassait en ferveur les autres -apôtres : car il voulut connaître le nom de celui qui -livrerait Jésus, et, comme dit saint Augustin, il n’eût -pas manqué de déchirer avec ses dents le traître, s’il -avait connu son nom : et, à cause de cela, Jésus ne voulut -point le lui nommer, parce que, comme dit Chrysostome, -s’il l’avait nommé, Pierre se serait aussitôt levé -et l’aurait égorgé. C’est lui aussi qui, sur les flots, -marcha vers Jésus, et qui fut choisi par Jésus pour -assister à la transfiguration, comme aussi à la résurrection -de la fille de Jaïre ; c’est lui qui trouva la pièce -de monnaie dans la bouche du poisson ; c’est lui qui -reçut du Seigneur les clefs du royaume des cieux, -qui fut chargé de paître les agneaux du Christ, qui, -le jour de la Pentecôte, convertit trois mille hommes -par sa prédication, qui annonça la mort à Ananias et à -Saphir, qui guérit le paralytique Enée, qui baptisa Corneille, -qui ressuscita Tabite, qui, par l’ombre seule de -son corps, rendit la santé aux malades, qui fut emprisonné -par Hérode et délivré par un ange. Quant à ce -que furent sa nourriture et son vêtement, lui-même nous -l’apprend, dans le livre de Clément : « Je ne me nourris, -dit-il, que de pain avec des olives, et, plus rarement, avec -quelques légumes ; pour vêtement j’ai toujours la tunique -<span class="pagenum" id="p313">-313-</span> et le manteau que tu vois sur moi ; et, ayant tout cela, je -ne demande rien d’autre. » On dit aussi qu’il portait -toujours dans son sein un suaire dont il se servait pour -essuyer ses larmes, parce que, toutes les fois qu’il se -rappelait la douce voix de son divin maître, il ne -pouvait s’empêcher de pleurer de tendresse. Il pleurait -aussi au souvenir de son reniement ; et, de là, lui -était venue une telle habitude de pleurer que Clément -nous rapporte que son visage semblait tout brûlé de -larmes. Clément nous dit encore que, la nuit, en entendant -le chant du coq, il se mettait en prières, et que de nouveau -les larmes coulaient de ses yeux. Et nous savons -aussi, par le témoignage de Clément, que, le jour où la -femme de Pierre fut conduite au martyre, son mari, l’appelant -par son nom, lui cria joyeusement : « Ma femme, -souviens-toi du Seigneur ! »</p> - -<p>Un jour, Pierre envoya en prédication deux de ses -disciples : l’un d’eux mourut en chemin, l’autre revint -faire part à son maître de ce qui était arrivé. Ce dernier -était, suivant les uns, saint Martial, suivant d’autres, -saint Materne, et suivant d’autres encore, saint Front ; -le disciple qui était mort était le prêtre Georges. Alors -Pierre remit au survivant son bâton, lui disant d’aller le -poser sur le cadavre de son compagnon. Et, dès qu’il l’eut -fait, le mort, qui gisait déjà depuis quarante jours, -aussitôt revint à la vie.</p> - -<p>II. En ce temps-là vivait à Jérusalem un magicien -nommé Simon qui se prétendait la Vérité Première, promettait -de rendre immortels ceux qui croiraient en lui, -et disait que rien ne lui était impossible. Il disait encore, -ainsi que nous le rapporte le livre de Clément : « Je serai -adoré publiquement comme un dieu, je recevrai les -honneurs divins, et je pourrai faire tout ce que je voudrai. -Un jour que ma mère Rachel m’avait envoyé aux champs -pour moissonner, j’ordonnai à une faux de moissonner -d’elle-même, et elle se mit à l’œuvre, et fit dix fois plus -d’ouvrage que les autres. » Il disait aussi, d’après Jérôme : -« Je suis le Verbe de Dieu, je suis l’Esprit-Saint, je suis -Dieu tout entier ! » Il faisait mouvoir des serpents d’airain, -<span class="pagenum" id="p314">-314-</span> il faisait rire des statues de pierre et de bronze, il -faisait chanter les chiens. Or cet homme voulut discuter -avec Pierre, et lui montrer qu’il était Dieu. Au jour -convenu, Pierre se rencontra avec lui, et dit aux assistants : -« Que la paix soit avec vous, mes frères, qui aimez -la vérité ! » Alors Simon : « Nous n’avons pas besoin de -ta paix : car si nous nous tenons en paix, nous ne -pourrons pas travailler à découvrir la vérité. Les voleurs -aussi ont la paix entre eux. N’invoque donc pas la paix, -mais la lutte ; et la paix ne se produira que lorsque l’un -de nous deux aura vaincu l’autre. » Et Pierre : « Pourquoi -crains-tu le mot de paix ? La guerre ne naît que du -péché ; et où il n’y a pas péché, il y a paix. C’est dans les -discussions que se trouvent la vérité, c’est par les œuvres -que se réalise la justice. » Et Simon : « Tout cela ne -signifie rien. Mais moi je te montrerai la puissance de -ma divinité, et tu seras forcé de m’adorer : car je suis la -Vertu Première, je puis voler dans les airs, créer de -nouveaux arbres, changer les pierres en pain, rester dans -la flamme sans souffrir aucun mal ; tout ce que je veux -faire, je peux le faire. » Mais Pierre discutait une à une -toutes ses paroles, et découvrait la fraude de tous ses -maléfices. Et Simon, voyant qu’il ne pouvait résister à -Pierre, jeta à l’eau tous ses livres de magie, afin de n’être -pas dénoncé comme magicien, et s’en alla à Rome, pour -s’y faire adorer comme un dieu. Et Pierre, dès qu’il le -sut, le suivit à Rome.</p> - -<p>III. Il y arriva dans la quatrième année du règne de -Claude, y passa vingt-cinq ans, et y ordonna, en qualité -de coadjuteurs, deux évêques, Lin et Clef, l’un pour le -dehors, l’autre pour la ville même. Infatigable à prêcher, -il convertissait à la foi de nombreux païens, guérissait de -nombreux malades ; et, comme il faisait toujours l’éloge -de la chasteté, les quatre concubines du préfet Agrippa, -converties par lui, refusèrent de retourner près de leur -amant : en telle sorte que celui-ci, furieux, cherchait une -occasion de perdre l’apôtre. Or le Seigneur apparut à -Pierre et lui dit : « Simon et Néron ont de mauvais desseins -contre toi ; mais ne crains rien, car je suis avec toi, -<span class="pagenum" id="p315">-315-</span> et je te donnerai comme consolation la société de mon -serviteur Paul, qui, dès demain, arrivera à Rome. » Sur -quoi Pierre, comme le raconte Lin, devinant que la fin -de son pontificat approchait, se rendit à l’assemblée -des fidèles, prit par la main Clément, l’ordonna évêque, -et le fit asseoir dans sa chaire. Le lendemain, ainsi -que le Seigneur l’avait annoncé, Paul arriva à Rome, -et, en compagnie de Pierre, commença à y prêcher le -Christ.</p> - -<p>Cependant le magicien Simon était si aimé de Néron -qu’on savait qu’il tenait entre ses mains les destinées de -la ville entière. Un jour, comme il se trouvait en présence -de Néron, il avait su changer son visage de telle sorte -que tantôt il paraissait un vieillard, et tantôt un adolescent : -ce que voyant, Néron avait cru qu’il était vraiment -le fils de Dieu. Un autre jour, le magicien dit à l’empereur : -« Pour te convaincre que je suis le fils de Dieu, -fais-moi trancher la tête ; et, le troisième jour, je ressusciterai ! » -Néron ordonna à son bourreau de lui trancher -la tête. Mais Simon, par un artifice magique, fit en sorte -que le bourreau, croyant le décapiter, décapita un bélier ; -après quoi, il cacha les membres du bélier, laissa sur le -pavé les traces du sang, et se cacha lui-même pendant -trois jours. Le troisième jour il comparut devant Néron, -et lui dit : « Fais effacer les traces de mon sang sur le -pavé, car voici que je suis ressuscité, comme je te l’ai -promis ! » Et Néron ne douta plus de sa divinité. Un -autre jour encore, pendant que Simon était auprès de -Néron dans une chambre, un diable qui avait revêtu sa -figure parla au peuple sur le Forum. Enfin il sut inspirer -aux Romains un tel respect qu’ils lui élevèrent une statue, -sous laquelle fut placée l’inscription : « Au saint dieu -Simon. »</p> - -<p>Or Pierre et Paul, s’étant introduits auprès de Néron, -dévoilaient tous les maléfices du magicien ; et Pierre, -notamment, disait que, de même qu’il y a dans le Christ -deux substances, la divine et l’humaine, de même il y -avait en Simon deux substances, à savoir l’humaine et la -diabolique. Et Simon déclara : « Je ne souffrirai pas plus -<span class="pagenum" id="p316">-316-</span> longtemps cet adversaire ! Je vais ordonner à mes anges -de me venger de lui ! » Et Pierre : « Je ne crains pas tes -anges, mais ce sont eux qui me craignent ! » Et Néron : -« Tu ne crains pas Simon, qui, par ses actes même, -prouve sa divinité ? » Et Pierre : « Si la divinité est vraiment -en lui, qu’il dise ce que je pense et ce que je fais en -ce moment ! Et d’abord je vais te dire ma pensée à -l’oreille, afin qu’il n’ait pas l’audace de mentir ! » Néron -lui dit : « Approche-toi et dis-moi ce que tu penses ! » Et -Pierre lui dit à l’oreille : « Fais-moi apporter en secret du -pain d’orge ! » Puis, quand il eut reçu le pain et l’eut béni -en le cachant dans sa manche, il dit : « Que Simon dise -maintenant, ce que j’ai dit, pensé, et fait ! » Mais Simon, -au lieu de s’avouer vaincu, reprit : « Que Pierre dise plutôt -ce que je pense, moi ! » Et Pierre : « Ce que pense -Simon, je montrerai que je le sais, en faisant ce à quoi il -aura pensé ! » Alors Simon, furieux, s’écria : « Que de -grands chiens arrivent et le dévorent ! » Et aussitôt de -grands chiens apparurent qui se jetèrent sur l’apôtre : -mais celui-ci leur offrit le pain qu’il venait de bénir ; et -aussitôt il les mit en fuite. Et il dit à Néron : « Voilà -comment j’ai prouvé, non par mes paroles, mais par mes -actes, que je savais ce que penserait Simon contre moi ! » -Et Simon dit : « Ecoutez, Pierre et Paul, je ne puis rien -vous faire ici, et je vous épargne pour aujourd’hui ; mais -nous nous retrouverons, et alors je vous jugerai ! »</p> - -<p>Le même Simon, dans son orgueil, osa se vanter de -pouvoir ressusciter les morts. Et comme certain jeune -homme venait de mourir, on appela Pierre et Simon et, -sur le désir de ce dernier, on décida qu’on ferait mourir -celui des deux qui ne pourrait pas ressusciter le mort. -Après quoi Simon, par ses incantations, fit en sorte que -le mort remua la tête, et déjà tous, avec de grands cris, -voulaient lapider Pierre. Mais celui-ci, ayant obtenu le -silence, s’écria : « Si ce jeune homme est vraiment -vivant, qu’il se lève, qu’il marche, et qu’il parle : faute de -quoi vous saurez que c’est un démon qui fait remuer la -tête du mort. Mais qu’avant tout on écarte Simon du lit, -pour mettre à nu les artifices du diable ! » On écarta -<span class="pagenum" id="p317">-317-</span> donc Simon du lit, et aussitôt le mort reprit son immobilité. -Mais alors Pierre, se tenant à distance, et ayant -prié, dit : « Jeune homme, au nom de Jésus-Christ de -Nazareth, lève-toi et marche ! » Et aussitôt le mort, -ressuscité, se leva et marcha. Sur quoi le peuple voulut -lapider Simon. Mais Pierre dit : « Il est suffisamment -puni, en ayant à reconnaître la défaite de ses artifices ! Et -notre Maître nous a enseigné à rendre le bien pour le -mal. » Et Simon : « Sachez, Pierre et Paul, que, malgré -voire désir, je ne daignerai pas vous accorder la couronne -du martyre ! » Et Pierre : « Puissions-nous obtenir -ce que nous désirons ; mais toi, puisses-tu n’avoir -que du mal, car toutes tes paroles ne sont que mensonges ! »</p> - -<p>Alors Simon se rendit à la maison de son disciple -Marcel et lui dit, après avoir attaché un grand chien -à sa porte : « Je verrai bien si Pierre, qui a l’habitude -de venir te voir, pourra désormais entrer chez toi ! » Et -Pierre, lorsqu’il vint chez Marcel, d’un signe de croix -détacha le chien, qui, depuis lors, se mit à caresser tout -le monde à l’exception de Simon, qu’il étendit à terre et -voulut étrangler. Il l’aurait étranglé si Pierre, accourant, -ne lui avait défendu de lui faire aucun mal. Et, en effet, -le chien ne toucha plus au corps de Simon, mais il -déchira tous ses vêtements. Et là-dessus le peuple, mais -surtout les enfants, se mirent à poursuivre le magicien, -qu’ils chassèrent hors de la ville comme un loup. De -telle sorte que Simon, tout honteux, n’osa point se -montrer pendant une année entière ; et son disciple Marcel, -convaincu par ces miracles, devint désormais le -disciple de Pierre.</p> - -<p>Mais, plus tard, Simon revint à Rome et rentra en faveur -auprès de Néron. Un jour, il convoqua le peuple, -et déclara que, gravement offensé par les Galiléens, il -allait abandonner la ville, que jusqu’alors il avait protégée -de sa présence : ajoutant qu’il allait monter au -ciel, puisque la terre n’était plus digne de le porter. -Donc, au jour convenu, il monta sur une haute tour, ou, -suivant Lin, sur le Capitole ; et, de là, il se mit à voler -<span class="pagenum" id="p318">-318-</span> dans les airs, avec une couronne de laurier sur la tête. -Et Néron dit aux deux apôtres : « Simon dit la vérité ; -vous, vous n’êtes que des imposteurs. » Et Pierre dit à -Paul : « Lève la tête, et regarde ! » Paul leva la tête, vit -Simon qui volait, et dit à Pierre : « Pierre, ne tarde pas -davantage à achever ton œuvre, car déjà le Seigneur -nous appelle ! » Alors Pierre s’écria : « Anges de Satan, -qui soutenez cet homme dans les airs, au nom de mon -maître Jésus-Christ, je vous ordonne de ne plus le soutenir ! » -Et aussitôt Simon fut précipité sur le sol, où il -se brisa le crâne et mourut.</p> - -<p>Ce qu’apprenant, Néron fut désolé de la perte d’un tel -homme, et dit aux apôtres qu’il les en punirait. Il les -remit entre les mains d’un haut fonctionnaire nommé -Paulin, qui les fit jeter en prison, sous la garde de deux -soldats, Procès et Martinien. Mais ceux-ci, convertis par -Pierre, leur ouvrirent la prison et les remirent en liberté, -ce qui leur valut, après le martyre des apôtres, d’avoir -tous deux la tête tranchée par ordre de Néron. Or Pierre, -cédant enfin aux supplications de ses frères, résolut de -s’éloigner de Rome ; mais comme il arrivait à une des -portes de la ville, à l’endroit où s’élève aujourd’hui -l’église Sainte-Marie <span lang="la" xml:lang="la">ad Passus</span>, il rencontra le Christ -qui venait au-devant de lui ; et il lui dit : « Seigneur où -vas-tu ? » Et le Seigneur répondit : « Je vais à Rome, -afin d’y être de nouveau crucifié ! » Et Pierre : « De nouveau -crucifié ? » Et le Seigneur : « Oui ! » Et Pierre dit : -« Alors, Seigneur, je vais retourner à Rome, pour être -crucifié avec toi ! » Sur quoi le Seigneur remonta au -Ciel, laissant Pierre tout en larmes. Et celui-ci, comprenant -que l’heure de son martyre était venue, revint à -Rome, où il fut saisi par les ministres de Néron, et conduit -devant le préfet Agrippa ; et Lin rapporte que -son vieux visage rayonnait de joie. Le préfet lui dit : -« Tu es bien l’homme qui te plais à vivre parmi les gens -du peuple, et à éloigner du lit de leurs maris les femmes -des faubourgs ? » Mais Pierre répondit : « Je ne me plais -que dans la croix du Seigneur ! » Alors, en sa qualité -d’étranger, il fut condamné au supplice de la croix : tandis -<span class="pagenum" id="p319">-319-</span> que Paul, qui était citoyen romain, fut condamné à -avoir la tête tranchée.</p> - -<p>Dans sa lettre à Timothée sur la mort de saint Paul, -Denis rapporte que la foule des païens et des juifs ne se -fatiguait point de frapper les deux apôtres et de leur cracher -au visage : Et lorsque vint le moment de leur séparation, -Paul dit à Pierre : « Que la paix soit avec toi, -fondement des églises, pasteur des agneaux du Christ ! » -Et Pierre dit à Paul : « Va en paix, prédicateur de la -vérité et du bien, médiateur du salut des justes ! » Après -quoi, Denis suivit son maître Paul, car les deux apôtres -furent exécutés en deux endroits différents. Et Pierre, -quand il fut en face de la croix, dit : « Mon maître est -descendu du ciel sur la terre, aussi a-t-il été élevé sur -la croix. Mais moi, qu’il a daigné appeler de la terre au -ciel, je veux que, sur ma croix, ma tête soit tournée vers -la terre et mes pieds vers le ciel. Donc, crucifiez-moi la -tête en bas, car je ne suis pas digne de mourir de la -même façon que mon Maître Jésus. » Et ainsi fut fait : -on retourna la croix, de sorte qu’il fut placé la tête en -bas et les pieds en haut. Cependant, le peuple, furieux, -voulait tuer Néron et le préfet, et délivrer l’apôtre : mais -celui-ci les priait de ne pas empêcher son martyre. Et -alors Dieu ouvrit les yeux de ceux qui pleuraient ; et ils -virent des anges debout avec des couronnes de roses et -de lys, et Pierre, debout entre eux, recevait du Christ un -livre dont il lisait tout haut les paroles. Et l’apôtre, -reconnaissant que les fidèles voyaient sa gloire, les recommanda -une dernière fois à Dieu, et rendit l’esprit.</p> - -<p>Alors deux frères, Marcel et Apulée, ses disciples, le -descendirent de la croix, et l’ensevelirent après l’avoir -embaumé d’aromates. Et, le même jour, Pierre et Paul -apparurent à Denis, qui les vit entrer tous deux par la -porte de la ville, la main dans la main, vêtus de lumière, -et la tête ceinte d’une couronne de clarté.</p> - -<p>IV. Mais Néron ne resta pas sans châtiment pour ce -crime et pour tous les autres qu’il commit, et dont nous -allons brièvement rapporter quelques-uns. On lit, d’abord, -dans une histoire en vérité apocryphe, que, comme Sénèque, -<span class="pagenum" id="p320">-320-</span> le maître de Néron, s’attendait à recevoir la -digne récompense de ses travaux, Néron lui dit que, pour -sa récompense, il aurait le droit de choisir l’arbre aux -branches duquel il serait pendu. Et comme Sénèque -demandait comment il avait pu mériter d’être condamné -à mort, Néron fit agiter au-dessus de sa tête la pointe -d’une épée, de telle sorte que Sénèque, effrayé, fermait -les yeux et baissait la tête. Et Néron lui dit : « Mon -maître, pourquoi baisses-tu la tête devant ce glaive ? » -Sénèque lui répondit : « Etant homme, je crains la mort -et ne désire point mourir. » Et Néron : « Hé bien, moi -aussi je te crains, comme déjà je te craignais dans mon -enfance, et je ne vivrai pas tranquille tant que tu -vivras ! » Alors Sénèque dit : « Si je dois mourir, -accorde-moi du moins de choisir mon genre de mort ! » -Et Néron : « Choisis-le à ton gré, pourvu seulement que -tu meures tout de suite ! » Sur quoi Sénèque s’ouvrit les -veines dans un bain, et mourut de l’écoulement de son -sang, justifiant ainsi le présage de son nom ; car <i lang="la" xml:lang="la">se -necans</i> signifie : qui se tue de sa propre main. Ce -Sénèque eut deux frères, dont l’un, le déclamateur Julien -Gallion, se tua également de sa propre main, et dont -l’autre, Méla, fut père du poète Lucain, qui, par ordre -de Néron, s’ouvrit les veines.</p> - -<p>Toujours d’après la même histoire apocryphe, Néron, -entraîné par sa folie sanguinaire, ordonna de mettre à -mort sa mère et de lui couper le ventre, afin de voir la -façon dont il avait habité dans son sein. Or les médecins -lui disaient : « Les lois divines et humaines défendent -qu’un fils tue sa mère, qui l’a enfanté dans la douleur, et -s’est fatiguée à le nourrir. » Mais Néron : « Faites en -sorte que je conçoive un enfant dans mon sein, afin que -je puisse me rendre compte de ce que ma mère a souffert -en m’enfantant ! » Et les médecins : « La chose est -impossible, étant contraire à la nature et à la raison ! » -Mais Néron : « Si vous ne faites pas en sorte que je -conçoive un enfant, vous mourrez tous dans les pires -supplices ! » Alors les médecins, l’ayant enivré, lui firent -avaler une grenouille, qui gonfla dans son ventre et lui -<span class="pagenum" id="p321">-321-</span> donna l’illusion d’être pareil à une femme enceinte. Mais -bientôt, la douleur devenant trop forte, il dit : « Hâtez -l’heure de mon accouchement, car ma grossesse me -fatigue et m’étouffe ! » Ils lui donnèrent alors un vomitif, -et aussitôt il rendit la grenouille qu’il avait dans le -ventre, mais tout infectée d’humeur et toute tachée de -sang. Et lui, en voyant cette chose monstrueuse, demanda : -« Etais-je ainsi moi-même lorsque je suis sorti -du sein de ma mère ? » Et eux : « Oui ! » Alors l’insensé -ordonna qu’on nourrît son enfant, et qu’on l’enfermât, en -guise de berceau, dans l’écaille d’une tortue. Mais tout -cela ne se trouve point mentionné dans les chroniques, et -doit être considéré comme apocryphe.</p> - -<p>Plus tard, Néron, admirant le récit de l’incendie de -Troie, fit brûler Rome pendant sept jours et sept nuits ; -et lui, assistant à l’incendie du haut d’une tour, il récitait -pompeusement des morceaux de <i>l’Iliade</i>. Il pêchait -avec des filets d’or, prétendait chanter mieux que tous -les tragédiens et joueurs de cithare, faisait changer les -hommes en femmes, et jouait lui-même le rôle d’une -femme auprès d’un homme. Mais à la fin les Romains, ne -pouvant supporter davantage sa folie, se jetèrent sur lui -et le poursuivirent jusqu’en dehors de la ville. Alors, se -voyant perdu, il aiguisa avec ses dents la pointe d’un -bâton et se l’enfonça dans le cœur. Ou bien encore, suivant -d’autres, il aurait été dévoré par les loups. Et l’on -raconte qu’après sa mort, les Romains, ayant retrouvé la -grenouille qu’il avait vomie, allèrent la brûler hors des -murs de la ville : et, depuis ce moment, l’endroit où avait -été cachée la grenouille (<i lang="la" xml:lang="la">latuerat rana</i>) porta le nom de -Lateran ou Latran.</p> - -<p>V. Au temps du pape saint Corneille, des Grecs pieux -volèrent les corps des apôtres, qu’ils voulaient emporter -dans leur pays ; mais les démons habitant les idoles -furent contraints, par la force divine, de crier : « Au secours, -Romains, car on emporte vos dieux ! » Sur quoi -toute la ville se mit à la poursuite des voleurs : car les -fidèles comprenaient qu’il était question des apôtres, et -les païens croyaient qu’il était question de leurs idoles, -<span class="pagenum" id="p322">-322-</span> si bien que les Grecs, épouvantés, jetèrent les corps des -apôtres dans un puits voisin des catacombes, d’où les -fidèles parvinrent plus tard à les retirer. Et comme on -hésitait pour savoir lesquels des os appartenaient à saint -Pierre et lesquels à saint Paul, on pria et jeûna et une -voix du ciel répondit : « Les os les plus grands sont -ceux du prédicateur, les plus petits ceux du pêcheur. » -Et les os des deux saints se séparèrent spontanément -et ceux de chacun des deux saints furent rapportés -dans l’église qui leur était consacrée. Cependant -d’autres auteurs prétendent que le pape Sylvestre fit -peser dans une balance les os les plus grands et les plus -petits, en proportion égale, et donner à chaque église la -moitié exacte des deux corps.</p> - -<p>VI. Saint Grégoire raconte, dans son <i>Dialogue</i>, que, -près de l’église où repose le corps de saint Pierre, vivait -un saint homme nommé Agontius. Or, une jeune fille -paralytique passait toutes ses journées dans cette église : -elle rampait sur les mains, car ses reins et ses pieds -étaient paralysés. Et comme depuis longtemps elle implorait -saint Pierre de lui rendre la santé, le saint lui -apparut et lui dit : « Va trouver Agontius, qui demeure -près d’ici ; il te guérira ! » Aussitôt la jeune fille se mit à -se traîner à travers les bâtiments de l’église, dans l’espoir -de découvrir où était cet Agontius. Mais voici que -ce dernier vint au-devant d’elle ; et elle lui dit : « Notre -pasteur et père nourricier saint Pierre m’envoie vers toi -pour que tu me guérisses de mon infirmité ! » Et Agontius : -« Si vraiment c’est lui qui t’envoie, lève-toi et -marche ! » Après quoi il lui tendit la main pour l’aider à -se lever, et aussitôt elle fut guérie, sans garder la -moindre trace de sa paralysie.</p> - -<p>Grégoire rapporte aussi, dans le même livre, l’histoire -d’une jeune romaine nommée Galla, fille du consul et -patricien Symmaque, qui devint veuve après un an de -mariage. Mais tandis que son âge et sa fortune l’engageaient -à se remarier, elle préféra s’unir, en noces spirituelles, -à Dieu. Et comme son corps était dévoré d’un -feu intérieur, les médecins dirent que, si elle se refusait -<span class="pagenum" id="p323">-323-</span> toujours aux caresses des hommes, la chaleur qui était -en elle lui ferait pousser une barbe sur le visage. Et -c’est, en effet, ce qui lui arriva. Mais elle n’eut aucune -crainte de cette difformité extérieure, comprenant bien -que rien de tel ne pouvait l’empêcher d’être aimée de son -mari céleste, si seulement elle restait pure au dedans. -Abandonnant la vie séculière, elle entra dans un couvent -qui dépendait de l’église de saint Pierre ; et là, -longtemps, elle servit Dieu par la prière et par les -aumônes. Elle fut enfin atteinte d’un cancer au sein. Et -comme, auprès de son lit, étaient toujours allumés deux -flambeaux, — parce que, aimant la lumière, elle ne pouvait -supporter ni les ténèbres spirituelles ni les corporelles, — elle -vit l’apôtre Pierre debout devant elle entre -les deux flambeaux. Alors, pleine d’amour et de joie, -elle s’écria : « Qu’est-ce, mon maître ? Mes péchés me -sont-ils remis ? » Et lui, inclinant la tête avec un sourire -bienveillant, répondit : « Oui ! viens ! » Et elle : « Je -demande que ma mère chérie l’abbesse vienne avec moi ! » -Galla rapporta la chose à l’abbesse ; et, trois jours après, -toutes deux moururent ensemble.</p> - -<p>Saint Grégoire nous dit encore qu’un prêtre d’une -grande sainteté, étant sur le point de mourir, s’écria : -« Bienvenus êtes-vous, mes maîtres, qui daignez vous -approcher d’un misérable esclave tel que moi ! » Et -comme les assistants lui demandaient à qui il parlait -ainsi : « Ne voyez-vous donc pas que les saints apôtres -Pierre et Paul sont là près de moi ? » Et, pendant qu’il -recommençait à remercier les deux apôtres, son âme fut -délivrée des liens du corps.</p> - -<p>VII. Certains auteurs ont mis en doute que Pierre et -Paul aient été martyrisés le même jour, et ont prétendu -qu’ils étaient morts à un an d’intervalle. Mais saint -Jérôme et tous les saints qui traitent de cette question -s’accordent à dire que le martyre des deux saints eut lieu -le même jour et la même année. C’est, d’ailleurs, ce qui -apparaît clairement de l’épître de Denis. La vérité est -seulement que les deux saints n’ont pas été suppliciés -au même endroit ; et quand le pape Léon dit qu’ils l’ont -<span class="pagenum" id="p324">-324-</span> été au même endroit, il entend simplement par là que -tous deux ont été suppliciés à Rome.</p> - -<p>Mais bien qu’ils soient morts le même jour et à la -même heure, saint Grégoire a ordonné que leur fête soit -célébrée séparément, et que la commémoration de saint -Paul ait lieu le lendemain de celle de saint Pierre. Celui-ci -mérite, en effet, d’être honoré le premier, étant à la -fois supérieur en dignité et antérieur en conversion : -sans compter que son titre de souverain pontife achève -de lui donner tous les droits à cette primauté.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c90">XC<br /> -SAINT PAUL, <span class="small">APÔTRE<br /> -(30 juin)</span></h2> - - -<p>L’apôtre Paul, après sa conversion, eut à souffrir de -nombreuses persécutions, dont saint Hilaire résume -l’histoire en ces termes : « A Philippes il fut frappé de -verges, mis en prison, et attaché par les pieds à une -barre de bois ; à Lystre, il fut lapidé ; à Icone et à -Thessalonique, injustement accusé ; à Ephèse, livré aux -bêtes ; à Damas, jeté du haut d’un mur ; à Jérusalem, -arrêté, frappé, lié, attaqué ; à Césarée, mis en prison ; -dans son voyage d’Italie, exposé à une tempête ; enfin à -Rome, sous Néron, jugé et mis à mort. »</p> - -<p>Nous devons ajouter qu’à Lystre il guérit un paralytique, -ressuscita un jeune homme tombé d’une fenêtre, -et fit encore beaucoup d’autres miracles. A Mitylène, -une vipère le mordit à la main sans lui faire aucun -mal ; et l’on dit que toute la descendance de l’homme -dont il était l’hôte est à l’abri du venin des serpents ; au -point que, quand un enfant naît dans cette race, on -met des serpents dans son berceau, pour reconnaître -s’il est bien le fils de son père. Et Haymon raconte -que Paul travaillait de ses mains depuis le chant du -<span class="pagenum" id="p325">-325-</span> coq jusqu’à la cinquième heure, puis se livrait à la -prédication jusqu’à la nuit, et estimait que les quelques -heures qui lui restaient suffisaient fort bien pour sa -nourriture, son sommeil, et ses prières.</p> - -<p>Lorsqu’il vint à Rome, Néron, qui n’était pas encore -confirmé dans l’empire, apprit que les Juifs lui cherchaient -querelle au sujet de leur loi et de la foi chrétienne ; -mais il n’y prit point garde et laissa Paul aller -librement où il voulait. Saint Jérôme, de son côté, -raconte que, la vingt-cinquième année après la passion du -Seigneur, et la seconde année du règne du Néron, Paul -vint à Rome comme prisonnier, mais y resta deux ans -libre, puis, relâché par l’empereur, alla prêcher l’évangile -en Occident, et fut enfin décapité le même jour où -saint Pierre fut crucifié, dans la quatorzième année du -règne de Néron.</p> - -<p>Sa science et sa piété étaient si éclatantes qu’il eut -même pour disciples et pour amis plusieurs familiers de -la maison de Néron, et que lecture fut faite devant -Néron de quelques-uns de ses écrits. Un soir qu’il prêchait -dans une cour, un jeune homme nommé Patrocle, -que Néron aimait beaucoup, monta sur une fenêtre pour -mieux l’entendre : il tomba de la fenêtre et se tua. Ce -qu’apprenant, Néron, désolé de sa mort, lui choisit un -successeur ; mais Paul se fit apporter le cadavre de -Patrocle, le ressuscita, et l’envoya chez Néron avec ses -compagnons. Et Néron, effrayé de cette visite de -l’homme qu’il savait mort, refusa d’abord de le recevoir. -Puis, quand il l’eut reçu : « Patrocle, tu es vivant ? » -Et lui : « Oui, César ! » Et Néron : « Qui t’a rendu la -vie ? » Et lui : « Jésus-Christ, roi des siècles ! » Alors, -Néron, furieux : « Et ainsi, c’est ce roi que tu sers ? » Et -lui : « Puissé-je servir celui qui m’a réveillé des morts ! » -Au même instant cinq autres des familiers de l’empereur, -qui se trouvaient là, lui dirent : « César, pourquoi -t’irriter contre un jeune homme qui te répond la vérité ? -Sache donc que, nous aussi, nous sommes les soldats de -ce roi invincible ! » Ce qu’entendant, Néron les fit jeter -en prison, malgré toute l’amitié qu’il avait eue pour eux. -<span class="pagenum" id="p326">-326-</span> Puis il fit rechercher tous les chrétiens, et, sans les -interroger, les condamna tous aux plus affreux supplices. -Et quand Paul, enchaîné, comparut devant lui : « Serviteur -d’un grand roi, mais mon prisonnier ; pourquoi -détournes-tu de leur devoir mes officiers ? » Et Paul : -« Ce n’est pas seulement à ta cour que je recrute mes -soldats, mais dans le monde entier. Et toi-même, si tu -veux te soumettre à notre loi, tu seras sauvé ! Ce roi est -si puissant, qu’il viendra juger tous les hommes et brûlera -ce monde ! » Sur quoi Néron, furieux de ces paroles -fit brûler tous les chrétiens à l’exception de Paul, qu’il -condamna à avoir la tête tranchée comme coupable de -lèse-majesté. Et tel fut le massacre des chrétiens que le -peuple de Rome envahit le palais, menaçant de se révolter, -et disant : « César, mets un terme au massacre, car -les hommes que tu fais périr sont nos parents, et les -meilleurs soutiens de l’empire ! » Si bien que l’empereur, -effrayé, révoqua son édit, et déclara qu’il se réservait le -droit de juger les chrétiens.</p> - -<p>Paul comparut donc une seconde fois devant lui. Et -Néron, repris de fureur à sa vue, s’écria : « Emmenez -d’ici et décapitez ce malfaiteur ! » Et Paul : « Néron, ma -souffrance ne durera que quelques instants, et puis je -vivrai pendant une éternité auprès de mon maître Jésus ! » -Et Néron : « Coupez-lui la tête, pour qu’il sache que je -suis plus fort que son maître ! Et nous verrons bien, -ensuite, s’il vit encore ! » Et Paul : « Pour que tu saches -que je continuerai de vivre après la mort de mon corps, -je t’apparaîtrai vivant quand on m’aura coupé la tête ! -Ainsi tu verras que le Christ est le Dieu de la vie, et -non pas de la mort ! » Puis il se laissa conduire au lieu -de son supplice.</p> - -<p>En chemin, les trois soldats qui le conduisaient lui -dirent : « Quel est donc ce roi que vous aimez tant, et -quelle récompense attendez-vous de lui ? » Paul leur parla -si bien du royaume de Dieu qu’il les convertit. Ils le -prièrent de s’enfuir. Et lui : « Non, mes frères, je ne -suis pas un fuyard, mais un soldat du Christ. Quand je -serai mort, des fidèles enlèveront mes restes, pour les -<span class="pagenum" id="p327">-327-</span> transporter en un certain lieu. Et vous, venez en ce lieu -demain matin ! Vous y trouverez deux hommes en prière, -nommés Tite et Luc ; Vous leur direz pourquoi je vous -ai envoyés vers eux ; ils vous baptiseront, et vous serez -admis au royaume céleste. » Survinrent alors deux autres -soldats, envoyés par Néron pour voir s’il avait subi sa -peine. Et comme il voulait également les convertir, ils -lui dirent : « Si tu ressuscites après ta mort, nous croirons -à tes paroles ; mais, maintenant, marche plus vite -pour aller recevoir le châtiment qui t’est dû ! » Un -peu plus loin, sous la porte d’Ostie, il rencontra une -femme chrétienne appelée Plautille, qu’on appelait aussi -Lemobie ; et cette femme, toute en larmes, se recommanda -à ses prières. Et Paul lui dit : « Plautille, ma -chère enfant, prête-moi le voile dont tu recouvres ta -tête ; je m’en lierai les yeux et puis tu le reprendras ! » -Et les bourreaux se moquaient d’elle, disant : « Comment -peux-tu donner à cet imposteur un objet aussi -précieux ? »</p> - -<p>Parvenu au lieu de sa passion, Paul se tourna vers -l’Orient, et, les yeux levés au ciel, il pria longtemps. -Puis, ayant dit adieu à ses frères, il s’attacha autour des -yeux le voile de Plautille, s’agenouilla, tendit le cou, et -fut décapité. Et lorsque déjà sa tête était séparée de son -tronc, sa bouche prononça, en hébreu, le nom de Jésus, -que, vivante, elle avait eu tant de douceur à répéter sans -cesse ! De sa blessure jaillit d’abord un flot de lait, -jusque sur le manteau d’un soldat, puis le sang coula, -et de son corps s’exhala un parfum délicieux. Or Néron, -ayant appris tous ces miracles fut grandement effrayé, -et s’enferma chez lui avec ses confidents. Soudain, toutes -les portes étant fermées, Paul entra et lui dit : « César, -me voici, soldat du roi éternel et invincible ! Et toi, -malheureux, tu mourras d’une mort éternelle, pour avoir -injustement tué les serviteurs de ce roi ! » Cela dit, il -disparut. Néron, épouvanté, ne sut plus ce qu’il faisait. -Sur le conseil de ses amis, il fit remettre en liberté -Patrocle, Barnabé et les autres chrétiens. Cependant, -les soldats qui avaient conduit Paul vinrent le lendemain -<span class="pagenum" id="p328">-328-</span> matin au tombeau du martyr. Ils y trouvèrent Tite et -Luc occupés à prier, et, debout au milieu d’eux, Paul -lui-même. Tite et Luc en voyant les soldats, s’enfuirent, -et Paul disparut. Mais les soldats crièrent aux deux -disciples : « Nous ne venons pas ici pour vous persécuter, -mais pour recevoir de vous le baptême, ainsi -que nous l’a ordonné Paul, qui était tout à l’heure -debout près de vous ! » Ce qu’entendant, les disciples -revinrent sur leurs pas et les baptisèrent avec une -grande joie.</p> - -<p>La tête de Paul fut jetée dans une fosse avec une foule -d’autres, de telle sorte qu’on ne parvenait guère à la -retrouver. Mais un jour, comme on vidait la fosse, un -berger ramassa un crâne, du bout de son bâton, et le -mit dans son étable. Et pendant trois nuits ce berger et -son maître virent une lumière ineffable briller au-dessus -de ce crâne. Ce qu’apprenant, l’évêque et les fidèles -reconnurent que c’était la tête de Paul. On la porta -donc en grande pompe, et déjà l’on s’apprêtait à la placer -au-dessus du tronc lorsque le patriarche dit : « Tant -de saints martyrs ont eu leurs têtes jetées, pêle-mêle, -dans cette fosse, que nous ne pouvons pas être sûrs que -ceci soit la tête de saint Paul. Mettons-la donc plutôt à -ses pieds ; et si c’est vraiment sa tête, que le tronc se -retourne pour l’avoir sur ses épaules ! » Ainsi fut fait ; et -voilà que, à l’étonnement de tous, le corps se retourna -dans le cercueil ! Et tous, bénissant Dieu, reconnurent -que c’était bien là la tête de Paul. C’est du moins ce que -raconte saint Denis, dans sa lettre à Timothée.</p> - -<p>Grégoire de Tours affirme que les chaînes de saint Paul -font de nombreux miracles. Lorsque des fidèles désirent -avoir un peu de limaille de ces chaînes, un prêtre frotte -les chaînes avec une lime ; et parfois la limaille s’obtient -aussitôt, tandis que d’autres fois le prêtre a beau frotter -très longtemps, pas un grain de limaille ne tombe des -chaînes.</p> - -<p>On lit, dans le même Grégoire de Tours, qu’un désespéré -se préparait un lacet pour se pendre, tout en ne -cessant pas de répéter : « Saint Paul, viens à mon -<span class="pagenum" id="p329">-329-</span> secours ! » Alors lui apparut une ombre sinistre, qui -lui dit : « Hé mon ami, fais vite ce que tu as à faire ! » -Mais lui, tout en préparant son lacet, répétait toujours : -« Saint Paul, viens à mon secours ! » Et quand il eut -achevé le lacet, une autre ombre apparut, et dit à celle -qui exhortait l’homme à se tuer : « Fuis, malheureux, -car voici saint Paul qui arrive ! » Aussitôt l’ombre sinistre -s’évanouit, et l’homme, revenant à lui, jeta son lacet et -fit pénitence.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c91">XCI<br /> -LES SEPT FILS DE SAINTE FÉLICITÉ, <span class="small">MARTYRS<br /> -(10 juillet)</span></h2> - - -<p>Sainte Félicité eut sept fils, nommés Janvier, Félix, -Philippe, Sylvain, Alexandre, Vital et Martial. Par ordre -de l’empereur Antonin, le préfet Publius fit venir leur -mère, et lui conseilla d’avoir pitié d’elle-même et de ses -fils. Mais elle répondit : « Ni tes flatteries ne pourront -me séduire, ni tes menaces m’effrayer : car l’Esprit-Saint -qui est en moi m’assure que, vivante, je te vaincrai, et, -morte, mieux encore ! » Puis, se tournant vers ses fils, -elle leur dit : « Mes fils, levez les yeux au ciel, et voyez -le Christ qui nous y attend ! Et puis combattez courageusement -pour le Christ et montrez-vous fidèles dans -son amour ! » Ce qu’entendant, le préfet la fit souffleter. -Mais comme la mère et ses fils persévéraient dans leur -foi, les sept jeunes gens furent condamnés à des supplices -divers, sous les yeux de leur mère, qui leur prodiguait -les encouragements. Aussi, saint Grégoire, dans -ses homélies, appelle-t-il sainte Félicité « plus que martyre », -car elle souffrit sept fois dans ses sept fils, et une -huitième fois dans son propre corps. Elle-même, en -effet, après avoir vu mourir ses enfants, reçut à son tour -la palme du martyre. Leur mort eut lieu vers l’an du -Seigneur 110.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p330">-330-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c92">XCII<br /> -SAINT ALEXIS, <span class="small">CONFESSEUR<br /> -(17 juillet)</span></h2> - - -<p>Alexis était fils d’Euphémien, noble romain qui occupait -une des premières places à la cour de l’empereur, -et qui avait à son service trois mille esclaves vêtus de -soie avec des ceintures dorées. Euphémien était, avec -cela, un homme très charitable : tous les jours on préparait -chez lui trois tables, pour les pauvres, les orphelins, -les veuves et les étrangers ; et c’était Euphémien -lui-même qui les servait ; après quoi, à neuf heures, il -prenait enfin son repas, en compagnie d’autres hommes -bons et pieux comme lui. Sa femme, nommée Aglaé, -partageait sa foi et tous ses sentiments. Longtemps ils -n’eurent point d’enfants ; mais le ciel, cédant à leurs -prières, finit par leur accorder un fils ; et, dès qu’ils -l’eurent, ils firent vœu de vivre désormais dans la chasteté.</p> - -<p>L’enfant reçut l’instruction la plus libérale ; et plus -tard, quand il fut parvenu à la puberté, on choisit dans -la maison de l’empereur une belle jeune fille qu’on lui -donna pour femme. Mais, la nuit des noces, dès qu’il se -trouva seul dans sa chambre avec sa jeune femme, il se -mit à l’instruire dans la crainte de Dieu et à lui inspirer -le goût de la virginité ; puis il lui remit son anneau d’or -et le ruban qui lui servait de ceinture, et il lui dit : -« Prends cela et garde-le aussi longtemps que Dieu le -voudra ; et que le Seigneur soit entre nous ! » Le lendemain, -emportant une partie de son bien, il s’embarqua -secrètement sur un navire qui le conduisit à Laodicée ; -et il se rendit, de là, à Edesse, ville de Syrie, où l’on -conservait l’image de Jésus-Christ miraculeusement -gravée sur un linge.</p> - -<p>Arrivé dans cette ville, il distribua aux pauvres tout -l’argent qu’il avait apporté avec lui, se vêtit de haillons, -<span class="pagenum" id="p331">-331-</span> et s’installa parmi la foule des mendiants, à l’entrée de -l’église de Notre-Dame. Et, sur les aumônes qu’il recevait, -il ne gardait pour lui que ce qui était strictement -nécessaire : le reste allait aux autres pauvres de la -ville.</p> - -<p>Or son père Euphémien, désolé de son départ, envoya -aux quatre coins du monde des serviteurs chargés de le -retrouver. Et quelques-uns de ces serviteurs vinrent à -Edesse, ou, sans reconnaître Alexis, ils lui firent l’aumône -ainsi qu’à d’autres mendiants : ce dont Alexis remercia -Dieu, disant : « Je te rends grâce, Seigneur, de -ce que tu m’aies permis de recevoir l’aumône de mes serviteurs ! » -Cependant les serviteurs, de retour à Rome, -déclarèrent à ses parents que nulle part ils n’avaient pu -le retrouver. Sa mère, dès le jour de son départ, avait -étendu un sac sur le pavé de sa chambre, en disant : « Je -passerai toutes mes nuits à pleurer sur ce sac, jusqu’à -ce que mon fils me soit rendu ! » Et la femme d’Alexis -avait dit à sa belle-mère : « Jusqu’à ce que j’aie eu des -nouvelles de mon cher mari, je resterai près de toi -comme une tourterelle solitaire ! » Or, après qu’Alexis -eut servi Dieu pendant dix-sept ans sous le porche de -l’église, l’image miraculeuse de la Vierge, qui était dans -cette église, dit au gardien : « Fais entrer l’homme de -Dieu, car il est digne du royaume céleste, et l’esprit -divin repose sur lui, et sa prière monte comme l’encens -jusqu’au visage de Dieu ! » Le gardien ne savait pas de -qui la Vierge voulait parler ; mais elle lui dit : « Le -mendiant qui se trouve à la porte de l’église, c’est lui ! » -Alors le gardien s’empressa de faire entrer Alexis dans -l’église, ce qui valut au mendiant l’attention et le respect -de tous. Mais lui, afin de fuir la gloire humaine, revint -à Laodicée, où il s’embarqua sur un vaisseau qui partait -pour Tarse en Cilicie. Et ce vaisseau, par la volonté de -Dieu, se trouva jeté dans le port de Rome. Ce que -voyant, Alexis se dit : « Sans me faire connaître, je demeurerai -dans la maison de mon père, de façon à n’être -à charge à personne ! » Rencontrant donc son père qui -revenait du palais, entouré d’une foule de quémandeurs, -<span class="pagenum" id="p332">-332-</span> il alla au-devant de lui, et lui dit : « Serviteur de Dieu, -je suis étranger. Daigne m’admettre dans ta maison et -me laisser manger les miettes de ta table, afin que, si -quelqu’un des tiens se trouve à l’étranger, Dieu ait pareillement -pitié de lui ! » Sur quoi son père, se souvenant -de son fils, offrit à l’étranger une chambre dans sa maison, -le fit nourrir des mets de sa propre table, et attacha -à sa personne un serviteur spécial. Mais lui, il passait -tout son temps en prières, macérant son corps par le -jeûne et les veilles. Et les familiers de la maison se moquaient -de lui et lui versaient de l’eau sale sur la tête : -mais il supportait tout sans jamais se plaindre.</p> - -<p>Il vécut ainsi dix-sept ans, inconnu, dans la maison -de son père. Puis, l’Esprit-Saint lui ayant annoncé que le -terme de sa vie était proche, il se procura un papier -avec de l’encre, et consigna par écrit toute l’histoire de -sa vie.</p> - -<p>Le dimanche suivant, après la messe, une voix se fit -entendre dans le temple, disant : « Venez à moi, vous -tous qui souffrez, et je vous consolerai ! » Ce qu’entendant, -toute la foule, effrayée, se prosterna la face contre -terre. Et la voix dit de nouveau : « Cherchez l’homme de -Dieu, afin qu’il prie pour Rome ! » On chercha sans -trouver personne. Alors la voix dit : « Cherchez dans la -maison d’Euphémien ! » Mais celui-ci, interrogé, répondit -qu’il ne connaissait point l’homme qu’on cherchait.</p> - -<p>Alors les empereurs Arcade et Honorius se rendirent -dans sa maison avec le pape Innocent ; et voici que le -serviteur chargé d’Alexis vint trouver son maître et lui -dit : « Seigneur, peut-être l’homme qu’on cherche est-il -votre étranger, car personne ne l’égale en patience et -en sainteté ! » Aussitôt Euphémien courut à la chambre -de l’étranger ; il trouva celui-ci déjà mort, mais avec un -visage illuminé comme celui d’un ange. Et Euphémien -voulut prendre le papier qu’il tenait en main, mais le -mort refusa de s’en dessaisir. Ce qu’apprenant, les empereurs -et le pontife s’approchèrent de lui à leur tour, et -lui dirent : « Quelque pécheurs que nous soyons, nous -<span class="pagenum" id="p333">-333-</span> tenons le gouvernail de l’empire, et le pontife que voici -préside à tout le troupeau de l’Eglise. Donne-nous donc -ce papier, pour que nous sachions ce qui y est écrit ! » -Et le pape voulut prendre le papier de la main du mort, -qui aussitôt le lui abandonna. Lecture publique en fut -faite devant la foule, parmi laquelle se trouvait Euphémien.</p> - -<p>Aussitôt qu’il apprit la vérité, Euphémien fut si désespéré -qu’il perdit connaissance et s’affaissa sur le sol. -Puis, revenant un peu à lui, il déchira ses vêtements, -s’arracha les cheveux et la barbe ; et, se roulant sur le -corps de son fils, il disait : « Hélas, mon fils, pourquoi -m’as-tu tant affligé et laissé gémir pendant si longtemps ? » -De son côté, la mère d’Alexis, les vêtements -déchirés et les cheveux en désordre, levait les yeux au -ciel, s’écriant : « O hommes, laissez-moi passer, pour que -je voie mon fils, la consolation de mon âme, celui qui a -sucé le lait de mes mamelles ! » Puis, parvenue auprès -du corps, elle s’étendit sur lui en gémissant : » Hélas, -mon fils, lumière de mes yeux, pourquoi as-tu si cruellement -agi envers nous ? Tu nous voyais pleurer, ton père -et moi, et tu ne te montrais pas à nous ! Les esclaves t’injuriaient -et tu ne disais rien ! » Puis elle reprenait, en couvrant -de baisers son angélique visage : « Pleurez tous avec -moi, vous qui êtes ici : car, pendant dix-sept ans, je l’ai eu -dans ma maison sans savoir que c’était mon fils ! » -Et la femme d’Alexis, toute vêtue de deuil, accourut en -pleurant, et dit : « Malheur à moi, qui désormais suis -veuve, et n’ai plus personne sur qui lever les yeux ! » -Et la foule, entendant ces discours, pleurait amèrement.</p> - -<p>Alors le pontife et les empereurs placèrent le corps -sur un dais somptueux, le firent conduire à travers -la ville, et firent annoncer qu’on avait enfin trouvé -l’homme de Dieu que tout le monde, jusque-là, avait -cherché en vain. Et tout le monde accourait au-devant du -saint. Et les malades qui touchaient son corps étaient -aussitôt guéris, les aveugles recouvraient la vue, les possédés -étaient affranchis de leur possession. Si bien que -les deux empereurs, à la vue de tant de miracles, voulurent -<span class="pagenum" id="p334">-334-</span> porter eux-mêmes le dais avec le pontife, afin -d’être sanctifiés par le contact du corps. Ils ordonnèrent -aussi de distribuer au peuple de l’or et de l’argent, -de manière à détourner son attention et à permettre que -le corps du saint poursuivît son chemin jusqu’à l’église. -Mais la foule, oubliant son amour de l’argent, se précipitait, -de plus en plus abondante, pour toucher le corps -d’Alexis ; et c’est à grand’peine, que celui-ci put enfin -parvenir jusqu’à l’église de Saint-Boniface, où, en l’espace -d’une semaine, on lui éleva un monument tout orné -d’or et de pierres précieuses. C’est dans ce monument -que fut placé son corps : et un parfum si doux s’en exhalait, -que tous croyaient que le monument était rempli -d’aromates.</p> - -<p>Saint Alexis mourut le dix-septième jour de juillet, en -l’an du Seigneur 398.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c93">XCIII<br /> -SAINTE MARGUERITE, <span class="small">VIERGE ET MARTYRE<br /> -(20 juillet)</span></h2> - - -<p>Marguerite naquit à Antioche, où son père, Théodose, -était patriarche de la religion païenne. Après sa naissance, -elle fut confiée aux soins d’une nourrice chez qui -elle s’instruisit de la foi du Christ : de telle sorte que, -parvenue à l’âge adulte, elle reçut le baptême, ce qui -lui valut la haine de son père. Or, un jour que, âgée de -quinze ans, elle s’occupait avec d’autres jeunes filles a -garder les brebis de sa nourrice, le préfet Olybrius vint -à passer près de l’endroit où elle se trouvait, et, voyant, -une jeune fille d’une beauté merveilleuse, ne tarda pas -à s’enflammer d’amour pour elle. Il appela donc ses serviteurs -et leur dit : « Allez vous emparer de cette jeune -fille : si elle est de naissance libre, je la prendrai pour -femme ; si elle est esclave, j’en ferai ma concubine. » Et -<span class="pagenum" id="p335">-335-</span> quand l’enfant lui fut amenée, il l’interrogea sur sa condition, -son nom et sa religion. Elle répondit qu’elle -était de condition noble, qu’elle s’appelait Marguerite, et -qu’elle était chrétienne. Alors le préfet : « Les deux premières -de ces trois choses te conviennent à merveille, -car tout est noble en toi, et il n’y a point de perle (<i lang="la" xml:lang="la">margarita</i>) -qui égale ta beauté. Mais la troisième chose ne -te convient pas, c’est-à-dire qu’une jeune fille si belle -et si noble ait, pour Dieu, un crucifié. » Et elle : « D’où -sais-tu que le Christ a été crucifié ? » Et lui : « Je l’ai lu -dans les livres des chrétiens ! » Et Marguerite : « Puisque -tu as lu ces livres, tu y as vu à la fois le supplice du -Christ et sa gloire ; comment donc oses-tu croire à l’un -et nier l’autre ? » Après quoi elle lui affirma que le Christ -s’était spontanément soumis à son supplice pour notre -rédemption, mais que, maintenant, il vivait de la vie -éternelle. Et le préfet, irrité, la fit jeter en prison.</p> - -<p>Le lendemain, il la manda de nouveau, et lui dit : -« Enfant stupide, aie pitié de ta beauté, et adore nos -dieux, si tu veux être heureuse ! » Mais elle : « J’adore -celui qui fait trembler la terre, qui épouvante la mer et -que craignent toutes les créatures ! » Et le préfet : « Si -tu ne me cèdes, je ferai lacérer ton corps ! » Mais elle : -« Je n’ai pas de souhait plus cher que de mourir pour -le Christ, qui s’est condamné lui-même à mourir pour -moi ! » Alors le préfet la fit attacher à un chevalet ; et on -la battit si cruellement, d’abord avec des verges, puis -avec des pointes de fer, que ses os furent mis à nu, et -que le sang jaillit de son corps comme d’une source -pure. Et tous les assistants disaient : « O Marguerite, -quelle pitié nous avons de toi ! Oh ! quelle beauté tu as -perdue par ton incrédulité ! Mais à présent, du moins, -pour conserver ta vie, reviens à la vraie foi ! » Et elle : -« O mauvais conseillers, éloignez-vous de moi ! Ce supplice -de ma chair est le salut de mon âme ! » Puis, -s’adressant au préfet : « Chien insatiable et impudent, -tu as pouvoir sur ma chair, mais mon âme n’appartient -qu’au Christ ! » Cependant le préfet, n’ayant pas la force -de voir une telle effusion de sang, se cachait le visage -<span class="pagenum" id="p336">-336-</span> avec son manteau. Il la fit enfin détacher du chevalet, et -ordonna qu’elle fût reconduite dans sa prison, qui, aussitôt, -s’illumina d’une immense clarté.</p> - -<p>Dans sa prison, Marguerite pria le Seigneur de lui -faire apparaître, sous forme visible, l’ennemi qui luttait -contre elle. Et voici que lui apparut un dragon hideux, -qui voulut se jeter sur elle pour la dévorer. Mais elle fit -le signe de la croix, et le dragon disparut. Ou encore, -comme l’affirme une légende, le monstre la saisit par la -tête et l’introduisit dans sa bouche ; et c’est alors qu’elle -fit un signe de croix par la vertu duquel le dragon creva, -et la vierge sortit de son corps sans avoir aucun mal. -Mais cette légende est apocryphe, et on s’accorde à la -tenir pour une fable sans fondement.</p> - -<p>S’obstinant à vouloir tromper Marguerite, le démon -lui apparut sous la forme d’un jeune homme. Et comme -elle s’était mise en prières, il s’approcha d’elle, lui prit -la main, et lui dit : « Que ce que tu as déjà fait te suffise : -cesse maintenant de me tourmenter ! » Mais Marguerite -le saisit par la tête, l’étendit à terre, et, posant -sur lui son pied droit, elle dit : « Démon orgueilleux, -prosterne-toi sous le pied d’une femme ! » Mais le démon -criait : « O Marguerite, je suis vaincu, et, pour comble -de honte, vaincu par une petite fille, et dont le père et -la mère ont été mes amis ! »</p> - -<p>La sainte le força à lui dire pourquoi il était venu : -c’était pour l’engager à obéir aux ordres du préfet. -Elle lui demanda ensuite pourquoi il tentait si obstinément -les chrétiens. Il répondit que c’était, d’abord, parce -qu’il haïssait tous les hommes vertueux, et ensuite -parce que, dans sa jalousie, il voulait ôter aux chrétiens -un bonheur que, lui-même, il avait perdu. Il ajouta que -Salomon avait enfermé dans un vase une foule de -démons, mais que, après sa mort, les hommes, en voyant -du feu sortir de ce vase, s’étaient figuré qu’il contenait -un trésor, l’avaient brisé, et avaient ainsi remis les -démons en liberté. Enfin Marguerite, ayant forcé le -démon à tous ces aveux, souleva son pied et dit : « Va-t’en, -misérable ! » Et aussitôt le démon s’enfuit.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p337">-337-</span> Ayant vaincu le prince, elle n’eut pas de peine à -vaincre son ministre. Le lendemain, comme de nouveau -elle se refusait à sacrifier aux idoles, elle fut dépouillée -de ses vêtements et brûlée avec des torches ardentes ; et -tous s’étonnaient qu’une enfant pût supporter tant de -supplices divers. Seul, le préfet resta impitoyable : pour -aggraver sa douleur par la variété des souffrances, il la -fit plonger dans un bassin plein d’eau ; mais aussitôt la -terre trembla, le bassin se brisa, et la jeune fille en sortit -saine et sauve sous les yeux de la foule. Ce que voyant, -cinq mille personnes se convertirent, et furent punies de -mort pour le nom du Christ. Enfin le préfet, redoutant -d’autres conversions, ordonna qu’elle fût au plus vite -décapitée. Mais elle, après avoir obtenu la permission -de faire une prière, pria pour elle-même et pour ses -persécuteurs, et aussi pour ceux qui, par la suite, invoqueraient -son nom. Elle demanda, en particulier, que -toutes les fois qu’une femme en couches invoquerait son -nom, l’enfant pût naître sans avoir aucun mal. Et une voix -du ciel lui dit que toutes ses prières étaient exaucées. -Alors, se relevant, elle dit au bourreau : « Mon frère, -tire maintenant ton épée et frappe-moi ! » Le bourreau, -d’un seul coup, lui trancha la tête ; et c’est ainsi qu’elle -reçut la couronne du martyre, le quatorzième jour des -calendes d’août, suivant les uns, suivant d’autres le troisième -jour des ides de juillet.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c94">XCIV<br /> -SAINTE PRAXÈDE, <span class="small">VIERGE<br /> -(21 juillet)</span></h2> - - -<p>Praxède, vierge, et sa sœur Pudentienne, eurent pour -frères les saints Donat et Timothée, qui furent instruits -dans la foi par les apôtres. Au milieu des persécutions, -elles ensevelirent les corps de nombreux chrétiens. Elles -<span class="pagenum" id="p338">-338-</span> distribuèrent aussi aux pauvres tous leurs biens. Et elles -s’endormirent enfin dans le Seigneur, vers l’an 165, sous -le règne des empereurs Marc et Antoine II.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c95">XCV<br /> -SAINTE MARIE-MADELEINE, <span class="small">PÉCHERESSE<br /> -(22 juillet)</span></h2> - - -<p>I. Marie-Madeleine naquit de parents nobles, et qui -descendaient de famille royale. Son père s’appelait Syrus, -sa mère Eucharie. Avec son frère Lazare et sa sœur -Marthe, elle possédait la place forte de Magdala, voisine -de Genézareth, Béthanie, près de Jérusalem, et une -grande partie de cette dernière ville ; mais cette vaste -possession fut partagée de telle manière que Lazare eut -la partie de Jérusalem, Marthe, Béthanie, et que Magdala -revint en propre à Marie, qui tira de là son surnom de -Magdeleine. Et comme Madeleine s’abandonnait tout -entière aux délices des sens, et que Lazare servait dans -l’armée, c’était la sage Marthe qui s’occupait d’administrer -les biens de sa sœur et de son frère. Tous trois, -d’ailleurs, après l’ascension de Jésus-Christ, vendirent -leurs biens et en déposèrent le prix aux pieds des -apôtres.</p> - -<p>Autant Madeleine était riche, autant elle était belle ; -et elle avait si complètement livré son corps à la volupté -qu’on ne la connaissait plus que sous le nom de la -Pécheresse. Mais, comme Jésus allait prêchant çà et là, -elle apprit un jour, sous l’inspiration divine, qu’il s’était -arrêté dans la maison de Simon le lépreux ; et aussitôt -elle y courut ; mais, n’osant pas se mêler aux disciples, -elle se tint à l’écart, lava de ses larmes les pieds du -Seigneur, les essuya de ses cheveux et les oignit d’un -onguent précieux : car l’extrême chaleur forçait les habitants -<span class="pagenum" id="p339">-339-</span> de cette région à se servir, plusieurs fois par jour, -d’eau et d’onguent. Et comme le Pharisien Simon s’étonnait -de voir qu’un prophète se laissât toucher par une -prostituée, le Seigneur le blâma de son orgueilleuse -justice, et dit que tous les péchés de cette femme lui -étaient remis. Et, depuis lors, il n’y eut point de grâce -qu’il n’accordât à Marie-Madeleine, ni de signe d’affection -qu’il ne lui témoignât. Il chassa d’elle sept démons, -il l’admit dans sa familiarité, il daigna demeurer chez -elle, et, en toute occasion, se plut à la défendre. Il la -défendit devant le pharisien qui la disait impure, et -devant sa sœur Marthe, qui l’accusait de paresse, et -devant Judas, qui lui reprochait sa prodigalité. Et il ne -pouvait la voir pleurer sans pleurer lui-même. C’est par -faveur pour elle qu’il ressuscita son frère, mort depuis -quatre jours, qu’il guérit Marthe d’un flux de sang dont -elle souffrait depuis sept ans, et qu’il choisit la servante -de Marthe, Martille, pour prononcer cette parole mémorable : -« Bienheureux le ventre qui t’a porté ! » Madeleine -eut aussi l’honneur d’assister à la mort de Jésus, au -pied de la croix ; c’est elle qui oignit de parfum le corps -de Jésus après sa mort, et qui resta près du tombeau -tandis que tous les disciples s’en étaient éloignés, et à -qui Jésus ressuscité apparut tout d’abord.</p> - -<p>Après l’ascension du Seigneur, la quatorzième année -après la Passion, les disciples se répandirent dans les -diverses contrées pour y semer la parole divine ; et saint -Pierre confia Marie-Madeleine à saint Maximin, l’un des -soixante-douze disciples du Seigneur. Alors saint -Maximin, Marie-Madeleine, Lazare, Marthe, Martille, -et avec eux saint Cédon, l’aveugle-né guéri par Jésus, -ainsi que d’autres chrétiens encore, furent jetés par les -infidèles sur un bateau et lancés à la mer, sans personne -pour diriger le bateau. Les infidèles espéraient que, de -cette façon, ils seraient tous noyés à la fois. Mais le -bateau, conduit par la grâce divine, arriva heureusement -dans le port de Marseille. Là, personne ne voulut recevoir -les nouveaux venus, qui s’abritèrent sous le portique -d’un temple. Et, lorsque Marie-Madeleine vit les -<span class="pagenum" id="p340">-340-</span> païens se rendre dans leur temple pour sacrifier aux -idoles, elle se leva, le visage calme, se mit à les détourner -du culte des idoles et à leur prêcher le Christ. Et tous -l’admirèrent, autant pour son éloquence que pour sa -beauté : éloquence qui n’avait rien de surprenant dans -une bouche qui avait touché les pieds du Seigneur.</p> - -<p>II. Or le chef de la province se rendit dans le temple -pour sacrifier aux idoles, espérant obtenir ainsi un -enfant, car leur mariage était resté sans fruit. Mais -Madeleine, par sa prédication, les dissuada de sacrifier -aux idoles. Et, quelques jours après, elle apparut en -rêve à la femme de ce chef et lui dit : « Pourquoi, étant -riches, laissez-vous mourir de faim et de froid les serviteurs -de Dieu ? » Et elle la menaça de la colère divine -si elle se refusait à faire en sorte que son mari devînt -plus charitable. Mais la femme eut peur de parler à son -mari de cette vision. Madeleine lui apparut encore la -nuit suivante ; et, de nouveau, elle négligea d’en avertir -son mari. Enfin, la troisième nuit, Madeleine se montra, -tout irritée et le visage enflammé, et elle lui reprocha -amèrement la dureté de son cœur. La femme se réveilla -toute tremblante, et vit que son mari tremblait aussi. -« Seigneur, lui dit-elle, as-tu vu de ton côté ce que j’ai -vu en rêve ? » Et le mari répondit : « J’ai vu la chrétienne, -qui m’a reproché mon manque de charité, et m’a menacé -de la colère divine. Que devons-nous faire ? » Et la -femme : « Mieux vaut lui obéir que d’encourir la colère -de son Dieu ! » Ils donnèrent donc l’hospitalité aux chrétiens, -et promirent de pourvoir à tous leurs besoins.</p> - -<p>Un jour que Marie-Madeleine prêchait, ce même chef -lui dit : « Te crois-tu en état de défendre la foi que tu -prêches ? » Et elle : « Certes, je suis prête à défendre -une foi qui se trouve encore fortifiée tous les jours par -les miracles et la prédication de mon maître Pierre, -l’évêque de Rome ! » Alors le chef et sa femme lui dirent : -« Nous t’obéirons en toute chose si tu parviens à obtenir -pour nous, de ton Dieu, la naissance d’un fils. » Et -Marie-Madeleine pria le Seigneur pour eux, et sa prière -fut entendue, car bientôt la femme se trouva enceinte.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p341">-341-</span> Alors le chef résolut de se rendre auprès de Pierre, -pour savoir de lui si ce que Madeleine disait du Christ -était vrai. Et sa femme lui dit : « Eh ! quoi, mon ami, -penses-tu donc partir sans moi ? » Et lui : « Je ne puis -songer à te prendre avec moi, car tu es enceinte, et les -dangers de la mer sont grands ! » Mais elle insista si fort, -comme savent faire les femmes, et se jeta à ses pieds -avec tant de larmes, qu’elle finit par obtenir ce qu’elle -demandait. Madeleine fit sur eux le signe de la croix, -pour les mettre à l’abri des pièges du démon, et ils partirent, -laissant à la garde de Madeleine tout ce qu’ils -n’emportaient pas avec eux sur le bateau. Or, après un -jour et une nuit du voyage, la mer se leva, la tempête -souffla ; et la femme du chef, accablée de frayeur et -toute secouée par l’orage, enfanta un fils avant le terme -naturel, et, l’ayant enfanté, mourut. Quant à l’enfant -nouveau-né, il tremblait de faim, cherchait vainement le -sein maternel et poussait des cris lamentables. Le malheureux -père se désespérait, disant : « Hélas ! que vais-je -faire ? J’ai désiré avoir un fils, et voilà que, par ce désir, -j’ai perdu à la fois ma femme et mon fils ! » Cependant les -matelots s’écriaient : « Qu’on jette à la mer ce cadavre, -car aussi longtemps qu’il sera avec nous la tempête continuera -à nous tourmenter ! » Déjà même ils s’étaient emparés -du cadavre pour le jeter à la mer, malgré les supplications -du pèlerin, lorsque apparut à l’horizon une terre -inconnue. L’apercevant, le pèlerin obtint des matelots, -à force de prières et de promesses, qu’on transportât sur -cette terre le cadavre de sa femme et l’enfant nouveau-né. -On aborda donc, et l’on se mit en devoir de creuser une -fosse. Mais le sol était si dur qu’on ne pouvait le creuser ; -de telle sorte que le pèlerin enveloppa le cadavre dans -un manteau, et le disposa dans un endroit écarté, après -lui avoir placé l’enfant sur la poitrine. Puis, après avoir -invoqué l’aide de Marie-Madeleine, il remonta à bord et -poursuivit sa route.</p> - -<p>Quand il arriva auprès de Pierre, celui-ci vint à sa -rencontre ; et, voyant sur son manteau le signe de la -croix, il lui demanda qui il était et d’où il venait. Le -<span class="pagenum" id="p342">-342-</span> pèlerin lui raconta toute son histoire. Et Pierre : « Que -la paix rentre en toi, et prends ton mal en patience ! Ta -femme dort et son enfant avec elle. Mais Dieu est puissant : -il peut tout enlever et tout rendre. Il pourra, s’il -le veut, changer ta tristesse en joie : » Pierre le conduisit -ensuite à Jérusalem, lui montra tous les lieux où le Christ -avait prêché et fait des miracles, le lieu de sa passion et -celui de son ascension ; et pendant deux ans il l’instruisit -dans la foi. Après quoi le pèlerin reprit la mer pour -rentrer dans sa patrie. Et comme, sur l’ordre de Dieu, le -vent avait poussé de nouveau le bateau près de l’île où -avaient été déposés la femme morte et l’enfant, le -pèlerin obtint des matelots la permission d’y aborder.</p> - -<p>Or, le petit garçon, dont Marie-Madeleine s’était -chargée, et sur qui elle veillait de loin pour le maintenir -en vie, venait souvent jouer dans le sable du rivage ; et -le pèlerin, en approchant de l’île, fut très surpris de -voir cet enfant en un tel lieu. L’enfant, de son côté, -n’ayant jamais vu aucun homme, prit peur, et se réfugia -auprès de sa mère morte, dont il téta le sein à son habitude. -Et le pèlerin, s’étant approché, aperçut sa -femme, qui semblait dormir, et un bel enfant qui lui -tétait le sein. Alors il prit l’enfant dans ses bras et -s’écria : « O bienheureuse Marie-Madeleine, combien ma -joie serait grande si seulement ma femme vivait encore -et pouvait rentrer avec moi dans notre patrie ! Et je sais -que toi, qui m’as donné un enfant, et qui pendant deux -ans as veillé sur lui, tu aurais le pouvoir d’obtenir du ciel -que la vie fût rendue à la mère ! » A peine avait-il ainsi -parlé que sa femme ouvrit les yeux, comme si elle -s’éveillait, et dit : « Bénie sois-tu, Marie-Madeleine, qui -m’as tenu lieu de sage-femme dans mes couches et m’as -fidèlement secourue dans tous mes besoins ! » Et le -pèlerin stupéfait : « Es-tu donc vivante, ma femme -chérie ? » Et elle : « Oui, certes ; et je reviens à présent -du pèlerinage dont tu reviens toi-même. Et, quand saint -Pierre te conduisait dans Jérusalem, te montrant tous les -lieux où a vécu et est mort le Christ, j’étais là aussi, -sous la conduite de sainte Marie-Madeleine. » Le pèlerin, -<span class="pagenum" id="p343">-343-</span> ravi de joie, remonta sur le bateau avec sa femme et -son enfant ; et, peu de temps après, ils entrèrent dans le -port de Marseille. Ils trouvèrent là Marie-Madeleine -occupée à prêcher avec ses disciples. Se jetant à ses -pieds, ils lui racontèrent tout ce qui leur était arrivé ; et -saint Maximin les baptisa solennellement.</p> - -<p>Alors les habitants de Marseille détruisirent tous les -temples des idoles, qu’ils remplacèrent par des églises -chrétiennes ; et, d’un consentement unanime, ils nommèrent -Lazare évêque de Marseille. Puis Marie-Madeleine -et ses disciples se rendirent à Aix, où, par de nombreux -miracles, ils convertirent le peuple à la foi du -Christ ; et saint Maximin y fut élu évêque.</p> - -<p>III. Cependant sainte Marie-Madeleine, désireuse de -contempler les choses célestes, se retira dans une grotte -de la montagne, que lui avait préparée la main des anges, -et pendant trente ans elle y resta à l’insu de tous. Il n’y -avait là ni cours d’eau, ni herbe, ni arbre ; ce qui signifiait -que Jésus voulait nourrir la sainte des seuls mets -célestes, sans lui accorder aucun des plaisirs terrestres. -Mais, tous les jours, les anges l’élevaient dans les airs, -où, pendant une heure, elle entendait leur musique ; -après quoi, rassasiée de ce repas délicieux, elle redescendait -dans sa grotte, sans avoir le moindre besoin d’aliments -corporels.</p> - -<p>Or, certain prêtre, voulant mener une vie solitaire, -s’était aménagé une cellule à douze stades de la grotte -de Madeleine. Et, un jour, le Seigneur lui ouvrit les yeux, -de telle sorte qu’il vit les anges entrer dans la grotte, -prendre la sainte, la soulever dans les airs et la ramener -à terre une heure après. Sur quoi le prêtre, afin de -mieux constater la réalité de sa vision, se mit à courir -vers l’endroit où elle lui était apparue ; mais, lorsqu’il -fut arrivé à une portée de pierre de cet endroit, tous ses -membres furent paralysés ; il en retrouvait l’usage -pour s’en éloigner, mais, dès qu’il voulait se rapprocher, -ses jambes lui refusaient leur service. Il comprit alors -qu’il y avait là un mystère sacré, supérieur à l’expérience -humaine. Et, invoquant le Christ, il s’écria : « Je t’en -<span class="pagenum" id="p344">-344-</span> adjure par le Seigneur ! si tu es une personne humaine, -toi qui habites cette grotte, réponds-moi et dis-moi la -vérité ! » Et, après qu’il eut répété trois fois cette adjuration, -sainte Marie-Madeleine lui répondit : « Approche-toi -davantage, et tu sauras tout ce que tu désires -savoir ! » Puis, lorsque la grâce du ciel eut permis au -prêtre de faire encore quelques pas en avant, la sainte -lui dit : « Te souviens-tu d’avoir lu, dans l’évangile, -l’histoire de Marie, cette fameuse pécheresse qui lava les -pieds du Sauveur, les essuya de ses cheveux, et obtint -le pardon de tous ses péchés ? » Et le prêtre : « Oui, je -m’en souviens ; et, depuis trente ans déjà, notre sainte -Eglise célèbre ce souvenir. » Alors la sainte : « Je suis -cette pécheresse. Depuis trente ans, je vis ici à l’insu de -tous ; et, tous les jours, les anges m’emmènent au ciel, où -j’ai le bonheur d’entendre de mes propres oreilles les -chants de la troupe céleste. Or, voici que le moment est -prochain où je dois quitter cette terre pour toujours. Va -donc trouver l’évêque Maximin, et dis-lui que, le jour -de Pâques, dès qu’il sera levé, il se rende dans son -oratoire : il m’y trouvera, amenée par les anges. » Et le -prêtre, pendant qu’elle lui parlait, ne la voyait pas, mais -il entendait une voix d’une suavité angélique.</p> - -<p>Il courut aussitôt vers saint Maximin, à qui il rendit -compte de ce qu’il avait vu et entendu, et, le dimanche -suivant, à la première heure du matin, le saint évêque, -entrant dans son oratoire, aperçut Marie-Madeleine -encore entourée des anges qui l’avaient amenée. Elle -était élevée à deux coudées de terre, les mains étendues. -Et, comme saint Maximin avait peur d’approcher, elle -lui dit : « Père, ne fuis pas ta fille ! » Et Maximin raconte -lui-même, dans ses écrits, que le visage de la sainte, accoutumé -à une longue vision des anges, était devenu si radieux, -qu’on aurait pu plus facilement regarder en face les -rayons du soleil que ceux de ce visage. Alors l’évêque, -ayant rassemblé son clergé, donna à sainte Marie-Madeleine -le corps et le sang du Seigneur ; et, aussitôt -qu’elle eut reçu la communion, son corps s’affaissa devant -l’autel et son âme s’envola vers le Seigneur. Et telle était -<span class="pagenum" id="p345">-345-</span> l’odeur de sa sainteté, que, pendant sept jours, l’oratoire -en fut parfumé. Saint Maximin fit ensevelir en grande -pompe le corps de la sainte, et demanda à être lui-même -enterré près d’elle, après sa mort.</p> - -<p>Le livre attribué par les uns à Hégésippe, par d’autres -à Josèphe, raconte l’histoire de Marie-Madeleine presque -de la même façon. Il ajoute seulement que le prêtre -trouva la sainte enfermée dans sa cellule, que, sur sa -demande, il lui donna un manteau dont elle se couvrit, -et que c’est avec lui qu’elle se rendit à l’église, où, après -avoir communié, elle s’endormit en paix devant l’autel.</p> - -<p>IV. Au temps de Charlemagne, Girard, duc de Bourgogne, -désolé de ne pouvoir pas avoir un fils, faisait de -grandes charités aux pauvres, et construisait nombre -d’églises et de monastères. Lorsqu’il eut ainsi construit -le monastère de Vézelay, l’abbé de ce monastère, sur sa -demande, envoya à Aix un moine avec une escorte, afin qu’il -essayât, si la chose était possible, de ramener de cette -ville le corps de sainte Madeleine. Le moine, en arrivant -à Aix, vit la ville détruite de fond en comble par les -païens ; mais un heureux hasard lui permit de découvrir un -tombeau de marbre qu’il supposa être celui de la sainte : -car toute l’histoire de celle-ci y était sculptée. La nuit -suivante, donc, le moine ouvrit le tombeau, prit les ossements -qui s’y trouvaient, et les rapporta à son hôtellerie. -Et, dans cette même nuit, sainte Madeleine, lui apparaissant -en rêve, lui dit d’être sans crainte et de poursuivre -son œuvre. Le moine s’en retourna vers son -monastère avec les précieuses reliques ; mais, quand il -arriva à une demi-lieue du monastère, ni lui ni ses compagnons -ne purent faire avancer davantage les reliques -jusqu’à ce que l’abbé fût venu au-devant d’elles, et les -eût fait solennellement conduire en procession.</p> - -<p>V. Un soldat, qui avait l’habitude de faire, tous les ans, -un pèlerinage au tombeau de sainte Madeleine, fut tué -dans un combat. Ses parents, pleurant autour de son -cercueil, reprochaient pieusement à la sainte d’avoir -permis que leur fils mourût sans confession. Et voilà que -tout à coup le mort, à la surprise générale, se leva et -<span class="pagenum" id="p346">-346-</span> demanda un prêtre. Puis, lorsqu’il se fut confessé et eut -reçu l’extrême-onction, aussitôt il s’endormit en paix -dans le Seigneur.</p> - -<p>VI. Sur un bateau en péril, une femme, qui était -enceinte, invoqua sainte Madeleine, faisant le vœu que, -si elle était sauvée et s’il lui naissait un fils, elle donnerait -cet enfant au monastère de la Madeleine. Alors une -femme d’apparence surnaturelle s’approcha d’elle, et, la -prenant par le menton, la conduisit saine et sauve jusqu’au -rivage : en récompense de quoi, la naufragée, -ayant mis au monde un fils, remplit fidèlement son vœu.</p> - -<p>VII. Certains auteurs racontent que Marie-Madeleine -était la fiancée de saint Jean l’Evangéliste, et que celui-ci -s’apprêtait à l’épouser lorsque le Christ, survenant au -milieu de ses noces, l’appela à lui : ce dont Madeleine -fut si indignée que, depuis lors, elle se livra tout entière -à la volupté. Mais c’est là une légende fausse et gratuite : -et le Frère Albert, dans sa préface à l’évangile de saint -Jean, nous affirme que la fiancée que le saint quitta pour -suivre Jésus, resta vierge toute sa vie, et vécut, plus -tard, dans la société de la Vierge Marie.</p> - -<p>VIII. Un aveugle se rendait en pèlerinage au monastère -de Vézelay. Lorsque l’homme qui le conduisait lui dit que -déjà on apercevait l’église, l’aveugle s’écria : « O sainte -Marie-Madeleine, ne me sera-t-il jamais donné de voir -ton église ? » Et aussitôt il recouvra la vue.</p> - -<p>IX. Un homme qui était en prison appela à son aide -Marie-Madeleine ; et, dans le nuit, une femme inconnue -lui apparut, qui brisa ses chaînes, lui ouvrit la porte de -la prison, et lui ordonna de s’enfuir.</p> - -<p>X. Un clerc de Flandre, nommé Etienne, était tombé -dans une telle dépravation qu’il se livrait à tous les vices, -et ne voulait pas même entendre parler des choses du -salut. Il gardait seulement une grande dévotion à Marie-Madeleine, -et ne manquait pas de jeûner la veille de sa -fête. Or, comme il visitait le tombeau de la sainte, celle-ci -lui apparut, tout en larmes, et soutenue des deux côtés -par des anges. Et elle lui dit : « Pourquoi, Etienne, te -conduis-tu d’une façon si indigne de moi ? Mais moi, du -<span class="pagenum" id="p347">-347-</span> jour où tu as commencé à m’invoquer, j’ai toujours prié le -Seigneur pour toi ! Maintenant donc, lève-toi et fais -pénitence, et je ne t’abandonnerai pas jusqu’à ce que tu -te sois réconcilié avec Dieu ! » Et Etienne se sentit -rempli d’une telle grâce divine que, renonçant au siècle, -il entra en religion, et mena depuis lors une vie parfaite. -A sa mort, on vit Marie-Madeleine descendre vers lui, -soutenue par deux anges, et emporter son âme au ciel -comme une blanche colombe.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c96">XCVI<br /> -SAINT APOLLINAIRE, <span class="small">MARTYR<br /> -(23 juillet)</span></h2> - - -<p>Apollinaire, disciple de l’apôtre Pierre, fut envoyé par -son maître, de Rome, à Ravenne, où il guérit la femme -d’un tribun et la baptisa, ainsi que son mari et toute sa -maison. Ce qu’apprenant, le magistrat de la ville le fit -arrêter et conduire au temple de Jupiter, pour qu’il y -sacrifiât aux idoles. Et comme Apollinaire, voyant l’or -et l’argent qui ornaient les idoles, s’écriait qu’on ferait -mieux de donner tout cela aux pauvres, il fut sur-le-champ -battu de verges et laissé à demi mort. Mais ses -disciples le recueillirent et, pendant sept mois, il vécut -dans la maison d’une veuve, où, peu à peu, les forces -lui revinrent.</p> - -<p>Il se rendit ensuite dans la ville de Classe, pour y -guérir un homme noble qui avait perdu la parole. Et, au -moment où il entrait dans la maison de cet homme, -une jeune fille possédée du démon s’écria : « Eloigne-toi, -serviteur de Dieu, ou bien je te ferai emporter hors -de la ville pieds et poings liés ! » Et Apollinaire ordonna -au démon qui était en elle de la quitter, ce qu’il fit aussitôt. -Puis, s’approchant du muet, il invoqua Dieu sur -<span class="pagenum" id="p348">-348-</span> lui et le guérit ; et plus de cinq cents personnes se convertirent -au Christ. Mais les païens, pour l’empêcher de -prononcer le nom de Jésus, le frappèrent de verges ; et -lui, gisant à terre, il continuait à proclamer le vrai -Dieu. Alors ils le firent se tenir debout, les pieds nus, -sur des pointes de fer ; et comme il continuait à prêcher -le Christ, ils le chassèrent de la ville.</p> - -<p>Apollinaire revint à Ravenne, où un patricien, nommé -Rufus, l’appela près de sa fille qui était malade. Et à -peine était-il entré dans la maison de Rufus que cette -jeune fille mourut. Alors Rufus : « Mieux eût valu que -tu n’entrasses point dans ma maison, car les dieux s’en -sont irrités, et ont refusé de guérir ma fille ! Et maintenant -que peux-tu pour elle ? » Mais Apollinaire : « Sois -sans crainte ; et jure-moi seulement que, si ta fille revient -à la vie, tu la laisseras librement se consacrer au service -de son Créateur ! » Rufus l’ayant juré, le saint fit une -prière, et aussitôt la jeune femme se leva ; après quoi, -confessant le Christ, elle reçut le baptême avec sa mère -et toute sa maison ; et elle resta vierge durant toute sa -vie.</p> - -<p>La nouvelle en étant parvenue à l’empereur, celui-ci -écrivit au préfet du prétoire que, si Apollinaire refusait -de sacrifier aux idoles, il eût à être envoyé en exil. Et -le préfet, pour obtenir d’Apollinaire qu’il sacrifiât aux -idoles, le fit battre de verges et attacher à un chevalet. -Et comme le saint continuait à prêcher le Christ, il fit -verser de l’eau bouillante dans ses plaies, le chargea de -chaînes et voulut que, dans cet état, il partît pour l’exil. -Mais les chrétiens, indignés à la vue d’une telle cruauté, -s’élancèrent sur les païens, dont ils tuèrent plus de deux -cents. Le préfet, épouvanté, se cacha dans son palais et -y fit cacher Apollinaire, qu’il fit ensuite transporter à -bord d’un bateau avec trois clercs, ses disciples. Mais, -sur le bateau, le saint échappa aux périls de la tempête -et convertit les deux soldats chargés de sa garde. Revenu -à Ravenne, il fut repris par les païens et conduit au -temple d’Apollon où, sur un signe de lui, la statue du -dieu se brisa en morceaux. Alors les prêtres le conduisirent -<span class="pagenum" id="p349">-349-</span> devant le juge Taurus ; mais celui-ci avait un fils -aveugle à qui le saint rendit la vue ; et le juge, émerveillé -de ce miracle, se convertit et, pendant quatre ans, -le saint demeura dans sa maison. Au bout de ce temps, -les prêtres l’accusèrent auprès de l’empereur Vespasien : -mais celui-ci se borna à dire que, si quelqu’un refusait -de sacrifier aux idoles, il aurait à être puni de l’exil ; ajoutant -que ce n’était pas aux hommes de venger les dieux, -mais aux dieux eux-mêmes, s’ils le jugeaient bon. Alors -le patricien Démosthène somma le saint de sacrifier aux -idoles ; et, sur son refus, il le livra à un centurion qui, -déjà, s’était secrètement converti au christianisme. Ce -centurion, pour dérober le saint à la fureur de la foule -païenne, le conduisit dans un faubourg habité par des -lépreux ; mais la foule le suivit jusque-là, le roua de -coups, et l’accabla de blessures mortelles. Il survécut -cependant toute une semaine encore, enseignant ses disciples. -Puis il rendit l’âme, et fut solennellement enseveli -par les chrétiens. Ce martyre eut lieu sous le règne -de Vespasien, vers l’an du Seigneur 70.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c97">XCVII<br /> -SAINTE CHRISTINE, <span class="small">VIERGE ET MARTYRE<br /> -(24 juillet)</span></h2> - - -<p>Christine, jeune fille noble, naquit à Tyr, en Italie. -Comme elle était fort belle, et que nombre d’hommes la -demandaient en mariage, ses parents, qui voulaient la -consacrer au culte des dieux, l’enfermèrent dans une -tour, avec douze suivantes, en compagnie d’idoles d’or -et d’argent. Mais elle, instruite par l’esprit divin, elle -avait horreur de sacrifier aux idoles, et jetait par la fenêtre -l’encens qu’elle aurait dû brûler devant les dieux. Et -ses suivantes dirent à son père ; « Ta fille, notre maîtresse, -<span class="pagenum" id="p350">-350-</span> dédaigne de sacrifier à nos dieux et se proclame -chrétienne ! » Le père voulut, par des caresses, ramener -sa fille au culte des dieux. Mais elle : « Ce n’est pas à -des dieux mortels, mais au Dieu céleste que j’offre mon -sacrifice ! » Et son père : « Ma fille, si tu n’offres de sacrifice -qu’à un seul Dieu, les autres dieux en seront fâchés ! » -Et elle : « Tu as raison sans t’en douter ; car le fait est -que j’offre mon sacrifice au Père, au Fils et au Saint-Esprit. » -Et le père : « Si tu adores trois dieux, pourquoi -refuses-tu d’adorer les autres ? » Mais elle : « Ces trois -dieux n’en forment qu’un seul ! »</p> - -<p>Christine brisa ensuite les idoles de son père et distribua -aux pauvres l’or et l’argent dont elles étaient -faites. Son père, furieux de sa désobéissance, la fit dévêtir, -et ordonna à douze de ses serviteurs de la frapper, -ce qu’ils firent jusqu’à ce que les forces leur manquèrent. -Alors Christine dit à son père : « Homme sans honneur, -sans pudeur et détesté de Dieu, vois : les bourreaux n’ont -plus la force de me frapper ! que ne demandes-tu à tes -dieux de leur rendre des forces ? » Le père la fit charger -de chaînes et jeter en prison.</p> - -<p>Ce qu’apprenant, sa mère déchira ses vêtements, et, -s’étant rendue auprès d’elle, se jeta à ses pieds et lui -dit : « Ma chère fille, lumière de mes yeux, aie pitié -de moi ! » Mais elle : « Je ne suis plus ta fille, mais bien -celle du Dieu dont je porte le nom ! » Enfin la mère, ne -parvenant pas à la persuader, revint vers son mari et lui -répéta ses réponses. Alors le père fit comparaître Christine -devant lui et lui dit : « Si tu ne veux pas sacrifier aux -dieux, c’est toi-même qui sera sacrifiée et tu cesseras -d’être ma fille ! » Mais elle : « Je te remercie du moins -de ce que tu ne m’appelles plus la fille du diable que tu -es ; car ce qui naît d’un diable ne peut être que diabolique ! » -Alors il ordonna qu’on lui déchirât les chairs -et qu’on rompît ses membres. Mais Christine, prenant -des morceaux de sa chair, les lui jetait au visage, et lui -disait : « Prends cela, tyran et mange cette chair que -tu as engendrée ! » Son père la fit ensuite attacher à une -roue et fit allumer sous elle un bûcher où l’on jeta de -<span class="pagenum" id="p351">-351-</span> l’huile ; mais une grande flamme en jaillit, qui tua quinze -cents personnes sans lui faire aucun mal.</p> - -<p>Son père, qui attribuait tous ces miracles à des artifices -magiques, la fit ramener en prison et ordonna -que, la nuit, elle fût jetée à la mer avec une grande -pierre attachée au cou. Mais aussitôt les anges la maintinrent -au-dessus de l’eau, et le Christ, descendant vers -elle, la baptisa dans la mer ; après quoi il la confia à -l’archange Michel, qui la ramena sur le rivage.</p> - -<p>Son père, exaspéré, lui dit : « Par quels maléfices parviens-tu -à dompter jusqu’aux flots de la mer ? » Mais -elle : « Homme malheureux et stupide, ne comprends-tu -pas que c’est le Christ qui m’accorde cette grâce ? » -Son père la fit jeter en prison, avec l’intention de la faire -décapiter le jour suivant ; mais, dans la nuit, ce mauvais -père, qui s’appelait Urbain, fut trouvé mort dans son -palais.</p> - -<p>Il eut pour successeur un magistrat non moins inique, -nommé Elius, qui la fit plonger dans une chaudière allumée -avec de l’huile, de la résine et de la poix ; et il ordonna -à quatre hommes de secouer la chaudière, pour activer -la flamme. Mais Christine louait Dieu de ce que, née -d’hier à la foi, il lui permît d’être bercée comme un -petit enfant. Et le juge, furieux, lui fit raser la tête et la -fit conduire nue à travers la ville jusqu’au temple d’Apollon ; -mais là, sur un signe d’elle, la statue du dieu tomba -en poussière ; ce dont le juge fut si effrayé qu’il en mourut.</p> - -<p>Il eut pour successeur Julien, qui fit plonger Christine -dans une fournaise ardente ; elle y resta cinq jours saine -et sauve, chantant avec des anges et se promenant avec -eux. Julien fit lancer sur elle deux aspics, deux vipères -et deux couleuvres. Mais les vipères lui léchèrent les -pieds, les aspics se pendirent sur sa poitrine, et les couleuvres, -s’enroulant autour de son cou, léchèrent sa sueur. -Alors Julien dit à son mage : « Profite de ton art pour -exciter ces bêtes ! » Mais les bêtes, aussitôt, se retournèrent -contre le mage et le tuèrent. Puis Christine leur -ordonna de se réfugier dans le désert ; et elle montra -<span class="pagenum" id="p352">-352-</span> encore son pouvoir en ressuscitant un mort. Alors Julien -lui fit trancher les mamelles, d’où jaillit du lait au lieu -de sang. Puis il lui fit couper la langue ; mais Christine -n’en continua pas moins de parler et, prenant un -morceau de sa langue coupée, elle le jeta au visage de -Julien, qui fut atteint à l’œil, et aussitôt perdit la vue. -Enfin Julien fit lancer deux flèches dans son cœur et -une dans son côté, et la sainte, ainsi frappée, mourut. -Cela se passait vers l’an du Seigneur 287, sous Dioclétien.</p> - -<p>Le corps de sainte Christine repose aujourd’hui dans -une place forte appelée Bolsène et qui est située entre -Viterbe et Civita-Vecchia. Quant à la ville de Tyr, qui -était située tout près de là, elle a été détruite de fond en -comble.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c98">XCVIII<br /> -SAINT JACQUES LE MAJEUR, <span class="small">APÔTRE<br /> -(25 juillet)</span></h2> - - -<p>I. L’apôtre Jacques, fils de Zébédée, après l’ascension du -Seigneur, prêcha d’abord en Judée et en Samarie, puis -il se rendit en Espagne pour y semer la parole divine. -Mais voyant que son séjour en Espagne était sans profit -et qu’il n’était parvenu à y former que neuf disciples, il -y laissa deux de ces disciples, et, avec les sept autres, -revint en Judée. Jean Beleth assure même que, pendant -tout son séjour en Espagne il ne put faire qu’une -seule conversion.</p> - -<p>Rentré en Judée, il se remit à prêcher la parole de -Dieu. Sur la demande des pharisiens, un mage nommé -Hermogène envoya vers lui son disciple Philet pour le -convaincre devant les Juifs de la fausseté de sa prédication. -Mais ce fut, au contraire, l’apôtre qui, en présence -de la foule, convertit Philet, tant par ses arguments que -<span class="pagenum" id="p353">-353-</span> par ses miracles ; et le disciple du mage, quand il s’en -retourna près de son maître, lui vanta la doctrine de -Jacques, lui raconta ses miracles, lui dit qu’il était résolu -à devenir chrétien, et l’engagea à imiter son exemple. -Alors Hermogène, furieux, se servit de la magie pour -l’immobiliser de telle sorte que le malheureux Philet -n’avait plus la force de faire un mouvement ; et il lui -dit : « Nous verrons bien si ton Jacques parviendra à te -délivrer ! » Or Jacques, informé de la chose, envoya à -Philet un linge qu’il avait sur le corps. Et à peine -Philet eut-il touché ce linge que, délivré de ses chaînes -magiques, il brava Hermogène et alla rejoindre l’apôtre. -Le mage, exaspéré, ordonna aux démons de lui amener -Jacques et Philet chargés de chaînes, pour intimider, par -cet exemple, les autres disciples. Mais les démons, arrivés -en face de Jacques, commencèrent à gémir piteusement, -en disant : « Apôtre Jacques, aie pitié de nous, -car voici que nous brûlons avant notre temps ! » Et -Jacques : « Pourquoi venez-vous ici ? » Et les démons : -« C’est Hermogène qui nous a envoyés pour que nous -nous emparions de toi et de Philet ; mais aussitôt l’ange -de Dieu nous a liés avec des chaînes de feu, et il ne -cesse pas de nous torturer. » Et Jacques : « Que l’ange -de Dieu vous rende la liberté : mais ce n’est qu’à la -condition que vous vous empariez d’Hermogène et me -l’ameniez ici enchaîné, sans cependant lui faire aucun -mal ! » Les démons firent comme il l’ordonnait ; et -Jacques dit à Philet : « Suivons l’exemple du Christ, -qui nous a enseigné de rendre le bien pour le mal ! Hermogène -t’a enchaîné ; toi, délivre-le ! » Et comme Hermogène, -débarrassé de ses liens, se tenait tout confus devant -l’apôtre, celui-ci lui dit : « Va librement où tu veux -aller ! car notre doctrine n’admet pas que personne se -convertisse malgré lui ! » Et Hermogène lui dit : « Je -connais l’humeur vindicative des démons. Ils me tueront -si tu ne me donnes pas, pour me protéger, quelque objet -t’ayant appartenu. » Alors Jacques lui donna son bâton ; -et le mage alla chercher ses livres, et les rapporta à -l’apôtre, qui lui ordonna de les jeter à la mer. Après quoi -<span class="pagenum" id="p354">-354-</span> Hermogène, se jetant à ses pieds, lui dit : « Libérateur -des âmes, reçois en pénitent celui que tu as daigné -secourir tandis qu’il t’enviait et cherchait à te nuire ! » -Et, depuis lors, il se montra parfait dans la crainte de -Dieu.</p> - -<p>Mais les Juifs, furieux de cette conversion, vinrent -trouver Jacques et lui reprochèrent de prêcher la divinité -de Jésus. Et l’apôtre leur prouva si clairement cette -divinité, par le témoignage des livres saints, que plusieurs -d’entre eux se convertirent. Ce que voyant, le -grand prêtre Abiathar souleva le peuple, fit passer une -corde autour du cou de l’apôtre, et le conduisit devant -Hérode Agrippa, qui le condamna à avoir la tête tranchée. -Or, comme on le conduisait au supplice, un paralytique, -gisant sur la route, le supplia de lui rendre la -santé. Et Jacques lui dit : « Au nom de Jésus-Christ, -pour qui je vais souffrir la mort, sois guéri, lève-toi et -bénis ton Créateur ! » Et aussitôt le malade guérit, se -leva et bénit le Seigneur. Alors le scribe qui conduisait -Jacques se jeta à ses pieds, lui demanda pardon, et lui -dit qu’il voulait devenir chrétien. Ce que voyant, Abiathar -le fit saisir et lui dit : « Si tu ne maudis pas le nom -du Christ, tu seras toi-même décapité avec Jacques ! » -Et le scribe : « Maudis sois-tu toi-même, et que le nom -du Christ soit béni à jamais ! » Alors Abiathar le fit -frapper au visage, et obtint d’Hérode qu’il partageât le -supplice de l’apôtre. Et comme on s’apprêtait à les décapiter -tous deux, Jacques demanda au bourreau un -vase plein d’eau, dont il se servit pour baptiser le scribe, -nommé Joséas : après quoi tous deux eurent la tête tranchée. -Ce martyre eut lieu le huitième jour des calendes -d’avril ; mais l’Eglise a décidé que la fête de saint Jacques -Majeur serait célébrée le huitième jour des calendes -d’août (25 juillet), date où le corps du saint fut transporté -à Compostelle.</p> - -<p>II. Après la mort de Jacques, ses disciples, par crainte -des Juifs, placèrent le corps sur un bateau, s’y embarquèrent -avec lui, se confiant à la sagesse divine ; et les -anges conduisirent le bateau en Galice ; dans le royaume -<span class="pagenum" id="p355">-355-</span> d’une reine qui s’appelait Louve, et qui méritait de -porter ce nom. Les disciples déposèrent le corps sur une -grande pierre, qui, à son contact, mollit comme de la -cire et forma d’elle-même un sarcophage adapté au -corps. Puis les disciples se rendirent auprès de la reine -Louve et lui dirent : « Notre-Seigneur Jésus-Christ -t’envoie le corps de son disciple, afin que tu reçoives mort -celui que tu n’as pas voulu recevoir vivant ! » Ils lui racontèrent -le miracle qui avait permis au bateau de naviguer -sans gouvernail ; et ils la prièrent de désigner un lieu -pour la sépulture du saint. Alors la méchante reine les -envoya traîtreusement au roi d’Espagne, sous prétexte -de lui demander son autorisation ; et le roi s’empara -d’eux et les jeta en prison. Mais, la nuit, un ange leur -ouvrit les portes de la prison et les remit en liberté. Le -roi, dès qui l’apprit, envoya des soldats à leur poursuite ; -mais, au moment où ces soldats allaient franchir un pont, -le pont se rompit et tous furent noyés. A cette nouvelle, -le roi eut peur pour lui-même, et se repentit. Il envoya -d’autres hommes à la recherche des disciples de Jacques, -mais, cette fois, avec mission de leur dire que, s’ils voulaient -revenir, il n’aurait rien à leur refuser. Ils revinrent -donc et convertirent toute la ville à la foi du Christ, -puis ils retournèrent auprès de Louve, pour lui faire -part du consentement du roi. Et la reine, furieuse, leur -répondit : « Allez prendre, dans la montagne, des bœufs -que j’ai là, mettez-leur un joug, et emportez le corps de -votre maître dans un lieu où vous puissiez lui élever un -tombeau ! » La perfide créature savait, en effet, que ces -prétendus bœufs étaient des taureaux indomptés ; et elle -se disait que, si les disciples de Jacques leur mettaient le -joug, les taureaux ne manqueraient point de les tuer et -de jeter à terre le corps du saint. Mais il n’y a point de -sagesse qui vaille contre Dieu. Les disciples, ne soupçonnant -point la ruse, gravirent la montagne, où d’abord -un dragon vomissait des flammes ; ils lui présentèrent -une croix, et le dragon se rompit en deux. Il firent ensuite -le signe de la croix, et les taureaux, devenus doux -comme des agneaux, se laissèrent mettre le joug, et -<span class="pagenum" id="p356">-356-</span> coururent porter le corps du saint dans le palais même -de la Louve : ce que voyant, celle-ci, émerveillée, crut en -Jésus, transforma son palais en une église de Saint-Jacques, -et la dota magnifiquement. Et le reste de sa vie -s’écoula dans les bonnes œuvres.</p> - -<p>III. Le pape Calixte raconte qu’un certain Bernard, du -diocèse de Modène, ayant été enchaîné en haut d’une -tour, ne cessait d’invoquer saint Jacques. Le saint lui -apparut et lui dit : « Viens, suis-moi en Galice ! » Puis il -brisa les chaînes du prisonnier, et disparut. Alors Bernard -s’élança du haut de la tour, qui avait plus de soixante -coudées, et il descendit ainsi à terre sans se faire aucun -mal.</p> - -<p>Bède raconte qu’un homme avait commis tant de -péchés que son évêque hésitait à l’absoudre. Enfin -l’évêque envoya cet homme au tombeau de saint Jacques -avec un papier où étaient inscrits ses péchés. Le jour -de la Saint-Jacques, le papier fut placé sur le tombeau -du saint ; et quand le pécheur, après une fervente -prière, reprit le papier et l’ouvrit, il vit que la liste de -ses péchés se trouvait effacée.</p> - -<p>Hubert de Besançon raconte que l’an 1070, trente -hommes de Lorraine, qui allaient en pèlerinage au -tombeau de saint Jacques, se jurèrent de se rendre service -mutuellement, à l’exception d’un seul qui ne voulut -point jurer. L’un de ces pèlerins tomba malade, en route, -et ses compagnons l’attendirent pendant quinze jours ; -mais enfin tous l’abandonnèrent à l’exception de celui -qui avait refusé de jurer. Et, le soir, le malade mourut -au pied du mont Saint-Michel. Alors son compagnon -s’épouvanta fort, et de la solitude du lieu, et de l’obscurité -de la nuit, et du voisinage du cadavre. Mais saint -Jacques lui apparut sous la forme d’un cavalier, et le -consola en lui disant : « Confie-moi ce mort, et monte -en croupe derrière moi sur mon cheval ! » Et dans cette -même nuit, le saint, lui faisant franchir une distance de -plus de quinze étapes, l’amena à une demi-lieue de Saint-Jacques -de Compostelle. Il lui ordonna ensuite de rassembler -les chanoines pour ensevelir le mort, et aussi -<span class="pagenum" id="p357">-357-</span> de dire à ses vingt-huit compagnons que, ayant manqué -à leur serment, ils ne tireraient aucun profit de leur -pèlerinage.</p> - -<p>Un Allemand qui se rendait avec son fils au tombeau -de saint Jacques, en l’an 1020, s’arrêta en route -dans la ville de Toulouse. L’hôte chez qui ils logeaient -enivra le père et cacha, dans son sac, un vase d’argent. Le -lendemain, comme les pèlerins voulaient repartir, l’hôte les -accusa de lui avoir volé un vase qui, en effet, fut retrouvé -dans leur sac. Le magistrat devant qui ils furent conduits -les condamna à remettre tout leur bien à l’hôte qu’ils -avaient voulu dépouiller, et il ordonna, en outre, que l’un -des deux eût à être pendu. Après un long conflit où le père -voulait mourir pour son fils et le fils pour son père, ce -fut le fils qui l’emporta. Il fut pendu, et le père, désolé, -poursuivit son pèlerinage. Lorsqu’il revint à Toulouse, -trente-six jours après, il courut au gibet où pendait son -fils, et commença à pousser des cris lamentables. Mais -voilà que le fils, lui adressant la parole, lui dit : « Mon -cher père, ne pleure pas, car rien de mauvais ne m’est -arrivé, grâce à l’appui de saint Jacques qui m’a toujours -nourri et soutenu ! » Ce qu’entendant, le père courut vers -la ville ; et la foule détacha de la potence son fils, qui se -trouva en parfaite santé ; et ce fut l’hôte qu’on pendit à -sa place.</p> - -<p>D’après Hugues de Saint-Victor, un pèlerin, qui se -rendait au tombeau de saint Jacques, vit le diable lui -apparaître sous la forme du saint ; et le faux saint Jacques, -après lui avoir exposé les misères de la vie terrestre, -l’engagea à se tuer en l’honneur de lui. Le naïf pèlerin -prit son épée et se tua sur-le-champ. Et déjà la foule allait -mettre à mort l’hôte chez qui il demeurait, et que l’on -soupçonnait d’être son assassin, lorsque soudain le mort, -revenant à la vie, raconta, que, au moment où le démon -le conduisait en enfer, le vrai saint Jacques était intervenu, -et avait sommé les démons de lui rendre la vie.</p> - -<p>Hugues, abbé de Cluny, nous raconte un autre -miracle de saint Jacques. Un jeune homme du diocèse -de Lyon, qui avait une grande dévotion pour le saint et -<span class="pagenum" id="p358">-358-</span> faisait de fréquents pèlerinages à son tombeau, se laissa -un jour tenter en chemin, et commit le péché de fornication. -Alors le diable lui apparut, sous la forme de saint -Jacques, et lui dit : « Je suis l’apôtre Jacques, à qui tu as -l’habitude de venir faire visite. Mais, cette fois, tu peux -te dispenser de poursuivre ton chemin, car ton péché ne -te sera remis que si tu te coupes entièrement les parties -génitales. Et tu serais plus heureux encore si tu -avais le courage de te tuer, et de souffrir ainsi le martyre -en mon nom ! » Donc, la nuit suivante, pendant que ses -compagnons dormaient, le jeune homme se coupa les parties -génitales, après quoi il se transperça le ventre d’un -coup de couteau. Le lendemain matin, ses compagnons, -épouvantés, s’enfuirent, de peur d’être soupçonnés d’homicide. -Mais au moment où l’on préparait le cercueil du -mort, celui-ci, à l’étonnement de tous, revint à la vie. Il -raconta que, après sa mort, déjà les démons entraînaient -son âme vers l’enfer lorsque le véritable saint Jacques -accourut au-devant d’eux et se mit à les gourmander. Le -saint le conduisit ensuite dans une prairie où se tenait -assise la sainte Vierge, conversant avec d’autres saints. -Et dès que saint Jacques eut intercédé auprès d’elle en -faveur du jeune homme, elle manda les démons et -ordonna que le mort fût rendu à la vie. Seules, les cicatrices -de l’opération qu’il s’était faite lui restèrent toujours.</p> - -<p>Autre miracle, rapporté par le pape Calixte. Vers -l’an du Seigneur 1100, un Français se rendait à Saint-Jacques-de-Compostelle -avec sa femme et ses fils, en -partie pour fuir la contagion qui désolait son pays, en -partie pour voir le tombeau du saint. Dans la ville de -Pampelune, sa femme mourut, et leur hôte le dépouilla -de tout son argent, lui prenant même la jument sur le -dos de laquelle il conduisait ses enfants. Alors le pauvre -père prit deux de ses enfants sur ses épaules, et traîna -les autres par la main. Un homme qui passait avec un -âne eut pitié de lui et lui donna son âne, afin qu’il pût -mettre ses enfants sur le dos de la bête. Arrivé à Saint-Jacques-de-Compostelle, -le Français vit le saint qui lui -<span class="pagenum" id="p359">-359-</span> demanda s’il le reconnaissait, et qui lui dit : « Je suis -l’apôtre Jacques. C’est moi qui t’ai donné un âne pour -venir ici et qui te le donnerai de nouveau pour t’en -retourner. Mais sache que l’hôte qui t’a dépouillé va -mourir et que tout ce qu’il t’a pris te sera rendu ! » Elles -choses arrivèrent comme le saint l’avait dit ; et, dès que -le pèlerin rentra en possession de son cheval, l’âne qui -avait porté ses enfants disparut aussitôt.</p> - -<p>Miracle rapporté par Hubert de Besançon. Trois soldats -du diocèse de Lyon allaient en pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. -L’un d’eux, rencontrant une -femme qui le priait de la décharger de son sac, prit le sac -et le mit sur son cheval. Il rencontra ensuite un malade -qui défaillait sur la route. Il le mit sur son cheval, prit -en main son bourdon ainsi que le sac de la femme, et se -mit à marcher à pied, derrière le cheval. Mais l’ardeur -du soleil et la fatigue l’épuisèrent si fort que, arrivé en -Galice, il tomba gravement malade. Ses compagnons lui -rappelèrent le salut de son âme ; mais, pendant trois -jours, il n’ouvrit point la bouche. Enfin, le quatrième jour, -il soupira profondément et dit : « Grâces soient rendues -à saint Jacques, par les mérites de qui me voici -délivré ! Car, pendant ces trois jours, des démons -m’avaient assailli et me serraient de partout, me mettant -dans l’impossibilité de vous répondre. Mais, tout à l’heure, -enfin, j’ai vu entrer ici saint Jacques, portant dans une -main, comme une lance, le bourdon du mendiant, et dans -l’autre main, comme un bouclier, le sac de la femme ; et -il s’est jeté sur les démons, et les a mis en fuite. Maintenant -appelez vite un prêtre, car je sens que ma vie va -bientôt finir ! » Puis se tournant vers l’un d’eux en particulier, -il lui dit : « Ami, sache que le maître que tu -sers est damné, et qu’il va mourir de malemort ! » L’ami -ainsi prévenu, quand il revint de son pèlerinage, avertit -son maître ; mais celui-ci ne tint nul compte de l’avertissement -et refusa de s’amender ; et, peu de temps après, -il fut tué à la guerre, d’un coup de lance.</p> - -<p>Miracle rapporté par le pape Calixte. Un pèlerin -de Vézelay, qui se rendait au tombeau de saint Jacques, -<span class="pagenum" id="p360">-360-</span> se trouva, un jour, à court d’argent ; et, comme il avait -honte de mendier, il trouva sous un arbre, sous lequel il -s’était endormi, un pain cuit dans la cendre. Aussi bien -avait-il rêvé, dans son sommeil, que saint Jacques se -chargeait de le nourrir. Et, de ce pain, il vécut pendant -quinze jours, jusqu’à son retour dans son pays. Non qu’il -se privât d’en manger à sa faim, deux fois par jour ; mais, -le lendemain, il retrouvait le pain tout entier dans son sac.</p> - -<p>Autre miracle rapporté par le pape Calixte. Un habitant -de Barcelone, étant allé en pèlerinage au tombeau -de saint Jacques, lui demanda, comme seule faveur, de -n’être jamais retenu prisonnier. Or, comme il s’en retournait -par mer, il fut pris par des Sarrasins, qui le vendirent -comme esclave : mais les chaînes dont on voulait le lier -se brisaient aussitôt. Il fut ainsi vendu et revendu douze -fois ; mais, la treizième fois, on lui mit une double chaîne -qui ne se brisa plus. Il invoqua saint Jacques, qui apparut -et lui dit : « Tous ces maux t’ont été infligés parce -que, dans mon église, tu as oublié le salut de ton âme -pour ne t’occuper que de la liberté de ton corps. Mais -le Seigneur, dans sa miséricorde, m’a envoyé pour te -délivrer. » Aussitôt les chaînes de l’esclave se brisèrent, -et il revint dans son pays en portant dans ses mains une -partie de ces chaînes, comme signe du miracle.</p> - -<p>L’an du Seigneur 238, la veille de la fête de saint -Jacques, dans la place forte de Prato, située entre Florence -et Pistoie, un jeune paysan, d’esprit un peu simple, -mit le feu à la grange de son tuteur, qui voulait le -dépouiller de son héritage. Arrêté, il avoua sa faute, et -fut attaché à la queue d’un cheval. Mais, s’étant voué à -saint Jacques, il fut traîné sur un sol pierreux sans que -son corps ni même sa chemise eussent aucun mal. On -l’attacha ensuite à un poteau, au pied duquel on alluma -un grand feu ; mais il invoqua de nouveau saint Jacques -et la flamme ne lui fit aucun mal. Les juges voulurent -recommencer le supplice, mais la foule le délivra ; et l’on -s’accorda pour louer Dieu, et l’apôtre saint Jacques son -serviteur.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p361">-361-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c99">XCIX<br /> -SAINT CHRISTOPHE, <span class="small">MARTYR<br /> -(28 juillet)</span></h2> - - -<p>I. Christophe était un Cananéen d’énorme stature, qui -avait douze coudées de hauteur et un visage effrayant. -Et voici ce que racontent à son sujet quelques vieux -auteurs :</p> - -<p>Etant au service du roi de son pays, l’idée lui vint un -jour de se mettre en quête du plus puissant prince qui -fût au monde, et de servir désormais celui-là. Il vint -donc auprès de certain roi, dont on disait couramment -qu’aucun autre prince ne l’égalait en puissance. Ce roi, -le voyant tel qu’il était, l’accueillit volontiers et lui donna -un logement dans son palais. Or un jour, un jongleur -chantait, en présence du roi, une chanson, où il nommait -fréquemment le diable. Et le roi, qui était chrétien, ne -manquait pas de faire le signe de la croix dès qu’il -entendait prononcer le nom du diable : ce que voyant, -Christophe, étonné, demanda au roi ce que signifiait le -geste qu’il faisait. Et comme le roi refusait de le lui dire, -il répondit : « Si tu ne me le dis pas, je quitterai ton service ! » -Alors le roi lui dit : « Chaque fois que j’entends -nommer le diable, je me protège par ce signe, de peur -qu’il ne prenne pouvoir sur moi et ne me nuise. » Alors -Christophe : « Si tu crains que le diable ne te nuise, -c’est donc qu’il est plus grand et plus puissant que toi ! -Aussi vais-je te dire adieu et me mettre en quête du -diable, pour lui offrir mes services : car je n’étais venu -ici que parce que je m’imaginais y trouver le plus puissant -prince du monde ! » Puis il prit congé du roi et se -mit en quête du diable. Il rencontra, dans un désert, une -grande armée, dont le chef, personnage féroce et terrible, -vint au-devant de lui, et lui demanda où il allait. Et -Christophe : « Je vais en quête du diable pour lui offrir -mes services. » Et lui : « Je suis celui que tu cherches ! » -<span class="pagenum" id="p362">-362-</span> Christophe, tout heureux, le prit pour maître. Mais, -comme il passait avec lui devant une croix, élevée au -bord d’une route, le diable, épouvanté, s’enfuit, et fit -un long détour afin d’éviter la croix. Ce que voyant, -Christophe, étonné, lui en demanda la cause, le menaçant -de le quitter s’il refusait de lui répondre. Alors le -diable lui dit : « C’est qu’un homme appelé Christ a -été attaché sur une croix, et, depuis lors, dès que je -vois le signe de la croix, j’ai peur et je m’enfuis. » Et -Christophe : « C’est donc que ce Christ est plus grand -et plus puissant que toi ! Ainsi j’ai perdu mes peines, et -n’ai pas encore trouvé le plus grand prince du monde ! -Je vais te dire adieu, pour me mettre en quête du -Christ. »</p> - -<p>Il chercha longtemps quelqu’un qui pût le renseigner. -Enfin il rencontra un ermite qui lui dit : « Le maître que -tu désires servir exige d’abord de toi que tu jeûnes souvent. » -Et Christophe : « Qu’il exige de moi autre chose, -car cette chose-là est au-dessus de mes forces ! » Et -l’ermite : « Il exige que tu fasses de nombreuses prières. » -Et Christophe : « Voilà encore une chose que je ne peux -pas faire, car je ne sais pas même ce que c’est que -prier ! » Alors l’ermite : « Connais-tu un fleuve qu’il y a -dans ce pays, et qu’on ne peut traverser sans péril de -mort ? » Et Christophe : « Je le connais. » Et l’ermite : -« Grand et fort comme tu es, si tu demeurais près de ce -fleuve, et si tu aidais les voyageurs à le traverser, cela -serait très agréable au Christ que tu veux servir ; et -peut-être consentirait-il à se montrer à toi. » Et Christophe : -« Voilà enfin une chose que je puis faire ; et je te -promets de la faire pour servir le Christ ! » Puis il se -rendit sur la rive du fleuve, s’y construisit une cabane, -et, se servant d’un tronc d’arbre en guise de bâton pour -mieux marcher dans l’eau, il transportait d’une rive à -l’autre tous ceux qui avaient à traverser le fleuve.</p> - -<p>Beaucoup de temps s’étant écoulé ainsi, il dormait -une nuit dans sa cabane, lorsqu’il entendit une voix -d’enfant qui l’appelait et lui disait : « Christophe, viens -et fais-moi traverser le fleuve ! » Aussitôt Christophe -<span class="pagenum" id="p363">-363-</span> s’élança hors de sa cabane, mais il ne trouva personne. -Et, de nouveau, lorsqu’il rentra chez lui, la même voix -l’appela. Mais, cette fois encore, étant sorti, il ne trouva -personne. Enfin, sur un troisième appel, il vit un enfant -qui le pria de l’aider à traverser le fleuve. Christophe prit -l’enfant sur ses épaules, s’arma de son bâton, et entra -dans l’eau pour traverser le fleuve. Mais voilà que, -peu à peu, l’eau enflait, et que l’enfant devenait lourd -comme un poids de plomb ; et sans cesse l’eau devenait -plus haute et l’enfant plus lourd, de telle sorte que Christophe -crut bien qu’il allait périr. Il parvint cependant -jusqu’à l’autre rive. Et, y ayant déposé l’enfant, il lui -dit : « Ah ! mon petit, tu m’as mis en grand danger ; et -tu as tant pesé sur moi que, si j’avais porté le monde -entier, je n’aurais pas eu les épaules plus chargées ! » Et -l’enfant lui répondit : « Ne t’en étonne pas, Christophe ; -car non seulement tu as porté sur tes épaules le monde -entier, mais aussi Celui qui a créé le monde. Je suis en -effet le Christ, ton maître, celui que tu sers en faisant -ce que tu fais. Et, en signe de la vérité de mes paroles, -quand tu auras franchi le fleuve, plante dans la terre ton -bâton, près de ta cabane : tu le verras, demain matin, -chargé de fleurs et de fruits. » Sur quoi l’enfant disparut ; -et Christophe, ayant planté son bâton, le retrouva, -dès le matin suivant, transformé en un beau palmier plein -de feuilles et de dattes.</p> - -<p>II. Il eut, plus tard, l’occasion de se rendre à Samos, -ville de Lycie ; et, comme il ne comprenait pas la langue -des habitants, il se mit en prière, pour demander à Dieu -l’intelligence de cette langue. Et lorsqu’il l’eut obtenue, -il se couvrit le visage, se rendit au cirque, et se mit à -réconforter les chrétiens qu’on y torturait. Alors un des -juges le frappa au visage. Et Christophe, se découvrant, -lui dit : « Si je n’étais chrétien, je vengerais aussitôt -une telle injure ! » Puis il planta en terre son bâton et -pria le Seigneur d’y faire pousser des feuilles, pour que -ce miracle convertît le peuple. Le miracle se produisit -en effet, et huit mille hommes se convertirent.</p> - -<p>Alors le roi envoya vers lui deux cents soldats, pour -<span class="pagenum" id="p364">-364-</span> s’en emparer : mais les soldats, s’étant approchés, le -virent en prière, et n’osèrent point le toucher. Le roi en -envoya deux cents autres : le trouvant en prière, ils -se mirent à genoux et prièrent avec lui. Et Christophe, se -relevant, leur dit : « Que voulez-vous ? » Ils lui répondirent : -« C’est le roi qui nous a envoyés, pour que nous -t’enchaînions et te conduisions vers lui ! » Alors Christophe : -« Si je le veux, vous ne pourrez ni m’enchaîner -ni me conduire nulle part. » Et les soldats : « Si tu -ne veux pas venir avec nous, va-t’en librement où tu -voudras, et nous dirons au roi que nous n’avons pas pu -te trouver ! » Mais lui : « Pas du tout, je suis prêt à aller -avec vous. » Il les convertit cependant, d’abord, à la foi -du Christ ; puis il leur ordonna de lui lier les mains -derrière le dos et de le conduire ainsi auprès du roi. Et -le roi, en l’apercevant, eut peur et s’enfuit de son trône. -Puis, reprenant courage, il l’interrogea sur son nom et -sur sa patrie. Et Christophe : « Avant mon baptême je -m’appelais, le Réprouvé ; maintenant je m’appelle le -Porte-Christ. » Et le roi : « Tu t’es donné là un nom bien -sot, le nom de ce Christ crucifié qui ne t’a servi ni ne -pourra jamais te servir de rien. Pourquoi ne veux-tu pas -plutôt sacrifier à nos dieux ? » Et Christophe : « Eh bien, -toi, tu mérites ton nom de Dagnus, car tu es le complice -du diable, et tes dieux ne sont que de vaines images ! » -Et le roi : « Nourri parmi les bêtes féroces, tu ne sais -dire que des choses bonnes pour elles, et incompréhensibles -pour l’espèce humaine. Je te préviens seulement -que, si tu consens à sacrifier à nos dieux, tu recevras de -moi de grands honneurs ; mais que, si tu refuses, tu -périras dans les supplices. » Et, comme le saint refusait -de sacrifier, il le fit jeter en prison ; et il fit décapiter les -soldats qui, envoyés vers lui, s’étaient convertis à la foi -du Christ. Il fit ensuite introduire dans la cellule du prisonnier -deux belles filles, nommées Nicée et Aquiline, -leur promettant de grandes récompenses si elles amenaient -Christophe à pécher avec elles. Mais Christophe, -en les apercevant, se mit aussitôt en prière. Et comme -les deux filles tournaient autour de lui pour l’embrasser, -<span class="pagenum" id="p365">-365-</span> il se leva et leur dit : « Que cherchez-vous, mes enfants, -et pourquoi vous a-t-on introduites ici ? » Et elles, -effrayées de l’éclat de son regard, lui dirent : « Saint -homme de Dieu, aie pitié de nous, et aide-nous à -croire au Dieu que tu prêches ! » Ce qu’apprenant, -le roi les fit comparaître devant lui, et leur dit : « Vous -êtes-vous donc laissées séduire, vous aussi ? En tout cas -je vous jure que, si vous ne sacrifiez pas aux dieux, vous -périrez de malemort ! » Alors elles lui répondirent : « Si -tu veux que nous sacrifiions, ordonne que le peuple -entier se réunisse dans le temple ! » Puis, entrant dans -le temple, elles lancèrent leurs ceintures autour du cou -des idoles, les tirèrent à elles, les mirent en poussière, -et dirent aux assistants : « Allez maintenant chercher les -médecins, et dites-leur de guérir vos dieux ! » Alors, par -ordre du roi, Aquiline est pendue à un arbre ; on attache -à ses pieds une énorme pierre, et on lui rompt tous les -membres. Et, lorsqu’elle a rendu son âme au Seigneur, -sa sœur Nicée est jetée dans le feu : mais elle en sort sans -souffrir aucun mal ; et le roi, aussitôt, la fait décapiter.</p> - -<p>Mandant ensuite Christophe, il le fait frapper de verges -de fer, lui fait placer sur la tête un casque de fer rouge, -le fait attacher sur un siège de fer rouge. Mais celui-ci -se brise comme de la cire, et Christophe se relève sans -avoir aucun mal. Alors le roi le fait attacher à un tronc -d’arbre, et ordonne à quatre mille soldats de tirer sur lui. -Mais leur flèches restent suspendues en l’air : aucune -d’elles ne parvient à atteindre Christophe. Et comme le -roi, le croyant déjà tout transpercé de flèches, lui crie des -insultes, soudain une flèche se retourne contre lui, le -frappe à l’œil, et le rend aveugle. Alors Christophe : « Je -sais que c’est aujourd’hui que je vais mourir. Quand je -serai mort, applique un peu de mon sang sur tes yeux, -et tu recouvreras la vue ! » Le roi lui fait aussitôt trancher -la tête ; puis, prenant un peu de son sang, il s’en -frotte les yeux ; et aussitôt il recouvre la vue. Alors le -roi se convertit, reçoit le baptême, et décrète que toute -personne qui blasphémera contre Dieu ou contre saint -Christophe aura aussitôt la tête tranchée.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p366">-366-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c100">C<br /> -LES SEPT DORMANTS<br /> -<span class="small">(28 juillet)</span></h2> - - -<p>Les sept dormants étaient de la ville d’Ephèse. Or, -l’empereur Décius, persécuteur des chrétiens, étant venu -à Ephèse, y fit construire des temples au milieu de la -ville, afin que tous y vinssent avec lui sacrifier aux idoles. -Et comme il avait fait rechercher tous les chrétiens, pour -les forcer à sacrifier ou à mourir, si grande était la -terreur de ses châtiments que l’ami reniait son ami, le -fils son père, et le père son fils. Et sept chrétiens -d’Ephèse, Maximien, Malchus, Martien, Denis, Jean, -Sérapion et Constantin, souffraient beaucoup de cet état -de choses. Ayant horreur de sacrifier aux idoles, ils restaient -cachés dans leurs maisons, jeûnaient et priaient. -Leur absence ne tarda pas à être remarquée, car ils -étaient parmi les premiers fonctionnaires du palais. Ils -furent donc saisis et conduits devant Décius qui, sur -leur aveu qu’ils étaient chrétiens, ne voulut point les -condamner de suite, mais leur fixa un délai jusqu’à son -retour, afin qu’ils eussent le temps de réfléchir et de se -rétracter. Mais eux, après avoir distribué leurs biens -aux pauvres, ils se réfugièrent sur le mont Célion, et -prirent le parti d’y vivre cachés. Chaque matin, l’un -d’eux rentrait en ville pour les provisions, déguisé en -mendiant.</p> - -<p>Lorsque Décius fut de retour à Ephèse, Malchus, qui -était allé en ville ce jour-là, revint, tout effrayé, dire à -ses compagnons que l’empereur les cherchait pour le -sacrifice aux idoles. Et tandis qu’ils étaient à table, -causant entre eux avec des larmes, Dieu voulut que soudain -ils s’endormissent tous les sept. Le matin suivant, -comme Décius s’affligeait déjà de la perte d’aussi bons -serviteurs, on lui dit que les sept officiers, après avoir -<span class="pagenum" id="p367">-367-</span> donné leurs biens aux pauvres, étaient allés se cacher -sur le mont Célion. Décius fit alors venir leurs parents -et leur ordonna, sous peine de mort, de lui révéler tout -ce qu’ils savaient. Les parents confirmèrent la dénonciation -portée contre leurs fils, à qui ils ne pouvaient -pardonner de s’être dépouillés de tous leurs biens. Et -Décius, inspiré à son insu par l’esprit divin, fit obstruer -de pierres l’entrée de la caverne où étaient les sept -jeunes gens, afin qu’ils y mourussent d’épuisement. -Ainsi fut fait ; et deux chrétiens Théodore et Rufin, -placèrent secrètement parmi les pierres une relation du -martyre des sept saints.</p> - -<p>Or, longtemps après la mort de Décius et de toute sa -génération, la trentième année de l’empire de Théodose, -l’hérésie se répandit, en tous lieux, de ceux qui niaient -la résurrection des morts. Et Théodose, en bon chrétien, -était si désolé des progrès de cette hérésie impie que, -retiré au fond de son palais, et couvert d’un cilice, il -pleurait pendant des journées entières. Ce que voyant, -Dieu, dans sa miséricorde, résolut de consoler le deuil -des chrétiens et de les confirmer dans l’espoir de la -résurrection des morts. Et c’est aux sept martyrs -d’Ephèse qu’il confia l’honneur d’en porter témoignage.</p> - -<p>Il inspira à un certain habitant d’Ephèse de faire construire -des étables sur le mont Célion. Et lorsque les -maçons ouvrirent la caverne, les sept dormants se -réveillèrent, se saluèrent, comme s’ils n’avaient dormi -qu’une nuit, et, se rappelant les angoisses de la veille, -demandèrent à Malchus s’il savait ce que Décius avait -décidé contre eux. Malchus répondit qu’il allait descendre -en ville pour chercher du pain, et qu’il reviendrait -le soir leur rapporter des nouvelles. Il prit cinq -pièces de monnaie, sortit de la caverne, et fut un peu -surpris des pierres qu’il trouva entassées devant l’entrée. -Parvenu à la porte de la ville, il fut plus surpris encore -de voir sur cette porte le signe de la croix. Il alla vers -une autre porte, puis une autre encore : le signe de la -croix se trouvait sur toutes, si bien que Malchus crut -qu’il rêvait toujours. Poursuivant son chemin, il arriva -<span class="pagenum" id="p368">-368-</span> au marché. Il entendit que tous y nommaient le Christ, -et sa stupeur ne connut point de bornes. « Est-ce possible, -demanda-t-il, que, dans cette ville où personne -hier n’osait nommer le Christ, chacun le nomme librement -aujourd’hui ? Et, d’ailleurs, cette ville n’est pas -Ephèse, car les bâtiments y sont tout autres ; et cependant -le lieu est le même, et il n’y a point d’autre ville -aux environs ! » On lui dit que cette ville était bien -Ephèse ; et peu s’en fallut que, se croyant fou, il ne -s’en retournât aussitôt vers ses compagnons. Mais il -voulut, tout de même, acheter du pain ; et le boulanger -à qui il s’adressa considéra avec surprise les pièces de -monnaie qu’il lui présentait. On lui demanda s’il avait -découvert un trésor ancien. Et Malchus, persuadé qu’on -allait le traîner devant l’empereur, supplia qu’on le -laissât partir, sauf à garder l’argent et les pains. Mais -les marchands, le retenant, lui dirent : « D’où es-tu, et -où as-tu trouvé le trésor des anciens empereurs ? Dis-nous-le, -pour que nous partagions avec toi : sinon, -nous te dénoncerons ! » Et comme Malchus, épouvanté, -ne savait que répondre, on lui passa une corde au cou, -et on le traîna par les rues de la ville, et chacun se répétait -que ce jeune homme avait découvert un trésor. En -vain Malchus scrutait des yeux la foule, espérant y -trouver un visage connu. Il ne voyait que des faces -nouvelles ; et sa stupéfaction le rendait muet.</p> - -<p>Ce qu’apprenant, l’évêque saint Martin et le proconsul -Antipater le firent amener devant eux avec ses pièces -d’argent et lui demandèrent où il avait trouvé ces -vieilles pièces de monnaie. Il leur répondit qu’il n’avait -rien trouvé, et que ces pièces venaient de la bourse de -ses parents. On lui demanda d’où il était. Et lui : « Hé, -d’ici, à moins que cette ville ne soit pas Ephèse ! » Et le -proconsul : « Fais venir tes parents, pour qu’ils te -reconnaissent ! » Il nomma ses parents : personne ne -les connaissait. Et le proconsul : « Comment prétends-tu -nous faire croire que cet argent te vienne de -tes parents, quand les inscriptions qu’il porte sont -vieilles de près de quatre cents ans, datant des -<span class="pagenum" id="p369">-369-</span> premiers jours de l’empereur Décius ? Et comment -oses-tu, jeune homme, tromper les sages et les anciens -d’Ephèse ? Tu seras châtié si tu ne nous révèles -où tu as trouvé cet argent ! » Alors Malchus leur -dit : « O nom du ciel, seigneurs, répondez à ce que je -vais vous demander, et je vous dirai ensuite tout ce qui -est dans mon cœur. L’empereur Décius, qui était ici -hier, où est-il à présent ? » Alors l’évêque : « Mon fils, -il n’y a pas aujourd’hui sur terre d’empereur appelé -Décius ; mais il y en avait un autrefois, il y a très longtemps. » -Et Malchus : « Seigneur, je suis trop stupéfait, et -personne ne me croit. Mais suivez-moi, je vous montrerai -mes compagnons, sur le mont Célion, et vous les -croirez ! Ce que je sais, c’est que nous fuyons la -colère de l’empereur Décius, et que j’ai vu cet empereur -rentrer hier ici, dans la ville d’Ephèse. »</p> - -<p>Sur l’ordre de l’évêque, qui devinait là un dessein de -Dieu le proconsul, le clergé, et une grande foule suivirent -Malchus jusque dans la caverne ; et l’évêque, en -y entrant, trouva parmi les pierres un écrit scellé de -deux sceaux d’argent ; et il lut cet écrit à la foule assemblée. -Il pénétra ensuite auprès des saints, qu’il trouva -assis dans leur caverne, avec des visages rayonnants -comme des roses en fleur. Aussitôt l’évêque et le -proconsul avertirent Théodose, pour qu’il vînt assister au -miracle de Dieu. Et Théodose, se levant du sac sur lequel -il était étendu, et glorifiant Dieu, vint de Constantinople -à Ephèse. Il monta jusqu’à la caverne, vit les saints, -dont les visages rayonnaient comme des soleils, et, après -s’être prosterné devant eux et les avoir embrassés, il -s’écria en pleurant : « A vous voir, c’est comme si je -voyais le Seigneur ressuscitant Lazare ! » Alors Maximien -lui dit : « C’est pour toi que Dieu nous a ressuscités -avant le jour de la grande résurrection, afin que tu -n’aies point de doute sur la réalité de celle-ci ! » Puis, cela -dit, tous les sept ils s’endormirent de nouveau, la tête -penchée, et ils rendirent leurs âmes à Dieu.</p> - -<p>L’empereur, après les avoir encore embrassés en -pleurant, ordonna que l’on construisît pour eux des cercueils -<span class="pagenum" id="p370">-370-</span> d’or. Mais, la même nuit, ils lui apparurent, et -lui dirent que, de même qu’ils avaient jusque-là dormi -dans la terre, et étaient ressuscités de la terre, c’était -dans la terre encore qu’ils voulaient reposer jusqu’au -jour de la résurrection suprême. Du moins Théodose -fit orner leur sépulcre de pierres dorées. Et les évêques -qui proclamaient la résurrection des morts obtinrent -gain de cause. La légende veut que les sept saints -aient dormi pendant 372 ans ; mais la chose est douteuse, -car c’est en l’an 448 qu’ils ressuscitèrent, et Décius -régna en l’an 252 : de sorte que, plus vraisemblablement, -leur sommeil miraculeux ne dura que 196 ans.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c101">CI<br /> -SAINTS NAZAIRE ET CELSE, <span class="small">MARTYRS<br /> -(28 Juillet)</span></h2> - - -<p>La vie des saints Nazaire et Celse nous est racontée -par saint Ambroise. Les uns veulent que ce soit d’après -un livre des saints Gervais et Protais, d’autres, d’après -un livre écrit par un philosophe ayant une dévotion -spéciale pour saint Nazaire ; et l’on ajoute que le livre de -ce philosophe fut placé dans le tombeau des deux saints -par Cérasius, qui les ensevelit.</p> - -<p>Nazaire était fils d’un noble Juif nommé Africain, et de -sainte Perpétue, Romaine de grande famille qui avait -été baptisée par l’apôtre saint Pierre. A l’âge de neuf -ans, l’enfant s’étonnait beaucoup de voir que son père et -sa mère observassent deux cultes différents, et que sa -mère suivît la loi du baptême, tandis que son père suivait -celle du sabbat. Et chacun de ses deux parents -essayait de l’amener à sa foi : mais il hésitait, se demandant -à laquelle des deux il devait adhérer. Enfin, par la -grâce de Dieu, c’est à la foi de sa mère qu’il adhéra. Il -<span class="pagenum" id="p371">-371-</span> reçut le baptême du saint pape Lin ; ce qu’apprenant, -son père s’efforça de le détourner de sa sainte résolution -en lui décrivant les innombrables supplices infligés aux -chrétiens.</p> - -<p>Notons en passant que, quand l’histoire raconte que -Nazaire fut baptisé par le pape Lin, cela ne veut pas dire -que saint Lin fût pape au moment du baptême, mais seulement -qu’il devait plus tard devenir pape. Car Nazaire, ainsi -qu’on le verra ci-dessous, survécut de nombreuses années -à son baptême, et son martyre eut lieu sous le règne -de Néron, sous le règne duquel eut aussi lieu le martyre -de saint Pierre. Or on sait que saint Lin fut pape après -la mort de saint Pierre.</p> - -<p>Nazaire, sans se laisser émouvoir par les avertissements -paternels, continuait à prêcher le Christ. Enfin -ses parents, qui craignaient pour lui les persécutions, -obtinrent de lui qu’il quittât Rome. Ils lui donnèrent -sept mulets chargés de trésors ; et lui, parcourant les -villes d’Italie, il distribuait tout aux pauvres. La dixième -année de son départ de Rome, il vint à Plaisance, puis -à Milan, où il apprit que les saints Gervais et Protais se -trouvaient emprisonnés. Il s’empressa d’aller les voir, -dans leur prison, pour les encourager dans la foi. Ce -qu’apprenant, le préfet de la ville le fit venir devant lui. -Et comme il persistait à confesser le Christ, il fut chassé -de Milan après avoir été roué de coups. De nouveau il -errait de ville en ville, lorsque sa mère, qui était morte, -lui apparut et lui enjoignit de se rendre en Gaule. Pendant -qu’il se trouvait dans une ville des Gaules nommée -Genève, où il avait fait de nombreuses conversions, une -dame noble lui amena son fils, un beau jeune homme -appelé Celse, en le priant de le baptiser et de le prendre -avec lui. Le préfet des Gaules, dès qu’il le sut, fit saisir -Nazaire et Celse, leur fit lier les mains, et les fit enfermer -en prison avec une chaîne au cou, se promettant de -les torturer le jour suivant. Mais sa femme lui déclara -que c’était chose injuste de vouloir venger des dieux tout-puissants -en mettant à mort des hommes qui n’avaient -fait aucun mal. Et le préfet, touché de ses paroles, -<span class="pagenum" id="p372">-372-</span> remit en liberté les deux saints, mais en leur interdisant -de prêcher dans sa province.</p> - -<p>Nazaire se rendit alors à Trèves, où, le premier, il -prêcha le Christ, et lui éleva une église. Ce qu’apprenant, -le gouverneur Cornélius le dénonça à l’empereur Néron, -qui envoya cent hommes pour s’emparer de lui. Ces -hommes, l’ayant trouvé dans l’église qu’il avait construite, -lui lièrent les mains en disant : « Le grand Néron t’appelle. » -Et Nazaire leur dit : « Votre maître a des serviteurs -dignes de lui ! Vous auriez pu simplement venir -me dire : <i>Néron t’appelle</i> ; et je serais venu. » Mais les -soldats ne s’obstinèrent pas moins à le tenir enchaîné ; -et comme le jeune Celse pleurait, ils le battaient pour -le forcer à les suivre. Ainsi ils arrivèrent en présence de -Néron, qui les fit jeter en prison, en attendant qu’il eût -imaginé des supplices pour les faire périr.</p> - -<p>Or, comme Néron avait, un jour, envoyé des chasseurs -à la poursuite de bêtes féroces, celles-ci pénétrèrent -en grand nombre dans les jardins impériaux, où -elles blessèrent et tuèrent une foule de gens. Néron lui-même -fut blessé au pied, et eut grand’peine à regagner -son palais. Et la blessure continua longtemps à le faire -souffrir : si bien que, se souvenant de Nazaire et de -Celse, il pensa que les dieux étaient irrités contre lui -pour son retard à faire mourir ces infidèles. Il ordonna -donc qu’on amenât devant lui Nazaire et le jeune Celse, -en ne leur épargnant pas les coups durant le trajet. -Quand Nazaire comparut devant lui, il vit que sa figure -brillait comme le soleil : et, se croyant le jouet d’un -artifice de magie, il enjoignit au saint de laisser là ses -sortilèges et de sacrifier aux dieux. Nazaire fut donc -conduit dans un temple. Il demanda à y être laissé seul ; -puis il pria, et toutes les idoles se brisèrent. Ce qu’apprenant, -Néron le fit précipiter dans la mer, ordonnant -que, si par hasard il s’en échappait, on le brûlât vif, et -que ses cendres fussent jetées à l’eau.</p> - -<p>Nazaire et le petit Celse furent mis dans un bateau, et, -parvenus en pleine mer, ils furent jetés dans les flots. -Mais aussitôt une tempête terrible s’éleva autour du bateau, -<span class="pagenum" id="p373">-373-</span> tandis que les deux saints nageaient doucement -sur les flots tout unis. Alors les bourreaux, se voyant en -danger, se repentirent du mal qu’ils avaient fait aux -saints. Et voici que Nazaire, marchant sur l’eau avec le -petit Celse, leur apparut, le visage souriant, les rejoignit -sur le bateau, apaisa la tempête par sa prière, et parvint -ainsi avec eux à un endroit voisin de la ville de -Gênes. Il prêcha longtemps dans cette ville, puis se rendit -à Milan, où il avait naguère laissé Gervais et Protais. -Ce qu’apprenant, le préfet Anolin fit garder Celse -dans la maison d’une dame de la ville, et enjoignit à -Nazaire de quitter Milan. Le saint se rendit à Rome, où -il trouva son père devenu chrétien. Le vieillard lui raconta -que l’apôtre Pierre lui était apparu, et l’avait -averti d’avoir à suivre auprès du Christ sa femme et son -fils. Mais bientôt Nazaire fut pris de nouveau et reconduit -à Milan, où, en compagnie du petit Celse, il eut la -tête tranchée, au-delà de la Porte Romaine, dans un endroit -nommé les Trois-Murs.</p> - -<p>Des chrétiens recueillirent leurs corps et les ensevelirent -dans leur jardin. Mais, la même nuit, les deux saints -apparurent à un pieux homme nommé Cérasius, à qui -ils dirent de prendre leurs corps dans sa maison, et de les -ensevelir très profondément, pour les dérober aux recherches -de Néron. Et Cérasius : « Seigneurs, ne voudriez-vous -pas, auparavant, guérir ma fille qui est paralysée ? » -Aussitôt la jeune fille se trouva guérie ; et Cérasius enterra -les deux saints comme ils l’avaient demandé. Longtemps -après, le Seigneur révéla à saint Ambroise l’endroit où -étaient leurs corps ; le corps de Nazaire était encore -arrosé de son sang, absolument intact avec ses cheveux -et sa barbe ; et un parfum merveilleux s’en dégageait. -Saint Ambroise laissa le corps de saint Celse à l’endroit -où il reposait, et fit transporter celui de saint Nazaire -dans l’église des Saints Apôtres. Le martyre des deux -saints eut lieu sous Néron, vers l’an du Seigneur 52.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p374">-374-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c102">CII<br /> -SAINT FÉLIX, <span class="small">PAPE ET MARTYR<br /> -(29 juillet)</span></h2> - - -<p>Félix fut élu pape en remplacement de Libère, et du -consentement de celui-ci, qui, n’ayant pas voulu approuver -l’hérésie arienne, avait été envoyé en exil par Constance, -fils de Constantin. Félix, ainsi promu à la papauté, -convoqua un concile de quarante-huit évêques, -qui condamna comme hérétiques l’empereur Constance -et deux prêtres, ses conseillers. Sur quoi, Constance, furieux, -destitua Félix de l’évêché de Rome, et rappela -Libère qui, amolli par l’exil, se résigna à tolérer l’hérésie. -La persécution prit alors une telle étendue que, -avec l’assentiment tacite de Libère, une foule de prêtres -et de clercs furent tués presque dans l’église. Félix, qui -s’était retiré dans sa maison, y fut pris et eut la tête -tranchée. Il souffrit le martyre en l’an du Seigneur 360.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c103">CIII<br /> -SAINTS SIMPLICE ET FAUSTIN, <span class="small">MARTYRS<br /> -(29 juillet)</span></h2> - - -<p>Simplice et Faustin, qui étaient frères, souffrirent -pour la foi à Rome, sous l’empereur Dioclétien. Après -de nombreux supplices, ils eurent la tête tranchée, et -leurs corps furent jetés dans le Tibre. Mais leur sœur, -nommée Béatrice, retira de l’eau leurs corps et les ensevelit -chrétiennement. Sur quoi, le préfet Lucrèce la fit -saisir et lui ordonna de sacrifier aux idoles. Et, comme -elle refusait, il la fit étrangler, la nuit, par ses serviteurs. -<span class="pagenum" id="p375">-375-</span> Une vierge nommée Lucine déroba le corps de Béatrice, -et l’ensevelit à côté des corps de ses frères.</p> - -<p>Quelques jours après, le préfet, qui avait pris possession -de la maison des martyrs, y prépara un grand festin -où il invita ses amis. Or un enfant nouveau-né, que -sa mère avait amené là, se mit tout à coup à parler et -dit : « Ecoute, Lucrèce, tu as envahi et occis, et maintenant -tu es tombé au pouvoir de l’ennemi ! » Et aussitôt -Lucrèce, tout tremblant, fut pris par le démon, qui pendant -trois heures le tortura si fort qu’il mourut avant -d’avoir pu se lever de table. Ce que voyant, tous les -assistants se convertirent à la foi chrétienne ; et ils racontaient -à tous comment Dieu avait vengé le martyre -de ses trois saints. Ce martyre eut lieu vers l’an du Seigneur -287.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c104">CIV<br /> -SAINTE MARTHE, <span class="small">VIERGE<br /> -(29 juillet)</span></h2> - - -<p>I. Marthe, l’hôtesse du Christ, avait pour père Syrus, -pour mère Eucharie. Son père, qui était de race royale, -gouverna la Syrie et beaucoup d’autres régions maritimes. -Marthe, suivant toute probabilité, n’eut jamais de -mari. Elle s’occupait d’administrer la maison, et, quand -elle recevait le Seigneur, non seulement elle se donnait -une peine infinie pour bien l’accueillir, mais elle eût -encore voulu que sa sœur Madeleine fît comme elle. -Après l’ascension du Seigneur, Marthe, avec son frère -Lazare, sa sœur Madeleine, et saint Maximin, à qui l’Esprit-Saint -les avait recommandés, furent jetés par les -infidèles sur un bateau sans voiles, sans rames, et sans -gouvernail. Et le Seigneur, comme l’on sait, les conduisit -à Marseille. Ils se rendirent de là sur le territoire -d’Aix, et y firent de nombreuses conversions. De -<span class="pagenum" id="p376">-376-</span> Marthe, en particulier, on rapporte qu’elle était fort éloquente, -et que tous l’aimaient.</p> - -<p>Or il y avait à ce moment sur les bords du Rhône, -dans une forêt sise entre Avignon et Arles, un dragon, -mi-animal, mi-poisson, plus gros qu’un bœuf, plus long -qu’un cheval, avec des dents aiguës comme des cornes, -et de grandes ailes aux deux côtés du corps ; et ce -monstre tuait tous les passagers et submergeait les bateaux. -Il était venu par mer de la Galatie ; il avait pour -parents le Léviathan, monstre à forme de serpent, qui -habite les eaux, et l’Onagre, animal terrible que produit -la Galatie, et qui brûle comme avec du feu tout ce qu’il -touche. Or sainte Marthe, sur la prière du peuple, alla -vers le dragon. L’ayant trouvé dans sa forêt, occupé à -dévorer un homme, elle lui jeta de l’eau bénite, et lui -montra une croix. Aussitôt le monstre, vaincu, se rangea -comme un mouton près de la sainte, qui lui passa sa -ceinture autour du cou et le conduisit au village voisin, -où aussitôt le peuple le tua à coups de pierres et de -lances. Et comme ce dragon était connu des habitants -sous le nom de Tarasque, ce lieu, en souvenir de lui, -prit le nom de Tarascon : il s’appelait jusque-là Nerluc, -c’est-à-dire noir lac, à cause des sombres forêts qui y -bordaient le fleuve. Et sainte Marthe, après avoir vaincu -le dragon, obtint de sa sœur et du prêtre Maximin la -permission de rester dans ce lieu, où elle ne cessa pas -de prier et de jeûner, jusqu’à ce qu’enfin une grande -congrégation de religieuses s’y réunît auprès d’elle, en -même temps qu’une grande basilique fut construite en -l’honneur de la vierge Marie. Et Marthe vivait là de la -vie la plus dure, ne mangeant qu’une fois par jour, se -privant de chair, de graisse, d’œufs, de fromage et de -vin.</p> - -<p>Un jour qu’elle prêchait à Avignon, au bord du -Rhône, un jeune homme, qui se trouvait sur l’autre rive, -eut un tel désir de l’entendre que, ne trouvant point de -bateau pour traverser le fleuve, il ôta ses vêtements et -voulut passer à la nage : mais aussitôt une vague l’entoura -et l’étouffa. Son corps fut retrouvé le lendemain, -<span class="pagenum" id="p377">-377-</span> et déposé aux pieds de sainte Marthe, dans l’espoir que -celle-ci parviendrait à le ressusciter. Et la sainte, s’étant -prosternée sur le sol, les bras en croix, pria ainsi : « Seigneur -Jésus, toi qui as jadis ressuscité mon frère Lazare, -que tu aimais, toi qui as reçu mon hospitalité, -prends en considération la foi de ceux qui m’entourent, -et ressuscite cet enfant ! » Puis elle prit la main du -jeune homme, qui aussitôt se leva et reçut le saint baptême.</p> - -<p>Saint Ambroise nous dit que c’est Marthe, aussi, qui -était l’hémorroïsse guérie par le Christ. Nous savons, -d’autre part, que sainte Marthe fut avertie de sa mort un -an d’avance, et que, pendant toute l’année qui suivit cet -avertissement, elle souffrit de la fièvre. Huit jours avant -sa mort, elle entendit le chœur des anges qui emportaient -au ciel l’âme de Marie-Madeleine. Aussitôt, rassemblant -ses frères et ses sœurs, elle leur fit part de cette heureuse -nouvelle. Puis, pressentant sa propre fin ; elle les -pria de rester près d’elle jusqu’à sa mort, avec des flambeaux -allumés. Or, la nuit d’avant sa mort, pendant que -tous ses gardes-malades dormaient, un vent violent éteignit -les lumières. Et la sainte, voyant accourir autour -d’elle la troupe des mauvais esprits, invoqua l’aide de -son hôte divin. Et aussitôt elle vit approcher sa sœur -Madeleine, qui, tenant en main une torche, ralluma les -flambeaux et les lampes. Et pendant que les deux sœurs -s’appelaient par leur nom, survint le Christ, qui dit à -Marthe : « Viens, chère hôtesse, demeurer maintenant -avec moi ! Tu m’as accueilli dans ta maison, je t’accueillerai -dans mon ciel ; et j’exaucerai, par amour pour toi, -tous ceux qui t’invoqueront. » Le matin suivant, Marthe -se fit transporter dehors, pour voir encore le ciel, se fit -poser sur de la cendre, demanda qu’on tînt une croix -devant elle, et qu’on lui lût la passion dans l’évangile de -saint Luc. Et au moment où le lecteur répétait : « Mon -père, je remets mon âme entre tes mains », elle rendit -l’âme.</p> - -<p>II. Le lendemain, qui était dimanche, vers trois heures, -saint Front était occupé à célébrer la messe à Périgueux. -<span class="pagenum" id="p378">-378-</span> Après l’épître, il s’endormit sur son siège, et le Seigneur -lui apparut, et lui dit : « Mon cher Front, si tu -veux tenir la promesse que tu as faite jadis à mon -hôtesse Marthe, lève-toi et suis-moi ! » Et aussitôt saint -Front, conduit par le Christ, se vit transporté à Tarascon, -où il assista aux obsèques de la sainte, et aida à -placer son corps dans le sépulcre. Cependant, à Périgueux, -le diacre qui allait lire l’Evangile réveilla l’évêque -pour lui demander sa bénédiction. Et saint Front, soudain -réveillé, répondit : « Mes frères, pourquoi m’avez-vous -réveillé ? Notre-Seigneur Jésus m’avait conduit aux -obsèques de son hôtesse sainte Marthe ; et, comme je me -préparais à l’ensevelir, j’ai laissé dans la sacristie mon -anneau et mes deux gants. Et vous m’avez réveillé -si vite que je n’ai pas eu le temps de les reprendre. -Hâtez-vous donc d’envoyer des messagers, qui me les -rapportent ! » Aussitôt des messagers partirent pour -Tarascon. Ils trouvèrent dans la sacristie l’anneau et les -gants de saint Front ; et ils laissèrent dans la sacristie -l’un de ces gants, en témoignage du miracle.</p> - -<p>III. De nombreux miracles se produisirent au tombeau -de la sainte. Clovis, roi de France, qui avait reçu le baptême -des mains de saint Remi, fut guéri par sainte -Marthe d’une grave maladie des reins. En souvenir de -quoi, il dédia à l’église de la sainte la terre, les maisons -et les châteaux qui se trouvaient dans un rayon de -trois milles des deux côtés du Rhône. Et il affranchit ces -lieux de toute servitude.</p> - -<p>La vie de sainte Marthe a été écrite pour nous par sa -servante Martille, qui se rendit plus tard en Esclavonie -pour y prêcher l’Evangile, et qui y mourut, dix ans après -la mort de sa maîtresse.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p379">-379-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c105">CV<br /> -SAINTS ABDON ET SENNEN, <span class="small">MARTYRS<br /> -(30 juillet)</span></h2> - - -<p>Abdon et Sennen souffrirent le martyre sous le règne -de l’empereur Décius. Ce prince, ayant conquis la Babylonie -et d’autres provinces, y avait trouvé des chrétiens, -et les avait emmenés avec lui à Cordoue, où il les avait -fait périr sous divers supplices. Alors, deux nobles de -la région, Abdon et Sennen, ensevelirent les corps de ces -chrétiens, ce qui leur valut d’être dénoncés à Décius, -qui les fit enchaîner et conduire, derrière lui, à Rome. -Là, en présence du Sénat, on les somma ou bien de -sacrifier aux idoles, et de recouvrer ainsi leur liberté, ou -bien d’être livrés en pâture aux bêtes. Et comme ils -dédaignaient et insultaient les idoles, ils furent traînés -dans le cirque, où on lâcha sur eux deux lions et quatre -ours, mais qui, loin de les attaquer, se rangèrent autour -d’eux pour leur servir de garde. Ce que voyant, Décius -les fit transpercer à coups de poignard, leur fit lier les -pieds, et fit jeter leurs cadavres devant l’idole du soleil. -Ils y restèrent trois jours, après quoi le sous-diacre -Quirin les recueillit et les ensevelit dans sa maison. Cela -se passait vers l’an du Seigneur 253. Plus tard, sous le -règne de Constantin, les martyrs révélèrent eux-mêmes -le lieu de leur sépulture ; et les chrétiens transportèrent -leurs restes au cimetière Pontien, où le Seigneur, par -leur entremise, accorde au peuple une foule de bienfaits.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p380">-380-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c106">CVI<br /> -SAINT GERMAIN, <span class="small">ÉVÊQUE ET CONFESSEUR<br /> -(31 juillet)</span></h2> - - -<p>I. Germain, de naissance noble, naquit à Auxerre. -Après avoir été soigneusement instruit dans les sciences -libérales, il se rendit à Rome pour apprendre le droit, -et s’y acquit un tel renom que le Sénat l’envoya en -Gaule, pour gouverner le duché de Bourgogne. Or dans -la ville d’Auxerre, que Germain administrait avec une -sollicitude toute particulière, on voyait sur la grand’place -un pin aux branches duquel il faisait suspendre, par -vanité, les têtes du gibier qu’il avait tué à la chasse. Et -souvent le saint évêque de la ville, Amator, lui reprochait -ce trait de vanité, l’engageant à faire plutôt couper -cet arbre ; mais Germain refusait de s’y résigner. Un -jour, cependant, en l’absence de Germain, l’évêque coupa -l’arbre et le fit brûler. Sur quoi Germain, oubliant son -christianisme, arriva avec ses troupes et menaça l’évêque -de le faire périr. Le prélat, à qui l’Esprit-Saint venait de -révéler que Germain lui succéderait sur son siège épiscopal, -céda devant sa fureur et se retira à Autun. Mais, -plus tard, il revint à Auxerre, enferma par ruse Germain -dans son église, et le tonsura, en lui prédisant qu’il -serait son successeur. Et, en effet, après sa mort, le -peuple tout entier élut pour évêque Germain, qui, dès -lors, distribua ses biens aux pauvres, et ne traita plus -sa femme que comme une sœur. Et, pendant trente ans, -il se mortifia le corps de telle façon que jamais il ne -mangea de pain de froment, ni de légumes, ni ne but de -vin, ni n’assaisonna de sel ce qu’il mangeait. Ou plutôt il -prenait bien du vin deux fois par an, à Noël et à Pâques, -mais il y mêlait tant d’eau qu’il ne pouvait pas même -sentir le goût du vin. Le soir, à son unique repas, il -mangeait un pain d’orge où il avait d’abord semé des -cendres. Hiver comme été, il n’était vêtu que d’un cilice -<span class="pagenum" id="p381">-381-</span> et d’une tunique ; et ces tuniques, quand il ne les donnait -pas à quelqu’un, lui duraient jusqu’au jour où, de vieillesse, -elles tombaient en morceaux. Rarement il mettait -à ses pieds des chaussures, et une ceinture autour de -ses reins. Son lit n’était fait que de cendres, d’un cilice, -et d’un sac, sans même un oreiller pour soulever sa tête. -Et toujours il portait à son cou des reliques de saints. -Telle fut la vie de cet évêque, vie qui semblerait incroyable -si elle n’était accompagnée de nombreux -miracles. Et ses miracles furent tels qu’ils nous paraîtraient -fantastiques, si ses mérites ne suffisaient pas à -les justifier.</p> - -<p>Un jour, ayant reçu l’hospitalité dans une maison, il -vit qu’après le repas on apprêtait de nouveau la table. -Il en demanda la raison : on lui répondit qu’on apprêtait -la table pour les braves femmes qui marchaient la nuit. -Germain résolut de veiller toute la nuit ; et il vit arriver -une troupe de démons sous forme d’hommes et de -femmes. Il leur défendit alors de sortir, et réveillant ses -hôtes, leur demanda s’ils reconnaissaient ces personnes. -Les hôtes répondirent que ces personnes étaient leurs -voisins et leurs voisines. Sur quoi Germain, défendant -toujours aux démons de sortir, envoya voir chez les -voisins et voisines en question, qui, tous furent trouvés -dormant dans leur lit. Alors les démons, sommés par -lui de dire la vérité, reconnurent qui ils étaient et -avouèrent qu’ils venaient pour tromper les hommes.</p> - -<p>II. A cette époque florissait saint Loup, évêque de -Troyes. Comme le roi Attila assiégeait la ville, saint Loup -monta sur l’une des portes et demanda à l’assiégeant -qui il était. Et Attila : « Je suis le fléau de Dieu ! » Alors -l’humble serviteur de Dieu dit, en gémissant : « Et moi, -hélas, je suis le Loup, le dévastateur du troupeau de -Dieu ! Je mérite d’être frappé par le fléau de Dieu ! » Et -il fit ouvrir les portes de la ville. Mais Dieu aveugla de -telle sorte les Barbares, qu’ils traversèrent la ville d’une -porte à l’autre, sans voir personne, et par conséquent, -sans faire aucun mal. C’est en compagnie de ce même -saint Loup que saint Germain se mit en route pour se -<span class="pagenum" id="p382">-382-</span> rendre en Grande-Bretagne, où pullulaient les hérétiques. -Pendant qu’ils étaient en mer, une terrible tempête -se leva ; mais, sur la prière de saint Germain, les flots -s’apaisèrent aussitôt. Arrivés en Grande-Bretagne, les -deux saints, furent reçus avec honneur par le peuple ; -puis, ayant convaincu les hérétiques, ils retournèrent -dans leurs diocèses.</p> - -<p>III. Un jour que Germain, malade, était couché dans -un certain bourg ; un grand incendie se produisit dans le -bourg. On supplia l’évêque de se laisser transporter -ailleurs, pour échapper aux flammes, mais il s’y refusa ; -et le fait est que la flamme, qui détruisit toutes les -maisons voisines, ne toucha pas à celle où il se trouvait.</p> - -<p>IV. Plus tard, comme il était revenu en Grande-Bretagne -pour réfuter les hérétiques, un de ses disciples, -s’étant mis en route pour le rejoindre, tomba malade et -mourut dans la ville de Tonnerre. Et saint Germain, lors -de son retour, s’étant arrêté dans cette ville, fit ouvrir le -sépulcre, et demanda au mort s’il désirait de nouveau -lutter à ses côtés. Mais le mort, se relevant, répondit -qu’il était si heureux qu’il préférait ne pas se réveiller. -Le saint y consentit ; et son disciple, baissant -de nouveau la tête, de nouveau s’endormit dans le -Seigneur.</p> - -<p>V. Pendant qu’il prêchait en Grande-Bretagne, le roi de -ce pays lui refusa l’hospitalité, ainsi qu’à ses compagnons. -Mais un porcher, qui se rendait chez lui, ayant vu Germain -et ses compagnons épuisés de faim et de froid, les recueillit -dans sa maison, et tua pour eux le seul veau qu’il -possédait. Or, après le repas, saint Germain fit rassembler -tous les ossements du veau sous la peau, et, à sa -prière, Dieu rendit la vie à l’animal. Le lendemain, -l’évêque vint trouver le roi et lui demanda avec force -pourquoi il lui avait refusé l’hospitalité. Le roi, surpris, -ne savait que répondre. Et le saint : « Hors d’ici, s’écria-t-il, -et laisse la royauté à un plus digne ! » Puis Germain, -sur l’ordre de Dieu, fit venir le porcher et sa femme ; et, -au grand étonnement de tous, il proclama roi cet homme -qui l’avait accueilli. C’est depuis lors que la nation des -<span class="pagenum" id="p383">-383-</span> Bretons est gouvernée par des rois provenant d’une race -de porchers.</p> - -<p>VI. Comme les Saxons faisaient la guerre aux Bretons -et se voyaient en nombre insuffisant, ils invoquèrent -l’aide des deux saints, qui, leur ayant prêché l’Evangile, -les convertirent bientôt à la foi chrétienne. Le jour -de Pâques, dans la ferveur de leur foi, les Saxons -jetèrent leurs armes avant d’aller au combat : ce qu’apprenant, -leurs adversaires, enhardis, voulurent s’élancer -contre l’ennemi désarmé. Mais Germain, se tenant auprès -de l’armée qu’il avait convertie, les avertit d’avoir tous -à répondre : Alleluia ! lorsque lui-même s’écrierait : -Alleluia ! Ainsi fut fait : et ce cri remplit les assaillants -d’une telle frayeur que tous s’enfuirent, jetant bas les -armes, comme si les montagnes et le ciel lui-même se -précipitaient sur eux.</p> - -<p>VII. Un jour, passant par Autun, saint Germain se -rendit au tombeau de l’évêque, saint Cassien, et demanda -à celui-ci comment il se portait. Aussitôt le défunt, du -fond de son tombeau, répondit, d’une voix haute et claire -que tous purent entendre : « Je jouis d’un doux repos, en -attendant la venue du Rédempteur. » Et Germain : -« Repose-toi donc dans le Christ, et daigne intercéder -pour nous, afin que nous obtenions d’être admis aux -joies de la sainte résurrection ! »</p> - -<p>VIII. Passant par Ravenne, il fut reçu avec honneur par -la reine Placidie et son fils Valentinien, qui, à l’heure du -repas, lui envoyèrent un vase d’argent rempli des mets -les plus délicats. Mais Germain distribua les mets aux -serviteurs et garda le vase d’argent pour ses pauvres. -En échange, il envoya à la reine une écuelle de bois -contenant un pain d’orge : présent dont la reine se réjouit -si fort qu’elle fit recouvrir l’écuelle d’une enveloppe -d’argent. Une autre fois, cette reine l’invita à sa table, -et l’évêque accepta. Mais, comme il était épuisé par les -jeûnes et les prières, il monta sur son âne, pour se -rendre au palais. Or, pendant le repas, l’âne mourut. -Ce qu’apprenant la reine fit donner à l’évêque un magnifique -cheval. Mais Germain : « Mon âne me suffit. -<span class="pagenum" id="p384">-384-</span> M’ayant amené ici, c’est lui encore qui m’emmènera ! » -Puis, allant au cadavre de l’âne : « Lève-toi, lui dit-il, -et retournons à l’auberge ! » Et aussitôt l’âne, se relevant, -se secoua comme si rien de mauvais ne lui était arrivé.</p> - -<p>Avant de quitter Ravenne, saint Germain prédit que sa -fin approchait. En effet, peu de jours après, il fut pris -d’une fièvre qui, au bout d’une semaine, l’emporta. Son -corps fut transporté en Gaule, ainsi qu’il l’avait demandé -à la reine. Cette mort eut lieu en l’an 430.</p> - -<p>IX. Saint Germain avait promis à Eusèbe, évêque de -Verceil, d’assister à l’inauguration d’une église qu’il venait -de construire. Or Eusèbe, apprenant la mort de saint -Germain, n’en fit pas moins allumer des cierges pour la -cérémonie : mais les cierges s’éteignaient sitôt allumés. -Alors Eusèbe comprit qu’il devait ajourner la dédicace -de l’église, et choisir un autre évêque pour y présider. -Mais comme le corps de saint Germain passait par Verceil, -on le fit entrer dans la susdite église et aussitôt tous les -cierges s’allumèrent miraculeusement. Sur quoi Eusèbe -se rappela la promesse de saint Germain et comprit que -celui-ci, mort, faisait ce que vivant il avait promis. Mais -on ne doit point croire qu’il s’agisse là du grand -saint Eusèbe de Verceil : celui-ci est mort sous le règne -de Valens, cinquante ans avant la mort de saint Germain. -C’est donc qu’il y aura eu à Verceil un autre -évêque nommé Eusèbe, à qui sera arrivé le miracle que -nous venons de raconter.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c107">CVII<br /> -SAINT EUSÈBE, <span class="small">ÉVÊQUE ET MARTYR<br /> -(1<sup>er</sup> août)</span></h2> - - -<p>Eusèbe gardait, depuis l’enfance, une telle chasteté, -que, lorsqu’il reçut le baptême des mains du pape Eusèbe, -qui lui donna son nom, on vit des mains d’anges le soulever -<span class="pagenum" id="p385">-385-</span> dans la fontaine sacrée. Et comme, un jour, certaine -dame noble, séduite par sa beauté, voulait entrer -dans son lit, les anges l’empêchèrent d’en approcher : de -telle sorte que, le lendemain matin, elle se jeta à ses -pieds et lui demanda pardon. Ordonné prêtre, il brilla -d’une telle sainteté, que, pendant les messes qu’il célébrait, -on voyait des mains d’anges lui soulever les -mains.</p> - -<p>Plus tard, lorsque toute l’Italie fut ravagée de la peste -de l’arianisme, que favorisait l’empereur Constance, le -pape Julien consacra Eusèbe évêque de Verceil, ville qui -avait alors la primauté parmi toutes les villes italiennes. -Ce qu’apprenant, les hérétiques firent fermer toutes les -portes de l’église principale de Verceil, consacrée à -la sainte Vierge. Mais Eusèbe, étant entré dans la ville, -s’agenouilla devant le portail de l’église ; et bientôt, sur -ses prières, toutes les portes s’ouvrirent d’elles-mêmes. -Il rejeta ensuite de son siège l’évêque de Milan, Maxence, -corrompu par l’hérésie, et ordonna à sa place le catholique -Denis. Et c’est ainsi qu’il allait, purgeant de la -peste arienne toute l’Eglise d’Occident, pendant qu’Athanase -en purgeait toute l’Eglise d’Orient. L’auteur de -l’arianisme était un prêtre d’Alexandrie nommé Arius. -Il affirmait que le Christ était une pure créature, qu’un -temps avait existé où il n’était pas, et qu’il avait été créé -pour nous. Aussi Constantin le Grand rassembla-t-il à -Nicée un concile où l’erreur d’Arius fut condamnée. -Quant à Arius lui-même, il mourut, peu de temps après, -d’une mort misérable ; tous ses intestins lui sortirent du -corps par le derrière. Mais le fils de Constantin, Constance, -se laissa corrompre par l’hérésie. Et, furieux -contre Eusèbe, il réunit en concile de nombreux évêques, -et manda à ce concile Denis, et Eusèbe lui-même, qui, -sachant que la majorité du concile était convertie à -l’erreur, refusa de venir, alléguant sa vieillesse. Pour -rendre cette excuse impossible, l’empereur réunit le concile -à Milan, tout près de Verceil. Eusèbe, cependant, -ne s’y rendit point. Constance ordonna aux ariens d’exposer -leur doctrine ; puis il enjoignit à l’évêque Denis -<span class="pagenum" id="p386">-386-</span> et à vingt-neuf autres évêques de souscrire à cette doctrine. -Ce qu’apprenant, Eusèbe quitta Verceil et se mit -en route pour Milan, s’attendant à y souffrir tous les supplices.</p> - -<p>Il rencontra, en chemin, un fleuve qu’il devait traverser. -Sur son ordre, un bateau, qui se trouvait près de -la rive opposée, vint de lui-même vers lui et le transporta -avec ses compagnons, sans qu’il y eût sur ce bateau -personne pour le conduire. Alors Denis vint au-devant de -lui, et, tombant à ses pieds, lui demanda son pardon. -Arrivé à Milan, Eusèbe ne se laissa fléchir ni par les -menaces de l’empereur ni par ses caresses. Et il dit : « Vous -prétendez que le fils est inférieur au père : pourquoi -donc avez-vous préféré à moi, évêque de Verceil, mon -fils et élève Denis ? » Alors on lui fit voir la profession de -foi rédigée par les ariens, et que Denis avait signée. -Mais lui : « Pour rien au monde je ne mettrai ma signature -derrière celle de mon subordonné. Brûlez plutôt ce -papier, et écrivez-en un autre, que je puisse signer ! » Aussitôt, -sur un ordre de Dieu, le papier prit feu, avec les -signatures de Denis et des autres vingt-neuf évêques. -Alors les ariens écrivirent un nouveau papier, qu’ils voulurent -faire signer à Eusèbe et à ces autres évêques. Mais -ceux-ci, raffermis dans la foi par Eusèbe, refusèrent de -signer, et dirent même tout haut qu’ils étaient ravis de -voir brûler le papier qu’ils avaient signé par contrainte. -Sur quoi, Constance, furieux, livra Eusèbe aux ariens.</p> - -<p>Et ceux-ci, le saisissant au milieu des autres évêques -et le rouant de coups, le traînèrent de bas en haut, puis -de haut en bas, sur l’escalier du palais. Puis, comme il -avait la tête toute sanglante de coups, et s’obstinait à ne -pas vouloir signer, ils lui lièrent les mains derrière le dos, -et le menèrent par la ville avec une corde au cou. Mais -lui, remerciant Dieu, proclamait qu’il était prêt à mourir -pour la foi catholique. Alors Constance fit envoyer en exil -le pape Libère, Denis, Paulin, et tous les autres évêques -qui avaient suivi leur exemple. Quant à Eusèbe lui-même -il fut conduit dans une ville de Palestine appelée Lyclopolis. -Là il fut enfermé dans un cachot si étroit et si bas -<span class="pagenum" id="p387">-387-</span> qu’il ne pouvait ni étendre les jambes, ni se tourner d’un -côté sur l’autre, ni relever la tête, ni remuer autre chose -que ses épaules et ses coudes.</p> - -<p>Après la mort de Constance, son successeur Julien, -voulant plaire à tous, rappela les évêques exilés, fit -rouvrir les temples des dieux, et permit à chacun de -vivre tranquillement sous telle loi qu’on voudrait. C’est -alors qu’Eusèbe, revenant de son exil, alla trouver -Athanase et lui exposa tout ce qu’il avait souffert.</p> - -<p>A la mort de Julien, sous le règne de Jovinien, Eusèbe -revint à Verceil, où le peuple le reçut avec une grande -joie. Mais, de nouveau, sous le règne de Valens, le nombre -des ariens grandit. Ces hérétiques assiégèrent la maison -d’Eusèbe, le traînèrent dehors et le lapidèrent. Ainsi il -rendit son âme au Seigneur. Il fut enseveli dans l’église -qu’il avait lui-même construite. Et l’on ajoute qu’il obtint, -par ses prières, en faveur de Verceil, que nul arien ne -pût vivre dans cette ville.</p> - -<p>Eusèbe, à en croire la chronique, vécut au moins -quatre-vingt-huit ans. Il florissait vers l’an 350.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c108">CVIII<br /> -LES SAINTS MACHABÉES<br /> -<span class="small">(1<sup>er</sup> août)</span></h2> - - -<p>Les Machabées étaient sept frères qui, avec leur vénérable -mère et le prêtre Eléazar, refusèrent de manger de -la viande de porc, afin d’observer la loi : ce qui leur -valut d’endurer des supplices inouïs, ainsi qu’on le trouvera -décrit tout au long dans le second livre des <i>Machabées</i>. -Notons, à ce propos, que l’Eglise d’Orient célèbre -des fêtes de saints de l’un et de l’autre Testament, tandis -que l’Eglise d’Occident ne fête point les saints de l’Ancien -Testament, et cela parce que ces saints descendirent -d’abord aux enfers. Elle ne fête que les saints Innocents, -<span class="pagenum" id="p388">-388-</span> dans la personne de chacun desquels c’est le Christ lui-même -qui fut tué, et les Machabées. Quant à ceux-ci, elle -les fête pour quatre motifs, bien qu’ils soient, eux aussi, -descendus aux enfers. C’est, d’abord, à cause de la prérogative -du martyre, les Machabées ayant enduré des -supplices plus cruels que ceux des autres saints de l’Ancien -Testament. En second lieu, à cause de leur caractère -symbolique, et du mystère qu’ils représentent. Le -chiffre 7 est, en effet, le symbole de l’universalité. Et, -en conséquence, les sept Machabées représentent, d’une -façon symbolique, tous les saints de l’ancien Testament. -En troisième lieu, l’Eglise fête les Machabées à cause de -l’exemple de constance et de patience qu’ils ont donné. Enfin, -l’Eglise les fête à cause du motif de leur supplice : car -c’est pour défendre la loi de Moïse qu’ils ont été martyrisés, -de même que les chrétiens doivent être prêts à l’être -pour la défense de la loi évangélique. Ces trois dernières -raisons de la fête des Machabées se trouvent énoncées -dans la <i>Somme</i> de maître Jean Beleth.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c109">CIX<br /> -SAINT PIERRE AUX LIENS<br /> -<span class="small">(1<sup>er</sup> août)</span></h2> - - -<p>La fête de Saint-Pierre aux Liens a été instituée pour -quatre motifs : 1<sup>o</sup> en souvenir de la délivrance de saint -Pierre ; 2<sup>o</sup> en souvenir de la délivrance de saint Alexandre ; -3<sup>o</sup> pour la destruction du rite des gentils ; 4<sup>o</sup> afin d’obtenir -notre délivrance des liens de nos péchés.</p> - -<p>1<sup>o</sup> L’<i>Histoire scholastique</i> raconte qu’Hérode Agrippa, -étant venu à Rome, se lia d’amitié avec Caïus, neveu de -l’empereur Tibère. Or, un jour qu’Hérode était dans un -char avec Caïus, il leva les mains au ciel et dit : « Puissé-je -voir mourir ton vieil oncle, et te voir devenir le maître -<span class="pagenum" id="p389">-389-</span> du monde ! » Sa parole fut entendue par le cocher du -char, qui, aussitôt, la rapporta à Tibère. Et celui-ci, indigné, -jeta Hérode en prison. Là, comme le prisonnier -s’appuyait un jour contre un arbre sur les branches duquel -se tenait un hibou, un de ses compagnons, homme -habile en divination, lui dit : « Sois sans crainte, car tu -seras vite délivré, et tu t’élèveras si haut, que tes amis -en seront jaloux. Mais quand tu verras un oiseau pareil -à celui-ci au-dessus de ta tête, cela signifiera que tu -n’auras plus que cinq jours à vivre. » Quelque temps -après, Tibère mourut. Caïus, devenu empereur, délivra -Hérode, et le renvoya en Judée avec le titre de roi. Et -Hérode, sitôt rentré à Jérusalem, se mit en quête d’un -chrétien qu’il pût tourmenter. La veille du jour des -Azymes, il tua de son épée Jacques, le frère de Jean. Puis, -voyant que cela était agréable aux Juifs, le jour même -des Azymes il fit arrêter Pierre et le fit jeter en -prison, avec l’intention de le livrer au peuple après la -fête des Pâques. Mais un ange, pénétrant, de nuit, dans -la prison du saint, le délivra de ses liens et lui ordonna -d’aller reprendre librement sa prédication. Le roi, impatient -de se venger, ordonna que les gardiens de la prison, -coupables d’avoir laissé échapper Pierre, eussent à -subir les peines les plus cruelles. Mais Dieu ne voulut -point que la délivrance de Pierre fût pour personne une -cause de mal. En effet Hérode, s’étant rendu à Césarée, -y fut frappé de la main d’un ange, et mourut.</p> - -<p>Voici, à ce sujet, ce que raconte Josèphe, au livre XIX de -ses <i>Antiquités</i> : « Hérode, étant venu à Césarée, où l’attendait -une grande foule, se vêtit d’une robe brillante, -toute tissée d’or et d’argent, et se mit en route pour se -rendre au théâtre. Et dès que les rayons du soleil touchèrent -la robe, leurs reflets doublèrent l’éclat des deux -métaux, si bien que la foule, effrayée, crut voir là l’indice -d’une nature plus qu’humaine. Hérode se vit donc entouré -de gens qui lui criaient : « Jusqu’ici nous t’avons -tenu pour un homme ; mais dès maintenant nous te proclamons -un dieu ! » Et, pendant qu’Hérode acceptait -avec plaisir ces hommages, il vit soudain, au-dessus de -<span class="pagenum" id="p390">-390-</span> sa tête, un hibou ; sur quoi, comprenant que sa mort -approchait, il dit au peuple : « Moi, votre dieu, voici -que je vais mourir ! » Aussitôt des vers envahirent -son corps et se mirent à le ronger. Il mourut cinq jours -après. »</p> - -<p>C’est donc en souvenir de la miraculeuse délivrance -du prince des apôtres que l’Eglise célèbre la fête de saint -Pierre aux Liens. Aussi lit-on, dans l’épître de cette fête, -la mention de ce miracle.</p> - -<p>2<sup>o</sup> Le second motif de la fête est la commémoration de -la délivrance du pape saint Alexandre, le sixième pape -qui gouverna l’Eglise après saint Pierre. Ce pontife était -tenu prisonnier par le tribun Quirin, ainsi que le préfet -de Rome Hermès, qu’il avait converti à la foi. Et Quirin -dit à Hermès : « Je m’étonne qu’un homme raisonnable -comme toi renonce aux honneurs de la préfecture -pour rêver de je ne sais quelle autre vie ! » Et Hermès : -« Moi aussi, autrefois, je raillais tout cela, et croyais que -notre vie terrestre était l’unique vie. » Et Quirin : « Prouve-moi -qu’il y a une autre vie, et aussitôt tu m’auras pour -disciple ! » Et Hermès : « Le saint Alexandre, que tu tiens -enchaîné, te le prouvera mieux que je ne saurais le faire. » -Et Quirin, furieux : « Je te demande de me prouver -cela, et tu me renvoies à Alexandre, que je tiens enchaîné -à cause de ses crimes ! Je te séparerai de cet -Alexandre, et je vous mettrai tous les deux sous double -garde ; et, si je le trouve avec toi, ou toi avec lui, je veux -bien me convertir et vous écouter ! » Or, pendant -qu’Alexandre était en prière, un ange vint vers lui et le -conduisit dans la prison d’Hermès, de telle sorte que -Quirin, à sa grande surprise, les trouva ensemble. Hermès -lui raconta alors comment Alexandre avait ressuscité son -fils. Et Quirin dit à Alexandre : « Ma fille Balbine souffre -de la goutte. Si tu peux obtenir sa guérison, je te promets -de me convertir à ta foi. » Et Alexandre : « Va vite -la chercher et amène-la-moi dans ma cellule ! » Et -Quirin : « Puisque tu es ici, comment pourrai-je te trouver -dans ta cellule ? » Et Alexandre : « Va vite, car celui -qui m’a conduit ici va tout de suite me reconduire là-bas ! » -<span class="pagenum" id="p391">-391-</span> Et la fille de Quirin, dès qu’elle entra dans la -cellule d’Alexandre, y trouva celui-ci et se prosterna -à ses pieds, voulant baiser ses chaînes. Mais Alexandre -lui dit : « Ma fille, ce ne sont point mes chaînes que tu -dois baiser, mais celles qui ont servi pour saint Pierre. -Fais-les rechercher, baise-les pieusement, et tu recouvreras -la santé ! » Aussitôt Quirin fit rechercher les -chaînes qui avaient servi pour saint Pierre ; et, les ayant -retrouvées, il les donna à sa fille. Et celle-ci, dès qu’elle -les eut baisées, recouvra la santé. Alors Quirin, plein de -repentir, remit en liberté Alexandre et se fit baptiser -avec toute sa maison. Saint Alexandre institua une fête -en souvenir de ce jour ; et il fit élever, en l’honneur de -saint Pierre, une église où il déposa les chaînes du saint, -et qui fut nommée Saint-Pierre aux Liens. Au jour de -cette fête, une foule innombrable se réunit dans l’église -susdite, pour baiser les chaînes de l’apôtre Pierre.</p> - -<p>3<sup>o</sup> Le troisième motif de l’institution de la fête nous -est raconté par Bède de la façon suivante. L’empereur -Octave et Antoine s’étaient partagés l’empire de telle -façon qu’Octave avait eu l’Occident et Antoine l’Orient. -Mais Antoine, homme débauché et lubrique, répudia la -sœur d’Octave, qu’il avait épousée, et prit pour femme -Cléopâtre, reine d’Egypte. Octave, indigné, marcha -avec son armée contre Antoine, et le vainquit. Antoine -et Cléopâtre durent s’enfuir ; et, désespérés, ils se donnèrent -la mort. Alors Octave détruisit le royaume -d’Egypte, et fit de l’Egypte une province romaine. Puis -il entra à Alexandrie, et la dépouilla de ses richesses au -profit de Rome, qu’avaient dévastée les guerres civiles. -Aussi put-il dire de Rome : « Je l’ai trouvée de briques, -je la laisse de marbre. » Il augmenta à tel point la -chose publique romaine que, le premier, il fut appelé -« auguste » ; et ce titre se transmit à tous ses successeurs -sur le trône impérial. Et c’est en souvenir de lui -que le mois qui d’abord s’appelait sextile (étant en effet -le sixième depuis Mars) a porté désormais le nom -d’Auguste ou d’août. Et jusqu’au règne de Théodose, -c’est-à-dire jusque vers l’an 426, les Romains fêtèrent -<span class="pagenum" id="p392">-392-</span> tous les ans, l’anniversaire de la victoire d’Octave, qui -avait eu lieu le 1<sup>er</sup> août.</p> - -<p>Or, la fille de Théodose, Eudoxie, femme de Valentinien, -s’étant rendue à Jérusalem par suite d’un vœu, acheta -chez un Juif, pour une somme énorme, les deux chaînes -qui avaient servi, sous le règne d’Hérode, à enchaîner -saint Pierre. De retour à Rome le 1<sup>er</sup> août, elle fut désolée -de voir que les Romains continuaient à fêter le souvenir -d’un empereur païen. Mais comme, d’autre part, -elle savait que c’était là une coutume trop ancienne pour -pouvoir être aisément supprimée, elle eut l’idée de maintenir -la fête, mais en la consacrant au souvenir de saint -Pierre. Elle s’entendit donc avec le saint pape Pelage, -qui, par d’éloquentes exhortations, décida le peuple à -remplacer le souvenir de l’empereur païen par celui du -prince des apôtres. Et Eudoxie, pour consacrer cette heureuse -décision, donna au peuple les chaînes qu’elle avait -rapportées de Jérusalem. On mit ces chaînes auprès de -celles qui avaient enchaîné saint Pierre à Rome, sous -Néron. Et les deux paires de chaînes se soudèrent aussitôt -ensemble, pour ne plus constituer qu’une seule -chaîne.</p> - -<p>Et combien cette chaîne miraculeuse a de pouvoir, -c’est ce que l’on vit en l’an 969. Cette année-là, un -comte de la cour de l’empereur Othon fut si cruellement -envahi du démon qu’il se déchirait de ses propres -dents. Alors, sur l’ordre de l’empereur, le possédé fut -conduit vers le pape Jean, qui lui mit au cou la chaîne -de saint Pierre. Et le diable, ne pouvant supporter -un poids aussi pesant, s’enfuit aussitôt en présence de -tous. Ce que voyant, Théodoric, évêque de Metz, s’empara -de la chaîne et dit qu’il ne la lâcherait plus, à moins -qu’on ne lui coupât les mains. Sur quoi une grande -querelle s’éleva entre le pape et l’évêque, jusqu’à ce -qu’enfin l’empereur, pour la faire cesser, eût obtenu du -pape qu’un chaînon de la chaîne serait donné à l’évêque.</p> - -<p>La <i>Chronique</i> de Milet et l’<i>Histoire tripartite</i> racontent -que le diable, dépité de ce qu’un Juif eût vendu -à l’impératrice Eudoxie les chaînes de saint Pierre, se -<span class="pagenum" id="p393">-393-</span> vengea sur ses compatriotes : il leur apparut sous la -forme de Moïse, leur promit de les faire marcher à pieds -secs sur la mer, et en noya un grand nombre.</p> - -<p>4<sup>o</sup> Enfin le quatrième objet de la fête de Saint-Pierre -aux Liens est, par l’image de la délivrance du saint, de -nous rappeler que, nous aussi, nous avons à être délivrés -des liens du péché. Et le récit d’un miracle, que nous -lisons dans le livre des <i>Miracles de la sainte Vierge</i>, -suffit à prouver que les clefs remises par Jésus à saint -Pierre lui permettent de délivrer des chaînes du péché -ceux-mêmes qui sont condamnés à la perdition. Il y -avait à Cologne, au couvent de Saint-Pierre, un moine -léger, vicieux et paillard. Ce moine étant mort subitement, -les démons l’accusaient, rappelant tous les péchés -qu’il avait commis. Et les bonnes œuvres qu’il avait -accomplies, de leur côté, l’excusaient, rappelant son -obéissance à ses chefs et son zèle pour le chant des -psaumes. Or, saint Pierre, de qui ce moine et son couvent -dépendaient, s’approcha de Dieu pour demander sa -grâce. La sainte Vierge joignit ses instances aux -siennes ; et ils obtinrent du Seigneur que le moine fût -autorisé à revenir sur terre pour faire pénitence. Alors -saint Pierre mit en fuite les démons en leur montrant les -clefs qu’il tenait en main. Puis il rendit la vie au moine -après lui avoir imposé, comme pénitence, de réciter tous -les jours le psaume <i lang="la" xml:lang="la">Miserere mei, Domine</i>. C’est le moine -lui-même qui, après sa résurrection, raconta à ses frères -tout ce qu’on vient de lire.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c110">CX<br /> -SAINT ÉTIENNE, <span class="small">PAPE ET MARTYR<br /> -(2 août)</span></h2> - - -<p>Le pape Etienne avait converti de nombreux païens, -par la parole et par l’exemple, et avait enterré les corps -de nombreux martyrs, lorsque en l’an 260, les empereurs -<span class="pagenum" id="p394">-394-</span> Valérien et Gallien le firent rechercher ainsi que -son clergé, pour les forcer à sacrifier aux idoles. Et les -empereurs, par un édit, déclaraient que ceux qui les -livreraient deviendraient maîtres de tous leurs biens. -Aussi dix membres du clergé ne tardèrent-ils pas à être -dénoncés, arrêtés, et, sur leur refus de sacrifier, décapités -sans jugement. Le lendemain, le pape Etienne fut -arrêté à son tour, et conduit au temple de Mars, pour y -adorer les idoles. Mais il pria Dieu de détruire ce temple ; -et aussitôt la plus grande partie du temple s’écroula, et -la foule s’enfuit, épouvantée, de telle sorte qu’Etienne -put se rendre librement au cimetière de sainte Lucie. Ce -qu’apprenant, Valérien envoya à sa poursuite des soldats, -qui le trouvèrent célébrant sa messe. Quand il eut -achevé, il s’assit courageusement sur son siège pour -recevoir le coup mortel. Et les soldats lui tranchèrent la -tête.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c111">CXI<br /> -L’INVENTION DE SAINT ÉTIENNE, <span class="small">PREMIER MARTYR<br /> -(3 août)</span></h2> - - -<p>L’invention ou découverte du corps de saint Etienne, -eut lieu en l’an 417, la septième année du règne d’Honorius. -Un prêtre, nommé Lucien, faisait la sieste dans -son lit, sur le territoire de Jérusalem, lorsque lui -apparut un vieillard de haute taille et de noble visage, -avec une barbe touffue, chaussé de brodequins dorés, -et vêtu d’un manteau blanc où étaient tissés de l’or, des -pierres précieuses et des croix. Et ce vieillard, d’un -bâton d’or, qu’il tenait en main, toucha le prêtre et lui -dit : « Hâte-toi d’ouvrir nos tombeaux, car il n’est point -convenable que nous reposions plus longtemps dans un -lieu méprisé ! Va donc, et dis à Jean, évêque de Jérusalem, -qu’il transporte nos restes dans un lieu honorable ! » -Et Lucien dit : « Seigneur, qui es-tu ? » Et le vieillard : -<span class="pagenum" id="p395">-395-</span> « Je suis Gamaliel, qui ai nourri l’apôtre Paul et lui ai -enseigné la Loi. Mais près de moi, dans mon tombeau, -repose saint Etienne, qui, après avoir été lapidé par les -Juifs, fut jeté hors de la ville pour être dévoré par les -bêtes et les oiseaux de proie. Or, le maître pour qui il -avait souffert le martyre, n’a point permis que cela arrivât ; -de sorte, que j’ai pu recueillir pieusement ses restes -et les ensevelir dans mon propre caveau. Et il y a aussi, -dans mon tombeau, Nicodème, mon neveu, celui qui -vint trouver Jésus la nuit, et qui fut baptisé par Pierre et -par Jean. Les princes des prêtres en furent si irrités -que, sans la peur qu’ils avaient de nous, ils l’auraient -tué. Du moins, ils le dépouillèrent de tous ses biens -comme de ses dignités, et, l’ayant battu de verges, le -laissèrent à demi mort. Je le recueillis dans ma maison, -où il survécut encore quelques jours ; et puis, quand il -mourut, je le fis ensevelir aux pieds de saint Etienne. -Enfin, il y a aussi, dans mon tombeau, mon fils Abibas, qui, -à l’âge de vingt ans, fut baptisé en même temps que moi, -et, restant chaste toute sa vie, apprit la Loi de la -bouche de Paul, mon élève. Quant à mon autre fils Sélémie -et à ma femme Œthée, qui ne voulurent point recevoir -la foi du Christ, ils n’ont pas été jugés dignes d’être ensevelis -avec nous. Tu trouveras leurs corps ailleurs, leurs -sépulcres sont vides. » Cela dit, saint Gamaliel disparut. -Et Lucien, s’éveillant, pria Dieu que, si sa vision était -vraie, elle lui apparût encore une seconde fois, et une -troisième.</p> - -<p>La semaine suivante, Gamaliel lui apparut de nouveau, -et lui demanda pourquoi il avait négligé de faire -ce qu’il lui avait ordonné. Et Lucien : « Je ne l’ai pas -négligé ; mais j’ai prié le Seigneur que, si ma vision -venait bien de lui, il me la fît apparaître deux autres -fois encore. » Et Gamaliel : « Je vais t’apprendre, par -des symboles, de quelle façon tu pourras distinguer les -reliques de chacun de nous ! » Après quoi il lui montra -trois vases d’or et un vase d’argent. L’un des vases d’or -était plein de roses rouges, les deux autres de roses -blanches ; le vase d’argent était plein de safran. Et -<span class="pagenum" id="p396">-396-</span> Gamaliel dit : « Ces vases sont nos cercueils. Le vase -plein de roses rouges est le cercueil de saint Etienne, -qui, seul de nous, a mérité la couronne du martyre. Les -deux vases pleins de roses blanches sont mon cercueil et -celui de Nicodème, parce que nous avons persévéré, -d’un cœur sincère, dans la foi du Christ. Enfin, le vase -d’argent, plein de safran, est le cercueil de mon fils Abibas, -qui brillait d’une blancheur virginale, et mourut -en état de pureté. » Cela dit, il disparut de nouveau. La -semaine suivante, il apparut une troisième fois au prêtre, -à qui il reprocha ses retards et sa négligence. Aussitôt -Lucien courut à Jérusalem, et raconta tout à l’évêque -Jean. L’évêque, avec tout son clergé, se rendit dans le -jardin du prêtre ; et à peine eut-on commencé à fouiller -le sol qu’une odeur délicieuse en sortit, au contact de -laquelle soixante-dix personnes furent guéries de diverses -maladies. Les cercueils des saints furent transportés -dans l’église de Jérusalem où saint Etienne avait -jadis rempli les fonctions d’archidiacre.</p> - -<p>Cette invention de saint Etienne eut lieu le jour où -l’Eglise célèbre aujourd’hui la passion du saint. Mais on -en a transporté la fête à un autre jour, afin que, le jour -où l’on a coutume de fêter le saint, l’hommage des fidèles -s’adressât plutôt à son martyre qu’à la découverte de -ses reliques.</p> - -<p>Quant à la translation de celles-ci, voici comment -nous la raconte saint Augustin. Un sénateur de Constantinople, -nommé Alexandre, se rendit à Jérusalem -avec sa femme, et fit construire, en l’honneur de -saint Etienne, une belle église, où il ordonna qu’on l’ensevelît -lui-même après sa mort. Mais, sept ans après sa -mort, sa veuve Julienne, rentrant dans sa patrie, voulut -emporter avec elle le corps de son mari. Alors l’évêque, -qu’elle suppliait de l’y autoriser, lui montra deux cercueils -d’argent et lui dit : « Je ne sais pas lequel de ces -deux cercueils est celui de ton mari ! » Et elle : « Moi, je -le sais bien ! » Sur quoi, elle s’élança, et couvrit de baisers -le corps de saint Etienne. Et ainsi, croyant reprendre -le corps de son mari, elle prit, par hasard, celui du premier -<span class="pagenum" id="p397">-397-</span> martyr. Et comme elle le conduisait par mer à -Constantinople, on entendit le chant des anges, une -odeur merveilleuse se répandit à bord du bateau, et -les démons, furieux, suscitèrent une affreuse tempête. -Mais, comme les matelots tremblaient d’épouvante, -saint Etienne leur apparut en personne, et leur dit : -« C’est moi qui suis avec vous, ne craignez rien ! » Et -aussitôt le calme succéda à la tempête. Le bateau parvint -alors sans encombre jusqu’à Constantinople, où le -corps de saint Etienne fut pieusement déposé dans une -église.</p> - -<p>Enfin, nous allons raconter de quelle manière fut faite -la conjonction du corps de saint Etienne avec celui de -saint Laurent. Eudoxie, fille de Théodose, qui se trouvait -à Rome, était possédée d’un démon qui la persécutait -cruellement. Alors son père, qui demeurait à Constantinople, -lui enjoignit de venir près de lui, afin qu’elle -pût toucher les reliques de saint Etienne. Mais le -démon qui était en elle se mit à crier : « Si Etienne ne -vient pas à Rome, je ne sortirai pas d’où je suis ! » Ce -qu’apprenant, Théodose obtint du clergé et du peuple -de Constantinople, que les reliques de saint Etienne -fussent échangées contre celles de saint Laurent, qui, -jusqu’alors, étaient gardées à Rome. L’empereur écrivit -donc au pape Pélage pour lui demander cet échange ; et -le pape réunit un concile de cardinaux, qui y consentit. -Des cardinaux furent alors envoyés à Constantinople -pour y prendre le corps de saint Etienne, et des Grecs -furent envoyés à Rome pour en ramener les reliques de -saint Laurent.</p> - -<p>Le corps de saint Etienne ayant été d’abord débarqué -à Capoue, les habitants de Capoue obtinrent de pouvoir -en garder le bras droit ; et une église métropolitaine -fut fondée pour recevoir la précieuse relique. Puis -le corps du martyr fut transporté à Rome, où on voulait -le déposer dans l’église de Saint-Pierre aux Liens. Mais -quand le cortège passa devant l’église où était le corps -de saint Laurent, les porteurs durent s’arrêter, retenus -par une force mystérieuse qui les empêchait d’avancer. -<span class="pagenum" id="p398">-398-</span> Et le démon, dans la princesse, criait : « Vous perdez -vos peines, car Etienne a choisi sa demeure auprès de -son frère Laurent ! » C’est donc auprès de saint Laurent -que le corps fut déposé ; et à peine Eudoxie l’eut-elle -touché que le démon qui la tourmentait l’abandonna. -Cependant, saint Laurent, comme s’il se réjouissait de -l’arrivée de son frère saint Etienne, se retira dans le -fond de son tombeau, laissant dans le milieu une grande -place vide pour son compagnon. Et, au moment où les -Grecs voulurent mettre la main sur le corps de saint Laurent -pour l’emporter, ils furent soudain précipités à -terre, et, malgré les prières du pape Pélage, ils moururent -quelques jours après. Puis on entendit, dans les -cieux, une voix qui disait : « Heureuse es-tu, Rome, de -pouvoir contenir dans un même tombeau les corps glorieux de -Laurent et d’Etienne ! » C’est ainsi que fut opérée -cette conjonction, l’an du Seigneur 425.</p> - -<p>Dans le livre XXII de la <i>Cité de Dieu</i>, saint Augustin -raconte l’histoire de six morts ressuscités par l’intermédiaire -de saint Etienne : 1<sup>o</sup> l’un de ces morts entrait -déjà en décomposition, lorsque, le nom de saint Etienne -ayant été invoqué sur lui, aussitôt il revint à la vie ; -2<sup>o</sup> un enfant, écrasé par une charrette, ressuscita et recouvra -la santé lorsque sa mère l’eut porté à l’église de saint -Etienne ; 3<sup>o</sup> une religieuse, qu’on avait portée dans l’église -de saint Etienne, et qui y était morte après avoir été -administrée, se releva guérie au vu et à l’étonnement de -tous ; 4<sup>o</sup> une jeune fille d’Hippone étant morte, son père -porta sa tunique à l’église de saint Etienne ; et, quand il -l’étendit ensuite sur le corps de sa fille, celle-ci ressuscita -aussitôt ; 5<sup>o</sup> un jeune homme retrouva la vie lorsqu’on -eut frotté son corps avec l’huile de saint Etienne ; 6<sup>o</sup> un -enfant, transporté mort dans l’église de saint Etienne, -revint à la vie dès qu’on eut invoqué le nom du saint.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p399">-399-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c112">CXII<br /> -SAINT DOMINIQUE, <span class="small">CONFESSEUR<br /> -(4 août)</span></h2> - - -<p>I. Dominique, père et fondateur de l’ordre des Frères -Prêcheurs, naquit en Espagne, dans un village appelé -Callahorra, du diocèse d’Osma. Son père s’appelait -Félix, et sa mère Jeanne. Sa mère, avant qu’il fût né, -rêva qu’elle portait dans son sein un petit chien, qui tenait -dans sa bouche une torche allumée ; et le petit chien, -sorti de son sein, embrasait de sa torche le monde entier. -Plus tard, la marraine du petit Dominique crut voir, -sur le front de l’enfant, une étoile qui éclairait le monde -entier. Et, pendant qu’il était encore confié aux soins de -sa nourrice, plusieurs fois on le vit, la nuit, se lever de -son berceau pour aller s’étendre sur la terre nue. Envoyé -à Valence pour faire ses études, il travaillait avec tant -de zèle que, pendant dix ans, il ne prit pas une goutte -de vin. Et comme la famine régnait à Valence, il vendit -ses livres et tout son mobilier pour en distribuer le -prix aux pauvres.</p> - -<p>Bientôt sa renommée s’étendit à tel point que l’évêque -d’Osma le nomma chanoine de son église ; et, peu de -temps après, les autres chanoines l’élurent pour leur -sous-prieur. Et lui, nuit et jour, il étudiait et priait, -demandant à Dieu la grâce de pouvoir se dévouer tout -entier au salut de son prochain.</p> - -<p>S’étant rendu avec son évêque à Toulouse, il ramena -à la foi du Christ son hôte, qui était hérétique, et l’offrit -au Seigneur comme la prémice de sa moisson future. -On lit aussi, dans la <i>Chronique du comte de Montfort</i>, -que, un jour, après avoir prêché contre les hérétiques, -il rédigea par écrit les arguments dont il s’était servi, et -remit le papier à l’un de ses adversaires, afin que celui-ci -pût réfléchir sur ses objections. Or l’hérétique fit -<span class="pagenum" id="p400">-400-</span> voir ce papier à ses compagnons assemblés. Ceux-ci lui -dirent de jeter le papier au feu et que, s’il brûlait, c’était -la preuve de la vérité de leurs doctrines, et que si, au -contraire, il ne brûlait pas, cela prouverait la vérité de la -foi romaine. Trois fois de suite le papier fut jeté au feu ; -trois fois de suite il en rejaillit sans éprouver le moindre -dommage. Mais les hérétiques, persévérant dans leur -erreur, se jurèrent de ne parler à personne de ce miracle. -Seul un soldat qui se trouvait là, et qui adhérait -un peu à la foi catholique, raconta plus tard le miracle -dont il avait été témoin. Ce miracle arriva auprès du -Mont de la Victoire.</p> - -<p>A la mort de l’évêque d’Osma, Dominique se trouva -presque seul à lutter contre les hérétiques. Ceux-ci, -l’accablant de railleries, lui lançaient de la boue, des -crachats et autres ordures, ou bien encore, par dérision, -lui attachaient de la paille dans le dos. Ils le menaçaient -également de mort, mais lui, sans rien craindre, répondait : -« Je ne suis pas digne de la gloire du martyre, et -n’ai pas encore mérité le bienfait de la mort ! » Une autre -fois, s’étant rendu en un lieu où on lui tendait des pièges, -il s’avançait en chantant et le sourire aux lèvres. Etonnés, -les hérétiques lui dirent : « L’idée de la mort ne te -trouble-t-elle pas ? Et qu’aurais-tu fait, si nous avions -mis la main sur toi ? » Et lui : « Je vous aurais priés de -ne pas me faire mourir tout de suite, mais peu à peu, en -me mutilant membre par membre. »</p> - -<p>Il apprit un jour qu’un homme, contraint par la misère, -s’était affilié aux hérétiques. Aussitôt le saint résolut -de se vendre lui-même, de façon que l’hérétique pût, -grâce à l’argent qui résulterait de cette vente, se délivrer -de son erreur et se convertir à la vraie religion. Et -il se serait en effet vendu, si Dieu n’avait pourvu d’une -autre façon aux besoins de l’homme qu’il voulait sauver. -Une autre fois, comme une femme se lamentait devant -lui de ne pouvoir délivrer son frère, retenu en captivité -par les Sarrasins, Dominique, touché de pitié, offrit de -se vendre lui-même pour racheter le captif. Mais Dieu, -fort heureusement, ne lui permit point de le faire, ayant -<span class="pagenum" id="p401">-401-</span> besoin de lui pour le rachat spirituel de bien d’autres -captifs.</p> - -<p>Peu à peu il se mit à projeter la création d’un ordre -ayant pour mission de parcourir le monde en prêchant, -et de fortifier la foi contre les hérétiques. Etant donc -resté pendant dix ans dans la région de Toulouse, depuis -la mort de l’évêque d’Osma jusqu’à la réunion du -Concile de Latran, il se mit en route pour Rome en compagnie -de Foulques, évêque de Toulouse. A Rome, il demanda -au pape Innocent l’autorisation de fonder un grand -ordre, qui porterait le nom d’ordre des Frères Prêcheurs. -Et comme le pape hésitait à lui accorder cette autorisation, -il vit en rêve que l’église de Latran allait s’écrouler ; -et voici qu’il vit arriver Dominique, qui, avec ses seules -épaules, soutenait l’église qui allait s’écrouler. A son -réveil, le pape, comprenant le sens de son rêve, accueillit -volontiers la demande du saint, ajoutant que, s’il voulait -choisir, pour son ordre, une des règles déjà approuvées -par l’église, l’ordre serait aussitôt approuvé. -Revenu auprès de ses frères, qui étaient au nombre de -seize, il lui fit part des paroles du pape. Sur quoi les -Frères, à l’unanimité, choisirent la règle de saint Augustin, -y ajoutant seulement certaines pratiques encore plus -rigoureuses, qu’ils résolurent de garder à jamais. Et, -après la mort d’Innocent, sous le pontificat d’Honorius, -en l’an du Seigneur 1216, l’ordre fondé par Dominique -fut décidément autorisé.</p> - -<p>Et l’on raconte que, un jour que Dominique, à -Rome, priait dans l’église de Saint-Pierre pour demander -cette autorisation, les deux princes des apôtres, -Pierre et Paul, lui apparurent ; saint Pierre lui tendit un -bâton, saint Paul, un livre, et tous deux lui dirent : « Va -et prêche, car tu as été élu de Dieu pour cette mission ! » -Et il crut voir ses fils, deux par deux, se répandant à -travers le monde. Aussi, dès qu’il fut revenu à Toulouse, -dispersa-t-il ses Frères, envoyant les uns en Espagne, -d’autres à Paris, d’autres à Bologne, tandis que lui-même -s’en retournait à Rome.</p> - -<p>Un moine, ayant été ravi en extase, vit la Vierge qui, -<span class="pagenum" id="p402">-402-</span> agenouillée et les mains jointes, implorait son Fils en -faveur des hommes. Et le Fils, voyant son insistance, -lui dit : « Ma mère, que puis-je ou dois-je encore faire -pour eux ? Je leur ai envoyé mes patriarches et mes prophètes, -et ils ne se sont pas corrigés. Je suis venu moi-même -vers eux, je leur ai envoyé mes apôtres : ils nous -ont mis à mort. Je leur ai envoyé mes martyrs, mes docteurs -et mes confesseurs : ils ne les ont pas écoutés. Cependant, -comme je ne veux rien te refuser, je leur donnerai -encore mes Frères Prêcheurs, pour qu’ils puissent les -éclairer et les purifier. Mais si les hommes rejettent encore -ceux-là, je serai forcé de sévir contre eux ! » Un -autre moine eut une vision analogue, le jour où douze -abbés de Cîteaux arrivèrent à Toulouse pour combattre -les hérétiques. Cette fois, la Vierge dit au Fils : « Mon -cher enfant, ce n’est point contre leurs méchancetés, -mais d’après ta propre compassion que tu dois agir. » -Et le Fils, vaincu par ses prières, lui dit : « A ta demande, -je vais encore leur envoyer mes Frères Prêcheurs -pour les instruire et les avertir ; mais s’ils continuent à -ne pas se corriger, je n’aurais désormais plus de pitié -pour eux ! »</p> - -<p>Un Frère Mineur, qui avait été longtemps le compagnon -de saint François, raconta à plusieurs Frères de -l’ordre des Prêcheurs que, pendant que Dominique était -à Rome pour la confirmation de son ordre, il vit, une -nuit, le Christ debout dans les airs et tenant en main -trois lances, qu’il brandissait contre le monde. Et sa -Mère, accourant au-devant de lui, lui demanda ce qu’il -allait faire. Et Lui : « Le monde est tout rempli de trois -vices : l’orgueil, l’avarice, et la concupiscence ; aussi -ai-je résolu de le détruire avec ces trois lances ! » Alors -la Vierge, se jetant à ses genoux, lui dit : « Fils bien-aimé, -aie pitié et tempère ta justice de miséricorde ! » -Et le Christ : « Ne vois-tu pas les injures qui me sont -faites ? » Et la Vierge : « Mon fils, retiens ta fureur et -attends un peu ; car je connais un fidèle serviteur et vaillant -lutteur qui, parcourant le monde, le soumettra à ta -domination. Et je lui donnerai pour assistant un autre -<span class="pagenum" id="p403">-403-</span> serviteur, qui rivalisera avec lui de zèle et de courage. » -Et Jésus : « Ta vue m’a apaisé, mais je serais curieux -de voir les deux hommes à qui tu promets de si hautes -destinées ! » Alors elle présenta au Christ saint Dominique. -Et le Christ : « Oui, voilà un bon et vaillant lutteur ! » -Puis elle lui présenta saint François, dont il fit -le même éloge. Or, saint Dominique, qui, jamais encore -n’avait vu son glorieux rival, le reconnut dans l’église, -le lendemain, à la suite de ce rêve où il l’avait vu. Il -courut à lui, l’embrassa pieusement, et lui dit : « Tu es -mon compagnon, nos routes iront de pair. Unissons-nous, -et aucun adversaire ne prévaudra contre nous ! » -Puis il lui raconta la vision qu’il avait eue ; et depuis -lors, ils n’eurent plus qu’un seul cœur et qu’une seule -âme en Dieu, et ils recommandèrent à leurs successeurs -de garder fidèlement cette amitié réciproque.</p> - -<p>Un novice, de la Pouille, que saint Dominique avait -reçu dans son ordre, fut tellement perverti par ses anciens -compagnons qu’il voulait absolument jeter son -froc pour retourner dans le monde. Alors saint Dominique, -après avoir longtemps prié, revêtit le novice de -ses vêtements de laïc ; mais aussitôt celui-ci se mit à -crier : « Je brûle, je me consume, ôtez-moi au plus vite -cette maudite chemise qui va me réduire en cendres ! » -Et il n’eut point de repos que son froc ne lui fût rendu -et qu’il ne se fût réinstallé dans sa cellule.</p> - -<p>Pendant que saint Dominique était à Bologne, un des -Frères, la nuit, fut tourmenté par le diable. Ce qu’apprenant, -le Frère Régnier, de Lausanne, fit part de la chose -à saint Dominique, qui ordonna de transporter le possédé -dans l’église, devant l’autel. Et lorsque dix Frères -furent péniblement parvenus à le transporter, le saint -dit : « Je te somme, misérable, de me dire pourquoi tu -tourmentes une créature de Dieu ! » Et le diable répondit : -« Je tourmente ce moine, parce qu’il l’a mérité. -Hier, en effet, il a bu, en ville, sans la permission de son -prieur, et sans avoir fait le signe de la croix. Alors je -suis entré en lui, sous la forme d’un moustique, en me -mêlant au vin qu’il buvait. » Sur ces entrefaites, la cloche -<span class="pagenum" id="p404">-404-</span> du monastère sonna pour les matines. Et aussitôt le -diable dit : « Je ne puis demeurer ici plus longtemps, car -voilà que les capucins se lèvent ! » Et il s’enfuit.</p> - -<p>Un jour que saint Dominique traversait un fleuve, aux -environs de Toulouse, ses livres tombèrent à l’eau. Or -trois jours après, un pêcheur, ayant jeté sa ligne en ce -lieu, crut bien avoir pris un lourd poisson ; et il retira -de l’eau les livres du saint, aussi intacts que s’ils avaient -été soigneusement gardés dans une armoire.</p> - -<p>Une nuit, étant arrivé à la porte d’un monastère pendant -que les moines dormaient, Dominique se fit scrupule -de les réveiller. Il se mit en prière, et soudain, se -vit transporté à l’intérieur du monastère, avec son compagnon, -sans que les portes eussent été ouvertes.</p> - -<p>Un étudiant débauché vint, certain jour de fête, dans -l’église des Frères, à Bologne, pour entendre la messe. -Or c’était saint Dominique lui-même qui officiait ce -jour-là. Au moment de l’offertoire, l’étudiant s’approcha -et baisa pieusement la main du saint, dont il sentit -s’exhaler un parfum délicieux. Et aussitôt la fièvre du -plaisir se refroidit en lui, miraculeusement, au point -qu’il devint désormais chaste et continent.</p> - -<p>Un prêtre, témoin du zèle qu’apportaient à leur prédication -saint Dominique et ses Frères, résolut d’entrer -dans leur ordre, si seulement il pouvait se procurer un -Nouveau Testament, dont il avait besoin pour prêcher. -Or, au même instant, un jeune homme vint le trouver, -et lui offrit de lui vendre un Nouveau Testament, que le -prêtre s’empressa d’acheter. Mais comme, après cela, il -hésitait encore, il fit un signe de croix sur le livre et -l’ouvrit ensuite au hasard ; et ses yeux tombèrent sur un -passage des <i>Actes</i>, où il lut : « Lève-toi, descends et va -avec eux sans hésitation, car c’est moi qui les ai envoyés ! » -Et aussitôt, se levant, il rejoignit les Frères.</p> - -<p>Un maître de théologie de Toulouse, homme de -grande science et de grand renom, préparait un jour sa -leçon lorsque, vaincu par le sommeil, il s’endormit sur -son siège. Et il vit en rêve qu’on lui présentait sept -étoiles. Et soudain ces étoiles commencèrent à grandir -<span class="pagenum" id="p405">-405-</span> en nombre et en éclat, de telle sorte que, bientôt, elles -illuminèrent le monde. Se réveillant, il fut très étonné -de ce rêve. Et, au moment où il entrait dans la salle de -ses leçons, saint Dominique et six de ses frères vinrent -respectueusement l’écouter : et aussitôt il comprit -qu’ils étaient les sept étoiles qu’il avait vues dans son -rêve.</p> - -<p>Pendant que Dominique était à Rome, un savant -homme, nommé Reginald, doyen de Saint-Aignan d’Orléans, -et qui avait enseigné le droit canon à Paris, -se mit en route pour Rome, par voie de mer, en compagnie -de l’évêque d’Orléans. Cet homme avait depuis -longtemps le désir de se consacrer tout entier à la prédication, -mais ne savait pas encore sous quelle forme il -devait le faire. Un cardinal, qui éprouvait le même -désir, lui apprit l’institution des Frères Prêcheurs. On -fit venir saint Dominique, qui leur expliqua son projet. -Sur quoi le théologien résolut d’entrer dans son ordre. -Mais, au même moment, il fut pris d’une grande fièvre -qui faillit l’emporter. Alors saint Dominique se mit -à invoquer la Vierge, qu’il avait choisie, expressément, -pour patronne de son ordre. Il lui demanda de vouloir -bien lui concéder Reginald, au moins pour quelque -temps. Et voici que, soudain, le malade qui, déjà, attendait -la mort, vit venir à lui la Reine de Miséricorde, accompagnée -de deux jeunes filles merveilleusement -belles ; et elle lui dit : « Demande-moi ce que tu voudras -et je te l’accorderai ! » Et, pendant qu’il songeait à ce -qu’il pouvait lui demander, une des deux jeunes filles -lui conseilla de ne rien demander, mais plutôt de s’en -remettre tout à fait à la Reine de Miséricorde : ce qu’il -fit. Alors la Vierge, étendant la main, oignit ses oreilles, -ses narines, ses mains, et ses pieds, avec un onguent -qu’elle avait apporté, puis elle dit : « Après-demain je -t’enverrai une ampoule qui achèvera de te rendre la -santé ! » Puis elle lui montra un habit de moine, en lui -disant : « Voici l’habit de ton ordre ! » Et lorsque saint -Dominique, qui avait eu la même vision, vint chez Reginald, -le jour suivant, il le trouva en pleine convalescence. -<span class="pagenum" id="p406">-406-</span> Et, le jour d’après, la Mère de Dieu revint auprès -de Reginald, et lui oignit de nouveau le corps, de telle -façon que non seulement sa fièvre disparut à jamais, -mais que toute ardeur de concupiscence l’abandonna. -Lui-même a avoué que, pas une seule fois depuis -lors, il n’a ressenti même le premier mouvement -d’un désir charnel. Et cette seconde vision eut pour -témoin, avec Reginald et saint Dominique, un religieux -de l’ordre des Hospitaliers, qui en fut grandement surpris. -Aussi Dominique s’empressa-t-il de la raconter à -ses frères, en même temps qu’il leur faisait revêtir l’habit -que la Vierge avait montré à Reginald, et qui était -un peu différent de celui que les frères portaient jusqu’alors. -Quant à Reginald, il se rendit à Bologne pour -y prêcher, et contribua beaucoup à accroître le nombre -des frères ; après quoi il se rendit à Paris et y mourut -presque dès son arrivée.</p> - -<p>Un jeune homme, neveu du cardinal de Fossa-Nova, -tomba de cheval dans un fossé où il se tua ; mais saint -Dominique, ayant prié sur lui, le ressuscita. Il ressuscita -également un architecte qui, conduit par des frères -dans la crypte de Saint-Sixte, avait été écrasé par la -chute d’un mur. Dans le même couvent, comme les frères, -au nombre de quarante, y étaient assemblés, ils virent -qu’ils n’avaient à manger qu’un tout petit pain. Saint -Dominique leur ordonna de couper ce pain en quarante -parties. Et comme chacun des frères prenait avec joie -sa bouchée, deux jeunes gens, exactement pareils, entrèrent -dans le réfectoire portant des pains dans les -plis de leurs manteaux. Ils déposèrent les pains à la -tête de la table sans rien dire, et puis disparurent, de -telle façon que personne ne sut ni d’où ils étaient venus, -ni comment ils étaient partis. Alors saint Dominique, -étendant les mains vers ses Frères : « Eh bien, mes -chers Frères, voilà que vous avez de quoi manger ! »</p> - -<p>Un jour qu’il était en voyage et que la pluie tombait à -verse, il fit le signe de la croix ; et aussitôt la pluie -l’épargna, lui et son compagnon, de telle sorte que, -pendant que le sol ruisselait d’eau, pas une goutte ne se -<span class="pagenum" id="p407">-407-</span> voyait dans un espace de trois coudées tout à l’entour -d’eux. Une autre fois, près de Toulouse, comme il passait -un fleuve en bateau, le batelier exigea de lui un denier -pour prix de la traversée. En vain le saint lui promettait -le royaume des cieux, ajoutant que, disciple du -Christ, il n’avait jamais ni or, ni argent. L’homme, le -tirant par sa chape, lui disait : « Je veux un denier ou ta -chape ! » Alors le saint leva les yeux au ciel et pria ; puis -baissant les yeux à terre, il aperçut un denier, sans -doute tombé du ciel. Et il dit au batelier : « Tiens, -frère, prends ce que tu demandes et laisse-moi aller en -paix ! »</p> - -<p>Une autre fois, le saint rencontra en route un religieux -qui lui était proche par la sainteté, mais absolument -étranger par la langue. Et il regrettait fort de ne pouvoir -pas se réchauffer l’âme en s’entretenant avec lui -des choses divines. Mais Dieu permit que, pendant -trois jours, jusqu’à leur arrivée dans l’endroit où ils -allaient, ils comprissent et parlassent la langue l’un de -l’autre.</p> - -<p>Une autre fois, voulant délivrer un possédé, il lui mit -autour du cou sa propre étole, et ordonna aux démons -de ne plus le tourmenter. Et les démons : « Permets-nous -de sortir sans nous torturer comme tu fais ! » Mais -lui : « Je ne vous laisserai sortir que si vous me donnez -des garants pour me certifier que jamais plus vous ne -reviendrez. » Et eux : « Quels garants pourrions-nous -t’offrir ? » Et lui : « Les saints martyrs dont les chefs -reposent dans cette église ! » Et eux : « C’est impossible, -car ils sont nos ennemis ! » Et lui : « Si vous ne le faites -pas, je ne cesserai pas de vous torturer. » Alors ils promirent -de faire tout le possible ; et, après un instant, ils -reprirent : « Hé bien, les saints martyrs nous ont accordé -la faveur de se porter garants pour nous ! » Et comme -Dominique leur demandait un signe qui le lui prouvât, -ils répondirent : « Allez à la châsse où sont les têtes des -martyrs, et vous la trouverez retournée en sens inverse ! » -On y alla, et l’on vit que les démons avaient dit vrai.</p> - -<p>Un jour, comme il prêchait, des femmes hérétiques se -<span class="pagenum" id="p408">-408-</span> jetèrent à ses pieds, en disant : « Serviteur de Dieu, -prête-nous ton aide ! car si ce que tu as prêché aujourd’hui -est vrai, longtemps l’esprit d’erreur nous a aveuglées. » -Et lui : « Ayez la constance d’attendre un moment, -et vous verrez à quel dieu vous avez adhéré ! » -Et elles virent s’élancer parmi elles un chat terrible, -grand comme un chien, avec de gros yeux pleins de -flammes, une langue énorme et sanguinolente descendant -jusque sur son nombril, et une queue très courte, laissant -à nu son derrière, dont sortait une puanteur intolérable. -L’animal tourna plusieurs fois autour des femmes, -et disparut enfin dans le clocher, grimpant le long de la -corde d’une cloche. Et les femmes, ayant vu ce prodige, -se convertirent à la foi catholique.</p> - -<p>Etant à Toulouse, Dominique vit un jour conduire au -bûcher des hérétiques qu’il avait convaincus d’erreur. -Et comme il reconnaissait parmi eux un homme appelé -Raymond, il dit aux exécuteurs : « Sauvez celui-ci, de -façon qu’il ne soit pas brûlé avec les autres ! » Puis, se -tournant vers Raymond, il lui dit doucement : « Je sais, -mon fils, qu’un jour tu deviendras un homme de bien et -un saint ! » Et, en effet, l’hérétique, après avoir encore -persisté dans son hérésie pendant vingt ans, se convertit -et entra dans l’ordre des Prêcheurs, où il mena la vie -la plus exemplaire.</p> - -<p>Comme il était un jour au couvent de saint Sixte, à -Rome, il eut une illumination divine après laquelle, convoquant -le chapitre des frères, il leur annonça que quatre -d’entre eux mourraient bientôt, deux quant au corps, et -deux quant à l’âme. Et en effet, peu de temps après, deux -des frères rendirent leur âme à Dieu et deux autres se -défroquèrent.</p> - -<p>Il y avait à Bologne un savant maître, nommé Conrad -le Teuton, dont les frères souhaitaient vivement qu’il -entrât dans leur ordre. Or, un soir que saint Dominique -s’entretenait familièrement avec le prieur du monastère -Cistercien de <span lang="la" xml:lang="la">Casa Mariæ</span>, il lui dit, entre autres -choses : « Prieur, je vais t’avouer un secret dont je n’ai -jamais fait part à personne, et dont je te prie, toi aussi, -<span class="pagenum" id="p409">-409-</span> de ne faire part à personne tant que je vivrai. Sache -donc que, jusqu’à présent, je n’ai jamais rien demandé -au ciel qui ne m’ait aussitôt été accordé ! » A quoi le -prieur répondit : « Eh bien, mon Père, demande au ciel -que Conrad entre dans ton ordre, ainsi que le souhaitent -les frères ! » Quelques heures plus tard, quand les offices -furent achevés, et que tout le monde se fut mis au lit, -Dominique resta seul dans l’église, et pria jusqu’au -lendemain. Et, le lendemain matin, comme les frères -s’assemblaient dans l’église pour les matines, voici -qu’entra tout à coup maître Conrad, qui, s’étant prosterné -aux pieds de saint Dominique, demanda à revêtir -l’habit de son ordre. Et, depuis ce moment, Conrad mena -la vie la plus exemplaire. Plus tard, comme il avait déjà -fermé les yeux, ses frères le croyaient mort, lorsque -soudain, rouvrant les yeux et promenant son regard -d’un frère à l’autre, il dit : « Que le Seigneur soit avec -vous ! » Les Frères répondirent : « Et avec ton esprit ! » -Sur quoi Conrad ajouta : « Que les âmes des fidèles -reposent en paix ! » Et aussitôt il s’endormit dans le -Seigneur.</p> - -<p>Dominique, en vrai serviteur de Dieu, avait une parfaite -égalité d’âme, sauf quand il était ému de compassion ; -et, comme un cœur joyeux rend le visage gai, la -composition tranquille de son intérieur se manifestait -dans la bienveillance souriante de ses traits. Il passait -ses journées en compagnie de ses frères et de ses compagnons, -réservant ses nuits pour la prière : et ainsi il -donnait ses journées à son prochain, ses nuits à Dieu. -Souvent, pendant la messe, à l’élévation, il avait l’esprit -ravi au point de voir le Christ lui-même incarné dans -l’hostie. Presque toujours il passait la nuit dans l’église ; -et quand la fatigue l’accablait, il sommeillait un instant, -soit devant l’autel, ou la tête appuyée sur une pierre. -Trois fois par nuit il s’infligeait la discipline avec une -chaîne de fer, la première fois pour lui-même, la seconde -pour les pécheurs vivants, la troisième pour ceux du -purgatoire.</p> - -<p>Ayant été un jour élu évêque de Cîteaux, il refusa -<span class="pagenum" id="p410">-410-</span> formellement d’accepter cet honneur, déclarant qu’il -aimait mieux mourir que de consentir à ce qu’une élection -se fît sur son nom. On lui demandait pourquoi il -demeurait plutôt dans le diocèse de Carcassonne que -dans celui de Toulouse, qui était le sien. Il répondit : -« Parce que, dans le diocèse de Toulouse, je trouve bien -des gens qui m’honorent, tandis que, dans celui de Carcassonne, -tout le monde m’attaque. » Et comme on lui -demandait quel était le livre où il avait le plus étudié, il -répondit : « Le livre de la charité ! »</p> - -<p>Certaine nuit, pendant que saint Dominique priait -dans son église de Bologne, le diable lui apparut sous -la figure d’un frère. Et le saint, croyant voir un de ses -frères, lui faisait signe d’aller se coucher avec ses compagnons. -Mais le diable, par dérision, lui répondait en -lui adressant les mêmes signes de tête. Alors le saint, -voulant savoir quel était le frère qui méprisait ainsi ses -ordres, alluma une chandelle à l’une des lampes, et reconnut -aussitôt à qui il avait affaire. Il se mit donc à -invectiver véhémentement le diable, qui osa, à son tour, -lui reprocher d’avoir rompu la règle du silence, en lui -parlant. Le saint lui rappela que son titre d’abbé le dégageait -de la règle du silence. Après quoi il le somma de -lui dire comment il tentait les frères dans le chœur. Et -le diable : « Je les fais venir trop tard et repartir trop -tôt. » Dominique lui demanda comment il tentait les -frères au dortoir. Et le diable : « Je les fais coucher trop -tôt, se lever trop tard. » Saint Dominique lui demanda -comment il tentait les frères au réfectoire. Et le démon, -tout en sautant d’une table à l’autre, se borna à répéter -plusieurs fois : « Par le plus et par le moins ! » Interrogé -sur ce qu’il voulait dire, il répondit : « J’excite les uns à -trop manger, pour qu’ainsi ils pèchent par gourmandise ; -j’en excite d’autres à ne pas assez manger, pour qu’ainsi -ils deviennent plus faibles et soient moins aptes au service -de Dieu. » Dominique demanda ensuite au diable -comment il tentait les frères au parloir. Et le diable : -« Oh ! ce lieu-là est mon véritable domaine ; car lorsque -les frères s’y réunissent pour parler entre eux, je les -<span class="pagenum" id="p411">-411-</span> excite à bavarder en désordre, à se perdre en paroles -inutiles et à ouvrir la bouche tous en même temps. » -Enfin Dominique le conduisit au chapitre du couvent : -mais le diable ne voulut à aucun prix, y pénétrer, disant : -« Ce lieu-ci est pour moi la malédiction et l’enfer, car -j’y perds tout ce que j’ai gagné dans le reste du couvent. -Dès que j’ai amené un frère à pécher, il vient se purger -ici de sa faute et la confesser publiquement. » Et, cela -dit, il disparut.</p> - -<p>C’est à Bologne que Dominique sentit les premières -atteintes de la maladie qui devait l’emporter. Il vit en -rêve un beau jeune homme qui l’appelait, et lui disait : -« Viens, mon bien-aimé, viens à la joie, viens ! » Aussitôt -il rassembla les frères de Bologne, au nombre de douze, -et leur remit son testament, en leur disant : « Voici -ce que je vous laisse en héritage paternel : la charité, -l’humilité et la pauvreté ! » Il défendit, par tous les -moyens possibles, que son ordre pût jamais posséder -aucun bien temporel, appelant la malédiction de Dieu -sur celui qui voudrait souiller, de la poussière des -richesses terrestres, l’ordre des Frères Prêcheurs. Et -comme ses frères se désolaient de son état, il leur dit -doucement : « Mes fils, que la dissolution de mon corps -ne vous trouble point ! Et ne doutez point que, mort, -je vous serai plus utile que je ne l’ai été de mon -vivant ! » Puis il s’endormit dans le Seigneur, en -l’an 1221.</p> - -<p>II. Sa mort fut aussitôt révélée au Frère Guale, qui était -alors prieur des dominicains de Brescia, et qui devint -plus tard évêque de cette ville. Ce saint homme sommeillait -dans la chapelle du couvent, la tête appuyée au -mur, lorsqu’il vit le ciel s’ouvrir pour livrer passage à -deux échelles blanches, dont l’une était tenue par le -Christ, l’autre par la Vierge, et le long desquelles montaient -et descendaient joyeusement des anges. Entre les -deux échelles était attaché un siège où se tenait assis -un frère, la tête couverte d’un voile ; et Jésus et la Vierge -tiraient les échelles jusqu’à ce que le siège fût entré dans -le ciel. Et Guale, étant venu ensuite à Bologne, apprit -<span class="pagenum" id="p412">-412-</span> que le même jour, à la même heure, saint Dominique -avait rendu l’âme.</p> - -<p>Un autre Frère, nommé Raon, se trouvait, ce jour-là, -dans une chapelle de Tibur, où il célébrait la messe. Et, -comme il savait que Dominique était malade, il voulut -prier pour sa santé, à l’endroit du canon où mention est -faite des vivants. Mais aussitôt il fut ravi en extase, et -vit Dominique sortant de Bologne par une voie royale, la -tête ceinte d’une couronne d’or, et accompagné de deux -anges resplendissants. Il nota le jour et l’heure, qui -coïncidaient avec ceux de la mort du saint.</p> - -<p>III. Quelque temps après sa mort, et en présence du -grand nombre de miracles qu’opéraient ses reliques, les -fidèles crurent devoir transporter celles-ci dans un lieu -plus en vue. On ouvrit donc le caveau où le corps du -saint avait été déposé ; et une odeur délicieuse s’en exhala, -qui effaçait tous les parfums du monde, et qui imprégnait -non seulement les restes mêmes du saint corps, mais -aussi le cercueil et la terre entassée alentour. Et ceux -des frères qui avaient touché aux reliques gardaient ce -parfum surnaturel attaché à leurs mains.</p> - -<p>IV. Un noble de Hongrie était venu, avec sa femme et -son petit garçon, visiter les reliques du saint dans une -église de Silon. Et comme l’enfant, tombé gravement malade, -était mort, son père porta son cadavre devant l’autel -de saint Dominique, et s’écria tout en larmes : « Grand -saint, je suis venu joyeux vers toi, je m’en vais désolé ! -Je suis venu avec mon fils, je m’en vais sans lui ! Je -t’en prie, rends-moi mon fils, rends-moi la joie de -mon cœur ! » Aussitôt l’enfant se releva, et se mit à marcher -dans l’église. — Une autre fois, comme un des serviteurs -d’une dame noble de Hongrie s’était noyé, et que -son corps n’avait été retiré de l’eau qu’après un très long -délai, la dame pria saint Dominique de le ressusciter, -promettant, si elle était exaucée, de donner la liberté au -serviteur mort, et d’aller en pèlerinage, pieds nus, aux -reliques du saint. Aussitôt le mort ressuscita ; et la dame -accomplit son vœu. — Une autre fois encore, en Hongrie, -un homme dont le fils venait de mourir invoqua l’aide de -<span class="pagenum" id="p413">-413-</span> saint Dominique. Le lendemain, au chant du coq, l’enfant -ouvrit les yeux et dit à son père : « D’où vient, mon -père, que tu aies le visage si creusé et pâli ? » Et le père : -« C’est l’effet de mes larmes, mon fils, parce que tu -étais mort et que je restais seul, privé de toute joie ! » Et -l’enfant : « Sache donc, mon père, que saint Dominique, -ayant pitié de ton chagrin, a obtenu, par ses mérites, -que je te fusse rendu ! »</p> - -<p>V. Dans la même province de Hongrie, une dame qui -se préparait à faire célébrer une messe en l’honneur de -saint Dominique ne trouva point de prêtre dans l’église, -à l’heure où elle vint. Alors elle enveloppa dans un -linge les trois cierges qu’elle avait préparés, les posa -dans un vase, et sortit pour un moment. Quand elle -revint, les trois cierges étaient allumés à l’intérieur du -linge ; et ils se consumèrent sans que le linge en eût la -moindre brûlure.</p> - -<p>VI. Un étudiant de Bologne, nommé Nicolas, souffrait si -cruellement d’une maladie des reins qu’il ne pouvait se -lever de son lit et que sa cuisse gauche était desséchée. -Il invoqua l’aide de saint Dominique, et, soudain, ayant -entouré sa cuisse d’un filament de cierge, il se trouva -guéri au point de pouvoir se rendre, sans béquilles, au -tombeau du saint. Et innombrables sont les autres -miracles que Dieu fit, dans la même ville, par l’entremise -de son serviteur Dominique.</p> - -<p>VII. En Sicile, dans la ville de Palerme, une jeune fille -souffrait de la pierre. Sa mère la recommanda à saint -Dominique. Et, la nuit suivante, le saint apparut à la -jeune fille, lui posa dans la main la pierre qui la faisait souffrir, -et disparut. La jeune fille se réveilla guérie ; et sa -mère porta la pierre miraculeuse au couvent des frères, où -l’on s’empressa de la suspendre devant l’image de saint -Dominique.</p> - -<p>VIII. Dans la même ville, pendant la fête de la Translation -de saint Dominique, des femmes qui revenaient de -l’église virent une autre femme qui filait, assise devant -sa porte. Elles lui reprochèrent charitablement de ne -point s’abstenir de travail servile pendant la fête d’un -<span class="pagenum" id="p414">-414-</span> si grand saint. Mais elle, furieuse, répondit : « Bon -à vous, les chéries des frères, de célébrer la fête de votre -saint ! » Aussitôt des tumeurs se produisirent dans ses -yeux, et des vers en sortirent, au point qu’une voisine -en retira dix-huit de chaque œil. Toute confuse, la femme -se fit conduire à l’église des frères, y confessa ses péchés, -et fit le vœu de ne plus jamais parler mal de saint -Dominique. Sur quoi la santé lui fut rendue.</p> - -<p>XI. Maître Alexandre, évêque de Vendôme, rapporte, -qu’un étudiant de Bologne, adonné aux vanités du siècle, -eut une vision miraculeuse. Il vit qu’il était dans un -grand champ, où une tempête effroyable descendait sur -lui. Il voulut alors se réfugier dans une maison voisine ; -mais il la trouva fermée ; et, comme il frappait à la porte -pour être reçu, une voix féminine lui répondit : « Je suis -la Justice, et ceci est ma maison ; et tu ne peux y entrer, -n’étant pas un juste ! » L’étudiant, consterné, alla frapper -à la porte d’une autre maison, d’où une voix lui répondit : -« Je suis la Vérité et ceci est ma maison ; et je ne puis te -recevoir, parce que la vérité ne saurait secourir celui -qui ne l’aime pas ! » Enfin, d’une troisième maison, lui -fut répondu : « Ceci est la maison de la Paix, et il n’y a -point de paix pour les impies, mais seulement pour les -hommes de bonne volonté ! Ecoute cependant un bon -conseil ! Près d’ici habite une de nos sœurs qui est toujours -prête à secourir les malheureux. Va la trouver, et -fais ce qu’elle te dira ! » Et, de cette quatrième maison, -une voix répondit : « Je suis la Miséricorde, et je vais -t’indiquer un moyen d’être sauvé de la tempête qui te -menace. Va à la maison des Frères Prêcheurs ; tu y trouveras -l’étable de la pénitence et le pâturage de la sainte -doctrine, et l’enfant Jésus, qui te sauvera ! » Ayant eu -cette vision, l’étudiant s’éveilla, courut à la maison des -Frères, et revêtit l’habit de l’ordre.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p415">-415-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c113">CXIII<br /> -SAINT DONAT, <span class="small">ÉVÊQUE ET MARTYR<br /> -(7 août)</span></h2> - - -<p>I. Donat fut instruit avec l’empereur Julien, qui, comme -l’on sait, fut ordonné sous-diacre. Mais, dès que Julien -parvint à l’empire, il fit tuer le père et la mère de Donat. -Et celui-ci se réfugia dans la ville d’Arezzo, où, demeurant -auprès du moine Hilaire, il opérait de nombreux -miracles. Le préfet de la ville lui amena un jour son fils, -qui était possédé du démon ; et l’esprit immonde, s’écria : -« Au nom du Seigneur Jésus-Christ, Donat, ne me tourmente -point pour me forcer à sortir de ma maison ! » -Mais sur la prière de Donat, le fils du préfet fut aussitôt -délivré.</p> - -<p>II. Un percepteur du fisc en Toscane, nommé Eustache, -allant en voyage, confia les deniers publics à la garde -de sa femme nommée Euphrosine. Et celle-ci, voyant la -province envahie par des ennemis, cacha l’argent ; après -quoi elle mourut. Son mari, quand il revint, ne put -retrouver l’argent. Condamné au supplice avec ses -enfants, il eut recours à saint Donat. Et celui-ci, s’étant -rendu avec lui au tombeau de sa femme, pria le Seigneur ; -puis, à haute voix, il dit : « Euphrosine, au nom de -l’Esprit-Saint, je t’adjure de nous dire où tu as caché -l’argent ! » Aussitôt on entendit une voix, sortant du -tombeau, qui disait : « Sous le seuil de notre maison, -c’est là que je l’ai enfoui ! » Et, en effet, l’argent fut -retrouvé où la voix l’avait dit.</p> - -<p>III. Quelques jours après, l’évêque Satyre s’endormit -dans le Seigneur, et tout le clergé élut Donat pour le -remplacer. Or, comme un jour, suivant ce que rapporte -Grégoire dans son <i>Dialogue</i>, le peuple communiait -pendant la messe, le diacre qui portait le calice sacré -fut soudain poussé par les païens si vivement qu’il -tomba, et que le calice fut brisé en morceaux. Mais -<span class="pagenum" id="p416">-416-</span> Donat, voyant sa douleur et celle du peuple, réunit les -morceaux du calice, pria sur eux, et aussitôt ils se -rejoignirent pour reprendre leur forme première. Seul -un de ces morceaux fut caché par le diable. Il manque -aujourd’hui encore au calice, qui garde ainsi le témoignage -du miracle. Et les païens, à la vue de ce miracle, -se convertirent au nombre de quatre-vingts, et reçurent -le baptême.</p> - -<p>IV. Il y avait, près d’Arezzo, une fontaine empoisonnée : -quiconque en buvait mourait aussitôt. Et comme saint -Donat s’y rendait sur son âne, pour demander à Dieu la -purification de l’eau, un dragon terrible sortit de la fontaine, -et, enroulant sa queue autour des pieds de l’âne, -se dressa contre Donat. Mais celui-ci, l’ayant frappé -d’une verge, ou, suivant d’autres, lui ayant craché dans -la gueule, le tua sur-le-champ. Puis il pria le Seigneur, -et l’eau de la fontaine se trouva purifiée. Une autre fois, -comme ses compagnons et lui avaient très soif, il pria -le Seigneur, et une source jaillit du sol, sous ses pieds.</p> - -<p>V. La fille de l’empereur Théodose, étant possédée -d’un démon, fut amenée à saint Donat, qui dit : « Sors, -esprit immonde, et cesse de demeurer dans un corps -créé par Dieu ! » Et le démon : « Où irai-je, et par où -sortirai-je ? » Et Donat : « D’où es-tu venu ici ? » Et le -démon : « Du désert ! » Et Donat : « Retourne au désert ! » -Et le démon : « Je vois sur toi le signe de la croix, d’où -un feu jaillit contre moi. Donne-moi un passage pour -sortir et je sortirai ! » Et Donat : « Soit, je te laisserai -passer, pour que tu t’en retournes d’où tu es venu ! » Et -le démon sortit, en faisant trembler toute la maison.</p> - -<p>VI. Un mort était conduit au tombeau lorsqu’un homme -survint qui, tenant en main un papier, affirma que le -mort lui devait deux cents sous, et déclara qu’il s’opposerait -à l’ensevelissement jusqu’à ce qu’on l’eût payé. La -femme du mort vint, toute pleurante, rapporter la chose -à saint Donat ; elle ajouta que cet homme avait, depuis -longtemps, reçu en totalité l’argent qu’il réclamait. Alors -le saint marcha vers le cercueil, et, prenant la main du -mort, lui dit : « Ecoute-moi ! » Le mort répondit : « Je -<span class="pagenum" id="p417">-417-</span> t’écoute ! » Et saint Donat : « Lève-toi, et arrange-toi -avec cet homme, qui s’oppose à ton ensevelissement ! » -Le mort se releva dans son cercueil, prouva en présence -de tous qu’il avait déjà payé la dette, et, saisissant le -papier, le déchira. Puis il dit à saint Donat : « Et maintenant, -mon père, fais que je me rendorme ! » Et Donat : -« Fort bien, mon fils, repose en paix ! »</p> - -<p>VII. Comme, depuis près de trois ans, la pluie refusait -de tomber, et que la stérilité était grande, les infidèles -vinrent trouver l’empereur Théodose et lui demandèrent -de leur livrer Donat, dont ils accusaient les artifices -magiques. Averti par l’empereur, Donat se rendit sur la -place, pria le Seigneur, et obtint aussitôt une pluie -abondante. Puis il revint chez lui, sans une goutte d’eau -sur son vêtement, tandis que tous les autres étaient -trempés de pluie.</p> - -<p>VIII. Plus tard, lorsque les Goths ravagèrent l’Italie -et que bon nombre de chrétiens renièrent leur foi, le -préfet Evadracien, à qui saint Donat et saint Hilaire -reprochaient son apostasie, fit saisir les deux saints, et -leur ordonna de sacrifier à Jupiter. Sur leur refus, Hilaire -fut dépouillé de ses vêtements, et roué de coups, dont il -mourut. Donat fut jeté en prison, puis décapité. C’était -en l’an du Seigneur 380.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c114">CXIV<br /> -SAINT CYRIAQUE ET SES COMPAGNONS, <span class="small">MARTYRS<br /> -(8 août)</span></h2> - - -<p>Cyriaque, qui avait été ordonné diacre par le pape -Marcel, fut arrêté avec ses compagnons, et condamné -par Maximien à bêcher de la terre, pour la porter ensuite -sur ses épaules jusqu’à un endroit où l’on construisait -des thermes. Il y avait là un digne vieillard, saint Saturnin, -que Cyriaque et Sisinnius aidaient à porter sa charge -<span class="pagenum" id="p418">-418-</span> de terre. Puis le préfet fit saisir saint Cyriaque et -demanda qu’on le lui amenât. Or, pendant que l’officier -Apronien le conduisait au palais du préfet, soudain une -voix jaillit du ciel avec une grande lumière, disant : -« Venez, enfants bénis de mon père ! » Aussitôt Apronien -se convertit, se fit baptiser et vint l’avouer au préfet. -Et celui-ci : « Ainsi, tu es devenu chrétien ? » Et l’officier : -« Hélas, que de jours j’ai perdus ! » Le préfet lui -répondit : « C’est maintenant que tu vas vraiment perdre -tes jours ! » Et il lui fit trancher la tête. Il la fit trancher -également, après de nombreux supplices, à Saturnin et -à Sisinnius, sur leur refus de sacrifier aux idoles.</p> - -<p>Or la fille de Dioclétien, nommée Arthémie, était possédée -d’un démon qui, par sa bouche, disait : « Je ne -sortirai point d’ici, à moins qu’on ne fasse venir le diacre -Cyriaque ! » On alla donc chercher Cyriaque, et le -démon lui dit : « Si tu yeux que je sorte d’ici, donne-moi -un récipient où je puisse entrer ! » Et Cyriaque : « Voici -mon corps ! Si tu peux, entres-y ! » Mais le démon : « Je -ne puis pas entrer dans ce récipient-là, car il est scellé -et clos de toutes parts. Mais sache que, si tu me fais sortir -d’ici, à mon tour je te ferai aller jusqu’en Babylonie ! » -Et lorsque Cyriaque l’eut fait sortir, Arthémie s’écria -qu’elle voyait le Dieu qu’il prêchait. Elle se fit donc -baptiser par Cyriaque ; et celui-ci vécut quelque temps -en paix dans la maison que lui donnèrent Dioclétien et -sa femme Serena.</p> - -<p>Mais, un jour, un messager du roi des Perses, vint -demander à Dioclétien la permission d’emmener Cyriaque -auprès de son roi, dont la fille était possédée d’un démon. -Sur la prière de Dioclétien, Cyriaque s’embarqua -volontiers pour la Babylonie, avec ses compagnons -Large et Smaragde. Et le démon, dès qu’il fut arrivé, -lui demanda, par la bouche de la jeune fille : « Eh bien, -Cyriaque, es-tu fatigué ? » Et Cyriaque : « Je ne suis -point fatigué, ayant partout, pour me soutenir, le secours -de Dieu ! » Et le démon : « Tout de même, je t’ai amené -où je voulais ! » Alors Cyriaque lui dit : « Par ordre de -Jésus, sors d’ici ! » Et aussitôt le démon sortit, en disant : -<span class="pagenum" id="p419">-419-</span> « O nom terrible, qui me contraint à sortir ! » Cyriaque -baptisa ensuite la jeune fille avec son père, sa mère, et -beaucoup d’autres personnes. Il refusa d’accepter les -présents qu’on lui offrait, et vécut pendant quarante-cinq -jours de pain et d’eau : après quoi il revint à Rome.</p> - -<p>Mais, deux mois plus tard, Dioclétien mourut, et son -successeur Maximien, furieux de la conversion de sa -belle-sœur Arthémie, fit arrêter Cyriaque, et le fit -traîner devant son char, nu et chargé de chaînes. Puis il -ordonna à son ministre Carpasius de le forcer à sacrifier -avec ses compagnons, ou, sur leur refus, de les mettre -à mort. Carpasius fit verser de la poix bouillante sur la -tête de Cyriaque, le fit attacher à un chevalet, et enfin lui -fit trancher la tête, ainsi qu’à tous ses compagnons. -L’empereur, en récompense, lui donna la maison du -saint ; et comme, pour se moquer des chrétiens, Carpasius -se baignait dans le lieu où Cyriaque avait coutume -de baptiser, il mourut à l’improviste, ainsi que dix-neuf -compagnons qu’il avait invités à sa table. Et, depuis lors, -les païens commencèrent à redouter et à vénérer les -chrétiens.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c115">CXV<br /> -SAINT LAURENT, <span class="small">MARTYR<br /> -(10 août)</span></h2> - - -<p>I. Laurent, lévite et martyr, était d’origine espagnole -et fut amené à Rome par saint Sixte, qui l’ordonna son -archidiacre. En ce temps-là, l’empereur Philippe et son -fils, également nommé Philippe, étaient devenus chrétiens, -et s’efforçaient de travailler au bien de l’Eglise. Ce -Philippe fut le premier empereur qui reçut la foi du -Christ ; il avait été converti, suivant les uns, par Origène, -suivant d’autres, par saint Ponce. Il régnait dans la -millième année de la fondation de Rome, Dieu ayant -voulu que cet anniversaire de la ville sainte appartînt -<span class="pagenum" id="p420">-420-</span> au Christ et non aux idoles. Or Philippe avait un officier -nommé Décius qui s’était rendu célèbre par sa bravoure -guerrière. Envoyé en Gaule pour soumettre à l’empire -les Gaulois rebelles, Décius s’acquitta si heureusement -de sa mission que Philippe, pour mieux honorer son -retour, alla au-devant de lui jusqu’à Vérone. Mais Décius, -enivré par son succès, convoita l’empire, et projeta la -mort de son maître. Une nuit que celui-ci dormait sous -sa tente, Décius s’introduisit secrètement auprès de lui -et l’étrangla ; après quoi il se gagna, à force de promesses -et de récompenses, l’armée qui était venue à -Vérone avec le défunt empereur, et il marcha sur Rome -à grandes étapes. Alors le fils de Philippe, effrayé, confia -à saint Sixte et à saint Laurent tout le trésor de son père -en leur enjoignant de le distribuer aux églises et aux -pauvres, dans le cas où lui-même serait tué par Décius. -Puis il s’enfuit et se cacha, pendant que le Sénat allait -au-devant de Décius et le confirmait dans l’empire. Et -Décius, afin de prouver que ce n’était point par trahison -qu’il avait tué son maître, mais par zèle religieux, se -mit à persécuter cruellement les chrétiens, ordonnant -de les égorger tous sans miséricorde. Des milliers de -chrétiens moururent dans cette persécution, et le jeune -Philippe, entre autres, y recueillit la couronne du martyre.</p> - -<p>Décius fit alors rechercher le trésor de Philippe. On -lui amena saint Sixte, dont on lui dit à la fois qu’il était -chrétien et qu’il détenait le trésor cherché. Et Décius le -fit jeter en prison, pour le forcer à renier le Christ et à -livrer le trésor. Et Laurent, marchant derrière son maître -Sixte, lui criait : « Père, où vas-tu sans ton fils ? Prêtre, -où vas-tu sans ton diacre ? » Et saint Sixte lui répondait : -« Ne crois pas, mon fils, que je t’abandonne ! Mais tu as -encore à soutenir de plus grandes luttes pour la foi du -Christ. Dans trois jours, tu me rejoindras au ciel ! » Et -il lui remit tout le trésor de Philippe, en lui recommandant -de le distribuer aux églises et aux pauvres. Aussi -Laurent commença-t-il tout de suite à rechercher les -chrétiens, pour secourir chacun d’eux d’après son -besoin. Dans cette même nuit, il guérit une veuve que -<span class="pagenum" id="p421">-421-</span> tourmentait depuis longtemps un terrible mal de tête, -et, d’un signe de croix, rendit la vue à un aveugle.</p> - -<p>Cependant, saint Sixte, s’étant refusé à adorer les -idoles, fut condamné à avoir la tête tranchée. Et Laurent, -marchant derrière lui, lui criait : « Saint Père, ne m’abandonne -pas, car j’ai dépensé déjà le trésor que tu m’avais -confié ! » Ce qu’entendant, les soldats s’emparèrent de -Laurent et le conduisirent devant le tribun Parthenius. -Et celui-ci le mena devant Décius, qui lui dit : « Où est -le trésor qu’on nous a dit que tu cachais ? » Et comme -Laurent ne répondait pas, Décius le livra au préfet -Valérien, avec ordre de le supplicier de la façon la plus -affreuse s’il refusait de sacrifier aux idoles et de rendre -le trésor. Valérien, à son tour, mit Laurent sous la garde -d’un officier nommé Hippolyte, qui le jeta en prison -avec une foule d’autres chrétiens. Or il y avait, dans la -prison, un païen nommé Lucillus, qui, à force de pleurer, -avait perdu la vue. Laurent lui promit de lui rendre la -vue s’il voulait croire au Christ et recevoir le baptême. -Lucillus se hâta d’y consentir, et demanda avec insistance -à être baptisé. Laurent lui ordonna d’abord de se confesser, -puis, lui versant de l’eau sur la tête, il le baptisa -au nom du Christ. Et aussitôt Lucillus recouvra la vue : -de telle sorte que tous les aveugles vinrent trouver -Laurent qui, par ses prières, obtint que l’usage des -yeux leur fût rendu. Ce que voyant, Hippolyte lui dit : -« Montre-moi le trésor ! » Et Laurent : « O Hippolyte, -si tu veux bien croire dans notre Seigneur Jésus-Christ, -je te montrerai mon trésor, et tu auras, en outre, la vie -éternelle ! » Et Hippolyte : « Si tu fais ce que tu dis, je -ferai moi-même ce à quoi tu m’exhortes ! » Et il se convertit, -et reçut le baptême avec tous les siens. Et, pendant -qu’on le baptisait, il dit : « Je vois les âmes des -saints se réjouir dans le ciel ! »</p> - -<p>Là-dessus, Valérien manda à Hippolyte de lui amener -Laurent. Et Laurent lui dit : « Allons ensemble, car la -même gloire se prépare pour toi et pour moi ! » Au tribunal, -Laurent, interrogé de nouveau sur le trésor, -demanda un délai de trois jours, que Valérien lui accorda -<span class="pagenum" id="p422">-422-</span> en le confiant de nouveau à la garde d’Hippolyte. Pendant -ces trois jours, Laurent recueillit des pauvres, des boiteux, -des aveugles, et les amena à Valérien en présence de -Décius, et il dit : « Voici des trésors éternels, qui jamais -ne décroissent, mais croissent toujours ! Et quant au -trésor de Philippe, les mains de ces malheureux l’ont -porté au ciel. » Et Valérien : « Que signifie tout cela ? -Hâte-toi de sacrifier ! » Et Laurent : « Qui doit-on adorer, -la créature, ou le créateur ? » Décius, furieux, le fit frapper -de pointes de fer, et ordonna qu’on usât sur lui toutes les -variétés de supplices. Et comme il l’engageait une dernière -fois à sacrifier, pour éviter tant de souffrances, -Laurent répondit : « Tu ne sais pas que tu m’offres là -un festin que j’ai toujours souhaité ! » Alors, sur l’ordre -de Décius, il fut dépouillé de ses vêtements, battu de -verges, et on lui laboura les côtes avec un fer rouge. Et -il dit : « Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi, ton -serviteur, qui, interrogé, t’ai proclamé pour mon maître ! » -Et Décius lui dit : « Je sais que, par ton art magique, -tu te délivres de la souffrance, mais je parviendrai bien -à te faire souffrir ! » Sur quoi il le fit frapper longtemps -de courroies plombées. Et Laurent s’écria : « Seigneur -Jésus-Christ, reçois mon âme ! » Mais une voix du haut -du ciel répondit : « Bien d’autres combats encore te -sont réservés ! » Décius, qui avait également entendu la -voix, fut rempli de rage, et dit : « Romains, vous avez -entendu comment les démons consolaient ce sacrilège, -qui n’a de respect ni pour vos dieux, ni pour vos -princes ! » Et, de nouveau, il fit flageller Laurent, qui, -le sourire aux lèvres, rendait grâces à Dieu et priait -pour les assistants.</p> - -<p>En ce moment, un soldat nommé Romain se convertit, -et dit à Laurent : « Je vois devant toi un beau jeune -homme qui essuie avec un linge le sang de tes membres. -Je t’en supplie, au nom de Dieu, ne quitte pas la terre -sans m’avoir baptisé ! » Et comme Décius avait ordonné -à Valérien de faire reconduire Laurent en prison, sous -la garde d’Hippolyte, Romain, apportant une cruche -pleine d’eau, se jeta aux pieds du martyr et reçut de lui -<span class="pagenum" id="p423">-423-</span> le baptême. Ce qu’apprenant, Décius le fit frapper de -verges, puis décapiter.</p> - -<p>La même nuit, Laurent comparut de nouveau devant -Décius. Et comme Hippolyte pleurait, et criait qu’il -était chrétien, Laurent lui dit : « Cache encore le Christ -au dedans de toi ! Et, quand tu m’entendras t’appeler, -viens ! » Alors Décius dit à Laurent : « Si tu ne veux -pas sacrifier aux dieux, toute la nuit se passera pour toi -en supplices ! » Et Laurent : « Ma nuit n’a rien d’obscur, -étant toute pleine de lumière ! » Alors Décius s’écria : -« Qu’on apporte un lit de fer, pour que ce criminel y -passe la nuit ! » On étendit donc Laurent sur un gril -sous lequel on mit des charbons enflammés, et où on le -maintint avec des fourches de fer. Et Laurent dit à -Valérien : « Sache, malheureux, que ces charbons -m’apportent la fraîcheur, et à toi le feu éternel ! » Puis, -s’adressant à Décius ; d’un visage joyeux : « Eh bien, tu -m’as suffisamment rôti d’un côté, retourne-moi de l’autre -côté, après quoi je serai à point ! » Et, levant les yeux -au ciel, il s’écria : « Je te rends grâces, Seigneur, de ce -que tu m’aies jugé digne d’entrer dans ton royaume ! » -Et c’est ainsi qu’il rendit l’âme.</p> - -<p>Décius, tout confus, s’en alla avec Valérien dans le -palais de Tibère, laissant sur le gril le corps du saint, -qu’Hippolyte vint prendre, le lendemain, dès l’aurore, et -ensevelit dans le champ Véranien, avec l’aide du prêtre -Justin. Et tous les chrétiens, pleurant et gémissant, -célébrèrent cette mort par trois jours de veilles et de -jeûnes.</p> - -<p>II. Saint Grégoire, dans son <i>Dialogue</i>, raconte l’histoire -d’une religieuse nommée Sabine, qui sut en vérité -garder la continence de la chair, mais ne sut pas retenir -sa langue. Lorsqu’on l’eut enterrée dans l’église de -saint Laurent, devant l’autel du martyr, une partie de -son corps resta intacte, l’autre fut trouvée brûlée par -le diable.</p> - -<p>III. Grégoire de Tours rapporte qu’un prêtre, qui réparait -une église de saint Laurent, et n’avait à sa disposition -qu’une poutre trop courte, pria saint Laurent qui -<span class="pagenum" id="p424">-424-</span> avait nourri les pauvres, de le secourir dans sa misère. -Et aussitôt la poutre grandit de telle façon qu’il y en eut -même en excès un assez long morceau. Le prêtre coupa -ce surplus en petites tranches, dont l’application guérit -bien des maladies. Le même miracle nous est attesté -par saint Fortunat. Il eut lieu dans une place forte -d’Italie nommée Brione.</p> - -<p>IV. Un autre prêtre, nommé Sanctulus, voulant réparer -une église de saint Laurent que les Lombards avaient -brûlée, avait engagé de nombreux ouvriers. Il s’aperçut -un jour qu’il n’avait pas de quoi les nourrir ; mais, ayant -prié le saint, il trouva dans sa huche un pain d’une -blancheur merveilleuse. Et ce pain était si petit qu’il -pouvait à peine suffire à un repas de trois personnes ; -mais saint Laurent ne voulut point que ses ouvriers -manquassent de nourriture ; et il multiplia cet unique -pain de telle façon que, pendant dix jours, tous les ouvriers -purent en manger.</p> - -<p>V. Vincent, dans sa <i>Chronique</i>, raconte que l’église -Saint-Laurent, à Milan, possédait un calice de cristal -d’une beauté admirable. Ce calice, un jour qu’un diacre le -portait à l’autel, lui tomba des mains et se brisa en morceaux. -Mais le diacre, désespéré, recueillit les morceaux, -les posa sur l’autel, et invoqua saint Laurent. Et aussitôt -le calice redevint entier.</p> - -<p>VI. On lit dans le <i>Livre des Miracles de la Vierge</i> qu’un -juge nommé Etienne demeurait à Rome, qui se laissait -volontiers corrompre par des présents. Ce juge s’appropria -injustement trois maisons qui dépendaient de -l’église de Saint-Laurent, et un jardin qui appartenait à -l’église de Sainte-Agnès. Après sa mort, quand il comparut -au tribunal de Dieu, saint Laurent s’approcha de lui -avec indignation, et, à trois reprises, lui tordit le bras. -Et sainte Agnès, passant devant lui avec les autres -vierges, détourna de lui son visage pour ne pas le voir. -Alors le souverain juge déclara que, puisqu’il s’était -approprié le bien d’autrui et avait fait commerce de la -justice, il aurait à aller rejoindre le traître Judas. Mais -saint Projet, que cet Etienne avait beaucoup aimé de -<span class="pagenum" id="p425">-425-</span> son vivant, s’approcha de saint Laurent et de sainte -Agnès, et leur demanda de lui pardonner. Ils intercédèrent -donc pour lui, et la sainte Vierge se joignit à -eux : si bien qu’ils obtinrent que son âme revînt dans -son corps afin que, pendant trente jours, il pût faire -pénitence. La Vierge lui imposa, en outre, de réciter -tous les jours un psaume. Après quoi il fut rendu à la -vie ; mais, tant qu’il vécut, son bras resta noir et tordu, -comme si c’était, son véritable corps qui eût souffert. Et, -après avoir restitué tout ce qu’il avait pris, et fait pénitence -pendant trente jours, il rendit son âme au Seigneur.</p> - -<p>VII. Enfin on lit dans la vie de l’empereur Henri que, -ce prince et sa femme Cunégonde ayant toujours vécu -dans la chasteté, le diable persuada au mari que sa femme -le trompait avec un de ses officiers : et l’empereur, furieux, -ordonna que Cunégonde eût à marcher, pieds nus, -sur des charbons ardents. Or Cunégonde, avant de commencer -l’épreuve, s’écria : « Toi qui sais que Henri ni -personne n’ont touché mon corps, Christ, secours-moi ! » -Et Henri, poussé par la jalousie, la frappa au visage ; -mais elle entendit une voix qui lui disait : « Vierge, la -Vierge Marie te délivrera ! » Puis elle marcha sur les -charbons ardents sans ressentir aucun mal.</p> - -<p>Quand Henri mourut, un ermite vit passer devant sa -cellule une foule de démons, qui lui dirent qu’ils allaient -assister au jugement de l’empereur, afin d’essayer de se -le faire adjuger. Mais bientôt l’ermite vit revenir les -démons, qui lui racontèrent qu’ils avaient perdu leur -peine, car, lorsqu’ils avaient mis dans la balance le -soupçon conjugal d’Henri et ses autres péchés, saint -Laurent était survenu, et avait mis dans l’autre plateau -de la balance un grand calice d’or qui avait fait contrepoids : -ce dont les diables avaient été si furieux, qu’ils -avaient brisé une des oreilles du calice. Et en effet, l’empereur -défunt avait fait don à l’église d’Einstetten, en -l’honneur de saint Laurent, pour qui il avait une dévotion -particulière, d’un grand calice d’or massif. Et l’on -put constater, que, le jour de la mort de l’empereur, -une des anses de ce calice se trouva brisée.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p426">-426-</span> VIII. Nous devons noter que le martyre de saint Laurent -est considéré comme le plus excellent de tous -les martyres des saints, tant pour le nombre et la -cruauté des supplices endurés que pour le courage -montré par le saint ; et aussi pour la bonne influence -exercée par sa mort. De là vient que saint Laurent, -entre tous les martyrs, possède trois privilèges quant -aux offices célébrés en son honneur. Il est, d’abord, le -seul martyr dont la fête soit précédée d’une veille. En -second lieu, il est le seul dont la fête ait une octave, de -même que, seul, saint Martin est honoré d’une octave, -parmi les confesseurs. En troisième lieu, saint Laurent -a le privilège d’une régression des antiennes, privilège -qu’il partage avec saint Paul : et cela pour rappeler -qu’il est le plus parfait des martyrs, de même que saint -Paul est le plus parfait des prédicateurs.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c116">CXVI<br /> -SAINT HIPPOLYTE, <span class="small">MARTYR<br /> -(13 août)</span></h2> - - -<p>I. Après avoir enseveli le corps de saint Laurent, -Hippolyte rentra chez lui, donna le baiser de paix à ses -serviteurs, partagea avec eux la sainte communion que -lui avait apportée le prêtre Justin, et se mit à table pour -le dîner. Mais, en ce moment, arrivèrent des soldats qui -s’emparèrent de lui et le conduisirent auprès de Décius. -Et celui-ci, dès qu’il l’aperçut, lui dit en souriant : « Es-tu -donc devenu mage, toi aussi, pour te mêler, comme -tu l’as fait, d’enlever le corps de Laurent ? » Et Hippolyte : -« Je l’ai fait non point parce que je suis mage, -mais parce que je suis chrétien ! » Alors Décius, furieux, -le fit dépouiller de ses vêtements, et lui fit écraser le -visage à coups de pierres. Mais Hippolyte : « En croyant -me dépouiller ; tu ne fais que me mieux orner ! » Et -<span class="pagenum" id="p427">-427-</span> Décius : « Es-tu donc devenu fou, pour ne pas rougir -même de ta nudité ? Allons, sacrifie aux dieux, afin de ne -pas périr comme ton Laurent ! » Et Hippolyte : « Puissé-je -mériter de suivre l’exemple de ce Laurent que tu oses -nommer de ta bouche impure ! » Sur quoi Décius le fit -battre de verges et déchirer de lanières ferrées. Mais -Hippolyte raillait tous les tourments, et ne cessait point -de se proclamer chrétien. Décius lui fit rendre son ancien -costume militaire, espérant l’engager par là à reprendre -ses anciennes fonctions d’officier. Mais Hippolyte lui -répondit qu’il était désormais soldat dans l’armée du -Christ. Et Décius, exaspéré, le livra à son préfet Valérien, -qu’il autorisa à s’approprier tous ses biens, et à lui -infliger les pires supplices. Valérien apprit alors que -tous les serviteurs d’Hippolyte étaient aussi chrétiens. Il -les fit donc comparaître devant lui, et les somma de sacrifier -aux idoles. Mais la nourrice d’Hippolyte, Concorde, -lui répondit au nom de tous : « Nous aimons -mieux mourir honnêtement avec notre maître que de -vivre malhonnêtement ! » Et Valérien : « La race des -esclaves ne peut être corrigée que par des supplices ! » -Puis, en présence d’Hippolyte, il la fit frapper de verges -plombées jusqu’à ce qu’elle mourût. Et Hippolyte : « Je -te remercie, Seigneur, d’avoir bien voulu admettre ma -nourrice parmi tes saints ! »</p> - -<p>Valérien fit ensuite conduire Hippolyte et ses serviteurs -en dehors de la Porte de Tibur. Et Hippolyte, -encourageant ses compagnons, leur disait : « Mes frères, -soyez sans crainte, car nous allons être bientôt réunis -devant Dieu ! » Valérien ordonna que tous les serviteurs -eussent d’abord la tête tranchée en présence d’Hippolyte ; -puis il fit attacher celui-ci par les pieds, au cou de -chevaux indomptés, qui le traînèrent sur des chardons -et des cailloux jusqu’à ce qu’il rendît l’âme. Il mourut en -l’an du Seigneur 251.</p> - -<p>Le prêtre Justin enleva les corps des martyrs et les -ensevelit à côté du corps de saint Laurent : mais il ne -put retrouver le corps de sainte Concorde, qui avait été -jeté à l’égout. Or, un soldat, nommé Porphyre, croyant -<span class="pagenum" id="p428">-428-</span> que la vieille femme avait dans ses vêtements de l’or et -des pierreries, alla chez un égoutier nommé Irénée, qui -était secrètement chrétien, et lui dit : « Retire de l’égout -le corps de Concorde, car je crois bien qu’elle avait de -l’or et des pierreries dans ses vêtements ! » Et ainsi Irénée -connut l’endroit où avait été jeté le corps de la sainte. Il -le retira donc de l’égout ; et quand Porphyre eut constaté -qu’il s’était trompé dans son espérance, Irénée appela -un de ses compagnons, nommé Abonde, avec l’aide duquel -il porta le corps chez saint Justin, qui le fit ensevelir -à côté de ceux des autres martyrs. Ce qu’apprenant ; -Valérien fit jeter vivants à l’égout Irénée et Abonde, -dont les corps furent joints par saint Justin à ceux des -autres martyrs.</p> - -<p>Peu de temps après, comme Décius et Valérien, dans -un char d’or, se rendaient à l’amphithéâtre pour persécuter -les chrétiens, Décius, brusquement possédé du -démon, s’écria : « O Hippolyte, que lourdes sont les -chaînes dont tu m’as chargé ! » Et, au même instant, -Valérien s’écria : « O Laurent, tes chaînes de feu me -brûlent les chairs ! » Et Valérien mourut sur-le-champ. -Décius, revenu chez lui, survécut trois jours encore, -pendant lesquels il ne cessait point de crier : « O Laurent -et Hippolyte, relâchez-vous un moment de me torturer ! » -Et telle fut sa misérable mort. Ce que voyant, -sa femme Triphonie se dépouilla de tous ses biens, et, en -compagnie de sa fille Cyrille, alla demander à saint Justin -de la baptiser. Elle mourut le lendemain, étant en -prière. Et quarante-sept soldats, ayant appris que l’impératrice -et sa fille étaient devenues chrétiennes, vinrent -se faire baptiser avec leurs familles. Ils reçurent le baptême -des mains du pape Denis, qui avait succédé à saint -Sixte. Et l’empereur Claude fit étrangler Cyrille et -décapiter tous les chrétiens ; et leurs corps furent réunis -à ceux de saint Laurent et de ses compagnons.</p> - -<p>Nous devons noter, à ce propos, que la mention de -l’empereur Claude achève de prouver que ce n’est point -l’empereur Décius, mais un César de ce nom, qui a martyrisé -saint Laurent et saint Hippolyte. Car ce n’est pas à -<span class="pagenum" id="p429">-429-</span> l’empereur Décius qu’a succédé Claude, mais à l’empereur -Gallien. De telle sorte qu’on peut admettre ou bien -que ce Gallien s’appelait aussi Décius, ou bien encore, -comme le dit un chroniqueur, que Gallien, pour l’assister -dans ses fonctions, avait créé César un certain -Décius.</p> - -<p>II. Un bouvier, nommé Pierre, était allé aux champs le -jour de la fête de sainte Marie-Madeleine, et accablait -ses bœufs de jurons blasphématoires. Soudain la foudre -s’abattit sur lui, lui brûlant les chairs et les muscles -d’une jambe, de telle façon que ses os se trouvèrent -presque détachés. Se traînant alors jusqu’à une église de -la Vierge, il cacha son tibia dans un recoin, et, tout en -larmes, supplia Marie de venir à son aide. La nuit suivante, -à la demande de la Vierge, saint Hippolyte alla -prendre le tibia dans l’église et le replaça dans la jambe -du bouvier, comme on greffe une bouture. Aux cris du -malade, toute sa famille accourut, et découvrit avec stupeur, -qu’il avait de nouveau ses deux tibias. Mais lui, -réveillé, crut d’abord qu’on se moquait de lui. Et quand -il s’aperçut de la réalité du miracle, il sentit que sa -jambe nouvelle était trop molle pour soutenir son corps. -Il resta donc boiteux pendant une année entière. Puis la -Vierge lui apparut, accompagnée de saint Hippolyte, et -dit à celui-ci de compléter sa guérison. Et quand le bouvier -se réveilla, il se trouva entièrement guéri.</p> - -<p>Il entra alors dans un monastère, où le diable ne cessa -point de le tenter, lui apparaissant, de préférence, sous la -forme d’une jeune femme nue. Un jour enfin, le moine, -exaspéré, prit son étole de prêtre et la passa autour du -cou de sa visiteuse. Aussitôt le diable s’enfuit ; et la jeune -femme se transforma en un cadavre pourri, qui remplit -tout le couvent de sa puanteur. Par quoi l’on vit clairement -que le diable, pour tenter Pierre, s’était introduit -dans le corps d’une femme morte.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p430">-430-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c117">CXVII<br /> -L’ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE -VIERGE MARIE<br /> -<span class="small">(15 août)</span></h2> - - -<p>I. Un écrit apocryphe, attribué à saint Jean l’Evangéliste, -nous raconte la façon dont eut lieu l’assomption -de la Vierge.</p> - -<p>Lorsque les apôtres se furent séparés, pour aller prêcher -l’évangile aux nations, la sainte Vierge resta dans -leur maison, qui était près de la montagne de Sion. Elle -ne cessait point de visiter pieusement tous les lieux consacrés -par son fils, c’est-à-dire ceux de son baptême, -de son jeûne, de sa prière, de sa passion, de sa sépulture, -de sa résurrection et de son ascension. Et Epiphane -nous apprend qu’elle survécut vingt-quatre ans à l’ascension -de son fils. Il ajoute que, comme la Vierge avait -quinze ans lorsqu’elle mit au monde le Christ, et comme -celui-ci avait passé sur cette terre trente-trois ans, elle -avait donc soixante-douze ans lorsqu’elle mourut. Mais -il paraît plus probable d’admettre, comme nous le lisons -ailleurs, qu’elle ne survécut à son fils que douze ans, et -qu’elle avait soixante ans, lors de son assomption : car -l’<i>Histoire ecclésiastique</i> nous dit que, pendant douze -ans, les apôtres prêchèrent en Judée et dans les régions -voisines.</p> - -<p>Un jour enfin, comme le désir de revoir son fils agitait -très vivement la Vierge et la faisait pleurer très -abondamment, voici qu’un ange entouré de lumière se -présenta devant elle, la salua respectueusement comme -la mère de son maître, et lui dit : « Je vous salue, Bienheureuse -Marie ! Et je vous apporte ici une branche de -palmier du paradis, que vous ferez porter devant votre -cercueil, dans trois jours, car votre fils vous attend près -de lui ! » Et Marie : « Si j’ai trouvé grâce devant tes -<span class="pagenum" id="p431">-431-</span> yeux, daigne me dire ton nom ! Mais, surtout, je te -demande avec instance que mes fils et frères, les apôtres, -se rassemblent autour de moi, afin que je puisse les voir -de mes yeux avant de mourir, et rendre mon âme à -Dieu en leur présence, et être ensevelie par eux ! Et je -te demande encore ceci : que mon âme, en sortant de -mon corps, ne rencontre aucun méchant esprit, et -échappe au pouvoir de Satan ! » Et l’ange : « Pourquoi -désirez-vous savoir mon nom, qui est grand et admirable ? -Mais sachez qu’aujourd’hui même tous les apôtres -se réuniront ici, et que c’est en leur présence que s’exhalera -votre âme ! Car celui qui, jadis, a transporté le prophète -de Judée à Babylone, celui-là n’a besoin que d’un -moment pour amener ici tous les apôtres. Et quant au -malin esprit, qu’avez-vous à le craindre, vous qui lui -avez broyé la tête sous votre pied, et l’avez dépouillé -de son pouvoir ? » Cela dit, l’ange remonta au ciel ; et -la palme qu’il avait apportée brillait d’une clarté extrême. -C’était un rameau vert, mais avec des feuilles aussi -lumineuses que l’étoile du matin.</p> - -<p>Or, comme saint Jean prêchait à Ephèse, une nuée -blanche le souleva, et le déposa au seuil de la maison de -Marie. Jean frappa à la porte, entra et salua respectueusement -la Vierge. Et elle, pleurant de joie : « Mon fils -Jean, tu te souviens des paroles de ton maître, qui m’a -recommandé à toi comme une mère, et toi à moi comme -un fils. Et voici que le Seigneur me rappelle, et que je -confie mon corps à ta sollicitude. Car j’ai appris que les -Juifs se proposaient, dès que je serais morte, de ravir -mes restes et de les brûler. Mais toi, fais porter cette -palme devant mon cercueil lorsque vous conduirez mon -corps au tombeau ! » Et Jean lui dit : « Oh ! comme je -voudrais que tous les apôtres mes frères fussent ici, -pour préparer tes funérailles, et proclamer tes louanges ! » -Et, pendant qu’il disait cela, tous les apôtres, dans les -lieux divers où ils prêchaient, furent soulevés par des -nuées, et déposés devant la maison de Marie. Et quand -ils se virent réunis là, ils se dirent, tout surpris : « Pour -quel motif le Seigneur nous a-t-il rassemblés aujourd’hui ? » -<span class="pagenum" id="p432">-432-</span> Alors Jean sortit vers eux, leur annonça la mort -prochaine de la Vierge, et ajouta : « Prenez garde, mes -frères, à ne point pleurer quand elle sera morte, de -peur que le peuple en voyant vos larmes, ne soit troublé -et ne se dise : « Ces gens-là prêchent aux autres -la résurrection, et, eux-mêmes, ils ont peur de la mort ! » -Et saint Denis, le disciple de saint Paul, dans son livre -sur les <i>Noms de Dieu</i>, nous fait un récit analogue, ajoutant -que lui aussi était là, et que la Vierge sommeillait -pendant l’arrivée des apôtres.</p> - -<p>Quand la Vierge vit tous les apôtres réunis, elle bénit -le Seigneur et s’assit au milieu d’eux, parmi des lampes -allumées. Or, vers la troisième heure de la nuit, Jésus -arriva avec la légion des anges, la troupe des patriarches, -l’armée des martyrs, les cohortes des confesseurs et les -chœurs des vierges ; et toute cette troupe sainte, rangée -devant le trône de Marie, se mit à chanter des cantiques -de louanges. Puis Jésus dit : « Viens, mon élue, afin que -je te place sur mon trône, car je désire t’avoir près de -moi ! » Et Marie : « Seigneur, je suis prête ! » Et toute -la troupe sainte chanta doucement les louanges de -Marie. Après quoi Marie elle-même chanta : « Toutes les -générations me proclameront bienheureuse, en raison du -grand honneur que me fait Celui qui peut tout ! » Et le -chef du chœur céleste entonna : « Viens du Liban, fiancée, -pour être couronnée ! » Et Marie : « Me voici, je viens, -car il a été écrit de moi que je devais faire ta volonté, ô -mon Dieu, parce que mon esprit exultait en toi ! » Et -ainsi l’âme de Marie sortit de son corps, et s’envola dans -le sein de son fils, affranchie de la douleur comme elle -l’avait été de la souillure. Et Jésus dit aux apôtres : -« Transportez le corps de la Vierge dans la vallée de -Josaphat, déposez-le dans un monument que vous y -trouverez, et attendez-moi là pendant trois jours ! » Et -aussitôt le corps de Marie fut entouré de roses et de lys, -symbole des martyrs, des anges, des confesseurs et des -vierges. Et ainsi l’âme de Marie fut emportée joyeusement -au ciel, où elle s’assit sur le trône de gloire à la -droite de son fils.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p433">-433-</span> Pendant ce temps, trois vierges, qui se trouvaient là, -dévêtirent le corps pour le laver ; mais, aussi longtemps -que dura leur travail, le corps brilla d’une telle lumière -qu’elles-mêmes qui le touchaient ne parvenaient pas à -le voir. Puis les apôtres soulevèrent pieusement le corps, -et le posèrent dans un cercueil. Et Jean dit à Pierre : -« C’est toi, Pierre, qui porteras cette palme devant le -cercueil ; car le Seigneur t’a préféré à nous, et t’a constitué -le berger de ses brebis ! » Et Pierre : « C’est à -toi, plutôt, de la porter ! car tu as été élu par le Seigneur -pendant que ton corps était encore vierge, et c’est toi -aussi qui as été jugé digne de reposer sur le sein du -Seigneur. Tu porteras donc cette palme ; et moi je porterai -le cercueil avec les porteurs, pendant que nos -autres frères, entourant le cercueil, chanteront les -louanges de Dieu. » Et Paul dit : « Moi, qui suis le plus -petit de vous tous, je porterai le cercueil avec toi ! » -Pierre et Paul soulevèrent donc le cercueil ; et Pierre -entonna : <i lang="la" xml:lang="la">Exiit Israël de Ægypto, alleluia !</i> Et les -autres apôtres suivirent en chantant. Et le Seigneur couvrit -d’un nuage le cercueil et les apôtres, de telle façon -qu’on entendait leurs voix sans les voir. Et des anges -s’étaient joints aux apôtres, chantant aussi, et remplissant -toute la terre de sons merveilleux.</p> - -<p>Attirés par la douceur de cette musique, tous les Juifs -accouraient, s’informant de ce qui se passait. Quelqu’un -leur dit : « C’est Marie que les disciples de Jésus portent -au tombeau ! » Sur quoi les Juifs de prendre les armes -et de s’exhorter l’un l’autre, en disant : « Venez, nous -tuerons tous les disciples, et nous brûlerons ce corps -qui a porté l’imposteur ! » Et le prince des prêtres, -furieux, s’écria : « Voilà donc le tabernacle de celui qui a -troublé notre race ! Et voilà les honneurs qu’on lui rend ! » -Ce disant, il voulut s’approcher du cercueil pour le jeter -à terre. Mais aussitôt ses deux mains se desséchèrent, -et restèrent attachées au cercueil, pendant que les anges, -cachés dans les nuées, aveuglaient tous les autres Juifs. -Et le prince des prêtres gémissait et disait : « Saint -Pierre, ne m’oublie pas dans ma peine, mais prie ton -<span class="pagenum" id="p434">-434-</span> Dieu pour moi ! Rappelle-toi comment, un jour, je te -suis venu en aide et t’ai excusé, quand une servante -t’accusait ! » Et Pierre lui dit : « Je n’ai pas le loisir de -m’occuper de toi ; mais si tu veux croire en Jésus-Christ -et en celle qui l’a enfanté, j’espère que tu pourras recouvrer -la santé ! » Et le prince des prêtres : « Je crois -que Jésus est le fils de Dieu et que voici sa sainte mère ! » -Aussitôt ses mains se détachèrent du cercueil ; mais ses -bras restaient desséchés et endoloris. Et Pierre lui dit : -« Baise ce cercueil et dis que tu crois en Jésus-Christ ! » -Ce qu’ayant fait, le prêtre recouvra aussitôt la santé ; -et Pierre lui dit : « Prends cette palme des mains de -notre frère Jean, et pose-la sur les yeux de tes compagnons -privés de la vue ; et tous ceux d’entre eux -qui croiront recouvreront la vue ; mais ceux qui refuseront -de croire seront privés de leur vue pour -l’éternité ! »</p> - -<p>Puis les apôtres déposèrent la Vierge dans le monument -qui l’attendait, et s’assirent à l’entour, comme Jean -le leur avait ordonné. Et, le troisième jour, Jésus vint -avec une troupe d’anges, les salua et leur dit : « Que la -paix soit avec vous ! » A quoi ils répondirent : « Gloire à -toi, Seigneur ! » Et Jésus leur dit : « Quel honneur pensez-vous -que je doive accorder à celle qui m’a enfanté ? » -Et eux : « Nous croyons, Seigneur, que, de même que tu -règnes dans les siècles des siècles, vainqueur de la mort, -de même tu ressusciteras le corps de ta mère, et le placeras -à ta droite pour l’éternité ! » Et aussitôt apparut -l’archange Michel, présentant au Seigneur l’âme de -Marie. Et Jésus dit : « Lève-toi, ma mère, ma colombe, -tabernacle de gloire, vase de vie, temple céleste, afin -que, de même que tu n’as point senti la souillure du -contact charnel, tu n’aies pas non plus à souffrir la -décomposition de ton corps ! » Et l’âme de Marie rentra -dans son corps, et la troupe des anges l’emporta au -ciel. Et comme Thomas, qui n’avait pas assisté au -miracle de l’assomption, refusait d’y croire, voici que la -ceinture qui entourait le corps de la Vierge tomba du -ciel dans ses mains, intacte et encore nouée, de manière -<span class="pagenum" id="p435">-435-</span> à lui faire comprendre que le corps de la Vierge avait -été emporté tout entier au ciel.</p> - -<p>Mais tout ce qu’on vient de lire est absolument apocryphe, -comme le dit saint Jérôme dans sa lettre à Paul -et Eustochius. Mais le saint ajoute : « Il y a cependant -un certain nombre de faits que nous devons croire vrais, -car d’autres témoignages de saints les ont confirmés ; et -ces faits sont, à savoir : l’appui divin promis et montré à -la Vierge, la réunion de tous les apôtres, la mort sans -douleur, les préparatifs de l’ensevelissement dans la -vallée de Josaphat, la persécution des Juifs, la production -de miracles, enfin l’assomption simultanée de l’âme -et du corps. D’autres détails doivent être considérés -comme des symboles, et d’autres enfin, tels que -l’absence et le doute de Thomas, doivent être rejetés -sans hésitation. »</p> - -<p>On dit encore que les vêtements de la Vierge sont -restés dans le tombeau, pour la consolation des fidèles ; -et c’est de l’un de ces vêtements que l’on raconte le -miracle suivant. Comme le duc des Normands assiégeait -la ville de Chartres, l’évêque de cette ville attacha à -une lance, en manière de drapeau, la tunique de la -Vierge, qui était conservée dans sa cathédrale ; après -quoi, suivi de tout le peuple, il sortit de la ville et marcha -vers les ennemis, qui, aussitôt, aveuglés et comme -paralysés restèrent immobiles. Ce que voyant, les habitants -de Chartres se mirent à les massacrer. Mais leur -cruauté déplut à la Vierge, qui, dès cet instant, fit disparaître -miraculeusement la sainte tunique.</p> - -<p>II. Un clerc, qui avait pour la Vierge une dévotion -particulière, s’efforçait en quelque sorte de la consoler, -tous les jours, de la douleur que lui causaient les cinq -plaies du Christ. Il lui disait : « Réjouis-toi, mère de -Dieu, vierge immaculée, toi qui as reçu la joie de l’ange, -toi qui as enfanté l’éclat de la lumière éternelle, réjouis-toi, -seule mère vierge, que louent toutes les créatures ! » -Or cet homme, étant malade, et se voyant près de mourir, -fut pris d’épouvante. Sur quoi la Vierge, lui apparaissant, -lui dit : « Mon fils, comment peux-tu ainsi -<span class="pagenum" id="p436">-436-</span> trembler de frayeur, toi qui m’as si souvent rappelé mes -joies ? Réjouis-toi plutôt, toi aussi ! Et, pour avoir la -joie éternelle, viens avec moi ! »</p> - -<p>III. Un chevalier riche et puissant avait dissipé ses -biens avec tant de prodigalité qu’il se trouva réduit à -l’indigence. Sa femme, personne des plus vertueuses, -avait une dévotion particulière pour la Vierge Marie. -Or un jour, à l’approche d’une fête où, autrefois, il avait -l’habitude de faire des dons très abondants, cet homme, -honteux de n’avoir plus rien à donner, s’enfuit dans un -endroit désert pour y rester caché pendant le temps de -la fête. Et voilà qu’un cheval terrible s’approche de lui, -monté par un cavalier plus terrible encore. Et ce cavalier, -lui ayant demandé la cause de son chagrin, lui promet -de le rendre plus riche et plus glorieux qu’auparavant, -si seulement il consent à lui obéir. Et l’homme -s’engage à obéir au prince des ténèbres, dès que celui-ci -aura tenu la promesse qu’il lui fait. Et le cavalier : -« Rentre chez toi, et va voir dans tel et tel lieu de ta -maison ! Tu y trouveras de l’or, de l’argent et des pierres -précieuses ! Mais ce n’est qu’à la condition que tu -t’engages, tel et tel jour, à m’amener ici ta femme ! » -L’homme s’y engage, revient chez lui et y trouve les -trésors annoncés par le diable. De nouveau il achète des -palais, distribue des présents, acquiert des esclaves. -Puis, à l’approche du jour fixé par le diable, il appelle sa -femme et lui dit : « Monte à cheval, car nous avons à -aller assez loin d’ici ! » La femme, épouvantée, mais -n’osant point contredire son mari, se recommande à la -Vierge et se met en route. En passant devant une église, -elle descend de son cheval, entre dans l’église, et -demande à son mari de l’attendre un instant. Et là, -comme de nouveau elle invoque la Vierge, celle-ci lui -envoie un profond sommeil ; après quoi, descendant elle-même -de l’autel, elle prend la forme et revêt les robes de -la femme, sort de l’église, et monte à cheval, de telle sorte -que l’homme croit que c’est sa femme qui chevauche à -côté de lui. Mais voilà que, lorsqu’ils arrivent au lieu du -rendez-vous, le prince des ténèbres, qui accourait vers -<span class="pagenum" id="p437">-437-</span> eux, s’arrête, se met à trembler et dit au chevalier : -« Traître, est-ce ainsi que tu te joues de moi en récompense -de tant de bienfaits ? Je t’avais dit de m’amener ta -femme, et, au lieu d’elle, c’est la Vierge Marie qui vient -avec toi ! J’espérais tourmenter ta femme, pour me venger -du dommage qu’elle me faisait par sa piété, et Celle -que tu m’amènes, c’est elle qui va me tourmenter et me -renvoyer en enfer ! » L’homme, frappé d’étonnement et -de terreur, restait interdit. Et la Vierge dit au démon : -« Maudit, comment as-tu osé projeter de nuire à ma -chère servante ? Pour te punir, je t’ordonne de rentrer de -suite en enfer, et te défends, désormais, de vouloir faire -aucun mal à toute personne qui m’invoquera ! » Le -diable s’enfuit en gémissant. Le chevalier, sautant de -son cheval, se prosterna aux pieds de la Vierge qui, -après lui avoir reproché son crime, lui ordonna d’aller -rejoindre sa femme, endormie dans l’église, et puis de -rejeter toutes les richesses qui lui venaient du diable. -Alors l’homme, resté seul, courut jusqu’à l’église : il -réveilla sa femme, et lui raconta ce qui lui était arrivé. -Après quoi tous deux, rentrés dans leur maison, rejetèrent -toutes les richesses du diable et vécurent pieusement -dans le culte de la Vierge Marie, qui ne se fit -pas faute, à son tour, de les combler de richesses.</p> - -<p>IV. Un homme chargé de péchés fut ravi en esprit au -jugement de Dieu. Il vit arriver Satan, qui dit au Seigneur : -« Il n’y a, dans cette âme, rien qui t’appartienne ! -Elle est à moi tout entière, et j’en ai une preuve irréfutable ! » -Et le Seigneur : « Quelle est cette preuve ? » Et -Satan : « C’est ta propre parole. Car tu as dit à Adam -et à Eve : « Si vous mangez de ce fruit, vous mourrez -« aussitôt ! » Or cet homme est de la race de ceux qui -ont mangé du fruit défendu ; et, par conséquent, il doit -être voué à la mort éternelle ! » Alors Le Seigneur invita -l’homme à se défendre ; mais l’homme ne trouva rien à -dire. Puis le démon reprit : « Et cette âme me revient -encore par prescription, car il y a déjà trente ans qu’elle -n’obéit qu’à moi ! » De nouveau, l’homme ne trouva rien -à répondre. Mais le Seigneur, ne voulant pas encore -<span class="pagenum" id="p438">-438-</span> porter la sentence contre lui, lui accorda un délai de -huit jours, afin qu’il pût se recueillir et préparer sa -défense. Et comme le malheureux s’éloignait, tout tremblant -et tout désolé, un inconnu l’aborda et lui demanda -la cause de sa tristesse. Et, quand il l’eût apprise, il -lui dit : « Sois sans crainte, car je te viendrai en aide ! » -Le pécheur lui demanda son nom. Et l’inconnu : « Je -m’appelle la Vérité ! » Puis un second inconnu promit -également son secours au pécheur, et lui dit qu’il s’appelait -la Justice. Et en effet, huit jours après, comme -Satan reproduisait son premier argument, la Vérité lui -répondit : « Il y a deux sortes de mort, la mort corporelle -et la mort éternelle. Et la parole que tu cites, -démon, ne se rapporte qu’à la mort corporelle, non à la -mort éternelle. Car tous meurent quant au corps, mais -tous ne meurent point quant à la vie éternelle. » Sur quoi -Satan, se voyant vaincu, exposa son second argument ; -mais la Justice lui répondit : « En effet, cet homme t’a -longtemps servi, mais jamais sa raison n’a cessé de -murmurer en lui et de le lui reprocher ! » Alors Satan dit : -« Cette âme doit me revenir, car, si même elle a fait -quelque bien, la somme de ses péchés est incomparablement -plus lourde ! » Alors le Seigneur : « Qu’on apporte -les balances, et qu’on y pèse le bien et le mal qu’il a faits ! » -Mais la Vérité et la Justice dirent au pécheur : « De toute -ton âme, recours à la Mère de Miséricorde, qui est -assise à côté du Seigneur, et efforce-toi de te gagner -son appui ! » L’homme fit ainsi, et la Vierge Marie, venant -à son aide, posa sa main sur le plateau de la balance où -se trouvaient les quelques bonnes actions du pécheur. -Et en vain le diable essayait de faire pencher le balance -de l’autre côté : l’appui de la Vierge prévalut, et le -pécheur fut remis en liberté. Après quoi, s’éveillant de -sa vision, il fit pénitence et se convertit à une meilleure -vie.</p> - -<p>V. Dans la ville de Bourges, vers l’an du Seigneur 527, -comme les chrétiens communiaient le jour de Pâques, un -enfant juif se joignit à eux et reçut la sainte hostie. -Rentré chez lui, il rapporta la chose à son père qui, -<span class="pagenum" id="p439">-439-</span> furieux, le jeta dans une fournaise enflammée. Mais -aussitôt la Vierge, prenant la forme d’une statue que -l’enfant avait vue sur l’autel, s’approcha de lui et le protégea -des flammes. Cependant, aux cris de la mère, -une foule de chrétiens et de Juifs accoururent qui, -voyant que l’enfant restait sain et sauf dans le feu, l’en -retirèrent, et l’interrogèrent sur le miracle qui l’avait -préservé. Et l’enfant répondit : « La belle dame que j’ai -vue sur l’autel, c’est elle qui est venue près de moi, et a -empêché les flammes de m’atteindre ! » Alors les chrétiens -saisirent le père de l’enfant et le jetèrent dans la fournaise, -où ce vilain homme fut aussitôt réduit en cendres.</p> - -<p>VI. Des moines se promenaient, un matin, au bord -d’un fleuve, et se divertissaient à toute sorte de bavardages -frivoles, lorsqu’ils virent tout à coup un bateau -qui s’approchait avec un grand bruit de rames. Et ils -demandèrent aux matelots : « Qui êtes-vous ? » Et eux : -« Nous sommes des démons, et nous conduisons en enfer -l’âme d’Ebroïn, maire au palais du roi de France, qui a -apostasié du monastère de Saint-Gall ! » Ce qu’entendant, -les moines, épouvantés, s’écrièrent : « Sainte Marie, -priez pour nous ! « Et les démons leur dirent : « Vous -avez été bien inspirés d’invoquer Marie, car vous venions -vous chercher pour vous emporter aussi, afin de vous -punir de la façon dont vous bavardez au lieu de prier ! »</p> - -<p>VII. Il y avait un moine qui était grand paillard, mais -très dévot à la Vierge Marie. Or une nuit, comme il -allait à son péché accoutumé et qu’il passait devant -l’autel, il récita l’<i lang="la" xml:lang="la">Ave Maria</i>. Puis, sortant de l’église, -il voulut traverser la rivière, tomba dans l’eau et mourut. -Aussitôt les démons emportèrent son âme. Et comme des -anges accouraient pour la délivrer, les démons leur -dirent : « Pourquoi venez-vous ? Il n’y a rien à vous, -dans cette âme ! » Mais ensuite arriva la Vierge Marie, -leur demandant de quel droit ils emportaient cette âme. -Et ils répondirent : « Nous l’avons trouvée achevant sa -vie dans le péché ! » Mais la Vierge : « Vous mentez, -car je sais que cet homme avait coutume de m’adresser -une prière avant de partir, et aussi quand il revenait ! Au -<span class="pagenum" id="p440">-440-</span> reste, déférons la chose à la décision du souverain juge ! » -Et le Seigneur décida, sur la demande de la Vierge, -que l’âme du moine pût rentrer dans son corps pour -faire pénitence de ses péchés. Cependant les autres -moines, ne voyant point leur frère aux matines, se -mettent à le chercher, le retirent du fleuve, et s’apprêtent -à l’ensevelir, quand tout à coup il ressuscite, et -leur raconte ce qui lui est arrivé.</p> - -<p>VIII. Une femme était tourmentée par un démon qui se -montrait à elle sous forme humaine ; et ni l’aspersion -d’eau bénite, ni aucun autre remède ne parvenait à la -délivrer. Alors un saint homme lui conseilla que, la -prochaine fois que le démon lui apparaîtrait, elle étendît -les mains au ciel et s’écriât : « Sainte Marie, venez à -mon secours ! » La femme fit ainsi ; et le diable s’arrêta -comme frappé d’une pierre. Puis il dit : « Qu’un diable -encore pire que moi entre dans la bouche de celui qui -t’a appris cela ! » Puis il disparut, et jamais plus il n’osa -l’approcher.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c118">CXVIII<br /> -SAINT BERNARD, <span class="small">DOCTEUR<br /> -(21 août)</span></h2> - - -<p>Bernard naquit en Bourgogne, au château de Fontaine, -de parents nobles et pieux. Son père, vaillant homme -d’armes, s’appelait Célestin, sa mère se nommait Aleth. -Elle eut sept enfants, six fils et une fille, tous voués par -elle au service de Dieu dès avant leur naissance ; et elle -tint à les nourrir tous de son propre lait, comme pour -leur transmettre, avec son lait, une part de ses vertus. -Puis, quand ils grandissaient, elle les élevait pour la -vie du cloître plus que pour celle de la cour, les accoutumant -à une nourriture grossière et commune.</p> - -<p>Bernard était son troisième fils. Pendant qu’elle le -<span class="pagenum" id="p441">-441-</span> portait encore dans son sein, elle eut un rêve où elle se -vit donnant le jour à un petit chien tout blanc, et qui -aboyait d’une voix vigoureuse. Elle raconta ensuite son -rêve à un homme de Dieu, qui, inspiré d’en haut, lui dit : -« Tu seras mère d’un petit chien excellent qui, gardien -de la maison de Dieu, aboiera vigoureusement contre -ses ennemis ! »</p> - -<p>Enfant, Bernard souffrait de cruels maux de tête. Un -jour une jeune femme vint auprès de lui, pour adoucir -sa souffrance par des chants ; mais l’enfant, indigné, la -chassa de sa chambre. Et Dieu le récompensa de son -zèle, car, aussitôt après, il se leva de son lit et fut guéri. -La nuit de Noël, comme le petit Bernard, attendant -l’office du matin dans l’église, se demandait à quelle -heure de la nuit le Christ était né, l’enfant Jésus lui -apparut tel qu’il était sorti du sein de sa mère. Aussi, -toute sa vie, crut-il que c’était à cette heure-là qu’était né -le Seigneur. Et, depuis lors, il acquit une compétence -spéciale dans tout ce qui touchait à la Nativité du Christ, -ce qui lui permit de parler mieux que personne de la -Vierge et de l’Enfant, et d’expliquer le récit évangélique -relatif à l’Annonciation.</p> - -<p>Or le vieil ennemi de l’homme, voyant le petit Bernard -en des dispositions si saines, s’efforça de tendre des -pièges à sa chasteté. Mais comme, un jour, à l’instigation -du diable, l’enfant avait tenu longtemps les yeux -fixés sur une femme, soudain il rougit de lui-même, et, -pour se punir, il entra dans l’eau glacée d’un étang, d’où -il ne sortit que transi jusqu’aux os. Une autre fois, une -jeune fille nue pénétra dans son lit pendant qu’il dormait. -Bernard, dès qu’il l’aperçut, lui céda en silence la part -du lit qu’il occupait ; après quoi, s’étant retourné de -l’autre côté, il s’endormit. Et la malheureuse, après l’avoir -longtemps touché et caressé, fut prise de honte malgré -son impudeur, de telle sorte qu’elle se releva et s’enfuit, -pleine à la fois d’horreur pour elle-même et d’admiration -pour le saint jeune homme. Une autre fois, comme Bernard -avait reçu l’hospitalité dans la maison d’une dame, -celle-ci, en voyant sa beauté, fut saisie d’un vif désir de -<span class="pagenum" id="p442">-442-</span> s’accoupler à lui. Elle se leva de son lit, et alla s’étendre -dans le lit de son hôte. Mais celui-ci, dès qu’il sentit -quelqu’un près de lui, se mit à crier : « Au voleur ! Au -voleur ! » Aussitôt la femme s’enfuit, toute la maison fut -sur pied, on alluma des lanternes, on chercha le voleur. -Puis, comme on ne trouvait personne, chacun retourna -dans son lit et se rendormit, à l’exception de la dame, -qui, ne pouvant dormir, de nouveau se leva et entra -dans le lit de Bernard. Et, de nouveau, le jeune homme -se mit à crier : « Au voleur ! » Nouvelle alerte, nouvelles -investigations. Et, une troisième fois encore, la dame se -vit repoussée de la même façon, si bien qu’elle finit par -renoncer à son mauvais dessein, soit par crainte ou par -découragement. Or le lendemain, en route, les compagnons -de Bernard lui demandèrent pourquoi il avait tant -de fois rêvé de voleurs. Et il leur dit : « J’ai eu, en effet, -cette nuit, à repousser les assauts d’un voleur : car mon -hôtesse a essayé de m’enlever un trésor que je n’aurais -plus jamais recouvré si je l’avais perdu ! »</p> - -<p>Tout cela persuada à Bernard que c’était chose peu -sûre de cohabiter avec le serpent. Il projeta donc de -s’enfuir du monde, et d’entrer dans l’ordre de Cîteaux. -Ce qu’apprenant, ses frères voulurent d’abord, par tous -les moyens, le détourner de son projet. Mais Dieu lui -accorda tant de faveurs que non seulement lui-même ne -fut point détourné de son projet : il convertit encore à -son projet tous ses frères et bon nombre d’amis. Un de -ses frères nommé Gérard, qui était dans l’armée, estimait -particulièrement folle l’intention de Bernard. Alors -celui-ci, déjà tout enflammé de foi, et excité en outre par -son amour fraternel, dit à Gérard : « Je sais, je sais, mon -frère, seule la souffrance t’amènera à m’entendre ! » Puis, -lui mettant un doigt sur l’aîne : « Hélas, le jour est prochain -où une lance percera ce flanc et ouvrira la voie, -dans ton cœur, au projet que maintenant tu désapprouves -chez moi ! » Et en effet, peu de jours après, Gérard fut -blessé d’un coup de lance à l’endroit que Bernard lui -avait désigné ; après quoi, il fut pris par l’ennemi et -jeté en prison. Là, Bernard vint le trouver, et lui dit : -<span class="pagenum" id="p443">-443-</span> « Je sais, mon frère Gérard, que bientôt nous partirons -d’ici pour entrer dans un monastère ! » Et, la même nuit, -les chaînes du prisonnier tombèrent, la porte de la prison -s’ouvrit ; et Gérard dit à son frère qu’il avait changé -d’avis et voulait se faire moine.</p> - -<p>L’an du Seigneur 1112, la quinzième année de l’institution -du couvent de Cîteaux, Bernard entra dans ce -couvent avec plus de trente compagnons. Il était alors -âgé d’environ vingt-deux ans.</p> - -<p>Au moment où Bernard quittait la maison paternelle -avec ses frères, Guido, qui était l’aîné, aperçut le petit -Nivard, le plus jeune de ses frères, qui jouait sur la place -avec d’autres enfants. « Hé — lui dit-il — mon frère -Nivard, c’est sur toi seul que va reposer l’administration -de nos biens terrestres ! » Mais l’enfant, mûri par la foi, -répondit : « Vous voulez donc avoir pour vous le ciel et -me laisser la terre ? Ce n’est point là un partage équitable ! » -Il resta quelque temps encore auprès de son -père, et alla, lui aussi, se faire moine, dès qu’il fut en âge.</p> - -<p>Quant à Bernard, aussitôt qu’il fut entré en religion, -tout son esprit fut si profondément occupé et absorbé -par Dieu que la vie sensible cessa d’exister pour lui. -Habitant depuis plus d’un an déjà la cellule des -novices, il ne savait pas encore de quelle forme en était -la voûte. Passant la plupart de son temps dans la chapelle, -il était persuadé que le mur près duquel il se tenait -n’avait qu’une seule fenêtre, tandis qu’en réalité il en -avait trois.</p> - -<p>L’abbé de Cîteaux envoya des frères pour construire -une maison à Clairvaux, et désigna Bernard pour être -leur abbé. Bernard vécut là dans une extrême pauvreté, -ne mangeant souvent qu’une sorte de soupe faite avec -des feuilles de hêtre. Il veillait la nuit, au delà des forces -humaines, tenant le sommeil pour l’équivalent de la -mort, et ne regrettant rien davantage que les quelques -instants perdus à dormir. Il ne trouvait aucun plaisir, -non plus, dans la nourriture, et ne mangeait que par -force, ayant même perdu la faculté de discerner la -saveur des mets. C’est ainsi qu’un jour il but de l’huile -<span class="pagenum" id="p444">-444-</span> en guise d’eau, et ne s’en aperçut que lorsque des frères -lui firent observer que ses lèvres n’étaient pas mouillées. -Une autre fois, et pendant plusieurs jours de suite, il -mangea du sang caillé en croyant manger du beurre. -L’eau seule lui plaisait, en lui rafraîchissant la bouche -et la gorge.</p> - -<p>Tout ce qu’il savait sur les saints mystères, il disait -qu’il l’avait appris en méditant dans les bois. Et il -aimait à dire à ses amis que ses seuls professeurs -avaient été les chênes et les hêtres. Un jour, — comme -il le raconte lui-même dans ses écrits, — il essayait de -graver d’avance, dans son esprit, les paroles qu’il dirait -à ses frères ; mais voici qu’une voix lui dit : « Aussi -longtemps que tu garderas en toi cette idée-là, tu n’en -auras point d’autres ! » Dans ses vêtements, il aimait la -pauvreté, mais non la malpropreté, disant de celle-ci -qu’elle était signe ou de négligence, ou de vanité intérieure, -ou de recherche de la gloire extérieure. Il avait -toujours présent à l’esprit ce proverbe, qu’il répétait -volontiers : « Celui qui fait ce que personne ne fait, tout -le monde le remarque ! » Aussi ne porta-t-il un cilice que -tant qu’il put le faire secrètement ; mais, dès qu’il vit que -la chose était connue, il rejeta son cilice pour faire -comme tout le monde.</p> - -<p>Il ne cessait point de montrer, par son exemple, qu’il -possédait les trois genres de patience, qui consistaient, -suivant lui, à supporter les injures, la perte des biens -et la peine corporelle. Un évêque, qu’il avait amicalement -admonesté dans une lettre, lui répondit, avec une amertume -insensée, par une lettre qui commençait ainsi : -« Salut à toi, et non pas blasphème ! » — comme s’il -donnait à entendre que la lettre de Bernard avait contenu -des blasphèmes. Mais Bernard se borna à répondre -qu’il ne croyait pas avoir en lui l’esprit de blasphème, -et que jamais il n’avait maudit personne, ni surtout -un prince de l’Eglise. Une autre fois, un abbé lui envoya -six cents marcs pour la construction d’un monastère ; -mais toute la somme fut prise, en route, par des voleurs. -Ce qu’apprenant, il se borna à dire : « Béni soit Dieu, -<span class="pagenum" id="p445">-445-</span> qui nous a allégés de ce fardeau ! » Enfin, une autre fois, -un chanoine régulier vint le trouver et lui demanda -instamment à être admis dans son monastère. Et comme -Bernard l’engageait à retourner plutôt dans son église, -le chanoine lui dit : « Pourquoi recommandes-tu la perfection -dans tes livres, si tu ne consens pas à en laisser -approcher ceux qui le désirent ? Je voudrais avoir ici -tes livres pour les détruire ligne à ligne ! » Et Bernard : -« Dans aucun de mes livres tu n’as lu que tu ne pouvais -pas parvenir à la perfection en restant dans ton église. -Ce que j’ai recommandé dans tous mes livres, c’est -l’amélioration des mœurs, et non le changement de lieu ! » -Sur quoi le chanoine, affolé de rage, le frappa si durement -sur la joue que la rougeur succéda au coup, et -l’enflure à la rougeur. Et déjà les assistants allaient se -jeter sur le sacrilège, lorsque Bernard les supplia, au -nom du Christ, de ne lui faire aucun mal.</p> - -<p>Son père, qui était resté seul dans sa maison, finit par -se retirer, lui aussi, dans un monastère, où il mourut -peu de temps après, chargé d’années. Sa sœur, mariée, -était en danger de succomber aux richesses et aux plaisirs -de ce monde, lorsque, étant venue voir ses frères, -mais y étant venue avec une escorte et en grand apparat, -Bernard eut l’impression que c’était le diable qui l’envoyait -pour corrompre les âmes ; et il ne voulut ni aller -lui-même au-devant d’elle, ni permettre à ses frères d’y -aller. Alors, voyant que pas un de ses frères ne voulait -la reconnaître, à l’exception d’un seul d’entre eux, qui -était alors portier, et qui la traitait de « fumier en robes », -la sœur fondit en larmes et s’écria : « Si même je suis -une pécheresse, c’est pour des créatures comme moi -que le Christ est mort ! Et c’est précisément parce que -je me sens pécheresse que j’ai besoin des conseils et de -l’entretien des gens de bien. Si mon frère dédaigne -ma personne corporelle, que du moins le serviteur de -Dieu prenne considération de mon âme ! qu’il vienne, -qu’il me donne des ordres ! et je suis prête à accomplir -tout ce qu’il m’ordonnera ! » Alors Bernard, entendant -cette promesse, vint au-devant d’elle avec ses frères. Et, -<span class="pagenum" id="p446">-446-</span> comme il ne pouvait songer à la séparer de son mari, il -lui interdit, en premier lieu, tous les plaisirs mondains, -et lui recommanda de suivre l’exemple de leur mère. Et -la sœur, de retour chez elle, changea si complètement -que, vivant parmi le siècle, elle menait la vie d’une -nonne dans un cloître. Elle finit même, à force de -prières, par obtenir de son mari qu’il consentît à la -rupture du lien conjugal, et lui permît d’entrer dans un -couvent.</p> - -<p>Un jour, Bernard, malade et presque à bout de forces, -fut emporté en esprit devant le tribunal de Dieu. Et -Satan y vint, de son côté, la bouche remplie d’accusations -injustes contre lui. Et, quand l’adversaire eut fini de parler, -Bernard, confus et troublé, se borna à répondre : « Je -l’avoue, je ne suis point digne d’obtenir le ciel par mes -propres mérites. Mais comme mon maître Jésus a obtenu -le ciel par deux mérites, à savoir l’héritage de son père -et les souffrances de sa passion, j’ai l’espoir que, se -contentant d’un seul de ces mérites, il voudra bien me -faire don de l’autre ! » Ce qu’entendant, l’ennemi s’en alla -tout honteux, et Bernard s’éveilla de sa vision.</p> - -<p>Par l’excès de son abstinence, de son travail, et de ses -veilles, il avait fatigué son corps au point d’être -presque toujours malade, et d’avoir peine à suivre les -offices du couvent. Un jour qu’il se sentait en fort mauvais -état, les prières des frères eurent pour effet de lui -rendre un peu de santé. Sur quoi, les réunissant tous -autour de lui, il leur dit : « Pourquoi retenez-vous le -pauvre homme que je suis ? Vous êtes si forts que vous -l’emportez sur moi, là-haut : mais, de grâce, accordez-moi -de m’en aller de ce monde ! »</p> - -<p>Plusieurs villes l’élurent pour évêque, entre autres -Gênes et Milan. Et il n’osait ni accepter ni refuser, disant -seulement qu’il ne s’appartenait point, mais était délégué -pour le service d’autrui. Et, d’autre part, sur son conseil, -ses frères avaient obtenu du Souverain Pontife la promesse -que personne ne pourrait leur enlever celui qui -était leur joie et leur réconfort.</p> - -<p>Un jour que Bernard était allé chez les Chartreux et -<span class="pagenum" id="p447">-447-</span> les avait édifiés par sa vertu, le prieur des Chartreux fut -cependant frappé de voir que la selle de son cheval était -d’une élégance inaccoutumée, ce qui semblait dénoter un -certain goût de luxe. Mais quand on rapporta à Bernard -l’observation du prieur, il demanda avec surprise quelle -était cette selle : car il était venu de Clairvaux jusqu’à la -Chartreuse sans même voir sur quel siège il était assis. -Une autre fois, comme il avait marché toute la journée le -long du lac de Lausanne, ses compagnons lui demandèrent, -le soir, ce qu’il en pensait ; et il leur répondit -ingénument qu’il ne savait pas même où était ce lac. -Toujours on le trouvait en prière, ou en méditation, ou -occupé à lire ou à écrire, ou à s’entretenir avec ses Frères. -Un jour, comme il prêchait devant le peuple, et que tous -buvaient ses paroles, l’idée lui vint soudain de se dire : -« Tu prêches vraiment très bien, et on a plaisir à t’entendre ! » -Alors, devinant la tentation qui se cachait sous -cette idée, il se demanda s’il ne ferait pas bien de cesser -de parler. Mais aussitôt, réconforté du secours divin, il -répondit tout bas au tentateur : « Ce n’est pas toi qui -m’as fait commencer de parler, ce n’est pas toi qui -m’empêcheras d’achever ! » Après quoi il acheva tranquillement -sa prédication.</p> - -<p>Un moine qui, dans le siècle, avait été un ribaud et un -joueur, fut tenté par le malin esprit et voulut rentrer -dans le siècle. Bernard, le voyant bien décidé, lui demanda -de quoi il vivrait. Et le moine : « Je sais jouer aux -dés, et de cela je vivrai ! » Et Bernard : « Si je te confie -un capital, me promets-tu de revenir tous les ans partager -tes gains avec moi ? » Le moine, tout joyeux, le -lui promit volontiers. Donc Bernard lui fit donner vingt -sols et le laissa partir. Or le moine, dès qu’il se trouva -libre, perdit toute la somme, et revint, plein de honte, à -la porte du couvent. Aussitôt Bernard s’avança vers lui -en tendant la main, comme pour recevoir la moitié de son -gain. Et lui : « Hélas, mon père, je n’ai rien gagné, et -j’ai même été dépouillé de notre capital ! Je ne puis que -m’offrir moi-même en échange de la somme perdue ! » Et -Bernard lui répondit avec bonté : « Si c’est ainsi, mieux -<span class="pagenum" id="p448">-448-</span> vaut que je reprenne ce capital-là, plutôt que de les -perdre tous deux ! »</p> - -<p>Un jour Bernard, chevauchant en compagnie d’un -paysan, lui parla, par hasard, de la difficulté qu’il -avait à prier avec attention. Sur quoi le rustre, d’un -ton méprisant, répondit que, quant à lui, jamais il ne -se laissait distraire pendant qu’il priait. Alors Bernard -lui dit : « Séparons-nous un moment, et commence, avec -toute l’attention possible, l’oraison dominicale ! Que -si tu parviens à la réciter tout entière sans une seule -distraction de pensée, je te donnerai la jument que je -monte. Mais j’ai assez de confiance en ta loyauté pour -être sûr que, si quelque distraction te vient, tu me -l’avoueras ! » Aussitôt le paysan, tout joyeux, et considérant -déjà la jument comme acquise, se mit à l’écart, se -recueillit, et commença son <i lang="la" xml:lang="la">Pater</i>. Mais à peine était-il -arrivé à la moitié, que, tout à coup, il se demanda si la -selle de Bernard serait à lui avec la jument. Et aussitôt -il se rendit compte de sa distraction, et vint l’avouer à -Bernard.</p> - -<p>Une autre fois, une énorme quantité de mouches -ayant envahi le monastère construit par Bernard, et y -causant une grande vexation, le saint dit en riant : « Je -les excommunie ! » Et, le lendemain, toutes les mouches -avaient disparu.</p> - -<p>Il avait été envoyé par le Souverain Pontife à Milan, -pour réconcilier cette ville avec l’Eglise. Sur son retour, -il s’arrêta à Pavie, où un mari lui amena sa femme, qui -était possédée du démon. Bernard la renvoya à l’église -de saint Cyr ; mais celui-ci, pour honorer son hôte, la lui -renvoya. Et le diable, par la bouche de la possédée, ricanait, -en disant : « Ce n’est point le petit Cyr, ni le petit -Bernard qui seront de taille à me faire sortir ! » A quoi -Bernard répondit : « Ce ne sera point Cyr ni Bernard -qui te chassera, mais le Seigneur Jésus ! » Puis il pria -Jésus, et l’esprit immonde s’écria : « Comme je voudrais -sortir de cette femme ; mais je ne le puis, car le grand -maître m’en empêche ! » Et Bernard : « Qui est le grand -maître ? » Et le diable : « Jésus de Nazareth ! » Et Bernard : -<span class="pagenum" id="p449">-449-</span> « L’as-tu jamais vu ? » Et le diable : « Oui ! » Et -Bernard : « Où l’as-tu vu ? » Et le diable : « Dans le -ciel ! » Et Bernard : « As-tu donc été dans le ciel ? » Et -le diable : « Oui ! » Et Bernard : « Comment en es-tu -sorti ? » Et le diable : « J’en ai été précipité avec Lucifer ! » -Il disait tout cela d’une voix lugubre, parlant toujours -par la bouche de la femme, en présence de tous. -Et Bernard lui dit : « Aimerais-tu retourner au ciel ? » -Et le diable, avec un gémissement piteux : « Hélas ! il est -trop tard ! » Puis, sur l’ordre de Bernard, il sortit de la -femme ; mais à peine le saint s’était-il remis en route, -que le mari, accourant derrière lui, lui apprit que le -maudit avait de nouveau pris possession de sa femme. -Alors Bernard lui conseilla d’attacher au cou de sa -femme un papier contenant ces mots : « Au nom de -Notre-Seigneur Jésus-Christ, je te défends, démon, de -toucher désormais à cette femme ! » Ainsi fut fait, et -force fut au diable de respecter la défense.</p> - -<p>Il y avait en Aquitaine une pauvre femme que tourmentait, -depuis six ans, un incube luxurieux. Lorsque Bernard -arriva dans l’endroit où vivait cette femme, l’incube -défendit à sa victime de s’approcher du saint, la menaçant, -si elle le faisait, de n’être plus désormais son amant, -mais son persécuteur. La femme, cependant, vint trouver -Bernard, et lui raconta en gémissant le mal dont elle -souffrait. Et Bernard : « Prends mon bâton et mets-le dans -ton lit, et nous verrons ensuite ce que l’ennemi osera -faire ! » La nuit, dès que la femme fut dans son lit, l’incube -accourut ; mais non seulement il ne put se livrer à -sa maudite tâche de toutes les nuits : il ne put même pas -s’approcher du lit. Il s’en alla, furieux, avec des menaces -terribles. Ce qu’apprenant, Bernard réunit tous les habitants -de la ville, leur fit tenir en main des cierges allumés ; -et tous, d’une même voix, excommunièrent le diable, -lui défendant désormais l’accès de la ville. Depuis lors, -la femme se trouva délivrée.</p> - -<p>Bernard était venu en Aquitaine pour réconcilier avec -l’Eglise le duc de cette province. Et comme celui-ci se -refusait à toute réconciliation, Bernard alla vers l’autel, -<span class="pagenum" id="p450">-450-</span> consacra l’hostie, la posa sur une patène, et sortit avec -elle de l’église. Alors, abordant d’une voix terrible le -duc d’Aquitaine, qui, en qualité d’excommunié, se tenait -en dehors de l’église sans oser entrer, il lui dit : -« Nous t’avons prié, et tu as dédaigné notre prière ! -Voici que vient vers toi le fils de la Vierge, le maître -suprême de l’Eglise que tu persécutes ! Voici que vient -vers toi ton juge, entre les mains duquel sera remise ton -âme ! Oseras-tu le dédaigner aussi, comme ses serviteurs ? » -Aussitôt le duc sentit tous ses membres fléchir, et se -prosterna aux pieds de Bernard. Et celui-ci, le touchant -de la sandale, lui ordonna de se lever, pour entendre la -sentence de Dieu. Le duc se releva, tout tremblant, -et exécuta aussitôt tout ce que lui ordonna saint Bernard.</p> - -<p>Celui-ci se rendit également en Allemagne pour apaiser -une grande discorde. Et l’archevêque de Mayence envoya -au-devant de lui un vénérable clerc, qui lui dit qu’il -venait de la part de son maître. Mais Bernard lui répondit : -« Non, c’est un autre maître qui t’a envoyé ! » Etonné, -le clerc répondit qu’il venait de la part de l’archevêque. -Mais Bernard lui répétait toujours : « Tu te trompes, mon -fils, tu te trompes ! C’est un maître plus puissant qui t’a -envoyé, car c’est le Christ lui-même ! » Alors le clerc, -comprenant le sens de ses paroles, lui dit : « Tu crois -donc que je veux devenir moine ? je n’en ai jamais eu -la pensée un seul instant ! » Et cela n’empêcha point ce -clerc, avant même d’être rentré à Mayence, de dire adieu -au siècle pour devenir moine.</p> - -<p>Un noble soldat, qui s’était fait moine, était tourmenté -d’une tentation cruelle. Un de ses frères, le voyant -toujours triste, lui en demanda le motif. Et le moine -répondit : « Je me désole de penser qu’il n’y aura plus -pour moi de joie en ce monde ! » Le mot fut rapporté à -Bernard, qui, ému de pitié, pria pour le malheureux -frère. Et aussitôt celui-ci devint aussi gai et aussi -joyeux qu’il avait été triste jusque-là.</p> - -<p>Lorsque mourut saint Malachie, évêque d’Irlande, qui -était venu achever sa vie dans le monastère de saint Bernard, -celui-ci célébra la messe en son honneur. Et Dieu, -<span class="pagenum" id="p451">-451-</span> soudain, lui fit connaître la gloire du défunt, de telle sorte -que, après la communion, changeant la forme de sa -prière, il s’écria joyeusement : « Dieu, qui as daigné admettre -le bienheureux Malachie au nombre de tes saints, -permets, nous t’en prions, que, de même que nous célébrons -la fête de sa mort, nous imitions aussi l’exemple de -sa vie ! » Le diacre fit signe à Bernard qu’il se trompait -dans sa prière. Mais Bernard : « Pas du tout ! Je sais -ce que je dis ! » Après quoi il alla baiser les restes du -saint.</p> - -<p>A l’approche du carême, Bernard demanda aux étudiants -de vouloir bien s’abstenir, au moins pendant les -saints jours, de leurs amusements et de leurs débauches. -Mais, comme ils s’y refusaient, il leur fit verser du vin, -en disant : « Buvez donc de ce vin des âmes ! » Et à -peine l’eurent-ils bu qu’ils furent tout changés. Et eux, -qui n’avaient pas voulu accorder à Dieu quelques journées, -ils lui accordèrent tout le temps de leur vie.</p> - -<p>Enfin saint Bernard, sentant la mort approcher, dit à -ses frères : « Je vous laisse en héritage l’exemple de trois -vertus que je me suis efforcé toute ma vie de pratiquer. -J’ai toujours évité de scandaliser personne ; j’ai toujours -eu moins de confiance en moi-même que dans les autres, -et jamais je n’ai tiré vengeance de mes persécuteurs. » -Puis il s’endormit au milieu de ses fils, en l’an 1143, dans -la soixante-troisième année de son âge, après avoir -fondé cent soixante monastères, accompli de nombreux -miracles et écrit une foule de livres et de traités.</p> - -<p>Après sa mort, sa gloire fut révélée à de nombreuses -personnes. Il apparut notamment à un certain abbé, et -l’engagea à le suivre. Puis il le conduisit au pied d’une -montagne, et lui dit : « Reste ici, pendant que je vais -monter là-haut ! » L’abbé lui demanda ce qu’il allait faire. -Et Bernard : « Je vais apprendre ! » Et l’abbé, tout surpris : -« Que veux-tu apprendre, mon père, toi qui n’a pas -aujourd’hui ton pareil pour la science ? » Et Bernard : -« Il n’y a ici-bas ni science, ni connaissance, c’est là-haut -seulement qu’il y a plénitude de science, c’est là-haut -qu’est la vraie connaissance de la vérité ! » Et, ce disant, -<span class="pagenum" id="p452">-452-</span> il disparut. Or l’abbé, ayant noté le jour et l’heure de -cette vision, découvrit qu’elle avait coïncidé avec la mort -de saint Bernard. Et nombreux, ou plutôt innombrables, -sont les miracles que Dieu opéra ensuite par l’entremise -de ce grand saint.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c119">CXIX<br /> -SAINT TIMOTHÉE, <span class="small">MARTYR<br /> -(22 août)</span></h2> - - -<p>Timothée souffrit le martyre sous le règne de Néron. -Pendant que le préfet de Rome le torturait cruellement, -lui faisant arroser les reins de chaux vive, le saint rendait -grâce à Dieu. Alors deux anges, descendant à ses -côtés, lui dirent : « Lève la tête, et vois ! » Levant la -tête, il vit les cieux ouverts, et, là, Jésus tenait en main -une couronne de pierreries, et lui disait : « De ma main -tu recevras cette couronne ! » Un homme qui se trouvait -là, nommé Apollinaire, vit, lui aussi, la vision céleste, -et, aussitôt, se fit baptiser. Et comme tous deux, Timothée -et Apollinaire, persévéraient à confesser le Seigneur, -le préfet les fit décapiter. C’était en l’an du Seigneur -57.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c120">CXX<br /> -SAINT SYMPHORIEN, <span class="small">MARTYR<br /> -(22 août)</span></h2> - - -<p>Symphorien était originaire d’Autun. Dès l’adolescence, -il se fit remarquer par la gravité de ses mœurs. Et, -comme, le jour de la fête de Vénus, les païens présentaient -<span class="pagenum" id="p453">-453-</span> au préfet Héraclius une statue de cette déesse, -Symphorien refusa d’adorer la statue : en punition de -quoi il fut roué de coups et jeté en prison. Le préfet lui -offrit ensuite de nombreux présents, s’il voulait sacrifier -aux idoles. Mais Symphorien lui dit : « Notre Dieu, de -même qu’il sait récompenser les mérites, sait aussi punir -les péchés. Et vos présents sont des poisons enveloppés -de miel. Et votre avidité même, quand elle croit tout -avoir, ne possède rien ; et votre joie ressemble au verre, -qui, dès qu’il commence à briller, se brise en morceaux ! » -Ce qu’entendant, le juge, furieux, ordonna que Symphorien -fût mis à mort.</p> - -<p>Pendant qu’on le conduisait au supplice, sa mère, du -haut d’un mur, lui criait : « Mon fils, mon fils, souviens-toi -de la vie éternelle ! regarde en haut, contemple Celui -qui règne dans les cieux ! Tu sentiras alors que ta vie ne -t’est pas enlevée, mais, au contraire, changée en une vie -meilleure ! » Bientôt après, Symphorien fut décapité. Son -corps, pris par les chrétiens, fut enseveli religieusement. -Et tant de miracles se produisirent sur son tombeau, que -les païens eux-mêmes le tinrent en grand honneur. Grégoire -de Tours raconte notamment qu’un chrétien, ayant -arrosé trois cailloux du sang qui avait jailli du tronc -coupé de saint Symphorien, mit ces cailloux dans une -boîte d’argent, et prit l’habitude de les porter sur lui. Et -comme, un jour, le camp où il était se trouva détruit de -fond en comble par un incendie, la boîte seule resta intacte, -avec l’étui de bois où elle était enfermée. Le martyre -du saint eut lieu en l’an du Seigneur 270.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c121">CXXI<br /> -SAINT BARTHÉLEMY, <span class="small">APÔTRE<br /> -(24 août)</span></h2> - - -<p>I. L’apôtre Barthélemy se rendit aux Indes, qui sont -placées à l’extrémité du monde. Là, il entra dans un -<span class="pagenum" id="p454">-454-</span> temple où était une idole nommée Astaroth ; et il s’installa -dans ce temple comme un pèlerin. Or l’idole Astaroth -était habitée par un démon qui prétendait guérir -les maladies, encore que, en réalité, il ne les guérît -point, mais empêchât seulement les malades de souffrir. -Et voici que, une foule énorme de pèlerins étant entrée -dans le temple où était l’idole, celle-ci refusa complètement -d’exercer sur les malades son action accoutumée. -Les pèlerins se rendirent alors dans une ville voisine, où -se trouvait une autre idole nommée Bérith ; et ils demandèrent -à celle-ci pourquoi Astaroth les laissait sans réponse. -Et Bérith leur dit : « C’est qu’Astaroth est chargée -de chaînes de feu, qui ne lui permettent ni de -respirer ni de parler, et cela depuis l’instant où l’apôtre -Barthélemy est entré dans le temple ! » Et eux : « Qui -est donc ce Barthélemy ? » Et le démon Bérith : « C’est -un ami du Dieu du ciel, venu dans notre province pour -en chasser tous les dieux indiens. » Et eux : « A quel -signe pourrons-nous le reconnaître ? » Et Bérith : « Il a -les cheveux noirs et crépus, la chair blanche, les yeux -grands, les narines égales et bien ouvertes, la barbe -épaisse avec quelques poils blancs, la stature moyenne ; -et il est vêtu d’un manteau blanc avec des pierres rouges -aux angles. Vingt-six ans d’âge ; et cette propriété, que -son vêtement et ses sandales ne peuvent ni s’user ni se -salir, bien que cent fois, jour et nuit, il s’agenouille pour -prier. Quand il marche, des anges l’accompagnent, -l’empêchant de se fatiguer et de souffrir de la soif. Toujours -joyeux d’âme et de visage, il sait tout, comprend -toutes les langues, prévoit tout ; et déjà il sait que je vous -parle en ce moment. Je vous en prie, s’il consent à se -montrer à vous, demandez-lui de ne point venir ici, car -ses anges ne manqueraient point de me traiter comme ils -ont traité mon compagnon Astaroth ! » On chercha -donc Barthélemy pendant deux jours, mais sans pouvoir -le découvrir.</p> - -<p>Cependant, comme l’apôtre passait dans une rue, un -démon s’écria, par la bouche d’un possédé : « Barthélemy, -apôtre de Dieu, tes prières me brûlent ! » Et -<span class="pagenum" id="p455">-455-</span> l’apôtre : « Tais-toi, et sors de cet homme ! » Et aussitôt -le possédé se trouva délivré. La nouvelle du miracle -parvint alors au roi du pays, qui s’appelait Polème. -Et comme celui-ci avait une fille folle, il fit prier -l’apôtre de venir la guérir. L’apôtre vint, et trouva la -jeune fille liée avec des chaînes, car elle mordait ceux -qui l’approchaient. Il ordonna aussitôt de la délivrer : -et comme les ministres du roi n’osaient la toucher, il -leur dit : « Ne craignez rien, car j’ai déjà enchaîné le -démon qui était en elle ! » Et, en effet, dès qu’on lui -eut ôté ses chaînes, elle recouvra l’esprit. Alors le roi fit -placer sur des chameaux tout un trésor d’or, d’argent et -de pierres précieuses, et ordonna qu’on le portât à -l’apôtre, qui était reparti. Mais en vain on le chercha -dans tout le royaume.</p> - -<p>Le lendemain, le roi était seul dans sa chambre lorsque -Barthélemy lui apparut, et lui dit : « Pourquoi m’as-tu -fait chercher, hier, avec tes présents ? Ces présents sont -nécessaires à ceux qui désirent les choses terrestres, -mais non à moi, qui ne désire rien de terrestre ! » -Après quoi il exposa à Polème le mystère de notre rédemption -et les sacrements de la foi. Et il ajouta que, -si le roi voulait recevoir le baptême, il se chargerait -ensuite de lui montrer son ancien dieu tout lié de -chaînes. Le lendemain, comme les prêtres sacrifiaient -aux idoles près du palais du roi, le diable se mit à leur -crier : « Malheureux, cessez de m’offrir des sacrifices : -car je suis enchaîné de chaînes de feu par un ange de -Jésus-Christ, que les Juifs ont crucifié ! Ce Jésus a -dompté la mort elle-même, notre souveraine, et il a enchaîné -notre prince, qui, est l’auteur de toute mort ! » -Aussitôt la foule voulut abattre les idoles, à grand renfort -de cordes ; mais on ne put y parvenir. Alors -l’apôtre ordonna au démon de sortir de l’idole et de briser -celle-ci. Et aussitôt le démon, sortant de l’idole, mit -en pièces celle-ci et toutes les autres qui étaient dans le -temple. Alors Barthélemy, ayant prié Dieu, guérit tous -les malades venus en pèlerinage auprès d’Astaroth. Puis -il dédia à Dieu le temple, et ordonna au démon de se -<span class="pagenum" id="p456">-456-</span> retirer dans un lieu désert. Et, au même instant, on vit -un ange qui, volant tout à l’entour du temple, fit, à ses -quatre coins, le signe de la croix, en disant : « De même -que le Seigneur vous a purifiés de vos maladies, de même -il purifie ce temple de toute souillure ! Et avant que le -démon qui habitait ici s’en aille au désert, Dieu m’a ordonné -de vous le montrer. Ne le craignez pas, mais imprimez -sur votre front le signe que vous m’avez vu faire -aux quatre coins du temple ! » Et l’ange leur montra un -Ethiopien tout noir, au visage pointu, avec une barbe -touffue, des poils sur tout le corps, des yeux enflammés, -une bouche vomissant du soufre, et les mains enchaînées -derrière le dos. Alors le roi se fit baptiser avec sa femme, -ses fils et tout son peuple ; et, désormais, renonçant à -sa royauté, il devint disciple de l’apôtre.</p> - -<p>Les prêtres des idoles, chassés par Polème, se rendirent -auprès du frère de celui-ci, Astiage, et se plaignirent -devant lui des méfaits de l’apôtre. Astiage, -furieux, envoya à la recherche de Barthélémy toute une -armée, qui finit par s’emparer de lui. Et Astiage : -« Est-ce toi qui as séduit mon frère ? » Et l’apôtre : « Je -ne l’ai point séduit, mais converti ! » Et Astiage : « De -même que tu as amené mon frère à abandonner ses -dieux pour le tien, de même je saurai bien te faire abandonner -ton Dieu pour sacrifier aux miens ! » Et l’apôtre : -« Le dieu qu’adorait ton frère, je l’ai enchaîné, au vu de -tous, et forcé à détruire ses idoles ! Si tu parviens à faire -subir le même traitement à mon Dieu, je consentirai à -adorer tes simulacres ; mais si tu n’y parviens pas, je -détruirai tes simulacres pour que tu croies en mon Dieu. » -A peine avait-il ainsi parlé, qu’on vint annoncer au roi -que son idole Baldak venait de tomber de son piédestal -et de se briser en morceaux. Ce qu’apprenant, le roi, -furieux, déchira en deux son manteau de pourpre, ordonna -que l’apôtre fût battu de verges, et le fit enfin -écorcher vif. Les chrétiens enlevèrent le corps du martyr, -et lui accordèrent les honneurs qui lui étaient dus. -Quant au roi Astiage et aux prêtres des idoles, ils -furent saisis par des démons, et périrent misérablement. -<span class="pagenum" id="p457">-457-</span> Au contraire, l’ex-roi Polème fut ordonné évêque, et, -durant vingt ans, s’acquitta saintement des devoirs de -l’épiscopat.</p> - -<p>Sur le genre exact du martyre de saint Barthélemy les -avis diffèrent : car saint Dorothée affirme expressément -qu’il a été crucifié. Et il ajoute que son supplice eut lieu -dans une ville d’Arménie nommée Albane, comme aussi -qu’il fut crucifié la tête en bas. D’autre part, saint Théodore -assure que l’apôtre a été écorché vif ; et il y a encore -d’autres historiens qui prétendent qu’il a eu la tête -tranchée. Mais, au fait, cette contradiction n’est qu’apparente : -car rien n’empêche de penser que le saint ait été -d’abord mis en croix, puis, pour plus de souffrances, -écorché vif, et enfin décapité.</p> - -<p>II. Le bienheureux Théodore, abbé et docteur, après -avoir raconté le martyre de saint Barthélemy, dont il -place la scène à Albane en Arménie, écrit ce qui suit : -« La fureur de ses bourreaux était telle que la mort -même ne l’apaisa point. Elle s’acharna contre son corps -même, qui fut jeté à la mer avec ceux de quatre autres -martyrs. Et les cinq corps vénérables, abandonnés au -courant des flots, abordèrent dans une île voisine de la -Sicile appelée Lipari, où ils furent recueillis par l’évêque -d’Ostie, qui se trouvait là en ce moment. Mais quatre -d’entre eux, laissant à Lipari les restes de Barthélemy, -poursuivirent leurs routes vers d’autres régions. L’un -d’eux, Papin, se rendit dans une ville de Sicile, appelée -Milas ; un autre, Lucien, parvint à Messine ; les deux derniers -furent envoyés par Dieu en Calabre, Grégoire -dans la ville de Colone, Achace dans la ville de Chalé. -Quant à Barthélemy, il fut reçu à grand renfort d’hymnes -et de cierges, et un temple magnifique s’éleva en son -honneur. Et le mont de Vulcain, qui lançait des flammes -jusque sur les habitants de Lipari, s’éloigna soudain à -sept stades de là, de telle sorte que, aujourd’hui encore, -se dressant au bord de la mer, il apparaît comme la figuration -d’un feu prenant la fuite. »</p> - -<p>III. L’an du Seigneur 331, les Sarrasins, ayant envahi -l’île de Lipari, brisèrent le tombeau de saint Barthélemy, -<span class="pagenum" id="p458">-458-</span> et dispersèrent ses os. Mais à peine eurent-ils quitté -l’île, que le saint apparut à un moine et lui dit : « Lève-toi -et recueille mes os, qui sont dispersés ! » Et le -moine : « Pourquoi recueillerais-je tes os, ou te rendrais-je -un honneur quelconque, à toi qui as laissé dévaster -notre île sans nous prêter secours ? » Et le saint : -« Pendant longtemps le Seigneur, sur ma prière, a -épargné ce peuple ; mais ses péchés sont devenus si -nombreux que je n’ai plus pu obtenir leur pardon. » Le -moine lui demanda alors à quel signe il pourrait reconnaître -ses os, parmi tous ceux que les Sarrasins avaient -dispersés. Et le saint : « Va les chercher pendant la -nuit, et recueille ceux que tu verras briller comme du -feu ! » Le moine fit ainsi, recueillit les os de l’apôtre, et -les transporta par mer à Bénévent, métropole de la -Pouille. Et aujourd’hui encore les habitants de Bénévent -prétendent posséder le corps de saint Barthélemy, bien -que, d’après l’opinion générale, ce corps se trouve désormais -à Rome.</p> - -<p>IV. L’empereur Frédéric, s’étant emparé de Bénévent, -avait ordonné de détruire toutes les églises de la ville. -Or voici qu’un habitant de celle-ci aperçut des hommes -vêtus de blanc, et tout resplendissants, qui semblaient -s’entretenir entre eux. Il demanda à l’un d’eux qui ils -étaient, et l’inconnu répondit : « Celui que tu vois là-bas -est l’apôtre Barthélemy, et nous sommes les autres -saints qui avions des églises dans cette ville. Nous nous -sommes réunis ici pour nous entendre sur le châtiment -que nous devions exiger contre l’impie qui nous a chassés -de nos demeures. Et nous venons de juger qu’il aura -à comparaître sans retard devant le tribunal de Dieu, -pour rendre compte de son sacrilège. » Et, en effet, peu -de temps après, ledit empereur périt misérablement.</p> - -<p>V. On lit dans un livre de <i>Miracles des Saints</i> que, -pendant qu’un maître célébrait la fête de saint Barthélemy, -le diable lui apparut sous la forme d’une jeune -fille merveilleusement belle. Le maître l’invita à sa table, -ne sachant qui elle était ; et elle s’efforçait de l’exciter par -ses caresses. Or, voici que saint Barthélemy se présenta -<span class="pagenum" id="p459">-459-</span> devant la porte, en habit de pèlerin, et pria qu’on le -reçût au nom de saint Barthélemy. La femme engagea -le prêtre à lui envoyer du pain sans le recevoir ; mais le -pèlerin refusa d’y toucher. Et il fit demander au prêtre -de lui faire dire ce qui était le plus propre à l’homme. -La jeune femme lui fit répondre : « C’est le péché, avec -lequel l’homme est conçu, naît et vit. » Le pèlerin déclara -la réponse exacte. Il fit ensuite demander au prêtre de -lui dire quel était le lieu n’ayant qu’un seul pied, et où -Dieu avait opéré son plus grand miracle. Le prêtre fut -d’avis que c’était la croix ; la femme dit : « C’est la tête -de l’homme, dans laquelle Dieu a créé comme un second -monde en raccourci. » Et le pèlerin approuva les deux -réponses. Puis il fit demander, en troisième lieu, quelle -distance il y avait du sommet du ciel au fond de l’enfer. -Le prêtre répondit qu’il l’ignorait. Mais la femme : -« Hélas, je le sais, moi, car j’ai franchi cette distance, et -voici que je vais avoir à la franchir de nouveau ! » Après -quoi cette femme, reprenant sa forme de diable, se précipita -dans l’abîme avec un grand cri ; et, quand on -chercha ensuite le pèlerin, on ne le trouva plus. Une -histoire semblable nous est aussi racontée touchant -saint André.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c122">CXXII<br /> -SAINT AUGUSTIN, <span class="small">DOCTEUR<br /> -(28 août)</span></h2> - - -<p>I. Augustin, illustre docteur de l’Eglise, naquit dans la -ville de Carthage, en Afrique, de parents nobles. Son -père s’appelait Patrice, sa mère Monique. Il fut suffisamment -instruit dans les arts libéraux, dès sa jeunesse, -pour mériter d’être considéré comme un philosophe -éminent et un remarquable rhéteur. Il lut et approfondit -l’œuvre d’Aristote et tous les autres livres qu’on pouvait -lire alors. Et il nous dit lui-même dans ses <i>Confessions</i> : -<span class="pagenum" id="p460">-460-</span> « Tous les livres qu’on appelle <i>libéraux</i>, je les ai lus, -étant, à cette époque, le misérable esclave de désirs -mauvais. Quant à ce qui est de la grammaire et de l’éloquence, -de la géométrie, des nombres et de la musique, -je l’ai appris aisément sans le secours d’aucun maître. -Mais la science, sans la charité, ne fait que nous gonfler -au lieu de nous édifier. »</p> - -<p>Il était tombé dans l’hérésie des Manichéens, qui -niaient la réalité du Christ et la résurrection de la chair. -Il persévéra dans cette hérésie pendant neuf ans. Mais, -dès l’âge de dix-neuf ans, comme il lisait le livre d’un -philosophe où était exposée la vanité du monde, il fut -désolé de ne point trouver dans ce livre le nom de Jésus-Christ, -dont sa mère l’avait imprégné.</p> - -<p>Sa mère, de son côté, pleurait beaucoup et ne négligeait -rien pour le ramener à la foi véritable. Or, un jour, -elle vit en rêve un jeune homme qui lui demanda la cause -de sa tristesse. Elle lui répondit qu’elle pleurait la perdition -de son fils. Et l’inconnu lui dit : « Sois sans -crainte, car là où tu es, il est aussi ! » L’excellente -femme n’en insistait pas moins auprès de son évêque -afin qu’il daignât intercéder pour son fils. Et l’évêque, -d’une voix prophétique, lui dit : « Sois sans crainte, car -c’est chose impossible que Dieu laisse périr l’enfant de -tant de larmes ! »</p> - -<p>Après avoir longtemps enseigné la rhétorique à Carthage, -Augustin vint à Rome et y réunit de nombreux -disciples. Sa mère l’avait suivi jusqu’aux portes de Carthage, -résolue à l’accompagner si elle ne parvenait pas -à le faire rester. Mais il la trompa, et, la nuit, partit seul, -ce dont la pauvre femme eut un grand chagrin. Matin -et soir, tous les jours, elle allait à l’église et priait pour -son fils.</p> - -<p>En ce temps-là, les Athéniens demandèrent à Symmaque, -préfet impérial, qu’Augustin leur fût envoyé -comme professeur de rhétorique. Mais le jeune homme -préféra se rendre à Milan, où se trouvait alors saint -Ambroise. Et lorsque sa mère, qui n’avait point de repos -loin de lui, vint le retrouver à Milan, elle put constater -<span class="pagenum" id="p461">-461-</span> qu’il n’était plus manichéen, sans être encore vraiment -catholique. Mais il avait commencé à s’attacher à saint -Ambroise et à écouter souvent sa prédication. Or, un -jour, le saint avait longuement démontré les erreurs des -manichéens, tant par des preuves tirées du raisonnement -que par d’autres tirées de l’autorité ; et, dès ce moment, -l’hérésie avait presque disparu du cœur d’Augustin. -Quant à ce qui lui arriva plus tard, lui-même le raconte -tout au long dans ses <i>Confessions</i>. Partagé entre son -goût pour la voie du Christ et sa crainte de pénétrer -dans une voie aussi étroite, il hésitait, lorsque Dieu lui -inspira la pensée d’aller consulter saint Simplicien, en -qui brillait la lumière de la grâce divine. Et Simplicien -se mit aussitôt à l’encourager, en lui disant : « Combien -d’enfants servent Dieu dans l’Eglise ! Et toi, savant docteur, -tu n’oses le faire ! Jette-toi dans les bras de Dieu ! -Il te recevra et te sauvera ! »</p> - -<p>Vers le même temps arriva d’Afrique un ami d’Augustin, -nommé Pontien ; et cet homme lui raconta la vie -et les miracles du grand Antoine, qui était mort en -Egypte sous l’empire de Constantin. L’exemple de ce -saint alluma une telle ardeur dans l’âme d’Augustin que, -se précipitant chez un de ses amis, nommé Alipe, il -s’écria : « Que tardons-nous ? Les ignorants se lèvent et -gagnent le ciel ; et nous, avec toute notre science, nous -nous plongeons en enfer ! » Puis il s’enfuit dans un jardin, -s’étendit sous un figuier, et se mit à pleurer amèrement. -Or, pendant qu’il pleurait, il entendit une voix -qui lui disait : « Prends et lis, prends et lis ! » Aussitôt -il ouvrit les <i>Actes des Apôtres</i> et lut, au hasard : -« Revêtez-vous du Seigneur Jésus ! » Aussitôt les ténèbres -du doute achevèrent de se dissiper en lui.</p> - -<p>Cependant il souffrait de maux de dents si forts que, -comme il le dit lui-même, il était presque tenté d’admettre -l’opinion du philosophe Corneille, qui plaçait le souverain -bien de l’âme dans la sagesse, et le souverain bien -du corps dans l’absence de douleur. Ses maux de dents -étaient, en effet, si vifs qu’il en avait perdu l’usage de la -parole. Ne pouvant parler à ses amis, il leur écrivait, -<span class="pagenum" id="p462">-462-</span> sur des tablettes de cire, pour leur demander de prier -tous pour lui, afin que le Seigneur apaisât sa souffrance. -Puis, en leur compagnie, il fléchit les genoux, pria et -aussitôt fut guéri. Il demanda aussi par lettre à saint -Ambroise de lui indiquer ce qu’il devait lire des Livres -Saints, pour devenir plus apte à la foi chrétienne. -Ambroise lui recommanda le prophète Isaïe, à cause de -la façon dont s’y trouvent prophétisés l’Evangile et la -vocation des gentils. Et comme Augustin, d’abord, ne -comprenait point le vrai sens du livre, Ambroise lui dit -de le relire plus tard, quand il serait plus exercé dans -la lecture des Livres Saints.</p> - -<p>Enfin, à l’approche de Pâques, Augustin, alors âgé de -trente ans, reçut le baptême, en compagnie de son fils -Adéodat, enfant plein d’intelligence, qu’il avait enfanté -pendant qu’il était encore païen et philosophe. Et son -ami Alipe se fit baptiser le même jour. Ce jour-là, -Ambroise s’écria : <i lang="la" xml:lang="la">Te Deum laudamus !</i> Augustin répondit : -<i lang="la" xml:lang="la">Te Dominum confitemur !</i> Et ainsi, se répondant -l’un à l’autre, ils composèrent jusqu’au bout cette hymne, -ainsi que l’atteste Honorius dans son <i>Miroir de l’Eglise</i>.</p> - -<p>Confirmé désormais dans la foi catholique, il abandonna -tout l’espoir qu’il avait mis dans le siècle, et se -retira notamment des écoles où il enseignait. Il nous dit -lui-même, dans ses <i>Confessions</i>, de quelle douceur l’amour -divin inondait son âme. Peu de temps après, en compagnie -de Nébrode et d’Evode, ainsi que de sa mère, il s’embarqua -pour retourner en Afrique ; mais, en arrivant au -port d’Ostie, il eut la douleur de voir mourir sa pieuse -mère. Rentré dans son domaine familial, il jeûnait et -priait avec ses disciples, écrivait des livres et prêchait. -Et sa renommée se répandit en tous lieux. Telle était -cette renommée qu’Augustin évitait à dessein d’entrer -dans les villes où l’on avait besoin d’un évêque, par -crainte d’être promu de force au siège épiscopal.</p> - -<p>Mais il y avait à Hippone un homme très riche qui lui -fit dire que, si seulement il l’entendait parler, il renoncerait -sans doute au siècle. Augustin, aussitôt, se mit en -route pour l’aller voir ; et voici que l’évêque d’Hippone -<span class="pagenum" id="p463">-463-</span> Valère, apprenant son arrivée, l’ordonna, presque malgré -lui, prêtre de son église. Et comme il s’affligeait de -cet honneur, de braves gens, mettant son chagrin sur -le compte de son orgueil, lui disaient, pour le consoler, -que sans doute cette prêtrise était au-dessous de ce -qu’il valait, mais que, du moins, elle avait l’avantage de -l’approcher de l’épiscopat. Aussitôt élu prêtre, Augustin -institua un monastère à Hippone, et commença à -vivre suivant la règle établie par les saints apôtres. Et -comme l’évêque Valère, qui était grec, ne connaissait -pas très bien la langue latine, il conféra à Augustin le -droit de prêcher en sa présence, dans l’église, contrairement -à l’usage de l’Eglise d’Orient. Ne pouvant s’acquitter -lui-même de cette prédication, le saint évêque -voulait, du moins, qu’un autre s’en acquittât. Et c’est -ainsi qu’Augustin réfuta et convainquit le prêtre manichéen -Fortunat, et d’autres hérétiques, manichéens, -donatistes, et rebaptisateurs.</p> - -<p>Cependant Valère craignait qu’Augustin ne lui fût -enlevé pour devenir évêque dans quelque autre ville : -car il avait été forcé, une fois déjà, de le cacher, pour -empêcher qu’on ne l’emmenât occuper ailleurs un siège -épiscopal. Il finit par obtenir de l’archevêque de Carthage -la permission de se retirer lui-même de son siège -d’Hippone, et d’y être remplacé par Augustin. En vain -celui-ci fit tout au monde pour s’y refuser : force lui fut -de céder. Et le regret qu’il en eut s’accrut encore -lorsque, plus tard, il apprit qu’un concile avait défendu -qu’un nouvel évêque fût ordonné du vivant de -l’ancien.</p> - -<p>Ses vêtements, sa chaussure, ses ornements n’étaient -ni trop luxueux, ni trop négligés, mais d’une élégance -moyenne et conforme à l’usage. Sa table fut toujours -d’une frugalité extrême. Mais, tout en ne se nourrissant -que de légumes, il avait presque toujours de la viande -pour ses hôtes et pour les malades. Un jour qu’il avait -invité des amis à un repas familier, un de ses hôtes eut -la curiosité de pénétrer dans sa cuisine. N’y trouvant -aucun plat chaud, il demanda à Augustin quels mets il -<span class="pagenum" id="p464">-464-</span> avait commandés pour le repas. Et Augustin lui répondit : -« Je n’en sais pas plus que toi ! »</p> - -<p>Il disait que saint Ambroise lui avait appris trois -choses : 1<sup>o</sup> à ne jamais se mêler de marier personne ; -2<sup>o</sup> à ne jamais encourager une dispute ; 3<sup>o</sup> à ne jamais -aller à un repas où il était invité. Telles étaient sa pureté -et son humilité, qu’il s’accusait humblement devant -Dieu, dans ses <i>Confessions</i>, de péchés minimes, dont la -plupart d’entre nous ne se soucieraient même pas. Il -s’accusait, par exemple, d’avoir joué aux osselets dans son -enfance, au lieu d’aller à l’école ; il s’accusait d’avoir mis -de la mauvaise volonté à lire ou à apprendre ; il s’accusait -d’avoir toujours, dans son enfance, pris plaisir à l’<i>Enéide</i> -et d’avoir pleuré de la mort de Didon ; il s’accusait d’avoir -dérobé des fruits, sur la table de ses parents, pour les -donner à ses compagnons de jeux ; il s’accusait d’avoir, -à seize ans, cueilli une poire sur un arbre qui n’était pas -à lui. Et il s’accusait aussi de la petite jouissance qu’il -éprouvait parfois à manger, ajoutant que le chrétien -doit prendre ses aliments à regret, comme une médecine. -Il s’accusait d’avoir exercé librement son odorat, -son ouïe et sa vue, se reprochant, par exemple, son -plaisir à voir courir un chien, ou à écouter de beaux -chants d’église. Enfin il s’accusait de son appétit de -louanges et de son désir de gloire, encore que ces sentiments -aient toujours été chez lui d’une modération -extraordinaire.</p> - -<p>Il excellait à réfuter les hérétiques, de telle sorte que -ceux-ci disaient publiquement que ce n’était point péché -de le tuer, affirmant que ceux qui le tueraient comme -un loup ne pourraient, par là, qu’être agréables à Dieu. -Aussi fut-il sans cesse exposé à tomber dans leurs -pièges ; et un jour, comme il était en route, sûrement il -aurait péri si la Providence n’avait fait en sorte que -ses meurtriers se trompassent de chemin.</p> - -<p>Pauvre lui-même, il n’oubliait jamais ses frères les -pauvres, partageant avec eux ce qu’il pouvait avoir. -Souvent même il leur distribuait les offrandes faites -pour l’église dans les vases sacrés. Jamais il ne voulut -<span class="pagenum" id="p465">-465-</span> acheter une maison, ni un champ. Quand on lui léguait -un héritage, il le refusait, disant que cet héritage devait -revenir plutôt aux enfants ou aux proches du légataire. -Il n’avait guère souci non plus des biens de l’Eglise, -n’étant occupé, jour et nuit, que des choses divines. -Jamais il n’eut le goût de faire bâtir, disant que les constructions -nouvelles étaient un empêchement pour une -âme qui voulait rester libre de tout ennui matériel, et -s’abandonner tout entière à la méditation. Non pas, -cependant, qu’il désapprouvât absolument tout projet -de construction nouvelle : il ne désapprouvait que le -goût passionné que certains en avaient.</p> - -<p>Il louait par-dessus tout ceux qui avaient le désir de -la mort, et il aimait à citer, à ce propos, l’exemple de -trois évêques : 1<sup>o</sup> l’exemple de saint Ambroise qui, -comme on lui demandait de prier pour obtenir une prolongation -de sa vie, répondait : « Je n’ai point si mal -vécu que je doive avoir honte de continuer à vivre, mais -je ne crains pas non plus de mourir, car Dieu est un -bon maître » ; 2<sup>o</sup> l’exemple d’un autre évêque, qui disait, -dans les mêmes circonstances, en réponse à ceux qui -lui représentaient sa vie comme nécessaire à son église : -« Si je ne dois jamais mourir, c’est bien ; mais si je dois -mourir un jour, pourquoi pas tout de suite ? » ; 3<sup>o</sup> enfin -Augustin aimait à citer un troisième évêque qui, étant -très malade, avait prié pour recouvrer la santé ; et un -jeune homme d’une beauté merveilleuse lui était apparu, -qui lui avait dit, d’une voix indignée : « Vous avez peur -de souffrir, vous ne voulez pas mourir, que ferai-je de -vous ? »</p> - -<p>Jamais Augustin ne voulut qu’aucune femme demeurât -avec lui, pas même sa cousine, ni les filles de son -frère, qui s’étaient vouées au service de Dieu. Jamais il -ne voulait parler, seul, à une femme, sauf quand elle -avait un secret à lui communiquer. Il fut le bienfaiteur -de ses parents, mais en leur apprenant à n’avoir pas -besoin de richesses, et non pas en leur donnant des -richesses. Rarement il consentait à intercéder pour -quelqu’un, de vive voix ou par lettre, disant que, « le -<span class="pagenum" id="p466">-466-</span> plus souvent, une faveur qu’on demandait devenait une -gêne. » Pour juger une cause, il aimait mieux se trouver -avec des inconnus qu’avec des amis, disant que, parmi -les inconnus, il pouvait plus librement découvrir les -bons, et s’en faire des amis, tandis que, à juger des -amis, il risquait fatalement d’en perdre un, celui contre -qui il devrait décider.</p> - -<p>De nombreuses églises l’invitaient à prêcher ; il y -enseignait la parole de Dieu et convertissait une foule -d’hérétiques. Parfois, en prêchant, il faisait des digressions ; -et il disait alors que c’était sans doute Dieu qui lui -inspirait ces digressions pour le salut de quelqu’un ; et -l’on cite, en effet, le cas d’un manichéen qui fut ainsi converti -par saint Augustin, celui-ci s’étant interrompu du -sujet qu’il traitait pour réfuter l’erreur des manichéens.</p> - -<p>C’était le temps où les Goths s’étaient emparé de -Rome, et où idolâtres et hérétiques attaquaient vivement -l’Eglise chrétienne. Voilà pourquoi Augustin écrivit -son livre de la <i>Cité de Dieu</i>, où il montra que c’était la -destinée des justes d’être opprimés dans cette vie, et la -destinée des impies d’y prospérer. Il décrivait, dans ce -livre, deux cités et deux rois, Jérusalem, dont le roi est -le Christ, et Babylone, où règne le diable ; ajoutant que -la cité du diable reposait sur l’amour de soi et la cité -de Dieu sur l’amour de Dieu.</p> - -<p>En l’an du Seigneur 440, les Vandales envahirent -l’Afrique, dévastant tout sans épargner le sexe ni l’âge. -Ils arrivèrent ainsi jusqu’à Hippone, qu’ils assiégèrent -vigoureusement. Grande fut la désolation d’Augustin, -lorsque cette calamité se joignit pour lui aux maux de -la vieillesse ; il pleurait jour et nuit, à voir les uns tués, -d’autres mis en fuite, les églises privées de prêtres, les -maisons renversées. A peine se consolait-il en se rappelant -cette pensée d’un sage : « Celui-là est un petit -homme qui croit voir une grande chose quand il voit -tomber des arbres ou mourir des mortels. » Enfin, -rassemblant ses frères, il leur dit : « J’ai demandé -à Dieu, ou bien qu’il nous sauvât de ce péril, ou qu’il -nous donnât la patience, ou qu’il me retirât de cette vie, -<span class="pagenum" id="p467">-467-</span> pour m’épargner d’être témoin de tant de malheurs. » Ce -fut cette troisième chose qu’il obtint. Le troisième mois -du siège, il fut saisi de fièvre et dut s’aliter. Comprenant -que l’heure de la dissolution de son corps était -proche, il fit copier les sept psaumes de la pénitence et -les fit coller sur le mur, en face de son lit, afin de pouvoir -les lire à toute heure. Voulant se donner plus entièrement -à Dieu, pendant les dix jours qui précédèrent sa -mort, il ne laissa entrer personne auprès de lui, à l’exception -du médecin et du serviteur chargé de lui porter -sa nourriture. Cependant un malade parvint jusqu’à lui, -le suppliant de lui imposer les mains pour le guérir de -sa maladie. Et Augustin : « Hé, mon fils, que demandes-tu -là ? Crois-tu donc que, si j’avais un tel pouvoir, je n’en -userais pas pour moi-même ? » Mais le malade insistait, -affirmant qu’une voix lui avait promis, en rêve, qu’Augustin -lui rendrait la santé. Et Augustin, voyant sa foi, -pria pour lui et le guérit. Il guérit aussi beaucoup de -possédés, et fit encore une foule d’autres miracles. Il en -raconte deux, dans la <i>Cité de Dieu</i>, sans dire que c’est -lui-même qui les a opérés. C’est, d’abord, une jeune fille -qui fut délivrée de la possession du démon quand elle -fut frottée avec une huile où un prêtre avait mêlé ses -larmes, en priant pour elle. Et c’est ensuite un évêque -guérissant, par ses prières, un jeune homme qu’il n’avait -jamais vu. Dans les deux cas, Augustin nous parle évidemment -de lui-même ; et son humilité seule l’empêche -de se nommer.</p> - -<p>Au moment même de mourir, Augustin, inspiré de -Dieu, enseigna à ses frères que jamais un chrétien ne -devait mourir sans la confession et l’eucharistie, quels que -fussent, par ailleurs, ses mérites. Il mourut dans la -soixante-dix-septième année de son âge, et la quarantième -de son épiscopat, ayant tous les membres intacts, -ainsi que la vue et l’ouïe. Il ne fit point de testament, -attendu que, en sa qualité de pauvre du Christ, il n’avait -rien à léguer. Ce grand saint, qui, par son génie et sa -science, dépasse incomparablement tous les autres docteurs -de l’Eglise, florissait vers l’an 400.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p468">-468-</span> II. Plus tard, lorsque les barbares occupèrent Hippone -et profanèrent les saints lieux, le corps d’Augustin fut -enlevé par les fidèles et transporté en Sardaigne. Plus -tard encore, l’an 718, deux cent quatre-vingts ans après -la mort du saint, le pieux roi lombard Luitprand, ayant -appris que la Sardaigne était dévastée par les Sarrasins, -envoya dans l’île des messagers qu’il chargea de -transporter les saintes reliques à Pavie. Ces messagers, -à force d’argent, obtinrent d’emporter les reliques et -les amenèrent à Gênes, où le roi Luitprand vint au-devant -d’elles en grande cérémonie. Mais, le lendemain -matin, vainement on essaya de soulever le cercueil pour -lui faire continuer son voyage. On ne put le soulever que -lorsque le roi eut fait vœu de construire, au même endroit, -une église en l’honneur de saint Augustin. Pareil miracle -se produisit, le lendemain, dans une villa du diocèse de -Tortone, appelée Casal ; et, là aussi, le roi construisit -une église en l’honneur de saint Augustin. Il donna, -en outre, la villa, avec toutes ses dépendances, aux serviteurs -de l’église, en possession perpétuelle. Et comme -il vit bien, d’après ces deux faits, que le saint désirait -avoir une église dans tous les endroits où son corps -s’arrêtait, il décida, une fois pour toutes, d’élever une -église dans chacun de ces endroits. C’est ainsi que, en -grande pompe, le corps parvint à Pavie, où il fut déposé -dans l’église de Saint-Pierre, qu’on appelle communément -Ciel-d’Or.</p> - -<p>III. Un meunier qui avait une dévotion spéciale pour -saint Augustin, fut atteint d’un mauvais abcès à la -jambe. Il invoqua le saint ; et celui-ci, lui étant apparu -en rêve, lui frotta la jambe avec la main. Le lendemain, -le meunier se réveilla guéri.</p> - -<p>IV. Un enfant souffrait de la pierre, et les médecins -allaient l’opérer, lorsque sa mère, craignant les dangers -de l’opération, pria saint Augustin de lui venir en aide. -Aussitôt l’enfant rendit la pierre avec son urine, et -recouvra la santé.</p> - -<p>V. Dans un monastère qui s’appelait l’Aumône, un -moine, ayant été ravi en esprit la veille de la fête de saint -<span class="pagenum" id="p469">-469-</span> Augustin, vit descendre du ciel une nuée brillante, sur -laquelle était assis le saint docteur en habits pontificaux, -illuminant l’Eglise entière des deux rayons enflammés -qui sortaient de ses yeux. De son côté, saint Bernard vit -un jour un beau jeune homme debout dans une église, et -dont la bouche était une fontaine d’où jaillissait tant -d’eau que l’église tout entière en était remplie. Et saint -Bernard comprit que c’était Augustin, dont la doctrine, -fontaine de vérité, arrosait toute l’Eglise.</p> - -<p>VI. Un pieux pèlerin donna une grosse somme au moine -chargé de la garde du corps de saint Augustin, pour -obtenir de lui l’un des doigts du saint. Mais le moine, -ayant pris l’argent, enveloppa dans de la soie le doigt -d’un mort quelconque, et le donna au pèlerin en lui affirmant -que c’était bien le doigt d’Augustin. Or le pèlerin -adorait pieusement cette fausse relique, ne cessant point -de la baiser ou de la serrer sur son cœur ; de telle sorte -que Dieu, touché de sa ferveur, transforma la fausse -relique en un vrai doigt de saint Augustin. Et le pèlerin, -revenu chez lui, opéra tant de miracles avec sa relique -que le bruit en arriva jusqu’à Pavie. Le moine, alors, -révéla comment il avait donné au pèlerin le doigt d’un -mort inconnu. Mais quand on ouvrit le cercueil, on vit -qu’un des doigts du saint manquait réellement.</p> - -<p>VII. Dans le monastère de Fontaine, en Bourgogne, -vivait un moine nommé Hugues qui, admirant avec -passion saint Augustin, le priait souvent d’obtenir pour -lui qu’il mourût le jour de sa fête. Quinze jours avant la -fête du saint, ce moine fut pris de fièvre ; la veille de la -fête, on le déposa à terre, presque mort. Et, soudain, un -autre moine, qui priait dans la chapelle, vit entrer en -procession plusieurs hommes tout vêtus de blanc, que -suivait un évêque de figure vénérable. Le moine demanda -qui étaient ces hommes et où ils allaient. Et l’un d’eux -lui répondit que c’était saint Augustin qui venait, avec ses -chanoines, assister à la mort de son ami, pour emporter -ensuite son âme au glorieux royaume.</p> - -<p>VIII. Du vivant d’Augustin, une femme, qui avait à souffrir -de la part de méchants, vint trouver le saint pour lui -<span class="pagenum" id="p470">-470-</span> demander conseil. Elle le trouva occupé à étudier ; et il -ne leva point les yeux sur elle, ni ne répondit à ses -paroles. En vain elle s’approcha de lui, et lui parla dans -l’oreille, craignant que, dans sa sainteté, il ne voulût -point regarder un visage de femme. Augustin ne lui -répondit toujours pas, ne parut pas l’entendre ; et elle -s’en alla toute triste. Mais le lendemain, comme Augustin -célébrait la messe, ladite femme fut ravie en esprit et se -vit transportée devant le tribunal de la Sainte Trinité, -Augustin était là aussi, la tête baissée. Et la femme -entendit une voix qui lui disait : « Lorsque tu es allée -chez Augustin, il se trouvait ainsi en présence de la Sainte -Trinité, et voilà pourquoi il ne s’est pas même aperçu de -ta visite ! Mais, à présent, si tu retournes chez lui, il t’accueillera -avec plaisir et te sera de bon conseil. » La -femme retourna donc chez Augustin, et tout se passa -comme la voix l’avait dit.</p> - -<p>IX. On raconte aussi que certain homme de Dieu, ayant -été ravi en esprit, vit tous les saints dans leur gloire, à -l’exception de saint Augustin. Il demanda où était celui-ci. -Et une voix lui répondit : « Il est au plus haut des -cieux, admis en présence de la Sainte Trinité ! »</p> - -<p>X. Le marquis Malaspina, ayant jeté en prison certains -habitants de Pavie, les condamna au supplice de la soif, -pour leur extorquer une grosse rançon. Les uns buvaient -leur urine, d’autres se préparaient à rendre l’âme. Le plus -jeune d’entre eux eut l’idée d’invoquer l’aide de saint -Augustin, pour qui il avait une dévotion spéciale. Et voilà -que, à minuit, saint Augustin apparut à ce jeune homme, -le prit parla main, le conduisit jusqu’au fleuve, et lui mit -sur la langue une feuille de vigne trempée dans l’eau ; et -le jeune homme en fut si rafraîchi que le plus parfait -nectar n’aurait plus eu pour lui la moindre saveur.</p> - -<p>XI. Un curé qui avait une grande dévotion pour saint -Augustin, et qui, depuis trois ans, était malade dans son -lit, invoqua le saint la veille de sa fête, en entendant -sonner les vêpres. Et le saint lui apparut, tout vêtu de -blanc, l’appela trois fois par son nom, et lui dit : « Voici -celui que tu as si souvent appelé ! lève-toi vite et célèbre-moi -<span class="pagenum" id="p471">-471-</span> l’office des vêpres ! » Aussitôt le curé, guéri, se leva, -entra dans l’église, à la stupéfaction de tous, et y célébra -pieusement l’office.</p> - -<p>XII. Un berger avait entre les deux épaules un ulcère -qui le privait de toutes ses forces. Il invoqua saint Augustin, -qui lui apparut en rêve, mit sa main sur l’ulcère, et -le guérit entièrement. Le même homme, par la suite, -devint aveugle, et de nouveau invoqua l’aide de saint -Augustin. Celui-ci lui apparut à l’heure de midi, lui frotta -les yeux, et aussitôt lui rendit la vue.</p> - -<p>XIII. L’an du Seigneur 912, une troupe de quarante -malades, venus d’Allemagne et de France, se rendaient -en pèlerinage à Rome, pour y visiter les tombeaux des -apôtres. Les uns étaient conduits sur des sellettes, -d’autres marchaient sur des béquilles, d’autres, privés -de la vue, se traînaient à la suite de leurs compagnons, -d’autres encore avaient les mains et les pieds -paralysés. Ayant franchi les Alpes et étant arrivés au -village de Cana, à trois milles de Pavie, ils virent venir -au-devant d’eux saint Augustin, qui, sortant de l’église -des saints Come et Damien, les salua et leur demanda où -ils allaient. Puis il leur dit : « Allez à Pavie, dans l’église -de Saint-Pierre, qu’on appelle aussi le Ciel-d’Or ; là, on -aura pitié de vous ! » Ils lui demandèrent qui il était, et -lui : « Je suis Augustin, jadis évêque d’Hippone ! » Et -aussitôt il disparut. Les pèlerins, arrivés à Pavie, se -rendirent au monastère de Saint-Pierre ; et là, ayant -appris que le corps de saint Augustin y était déposé, ils -s’écrièrent, d’une voix unanime : « Saint Augustin, viens -à notre aide ! » Moines et bourgeois, attirés par leurs -cris, affluaient pour les voir. Et soudain, sous l’effet de -tension de leurs nerfs, les pèlerins commencèrent à perdre -leur sang, de telle sorte que, depuis le seuil du monastère -jusqu’au tombeau de saint Augustin, le sol se trouva tout -ensanglanté. Mais dès qu’ils furent parvenus au tombeau -du saint, tous recouvrèrent une santé parfaite. Depuis ce -jour, la renommée du saint ne cessa point de grandir ; et -une foule de malades se pressaient autour de son tombeau ; -puis, ayant été guéris, ils offraient des cadeaux à l’église, -<span class="pagenum" id="p472">-472-</span> en gage de reconnaissance. Et bientôt la masse de ces -cadeaux fut telle qu’elle encombra la chapelle tout entière -ainsi que tout le porche, au point de rendre la circulation -difficile autour du tombeau. Forcés par la nécessité, les -moines firent transporter cette masse de cadeaux en un -autre endroit.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c123">CXXIII<br /> -SAINTE THÉODORE<a id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor">[11]</a><br /> -<span class="small">(28 août)</span></h2> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_11" href="#FNanchor_11"><span class="label">[11]</span></a> L’Eglise fête, en ce même jour, une autre sainte Théodore, -vierge et martyre, qui est, comme l’on sait, l’héroïne d’une des -plus belles tragédies de Corneille.</p> -</div> - -<p>Théodore, femme d’illustre maison, demeurait à -Alexandrie, sous le règne de l’empereur Zénon. Elle -était mariée à un homme riche et qui craignait Dieu ; -mais le diable, jaloux de sa sainteté, excita dans l’âme -d’un autre citoyen d’Alexandrie le désir de la posséder, -de telle sorte que cet homme ne cessait point de l’importuner -de ses instances et de ses présents, qu’elle repoussait -toujours dédaigneusement. Enfin cet homme envoya -vers elle une magicienne qui l’engagea à avoir -pitié de lui et à se livrer à lui. Et comme Théodore -répondait que, vivant sous l’œil de Dieu qui voyait -toutes choses, jamais elle ne se résoudrait à commettre -un aussi grand péché, la magicienne lui dit : « Tout ce -qui se fait dans le jour, Dieu le voit et le sait ; mais ce -qui se fait le soir, après le coucher du soleil, Dieu -l’ignore ! » Sur quoi la dame, trompée par ce mensonge, -se laissa toucher de pitié, et fit dire à l’homme qui l’aimait -qu’elle l’autorisait à venir la voir après le coucher -du soleil. L’homme n’eut garde d’y manquer : il vint le -soir, entra dans le lit de Théodore, et puis s’en alla. -Mais Théodore, revenant à elle, pleurait amèrement et -se frappait au visage, disant : « Hélas ! hélas ! j’ai perdu -<span class="pagenum" id="p473">-473-</span> mon âme, j’ai détruit mon honneur ! » Le mari, revenant -à la maison, et trouvant sa femme toute en larmes, sans -savoir la cause de son chagrin, s’ingéniait à la consoler : -mais elle se refusait à toute consolation.</p> - -<p>Le lendemain matin, elle se rendit dans un couvent de -nonnes, et demanda à l’abbesse si Dieu avait pu connaître -un grave péché qu’elle avait commis la veille, -après la tombée du soir. Et l’abbesse : « Rien n’est caché -à Dieu, qui voit et sait tout ce qui arrive, sans distinction -d’heure ni de lieu. » Alors la jeune femme, pleurant -amèrement, dit : « Donne-moi le livre du saint Evangile, -pour que j’y cherche moi-même ma destinée ! » Elle ouvrit -le livre et lut : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit ! »</p> - -<p>Elle revint chez elle ; et un jour, pendant que son mari -était absent, elle se coupa les cheveux, revêtit un vêtement -d’homme, et se rendit dans un couvent de moines, -qui était à huit lieues d’Alexandrie. Là, elle demanda à -être admise parmi les moines, et sa demande lui fut -accordée. Interrogée sur son nom, elle dit qu’elle s’appelait -Théodore. Puis sous le nom de frère Théodore, elle -remplit toutes les tâches les plus dures du couvent, avec -une humilité parfaite et à la satisfaction de tous.</p> - -<p>Quelques années plus tard, l’abbé ordonna au frère -Théodore d’atteler deux bœufs et d’aller chercher de -l’huile à Alexandrie. Or, le mari de Théodore ne cessait -point de pleurer et de se désoler, pensant que sa femme -s’en était allée avec un autre homme. Et voici qu’un ange -lui apparut, qui lui dit : « Demain matin, lève-toi de -bonne heure et va sur le chemin du martyre de l’apôtre -Pierre ; et la première personne que tu rencontreras, ce -sera ta femme Théodore ! » En effet, Théodore, dès -qu’elle aperçut son mari, le reconnut, et se dit : « Hélas ! -mon cher mari, combien je peine pour être rachetée du -péché que j’ai commis envers toi ! » Mais, lorsqu’elle fut -près de lui, elle se borna à le saluer, en disant : « Grâces -soient rendues à Notre-Seigneur ! » Le mari, lui, ne la -reconnut pas sous son déguisement, et passa toute la -journée et la nuit à attendre sa femme sur le chemin. -Et, le lendemain matin, une voix d’en haut lui dit : « Le -<span class="pagenum" id="p474">-474-</span> moine qui t’a salué hier matin, c’était ta femme ! »</p> - -<p>Cependant, Théodore était parvenue à une telle sainteté, -qu’elle faisait de nombreux miracles. Elle obtint, -notamment, de ressusciter, par ses prières, un homme -qu’une bête féroce avait mis en pièces ; et la bête, dès -qu’elle l’eut maudite, mourut aussitôt. Mais le diable, -jaloux de sa sainteté, lui apparut et lui dit : « Prostituée -et adultère, tu as abandonnée ton mari, et tu es venue -ici lutter contre moi. Sache donc que, par mon pouvoir -terrible, je saurai t’attaquer et te faire renier ton crucifix ! » -Sur quoi Théodore fit le signe de la croix, et -aussitôt le démon s’évanouit. Mais un jour, comme elle -revenait de la ville avec son attelage, elle reçut l’hospitalité -dans une maison où une jeune fille s’approcha -d’elle, et lui dit : « Viens dormir avec moi ! » Le moine -s’y étant refusé, la fille alla trouver un autre homme qui -demeurait dans la maison. Et, lorsque plus tard, son -ventre se trouva enflé, et qu’on lui demanda de qui elle -était enceinte, elle répondit : « Du moine Théodore, qui -a couché avec moi ! » L’enfant fut donc remis à l’abbé -du monastère qui, après l’avoir placé sur les épaules de -frère Théodore, accabla celui-ci de reproches et le -chassa du monastère. Et, pendant sept années, la sainte -vécut à la porte du monastère, nourrissant l’enfant du -lait du troupeau.</p> - -<p>Or le diable, jaloux d’une telle patience, prit la forme -du mari de Théodore, et, apparaissant devant elle, lui -dit : « Que fais-tu là, chère maîtresse, pendant que je languis -de toi et ne parviens pas à me consoler ? Viens -donc, ma lumière ; et, si tu as couché avec un autre -homme, je te le pardonne ! » Et elle, croyant que c’était -vraiment son mari, lui dit : « Jamais plus je n’habiterai -avec toi, mon cher mari, parce qu’un autre homme -a couché avec moi, et que je veux faire pénitence de ma -faute à ton égard ! » Puis elle se mit en prières, et aussitôt -le faux mari s’évanouit, de telle sorte qu’elle reconnut -que c’était le diable. Une autre fois, celui-ci, voulant -l’effrayer, lança sur elle des esprits déguisés en bêtes -féroces ; et il leur criait : « Dévorez cette prostituée ! » -<span class="pagenum" id="p475">-475-</span> Mais elle se mit en prières et les bêtes disparurent.</p> - -<p>Une autre fois, une armée passa près d’elle ; et un -chef la commandait que tous adoraient ; et ils dirent à -Théodore : « Debout, et adore notre prince ! » Mais elle -répondit : « Je n’adore que mon Dieu ! » Dénoncée au -chef, celui-ci la fit rouer de coups ; et puis, armée et -chef, tout s’évanouit, car tout cela n’était qu’une ruse du -diable. Et maintes fois encore elle fut ainsi tentée et -persécutée, mais toujours sa prière lui assura la victoire.</p> - -<p>Enfin, après sept années, l’abbé, admirant sa patience, -lui pardonna et l’autorisa à rentrer dans le monastère -avec son enfant. Elle y vécut deux ans de la -façon la plus sainte. Puis, un jour, elle appela l’enfant -et s’enferma avec lui dans sa cellule. Ce qu’apprenant, -l’abbé ordonna à des moines d’aller écouter à la porte -ce que disait le frère Théodore. Et celui-ci, couvrant -l’enfant de baisers, lui disait : « Mon fils chéri, le terme -de ma vie approche ! Je te laisse à Dieu, qui sera ton -père et ton soutien. Mon enfant, ne te relâche pas de -jeûner et de prier, et de servir humblement tes frères ! » -Puis, ayant dit cela, Théodore rendit son âme au Seigneur -et s’endormit doucement en lui : mais l’enfant, à -cette vue, éclata en sanglots. Or la même nuit, l’abbé -du monastère eut une vision. Il vit de grandes noces -qui se préparaient ; et toute la troupe des anges, des -prophètes, des martyrs et des saints était là ; et au -milieu d’eux se tenait une femme environnée de gloire, -qui bientôt alla s’asseoir sur le lit nuptial ; et tous, -debout, la saluaient. Et une voix s’éleva, qui dit : « Cette -femme est le frère Théodore, faussement accusé d’avoir -eu un enfant ! » L’abbé, réveillé, courut avec ses frères -à la cellule du moine défunt ; et, en découvrant celui-ci, -ils virent que c’était une femme ; et l’abbé, ayant mandé -le père de la jeune fille qui l’avait dénoncé, lui dit : -« L’amant de ta fille est mort ! » Puis, relevant le manteau -du mort, il lui montra que c’était une femme.</p> - -<p>Le lendemain, l’abbé entendit une voix qui lui disait : -« Lève-toi, monte à cheval, et va à la ville ; et, le premier -homme que tu rencontreras, prends-le en croupe -<span class="pagenum" id="p476">-476-</span> et ramène-le ici ! » L’abbé se mit donc en route : en -chemin, il rencontra un homme qui courait. Et cet -homme, interrogé, lui dit : « Ma femme vient de mourir ; -je cours la revoir ! » Alors l’abbé prit en croupe, sur son -cheval, le mari de Théodore ; et lorsqu’ils furent arrivés -auprès de la morte, ils pleurèrent beaucoup, et ils l’ensevelirent -solennellement. Après quoi le mari demanda -à habiter la cellule de sa femme, et y demeura tout le -reste de ses jours. Quant à l’enfant adopté par Théodore, -il suivit si bien l’exemple de vertu que lui avait -donné sa mère nourricière que, à la mort de l’abbé, les -moines, d’une commune voix, l’appelèrent à les diriger.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c124">CXXIV<br /> -LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE<br /> -<span class="small">(29 août)</span></h2> - - -<p>I. La fête de la Décollation de saint Jean-Baptiste se -célèbre pour quatre motifs, que nous expose l’<i>Office -mitral</i> : 1<sup>o</sup> pour commémorer la décollation du saint ; -2<sup>o</sup> pour commémorer la combustion de ses os ; 3<sup>o</sup> pour -commémorer la découverte de son chef ; 4<sup>o</sup> pour commémorer -la translation d’un de ses doigts, et la dédicace de -son église.</p> - -<p>1<sup>o</sup> Racontons d’abord la décollation du saint, d’après -l’<i>Histoire ecclésiastique</i>. Hérode Antipas, fils du grand -Hérode, se rendant à Rome, et s’étant arrêté en chemin -chez son frère Philippe, s’entendit secrètement avec -Hérodiade, femme de Philippe, et qui, suivant Josèphe, -était sœur d’Hérode Agrippa : ils convinrent que, au -retour d’Antipas, celui-ci répudierait sa femme pour -épouser Hérodiade. Ce qu’apprenant, la femme d’Antipas, -fille du roi de Damas Arétas, s’enfuit auprès de son -père sans attendre le retour de son mari. Et celui-ci, dès -qu’il fut revenu, épousa Hérodiade, s’aliénant ainsi, à la -fois, le roi Arétas, Hérode Agrippa et Philippe.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p477">-477-</span> Or saint Jean lui reprochait en termes très vifs d’avoir -violé la Loi, en épousant la femme de son frère, du vivant -de celui-ci. Ce que voyant, Hérode le fit jeter en prison, -tant pour plaire à sa femme que pour empêcher Jean de -soulever le peuple contre lui. Cependant il n’osait le tuer, -par crainte du peuple. Mais comme sa femme et lui voulaient -sa mort, ils convinrent en secret que, dans une fête -qui allait être donnée pour l’anniversaire de la naissance -d’Hérode, la fille d’Hérodiade danserait devant lui, qu’en -récompense ils l’autoriseraient à obtenir ce qu’elle lui -demanderait, que la jeune fille lui demanderait alors la -tête de saint Jean, et que lui, tout en affectant d’être -désolé de son serment se déclarerait ainsi forcé à le -tenir.</p> - -<p>Donc, pendant le festin, la jeune fille arrive, danse -devant tous, plaît à tous ; et le roi lui promet de lui offrir tout -ce qu’elle lui demandera ; et elle, sur le conseil de sa mère, -demande la tête de saint Jean, que le roi lui accorde en -feignant de déplorer son serment. Puis le bourreau se -rend dans la prison, coupe la tête de saint Jean, la remet -à la jeune fille, qui va la présenter à sa méchante mère.</p> - -<p>Dans un sermon prêché pour la fête de la Décollation -de saint Jean, saint Augustin, cite, à cette occasion, -l’exemple que voici : « Un homme plein de droiture et de -bonne foi m’a raconté que, exaspéré de voir qu’un de ses -débiteurs niait sa dette, il l’avait provoqué à prêter serment. -Le débiteur jura, et l’honnête homme perdit son -procès. Et, en outre, la nuit suivante, ce créancier se vit, -en rêve, conduit devant le juge, qui lui dit : « Pourquoi -as-tu provoqué ton débiteur à jurer, quand tu -savais qu’il ferait un faux serment ? » Le créancier répondit : -« Cet homme niait sa dette ! » Mais le juge : -« Mieux valait perdre ta dette que de tuer l’âme d’autrui -en l’amenant à se parjurer ! » Sur quoi, le juge le -fit battre de verges, et si fort que, le lendemain à son -réveil, tout son dos en portait les traces. »</p> - -<p>Quant à Hérode, il ne resta pas impuni. L’<i>Histoire -scholastique</i> raconte en effet qu’Hérode Agrippa, désespéré -de sa pauvreté, entra un jour dans une tour pour -<span class="pagenum" id="p478">-478-</span> s’y laisser mourir de faim. Ce qu’apprenant, sa sœur -Hérodiade supplia son mari, le tétrarque Hérode Antipas, -de venir en aide à son frère. Ainsi fut fait ; mais comme, -un jour, les deux Hérode dînaient ensemble, le tétrarque, -échauffé par le vin, se mit à reprocher à Hérode Agrippa -tous les bienfaits dont il l’avait comblé. Sur quoi Hérode -Agrippa, irrité, s’enfuit à Rome, où il s’acquit tant de -faveur auprès de Caligula, que celui-ci le nomma tétrarque -de deux provinces, et lui promit de le nommer roi de -Judée. A cette nouvelle, Hérodiade insista vivement -auprès de son mari pour qu’il se rendît à Rome, et sollicitât -pour lui-même le titre de roi. Et Hérode, d’abord, -s’y refusait, préférant la tranquillité à un honneur périlleux ; -mais enfin il se laissa convaincre, et se rendit à -Rome. Aussitôt Agrippa écrivit à Caligula que son beau-frère -s’était allié avec le roi des Parthes, et projetait de -se soulever contre le joug romain : en preuve de quoi il -ajoutait qu’Antipas, dans ses places fortes, avait assez -d’armes pour équiper soixante-dix mille hommes : Caligula ; -au reçu de cette lettre, demanda à Hérode si c’était -vrai qu’il eût, dans ses places fortes, une telle quantité -d’armes. Et Hérode, qui ne soupçonnait rien, avoua le -fait : sur quoi Caligula, persuadé qu’Agrippa lui avait -écrit la vérité, condamna le tétrarque à l’exil, en laissant -à Hérodiade la permission de rentrer à Jérusalem. Mais -Hérodiade se refusa à quitter son mari, disant que, -comme elle avait partagé sa prospérité, elle voulait -encore partager sa misère. Tous deux furent donc rélégués -à Lyon, où ils finirent leur vie misérablement.</p> - -<p>2<sup>o</sup> La combustion des os de saint Jean-Baptiste eut -lieu le jour de la fête de sa décollation, comme si Dieu -avait accordé au saint la faveur d’un second martyre. Les -disciples de Jean avaient enseveli son corps à Sébaste, en -Palestine, entre les corps des prophètes Elisée et Abdias. -Et comme de nombreux miracles se produisaient en ce -lieu, Julien l’Apostat fit d’abord disperser au vent les os -du saint ; puis, les miracles ne cessant point, ils les fit -brûler, réduire en poudre et disperser dans les champs. -Mais pendant qu’on les recueillait pour les brûler, des -<span class="pagenum" id="p479">-479-</span> moines de Jérusalem se mêlèrent aux païens, et emportèrent -une grande partie des saints ossements. Ils les -remirent à Philippe, évêque de Jérusalem, qui les envoya -plus tard à Athanase, évêque d’Alexandrie. Et plus tard -encore l’évêque d’Alexandrie, Théophile, les installa dans -un ancien temple de Sérapis, dont il fit une basilique en -l’honneur de saint Jean. Ajoutons qu’aujourd’hui ces -reliques vénérables se trouvent à Gênes, ainsi que l’ont -solennellement confirmé les papes Alexandre III et -Innocent IV.</p> - -<p>Et, de même qu’Hérode, Julien, le second persécuteur -de saint Jean-Baptiste, ne resta pas impuni : nous avons -raconté déjà ses persécutions et son châtiment dans -l’histoire de <i>Saint Julien</i>, dont la fête vient après la Conversion -de saint Paul. Mais l’<i>Histoire tripartite</i> nous -donne encore, sur le règne et la mort de l’Apostat, -d’autres détails, qui méritent d’être signalés.</p> - -<p>A la mort de Constance, Julien, voulant plaire à tous, -permit que chacun suivît librement le culte qui lui convenait. -Il chassa aussi, de sa cour, les eunuques, les cuisiniers -et les barbiers : les eunuques, parce que sa femme -était morte, et qu’il n’avait pas l’intention de se remarier ; -les cuisiniers, parce qu’il mangeait de la façon la plus -simple et la plus frugale ; les barbiers, parce que, disait-il, -« un seul suffit à faire beaucoup d’ouvrage ». Il dicta -également un grand nombre de livres, où il déchirait -tous les empereurs qui avaient régné avant lui. — Un -jour qu’il sacrifiait aux idoles, on lui montra, dans les -entrailles d’une victime, une croix entourée d’une couronne. -Signe dont les augures furent effrayés, car ils y -lisaient l’unité, la victoire et l’éternité de la croix. -Mais Julien les consola, en leur disant que ce signe -signifiait que le dogme chrétien eût à être enfermé dans -un cercle étroit, d’où on devait bien se garder de le -laisser sortir. — A Constantinople, comme il sacrifiait à -la déesse de la Fortune, le vieil évêque de Chalcédoine, -Maris, à qui l’âge avait fait perdre la vue, vint lui reprocher -son apostasie. Et Julien : « Tout de même, ton -Galiléen n’a pas pu te garder la vue ! » Et Maris : « Il -<span class="pagenum" id="p480">-480-</span> n’y a rien dont je remercie autant mon Dieu que de -m’avoir fermé les yeux, de façon à m’empêcher de te -voir dépouillé de la foi ! » Et Julien s’en alla sans rien -répondre. — A Antioche, il fit jeter à terre les vases et -vêtements sacrés, s’assit au-dessus d’eux et les salit -de sa fiente ; et bientôt cette partie de son corps se remplit -de vers qui rongeaient ses boyaux ; et jamais, tant -qu’il vécut, il ne put se guérir de cette maladie. — Plus -terrible encore fut le châtiment infligé à un de ses préfets, -nommé Julien, qui avait osé uriner dans un vase sacré. -Celui-là vit tout à coup sa bouche changée en orifice -fécal. — Dans un sacrifice célébré en présence de Julien, -une goutte d’eau soi-disant consacrée tomba sur la -tunique de Valentinien, qui, en secret, était resté fidèle -au Christ. Alors Valentinien, indigné, frappa le prêtre -du temple, lui reprochant de l’avoir souillé : ce qui lui -valut d’être exilé par Julien, mais aussi, plus tard, d’être -promu à l’empire. — Par haine des chrétiens, Julien fit -reconstruire à ses frais le temple des Juifs ; mais, au -moment où on le construisait, un vent terrible dispersa -tout le ciment, après quoi un tremblement de terre -acheva d’anéantir le reste du travail. Et, le lendemain, -le signe de la croix apparut dans le ciel, et l’on vit des -croix gravées sur les vêtements des Juifs. — Lorsque, -dans son expédition contre les Perses, Julien mit le -siège devant Ctésiphon, le roi des Perses lui offrit la -moitié de son royaume s’il consentait à se retirer. Mais -Julien refusa dédaigneusement ; car, croyant à la métempsycose, -d’après Pythagore et Platon, il s’imaginait -avoir en lui l’âme d’Alexandre. Et, soudain, une flèche, -lui entrant dans le côté, mit fin à sa vie. Quant à savoir -qui lui lança cette flèche, c’est ce que, jusqu’à présent, -on ignore. Mais, qu’elle ait été lancée par un homme ou -un ange, ou encore par un démon, — comme l’affirme -Calixte, — à coup sur c’est sur l’ordre de Dieu qu’elle -a châtié l’Apostat.</p> - -<p>3<sup>o</sup> C’est encore en ce jour qu’a été retrouvée, dit-on, -la tête de saint Jean. Celui-ci avait été décapité dans une -place forte d’Arabie nommée Machéron ; mais Hérodiade -<span class="pagenum" id="p481">-481-</span> avait emporté sa tête à Jérusalem, et l’avait fait enterrer -près de son palais, craignant que le prophète ne ressuscitât -si sa tête rejoignait son tronc. Or, sous le règne -de Marcien, qui commença de régner en l’an 353, saint -Jean révéla l’emplacement de son chef à deux moines -qui étaient venus à Jérusalem. Aussitôt les moines, courant -à ce qui avait été le palais d’Hérode, découvrirent -la sainte relique, entourée d’un sac de peau, que l’on -avait fait, sans doute, avec le vêtement du Baptiste. Et -comme ensuite les moines emportaient leur trouvaille -dans leur pays, un potier de la ville d’Emèse, que la -pauvreté avait chassé de chez lui, se joignit à eux. Ce -potier fut chargé de porter la besace qui contenait la -tête de saint Jean ; et voici que, sur le conseil du saint, -qui lui était apparu, il faussa compagnie aux moines, -emporta la tête du saint dans sa ville natale, la cacha -dans une grotte, et, grâce à son culte pour elle, s’acquit -une fortune considérable. En mourant, il révéla son -secret à sa sœur, mais avec défense de le révéler jamais -à une autre personne qu’à son héritier direct. Et, longtemps -plus tard, le moine saint Marcel, qui vivait dans -cette grotte, vit en rêve une troupe d’anges, qui chantaient : -« Voici que vient saint Jean-Baptiste ! » Puis il -vit entrer le saint, que les anges soutenaient des deux -côtés, et qui bénissait tous ceux qui l’approchaient. Et -comme Marcel se prosternait, pour recevoir sa bénédiction, -saint Jean le releva, et lui donna le baiser de paix : -après quoi il lui dit qu’il venait de Sébaste pour demeurer -en ce lieu. Une autre nuit, Marcel, soudain -réveillé, vit une étoile brillante, fixée dans la porte de sa -cellule. Il se leva et voulut la toucher : mais elle se transporta -dans un autre coin de sa cellule, jusqu’à ce -qu’elle s’arrêta au-dessus de l’endroit où était enfoui -le chef de saint Jean. Marcel creusa la terre, en cet -endroit, et découvrit l’urne avec le saint trésor. Et -comme un des assistants refusait de croire au miracle, -sa main sécha dès qu’il toucha l’urne, et resta attachée -à celle-ci. Enfin, grâce aux prières de Marcel, cette -main put se détacher, mais elle resta sèche jusqu’au -<span class="pagenum" id="p482">-482-</span> moment où, sur l’ordre de saint Jean, le chef vénérable -fut déposé dans l’église de la ville. Et, depuis ce temps, -on commença à célébrer, dans cette ville, la Décollation -de saint Jean-Baptiste, au jour anniversaire de l’invention -de son chef.</p> - -<p>Plus tard encore, ce chef fut transporté à Constantinople. -Comme on l’y transportait, par ordre de l’empereur -Valence, le char qui le conduisait s’arrêta d’abord -à Chalcédoine, sans que nulle force d’hommes ni de -bœufs pût l’entraîner plus loin. Mais par la suite, Théodose -demanda à la jeune fille qui gardait la relique, dans -l’église de Chalcédoine, si elle lui permettait d’essayer -à nouveau de transporter la relique à Constantinople. -Et la jeune fille le permit, se figurant que, cette fois -encore, la sainte relique refuserait de sortir de la ville. -Alors le pieux empereur, enveloppant la relique dans sa -pourpre impériale, la transporta à Constantinople où il -éleva en son honneur une église magnifique. Plus tard -encore, sous le règne de Pépin, la sainte tête fut transportée -en Gaule, à Poitiers, où, par ses mérites, plusieurs -morts ressuscitèrent.</p> - -<p>Notons ici en passant que, d’après une tradition, la -jeune fille qui avait dansé pour obtenir la tête de saint -Jean, aurait reçu, elle aussi, son châtiment, de même -qu’Hérode, Hérodiade et Julien. Un jour qu’elle patinait -sur la glace, la glace se fendit, et elle fut noyée. Ou -encore, suivant d’autres, la terre s’ouvrit pour la dévorer.</p> - -<p>4<sup>o</sup> Enfin l’on raconte que le doigt dont saint Jean -s’était servi pour désigner le Seigneur ne put pas être -brûlé avec le reste de ses os. Retrouvé par les moines -susdits, ce doigt fut ensuite transporté par sainte Thècle -au-delà des Alpes, et déposé par elle dans l’église de -Saint-Martin. Mais, d’après Jean Beleth, c’est en Normandie -que ce doigt aurait été porté par sainte Thècle, -et une église consacrée en son honneur, ce même jour. -Et de là viendrait le choix de ce jour pour commémorer -la Décollation.</p> - -<p>II. Dans une ville de Gaule appelée aujourd’hui -<span class="pagenum" id="p483">-483-</span> Saint-Jean-de-Maurienne, une femme priait Dieu avec -instance pour obtenir une relique de saint Jean. Et -comme ses prières ne lui servaient de rien, elle s’enhardit -jusqu’à faire le serment de ne rien avaler tant qu’elle -n’aurait pas obtenu ce qu’elle demandait. Après plusieurs -jours de jeûne elle aperçut, sur l’autel, un pouce -d’une blancheur merveilleuse, et déjà elle s’empressait -d’aller prendre cette sainte relique, lorsque survinrent -trois évêques qui voulurent en avoir chacun leur part. -Mais aussitôt, trois gouttes de sang tombèrent, du doigt -miraculeux, sur le linge qu’ils tendaient au-dessous de -lui. Et, laissant le doigt à la femme, chacun des évêques -prit pour lui une de ces gouttes, en remerciant Dieu, du -grand honneur qu’il daignait leur faire.</p> - -<p>III. La reine des Lombards, Theudeline, fit construire -une riche église, en l’honneur de saint Jean-Baptiste, -à Monza, près de Milan. Et Paul, l’historiographe -des Lombards, raconte que les empereurs -Constantin et Constant, qui désiraient arracher l’Italie -aux Lombards, firent demander à un saint ermite quelle -serait l’issue de la guerre. Et l’ermite répondit : « Saint -Jean ne cesse pas d’intercéder pour les Lombards, par -reconnaissance pour leur reine qui lui a élevé une église. -Mais un temps viendra où cette église sera délaissée, -et alors l’empire des Lombards prendra fin. » C’est en -effet ce qui arriva, au temps de l’empereur Charlemagne.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c125">CXXV<br /> -SAINT SAVINIEN, <span class="small">MARTYR</span>, -<span class="small">ET</span> SAINTE SAVINE<br /> -<span class="small">(29 août)</span></h2> - - -<p>I. Savinien et Savine étaient les enfants d’un noble païen -nommé Savin, qui les avait eus de ses deux mariages -successifs. Or, Savinien, ayant lu le verset <i lang="la" xml:lang="la">Asperges -me, Domine</i>, demanda ce que signifiaient ces mots. -<span class="pagenum" id="p484">-484-</span> Personne ne put les lui expliquer. Alors, se réfugiant -dans sa chambre, il se roulait dans la cendre sur un -cilice, disant qu’il aimait mieux mourir que de ne pas -comprendre le sens de ces paroles. Sur quoi un ange lui -apparut et lui dit : « Ne te tue point à force de te torturer, -car tu as trouvé grâce devant Dieu ; et quand tu auras -reçu le baptême, aussitôt, devenu pur comme la neige, -tu comprendras ce que tu désires comprendre ! » Resté -seul, Savinien, tout joyeux, refusa désormais de vénérer -les idoles, ce qui lui valut d’être fort grondé par son père. -Celui-ci lui disait souvent : « Si tu ne veux pas adorer -nos dieux, mieux vaut au moins que tu meures seul, -plutôt que de nous entraîner tous dans la mort avec toi ! » -Alors le jeune homme s’enfuit en secret, et se rendit à la -ville de Troyes. Là, étant arrivé au bord de la Seine, -il pria Dieu de lui permettre de recevoir le baptême dans -l’eau de ce fleuve. Dieu le lui permit, et, après son -baptême, une voix d’en haut lui dit : « Tu as trouvé, -maintenant, ce que tu as si longtemps peiné à chercher ! » -Après quoi Savinien ficha son bâton en terre, et, quand -il eut prié, ce bâton, au vu de tous, se couvrit de feuilles -et de fleurs. Et onze cent huit personnes, ayant vu ce -miracle, se convertirent à la foi chrétienne.</p> - -<p>Ce qu’apprenant, l’empereur Aurélien envoya des -soldats pour s’emparer de lui : mais les soldats, l’ayant -trouvé en prière, n’osèrent l’approcher. L’empereur lui -envoya d’autres soldats, qui, l’ayant également trouvé en -prière, prièrent d’abord avec lui ; puis, s’étant relevés ils -le conduisirent devant l’empereur. Celui-ci, sur son refus de -sacrifier, lui fit lier les pieds et les mains et le fit frapper de -pointes de fer. Et Savinien : « Inflige-moi d’autres tourments -encore, si tu le peux ! » L’empereur le fit placer -sur un bûcher, au milieu de la ville, et ordonna qu’on -répandît de l’huile sur le bois, pour attiser le feu. Mais -voici que, levant les yeux sur lui, l’empereur le vit debout -en prière au plus fort des flammes. Il en fut si étonné -qu’il tomba à la renverse. Et il dit à Savinien : « Bête -malfaisante, n’as-tu donc pas déjà assez des âmes que tu -as trompées, et veux-tu encore me tromper moi-même -<span class="pagenum" id="p485">-485-</span> par tes artifices magiques ? » Et Savinien : « Bien d’autres -âmes encore seront converties par moi, et ton âme aussi, -parmi elles ! » Mais l’empereur, entendant ces paroles, -blasphéma le nom de Dieu. Le lendemain, il fit attacher -Savinien à un tronc d’arbre et ordonna qu’on lui lançât -des flèches : mais les flèches restaient suspendues en -l’air, sans que pas une l’atteignît. Le lendemain l’empereur -vint le trouver et lui dit : « Que ton Dieu vienne -donc, à présent, et te délivre de ces flèches ! » Et aussitôt -une des flèches, se détournant, vint s’enfoncer dans l’œil -de l’empereur qui, aussitôt, perdit la vue. Furieux, il -fit reconduire le saint en prison, et ordonna que, le -lendemain, il eût la tête tranchée. Mais Savinien pria -Dieu qu’il lui permît de se transporter à l’endroit ou il -avait reçu le baptême ; et aussitôt ses chaînes se brisèrent, -les portes de la prison s’ouvrirent, et le saint put passer -librement au milieu des soldats. Parvenu au fleuve, et -voyant que des soldats le poursuivaient, il marcha sur -l’eau comme sur des pierres, et atteignit ainsi l’endroit -où il avait été baptisé. Puis, quand les soldats eurent, à -leur tour, franchi le fleuve, il leur dit : « Après m’avoir -frappé de votre hache, portez un peu de mon sang à -l’empereur, afin qu’il recouvre la vue et reconnaisse la -puissance de Dieu ! » Décapité, il souleva sa tête dans ses -mains, et la porta à quarante-neuf pas de là. Et l’empereur, -dès qu’il eut frotté ses yeux du sang du saint -martyr, recouvra aussitôt la vue ; et il dit : « Vraiment -bon et grand est le Dieu des chrétiens ! » Et certaine -femme qui, depuis quarante ans, avait perdu la vue, se -fit conduire à l’endroit où gisait le corps du saint, et, -ayant prié, recouvra aussitôt la vue. Saint Savinien -souffrit le martyre en l’an 279, au mois de février. Mais -nous avons placé ici son histoire afin de la joindre à celle -de sa sœur, à qui s’adresse surtout la fête de ce jour.</p> - -<p>II. Cette sœur, appelée Savine, ne cessait point de pleurer -son frère et de supplier pour lui les idoles. Mais, un -jour, un ange lui apparut en rêve et lui dit : « Savine, ne -pleure pas ! Abandonne tout ce que tu possèdes, et tu -trouveras ton frère élevé à un grand honneur ! » Quand -<span class="pagenum" id="p486">-486-</span> elle s’éveilla, Savine demanda à sa sœur de lait : « N’as-tu -rien vu ni entendu ? » Et elle : « Maîtresse, j’ai -entendu une voix qui te parlait, mais je ne sais pas -ce qu’elle te disait. » Et Savine : « Est-ce que tu ne me -dénonceras pas ? » Et la sœur de lait : « Non certes, -maîtresse ! Tout ce que tu feras sera bien, pourvu seulement -que tu ne t’ôtes point la vie ! » Et, le lendemain, -toutes deux s’enfuirent. Et comme son père ne parvenait -pas à la retrouver, il dit, levant les mains au ciel : « S’il -y a vraiment là-haut un Dieu puissant, qu’il détruise mes -idoles, qui n’ont pas su protéger mes enfants ! » Alors -Dieu, d’un coup de tonnerre, brisa toutes les idoles : ce -que voyant, un grand nombre de personnes se convertirent -à la foi chrétienne.</p> - -<p>Cependant Savine, venant à Rome, fut baptisée par le -pape Eusèbe, guérit deux aveugles et deux paralytiques, -et demeura cinq ans dans la ville. Mais un jour un ange -lui apparut en rêve et lui dit : « Savine, n’as-tu donc -abandonné toutes tes richesses que pour venir ici vivre -dans les délices ? Lève-toi, et va dans la ville de Troyes, -pour y retrouver ton frère ! » Alors Savine dit à -sa sœur de lait : « Nous devons nous en aller d’ici ! » Et -elle : « Maîtresse où veux-tu aller ? Ici tu es aimée de -tous, et tu veux aller chercher la mort dans des pays -étrangers ! » Mais Savine : « Dieu aura soin de nous ! »</p> - -<p>Puis, prenant un pain d’orge, elle se rendit à -Ravenne, et entra dans la maison d’un riche dont -la fille était mourante. Et comme elle demandait à -la servante de ce riche qu’on lui accordât l’hospitalité, -la servante lui dit : « Comment pourrais-tu recevoir l’hospitalité -ici, où la fille de mes maîtres est en train de -mourir, et où tous sont plongés dans la désolation ? » -Mais Savine : « Je ferai en sorte qu’elle ne meure pas ! » -Puis, entrant dans la maison, elle prit la main de la -mourante, qui, aussitôt, se releva guérie. On voulut -retenir Savine, mais elle poursuivit son chemin. Arrivée -à un mille de Troyes, elle s’arrêta pour prendre un -peu de repos. Vint à passer un homme noble de la ville, -nommé Licérius, qui leur demanda : « D’où êtes-vous ? » -<span class="pagenum" id="p487">-487-</span> Et Savine : « Seigneur, je suis étrangère, et je cherche -mon frère Savinien, perdu pour moi depuis longtemps ! » -Alors Licérius : « L’homme que tu cherches a été -décapité pour le Christ, il y a peu de temps, et c’est ici -même qu’il est enseveli ! » Sur quoi Savine, se prosternant -en prière, dit : » Mon Dieu, qui m’as toujours -gardée dans la chasteté, laisse-moi maintenant reposer -dans ce lieu ! Je te recommande ma sœur de lait, qui a -tout supporté pour moi. Et fais en sorte que je puisse -voir, dans ton royaume, mon frère, qu’il ne m’a pas été -donné de voir dans ce monde ! » Puis, ayant ainsi prié, -elle rendit son âme au Seigneur. Ce que voyant, sa compagne -se mit à pleurer, car elle n’avait même pas les -moyens nécessaires pour l’ensevelir. Mais Licérius -envoya chercher, en ville, des hommes pour ensevelir -l’étrangère ; et ainsi Savine fut mise au tombeau.</p> - -<p>C’est le même jour aussi que l’Eglise célèbre la fête de -sainte Sabine, qui était femme d’un soldat nommé Valentin, -et qui fut décapitée sous le règne d’Adrien, pour avoir -refusé de sacrifier aux idoles.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c126">CXXVI<br /> -SAINTS FÉLIX ET ADAUCT, <span class="small">MARTYRS<br /> -(30 août)</span></h2> - - -<p>Le prêtre Félix souffrit le martyre sous le règne de -Dioclétien et de Maximien, en compagnie, de son frère, -qui, comme lui, s’appelait Félix et était prêtre comme -lui. Le frère aîné, ayant été conduit au temple de Sérapis -pour y sacrifier, souffla sur le visage de la statue, qui, -aussitôt, se renversa. Il renversa de la même façon, successivement, -la statue de Mercure et celle de Diane. -Alors, après l’avoir torturé sur un chevalet, on le conduisit -devant un arbre sacrilège afin qu’il y sacrifiât. -Mais lui, s’étant mis à genoux et ayant prié, souffla -<span class="pagenum" id="p488">-488-</span> sur l’arbre qui, aussitôt, se déracina et tomba à terre, brisant -l’autel. Sur quoi le préfet le fit décapiter à l’endroit -même, et ordonna que son corps y fût laissé pour servir -de pâture aux loups et aux chiens. Et, au moment où on -allait le mettre à mort, son frère ; sortant de la foule, se -proclama chrétien. Tous deux furent donc décapités -ensemble, après s’être longuement embrassés. Et les -chrétiens, ne connaissant pas le nom du second martyr, -l’appelèrent <i lang="la" xml:lang="la">Adauctus</i> (ajouté), parce qu’il s’était ajouté -à saint Félix pour recevoir la couronne du martyre. Les -deux saints furent ensevelis dans la fosse qu’avait creusée -l’arbre en se déracinant. Et quand les païens voulurent -les déterrer, le diable les en empêcha en s’emparant -d’eux. Leur martyre eut lieu l’an du Seigneur 287.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c127">CXXVII<br /> -SAINT LOUP, <span class="small">ÉVÊQUE ET CONFESSEUR<br /> -(1<sup>er</sup> septembre)</span></h2> - - -<p>Loup naquit à Orléans d’une famille royale. S’étant de -bonne heure distingué par ses vertus, il fut élu archevêque -de Sens. Il donnait aux pauvres tout ce qu’il avait ; -et comme, un jour, il en avait invité un grand nombre à -sa table, et que le vin manquait, il répondit au sommelier -qui venait le lui annoncer : « Je crois bien que Dieu, qui -nourrit les oiseaux, ne refusera pas de compléter notre -charité ! » Et, en effet, un messager arriva au même instant, -qui annonça que cent tonneaux de vin attendaient à -la porte.</p> - -<p>On reprochait beaucoup à l’évêque l’affection qu’il témoignait -à une jeune religieuse, fille de son prédécesseur. -Alors, en présence de ceux qui l’accusaient, il fit venir la -jeune fille et l’embrassa, disant : « Les paroles des hommes -ne sauraient nuire à celui que ne souille pas sa propre -conscience ! »</p> - -<p><span class="pagenum" id="p489">-489-</span> Comme le roi des Francs Clotaire, étant entré en -Bourgogne, avait ordonné à son sénéchal d’assiéger -la ville de Sens, saint Loup se rendit à l’église de Saint-Etienne -et se mit à faire sonner la cloche : ce qu’entendant, -les ennemis furent saisis d’une telle frayeur qu’ils -s’enfuirent, par crainte d’être tués sur place. Et quand -le roi, étant devenu maître de la Bourgogne, envoya à -Sens un autre sénéchal, celui-ci, furieux de ce que -l’évêque ne fût pas venu au devant de lui avec des présents, -le calomnia si cruellement auprès de son maître -que celui-ci l’envoya en exil. Mais, dans l’exil comme -sur son siège, le saint brilla par sa science et par ses -miracles. Et bientôt les habitants de Sens, ayant mis à -mort l’évêque par qui l’on avait remplacé saint Loup, -obtinrent du roi le rappel de celui-ci. Et quand le roi -le vit épuisé de privations, il se prosterna devant lui, -lui demanda pardon, et l’envoya à Sens après l’avoir -comblé de présents. Et l’on raconte que, comme il passait -en bateau par Paris, la foule des prisonniers virent -s’ouvrir les portes de leurs cellules et tomber leurs -chaînes, de façon qu’ils purent se rendre librement au -devant de lui.</p> - -<p>Un dimanche, pendant qu’il célébrait la messe, une -pierre précieuse tomba du ciel dans son calice : le roi -la fit mettre plus tard parmi ses reliques.</p> - -<p>Le roi Clotaire, apprenant que la cloche de Saint-Etienne -de Sens avait un son d’une douceur merveilleuse, -fit transporter cette cloche à Paris, pour pouvoir l’entendre -à sa guise. Mais, cet ordre ayant déplu à saint -Loup, la cloche perdit toute sa douceur dès qu’elle sortit -de Sens. Ce que voyant, le roi la fit aussitôt restituer ; -et, lorsque la cloche fut arrivée à sept milles, de Sens, -elle sonna si fort que toute la ville l’entendit : de telle -sorte que saint Loup put aller à sa rencontre.</p> - -<p>Une nuit, tenté par le diable, il se fit apporter un verre -d’eau froide ; puis comprenant les ruses de l’ennemi, il -posa son oreiller sur le verre et y tint le diable enfermé -jusqu’au matin suivant. Une autre fois, revenant chez lui -de sa visite aux églises de la ville, il entendit des prêtres -<span class="pagenum" id="p490">-490-</span> parlant à voix haute et disant qu’ils voulaient forniquer -avec des femmes. Alors, il entra dans son oratoire et -pria pour eux ; et aussitôt l’aiguillon de la tentation cessa -de les tourmenter, et ils vinrent humblement lui demander -pardon.</p> - -<p>Enfin saint Loup s’éteignit en paix, en l’an du Seigneur -610.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c128">CXXVIII<br /> -SAINT GILLES, <span class="small">ABBÉ<br /> -(1<sup>er</sup> septembre)</span></h2> - - -<p>Gilles, athénien, était de famille noble, et avait étudié, -dès l’enfance, les lettres sacrées. Un jour, comme il se -rendait à l’église, un malade, couché sur une place, lui -demanda l’aumône. Gilles lui donna sa tunique ; et dès -que le malade la revêtit, il guérit. A la mort de ses -parents, Gilles abandonna au Christ tout son patrimoine. -Il guérit un jour, par sa prière, un homme qui venait -d’être mordu par un serpent. Il guérit aussi un possédé -qui, se tenant dans l’église, troublait de ses cris les -autres chrétiens. Mais bientôt, craignant les dangers de -la faveur humaine, Gilles s’enfuit secrètement au bord -de la mer. Il aperçut là des matelots qui allaient périr -dans une tempête : il pria et aussitôt la tempête s’apaisa. -En reconnaissance de quoi les matelots, apprenant qu’il -voulait aller à Rome, s’offrirent à l’y emmener gratuitement -avec eux.</p> - -<p>Mais en arrivant à Arles, Gilles s’y arrêta, et demeura -deux ans avec saint Césaire, évêque de cette ville, où il -guérit une femme atteinte de fièvre depuis trois ans. -Puis, ayant soif du désert, il s’éloigna secrètement -d’Arles, et vécut longtemps en compagnie de l’ermite -Veredôme, dans un endroit où, en sa faveur, Dieu voulut -bien faire cesser la stérilité du sol. Mais, comme le bruit -de ses miracles se répandait partout, Gilles, craignant -<span class="pagenum" id="p491">-491-</span> de nouveau les dangers de la louange humaine, quitta -son compagnon et s’enfonça encore dans le désert, où il -eut le bonheur de trouver une grotte auprès d’une -source. Il y eut pour nourricière une biche qui, à de -certaines heures, venait lui donner son lait.</p> - -<p>Or, un jour, les fils du roi, qui chassaient par là, -virent cette biche et la poursuivirent avec leurs chiens. -Effrayée, elle se réfugia aux pieds de saint Gilles. Et -celui-ci, étonné de ses cris, sortit de sa cellule et entendit -les chasseurs. Il demanda alors à Dieu que fût sauvée -la bête qu’il lui avait donnée pour nourricière. Et en effet -aucun des chiens n’osait s’approcher de la biche. La -nuit étant proche, les chasseurs s’en revinrent chez eux. -Et le lendemain, de nouveau, ils durent rentrer chez eux -sans avoir pris la biche. Ce qu’apprenant, le roi se -rendit sur les lieux avec l’évêque et une foule de chasseurs. -Et comme, de nouveau, les chiens refusaient d’approcher, -un des chasseurs, par accident, blessa d’une -flèche le saint, qui demandait grâce pour la biche. Après -quoi les chasseurs se frayèrent un chemin jusqu’à la -grotte, aperçurent un vieillard en habit monacal avec -une biche étendue à ses pieds. Le roi et l’évêque s’avancèrent -alors vers lui, lui demandèrent qui il était, d’où il -était venu, comment il avait pu arriver à un endroit -aussi sauvage, et enfin par qui il avait été blessé. Puis, -lui ayant demandé pardon de cette blessure dont ils -étaient cause, ils lui donnèrent des remèdes pour la -guérir, en même temps que de nombreux présents. Mais -le saint ne voulut même pas jeter les yeux sur les -présents ni sur les remèdes. Bien plus, sachant que la -vertu devenait plus parfaite dans la maladie, il pria Dieu -de ne plus recouvrer la santé aussi longtemps qu’il vivrait.</p> - -<p>Le roi, cependant, lui fit de fréquentes visites, pour -recevoir de lui l’aliment spirituel. Et toujours il lui -offrait des trésors, et toujours le saint refusait de les -accepter. Il conseilla enfin au roi d’employer plutôt -ces trésors à construire un monastère, où serait pratiquée -dans toute sa rigueur la discipline monastique. Et le roi -suivit son conseil ; mais, quand le monastère fut construit, -<span class="pagenum" id="p492">-492-</span> il insista par ses prières et ses larmes pour forcer -saint Gilles à en devenir l’abbé<a id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor">[12]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_12" href="#FNanchor_12"><span class="label">[12]</span></a> A Saint-Gilles-du-Gard, entre Arles et Lunel, -sur le petit Rhône.</p> -</div> -<p>La renommée du saint parvint jusqu’au roi Charles, -qui le manda près de lui et le reçut avec déférence. Il -lui demanda, entre autres choses, de vouloir bien prier -pour que lui fût remis un très grand péché qu’il avait -commis jadis, et qu’il n’osait avouer à personne, pas -même au saint. Et le dimanche suivant, pendant que -Gilles, célébrant sa messe, priait pour le roi, un ange -lui apparut qui déposa sur l’autel une feuille où était -écrit que, grâce à ses prières, le péché du roi se trouvait -pardonné. Et l’on dit aussi que, sur cette feuille, -une main céleste avait ajouté que quiconque invoquerait -saint Gilles pour la rémission d’un péché, obtiendrait -cette rémission, pourvu seulement qu’il ne commît plus -le même péché. Gilles porta la feuille au roi, qui se -repentit humblement. Puis le saint reprit le chemin de -son monastère. Et à Nîmes, en passant, il ressuscita le -fils d’un des chefs de la ville, qui venait de mourir.</p> - -<p>Peu de temps après, prévoyant que son monastère -allait être saccagé par les ennemis, il se rendit à -Rome, et obtint du pape, pour son église, un privilège, -ainsi que deux portes en bois de cyprès où se trouvaient -sculptées les images des apôtres. Après quoi, ayant -confié ces portes au Tibre, et les ayant recommandées à -la conduite divine, il retourna vers son monastère ; et, -sur le chemin, à Tiberon, il guérit un paralytique. Et -quand il revint à son monastère, il trouva les portes qui -l’attendaient dans le port. Après avoir rendu grâces à -Dieu, il les dressa au seuil de son église, tant pour l’ornement -de celle-ci que pour qu’elles fussent le témoignage -du pacte accordé au monastère par la curie romaine.</p> - -<p>Enfin, comprenant par révélation que le jour de sa -mort approchait, il en informa ses frères et leur demanda -de prier pour lui. Et quand il se fut endormi dans le -Seigneur, bien des personnes affirmèrent avoir entendu -des chœurs d’anges transportant son âme au ciel. Cette -mort eut lieu en l’an du Seigneur 700.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p493">-493-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c129">CXXIX<br /> -LA NATIVITÉ DE LA BIENHEUREUSE -VIERGE MARIE<br /> -<span class="small">(8 septembre)</span></h2> - - -<p>I. La glorieuse Vierge Marie était de la tribu de Juda, -et de la race royale de David. On sait que Matthieu et -Luc, dans leurs évangiles, nous retracent la généalogie, -non pas de Marie, mais de Joseph, qui cependant n’a -eu aucune part à la conception du Christ : c’est, dit-on, -pour se conformer à la coutume des Ecritures, où n’est -prise en considération que la généalogie des hommes, -non celle des femmes. Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, la -sainte Vierge descendait certainement de la race de -David : car les mêmes évangélistes, qui admettent -expressément la conception toute divine de Jésus, -attestent à plusieurs reprises que Jésus était de la -semence de David.</p> - -<p>Ce roi, en effet, eut, entre autres fils, Nathan et Salomon. -De la race de Nathan fut (suivant Jean de Damas), -Lévi, qui engendra Melchi et Panthar ; Panthar engendra -Barpanthar, qui engendra Joachim, qui fut père de -la Vierge Marie. Et il y eut un des descendants de -Nathan qui épousa une descendante de Salomon ; et -lorsque Héli, de la tribu de Nathan, mourut sans -enfants, son frère utérin Jacob, qui était de la tribu de -Salomon, épousa sa veuve et engendra d’elle Joseph. -Celui-ci était donc, par la nature, fils de Jacob et descendant -de Salomon ; mais, par la loi, il était fils d’Héli -et de la descendance de Nathan, car, dans les cas de ce -genre, la loi assignait les enfants au premier mari.</p> - -<p>D’autre part, l’<i>Histoire ecclésiastique</i> et Bède, dans -sa <i>Chronique</i>, racontent qu’Hérode, pour faire croire à -la postérité qu’il était noble et descendait d’Israël, fit -brûler toutes les généalogies des Juifs, qui étaient conservées -dans les archives secrètes du Temple. Mais il y -<span class="pagenum" id="p494">-494-</span> eut des Nazaréens, parents du Christ, qui reconstituèrent -la généalogie de leur divin parent, en partie d’après -leurs traditions de famille, en partie d’après des livres -qu’ils avaient conservés. A eux nous devons de savoir -que la femme de Joachim, nommée Anne, eut une sœur, -nommée Ismérie, qui fut mère d’Elisabeth et d’Eliude. -Elisabeth fut mère de saint Jean-Baptiste ; d’Eliude -naquit Eminen, et d’Eminen naquit saint Servais, dont -le corps est conservé dans la ville de Maëstricht, qui -relève de l’évêché de Liège. Quant à Anne, la tradition -rapporte qu’elle a eu successivement trois maris : Joachim, -Cléophas et Salomé. De Joachim elle eut une -fille, la Vierge Marie, qu’elle donna en mariage à -Joseph. Puis, après la mort de Joachim, elle épousa -Cléophas, frère de Joseph, de qui elle eut une autre -fille, également appelée Marie, et donnée plus tard en -mariage à Alphée. Cette seconde Marie eut d’Alphée -quatre fils, Jacques le Mineur, Joseph le Juste, Simon -et Jude. Enfin, de son troisième mariage avec Salomé, -Anne eut encore une fille, également appelée Marie, et -qui épousa Zébédée. Et c’est de cette troisième Marie et -de Zébédée que sont nés Jacques le Majeur et Jean -l’Evangéliste.</p> - -<p>D’autre part, saint Jérôme nous dit, dans son <i>Prologue</i>, -avoir lu dans son enfance un petit livre où se trouvait -racontée l’histoire de la naissance de la sainte Vierge ; -et il nous transcrit cette histoire, mais seulement de -souvenir, et très longtemps après l’avoir lue. Donc, -suivant ce récit, Joachim, qui était Galiléen, et de la -ville de Nazareth, s’était marié avec sainte Anne, qui -était de Bethléem, en Judée. Tous deux vivaient sans -reproche, accomplissant tous les commandements du -Seigneur ; ils faisaient de tous leurs biens trois parts -égales, dont ils ne gardaient qu’une seule pour eux-mêmes -et leur famille, en donnant une au temple, l’autre -aux pauvres et aux pèlerins. Et comme, après vingt ans -de mariage, ils n’avaient point d’enfant, ils firent vœu -que, si Dieu leur accordait un enfant, ils le voueraient -au service divin. Le jour de la fête de la Dédicace, -<span class="pagenum" id="p495">-495-</span> Joachim, s’étant rendu à Jérusalem, comme il faisait -pour les trois grandes fêtes de l’année, alla présenter -son offrande au Temple avec ceux de sa tribu. Mais le -prêtre le repoussa avec indignation de l’autel, affirmant -que c’était un scandale qu’un homme infécond, incapable -d’augmenter le peuple de Dieu, présentât son offrande à -un Dieu qui avait mis sur lui le signe de sa malédiction. -Sur quoi Joachim, tout confus, n’osa point retourner -chez lui, et s’en alla séjourner avec ses bergers. Mais, -pendant qu’il se trouvait là, un ange lui apparut un jour -avec une grande lumière, et lui dit : « Je suis envoyé -vers toi par le Seigneur, pour t’annoncer que tes prières -ont été entendues, et que tes aumônes se sont élevées -jusqu’au trône divin. Dieu a vu ta honte, et entendu -l’injuste reproche qu’on t’a fait de ta stérilité. Car Dieu -ne punit point la nature, mais seulement le péché. Et -souvent, quand il ferme une matrice, il le fait afin de -l’ouvrir ensuite plus miraculeusement, de manière qu’on -sache que ce n’est point de la luxure que naît l’enfant -qui doit naître. Est-ce que Sara, la mère de votre race, -n’a pas supporté jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans -l’opprobre de la stérilité, avant de donner le jour à -Isaac, a qui fut renouvelée la promesse de la bénédiction -de tout son peuple ? Est-ce que Rachel n’a pas été longtemps -stérile avant d’enfanter Joseph, qui commanda à -toute l’Egypte ? Qui fut plus fort que Samson, ou plus -saint que Samuel ? Et cependant l’un et l’autre sont nés -de mères stériles. Sache donc que, de la même façon, -Anne, ta femme, te donnera une fille que tu appelleras -Marie. Celle-ci, suivant ton vœu, sera consacrée au Seigneur -dès l’enfance ; dès le ventre de sa mère elle sera -pleine du Saint-Esprit ; et, afin que sa pureté ne puisse -donner lieu à aucun soupçon, elle ne sera pas élevée au -dehors, mais toujours gardée à l’intérieur du temple. -Et, de même qu’elle sera née d’une mère stérile, d’elle -naîtra miraculeusement le Fils du Très-Haut, qui aura -nom Jésus, et qui apportera le salut à toutes les nations. -Quant au signe qui te prouvera la vérité de mes paroles, -écoute ! En arrivant à la Porte d’Or, à Jérusalem, tu -<span class="pagenum" id="p496">-496-</span> rencontreras ta femme Anne, qui, inquiète de ta longue -absence, se réjouira grandement de ta vue ! » Cela dit, -l’ange disparut ; mais il apparut ensuite à Anne, qui -pleurait amèrement l’absence de son mari ; il lui annonça -ce qu’il venait d’annoncer à Joachim, et lui ordonna de -se rendre à Jérusalem, devant la Porte d’Or, pour y -rencontrer son mari. Anne et Joachim se rencontrèrent -donc, tous deux, se réjouissant de leur vision et de la -postérité qui leur était promise. Et, ayant adoré le Seigneur, -ils revinrent chez eux.</p> - -<p>C’est ainsi qu’Anne conçut et mit au monde une fille, -qui fut appelée Marie. Et lorsque furent achevées les -trois années de l’allaitement, l’enfant fut conduite au -temple avec des offrandes. Le temple était situé sur -une montagne ; et, pour parvenir à l’autel des holocaustes, -qui se trouvait à l’extérieur, on avait encore à monter -quinze marches, correspondant aux quinze psaumes graduels. -Et voici que la petite fille monta toutes ces marches -sans l’aide de personne, comme si elle était déjà dans la -perfection de l’âge. Puis, quand elle eut accompli son -offrande, ses parents revinrent chez eux, la laissant avec -les autres vierges dans le temple ; et là, tous les jours, -elle croissait en sainteté, visitée par les anges, et admise -à la vision divine. Elle s’était imposé pour règle de rester -en prière depuis le matin jusqu’à la troisième heure ; -jusqu’à la neuvième heure, ensuite, elle s’occupait à tisser -la laine ; après quoi elle se remettait en prière, jusqu’au -moment où un ange venait lui apporter sa nourriture.</p> - -<p>Quand elle eut quatorze ans, le prêtre déclara que les -vierges instruites dans le temple et qui étaient parvenues -à leur puberté devaient retourner chez elles, pour -être unies à des hommes en légitime mariage. Les autres -vierges obéirent à cet ordre. Seule, Marie dit qu’elle ne -pouvait y obéir, car ses parents l’avaient consacrée au -service de Dieu, et elle-même avait voué sa virginité au -Seigneur. Ce qui mit le prêtre en grand embarras, car il -n’osait ni rompre un vœu, — l’Ecriture ayant dit : -« Faites des vœux et remplissez-les ! » — ni autoriser -<span class="pagenum" id="p497">-497-</span> un acte contraire aux usages. Lors de la fête qui suivit, -les vieillards convoqués furent d’avis qu’en matière si -douteuse on devait s’en remettre à l’inspiration divine. -Et, comme tous étaient en prière, une voix sortit du -fond du temple, disant que tous les hommes nubiles et -non mariés de la maison de David devaient s’approcher -de l’autel, chacun portant une baguette à la main ; et la -voix ajoutait que la Vierge Marie aurait à épouser celui -d’entre eux dont la baguette produirait des feuilles. Or -il y avait là un homme de la maison de David nommé -Joseph, qui, seul, ne se présenta point devant le prêtre, -estimant inconvenant de prétendre, à son âge, devenir le -mari d’une vierge de quatorze ans. De telle sorte que le -miracle prédit par la voix divine n’eut point lieu. Et le -prêtre, de nouveau, interrogea le Seigneur, qui répondit -que celui-là seul n’avait pas apporté sa baguette qui était -destiné à devenir le mari de la vierge. Force fut donc à -Joseph de se présenter à l’autel ; et aussitôt sa baguette -produisit des feuilles, et l’on vit descendre sur elle une -colombe, du haut du ciel. Alors Joseph, se trouvant ainsi -fiancé, se rendit à Bethléem, sa patrie, afin de s’occuper -de préparer ses noces, tandis que Marie retournait à -Nazareth, dans la maison de ses parents, avec sept vierges -de son âge que le prêtre lui avait données pour compagnes. -C’est vers ce temps-là que l’ange Gabriel lui -apparut, pendant qu’elle était en prière, et lui annonça -que d’elle naîtrait le Fils de Dieu.</p> - -<p>Le jour exact où devait être commémorée la nativité -de la Vierge fut très longtemps ignoré des fidèles. Mais -un jour, suivant ce que rapporte Jean Beleth, un saint -homme, qui vivait dans la contemplation, s’aperçut que -tous les ans à la même date, le 6 septembre, il entendait -une merveilleuse musique d’anges, célébrant une fête. Il -supplia le Ciel de lui révéler quelle fête c’était qu’on célébrait -au ciel ce jour-là ; et il obtint pour réponse que -c’était le jour anniversaire de la naissance de la glorieuse -Vierge Marie : ce dont il fut chargé, en outre, de faire -part aux fils de la sainte Eglise, pour qu’ils s’unissent, -dans la célébration de la fête, avec les troupes célestes. -<span class="pagenum" id="p498">-498-</span> La chose fut rapportée au Souverain Pontife et aux autres -chefs de l’Eglise qui, ayant prié et jeûné, et consulté les -témoignages de l’Ecriture et des traditions, décrétèrent -que, désormais, ce jour du 6 septembre serait universellement -consacré à la célébration de la naissance de la -Vierge Marie.</p> - -<p>Quant à l’octave de cette fête, elle n’a été instituée que -plus tard, par le pape Innocent IV, qui était d’origine -génoise ; et voici dans quelles circonstances. Lorsque -mourut Grégoire IX, les Romains enfermèrent tous les -cardinaux dans une salle pour les forcer à choisir au -plus vite un nouveau chef de l’Eglise. Mais comme les -cardinaux ne parvenaient pas à se mettre d’accord, ce -qui leur valait d’être fort molestés par les Romains, ils -firent vœu à là Reine du Ciel que si, grâce à elle, ils pouvaient -enfin s’accorder, et sortir de leur conclave sans -être maltraités, ils décréteraient désormais que fût célébrée -l’octave de sa Nativité. Et, en effet, ils tombèrent -d’accord pour élire Célestin. Mais celui-ci vécut trop peu -de temps pour réaliser le vœu des membres du conclave ; -et ce fut son successeur, Innocent IV, qui le réalisa.</p> - -<p>Notons, à ce propos, que les trois nativités célébrées par -l’Eglise, celles du Christ, de la Vierge et de saint Jean-Baptiste, -ont toutes les trois des octaves, mais que, -seule la nativité de la Vierge n’est point précédée d’une -vigile. En effet ces trois nativités désignent trois naissances -spirituelles : car avec Jean nous renaissons dans -l’eau, avec Marie dans la pénitence, et dans la gloire -avec le Christ. Or notre renaissance dans le baptême et -notre renaissance dans la gloire doivent être précédées -de contrition, tandis que notre renaissance dans la pénitence -est en elle-même une contrition.</p> - -<p>II. Un très vaillant capitaine, et qui n’était pas moins -dévot à la Vierge se rendait un jour à un tournoi lorsqu’il -rencontra, en chemin, un monastère élevé en l’honneur -de Notre Dame, et y entra pour entendre la messe. -Mais les messes se succédaient les unes aux autres, et le -capitaine, par égard pour la Vierge, tenait à n’en manquer -aucune. Enfin il put sortir, et courut à l’endroit du -<span class="pagenum" id="p499">-499-</span> combat. Et voilà qu’il rencontra, avant d’y arriver, des -gens qui déjà en revenaient, et qui le félicitèrent de la -valeur qu’il y avait déployée. Cet éloge lui fut confirmé -par tous ceux qui avaient assisté au tournoi ; et il y en -eut même qui vinrent lui rappeler qu’il les avait défaits. -Sur quoi cet homme, comprenant que la Reine des Cieux -lui avait rendu sa politesse, raconta ce qui lui était -arrivé, et, retournant au monastère, s’engagea depuis -lors entièrement au service du Fils de la sainte Vierge.</p> - -<p>III. Une veuve avait un fils unique qu’elle aimait tendrement. -Apprenant que ce fils avait été pris par l’ennemi, -enchaîné et mis en prison, elle fondit en larmes, -et, s’adressant à la Vierge, pour qui elle avait un culte -spécial, elle lui demanda avec insistance la libération de -son fils. Mais quand elle vit enfin que ses prières restaient -sans effet, elle se rendit dans une église où se -trouvait sculptée une image de Marie. Là, debout devant -l’image, elle dit : « Vierge sainte, je t’ai suppliée de -délivrer mon fils, et tu n’as pas voulu venir au secours -d’une malheureuse mère ; j’ai imploré ton patronage -pour mon fils, et tu me l’as refusé ! Eh bien, de même, -que mon fils m’a été enlevé, de même je vais t’enlever le -tien, et le garderai en otage ! » Ce que disant, elle s’approcha, -prit la statue de l’enfant sur le sein de la -Vierge, l’emporta chez elle, l’entoura d’un linge sans -tache, et l’enferma sous clef dans un coffre, heureuse -d’avoir un si bon otage du retour de son fils. Or, la nuit -suivante, la Vierge apparut au jeune homme, lui ouvrit -la porte de sa prison, et lui dit : « Dis à ta mère, mon -enfant, qu’elle me rende mon fils, maintenant que je lui -ai rendu le sien ! » Le jeune homme vint donc retrouver -sa mère, et lui raconta sa miraculeuse délivrance. Et elle, -ravie de joie, s’empressa d’aller rendre à la Vierge l’enfant -Jésus, en lui disant : « Je te remercie, dame céleste, -de ce que tu m’aies restitué mon fils, et je te restitue -le tien en échange ! »</p> - -<p>IV. Il y avait un voleur qui commettait le plus de larcins -qu’il pouvait, mais qui avait une grande dévotion -pour la Vierge Marie, et ne cessait point de l’invoquer. -<span class="pagenum" id="p500">-500-</span> Un jour, pris en flagrant délit, il fut condamné à être -pendu. Et on le pendit en effet : mais aussitôt la Vierge -Marie vint à son aide, et, pendant trois jours, le tint dans -ses bras, de telle sorte que sa pendaison ne lui fit aucun -mal. Le troisième jour, ceux qui l’avaient pendu, passant -par hasard près de lui, furent surpris de le trouver -vivant et la mine joyeuse. Ils pensèrent que la corde avait -été mal attachée, et voulurent l’achever à coups d’épées ; -mais la Vierge opposait sa main à leurs épées, et aucun -de leurs coups n’atteignait le voleur. Celui-ci leur -raconta enfin l’assistance qu’il avait reçue de la Vierge -Marie, et eux, par amour pour Notre Dame, ils le relâchèrent. -Et le voleur se fit moine, et, tant qu’il vécut, -resta au service de la Mère de Dieu.</p> - -<p>V. Un clerc, très dévot à la Vierge Marie, ne trouvait -de plaisir qu’à chanter ses heures. Mais, ayant hérité de -tous les biens de ses parents, il fut contraint par ses -amis à prendre femme, et à gouverner son héritage. Il -se mit donc en route pour célébrer ses noces ; mais en -chemin, rencontrant une église, il y entra pour réciter -les heures de la Vierge. Et voici que la Vierge lui apparut, -le visage sévère, et lui dit : « Infidèle, pourquoi -m’abandonnes-tu, moi ton amie et ta fiancée ? Pourquoi -me préfères-tu une autre femme ? » Le clerc, plein -de contrition, alla rejoindre ses compagnons, et, leur -cachant ce qui lui était arrivé, laissa célébrer ses noces. -Mais, au milieu de la nuit, il s’enfuit de sa maison, entra -dans un monastère, et se voua tout entier au service de la -Vierge Marie.</p> - -<p>VI. Un bon prêtre de village ne célébrait jamais d’autre -messe que celle de la Vierge. Dénoncé à son évêque, et -mandé devant lui, il lui avoua qu’il ne savait pas d’autre -messe que celle-là ; sur quoi l’évêque le blâma sévèrement, -et le suspendit de son office. Mais la nuit suivante, la -Vierge apparut à l’évêque, le gronda à son tour, lui -demanda pourquoi il avait si mal traité son serviteur, et -ajouta qu’il mourrait avant trente jours, si le pauvre -prêtre n’était pas restitué dans sa fonction. Sur quoi -l’évêque, épouvanté, fit revenir le prêtre, s’excusa devant -<span class="pagenum" id="p501">-501-</span> lui, lui rendit sa fonction et lui enjoignit de ne jamais -célébrer d’autre messe que celle de Marie.</p> - -<p>VII. Il y avait un clerc qui était frivole et débauché, -mais qui, cependant, aimait beaucoup la sainte Vierge, et -récitait assidûment ses heures. Une nuit, en rêve, il se -vit transporté au tribunal de Dieu. Et le Seigneur disait -aux assistants : « Jugez vous-mêmes quelle peine mérite -cet homme, pour qui j’ai eu tant de patience, sans qu’il -fît voir le moindre signe d’amélioration ! » Tous furent -d’avis qu’il méritait d’être damné. Seule la Vierge Marie -se leva et dit à son Fils : « Mon Fils, j’implore ta clémence -pour cet homme ! Permets-lui de vivre encore, par égard -pour moi, bien que, par ses propres mérites, il soit dû à -la mort ! » Et le Seigneur : « Je consens, en ta faveur, à -ajourner sa sentence ; mais c’est à la condition qu’il se -corrigera ! » Alors la Vierge, se tournant vers le clerc, -lui dit : « Va maintenant et cesse de pécher, de peur -que ne t’arrive plus de mal encore ! » Et le clerc, se -réveillant, changea ses mœurs, entra en religion et finit -sa vie dans les bonnes œuvres.</p> - -<p>VIII. Il y avait en Sicile, l’an du Seigneur 537, un -homme appelé Théophile, vicaire d’un évêque, qui, sous -les ordres de son chef, administrait si sagement le diocèse -que, lorsque l’évêque mourut, tout le peuple l’élut -par acclamation pour le remplacer. Mais lui, content de -son vicariat, préféra qu’on prît pour évêque un autre -prêtre. Et celui-ci, peu de temps après, le dépouilla de -ses fonctions de vicaire : ce dont il eut tant de dépit que, -pour recouvrer ses fonctions, il alla demander l’aide d’un -sorcier juif. Le sorcier appela le diable, qui se hâta -d’accourir. Sur son ordre, Théophile renia le Christ et -la Vierge, écrivit son reniement avec son propre sang, -scella l’écrit avec son anneau, et le donna au diable, se -vouant ainsi à son service. Le diable, donc, le fit rentrer -en grâce auprès de l’évêque et restituer dans sa -dignité. Mais alors Théophile, rentrant en lui-même, fut -désolé de ce qu’il avait fait, et supplia la Vierge glorieuse -de lui venir en aide. Marie lui apparut, lui fit de -vifs reproches de son impiété, lui ordonna de renoncer -<span class="pagenum" id="p502">-502-</span> au diable, exigea qu’il proclamât sa foi dans le Christ et -dans toute la doctrine chrétienne, et finit par obtenir sa -grâce de son divin Fils, en signe de quoi, lui apparaissant -une seconde fois, elle lui posa sur la poitrine l’écrit -qu’il avait donné au diable : afin de lui prouver, par là, -qu’il n’était plus esclave du démon, et que, grâce à elle, -il redevenait libre. Ce que voyant Théophile, transporté -de joie, raconta, devant l’évêque et le peuple tout -entier, le miracle qui venait de lui arriver, et, trois jours -après, il s’endormit en paix dans le Seigneur.</p> - -<p>IX. Un mari et sa femme, ayant marié leur fille unique, -et ne pouvant se résigner à se séparer d’elle, la gardaient -dans leur maison, ainsi que leur gendre. Et la mère de -la jeune femme, par amour pour sa fille, avait pour son -gendre une affection très vive : ce qui fit dire aux méchantes -langues que ce n’était point par amour pour sa -fille qu’elle aimait son gendre, mais bien pour son propre -compte. De telle sorte que la femme, craignant que -cette calomnie ne se répandît, promit à deux paysans de -leur donner à chacun vingt sous s’ils voulaient étrangler -secrètement le gendre. Et un jour, les ayant enfermés -dans son cellier, elle envoya son mari hors de la maison, -fit également sortir sa fille, et demanda à son gendre -d’aller chercher du vin dans le cellier, où, aussitôt, les -deux paysans se jetèrent sur lui et l’étranglèrent. Alors -la femme porta le mort dans le lit de sa fille, et l’y installa -comme s’il dormait. Le soir, lorsque son mari et sa -fille revinrent, elle ordonna à sa fille d’aller réveiller son -mari, et de l’appeler à table. La fille trouve son mari -mort, accourt l’annoncer à ses parents : et toute la -famille de se lamenter, y compris la femme qui avait -commis l’homicide. Mais cette femme finit par se repentir -sincèrement de son crime, et alla se confesser de tout -à un prêtre. Or, quelque temps après, une querelle -s’éleva entre cette femme et le prêtre qui, publiquement, -lui reprocha le meurtre de son gendre. Les parents du -mort apprennent la chose, font passer la femme en jugement ; -et elle est condamnée à être brûlée. Alors, se -voyant près de mourir, elle se réfugie dans l’église de -<span class="pagenum" id="p503">-503-</span> la Vierge, et s’y prosterne en prière, avec force larmes. -On la contraint à sortir de l’église, et on la jette sur un -grand bûcher allumé : mais elle s’y tient debout, saine -et sauve, sans ombre de mal. En vain les parents du -mort apportent sur le bûcher de nouveaux sarments -allumés. Puis, voyant que le feu n’a pas de prise sur -elle, ils la transpercent de coups de lance. Mais le juge, -témoin du miracle, les force à s’éloigner. Et puis, examinant -avec soin la condamnée, il découvre que les -coups de lance l’ont atteinte et blessée, mais que le feu -n’a laissé sur elle aucune trace. On la ramène dans sa maison, -on la ranime par des bains, et des stimulants. Mais -Dieu, pour l’empêcher d’être davantage en butte au -soupçon des hommes, la fait mourir trois jours après, -repentante, et ne cessant point de célébrer les louanges -de la Vierge Marie.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c130">CXXX<br /> -SAINT ADRIEN ET SES COMPAGNONS, <span class="small">MARTYRS<br /> -(9 septembre)</span></h2> - - -<p>Adrien subit le martyre sous le règne de l’empereur -Maximien. Celui-ci, se trouvant à Nicomédie, ordonna -aux habitants de rechercher et de lui amener tous les -chrétiens. On vit alors le voisin dénoncer son voisin, le -parent dénoncer son parent, les uns y étant poussés par -la peur du châtiment, d’autres par le désir de la récompense -promise. Trente-trois chrétiens se trouvèrent -ainsi arrêtés et conduits devant l’empereur. Et celui-ci : -« Ne savez-vous pas quelles peines j’ai édictées contre -les chrétiens ! » Et eux : « Nous le savons, et nous nous -moquons de tes ordres stupides ! » Alors l’empereur les -fit frapper de nerfs de bœuf, leur fit enfoncer des -pierres dans la bouche, et les fit jeter en prison, couverts -de chaînes. Alors Adrien, qui commandait les soldats, -admirant la constance des martyrs, leur dit : « Je vous -<span class="pagenum" id="p504">-504-</span> en prie, au nom de votre Dieu, dites-moi quelle est la -récompense que vous attendez pour tant de tortures ! » -Et les saints lui dirent : « La récompense que Dieu -accorde à ceux qui l’aiment, jamais l’œil n’en a vu de -semblable, ni l’oreille n’en a entendu, ni le cœur n’en -a rêvé. » Alors Adrien, s’avançant, dit à l’empereur : -« Inscris-moi avec eux, car, moi aussi, je suis chrétien ! » -Ce qu’entendant, l’empereur le fit charger de chaînes et -jeter en prison.</p> - -<p>Et Nathalie, femme d’Adrien, quand elle sut l’arrestation -de son mari, fondit en larmes et déchira ses vêtements. -Mais quand elle apprit que c’était pour la foi du -Christ qu’Adrien avait été emprisonné, toute joyeuse -elle courut à la prison et se mit à baiser les chaînes de -son mari et des autres martyrs. Car elle était chrétienne ; -mais, par crainte de la persécution, elle s’en était cachée. -Et elle dit à son mari : « Heureux es-tu, Adrien, mon -seigneur, d’avoir trouvé des richesses bien supérieures -à celles que t’ont laissées tes parents, des richesses dont -seront privés, au jour du jugement, ceux-là même qui -possèdent les plus grands biens ! » Elle l’exhorta ensuite -à dédaigner toute gloire terrestre, à n’écouter ni amis ni -parents, et à avoir toujours le cœur levé vers les choses -du ciel. Et Adrien lui dit : « Va-t’en maintenant, ma -sœur ! le jour de notre supplice, je te ferai venir, afin que -tu assistes à nos derniers moments. » Et Nathalie rentra -dans sa maison, après avoir recommandé aux autres -saints d’instruire son mari et de l’encourager.</p> - -<p>Lorsque Adrien sut que le jour du dernier supplice -était arrivé, il obtint de ses gardiens, moyennant des -présents, qu’ils lui permissent d’aller jusque dans sa -maison pour chercher sa femme, afin de tenir la promesse -qu’il lui avait faite. Et quelqu’un, en le voyant -venir, le devança, et courut dire à Nathalie : « Ton mari -a été relâché, car le voici qui vient ! » Et elle, s’imaginant -qu’Adrien avait eu peur du martyre, pleurait amèrement. -Dès qu’elle l’aperçut, elle se hâta de fermer -devant lui la porte de la maison en disant : « Que s’éloigne -de moi celui qui s’est éloigné de Dieu ! » Et, se tournant -<span class="pagenum" id="p505">-505-</span> vers lui : « Malheureux, qui donc te forçait de commencer -une œuvre que tu étais incapable d’achever ? Dis-moi -pourquoi tu t’es enfui avant la bataille, comment -tu as succombé avant même qu’une seule flèche ait été -lancée ? Malheur à moi ! Que ferai-je, liée comme je le -suis à ce renégat ? » Et saint Adrien, entendant tout cela, -se réjouissait dans son cœur, admirant cette femme -jeune, belle et noble, avec qui il était marié depuis quatorze -mois. Mais quand il la vit trop affligée, il lui dit : -« Ce n’est point pour éviter le martyre que je suis venu -ici, mais pour te chercher, suivant ma promesse ! » Et -elle, refusant de le croire : « Voyez, comme ce traître -essaie de me séduire ! Voyez comme ment ce nouveau -Judas ! Eloigne-toi de moi, misérable ! Et sache que je -vais me tuer, pour n’avoir plus à vivre avec toi ! » Et -comme elle refusait toujours de lui ouvrir, il lui dit : -« Ouvre-moi vite, car je vais devoir repartir, et tu ne me -verras plus, et tu regretteras, plus tard, de ne m’avoir -pas revu avant mon départ ! » Ce qu’entendant, Nathalie -lui ouvrit, et, quand ils se furent longuement embrassés, -ils allèrent ensemble à la prison, où Nathalie essuyait -avec des linges précieux les plaies béantes des martyrs.</p> - -<p>Quand l’empereur les fit comparaître devant lui, ils -étaient tous encore si accablés de leur supplice précédent -qu’ils se trouvaient incapables de marcher. On -dut donc les porter comme des bêtes blessées ; seul -Adrien s’avançait à pied derrière eux, les mains enchaînées. -L’empereur l’ayant fait étendre sur un chevalet, -Nathalie s’approcha de lui et lui dit : « Mon cher seigneur, -n’aie garde de trembler en présence du supplice ! -Quelques minutes de souffrance, et aussitôt après tu te -réjouiras parmi les anges ! » Puis, voyant avec quel courage -son mari recevait les coups, elle courut vers les -autres saints pour le leur annoncer. Cependant, l’empereur -défendait à Adrien de blasphémer ses dieux. Et -lui : « Si je souffre tous ces tourments pour blasphémer -de faux dieux, combien donc en souffriras-tu, toi, qui -blasphèmes le seul Dieu véritable ? » Et Maximien : « Ce -sont ces imposteurs qui t’ont enseigné de telles paroles ! » -<span class="pagenum" id="p506">-506-</span> Mais Adrien : « Ne les appelle pas des imposteurs ! -car ils sont les docteurs de la vie éternelle ! » Et -Nathalie, toute joyeuse, allait rapporter aux autres saints -les paroles de son mari. L’empereur fit ensuite frapper -Adrien par quatre hommes d’une force prodigieuse ; et -ils le frappèrent si cruellement, que ses entrailles lui -sortaient du corps. Après quoi l’empereur le fit ramener -en prison avec les autres chrétiens. Nous devons ajouter -ici qu’Adrien était un frêle et beau jeune homme de -vingt-huit ans. Et Nathalie, le voyant étendu à terre, -tout meurtri, lui soutenait la tête de ses mains et lui -disait : « Heureux es-tu, mon seigneur, d’avoir été -admis au nombre des saints ! Heureux es-tu, lumière de -ma vie, de pouvoir souffrir pour celui qui a souffert -pour toi ! Souffre encore, mon doux ami, afin de mieux -voir ensuite la gloire céleste ! »</p> - -<p>Or l’empereur apprenant que plusieurs femmes soignaient -les saints dans la prison, défendit désormais -qu’on les laissât entrer. Mais Nathalie se coupa les cheveux, -revêtit des habits d’homme et revint prodiguer -ses soins aux prisonniers. Elle engagea aussi, par son -exemple, d’autres femmes à l’imiter. Et elle demanda à -son mari, quand il serait dans sa gloire, de prier pour -elle, afin que Dieu la rappelât vite loin de ce monde, -mais en laissant intact son jeune corps. Cependant, -l’empereur, averti de ce qui se passait dans la prison, -ordonna de tuer les martyrs en leur brisant les membres. -Et Nathalie, craignant que la vue du supplice des autres -n’effrayât son mari, demanda au bourreau de commencer -par lui. On lui coupa les pieds, on lui rompit les -membres, et Nathalie demanda, en outre, qu’on lui coupât -une main, de façon à ce qu’il ne restât pas en arrière des -autres saints pour la souffrance. Cela fait, Adrien rendit -son âme à Dieu ; et les autres chrétiens, tendant tour à -tour leurs pieds à la hache des bourreaux, moururent -comme lui. Et l’empereur fit brûler leurs corps ; mais -Nathalie cacha dans son sein la main de son mari. Et -quand elle vit jeter au feu le corps d’Adrien, elle ne put -résister au désir de s’élancer dans les flammes pour le -<span class="pagenum" id="p507">-507-</span> rejoindre. Mais aussitôt une pluie abondante se mit à -tomber qui éteignit la flamme ; de telle sorte que les -chrétiens purent recueillir les corps des martyrs et les -transporter à Constantinople, d’où on les rapporta en -grande pompe à Nicomédie lorsque fut restituée la paix -à l’Eglise. Ce martyre eut lieu l’an du Seigneur 280.</p> - -<p>Nathalie, après la mort de son mari, demeurait dans -sa maison, conservant pieusement la main du martyr ; -et toujours, pour se consoler, elle gardait cette main -sous son oreiller. Or un tribun, la voyant belle, riche et -noble, lui envoya des dames de la ville pour la demander -en mariage. Nathalie leur répondit : « Quel honneur -pour moi de devenir la femme d’un tel homme ! Accordez-moi -seulement trois jours de délai, pour me préparer -à ce mariage ! » Elle disait cela pour pouvoir s’enfuir. -Or, la même nuit, un des martyrs lui apparut en -rêve, et, la consolant doucement, lui enjoignit de se -rendre au lieu où étaient les corps des martyrs. Dès son -réveil, elle prit la main coupée d’Adrien, et s’embarqua -sur un vaisseau avec d’autres fidèles. Ce qu’apprenant, le -tribun la poursuivit sur mer avec une troupe de soldats ; -mais une tempête se leva qui en noya un grand nombre -et força les autres à rentrer au port.</p> - -<p>Au milieu de la nuit, le diable, ayant pris la forme -d’un marin, et étant monté sur un bateau fantastique, -apparut aux compagnons de Nathalie et leur dit : « D’où -venez-vous et où allez-vous ? » Ils répondirent : « Nous -venons de Nicomédie et nous allons à Constantinople ! » -Alors le diable : « En ce cas, vous faites fausse route, -c’est à gauche qu’est votre chemin ! » Il leur disait cela -pour les envoyer contre des rochers, où ils n’auraient -pas manqué de périr. Mais lorsqu’ils eurent changé les -voiles, Adrien se montra soudain devant eux, sur un -autre bateau, leur apprit que c’était le diable qui leur -avait parlé, leur ordonna de suivre la direction qu’ils -suivaient précédemment, et, navigant devant eux, il leur -montra le chemin. Et Nathalie, en revoyant son mari, -fut saisie d’une joie immense.</p> - -<p>Le matin avant l’aube, le vaisseau aborda à Constantinople. -<span class="pagenum" id="p508">-508-</span> Aussitôt Nathalie se rendit à la maison où -étaient les corps des martyrs, et replaça la main d’Adrien -avec le reste du corps. Puis elle pria ; et Adrien lui apparut -en rêve, lui enjoignant de venir le retrouver dans la -paix éternelle. Réveillée, elle raconta son rêve aux assistants, -leur dit adieu et rendit l’âme. Et son corps fut -placé près de ceux des martyrs.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c131">CXXXI<br /> -SAINT GORGON ET SAINT DOROTHÉE, <span class="small">MARTYRS<br /> -(9 septembre)</span></h2> - - -<p>Gorgon et Dorothée étaient, à Nicomédie, les chefs de -la troupe qui gardait le palais de Dioclétien. Mais, pour -pouvoir suivre plus librement leur maître divin, ils se -démirent de leur fonction et se proclamèrent chrétiens. -Ce qu’entendant, l’empereur fut désolé à la pensée de -perdre d’aussi nobles et dévoués serviteurs. Mais -comme ni les menaces, ni les flatteries ne parvenaient à -les émouvoir, il les fit étendre sur le chevalet, fit déchirer -leurs corps avec des fouets et des griffes de -fer, fit jeter du vinaigre et du sel dans leurs intestins -perforés ; puis comme ils n’en éprouvaient aucun mal, il -les fit mettre sur un gril ; et ils avaient l’impression -d’être couchés sur un lit de fleurs. Alors Dioclétien les -fit pendre, et laissa leurs corps en pâture aux chiens et -aux loups. Mais les corps demeurèrent intacts jusqu’au -moment où les fidèles purent les recueillir. Ce martyre -eut lieu en l’an du Seigneur 280.</p> - -<p>Longtemps après, le corps de saint Gorgon fut transporté -à Rome. Plus tard encore, en l’an 763, l’évêque de -Metz, neveu du roi Pépin, fit transporter ce corps en -Gaule et l’ensevelit au monastère de Gorgocie.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p509">-509-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c132">CXXXII<br /> -SAINTS PROTHE ET HYACINTHE, <span class="small">MARTYRS<br /> -(11 septembre)</span></h2> - - -<p>Prothe et Hyacinthe étaient compagnons d’études -d’Eugénie, fille d’un noble romain nommé Philippe. -Celui-ci, ayant été nommé par le Sénat préfet d’Alexandrie, -avait emmené avec lui dans cette ville sa femme -Claudie, ses fils Avit et Serge, et sa fille Eugénie, instruite -excellemment dans la connaissance des arts et -des lettres. A quinze ans, Eugénie fut demandée en -mariage par Aquilin, fils du consul Aquilin. Mais elle : -« Ce n’est point d’après la naissance qu’on doit se choisir -un mari, mais d’après les mœurs et le caractère ! »</p> - -<p>Un hasard fit tomber entre ses mains la doctrine de -saint Paul, et aussitôt son âme commença à devenir -chrétienne. Les chrétiens avaient alors l’autorisation de -demeurer dans un village voisin d’Alexandrie. Eugénie -s’y rendit, comme en promenade, et elle entendit que les -chrétiens chantaient : « Tous les dieux des nations ne -sont que des idoles ; un seul Dieu a créé le ciel et la -terre. » Alors elle dit à ses compagnons d’études Prothe -et Hyacinthe : « Nous avons approfondi tous les syllogismes -des philosophes, les catégories d’Aristote, et les idées -de Platon, et les préceptes de Socrate. Mais voici que la -phrase que chantent ces chrétiens détruit tout ce qu’ont -dit les poètes, les orateurs et les philosophes. Une puissance -usurpée a fait de moi votre supérieure ; mais à -présent la sagesse fait de moi votre sœur. Donc, soyez -mes frères, et suivons le Christ ! » Les deux esclaves y -consentirent, et Eugénie, ayant revêtu des habits masculins, -se rendit avec eux dans un monastère dont l’abbé -était un saint homme nommé Hélénus. Cet Hélénus, -discutant un jour avec un hérétique, et ne parvenant pas -à le convaincre par ses arguments, fit allumer un grand -feu, et offrit à son adversaire d’y entrer avec lui, sous la -<span class="pagenum" id="p510">-510-</span> condition que celui des deux qui en sortirait indemne, -serait considéré comme professant la vérité. Puis il entra -lui-même, le premier, dans la flamme, et en sortit sans -le moindre mal. Et l’hérétique, ayant refusé d’y entrer -à son tour, fut honteusement chassé par la foule. C’est -donc vers cet Hélénus que se rendit la jeune fille, et elle -lui dit qu’elle était un homme. Et lui : « Tu as bien raison -de le dire, car, bien que tu sois femme, tu agis en -homme ! » Après quoi il l’admit au nombre de ses -moines avec Prothe et Hyacinthe, et lui ordonna de -prendre le nom de frère Eugène.</p> - -<p>Cependant, le père et la mère d’Eugénie, ne la voyant -pas revenir chez eux, la firent rechercher partout sans -pouvoir la trouver. Des devins, consultés par eux, leur -répondirent que la jeune fille avait été transportée au -ciel, où elle était devenue un astre. Aussi le père fit-il -exécuter une statue de sa fille, et enjoignit-il au peuple -de l’adorer. Et Eugénie, dans son monastère, vivait avec -ses compagnons dans la crainte de Dieu, de telle sorte -que, à la mort de l’abbé, c’est elle qui fut élue pour le -remplacer.</p> - -<p>Il y avait alors à Alexandrie une femme riche et noble, -appelée Mélancie, que sainte Eugénie avait guérie de la -fièvre quarte en l’oignant d’huile au nom de Jésus. Cette -femme, frappée de l’élégance et de la beauté de celui -qu’elle croyait être le Frère Eugène, se prit pour lui -d’un violent amour, et songea aux moyens d’entrer en -relations intimes avec lui. Elle imagina de feindre une -maladie, et de prier le Frère de venir la voir. Et, quand il -fut venu, elle lui révéla combien elle le désirait ; après -quoi, le suppliant de s’unir charnellement à elle, elle se -jeta à son cou et le couvrit de baisers. Indigné de cette -conduite, le Frère Eugène lui dit : « Tu mérites bien ton -nom de Mélancie, car tu es pleine de noirceur, et la -digne fille du prince des ténèbres ! » Aussitôt la dame, -furieuse de sa déception, et craignant en outre d’être -dénoncée, se résolut à dénoncer la première, et proclama -que le Frère Eugène avait voulu la violer. S’étant -rendue chez le préfet Philippe, elle lui dit : « Un jeune -<span class="pagenum" id="p511">-511-</span> chrétien, venu chez moi sous prétexte de me guérir, a -eu l’impudence de se jeter sur moi pour me violer ; et -sans l’aide de ma servante, qui se trouvait dans ma -chambre, le monstre aurait assouvi sur moi son ignoble -désir. » Ce qu’entendant, le préfet, irrité, fit saisir Eugénie -et les autres serviteurs du Christ, et déclara que -tous seraient livrés aux bêtes. Quand Eugénie fut -amenée devant lui, il lui dit : « Apprends-nous donc, -scélérat, si c’est votre Christ qui vous a ordonné de violer -les femmes de noble maison ! » Alors Eugénie, baissant -la tête pour n’être pas reconnue, répondit : « Notre -Christ nous a enseigné la chasteté, et a promis la vie -éternelle à ceux dont les âmes et les corps seraient purs. -Quant à cette Mélancie, nous pourrions la convaincre -de faux témoignage ; mais mieux vaut que nous -souffrions nous-mêmes, car, pour faire la preuve de son -mensonge, nous devrions sacrifier le fruit de notre -patience ! » On fit alors venir la servante de Mélancie ; -cette femme, stylée par sa maîtresse, répéta que le -Frère Eugène avait voulu violer celle-ci. Et Eugénie : -« Puisque c’est ainsi, puisque l’impudique ose accuser -d’un tel crime les serviteurs du Christ, je dévoilerai la -vérité, non point par orgueil, mais pour la gloire de -Dieu ! » Disant cela, elle coupa sa tunique de haut en bas, -jusqu’à la ceinture, et l’on vit qu’elle était une femme. -Et elle dit au préfet : « Je suis Eugénie, ta fille, Claudie -est ma mère, Avit et Serge, que je vois assis près de toi, -sont mes frères, et les deux moines que voici sont Prothe -et Hyacinthe ! » Aussitôt le père, reconnaissant sa fille ; se -jeta dans ses bras en pleurant, et au même instant une -flamme, descendue des cieux, consuma Mélancie et tous -ses faux témoins.</p> - -<p>C’est ainsi qu’Eugénie convertit son père, sa mère, -ses frères, et toute leur maison. Philippe, se démettant -de ses fonctions, fut élu évêque par les chrétiens, et souffrit -le martyre pour la foi. Eugénie revint, avec ses -frères et sa mère, à Rome, où ils firent de nombreuses -conversions. Et un jour, par ordre de l’empereur, elle -fut attachée à une grosse pierre et jetée dans le Tibre ; -<span class="pagenum" id="p512">-512-</span> mais la pierre se détacha de son corps, et on vit la jeune -fille marcher saine et sauve sur les eaux. On la plongea -dans une fournaise ardente ; la flamme s’éteignit aussitôt. -On l’enferma dans un cachot sans fenêtre ; mais la -cachot se remplit d’un rayonnement de lumière. On la -laissa dix jours sans nourriture ; le dixième jour, le -Sauveur lui apparut, lui offrit un pain, et lui dit : « Reçois -cette nourriture de ma main ! Je suis ton Sauveur, que -tu as aimé de toute ton âme ! Et sache que, le jour anniversaire -de ma naissance terrestre, je t’appellerai près -de moi ! » Et en effet, le jour de Noël, un bourreau -trancha la tête de la sainte. Alors celle-ci apparut à sa -mère, et lui annonça que, le dimanche suivant, elles se -retrouveraient au ciel. Et en effet, le dimanche suivant, -Claudie, pendant qu’elle se tenait en prière, rendit son -âme à Dieu. Quant à Prothe et Hyacinthe, sur leur refus -de sacrifier aux idoles, ils eurent la tête tranchée. -Cela se passait sous le règne de Valérien et de Gallien, -en l’an du Seigneur 256.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c133">CXXXIII<br /> -L’EXALTATION DE LA SAINTE CROIX<br /> -<span class="small">(14 septembre)</span></h2> - - -<p>I. La fête de l’Exaltation de la Sainte Croix a été instituée -en souvenir d’un solennel hommage rendu à la croix -du Seigneur. L’an 615, Dieu permit que son peuple fût -livré en proie à la cruauté des païens. Cette année-là, le -roi des Perses, Cosroës, conquérant du monde, vint à -Jérusalem, et y fut frappé de terreur devant le sépulcre -du Christ ; mais, en s’en allant, il emporta avec lui la -partie de la sainte croix que sainte Hélène avait laissée -à Jérusalem. Puis, rentré dans sa capitale, il imagina -de se faire passer pour dieu. Il se construisit une tour -d’or et d’argent toute semée de pierreries, et y plaça les -<span class="pagenum" id="p513">-513-</span> images du soleil, de la lune et des étoiles. Au sommet -de la tour il recueillait de l’eau, qui montait jusque-là -par un conduit secret, et il la faisait pleuvoir sur la ville -comme une vraie pluie. Il y avait aussi sous la tour, -dans une caverne, des chevaux qui tournaient en traînant -des chars, de telle sorte qu’ils semblaient ébranler -la tour, avec un bruit imitant le tonnerre. Abandonnant à -son fils le soin du royaume, Cosroës se retira dans cette -tour, s’assit dans un trône, comme s’il était Dieu le -Père, plaça à sa droite le bois de la croix pour représenter -le Fils, à gauche plaça le coq pour représenter -le Saint-Esprit, et ordonna qu’on lui rendît le culte -divin.</p> - -<p>Alors l’empereur Héraclius réunit une nombreuse -armée, et vint livrer bataille au fils de Cosroës sur les -bords du Danube. Et les deux princes convinrent qu’ils -lutteraient seuls sur un pont, de telle sorte que le vainqueur -pût obtenir l’empire sans aucun dommage pour -l’une ni l’autre armée. Et l’on décréta que quiconque -voudrait aider son prince aurait les jambes et les bras -coupés, et serait jeté dans le fleuve. Mais Héraclius se -recommanda à Dieu et à la sainte croix. Aussi fut-il -vainqueur, après une longue lutte, et soumit-il à son -empire l’armée ennemie. Tout le peuple de Cosroës se -convertit à la foi chrétienne et reçut le baptême. Seul Cosroës -ignorait l’issue de la guerre : car, afin d’être adoré -comme un dieu, il n’admettait aucun homme à lui parler -familièrement. Mais Héraclius parvint jusqu’à lui et, le -trouvant assis sur son trône doré, il lui dit : « Puisque -tu as honoré en une certaine mesure le bois de la sainte -croix, je te laisserai la vie et le pouvoir royal si tu consens -à recevoir le baptême ; si, au contraire, tu t’y refuses, -je te trancherai la tête ! » Cosroës ayant refusé de se convertir, -Héraclius tira son épée et lui trancha la tête. Puis, -quand il l’eut fait ensevelir avec les honneurs dus à sa -royauté, il fit baptiser son jeune fils âgé de dix ans, le -présenta lui-même sur les fonts baptismaux, et lui -transmit le royaume de son père. Il fit seulement -détruire la tour de Cosroës, et en distribua l’argent -<span class="pagenum" id="p514">-514-</span> à son armée, réservant l’or et les pierreries pour servir -à la reconstruction des églises que le tyran avait -détruites.</p> - -<p>Il alla ensuite rapporter à Jérusalem la sainte croix. Et -comme, sur son cheval royal et avec ses ornements impériaux, -il descendait du mont des Oliviers, il arriva devant -la porte par où était entré Notre-Seigneur, la veille de -sa passion. Or voici que les pierres de la porte se rejoignirent -de façon à former comme un mur. Et au-dessus -de la porte apparut un ange qui, tenant en main le signe -de la croix, dit : « Lorsque le Roi des Cieux est entré par -cette porte, ce n’est pas avec un luxe princier, mais en -pauvre, et monté sur un petit âne : en quoi il vous a -laissé un exemple d’humilité que vous devez suivre ! » -Puis, cela dit, l’ange disparut. Alors l’empereur, tout -en larmes, se déchaussa, se dépouilla de ses vêtements -jusqu’à la chemise, et, prenant la croix du Seigneur, il -en frappa humblement la porte qui, se soulevant, le -laissa passer avec toute sa suite. Et une odeur délicieuse -se dégagea du bois sacré. Et l’empereur s’écria pieusement : -« O croix plus splendide que tous les astres, -célèbre et chère, qui seule as mérité de porter l’âme du -monde, doux bois, clous précieux, sauvez la troupe qui -se réunit aujourd’hui pour vous louer, munie de votre -signe ! » Et aussitôt que la croix fut restituée en son -lieu, les anciens miracles se renouvelèrent. Des morts -ressuscitèrent, quatre paralytiques furent guéris, dix -lépreux furent purifiés, quinze aveugles recouvrèrent la -vue, des démons s’enfuirent des corps dont ils s’étaient -emparés ; et ainsi l’empereur, après avoir reconstruit -les églises et les avoir comblées de présents, revint -dans sa capitale.</p> - -<p>Cependant d’autres chroniques donnent un autre récit -de cette exaltation de la sainte croix. Elles prétendent -que, comme Cosroës s’était emparé de Jérusalem et -qu’Héraclius voulait faire la paix avec lui, le roi des -Perses avait juré de ne pas accorder la paix aux Romains -aussi longtemps qu’ils n’auraient pas renié le -crucifix pour adorer le soleil. Sur quoi Héraclius, rempli -<span class="pagenum" id="p515">-515-</span> d’un saint zèle, l’avait attaqué, battu et repoussé -jusqu’à Ctésiphon. Là Cosroës, atteint de dysenterie, -avait voulu couronner roi son fils Medase. Ce qu’apprenant, -son fils aîné, Syroïs, s’était allié avec Héraclius, -avait jeté son père en prison et l’avait enfin fait tuer à -coups de flèches. Il avait ensuite rendu à Héraclius le -bois de la croix, ainsi que le patriarche Zacharie, que -Cosroës avait également emmené de Jérusalem. Et l’empereur -s’était empressé de rapporter la croix à Jérusalem, -d’où il l’avait ensuite transportée à Constantinople.</p> - -<p>II. A Constantinople, un Juif, étant entré dans l’église -de Sainte-Sophie, avait aperçu une image du Christ. -Voyant qu’il était seul, il tira son épée, visa l’image et -frappa le Christ à la gorge : et aussitôt un flot de sang -jaillit, qui arrosa le visage et toute la tête du Juif. -Celui-ci, épouvanté, prit l’image, la jeta dans un puits, -et s’enfuit. Il fut rencontré par un chrétien, qui lui dit : -« D’où viens-tu, Juif ? Tu as commis un meurtre ! » Et -comme le Juif niait, le chrétien lui dit : « Certes, tu as -commis un meurtre, car tu as encore la tête tout arrosée -de sang ! » Et le Juif : « En vérité le Dieu des chrétiens -est un grand Dieu, et tout confirme sa foi ! Ce n’est -pas un homme que j’ai frappé, mais l’image du Christ, -et aussitôt le sang a jailli de sa gorge ! » Puis le Juif -conduisit ce chrétien jusqu’au puits, d’où l’on retira -l’image sainte. Et, aujourd’hui encore, on voit la trace -de la blessure dans la gorge du Christ.</p> - -<p>III. Dans la ville de Berith, en Syrie, un chrétien, qui -avait loué un logement à l’année, avait fixé au mur une -croix, devant laquelle il faisait ses prières. Mais, au bout -d’une année, il se loua un autre logement et oublia d’emporter -le crucifix. Le logement fut alors loué à un Juif -qui, un jour, invita à dîner un de ses concitoyens. Et voici -que, à table, l’invité aperçoit sur le mur le crucifix. -Furieux, il demande à son hôte comment il ose garder -chez lui l’image du Nazaréen. En vain l’hôte lui jure, par -tous les serments de sa race, que jamais encore il ne -s’est aperçu de la présence du crucifix. L’invité feint de -se calmer, dit adieu à son hôte affectueusement, et s’en -<span class="pagenum" id="p516">-516-</span> va le dénoncer au chef des Juifs. Aussitôt tous les Juifs -de la ville s’assemblent, envahissent le logement, et, -apercevant la croix, accablent d’injures et de coups leur -malheureux frère, qu’ils jettent, à demi mort, sur les -pierres du chemin. Après quoi ils foulent aux pieds -l’image sainte, et recommencent sur elle tous les sacrilèges -de la passion du Seigneur. Mais, au moment où ils -lui percent le flanc d’un coup de lance, voici que de l’eau -et du sang en jaillissent si abondamment qu’un grand -vase s’en trouve rempli. Les Juifs, stupéfaits, emportent -ce sang dans leur synagogue ; et tout malade qui l’applique -sur son corps est aussitôt guéri. Ce que voyant, -les Juifs vont raconter toute l’histoire à l’évêque du diocèse -et reçoivent le baptême. L’évêque transvase le sang -miraculeux dans des ampoules de cristal ; puis, mandant -près de lui le chrétien à qui appartenait le crucifix, il le -questionne sur la provenance de celui-ci. Et le chrétien -lui répond : « Ce crucifix est l’œuvre de Nicodème, qui, -en mourant, l’a légué à Gamaliel, qui l’a légué lui-même -à Zachée, qui l’a légué à Jacques, qui l’a légué à -Simon. Après la destruction de Jérusalem, les fidèles -l’ont emporté dans le royaume d’Agrippa, et ainsi il est -venu entre les mains de mes parents, qui me l’ont légué -par héritage. » Ce miracle eut lieu en l’an 750. C’est en -souvenir de lui que, le 3 décembre, l’Eglise institua la -fête du Souvenir de la Passion : ou encore, suivant -d’autres, le 5 novembre. A Rome, une église fut consacrée -en l’honneur du Sauveur, où l’on conserve aujourd’hui -encore une ampoule de ce sang, et où une fête -solennelle est célébrée à son sujet.</p> - -<p>IV. Les infidèles eux-mêmes reconnaissent la vertu de -la croix. D’après saint Grégoire, au troisième livre de -ses <i>Dialogues</i>, André, évêque de Fondi, ayant permis à -une religieuse de demeurer avec lui, le diable, pour le -tenter, lui imprima dans l’esprit l’image de cette femme, -de telle façon que, dans son lit, il était poursuivi de pensées -lubriques. Or, certain soir, un Juif, venant à Rome, -et ne trouvant plus de place dans les auberges, s’installa -pour la nuit dans un temple d’Apollon. Et, bien -<span class="pagenum" id="p517">-517-</span> qu’il ne fût pas chrétien, il avait si peur d’être puni par -les Romains comme un sacrilège, que, par précaution, -il eut l’idée de faire le signe de la croix. Or voici que, -s’éveillant au milieu de la nuit, il vit toute la troupe des -mauvais esprits réunis en conseil, autour d’un chef qui -interrogeait chacun d’eux sur le mal qu’il avait réussi à -faire.</p> - -<p>Saint Grégoire, pour abréger, ne nous dit rien de la -discussion qui eut lieu entre ces démons : mais nous -pouvons nous en faire une idée d’après un autre exemple, -qui se trouve cité dans la vie des Pères. Nous y lisons, -en effet, qu’un homme, étant entré dans un temple -d’idoles, vit Satan assis et toutes ses milices debout -devant lui. Et Satan dit d’abord à l’un des mauvais -esprits : « D’où viens-tu ? » Et le démon : « J’ai été dans -telle province, j’y ai suscité des guerres, causé toute -sorte de troubles, et répandu beaucoup de sang. Voilà -ce que j’ai à t’annoncer ! » Et Satan lui dit : « En combien -de temps as-tu fait cela ? » Et lui : « En trente -jours. » Et Satan : « Pourquoi as-tu mis tant de temps ? » -Et il dit à ses serviteurs : « Fouettez-le de verges, et ne -craignez pas d’appuyer ! » Puis un autre diable vint et -dit : « Seigneur, j’ai été sur la mer, où j’ai soulevé de -grandes tempêtes et fait périr une grande quantité -d’hommes. » Et Satan : « En combien de temps as-tu fait -cela ? » Et lui : « En vingt jours. » Satan le fit fouetter -de la même façon en disant : « Tu ne t’es pas fatigué, -pour faire si peu de chose en tant de jours ! » Puis vint -un troisième diable qui dit : « J’ai été dans une ville où -il y avait une noce. J’ai produit une rixe, où beaucoup -de sang a été répandu, et où le marié, notamment, est -mort. Voilà ce que j’ai à t’annoncer ! » Et Satan : « En -combien de temps as-tu fait cela ? » Et le diable : « En -dix jours. » Et Satan : « Tu n’as pas honte d’avoir fait -si peu d’ouvrage en tant de jours ! » Et il le fit fouetter -comme les deux précédents. Puis vint un quatrième -diable qui dit : « Je suis allé dans le désert, et pendant -quarante ans j’ai peiné autour d’un certain moine ; mais -je viens enfin de le précipiter dans un péché de chair ! » -<span class="pagenum" id="p518">-518-</span> A ces mots, Satan se leva de son trône, alla vers ce -diable, lui posa sur la tête sa propre couronne et le fit -asseoir près de lui, en disant : « Tu as fait là une grande -action, et il n’y a personne qui ait mieux employé son -temps ! »</p> - -<p>C’est sans doute à un débat du même genre qu’aura -assisté le Juif dont parle saint Grégoire. Toujours est-il -que, après que de nombreux diables eurent rendu -compte de leurs méfaits, l’un d’eux s’avança et révéla -quelle tentation charnelle il avait inspirée à l’évêque -André, ajoutant que, la veille, à l’heure des vêpres, il -avait poussé si loin son œuvre de tentation que l’évêque -avait, par manière de caresse, posé sa main sur le dos -de la religieuse. Alors Satan l’exhorta à compléter son -œuvre, qui lui vaudrait une gloire merveilleuse parmi -ses pairs. Puis il lui dit d’aller voir quel était le téméraire -qui avait osé venir se coucher dans son temple. -Le Juif, comme l’on pense, tremblait de tous ses -membres ; mais le diable, s’étant approché de lui, découvrit -qu’il était muni du signe de la croix. Et il dit à -ses compagnons : « C’est un vase vide, en vérité, mais -marqué du signe contre lequel nous ne pouvons rien ! » -Aussitôt toute la foule des mauvais esprits disparut ; et -le Juif, réveillé, alla trouver l’évêque, à qui il raconta sa -vision. Aussitôt André gémit profondément et renvoya -de sa maison toutes les femmes qui s’y trouvaient. Le -Juif, de son côté, se fit baptiser.</p> - -<p>V. Saint Grégoire rapporte également dans ses <i>Dialogues</i>, -qu’une religieuse, étant entrée dans un jardin, -aperçut une laitue qui la tenta si fort qu’elle y mordit -sans l’avoir bénie d’un signe de croix. Aussitôt le diable -pénétra en elle. Et comme saint Equice venait pour -l’exorciser, le diable s’écria : « Qu’ai-je fait de mal ? -J’étais tranquillement assis, là, sur cette laitue, et voilà -que cette religieuse est venue et m’a mordu ! » Mais, sur -l’ordre du saint, il fut bientôt forcé de déguerpir.</p> - -<p>VI. Enfin on lit, au livre XI de l’<i>Histoire ecclésiastique</i>, -que l’empereur Théodose fit effacer sur les murs -d’Alexandrie les emblèmes de Sérapis, et fit peindre, à -<span class="pagenum" id="p519">-519-</span> leur place, le signe de la croix. Ce que voyant, les -païens et leurs prêtres se firent aussitôt baptiser, disant -qu’une ancienne tradition les avait avertis que leur religion -perdrait tout pouvoir le jour où viendrait chez eux -le signe de la vie : car il y avait dans leur langue une -lettre, tenue pour sacrée, qui avait la forme de la croix, -et qui, d’après leur doctrine, était le symbole de la vie -future.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c134">CXXXIV<br /> -SAINTE EUPHÉMIE, <span class="small">VIERGE ET MARTYRE<br /> -(16 septembre)</span></h2> - - -<p>Euphémie, fille d’un sénateur, voyant les supplices -infligés aux chrétiens sous le règne de Dioclétien, se -rendit auprès du juge Priscus et confessa publiquement -le Christ. Ce juge ordonnait que les chrétiens fussent -mis à mort l’un après l’autre, et que les survivants assistassent -au martyre de leurs compagnons, espérant par -là les épouvanter et les détourner de leur foi. Or Euphémie, -à chaque nouvelle exécution qui se faisait en sa présence, -pleurait et se désolait comme si elle-même avait -été suppliciée ; ce dont le juge se réjouissait, pensant -qu’elle consentirait à sacrifier aux idoles. Il lui demanda -enfin de quoi elle se plaignait. Et elle : « Etant de race -noble, je me plains de ce que tu me préfères des inconnus -et des gens de rien, et de ce que tu leur permettes -d’arriver avant moi à la gloire promise ! » Sur quoi le -juge, furieux de sa déception, la fit jeter en prison, -mais sans la charger de chaînes. Le lendemain, amenée -de nouveau devant le juge, elle se plaignit de nouveau -de ce que, contrairement à la loi, elle seule n’eût pas -été chargée de chaînes. Le juge la fit remettre en prison, -après avoir ordonné qu’elle fût souffletée ; et l’ayant -suivie dans la prison, il voulut assouvir sur elle sa concupiscence ; -<span class="pagenum" id="p520">-520-</span> mais, à la prière de la vierge, la force divine -paralysa le bras qu’il levait sur elle. Et Priscus, croyant -à un sortilège, envoya vers elle un de ses fonctionnaires -pour lui promettre toute sorte de faveurs si elle consentait -à devenir sa maîtresse. Mais l’envoyé trouva la prison -fermée, de telle sorte qu’il ne put ni l’ouvrir avec ses -clés ni en briser la porte à coups de hache. Et il fut -possédé d’un démon, qui le contraignit à se déchirer les -chairs de ses propres mains.</p> - -<p>Le juge décida ensuite que la sainte eût à être placée -sur une roue dont les rayons étaient remplis de charbons -ardents ; et l’auteur de cette roue s’entendit avec -les bourreaux pour que, sur un signe de lui, la flamme, -sortant des rayons, consumât le corps d’Euphémie. -Mais Dieu fit en sorte que ce fût cet homme lui-même -qui fut consumé tandis qu’Euphémie, délivrée par -un ange, apparut debout, saine et sauve, dans les airs. -Alors un certain Appellien dit au juge : « Le pouvoir de -ces chrétiens ne peut être vaincu que par le fer. Je te -conseille donc de la faire décapiter ! » On éleva alors -un échafaud ; mais le premier homme qui voulut étendre -la main sur Euphémie, pour l’y faire monter, eut aussitôt -la main paralysée et fut emporté à demi mort. Un -autre, nomme Sosthène, arrivé près d’elle, se convertit -tout de suite, lui demanda pardon et, tirant son épée, -déclara au juge qu’il se tuerait lui-même plutôt que de -toucher à celle que défendaient les anges.</p> - -<p>Désespérant de la tuer par ce moyen, le juge dit à son -chancelier de mander auprès d’elle les jeunes gens les -plus vigoureux et les plus ardents de la ville, afin qu’ils -usassent de son corps jusqu’à la faire mourir. Mais le -premier qui entra dans la prison aperçut une troupe de -vierges resplendissantes qui priaient autour d’Euphémie ; -et aussitôt il devint chrétien. Alors le juge la fit suspendre -par les cheveux, puis, devant l’inefficacité de ce -nouveau supplice, la condamna à être privée de nourriture -et à être pressée comme une olive entre d’énormes -pierres. Elle resta ainsi pendant sept jours, nourrie par -un ange ; et, au bout de sept jours, les quatre grosses -<span class="pagenum" id="p521">-521-</span> pierres se trouvèrent réduites en une fine cendre.</p> - -<p>Honteux d’être vaincu par une jeune fille, le juge la -fit plonger dans une fosse où se trouvaient trois bêtes -d’une férocité effroyable. Mais ces bêtes accoururent -près d’elle pour la caresser, et, joignant leurs queues, -lui firent comme un trône où le juge la vit s’asseoir. -Enfin un bourreau, entrant dans la fosse, perça d’un -glaive le côté de la sainte, qui acheva ainsi les épreuves -de son martyre. Pour le récompenser, le juge le revêtit -d’un manteau de soie et lui ceignit les reins d’une ceinture -dorée ; mais, au moment où cet homme sortait de la -fosse, un lion s’élança sur lui et le dévora, ne laissant -que le manteau, la ceinture et quelques ossements. Quant -au juge Priscus, il en vint à se dévorer lui-même, et rendit -son âme au démon. Sainte Euphémie fut ensevelie à -Chalcédoine, l’an du Seigneur 280 ; et, par ses mérites, -tous les Juifs et païens de Chalcédoine se convertirent -au christianisme.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c135">CXXXV<br /> -SAINT LAMBERT, <span class="small">ÉVÊQUE ET MARTYR<br /> -(17 septembre)</span></h2> - - -<p>Lambert était noble de naissance, mais il fut plus -noble encore par la sainteté de sa vie. Instruit dans les -Ecritures dès son enfance, il était si aimé de tous que, -après la mort de son maître Théodard, il fut élu, à sa -place, évêque de Maëstricht. Le roi Childéric avait pour -lui une estime toute particulière, et le préférait à tous les -autres évêques, jusqu’à ce que, un jour, trompé par la -malice croissante des envieux, il le chassa de son siège, -et nomma Féramond pour le remplacer.</p> - -<p>Lambert se réfugia alors dans un monastère où, pendant -sept ans, il donna l’exemple de la plus haute vertu. -Mais une nuit, comme il se levait pour prier, il fit par -<span class="pagenum" id="p522">-522-</span> hasard un grand bruit sur le pavé. Et l’abbé, entendant -le bruit, dit : « Que celui qui a fait ce bruit aille aussitôt -à la croix ! » Aussitôt Lambert, pieds nus, et couvert -d’un cilice, courut vers la croix qui était à la porte du -monastère, et y resta jusqu’au matin, dans la neige et la -glace. Et quand, le lendemain, l’abbé vit que c’était lui -qui était allé à la croix, il l’envoya chercher, et, avec -tous les moines, lui demanda pardon. Et l’évêque les -accueillit avec une indulgence parfaite. Sept ans après, -Féramond fut enfin chassé de son siège, et saint Lambert -y remonta, par ordre du roi Pépin. Et comme deux -méchants recommençaient à le tourmenter, ses amis les -tuèrent ainsi qu’ils le méritaient. Vers le même temps, -Lambert fit de vifs reproches à Pépin au sujet d’une -courtisane qu’il gardait près de lui. Alors le frère de -cette courtisane, qui servait à la cour, s’entendit avec -Dodon, frère des deux hommes qui avaient été tués ; et, -ayant assemblé une armée, ils assiégèrent la maison -de l’évêque. Celui-ci était en prière quand un de ses -serviteurs vint lui annoncer que la maison était assiégée. -Le saint prit d’abord un poignard ; mais bientôt il se -ravisa et jeta le poignard, préférant vaincre ses ennemis -par sa mort que de souiller de leur sang ses mains -sacrées. Il engagea ses compagnons à confesser leurs -péchés et à attendre courageusement la mort ; puis il se -remit en prière ; et aussitôt les impies, forçant les portes, -s’élancèrent sur lui et le mirent à mort. Quand ils se -furent retirés, un des serviteurs de Lambert embarqua -secrètement son corps sur un bateau et le transporta -dans l’église, où il fut enseveli en grande pompe par les -habitants, désolés de sa mort. Cette mort eut lieu en l’an -du Seigneur 620.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p523">-523-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c136">CXXXVI<br /> -SAINT CORNEILLE, <span class="small">PAPE ET MARTYR<br /> -(18 septembre)</span></h2> - - -<p>Le pape Corneille, successeur de saint Fabien, fut -relégué en exil avec son clergé par l’empereur Décius. -En exil, il reçut une lettre d’encouragement de saint -Cyprien, évêque de Carthage. Revenu à Rome, il comparut -devant Décius, qui, après l’avoir fait frapper de -verges plombées, ordonna qu’il fût conduit au temple -de Mars, pour sacrifier aux idoles, ou, en cas de refus, -pour subir la peine capitale. Comme on le conduisait, -un soldat le pria de s’arrêter dans sa maison et de prier -pour sa femme Sallustie, qui, depuis cinq ans, était paralysée. -Corneille, par sa prière, guérit cette femme : sur -quoi son mari et elle, ainsi que vingt autres soldats, se -convertirent à la foi chrétienne. Et Décius les fit tous -conduire au temple de Mars ; et comme ils se refusaient -à sacrifier, tous subirent le martyre avec saint Corneille. -Ce martyre eut lieu en l’an 253.</p> - -<p>Trois ans plus tard, Cyprien, évêque de Carthage, -fut envoyé en exil par le proconsul Patron. Mais le -proconsul Galère, successeur de Patron, le rappela à -Carthage et le condamna à la peine capitale. Et Cyprien, -après avoir remercié Dieu de cette condamnation, recommanda -à ses amis de donner quinze pièces d’or à son -bourreau pour le récompenser. Puis, fermant les yeux, -il reçut le coup mortel, en l’an 256.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p524">-524-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c137">CXXXVII<br /> -SAINT EUSTACHE, <span class="small">MARTYR<br /> -(20 septembre)</span></h2> - - -<p>Eustache s’appelait d’abord Placide. Il commandait -les armées de l’empereur Trajan. C’était un homme bon -et miséricordieux, mais adonné au culte des idoles. Il -avait une femme, païenne comme lui, et comme lui -excellente ; et deux fils, à qui il avait fait donner l’éducation -la plus raffinée.</p> - -<p>Et, comme il persistait dans les bonnes œuvres, Dieu -le jugea digne d’être admis à la voie de la vérité. Un -jour, étant à la chasse, il rencontra un troupeau de cerfs, -parmi lesquels s’en trouvait un plus grand et plus beau -que les autres, et qui, dès qu’il aperçut les chasseurs, -se sépara de ses compagnons pour s’enfoncer dans -le bois. Aussitôt Placide se mit à le poursuivre ; mais, -après une longue course, le cerf grimpa sur un rocher ; -et Placide, arrêté au pied du rocher, songeait -aux moyens de l’atteindre. Et comme il observait -avec attention le cerf, il vit briller entre ses cornes une -grande croix avec l’image de Notre-Seigneur. Et Dieu, -parlant par la bouche du cerf, comme jadis par celle de -l’âne de Balaam, lui dit : « Placide, pourquoi me persécutes-tu ? -C’est par faveur pour toi que je te suis apparu -sous cette forme ; et je suis le Christ, que tu sers sans -le connaître. Car tes aumônes sont montées jusqu’à moi ; -et c’est, pour cela que je suis venu, afin de te faire la -chasse, par l’entremise de ce cerf à qui tu fais la -chasse ! » Ce qu’entendant, Placide, effrayé, sauta de cheval -et se prosterna. Une heure après, se relevant, il dit : -« Explique-moi qui tu es, et je croirai en toi ! » Et la -voix : « Placide, je suis le Christ, qui ai créé le ciel et la -terre, qui ai séparé la lumière des ténèbres, qui ai constitué -les années et les jours, qui ai formé l’homme du -limon de la terre, qui me suis incarné pour le salut du -<span class="pagenum" id="p525">-525-</span> genre humain, qui ai été crucifié, enseveli, et qui suis -ressuscité le troisième jour ! » Ce qu’entendant, Placide -se prosterna de nouveau et dit : « Seigneur, je crois en -toi ! » Et la voix : « Si tu crois, va trouver l’évêque, et -fais-toi baptiser ! » Et Placide : « Seigneur, permets-tu -que j’instruise de tout cela ma femme et mes fils, pour -que, eux aussi, ils croient en toi ? » Et la voix : « Instruis-les -de tout cela, afin qu’ils se purifient avec toi ! Et -demain, reviens à cette place ; je t’apparaîtrai de nouveau -et je te révélerai ce qui doit arriver. » De retour chez lui, -Placide, au lit, raconta l’aventure à sa femme, qui lui -dit : « Figure-toi, mon ami, que j’ai vu, moi aussi, en -rêve, la nuit passée, un crucifix, et qu’il m’a annoncé -que demain, avec mon mari et mes fils, je viendrais à -lui ! Je sais maintenant que c’était Jésus-Christ. » Ils se -rendirent donc aussitôt auprès de l’évêque de Rome, qui -les baptisa avec grande joie, donnant à Placide le nom -d’Eustache, à sa femme celui de Théospite, et nommant -ses fils Théospit et Agapet.</p> - -<p>Après cela Eustache repartit de nouveau en chasse, -de nouveau se sépara de son escorte, et, arrivé au pied -du rocher, aperçut de nouveau sa vision de la veille. Se -prosternant, la face contre terre, il dit : « Daigne, Seigneur, -tenir la promesse que tu as faite à ton serviteur ! » -Et la voix : « Heureux es-tu, Eustache, d’avoir reçu le -signe de ma grâce ! Mais déjà le diable, furieux de ton -abandon, arme contre toi. Sache donc que tu auras -beaucoup à souffrir, avant d’obtenir la couronne de la -victoire ! Ne défaille pas, ne regrette pas ton ancienne -gloire ; car je veux que tu apparaisses aux hommes -comme un autre Job. Et quand tu seras au comble de -l’humiliation, je viendrai à toi et t’apporterai une gloire -nouvelle. Dis-moi seulement si tu te résignes à subir -toutes ces épreuves ! » Et Eustache : « Seigneur, si c’est -nécessaire, envoie-moi toutes les épreuves, à la condition -que tu daignes m’accorder la force de les supporter ! » -Alors le Seigneur s’envola au ciel, et Eustache, revenu -chez lui, raconta à sa femme ce second miracle.</p> - -<p>Peu de jours après, la peste fit périr tous les domestiques -<span class="pagenum" id="p526">-526-</span> d’Eustache, puis ses chevaux et tout son bétail. -Ce furent ensuite des voleurs qui, voyant sa maison -ainsi dévastée, y pénétrèrent la nuit, emportèrent tout -ce qu’il y avait, dans la maison, d’or, d’argent et d’objets -de valeur : si bien qu’Eustache fut encore trop heureux -de pouvoir s’enfuir, nu, avec sa femme et ses fils. Honteux -de leur nudité, ils prenaient le chemin de l’Egypte -afin de s’y cacher. Arrivés au bord de la mer, ils trouvèrent -un bateau et y montèrent. Or le maître du bateau, -frappé de la beauté de la femme d’Eustache, éprouva -le désir de la posséder. Et comme les voyageurs -n’avaient pas de quoi payer leur transport, cet homme -exigea que la jeune femme lui fût laissée en gage : ce -à quoi Eustache ne voulut point consentir. Alors le -maître du bateau ordonna à ses matelots de le jeter à -la mer. Et Eustache, l’ayant appris, dut se résigner à -leur laisser sa femme. Tristement il s’en allait avec ses -deux enfants, et il gémissait, et il disait : « Malheur à -moi et à vous, car voici que votre mère se trouve livrée -à un autre mari ! » Il parvint ainsi jusqu’à la rive d’un -grand fleuve dont les eaux étaient si hautes qu’il n’osait -pas les traverser à la nage avec ses deux fils. Il laissa -donc l’un d’eux sur le bord, tandis qu’il transportait -l’autre. Puis ayant achevé cette première traversée, il -déposa l’enfant sur l’autre rive, et revint chercher celui -qu’il avait laissé derrière lui. Mais, comme il se trouvait -au milieu du fleuve, il vit un loup qui, s’élançant sur -l’enfant qu’il allait chercher, le prenait entre ses dents et -l’emportait dans le bois. Désespéré, Eustache voulut du -moins rejoindre l’enfant à qui il avait fait déjà passer le -fleuve. Mais, avant d’atteindre au rivage, il vit qu’un lion -accourait et lui enlevait son second fils. Alors le pauvre -homme se mit à gémir et à s’arracher les cheveux ; et, -certes, il se serait noyé, si la Providence divine ne l’avait -retenu.</p> - -<p>Cependant des bergers, voyant un lion qui emportait -un enfant, se mirent à sa poursuite avec leurs chiens ; -et Dieu permit que le lion rejetât l’enfant sans lui faire -aucun mal. De même des laboureurs poursuivirent le -<span class="pagenum" id="p527">-527-</span> loup et parvinrent à retirer de sa gueule l’autre enfant. -Mais Eustache, qui ignorait tout cela, pleurait et disait : -« Malheureux suis-je, jadis si riche, maintenant dépouillé -de tout ! Seigneur, tu m’as dit que j’aurais à -être tenté comme Job : mais ma peine dépasse celle de -ce saint homme, qui avait du moins un fumier où -s’étendre, et des amis pour en avoir pitié, et une femme ! -A moi, hélas, on a tout pris ! » Il se rendit dans un village -où, pendant quinze ans, il cultiva les champs pour -gagner de quoi vivre. Et ses fils, élevés dans d’autres -villages, grandissaient sans savoir qu’ils étaient frères -l’un de l’autre. La femme d’Eustache, elle aussi, vivait -encore ; et Dieu n’avait point permis qu’elle fût possédée -par l’homme à qui son mari avait dû la laisser : ce misérable -en effet, était mort avant d’avoir pu la toucher.</p> - -<p>Or l’empereur et le peuple de Rome avaient beaucoup -à souffrir des assauts des ennemis. Et l’empereur, se -rappelant Placide, qui maintes fois lui avait assuré la -victoire, se désolait de sa fuite soudaine. Il envoya donc -des soldats dans les diverses parties du monde pour le -rechercher, promettant richesses et honneurs à ceux qui -parviendraient à découvrir sa retraite. Et deux de ces -soldats, qui jadis avaient servi sous les ordres de Placide, -vinrent dans le village où vivait leur ancien chef. -Placide, qui travaillait dans son champ, les reconnut -aussitôt : et les souvenirs qu’ils évoquèrent en lui ravivèrent -sa peine. Et il s’écria : « Seigneur, de même que -j’ai pu revoir ces hommes, mes compagnons d’autrefois, -ne pourrai-je pas revoir un jour ma chère femme ? car, -pour mes fils, je sais qu’ils ont été dévorés par des bêtes -féroces ! » Puis il vint au-devant des soldats, qui, sans -le reconnaître, lui demandèrent s’il ne savait rien d’un -étranger nommé Placide, ayant une femme et deux fils. -Il répondit qu’il n’en savait rien ; mais il les pria d’être ses -hôtes ; et, leur cachant ses larmes, il les servait de son -mieux. Et eux, le considérant, se disaient : « Combien cet -homme ressemble à celui que nous cherchons ! » Et l’un -d’eux dit à l’autre : « Voyons un peu s’il a sur la tête une -cicatrice, comme Placide en avait une, à la suite d’une -<span class="pagenum" id="p528">-528-</span> blessure ! » Ils découvrirent la cicatrice, et, certains -désormais d’avoir retrouvé l’homme qu’ils cherchaient, -ils se jetèrent dans ses bras et l’interrogèrent sur sa -femme et sur ses fils. Il leur répondit que ses fils -étaient morts, et sa femme prisonnière. Puis les soldats, -après avoir raconté aux voisins, accourus en foule, la -vaillance et la gloire de leur ancien chef, revêtirent -celui-ci d’un manteau somptueux, et se mirent en route -avec lui pour se rendre auprès de l’empereur. Ils marchèrent -pendant quinze jours. Et l’empereur, apprenant -l’arrivée de Placide, courut au-devant de lui, et le -couvrit de baisers. Et il le contraignit à reprendre son -emploi de jadis, à la tête de l’armée.</p> - -<p>Mais Eustache, dénombrant ses troupes, et les jugeant -insuffisantes, ordonna de faire une grande levée dans les -villes et villages de l’empire. Et, dans chacun des deux -villages où étaient élevés ses deux fils, ce furent eux qui -se trouvèrent désignés, par le suffrage de tous, comme -les plus robustes et les plus vaillants. Ils furent conduits -au camp du général, qui, frappé de leur beauté et de leur -vertu, se prit d’affection pour eux et les attacha à sa -personne.</p> - -<p>Ayant défait l’ennemi, Eustache s’arrêta pendant trois -jours, avec son armée, dans la ville où demeurait sa -femme, qui y tenait une petite auberge. Et Dieu voulut -que les deux jeunes gens prissent logement chez leur -mère, qu’ils ne connaissaient point. Et là, assis à table, -ils se racontaient leurs souvenirs d’enfance. Et leur -mère écoutait avidement leurs paroles. Or l’aîné disait -au plus jeune : « De mon enfance je ne me rappelle -rien, si ce n’est que mon père était général d’armée, que -j’avais une mère très belle, et un petit frère également -très beau. Une nuit, nous sommes sortis de notre maison, -et plus tard nous avons laissé sur un bateau, je ne -sais pourquoi, notre mère ; et j’ai vu ensuite, de l’autre -rive d’un fleuve, qu’un loup emportait mon frère ; et moi-même, -quelques instants après, j’ai été emporté par un -lion. Mais des bergers m’ont sauvé et nourri. » Ce qu’entendant, -le second soldat se mit à pleurer et dit : « Par -<span class="pagenum" id="p529">-529-</span> Dieu, je suis ton frère, car les laboureurs qui m’ont -élevé m’ont raconté qu’ils m’avaient tiré de la gueule -d’un loup, au bord du même fleuve ! » Et, tout en larmes, -ils se jetèrent aux bras l’un de l’autre. Leur mère, cependant, -qui avait entendu leur récit, se rendit le lendemain -chez le chef de l’armée et lui dit : « Je te prie, -Seigneur, de me faire ramener dans ma patrie, car je suis -romaine et de race noble ! » Et, tandis qu’elle parlait, -levant les yeux sur Eustache, elle le reconnut. Elle se -jeta à ses pieds et lui dit qui elle était. Eustache, la -reconnaissant de son côté, la couvrit de baisers, et glorifia -Dieu, consolateur des affligés. Puis sa femme lui dit : -« Mon ami, où sont nos fils ? » Et lui : « Des bêtes les -ont dévorés ! » Et il lui raconta comment ils les avait -perdus. Et elle : « Rendons grâces à Dieu, car, de même -qu’il nous a permis de nous retrouver l’un l’autre, je -crois qu’il va nous permettre de retrouver nos enfants. » -Sur quoi elle lui répéta le récit des deux jeunes soldats. -Et Eustache, les ayant mandés, leur fit encore répéter -leurs récits ; et il reconnut ses fils ; et sa femme et lui, -fondant en larmes, ne se fatiguaient point de les embrasser.</p> - -<p>Mais, lorsque Eustache revint à Rome avec son armée -victorieuse, Trajan venait de mourir, et à sa place venait -de monter sur le trône le méchant Adrien. Celui-ci, cependant, -fit l’accueil le plus empressé au vainqueur des -barbares, et offrit en son honneur un repas magnifique. -Mais, le lendemain, s’étant rendu au temple pour sacrifier -aux idoles, il vit qu’Eustache se refusait à tout sacrifice. -Il lui en demanda la raison. Et Eustache : « Je -n’adore pas d’autre dieu que le Christ, et à lui seul je -puis sacrifier ! » Alors, l’empereur, furieux, le fit exposer -dans l’arène avec sa femme et ses fils, et fit lâcher sur -eux un lion féroce. Mais le lion, s’étant approché d’eux, -baissa la tête comme pour les saluer, et s’éloigna humblement. -L’empereur les fit ensuite plonger à l’intérieur -d’un bœuf d’airain rougi au feu, et pendant trois jours il -les y laissa. Le troisième jour, quand on les retira, ils -étaient morts, mais pas un cheveu, pas une partie de -<span class="pagenum" id="p530">-530-</span> leur corps n’avait trace de brûlure. Les chrétiens emportèrent -leurs corps, et, plus tard, construisirent un oratoire -sur le lieu où ils les avaient ensevelis. Ce martyre -s’accomplit le douzième jour d’octobre, en l’an du Seigneur -120, sous le règne d’Adrien.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c138">CXXXVIII<br /> -SAINT MATTHIEU, <span class="small">APÔTRE<br /> -(21 septembre)</span></h2> - - -<p>I. L’apôtre Matthieu, prêchant en Ethiopie, y trouva sur -son chemin deux mages nommés Zaroës et Arphaxal -qui, par leurs sortilèges, parvenaient à priver les hommes -de l’usage de leur langue, ce qui leur avait donné une -telle vanité qu’ils se faisaient adorer comme des dieux. -Or Matthieu, étant arrivé dans la ville de Nadabar, et -y ayant été accueilli par l’eunuque de la reine Candace, -qu’avait baptisé l’apôtre Philippe, déroutait de telle -sorte les artifices des deux mages que, tout ce que -ceux-ci faisaient pour le mal des hommes, il le faisait -servir à leur bien. On vint un jour lui dire que les -mages s’avançaient, accompagnés de deux dragons qui, -vomissant du feu par la bouche et les naseaux, semaient -la mort sur leur passage. Aussitôt l’apôtre fit le signe de -la croix et alla à leur rencontre. Et, dès que les dragons -l’aperçurent, ils vinrent humblement s’étendre à ses -pieds. Alors Matthieu dit aux mages : « Où donc est -votre pouvoir ? Réveillez vos dragons, si vous le pouvez ! » -Et quand la foule se fut rassemblée, il ordonna -aux dragons de s’en aller, au nom de Jésus ; et ils s’éloignèrent -sans faire aucun mal. Matthieu se mit alors à -exposer au peuple la gloire du paradis terrestre, élevé tout -près du ciel, plus haut que les plus hautes montagnes. -Il dit que, dans ce jardin, n’existaient ni ronces ni épines, -que les roses et les lys ne s’y fanaient jamais, que tout y -gardait une éternelle jeunesse, que les orgues des anges -<span class="pagenum" id="p531">-531-</span> y jouaient jour et nuit, et que les oiseaux y répondaient à -l’appel qu’on leur faisait. Et il dit que, de ce paradis -terrestre, l’homme avait été chassé, mais que la nativité -du Christ lui avait ouvert la porte du paradis céleste.</p> - -<p>Or, pendant qu’il prêchait ainsi, un grand tumulte se -produisit, et l’on apprit que le fils du roi venait de mourir. -Ne pouvant le ressusciter, les mages avaient imaginé -de persuader au roi qu’il avait été appelé à faire partie -des dieux, de telle sorte qu’on s’apprêtait à lui élever -une statue et un temple. Mais l’eunuque susdit, ayant -fait mettre les mages sous bonne garde, appela Matthieu, -qui, ayant prié, ressuscita le mort. Ce que voyant le roi, -qui s’appelait Egippe, fit dire, dans toutes les provinces -de son royaume : « Venez voir un dieu qui se cache sous -la figure d’un homme ! » La foule arriva donc de toutes -parts, avec des couronnes d’or et mille autres présents, -prête à offrir des sacrifices au nouveau dieu. Mais l’apôtre -les réprimanda, en leur disant : « Hommes, que faites-vous ? -Je ne suis pas un dieu, mais le serviteur de mon -maître Jésus-Christ ! » Puis, sur son ordre, l’or et l’argent -que la foule avait apportés furent employés à la -construction d’une grande église, qui se trouva achevée -en trente jours. Et l’apôtre y vécut trente-trois ans, et il -convertit toute l’Ethiopie. Le roi Egippe se fit baptiser -avec sa femme et toute sa maison. Et sa fille Euphigénie, -s’étant vouée à Dieu, fut placée par l’apôtre à la tête -d’un couvent de plus de deux cents vierges.</p> - -<p>Mais, plus tard, le roi Hirtacus, qui avait succédé à -Egippe, désira prendre pour femme la pieuse Euphigénie, -et promit à l’apôtre la moitié de son royaume si, -par son entremise, elle consentait à ce mariage. L’apôtre -lui dit de se rendre à l’église, le dimanche suivant, comme -faisait son prédécesseur ; ajoutant que là, en présence -d’Euphigénie, il apprendrait combien c’était chose bonne -qu’un mariage suivant Dieu. Et le roi s’empressa de se -rendre à l’église, car il croyait que Matthieu voulait -engager Euphigénie à devenir sa femme. Et en effet -Matthieu, en présence de tout le peuple, commença par -exposer les avantages d’une sainte union ; ce dont le roi -<span class="pagenum" id="p532">-532-</span> se réjouit fort, pensant que l’objet de l’apôtre était de -convaincre Euphigénie. Mais alors Matthieu reprit, poursuivant -son discours : « Le mariage étant ainsi chose -sacrée et inviolable, un esclave qui voudrait posséder la -femme de son roi mériterait la mort. Et de même toi, -Hirtacus, sachant qu’Euphigénie est la femme du roi -éternel, comment oses-tu songer à prendre la femme de -plus puissant que toi ? » Ce qu’entendant, le roi, fou de -rage, sortit de l’église. L’apôtre, plein de constance et -d’intrépidité, engagea le peuple à la patience, et bénit -Euphigénie, qui, épouvantée, s’était prosternée à ses -pieds. Quand la messe fut achevée, le roi envoya dans -l’église un bourreau qui, frappant par derrière, de son -épée, l’apôtre debout devant l’autel et les mains jointes, -en prière, le tua sur place, et lui assura ainsi la couronne -du martyre.</p> - -<p>La foule, indignée, s’apprêtait à courir au palais du roi -pour y mettre le feu, lorsque les prêtres et les diacres la -retinrent, l’engageant à célébrer plutôt, joyeusement, le -martyre de l’apôtre. Et le roi, voyant que ni les entremetteuses -ni les mages ne parvenaient à fléchir la résolution -d’Euphigénie, fit disposer un cercle de flammes -autour de son couvent, pour la faire périr avec les autres -vierges. Mais saint Matthieu, apparaissant à celles-ci, -détourna le feu de leur maison, vers le palais du roi, qui -se trouva aussitôt consumé. Seuls le roi et son fils -unique échappèrent à l’incendie ; et aussitôt le fils, confessant -les crimes de son père, courut au tombeau de -l’apôtre, tandis que le père, atteint d’une lèpre hideuse -et incurable, se donna la mort de sa propre main. Alors -le peuple prit pour roi le frère d’Euphigénie, qui régna -soixante ans. Ce prince, et après lui son fils, étendirent -encore le culte du Christ, remplissant d’églises toute -l’Ethiopie. Quant à Zaroës et Arphaxal, dès le jour où -Matthieu avait ressuscité le fils du roi, ils s’étaient enfuis -en Perse, où les apôtres Simon et Jude devaient, à leur -tour, déjouer victorieusement leurs sortilèges.</p> - -<p>II. Quatre choses sont particulièrement remarquables -chez saint Matthieu : 1<sup>o</sup> c’est d’abord la rapidité de son -<span class="pagenum" id="p533">-533-</span> obéissance ; car dès que le Christ l’appela, aussitôt il -abandonna son péage, sans s’occuper du détriment qu’il -causait à ses patrons, et s’attacha absolument au Christ ; -2<sup>o</sup> c’est ensuite sa largesse ou libéralité : car aussitôt il -prépara pour le Christ un grand repas dans sa maison ; -3<sup>o</sup> c’est, en troisième lieu, son humilité, qui s’est montrée -de deux façons : car, d’abord, lui seul, parmi les -évangélistes, a ouvertement reconnu, qu’il était publicain ; -et puis, quand les Pharisiens ont murmuré de ce -que le Christ s’asseyait à la table d’un pécheur, Matthieu -ne leur a rien répondu, tandis qu’il aurait pu leur rappeler -qu’eux-mêmes étaient infiniment plus pécheurs que -lui ; 4<sup>o</sup> enfin l’évangile de Matthieu occupe, dans l’Eglise, -une place privilégiée. Il y est, en effet, plus souvent cité -que les autres, de même que les Psaumes de David sont -cités plus souvent que le reste de l’Ancien Testament.</p> - -<p>Le manuscrit de ce vénérable évangile, écrit de la -propre main de saint Matthieu, fut retrouvé vers l’an 500, -avec les reliques de saint Barnabé. Celui-ci le portait -toujours sur lui, et c’est en le mettant sur la tête des -malades qu’il les guérissait.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c139">CXXXIX<br /> -SAINT MAURICE ET SES COMPAGNONS, <span class="small">MARTYRS<br /> -(22 septembre)</span></h2> - - -<p>I. Maurice était le chef de la sainte légion connue -sous le nom de Légion Thébaine. Cette légion s’appelait -ainsi à cause de la ville de Thèbes, patrie des légionnaires, -ville d’une fertilité et d’une richesse merveilleuses, -et dont les habitants avaient la réputation d’être grands -de taille, courageux au combat, pleins de sagesse et -d’intelligence. Thèbes avait cent portes et était placée -sur le fleuve Nil, qui s’appelle, aussi Gyon, et qui a sa -source dans le Paradis Terrestre. C’est à Thèbes que -prêcha saint Jacques, frère du Seigneur ; et, grâce à lui, -<span class="pagenum" id="p534">-534-</span> les Thébains se trouvèrent parfaitement instruits dans la -foi du Christ.</p> - -<p>Or, en l’an 277, Dioclétien et Maximien, voulant extirper -du monde entier la foi du Christ, envoyèrent dans -toutes les provinces où se trouvaient des chrétiens une -lettre déclarant que, si les chrétiens ne se convertissaient -pas au culte des idoles, des supplices terribles -leur seraient réservés. Mais les chrétiens, ayant reçu -cette lettre, congédièrent les messagers sans leur donner -de réponse. Alors les deux empereurs, furieux, mandèrent -aux diverses provinces que tous les hommes -valides eussent à être armés et à venir à Rome pour faire -partie des troupes impériales. Sur quoi les Thébains, se -conformant au principe chrétien de rendre à César ce qui -appartenait à César, organisèrent une légion de six mille -six cent soixante-six soldats, qu’ils envoyèrent aux -empereurs afin qu’ils assistassent ceux-ci dans les -guerres, à la condition de ne point prendre les armes -contre les chrétiens. Cette légion avait pour chef saint -Maurice : ses porte-étendards s’appelaient Candide, -Innocent, Exupère, Victor et Constantin.</p> - -<p>Dioclétien confia la Légion Thébaine à son associé -Maximien, qui se rendait en Gaule avec une grande -armée. Et, avant le départ, le saint pape Marcelin -exhorta les légionnaires à se laisser tuer plutôt que -de manquer à leur foi chrétienne. Or, lorsque l’armée -eut traversé les Alpes, l’empereur ordonna que toutes -les légions sacrifiassent aux idoles et jurassent, d’une -seule voix, de combattre les rebelles, et tout particulièrement -les chrétiens. Ce qu’entendant, la Légion -Thébaine se sépara du reste de l’armée et alla s’établir -à huit milles plus loin, dans un endroit magnifique -appelé Agaune, sur la rive du Rhône<a id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor">[13]</a>. Et quand -Maximien lui enjoignit de venir sacrifier aux dieux avec -le reste de l’armée, les légionnaires répondirent qu’ils -ne pouvaient le faire, étant eux-mêmes chrétiens. L’empereur, -furieux, s’écria : « Que ces traîtres sachent donc -<span class="pagenum" id="p535">-535-</span> que ce n’est pas seulement moi-même, mais encore mes -dieux que je vais venger d’eux ! » Et il envoya vers la -Légion Thébaine une autre de ses légions, avec ordre -de décapiter un sur dix des légionnaires rebelles. Et les -saints, tendant avec joie leurs cous, se disputaient l’un à -l’autre l’honneur de recevoir la mort.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_13" href="#FNanchor_13"><span class="label">[13]</span></a> Aujourd’hui Saint-Maurice-en-Valais.</p> -</div> -<p>Alors saint Maurice, se levant parmi eux, leur parla -ainsi : « Je vous félicite d’être tous prêts à mourir pour -le Christ ! J’ai supporté que vos compagnons fussent mis -à mort parce que j’ai voulu suivre le précepte du Seigneur, -qui a dit à Pierre de remettre son épée au fourreau. -Mais maintenant que nous voici entourés des -cadavres de nos compagnons, et que nos manteaux sont -rougis de leur sang, suivons-les à notre tour dans le -martyre ! » Puis, avec l’assentiment de toute la légion, il -fit porter à l’empereur la réponse suivante : « Empereur, -nous sommes tes soldats, et nous avons pris les -armes pour défendre la chose publique. Nous ne sommes -ni des traîtres ni des lâches, mais rien ne nous fera -abandonner la foi du Christ ! » L’empereur, en entendant -cette réponse, ordonna que de nouveau la Légion fût -décimée. Et ainsi fut fait. Alors le porte-étendard Exupère, -se dressant au milieu de ses compagnons avec son -étendard, dit : « Notre glorieux chef Maurice nous a -parlé de la gloire de nos compagnons défunts. Exupère, -lui non plus, n’a point pris les armes pour résister à de -telles attaques. Que nos bras droits jettent donc à terre -ces armes terrestres, et ne soient plus armés que de -vertu chrétienne ! » Après quoi, avec l’assentiment de -tous, il fit répondre à l’empereur : « Empereur, nous -sommes tes soldats, mais nous sommes les esclaves du -Christ. A toi nous devons le service militaire, à lui l’innocence -de nos cœurs. De toi nous recevons le prix de -notre travail, de lui nous avons reçu le principe de notre -vie. Et nous sommes prêts à subir tous les tourments -plutôt que de renier sa foi ! » Alors l’empereur ordonna -à son armée de cerner toute la Légion, de façon que pas -un seul des légionnaires n’échappât à la mort. Ces soldats -du Christ furent donc entourés par les soldats du -<span class="pagenum" id="p536">-536-</span> diable, égorgés, foulés aux pieds des chevaux, et consacrés -au Christ par un glorieux martyre. Cela eut lieu en -l’an du Seigneur 280.</p> - -<p>Cependant, Dieu permit que plusieurs des légionnaires -s’échappassent, qui, venant dans d’autres régions, y -prêchèrent le nom du Christ. De ce nombre furent Solutor, -Adventor et Octave, qui se rendirent à Turin, -Alexandre, qui vint à Bergame, Segond, qui évangélisa -Vintimille, et aussi les bienheureux Constant, Victor -Ours, et d’autres encore.</p> - -<p>Or, pendant que les bourreaux de la Légion, s’étant -partagé le butin, mangeaient ensemble, un vieillard -nommé Victor passa par hasard près d’eux. Invité à -s’asseoir avec eux, il leur demanda comment ils avaient -le courage de manger parmi tant de cadavres. Et lorsqu’il -apprit que c’était pour la foi du Christ que leurs -victimes étaient mortes, il soupira profondément, déclarant -qu’il aurait été bien heureux de périr avec elles : sur -quoi, les bourreaux, découvrant qu’il était chrétien, l’égorgèrent -aussitôt.</p> - -<p>Plus tard Maximien et Dioclétien se dépouillèrent -tous deux, le même jour, de la pourpre impériale, le premier -à Milan, le second à Nicomédie, laissant l’empire à -trois jeunes gens, Constance, Maxime et Galère. Mais -comme Maximien voulait reprendre le pouvoir, il fut -poursuivi par son gendre Constance, et finit ses jours -par la pendaison.</p> - -<p>Le corps de saint Innocent, un des légionnaires, -était tombé dans les eaux du Rhône ; il en fut retiré et -enseveli avec les autres corps, dans l’église du lieu, par -les évêques Domitien, de Genève, Gratus, d’Aoste, et -Protais. A la construction de cette église était employé -un artisan païen. Le dimanche, il travaillait seul, pendant -que ses compagnons célébraient le jour du Seigneur. Or -la Légion sacrée lui apparut, et lui reprocha de profaner, -comme il faisait, le jour sacré, en s’occupant d’un travail -manuel au lieu de s’occuper des choses divines. Et aussitôt -cet artisan, convaincu, courut à l’église et demanda -à devenir chrétien.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p537">-537-</span> II. Certaine femme avait confié son fils à l’abbé du -monastère de Saint-Maurice en Valais, où reposent les -corps des saints martyrs. Le jeune homme mourut au milieu -de ses études ; et sa mère, désespérée, le pleurait jour -et nuit. Alors saint Maurice lui apparut et lui dit : « Ne -pleure point ton fils comme s’il était mort, mais sache -qu’il habite avec nous. Que si tu en désires une preuve, -demain et tous les jours de ta vie lève-toi à temps pour -assister aux matines : tu entendras la voix de ton fils -parmi les voix des moines qui chantent les psaumes ! » -Et en effet, la mère, tous les matins, entendit la voix de -son fils mêlée à celle des moines.</p> - -<p>III. Le roi Gontran qui, ayant renoncé aux pompes -du monde, distribuait ses trésors aux pauvres et -aux églises, envoya un prêtre à Saint-Maurice pour -demander quelques reliques des saints légionnaires. -Mais comme le prêtre revenait avec les reliques, une -grande tempête s’éleva sur le lac de Lausanne, où le -bateau qui le portait faillit périr ; mais il plaça sur les -flots la châsse qui contenait les reliques, et aussitôt un -grand calme succéda à la tempête.</p> - -<p>IV. L’an du Seigneur 963, des moines, qui venaient de -Rome et avaient obtenu du pape Jean les corps du -pape saint Urbain et du martyr saint Tiburce, visitèrent -en passant l’église des saints martyrs. Ils obtinrent de -l’abbé et des moines d’emporter aussi le corps de saint -Maurice et la tête de saint Innocent, pour les placer -à Auxerre, dans l’église que saint Germain avait dédiée -à ces deux saints.</p> - -<p>V. Pierre Damien raconte qu’il y avait en Bourgogne -un clerc orgueilleux et ambitieux qui s’était emparé par -force d’une église de saint Maurice. Et comme, un jour, -à la fin de la messe, il entendait chanter que « quiconque -s’élève sera abaissé », le misérable s’écria : « C’est -faux, car, si je m’étais humilié devant mes ennemis, je -ne posséderais pas aujourd’hui une aussi riche église ! » -Mais aussitôt la foudre, pareille à un glaive de feu, pénétra -dans la bouche qui venait de prononcer ce blasphème ; -et le mauvais clerc fut tué sur-le-champ.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p538">-538-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c140">CXL<br /> -SAINTE JUSTINE, <span class="small">VIERGE ET MARTYRE<br /> -(26 septembre)</span></h2> - - -<p>Justine était fille d’un prêtre païen d’Antioche. Tous -les jours, assise à sa fenêtre, elle entendait lire l’Evangile -par le diacre Proclus : et c’est ainsi qu’elle se convertit -à la foi chrétienne. Sa mère fit part de la chose à -son père, un soir, dans le lit où ils dormaient ensemble. -Et quand ils se furent endormis, le Christ leur apparut, -entouré d’anges, et leur dit : « Venez à moi, je vous -donnerai le royaume des cieux ! » Réveillés, ils se firent -baptiser avec leur fille.</p> - -<p>Sainte Justine eut beaucoup à souffrir d’un mage -nommé Cyprien, qu’elle finit par convertir à la foi du -Christ. Ce Cyprien, qui avait été consacré au diable -dès l’âge de sept ans, pratiquait les arts magiques, et -savait, par exemple, changer les femmes en chevaux. -S’étant pris d’amour pour Justine, c’est à la magie qu’il -eut recours pour parvenir à la posséder, comme aussi -pour la livrer à un certain Acladius, qui était également -amoureux de la jeune fille. Il appelle donc le diable, qui, -lui apparaissant, lui demande ce qu’il lui veut. Et -Cyprien : « J’aime une jeune fille de la secte des Galiléens. -Peux-tu faire en sorte que je la possède ? » Et le -diable : « Comment ne le pourrais-je pas, moi qui ai pu -chasser l’homme du paradis, forcer Caïn à tuer son -frère, amener les Juifs à tuer le Christ, et troubler et -corrompre l’humanité entière ? Prends cet onguent et -enduis-en la porte de sa maison ; et moi, aussitôt, j’allumerai -dans son cœur un grand amour pour toi. » La -nuit suivante, le démon s’approche de Justine et s’efforce -d’exciter son cœur à cet amour criminel. Mais elle, sentant -le danger, se recommande pieusement au Seigneur -et munit tout son corps du signe de la croix. A ce signe, -le diable, épouvanté, s’enfuit et revient près de Cyprien, -<span class="pagenum" id="p539">-539-</span> à qui il avoue son échec. Cyprien le renvoie, et appelle -un diable plus puissant. Et celui-ci : « Je sais ton désir, -et j’ai vu l’échec de mon compagnon. Mais moi, je ferai -mieux que lui, et je réussirai où il a échoué ! » Après -quoi il se rend chez Justine et s’efforce d’exciter son -âme à l’amour de Cyprien. Mais la sainte, de nouveau, -repousse la tentation au moyen d’un signe de croix. -Alors Cyprien invoque le prince des diables et lui dit : -« Votre pouvoir est-il donc si petit qu’une jeune fille suffise -à le vaincre ? » Le diable, piqué au jeu, prend la -forme d’une jeune fille, et, s’approchant de Justine, lui -dit : « Je viens près de toi pour vivre avec toi dans la -chasteté ; mais dis-moi d’abord, je te prie, quelle sera -la récompense de nos efforts ! » Et Justine : « La récompense -sera grande, et la peine petite ! » Alors le démon : -« Mais Dieu n’a-t-il pas dit aux hommes de croître et de -multiplier et de remplir la terre ? Je crains, chère amie, -qu’en persévérant dans la chasteté nous ne désobéissions -à Dieu au lieu de le satisfaire ! » Et Justine, sous -l’action du démon, commença à douter, et son cœur s’enflamma -de concupiscence, au point que déjà elle voulait -se lever pour aller se chercher un amant. Mais bientôt, -revenant à elle, et comprenant à qui elle avait affaire, -elle se munit du signe de la croix, et le diable s’évanouit -sous son souffle, comme une cire qui fond. Il prit alors -la forme d’un beau jeune homme, s’approcha d’elle dans -le lit où elle était couchée, et voulut se jeter sur elle -pour l’embrasser. Mais Justine, devinant le malin esprit, -le repoussa d’un signe de croix. Alors le diable, avec la -permission de Dieu, l’accabla de fièvre, et répandit la -peste dans la ville d’Antioche, et fit proclamer, par des -possédés, que toute la ville périrait si Justine ne consentait -pas à prendre un mari. Aussitôt la foule se pressa -devant la maison des parents de Justine, demandant que -la jeune fille fût livrée à un mari pour détourner le fléau. -Mais Justine, après avoir résisté pendant sept ans, pria -pour eux et la peste disparut.</p> - -<p>Voyant enfin l’inutilité de toutes ses ruses, le diable -revêtit la forme de Justine, pour salir du moins la réputation -<span class="pagenum" id="p540">-540-</span> de la sainte. Sous cette forme, il vint trouver -Cyprien et se jeta dans ses bras. Et Cyprien, ravi de -joie, s’écria : « Merci d’être venue, Justine, la plus belle -des femmes ! » Mais le diable ne put supporter d’entendre -nommer Justine, et aussitôt s’évanouit en fumée. -Et Cyprien, se voyant déçu, fut rempli de tristesse. -Longtemps il veilla devant la porte de la jeune fille, se -transformant tantôt en femme, tantôt en oiseau ; mais, -devant la jeune fille, il n’était plus ni femme, ni oiseau, -et reprenait aussitôt sa forme naturelle. Et de même -Acladius, qui s’était transformé par magie en moineau, -et voletait devant la fenêtre de Justine, reprit sa forme -première dès que la jeune fille l’aperçut. Et son épouvante -fut extrême, car il craignait de se tuer en tombant. -Mais Justine eut pitié de lui, et le fit descendre par une -échelle, en l’avertissant de renoncer à ses folies, s’il ne -voulait pas s’exposer à être condamné comme magicien.</p> - -<p>Alors Cyprien invoqua une dernière fois le diable et -lui dit : « Dis-moi, je t’en prie, en quoi réside le pouvoir -de cette jeune fille ? » Et le diable : « Je te le dirai, si tu -consens à me jurer solennellement que jamais tu ne -t’éloigneras de moi. » Et Cyprien : « Je te le jure ! » -Alors le diable : « C’est en faisant le signe de la croix -que cette jeune fille détruit tout mon pouvoir. » Et -Cyprien : « Donc le crucifié a plus de pouvoir que toi ? » -Et le diable : « Il a plus de pouvoir que tout le reste du -monde, et c’est lui qui livre au feu éternel tous ceux que -nous parvenons à séduire. » Alors Cyprien : « Ainsi, je -dois, moi aussi, devenir l’ami du crucifié, pour éviter -ce châtiment ? » Et le diable : « Tu m’as juré solennellement -de ne jamais t’éloigner de moi ! » Mais Cyprien : -« Je te méprise avec tout ton vain pouvoir, et je -renonce à toi et à tous tes diables, et je me munis du -signe de la croix ! » Et aussitôt le diable s’enfuit, tout -confus. Alors Cyprien se rendit auprès de l’évêque. Et -celui-ci, croyant qu’il venait pour tromper les chrétiens, -lui dit : « Que ceux-là te suffisent, Cyprien, qui sont hors -de l’Eglise : contre l’Eglise, tu n’as pas de pouvoir ! » -Mais Cyprien lui raconta ce qui lui était arrivé et lui -<span class="pagenum" id="p541">-541-</span> demanda à être baptisé. Et, depuis lors, il se distingua -si éminemment, tant par la science que par la vertu, -que, à la mort de l’évêque, il fut lui-même ordonné -évêque. Il fit entrer Justine dans un monastère, où elle -devint abbesse d’une foule de saintes jeunes filles. -Et souvent saint Cyprien écrivait des lettres aux martyrs -pour les encourager dans leur lutte. Or le seigneur -de la région fit comparaître devant lui Cyprien -et Justine, et leur enjoignit de sacrifier aux idoles. Et -comme ils persistaient dans la foi du Christ, il les fit -plonger dans une chaudière pleine de cire, de poix, et de -graisse. Mais ils n’en éprouvèrent aucun mal, et s’y -rafraîchirent comme dans un bain d’eau froide. Alors le -prêtre des idoles dit à ce préfet : « Laisse-moi me mettre -devant la chaudière, et aussitôt je vaincrai tout le pouvoir -de ces deux imposteurs ! » Et quand il fut devant la -chaudière, il s’écria : « Grand est le Dieu Hercule, et -grand Jupiter, le père des dieux ! » Et aussitôt jaillit une -flamme qui le consuma. Alors Cyprien et Justine furent -extraits de la chaudière et décapités. Leurs corps restèrent -pendant sept jours livrés aux chiens ; ils furent -ensuite transportés à Rome et reposent aujourd’hui, dit-on, -à Plaisance. Leur martyre eut lieu sous Dioclétien, -le 6 octobre 280.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c141">CXLI<br /> -SAINTS COME ET DAMIEN, <span class="small">MARTYRS<br /> -(27 septembre)</span></h2> - - -<p>I. Come et Damien étaient frères. Ils naquirent dans -la ville d’Egée, d’une pieuse mère, nommée Théodote. -Ayant appris la médecine, ils reçurent de l’Esprit-Saint -une telle faveur qu’ils purent guérir toutes les maladies, -non seulement des hommes, mais même des chevaux ; -et jamais ils n’admettaient qu’on les payât de leurs -<span class="pagenum" id="p542">-542-</span> soins. Or une dame, appelée Palladie, qui avait déjà -dépensé en frais de médecins tout ce qu’elle avait, vint -trouver les deux frères, qui la guérirent aussitôt. Elle -offrit alors à Damien un petit présent, que, d’abord, il -refusa d’accepter, mais que, cependant, il accepta enfin, -non point par cupidité, mais par égard pour le zèle et -la bonne volonté de la pauvre femme qui le lui offrait. -Et Come, dès qu’il le sut, ordonna qu’après sa mort ses -restes fussent ensevelis à part de ceux de son frère. -Mais, la nuit suivante, le Seigneur lui apparut, et excusa -Damien de l’acceptation du présent.</p> - -<p>Entendant leur renommée, le proconsul Lysias les fit -venir, et leur demanda quels étaient leurs noms, leur -patrie, leur fortune. A quoi les saints répondirent : -« Nos noms sont Come et Damien, et nous avons encore -trois autres frères qui s’appellent Antime, Léonce et -Euprépie ; notre patrie est l’Arabie ; et quant à la fortune, -c’est chose que les chrétiens ne connaissent pas. » -Alors le proconsul fit aussi venir leurs frères ; puis, sur -leur refus de sacrifier aux idoles, il leur fit percer de -clous les pieds et les mains. Comme ils se raillaient de -ces supplices, il les fit ensuite charger de chaînes et -précipiter dans la mer ; mais aussitôt un ange les retira -des flots, et ils se retrouvèrent devant le proconsul. Et -celui-ci : « Vous êtes de puissants sorciers, pour faire -de telles choses ! Enseignez-moi donc vos sortilèges, au -nom de mes dieux ! » Aussitôt deux démons s’emparèrent -de lui et le frappèrent durement au visage. Et lui, -se tournant vers les deux saints : « Par pitié, mes amis, -priez pour moi votre Dieu ! » Ils prièrent, et les démons -s’enfuirent. Alors Lysias : « Voyez-vous combien mes -dieux sont irrités de ce que j’aie eu la pensée de les abandonner ! -Aussi, désormais, ne vous permettrai-je plus -de les blasphémer ! » Alors il les fit jeter dans un grand -feu ; mais la flamme ne leur fit aucun mal, et brûla seulement -un grand nombre de païens, qui se tenaient à -l’entour.</p> - -<p>Attachés sur un chevalet, un ange les préserve de -toute souffrance, et la fatigue des bourreaux met un -<span class="pagenum" id="p543">-543-</span> terme au supplice. Alors le proconsul fait conduire en -prison les trois frères de Come et de Damien ; et quant -à ceux-ci, il les fait mettre en croix et lapider. Mais les -pierres qu’on leur lance rejaillissent sur ceux qui les -lancent, et en blessent un grand nombre. Alors le proconsul, -furieux, fait ramener les trois autres frères, et -ordonne que les deux saints, sur leur croix, soient percés -de flèches ; mais les flèches, au lieu d’entrer dans -leurs chairs, se retournent contre ceux qui les lancent. -Enfin le proconsul, confus de sa défaite, les fait décapiter -tous les cinq, au lever du jour.</p> - -<p>Les chrétiens, se rappelant la parole de Come, voulurent -alors enterrer Damien à part de ses frères ; -mais soudain on entendit un chameau qui, prenant -voix humaine, ordonna d’ensevelir ensemble les cinq -martyrs. Cela se passait sous le règne de Dioclétien.</p> - -<p>II. Un paysan s’était endormi dans son champ, après -la moisson, lorsqu’un serpent lui entra dans la bouche. -Réveillé, le paysan revint chez lui sans rien sentir ; mais, -vers le soir, il fut pris de souffrances atroces. Il invoqua -alors saints Come et Damien, se rendit dans leur -église ; et, dès qu’il y fut arrivé, voici que le serpent lui -sortit de la bouche comme il y était entré.</p> - -<p>III. Un homme qui partait pour un long voyage recommanda -sa femme aux saints Come et Damien ; après quoi -il lui indiqua un signe qui, lorsqu’on le ferait devant elle, -signifierait qu’on vient de sa part et pour l’appeler. Or -le diable, l’ayant vu indiquer ce signe, va trouver la -femme, et lui dit qu’il vient la chercher de la part de son -mari. Et elle, hésitant : « Je reconnais bien le signe ; -mais je ne te croirai que si tu me le jures, au nom des -saints martyrs Come et Damien, à qui mon mari m’a -recommandée ! » Le diable le lui jura, et elle le suivit. Mais -bientôt, quand ils arrivèrent dans un lieu écarté, elle -s’aperçut que son guide voulait la jeter à bas de son cheval, -pour la tuer. Alors elle s’écria : « Saints Come et -Damien, secourez-moi, car c’est en me fiant à vous que -j’ai suivi cet homme ! » Et aussitôt les deux saints accoururent -à son secours, avec une troupe toute vêtue de -<span class="pagenum" id="p544">-544-</span> blanc, et forcèrent le diable à s’enfuir honteusement.</p> - -<p>IV. Le pape Félix fit construire à Rome une grande -église en l’honneur des deux saints. Cette église avait -pour gardien un homme qui avait une jambe toute rongée -par un cancer. Et voici que, dans son sommeil, le -pieux gardien vit saints Come et Damien lui apparaître -avec des onguents. Et l’un des deux saints dit à l’autre : -« Où trouverons nous des chairs fraîches, pour mettre à -la place des chairs pourries que nous allons couper ? » -L’autre saint répondit : « On a enterré aujourd’hui un -Maure dans le cimetière de Saint-Pierre aux Liens ; prenons -une de ses jambes et donnons-la à notre serviteur ! » -Et les deux saints firent ainsi ; après quoi ils donnèrent -au gardien la jambe du Maure, et rapportèrent dans le -tombeau de celui-ci la jambe du malade. Et celui-ci, à -son réveil, se voyant guéri, raconta à tous sa vision, et -le miracle qui l’avait suivie. On courut alors au tombeau -du Maure : on découvrit qu’une de ses jambes manquait, -et que, à sa place, se trouvait la jambe malade du gardien.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c142">CXLII<br /> -SAINT MICHEL, <span class="small">ARCHANGE<br /> -(29 septembre)</span></h2> - - -<p>Le nom de Michel signifie « pareil à un dieu ». Saint -Grégoire dit que, chaque fois que Dieu veut faire un -grand acte de résistance, c’est l’archange saint Michel -qu’il charge de le représenter. C’est lui, en effet, comme -dit Daniel, qui, au temps de l’Antéchrist, se lèvera -pour défendre les élus ; c’est lui qui a lutté contre -Satan et ses mauvais anges, et qui les a chassés du -ciel ; c’est lui qui a arraché au diable le corps de Moïse, -que le diable voulait détruire pour se faire lui-même -adorer des Juifs ; c’est lui qui recueille les âmes des -saints et les conduit au paradis ; c’est lui qui fut jadis -<span class="pagenum" id="p545">-545-</span> prince de la synagogue, et dont Dieu fit ensuite le prince -de son Eglise ; c’est lui qui apporta aux Egyptiens les -sept plaies, qui partagea les eaux de la mer Rouge, qui -conduisit le peuple dans le désert jusqu’à la terre promise ; -c’est lui qui, dans l’armée des anges, porte la -bannière du Christ ; c’est lui qui tuera l’Antéchrist au -mont des Oliviers ; c’est à sa voix que les morts ressusciteront ; -et c’est lui qui, au jour du jugement dernier, -présentera la croix, les clefs, la lance et la couronne -d’épines.</p> - -<p>La fête de saint Michel a pour objet de célébrer -son apparition, sa victoire, sa dédication et son souvenir.</p> - -<p>1<sup>o</sup> Son apparition s’est manifestée en plusieurs circonstances. -Il est apparu, d’abord, sur le mont Gargan, qui -se trouve en Pouille, auprès de la ville de Manfrédonie. -L’an du Seigneur 390, vivait dans cette ville un homme, -nommé Garganus, qui possédait un énorme troupeau de -bœufs et de moutons. Et comme ses troupeaux paissaient -au flanc de la montagne, un taureau, laissant ses compagnons, -grimpa jusqu’au sommet de la montagne. Garganus -se mit à sa recherche, avec une foule de ses serviteurs, -et le trouva enfin, au sommet de la montagne, près de -l’entrée d’une caverne. Furieux, il lança contre lui une -flèche empoisonnée ; mais celle-ci, comme repoussée par -le vent, se retourna vers lui et le frappa lui-même. Ce -qu’apprenant, la ville entière fut émue et vint demander -à l’évêque l’explication du prodige. L’évêque ordonna -un jeûne de trois jours, au bout duquel saint Michel -apparut, et lui dit : « Sache que c’est par ma volonté que -cet homme a été frappé de sa flèche ! Je suis l’archange -Michel. J’ai résolu de me garder ce lieu ; et j’ai eu -recours à ce signe pour faire connaître que j’en étais -l’habitant et le gardien. » Aussitôt l’évêque, avec toute -la ville, se rendit en procession sur la montagne. Et, personne -n’osant entrer dans la caverne, on pria l’archange -devant le seuil.</p> - -<p>La seconde apparition eut lieu vers l’an du Seigneur -710, dans un lieu appelé la Tombelaine, qui est -<span class="pagenum" id="p546">-546-</span> au bord de la mer, à une distance de six milles de la ville -d’Avranches. Saint Michel apparut à l’évêque de cette ville -et lui ordonna de lui élever une église en cet endroit. Et -comme l’évêque doutait de l’endroit exact ou devait être -construite l’église, l’archange lui dit qu’elle devait s’élever -à l’endroit où l’on trouverait un taureau caché par des -voleurs. Or il y avait, dans cet endroit, deux roches -qu’aucune force humaine ne pouvait soulever. Saint -Michel apparut à un habitant, lui ordonna de se rendre -en ce lieu, et de soulever les roches. Et l’homme les -souleva aussi aisément que si elles n’avaient eu aucun -poids. Ainsi fut construite cette église ; et l’on y transporta, -de l’église du mont Gargan, une partie du -manteau que l’archange avait déposé sur l’autel, et une -partie du marbre sur lequel s’étaient posés ses pieds. Et, -comme on manquait d’eau en cet endroit, l’archange -dit de creuser un trou dans un rocher très dur ; et -aujourd’hui encore l’eau en jaillit, avec une extrême abondance. -Cette apparition est célébrée en ce lieu, le 17 novembre, -par une fête solennelle.</p> - -<p>Le même lieu fut témoin d’un autre miracle mémorable. -Il y a là une montagne que la mer entoure de -toutes parts ; mais, le jour de la fête de saint Michel, un -passage s’y ouvre pour le peuple. Or, un jour qu’une -grande foule s’y pressait vers l’église, une femme s’y -trouvait mêlée qui était enceinte et près d’accoucher. Et -voici que, tout à coup, les vagues affluèrent d’un grand -élan, et toute la foule épouvantée s’enfuit sur le rivage, -à l’exception de la femme enceinte qui, ne pouvant fuir, -fut prise par les flots. Mais l’archange saint Michel la -garda de tout mal. Au milieu des flots, elle enfanta un -fils, qu’elle allaita de son sein ; puis la mer lui livra passage, -et on la vit sortir avec son enfant.</p> - -<p>La troisième apparition eut lieu à Rome, au temps du -pape Grégoire. Ce pape avait institué de grandes litanies, -à cause de la peste qui sévissait à Rome. Et un -jour, comme il priait pour son peuple, il vit d’abord, au-dessus -d’une forteresse appelée autrefois le tombeau -d’Adrien, un grand ange qui essuyait un glaive tout -<span class="pagenum" id="p547">-547-</span> sanglant et le remettait au fourreau. Saint Grégoire -reconnut l’archange Michel, et, comprenant que sa -prière avait été exaucée, il fit construire en cet endroit -une église en l’honneur des saints Anges. Et, aujourd’hui -encore, la forteresse porte le nom de Fort Saint-Ange. Le -souvenir de cette apparition se célèbre le 7 mai, en même -temps que celui de l’apparition du mont Gargan.</p> - -<p>La quatrième apparition est celle que nous raconte -l’<i>Histoire tripartite</i>. Il y a, près de Constantinople, un -endroit où l’on célébrait autrefois la déesse Vesta, mais -où s’élève aujourd’hui une église en l’honneur de saint -Michel, et cet endroit porte le nom de Michaëlium. Un -homme, appelé Aquilin, y souffrait de la fièvre. Les médecins -lui donnèrent une potion ; mais il la rendit, et ensuite -il rendait tout ce qu’il avalait. Se voyant sur le point de -mourir, il se fit transporter au lieu que j’ai dit ; et là saint -Michel, lui apparaissant, lui dit de faire, avec du miel, -du vin et du poivre un breuvage où il tremperait tous -ses aliments. Aquilin le fit, et fut guéri, bien que ce fût -chose contraire aux lois de la médecine de faire prendre -à un fiévreux des boissons chaudes.</p> - -<p>2<sup>o</sup> Non moins nombreuses sont les victoires de saint -Michel. La première est celle qu’il fit remporter aux -habitants de la susdite ville de Manfrédonie. En effet, peu -de temps après l’apparition du mont Gargan, les Napolitains, -encore païens, se mirent en guerre contre les -habitants de Manfrédonie et ceux d’une ville voisine, Bénévent. -Les Manfrédoniens, sur le conseil de leur évêque, -demandèrent un armistice de trois jours, pendant lesquels -ils jeûnèrent et invoquèrent l’assistance de leur patron -saint Michel. La troisième nuit, saint Michel apparut -à l’évêque, lui dit que ses prières étaient exaucées, promit -la victoire à ses concitoyens, et leur conseilla -d’attaquer l’ennemi à quatre heures du matin. Et à -peine l’attaque était-elle commencée que le mont Gargan -mugit terriblement, les éclairs luirent en foule, suivis -d’une obscurité profonde ; et six cents hommes de l’armée -ennemie périrent, tant par le fer des Manfrédoniens, -que par les flèches de feu provenant d’un arc invisible. -<span class="pagenum" id="p548">-548-</span> Le reste des Napolitains, ayant reconnu la puissance -de l’archange, abjurèrent leur idolâtrie pour se convertir -à la foi chrétienne.</p> - -<p>En second lieu doit être citée la victoire que remporta -saint Michel quand il chassa du ciel le dragon, c’est-à-dire -Lucifer, avec toute sa suite. On sait, en effet, comment, -Lucifer ayant aspiré à devenir l’égal de Dieu, l’archange -porte-enseigne des armées célestes le chassa du ciel -avec toute sa suite et les enferma, jusqu’au jour du jugement -dernier, dans les ténèbres infernales. Car les démons -n’ont le droit d’habiter ni dans le ciel, qui est la partie -supérieure de l’air, ni sur la terre, où leur séjour nous -serait intolérable. Mais ils habitent un espace entre le -ciel et la terre : de façon que lorsqu’ils regardent en -haut, ils souffrent de la vue du ciel qu’ils ont perdu ; et -lorsqu’ils regardent en bas, ils envient le sort des -hommes, qui peuvent s’élever là d’où eux-mêmes sont -tombés. Mais souvent, avec la permission de Dieu, ils -descendent parmi nous pour nous éprouver, et volent -autour de nous comme des mouches. Et ils sont innombrables, -et tout l’air que nous respirons en est rempli -comme de mouches. Mais, suivant l’opinion d’Origène -leur nombre diminue à chaque victoire que nous remportons -sur eux : car un démon qui a été vaincu par un saint -homme ne peut plus, désormais, tenter personne au -moyen du vice sur lequel il a été vaincu.</p> - -<p>Une autre victoire est celle que saint Michel et ses -compagnons remportent tous les jours sur les démons, -en nous défendant contre eux et en nous délivrant -de leurs tentations. Et c’est en trois façons que les -anges nous délivrent de la tentation des démons : 1<sup>o</sup> en -refrénant le pouvoir des démons ; 2<sup>o</sup> en refrénant notre -concupiscence ; 3<sup>o</sup> en imprimant dans notre esprit le -souvenir de la passion du Seigneur.</p> - -<p>Quatrième victoire : celle que l’archange saint Michel -remportera sur l’Antéchrist quand il le tuera. Car on -verra alors, comme le dit Daniel, le prince Michel se lever -et protéger les élus contre l’Antéchrist. Puis, comme le -dit la <i>Glosse de l’Apocalypse</i>, l’Antéchrist feindra d’être -<span class="pagenum" id="p549">-549-</span> mort, se cachera pendant deux jours, puis reparaîtra, se -disant ressuscité, et au moyen d’artifices magiques s’élèvera -dans les airs. Mais quand il sera parvenu sur le -mont des Oliviers, à l’endroit d’où le Seigneur est monté -au ciel, Michel se dressera en face de lui et le tuera.</p> - -<p>3<sup>o</sup> La fête de saint Michel est considérée comme une -fête de dédication, parce que saint Michel a révélé aux -Manfrédoniens que le sommet du mont Gargan lui appartenait -et devait lui être dédié. Revenus de leur victoire, les -Manfrédoniens se demandèrent s’ils devaient entrer dans -le lieu que s’était réservé l’archange, pour le consacrer. -L’évêque s’en rapporta, sur ce point, au pape Pélage, -qui lui conseilla de s’en rapporter à saint Michel lui-même. -De nouveau il y eut trois jours de prières et de -jeûnes. Le troisième jour, saint Michel apparut à l’évêque -et lui dit : « Vous n’avez pas besoin de consacrer l’église -que je me suis construite, car je l’ai consacrée moi-même ! » -Et il ordonna à l’évêque de se rendre en ce lieu -le lendemain et les jours suivants, avec la foule, pour y -prier, ajoutant qu’il se constituait le patron spécial de la -ville. Et, en signe de la susdite consécration, il leur dit -qu’ils trouveraient des traces de pas d’homme gravées -sur le marbre. Le lendemain, donc, l’évêque et tout le -peuple entrèrent dans la caverne ; ils y trouvèrent une -grande crypte avec trois autels, dont deux à l’occident -et un à l’orient, ce dernier entouré d’un manteau rouge. -On y célébra la messe, tous les assistants communièrent, -et l’évêque établit en ce lieu des prêtres et des clercs, -pour y célébrer l’office divin. Dans cette caverne se -trouve une source d’eau transparente et douce, que le -peuple boit après la communion, et qui guérit diverses -maladies. Et c’est en apprenant tout cela que le Souverain -Pontife a ordonné de fêter ce jour, dans le monde -entier, en souvenir de saint Michel.</p> - -<p>4<sup>o</sup> Enfin l’Eglise célèbre, ce jour-là, le souvenir de -saint Michel et de tous les anges. Nous devons, en effet, -nous souvenir d’eux, et les louer et les honorer, pour de -nombreux motifs : ils sont nos gardiens, nos assistants, -nos frères et concitoyens, les porteurs de nos âmes au -<span class="pagenum" id="p550">-550-</span> ciel, les représentants de nos prières devant Dieu, et nos -consolateurs dans les tribulations. Ils sont, d’abord, nos -gardiens : car tout homme a près de lui deux anges, un -mauvais pour l’éprouver, et un bon pour le garder. Notre -bon ange nous garde dès le sein de notre mère, c’est lui -qui nous empêche, sitôt nés, de mourir avant de recevoir -le baptême ; et, dans l’âge adulte, il nous exhorte au bien, -et nous défend contre l’oppression du tentateur. En second -lieu, les anges sont nos assistants ; car, comme le dit -le livre des <i>Hébreux</i>, ils sont des esprits chargés de missions. -Et rien ne montre autant la bonté divine, ainsi -que l’amour de Dieu pour nous, que ce fait que Dieu -charge ces esprits sublimes, qui sont ses familiers, de -venir nous aider dans notre salut. En troisième lieu, les -anges sont nos frères et nos concitoyens. Car tous les -élus sont répartis parmi la hiérarchie des anges, -d’après leurs mérites ; les uns sont placés parmi les -anges du degré supérieur, d’autres parmi ceux du degré -inférieur, d’autres parmi ceux du degré moyen. Et seule -la sainte Vierge est au-dessus d’eux tous. En quatrième -lieu, les anges sont les porteurs de nos âmes au ciel : -ainsi, dans l’Evangile de saint Luc, le mendiant Lazare -est « porté par un ange dans le sein d’Abraham ». En -cinquième lieu, ils sont les représentants de nos prières -devant Dieu : témoin l’ange disant à Tobie : « Pendant -que tu priais en pleurant et ensevelissais les morts, j’ai -présenté ta prière au Seigneur. » En sixième et dernier -lieu, les anges sont nos consolateurs dans les tribulations. -Ils le sont de trois façons : 1<sup>o</sup> en nous réconfortant -et raffermissant ; 2<sup>o</sup> en nous aidant à souffrir ; 3<sup>o</sup> en réfrigérant -nos tribulations, comme l’a fait l’ange du Livre -de Daniel qui, étant descendu dans la fournaise auprès -des trois jeunes gens, y fit souffler, au milieu des flammes, -une brise parfumée.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p551">-551-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c143">CXLIII<br /> -SAINT FURSY, <span class="small">ÉVÊQUE<br /> -(29 septembre)</span></h2> - - -<p>L’évêque Fursy, après une longue vie pleine de vertus, -rendit son âme à Dieu. Il vit alors venir à lui trois -anges, dont deux emportèrent son âme, tandis que le -troisième les précédait, armé d’un bouclier blanc, et -tenant en main un glaive de feu. Il vit aussi des démons -qui, pour l’empêcher d’avancer, lançaient sur lui des -flèches enflammées ; mais l’ange qui le précédait parait -ces flèches avec son bouclier, et aussitôt les éteignait. -Alors les démons dirent aux anges : « Cet homme a souvent -tenu des discours oiseux ; il n’a pas le droit d’être admis -dans l’assemblée des bienheureux ! » Et l’ange : « Si vous -n’apportez point la preuve qu’il ait eu de grandes vices, -de ses menus défauts il ne sera point puni ! » Alors un des -démons : « Si Dieu est juste, cet homme ne sera point -sauvé ; car l’évangile dit que celui-là n’entrera pas au -royaume des cieux qui n’aura point su s’abaisser pour -devenir pareil à un enfant ! » Et l’ange : « Cet homme a eu -l’innocence dans le cœur ; mais l’habitude humaine l’a -empêché d’en faire un plein usage. » Et le démon : -« De même que, par habitude, il a mal agi, le juge -suprême doit le punir par sa loi ! » Et l’ange : « Que -Dieu juge entre nous ! » Il y eût alors un combat, et -l’ange terrassa ses adversaires.</p> - -<p>Puis un des diables dit : « Le serviteur qui, connaissant -la volonté de son maître, ne s’y conforme pas, doit -être puni ! » Et l’ange : « En quoi donc cet homme ne -s’est-il donc pas conformé à la volonté de son maître ? » Et -le démon : « Il a reçu des dons des méchants ! » Et l’ange : -« Il a cru que chacun d’eux avait fait pénitence ! » Et le -démon : « Il aurait dû, d’abord, s’assurer de cette pénitence ! » -Et l’ange : « Que Dieu juge entre nous ! » De -nouveau ils luttèrent, et l’ange resta victorieux. -<span class="pagenum" id="p552">-552-</span> Alors le démon, revenant à la charge : « Je croyais -jusqu’ici que Dieu ne mentait jamais. Or, il a promis de -punir, dans l’éternité, toutes les fautes non expiées sur la -terre. Et l’homme que voici n’est point puni, bien qu’il -ait accepté un manteau d’un certain usurier. Où donc est -la justice de Dieu ? » Et l’ange : « Tu ignores la profondeur -des jugements de Dieu ! » Alors le diable frappa si -cruellement Fursy que, par la suite, celui-ci garda toujours -le souvenir du coup. Puis, prenant en enfer un -des damnés, il le lança sur lui ; et le damné, en tombant -sur lui, lui brûla une mâchoire et une épaule ; et, dans ce -damné, Fursy reconnut l’usurier dont il avait accepté -le manteau. Et l’ange dit au mort : « C’est ta faute même -qui te brûle : car, si tu n’avais pas accepté le don de ce -méchant, Dieu n’aurait point permis que tu fusses ainsi -châtié ! »</p> - -<p>Revenant à la charge, le démon dit : « L’homme, -d’après l’évangile, doit aimer son prochain comme lui-même. » -Et l’ange : « Cet homme a toujours fait le bien -à son prochain ! » Mais le diable : « Cela ne suffit pas -si, en outre, il n’a pas aimé son prochain autant que -lui-même ! Fursy n’a pas rempli la parole de Dieu : il doit -être damné ! » De nouveau, ange et démon luttèrent, -et la victoire resta à l’ange.</p> - -<p>Alors le démon : « Si Dieu est juste, cet homme mérite -d’être châtié ; car il a promis de renoncer au siècle, et, -au contraire, il a aimé le siècle ! » Et l’ange : « S’il a aimé -les choses du siècle, ce n’est pas pour en jouir lui-même, -mais pour les donner aux pauvres ! » Et le diable : « De -quelque façon qu’il les ait aimées, il a agi contre le précepte -divin ! » De nouveau il y eut une lutte, mais Dieu -fit en sorte que les anges restèrent victorieux, et que -le mort se vit entouré d’une immense clarté.</p> - -<p>Alors un des anges lui dit : « Retourne-toi et regarde -le monde ! » Fursy, s’étant retourné, vit une vallée de -ténèbres au-dessus de laquelle brillaient quatre grands -feux. Et l’ange lui dit : « Tu vois les quatre feux qui -brûlent le monde : le feu du mensonge, le feu de la cupidité, -le feu de la dissension, et le feu de l’impiété. » Puis -<span class="pagenum" id="p553">-553-</span> Fursy vit que ces quatre feux se fondaient en un seul, et -se rapprochaient de lui. Effrayé, il dit à l’ange : « Seigneur, -le feu s’approche de moi ! » Et l’ange : « Comme -tu ne l’as pas allumé, il ne te brûlera point ; car ce feu -atteint les hommes d’après leurs mérites. Et, dans la -mesure où le corps a brûlé de désirs illicites, il brûlera -du feu infernal ! »</p> - -<p>Et, après tout cela, l’âme de Fursy rentra dans son -corps, à la grande surprise de ceux qui veillaient le -cadavre. Et le vieil évêque vécut encore quelque temps ; -après quoi il mourut, chargé de bonnes œuvres.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c144">CXLIV<br /> -SAINT JÉRÔME, <span class="small">DOCTEUR<br /> -(30 septembre)</span></h2> - - -<p>Jérôme, fils d’Eusèbe, de race noble, naquit dans la -ville de Stridon, aux confins de la Dalmatie et de la Pannonie. -Dès sa jeunesse il vint à Rome, et s’y instruisit -pleinement dans les lettres grecques, latines et hébraïques. -Il eut pour professeur de grammaire Donat, -et pour professeur de rhétorique l’orateur Victorin : ce -qui ne l’empêchait pas d’étudier avec ardeur les Saintes -Ecritures. Mais, un jour, comme il le raconte lui-même -dans une lettre, la simplicité du langage dans les livres -des Prophètes l’offusqua si fort qu’il ne voulut plus lire -que Cicéron et Platon. Or, vers le milieu du Carême, il -fut pris d’une fièvre subite qui faillit le tuer. Et comme -déjà l’on préparait ses funérailles, soudain il se vit conduit -devant le tribunal de Dieu. Interrogé sur sa condition, -il répondit qu’il était chrétien. Mais le juge : « Tu -mens, tu n’es pas chrétien, mais cicéronien ! » Après -quoi il le condamna à être battu. Et Jérôme de s’écrier : -« Ayez pitié de moi, Seigneur, ayez pitié de moi ! » Et -tous les assistants demandaient grâce pour lui, en considération -<span class="pagenum" id="p554">-554-</span> de sa jeunesse. Enfin il s’écria : « Seigneur, -si je lis jamais des livres profanes, c’est que je t’aurai -renié ! » Et aussitôt il revint à lui, dans son lit ; et il vit -qu’il était tout en larmes, et qu’il avait les épaules encore -bleues des coups reçus par lui au tribunal céleste. Aussi -mit-il, depuis lors, autant de zèle à lire les livres sacrés -qu’il en avait mis, auparavant, à lire les livres profanes.</p> - -<p>A l’âge de vingt-neuf ans, il fut ordonné prêtre et cardinal -de l’Eglise romaine, puis, à la mort du pape Libère, -on fut unanime à le proclamer digne du sacerdoce suprême. -Mais, comme il avait réprimandé la débauche de certains -prêtres et moines, ceux-ci, indignés, lui tendirent toute -sorte de pièges. Un matin, à son réveil, il trouva sur -son lit un vêtement de femme, que des méchants avaient -déposé là. Croyant que c’était son propre vêtement, il -le revêtit, et se rendit ainsi à l’église, ce qui permit de -dire qu’il avait eu une femme dans son lit. Alors, ne voulant -plus être exposé à de pareilles folies, il quitta Rome -et se rendit auprès de Grégoire de Nazianze, évêque de -Constantinople, qui acheva de l’instruire dans les lettres -sacrées.</p> - -<p>Il alla ensuite au désert ; et lui-même raconte, dans sa -lettre à Eustoche, tout ce qu’il y souffrait pour l’amour du -Christ : « Dans cette morne solitude brûlée du soleil, je -me figurais assister aux délices de Rome. Mes membres -déformés n’étaient vêtus que d’un sac, ma peau était -noire comme celle d’un Ethiopien ; et toujours des larmes, -toujours des gémissements ; et quand, malgré ma résistance, -le sommeil m’accablait, j’étalais mes os sur le sol -nu. Je ne te dis rien de ma nourriture et de ma boisson. -Mais sache que, vivant en compagnie des scorpions et -des bêtes féroces, souvent j’étais tourmenté de rêves -lascifs où je croyais assister à des danses de jeunes filles. -Alors je me fouettais jour et nuit, jusqu’à ce que le Seigneur -m’eût rendu le calme. »</p> - -<p>Ayant ainsi fait pénitence pendant quatre ans, il alla -demeurer dans la ville de Bethléem, s’offrant comme un -chien domestique à l’étable de son maître. Il y fit transporter -sa bibliothèque, qu’il avait formée avec beaucoup -<span class="pagenum" id="p555">-555-</span> de soin ; et toute la journée, sans rien manger, il s’occupait -de lire et d’écrire. Il resta là pendant cinquante-cinq -ans et six mois, entouré de nombreux disciples qui -l’aidaient à traduire et à commenter les Saintes Ecritures. -Et l’on dit aussi qu’il resta chaste toute sa vie, bien -que lui-même ait écrit dans une lettre à Pammaque : -« Ma vertu préférée est la virginité, encore que je ne -puisse pas me vanter de la posséder. » Enfin il arriva à -un tel degré de faiblesse que, étendu sur sa couche, il se -soulevait à l’aide d’une corde attachée au plafond, pour -pouvoir assister aux offices de son monastère.</p> - -<p>Un soir, pendant que Jérôme était assis avec ses -frères pour écouter la lecture sainte, voici qu’un lion entra -en boitant dans le monastère. Aussitôt tous les frères -s’enfuirent : seul Jérôme alla au-devant de lui comme -au-devant d’un hôte, et, le lion lui ayant montré sa patte -blessée, il appela des frères et leur ordonna de laver sa -plaie et d’en prendre soin. Ainsi fut fait ; et le lion, guéri, -habita parmi les frères comme un animal domestique. -Sur quoi Jérôme, comprenant que ce lion leur avait été -envoyé plus encore pour leur utilité que pour la guérison -de sa patte, pris conseil avec ses frères et ordonna -au lion de conduire au pâturage et de garder un âne -qu’ils avaient, et qui leur servait à porter du bois. Et -ainsi fut fait. Le lion se comportait en berger parfait, -toujours prêt à protéger l’âne, et ne manquant jamais -de le ramener au monastère à l’heure des repas. Mais un -jour, comme le lion s’était endormi, des marchands -avec des chameaux, qui passaient par là virent un âne -seul et s’empressèrent de le voler. Quand le lion, éveillé, -s’aperçut de l’absence de son compagnon, il le chercha -partout en rugissant ; puis, n’ayant pu le retrouver, il -revint tristement à la porte du monastère, mais, par -honte, n’osa pas entrer. Or les frères, voyant qu’il arrivait -en retard et sans l’âne, supposèrent que, forcé par la -faim, il l’avait mangé. Ils refusèrent donc de lui donner -sa ration, et lui dirent : « Va chercher le reste de l’âne, -et fais-en ton dîner ! » Cependant comme ils hésitaient -à croire qu’il se fût rendu coupable d’un tel acte, ils -<span class="pagenum" id="p556">-556-</span> allèrent au pâturage en quête de quelque indice ; mais, -n’ayant rien trouvé, ils revinrent raconter la chose à -Jérôme. Alors, de l’avis de celui-ci, ils confièrent au lion -le travail de l’âne, et l’employèrent à porter leur bois : -tâche dont la bête s’acquittait avec une patience exemplaire. -Mais un jour, sa tâche achevée, le voilà qui se -met à courir par les champs, et voilà qu’il aperçoit de -loin des marchands, avec des chameaux et un âne s’avançant -à leur tête pour les guider, suivant l’usage du pays. -Aussitôt le lion, se jetant sur la caravane avec un rugissement -terrible, força les marchands à prendre la fuite. -Après quoi, frappant le sol de sa queue, il obligea les -chameaux à l’accompagner jusqu’au monastère, où -Jérôme, dès qu’il les vit, dit à ses frères : « Lavez les -pieds à nos hôtes, servez-leur à manger, et puis attendons -la volonté de Dieu ! » Et voici que le lion se mit à courir -joyeusement d’un frère à l’autre, se prosternant devant -chacun d’eux comme s’il leur demandait pardon de -quelque faute. Et Jérôme, prévoyant l’avenir, dit à ses -frères : « Préparez-vous à accueillir encore d’autres -hôtes ! » Et en effet, au même instant, on vint lui annoncer -que des étrangers étaient là, qui voulaient voir l’abbé. -Et tout de suite les marchands, se jetant à ses pieds, lui -demandèrent pardon de leur vol ; et lui, les relevant avec -bonté, leur dit de reprendre ce qui leur appartenait, -mais de respecter désormais le bien d’autrui. Et les -marchands, en témoignage de leur reconnaissance, le -forcèrent à accepter une mesure d’huile, lui promettant -que, tous les ans, eux et leurs héritiers donneraient aux -frères une mesure pareille.</p> - -<p>Comme, jusqu’alors, on avait le droit de chanter dans -les églises n’importe quels chants, l’empereur Théodose -demanda au pape Damase de lui indiquer un savant -docteur à qui il pût confier le soin de régler le chant des -offices. Et Damase, sachant l’érudition et la sagesse de -Jérôme, le choisit pour cette tâche difficile. C’est donc -Jérôme qui définit les chants qui convenaient aux différentes -fêtes, et qui décida qu’à la fin de tous les psaumes -devrait être chanté le <i lang="la" xml:lang="la">Gloria Patri</i>. C’est lui aussi qui -<span class="pagenum" id="p557">-557-</span> répartit les épîtres et évangiles pour tous les dimanches -de l’année. Et son projet, envoyé par lui de Bethléem, -fut approuvé du pape et des cardinaux, qui le sanctionnèrent -à perpétuité.</p> - -<p>Enfin, parvenu à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans et -six mois, il rendit l’âme, et fut enterré à l’entrée de la -grotte où avait été déposé le corps du Seigneur. Sa -mort eut lieu en l’an du Seigneur 398.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c145">CXLV<br /> -LA TRANSLATION DE SAINT RÉMY<br /> -<span class="small">(1<sup>er</sup> octobre)</span></h2> - - -<p>Rémy convertit au Christ le roi et toute la nation des -Francs. Le roi avait une femme nommée Clotilde qui, -très fervente chrétienne, s’efforçait en vain de convertir -son mari à sa foi. Or, Clotilde, ayant mis au monde un -fils, obtint du roi, à force d’instances, de le faire baptiser. -Mais l’enfant, dès qu’il fut baptisé, mourut. Et le roi -Clovis lui dit : « Tu vois toi-même, maintenant, quel -misérable dieu est ton Christ, puisqu’il ne peut même -pas garder en vie un enfant qui, lui ayant été consacré, -aurait, plus tard, imposé son culte à tout le royaume ! » -Mais Clotilde : « Au contraire, je vois là une grande -preuve d’amour de la part de mon Dieu, qui, recueillant -le premier fruit de mon ventre, a daigné lui accorder son -royaume infini, bien supérieur au tien ! » Plus tard, elle -conçut de nouveau et, enfanta un autre fils qu’elle -parvint également à faire baptiser. Et, de nouveau, -l’enfant tomba malade au point qu’on désespérait de -sa vie. Et Clovis dit à sa femme : « Quand même tu -enfanterais mille fils, ils périraient tous si tu les baptisais ! » -Pourtant ce second enfant guérit ; et ce fut lui -qui, dans la suite, succéda à Clovis.</p> - -<p>Celui-ci finit par se convertir à la foi chrétienne, ainsi -<span class="pagenum" id="p558">-558-</span> que nous l’avons raconté dans un chapitre précédent, -qu’on trouvera tout de suite après celui de l’Epiphanie. -Après sa conversion, il dit à saint Rémy : « Je vais faire -ma sieste ; et toi, tout le terrain que ta pourras parcourir -jusqu’à mon réveil, tu le prendras pour ton église ! » -Et ainsi fut fait. Mais il y avait, sur ce terrain, un meunier -qui ne voulut point permettre à saint Rémy de traverser -son moulin. Et le saint lui dit : « Mon ami, -tu consentiras bien à partager ce moulin avec nous ? » -Et comme le meunier s’obstinait à n’y point consentir, -soudain la roue du moulin se mit à tourner en sens -contraire. Sur quoi le meunier, rappelant saint Rémy : -« Serviteur de Dieu, reviens, et que le moulin vous appartienne -comme à moi ! » Mais Rémy : « Non, il n’appartiendra -plus ni à toi ni à moi ! » Et en effet, aussitôt la -terre s’ouvrit et engloutit le moulin.</p> - -<p>La fête qu’on célèbre en ce jour ne commémore point -la mort de saint Rémy, mais bien sa « translation » -Car, comme on transportait le corps du saint à l’église -des saints Timothée et Appolinaire, voici qu’en passant -devant l’église de Saint-Christophe la châsse se mit tout -à coup à peser si lourd qu’aucune force humaine ne pouvait -la soulever. Alors les porteurs prièrent Dieu de leur -faire voir par un signe s’il voulait que le corps fût déposé -dans cette église de Saint-Christophe, où se trouvaient -déjà conservées d’innombrables reliques de saints. Et -aussitôt la châsse se laissa soulever comme un fétu de -paille ; et on la déposa solennellement dans cette église, -où elle fit force miracles.</p> - -<p>Plus tard, on agrandit cette église, et l’on construisit -une crypte, derrière l’autel, pour recevoir le corps de -saint Rémy. Mais, de nouveau, la châsse qui contenait -ce corps se trouva si lourde qu’on dut renoncer à la -transporter. Et voilà que, le lendemain matin, qui était -le premier jour d’octobre, on vit que la châsse de saint -Rémy avait été transportée par des anges dans la crypte. -Et, plus tard encore, les restes du saint furent transportés -dans une autre crypte plus belle, où ils reposent -aujourd’hui dans une châsse d’argent.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p559">-559-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c146">CXLVI<br /> -SAINT LÉGER, <span class="small">ÉVÊQUE ET MARTYR<br /> -(2 octobre)</span></h2> - - -<p>Léger mérita par ses vertus d’être élu évêque -d’Autun. A la mort du roi Clotaire, et comme on était -en peine de choisir un nouveau roi, Léger, inspiré -de Dieu, et avec l’approbation des princes, mit sur -le trône le jeune Childéric, frère de Clotaire, merveilleusement -doué pour la royauté. Seul Ebroïn, ministre -de Clotaire, aurait voulu élever au trône un autre -frère du roi défunt, nommé Thierry : et cela non point -dans l’intérêt du royaume, mais dans le sien propre, parce -que, chassé du pouvoir et détesté de tous, il redoutait -la colère de Childéric et des princes. Aussi cet Ebroïn, -dès qu’il vit échouer ses efforts, demanda-t-il au roi la -permission d’entrer dans un monastère. Childéric le lui -permit, en même temps qu’il plaçait sous bonne garde -son frère Thierry, afin de prévenir ses mauvais desseins. -Après quoi grâce aux conseils de l’évêque tout le royaume -jouit d’une paix admirable. Mais au bout de quelque -temps le roi, corrompu par de méchantes influences, se -prit d’une telle haine contre le saint évêque, qu’il cherchait -le moyen de le faire périr. Alors l’évêque, plein de -douceur et embrassant comme des amis ses pires ennemis, -invita le roi à célébrer la fête de Pâques dans sa -cathédrale. Et, le matin de cette fête, il apprit que le -roi avait l’intention de l’assassiner. Il n’en reçut pas -moins son meurtrier à sa table ; mais le soir venu, il se -réfugia au monastère de Luxeuil, où il servit avec charité -Ebroïn lui-même, qui se cachait dans ce monastère -sous l’habit d’un moine.</p> - -<p>Peu de temps après, Childéric mourut, et Thierry -monta sur le trône. Alors Léger, touché des larmes -et des prières de son peuple, et contraint par l’ordre de -son abbé, reprit possession de son siège épiscopal, tandis -<span class="pagenum" id="p560">-560-</span> qu’Ebroïn, de son côté, ayant jeté le froc, était nommé -sénéchal du nouveau roi. Or cet Ebroïn, qui auparavant -déjà était mauvais, devint pire encore depuis ce moment, -et ne pensa qu’aux moyens de se défaire de Léger. Il -envoya des soldats pour s’emparer du saint ; et celui-ci, -pendant qu’il sortait de sa ville en habit pontifical, fut -appréhendé, eut les yeux crevés, et fut jeté en prison où -il resta deux ans. Ebroïn le fit ensuite amener au palais -du roi avec son frère Garin. Et comme tous deux, -bravant le ministre, répondaient sagement et pacifiquement, -Ebroïn fit lapider Garin, et ordonna que -Léger fût traîné, un jour entier, pieds nus sur des -pierres très aiguës. Puis, apprenant que l’évêque continuait -à louer Dieu dans ses tourments, il lui fit couper la -langue et le fit ramener en prison. Mais le saint ne perdit -pas l’usage de la parole. Plus ardemment que jamais, au -contraire, il se livra à la prédication : il prédit même -tous les détails de sa mort, ainsi que celle d’Ebroïn. -Et une immense lumière entourait sa tête comme une -couronne, ce dont tous les assistants furent émerveillés. -Alors Ebroïn ordonna à quatre bourreaux de lui trancher -la tête. Et comme ceux-ci conduisaient le saint au lieu du -supplice, il leur dit : « Mes chers frères, ne vous fatiguez -pas à faire ce long chemin, mais plutôt exécutez ici -l’ordre de celui qui vous a envoyés ! » Alors trois d’entre -eux furent si touchés que, tombant à ses pieds, ils lui -demandèrent pardon. Le quatrième, au contraire, eut le -triste courage d’exécuter sa mission : et, dès qu’il l’eut -fait, un démon s’empara de lui et le jeta dans le feu, où -il périt misérablement.</p> - -<p>Deux ans après, Ebroïn, apprenant que le corps du -saint s’illustrait par de nombreux miracles, chargea un -officier d’aller s’informer par lui-même de ce qui en était. -L’officier plein de morgue et d’arrogance, foula aux pieds -le tombeau, du saint, en s’écriant : « Que meurent tous -ceux qui croient qu’un mort peut faire des miracles ! » Et -voilà qu’un démon s’empara de lui et le tua sur-le-champ. -Ce qu’apprenant, Ebroïn souffrit plus cruellement -encore de l’envie ; et, un jour, suivant la prédiction -<span class="pagenum" id="p561">-561-</span> du saint, il se tua lui-même en se perçant de son épée. -Le martyre de saint Léger eut lieu en l’an du Seigneur -680, sous le règne de l’empereur Constantin IV.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c147">CXLVII<br /> -SAINT FRANÇOIS, <span class="small">CONFESSEUR<a id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor">[14]</a><br /> -(4 octobre)</span></h2> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_14" href="#FNanchor_14"><span class="label">[14]</span></a> Ce chapitre ne figure pas dans les plus anciens manuscrits, -ou n’y figure qu’en appendice, parmi les <i lang="la" xml:lang="la">Legendæ a quibusdam -aliis superadditæ</i>. Son style et les défauts de sa composition suffiraient, -du reste, à le distinguer des chapitres « compilés » par -Jacques de Voragine. La rivalité des ordres dominicains et franciscains -aura, évidemment, empêché le vénérable Frère Prêcheur -d’admettre dans sa <i>Légende</i> le Pauvre d’Assise.</p> -</div> - -<p>François, serviteur et ami du Très-Haut, naquit dans la -ville d’Assise, et fut d’abord marchand. Jusqu’à vingt ans, -il mena une vie dissipée ; mais Dieu, l’ayant touché de -l’aiguillon de la maladie, le transforma subitement en -un tout autre homme.</p> - -<p>Etant allé à Rome en pèlerinage, il se dépouilla de ses -vêtements, revêtit ceux d’un mendiant, et s’assit parmi -les pauvres devant l’église de Saint-Pierre. Il serait resté -avec eux si ses amis ne l’en avaient empêché. Le diable, -pour le détourner de ses saintes intentions, lui montra -un jour une femme d’Assise qui était bossue, et lui dit -que, s’il persistait dans son projet, il deviendrait pareil -à cette femme. Mais le Seigneur le réconforta en lui -disant : « François, si tu veux me bien connaître, fais ta -douceur des choses amères, et méprise-toi toi-même ! » -Rencontrant un lépreux, dont tous avaient horreur, il -s’approcha de lui et le baisa sur la bouche : et aussitôt -le lépreux disparut. Alors François se rendit à la léproserie, -et, baisant les mains des habitants, il leur distribua -tout ce qu’il avait.</p> - -<p>Un jour qu’il était entré, pour prier, dans l’église de -<span class="pagenum" id="p562">-562-</span> Saint-Damien, l’image du Christ lui parla miraculeusement -et lui dit : « François, va réparer ma maison, car, -comme tu vois, elle tombe en ruine ! » Et, dès ce moment, -son âme se fondit de tendresse, et la compassion du -Christ se grava dans son cœur. Dans son désir de réparer -l’église, il vendit tout ce qu’il possédait. Et comme -le prêtre à qui il offrait son argent refusait de le prendre, -par crainte de ses parents, il jeta cet argent comme de -la poussière. Puis, son père lui en ayant fait reproche, -il se dépouilla encore de ses vêtements et s’offrit, tout nu, -au Seigneur. Après quoi, pour détruire l’effet des malédictions -de son père, il demanda à un simple d’esprit de -devenir son père et de le bénir.</p> - -<p>Un de ses frères, le voyant à peine vêtu, pendant l’hiver, -et transi de froid, dit à un passant : « Demande donc -à François de te vendre pour quelques sous de sa sueur ! » -Mais François, l’ayant entendu, répondit gaîment : « Je -ne puis, car je l’ai déjà vendue au Seigneur ! » Une autre -fois, entendant lire les paroles que le Seigneur avait -dites à ses disciples sur leur mission, il résolut de devenir -le serviteur des pauvres, ôta la chaussure de ses -pieds, revêtit un manteau grossier, et se ceignit d’une -corde. Traversant un bois, par un temps de neige, il -fut pris par des voleurs qui lui demandèrent qui il était. -Et comme il leur répondit qu’il était un héraut de Dieu, -ils le renversèrent dans la neige en lui disant : « Gis -donc en paix, héraut de Dieu ! »</p> - -<p>Cependant une grande foule d’hommes, nobles et manants, -clercs et laïques, rejetant la pompe du siècle, -s’attachèrent à lui. Il leur enseigna la perfection évangélique, -qui consiste à vivre dans la pauvreté et la simplicité. -Il écrivit, en outre, pour eux, une règle évangélique, -que le pape Innocent confirma. Et, dès lors, il se -mit à semer avec une nouvelle ardeur la semence de -la parole divine, parcourant sans arrêt les villes et les -villages.</p> - -<p>Il y avait alors un frère qui, à ne voir que les actes, faisait -l’effet d’un saint, mais qui avait cette singularité qu’il -poussait la règle du silence jusqu’à ne pas vouloir ouvrir -<span class="pagenum" id="p563">-563-</span> la bouche pour se confesser. Et comme les autres frères -faisaient son éloge, François leur dit : « Mes frères, ne -louez pas trop, chez lui, une conduite qui n’est peut-être -pas exempte d’un peu de diablerie ! Que ce frère consente -à se confesser au moins une fois par semaine ! Et, s’il ne -le fait pas, c’est donc que sa soi-disant vertu n’est que -pour nous tromper ! » Mais le frère, invité à se confesser, -mit un doigt sur sa bouche, et hocha la tête en signe de -refus. Et le fait est que, peu de temps après, il se pervertit -et finit sa vie dans la dissipation.</p> - -<p>Un jour, comme François chevauchait sur un âne, en -compagnie de frère Léonard, qui était d’une famille -noble d’Assise, celui-ci, qui marchait à pied, se dit tout -à coup : « Ce n’est point mes parents qui auraient consenti -à se laisser ainsi traiter par les siens ! » Et aussitôt -François, descendant de son âne, dit à Léonard : « Ce -n’est point chose convenable que toi, qui es noble, tu -ailles à pied tandis que je chevauche ! » Sur quoi Léonard, -confus, se jeta à ses pieds et lui demanda pardon.</p> - -<p>Une autre fois, une femme noble accourut au-devant -de lui ; et, toute haletante de sa course, elle lui dit : -« Prie pour moi, père, car mon mari m’empêche de -mener la vie que je voudrais, et s’oppose à ce que je serve -pieusement le Christ ! » Et lui : « Va en paix, ma fille, -et dis à ton mari, de ma part, que le temps du salut est -arrivé ! » Elle redit la chose à son mari ; et celui-ci, -aussitôt, changea, et s’engagea à la laisser vivre dans -la continence.</p> - -<p>Il aimait à ce point la pauvreté qu’il l’appelait sa -maîtresse, et que, quand il rencontrait un plus pauvre -que lui, il se sentait tout honteux. Un jour qu’un pauvre -passait près de lui, il dit à son compagnon : « Otons vite -nos manteaux, donnons-les à cet homme, et, nous prosternant -à ses pieds, proclamons-nous coupables ! » Une -autre fois, il rencontra trois femmes, exactement pareilles -l’une à l’autre, qui le saluèrent en disant : « Bienvenue -soit Madame la Pauvreté ! » Puis, elles disparurent, et -jamais on ne les revit.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p564">-564-</span> Etant venu à Arezzo et y ayant trouvé la guerre civile, -il dit à frère Sylvestre, son compagnon : « Va devant la -porte de la ville, et, de la part Dieu, ordonne aux démons -de sortir de la ville ! » Et à peine Sylvestre eut-il -obéi que les citoyens d’Arezzo se réconcilièrent. — Ce -même Sylvestre, pendant qu’il n’était encore que prêtre -séculier, vit en songe une croix d’or qui sortait de la -bouche de François, et dont les bras embrassaient toute -la terre. Aussitôt il renonça au monde pour imiter -l’exemple de l’homme de Dieu.</p> - -<p>Pendant que François était en prière, trois fois le -diable l’appela par son nom. Et, chaque fois, François -lui répondit ; après quoi il ajouta : « Il n’y a point de -pécheur au monde qui ne puisse espérer de Dieu son -pardon s’il se convertit ! » Alors le diable, voyant qu’il ne -pouvait pas le tenter de cette manière, lui envoya une -cruelle tentation de la chair. Et François, ayant enlevé -son manteau, se frappait avec sa ceinture en disant : -« Hélas, mon frère âne, voilà comment il faut que tu -subisses le fouet ! » Puis, comme la tentation persistait, -il se roula dans la neige ; et, ayant fait sept petits tas de -neige, il dit à son corps : « Regarde, voici ta femme, -voici tes deux fils et tes deux filles, et voici ton serviteur -et ta servante ! Hâte-toi de les vêtir, car ils meurent -de froid ! Et si tu trouves trop difficile de t’occuper d’eux, -ne t’occupe donc que de servir ton maître ! » Aussitôt le -diable, tout confus, s’en alla ; et François, glorifiant Dieu, -rentra dans sa cellule.</p> - -<p>Un frère, compagnon du saint, ayant été ravi en -extase, vit les trônes du ciel, et, parmi eux, un trône -plus haut et plus brillant que les autres. Et une voix lui -dit : « C’était le siège d’un des archanges déchus ; et -maintenant nous le préparons pour l’humble François. » -Alors, s’éveillant, le frère demanda à François ce qu’il -pensait de lui-même. Et François : « Je m’apparais comme -le plus grand des pécheurs. » Aussitôt l’Esprit-Saint dit -à l’oreille du frère : « Reconnais combien était vraie ta -vision ; car ce siège, perdu par l’orgueil, sera gagné par -l’humilité ! »</p> - -<p><span class="pagenum" id="p565">-565-</span> Une autre fois, François lui-même, étant ravi en extase, -vit au-dessus de sa tête un séraphin crucifié, qui lui -imprima si profondément les signes de la crucifixion -que ce fut comme si François avait été vraiment crucifié. -Et désormais le saint porta sur ses mains, ses pieds, et -son côté, les stigmates de la croix ; mais, dans son humilité, -il les cachait avec tant de soin, que peu d’hommes -les virent avant sa mort, où, au contraire, tous purent les -voir. Et la réalité de ces stigmates s’attesta encore par -de nombreux miracles, parmi lesquels nous nous bornerons -à citer les deux suivants :</p> - -<p>1<sup>o</sup> Dans la Pouille, un homme appelé Roger, étant -devant une image de saint François, se demanda si le -miracle des stigmates était vrai, ou si ce n’était pas une -pieuse illusion, ou même une supercherie des frères. Et -aussitôt, il entendit comme le bruit d’une flèche, et il se -sentit la main gauche traversée, sous son gant ; et en -effet, quand il eut ôté le gant, il vit que sa paume était -grièvement blessée. Mais comme il se repentait, et se -jurait qu’il ne cesserait plus désormais de croire aux -stigmates de saint François, sa blessure disparut peu de -temps après.</p> - -<p>2<sup>o</sup> Dans le royaume de Castille, un homme, qui se -rendait en pèlerinage à une église de saint François, -tomba dans un piège préparé pour un autre homme, et -fut mortellement blessé. Or, au milieu de la nuit, comme -la cloche des frères sonnait pour les matines, la femme -du mort se mit à crier : « Mon mari, lève-toi, et va aux -matines, car la cloche t’appelle ! » Et aussitôt le mort fit -un signe de la main comme pour demander qu’on retirât -l’épée qui lui traversait la gorge ; et une main invisible -retira cette épée et le mort se releva, entièrement -guéri. Et il dit : « Saint François, venu à mon secours, -a apposé ses stigmates sur mes blessures, et, par leur -contact, les a miraculeusement guéries. Puis, comme il -voulait repartir, je lui ai fait signe de retirer l’épée que -j’avais dans la gorge, et qui m’empêchait de parler ! »</p> - -<p>Saint François et saint Dominique, ces deux flambeaux -du monde, se rencontrèrent à Rome devant -<span class="pagenum" id="p566">-566-</span> l’évêque d’Ostie, qui devint plus tard souverain pontife. -Et l’évêque leur dit : « Pourquoi ne ferions-nous pas de -vos frères des évêques et des prélats, puisqu’ils dépassent -les autres frères par le savoir comme par l’exemple ? » Il -y eut alors entre les deux saints une longue lutte d’humilité, -car chacun d’eux voulait laisser à l’autre l’honneur -de répondre le premier. Enfin l’humilité de François -l’emporta, car ce fut Dominique qui parla le premier ; et -l’humilité de Dominique l’emporta elle aussi, car ce fut -par obéissance qu’il consentit à parler. Donc il dit : -« Seigneur, mes frères sont élevés déjà à un rang assez -haut, par le seul fait de leur titre de frères ; et je ne saurais -permettre, quant à moi, qu’ils acceptassent une -autre marque de dignité. » Puis François, à son tour, -répondit : « Seigneur, mes frères portent le nom de -<i>mineurs</i>, précisément afin qu’ils n’aient pas la présomption -de se croira <i>majeurs</i> ! »</p> - -<p>Avec sa simplicité de colombe, saint François exhortait -toutes les créatures à l’amour de Dieu. Il prêchait -aux oiseaux, qui l’écoutaient, se laissaient prendre par -lui, ne s’envolaient qu’avec sa permission. A la Portioncule, -tout près de sa cellule, une cigale chantait ; il étendit -la main vers elle et lui dit : « Ma sœur la cigale, viens -ici ! » Aussitôt la cigale grimpa sur sa main. Et lui : -« Chante, ma sœur la cigale, et loue ton Créateur ! » Il -se refusait à souffler les lampes et les chandelles, ne -voulant point profaner la lumière en y touchant. Il ne -marchait qu’avec égard sur les pierres, en considération -de l’esprit qu’il voyait en elles ; il retirait de la route les -vermisseaux, par crainte qu’ils ne fussent foulés aux -pieds des passants ; il faisait apporter du miel et du vin -aux abeilles dans les rigueurs de l’hiver. La vue du soleil, -de la lune et des étoiles, le remplissait d’une joie ineffable ; -et il ne manquait jamais de les inviter à l’amour -du Créateur. Un jour, traversant les marais de la Vénétie, -il trouva une grande multitude d’oiseaux qui chantaient ; -et il dit à son compagnon : « Voici nos sœurs les -avettes qui louent leur Créateur ! Allons au milieu d’elles -pour chanter nos heures ! » Mais comme le chant des -<span class="pagenum" id="p567">-567-</span> oiseaux l’empêchait d’entendre sa voix et celle de son -compagnon, il leur dit : « Chères sœurs, chantez moins -fort, jusqu’à ce que nous ayons fini notre office ! » Et les -oiseaux obéirent ; et, quand il eut achevé ses laudes, il -leur donna de nouveau la permission de chanter à leur -aise. Une autre fois, rencontrant sur la route une troupe -d’oiseaux, il les salua tendrement et leur dit : « Mes -frères les oiseaux, vous avez bien des raisons de louer -votre créateur, qui vous a revêtus de plumes, vous a donné -des ailes pour voler, a fait pour vous la pureté de l’air, -et gouverne votre vie sans vous en imposer le souci ! » -Aussitôt les oiseaux commencèrent à tendre le cou vers -lui, et l’écoutèrent avec grande attention. Et pas un seul -ne s’envola avant qu’il eût achevé de parler.</p> - -<p>Il avait une grave maladie d’yeux, et l’aggravait encore -par ses larmes. Et comme ses frères l’engageaient à -moins pleurer, pour épargner sa vue, il leur dit : « Comment -pourrais-je, par amour pour la lumière terrestre, -qui nous est commune avec les mouches, renoncer au -spectacle de la lumière éternelle ? »</p> - -<p>Il préférait s’entendre blâmer que louer ; et il avait -demandé à un de ses frères que, dès que le peuple faisait -l’éloge de sa sainteté, ce frère lui répétât dans l’oreille -les pires injures. Et comme ce frère, bien malgré lui, le -traitait de rustre inutile et stupide, François tout joyeux, -lui disait : « Que Dieu te bénisse, car ce que tu dis là -est bien vrai, et voilà les choses que je mérite d’entendre ! » -Ce parfait serviteur de Dieu préférait aussi -servir que commander, obéir qu’ordonner. Il s’était -constitué un gardien, à la volonté duquel il se soumettait -aveuglément. Au frère qui l’accompagnait dans sa route, -il avait toujours soin de promettre obéissance ; et c’était -toujours lui qui le servait.</p> - -<p>Un jour qu’il passait par la Pouille, il trouva, à terre, -une bourse qui paraissait gonflée de deniers. Son compagnon -voulait la ramasser, pour en distribuer le contenu -aux pauvres, mais François lui dit : « Mon cher fils, -nous n’avons pas le droit de prendre le bien d’autrui ! » -Cependant, comme le frère insistait, François lui permit -<span class="pagenum" id="p568">-568-</span> de prendre la bourse et de l’ouvrir ; et ils virent qu’au -lieu d’argent elle contenait une grosse vipère. Sur quoi -le saint dit : « L’argent, pour les serviteurs de Dieu, -n’est jamais autre chose qu’une vipère venimeuse. »</p> - -<p>Etant l’hôte d’un habitant d’Alexandrie, en Lombardie, -cet homme lui demanda que, pour observer le précepte -de l’évangile, il consentît à manger tout ce qu’on lui -servirait. Le saint promit ; et l’hôte lui fit servir un -magnifique chapon. Ce qu’apprenant, un impie se présenta -devant eux, pendant qu’ils mangeaient, et leur -demanda l’aumône au nom de Dieu. Saint François lui -fit aussitôt donner une part du chapon ; et l’impie, au -lieu de la manger, la garda avec soin ; puis, le lendemain, -pendant que le saint prêchait, il montra le morceau en -disant : « Tenez, voici de quoi se nourrit cet homme, que -vous honorez comme un saint ! Car c’est lui-même qui -m’a donné, hier soir, ce reste de sa table ! » Et il montrait -le morceau de chapon, mais la foule ne voyait qu’un -morceau de poisson, et l’on traitait de fou l’accusateur -du saint. Et quand celui-ci s’aperçut du miracle, tout -honteux il demanda pardon ; et aussitôt la viande reprit -sa forme première.</p> - -<p>François voulait qu’on traitât avec un respect tout -particulier les mains des prêtres, qui ont le pouvoir de -transformer le pain en le corps de Dieu. Et il disait -souvent : « Si je rencontrais ensemble un grand saint du -ciel et un pauvre petit prêtre, je courrais d’abord baiser -les mains du prêtre, et je dirais au saint : « Attends-moi -un instant, saint Laurent, car les mains de cet homme -produisent le Verbe vivant, et il faut d’abord que je -leur fasse ma révérence ! »</p> - -<p>Innombrables sont les miracles qu’il opéra pendant -sa vie. Le pain même qu’on lui apportait à bénir guérissait -les malades. Il changeait l’eau en vin, et tout malade -qui goûtait de ce vin recouvrait la santé. Et quand, -après une longue maladie, il sentit la mort s’approcher, -il se fit déposer sur la terre nue, bénit tous ses frères, -et, en souvenir de la Cène, partagea entre eux une -bouchée de pain. Il invitait la mort elle-même à louer -<span class="pagenum" id="p569">-569-</span> Dieu avec lui, la saluant avec joie, et lui disant : « Bienvenue -est ma sœur la mort ! » C’est ainsi qu’il s’endormit -dans le Seigneur.</p> - -<p>Un frère nommé Augustin, qui cultivait le jardin du -couvent, tomba malade et perdit la parole. Mais tout à -coup il s’écria : « Attends-moi, mon père, attends-moi ! -Je viens avec toi. » Et comme ses frères lui demandaient -ce qu’il voulait dire, il répondit : « Ne voyez-vous -pas notre père François, qui marche dans le ciel ? » Et -aussitôt, s’endormant dans le Seigneur, il rejoignit son -maître.</p> - -<p>Une femme, qui avait une piété spéciale pour saint -François mourut, pendant que le clergé célébrait ses -obsèques, soudain elle se redressa sur son lit, et dit à -l’un des prêtres : « Mon père, je veux me confesser. -J’étais morte, et j’allais être condamnée à la prison éternelle, -car j’avais sur la conscience un péché dont je ne -m’étais confessée à personne. Mais saint François a -daigné prier pour moi, et a obtenu que je revinsse à la -vie pour révéler mon péché et en recevoir mon pardon. » -Elle se confessa, reçut l’absolution et s’endormit dans -le Seigneur.</p> - -<p>Un paysan de Vicera, à qui des frères franciscains -demandaient une charrue, leur répondit : « Plutôt que -de vous donner ma charrue, j’aimerais mieux vous -écorcher, et votre saint François avec vous ! » Peu de -temps après, le fils de cet homme tomba malade et -mourut. Et son père, se roulant à terre, invoquait saint -François : « C’est moi qui ai commis le péché, c’est moi -que tu devais punir ! Grand saint, rends à un pieux suppliant -ce que tu as enlevé à l’impie blasphémateur ! » Et -aussitôt le fils, ressuscité, lui dit : « Quand je suis mort, -saint François m’a conduit par un chemin long et sombre -jusque dans une belle prairie ; et puis il m’a dit : « Retourne -maintenant chez ton père, mon cher enfant, je -ne veux pas te retenir plus longtemps ! »</p> - -<p>Un pauvre demandait à un riche de lui prolonger le -crédit d’une dette, par amour pour saint François. A quoi -le riche répondit ; « Je t’enfermerai dans un lieu où -<span class="pagenum" id="p570">-570-</span> François lui-même ne pourra pas te venir en aide. » Et -il le fit jeter en prison. Mais, le soir même, saint François -apparut au prisonnier, brisa ses chaînes et le ramena -dans sa maison.</p> - -<p>Un soldat, après avoir déprécié les miracles de saint -François pendant qu’il jouait aux dés, s’écria : « Si -François est saint, que ces deux dés amènent donc le -total 18 ! » Aussitôt l’un des deux dés se trouva porter -12 au lieu de 6, et neuf fois de suite ce miracle se renouvela. -Mais le soldat, aggravant son ancienne folie d’une -folie pire encore, s’écria : « Si ce François est vraiment -un saint, je veux que mon corps tombe aujourd’hui percé -d’une épée ! » Et, dès que la partie fut finie, le neveu de -cet homme, s’étant pris de querelle avec lui, tira son -épée et lui en transperça le ventre, ce dont il mourut -sur-le-champ.</p> - -<p>Un homme qu’une paralysie empêchait de se mouvoir -invoquait saint François, en disant : « Secours-moi, saint -François, en souvenir de ma dévotion et des services -que je t’ai rendus ; car autrefois je t’ai porté sur mon -âne, j’ai baisé tes pieds et tes mains ; et voici que je -meurs dans de cruelles souffrances ! » Aussitôt le saint, -lui apparaissant, lui toucha les jambes avec un bâton -qui avait la forme du T grec. Et le malade recouvra la -santé, mais le signe du T grec resta à jamais gravé sur -sa peau. Or c’était de ce signe que saint François avait -coutume de signer ses lettres.</p> - -<p>Dans la ville de Pomereto, en Pouille, une mère, -ayant perdu sa fille unique, invoquait en pleurant l’aide -de saint François. Celui-ci lui apparut et lui dit : « Ne -pleure pas, car la lumière de sa lampe, que tu crois -éteinte, va se rallumer sur mon intercession ! » La mère, -donc, ne permit point qu’on emportât le corps de sa -fille et bientôt, prenant celle-ci dans ses bras, elle la -releva saine et sauve. Une autre fois, à Rome, l’intercession -du saint rendit la vie à un petit garçon qui s’était -tué en tombant de la fenêtre d’un palais. A Suze, saint -François ressuscita de la même façon, pour répondre -aux prières d’une mère, un jeune homme qui était mort -<span class="pagenum" id="p571">-571-</span> sous les décombres d’une maison, et qu’on se préparait -déjà à ensevelir.</p> - -<p>Le frère Jacques de Riéti, traversant un fleuve avec -d’autres frères, se noya au moment où ses compagnons -descendaient déjà sur le rivage. Les survivants invoquèrent -l’aide de saint François, et le noyé lui-même, -déjà à demi mort, l’invoquait de son côté. Et voici que -ses compagnons le virent marcher sur les vagues comme -sur du sable, et ramener jusqu’au rivage le bateau submergé. -Et ils virent même que ses vêtements étaient -secs, au point que pas une goutte d’eau ne les avait -mouillés.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c148">CLXVIII<br /> -SAINTE PÉLAGIE, <span class="small">PÉCHERESSE<br /> -(8 octobre)</span></h2> - - -<p>Pélagie était une des femmes les plus nobles, les plus -riches et les plus belles de la ville d’Antioche. Ambitieuse -et vaine, impudique de corps et d’âme, elle se -promenait orgueilleusement par la ville, de telle sorte -qu’on ne voyait rien sur elle que de l’or, de l’argent, et -des pierreries, et que, sur son passage, elle remplissait -l’air de parfums capiteux. Devant et derrière elle, marchait -une troupe nombreuse de jeunes hommes et de -jeunes femmes, également vêtus de robes éclatantes. -Elle fut, un jour, rencontrée, en cet équipage, par un -saint homme nommé Néron, évêque d’Héliopolis, qui -s’appelle aujourd’hui Damiette. Et Néron, voyant qu’elle -avait plus de souci de plaire au monde que lui-même -n’en avait de plaire à Dieu, se mit à pleurer. Puis, se -jetant sur le pavé, il frappait son visage contre terre, -priant Dieu de lui pardonner. Et il dit à ceux qui étaient -avec lui : « En vérité je vous le dis, Dieu produira cette -femme contre nous au jour du jugement : car elle met -<span class="pagenum" id="p572">-572-</span> plus de soin à s’orner pour plaire à ses amants terrestres -que nous n’en mettons à orner nos âmes pour plaire -à l’époux céleste ! » Après quoi il s’endormit, et eut un -rêve. Il se vit célébrant la messe, et autour de lui volait -une colombe noire et puante. Il ordonna à ses catéchumènes -de la chasser, et la colombe disparut ; mais après -la messe elle revint, et lui-même la plongea dans un -vase d’eau, d’où elle sortit toute blanche et toute parfumée ; -et elle s’envola si haut qu’on la perdit de vue. -Ayant fait ce rêve, Néron s’éveilla. Or, un jour qu’il -prêchait dans l’église en présence de Pélagie, celle-ci -fut si touchée qu’elle lui envoya le message suivant : -« Au saint évêque, disciple du Christ, Pélagie, disciple -du diable ! Si tu es vraiment le disciple du Christ, qui, -à ce que l’on dit, est descendu du ciel pour les pécheurs, -daigne m’accueillir, moi qui suis une pécheresse, mais -qui me repens ! » L’évêque lui répondit : « Par grâce, ne -tente pas mon humilité, car je suis homme, et pécheur ! -Mais si vraiment tu désires être sauvée, viens me voir -non pas seul, mais parmi les fidèles ! » Et elle vint vers -lui, en présence de la foule, et se jeta à ses pieds, et lui -dit en pleurant : « Je suis Pélagie, plage d’iniquité, toute -ruisselante du flot de mes péchés, je suis un abîme de -perdition, je suis un piège d’âmes ; mais à présent j’ai -horreur de tout cela ! » L’évêque lui demanda son nom. -Et elle : « A ma naissance je fus appelée Pélagie, mais -l’éclat de mes vêtements m’a fait donner le surnom de -Marguerite. » Alors l’évêque la reçut avec bonté, lui -imposa une pénitence, l’instruisit dans la crainte de -Dieu et la régénéra par le saint baptême.</p> - -<p>Or, une nuit, pendant que Pélagie dormait, le diable -vint la réveiller et lui dit : « Ma chère Marguerite, pourquoi -m’as-tu abandonné, moi qui t’ai toujours ornée de -gloire et de richesse ? » Pélagie fit le signe de la croix, -souffla sur le diable et le mit en fuite. Le lendemain, -elle rassembla tout ce qu’elle possédait et le distribua -aux pauvres. Après quoi, sans prévenir personne, elle -s’enfuit à Jérusalem. Là, prenant l’habit d’un ermite, -elle s’installa dans une cellule, sur le mont des Oliviers. -<span class="pagenum" id="p573">-573-</span> Et elle servait Dieu dans l’abstinence, et bientôt elle -devint célèbre dans toute la région, sous le nom de frère -Pélage. Or, un diacre de l’évêque Néron étant venu à -Jérusalem pour visiter les lieux saints, l’évêque de Jérusalem -lui parla d’un saint ermite nommé Pelage, et -l’engagea à aller le voir. Et Pélagie aussitôt le reconnut, -tandis que lui ne la reconnaissait point, amaigrie et -changée comme elle l’était. Et elle lui dit : « L’évêque -Néron vit-il encore ? » Et lui : « Oui. » Et elle : « Qu’il -prie le Seigneur pour moi, car c’est vraiment un apôtre -du Christ ! » Le lendemain, le diacre revint la voir ; -mais, comme il frappait à sa porte sans obtenir de -réponse, il ouvrit la fenêtre de la cellule, et vit que le -frère Pelage était mort. Il courut annoncer la chose à -l’évêque, qui vint, avec son clergé et ses moines, pour -ensevelir le saint ermite. Et voilà qu’en retirant de la -cellule le cadavre du défunt, on découvrit que celui-ci -était une femme ! Sainte Pélagie mourut le 8 octobre de -l’an du Seigneur 290.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c149">CXLIX<br /> -SAINTE MARGUERITE, <span class="small">VIERGE<br /> -(8 octobre)</span></h2> - - -<p>Marguerite était une vierge très belle, très noble et -très riche. Elle fut élevée par ses parents dans un tel -amour des bonnes mœurs et de la pudeur qu’elle s’efforçait, -autant que possible, de se dérober aux regards des -hommes. Elle fut enfin demandée en mariage par un -jeune noble ; et, comme les deux familles consentaient à -cette union, le jour des noces fut décidé. Mais, ce jour-là, -pendant que toute la noblesse de la ville célébrait -joyeusement la fête nuptiale, la jeune fiancée, prosternée -à terre et toute en larmes, songea avec épouvante à -l’ordure qu’étaient toutes les joies de cette vie en comparaison -<span class="pagenum" id="p574">-574-</span> de la perte de sa virginité. Aussi se refusa-t-elle -aux caresses de son mari ; et, quand celui-ci se fut endormi, -elle coupa ses cheveux, prit un vêtement d’homme, -et s’enfuit. Après avoir longtemps marché, elle se réfugia -dans un monastère où elle devint moine sous le nom de -Frère Pélage. Et telle fut la sainteté de ses mœurs que, -sur l’ordre de son abbé, et malgré sa résistance, elle dut -se résigner à devenir le supérieur d’un couvent de nonnes. -Alors le diable, jaloux d’elle, chercha un moyen de la -perdre. Il poussa une des religieuses à commettre le -péché de chair ; et quand la coupable se trouva forcée -d’avouer sa grossesse, religieuses et moines, consternés, -furent unanimes à considérer comme son séducteur le -Frère Pélage, celui-ci étant le seul homme qui vécût -auprès d’elle. Marguerite fut donc chassée ignominieusement -du monastère et enfermée dans une grotte, où on lui -apportait, de temps à autre, un pain d’orge et une cruche -d’eau. Mais elle, supportant cette épreuve avec patience, -ne cessait point de rendre grâces à Dieu. Enfin, lorsqu’elle -se sentit sur le point de mourir, elle écrivit à l’abbé et -aux moines : « De naissance noble, je portais dans le -siècle le nom de Marguerite ; mais j’ai pris le nom de -Pélage parce que j’ai traversé la plage des tentations. Je -demande maintenant que mes saintes sœurs m’ensevelissent, -afin que les femmes reconnaissent une vierge en -celle que les calomniateurs ont fait passer pour un débauché ! » -Au reçu de cette lettre, les religieuses coururent à la -grotte de l’ermite ; elles reconnurent que le Frère Pélage -était une femme, une pure vierge ; et elle fut ensevelie -avec honneur dans le couvent de femmes qu’elle avait -dirigé ; et religieuses et moines firent pénitence de -l’injuste traitement qu’elle avait subi.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p575">-575-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c150">CL<br /> -SAINTE THAÏS, <span class="small">COURTISANE<br /> -(8 octobre)</span></h2> - - -<p>La courtisane Thaïs était si belle que beaucoup -d’hommes, ayant vendu tous leurs biens par amour pour -elle, s’étaient vus réduits à l’extrême misère, et que le -seuil de sa maison était arrosé du sang de ses amants, -poussés par leur jalousie à s’entretuer. Ce qu’apprenant, -le solitaire Paphnuce se procura une pièce d’argent, -revêtit un habit séculier, et se rendit dans la ville -d’Egypte où demeurait la courtisane : après quoi il -remit à celle-ci sa pièce d’argent, comme afin de pouvoir -pécher avec elle. Et Thaïs, ayant reçu la pièce d’argent, -lui dit : « Entrons dans ma chambre ! » Paphnuce entra -dans cette chambre, où il y avait un lit tout couvert -d’étoffes de prix. Mais comme la courtisane l’invitait à -monter sur ce lit, il lui dit : « Si tu as une autre chambre, -plus retirée, allons plutôt là ! » Elle le conduisit dans -plusieurs autres chambres ; mais toujours il disait qu’il -avait peur d’être vu. Alors Thaïs : « J’ai dans ma maison -une chambre où personne ne peut entrer ; mais si c’est -Dieu que tu crains, il n’y a pas de lieu au monde où tu -puisses te dérober à ses regards ! » Et Paphnuce : « Tu -sais donc que Dieu existe ? » Elle répondit qu’elle le -savait, qu’elle connaissait aussi la vie future et le châtiment -des pécheurs. Alors Paphnuce : « Si tu connais -tout cela, pourquoi as-tu causé la perte de tant d’âmes ? -Tu auras à rendre compte à Dieu de toutes ces âmes, en -même temps que de la tienne : et sûrement tu seras -damnée ! » Ce qu’entendant, Thaïs se jeta aux pieds du -solitaire, fondit en larmes, et s’écria : « Mais je sais aussi -qu’on peut se repentir, mon père, et j’ai confiance dans -ta prière pour m’obtenir la remise de mes péchés ! -Accorde-moi seulement trois heures de délai, et, après -cela, j’irai où tu m’ordonneras d’aller, et je ferai ce que -<span class="pagenum" id="p576">-576-</span> tu m’ordonneras de faire ! » Elle profita de ce délai pour -recueillir tous les richesses qu’elle avait gagnées par -ses péchés, et, les transportant sur la grande place, en -présence de la foule, elle y mit le feu, et elle disait : -« Venez tous, vous qui avez péché avec moi, et voyez -ce que je fais de vos présents ! » Puis, quand elle eut -tout brûlé (et il y avait là des objets dont l’ensemble -valait 400 livres d’or) elle rejoignit Paphnuce, qui la -conduisit dans un couvent de femmes. Il l’enferma -dans une étroite cellule, en mura la porte, et ne laissa -qu’une petite fenêtre par où l’on devait, tous les jours, -lui apporter un peu de pain et d’eau. Et comme ensuite -il se retirait, elle lui dit : « Que m’ordonnes-tu, mon père, -au sujet de l’endroit où je devrai uriner et déposer mes -excréments ? » Et Paphnuce : « Tu feras tout cela dans -ta cellule, ainsi que tu le mérites ! » Elle lui demanda -ensuite comment elle devait prier. Et lui : « Tu n’es pas -digne de prononcer le nom de Dieu, ni de lever les -mains au ciel, car tes mains et les lèvres sont pleines -d’impureté. Tu te borneras donc à te prosterner du côté -de l’Orient, et à répéter toujours cette phrase : « Toi qui -m’as créée, aie pitié de moi ! »</p> - -<p>Après que Thaïs fut ainsi restée enfermée pendant -trois ans, Paphnuce eut pitié d’elle et vint trouver saint -Antoine, pour lui demander si Dieu n’avait pas encore -remis les péchés de la pénitente. Antoine réunit alors -ses disciples, et leur enjoignit de rester en oraison, -chacun de son côté, jusqu’à ce que Dieu révélât à l’un -d’eux l’objet de la visite du solitaire Paphnuce. Et -comme les disciples étaient en oraison, l’un d’eux, Paul, -vit au ciel un grand lit couvert d’étoffes précieuses, -et gardé par trois vierges au visage rayonnant. Ces -trois vierges étaient la peur des châtiments futurs, -la honte des péchés commis et la passion de la justice -de Dieu. Et comme Paul disait à ces trois vierges que -ce lit était sans doute réservé à Antoine, une voix d’en -haut lui répondit : « Non, ce lit n’est point pour ton père -Antoine, mais pour la courtisane Thaïs ! » Le lendemain, -Paul s’empressa de raconter sa vision ; et Paphnuce, -<span class="pagenum" id="p577">-577-</span> découvrant ainsi la volonté du ciel, s’empressa d’aller -au monastère pour ouvrir la cellule de la pénitente. Mais -celle-ci le suppliait de la laisser enfermée. Et il lui dit : -« Sors de là, car Dieu t’a remis tes péchés. Il te les a -remis non seulement à cause de la pénitence, mais parce -que tu as toujours gardé sa crainte au fond de ton âme ! » -Elle vécut encore quinze jours, et s’endormit en paix.</p> - -<p>Un autre solitaire nommé Ephrem, voulut convertir -de la même façon une autre courtisane. Comme celle-ci -essayait impudemment de l’inciter au péché, il lui dit : -« Suis-moi ! » Après quoi il la conduisit dans un lieu où se -trouvait une grande foule, et il lui dit : « Couche-toi, pour -que je m’unisse à toi ! » Et elle : « Comment pourrais-je -faire cela, quand toute cette foule me regarde ? » Et -Ephrem : « Si tu rougis d’être vue par des hommes, ne -devrais-tu pas rougir bien plus encore devant ton Créateur, -dont le regard pénètre jusqu’au plus profond des -ténèbres ? » Alors la courtisane, toute confuse, s’enfuit.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c151">CLI<br /> -SAINTS DENIS, RUSTIQUE ET ÉLEUTHÈRE, <span class="small">MARTYRS<br /> -(9 octobre)</span></h2> - - -<p>I. Denis l’Aréopagite fut converti à la foi du Christ par -l’apôtre saint Paul. Son surnom d’Aréopagite lui venait -du nom d’un faubourg d’Athènes où il demeurait, et qui -s’appelait Aréopage, c’est-à-dire faubourg de Mars, parce -qu’on y voyait un temple du dieu Mars. Dans ce faubourg, -qui était la demeure favorite des savants, Denis se livrait -à l’étude de la philosophie ; et on l’appelait aussi le Théosophe, -c’est-à-dire l’homme versé dans la science de -Dieu. Et il avait avec lui un compagnon d’études nommé -Apollophane. Or, le jour de la passion du Christ, la ville -d’Athènes, de même que le monde entier, fut soudain -<span class="pagenum" id="p578">-578-</span> remplie d’une épaisse ténèbre ; et les savants d’Athènes -ne parvenaient pas à découvrir la cause naturelle de ce -fait étrange, tout à fait différent des éclipses ordinaires. -Ajoutons, à ce propos, que de nombreux témoignages -attestent l’universalité de la soudaine ténèbre qui suivit -la mort du Seigneur. Elle fut constatée en Grèce comme -à Rome, et dans l’Asie Mineure. Et l’on raconte que -Denis, en présence de ce phénomène, aurait dit à ses -compatriotes : « Cette nuit nouvelle présage le prochain -avènement d’une lumière nouvelle, dont le monde entier -sera illuminé. » Sur quoi les Athéniens élevèrent un -autel où ils mirent cette inscription : <i>Au Dieu inconnu</i>.</p> - -<p>Et lorsque saint Paul vint à Athènes, il vit cet autel et -s’écria : « Ce Dieu que vous adorez sans le connaître, je -suis venu vous le révéler ! » Puis, s’adressant à Denis comme -au plus savant des philosophes, il lui demanda qui était ce -Dieu inconnu. Et Denis : « C’est le seul vrai Dieu, mais -il se cache à nous et nous est inconnu. » Et saint Paul : -« Ce Dieu est celui que je viens vous révéler, celui qui a créé -le ciel et la terre, et qui a revêtu la forme humaine, et a subi -la mort, et est ressuscité le troisième jour. » Et, comme -Denis continuait a discuter avec Paul, un aveugle vint à -passer près d’eux. Alors Denis dit à Paul : « Si, au nom -de ton Dieu, tu dis à cet aveugle de recouvrer la vue, et -s’il la recouvre, je me convertirai aussitôt à ta foi. Mais -afin que tu ne puisses pas employer de formule magique, -je te dicterai moi-même la formule que tu devras employer -pour guérir cet aveugle au nom de ton maître -Jésus ! » Alors Paul, pour écarter tout soupçon, dit à -Denis de prononcer lui-même les paroles qu’il voulait -lui dicter, et qui étaient celles-ci : « Au nom de Jésus-Christ, -né d’une vierge, puis crucifié, puis ressuscité -des morts et monté au ciel, recouvre la vue ! » Et dès -que Denis eut prononcé ces paroles, aussitôt l’aveugle -fut guéri de sa cécité. Alors Denis reçut le baptême, -avec sa femme Damaris, et toute sa maison. Saint Paul -l’instruisit ensuite, pendant trois ans, des vérités de la -la foi ; et il finit par l’ordonner évêque d’Athènes. Et -Denis, par l’ardeur de sa prédication, convertit à la foi -<span class="pagenum" id="p579">-579-</span> chrétienne sa ville natale, ainsi que la plus grande partie -de la région environnante.</p> - -<p>Il nous donne à entendre lui-même, dans ses livres, -que c’est à lui que saint Paul a révélé ce qu’il a vu -lorsque, dans son ravissement, il a été transporté au troisième -ciel. Et le fait est que Denis nous a décrit, avec -une clarté et une abondance parfaites, la hiérarchie des -anges, leurs ordres, dispositions et offices. Il nous parle -de tout cela comme si, au lieu de l’avoir appris d’une -autre bouche, lui-même avait été ravi au troisième ciel. -Et il eut aussi le don de prophétie, ainsi que nous le -voyons par la lettre qu’il écrivit à l’évangéliste Jean, -exilé dans l’île de Pathmos. Il lui disait, dans cette lettre : -« Réjouis-toi, frère bien-aimé, car tu seras délivré de ton -exil de Pathmos, et tu retourneras sur la terre d’Asie, -et tu y laisseras à ceux qui viendront après toi le souvenir -de la façon dont tu auras imité l’exemple du Christ ! » -Et il nous apprend aussi, dans son livre sur les noms -divins, qu’il fut un de ceux qui assistèrent au dernier -sommeil de la sainte Vierge.</p> - -<p>Lorsqu’il apprit que saint Pierre et saint Paul étaient -tenus en prison à Rome, sous Néron, il nomma un -autre évêque à sa place et se mit en route pour aller -voir les deux saints. Et lorsque ceux-ci eurent rendu -leurs âmes à Dieu, le pape Clément envoya Denis en -France, lui donnant pour compagnons Rustique et Eleuthère.</p> - -<p>Denis se rendit alors à Paris où il fit de nombreuses -conversions, éleva plusieurs églises et ordonna bon -nombre de prêtres. Et telle était la grâce céleste qui -brillait en lui que, souvent, comme le peuple s’élançait -vers lui pour l’attaquer, à l’instigation des prêtres des -idoles, les assaillants sentaient toute leur fureur s’évanouir -dès qu’ils se trouvaient en présence de lui. Les -uns se prosternaient à ses pieds ; les autres, effrayés, -prenaient la fuite. Mais le diable, furieux de voir son -culte diminuer de jour en jour ; inspira à l’empereur -Domitien la pensée inhumaine d’ordonner que quiconque -découvrirait un chrétien serait tenu de le faire sacrifier -<span class="pagenum" id="p580">-580-</span> aux idoles, sous peine d’être lui-même sévèrement puni. -Et un préfet nommé Fescennius fut envoyé de Rome -contre les chrétiens de Paris. Ce préfet, ayant trouvé -Denis occupé à prêcher devant le peuple, ordonna de -l’arrêter, de le garrotter avec une grosse corde et de -l’amener à son prétoire, en compagnie des deux saints -Rustique et Eleuthère.</p> - -<p>Pendant que les trois saints, en présence du préfet, proclamaient -courageusement leur foi, arriva certaine dame -noble qui affirma que son mari avait été séduit par les -trois imposteurs. Le préfet manda aussitôt ce mari, qui, -persévérant dans sa foi, fut mis à mort sur-le-champ. -Quant aux trois saints, ils furent flagellés par douze -soldats, chargés de chaînes et jetés en prison. Le lendemain, -Denis fut étendu, nu, sur un gril enflammé. Et -lui, au milieu de ses souffrances, rendait grâce à Dieu. -Il fut ensuite donné en pâture à des bêtes féroces, dont -on avait excité la faim par un jeûne prolongé. Mais, au -moment où ces animaux s’élançaient sur lui, il fit sur -eux le signe de la croix ; et eux, tout de suite, l’entourèrent -doucement, comme des agneaux. Le préfet le fit -alors mettre en croix, puis, après l’avoir longtemps -torturé, le fit reconduire en prison avec d’autres chrétiens. -Et là, pendant que Denis célébrait la messe, Jésus -lui apparut, entouré d’une immense lumière, et lui dit, -en lui offrant un pain : « Prends ceci, mon fils, en -témoignage de la reconnaissance qui t’est due ! » Le -lendemain, après d’autres supplices, les trois saints -eurent la tête tranchée à coups de hache, devant l’idole -du dieu Mercure. Mais aussitôt le corps de saint Denis -se redressa, prit dans ses mains sa tête coupée, et, sous -la conduite d’un ange, marcha pendant deux milles, -depuis la colline de Montmartre, c’est-à-dire mont des -martyrs, jusqu’au lieu où reposent aujourd’hui ses restes -par le fait de son propre choix et de la providence -divine.</p> - -<p>Et aussitôt s’éleva dans ce lieu une musique d’anges -si harmonieuse que, parmi la foule de ceux qui l’entendirent, -la femme du préfet Lisbius, nommée Laertia, se -<span class="pagenum" id="p581">-581-</span> proclama chrétienne, ce qui lui valut d’être décapitée, -et de recevoir ainsi le baptême du sang. Le fils de cette -femme, nommé Vibius, après avoir servi à Rome sous -trois empereurs, se fit baptiser en revenant à Paris et -adopta la vie religieuse.</p> - -<p>Les infidèles, craignant que les chrétiens n’ensevelissent -les corps des saints Rustique et Eleuthère, enjoignirent -qu’ils fussent jetés dans la Seine. Mais une femme -noble invita à sa table les porteurs des deux corps ; puis, -pendant qu’ils mangeaient, elle leur déroba les corps et -les fit ensevelir secrètement dans son champ, où ils -restèrent jusqu’à ce que, la persécution ayant cessé, on -pût les réunir au corps de saint Denis. Les trois saints -subirent le martyre sous le règne de Domitien, en l’an -du Seigneur 96. Saint Denis était alors âgé de quatre-vingt-dix -ans.</p> - -<p>II. Sous le règne de Louis, fils de Charlemagne, des -envoyés de l’empereur de Constantinople, Michel, apportèrent -à la cour de France, entre autres présents, une -traduction latine du livre de saint Denis sur la <i>Hiérarchie</i> ; -et, la nuit suivante, dix-neuf malades se trouvèrent -guéris dans l’église du saint.</p> - -<p>III. Un jour que l’évêque d’Arles, saint Rieul, célébrait -la messe dans sa cathédrale, il joignit aux noms des -apôtres ceux « des bienheureux martyrs Denis, Rustique -et Eleuthère ». Après quoi lui-même et les assistants -furent très étonnés de ce qu’il avait dit, car personne -ne connaissait encore le martyre des trois saints. -Et voilà que trois colombes descendirent sur la croix de -l’autel, qui portaient écrits sur leurs poitrines, en lettres -de sang, les noms des trois saints. Et ainsi tous comprirent -que les âmes des saints s’étaient enfuies de leurs -corps.</p> - -<p>IV. En l’an du Seigneur 644, le roi de France Dagobert, -qui avait dès l’enfance une grande vénération pour saint -Denis, mourut. Et un saint homme vit alors, dans un -rêve, que l’âme du roi était emportée au ciel pour être -jugée, et que bon nombre de saints lui reprochaient les -maux causés par lui à leurs églises. Et comme déjà les -<span class="pagenum" id="p582">-582-</span> mauvais anges s’apprêtaient à mener l’âme en enfer, -survint saint Denis, qui intercéda pour elle et obtint sa -libération. On ajoute même que l’âme de Dagobert -serait alors rentrée dans son corps afin de pouvoir faire -pénitence. Au contraire le roi Clovis, ayant ouvert irrespectueusement -le cercueil du saint, et lui ayant brisé -un os du bras, ne tarda pas à mourir dans un accès de -démence.</p> - -<p>V. Enfin nous devons signaler que Hincmar, évêque -de Reims, et aussi Jean Scot, dans leurs lettres à Charlemagne, -attestent tous deux que saint Denis, l’apôtre -des Gaules, était bien le même homme que Denis l’Aréopagite : -c’est donc à tort que d’aucuns l’ont nié, se -fondant sur une prétendue contradiction des dates.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c152">CLII<br /> -SAINT CALIXTE, <span class="small">PAPE ET MARTYR<br /> -(14 octobre)</span></h2> - - -<p>Le pape Calixte souffrit le martyre en l’an du Seigneur -222, sous l’empereur Alexandre. Cette année-là, -la partie la plus élevée de Rome fut détruite par un incendie, -et la main gauche d’une grande statue de Jupiter -fut trouvée fondue. Alors tous les prêtres païens vinrent -demander à l’empereur Alexandre qu’il ordonnât des -sacrifices pour apaiser la colère des dieux. Et pendant -qu’on célébrait ces sacrifices, le matin du jour de la -semaine consacrée à Jupiter, la foudre, tombant soudain, -tua quatre des prêtres, et l’autel de Jupiter fut brûlé, et -le soleil s’obscurcit à tel point que le peuple, effrayé, -s’enfuit hors de la ville. Sur quoi le consul Palmace -demanda à l’empereur la destruction complète des chrétiens, -qu’il rendait responsables de ces calamités. Et, -l’empereur ayant agréé sa demande, il se mit en route -<span class="pagenum" id="p583">-583-</span> avec des soldats vers le quartier du Transtévère où -Calixte se tenait caché avec son clergé. Mais, en route, -tous les soldats de son escorte perdirent soudain la vue. -L’empereur ordonna alors que, le jour de Mercure, un -sacrifice fût offert à ce dieu, pour obtenir de lui une -réponse au sujet de tout ce qui se passait. Et, pendant -le sacrifice, une des vierges du temple de Mercure, -nommée Julienne, s’écria soudain : « Le Dieu de Calixte -est le seul vrai Dieu, et c’est lui qui est indigné de nos -pollutions ! » Ce qu’entendant, Palmace se rendit auprès -de Calixte qui s’était réfugié dans la ville de Ravenne, -et se fit baptiser avec sa femme et toute sa maison. Et -comme il persévérait dans les jeûnes et les prières, un -soldat, nommé Simplice, vint le trouver, et lui promit de -se convertir à sa foi s’il réussissait à guérir sa femme, -frappée de paralysie. Palmace pria donc pour elle ; et -voici qu’elle-même accourut vers lui, en disant : « Baptise-moi -au nom du Christ, qui m’a guérie ! » Et Calixte -la baptisa, ainsi que son mari et d’autres païens. Ce -qu’apprenant, l’empereur fit trancher la tête à tous ceux -que Calixte avait baptisés, et laissa pendant cinq jours -Calixte lui-même sans nourriture ni boisson. Puis, -voyant que tout cela restait inutile, il le fit fouetter -pendant plusieurs jours ; et il le fit enfin jeter dans un -puits avec une pierre attachée au cou. Le prêtre Astère -retira du puits le corps du saint, et lui donna une sépulture -chrétienne.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c153">CLIII<br /> -SAINT LÉONARD, <span class="small">ABBÉ<br /> -(15 octobre)</span></h2> - - -<p>I. Léonard vivait vers l’an 500. Fils d’un des premiers -fonctionnaires de la cour de France, il fut baptisé par -saint Remi, archevêque de Reims, et instruit par lui des -<span class="pagenum" id="p584">-584-</span> vérités de la foi. Et telle fut sa faveur auprès de son -souverain qu’il obtint la permission de mettre en liberté -tous les prisonniers qu’il voulait délivrer. Longtemps le -roi le garda près de lui, jusqu’à ce qu’enfin la voix du -peuple le contraignit à lui offrir un évêché. Mais Léonard -refusa cet honneur, et, aspirant à la solitude, il se rendit -à Orléans avec un autre chrétien nommé Liphard. Ils -vécurent là pendant quelque temps de la vie cénobitique ; -mais ensuite Liphard resta seul sur la rive de la -Loire, et Léonard, conduit par l’Esprit-Saint, se rendit -en Aquitaine pour y prêcher le Christ. Il prêchait dans -les villes et les villages, et opérait de nombreux miracles ; -mais, de préférence, il habitait dans une forêt voisine de -Limoges, où se trouvait une des chasses favorites du roi. -Or, un jour, comme le roi était venu chasser dans la forêt, -et que la reine, par amour pour lui, l’y avait suivi, -celle-ci éprouva soudain les douleurs de l’enfantement. -Le roi et toute la cour s’affligeaient fort du danger où -ils la voyaient ; et Léonard, qui passait parla, entendit -leurs gémissements. Emu de pitié, il aborda le roi, qui, -en apprenant qu’il était disciple de saint Remi, s’empressa -de le conduire auprès de la reine, afin qu’il priât -pour elle et pour l’enfant qui allait naître. Léonard se -mit en prière, et obtint aussitôt ce qu’il demandait à -Dieu. Alors le roi lui offrit de nombreux présents ; mais -le saint les refusa, l’engageant plutôt à les donner aux -pauvres. Du moins le roi voulut lui donner la forêt où se -trouvait son ermitage. Mais lui : « Non, je n’aurais que -faire de toute la forêt ; mais donne-moi seulement l’espace -que pourra parcourir mon petit âne durant la nuit ! » -Ce à quoi le roi consentit volontiers. Et Léonard, dans -l’espace ainsi obtenu, construisit un monastère, où il -vécut dans l’abstinence en compagnie de deux moines. -Et il appela ce lieu Nobliac, pour rappeler la grande -noblesse du roi qui le lui avait donné. Et comme -l’eau manquait à une lieue alentour, Léonard fit creuser -un puits, pria, et le puits se remplit d’eau. Et il brilla -par tant de miracles que tout prisonnier qui invoquait -son nom se trouvait aussitôt délivré, en souvenir -<span class="pagenum" id="p585">-585-</span> de quoi il offrait au saint les chaînes de ses mains -et de ses pieds. Et plusieurs de ces prisonniers restèrent -avec lui pour servir le Seigneur. Il y eut aussi sept -familles nobles qui, vendant tous leurs biens, et en distribuant -le profit aux pauvres, vinrent demeurer près de -lui dans la forêt. Enfin saint Léonard rendit son âme à -Dieu le quinzième jour d’octobre ; et, après sa mort, -une voix d’en haut révéla au clergé de son église que, à -cause de l’affluence de la foule, son corps eût à être -transporté dans une église nouvelle. Le clergé et le -peuple passèrent alors trois jours dans le jeûne et la -prière ; après quoi, regardant autour d’eux, ils virent -toute la région couverte de neige, à l’exception d’un -seul endroit qui était resté vert. Et ils comprirent que -c’était là que saint Léonard voulait être enseveli. Ils l’y -transportèrent donc ; et l’énorme quantité de chaînes -qu’on voit, aujourd’hui encore, suspendues en ex-voto -autour de sa tombe, suffisent à prouver combien il a opéré -de miracles en faveur des prisonniers.</p> - -<p>II. Le vicomte de Limoges, pour effrayer les méchants, -avait fait sceller au pied de la plus haute tour de son -palais une lourde chaîne qu’il faisait attacher au cou des -criminels ; et ceux-ci, exposés aux intempéries de l’air, -souffraient là un supplice pire que mille morts. Or un -serviteur de saint Léonard se trouva un jour attaché à -cette chaîne sans avoir fait aucun mal ; dans sa détresse, -il pria saint Léonard de le délivrer, lui rappelant combien -d’autres prisonniers il avait déjà délivrés. Et aussitôt -le saint lui apparut, tout vêtu de blanc, et lui dit : « Ne -crains rien, mais prends cette chaîne, et suis-moi jusqu’à -mon église ! » Devant la porte de l’église, le saint disparut ; -et le prisonnier, après avoir raconté à tous sa -miraculeuse aventure, suspendit la grosse chaîne au-dessus -du tombeau.</p> - -<p>III. Un homme vivait, auprès du monastère de saint -Léonard, qui entretenait pour le saint une dévotion toute -particulière. Cet homme fut pris par un tyran. Et le -tyran se disait : « Léonard délivre tous les prisonniers : -tous mes efforts seront vains pour l’empêcher de délivrer -<span class="pagenum" id="p586">-586-</span> aussi celui-là. Mais je sais ce que je vais faire ! Sous ma -tour je ferai creuser une fosse, où je jetterai mon prisonnier -avec des chaînes aux pieds ; et à l’entrée de la -fosse j’élèverai une arche de bois que je remplirai de -soldats armés. Car Léonard a beau briser toutes les -chaînes, jamais encore je n’ai entendu qu’il pénétrât -sous terre. » Le tyran fit donc comme il avait dit ; et -comme le prisonnier invoquait saint Léonard, celui-ci, -la nuit, vint à son aide. Il commença d’abord par -retourner l’arche de bois où étaient les soldats, écrasant -ceux-ci sous son poids. Puis, descendant au fond de la -fosse avec une grande lumière, il prit la main de son -serviteur et lui dit : « Dors-tu, ou es-tu éveillé ? Je suis -Léonard que tu as appelé ! » Et le prisonnier : « Seigneur, -secours-moi ! » Aussitôt le saint, brisant ses -chaînes, le prit sur ses épaules et l’emporta hors de la -tour ; après quoi il le ramena jusque dans sa maison, -s’entretenant avec lui comme un ami avec son ami.</p> - -<p>IV. Un pèlerin, qui revenait du tombeau de saint -Léonard, fut pris par des brigands, en Auvergne, et -enfermé dans un caveau. En vain il suppliait les brigands -de le remettre en liberté, au nom de saint Léonard. -Ils répondaient toujours qu’ils ne le relâcheraient point -avant qu’il se fût racheté par une forte rançon. Alors le -prisonnier : « Que saint Léonard, mon patron, décide -donc entre vous et moi ! » Et, la nuit suivante, le saint -apparut au chef de la troupe et lui ordonna de relâcher -le pèlerin. Mais le chef, quand il s’éveilla, n’attacha -point d’importance à son rêve ; et il fit de même la nuit -suivante, où le saint lui apparut de nouveau. La troisième -nuit, saint Léonard vint chercher le prisonnier et l’emmena -hors de la forteresse ; et, dès l’instant d’après, la -grosse tour de celle-ci s’écroula, écrasant tous les brigands, -à l’exception du chef qui, les membres brisés, -comprit enfin combien il avait eu tort de dédaigner les -avertissements de saint Léonard.</p> - -<p>V. Un soldat, emprisonné en Bretagne, invoqua saint -Léonard : aussitôt celui-ci, au vu et à la stupeur de tous, -entra dans la prison, brisa les chaînes de l’homme qui -<span class="pagenum" id="p587">-587-</span> l’invoquait, les lui mit dans les mains, et l’entraîna au -dehors, sans que personne osât lui résister.</p> - -<p>VI. Il y a eu encore un autre saint Léonard, également -moine et plein de vertu, dont le corps repose aujourd’hui -dans la ville de Corbigny. Celui-là, étant abbé de son -monastère, s’humiliait au point d’apparaître comme le -dernier des moines. Son exemple entraînait tant de -vocations que des envieux le dénoncèrent au roi Clotaire, -disant à celui-ci que, s’il n’y mettait bon ordre, Léonard -finirait par dépeupler son royaume. Le roi, trop crédule, -envoya à Corbigny une troupe pour chasser Léonard de -son monastère. Mais à peine ces soldats eurent-ils vu et -entendu le saint que, touchés, ils demandèrent à devenir -ses disciples. Alors le roi, pénitent, vint demander pardon -au saint, et priva de leurs honneurs ceux qui l’avaient -dénoncé ; mais Léonard, intercédant pour eux, obtint -leur grâce. Il obtint aussi de Dieu, comme l’autre saint -Léonard, la permission de faire tomber les chaînes de -ceux qui invoqueraient son nom. Et un jour qu’il était -en prière, un grand serpent sortit de terre à ses pieds, -et rampa le long de son corps. Mais Léonard n’en acheva -pas moins sa prière ; après quoi il s’écria : « Je sais que, -depuis la création, tu tourmentes les hommes autant que -cela t’est possible. Mais si, maintenant, Dieu m’a livré à -toi, inflige-moi la punition que j’ai méritée ! » Et aussitôt -le serpent, sortant par son capuchon, s’étendit mort à ses -pieds.</p> - -<p>Un jour de l’année du Seigneur 570, saint Léonard, -après avoir tranché une querelle entre deux évêques, -annonça qu’il mourrait le jour suivant ; et en effet c’est -ce jour-là qu’il rendit son âme à Dieu.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p588">-588-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c154">CLIV<br /> -SAINT LUC, <span class="small">ÉVANGÉLISTE<br /> -(18 octobre)</span></h2> - - -<p>I. Luc, Syrien, était d’Antioche, et avait d’abord étudié -la médecine. Certains auteurs veulent qu’il ait fait partie -des soixante-douze disciples du Seigneur ; mais on peut -admettre avec plus de vraisemblance l’opinion de saint -Jérôme, qui nous dit que saint Luc fut disciple des -apôtres, et non du Seigneur lui-même. Il fut si parfait -dans sa vie qu’il reçut une quadruple ordination, quant -à Dieu, quant au prochain, quant à lui-même et quant à -son office. Et, en signe de cette quadruple ordination, des -auteurs le décrivent comme ayant quatre faces, la face -d’un homme, celle d’un lion, celle d’un bœuf et celle d’un -aigle. Chacun des évangélistes, d’ailleurs, a eu ainsi -quatre faces, qui lui ont permis d’écrire de l’humanité -du Christ, de sa passion, de sa résurrection et de sa -divinité. Mais l’usage est, plus communément, de désigner -chacun des quatre évangélistes par une seule de -ces faces. Suivant saint Jérôme, Matthieu a pour attribut -l’homme, parce qu’il insiste surtout sur l’humanité du -Christ ; Luc a pour attribut le bœuf, parce qu’il traite -surtout du sacerdoce du Christ ; Jean a pour attribut -l’aigle, parce que, volant plus haut que les autres, il -nous parle surtout de la divinité du Christ ; et Marc a -pour attribut le lion parce que son évangile nous témoigne -surtout de la résurrection. Car on dit que les lionceaux, -quand ils naissent, gisent pendant trois jours comme des -cadavres, et puis sont réveillés par le rugissement de -leur mère.</p> - -<p>Si maintenant on veut savoir les raisons de la quadruple -ordination de saint Luc, on les apprend en étudiant -la vie de ce saint.</p> - -<p>1<sup>o</sup> Il fut d’abord ordonné quant à Dieu. Cette ordination, -suivant saint Bernard, se fait par l’affection, la -<span class="pagenum" id="p589">-589-</span> cogitation et l’intention. Or saint Luc fut saint par -l’affection, car saint Jérôme dit de lui : « Il mourut en -Bithynie, plein de l’Esprit-Saint. » Il fut ensuite pur dans -la cogitation ; nous savons qu’il resta vierge de corps et -d’âme. Et son intention fut droite, car, dans tout ce qu’il -faisait, il ne cherchait que la gloire du Seigneur.</p> - -<p>2<sup>o</sup> Saint Luc fut ordonné quant au prochain. Il donna, -en effet, au prochain tout ce qu’il put en subsides, car il -accompagna saint Paul dans toutes ses épreuves, et, ne -le quittant jamais, l’aida dans sa prédication. Il donna -aussi au prochain tout ce qu’il put en conseils, car il -rédigea, à l’usage de tous, ce qu’il savait de la doctrine -évangélique et apostolique. Et l’on peut dire aussi qu’il -donna au prochain tout ce qu’il put en service ; car d’excellents -auteurs, et notamment saint Grégoire, affirment -qu’il fut, avec Cléophas, un des deux disciples d’Emmaüs ; -bien que saint Ambroise donne à ce second disciple un -autre nom.</p> - -<p>3<sup>o</sup> Saint Luc fut ordonné quant à lui-même. D’abord -il vécut sobrement : car saint Jérôme dit qu’il n’eut -jamais de femme ni de fils. Il vécut aussi modestement : -car, dans son évangile, il cita le nom de Cléophas et -omit de citer le sien.</p> - -<p>4<sup>o</sup> Saint Luc fut ordonné quant à son office, qui était -d’écrire l’évangile. On croit, en effet, qu’il recourut tout -particulièrement à la sainte Vierge comme à l’arche de -son Testament, et que c’est d’elle qu’il apprit bien des -choses, notamment sur des sujets qu’elle seule pouvait -connaître : tels l’Annonciation, la Nativité et autres sujets -dont il est seul à parler. Et l’on sait aussi que saint Paul -approuvait tout particulièrement l’évangile de saint -Luc, à tel point que saint Jérôme a pu dire : « Toutes les -fois que saint Paul parle de l’Evangile, c’est de l’Evangile -de saint Luc qu’il veut parler. »</p> - -<p>II. On lit dans l’Histoire d’Antioche que les chrétiens -de cette ville, après s’être souillés par beaucoup de vices, -furent assiégés par une armée turque qui les fit cruellement -souffrir de faim et de privations. Mais lorsque, se -repentant, ils se convertirent pleinement au Seigneur, -<span class="pagenum" id="p590">-590-</span> certain religieux, qui priait, la nuit, dans l’église de -Sainte-Marie à Tripoli, vit apparaître un homme tout -vêtu de blanc et rayonnant de lumière. Et cet homme, -interrogé, dit qu’il était saint Luc, et qu’il venait d’Antioche, -où le Seigneur avait convoqué les milices du ciel, -ainsi que les apôtres et les martyrs, pour venir en aide -aux chrétiens assiégés. Et, en effet, ceux-ci, miraculeusement -stimulés, mirent en déroute l’armée des Turcs.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c155">CLV<br /> -LES ONZE MILLE VIERGES, <span class="small">MARTYRES<br /> -(21 octobre)</span></h2> - - -<p>I. Il y avait en Bretagne un roi très chrétien, nommé -Nothus ou Maurus, qui mit au monde une fille nommée -Ursule. Et celle-ci était si bonne, si sage, et si belle, -que sa renommée s’étendait partout. Or le roi d’Angleterre, -souverain très puissant et qui avait soumis à son -empire de nombreuses nations, forma le projet de marier -son fils unique avec cette princesse, dont tout le monde -vantait l’esprit et le corps. Le jeune homme, de son côté, -était très enflammé à l’idée de ce mariage. Une ambassade -fut donc envoyée auprès du père d’Ursule ; et le roi -d’Angleterre promit aux ambassadeurs de les récompenser -s’ils ramenaient la jeune fille, mais, au contraire, les -menaça de les châtier s’ils revenaient sans elle. Alors le -père d’Ursule prit peur : car, d’une part, il redoutait la rancune -d’un souverain plus puissant que lui, et, d’autre part, -il ne pouvait admettre que sa fille devînt la femme d’un -païen, ce à quoi Ursule, d’ailleurs, n’aurait jamais consenti. -Alors celle-ci, inspirée d’en haut, fit proposer au -jeune prince de lui envoyer dix vierges, et de donner -pour compagnes mille vierges à chacune de ces dix-là -ainsi qu’à elle-même : ajoutant qu’en compagnie de ces -onze mille vierges elle demandait à rester pendant un -<span class="pagenum" id="p591">-591-</span> espace de trois ans, pour se rendre avec elles à Rome, -sur une flotte, et y obtenir la consécration de sa virginité. -Le jeune prince, de son côté, aurait à recevoir le -baptême, et à s’instruire, pendant ces trois ans, des vérités -de la foi : après quoi Ursule consentirait à devenir sa -femme. Et l’on entend bien que, si elle imposait de telles -conditions, c’était dans l’espoir de décourager le jeune -prince, tout en gardant à son père la faveur du roi -anglais.</p> - -<p>Mais le jeune homme admit très volontiers les conditions -d’Ursule, et se fit baptiser, et pressa son père -d’exécuter tout ce qu’Ursule avait demandé. Alors des -vierges arrivèrent de toutes parts dans la capitale du roi -Maurus, et de toutes parts la foule afflua pour être témoin -d’un aussi grand spectacle. De nombreux évêques voulurent -aussi se joindre au pèlerinage des onze mille -vierges : parmi eux se trouvait, notamment, l’évêque de -Bâle, Pantulus, qui se rendit avec elles jusqu’à Rome, et, -au retour, partagea leur martyre. On voyait là aussi -sainte Gérasine, reine de Sicile qui, ayant épousé un -tyran cruel, l’avait transformé en un doux agneau. Elle -était sœur de l’évêque Matrisius et de Daria, la mère -de sainte Ursule. Dès que le père de celle-ci lui eut révélé -par lettre le secret du voyage, elle se mit aussitôt en route -pour la Bretagne avec ses quatre filles Babille, Julienne, -Victoire et Dorée. Et son petit garçon Adrien, par amour -pour ses sœurs, voulut se joindre aussi à l’expédition. C’est -sur le conseil de Gérasine que les onze mille vierges -furent réparties en groupes, d’après les divers royaumes -dont elles provenaient. Et c’est encore sainte Gérasine -qui se chargea de commander à tous ces groupes, et -elle subit le martyre en leur compagnie.</p> - -<p>Enfin tout se trouva prêt pour le départ. Et, pendant -que sainte Ursule s’occupait de convertir les onze -mille vierges, la reine Gérasine instruisait les chevaliers -de l’escorte, leur faisant prêter le serment d’un nouvel -ordre de chevalerie. Puis on se mit en route ; et, dans -l’espace d’une seule journée, sous un vent favorable, la -sainte caravane arriva dans un port des Gaules nommé -<span class="pagenum" id="p592">-592-</span> Tiel, puis à Cologne, où un ange apparut à Ursule pour -lui annoncer que ses compagnes et elle reviendraient à -Cologne et y recevraient la couronne du martyre. De là, -poursuivant leur chemin vers Rome, les vierges arrivèrent -à Bâle : elles y laissèrent leurs vaisseaux et poursuivirent -leur voyage à pied.</p> - -<p>Elles furent reçues à Rome avec grand honneur par le -pape Cyriaque, qui, étant né lui-même en Bretagne, se -trouvait avoir de nombreux parents dans le pèlerinage. -Et, la même nuit, une vision révéla à Cyriaque qu’il -recevrait les palmes du martyre en compagnie des onze -mille vierges. Aussi, sans rien révéler de cette vision, -s’empressa-t-il de baptiser celles des vierges qui -n’avaient pas encore reçu le baptême. Puis, quand il -jugea le moment venu, il déclara à son clergé réuni qu’il -se démettait de toutes ses fonctions et dignités, pour se -joindre à la troupe des onze mille vierges. En vain tous -les prêtres, et surtout les cardinaux, l’accusèrent d’être -en délire, et lui firent honte d’abandonner son pontificat -pour suivre un troupeau de femmes. Sans les écouter, il -ordonna en son lieu un saint homme nommé Amet, qui -gouverna l’Eglise après lui. Et comme il renonçait à son -pontificat, contrairement à la volonté de son clergé, -celui-ci le raya de la liste des papes. Et, dès ce jour, le -saint chœur des onze mille vierges perdit toute sa faveur -auprès de la curie romaine.</p> - -<p>Or deux chefs de l’armée romaine, Maxime et Africain, -hommes impies et méchants, voyant cette grande multitude -de vierges, et toute la foule qui se pressait pour -grossir leur pèlerinage, craignirent que ce pèlerinage -ne donnât trop d’extension à la religion chrétienne. Ils -envoyèrent donc secrètement des exprès à Jules, chef des -Huns, pour l’engager à attendre à Cologne, avec son -armée, le retour des onze mille vierges, et pour les massacrer.</p> - -<p>Cependant, les vierges se mirent en route pour leur -retour, en compagnie du pape Cyriaque, du cardinal -Vincent et de Jacques, archevêque d’Antioche, qui était, -lui aussi, originaire de Bretagne. Jacques, qui était venu -<span class="pagenum" id="p593">-593-</span> à Rome pour voir le pape, allait déjà repartir pour Antioche -lorsque, apprenant le prochain départ des vierges, -il prit le parti d’aller avec elles au-devant du martyre. -Et de même fit encore Maurice, évêque de Modène, qui -était l’oncle de Babille et de Julienne ; de même firent -Follau, évêque de Lucques, et Sulpice, évêque de -Ravenne.</p> - -<p>Cependant le fiancé de sainte Ursule, qui s’appelait -Ethéré, était devenu roi de son pays, à la mort de son -père, et avait converti sa mère à la foi du Christ. Un -jour, une vision d’en haut lui apprit qu’Ursule venait de -quitter Rome ; et une voix lui ordonna d’aller aussitôt à -sa rencontre, pour souffrir avec elle le martyre dans la -ville de Cologne. Il se mit aussitôt en route avec sa -mère, sa petite sœur Florentine et l’évêque Clément. -Vinrent aussi se joindre au pèlerinage Marcule, évêque de -Grèce et sa nièce Constance, fille de Dorothée, roi de -Constantinople. Cette Constance avait été fiancée à un -fils de roi ; mais, son fiancé étant mort avant le mariage, -elle s’était consacrée au Seigneur.</p> - -<p>Lorsque toute cette troupe arriva à Cologne, elle -trouva la ville investie par les Huns. Et ces barbares, -avec de grands cris, se jetèrent sur les pieuses vierges, -qu’ils massacrèrent toutes, comme des loups s’élançant -sur un troupeau d’agneaux. Seule, Ursule restait encore -vivante. Et le prince des Huns, émerveillé de sa beauté, -lui offrit de l’épouser, pour la consoler de la mort de ses -compagnes. Mais, comme la sainte repoussait avec horreur -sa proposition, furieux de se voir dédaigné, il la -transperça d’une flèche et acheva son martyre.</p> - -<p>Il y eut cependant encore une autre vierge, nommée -Cordule, qui d’abord, épouvantée, se cacha au fond d’un -bateau et y resta toute la nuit. Mais, le lendemain, elle -courut d’elle-même au-devant de la mort. Et, comme -l’Eglise omettait ensuite de la mentionner dans la célébration -de la fête des onze mille vierges — car on croyait -qu’elle avait échappé au supplice de ses compagnes — elle -apparut un jour à une recluse et lui révéla qu’elle -avait, elle aussi, obtenu la couronne du martyre.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p594">-594-</span> La tradition veut que ce martyre ait eu lieu en l’an -du Seigneur 238. Mais la vraisemblance des dates contredit -cette affirmation. Car, en 238, ni la Sicile, ni -Constantinople n’avaient des rois, tandis que l’on cite -parmi les martyrs de Cologne, la reine de Sicile et la -fille du roi de Constantinople. Plus vraisemblablement, -le martyre des onze mille vierges aura eu lieu à l’époque -des invasions des Huns et des Goths, et, par exemple, -sous le règne de l’empereur Marcien, qui régnait en -l’an 452.</p> - -<p>II. Certain abbé reçut de l’abbesse de Cologne le corps -d’une des vierges, moyennant la promesse de le placer -dans un cercueil d’argent. Mais comme, durant toute -une année, le corps restait placé dans son cercueil -de bois, les moines virent un matin la vierge en personne -descendre de l’autel, s’incliner pieusement, puis -se retirer en passant au milieu du chœur. Alors l’abbé, -allant au cercueil, le trouva vide. Il courut à Cologne, -fit part de la chose à l’abbesse ; et en effet le corps de -la martyre se retrouva à la place d’où on l’avait pris. -Mais en vain l’abbé demanda pardon et promit que, si -on lui donnait de nouveau une des saintes reliques, il -s’empresserait de lui faire faire un cercueil de prix. Il ne -put rien obtenir.</p> - -<p>III. Un religieux qui avait pour les onze mille vierges -une dévotion particulière, vit un jour apparaître devant -lui une belle jeune femme, qui lui demanda s’il la connaissait. -Et comme il déclarait ne la point connaître, -elle lui dit : « Je suis une des vierges que tu aimes à -invoquer. Et, pour te récompenser de ta piété, nous avons -obtenu de t’assister à l’heure de ta mort, pourvu seulement -que, d’ici là, tu aies récité, onze mille fois l’oraison -dominicale ! » Puis la vision disparut, et le religieux -s’empressa de réciter onze mille fois la sainte prière. -Après quoi, sentant l’heure de sa mort approcher, il fit -appeler son abbé et demanda à recevoir l’extrême-onction. -Mais au moment où on la lui administrait, il s’écria -soudain qu’on eût à s’écarter, pour faire place aux saintes -martyres qui accouraient près de lui. Interrogé par son -<span class="pagenum" id="p595">-595-</span> abbé, il lui raconta alors la promesse qu’il avait obtenue ; -et tous, aussitôt, sortirent de sa cellule. Et quand ils y -revinrent, ils virent que l’âme de leur frère s’était envolée.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c156">CLVI<br /> -SAINT CRISANT ET SAINTE DARIA, <span class="small">MARTYRS<br /> -(25 octobre)</span></h2> - - -<p>Crisant était fils d’un noble de Narbonne nommé -Solime. Celui-ci, ne pouvant détourner son fils de la foi -du Christ, le fit enfermer dans une chambre en compagnie -de cinq jeunes filles chargées de le séduire par -leurs caresses. Mais Crisant pria Dieu de le rendre -vainqueur de la bête féroce qu’est la concupiscence ; et -aussitôt les cinq jeunes filles furent envahies d’un sommeil -profond, dont elles ne pouvaient s’éveiller que hors -la chambre. Alors une prêtresse de Diane, nommée Daria, -vierge pleine de sagesse et de beauté, s’offrit à ramener -Crisant au culte des idoles. Elle se rendit chez lui, et, -comme le jeune homme lui reprochait la pompe de ses -vêtements, elle répondit qu’elle ne s’était point vêtue -ainsi pour l’amour de cette pompe, mais dans l’espoir -de mieux servir la cause des dieux. Crisant lui reprocha -ensuite de prendre pour des dieux des êtres que ceux-là -même qui les ont inventés représentent comme chargés -de vices et d’impudicité. Et comme Daria lui répondait -que, sous les noms de ces dieux, c’étaient les divers éléments -qu’adoraient les philosophes, le jeune homme lui -dit : « Si l’un vénère la terre comme une déesse tandis -qu’un autre la cultive pour avoir du blé, c’est celui-là que -la déesse récompense le plus ; et de même pour la mer -et les autres éléments ! » Puis Crisant convertit Daria, -et le jeune couple, feignant d’être uni par le lien du mariage -charnel, tandis qu’il ne l’était que par des liens spirituels, -opéra autour de lui de nombreuses conversions -<span class="pagenum" id="p596">-596-</span> entre lesquelles on cite notamment celles du tribun -Claude, de sa femme, de ses enfants et d’autres officiers.</p> - -<p>Le préfet Numérien fit alors jeter Crisant dans une -prison infecte, mais la puanteur de cette prison se changea -en un parfum merveilleux. Daria, de son côté, fut -placée dans un lupanar ; mais aussitôt un lion, s’enfuyant -de l’amphithéâtre, vint garder la porte de ce mauvais -lieu. Arrive un homme envoyé par le préfet pour corrompre -la vierge : le lion s’empare de lui, et, d’un signe -de tête, demande à Daria ce qu’il doit en faire. Daria répond -qu’elle est prête à recevoir l’envoyé ; et aussitôt celui-ci, -converti, s’en va proclamer, par toute la ville, la sainteté -de la jeune femme. Arrivent ensuite des chasseurs, chargés -de s’emparer du lion ; mais c’est le fauve qui s’empare -d’eux et les dépose aux pieds de la vierge, qui les convertit. -Enfin le préfet ordonne d’allumer un grand feu -devant l’entrée de la maison, de façon que Daria et le lion -périssent brûlés. Et Daria, voyant l’effroi du lion, lui -permet de s’enfuir où bon lui semblera.</p> - -<p>Mille autres supplices furent encore infligés à Crisant -et à Daria, sans que les deux martyrs en eussent aucun -mal. Enfin tous deux, par ordre du préfet, se virent jetés -dans une fosse, et écrasés sous les pierres. Ils moururent -sous l’épiscopat de Carus de Narbonne, qui monta sur -son siège en l’an du Seigneur 211.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c157">CLVII<br /> -SAINTS SIMON ET JUDE, <span class="small">APÔTRES<br /> -(28 octobre)</span></h2> - - -<p>I. Simon et Jude, appelé aussi Thadée, originaires de -Cana, étaient frères de Jacques le Mineur et fils de Marie -Cléophas, femme d’Alphée.</p> - -<p>Après l’ascension du Seigneur, Jude fut envoyé par -Thomas auprès du roi d’Edesse Abgare, qui avait écrit -<span class="pagenum" id="p597">-597-</span> à Notre-Seigneur Jésus la lettre suivante : « Abgare, -roi, fils d’Euchassie, au bon Jésus qui s’est montré dans -le pays de Jérusalem, salut ! J’ai entendu parler de toi, -des guérisons que tu fais sans drogues et sans herbes, -et que tu rends la vue aux aveugles, la marche aux -paralytiques, la pureté aux lépreux et la vie aux morts : -et j’ai conclu de tout cela que, pour accomplir tant de -merveilles, tu devais être ou bien Dieu lui-même descendu -des cieux, ou bien le fils de Dieu. Je t’écris donc -pour que tu daignes prendre la peine de venir jusque -chez moi, pour me guérir d’une maladie qui me tourmente -depuis longtemps. J’ai appris aussi que les Juifs murmuraient -contre toi et voulaient te tendre des pièges. -Viens chez moi, je t’en prie ! J’ai à moi une ville qui, en -vérité, est petite, mais honnête, et qui nous suffira bien -à tous deux ! » Et le Seigneur Jésus répondit en ces -termes : « Heureux es-tu, toi qui as cru en moi sans -m’avoir vu ! car il est écrit de moi que ceux qui me verront -ne croiront pas, et que ceux qui ne me verront pas -croiront. Quant à ce que tu me demandes de venir auprès -de toi, il faut d’abord que j’accomplisse ce pour quoi je -suis envoyé et qu’ensuite je retourne auprès de Celui qui -m’a envoyé. Mais, dès que je serai remonté au ciel, je -t’enverrai un de mes disciples, pour te guérir et te -donner la vraie vie ! » Alors Abgare, comprenant qu’il -devait renoncer à voir le Christ en personne, chargea du -moins un peintre d’aller faire son portrait. Mais lorsque -ce peintre arriva devant le Christ, il trouva le visage de -celui-ci rayonnant d’un tel éclat qu’il ne parvint pas à en -discerner clairement les traits, ni, par suite, à les dessiner. -Ce que voyant, le Seigneur appuya sa sainte face -sur le manteau du peintre et y grava ainsi son image à -l’intention du bon roi Abgare. Et Jean de Damas, qui -nous raconte tout cela d’après une vieille chronique, -nous décrit aussi ce portrait du Seigneur. Il nous affirme -qu’on y voit l’image d’un homme avec de grands yeux, -d’épais sourcils, un visage allongé, et des épaules un peu -voûtées, ce qui est signe de maturité. Quant à la lettre -du Christ, tel était son pouvoir que, dans la ville -<span class="pagenum" id="p598">-598-</span> d’Edesse, aucun hérétique ni païen ne pouvait vivre, et -qu’aucun tyran ne pouvait opprimer les habitants. Mais -lorsque Edesse, plus tard, fut prise et profanée par les -Sarrasins, elle perdit le privilège de cette sainte lettre.</p> - -<p>Lors donc que Jude Thadée vint auprès d’Abgare, -pour accomplir la promesse faite par Jésus, le roi découvrit -aussitôt sur son visage un rayonnement de splendeur -divine. Emerveillé et épouvanté, il dit : « Tu es -vraiment le disciple de Jésus, fils de Dieu, qui m’a promis -de m’envoyer l’un de ses disciples pour me guérir -et pour me donner la vraie vie ! » Et Thadée : « Si tu -crois dans le Fils de Dieu, tous les désirs de ton cœur -seront réalisés ! » Et Abgare : « Certes, je crois en lui ; -et bien volontiers j’égorgerais les méchants Juifs qui -l’ont crucifié ! » Or le roi Abgare était lépreux ; mais Thadée -prit la lettre du Seigneur, lui en frotta le visage, -et aussitôt sa lèpre disparut.</p> - -<p>II. Jude prêcha ensuite en Mésopotamie et dans le Pont, -et Simon en Egypte. Puis ils se rendirent en Perse, et y -trouvèrent deux mages Zaroës et Arphaxal, que saint -Matthieu avait chassés de l’Ethiopie. En ce temps-là -Baradac, général babylonien, qui s’apprêtait à partir en -guerre contre les Indiens, consulta ses dieux sur l’issue -de sa campagne. Et il obtint pour réponse que ses dieux -ne pourraient lui répondre aussi longtemps que les deux -apôtres chrétiens seraient dans le pays. Baradac fit alors -rechercher les deux apôtres, leur demanda qui ils étaient -et pourquoi ils étaient venus. Et ils répondirent : « De -nation, nous sommes Hébreux, de condition, serviteurs -du Christ ; et nous sommes venus ici pour ton salut et -celui des tiens. » Et Baradac : « Je vous écouterai plus à -loisir quand je serai revenu vainqueur de mon expédition. » -Et les apôtres : « Mieux vaudrait pour toi connaître -dès maintenant celui qui, seul, peut te donner la -victoire ! » Et Baradac : « Si vous êtes plus puissants que -nos dieux, prédites-moi quelle sera l’issue de ma campagne ! » -Et les apôtres : « Pour que tu reconnaisses -combien tes dieux sont menteurs, demande-leur d’abord -de répondre à ta question ! » Alors les devins, consultés, -<span class="pagenum" id="p599">-599-</span> prédirent une grande guerre, et une grande fuite de -peuples après la bataille. Sur quoi les apôtres se mirent -à rire. Et Baradac : « Comment ! Je tremble d’effroi, et -vous riez ? » Et les apôtres : « Sois sans crainte, car la -paix est entrée ici avec nous. Demain, à la troisième -heure, des envoyés viendront te trouver ici de la part -des Indiens, pour te demander la paix et se soumettre -à ton pouvoir. » Alors ce fut au tour des prêtres de railler, -et ils dirent à Baradac : « Ces gens-là veulent te tromper -afin que, pendant que tu seras sans défiance, l’ennemi se -jette sur toi ! » Et les apôtres : « Nous ne t’avons pas dit -d’attendre un mois, mais seulement un jour ! Dès demain, -tu auras la paix et la victoire ! » Alors Baradac les fit -tenir sous bonne garde les uns et les autres. Le lendemain, -tout arriva comme les apôtres l’avaient prédit ; et -comme Baradac voulait châtier les devins de leur mensonge, -les apôtres l’en empêchèrent, disant qu’ils n’étaient -pas envoyés pour tuer les vivants, mais pour vivifier les -morts. Baradac en fut très surpris, comme aussi de l’insistance -qu’ils mettaient à refuser ses présents. Il les -conduisit donc à son roi, et lui dit : « Sire, voici des dieux -cachés sous la figure humaine ! » Mais les mages, jaloux -des apôtres, les accusèrent d’être des méchants, qui -méditaient la fin du royaume. Alors Baradac : « Si vous -l’osez, discutez avec ces deux hommes ! » Et les mages : -« Nous ne voulons pas discuter avec eux ; mais fais venir -ici les hommes les plus éloquents de la ville ; et, s’ils -peuvent parler, nous reconnaîtrons notre ignorance. » Et, -en effet, amenés devant eux, les plus habiles avocats -devinrent aussitôt muets et incapables même de s’exprimer -par gestes. Et les mages dirent au roi : « Pour te -prouver notre pouvoir, nous allons leur permettre de -parler, mais nous leur défendrons de marcher ; puis nous -leur permettrons de marcher, mais nous les empêcherons -de voir, même avec les yeux ouverts. » Et tout cela arriva -comme ils l’avaient dit. Alors Baradac mena les avocats -en présence des apôtres. Et en voyant ceux-ci tout vêtus -de haillons, les avocats les méprisèrent au fond de leur -cœur. Mais Simon leur dit : « C’est chose fréquente que -<span class="pagenum" id="p600">-600-</span> des écrins d’or et de diamant ne contiennent que des -matières viles, tandis que de viles caisses de bois -enferment des bijoux faits de pierres précieuses. Mais si -vous promettez de renoncer au culte des idoles et d’adorer -le Dieu invisible, nous ferons sur vous le signe de la -croix, et vous pourrez confondre les mages ! » Ainsi fut -fait ; et lorsque les avocats revinrent auprès des mages, -ceux-ci n’eurent plus aucun pouvoir sur eux. Alors la -foule se mit à les insulter, et fit amener des serpents pour -les étouffer. Mais les deux apôtres, appelés par le roi, -prirent les serpents dans leurs manteaux et les lancèrent -sur les mages, en disant : « Au nom du Seigneur, vous -ne mourrez pas, mais, déchirés par les serpents, vous -remplirez l’air de vos cris de douleur ! » Aussitôt les serpents -se mirent à dévorer leurs chairs, et les mages hurlaient -comme des loups ; et le roi et la foule priaient les -apôtres d’ordonner aux serpents de les mettre à mort. -Mais les apôtres : « Nous avons été envoyés pour ressusciter -les morts, et non pour tuer les vivants ! » Après -quoi, ayant prié Dieu, ils ordonnèrent aux serpents de -reprendre, dans le corps des mages, tout le venin qu’ils y -avaient déposé, puis de s’enfuir aux lieux d’où ils étaient -venus. Les serpents obéirent ; et, pendant cette seconde -épreuve, la douleur des mages fut plus vive encore. Et les -apôtres leur dirent : « Vous souffrirez ainsi pendant trois -jours, afin de vous guérir de votre malice ! » Mais, le -troisième jour, venant à eux, les apôtres leur dirent : -« Notre-Seigneur ne veut pas qu’on le serve par force, -donc levez-vous, soyez délivrés de vos souffrances, et -allez-vous-en, avec plein pouvoir de faire ce que vous -voudrez ! » Et les mages s’en allèrent guéris, mais sans -renoncer à leur malice ; et ils soulevèrent contre les -apôtres la Babylonie tout entière.</p> - -<p>Plus tard, la fille d’un des principaux de la ville, ayant -mis au monde un enfant, accusa un saint diacre de l’avoir -violée. Les parents voulaient tuer le diacre ; mais les -apôtres, survenant, demandèrent quand l’enfant était né. -Et les parents : « Hier, à la première heure ! » Et les -apôtres : « Amenez ici cet enfant, et amenez en même -<span class="pagenum" id="p601">-601-</span> temps le diacre que vous accusez ! » Cela fait, les apôtres -dirent à l’enfant : « Enfant, au nom de Jésus, dis-nous si -c’est bien cet homme-là qui t’a procréé ! » Et l’enfant : -« Cet homme-là est chaste et saint, et n’a jamais souillé -sa chair ! » Sur quoi les parents de la jeune fille pressèrent -les apôtres de faire dire à l’enfant quel était le vrai coupable. -Mais les apôtres : « Notre tâche est de faire -absoudre les innocents, non de perdre les coupables ! »</p> - -<p>Vers le même temps, deux tigres féroces, qu’on avait -enfermés dans des caveaux, s’échappèrent, dévorant tous -ceux qu’ils rencontraient. Alors les apôtres vinrent au-devant -d’eux et, ayant invoqué le nom du Seigneur, les -rendirent doux comme des agneaux. Ils voulurent ensuite -s’en aller de la ville, mais, à la demande des habitants, -ils y restèrent encore pendant un an et trois mois ; et, -durant ce temps, plus de soixante mille personnes furent -baptisées, y compris le roi et les principaux seigneurs.</p> - -<p>Cependant, les deux mages susdits s’étaient rendus -dans une ville nommée Suamir, où il y avait soixante-dix -prêtres des idoles ; et ils excitèrent ces prêtres contre les -apôtres. Lors donc que ceux-ci, après avoir parcouru toute -la province, arrivèrent dans cette ville, les prêtres et le -peuple s’emparèrent d’eux et les conduisirent au temple -du soleil. Sur quoi un ange apparut aux deux saints et -leur dit : « Choisissez l’une de ces deux alternatives : ou -bien la mort immédiate de ces méchants, ou votre martyre ! » -Et les apôtres : « Ce que nous demandons, c’est -que Dieu convertisse ces hommes, et nous accorde, à -nous, la palme du martyre ! » Puis, au milieu d’un grand -silence, ils dirent à la foule : « Afin que vous sachiez que -ces idoles sont pleines de démons, nous ordonnons à -ceux-ci d’en sortir, et de briser, chacun, sa statue ! » -Aussitôt, des statues sortirent des Ethiopiens, noirs et -nus, qui, après les avoir brisées, s’enfuirent avec des cris -terribles. Ce que voyant, les prêtres se jetèrent sur les -apôtres et les égorgèrent. Et aussitôt, dans un ciel d’une -sérénité parfaite, des coups de foudre jaillirent qui fendirent -en deux le temple et réduisirent les mages à l’état -de charbons. Et le roi fit transporter les corps des apôtres -<span class="pagenum" id="p602">-602-</span> dans sa capitale, où il éleva en leur honneur une église -magnifique.</p> - -<p>D’autre part, Isidore, dans son livre sur la mort des -apôtres, Eusèbe dans son <i>Histoire ecclésiastique</i>, Bède -dans ses commentaires des <i>Actes des Apôtres</i> et Jean -Beleth dans sa <i>Somme</i>, affirment que saint Simon souffrit -le supplice de la croix. Suivant eux, le saint, après avoir -prêché en Egypte, revint à Jérusalem, où les apôtres -l’élurent, d’une voix unanime, pour remplacer Jacques le -Mineur sur le siège épiscopal. Il gouverna donc l’Eglise -de Jérusalem pendant nombre d’années et ressuscita -trente morts. Il avait atteint l’âge de cent vingt ans, -lorsque, sous le règne de Trajan, il fut pris et mis en -croix par le consul Atticus. Mais ces mêmes écrivains -admettent que ce saint Simon peut avoir été un autre -Simon, fils de Cléophas et neveu de saint Joseph.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c158">CLVIII<br /> -SAINT QUENTIN, <span class="small">MARTYR<br /> -(31 octobre)</span></h2> - - -<p>Quentin était de famille noble et citoyen romain. Il -était venu dans la ville d’Amiens et y opérait de nombreux -miracles, lorsque, par ordre de Maximien, le préfet -de la ville s’empara de lui, et le jeta en prison après -l’avoir fait rouer de coups. Mais un ange délivra le prisonnier, -qui s’empressa de retourner sur la grand’place -pour y prêcher au peuple. Arrêté de nouveau, étendu -sur un chevalet où ses veines se rompirent, cruellement -frappé de nerfs de bœuf, brûlé avec de l’huile, de la -poix et de la graisse bouillantes, il supportait tout, et -raillait le préfet. Celui-ci, furieux, lui fit jeter au visage -de la chaux, du vinaigre et de la moutarde. Puis, voyant -que cela même ne l’émouvait point, il le fit transporter -<span class="pagenum" id="p603">-603-</span> en un lieu du Vermandois ; et là, après lui avoir fait -enfoncer deux grands clous dans la tête, et dix autres -sous les ongles et dans la chair, il ordonna enfin de le -décapiter.</p> - -<p>Le corps du saint, jeté dans une rivière, y resta caché -pendant cinquante-cinq ans. Il fut retrouvé par une -dame noble de Rome, dans les conditions que voici. Cette -dame qui était aveugle et très pieuse, fut avertie la nuit -par un ange d’avoir à se rendre au camp de Vermandois, -pour y retrouver le corps de saint Quentin et l’ensevelir. -Elle se rendit donc au lieu dit, avec une nombreuse -escorte, et, arrivée là, se mit en prière. Et aussitôt le -corps de saint Quentin flotta, intact et parfumé, à la -surface des eaux. La dame, qui en récompense de ses -soins, avait recouvré la vue, s’occupa d’ensevelir le saint, -ordonna de bâtir une église sur son tombeau, et, cela -fait, s’en retourna à Rome.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c159">CLIX<br /> -LA TOUSSAINT<br /> -<span class="small">(1<sup>er</sup> novembre)</span></h2> - - -<p>La fête de la Toussaint a été instituée pour quatre -objets : en premier lieu, pour commémorer la consécration -d’un certain temple ; en second lieu pour suppléer à -des omissions ; en troisième lieu pour expier nos négligences ; -en quatrième lieu pour nous faciliter l’accomplissement -de nos vœux.</p> - -<p>1<sup>o</sup> Voici d’abord l’histoire de la consécration du -temple. Les Romains, devenus maîtres du monde, avaient -construit un temple énorme, au milieu duquel ils avaient -placé leur idole ; et tout à l’entour étaient les idoles de -toutes les provinces conquises, la face tournée vers -l’idole des Romains. Et l’on raconte que, lorsque l’une -<span class="pagenum" id="p604">-604-</span> des provinces se révoltait, son idole, par un artifice diabolique, -tournait le dos à celle des Romains ; sur quoi -Rome envoyait dans cette province une nombreuse armée. -Mais bientôt ce temple ne suffit pas aux Romains, -qui construisirent pour chaque dieu un temple particulier. -Et comme tous les dieux ne pouvaient pas avoir un -temple à eux dans la ville, les Romains, pour mieux -étaler leur folie, construisirent en l’honneur de tous les -dieux un temple plus admirable encore que les autres, et -l’appelèrent le Panthéon, ce qui signifie le temple de -tous les dieux. Pour tromper le peuple, les prêtres des -idoles lui racontèrent que la déesse Cybèle, qu’ils appelaient -la mère de tous les dieux, leur était apparue ; et -cette déesse leur aurait dit que, si Rome voulait remporter -la victoire sur toutes les nations, on eût à élever, -à tous les dieux ses fils, un temple magnifique. Ce -temple fut construit sur une base circulaire, afin de symboliser -l’éternité des dieux ; mais lorsqu’on eût élevé les -murs à une certaine hauteur, on vit qu’ils ne pouvaient -pas tenir à cause de la largeur du diamètre. Alors, on -imagina de remplir l’intérieur de terre, pour faire -tenir les murs ; et à cette terre on mêla quelques pièces -d’argent. Puis, quand le temple fut achevé, on déclara -que tous ceux qui emporteraient de la terre pour le déblayer -auraient le droit de s’approprier tout ce qu’ils -trouveraient dans la terre : sur quoi le peuple se précipita -en foule dans le temple, avec l’espoir de s’approprier -les pièces d’argent mêlées à la terre, et le temple -ne tarda pas à être déblayé. On dit aussi que, au sommet -du temple, les Romains placèrent une coupole de -bronze doré où étaient sculptées toutes les provinces ; -mais cette coupole, plus tard, tomba, laissant un vide -dans le toit du temple. Or, sous le règne de l’empereur -Phocas, lorsque depuis longtemps déjà Rome était -devenue chrétienne, le pape Boniface, quatrième successeur -de saint Grégoire, obtint de l’empereur le susdit -temple, le débarrassa de toutes ses idoles, et, le 3 mai -de l’année 605, le consacra à la Vierge Marie et à tous -les martyrs : d’où il reçut le nom de Sainte-Marie aux -<span class="pagenum" id="p605">-605-</span> Martyrs, mais le peuple l’appelle plus couramment -Sainte-Marie la Ronde. Plus tard encore, un pape -nommé Grégoire transporta au 1<sup>er</sup> novembre la date de -la fête anniversaire de cette consécration : car à cette -fête les fidèles venaient en foule, pour rendre hommage -aux saints martyrs, et le pape jugea meilleur que la fête -fut célébrée à un moment de l’année où, les vendanges -et les moissons étant faites, les pèlerins pouvaient plus -facilement trouver à se nourrir. En même temps, ce -pape décréta qu’on célébrerait, ce jour-là, dans l’Eglise -tout entière, non seulement l’anniversaire de cette consécration, -mais la mémoire de tous les saints. Et ainsi -ce temple, qui avait été construit pour toutes les idoles, -se trouve aujourd’hui consacré à tous les saints.</p> - -<p>2<sup>o</sup> La fête de la Toussaint a été instituée pour suppléer -à des omissions : car il y a beaucoup de saints que -nous oublions, et qui non seulement n’ont pas de fête -propre, mais qui ne se trouvent même pas commémorés -dans nos prières. C’est, en effet, chose impossible que nous -célébrions séparément la fête de tous les saints, tant à -cause de leur innombrable quantité que de notre faiblesse -et du manque de temps. Dans l’épître qu’il a mise en -préface à son calendrier, saint Jérôme dit : « A l’exception -du 1<sup>er</sup> janvier, il n’y a pas, dans toute l’année, -un seul jour où l’on ne puisse trouver inscrite la mémoire -d’au moins cinq mille martyrs. Et c’est pour cela -que l’Eglise, dans sa sagesse, ne pouvant pas accorder à -chacun des saints un jour de fête spécial, a décrété -que, du moins, une fois par an, tous les saints seraient -fêtés ensemble en grande solennité. »</p> - -<p>3<sup>o</sup> La fête de la Toussaint a été instituée pour expier -des négligences. Car bien que nous ne célébrions la fête -que de peu de saints, encore négligeons-nous souvent -ceux-là même, par ignorance ou par paresse. Et c’est de -ce péché que nous pouvons nous délivrer en célébrant -d’une façon générale tous les saints, le jour de la Toussaint.</p> - -<p>Notons, à ce propos, que les saints du Nouveau Testament -que nous fêtons en ce jour, comme dans tout le -<span class="pagenum" id="p606">-606-</span> cours de l’année, se répartissent en quatre catégories : -les apôtres, les martyrs, les confesseurs et les vierges. -La première catégorie est celle des apôtres, qui dépassent -tous les autres saints en dignité, en pouvoir, -en sainteté et en efficacité. La seconde catégorie est -celle des martyrs, dont l’excellence se manifeste en ce -qu’ils ont souffert des maux très variés, avec une constance -invariable et une extrême utilité pour le salut des -hommes. La troisième catégorie est celle des confesseurs, -qui ont proclamé Dieu de trois façons : par le -cœur, la bouche, et les œuvres. Enfin, la quatrième catégorie -est celle des vierges, dont la dignité et l’excellence -se manifestent en ce que : 1<sup>o</sup> elles sont les épouses -du Roi éternel ; 2<sup>o</sup> elles sont comparables aux anges ; -3<sup>o</sup> elles jouissent au Ciel de nombreux privilèges (étant -admises à porter la couronne de l’auréole, à chanter les -cantiques, à marcher derrière l’Agneau, etc.) ; 4<sup>o</sup> elles -sont supérieures aux femmes mariées. Car, comme le -dit saint Augustin, « la fécondité la plus riche et la plus -heureuse, pour une femme, est celle qui consiste non -à s’alourdir le ventre mais à s’agrandir l’âme », attendu -que « la fécondité du ventre ne remplit, que la -terre, tandis que la fécondité de l’âme remplit le ciel ». -Gilbert dit que, « si l’état de mariage est bon, la virginité -est meilleure ». Et saint Jérôme écrit, dans sa lettre -à Pammaque : « Entre l’état de mariage et la virginité, -la différence est la même qu’entre l’état de non-péché et -l’état de bonnes œuvres ; ou encore, d’une façon plus -simple, qu’entre le bien et le mieux. »</p> - -<p>4<sup>o</sup> Enfin la fête de la Toussaint a été instituée pour -nous faciliter l’obtention de nos vœux. De même que -nous honorons en ce jour tous les saints, de même nous -leur demandons d’intercéder, tous ensemble, pour nous, -de façon à nous faire avoir plus facilement la miséricorde -de Dieu. Les saints peuvent, en effet, intercéder -pour nous par leurs mérites et par leur affection : par -leurs mérites, en ce que le surplus de leurs bonnes -œuvres s’emploie à compenser nos fautes ; par leur -affection, en ce qu’ils demandent à Dieu que nos vœux -<span class="pagenum" id="p607">-607-</span> se réalisent, chose qu’ils ne font, cependant, que quand -ils savent que cela ne contrarie pas la volonté de Dieu.</p> - -<p>Et que, dans ce jour, tous les saints se joignent pour -intercéder en notre faveur, c’est ce que prouve une vision -qui eut lieu l’année qui suivit l’institution de cette fête. -Le jour de la Toussaint de cette année-là, le gardien de -l’église de Saint-Pierre, après avoir pieusement fait le -tour de tous les autels et imploré les suffrages de tous -les saints, s’assoupit un moment devant l’autel de saint -Pierre. Il fut alors ravi en extase et vit le Roi des Rois -assis sur son trône, avec tous les anges autour de lui. -Puis vint la Vierge des Vierges, avec un diadème de feu -autour de la tête, et suivie de la foule innombrable des -vierges. Dès qu’elle entra, le Roi se leva et la fit asseoir -sur un trône, près de lui. Puis vint un homme vêtu de -poils de chameau, et suivi d’une multitude de vieillards -vénérables ; puis un autre homme, en habits de pontife, -suivi d’un groupe d’hommes habillés de la même façon. -Derrière eux s’avança une foule innombrable de soldats, -que suivait à son tour une foule infinie d’hommes de -toutes les nations. Tous, parvenus devant le Roi des Rois, -s’agenouillèrent devant lui et se mirent à l’adorer. -L’homme en habits pontificaux entonna les matines ; et -ainsi commença le service divin. Et l’ange qui avait conduit -le susdit gardien lui expliqua ensuite le sens de cette -vision. Il lui dit que la Vierge assise sur le trône était -la mère de Dieu, que l’homme vêtu de poils de chameau -était saint Jean-Baptiste, ayant derrière lui les patriarches -et les prophètes ; que l’homme en habits pontificaux -était saint Pierre, suivi des apôtres ; que les soldats -étaient les martyrs, et que la foule était formée des saints -confesseurs. Et l’ange dit au gardien que tous ces saints -étaient venus en présence du Roi des Rois pour le remercier -de l’honneur que lui rendaient, en ce jour, les hommes, -et pour prier pour le monde entier. Puis l’ange conduisit -le gardien dans un autre lieu, où il lui montra des -personnes des deux sexes, dont les unes étaient vêtues -d’or, ou assises à des tables somptueuses, tandis que -d’autres, nues et misérables, mendiaient du secours. Et -<span class="pagenum" id="p608">-608-</span> l’ange dit au gardien : « Ce lieu est le Purgatoire. Les -Ames que tu vois dans l’abondance sont celles qu’assistent -copieusement les suffrages de leurs amis ; les âmes de -ces mendiants sont celles de personnes qui n’ont point -d’amis, au ciel ni sur la terre, pour s’occuper d’elles. » -Et l’ange ordonna au gardien de rapporter tout cela au -souverain pontife, afin que, après la fête de la Toussaint, -il instituât la fête des Ames, c’est-à-dire une fête où, du -moins, des suffrages communs s’élèveraient au Ciel en -faveur de ceux qui n’avaient personne pour adresser en -leur faveur des suffrages particuliers.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c160">CLX<br /> -LE JOUR DES AMES<br /> -<span class="small">(2 novembre)</span></h2> - - -<p>L’Eglise a institué, en ce jour, la commémoration des -fidèles défunts, afin d’accorder un bénéfice général de -prières à ceux, parmi ces défunts, qui n’en possèdent -point de particuliers. Cette fête a été instituée à la suite -de la vision racontée au chapitre précédent. Pierre Damien -raconte aussi que saint Odilon, abbé de Cluny, apprenant -que l’on entendait souvent sortir de l’Etna les hurlements -des démons, et les voix plaintives d’âmes -défuntes qui demandaient à être arrachées de leurs mains -par des aumônes et des prières, décida que, dans les -monastères de son ordre, la fête de la Toussaint serait -suivie de la commémoration des âmes défuntes ; et -cette décision fut ensuite approuvée par l’Eglise entière.</p> - -<p>Trois questions sont à considérer, à propos de cette -fête : 1<sup>o</sup> quelles sont les âmes qui vont au purgatoire ? -2<sup>o</sup> par qui sont-elles châtiées ? 3<sup>o</sup> en quel lieu vont-elles ?</p> - -<p><span class="pagenum" id="p609">-609-</span> 1<sup>o</sup> Trois sortes d’âmes vont en purgatoire : d’abord -celles qui meurent sans avoir accompli la pénitence qui -leur a été imposée ; en second lieu celles à qui le prêtre, -par ignorance ou par négligence, n’a pas imposé une -pénitence suffisante ; en troisième lieu celles qui emportent -avec elles, en mourant, « le bois, le foin et la -stipule », c’est-à-dire qui, tout en adorant Dieu, restent -attachées aux biens de la terre.</p> - -<p>2<sup>o</sup> Sur la question de savoir par qui sont châtiées les -âmes du purgatoire, on est d’accord pour affirmer que -leur purgation et punition se fait par de mauvais anges, -et non par de bons anges. Et l’on doit croire, au contraire, -que les bons anges visitent souvent leurs frères -et concitoyens dans le purgatoire, les consolent et les -exhortent à souffrir avec patience.</p> - -<p>3<sup>o</sup> Enfin, touchant le lieu du purgatoire, bon nombre -de savants estiment qu’il se trouve dans le voisinage -de l’enfer, bien que d’autres prétendent qu’il est situé -dans l’air, et dans la zone torride. Nous savons, d’autre -part, que la toute-puissance divine peut assigner aux -diverses âmes des demeures différentes, et cela pour -cinq causes : 1<sup>o</sup> pour l’allégement de leur punition ; -2<sup>o</sup> pour leur plus prompte libération ; 3<sup>o</sup> pour notre instruction ; -4<sup>o</sup> pour l’expiation d’une faute commise dans -un certain lieu ; 5<sup>o</sup> en raison de la prière d’un saint. Chacune -de ces causes peut être illustrée par un exemple.</p> - -<p>Première cause : allégement de la punition. Saint Grégoire -rapporte que plusieurs saints ont connu, par révélation, -que des âmes étaient simplement punies par le -séjour dans les ténèbres.</p> - -<p>Seconde cause : plus prompte libération. Cela signifie -que certaines âmes sont placées en des lieux -d’où elles puissent révéler aux vivants leur misérable -condition, et obtenir d’eux des prières pour être plus -vite tirées de peine. C’est ainsi que des pêcheurs du -diocèse de saint Théobald prirent en automne un grand -morceau de glace, prise qui leur fut plus agréable que -celle d’un poisson, parce que leur évêque souffrait de -douleurs dans les pieds, et n’avait point de glace pour -<span class="pagenum" id="p610">-610-</span> se rafraîchir les membres malades. Mais un jour -l’évêque entendit sortir du glaçon une voix humaine qui -lui dit : « Je suis une âme condamnée à séjourner -dans ce glaçon pour mes péchés ; et je pourrais être délivrée -si tu disais pour moi trente messes pendant trente -jours de suite ! » Mais comme l’évêque avait déjà dit la -moitié des trente messes, et se préparait à en dire une -nouvelle, le diable souleva un grand conflit entre les -habitants de la ville : l’évêque, mandé pour apaiser la -discorde, se dépouilla de ses ornements sacrés, et ne dit -point la messe ce jour-là. Il eût donc à recommencer le -lendemain une nouvelle trentaine, et déjà il avait dit -vingt messes lorsqu’une immense armée assiégea la -ville, et l’obligea cette fois encore, à passer la journée -loin de son église. Il recommença, le lendemain, une -nouvelle trentaine ; et déjà il s’apprêtait pour la dernière -messe lorsqu’on vint lui annoncer que sa maison -était en feu. Mais, comme on voulait qu’il interrompît sa -messe, il s’écria : « Si même la ville entière brûlait, je -dirais ma messe jusqu’au bout ! » Et à peine l’eut-il dite -que la glace fondit, et que le feu s’évanouit comme un -brouillard, sans laisser aucun dommage.</p> - -<p>Troisième cause : notre instruction. Des âmes peuvent -être placées en un lieu d’où elles nous avertissent de la -grandeur des peines que nous vaudront nos péchés. C’est -de quoi nous avons un exemple dans un fait arrivé à -Paris, et qui nous est raconté par le Chantre Parisien. -Maître Silo avait demandé à un docteur de ses amis, qui -était malade, de revenir, après sa mort, pour lui faire -part de l’état où il se trouvait. Quelques jours après, le -docteur défunt lui apparut tout vêtu d’une chape de parchemin -où étaient inscrits des sophismes ; et, à l’intérieur, -cette chape était garnie de charbons ardents. Et il dit à -son ancien compagnon : « Cette chape pèse plus lourdement -à mon corps que si je portais une tour sur mes -épaules ! Elle m’a été imposée en punition de la gloire -que m’avaient value mes sophismes. » Et comme maître -Silo estimait que c’était là une punition assez facile à -supporter, le défunt lui dit de lui toucher la main, et, de -<span class="pagenum" id="p611">-611-</span> sa main, fit tomber sur lui une goutte de sueur : cette -goutte perfora la main de maître Silo plus cruellement -que n’aurait fait une flèche, et il y sentit une douleur -épouvantable. Alors le défunt lui dit : « Voilà ce que je -sens dans tout mon corps ! » Sur quoi maître Silo, -effrayé de l’énormité d’une telle peine, résolut de renoncer -au siècle et d’entrer en religion, ce qu’il fit après -avoir d’abord composé, à l’usage de ses collègues et -élèves, le distique suivant :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse" lang="la" xml:lang="la">Linquo choas ranis, cra corvis, vanaque vanis.</div> -<div class="verse" lang="la" xml:lang="la">Ad logicam pergo quæ mortis non timet ergo<a id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor">[15]</a>.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_15" href="#FNanchor_15"><span class="label">[15]</span></a> J’abandonne le coassement aux grenouilles, le croassement aux -corbeaux et les vanités aux vains ; et je vais vers la seule logique -qui ne redoute point les <i lang="la" xml:lang="la">ergo</i> de la mort !</p> -</div> -<p>Quatrième cause : l’expiation d’une faute. Saint Augustin -dit en effet que certaines âmes subissent leur peine -dans le lieu même où elles ont commis leur faute, et -c’est ce que prouve un exemple raconté par saint Grégoire -dans son quatrième dialogue. Un prêtre trouvait -toujours, lorsqu’il entrait dans son bain, un homme -inconnu qui le servait avec de grands égards. Et -comme un jour, pour le récompenser, il lui offrait du -pain bénit, l’inconnu lui répondit tristement : « Hélas, -mon Père, je ne puis toucher à ce pain consacré ! J’étais -autrefois le maître de ce lieu, et j’y suis retenu aujourd’hui, -après ma mort, en punition de mes fautes. Mais -je te prie d’offrir à Dieu ce pain pour mes péchés ; et, -le jour où tu ne me trouveras plus ici, tu sauras que tes -prières auront été exaucées. » Le prêtre offrit pour lui -la sainte hostie pendant une semaine ; après quoi, quand -il revint au bain, il ne le trouva plus.</p> - -<p>Cinquième cause : la prière d’un saint. C’est ainsi -que, dans le chapitre consacré à la fête de saint Patrice, -nous avons raconté comment ce saint a obtenu, pour -certains morts, d’avoir leur purgatoire en un certain lieu -sous la terre.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p612">-612-</span> On peut se demander, ensuite, quels sont les suffrages -qui peuvent aider les âmes du purgatoire. Parmi ceux -qui sont les plus utiles à ces âmes, figurent la prière -des amis, les aumônes, l’immolation de la sainte hostie -et l’observation des jeûnes.</p> - -<p>L’utilité des prières des amis nous est prouvée par -l’exemple de Paschase, tel que nous le raconte saint -Grégoire dans ses <i>Dialogues</i>. Ce Paschase était un -homme plein de vertu et de sainteté ; mais comme on -avait élu deux souverains pontifes, et qu’ensuite l’Eglise -s’était décidée à reconnaître l’un d’entre eux, Paschase -s’était obstiné, jusqu’à sa mort, à lui préférer l’autre. -Quand il mourut, un possédé fut guéri en touchant sa -dalmatique, posée sur son cercueil. Mais, longtemps -après, l’évêque de Capoue, Germain, étant entré au bain -pour cause de santé, aperçut le susdit Paschase qui le -servait humblement. Effrayé, il se demanda ce que pouvait -faire là un si saint homme. Et Paschase lui dit qu’il -portait le châtiment d’avoir soutenu la mauvaise cause -dans la rivalité des deux papes. Et il ajouta : « Prie -Dieu pour moi ; et le jour où tu ne me retrouveras plus -ici, c’est que ta prière aura été exaucée ! » Germain pria -donc pour lui ; et, quelques jours après, en revenant au -bain, il ne le vit plus. — Autre exemple : Pierre de Cluny -raconte qu’un prêtre, qui célébrait tous les jours une -messe pour les morts, fut dénoncé à son évêque, et suspendu -de son office. Or, un jour que l’évêque traversait -le cimetière pour célébrer les matines, les morts se soulevèrent -contre lui en disant : « Cet évêque, non content -de ne point dire de messe pour nous, nous a encore enlevé -notre prêtre. Mais, s’il ne répare point le mal qu’il -a fait, la mort l’attend ! » Aussi l’évêque s’empressa-t-il -de lever la suspension du prêtre, et de dire lui-même, -désormais, des messes pour les morts.</p> - -<p>Combien sont agréables aux morts les prières des -vivants, c’est ce que nous prouve un exemple cité par le -Chantre Parisien. Un homme avait coutume, en traversant -le cimetière, de réciter un psaume pour les morts. -Et comme, un jour, ses ennemis le poursuivaient dans le -<span class="pagenum" id="p613">-613-</span> cimetière, les morts se soulevèrent, le protégèrent et -mirent en fuite ses ennemis épouvantés.</p> - -<p>Voici maintenant, d’après saint Grégoire, un exemple -qui prouve combien les aumônes sont précieuses pour -la libération des âmes défuntes. Un soldat, qui était mort -et revenu à la vie, raconta qu’il avait vu un pont sous -lequel coulait un fleuve noir et fétide. Au delà du pont -s’étendait une belle prairie, parée de fleurs parfumées, -et où se promenaient, par groupes, des hommes vêtus de -blanc. Mais tout pécheur qui s’aventurait sur le pont -tombait dans l’horrible fleuve, et seuls les justes s’avançaient -d’un pas sûr jusque dans la prairie. Et le soldat -vit, dans ce fleuve, un homme nommé Pierre, qui était -couché sur le dos, ayant sur soi un énorme poids de -fer. Et on lui dit que cet homme souffrait cette peine -parce que, de son vivant, quand il avait à châtier un -coupable, il le faisait par cruauté plus que par obéissance. -Un autre homme, nommé Etienne, était déjà -tombé dans le fleuve, lorsque des hommes vêtus de -blanc le prirent par les bras et le hissèrent jusque dans -la prairie. Et l’on dit au soldat que ces hommes représentaient -les aumônes d’Etienne luttant contre les vices -de sa chair.</p> - -<p>Combien l’immolation de l’hostie peut servir aux -défunts, c’est ce que nous prouvent de nombreux -exemples. Saint Grégoire raconte, dans ses <i>Dialogues</i>, -qu’un de ses moines, nommé Juste, étant sur le point de -mourir, avait avoué qu’il possédait secrètement trois -pièces d’or. Saint Grégoire ordonna de placer ces trois -pièces dans son cercueil, en disant : « Que ton argent -t’accompagne dans la perdition ! » Mais en même temps -il demanda aux frères d’immoler l’hostie pour le mort -pendant trente jours. Au bout des trente jours, le mort -apparut à un de ses frères. Et comme celui-ci lui demandait -en quel état il se trouvait : « J’ai été, jusqu’ici, en -fort mauvais état ; mais, ce matin, j’ai été admis à la -communion et ma peine a cessé ! »</p> - -<p>L’immolation de l’hostie peut même servir pour les -vivants. Un homme, dont tous les compagnons avaient -<span class="pagenum" id="p614">-614-</span> été écrasés sous une roche, dans une mine d’argent, restait -vivant, mais se trouvait enfermé dans la mine, faute -d’issue. Sa femme, le croyant mort, faisait dire tous les -jours une messe pour lui, où elle assistait elle-même. -Mais pendant trois jours le diable, l’arrêtant sur son -chemin, lui dit : « Inutile d’aller plus loin, car la messe -est déjà dite ! » De telle sorte que, pendant ces trois -jours, la femme ne fit point célébrer de messe pour son -mari, et ne put pas non plus offrir sur l’autel le pain, la -cruche de vin et le cierge qu’elle offrait tous les jours. -Or, peu de temps après, un homme qui travaillait dans -la mine entendit une voix qui semblait venir d’au-dessous -de lui, et qui lui disait : « Ne frappe pas aussi fort, -car voici une grosse pierre qui menace de tomber sur -moi ! » Alors le mineur cessa de creuser en cet endroit, -et, sur le côté, se fraya un chemin jusqu’à un endroit -où il trouva, vivant et en parfaite santé, celui que l’on -croyait mort. Et comme on lui demandait comment il -avait pu vivre là si longtemps, il dit que, tous les jours, -excepté pendant trois jours, une main invisible lui avait -apporté du pain, une cruche de vin et un cierge allumé. -Ce qu’entendant sa femme, ravie de bonheur, comprit -que c’était de son offrande que son mari avait vécu. Ce -miracle, que nous raconte Pierre de Cluny, a eu lieu -dans un village appelé Ferrières, du diocèse de Grenoble. -Et pareillement saint Grégoire raconte l’histoire d’un -marin qui allait périr en mer lorsqu’une messe, dite -pour lui par un prêtre, lui permit de sortir des flots. Et -comme on lui demandait de quoi il avait pu vivre, sur -son épave, il dit qu’un inconnu lui avait apporté un pain : -or, c’était à l’heure même où le prêtre immolait l’hostie -pour lui.</p> - -<p>Les jeûnes et autres pénitences, de la part des parents -et amis des morts, peuvent également être d’un grand -prix pour abréger aux âmes la durée de leur peine. Une -veuve se désespérait de sa pauvreté, lorsque le diable -lui apparut et lui promit de la rendre riche, si elle consentait -à faire ce qu’il voudrait. La femme y consentit ; -et le diable lui ordonna quatre choses : 1<sup>o</sup> de contraindre -<span class="pagenum" id="p615">-615-</span> à la fornication des hommes d’église qui demeuraient -chez elle ; 2<sup>o</sup> d’accueillir chez soi des pauvres, mais -pour les renvoyer ensuite nus, au milieu de la nuit ; -3<sup>o</sup> d’empêcher les prières à l’église, en parlant très -haut ; et 4<sup>o</sup> de ne souffler mot de tout cela à âme qui -vive. Or, comme cette, femme allait mourir, et que son -fils l’engageait à se confesser, elle lui avoua ce qu’elle -avait fait, et lui dit que, tel étant son cas, aucune confession -ne pourrait la sauver. Mais comme le fils insistait -en pleurant, et promettait de faire pour elle autant de -pénitence qu’il faudrait, elle finit par consentir à ce qu’il -allât chercher un prêtre. Mais, avant que le prêtre ne fût -arrivé, les démons se jetèrent sur elle, lui causant une -frayeur si forte, qu’elle en mourut. Son fils n’en confessa -pas moins au prêtre le péché de sa mère ; et celle-ci, -après qu’il eût fait pénitence pendant sept ans, lui apparut, -pour le remercier de l’avoir délivrée.</p> - -<p>Mais nous devons ajouter que ces suffrages, pour -avoir de la valeur, doivent provenir de personnes étant -elles-mêmes vertueuses : car les suffrages des méchants -ne servent de rien aux âmes des défunts. Un soldat -était couché avec sa femme dans son lit ; et, comme la -lune envoyait ses rayons dans la chambre, le soldat -s’étonnait de ce que les créatures raisonnables refusassent -d’obéir à la loi divine, tandis que les êtres sans -raison y obéissaient : après quoi il se mit à parler des -péchés d’un de ses camarades, qui était mort. Mais au -même instant le mort entra dans la chambre et lui dit : -« Mon ami, ne pense mal de personne ; et, si j’ai péché -envers toi, pardonne-le-moi ! » Le soldat lui ayant demandé -en quel état il se trouvait, il répondit : « Je suis -torturé de mille façons, en punition surtout d’avoir violé -un cimetière et d’y avoir blessé quelqu’un pour lui dérober -sa cape. C’est cette cape que je suis condamné à -porter sur mon dos ; et une montagne n’y pèserait pas -davantage ! » Il demanda à son camarade de faire dire -des prières pour lui. Mais comme son camarade lui proposait -de les faire dire par tel et tel prêtre, le mort, sans -rien répondre, secouait la tête en signe de refus. Enfin -<span class="pagenum" id="p616">-616-</span> le vivant lui demanda s’il voulait qu’un certain ermite -priât pour lui. Et le mort : « Oh ! plût à Dieu que celui-là -consentît à prier pour moi ! » Et il dit encore à son -compagnon, avant de disparaître : « Je te préviens que, -dans deux ans d’aujourd’hui, tu mourras à ton tour ! » -De telle sorte que le soldat put changer de vie, et s’endormir -dans le Seigneur.</p> - -<p>Quand nous disons que les suffrages offerts par les -méchants ne peuvent servir aux morts, on entend bien -que nous voulons parler des prières, jeûnes, etc., mais -non des sacrements, tels que la célébration de la messe, -dont le plus mauvais prêtre ne saurait empêcher le -caractère sacré. Et les mourants doivent, à ce propos, -se garder de commettre à des méchants le soin de veiller, -après leur mort, sur le salut de leurs âmes, afin que -ne leur arrive point l’aventure qui arriva à certain soldat -partant pour combattre les Maures avec Charlemagne. -Ce soldat avait demandé à un de ses parents, au cas où -il mourrait, de vendre son cheval et d’en distribuer le -prix aux pauvres. Après quoi le soldat mourut : mais -son parent, trouvant le cheval à son goût, le garda pour -lui. Or, peu de temps après, le mort lui apparut et lui -dit : « Infidèle parent, tu m’as fait souffrir pendant huit -jours les peines du purgatoire, en ne donnant pas aux -pauvres le prix de mon cheval ; mais tu en seras puni, -car, aujourd’hui même, les diables vont emporter ton -âme en enfer ! » Et, au même instant, on entendit dans -l’air une grande clameur, comme des cris de lions, -d’ours et de loups ; et l’âme du mauvais parent fut emportée -en enfer.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c161">CLXI<br /> -LES QUATRE COURONNÉS, <span class="small">MARTYRS<br /> -(8 novembre)</span></h2> - - -<p>Les quatre couronnés s’appelaient Sévère, Sévérien, -Carpophore et Victorin. Par l’ordre de Dioclétien, ils -<span class="pagenum" id="p617">-617-</span> furent battus de verges plombées jusqu’à ce que mort -s’ensuivît. On fut pendant très longtemps sans trouver les -noms de ces quatre martyrs ; et l’Eglise, faute de connaître -leurs noms, décida de célébrer leur fête le même -jour que celle de cinq autres martyrs, Claude, Castor, -Symphorien, Nicostrate et Simplice, qui subirent le -martyre deux ans plus tard. Ces cinq martyrs étaient -sculpteurs ; et comme ils se refusaient à sculpter une -idole pour Dioclétien, ils furent enfermés vivants dans -des tonneaux plombés, et précipités dans la mer, en l’an -du Seigneur 287. C’est donc le jour de la fête de ces -cinq martyrs que le pape Melchiade ordonna que fussent -commémorés, sous le nom des Quatre Couronnés, les -quatre autres martyrs dont on ignorait les noms. Et -bien que, par la suite, une révélation divine eût permis de -connaître les noms de ces saints, l’usage se conserva de -les désigner sous le nom collectif des Quatre Couronnés.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c162">CLXII<br /> -SAINT THÉODORE, <span class="small">MARTYR<br /> -(9 novembre)</span></h2> - - -<p>Théodore souffrit le martyre dans la ville des Marmanites, -sous le règne des empereurs Dioclétien et Maximien. -Comme le préfet de la ville lui disait que, s’il -sacrifiait aux idoles, il serait restitué dans son ancienne -dignité militaire, il répondit : « Je sers maintenant dans -l’armée de mon Dieu et de son fils, Jésus-Christ ! » Et -le préfet : « Ainsi ton Dieu a un fils ? » Et Théodore : -« Oui. » Et le préfet : « Pouvons-nous le connaître ? » Et -Théodore : « Plût au ciel que vous le connussiez et vinssiez -à lui ! » Ayant reçu l’ordre de sacrifier aux idoles, -Théodore entra, de nuit, dans le temple de Mars, et y mit -le feu. Dénoncé par quelqu’un qui l’avait vu faire, il fut -<span class="pagenum" id="p618">-618-</span> jeté en prison pour y mourir de faim. Mais le Seigneur -lui apparut et lui dit : « Aie confiance, mon serviteur -Théodore, car je suis avec toi ! » Puis une troupe d’anges, -vêtus de blanc, entra dans la cellule et se mit à chanter -des psaumes avec le prisonnier. Ce que voyant, les gardiens -s’enfuirent, épouvantés.</p> - -<p>Le lendemain Théodore fut de nouveau invité à sacrifier -aux idoles. Et il dit : « Vous pouvez brûler mes -chairs et me prodiguer tous les supplices ; tant que respireront -mes narines je ne renierai point mon Dieu ! » Il -fut alors pendu à un poteau, et on lui déchira les chairs -si cruellement que ses côtes furent mises à nu. Alors -le préfet : « Théodore, veux-tu être avec nous ou -avec ton Christ ? » Et lui : « C’est avec mon Christ que -j’ai été, et suis, et serai ! » Le préfet le fit brûler sur un -bûcher, où il rendit l’âme ; mais son corps resta intact, -et une odeur délicieuse s’en exhalait, et l’on entendit une -voix qui disait : « Viens, mon aimé, entre dans la joie de -ton Seigneur ! » Et bon nombre d’assistants virent le ciel -s’ouvrir. Ce martyre eut lieu en l’an du Seigneur 287.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c163">CLXIII<br /> -SAINT MARTIN, <span class="small">ÉVÊQUE ET CONFESSEUR<br /> -(11 novembre)</span></h2> - - -<p>I. Martin était originaire de la Pannonie ; mais il fut élevé -à Pavie, en Italie, et servit ensuite les empereurs Constantin -et Julien, avec son père, qui était tribun des soldats. -Cependant, ce n’est pas de son plein gré qu’il entra -dans l’armée : car, inspiré d’en haut dès son enfance, à -l’âge de douze ans il s’était enfui dans une église, pour -demander à devenir catéchumène ; et il se serait fait -ermite, si la faiblesse de sa santé ne l’en eût empêché. -Mais lorsque les empereurs résolurent que les fils des -vétérans eussent à servir avec leurs pères, force fut au -<span class="pagenum" id="p619">-619-</span> jeune Martin de s’enrôler. Il avait alors quinze ans. Et, -du moins, ne voulut-il avoir qu’un seul serviteur, que -d’ailleurs lui-même se plaisait à servir, lui brossant ses -vêtements et lui ôtant sa chaussure. Un jour d’hiver, -comme il passait sous une des portes d’Amiens, il rencontra -un pauvre qui était tout nu. Aussitôt, coupant en -deux, avec son épée, le manteau dont il était recouvert, -il en donna à ce pauvre une des deux moitiés. Et, la nuit -suivante, il vit le Christ lui-même vêtu de cette moitié -de manteau ; et il entendit que Notre-Seigneur disait -aux anges qui l’entouraient : « Ce manteau, Martin me -l’a donné quand il n’était encore que catéchumène ! » Le -saint jeune homme, au reste, ne tira de cette vision aucune -vanité, mais y vit seulement une nouvelle preuve de la -bonté de Dieu. A dix-huit ans, il se fit baptiser. Il aurait -voulu se consacrer tout entier au Seigneur ; mais son -tribun lui demanda de servir deux années encore, lui -promettant de le laisser, ensuite, libre de se retirer. Or, -au bout de ces deux ans, et comme les barbares envahissaient -la Gaule, l’empereur Julien distribua de l’argent -entre les soldats chargés de les repousser. Mais Martin -refusa d’en prendre sa part, disant : « Je suis soldat du -Christ et n’ai pas le droit de combattre ! » Julien, indigné, -lui dit que ce n’était pas par piété, mais par peur -qu’il renonçait au service, devant la guerre imminente. -Et l’intrépide jeune homme lui répondit : « Puisque tu -mets ma conduite sur le compte de la lâcheté, je me -présenterai demain sans armes en face de l’ennemi, et je -braverai ses coups avec le signe de la croix en guise de -casque et de bouclier. » Julien donna l’ordre qu’on le mît -en demeure de faire comme il avait dit. Mais le lendemain, -dès le matin, l’ennemi annonça qu’il se rendait -avec tous ses biens : et ainsi la victoire fut obtenue sans -perte de sang, par le seul mérite du saint.</p> - -<p>Au sortir de l’armée, Martin se rendit auprès de saint -Hilaire, évêque de Poitiers, qui l’ordonna son coadjuteur. -Mais une nuit, en rêve, le Seigneur l’avertit d’avoir -à aller visiter ses parents, qui étaient restés païens. Il -se mit en route, prévoyant avec raison qu’il aurait à traverser -<span class="pagenum" id="p620">-620-</span> toutes sortes d’épreuves. Au passage des Alpes, -il fut attaqué par des voleurs, qui, après lui avoir lié les -mains derrière le dos, le laissèrent à la garde de l’un -d’eux. Et comme, avant de le laisser, ils lui demandaient -s’il avait peur, il répondit que jamais au contraire il -n’avait été plus rassuré, car il savait que la miséricorde -divine se faisait voir le plus volontiers dans les tentations. -Resté seul avec le voleur, il lui prêcha l’évangile, -et le convertit : de telle sorte que cet homme, après -l’avoir reconduit sur la grand’route, mena depuis lors une -vie honorable. A Milan, ensuite, c’est le diable lui-même -qui, prenant forme humaine, aborda Martin et lui demanda -où il allait. Et Martin : « Je vais où mon maître -m’appelle ! » Et le diable : « Où que tu ailles, tu trouveras -le diable contre toi ! » Mais Martin lui répondit : -« Avec l’aide du Créateur je ne crains rien de la créature ! » -Enfin, arrivé à Pavie, Martin convertit sa mère : -son père, au contraire, persévéra dans l’idolâtrie.</p> - -<p>Peu de temps après, l’hérésie arienne s’étant répandue -à Pavie, et Martin se trouvant à peu près seul à y résister, -on le chassa de la ville, non sans l’avoir battu. Il -revint à Milan et y fonda un monastère ; mais, de là -encore, les ariens le bannirent. En compagnie d’un seul -prêtre, il se réfugia dans l’île Gallinaria. Pendant -qu’il y était, il absorba un jour, par erreur, de la graine -d’ellébore ; et déjà le poison allait le faire mourir, -lorsque, par la force de sa prière, il vainquit à la fois le -danger et la douleur. Enfin, ayant appris que saint -Hilaire était revenu d’exil, il alla le rejoindre, et fonda -un monastère près de Poitiers<a id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor">[16]</a>. Là, un jour, il apprit -qu’un catéchumène venait de mourir sans avoir reçu le -baptême. Il se rendit dans la cellule du défunt, pria sur -son corps et le rappela à la vie. Et ce catéchumène -rapporta que, au moment où on l’entraînait déjà en enfer, -deux anges avaient murmuré à l’oreille de son juge que -c’était là le pécheur pour qui priait saint Martin. Et -le saint rendit également la vie à un homme qui s’était -<span class="pagenum" id="p621">-621-</span> pendu, ce qui permit à cet homme de faire pénitence.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_16" href="#FNanchor_16"><span class="label">[16]</span></a> A Ligugé.</p> -</div> -<p>L’évêque de Tours étant mort, la ville désigna Martin -pour lui succéder. En vain quelques évêques s’opposèrent -à cette élection, sous prétexte que Martin était -négligé dans ses vêtements et d’humble figure. Il n’en -fut pas moins promu à l’évêché, malgré ses ennemis, et -aussi malgré lui. Et comme il ne pouvait supporter le -tumulte de la ville, il fonda, à deux milles de Tours, un -monastère<a id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor">[17]</a>, où il vécut dans l’abstinence, en compagnie -de quatre-vingts disciples. Aucun d’eux ne buvait de -vin, sauf en cas de maladie ; et le bien-être même, dans -ce monastère, était tenu pour un péché.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_17" href="#FNanchor_17"><span class="label">[17]</span></a> Marmoutier (ou le Monastère de Martin).</p> -</div> -<p>Voyant qu’on invoquait comme un martyr un homme -dont il ne pouvait découvrir ni la vie ni les mérites, -Martin se mit un jour en prière sur la tombe du soi-disant -martyr, et demanda à Dieu de vouloir bien lui -faire savoir ce qui en était. Alors, se retournant, il vit une -ombre noire qui, interrogée par lui, répondit que, loin -d’être l’ombre d’un saint, elle était celle d’un voleur, et -frappée en châtiment de ses crimes. Sur quoi Martin fit -détruire l’autel consacré à ce prétendu saint.</p> - -<p>Sévère et Gallus, disciples de saint Martin, racontent -que ce saint aborda un jour l’empereur Valentinien avec -une requête, et que l’empereur fit fermer devant lui les portes -de son palais, sachant que celui-ci venait demander -des choses qu’on ne pouvait lui accorder. Mais Martin, -ayant été ainsi repoussé trois fois de suite, se vêtit d’un -cilice, se couvrit de cendres, et pendant une semaine -s’abstint de manger et de boire. Puis, averti par un -ange, il se rendit au palais, et pénétra librement jusqu’à -l’empereur. Celui-ci, furieux de voir qu’il avait pu -entrer, refusa de se lever pour l’accueillir ; mais le feu -prit à son trône, et si rapidement qu’il en eut la partie -postérieure du corps brûlée : de telle sorte que force lui -fut bien de se lever. Alors, reconnaissant la puissance -divine, il se jeta dans les bras du saint et lui accorda -d’avance tout ce qu’il venait demander.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p622">-622-</span> Les mêmes auteurs nous racontent comment le saint -ressuscita un mort. Une mère l’ayant prié de ressusciter -son jeune fils, qui venait de mourir, le saint s’agenouilla, -en présence d’une foule innombrable de païens, et aussitôt -l’enfant revint à la vie : sur quoi tous les païens -reçurent la foi.</p> - -<p>Telle était la sainteté de Martin que tout lui obéissait, -même les éléments, les arbres, et les bêtes. Un jour -qu’il avait mis le feu à un temple païen, et que le vent -avait porté la flamme sur une maison voisine, il monta -sur le toit de cette maison, se plaça au milieu de la -flamme ; et l’on vit celle-ci se retourner contre le vent -pour épargner la maison. Une autre fois, dans un naufrage, -un marchand non encore converti s’écria : « Dieu -de Martin, sauve-nous ! » et aussitôt le calme succéda à -la tempête. Une autre fois, comme Martin voulait abattre -un pin consacré au diable, en présence d’une foule de -paysans, un de ceux-ci lui dit : « Si tu as vraiment confiance -en ton Dieu, laisse-nous abattre cet arbre et le -faire tomber sur toi ! » Et au moment où l’arbre était -sur le point de tomber, Martin fit le signe de la croix, et -l’arbre, retombant de l’autre côté, faillit écraser les -paysans qui se trouvaient là, et qui, devant ce miracle, -se convertirent à la foi. Un autre jour, voyant des chiens -qui poursuivaient un lièvre, il leur ordonna de renoncer à -leur poursuite : aussitôt les chiens s’arrêtèrent, et vinrent -se ranger près du saint, comme s’ils étaient tenus à la -laisse. Un autre jour, sur son ordre, un serpent qui traversait -un fleuve rebroussa chemin et retourna d’où il était -venu. Et saint Martin, gémissant, s’écria : « Les serpents -m’écoutent, et les hommes ne veulent pas m’écouter ! »</p> - -<p>Parmi les vertus du saint, on doit citer, d’abord, -l’humilité. Etant à Paris, il alla au-devant d’un lépreux -qui faisait horreur à tous, l’embrassa, le bénit et lui -rendit la santé. Jamais il ne voulut s’asseoir dans sa -cathèdre : il s’asseyait sur un petit siège rustique du -genre des trépieds. En second lieu, il brilla par sa dignité : -car il fut égal aux apôtres par les grâces qu’il reçut du -Saint-Esprit. Un jour, comme il était seul dans sa cellule, -<span class="pagenum" id="p623">-623-</span> et que ses disciples, Sévère et Gallus, l’attendaient devant -la porte, ceux-ci entendirent soudain plusieurs voix féminines -qui s’entretenaient avec lui. Ils lui demandèrent -ensuite ce qui en était. Et lui : « Je veux bien vous le -dire, mais à la condition que vous ne le répétiez à personne. -Sachez donc que les saintes Agnès, Thècle, et Marie -ont daigné me faire visite ! » Et il avoua que souvent il -recevait la visite de ces saintes, ainsi que celle des apôtres -Pierre et Paul. En troisième lieu, il brilla par sa justice. -Ayant été un jour invité à dîner par l’empereur Maxime, -et ayant tenu, le premier, la coupe en main, il ne passa -pas ensuite celle-ci à l’empereur, comme on s’y attendait, -mais à un de ses prêtres, qu’il estimait le plus digne de -cet honneur. En quatrième lieu, il brillait par la patience. -Durant son épiscopat, il se laissait impunément injurier -par ses clercs, et sans cesser, pour cela, de leur témoigner -sa faveur. Jamais personne ne le vit se fâcher, ni -s’affliger, ni railler. Un jour, comme il s’avançait sur son -âne, vêtu d’un manteau noir, et que, à sa vue, les chevaux -d’une compagnie de soldats s’étaient effrayés, les -soldats se jetèrent sur lui et le battirent cruellement. -Mais plus ils le frappaient, moins il paraissait se soucier -de leurs coups. Puis, quand ils voulurent remonter sur -leurs chevaux, ces bêtes refusèrent de bouger, malgré -tous les coups de fouet : si bien que les soldats, revenant -vers Martin, lui demandèrent pardon de leurs péchés ; et, -sur l’ordre du saint, les chevaux consentirent à se -remettre en route. Martin brillait aussi par l’assiduité -dans la prière. Même quand il lisait ou travaillait, il ne -cessait point de prier. Et il brillait aussi par l’austérité. -Son disciple Sévère raconte, dans sa lettre à Eusèbe, -que Martin, étant un jour venu dans une ville de son -diocèse, y trouva, préparé à son intention, un lit moelleux ; -et lui, ayant horreur de ce luxe, se coucha sur le -sol, sans autre vêtement qu’un cilice, ainsi qu’il faisait -tous les jours. Or, vers minuit, la paille qu’il avait rejetée -prit feu ; et Martin, s’éveillant, se trouva entouré par les -flammes. Il fit alors le signe de la croix ; et quand les -moines, effrayés, accoururent s’attendant à le trouver -<span class="pagenum" id="p624">-624-</span> brûlé, ils virent avec surprise que l’incendie ne lui avait -fait aucun mal. Le saint brillait aussi par sa compassion -à l’égard des pécheurs : il excusait les pires crimes dès -qu’il voyait qu’on s’en repentait. Et comme le diable le -lui reprochait, il répondit : « Si toi-même, malheureux, -tu renonçais à tourmenter les hommes, j’aurais encore -assez de confiance en ton repentir pour te promettre la -miséricorde de Notre-Seigneur ! » Il brillait aussi par sa -bonté pour les pauvres. Un jour qu’il se rendait à son -église pour y célébrer une fête, un pauvre le suivit, qui -était tout nu. Martin recommanda à son archidiacre de -lui donner des vêtements ; et, comme l’archidiacre ne se -pressait point de le faire, Martin, entré dans sa sacristie, -donna au pauvre sa propre tunique, en lui recommandant -de s’éloigner au plus vite. Puis, lorsque l’archidiacre -vint l’avertir qu’il eût à célébrer sa messe, il répondit -qu’il ne pouvait la célébrer, aussi longtemps que le pauvre -n’aurait pas eu un vêtement. Alors l’archidiacre se -rendit au marché, et y acheta, pour quelque sous, une -méchante tunique, qu’il vint jeter au pieds de saint -Martin : car il ignorait que celui-ci avait besoin d’un -vêtement pour lui-même, ayant donné le sien au pauvre. -Et le saint revêtit cette misérable tunique, qui lui descendait -à peine jusqu’aux genoux, et dont les manches -lui venaient aux coudes ; et c’est dans ce costume qu’il -célébra sa messe. Et, pendant qu’il la célébrait, les assistants -virent qu’un globe de feu apparaissait au-dessus -de sa tête. Une autre fois, rencontrant une femme qui -s’était coupé les cheveux, il dit en plaisantant à ses -disciples : « Voilà une personne qui a suivi le précepte -de l’évangile ! Elle avait deux tuniques, et elle s’est -séparée de l’une d’elles. Imitez son exemple ! » Il brillait -aussi par sa puissance à chasser les démons. Voyant un -jour une vache qui était possédée, et qui causait de -grands dommages, il la força de s’arrêter, en levant le -doigt. Puis, lorsqu’il aperçut le démon assis sur son dos, -il lui cria : « Eloigne-toi de là, et cesse de tourmenter -cette bête innocente ! » Aussitôt le démon s’enfuit et la -vache, après s’être agenouillée devant le saint, rejoignit -<span class="pagenum" id="p625">-625-</span> son troupeau. Il brillait aussi par son habileté à reconnaître -les démons. Il les découvrait sous tous leurs -déguisements, qu’ils prissent la forme de Jupiter, ou -celle de Mercure, ou celle de Vénus ou de Minerve. Un -jour le diable lui apparut sous la forme d’un roi, vêtu de -pourpre, le diadème au front, et tout couvert d’or et de -pierreries, avec un visage tranquille et souriant. Et il -lui dit, après un long silence : « Martin, reconnais celui -que tu adores ! Je suis le Christ ! Et, étant descendu sur -la terre, c’est à toi, le premier, que j’ai voulu apparaître ! » -Et comme Martin ne répondait toujours pas : « Martin, -pourquoi hésites-tu à croire, puisque tu me vois ? Je suis -le Christ ! » Alors le grand saint répondit : « Mon Seigneur -Jésus, pour revenir sur la terre, ne se vêtirait -point de pourpre, et ne mettrait pas un diadème sur son -front ! » Sur quoi le démon disparut, remplissant de -puanteur la cellule du saint.</p> - -<p>Saint Martin connut et révéla longtemps d’avance le -moment de sa mort. Un jour qu’il s’était rendu dans le -diocèse de Candes, pour y apaiser une discorde, il -sentit que les forces de son corps l’abandonnaient, et -annonça à ses disciples que son heure approchait. Alors, -les disciples, tout en larmes : « Père, pourquoi nous -abandonnes-tu dans la désolation ? Car voici que les -loups ravisseurs envahissent ton troupeau ! » Alors, -touché de leurs larmes et de leurs prières, il pria ainsi : -« Seigneur, si je suis encore nécessaire à ton peuple, je ne -refuse point de poursuivre ma tâche ; que ta volonté soit -faite ! » Mais il était fort en peine de savoir ce qu’il préférait, -ne pouvant se résigner, ni à abandonner son -troupeau, ni à retarder le moment de sa comparution -devant le Christ. Et comme il souffrait de la fièvre, et -que ses disciples le priaient de laisser mettre un peu de -paille sur sa couche, il répondit : « Non, mes enfants, un -chrétien ne doit mourir que sur des cendres ! » Il se tenait -étendu sur le dos, les yeux et les bras levés vers le ciel ; -et comme ses prêtres l’engageaient à alléger la fatigue -de son corps en se couchant sur le côté : « Mes frères, -laissez-moi regarder plutôt le ciel que la terre ! » Puis, -<span class="pagenum" id="p626">-626-</span> voyant que le diable le regardait : « Que fais-tu là, -méchante bête ? tu ne peux plus rien contre moi, car je -vois déjà Abraham qui m’ouvre les bras ! » Et, ce disant, -il rendit l’âme ; et son visage resplendit comme s’il était -déjà revêtu de la gloire suprême ; et les assistants entendirent -le chœur des anges l’accompagnant au ciel. Il -mourut à l’âge de quatre-vingt-un ans, vers l’an du Seigneur -395, sous le règne des empereurs Honorius et -Arcade.</p> - -<p>A ses obsèques se réunirent les habitants du Poitou et -ceux de la Touraine ; et une grande altercation s’éleva -entre eux. Les Poitevins disaient : « Il est moine de chez -nous, c’est à nous que revient son corps ! » Et les Tourangeaux : -« Dieu vous l’a enlevé pour nous le donner ! » -La nuit, pendant que les Poitevins dorment, les Tourangeaux -s’emparent du corps, le jettent, par la fenêtre, -dans un bateau, et l’emportent, le long de la Loire, -jusqu’à la ville de Tours.</p> - -<p>II. Le matin de la mort du saint, saint Séverin, évêque -de Cologne, visitant son église à son ordinaire, entendit -chanter les anges dans le ciel. Il appela son archidiacre -et lui demanda s’il n’entendait rien. Le diacre eut beau -tendre le col, dresser les oreilles, et se hausser sur le -bout des pieds en s’appuyant sur un bâton : il dut avouer -qu’il n’entendait rien. Cependant, l’évêque ayant prié -pour lui, il commença à entendre des voix dans le ciel. -Et saint Séverin lui dit : « C’est mon maître Martin qui -vient de quitter le monde, et que les anges emportent au -ciel ! » Et, en effet, l’archidiacre, quelques jours après, -apprit qu’à cette même heure saint Martin était mort. -Et, quelques jours plus tard, à Milan, saint Ambroise -s’endormit au milieu de sa messe, entre la prophétie et -l’épître. Personne n’osant l’éveiller, deux ou trois heures -se passèrent ainsi. Enfin ses diacres se décidèrent à le -tirer de son sommeil, en lui disant que le peuple s’impatientait. -Et lui : « Mon frère Martin vient de mourir, -et j’ai assisté à ses obsèques ; mais, en m’éveillant comme -vous l’avez fait, vous m’avez empêché d’être présent aux -dernières réponses ! »</p> - -<p><span class="pagenum" id="p627">-627-</span> III. Maître Jean Beleth affirme que les rois de France -ont coutume, dans les batailles, de porter la chape de -saint Martin.</p> - -<p>IV. Soixante-quatre ans après la mort du saint, saint -Perpet, ayant bâti en son honneur une grande église, -voulut y transporter son corps. Mais en vain son clergé -et lui veillèrent et jeûnèrent pendant trois jours : le -cercueil ne se laissait point soulever. Et comme déjà ils -allaient renoncer, un beau vieillard leur apparut, qui leur -dit : « Qu’attendez-vous ? Ne voyez-vous pas que Martin -lui-même est prêt à vous aider ? » Puis il leur prêta un -coup de main, et le cercueil fut soulevé sans aucune -difficulté. Cette translation eut lieu au mois de juillet.</p> - -<p>V. Il y avait alors, à Tours, deux compagnons, dont l’un -était aveugle et l’autre paralytique. L’aveugle portait -le paralytique, et le paralytique guidait l’aveugle ; et, -vivant ainsi, ils tiraient un gros profit de la mendicité. -Quand ils apprirent qu’on portait le corps de saint -Martin en procession à l’église nouvelle pour l’y déposer, -ils craignirent que la procession ne passât dans -la rue où ils se tenaient, et que saint Martin ne s’avisât -de les guérir : car ils se disaient que, guéris, ils perdraient -leur gagne-pain. Ils imaginèrent donc de s’enfuir de -chez eux, et se réfugièrent dans une rue où, certainement, -la procession ne devait point passer. Et, pendant -qu’ils fuyaient, ils rencontrèrent le corps de saint Martin, -qui les guérit tous les deux. Tant il est vrai que Dieu -accorde ses bienfaits à ceux-là même qui ne les demandent -pas !</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c164">CLXIV<br /> -SAINT BRICE, <span class="small">ÉVÊQUE ET CONFESSEUR<br /> -(13 novembre)</span></h2> - - -<p>Brice était diacre de saint Martin, et, suivant l’exemple -de maints autres, il ne se faisait pas faute de railler son -vénérable évêque. Un pauvre lui ayant un jour demandé -<span class="pagenum" id="p628">-628-</span> où était Martin, Brice lui répondit : « Si c’est ce fou que -tu cherches, regarde, car le voici qui, comme un insensé, -considère le ciel ! » Le pauvre alla donc trouver Martin, -et obtint de lui ce qu’il demandait. Après quoi le saint, -appelant Brice, lui dit : « Ainsi, Brice, je te fais l’effet -d’être un fou ? » Et comme le diacre, honteux, voulait -nier, Martin lui dit : « Ne voyais-tu pas que mon oreille -était tout près de ta bouche, tout à l’heure, quand tu parlais -de moi ? Eh bien, écoute ce que je vais te dire ! J’ai -obtenu du Seigneur de t’avoir pour successeur dans -l’épiscopat ; mais je dois t’avertir que tu auras à traverser -bien des épreuves ! » Et Brice continuait de railler, -disant : « Me trompais-je en affirmant que ce vieillard -était fou ? »</p> - -<p>Or, à la mort de saint Martin, Brice fut élu évêque de -Tours. Et, dès ce moment, bien qu’il gardât encore son -ancien orgueil, il s’adonna tout entier à la prière. Quant -à sa chasteté, jamais il ne l’avait entamée, ni ne devait -l’entamer. Cependant, la trentième année de son épiscopat, -une religieuse qui lui lavait ses vêtements, fut séduite -et enfanta un fils. Sur quoi le peuple s’amassa avec des -pierres devant la porte de l’évêque, disant : « Trop longtemps, -par piété pour saint Martin, nous avons fermé les -yeux sur ta luxure ; mais dorénavant nous renonçons à -baiser tes mains, souillées de vices ! » Alors l’évêque, indigné : -« Qu’on m’amène ici l’enfant de cette femme ! » Ainsi -fut fait ; et à cet enfant, qui était âgé de trente jours, Brice -dit : « Au nom du Fils de Dieu, je te somme de dire si c’est -moi qui t’ai engendré ! » Et l’enfant : « Non, ce n’est pas -toi ! » Mais le peuple ne voulut voir dans tout cela qu’un -artifice magique. Alors Brice, au vu de tous, prit dans son -manteau des charbons ardents, et les porta jusqu’au -tombeau de saint Martin ; puis il rouvrit son manteau, -et l’on vit que les charbons l’avaient laissé intact. Et -Brice dit : « De même que mon manteau est resté intact -sous les charbons ardents, de même mon corps est pur -du commerce de la femme ! »</p> - -<p>Mais le peuple continuait à ne pas le croire. Accablé -d’outrages et d’injures, chassé de son siège épiscopal, -<span class="pagenum" id="p629">-629-</span> Brice se rendit auprès du pape et y resta sept ans, faisant -pénitence de ses péchés à l’égard de saint Martin. -Le peuple de Tours envoya à Rome Justinien, afin qu’il -se défendît, en présence de Brice, d’avoir accepté de se -substituer à lui dans l’épiscopat. Mais ce Justinien mourut -en arrivant à Verceil ; et le peuple de Tours élut à -sa place un certain Germain. Cependant Brice, après -sept années d’exil, reprit le chemin de Tours, avec l’autorisation -du pape ; et comme il était arrivé déjà à un mille -de Tours, il apprit d’en haut que Germain venait de -mourir. Ce qu’apprenant, Brice dit à ses compagnons : -« Levez-vous, car nous avons à ensevelir l’évêque de -Tours ! » Et, en effet, pendant que Brice entrait par l’une -des portes de la ville, d’une autre porte sortaient les -restes mortels de Germain. Et saint Brice, après l’avoir -enseveli, reprit possession de son siège, où, pendant -sept années encore, il donna l’exemple de toutes les -vertus. Il mourut en paix dans la quarante-huitième -année de son épiscopat.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c165">CLXV<br /> -SAINTE ELISABETH, <span class="small">VEUVE<a id="FNanchor_18" href="#Footnote_18" class="fnanchor">[18]</a><br /> -(20 novembre)</span></h2> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_18" href="#FNanchor_18"><span class="label">[18]</span></a> Ce chapitre, qui manque dans la plupart des manuscrits -anciens, n’est certainement pas de Jacques de Voragine.</p> -</div> - -<p>1<sup>o</sup> Elisabeth, fille d’un illustre roi de Hongrie, anoblit -encore par sa foi et ses vertus la race très noble dont -elle était sortie. Elevée, pour ainsi dire, au-dessus de la -nature humaine, toute petite encore elle dédaignait les -jeux enfantins, ne s’occupant qu’à avancer toujours dans -la vénération de Dieu. A cinq ans, elle avait tant de plaisir -à prier dans l’église que ses compagnes ou ses servantes -ne parvenaient pas à l’en faire sortir. Même en -jouant, on la voyait toujours courir du côté d’une chapelle, -afin de pouvoir plus facilement y entrer. Et quand -<span class="pagenum" id="p630">-630-</span> elle y était entrée, elle fléchissait les genoux, ou s’étendait -à plat sur les dalles, ou, sans savoir lire, prenait en -main un psautier, de peur que quelqu’un ne vînt la -déranger. Et dans ses jeux d’enfants, c’était en Dieu -qu’elle mettait toutes ses espérances. De tout ce qu’elle -gagnait ou qu’on lui donnait, elle réservait la dixième -partie pour des petites filles pauvres, à qui elle recommandait, -en même temps, de saluer souvent d’une prière -la Vierge Marie.</p> - -<p>A mesure qu’elle grandissait en âge, elle grandissait -plus encore en dévotion. Elle s’était choisi pour patronne -la sainte Vierge, et avait prié saint Jean l’Evangéliste -de se constituer le gardien de sa chasteté. Pour saint -Pierre, aussi, elle avait une telle dévotion qu’elle ne refusait -rien de ce qu’on lui demandait au nom de ce saint.</p> - -<p>Craignant que les succès du monde ne lui devinssent -trop agréables, elle s’ingéniait à s’en ôter toujours une -partie. Quand elle gagnait à quelque jeu, elle s’arrêtait -de jouer en se disant : « Je renonce au reste pour l’amour -de Dieu ! » Dans les danses, après avoir fait un tour avec -ses compagnes, elle leur disait : « Que cet unique tour -nous suffise ! Renonçons aux autres pour l’amour de -Dieu ! » Le luxe dans les vêtements lui était odieux. -Elle s’était interdit, notamment, de mettre des gants, le -dimanche, avant l’heure de midi. Elle s’était imposé un -nombre déterminé de prières ; et lorsque les servantes -la mettaient au lit avant qu’elle eût achevé de les réciter, -elle se tenait éveillée pour aller jusqu’au bout. Et toujours -elle s’astreignait à tout cela par des vœux solennels, -de façon que personne, par persuasion, ne pût -ensuite l’en détourner. Quant aux offices religieux, elle -les suivait avec tant de révérence que, pendant la lecture -de l’évangile et la consécration de l’hostie, elle ôtait -ses manchettes et se dépouillait de tous ses ornements.</p> - -<p>Ainsi elle vécut, sagement et innocemment, toute sa -vie de jeune fille, jusqu’au jour où, sur l’ordre de son -père, elle fut forcée d’entrer dans la vie de mariage. Elle -se soumit, bien contre son gré, à l’union conjugale, non -point pour y trouver du plaisir, mais pour ne point -<span class="pagenum" id="p631">-631-</span> paraître dédaigner les ordres de son père, comme aussi -pour procréer des fils au service de Dieu. Fidèle à la -couche nuptiale, toujours elle resta chaste d’intention. -Et elle fit vœu devant maître Conrad, que, si elle survivait -à son mari, elle observerait une continence perpétuelle. -Elle épousa le landgrave de Thuringe ; mais, -tout en changeant de condition de vie, elle ne changea -point de disposition intérieure. Jamais elle ne cessa de -montrer sa dévotion et son humilité devant Dieu ; son -austérité et son abstinence à l’égard de soi-même ; sa -largesse et sa compassion envers les pauvres. Sa ferveur -pour la prière était si grande qu’elle devançait à -l’église ses servantes même, comme si elle eût voulu, -par des prières secrètes, obtenir de Dieu quelque grâce -spéciale. La nuit, souvent elle se relevait pour prier, -malgré la défense que, par sollicitude pour sa santé, lui -en faisait son mari. Elle s’était entendue avec une de -ses servantes pour que celle-ci, les nuits où elle tarderait -à se réveiller, la tirât de son sommeil en lui donnant -un coup sur les pieds. Et une nuit, la servante, au lieu -de frapper sur les pieds de sa maîtresse, frappa sur -ceux du mari, qui, soudain réveillé, comprit toute la -chose, mais, sagement, feignit de ne s’être aperçu de -rien. Toujours aussi Elisabeth pleurait en priant ; mais -ces douces larmes n’altéraient son visage que pour lui -donner une expression d’une joie céleste.</p> - -<p>Modèle d’humilité, elle s’attachait à ne pas dédaigner -même les choses les plus viles et les plus repoussantes. -Ayant rencontré un mendiant dont tout le visage n’était -qu’une plaie ignoble et infecte, elle le recueillit sur son -sein, lui coupa les cheveux et lui lava la tête, en présence -de ses servantes qui se moquaient du pauvre -homme. Aux Rogations, elle suivait la procession pieds -nus, en robe de laine ; et, à chaque station, on la voyait -prendre place parmi les mendiantes. Lorsqu’elle se rendait -à l’église pour ses relevailles, jamais elle ne s’ornait -comme les autres femmes ; mais, à l’exemple de la Vierge -immaculée, elle se rendait à l’autel en portant elle-même -le nouveau-né dans ses langes ; et humblement elle offrait -<span class="pagenum" id="p632">-632-</span> un agneau et un cierge. Après quoi, rentrée au palais, -elle donnait à une pauvre femme la robe qui lui avait -servi pour la cérémonie. C’est également par humilité -que, avec le consentement de son mari, et réserve faite -des droits conjugaux, elle prêta vœu d’obéissance à -maître Conrad, le tenant pour son supérieur en science -et en religion. Et un jour, comme Conrad l’appelait à -une prédication, une visite survint qui l’empêcha d’obéir : -ce dont le savant homme fut si irrité qu’il refusa de lui -pardonner sa désobéissance jusqu’au moment où, l’ayant -fait mettre en chemise, il l’eût vu battre de verges en -compagnie de celles de ses servantes qui l’avaient encouragée -à désobéir.</p> - -<p>Elle s’imposait une abstinence si rigoureuse qu’elle -macérait son corps par les veilles, les jeûnes et les -disciplines. Dès que son mari était absent, elle passait -les nuits en prière. Et telle était sa tempérance dans le -boire et le manger que, souvent, à la table somptueuse -de son mari, elle se contentait de pain sec. Elle finit -même par s’abstenir tout à fait, sur l’ordre de maître -Conrad, de toucher à aucun des mets que mangeait son -mari. Ce qui ne l’empêchait point de s’asseoir à table, -de servir les convives et de les égayer par son urbanité, -tout en cachant avec soin sa propre abstinence. Et son -mari supportait tout cela avec patience, affirmant qu’il -suivrait lui-même volontiers l’exemple de sa femme s’il -ne craignait de mettre en émoi toute sa famille.</p> - -<p>Mais autant elle aimait les privations pour soi, autant -elle était généreuse pour les pauvres. Elle subvenait à -leurs besoins avec tant de largesse que tous l’appelaient -la mère des pauvres. Elle habillait de ses propres -mains ceux qui étaient nus, elle ensevelissait les mendiants -et les pèlerins, elle présentait les enfants aux -fonts baptismaux, après leur avoir elle-même cousu -leurs langes. Un jour, elle donna à une mendiante -une robe si belle que la pauvre femme, dans l’excès de -sa joie, s’évanouit et tomba inanimée. Ce que voyant, -Elisabeth se repentit amèrement ; mais elle pria pour -la morte, et aussitôt celle-ci se releva guérie. Souvent -<span class="pagenum" id="p633">-633-</span> aussi elle filait la laine avec ses servantes, et, de la -laine filée par elle, faisait faire des vêtements. Elle nourrissait -les affamés. Pendant que le landgrave son mari -s’était rendu à la cour de l’empereur Frédéric, qui était -alors à Crémone, elle fit recueillir tout le grain des -granges royales et l’employa à nourrir, tous les jours, -les pauvres qu’elle convoqua de toutes parts. Quand -l’argent lui manquait, elle vendait ses ornements, ou -ceux de ses servantes, pour en offrir le produit aux -pauvres. De la même façon, elle désaltérait ceux qui -avaient soif. Un jour qu’elle distribuait de la cervoise -aux pauvres, on s’aperçut que la liqueur ne diminuait -pas dans le vase, malgré la grande quantité qui s’en -trouvait versée. Elle-même, encore, recevait les pauvres -et les pèlerins. Elle fit construire une grande maison au -pied du château, afin d’y recueillir les malades ; et tous -les jours, malgré la difficulté des descentes et des montées, -elle s’y rendait en personne, prodiguant aux -malades les cadeaux, les soins et les saintes paroles. -Dans la même maison elle faisait élever et nourrir des -enfants pauvres ; et à ces enfants elle se montrait toujours -si douce et si humble que tous l’appelaient leur -mère, et que, dès qu’elle entrait, ils l’entouraient tous -comme leur mère. Un jour qu’elle était allée acheter -pour eux de petits vases et de petits anneaux de verre, -ainsi qu’une foule d’autres jouets fragiles, elle laissa -tomber sur les pierres toutes ses emplettes ; mais pas un -seul des objets de verre ne se brisa. En un mot, il n’y a -pas une seule des sept œuvres de miséricorde qu’elle ne -remplît avec un zèle et une ferveur admirables.</p> - -<p>Une part d’éloges revient aussi au mari d’Elisabeth -qui, malgré les innombrables affaires temporelles qui -l’occupaient, restait fidèle au service de Dieu, et, faute -de pouvoir se livrer lui-même aux œuvres de miséricorde, -laissait du moins à sa femme toute liberté de s’y -livrer. C’est pour répondre au vœu de sa femme qu’il -partit pour la croisade, de façon à employer ses armes -pour la défense de la foi. Et pendant qu’il était en -Terre Sainte, ce pieux et bon prince rendit son âme -<span class="pagenum" id="p634">-634-</span> au Seigneur. Aussitôt Elisabeth embrassa avec ardeur -l’état de veuve, renouvelant le vœu de chasteté qu’elle -avait fait jadis en prévision d’un veuvage possible.</p> - -<p>Cependant, quand la mort de son mari fut connue en -Thuringe, des parents du landgrave la chassèrent de -son château comme dissipatrice et prodigue. Et elle dut -se réfugier, à la nuit tombante, dans une étable à porcs, -qui dépendait de la maison d’un cabaretier. Et, le lendemain -matin, s’étant rendue au couvent des Frères Mineurs, -elle pria ceux-ci de chanter le <i lang="la" xml:lang="la">Te Deum laudamus</i>, pour -remercier Dieu des épreuves qu’Il lui envoyait. On lui -enjoignit alors d’aller demeurer avec ses enfants dans -la maison d’un de ses ennemis, où on lui avait assigné -pour domicile un endroit des plus restreints. Fort mal -reçue par l’hôte et l’hôtesse, elle ne tarda point à repartir, -après avoir dit adieu aux murs de sa chambre en -ajoutant : « J’eusse préféré dire adieu aux hommes à qui -appartiennent ces murs, s’ils m’avaient traitée avec plus -de bonté ! » Après quoi elle revint à sa première retraite, -confiant ses enfants à diverses personnes. Et comme, un -jour, marchant dans un sentier d’une boue profonde, elle -posait les pieds sur des pierres, une vieille femme qu’elle -avait comblée de bienfaits voulut marcher sur les mêmes -pierres, et refusa de lui livrer passage : si bien que la -sainte tomba. Mais, s’étant relevée, elle fut tout heureuse -d’avoir à secouer la boue dont elle était couverte.</p> - -<p>Quelque temps après, une abbesse, sa marraine, prenant -en pitié son extrême misère, la conduisit auprès de -son oncle l’évêque de Bamberg, qui la reçut fort bien, -mais la retint chez lui avec l’intention de la marier en -secondes noces. Ce qu’apprenant, les servantes qui -l’accompagnaient fondirent en larmes ; mais la sainte -les réconforta en disant : « J’ai confiance dans le Seigneur, -pour l’amour duquel j’ai fait vœu de chasteté. Il -saura bien m’encourager dans ma résolution, éloigner -de moi toute violence, et dissoudre les mauvais projets -des hommes. Ou que si mon oncle, malgré mes refus, -s’obstinait à vouloir me remarier, j’aurais toujours la -ressource de me couper le nez de mes propres mains, ce -<span class="pagenum" id="p635">-635-</span> qui suffirait bien pour que personne ne s’avisât plus de -me prendre pour femme ! » Et, en effet, comme son oncle -l’avait fait conduire dans un château d’où il lui défendait -de sortir, voici que, sur l’ordre de Dieu, les restes de -son mari furent ramenés de Terre Sainte. Et force fut -à l’évêque de la laisser partir, pour aller à la rencontre -de ces chères reliques.</p> - -<p>Alors Elisabeth revêtit l’habit religieux, et, se vouant -à la pauvreté, forma le projet d’aller mendier de porte -en porte ; mais maître Conrad le lui défendit. Elle ne -porta plus désormais qu’un humble manteau gris ; et -comme les manches de sa tunique s’étaient déchirées, -elle les rapiéça avec une étoffe d’une autre couleur. Ce -qu’apprenant, son père, le roi de Hongrie, lui envoya un -de ses officiers, pour qu’il la ramenât dans sa patrie. Et -l’officier, la voyant ainsi vêtue et assise à son rouet -avec des servantes, fut rempli à la fois de honte et de -respect. Et il s’écria que jamais encore fille de roi -n’avait porté une robe si grossière. Mais en vain il -insista pour la ramener en Hongrie. La sainte préféra -rester, pauvre, parmi ses pauvres.</p> - -<p>Pour achever de faire disparaître tout obstacle entre -Dieu et elle, elle pria Dieu d’arracher même de son cœur -la tendresse qu’elle avait pour ses enfants. Et une voix -d’en haut lui répondit que sa prière était exaucée. Sur -quoi elle dit à ses compagnes : « Le Seigneur a entendu -ma voix, car non seulement tous les biens temporels -m’apparaissent comme du fumier, mais voici que de mes -fils même je ne me soucie plus que dans la mesure où -je me soucie du reste des hommes ! » De son côté, maître -Conrad, pour l’éprouver et la mortifier, la séparait des -personnes qu’elle aimait le mieux. C’est ainsi qu’il lui -enjoignit de ne plus voir deux servantes qu’elle connaissait -depuis l’enfance, et qu’elle aimait plus que toutes les -autres. Et la sainte obéit, après bien des larmes versées -de part et d’autre. Elle était prompte à l’obéissance. Un -jour qu’elle était entrée dans un couvent de religieuses -sans en avoir obtenu l’autorisation de maître Conrad, -celui-ci la fit battre si durement, que, trois semaines -<span class="pagenum" id="p636">-636-</span> après, son corps conservait les traces des coups.</p> - -<p>Dans son humilité, elle n’admettait point que ses servantes -lui donnassent le nom de maîtresse, ni lui parlassent -autrement qu’on parle à un inférieur. Elle lavait -elle-même tous les ustensiles de cuisine, s’ingéniant à les -cacher afin que ses servantes ne pussent les laver -pour elle. Et elle leur disait que, si elle avait pu connaître -une manière de vivre plus méprisable encore, c’est -avec joie qu’elle l’aurait adoptée.</p> - -<p>Ces humbles tâches ne l’empêchaient point de se -livrer assidûment à la contemplation ; et souvent elle -avait des visions célestes. Souvent aussi sa prière était si -fervente qu’elle enflammait d’autres personnes. Appelant -un jour à elle un jeune homme luxueusement vêtu, -elle lui dit : « Tu parais avoir une vie bien dissolue, -tandis que tu devrais t’occuper de servir ton créateur. -Veux-tu que je prie Dieu pour toi ? » Et lui : « Je le -veux, et je t’en supplie vivement ! » Elle se mit donc -en prière et le jeune homme pria avec elle. Trois fois -le jeune homme lui demanda de cesser de prier, car il -se sentait envahi d’une flamme qui le consumait. Mais -elle pria jusqu’au bout ; et, quand elle eut fini, le jeune -homme, illuminé de la grâce divine, revint à lui, et -entra aussitôt dans l’ordre des Frères Mineurs.</p> - -<p>Son nouveau genre de vie, au reste, ne la refroidit point -dans son zèle pour les œuvres de miséricorde. Ayant -reçu en dot une somme de deux mille marcs, elle en distribua -une partie aux pauvres, et, avec le reste, fit construire -à Marbourg un grand hôpital. Aussi tous l’accusaient-ils -de dissipation et de prodigalité. Couramment -on la traitait de folle ; et, comme elle recevait avec joie -toutes les injures, on lui disait que, pour montrer tant de -joie, elle avait bien vite oublié le souvenir de son mari.</p> - -<p>Et elle, après avoir construit son hôpital, ne pensa -plus qu’à devenir l’humble servante des pauvres. Elle-même -les baignait, les couvrait dans leur lit, et disait en -souriant à ses compagnes : « Que Dieu est bon de nous -permettre ainsi de le baigner et de le couvrir ! » Une nuit, -ayant à soigner un enfant borgne et rempli de vermine, -<span class="pagenum" id="p637">-637-</span> elle le porta sept fois de suite aux latrines, et lava ses -linges affreusement souillés. Une autre fois, elle lava -et mit au lit une femme atteinte d’une lèpre hideuse ; elle -essuya et banda ses ulcères, coupa ses ongles et, agenouillée -devant elle, la déchaussa pour oindre les plaies -de ses pieds. Et lorsque le soin des pauvres lui laissait -quelques instants, elle filait de la laine qu’on lui envoyait -d’un monastère ; après quoi elle distribuait aux -pauvres l’argent ainsi gagné. S’occupant elle-même d’administrer -la répartition de ses dons, elle décréta un -jour que toute femme qui viendrait la solliciter sans -un besoin réel serait punie de la perte de ses cheveux. -Or voilà qu’une jeune fille nommée Radegonde, et -qui avait une chevelure d’une beauté merveilleuse, vint -à l’hôpital de sainte Elisabeth en solliciteuse, non pas en -vérité pour recevoir l’aumône, mais pour voir sa sœur -qui était malade. Ayant ainsi contrevenu à la loi, elle fut -aussitôt condamnée à perdre ses cheveux : ce dont elle -ne se fit pas faute de pleurer et de se lamenter. Et -comme quelques-uns des assistants affirmaient qu’elle -était innocente, Elisabeth dit : « En tout cas, n’ayant -plus ses cheveux, elle mettra moins d’ardeur à la danse, -et fera voir moins de vanité ! » Interrogeant ensuite la -jeune fille, elle apprit que celle-ci serait depuis longtemps -déjà entrée dans un couvent si elle n’en avait été -empêchée par son amour passionné pour sa chevelure. -Sur quoi Elisabeth lui dit : « Je suis plus heureuse de -t’avoir fait couper tes cheveux que je ne le serais d’apprendre -l’élection de mon fils à l’empire ! » Aussitôt la -jeune fille prit l’habit religieux, et vint demeurer à l’hôpital -avec sainte Elisabeth.</p> - -<p>Une pauvre femme ayant mis au monde une fille, -sainte Elisabeth tint l’enfant sur les fonts baptismaux, -l’appela de son nom, lui donna les manches de fourrure -d’une de ses suivantes, pour lui servir de couverture, et -donna à la mère ses propres sandales. Mais, trois -semaines après, la femme, abandonnant son enfant, s’enfuit -avec son mari. Sainte Elisabeth, dès qu’elle l’apprit, -se mit en prière ; et aussitôt la femme et le mari, empêchés -<span class="pagenum" id="p638">-638-</span> d’avancer dans leur fuite, durent revenir sur leurs pas, -et se jeter au pieds de sainte Elisabeth. Et celle-ci, après -les avoir grondés justement de leur ingratitude, leur rendit -l’enfant à nourrir et les pourvut du nécessaire.</p> - -<p>Ainsi approcha le temps où le Seigneur s’apprêta à rappeler -à lui sa chère servante, pour l’admettre à la contemplation -du royaume des anges. Alitée avec la fièvre, et la -face tournée contre le mur, les assistantes entendirent -une douce mélodie sortir de ses lèvres. Et comme une de -ses compagnes l’interrogeait, elle répondit : « Un petit -oiseau, s’étant posé entre moi et le mur, chantait, avec -tant de douceur, que je n’ai pu m’empêcher de chanter -avec lui. » Jusqu’aux plus cruels moments de sa maladie, -jamais elle ne perdit sa gaîté, et jamais elle ne se relâcha -de prier. La veille de sa mort, elle dit : « Voici -qu’approche minuit, l’heure où le Christ a voulu naître -et reposer dans une étable ! » Et lorsque déjà l’heure de -sa mort fut toute proche, elle dit : « Voici venir l’instant -où Dieu a appelé ses amis aux noces célestes ! » Et elle -s’endormit dans le Seigneur, en l’an de grâce 1226.</p> - -<p>Pendant les quatre jours qui précédèrent son inhumation, -aucune mauvaise odeur ne se dégagea de son -corps, mais, au contraire, un parfum s’en exhala qui réconfortait -tous les cœurs. Et, le jour de ses obsèques, on vit -sur l’église une foule d’oiseaux que personne jamais -n’avait vus auparavant, et qui paraissaient célébrer les -funérailles de la sainte, tant leurs chants étaient doux, -mesurés et savants. Et il y eut là une abondante clameur -des pauvres, une extrême piété du peuple. Les uns -s’arrachaient les cheveux de désespoir, d’autres s’efforçaient -de dérober une parcelle du linceul de la sainte, -afin de la garder comme la plus belle relique. Et l’on -découvrit, peu de temps après, que le monument où l’on -avait déposé le corps de sainte Elisabeth s’était miraculeusement -rempli d’une huile parfumée.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p639">-639-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c166">CLXVI<br /> -SAINTE CÉCILE, <span class="small">VIERGE ET MARTYRE<br /> -(22 novembre)</span></h2> - - -<p>Cécile, jeune fille romaine, de race noble, et nourrie -dès le berceau dans la foi du Christ, portait toujours un -évangile caché dans sa poitrine, priait nuit et jour, et -demandait au Seigneur de lui conserver sa virginité. -Elle fut cependant fiancée à un jeune homme nommé -Valérien. Le jour de ses noces, elle revêtit ses chairs -d’un cilice, par-dessous les robes dorées ; et, pendant -que les orgues jouaient, elle, s’adressant à Dieu seul, -chantait : « Permets, Seigneur, que mon cœur et mon -corps restent immaculés ! » Vint enfin la nuit, et Cécile -se trouva seule avec son fiancé dans le silence de sa -chambre. Et elle lui dit : « Doux jeune homme bien-aimé, -j’ai un mystère à te révéler, à la condition seulement -que tu me jures de ne point me trahir ! » Puis, -Valérien le lui ayant juré, elle lui dit : « Sache donc que -j’ai pour amant un ange de Dieu, et que mon amant est -jaloux de mon corps. S’il apprenait que, même légèrement, -tu m’aies touché d’un amour impur, aussitôt il te -frapperait et te ferait perdre la fleur de ta belle jeunesse. -Mais si, au contraire, il apprend que tu m’aimes -d’un amour pur, il t’aimera autant que moi et te montrera -sa gloire ! » Alors Valérien, inspiré de Dieu, dit : -« Si tu veux que je te croie, fais-moi voir cet amant ! Et -si c’est en vérité un ange, je ferai ce que tu me demandes. -Mais si ton amant est un homme, je le tuerai avec toi ! » -Et Cécile : « Pour que tu voies mon amant, il faut que tu -croies dans le vrai Dieu, et que tu promettes de te faire -baptiser. Va à trois milles d’ici, dans la voie Apienne ! Tu -y trouveras des pauvres, à qui tu diras que Cécile t’envoie -vers eux pour qu’ils te conduisent auprès du saint -vieillard Urbain. Et quand tu seras en présence de ce -vieillard, répète-lui mes paroles ! Il te purifiera ; et, à ton -<span class="pagenum" id="p640">-640-</span> retour ici, tu verras l’ange ! » Valérien se mit en route, -et alla trouver l’évêque saint Urbain, qui se cachait -parmi les tombeaux des martyrs. Et quand il lui eut -répété les paroles de Cécile, le vieillard, levant les mains -au ciel, s’écria : « Seigneur Jésus-Christ, bon pasteur, -recueille le fruit de la semence que tu as semée en -Cécile ! Car voici que, ayant reçu pour mari un lion farouche, -ta servante te l’as envoyé comme un doux -agneau ! » Aussitôt apparut un vieillard tout vêtu de -blanc, qui tenait un livre écrit en lettres d’or. A sa vue, -Valérien, épouvanté, se jeta sur le sol ; mais le vieillard -le releva et lut dans son livre : « Un seul Dieu, une seule -foi, un seul baptême ! » Puis il dit à Valérien : « Crois-tu -à tout cela, ou bien doutes-tu encore ? » Et Valérien de -s’écrier : « Il n’y a rien sous le ciel à quoi je croie davantage ! » -Aussitôt le vieillard disparut. Valérien reçut le -baptême des mains de saint Urbain ; et, quand il revint -auprès de Cécile, il la trouva s’entretenant avec un ange, -dans sa chambre. Et cet ange tenait en main deux couronnes -de roses et de lis, dont il donna l’une à Cécile et -l’autre à Valérien, en disant : « Gardez ces couronnes -avec un cœur pur et un corps immaculé, car je vous les -ai apportées du paradis de Dieu ! Jamais elles ne se faneront -ni ne perdront leur parfum ; mais ceux-là seuls -pourront les voir qui aimeront la chasteté. Quant à toi, -Valérien, puisque tu as suivi le sage conseil de Cécile, -demande ce que tu veux, et tu l’obtiendras ! » Et -Valérien : « Il n’y a rien dans cette vie qui ne me soit -plus précieux que l’affection de mon frère unique. Je désirerais -donc, que comme moi, il reconnût la vérité ! » Et -l’ange : « Ta demande plaît à Dieu. Sache que tous deux, -ton frère et toi, vous irez au Seigneur avec la palme du -martyre ! »</p> - -<p>Là-dessus entra dans la chambre le frère de Valérien, -Tiburce. Et, frappé du parfum des fleurs, il dit : « Je me -demande d’où peut venir, en cette saison, ce parfum de -roses et de lis. Sans compter que, si même j’avais les -mains pleines de ces fleurs, je ne me sentirais pas imprégné -de leur parfum aussi profondément ! » Et Valérien : -<span class="pagenum" id="p641">-641-</span> « C’est que nous avons des couronnes faites de ces -fleurs, et dont l’éclat n’est pas moins merveilleux que le -parfum. Mais tes yeux ne peuvent les voir ; ils le pourront, -seulement, si tu consens à partager notre foi. » Et -Tiburce : « Est-ce que je rêve, ou bien me parles-tu -vraiment ? » Et Valérien : « C’est jusqu’à présent que -nous avons rêvé ; et désormais nous nous sommes -éveillés à la vérité. » Et Tiburce : « Comment sais-tu -cela ? » Et Valérien : « C’est un ange qui me l’a appris ; -et tu pourrais le voir, comme nous, si, après avoir renoncé -aux idoles, tu te faisais purifier. » Après quoi -Cécile lui démontra avec tant d’évidence l’inanité des -idoles, que Tiburce s’écria : « Celui qui ne croit pas à -cela est une bête brute ! » Alors Cécile, lui baisant la -poitrine, dit : « Je reconnais en toi mon frère, et c’est -Dieu qui a fait de toi mon frère, comme de ton frère il a -fait mon mari. Va donc avec Valérien pour te faire purifier, -afin qu’à ton retour tu puisses contempler le visage -de l’ange ! » Et elle demanda à Valérien de conduire son -frère auprès de l’évêque Urbain. Alors Tiburce : « Serait-ce -le même Urbain qui se cache quelque part, après -avoir été tant de fois condamné ? Mais, si on le découvre, -on le brûlera, et nous serons brûlés avec lui ; et, pendant -que nous chercherons au ciel une divinité cachée, nous -trouverons sur la terre les angoisses du supplice ! » Et -Cécile : « Si la vie d’ici-bas était notre seule vie, nous -aurions raison de redouter de la perdre. Mais il y a une -autre vie, meilleure, et qui ne se perdra point. C’est -celle que nous a annoncée le Fils de Dieu. » Puis elle lui -raconta l’avènement du Christ et sa passion. Si bien que -Tiburce dit à son frère : « Par pitié, conduis-moi vite -vers cet homme de Dieu, pour que je reçoive ma purification ! » -Et dès qu’il fut baptisé, il put, lui aussi, voir -l’ange, et obtenir de lui ce qu’il désirait.</p> - -<p>Ainsi convertis, Valérien et Tiburce passaient leur -temps à distribuer des aumônes et à ensevelir les corps -des martyrs. Ce qu’apprenant, le préfet Almaque -leur demanda pourquoi ils ensevelissaient des hommes -justement condamnés pour leurs crimes. Et Tiburce : -<span class="pagenum" id="p642">-642-</span> « Plût à Dieu que nous fussions dignes d’être les -esclaves de ceux que tu appelles des criminels ! Car -ils ont su dédaigner ce qui paraît exister et n’existe pas ; -et ils ont trouvé ce qui paraît ne pas exister et qui -existe ! » Et Almaque : « De quoi parles-tu là ? » Et -Tiburce : « Ce qui paraît exister et qui n’existe pas, -c’est tout ce qui est dans ce monde ; et c’est cela qui -conduit l’homme, lui aussi, à ne pas exister. Et ce qui -paraît ne pas exister et qui existe, c’est le salut des -justes. » Le préfet lui répondit qu’il déraisonnait. Puis, -s’adressant à Valérien : « Puisque ton frère a le cerveau -dérangé, toi, du moins, essaie de me répondre raisonnablement ! -Dis-moi ce qui vous porte à dédaigner les -plaisirs de la vie et à rechercher les souffrances. » Valérien -répondit que, l’hiver, il avait vu des oisifs se moquant -du pénible travail des laboureurs ; mais, l’été -venu, et la saison des moissons, ceux-là se réjouissaient -dont on s’était moqué, tandis que les railleurs se mettaient -à pleurer. « Et de même, nous aussi, nous supportons -la fatigue et les injures ; mais plus tard nous recevrons -la gloire et la récompense éternelles. Et vous, qui -éprouvez ici-bas une joie partagée, vous trouverez dans -l’avenir le deuil éternel ! » Et le préfet : « Ainsi nous, -princes glorieux, nous n’aurions à attendre qu’un deuil -éternel, tandis que vous, misérables, vous posséderiez -une joie sans fin ? » Et Valérien : « Vous n’êtes que de -pauvres hommes, et non pas des princes. Nés comme -nous, vous aurez seulement à rendre à Dieu des comptes -plus forts. » Alors le préfet : « A quoi bon tous ces bavardages ? -Sacrifiez aux dieux, et vous vous en irez -librement ! » Et comme les deux saints se refusaient à -sacrifier, le préfet les confia à la garde de Maxime, qui -allait, lui aussi, devenir un saint. Et Maxime leur dit : -« O fleur pourprée de la jeunesse, ô couple charmant et -tendre, d’où vient que vous couriez ainsi à la mort -comme à un festin ? » Valérien lui répondit que, s’il -voulait partager leur foi, il pourrait, après leur mort, -contempler la gloire de leurs âmes. Et Maxime : « Je -veux que la foudre m’anéantisse, si, quand j’aurai vu ce -<span class="pagenum" id="p643">-643-</span> que vous me promettez, je ne proclame pas que votre -Dieu est le seul vrai Dieu ! » Sur quoi Maxime et toute -sa famille et tous les gardiens se convertirent, et reçurent -le baptême des mains d’Urbain, qui vint en secret dans -la prison.</p> - -<p>Le lendemain, à l’aurore, Cécile s’écria : « Allez, soldats -du Christ, rejetez l’œuvre des ténèbres, et revêtez -les armes de lumière ! » On conduisit les martyrs à -quatre milles de Rome, devant une statue de Jupiter. -Et comme ils se refusaient à sacrifier, ils eurent la tête -tranchée. Et Maxime affirma sous serment qu’il avait vu -des anges briller autour d’eux et emporter leurs âmes -vers le ciel, pareilles à des vierges qu’on porte dans leur -lit. Ce qu’entendant, Almaque ordonna que Maxime fût -frappé de verges plombées jusqu’à ce que mort s’ensuivît. -Cécile recueillit son corps et l’ensevelit à côté de -ceux des deux saints.</p> - -<p>Après cela, Almaque s’enquit des biens laissés par -ceux-ci. Et, découvrant que la femme de Valérien était -chrétienne, il lui ordonna de sacrifier aux idoles, sous -peine de mort. Les soldats qui la conduisaient l’engageaient -à se soumettre, désolés de voir une jeune femme -si belle et si noble se livrer à la mort. Et elle leur dit : -« Chers amis, ce n’est point là perdre sa jeunesse, mais -faire un échange ; c’est donner de la boue et recevoir de -l’or, c’est donner une cabane et recevoir un palais. Si -quelqu’un vous offrait une livre pour un sou, ne vous hâteriez-vous -pas d’accepter son offre ? Or Dieu rend au -centuple tout ce qu’on lui donne. Croyez-vous à tout ce -que je vous dis ? » Et eux : « Nous croyons que ton -maître le Christ est le vrai Dieu, puisqu’il possède une -servante telle que toi ! » Et l’évêque Urbain les baptisa, -au nombre de plus de quatre cents.</p> - -<p>Puis Cécile comparut devant Almaque et répondit à -ses questions en proclamant sa foi. Alors Almaque : -« Laisse maintenant tes folies, et sacrifie aux dieux ! » -Et Cécile : « C’est toi qui me parais atteint de folie : car, -là où tu vois des dieux, nous ne voyons que des pierres. -Etends la main, et constate du moins par le toucher ce que -<span class="pagenum" id="p644">-644-</span> tes yeux ne parviennent pas à voir ! » Almaque, furieux, -la fit ramener dans sa maison, où, jour et nuit, il ordonna -qu’elle fût plongée dans un bain d’eau bouillante. Mais -elle y resta comme en un lieu frais, et sans que même une -goutte de sueur parût sur elle. Ce qu’apprenant, Almaque -ordonna qu’elle eût la tête tranchée dans son bain. Le -bourreau la frappa de trois coups de hache ; et comme -elle vivait toujours, et que la loi défendait de frapper les -condamnés de plus de trois coups, la sainte fut laissée -encore respirante. Elle survécut trois jours à son supplice. -Elle distribua aux pauvres tous ses biens, et recommanda -à l’évêque Urbain tous les fidèles qu’elle avait -convertis, en disant : « J’ai demandé au ciel ces trois -jours de délai pour te faire une dernière fois mes recommandations, -et pour te prier de consacrer une église sur -l’emplacement de cette maison où je meurs. » Puis elle -rendit l’âme, et saint Urbain, après l’avoir ensevelie, -transforma sa maison en église, comme elle l’avait demandé. -Elle mourut à l’âge de vingt-trois ans, en l’an -du Seigneur 200, sous l’empereur Alexandre. Mais -d’autres historiens veulent que son martyre ait eu lieu -vingt ans plus tard, sous le règne de Marc-Aurèle.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c167">CLXVII<br /> -SAINT CLÉMENT, <span class="small">PAPE ET MARTYR<br /> -(23 novembre)</span></h2> - - -<p>I. L’évêque Clément était romain et de famille noble. Son -père s’appelait Faustinien, sa mère Macidienne ; il avait -deux frères, dont l’un s’appelait Faust, l’autre Faustin. -Or Macidienne était si belle que le frère de son mari se -prit pour elle d’un amour passionné. Et comme il la pressait -vivement, et qu’elle ne voulait ni se livrer ni le -dénoncer, de peur de susciter l’inimitié entre les deux -frères, elle forma le projet de s’éloigner de Rome pour -quelque temps, de façon que son absence éteignît -<span class="pagenum" id="p645">-645-</span> l’amour coupable qu’enflammait sa présence. Pour obtenir -de son mari le consentement de son départ, elle -imagina de lui raconter qu’une voix lui avait dit, en rêve, -de quitter Rome aussitôt, avec ses deux jumeaux Faust -et Faustin, faute de quoi ils périraient tous. Le mari, -épouvanté, envoya sa femme et ses deux enfants à -Athènes, gardant près lui, pour le consoler, son plus -jeune fils Clément, âgé de cinq ans. Et le bateau qui -portait Macidienne fit naufrage, durant la nuit. Macidienne, -rejetée par les flots, se réfugia sur un rocher, -d’où elle se serait certainement précipitée à la mer, -dans l’excès de sa douleur, si elle n’avait pas conservé -du moins l’espoir de retrouver les cadavres de ses fils, -qu’elle croyait noyés. En vain des femmes, qui demeuraient -dans ces régions, s’efforçaient de la consoler en lui -racontant leurs propres infortunes. Une de ces femmes, -cependant, finit par la décider à demeurer chez elle, en -lui disant qu’elle avait, elle-même, perdu dans un naufrage -son mari, encore tout jeune, et que jamais elle n’avait -consenti à se remarier. Mais bientôt Macidienne sentit -faiblir ses mains, que, dans son désespoir, elle avait -longtemps déchirées avec ses dents. Et comme la femme -qui l’avait recueillie était tombée malade et ne pouvait -plus se lever, la mère de Clément se trouva contrainte -de mendier pour avoir de quoi se nourrir ainsi que son -hôtesse.</p> - -<p>Un an après son départ de Rome, son mari envoya -des serviteurs à Athènes pour s’informer de ce qu’étaient -devenus sa femme et ses fils. Les envoyés ne revinrent -pas. D’autres serviteurs, qu’il envoya ensuite, revinrent, -mais pour annoncer qu’ils n’avaient pu découvrir aucune -trace de Macidienne et de ses enfants. Alors Faustinien, -laissant Clément à la garde de tuteurs, partit lui-même -pour Athènes ; et il ne revint pas. Ainsi Clément se -trouva orphelin, sans aucune nouvelle de ses parents ni -de ses frères.</p> - -<p>Il s’adonna tout entier à l’étude, et atteignit jusqu’aux -plus profonds secrets de la philosophie. Il désirait surtout -se renseigner sur l’immortalité de l’âme ; et lorsqu’un -<span class="pagenum" id="p646">-646-</span> des maîtres qu’il consultait lui affirmait que son âme -était immortelle, il en éprouvait une grande joie ; mais -lorsqu’un autre philosophe lui disait que l’âme était -mortelle, il recommençait à se désoler. En ce temps-là -vint à Rome saint Barnabé, pour prêcher la doctrine du -Christ ; et tous les philosophes le raillaient comme un -insensé. Clément, qui d’abord le raillait de même que ses -confrères, lui posa un jour, par moquerie, la question -suivante : « D’où vient que le moucheron, qui est tout -petit, possède six pattes et des ailes, tandis que l’éléphant, -qui est énorme, ne possède point d’ailes et seulement -quatre pattes ? » Alors Barnabé : « Malheureux, je -ne serais pas en peine de répondre à ta question, si -tu me la posais seulement par amour de la vérité. Mais -c’est chose absurde, en ce moment, de rien vous dire au -sujet des créatures, puisque vous ne voulez pas connaître -l’auteur de toutes les créatures ! Ignorant le Créateur, -ce n’est que justice que vous erriez sur les créatures ! » -Et ces paroles s’enfoncèrent si profondément dans le -cœur du jeune philosophe, qu’il s’attacha à Barnabé et -s’instruisit près de lui dans la foi du Christ. Après quoi -il se rendit en Judée auprès de saint Pierre qui acheva -de l’instruire, et lui démontra avec évidence l’immortalité -de l’âme.</p> - -<p>En ce temps-là, deux disciples de Simon le Magicien, -Aquila et Nicétas, reconnaissant les mensonges de leur -maître, rejoignirent saint Pierre et devinrent ses disciples. -Et un jour que Pierre s’était rendu avec ses disciples -dans l’île où demeurait Macidienne, la mère de -Clément, ils aperçurent, sur le seuil d’un temple, qui était -la principale curiosité de cette île, une femme qui mendiait. -Ils lui reprochèrent de ne pas se servir de ses mains -pour gagner sa vie en travaillant. Et la femme : « Seigneur, -je n’ai en vérité que les apparences de mes mains, -car j’ai tout à fait perdu la force de m’en servir ; et je -regrette de n’avoir point jadis suivi mon instinct qui -me poussait à me précipiter dans la mer, plutôt que de -poursuivre une vie misérable. » Et Pierre : « Que dis-tu -là ? Ignores-tu donc que les âmes de ceux qui se tuent -<span class="pagenum" id="p647">-647-</span> sont sévèrement punies ? » Et elle : « Ah, si j’avais la -certitude que les âmes vivent après la mort, je me tuerais -aussitôt avec joie, pour pouvoir au moins un instant -revoir mes deux fils chéris ! » Et comme Pierre lui demandait -la cause d’un tel désespoir, elle lui raconta -toutes ses aventures. Et Pierre : « J’ai un disciple -nommé Clément qui m’a raconté une histoire toute pareille -à la tienne, touchant sa mère et ses frères ! » Ce -qu’entendant, la femme s’évanouit de stupeur. Puis elle -dit, revenant à elle : « C’est moi qui suis la mère de ce -jeune homme ! » Et, se jetant aux pieds de saint Pierre, -elle le supplia de la conduire de suite en présence de -son fils. Et Pierre : « Ton fils est ici, dans notre bateau ; -mais quand tu le verras, efforce-toi de ne rien dire jusqu’à -ce que nous ayons quitté le rivage de l’île ! » Et -quand Clément vit revenir saint Pierre tenant par la -main une vieille femme, il ne put s’empêcher d’abord de -rire de ce spectacle. Mais bientôt Macidienne, assise -près de son fils, ne put se contenir davantage et se jeta -dans ses bras. Et lui, la croyant folle, la repoussait avec -indignation. Alors Pierre : « Que fais-tu, mon fils Clément ? -Ne repousse point ta mère ! » Et Clément reconnut -sa mère, et tout en larmes, la couvrit de baisers. -Saint Pierre se fit ensuite conduire chez la vieille -hôtesse de Macidienne, qui gisait paralysée ; aussitôt il -la guérit. Puis Macidienne interrogea Clément sur son -son père. Et lui : « Il s’est mis en route pour te chercher -et n’est jamais revenu ! » En réponse, Macidienne soupira ; -mais la grande joie d’avoir retrouvé son fils la -consolait presque de tous ses chagrins.</p> - -<p>Survinrent alors Nicétas et Aquila. Et comme ils -demandaient quelle était la femme qu’ils voyaient, Clément -leur dit : « C’est ma mère, que Dieu m’a rendue par -l’entremise de Pierre ! » Pierre leur raconta alors toute -l’histoire. Et aussitôt Nicétas et Aquila se levèrent tout -troublés. Et ils dirent : « Dieu puissant, rêvons-nous ou -cela est-il réel ? » Et, reconnaissant la réalité de ce qu’ils -voyaient et entendaient, ils s’écrièrent : « C’est nous qui -sommes ce Faust et ce Faustin, que notre mère croit -<span class="pagenum" id="p648">-648-</span> noyés ! » Et ils se jetèrent au cou de Macidienne, grandement -surprise. Et celle-ci, dès qu’elle reconnut ses deux -fils, faillit mourir de joie. Puis, revenant à elle : « De -grâce, mes chers enfants, racontez-moi comment vous -êtes encore en vie ? » Et eux : « Après le naufrage, -comme nous naviguions sur une planche, des pirates -nous trouvèrent, qui nous emmenèrent, et finirent par -nous vendre à une honnête veuve nommée Justine. Cette -femme nous traita comme ses fils, et nous instruisit dans -les arts libéraux. Nous nous attachâmes ensuite à l’un -de nos condisciples, Simon le Magicien. Mais ayant -reconnu sa fausseté, nous l’abandonnâmes, et, par l’entremise -de Zachée, nous devînmes disciples de Pierre. »</p> - -<p>Le jour suivant, saint Pierre se retira, pour prier, -dans un lieu écarté, en compagnie de ses trois disciples. -Là, un pauvre vieillard d’aspect vénérable les aborda, -et leur dit : « J’ai pitié de vous, mes frères, en voyant -à quelles erreurs vous entraîne votre piété ! Car il n’existe -ni Dieu, ni Providence, mais tout se trouve engendré -par le simple hasard, ainsi que je l’ai constaté clairement -par mon propre exemple. » Et Clément, considérant ce -vieillard, se sentait troublé, et avait l’impression de -l’avoir déjà vu quelque part ailleurs. Sur l’ordre de -Pierre, les trois disciples discutèrent longtemps avec -l’inconnu pour lui démontrer la réalité de la Providence. -Et comme, à plusieurs reprises, par respect pour son -âge, ils l’avaient appelé « père », Aquila dit tout à coup : -« Pourquoi donnons-nous à cet homme un titre que -nous n’avons le droit de donner à personne sur terre ? » -Puis, se tournant vers le vieillard, il lui dit : « Mon père, -ne te fâche point de ce que je viens de dire, car notre -loi nous défend de donner le nom de père à aucun être -humain ! » Là-dessus, tous les assistants se mirent à rire. -Et comme Aquila en demandait le motif, Clément lui dit : -« Ne vois-tu pas que tu fais toi-même ce que tu nous -reproches, et que tu dis « père » à ce vieillard ? » Mais -Aquila affirma qu’il ne se souvenait plus d’avoir employé -ce mot. Et quand le débat sur la Providence fut épuisé, -le vieillard dit : « Je serais tout prêt à admettre la réalité -<span class="pagenum" id="p649">-649-</span> d’une Providence, si je n’avais eu dans ma vie la preuve -manifeste du hasard aveugle qui dirige les choses. -Sachez donc que ma femme, née sous la constellation de -Vénus et de Saturne, se trouvait par là prédestinée à -commettre l’adultère, à s’éprendre d’un esclave et à être -noyée. Or, c’est ce qui lui est arrivé. S’étant éprise d’un -esclave, et craignant le danger et la honte, elle s’est -enfuie avec lui et a péri en mer. Et mon frère m’a raconté -qu’elle s’était d’abord éprise de lui, mais que, sur son -refus de la satisfaire, elle avait retourné vers un de nos -esclaves la concupiscence où la condamnait sa destinée. » -Après quoi le vieillard leur dit comment sa femme, sous -prétexte d’un rêve qu’elle aurait eu, avait quitté Rome -avec ses deux fils pour se rendre à Athènes. Les trois -disciples, à ces mots, reconnurent leur père et voulurent -se jeter dans ses bras ; mais Pierre leur dit d’attendre -qu’il le leur eût permis. Et il dit au vieillard : « Si je te -fais voir aujourd’hui ta femme avec tes trois fils, et si je -te prouve qu’elle t’a toujours été fidèle, admettras-tu le -néant de ta soi-disant prédestination ? » Et le vieillard : -« Ce que tu me proposes là est aussi impossible qu’il -est impossible d’échapper à sa destinée ! » Et Pierre : -« Sache donc que voici ton fils Clément et tes deux -jumeaux Faust et Faustin ! » Ce qu’entendant, le vieillard -tomba évanoui. A peine avait-il repris les sens que sa -femme s’approcha, criant : « Où est mon cher mari et -maître ? » Et le vieillard s’élança au-devant d’elle, et -l’embrassa en pleurant. Et Pierre lui raconta en détail -l’histoire de sa femme et de ses enfants.</p> - -<p>Pendant que Faustinien vivait ainsi avec toute sa -famille, on vint lui annoncer que deux de ses amis étaient -les hôtes de Simon le Magicien. Faustinien, enchanté, -s’empressa de leur faire visite, et, pendant qu’il était là, -on vint annoncer qu’un ministre de l’empereur était -arrivé à Antioche avec mission de rechercher et de -mettre à mort tous les magiciens. Alors Simon, par un -sortilège, imprima sa propre ressemblance sur le visage -de Faustinien. Il fit cela par haine des fils de Faustinien, -qui l’avaient abandonné, et afin que Faustinien fût arrêté -<span class="pagenum" id="p650">-650-</span> et tué à sa place. Et lui-même, après cela, s’enfuit vers -une autre région. Or, quand Faustinien revint auprès -de ses fils, ceux-ci furent effrayés de voir un homme qui, -avec la voix de leur père, avait le visage de Simon. -Seul, saint Pierre voyait le visage de Faustinien tel qu’il -était en réalité ; et il s’étonnait fort de l’effroi que le -vieillard paraissait inspirer aux siens. Puis, lorsqu’il eut -enfin compris ce qui s’était passé, il dit à Faustinien : -« Naguère, pendant que j’étais à Antioche, Simon, par -ses calomnies, a excité le peuple contre moi au point -qu’on voulait me déchirer à coups de dents. Donc, -puisque tu as maintenant le visage de Simon, va à -Antioche, rétracte en présence du peuple tout ce que le -vrai Simon a dit de moi ; et ensuite je viendrai moi-même -à Antioche pour te rendre ton visage naturel ! »</p> - -<p>Tout cela se trouve raconté dans l’<i>Itinéraire</i> de Clément ; -mais ce livre est apocryphe et ne doit pas être -cru à la lettre. Nous ne saurions croire, notamment, que -saint Pierre ait pu ordonner à Faustinien de se faire -passer pour Simon, car c’est là un mensonge que Dieu -ne saurait approuver. Gardons-nous donc de prendre -tout ce récit pour entièrement authentique !</p> - -<p>Faustinien — toujours d’après notre livre — se rendit -à Antioche, convoqua le peuple, et dit : « Moi, Simon, je -proclame et avoue m’être trompé dans tout ce que je -vous ai dit de Pierre, qui n’est ni un imposteur, ni un -magicien, mais un apôtre envoyé pour le salut des -hommes ! » Et, quand il eut excité dans le peuple l’amour -de Pierre, celui-ci vint à son tour, et, ayant prié, effaça -entièrement de son visage la ressemblance de Simon. -Ce qu’apprenant, Simon lui-même accourut et dit au -peuple : « Je m’étonne que, après la façon dont je vous -ai engagés à vous défier des impostures de Pierre, vous -ayez non seulement écouté cet homme, mais que vous -lui ayez fait l’accueil le plus empressé ! » Sur qui la foule, -se retournant contre lui avec colère, l’accabla de reproches, -et le chassa honteusement de la ville. Voilà ce -que nous raconte Clément lui-même, ou du moins l’auteur -de l’ouvrage qui lui est attribué.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p651">-651-</span> II. Plus tard, saint Pierre, étant venu à Rome, et voyant -approcher l’heure de sa passion, ordonna Clément -évêque à sa place. Mais, à la mort du prince des apôtres, -le sage Clément se démit de ses fonctions en faveur de -Lin, puis de Clet : car il craignait que cet exemple ne -perpétuât dans l’Eglise, l’usage, pour les papes, d’élire -eux-mêmes leur successeur, ce qui aurait rendu héréditaire -la possession du Saint-Siège. D’autres auteurs, -cependant, croient que Lin et Clet n’ont jamais été proprement -des papes, mais seulement des coadjuteurs de -saint Pierre, et que c’est à ce titre qu’ils figurent dans le -catalogue des pontifes. Le fait est que, après eux, Clément -fut élu pape et contraint à accepter cet honneur. -Et tel était l’éclat de ses mœurs que les Juifs et les -païens l’aimaient presque autant que le troupeau des -chrétiens. Il avait fait dresser la liste complète de tous -les pauvres des diverses provinces, et il veillait à ce que -ceux qu’il avait baptisés ne fussent jamais exposés au -déshonneur de la mendicité.</p> - -<p>Il avait consacré au Seigneur la vierge Domicille, -nièce de l’empereur Domitien. Et la vertueuse Théodore, -femme d’un ami de l’empereur nommé Sisinnius, convertie -par lui, avait fait vœu de ne plus se départir -désormais de la chasteté. Or Sisinnius, par jalousie, et -voulant savoir ce que sa femme allait faire dans l’église -des chrétiens, la suivit secrètement dans cette église. -Aussitôt, il devint aveugle et sourd ; et il dit à ses -esclaves : « Conduisez-moi vite hors d’ici ! » Mais les -esclaves, le tenant par la main, tournaient en tous sens, -dans l’église, sans pouvoir en sortir. Ce que voyant, -Théodore voulut d’abord se cacher, par crainte que son -mari ne la reconnût ; mais quand elle comprit que -Sisinnius était devenu aveugle et sourd, et ne pouvait -sortir de l’église, elle pria Dieu ; puis elle dit aux -esclaves : « Allez maintenant, et ramenez votre maître -dans sa maison ! » Après quoi elle raconta à saint Clément -ce qui venait d’arriver. Sur sa demande, le saint -se rendit dans sa maison, pria, et aussitôt le mari -recouvra l’ouïe et la vue. Mais alors celui-ci, rouvrant -<span class="pagenum" id="p652">-652-</span> les yeux, et apercevant l’évêque debout près de sa femme, -fut pris de fureur, soupçonnant quelque artifice magique, -et ordonna à ses serviteurs de s’emparer de Clément, de -le lier et de l’emporter en prison. Mais les serviteurs, -au lieu de lier le saint, entouraient de leurs liens une -colonne de pierre ; et Sisinnius, lui aussi, croyait que -c’était Clément qu’on liait devant lui. Cependant, Clément, -devenu invisible pour Sisinnius et ses serviteurs, -put se retirer librement, après avoir recommandé à -Théodore de prier pour la conversion de son mari. Et -pendant qu’elle priait, saint Pierre lui apparut et lui dit : -« Par toi ton mari sera sauvé, afin que s’accomplissent -ces mots de mon frère Paul : <i>le mari infidèle sera sauvé -par la femme fidèle</i> ! » Ayant dit cela, saint Pierre disparut ; -et au même instant Sisinnius manda sa femme -pour la prier de faire venir près de lui l’évêque Clément. -Celui-ci vint, l’instruisit dans la foi et le baptisa avec -trois cent treize personnes de sa maison. Et Sisinnius, à -son tour, convertit au Christ une foule de nobles et -d’amis de l’empereur Nerva.</p> - -<p>Alors le prince des prêtres païens, à force d’argent, -provoqua une grande sédition du peuple contre saint -Clément. Le préfet Mamertin écrivit aussitôt à l’empereur -Trajan, qui répondit que Clément, s’il refusait de -sacrifier aux idoles, eût à être exilé au delà des mers -dans les déserts de la Chersonèse. Et Mamertin, qui avait -eu l’occasion de connaître la sainteté de l’évêque, lui dit -en pleurant : « Puisse le Dieu que tu sers te secourir en -cette circonstance ! » Il lui donna un bateau qu’il approvisionna -de tout le nécessaire ; et bon nombre de clercs et -de laïcs le suivirent dans son exil. Arrivé en Chersonèse, -Clément y trouva déjà plus de deux mille chrétiens, -condamnés à tailler le marbre pour les statues des dieux -païens. Et comme ils allaient au-devant de lui avec des -pleurs et des larmes, il les consolait en disant : « Je n’ai -point mérité l’honneur que me fait le Seigneur en me -choisissant pour être le chef de martyrs tels que vous ! » -Et comme ils lui disaient qu’ils étaient forcés d’aller -chercher de l’eau à six milles de là, Clément répondit : -<span class="pagenum" id="p653">-653-</span> « Prions tous Notre-Seigneur Jésus-Christ pour que, de -même qu’il a fait jaillir l’eau du roc dans le désert du -Sinaï, il donne en ce lieu à ses confesseurs une source -d’eau fraîche ! » Alors, ayant prié, Clément vit un agneau -qui, de sa patte levée, semblait lui désigner quelque -chose. Aussitôt, reconnaissant la présence du Christ, il -marcha au lieu désigné, et dit : « Au nom du Père, du -Fils et du Saint-Esprit, frappez le sol en ce lieu ! » -Mais comme personne ne voyait l’agneau, personne ne -put frapper le sol à l’endroit où il se trouvait. Seul Clément, -prenant une baguette, donna un léger coup sous -le pied de l’agneau ; et aussitôt une source jaillit, qui ne -tarda pas à devenir un fleuve. Le bruit du miracle se -répandit dans la région, si bien qu’en un seul jour plus -de cinq cents personnes reçurent le baptême, et que, -dans l’espace d’une année, soixante-quinze églises furent -construites dans la province.</p> - -<p>Trois ans après, l’empereur Trajan, informé de ces -miracles, envoya en Chersonèse un de ses officiers. Mais -celui-ci, voyant que le peuple tout entier était prêt à -mourir, recula devant un si grand nombre d’exécutions, -et se contenta de faire précipiter dans la mer saint Clément, -avec une ancre attachée à son cou. Et il disait : -« Désormais, du moins, ces gens-là ne pourront plus -l’adorer comme un Dieu ! » Or, comme toute la foule se -tenait sur le rivage, deux des disciples de Clément, -Corneille et Phébus, prièrent Dieu de leur montrer le -corps de son martyr. Aussitôt la mer se retira à trois -milles du rivage ; et tous, marchant à pieds secs dans -son lit, parvinrent jusqu’à une grotte de marbre où ils -virent le corps de saint Clément, avec l’ancre auprès de -lui. Et une voix du ciel leur défendit d’emporter le corps -loin de ce lieu.</p> - -<p>III. Depuis lors, tous les ans, à l’anniversaire du martyre -de saint Clément, la mer se retirait de la même -façon pendant une semaine, permettant aux fidèles -d’atteindre, à pieds secs, le tombeau du saint. Et, à -l’une de ces fêtes, une femme vint là avec son petit garçon. -Or voici qu’après les cérémonies de la fête, et comme -<span class="pagenum" id="p654">-654-</span> l’enfant s’était endormi, on entendit un bruit soudain de -flots qui approchaient ; et la femme, épouvantée, s’enfuit -avec la foule en oubliant son enfant. Arrivée sur la plage, -la pauvre femme se désolait, élevant jusqu’au ciel des -cris lamentables. Et longtemps elle espéra, du moins, -que les flots lui rapporteraient le cadavre de son fils. -Enfin, voyant son espérance déçue, elle s’en retourna -dans sa maison et y passa une année dans les larmes. -Mais, l’année suivante, étant revenue au tombeau de -saint Clément et ayant prié le saint, elle aperçut son fils -couché à l’endroit où elle l’avait laissé. Elle crut qu’il -était mort, et s’approcha pour emporter son cadavre. -Grandes furent sa surprise et sa joie lorsqu’elle découvrit -que l’enfant n’était qu’endormi. Elle le réveilla, le -couvrit de baisers et lui demanda ce qu’il avait fait, -pendant toute cette année. Mais l’enfant, très surpris, -répondit qu’il croyait n’avoir dormi que quelques instants.</p> - -<p>IV. Léon, évêque d’Ostie, raconte que, sous le règne de -l’empereur Michel, un prêtre, surnommé le Philosophe, -vint en Chersonèse pour interroger les habitants sur les -actes de saint Clément et de ses compagnons. Mais les -habitants, qui étaient presque tous des nouveaux venus, -dans la région, ne purent lui fournir aucun renseignement. -Le fait est que, en raison de la corruption de ces -habitants, le miracle du retrait de la mer avait depuis -longtemps cessé ; sans compter que, pendant que ce -miracle durait encore, les barbares avaient détruit le -temple où reposait le cercueil de saint Clément. Alors le -Philosophe se rendit dans une petite ville nommée -Géorgie ; puis, en compagnie de l’évêque, du clergé et -du peuple, il se mit en quête des saintes reliques. Et -pendant qu’on fouillait le sol du rivage, en priant et en -chantant des hymnes, Dieu permit qu’on découvrît le -corps, ainsi que l’ancre, que les flots avaient portés -jusque-là. Le Philosophe conduisit ensuite le corps de -saint Clément à Rome, et le déposa dans l’église qui -porte aujourd’hui le nom du saint. Et ce corps continue -à opérer d’innombrables miracles. Cependant, à en -<span class="pagenum" id="p655">-655-</span> croire une autre chronique, le corps de saint Clément -aurait été retrouvé et rapporté à Rome par le bienheureux -Cyrille, évêque des Moraves.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c168">CLXVIII<br /> -SAINT CHRYSOGONE, <span class="small">MARTYR<br /> -(24 novembre)</span></h2> - - -<p>Chrysogone fut jeté, par ordre de Dioclétien, dans une -prison où sainte Anastasie le nourrissait de ses aumônes. -Et lorsque Anastasie se trouva à son tour emprisonnée -par son mari, elle écrivit à son maître Chrysogone la -lettre suivante : « Anastasie au saint confesseur du Christ -Chrysogone. Mariée à un homme sacrilège, j’ai feint une -maladie pour me dérober à sa couche ; et, jour et nuit, -je reste prosternée devant Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. -Et mon mari, non content de dépenser mon patrimoine -avec des idolâtres, me tient si étroitement enfermée que -je m’attends à mourir d’un instant à l’autre. Et bien que -cette mort n’ait rien que de glorieux, je souffre de voir -que les richesses que j’avais consacrées à Dieu et aux -pauvres se trouvent ainsi gaspillées par ces êtres -indignes. Adieu, saint homme, ne m’oublie pas ! » Et -Chrysogone lui répondit : « Garde-toi de te laisser troubler -par l’adversité ! Bientôt Jésus t’appellera à lui, et, -comme après les ténèbres de la nuit, tu verras la lumière -éclatante de Dieu ; et à l’hiver succédera pour toi un -doux été doré. Adieu et prie pour moi ! »</p> - -<p>Cependant, le mari de sainte Anastasie, pour achever -de se délivrer d’elle, ne lui faisait plus donner, dans sa -prison, qu’un quartier de pain. La sainte écrivit alors à -Chrysogone : « La fin de mon corps approche. Puisse -mon âme être accueillie par Celui pour l’amour de qui je -supporte tout ce que te racontera la vieille femme qui te -<span class="pagenum" id="p656">-656-</span> remettra cette lettre ! » Et Chrysogone lui répondit : -« Les bonheurs et les malheurs de ce monde aboutissent -à une seule et même fin. C’est sur une seule et même mer -que naviguent les misérables bateaux que sont nos corps. -Mais certains de ces bateaux, attachés par de fortes -chaînes, traversent sans danger les plus cruelles tempêtes, -tandis que d’autres, plus fragiles, échouent et se -brisent même en pleine bonace. Toi donc, servante du -Christ, arme-toi de la croix et prépare-toi à l’œuvre de -Dieu ! »</p> - -<p>Lorsque Dioclétien vint à Aquilée, pour mettre à mort -les chrétiens, il fit venir devant lui saint Chrysogone et -lui dit : « Si tu veux sacrifier aux dieux, je te nommerai -préfet de ce pays et j’élèverai ta famille au rang consulaire ! » -Mais Chrysogone répondit : « Je n’adore qu’un -seul Dieu, qui est dans le ciel, et je méprise tes dignités -comme de la boue ! » Sur l’ordre de l’empereur, il eut la -tête tranchée. Cela se passait en l’an du Seigneur 287. -Le prêtre Zèle ensevelit pieusement les deux tronçons -de son corps.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c169">CLXIX<br /> -SAINTE CATHERINE, <span class="small">VIERGE ET MARTYRE<br /> -(25 novembre)</span></h2> - - -<p>I. Catherine, fille du roi Coste, fut instruite dès son -enfance dans tous les arts libéraux. Lorsque l’empereur -Maxence convoqua à Alexandrie tous les habitants de la -province, riches et pauvres, pour sacrifier aux idoles, -Catherine, qui avait alors dix-huit ans, et qui était restée -seule dans son palais avec de nombreux serviteurs, -entendit un jour un grand bruit mêlé de chants et de -gémissements. Elle demanda d’où cela provenait ; et -quand elle le sut, prenant avec elle quelques serviteurs -et se munissant du signe de la croix, elle se rendit sur -<span class="pagenum" id="p657">-657-</span> la place, où elle vit de nombreux chrétiens qui, par peur -de la mort, se laissaient conduire aux temples pour y -sacrifier. Blessée de cette vue jusqu’au fond de son cœur -elle aborda audacieusement l’empereur et lui dit : « Je -viens te saluer, empereur, à la fois par déférence pour -ta dignité et parce que je veux t’engager à t’éloigner du -culte de tes dieux pour reconnaître le seul vrai créateur ! » -Puis, debout devant la porte d’un temple, elle se -mit à discuter avec Maxence, conformément aux diverses -modes du syllogisme, par allégorie et par métaphore. -Après quoi, revenant au langage commun, elle dit : « Je -me suis adressée jusqu’ici au savant, en toi. Mais à présent, -dis-moi comment tu as pu rassembler cette foule -pour célébrer la sottise des idoles ! » Et comme elle -démontrait savamment la vérité de l’incarnation, l’empereur, -stupéfait, ne sut d’abord que lui répondre. Enfin -il lui dit : « O femme, laisse-moi achever le sacrifice, et -ensuite je te répondrai ! » Et il la fit conduire dans son -palais, où il ordonna qu’elle fût soigneusement gardée : -car il avait été très frappé de sa science et de sa beauté. -Catherine était en effet d’une beauté merveilleuse, que -personne ne pouvait voir sans en être ravi.</p> - -<p>Après la fête, l’empereur se rendit au palais et dit à -Catherine : « J’ai entendu ton éloquence et admiré ta -sagesse ; mais, absorbé comme je l’étais par la cérémonie, -je n’ai pas pu pleinement comprendre tout ce que tu -disais. Dis-moi donc à présent qui tu es ! » Et elle : « Je -suis Catherine, fille du roi Coste. Née dans la pourpre, -et élevée dès l’enfance dans les arts libéraux, j’ai dédaigné -tout cela pour me réfugier auprès de mon Seigneur Jésus-Christ. -Et quant aux dieux que tu adores, ils ne sauraient -secourir ni toi, ni personne ! » Et l’empereur : « Je -le vois, tu cherches à nous décevoir par ta pernicieuse -éloquence, en t’efforçant d’argumenter à la manière des -philosophes ! » Et, comprenant qu’il ne parviendrait pas -à lui répondre lui-même, il manda en grande hâte, à -Alexandrie, tous les grammairiens et rhéteurs du temps, -leur promettant de grandes récompenses s’ils parvenaient -à réfuter la jeune fille. Il en vint ainsi plus de cinquante, -<span class="pagenum" id="p658">-658-</span> tous fameux dans les sciences de ce monde. Et comme -ils demandaient pourquoi on les avait fait venir de régions -si lointaines, l’empereur répondit : « C’est que nous -avons ici une jeune fille d’une sagesse et d’un esprit -incomparables, qui réfute tous les savants, et prétend -que tous nos dieux ne sont que des démons. Réfutez-la, -et je vous renverrai chez vous chargés d’honneurs et de -présents ! » Alors un des orateurs s’écria : « O étrange -projet, de rassembler tous les savants des quatre coins -du monde pour tenir tête à une jeune fille que le moindre -de nos clients réduirait au silence ! » Et l’empereur : -« Je pouvais en vérité la contraindre à sacrifier aux -dieux, ou la châtier en cas de refus ; mais j’ai jugé meilleur -qu’elle fût confondue par vos arguments. » Alors -les orateurs : « Qu’on amène donc en notre présence -cette jeune fille, afin qu’elle avoue sa témérité, et reconnaisse -n’avoir même jamais vu de vrais savants ! »</p> - -<p>Mais Catherine, en apprenant le combat qui se préparait -pour elle, se recommanda au Seigneur ; et un ange -descendit vers elle pour l’engager à la fermeté, lui affirmant -que, non seulement elle ne serait pas vaincue par -ses adversaires, mais que même elle les convertirait et -leur procurerait la palme du martyre. Amenée en présence -des orateurs, elle dit à Maxence : « De quel droit -opposes-tu cinquante orateurs à une seule jeune fille ? et -pourquoi promets-tu de les récompenser, en cas de victoire, -tandis que tu me forces à lutter sans espoir de -récompense ? Mais j’aurai ma récompense dans mon Seigneur -Jésus-Christ, espoir et couronne de ceux qui -luttent pour lui ! » Les orateurs lui dirent alors que -c’était chose impossible qu’un Dieu devînt homme et connût -la souffrance. Mais elle répondit en leur montrant -que les païens eux-mêmes avaient prédit l’incarnation -du Christ. La Sibylle n’avait-elle pas dit : « Heureux -le Dieu qui pend sur une croix de bois ! » Et Catherine -continua de discuter ainsi avec les orateurs, les réfutant -par des raisons évidentes, jusqu’à ce que, stupéfaits, -ils ne surent plus que lui dire. Alors l’empereur, furieux, -leur reprocha de se laisser vaincre honteusement par -<span class="pagenum" id="p659">-659-</span> une jeune fille. Et l’un de ces orateurs, qui était le plus -savant, et parlait au nom de ses confrères, dit : « Tu -sais, empereur, que personne jamais n’a pu nous résister ; -mais c’est l’esprit même de Dieu qui parle en cette jeune -fille ; et elle nous a remplis d’une telle admiration que -nous n’osons plus dire un seul mot contre ce Christ qui -nous apparaît désormais comme le seul vrai Dieu ! » Ce -qu’entendant, l’empereur, exaspéré, les fit tous brûler au -milieu de la ville ; et Catherine, en même temps qu’elle -les réconfortait, achevait de les instruire des vérités de -la foi. Et, comme ils se plaignaient d’avoir à mourir sans -être baptisés, elle leur répondit : « Soyez sans crainte, -car l’effusion de votre sang vous tiendra lieu de baptême ! » -Alors, s’étant munis du signe de la croix, ils furent précipités -dans les flammes ; et ils rendirent leurs âmes de -telle façon que ni leurs cheveux, ni leurs vêtements, ne -furent touchés par le feu.</p> - -<p>Pendant que les chrétiens s’occupaient de les ensevelir, -Maxence dit à Catherine : « Noble jeune fille, aie pitié de -ta jeunesse, et je te ferai impératrice dans mon palais, -et le peuple entier adorera ton image, au milieu de la -ville ! » Mais elle : « Cesse de dire des choses dont la -pensée même est un crime. J’ai pris le Christ pour fiancé, -lui seul est ma gloire et mon amour ; et ni caresses ni -tourments ne pourront me détourner de lui ! » L’empereur -la fit alors dépouiller de ses vêtements ; il la fit -frapper de griffes de fer, puis, l’ayant jetée dans une -obscure prison, il ordonna que pendant dix jours on la -laissât sans nourriture.</p> - -<p>Là-dessus, l’empereur se vit forcé de se rendre dans -une autre province. Or sa femme, qui avait pour amant -un officier nommé Porphyre, vint, la nuit, dans la prison -de Catherine. Et, y étant entrée, elle vit la cellule remplie -d’une clarté immense, et elle vit que les anges pansaient -les plaies de la prisonnière. Et celle-ci, s’étant -mise à lui décrire les joies éternelles, la convertit et lui -prédit la couronne du martyre. Ce qu’apprenant, Porphyre -alla se jeter, lui aussi, aux pieds de Catherine, et -il reçut la foi du Christ avec deux cents de ses hommes.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p660">-660-</span> Quand l’empereur revint, douze jours après son départ, -il se fit amener la jeune fille, qu’il s’attendait à voir anéantie -par ce jeûne prolongé. La voyant au contraire resplendissante -de vie, il soupçonna que quelqu’un l’avait -nourrie, dans sa prison, et décréta que ses gardiens -fussent mis à la torture. Mais Catherine : « Aucun être -humain ne m’a nourrie, mais bien le Christ par l’entremise -de ses anges. » Alors l’empereur, plus frappé que -jamais de sa beauté, lui proposa, une fois de plus, de l’élever -au trône avec lui. Et comme elle s’y refusait, il lui -dit : « Choisis entre deux choses, ou bien de sacrifier -aux idoles, et de vivre, ou bien de mourir dans des tourments -effroyables ! » Et elle : « Quelques tourments que -tu puisses imaginer, n’hésite pas à me les infliger, car -j’ai soif d’offrir ma chair et mon sang à Jésus, qui a offert -pour moi sa chair et son sang ! Lui seul est mon Dieu, -mon maître, mon mari et mon amant ! » Alors un préfet -conseilla à l’empereur de faire préparer quatre roues -garnies de pointes de fer, et de s’en servir pour déchirer -les chairs de Catherine, de façon à épouvanter, par un tel -exemple, les autres chrétiens. Et l’on décida que, de ces -quatre roues, où l’on attacha la sainte, deux seraient poussées -dans un sens et deux dans un autre, pour que les -membres de Catherine fussent arrachés et broyés en morceaux. -Mais la sainte pria Dieu que, pour la gloire de son -nom et pour la conversion des assistants, il anéantît cette -affreuse machine. Et voici qu’un ange secoua si fortement -la masse énorme des quatre roues, que quatre -mille païens périrent écrasés.</p> - -<p>En ce moment l’impératrice, qui avait assisté à la -scène du haut du palais, s’enhardit à descendre, et -reprocha à son mari tant de cruauté. Le roi lui fit arracher -les mamelles, puis trancher la tête. Et l’impératrice, -allant au martyre demanda à Catherine de prier pour -elle. Et Catherine : « Sois sans crainte, princesse aimée -de Dieu, car ta royauté passagère va se changer aujourd’hui -en une royauté éternelle, et en échange d’un mari -mortel tu en acquerras un immortel ! » Sur quoi, l’impératrice, -raffermie, encouragea ses bourreaux à exécuter -<span class="pagenum" id="p661">-661-</span> leur mission. Ils la conduisirent donc hors de la ville, -lui arrachèrent les mamelles avec des pointes de fer et -lui coupèrent la tête. Et Porphyre, recueillant ses restes, -les ensevelit.</p> - -<p>I. Le lendemain, Maxence envoya au supplice les bourreaux -de sa femme, qu’il soupçonnait d’avoir dérobé le -corps de celle-ci. Mais Porphyre, s’élançant au milieu de -la foule, s’écria : « C’est moi qui ai enseveli la servante -du Christ, ayant reçu comme elle la foi chrétienne ! » -Maxence, fou de douleur, poussa un rugissement terrible -et s’écria : « Malheureux que je suis ! voici maintenant -que Porphyre lui-même s’est laissé séduire, mon seul -confident, le seul en qui j’avais confiance ! » Et comme il -le dénonçait à ses soldats, ceux-ci répondirent : « Nous -aussi, nous sommes chrétiens et prêts à mourir ! » Sur -quoi, l’empereur, ivre de rage, les fit tous décapiter ainsi -que Porphyre, et ordonna que leurs restes fussent jetés -aux chiens.</p> - -<p>Puis, se tournant vers Catherine : « Bien que, par tes -sortilèges, tu aies causé la mort de l’impératrice, je -t’offre encore, cependant, de devenir la première dans -mon palais ! » Et comme, de nouveau, elle repoussait -son offre avec indignation, il la condamna à être décapitée. -Or, pendant qu’on la menait au supplice, elle dit, -les yeux levés au ciel : « Espoir et salut des croyants, -honneur et gloire des vierges, Jésus, mon bon maître, -exauce ma prière ! Fais en sorte que toute personne qui -m’invoquera, soit à l’heure de la mort ou dans le danger, -se trouve secourue en souvenir de ma passion ! » Et une -voix, du haut du ciel, lui répondit : « Viens, ma chère -fiancée, les portes du ciel sont ouvertes devant toi. Et à -ceux qui célébreront pieusement ton martyre je promets -le secours qu’ils demanderont ! » Après quoi la sainte eut -la tête tranchée, et de son corps jaillit du lait au lieu de -sang. Et des anges, recueillant ses restes, les transportèrent -de ce lieu sur le mont Sinaï, où ils ne l’ensevelirent -que vingt jours après. Aujourd’hui encore, une huile -miraculeuse découle de ses os, qui guérit aussitôt les -membres affaiblis. Sainte Catherine fut martyrisée vers -<span class="pagenum" id="p662">-662-</span> l’an du Seigneur 310. Quant à la façon dont Maxence fut -puni de ce crime et des autres qu’il avait commis, -nous l’avons racontée déjà en traitant de l’Invention de la -Sainte Croix<a id="FNanchor_19" href="#Footnote_19" class="fnanchor">[19]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_19" href="#FNanchor_19"><span class="label">[19]</span></a> La légende du <i>Mariage mystique</i> de sainte Catherine apparaît, -pour la première fois, dans une traduction anglaise de la <i>Légende -dorée</i> par le frère Jean de Bungay, datée de 1438. Et c’est également -vers cette date que certains peintres du Nord (à Cologne, -à Bruges) ont commencé à introduire le <i>Mariage mystique</i> dans -leur représentation des actes de sainte Catherine.</p> -</div> -<p>III. Un moine de Rouen s’était rendu au mont Sinaï, et, -pendant sept ans, avait pieusement prié sainte Catherine. -Au bout de ce temps, il demanda à la sainte la -grâce de posséder un fragment de ses reliques ; et aussitôt -de la main de la sainte se détacha un doigt, que le -moine emporta joyeusement dans son monastère. — Un -autre moine, après avoir eu longtemps une dévotion spéciale -pour sainte Catherine, avait peu à peu négligé d’invoquer -la sainte. Or un jour, étant en prière, il vit passer -devant lui une troupe de vierges dont l’une, en l’approchant, -se détourna et se couvrit le visage. Et comme il -demandait à ses compagnes qui elle était, une d’elles lui -répondit : « C’est Catherine, que jadis tu connaissais -bien ! Mais comme maintenant tu parais ne plus la connaître, -elle s’est voilé le visage en t’apercevant, pour -passer près de toi comme une inconnue ! »</p> - -<p>IV. Certains auteurs se demandent si, au lieu de -Maxence, ce n’est pas plutôt Maximin qui a présidé au -martyre de sainte Catherine. Il y avait alors trois empereurs : -1<sup>o</sup> Constantin, qui avait succédé à son père ; -2<sup>o</sup> Maxence, fils de Maximilien, élu à Rome par les -soldats ; 3<sup>o</sup> Maximin, proclamé César en Orient. Et, -suivant les chroniques, Maxence persécutait les chrétiens -à Rome, pendant que Maximin les persécutait en Orient. -On suppose donc qu’il y aura eu, dans le premier récit -du martyre de sainte Catherine, une faute d’écriture, et -que c’est Maximin qu’on doit lire au lieu de Maxence.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p663">-663-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c170">CLXX<br /> -SAINTS BARLAAM ET JOSAPHAT, <span class="small">ABBÉS<br /> -(27 novembre)</span></h2> - - -<p>Barlaam, dont l’histoire nous est racontée par Jean de -Damas, convertit à la foi chrétienne le roi Josaphat.</p> - -<p>En un temps où l’Inde entière était pleine de chrétiens, -surgit un roi puissant nommé Avennir, qui persécuta -cruellement les chrétiens et surtout les moines. Or l’ami -et principal officier de ce roi, touché de la grâce divine, -s’enfuit de la cour pour entrer dans un ordre monastique. -Le roi, irrité, le fit rechercher par tout le désert ; et, -quand on l’eut trouvé, il le fit comparaître devant lui. -Et, voyant vêtu d’un manteau grossier cet homme naguère -élégant et riche, il lui dit : « Insensé, quelle folie -t’a pris de changer ton honneur en infamie ? » Et le religieux : -« Si tu veux connaître mes motifs, chasse d’abord -loin de toi tes ennemies ! » Le roi lui demanda qui étaient -ces ennemies. Et lui : « Ce sont la colère et la concupiscence, -car ce sont elles qui t’empêchent de voir la vérité. » -Et le roi : « Parle, maintenant ! » Et lui : « Les insensés, -ce sont ceux qui dédaignent comme n’existant point les -choses qui existent, et qui poursuivent comme des réalités -les choses qui n’existent pas. » Après quoi il lui -expliqua longuement le mystère de l’incarnation et les -vérités de la foi. Et le roi lui dit : « Si tu ne m’avais pas -fait promettre, tout à l’heure, de bannir d’ici la colère -pendant que je t’écouterais, je t’enverrais maintenant au -bûcher ! Lève-toi et fuis loin de mes yeux, et malheur à -toi si je te retrouve jamais ! » Et l’homme de Dieu s’en -alla tout triste, car il avait bien espéré subir le martyre.</p> - -<p>Le roi Avennir n’avait pas d’enfant. Il eut enfin un -fils, qui était d’une beauté merveilleuse, et qui fut appelé -Josaphat. En l’honneur de sa naissance, le roi fit célébrer -de grands sacrifices ; et il réunit soixante astrologues, -qu’il interrogea sur les destinées futures de -<span class="pagenum" id="p664">-664-</span> l’enfant. Tous répondirent qu’il serait grand en puissance -et en richesse ; mais le plus sage d’entre eux ajouta : -« O roi, l’enfant qui t’est né sera en effet tout cela, mais -dans un autre royaume que le tien ! car, si je ne me -trompe, il sera un des princes de cette religion chrétienne -que tu persécutes ! » Ce qu’entendant, le roi, effrayé, -fit construire à l’écart un magnifique palais, qu’il donna -pour demeure à son fils ; et il lui donna pour compagnons -de beaux jeunes gens, en leur recommandant de ne -jamais parler à Josaphat ni de la vieillesse, ni de la -maladie, ni de la pauvreté, ni de rien d’attristant : de -telle sorte que l’esprit de l’enfant, tout occupé de choses -gaies, n’eût jamais l’occasion de penser à l’avenir. Si -l’un des compagnons de Josaphat était malade, il aurait -aussitôt à être remplacé par un autre bien portant. Mais -surtout, défense était faite de jamais mentionner le nom -ou la doctrine du Christ.</p> - -<p>Il y avait alors auprès du roi un haut fonctionnaire -qui était chrétien, mais en secret. Cet homme, chassant -un jour avec le roi, aperçut à terre un mendiant qu’une -bête féroce avait blessé au pied. Et le mendiant le pria -de le recueillir chez lui, ajoutant qu’il pourrait lui rendre -service. Alors le ministre : « Je consens volontiers à te -recueillir chez moi, mais je ne vois guère comment tu -pourrais m’être utile ! » Et le mendiant : « C’est que je -suis médecin des paroles. Si quelqu’un souffre d’une -parole qu’il a dite ou entendue, je sais des remèdes pour -le guérir. » Le ministre, sans prendre au sérieux les -mots du mendiant, l’emmena chez lui et le soigna, par -charité chrétienne. Or des hommes jaloux et méchants, -pour nuire à ce ministre, l’accusèrent auprès du prince -non seulement d’être chrétien, mais de flatter le peuple -pour s’emparer du pouvoir. Et ils dirent au roi : « Si tu -veux en avoir la preuve, reçois-le en particulier, et dis-lui -que, sentant l’approche de la mort, tu as l’intention -de renoncer au trône pour te faire moine ! Tu verras bien -ce qu’il te répondra. » Le roi suivit leur conseil ; et le -ministre, ne soupçonnant point la ruse, loua fort l’intention -qu’exprimait son maître. Ce dont le roi fut rempli -<span class="pagenum" id="p665">-665-</span> de fureur, car il y voyait la preuve de la trahison du -ministre. Mais il se contint et ne répondit rien. Sur quoi -le ministre, tout confus de cet accueil, alla raconter la -chose au mendiant qu’il avait recueilli. Et celui-ci, en -véritable « médecin des paroles », lui dit : « Le roi te -soupçonne de vouloir le détrôner. Lève-toi vite, coupe -tes cheveux, revêts un cilice, et va chez le roi. Et quand -il te demandera ce que cela signifie, tu lui répondras -que tu es prêt à le suivre dans son monastère, voulant -partager ses privations comme tu as partagé sa prospérité ! » -Le ministre fit ainsi, et le roi, après avoir puni les -dénonciateurs, l’éleva encore à de plus hautes dignités.</p> - -<p>Cependant, le prince Josaphat était parvenu à l’âge -adulte. Etonné de ce que son père le tînt enfermé, il -interrogeait là-dessus son serviteur favori, ajoutant que -cette défense de sortir lui ôtait le goût de manger et de -boire. Le roi, informé de cela, lui fit donner des chevaux -et lui permit de sortir dans la campagne, à la -condition qu’une escorte le précédât pour écarter de ses -yeux tout spectacle attristant. Or Josaphat, dans une de -ses promenades, rencontra un lépreux et un aveugle. -Stupéfait, il demanda ce que c’était. Et ses compagnons : -« Ce sont là des maux qui arrivent aux hommes ! » Et -lui : « A tous les hommes ? » Et, sur leur réponse négative, -il reprit : « Sait-on du moins à l’avance quels -hommes doivent être atteints de ces maux ? » Et ses -compagnons : « Qui pourrait connaître l’avenir des -hommes ? » Sur quoi Josaphat rentra chez lui plein -d’anxiété.</p> - -<p>Une autre fois, il rencontra un homme brisé par la -vieillesse. L’homme avait un visage rugueux, un dos -voûté, une bouche sans dents, une parole balbutiante. -Etonné, Josaphat demanda ce que c’était. Et quand on -lui eût répondu que c’était l’âge qui avait mis l’homme -en cet état, il demanda : « Et quelle sera sa fin ? » On -lui répondit : « La mort ! » Et lui : « Est-ce que tous -doivent mourir, ou seulement quelques-uns ? » On lui -répondit : « Tous ! » Et Josaphat : « A quel âge ? » Et eux : -« On peut vivre jusqu’à quatre-vingts ou cent ans, et puis -<span class="pagenum" id="p666">-666-</span> on meurt. » Et le jeune homme, roulant dans son cœur -toutes ces pensées nouvelles, se désolait en secret, bien -que, devant son père, il continuât de feindre la gaîté.</p> - -<p>Or, un saint moine nommé Barlaam vivait alors dans -le désert de Sennaar. Instruit par l’Esprit-Saint de ce -qui arrivait au fils du roi, il prit l’habit d’un marchand, -se rendit à la capitale, et, abordant le précepteur du -prince, il lui dit : « Je suis marchand, et j’ai à vendre -une pierre merveilleuse qui ouvre les yeux aux aveugles -et les oreilles aux sourds, rend la parole aux muets et -la raison aux fous. Conduis-moi près du jeune prince, -pour que je la lui montre ! » Et le précepteur : « Je me -connais en pierres. Montre-moi celle dont tu parles, et, -si elle est telle que tu le dis, le fils du roi te l’achètera ! » -Mais Barlaam : « Ma pierre a encore cette propriété que -seuls peuvent la voir ceux qui sont chastes et que n’a -point corrompus le péché. Avec les yeux que tu as, tu -ne pourrais pas la voir, tandis qu’on m’a dit que le fils -du roi était chaste et ignorait le mal. » Le précepteur -le conduisit alors devant Josaphat, qui l’accueillit avec -déférence. Et Barlaam : « Prince, tu as bien fait de me -recevoir, sans dédaigner mon humble figure ! Tu as -fait comme un roi qui, quand il voyageait dans son -carrosse doré et rencontrait des mendiants en haillons, -descendait de son carrosse et leur baisait les pieds. Les -ministres de ce roi, n’osant le blâmer ouvertement, -dirent à son frère comment il se conduisait ; et le frère, -lui aussi, en fut scandalisé. Or c’était l’usage que, -lorsqu’un homme était condamné à mort, le crieur du -roi venait sonner de la trompe devant sa maison. Un -soir, donc, le roi envoya son crieur sonner de la -trompe devant la maison de son frère. Ce qu’entendant, -celui-ci se crut condamné à mort. Il ne put dormir -de toute la nuit, fit son testament, s’habilla tout de -noir et vint en pleurant au palais du roi avec sa femme -et ses enfants. Et le roi lui dit : « Sot que tu es ! Tu t’es -effrayé en entendant le messager de ton frère, envers -qui tu sais que tu n’es point coupable ; et tu me blâmes -de m’émouvoir à la vue des messagers de Dieu, contre -<span class="pagenum" id="p667">-667-</span> qui j’ai si souvent péché ! » Après cela le roi prit quatre -coffres. Dans deux d’entre eux, qu’il fit garnir d’or à -l’extérieur, il mit à l’intérieur des ossements en putréfaction. -Dans les deux autres, qu’il fit garnir de poix à -l’extérieur, il mit à l’intérieur des diamants et des -perles. Puis, convoquant les ministres qui s’étaient -plaints de lui à son frère, il leur demanda quels étaient -les plus précieux des quatre coffres. Ils désignèrent -aussitôt ceux qui étaient couverts d’or, dédaignant -les deux autres. Alors le roi fit ouvrir les deux -coffres dorés, et une puanteur infecte s’en exhala. Et le -roi : « Ces coffres sont l’image de ceux qui, somptueusement -vêtus, ont dans leur cœur le vice et l’impureté. » -Puis il fit ouvrir les deux autres coffres, et on y vit -luire l’éclat des pierreries. Et il dit : « Ceci est l’image -des pauvres que vous m’avez blâmé d’honorer : car, -sous leurs haillons misérables, ils rayonnent de l’éclat -de toutes les vertus. »</p> - -<p>Puis Barlaam expliqua longuement à Josaphat l’incarnation, -la passion et la résurrection du Christ. Il lui -parla aussi du jugement dernier et de la rétribution des -bons et des méchants. Et, pour lui faire entendre l’erreur -des idolâtres, il lui raconta la parabole suivante : -Un archer, ayant pris un rossignol, voulait le tuer. Mais, -l’oiseau : « Homme, quel profit auras-tu de ma mort ? -Pour ton ventre même je ne ferai qu’une bouchée ! Tandis -que, si tu veux me rendre le vol, je te donnerai trois -conseils excellents à suivre. » L’archer, étonné, promit -à l’oiseau de le remettre en liberté en échange des trois -conseils. Et le rossignol lui dit : « 1<sup>o</sup> n’essaie jamais d’atteindre -des choses qui sont hors d’atteinte ; 2<sup>o</sup> ne t’afflige -jamais d’une perte irréparable ; 3<sup>o</sup> ne crois jamais des -choses incroyables. Retiens ces trois conseils, et tu t’en -trouveras bien ! » L’archer, suivant sa promesse, lâcha -le rossignol. Et celui-ci, volant dans les airs, lui dit : -« Malheur à toi, homme, car tu as fait une sottise, et tu as -perdu un grand trésor ! Sache donc que j’ai dans mon -ventre un diamant deux fois plus gros qu’un œuf d’autruche ! » -Ce qu’entendant, l’archer fut désolé d’avoir -<span class="pagenum" id="p668">-668-</span> remis en liberté le rossignol ; et, pour le reprendre, il -lui disait : « Viens dans ma maison, tu y verras bien -des choses curieuses, et je te ferai un beau cadeau ! » -Et le rossignol : « Maintenant je reconnais, sans erreur -possible, que tu es un sot, car de mes trois conseils tu ne -tires aucun profit. Tu t’affliges de m’avoir perdu, tandis -que tu ne saurais me ravoir ; tu t’efforces de m’atteindre, -tandis que c’est chose impossible ; et tu crois que je puis -avoir dans le ventre un diamant dix fois plus gros que -mon corps tout entier ! » Et Barlaam ajouta : « Non moins -stupides sont ceux qui croient aux idoles et invoquent -l’appui de statues qu’ils ont eux-mêmes fabriquées ! »</p> - -<p>Puis Barlaam exposa au jeune prince le mensonge et -la vanité des plaisirs du monde. Et, à l’appui de ses arguments, -il lui raconta les apologues suivants. Il lui -dit, d’abord, que ceux qui désirent les plaisirs corporels -au détriment de leur âme ressemblent à un homme -qui, fuyant devant une licorne, tomba dans un précipice. -En tombant, il s’accrocha des deux mains à un -arbuste et enfonça ses pieds dans une boue glissante. -Il vit alors que deux rats, un blanc et un noir, rongeaient -les racines de l’arbuste et étaient déjà sur le point de le -détacher. Au fond de l’abîme, il vit un dragon terrible -qui ouvrait la bouche pour le dévorer ; et, dans la boue -où s’étaient enfoncés ses pieds, il vit quatre vipères qui -levaient la tête. Mais soudain il aperçut une goutte de -miel qui découlait d’une branche de l’arbuste. Et aussitôt, -oubliant tous les dangers qui l’entouraient, il se -laissa aller à la douceur de manger ce miel. Et Barlaam -dit à Josaphat : « La licorne, c’est la mort, que l’homme -s’efforce de fuir. L’abîme, c’est notre monde de misère. -L’arbuste c’est notre vie, dont les racines sont rongées -jour et nuit, et dont l’écroulement est sans cesse plus -proche. Les quatre vipères sont les quatre éléments, -dont le désordre amène la dissolution du corps. Le dragon, -c’est le diable. Et la goutte de miel, ce sont les -plaisirs décevants dont la poursuite nous détourne de -la vue de notre destinée. »</p> - -<p>Autre exemple. Ceux qui aiment le monde sont pareils -<span class="pagenum" id="p669">-669-</span> à un homme qui avait trois amis, dont il l’aimait l’un -plus que lui-même, le second autant que lui-même, le -troisième moins que lui-même. Cet homme, étant en -danger de mort, courut invoquer l’aide du premier ami. -Et celui-ci : « Malheureux, je ne puis rien pour toi ! J’ai -d’autres amis avec qui je dois me réjouir. Tout ce que -je puis faire pour toi, c’est de te donner ces deux cilices, -pour te couvrir en cas de besoin. » L’homme alla -trouver son second ami, qui lui dit : « Je n’ai que faire -de souffrir avec toi, étant moi-même accablé de souci. -Je puis seulement, si tu veux, te faire un pas de conduite -jusqu’à la porte du tribunal. » Alors l’homme, désespéré, -aller trouver son troisième ami, et lui dit, la mine basse : -« J’ose à peine te parler, car je ne t’ai pas aimé comme -je le devais. Mais, dans l’embarras où je me trouve, et -sans autres amis, je me suis dit que peut-être tu ne refuserais -pas de me secourir. » Et l’ami, avec un bon sourire, -lui répondit : « Certes, tu es pour moi un ami très cher, -et je n’oublie pas le service que tu m’as rendu ! Viens, -je vais aller avec toi au tribunal, pour t’empêcher d’être -livré à tes ennemis ! » Et Barlaam ajouta : « Le premier -de ces amis est la possession des richesses, pour qui -l’homme s’expose à mille dangers, et de qui, à l’heure -de la mort, il ne tire aucun profit, si ce n’est des linceuls -pour l’ensevelir. Le second ami, ce sont la femme, les -fils, les parents, qui nous font un pas de conduite jusqu’à -notre tombeau, et puis s’en retournent aussitôt à leurs -affaires. Le troisième ami, c’est la foi, l’espérance, la -charité et l’aumône, et toutes les bonnes œuvres, qui, -lorsque nous mourons, nous accompagnent au tribunal -de Dieu et nous délivrent de nos ennemis les démons. »</p> - -<p>Barlaam dit encore ceci : « Dans une grande ville, on -avait l’habitude d’élire pour prince, tous les ans, un -homme étranger et inconnu, à qui on laissait plein pouvoir -de faire ce qu’il voulait ; mais au bout de l’année, -tandis que cet homme ne songeait qu’à sa jouissance, -se croyant destiné à régner toujours, voilà que tous les -citoyens s’insurgeaient contre lui, le traînaient nu par -les rues de la ville, et le reléguaient dans une île déserte -<span class="pagenum" id="p670">-670-</span> où il mourait de faim et de froid. Or il y eut un de ces -princes improvisés qui, ayant appris la coutume de ses -sujets, prit la précaution de déposer dans l’île de grands -trésors, de telle sorte que, quand il y fut à son tour -relégué, il ne manqua de rien. Cette ville est le monde ; -ses citoyens sont les princes des ténèbres ; et à l’improviste -la mort survient, qui nous relègue dans le feu de -l’enfer. Et notre provision de richesses pour l’autre vie -ne peut se faire que par l’entremise des pauvres. »</p> - -<p>Quand Barlaam eut ainsi achevé d’instruire le fils du -roi, celui-ci voulut tout abandonner pour le suivre. Mais -Barlaam lui répondit, que, s’il faisait cela, il serait pareil -à certain jeune homme qui, après avoir refusé de se -marier avec une jeune fille riche et noble, s’enfuit dans -un lieu où il trouva une autre jeune fille, très pauvre, -travaillant et priant auprès de son vieux père. Et il lui -dit : « Femme, que fais-tu là ? Manquant de tout, tu -rends grâces à Dieu comme si tu en avais reçu de grands -biens ! » Et la jeune fille : « Les choses extérieures ne -sont pas à nous, mais seulement celles qui sont au dedans -de nous. Or Dieu m’a accordé de grands biens : car il -m’a faite à son image, il m’a appelée à sa gloire et m’a -ouvert la porte de son royaume. » Le jeune homme, la -voyant aussi sage que belle, la demanda en mariage à -son père. Et celui-ci : « Tu ne peux pas épouser ma fille, -car tu es fils de gens nobles et riches, et je ne suis qu’un -pauvre homme ! » Et comme le jeune homme insistait, le -vieillard lui dit : « Je ne puis te la donner en mariage, -car tu la conduirais dans la maison de ton père, et elle -est mon unique enfant. » Et le jeune homme : « Je resterai -près de vous et me conformerai en tout à votre -manière de vivre ! » Puis, dépouillant ses vêtements précieux, -il endossa un manteau de bure pareil à celui du -vieillard, se fixa près de lui et épousa la jeune fille. Et -après que le vieillard eut éprouvé sa constance, il le -conduisit enfin dans la chambre nuptiale ; et, là, il lui -montra un trésor comme il n’en avait jamais vu, et le lui -donna tout entier.</p> - -<p>A cela le jeune prince Josaphat répondit : « Je comprends -<span class="pagenum" id="p671">-671-</span> l’allusion que contient ton récit. Mais dis-moi, -père, quel âge tu as et où tu demeures, car je ne -veux pas me séparer de toi. » Et Barlaam : « Il y a -quarante-cinq ans que je demeure au désert de Sennaar. » -Alors Josaphat : « Mais tu as l’air d’avoir plus de -soixante-dix ans ! » Et Barlaam : « Oui, tel est mon âge, -si l’on compte mes années depuis ma naissance. Mais je -n’admets pas que l’on compte, dans la mesure de ma vie, -le temps que j’ai dépensé aux vanités du monde : car -pendant ce temps-là j’étais mort, et des années de mort -ne doivent pas compter dans la vie. » Et comme Josaphat -insistait pour le suivre au désert, Barlaam lui dit : « Si -tu le fais, je ne pourrai jouir de ta société, et je serai -cause de persécution pour mes frères ! Reste plutôt ici ; -et quand tu jugeras le temps opportun, tu viendras me -rejoindre ! » Puis, ayant baptisé le prince, il l’embrassa -une dernière fois et s’en retourna au désert.</p> - -<p>Quand le roi apprit que son fils était devenu chrétien, -il en éprouva une vive douleur. Alors un de ses amis, -nommé Arachis, pour le consoler, lui dit : « Je connais -un ermite qui est de notre religion et qui ressemble -tout à fait à Barlaam. Que cet homme, se faisant passer -pour Barlaam, défende d’abord la foi chrétienne ; puis -qu’il se laisse réfuter et renie son christianisme ; et -ton fils le reniera, lui aussi ! » Le roi feignit donc d’organiser -une grande expédition pour rechercher Barlaam, -et fit savoir à son fils qu’il l’avait retrouvé. Ce qu’apprenant, -Josaphat se désola d’abord de la capture de son -maître ; mais bientôt Dieu lui révéla que ce n’était pas -le vrai Barlaam. Alors le roi, venant chez son fils, lui dit : -« Mon enfant, tu m’as causé une grande tristesse, tu as -déshonoré mes cheveux blancs et tu m’as ôté la lumière -de mes yeux ! Pourquoi, mon cher fils, as-tu abandonné -le culte de mes dieux ? » Et Josaphat ; « Mon père, -pourquoi t’affliger de ce que j’aie été admis à participer -d’un grand bien ? Quel père a jamais paru triste de la -prospérité de son fils ? » Sur quoi le roi, furieux, se -plaignit à Arachis de l’endurcissement de Josaphat. -Arachis lui conseilla de ne pas lui parler aussi sévèrement, -<span class="pagenum" id="p672">-672-</span> ajoutant qu’avec de douces flatteries on en viendrait -mieux à bout. Aussi, le lendemain, le roi dit-il à -son fils, en le couvrant de baisers : « Mon fils chéri, -honore et respecte ton vieux père ! Ne sais-tu pas le bien -que c’est d’obéir à son père et de le rendre heureux ? Ne -sais-tu pas que tous ceux qui y ont manqué ont péri -misérablement ? » Et Josaphat : « Il y a un temps pour -aimer et un temps pour obéir, un temps de paix et un -temps de guerre. Mais, à ceux qui nous détournent -de Dieu, nous ne devons jamais obéir, fussent-ils -même nos parents ! » Alors le roi, voyant sa constance : -« Puisque rien ne peut te fléchir, viens, et nous croirons -tous deux aux mêmes vérités. Barlaam, qui t’a converti, -est ici prisonnier. Convoque tous les chrétiens, et que -les hommes de ma religion et ceux de la tienne discutent -librement ! Si ce sont les chrétiens qui l’emportent, -nous croirons à leur Dieu ; et si ce sont les hommes de -notre religion, tu renonceras à ton christianisme ! » -Josaphat consentit à cette proposition et fut mis en -présence du faux Barlaam.</p> - -<p>Aussitôt il lui dit : « Tu sais, Barlaam, comment -tu m’as instruit ! Si donc tu défends la foi que tu m’as -enseignée, je resterai ton disciple jusqu’à la fin de mes -jours. Mais si, au contraire, tu te laisses vaincre, j’arracherai -moi-même ton cœur et ta langue et les donnerai -aux chiens, pour que désormais personne ne s’avise plus -d’induire en erreur un fils de roi ! » Ce qu’entendant le -faux Barlaam, dont le vrai nom était Nachor, trembla et -se troubla cruellement, car il se voyait pris à son propre -piège. Il réfléchit que le plus prudent était d’être de -l’avis du fils du roi. Or un rhéteur se leva et lui dit : -« Es-tu Barlaam, qui as induit en erreur le fils du roi ? » Et -lui : « Je suis Barlaam, qui n’ai pas induit en erreur le fils -du roi, mais au contraire qui l’ai délivré de l’erreur ! » Et -le rhéteur : « Alors que les plus sages et les plus savants -des hommes ont adoré nos dieux, comment oses-tu -t’insurger contre eux ? » Et le faux Barlaam : « Les -Chaldéens, les Grecs et les Egyptiens ont commis -l’erreur de prendre pour des dieux de simples créatures. -<span class="pagenum" id="p673">-673-</span> Les Chaldéens ont adoré les éléments, créés pour l’utilité -de l’homme. Les Grecs ont adoré des hommes criminels, -tels que Saturne, qui dévorait ses fils et s’était coupé ses -parties génitales ; tels que Jupiter, qui, pour commettre -l’adultère, aimait à prendre des formes d’animaux ; tels -encore que Vénus, qui trompait son mari avec Adonis. -Les Egyptiens ont adoré des bêtes, le bœuf, le mouton, le -porc, et d’autres encore. Seuls les chrétiens adorent le -fils du vrai Dieu qui est descendu des cieux pour sauver -les hommes. » Et Nachor continua de défendre la foi -chrétienne, en sorte que les rhéteurs, stupéfaits, ne surent -que répondre. Et Josaphat se réjouissait fort de voir -que le Seigneur faisait défendre la vérité par la bouche -d’un ennemi. Mais le roi, au contraire, était furieux. Il -s’empressa de lever la séance, sous prétexte d’ajourner -le débat au lendemain. Et Josaphat lui dit : « Si tu ne -veux pas qu’on doute de ta justice, permets à mon -maître de passer la nuit avec moi, pour que nous convenions -ensemble de nos réponses pour demain ! Et toi, -de la même façon, entends-toi avec tes rhéteurs ! » Le roi -et Nachor y consentirent, espérant toujours l’induire en -erreur. Mais lorsque Nachor se rendit au palais de -Josaphat, celui-ci lui dit : « Ne crois pas que j’ignore qui -tu es ! Je sais que tu n’es pas Barlaam, mais l’astrologue -Nachor. » Puis il lui exposa si bien les voies du salut qu’il -le convertit. Et, le lendemain, Nachor s’en alla au -désert, où, ayant reçu le baptême, il se fit ermite.</p> - -<p>Cependant, un mage nommé Théodas, instruit de tout -cela, vint trouver le roi et lui dit qu’il connaissait un -moyen de détourner Josaphat de son christianisme. Et -le roi : « Si tu parviens à cela, je t’élèverai une statue -d’or et ordonnerai qu’on t’offre des sacrifices comme à -un dieu ! » Alors Théodas : « Eloigne de ton fils tous ses -compagnons, et introduis dans son palais des femmes -belles et ornées, pour qu’elles le servent et passent tout -leur temps avec lui ! Moi, je lui enverrai un de mes -esprits, qui l’enflammera de concupiscence. Car rien n’a -autant de pouvoir pour séduire les jeunes gens qu’un -visage de femme ! Certain roi venait de voir naître un -<span class="pagenum" id="p674">-674-</span> fils lorsque les médecins lui dirent que si, pendant dix -ans, l’enfant apercevait une seule fois le soleil ou la -lune, il perdrait l’usage de ses yeux. Alors ce roi fit -enfermer son fils, jusqu’à l’âge de dix ans, dans une -grotte souterraine. Les dix ans écoulés, il ordonna qu’on -étalât devant son fils toutes les choses du monde, afin -qu’il apprît à les connaître ainsi que leurs noms. L’enfant -apprit à connaître, de cette façon, les noms de l’or -et de l’argent, des pierres précieuses, des chevaux, et -de tout le reste. Mais quand il demanda quel était le -nom des femmes, le ministre du roi lui répondit en plaisantant -qu’on les appelait <i>des diables à séduire les -hommes</i>. Et lorsque ensuite le roi demanda à son fils ce -qu’il aimait le mieux, de toutes les choses qu’il avait -vues, l’enfant répondit que c’était, à beaucoup près, <i>les -diables à séduire les hommes</i>. »</p> - -<p>Aussitôt le roi, congédiant tous les compagnons de -son fils, les remplaça par de belles jeunes filles, qui ne -cessaient point de l’exciter à la luxure. Et le malin esprit -envoyé par le mage pénétra dans le cœur du jeune homme -et y alluma un grand feu. De telle sorte que, brûlé tout -ensemble au dehors et au dedans, le malheureux Josaphat -souffrait cruellement. Mais il se recommandait à -Dieu ; et Dieu finit par éloigner de lui toute tentation.</p> - -<p>Alors le roi envoya à son fils une jeune princesse -d’une beauté merveilleuse. Et comme Josaphat lui prêchait -le Christ, elle répondit : « Si tu veux me détourner -du culte des idoles, marie-toi avec moi ! Car les chrétiens -eux-mêmes approuvent le mariage ; puisque leurs -patriarches, leurs prophètes et leur apôtre Pierre -étaient mariés. » Mais Josaphat : « Chère amie, ce sont là -de vaines paroles. Les chrétiens peuvent, en effet, se -marier, mais non pas ceux qui ont promis au Christ de -garder leur virginité ! » Et elle : « Soit ! mais si tu veux -sauver mon âme, accorde-moi du moins une petite -grâce ! Accouple-toi avec moi cette nuit seulement, et -je te promets que, demain matin, je me ferai chrétienne ! » -Elle parlait avec tant d’instance, et était si -belle, qu’elle commença à ébranler sérieusement la tour -<span class="pagenum" id="p675">-675-</span> de son âme. Ce que voyant, Satan dit à ses compagnons : -« Voyez comme cette jeune fille ébranle l’âme -que nous n’avons pu toucher ! Profitons de l’occasion -pour nous précipiter dans cette âme ! » Alors le pauvre -jeune homme, se voyant si tenté — car il l’était et par -sa concupiscence et par son désir de sauver la jeune -fille, — se mit à pleurer et tomba en prière. Et, pendant -sa prière, il s’endormit et eut un rêve. Il se vit -amené dans un pré fleuri où les feuilles des arbres, sous -une brise légère, murmuraient doucement et exhalaient -un parfum merveilleux. Il y avait là des fruits d’un goût -incomparable, des eaux d’une limpidité ravissante, des -sièges et des lits ornés d’or et de pierreries. Et une -voix lui dit que c’était là le séjour des bienheureux. Il -demanda la permission d’y rester, mais la voix lui répondit : -« Tu pourras y revenir un jour, si tu sais résister à -tes mauvais désirs. » Puis il vit, dans son rêve, un lieu -sinistre et fétide, et la voix lui dit que c’était le séjour -des damnés. Et, lorsqu’il s’éveilla, la beauté de la jeune -fille lui parut exhaler la même puanteur.</p> - -<p>Les malins esprits s’en retournèrent auprès de Théodas, -et lui dirent : « Tant qu’il n’avait pas fait le signe -de la croix, nous pouvions pénétrer en lui et le troubler -vivement. Mais dès qu’il eut fait ce signe, nous dûmes -nous enfuir. » Alors Théodas se rendit lui-même auprès -de Josaphat, espérant le séduire par de belles paroles. -Mais ce fut lui qui fut pris par celui qu’il voulait prendre. -Converti par Josaphat, il reçut le baptême, et mena, -depuis lors, une vie exemplaire.</p> - -<p>Le roi, désespéré, abandonna à son fils la moitié de -son royaume. Et Josaphat, malgré son extrême impatience -de se réfugier au désert, jugea utile, dans l’intérêt -de la foi, d’accepter pour quelque temps le royaume -qui lui était offert. Il construisit de nombreuses églises, -dressa partout des croix, et convertit tous ses sujets. -Son père lui-même finit par se laisser convaincre par la -prédication de son fils. Il crut en Jésus-Christ, reçut le -baptême, laissa le royaume entier à Josaphat, et acheva -sa vie dans la pénitence.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p676">-676-</span> Après cela, Josaphat voulut, à son tour, se retirer -dans le désert ; mais longtemps les prières de son peuple -le retinrent. Un jour enfin, il s’enfuit, donna à un pauvre -ses habits royaux, et, en échange, revêtit ses haillons. -Ainsi il erra dans le désert pendant deux ans, sans -pouvoir trouver Barlaam. Enfin, apercevant un caveau, -il frappa à la porte et dit : « Père, bénis-moi ! » Et Barlaam, -entendant sa voix, sortit du caveau. Ils s’embrassèrent -longuement, heureux de se revoir. Josaphat -raconta à Barlaam tout ce qui lui était arrivé ; et, -ensemble, ils en rendirent grâces à Dieu. Et Josaphat -vécut là de nombreuses années, dans la vertu et les privations. -Quant à Barlaam, lorsqu’il eut accompli sa destinée, -il mourut en paix à l’âge de quatre-vingts ans, -l’an du Seigneur 400. Josaphat, lui, renonça à son -royaume dans la vingt-cinquième année de son âge ; il -vécut ensuite au désert pendant trente-cinq ans, et puis -s’endormit, à son tour, dans le Seigneur<a id="FNanchor_20" href="#Footnote_20" class="fnanchor">[20]</a>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_20" href="#FNanchor_20"><span class="label">[20]</span></a> C’est l’histoire de saint Josaphat qui a fait affirmer à Max -Müller, — et à bien d’autres, après lui, — que « Boudha était devenu -un saint de l’Eglise catholique ». En effet, au dire de ces savants, -le nom de « Josaphat » ne peut être qu’une déformation de « Bodhisattva » ; -et il y a, dans le fameux <i>Lalila Vistara</i>, une légende qui -rappelle ce que Jean de Damas et Jacques de Voragine nous racontent -de l’enfance du fils du roi Avennir. Quant à l’esprit profondément -chrétien qui anime tout le récit de la <i>Légende Dorée</i>, -sous la délicieuse couleur orientale dont il est revêtu, c’est apparemment -chose sans importance, ou, en tout cas, incapable de -prévaloir contre l’identité manifeste des deux noms de « Josaphat » -et de « Bodhisattva » !</p> -</div> -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c171">CLXXI<br /> -SAINT JACQUES L’INTERCIS, <span class="small">MARTYR<br /> -(27 novembre)</span></h2> - - -<p>Le martyr Jacques, surnommé l’Intercis<a id="FNanchor_21" href="#Footnote_21" class="fnanchor">[21]</a>, noble de -naissance, mais plus noble encore par sa foi, était originaire -<span class="pagenum" id="p677">-677-</span> de la ville d’Elape, dans le pays des Perses. Né -de parents chrétiens, et marié à une femme chrétienne, -il vivait dans la familiarité du roi des Perses, qui finit -même par le décider à sacrifier aux idoles. Ce qu’entendant, -la mère et la femme de Jacques lui écrivirent aussitôt : -« En obéissant à un mortel, tu as abandonné -Celui de qui dépend la vie, tu as changé la vérité en -mensonge ; en cédant à un mortel, tu as renié le juge -des vivants et des morts. Sache donc que, désormais, -nous te serons étrangères, et que jamais plus tu ne -nous reverras ! » Et Jacques, ayant lu cette lettre, -s’écria en pleurant : « Si ma mère et ma femme me -sont devenues étrangères, combien plus étranger doit -m’être devenu mon Dieu ! » Et comme il se repentait -amèrement de sa faute, on fit savoir au roi que Jacques -était de nouveau chrétien. Alors le roi le fit comparaître -et lui dit : « Réponds-moi, es-tu Nazaréen ? » Et Jacques : -« Oui ! » Et lui : « Donc tu es mage ! » Et Jacques : -« Dieu me préserve d’être mage ! » Et comme le roi le -menaçait de nombreux supplices, Jacques répondit : -« Tes menaces ne sauraient me troubler, car tes paroles -me traversent plus vite les oreilles que le vent ne met de -temps à passer sur un rocher ! » Et le roi : « Sois prudent, -ne t’expose pas à une mort cruelle ! » Et Jacques : -« Ce n’est point là une mort, mais plutôt un sommeil, -d’où l’on ne tarde pas à se réveiller pour la résurrection ! » -Et le roi : « Ne crois pas les Nazaréens qui prétendent -que la mort n’est qu’un sommeil, car les plus grands -empereurs la redoutent ! » Et Jacques : « Quant à nous, -nous ne craignons point la mort, car elle n’est pour -nous que l’entrée de la vie ! » Alors le roi, sur le conseil -de ses amis, décida que, pour l’exemple, Jacques serait -mutilé membre à membre. Et comme plusieurs témoins, -émus de pitié, pleuraient sur le saint, celui-ci leur dit : -« Ne pleurez pas sur moi, mais sur vous-mêmes, car -moi, je vais à la vie, et vous, au supplice éternel ! »</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_21" href="#FNanchor_21"><span class="label">[21]</span></a> Ce surnom, qui signifie « le coupé en morceaux » est une -allusion au martyre du saint.</p> -</div> -<p>Alors les bourreaux lui coupèrent le pouce de la main -droite, et Jacques s’écria : « Seigneur Jésus, reçois ce -rameau de l’arbre de la miséricorde ; car le vigneron -<span class="pagenum" id="p678">-678-</span> coupe le sarment de sa vigne afin qu’elle germe mieux et -soit couronnée de fruits ! » Et le bourreau : « Si tu consens -à céder, je puis encore te faire grâce et guérir ta -main ! » Et, comme Jacques s’y refusait, il lui coupa un -second doigt. Et Jacques dit : « Reçois ces deux rameaux -que tu as plantés ! » Au troisième doigt coupé, il dit : -« Délivré d’une triple tentation, je bénis le Père, le Fils -et le Saint-Esprit ! » Au quatrième doigt, Jacques dit : -« Protecteur des fils d’Israël, quatre fois béni, reçois de -ton serviteur ce quatrième hommage ! » Enfin, au cinquième -doigt : « Maintenant ma joie est complète ! »</p> - -<p>Alors les bourreaux lui dirent : « Aie maintenant -pitié de ton âme ! Et ne t’afflige pas d’avoir perdu une -main, car il y a bien des hommes qui n’ont qu’une main, -et qui abondent en honneurs et richesses ! » Et Jacques : -« Quand les bergers tondent leurs brebis, se contentent-ils -de couper la laine du côté droit, en laissant tout -entière celle du côté gauche ? » On lui coupa le petit -doigt de la main gauche. Et lui : « Seigneur, étant -le plus grand, tu as voulu devenir, pour nous, le plus -petit ! Reprends le corps que tu as racheté de ton propre -sang ! » Au septième doigt, il dit : « Sept fois par jour j’ai -loué le Seigneur ! » Au huitième : « C’est le huitième jour -que Jésus a été circoncis. Permets à l’âme de ton serviteur, -Seigneur, d’être, elle aussi, purifiée par les rites sacrés ! » -Au neuvième doigt, il dit : « C’est à la neuvième heure que -le Christ a expiré sur la croix. Aussi, Seigneur, suis-je -heureux de te proclamer et de te remercier, dans la douleur -de l’amputation de mon neuvième doigt. » Enfin, au -dixième doigt, il dit : « La dixième lettre de l’alphabet, -<i>iota</i>, est la lettre par laquelle commence le nom de -Jésus-Christ ! » Alors quelques-uns des assistants dirent : -« O toi que nous avons aimé, feins tout au moins de -renier ton Dieu pour obtenir la vie sauve ! On t’a, en -vérité, coupé les mains ; mais nous connaissons des médecins -très habiles qui sauront te guérir de ta souffrance. » -Et Jacques : « Loin de moi une aussi honteuse dissimulation ! -Celui qui regarde en arrière pendant qu’il conduit -la charrue ne saurait être propre au royaume de -<span class="pagenum" id="p679">-679-</span> Dieu. » Sur quoi les bourreaux, furieux, lui coupèrent -tour à tour les dix doigts de ses pieds. Et à chaque -doigt coupé il glorifiait Dieu d’une façon nouvelle. On -lui coupa ensuite le pied droit, puis le pied gauche, puis -le bras droit et le bras gauche, puis la jambe droite jusqu’à -la cuisse. Et le saint, se tordant sous la douleur, -s’écria : « Seigneur Jésus-Christ, aide-moi, car voici que -s’emparent de moi les gémissements de la mort ! » Et il -dit aux bourreaux : « Le Seigneur me revêtira d’une -chair nouvelle, que vos blessures ne sauront atteindre ! » -Et déjà les bourreaux commençaient à se fatiguer, -ayant travaillé sur lui de la première jusqu’à la neuvième -heure. Ils lui coupèrent cependant encore la -jambe gauche, jusqu’à la cuisse. Et saint Jacques s’écria : -« Dieu des vivants et des morts, écoute-moi, qui suis à -demi vivant et à demi mort ! Je n’ai plus de doigts ni de -mains à tendre vers toi, plus de genoux à fléchir devant -toi ! Je suis comme une maison qui s’effondre, ayant -perdu toutes les colonnes, qui la soutenaient. Ecoute-moi, -Seigneur Jésus, et tire mon âme de sa prison ! » A -peine eut-il dit cela qu’un des bourreaux s’approcha et -lui trancha la tête. Il mourut le jour du 27 novembre.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c172">CLXXII<br /> -SAINT SATURNIN, SAINTE PERPÉTUE, -SAINTE FÉLICITÉ ET LEURS COMPAGNONS, -<span class="small">MARTYRS<br /> -(23 et 29 novembre)<a id="FNanchor_22" href="#Footnote_22" class="fnanchor">[22]</a></span></h2> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_22" href="#FNanchor_22"><span class="label">[22]</span></a> La fête de saint Saturnin de Toulouse est célébrée le 29 novembre ; -celle de sainte Félicité et de ses compagnons, le 23 du -même mois.</p> -</div> - -<p>I. Saturnin, ordonné prêtre par les disciples des apôtres, -fut désigné pour aller occuper l’évêché de Toulouse. Et -comme, dès qu’il fut entré dans la ville, tous les démons -<span class="pagenum" id="p680">-680-</span> cessèrent de répondre aux questions qu’on leur faisait, -un des païens dit que, si l’on ne tuait pas Saturnin, on -n’obtiendrait plus jamais rien des dieux. On s’empara -donc de Saturnin ; et celui-ci, sur son refus de sacrifier, -fut attaché au pied d’un taureau furieux, qu’on précipita -ensuite le long des marches du Capitole. Le saint eut la -tête brisée, la cervelle écrasée ; et ainsi, il reçut heureusement -la couronne du martyre. Deux femmes recueillirent -son corps, et, par peur des païens, le cachèrent -dans un puits, d’où les successeurs de saint Saturnin le -transportèrent, plus tard, dans un lieu consacré.</p> - -<p>II. Il y eut un autre Saturnin qui souffrit le martyre à -Rome, en l’an 286, sous Maximien. Le préfet de la -ville, après l’avoir longtemps tenu en prison, le fit -attacher sur un chevalet, où il fut roué de coups. On -lui brûla ensuite les côtes, et l’on finit par le décapiter.</p> - -<p>III. Il y eut un autre Saturnin qui souffrit le martyre en -Afrique avec son frère Satire, un compagnon nommé -Révocat, la sœur de celui-ci, nommée Félicité, et une -femme noble nommée Perpétue. Ayant refusé de sacrifier -aux idoles, ils furent tous jetés en prison. Ce que -voyant, le père de Perpétue courut à la prison, et dit : -« Ma fille, qu’as-tu fait ? Tu as déshonoré ta famille ! -car jamais encore personne de ta race n’a été emprisonné ! » -Et quand il apprit que sa fille était chrétienne, -il s’élança sur elle pour lui crever les yeux. Or, cette -nuit-là, Perpétue eut un rêve qu’elle raconta en ces -termes à ses compagnons : « J’ai vu une échelle d’or qui -s’élevait jusqu’au ciel, si étroite qu’on ne pouvait y -grimper qu’un à un, et encore à la condition d’être petit -de taille. Car à droite et à gauche, sur les portants, -étaient fixés des couteaux et des glaives très aigus, de -telle sorte que ceux qui grimpaient ne pouvaient regarder -ni derrière eux ni autour d’eux, mais étaient forcés -d’avoir toujours les yeux levés au ciel. Sous l’échelle -se tenait un immense et terrible dragon, essayant -d’effrayer tous ceux qui voulaient grimper. Et j’ai vu -Satire grimper sur l’échelle, parvenir jusqu’en haut, -puis se retourner, et nous faire signe de le suivre sans -<span class="pagenum" id="p681">-681-</span> crainte. » Ce qu’entendant, tous les prisonniers rendirent -grâce à Dieu, car ils comprirent qu’ils avaient été élus -pour le martyre. Amenés devant le juge, ils refusèrent -de sacrifier : sur quoi le juge fit séparer les trois hommes -des deux femmes, et dit à Félicité : « As-tu un mari ? » -Et elle : « Oui, mais je le dédaigne ! » Et lui : « Aie pitié -de toi, jeune femme, et consens à vivre, d’autant plus -que tu portes un enfant dans ton ventre ! » Mais elle : -« Fais de moi ce que tu voudras, jamais tu ne m’amèneras -à ta volonté ! » Cependant, les parents et le mari de -Perpétue avaient amené à celle-ci son petit garçon -encore à la mamelle. Et le père de la sainte dit à sa -fille : « Mon doux enfant, aie pitié de moi, de ta pauvre -mère, et de ton mari, qui ne pourra pas vivre sans toi ! » -Mais Perpétue ne se laissait point toucher. Alors son -père lui jeta au cou son petit garçon. Mais elle, repoussant -l’enfant, dit aux siens : « Eloignez-vous de moi, -ennemis de Dieu, car je ne vous connais plus ! » Après -quoi le préfet, voyant la constance des martyrs, les renvoya -en prison. Et comme les saints s’affligeaient sur -Félicité, qui était alors enceinte de huit mois, Dieu -fit alors en sorte qu’elle éprouva soudain les douleurs de -l’enfantement, et mit au monde un fils vivant. Et les -gardiens lui disaient : « Si tu souffres si cruellement -dès à présent, que sera-ce quand tu comparaîtras -devant le juge ? » Mais Félicité : « Ici, je souffre pour -moi ; là-bas Dieu souffrira pour moi ! » On les fit -ensuite sortir de prison, les mains liées derrière le dos, -et on les conduisit dans l’amphithéâtre. Satire et Perpétue -furent dévorés par des lions, Révocat et Félicité -par des léopards ; et Saturnin eut la tête tranchée. Cela -se passait vers l’an 256, sous les empereurs Valérien et -Gallien.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p682">-682-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c173">CLXXIII<a id="FNanchor_23" href="#Footnote_23" class="fnanchor">[23]</a><br /> -SAINT PASTEUR, <span class="small">ABBÉ</span></h2> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_23" href="#FNanchor_23"><span class="label">[23]</span></a> Les cinq chapitres qui suivent forment, en appendice à la -<i>Légende des Saints</i>, une sorte de manuel de la vie monastique.</p> -</div> - -<p>Saint Pasteur demeura de longues années au désert, -avec ses frères, et se distingua par sa sainteté. Sa mère -désirait beaucoup revoir ses fils ; et comme ils s’y refusaient, -elle se rendit un jour au devant d’eux pendant -qu’ils allaient à la ruche. Mais aussitôt ils s’enfuirent -dans leurs cellules, dont ils barricadèrent les portes. Et -elle, debout devant la porte de la cellule de Pasteur, pleurait -et gémissait. Pasteur, à travers la porte, lui dit : -« Vieille femme, qu’as-tu à crier ainsi ? » Mais elle, entendant -sa voix redoublait ses cris, disant : « Je veux vous -voir, mes chers fils ! Est-ce donc mal, que je vous revoie ? -Ne suis-je pas votre mère, qui vous ai allaités ? » Et son fils : -« Veux-tu nous voir dans ce monde-ci ou dans l’autre ? » -Et elle : « Si je ne peux pas dans celui-ci, que du moins -je le puisse dans l’autre, mes enfants ! » Et Pasteur : -« Si tu te résignes chrétiennement à ne pas nous voir -dans ce monde-ci, tu nous verras certainement dans -l’autre ! » Sur quoi la vieille s’en alla toute réconfortée.</p> - -<p>Le juge de la province voulait, lui aussi, voir Pasteur, -qui refusait de se laisser voir. Ce juge fit alors jeter en -prison le neveu de l’ermite, en disant : « Si Pasteur vient -intercéder pour lui, je le relâcherai ! » La mère de l’enfant -vint pleurer devant la porte de Pasteur. Et comme celui-ci -ne lui répondait pas, elle lui dit : « Si même tu as des -entrailles de fer, insensibles à toute compassion, qu’au -moins la voix du sang te parle en faveur de mon fils ! » -Mais son frère se borna à lui faire répondre : « Pasteur -n’a jamais eu de fils ! » La mère du prisonnier revint -toute en larmes auprès du juge, qui lui dit : « Qu’au moins -ton frère dise un mot pour ton fils et je le remettrai en -liberté ! » Mais Pasteur se borna à lui répondre : « Examine -<span class="pagenum" id="p683">-683-</span> la cause suivant ta loi ; et, s’il est digne de mort, -mets-le à mort ; s’il est innocent, fais-en ce qui te -plaira ! » Pasteur disait à ses frères : « Pour être libre de -ce monde, le moine n’a qu’à détester deux choses. » -Et comme un de ses frères lui demandait ce que c’était, -il répondit : « La jouissance charnelle et la vaine gloire. -Si tu veux trouver le repos dans ce monde et dans l’autre, -dis-toi toujours : qui suis-je ? Et ne juge personne ! » Un -frère d’un couvent ayant commis une faute, l’abbé, sur -le conseil d’un ermite, le chassa. Or, comme ce frère -s’enfuyait, désespéré, Pasteur l’appela, le consola, et lui -demanda d’aller chercher l’ermite qui l’avait dénoncé. -Et à cet ermite il dit : « Il y avait deux hommes, dont -chacun venait de perdre son fils. Et voici que l’un des -deux abandonna son propre mort pour aller pleurer le -mort de l’autre ! » L’ermite comprit la parabole, et se repentit. -Une autre fois, un frère dit à Pasteur qu’il voulait -s’en aller, parce qu’on lui avait rapporté, d’un de ses -frères, des choses qui l’avaient scandalisé. Pasteur lui -répondit de ne pas croire ces choses, qui n’étaient pas -vraies. Et le frère : « Pardon, elles sont vraies, car c’est -le frère Fidèle qui me les a rapportées ! » Et Pasteur : -« Celui qui te les a rapportées ne saurait être Fidèle ; car, -s’il était fidèle, il ne songerait pas à dénoncer ses frères ! » -Et le frère : « Mais je l’ai vu aussi de mes propres yeux ! » -Et Pasteur : « Sais-tu ce que c’est qu’une paille et qu’une -poutre ? Eh bien, mets-toi dans l’esprit que tes péchés -à toi sont comme une poutre, et ceux de ton frère comme -un fétu de paille ! »</p> - -<p>Un frère qui avait commis un grand péché voulut faire -pénitence pendant trois ans. Mais d’abord il demanda -à Pasteur si c’était beaucoup. Et Pasteur : « C’est beaucoup ! » -Le frère demanda si un an de pénitence serait -suffisant. Et Pasteur : « C’est beaucoup ! » On en vint à -proposer quarante jours ; mais Pasteur dit encore : « C’est -beaucoup ! » Et il ajouta : « J’estime que si un homme se -repent de tout son cœur, et se promet de ne pas recommencer -son péché, Dieu se contente parfaitement d’une -pénitence même de trois jours. »</p> - -<p><span class="pagenum" id="p684">-684-</span> Un frère lui demanda ce qu’il devait faire d’un héritage -qui venait de lui échoir. Pasteur lui dit de revenir trois -jours après. Et, trois jours après, il lui dit : « Si tu -donnes ton argent à l’Eglise, on le dépensera en repas ; -si tu le donnes à tes parents, tu n’en auras point de récompense ; -si tu le donnes aux pauvres, tu seras certain de -l’avoir bien placé. Mais au reste fais ce que tu voudras, -car je ne me sens pas le droit de rien décider ! » Voilà ce -que nous apprend sur saint Pasteur la <i>Vie des Pères du -Désert</i>.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c174">CLXXIV<br /> -SAINT JEAN, <span class="small">ABBÉ</span></h2> - - -<p>Jean, abbé, s’entretenant avec un autre solitaire, Episius, -qui depuis quarante ans vivait au désert, lui demanda -quel profit il en avait retiré. Episius répondit : « Depuis -que je suis au désert, jamais le soleil ne m’a vu mangeant ! » -Et Jean : « Ni moi en colère ! » De la même façon, -comme l’évêque Epiphane nourrissait de viande le -solitaire Hilarion, celui-ci lui dit : « Pardonne-moi, car -depuis que j’ai revêtu cet habit, je n’ai point mangé de -nourriture animale. » Et l’évêque : « Moi, depuis que j’ai -revêtu cet habit, jamais j’ai permis que quelqu’un allât -dormir qui avait dans son cœur un grief contre moi ; et, -moi-même, jamais je ne me suis endormi en ayant au -cœur un grief contre quelqu’un. » Et Hilarion : « Pardonne-moi, -car tu es meilleur que moi ! »</p> - -<p>Jean résolut un jour de ne rien faire pour lui-même, à -la façon des anges, afin de se consacrer plus entièrement -à Dieu. Il se dépouilla donc de son froc, sortit de sa cellule, -et, pendant une semaine, resta étendu dans le -désert. Mais au bout de cette semaine, mourant de faim et -tout dévoré des morsures des mouches et des guêpes, il -alla frapper à la porte d’un de ses frères. Et celui-ci : -« Qui es-tu ? » Et lui : « Je suis Jean ! » Mais le frère : -« C’est impossible ! Jean est devenu un ange, et n’est plus -<span class="pagenum" id="p685">-685-</span> parmi les hommes ! » Et Jean : « Je t’assure que c’est -moi ! » Mais le frère lui refusa de lui ouvrir la porte et -le laissa en peine jusqu’au lendemain. Puis, lui ouvrant -enfin la porte, il lui dit : « Si tu n’es qu’un homme, tu -as besoin de travailler pour te nourrir et pour vivre ! » -Et Jean : « Pardonne-moi, frère, car j’ai péché ! »</p> - -<p>Jean étant sur le point de mourir, ses frères lui demandèrent -de leur laisser quelques bonnes paroles, en guise -d’héritage. Mais il gémit et dit : « Jamais je n’ai fait ma -propre volonté, et jamais je n’ai rien enseigné qu’en le -faisant moi-même ! » Tout cela est extrait de la <i>Vie des -Pères</i>.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c175">CLXXV<br /> -SAINT MOÏSE, <span class="small">ABBÉ</span></h2> - - -<p>Le solitaire Moïse dit à un de ses frères, qui lui demandait -de l’instruire : « Enferme-toi dans ta cellule, et elle -t’enseignera tout ! »</p> - -<p>Un vieillard malade voulait se rendre en Egypte pour -ne pas être trop à charge aux frères. Moïse lui dit : « Ne -t’en va pas, car tu commettrais le péché de chair ! » Et -le vieillard : « Comment peux-tu me dire cela, à moi qui -ne suis plus qu’un cadavre ? » Il partit donc, et une jeune -fille le soigna par dévouement ; et quand il fut convalescent, -il la viola. Lorsqu’elle eut enfanté un fils, le vieillard -prit l’enfant dans ses langes, et, le jour d’une grande -fête, entra dans l’église où les frères étaient rassemblés. -Et il leur dit : « Vous voyez cet enfant ? C’est le fils de -la désobéissance ! Prenez bien garde à vous, mes frères, -et priez pour moi ! » Après quoi il revint s’enfermer dans -sa cellule.</p> - -<p>Un des frères ayant péché, on envoya chercher Moïse, -qui arriva en portant sur son dos un sac plein de sable. -Et comme on lui demandait ce que cela signifiait : « Ce -sont mes péchés qui courent derrière moi, mais, comme -<span class="pagenum" id="p686">-686-</span> je ne les vois pas, voici que je viens juger les péchés -d’autrui ! » Les frères comprirent et pardonnèrent au -coupable. On raconte une chose analogue du solitaire -Prieur, qui, ayant à juger un de ses frères, fit porter derrière -lui un grand sac de sable et, devant lui, un sac plus -petit. Et il dit : « Le grand sac, ce sont mes péchés -mais comme ils sont derrière moi, je ne les vois pas et -ne m’en afflige pas ; le petit sac, ce sont les péchés de -mon frère ; et comme ils sont devant moi, je suis tout -prêt à les juger avec sévérité. »</p> - -<p>Moïse fut ordonné prêtre, et l’évêque lui dit, en le -revêtant du superhuméral : « Te voilà tout blanc ! » Et -lui : « Seigneur, que ne puis-je l’être plutôt au dedans ! » -Puis l’évêque, voulant l’éprouver, dit à son clergé de le -repousser au moment où il approcherait de l’autel, et -d’écouter ensuite ce qu’il dirait. On fit ainsi, et on entendit -qu’il disait : « Voilà qui est bien fait pour toi ! car, -n’étant pas un homme, pourquoi as-tu eu la présomption -d’aller parmi les hommes ? » Tout cela est extrait de la -<i>Vie des Pères.</i></p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c176">CLXXVI<br /> -SAINT ARSÈNE, <span class="small">ABBÉ</span></h2> - - -<p>Arsène, étant encore à Rome, dans le palais de ses -parents, priait Dieu de le diriger dans les voies du salut. -Il entendit une voix qui lui dit : « Fuis les hommes et tu -sera sauvé ! » Il adopta donc la vie monacale ; et dès -qu’il l’eut fait ; la voix lui dit : « Retraite, silence, repos ! »</p> - -<p>Au sujet de ce « repos » que doivent rechercher les -serviteurs du Christ, on lit dans la <i>Vie des Pères</i>, l’histoire -suivante. Trois frères s’étant fait moines, l’un choisit -pour tâche de ramener la paix parmi les gens en discorde, -le second, de soigner les malades, le troisième, de -se reposer dans la solitude. Sur quoi le premier se mit -en devoir d’apaiser les querelles ; mais il ne put plaire à -<span class="pagenum" id="p687">-687-</span> tous ; et, désespérant de son œuvre, il se rendit chez son -frère. Il le trouva non moins abattu que lui-même. Et -c’est dans cet état qu’ils se rendirent tous deux auprès -du troisième frère. Quand ils lui eurent raconté leurs -déboires, l’ermite versa de l’eau dans un bassin et leur dit : -« Regardez-vous dans cette eau quand elle est troublée ! » -Puis il leur dit : « Regardez-vous maintenant dans la -même eau devenue tranquille ! » Cette fois ; ils virent leur -visage reflété dans l’eau. Et leur frère leur dit : « De la -même façon, ceux qui vivent au milieu des hommes se -trouvent hors d’état de voir leurs propres péchés ; mais, -dès qu’ils se reposent, ils peuvent voir leurs péchés. »</p> - -<p>Une vieille dame noble et pieuse vint voir le solitaire -Arsène, et, par l’entremise de l’archevêque Théophile, -lui fit demander de la recevoir. Comme Arsène s’y refusait, -elle se rendit jusqu’à sa cellule, l’aperçut debout -devant la porte, et se prosterna à ses pieds. Et Arsène, -après l’avoir relevée, avec indignation : « Malheureuse -femme, pourquoi as-tu entrepris ce voyage ? Tu vas -maintenant revenir à Rome ; tu y raconteras à toutes les -femmes que tu as vu le solitaire Arsène, et toutes voudront -venir pour me voir aussi ! » Et la dame : « Si Dieu -me permet de revenir à Rome ; je ferais en sorte qu’aucune -femme ne vienne ici : mais je te supplie de prier -pour moi et de ne pas m’oublier ! » Mais lui : « Je vais -prier Dieu qu’il efface ton souvenir de mon cœur ! » Ce -qu’entendant la dame, confuse, s’en retourna en ville, et, -à force de s’affliger, fut prise de fièvre. L’archevêque, -venu près d’elle pour la consoler ; lui dit : « Ne sais-tu -donc pas que tu es une femme, et que c’est par les -femmes que l’ennemi attaque le plus volontiers les saints ? -Voilà pourquoi Arsène t’a dit ce qu’il t’a dit ! Mais, quant -à ton âme, tu peux être certaine qu’il priera pour elle ! » -Et la vieille dame, ainsi consolée, recouvra la santé.</p> - -<p>La <i>Vie des Pères</i> raconte, à ce même propos, l’histoire -d’un moine qui, ayant à porter sa vieille mère pour -traverser un fleuve, commença par s’envelopper les mains -dans son manteau. Et sa mère : « Pourquoi couvres-tu -tes mains, mon enfant ? » Et lui : « Le corps de toute -<span class="pagenum" id="p688">-688-</span> femme est fait de feu ! J’ai peur que, en te touchant, -l’image des autres femmes ne me revienne à l’esprit ! »</p> - -<p>Arsène passa toute sa vie assis dans sa cellule, ayant -dans son sein un linge pour essuyer les pleurs qui coulaient -de ses yeux. Il veillait toute la nuit. Et, le matin, -tombant de fatigue, il disait au sommeil : « Viens, mauvais -serviteur ! » et il s’endormait pour un peu de temps. -Il disait : « Une heure de bon sommeil doit suffire au -moine ! »</p> - -<p>Le père d’Arsène, qui était un riche sénateur, laissa à -son fils, en mourant, toute sa fortune. Alors un certain -Magistrien vint lui apporter le testament paternel ; et -lui, le prenant en main, voulait le déchirer. Magistrien -le supplia de n’en rien faire, disant que, s’il le faisait, -on lui trancherait la tête. Et Arsène : « Je suis mort -avant mon père. Comment donc peut-il faire de moi -son héritier ? » Et il rendit le testament sans vouloir le -lire.</p> - -<p>Un jour, une voix lui dit : « Viens, je te montrerai les -œuvres des hommes ! » Puis, l’ayant conduit en un certain -lieu, l’ange lui montra d’abord un Ethiopien s’occupant -à faire un fagot de bois si lourd qu’il ne pouvait -l’emporter. L’ange lui fit voir ensuite un homme qui -puisait de l’eau dans un lac pour la verser dans une -citerne creuse, d’où l’eau, tout de suite, retournait dans -le lac. Il lui montra aussi deux hommes qui portaient -une longue poutre ; mais quand ils voulurent entrer dans -le temple, ils ne le purent, à cause de la façon dont ils -portaient la poutre. Et l’ange dit : « Ceux-ci, ce sont -ceux qui subissent le joug de Dieu avec orgueil, non -avec humilité ; et, pour ce motif, ils ne peuvent entrer -dans le royaume de Dieu. L’homme qui fait les fagots -est le pécheur que sa pénitence n’empêche pas de pécher -de nouveau, et qui ajoute ainsi l’iniquité à l’iniquité. -L’homme qui verse de l’eau dans la citerne sans fond est -l’homme qui, en mêlant les bonnes et les mauvaises -actions, perd le bénéfice de ses bonnes actions. » Tout -cela est extrait de la <i>Vie des Pères</i>.</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p689">-689-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="c177">CLXXVII<br /> -AGATHON, <span class="small">ABBÉ</span></h2> - - -<p>Le solitaire Agathon garda, pendant trois ans, une -pierre dans sa bouche, afin de s’accoutumer au silence. -Un autre frère, entrant au milieu d’une assemblée, se -dit : « Tu n’es qu’un âne. Fais donc comme l’âne, qui brait -et ne parle pas, reçoit l’injure et ne réponds rien ! » Un -autre frère, chassé de table, ne répondit rien. Plus tard, -interrogé sur le motif de sa conduite, il répondit : « J’ai -voulu ressembler au chien, qui, quand on le chasse, s’en va ! »</p> - -<p>Interrogé sur la plus difficile de toutes les vertus, -Agathon répondit : « C’est de prier Dieu ; car, dans les -autres travaux, on peut toujours se reposer ; tandis que -l’homme qui prie doit toujours lutter. » Et il disait à ses -frères : « Vous devez toujours vivre entre vous comme -au premier instant où vous vous rencontrez, et ne point -vous faire de confidences. Car il n’y a point de pire -passion que la confidence, et c’est elle qui engendre toutes -les passions. Un homme irrité, même s’il ressuscitait les -morts, ne plairait encore ni à Dieu ni aux hommes. Deux -frères avaient vécu longtemps ensemble sans que rien -pût jamais les irriter l’un contre l’autre. Un jour, l’un -d’eux dit à l’autre : « Essayons de nous quereller, comme -font les autres hommes ! » Et l’autre : « Mais je ne sais -pas comment on fait pour se quereller. » Et son frère : -« Tiens, je pose là cette cruche, je dis qu’elle est à moi, -tu réponds qu’elle est à toi, et voilà une querelle ! » Ils -mettent donc la cruche au milieu de la cellule. Et l’un -dit à l’autre : « Ceci est à moi ! » L’autre répond : « Mais -non, c’est à moi ! » Et son frère : « Eh bien oui, c’est à -toi ! tu peux le prendre ! » Et ainsi ils se séparèrent sans -être parvenus à se quereller.</p> - -<p>Avant de mourir, Agathon resta immobile pendant -trois jours, les yeux ouverts. Ses frères lui demandèrent -ce qu’il faisait. Et lui : « J’attends le jugement de Dieu ! » -Et eux : « En as-tu peur ? » Et lui : « Je me suis efforcé -<span class="pagenum" id="p690">-690-</span> autant que j’ai pu d’obéir aux ordres de Dieu. Mais je -suis homme, et je ne sais pas si mes œuvres plairont au -Seigneur ! » Et eux : « Tes œuvres ne sont-elles donc pas -suivant Dieu ? » Et lui : « Je ne saurai cela que quand je -comparaîtrai devant Lui. Car la justice de Dieu ne peut -pas être la même que celle des hommes. » Et comme ses -frères voulaient continuer à l’interroger, il leur dit : -« Par pitié, ne me dites plus rien, car je suis occupé ! » -Et, cela dit, il rendit l’âme joyeusement. Tout cela est -extrait de la <i>Vie des Pères</i>.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c178">CLXXVIII<br /> -SAINT PÉLAGE, <span class="small">PAPE<a id="FNanchor_24" href="#Footnote_24" class="fnanchor">[24]</a></span></h2> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_24" href="#FNanchor_24"><span class="label">[24]</span></a> C’est ici que Jacques de Voragine a placé son <i>Histoire lombarde</i>, -qui n’est en somme, comme l’on va voir, qu’une chronique -des principaux événements politiques et religieux, depuis le <small>V</small><sup>e</sup> -jusqu’au <small>XIII</small><sup>e</sup> siècle.</p> -</div> - -<p>Pélage fut un pape d’une grande sainteté, qui mourut -plein de bonnes œuvres, après avoir gouverné l’Eglise -de la façon la plus louable. Nous devons ajouter que -ce Pélage n’est pas celui qui fut pape immédiatement -avant saint Grégoire. A saint Pélage succéda Jean III, à -Jean III Benoît, à Benoît un autre Pélage, qui eut pour -successeur saint Grégoire.</p> - -<p>C’est sous le pontificat de saint Pélage que les -Lombards sont arrivés en Italie ; et comme leur histoire -est généralement peu connue, j’ai décidé de la résumer -ici, d’après l’<i>Histoire lombarde</i> de l’historiographe Paul, -et diverses chroniques.</p> - - -<h3>Les Lombards.</h3> - -<p>I. Les Lombards étaient un grand peuple germanique -qui, sorti de l’île de Scandinavie, sur le rivage septentrional -de l’Europe, parvint enfin, après de nombreux -combats et voyages, en Pannonie, où il s’installa à -demeure, n’osant pas s’avancer plus loin vers le sud. On -les appela d’abord les Vinules, puis les Lombards, à -<span class="pagenum" id="p691">-691-</span> cause des longues barbes qu’ils avaient coutume de -porter. Or, pendant qu’ils étaient encore en Germanie, -leur roi Agilmud trouva, dans une piscine, sept enfants -jumeaux que leur mère, une femme galante, avait jetés -là pour les faire mourir. Le roi, surpris, retournait ces -enfants avec sa lance, lorsque l’un d’eux saisit la lance -dans sa main. Ce que voyant, le roi le fit élever, lui donna -le nom de Lamission, et lui prédit un grand avenir. En -effet, ce Lamission se distingua si fort qu’à la mort -d’Agilmud ce fut lui que les Lombards élurent pour roi.</p> - -<p>Vers le même temps, c’est-à-dire vers l’an 490, un -évêque arien, ayant à baptiser un homme appelé Barbe, -lui dit : « Je te baptise au nom du Père, par le Fils, dans -le Saint-Esprit » ; ce par quoi il voulait signifier que le -Fils et le Saint-Esprit étaient inférieurs au Père. Mais -aussitôt toute l’eau disparut de la piscine qui servait au -baptême, et Barbe se convertit à la foi véritable. — Vers -le même temps encore fleurirent deux frères -utérins, saints Médard et Gildart, qui naquirent le même -jour, furent consacrés évêques le même jour, moururent -le même jour et furent béatifiés le même jour. — Et il -y a encore un autre miracle que nous devons raconter -ici. L’an 450, pendant que l’hérésie arienne pullulait en -Gaule, l’unité de substance des trois personnes de la -Trinité fut démontrée aux hommes par un symbole -visible. Sigebert raconte en effet que l’évêque de Bazas, -célébrant sa messe, vit tomber sur l’autel trois gouttes -transparentes, d’égale grandeur, qui, se réunissant, -formèrent un unique diamant d’une beauté merveilleuse. -L’évêque plaça ce diamant au milieu d’une croix d’or : -aussitôt toutes les autres pierres de la croix se détachèrent -et tombèrent. Ce diamant paraissait obscur aux impies -tandis qu’il s’illuminait pour les yeux des justes ; il -donnait la santé aux malades et renforçait la piété de -ceux qui adoraient la croix.</p> - -<p>Dans la suite, les Lombards eurent un autre roi -nommé Alboin, qui défit et tua le roi des Gépides : ce -qui lui valut d’être ensuite attaqué par le fils de ce roi, -qu’il défit et tua pareillement. Après quoi, il prit pour -<span class="pagenum" id="p692">-692-</span> femme la fille de ce roi, nommée Rosemonde ; et, en -même temps, du crâne du roi vaincu il se fit faire une -coupe, ornée d’argent ; et il s’en servait pour boire.</p> - -<p>L’empire romain était alors gouverné par Justin le -Petit, avec l’aide d’un eunuque nommé Narsès, homme -de sens et de valeur, qui avait repoussé l’invasion des -Goths, et rendu la paix à toute l’Italie. Mais les grands -honneurs dont il jouissait lui attirèrent l’envie des -Romains : faussement accusé auprès de l’empereur, -il perdit ses dignités ; et l’impératrice Sophie, pour -achever de l’humilier, le condamna à dévider et à filer la -laine avec ses servantes. A quoi Narsès se résigna en -disant qu’il tisserait pour l’impératrice une toile dont, -aussi longtemps qu’elle vivrait, elle ne pourrait sortir.</p> - -<p>Et en effet ce Narsès, s’étant retiré à Naples, manda -aux Lombards d’abandonner leur misérable Pannonie -pour venir prendre possession du sol fertile de l’Italie. Ce -qu’entendant, Alboin se mit en route avec ses Lombards, -et pénétra en Italie, l’an du Seigneur 568. Ils s’emparaient -de toutes les villes qu’ils trouvaient sur leur passage, -mettant à mort tous les habitants : car Alboin s’était juré -de tuer tous les chrétiens. Mais quand ils voulurent -entrer à Pavie, après un siège de trois ans, le cheval du -roi s’agenouilla devant la porte de la ville, et, pressé de -coups d’éperon, refusa de se relever. Alors un chrétien -expliqua au roi la cause du miracle ; et c’est ainsi -qu’Alboin renonça à son serment. Les Lombards pénétrèrent -ensuite à Milan. En peu de temps, ils subjuguèrent -presque toute l’Italie, à l’exception de Rome et -de la Romagne.</p> - -<p>Se trouvant à Vérone, dans un grand festin, Alboin -versa à boire à sa femme dans le crâne du roi Gépide, -en lui disant : « Bois avec ton père ! » Ce qui remplit -Rosemonde de haine contre son mari. Or, il y avait un -chef lombard qui avait pour concubine une servante de -la reine. Rosemonde, une nuit, prit place dans le lit de -sa servante, y reçut le chef, puis, après s’être donnée à -lui, lui dit : « Sais-tu qui je suis ? » Il répondit en nommant -sa concubine. Mais elle : « Pas du tout ! Je suis -<span class="pagenum" id="p693">-693-</span> Rosemonde ; et tu viens de perpétrer un crime qui, si tu -ne tues pas Alboin, te vaudra certainement d’être tué par -lui ! Donc, je veux que tu me venges de mon mari, qui, -ayant tué mon père, m’a fait boire dans son crâne en -guise de coupe ! » Le chef se refusa à tuer lui-même -Alboin, mais promit de trouver quelqu’un pour accomplir -le crime. Alors la reine enleva de la chambre du roi -toutes les armes qui s’y trouvaient, et lia fortement le -glaive qu’Alboin mettait toujours à la tête de son lit, de -manière que le roi ne pût le tirer du fourreau. Lorsque -le meurtrier pénétra dans la chambre, le roi, qui l’avait -vu venir, sauta hors de son lit, et, ne parvenant pas à -tirer son glaive, saisit un escabeau et se défendit vaillamment. -Mais le meurtrier, mieux armé que lui, eut -enfin sur lui le dessus, et le tua. Puis, emportant tous -les trésors du palais, il s’enfuit avec Rosemonde à Ravenne. -Mais là, Rosemonde, ayant vu un jeune et beau -préfet, et l’ayant désiré pour mari, versa du poison -dans le verre de son complice ; et lui, après en avoir bu, -fut étonné d’un goût amer, et ordonna à Rosemonde de -boire le reste. Rosemonde, le couteau sur la gorge, dut -boire le breuvage empoisonné ; et c’est ainsi que tous -deux périrent.</p> - -<p>Enfin un roi lombard, nommé Adaloth, se fit baptiser -et reçut la foi du Christ. Plus tard, une reine lombarde -nommée Théodelinde, personne pieuse et sage, fit construire -un bel oratoire à Monza. Elle convertit à sa foi -son mari Agisulphe, qui fut duc de Turin avant de -devenir roi des Lombards. Et c’est sur le conseil de -Théodelinde que ce roi fit définitivement la paix avec -l’Empire et l’Eglise romaine. Cette paix fut conclue le -jour des saints Gervais et Protais ; et c’est pourquoi -saint Grégoire fit chanter à l’office de la messe, le jour -de ces saints : <i lang="la" xml:lang="la">Loquetur Dominus pacem</i>, etc. Saint -Grégoire était d’ailleurs l’ami de la reine Théodelinde, à -qui il dédia ses <i>Dialogues</i>. Et la paix, conclue le jour des -saints Gervais et Protais, fut confirmée le jour de -Saint-Jean-Baptiste par la conversion générale des Lombards. -En souvenir de quoi Théodelinde fit construire à -<span class="pagenum" id="p694">-694-</span> Monza le susdit oratoire, dédié à saint Jean, qu’une -vision avait, en outre, révélé à un saint homme comme le -patron et le défenseur des Lombards.</p> - -<p>Grégoire, à sa mort, eut pour successeur Savin, qui eut -pour successeur Boniface III, à qui succéda Boniface IV. -C’est à la prière de ce dernier que l’empereur Phocas, -en l’an 660, donna à l’Eglise chrétienne le Panthéon de -Rome. Et c’est sur les prières de Boniface III qu’il consentit -à reconnaître la chaire de Rome comme la tête de -toutes les Eglises, titre que revendiquait, jusqu’alors, -l’église de Constantinople.</p> - - -<h3>Mahomet.</h3> - -<p>II. C’est sous le pontificat de Boniface IV, après la mort -de Phocas et sous le règne d’Héraclius, vers l’an du -Seigneur 610, que le mage et faux prophète Mahomet commença -à induire en erreur les Ismaëlites ou descendants -d’Agar, c’est-à-dire les Sarrasins. Et voici, d’après une -histoire de cet imposteur, comment il s’y prit. Un clerc -fameux, dépité de ne pouvoir obtenir de la curie romaine -un honneur qu’il désirait obtenir, se réfugia outre-mer, -où il fit de nombreuses dupes. Rencontrant Mahomet, il -lui déclara qu’il le mettrait à la tête de son peuple. Et, -d’abord, il accoutuma une colombe à venir manger des -grains qu’il introduisait dans l’oreille du jeune Sarrasin : -de telle sorte que la colombe, dès qu’elle apercevait -Mahomet, accourait sur son épaule et mettait son -bec dans son oreille. Alors le clerc susdit, ayant convoqué -le peuple, lui dit que celui-là devrait être son chef -que lui désignerait l’Esprit-Saint, descendant sur lui -sous la forme d’une colombe. Puis il lâcha la colombe, -qui vint se placer sur l’épaule de Mahomet et lui becqueta -dans l’oreille. Le peuple crut que c’était le Saint-Esprit -qui descendait sur lui, pour lui dicter à l’oreille -la parole de Dieu. Ainsi Mahomet trompa les Sarrasins, -qui, le prenant pour chef, envahirent le royaume de -la Perse et tout l’empire d’Orient jusqu’à Alexandrie.</p> - -<p>Voilà ce que raconte une chronique populaire ; mais -plus vraisemblable est une autre version, que nous -allons rapporter maintenant. D’après celle-ci, Mahomet, -inventant lui-même des lois, feignait de les recevoir -<span class="pagenum" id="p695">-695-</span> de l’Esprit-Saint, sous la forme d’une colombe. Dans -ces lois, il introduisit bon nombre de choses empruntées -à l’Ancien et au Nouveau Testament. Car, dans sa première -jeunesse, il avait été marchand, avait parcouru -avec ses chameaux l’Egypte et la Palestine, et s’était -souvent entretenu avec des Juifs et des chrétiens. De là -vient que les Sarrasins, de même que les Juifs, pratiquent -la circoncision ; et s’abstiennent de la viande du -porc : Mahomet leur ayant fait croire que le porc avait -été créé, après le déluge, de la fiente du chameau. Avec -les chrétiens, les Sarrasins croient en un seul Dieu -tout-puissant, créateur de toutes choses. Mêlant ainsi -le vrai au faux, Mahomet affirme que Moïse a été -un grand prophète, et le Christ un prophète plus -grand encore, né d’une vierge et par la seule vertu de -Dieu. Il dit aussi, dans son <i>Alcoran</i>, que le Christ, dans -son enfance, a créé des oiseaux avec le limon de la -terre. Mais il dit ensuite que ce n’est point le Christ -lui-même qui à subi la passion et est ressuscité : -d’après lui, c’est un autre homme qui aurait subi la -passion, à la place du Christ.</p> - -<p>Une femme noble nommée Cadicha, qui était à la tête -d’une province appelée Corocanie, voyant cet homme -admis dans la familiarité des Juifs et des Sarrasins, crut -que la majesté divine était en lui. Et, comme elle était -veuve, elle le prit pour mari, ce qui le rendit maître de -toute la province. Et lui, par ses artifices, il fit croire non -seulement à cette femme, mais aux Juifs et aux Sarrasins, -qu’il était le Messie promis par la Loi. Mais, dans la -suite, Mahomet eut de fréquents accès d’épilepsie. Et -comme Cadicha s’en affligeait, car cette maladie était -considérée comme un signe d’impureté, il imagina de lui -dire que ses accès étaient causés par l’émotion qu’il ressentait -des fréquentes visites de l’archange Gabriel.</p> - -<p>Ailleurs encore on lit que le maître de Mahomet fut un -moine appelé Serge, qui fut chassé par ses frères pour -avoir partagé l’hérésie des Nestoriens, ou, suivant -d’autres, celle des Jacobites : secte qui prêche la circoncision, -et prétend que le Christ a été non un Dieu, mais -<span class="pagenum" id="p696">-696-</span> un homme juste et saint, conçu du Saint-Esprit, et né -d’une vierge, toutes choses que croient également les -Mahométans. Ce serait donc ce Serge qui aurait instruit -Mahomet dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Car -jusque-là le jeune homme, avec toute la race des Arabes, -adorait Vénus ; et aujourd’hui encore, le jour sacré, pour -les Sarrasins, est le vendredi, de même que pour les Juifs -le samedi ou sabbat, et pour les chrétiens le dimanche, -ou jour du Seigneur.</p> - -<p>Enrichi de la fortune de sa femme Cadicha, Mahomet -prit une telle ambition qu’il rêva de devenir maître de -l’Arabie entière. Mais comme il voyait qu’il ne pourrait -pas dominer les Arabes par la violence, il résolut de se -faire passer pour prophète, de manière à les subjuguer -par une apparente sainteté. Tenant dans un lieu secret -le susdit Serge, il lui demandait conseil sur toutes choses, -et disait ensuite au peuple que c’était l’archange Gabriel -qui le conseillait. Ainsi tout le peuple se laissa séduire et -l’accepta pour chef. On dit aussi que Serge, qui avait été -moine, voulut que les Sarrasins revêtissent l’habit monacal, -ou du moins la cagoule sans le capuchon, et que, à -l’imitation des moines, ils fissent, à heure fixe, de nombreuses -génuflexions et prières, mais en se tournant vers -le midi, pour se distinguer des Juifs, qui se tournaient -vers l’occident, et des chrétiens, qui se tournaient vers -l’orient. Et, en effet, ce sont des pratiques que les Sarrasins -observent encore aujourd’hui. Nombreuses sont les -lois que Mahomet, à l’instigation de Serge, prit dans la -loi mosaïque. C’est ainsi que les Sarrasins font de fréquentes -ablutions ; avant de prier, ils doivent se purifier -en se lavant les mains, les bras, le visage, la bouche et -tous les membres de leurs corps. Dans leurs prières, ils -adorent Dieu, qui n’a point d’égal, et Mahomet, son prophète. -Ils jeûnent pendant un mois entier de l’année ; et, -pendant ce jeûne, ils ne peuvent manger que la nuit. -Aussi longtemps qu’il fait assez clair pour qu’on distingue -le blanc du noir, ils ne peuvent ni manger, ni boire, ni -se souiller en s’unissant à la femme. Ce n’est que depuis -le coucher du soleil jusqu’à l’aube du jour suivant qu’ils -<span class="pagenum" id="p697">-697-</span> peuvent manger, boire et se servir de leurs femmes -légitimes. Une fois par an, ils doivent se rendre en pèlerinage -à la Mecque, où se trouve une maison appelée la -Maison de Dieu, qu’ils disent avoir été construite par -Adam, et où ils croient qu’ont prié tous les prophètes, -depuis Abraham et Ismaël jusqu’à Mahomet. Ils doivent -faire le tour de cette maison, vêtus de robes sans couture, -et jeter des pierres à l’intérieur, pour lapider le diable. -Toutes les viandes leur sont permises, sauf le porc, le -sang et les animaux qui ne sont point tués de la main -des hommes. Chacun d’eux a le droit d’avoir à la fois -quatre femmes, et de répudier ses femmes trois fois. -Ils peuvent, en outre, avoir, en aussi grande quantité qu’ils -veulent, des captives et concubines, qu’ils ont le droit de -revendre à volonté, à moins qu’elles n’aient enfanté de -leurs œuvres. Ils ont également le droit de prendre des -femmes dans leur propre famille, pour fortifier leur race. -L’homme surpris avec une femme adultère est lapidé -avec elle ; l’homme surpris en fornication avec une femme -ne lui appartenant pas est frappé de quatre-vingts coups -de verges. Seul Mahomet prétendit que, par la voix de -l’ange Gabriel, Dieu lui avait permis d’approcher les -femmes des autres, afin d’engendrer des sages et des -prophètes. Un jour, cependant, un de ses esclaves, qui -avait une femme très belle, l’ayant trouvée avec Mahomet, -la répudia. Et Mahomet la prit chez lui avec ses autres -femmes ; mais, craignant les murmures du peuple, il -raconta qu’une charte lui avait été donnée du ciel, d’après -laquelle la femme répudiée par son mari appartenait à -celui qui l’avait recueillie : loi que les Sarrasins observent -encore aujourd’hui. Quand l’un d’entre eux est accusé en -justice, il n’a qu’à affirmer, sous serment, son innocence -pour être acquitté. Les voleurs sont d’abord battus de -verges ; à la seconde récidive on leur coupe une main ; à -la troisième, un pied. Enfin, l’usage du vin est absolument -interdit. A ceux qui obéissent à tous les commandements -de sa loi, Mahomet promet le paradis, c’est-à-dire -un jardin de délices tout arrosé de cours d’eau, où ils -auront des demeures éternelles, un ciel toujours pur et -<span class="pagenum" id="p698">-698-</span> doux, des mets excellents, des vêtements de soie, et où -ils pourront s’accoupler en mille façons voluptueuses avec -des vierges d’une beauté surnaturelle. Des anges s’y -promèneront à toute heure, leur offrant du lait et du vin -dans des vases d’or et d’argent. Ses élus y verront aussi -trois fleuves, l’un de lait, l’autre de miel et l’autre de -vin. Et ils y verront des anges si grands qu’ils auront -besoin d’une journée entière pour mesurer l’espace -compris entre leurs deux yeux. Ceux qui ne croient pas -en Mahomet seront au contraire condamnés à un enfer -sans fin. Mais de quelques péchés qu’un homme soit -chargé, si, dans l’instant de sa mort, il croit à Mahomet, -celui-ci obtiendra de Dieu son salut à l’heure du -jugement.</p> - -<p>Les Sarrasins croient encore bien d’autres choses au -sujet de leur faux prophète : par exemple que Dieu, en -créant le ciel et la terre, avait devant les yeux le nom de -Mahomet, et que, si Mahomet n’avait pas dû naître, Dieu -n’aurait créé ni le ciel ni la terre. On raconte aussi que -Mahomet a pris la lune dans son sein, l’a partagée en -deux, puis reformée entière. On raconte que, des ennemis -voulant lui faire avaler du poison dans de la viande -d’agneau, l’agneau lui aurait dit : « Garde-toi de me -manger, car j’ai en moi du poison ! » Ce qui n’empêcha -pas Mahomet de mourir empoisonné.</p> - - -<h3>Charlemagne.</h3> - -<p>III. Mais il est temps que notre plume revienne à l’histoire -des Lombards. Ceux-ci, donc, bien qu’ils eussent -reçu la foi du Christ, causaient cependant de nombreux -ennuis à l’empire romain. Mais plus tard, Pépin, le maire -du palais du roi des Francs, étant mort, son fils Charles -Martel lui succéda, qui, après de nombreuses victoires, -laissa sa charge à ses deux fils Charles et Pépin. Mais -Charles, renonçant au monde, entra au monastère du Mont -Cassin, tandis que son frère Pépin, sans avoir le titre de -roi, gérait vaillamment le royaume des Francs. Le roi -véritable, Childéric, au contraire, était paresseux et -inutile, de telle sorte que Pépin demanda au pape Zacharie -si, se contentant d’avoir le nom de roi, cet incapable -devait continuer à régner. A quoi le pape répondit que -<span class="pagenum" id="p699">-699-</span> celui-là devait être roi qui savait bien gérer le royaume. -Ce qu’entendant les Francs enfermèrent Childéric dans -un monastère et firent roi Pépin, en l’an du Seigneur -750.</p> - -<p>Or, peu de temps après, Astolphe, roi des Lombards, -dépouilla l’Eglise romaine de ses possessions ; et le pape -Etienne, qui avait succédé à Zacharie, réclama contre -eux l’aide du roi Pépin. Celui-ci vint en Italie avec une -nombreuse armée, assiégea le roi Astolphe, et obtint de -lui quarante otages, comme gage de sa promesse de ne -plus inquiéter l’Eglise romaine et de lui rendre tout ce -qu’il lui avait enlevé. Mais dès que Pépin se fut retiré, -Astolphe tint pour nulles toutes ses promesses : ce dont -il ne tarda pas à être puni, car, peu après, au moment -où il partait pour la chasse, il mourut subitement. Il -eut pour successeur Desiderius.</p> - -<p>C’est vers le même temps que le roi des Goths, Théodoric, -qui gouvernait l’Italie par ordre de l’empereur, et -qui était infecté de l’hérésie arienne, exila le philosophe -Boëce, qui, avec son gendre Symmaque, avait illustré la -république et défendu l’autorité du Sénat romain. Exilé -à Pavie, Boëce y écrivit son livre de la <i>Consolation</i>. Il fut -ensuite mis à mort par ordre de Théodoric. Sa femme, -nommée Elpès, passe pour être l’auteur de l’hymne des -apôtres Pierre et Paul, qui commence ainsi : <i lang="la" xml:lang="la">Felix per -omnes festum mundi cardines</i>. Elle composa aussi sa -propre épitaphe, ainsi conçue :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse" lang="la" xml:lang="la">Elpes dicta fui, Siciliæ regionis alumna,</div> -<div class="verse i1" lang="la" xml:lang="la">Quam procul a patria conjugis egit amor ;</div> -<div class="verse" lang="la" xml:lang="la">Porticibus sacris jam nunc peregrina quiesco,</div> -<div class="verse i1" lang="la" xml:lang="la">Judicis oberni testificata thronum.</div> -</div> - -<p>Le roi Théodoric mourut subitement. Saint Grégoire -raconte qu’un saint ermite le vit enfoncer, nu, dans la -chaudière de Vulcain, par le pape Jean et Symmaque, -qu’il avait mis à mort.</p> - -<p>En l’an du Seigneur 687, florissait en Angleterre le -vénérable Bède, prêtre et moine, qui a sa place parmi -<span class="pagenum" id="p700">-700-</span> les saints, mais que l’Eglise appelle d’ordinaire le -« Vénérable », et non le « saint ». On raconte, en effet, -qu’un jour, dans sa vieillesse, sa vue s’étant obscurcie, -il se faisait conduire par un guide, au bras duquel il -allait par villes et villages, prêchant la parole de Dieu. -Or un jour, comme il traversait une vallée déserte jonchée -de grosses pierres, le guide, par moquerie, dit à -Bède qu’il y avait là une foule nombreuse, qui attendait -en silence sa prédication. Le vieillard se mit donc à prêcher ; -et au moment où il terminait son discours par les -mots <i lang="la" xml:lang="la">Per omnia secula seculorum</i>, toutes les pierres lui -répondirent à haute voix, <i lang="la" xml:lang="la">Amen, venerabilis pater</i> ! On -raconte aussi que, après sa mort, un prêtre s’occupait à -écrire un distique latin qu’il voulait faire graver sur son -tombeau. Il avait déjà écrit le premier vers : <i lang="la" xml:lang="la">Hac sunt in -fossa</i>, et il avait d’abord songé à mettre au second vers : -<i lang="la" xml:lang="la">Bedæ sancti ossa</i>. Mais ce second vers n’allait pas bien -pour la mesure : de sorte que le prêtre se coucha, se -réservant de réfléchir jusqu’au lendemain. En voici que, -le lendemain, en arrivant au tombeau, il trouva le distique -complété ainsi de la main des anges :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse" lang="la" xml:lang="la">Hac sunt in fossa</div> -<div class="verse" lang="la" xml:lang="la">Bedæ venerabilis ossa.</div> -</div> - -<p>Et l’on raconte encore que le vénérable Bède, au jour -de l’Ascension, se fit transporter à l’autel, où il récita -jusqu’au bout l’antienne <i lang="la" xml:lang="la">O Rex gloriæ, Domine virtutum</i> ; -après quoi il s’endormit dans le Seigneur, et un -parfum sortit de lui, si doux, que tous se croyaient transportés -en paradis. Son corps est conservé, avec de -grands honneurs, dans la ville de Gênes.</p> - -<p>Vers le même temps, à savoir en l’an 700, Racord, roi -des Frisons, au moment de recevoir le baptême, et -comme il avait déjà un de ses pieds dans la piscine, -demanda tout à coup si c’était au ciel ou en enfer que se -trouvaient la plupart de ses ancêtres ; puis, apprenant -que c’était en enfer, il retira le pied qu’il avait mis dans -l’eau, et dit : « Mieux vaut aller avec le plus grand -<span class="pagenum" id="p701">-701-</span> nombre qu’avec le plus petit ! » Mais on raconte qu’il -n’agit ainsi que sur la promesse fallacieuse du démon, -qui lui avait dit que, trois jours après, il lui donnerait -des biens incomparables ; et, le quatrième jour, ce -Racord mourut, d’une mort subite, pour l’éternité. — La -même année, on raconte qu’en Campanie du blé, de -l’orge et des légumes tombèrent du ciel sous forme de -pluie.</p> - -<p>En l’an 740, comme on transportait le corps de saint -Benoît du Mont Cassin au monastère de Fleury-sur-Loire, -et le corps de sa sœur sainte Scolastique au Mans, -un moine du Mont Cassin s’opposa à cette translation ; -mais les miracles de Dieu et la résistance des Francs -eurent raison de sa défense. — La même année, il y eut -un grand tremblement de terre, qui détruisit certaines -villes, et en transporta d’autres à une distance de plus -de six milles, avec tous leurs murs et tous leurs habitants. -La même année encore fut faite la translation à -Rome de sainte Pétronille, fille de l’apôtre saint Pierre, -sur le tombeau de marbre de laquelle ce grand saint -avait écrit lui-même : « A Pétronille dorée, ma bien -chère fille ! » Et c’est encore vers ce temps que les -Tyriens ravagèrent l’Arménie. Ces barbares, ayant été -atteints d’une peste, reçurent des chrétiens le conseil de -se tondre la tête en forme de croix. Et ils ont gardé -jusqu’à nos jours cette pratique, en souvenir de la -guérison ainsi obtenue.</p> - -<p>A la mort du glorieux Pépin, son fils Charlemagne -monta sur le trône. Le pape Adrien lui envoya des -légats pour lui demander secours contre le roi des Lombards -Desiderius, qui, à l’exemple de son père Astolphe, -vexait, en toute manière, l’Eglise romaine. Sur quoi -Charles, ayant rassemblé une grande armée, entra en -Italie par le mont Cenis, mit le siège devant Pavie, -s’empara de Desiderius et de toute sa famille, les exila -en Gaule, et rendit à l’Eglise tous les droits que les -Lombards lui avaient enlevés. Il avait dans son armée -deux vaillants soldats du Christ, Amicus et Amélius, -qui furent tués à Mortara, dans la bataille où Charlemagne -<span class="pagenum" id="p702">-702-</span> défit les Lombards. Et ainsi se termina le règne -de ces Lombards, qui désormais n’eurent plus de chefs -que ceux que leur désignaient les empereurs.</p> - -<p>Charles se rendit ensuite à Rome, où le pape, dans un -synode de cent cinquante-quatre évêques, lui conféra le -droit d’élire les souverains pontifes et d’investir, avant -leur consécration, les archevêques et évêques des diverses -provinces. C’est aussi à Rome que le pape sacra rois les -fils de Charlemagne, Pépin, roi d’Italie, et Louis, roi -d’Aquitaine. Mais Pépin, convaincu d’avoir conspiré -contre son père, fut tonsuré et fait moine.</p> - -<p>En l’an 780, sous le règne de l’impératrice Irène et de -son fils Constantin, un homme découvrit, sous un mur -en Thrace, un coffre de pierre où se trouvait le cadavre -d’un homme avec cette inscription : « Le Christ -naîtra de la Vierge Marie. Et c’est sous les empereurs -Constantin et Irène que tu me reverras, ô soleil ! »</p> - -<p>A la mort d’Adrien, Léon fut élu pape, homme infiniment -vénérable, mais à qui les proches d’Adrien firent -crever les yeux et couper la langue par la populace, pendant -qu’il célébrait les litanies. Mais Dieu lui rendit -miraculeusement la vue et la parole ; après quoi Charlemagne -le réinstalla dans son siège et châtia les coupables.</p> - -<p>Alors les Romains, sur le conseil du pape, l’an du -Seigneur 784, d’un accord unanime, se séparèrent de -l’empire de Constantinople et proclamèrent empereur -Charlemagne, qui reçut la couronne impériale des mains -du pape Léon. Car, bien que depuis Constantin le siège -de l’empire fût transporté à Constantinople, les empereurs -continuèrent à garder le titre d’empereurs romains -jusqu’au jour où ce titre fut décerné au roi des Francs. -Et, depuis ce temps, il y eut deux empires, l’un appelé -Grec ou d’Orient, l’autre romain.</p> - -<p>C’est au temps de Charlemagne, et à son instigation, -que l’office ambrosien fut solennellement remplacé par -l’office grégorien. Saint Ambroise, persécuté par l’impératrice -Justine et les siens, et s’étant réfugié dans -son église avec la foule des catholiques, avait fait chanter, -<span class="pagenum" id="p703">-703-</span> à la manière orientale, des hymnes et des psaumes, -pour empêcher les fidèles de sentir le poids de leur réclusion. -Et son institution fut ensuite adoptée dans toutes -les églises : mais saint Grégoire, plus tard, y fit nombre -de changements, d’additions et de suppressions. D’ailleurs, -c’est par une longue suite de modifications que -les Pères ont constitué l’office divin. Par exemple, on -a commencé la messe de trois manières différentes : on -la commençait d’abord par des leçons, comme cela se -fait encore au samedi saint ; plus tard le pape Célestin -remplaça les leçons par des psaumes ; et saint Grégoire -ne garda qu’un verset du psaume de l’<i lang="la" xml:lang="la">Introït</i>, qui, avant -lui, se chantait tout entier. Les psaumes, autrefois, -étaient chantés par tous les fidèles, formant une couronne -autour de l’autel : de là vient le nom de <i>chœur</i> -donné à la partie de l’église qui entoure l’autel. Plus -tard Flavien et Théodore firent chanter les psaumes alternativement, -ayant appris cet usage de saint Ignace, -à qui Dieu lui-même l’avait révélé. Ensuite saint Jérôme -ajouta, au chant des psaumes, l’épître et l’évangile. -Saint Ambroise, Gélase et saint Grégoire ajoutèrent -d’autres chants et d’autres prières : c’est d’eux que vient -l’usage de chanter les graduels, les traits et l’Alleluia. -Dans le <i lang="la" xml:lang="la">Gloria in excelsis</i>, les mots <i lang="la" xml:lang="la">Laudamus te</i> et -suivants furent ajoutés, d’après les uns, par saint Hilaire, -d’après d’autres par le pape Symmaque ou encore par le -pape Télesphore. Notker, abbé de Saint-Gall, composa -le premier des séquences pour être chantées à la place -des neumes de l’Alleluia ; et le pape Nicolas permit de -chanter ces séquences à la messe. Germain de Trèves -composa le <i lang="la" xml:lang="la">Rex omnipotens</i>, le <i lang="la" xml:lang="la">Sancti spiritus adsit</i>, -l’<i lang="la" xml:lang="la">Ave maria</i>, et l’Antienne <i lang="la" xml:lang="la">Alma Redemptoris Mater</i>. -L’évêque Pierre de Compostelle composa le <i lang="la" xml:lang="la">Salve Regina</i>. -Et Sigebert affirme, d’autre part, que c’est au roi -de France Robert que nous devons la séquence : <i lang="la" xml:lang="la">Sancti -spiritus</i>.</p> - -<p>Charlemagne, au dire de l’archevêque Turpin, était -beau, mais d’aspect farouche. Sa taille avait huit pieds -de longueur, son visage une palme et demie, sa barbe -<span class="pagenum" id="p704">-704-</span> une palme, et son front un pied. Il était si fort, qu’il tranchait -d’un seul coup d’épée un cavalier armé et son cheval, -redressait à la fois quatre fers à cheval et levait de -terre, d’une seule main, jusqu’à la hauteur de sa tête, un -soldat en armes. Il mangeait un lièvre entier ou deux -poules, ou une oie, mais était si sobre pour sa boisson, -faite de vin coupé d’eau, qu’il buvait rarement plus de -trois fois par repas. Il construisit de nombreux monastères -et mourut saintement, faisant du Christ son héritier.</p> - -<p>Il eut pour successeur à l’empire, en l’an 815, son fils -Louis le Débonnaire, sous le règne duquel les évêques -et prêtres renoncèrent à porter des ceintures brodées -d’or, des manteaux précieux et autres ornements séculiers. -L’évêque d’Orléans Théodule, faussement accusé -auprès de Louis, fut emprisonné par lui à Angers. Mais un -jour que l’empereur, à la fête des Rameaux, suivait une -procession qui passait devant la prison, Théodule chanta, -par la fenêtre, les beaux vers qu’il venait de composer : -<i lang="la" xml:lang="la">Gloria, laus et honor tibi sit</i>, etc. ; et l’empereur en fut -si charmé qu’il remit l’évêque en liberté et lui rendit son -siège. — A ce même empereur Louis, les envoyés de l’empereur -grec Michel apportèrent, entre autres présents, -la traduction latine des livres de saint Denis sur la <i>hiérarchie</i> ; -le livre fut déposé dans l’église du saint, et, la -même nuit, dix-neuf malades y furent guéris.</p> - -<p>A la mort de Louis, l’empire échut à Lothaire : mais -les frères de celui-ci, Charles et Louis, lui firent la guerre, -et il y eut en France un carnage sans pareil. Enfin, par -traité, Charles régna sur la France, Louis sur l’Allemagne -et Lothaire sur l’Italie, ainsi que sur cette partie -de la France qui s’est appelée depuis Lotharingie ou -Lorraine. Ce même Lothaire, plus tard, transmit l’empire -à son fils Louis et revêtit l’habit monacal.</p> - -<p>Le pape d’alors était Serge, un Romain qui avait pour -premier nom, à ce que l’on dit, Bouche de Porc. C’est -depuis ce temps que les papes eurent à changer de nom -en montant sur le trône apostolique : d’abord parce que -le Seigneur a changé les noms de ses apôtres ; en second -<span class="pagenum" id="p705">-705-</span> lieu pour signifier qu’un pape doit changer de vie et -devenir parfait ; en troisième lieu pour empêcher qu’un -homme occupant une fonction si belle soit forcé de porter -un vilain nom.</p> - -<p>C’est sous le règne de l’empereur Louis qu’à Brescia, -en Italie, on vit pleuvoir du sang pendant trois jours et -trois nuits. Vers le même temps d’innombrables sauterelles -envahirent la Gaule, ayant six paires d’ailes, six -pieds et deux dents dures comme des pierres. Elles traversèrent -tout le royaume, détruisant partout la végétation, -jusqu’à ce qu’enfin une tempête les noya dans la -mer de Bretagne ; mais leurs cadavres, rejetés sur le -rivage, amenèrent, en pourrissant, une peste qui fit -mourir le tiers de la population.</p> - - -<h3>Les empereurs allemands.</h3> - -<p>IV. En l’an 938, l’empire échut à Othon I<sup>er</sup>. Celui-ci, un -jour de Pâques, avait fait préparer un grand repas pour -les princes, ses vassaux. Et le petit garçon d’un de ces -princes, ayant pris un plat sur la table, fut renversé à -terre, d’un coup de bâton, par l’officier qui portait les -plats. Le précepteur de l’enfant tua aussitôt cet officier ; -et, comme l’empereur voulait le condamner sans jugement, -cet homme le renversa lui-même et voulut l’étrangler. -Mais Othon, arraché de ses mains, pardonna au -précepteur, disant que lui-même avait été coupable de -n’avoir pas respecté le caractère sacré de la fête.</p> - -<p>A Othon I<sup>er</sup> succéda Othon II. Celui-ci, apprenant que -les Italiens violaient souvent la paix, vint à Rome, et y -offrit un grand banquet, sur les marches de l’église, à -tous les princes et prélats de la ville. Et, pendant qu’ils -mangeaient, l’empereur les fit tous charger de chaînes ; -puis, leur reprochant amèrement la violation de la paix, -il fit trancher la tête à ceux qui étaient coupables, et -permit aux autres d’achever leur repas.</p> - -<p>Il eut pour successeur, en l’an 984, Othon III, surnommé -Merveille du Monde. Ce prince avait une -femme qui voulait se prostituer à un certain comte. Et -comme celui-ci se refusait à un tel crime, elle le noircit -auprès de l’empereur, qui le fit décapiter sans jugement. -Mais le comte, avant de subir sa peine, pria sa femme -<span class="pagenum" id="p706">-706-</span> de prouver son innocence, après sa mort, par l’épreuve -du fer rouge. Un jour donc, la veuve se présente devant -l’empereur avec la tête de son mari et lui demande de -quel châtiment est digne celui qui a mis à mort un innocent. -L’empereur lui répond qu’un tel homme est digne -de la mort. Et la veuve : « C’est toi qui es cet homme : -car, à la suggestion de ta femme, tu as fait périr mon -mari innocent ; et je m’offre à le confirmer par l’épreuve -du fer rouge ! » Ce que voyant, l’empereur, stupéfait, se -remit entre les mains de cette femme, pour être puni. -Mais le pape intervint, et obtint de la veuve, successivement, -quatre délais, dont l’un était de dix jours, l’autre -de huit, l’autre de sept et l’autre de six. Alors l’empereur, -ayant examiné la cause et reconnu la vérité, -ordonna que sa femme fût brûlée vive, et céda à la veuve, -pour racheter sa faute, quatre châteaux. Ces châteaux -se voient encore aujourd’hui dans le diocèse de Luna, -et ne portent d’autres noms que les chiffres Dix, Huit, -Sept et Six.</p> - -<p>L’empire échut ensuite à saint Henri, prince de Bavière. -Ce prince maria sa sœur, nommée Galla, au roi de -Hongrie Etienne, encore païen, et qu’il convertit ainsi que -tout son peuple. Et Etienne acquit une telle piété qu’il -mérita de devenir saint lui aussi, et de faire de nombreux -miracles. Quant à l’empereur Henri et à sa femme Cunégonde, -ils vécurent ensemble dans la chasteté et s’endormirent -en Dieu.</p> - -<p>A saint Henri succéda Conrad, qui avait épousé la -nièce du saint. Il emprisonna bon nombre d’évêques italiens, -et incendia un faubourg de Milan, ville dont l’évêque -s’était évadé de sa prison. Mais, le jour de la Pentecôte, -comme l’empereur assistait à la messe dans une petite -église voisine de Milan, cette église fut soudain secouée -de coups de foudre et d’éclairs si violents que bon nombre -d’assistants moururent de frayeur. Et l’évêque Bruno, -qui célébrait la messe, et le secrétaire de l’empereur, et -d’autres encore dirent qu’ils avaient vu, pendant la messe, -saint Ambroise debout devant Conrad, et le menaçant.</p> - -<p>Sous le règne de ce Conrad, en l’an 1025, un certain -<span class="pagenum" id="p707">-707-</span> comte Léopold, craignant la colère du roi, s’était réfugié -dans une île, où il habitait une cabane avec sa femme, -qui était enceinte. Or l’empereur, comme il chassait dans -cette île, fut surpris par la nuit, et dut demander l’hospitalité -dans la cabane. La même nuit, la femme de Léopold -mit au jour un fils ; et une voix dit à Conrad que l’enfant -qui venait de naître serait son gendre. Le lendemain, -Conrad ordonna à deux de ses hommes d’enlever par -force cet enfant, de le tuer, et de lui apporter son cœur. -Mais les deux hommes, touchés de pitié à la vue du bel -enfant, le posèrent sur un arbre, et apportèrent à l’empereur -le cœur d’un lièvre. Et un prince qui passait par -là entendit les vagissements de l’enfant, le recueillit, et, -n’ayant point d’enfant de sa femme, il le fit passer pour -son propre fils. Et cet enfant, nommé Henri, était si beau, -si sage, et si plaisant en toute manière, que Conrad, -l’ayant vu, désira le garder près de lui. Mais bientôt un -doute lui vint, et il crut reconnaître dans ce jeune homme -l’enfant dont il avait jadis ordonné la mort. Pour se -débarrasser de lui, il le chargea de porter à l’impératrice -une lettre où il avait écrit ceci : « Dès que cette lettre te -parviendra, ne manque pas de faire mourir le jeune -homme qui te l’aura apportée ! » Mais Henri s’arrêta, en -chemin, dans un ermitage, et s’y endormit de fatigue. -L’ermite, voyant la lettre impériale, dont le sceau s’était -ouvert, eut la curiosité de la lire : et, l’ayant lue, et ayant -eu horreur du crime projeté, il y substitua ces mots : -« Donne notre fille en mariage au porteur de cette lettre ! » -Aussitôt l’impératrice, voyant cette lettre revêtue du -sceau impérial, fit célébrer, à Aix-la-Chapelle, les -noces de sa fille avec le jeune Henri. Ce qu’apprenant, -l’empereur comprit l’inutilité de lutter davantage contre -la volonté de Dieu, et décida que son gendre régnerait -après lui. A l’endroit où naquit Henri s’élève aujourd’hui -encore le célèbre monastère d’Ursanie. Et Henri, -devenu empereur, éloigna de sa cour tous les jongleurs, -pour donner aux pauvres tout l’argent qu’on leur donnait.</p> - -<p>Sous son règne un grand schisme se fit dans l’Eglise, -et trois papes furent élus en même temps. Après quoi ils -<span class="pagenum" id="p708">-708-</span> vendirent, tous trois, leur titre à un prêtre nommé Gratien -qui, lorsque l’empereur Henri marcha sur Rome pour -faire cesser le schisme, alla au devant de lui et lui offrit -une couronne d’or, espérant ainsi se le rendre favorable. -Mais Henri, ayant convoqué le synode, convainquit ce -Gratien de simonie, le déposa, et fit procéder à l’élection -d’un nouveau pape : encore que, d’après d’autres auteurs, -ce serait Gratien lui-même qui, reconnaissant son erreur, -aurait demandé à Henri d’être déposé.</p> - -<p>A cet Henri succéda un autre Henri. Sous son règne, -Bruno fut élu pape, qui prit le nom de Léon, et qui composa -les hymnes d’un grand nombre de saints. Comme -il se rendait à Rome, pour prendre possession de son -siège, il entendit chanter par les anges l’introït <i lang="la" xml:lang="la">Dicit -Dominus, ego cogito</i>, etc. C’est aussi à ce moment que -l’Eglise fut troublée par l’hérésie de Bérenger, qui prétendait -que le corps et le sang du Christ ne se trouvaient -point réellement dans l’hostie, mais y étaient seulement -figurés : hérésie qui fut remarquablement réfutée par -Lanfranc de Pavie, prieur du Bec, qui fut le maître de -saint Anselme de Cantorbery.</p> - -<p>Puis régna Henri IV, sous le règne de qui fleurit Lanfranc. -Et c’est alors que, attiré par l’enseignement de ce -docteur, vint à lui le Bourguignon Anselme, qui devait -ensuite lui succéder dans le prieuré du Bec. Sous le -même règne, Jérusalem, qui avait été prise par les Sarrazins, -fut reconquise par les fidèles. C’est aussi le temps -où les restes de saint Nicolas furent transportés à Bari. -Du couvent de Molesme sortirent vingt et un moines, -avec leur abbé saint Robert, pour aller fonder un ordre -nouveau dans la solitude de Cîteaux. Le prieur de Cluny -Hildebrand fut élu pape sous le nom de Grégoire. -Hildebrand, tandis qu’il n’était encore que légat à Lyon, -convainquit miraculeusement de simonie l’archevêque -d’Embrun. Cet archevêque corrompait tous ses accusateurs -et l’on ne parvenait pas à le convaincre. Mais Hildebrand -lui ordonna de dire : « Gloire au Père, au Fils, -et au Saint-Esprit ! » Et l’archevêque disait bien : « Gloire -au Père, et au Fils », mais en vain il s’efforçait d’ajouter : -<span class="pagenum" id="p709">-709-</span> « Et au Saint-Esprit » : car il avait péché contre le Saint-Esprit. -Alors il reconnut son péché, fut déposé, et put de -nouveau nommer à haute voix le Saint-Esprit. Ce miracle -nous est raconté par Bonizzi, dans le livre qu’il a dédié à -la comtesse Mathilde. En l’an 1107, Henri IV mourut à -Spire, et y fut enseveli avec les empereurs précédents : -et l’on grava ce vers, sur son tombeau :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse" lang="la" xml:lang="la">Filius hîc, pater hîc, avus hîc, proavus jacet istic.</div> -</div> - -<p>A Henri IV succéda Henri V, qui s’empara du pape et -des cardinaux, et ne les remit en liberté qu’en échange -du droit d’investir les évêques et les abbés. C’est sous son -règne que saint Bernard, avec ses frères, entra au -monastère de Cîteaux. Dans la paroisse de Liège, une -truie enfanta un pourceau qui avait un visage d’homme ; -ailleurs naquit un poulet avec quatre pattes.</p> - -<p>A Henri V succéda Lothaire. Sous son règne naquit -en Espagne un monstre qui avait deux corps et deux -visages, à moitié homme, à moitié chien.</p> - -<p>Sous Conrad, qui fut fait empereur en 1138, mourut -le savant et pieux docteur Hugues de Saint-Victor. -Dans sa dernière maladie, ne pouvant plus prendre -aucune nourriture, il demandait cependant à recevoir -l’hostie sainte. Les frères, pour le calmer, lui apportèrent -une hostie non consacrée. Mais lui : « Mes frères, pourquoi -voulez-vous me tromper ? Ce n’est point mon Seigneur -que vous m’avez apporté là ! » Alors ils lui apportèrent -une hostie consacrée. Et lui, voyant qu’il ne -pouvait pas l’avaler, leva les mains au ciel, et dit : « Que -le Fils remonte vers le Père, et que l’âme remonte à -Dieu qui l’a faite ! » Ce disant, il rendit l’âme, et -l’hostie disparut miraculeusement. — Sous le même -règne, Eugène, abbé du monastère de Saint-Anastase, -est élu pape. Renvoyé de Rome, où les sénateurs ont -nommé un autre pape, il vient en Gaule, et envoie -devant lui saint Bernard, qui prêche les voies de Dieu -et fait de nombreux miracles. — C’est aussi le temps où -fleurit Gilbert de la Porrée.</p> - -<p><span class="pagenum" id="p710">-710-</span> En l’an 1154, l’empire échoit à Frédéric, neveu de -Conrad. C’est le temps où fleurit maître Pierre Lombard, -évêque de Paris, qui compile excellemment la <i>Glosse</i> du -psautier et des Epîtres de saint Paul. — Trois lunes apparaissent -au ciel, puis trois soleils, et au milieu le signe -de la croix. — Contre le pape canonique Alexandre deux -autres cardinaux se font nommer papes, et allèguent la -faveur de l’empereur. Et ce schisme dure dix-huit ans, -pendant lesquels l’armée allemande de Frédéric attaque -les Romains à Monte Porto, et les massacre en si -grand nombre, depuis l’heure de none jusqu’à l’heure -des vêpres, que jamais il n’y eut autant de Romains -tués à la fois, bien que, jadis, Annibal ait pu remplir -trois coffres avec les bagues prises par lui aux doigts -des patriciens massacrés. Beaucoup des victimes de -Frédéric sont enterrées dans l’église des saints Etienne -et Laurent.</p> - -<p>Frédéric, pendant qu’il visite la Terre Sainte et se -baigne dans un fleuve, est tué, ou, suivant d’autres, se -noie, en l’an 1190. Il a pour successeur son fils Henri. -Sous son règne ont lieu des pluies si terribles, avec tant -de tonnerres, d’éclairs, et de tempêtes, que de mémoire -d’homme, on en n’a point connu de pareilles. Des pierres -grosses comme des œufs se mêlent à la pluie, détruisent -les arbres, les vignes, les moissons, et tuent nombre -d’hommes. Et l’on voit aussi voler dans les airs des -corbeaux et autres oiseaux qui, portant dans leur bec -des charbons allumés, incendient les maisons.</p> - -<p>Henri VI s’était montré si tyrannique à l’égard de -l’Eglise que, à sa mort, le pape Innocent III s’opposa à -ce que son frère Philippe fût élu empereur, et fit couronner -roi d’Allemagne, à Aix-la-Chapelle, Othon, prince -de Saxe. C’est alors que des chevaliers français, qui -voyageaient outre-mer après la délivrance de la Terre -Sainte, s’emparèrent de Constantinople. C’est aussi de -ce moment que date la création de l’ordre des Frères -Prêcheurs, et de tous les autres frères. Et Innocent III -envoya aussi des ambassadeurs à Philippe, roi de -France, pour le sommer d’envahir le territoire des Albigeois -<span class="pagenum" id="p711">-711-</span> et de détruire l’hérésie. Sur quoi Philippe, s’étant -emparé des hérétiques, les fit tous brûler.</p> - -<p>Enfin Innocent couronna Othon empereur, et lui fit -jurer de respecter les droits de l’Eglise ; mais Othon, -sitôt élu, rompit son serment, et fit confisquer les biens -de tous ceux qui se rendraient en pèlerinage à Rome : -sur quoi le pape l’excommunia et le déposa de l’empire. -C’est alors que vécut sainte Elisabeth, fille du roi de -Hongrie et femme du landgrave de Thuringe : entre -autres miracles innombrables, on dit qu’elle ressuscita -seize morts, rendit la vue à un aveugle-né, et que, aujourd’hui -encore, une huile découle de ses saintes reliques.</p> - -<p>Après la déposition d’Othon, Frédéric, fils d’Henri, -fut élu empereur et couronné par le pape Honorius. Ce -prince édicta d’abord des lois excellentes pour la liberté -de l’Eglise et contre les hérétiques. Mais plus tard, -enivré à son tour par l’excès de gloire et de fortune, il -se montra tyrannique à l’égard de l’Eglise, emprisonna -deux cardinaux, fit saisir des prélats que le pape Grégoire -IX convoquait pour un concile, et se vit excommunié -par ce pontife. Puis Grégoire, accablé de tribulations, -mourut, et Innocent IV, Génois d’origine, réunit à -Lyon un concile qui déposa Frédéric. Et, depuis sa -déposition et sa mort, le siège impérial a été vacant ; il -l’est encore à l’heure où nous écrivons ceci.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c179">CLXXIX<br /> -LA DÉDICACE DE L’ÉGLISE<a id="FNanchor_25" href="#Footnote_25" class="fnanchor">[25]</a></h2> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_25" href="#FNanchor_25"><span class="label">[25]</span></a> La <i>Dédicace de l’Eglise</i> était, autrefois, le dernier office du -<i>Bréviaire</i>, dont la <i>Légende Dorée</i> n’est qu’une façon d’adaptation -à l’usage du peuple.</p> -</div> - -<p>I. La dédicace des églises est comptée par l’Eglise au -nombre des grandes fêtes. Nous avons à considérer, par -<span class="pagenum" id="p712">-712-</span> rapport à cette fête, trois questions : 1<sup>o</sup> pourquoi doit-on -« dédier » ou consacrer une église ? 2<sup>o</sup> comment se fait -cette consécration ? 3<sup>o</sup> par qui et comment une église -est-elle profanée ?</p> - -<p>1<sup>o</sup> Il y a, dans une église, deux choses que l’on doit -consacrer, à savoir l’autel et le temple lui-même. L’autel -est consacré pour trois motifs : 1<sup>o</sup> Pour devenir digne de -recevoir le sacrement du Seigneur, c’est-à-dire le corps -et le sang du Christ, que nous immolons en souvenir de -sa passion, ainsi qu’il nous l’a lui-même ordonné. Et -c’est encore pour nous rappeler cette passion et ce sacrement -qu’on place sur l’autel, et dans toute l’église, -l’image du crucifix et d’autres images, afin qu’elles -soient comme les livres des fidèles laïcs. 2<sup>o</sup> Pour devenir -digne de servir de lieu à l’invocation du nom du Seigneur. -Cette invocation, quand elle se fait sur l’autel, -s’appelle proprement <i lang="la" xml:lang="la">missa</i>, messe, en raison de la mission -céleste du Christ dans l’hostie. Et nous devons -noter, à ce propos, que la messe se chante en trois -langues, en grec, en hébreu, et en latin, en souvenir -de la triple inscription mise sur la croix, et aussi pour -signifier que toutes les langues doivent célébrer Dieu. -Latins sont l’évangile, l’épître, l’oraison et le chant ; -grecs sont les mots <i>Kyrie eleison</i>, <i>Christe eleison</i>, qui se -chantent neuf fois en souvenir des neuf ordres des anges ; -enfin hébreux sont les mots <i>alleluia</i>, <i>amen</i>, <i>sabaoth</i>, et -<i>hosanna</i>. 3<sup>o</sup> Pour devenir digne de servir de lieu au chant -religieux. Ce chant lui-même est de trois sortes : les -psaumes, les leçons, et les chants proprement dits.</p> - -<p>Quant au temple où se trouve l’autel, l’Eglise le consacre -pour cinq motifs : 1<sup>o</sup> pour en chasser le diable et -son pouvoir. Saint Grégoire rapporte dans un de ses -<i>Dialogues</i> que, lorsque les reliques de saint Sébastien -et de sainte Agathe furent déposées dans une église qui -avait servi de temple à l’hérésie arienne, la foule vit un -porc courir, çà et là, se frayant un chemin vers la porte ; -et dès qu’il eut atteint la porte il disparut. La nuit suivante, -on entendit, dans le toit de cette église, un bruit -effroyable, comme si quelqu’un courait çà et là, cherchant -<span class="pagenum" id="p713">-713-</span> à s’enfuir. Ce tapage se reproduisit encore les -deux nuits suivantes, et avec tant de force qu’on crut -bien que l’église allait s’écrouler. Mais la quatrième -nuit, on ne l’entendit plus, et désormais l’église se trouva -purifiée. 2<sup>o</sup> Pour que ceux qui se réfugient dans l’église -puissent être sauvés. Et c’est en symbole de ce salut -spirituel que certaines églises, lors de leur consécration, -reçoivent des princes le privilège du droit d’asile, c’est-à-dire -la permission de mettre à l’abri des poursuites -ceux qui viennent s’y réfugier. 3<sup>o</sup> Pour que les prières -faites dans l’église soient exaucées. Notons, ici, que les -prières, dans l’église, s’adressent du côté de l’orient, -parce que nous considérons l’orient comme le lieu de -l’Eden, notre première patrie, et parce que c’est du côté -de l’orient que les apôtres ont vu le Christ monter au -ciel. 4<sup>o</sup> Pour que nous puissions célébrer, dans le temple, -les louanges de Dieu. Ces louanges se célèbrent dans les -sept heures canoniques, à savoir : matines, prime, -tierce, sexte, none, vêpres, et complies. Car, bien -que nous soyons tenus de louer Dieu à toute heure, -l’Eglise, en considération de notre faiblesse, nous a permis -de louer spécialement Dieu à ces sept moments privilégiés, -dont chacun correspond à un souvenir sacré. -C’est en effet, à minuit, heure des matines, qu’est né le -Christ, qu’il a été pris par les Juifs, et qu’il est descendu -aux enfers. Prime est l’heure où le Christ lui-même -avait coutume de se rendre au temple et c’est aussi -l’heure où il apparut aux saintes femmes, après sa résurrection. -Tierce est l’heure où le Christ, attaché à une -colonne qui montre encore les traces de son sang, a -été flagellé par ordre de Pilate, et c’est aussi l’heure où -l’Esprit-Saint a été envoyé aux apôtres. Sexte est -l’heure où le Christ a été attaché à la croix avec des -clous, et où la terre entière s’est couverte de ténèbres. -None est l’heure où le Christ a rendu son âme, où l’on a -percé son flanc, et où il est monté au ciel. Vêpres est -l’heure où il a institué le sacrement de l’Eucharistie, où -il a lavé les pieds des disciples, où il a été mis au tombeau, -et où il est apparu aux disciples d’Emmaüs. Complies -<span class="pagenum" id="p714">-714-</span> est l’heure où il a sué des gouttes de sang, et où, -ressuscité, il est venu annoncer la paix à ses disciples. -Enfin, 5<sup>o</sup>, l’Eglise doit être consacrée pour que puissent -y être administrés les sacrements ecclésiastiques.</p> - -<p>2<sup>o</sup> — Voyons maintenant de quelle manière se fait la -consécration de l’autel, et celle du temple entier. Pour -consacrer l’autel, on figure d’abord, aux quatre coins, -quatre croix avec de l’eau bénite ; puis on fait sept fois -le tour de l’autel ; puis on l’asperge sept fois d’eau -bénite mêlée d’hysope ; puis on y brûle de l’encens ; -puis on l’oint avec le saint chrême ; enfin on le recouvre -d’une nappe immaculée. Ces six opérations symbolisent -les vertus que doivent posséder ceux qui approchent de -l’autel. 1<sup>o</sup> Ils doivent avoir les quatre sortes d’amour -sanctionnées par la croix du Christ, c’est-à-dire l’amour -de Dieu, l’amour de soi-même, l’amour des amis, et -l’amour des ennemis. Et les quatre croix signifient aussi -le salut des quatre parties du monde par la croix. 2<sup>o</sup> Les -sept tours de l’autel symbolisent la vigilance que le Seigneur -exige de ses prêtres. Et ils peuvent rappeler -aussi les sept chemins de Jésus-Christ, à savoir : du -ciel dans le sein de la Vierge, de ce sein à la crèche, -de la crèche dans le monde, du monde sur la croix, de -la croix dans le tombeau, du tombeau aux enfers, et des -enfers au ciel. 3<sup>o</sup> Les sept aspersions d’eau bénite symbolisent -les sept fois que le Christ a versé son sang, à -savoir : dans la circoncision, au Jardin des Oliviers, -dans la flagellation, dans le couronnement d’épines, -dans le percement de ses mains, dans le percement de -ses pieds, et dans le percement de son flanc. 4<sup>o</sup> La fumée -de l’encens symbolise la prière, qui doit s’élever au ciel -avec ferveur et dévotion. 5<sup>o</sup> L’onction du saint chrême -signifie que le prêtre doit avoir la conscience pure et -le parfum de la bonne réputation. 6<sup>o</sup> Enfin les nappes -immaculées symbolisent la pureté des bonnes œuvres, -qui cachent la nudité de l’âme et l’ornent de beauté.</p> - -<p>Quant à la consécration du temple tout entier, elle -comprend également plusieurs parties. D’abord l’évêque -fait trois fois le tour de l’église, et, chaque fois qu’il -<span class="pagenum" id="p715">-715-</span> passe devant la porte, il frappe celle-ci de son bâton -pastoral, en disant : <i lang="la" xml:lang="la">Aperite portas principes vestras</i>, etc. -Puis on asperge d’eau bénite l’intérieur et l’extérieur du -temple ; on fait aussi, sur le pavé, une croix de cendres -et de sable, et on y écrit, en travers, l’alphabet grec et -l’alphabet latin ; sur les murs, on peint des croix qu’on -oint de saint chrême, et devant lesquelles on allume des -cierges. Et voici maintenant la signification de ces diverses -cérémonies : 1<sup>o</sup> Le triple tour de l’Eglise signifie -que celle-ci est consacrée en l’honneur de la Sainte -Trinité. Ou bien encore il désigne le triple état des âmes -sauvées par l’Eglise, à savoir l’état de virginité, l’état -de continence, et l’état de mariage. Cette distinction des -trois états se retrouve, suivant Richard de Saint-Victor, -dans la disposition matérielle de l’église : car le sanctuaire -correspond à l’état de virginité, le chœur, à l’état -de continence, et la nef à l’état de mariage. 2<sup>o</sup> La triple -percussion à la porte symbolise le droit qu’a le Christ -de pénétrer dans l’église, à savoir, en sa qualité de créateur, -de rédempteur et de glorificateur. 3<sup>o</sup> La triple -récitation de la formule <i lang="la" xml:lang="la">aperite portas</i> désigne la triple -puissance du Seigneur, à savoir : dans le ciel, dans le -monde, et dans l’enfer. 4<sup>o</sup> L’aspersion d’eau bénite a -pour objet, d’abord, l’expulsion du démon, que l’eau -bénite a pour vertu propre de chasser. Cette aspersion -a aussi pour objet la purification de l’église, qui, comme -toutes choses terrestres, est corrompue et souillée. Et -cette aspersion a enfin pour objet de relever l’église de -toute malédiction, et d’y substituer la bénédiction de -Dieu. 5<sup>o</sup> L’inscription des deux alphabets représente la -conjonction du peuple juif et du peuple des gentils, et -aussi la conjonction des deux testaments, lesquelles, toutes -deux, ont été consommées par la croix du Christ. 6<sup>o</sup> La -peinture des croix sur les murs a pour objet d’effrayer -les démons, et de marquer le triomphe du Christ, dont la -croix est l’étendard. 7<sup>o</sup> Enfin les cierges allumés devant -ces croix, au nombre de douze, symbolisent les douze -apôtres, qui ont illuminé le monde par la foi du Christ.</p> - -<p>3<sup>o</sup> Quant à la question de savoir par qui une église -<span class="pagenum" id="p716">-716-</span> est profanée, nous devons nous rappeler que le -Temple même de Dieu a été profané par trois hommes : -Jéroboam, Nabuzardam, et Antiochus. 1<sup>o</sup> Jéroboam a -profané le temple par avarice, afin que le royaume -n’échût pas à Roboam. Et, de même, l’église de Dieu se -trouve profanée par l’avarice des clercs. Saint Bernard -a dit : « Citez-moi donc un prélat qui ne mette pas plus -de vigilance à vider la bourse de ses sujets qu’à extirper -les vices ! » Et l’église est encore profanée lorsqu’elle -est construite avec un argent acquis par l’avarice, c’est-à-dire -mal gagné. Un usurier, ayant fait construire une -église, invita l’évêque à venir la consacrer. Mais l’évêque, -en y entrant, aperçut le diable assis dans la cathèdre -en habit épiscopal. Ce que voyant, l’évêque s’enfuit -avec ses clercs, l’église ayant déjà été consacrée par le -diable ; et aussitôt le diable détruisit cette église avec -un grand fracas ; 2<sup>o</sup> Quant à Nabuzardam, dont le livre -des <i>Rois</i> nous apprend qu’il incendia le temple de Dieu, -c’était un chef cuisinier. Et, de même, l’église est profanée -lorsque ceux qui doivent la servir sont adonnés à -la gourmandise ou à la luxure, et, suivant la parole de -l’apôtre « ont fait de leur ventre leur dieu ». 3<sup>o</sup> Le roi -Antiochus, qui souilla et profana le Temple de Dieu, -était le plus orgueilleux des hommes, et le plus ambitieux. -Et, de même, les églises sont souvent profanées -par l’orgueil et l’ambition du clergé.</p> - -<p>Profané trois fois, le Temple a été aussi consacré trois -fois : par Moïse, par Salomon, et par Juda Macchabée ; -ce qui nous indique que, à la dédicace de l’église, doivent -concourir l’humilité de Moïse, la sagesse de Salomon, -et le zèle de Juda Macchabée pour la défense de la foi.</p> - -<p>II. Voilà ce que nous avons eu à dire de la consécration -de l’église ; mais nous devons ajouter qu’il y a une autre -église qui doit être non moins solennellement consacrée -à Dieu : c’est, à savoir, l’église spirituelle, que forme -l’assemblée de tous les fidèles. Elle a pour pierres d’angle -la foi, l’espérance, la charité, et les bonnes œuvres ; -choses qui, comme le dit saint Grégoire, sont toujours -égales, car nous espérons dans la mesure où nous -<span class="pagenum" id="p717">-717-</span> croyons, nous aimons dans la mesure où nous croyons et -espérons ; et nos œuvres sont en proportion de notre -foi, de notre espérance, et de notre charité. L’autel de -cette église est notre cœur, sur lequel autel nous devons -offrir à Dieu trois choses : la flamme de la dilection, -l’encens de l’oraison, et le sacrifice de la pénitence.</p> - -<p>Et, de même que l’église matérielle, ce temple spirituel -doit être consacré solennellement. D’abord son prêtre, -le Christ, en fait trois fois le tour, en nous rappelant les -péchés de notre bouche, de notre cœur, et de nos œuvres. -Et il frappe trois fois à la porte fermée de notre cœur, -par ses bienfaits, par ses conseils, et par ses épreuves. Et -l’église spirituelle doit être aussi arrosée trois fois d’eau, -à l’intérieur, et à l’extérieur ; et cela par les larmes intérieures -et extérieures, que nous devons verser en considérant : -1<sup>o</sup> que nous avons vécu dans le péché ; 2<sup>o</sup> que nous -sommes misérables ; 3<sup>o</sup> que nous sommes privés de la -gloire des justes. Quant à l’alphabet écrit dans notre -cœur, il consiste en trois choses qui se trouvent gravées -en nous : 1<sup>o</sup> la règle de nos actions ; 2<sup>o</sup> le témoignage -des bienfaits de Dieu ; 3<sup>o</sup> l’accusation de nos propres -péchés. Et nous devons enfin peindre des croix dans nos -âmes, c’est-à-dire assumer les macérations de la pénitence ; -et devant ces croix nous devons allumer des -cierges, et nous devons les oindre d’huile sainte, ce qui -signifie que nous devons, non seulement les supporter -avec patience, mais encore avec zèle et avec plaisir.</p> - -<p>Et celui qui aura procédé à cette consécration de lui-même, -celui-là sera vraiment un temple dédié au Seigneur. -Celui-là sera vraiment digne que le Christ habite -en lui sous la forme de la Grâce divine, en attendant que -lui-même soit admis à habiter dans la Gloire du Christ. -Ce que daigne nous accorder le Dieu qui vit et règne -dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il !</p> - - -<p class="c gap">FIN</p> - -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p719">-719-</span></p> - -<h2 class="nobreak" id="index">INDEX ALPHABÉTIQUE<a id="FNanchor_26" href="#Footnote_26" class="fnanchor">[26]</a></h2> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_26" href="#FNanchor_26"><span class="label">[26]</span></a> Les chiffres en caractères gras signifient que les noms auxquels -ils se rapportent font l’objet d’un chapitre spécial.</p> - -<p>Il a été, naturellement, impossible d’introduire dans cet index -des noms comme Dieu, Jésus ou comme le Diable, Satan, etc., -qui se trouvent répétés presque à toutes les pages.</p> -</div> - -<ul> -<li><b class="large">A</b>bbanès, <a href="#p31">31</a> et suiv.</li> -<li>Abdias, prophète, <a href="#p478">478</a>.</li> -<li>Abdon (saint), <b><a href="#p379">379</a></b>.</li> -<li>Abgar, roi d’Edesse, <a href="#p37">37</a>, <a href="#p596">596</a> et suiv.</li> -<li>Abias, grand prêtre, <a href="#p304">304</a>.</li> -<li>Abiathar, grand-prêtre, <a href="#p354">354</a>.</li> -<li>Abiathar, docteur, <a href="#p68">68</a>.</li> -<li>Abibas, fils de s. Gamaliel, <a href="#p395">395</a> et suiv.</li> -<li>Abonde (saint), <a href="#p428">428</a>.</li> -<li>Abraham, <a href="#p550">550</a>, <a href="#p626">626</a>, <a href="#p697">697</a>.</li> -<li>Achace (saint), <a href="#p457">457</a>.</li> -<li>Achaïe, <a href="#p10">10</a>,</li> -<li>Achillée (saint), <b><a href="#p272">272</a></b> et suiv.</li> -<li>Acladius, <a href="#p538">538</a>, <a href="#p540">540</a>.</li> -<li>Adaloth, <a href="#p693">693</a>.</li> -<li>Adam, <a href="#pxxii"><small>XXII</small></a>, <a href="#p1">1</a>, <a href="#p37">37</a>, <a href="#p121">121</a>, <a href="#p205">205</a>, -<a href="#p206">206</a>, <a href="#p259">259</a>, <a href="#p260">260</a>, <a href="#p437">437</a>, <a href="#p697">697</a>.</li> -<li>Adéodat, fils de saint Augustin, <a href="#p462">462</a>.</li> -<li>Adonis, <a href="#p673">673</a>.</li> -<li>Adriatique (mer), <a href="#p265">265</a>.</li> -<li>Adrien (saint), martyr, <b><a href="#p503">503</a></b> et suiv.</li> -<li>Adrien (saint), compagnon de sainte Ursule, <a href="#p591">591</a>.</li> -<li>Adrien, pape, <a href="#p178">178</a>, <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Adrien, empereur, <a href="#p264">264</a>, <a href="#p285">285</a>, <a href="#p529">529</a>, <a href="#p530">530</a>, <a href="#p546">546</a>.</li> -<li>Adventor (saint), <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Africain, père de saint Nazaire, <a href="#p370">370</a>.</li> -<li>Africain, <a href="#p592">592</a>.</li> -<li>Afrique, <a href="#p159">159</a>, <a href="#p170">170</a>, <a href="#p680">680</a>.</li> -<li>Agapet (saint), <a href="#p525">525</a> et suiv.</li> -<li>Agapète, Irène, et Thionie, (saintes), <a href="#p43">43</a>.</li> -<li>Agapite (saint), <a href="#p225">225</a>.</li> -<li>Agar, <a href="#p694">694</a>.</li> -<li>Agarenien, <a href="#p26">26</a>.</li> -<li>Agathe (sainte), <a href="#pxxviii"><small>XXVIII</small></a>, <a href="#p27">27</a>, <a href="#p30">30</a>, <b><a href="#p146">146</a></b> et suiv., <a href="#p712">712</a>.</li> -<li>Agathon (saint), <b><a href="#p689">689</a></b> et suiv.</li> -<li>Agaune, <a href="#p534">534</a>.</li> -<li>Agilmude, <a href="#p691">691</a>.</li> -<li>Agisulphe, <a href="#p693">693</a>.</li> -<li>Aglaé (sainte), <a href="#p275">275</a> et suiv.</li> -<li>Aglaé, mère de saint Alexis, <a href="#p330">330</a> et suiv.</li> -<li>Agnès (sainte), <b><a href="#p97">97</a></b> et suiv., <a href="#p307">307</a>, <a href="#p424">424</a>, <a href="#p425">425</a>, <a href="#p623">623</a>.</li> -<li>Agontius, <a href="#p322">322</a>.</li> -<li>Agrippa, préfet, <a href="#p314">314</a> et suiv.</li> -<li>Aix-en-Provence, <a href="#p343">343</a>, <a href="#p345">345</a>, <a href="#p375">375</a>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p720">-720-</span> Aix-la-Chapelle, <a href="#p72">72</a>, <a href="#p707">707</a>, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Alassio, <a href="#p79">79</a>.</li> -<li>Albain, messager de Pilate, <a href="#p255">255</a>.</li> -<li>Albane, <a href="#p457">457</a>.</li> -<li>Albenga, <a href="#piii"><small>III</small></a>, <a href="#p209">209</a>.</li> -<li>Albert (le frère), <a href="#p346">346</a>.</li> -<li>Albigeois, <a href="#p711">711</a>.</li> -<li>Alboin, <a href="#p691">691</a>, <a href="#p692">692</a> et suiv.</li> -<li>Aleth, mère de saint Bernard, <a href="#p440">440</a>.</li> -<li>Alexandre (saint), fils de sainte Félicité, <a href="#p329">329</a>.</li> -<li>Alexandre (saint), ermite, <a href="#p210">210</a>.</li> -<li>Alexandre (saint), légion thébaine, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Alexandre, (saint), pape, <a href="#p388">388</a>, <a href="#p390">390</a> et suiv.</li> -<li>Alexandre III, pape, <a href="#p62">62</a>, <a href="#p479">479</a>, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Alexandre IV, pape, <a href="#pxii"><small>XII</small></a>.</li> -<li>Alexandre, évêque, <a href="#p414">414</a>.</li> -<li>Alexandre le Grand, <a href="#p480">480</a>.</li> -<li>Alexandre, empereur, <a href="#p36">36</a>, <a href="#p280">280</a>, <a href="#p281">281</a>, <a href="#p298">298</a>, <a href="#p582">582</a>.</li> -<li>Alexandre, fils d’Hérode, <a href="#p58">58</a> et suiv.</li> -<li>Alexandre, préfet, <a href="#p298">298</a> et suiv.</li> -<li>Alexandre, sénateur, <a href="#p396">396</a>.</li> -<li>Alexandrie (sainte), <a href="#p231">231</a>.</li> -<li>Alexandrie, <a href="#p21">21</a>, <a href="#p105">105</a> et suiv., <a href="#p126">126</a> et suiv., <a href="#p152">152</a> et suiv., <a href="#p169">169</a>, <a href="#p213">213</a>, <a href="#p233">233</a> et suiv., <a href="#p309">309</a>, <a href="#p385">385</a>, <a href="#p391">391</a>, <a href="#p472">472</a> et suiv., <a href="#p509">509</a> et suiv., <a href="#p518">518</a>, <a href="#p656">656</a> et suiv., <a href="#p694">694</a>.</li> -<li>Alexandrie (Italie), <a href="#p568">568</a>.</li> -<li>Alexis (saint), <b><a href="#p330">330</a></b> et suiv.</li> -<li>Alipe, <a href="#p461">461</a> et suiv.</li> -<li>Allemagne, <a href="#p704">704</a>, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Almaque, préfet, <a href="#p280">280</a>, <a href="#p641">641</a> et suiv.</li> -<li>Alpes, <a href="#p481">481</a>, <a href="#p534">534</a>, <a href="#p628">628</a>.</li> -<li>Alphée, <a href="#p250">250</a>, <a href="#p494">494</a>, <a href="#p596">596</a>.</li> -<li>Amand (saint), <b><a href="#p151">151</a></b> et suiv.</li> -<li>Amator (saint), <a href="#p210">210</a> et suiv., <a href="#p380">380</a>.</li> -<li>Ambroise (saint), <a href="#p104">104</a>, <a href="#p123">123</a>, <b><a href="#p216">216</a></b> et suiv., <a href="#p230">230</a>, <a href="#p235">235</a>, <a href="#p262">262</a>, <a href="#p264">264</a>, <a href="#p279">279</a>, <a href="#p302">302</a>, <a href="#p305">305</a>, <a href="#p370">370</a>, <a href="#p373">373</a>, <a href="#p377">377</a>, <a href="#p460">460</a> et suiv., <a href="#p589">589</a>, <a href="#p626">626</a>, <a href="#p702">702</a>, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Ambroise, père de saint Ambroise, <a href="#p216">216</a>.</li> -<li>Amerius, <a href="#p73">73</a>.</li> -<li>Amet (saint), pape, <a href="#p592">592</a>.</li> -<li>Amicus et Aurélius (saints), <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Amiens, <a href="#pxvi"><small>XVI</small></a>, <a href="#p602">602</a>, <a href="#p619">619</a>.</li> -<li>Aminée, <a href="#p280">280</a>.</li> -<li>Amphiloque, évêque, <a href="#p289">289</a>.</li> -<li>Ananias, <a href="#p254">254</a>, <a href="#p312">312</a>.</li> -<li>Anastase (saint), <a href="#p87">87</a>, <a href="#p169">169</a>.</li> -<li>Anastasie (sainte), <b><a href="#p43">43</a></b> et suiv., <a href="#p655">655</a> et suiv.</li> -<li>André (saint), <b><a href="#p7">7</a></b> et suiv., <a href="#p459">459</a>.</li> -<li>André, évêque, <a href="#p516">516</a>.</li> -<li>André, <a href="#p177">177</a> et suiv.</li> -<li>Angelico, (le bienheureux fra) <a href="#pv"><small>V</small></a>, <a href="#pxxiv"><small>XXIV</small></a>.</li> -<li>Angers, <a href="#p704">704</a>.</li> -<li>Angleterre, <a href="#p56">56</a>, <a href="#p61">61</a>, <a href="#p62">62</a>, <a href="#p169">169</a>, <a href="#p590">590</a>, <a href="#p699">699</a>.</li> -<li>Aniane, évêque, <a href="#p234">234</a>.</li> -<li>Annas, <a href="#p68">68</a>.</li> -<li>Anne (sainte), <a href="#p58">58</a>, <a href="#p136">136</a>, <a href="#p137">137</a>, <a href="#p494">494</a> et suiv.</li> -<li>Anne, grand-prêtre, <a href="#p205">205</a>.</li> -<li>Annibal, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Anolin, geôlier, <a href="#p281">281</a>.</li> -<li>Anolin, préfet, <a href="#p373">373</a>.</li> -<li>Anselme (saint), <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Antime (saint), <a href="#p542">542</a>.</li> -<li>Antioche, <a href="#pvi"><small>VI</small></a>, <a href="#pxxv"><small>XXV</small></a>, <a href="#p8">8</a>, <a href="#p125">125</a>, <a href="#p142">142</a> et suiv., <a href="#p157">157</a> et suiv., <a href="#p169">169</a>, <a href="#p194">194</a>, <a href="#p232">232</a>, <a href="#p288">288</a> et suiv., <a href="#p480">480</a>, -<span class="pagenum" id="p721">-721-</span> <a href="#p538">538</a>, <a href="#p539">539</a>, <a href="#p571">571</a>, <a href="#p588">588</a>, <a href="#p589">589</a>, <a href="#p590">590</a>, <a href="#p650">650</a>.</li> -<li>Antiochus, <a href="#p716">716</a>.</li> -<li>Antipater, père d’Hérode, <a href="#p57">57</a>.</li> -<li>Antipater, fils d’Hérode, <a href="#p58">58</a>, <a href="#p60">60</a>, <a href="#p369">369</a>.</li> -<li>Antoine (saint), <a href="#pxiv"><small>XIV</small></a>, -<a href="#pxx"><small>XX</small></a>, -<a href="#pxxviii"><small>XXVIII</small></a>, <a href="#p83">83</a> et suiv., <b><a href="#p87">87</a></b> et suiv., <a href="#p461">461</a>, <a href="#p576">576</a>.</li> -<li>Antoine (Marc-), <a href="#p391">391</a>.</li> -<li>Antoine II, empereur, <a href="#p338">338</a>.</li> -<li>Antonin, empereur, <a href="#p329">329</a>.</li> -<li>Anture, mère de saint Jean Chrysostome, <a href="#p125">125</a>.</li> -<li>Aoste, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Aphrodise, <a href="#p146">146</a>, <a href="#p147">147</a>.</li> -<li>Apia, <a href="#p79">79</a> et suiv.</li> -<li>Apilion, <a href="#p22">22</a>.</li> -<li>Apollinaire (saint), <a href="#p452">452</a>.</li> -<li>Apollinaire (saint), <b><a href="#p347">347</a></b> et suiv.</li> -<li>Apolline (sainte), <a href="#pxiii"><small>XIII</small></a>, -<b><a href="#p152">152</a></b> et suiv.</li> -<li>Apollon, <a href="#p39">39</a>, <a href="#p188">188</a>, <a href="#p194">194</a>, <a href="#p348">348</a>, <a href="#p351">351</a>, <a href="#p516">516</a>.</li> -<li>Apollophane, <a href="#p577">577</a>.</li> -<li>Apostelle, <a href="#p248">248</a>.</li> -<li>Appellius, <a href="#p73">73</a>.</li> -<li>Apronien (saint), <a href="#p418">418</a>.</li> -<li>Apulée, disciple de s. Pierre, <a href="#p319">319</a>.</li> -<li>Aquila, <a href="#p646">646</a> et suiv. (V. <a href="#faustin"><i>Faustin</i></a>).</li> -<li>Aquilée, <a href="#p233">233</a>, <a href="#p656">656</a>.</li> -<li>Aquilin, consul, <a href="#p509">509</a>.</li> -<li>Aquilin, <a href="#p547">547</a>.</li> -<li>Aquiline (sainte), <a href="#p364">364</a> et suiv.</li> -<li>Aquitaine, <a href="#p79">79</a>, <a href="#p449">449</a>, <a href="#p450">450</a>, <a href="#p584">584</a>, <a href="#p702">702</a>.</li> -<li>Arabie, <a href="#p542">542</a>.</li> -<li>Arachis, <a href="#p671">671</a> et suiv.</li> -<li>Arcade, empereur, <a href="#p125">125</a>, <a href="#p134">134</a>, <a href="#p332">332</a>, <a href="#p626">626</a>.</li> -<li>Archélaüs, fils d’Hérode, <a href="#p58">58</a> et suiv.</li> -<li>Archémius, geôlier, <a href="#p283">283</a> et suiv.</li> -<li>Aréopage, <a href="#p577">577</a>.</li> -<li>Aretas, roi, <a href="#p476">476</a>.</li> -<li>Arezzo, <a href="#pxix"><small>XIX</small></a>, <a href="#p415">415</a>, <a href="#p416">416</a>, <a href="#p564">564</a>.</li> -<li>Argos, <a href="#p18">18</a>.</li> -<li>Arimathie, <a href="#p205">205</a>, <a href="#p258">258</a>.</li> -<li>Aristobule, fils d’Hérode, <a href="#p58">58</a> et suiv.</li> -<li>Aristodème, <a href="#p53">53</a>, <a href="#p54">54</a>.</li> -<li>Aristote, <a href="#p509">509</a>.</li> -<li>Arius, <a href="#p79">79</a>, <a href="#p242">242</a>, <a href="#p385">385</a>.</li> -<li>Arles, <a href="#p376">376</a>, <a href="#p490">490</a>, <a href="#p492">492</a>, <a href="#p581">581</a>.</li> -<li>Arménie, femme de Carpasius, <a href="#p281">281</a>.</li> -<li>Arménie, <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Aroël, <a href="#p68">68</a>.</li> -<li>Arphaxal, <a href="#p530">530</a>, <a href="#p532">532</a>, <a href="#p598">598</a>.</li> -<li>Arras, <a href="#p150">150</a>.</li> -<li>Arsène (saint), <b><a href="#p686">686</a></b> et suiv.</li> -<li>Arthémie, fille de Dioclétien, <a href="#p418">418</a> et suiv.</li> -<li>Asie, <a href="#p7">7</a>, <a href="#p50">50</a>, <a href="#p53">53</a>, <a href="#p159">159</a>, <a href="#p249">249</a>, <a href="#p578">578</a>, <a href="#p579">579</a>.</li> -<li>Aspasius, <a href="#p99">99</a>.</li> -<li>Asserbus, <a href="#p244">244</a>.</li> -<li>Assise, <a href="#p561">561</a> et suiv.</li> -<li>Astaroth, <a href="#p454">454</a> et suiv.</li> -<li>Astase (comte), <a href="#p301">301</a> et suiv.</li> -<li>Astère (saint), <a href="#p583">583</a>.</li> -<li>Asti, <a href="#p207">207</a> et suiv.</li> -<li>Astyage, <a href="#p456">456</a>.</li> -<li>Astolphe, <a href="#p699">699</a>.</li> -<li>Athanase (saint), <a href="#p385">385</a>, <a href="#p387">387</a>, <a href="#p479">479</a>.</li> -<li>Athènes, <a href="#p225">225</a>, <a href="#p577">577</a>, <a href="#p578">578</a>, <a href="#p645">645</a>, <a href="#p649">649</a>.</li> -<li>Atticus, <a href="#p602">602</a>.</li> -<li>Attila, <a href="#p311">311</a>, <a href="#p381">381</a>.</li> -<li>Atus, <a href="#p199">199</a>.</li> -<li id="auguste">Auguste (César-Octave), <a href="#p38">38</a>, <a href="#p40">40</a>, <a href="#p57">57</a> et suiv., <a href="#p74">74</a>, <a href="#p391">391</a> et suiv.</li> -<li>Augustin (saint), <a href="#pxi"><small>XI</small></a>, <a href="#pxii"><small>XII</small></a>, <a href="#pxxiii"><small>XXIII</small></a>, -<span class="pagenum" id="p722">-722-</span> <a href="#p3">3</a>, <a href="#p14">14</a>, <a href="#p31">31</a>, <a href="#p41">41</a>, <a href="#p42">42</a>, <a href="#p47">47</a> et suiv., <a href="#p72">72</a>, <a href="#p104">104</a>, <a href="#p170">170</a>, <a href="#p216">216</a>, <a href="#p224">224</a>, <a href="#p303">303</a>, <a href="#p312">312</a>, <a href="#p396">396</a>, <a href="#p398">398</a>, <a href="#p401">401</a>, -<b><a href="#p459">459</a></b> et suiv., <a href="#p477">477</a>, <a href="#p606">606</a>, <a href="#p611">611</a>.</li> -<li>Augustin (frère), <a href="#p569">569</a>.</li> -<li>Augustin, prêtre, <a href="#p169">169</a>.</li> -<li>Aurélien, empereur, <a href="#p484">484</a> et suiv.</li> -<li>Aurélien, consul, <a href="#p272">272</a> et suiv.</li> -<li>Autun, <a href="#p380">380</a>, <a href="#p383">383</a>, <a href="#p452">452</a>, <a href="#p559">559</a>.</li> -<li>Auvergne, <a href="#p115">115</a>, <a href="#p586">586</a>.</li> -<li>Auxerre, <a href="#p210">210</a> et suiv., <a href="#p380">380</a>, <a href="#p537">537</a>.</li> -<li>Avennir, <a href="#p663">663</a> et suiv.</li> -<li>Avignon, <a href="#p376">376</a>.</li> -<li>Avit, <a href="#p509">509</a>, <a href="#p511">511</a>.</li> -<li>Avranches, <a href="#p546">546</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">B</b>abille (sainte), <a href="#p591">591</a>.</li> -<li>Babylone, <a href="#p121">121</a>, <a href="#p431">431</a>, <a href="#p466">466</a>.</li> -<li>Babylonie, <a href="#p379">379</a>, <a href="#p418">418</a>, <a href="#p690">690</a>.</li> -<li>Bactriane, <a href="#p37">37</a>.</li> -<li>Baillet, <a href="#pxxiii"><small>XXIII</small></a>.</li> -<li>Balaam, <a href="#p74">74</a>, <a href="#p524">524</a>.</li> -<li>Balachius, <a href="#p90">90</a>.</li> -<li>Balbine (sainte), <a href="#p390">390</a> et suiv.</li> -<li>Baldak, idole, <a href="#p456">456</a>.</li> -<li>Bâle, <a href="#p591">591</a>, <a href="#p592">592</a>.</li> -<li>Bamberg, <a href="#p634">634</a>.</li> -<li>Balthazar, <a href="#p73">73</a>.</li> -<li>Baradac, <a href="#p598">598</a> et suiv.</li> -<li>Barbe, <a href="#p691">691</a>.</li> -<li>Barcelone, <a href="#p360">360</a>.</li> -<li>Bari, <a href="#p24">24</a>, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Barlaam (saint), <b><a href="#p663">663</a></b> et suiv.</li> -<li>Barnabé (saint), <b><a href="#p287">287</a></b> et suiv., <a href="#p327">327</a>, <a href="#p533">533</a>, <a href="#p646">646</a>.</li> -<li>Barpanthar, <a href="#p493">493</a>.</li> -<li>Barsabas, <a href="#p463">463</a>.</li> -<li>Barthélemy (saint), <b><a href="#p453">453</a></b> et suiv.</li> -<li>Bartolomméo (Fra), <a href="#pv"><small>V</small></a>.</li> -<li>Basile (saint), <a href="#px"><small>X</small></a>, <a href="#p119">119</a>, <b><a href="#p289">289</a></b> et suiv.</li> -<li>Bavière, <a href="#p706">706</a>.</li> -<li>Bazas, <a href="#p691">691</a>.</li> -<li>Béatrice (sainte), <a href="#p374">374</a> et suiv.</li> -<li>Bec (le Prieuré du), <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Bède (le vénérable saint), <a href="#p160">160</a>, <a href="#p164">164</a>, <a href="#p202">202</a>, <a href="#p356">356</a>, <a href="#p391">391</a>, <a href="#p493">493</a>, <a href="#p602">602</a>, <a href="#p609">609</a> et suiv.</li> -<li>Beleth (maître Jean), <a href="#pxvi"><small>XVI</small></a>, <a href="#p118">118</a>, <a href="#p160">160</a>, <a href="#p352">352</a>, <a href="#p388">388</a>, <a href="#p482">482</a>, <a href="#p497">497</a>, <a href="#p602">602</a>, <a href="#p627">627</a>.</li> -<li>Belzébuth, <a href="#p156">156</a>, <a href="#p183">183</a>.</li> -<li>Benedetto (Fra), <a href="#pv"><small>V</small></a>.</li> -<li>Bénévent, <a href="#p458">458</a>, <a href="#p547">547</a>.</li> -<li>Benjamin, <a href="#p68">68</a>.</li> -<li>Benoît (saint), <b><a href="#p184">184</a></b> et suiv., <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Benoît, pape, <a href="#p690">690</a>.</li> -<li>Benoît, <a href="#p248">248</a>.</li> -<li>Bérenger, hérétique, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Bergame, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Bérith, ville, <a href="#p515">515</a>.</li> -<li>Bérith, idole, <a href="#p454">454</a>.</li> -<li>Bernard (saint), <a href="#pxxvi"><small>XXVI</small></a>, <a href="#p4">4</a>, <a href="#p42">42</a>, <a href="#p76">76</a>, <a href="#p135">135</a>, <a href="#p146">146</a>, -<b><a href="#p440">440</a></b> et suiv., <a href="#p469">469</a>, <a href="#p588">588</a>, <a href="#p709">709</a>, <a href="#p710">710</a>, <a href="#p716">716</a>.</li> -<li>Bernard, <a href="#p356">356</a>.</li> -<li>Béthanie, <a href="#p68">68</a>, <a href="#p278">278</a>, <a href="#p338">338</a>.</li> -<li>Bethléem, <a href="#p38">38</a>, <a href="#p58">58</a>, <a href="#p59">59</a>, <a href="#p75">75</a>, <a href="#p164">164</a>, <a href="#p195">195</a>, <a href="#p494">494</a>, <a href="#p497">497</a>, <a href="#p554">554</a>, <a href="#p557">557</a>.</li> -<li>Bithynie, <a href="#p589">589</a>.</li> -<li>Blaise (saint), <a href="#p65">65</a>, <b><a href="#p139">139</a></b> et suiv.</li> -<li>Bodhisattva, <a href="#p676">676</a>.</li> -<li>Boëce, <a href="#p699">699</a>.</li> -<li>Bollandus, <a href="#pxx"><small>XX</small></a>, <a href="#pxxi"><small>XXI</small></a>, <a href="#pxxviii"><small>XXVIII</small></a>.</li> -<li>Bologne, <a href="#p401">401</a> et suiv.</li> -<li>Bolsène, <a href="#p352">352</a>.</li> -<li>Boniface (saint), <b><a href="#p275">275</a></b> et suiv.</li> -<li>Boniface III, pape, <a href="#p694">694</a>.</li> -<li>Boniface IV, <a href="#p604">604</a>, <a href="#p694">694</a>.</li> -<li>Bonizzi, <a href="#p709">709</a>.</li> -<li>Bormida (la), <a href="#p208">208</a>.</li> -<li>Boudha, <a href="#p676">676</a>.</li> -<li>Bourges, <a href="#p438">438</a>.</li> -<li>Bourgogne, <a href="#p440">440</a>, <a href="#p489">489</a>, <a href="#p537">537</a>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p723">-723-</span> Bouts (Thierry), <a href="#pxix"><small>XIX</small></a>.</li> -<li>Brescia, <a href="#p705">705</a>.</li> -<li>Bretagne, <a href="#p590">590</a> et suiv., <a href="#p705">705</a>.</li> -<li>Bretagne (Grande-), <a href="#p167">167</a>, <a href="#p263">263</a>, <a href="#p382">382</a>, <a href="#p586">586</a>.</li> -<li>Brice (saint), <b><a href="#p627">627</a></b> et suiv.</li> -<li>Brione, <a href="#p424">424</a>.</li> -<li>Brison, eunuque, <a href="#p128">128</a>.</li> -<li>Bruges, <a href="#pxviii"><small>XVIII</small></a>, <a href="#p662">662</a>.</li> -<li id="bruno">Bruno, évêque (Léon IX), <a href="#p706">706</a> et suiv.</li> -<li>Bruxelles, <a href="#pxix"><small>XIX</small></a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">C</b>adicha, <a href="#p695">695</a> et suiv.</li> -<li>Caïn, <a href="#p538">538</a>.</li> -<li>Caïphe, <a href="#p205">205</a>, <a href="#p252">252</a>.</li> -<li>Caïus Caligula, <a href="#p388">388</a> et suiv., <a href="#p478">478</a>.</li> -<li>Calabre, <a href="#p457">457</a>.</li> -<li>Calahorra, <a href="#p399">399</a>.</li> -<li>Calixte (saint), pape, <a href="#p124">124</a>, <a href="#p280">280</a>, <a href="#p356">356</a> et suiv., <b><a href="#p582">582</a></b> et suiv.</li> -<li>Calixte, ami de Julien l’Apostat, <a href="#p480">480</a>.</li> -<li>Calocerus (saint), <a href="#p207">207</a> et suiv.</li> -<li>Calvaire (mont du), <a href="#p198">198</a>.</li> -<li>Campanie, <a href="#p191">191</a>, <a href="#p271">271</a>, <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Cana, <a href="#p73">73</a>, <a href="#p596">596</a>.</li> -<li>Cana, près Pavie, <a href="#p471">471</a>.</li> -<li>Candace, <a href="#p530">530</a>.</li> -<li>Candes, <a href="#p625">625</a>.</li> -<li>Candide (saint), <a href="#p534">534</a>.</li> -<li>Cantorbery, <a href="#p61">61</a>.</li> -<li>Capoue, <a href="#p193">193</a>, <a href="#p397">397</a>.</li> -<li>Cappadoce, <a href="#p139">139</a>, <a href="#p226">226</a>, <a href="#p229">229</a>.</li> -<li>Carcassonne, <a href="#p410">410</a>.</li> -<li>Carin, fils de saint Siméon, <a href="#p205">205</a>, <a href="#p207">207</a>.</li> -<li>Carisius, <a href="#p35">35</a> et suiv.</li> -<li>Carpaccio, <a href="#pxix"><small>XIX</small></a>.</li> -<li>Carpasius, <a href="#p281">281</a>, <a href="#p419">419</a>.</li> -<li>Carpe (saint), <a href="#p203">203</a> et suiv.</li> -<li>Carpophore (saint), <a href="#p616">616</a>.</li> -<li>Carthage, <a href="#p459">459</a>, <a href="#p460">460</a>, <a href="#p523">523</a>.</li> -<li>Carus, évêque de Narbonne, <a href="#p596">596</a>.</li> -<li>Casal, <a href="#p468">468</a>.</li> -<li><span lang="la" xml:lang="la">Casa Mariæ</span>, <a href="#p408">408</a>.</li> -<li>Cassien (saint), <a href="#p54">54</a>, <a href="#p384">384</a>.</li> -<li>Cassin (mont), <a href="#p188">188</a>, <a href="#p698">698</a>, <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Cassiodore, <a href="#p58">58</a>.</li> -<li>Castille, <a href="#p565">565</a>.</li> -<li>Castor (saint), <a href="#p617">617</a>.</li> -<li>Catane, <a href="#p30">30</a>, <a href="#p146">146</a>, <a href="#p150">150</a>.</li> -<li>Catherine (sainte), <a href="#pxxii"><small>XXII</small></a>, <b><a href="#p656">656</a></b> et suiv.</li> -<li>Caxton, <a href="#pxiii"><small>XIII</small></a>.</li> -<li>Cécile (sainte), <a href="#p224">224</a>, <a href="#p280">280</a> et suiv., <b><a href="#p639">639</a></b> et suiv.</li> -<li>Cedon (saint), <a href="#p339">339</a>.</li> -<li>Célestin, pape, <a href="#p498">498</a>, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Célestin, père de s. Bernard, <a href="#p440">440</a>.</li> -<li>Célion (mont), <a href="#p366">366</a> et suiv.</li> -<li>Celse (saint), <b><a href="#p370">370</a></b> et suiv.</li> -<li>Celse, <a href="#p301">301</a>.</li> -<li>Cenis (mont), <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Cérasius, <a href="#p370">370</a>, <a href="#p373">373</a>.</li> -<li>Césaire (saint), <a href="#p273">273</a>, <a href="#p490">490</a>.</li> -<li>César (Jules), <a href="#p38">38</a>.</li> -<li>Césarée, <a href="#p31">31</a>, <a href="#p48">48</a>, <a href="#p119">119</a>, <a href="#p180">180</a>, <a href="#p250">250</a>, <a href="#p261">261</a>, <a href="#p324">324</a>, <a href="#p389">389</a>.</li> -<li>Chalcédoine, <a href="#p269">269</a>, <a href="#p311">311</a>, <a href="#p479">479</a>, <a href="#p482">482</a>, <a href="#p521">521</a>.</li> -<li>Chaldée, <a href="#p76">76</a>.</li> -<li>Chalé, <a href="#p457">457</a>.</li> -<li>Chantre parisien (le), <a href="#p611">611</a>, <a href="#p614">614</a>.</li> -<li>Charité (sainte), <a href="#p284">284</a>.</li> -<li>Charlemagne, <a href="#p72">72</a>, <a href="#p178">178</a>, <a href="#p345">345</a>, <a href="#p483">483</a>, <a href="#p582">582</a>, <a href="#p616">616</a>, <a href="#p701">701</a> et suiv.</li> -<li>Charles-Martel, roi, <a href="#p492">492</a>, <a href="#p698">698</a>.</li> -<li>Charles le Chauve, <a href="#p704">704</a>.</li> -<li>Charles II, roi de Naples, <a href="#pvii"><small>VII</small></a>.</li> -<li>Chartres, <a href="#p119">119</a>, <a href="#p435">435</a>.</li> -<li>Chartreuse (Grande-), <a href="#p446">446</a>, <a href="#p447">447</a>.</li> -<li>Chersonèse, <a href="#p652">652</a>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p724">-724-</span> Childéric, roi, <a href="#p521">521</a>, <a href="#p559">559</a>, <a href="#p698">698</a> et suiv.</li> -<li>Christine (sainte), <b><a href="#p349">349</a></b> et suiv.</li> -<li>Christophe (saint), <a href="#pxxiv"><small>XXIV</small></a>, <b><a href="#p361">361</a></b> et suiv.</li> -<li>Chromace, <a href="#p94">94</a>.</li> -<li>Chrysogone (saint), <a href="#p43">43</a>, <b><a href="#p655">655</a></b> et suiv.</li> -<li>Chrysostome (Voir <a href="#jean"><i>Jean</i></a>).</li> -<li>Chusi, <a href="#p68">68</a>.</li> -<li>Chypre, <a href="#p129">129</a>, <a href="#p287">287</a>, <a href="#p288">288</a>.</li> -<li>Ciborée, <a href="#p161">161</a> et suiv.</li> -<li>Cicéron, <a href="#p553">553</a>.</li> -<li>Cilicie, <a href="#p298">298</a>, <a href="#p331">331</a>.</li> -<li>Ciline, <a href="#p77">77</a>.</li> -<li>Cîteaux, <a href="#p196">196</a>, <a href="#p402">402</a>, <a href="#p409">409</a>, <a href="#p443">443</a>, <a href="#p708">708</a>, <a href="#p709">709</a>.</li> -<li>Civita-Vecchia, <a href="#p352">352</a>.</li> -<li>Clairvaux, <a href="#p443">443</a>, <a href="#p447">447</a>.</li> -<li>Classe, <a href="#p347">347</a>.</li> -<li>Claude (saint), <a href="#p617">617</a>.</li> -<li>Claude, empereur, <a href="#p314">314</a>.</li> -<li>Claude II, <a href="#p153">153</a>, <a href="#p154">154</a>, <a href="#p428">428</a>.</li> -<li>Claude, tribun, <a href="#p596">596</a>.</li> -<li>Claudie, <a href="#p509">509</a> et suiv.</li> -<li>Clément (saint), pape, <a href="#p54">54</a>, <a href="#p272">272</a>, <a href="#p312">312</a>, <a href="#p313">313</a>, <a href="#p315">315</a>, <a href="#p579">579</a>, <b><a href="#p644">644</a></b> et suiv.</li> -<li>Clément (saint), évêque, <a href="#p593">593</a>.</li> -<li>Cléopâtre, <a href="#p391">391</a>.</li> -<li>Cléophas, frère de s. Joseph, <a href="#p251">251</a>, <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Cléophas, disciple de Jésus, <a href="#p589">589</a>.</li> -<li>Clet (saint), <a href="#p314">314</a>, <a href="#p651">651</a>.</li> -<li>Clotaire, roi, <a href="#p489">489</a>, <a href="#p559">559</a>, <a href="#p587">587</a>.</li> -<li>Clotilde (sainte), <a href="#p557">557</a>.</li> -<li>Clovis, <a href="#p77">77</a>, <a href="#p378">378</a>, <a href="#p557">557</a>, <a href="#p582">582</a>.</li> -<li>Cluny, <a href="#p41">41</a>, <a href="#p608">608</a>, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Cocavilla, <a href="#p274">274</a>.</li> -<li>Coël, roi, <a href="#p263">263</a>.</li> -<li>Cogoleto, <a href="#pii"><small>II</small></a>.</li> -<li>Cologne, <a href="#pxviii"><small>XVIII</small></a>, <a href="#p76">76</a>, <a href="#p393">393</a>, <a href="#p592">592</a> et suiv., <a href="#p626">626</a>, <a href="#p662">662</a>.</li> -<li>Colomb (Christophe), <a href="#pii"><small>II</small></a>.</li> -<li>Colone, <a href="#p457">457</a>.</li> -<li>Côme (saint), <b><a href="#p541">541</a></b> et suiv.</li> -<li>Côme, ville, <a href="#p245">245</a>, <a href="#p246">246</a>.</li> -<li>Compostelle, <a href="#p354">354</a> et suiv.</li> -<li>Concorde (sainte), <a href="#p427">427</a> et suiv.</li> -<li>Concordien (saint), <a href="#p210">210</a> et suiv.</li> -<li>Conrad le Teuton, <a href="#p408">408</a> et suiv.</li> -<li>Conrad I<sup>er</sup>, empereur, <a href="#p706">706</a> et suiv.</li> -<li>Conrad II, <a href="#p709">709</a>, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Conrad (maître), <a href="#p631">631</a> et suiv.</li> -<li>Constance (sainte), martyre, <a href="#p593">593</a>.</li> -<li>Constance, empereur, <a href="#p374">374</a>, <a href="#p385">385</a> et suiv., <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Constance, fille de Constantin, <a href="#p100">100</a>, <a href="#p307">307</a> et suiv., <a href="#p479">479</a>.</li> -<li>Constant (saint), <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Constant, empereur, <a href="#p483">483</a>.</li> -<li>Constantin (saint), <a href="#p366">366</a> et suiv.</li> -<li>Constantin (saint), légion thébaine, <a href="#p534">534</a>.</li> -<li>Constantin, père de Constantin le Grand, <a href="#p262">262</a>.</li> -<li>Constantin le Grand, <a href="#p23">23</a>, <a href="#p66">66</a> et suiv., <a href="#p76">76</a>, <a href="#p99">99</a> et suiv., <a href="#p261">261</a> et suiv., <a href="#p299">299</a>, <a href="#p308">308</a> et suiv., <a href="#p370">370</a>, <a href="#p385">385</a>, <a href="#p461">461</a>, <a href="#p483">483</a>, <a href="#p618">618</a>, <a href="#p662">662</a>, <a href="#p702">702</a>.</li> -<li>Constantin II, <a href="#p81">81</a>, <a href="#p91">91</a>, <a href="#p702">702</a>.</li> -<li>Constantin IV, <a href="#p561">561</a>.</li> -<li>Constantinople, <a href="#p76">76</a>, <a href="#p107">107</a>, <a href="#p125">125</a> et suiv., <a href="#p169">169</a>, <a href="#p269">269</a>, <a href="#p369">369</a>, <a href="#p396">396</a> et suiv., <a href="#p479">479</a>, <a href="#p482">482</a>, <a href="#p507">507</a>, <a href="#p547">547</a>, <a href="#p694">694</a>, <a href="#p702">702</a>, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Constantinople (église Sainte-Sophie à), <a href="#p266">266</a>, <a href="#p284">284</a>, <a href="#p515">515</a>.</li> -<li>Corbigny, <a href="#p587">587</a>.</li> -<li>Cordoue, <a href="#p379">379</a>.</li> -<li>Cordule, <a href="#p593">593</a>.</li> -<li>Corneille (saint), pape, <a href="#p274">274</a>, <a href="#p312">312</a>, <a href="#p321">321</a>, <b><a href="#p523">523</a></b>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p725">-725-</span> Corneille, disciple de saint Clément, <a href="#p653">653</a>.</li> -<li>Corneille (Pierre), <a href="#p472">472</a>.</li> -<li>Corneille, philosophe, <a href="#p461">461</a>.</li> -<li>Cornélius, <a href="#p372">372</a>.</li> -<li>Corocanie, <a href="#p694">694</a>.</li> -<li>Cosroës, <a href="#p512">512</a> et suiv.</li> -<li>Coste, roi, <a href="#p656">656</a>.</li> -<li>Couronnés (les Quatre), saints, <a href="#p616">616</a>.</li> -<li>Craton, <a href="#p51">51</a>, <a href="#p68">68</a>.</li> -<li>Crémone, <a href="#p634">634</a>.</li> -<li>Crescence (sainte), <a href="#p297">297</a>.</li> -<li>Crescence, <a href="#p169">169</a>.</li> -<li>Crisant (saint), <b><a href="#p595">595</a></b> et suiv.</li> -<li>Crispin, <a href="#p115">115</a>.</li> -<li>Ctésiphon, <a href="#p480">480</a>, <a href="#p515">515</a>.</li> -<li>Cumanes, <a href="#p133">133</a>.</li> -<li>Cunégonde (sainte), <a href="#p425">425</a>, <a href="#p706">706</a>.</li> -<li>Cybèle, <a href="#p604">604</a>.</li> -<li>Cyprien (saint), d’Antioche, <a href="#p538">538</a> et suiv.</li> -<li>Cyprien (saint), <a href="#p523">523</a>.</li> -<li>Cyr (saint), <b><a href="#p298">298</a></b> et suiv., <a href="#p448">448</a>.</li> -<li>Cyriaque (saint), <b><a href="#p417">417</a></b> et suiv.</li> -<li id="cyriaque">Cyriaque (saint), Judas, <a href="#p265">265</a> et suiv.</li> -<li>Cyriaque (saint), pape, <a href="#p592">592</a>.</li> -<li>Cyrille (saint), évêque des Moraves, <a href="#p655">655</a>.</li> -<li>Cyrille (sainte), <a href="#p428">428</a>.</li> -<li>Cyrin (saint), de Carthage, <a href="#p65">65</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">D</b>acie, <a href="#p307">307</a>.</li> -<li>Dacien, préfet de Rome, <a href="#pxx"><small>XX</small></a>, <a href="#p229">229</a> et suiv.</li> -<li>Dacien, préfet de Valence, <a href="#p101">101</a> et suiv.</li> -<li>Dagnus, <a href="#p363">363</a> et suiv.</li> -<li>Dagobert, <a href="#p151">151</a>, <a href="#p581">581</a>, <a href="#p582">582</a>.</li> -<li>Dalmatie, <a href="#p553">553</a>.</li> -<li>Damaris (sainte), <a href="#p578">578</a>.</li> -<li>Damas, <a href="#p324">324</a>, <a href="#p476">476</a>.</li> -<li id="damascene">Damascène (Jean de Damas), <a href="#p173">173</a>, <a href="#p269">269</a>, <a href="#p493">493</a>, <a href="#p597">597</a>, <a href="#p663">663</a>.</li> -<li>Damascus, <a href="#p73">73</a>.</li> -<li>Damase, pape, <a href="#p91">91</a>, <a href="#p125">125</a>, <a href="#p556">556</a>.</li> -<li>Damien (saint), <b><a href="#p541">541</a></b> et suiv.</li> -<li>Damiette, <a href="#p571">571</a>.</li> -<li>Dan, <a href="#p161">161</a>.</li> -<li>Daniel, <a href="#p544">544</a>.</li> -<li>Danube, <a href="#p261">261</a>, <a href="#p513">513</a>.</li> -<li>Daria (sainte), martyre, <b><a href="#p595">595</a></b>.</li> -<li>Daria (sainte), mère de sainte Ursule, <a href="#p591">591</a>.</li> -<li>David, <a href="#p38">38</a>, <a href="#p206">206</a>, <a href="#p219">219</a>, <a href="#p278">278</a>, <a href="#p304">304</a>, <a href="#p493">493</a>, <a href="#p497">497</a>, <a href="#p533">533</a>.</li> -<li>Décius, empereur, <a href="#p92">92</a>, <a href="#p149">149</a>, <a href="#p152">152</a>, <a href="#p225">225</a>, <a href="#p366">366</a> et suiv., <a href="#p420">420</a> et suiv., <a href="#p428">428</a>, <a href="#p429">429</a>, <a href="#p523">523</a>.</li> -<li>Décius (Gallien), <a href="#p83">83</a>.</li> -<li>Démophile, <a href="#p203">203</a>.</li> -<li>Démosthène, préfet, <a href="#p290">290</a>.</li> -<li>Démosthène, patricien, <a href="#p349">349</a>.</li> -<li>Denis (saint), l’Aréopagite, <a href="#p63">63</a>, <a href="#p143">143</a>, <a href="#p203">203</a>, <a href="#p319">319</a>, <a href="#p323">323</a>, <a href="#p328">328</a>, <a href="#p432">432</a>, <b><a href="#p577">577</a></b> et suiv., <a href="#p704">704</a>.</li> -<li>Denis (saint), un des Sept Dormants, <a href="#p366">366</a> et suiv.</li> -<li>Denis, pape, <a href="#p428">428</a>.</li> -<li>Denis, évêque, <a href="#p385">385</a>, <a href="#p386">386</a>.</li> -<li>Denis, oncle de saint Pancrace, <a href="#p274">274</a>.</li> -<li>Denis, <a href="#p32">32</a>.</li> -<li>Desiderius, roi lombard, <a href="#p699">699</a>, <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Diane, <a href="#p21">21</a>, <a href="#p53">53</a>, <a href="#p487">487</a>, <a href="#p595">595</a>.</li> -<li>Didon, <a href="#p464">464</a>.</li> -<li>Dieudonné, <a href="#p26">26</a>.</li> -<li>Dioclétien, <a href="#p30">30</a>, <a href="#p92">92</a>, <a href="#p95">95</a>, <a href="#p103">103</a>, <a href="#p229">229</a>, <a href="#p239">239</a>, <a href="#p274">274</a> et suiv., <a href="#p284">284</a>, <a href="#p286">286</a>, <a href="#p297">297</a>, <a href="#p352">352</a>, <a href="#p418">418</a> et suiv., <a href="#p487">487</a>, <a href="#p508">508</a>, <a href="#p519">519</a>, <a href="#p534">534</a>, <a href="#p541">541</a>, <a href="#p543">543</a>, <a href="#p616">616</a>, <a href="#p655">655</a>.</li> -<li>Dioscore, <a href="#p129">129</a> et suiv.</li> -<li>Dismas, <a href="#p198">198</a>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p726">-726-</span> Divin, <a href="#p153">153</a>.</li> -<li>Doeth, <a href="#p68">68</a>.</li> -<li>Dodon, <a href="#p522">522</a>.</li> -<li>Domicille (sainte), <a href="#p272">272</a> et suiv., <a href="#p651">651</a>.</li> -<li>Dominique (saint), <a href="#pxv"><small>XV</small></a>, -<b><a href="#p399">399</a></b> et suiv., <a href="#p565">565</a>, <a href="#p566">566</a>.</li> -<li>Domitien, évêque, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Domitien, empereur, <a href="#p50">50</a>, <a href="#p270">270</a>, <a href="#p272">272</a>, <a href="#p579">579</a>, <a href="#p651">651</a>.</li> -<li>Donat (saint), <a href="#p337">337</a>, <b><a href="#p415">415</a></b> et suiv.</li> -<li>Donat, grammairien, <a href="#p553">553</a>.</li> -<li>Dorée (sainte), <a href="#p591">591</a>.</li> -<li>Doria, <a href="#pvii"><small>VII</small></a>, <a href="#pix"><small>IX</small></a>.</li> -<li>Dormants (les Sept), saints, <b><a href="#p366">366</a></b> et suiv.</li> -<li>Dorothée (saint), <a href="#p289">289</a>, <a href="#p457">457</a>.</li> -<li>Dorothée (saint), compagnon de saint Gorgon, <a href="#p508">508</a>.</li> -<li>Dorothée, roi de Constantinople, <a href="#p593">593</a>.</li> -<li>Dorothée, <a href="#p284">284</a>.</li> -<li>Drusienne (sainte), <a href="#p50">50</a>, <a href="#p52">52</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">E</b>bionites, <a href="#p249">249</a>.</li> -<li>Ebroïn, <a href="#p439">439</a>, <a href="#p559">559</a> et suiv.</li> -<li>Ecosse, <a href="#p181">181</a>.</li> -<li>Edesse, <a href="#p36">36</a>, <a href="#p330">330</a>, <a href="#p331">331</a>, <a href="#p596">596</a>, <a href="#p598">598</a>.</li> -<li>Edmond (saint), <a href="#p56">56</a>.</li> -<li>Egée, ville, <a href="#p541">541</a>.</li> -<li>Egée, <a href="#p11">11</a> et suiv.</li> -<li>Egippe, <a href="#p531">531</a>.</li> -<li>Egypte, <a href="#p58">58</a>, <a href="#p87">87</a>, <a href="#p127">127</a>, <a href="#p128">128</a>, <a href="#p135">135</a>, <a href="#p213">213</a>, <a href="#p391">391</a>, <a href="#p461">461</a>, <a href="#p495">495</a>, <a href="#p526">526</a>, <a href="#p575">575</a>, <a href="#p598">598</a>, <a href="#p602">602</a>, <a href="#p685">685</a>, <a href="#p695">695</a>.</li> -<li>Elape (Perse), <a href="#p677">677</a>.</li> -<li>Eléazar, <a href="#p387">387</a>.</li> -<li>Eleuthère (saint), <b><a href="#p577">577</a></b> et suiv.</li> -<li>Elie, <a href="#p206">206</a>, <a href="#p304">304</a>.</li> -<li>Elisabeth (sainte), mère de saint Jean-Baptiste, <a href="#p305">305</a>, <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Elisabeth (sainte) de Hongrie, <a href="#pxxvii"><small>XXVII</small></a>, <b><a href="#p629">629</a></b> et suiv., <a href="#p711">711</a>.</li> -<li>Elisée, <a href="#p478">478</a>.</li> -<li>Eliude, <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Elius, <a href="#p351">351</a>.</li> -<li>Elpès, <a href="#p699">699</a>.</li> -<li>Elymas, <a href="#p288">288</a>.</li> -<li>Embrun, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Emérantienne (sainte), <a href="#p99">99</a>.</li> -<li>Emèse, <a href="#p481">481</a>.</li> -<li>Emilie, <a href="#p216">216</a>.</li> -<li>Eminen, <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Emmaüs, <a href="#p122">122</a>, <a href="#p204">204</a>, <a href="#p589">589</a>.</li> -<li>Enée, <a href="#p312">312</a>.</li> -<li>Engade, <a href="#p40">40</a>.</li> -<li>Enoch, <a href="#p206">206</a>, <a href="#p207">207</a>.</li> -<li>Ephèse, <a href="#p50">50</a> et suiv., <a href="#p250">250</a>, <a href="#p270">270</a>, <a href="#p324">324</a>, <a href="#p366">366</a> et suiv., <a href="#p431">431</a>.</li> -<li>Ephrem (saint), <a href="#p289">289</a>, <a href="#p290">290</a>, <a href="#p294">294</a>.</li> -<li>Ephrem, abbé, <a href="#p577">577</a>.</li> -<li>Epimaque (saint), <a href="#p271">271</a>.</li> -<li>Epiphane (saint), évêque, <a href="#p129">129</a> et suiv., <a href="#p430">430</a>, <a href="#p684">684</a>.</li> -<li>Epiphane, père de saint Nicolas, <a href="#p18">18</a>.</li> -<li>Episius, <a href="#p684">684</a>.</li> -<li>Equice (saint), <a href="#p518">518</a>.</li> -<li>Erasme, <a href="#pxix"><small>XIX</small></a>.</li> -<li>Esclavonie, <a href="#p378">378</a>.</li> -<li>Espagne, <a href="#p352">352</a>, <a href="#p399">399</a>.</li> -<li>Espérance (sainte), <a href="#p284">284</a>.</li> -<li>Ethéré (saint), <a href="#p593">593</a>.</li> -<li>Ethiopie, <a href="#p8">8</a>, <a href="#p118">118</a>, <a href="#p530">530</a> et suiv., <a href="#p598">598</a>.</li> -<li>Etienne (saint), martyr, <b><a href="#p45">45</a></b> et suiv., <a href="#p113">113</a>, <a href="#p114">114</a>, <a href="#p265">265</a>, <b><a href="#p394">394</a></b> et suiv.</li> -<li>Etienne de Hongrie (saint), <a href="#p706">706</a>.</li> -<li>Etienne (saint), pape, <b><a href="#p393">393</a></b> et suiv.</li> -<li>Etienne, évêque, <a href="#p169">169</a>.</li> -<li>Etienne, juge, <a href="#p424">424</a>.</li> -<li>Etienne, clerc, <a href="#p346">346</a> et suiv.</li> -<li>Eucharie, <a href="#p338">338</a>, <a href="#p375">375</a>.</li> -<li>Euchassie, <a href="#p597">597</a>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p727">-727-</span> Eudoxie, mère de Théodose, <a href="#p131">131</a>.</li> -<li>Eudoxie, fille de Théodose, <a href="#p134">134</a>, <a href="#p392">392</a>, <a href="#p397">397</a> et suiv.</li> -<li>Eugène (saint), <a href="#p178">178</a>.</li> -<li>Eugène, pape, <a href="#p709">709</a>.</li> -<li>Eugénie (sainte), <a href="#p509">509</a> et suiv.</li> -<li>Euloge, patriarche, <a href="#p169">169</a>.</li> -<li>Euloge, préfet, <a href="#p155">155</a>.</li> -<li>Euphémie (sainte), <b><a href="#p519">519</a></b> et suiv.</li> -<li>Euphémien, père de saint Alexis, <a href="#p330">330</a> et suiv.</li> -<li>Euphigénie, <a href="#p531">531</a> et suiv.</li> -<li>Euphrosine (sainte), sœur de lait de sainte Domicille, <a href="#p273">273</a>.</li> -<li>Euphrosine, <a href="#p415">415</a>.</li> -<li>Euprépie (sainte), <a href="#p542">542</a>.</li> -<li>Europe, <a href="#p159">159</a>.</li> -<li>Eusèbe (saint), évêque de Verceil, <a href="#p79">79</a>, <a href="#p202">202</a>, <a href="#p288">288</a>, <b><a href="#p384">384</a></b> et suiv.</li> -<li>Eusèbe, de Césarée, <a href="#p65">65</a>, <a href="#p258">258</a>, <a href="#p261">261</a>, <a href="#p602">602</a>.</li> -<li>Eusèbe, pape, <a href="#p261">261</a>, <a href="#p486">486</a>.</li> -<li>Eusèbe, père de saint Jérôme, <a href="#p553">553</a>.</li> -<li>Eustache (saint), <b><a href="#p524">524</a></b> et suiv.</li> -<li>Eustache, <a href="#p415">415</a>.</li> -<li>Eustochius, <a href="#p435">435</a>, <a href="#p554">554</a>.</li> -<li>Eustorge (saint), <a href="#p76">76</a>.</li> -<li>Euthice (saint), <a href="#p273">273</a>.</li> -<li>Euthicie, <a href="#p27">27</a>.</li> -<li>Eutrope, <a href="#p125">125</a> et suiv.</li> -<li>Eutychès, <a href="#p311">311</a>.</li> -<li>Evadracien, <a href="#p417">417</a>.</li> -<li>Eve, <a href="#p437">437</a>.</li> -<li>Evode, <a href="#p462">462</a>.</li> -<li>Exupère (saint), <a href="#p534">534</a>, <a href="#p535">535</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">F</b>abien (saint), pape, <b><a href="#p91">91</a></b> et suiv., <a href="#p523">523</a>.</li> -<li>Fabien, évêque, <a href="#p311">311</a>.</li> -<li>Fabien, préfet, <a href="#p95">95</a>.</li> -<li>Fantaste, <a href="#p43">43</a>.</li> -<li>Faust, <a href="#p644">644</a> et suiv.</li> -<li>Faustin (saint), <a href="#p208">208</a>.</li> -<li id="faustin">Faustin, <a href="#p644">644</a> et suiv.</li> -<li>Faustinien, <a href="#p644">644</a> et suiv.</li> -<li>Februa, <a href="#p136">136</a>.</li> -<li>Félicien (saint), <b><a href="#p286">286</a></b>.</li> -<li>Félicissime (saint), <a href="#p225">225</a>.</li> -<li>Félicité (sainte), <b><a href="#p329">329</a></b>.</li> -<li>Félicité (sainte), <b><a href="#p679">679</a></b> et suiv.</li> -<li>Félicula (sainte), <a href="#p282">282</a>.</li> -<li>Félix, (saint), évêque, <b><a href="#p81">81</a></b> et suiv.</li> -<li>Félix (saint), pape, <b><a href="#p374">374</a></b>, <a href="#p544">544</a>.</li> -<li>Félix et Adauct (saints), <b><a href="#p487">487</a></b> et suiv.</li> -<li>Félix (saint), fils de sainte Félicité, <a href="#p329">329</a>.</li> -<li>Félix, père de saint Dominique, <a href="#p399">399</a>.</li> -<li>Féramond, <a href="#p521">521</a> et suiv.</li> -<li>Ferréol (saint), <a href="#p115">115</a>.</li> -<li>Ferrières-en-Dauphiné, <a href="#p614">614</a>.</li> -<li>Fescennius, <a href="#p580">580</a>.</li> -<li>Fiesque, <a href="#pvii"><small>VII</small></a>.</li> -<li>Fiesque (Obezzon de), <a href="#pvi"><small>VI</small></a>.</li> -<li>Flaccus, <a href="#p282">282</a>.</li> -<li>Flavien, pape, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Fleury-sur-Loire, <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Florence (sainte), <a href="#p298">298</a>.</li> -<li>Florence, ville, <a href="#p360">360</a>.</li> -<li>Florent, prêtre, <a href="#p187">187</a> et suiv.</li> -<li>Florentine (sainte), <a href="#p593">593</a>.</li> -<li>Foi (sainte), <a href="#p284">284</a>.</li> -<li>Follau (saint), <a href="#p593">593</a>.</li> -<li>Fondi, <a href="#p516">516</a>.</li> -<li>Fontaine, <a href="#p440">440</a>, <a href="#p469">469</a>.</li> -<li>Fortunat (saint), <a href="#p96">96</a>, <a href="#p281">281</a>, <a href="#p424">424</a>.</li> -<li>Fortunat, <a href="#p463">463</a>.</li> -<li>Fossa Nova, <a href="#p406">406</a>.</li> -<li>Foulques, évêque de Toulouse, <a href="#p401">401</a>.</li> -<li>Fradin, <a href="#pxxvii"><small>XXVII</small></a>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p728">-728-</span> France, <a href="#p62">62</a>, <a href="#p77">77</a>, <a href="#p79">79</a>, <a href="#p200">200</a>, <a href="#p471">471</a>, <a href="#p579">579</a>, <a href="#p581">581</a>, <a href="#p583">583</a>, <a href="#p627">627</a>, <a href="#p704">704</a>.</li> -<li>Francesca (Piero della), <a href="#pxix"><small>XIX</small></a>.</li> -<li>François (saint), <a href="#pxv"><small>XV</small></a>, <a href="#pxxiv"><small>XXIV</small></a>, <a href="#pxxvii"><small>XXVII</small></a>, <a href="#p402">402</a>, <a href="#p403">403</a>, <b><a href="#p561">561</a></b> et suiv.</li> -<li>Frédéric Barberousse, empereur, <a href="#p458">458</a>, <a href="#p633">633</a>, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Frédéric II, empereur, <a href="#pxii"><small>XII</small></a>, <a href="#p711">711</a>.</li> -<li>Frisons, <a href="#p700">700</a>.</li> -<li>Front (saint), <a href="#p313">313</a>, <a href="#p377">377</a> et suiv.</li> -<li>Fulbert, <a href="#p119">119</a>.</li> -<li>Fulgence, <a href="#p75">75</a>.</li> -<li>Fursy (saint), <b><a href="#p551">551</a></b> et suiv.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">G</b>abriel (saint), archange, <a href="#p195">195</a>, <a href="#p304">304</a>, <a href="#p497">497</a>, <a href="#p697">697</a>.</li> -<li>Gade, <a href="#p33">33</a>.</li> -<li>Gaïmas, <a href="#p126">126</a>, <a href="#p127">127</a>.</li> -<li>Galatie, <a href="#p255">255</a>, <a href="#p376">376</a>.</li> -<li>Galère, empereur, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Galère, proconsul, <a href="#p523">523</a>.</li> -<li>Galgalat, <a href="#p73">73</a>.</li> -<li>Galice, <a href="#p354">354</a>, <a href="#p356">356</a>, <a href="#p359">359</a>.</li> -<li>Galla, fille de Symmaque, <a href="#p322">322</a>, <a href="#p323">323</a>.</li> -<li>Galla, reine de Hongrie, <a href="#p706">706</a>.</li> -<li>Galla, Goth, <a href="#p190">190</a>, <a href="#p191">191</a>.</li> -<li>Gallican (saint), <a href="#p307">307</a>, <a href="#p308">308</a>.</li> -<li>Gallien, empereur, <a href="#p394">394</a>, <a href="#p429">429</a>, <a href="#p512">512</a>, <a href="#p681">681</a>.</li> -<li>Gallinaria, île, <a href="#p79">79</a>, <a href="#p620">620</a>.</li> -<li>Gallus, <a href="#p621">621</a>.</li> -<li>Gallus, <a href="#p308">308</a>.</li> -<li>Gamaliel (saint), <a href="#p47">47</a>, <a href="#p205">205</a>, <a href="#p394">394</a>, <a href="#p516">516</a>.</li> -<li>Gargan (saint), <a href="#p545">545</a> et suiv.</li> -<li>Garganus, <a href="#p545">545</a>.</li> -<li>Garibaldi, <a href="#piv"><small>IV</small></a>.</li> -<li>Garin, <a href="#p560">560</a>.</li> -<li>Gascogne, <a href="#p152">152</a>.</li> -<li>Gaspard, <a href="#p73">73</a>.</li> -<li>Gaule, <a href="#p77">77</a>, <a href="#p80">80</a>, <a href="#p151">151</a>, <a href="#p371">371</a>, <a href="#p380">380</a>, <a href="#p384">384</a>, <a href="#p420">420</a>, <a href="#p482">482</a>, <a href="#p534">534</a>, <a href="#p619">619</a>, <a href="#p691">691</a>, <a href="#p701">701</a>, <a href="#p705">705</a>.</li> -<li>Gélase, pape, <a href="#p289">289</a>, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Genebald, <a href="#p77">77</a>, <a href="#p78">78</a>.</li> -<li>Gênes, <a href="#pii"><small>II</small></a>, <a href="#piii"><small>III</small></a> et suiv. <a href="#p373">373</a>, <a href="#p446">446</a>, <a href="#p468">468</a>, <a href="#p479">479</a>, <a href="#p700">700</a>.</li> -<li>Genève, <a href="#p371">371</a>, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Génésareth, <a href="#p7">7</a>, <a href="#p338">338</a>.</li> -<li>Georges (saint), <a href="#pxx"><small>XX</small></a>, <a href="#pxxi"><small>XXI</small></a>, <a href="#pxxv"><small>XXV</small></a>, <b><a href="#p226">226</a></b> et suiv.</li> -<li>Georges, prêtre, <a href="#p313">313</a>.</li> -<li>Géorgie, <a href="#p654">654</a>.</li> -<li>Gépides, <a href="#p691">691</a>.</li> -<li>Gérard, frère de saint Bernard, <a href="#p442">442</a>.</li> -<li>Gérasine (sainte), <a href="#p591">591</a>.</li> -<li>Gergovie, <a href="#p508">508</a>.</li> -<li>Germain-l’Auxerrois (saint), <a href="#p210">210</a>, <a href="#p211">211</a>, <b><a href="#p380">380</a></b> et suiv., <a href="#p537">537</a>.</li> -<li>Germain (saint), évêque de Capoue, <a href="#p193">193</a>, <a href="#p612">612</a>.</li> -<li>Germain de Trèves, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Germain, évêque de Tours, <a href="#p629">629</a>.</li> -<li>Germanie, <a href="#p691">691</a>.</li> -<li>Gervais (saint), <a href="#p248">248</a>, <b><a href="#p301">301</a></b> et suiv., <a href="#p370">370</a>, <a href="#p371">371</a>, <a href="#p373">373</a>, <a href="#p693">693</a>.</li> -<li>Gesmas, <a href="#p198">198</a>.</li> -<li>Gilbert de la Porrée, <a href="#p606">606</a>, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Gildart (saint), <a href="#p691">691</a>.</li> -<li>Gilles (saint), <b><a href="#p490">490</a></b> et suiv.</li> -<li>Girard, duc de Bourgogne, <a href="#p345">345</a>.</li> -<li>Godolias, <a href="#p68">68</a>.</li> -<li>Golgotha, <a href="#p204">204</a>.</li> -<li>Gondofer, roi, <a href="#p31">31</a>.</li> -<li>Gontran, <a href="#p537">537</a>.</li> -<li>Gordien (saint), <b><a href="#p271">271</a></b> et suiv.</li> -<li>Gordien, père de saint Grégoire, <a href="#p165">165</a>.</li> -<li>Gorgon et Dorothée (saints), <b><a href="#p508">508</a></b>.</li> -<li>Goths, <a href="#p417">417</a>, <a href="#p466">466</a>, <a href="#p692">692</a>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p729">-729-</span> Gratien, prêtre, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Gratus, évêque, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Grèce, <a href="#p7">7</a>, <a href="#p8">8</a>, <a href="#p18">18</a>, <a href="#p578">578</a>.</li> -<li>Grégoire (saint), <a href="#pvi"><small>VI</small></a>, <a href="#p6">6</a>, <a href="#p74">74</a>, <a href="#p96">96</a>, <a href="#p137">137</a>, <b><a href="#p165">165</a></b> et suiv., <a href="#p184">184</a>, <a href="#p267">267</a>, <a href="#p279">279</a>, <a href="#p303">303</a>, <a href="#p310">310</a>, <a href="#p322">322</a> et suiv., <a href="#p329">329</a>, <a href="#p415">415</a>, <a href="#p423">423</a>, <a href="#p516">516</a> et suiv., <a href="#p544">544</a>, <a href="#p546">546</a>, <a href="#p547">547</a>, <a href="#p589">589</a>, <a href="#p604">604</a>, <a href="#p609">609</a>, <a href="#p612">612</a>, <a href="#p613">613</a>, <a href="#p614">614</a>, <a href="#p690">690</a>, <a href="#p693">693</a>, <a href="#p694">694</a>, <a href="#p699">699</a>, <a href="#p702">702</a>, <a href="#p712">712</a>, <a href="#p716">716</a>.</li> -<li>Grégoire de Nazianze (saint), <a href="#p554">554</a>.</li> -<li>Grégoire de Tours (saint), <a href="#p115">115</a>, <a href="#p231">231</a>, <a href="#p260">260</a>, <a href="#p265">265</a>, <a href="#p274">274</a>, <a href="#p328">328</a>, <a href="#p423">423</a>, <a href="#p453">453</a>.</li> -<li>Grégoire (saint), martyr, <a href="#p457">457</a>.</li> -<li>Grégoire II, pape, <a href="#p605">605</a>.</li> -<li>Grégoire VII (Voir <a href="#hildebrand"><i>Hildebrand</i></a>).</li> -<li>Grégoire IX, <a href="#p498">498</a>, <a href="#p711">711</a>.</li> -<li>Grégorien (chant), <a href="#p702">702</a> et suiv.</li> -<li>Grenoble, <a href="#p614">614</a>.</li> -<li>Grimaldi, <a href="#pvii"><small>VII</small></a>.</li> -<li>Guale, évêque, <a href="#p411">411</a>.</li> -<li>Guido, frère de saint Bernard, <a href="#p443">443</a>.</li> -<li>Guilfroy, <a href="#p246">246</a>.</li> -<li>Guillaume d’Auxerre, <a href="#p305">305</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">H</b>aimon, <a href="#p92">92</a>, <a href="#p324">324</a>.</li> -<li>Hébreux, <a href="#p4">4</a>.</li> -<li>Hégésippe, <a href="#p251">251</a>, <a href="#p253">253</a>, <a href="#p345">345</a>.</li> -<li>Hélène (sainte), <a href="#p39">39</a>, <a href="#p68">68</a>, <a href="#p76">76</a>, <a href="#p261">261</a> et suiv., <a href="#p512">512</a>.</li> -<li>Helenus (saint), abbé, <a href="#p509">509</a>, <a href="#p510">510</a>.</li> -<li>Héli, <a href="#p493">493</a>.</li> -<li>Hélinaud, <a href="#p55">55</a>.</li> -<li>Henri (saint) empereur, <a href="#p425">425</a>, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Henri II, <a href="#p707">707</a>, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Henri III, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Henri IV, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Henri V, <a href="#p76">76</a>, <a href="#p709">709</a>.</li> -<li>Henri VI, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Héraclius, empereur, <a href="#p152">152</a>, <a href="#p513">513</a> et suiv.</li> -<li>Héraclius II, <a href="#p694">694</a>.</li> -<li>Héraclius, préfet, <a href="#p453">453</a>.</li> -<li>Héraclius (saint), <a href="#p291">291</a>, <a href="#p292">292</a>.</li> -<li>Hercule, <a href="#p541">541</a>.</li> -<li>Hermagoras (saint), <a href="#p233">233</a>.</li> -<li>Hermès, préfet, <a href="#p390">390</a>.</li> -<li>Hermogène, <a href="#p352">352</a> et suiv.</li> -<li>Hermopolis, <a href="#p58">58</a>.</li> -<li>Hérode d’Ascalon, <a href="#p57">57</a> et suiv., <a href="#p74">74</a> et suiv., <a href="#p476">476</a>, <a href="#p493">493</a>.</li> -<li>Hérode Antipas, <a href="#p57">57</a>, <a href="#p58">58</a>, <a href="#p60">60</a>, <a href="#p200">200</a>, <a href="#p476">476</a> et suiv., <a href="#p482">482</a>.</li> -<li>Hérode Agrippa, <a href="#p57">57</a>, <a href="#p60">60</a>, <a href="#p312">312</a>, <a href="#p354">354</a>, <a href="#p588">588</a>, <a href="#p389">389</a>, <a href="#p392">392</a>, <a href="#p477">477</a>, <a href="#p478">478</a>.</li> -<li>Hérodiade, <a href="#p133">133</a>, <a href="#p476">476</a> et suiv., <a href="#p482">482</a>, <a href="#p483">483</a>.</li> -<li>Hiérapolis, <a href="#p132">132</a>, <a href="#p233">233</a>, <a href="#p249">249</a>.</li> -<li>Hilaire (saint), évêque, <a href="#p78">78</a>, <b><a href="#p79">79</a></b> et suiv., <a href="#p324">324</a>, <a href="#p619">619</a>, <a href="#p620">620</a>, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Hilaire (saint), moine, <a href="#p415">415</a>, <a href="#p417">417</a>.</li> -<li>Hilarion, solitaire, <a href="#p684">684</a>.</li> -<li id="hildebrand">Hildebrand, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Hincmar, <a href="#p76">76</a>, <a href="#p582">582</a>.</li> -<li>Hippolyte (saint), <a href="#p421">421</a> et suiv., <b><a href="#p426">426</a></b> et suiv.</li> -<li>Hippone, <a href="#p47">47</a>, <a href="#p48">48</a>, <a href="#p303">303</a>, <a href="#p398">398</a>, <a href="#p462">462</a> et suiv.</li> -<li>Hirtacus, <a href="#p531">531</a> et suiv.</li> -<li>Hongrie, <a href="#p629">629</a>, <a href="#p635">635</a>, <a href="#p711">711</a>.</li> -<li>Honoré (saint), <a href="#p221">221</a>.</li> -<li>Honorius (saint), <a href="#p462">462</a>.</li> -<li>Honorius, empereur, <a href="#p125">125</a>, <a href="#p332">332</a>, <a href="#p394">394</a>, <a href="#p401">401</a>, <a href="#p626">626</a>.</li> -<li>Hubert de Besançon, <a href="#p356">356</a>, <a href="#p359">359</a>.</li> -<li>Hugues de Cluny, (saint), <a href="#p41">41</a>, <a href="#p42">42</a>, <a href="#p357">357</a>.</li> -<li>Hugues de Saint-Victor, <a href="#p357">357</a>, <a href="#p709">709</a>.</li> -<li>Humbert, roi, <a href="#p97">97</a>.</li> -<li>Hyacinthe (saint), <b><a href="#p509">509</a></b> et suiv.</li></ul> -<ul> -<li><span class="pagenum" id="p730">-730-</span> <b class="large">I</b>cone, <a href="#p287">287</a>, <a href="#p298">298</a>, <a href="#p324">324</a>.</li> -<li>Ignace (saint), <b><a href="#p142">142</a></b> et suiv.,251, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Inde, <a href="#p31">31</a>, <a href="#p32">32</a>, <a href="#p34">34</a>, <a href="#p453">453</a>, <a href="#p663">663</a>.</li> -<li>Innocent (saint), <a href="#p534">534</a>, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Innocent I<sup>er</sup>, pape, <a href="#p332">332</a>, <a href="#p401">401</a>.</li> -<li>Innocent III, <a href="#p39">39</a>, <a href="#p40">40</a>, <a href="#p710">710</a>, <a href="#p711">711</a>.</li> -<li>Innocent IV, <a href="#p242">242</a>, <a href="#p245">245</a>, <a href="#p246">246</a>, <a href="#p479">479</a>, <a href="#p498">498</a>, <a href="#p711">711</a>.</li> -<li>Innocent, préfet, <a href="#p170">170</a>.</li> -<li>Innocents (les saints), <a href="#p49">49</a>, <a href="#p59">59</a> et suiv., <a href="#p202">202</a>, <a href="#p387">387</a>.</li> -<li>Irène, impératrice, <a href="#p702">702</a>.</li> -<li>Irénée (saint), <a href="#p428">428</a>.</li> -<li>Islande, <a href="#p181">181</a> et suiv., <a href="#p450">450</a>.</li> -<li>Isaïe, <a href="#p1">1</a>, <a href="#p205">205</a>, <a href="#p462">462</a>.</li> -<li>Iscarioth (île), <a href="#p161">161</a>.</li> -<li>Isidore (saint), <a href="#p18">18</a>, <a href="#p37">37</a>, <a href="#p50">50</a>, <a href="#p249">249</a>, <a href="#p602">602</a>.</li> -<li>Isidore, prêtre, <a href="#p126">126</a>, <a href="#p129">129</a>.</li> -<li>Ismaël, <a href="#p697">697</a>.</li> -<li>Ismérie, <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Issachar, <a href="#p161">161</a>.</li> -<li>Italie, <a href="#pvi"><small>VI</small></a>, <a href="#p97">97</a>, <a href="#p221">221</a>, <a href="#p233">233</a>, <a href="#p311">311</a>, <a href="#p324">324</a>, <a href="#p349">349</a>, <a href="#p371">371</a>, <a href="#p385">385</a>, <a href="#p417">417</a>, <a href="#p483">483</a>, <a href="#p690">690</a> et suiv., <a href="#p699">699</a>, <a href="#p704">704</a>, <a href="#p705">705</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">J</b>acob, <a href="#p493">493</a>.</li> -<li>Jacobites, <a href="#p695">695</a>.</li> -<li>Jacques le Majeur (saint), <a href="#p251">251</a>, <a href="#p271">271</a>, <b><a href="#p352">352</a></b> et suiv., <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Jacques le Mineur (saint), <a href="#p7">7</a>, <a href="#p57">57</a>, <a href="#p199">199</a>, <a href="#p204">204</a>, <b><a href="#p250">250</a></b> et suiv.</li> -<li>Jacques l’Intercis (saint), <b><a href="#p676">676</a></b> et suiv.</li> -<li>Jacques (saint), archevêque d’Antioche, <a href="#p592">592</a>.</li> -<li>Jacques de Riéti, frère, <a href="#p571">571</a>.</li> -<li>Jaïre, <a href="#p312">312</a>.</li> -<li>Janus, <a href="#p72">72</a>.</li> -<li>Janvier (saint), <a href="#p224">224</a>, <a href="#p271">271</a>, <a href="#p329">329</a>.</li> -<li>Jean-Baptiste (saint), <a href="#p51">51</a>, <a href="#p71">71</a>, <a href="#p73">73</a>, <a href="#p188">188</a>, <a href="#p194">194</a>, <a href="#p205">205</a>, <b><a href="#p304">304</a></b> et suiv., <a href="#p395">395</a>, <b><a href="#p476">476</a></b> et suiv., <a href="#p494">494</a>, <a href="#p498">498</a>, <a href="#p607">607</a>, <a href="#p693">693</a> et suiv.</li> -<li>Jean l’Evangéliste (saint), <a href="#piii"><small>III</small></a>, <a href="#p7">7</a>, <a href="#p49">49</a>, -<b><a href="#p50">50</a></b> et suiv., <a href="#p73">73</a>, <a href="#p142">142</a>, <a href="#p143">143</a>, <a href="#p175">175</a>, <a href="#p251">251</a>, <b><a href="#p270">270</a></b> et suiv., <a href="#p278">278</a>, <a href="#p279">279</a>, <a href="#p306">306</a>, <a href="#p346">346</a>, <a href="#p430">430</a> et suiv., <a href="#p494">494</a>, <a href="#p579">579</a>, <a href="#p588">588</a>, <a href="#p630">630</a>.</li> -<li>Jean l’Aumônier (saint), <a href="#px"><small>X</small></a>, <b><a href="#p105">105</a></b> et suiv.</li> -<li>Jean (saint), martyr, <b><a href="#p307">307</a></b> et suiv.</li> -<li id="jean">Jean Chrysostome (saint), <a href="#p6">6</a>, <a href="#p37">37</a>, <a href="#p59">59</a>, <a href="#p74">74</a>, <a href="#p75">75</a>, <b><a href="#p125">125</a></b> et suiv., <a href="#p312">312</a>.</li> -<li>Jean (saint) Dormant, <b><a href="#p366">366</a></b> et suiv.</li> -<li>Jean (saint), abbé, <a href="#p170">170</a>, <b><a href="#p684">684</a></b>.</li> -<li>Jean III, pape, <a href="#p690">690</a>, <a href="#p699">699</a>.</li> -<li>Jean XIII, pape, <a href="#p392">392</a>.</li> -<li>Jean, évêque de Jérusalem, <a href="#p394">394</a>, <a href="#p396">396</a>.</li> -<li>Jean, évêque de Constantinople, <a href="#p169">169</a>.</li> -<li>Jean le Diacre, <a href="#p18">18</a>, <a href="#p165">165</a>, <a href="#p174">174</a>, <a href="#p179">179</a>.</li> -<li>Jean, prêtre, <a href="#p169">169</a>.</li> -<li>Jean de Damas (Voir <a href="#damascene"><i>Damascène</i></a>).</li> -<li>Jean-Marc, disciple de saint Barnabé, <a href="#p287">287</a> et suiv.</li> -<li>Jean de Bungay, <a href="#p662">662</a>.</li> -<li>Jeanne, mère de saint Nicolas, <a href="#p18">18</a>.</li> -<li>Jeanne, mère de saint Dominique, <a href="#p399">399</a>.</li> -<li>Jéroboam, <a href="#p716">716</a>.</li> -<li>Jérôme (saint), <a href="#p4">4</a>, <a href="#p5">5</a>, <a href="#p49">49</a>, <a href="#p55">55</a>, <a href="#p81">81</a>, <a href="#p83">83</a>, <a href="#p161">161</a>, <a href="#p224">224</a>, <a href="#p250">250</a>, <a href="#p251">251</a>, <a href="#p252">252</a>, <a href="#p258">258</a>, <a href="#p262">262</a>, <a href="#p313">313</a>, <a href="#p323">323</a>, <a href="#p323">323</a>, <a href="#p435">435</a>, <b><a href="#p553">553</a></b> et suiv., <a href="#p588">588</a>, <a href="#p605">605</a>, <a href="#p606">606</a>, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Jérusalem, <a href="#p12">12</a>, <a href="#p47">47</a>, <a href="#p58">58</a>, <a href="#p73">73</a>, <a href="#p74">74</a>, <a href="#p107">107</a>, <a href="#p122">122</a>, <a href="#p161">161</a>, <a href="#p162">162</a>, <a href="#p170">170</a>, <a href="#p198">198</a>, -<span class="pagenum" id="p731">-731-</span> 200, <a href="#p213">213</a>, <a href="#p232">232</a>, <a href="#p251">251</a> et suiv., <a href="#p260">260</a> et suiv., <a href="#p277">277</a>, <a href="#p288">288</a>, <a href="#p313">313</a>, <a href="#p324">324</a>, <a href="#p338">338</a>, <a href="#p341">341</a>, <a href="#p342">342</a>, <a href="#p389">389</a>, <a href="#p392">392</a>, <a href="#p394">394</a>, <a href="#p396">396</a>, <a href="#p466">466</a>, <a href="#p478">478</a> et suiv., <a href="#p495">495</a>, <a href="#p496">496</a>, <a href="#p512">512</a>, <a href="#p514">514</a>, <a href="#p516">516</a>, <a href="#p572">572</a>, <a href="#p573">573</a>, <a href="#p602">602</a>, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Jésus, fils d’Ananias, <a href="#p254">254</a>.</li> -<li>Joachim (saint), <a href="#p493">493</a> et suiv.</li> -<li>Job, <a href="#p7">7</a>, <a href="#p525">525</a>, <a href="#p527">527</a>.</li> -<li>Jonapata, <a href="#p256">256</a>.</li> -<li>Jonas, <a href="#p68">68</a>.</li> -<li>Josaphat (saint), <b><a href="#p663">663</a></b> et suiv.</li> -<li>Josaphat (vallée de), <a href="#p5">5</a>, <a href="#p432">432</a>, <a href="#p433">433</a>.</li> -<li>Joséas, <a href="#p354">354</a>.</li> -<li>Joseph (saint), <a href="#p38">38</a>, <a href="#p40">40</a>, <a href="#p58">58</a>, <a href="#p137">137</a>, <a href="#p195">195</a>, <a href="#p251">251</a>, <a href="#p493">493</a> et suiv.</li> -<li>Joseph, fils de Jacob, <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Joseph le Juste (Barsabas), <a href="#p163">163</a>, <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Joseph d’Arimathie, <a href="#p204">204</a>, <a href="#p205">205</a>, <a href="#p258">258</a>.</li> -<li>Joseph, médecin, <a href="#p295">295</a>.</li> -<li>Josèphe, <a href="#p253">253</a> et suiv., <a href="#p345">345</a>, <a href="#p389">389</a>, <a href="#p476">476</a>.</li> -<li>Joué-lès-Tours, <a href="#p115">115</a>.</li> -<li>Jourdain, <a href="#p212">212</a>, <a href="#p214">214</a>, <a href="#p262">262</a>.</li> -<li>Jovinien, empereur, <a href="#p387">387</a>.</li> -<li>Jovinien, <a href="#p252">252</a>.</li> -<li>Jubal, <a href="#p68">68</a>.</li> -<li>Juda, <a href="#p493">493</a>.</li> -<li>Juda Macchabée, <a href="#p716">716</a>.</li> -<li>Judas (Voir <a href="#cyriaque"><i>s. Cyriaque</i></a>).</li> -<li>Judas Iscarioth, <a href="#p160">160</a> et suiv., <a href="#p199">199</a>, <a href="#p250">250</a>, <a href="#p424">424</a>.</li> -<li id="jude">Jude (saint), apôtre, <a href="#p494">494</a>, <a href="#p532">532</a>, <b><a href="#p596">596</a></b> et suiv.</li> -<li>Judée, <a href="#p39">39</a>, <a href="#p47">47</a>, <a href="#p57">57</a>, <a href="#p58">58</a>, <a href="#p74">74</a>, <a href="#p164">164</a>, <a href="#p165">165</a>, <a href="#p255">255</a>, <a href="#p352">352</a>, <a href="#p389">389</a>, <a href="#p430">430</a>, <a href="#p431">431</a>, <a href="#p478">478</a>, <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Jules (saint), <a href="#p115">115</a> et suiv.</li> -<li>Jules, roi des Huns, <a href="#p592">592</a>.</li> -<li>Julien (saint), évêque du Mans, <b><a href="#p114">114</a></b>.</li> -<li>Julien (saint) d’Auvergne, <b><a href="#p115">115</a></b>.</li> -<li>Julien (saint), martyr, <b><a href="#p115">115</a></b> et suiv.</li> -<li>Julien l’Hospitalier (saint), <b><a href="#p116">116</a></b> et suiv.</li> -<li>Julien l’Apostat, <a href="#p118">118</a> et suiv., <a href="#p265">265</a> et suiv., <a href="#p271">271</a>, <a href="#p308">308</a> et suiv., <a href="#p478">478</a> et suiv., <a href="#p618">618</a>, <a href="#p619">619</a>.</li> -<li>Julien II, empereur, <a href="#p387">387</a>, <a href="#p415">415</a>, <a href="#p479">479</a>.</li> -<li>Julien Gallion, <a href="#p320">320</a>.</li> -<li>Julien, pape, <a href="#p385">385</a>.</li> -<li>Julien, préfet, <a href="#p480">480</a>.</li> -<li>Julien, juge, <a href="#p351">351</a>, <a href="#p352">352</a>,</li> -<li>Julienne (sainte), martyre, <b><a href="#p155">155</a></b> et suiv.</li> -<li>Julienne (sainte) compagne de sainte Ursule, <a href="#p591">591</a>.</li> -<li>Julienne, vierge, <a href="#p583">583</a>.</li> -<li>Julienne, <a href="#p396">396</a>.</li> -<li>Julite (sainte), <b><a href="#p298">298</a></b> et suiv.</li> -<li>Junien (saint), <a href="#p210">210</a>.</li> -<li>Jupiter, <a href="#p147">147</a>, <a href="#p297">297</a>, <a href="#p310">310</a>, <a href="#p347">347</a>, <a href="#p417">417</a>, <a href="#p541">541</a>, <a href="#p582">582</a>, <a href="#p625">625</a>, <a href="#p643">643</a>, <a href="#p673">673</a>, <a href="#p683">683</a>.</li> -<li>Just, <a href="#p283">283</a>.</li> -<li>Juste, mère de saint Sylvestre, <a href="#p65">65</a>.</li> -<li>Justin l’Ancien, empereur, <a href="#p194">194</a>.</li> -<li>Justin (saint), <a href="#p423">423</a>, <a href="#p426">426</a> et suiv.</li> -<li>Justin le Petit, empereur, <a href="#p692">692</a>.</li> -<li>Justine (sainte), <b><a href="#p538">538</a></b> et suiv.</li> -<li>Justine, <a href="#p648">648</a>.</li> -<li>Justine, impératrice, <a href="#p217">217</a> et suiv., <a href="#p702">702</a>.</li> -<li>Justinien, évêque de Tours, <a href="#p629">629</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">L</b>ambert (saint), <b><a href="#p521">521</a></b> et suiv.</li> -<li>Laërtia (sainte), <a href="#p580">580</a>.</li> -<li>Lamission, <a href="#p691">691</a>.</li> -<li>Lamon, moine, <a href="#p132">132</a>.</li> -<li>Lanfranc, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Laodicée, <a href="#p330">330</a>, <a href="#p331">331</a>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p732">-732-</span> Laon, <a href="#p78">78</a>.</li> -<li>Large (saint), <a href="#p418">418</a>.</li> -<li>Larron (saint), <a href="#p78">78</a>.</li> -<li>Latran, <a href="#p401">401</a>.</li> -<li>Launoi (J. de), <a href="#pxix"><small>XIX</small></a> et suiv.</li> -<li>Laurent (saint), <a href="#p138">138</a>, <a href="#p225">225</a>, <a href="#p397">397</a> et suiv., <b><a href="#p419">419</a></b> et suiv., <a href="#p426">426</a> et suiv., <a href="#p568">568</a>.</li> -<li>Lausanne, <a href="#p202">202</a>, <a href="#p447">447</a>, <a href="#p537">537</a>.</li> -<li>Lazare (saint), <a href="#p198">198</a>, <a href="#p206">206</a>, <a href="#p338">338</a> et suiv., <a href="#p369">369</a>, <a href="#p375">375</a> et suiv.</li> -<li>Lazare (le pauvre), <a href="#p550">550</a>.</li> -<li>Léger (saint), <b><a href="#p559">559</a></b> et suiv.</li> -<li>Léon (saint), pape, <a href="#p279">279</a>, <b><a href="#p310">310</a></b> et suiv.</li> -<li>Léon, pape, <a href="#p80">80</a> et suiv.</li> -<li>Léon III, pape, <a href="#p702">702</a>.</li> -<li>Léon IX, pape (Voir <a href="#bruno"><i>Bruno</i></a>).</li> -<li>Léon, évêque d’Ostie, <a href="#p654">654</a>.</li> -<li>Léon, empereur, <a href="#p235">235</a>, <a href="#p268">268</a>.</li> -<li>Léonard (saint), de Limoges, <b><a href="#p583">583</a></b> et suiv.</li> -<li>Léonard (saint), de Corbigny, <a href="#p587">587</a>.</li> -<li>Léonard (frère), <a href="#p563">563</a>.</li> -<li>Léonce (saint), <a href="#p542">542</a>.</li> -<li>Léonce, <a href="#p81">81</a>.</li> -<li>Léopold, <a href="#p706">706</a>.</li> -<li>Leucius, fils de saint Siméon, <a href="#p205">205</a> et suiv.</li> -<li>Lévi, <a href="#p232">232</a>, <a href="#p493">493</a>.</li> -<li>Liban (mont), <a href="#p259">259</a>, <a href="#p432">432</a>.</li> -<li>Libère, pape, <a href="#p81">81</a>, <a href="#p374">374</a>, <a href="#p386">386</a>, <a href="#p554">554</a>.</li> -<li>Libye, <a href="#p226">226</a>.</li> -<li>Licérius, <a href="#p486">486</a> et suiv.</li> -<li>Liège, <a href="#p494">494</a>, <a href="#p709">709</a>.</li> -<li>Ligugé, <a href="#p620">620</a>.</li> -<li>Ligurie, <a href="#p216">216</a>.</li> -<li>Limoges, <a href="#p584">584</a> et suiv.</li> -<li>Lin (saint), pape, <a href="#p314">314</a> et suiv., <a href="#p323">323</a>, <a href="#p371">371</a>, <a href="#p651">651</a>.</li> -<li>Liphart (saint), <a href="#p584">584</a>.</li> -<li>Lisbius, préfet, <a href="#p580">580</a>.</li> -<li>Loire, <a href="#p584">584</a>.</li> -<li>Lombardie, <a href="#pvi"><small>VI</small></a>, <a href="#p244">244</a>, <a href="#p568">568</a>.</li> -<li>Lombards, <a href="#p690">690</a> et suiv.</li> -<li>Longin (saint), <a href="#pxxiv"><small>XXIV</small></a>, <b><a href="#p180">180</a></b>.</li> -<li>Lorraine, <a href="#p704">704</a>.</li> -<li>Lothaire, empereur, <a href="#p704">704</a>.</li> -<li>Louis (saint), <a href="#pxv"><small>XV</small></a>.</li> -<li>Louis le Débonnaire, <a href="#p581">581</a>, <a href="#p702">702</a>.</li> -<li>Louis II, empereur, <a href="#p704">704</a>, <a href="#p705">705</a>.</li> -<li>Louis, roi d’Aquitaine, <a href="#p702">702</a>.</li> -<li>Loup (saint), <a href="#p381">381</a>, <b><a href="#p488">488</a></b> et suiv.</li> -<li>Louve (reine), <a href="#p355">355</a> et suiv.</li> -<li>Luc (saint), <a href="#p4">4</a>, <a href="#p168">168</a>, <a href="#p279">279</a>, <a href="#p327">327</a>, <a href="#p328">328</a>, <a href="#p377">377</a>, <a href="#p493">493</a>, <a href="#p550">550</a>, <b><a href="#p588">588</a></b> et suiv.</li> -<li>Lucain, <a href="#p320">320</a>.</li> -<li>Lucie (sainte), <b><a href="#p27">27</a></b> et suiv., <a href="#p394">394</a>.</li> -<li>Lucien (saint), <a href="#p457">457</a>.</li> -<li>Lucien, prêtre, <a href="#p394">394</a> et suiv.</li> -<li>Lucillus, <a href="#p421">421</a>.</li> -<li>Lucine (sainte), <a href="#p96">96</a>, <a href="#p281">281</a>, <a href="#p375">375</a>.</li> -<li>Lucques, <a href="#p593">593</a>.</li> -<li>Lucrèce, préfet, <a href="#p374">374</a> et suiv.</li> -<li>Luna, <a href="#p706">706</a>.</li> -<li>Luitprand, roi, <a href="#p468">468</a>.</li> -<li>Lunel, <a href="#p492">492</a>.</li> -<li>Luxeuil, <a href="#p559">559</a>.</li> -<li>Luxurius, <a href="#p273">273</a>.</li> -<li>Lycie, <a href="#p363">363</a>.</li> -<li>Lycopolis, <a href="#p386">386</a>.</li> -<li>Lyon, <a href="#pxxvii"><small>XXVII</small></a>, <a href="#p202">202</a>, <a href="#p357">357</a>, <a href="#p359">359</a>, <a href="#p478">478</a>, <a href="#p708">708</a>, <a href="#p711">711</a>.</li> -<li>Lysias, <a href="#p542">542</a>.</li> -<li>Lystre, <a href="#p324">324</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">M</b>acaire (saint), abbé, <b><a href="#p85">85</a></b> et suiv.</li> -<li>Macaire (saint), évêque, <a href="#p264">264</a>, <a href="#p265">265</a>.</li> -<li>Macédoine, <a href="#p165">165</a>.</li> -<li>Macédonius, <a href="#p219">219</a>.</li> -<li>Machabées (les saints), <b><a href="#p387">387</a></b> et suiv.</li> -<li><span class="pagenum" id="p733">-733-</span> Machéron, <a href="#p480">480</a>.</li> -<li>Macidienne, <a href="#p644">644</a> et suiv.</li> -<li>Macrobe, <a href="#p59">59</a>.</li> -<li>Maëstricht, <a href="#p151">151</a>, <a href="#p494">494</a>, <a href="#p521">521</a>.</li> -<li>Magdala, <a href="#p338">338</a>.</li> -<li>Mages (rois), <a href="#p37">37</a>, <b><a href="#p73">73</a></b> et suiv.</li> -<li>Magistrien, <a href="#p688">688</a>.</li> -<li>Maguelone, <a href="#p247">247</a>.</li> -<li>Mahomet, <a href="#p694">694</a> et suiv.</li> -<li>Malachie (saint), <a href="#p450">450</a>, <a href="#p451">451</a>.</li> -<li>Malaspina (marquis), <a href="#p470">470</a>.</li> -<li>Malchus (saint), <a href="#p366">366</a> et suiv.</li> -<li>Mamert (saint), <a href="#p115">115</a>, <a href="#p268">268</a>.</li> -<li>Mamertin (saint), <b><a href="#p210">210</a></b> et suiv.</li> -<li>Mamertin, <a href="#p652">652</a>.</li> -<li>Manfredonie, <a href="#p545">545</a>, <a href="#p547">547</a>.</li> -<li>Manin, <a href="#pv"><small>V</small></a>.</li> -<li>Mans (le), <a href="#p124">124</a>, <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Mantoue, <a href="#p238">238</a>.</li> -<li>Marbourg, <a href="#p637">637</a>.</li> -<li>Marc (saint), l’évangéliste, <a href="#p8">8</a>, <b><a href="#p232">232</a></b> et suiv., <a href="#p267">267</a>, <a href="#p588">588</a>.</li> -<li>Marc et Marcellin (saints), <a href="#p92">92</a>, <a href="#p94">94</a> et suiv.</li> -<li>Marc, empereur, <a href="#p338">338</a>.</li> -<li>Marc (Voir <a href="#jean"><i>Jean</i></a>).</li> -<li>Marcel (saint), pape, <b><a href="#p87">87</a></b>, <a href="#p239">239</a>, <a href="#p282">282</a>, <a href="#p317">317</a>, <a href="#p319">319</a>, <a href="#p417">417</a>.</li> -<li>Marcel (saint), moine, <a href="#p481">481</a>.</li> -<li>Marcelin (saint), pape, <b><a href="#p239">239</a></b> et suiv., <a href="#p534">534</a>.</li> -<li>Marcellin, prêtre, <a href="#p283">283</a> et suiv.</li> -<li>Marcien (saint), <a href="#p207">207</a> et suiv.</li> -<li>Marcien, empereur, <a href="#p481">481</a>, <a href="#p594">594</a>.</li> -<li>Marcule (saint), <a href="#p593">593</a>.</li> -<li>Marguerite (sainte), martyre, <b><a href="#p334">334</a></b> et suiv.</li> -<li>Marguerite (sainte), vierge, <b><a href="#p573">573</a></b> et suiv.</li> -<li>Marie (la bienheureuse Vierge), <a href="#p38">38</a>, <a href="#p40">40</a>, <a href="#p58">58</a>, <a href="#p63">63</a>, <a href="#p76">76</a>, <b><a href="#p134">134</a></b> et suiv., <a href="#p142">142</a>, <a href="#p168">168</a>, <b><a href="#p195">195</a></b> et suiv., <a href="#p205">205</a>, <a href="#p213">213</a>, <a href="#p228">228</a>, <a href="#p247">247</a>, <a href="#p251">251</a>, <a href="#p305">305</a>, <a href="#p311">311</a>, <a href="#p331">331</a>, <a href="#p358">358</a>, <a href="#p385">385</a>, <a href="#p393">393</a>, <a href="#p401">401</a>, <a href="#p402">402</a>, <a href="#p405">405</a>, <a href="#p411">411</a>, <a href="#p424">424</a>, <a href="#p425">425</a>, <b><a href="#p430">430</a></b> et suiv., <a href="#p493">493</a> et suiv., <a href="#p550">550</a>, <a href="#p579">579</a>, <a href="#p589">589</a>, <a href="#p604">604</a>, <a href="#p607">607</a>, <a href="#p630">630</a>, <a href="#p702">702</a>.</li> -<li>Marie Cléophas (sainte), <a href="#p251">251</a>, <a href="#p596">596</a>.</li> -<li>Marie-Madeleine (sainte), <a href="#p204">204</a>, <b><a href="#p338">338</a></b> et suiv., <a href="#p375">375</a>, <a href="#p377">377</a>.</li> -<li>Marie l’Egyptienne (sainte), <b><a href="#p212">212</a></b> et suiv.</li> -<li>Marie, femme d’Alphée, <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Marie, femme de Zébédée, <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Marin (saint), moine, <a href="#p211">211</a>.</li> -<li>Marine (sainte), <b><a href="#p299">299</a></b> et suiv.</li> -<li>Maris, évêque, <a href="#p479">479</a>.</li> -<li>Marmanites, <a href="#p617">617</a>.</li> -<li>Marmoutiers, <a href="#pxi"><small>XI</small></a>, <a href="#p621">621</a>.</li> -<li>Maron (saint), <a href="#p273">273</a>.</li> -<li>Mars, <a href="#p136">136</a>, <a href="#p225">225</a>, <a href="#p248">248</a>, <a href="#p249">249</a>, <a href="#p394">394</a>, <a href="#p617">617</a>.</li> -<li>Marseille, <a href="#p339">339</a> et suiv., <a href="#p375">375</a>.</li> -<li>Marthe (sainte), <a href="#p338">338</a>, <a href="#p339">339</a>, <b><a href="#p375">375</a></b> et suiv.</li> -<li>Martial (saint), fils de sainte Félicité, <a href="#p329">329</a>.</li> -<li>Martial, <a href="#p47">47</a>, <a href="#p48">48</a>.</li> -<li>Martial, <a href="#p313">313</a>.</li> -<li>Martien (saint), <a href="#p366">366</a> et suiv.</li> -<li>Martille (sainte), <a href="#p339">339</a>, <a href="#p378">378</a>.</li> -<li>Martin (saint), <a href="#pxxiv"><small>XXIV</small></a>, <a href="#p368">368</a>, -<b><a href="#p618">618</a></b> et suiv., <a href="#p627">627</a> et suiv.</li> -<li>Martin, <a href="#p151">151</a>, <a href="#p426">426</a>.</li> -<li>Martinien, <a href="#p318">318</a>.</li> -<li>Materne (saint), <a href="#p313">313</a>.</li> -<li>Mathias (saint), <b><a href="#p160">160</a></b> et suiv., <a href="#p199">199</a>.</li> -<li>Mathilde (comtesse), <a href="#p709">709</a>.</li> -<li>Matthieu (saint), <a href="#p8">8</a>, <a href="#p9">9</a>, <a href="#p61">61</a>, <a href="#p123">123</a>, <a href="#p279">279</a>, <a href="#p288">288</a>, <a href="#p493">493</a>, <b><a href="#p530">530</a></b> et suiv., <a href="#p588">588</a>, <a href="#p598">598</a>.</li> -<li>Martisius (saint), <a href="#p591">591</a>.</li> -<li>Maur (saint), <a href="#p186">186</a> et suiv.</li> -<li>Maurice (saint), <b><a href="#p533">533</a></b> et suiv.</li> -<li><span class="pagenum" id="p734">-734-</span> Maurice (saint), évêque, <a href="#p593">593</a>.</li> -<li>Maurice, empereur, <a href="#p162">162</a>.</li> -<li>Maurus, <a href="#p590">590</a>.</li> -<li>Maxence, évêque de Milan, <a href="#p385">385</a>.</li> -<li>Maxence, empereur, <a href="#p262">262</a>, <a href="#p656">656</a> et suiv.</li> -<li>Maxime (saint), martyr, <a href="#p642">642</a>.</li> -<li>Maxime (saint), évêque, <a href="#p81">81</a>, <a href="#p82">82</a>.</li> -<li>Maxime, empereur, <a href="#p536">536</a>, <a href="#p623">623</a>.</li> -<li>Maxime, <a href="#p592">592</a>.</li> -<li>Maximien (saint), <a href="#p366">366</a> et suiv.</li> -<li>Maximien, empereur, <a href="#p30">30</a>, <a href="#p87">87</a>, <a href="#p88">88</a>, <a href="#p92">92</a>, <a href="#p104">104</a>, <a href="#p229">229</a>, <a href="#p239">239</a>, <a href="#p417">417</a>, <a href="#p419">419</a>, <a href="#p487">487</a>, <a href="#p503">503</a>, <a href="#p505">505</a>, <a href="#p534">534</a> et suiv., <a href="#p602">602</a>, <a href="#p617">617</a>, <a href="#p680">680</a>.</li> -<li>Maximilla, <a href="#p15">15</a>.</li> -<li>Maximin (saint), <a href="#p339">339</a> et suiv., <a href="#p375">375</a>, <a href="#p376">376</a>.</li> -<li>Maximin, <a href="#p662">662</a>.</li> -<li>Mayence, <a href="#p450">450</a>.</li> -<li>Mazzini, <a href="#pv"><small>V</small></a>.</li> -<li>Mecque (la), <a href="#p697">697</a>.</li> -<li>Médard (saint), <a href="#p691">691</a>.</li> -<li>Méduse, <a href="#p515">515</a>.</li> -<li>Méla, <a href="#p320">320</a>.</li> -<li>Mélancie, <a href="#p510">510</a>, <a href="#p511">511</a>.</li> -<li>Melchi, <a href="#p493">493</a>.</li> -<li>Melchiade, pape, <a href="#p65">65</a>, <a href="#p121">121</a>, <a href="#p194">194</a>, <a href="#p195">195</a>, <a href="#p617">617</a>.</li> -<li>Melchior, <a href="#p73">73</a>.</li> -<li>Melitus (saint), <a href="#p169">169</a>.</li> -<li>Mello, <a href="#p277">277</a>.</li> -<li>Memling, <a href="#pxix"><small>XIX</small></a>.</li> -<li>Mercure (saint), <a href="#p119">119</a>.</li> -<li>Mercure, <a href="#p487">487</a>, <a href="#p580">580</a>, <a href="#p583">583</a>, <a href="#p625">625</a>.</li> -<li>Mésopotamie, <a href="#p598">598</a>.</li> -<li>Messine, <a href="#p452">452</a>.</li> -<li>Méthode, <a href="#p18">18</a>, <a href="#p37">37</a>.</li> -<li>Metz, <a href="#p508">508</a>.</li> -<li>Michaelium, <a href="#p547">547</a>.</li> -<li>Michel (saint), archange, <a href="#p206">206</a>, <a href="#p259">259</a>, <a href="#p351">351</a>, <a href="#p434">434</a>, <b><a href="#p544">544</a></b> et suiv.</li> -<li>Michel, empereur, <a href="#p581">581</a>, <a href="#p654">654</a>, <a href="#p704">704</a>.</li> -<li>Migdomie, <a href="#p34">34</a> et suiv.</li> -<li>Milan, <a href="#p76">76</a>, <a href="#p92">92</a>, <a href="#p208">208</a>, <a href="#p216">216</a> et suiv., <a href="#p241">241</a> et suiv., <a href="#p289">289</a>, <a href="#p301">301</a>, <a href="#p303">303</a>, <a href="#p371">371</a>, <a href="#p373">373</a>, <a href="#p385">385</a>, <a href="#p386">386</a>, <a href="#p424">424</a>, <a href="#p446">446</a>, <a href="#p448">448</a>, <a href="#p460">460</a>, <a href="#p536">536</a>, <a href="#p620">620</a>, <a href="#p626">626</a>, <a href="#p692">692</a>, <a href="#p707">707</a>.</li> -<li>Milas, <a href="#p456">456</a>.</li> -<li>Milet, <a href="#p50">50</a>, <a href="#p259">259</a>, <a href="#p392">392</a>.</li> -<li>Minerve, <a href="#p625">625</a>.</li> -<li>Mitylène, <a href="#p324">324</a>.</li> -<li>Modène, <a href="#p356">356</a>.</li> -<li>Modeste (saint), <b><a href="#p296">296</a></b> et suiv.</li> -<li>Moïse, <a href="#p1">1</a>, <a href="#p72">72</a>, <a href="#p388">388</a>, <a href="#p392">392</a>, <a href="#p544">544</a>, <a href="#p695">695</a>, <a href="#p716">716</a>.</li> -<li>Moïse (saint), abbé, <b><a href="#p685">685</a></b> et suiv.</li> -<li>Molesme, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Monique (sainte), <a href="#p459">459</a> et suiv.</li> -<li>Monte-Porto, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Montfort (comte de), <a href="#p399">399</a>.</li> -<li>Montmartre, <a href="#p580">580</a>.</li> -<li>Montpellier, <a href="#p247">247</a>.</li> -<li>Mont-Saint-Michel, <a href="#p356">356</a>, <a href="#p545">545</a> et suiv.</li> -<li>Monza, <a href="#p483">483</a>, <a href="#p693">693</a> et suiv.</li> -<li>Moraves, <a href="#p655">655</a>.</li> -<li>Mortara, <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Muller (Max), <a href="#p673">673</a>.</li> -<li>Muratori, <a href="#pviii"><small>VIII</small></a>, <a href="#pix"><small>IX</small></a>, <a href="#px"><small>X</small></a>.</li> -<li>Murillo, <a href="#pxix"><small>XIX</small></a>.</li> -<li>Myre, <a href="#p19">19</a>, <a href="#p24">24</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">N</b>aboth, <a href="#p222">222</a>.</li> -<li>Nabor (saint), <a href="#p302">302</a>.</li> -<li>Nabuzardam, <a href="#p716">716</a>.</li> -<li>Nachor, <a href="#p672">672</a> et suiv.</li> -<li>Nadabar, <a href="#p530">530</a>.</li> -<li>Naples, <a href="#p692">692</a>.</li> -<li>Narbonne, <a href="#p92">92</a>, <a href="#p595">595</a>, <a href="#p596">596</a>.</li> -<li>Narsès, <a href="#p692">692</a>.</li> -<li>Nathalie (sainte), <a href="#p504">504</a> et suiv.</li> -<li>Nazaire (saint), <a href="#p301">301</a>, <b><a href="#p370">370</a></b> et suiv.</li> -<li><span class="pagenum" id="p735">-735-</span> Nazareth, <a href="#p38">38</a>, <a href="#p195">195</a>, <a href="#p494">494</a>, <a href="#p497">497</a>.</li> -<li>Nébrode, <a href="#p462">462</a>.</li> -<li>Népotien, <a href="#p22">22</a>.</li> -<li>Nestorien, <a href="#p695">695</a>.</li> -<li>Nérée (saint), <b><a href="#p272">272</a></b> et suiv.</li> -<li>Néron (saint), <a href="#p571">571</a> et suiv.</li> -<li>Néron, <a href="#p234">234</a>, <a href="#p240">240</a>, <a href="#p253">253</a>, <a href="#p255">255</a>, <a href="#p301">301</a>, <a href="#p314">314</a> et suiv., <a href="#p371">371</a> et suiv., <a href="#p392">392</a>, <a href="#p452">452</a>, <a href="#p579">579</a>.</li> -<li>Nerva, empereur, <a href="#p652">652</a>.</li> -<li>Nestorius, <a href="#p311">311</a>.</li> -<li>Nicée (sainte), <a href="#p364">364</a>, <a href="#p365">365</a>.</li> -<li>Nicée, <a href="#p10">10</a>, <a href="#p11">11</a>, <a href="#p20">20</a>, <a href="#p385">385</a>.</li> -<li>Nicétas (Faustinien), <a href="#p647">647</a> et suiv.</li> -<li>Nicodème (saint), <a href="#p47">47</a>, <a href="#p198">198</a>, <a href="#p204">204</a> et suiv., <a href="#p282">282</a>, <a href="#p395">395</a> et suiv., <a href="#p516">516</a>.</li> -<li>Nicolas (saint), <b><a href="#p18">18</a></b> et suiv., <a href="#p179">179</a>, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Nicolas I, pape, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Nicolas IV, pape, <a href="#pvi"><small>VI</small></a>.</li> -<li>Nicolas, d’Irlande, <a href="#p182">182</a> et suiv.</li> -<li>Nicolas, de Bologne, <a href="#p413">413</a>.</li> -<li>Nicolas, <a href="#p9">9</a>, <a href="#p10">10</a>.</li> -<li>Nicomédie, <a href="#p155">155</a>, <a href="#p503">503</a>, <a href="#p507">507</a>, <a href="#p508">508</a>, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Nicostrate (saint), <a href="#p617">617</a>.</li> -<li>Nicostrate, <a href="#p93">93</a>.</li> -<li>Nil, <a href="#p533">533</a>.</li> -<li>Nîmes, <a href="#p492">492</a>.</li> -<li>Nivard, <a href="#p443">443</a>.</li> -<li>Nobliac, <a href="#p584">584</a>.</li> -<li>Noie, <a href="#p81">81</a>, <a href="#p216">216</a>.</li> -<li>Normandie, <a href="#p27">27</a>.</li> -<li>Nothus, <a href="#p590">590</a>.</li> -<li>Notker, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Numérien, <a href="#p596">596</a>.</li> -<li>Nursie, <a href="#p184">184</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">O</b>ctave (voir <a href="#auguste"><i>Auguste</i></a>).</li> -<li>Octave (saint), <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Odilon, abbé de Cluny, <a href="#p608">608</a>.</li> -<li>Œside, <a href="#p185">185</a>.</li> -<li>Œthée, <a href="#p395">395</a>.</li> -<li>Oliviers (mont des), <a href="#p204">204</a>, <a href="#p278">278</a>, <a href="#p543">543</a>, <a href="#p549">549</a>, <a href="#p572">572</a>, <a href="#p714">714</a>.</li> -<li>Ollodius (saint), <a href="#p211">211</a>.</li> -<li>Olybrius, <a href="#p334">334</a> et suiv.</li> -<li>Omer (saint), <a href="#p151">151</a>.</li> -<li>Opiso, <a href="#p247">247</a>.</li> -<li>Origène, <a href="#p128">128</a>, <a href="#p129">129</a>, <a href="#p130">130</a>, <a href="#p280">280</a>, <a href="#p419">419</a>, <a href="#p548">548</a>.</li> -<li>Orléans, <a href="#p405">405</a>, <a href="#p488">488</a>, <a href="#p584">584</a>, <a href="#p704">704</a>.</li> -<li>Orose, <a href="#p49">49</a>, <a href="#p271">271</a>.</li> -<li>Osma, <a href="#p399">399</a>, <a href="#p401">401</a>.</li> -<li>Ostie, <a href="#pvi"><small>VI</small></a>, <a href="#p325">325</a>, <a href="#p457">457</a>, <a href="#p462">462</a>, <a href="#p566">566</a>, <a href="#p654">654</a>.</li> -<li>Othon I<sup>er</sup>, <a href="#p705">705</a>.</li> -<li>Othon II, <a href="#p392">392</a>, <a href="#p705">705</a>.</li> -<li>Othon III, <a href="#pxix"><small>XIX</small></a>, <a href="#p705">705</a>.</li> -<li>Othon IV, <a href="#p711">711</a>.</li> -<li>Ours (saint), <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Ours, <a href="#p22">22</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">P</b>alerme, <a href="#p413">413</a>.</li> -<li>Palestine, <a href="#p229">229</a>, <a href="#p272">272</a>, <a href="#p386">386</a>, <a href="#p478">478</a>, <a href="#p695">695</a>.</li> -<li>Palladie, <a href="#p542">542</a>.</li> -<li>Palmace, <a href="#p582">582</a> et suiv.</li> -<li>Palmaroli (îles), <a href="#p45">45</a>.</li> -<li>Pammaque, <a href="#p556">556</a>, <a href="#p606">606</a>.</li> -<li>Pampelune, <a href="#p358">358</a>.</li> -<li>Pancrace (saint), <b><a href="#p274">274</a></b> et suiv.</li> -<li>Pannonie, <a href="#p553">553</a>, <a href="#p618">618</a>, <a href="#p690">690</a>.</li> -<li>Panthar, <a href="#p493">493</a>.</li> -<li>Pantulus (saint), évêque de Bâle, <a href="#p591">591</a>.</li> -<li>Paphnuce (saint), <a href="#p575">575</a> et suiv.</li> -<li>Paphos, <a href="#p288">288</a>.</li> -<li>Papias, <a href="#p233">233</a>.</li> -<li>Papin, <a href="#p457">457</a>.</li> -<li>Paris, <a href="#p405">405</a>, <a href="#p489">489</a>, <a href="#p579">579</a>, <a href="#p580">580</a>, <a href="#p610">610</a>, <a href="#p622">622</a>, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Parme (ch. B. de), <a href="#pvi"><small>VI</small></a>.</li> -<li>Parthenins, <a href="#p421">421</a>.</li> -<li>Paschase, <a href="#p28">28</a> et suiv.</li> -<li><span class="pagenum" id="p736">-736-</span> Paschase, <a href="#p612">612</a>.</li> -<li>Pasteur (saint), <b><a href="#p682">682</a></b> et suiv.</li> -<li>Patmos, <a href="#p50">50</a>, <a href="#p270">270</a>, <a href="#p271">271</a>, <a href="#p579">579</a>.</li> -<li>Patras, <a href="#p11">11</a>, <a href="#p15">15</a>, <a href="#p18">18</a>.</li> -<li>Patrice (saint), <b><a href="#p181">181</a></b> et suiv., <a href="#p611">611</a>.</li> -<li>Patrice, père de saint Augustin, <a href="#p459">459</a>.</li> -<li>Patrocle, <a href="#p324">324</a> et suiv.</li> -<li>Patron, <a href="#p523">523</a>.</li> -<li>Paul (saint), apôtre, <a href="#p3">3</a>, <a href="#p4">4</a>, <a href="#p6">6</a>, <a href="#p67">67</a>, <a href="#p143">143</a>, <a href="#p157">157</a> et suiv., <a href="#p195">195</a>, <a href="#p252">252</a>, <a href="#p262">262</a>, <a href="#p287">287</a>, <a href="#p288">288</a>, <a href="#p302">302</a>, <a href="#p315">315</a> et suiv., -<b><a href="#p324">324</a></b> et suiv., <a href="#p395">395</a>, <a href="#p401">401</a>, <a href="#p426">426</a>, <a href="#p479">479</a>, <a href="#p509">509</a>, <a href="#p577">577</a>, <a href="#p578">578</a>, <a href="#p579">579</a>, <a href="#p589">589</a>, <a href="#p623">623</a>, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Paul (saint), ermite, <b><a href="#p83">83</a></b> et suiv.</li> -<li>Paul (saint), martyr, <b><a href="#p307">307</a></b> et suiv.</li> -<li>Paul, historiographe, <a href="#p165">165</a>, <a href="#p306">306</a>, <a href="#p307">307</a>, <a href="#p483">483</a>, <a href="#p690">690</a>.</li> -<li>Paul, moine, <a href="#p576">576</a>.</li> -<li>Paul et Palladie, <a href="#p48">48</a>, <a href="#p49">49</a>.</li> -<li>Paule (sainte), <a href="#pxiii"><small>XIII</small></a>.</li> -<li>Paulin (saint), évêque, <a href="#p216">216</a>, <a href="#p386">386</a>.</li> -<li>Paulin, prêtre, <a href="#p100">100</a>.</li> -<li>Paulin, officier de Néron, <a href="#p318">318</a>.</li> -<li>Paulin, juge, <a href="#p248">248</a>.</li> -<li>Pavie, <a href="#p97">97</a>, <a href="#p448">448</a>, <a href="#p468">468</a> et suiv., <a href="#p618">618</a>, <a href="#p692">692</a>, <a href="#p701">701</a>, <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Pélage (saint), pape, <a href="#p168">168</a>, <a href="#p392">392</a>, <a href="#p397">397</a> et suiv., <a href="#p549">549</a>, <b><a href="#p690">690</a></b> et suiv.</li> -<li>Pélage (frère) (Voir <a href="#pelagie">sainte Pélagie</a>).</li> -<li>Pélage II, pape, <a href="#p690">690</a>.</li> -<li id="pelagie">Pélagie (sainte), pécheresse, <b><a href="#p571">571</a></b> et suiv.</li> -<li>Pélagie (sainte), <a href="#p32">32</a>.</li> -<li>Pèlerin (saint), <a href="#p210">210</a>.</li> -<li>Pentapole, <a href="#p234">234</a>.</li> -<li>Pépin, <a href="#p508">508</a>, <a href="#p522">522</a>, <a href="#p698">698</a>, <a href="#p701">701</a>, <a href="#p702">702</a>.</li> -<li>Périgueux, <a href="#p377">377</a> et suiv.</li> -<li>Perpétue (sainte), <a href="#p370">370</a>.</li> -<li>Perpétue (sainte), <a href="#p679">679</a> et suiv.</li> -<li>Perse, <a href="#p75">75</a>, <a href="#p118">118</a>, <a href="#p418">418</a>, <a href="#p532">532</a>, <a href="#p598">598</a>.</li> -<li>Pétronie, <a href="#p48">48</a>.</li> -<li>Pétronille (sainte), <a href="#p273">273</a>, <b><a href="#p282">282</a></b>, <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Phébus, <a href="#p653">653</a>.</li> -<li>Philet, <a href="#p352">352</a>, <a href="#p353">353</a>.</li> -<li>Philippe (saint), apôtre, <b><a href="#p248">248</a></b> et suiv., <a href="#p530">530</a>.</li> -<li>Philippe (saint), diacre, <a href="#p250">250</a>.</li> -<li>Philippe (saint), père de sainte Eugénie, <a href="#p509">509</a> et suiv.</li> -<li>Philippe (saint), fils de sainte Félicité, <a href="#p329">329</a>.</li> -<li>Philippe, évêque, <a href="#p479">479</a>.</li> -<li>Philippe, chrétien sous Néron, <a href="#p302">302</a>.</li> -<li>Philippe, fils d’Hérode, <a href="#p58">58</a>, <a href="#p60">60</a>, <a href="#p476">476</a>.</li> -<li>Philippe, empereur, <a href="#p92">92</a>, <a href="#p419">419</a>, <a href="#p420">420</a>.</li> -<li>Philippe-Auguste, <a href="#p711">711</a>.</li> -<li>Philippe, frère d’Henri VI, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Philippes, <a href="#p324">324</a>.</li> -<li>Philon le Juif, <a href="#p233">233</a>.</li> -<li>Phocas, empereur, <a href="#p113">113</a>, <a href="#p172">172</a>, <a href="#p176">176</a>, <a href="#p604">604</a>, <a href="#p694">694</a>.</li> -<li>Phrygie, <a href="#p250">250</a>, <a href="#p274">274</a>.</li> -<li>Pierre (saint), apôtre, <a href="#p57">57</a>, <a href="#p67">67</a>, <a href="#p68">68</a>, <a href="#p148">148</a>, <a href="#p151">151</a>, <b><a href="#p157">157</a></b> et suiv., <a href="#p167">167</a>, <a href="#p171">171</a>, <a href="#p176">176</a>, <a href="#p232">232</a>, <a href="#p233">233</a>, <a href="#p239">239</a>, <a href="#p240">240</a>, <a href="#p262">262</a>, <a href="#p272">272</a> et suiv., <a href="#p282">282</a>, <a href="#p301">301</a>, <b><a href="#p312">312</a></b> et suiv., <a href="#p324">324</a> et suiv., <a href="#p340">340</a>, <a href="#p341">341</a>, <a href="#p347">347</a>, <a href="#p370">370</a> et suiv., <b><a href="#p388">388</a></b> et suiv., <a href="#p395">395</a>, <a href="#p401">401</a>, <a href="#p433">433</a>, <a href="#p434">434</a>, <a href="#p473">473</a>, <a href="#p535">535</a>, <a href="#p579">579</a>, <a href="#p623">623</a>, <a href="#p630">630</a>, <a href="#p647">647</a> et suiv., <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Pierre l’Exorciste (saint), <b><a href="#p283">283</a></b> et suiv.</li> -<li>Pierre (saint), diacre, <a href="#p176">176</a> et suiv.</li> -<li>Pierre le Nouveau (saint), <b><a href="#p241">241</a></b> et suiv.</li> -<li><span class="pagenum" id="p737">-737-</span> Pierre Damien, <a href="#p233">233</a>, <a href="#p537">537</a>, <a href="#p608">608</a>.</li> -<li>Pierre de Cluny, <a href="#p42">42</a>, <a href="#p612">612</a>.</li> -<li>Pierre de Compostelle, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Pierre Lombard, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Pierre, bouvier, <a href="#p429">429</a>.</li> -<li>Pierre, <a href="#p613">613</a>.</li> -<li>Pilate (Ponce-), <a href="#p162">162</a>, <a href="#p180">180</a>, <a href="#p199">199</a> et suiv., <a href="#p254">254</a>, <a href="#p264">264</a>, <a href="#p270">270</a> et suiv., <a href="#p713">713</a>.</li> -<li>Pinci, <a href="#p82">82</a>.</li> -<li>Pise, <a href="#pvii"><small>VII</small></a>.</li> -<li>Pistole, <a href="#p360">360</a>.</li> -<li>Placide (saint), <a href="#p187">187</a>.</li> -<li>Placide (saint Eustache), <a href="#p524">524</a> et suiv.</li> -<li>Placidie, <a href="#p383">383</a>.</li> -<li>Plaisance, <a href="#p371">371</a>, <a href="#p541">541</a>.</li> -<li>Platon, <a href="#p480">480</a>, <a href="#p509">509</a>, <a href="#p553">553</a>.</li> -<li>Plautille, <a href="#p327">327</a>.</li> -<li>Pline le Jeune, <a href="#p145">145</a>.</li> -<li>Pluton, <a href="#p136">136</a>.</li> -<li>Pô (le), <a href="#p208">208</a>.</li> -<li>Poitiers, <a href="#p78">78</a>, <a href="#p79">79</a>, <a href="#p482">482</a>, <a href="#p619">619</a>, <a href="#p620">620</a>.</li> -<li>Poitou, <a href="#p626">626</a>.</li> -<li>Polème, <a href="#p455">455</a> et suiv.</li> -<li>Polycarpe (saint), <a href="#p94">94</a>.</li> -<li>Pomereto, <a href="#p570">570</a>.</li> -<li>Ponce (saint), <a href="#p419">419</a>.</li> -<li>Pont (Asie), <a href="#p598">598</a>.</li> -<li>Pont (île), <a href="#p200">200</a>, <a href="#p277">277</a>.</li> -<li>Pontien, <a href="#p461">461</a>.</li> -<li>Pontigny, <a href="#p62">62</a>.</li> -<li>Porphyre (saint), <a href="#p659">659</a> et suiv.</li> -<li>Porphyre, <a href="#p427">427</a>, <a href="#p428">428</a>.</li> -<li>Pouille, <a href="#p238">238</a>, <a href="#p403">403</a>, <a href="#p545">545</a>, <a href="#p565">565</a>, <a href="#p567">567</a>, <a href="#p570">570</a>.</li> -<li>Poussin, <a href="#pxix"><small>XIX</small></a>.</li> -<li>Prato, <a href="#p360">360</a>.</li> -<li>Praxède (sainte), <b><a href="#p337">337</a></b> et suiv.</li> -<li>Prieur (saint), solitaire, <a href="#p686">686</a>.</li> -<li>Prime (saint), <b><a href="#p286">286</a></b>.</li> -<li>Priscus, juge, <a href="#p519">519</a> et suiv.</li> -<li>Procès, <a href="#p318">318</a>.</li> -<li>Proclus, diacre, <a href="#p538">538</a>.</li> -<li>Projet (saint), <a href="#p424">424</a>.</li> -<li>Proserpine, <a href="#p136">136</a>.</li> -<li>Protais (saint), <a href="#p240">240</a>, <b><a href="#p301">301</a></b> et suiv., <a href="#p370">370</a>.</li> -<li>Protais, évêque, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Prothe (saint), <b><a href="#p509">509</a></b> et suiv.</li> -<li>Provence, <a href="#p237">237</a>.</li> -<li>Prudence, <a href="#p101">101</a>, <a href="#p104">104</a>.</li> -<li>Prudentienne, <a href="#p337">337</a>.</li> -<li>Publius, préfet, <a href="#p329">329</a>.</li> -<li>Publius, <a href="#p43">43</a>.</li> -<li>Pyla, <a href="#p199">199</a>.</li> -<li>Pythagore, <a href="#p480">480</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">Q</b>uentin (saint), <b><a href="#p602">602</a></b> et suiv.</li> -<li>Quintien, <a href="#p146">146</a> et suiv.</li> -<li>Quirin, tribun, <a href="#p390">390</a>, <a href="#p391">391</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">R</b>achel, mère de Simon le Magicien, <a href="#p313">313</a>.</li> -<li>Rachel, <a href="#p495">495</a>.</li> -<li>Racord, <a href="#p700">700</a>, <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Rahab, <a href="#p253">253</a>.</li> -<li>Raon, frère, <a href="#p412">412</a>.</li> -<li>Ravenne, <a href="#p240">240</a>, <a href="#p347">347</a>, <a href="#p348">348</a>, <a href="#p383">383</a>, <a href="#p384">384</a>, <a href="#p486">486</a>, <a href="#p583">583</a>, <a href="#p593">593</a>, <a href="#p693">693</a>.</li> -<li>Raymond (saint), <a href="#p408">408</a>.</li> -<li>Reginald de Saint-Aignan, <a href="#p405">405</a>, <a href="#p406">406</a>.</li> -<li>Rénier, frère, <a href="#p403">403</a>.</li> -<li>Reims, <a href="#p76">76</a>, <a href="#p77">77</a>, <a href="#p558">558</a>, <a href="#p583">583</a>.</li> -<li>Remi, <a href="#p61">61</a>, <a href="#p73">73</a>, <a href="#p74">74</a>, <a href="#p378">378</a>.</li> -<li>Remi (saint), <a href="#piii"><small>III</small></a>, <b><a href="#p76">76</a></b> et suiv., <a href="#p583">583</a>.</li> -<li>Renarde, <a href="#p78">78</a>.</li> -<li>Révocat (saint), <a href="#p680">680</a>.</li> -<li>Rhin, <a href="#p76">76</a>.</li> -<li>Rhône, <a href="#p202">202</a>, <a href="#p376">376</a>, <a href="#p492">492</a>, <a href="#p334">334</a>, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Richard de Saint-Victor, <a href="#p715">715</a>.</li> -<li>Rieul (saint), <a href="#p581">581</a>.</li> -<li>Robert (saint), <a href="#p708">708</a>.</li> -<li>Robert, roi de France, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p738">-738-</span> Roboam, <a href="#p716">716</a>.</li> -<li>Rocharith, <a href="#p307">307</a>.</li> -<li>Romain (saint), <a href="#p185">185</a>.</li> -<li>Romain, soldat, <a href="#p422">422</a>.</li> -<li>Rome, <a href="#pvi"><small>VI</small></a>, <a href="#pxx"><small>XX</small></a>, -<a href="#p11">11</a>, <a href="#p30">30</a>, <a href="#p39">39</a>, <a href="#p43">43</a>, <a href="#p50">50</a>, <a href="#p58">58</a>, <a href="#p59">59</a>, <a href="#p62">62</a>, <a href="#p65">65</a> et suiv., <a href="#p72">72</a>, <a href="#p87">87</a>, <a href="#p97">97</a>, <a href="#p118">118</a>, <a href="#p143">143</a>, <a href="#p144">144</a>, <b><a href="#p151">151</a></b>, <a href="#p158">158</a>, <a href="#p164">164</a> et suiv., <a href="#p170">170</a> et suiv., <a href="#p173">173</a>, <a href="#p176">176</a>, <a href="#p178">178</a>, <a href="#p185">185</a>, <b><a href="#p194">194</a></b>, <a href="#p199">199</a>, <a href="#p201">201</a>, <a href="#p216">216</a>, <a href="#p217">217</a>, <a href="#p220">220</a>, <a href="#p232">232</a>, <a href="#p239">239</a>, <a href="#p252">252</a>, <a href="#p256">256</a>, <a href="#p265">265</a>, <a href="#p267">267</a>, <a href="#p270">270</a>, <a href="#p274">274</a>, <a href="#p275">275</a>, <a href="#p289">289</a>, <a href="#p307">307</a>, <a href="#p314">314</a>, <a href="#p315">315</a>, <a href="#p317">317</a>, <a href="#p318">318</a>, <a href="#p321">321</a> et suiv., <a href="#p331">331</a>, <a href="#p332">332</a>, <a href="#p340">340</a>, <a href="#p347">347</a>, <a href="#p371">371</a>, <a href="#p379">379</a>, <a href="#p380">380</a>, <a href="#p388">388</a>, <a href="#p390">390</a> et suiv., <a href="#p401">401</a>, <a href="#p405">405</a>, <a href="#p408">408</a>, <a href="#p419">419</a>, <a href="#p424">424</a>, <a href="#p452">452</a>, <a href="#p458">458</a>, <a href="#p466">466</a>, <a href="#p476">476</a>, <a href="#p478">478</a>, <a href="#p486">486</a>, <a href="#p490">490</a>, <a href="#p492">492</a>, <a href="#p508">508</a>, <a href="#p511">511</a>, <a href="#p516">516</a>, <a href="#p534">534</a>, <a href="#p537">537</a>, <a href="#p541">541</a>, <a href="#p544">544</a>, <a href="#p546">546</a>, <a href="#p553">553</a>, <a href="#p554">554</a>, <a href="#p561">561</a>, <a href="#p565">565</a>, <a href="#p570">570</a>, <a href="#p578">578</a>, <a href="#p579">579</a>, <a href="#p580">580</a>, <a href="#p582">582</a>, <a href="#p591">591</a>, <a href="#p592">592</a>, <a href="#p593">593</a>, <a href="#p603">603</a>, <a href="#p604">604</a>, <a href="#p629">629</a>, <a href="#p643">643</a>, <a href="#p646">646</a>, <a href="#p654">654</a>, <a href="#p655">655</a>, <a href="#p662">662</a>, <a href="#p680">680</a>, <a href="#p686">686</a>, <a href="#p687">687</a>, <a href="#p701">701</a>, <a href="#p702">702</a>, <a href="#p708">708</a>, <a href="#p709">709</a>.</li> -<li>Rome, Capitole, <a href="#p317">317</a>.</li> -<li>Rome, Champ de Mars, <a href="#p96">96</a>.</li> -<li>Rome, Eglise <span lang="la" xml:lang="la">Ara-Cœli</span>, <a href="#p40">40</a>.</li> -<li>Rome, Eglise Sainte-Agnès, <a href="#p424">424</a>.</li> -<li>Rome, Eglise Saint-Boniface, <a href="#p334">334</a>.</li> -<li>Rome, Eglise Saint-Jean-de-Latran, <a href="#p176">176</a>.</li> -<li>Rome, Eglise Saint-Laurent-hors-les-Murs, <a href="#p203">203</a>, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Rome, Eglise Sainte-Marie-<span lang="la" xml:lang="la">ad-Passus</span>, <a href="#p318">318</a>.</li> -<li>Rome, Eglise Sainte-Marie-la-Neuve, <a href="#p39">39</a>.</li> -<li id="sainte-marie-la-ronde">Rome, Eglise Sainte-Marie-la-Ronde, <a href="#p605">605</a>, <a href="#p694">694</a>.</li> -<li>Rome, Eglise Sainte-Marie-Majeure, <a href="#p164">164</a>, <a href="#p168">168</a>, <a href="#p172">172</a>, <a href="#p310">310</a>.</li> -<li>Rome, Eglise Saint-Pierre, <a href="#p173">173</a>, <a href="#p176">176</a>, <a href="#p178">178</a>, <a href="#p401">401</a>, <a href="#p561">561</a>, <a href="#p607">607</a>.</li> -<li>Rome, Eglise Saint-Pierre aux Liens, <a href="#p97">97</a>, <a href="#p388">388</a>, <a href="#p391">391</a> et suiv., <a href="#p397">397</a>, <a href="#p544">544</a>.</li> -<li>Rome, Fort Saint-Ange, <a href="#p169">169</a>, <a href="#p267">267</a>, <a href="#p547">547</a>.</li> -<li>Rome, Panthéon (Voir <a href="#sainte-marie-la-ronde"><i>Sainte-Marie-la-Ronde</i></a>).</li> -<li>Rome, Porte Latine, <a href="#p270">270</a>.</li> -<li>Rome, Transtévère, <a href="#p583">583</a>.</li> -<li>Romulus, <a href="#p39">39</a>.</li> -<li>Rosemonde, <a href="#p692">692</a> et suiv.</li> -<li>Rouen, <a href="#p662">662</a>.</li> -<li>Ruben, <a href="#p161">161</a>.</li> -<li>Rubens, <a href="#pxix"><small>XIX</small></a>.</li> -<li>Rufin, <a href="#p367">367</a>.</li> -<li>Rufin, préfet, <a href="#p223">223</a>.</li> -<li>Rusticana, <a href="#p170">170</a>.</li> -<li>Rustique (saint), <b><a href="#p577">577</a></b> et suiv.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">S</b>aba (reine de), <a href="#p260">260</a>.</li> -<li>Sabine (sainte), <a href="#p487">487</a>.</li> -<li>Sabine, <a href="#p423">423</a>.</li> -<li>Saint-Denis, <a href="#p580">580</a>.</li> -<li>Saint-Gall, <a href="#p439">439</a>, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Saint-Gilles (Gard), <a href="#p492">492</a>.</li> -<li>Saint-Jean-de-Maurienne, <a href="#p483">483</a>.</li> -<li>Saint-Maurice-en-Valais, <a href="#p534">534</a> et suiv.</li> -<li>Salamine, <a href="#p288">288</a>.</li> -<li>Sallustie (sainte), <a href="#p523">523</a>.</li> -<li>Salomé, mari de sainte Anne, <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Salomé, <a href="#p60">60</a>, <a href="#p61">61</a>.</li> -<li>Salomon, <a href="#p260">260</a>, <a href="#p336">336</a>, <a href="#p493">493</a>, <a href="#p716">716</a>.</li> -<li>Samarie, <a href="#p47">47</a>, <a href="#p352">352</a>.</li> -<li>Samos, <a href="#pxxiv"><small>XXIV</small></a>, <a href="#p363">363</a>.</li> -<li>Samson, <a href="#p246">246</a>, <a href="#p495">495</a>.</li> -<li>Samuel, <a href="#p495">495</a>.</li> -<li>Sanctulus, <a href="#p424">424</a>.</li> -<li>Saphir, <a href="#p312">312</a>.</li> -<li>Sapricius, <a href="#p207">207</a> et suiv.</li> -<li>Sarah, <a href="#p495">495</a>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p739">-739-</span> Sarathin, <a href="#p73">73</a>.</li> -<li>Sardaigne, <a href="#p468">468</a>.</li> -<li>Sarrazins, <a href="#p360">360</a>, <a href="#p400">400</a>, <a href="#p457">457</a>, <a href="#p458">458</a>, <a href="#p468">468</a>.</li> -<li>Satire (saint), <a href="#p680">680</a> et suiv.</li> -<li>Saturne, <a href="#p649">649</a>, <a href="#p673">673</a>.</li> -<li>Saturnin (saint), <a href="#p417">417</a> et suiv.</li> -<li>Saturnin (saint), de Toulouse, <b><a href="#p679">679</a></b> et suiv.</li> -<li>Satyre (saint), <a href="#p415">415</a>.</li> -<li>Savin (saint), d’Auxerre, <a href="#p210">210</a>.</li> -<li>Savin, <a href="#p483">483</a>.</li> -<li>Savin, pape, <a href="#p694">694</a>.</li> -<li>Savine (sainte), <b><a href="#p483">483</a></b> et suiv.</li> -<li>Savinien (saint), <b><a href="#p483">483</a></b> et suiv.</li> -<li>Savone, <a href="#pii"><small>II</small></a>, <a href="#piii"><small>III</small></a>, <a href="#pvii"><small>VII</small></a>.</li> -<li>Saxe, <a href="#p710">710</a>.</li> -<li>Scandinavie, <a href="#p690">690</a>.</li> -<li>Scholastique, (sainte), <a href="#p193">193</a>, <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Scot (Jean), <a href="#p582">582</a>.</li> -<li>Scythie, <a href="#p8">8</a>, <a href="#p248">248</a>.</li> -<li>Sébaste, <a href="#p139">139</a>, <a href="#p478">478</a>.</li> -<li>Sébastien (saint), <b><a href="#p92">92</a></b> et suiv., <a href="#p712">712</a>.</li> -<li>Second (saint), <b><a href="#p207">207</a></b> et suiv.</li> -<li>Second, <a href="#p125">125</a>.</li> -<li>Segond, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Seine, <a href="#p581">581</a>.</li> -<li>Selenne, <a href="#p395">395</a>.</li> -<li>Sénèque, <a href="#p320">320</a>.</li> -<li>Sennaar, <a href="#p666">666</a>.</li> -<li>Sennen (saint), <b><a href="#p379">379</a></b>.</li> -<li>Sens, <a href="#p62">62</a>, <a href="#p488">488</a>, <a href="#p489">489</a>.</li> -<li>Sérapion (saint), abbé, <a href="#px"><small>X</small></a>, <a href="#p129">129</a>.</li> -<li>Sérapion (saint), <b><a href="#p366">366</a></b> et suiv.</li> -<li>Sérapis, <a href="#p479">479</a>, <a href="#p487">487</a>, <a href="#p518">518</a>.</li> -<li>Serena, <a href="#p417">417</a>.</li> -<li>Serge, pape, <a href="#p136">136</a>, <a href="#p704">704</a>.</li> -<li>Serge, frère de sainte Eugénie, <a href="#p509">509</a>, <a href="#p511">511</a>.</li> -<li>Serge, moine, <a href="#p695">695</a> et suiv.</li> -<li>Servais (saint), <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Seth, <a href="#p205">205</a>, <a href="#p259">259</a> et suiv.</li> -<li>Sévère (saint), martyr, <a href="#p616">616</a>.</li> -<li>Sévère (Sulpice), <a href="#p621">621</a>, <a href="#p623">623</a>.</li> -<li>Séverien (saint), martyr, <a href="#p616">616</a>.</li> -<li>Séverien, évêque, <a href="#p128">128</a> et suiv.</li> -<li>Séverin (saint), <a href="#p626">626</a>.</li> -<li>Sibylle, <a href="#p39">39</a> et suiv., <a href="#p658">658</a>.</li> -<li>Sicée, <a href="#p130">130</a>.</li> -<li>Sicile, <a href="#p27">27</a>, <a href="#p146">146</a>, <a href="#p166">166</a>, <a href="#p296">296</a>, <a href="#p413">413</a>, <a href="#p457">457</a>, <a href="#p501">501</a>, <a href="#p591">591</a>, <a href="#p594">594</a>.</li> -<li>Sienne, <a href="#pxviii"><small>XVIII</small></a>.</li> -<li>Sigebert, <a href="#p691">691</a>.</li> -<li>Silène, ville, <a href="#p226">226</a>.</li> -<li>Siléon, <a href="#p68">68</a>.</li> -<li>Silo (maître), <a href="#p610">610</a>, <a href="#p611">611</a>.</li> -<li>Silon, <a href="#p412">412</a>.</li> -<li>Siméon (saint), <a href="#p58">58</a>, <a href="#p136">136</a> et suiv., <a href="#p205">205</a>.</li> -<li>Simon (saint), apôtre, <a href="#p7">7</a>, <a href="#p204">204</a>, <a href="#p494">494</a>, <a href="#p516">516</a>, <a href="#p532">532</a>, <a href="#p596">596</a> et suiv.</li> -<li>Simon (saint), fils de Cléophas, <a href="#p602">602</a>.</li> -<li>Simon le Lépreux, <a href="#p114">114</a>, <a href="#p338">338</a>.</li> -<li>Simon, père de saint Cyriaque, <a href="#p263">263</a>.</li> -<li>Simon le Magicien, <a href="#p159">159</a>, <a href="#p313">313</a> et suiv., <a href="#p646">646</a>, <a href="#p649">649</a>, <a href="#p650">650</a>.</li> -<li>Simon, pharisien, <a href="#p339">339</a>.</li> -<li>Simon, père de Judas, <a href="#p161">161</a>.</li> -<li>Simplice (saint), <b><a href="#p374">374</a></b> et suiv.</li> -<li>Simplice (saint), martyr, <a href="#p617">617</a>.</li> -<li>Simplice (saint), martyr, <a href="#p583">583</a>.</li> -<li>Simplicien (saint), <a href="#p221">221</a>, <a href="#p245">245</a>, <a href="#p461">461</a>.</li> -<li>Simplicius, <a href="#p276">276</a>.</li> -<li>Sinaï (mont), <a href="#p170">170</a>, <a href="#p653">653</a>, <a href="#p662">662</a>.</li> -<li>Sintice, <a href="#p34">34</a>.</li> -<li>Sion (mont), <a href="#p270">270</a>, <a href="#p430">430</a>.</li> -<li>Sisinnius (saint), <a href="#p417">417</a> et suiv., <a href="#p651">651</a> et suiv.</li> -<li>Sixte (s.), <b><a href="#p225">225</a></b> et suiv., <a href="#p419">419</a>, <a href="#p428">428</a>.</li> -<li>Smaragde (saint), <a href="#p418">418</a>.</li> -<li>Socrate, <a href="#p509">509</a>.</li> -<li>Solime, <a href="#p595">595</a>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p740">-740-</span> Solutor (saint), <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Sophie (sainte), <b><a href="#p284">284</a></b> et suiv.</li> -<li>Sophie, impératrice, <a href="#p692">692</a>.</li> -<li>Sosthène (saint), <a href="#p520">520</a>.</li> -<li>Spinola, <a href="#pvii"><small>VII</small></a>, <a href="#pix"><small>IX</small></a>.</li> -<li>Stridon, <a href="#p553">553</a>.</li> -<li>Suamir, <a href="#p601">601</a>.</li> -<li>Sulpice (saint), évêque de Ravenne, <a href="#p593">593</a>.</li> -<li>Sulpice, évêque, <a href="#p278">278</a>.</li> -<li>Suze, <a href="#p570">570</a>.</li> -<li>Sylvain (saint), <a href="#p329">329</a>.</li> -<li>Sylvestre (saint), <b><a href="#p65">65</a></b> et suiv., <a href="#p121">121</a>, <a href="#p194">194</a> et suiv., <a href="#p261">261</a> et suiv., <a href="#p322">322</a>.</li> -<li>Sylvestre (frère), <a href="#p564">564</a>.</li> -<li>Sylvie, mère de saint Grégoire, <a href="#p165">165</a>.</li> -<li>Symmaque, pape, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Symmaque, consul, <a href="#p322">322</a>.</li> -<li>Symmaque, gendre de Boëce, <a href="#p699">699</a>.</li> -<li>Symmaque, préfet, <a href="#p460">460</a>.</li> -<li>Symphorien (saint), <b><a href="#p452">452</a></b> et suiv.</li> -<li>Symphorien (saint), <a href="#p617">617</a>.</li> -<li>Syracuse, <a href="#p27">27</a>, <a href="#p30">30</a>.</li> -<li>Syrie, <a href="#p143">143</a>, <a href="#p330">330</a>, <a href="#p375">375</a>, <a href="#p515">515</a>.</li> -<li>Syroïs, <a href="#p515">515</a>.</li> -<li>Syrus, <a href="#p338">338</a>, <a href="#p375">375</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">T</b>abite, <a href="#p312">312</a>.</li> -<li>Tanaro, <a href="#p208">208</a>.</li> -<li>Tarascon, <a href="#p376">376</a>, <a href="#p378">378</a>.</li> -<li>Tarquin, <a href="#p65">65</a>.</li> -<li>Tarquin, préfet, <a href="#p195">195</a>.</li> -<li>Tarse, <a href="#p275">275</a>, <a href="#p298">298</a>, <a href="#p331">331</a>.</li> -<li>Taurus, juge, <a href="#p349">349</a>.</li> -<li>Télesphore, pape, <a href="#p122">122</a>, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Térentien, <a href="#p310">310</a>.</li> -<li>Thabor (mont), <a href="#p204">204</a>.</li> -<li>Thadée (Voir <a href="#jude"><i>Saint Jude</i></a>, apôtre).</li> -<li>Thaïs (sainte), <b><a href="#p575">575</a></b> et suiv.</li> -<li>Thara, <a href="#p68">68</a>.</li> -<li>Thébaïde, <a href="#p58">58</a>.</li> -<li>Thècle (sainte), <a href="#p482">482</a>, <a href="#p623">623</a>.</li> -<li>Thèbes, <a href="#p533">533</a>, <a href="#p534">534</a>.</li> -<li>Théobald (saint), <a href="#p609">609</a> et suiv.</li> -<li>Théodard, <a href="#p521">521</a>.</li> -<li>Théodas, <a href="#p673">673</a> et suiv.</li> -<li>Théodelinde, <a href="#p483">483</a>, <a href="#p693">693</a>.</li> -<li>Théodore (sainte), <a href="#p472">472</a> et suiv.</li> -<li>Théodore (sainte), martyre, <b><a href="#p472">472</a></b>.</li> -<li>Théodore (sainte), femme de Sisinnius, <a href="#p651">651</a> et suiv.</li> -<li>Théodore (sainte), Romaine, <a href="#p45">45</a>.</li> -<li>Théodore (saint), martyr, <b><a href="#p617">617</a></b> et suiv.</li> -<li>Théodore (saint), abbé et docteur, <a href="#p457">457</a>.</li> -<li>Théodore, pape, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Théodore l’Ancien, empereur, <a href="#p104">104</a>.</li> -<li>Théodore, chrétien, <a href="#p367">367</a>.</li> -<li>Théodore, sœur de lait de sainte Domicille, <a href="#p273">273</a>.</li> -<li>Théodoric, évêque de Metz, <a href="#p392">392</a>.</li> -<li>Théodoric, roi des Goths, <a href="#p699">699</a>.</li> -<li>Théodose, empereur, <a href="#p115">115</a>, <a href="#p129">129</a>, <a href="#p134">134</a>, <a href="#p218">218</a>, <a href="#p223">223</a>, <a href="#p224">224</a>, <a href="#p262">262</a>, <a href="#p367">367</a> et suiv., <a href="#p391">391</a>, <a href="#p392">392</a>, <a href="#p416">416</a>, <a href="#p417">417</a>, <a href="#p482">482</a>, <a href="#p518">518</a>, <a href="#p556">556</a>.</li> -<li>Théodose, père de sainte Marguerite, <a href="#p334">334</a>.</li> -<li>Théodule, évêque d’Orléans, <a href="#p704">704</a>.</li> -<li>Théophile, évêque d’Alexandrie, <a href="#p126">126</a>, <a href="#p127">127</a>, <a href="#p129">129</a>, <a href="#p131">131</a>, <a href="#p132">132</a>, <a href="#p479">479</a>.</li> -<li>Théophile, vicaire, <a href="#p501">501</a>, <a href="#p502">502</a>.</li> -<li>Théophile, préfet d’Antioche, <a href="#p157">157</a> et suiv.</li> -<li>Théone (sainte), <a href="#p195">195</a>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p741">-741-</span> Théosèbe, <a href="#p85">85</a>.</li> -<li>Théospit (saint), <a href="#p525">525</a> et suiv.</li> -<li>Théospite (sainte), <a href="#p525">525</a> et suiv.</li> -<li>Théotine, <a href="#p130">130</a>.</li> -<li>Théotiste, <a href="#p85">85</a>.</li> -<li>Thessalonique, <a href="#p218">218</a>, <a href="#p223">223</a>, <a href="#p324">324</a>.</li> -<li>Thierry, <a href="#p559">559</a>.</li> -<li>Thomas (saint), apôtre, <b><a href="#p31">31</a></b> et suiv., <a href="#p204">204</a>, <a href="#p433">433</a>, <a href="#p455">455</a>, <a href="#p596">596</a>.</li> -<li>Thomas (saint), évêque de Cantorbery, <b><a href="#p61">61</a></b>.</li> -<li>Thomas d’Aquin (saint), <a href="#pv"><small>V</small></a>, <a href="#pxii"><small>XII</small></a>.</li> -<li>Thrace, <a href="#p127">127</a>, <a href="#p307">307</a>, <a href="#p702">702</a>.</li> -<li>Thuringe, <a href="#p631">631</a>, <a href="#p634">634</a>, <a href="#p711">711</a>.</li> -<li>Tiburce, <a href="#p641">641</a> et suiv.</li> -<li>Tiel, <a href="#p592">592</a>.</li> -<li>Timothée, <b><a href="#p452">452</a></b>.</li> -<li>Tombelaine, <a href="#p545">545</a>.</li> -<li>Tortone, <a href="#p207">207</a> et suiv., <a href="#p468">468</a>.</li> -<li>Totila, <a href="#p189">189</a>.</li> -<li>Toulouse, <a href="#p357">357</a>, <a href="#p399">399</a>, <a href="#p401">401</a> et suiv., <a href="#p679">679</a>.</li> -<li>Touraine, <a href="#p626">626</a>.</li> -<li>Tours, <a href="#pxi"><small>XI</small></a>, <a href="#pxviii"><small>XVIII</small></a>, <a href="#p621">621</a> et suiv., <a href="#p628">628</a> et suiv.</li> -<li>Trajan, <a href="#p143">143</a> et suiv., <a href="#p173">173</a>, <a href="#p174">174</a>, <a href="#p524">524</a>, <a href="#p529">529</a>, <a href="#p602">602</a>, <a href="#p652">652</a>, <a href="#p653">653</a>.</li> -<li>Tranquillin (saint), <a href="#p94">94</a>, <a href="#p95">95</a>.</li> -<li>Trèves, <a href="#p165">165</a>, <a href="#p263">263</a>, <a href="#p372">372</a>.</li> -<li>Triphonie, <a href="#p428">428</a>.</li> -<li>Tripoli, <a href="#p590">590</a>.</li> -<li>Troie, <a href="#p321">321</a>.</li> -<li>Troyes, <a href="#p381">381</a>, <a href="#p484">484</a>, <a href="#p486">486</a>.</li> -<li>Turin, <a href="#p536">536</a>, <a href="#p693">693</a>.</li> -<li>Turpin, archevêque, <a href="#p703">703</a>.</li> -<li>Tyr, <a href="#p349">349</a>, <a href="#p352">352</a>.</li> -<li>Tyriens, <a href="#p701">701</a>.</li> -<li>Tyrus, père de Pilate, <a href="#p199">199</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">U</b>rbain (saint), <b><a href="#p280">280</a></b> et suiv., <a href="#p537">537</a>, <a href="#p639">639</a> et suiv.</li> -<li>Urbain, père de sainte Christine, <a href="#p349">349</a> et suiv.</li> -<li>Urcisin (saint), <a href="#p240">240</a>.</li> -<li>Ursanie, <a href="#p707">707</a>.</li> -<li>Ursule (sainte) et les onze mille Vierges, -<a href="#pxix"><small>XIX</small></a>, -<a href="#pxx"><small>XX</small></a>, -<b><a href="#p590">590</a></b> et suiv.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">V</b>alence (Espagne), <a href="#p101">101</a>, <a href="#p399">399</a>.</li> -<li>Valens, empereur, <a href="#p290">290</a>, <a href="#p387">387</a>, <a href="#p482">482</a>.</li> -<li>Valentin (saint), <b><a href="#p153">153</a></b> et suiv.</li> -<li>Valentinien, empereur, <a href="#p134">134</a>, <a href="#p216">216</a>, <a href="#p222">222</a>, <a href="#p383">383</a>, <a href="#p392">392</a>, <a href="#p480">480</a>, <a href="#p621">621</a>.</li> -<li>Valère (saint), <a href="#p101">101</a>.</li> -<li>Valère, évêque, <a href="#p463">463</a>.</li> -<li>Valérie (sainte), <a href="#p240">240</a> et suiv., <a href="#p301">301</a>.</li> -<li>Valérien (saint), <a href="#p224">224</a>, <a href="#p281">281</a>, <a href="#p639">639</a> et suiv.</li> -<li>Valérien, empereur, <a href="#p285">285</a>, <a href="#p394">394</a>, <a href="#p428">428</a>, <a href="#p512">512</a>, <a href="#p681">681</a>.</li> -<li>Valérien, préfet, <a href="#p296">296</a> et suiv., <a href="#p421">421</a>.</li> -<li>Vandales, <a href="#p77">77</a>, <a href="#p466">466</a>.</li> -<li>Varage, <a href="#pi"><small>I</small></a> et suiv.</li> -<li>Vast (saint), <b><a href="#p150">150</a></b> et suiv.</li> -<li>Vendôme, <a href="#p414">414</a>.</li> -<li>Venise, <a href="#p235">235</a> et suiv.</li> -<li>Vénus, <a href="#p147">147</a>, <a href="#p264">264</a>, <a href="#p452">452</a>, <a href="#p625">625</a>, <a href="#p649">649</a>, <a href="#p673">673</a>, <a href="#p696">696</a>.</li> -<li>Verceil, <a href="#p79">79</a>, <a href="#p221">221</a>, <a href="#p387">387</a>, <a href="#p629">629</a>.</li> -<li>Veredôme, <a href="#p490">490</a>.</li> -<li>Vermandois, <a href="#p603">603</a>.</li> -<li>Vérone, <a href="#p241">241</a>, <a href="#p420">420</a>, <a href="#p692">692</a>.</li> -<li>Véronique (sainte), <a href="#p200">200</a> et suiv.</li> -<li>Vespasien, empereur, <a href="#p254">254</a> et suiv., <a href="#p349">349</a>.</li> -<li>Vesta, <a href="#p98">98</a>, <a href="#p547">547</a>.</li> -<li>Vétulana, <a href="#p271">271</a>.</li> -<li>Vézelay, <a href="#p345">345</a>, <a href="#p346">346</a>, <a href="#p359">359</a>.</li> -<li>Vibius, <a href="#p581">581</a>.</li> -<li>Vicera, <a href="#p569">569</a>.</li> -<li>Victoire (sainte), légion thébaine, <a href="#p534">534</a>, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Victor (saint), <a href="#p534">534</a>.</li> -<li>Victorin (saint), martyr, <a href="#p617">617</a>.</li> -<li>Victorin (saint), <a href="#p273">273</a>.</li> -<li><span class="pagenum" id="p742">-742-</span> Victorin, orateur, <a href="#p553">553</a>.</li> -<li>Vienne (Dauphiné), <a href="#p115">115</a>, <a href="#p202">202</a>, <a href="#p268">268</a>.</li> -<li>Vincent (saint), martyr, <b><a href="#p101">101</a></b> et suiv., <a href="#p138">138</a>.</li> -<li>Vincent (saint), cardinal, <a href="#p592">592</a>.</li> -<li>Vincent de Beauvais, <a href="#p424">424</a>.</li> -<li>Vintimille, <a href="#piii"><small>III</small></a>, <a href="#p536">536</a>.</li> -<li>Vit (saint), <b><a href="#p296">296</a></b> et suiv.</li> -<li>Vital (saint), martyr, <a href="#p329">329</a>.</li> -<li>Vital (saint), père de saint Gervais, <b><a href="#p240">240</a></b> et suiv., <a href="#p301">301</a>.</li> -<li>Vital (saint), abbé, <a href="#p108">108</a> et suiv.</li> -<li>Viterbe, <a href="#p353">353</a>.</li> -<li>Vivès, <a href="#pxix"><small>XIX</small></a> et suiv.</li> -<li>Vivien (saint), <a href="#p210">210</a>.</li> -<li>Voltri, <a href="#pii"><small>II</small></a>.</li> -<li>Volusien, <a href="#p200">200</a>, <a href="#p201">201</a>.</li> -<li>Voragine (Jacques de), <a href="#pi"><small>I</small></a> et suiv., <a href="#p152">152</a>, <a href="#p301">301</a>, <a href="#p629">629</a>, <a href="#p690">690</a>.</li></ul> -<ul> -<li><b class="large">Z</b>acharie (saint), <a href="#p93">93</a>, <a href="#p304">304</a> et suiv.</li> -<li>Zacharie, pape, <a href="#p698">698</a>, <a href="#p699">699</a>.</li> -<li>Zacharie, patriarche, <a href="#p515">515</a>.</li> -<li>Zachée, <a href="#p263">263</a>, <a href="#p516">516</a>, <a href="#p648">648</a>.</li> -<li>Zambri, <a href="#p68">68</a>, <a href="#p69">69</a>.</li> -<li>Zaroës, <a href="#p530">530</a>, <a href="#p598">598</a>.</li> -<li>Zébédée, <a href="#p251">251</a>, <a href="#p352">352</a>, <a href="#p494">494</a>.</li> -<li>Zèle, prêtre, <a href="#p656">656</a>.</li> -<li>Zénon, <a href="#p289">289</a>, <a href="#p472">472</a>.</li> -<li>Zénophile, <a href="#p68">68</a>.</li> -<li>Zoé (sainte), <a href="#p93">93</a>, <a href="#p95">95</a>.</li> -<li>Zosime (saint), abbé, <a href="#p212">212</a> et suiv.</li></ul> -<div class="chapter"></div> -<p><span class="pagenum" id="p743">-743-</span></p> - -<h2 class="nobreak">TABLE DES MATIÈRES</h2> - - -<table summary=""> -<tr><td colspan="2"> </td> -<td class="small">Pages.</td></tr> -<tr><td colspan="2"><span class="sc">Introduction</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#intro"><small>I</small></a></div></td></tr> -<tr><td><span class="sc">Prologue.</span></td> -<td class="drap">— Division de l’année</td> -<td class="bot r"><div><a href="#prologue">1</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>I.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">L’Avent</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#c1">3</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>II.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint André</span>, apôtre (30 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c2">7</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>III.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Nicolas</span>, évêque et confesseur (6 <span class="i">décembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c3">18</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>IV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Lucie</span>, vierge et martyre (13 <span class="i">décembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c4">27</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>V.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Thomas</span>, apôtre (21 <span class="i">décembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c5">31</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>VI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ</span> (25 <span class="i">décembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c6">37</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>VII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Anastasie</span>, martyre (25 <span class="i">décembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c7">43</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>VIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Etienne</span>, premier martyr (26 <span class="i">décembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c8">45</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>IX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Jean</span>, apôtre et évangéliste (27 <span class="i">décembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c9">50</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>X.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Les saints Innocents</span> (28 <span class="i">décembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c10">57</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Thomas de Cantorbery</span>, évêque et martyr (29 <span class="i">décembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c11">61</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Sylvestre</span>, pape (31 <span class="i">décembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c12">65</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Circoncision de Notre-Seigneur Jésus-Christ</span> (1<sup>er</sup> <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c13">71</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">L’Epiphanie</span> (6 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c14">73</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Remi</span>, évêque et confesseur (14 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c15">76</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Hilaire</span>, évêque et confesseur (14 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c16">79</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Félix</span>, prêtre et confesseur (14 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c17">81</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Paul</span>, ermite (15 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c18">83</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Macaire</span>, ermite (15 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c19">85</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Marcel</span> (16 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c20">87</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Antoine</span>, ermite (17 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c21">87</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Fabien</span>, pape et martyr (20 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c22">91</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Sébastien</span>, martyr (20 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c23">92</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Agnès</span>, vierge et martyre (21 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c24">97</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Vincent</span>, martyr (22 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c25">101</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Jean l’Aumônier</span>, confesseur (23 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c26">105</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Conversion de saint Paul</span> (25 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c27">113</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Julien</span>, évêque et confesseur (26 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c28">114</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Septuagésime</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#c29">120</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Sexagésime</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#c30">121</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXXI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Quinquagésime</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#c31">122</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXXII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Quadragésime</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#c32">123</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXXIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Le Jeûne des Quatre-Temps</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#c33">124</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXXIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Jean Chrysostome</span>, évêque et confesseur (27 <span class="i">janvier</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c34">125</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXXV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Purification de la Bienheureuse Vierge Marie</span> (2 <span class="i">février</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c35">134</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXXVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Blaise</span>, évêque et martyr (3 <span class="i">février</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c36">139</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXXVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Ignace</span>, évêque et martyr (4 <span class="i">février</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c37">142</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXXVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Agathe</span>, vierge et martyre (5 <span class="i">février</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c38">146</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXXIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Vast</span>, évêque et confesseur (6 <span class="i">février</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c39">150</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XL.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Amand</span>, évêque et confesseur (6 <span class="i">février</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c40">151</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XLI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Apolline</span>, vierge et martyre (9 <span class="i">février</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c41">152</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XLII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Valentin</span>, prêtre et martyr (14 <span class="i">février</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c42">153</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XLIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Julienne</span>, vierge et martyre (16 <span class="i">février</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c43">155</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XLIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Chaire de saint Pierre à Antioche</span> (22 <span class="i">février</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c44">157</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XLV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Mathias</span>, apôtre (24 <span class="i">février</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c45">160</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XLVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Grégoire</span>, pape (12 <span class="i">mars</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c46">165</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XLVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Longin</span>, martyr (15 <span class="i">mars</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c47">180</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XLVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Patrice</span>, évêque et confesseur (17 <span class="i">mars</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c48">181</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XLIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Benoît</span>, abbé (21 <span class="i">mars</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c49">184</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>L.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Timothée</span>, prêtre et martyr (24 <span class="i">mars</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c50">194</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">L’Annonciation</span> (25 <span class="i">mars</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c51">195</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Passion de Notre-Seigneur</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#c52">198</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Résurrection de Notre-Seigneur</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#c53">202</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Second</span>, martyr (30 <span class="i">mars</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c54">207</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Mamertin</span>, abbé (30 <span class="i">mars</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c55">210</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Marie l’Egyptienne</span>, pécheresse (2 <span class="i">avril</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c56">212</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Ambroise</span>, évêque et docteur (4 <span class="i">avril</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c57">216</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Sixte</span>, pape et martyr (6 <span class="i">avril</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c58">225</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Georges</span>, martyr (23 <span class="i">avril</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c59">226</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Marc</span>, évangéliste (25 <span class="i">avril</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c60">232</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Marcelin</span>, pape (26 <span class="i">avril</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c61">239</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Vital</span>, martyr (28 <span class="i">avril</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c62">240</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Pierre le Nouveau</span>, martyr (29 <span class="i">avril</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c63">241</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Philippe</span>, apôtre (1<sup>er</sup> <span class="i">mai</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c64">248</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Jacques le Mineur</span>, apôtre (1<sup>er</sup> <span class="i">mai</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c65">250</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">L’invention de la sainte Croix</span> (3 <span class="i">mai</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c66">259</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Les Rogations</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#c67">267</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Jean Porte-Latine</span> (6 <span class="i">mai</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c68">270</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Gordien</span>, martyr (10 <span class="i">mai</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c69">271</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saints Nérée et Achillée</span>, martyrs (12 <span class="i">mai</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c70">272</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Pancrace</span>, martyr (12 <span class="i">mai</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c71">274</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Boniface</span>, martyr (14 <span class="i">mai</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c72">275</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">L’ascension de Notre-Seigneur</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#c73">277</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Pentecôte</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#c74">278</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Urbain</span>, pape et martyr (25 <span class="i">mai</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c75">280</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Pétronille</span>, vierge (31 <span class="i">mai</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c76">282</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Pierre l’Exorciste</span>, martyr (2 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c77">283</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Sophie et ses trois filles</span>, martyres (4 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c78">284</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saints Prime et Félicien</span>, martyrs (9 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c79">286</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Barnabé</span>, apôtre (11 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c80">287</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXXI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Basile</span>, évêque et docteur (14 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c81">289</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXXII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saints Vit et Modeste</span>, martyrs (15 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c82">296</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXXIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Cyr et sa mère sainte Julite</span>, martyrs (15 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c83">298</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXXIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Marine</span>, vierge (18 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c84">299</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXXV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saints Gervais et Protais</span>, martyrs (19 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c85">301</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXXVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Nativité de saint Jean-Baptiste</span> (24 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c86">304</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXXVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saints Jean et Paul</span>, martyrs (26 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c87">307</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXXVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Léon</span>, pape (28 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c88">310</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>LXXXIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Pierre</span>, apôtre (29 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c89">312</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XC.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Paul</span>, apôtre (30 <span class="i">juin</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c90">324</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XCI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Les sept fils de sainte Félicité</span>, martyrs (10 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c91">329</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XCII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Alexis</span>, confesseur (17 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c92">330</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XCIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Marguerite</span>, vierge et martyre (20 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c93">334</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XCIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Praxède</span>, vierge (21 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c94">337</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XCV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Marie-Madeleine</span>, pécheresse (22 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c95">338</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XCVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Apollinaire</span>, martyr (23 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c96">347</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XCVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Christine</span>, vierge et martyre (24 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c97">349</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XCVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Jacques le Majeur</span>, apôtre (25 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c98">352</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XCIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Christophe</span>, martyr (28 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c99">361</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>C.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Les Sept Dormants</span> (28 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c100">366</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Nazaire et Celse</span>, martyrs (28 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c101">370</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Félix</span>, pape et martyr (29 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c102">374</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saints Simplice et Faustin</span>, martyrs (29 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c103">374</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Marthe</span>, vierge (29 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c104">375</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saints Abdon et Sennen</span>, martyrs (30 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c105">379</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Germain</span>, évêque et confesseur (31 <span class="i">juillet</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c106">380</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Eusèbe</span>, évêque et martyr (1<sup>er</sup> <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c107">384</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Les saints Machabées</span> (1<sup>er</sup> <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c108">387</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Pierre aux Liens</span> (1<sup>er</sup> <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c109">388</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Etienne</span>, pape et martyr (2 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c110">393</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">L’Invention de saint Etienne</span>, premier martyr (3 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c111">394</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Dominique</span>, confesseur (4 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c112">399</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Donat</span>, évêque et martyr (7 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c113">415</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Cyriaque et ses compagnons</span>, martyrs (8 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c114">417</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Laurent</span>, martyr (10 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c115">419</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Hippolyte</span>, martyr (13 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c116">426</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">L’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie</span> (15 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c117">430</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Bernard</span>, docteur (21 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c118">440</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Timothée</span>, martyr (22 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c119">452</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Symphorien</span>, martyr (22 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c120">452</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Barthélémy</span>, apôtre (24 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c121">453</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Augustin</span>, docteur (28 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c122">459</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Théodore</span> (28 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c123">472</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Décollation de saint Jean-baptiste</span> (29 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c124">476</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Savinien</span>, martyr, et <span class="sc">sainte Savine</span> (29 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c125">483</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saints Félix et Adauct</span>, martyrs (30 <span class="i">août</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c126">487</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Loup</span>, évêque et confesseur (1<sup>er</sup> <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c127">488</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Gilles</span>, abbé (1<sup>er</sup> <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c128">490</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie</span> (8 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c129">493</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Adrien et ses compagnons</span>, martyrs (9 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c130">503</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXXI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Gorgon et saint Dorothée</span>, martyrs (9 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c131">508</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXXII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saints Prothe et Hyacinthe</span>, martyrs (11 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c132">509</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXXIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">L’exaltation de la sainte Croix</span> (14 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c133">512</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXXIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Euphémie</span>, vierge et martyre (16 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c134">519</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXXV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Lambert</span>, évêque et martyr (17 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c135">521</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXXVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Corneille</span>, pape et martyr (18 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c136">523</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXXVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Eustache</span>, martyr (20 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c137">524</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXXVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Matthieu</span>, apôtre (21 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c138">530</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXXXIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Maurice et ses compagnons</span>, martyrs (22 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c139">533</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXL.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Justine</span>, vierge et martyre (26 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c140">538</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXLI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saints Come et Damien</span>, martyrs (27 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c141">541</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXLII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Michel archange</span> (29 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c142">544</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXLIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Fursy</span>, évêque (29 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c143">551</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXLIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Jérôme</span>, docteur (30 <span class="i">septembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c144">553</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXLV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Translation de saint Remi</span> (1<sup>er</sup> <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c145">557</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXLVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Léger</span>, évêque et martyr (2 <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c146">559</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXLVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint François</span>, confesseur (4 <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c147">561</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXLVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Pélagie</span>, pécheresse (8 <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c148">571</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CXLIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Marguerite</span>, vierge (8 <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c149">573</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CL.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Thaïs</span>, courtisane (8 <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c150">575</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saints Denis, Rustique et Eleuthère</span>, martyrs (9 <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c151">577</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Calixte</span>, pape et martyr (14 <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c152">582</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Léonard</span>, abbé (15 <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c153">583</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Luc</span>, évangéliste (18 <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c154">588</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Les Onze Mille Vierges</span>, martyres (21 <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c155">590</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Crisant et sainte Daria</span>, martyrs (25 <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c156">595</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saints Simon et Jude</span>, apôtres (28 <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c157">596</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Quentin</span>, martyr (31 <span class="i">octobre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c158">602</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Toussaint</span> (1<sup>er</sup> <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c159">603</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Le Jour des Ames</span> (2 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c160">608</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Les Quatre Couronnés</span>, martyrs (8 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c161">616</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Théodore</span>, martyr (9 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c162">617</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Martin</span>, évêque et confesseur (11 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c163">618</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Brice</span>, évêque et confesseur (13 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c164">627</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Elisabeth</span>, veuve (20 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c165">629</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Cécile</span>, vierge et martyre (22 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c166">639</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Clément</span>, pape et martyr (23 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c167">644</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Chrysogone</span>, martyr (24 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c168">655</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Sainte Catherine</span>, vierge et martyre (25 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c169">656</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saints Barlaam et Josaphat</span>, abbés (27 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c170">663</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXXI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Jacques l’Intercis</span>, martyr (27 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c171">676</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXXII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Saturnin, sainte Perpétue, sainte Félicité et leurs compagnons</span>, martyrs (23 et 29 <span class="i">novembre</span>)</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c172">679</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXXIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Pasteur</span>, abbé</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c173">682</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXXIV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Jean</span>, abbé</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c174">684</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXXV.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Moïse</span>, abbé</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c175">685</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXXVI.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Arsène</span>, abbé</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c176">686</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXXVII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Agathon</span>, abbé</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c177">689</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXXVIII.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">Saint Pélage</span>, pape</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c178">690</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>CLXXIX.</div></td> -<td class="drap">— <span class="sc">La Dédicace de l’Eglise</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#c179">711</a></div></td></tr> -<tr><td colspan="2"><span class="sc">Index alphabétique</span></td> -<td class="bot r"><div><a href="#index">719</a></div></td></tr> -</table> - -<p class="c gap xsmall">E. GREVIN — IMPRIMERIE DE LAGNY</p> - -<div lang='en' xml:lang='en'> -<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>LA LÉGENDE DORÉE</span> ***</div> -<div style='text-align:left'> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Updated editions will replace the previous one—the old editions will -be renamed. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ -concept and trademark. 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Redistribution is subject to the trademark -license, especially commercial redistribution. -</div> - -<div style='margin-top:1em; font-size:1.1em; text-align:center'>START: FULL LICENSE</div> -<div style='text-align:center;font-size:0.9em'>THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE</div> -<div style='text-align:center;font-size:0.9em'>PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase “Project -Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg™ License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™ electronic works -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™ -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all -the terms of this agreement, you must cease using and return or -destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your -possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a -Project Gutenberg™ electronic work and you do not agree to be bound -by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person -or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.B. “Project Gutenberg” is a registered trademark. 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If any disclaimer or limitation set forth in this agreement -violates the law of the state applicable to this agreement, the -agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or -limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or -unenforceability of any provision of this agreement shall not void the -remaining provisions. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.F.6. 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Information about the Mission of Project Gutenberg™ -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of -computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s -goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg™ and future -generations. 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Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state’s laws. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, -Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up -to date contact information can be found at the Foundation’s website -and official page at www.gutenberg.org/contact -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread -public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine-readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. 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