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-The Project Gutenberg eBook of Considerations politiques sur les
-coups d'estat, by Gabriel Naudé
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
-will have to check the laws of the country where you are located before
-using this eBook.
-
-Title: Considerations politiques sur les coups d'estat
-
-Author: Gabriel Naudé
-
-Release Date: January 28, 2023 [eBook #69887]
-
-Language: French
-
-Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team
- at https://www.pgdp.net (This file was produced from images
- generously made available by The Internet Archive)
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CONSIDERATIONS POLITIQUES SUR
-LES COUPS D'ESTAT ***
-
-
-
-
-
- CONSIDERATIONS
- POLITIQUES
- SUR LES
- COUPS D’ESTAT.
-
- Par Gabriel Naudé, Parisien.
-
-
- Sur la Copie de Rome.
- M DC LXVII.
-
-
-
-
-AU LECTEUR.
-
-
-Ce livre n’ayant esté composé que pour la satisfaction d’un particulier,
-on n’en fit imprimer que 12 exemplaires, qui n’ont paru que dans fort
-peu de Cabinets où ils ont toujours tenu le premier rang entre les
-pieces curieuses; mais comme le hazard m’en a donné une copie, j’ay cru
-que je n’obligerois pas peu le public en luy donnant un thresor qui
-n’estoit possedé que de fort peu de personnes; cela joint au merite de
-l’auteur & à celuy de l’ouvrage, à qui on faisoit tort de ne les pas
-faire connoistre, m’ont obligé à le mettre sous la presse, & à inserer à
-la fin de chaque page la traduction Françoise des citations Greques,
-Latines & Italiennes qui sont dans le corps du livre, afin de faire
-connoistre le merite de l’œuvre à plus de personnes, & donner au livre
-la seule perfection qui sembloit y manquer; ceux qui le liront
-admireront ce Traité & me sçauront bon gré de leur avoir fait part d’une
-piece si rare. Adieu.
-
-
-
-
-Ce livre n’a pas esté composé pour plaire à tout le monde, si l’Auteur
-en eust eu le dessein, il ne l’auroit pas écrit du stile de Montagne &
-de Charon, dont il sçait bien que beaucoup de personnes se rebuttent à
-cause du grand nombre des citations Latines. Mais comme il ne s’est mis
-à le faire que par obeïssance, il a esté obligé de coucher sur le papier
-les mêmes discours, & de rapporter les mêmes autoritez dont il s’estoit
-servy en parlant à son Eminence. Aussi n’est-ce pas pour rendre cet
-ouvrage public qu’il a esté mis sous la presse; elle n’a roulé que par
-le commandement, & pour la satisfaction de ce grand Prelat, qui n’a ses
-lectures agréables que dans la facilité des livres imprimez: Et qui pour
-cette cause a voulu faire tirer une _douzaine d’exemplaires_ de
-celuy-cy, au lieu des copies manuscrites qu’il en faudroit faire. Je
-sçay bien que ce nombre est trop petit pour permettre que ce livre soit
-veu d’autant de personnes que le Prince de Balzac & le Ministre de
-Sillion. Mais comme les choses qu’il traitte sont beaucoup plus
-importantes, il est aussi fort à propos qu’elles ne soient pas si
-communes. Et en un mot l’Auteur n’a eu autre but que la satisfaction de
-son Eminence, tant pour composer, que pour publier cet ouvrage.
-
-
-
-
-A l’Auteur.
-
-
- L’un s’émerveillera de vous voir en jeunesse
- Déja tout posseder, ce que l’antiquité,
- Se travaillant sans fin dans son infinité,
- A peine a sceu tirer des Tresors de sagesse.
-
- Un autre admirera l’heroïque hardiesse,
- Dont voulant rétablir icy la liberté,
- Vous combatés si bien contre la fausseté,
- Même dedans la place où elle est la Maitresse.
-
- Bref, dans vostre discours chacun admirera
- Une diversité des merveilles qu’il a;
- Mais voicy celle-là qu’entre autres j’ay trouvée:
-
- C’est que sçachant si bien le naturel des Grands,
- Leur maxime & leurs _COUPS_, vous soyez si long-temps
- Resté dans une vie innocente & privée.
-
-Jac. Bouchard, à Rome.
-
-
-
-
- A MONSEIGNEUR,
- L’EMINENTISSIME
- CARDINAL
- DE BAGNI,
- mon tres-bon & tres-honoré
- Maistre.
-
- [1]_Non equidem hoc studeo, bullatis ut mihi nugis
- Pagina turgescat dare pondus idonea sumo:
- Secreti loquimur, tibi nunc, hortante camœna,
- Excutienda damus præcordia._
-
-(Pers. Sat. 5.)
-
- [1] Je n’ay point essayé d’enfler mes ouvrages de sornettes boufies
- qui ne font que de la fumée. Je vous parle confidemment, & la muse
- me sollicite de vous découvrir le fond de mon ame.
-
-
-MONSEIGNEUR,
-
-Puis que vous estes maintenant à Rome, joüissant des honneurs qui
-servent de recompense à vos merites, & vivant dans le repos que les
-fonctions publiques heureusement exercées en sept Gouvernemens, une
-Vice-legation, & deux Nonciatures vous y ont acquis: je n’ay pas cru
-pouvoir mieux employer le loisir duquel vostre bien-veillance & vostre
-bonté extraordinaire m’y font pareillement joüir, qu’en vous entretenant
-des plus relevées Maximes de la Politique, & de ces grandes affaires
-d’Estat, en la conduite desquelles V. E. a tellement fait remarquer sa
-prudence, que les plus grands Genies qui gouvernent presentement toute
-l’Europe, en sont demeurez remplis d’étonnement, & n’ont jamais mieux
-reüssi aux deliberations & entreprises les plus difficiles, que lors
-qu’ils les ont maniées suivant les bons & genereux avis qu’il vous a
-pleu de leur en donner, _Adeò_
-
- [2]_Nil desperandum Teucro duce & auspice Teucro!_
-
-(Horat. l. 1. carm. Ode 7.)
-
- [2] Aussi ne faut-il point desesperer, puisque Teucer marche à la
- teste, il ne faut rien craindre aussi sous le bonheur de sa
- conduite.
-
-
-
-
-Chapitre I.
-
-Objections que l’on peut faire contre ce discours avec les Réponses
-necessaires.
-
-
-Mais à grand peine, MONSEIGNEUR, ay-je tracé les premieres lignes de ce
-Discours, que je me treuve renfermé entre deux puissantes difficultez,
-capables à mon avis d’empécher toute autre personne qui auroit moins de
-courage & d’affection que moy, de passer outre, & de glacer le sang des
-plus échauffez à la recherche de ces Resolutions, non moins perilleuses
-que extraordinaires. Car si le judicieux Poëte Horace (_Ode 1. lib. 2._)
-disoit ingenûment à son amy Pollio, qui vouloit écrire l’histoire des
-guerres civiles arrivées de son temps,
-
- [3]_Periculosæ plenum opus aleæ
- Tractas, & incedis per ignes
- Suppositos cineri doloso._
-
- [3] Vostre ouvrage est perilleux, & vous marchez sur des feux cachés
- sous une cendre trompeuse.
-
-Quel bon succés peut-on attendre de cette mienne entreprise beaucoup
-plus difficile & temeraire: veu que pour ne rien dire du danger qu’il y
-a de vouloir déchiffrer les actions des Princes, & faire voir à nud ce
-qu’ils s’efforcent tous les jours de voiler avec mille sortes
-d’artifices; il y en a encore deux autres de non moindre consequence;
-l’un desquels je puis en quelque façon apprehender pour ce qui regarde &
-touche vostre personne; comme aussi rencontrer l’autre en ce qui
-concerne la mienne.
-
-Et pour ce qui est du premier je dirois volontiers avec le Poëte qui a
-si bien traitté la Philosophie dans ses beaux vers, qu’il est maintenant
-le seul & unique soustien de sa secte:
-
- [4]_Illud in his rebus vereor, ne forte rearis,
- Impia te rationis inire elementa, viamque
- Indugredi sceleris._
-
-(Lucret. lib. 1.)
-
- [4] J’apprehende que de ce pas il ne vous viene en l’esprit que vous
- estes dans les elemens de l’impieté, & que vous entrez dans la voie
- du crime.
-
-Au moins devrois-je craindre à bon droit de blesser les oreilles de V.
-E., d’effaroucher ses yeux, & de troubler la douceur & facilité de sa
-nature, aussi-bien que le repos & l’intégrité de sa conscience, par le
-recit de tant de fourbes, de tromperies, violences & autres semblables
-actions injustes (comme elles semblent de premier abord) & tyranniques,
-qu’il me faudra cy-aprés deduire, expliquer & defendre.
-
-Que si Enée, l’un des plus resolus Capitaines de l’antiquité, fut
-tellement émeu de commiseration au seul recit qu’il luy falloit faire
-devant la Reyne de Carthage, du sac & des ruïnes de la Ville de Troye
-qu’il ne le put commencer que par ces paroles:
-
- [5]_Quanquam animus meminisse horret, luctuque refugit._
-
-(Virgil. Æn. 2.)
-
- [5] Bien que mon ame ait horreur de s’en souvenir, & qu’elle s’éloigne
- de tout son pouvoir de la seule pensée d’un deuil si sensible.
-
-Et si un certain Empereur qui n’a toutefois pû éviter le surnom de
-Cruel, dit un jour au Prevost, qui luy faisoit signer la condamnation de
-deux pauvres miserables: [6]_Utinam nescirem literas_: (Senec. lib. 2.
-de clem.) Ne pourriez-vous pas souhaitter avec plus de raison de n’avoir
-jamais veu ce discours; puis qu’il ne vous doit entretenir que de ce qui
-est le moins convenable à vostre grande humanité, candeur &
-bien-veillance? Et puis ne ferois-je pas beaucoup mieux de suivre le
-conseil de Salomon, [7]_coram Rege tuo noli videri sapiens_, & vivre
-dans la continuation des estudes esquelles j’ay esté nourri dés ma
-jeunesse, que de paroistre devant vous avec ces conceptions
-extravagantes, comme Diognotus fit avec les siennes devant Alexandre,
-pour se faire estimer un grand Ingenieur & Architecte? veu
-principalement que je puis apprehender d’avoir pareille issuë de ce
-raisonnement, qu’eut le Grammairien Phormion de celuy de l’art militaire
-qu’il fit devant Annibal, estimé le premier Capitaine de son temps?
-[8]_Omnes siquidem videmur nobis saperdæ, festivi, belli, quum simus
-copreæ._ (Varro.)
-
- [6] Pleût à Dieu que je n’eusse aucune connoissance des lettres.
-
- [7] Ne veuille pas faire le sage devant ton Roy.
-
- [8] Veu même qu’il nous semble à tous que nous sommes sages, plaisans
- & beaux, quoique nous ne soyons que des boufons.
-
-Et à la verité quand je viens à considerer le peu de moyens que j’ay
-pour me bien acquiter de cette entreprise, qui est la seconde
-difficulté, que j’ay presque envie de ne point passer outre & de m’en
-déporter entierement; afin de ne point encourir la censure que Phœbus
-donna en pareille rencontre à son fils dans le Poëte,
-
- [9]_Magna petis, Phaëton, & quæ non viribus ipsis
- Munera conveniunt._
-
-(Ovid. in Met.)
-
- [9] Tu demandes des choses grandes, Phaëton, & des dons qui ne sont
- pas proportionnés à tes forces.
-
-Aussi fit-il une cheute memorable pour s’estre approché trop prés du
-Soleil; & plusieurs qui n’avoient pas moins de temerité ont signalé leur
-perte par la trop grande hardiesse de leur entreprise. Et moy qui suis
-encore tout nouveau en ces exercices,
-
- [10]_Ense velut nudo parmaque inglorius alba._
-
-(Virgil. Æn. 9.)
-
- [10] Comme portant une épée à la main avec une rondache blanche, pour
- ne m’estre point encore signalé dans le peril.
-
-Oseray-je bien me mesler de ces sacrifices, plus cachez que ceux de la
-Déesse Eleusine, sans y estre initié? Avec quelle asseurance pourray-je
-entrer dans le fond de ces affaires, penetrer les cabinets des Grands,
-passer au sanctuaire où se forment tous ces hardis desseins, sans avoir
-eu l’addresse & la communication de ceux qui les conduisent? Certes je
-pardonnerois volontiers à celuy qui me voyant en cette resolution,
-jugeroit incontinent, que ce seroit violenter la nature, laquelle ne
-passe jamais si promptement d’une extremité à l’autre; ou pour en parler
-plus moderément, que ce seroit avec beaucoup plus de hardiesse que de
-raison, vouloir singler sur les plus hautes mers sans Boussole, &
-s’engager dans un labyrinthe de ruses, & de subtilitez infinies, sans
-avoir en main le filet de cette science pour s’en déveloper avec le
-succés d’une issuë favorable. Et ce d’autant plus volontiers qu’il n’en
-est pas icy, comme de ceux qui envisagent avec beaucoup moins de
-difficulté le Soleil, qu’ils sont plus éloignez de sa face; ou bien
-comme de ces peintres, dont ceux qui ont la veuë courte, font
-d’ordinaire les plus excellens Tableaux: mais plustost que cette
-Prudence Politique est semblable au Prothée, duquel il nous est
-impossible d’avoir aucune connoissance certaine, qu’aprés estre
-descendus [11]_in secreta senis_, & avoir contemplé d’un œil fixe &
-asseuré, tous ses divers mouvemens, figures & metamorphoses, au moyen
-desquelles
-
- [11] Dans les secrets de ce vieillard.
-
- [12]_Fit subito sus horridus, atraque Tigris,
- Squammosusque Draco, & fulva cervice Leæna._
-
-(Virgil. in Georg. IV.)
-
- [12] Tout d’un coup il vous presente l’horreur d’un sanglier, il se
- couvre de la peau noire d’un tygre, des écailles d’un dragon, & du
- poil roux d’une lionne.
-
-Toutefois comme le jeune Aristée ne fut point détourné par les grandes
-difficultez que luy proposoit Arethuse, d’entreprendre son voyage, &
-d’obtenir en suite toute sorte de contentement: Aussi les precedentes
-n’auront pas plus de force en mon endroit, & mille autres davantage ne
-me pourroient empescher, qu’aprés m’estre avisé du conseil que donne
-Pline le jeune, [13]_tutius per plana, sed humilius & depressius iter;
-frequentior currentibus quàm reptantibus lapsus; sed & his non
-labentibus nulla laus, illis nonnulla laus etiamsi labantur_, je ne
-fournisse entierement la carriere du dessein que je me suis proposé.
-
- [13] Les chemins unis sont bien plus assurez, mais aussy plus bas &
- plus ravalez; ceux qui courent tombent bien plus souvent que ceux
- qui marchent bellement; mais ceux-cy ne remportent aucune loüange
- quoi qu’ils ne tombent pas, au lieu que ceux-là en acquierent en
- quelque façon encore bien qu’ils tombent.
-
-C’est pourquoy, MONSEIGNEUR, pour répondre aux deux difficultez que je
-me suis faites cy-dessus; & à celle qui regarde V. E. premierement, il
-ne faut point apprehender que cette doctrine heurte tant soit peu vostre
-pieté, ou trouble aucunement le repos & l’integrité de vostre
-conscience, comme il semble de premier abord, que ces trois vers de
-Lucrece le veüillent persuader: le Soleil épand sa lumiere sur les
-choses les plus viles & abjectes sans en estre gasté ou noircy,
-
- [14]_Nec quia forte lutum radiis ferit, est ideo ipse
- Fœdus; non sordet lumen quum sordida tangit._
-
-(Paling. in Scorp.)
-
- [14] Bien que de ses rayons il puisse toucher de la bouë, il n’en est
- pas pour cela soüillé; la lumiere ne se soüille point quand elle
- touche des choses sales.
-
-Les Theologiens ne sont pas moins religieux pour sçavoir en quoy
-consistent les heresies; ny les Medecins moins preud’hommes, pour
-connoistre la force & la composition de tous les venins. Les habitudes
-de l’entendement sont distinguées de celles de la volonté, & les
-premieres appartiennent aux sciences, & sont toujours loüables, les
-secondes regardent les actions morales, qui peuvent estre bonnes ou
-mauvaises. Tritheme & Pererius ont monstré qu’il estoit expedient qu’il
-y eust des Magiciens, & que l’on sceust au vray le moyen d’invoquer les
-demons, pour convaincre par l’apparition d’iceux l’incredulité des
-Athées: Les soldats vont d’ordinaire aux exercices pour apprendre à bien
-manier la picque, & à tirer du mousquet; afin de pouvoir avec plus
-d’artifice & d’industrie, tuër les hommes & détruire leurs semblables:
-mais ils ne s’en servent neanmoins que contre les ennemis de leur
-Prince, ou de la patrie: Les meilleurs Chirurgiens n’estudient autre
-chose qu’à pouvoir dextrement couper bras & jambes, & ce pour le salut
-des malades,
-
- [15]_Truncantur & artus,
- Ut liceat reliquis securum degere membris._
-
-(Claud. 2. in Eutrop.)
-
- [15] On coupe certains membres, afin de garantir les autres par le
- retranchement de ceux-là.
-
-Pourquoy doncque sera-t-il defendu à un grand Politique, de sçavoir
-hausser ou baisser, produire ou resserrer, condamner ou absoudre, faire
-vivre ou mourir, ceux qu’il jugera expedient de traitter de la sorte,
-pour le bien & le repos de son Estat.
-
-Beaucoup tiennent que le Prince bien sage & avisé, doit non seulement
-commander selon les loix; mais encore aux loix même si la necessité le
-requiert. Pour garder justice aux choses grandes, dit Charon, il faut
-quelquefois s’en détourner aux choses petites, & pour faire droit en
-gros, il est permis de faire tort en détail.
-
-Que si l’on m’objecte qu’il n’est pas toutefois à propos de discourir de
-ces choses, & que c’est proprement mettre [16]_gladium ancipitem in manu
-stulti_, que de les enseigner; je répondray à cela, que les méchans
-peuvent abuser de tout ce qu’il y a de meilleur en ce monde, & faire
-comme les mouches bastardes & frelons, qui convertissent les plus belles
-fleurs en amertume: Les Heretiques trouvent les fondemens de leur
-impieté dans la Sainte Ecriture: Les Paracelsistes abusent du texte
-d’Hippocrate pour établir leurs songes: Les Avocats citent le Code & les
-Pandectes, pour defendre les plus coupables; & neanmoins l’on n’a jamais
-songé à supprimer ces Livres: l’épée peut aussi-tost offenser que
-defendre, le vin aussi-tost enyvrer que nourir, les remedes aussi-tost
-tuër que guerir; & personne toutefois n’a encore dit que leur usage ne
-fust tres-necessaire. C’est une loy commune à toutes les choses,
-qu’estant instituées à bonne fin, l’on en abuse bien souvent: la Nature
-ne produit pas les venins pour servir aux poisons, & à faire mourir les
-hommes, parce qu’en ce faisant elle se détruiroit elle-même: mais c’est
-nostre propre malice qui les convertit en cet usage, [17]_Terra quidem
-nobis malorum remedium genuit, nos illud vitæ fecimus venenum._ (Plin.
-lib. 18. cap. 1.)
-
- [16] Une épée à deux tranchans entre les mains d’un fol.
-
- [17] La terre nous a bien produit des remedes pour soulager nos maux;
- mais nous les avons convertis en poison pour nous oster la vie.
-
-Mais il faut encore passer outre, & dire que la malice & la depravation
-des hommes est si grande, & les moyens desquels ils se servent pour
-venir à bout de leurs desseins si hardis & dangereux, que de vouloir
-parler de la Politique suivant qu’elle se traitte & exerce aujourd’huy,
-sans rien dire de ces Coups d’Estat, c’est proprement ignorer la Pedie,
-& le moyen qu’enseigne Aristote dans ses Analytiques, pour parler de
-toutes choses à propos, & suivant les principes & demonstrations qui
-leur sont propres & essentielles, [18]_est enim pædiæ inscitia nescire,
-quorum oporteat quærere demonstrationem, quorum verò non oporteat_:
-comme il dit en sa Metaphysique. C’est pourquoy Lipse & Charon, bien
-qu’ils ne fussent pas des Timons & Mysantropes, ont voulu traitter de
-cette partie, pour ne point laisser leurs ouvrages imparfaits: Et le
-même Aristote qui n’avoit pas accoustumé de rien faire [19]ἀπαιδεύτως,
-lors qu’il a traitté de la Politique & des gouvernemens opposez à la
-Monarchie, Aristocratie & Democratie, qui sont la tyrannie, l’olygarchie
-& l’ochlocratie, il donne aussi-bien les preceptes de ces trois vicieux
-que des legitimes. En quoy il a esté suivi par Saint Thomas en ses
-Commentaires, où aprés avoir blasmé & dissuadé par toutes raisons
-possibles la domination tyrannique, il donne neanmoins les avis & les
-regles communes pour l’établir, au cas que quelqu’un soit si méchant que
-de le vouloir faire. Et qu’ainsi ne soit, voila ses propres mots tirez
-du Commentaire sur le cinquiéme des Politiques texte XI. [20]_Ad
-salvationem tyrannidis, expedit excellentes in potentia vel divitiis
-interficere, quia tales per potentiam quam habent possunt insurgere
-contra Tyrannum. Iterum expedit interficere sapientes, tales enim per
-sapientiam suam possunt invenire vias ad expellendam tyrannidem, nec
-scholas, nec alias congregationes, per quas contingit vacare circa
-sapientiam permittendum est, sapientes enim ad magna inclinantur, & ideò
-magnanimi sunt, & tales de facili insurgunt. Ad salvandam tyrannidem
-oportet quod Tyrannus procuret, ut subditi imponant sibi invicem crimina
-& turbent se ipsos, ut amicus amicum, & populus contra divites, &
-divites inter se dissentiant, sic enim minus poterunt insurgere propter
-eorum divisionem: oportet etiam subditos facere pauperes, sic enim minus
-poterunt insurgere contra Tyrannum. Procuranda sunt vectigalia, hoc est
-exactiones multæ, magnæ, sic enim cito poterunt depauperari subditi.
-Tyrannus debet procurare bella inter subditos, vel etiam extraneos, ita
-ut non possint vacare ad aliquid tractandum contra tyrannum. Regnum
-salvatur per amicos, tyrannus autem ad salvandam tyrannidem non debet
-confidere amicis._ Et au texte suivant qui est le XII, voila comme il
-enseigne l’hypocrisie & la simulation: [21]_Expedit tyranno ad salvandam
-tyrannidem, quod non appareat subditis sævus seu crudelis, nam si
-appareat sævus reddit se odiosum; ex hoc autem facilius insurgunt in
-eum: sed debet se reddere reverendum propter excellentiam alicujus boni
-excellentis, reverentia enim debetur bono excellenti; & si non habeat
-bonum illud excellens, debet simulare se habere illud. Tyrannus debet se
-reddere talem, ut videatur subditis ipsos excellere in aliquo bono
-excellenti, in quo ipsi deficiunt, ex quo eum revereantur. Si non habeat
-virtutes secundum veritatem, faciat ut opinentur ipsum habere eas._
-
- [18] Car c’est ignorer la pedie, que de ne sçavoir pas de quelles
- choses il faut ou ne faut pas chercher la demonstration.
-
- [19] Sans en estre bien informé.
-
- [20] Pour le maintien de la tyrannie, il faut faire mourir les plus
- puissans & les plus riches, parce que de telles gens se peuvent
- soulever contre le Tyran par le moyen de l’autorité qu’ils ont. Il
- est aussi necessaire de se defaire des grands esprits & des hommes
- sçavans, parce qu’ils peuvent trouver, par leur science, le moyen de
- ruïner la tyrannie; il ne faut pas même qu’il y ait des écoles, ni
- autres congregations par le moyen desquelles on puisse apprendre les
- sciences, car les gens sçavans ont de l’inclination pour les choses
- grandes, & sont par consequent courageux & magnanimes, & de tels
- hommes se soulevent facilement contre les Tyrans. Pour maintenir la
- tyrannie, il faut que le Tyran fasse en sorte que ses sujets
- s’accusent les uns les autres, & se troublent eux-mêmes, que l’ami
- persecute l’ami, & qu’il y ait de la dissension entre le menu peuple
- & les riches, & de la discorde entre les opulens. Car en ce faisant
- ils auront moins de moyen de se soulever à cause de leur division.
- Il faut aussi rendre pauvres les sujets, afin qu’il leur soit
- d’autant plus difficile de se soulever contre le Tyran. Il faut
- établir des subsides, c’est à dire des grandes exactions & en grand
- nombre, car c’est le moyen de rendre bientost pauvres les sujets. Le
- Tyran doit aussi susciter des guerres parmy ses sujets, & même parmy
- les étrangers, afin qu’ils ne puissent negotier aucune chose contre
- lui. Les Royaumes se maintienent par le moyen des amis, mais un
- Tyran ne se doit fier à personne pour se conserver en la tyrannie.
-
- [21] Il ne faut pas qu’un Tyran, pour se maintenir dans la tyrannie,
- paroisse à ses sujets estre cruel, car s’il leur paroît tel il se
- rend odieux, ce qui les peut plus facilement faire soulever contre
- lui: mais il se doit rendre venerable pour l’excellence de quelque
- eminente vertu, car on doit toute sorte de respect à la vertu; &
- s’il n’a pas cette qualité excellente il doit faire semblant qu’il
- la possede. Le Tyran se doit rendre tel, qu’il semble à ses sujets
- qu’il possede quelque eminente vertu qui leur manque, & pour
- laquelle ils lui portent respect. S’il n’a point de vertus en effet;
- qu’il fasse en sorte qu’ils croient qu’il en ait.
-
-Voila certes des preceptes bien estranges en la bouche d’un Saint, & qui
-ne different en rien de ceux de Machiavel & de Cardan, mais qui se
-peuvent toutefois sauver par ces deux raisons assez probables &
-legitimes. La premiere est, que ces maximes estant ainsi declarées &
-éventées, les sujets peuvent plus facilement reconnoistre quand les
-deportemens de leurs Princes tendent à établir une Domination
-Tyrannique; & consequemment y donner ordre: tout de même que les
-mariniers se peuvent plus facilement retirer à l’abry, lors qu’ils ont
-preveu l’orage & la tempeste, par les signes que les routiers &
-pilotages leur en fournissent. La seconde, parce qu’un Tyran qui veut
-sans conseil & avis establir sa domination,
-
- [22]_Cuncta ferit, dum cuncta timet grassatur in omnes,
- Ut se posse putent._
-
-(Claudian.)
-
- [22] Frape tout & n’épargne personne, & quand il craint le plus, c’est
- pour lors qu’il attaque tout le monde, afin qu’on croie qu’il est
- bien puissant.
-
-& ressemble quelquefois au loup, lequel estant entré dans la bergerie, &
-pouvant se rassasier & appaiser sa faim sur une seule brebis, ne laisse
-pourtant d’égorger toutes les autres; où au contraire s’il y procede
-avec jugement, & suivant les preceptes de ceux qui sont plus avisez &
-moins passionnez que luy, il se contentera peut-estre d’abatre comme
-Tarquin les testes des pavots plus élevez, ou comme Thrasibule &
-Periandre les esprits qui paroissent par dessus les autres; & ainsi le
-mal qui ne se peut éviter le rendra beaucoup plus doux & supportable.
-
-D’ailleurs il ne faut pas craindre que le narré de tous ces tragiques
-accidens puisse offenser les oreilles de V. E. ou troubler tant soit peu
-la douceur & facilité de vostre nature. L’entiere connoissance que vous
-vous estes acquise des affaires Politiques, la longue pratique &
-experience que vous avez de la Cour des plus grands Monarques, où ces
-Machiavellismes sont assez frequens, ne permettent pas que l’on vous
-prenne pour apprenty à les connoistre. Et puis, encore que la justice, &
-la clemence soient deux vertus bien sortables à un grand homme; il n’est
-pas toutefois à propos qu’il ait pareille inclination à la misericorde:
-Seneque en donne cette raison, en son traitté de la Clemence, (lib. 2.
-c. 5.) [23]_Quemadmodum_, dit-il, _Religio deos colit, superstitio
-violat, clementiam mansuetudinemque omnes boni præstabunt, misericordiam
-autem vitabunt; est enim vitium pusilli animi ad speciem alienorum
-malorum subsidentis_. Or ce seroit un crime de penser qu’il y eût rien
-en V. E. de vil, rempant & abject, d’autant que s’il est vray, comme dit
-le même, que [24]_nihil æque hominem quàm magnus animus decet_; avec
-combien plus de raison, cet esprit fort se doit-il rencontrer en V. E.
-pour accompagner dignement, & rehausser cette grande dignité qu’elle
-soustient, non seulement de Prince de l’Eglise, mais encore de principal
-conseiller de sa Sainteté, & quasi de tous les plus puissans Princes
-d’Europe; [25]_Magnam enim fortunam magnus animus decet, qui nisi se ad
-illam extulit, & altior stetit; illam quoque infra terram deducit_; au
-moins fait-il qu’elle en est administrée avec beaucoup moins d’autorité
-& de reputation. Ainsi voyons nous dans les histoires que le Roy
-Epiphanes, pour avoir méprisé sa dignité, & ne s’estre pas gouverné en
-Roy, fut surnommé l’Insensé: & que Ramire d’Arragon, qui n’avoit quitté
-toutes les façons de faire des Moines, en sortant du Convent pour
-prendre la Couronne, fut grandement mocqué & méprisé de tous ses
-Courtisans. Nostre temps même nous fournit les exemples d’un Roy de la
-grande Bretagne, lequel [26]_è stato schernito & besseggiato per haver
-voluto comporte libri & fare del letterato_; (Tassoni lib. 7. cap. 4.) &
-de Henry III, tant chanté & remarqué dans nos Histoires modernes, lequel
-pour avoir vescu parmy les Moines, & dans un excés de devotion mal
-reglée, abandonnant son Sceptre & le Gouvernement de son Estat, donna
-sujet au Pape Sixte V, de dire: _Ce bon Roy fait tout ce qu’il peut pour
-estre Moine, & moy j’ay fait tout ce que j’ay pû pour ne l’estre point._
-Et pour ce un des meilleurs avis que donna jamais Monsieur de Villeroy à
-Henry le Grand, qui avoit vescu en soldat & carrabin pendant les guerres
-qui se firent à son advenement à la Couronne, fut, lors qu’il luy dit,
-_qu’un Prince qui n’estoit pas jaloux des respects de sa Majesté, en
-permettoit l’offense & le mépris. Que les Roy ses predecesseurs dans les
-plus grandes confusions avoient toujours fait les Roys: qu’il estoit
-temps qu’il parlast, écrivist & commandast en Roy._ Mais à quoy bon
-chercher des exemples chez les Princes étrangers, puis que l’histoire de
-ceux qui ont gouverné la Ville où se treuve à present V. E. nous
-represente deux Souverains Pontifes, qui pour n’avoir accompagné cette
-grandeur de leur dignité supreme avec celle de l’esprit, servent encore
-de fables & de sujet de médisance, & de risée à la posterité: la grande
-pieté & religion qu’ils portoient empreinte sur leur face n’ayant pas eu
-le pouvoir d’empescher, que Masson ne dit du premier, qui fut Celestin
-cinquiéme, [27]_Vir fuit simplex, nec eruditus, & qui humana negotia ne
-capere quidem posset._ (in Episcop. Rom.) Et Paul Jove du second, en
-parlant d’une certaine sorte de poisson, qui estoit beaucoup encherie
-pendant son Pontificat: [28]_Merluceo plebeio admodum pisci, Hadrianus
-sextus sicuti in Republica administranda hebetis ingenii, vel depravati
-judicii, ita in esculentis insulsissimi gustus, supra mediocre pretium
-ridente toto foro Piscatorio jam fecerat._ (Libr. de piscib. Rom.) En
-quoy neanmoins il s’est monstré beaucoup plus retenu & moderé, que
-Pierre Martyr, non l’Heretique de Florence, mais le Protonotaire
-Apostolique natif d’une petite bourgade du Duché de Milan, lequel avoit
-dit en parlant de l’élection de ce même Pape: [29]_Cardinalibus hoc loco
-accidit quod in fabulis de Pardo ac Leone super Agno raptando scribitur;
-sortibus illis strenuè se dilacerantibus, quodcumque quadrupes iners
-aliud prædæ se dominum fecit._ De maniere qu’il faut éviter les grandes
-charges, ou les administrer avec une force & generosité d’esprit si
-relevée par dessus le commun, qu’elle soit capable de donner envie à la
-Fortune de la seconder, & favoriser en toutes ses entreprises: la Maxime
-estant tres-asseurée, que quiconque apporte ce principe & fondement,
-qu’il faut bien souvent avoir de la nature ([30]_bona enim mens, nec
-emitur, nec comparatur_, dit Seneque) à la conduite de son bonheur, il
-ne peut manquer d’estre le propre ouvrier & createur de sa fortune;
-[31]_Sapiens pol ipse fingit Fortunam sibi._ (Plaut. in Trinum.)
-Alexandre se propose-t-il, quoyque jeune & tres-mal fourny d’argent & de
-soldats, de subjuguer les Perses, & de passer jusques aux Indes, il en
-vient à bout. Cesar entreprend-il de gouverner seul cette grande
-Republique qui commandoit à toutes les autres, il en treuve le moyen.
-Deux Pastres Romulus & Tammerlan ont-ils volonté de fonder deux puissans
-Empires, ils l’executent; Mahomet se veut-il faire de Marchand Prophete,
-& de Prophete Souverain d’une troisiéme partie du Monde, il luy reüssit:
-Et quel pensez-vous, MONSEIGNEUR, avoir esté le principal ressort qui a
-causé tous ces merveilleux effets, nul autre en verité, sinon celuy que
-Juvenal nous enseigne de toujours mettre & placer entre les premiers de
-nos souhaits avec son [32]_fortem posse animum_. (Satyr. 10.) Or de
-vouloir maintenant specifier quelles sont les parties qui bastissent, &
-composent ce fort esprit, ce seroit vouloir enchasser un discours dans
-un autre, & faire comme Montaigne, qui suit plustost les caprices de sa
-phantaisie, que les titres de ses Essais. Il suffit pour le present de
-dire, que l’une des premieres & plus necessaires pieces, est de penser
-souvent à ce dire de Seneque: [33]_O quam contempta res est homo, nisi
-supra humana se erexerit_: (In proœm. nat. quæst.) C’est à dire, s’il
-n’envisage d’un œil ferme & asseuré, & quasi comme estant sur le dongeon
-de quelque haute tour, tout ce Monde, se le presentant comme un theatre
-assez mal ordonné, & remply de beaucoup de confusion, où les uns jouënt
-des comedies, les autres des tragedies, & où il luy est permis
-d’intervenir [34]_tanquam Deus aliquis ex machina_, toutes fois &
-quantes qu’il en aura la volonté, ou que les diverses occasions luy
-pourront persuader de ce faire. Que si par avanture, MONSEIGNEUR, il
-vous semble extraordinaire, & hors de saison de mon âge, & peut-estre
-aussi de la bien-seance de ma condition, que je me fasse si resolu en
-ces matieres fort chatoüilleuses & delicates d’elles-mêmes, & beaucoup
-plus encore en la bouche d’un jeune homme, lequel est appellé par
-Horace, (de Arte Poët.) [35]_Utilium tardus provisor_, & n’a pas
-accoustumé de s’adonner à des estudes si serieuses & importantes,
-
- [36]_Quæque decent longa decoctam ætate senectam._
-
- [23] Ainsy comme la religion revere les Dieux, & que la superstition
- les offense, tous les gens de bien embrasseront la clemence & la
- douceur; mais ils éviteront la compassion. Car c’est une marque d’un
- cœur bas, & d’un esprit foible, de se laisser toucher aux maux que
- l’on voit souffrir aux autres.
-
- [24] Qu’il n’y a rien qui soit si bienseant à un homme qu’un grand
- courage.
-
- [25] Car pour ménager une grande fortune il faut un grand esprit, &
- tel que s’il ne s’est élevé jusques à elle & ne s’est placé au
- dessus, il la renverse & la met plus bas que la terre.
-
- [26] A esté méprisé & moqué pour avoir voulu composer des livres, &
- faire l’homme de lettres.
-
- [27] Ce fut un homme simple, sans erudition, & qui ne pouvoit pas même
- comprendre les affaires humaines.
-
- [28] Adrien sixiéme qui avoit le goust insipide pour toutes sortes de
- viandes aussi-bien que l’esprit hebeté, & le jugement depravé pour
- l’administration de la Republique, avoit déja mis un prix excessif
- au Merlus, qui est un poisson assés commun, ce qui attira la risée
- de tout le marché aux poissons.
-
- [29] Il arriva en ce rencontre aux Cardinaux ce que la fable raconte
- du Leopard & du Lion sur l’enlevement d’un agneau; que pendant que
- ces deux genereux animaux se déchiroient en disputant vaillamment à
- qui auroit la proye, une autre beste à quatre pieds, des plus brutes
- & lâches, s’en rendit la maitresse.
-
- [30] Car on ne peut acheter l’esprit, ni l’acquerir par aucune autre
- voie.
-
- [31] En verité l’homme sage se fabrique sa fortune lui-même.
-
- [32] Demandés un fort esprit qui soit gueri des craintes de la mort.
-
- [33] O que l’homme est une chose méprisable, s’il ne s’éleve au dessus
- des choses humaines.
-
- [34] Comme quelque divinité qui sort d’une machine.
-
- [35] Negligent aux choses qui lui sont utiles.
-
- [36] Et qui convienent à la vieillesse consumée dans l’âge.
-
-Je puis premierement répondre à V. E. que l’âge auquel je me treuve,
-n’est aucunement disproportionné à la matiere & au sujet que je traitte.
-Le Poëte qui a le premier proféré ces deux beaux vers,
-
- [37]_Optima quæque dies miseris mortalibus ævi
- Prima fugit, subeunt morbi tristisque senectus._
-
-(Virgil. 3. Georg.)
-
- [37] Le meilleur de nos jours passe & fuit le premier: les maux
- marchent ensuite & la triste vieillesse.
-
-passeroit à un besoin pour garend & caution de mon dire, puis qu’il luy
-donne une si belle epithete; sur lequel Seneque voulant glosser à sa
-mode, [38]_Quare optima?_ dit-il, _quia juvenes possumus facilem animum,
-& adhuc tractabilem ad meliora convertere; quia hoc tempus idoneum est
-laboribus, idoneum agitandis per studia ingeniis_. (Epist. 108.) Et si
-beaucoup de personnes ont executé plusieurs belles entreprises,
-auparavant la fleur de leur âge; pourquoy me sera-t-il defendu de les
-suivre de loin, & de produire sinon des actions genereuses & relevées,
-au moins quelques fortes & hardies conceptions? Veu principalement que
-je me suis toujours efforcé d’acquerir certaines dispositions d’esprit,
-qui ne m’y doivent pas estre maintenant inutiles. Car il est vray que
-j’ay cultivé les Muses sans les trop caresser; & me suis assez plû aux
-estudes sans trop m’y engager: j’ay passé par la Philosophie
-Scholastique sans devenir Eristique, & par celle des plus vieux &
-modernes sans me partialiser,
-
- [39]_Nullius addictus jurare in verba magistri._
-
- [38] Pourquoy le meilleur? pource que nous pouvons beaucoup apprendre
- en nostre jeunesse, & faire tourner nostre ame encore facile &
- traitable du costé de la vertu; parce que ce temps-là est le plus
- propre à supporter la peine, à exercer l’esprit dans l’estude & le
- corps dans le travail.
-
- [39] Ne m’estant point obligé par serment, de suivre l’opinion d’aucun
- maistre.
-
-Seneque m’a plus servi qu’Aristote; Plutarque que Platon: Juvenal &
-Horace qu’Homere & Virgile: Montaigne & Charon que tous les precedens.
-Je n’ay pas eu la pratique du Monde, pour découvrir par effet les ruses
-& méchancetez qui s’y commettent, mais j’en ay toutefois veu une grande
-partie dans les Histoires, Satyres & Tragedies. Le Pedantisme a bien pû
-gagner quelque chose pendant sept ou huit ans que j’ay demeuré dans les
-Colleges, sur mon corps & façons de faire exterieures, mais je me puis
-vanter asseurément qu’il n’a rien empieté sur mon esprit. La Nature,
-Dieu mercy, ne luy a pas esté marastre, elle luy a donné une bonne base
-& fondement, la lecture de divers Auteurs l’a beaucoup aidé, mais celle
-du Livre de S. Anthoine luy a fourny ce qu’il a de meilleur. En suite de
-quoy je ne croy pas que V. E. puisse treuver mauvais qu’estant tout
-plein de zele & de bonne affection à son service, j’employe ces pensées
-qui me sont particulieres, pour honnestement le divertir: sans avoir
-dessein de rencontrer quelque Agamemnon, lequel me dise comme à ce jeune
-homme de Petrone qui venoit faire une longue declamation,
-[40]_Adolescens, quoniam sermonem habes non publici saporis, & quod
-rarissimum est amas bonam mentem, non fraudabere arte secreta_: (Init.
-Satyr.) Et je n’estime pas aussi de manquer d’occasion pour faire valoir
-mon petit talent dans la vie contemplative, à laquelle j’ay voüé &
-destiné tout le reste de la mienne, sans me vouloir empescher &
-empestrer dans l’active, sinon autant que le service de V. E. à laquelle
-j’ay fait le premier vœu d’obeïr, m’y pourroit engager.
-
- [40] Jeune homme, parce que vos discours ont un agrément particulier,
- & que vous avez de la passion pour les bons esprits, ce qui est
- tres-rare, vous ne manquerés pas d’avoir de talens particuliers.
-
-Reste doncques maintenant à voir, si je n’outrepasse point les bornes de
-ma capacité, en voulant traitter de ces choses autant éloignées
-semble-t-il de ma connoissance, que le jour l’est de la nuit; qui est la
-derniere difficulté que je me suis proposé cy-dessus de resoudre. Et à
-cela je pourrois répondre brievement, que la difficulté seroit bientost
-vuidée, si l’on en vouloit passer par cet arrest de Seneque, [41]_Paucis
-ad bonam mentem opus est literis._ Mais pour en specifier quelque chose
-davantage, j’avoüe ingenûment que je n’ay point tant de presomption, &
-de bonne opinion de moy-même que de penser gagner le prix en cette
-course, où je suis encore tout nouveau. Neanmoins puis que suivant le
-dire du Poëte, (Horat. 1. Ep. 1.)
-
- [42]_Est aliquid prodire tenus, si non datur ultra_;
-
- [41] Un bon esprit n’a pas besoin de beaucoup de lettres.
-
- [42] C’est toujours faire quelque progrés, si on ne peut pas passer
- outre.
-
-je feray quelque petit effort, & marcheray jusques à ce que je sois las
-ou hors du droit chemin, alors je me reposeray, & attandray quelque
-nouvelle connoissance ou instruction pour passer plus outre. Le bon
-homme Aratus qui n’entendoit pas grand’chose en l’Astrologie, fit
-toutefois un beau Livre de ses Phenomenes; Celse qui n’estoit que pur
-Grammairien, a nonobstant composé un livre de grande importance en
-Medecine: Dioscoride estoit soldat, Macer Senateur, & tous deux ont fort
-bien écrit des plantes; Hippodamus même de simple architecte & masson
-devint grand Politique, & auteur d’une Republique mentionnée par
-Aristote. Aussi j’ay toujours esté de cette opinion, que quiconque a
-tant soit peu de naturel & d’acquis par les estudes, il peut inferer &
-deduire de cinq ou six bons principes, toutes sortes de conclusions,
-comme Pline dit, que les Peintres anciens faisoient leurs plus belles
-pieces par le meslange de quatre ou cinq sortes de couleurs seulement.
-On peut aussi ajouster, que les sciences semblent estre comme
-enchainées, & cadenacées les unes avec les autres, & avoir une telle
-correspondance, que qui en possede une, possede aussi toutes celles qui
-luy sont subalternes. Et de plus que le siecle où nous sommes, semble
-beaucoup favoriser ce dessein, puis que l’on peut à peu prés sçavoir &
-découvrir tous les plus grands secrets des Monarchies, les intrigues des
-cours, les cabales des factieux, les pretextes & motifs particuliers, &
-en un mot, [43]_quid Rex in aurem Reginæ dixerit, Quid Juno fabulata sit
-cum Jove_, (Plaut.) par le moyen de tant de relations, memoires,
-discours, instructions, libelles, manifestes, pasquins, & semblables
-pieces secrettes, qui sortent tous les jours en lumiere, & qui sont en
-effet capables de mieux & plus facilement former, dégourdir, & deniaiser
-les esprits, que toutes les actions qui se pratiquent ordinairement és
-Cours des Princes, dont nous ne pouvons qu’à grand’peine connoistre
-l’importance, faute d’avoir penetré dans leurs causes, & divers
-mouvemens. Bref pour finir en peu de mots ce qui concerne le particulier
-de ma personne,
-
- [44]_Quod Cato, quod Curius sanctissima nomina quondam
- Senserunt, non quid vulgus, plebsque inscia dicat,
- Mente agito, atque mihi propono exempla bonorum._
-
-(Paling. in Tauro.)
-
- [43] Ce que le Roy a dit en secret à la Reine, & les discours que
- Junon a tenus à Jupiter.
-
- [44] Je ne pense point à ce que pourra dire le vulgaire, & la populace
- ignorante, mais je medite sur les sentimens qu’ont eu jadis Caton &
- Curius, dont les noms sont en grande veneration, & me propose
- toujours l’exemple des gens de bien.
-
-Il est bien vray que ce dessein estant un des plus relevez que l’on
-puisse choisir en toute la Politique, il en sera d’autant plus
-difficile; mais aussi me fait-il esperer que la fin en sera plus
-glorieuse; pour moy je me suis toujours plû de dire avec Properce,
-
- [45]_Magnum inter ascendo, sed dat mihi gloria vires;
- Non juvat ex facili lecta corona jugo._
-
- [45] J’entreprens quelque chose de grand & qui surpasse ma portée,
- mais la gloire que j’espere y acquerir me donne des forces pour le
- faire; je n’aime point les couronnes qu’on remporte sans peine.
-
-Et au pire aller, aux choses grandes l’oser est honorable, aux
-perilleuses l’entreprise est hardie, aux hautes & relevées, la cheute
-glorieuse; aux grandes mers si la route n’est heureuse, le naufrage est
-celebre: J’ébauche, un autre achevera; j’ouvre la lyce, un autre
-touchera le but; je sonne la trompette, un autre gagnera le prix, il y a
-assez de personnes en ce monde qui ne peuvent marcher que sur les
-chemins tracez par ceux qui les ont precedé; le nombre des esprits, qui
-travaillent tous les jours à imiter les autres est assez grand, sans que
-je captive encore le mien sous cet esclavage: & puis que tous les
-Auteurs qui traittent de la Politique, ne mettent point de fin à leurs
-discours ordinaires de la Religion, Justice, Clemence, Liberalité, &
-autres semblables vertus du Prince, ou du Ministre, il vaut mieux que je
-m’écarte un peu, pour n’estre atteint de cette contagion, ny envelopé
-d’une telle foule; & que pour n’arriver des derniers, je passe par un
-nouveau chemin, qui ne soit point fréquenté par le [46]_servum pecus_
-d’Horace, ny entrecoupé de ces grands Fangears & Marais relentis, où il
-y a si long-temps que
-
- [47]_Veterem in limo Ranæ cecinere querelam._
-
- [46] Les esclaves, ou gens de basse condition.
-
- [47] Les grenouilles ont chanté leurs vieilles plaintes dans la bouë.
-
-Or entre tous les points de la Politique, je ne voy pas qu’il y en ait
-un moins agité & moins rebatu, ny pareillement plus digne de l’estre que
-celuy des secrets, ou pour mieux dire des Coups d’Estat, car ce qu’en a
-dit Clapmarius en son traitté [48]_de Arcanis Imperiorum_, ne peut
-fournir une exception valable, puis que n’ayant pas seulement conceu ce
-que signifioit le titre de son livre, il n’y a parlé que de ce que les
-autres Ecrivains avoient déja dit & repeté mille fois auparavant,
-touchant les regles generales de l’administration des Estats & Empires.
-Et d’autant que cette matiere est si nouvelle, & relevée par dessus les
-communs sentimens des Politiques, qu’elle n’a presque encore esté
-effleurée par aucun d’eux, comme l’a remarqué Bodin au sixiéme de sa
-Methode en ces mots: [49]_Multi multa graviter & copiosè de ferendis
-moribus, de sanandis populis, de Principe instituendo, de legibus
-stabiliendis, leviter tamen de statu, nihil de conversionibus
-Imperiorum, & iis quæ Aristoteles Principum σοφίσματα, seu κρύφια
-Tacitus Imperii Arcana vocat, ne attigerunt quidem:_ Je marcheray
-toujours la bride en main, & apporteray toute la precaution, modestie, &
-retenuë possible, pour assaisonner & temperer ces discours, desquels on
-peut encore mieux dire, que Platon ne faisoit de ceux de Theologie,
-οὑτοί γε οἱ λόγοι χαλεποί, [50]_difficiles & cum discrimine hi
-sermones_. (Libr. de Repub.) Cardan & Campanelle font passer pour un
-precepte d’importance, que pour bien traitter, ou presenter quelque
-sujet, il en faut concevoir une parfaite idée, & y transmuer, s’il est
-possible, tout son esprit, & toute son imagination; d’où l’on voit
-souvent arriver, que ceux des Comediens qui sont le mieux pourveus de
-cette faculté imaginative joüent aussi toujours mieux leurs personnages.
-L’on dit en France, que Dubartas auparavant que de faire cette belle
-description du Cheval où il a si bien rencontré, s’enfermoit quelquefois
-dans une chambre, & se mettant à quatre pattes souffloit, hennissoit,
-gambadoit, tiroit des ruades, alloit l’amble, le trot, le galot, à
-courbette, & taschoit par toutes sortes de moyens à bien contrefaire le
-Cheval. Agrippa même avouë, que lors qu’il voulut composer sa
-declamation contre les sciences, il s’imagina d’estre comme un Chien qui
-abayoit à toutes sortes de personnes; & lors qu’il voulut écrire de la
-Pyrotechnie, ou des feux d’artifice, il se persuadoit d’estre changé en
-un Dragon, qui souffloit le feu, & le souphre par la gueule, les yeux,
-les oreilles & les narines. Pour moy lors que je traitteray ou écriray
-de quelque sujet absolument bon & profitable, je seray bien-aise de me
-servir de ces imaginations; mais en cette matiere qui est si panchante
-vers l’injustice, je ne m’imagineray jamais d’estre quelque Neron, ou
-Busiris, pour mieux treuver les moyens de perdre & d’exterminer le genre
-humain. Ce me sera assez de ne pas encourir le blasme & la censure, que
-Neron donnoit aux Politiques & Conseillers de son temps, [51]_quod
-tanquam in Platonis Republica, non tanquam in Romuli fæce sententiam
-dicerent_. Et si je sçavois que le peu que j’en diray pust causer
-quelque abus & desordre plus grand que celuy qui est aujourd’huy en
-pratique entre les Princes, je jetterois tout maintenant la plume & le
-papier dans le feu, & ferois vœu d’eternel silence, pour ne me point
-acquerir la loüange d’un homme fin & rusé dans les speculations
-Politiques, en perdant celle d’homme de bien, de laquelle seule je veux
-faire capital, & me vanter tout le reste de ma vie.
-
- [48] Des secrets des Empires.
-
- [49] Plusieurs ont traité au fond & fort amplement de l’établissement
- des mœurs, de la guerison des peuples, de l’institution des Princes,
- & de l’affermissement des loix; mais ils ont passé fort legerement
- sur les affaires d’Estat, & n’ont rien dit des revolutions des
- Empires, & de ce qu’Aristote appelle sophismes ou secrets des
- Princes; & Tacite, secrets de l’Empire.
-
- [50] Ces discours sont fort difficiles & dangereux.
-
- [51] Qu’ils donnoient leur avis ou opinoient comme s’ils estoient dans
- la Republique de Platon, & non parmy la populace abjecte & basse de
- Romulus.
-
-
-
-
-Chapitre II.
-
-Quels sont proprement les Coups d’Estat, & de combien de sortes.
-
-
-Mais pour ne pas demeurer toujours en ces prefaces, & parler enfin du
-sujet pour lequel elles sont faites, ce grand homme Juste Lipse traitant
-en ses Politiques de la prudence, il la definit en peu de mots, _un
-choix & triage des choses qui sont à fuïr, ou à desirer_; & aprés en
-avoir amplement discouru comme on la prend d’ordinaire dans les Ecoles,
-c’est à dire pour une vertu morale, qui n’a pour objet que la
-consideration du bien; il vient en suite à parler d’une autre prudence,
-laquelle il appelle meslée, parce qu’elle n’est pas si pure, si saine &
-entiere que la precedente; participant un peu des fraudes & des
-stratagemes qui s’exercent ordinairement dans les Cours des Princes, &
-au maniement des plus importantes affaires du Gouvernement: Aussi
-s’efforce-t-il de monstrer par son eloquence, que telle sorte de
-Prudence doit estre estimée honneste, & qu’elle peut estre pratiquée
-comme legitime, & permise. Aprés quoy il la definit assez
-judicieusement, [52]_Argutum consilium à virtute, aut legibus devium,
-Regni Regisque bono_; & de là passant à ses especes & differences, il en
-constitue trois principales: la premiere desquelles, que l’on peut
-appeller une fraude ou tromperie legere, fort petite, & de nulle
-consideration, comprend sous soy la défiance, & la dissimulation; la
-seconde qui retient encore quelque chose de la vertu, moins toutefois
-que la precedente, a pour ses parties, [53]_conciliationem &
-deceptionem_, c’est à dire le moyen de s’acquerir l’amitié & le service
-des uns, & de leurer, decevoir, & tromper les autres, par fausses
-promesses, mensonges, presens & autres biais, & moyens, s’il faut ainsi
-dire, de contrebande, & plutost necessaires que permis ou honnestes.
-Quant à la derniere, il dit qu’elle s’éloigne totalement de la vertu &
-des loix, se plongeant bien avant dans la malice, & que les deux bases,
-& fondemens plus asseurez sont la perfidie & l’injustice.
-
- [52] Un conseil fin & artificieux qui s’écarte un peu des loix & de la
- vertu, pour le bien du Roy & du Royaume.
-
- [53] La conciliation & la deception.
-
-Il me semble toutefois, que pour chercher particulierement la nature de
-ces secrets d’Estat, & enfoncer tout d’un coup la pointe de nostre
-discours jusques à ce qui leur est propre & essentiel, nous devons
-considerer la _Prudence_ comme une vertu morale & politique, laquelle
-n’a autre but que de rechercher les divers biais, & les meilleures &
-plus faciles inventions de traitter & faire reüssir les affaires que
-l’homme se propose. D’où il s’ensuit pareillement que comme ces affaires
-& divers moyens ne peuvent estre que de deux sortes, les uns faciles &
-ordinaires, les autres extraordinaires, fascheux & difficiles; aussi ne
-doit-on établir que deux sortes de prudence: la premiere ordinaire &
-facile, qui chemine suivant le train commun sans exceder les loix &
-coustumes du païs: la seconde extraordinaire, plus rigoureuse, severe &
-difficile. La premiere comprend toutes les parties de prudence,
-desquelles les Philosophes ont accoustumé de parler en leurs traittez
-moraux, & outre plus ces trois premieres mentionées cy-dessus, & que
-Juste Lipse attribue seulement à la prudence meslée & frauduleuse. Parce
-que, à dire vray, si on considere bien leur nature & la necessité qu’ont
-les Politiques de s’en servir, on ne peut à bon droit soupçonner
-qu’elles soient injustes, vicieuses ou deshonnestes. Ce que pour mieux
-comprendre, il faut sçavoir comme dit Charon, (Lib. 3. c. 2.) que la
-justice, vertu & probité du Souverain, chemine un peu autrement que
-celle des particuliers; elle a ses alleures plus larges & plus libres à
-cause de la grande, pesante & dangereuse charge qu’il porte, c’est
-pourquoy il luy convient marcher d’un pas qui peut sembler aux autres
-detraqué & déreglé, mais qui luy est necessaire, loyal, & legitime; il
-luy faut quelquefois esquiver & gauchir, mesler la prudence avec la
-justice, & comme l’on dit, [54]_cum vulpe junctum vulpinari_: C’est en
-quoy consiste la _pedie_ de bien gouverner. Les Agens, Nonces,
-Ambassadeurs, Legats sont envoyez, & pour épier les actions des Princes
-étrangers, & pour dissimuler, couvrir, & déguiser celles de leurs
-Maistres. Louys XI, le plus sage & avisé de nos Roys, tenoit pour Maxime
-principale de son Gouvernement, que [55]_qui nescit dissimulare nescit
-regnare_; & l’Empereur Tibere, [56]_nullam ex virtutibus suis magis quàm
-dissimulationem diligebat_. Ne voit-on pas que la plus grande vertu qui
-regne aujourd’huy en Cour, est de se défier de tout le monde, &
-dissimuler avec un chacun, puis que les simples & ouverts, ne sont en
-nulle façon propres à ce mestier de gouverner, & trahissent bien souvent
-eux & leur Estat. Or non seulement ces deux parties de se défier &
-dissimuler à propos, qui consistent en l’omission, sont necessaires aux
-Princes; mais il est encore souventefois requis de passer outre, & de
-venir à l’action & commission, comme par exemple de gagner quelque
-avantage, ou venir à bout de son dessein par moyens couverts,
-equivoques, & subtilitez; affiner par belles paroles, lettres,
-ambassades; faisant & obtenant par subtils moyens, ce que la difficulté
-du temps & des affaires empesche de pouvoir autrement obtenir; [57]_& si
-rectà portum tenere nequeas, idipsum mutata velificatione assequi_.
-(Cicero lib. 11. ad Lentul.) Il est pareillement besoin de faire &
-dresser des pratiques & intelligences secretes, attirer finement les
-cœurs & affections des Officiers, serviteurs, & confidens des autres
-Princes & Seigneurs étrangers, ou de ses propres sujets; ce que Ciceron
-appelle au premier des Offices, [58]_conciliare sibi animos hominum & ad
-usus suos adjungere_. A quoy faire doncques établir une prudence
-particuliere & meslée, de laquelle ces actions dépendent
-particulierement, comme fait Juste Lipse, puis qu’elles se peuvent
-rapporter à l’ordinaire, & que telles ruses sont tous les jours
-enseignées par les Politiques, inserées dans leurs raisonnemens,
-persuadées par les Ministres, & pratiquées sans aucun soupçon
-d’injustice, comme estant les principales regles & maximes pour bien
-policer & administrer les Estats & Empires. Aussi ne meritent-elles
-d’estre appellées secrets de Gouvernement, Coups d’Estat, & [59]_Arcana
-Imperiorum_, comme celles qui pour estre comprises sous cette derniere
-sorte de prudence extraordinaire, qui donne le branle aux affaires plus
-fascheuses & difficiles, meritent particulierement & privativement à
-toutes autres, d’estre appellées _Arcana Imperiorum_, puis que c’est le
-seul titre que non seulement moy, mais tous les bons Auteurs qui ont
-écrit auparavant moy leur ont donné.
-
- [54] Renarder, ou user de finesse, avec le renard.
-
- [55] Qui ne sçait pas dissimuler ne sçait pas aussi regner.
-
- [56] De toutes les vertus qu’il possedoit il n’y en avoit point qu’il
- aimast plus que la dissimulation.
-
- [57] Et si on ne peut aller tout droit au port, y arriver en louvoyant
- & en changeant de cours.
-
- [58] S’acquerir les cœurs des hommes, & les employer à son usage.
-
- [59] Secrets des Empires.
-
-Et en cela certainement nous pouvons remarquer la faute de beaucoup de
-Politiques, & principalement de Clapmarius, lequel voulant faire un gros
-Livre de _Arcanis Imperiorum_, & les reduire sous quelques preceptes
-generaux, il dit premierement, que les secrets d’Estat ne sont rien
-autre chose que les divers moyens, raisons & conseils desquels les
-Princes se servent pour maintenir leur Autorité, & l’estat du public,
-sans toutefois transgresser le droit commun, ou donner aucun soupçon de
-fraude & d’injustice. Ce qu’ayant presupposé comme bien étably &
-veritable, il les divise en deux sortes, & dit que les premiers se
-doivent appeller secrets d’Empire, ou de Republiques, lesquels à raison
-des trois sortes de Gouvernemens il subdivise encore en six autres
-manieres, d’autant, par exemple, que l’Estat Monarchique doit avoir de
-certains moyens & raisons particulieres pour se donner de garde d’estre
-commandé par plusieurs qui le reduiroient en Aristocratie; d’autres pour
-obvier au Gouvernement d’une populace & ne se changer en Democratiques:
-& ainsi ces deux derniers doivent faire en sorte de ne point devenir
-Monarchiques, ou de ne point tomber en quelque autre forme de
-Gouvernement qui leur soit opposé. Les seconds sont ceux qu’il nomme &
-qualifie du titre de secret de domination, lesquels ceux qui commandent
-sont obligez de pratiquer pour se conserver en leur autorité soit
-Monarchique, populaire ou Aristocratique. Ce qu’il confirme par une
-curieuse enumeration de tous ces moyens, suivant qu’il les a pû
-remarquer dedans Tite Live, Saluste, Amarcellin, & beaucoup d’Auteurs,
-lesquels semblent demeurer tous d’accord de la signification de ces
-mots, de la même façon que Clapmarius s’en est servy en tout son livre.
-Or cela me feroit aucunement redouter l’indignation de tous ces grands
-personnages, si je m’emancipois sans leur avoir demandé permission, de
-leur dire qu’usurpant ce mot de secrets d’Estat, selon qu’il a esté
-exposé cy-dessus, ils semblent s’éloigner de sa signification, & ne pas
-bien comprendre la nature de la chose; estant certain que ces dictions
-Latines, [60]_secretum & arcanum_, desquels ils se servent pour
-l’exprimer, ne doivent point estre attribuez aux preceptes & maximes
-d’une science, laquelle est commune, entenduë & pratiquée par un chacun:
-mais seulement à ce que pour quelque raison ne doit estre ny connu ny
-divulgué, parce que suivant que remarque le Poëte Marbodæus,
-
- [61]_Non secreta manent, quorum fit conscia turba._
-
-(Libr. de Gem.)
-
- [60] Secret & caché.
-
- [61] Les choses qu’on communique à plusieurs personnes, ne demeurent
- pas secretes.
-
- [62] Secret.
-
-Aussi apprenons nous des Grammairiens, que ce mot [62]_d’arcanum_, peut
-estre derivé ab [63]_arce_, soit comme est d’avis Festus Pompeius, que
-les Augures eussent coustume d’y faire un certain sacrifice, qu’ils
-vouloient éloigner de la connoissance du peuple, ou parce que toutes
-choses secretes & de consequence sont mieux gardées [64]_in arce_, qu’en
-autre lieu. Ceux qui le tirent [65]_ab arca_ semblent aussi ne se pas
-éloigner de la même opinion, & les bons Auteurs ne se sont jamais servis
-de ces deux mots qu’en pareille signification. Virgile,
-
- [66]_Longius & volvens fatorum arcana movebo._
-
-(Æneid. 1.)
-
- [63] Forteresse.
-
- [64] Dans une forteresse.
-
- [65] Coffre.
-
- [66] Et je vous raconteray plus au long le secret des fatalités.
-
-& en un autre lieu:
-
- [67]_Te colere, arcanos etiam tibi credere sensus._
-
- [67] T’honorer & te confier les plus secretes pensées & passions de
- mon cœur.
-
-Horace,
-
- [68]_Secretumque teges & vino tortus & irâ._
-
- [68] Le vin ni la colere ne te doivent pas faire reveler le secret
- qu’on t’aura confié.
-
-Et pour finir par celle de Lucain, n’a-t-il pas dit en parlant de la
-source du Nil, qui estoit totalement inconnuë aux Egyptiens mêmes,
-
- [69]_Arcanum natura caput non protulit ulli,
- Nec licuit populis parvum te Nile videre,
- Amovitque sinus, & Gentes maluit ortus
- Mirari quam nosse tuos._
-
- [69] La nature n’a découvert à personne ta source, ô Nil, & il n’y a
- point de peuple qui ait pû te voir en ton commencement: elle a
- éloigné tes replis, & a mieux aimé faire admirer ton origine aux
- nations, que de la leur faire connoître.
-
-Je remarqueray toutefois comme en passant, que l’on peut tirer un beau
-parallele entre ce fleuve du Nil & les secrets d’Estat. Car tout ainsi
-que les peuples plus voisins de sa source en tiroient mille commoditez
-sans avoir aucune connoissance de son origine; ainsi faut-il que les
-peuples admirent les heureux effets de ces Coups de Maistre sans
-pourtant rien connoistre de leurs causes & divers ressorts. Or aprés
-avoir monstré que ces Ecrivains ont corrompu les mots, nous pouvons
-encore dire qu’ils ont pareillement depravé la nature de la chose, veu
-qu’ils nous proposent des preceptes generaux & des maximes universelles,
-fondées sur la justice & droit de Souveraineté, & par consequent
-permises & pratiquées tous les jours, au veu & sceu de tout le monde;
-lesquels neanmoins ils estiment estre des secrets d’Estat. Aussi ne
-prenoient-ils pas garde qu’il y a une grande difference entre ceux-là, &
-ceux dont nous voulons parler; puis que un chacun est fait sçavant, &
-rendu capable des premiers, pour si peu d’estude qu’il veüille faire
-dans les Auteurs qui en ont traitté; où au contraire ceux dont il est
-maintenant question, naissent dans les plus retirez cabinets des
-Princes, & ne se traittent ny deliberent en plein Senat, ou au milieu
-d’une Cour de Parlement; mais entre deux ou trois des plus avisez & plus
-confidens Ministres qu’ait un Prince. Et en effet, nous voyons
-qu’Auguste, lors qu’il eut dessein, aprés avoir gagné la bataille
-Actiaque, & appaisé les guerres civiles & étrangeres, de quitter le
-titre d’Empereur, & de rendre la liberté à sa patrie; il n’en communiqua
-pas au Senat, quoy qu’il l’eust augmenté de six cens Senateurs; ny à son
-Conseil particulier, qui estoit composé de vingt personnes les plus
-doctes & judicieuses qu’il avoit pû choisir; mais il proposa & remit
-toute cette affaire au jugement de ses deux principaux Amis, Ministres,
-& Confidens, Mecenas & Agrippa, [70]_quibuscum Imperii arcana
-communicare solebat_, dit Dion. (Libr. 53.) Et si nous voulons remonter
-jusques à ce grand homme qui luy avoit resigné sa fortune entre les
-mains, Jules Cesar; nous trouverons dans Suetone [71]_in Julio_, qu’il
-n’avoit que Quintus Pædius, & Cornelius Balbus, avec lesquels il
-communiquoit τὰ μυσικάτατα, c’est à dire ce qu’il avoit de plus secret &
-caché dans l’ame. Les Lacedemoniens qui augmenterent beaucoup leur Estat
-aprés la Victoire de Lisandre, établirent bien un conseil de trente
-personnes pour gouverner les affaires de leur Republique, mais non
-contens de ce, ils choisirent douze des plus judicieux & avisez de leurs
-Citoyens, pour estre comme les Oracles qui devoient par leur réponse
-conclure les Coups d’Estat. Les Venitiens font aujourd’huy de même avec
-leurs six Procureurs de Saint Marc; & il n’y a aucun Souverain tant
-foible soit-il & de peu de consideration, qui soit si mal avisé, que de
-remettre au jugement du public ce qui à peine demeure assez secret dans
-l’oreille d’un Ministre ou Favori. C’est ce qui a fait dire à
-Cassiodore, [72]_Arduum nimis est Principis meruisse secretum_, (Libr.
-8. Epist. 10.) & en un autre lieu, où il parle d’un Conseiller secret de
-Theodoric, [73]_Tecum pacis certa, tecum belli dubia conferebat, & quod
-apud sapientes Reges singulare munus est, ille sollicitus ad omnia,
-tecum pectoris pandebat arcana._ (Lib. 8. Epist. 9.) Eust-il pas fait
-beau voir, que Charles IX eust deliberé de faire la Saint Barthelemy
-avec tous les Conseillers de son Parlement, & que Henry III eust conclu
-la mort de Messieurs de Guise au milieu de son Conseil? Je croy certes
-qu’ils y eussent aussi-bien reüssi, comme à vouloir prendre les lievres
-au son du tambour, ou les oiseaux avec des sonnettes. Et de plus je
-demanderois volontiers à ces Messieurs, si tant est qu’ils appellent les
-regles communes de regir & gouverner les Royaumes, [74]_Arcana
-Imperiorum_, quel nom ils pourront donner à ces secrets meslez d’un peu
-de severité, & sujets à la prudence extraordinaire, desquels nous venons
-maintenant de parler. Car de les appeller comme fait Clapmarius aprés
-Tacite, [75]_Flagitia Imperiorum_, c’est plustost remarquer ceux qui
-sont faits en consideration d’un bien particulier, & par quelque Tyran,
-que beaucoup d’autres qui se font pour l’interest public, & avec toute
-l’equité que l’on peut apporter en ces grandes entreprises, qui
-toutefois ne peuvent jamais estre si bien circonstanciées, qu’elles ne
-soient toujours accompagnées de quelque espece d’injustice, & sujettes
-par consequent au blasme & à la calomnie.
-
- [70] Auxquels il avoit accoustumé de communiquer les secrets de
- l’Empire.
-
- [71] Sur Julius.
-
- [72] C’est par trop difficile d’avoir merité d’estre introduit dans le
- secret du Prince.
-
- [73] Il conferoit avec toy des choses certaines de la paix & des
- douteuses de la guerre, &, ce qui est une faveur singuliere d’un Roy
- sage & prudent, comme il avoit soin de tout, il te reveloit les plus
- secretes pensées de son cœur.
-
- [74] Les secrets des Empires.
-
- [75] Fourberies des Empires.
-
-Ces mots estant ainsi expliquez, il nous faut passer à la nature de la
-chose qu’ils signifient: Or pour la bien penetrer & comprendre, il est
-besoin d’en tirer la recherche de plus haut, & monstrer comme en la
-Monastique ou gouvernement d’un seul, & en l’œconomie ou administration
-d’une famille, qui sont les deux pivots de la Politique, il y a de
-certaines ruses, détours, & stratagemes, desquels beaucoup se sont
-servis, & se servent encore tous les jours pour venir à bout de leurs
-pretensions. Charon en son livre de la Sagesse, Cardan en ses œuvres
-intitulées [76]_Proxeneta, de utilitate capienda ex adversis, & de
-sapientia_; Machiavel en ses discours sur T. Live, & en son Prince, en
-ont donné assez amplement les preceptes. Pour moy ce me sera assez d’en
-rapporter quelques exemples; aprés avoir toutefois observé qu’encore que
-Juste Lipse (Civil. doctr. lib. 4. c. 13.) ait dit du dernier, [77]_Ab
-illo facile obtinebimus, nec maculonem Italum tam districtè damnandum
-(qui misera qua non manu hodie vapulat), & esse quandam, ut vir sanctus
-ait, καλὴν καὶ ἐπαινετὴν πανουργίαν, honestam atque laudabilem
-calliditatem_, (Basil. in Proverb.) & que Gaspar Schioppius ait fait un
-petit livre en sa defense; on luy peut neanmoins sçavoir mauvais gré, de
-ce que
-
- [78]_Floribus Austrum
- Perditus, & liquidis immisit fontibus Apros._
-
-(Virg. Bucol. Ecl. 2.)
-
- [76] Le Courtier, ou moyenneur, du profit qu’on peut tirer des
- infortunes, & de la sagesse.
-
- [77] Nous obtiendrons facilement de luy, que ce broüillon d’Italien
- n’est pas tant à blâmer, quoy que les plus chetifs se mêlent de le
- condamner aujourd’huy; & qu’il y a de certaines ruses loüables &
- honnestes, comme dit le saint homme.
-
- [78] Il a malheureusement jetté un vent furieux dans les fleurs, & des
- sangliers dans les fontaines pour en troubler les clairs ruisseaux.
-
-Ayant le premier franchi le pas, rompu la glace, & profané, s’il faut
-ainsi dire, par ses écrits, ce dont les plus judicieux se servoient
-comme de moyens tres-cachez & puissans pour faire mieux reüssir leurs
-entreprises. Aussi ferois-je conscience d’ajouster quelque chose à ce
-qu’il en a dit, si les susnommez & beaucoup d’autres Politiques ne
-m’avoient devancé, & donné quand & quand sujet de dire en cette matiere,
-ce que Juvenal disoit de la Poësie.
-
- [79]_Stulta est clementia, cum tot ubique
- Vatibus occurras, perituræ parcere chartæ._
-
-(Satyr. 1.)
-
- [79] C’est une sotte clemence d’épargner le papier perissable, puisque
- tu te rencontres si souvent en tant de lieux parmy les poëtes.
-
-Or entre les secrets de la Monastique, je ne pense pas qu’il y en ait de
-plus relevez, eu égard à leur fin, que ceux qui ont esté pratiquez par
-certaines personnes, qui pour se distinguer du reste des hommes, ont
-voulu établir parmy eux quelque opinion de leur divinité. Ainsi voyons
-nous que Salmonée avoit fait élever un pont d’airain, sur lequel faisant
-rouler son carrosse attelé de puissans chevaux, & dardant d’un costé &
-d’autre des feux d’artifice, il s’imaginoit de bien contrefaire le
-foudre & les tonnerres de Jupiter, d’où le Poëte a pris occasion de
-dire,
-
- [80]_Vidi & crudeles dantem Salmonea pœnas,
- Dum flammas Jovis, & sonitus imitatur Olympi._
-
-(Virg. Æn. 6.)
-
- [80] J’y vis aussi Salmonée qui soufroit d’étranges peines pour avoir
- imité les flammes de Jupiter Olympien, & pour avoir contrefait le
- bruit de ses foudres.
-
-Psaphon, qui n’estoit pas moins ambitieux que le precedent, nourrissoit
-grande quantité de Pies, Merles, Jais, Perroquets & autres oiseaux
-semblables, & aprés leur avoir bien appris à prononcer ces paroles,
-_Psaphon est Dieu_, il les mettoit en liberté, afin que ceux qui
-entendoient tant & de si extraordinaires témoins de sa divinité, fussent
-plus facilement portez à la croire. Ainsi Heraclides le Pontique avoit
-commandé à un de ses plus affidez serviteurs, de cacher sous ses
-vestemens aprés qu’il seroit decedé, une grande Couleuvre, qu’il
-nourrissoit dés long-temps auparavant à ce dessein, afin que cet animal
-éveillé par le bruit que l’on feroit, portant son corps en terre,
-s’élançast au milieu des pleureurs, & donnast sujet à la populace de
-croire, que Heraclite avoit esté deïfié. Pour Empedocle il y proceda
-avec plus de courage & de generosité, comme il estoit bien-seant à un
-Philosophe; car estant assez âgé & comblé de gloire & d’honneur, il se
-precipita volontairement dans les souspiraux & volcans du mont Ætna en
-Sicile, pour faire croire son ravissement au Ciel, ne plus ne moins que
-Romulus établit l’opinion du sien, en se noyant dans les Marests des
-Chevres,
-
- [81]_Deus immortalis haberi
- Dum cupit Empedocles, ardentem frigidus Æthnam
- Insiluit._
-
-(Horat. de arte Poët.)
-
- [81] Empedocle, voulant qu’on le tinst pour un Dieu immortel, se jetta
- froidement dans les flammes du mont Ætna.
-
-Les Athées, qui trouvent à glosser sur tous les passages de la sainte
-Ecriture, tiennent que celuy-cy du Deuteronome, (cap. 34.) [82]_non
-cognovit homo sepulchrum ejus usque in præsentem Diem_, se doit entendre
-de la même sorte, & que Moyse s’ensevelit en quelque precipice ou
-abysme, pour estre puis aprés élevé dans les cieux par les Israëlites;
-au lieu qu’ils devroient plûtost croire, & demeurer d’accord avec les
-Chrestiens, qu’il cacha veritablement son corps, pour empescher les
-Juifs de l’idolatrer aprés sa mort, connoissant fort bien qu’ils
-estoient portez non moins de leur naturel, que par la hantise qu’ils
-avoient eu avec les Egyptiens, à adorer tous ceux desquels ils avoient
-receu quelque bien, ou de qui ils croyoient que la vertu estoit
-singuliere & extraordinaire. L’on peut faire encore le même jugement de
-ce que Diogenes Laërce rapporte de la Cuisse d’or de Pythagore, puis que
-Plutarque en la vie de Numa dit ouvertement que ce fut une feinte &
-stratageme de ce Philosophe, pour établir aussi-bien que les autres
-l’opinion de sa divinité. Mais ce que fit Hercules fut beaucoup plus
-ingenieux; car estant fort versé en Astrologie, témoin les Fables de sa
-vie qui luy font porter le Ciel avec Atlas, il choisit justement l’heure
-& le temps de l’apparition d’une grande Comete, pour se mettre sur le
-bucher ardant, où il vouloit finir ses jours, afin que ce nouveau feu du
-Ciel assistast comme témoin, & fist croire de luy ce que les Romains par
-aprés vouloient persuader de leurs Empereurs, au moyen de l’aigle qui
-s’envoloit du milieu des flammes, comme pour porter l’ame du defunct
-entre les bras de Jupiter. Beaucoup d’autres, qui estoient plus modestes
-& retenus en leurs desseins, se sont contentez de nous donner à
-connoistre le soin que les Dieux prenoient de leurs personnes, par la
-continuelle assistance de quelque Genie, ou particuliere divinité; comme
-firent entre les Anciens Socrate, Plotin, Porphyre, Brutus, Sylla, &
-Apollonius, pour ne rien dire de tous les Legislateurs; & parmy les
-modernes Pic de la Mirandole, Cecco d’Ascoli, Hermolaus, Savonarole,
-Niphus, Postel, Cardan, & Campanelle, qui se vantent tous d’en avoir eu
-& de leur avoir parlé, sans toutefois qu’on les puisse accuser d’avoir
-pratiqué les ceremonies Theurgiques, du livre faussement attribué à
-Virgile [83]_de videndo Genio_; ou les mentionnées par Arbatel dans je
-ne sçay quel fatras de semblables Livres, que l’on a grand tort de
-publier sous le nom d’Agrippa. Aussi pour moy j’aimerois beaucoup mieux
-établir la verité de ces Histoires, sur la merveilleuse force des
-contractions d’esprit fort bien expliquées par Marsile Ficin & Jordanus
-Brunus, desquels aussi Palingenius en trois ou quatre endroits de son
-Zodiaque ne semble pas se beaucoup éloigner. Si nous n’aimons encore
-mieux dire que tous ces Messieurs ont joüé de l’imposture, & ont voulu
-imiter les fables de Numa, Zamolxis, & Minos, ou plustost celles que les
-Rabins & Cabalistes (_Reuchlin. libr. de Cabala._) ont plaisamment
-forgées sur les Patriarches du Vieil Testament, & nous voulant faire
-croire de bonne foy, qu’Adam avoit esté gouverné par son Ange Raziel,
-Sem par Jophiel, Abraham par Frza-d-Kiel, Isaac par Raphaël, Jacob par
-Piel, & Moyse par Mittaron,
-
- [84]_Sed credat Judæus apella,
- Non ego._
-
- [82] L’homme n’a point connu son sepulchre jusques à ce jourd’huy.
-
- [83] Du moyen de voir les Genies.
-
- [84] Mais que le Juif circoncis le croye, & non pas moy.
-
-Quoy que c’en soit, on peut remarquer dans les Historiens, que ces ruses
-n’ont pas toujours esté inutiles, puis que Scipion les ayant
-judicieusement pratiquées il s’acquit la reputation d’un grand homme de
-bien parmy les Romains, & fut envoyé conquester les Espagnes n’ayant
-encore atteint l’âge de XXIV ans; Mais voyez aussi de quelle façon T.
-Live (Libr. 6.) en parle: [85]_Fuit Scipio non tantùm veris artibus
-mirabilis, sed arte quoque quadam adinventa in ostentationem composita,
-pleraque apud multitudinem, aut per nocturnas visas species, aut veluti
-divinitus mente monita agens._ Ainsi en ont fait beaucoup de Princes &
-particuliers, & quand leur esprit n’a pas esté capable de ces finesses &
-inventions si relevées, ils se sont contentez de donner par quelques
-autres, le plus de lustre & de splendeur à leurs actions qu’il leur a
-esté possible. C’est pourquoy Tacite a dit que Vespasien estoit,
-[86]_omnium quæ diceret atque ageret arte quadam ostentator_, (Annal.
-lib. 3.) & Corbulo nous est representé dans le même, [87]_super
-experientiam sapientiamque, etiam specie inanium validus_; & ce avec
-grande raison, puis que comme il dit en un autre endroit,
-[88]_Principibus omnia ad famam dirigenda_, veu que suivant la remarque
-de Cardan, [89]_Æstimatio & opinio rerum humanarum Reginæ sunt_. (Lib.
-3. de utilit.)
-
- [85] Scipion ne se faisoit pas seulement admirer par les veritables
- arts & sciences qu’il possedoit, mais aussi par un certain artifice
- qu’il avoit trouvé & dont il se servoit fort utilement à se faire
- paroistre; & faisoit plusieurs choses devant le peuple ou par le
- moyen des visions qu’il disoit avoir euës de nuit, ou comme s’il en
- avoit esté divinement averti & qu’on le luy eût inspiré du ciel.
-
- [86] Fort artificieux à donner du lustre à tout ce qu’il faisoit & à
- tout ce qu’il disoit.
-
- [87] Considerable par la belle apparence dont il sçavoit colorer même
- les choses vaines, outre l’experience & la sagesse qu’il avoit.
-
- [88] Les Princes doivent gouverner, & avoir soin de tout, pour leur
- propre renommée.
-
- [89] L’estime & l’opinion sont les Reines de toutes les choses
- humaines.
-
-L’on pourroit encore faire beaucoup plus de remarques sur ce qui touche
-le gouvernement particulier des hommes; mais parce que cette matiere
-n’est pas moins triviale que de peu de consequence, je m’en remettray à
-ce qu’en a dit Cardan au livre cité un peu auparavant; & passeray aux
-secrets de l’œconomie, ou reglement & administration des familles, entre
-lesquels je me contenteray de remarquer seulement & pour exemple,
-quelques-uns de ceux qui ont esté pratiquez pour reprimer, & comme parer
-aux mauvais tours que joüent les femmes à leurs maris,
-
- [90]_Dum avidæ affectant implere voraginis antrum._
-
- [90] Quand elles veulent remplir le trou de leur goufre insatiable.
-
-A propos de quoy il me souvient d’en avoir leu un dans les contes
-facetieux de Bouchet, ou de Chaudiere, qui passera maintenant pour
-serieux, comme estant beaucoup plus propre à corriger ces humeurs
-gaillardes, que celuy de la Mule qui fut huit jours sans boire, dont
-parle Cardan en son livre [91]_de sapientia_. Certain Medecin,
-disent-ils, ayant eu avis que sa femme pour quelquefois se desennuyer
-
- [92]_Intrabat calidum veteri Centone lupanar_,
-
-(Juvenal.)
-
- [91] De la sagesse.
-
- [92] Elle entroit dans le lieu infame qui fumoit de l’ardeur des
- impudiques débauches sur les vieux tapis de diverses couleurs.
-
-& qu’elle avoit même pris heure au lendemain pour luy joüer à fausse
-compagnie, il ne s’en émeut point, & n’en fit aucun semblant; mais sur
-la minuit, & lors que sa femme ne songeoit à rien moins, il se réveille
-en sursaut feignant que les voleurs estoient dedans sa chambre, met la
-main à ses armes, tire deux ou trois coups de pistolet, crie au meurtre,
-à l’aide, frappe de son épée sur les tables & chenets, bref il fait tout
-ce qu’il peut pour mettre la terreur & l’épouvante en sa maison; le
-matin tout estant appaisé il ne manque de taster le poux à sa femme,
-lequel il feint de trouver grandement alteré & oppressé à cause de la
-peur qu’elle avoit euë, & pour ce il luy fait tirer dix ou douze onces
-de sang, & cette evacuation ayant amené une petite émotion, il commence
-de s’épouvanter comme si c’eust esté quelque grosse fievre, fait
-redoubler sept ou huit bonnes saignées, par aprés vient à la raser,
-ventouser, & purger magistralement; ce qu’il reïtera si souvent, qu’il
-la fit demeurer plus de six mois au lict, sans avoir esté malade,
-pendant lequel temps il eut tout loisir de rompre ses pratiques &
-connoissances, de luy diminuer son enbonpoint vermeil & attrayant, & sur
-tout de tellement refroidir, matter, & adoucir la ferveur, & les humeurs
-picquantes & acrimonieuses de son temperament, qu’il assoupit en elle ce
-feu plus inextinguible que celuy de la pierre Asbestos,
-
- [93]_Qui nulla moritur, nullaque extingitur arte._
-
-(Trigault.)
-
- [93] Qu’on ne peut éteindre ny faire mourir par aucun artifice.
-
-Mais le secret que pratiquerent les peuples de la Chine, pour remedier
-au même desordre qui s’estoit glissé dans leurs familles, fut beaucoup
-plus gentil & industrieux. Car ils ordonnerent & établirent pour une des
-premieres Loix du Royaume, que toute la bonne grace des femmes, ne
-dépendroit doresnavant que de la petitesse de leurs pieds; & que
-celles-là seroient jugées les plus belles, qui les auroient plus petits
-& mignons: ce qui ne fut pas plûtost publié, que toutes les Meres sans
-regarder à la consequence, commencerent de resserrer, estressir, & si
-bien envelopper les pieds de leurs filles qu’elles ne pouvoient plus
-sortir de la maison ny se soustenir droites, que sur les bras de deux ou
-trois servantes. Ainsi cette figure artificielle ayant passé en
-conformation naturelle, aussi-bien que celle des Macrocephales dont
-parle Hippocrates, les Chinois ont insensiblement arresté & fixé le
-Mercure que leurs femmes avoient dans les pieds, les faisant ressembler
-à la Tortuë nommée par les Poëtes,
-
- [94]_Tardigrada, & domi porta,
- Sub pedibus Veneris Cous quam finxit Apelles._
-
- [94] Marchant lentement & portant sa maison, laquelle Apelles natif de
- l’isle de Coos a peinte & placée sous les pieds de Venus.
-
-Ils ont empesché par ce moyen, qu’elles n’allassent plus à la promenade
-des bons hommes, & à leurs passe-temps accoustumez: De même que les
-Dames Venitiennes sont forcées de garder la maison plus souvent qu’elles
-ne voudroient, par l’usage & les incommoditez nompareilles de leurs
-grands patins. Mais l’histoire rapportée par Mocquet est bien plus
-étrange, & sent beaucoup mieux son Coup d’Estat; car il dit avoir
-appris, & veu mêmement pratiquer entre les Caribes, peuples barbares &
-farouches, qu’arrivant la mort du mary pour quelque cause que ce soit,
-la femme est contrainte sous peine de demeurer infame, abandonnée, &
-mocquée de tous ses amis & parents, de se faire aussi mourir, &
-d’allumer un grand feu au milieu duquel elle se precipite avec autant de
-pompe & de réjoüissance, comme si elle estoit au jour de ses nopces; de
-quoy ledit Mocquet s’étonnant fort, & en demandant la cause, on luy
-répondit que cela avoit esté sagement étably, pour remedier à la grande
-malice & lubricité des femmes de ce païs, qui avoient accoustumé devant
-la publication de cette loy, d’empoisonner leurs maris, lors qu’elles en
-estoient lasses ou qu’elles avoient envie d’en épouser quelque autre
-plus robuste & gaillard,
-
- [95]_Quique suo melius nervum tendebat Ulysse._
-
- [95] Et qui fût plus vigoureux que son Ulysse.
-
-Or si ce remede estoit bien proportionné à la nature de ceux qui
-l’avoient ordonné; celuy que pratiqua Denys Tyran de Syracuse pour
-empescher les assemblées & banquets qui se faisoient de nuit, n’estoit
-pas aussi trop éloigné de la sienne: car sans témoigner qu’elles luy
-dépleussent, ou monstrer qu’il craignist qu’on ne les fist à dessein de
-conspirer contre son Estat, il se contenta d’introduire peu à peu
-l’impunité pour toutes les voleries & larcins qui se commettoient de
-nuit, les tournant plûtost en risée, & donnant la hardiesse par cette
-tolerance à tous les mauvais garçons de ladite Ville, de si mal traitter
-ceux qu’ils rencontroient la nuit par les ruës, que personne ne pouvoit
-sortir de sa maison aprés le Soleil couché qu’il ne se mist au hazard
-d’estre dévalisé, ou de perdre la vie par cette sorte de voleurs. Venons
-maintenant à quelques autres moins serieux & par consequent aussi moins
-fascheux & dangereux, en ce qui estoit de leur pratique; Les Republiques
-de Grece voulant par regle de Police faire manger le poisson frais & à
-bon marché à leurs sujets, ils n’eurent point recours à quelque tariffe
-particuliere, de laquelle peut-estre que les ἰχθυοπώλαι, ou poissonniers
-(comme nous les appellons) auroient eu raison de se plaindre; mais en se
-servant de l’avis que le Poëte Comique Alexis dit leur avoir esté
-proposé par Aristonique, ils defendirent sous grieve peine ausdits
-Marchands de poisson, de se pouvoir seoir dans le marché ny en vendant
-leurs marchandises, [96]_ut ii standi tædio lassitudineque confecti,
-quàm recentissimos venderent_. Ainsi les Romains defendoient aux
-Prestres de Jupiter de jamais monter à Cheval, _ne_, comme dit Festus
-Pompeius, [97]_si longius urbe discederent, sacra negligerentur_; & pour
-moy j’ose dire, que si l’on vouloit remedier à la grande confusion
-qu’apporte le nombre excessif des carosses dans la Ville de Paris, il ne
-faudroit que confisquer ceux que l’on trouveroit par les ruës avec moins
-de cinq personnes dedans, puis qu’au moyen de cette ordonnance, ceux qui
-y vont tous les jours seuls, prendroient la housse, & les autres qui ne
-pourroient augmenter leur famille de trois ou quatre personnes, se
-resoudroient facilement de la diminuer de trois ou quatre bouches
-inutiles telles que seroient pour lors celles d’un cocher & de deux
-chevaux.
-
- [96] Afin que lassés & ennuyés de se tenir debout ils les vendissent
- tout fraix.
-
- [97] De peur qu’ils ne s’éloignassent par trop de la ville, & qu’ainsy
- le service divin fust negligé ou discontinué.
-
-Il seroit facile d’augmenter le nombre de semblables exemples & secrets
-d’œconomie; si les precedens ne pouvoient facilement nous faire juger
-des autres, & nous tracer le chemin pour passer de ce second degré au
-troisiéme, qui est celuy de la Politique & du Gouvernement des peuples,
-sous l’administration d’un seul, ou de plusieurs. Or est-il qu’en ce qui
-regarde celui-cy, pour ne rien laisser à dire de tout ce qui peut servir
-à son éclaircissement, nous pouvons remarquer trois choses, c’est à
-sçavoir la science generale de l’établissement & conservation des Estats
-& Empires pour la premiere; laquelle science ne comprend pas seulement
-la traditive de Platon & d’Aristote, mais encore tout ce que Ciceron en
-son Livre des loix, Xenophon en son Prince, Plutarque en ses preceptes,
-Isocrate, Synesius, & les autres Auteurs ont jugé devoir estre entendu &
-pratiqué par ceux qui gouvernent: Aussi est-il vray qu’elle consiste en
-certaines regles approuvées & receuës universellement d’un chacun, comme
-par exemple que les choses n’arrivent pas fortuïtement ny
-necessairement, qu’il y a un Dieu premier Auteur de toutes choses, qui
-en a le soin, & qui a étably la recompense du Paradis pour les bons, &
-les peines des enfers pour les méchans: Que les uns doivent commander, &
-les autres obeïr: Qu’il est du devoir d’un homme de bien de defendre
-l’honneur de son Dieu, de son Roy, & de sa patrie envers tous & contre
-tous: Que la principale force du Prince gist en l’amour & union de ses
-sujets: Qu’il a droit de faire des levées d’argent sur eux pour subvenir
-aux necessitez de la guerre, & de l’estat de sa Maison: & ainsi des
-autres que Marnix, Ammirato, Paruta, Remigio, Fiorentino, Zinaro,
-Malvezzi & Botero ont fort bien expliquées dans leurs discours &
-raisonnemens Politiques.
-
-La seconde est proprement ce que les François appellent, _Maximes
-d’Estat_, & les Italiens, [98]_Ragion di stato_, quoyque Botero ait
-compris sous ce terme toutes les trois differences que nous voulons
-établir, disant, que la [99]_Ragione di stato, è notitia di mezzi atti à
-fundare, conservare, e ampliare un Dominio_, en quoy il n’a pas si bien
-rencontré à mon jugement, que ceux qui la definissent, [100]_excessum
-juris communis propter bonum commune_, d’autant que cette derniere
-definition estant plus speciale, particuliere & determinée, l’on peut au
-moyen d’icelle distinguer, entre ces premieres regles de la fondation
-des Empires, lesquelles sont établies sur les loix & conformes à la
-raison; & ces secondes que Clapmarius appelle mal à propos, [101]_Arcana
-Imperiorum_, & nous avec plus de raison, _Maximes d’Estat_; puis
-qu’elles ne peuvent estre legitimes par le droit des Gens, civil ou
-naturel; mais seulement par la consideration du bien, & de l’utilité
-publique, qui passe assez souvent par dessus celles du particulier.
-Ainsi voyons nous que l’Empereur Claudius ne pouvant par les loix de sa
-patrie prendre à femme sa niepce charnelle Julia Agrippina fille de
-Germanicus son frere, il eut recours aux loix d’Estat, pour fonder son
-evidente contradiction aux loix ordinaires & l’épousa, [102]_ne fœmina
-expertæ fœcunditatis_, dit Tacite, _integra juventa, claritudinem
-Cæsarum in aliam domum transferret_. (Libr. 12.) C’est à dire, de
-crainte que cette femme venant à se marier en quelque grande maison, le
-sang des Cesars ne s’étendist en d’autres familles, & ne produisist une
-multitude de Princes & Princesses, qui auroient eu avec le temps quelque
-pretension à l’Empire, & en suite occasion de troubler le repos public.
-Tibere pour cette même raison ne vouloit donner un mary à Agrippina
-veuve de Germanicus, & mere de celle dont nous venons de parler, bien
-qu’elle luy en demandast un avec pleurs & remonstrances, appuyées sur
-des raisons si puissantes & legitimes, qu’on ne pouvoit luy refuser sans
-commettre une injustice, laquelle neanmoins estoit legitimée par la loy
-de l’Estat, puis que Tibere n’ignoroit point [103]_quantum ex Republica
-peteretur_, (Tac. lib. 4. Annal.) c’est à dire de quelle consequence ce
-mariage estoit, & que les enfans qui en proviendroient, estant
-arriere-neveux d’Auguste la Republique Romaine tomberoit quelque jour en
-des grands troubles & partialitez, à cause des divers pretendans à la
-succession de l’Empire. Aucune loy ne permet pareillement, que nous
-procurions du mal & du desavantage, à celuy qui ne nous en a jamais
-fait; & neanmoins cette maxime d’Estat rapportée par Tite Live, (Lib. 2.
-dec. 5.) [104]_id agendum ne omnium rerum jus ac potestas ad unum
-populum perveniat_, nous oblige de donner secours à nos Voisins contre
-ceux qui ne nous ont jamais offensé, de crainte que leur ruine ne serve
-d’un échelon pour haster la nostre, & que tous nos compagnons, estant
-devorez par ces nouveaux Cyclopes, nous n’en attendions autre grace que
-celle qui fut donnée à Ulysse, d’estre reservé pour satisfaire à leur
-derniere faim. C’est le pretexte duquel se servirent les Etoliens pour
-obtenir secours du Roy Antiochus, & Demetrius Roy des Illyriens pour
-exciter Philippes Roy de Macedoine & pere de Perseus à prendre les armes
-contre les Romains. C’est encore la raison pourquoy ce grand homme
-d’Estat Cosme de Medicis, n’eut rien tant à cœur, que d’empescher Milan
-de tomber sous l’autorité des Venitiens, lors que la race des Vicomtes &
-Ducs de Milan fut éteinte: & Henry le Grand ayant sceu que le Duc de
-Savoye avoit failly à surprendre Geneve, il dit tout haut, que si son
-coup eust reüssi, il l’auroit assiegé dedans dés le lendemain. Mais
-neanmoins quand le Roy d’Espagne a voulu envahir les Estats du même Duc,
-la France en vertu de la susdite Maxime, est allée puissamment au
-secours: Et c’est elle aussi qui a fourny d’excuse legitime aux
-alliances d’Alexandre Sixiéme & de François Premier avec le Grand
-Seigneur; de pretexte aux traittez secrets de l’Espagnol avec les
-Huguenots de France; & de passeport à tant de troupes que nous avons
-fait glisser de temps en temps non moins en la Valteline qu’en Hollande,
-bien qu’en apparence contre les regles sinon de la religion, au moins de
-la pieté commune & de nostre conscience. Bref sans cette consideration
-l’on n’auroit pas rompu tant de ligues dans Guicciardin; Charles V
-n’auroit pas abandonné les Venitiens au Turc; Charles VIII n’eust pas
-esté si promptement chassé d’Italie; Paul V n’eust pas joüy si
-facilement du Duché de Ferrare; ny le Pape qui siege à present de celuy
-d’Urbin: Tant de Princes ne desireroient pas la restitution du
-Palatinat, ny tant de prosperité au Roy de Suede, ny que Casal demeurast
-au Duc de Mantouë, si ce n’estoit pour borner en vertu de cette maxime,
-l’ambition demesurée de certains peuples, qui voudroient pratiquer sur
-les Princes voisins, ce que les riches Bourgeois pratiquent sur les
-pauvres,
-
- [105]_O si angulus ille
- Parvulus accedat qui nunc denormat agellum._
-
-(Horat. 2. lib. serm.)
-
- [98] Raison d’Estat.
-
- [99] Raison d’Estat est la connoissance ou science des moyens propres
- à poser les fondemens d’une Seigneurie, à la conserver & à
- l’agrandir.
-
- [100] Excés du droit commun à cause du bien public.
-
- [101] Secrets des Empires.
-
- [102] Afin que cette femme dont la fecondité estoit reconnuë, & qui
- estoit en la fleur de son âge, ne portast en une autre maison
- l’illustre tige des Cesars.
-
- [103] Combien il y alloit de l’interest de la Republique.
-
- [104] Il faut faire cela afin que toute l’autorité ne viene point
- entre les mains d’un seul peuple.
-
- [105] O, si nous pouvions faire approcher ce petit coin, qui defigure
- maintenant nostre terre, & la rend inégale.
-
-Ajoustons encore que le droit de guerre ne permet point, que ceux-là
-soient en aucune façon outragez, qui mettent les armes bas pour implorer
-la misericorde du vainqueur; & neanmoins lors que la quantité des
-prisonniers est si grande qu’on ne les peut facilement garder, nourrir &
-mettre en lieu de seureté, ou que ceux de leur party ne les veulent
-racheter, il est permis de les mettre tous bas par Maxime, d’autant
-qu’ils pourroient affamer une armée, la tenir en défiance, favoriser les
-entreprises de leurs compagnons, & causer mille autres difficultez. Et
-pour cette raison Alde Manuce (Discorso 3.) a creu, de pouvoir
-legitimement excuser Hannibal, de ce que en partant d’Italie il fit tuer
-au temple de la Deesse Junon tous les captifs Romains qui ne le
-voulurent pas suivre; encore qu’eu égard à cette action & à quelques
-autres, Valere Maxime ait dit de luy, [106]_Hannibal cujus majore ex
-parte virtus sævitia constabat_. On peut encore rapporter à semblables
-maximes, les façons de faire, ou coustumes particulieres de certains
-peuples en ce qui est de leur gouvernement; comme par exemple celle de
-nostre Loy Salique, si religieusement observée touchant la succession
-des Masles à la Couronne & l’exclusion des femmes, au moyen de laquelle
-le Royaume fut preservé pendant la Ligue de l’invasion des Espagnols:
-les bons & fideles François ayant protesté de nullité contre toutes les
-poursuites étrangeres, & donné congé à ces beaux Corrivaux par le texte
-formel de la Loy,
-
- [107]_Francorum Regni successor masculus esto._
-
- [106] Hannibal dont la vertu consistoit pour la plus grande partie en
- cruauté.
-
- [107] Que le successeur du Royaume de France soit mâle.
-
-De même nature est aux Chinois la loy qui defend sur peine de mort
-l’entrée de leur Païs aux étrangers; au Grand Turc la coustume de faire
-mourir tous ses parens; au Roy d’Ormus de les aveugler; à l’Ethiopien de
-les enfermer sur le plus haut coupeau d’une montagne inaccessible;
-l’Ostracisme aux Atheniens; la Matze aux peuples de Valaiz en Allemagne;
-le Conseil des Discoles aux Luquois; le Lac Orfane à Venise;
-l’Inquisition en Espagne & en Italie, & autres semblables loix & façons
-de faire particulieres à chaque nation, qui n’ont toutes pour fondement
-autre droit que celuy de l’Estat, & neanmoins sont tres-religieusement
-observées, comme estant du tout necessaires à la manutention &
-conservation des Estats qui les pratiquent.
-
-Finalement la derniere chose que nous avons dit cy-dessus devoir estre
-considerée en la Politique, est celle des Coups d’Estat, qui peuvent
-marcher sous la même definition que nous avons déja donnée aux Maximes &
-à la raison d’Estat, [108]_ut sint excessus juris communis propter bonum
-commune_, ou pour m’étendre un peu davantage en François, _des actions
-hardies & extraordinaires que les Princes sont contraints d’executer aux
-affaires difficiles & comme desesperées, contre le droit commun, sans
-garder même aucun ordre ny forme de justice, hazardant l’interest du
-particulier, pour le bien du public_. Mais pour les mieux distinguer des
-Maximes, nous pouvons encore ajouster, qu’en ce qui se fait par Maximes,
-les causes, raisons, manifestes, declarations, & toutes les formes &
-façons de legitimer une action, precedent les effets & les operations,
-où au contraire és Coups d’Estat on void plustost tomber le tonnerre
-qu’on ne l’a entendu gronder dans les nuées, [109]_ante ferit quam
-flamma micet_, les matines s’y disent auparavant qu’on les sonne,
-l’execution precede la sentence; tout s’y fait à la Judaique; l’on y est
-pris [110]_de Gallico_ sur le vert & sans y songer; tel reçoit le coup
-qui le pensoit donner, tel y meurt qui pensoit bien estre en seureté,
-tel en patit qui n’y songeoit pas, tout s’y fait de nuit, à l’obscur, &
-parmy les brouillars & tenebres, la Deesse Laverne y preside, la
-premiere grace qu’on luy demande est,
-
- [111]_Da fallere, da sanctum justumque videri,
- Noctem peccatis, & fraudibus objice nubem._
-
-(Horat.)
-
- [108] Qu’elles sont un excés du droit commun, à cause du bien public.
-
- [109] Il frape avant que d’éclater.
-
- [110] Selon le proverbe François.
-
- [111] Fai qu’on se trompe & que je paroisse juste & saint, couvre mes
- pechés d’une nuit & mes fraudes d’une nuée.
-
-Ils ont toutefois cela de bon que la même justice & equité s’y rencontre
-que nous avons dit estre dans les Maximes & raisons d’Estat; mais en
-celles-là il est permis de les publier avant le coup, & la principale
-regle de ceux-cy est de les tenir cachées jusques à la fin. Et qu’ainsi
-ne soit les executions notables du Comte de S. Paul sous Louys XI, du
-Maréchal de Biron sous Henry IV, du Comte d’Essex sous Isabelle Reyne
-d’Angleterre, du Marquis d’Ancre sous le Roy à present regnant, des deux
-freres sous Henry III, de Majon sous Guillaume premier Roy de Sicile, de
-David Riccio sous Marie Stuart Reine d’Escosse, de Spurius Melius
-Chevalier Romain sous Ahala Servilius Colonel de la Cavallerie Romaine,
-& de Seianus & Plautian sous divers Empereurs ont esté toutes aussi
-legitimes & necessaires les unes que les autres, & toutefois les trois
-premieres doivent estre rapportées aux Maximes & raisons d’Estat, parce
-que le procés fut instruit auparavant l’execution; & toutes les autres
-aux secrets & Coups d’Estat, parce que le Procés ne fut fait qu’en suite
-de l’execution. Nous y pouvons aussi apporter cette difference, que
-quand bien les formalitez auroient precedé l’execution, si neanmoins la
-religion y est grandement profanée, comme lors que les Venitiens disent,
-[112]_somo Venetiani, dopo Chrestiani_; qu’un Prince Chrestien appelle
-le Turc à son secours; que Henry VIII fit revolter son Royaume contre le
-saint Siege; que le Duc de Saxe fomenta l’Heresie de Luther, que Charles
-de Bourbon prit Rome & fut cause de la prison du Pape & de la mort de
-trois Cardinaux: ou que l’affaire est du tout extraordinaire & de
-tres-grande consequence pour le bien & le mal qui en peut arriver; alors
-on se peut encore servir du terme de Coup d’Estat, comme on pourra juger
-par le denombrement suivant de quelques-uns, qui ont esté pratiquez, non
-par des Turcs infideles ou Canibales; mais par des Princes Chrestiens,
-tels qu’ont esté pour ne point flater ny épargner nostre Nation, les
-Roys de France, entre lesquels Clovis premier Roy Chrestien, en commit
-de si étranges, & de si éloignez de toute sorte de justice, que je ne
-sçay pas quelle pensée a eu le bon homme Savaron, de faire un livre de
-sa sainteté: Charles VII se contenta de pratiquer celuy de Jeanne la
-Pucelle; Louys XI viola la foy donnée au Connestable, trompoit un
-chacun, sous le voile de Religion, & se servoit du Prevost l’Hermite
-pour faire mourir beaucoup de personnes sans aucune forme de procés;
-François I fut cause de la descente du Turc en Italie, & ne voulut
-observer le traitté fait à Madrit; Charles IX fit faire cette memorable
-execution de la Saint Barthelemy, & fit assassiner secretement
-Lignerolles & Bussy; Henry III se défit de Messieurs de Guise; Henry IV
-fit la Ligue offensive & defensive avec les Hollandois, pour ne rien
-dire de sa conversion à la Foy Catholique; & Louys le Juste, duquel
-toutes les actions sont des miracles, & les Coups d’Estat des effets de
-sa justice, en a pratiqué deux notables en la mort du Marquis d’Ancre, &
-au secours des Valtelins. Pour les Venitiens s’il est vray qu’ils
-tiennent la maxime rapportée cy-dessus, il faut avoüer qu’ils demeurent
-plongez dans un continuel Machiavelisme, afin de passer sous silence
-beaucoup d’autres qu’ils commettent tous les jours: Les Florentins en se
-réjoüissant de la captivité de S. Louys en la terre Sainte, ne commirent
-pas un secret d’Estat; mais une action tres-blasmable & honteuse,
-[113]_e nota_, dit le Villani, _che quando questa novella venne in
-Firenze signoreggiando, Gibellini ne fecero festa à grandi fallo_. Entre
-les Papes on peut remarquer la prison de Celestin, le poison d’Alexandre
-sixiéme, l’assassinat intenté & non parfait du fra Paulo, comme preuves
-tres-certaines, qu’ils ne dépoüillent pas toute leur humanité lors de
-l’élection. Charles d’Anjou Roy de Sicile fit decapiter Conradin &
-Frederic d’Austriche: Pierre d’Arragon autorisa les Vespres Sicilienes.
-Alphonse Roy de Naples, & Alexandre sixiéme eurent recours à Bajazet
-contre les forces de nostre Charles VIII: Henry VIII fit revolter
-l’Angleterre contre le saint Siege; Charles V ne tint conte d’infeoder
-le Milanois au Duc d’Orleans, comme il avoit promis lors qu’il passa par
-la France; le même pouvant ruiner les Protestans, il s’en servit pour
-nous faire la guerre, & les appella ses bandes noires; il détourna ce
-que l’Allemagne avoit contribué pour la guerre du Turc à ruiner François
-premier, sa haine contre le Roy d’Angleterre à cause de sa tante fit
-roidir Rome contre Henry VIII, & donna occasion par ce moyen au schisme
-qui en survint, aprés lequel il se ligua avec luy, & le fit armer contre
-le Royaume de France: son Lieutenant Charles de Bourbon prit Rome, & y
-établit une telle persecution contre les Ecclesiastiques, [114]_che non
-vi era Huomo che havesse ardire, di andar per la via in habito di
-chierico, ò di frate_: (Il dialogo di Charonte.) Bref il se fit de son
-temps, & par son commandement un tel carnage d’hommes aux Indes, & païs
-nouvellement découverts, qu’il ne s’en est jamais fait un pareil.
-Philippes second ne voulut jamais permettre que le Pape se meslast de
-l’affaire de Portugal; & fit pendre tous les soldats François, qui
-allerent au secours de Dom Antonio; & qui ne sçait par quels moyens il
-traversa la reduction à l’Eglise de Henry IV & sa reconciliation avec le
-saint Siege, il le peut apprendre du Cardinal d’Ossat, qui a fort bien
-enregistré dans ses lettres tous les artifices qui furent lors pratiquez
-contre nostre Monarchie. Or ces exemples tirez de l’Histoire de dix ou
-douze Princes seulement, estant en si grand nombre, je croy qu’ils
-pourront aussi servir de preuve tres-veritable, pour monstrer, qu’encore
-que les écrits de Machiavel soient defendus, sa doctrine toutefois ne
-laisse pas d’estre pratiquée, par ceux même qui en autorisent la censure
-& la defense.
-
- [112] Nous sommes Venitiens, & puis Chrestiens.
-
- [113] Et remarquez que quand cette nouvelle vint à Florence, les
- Gibellins en firent une grande réjoüissance, mais mal à propos.
-
- [114] Qu’il n’y avoit homme qui osast entreprendre d’aller par la ruë
- en habit de Clerc ou de religieux.
-
-Mais d’autant qu’aprés avoir amplement discouru sur la definition des
-Coups d’Estat, il est aussi fort à propos de considerer quelle division
-l’on en peut faire; il semble que la premiere & plus legitime est, de
-les diviser en secrets d’Estat justes & injustes, c’est à dire en Royaux
-& Tyranniques; & que l’on peut rapporter aux premiers la mort de
-Plautian, de Seianus, du Mareschal d’Ancre, comme aux seconds celle de
-Remus & de Conradin.
-
-Mais outre cette division, que je croy devoir estre suivie comme la
-principale, on peut encore les diviser en ceux qui concernent le bien
-public, & les autres qui ne regardent que l’interest particulier de ceux
-qui les entreprennent. Hannibal voulant pratiquer les premiers, commanda
-qu’on fist mourir ce prisonnier Romain, lequel en sa presence avoit
-combatu & surmonté un Elephant, [115]_dicens eum indignum vita qui cogi
-potuerat cum bestiis decertare_; bien qu’il soit plus vray-semblable,
-comme a judicieusement remarqué Sarisberiensis, [116]_eum noluisse
-captivum inauditi triumphi gloria illustrari, & infamari bestias, quarum
-virtute terrorem orbi incusserat_. (Polycrat. cap. 2. lib. 1.) Et les
-Eliens, peuples de la Grece, ayant fait venir le sculpteur Phidias de la
-Ville d’Athenes, pour leur faire la statuë d’un Jupiter Olympien, comme
-ils virent que cette statuë estoit merveilleusement bien faite, & que,
-s’ils laissoient retourner Phidias à Athenes où il estoit rappellé, il y
-en pourroit faire quelque autre qui terniroit la gloire de celle-là; ils
-l’accuserent de sacrilege, & luy ayant coupé les deux mains le
-renvoyerent en tel estat; [117]_nec puduit illos Jovem debere
-sacrilegio_, dit Seneque: & le pauvre Phidias, [118]_talem fecit Jovem,
-ut hoc ejus opus Elii ultimum esse vellent_. Quant à ceux des
-particuliers ils ont esté pratiquez par tous les Legislateurs & nouveaux
-Prophetes, comme nous dirons cy-aprés.
-
- [115] Disant que celuy qu’on avoit pû contraindre ou obliger à se
- battre contre une beste estoit indigne de vivre.
-
- [116] Qu’il ne voulut pas qu’un prisonnier fust honoré de la gloire
- d’un triomphe inouï, & que les bestes, par la vertu desquelles il
- avoit donné de la terreur à tout le monde, fussent ainsy diffamées.
-
- [117] Et ils n’eurent pas honte de devoir Jupiter à un sacrilege.
-
- [118] Fit un tel Jupiter que les Eliens voulurent que ce fust son
- dernier ouvrage.
-
-De plus on peut aussi les diviser en fortuits ou casuels, comme lors que
-Colomb persuada à certains habitans du nouveau monde, qu’il leur
-osteroit la Lune (qui se devoit bien-tost eclipser) s’ils ne luy
-fournissoient des vivres en abondance; & en ceux qui sont premeditez, &
-que l’on entreprend aprés une meure deliberation, pour le bien evident
-que l’on juge en pouvoir avenir, tels que sont presque tous ceux
-desquels nous avons parlé.
-
-Il y en a pareillement de simples qui se terminent par un seul coup,
-comme la mort de Seianus, & de composez qui pour lors sont ou suivis, ou
-precedez de quelques autres. Precedez, comme la saint Barthelemy de la
-mort de Lignerolle, des nopces du Roy de Navarre, & de la blessure de
-l’Admiral; Suivis, comme l’execution du Mareschal d’Ancre, de celle de
-Travail, de sa femme la Marquise, & de l’exil de la Reine Mere.
-
-De plus il y en a qui se font par les Princes, quand la necessité & la
-conjoncture des affaires le requierent ainsi, comme sont ceux desquels
-nous pretendons de parler seulement en ce discours; & d’autres qui
-s’executent par leurs ministres, lesquels se servent bien souvent de
-l’Autorité de leurs Maistres pour conclure beaucoup d’affaires, soit
-pour leur utilité particuliere ou celle du public, sans neanmoins que le
-Prince en puisse connoistre les premiers ressorts ou mouvemens; ainsi
-voyons nous que l’avancement de Postel sous François I, fut un petit
-Coup d’Estat du Chancelier Poyet; que le mauvais rapport, que l’on fit
-du Philosophe Bigot au même Roy, en fut un de Castellan Evesque de
-Mascon; & de nos jours la mort de Reboul, la prison de l’Abbé du Bois,
-le Chapeau rouge de Monsieur le Cardinal d’Ossat, ont esté attribuez à
-Monsieur de Villeroy; ne plus ne moins que celuy de du Perron à Monsieur
-de Sully, & l’execution de Travail à Monsieur de Luynes. Mais parce
-qu’il seroit trop long & peut-estre ennuyeux, de rapporter icy toutes
-les divisions que l’on peut faire sur cette matiere, & que d’ailleurs
-elles sont presque inutiles & superfluës, je me contenteray des
-precedentes, & laisseray la liberté à un chacun d’en introduire &
-inventer telles autres que bon luy semblera.
-
-
-
-
-Chapitre III.
-
-Avec quelles precautions & en quelles occasions on doit pratiquer les
-Coups d’Estat.
-
-
-Je viens maintenant à ce qui est de plus essentiel à ce discours, & puis
-que les bons & sages Medecins n’ordonnent jamais les remedes dangereux &
-violens, sans prescrire quand & quand toutes les precautions moyennant
-lesquelles on s’en peut legitimement servir; il faut aussi que je fasse
-le même en cette occasion, & je le feray d’autant plus volontiers, que
-ces Coups d’Estat sont comme un glaive duquel on peut user & abuser,
-comme la lance de Telephe qui peut blesser & guerir, comme cette Diane
-d’Ephese qui avoit deux faces, l’une triste & l’autre joyeuse; bref
-comme ces medailles de l’invention des Heretiques, qui portent la face
-d’un Pape & d’un diable sous mêmes contours & lineamens; ou bien comme
-ces tableaux qui representent la mort & la vie, suivant qu’on les
-regarde d’un costé ou d’autre; joint que c’est le propre de quelque
-Timon seulement, de dresser des gibets pour occasioner les hommes de s’y
-pendre; & que pour moy je defere trop à la nature, & aux regles de
-l’humanité qu’elle nous prescrit, pour rapporter ces histoires afin
-qu’on les pratique mal à propos,
-
- [119]_Tam felix utinam, quàm pectore candidus essem:
- Extat adhuc nemo saucius ore meo._
-
- [119] Plût à Dieu que je fusse aussi heureux que j’ay le cœur sincere.
- Il n’y a encore personne que ma bouche ait blessé.
-
-C’est pourquoy voulant prescrire les regles que l’on doit observer pour
-s’en servir avec honneur, justice, utilité, & bien-seance, j’auray
-recours à celles qu’en donne Charon (lib. 3. cap. 2.) & mettray pour la
-premiere, que ce soit à la defensive & non à l’offensive, à se
-conserver, & non à s’agrandir, à se preserver des tromperies,
-méchancetez, & entreprises ou surprises dommageables, & non à en faire.
-Le monde est plein d’artifices & de malices: [120]_Per fraudem & dolum
-Regna evertuntur_, dit Aristote, _tu servari per eadem nefas esse vis_,
-ajouste Lipse; il est permis de joüer à fin contre fin, & auprés du
-Renard, contrefaire le Renard: Les loix nous pardonnent les delits que
-la force nous oblige de commettre: [121]_Insitum est unicuique
-animanti_, dit Saluste, _ut se vitamque tueatur_; & au rapport de
-Ciceron (3. de offic.) [122]_communis utilitatis derelictio contra
-naturam est_, & pour lors il est besoin de biaiser quelquefois, de
-s’accommoder au temps & aux personnes, de mesler le fiel avec le miel,
-d’appliquer le cautere où les corrosifs ne font rien, le fer, où le
-cautere n’a point de puissance, & bien souvent le feu où le fer manque.
-
- [120] On renverse les royaumes, par le moyen des fraudes & des
- finesses; & tu veux qu’il soit defendu de les conserver par les
- mêmes moyens.
-
- [121] C’est de la nature de tous les animaux qu’ils se defendent &
- leur vie aussi.
-
- [122] L’abandon de l’utilité commune est contre la nature.
-
-La seconde, que ce soit pour la necessité, ou evidente & importante
-utilité publique de l’Estat, ou du Prince, à laquelle il faut courir;
-c’est une obligation necessaire & indispensable, c’est toujours estre en
-son devoir que de procurer le bien public, [123]_semper officio
-fungitur_, dit Ciceron (ibid.) _utilitati hominum consulens &
-societati_. Cette loy si commune & qui devroit estre la principale regle
-de toutes les actions des Princes, [124]_Salus populi suprema lex esto_,
-les absout de beaucoup de petites circonstances & formalitez, ausquelles
-la justice les oblige: Aussi sont-ils maistres des loix pour les
-allonger ou accourcir, confirmer ou abolir, non pas suivant ce que bon
-leur semble; mais selon ce que la raison & l’utilité publique le
-permettent: l’honneur du Prince, l’amour de la patrie, le salut du
-peuple equipollent bien à quelques petites fautes & injustices; & nous
-appliquerons encore le dire du Prophete, si toutefois il se peut faire
-sans rien profaner: [125]_Expedit ut unus Homo moriatur pro populo, ne
-tota gens pereat._
-
- [123] Celuy qui pourvoit au bien & à la societé des hommes fait
- toujours son devoir.
-
- [124] Que la conservation du peuple soit la souveraine loy.
-
- [125] Il est necessaire qu’un homme meure pour le peuple, afin que
- toute la nation ne perisse pas.
-
-La troisiéme, que l’on marche plûtost en ces affaires au petit pas qu’au
-galop, puisque
-
- [126]_Nulla unquam de morte hominis cunctatio longa est._
-
-(Claudien.)
-
-& que l’on n’en fasse pas mestier & marchandise, crainte que le trop
-frequent usage n’attire aprés soy l’injustice. L’experience nous
-apprend, que tout ce qui est émerveillable & extraordinaire, ne se
-monstre pas tous les jours: les Cometes n’apparoissent que de siecles en
-siecles: les monstres, les deluges, les incendies du Vesuve, les
-tremblemens de terre, n’arrivent que fort rarement, & cette rareté donne
-un lustre & une couleur à beaucoup de choses, qui le perdent soudain que
-l’on en use trop frequemment,
-
- [127]_Vilia sunt nobis, quæcunque prioribus annis
- Vidimus, & sordet quicquid spectavimus olim._
-
- [126] Il n’y a jamais de retardement qui soit long quand il est
- question de faire mourir un homme.
-
- [127] Nous méprisons tout ce que nous avons veu les années passées, &
- estimons comme de la bouë tout ce que nous ayons déja veu.
-
-J’ajouste que si le Prince se tient dans la retenuë de ces pratiques, il
-ne pourra facilement en estre blasmé, ny ne passera à cette occasion
-pour tyran, perfide, ou barbare, d’autant que l’on ne doit proprement
-donner ces qualitez, qu’à ceux qui en ont contracté les habitudes, & ces
-habitudes dépendent d’un grand nombre d’actions souventefois repetées,
-[128]_habitus est actus multoties repetitus_, tout ainsi que la ligne
-est une suite de points, la superficie une multiplication de lignes,
-l’induction un amas de plusieurs preuves, & le syllogisme un entre-las
-de diverses propositions.
-
- [128] L’habitude est un acte reïteré par plusieurs fois.
-
-La quatriéme, que l’on choisisse toujours les moyens les plus doux &
-faciles, & que l’on prenne garde au precepte que donne Claudien à
-l’Empereur Honorius,
-
- [129]_Metii satiabere pœnis?
- Triste rigor nimius._
-
-(de 4. Consul.)
-
- [129] Te contenteras-tu de la punition de Metius? C’est une chose
- triste que la trop grande rigueur.
-
-Il n’appartient qu’à des tyrans de dire, [130]_sentiat se mori_, & qu’à
-des diables de se plaire aux tourmens des hommes; il ne faut pas imiter
-en ces actions les chevaux des Courses Olympiques, lesquels on ne
-pouvoit plus retenir lors qu’une fois ils avoient pris carriere, il y
-faut proceder en juge, & non comme partie; en Medecin, & non pas en
-bourreau; en homme retenu, prudent, sage, & discret, & non pas en
-colere, vindicatif & abandonné à des passions extraordinaires &
-violentes: cette belle vertu de Clemence,
-
- [131]_Quæ docet ut pœnis hominum, vel sanguine pasci,
- Turpe ferumque putes._
-
- [130] Qu’il se sente mourir.
-
- [131] Qui enseigne à estimer sale & cruël, de se repaitre des tourmens
- & du sang des humains.
-
-est toujours plus estimée que la rigueur & severité; la masse
-d’Hercules, disent les Poëtes, luy avoit esté donnée pour vaincre les
-Geans, punir les tyrans, & exterminer les monstres, & neanmoins elle
-estoit faite de la fourche d’un olivier, en symbole de paix & de
-tranquillité; l’on peut souventefois remedier à un grand arbre qui s’en
-va mourant, en taillant seulement quelques-unes de ses branches; & une
-simple seignée faite à propos, rompt bien souvent le cours à de grandes
-maladies; bref il faut imiter les bons Chirurgiens qui commencent
-toujours par les operations les plus faciles à supporter; & les Juifs
-qui donnoient certains breuvages aux condamnez à mort pour leur oster
-les sentimens, & la douleur du supplice; la seule teste de Seianus
-devoit contenter Tibere; Hannibal pouvoit bien rendre tous ses captifs
-inutiles à la guerre sans les tuer; le Sac de Rome eut esté moins
-odieux, si l’on eust porté plus de respect aux temples & à leurs
-ministres; & le Marquis d’Ancre n’eut pas esté moins justement puny,
-quand on ne l’eust point traisné & dechiré. [132]_Illos crudeles
-vocabo_, dit Seneque (de clem. cap. 4.) _qui puniendi causam habent,
-modum non habent._
-
- [132] J’appelleray ceux-là cruëls qui ont des raisons de punir, mais
- qui ne peuvent suivre de regles, & qui n’ont point de moderation.
-
-La cinquiéme, que pour justifier ces actions, & diminuer le blâme
-qu’elles ont accoustumé d’apporter quand & soy, lors que les Princes se
-trouvent reduits & necessitez de les prattiquer, ils ne les fassent qu’à
-regret, & en souspirant, comme le pere qui fait cauteriser ou couper un
-membre à son enfant pour luy sauver la vie, ou luy arracher une dent
-pour avoir du repos; c’est ce que le Poëte Claudien n’oublie pas en la
-description qu’il fait d’un bon Prince:
-
- [133]_Sit piger ad pœnas Princeps, ad præmia velox,
- Quique dolet quoties cogitur esse ferox._
-
- [133] Que le Prince soit lent au chastiment & prompt aux recompenses;
- & qu’il ait du regret quand il est contraint à estre severe &
- rigoureux.
-
-Il faut doncques retarder, ou au moins ne precipiter ces executions, les
-mascher & ruminer souvent dans son esprit, s’imaginer tous les moyens
-possibles pour les gauchir & éviter si faire se peut, si non pour les
-adoucir & faciliter; & en un mot ne s’y point resoudre, qu’avec autant
-de difficulté que feroit un homme attaqué sur mer par la tempeste, à
-sacrifier tout son bien à la fureur de cet Element, ou un malade à se
-voir couper la jambe.
-
-Aussi n’est-ce pas mon intention de finir icy le nombre de ces
-precautions par quelqu’une, que l’on puisse croire estre la derniere de
-celles qu’il y faut observer: l’ajouste qui voudra à ses écrits, pour
-moy je ne la mettray jamais aux miens, n’estimant pas raisonnable, de
-prescrire des fins & des limites à la clemence & humanité; qu’elle
-étende ses bornes si loing qu’elle voudra, elles me sembleront toujours
-trop courtes & resserrées. Quand on n’a point peur que son cheval
-bronche on luy peut lascher la bride asseurément; lors que le vent est
-bon on peut deployer toutes les voiles; on ne doit borner les vertus que
-par les vices qui leur sont contraires, & tant qu’elles s’en éloignent
-assez pour n’y point tomber, on n’a que faire de les retenir. Il est
-bien vray qu’elles n’ont pas leur carriere si franche au sujet que nous
-traitons maintenant, comme en beaucoup d’autres, mais aussi sera-ce
-assez que le Prince qui ne peut estre du tout bon, le soit à demy, & que
-celuy qui par une raison superieure ne peut estre du tout juste, ne soit
-pas aussi du tout cruel, injuste & meschant. Mais quand bien nous
-n’aurions que ces cinq regles & precautions, je croy, qu’elles sont
-suffisantes de faire juger à ceux qui auront tant soit peu d’esprit &
-d’inclination au bien, ce qui sera de la raison, & encore que je ne les
-eusse point specifiées, la discretion toutefois & le jugement des hommes
-sages ne permettent pas qu’ils les puissent ignorer, veu que
-
- [134]_Quid faciat, quid non, homini prudentia monstrat._
-
-(Paling. in Virgine.)
-
- [134] La Prudence montre à l’homme ce qu’il doit ou ce qu’il ne doit
- pas faire.
-
-Aussi est-ce bien mon intention que de toutes les Histoires que j’ay
-rapportées cy-dessus & que je cotteray encore dans la suite de ce
-discours, celles-là passent seulement pour legitimes, lesquelles estant
-appliquées à ces cinq regles ou à celles de la prudence en general, se
-rencontreront conformes à ce qui sera du droit & de la raison.
-
-Mais toutes les maximes & precautions susdites ne servant que pour nous
-rendre mieux instruits & disposez à l’execution de ces Coups d’Estat, il
-faut maintenant voir en quelles rencontres & occasions on les peut
-pratiquer. Charon sans faire semblant de rien en propose 4 ou 5 dans son
-livre de la sagesse (l. 3. c. 2.) mais brievement [135]_à la sfugita_, &
-faisant comme les Scythes qui décochent leurs meilleures fléches lors
-qu’ils semblent fuïr le plus fort. Je les étendray davantage par raisons
-& exemples, & y en ajouteray beaucoup d’autres, qui serviront comme de
-titres, ausquels on pourra rapporter celles qui se rencontreront aprés
-dans les Auteurs & Historiens.
-
- [135] A la dérobée.
-
-Or entre ces occasions il n’y a point de doute qu’on doit faire marcher
-les premieres, quoy qu’elles soient à mon avis les plus injustes, celles
-qui se rencontrent en l’établissement & nouvelle erection ou changement
-des Royaumes & Principautez: Et pour parler premierement de l’erection,
-si nous considerons quels ont esté les commencemens de toutes les
-Monarchies, nous trouverons toujours qu’elles ont commencé par
-quelques-unes de ces inventions & supercheries, en faisant marcher la
-Religion & les miracles en teste d’une longue suite de barbaries & de
-cruautez. C’est Tite Live (l. 4. decad. 1.) qui en a le premier fait la
-remarque: [136]_Datur_, dit-il, _hæc venia antiquitati, ut miscendo
-humana divinis, primordia urbium augustiora faciat_. Ce que nous
-montrerons cy-aprés estre tres-veritable, mais pour cette heure, il nous
-faut demeurer dans le general, & commencer nostre preuve par
-l’établissement des quatre premieres & plus grandes Monarchies du monde.
-Cette tant renommée Reyne Semiramis qui fonda l’Empire des Assyriens,
-fut assez industrieuse pour persuader à ses peuples, qu’ayant esté
-exposée en son enfance, les oiseaux avoient eu le soin de la nourrir,
-luy apportant la becquée comme ils ont coustume de faire à leurs petits:
-& voulant encore confirmer cette fable par les dernieres actions de sa
-vie, elle ordonna qu’on feroit courir le bruit aprés sa mort qu’elle
-avoit esté convertie en pigeon, & qu’elle s’estoit envolée, avec une
-grande quantité d’oiseaux qui l’estoient venu querir jusques dans sa
-chambre. Elle eut encore la resolution de feindre & changer son sexe, &
-de femme qu’elle estoit devenir masle, joüant le personnage de son fils
-Ninus, & le contrefaisant en toutes ses actions: & pour mieux venir à
-bout de cette entreprise, elle s’avisa d’introduire une nouvelle sorte
-de vestemens parmy le peuple, qui estoient grandement favorables à
-couvrir & cacher ce qui pouvoit le plus facilement la faire reconnoistre
-pour femme. [137]_Brachia enim ac crura velamentis, caput tiara tegit, &
-ne novo habitu aliquid occultare videretur, eodem ornatu populum vestiri
-jubet, quem morem vestis exinde gens universa tenet_, & par ce moyen,
-[138]_primis initiis sexum mentita, puer credita est_. (Just. initio.)
-Cyrus qui établit la Monarchie des Perses, voulut aussi s’autoriser par
-la vigne que son grand pere Astyages avoit veu naistre [139]_ex
-naturalibus filiæ, cujus palmite omnis Asia obumbrabatur_; & du songe
-que luy-même eut lors qu’il prit les armes, & qu’il choisit un esclave
-pour compagnon de toutes ses entreprises; mais il faisoit encore mieux
-valoir l’opinion qu’une chienne l’avoit nourry & alaité dans les bois,
-où il avoit esté exposé par Harpago, jusques à ce qu’un Pasteur l’ayant
-rencontré fortuitement, il le porta à sa femme, & le fit soigneusement
-nourrir dans sa maison. Pour Alexandre & Romulus, comme leurs desseins
-estoient plus relevez, aussi jugerent-ils qu’il estoit necessaire de
-prattiquer davantage & de beaucoup plus puissans stratagemes. C’est
-pourquoy encore qu’ils commençassent aussi-bien que les precedens par
-celuy de leur origine, ils le porterent toutefois le plus haut qu’il se
-pouvoit faire, d’où Sidonius a eu occasion de dire,
-
- [140]_Magnus Alexander, nec non Romanus habentur
- Concepti serpente Deo._
-
- [136] On permet à l’Antiquité qu’en mélant des choses humaines parmy
- les divines, elle rende plus augustes les commencemens des villes.
-
- [137] Car elle couvrit ses bras & ses jambes d’une robe, & la teste
- d’un turban; & afin qu’elle ne semblast pas cacher quelque chose
- sous ce nouvel habit, elle ordonna que tout son peuple en prist de
- semblables, laquelle mode ce peuple garde encore.
-
- [138] Au commencement s’estant travestie elle fut prise pour un
- garçon.
-
- [139] De sa fille, dont l’ombre des sarmens couvroit toute l’Asie.
-
- [140] Le grand Alexandre & le Romain sont estimés avoir esté conceus
- d’un serpent & d’un Dieu.
-
-Car pour Alexandre il fit croire que Jupiter avoit accoustumé de venir
-voir & de se réjouïr avec sa mere Olympias sous la figure d’un serpent,
-& que lors qu’il vint au monde, la Déesse Diane assista si assiduement
-aux couches de ladite Olympias, qu’elle ne songea pas à secourir le
-temple qu’elle avoit en Ephese, lequel dans cet intervalle fut
-entierement consommé, par un fortuït embrasement. Quoy plus, afin de
-mieux établir l’opinion de sa divinité dans la croyance de ses sujets,
-il disposa les Prestres de Jupiter Ammon en Egypte, [141]_ut
-ingredientem templum statim ut Ammonis filium salutarent_; (Justin. l.
-11.) & pour mieux joüer encore son personnage, [142]_Rogat num omnes
-patris sui interfectores sit ultus, respondent patrem ejus, nec posse
-interfici, nec mori_; il en vint même aux effets, commandant à Parmenion
-de démolir tous les temples, & d’abolir les honneurs que les peuples de
-l’Orient rendoient à Jason, [143]_ne cujusquam nomen in Oriente
-venerabilius quam Alexandri esset_. Ajoustons à cela que certains
-captifs luy ayant donné la connoissance du remede dont on se pouvoit
-servir contre les fléches empoisonnées des Indiens, il fit croire
-auparavant que de le publier, que Dieu le luy avoit revelé en songe.
-Mais cette insatiable cupidité l’ayant conduit jusques à se faire
-adorer, il reconnut enfin par les remonstrances de Callisthenes, par
-l’obstination des Lacedemoniens, & par les blessures qu’il recevoit tous
-les jours en combatant, que toutes ses forces ne seroient jamais
-suffisantes pour pouvoir établir cette nouvelle Apotheose, & qu’il faut
-une plus grande fortune pour gagner une petite place dans le ciel, que
-pour dompter icy bas & dominer toute la terre. Que si l’on veut ajouster
-à ces histoires celles de la mort de son Pere Philippe, de laquelle il
-fut consentant avec sa mere Olympias, & celle aussi de Clytus, qu’il tua
-de sa propre main, parce qu’il s’estoit acquis trop d’autorité entre les
-soldats, l’on trouvera qu’Alexandre pratiquoit en secret ce que Cesar a
-fait depuis tout ouvertement, [144]_si violandum est jus, regnandi
-causa_. Quant à Romulus, il se mit en credit par les histoires du Dieu
-Mars, qui pratiquoit familierement avec sa mere Rhea; par celle de la
-Louve qui le nourrit; par la tromperie des Vautours, la mort de son
-frere, l’Asile qu’il établit à Rome, le ravissement des Sabines, le
-meurtre de Tatius qu’il laissa impuny, & finalement par la mort en se
-noyant dans des marests, pour faire croire que son corps avoit esté
-enlevé dans les cieux, puis qu’on ne le pouvoit trouver en terre. Or si
-l’on ajouste à ces Coups d’Estat de Romulus, ceux que Numa Pompilius son
-successeur prattiqua au moyen de sa nymphe Egerie, & des superstitions
-qu’il établit pendant son Regne, il sera facile en suite de juger,
-
- [145]_Quibus auspiciis illa inclita Roma
- Imperium Terris animos æquavit Olympo._
-
-(Virgil.)
-
- [141] Que dés qu’il entreroit au temple ils le salüassent comme le
- fils de Jupiter Ammon.
-
- [142] Il demanda s’il ne s’estoit pas vengé de tous les meurtriers de
- son pere, & ils répondirent que son pere ne pouvoit ni estre tué ni
- mourir.
-
- [143] Afin qu’il n’y eût point de nom en Orient plus venerable que
- celuy d’Alexandre.
-
- [144] S’il faut violer le droit, c’est pour regner.
-
- [145] Par quelle fortune cette fameuse Rome, a maistrisé toute la
- terre, & a porté son ambition aussi haut que l’Olympe.
-
-Il est encore à propos de remarquer, que tout ainsi que cette domination
-Monarchique ne s’estoit pû établir sans beaucoup de ruses & de
-tromperies, il n’en fallut aussi gueres moins pour la détruire, lors que
-les Tarquins estant chassez de Rome à cause du violement de Lucresse, on
-changea l’Estat d’un Royaume en celuy d’une Republique. Car nous y
-pouvons premierement remarquer la folie simulée de Junius Brutus, sa
-cheute feinte, son baston de sureau presenté à l’oracle, & en suite
-l’execution qu’il fit faire de ses deux fils, tant parce qu’ils estoient
-amys des Tarquins, & accusez de les avoir voulu remettre dans la ville,
-qu’aussi parce que l’education qu’ils avoient receuë durant l’Estat
-Monarchique, estoit directement contraire à celuy qu’il vouloit établir:
-& pour couronner toutes ces actions par quelque grand Coup d’Estat, &
-par un vray [146]_arcanum Imperii_, il fit chasser de Rome Tarquinius
-Collatinus, quoy qu’il fust mary de Lucresse, qu’il eust esté son
-compagnon au Consulat, & qu’il n’eust pas moins contribué que luy à la
-ruine des Tarquins: car quoy qu’il prist pour pretexte que le nom des
-Tarquins estoit devenu si odieux aux Romains, qu’ils ne pouvoient pas
-même le souffrir en la personne de leurs amis; son principal but
-neanmoins estoit de ne laisser aucun reste de ceux qu’il avoit poussez
-jusques à la derniere extremité, & aussi de ne partager la gloire de
-cette action avec une personne dont luy-même avoüoit & publioit le
-merite: [147]_Meminimus, fatemur, ejecisti Reges, absolve beneficium
-tuum, aufer hinc regium nomen_. (ap. Liv. l. 2.) Que si nous voulions
-examiner toutes les autres Monarchies & tous les Estats qui sont
-inferieurs à ces quatre, nous pourrions emplir un gros volume de
-semblables histoires. C’est pourquoy ce sera assez pour la derniere
-preuve de nostre maxime, d’examiner ce que pratiqua Mahomet, à
-l’établissement non moins de sa Religion, que de l’Empire lequel est
-aujourd’huy le plus puissant du monde. Certes comme tous les grands
-esprits (_Postellus & alii_) ont toujours eu l’industrie de prendre
-avantage des plus signalées disgraces qui leur sont arrivées, cettuy-cy
-pareillement voulut faire de même; de façon que voyant qu’il estoit fort
-sujet à tomber du haut mal, il s’avisa de faire croire à ses amis que
-les plus violens paroxismes de son epilepsie, estoient autant d’extases
-& de signes de l’esprit de Dieu qui descendoit en luy; il leur persuada
-aussi qu’un pigeon blanc qui venoit manger des grains de bled dans son
-oreille, estoit l’Ange Gabriel qui luy venoit annoncer de la part du
-même Dieu ce qu’il avoit à faire: En suite de cela il se servit du Moine
-Sergius pour composer un Alcoran, qu’il feignoit luy estre dicté de la
-propre bouche de Dieu; finalement il attira un fameux Astrologue pour
-disposer les peuples par les predictions qu’il faisoit du changement
-d’Estat qui devoit arriver, & de la nouvelle loy qu’un grand Prophete
-devoit établir, à recevoir plus facilement la sienne lors qu’il
-viendroit à la publier. Mais s’estant une fois apperceu que son
-Secretaire Abdala Ben-salon, contre lequel il s’estoit picqué à tort,
-commençoit à découvrir & publier telles impostures, il l’égorgea un soir
-dans sa maison, & fit mettre le feu aux quatre coins, avec intention de
-persuader le lendemain au peuple que cela estoit arrivé par le feu du
-Ciel, & pour chastier ledit Secretaire qui s’estoit efforcé de changer &
-corrompre quelques passages de l’Alcoran. Ce n’estoit pas toutefois à
-cette finesse que devoient aboutir toutes les autres, il en falloit
-encore une qui achevast le mystere, & ce fut qu’il persuada au plus
-fidelle de ses domestiques, de descendre au fond d’un puits qui estoit
-proche d’un grand chemin, afin de crier lors qu’il passeroit en
-compagnie d’une grande multitude de peuple qui le suivoit ordinairement,
-_Mahomet est le bien-aymé de Dieu, Mahomet est le bien-aymé de Dieu_: &
-cela estant arrivé de la façon qu’il avoit proposé, il remercia soudain
-la divine bonté d’un témoignage si remarquable, & pria tout le peuple
-qui le suivoit de combler à l’heure même ce puits, & de bastir au dessus
-une petite Mosquée pour marque d’un tel miracle. Et par cette invention
-ce pauvre domestique fut incontinent assommé, & ensevely sous une gresle
-de cailloux, qui luy osterent bien le moyen de jamais découvrir la
-fausseté de ce miracle,
-
- [148]_Excepit sed terra sonum, calamique loquaces._
-
-(Petron. in Epigram.)
-
- [146] Secret d’Empire.
-
- [147] Il nous en souvient, nous le confessons, tu as chassé les Roys,
- paracheve cette bonne action, & oste d’icy le nom royal.
-
- [148] Mais la terre & les plumes babillardes en receurent le son.
-
-La seconde occasion que l’on peut avoir de pratiquer ces coups fourrez,
-est la conservation, ou rétablissement, & restauration des Estats &
-Principautez, lors que par quelque malheur ou par la seule longueur du
-temps, qui mine & consomme toutes choses, ils commencent à pancher vers
-leur ruine, & à menacer d’une prochaine cheute, si bien-tost l’on n’y
-donne ordre. Et certes d’autant plus que toutes les choses ayment leur
-conservation, & sont obligées de maintenir autant qu’il est possible les
-principes de leur estre, ou au moins de leur bien estre; je me persuade
-aussi qu’il est alors permis, voire même necessaire que ce qui a servy à
-les établir, serve aussi à les maintenir. J’ajouste encore que si
-l’opinion d’Ovide est veritable,
-
- [149]_Non minor est virtus quàm quærere parta tueri:
- Casus inest illic, hic erit artis opus,_
-
- [149] Il n’y a pas moins de vertu à conserver qu’à aquerir du bien: en
- celui-cy il y a de la fortune, mais celui-là est une œuvre de
- l’industrie.
-
-on doit raisonnablement conclure, que ces Coups d’Estat sont plus
-necessaires pour la conservation & manutention des Monarchies, que pour
-leur établissement; au moins seront-ils plus justes, puis que auparavant
-qu’un Estat soit formé & dressé, il n’y a nulle necessité de l’établir;
-tant s’en faut, c’est le plus souvent un coup de hazard, ou l’effet de
-la puissance & ambition de quelque particulier; mais au contraire quand
-il est étably & policé, l’on est en suite obligé de le maintenir. Or
-puis qu’il ne seroit pas à propos de ressembler à ces vagabonds &
-Cingaristes,
-
- [150]_Quos aliena juvant, propriis habitare molestum._
-
- [150] Qui se plaisant chés autruy, ne sçauroient demeurer dans leur
- propre maison.
-
-aprés avoir tiré tant de preuves & d’exemples des Histoires étrangeres,
-il ne sera pas comme je croy hors de propos de feüilleter un peu la
-nostre, puis qu’elle peut nous en fournir d’aussi remarquables que
-celles des Grecs & des Romains. Et à la verité quand je considere ce que
-fit Clovis nostre premier Roy Chrestien, il faut avoüer que je n’ay
-encore rien veu de semblable en toute l’antiquité. Car la Gaule se
-trouvant divisée lorsqu’il vint à la Couronne en quatre diverses
-nations, dont le Visigoth possedoit la Gascogne, le Bourguignon estoit
-Maistre du Lionnois, les Romains commandoient à Soissons & à toutes ses
-appartenances, & les François qui pour lors estoient encore presque tous
-Payens, gouvernoient le demeurant: Il luy prit envie de reünir &
-rassembler ces quatre pieces separées sous son Empire, comme Esculape
-fit les membres d’Hippolyte. Et pour ce faire, considerant que la
-Religion Payenne commençoit insensiblement à vieillir, & à se diminuer,
-aprés avoir gagné la bataille de Tolbiac sur un Prince Allemand, il prit
-resolution de se faire Chrestien, & de se concilier par ce moyen la
-bienveillance non seulement de la Reyne Clothilde sa femme, mais encore
-de beaucoup de Prelats, & de tout le commun peuple de la France. Surquoy
-je dois remarquer comme en passant, qu’encore qu’il me seroit plus seant
-de rapporter les premiers motifs d’un changement si remarquable à
-quelque sainte inspiration, octroyée au Roy Clovis par les prieres de la
-bonne Reyne Clothilde, & que je ferois mieux d’interpreter toutes ces
-choses douteuses en bien; il faut neanmoins que je me range icy du costé
-des Politiques, qui seuls ont le privilege de les interpreter en mal, ou
-au moins d’y remarquer quelque ruse & stratageme, afin de demeurer
-toujours du costé des plus fins, & d’aiguiser l’esprit de ceux qu’ils
-instruisent par le recit de ces actions remarquables & judicieuses à la
-verité, mais qui ne sont fondées le plus souvent que sur de vaines
-conjectures, & sur des soupçons qui ne donnent & ne peuvent en aucune
-façon prejudicier à la verité de l’Histoire. Continuant doncques à
-parler de cette conversion de Clovis suivant les sentiments de Pasquier,
-& de quelques autres Politiques, nous dirons que l’Escu descendu du
-Ciel, les miracles du Sacre, & l’Auriflamb, dont Paul Emile ne dit mot,
-furent de petits Coups d’Estat pour autoriser le changement de Religion,
-duquel il se vouloit servir comme d’une puissante machine pour ruiner
-tous les petits Princes qui estoient ses voisins. Et en effet il
-commença par le Romain, contre lequel la haine commune des nations
-étrangeres combatoit, puis par le Visigoth & Bourguignon, sous ombre
-qu’ils estoient Arriens, & ensuite il entreprit les Princes Ragnacaire,
-Cacarie, Sigebert & son fils, descendans de Clodion, qui occupoient
-encore quelques petits échantillons de la France; & il les fit tous
-frauduleusement assassiner, sans autre pretexte que pour eviter le
-ressentiment qu’ils pourroient avoir un jour du tort que leur avoit fait
-Merové son ayeul. Et aprés cela je laisse à juger comme j’ay déja fait
-cy-dessus, quelle raison a pû avoir Monsieur Savaron de faire un livre
-afin de prouver & établir la sainteté de Clovis. Pour moy je croy que la
-meilleure preuve qu’il nous en pouvoit donner, estoit de luy faire dire
-comme fit un certain Poëte à Scipion,
-
- [151]_Si fas cædendo cælestia scandere cuiquam,
- Mi soli Cæli maxima porta patet._
-
- [151] Si par des meurtres on peut monter au ciel, la porte n’en est
- ouverte qu’à moy seul.
-
-Neanmoins comme la sagesse des hommes n’est que pure folie devant Dieu,
-il arriva que ses successeurs se laissant conduire par les Maires du
-Palais comme des bufles par le nez, le Royaume aprés avoir changé de
-diverses mains, aboutit finalement à Pepin rejetton de la famille de
-Clodion, comme il est fort bien expliqué par Pasquier; & ainsi Clovis
-augmenta à la verité, & unit le Royaume de France, mais il ne put
-toutefois le conserver long-temps à sa maison, ny à ceux qui en sont
-descendus. La France doncques ayant esté reünie de la sorte par Clovis,
-& un peu aprés baucoup augmentée par Charlemagne, elle se conserva
-long-temps en un estat assez florissant, jusques à ce que les Anglois
-sortant de leur nid, ils y apporterent la guerre, & la continuerent si
-obstinément, qu’en estant presque devenus maistres, il fut necessaire
-sous Charles VII, d’avoir recours à quelque Coup d’Estat pour les en
-chasser: ce fut doncques à celuy de Jeanne la Pucelle, lequel est avoüé
-pour tel par Juste Lipse en ses Politiques, & par quelques autres
-Historiens étrangers, mais particulierement par deux des nostres,
-sçavoir du Bellay Langey en son art militaire, & par du Haillan en son
-Histoire, pour ne citer icy beaucoup d’autres Ecrivains de moindre
-consideration. Or ce Coup d’Estat ayant si heureusement reüssi que
-chacun sçait, & la Pucelle n’ayant esté brulée qu’en effigie, nos
-affaires commencerent un peu aprés à s’empirer, tant par les guerres
-precedentes, que par celles qui vinrent ensuite, & la France devint
-comme ces corps cachectiques & mal sains qui ne respirent que par
-industrie, & ne se soustiennent que par la vertu des remedes: car elle
-ne s’est depuis ce temps là maintenuë que par le moyen des stratagemes
-pratiquez par Louïs XI, François I, Charles IX, & par ceux encore qui
-leur ont succedé, desquels je ne diray rien presentement, puis que
-toutes nos Histoires en sont pleines, & qu’il y aura lieu cy-aprés de
-rapporter ceux qui me sembleront les plus remarquables.
-
-La troisiéme raison qui peut legitimer ces Coups d’Estat, est lors qu’il
-s’agit d’affoiblir ou casser certains droits, privileges, franchises &
-exemptions dont joüissent quelques sujets au prejudice & diminution de
-l’autorité du Prince; comme lors que Charles V, voulant ruiner le droit
-de l’élection, & asseurer l’Empire à sa famille, se servit pour cet
-effet des predications de Luther, & luy donna tout loisir d’établir sa
-doctrine, afin que sa predication prenant pied en Allemagne, la division
-se glissast parmy les Princes Electeurs, & qu’il eust le moyen de les
-ruiner plus facilement, lors qu’il les voudroit entreprendre. C’est ce
-que Monsieur le Duc de Nevers a si bien remarqué dans le Discours qu’il
-fit imprimer en l’an 1590, sur la condition des affaires de l’Estat,
-dedié au Pape Sixte cinquiéme, que je ne puis moins faire que de
-rapporter icy les propres termes dont il s’est servy. _Le pretexte de la
-Religion_, dit-il, _n’est pas une chose nouvelle, & beaucoup de grands
-Princes s’en sont servis pour cuider parvenir à leur but. Je veux cotter
-la guerre que Charles V fit contre les Princes Protestans de la secte de
-Luther, car il ne l’eust jamais entrepris, s’il n’eust eu intention de
-rendre hereditaire à la Maison d’Austriche la Couronne Imperiale;
-partant il s’attaqua aux Princes Electeurs de l’Empire pour les ruiner &
-abolir cette élection. Car si le zele de l’honneur de Dieu, & le desir
-de soustenir la sainte Religion Catholique eust dominé son esprit, il
-n’eust retardé depuis l’an 1519, qu’il fut éleu Empereur, jusques en
-l’année 1549, à prendre les armes pour éteindre, comme il luy eust esté
-lors fort aisé à faire, l’heresie que Luther commença d’allumer dés l’an
-1526 en Allemagne, sans attendre qu’elle eust embrasé la plus grande
-region de l’Europe: mais parce qu’il estimoit que telle nouveauté luy
-pourroit apporter commodité plus que dommage; tant à l’endroit du Pape
-que des Princes de Germanie, à cause de la division que cette heresie
-engendroit parmy eux, specialement entre les Princes seculiers & les
-autres, voire aussi parmy les simples laics, il la laissa augmenter
-jusques à ce qu’elle eust produit l’effet qu’il avoit projetté; & lors
-il suscita le Pape Paul troisiéme pour faire la guerre aux Protestans
-sous pretexte de Religion, mais en intention de les exterminer & rendre
-l’Empire hereditaire à sa Maison._ Cela fut aussi remarqué par François
-premier en son Apologie de l’an 1537. _L’Empereur sous couleur de la
-Religion armé de la ligue des Catholiques, veut opprimer l’autre, & se
-faire le chemin à la Monarchie_: C’estoit à la verité une grande ruse
-conceuë de longue-main, avec beaucoup de jugement & de prudence. Mais
-Philippe second en pratiqua une autre, de laquelle l’effet fut bien plus
-prompt & asseuré, quoy qu’en chose de moindre consequence, puis qu’elle
-n’avoit autre but que d’abolir les privileges octroyez autrefois au
-Royaume d’Arragon, qui estoient en effet si avantageux, & si
-courageusement maintenus par ce peuple, que les Roys d’Espagne ne se
-pouvoient pas vanter de leur commander absolument: voyant doncques qu’il
-se presentoit une belle occasion de les ruiner, sur ce que Antonio Perez
-son Secretaire d’Estat & leur compatriote, aprés avoir rompu les prisons
-de Castille s’estoit retiré en Arragon, pour asseurer sa vie sous la
-faveur des Privileges octroyez à ce Royaume: il jugea que c’estoit un
-beau pretexte pour se tirer une telle épine du pied: c’est pourquoy
-ayant sous main pratiqué les Jesuites afin qu’ils excitassent le peuple
-à prendre les armes, & à defendre les privileges & libertez du païs, luy
-de son costé met ensemble une grosse armée, & fait mine de vouloir
-combattre celle des Arragonois; sur ces entrefaites les Jesuites
-commencent à joüer leur jeu, & à chanter la palinodie, remonstrant au
-peuple que veritablement le Roy avoit la raison de son costé, que ses
-forces estoient trop puissantes, les leurs trop foibles pour attendre le
-hazard de quelque rencontre, aprés laquelle il n’y auroit point de
-pardon; bref ils font si bien que la peur & l’étonnement se glissent
-dans le cœur des Arragonois, leur armée se dissipe, chacun s’étonne,
-s’enfuit, se cache, & cependant l’armée du Roy d’Espagne passe outre,
-entre dedans Sarragosse, y bastit une Citadelle, demolit les maisons
-principales, fait mourir les uns, bannit les autres; & n’oublie rien
-pour ruiner & dompter entierement cette Province, laquelle est
-maintenant plus sujette & soumise au Roy d’Espagne qu’aucune autre.
-
-Au contraire lors qu’il faut établir quelque loy notable, quelque
-reglement ou arrest de consequence, il est bon de se servir des mêmes
-moyens, & d’avoir recours à ces maximes; & qu’ainsi ne soit nous en
-avons tant d’exemples pratiquez par les Romains, & autres peuples
-estimez des plus sages, qu’il n’est pas même bien-seant d’en douter: Y
-a-t-il rien de plus cruël que de decimer toute une legion, pour la fuite
-ou lascheté de quelques soldats particuliers? & neanmoins cette loy fut
-établie & soigneusement observée par les Romains, afin de tenir tous les
-soldats en leur devoir par la terreur de ces supplices. Et les mêmes
-Romains, voulant empescher les attentats que les esclaves domestiques
-pouvoient faire sur la vie de leurs Maistres, ils ordonnerent, que lors
-qu’un tel delit auroit esté commis en quelque maison, tous les esclaves
-qui s’y rencontreroient seroient égorgez aux funerailles de leur
-Maistre; & cette loy fut si religieusement observée, que Pedanius
-Prefect de la ville ayant esté tué par un de ses esclaves, il y en eut
-400 de compte fait qui furent executez, nonobstant les intercessions que
-fit pour eux tout le peuple de Rome, & nonobstant même l’avis de
-quelques Senateurs, ausquels Cassius s’opposa ouvertement, & avec tant
-de raisons, que l’opinion contraire, quoy que jugée totalement
-inhumaine, fut suivie, comme il est rapporté par Tacite. (_l. 4.
-Annal._) Aussi est-ce le precepte de Ciceron, (_1. Officior._) que
-[152]_ita probanda est mansuetudo atque clementia, ut Reipublicæ causa
-adhibeatur severitas, sine qua administrari civitas non potest_. Les
-Perses avoient anciennement étably cette loy pour asseurer la vie de
-leur Prince, que quiconque entreprenoit sur elle, n’estoit pas seulement
-puny en sa personne, mais en celle de tous ses parens, que l’on faisoit
-mourir du même supplice, comme on le remarque particulierement de
-Bessus; & Fernand Pinto dit avoir esté en un Royaume, où il vit
-pratiquer la même coustume, sur plus de cinquante ou soixante personnes,
-qui estoient toutes parentes d’un jeune Page, lequel en l’âge de dix ou
-douze ans avoit bien eu la hardiesse de tuër son Roy. Le grand Tamerlan
-ayant sceu qu’un soldat de son armée avoit beu une chopine de laict sans
-l’avoir voulu payer, il le fit éventrer en presence de tous ses
-compagnons, afin de les tenir par cet exemple si extraordinaire, dans
-l’obeïssance de ses commandemens. Les crimes de fausse monoye &
-d’heresie n’estoient pas plus griefs il y a cent ans qu’à cette heure, &
-neanmoins en ce temps-là, les Faux Monoyeurs estoient bouillis tout vifs
-dans de l’huile, & les Heretiques brulez, le tout non à autre fin, que
-pour imprimer la terreur de ces supplices, és esprits de ceux que la
-simple defense du Prince n’estoit pas suffisante de retenir en leur
-devoir, [153]_& sic multorum saluti potiùs quàm libidini consulendum_.
-(Salust. ad Cæsar.)
-
- [152] Il faut user de douceur & de clemence en la temperant de quelque
- severité pour le bien public, sans laquelle on ne sçauroit gouverner
- une ville.
-
- [153] Et ainsy il faut plustost pourvoir au salut de plusieurs, qu’à
- leur appetit particulier.
-
-Une autre occasion de demeurer roide en l’execution de ces maximes, est
-lors qu’il est necessaire de ruiner quelque puissance, laquelle pour
-estre trop grande, nombreuse, ou étenduë en divers lieux, on ne peut pas
-facilement abatre par les voyes ordinaires,
-
- [154]_Cùm illam
- Defendat numerus, junctæque umbone phalanges._
-
- [154] Parce qu’elle est defenduë par des troupes nombreuses & par des
- regimens armés.
-
-Et quoy qu’il fut grandement à desirer que l’on pust en venir toujours
-aussi facilement à bout, que les Roys d’Espagne ont fait des Morisques &
-Marans, qu’ils chasserent par deux fois de leurs Royaumes, jusques au
-nombre de plus de deux cens quarante mille familles, & ce en vertu d’un
-simple Edict & Commandement: Neanmoins parce que toutes les affaires ne
-sont pas semblables en leurs circonstances, ny les maladies accompagnées
-de mêmes symptomes ou accidens; aussi faut-il bien souvent changer de
-remedes, & en pratiquer quelquefois de plus violens les uns que les
-autres,
-
- [155]_Ulcera possessis altè suffusa medullis,
- Non leviore manu, ferro curantur & igne;
- Ad vivum penetrant flammæ, quo funditus humor
- Defluat, & vacuis corrupto sanguine venis
- Arescat fons ille mali._
-
-(Claudian. 3. in Eutrop.)
-
- [155] On guerit par le fer & le feu, & non par quelque remede doux,
- les ulceres qui se sont attachés au plus profond des mouëlles; les
- flammes penetrant jusques au vif, font entierement evacuer l’humeur
- peccante, & tarir ensuite la cause du mal, ayant tiré tout ce qu’il
- y avoit de mauvais sang dans les veines.
-
-La main basse que Mithridates fit faire en un seul jour sur quarante
-mille Citoyens Romains épandus en divers endroits de l’Asie, estoit un
-des Coups d’Estat dont je pretens parler. Comme aussi les Vespres
-Sicilienes, autorisées par Pierre Roy d’Arragon, & subtilement tramées
-par Prochyte grand Seigneur du païs, lequel déguisé en Cordelier noüa si
-bien la partie, qu’un jour de Pasques ou de Pentecoste de l’an M CC
-LXXXII, lors qu’on sonnoit le premier coup des vespres, les Siciliens
-massacrerent tous les François qui estoient dans leur Isle, sans même
-pardonner aux femmes ny aux petits enfans. Pareille histoire se passa
-encore il n’y a pas vingt ans dans l’Isle de Magna, où les habitans de
-la ville de Corme, se delivrerent par un semblable moyen, & en une seule
-nuit d’une armée de trente mille hommes, qui y avoit esté envoyée par
-Arcomat Lieutenant du Roy de Perse. Mais puis que nous avons dans nostre
-Histoire de France l’exemple de la Saint Barthelemy, qui est un des plus
-signalez que l’on puisse trouver en aucune autre, il nous y faut
-particulierement arrester, pour la considerer suivant toutes ses
-principales circonstances. Elle fut doncques entreprise par la Reyne
-Catherine de Medicis, offensée de la mort du Capitaine Charry; par
-Monsieur de Guise, qui vouloit venger l’assassinat de son Pere, commis
-par Poltrot à la sollicitation de l’Amiral & des Protestans; & par le
-Roy Charles & le Duc d’Anjou; le premier se voulant vanger de la
-retraite que lesdits Protestans luy firent faire plus viste qu’il ne
-vouloit de Meaux à Paris, & tous deux pensant de pouvoir par ce moyen
-ruiner les Huguenots, qui avoient esté cause de tous les troubles &
-massacres survenus pendant l’espace de trente ou quarante ans en ce
-Royaume. L’affaire fut concertée fort long-temps, & avec une telle
-resolution de la tenir secrete, que Lignerolles Gentilhomme du Duc
-d’Anjou, ayant témoigné au Roy, encore bien que couvertement, d’en
-sçavoir quelque chose, il fut incontinent aprés dépesché, par un duel
-que le Roy même sous main luy suscita. Le lieu choisi pour y attirer
-tous les plus riches & autorisez d’entre les Huguenots fut Paris.
-L’occasion fut prise sur la réjoüissance des noces entre le Roy de
-Navarre, qui estoit de la Religion, & la Reyne Marguerite. La blessure
-de l’Amiral causée par le Duc de Guise son ancien ennemy, fut le
-commencement de la tragedie: les moyens de l’executer en faisant venir
-douze cens Arquebusiers, & les compagnies des Suisses à Paris furent
-mêmement approuvez par l’Amiral, sur la croyance qu’il eut que c’estoit
-pour le defendre contre la Maison de Lorraine: bref tout fut si bien
-disposé, que l’on ne manque en chose quelconque sinon en l’execution, à
-laquelle si on eust procedé rigoureusement il faut avoüer que c’eust
-esté le plus hardy Coup d’Estat, & le plus subtilement conduit, que l’on
-ait jamais pratiqué en France ou en autre lieu. Certes pour moy, encore
-que la Saint Barthelemy soit à cette heure également condamnée par les
-Protestans & par les Catholiques, & que Monsieur de Thou nous ait
-rapporté l’opinion que son pere & luy en avoient par ces vers de Stace,
-
- [156]_Occidat illa dies ævo, neu postera credant
- Sæcula; nos certè taceamus, & obruta multa
- Nocte, tegi propriæ patiamur crimina gentis._
-
- [156] Qu’il ne se parle jamais plus de ce jour, & que les siecles
- avenir ne croyent point qu’il ait esté; & pour nous gardons le
- silence & couvrons les crimes de nostre propre nation, les
- ensevelissant dans des profondes tenebres.
-
-Je ne craindray point toutefois de dire que ce fut une action
-tres-juste, & tres-remarquable, & dont la cause estoit plus que
-legitime, quoy que les effets en ayent esté bien dangereux &
-extraordinaires. C’est une grande lascheté ce me semble à tant
-d’Historiens François d’avoir abandonné la cause du Roy Charles IX, & de
-n’avoir monstré le juste sujet qu’il avoit eu de se défaire de l’Amiral
-& de ses complices: on luy avoit fait son procés quelques années
-auparavant, & ce fameux arrest estoit intervenu en suite, qui fut
-traduit en huit langues, & intimé ou signifié, si l’on peut ainsi dire,
-à toutes ses troupes; on avoit donné un second arrest en explication du
-premier, & tous les Protestans avoient esté si souvent declarez
-criminels de leze Majesté, qu’il y avoit un grand sujet de loüer cette
-action, comme le seul remede aux guerres qui ont esté depuis ce
-temps-là, & qui suivront peut-estre jusques à la fin de nostre
-Monarchie, si l’on n’eust point manqué à l’axiome de Cardan, qui dit:
-[157]_Nunquam tentabis, ut non perficias._ (in Proxen.) Il falloit
-imiter les Chirurgiens experts, qui pendant que la veine est ouverte,
-tirent du sang jusques aux defaillances, pour nettoyer les corps
-cacochymes de leurs mauvaises humeurs. Ce n’est rien de bien partir si
-l’on ne fournit la carriere: le prix est au bout de la lice, & la fin
-regle toujours le commencement. On me pourra toutefois objecter qu’il y
-a trois circonstances à cette action qui la rendent extremement odieuse
-à la posterité. La premiere que le procedé n’en a pas esté legitime, la
-seconde que l’effusion de sang y a esté trop grande, & la derniere que
-beaucoup d’innocens ont esté envelopez avec les coupables. Mais pour y
-satisfaire je répondray à ce qui est de la premiere, qu’il faut entendre
-là-dessus nos Theologiens lors qu’ils traittent [158]_de fide Hæreticis
-servanda_, & cependant je diray de mon chef, que les Huguenots nous
-l’ayant rompuë plusieurs fois, & s’estant efforcez de surprendre le Roy
-Charles, à Meaux & ailleurs, on pouvoit bien leur rendre la pareille; &
-puis ne lisons nous pas dans Platon (_5. de Rep._) que ceux qui
-commandent, c’est à dire les Souverains, peuvent quelquefois fourber &
-mentir quand il en doit arriver un bien notable à leurs sujets? Or
-pouvoit-il arriver un plus grand bien à la France, que celuy de la ruine
-totale des Protestans? Certes ils nous la baillerent si belle par leur
-peu de jugement, que c’eust presque esté une pareille faute à nous de
-les manquer, comme à l’Amiral de s’estre venu enfermer avec toute la
-fleur de son party, dans la plus grande ville & la plus ennemie qu’il
-pust avoir, sans se défier de la Reyne mere, à laquelle il avoit tué
-Charry, de ceux de Lorraine desquels il avoit fait assassiner le Pere, &
-du Roy qu’il avoit fait galloper depuis Meaux jusques à Paris. Ne
-sçavoit-il pas que sa Religion estant haïe aux personnes mêmement les
-plus douces & traitables, elle ne pouvoit estre qu’abominée & detestée
-en la sienne, & en celle de tant de coupejarets desquels il estoit
-ordinairement accompagné? D’ailleurs le bruit qu’on fit courir en même
-temps qu’ils avoient entrepris de nous traitter comme on les traitta
-incontinent aprés leur dessein découvert, ne pouvoit-il pas estre
-veritable? beaucoup le tiennent pour tres-asseuré, & pour moy j’estime
-qu’excepté les Politiques, chacun le peut tenir pour constant. Quant à
-ce qui est de l’effusion de sang qu’on dit y avoir esté prodigieuse,
-elle n’égaloit pas celle des journées de Coutras, de Saint Denys, de
-Moncontour, ny tant d’autres tuëries, desquelles ils avoient esté cause.
-Et quiconque lira dans les Histoires, que les habitans de Cesarée
-tuërent quatre-vingts mille Juifs en un jour; qu’il en mourut un million
-deux cens quarante mille en sept ans dans la Judée; que Cesar se vante
-dans Pline d’avoir fait mourir un million cent nonante & deux mille
-hommes en ses guerres étrangeres; & Pompée encore davantage; que Quintus
-Fabius envoya des Colonies en l’autre monde, de 100000 Gaulois, Caius
-Marius de 200000 Cimbres, Charles Martel de 300000 Theutons; que 2000
-Chevaliers Romains, & 300 Senateurs, furent immolez à la passion du
-Triumvirat, quatre legions entieres à celle de Sylla, 40000 Romains à
-celle de Mithridate; que Sempronius Gracchus ruina 300 villes en
-Espagne, & les Espagnols toutes celles du Nouveau monde, avec plus de 7
-ou 8 millions d’habitans: Qui considerera, dis-je, toutes ces sanglantes
-tragedies, une bonne partie desquelles se trouve enregistrée dans le
-traitté de la Constance de Juste Lipse, il aura assez de quoy s’étonner
-parmy tant de barbaries, & de croire aussi que celle de la Saint
-Barthelemy n’a pas esté des plus grandes, quoy qu’elle fust une des plus
-justes & necessaires. Pour la troisiéme difficulté elle semble assez
-considerable, veu que beaucoup de Catholiques furent enveloppez dans la
-même tempeste, & servirent de curée à la vengeance de leurs ennemis;
-mais il ne faut que la maxime de Crassus dans Tacite (_Annal. 14._) pour
-luy fournir en deux mots de réponse, [159]_habet aliquid ex iniquo omne
-magnum exemplum, quod contra singulos utilitate publica rependit_. D’où
-vient doncques que cette action, puis qu’elle estoit si legitime &
-raisonnable, a neanmoins esté & est encore tellement blâmée & décriée;
-pour moy, j’en attribue la premiere cause à ce qu’elle n’a esté faite
-qu’à demy, car les Huguenots qui sont restez, auroient mauvaise grace de
-l’approuver, & beaucoup de Catholiques qui voient bien qu’elle n’a de
-rien servy, ne se peuvent empescher de dire, qu’on se pouvoit bien
-passer de l’entreprendre, puis que l’on ne la vouloit pas achever; où au
-contraire si l’on eust fait main basse sur tous les Heretiques, il n’en
-resteroit maintenant aucun au moins en France pour la blâmer, & les
-Catholiques pareillement n’auroient pas sujet de le faire, voyant le
-grand repos & le grand bien qu’elle leur auroit apporté. La seconde
-raison est, que suivant le dire du Poëte,
-
- [160]_Segnius irritant animos demissa per aures,
- Quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus._
-
- [157] Il ne faut jamais rien entreprendre si on ne le veut achever.
-
- [158] De la foy qu’on doit tenir aux heretiques.
-
- [159] Tout grand exemple a quelque chose d’injuste, qui est recompensé
- envers les particuliers par l’utilité publique qu’il procure.
-
- [160] Ce qu’on dit doucement à l’oreille irrite bien plus lentement
- les esprits, que ce qu’on voit d’un œil fidelle.
-
-Aussi voyons nous qu’on ne parle pas en si mauvais termes de cette
-execution en Italie & aux autres Royaumes étrangers, comme l’on fait en
-France, où elle a esté faite, au milieu de Paris, & en presence d’un
-million de personnes; & qu’ainsi ne soit les Polonois, qui en receurent
-l’histoire & le narré particulier, de la part même des plus seditieux &
-depitez Ministres, pendant que l’Evêque de Valence briguoit leurs
-suffrages pour l’élection de Henry III, ne firent pas grande difficulté
-de les luy accorder, parce qu’ils sçavoient bien, qu’il ne faut pas
-juger du naturel d’un Prince, sur le seul pied de quelque action
-extraordinaire & violente, à laquelle il aura esté forcé par de
-tres-justes & puissantes raisons d’Estat. J’ajouste que cette action
-n’est pas encore beaucoup éloignée de nostre memoire; Que la pluspart de
-nos Histoires ont esté faites depuis ce temps-là par des Huguenots, &
-enfin que nous en avons la description si ample, & si particuliere dans
-les Memoires de Charles IX, l’Histoire de Beze, les Martyrologes, &
-beaucoup d’autres livres composez à dessein par les Protestans, pour
-condamner cette action, que rien n’y estant oublié de tout ce qui la
-peut rendre blâmable & odieuse, il ne se peut pas faire aussi, que ceux
-qui entendent la deposition de ces témoins corrompus, ne soient de leur
-opinion; quoy que tous ceux qui la dépoüillent de ces petites
-circonstances, & qui en veulent juger sans passion, soient d’un
-sentiment contraire. Au reste personne ne peut nier, qu’il ne soit mort
-tant de factieux, & de personnes de commandement à la journée de la
-Saint Barthelemy, que depuis ce temps-là les Huguenots n’ont pû faire
-des armées d’eux-mêmes; & que ce coup n’ait rompu toutes les
-intelligences, toutes les cabales & menées qu’ils avoient tant au dedans
-qu’au dehors du Royaume, & qu’enfin ce n’ait esté peu de chose de tous
-leurs plus grands efforts, lors qu’ils n’ont point esté soustenus par
-les broüilleries & seditions des Catholiques. Il est vray aussi comme
-quelques Politiques ont remarqué, que la même journée a esté cause d’un
-mal, duquel on ne se pouvoit jamais douter, car toutes les villes qui
-firent la Saint Barthelemy, & qui tuerent les Huguenots pour obeïr au
-Roy, & chercher les moyens de mettre le Royaume en paix, ont esté les
-premieres à commencer la ligue, sur ce qu’elles craignoient, & non sans
-raison, que le Roy de Navarre, qui estoit Huguenot, venant à la
-Couronne, il n’en voulust faire quelque ressentiment; & par ce moyen
-l’on peut dire que la Saint Barthelemy, pour n’avoir pas esté executée
-comme il falloit, non seulement n’appaisa pas la guerre au sujet de
-laquelle elle avoit esté faite, mais en excita une autre encore plus
-dangereuse.
-
-De plus lors qu’il est question d’autoriser un homme, & l’affaire dont
-il se mesle, de mettre en credit quelque Prince, de gagner quelqu’un, ou
-de le porter & encourager à quelque resolution importante; je croy que
-pour venir plus facilement à bout de ces choses on peut y mesler les
-stratagemes & les ruses d’Estat. Ainsi voyons nous que tous les Anciens
-Legislateurs voulant autoriser, affermir, & bien fonder les loix qu’ils
-donnoient à leurs peuples, ils n’ont point eu de meilleur moyen de le
-faire, qu’en publiant & faisant croire avec toute l’industrie possible
-qu’ils les avoient receües de quelque Divinité, Zoroastre d’Oromasis,
-Trismegiste de Mercure, Zamolxis de Vesta, Charondas de Saturne, Minos
-de Jupiter, Lycurgue d’Apollon, Draco & Solon de Minerve, Numa de la
-Nymphe Egerie, Mahomet de l’Ange Gabriel; & Moyse, qui a esté le plus
-sage de tous, nous décrit en l’Exode comme il receut la sienne
-immediatement de Dieu. En consideration de quoy combien que le Regne des
-Juifs soit entierement ruïné & aboly, [161]_mansit tamen_, dit
-Campanella (in aphorism. Polit.) _religio Mosaïca cum superstitione in
-Hebræis & Mahumetanis, & cum reformatione præclarissima in Christianis_.
-C’est comme je croy, ce qui a donné sujet à Cardan de conseiller aux
-Princes, qui pour estre peu avantagez de naissance ou dépourveus
-d’argent, de Partisans, de forces militaires, & de soldats, ne peuvent
-gouverner leurs Estats avec assez de splendeur & d’autorité, de
-s’appuyer de la Religion, comme firent autrefois & fort heureusement
-David, Numa, & Vespasien. Philippe II Roy d’Espagne ayant esté un des
-plus sages Princes de son temps, s’avisa aussi d’une fort belle ruse
-pour autoriser de bonne heure son fils parmy les peuples à qui il devoit
-un jour commander. Car il fit un Edict qui estoit grandement
-prejudiciable à ses sujets, faisant courir le bruit qu’il le vouloit
-publier & verifier de jour à autre, de quoy le peuple commence à
-murmurer & à se plaindre; luy neanmoins persiste en sa resolution,
-laquelle est pareillement suivie des plaintes redoublées de son peuple:
-enfin le bruit en vient aux oreilles de l’Infant, qui promet d’assister
-le peuple, & d’empescher par tous moyens possibles que cet Edict ne soit
-publié, menaçant à cet effet ceux qui voudroient entreprendre de
-l’executer, & n’oubliant rien de ce qui pouvoit découvrir l’affection
-qu’il avoit à delivrer le peuple de cette oppression: de maniere que le
-Roy Philippe venant à rachever son jeu, & à ne plus parler de l’Edict,
-chacun s’imagina que l’opposition du jeune Prince avoit esté la seule
-cause de le faire supprimer; & par cette invention son Pere luy fit
-gagner un empire dans le cœur & dans l’affection des Espagnols, qui
-estoit beaucoup plus asseuré, que celuy qu’il avoit sur les Espagnes:
-[162]_longe enim valentior est amor ad obtinendum quod velis, quàm
-timor_, dit Pline le jeune. (_8. epist._) Bref si nous prenons garde aux
-moyens que l’on pratiqua pour convertir Henry IV à la Religion
-Catholique, & pour l’y confirmer, nous trouverons que ç’a esté une
-action conduite avec beaucoup d’esprit & d’industrie. Car encore que
-nous la devions tenir pour tres-veritable & asseurée, comme en effet
-tant de témoignages qu’il en a rendus tout le temps de sa vie, ne
-permettent pas à personne de pouvoir douter qu’elle ne fust telle. Si
-toutefois nous voulons nous donner cette liberté de la considerer en
-Politique, nous pouvons facilement y remarquer trois choses, sçavoir les
-motifs de sa conversion, qui ne furent autres que l’obstinée resistance
-de Monsieur du Maine, lequel pour cette occasion est qualifié dans les
-memoires de Tavanes, _seul auteur aprés Dieu de la conversion de Henry
-IV_, & la verité est qu’il n’avoit tenu qu’à luy de traiter
-tres-avantageusement, lors que sa Majesté n’estoit encore convertie:
-Mais soit que Dieu eust fortifié son zele, ou que les esperances
-mondaines l’eussent charmé, il se reduisit comme dit l’Italien _al
-verde_, & ne faisant rien pour soy, il fit beaucoup pour la France. On
-met aussi entre les motifs de cette conversion le conseil donné au Roy
-par Monsieur de Sully, l’un des principaux & des mieux sensez Huguenots
-de son armée, _que la Couronne de France valoit bien la peine d’entendre
-une Messe_. Pour ce qui est des circonstances de la conversion, il s’y
-en passa deux fort remarquables; la premiere que le Roy fut instruit &
-catechisé non par quelque Theologien bigot ou superstitieux qui luy eust
-peut-estre rendu l’entrée de nos Eglises semblable à ces portiques &
-vestibules, de qui le Poëte a dit,
-
- [163]_Centauri in foribus stabulant, scyllæque biformes._
-
- [161] Toutefois la religion Mosaïque est restée avec superstition
- parmy les Juifs & les Mahometans, & avec une tres-belle reformation
- parmy les Chrestiens.
-
- [162] Car l’amour est infiniment plus puissant que la crainte, pour
- nous faire obtenir quelque chose.
-
- [163] Il y a des Centaures aux Portes, & des Scylles à deux formes.
-
-Mais par René Benoist Docteur en Theologie, & Curé de la paroisse de S.
-Eustache, lequel, si l’on en peut juger suivant le commun bruit, & ce
-qui se passa à l’article de sa mort, n’estoit ny Catholique trop zelé,
-ny Huguenot obstiné. D’où vient que maniant dextrement la conscience du
-Roy, & de la même sorte qu’il avoit fait celle de ses Paroissiens,
-pendant l’espace de 25 ou 30 ans, il luy fit seulement comprendre les
-principaux Mysteres, ne luy exaggerant point beaucoup de petites
-ceremonies & traditions, & conduit plûtost cette conversion en homme
-avisé & en Politique, que non pas en scrupuleux & superstitieux
-Theologien. La seconde chose notable fut l’Histoire de la possedée
-Marthe Brossier, laquelle à dire vray n’estoit qu’une pure feinte,
-entreprise par quelques zelez Catholiques, & appuyée par un bon
-Cardinal, afin que le Diable duquel on feignoit qu’elle fust possedée
-venant à estre chassé par la vertu du S. Sacrement, le Roy eust occasion
-de croire la presence réelle en l’Eucharistie, de laquelle presence ou
-pour mieux dire transsubstantiation, on ne tenoit pas qu’il fust
-entierement persuadé. Mais luy qui ne se laissoit pas facilement
-surprendre, voulut qu’auparavant que d’en venir aux exorcismes, les
-Medecins & Chirurgiens fussent appellez pour en dire leur avis, lequel
-ayant esté conceu en ces termes rapportez par Monsieur Marescot, dans le
-petit livret qu’il a composé sur cette Histoire: [164]_Naturalia multa,
-ficta plurima, à dæmone nulla._ Cette pauvre possedée, aprés avoir
-découvert l’ignorance & la bestise de tous les bigots de Paris, fut
-menacée du fouët, si elle n’en sortoit bien-tost. C’est pourquoy certain
-Abbé la mena à Rome, d’où Monsieur le Cardinal d’Ossat la fit si
-promptement chasser, qu’elle n’eust pas le loisir d’y surprendre
-personne. La derniere chose que l’on peut remarquer en cette conversion,
-est ce qui se passa en suite. Sur quoy le Politique qui doit faire son
-profit & tirer instruction des moindres syllabes & remarques des
-Historiens, pourra faire reflexion sur ce que répondit un païsan au même
-Roy Henry IV, que la poche sent toujours le hareng, comme il
-l’interrogeoit sans se faire connoistre de ce que l’on disoit parmy le
-peuple de sa conversion: Et aussi que le Mareschal de Biron estant
-fasché du refus qu’on luy avoit fait du Gouvernement de Bourg en Bresse,
-dit à quelqu’un de ses amys, que s’il avoit esté Huguenot on ne luy
-auroit pas refusé; c’est de Cayet (Hist. sept.) que je tiens ces deux
-remarques, lesquelles neanmoins, excepté le Politique, personne ne doit
-estimer vraysemblables, puis qu’elles sont démenties par beaucoup
-d’autres, qui leur sont directement opposées.
-
- [164] Beaucoup de choses naturelles, quantité de feintes, & aucune de
- la part du Demon.
-
-Finalement la loy des contraires qui se doivent traitter sous même genre
-nous oblige de ranger encore icy les occasions qui se peuvent presenter,
-de borner ou ruiner la trop grande puissance de celuy qui en voudroit
-abuser au prejudice de l’Estat, ou qui par le grand nombre de ses
-partisans, & la cabale de ses correspondances, s’est rendu redoutable au
-Souverain; voire même s’il faut le dépécher secretement, sans passer par
-toutes les formalitez d’une justice reglée, on le peut faire, pourveu
-neanmoins qu’il soit coupable, & qu’il ait merité une mort publique,
-s’il eust esté possible de le chastier de telle sorte. La raison sur
-laquelle Charron fait rouler cette maxime, est que en cela il n’y a rien
-que la forme violée, & que le Prince estant maistre des formalitez, il
-s’en peut aussi dispenser suivant qu’il le juge à propos. Chez les
-Romains, lors que quelqu’un s’efforçoit d’obtenir un office sans le
-consentement du peuple, ou qu’il donnoit le moindre soupçon d’aspirer à
-la Royauté, on le punissoit de mort _lege Valeria_, c’est à dire le
-plutost que l’on pouvoit, & sans forme de justice, à laquelle on
-songeoit seulement aprés l’execution. Le fameux Juris Consulte Ulpian
-passe encore plus outre quand il dit, que [165]_si forte latro
-manifestus, vel seditio prærupta, factioque cruenta, vel alia justa
-causa moram non recipiant, non pœnæ festinatione, sed præveniendi
-periculi causa punire permittit, deinde scribere_: telles furent les
-executions de Parmenion & Philotas par Alexandre; de Plautian & de
-Seianus chez les Romains, de Guillaume Mason en Sicile, de Messieurs de
-Guise & du Mareschal d’Ancre sous le regne de deux de nos Roys, & du
-Colonel des Lansquenets dans Pavie, auquel Antonio de Leve fit donner un
-boüillon alteré, parce qu’il y fomentoit le trouble & la sedition. Or
-quoy que ces actions ne puissent estre legitimées, que par une necessité
-extraordinaire & absolüe, & qu’il y ait de l’injustice & de la barbarie
-à les pratiquer trop souvent; les Espagnols neanmoins ont trouvé moyen
-de les accommoder à leurs consciences, & de surmonter beaucoup de
-difficultez en les prattiquant. Car ils donnent des juges cachez &
-secrets à celuy qu’ils estiment criminel d’Estat, ils instruisent son
-procés, le condamnent, & cherchent aprés de faire mettre leur sentence
-en execution par tous moyens possibles. Antoine Rincon Espagnol & par
-consequent sujet de Charles V, ne pouvant demeurer en seureté à son païs
-se retire vers François I, & est envoyé par luy à Constantinople, pour
-traitter d’une alliance avec Soliman: l’Empereur qui prevoyoit bien le
-dommage que luy pouvoit apporter cette Ambassade, fait tuer Rincon &
-Cesar Fregose son Collegue, comme ils descendoient sur le Po pour aller
-à Venise, par l’entremise d’Alfonse d’Avalos son Lieutenant au Milanois;
-de quoy tant s’en faut que ledit Empereur s’estimast coupable, que même
-un de nos Evêques a bien voulu plaider pour son innocence, [166]_Rinco
-exul Hispanus, & Francisci apud Solymannum legatione functus, non
-injuria fortasse, Fregosus præter jus cæsus videbatur._ (Belcar. lib.
-22.) André Doria ayant quitté le party du Roy de France, & pris celuy de
-l’Empereur, sous la faveur duquel il tenoit la ville de Genes comme en
-esclavage, Louys Fieschy Citoyen de la même ville, entreprend avec
-l’assistance de Henry II, & de Pierre Louys Farnese Duc de Parme & de
-Plaisance, de la mettre en liberté: il tuë d’abord Jannetin Doria & se
-noie par hazard, lors que l’entreprise estoit à peine commencée: Que
-fait l’Empereur Charles V? sur cet incident il fait resoudre en son
-Conseil secret, que Pierre Louys est criminel de leze Majesté, & envoye
-les ordres en même temps à Doria de le faire assassiner, & à Gonzague
-Gouverneur de Milan de se saisir de la ville de Plaisance; ce qui fut
-ponctuellement executé suivant le projet qu’il en avoit donné: & quoy
-qu’il ait fait le possible pour témoigner qu’il n’avoit eu aucune part
-en cette execution, tous les Historiens neanmoins écrivent le contraire,
-& le distique rapporté par Noël des Comptes nous apprend assez ce que
-l’on en croyoit dés ce temps-là:
-
- [167]_Cæsaris injussu cecidit Farnesius Heros,
- Sed data sunt jussu præmia sicariis._
-
- [165] Si par fortune un larron manifeste, ou une sedition dangereuse,
- & une faction sanglante, ou quelque autre juste cause, ne demandent
- aucun retardement, il est permis de punir, non pas pour haster la
- punition, mais pour prevenir le danger; & puis écrire ou faire les
- formalités du procés.
-
- [166] Il sembloit que Rincon banni d’Espagne, & Ambassadeur de
- François vers Soliman, n’avoit pas esté tué à tort, ni Fregose tout
- à fait contre le droit.
-
- [167] Le Heros Farnese fut assassiné sans que l’Empereur l’eût
- commandé, mais les meurtriers furent recompensez par son ordre.
-
-Quoy plus, le Cardinal George de Hongrie ne fut-il pas sententié de la
-même façon, & executé encore avec plus d’inhumanité par Ferdinand
-d’Austriche, sur la crainte qu’il eut que ledit Cardinal ne recherchast
-l’assistance du Turc, pour commander toujours dans la Transilvanie? Et
-n’avons nous pas veu depuis quatre ans seulement, que le Walstein a esté
-assassiné dans Egra, par les secretes menées du Comte d’Ognate, qui
-estoit pour lors Ambassadeur du Roy d’Espagne auprés de l’Empereur? &
-que le Bourgmestre la Ruelle a esté traitté de la même sorte dans la
-ville de Liege par le Comte de Warfuzée, suivant les Ordres que le
-Marquis d’Aytone Gouverneur des armes du Païs-bas luy en avoit donnez,
-avec des formalitez si precises, que celles de le faire mourir _bien
-confessé & resigné à la volonté de Dieu_, n’y estoient pas oubliées,
-pour valider davantage cette action, & la rendre semblable à une
-sentence criminelle legitimement rendue & executée? Bref cette maniere
-de justice est tellement en usage dans les Maisons d’Austriche &
-d’Espagne, que le pere même ne voulut pas en exempter son propre fils,
-lors qu’il jugea qu’il estoit moins expedient pour le bien de son
-Royaume de le laisser vivre, que de le faire mourir. [168]_Cætera enim
-maleficia tunc persequare cum facta sunt, hoc nisi provideris ne
-accidat, ubi evenit, frustra judicia explores_, comme disoit fort bien
-Caton en discourant de la conjuration de Catilina dans Saluste. Et
-pleust à Dieu que ce grand Empereur Charles V, qui avoit tant fait
-d’autres Coups d’Estat, ne fust point demeuré court en celuy qu’il
-falloit pratiquer sur la personne de Luther, lors qu’il comparut à la
-Conference d’Ausbourg! nous ne serions pas maintenant contraints de dire
-avec le Poëte Lucian,
-
- [169]_Heu quantum terræ potuit Pelagique parari,
- Hoc quem civiles fuderunt sanguine dextræ._
-
- [168] Poursuivez la punition des autres crimes quand on les a commis,
- mais pour celuy-cy, si vous ne le prevenez avant sa naissance, quand
- il est arrivé en vain recherchez-vous d’en faire justice.
-
- [169] Helas! quelle grande étendue de terre & de mer auroit-on pû
- acquerir par ce sang que les guerres civiles ont fait verser.
-
-Et nous n’aurions pas éprouvé combien ce vers de Lucrece estoit
-veritable,
-
- [170]_Religio peperit scelerata atque impia facta._
-
- [170] La religion a produit des actions méchantes & impies.
-
-Car pour ne rien dire de l’Allemagne, & des autres païs étrangers, l’on
-a verifié (_Bodin & autres_) que depuis les premiers tumultes excitez
-par les Calvinistes jusques au regne de Henry IV, les pretendus Reformez
-nous ont livré cinq batailles tres-cruelles & sanglantes, & ont esté
-cause de la mort d’un million de personnes, des surprises de 300 villes,
-d’une dépense de 150 millions pour le seul payement de la gendarmerie, &
-que neuf villes, 400 villages, 20000 eglises, 2000 Monasteres, & 10000
-Maisons ont esté tout à fait bruslées ou razées. A quoy si l’on joint ce
-qui s’est passé dans les dernieres guerres contre le Roy d’à present, je
-m’asseure que l’on pourra bastir un spectacle d’horreur, capable
-d’émouvoir à compassion les cœurs les plus inhumains, & de tirer encore
-cette exclamation de la bouche des plus retenus,
-
- [171]_Tantum religio potuit suadere malorum
- Horribili super aspectu mortalibus instans!_
-
- [171] La religion a-t-elle pû conseiller tant de maux, qui servent
- maintenant d’un triste spectacle aux mortels!
-
-Or d’autant que personne n’a encore fait de reflexion sur cette Histoire
-de Luther, je diray en passant que l’on fit trois grandes fautes, à mon
-avis, lors qu’il commença de publier ses heresies: la premiere d’avoir
-permis qu’il passast de la correction des mœurs à celle de la doctrine,
-puisque la plus commune est toujours la meilleure, qu’il est
-tres-dangereux d’y rien changer & peu utile, que ce n’est pas à un
-particulier de le faire, & enfin qu’un Royaume Chrestien bien policé ne
-doit jamais recevoir d’autres nouveautez en la religion, que celles que
-les Papes ou Conciles ont accoustumé d’y introduire de temps en temps
-pour s’accommoder au besoin que l’Eglise en peut avoir, laquelle Eglise
-doit estre la seule regle de la sainte Ecriture & de nostre foy, comme
-les Conciles le sont de l’Eglise, & entre les Conciles celuy-là qui a
-esté celebré le dernier doit estre preferé à tous les precedens. La
-seconde fut, que Luther estant venu de bonne foy à Ausbourg pour
-conferer & s’accorder, s’il estoit possible, avec les Catholiques, le
-Cardinal Cayetan devoit accepter les offres qu’il fit de ne plus rien
-dire, ny écrire en la matiere dont il s’agissoit, pourveu que
-reciproquement on imposast silence à Ecchius, Cochleus, Sylvester
-Prierias, & autres ses adversaires: & non pas le presser de se dédire en
-public, & de chanter la palinodie de tout ce qu’il avoit dit & presché,
-avec tant d’ardeur & de vehemence. Aprés quoy la troisiéme faute fut de
-n’avoir pas eu recours à un Coup d’Estat lors que l’on vit qu’il prenoit
-le frain aux dents, & qu’il regimboit à bon escient contre le zele
-indiscret du Legat. Car il luy falloit jetter quelque os en bouche, ou
-luy cadenasser la langue en mettant dessus un Aigle, puisque les Bœufs &
-les Syrenes, que l’on employoit à même fin au temps passé, ne sont plus
-en usage, c’est à dire qu’il le falloit gagner par quelque bon benefice
-ou pension, comme l’on a fait du depuis beaucoup des plus doctes &
-autorisez Ministres. Ferrier avoit bien entrepris il n’y a pas trente
-ans, d’aller soûtenir dans la ville de Rome que le Pape estoit
-l’Antichrist; & toutefois la Reine Mere n’eut pas grande peine à luy
-faire quitter son party, pour se ranger au nostre: Et Monsieur le
-Cardinal de Richelieu fut-il jamais venu à bout de tant de glorieuses
-entreprises contre les Huguenots, s’il ne se fust servy bien à propos
-des finances du Roy, pour gagner tous leurs meilleurs Capitaines? tant
-ce dire d’Horace est veritable:
-
- [172]_Aurum per medios ire satellites
- Et perrumpere amat saxa, potentius
- Ictu fulmineo._
-
-(Ode 16. l. 3.)
-
- [172] L’or passe au travers des gardes & brise les rochers avec un
- plus violent effort que le tonnerre.
-
-Que si l’on ne pouvoit venir à bout de Luther par ce moyen-là, il
-falloit en pratiquer un autre, & faire en sorte de le mettre en lieu de
-seureté, comme l’on a fait depuis peu l’Abbé du Bois & le Benedictin
-Barnese; ou passer outre, & l’expedier sourdement, comme l’on dit que
-Catherine de Medicis, fit un signalé Magicien; ou publiquement & par
-forme de justice, comme les Peres du Concile de Constance avoient fait
-Jean Huz & Hierôme de Prague: quoy qu’à dire vray les premiers moyens
-estoient plus à propos, puis qu’ils estoient les plus doux, faciles &
-couverts, & qu’ils pouvoient plus asseurément produire l’effet que l’on
-en esperoit; ce que ne pouvoient pas faire les derniers, qui eussent
-peut-estre aigry l’esprit du Duc de Saxe, & confirmé davantage les
-Sectateurs de Luther en leurs fausses opinions; ce que disoit un ancien
-des Chrestiens, [173]_Sanguis Martyrum semen Christianorum_, se pouvant
-aussi dire de tous ceux qui ont une fois commencé à maintenir des
-opinions qu’ils se persuadent estre veritables. Et en effet Henry II,
-pensant étouffer par ce genre de supplice, non l’heresie, mais les
-occasions que pourroient avoir un jour les Princes étrangers de le
-traverser par le moyen des Calvinistes, comme il avoit broüillé &
-traversé l’Empereur en assistant les Lutheriens d’Allemagne, il se
-trompa de telle sorte que le nombre des Heretiques croissant tous les
-jours davantage, ils broüillerent enfin la France sous Charles neuf de
-la façon que chacun sçait; & Henry troisiéme ne pouvant moins faire que
-de s’appuyer de leurs forces, cela échauffa tellement la melancolie & le
-zele indiscret du Jacobin, qu’il n’apprehenda point de perdre sa vie
-pour luy oster la sienne. Le docte Mathematicien Regiomontanus ayant
-esté appellé d’Allemagne à Rome pour servir à la reformation du
-Calendrier, il y mourut lors qu’il estoit au plus fort de son travail, &
-si l’on en veut croire ses amis, & la plus grande part des Heretiques,
-ce fut par un Coup d’Estat de Gregoire XIII, qui aima mieux joüer du
-gobelet, que de voir son dessein & le travail des plus habiles
-Astronomes de l’Italie non seulement retardé, mais entierement renversé
-par les oppositions d’un si docte personnage: Mais il est tres-certain,
-que la mort de Regiomontanus ne doit aucunement flestrir l’innocence
-d’un si bon & si genereux Pape, puis que ce fut plustost un crime des
-enfans de George Trapezonze, lesquels faschez de sa mort, & croyant que
-Regiomontanus en estoit cause, pour avoir trop librement remarqué une
-infinité de fautes dans la traduction Latine de l’Almageste de Ptolomée
-faite par ledit Trapezonze, ils se resolurent enfin de luy rendre la
-pareille & de le traitter plutost à la Grecque qu’à la Romaine. Si les
-Venitiens eussent esté aussi innocens de la mort de leur Citoyen
-Lauredan, que le Pape de celle de Regiomontanus, Bodin (_l. 6._)
-n’auroit pas remarqué dans sa methode qu’il ne vescut guere, aprés avoir
-appaisé par sa seule presence, une furieuse sedition des gens de la
-Marine, acharnez contre la populace, aprés que tous les Magistrats & les
-forces même de la ville assemblées, n’y avoient pû donner ordre.
-Peut-estre craignoient-ils qu’ayant reconnu quel estoit son pouvoir, &
-quel empire il avoit sur les sujets de la Republique, il ne luy prist
-envie de se rendre maistre absolu de leur Estat; Peut-estre aussi le
-firent-ils par jalousie & emulation, comme Aristote dit que les
-Argonautes ne voulurent point d’Hercule en leur compagnie, crainte que
-toute la gloire d’une si belle entreprise ne fust attribuée à sa seule
-valeur & vertu:
-
- [174]_Urit in fulgore suo qui prægravat artes
- Infra se positas._
-
-(Horat. Ep. l. 2. ep. 1.)
-
- [173] Le sang des Martyrs est la semence des Chrestiens.
-
- [174] Car celuy de qui la valeur ternit la gloire de toutes autres
- entreprises que des sienes, attire l’envie par l’éclat de ses
- glorieuses actions.
-
-Et le même ajouste que les Ephesiens bannirent leur Prince Hermodorus,
-parce qu’il estoit trop homme de bien. C’est la raison qui fit établir
-l’Ostracisme à Athenes, & qui obligea Scipion & Hannibal à faire mourir
-deux braves soldats leurs prisonniers. Mais si le stratageme estoit vray
-duquel on dit que les Venitiens se servirent il n’y a pas long-temps,
-lors qu’ils firent courir le bruit que le Duc d’Ossone vouloit
-entreprendre sur leur ville, je croy que ç’a esté un des plus judicieux
-dont nous ayons encore parlé; aussi leur estoit-il tres-important de le
-faire, pour obliger l’Ambassadeur d’un des plus grands Princes de
-l’Europe, à quitter ses prattiques qui n’alloient à rien moins qu’à la
-ruine de leur Estat, & le forcer en suite à une honneste retraite. C’est
-ainsi qu’il faut reserver ces grands remedes pour les maladies
-perilleuses, & pour s’en servir comme Horace dit qu’il faut faire des
-Dieux, que l’on introduit aux tragedies, pour achever & finir ce dont
-les hommes ne peuvent plus venir à bout.
-
- [175]_Nec Deus intersit nisi dignus vindice nodus
- Adfuerit._
-
-(De arte poëtica ad Pis.)
-
- [175] Il ne faut point qu’un Dieu s’entre-mêle dans l’action, si
- quelque incident n’y met un nœud qui ne se puisse défaire par un
- autre moyen.
-
-Ou comme les Mariniers font de l’ancre double, qu’ils ne jettent en mer
-qu’aprés avoir perdu toute autre asseurance. Et à la verité si un
-Conseiller ou Ministre proposoit, à toutes les difficultez qui se
-presentent, d’en sortir par quelqu’un de ces expediens, il ne le
-faudroit pas tenir pour moins sot & méchant, que seroit le Chirurgien
-qui voudroit guerir chaque blessure en brûlant ou coupant le membre qui
-l’auroit receuë, [176]_extremis siquidem malis extrema remedia adhibenda
-sunt_. J’ajouste que si le même Conseiller abuse de ces remedes pour
-appuyer ses interests, ou donner plus de champ à ses passions, outre
-qu’il trahit le service de son Maistre, il se rend encore coupable
-devant Dieu, & devant les hommes, du mal qu’il entreprend de faire; & le
-Souverain même, quand il en use autrement que le bien du public ou le
-sien, qui n’en est pas separé, le requiert, il fait plûtost ce qui est
-de la passion & de l’ambition d’un Tyran, que l’office d’un Roy. Ainsi
-voyons nous que la Reyne Catherine de Medicis, [177]_quam exitio patriæ
-natam Mathematici dixerant_, ne pouvant souffrir d’estre mariée à un
-fils de Roy sans estre Reyne, employa l’artifice d’un Montecuculi pour
-se delivrer du seul obstacle qu’elle en avoit, en la personne de l’aisné
-de son mary. [178]_Adfinitatem enim nuper cum Clemente contractam, tanto
-sceleri causam dedisse postea compertum, quamvis inscio marito; verùm
-illo mortuo, cum frater proximus esset ut in regnum paternum succederet,
-omissa indagandæ rei cura est, & suppressa veritas_, comme a fort bien
-remarqué Monsieur de Thou dans l’original de son Histoire. Elle
-entreprit en suite la protection des Huguenots par lettres & avis
-secrets, pour contrecarrer la puissance du Connestable & de Monsieur de
-Guise, à l’assassinat duquel arrivé devant Orleans, les memoires de
-Tavanes disent qu’elle se vanta d’avoir eu part, comme elle eut encore
-du depuis à celuy de l’Amiral; sans toutefois qu’elle eust d’autres
-motifs pour joüer toutes ces sanglantes tragedies, que le seul desir de
-contenter son ambition, de regner sous le nom de ses enfans, & de
-maintenir l’inimitié entre ceux, de qui l’autorité portoit trop
-d’ombrage à la sienne.
-
- [176] Car il ne faut employer les extrêmes remedes qu’aux extrêmes
- maladies.
-
- [177] Dont les Mathematiciens avoient dit qu’elle estoit née pour la
- ruine de la patrie.
-
- [178] Car on remarqua puis aprés que l’alliance qui avoit esté
- contractée peu de temps auparavant avec Clement, avoit fourni
- l’occasion d’une si grande méchanceté, quoi qu’à l’insceu de son
- mary: mais quand il fut mort, son frere estant le plus proche qui
- pût succeder au royaume du pere, on negligea d’en faire la
- recherche, & la verité fut par ce moyen supprimée.
-
-
-
-
-Chapitre IV.
-
-De quelles opinions faut-il estre persuadé pour entreprendre des Coups
-d’Estat.
-
-
-Ce n’est pas assez d’avoir monstré les occasions que l’on peut avoir
-d’entreprendre ces stratagemes, si nous ne passons plus outre, & que
-nous ne declarions aussi de quelles notions & persuasions il faut estre
-persuadé, pour les executer avec hardiesse, & en venir à bout
-heureusement. Et bien que ce titre semble plûtost appartenir aux
-qualitez & conditions du Ministre qui les peut conseiller, je ne lairray
-toutefois de coucher icy les principales, puis que ce sont des maximes
-tres-certaines, universelles & infaillibles, que non seulement les
-conseillers, mais les Princes & toutes personnes de bon sens & de
-jugement doivent suivre & observer en toutes les affaires qui leur
-peuvent survenir; & au defaut desquelles les raisonnemens que l’on fait
-en matiere d’Estat, sont bien souvent cornus, estropiez, & plus
-semblables à des contes de vieilles, & de gens grossiers & mechaniques,
-qu’à des discours de personnes sages & experimentées aux affaires du
-monde.
-
-Boëce ce grand Conseiller d’Estat du Roy Theodoric, nous fournira la
-premiere, qu’il exprime en ces termes au livre de la consolation:
-[179]_Constat æterna positumque lege est, in mundo constans genitum esse
-nihil_; à quoy s’accorde pareillement Saint Hierôme lors qu’il dit en
-ses epistres, [180]_omnia orta occidunt & aucta senescunt_: Les Poëtes
-aussi ont esté de ce même sentiment.
-
- [181]_Immortale nihil mundi compage tenetur,
- Non Urbes, non Regna hominum, non aurea Roma._
-
- [179] C’est un axiome fondé sur une loy eternelle, qu’il n’y a rien
- d’engendré au monde qui ne soit sujet à quelque changement.
-
- [180] Il n’y a rien qui prenne naissance qui ne meure & tout ce qui
- prend accroissement vieillit.
-
- [181] Il n’y a rien d’immortel dans le monde, non pas même les villes,
- ny les royaumes des humains, ny Rome qui estoit si opulente.
-
-Et tous ceux-là generalement ne s’en éloignent gueres, qui considerent
-avec attention, comme ce grand cercle de l’univers depuis qu’il a une
-fois commencé son cours, n’a point cessé d’emporter & faire rouler quant
-& soy les Monarchies, les Religions, les sectes, les villes, les hommes,
-les bestes, arbres, pierres, & generalement tout ce qui se trouve
-compris & enfermé dans cette grande machine; les cieux même ne sont pas
-exempts des changemens ny de corruption. Le premier Empire des
-Assyriens, celuy des Perses, qui le suivit, ont aussi cessé des
-premiers; le Grec & le Romain ne l’ont pas fait plus longue. Ces
-puissantes familles de Ptolomée, d’Attalus, de Seleucides ne servent
-plus que de fables,
-
- [182]_Miramur periisse homines, monimenta fatiscunt;
- Mors etiam saxis nominibusque venit._
-
-(Rutil. in Itiner.)
-
- [182] Nous nous étonnons de la mort des hommes; les sepulcres
- s’ouvrent, car la mort vient attaquer les rochers & les noms.
-
-Cette Isle de Crete où il y avoit cent villes, cette ville de Thebes, où
-il y avoit cent portes, cette Troye bastie par les mains des Dieux,
-cette Rome qui triompha de tout le monde, où sont-elles maintenant?
-[183]_Jam seges est ubi Troia fuit._ Il ne faut doncques pas croupir en
-l’erreur de ces foibles esprits, qui s’imaginent que Rome sera toujours
-le siege des saints Peres, & Paris celuy des Roys de France.
-[184]_Byzantium illud vides quod sibi placet duplicis imperii sede?
-Venetias istas quæ superbiunt mille annorum firmitate? Veniet illis sua
-dies, & tu Antvverpia, ocelle urbium, aliquando non eris_, disoit
-judicieusement Lipse. De maniere que cette maxime estant tres-veritable,
-un bon esprit ne desesperera jamais de pouvoir surmonter toutes les
-difficultez, qui empescheroient peut-estre quelque autre d’executer ou
-d’entreprendre ces affaires d’importance. Comme par exemple, s’il est
-question qu’un Ministre, soit pour le service de Dieu, ou pour celuy de
-son Maistre, songe aux moyens de ruiner quelque Republique ou Empire,
-cette maxime generale luy fera croire de premier abord, qu’une telle
-entreprise n’est pas impossible, puis qu’il n’y en a pas une qui jouïsse
-du privilege de pouvoir toujours durer & subsister. Et si au contraire,
-il est question d’en établir quelque autre, il se servira encore du même
-axiome pour se resoudre à l’entreprendre, & il se persuadera d’en
-pouvoir venir aussi facilement à bout, comme ont fait les Suisses, les
-Lucquois, les Hollandois, & ceux de Geneve, non dans les siecles dont
-nous n’avons plus de memoire, mais dans les deux derniers, & quasi de
-fraische date. Aussi en est-il de même des Estats, que des hommes, il en
-meurt & naist bien souvent, les uns sont étouffez en leurs principes,
-les autres passent un peu plus outre, & prennent force & consistance aux
-dépens de leurs voisins, beaucoup parviennent même jusques en
-vieillesse; mais enfin les forces viennent à leur manquer, ils font
-place aux autres, & quittent la partie pour ne la pouvoir plus defendre:
-
- [185]_Sic omnia verti
- Cernimus, atque alias assumere pondera gentes,
- Concidere has._
-
- [183] Il croist maintenant du bled là où estoit autrefois Troye.
-
- [184] Vois-tu cette Constantinople qui se flate du siege d’un double
- empire? & Venise qui se glorifie d’une fermeté de mille ans? Leur
- jour viendra; & toy Anvers, qui es l’œillet de toutes les villes, le
- temps viendra que tu ne seras plus.
-
- [185] Ainsi voyons nous bouleverser toutes choses; ces nations
- s’affoiblir, & d’autres s’acquerir du pouvoir.
-
-Et alors les premieres maladies les émeuvent, les secondes les
-ébranlent, les troisiémes les emportent; Gracchus, Sertorius, Spartacus
-donnerent le premier Coup à la Romaine; Sylla, Marius, Pompée, Jules
-Cæsar la porterent sur le panchant, à deux doigts de sa ruine, & Auguste
-aprés les furies du Triumvirat l’ensevelit, [186]_Urgentibus scilicet
-Imperii Romani fatis_: & de la plus celebre Republique du monde il en
-fit le plus grand Empire, tout ainsi que des plus grands Empires qui
-sont aujourd’huy, il s’en fera quelque jour des fameuses Republiques.
-Mais il faut encore observer que ces changemens, ces revolutions des
-Estats, cette mort des Empires, ne se fait pas sans entraisner avec soy
-les Loix, la Religion & les Sectes: s’il n’est toutefois plus veritable
-de dire, que ces trois principes internes des Estats venant à vieillir &
-se corrompre, la religion par les heresies ou atheismes; la justice par
-la venalité des offices, la faveur des grands, l’autorité des
-Souverains; & les Sectes par la liberté qu’un chacun prend d’introduire
-de nouveaux dogmes, ou de rétablir les anciens, ils font aussi tomber &
-perir tout ce qui estoit basty dessus, & disposent les affaires à
-quelque revolte ou changement memorable. Certes si l’on considere bien
-maintenant, quel est l’Estat de l’Europe, il ne sera pas aussi difficile
-de juger qu’elle doit bien-tost servir de Theatre où se joüeront
-beaucoup de semblables tragedies, puis que la pluspart des Estats
-qu’elle contient ne sont pas beaucoup éloignez de l’âge qui a fait perir
-tous les autres, & que tant de longues & fascheuses guerres ont fait
-naistre, & ont augmenté les causes mentionnées cy-dessus, qui peuvent
-ruiner la justice; comme le trop grand nombre de Colleges, seminaires,
-étudians, joints à la facilité d’imprimer & transporter les livres, ont
-déja bien ébranlé les Sectes & la Religion. Et en effet c’est une chose
-hors de doute, qu’il s’est fait plus de nouveaux systemes dedans
-l’Astronomie, que plus de nouveautez se sont introduites dans la
-Philosophie, Medecine & Theologie, que le nombre des Athées s’est plus
-fait paroistre depuis l’année 1452, qu’aprés la prise de Constantinople
-tous les Grecs, & les sciences avec eux se refugierent en Europe, &
-particulierement en France & en Italie, qu’il ne s’en estoit fait
-pendant les mille années precedentes. Pour moy je défie les mieux versez
-en nostre Histoire de France, de m’y monstrer que quelqu’un ait esté
-accusé d’Atheïsme, auparavant le Regne de François I, surnommé le
-Restaurateur des lettres, & peut-estre encore seroit-on bien empesché de
-me montrer le même dans l’Histoire d’Italie, auparavant les caresses que
-Cosme & Laurens de Medicis firent aux hommes lettrez; ce fut de même
-sous le siecle d’Auguste que le Poëte Horace (_lib. 1. Ode XXXIV._)
-disoit de soy-même:
-
- [187]_Parcus Deorum cultor, & infrequens,
- Insanientis dum sapientiæ
- Consultus erro._
-
- [186] Les fatalités de l’Empire Romain estant enfin arrivées.
-
- [187] L’estude que j’ay faite d’une sagesse insensée, m’avoit rendu si
- peu soigneux d’honorer les Dieux, que je les adorois rarement.
-
-Que Lucrece pensoit bien se concilier la bienveillance de ses lecteurs,
-en leur disant qu’il les vouloit delivrer des gesnes & des peines que
-leur donnoit la religion,
-
- [188]_Dum relligionum animos vinclis exsolvere pergo._
-
- [188] Pendant que je continue à rompre les liens dont la religion a
- embarrassé vos esprits.
-
-Et que S. Paul disoit aux Romains, [189]_tunc veni cum Deus non erat in
-vobis_. Ce fut enfin sous les Rois Almansor & Miramolin, plus studieux &
-lettrez que n’avoient esté tous leurs Predecesseurs, que les Aladinistes
-ou libertins, eurent grande vogue parmy les Arabes: en suite de quoy
-nous pouvons bien dire avec Seneque, [190]_ut rerum omnium sic literarum
-intemperantia laboramus_.
-
- [189] Je suis venu à vous, en un temps qu’il n’y avoit point de Dieu
- parmy vous.
-
- [190] Nous sommes aussi-bien travaillez de l’intemperance des lettres
- que de celle de toutes autres choses.
-
-La seconde opinion de laquelle on doit estre persuadé pour bien reüssir
-aux Coups d’Estat, est de croire qu’il ne faut pas remüer tout le monde
-pour occasionner les changemens des plus grands Empires, ils arrivent
-bien souvent sans qu’on y pense, ou au moins sans que l’on fasse de si
-grands preparatifs. Et comme Archimede remuoit les plus pesans fardeaux,
-avec trois ou quatre bastons industrieusement joints ensemble, aussi
-peut-on quelquefois remüer, voire même ruiner ou faire naistre des
-grandes affaires, par des moyens qui sont presque de nulle
-consideration. C’est de quoy Ciceron (_Philip. 5._) nous avertit lors
-qu’il dit, [191]_quis nesciat, minimis fieri momentis maximas temporum
-inclinationes_; le monde suivant la doctrine de Moyse a esté fait de
-rien, & en celle d’Epicure il n’a esté composé que du concours de divers
-atomes: Et ces grands fleuves qui roulent avec impetuosité presque d’un
-bout de la terre à l’autre, sont d’ordinaire si petits vers leurs
-sources qu’un enfant les peut facilement traverser,
-
- [192]_Flumina quanta vides parvis è fontibus orta?_
-
- [191] Qui est-ce qui ignore que dans un moment il peut arriver de
- grands changemens aux temps.
-
- [192] Quelles grandes rivieres ne voit on pas qui prenent leur
- naissance de fort petites fontaines?
-
-Il en est de même aux affaires Politiques, une petite flammeche negligée
-excite bien souvent un grand feu,
-
- [193]_Dum neglecta solent incendia sumere vires._
-
- [193] Lors que les embrasemens ont coustume de se renforcer à mesure
- qu’on les neglige.
-
-Et comme il ne fallut qu’une petite pierre arrachée de la montagne, pour
-ruiner la grande statue, ou plutost le grand colosse de Nabuchodonosor;
-de même une petite chose peut facilement renverser de grandes
-Monarchies. Qui eust jamais creu que le ravissement de Helene, le
-violement de Lucrece par Tarquin, & celuy de la fille du Comte Julien
-par le Roy Roderic, eussent produit des effets si notables tant en
-Grece, qu’Italie & Espagne? Mais qui eust jamais pensé que les Etoles &
-Arcades se fussent acharnez à la guerre pour une hure de Sanglier; ceux
-de Carthage & de Bisague pour le fust d’un brigantin; le Duc de
-Bourgogne & les Suisses pour un chariot de peaux de Mouton; les Frisons
-& les Romains du temps de Drusus pour des cuirs de Bœuf; & les Pictes &
-Escossois pour quelques Chiens perdus? Ou que du temps de Justinian
-toutes les villes de l’Empire eussent pû se diviser & concevoir une
-haine mortelle les unes contre les autres, pour le differend des
-couleurs qui se portoient aux jeux & recreations publiques? La nature
-même semble avoir agreable cette façon de proceder, lors qu’elle produit
-les grands & spacieux Cedres d’un petit germe; & les Elephans & Balenes,
-d’un atome s’il faut ainsi dire de semence. C’est en quoy elle s’efforce
-d’imiter son Createur, qui a coustume de tirer la grandeur de ses
-actions, de la foiblesse de leurs principes, & de les mener d’un
-commencement debile au progrez d’une perfection accomplie. Et en effet
-lors qu’il voulut delivrer son peuple de la captivité de Pharaon, il
-n’envoya pas quelque Roy, ou quelque Prince, accompagné d’une puissante
-armée, mais il se servit d’un simple homme [194]_impeditioris &
-tardioris linguæ, qui pascebat oves Jethro soceri sui_; (Exod. 3. & 4.)
-lors qu’il voulut chastier & épouvanter les Egyptiens, il ne se servit
-pas du foudre ny du tonnerre, [195]_sed immisit tantum ranas, cyniphes &
-locustas & omne genus muscarum_; lors qu’il fallut delivrer les
-Philistins, ce fut par les mains de Saül qu’il fit couronner Roy de son
-peuple, au même temps qu’il ne pensoit qu’à chercher [196]_asinas patris
-sui Cis_; (1 Reg. 11.) ainsi pour combattre Goliath, il choisit David
-[197]_dum ambulabat post gregem patris sui_; (c. 17.) & pour delivrer
-Bethulie de la persecution d’Holofernes, il n’employa point de puissans
-& courageux soldats, [198]_sed manus fœminæ dejecit eum_. (Judith. 9.)
-Mais puis que ces actions sont autant de miracles, & que nous ne pouvons
-pas les tirer en consequence, faisons un peu de reflexion sur la
-grandeur de l’Empire du Turc, & sur les merveilleux progrez que font
-tous les jours les Lutheriens & Calvinistes, & je m’asseure que l’on
-sera contraint d’admirer comme le dépit de deux Moines qui n’avoient
-pour toutes armes que la langue & la plume, ont pû estre cause de si
-grandes revolutions, & de changemens en la Police & en la Religion si
-extraordinaires. Aprés quoy il faut avoüer que les Ambassadeurs des
-Scythes avoient bonne raison de remonstrer à Alexandre, que [199]_fortis
-Leo aliquando minimarum avium pabulum est, ferrum rubigo consumit, &
-nihil est cui periculum non immineat ab invalido_. C’est doncques le
-devoir du bon Politique, de considerer toutes les moindres circonstances
-qui se rencontrent aux affaires serieuses & difficiles, pour s’en
-servir, en les augmentant, & en faisant quelquefois d’une Mouche un
-Elefant, d’une petite égratignure une grande playe, & d’une étincelle un
-grand feu; ou bien en diminuant toutes ces choses suivant qu’il en sera
-besoin pour favoriser ses intentions. Et à ce propos il me souvient d’un
-accident peu remarqué qui se passa aux Estats tenus à Paris l’an 1615,
-lequel neanmoins estoit capable de ruiner la France, & de luy faire
-changer sa façon de Gouvernement, si l’on n’y eust promptement remedié;
-car la Noblesse ayant inseré dans son cahier de remonstrances un article
-pour faire comprendre le bien qui pouvoit revenir à la France de la
-cassation du droit annuel, ou pour estre mieux entendu de la Polette, le
-Tiers Estat qui se croyoit grandement lesé par cette proposition, en
-coucha un autre dans le sien, par lequel le Roy estoit supplié, de
-retrancher les pensions qu’il donnoit à beaucoup de Gentilshommes qui ne
-luy rendoient aucun service; là-dessus chaque partie commence à
-s’alterer, & chacun de son costé envoye des deputez pour faire entendre
-ses raisons; ils se rencontrent, & en viennent aux injures, les deputez
-de la Noblesse appellant ceux du Tiers Estat des Rustres, & les menaçant
-de les traitter à coups d’éperon; ceux-cy répondent qu’ils n’avoient pas
-la hardiesse de le faire, & que s’ils y avoient seulement songé, il y
-avoit 100000 hommes dans Paris, qui en tireroient la raison sur le
-champ: cependant quelques Magistrats & Ecclesiastiques qui estoient
-presens à ces discours, jugeant bien des dangereuses consequences qui en
-pouvoient arriver, vont à bride abbatue au Louvre, avertissent le Roy de
-ce qui se passe, le prient & conjurent d’y remedier promptement, & font
-en sorte que Sa Majesté, les Reynes & tous les Princes y interposant
-leur autorité, defenses furent faites sur peine de la vie, de plus
-parler de ces deux articles, ny de plus tenir aucun discours de tout ce
-qui s’estoit passé à leur sujet; & bien nous prit de ce qu’on y apporta
-si promptement remede: car si les deputez de la Noblesse eussent passé
-des paroles aux effets, ceux du Tiers Estat se fussent peut-estre
-rencontrez si violents, obstinez & vindicatifs, & le peuple de Paris en
-telle verve & disposition, que toute la Noblesse qui y estoit, eust
-couru grande risque d’estre sacagée, & peut-estre qu’en suite on eust
-fait le même par toutes les autres villes du Royaume, qui suivent
-d’ordinaire l’exemple de la Capitale.
-
- [194] Qui n’avoit pas la langue bien pendue & avoit peine à parler, &
- qui paissoit les brebis de son beaupere Jethro.
-
- [195] Mais leur envoya des grenoüilles, des sauterelles, des mouches à
- chien, & toutes autres sortes de mouches.
-
- [196] Les ânesses de Cis son pere.
-
- [197] Lors qu’il alloit aprés le troupeau de son pere.
-
- [198] Mais il fut abbatu par la main d’une femme.
-
- [199] Quelquefois le Lion courageux sert de pasture aux plus petits
- oiseaux, que la roüillure consume le fer, & qu’il n’y a rien qui ne
- coure risque d’estre endommagé de la plus foible chose.
-
-Or parce que si cet accident fust arrivé, c’eust esté par le moyen de la
-populace, laquelle sans juger & connoistre ce qui estoit de la raison,
-se fust jettée à l’impourveu & à l’étourdie, sur ceux qu’on luy auroit
-mis les premiers en butte de sa fureur; il n’est pas hors de propos
-d’avertir & de mettre pour une troisiéme persuasion, que les meilleurs
-Coups d’Estat se faisant par son moyen on doit aussi particulierement
-connoistre, quel est son naturel, & avec combien de hardiesse &
-d’asseurance on s’en peut servir, & la tourner & disposer à ses
-desseins. Ceux qui en ont fait la plus entiere & la plus particuliere
-description, la representent à bon droit comme une beste à plusieurs
-testes, vagabonde, errante, folle, étourdie, sans conduite, sans esprit,
-ny jugement. Et en effet si l’on prend garde à sa raison, Palingenius
-dit, que
-
- [200]_Judicium vulgi insulsum, imbecillaque mens est._
-
-(in Piscib.)
-
- [200] Le jugement du commun peuple est toujours sot, & son entendement
- foible.
-
-Si à ses passions, le même ajouste,
-
- [201]_Quod furit atque ferit sævissima bellua vulgus._
-
-(in Sagitt.)
-
- [201] Que la populace est une tres-cruelle beste, & qu’elle devient
- furieuse & frape le plus souvent.
-
-Si à ses mœurs & façons de faire, [202]_Hi vulgi mores, odisse
-præsentia, ventura cupere, præterita celebrare._ Si à toutes ses autres
-qualitez, Saluste nous la represente, [203]_ingenio mobili, seditiosam,
-discordiosam, cupidam rerum novarum, quieti & otio adversam_. Mais moy
-je passe plus outre, & dis qu’elle est inferieure aux bestes, pire que
-les bestes, & plus sotte cent fois que les bestes mêmes; car les bestes
-n’ayant point l’usage de la raison, elles se laissent conduire à
-l’instinct que la Nature leur donne pour regle de leur vie, actions,
-passions & façons de faire, dont elles ne se departent jamais, sinon
-lors que la méchanceté des hommes les en fait sortir. Là où le peuple
-(j’entens par ce mot le vulgaire ramassé, la tourbe & lie populaire,
-gens sous quelque couvert que ce soit de basse, servile, & mechanique
-condition) estant doüé de la raison; il en abuse en mille sortes, &
-devient par son moyen le Theatre où les Orateurs, les Predicateurs, les
-faux Prophetes, les imposteurs, les rusez politiques, les mutins, les
-seditieux, les dépitez, les superstitieux, les ambitieux, bref tous ceux
-qui ont quelque nouveau dessein, representent leurs plus furieuses &
-sanglantes tragedies. Aussi sçavons nous que cette populace est comparée
-à une mer sujette à toutes sortes de vents & de tempestes: au Cameleon
-qui peut recevoir toutes sortes de couleurs excepté la blanche; & à la
-sentine & cloaque dans laquelle coulent toutes les ordures de la maison.
-Ses plus belles parties sont d’estre inconstante & variable, approuver &
-improuver quelque chose en même temps, courir toujours d’un contraire à
-l’autre, croire de leger, se mutiner promptement, toujours gronder &
-murmurer: bref tout ce qu’elle pense n’est que vanité, tout ce qu’elle
-dit est faux & absurde, ce qu’elle improuve est bon, ce qu’elle approuve
-mauvais, ce qu’elle louë infame, & tout ce qu’elle fait & entreprend
-n’est que pure folie. Aussi est-ce ce qui a fait dire à Seneque, (_de
-vita B. cap. 2._) [204]_Non tam bene cum rebus humanis geritur ut
-meliora pluribus placeant: argumentum pessimi est turba._ Et le même ne
-donne autre avis pour connoistre les bonnes opinions & comme parle le
-Poëte Satyrique, [205]_quid solidum crepet_, sinon de ne pas suivre
-celle du peuple, [206]_Sanabimur si modo separemur à cœtu._ Que Postel
-luy persuade que Jesus-Christ n’a sauvé que les hommes, & que sa mere
-Jeanne doit sauver les femmes, il le croira soudain. Que David George se
-dise fils de Dieu, il l’adorera. Qu’un tailleur enthousiaste & fanatique
-contrefasse le Roy dans Munster, & dise que Dieu l’a destiné pour
-chastier toutes les Puissances de la terre, il luy obeïra & le
-respectera comme le plus grand Monarque du monde. Que le Pere Domptius
-luy annonce la venuë de l’Antechrist, qu’il est âgé de dix ans, qu’il a
-des cornes, il témoignera de s’en effrayer. Que des imposteurs &
-Charlatans se qualifient freres de la Rose-Croix, il courra aprés eux.
-Qu’on luy rapporte que Paris doit bien-tost abismer, il s’enfuira. Que
-tout le monde doit estre submergé, il bastira des Arches & des basteaux
-de bonne heure pour n’estre pas surpris. Que la mer se doit secher & que
-des chariots pourront aller de Genes à Jerusalem, il se preparera pour
-faire le voyage. Qu’on luy conte les fables de Melusine, du sabat des
-sorcieres, des loups garoux, des lutins, des fées, des Paredres, il les
-admirera. Que la matrice tourmente quelque pauvre fille, il dira qu’elle
-est possedée, ou croira à quelque Prestre ignorant ou méchant, qui la
-fait passer pour telle. Que quelque Alchimiste, Magicien, Astrologue,
-Lulliste, Cabaliste, commencent un peu à la cajoller, il les prendra
-pour les plus sçavans, & pour les plus honnestes gens du monde. Qu’un
-Pierre l’Hermite vienne prescher la croisade, il fera des reliques du
-poil de son mulet. Qu’on luy dise en riant qu’une Canne ou un Oison sont
-inspirées du S. Esprit, il le croira serieusement. Que la peste ou la
-tempeste ruine une province, il en accusera soudain des graisseurs ou
-Magiciens. Bref si on le trompe & befle aujourd’huy, il se lairra encore
-surprendre demain, ne faisant jamais profit des rencontres passez, pour
-se gouverner dans les presentes ou futures; & en ces choses consistent
-les principaux signes de sa grande foiblesse & imbecillité. Pour ce qui
-est de son inconstance, nous en avons un bel exemple dans les Actes des
-Apostres en ce que les habitans de Lystrie & de Derben, n’eurent pas
-plutost apperceu S. Paul & S. Barnabé, que [207]_levaverunt vocem suam
-Lycaonicè dicentes; Dii similes facti hominibus descendunt ad nos; &
-vocabant Barnabam Jovem, Paulum quoque Mercurium_; & neanmoins
-incontinent aprés voila que [208]_lapidantes Paulum, traxerunt eum extra
-civitatem, existimantes mortuum esse_. Les Romains adorent le matin
-Seianus, & le soir
-
- [209]_Ducitur unco
- Spectandus._
-
-(Juven. Sat. 10.)
-
- [202] Voicy les mœurs du menu peuple, haïr les choses presentes,
- desirer les futures, & celebrer celles qui sont passées.
-
- [203] D’un naturel inconstant, seditieuse, querelleuse, convoiteuse de
- choses nouvelles, & ennemie du repos & de la tranquillité.
-
- [204] Les choses humaines n’ont pas tant de bonne fortune, que les
- plus saines & les meilleures soient agreables au plus grand nombre:
- La foule est ordinairement une marque du peu de prix que valent les
- choses.
-
- [205] Qu’est-ce qu’il y a de solide.
-
- [206] Nous serons gueris pourveu que nous nous separions de la foule.
-
- [207] Ils éleverent leur voix & dirent en langue Lycaonienne: Les
- Dieux sont descendus vers nous sous la forme d’hommes: Et ils
- appeloient Barnabé Jupiter & Paul Mercure.
-
- [208] Ayant lapidé Paul, ils le traisnerent hors de la ville croyant
- qu’il fust mort.
-
- [209] Il est traîné avec un croc pour servir de spectacle au peuple.
-
-Les Parisiens en font de même du Marquis d’Ancre, & aprés avoir déchiré
-la robe du Pere à Jesus Maria, pour en conserver les pieces comme
-reliques, ils le befflent, & s’en mocquent deux jours aprés. Que s’il
-entre en colere, ce sera comme le jeune homme de Horace, lequel
-
- [210]_Iram
- Colligit & ponit temerè, & mutatur in horas._
-
-(ad Pison.)
-
- [210] Se courrouce & s’appaise facilement, & change à toute heure.
-
-S’il rencontre quelque homme d’autorité lors qu’il est en sa plus
-boüillante mutinerie & sedition, il s’enfuira & abandonnera tout; s’il
-se presente quelque gueux temeraire, ou hardy qui luy remette, comme on
-dit communément, le cœur au ventre, & le feu aux étoupes, il reviendra
-plus furieux qu’auparavant; bref nous luy pouvons particulierement
-attribüer ce que disoit Seneque (_de vita B. cap. 28._) de tous les
-hommes, [211]_fluctuat, aliud ex alio comprehendit, petita relinquit,
-relicta repetit, alternæ inter cupiditatem suam, & pœnitentiam vices
-sunt_. Or d’autant que la force gist toujours de son costé, & que c’est
-luy qui donne le plus grand branle à tout ce qui se fait
-d’extraordinaire dans l’Estat, il faut que les Princes ou leurs
-Ministres s’estudient à le manier & persuader par belles paroles, le
-seduire & tromper par les apparences, le gagner & tourner à ses desseins
-par des predicateurs & miracles sous pretexte de sainteté, ou par le
-moyen des bonnes plumes, en leur faisant faire des livrets clandestins,
-des manifestes, apologies & declarations artistement composées pour le
-mener par le nez, & luy faire approuver ou condamner sur l’etiquete du
-sac tout ce qu’il contient.
-
- [211] Il est toujours en doute, il fait toujours de nouveaux desseins,
- il quitte ce qu’il avoit demandé, & il redemande aussi-tost ce qu’il
- vient de quitter: le desir & le repentir commandent chez luy tour à
- tour, & possedent l’un aprés l’autre la domination de son ame.
-
-Mais comme il n’y a jamais eu que deux moyens capables de maintenir les
-hommes en leur devoir, sçavoir la rigueur des supplices établis par les
-anciens legislateurs pour reprimer les crimes, dont les juges pouvoient
-avoir connoissance; & la crainte des Dieux & de leur foudre, pour
-empescher ceux dont par faute de témoins ils ne pouvoient estre
-suffisamment informez, conformément à ce que dit le Poëte Palingenius:
-(_in Libra._)
-
- [212]_Semiferum vulgus frænandum est relligione
- Pœnarumque metu, nam fallax atque malignum
- Illius ingenium est semper, nec sponte movetur
- Ad rectum._
-
- [212] C’est par la religion & par la crainte des supplices, qu’il faut
- brider la populace à demy sauvage, car son esprit est toujours
- trompeur & malin, & de soi-même ne se porte point à ce qui est
- droit.
-
-Aussi les mêmes Legislateurs ont bien reconnu, qu’il n’y avoit rien qui
-dominast avec plus de violence les esprits des peuples que ce dernier,
-lequel venant à se trouver en butte de quelque action, il porte soudain
-toute la poursuite que l’on en peut faire à l’extremité; la prudence se
-change en passion, la colere, s’il y en a tant soit peu, se tourne en
-rage, toute la conduite s’en va en confusion, les biens mêmes & la vie
-ne se mettent pas en consideration, s’il les faut perdre pour defendre
-la divinité de quelque dent de singe, d’un bœuf, d’un chat, d’un oignon,
-ou de quelque autre idole encore plus ridicule, [213]_nulla siquidem res
-efficacius multitudinem movet quàm superstitio_. (Q. Curt. l. 4.) Et en
-effet ç’a toujours esté le premier masque que l’on a donné à toutes les
-ruses & tromperies pratiques aux trois differences de vie, ausquelles
-nous avons déja dit, que l’on pouvoit rapporter les Coups d’Estat. Car
-pour ce qui est de la Monastique, nous avons l’exemple dans S. Hierôme
-(_epist. 13. lib. 2._) de ces vieux moines de la Thebaïde, qui
-[214]_dæmonum contra se pugnantium portenta fingunt, ut apud imperitos &
-vulgi homines miracula sui faciant & lucra sectentur_. A quoy nous
-pouvons rapporter la tromperie que firent les prestres du Dieu Canopus,
-pour le rendre superieur au feu qui estoit le Dieu des Perses;
-l’invention du Chevalier Romain Monde, pour jouïr de la belle Pauline
-sous le nom d’Esculape, les visions supposées des Jacobins de Berne, &
-les fausses apparitions des Cordeliers d’Orleans, qui sont toutes trop
-communes & triviales pour en faire icy un plus long recit. Que si l’on
-doute qu’il ne se commette un pareil abus dans l’œconomie, il ne faut
-que lire ce que Rabby Moses écrit des Prestres de l’Idole Thamuz ou
-Adonis, qui pour augmenter leurs offrandes, le faisoient bien souvent
-pleurer sur les iniquitez du peuple, mais avec des larmes de plomb
-fondu, au moyen d’un feu qu’ils allumoient derriere son image; & certes
-il n’y aura plus d’occasion d’en douter, aprés avoir leu dans le dernier
-Chapitre de Daniel, comme en couvrant de cendres le pavé de la Chapelle
-de l’Idole Bel, il découvrit que les Prestres avec leurs femmes & enfans
-venoient enlever de nuict par des conduits sousterrains, tout ce que le
-pauvre peuple abusé croyoit estre mangé par ce Dieu qu’ils adoroient
-sous la figure d’un dragon. Finalement pour ce qui est de la Politique,
-il faut un peu s’y étendre davantage, puis que c’est nostre principal
-dessein, & montrer en quelle façon les Princes ou leurs Ministres,
-[215]_quibus quæstui sunt capti superstitione animi_, (Livius l. 4.) ont
-bien sceu ménager la Religion, & s’en servir comme du plus facile & plus
-asseuré moyen, qu’ils eussent pour venir à bout de leurs entreprises
-plus relevées. Je trouve doncques qu’ils en ont usé en cinq façons
-principales, sous lesquelles par aprés on en peut rapporter beaucoup
-d’autres petites. La premiere & la plus commune & ordinaire est celle de
-tous les Legislateurs & Politiques, qui ont persuadé à leurs peuples,
-d’avoir la communication des dieux, pour venir plus facilement à bout de
-ce qu’ils avoient la volonté d’executer: comme nous voyons qu’outre ces
-anciens que nous avons rapportez cy-dessus, Scipion voulut faire croire
-qu’il n’entreprenoit rien sans le Conseil de Jupiter Capitolin, Sylla
-que toutes ses actions estoient favorisées par Apollon de Delphe, duquel
-il portoit toujours une petite image; & Sertorius que sa biche luy
-apportoit les nouvelles de tout ce qui estoit conclu dans le concile des
-Dieux. Mais pour venir aux Histoires qui nous sont plus voisines, il est
-certain que par de semblables moyens Jacques Bussularius domina quelque
-temps à Pavie, Jean de Vicence à Boulogne, & Hierôme Savanarole à
-Florence, duquel nous avons cette remarque dans Machiavel: (sur T. Liv.)
-_Le peuple de Florence n’est pas beste, auquel neanmoins F. Hierôme
-Savanarole a bien fait croire qu’il parloit à Dieu._ Il n’y a pas plus
-de soixante ans que Guillaume Postel en voulut faire de même en France,
-& depuis peu encore Campanelle en la haute Calabre: mais ils n’en purent
-venir à bout, non plus que les precedens, pour n’avoir pas eu la force
-en main; car comme dit Machiavel, cette condition est necessaire à tous
-ceux qui veulent établir quelque nouvelle Religion. Et en effet ce fut
-par son moyen que le Sophi Ismaël, ayant par l’avis de Treschel Cuselbas
-introduit une nouvelle secte en la religion de Mahomet, il usurpa en
-suite l’Empire de Perse, & il arriva presque en même temps, que
-l’Hermite Schacoculis, aprés avoir bien joüé son personnage l’espace de
-sept ans dans un desert, leva enfin le masque, & s’estant declaré
-autheur d’une nouvelle secte, il s’empara de plusieurs villes, defit le
-Bascha d’Anatolie, avec Corcut fils de Bajazet, & eut bien passé plus
-outre, s’il n’eust irrité par le sac d’une caravane le Sophi de Perse,
-qui le fit tailler en pieces par ses soldats. Lipse met encore avec
-ceux-cy un certain Calender, qui par une devotion simulée ébranla toute
-la Natolie, & tint les Turcs en cervelle, jusques à ce qu’il fust défait
-en une bataille rangée; & un Ismaël Africain qui prit cette voye pour
-ravir le sceptre à son maistre le Roy de Maroc.
-
- [213] Il n’y a rien qui fasse agir plus efficacement la populace, que
- la superstition.
-
- [214] Feignent des monstres & Demons qui se batent contre eux, pour
- persuader leurs miracles aux idiots & au menu peuple, & pour aquerir
- du bien.
-
- [215] Qui font leur profit des esprits adonnés à la bigoterie.
-
-La seconde invention de laquelle ont usé les Politiques pour se
-prevaloir de la religion parmy les peuples, a esté de feindre des
-miracles, controuver des songes, inventer des visions, & produire des
-monstres & des prodiges:
-
- [216]_Quæ vitæ rationem vertere possent,
- Fortunasque omnes magno turbare timore._
-
- [216] Qui pussent changer la façon de vivre, & troubler toutes les
- fortunes par une grande crainte.
-
-Ainsy voyons nous qu’Alexandre ayant esté avisé par quelque Medecin d’un
-remede souverain contre les flesches empoisonnées de ses ennemis, il fit
-croire que Jupiter le luy avoit revelé en songe: & Vespasian attitroit
-des personnes qui feignoient d’estre aveugles & boiteuses, afin qu’il
-les guerist en les touchant; c’est aussi pour cette raison que Clovis
-accompagna sa conversion de tant de miracles; que Charles Sept augmenta
-le credit de Jeanne la Pucelle, & l’Empereur d’apresent celuy du Pere à
-Jesus Maria; sous esperance peut-estre de gagner encore quelque bataille
-non moindre que celle de Prague.
-
-La troisiéme a pour fondement les faux bruits, revelations, &
-propheties, que l’on fait courir à dessein pour épouvanter le peuple,
-l’étonner, l’ébranler, ou bien pour le confirmer, enhardir & encourager,
-suivant que les occasions de faire l’un ou l’autre se presentent. Et à
-ce propos Postel remarque, que Mahomet entretenoit un fameux Astrologue,
-qui ne faisoit autre chose que prescher une grande revolution, & un
-grand changement qui se devoit faire, tant en la religion, qu’en
-l’Empire, avec une longue suite de toutes sortes de prosperitez, afin de
-frayer par cette invention le chemin au même Mahomet, & preparer les
-peuples à recevoir plus volontiers la religion qu’il vouloit introduire,
-& par même moyen intimider ceux qui ne la voudroient pas approuver, par
-le soupçon qu’ils pouvoient avoir de combattre contre l’ordre des
-destinées, en s’opposant à ce nouveau favory du Ciel, celuy-là estant
-toujours le plus avantagé,
-
- [217]_Cui militat æther
- Et conjurati veniunt ad classica venti._
-
- [217] Pour qui le ciel combat, & les vents d’un commun accord vienent
- au son de ses trompettes.
-
-Ce fut par le moyen de ces folles creances que Ferdinand Cortez occupa
-le Royaume de Mexique, où il fut receu comme s’il eust esté le
-Topilchin, que tous les devins avoient predit devoir bien-tost arriver.
-Et François Pizarre dans celuy du Perou, où il entra avec le general
-applaudissement de tous les peuples, qui le prenoient pour celuy que le
-Viracoca devoit envoyer pour delivrer leur Roy de la captivité.
-Charlemagne même penetra bien avant dans l’Espagne au moyen d’une
-vieille idole, qui comme les devins avoient preveu laissa tomber une
-grosse clef qu’elle tenoit en la main; & les Alarbes ou Sarasins venant
-sous la conduite du Comte Julian, à inonder le même Royaume d’Espagne,
-on ne tint presque conte de les repousser, parce qu’on avoit veu quelque
-temps auparavant leurs faces depeintes sur une toile qui fut trouvée
-dans un vieil Chasteau proche la ville de Tolede, où l’on croyoit
-qu’elle avoit esté enfermée par quelque grand Prophete. Et j’ose bien
-dire avec beaucoup d’Historiens, que sans ces belles predictions,
-Mahomet II n’auroit pas si facilement pris la ville de Constantinople.
-Mais veut-on un exemple plus remarquable, que celuy qui arriva en l’an M
-DC XIII, au sujet d’Ascosta Cité principale de l’Isle de Magna, laquelle
-estant revoltée contre le Sophi, elle fut prise sans beaucoup de
-difficulté par son Lieutenant Arcomat, & ce en vertu d’une certaine
-prophetie receuë par tradition entre les citoyens, qui disoit que si
-cette ville ne se rendoit à Arcomat, elle seroit Arcomatée, c’est à dire
-que si elle ne se rendoit à _Dissipe_ elle seroit dissipée, encore que
-si elle eust voulu se defendre, elle n’eust peut-estre pas esté prise,
-veu qu’au rapport de Garcias _ab Horto_ Medecin Portugais, qui y avoit
-esté trente ou quarante ans auparavant, elle contenoit cinq lieuës de
-tour, cinquante mille feux, & rendoit au Sophi quinze millions six cens
-mille escus chaque année de revenu asseuré. C’est doncques un grand
-chemin ouvert aux Politiques pour tromper & seduire la sotte populace,
-que de se servir de ces predictions pour luy faire craindre ou esperer,
-recevoir ou refuser tout ce que bon luy semblera.
-
-Mais celuy d’avoir des Predicateurs & de se servir d’hommes bien-disans
-est encore beaucoup plus court & plus asseuré, n’y ayant rien de quoy
-l’on ne puisse facilement venir à bout par ce stratageme. La force de
-l’eloquence & d’un parler fardé & industrieux, coule avec tel plaisir
-dans les oreilles, qu’il faut estre sourd, ou plus fin que Ulysses, pour
-n’en estre pas charmé; Aussi est-il vray, que tout ce que les Poëtes ont
-écrit des douze labeurs d’Hercules, trouve sa mythologie dans les
-differents effets de l’eloquence, par le moyen de laquelle ce grand
-homme venoit à bout de toutes sortes de difficultez; c’est pourquoy les
-anciens Gaulois eurent bonne raison de le representer avec beaucoup de
-petites chaisnes d’or qui sortoient de sa bouche, & s’alloient attacher
-aux oreilles d’une grande multitude de personnes qu’il trainoit ainsi
-enchainée aprés soy. Ce fut encore par ce moyen que
-
- [218]_Sylvestres homines sacer interpresque deorum,
- Cædibus & victu fœdo deterruit Orpheus,
- Dictus ob hoc lenire Tygres, rabidosque Leones._
-
-(Horat. de Art. poët.)
-
- [218] Le divin Orphée interprete des Dieux a retiré du meurtre & de la
- barbarie les hommes sauvages; ce qui luy a donné le bruit d’avoir
- trouvé l’invention d’adoucir les Tygres & les Lyons furieux.
-
-Et par la même raison Philippe Roy de Macedoine, l’un des grands
-Politiques qui ait jamais esté, & qui sçavoit fort bien que [219]_omnia
-summa ratione gesta etiam fortuna sequitur_, (T. Liv.) ne se soucioit
-point de combattre ouvertement & à main forte contre les Atheniens, veu
-qu’il luy estoit plus facile de les surmonter par l’eloquence de
-Demosthenes, & par les resolutions prejudiciables qu’il faisoit passer
-au Senat. Pericles s’aidoit pareillement du beau parler d’Ephialte, pour
-rendre le même Estat des Atheniens du tout populaire; & c’est pour cette
-raison que l’on disoit anciennement, que les Orateurs avoient le même
-pouvoir sur la populace que les vents ont sur la mer. Aprés quoy s’il
-faut aussi parler de nostre France, ne sçait-on pas que cette fameuse
-Croisade entreprise avec tant de zele par Godefroy de Boüillon, fut
-persuadée & concluë par les harangues & predications d’un simple homme
-surnommé Pierre l’Hermite, comme la seconde par celles de Saint Bernard;
-Quoy plus y eut-il jamais un meurtre plus meschant, & plus abominable
-que celuy de Louys Duc d’Orleans fait l’an 1407, par le Duc de
-Bourgogne? Neanmoins il se trouva Maistre Jean Petit Theologien & grand
-Predicateur, qui le sceut si bien pallier, couvrir & déguiser par les
-sermons qu’il fit à Paris dans le parvis de Nostre-Dame, que tous ceux
-qui vouloient par aprés soustenir le party de la Maison d’Orleans
-estoient tenus par le peuple pour mutins & rebelles; ce qui les
-contraignit d’user du même artifice que leur ennemy, & de se mettre sous
-la protection de ce grand homme de bien Jean Gerson, qui entreprit leur
-defense, & fit declarer au Concile de Constance la proposition tenuë par
-Petit, pour heretique & erronée. Mais comme ce Jean Petit avoit esté
-cause d’un grand mal sous Charles VI, il y eut un frere Richard
-Cordelier sous Charles VII, qui fut aussi cause d’un grand bien; car en
-dix predications de six heures chacune qu’il fit dans Paris, il fit
-jetter dans des feux allumez tout exprés aux carrefours, tout ce qu’il y
-avoit de tables, tabliers, cartes, billes, billards, dez, & autres jeux
-de sort ou de chance, qui portent & violentent les hommes à jurer &
-blasphemer: mais ce bon homme ne fut pas si-tost sorti de Paris qu’on
-commença à le mépriser & à le gausser ouvertement, & le peuple retourna
-avec plus d’application qu’auparavant, à ses divertissemens ordinaires:
-ne plus ne moins que les metamorphoses étranges, & les conversions, s’il
-faut ainsi dire, miraculeuses que faisoit, il n’y a pas vingt ans, le
-Pere Capucin _Giacinto da Casale_ par toutes les villes d’Italie où il
-preschoit, ne duroient qu’autant de temps que ledit Pere y demeuroit
-pour y exercer les fonctions de cette charge. Que si nous descendons au
-regne de François Premier, nous y verrons cette grande & furieuse
-bataille de Marignan, donnée avec tant d’obstination & d’animosité par
-les Suisses, qu’ils combattirent deux jours entiers, & se firent presque
-tous étendre sur la place, sans neanmoins en avoir eu d’autre sujet plus
-pressant que la Harangue que leur fit le Cardinal de Sion nommé dans
-Paul Jove (_in elog._) [220]_Sedunensis Antistes_; car aprés l’avoir
-entendu haranguer, ils se resolurent de combattre, livrerent la
-bataille, & contesterent la victoire jusques à la derniere goutte de
-leur sang. Nous y verrons aussi comme Monluc Evêque de Valance, fut
-envoyé vers les Venitiens pour legitimer par ses belles paroles, le
-secours que son Maistre faisoit venir de Turquie pour se defendre contre
-l’Empereur Charles V, & lors que la S. Barthelemy fut faite, le même
-Monluc & Pibrac, travaillerent si bien de la plume & de la langue, que
-cette grande execution ne put détourner, comme nous l’avons déja
-remarqué, les Polonois, quoy que instruits particulierement de tout ce
-qui s’y estoit passé par les Calvinistes, de choisir Henry III pour leur
-Roy, au prejudice de tant d’autres Princes qui n’avoient rien épargné
-pour venir à bout de leurs pretentions. Ne fut-ce pas aussi une chose
-remarquable, que le premier siege de la Rochelle, fut mieux soustenu par
-les continuelles predications de quarante Ministres qui s’y estoient
-refugiez, que par tous les Capitaines & Soldats dont elle estoit assez
-bien fournie? Et du temps que les Parisiens mangeoient les Chiens & les
-Rats pour n’obeïr pas à un Roy heretique, n’estoit-ce pas Boucher, Rose,
-Wincestre, & beaucoup d’autres Curez qui les entretenoient en cette
-resolution? Certes il est tres-constant que si le Ministre Chamier
-n’eust esté emporté d’un coup de canon sur les bastions de Montauban,
-cette ville n’auroit peut-estre pas donné moins de peine à prendre que
-la Rochelle. Et lors que Campanelle eut dessein de se faire Roy de la
-haute Calabre, il choisit tres à propos pour compagnon de son
-entreprise, un frere Denys Pontius, qui s’estoit acquis la reputation du
-plus eloquent, & du plus persuasif homme qui fust de son temps. Aussi
-voyons nous dans l’ancien Testament que Dieu voulant delivrer son peuple
-par le moyen de Moyse, qui n’estoit bon qu’à commander, à cause qu’il
-estoit begue & homme de fort peu de paroles, il luy enjoignit de se
-servir de l’eloquence de son frere Aaron. [221]_Aaron frater tuus
-levites, scio quod eloquens sit, loquere ad eum, & pone verba mea in ore
-ejus_, (Exodi cap. 4.) & un peu aprés il repete encore, [222]_ecce
-constitui te Deum Pharaonis, & Aaron frater tuus erit Propheta tuus, tu
-loqueris ei omnia quæ mandabo tibi, & ille loquetur ad Pharaonem_. (cap.
-7.) C’est ce que les Payens vrais Singes de nos Mysteres, ont depuis
-voulu representer par leur Pallas Deesse des sciences & de l’eloquence,
-laquelle neanmoins estoit armée de la lance, bouclier, & bourguignote,
-pour monstrer que les armes ne sçauroient beaucoup avancer sans
-l’eloquence, ny l’eloquence sans les armes. Or d’autant que cette
-liaison & assemblage de deux si differentes qualitez, ne se peut que
-fort rarement trouver en une même personne, comme a fort bien monstré
-Virgile par l’exemple de Drances,
-
- [223]_Cui lingua melior, sed frigida bello
- Dextra._
-
- [219] La fortune accompagne tout ce qu’on fait avec un grand
- raisonnement.
-
- [220] Prelat de Sion.
-
- [221] Je sçay que ton frere Aaron le Levite est eloquent, parle à luy,
- & luy mets mes paroles en sa bouche.
-
- [222] Voicy, je t’ay établi Dieu sur Pharaon, & ton frere Aaron sera
- ton Prophete; tu luy diras tout ce que je t’ordonneray, & il le dira
- lui-même à Pharaon.
-
- [223] Qui a la langue bonne, mais ses mains sont froides au combat.
-
-Cela a esté cause, que les plus grands Capitaines ont toujours observé
-pour suppléer à ce defaut, d’avoir à leur suite, ou de se joindre
-d’affection avec quelqu’un assez puissant, pour seconder par l’effort de
-sa langue celuy de leur épée: Ninus par exemple se servit de Zoroastre,
-Agamemnon de Nestor, Diomedes d’Ulysse, Pyrrhus de Cynée, Trajan de
-Pline le Jeune, Theodoric de Cassiodore; & le même se peut ainsi dire de
-tous les grands guerriers qui n’ont pas moins que les precedens caressé
-cette [224]_Venus verticordia_, & n’ont pareillement ignoré, que
-
- [225]_Cultus habet sermo & sapiens mirabile robur,
- Imperat affectus varios, animumque gubernat._
-
- [224] Venus qui change & tourne les cœurs où elle veut.
-
- [225] Un discours sage & bien poli a une merveilleuse force, il
- gouverne l’esprit, & commande sur des passions diverses.
-
-Pour moy je tiens le discours si puissant, que je n’ay rien trouvé
-jusques à cette heure, qui soit exempt de son empire, c’est luy qui
-persuade, & qui fait croire les plus fabuleuses religions, qui suscite
-les guerres les plus iniques, qui donne voile & couleur aux actions les
-plus noires, qui calme & appaise les seditions les plus violentes, qui
-excite la rage & la fureur aux ames les plus paisibles; bref c’est luy
-qui plante & abat les heresies, qui fait revolter l’Angleterre &
-convertir le Japon,
-
- [226]_Limus ut hic durescit, & hæc ut cera liquescit
- Uno eodemque igne._
-
-(Virg. Ecl. 4.)
-
- [226] Tout ainsi qu’un même feu endurcit la bouë & fait fondre la
- cire.
-
-Et si un Prince avoit douze hommes de telle trempe à sa devotion, je
-l’estimerois plus fort, & croirois qu’il se feroit mieux obeïr en son
-Royaume, que s’il y avoit deux puissantes armées. Mais d’autant que l’on
-se peut servir de l’eloquence en deux façons pour parler ou pour écrire;
-il faut encore remarquer que cette seconde partie n’est pas de moindre
-consequence que la premiere, & j’ose dire qu’elle la surpasse en quelque
-façon; car un homme qui parle ne peut estre entendu qu’en un lieu & de 3
-ou 4000 hommes tout au plus,
-
- [227]_Gaude quod videant oculi te mille loquentem._
-
- [227] Réjouï-toi de ce qu’il y a mille yeux qui te voient parler.
-
-Là où celuy qui escrit peut declarer ses conceptions en tous lieux, & à
-toutes personnes. J’ajouste que beaucoup de bonnes raisons échapent
-souvent aux oreilles par la precipitation de la langue, qui ne peuvent
-si facilement tromper les yeux quand ils repassent plusieurs fois sur
-une même chose. Et ce que les armes ne peuvent bien souvent obtenir sur
-les hommes, ceux-cy le gagnent par une simple declaration ou manifeste.
-C’est pourquoy François I, & Charles cinq ne se faisoient pas moins la
-guerre avec leurs lettres & apologies, qu’avec les lances & les épées: &
-nous avons veu de nostre temps, que la querelle du Pape & des Venitiens;
-le debat sur le serment de fidelité en Angleterre; la faveur du Marquis
-d’Ancre & Messieurs de Luyne en France, la guerre du Palatin en
-Allemagne, & des Valtelins en Suisse, ont produit une infinité de
-libelles autant prejudiciables aux uns que favorables aux autres. Ceux
-qui ont veu les merveilleux effets qu’ont produit la Cassandre & l’Ombre
-de Henry le Grand contre le Marquis d’Ancre, le Contadin Provençal &
-l’Hermite du mont Valerien, contre Messieurs de Luyne; le Mot à
-l’oreille & la voix publique, contre le Marquis de la Vieuville,
-[228]l’_Admonitio_ même, & le _Mysteria Politica_ de Jansenius, contre
-les bons desseins de nostre Roy. Ceux-là dis-je ne peuvent pas douter
-combien de semblables écrits ont de force. Et Dieu veüille que ceux n’en
-ayent pas tant contre l’estat present de la France qui sont
-journellement envoyez de Bruxelles, ou qu’il se trouve des personnes
-assez capables & affectionnées, pour defendre vigoureusement les
-interests du Roy contre les mutinez, comme le Pere Paul l’Hermite a
-courageusement defendu la cause des Venitiens; & Pibrac & Monluc celle
-de Charles IX & de Henry III, contre les plus furieuses médisances de
-tous les Calvinistes.
-
- [228] L’advertissement & les Mysteres Politiques.
-
-Mais aprés avoir amplement discouru de tous ces moyens pour accommoder
-la Religion aux choses Politiques, il ne faut pas oublier celuy qui a
-toujours esté le plus en usage, & plus subtilement pratiqué, qui est
-d’entreprendre sous le pretexte de Religion ce qu’aucun autre ne
-pourroit rendre valable & legitime. Et en effet le proverbe communément
-usurpé par les Juifs, [229]_in nomine Domini committitur omne malum_, ne
-se trouve pas moins veritable, que le reproche que fit le Pape Leon à
-l’Empereur Theodose, [230]_privatæ causæ pietatis aguntur obtentu, &
-cupiditatum quisque suarum religionem habet velut pedissequam_. De quoy
-puis que les exemples sont si communs que tous les livres ne sont pleins
-d’autre chose, je me contenteray, aprés avoir assez parlé de nos
-François, de m’arrester icy sur les Espagnols & de suivre ponctuellement
-ce que Mariana le plus fidele de leurs Historiens en a remarqué. Il dit
-doncques en parlant des premiers Goths, qui occuperent les Espagnes, &
-des guerres qu’ils faisoient pour se chasser les uns les autres, qu’ils
-se servoient de la Religion comme d’un pretexte pour regner, & son
-refrain ordinaire est, [231]_optimum fore judicavit religionis
-prætextum_, (l. 6. c. 5.) en parlant du Roy Josenand qui se fit assister
-des Bourguignons Arriens pour chasser le Roy Suintila; & lors qu’il est
-question des Roys de Chintila, [232]_cum species religionis
-obtenderetur_; (c. 6.) comme aussi décrivant en quelle façon Ervigius
-avoit chassé le Roy Wamba, [233]_optimum visum est religionis speciem
-obtendere_; (c. 7.) & quand deux freres de la Maison d’Arragon
-[234]_violento imperiosi Pontificis mandato_ (c’estoit Boniface VIII)
-s’armerent l’un contre l’autre, ce bon Pere remarque fort à propos,
-qu’il n’y avoit rien de plus inhumain, que de violer ainsi les loix de
-la nature, [235]_sed tanti fides religioque fuere_; (lib. 51. c. 1.) &
-le même encore parlant de la Navarre, que Ferdinand [236]_immensa
-imperandi ambitione_, osta à sa propre Niepce, il ajouste pour excuse,
-[237]_sed species religionis prætexta facto est, & Pontificis jussa_.
-(lib. 25. cap. ult.) Mais parce que ce ne seroit jamais fait de vouloir
-alleguer tous les endroits où ce brave auteur a fait de semblables
-remarques, j’attesteray tout son livre entier qui n’est plein d’autre
-chose; & passant à Charles V, je produiray contre luy ce que disoit
-François I, en son apologie de l’an 1537. _Charles veut empieter sur les
-Estats sous couleur de Religion._ Et en parlant de la guerre
-d’Allemagne, _l’Empereur sous couleur de religion armé de la ligue des
-Catholiques, veut opprimer l’autre & se faire le chemin à la Monarchie_,
-Ce qui fut aussi fort bien remarqué par Monsieur de Nevers au passage
-que nous avons allegué cy-dessus. Finalement lors que le feu Roy Jacques
-fut appellé à la Couronne d’Angleterre, le Roy d’Espagne se hasta de
-noüer une étroitte alliance avec luy, le Connestable de Castille y fut
-envoyé, la relation en a esté imprimée, & Rovida Senateur de Milan
-appelle cette alliance une œuvre tres-sainte, reconnoist le Roy
-d’Angleterre pour un tres-saint Prince Chrestien, luy offre de la part
-du Roy son Maistre toutes ses forces par mer & par terre, & proteste que
-le Roy d’Espagne le fait [238]_divinâ admonitione, divinâ voluntate,
-divinâ ope, non nisi magno Dei beneficio_. Puis doncques que le naturel
-de la plûpart des Princes est de traitter de la religion en Charlatans,
-& de s’en servir comme d’une drogue, pour entretenir le credit & la
-reputation de leur theatre, on ne doit pas, ce me semble, blâmer un
-Politique, si pour venir à bout de quelque affaire importante, il a
-recours à la même industrie, bien qu’il soit plus honneste de dire le
-contraire, & que pour en parler sainement,
-
- [239]_Non sunt hæc dicenda palam, prodendaque vulgo,
- Quippe hominum plerique mali, plerique scelesti._
-
-(Palingen. in Libra.)
-
- [229] Sous le nom de Dieu on commet toute sorte de mal.
-
- [230] On traite des affaires privées sous le pretexte de la religion,
- qu’un chacun rend chambriere de ses convoitises.
-
- [231] Il jugea que le pretexte de la religion seroit tres-bon.
-
- [232] Lors qu’on faisoit parade de la religion.
-
- [233] Il fut trouvé fort bon, de faire parade de la religion.
-
- [234] Par un ordre violent qu’un Pape imperieux donna.
-
- [235] Mais la foy & la religion eurent tant de force.
-
- [236] Par l’immense ambition qu’il avoit de commander à tous.
-
- [237] Mais il se couvrit du pretexte de la religion, & des ordres du
- Pape.
-
- [238] Par un avertissement divin, par la volonté divine, par
- l’assistance divine, & comme par une grande grace de Dieu.
-
- [239] On ne doit point découvrir ny reveler de telles choses au menu
- peuple, veu que parmy les hommes il y en a tant de méchants & de
- scelerats.
-
-Toutes ces maximes neanmoins demeureroient sans lustre, & sans éclat, si
-elles n’estoient rehaussées, & comme animées d’une autre, qui nous
-enseigne de les prendre par le bon biais, & de bien choisir l’heure & le
-temps favorable pour les mettre en execution,
-
- [240]_Data tempore prosunt,
- Et data non apto tempore multa nocent._
-
- [240] Les choses qu’on applique opportunément, profitent & reüssissent
- bien; mais il y en a beaucoup qui sont fort nuisibles, quand elles
- ne sont pas appliquées en un temps propre.
-
-Et encore n’est-ce pas assez d’avoir acquis cette prudence ordinaire &
-commune à beaucoup de Politiques, si nous ne passons à une autre encore
-plus rafinée, & qui est seulement propre aux plus rusez & experimentez
-Ministres, pour se prevaloir des occasions fortuites, & tirer profit &
-avantage de ce qui auroit esté negligé de quelque autre, ou qui
-peut-estre luy auroit porté prejudice. Telle fut l’occasion de cette
-grande eclipse qui arriva sous l’Empereur Tibere, lors que toutes les
-legions de Hongrie estoient si fierement revoltées, qu’il n’y avoit
-quasi aucune apparence de les pouvoir appaiser; car un autre moins avisé
-que Drusus eust negligé cette occasion, & n’eust jamais pensé d’en
-pouvoir tirer quelque avantage; mais luy voyant que les mutins avoient
-conceu une grande frayeur de cette obscurité, parce qu’ils n’en
-sçavoient pas la cause, il prit l’occasion aux cheveux, & les intimida
-de telle sorte, qu’il vint à bout par cet accident de ce à quoy tous les
-autres Chefs, & luy-même auparavant desesperoient de pouvoir donner
-ordre. Tel fut aussi le stratageme duquel le Roy Tullus couvrit
-ingenieusement la retraitte de Metius Suffetius, voire même en tira un
-avantage nompareil, faisant courir le bruit & passer parole d’escadron
-en escadron, qu’il l’avoit envoyé pour surprendre ses ennemis, & leur
-oster tout moyen de retraite: En suite de quoy je m’étonne bien fort,
-comme T. Live & Corneille Tacite, qui rapportent ces deux Histoires, se
-sont contentez d’en tirer des conclusions particulieres, & que le
-premier ait seulement dit, [241]_Stratagema est, quæ in certamine à
-transfugis nostris perfide fiunt, ea dicere fieri nostro jussu_; &
-l’autre, [242]_In commoto populo sedando, convertenda in sapientiam &
-occasionem mitigationis, quæ casus obtulit, & quæ populos ille pavet aut
-observat etiam superstitiosè_, veu qu’il falloit tout d’un coup en tirer
-cette regle generale, [243]_quæ casus obtulit in sapientiam vertenda_,
-puis que non seulement aux trahisons, & aux mutineries, mais en toutes
-autres sortes d’affaires & de rencontres, [244]_mos est hominibus_,
-comme dit Cassiodore, _occasiones repentinas ad artes ducere_. Ainsi
-lisons nous que Christophle Colomb, aprés avoir supputé le temps auquel
-une grande eclipse devoit arriver, il menaça certains habitans du
-nouveau Monde, de convertir la Lune en sang, & de la leur oster
-entierement, s’ils ne luy fournissoient les rafraischissemens dont il
-avoit besoin, & qui luy furent incontinent envoyez, dés aussi-tost que
-l’eclipse commença de paroistre. J’ay remarqué cy-dessus que Ferdinand
-Cortez fit croire aux habitans de Mexique, qu’il estoit le Dieu
-Tophilchin, pour entrer plus facilement dans leur Royaume; & que
-François Pizarre se servant du même stratageme en la conqueste du Perou,
-se faisoit nommer le Viracoca. Ce fut encore par ce moyen que Mahomet
-changea son epilepsie en extase, & que Charles V se servit de l’heresie
-de Luther, pour diviser & affoiblir les Princes d’Allemagne, qui
-pouvoient en demeurant unis controller l’autorité qu’il vouloit avoir
-dans l’Empire, & empescher le projet qu’il avoit dressé d’une Monarchie
-universelle. Disons encore que le même Empereur, n’ayant plus l’esprit &
-le jugement assez fort pour gouverner un Estat si grand qu’estoit le
-sien, & voyant d’ailleurs que la fortune naissante de Henry II, mettoit
-des bornes à la sienne, se mocquoit de son [245]_plus ultra_, & faisoit
-dire aux Pasquinades,
-
- [246]_Siste pedem Metis, hæc tibi meta datur._
-
- [241] C’est un stratageme, que de dire, que ce que nos transfuges font
- perfidement pendant le combat, se fait par nostre ordre.
-
- [242] Pour appaiser l’émotion d’un peuple, il faut tourner en sagesse
- & en occasion de l’addoucir les choses que le cas fortuit presente,
- & celles dont ce peuple s’épouvante, ou qu’il observe avec
- superstition.
-
- [243] Il faut tourner en sagesse les choses que le cas fortuit
- presente.
-
- [244] Les hommes ont accoutumé de mettre en œuvre & se servir
- artificieusement des rencontres impreveües.
-
- [245] Plus outre.
-
- [246] Arreste toi à Mets, car c’est là la borne qui t’est donnée.
-
-Il couvrit toutes ces disgraces, du voile de Pieté & de Religion,
-s’enfermant dans un cloistre, où il eut pareillement la commodité de
-faire penitence du peché secret, qu’il avoit commis en la naissance d’un
-fils bastard, qui luy estoit aussi neveu. Ainsi Philippe II, prit sujet
-de casser tous les Privileges extraordinaires des Arragonois, sur la
-protection qu’ils voulurent donner à Antonio Perez; & je trouve entre
-nos Roys de France que Philippe premier augmenta beaucoup son Royaume, &
-le delivra s’il faut ainsi dire de la Tutele des Maires du Palais,
-pendant que tous les Princes de la France, & son Frere même estoient
-occupez à combattre les Sarrasins, sous la conduite de Godefroy de
-Boüillon; & pendant la troisiéme Croisade, on pourroit dire que Philippe
-Auguste abandonna le Roy Richard d’Angleterre, pour s’en revenir en
-France broüiller les affaires des Anglois, parce qu’en matiere d’Estat,
-[247]_quædam nisi fallacia vires assumpserint, fidem propositi non
-inveniunt, laudemque occulto magis tramite quàm via recta petunt_. (Val.
-Max. l. 7. cap. 3.)
-
- [247] Il y a de certaines choses qui ne rencontrent pas la croyance
- qu’on s’est proposée, si elles n’ont pris des forces par le moyen de
- quelque tromperie, & qui cherchent plustost la loüange par quelques
- sentiers cachez que par des voyes droites.
-
-
-
-
-Chapitre V.
-
-Quelles conditions sont requises au Ministre avec qui l’on peut
-concerter les Coups d’Estat.
-
-
-L’on me pourra objecter icy que je ne devrois traitter des conditions du
-Ministre, qu’aprés avoir parlé de celles du Prince, puis que c’est luy
-qui donne le premier branle & mouvement à tout ce qui est fait dans son
-Conseil, comme le premier mobile entraine tous les Cieux avec soy, & le
-Soleil communique sa lumiere à tous les Astres & Planetes: Mais à cela
-je puis répondre, que les Souverains nous sont donnez ou par succession
-ou par élection; or de ces deux moyens le premier suit la nature, à
-laquelle nous obeïssons ponctuellement, sans restriction ou
-consideration d’aucune circonstance voire même,
-
- [248]_Dum pecudes auro, dum murice vestit Asellos._
-
- [248] Quand il revest d’or les brebis, & les ânes de pourpre.
-
-Et le second dépend des brigues, monopoles, & cabales de ceux qui se
-trouvent les plus riches, & les plus puissans d’amis, de faveurs, &
-d’argent, pour satisfaire à leur ambition; de maniere que ce seroit
-parler en vray pedant, de proposer ou de penser seulement, que les
-considerations de la vertu & des merites, puissent avoir lieu parmy un
-tel desordre. Mais pour ce qui est des Ministres, on en peut philosopher
-d’autre façon, parce qu’ils dependent absolument du choix que le Prince
-en peut faire; luy estant permis, voire même bien-seant & honorable, de
-trier soigneusement d’entre tous ses amis ou domestiques, celuy qu’il
-jugera estre le mieux conditionné pour le serieux employ où il le veut
-mettre, [249]_Sapientissimum enim dicunt eum esse cui quod opus sit
-veniat in mentem, proximè accedere, illum qui alterius bene inventis
-obtemperet._ (Cicero pro Cluentio.) J’ajouste encore qu’outre l’honneur
-que le Prince reçoit d’une telle election, il en retire une commodité
-tres-grande, & si considerable, que s’il ne se veut negliger &
-abandonner luy-même, il est presque necessité de proceder à cette
-election, Velleius Paterculus ayant remarqué fort à propos, que
-[250]_magna negotia magnis adjutoribus egent_, (lib. 2.) & Tacite, que
-[251]_gravissimi Principis labores queis orbem terræ capessit, egent
-adminiculis_. (12. Annal.) Joint que comme dit fort bien Euripides,
-σοφὸς τύραννος τῶν σοφῶν συνουσίᾳ, [252]_princeps fit sapiens sapientum
-commercio_. Et en effet les Histoires nous apprennent, que ceux-là ont
-toujours esté estimez les plus sages entre les Princes, qui n’ont rien
-fait de leurs testes, ny sans avis de quelque fidele & asseuré Ministre;
-d’où vient qu’Alexandre avoit toujours auprés de soy Clitus & Ephestion:
-qu’Auguste ne faisoit rien sans l’avis de Mecenas & d’Agrippa; que Neron
-fut le meilleur des Empereurs pendant qu’il suivit le conseil de Burrus
-& de Seneque; & pour venir à ce qui est plus de nostre connoissance,
-Charles V & Philippes II, ont eu les Sieurs de Chevres, & Ruy de Gomez
-pour confidents, tout ainsi que les intimes Conseillers de Charles VII,
-furent en divers temps le Comte de Dunois, Louvet President de Provence,
-Tannegui du Chastel, & un Comte de Dammartin. Pour ce qui est de son
-fils Louys XI, comme il estoit d’un esprit défiant, variable, & toujours
-trouble, aussi changea-t-il plusieurs fois de serviteurs secrets &
-affidez, mais neanmoins il en avoit toujours quelqu’un à qui il se
-communiquoit plus librement qu’aux autres, témoin le Cardinal Ballue,
-Philippes de Comines, & son Medecin Cottier. Charles VIII en fit de même
-du Cardinal Brissonet, & son successeur Louys XII, du Cardinal d’Amboise
-qui le possedoit entierement. Le Roy François I avoit plus de fiance à
-l’Amiral d’Annebaut qu’à nul autre, & Henry II, au Connestable de
-Montmorency. Bref nous voyons dans la suite de nos Annales, que les deux
-freres de Lorraine furent l’appuy de François II, le Cardinal Birague de
-Charles IX, Monsieur d’Espernon de Henry III, Messieurs de Sully,
-Villeroy, & Sillery de Henry IV, & Monseigneur le Cardinal de Richelieu
-de nostre Roy Louys le Juste & le Triomphant.
-
- [249] Car on appelle le plus sage celuy, à qui vient en la pensée tout
- ce dont il a besoin, & que celui-là en approche de bien prés qui
- obeït aux bonnes inventions qu’un autre a trouvées.
-
- [250] Les grandes affaires ont besoin de grandes aides.
-
- [251] La plus grande peine qu’un Prince puisse prendre à gouverner le
- monde, a besoin d’assistance.
-
- [252] Le Prince se rend sage par le commerce qu’il a avec les sages.
-
-Mais cette maxime estant établie comme tres-certaine & veritable, que
-les Princes doivent avoir quelque Conseiller secret & affidé, les
-Politiques se trouvent bien en peine à se resoudre, s’ils se doivent
-contenter d’un seul, ou en avoir plusieurs en égal & pareil degré de
-confidence. Car si l’on veut agir par raisons & par exemples, Xenophon
-nous avertira d’un costé, que πολλοὶ βασιλέως ὀφθαλμοὶ καὶ πολλοὰ ὤτα,
-[253]_multi debent esse Regis oculi, & multæ aures_, (l. 28. pæd.) & le
-Triumvirat qui a si heureusement gouverné la France sous Henry IV, fera
-foy de son dire, quand bien nous n’aurions pas l’exemple d’Auguste & des
-anciens. D’ailleurs aussi nous sçavons qu’entre plusieurs [254]_non voto
-vivitur uno_, & qu’en matiere d’affaires il n’y a rien de plus
-prejudiciable, ny de plus fascheux que la diversité d’opinions; que la
-haine, l’ambition, la vaine gloire ou passions semblables font bien
-souvent proposer & autoriser, ce qui est directement contraire à la
-raison, & Tacite remarque fort à propos, que [255]_cæde Messalinæ
-convulsa est Principis domus, orto apud libertos certamine_: de sorte
-que tout ainsi que le grand nombre de Medecins tuë souvent les malades,
-le trop grand nombre de Conseillers ruine aussi presque toujours les
-affaires. C’est pourquoy il me semble à propos pour accorder ces deux
-opinions si differentes, d’user de quelque distinction, & de dire, que
-si le Prince se juge assez fort, autorisé, judicieux, & capable pour
-estre au dessus de ses Conseillers & Confidens, il est bon d’en avoir
-trois ou quatre, parce que aprés qu’ils auront opiné sur quelque
-incident, il en pourra tirer diverses ouvertures ou moyens, & choisir
-celuy qu’il estimera plus expedient d’executer: Mais s’il est d’un
-esprit foible, peu entendu & incapable de choisir le meilleur avis & le
-faire suivre, il est sans doute plus expedient, qu’il ne se confie qu’à
-un seul qu’il choisira pour le plus judicieux & mieux conditionné de
-tous les autres; parce que s’il se commet à plusieurs, il peut arriver
-que chacun d’eux aura ses interests particuliers differents, ses
-intentions diverses, ses desseins tout à fait dissemblables, sur quoy le
-Prince n’estant pas en estat de les regler, & de leur servir de chef,
-les brigues & les partis se formeront dans son Conseil, l’ambition s’y
-coulera, & la jalousie qui la suit d’aussi prés comme elle fait l’amour,
-la raison n’y fera rien, & la passion y fera tout, le secret en sera
-banny, & cependant le pauvre Prince sera inquieté d’une étrange façon,
-il ne sçaura à quoy se resoudre, ny de quel costé se tourner, il servira
-de fable à son peuple, & de joüet à la passion de ses Ministres. C’est
-ce qui a esté tres-judicieusement remarqué par Tacite à propos de
-l’Empereur Galba, [256]_quippe hiantes in magna fortuna amicorum
-cupiditates, ipsa Galbæ facilitas intendebat; cum apud infirmum &
-credulum minori metu, & majori præmio peccaretur_. Autant en arriva-t-il
-à l’Empereur Claudius, & de nostre temps à Charles VIII, en ce qui
-concernoit les affaires de Pise & Siene. Guicciardin fait la même
-remarque de Clement VII, & les Politiques Italiens ont pris sujet d’en
-former cet Axiome, [257]_Ogni volta che un Principe sarà in mano di più,
-quando non habbia consiglio e prudenza da se, sarà preda da tutti_; où
-au contraire s’il ne se fie qu’à un seul Ministre bien conditionné &
-entretenu suivant les devoirs reciproques de maistre à serviteur, toutes
-choses en iront beaucoup mieux pour le Prince, son credit luy sera
-conservé, son autorité maintenuë, sa personne aimée, ses commandemens
-executez, & tout son Estat en recevra des fruits pareils à ceux que
-reçoit maintenant la France du sage gouvernement de Monseigneur le
-Cardinal de Richelieu.
-
- [253] Le Roy doit avoir plusieurs yeux, & plusieurs oreilles.
-
- [254] On n’est pas toujours d’un même sentiment.
-
- [255] Par la mort de Messalina la maison du Prince fut toute
- bouleversée, à cause de la contestation qui survint entre ses
- affranchis.
-
- [256] Car la trop grande facilité de Galba augmentoit la convoitise de
- ses amis, qui baailloient aprés une grande fortune; veu même que les
- fautes que l’on commettoit auprés d’un esprit foible & credule comme
- le sien, estoient suivies de moins d’apprehension, & de plus de
- recompense.
-
- [257] Toutes les fois qu’un Prince se met entre les mains de
- plusieurs, s’il n’a du conseil & de la prudence de soy-même, il sera
- la proye de tous.
-
-Cela donc estant resolu qu’un Prince doit avoir quelque Ministre ou
-Conseiller secret, fidele, & confident, il faut maintenant voir de
-quelle façon il le peut choisir, & quelles qualitez il doit rechercher
-en sa personne; ou pour mieux dire, de quelle condition il le doit
-prendre, tant pour ce qui est du corps & des accidens qui le suivent,
-que de l’esprit. Aprés quoy nous ajousterons aussi ce que doit
-contribuer le Prince à la satisfaction de son Ministre, & mettrons fin à
-ce present discours.
-
-Or pour ce qui est du premier point qui nous doit principalement
-monstrer de quelle qualité, office ou sorte de personnes on peut prendre
-un Ministre, je m’y trouve aussi empesché que l’estoit Vegece pour
-resoudre de quel lieu & de quelle condition de personnes on pouvoit
-choisir un bon soldat. Car comme toutes les affaires ne sont pas
-semblables, aussi toutes sortes de personnes ne sont pas toujours bonnes
-à toutes sortes de negociations, non plus que tout bois n’estoit
-anciennement propre à faire la statue de Mercure. Je diray neanmoins
-pour vuider ce different, qu’il faut distinguer entre le Ministre de
-Conseil, & le Ministre d’execution, car encore que l’on leur puisse
-donner à tous deux cet avertissement rapporté par T. Live, (_lib. 24._)
-[258]_magis nullius interest quàm tua, T. Ofacili, non imponi cervicibus
-tuis onus, sub quo concidas_; il faut neanmoins pour les considerer tous
-deux en particulier, y apporter aussi des conditions differentes, & dire
-pour ce qui est du dernier, qu’on ne peut manquer de le tirer d’entre
-les plus nobles & illustres familles, afin qu’il exerce la charge & le
-commandement qu’on luy donnera, avec plus d’éclat, de grandeur &
-d’autorité. Il faut aussi prendre garde qu’il ait l’inclination & la
-suffisance proportionnée à l’employ auquel il est destiné,
-
- [259]_Nec enim loricam poscit Achillis Thersites._
-
- [258] Il t’importe plus qu’à aucun autre, Titus Ofacilius, de ne te
- charger pas d’un fardeau dont tu puisses estre accablé.
-
- [259] Car un Thersite ne demande pas la cuirasse d’Achilles.
-
-Et comme un Appius ne duisoit aucunement aux affaires populaires, Cleon
-n’entendoit pas la conduite d’une armée, Philopœmen ne sçavoit nullement
-commander sur mer, Pericles n’estoit bon que pour gouverner, Diomedes
-que pour combattre, Ulysse que pour conseiller; il faut de même tirer
-avantage de ces diverses inclinations, afin d’appeller à chaque vacation
-celuy qui pour y avoir du naturel, la peut exercer avec honneur &
-satisfaction; autrement ce seroit faire tort à ceux qui sont nez pour
-commander, de les assujettir aux autres, qui ne sont faits que pour
-obeïr; à ceux qui ne sont pas hardis & belliqueux, de leur donner la
-conduite d’une armée; & d’employer aux Ambassades ceux qui ne sçavent ny
-parler ny haranguer; estant beaucoup plus à propos, comme nous avertit
-un Ancien, [260]_quemque cuique functioni pro indole admovere_: mais
-pour ce qui est du choix d’un Ministre secret, je croy qu’on en peut
-discourir d’autre façon, & pour resoudre le doute proposé cy-dessus si
-on le doit tirer d’entre les familles illustres de l’Estat, ou des
-personnes de mediocre condition; il me semble qu’on le peut faire de
-toutes les deux sortes indifferemment, parce que [261]_dum nullum
-fastidiretur genus in quo eniteret virtus, crevit imperium Romanum_. (T.
-Livius lib. 4.) Il y a toutefois ces difficultez du costé des nobles &
-grands Seigneurs, qu’ils sont enviez des autres, que bien souvent au
-lieu d’obeïr ils veulent commander, qu’ils conseillent plutost le Prince
-suivant leur interest particulier, que le bien de l’Estat, qu’ils
-veulent avancer leurs creatures, & ruiner ceux qui sont contraires à
-leur cabale; qu’ils veulent bien souvent entreprendre sur l’autorité de
-leur Maistre, comme firent les Maires du Palais en France, qu’ils
-broüillent le Royaume pour se rendre necessaires, qu’ils ne sont jamais
-contens de ce qu’on leur donne, comme estant toujours au dessous de ce
-qu’ils pensent avoir merité, soit pour leurs services ou pour la
-grandeur de leur maison; bref il me semble qu’en cette occasion, où l’on
-n’a que faire de la noblesse & dignité des personnes, mais plutost de
-leur avis, conseil, & jugement, un Marquis, un Duc, un Prince, ne
-peuvent pas mieux rencontrer que les hommes de mediocre condition, &
-peuvent causer beaucoup plus de mal; où au contraire ceux-cy peuvent
-faire autant de bien, ne coustent pas tant, se rendent plus sujets, plus
-faciles & traitables, & sont beaucoup moins à craindre. Et à la verité
-Seneque avoit raison de dire, [262]_nulli præclusa est virtus, omnes
-admittit, nec censum, nec sexum eligit_. (in epistol.) A propos de quoy
-Tacite remarque que les Allemans prenoient même conseil de leurs femmes,
-[263]_nec consilia earum aspernabantur, nec responsa negligebant_. (de
-morib. Germ.) Ce que Plutarque confirme aussi des Lacedemoniens, &
-beaucoup d’Historiens, des Empereurs Auguste & Justinien; & Cecilius
-disoit fort bien dans les Tusculanes de Ciceron, [264]_sæpe etiam sub
-sordido pallio latet sapientia_. Ce sont les occasions, l’employ, & les
-affaires qui la découvrent, & qui la font briller & éclatter. Si l’on
-n’eust employé Matthieu Paumier Florentin, à l’ambassade de laquelle il
-s’acquita si dignement, envers le Roy Alphonse, on auroit toujours creu
-qu’il n’estoit bon qu’à battre le mortier pour faire des medecines &
-clysteres; si le Cardinal d’Ossat ne se fust rencontré dans les affaires
-de la Cour de Rome, on se fust toujours persuadé qu’il n’estoit propre
-qu’à pedanter dans les Colleges de Paris & à defendre Ramus contre
-Charpentier. Et le semblable peut-on dire encore des Cardinaux Balue,
-Ximenes, & du Perron, [265]_quorum nobilitas sola fuit atque unica
-virtus_. L’on dit que de toutes tailles bons Levriers, & pourquoy non de
-toutes sortes de conditions de bons esprits: Cardan estoit Medecin,
-Bodin Advocat, Charon Theologien, Montagne Gentilhomme, la Nouë Soldat,
-& le Pere Paul Moine: enfin
-
- [266]_Sæpe etiam est olitor verba opportuna locutus._
-
- [260] D’employer chacun à la fonction dont son genie est plus capable.
-
- [261] L’empire Romain s’est toujours augmenté, pendant qu’on n’a point
- dedaigné ceux où l’on voyoit éclater la vertu, de quelle condition
- qu’ils fussent.
-
- [262] La vertu n’est inaccessible à personne; elle reçoit un chacun, &
- ne fait choix, ny de condition ny de sexe.
-
- [263] Ils ne méprisoient pas leurs conseils, & ne negligeoient pas
- leurs réponses.
-
- [264] Et souvent aussi il y a de la sagesse cachée sous un vilain
- manteau.
-
- [265] Qui n’avoient point d’autre noblesse que leur seule vertu.
-
-C’est pourquoy je n’exclus personne de cette charge, non les étrangers,
-parce que Tibere [267]_subinde res suas quibusdam ignotis mandabat_,
-(Tacit. 4. Annal.) & que Charles V se servit de Granvelle, François I de
-Trivulse, Henry II de Strozzi, & Charles IX du Cardinal de Birague. Non
-les jeunes, parce que [268]_cani indices ætatis non sapientiæ_, & que
-Ciceron nous avertit, [269]_ab eximia virtute progressum ætatis
-expectari non oportere_, (Philip. 5.) témoin les exemples de Josephe,
-David, Ephestion, & Papyrius. Non les vieux, puis que Moyse par le
-conseil de son beau-pere Jethro, en choisit LXX pour gouverner avec luy
-le peuple d’Israël; & que Louys XI pensa estre accablé par la guerre du
-bien public, pour n’avoir pas voulu croire aux vieux Conseillers, que
-son Pere luy avoit laissez. Non les ignorans, puis que, comme dit
-Seneque, [270]_paucis ad bonam mentem opus est literis_, & que suivant
-l’opinion de Thucydides les esprits grossiers sont plus propres à
-gouverner des peuples, que ceux qui sont plus subtils & épurez; les
-grands esprits ayant cela de propre qu’ils sont plus portez à innover
-qu’à negotier, _novandis quàm gerendis rebus aptiora_, (Curt. l. 4.) à
-dépendre qu’à conserver, à poursuivre leur pointe avec obstination qu’à
-ceder ou s’accommoder à la necessité des affaires, & à traitter enfin
-avec des Anges ou intelligences, qu’avec des hommes, [271]_quod enim
-celeriter arripiunt, id quum tardè percipi vident discruciantur_. (Cic.
-pro Roscio.) Non les lettrez, veu que [272]_Imperator Alexander
-consiliis togæ & militiæ literatos adhibebat, & maxime eos qui historiam
-norant_, (Lamprid. in eo.) joint que le Cardinal de Richelieu a esté
-tiré du fond de sa Bibliotheque pour gouverner la France. Non les
-Philosophes, à cause de Xenophon, Seneque & Plutarque. Non les Medecins,
-puis que Oribase par ses bons conseils & avis éleva Julien à l’Empire,
-que Apollophanes estoit chef du Conseil d’Antiochus, qu’Estienne fut
-envoyé par l’Empereur Justinien à Cosroës, que Jacques Cottier & Olivier
-le Dain furent des principaux Conseillers de Louys XI, le Pere de
-Monsieur le Chancelier de l’Hospital de Charles de Bourbon, & Monsieur
-Miron du Roy Henry III. Non les Moines à cause du Pere Paul de Venise,
-ny pour finir, telles autres sortes de personnes que ce soit, pourveu
-qu’elles ayent les conditions que nous expliquerons cy-aprés;
-[273]_magna enim ingenia sæpe in occulto latent_, comme disoit Plaute,
-(_in Capt._) & la Prudence & Sagesse ne fait point choix de personnes,
-elle habite aussi-bien dans le tonneau de Diogenes, aux écoles, sous un
-froc, & sous des méchans haillons, que parmy les delices & somptuositez
-d’un Palais. Tant s’en faut, [274]_nescio quomodo factum est, ut semper
-bonæ mentis soror sit paupertas_.
-
- [266] Un jardinier même a dit souvent de bonnes choses.
-
- [267] Commettoit quelquefois l’administration de ses affaires à des
- gens inconnus.
-
- [268] Les cheveux blancs sont les marques de l’âge, & non de la
- sagesse.
-
- [269] Qu’il ne faut pas attendre le progrés de l’âge d’une
- extraordinaire vertu.
-
- [270] Un bon esprit n’a pas besoin de beaucoup de lettres.
-
- [271] Car ils enragent de voir aller lentement ce qu’ils ont entrepris
- avec precipitation.
-
- [272] L’Empereur Alexandre employoit aux conseils de la robe & de la
- guerre des hommes lettrez, & particulierement ceux qui sçavoient
- l’histoire.
-
- [273] Car il arrive souvent que les grands esprits demeurent cachez.
-
- [274] Je ne sçay comment il est arrivé que la pauvreté soit toujours
- la sœur & la compagne du bon esprit.
-
-Or les conditions que le Ministre doit apporter & contribuer du sien au
-service de son Prince, ne se peuvent expliquer qu’assez difficilement.
-C’est ce qui a fait suer tant d’écrivains, ce qui a ouvert la carriere à
-tant de discours, & ce qui a produit tant de livres sur l’idée,
-l’exemple & la parfaite description du bon Conseiller, du fidele
-Ministre, du prudent Politique, & de l’homme d’Estat, quoy que tous ces
-auteurs ayent plutost ressemblé aux Archers de Diogenes, qui sembloyent
-tirer au plus loing du but, qu’à Ciceron en son livre de l’Orateur, ou à
-Xenophon en son Prince. Pour moy qui n’ay pas entrepris comme eux de
-publier un gros livre de toutes les vertus, sous ombre de trois ou
-quatre qui sont necessaires à un Ministre, je diray premierement: Que je
-le veux estre tel en effect qu’il sera en predicament, connu du Prince,
-& choisi de luy-même par la seule consideration de ses merites, sans
-autre recommendation que de sa propre vertu, [275]_virtute enim ambire
-oportet non favitoribus_. Beaucoup qui viennent sur le theatre du monde
-pour entrer aux honneurs & confidences, y paroissent bien souvent
-revestus d’ornemens empruntez, de faveurs, d’amis, d’argent, de
-sollicitations & poursuites ambitieuses, ils s’y presentent comme la
-Corneille d’Esope couverts des plumes d’autruy, & font parade de ce qui
-n’est pas à eux, pour obtenir ce qu’ils ne meritent pas; mais leur
-nudité paroist toujours à travers de ces habits, qu’ils n’ont que par
-emprunt, & qui les expose aussitost à la honte sur le propre Theatre de
-la gloire. Il faut doncques qu’un homme qui se veut maintenir en credit
-& en reputation jusques à la fin, entre & penetre dans le credit & la
-bonne opinion de son Maistre, orné comme l’estoit Hippias Eleus de
-vestemens faits de sa main, de sçavoir, de prudence, de vertu, de
-merite, de courage, bref de choses qui soient de son propre creu: il
-faut que comme le Soleil il produise du dedans la lumiere qu’il éclaire
-au dehors, de peur qu’il ne ressemble à la Lune, qui n’ayant ce qui la
-fait luire que par emprunt, monstre bien-tost sa defaillance. Mais parce
-que ce n’est rien de parler des merites en general, si l’on ne determine
-en particulier, quelles sont les vertus qui les composent; je croy qu’on
-les peut toutes rapporter à trois principales, sçavoir la Force, la
-Justice, & la Prudence. Sur lesquelles je me veux un peu étendre, pour
-les expliquer d’une façon moins triviale & commune que celle des écoles.
-
- [275] Car il faut aspirer aux charges par la vertu & non pas par le
- moyen des fauteurs.
-
-Par la force j’entens certaine trempe & disposition d’esprit toujours
-égale en soy, ferme, stable, heroïque, capable de tout voir, tout oüir,
-& tout faire, sans se troubler, se perdre, s’étonner; laquelle vertu se
-peut facilement acquerir en faisant des continuelles reflexions sur la
-condition de nostre nature foible, debile, & sujette à toutes sortes de
-maladies & d’infirmitez, sur la vanité des pompes & honneurs de ce
-monde; sur la foiblesse & imbecillité de nostre esprit; sur les
-changemens & revolutions des affaires; sur les diverses faces &
-metaschematismes du Ciel & de la terre; sur la diversité des opinions,
-des sectes, des religions, sur le peu de durée de toutes choses; bref
-sur les grands avantages qu’il y a de fuïr le vice & de suivre la vertu.
-Aussi est-ce à peu prés comme l’a décrite Juvenal par ces beaux vers de
-sa X. Satyre.
-
- [276]_Fortem posce animum, mortis terrore vacantem,
- Qui spatium vitæ extremum inter munera ponat
- Naturæ, qui ferre queat quoscunque dolores,
- Nesciat irasci, cupiat nihil, & potiores
- Herculis ærumnas ducat sævosque labores
- Et Venere, & plumis, & cœnis Sardanapali._
-
- [276] Demandez un esprit qui soit gueri des craintes de la mort, qui
- mette au rang des presens de la Nature le dernier terme de la vie,
- qui puisse endurer toutes sortes de fatigues, qui ne se fasche
- point, qui ne desire rien, & qui estime davantage les peines
- d’Hercule, & ses longs travaux, que les delices, les festins, & les
- plumes (_licts_) de Sardanapale.
-
-Monsieur le Chancelier de l’Hospital qui estoit pourveu de cette force
-d’esprit autant qu’aucun autre de ceux qui l’ont precedé ou suivy, la
-décrivoit encore plus brievement, quoy qu’en termes beaucoup plus
-hardis, desquels même il avoit composé sa devise, [277]_si fractus
-illabatur orbis impavidum ferient ruinæ_. Arriere doncques de ce
-Ministere tant d’esprits foibles & effeminez, tant d’ames coüardes &
-pusillanimes, qui s’épouvantent des premieres difficultez, qui fuyent à
-la moindre resistance, & qui perdent l’esprit lors qu’on leur parle de
-quelque grande resolution. Je veux un esprit d’Epictete, de Socrates,
-d’Epicure, de Seneque, de Brutus, de Caton, & pour me servir d’exemples
-plus familiers, du Pere Paul, du Cardinal d’Ossat, du President Janin,
-de V. Eminence, de Ferrier, & de quelques autres de pareille marque. Je
-veux qu’il ait les bonnes maximes de Philosophie dans la teste non pas
-sur les levres; qu’il connoisse la nature en son tout & non pas en
-quelque partie; qu’il vive dans le monde comme s’il en estoit dehors, &
-au dessous du Ciel comme s’il estoit au dessus, afin qu’il ne puisse pas
-seulement comme les Gaulois apprehender la ruine de cette grande
-machine, je veux qu’il s’imagine de bonne heure que la Cour est le lieu
-du monde où il se dit & fait plus de sottises, où les amitiés sont plus
-capricieuses & interessées, les hommes plus masquez, les maistres moins
-affectionnez à leurs serviteurs, & la fortune plus folle & aveugle; afin
-qu’il s’accoustume aussi de bonne heure à ne se point scandaliser de
-toutes ces extravagances. Je veux enfin qu’il puisse regarder
-[278]_oculo irretorto_ ceux qui seront plus riches, & moins dignes de
-l’estre que luy, qu’il se picque d’une pauvreté genereuse, d’une
-obstination au bien, d’une liberté Philosophique mais pourtant civile,
-qu’il ne soit au monde que par accident, à la Cour que par emprunt, & au
-service d’un Maistre que pour s’en acquiter honnestement. Or quiconque
-aura cette premiere, universelle, & generale disposition, qui conduit
-l’homme à une apathie, franchise, & bonté naturelle, il aura par même
-moyen la fidelité, [279]_optimum enim quemque fidelissimum puto_, disoit
-fort bien Pline en parlant à l’Empereur Trajan; & cette fidelité ne sera
-pas commune, bridée de certaines circonstances, & assujettie à diverses
-considerations de nos interests particuliers, des personnes, de la fin
-des affaires, & de mille autres, mais une fidelité telle que doit avoir
-un galand homme, pour servir celuy à qui il la promettra envers tous &
-contre tous, sans exception de lieu, de temps, ny de personnes. C’est
-ainsi que C. Blosius servoit son amy Tiberius Gracchus, (_Valer. Max.
-lib. 4. cap. 7._) & le Pere du Chancelier de l’Hospital son maistre
-Charles de Bourbon, duquel se trouvant Medecin & Confident lors de sa
-disgrace & persecution, il ne l’abandonna jamais, le suivant en habit
-déguisé, participant à toutes ses infortunes, le secondant en tous ses
-desseins contre le Roy, contre l’Empereur & contre Rome, les Cardinaux &
-le Pape même. Action que son fils ce grand Chancelier de France a
-tellement estimée, qu’il l’a bien voulu placer comme la plus remarquable
-de sa famille, en teste de son Testament. Il faut doncques qu’un
-affectionné Ministre soit premierement & principalement garny de
-fidelité, & que lors qu’il sera besoin de la témoigner, il dise
-librement,
-
- [280]_Huic ego nec rerum metas nec tempora pono,
- Obsequium sine fine dedi._
-
- [277] Si le monde se bouleversoit, ses ruïnes me fraperoient, sans que
- j’en fusse épouventé.
-
- [278] D’un œuil droit & non de travers.
-
- [279] Car j’estime que le plus homme de bien est aussi le plus
- fidelle.
-
- [280] Je ne mets point icy de bornes, & n’y limite point de temps,
- j’ay témoigné une obeïssance sans fin.
-
-Il faut aussi qu’il soit dégagé d’ambition, d’avarice, de convoitise &
-de tout autre desir, que de bien servir son Maistre dans l’estat d’une
-fortune mediocre, honneste, & capable de le delivrer luy & ses plus
-proches parens, d’envie & de necessité. Car s’il commence une fois à
-aller au plus à se vouloir avancer dans les charges & dignitez, il ne se
-pourra pas faire qu’il ne prefere son bien propre à celuy de son
-Maistre, & qu’il ne se serve premier que luy; & cela estant, c’est
-ouvrir la porte à l’infidelité, perfidie & trahison, il n’y aura plus de
-secret qu’il ne découvre, plus de conseil qu’il n’évente, plus de
-resolution qu’il ne declare, plus d’ennemy qu’il ne courtise, bref
-
- [281]_Publica privatis postponet commoda rebus._
-
- [281] Il preferera son profit particulier au bien public.
-
-S’il desire la grandeur de son Maistre ce ne sera que pour avancer la
-sienne, à laquelle s’il ne peut parvenir en le servant avec fidelité, il
-ne fera point de doute de le deservir, de le vendre & livrer à ses
-ennemis pour satisfaire à son ambition, ou à son avarice demesurée,
-
- [282]_Namque ubi avaritia est habitant ferme omnia ibidem
- Flagitia, impietas, perjuria, furta, rapinæ,
- Fraudes atque doli, insidiæque & proditiones._
-
-(Paling. in Sagit.)
-
- [282] Car là où est l’avarice, tous les autres vices y habitent aussi,
- l’impieté, le parjure, le vol, la rapine, les fraudes & tromperies,
- les embusches & les trahisons.
-
-C’est ce que pratiqua autrefois Stilico, quand pour s’acquerir l’amitié
-d’Alaric Roy des Gots, & s’appuyer de son secours pour se saisir de
-l’Empire d’Orient, il fit une paix honteuse avec luy & obligea
-l’Empereur de luy payer tribut sous le nom de pension; & Pierre des
-Vignes Chancelier de Frederic II, fut à bon droit privé de la veuë, pour
-avoir noüé une intelligence trop secrete avec le Pape Alexandre III,
-ennemy capital de son Maistre. Ce fut encore pour la même cause que le
-Cardinal Balue demeura XII ans resserré dans la Tour des Loches sous le
-Regne de Louys XI, & que le Cardinal du Prat décheut de sa faveur, & fut
-long-temps en prison pendant celuy de François I. Cette même force &
-disposition d’esprit defend aussi à nostre Ministre d’estre trop credule
-ou superstitieux, & bigot: Car bien que [283]_credulitas error sit magis
-quam culpa, & quidem in optimi cujusque mentem facillimè obrepat_, (Cic.
-l. 1. ep. 23.) c’est toutefois le propre d’un homme judicieux & bien
-sensé, de ne rien croire [284]_nisi quod in oculos incurret_; (Senec. de
-Ira.) au moins Palingenius est d’avis qu’il faut ainsi faire, crainte
-d’estre trompé, parce que
-
- [285]_Qui facilis credit facilis quoque fallitur idem._
-
- [283] La credulité soit plutost une erreur qu’une faute, & qu’elle
- s’empare facilement des meilleurs naturels.
-
- [284] Que ce qu’il void de ses yeux.
-
- [285] Qui croit facilement se laisse aussi facilement tromper.
-
-Et comme nous avons dit cy-dessus, qu’il y avoit quatre ou cinq moyens
-d’attraper ou tromper les trop credules & superstitieux, aussi faut-il
-que celuy qui se mesle de les pratiquer, ne soit pas si sot que de s’y
-laisser prendre par d’autres qui s’en voudroient servir contre luy-même.
-Joint qu’à un Ministre qui aura l’esprit assez bas pour le ravaler &
-soumettre à la creance de tant de fables, impostures, faux miracles,
-tromperies, & charlataneries qui se font ordinairement, ne pourra pas
-donner grande esperance de bien reüssir en beaucoup d’affaires où il
-faut gaillardement enjamber par dessus toutes ces folies. Les souplesses
-d’Estat, les artifices des Courtisans, les menées & pratiques de
-quelques avisez Politiques, trompent aisément un homme plongé dans des
-devotions excessives & superstitieuses. La prediction d’un devin, le
-croassement d’un corbeau, la rencontre d’un maure, un faux bruit,
-quelque vau de ville, tromperie, ou superstition, luy feront perdre
-l’escrime, l’étonneront, & le reduiront à prendre quelque party honteux
-& deshonneste; A quoy s’il est tant soit peu porté de sa nature, la
-superstition sœur germaine de cette grande credulité, l’y plongera tout
-à fait, & luy ostera si peu de jugement qui luy pouvoit rester.
-[286]_Occentus soricis auditus Fabio Maximo dictaturam, C. Flaminio
-magisterium equitum deponendi causam præbuit._ (Val. Max. l. 1. cap.
-10.) Elle luy ravira le repos du corps, & la fermeté, constance, &
-resolution de l’esprit; [287]_superstitione enim qui est imbutus
-quiescere nunquam potest_: (Cicero de fin. l. 1.) elle l’assujettira à
-mille terreurs paniques, & luy fera craindre & redouter,
-
- [288]_Nihilo metuenda magis, quàm
- Quæ pueri in tenebris pavitant, finguntque futura._
-
- [286] Le chant d’une souris fut cause que Fabius Maximus se démit de
- la Dictature, & Caius Flaminius de la charge de Colonel de la
- Cavalerie.
-
- [287] Car quiconque est imbu de superstition, il luy est impossible de
- reposer.
-
- [288] Des choses qui ne sont non plus à craindre que celles dont les
- enfans ont peur dans les tenebres, & qu’ils s’imaginent devoir
- arriver.
-
-Elle luy fera commettre plus de pechez qu’il n’en est defendu aux dix
-commandemens, & se frottant les yeux avec de l’eau benite, ou touchant
-la chape d’un Prestre, il pensera effacer toutes les mauvaises actions
-de sa vie: [289]_sic errore quodam mentis famulatur impietati_;
-(Paschas. de virtut.) elle luy fera trouver des scrupules où il n’y en a
-point, & auparavant que de conclure une affaire, il en voudra parler
-cent fois à un confesseur. Il luy revelera le conseil de son Prince, le
-soumettra à sa censure, l’examinera suivant toutes les regles des
-Casuistes, & à la fin [290]_ea quæ Dei sunt audacter excludet, ut sua
-tantùm admittat_; bref elle le rendra sot, impertinent, stupide,
-méchant, incapable de rien voir, de rien faire, de rien juger ou
-examiner à propos, & capable seulement de causer la perte & la ruine
-totale de quiconque se servira de luy, & la sienne propre, puis que
-[291]_superstitione quisquis illaqueatus est, non potest effugere
-proximas miserias, ipsa sibi superstitio supplicium est, dum quæ non
-sunt mala hæc fingit esse talia, & quæ sunt mediocria mala, hæc maxima
-facit ac lethalia_. Il ne faut point tant de mysteres & de ceremonies
-pour estre homme de bien, Lycurgue fut estimé tel quoy qu’il eust
-retranché beaucoup de choses superflues & inutiles à la Religion. Le
-vieux Caton passoit pour le plus vertueux de Rome, encore qu’il se fust
-mocqué de celuy qui prenoit pour mauvais augure que les souris eussent
-rongé ses chausses, & qu’il luy eust dit, [292]_non esse illud monstrum
-quod arrosæ sint à soricibus caligæ, sed verè monstrum habendum fuisse
-si sorices à caligis roderentur_. (D. August. de Doct. Christian.)
-Luculle ne fut estimé impie pour avoir combatu Triganes un jour que le
-Calendrier Romain marquoit pour malheureux; ny Claudius pour avoir
-méprisé les auspices des poulets; non plus que Lucius Æmilius Paulus
-pour avoir le premier commencé d’abatre & ruiner les Temples d’Isis & de
-Serapis. D’où l’on peut conjecturer que la superstition est le vray
-caractere d’une ame foible, rampante, effeminée, populaire, & de
-laquelle tout esprit fort, tout homme resolu, tout bon Ministre doit
-dire, comme faisoit Varron de quelque autre chose qui ne valoit pas
-mieux,
-
- [293]_Apage in directum à domo nostra istam insanitatem._
-
-(in Eumenidib.)
-
- [289] Et ainsi par l’erreur de l’entendement on se rend esclave de
- l’impieté.
-
- [290] Il rejettera hardiment les choses qui sont de Dieu pour admettre
- les sienes propres.
-
- [291] Quiconque est enlassé dans la superstition, il ne peut pas
- éviter les miseres qui luy panchent sur la teste; sa superstition
- luy est un supplice, lors qu’il s’imagine mauvaises des choses qui
- ne le sont pas; & qu’il fait grands & mortels les maux qui ne sont
- que mediocres.
-
- [292] Que ce n’estoit pas un prodige que les souris eussent rongé des
- chausses, mais que c’en seroit veritablement un si des chausses
- rongeoient des souris.
-
- [293] Chassons de nostre maison cette folie.
-
-La seconde vertu qui doit servir de base & de fondement aux merites & à
-la bonne renommée de nostre Conseiller, c’est la Justice; de laquelle si
-nous voulions expliquer toutes les parties, il la faudroit comparer à
-une grosse tige qui produit trois branches, dont l’une monte à Dieu,
-l’autre s’étend vers soy-même, & la tierce vers le prochain; & chacune
-desdites branches produit encore divers petits rameaux que je
-n’expliqueray point en particulier, m’estant assez de prendre les choses
-en gros, & non en détail. C’est pourquoy je mettray le principal
-fondement de cette justice à estre homme de bien, à vivre suivant les
-loix de Dieu & de la Nature, noblement, philosophiquement, avec une
-integrité sans fard, une vertu sans art, une religion sans crainte, sans
-scrupule, & une ferme resolution de bien faire, sans autre respect &
-consideration, que de ce qu’il faut ainsi vivre, pour vivre en homme de
-bien & d’honneur,
-
- [294]_Oderunt peccare boni virtutis amore._
-
- [294] Les gens de bien haïssent le vice pour l’amour de la vertu.
-
-Mais d’autant que cette justice naturelle, universelle, noble &
-philosophique, est quelquefois hors d’usage & incommode dans la pratique
-du monde, où [295]_veri juris germanæque justitiæ solidam & expressam
-effigiem nullam tenemus, umbris & imaginibus utimur_. Il faudra bien
-souvent se servir de l’artificielle, particuliere, politique, faite &
-rapportée au besoin & à la necessité des Polices & Estats, puis qu’elle
-est assez lâche & assez molle pour s’accommoder comme la regle Lesbienne
-à la foiblesse humaine & populaire, & aux divers temps, personnes,
-affaires & accidens: Toutes lesquelles considerations nous obligent bien
-souvent à plusieurs choses que la justice naturelle rejetteroit &
-condamneroit absolument. Mais quoy, il faut vivre comme les autres, &
-parmy tant de corruptions, celuy qui en a le moins doit passer pour le
-meilleur, [296]_beatus qui minimis urgetur_; entre tant de vices on en
-peut bien quelquefois legitimer un; & parmy tant de bonnes actions en
-déguiser quelqu’une. C’est doncques une maxime, que comme entre les
-lances celles-là sont estimées les meilleures, qui sont les plus
-souples, aussi entre les Ministres, on doit priser davantage ceux qui
-sçavent le mieux plier, & s’accommoder aux diverses occurrences, pour
-venir à bout de leurs desseins, imitant ainsi le Dieu Vertumnus qui
-disoit dans Properce:
-
- [297]_Opportuna mea est cunctis natura figuris,
- In quamcunque voles verte decorus ero._
-
- [295] Nous n’avons aucune solide & expresse effigie du vray droit, &
- de la veritable justice, nous nous servons seulement de leurs
- ombres.
-
- [296] Bienheureux est celuy qui est travaillé des plus petites.
-
- [297] Ma nature est propre à prendre toutes sortes de figures, donnez
- moy celle que vous voudrez, je seray beau sous chacune.
-
-Qu’il se souvienne seulement d’observer toujours ces deux preceptes, le
-premier de conjoindre & assembler autant qu’il luy sera possible
-l’utilité & l’honnesteté, l’envisageant toujours & la costoyant le plus
-prés qu’il luy sera possible: l’autre de ne servir jamais d’instrument à
-la passion de son Maistre, & de ne rien proposer ny conclure, qu’il ne
-juge luy-même estre necessaire pour la conservation de l’Estat, le bien
-du peuple, ou le salut du Prince, demeurant à couvert pour ce qui sera
-du reste sous ce bon avis de Plutarque, _Que bien souvent pour faire la
-justice il ne faut pas tout ce qui est juste_. (Livre de la curiosité.)
-
-Enfin la troisiéme & derniere partie qui doit composer & perfectionner
-nostre Ministre, est la Prudence, Vertu si necessaire à un homme de
-cette qualité, qu’il ne peut en aucune façon s’en passer, veu que comme
-nous enseigne Aristote, [298]_prudentia & scientia civilis iidem sunt
-animi habitus_, (l. 6. Eth. c. 8.) & qu’au reste elle est si puissante
-qu’elle seule domine & gouverne les trois temps de nostre vie, [299]_dum
-præsentia ordinat, futura prævidet, præterita recordatur_: si
-universelle qu’elle comprend sous soy toutes les autres vertus,
-circonstances, & observations que nous pouvons faire icy de la science,
-modestie, experience, conduitte, retenuë, discretion, & particulierement
-de ce que les Italiens appellent _Segretezza_ par un terme qui leur est
-propre. Juvenal (_Sat. X._) ayant fort bien dit que
-
- [300]_Nullum numen abest si sit prudentia_:
-
- [298] La prudence & la science civile sont les mêmes habitudes d’un
- esprit.
-
- [299] Lors qu’elle ordonne pour le present, prevoit l’avenir & se
- souvient du passé.
-
- [300] La fortune ne manque jamais là où il y a de la prudence.
-
-Neanmoins comme plusieurs choses sont requises pour former l’or, qui est
-le Roy des Metaux, la preparation de la matiere, la disposition de la
-Terre, la chaleur du Soleil, la longueur du temps; aussi pour former
-cette Prudence, la Reyne des vertus politiques, l’or des Royaumes, le
-thresor des Estats, il faut de grandes aides, & des avantages
-tres-heureux; la force de l’esprit, la solidité du jugement, la pointe
-de la raison, la docilité pour apprendre, l’instruction receuë des
-grands personnages, l’estude des sciences, la connoissance de
-l’histoire, l’heureuse memoire des choses passées, sont les dispositions
-pour y parvenir: la saine consultation, la connoissance & consideration
-des circonstances, la prevoyance des effets, la precaution contre les
-empeschemens, la prompte expedition, sont les belles actions qu’elle
-produit; & enfin le repos des peuples, le salut des Estats, le bien
-commun des hommes, sont les fruits divins que l’on en recueille. Mais
-encore n’est-ce rien dire, si nous n’ajoustons quels sont les lignes,
-par lesquels on peut juger du progrez que quelqu’un aura fait en
-l’acquisition de ce thresor, & s’il est veritablement assez sage &
-prudent pour seconder un Prince en l’administration de son Estat. Or
-entre plusieurs que l’on en peut donner, je proposeray ceux-cy comme les
-plus ordinaires & communs, sçavoir tenir secret ce qu’il n’est à propos
-de dire, & parler par necessité plutost que par ambition, ne croire trop
-promptement ny à toutes sortes de personnes, estre plus prompt à donner
-ce qui est à soy qu’à demander ce qui appartient à autruy, examiner bien
-les choses auparavant que d’en juger, ne médire de personne, excuser les
-fautes, & defendre la renommée d’un chacun, ne mépriser personne, non
-pas même les moindres: Honorer les hommes selon leurs merites &
-qualitez, donner plus de loüange à ses compagnons qu’à soy-même, servir
-& entretenir ses amis, demeurer ferme & constant parmy leurs adversitez,
-ne changer de dessein & de resolution sans quelque grand sujet,
-deliberer à loisir & executer gayement & avec diligence, ne
-s’émerveiller de ce qui est extraordinaire, ny se mocquer de personne,
-mais sur tout épargner les pauvres & ses amys, n’envier la loüange à
-ceux qui la meritent, non pas même à ses ennemis, ne parler sans
-sçavoir, ne donner conseil qu’à ceux qui le demandent, ne faire
-l’entendu en ce qui n’est pas de sa profession, & ne parler de ce qui en
-est qu’avec modestie & sans jactance & affectation, comme faisoit Piso,
-duquel Vell. Paterc. a dit, [301]_quæ agenda sunt agit sine ulla
-ostentatione agendi_; avoir plus d’effets que de paroles, plus de
-patience que de violence, desirer plutost le bien que le mal à ses
-ennemis, plutost perdre que plaider, n’estre cause d’aucun trouble ny
-remuement, finalement aymer Dieu, servir son prochain, & ne souhaitter
-la mort ny la craindre. Or ce qui m’a fait recueillir tous ces signes si
-particulierement, c’est parce que le choix d’un Ministre est de si
-grande importance, que les Princes ont grand interest de ne s’y pas
-tromper, & encore qu’il ne faille pas esperer de les pouvoir tous
-rencontrer en un homme, on ne peut toutefois manquer de preferer celuy
-qui en aura le plus. Et quand le Prince l’aura trouvé, ce sera à faire à
-luy de le bien maintenir & choier comme un precieux thresor, parce que
-si la naissance ne luy a donné des couronnes, les couronnes toutefois ne
-se peuvent passer de luy: si la fortune ne l’a fait Roy, sa suffisance
-le rend l’oracle des Roys, & tout ce qu’il dira des loix, ses simples
-paroles passeront pour raisons, ses actions pour exemples, & toute sa
-vie pour miracle.
-
- [301] Il fait ce qu’il faut faire sans aucune ostentation de ses
- actions.
-
-Aprés avoir expliqué ce qui est du devoir du Ministre envers le Prince,
-il nous reste à considerer, comme en passant neanmoins, ce que le Prince
-doit contribuer de son costé, pour bien traitter avec son Ministre, &
-parce qu’en matiere de regles & preceptes, j’ay toujours estimé avec
-Horace, que les plus courts sont les meilleurs,
-
- [302]_Quicquid præcipies esto brevis_;
-
- [302] Sois succinct dans tous les preceptes que tu donneras.
-
-Je reduiray tous ceux qui me semblent les plus necessaires en cette
-occasion à trois principaux, dont le premier sera de le traitter en amy,
-non pas en serviteur, de parler & conferer avec luy à cœur ouvert, de ne
-luy rien celer de tout ce qu’il sçaura, de luy ouvrir une entiere
-confidence, & de traitter avec luy comme il feroit avec soy-même, sans
-avoir honte de luy declarer sa foiblesse, ignorance, imbecillité ou tel
-autre defaut qu’il pourra avoir; Ny aussi son dépit, ses fascheries,
-coleres, mécontentemens, & semblables passions, qui le pourront
-tourmenter. Et si je n’ay assez d’autorité pour établir cette maxime,
-qu’on defere au moins quelque chose à l’avis de Seneque, [303]_Cogita_,
-dit-il, _an tibi in amicitiam aliquis recipiendus sit, quum placuerit id
-fieri, toto illum pectore admitte, tam audacter cum illo loquere quàm
-tecum_. C’est ce qu’il avoit encore dit auparavant en beaucoup moins de
-paroles, [304]_tu omnia cum amico delibera, sed de illo prius_. Que si
-l’autorité d’un si grand homme a besoin d’estre appuyée & soustenue par
-quelques raisons, T. Live nous en fournira une tres-puissante & valable,
-[305]_vult sibi quisque credi, & habita fides ipsam fidem obligat_: les
-experimentez Chymistes tiennent que pour faire de l’or on ne se doit
-servir que de l’or même,
-
- [306]_Nec aliunde quæras auri primordia, in auro
- Semina sunt auri, quamvis abstrusa recedant
- Longius, & multo nobis quærenda labore._
-
-(Augurel.)
-
- [303] Pense s’il te faut recevoir quelcun en ton amitié, & quand tu
- l’auras voulu faire, admets l’y de tout ton cœur, & luy parle aussi
- hardiment qu’à toi-même.
-
- [304] Delibere de toutes choses avec ton amy; mais delibere
- premierement d’en avoir un tel qu’il faut.
-
- [305] Un chacun veut qu’on se fie à luy, & la confiance que nous avons
- en quelcun l’oblige à se confier en nous & à nous estre fidelle.
-
- [306] Ne cherche point ailleurs l’origine de l’or; l’or contient les
- semences de l’or, quoi qu’elles nous soient fort cachées, ce qui
- fait que nous sommes obligés à travailler beaucoup pour les
- chercher.
-
-Les Lapidaires épreuvent tous les jours, qu’il se faut servir du diamant
-pour en tailler & preparer un autre; les Oiseleurs que pour faire bonne
-chasse il se faut servir de ces oiseaux que Varro appelle, [307]_illices
-& traditores generis sui_: Les Philosophes moraux, que l’amour ne se
-peut acquerir que par une amitié & affection reciproque.
-
- [307] Traitres de ceux de leur espece, & servant à les faire prendre.
-
- _Veux-tu mon fils que t’apprenne en peu d’heure
- Le beau secret du breuvage amoureux;
- Aime les tiens, tu seras aimé d’eux;
- Il n’y a point de recepte meilleure._
-
-Comment doncques un Prince pourra-t-il trouver de la confidence en
-quelque amy, s’il ne luy en communique auparavant de son costé, s’il ne
-luy monstre ce qui sera de son devoir en s’acquittant du sien propre:
-[308]_Si vis me flere_, disoit Horace, _dolendum est prius tibi_.
-[309]_Cur te habebo ut Consulem, si me non habeas ut Senatorem_,
-repliquoit un autre? Il faut tout ou rien, & jouïr d’une entiere
-confidence, ou n’en avoir point; declarer aujourd’huy une affaire, en
-taire demain une autre, en entamer quelqu’une, & ne la pas achever,
-garder toujours quelque [310]_retentum_, & ne pas tout dire, sont des
-marques de défiance, d’inquietude & d’irresolution, qui font perdre au
-Ministre la visée pour ce qui est du conseil, & l’affection pour ce qui
-concerne le service.
-
- [308] Si tu veux que je pleure, il faut que tu t’affliges auparavant.
-
- [309] Pourquoy te traiteray-je comme un Consul, si tu ne me traites
- pas comme un Senateur.
-
- [310] Chose de retenu.
-
-La seconde chose que le Prince doit observer envers son Ministre, est
-qu’il le tienne comme amy, & non pas comme flateur, qu’il luy permette
-de parler & d’opiner librement, d’expliquer & fortifier son opinion,
-sans le contraindre ou luy sçavoir mauvais gré de ne point condescendre
-à la sienne, [311]_meliora enim vulnera diligentis, quàm oscula
-blandientis_, & puis que comme disoit un brave Conseiller à son Maistre,
-[312]_non potes me simul amico & adulatore uti_. Si un Prince veut estre
-flatté, il a assez de Gentilshommes & Courtisans qui ne cherchent que
-l’occasion de le faire, sans y employer celuy qui doit estre sa bouche
-de verité. Et celuy-là ne peut jamais bien reüssir, [313]_cujus aures
-ita formatæ sunt, ut aspera quæ utilia, & nihil nisi jucundum non
-læsurum accipiant_. (Tacit. 3. hist.)
-
- [311] Car les blessures d’un amy sont meilleures que les baisers d’un
- flateur.
-
- [312] Tu ne peux pas te servir de moy comme amy & flateur tout
- ensemble.
-
- [313] Dont les oreilles sont formées, à trouver rudes les choses qui
- sont utiles, & à n’écouter rien que de plaisant, & qui ne peut
- blesser.
-
-Finalement comme ceux qui demeurent quelque temps au Soleil sont
-échauffez par sa chaleur; aussi faut-il que celuy qu’un Prince ou
-Souverain approche de sa personne, ressente les effets de son pouvoir, &
-de l’amitié qu’il luy porte par la recompense deüe à ses services; &
-quoy que la plus honorable & glorieuse qu’il luy puisse donner, soit de
-les agréer, & de s’en declarer satisfait, [314]_beneficium siquidem est
-reddere bonitatis verba_, (Senec.) & suivant même l’opinion commune,
-
- [315]_Principibus placuisse viris non ultima laus est._
-
- [314] Veu que c’est un bienfait, ou une recompense, que de parler en
- bons termes des services qu’on a reçus.
-
- [315] On ne remporte pas peu de loüange d’avoir plu aux Princes.
-
-Il faut neanmoins passer outre, & pratiquer à son occasion cette belle
-vertu de la liberalité, en luy subministrant les choses necessaires pour
-vivre honnestement dans un estat mediocre, & autant éloigné de
-l’ambition que de la necessité. Philippes II disoit à Ruy Gomes son
-Confident serviteur, _faites mes affaires & je feray les vostres_: Il
-faut que tous les Princes en disent autant à leurs Ministres, s’ils en
-veulent estre servis avec affection & fidelité, [316]_liberalitas enim
-commune quoddam vinculum est, quo beneficus & beneficio devinctus
-astringuntur_. Et j’estime qu’il seroit encore meilleur de les mettre
-promptement en repos de ce costé-là, afin que n’ayant plus à la teste
-cet horrible monstre de pauvreté, ils apportent un esprit entierement
-libre & dégagé de toutes passions au maniement des affaires, qui seroit
-le premier fruit de cette liberalité, comme le second d’acquerir
-beaucoup d’honneur & de recommandation à celuy qui l’auroit pratiquée,
-d’autant que, selon la remarque d’Aristote, entre tous les Princes
-vertueux, [317]_ii fere diliguntur maximè, qui fama & laude valent
-liberalitatis_; & le dernier de rendre les personnes entierement liées
-au service de ceux qui leur font du bien, veu que, suivant le dire d’un
-Ancien, qui a le premier inventé les bienfaits, il a voulu forger des
-seps & des menottes, pour enchaisner les hommes, les captiver & traisner
-aprés soy.
-
- [316] Car la liberalité est un certain lien qui lie le bienfaiteur &
- celuy qui reçoit le bienfait.
-
- [317] On aime particulierement ceux qui ont le renom & la loüange
- d’estre les plus liberaux.
-
-Voila, MONSEIGNEUR, tout ce que j’avois à dire en cette matiere, de
-laquelle je n’eusse jamais voulu entreprendre de traitter, si V.
-Eminence ne me l’eust commandé, & que sa grande bonté & facilité ne
-m’eussent fait esperer une excuse favorable, de toutes les fautes que je
-puis y avoir commises. Je sçay qu’elle desiroit d’autres forces que les
-miennes, une plume plus diserte & eloquente, une erudition plus grande,
-un jugement plus fort, un esprit plus universel: Mais nous aurions peu
-de statues de Jupiter s’il n’eust esté permis qu’à Phidias de les faire,
-& Rome seroit maintenant sans peintures & tableaux, si d’autres n’y
-avoient travaillé que Michel Ange, & Raphael d’Urbin: les bons ouvriers
-ne se rencontrent pas si souvent, que l’on se puisse passer des mauvais,
-ny les grands Politiques, que l’on ne se divertisse quelquefois dans les
-écrits des moindres, sous le titre desquels s’il plaist à V. Eminence de
-recouvrir le present discours, elle m’obligera de songer à quelque autre
-de plus longue haleine; & j’ose bien me promettre sous la continuation
-de vostre faveur & bienveillance, que
-
- [318]_Illa dies olim veniet (modo stamina
- Longa trahat Lachesis) quum te & tua facta canemus
- Uberius, nomenque tuum Gangetica tellus,
- Et Tartessiaci resonabunt littora ponti.
- Ibit Hyperboreas passim tua fama per urbes,
- Et per me extremis Libyæ nosceris in oris,
- Tunc ego majori Musarum percitus œstro,
- Omnibus ostendam, quanto tenearis amore
- Justitiæ, sit quanta tibi pietasque fidesque,
- Quantum consilio valeas & fortibus ausis,
- Quàm sis munificus, quàm clemens, denique per me
- Ingenium, moresque tuos mirabitur orbis.
- At nunc ista tibi quæ tradimus accipe læto
- Interea vultu, & præsentibus annue cœptis._
-
- [318] Le temps viendra un jour (pourveu que la Parque fasse nostre
- fusée longue) que nous publierons plus amplement les belles actions
- de vostre personne; & que vostre nom retentira dans la terre du
- Gange, & sur les costes de la mer d’Espagne. Vostre nom ira jusques
- aux villes du Nord, & je vous feray connoistre dans les extremités
- de la Libye. Alors poussé d’une plus grande veine poëtique, je feray
- voir à tout le monde combien vous estes amateur de la justice,
- combien grande est la foy & la pieté dont vous estes orné; combien
- vous estes puissant en conseil, & en courageuses entreprises;
- combien vous estes liberal, & clement, & enfin je feray que toute la
- terre admirera vostre esprit & vos mœurs. Mais cependant recevés ce
- que je vous offre maintenant, & daignés prendre en bonne part &
- favoriser la presente entreprise.
-
-
-
-
-TABLE
-
-des Chapitres.
-
-
- Objections que l’on peut faire contre ce discours, avec les
- réponses necessaires. Chap. I. pag. 3
-
- Quels sont proprement les Coups d’Estat, & de combien de
- sortes. Chap. II. 50
-
- Avec quelles precautions, & en quelles occasions on doit
- prattiquer les Coups d’Estat. Chap. III. 118
-
- De quelles opinions faut-il estre persuadé pour entreprendre
- des Coups d’Estat. Chap. IV. 213
-
- Quelles conditions sont requises au Ministre avec qui l’on
- peut concerter les Coups d’Estat. Chap. V. 283
-
-
-FIN.
-
-
-*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CONSIDERATIONS POLITIQUES SUR
-LES COUPS D'ESTAT ***
-
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- Considerations politiques sur les Coups d’Estat | Project Gutenberg
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-<div lang='en' xml:lang='en'>
-<p style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of <span lang='fr' xml:lang='fr'>Considerations politiques sur les coups d&#039;estat</span>, by Gabriel Naudé</p>
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
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-are not located in the United States, you will have to check the laws of the
-country where you are located before using this eBook.
-</div>
-</div>
-
-<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: <span lang='fr' xml:lang='fr'>Considerations politiques sur les coups d&#039;estat</span></p>
-<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Gabriel Naudé</p>
-<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Release Date: January 28, 2023 [eBook #69887]</p>
-<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Language: French</p>
- <p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em; text-align:left'>Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive)</p>
-<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>CONSIDERATIONS POLITIQUES SUR LES COUPS D&#039;ESTAT</span> ***</div>
-<h1><span class="small">CONSIDERATIONS</span><br />
-POLITIQUES<br />
-<span class="small i">SUR LES</span><br />
-<span class="large">COUPS D’ESTAT.</span></h1>
-
-<p class="c i large">Par Gabriel Naudé, Parisien.</p>
-
-
-<p class="c gap i">Sur la Copie de Rome.</p>
-
-<p class="c">M DC LXVII.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">AU LECTEUR.</h2>
-
-
-<p class="i">Ce livre n’ayant esté composé que pour la satisfaction
-d’un particulier, on n’en fit imprimer
-que <span class="rm">12</span> exemplaires, qui n’ont paru que dans
-fort peu de Cabinets où ils ont toujours tenu le premier
-rang entre les pieces curieuses ; mais comme le
-hazard m’en a donné une copie, j’ay cru que je
-n’obligerois pas peu le public en luy donnant un thresor
-qui n’estoit possedé que de fort peu de personnes ;
-cela joint au merite de l’auteur &amp; à celuy de l’ouvrage,
-à qui on faisoit tort de ne les pas faire connoistre,
-m’ont obligé à le mettre sous la presse, &amp;
-à inserer à la fin de chaque page la traduction Françoise
-des citations Greques, Latines &amp; Italiennes
-qui sont dans le corps du livre, afin de faire connoistre
-le merite de l’œuvre à plus de personnes, &amp; donner
-au livre la seule perfection qui sembloit y manquer ;
-ceux qui le liront admireront ce Traité &amp; me sçauront
-bon gré de leur avoir fait part d’une piece si
-rare. Adieu.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p class="top4em">Ce livre n’a pas esté composé pour
-plaire à tout le monde, si l’Auteur en
-eust eu le dessein, il ne l’auroit pas écrit du
-stile de Montagne &amp; de Charon, dont il sçait
-bien que beaucoup de personnes se
-rebuttent à cause du grand nombre des citations
-Latines. Mais comme il ne s’est
-mis à le faire que par obeïssance, il a esté
-obligé de coucher sur le papier les mêmes
-discours, &amp; de rapporter les mêmes autoritez
-dont il s’estoit servy en parlant à son Eminence.
-Aussi n’est-ce pas pour rendre
-cet ouvrage public qu’il a esté mis sous la
-presse ; elle n’a roulé que par le commandement,
-&amp; pour la satisfaction de ce grand
-Prelat, qui n’a ses lectures agréables que
-dans la facilité des livres imprimez : Et
-qui pour cette cause a voulu faire tirer une
-<i>douzaine d’exemplaires</i> de celuy-cy, au lieu
-des copies manuscrites qu’il en faudroit
-faire. Je sçay bien que ce nombre est trop
-petit pour permettre que ce livre soit veu
-d’autant de personnes que le Prince de Balzac
-&amp; le Ministre de Sillion. Mais comme
-les choses qu’il traitte sont beaucoup plus
-importantes, il est aussi fort à propos
-qu’elles ne soient pas si communes. Et en
-un mot l’Auteur n’a eu autre but que la satisfaction
-de son Eminence, tant pour
-composer, que pour publier cet ouvrage.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak sc">A l’Auteur.</h2>
-
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i">L’un s’émerveillera de vous voir en jeunesse</div>
-<div class="verse i">Déja tout posseder, ce que l’antiquité,</div>
-<div class="verse i">Se travaillant sans fin dans son infinité,</div>
-<div class="verse i">A peine a sceu tirer des Tresors de sagesse.</div>
-
-<div class="verse stanza i">Un autre admirera l’heroïque hardiesse,</div>
-<div class="verse i">Dont voulant rétablir icy la liberté,</div>
-<div class="verse i">Vous combatés si bien contre la fausseté,</div>
-<div class="verse i">Même dedans la place où elle est la Maitresse.</div>
-
-<div class="verse stanza i">Bref, dans vostre discours chacun admirera</div>
-<div class="verse i">Une diversité des merveilles qu’il a ;</div>
-<div class="verse i">Mais voicy celle-là qu’entre autres j’ay trouvée :</div>
-
-<div class="verse stanza i">C’est que sçachant si bien le naturel des Grands,</div>
-<div class="verse i">Leur maxime &amp; leurs <span class="sc rm">Coups</span>, vous soyez si long-temps</div>
-<div class="verse i">Resté dans une vie innocente &amp; privée.</div>
-</div>
-
-<p class="sign">Jac. Bouchard, à Rome.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" title="Epistre">&nbsp;</h2>
-
-<p class="c"><span class="small i">A MONSEIGNEUR</span>,
-L’EMINENTISSIME<br />
-<span class="large">CARDINAL</span><br />
-<span class="xlarge">DE BAGNI,</span><br />
-mon tres-bon &amp; tres-honoré<br />
-Maistre.</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a>Non equidem hoc studeo, bullatis ut mihi nugis</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Pagina turgescat dare pondus idonea sumo :</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Secreti loquimur, tibi nunc, hortante camœna,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Excutienda damus præcordia.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Pers. Sat. 5.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> Je n’ay point essayé d’enfler mes ouvrages
-de sornettes boufies qui ne font que de la fumée.
-Je vous parle confidemment, &amp; la muse
-me sollicite de vous découvrir le fond de mon
-ame.</p>
-</div>
-
-<p class="noindent"><span class="sc">Monseigneur</span>,</p>
-
-<p>Puis que vous estes maintenant
-à Rome, joüissant des honneurs
-qui servent de recompense
-à vos merites, &amp; vivant dans
-le repos que les fonctions publiques
-heureusement exercées
-en sept Gouvernemens, une
-Vice-legation, &amp; deux Nonciatures
-vous y ont acquis : je n’ay
-pas cru pouvoir mieux employer
-le loisir duquel vostre bien-veillance
-&amp; vostre bonté extraordinaire
-m’y font pareillement
-joüir, qu’en vous entretenant des
-plus relevées Maximes de la Politique,
-&amp; de ces grandes affaires
-d’Estat, en la conduite desquelles
-V. E. a tellement fait remarquer
-sa prudence, que les plus
-grands Genies qui gouvernent
-presentement toute l’Europe, en
-sont demeurez remplis d’étonnement,
-&amp; n’ont jamais mieux
-reüssi aux deliberations &amp; entreprises
-les plus difficiles, que lors
-qu’ils les ont maniées suivant
-les bons &amp; genereux avis qu’il
-vous a pleu de leur en donner,
-<i lang="la" xml:lang="la">Adeò</i></p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">[2]</a><i lang="la" xml:lang="la">Nil desperandum Teucro duce &amp; auspice Teucro !</i></div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Horat. l. 1. carm. Ode 7.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_2" href="#FNanchor_2"><span class="label">[2]</span></a> Aussi ne faut-il point desesperer, puisque
-Teucer marche à la teste, il ne faut
-rien craindre aussi sous le bonheur de sa conduite.</p>
-</div>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch1"><span class="sc">Chapitre I.</span><br />
-<span class="i">Objections que l’on peut faire contre
-ce discours avec les Réponses
-necessaires.</span></h2>
-
-
-<p>Mais à grand peine, <span class="sc">Monseigneur</span>,
-ay-je tracé
-les premieres lignes de ce Discours,
-que je me treuve renfermé
-entre deux puissantes difficultez,
-capables à mon avis d’empécher
-toute autre personne qui auroit
-moins de courage &amp; d’affection
-que moy, de passer outre, &amp; de
-glacer le sang des plus échauffez
-à la recherche de ces Resolutions,
-non moins perilleuses que extraordinaires.
-Car si le judicieux
-Poëte Horace (<i lang="la" xml:lang="la">Ode <span class="rm">1</span>. lib. <span class="rm">2</span>.</i>) disoit
-ingenûment à son amy Pollio,
-qui vouloit écrire l’histoire
-des guerres civiles arrivées de son
-temps,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a>Periculosæ plenum opus aleæ</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Tractas, &amp; incedis per ignes</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Suppositos cineri doloso.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_3" href="#FNanchor_3"><span class="label">[3]</span></a> Vostre ouvrage est perilleux, &amp; vous marchez
-sur des feux cachés sous une cendre trompeuse.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Quel bon succés peut-on attendre
-de cette mienne entreprise
-beaucoup plus difficile &amp; temeraire :
-veu que pour ne rien dire
-du danger qu’il y a de vouloir
-déchiffrer les actions des Princes,
-&amp; faire voir à nud ce qu’ils s’efforcent
-tous les jours de voiler
-avec mille sortes d’artifices ; il y
-en a encore deux autres de non
-moindre consequence ; l’un desquels je
-puis en quelque façon apprehender
-pour ce qui regarde &amp;
-touche vostre personne ; comme
-aussi rencontrer l’autre en ce qui
-concerne la mienne.</p>
-
-<p>Et pour ce qui est du premier
-je dirois volontiers avec le Poëte
-qui a si bien traitté la Philosophie
-dans ses beaux vers, qu’il est
-maintenant le seul &amp; unique
-soustien de sa secte :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">[4]</a>Illud in his rebus vereor, ne forte rearis,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Impia te rationis inire elementa, viamque</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Indugredi sceleris.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Lucret. lib. 1.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_4" href="#FNanchor_4"><span class="label">[4]</span></a> J’apprehende que de ce pas il ne vous
-viene en l’esprit que vous estes dans les elemens
-de l’impieté, &amp; que vous entrez dans la
-voie du crime.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Au moins devrois-je craindre à
-bon droit de blesser les oreilles
-de V. E., d’effaroucher ses yeux,
-&amp; de troubler la douceur &amp; facilité
-de sa nature, aussi-bien que
-le repos &amp; l’intégrité de sa conscience,
-par le recit de tant de
-fourbes, de tromperies, violences
-&amp; autres semblables actions
-injustes (comme elles semblent
-de premier abord) &amp; tyranniques,
-qu’il me faudra cy-aprés deduire,
-expliquer &amp; defendre.</p>
-
-<p>Que si Enée, l’un des plus resolus
-Capitaines de l’antiquité,
-fut tellement émeu de commiseration
-au seul recit qu’il luy falloit
-faire devant la Reyne de Carthage,
-du sac &amp; des ruïnes de la
-Ville de Troye qu’il ne le put
-commencer que par ces paroles :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">[5]</a>Quanquam animus meminisse horret, luctuque refugit.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virgil. Æn. 2.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_5" href="#FNanchor_5"><span class="label">[5]</span></a> Bien que mon ame ait horreur de s’en
-souvenir, &amp; qu’elle s’éloigne de tout son
-pouvoir de la seule pensée d’un deuil si sensible.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et si un certain Empereur qui n’a
-toutefois pû éviter le surnom de
-Cruel, dit un jour au Prevost, qui
-luy faisoit signer la condamnation
-de deux pauvres miserables : <a id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">[6]</a><i lang="la" xml:lang="la">Utinam
-nescirem literas</i> : (<span lang="la" xml:lang="la">Senec. lib. 2.
-de clem.</span>) Ne pourriez-vous pas
-souhaitter avec plus de raison de
-n’avoir jamais veu ce discours ;
-puis qu’il ne vous doit entretenir
-que de ce qui est le moins convenable
-à vostre grande humanité,
-candeur &amp; bien-veillance ? Et
-puis ne ferois-je pas beaucoup
-mieux de suivre le conseil de Salomon,
-<a id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">[7]</a><i lang="la" xml:lang="la">coram Rege tuo noli videri
-sapiens</i>, &amp; vivre dans la continuation
-des estudes esquelles j’ay esté
-nourri dés ma jeunesse, que de
-paroistre devant vous avec ces
-conceptions extravagantes, comme
-Diognotus fit avec les siennes
-devant Alexandre, pour se faire
-estimer un grand Ingenieur &amp;
-Architecte ? veu principalement
-que je puis apprehender d’avoir
-pareille issuë de ce raisonnement,
-qu’eut le Grammairien Phormion
-de celuy de l’art militaire qu’il
-fit devant Annibal, estimé le premier
-Capitaine de son temps ?
-<a id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">[8]</a><i lang="la" xml:lang="la">Omnes siquidem videmur nobis saperdæ,
-festivi, belli, quum simus copreæ.</i>
-(Varro.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_6" href="#FNanchor_6"><span class="label">[6]</span></a> Pleût à Dieu que je n’eusse aucune connoissance
-des lettres.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_7" href="#FNanchor_7"><span class="label">[7]</span></a> Ne veuille pas faire
-le sage devant ton Roy.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_8" href="#FNanchor_8"><span class="label">[8]</span></a> Veu même qu’il nous semble à tous que
-nous sommes sages, plaisans &amp; beaux, quoique
-nous ne soyons que des boufons.</p>
-</div>
-<p>Et à la verité quand je viens à
-considerer le peu de moyens que
-j’ay pour me bien acquiter de cette
-entreprise, qui est la seconde
-difficulté, que j’ay presque envie
-de ne point passer outre &amp; de m’en
-déporter entierement ; afin de ne
-point encourir la censure que
-Phœbus donna en pareille rencontre
-à son fils dans le Poëte,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">[9]</a>Magna petis, Phaëton, &amp; quæ non viribus ipsis</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Munera conveniunt.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Ovid. in Met.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_9" href="#FNanchor_9"><span class="label">[9]</span></a> Tu demandes des choses grandes, Phaëton, &amp; des dons
-qui ne sont pas proportionnés à tes forces.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Aussi fit-il une cheute memorable
-pour s’estre approché trop prés
-du Soleil ; &amp; plusieurs qui n’avoient
-pas moins de temerité
-ont signalé leur perte par la trop
-grande hardiesse de leur entreprise.
-Et moy qui suis encore tout
-nouveau en ces exercices,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">[10]</a>Ense velut nudo parmaque inglorius alba.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virgil. Æn. 9.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_10" href="#FNanchor_10"><span class="label">[10]</span></a> Comme portant une épée à la main avec
-une rondache blanche, pour ne m’estre point
-encore signalé dans le peril.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Oseray-je bien me mesler de ces
-sacrifices, plus cachez que ceux de
-la Déesse Eleusine, sans y estre initié ?
-Avec quelle asseurance pourray-je
-entrer dans le fond de ces
-affaires, penetrer les cabinets des
-Grands, passer au sanctuaire où se
-forment tous ces hardis desseins,
-sans avoir eu l’addresse &amp; la communication
-de ceux qui les conduisent ?
-Certes je pardonnerois
-volontiers à celuy qui me voyant
-en cette resolution, jugeroit incontinent,
-que ce seroit violenter
-la nature, laquelle ne passe jamais
-si promptement d’une extremité
-à l’autre ; ou pour en parler plus
-moderément, que ce seroit avec
-beaucoup plus de hardiesse que de
-raison, vouloir singler sur les plus
-hautes mers sans Boussole, &amp; s’engager
-dans un labyrinthe de ruses,
-&amp; de subtilitez infinies, sans
-avoir en main le filet de cette
-science pour s’en déveloper avec
-le succés d’une issuë favorable. Et
-ce d’autant plus volontiers qu’il
-n’en est pas icy, comme de ceux
-qui envisagent avec beaucoup
-moins de difficulté le Soleil, qu’ils
-sont plus éloignez de sa face ; ou
-bien comme de ces peintres, dont
-ceux qui ont la veuë courte, font
-d’ordinaire les plus excellens Tableaux :
-mais plustost que cette
-Prudence Politique est semblable
-au Prothée, duquel il nous est
-impossible d’avoir aucune connoissance
-certaine, qu’aprés estre
-descendus <a id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor">[11]</a><i lang="la" xml:lang="la">in secreta senis</i>, &amp; avoir
-contemplé d’un œil fixe &amp; asseuré,
-tous ses divers mouvemens,
-figures &amp; metamorphoses, au
-moyen desquelles</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_11" href="#FNanchor_11"><span class="label">[11]</span></a> Dans les secrets de ce vieillard.</p>
-</div>
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor">[12]</a>Fit subito sus horridus, atraque Tigris,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Squammosusque Draco, &amp; fulva cervice Leæna.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virgil. in Georg. IV.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_12" href="#FNanchor_12"><span class="label">[12]</span></a> Tout d’un coup il vous presente l’horreur d’un sanglier,
-il se couvre de la peau noire d’un tygre,
-des écailles d’un dragon, &amp; du poil roux
-d’une lionne.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Toutefois comme le jeune Aristée
-ne fut point détourné par les
-grandes difficultez que luy proposoit
-Arethuse, d’entreprendre
-son voyage, &amp; d’obtenir en suite
-toute sorte de contentement : Aussi
-les precedentes n’auront pas plus
-de force en mon endroit, &amp; mille
-autres davantage ne me pourroient
-empescher, qu’aprés m’estre
-avisé du conseil que donne Pline
-le jeune, <a id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor">[13]</a><i lang="la" xml:lang="la">tutius per plana, sed
-humilius &amp; depressius iter ; frequentior
-currentibus quàm reptantibus lapsus ;
-sed &amp; his non labentibus nulla laus, illis
-nonnulla laus etiamsi labantur</i>, je ne
-fournisse entierement la carriere
-du dessein que je me suis proposé.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_13" href="#FNanchor_13"><span class="label">[13]</span></a> Les chemins unis sont bien plus assurez,
-mais aussy plus bas &amp; plus ravalez ; ceux
-qui courent tombent bien plus souvent que
-ceux qui marchent bellement ; mais ceux-cy
-ne remportent aucune loüange quoi qu’ils
-ne tombent pas, au lieu que ceux-là en acquierent
-en quelque façon encore bien qu’ils tombent.</p>
-</div>
-<p>C’est pourquoy, <span class="sc">Monseigneur</span>,
-pour répondre aux deux
-difficultez que je me suis faites cy-dessus ;
-&amp; à celle qui regarde V. E.
-premierement, il ne faut point apprehender
-que cette doctrine
-heurte tant soit peu vostre pieté,
-ou trouble aucunement le repos &amp;
-l’integrité de vostre conscience,
-comme il semble de premier abord,
-que ces trois vers de Lucrece
-le veüillent persuader : le Soleil
-épand sa lumiere sur les choses
-les plus viles &amp; abjectes sans en estre
-gasté ou noircy,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor">[14]</a>Nec quia forte lutum radiis ferit, est ideo ipse</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Fœdus ; non sordet lumen quum sordida tangit.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Paling. in Scorp.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_14" href="#FNanchor_14"><span class="label">[14]</span></a> Bien que de ses rayons il puisse toucher
-de la bouë, il n’en est pas pour cela soüillé ; la
-lumiere ne se soüille point quand elle touche
-des choses sales.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Les Theologiens ne sont pas moins
-religieux pour sçavoir en quoy
-consistent les heresies ; ny les Medecins
-moins preud’hommes, pour
-connoistre la force &amp; la composition
-de tous les venins. Les
-habitudes de l’entendement sont
-distinguées de celles de la volonté,
-&amp; les premieres appartiennent
-aux sciences, &amp; sont toujours
-loüables, les secondes regardent
-les actions morales, qui peuvent
-estre bonnes ou mauvaises. Tritheme
-&amp; Pererius ont monstré
-qu’il estoit expedient qu’il y eust
-des Magiciens, &amp; que l’on sceust
-au vray le moyen d’invoquer les
-demons, pour convaincre par l’apparition
-d’iceux l’incredulité des
-Athées : Les soldats vont d’ordinaire
-aux exercices pour apprendre à
-bien manier la picque, &amp; à tirer
-du mousquet ; afin de pouvoir
-avec plus d’artifice &amp; d’industrie,
-tuër les hommes &amp; détruire leurs
-semblables : mais ils ne s’en servent
-neanmoins que contre les ennemis
-de leur Prince, ou de la patrie :
-Les meilleurs Chirurgiens n’estudient
-autre chose qu’à pouvoir
-dextrement couper bras &amp; jambes,
-&amp; ce pour le salut des malades,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor">[15]</a>Truncantur &amp; artus,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ut liceat reliquis securum degere membris.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Claud. 2. in Eutrop.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_15" href="#FNanchor_15"><span class="label">[15]</span></a> On coupe certains membres, afin de garantir
-les autres par le retranchement de ceux-là.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Pourquoy doncque sera-t-il defendu
-à un grand Politique, de
-sçavoir hausser ou baisser, produire
-ou resserrer, condamner ou absoudre,
-faire vivre ou mourir,
-ceux qu’il jugera expedient de
-traitter de la sorte, pour le bien &amp;
-le repos de son Estat.</p>
-
-<p>Beaucoup tiennent que le Prince
-bien sage &amp; avisé, doit non
-seulement commander selon les
-loix ; mais encore aux loix même
-si la necessité le requiert. Pour
-garder justice aux choses grandes,
-dit Charon, il faut quelquefois
-s’en détourner aux choses petites,
-&amp; pour faire droit en gros,
-il est permis de faire tort en détail.</p>
-
-<p>Que si l’on m’objecte qu’il n’est
-pas toutefois à propos de discourir
-de ces choses, &amp; que c’est proprement
-mettre <a id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor">[16]</a><i lang="la" xml:lang="la">gladium ancipitem
-in manu stulti</i>, que de les enseigner ;
-je répondray à cela, que les
-méchans peuvent abuser de tout ce
-qu’il y a de meilleur en ce monde,
-&amp; faire comme les mouches
-bastardes &amp; frelons, qui convertissent
-les plus belles fleurs en amertume :
-Les Heretiques trouvent
-les fondemens de leur impieté
-dans la Sainte Ecriture : Les
-Paracelsistes abusent du texte
-d’Hippocrate pour établir leurs
-songes : Les Avocats citent le
-Code &amp; les Pandectes, pour defendre
-les plus coupables ; &amp; neanmoins
-l’on n’a jamais songé à supprimer
-ces Livres : l’épée peut aussi-tost
-offenser que defendre, le vin
-aussi-tost enyvrer que nourir, les
-remedes aussi-tost tuër que guerir ;
-&amp; personne toutefois n’a encore
-dit que leur usage ne fust
-tres-necessaire. C’est une loy commune
-à toutes les choses, qu’estant
-instituées à bonne fin, l’on en abuse
-bien souvent : la Nature ne
-produit pas les venins pour servir
-aux poisons, &amp; à faire mourir les
-hommes, parce qu’en ce faisant elle
-se détruiroit elle-même : mais c’est
-nostre propre malice qui les convertit
-en cet usage, <a id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor">[17]</a><i lang="la" xml:lang="la">Terra quidem
-nobis malorum remedium genuit, nos
-illud vitæ fecimus venenum.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">Plin. lib.
-18. cap. 1.</span>)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_16" href="#FNanchor_16"><span class="label">[16]</span></a> Une épée à deux tranchans entre les
-mains d’un fol.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_17" href="#FNanchor_17"><span class="label">[17]</span></a> La terre nous a bien produit des remedes
-pour soulager nos maux ; mais nous les
-avons convertis en poison pour nous oster la
-vie.</p>
-</div>
-<p>Mais il faut encore passer outre,
-&amp; dire que la malice &amp; la depravation
-des hommes est si grande,
-&amp; les moyens desquels ils se
-servent pour venir à bout de leurs
-desseins si hardis &amp; dangereux,
-que de vouloir parler de la Politique
-suivant qu’elle se traitte &amp;
-exerce aujourd’huy, sans rien dire
-de ces Coups d’Estat, c’est proprement
-ignorer la Pedie, &amp; le
-moyen qu’enseigne Aristote dans
-ses Analytiques, pour parler de
-toutes choses à propos, &amp; suivant
-les principes &amp; demonstrations qui
-leur sont propres &amp; essentielles,
-<a id="FNanchor_18" href="#Footnote_18" class="fnanchor">[18]</a><i lang="la" xml:lang="la">est enim pædiæ inscitia nescire, quorum
-oporteat quærere demonstrationem,
-quorum verò non oporteat</i> : comme
-il dit en sa Metaphysique.
-C’est pourquoy Lipse &amp; Charon,
-bien qu’ils ne fussent pas des Timons
-&amp; Mysantropes, ont voulu
-traitter de cette partie, pour ne
-point laisser leurs ouvrages imparfaits :
-Et le même Aristote qui
-n’avoit pas accoustumé de rien faire
-<a id="FNanchor_19" href="#Footnote_19" class="fnanchor">[19]</a>ἀπαιδεύτως, lors qu’il a traitté
-de la Politique &amp; des gouvernemens
-opposez à la Monarchie,
-Aristocratie &amp; Democratie, qui
-sont la tyrannie, l’olygarchie &amp;
-l’ochlocratie, il donne aussi-bien les
-preceptes de ces trois vicieux que
-des legitimes. En quoy il a esté suivi
-par Saint Thomas en ses Commentaires,
-où aprés avoir blasmé
-&amp; dissuadé par toutes raisons possibles
-la domination tyrannique,
-il donne neanmoins les avis &amp; les
-regles communes pour l’établir,
-au cas que quelqu’un soit si méchant
-que de le vouloir faire. Et
-qu’ainsi ne soit, voila ses propres
-mots tirez du Commentaire sur le
-cinquiéme des Politiques texte XI.
-<a id="FNanchor_20" href="#Footnote_20" class="fnanchor">[20]</a><i lang="la" xml:lang="la">Ad salvationem tyrannidis, expedit
-excellentes in potentia vel divitiis interficere,
-quia tales per potentiam quam
-habent possunt insurgere contra Tyrannum.
-Iterum expedit interficere sapientes,
-tales enim per sapientiam suam possunt
-invenire vias ad expellendam tyrannidem,
-nec scholas, nec alias congregationes,
-per quas contingit vacare
-circa sapientiam permittendum est, sapientes
-enim ad magna inclinantur, &amp;
-ideò magnanimi sunt, &amp; tales de facili
-insurgunt. Ad salvandam tyrannidem
-oportet quod Tyrannus procuret, ut subditi
-imponant sibi invicem crimina &amp;
-turbent se ipsos, ut amicus amicum, &amp;
-populus contra divites, &amp; divites inter
-se dissentiant, sic enim minus poterunt
-insurgere propter eorum divisionem :
-oportet etiam subditos facere pauperes,
-sic enim minus poterunt insurgere contra
-Tyrannum. Procuranda sunt vectigalia,
-hoc est exactiones multæ, magnæ,
-sic enim cito poterunt depauperari subditi.
-Tyrannus debet procurare bella inter
-subditos, vel etiam extraneos, ita ut
-non possint vacare ad aliquid tractandum
-contra tyrannum. Regnum salvatur
-per amicos, tyrannus autem ad salvandam
-tyrannidem non debet confidere
-amicis.</i> Et au texte suivant qui
-est le XII, voila comme il enseigne
-l’hypocrisie &amp; la simulation :
-<a id="FNanchor_21" href="#Footnote_21" class="fnanchor">[21]</a><i lang="la" xml:lang="la">Expedit tyranno ad salvandam tyrannidem,
-quod non appareat subditis
-sævus seu crudelis, nam si appareat sævus
-reddit se odiosum ; ex hoc autem facilius
-insurgunt in eum : sed debet se reddere
-reverendum propter excellentiam
-alicujus boni excellentis, reverentia enim
-debetur bono excellenti ; &amp; si non habeat
-bonum illud excellens, debet simulare se
-habere illud. Tyrannus debet se reddere
-talem, ut videatur subditis ipsos excellere
-in aliquo bono excellenti, in quo ipsi deficiunt,
-ex quo eum revereantur. Si non
-habeat virtutes secundum veritatem, faciat
-ut opinentur ipsum habere eas.</i></p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_18" href="#FNanchor_18"><span class="label">[18]</span></a> Car c’est ignorer la pedie, que de ne sçavoir
-pas de quelles choses il faut ou ne faut pas
-chercher la demonstration.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_19" href="#FNanchor_19"><span class="label">[19]</span></a> Sans en estre bien informé.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_20" href="#FNanchor_20"><span class="label">[20]</span></a> Pour le maintien de la tyrannie, il faut
-faire mourir les plus puissans &amp; les plus riches,
-parce que de telles gens se peuvent soulever
-contre le Tyran par le moyen de l’autorité
-qu’ils ont. Il est aussi necessaire de se defaire
-des grands esprits &amp; des hommes sçavans, parce
-qu’ils peuvent trouver, par leur science, le
-moyen de ruïner la tyrannie ; il ne faut pas
-même qu’il y ait des écoles, ni autres congregations
-par le moyen desquelles on puisse
-apprendre les sciences, car les gens sçavans
-ont de l’inclination pour les choses grandes,
-&amp; sont par consequent courageux &amp; magnanimes,
-&amp; de tels hommes se soulevent facilement
-contre les Tyrans. Pour maintenir la tyrannie,
-il faut que le Tyran fasse en sorte que
-ses sujets s’accusent les uns les autres, &amp; se
-troublent eux-mêmes, que l’ami persecute
-l’ami, &amp; qu’il y ait de la dissension entre le
-menu peuple &amp; les riches, &amp; de la discorde entre
-les opulens. Car en ce faisant ils auront
-moins de moyen de se soulever à cause de leur
-division. Il faut aussi rendre pauvres les sujets,
-afin qu’il leur soit d’autant plus difficile de
-se soulever contre le Tyran. Il faut établir des
-subsides, c’est à dire des grandes exactions &amp; en
-grand nombre, car c’est le moyen de rendre
-bientost pauvres les sujets. Le Tyran doit aussi
-susciter des guerres parmy ses sujets, &amp; même
-parmy les étrangers, afin qu’ils ne puissent negotier
-aucune chose contre lui. Les Royaumes
-se maintienent par le moyen des amis,
-mais un Tyran ne se doit fier à personne pour
-se conserver en la tyrannie.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_21" href="#FNanchor_21"><span class="label">[21]</span></a> Il ne faut pas qu’un Tyran, pour se maintenir
-dans la tyrannie, paroisse à ses sujets estre
-cruel, car s’il leur paroît tel il se rend odieux,
-ce qui les peut plus facilement faire soulever
-contre lui : mais il se doit rendre venerable
-pour l’excellence de quelque eminente vertu,
-car on doit toute sorte de respect à la vertu ; &amp;
-s’il n’a pas cette qualité excellente il doit faire
-semblant qu’il la possede. Le Tyran se doit
-rendre tel, qu’il semble à ses sujets qu’il possede
-quelque eminente vertu qui leur manque,
-&amp; pour laquelle ils lui portent respect. S’il n’a
-point de vertus en effet ; qu’il fasse en sorte
-qu’ils croient qu’il en ait.</p>
-</div>
-<p>Voila certes des preceptes bien
-estranges en la bouche d’un Saint,
-&amp; qui ne different en rien de ceux
-de Machiavel &amp; de Cardan, mais
-qui se peuvent toutefois sauver par
-ces deux raisons assez probables &amp;
-legitimes. La premiere est, que
-ces maximes estant ainsi declarées
-&amp; éventées, les sujets peuvent plus
-facilement reconnoistre quand les
-deportemens de leurs Princes tendent
-à établir une Domination
-Tyrannique ; &amp; consequemment
-y donner ordre : tout de même
-que les mariniers se peuvent plus
-facilement retirer à l’abry, lors
-qu’ils ont preveu l’orage &amp; la
-tempeste, par les signes que les
-routiers &amp; pilotages leur en fournissent.
-La seconde, parce qu’un
-Tyran qui veut sans conseil &amp; avis
-establir sa domination,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_22" href="#Footnote_22" class="fnanchor">[22]</a>Cuncta ferit, dum cuncta timet grassatur in omnes,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ut se posse putent.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Claudian.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_22" href="#FNanchor_22"><span class="label">[22]</span></a> Frape tout &amp; n’épargne personne, &amp;
-quand il craint le plus, c’est pour lors qu’il attaque
-tout le monde, afin qu’on croie qu’il est
-bien puissant.</p>
-</div>
-<p class="noindent">&amp; ressemble quelquefois au loup,
-lequel estant entré dans la bergerie,
-&amp; pouvant se rassasier &amp; appaiser
-sa faim sur une seule brebis,
-ne laisse pourtant d’égorger toutes
-les autres ; où au contraire s’il
-y procede avec jugement, &amp; suivant
-les preceptes de ceux qui sont
-plus avisez &amp; moins passionnez
-que luy, il se contentera peut-estre
-d’abatre comme Tarquin les testes
-des pavots plus élevez, ou comme
-Thrasibule &amp; Periandre les
-esprits qui paroissent par dessus
-les autres ; &amp; ainsi le mal qui ne se
-peut éviter le rendra beaucoup
-plus doux &amp; supportable.</p>
-
-<p>D’ailleurs il ne faut pas craindre
-que le narré de tous ces tragiques
-accidens puisse offenser les
-oreilles de V. E. ou troubler tant
-soit peu la douceur &amp; facilité de
-vostre nature. L’entiere connoissance
-que vous vous estes acquise
-des affaires Politiques, la longue
-pratique &amp; experience que vous
-avez de la Cour des plus grands
-Monarques, où ces Machiavellismes
-sont assez frequens, ne
-permettent pas que l’on vous prenne
-pour apprenty à les connoistre.
-Et puis, encore que la justice, &amp; la
-clemence soient deux vertus bien
-sortables à un grand homme ; il
-n’est pas toutefois à propos qu’il
-ait pareille inclination à la misericorde :
-Seneque en donne cette
-raison, en son traitté de la Clemence,
-(<span lang="la" xml:lang="la">lib. 2. c. 5.</span>) <a id="FNanchor_23" href="#Footnote_23" class="fnanchor">[23]</a><i lang="la" xml:lang="la">Quemadmodum</i>,
-dit-il, <i lang="la" xml:lang="la">Religio deos colit, superstitio
-violat, clementiam mansuetudinemque
-omnes boni præstabunt, misericordiam
-autem vitabunt ; est enim vitium
-pusilli animi ad speciem alienorum
-malorum subsidentis</i>. Or ce seroit un
-crime de penser qu’il y eût rien en
-V. E. de vil, rempant &amp; abject,
-d’autant que s’il est vray, comme
-dit le même, que <a id="FNanchor_24" href="#Footnote_24" class="fnanchor">[24]</a><i lang="la" xml:lang="la">nihil æque hominem
-quàm magnus animus decet</i> ; avec
-combien plus de raison, cet esprit
-fort se doit-il rencontrer en V. E.
-pour accompagner dignement, &amp;
-rehausser cette grande dignité
-qu’elle soustient, non seulement
-de Prince de l’Eglise, mais encore
-de principal conseiller de sa Sainteté,
-&amp; quasi de tous les plus puissans
-Princes d’Europe ; <a id="FNanchor_25" href="#Footnote_25" class="fnanchor">[25]</a><i lang="la" xml:lang="la">Magnam
-enim fortunam magnus animus decet,
-qui nisi se ad illam extulit, &amp; altior
-stetit ; illam quoque infra terram deducit</i> ;
-au moins fait-il qu’elle en est
-administrée avec beaucoup moins
-d’autorité &amp; de reputation. Ainsi
-voyons nous dans les histoires que
-le Roy Epiphanes, pour avoir méprisé
-sa dignité, &amp; ne s’estre pas
-gouverné en Roy, fut surnommé
-l’Insensé : &amp; que Ramire d’Arragon,
-qui n’avoit quitté toutes
-les façons de faire des Moines, en
-sortant du Convent pour prendre
-la Couronne, fut grandement
-mocqué &amp; méprisé de tous ses
-Courtisans. Nostre temps même
-nous fournit les exemples d’un
-Roy de la grande Bretagne, lequel
-<a id="FNanchor_26" href="#Footnote_26" class="fnanchor">[26]</a><i lang="it" xml:lang="it">è stato schernito &amp; besseggiato
-per haver voluto comporte libri &amp;
-fare del letterato</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">Tassoni lib. 7.
-cap. 4.</span>) &amp; de Henry III, tant
-chanté &amp; remarqué dans nos Histoires
-modernes, lequel pour avoir
-vescu parmy les Moines, &amp;
-dans un excés de devotion mal reglée,
-abandonnant son Sceptre &amp;
-le Gouvernement de son Estat,
-donna sujet au Pape Sixte V, de
-dire : <i>Ce bon Roy fait tout ce qu’il
-peut pour estre Moine, &amp; moy j’ay fait
-tout ce que j’ay pû pour ne l’estre point.</i>
-Et pour ce un des meilleurs avis
-que donna jamais Monsieur de
-Villeroy à Henry le Grand, qui
-avoit vescu en soldat &amp; carrabin
-pendant les guerres qui se firent
-à son advenement à la Couronne,
-fut, lors qu’il luy dit, <i>qu’un Prince
-qui n’estoit pas jaloux des respects de
-sa Majesté, en permettoit l’offense &amp;
-le mépris. Que les Roy ses predecesseurs
-dans les plus grandes confusions
-avoient toujours fait les Roys : qu’il
-estoit temps qu’il parlast, écrivist &amp;
-commandast en Roy.</i> Mais à quoy
-bon chercher des exemples chez
-les Princes étrangers, puis que
-l’histoire de ceux qui ont gouverné
-la Ville où se treuve à present
-V. E. nous represente deux
-Souverains Pontifes, qui pour n’avoir
-accompagné cette grandeur
-de leur dignité supreme avec celle
-de l’esprit, servent encore de
-fables &amp; de sujet de médisance, &amp;
-de risée à la posterité : la grande
-pieté &amp; religion qu’ils portoient
-empreinte sur leur face n’ayant pas
-eu le pouvoir d’empescher, que
-Masson ne dit du premier, qui
-fut Celestin cinquiéme, <a id="FNanchor_27" href="#Footnote_27" class="fnanchor">[27]</a><i lang="la" xml:lang="la">Vir fuit
-simplex, nec eruditus, &amp; qui humana
-negotia ne capere quidem posset.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">in
-Episcop. Rom.</span>) Et Paul Jove du
-second, en parlant d’une certaine
-sorte de poisson, qui estoit beaucoup
-encherie pendant son Pontificat :
-<a id="FNanchor_28" href="#Footnote_28" class="fnanchor">[28]</a><i lang="la" xml:lang="la">Merluceo plebeio admodum
-pisci, Hadrianus sextus sicuti in Republica
-administranda hebetis ingenii, vel
-depravati judicii, ita in esculentis insulsissimi
-gustus, supra mediocre pretium
-ridente toto foro Piscatorio jam fecerat.</i>
-(<span lang="la" xml:lang="la">Libr. de piscib. Rom.</span>) En
-quoy neanmoins il s’est monstré
-beaucoup plus retenu &amp; moderé,
-que Pierre Martyr, non l’Heretique
-de Florence, mais le Protonotaire
-Apostolique natif d’une
-petite bourgade du Duché de Milan,
-lequel avoit dit en parlant
-de l’élection de ce même Pape :
-<a id="FNanchor_29" href="#Footnote_29" class="fnanchor">[29]</a><i lang="la" xml:lang="la">Cardinalibus hoc loco accidit quod
-in fabulis de Pardo ac Leone super Agno
-raptando scribitur ; sortibus illis strenuè
-se dilacerantibus, quodcumque quadrupes
-iners aliud prædæ se dominum fecit.</i>
-De maniere qu’il faut éviter les
-grandes charges, ou les administrer
-avec une force &amp; generosité d’esprit
-si relevée par dessus le commun,
-qu’elle soit capable de donner
-envie à la Fortune de la seconder,
-&amp; favoriser en toutes ses entreprises :
-la Maxime estant tres-asseurée,
-que quiconque apporte ce principe
-&amp; fondement, qu’il faut bien souvent
-avoir de la nature (<a id="FNanchor_30" href="#Footnote_30" class="fnanchor">[30]</a><i lang="la" xml:lang="la">bona enim
-mens, nec emitur, nec comparatur</i>,
-dit Seneque) à la conduite de son
-bonheur, il ne peut manquer d’estre
-le propre ouvrier &amp; createur de
-sa fortune ; <a id="FNanchor_31" href="#Footnote_31" class="fnanchor">[31]</a><i lang="la" xml:lang="la">Sapiens pol ipse fingit Fortunam
-sibi.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">Plaut. in Trinum.</span>) Alexandre
-se propose-t-il, quoyque
-jeune &amp; tres-mal fourny d’argent
-&amp; de soldats, de subjuguer les Perses,
-&amp; de passer jusques aux Indes,
-il en vient à bout. Cesar entreprend-il
-de gouverner seul cette
-grande Republique qui commandoit
-à toutes les autres, il en treuve
-le moyen. Deux Pastres Romulus
-&amp; Tammerlan ont-ils volonté
-de fonder deux puissans
-Empires, ils l’executent ; Mahomet
-se veut-il faire de Marchand
-Prophete, &amp; de Prophete Souverain
-d’une troisiéme partie du
-Monde, il luy reüssit : Et quel
-pensez-vous, <span class="sc">Monseigneur</span>,
-avoir esté le principal ressort qui a
-causé tous ces merveilleux effets,
-nul autre en verité, sinon celuy
-que Juvenal nous enseigne de toujours
-mettre &amp; placer entre les premiers
-de nos souhaits avec son <a id="FNanchor_32" href="#Footnote_32" class="fnanchor">[32]</a><i lang="la" xml:lang="la">fortem
-posse animum</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Satyr. 10.</span>) Or de
-vouloir maintenant specifier quelles
-sont les parties qui bastissent, &amp;
-composent ce fort esprit, ce seroit
-vouloir enchasser un discours dans
-un autre, &amp; faire comme Montaigne,
-qui suit plustost les caprices
-de sa phantaisie, que les titres de ses
-Essais. Il suffit pour le present de
-dire, que l’une des premieres &amp;
-plus necessaires pieces, est de penser
-souvent à ce dire de Seneque : <a id="FNanchor_33" href="#Footnote_33" class="fnanchor">[33]</a><i lang="la" xml:lang="la">O
-quam contempta res est homo, nisi supra
-humana se erexerit</i> : (<span lang="la" xml:lang="la">In proœm. nat.
-quæst.</span>) C’est à dire, s’il n’envisage
-d’un œil ferme &amp; asseuré, &amp; quasi
-comme estant sur le dongeon de
-quelque haute tour, tout ce Monde,
-se le presentant comme un theatre
-assez mal ordonné, &amp; remply de
-beaucoup de confusion, où les uns
-jouënt des comedies, les autres des
-tragedies, &amp; où il luy est permis
-d’intervenir <a id="FNanchor_34" href="#Footnote_34" class="fnanchor">[34]</a><i lang="la" xml:lang="la">tanquam Deus aliquis ex
-machina</i>, toutes fois &amp; quantes qu’il
-en aura la volonté, ou que les diverses
-occasions luy pourront persuader
-de ce faire. Que si par avanture,
-<span class="sc">Monseigneur</span>, il vous
-semble extraordinaire, &amp; hors de
-saison de mon âge, &amp; peut-estre
-aussi de la bien-seance de ma condition,
-que je me fasse si resolu en
-ces matieres fort chatoüilleuses &amp;
-delicates d’elles-mêmes, &amp; beaucoup
-plus encore en la bouche
-d’un jeune homme, lequel est appellé
-par Horace, (<span lang="la" xml:lang="la">de Arte Poët.</span>)
-<a id="FNanchor_35" href="#Footnote_35" class="fnanchor">[35]</a><i lang="la" xml:lang="la">Utilium tardus provisor</i>, &amp; n’a pas
-accoustumé de s’adonner à des
-estudes si serieuses &amp; importantes,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_36" href="#Footnote_36" class="fnanchor">[36]</a>Quæque decent longa decoctam ætate senectam.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_23" href="#FNanchor_23"><span class="label">[23]</span></a> Ainsy comme la religion revere les Dieux,
-&amp; que la superstition les offense, tous les gens
-de bien embrasseront la clemence &amp; la douceur ;
-mais ils éviteront la compassion. Car
-c’est une marque d’un cœur bas, &amp; d’un esprit
-foible, de se laisser toucher aux maux que l’on
-voit souffrir aux autres.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_24" href="#FNanchor_24"><span class="label">[24]</span></a> Qu’il n’y a rien qui soit si bienseant à un
-homme qu’un grand courage.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_25" href="#FNanchor_25"><span class="label">[25]</span></a> Car pour
-ménager une grande fortune il faut un grand
-esprit, &amp; tel que s’il ne s’est élevé jusques à elle
-&amp; ne s’est placé au dessus, il la renverse &amp; la
-met plus bas que la terre.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_26" href="#FNanchor_26"><span class="label">[26]</span></a> A esté méprisé &amp; moqué pour avoir voulu
-composer des livres, &amp; faire l’homme de
-lettres.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_27" href="#FNanchor_27"><span class="label">[27]</span></a> Ce fut un homme simple, sans erudition,
-&amp; qui ne pouvoit pas même comprendre les
-affaires humaines.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_28" href="#FNanchor_28"><span class="label">[28]</span></a> Adrien sixiéme qui
-avoit le goust insipide pour toutes sortes de
-viandes aussi-bien que l’esprit hebeté, &amp; le jugement
-depravé pour l’administration de la
-Republique, avoit déja mis un prix excessif
-au Merlus, qui est un poisson assés commun,
-ce qui attira la risée de tout le marché aux
-poissons.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_29" href="#FNanchor_29"><span class="label">[29]</span></a> Il arriva en ce rencontre aux Cardinaux
-ce que la fable raconte du Leopard &amp; du Lion
-sur l’enlevement d’un agneau ; que pendant
-que ces deux genereux animaux se déchiroient
-en disputant vaillamment à qui auroit
-la proye, une autre beste à quatre pieds, des
-plus brutes &amp; lâches, s’en rendit la maitresse.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_30" href="#FNanchor_30"><span class="label">[30]</span></a> Car on ne peut acheter l’esprit, ni l’acquerir
-par aucune autre voie.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_31" href="#FNanchor_31"><span class="label">[31]</span></a> En verité
-l’homme sage se fabrique sa fortune lui-même.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_32" href="#FNanchor_32"><span class="label">[32]</span></a> Demandés un fort esprit qui soit gueri
-des craintes de la mort.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_33" href="#FNanchor_33"><span class="label">[33]</span></a> O que l’homme est une chose méprisable,
-s’il ne s’éleve au dessus des choses humaines.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_34" href="#FNanchor_34"><span class="label">[34]</span></a> Comme quelque divinité qui sort
-d’une machine.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_35" href="#FNanchor_35"><span class="label">[35]</span></a> Negligent aux choses qui lui sont utiles.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_36" href="#FNanchor_36"><span class="label">[36]</span></a> Et qui convienent à la vieillesse consumée
-dans l’âge.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Je puis premierement répondre à
-V. E. que l’âge auquel je me treuve,
-n’est aucunement disproportionné
-à la matiere &amp; au sujet que
-je traitte. Le Poëte qui a le premier
-proféré ces deux beaux vers,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_37" href="#Footnote_37" class="fnanchor">[37]</a>Optima quæque dies miseris mortalibus ævi</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Prima fugit, subeunt morbi tristisque senectus.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virgil. 3. Georg.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_37" href="#FNanchor_37"><span class="label">[37]</span></a> Le meilleur de nos jours passe
-&amp; fuit le premier : les maux marchent ensuite
-&amp; la triste vieillesse.</p>
-</div>
-<p class="noindent">passeroit à un besoin pour garend
-&amp; caution de mon dire, puis qu’il
-luy donne une si belle epithete ; sur
-lequel Seneque voulant glosser à
-sa mode, <a id="FNanchor_38" href="#Footnote_38" class="fnanchor">[38]</a><i lang="la" xml:lang="la">Quare optima ?</i> dit-il,
-<i lang="la" xml:lang="la">quia juvenes possumus facilem animum,
-&amp; adhuc tractabilem ad meliora convertere ;
-quia hoc tempus idoneum est
-laboribus, idoneum agitandis per studia
-ingeniis</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Epist. 108.</span>) Et si beaucoup
-de personnes ont executé
-plusieurs belles entreprises, auparavant
-la fleur de leur âge ; pourquoy
-me sera-t-il defendu de les
-suivre de loin, &amp; de produire sinon
-des actions genereuses &amp; relevées,
-au moins quelques fortes
-&amp; hardies conceptions ? Veu principalement
-que je me suis toujours
-efforcé d’acquerir certaines
-dispositions d’esprit, qui ne m’y
-doivent pas estre maintenant inutiles.
-Car il est vray que j’ay cultivé
-les Muses sans les trop caresser ;
-&amp; me suis assez plû aux estudes
-sans trop m’y engager : j’ay
-passé par la Philosophie Scholastique
-sans devenir Eristique, &amp; par
-celle des plus vieux &amp; modernes
-sans me partialiser,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_39" href="#Footnote_39" class="fnanchor">[39]</a>Nullius addictus jurare in verba magistri.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_38" href="#FNanchor_38"><span class="label">[38]</span></a> Pourquoy le meilleur ? pource que nous
-pouvons beaucoup apprendre en nostre jeunesse,
-&amp; faire tourner nostre ame encore facile
-&amp; traitable du costé de la vertu ; parce
-que ce temps-là est le plus propre à supporter
-la peine, à exercer l’esprit dans l’estude &amp; le
-corps dans le travail.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_39" href="#FNanchor_39"><span class="label">[39]</span></a> Ne m’estant point obligé par serment, de
-suivre l’opinion d’aucun maistre.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Seneque m’a plus servi qu’Aristote ;
-Plutarque que Platon : Juvenal
-&amp; Horace qu’Homere &amp; Virgile :
-Montaigne &amp; Charon que
-tous les precedens. Je n’ay pas eu
-la pratique du Monde, pour découvrir
-par effet les ruses &amp; méchancetez
-qui s’y commettent,
-mais j’en ay toutefois veu une
-grande partie dans les Histoires,
-Satyres &amp; Tragedies. Le Pedantisme
-a bien pû gagner quelque
-chose pendant sept ou huit ans
-que j’ay demeuré dans les Colleges,
-sur mon corps &amp; façons
-de faire exterieures, mais je me
-puis vanter asseurément qu’il n’a
-rien empieté sur mon esprit. La
-Nature, Dieu mercy, ne luy a pas
-esté marastre, elle luy a donné
-une bonne base &amp; fondement, la
-lecture de divers Auteurs l’a
-beaucoup aidé, mais celle du Livre
-de S. Anthoine luy a fourny
-ce qu’il a de meilleur. En
-suite de quoy je ne croy pas
-que V. E. puisse treuver mauvais
-qu’estant tout plein de zele
-&amp; de bonne affection à son
-service, j’employe ces pensées
-qui me sont particulieres, pour
-honnestement le divertir : sans
-avoir dessein de rencontrer quelque
-Agamemnon, lequel me dise
-comme à ce jeune homme de Petrone
-qui venoit faire une longue
-declamation, <a id="FNanchor_40" href="#Footnote_40" class="fnanchor">[40]</a><i lang="la" xml:lang="la">Adolescens, quoniam
-sermonem habes non publici saporis, &amp;
-quod rarissimum est amas bonam mentem,
-non fraudabere arte secreta</i> :
-(<span lang="la" xml:lang="la">Init. Satyr.</span>) Et je n’estime pas
-aussi de manquer d’occasion pour
-faire valoir mon petit talent dans la
-vie contemplative, à laquelle j’ay
-voüé &amp; destiné tout le reste de
-la mienne, sans me vouloir empescher
-&amp; empestrer dans l’active,
-sinon autant que le service de
-V. E. à laquelle j’ay fait le premier
-vœu d’obeïr, m’y pourroit
-engager.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_40" href="#FNanchor_40"><span class="label">[40]</span></a> Jeune homme, parce que vos discours
-ont un agrément particulier, &amp; que vous avez
-de la passion pour les bons esprits, ce qui est
-tres-rare, vous ne manquerés pas d’avoir de talens
-particuliers.</p>
-</div>
-<p>Reste doncques maintenant à
-voir, si je n’outrepasse point les
-bornes de ma capacité, en voulant
-traitter de ces choses autant
-éloignées semble-t-il de ma connoissance,
-que le jour l’est de la
-nuit ; qui est la derniere difficulté
-que je me suis proposé cy-dessus
-de resoudre. Et à cela je pourrois
-répondre brievement, que
-la difficulté seroit bientost vuidée,
-si l’on en vouloit passer par cet
-arrest de Seneque, <a id="FNanchor_41" href="#Footnote_41" class="fnanchor">[41]</a><i lang="la" xml:lang="la">Paucis ad bonam
-mentem opus est literis.</i> Mais
-pour en specifier quelque chose
-davantage, j’avoüe ingenûment
-que je n’ay point tant de presomption,
-&amp; de bonne opinion de
-moy-même que de penser gagner
-le prix en cette course, où je suis
-encore tout nouveau. Neanmoins
-puis que suivant le dire du Poëte,
-(<span lang="la" xml:lang="la">Horat. 1. Ep. 1.</span>)</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_42" href="#Footnote_42" class="fnanchor">[42]</a>Est aliquid prodire tenus, si non datur ultra ;</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_41" href="#FNanchor_41"><span class="label">[41]</span></a> Un bon esprit n’a pas besoin de beaucoup
-de lettres.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_42" href="#FNanchor_42"><span class="label">[42]</span></a> C’est toujours faire quelque
-progrés, si on ne peut pas passer outre.</p>
-</div>
-<p class="noindent">je feray quelque petit effort, &amp;
-marcheray jusques à ce que je sois
-las ou hors du droit chemin, alors
-je me reposeray, &amp; attandray
-quelque nouvelle connoissance
-ou instruction pour passer plus
-outre. Le bon homme Aratus qui
-n’entendoit pas grand’chose en
-l’Astrologie, fit toutefois un beau
-Livre de ses Phenomenes ; Celse
-qui n’estoit que pur Grammairien,
-a nonobstant composé un
-livre de grande importance en
-Medecine : Dioscoride estoit soldat,
-Macer Senateur, &amp; tous deux
-ont fort bien écrit des plantes ;
-Hippodamus même de simple architecte
-&amp; masson devint grand
-Politique, &amp; auteur d’une Republique
-mentionnée par Aristote.
-Aussi j’ay toujours esté de cette
-opinion, que quiconque a tant
-soit peu de naturel &amp; d’acquis par
-les estudes, il peut inferer &amp; deduire
-de cinq ou six bons principes,
-toutes sortes de conclusions,
-comme Pline dit, que les
-Peintres anciens faisoient leurs
-plus belles pieces par le meslange
-de quatre ou cinq sortes de couleurs
-seulement. On peut aussi
-ajouster, que les sciences semblent
-estre comme enchainées,
-&amp; cadenacées les unes avec les autres,
-&amp; avoir une telle correspondance,
-que qui en possede une,
-possede aussi toutes celles qui luy
-sont subalternes. Et de plus que
-le siecle où nous sommes, semble
-beaucoup favoriser ce dessein,
-puis que l’on peut à peu prés sçavoir
-&amp; découvrir tous les plus
-grands secrets des Monarchies,
-les intrigues des cours, les cabales
-des factieux, les pretextes &amp; motifs
-particuliers, &amp; en un mot,
-<a id="FNanchor_43" href="#Footnote_43" class="fnanchor">[43]</a><i lang="la" xml:lang="la">quid Rex in aurem Reginæ dixerit,
-Quid Juno fabulata sit cum Jove</i>,
-(<span lang="la" xml:lang="la">Plaut.</span>) par le moyen de tant de
-relations, memoires, discours, instructions,
-libelles, manifestes,
-pasquins, &amp; semblables pieces secrettes,
-qui sortent tous les jours
-en lumiere, &amp; qui sont en effet
-capables de mieux &amp; plus facilement
-former, dégourdir, &amp;
-deniaiser les esprits, que toutes les
-actions qui se pratiquent ordinairement
-és Cours des Princes, dont
-nous ne pouvons qu’à grand’peine
-connoistre l’importance, faute
-d’avoir penetré dans leurs causes,
-&amp; divers mouvemens. Bref
-pour finir en peu de mots ce qui
-concerne le particulier de ma personne,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_44" href="#Footnote_44" class="fnanchor">[44]</a>Quod Cato, quod Curius sanctissima nomina quondam</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Senserunt, non quid vulgus, plebsque inscia dicat,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Mente agito, atque mihi propono exempla bonorum.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Paling. in Tauro.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_43" href="#FNanchor_43"><span class="label">[43]</span></a> Ce que le Roy a dit en secret à la Reine,
-&amp; les discours que Junon a tenus à Jupiter.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_44" href="#FNanchor_44"><span class="label">[44]</span></a> Je ne pense point à ce que pourra dire le
-vulgaire, &amp; la populace ignorante, mais je
-medite sur les sentimens qu’ont eu jadis Caton
-&amp; Curius, dont les noms sont en grande
-veneration, &amp; me propose toujours l’exemple
-des gens de bien.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Il est bien vray que ce dessein
-estant un des plus relevez que
-l’on puisse choisir en toute la Politique,
-il en sera d’autant plus difficile ;
-mais aussi me fait-il esperer
-que la fin en sera plus glorieuse ;
-pour moy je me suis toujours plû
-de dire avec Properce,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_45" href="#Footnote_45" class="fnanchor">[45]</a>Magnum inter ascendo, sed dat mihi gloria vires ;</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Non juvat ex facili lecta corona jugo.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_45" href="#FNanchor_45"><span class="label">[45]</span></a> J’entreprens quelque chose de grand &amp;
-qui surpasse ma portée, mais la gloire que
-j’espere y acquerir me donne des forces pour le
-faire ; je n’aime point les couronnes qu’on remporte
-sans peine.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et au pire aller, aux choses grandes
-l’oser est honorable, aux perilleuses
-l’entreprise est hardie, aux
-hautes &amp; relevées, la cheute glorieuse ;
-aux grandes mers si la route
-n’est heureuse, le naufrage est
-celebre : J’ébauche, un autre achevera ;
-j’ouvre la lyce, un autre touchera
-le but ; je sonne la trompette,
-un autre gagnera le prix,
-il y a assez de personnes en ce
-monde qui ne peuvent marcher
-que sur les chemins tracez par
-ceux qui les ont precedé ; le nombre
-des esprits, qui travaillent tous
-les jours à imiter les autres est
-assez grand, sans que je captive
-encore le mien sous cet esclavage :
-&amp; puis que tous les Auteurs
-qui traittent de la Politique, ne
-mettent point de fin à leurs discours
-ordinaires de la Religion,
-Justice, Clemence, Liberalité, &amp;
-autres semblables vertus du Prince,
-ou du Ministre, il vaut mieux
-que je m’écarte un peu, pour
-n’estre atteint de cette contagion,
-ny envelopé d’une telle foule ; &amp;
-que pour n’arriver des derniers,
-je passe par un nouveau chemin,
-qui ne soit point fréquenté par
-le <a id="FNanchor_46" href="#Footnote_46" class="fnanchor">[46]</a><i lang="la" xml:lang="la">servum pecus</i> d’Horace, ny entrecoupé
-de ces grands Fangears
-&amp; Marais relentis, où il y a si long-temps
-que</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_47" href="#Footnote_47" class="fnanchor">[47]</a>Veterem in limo Ranæ cecinere querelam.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_46" href="#FNanchor_46"><span class="label">[46]</span></a> Les esclaves, ou gens de basse condition.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_47" href="#FNanchor_47"><span class="label">[47]</span></a> Les grenouilles ont chanté leurs vieilles
-plaintes dans la bouë.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Or entre tous les points de la Politique,
-je ne voy pas qu’il y en
-ait un moins agité &amp; moins rebatu,
-ny pareillement plus digne
-de l’estre que celuy des secrets,
-ou pour mieux dire des Coups
-d’Estat, car ce qu’en a dit Clapmarius
-en son traitté <a id="FNanchor_48" href="#Footnote_48" class="fnanchor">[48]</a><i lang="la" xml:lang="la">de Arcanis Imperiorum</i>,
-ne peut fournir une exception
-valable, puis que n’ayant
-pas seulement conceu ce que signifioit
-le titre de son livre, il n’y
-a parlé que de ce que les autres
-Ecrivains avoient déja dit &amp; repeté
-mille fois auparavant, touchant les
-regles generales de l’administration
-des Estats &amp; Empires. Et d’autant
-que cette matiere est si nouvelle,
-&amp; relevée par dessus les communs
-sentimens des Politiques,
-qu’elle n’a presque encore esté
-effleurée par aucun d’eux, comme
-l’a remarqué Bodin au sixiéme de
-sa Methode en ces mots : <a id="FNanchor_49" href="#Footnote_49" class="fnanchor">[49]</a><i lang="la" xml:lang="la">Multi
-multa graviter &amp; copiosè de ferendis
-moribus, de sanandis populis, de Principe
-instituendo, de legibus stabiliendis,
-leviter tamen de statu, nihil de conversionibus
-Imperiorum, &amp; iis quæ Aristoteles
-Principum σοφίσματα, seu
-κρύφια Tacitus Imperii Arcana vocat,
-ne attigerunt quidem :</i> Je marcheray
-toujours la bride en main,
-&amp; apporteray toute la precaution,
-modestie, &amp; retenuë possible, pour
-assaisonner &amp; temperer ces discours,
-desquels on peut encore
-mieux dire, que Platon ne faisoit
-de ceux de Theologie, οὑτοί γε οἱ λόγοι
-χαλεποί, <a id="FNanchor_50" href="#Footnote_50" class="fnanchor">[50]</a><i lang="la" xml:lang="la">difficiles &amp; cum discrimine
-hi sermones</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Libr. de Repub.</span>)
-Cardan &amp; Campanelle font passer
-pour un precepte d’importance,
-que pour bien traitter, ou
-presenter quelque sujet, il en faut
-concevoir une parfaite idée, &amp; y
-transmuer, s’il est possible, tout son
-esprit, &amp; toute son imagination ;
-d’où l’on voit souvent arriver, que
-ceux des Comediens qui sont
-le mieux pourveus de cette faculté
-imaginative joüent aussi toujours
-mieux leurs personnages.
-L’on dit en France, que Dubartas
-auparavant que de faire cette
-belle description du Cheval où il
-a si bien rencontré, s’enfermoit
-quelquefois dans une chambre,
-&amp; se mettant à quatre pattes souffloit,
-hennissoit, gambadoit, tiroit
-des ruades, alloit l’amble, le trot,
-le galot, à courbette, &amp; taschoit
-par toutes sortes de moyens à bien
-contrefaire le Cheval. Agrippa
-même avouë, que lors qu’il voulut
-composer sa declamation contre
-les sciences, il s’imagina d’estre
-comme un Chien qui abayoit à
-toutes sortes de personnes ; &amp; lors
-qu’il voulut écrire de la Pyrotechnie,
-ou des feux d’artifice, il
-se persuadoit d’estre changé en un
-Dragon, qui souffloit le feu, &amp;
-le souphre par la gueule, les yeux,
-les oreilles &amp; les narines. Pour
-moy lors que je traitteray ou écriray
-de quelque sujet absolument
-bon &amp; profitable, je seray bien-aise
-de me servir de ces imaginations ;
-mais en cette matiere qui
-est si panchante vers l’injustice,
-je ne m’imagineray jamais d’estre
-quelque Neron, ou Busiris, pour
-mieux treuver les moyens de perdre
-&amp; d’exterminer le genre humain.
-Ce me sera assez de ne pas
-encourir le blasme &amp; la censure,
-que Neron donnoit aux Politiques
-&amp; Conseillers de son temps,
-<a id="FNanchor_51" href="#Footnote_51" class="fnanchor">[51]</a><i lang="la" xml:lang="la">quod tanquam in Platonis Republica,
-non tanquam in Romuli fæce sententiam
-dicerent</i>. Et si je sçavois que
-le peu que j’en diray pust causer
-quelque abus &amp; desordre plus
-grand que celuy qui est aujourd’huy
-en pratique entre les Princes,
-je jetterois tout maintenant
-la plume &amp; le papier dans le feu, &amp;
-ferois vœu d’eternel silence, pour
-ne me point acquerir la loüange
-d’un homme fin &amp; rusé dans les
-speculations Politiques, en perdant
-celle d’homme de bien, de
-laquelle seule je veux faire capital,
-&amp; me vanter tout le reste de
-ma vie.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_48" href="#FNanchor_48"><span class="label">[48]</span></a> Des secrets des Empires.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_49" href="#FNanchor_49"><span class="label">[49]</span></a> Plusieurs ont traité au fond &amp; fort amplement
-de l’établissement des mœurs, de la
-guerison des peuples, de l’institution des Princes,
-&amp; de l’affermissement des loix ; mais ils
-ont passé fort legerement sur les affaires d’Estat,
-&amp; n’ont rien dit des revolutions des Empires,
-&amp; de ce qu’Aristote appelle sophismes ou secrets
-des Princes ; &amp; Tacite, secrets de l’Empire.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_50" href="#FNanchor_50"><span class="label">[50]</span></a> Ces discours sont fort difficiles &amp; dangereux.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_51" href="#FNanchor_51"><span class="label">[51]</span></a> Qu’ils donnoient leur avis ou opinoient
-comme s’ils estoient dans la Republique de
-Platon, &amp; non parmy la populace abjecte &amp;
-basse de Romulus.</p>
-</div>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch2"><span class="sc">Chapitre II.</span><br />
-<span class="i">Quels sont proprement les Coups d’Estat,
-&amp; de combien de sortes.</span></h2>
-
-
-<p>Mais pour ne pas demeurer
-toujours en ces prefaces, &amp;
-parler enfin du sujet pour lequel
-elles sont faites, ce grand homme
-Juste Lipse traitant en ses Politiques
-de la prudence, il la definit
-en peu de mots, <i>un choix &amp; triage
-des choses qui sont à fuïr, ou à desirer</i> ;
-&amp; aprés en avoir amplement
-discouru comme on la prend d’ordinaire
-dans les Ecoles, c’est à
-dire pour une vertu morale, qui
-n’a pour objet que la consideration
-du bien ; il vient en suite à
-parler d’une autre prudence, laquelle
-il appelle meslée, parce
-qu’elle n’est pas si pure, si saine
-&amp; entiere que la precedente ; participant
-un peu des fraudes &amp; des
-stratagemes qui s’exercent ordinairement
-dans les Cours des Princes,
-&amp; au maniement des plus importantes
-affaires du Gouvernement :
-Aussi s’efforce-t-il de monstrer
-par son eloquence, que telle sorte
-de Prudence doit estre estimée
-honneste, &amp; qu’elle peut estre
-pratiquée comme legitime, &amp;
-permise. Aprés quoy il la definit
-assez judicieusement, <a id="FNanchor_52" href="#Footnote_52" class="fnanchor">[52]</a><i lang="la" xml:lang="la">Argutum
-consilium à virtute, aut legibus devium,
-Regni Regisque bono</i> ; &amp; de là passant
-à ses especes &amp; differences, il en
-constitue trois principales : la premiere
-desquelles, que l’on peut
-appeller une fraude ou tromperie
-legere, fort petite, &amp; de nulle
-consideration, comprend sous soy
-la défiance, &amp; la dissimulation ; la
-seconde qui retient encore quelque
-chose de la vertu, moins toutefois
-que la precedente, a pour
-ses parties, <a id="FNanchor_53" href="#Footnote_53" class="fnanchor">[53]</a><i lang="la" xml:lang="la">conciliationem &amp; deceptionem</i>,
-c’est à dire le moyen de
-s’acquerir l’amitié &amp; le service des
-uns, &amp; de leurer, decevoir, &amp;
-tromper les autres, par fausses
-promesses, mensonges, presens &amp;
-autres biais, &amp; moyens, s’il faut
-ainsi dire, de contrebande, &amp;
-plutost necessaires que permis ou
-honnestes. Quant à la derniere,
-il dit qu’elle s’éloigne totalement
-de la vertu &amp; des loix, se plongeant
-bien avant dans la malice, &amp;
-que les deux bases, &amp; fondemens
-plus asseurez sont la perfidie &amp;
-l’injustice.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_52" href="#FNanchor_52"><span class="label">[52]</span></a> Un conseil fin &amp; artificieux qui s’écarte
-un peu des loix &amp; de la vertu, pour le bien du
-Roy &amp; du Royaume.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_53" href="#FNanchor_53"><span class="label">[53]</span></a> La conciliation &amp; la deception.</p>
-</div>
-<p>Il me semble toutefois, que
-pour chercher particulierement la
-nature de ces secrets d’Estat, &amp;
-enfoncer tout d’un coup la pointe
-de nostre discours jusques à ce qui
-leur est propre &amp; essentiel, nous
-devons considerer la <i>Prudence</i> comme
-une vertu morale &amp; politique,
-laquelle n’a autre but que de
-rechercher les divers biais, &amp; les
-meilleures &amp; plus faciles inventions
-de traitter &amp; faire reüssir
-les affaires que l’homme se propose.
-D’où il s’ensuit pareillement
-que comme ces affaires &amp; divers
-moyens ne peuvent estre que de
-deux sortes, les uns faciles &amp; ordinaires,
-les autres extraordinaires,
-fascheux &amp; difficiles ; aussi ne
-doit-on établir que deux sortes
-de prudence : la premiere ordinaire
-&amp; facile, qui chemine suivant
-le train commun sans exceder
-les loix &amp; coustumes du païs :
-la seconde extraordinaire, plus rigoureuse,
-severe &amp; difficile. La
-premiere comprend toutes les parties
-de prudence, desquelles les
-Philosophes ont accoustumé de
-parler en leurs traittez moraux,
-&amp; outre plus ces trois premieres
-mentionées cy-dessus, &amp; que Juste
-Lipse attribue seulement à la prudence
-meslée &amp; frauduleuse. Parce
-que, à dire vray, si on considere
-bien leur nature &amp; la necessité
-qu’ont les Politiques de s’en servir,
-on ne peut à bon droit soupçonner
-qu’elles soient injustes, vicieuses
-ou deshonnestes. Ce que
-pour mieux comprendre, il faut
-sçavoir comme dit Charon, (<span lang="la" xml:lang="la">Lib.
-3. c. 2.</span>) que la justice, vertu
-&amp; probité du Souverain, chemine
-un peu autrement que celle
-des particuliers ; elle a ses alleures
-plus larges &amp; plus libres à
-cause de la grande, pesante &amp; dangereuse
-charge qu’il porte, c’est
-pourquoy il luy convient marcher
-d’un pas qui peut sembler
-aux autres detraqué &amp; déreglé,
-mais qui luy est necessaire, loyal,
-&amp; legitime ; il luy faut quelquefois
-esquiver &amp; gauchir, mesler
-la prudence avec la justice, &amp;
-comme l’on dit, <a id="FNanchor_54" href="#Footnote_54" class="fnanchor">[54]</a><i lang="la" xml:lang="la">cum vulpe junctum
-vulpinari</i> : C’est en quoy
-consiste la <i>pedie</i> de bien gouverner.
-Les Agens, Nonces, Ambassadeurs,
-Legats sont envoyez,
-&amp; pour épier les actions des Princes
-étrangers, &amp; pour dissimuler,
-couvrir, &amp; déguiser celles de
-leurs Maistres. Louys XI, le plus
-sage &amp; avisé de nos Roys, tenoit
-pour Maxime principale de
-son Gouvernement, que <a id="FNanchor_55" href="#Footnote_55" class="fnanchor">[55]</a><i lang="la" xml:lang="la">qui
-nescit dissimulare nescit regnare</i> ; &amp;
-l’Empereur Tibere, <a id="FNanchor_56" href="#Footnote_56" class="fnanchor">[56]</a><i lang="la" xml:lang="la">nullam ex
-virtutibus suis magis quàm dissimulationem
-diligebat</i>. Ne voit-on pas que
-la plus grande vertu qui regne
-aujourd’huy en Cour, est de se
-défier de tout le monde, &amp; dissimuler
-avec un chacun, puis que
-les simples &amp; ouverts, ne sont en
-nulle façon propres à ce mestier
-de gouverner, &amp; trahissent bien
-souvent eux &amp; leur Estat. Or non
-seulement ces deux parties de se
-défier &amp; dissimuler à propos, qui
-consistent en l’omission, sont necessaires
-aux Princes ; mais il est
-encore souventefois requis de passer
-outre, &amp; de venir à l’action &amp;
-commission, comme par exemple
-de gagner quelque avantage, ou
-venir à bout de son dessein par
-moyens couverts, equivoques, &amp;
-subtilitez ; affiner par belles paroles,
-lettres, ambassades ; faisant
-&amp; obtenant par subtils moyens,
-ce que la difficulté du temps &amp;
-des affaires empesche de pouvoir
-autrement obtenir ; <a id="FNanchor_57" href="#Footnote_57" class="fnanchor">[57]</a><i lang="la" xml:lang="la">&amp; si rectà
-portum tenere nequeas, idipsum mutata
-velificatione assequi</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Cicero
-lib. 11. ad Lentul.</span>) Il est pareillement
-besoin de faire &amp; dresser
-des pratiques &amp; intelligences secretes,
-attirer finement les cœurs
-&amp; affections des Officiers, serviteurs,
-&amp; confidens des autres
-Princes &amp; Seigneurs étrangers,
-ou de ses propres sujets ; ce que
-Ciceron appelle au premier des
-Offices, <a id="FNanchor_58" href="#Footnote_58" class="fnanchor">[58]</a><i lang="la" xml:lang="la">conciliare sibi animos hominum
-&amp; ad usus suos adjungere</i>. A
-quoy faire doncques établir une
-prudence particuliere &amp; meslée,
-de laquelle ces actions dépendent
-particulierement, comme fait Juste
-Lipse, puis qu’elles se peuvent
-rapporter à l’ordinaire, &amp; que
-telles ruses sont tous les jours enseignées
-par les Politiques, inserées
-dans leurs raisonnemens, persuadées
-par les Ministres, &amp; pratiquées
-sans aucun soupçon d’injustice,
-comme estant les principales
-regles &amp; maximes pour
-bien policer &amp; administrer les
-Estats &amp; Empires. Aussi ne meritent-elles
-d’estre appellées secrets
-de Gouvernement, Coups d’Estat,
-&amp; <a id="FNanchor_59" href="#Footnote_59" class="fnanchor">[59]</a><i lang="la" xml:lang="la">Arcana Imperiorum</i>, comme
-celles qui pour estre comprises
-sous cette derniere sorte de prudence
-extraordinaire, qui donne
-le branle aux affaires plus fascheuses
-&amp; difficiles, meritent particulierement
-&amp; privativement à
-toutes autres, d’estre appellées <i lang="la" xml:lang="la">Arcana
-Imperiorum</i>, puis que c’est
-le seul titre que non seulement
-moy, mais tous les bons Auteurs
-qui ont écrit auparavant moy leur
-ont donné.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_54" href="#FNanchor_54"><span class="label">[54]</span></a> Renarder, ou user de finesse, avec le renard.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_55" href="#FNanchor_55"><span class="label">[55]</span></a> Qui ne sçait pas dissimuler ne sçait pas
-aussi regner.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_56" href="#FNanchor_56"><span class="label">[56]</span></a> De toutes les vertus qu’il possedoit
-il n’y en avoit point qu’il aimast plus
-que la dissimulation.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_57" href="#FNanchor_57"><span class="label">[57]</span></a> Et si on ne peut aller tout droit au port,
-y arriver en louvoyant &amp; en changeant de
-cours.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_58" href="#FNanchor_58"><span class="label">[58]</span></a> S’acquerir les cœurs des hommes, &amp; les
-employer à son usage.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_59" href="#FNanchor_59"><span class="label">[59]</span></a> Secrets des Empires.</p>
-</div>
-<p>Et en cela certainement nous
-pouvons remarquer la faute de
-beaucoup de Politiques, &amp; principalement
-de Clapmarius, lequel
-voulant faire un gros Livre de
-<i lang="la" xml:lang="la">Arcanis Imperiorum</i>, &amp; les reduire
-sous quelques preceptes generaux,
-il dit premierement, que
-les secrets d’Estat ne sont rien autre
-chose que les divers moyens,
-raisons &amp; conseils desquels les
-Princes se servent pour maintenir
-leur Autorité, &amp; l’estat du public,
-sans toutefois transgresser
-le droit commun, ou donner aucun
-soupçon de fraude &amp; d’injustice.
-Ce qu’ayant presupposé
-comme bien étably &amp; veritable,
-il les divise en deux sortes, &amp; dit
-que les premiers se doivent appeller
-secrets d’Empire, ou de
-Republiques, lesquels à raison des
-trois sortes de Gouvernemens il
-subdivise encore en six autres
-manieres, d’autant, par exemple,
-que l’Estat Monarchique doit avoir
-de certains moyens &amp; raisons
-particulieres pour se donner
-de garde d’estre commandé par
-plusieurs qui le reduiroient en Aristocratie ;
-d’autres pour obvier
-au Gouvernement d’une populace
-&amp; ne se changer en Democratiques :
-&amp; ainsi ces deux derniers
-doivent faire en sorte de ne point
-devenir Monarchiques, ou de ne
-point tomber en quelque autre
-forme de Gouvernement qui leur
-soit opposé. Les seconds sont ceux
-qu’il nomme &amp; qualifie du titre
-de secret de domination, lesquels
-ceux qui commandent sont obligez
-de pratiquer pour se conserver
-en leur autorité soit Monarchique,
-populaire ou Aristocratique. Ce
-qu’il confirme par une curieuse
-enumeration de tous ces moyens,
-suivant qu’il les a pû remarquer
-dedans Tite Live, Saluste, Amarcellin,
-&amp; beaucoup d’Auteurs,
-lesquels semblent demeurer tous
-d’accord de la signification de ces
-mots, de la même façon que Clapmarius
-s’en est servy en tout son
-livre. Or cela me feroit aucunement
-redouter l’indignation de
-tous ces grands personnages, si je
-m’emancipois sans leur avoir demandé
-permission, de leur dire
-qu’usurpant ce mot de secrets
-d’Estat, selon qu’il a esté exposé
-cy-dessus, ils semblent s’éloigner
-de sa signification, &amp; ne pas bien
-comprendre la nature de la chose ;
-estant certain que ces dictions Latines,
-<a id="FNanchor_60" href="#Footnote_60" class="fnanchor">[60]</a><i lang="la" xml:lang="la">secretum &amp; arcanum</i>, desquels
-ils se servent pour l’exprimer,
-ne doivent point estre attribuez
-aux preceptes &amp; maximes d’une
-science, laquelle est commune,
-entenduë &amp; pratiquée par un chacun :
-mais seulement à ce que
-pour quelque raison ne doit estre
-ny connu ny divulgué, parce que
-suivant que remarque le Poëte
-Marbodæus,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_61" href="#Footnote_61" class="fnanchor">[61]</a>Non secreta manent, quorum fit conscia turba.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Libr. de Gem.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_60" href="#FNanchor_60"><span class="label">[60]</span></a> Secret &amp; caché.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_61" href="#FNanchor_61"><span class="label">[61]</span></a> Les choses qu’on communique
-à plusieurs personnes, ne demeurent
-pas secretes.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_62" href="#FNanchor_62"><span class="label">[62]</span></a> Secret.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Aussi apprenons nous des Grammairiens,
-que ce mot <a id="FNanchor_62" href="#Footnote_62" class="fnanchor">[62]</a><i>d’<span lang="la" xml:lang="la">arcanum</span></i>,
-peut estre derivé <span lang="la" xml:lang="la">ab <a id="FNanchor_63" href="#Footnote_63" class="fnanchor">[63]</a><i>arce</i></span>, soit
-comme est d’avis Festus Pompeius,
-que les Augures eussent
-coustume d’y faire un certain sacrifice,
-qu’ils vouloient éloigner
-de la connoissance du peuple, ou
-parce que toutes choses secretes
-&amp; de consequence sont mieux gardées
-<a id="FNanchor_64" href="#Footnote_64" class="fnanchor">[64]</a><i lang="la" xml:lang="la">in arce</i>, qu’en autre lieu.
-Ceux qui le tirent <a id="FNanchor_65" href="#Footnote_65" class="fnanchor">[65]</a><i lang="la" xml:lang="la">ab arca</i> semblent
-aussi ne se pas éloigner de
-la même opinion, &amp; les bons Auteurs
-ne se sont jamais servis de ces
-deux mots qu’en pareille signification.
-Virgile,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_66" href="#Footnote_66" class="fnanchor">[66]</a>Longius &amp; volvens fatorum arcana movebo.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Æneid. 1.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_63" href="#FNanchor_63"><span class="label">[63]</span></a> Forteresse.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_64" href="#FNanchor_64"><span class="label">[64]</span></a> Dans une forteresse.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_65" href="#FNanchor_65"><span class="label">[65]</span></a> Coffre.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_66" href="#FNanchor_66"><span class="label">[66]</span></a> Et je vous raconteray plus au long le secret des fatalités.</p>
-</div>
-<p class="noindent">&amp; en un autre lieu :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_67" href="#Footnote_67" class="fnanchor">[67]</a>Te colere, arcanos etiam tibi credere sensus.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_67" href="#FNanchor_67"><span class="label">[67]</span></a> T’honorer &amp; te confier les plus secretes
-pensées &amp; passions de mon cœur.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Horace,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_68" href="#Footnote_68" class="fnanchor">[68]</a>Secretumque teges &amp; vino tortus &amp; irâ.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_68" href="#FNanchor_68"><span class="label">[68]</span></a> Le vin ni la colere ne te doivent pas faire reveler
-le secret qu’on t’aura confié.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et pour finir par celle de Lucain,
-n’a-t-il pas dit en parlant de la
-source du Nil, qui estoit totalement
-inconnuë aux Egyptiens
-mêmes,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_69" href="#Footnote_69" class="fnanchor">[69]</a>Arcanum natura caput non protulit ulli,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Nec licuit populis parvum te Nile videre,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Amovitque sinus, &amp; Gentes maluit ortus</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Mirari quam nosse tuos.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_69" href="#FNanchor_69"><span class="label">[69]</span></a> La nature n’a découvert à personne ta
-source, ô Nil, &amp; il n’y a point de peuple qui
-ait pû te voir en ton commencement : elle a
-éloigné tes replis, &amp; a mieux aimé faire admirer
-ton origine aux nations, que de la leur
-faire connoître.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Je remarqueray toutefois comme
-en passant, que l’on peut tirer
-un beau parallele entre ce
-fleuve du Nil &amp; les secrets d’Estat.
-Car tout ainsi que les peuples
-plus voisins de sa source en tiroient
-mille commoditez sans avoir
-aucune connoissance de son
-origine ; ainsi faut-il que les peuples
-admirent les heureux effets de
-ces Coups de Maistre sans pourtant
-rien connoistre de leurs causes
-&amp; divers ressorts. Or aprés
-avoir monstré que ces Ecrivains
-ont corrompu les mots, nous
-pouvons encore dire qu’ils ont
-pareillement depravé la nature de
-la chose, veu qu’ils nous proposent
-des preceptes generaux &amp; des
-maximes universelles, fondées sur
-la justice &amp; droit de Souveraineté,
-&amp; par consequent permises &amp; pratiquées
-tous les jours, au veu &amp;
-sceu de tout le monde ; lesquels
-neanmoins ils estiment estre des
-secrets d’Estat. Aussi ne prenoient-ils
-pas garde qu’il y a une grande
-difference entre ceux-là, &amp;
-ceux dont nous voulons parler ;
-puis que un chacun est fait sçavant,
-&amp; rendu capable des premiers,
-pour si peu d’estude qu’il
-veüille faire dans les Auteurs qui
-en ont traitté ; où au contraire
-ceux dont il est maintenant question,
-naissent dans les plus retirez
-cabinets des Princes, &amp; ne
-se traittent ny deliberent en plein
-Senat, ou au milieu d’une Cour
-de Parlement ; mais entre deux ou
-trois des plus avisez &amp; plus confidens
-Ministres qu’ait un Prince.
-Et en effet, nous voyons
-qu’Auguste, lors qu’il eut dessein,
-aprés avoir gagné la bataille
-Actiaque, &amp; appaisé les guerres
-civiles &amp; étrangeres, de quitter
-le titre d’Empereur, &amp; de rendre
-la liberté à sa patrie ; il n’en communiqua
-pas au Senat, quoy qu’il
-l’eust augmenté de six cens Senateurs ;
-ny à son Conseil particulier,
-qui estoit composé de vingt
-personnes les plus doctes &amp; judicieuses
-qu’il avoit pû choisir ;
-mais il proposa &amp; remit toute cette
-affaire au jugement de ses deux
-principaux Amis, Ministres, &amp;
-Confidens, Mecenas &amp; Agrippa,
-<a id="FNanchor_70" href="#Footnote_70" class="fnanchor">[70]</a><i lang="la" xml:lang="la">quibuscum Imperii arcana communicare
-solebat</i>, dit Dion. (<span lang="la" xml:lang="la">Libr. 53.</span>)
-Et si nous voulons remonter jusques
-à ce grand homme qui luy
-avoit resigné sa fortune entre les
-mains, Jules Cesar ; nous trouverons
-dans Suetone <a id="FNanchor_71" href="#Footnote_71" class="fnanchor">[71]</a><i lang="la" xml:lang="la">in Julio</i>, qu’il
-n’avoit que Quintus Pædius, &amp;
-Cornelius Balbus, avec lesquels il
-communiquoit τὰ μυσικάτατα,
-c’est à dire ce qu’il avoit de plus
-secret &amp; caché dans l’ame. Les
-Lacedemoniens qui augmenterent
-beaucoup leur Estat aprés la Victoire
-de Lisandre, établirent bien
-un conseil de trente personnes
-pour gouverner les affaires de leur
-Republique, mais non contens
-de ce, ils choisirent douze des plus
-judicieux &amp; avisez de leurs Citoyens,
-pour estre comme les Oracles
-qui devoient par leur réponse
-conclure les Coups d’Estat.
-Les Venitiens font aujourd’huy
-de même avec leurs six Procureurs
-de Saint Marc ; &amp; il n’y a aucun
-Souverain tant foible soit-il
-&amp; de peu de consideration, qui
-soit si mal avisé, que de remettre
-au jugement du public ce qui à
-peine demeure assez secret dans
-l’oreille d’un Ministre ou Favori.
-C’est ce qui a fait dire à Cassiodore,
-<a id="FNanchor_72" href="#Footnote_72" class="fnanchor">[72]</a><i lang="la" xml:lang="la">Arduum nimis est Principis meruisse
-secretum</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Libr. 8. Epist. 10.</span>)
-&amp; en un autre lieu, où il parle d’un
-Conseiller secret de Theodoric,
-<a id="FNanchor_73" href="#Footnote_73" class="fnanchor">[73]</a><i lang="la" xml:lang="la">Tecum pacis certa, tecum belli dubia
-conferebat, &amp; quod apud sapientes Reges
-singulare munus est, ille sollicitus ad
-omnia, tecum pectoris pandebat arcana.</i>
-(<span lang="la" xml:lang="la">Lib. 8. Epist. 9.</span>) Eust-il pas
-fait beau voir, que Charles IX
-eust deliberé de faire la Saint Barthelemy
-avec tous les Conseillers
-de son Parlement, &amp; que Henry
-III eust conclu la mort de
-Messieurs de Guise au milieu de
-son Conseil ? Je croy certes qu’ils
-y eussent aussi-bien reüssi, comme
-à vouloir prendre les lievres
-au son du tambour, ou les oiseaux
-avec des sonnettes. Et de plus je
-demanderois volontiers à ces Messieurs,
-si tant est qu’ils appellent
-les regles communes de regir &amp;
-gouverner les Royaumes, <a id="FNanchor_74" href="#Footnote_74" class="fnanchor">[74]</a><i lang="la" xml:lang="la">Arcana
-Imperiorum</i>, quel nom ils pourront
-donner à ces secrets meslez
-d’un peu de severité, &amp; sujets à
-la prudence extraordinaire, desquels
-nous venons maintenant de
-parler. Car de les appeller comme
-fait Clapmarius aprés Tacite, <a id="FNanchor_75" href="#Footnote_75" class="fnanchor">[75]</a><i lang="la" xml:lang="la">Flagitia
-Imperiorum</i>, c’est plustost remarquer
-ceux qui sont faits en
-consideration d’un bien particulier,
-&amp; par quelque Tyran, que
-beaucoup d’autres qui se font
-pour l’interest public, &amp; avec
-toute l’equité que l’on peut apporter
-en ces grandes entreprises,
-qui toutefois ne peuvent jamais
-estre si bien circonstanciées, qu’elles
-ne soient toujours accompagnées
-de quelque espece d’injustice,
-&amp; sujettes par consequent au
-blasme &amp; à la calomnie.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_70" href="#FNanchor_70"><span class="label">[70]</span></a> Auxquels il avoit accoustumé de communiquer
-les secrets de l’Empire.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_71" href="#FNanchor_71"><span class="label">[71]</span></a> Sur Julius.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_72" href="#FNanchor_72"><span class="label">[72]</span></a> C’est par trop difficile d’avoir merité
-d’estre introduit dans le secret du Prince.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_73" href="#FNanchor_73"><span class="label">[73]</span></a> Il conferoit avec toy des choses certaines de la
-paix &amp; des douteuses de la guerre, &amp;, ce qui est
-une faveur singuliere d’un Roy sage &amp; prudent,
-comme il avoit soin de tout, il te reveloit les
-plus secretes pensées de son cœur.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_74" href="#FNanchor_74"><span class="label">[74]</span></a> Les secrets des Empires.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_75" href="#FNanchor_75"><span class="label">[75]</span></a> Fourberies des Empires.</p>
-</div>
-<p>Ces mots estant ainsi expliquez,
-il nous faut passer à la nature
-de la chose qu’ils signifient :
-Or pour la bien penetrer &amp; comprendre,
-il est besoin d’en tirer
-la recherche de plus haut, &amp;
-monstrer comme en la Monastique
-ou gouvernement d’un seul,
-&amp; en l’œconomie ou administration
-d’une famille, qui sont les
-deux pivots de la Politique, il y a
-de certaines ruses, détours, &amp;
-stratagemes, desquels beaucoup se
-sont servis, &amp; se servent encore
-tous les jours pour venir à bout
-de leurs pretensions. Charon en
-son livre de la Sagesse, Cardan en
-ses œuvres intitulées <a id="FNanchor_76" href="#Footnote_76" class="fnanchor">[76]</a><i lang="la" xml:lang="la">Proxeneta,
-de utilitate capienda ex adversis, &amp; de
-sapientia</i> ; Machiavel en ses discours
-sur T. Live, &amp; en son Prince, en
-ont donné assez amplement les
-preceptes. Pour moy ce me sera assez
-d’en rapporter quelques exemples ;
-aprés avoir toutefois observé
-qu’encore que Juste Lipse (<span lang="la" xml:lang="la">Civil.
-doctr. lib. 4. c. 13.</span>) ait dit du dernier,
-<a id="FNanchor_77" href="#Footnote_77" class="fnanchor">[77]</a><i lang="la" xml:lang="la">Ab illo facile obtinebimus, nec
-maculonem Italum tam districtè damnandum
-(qui misera qua non manu
-hodie vapulat), &amp; esse quandam, ut vir
-sanctus ait, καλὴν καὶ ἐπαινετὴν πανουργίαν,
-honestam atque laudabilem calliditatem</i>,
-(<span lang="la" xml:lang="la">Basil. in Proverb.</span>) &amp;
-que Gaspar Schioppius ait fait un
-petit livre en sa defense ; on luy
-peut neanmoins sçavoir mauvais
-gré, de ce que</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i2 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_78" href="#Footnote_78" class="fnanchor">[78]</a>Floribus Austrum</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Perditus, &amp; liquidis immisit fontibus Apros.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virg. Bucol. Ecl. 2.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_76" href="#FNanchor_76"><span class="label">[76]</span></a> Le Courtier, ou moyenneur, du profit
-qu’on peut tirer des infortunes, &amp; de la
-sagesse.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_77" href="#FNanchor_77"><span class="label">[77]</span></a> Nous obtiendrons facilement de
-luy, que ce broüillon d’Italien n’est pas tant
-à blâmer, quoy que les plus chetifs se mêlent
-de le condamner aujourd’huy ; &amp; qu’il y a de
-certaines ruses loüables &amp; honnestes, comme
-dit le saint homme.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_78" href="#FNanchor_78"><span class="label">[78]</span></a> Il a malheureusement jetté un vent furieux
-dans les fleurs, &amp; des sangliers dans les
-fontaines pour en troubler les clairs ruisseaux.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Ayant le premier franchi le pas,
-rompu la glace, &amp; profané, s’il
-faut ainsi dire, par ses écrits, ce
-dont les plus judicieux se servoient
-comme de moyens tres-cachez
-&amp; puissans pour faire mieux
-reüssir leurs entreprises. Aussi ferois-je
-conscience d’ajouster quelque
-chose à ce qu’il en a dit, si
-les susnommez &amp; beaucoup d’autres
-Politiques ne m’avoient devancé,
-&amp; donné quand &amp; quand
-sujet de dire en cette matiere, ce
-que Juvenal disoit de la Poësie.</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_79" href="#Footnote_79" class="fnanchor">[79]</a>Stulta est clementia, cum tot ubique</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Vatibus occurras, perituræ parcere chartæ.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Satyr. 1.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_79" href="#FNanchor_79"><span class="label">[79]</span></a> C’est une sotte clemence d’épargner le
-papier perissable, puisque tu te rencontres si
-souvent en tant de lieux parmy les poëtes.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Or entre les secrets de la Monastique,
-je ne pense pas qu’il y en
-ait de plus relevez, eu égard à
-leur fin, que ceux qui ont esté
-pratiquez par certaines personnes,
-qui pour se distinguer du reste
-des hommes, ont voulu établir
-parmy eux quelque opinion de
-leur divinité. Ainsi voyons nous
-que Salmonée avoit fait élever
-un pont d’airain, sur lequel faisant
-rouler son carrosse attelé de puissans
-chevaux, &amp; dardant d’un
-costé &amp; d’autre des feux d’artifice,
-il s’imaginoit de bien contrefaire
-le foudre &amp; les tonnerres de
-Jupiter, d’où le Poëte a pris occasion
-de dire,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_80" href="#Footnote_80" class="fnanchor">[80]</a>Vidi &amp; crudeles dantem Salmonea pœnas,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Dum flammas Jovis, &amp; sonitus imitatur Olympi.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virg. Æn. 6.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_80" href="#FNanchor_80"><span class="label">[80]</span></a> J’y vis aussi Salmonée qui soufroit d’étranges
-peines pour avoir imité les flammes de Jupiter
-Olympien, &amp; pour avoir contrefait le
-bruit de ses foudres.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Psaphon, qui n’estoit pas moins
-ambitieux que le precedent, nourrissoit
-grande quantité de Pies,
-Merles, Jais, Perroquets &amp; autres
-oiseaux semblables, &amp; aprés leur
-avoir bien appris à prononcer ces
-paroles, <i>Psaphon est Dieu</i>, il les mettoit
-en liberté, afin que ceux qui
-entendoient tant &amp; de si extraordinaires
-témoins de sa divinité,
-fussent plus facilement portez à la
-croire. Ainsi Heraclides le Pontique
-avoit commandé à un de ses
-plus affidez serviteurs, de cacher
-sous ses vestemens aprés qu’il seroit
-decedé, une grande Couleuvre,
-qu’il nourrissoit dés long-temps
-auparavant à ce dessein, afin que
-cet animal éveillé par le bruit que
-l’on feroit, portant son corps en
-terre, s’élançast au milieu des pleureurs,
-&amp; donnast sujet à la populace
-de croire, que Heraclite avoit esté
-deïfié. Pour Empedocle il y proceda
-avec plus de courage &amp; de generosité,
-comme il estoit bien-seant
-à un Philosophe ; car estant assez
-âgé &amp; comblé de gloire &amp; d’honneur,
-il se precipita volontairement
-dans les souspiraux &amp; volcans du
-mont Ætna en Sicile, pour faire
-croire son ravissement au Ciel, ne
-plus ne moins que Romulus établit
-l’opinion du sien, en se noyant
-dans les Marests des Chevres,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i2 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_81" href="#Footnote_81" class="fnanchor">[81]</a>Deus immortalis haberi</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Dum cupit Empedocles, ardentem frigidus Æthnam</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Insiluit.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Horat. de arte Poët.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_81" href="#FNanchor_81"><span class="label">[81]</span></a> Empedocle, voulant qu’on le tinst pour
-un Dieu immortel, se jetta froidement dans
-les flammes du mont Ætna.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Les Athées, qui trouvent à glosser
-sur tous les passages de la sainte
-Ecriture, tiennent que celuy-cy
-du Deuteronome, (<span lang="la" xml:lang="la">cap. 34.</span>) <a id="FNanchor_82" href="#Footnote_82" class="fnanchor">[82]</a><i lang="la" xml:lang="la">non
-cognovit homo sepulchrum ejus usque
-in præsentem Diem</i>, se doit entendre
-de la même sorte, &amp; que
-Moyse s’ensevelit en quelque precipice
-ou abysme, pour estre puis
-aprés élevé dans les cieux par les
-Israëlites ; au lieu qu’ils devroient
-plûtost croire, &amp; demeurer d’accord
-avec les Chrestiens, qu’il cacha
-veritablement son corps, pour
-empescher les Juifs de l’idolatrer
-aprés sa mort, connoissant fort
-bien qu’ils estoient portez non
-moins de leur naturel, que par la
-hantise qu’ils avoient eu avec les
-Egyptiens, à adorer tous ceux desquels
-ils avoient receu quelque
-bien, ou de qui ils croyoient que
-la vertu estoit singuliere &amp; extraordinaire.
-L’on peut faire encore
-le même jugement de ce que Diogenes
-Laërce rapporte de la Cuisse
-d’or de Pythagore, puis que Plutarque
-en la vie de Numa dit ouvertement
-que ce fut une feinte
-&amp; stratageme de ce Philosophe,
-pour établir aussi-bien que les autres
-l’opinion de sa divinité. Mais
-ce que fit Hercules fut beaucoup
-plus ingenieux ; car estant fort
-versé en Astrologie, témoin les
-Fables de sa vie qui luy font porter
-le Ciel avec Atlas, il choisit
-justement l’heure &amp; le temps de
-l’apparition d’une grande Comete,
-pour se mettre sur le bucher
-ardant, où il vouloit finir ses jours,
-afin que ce nouveau feu du Ciel
-assistast comme témoin, &amp; fist
-croire de luy ce que les Romains
-par aprés vouloient persuader de
-leurs Empereurs, au moyen de
-l’aigle qui s’envoloit du milieu
-des flammes, comme pour porter
-l’ame du defunct entre les bras
-de Jupiter. Beaucoup d’autres,
-qui estoient plus modestes &amp; retenus
-en leurs desseins, se sont contentez
-de nous donner à connoistre
-le soin que les Dieux prenoient
-de leurs personnes, par la continuelle
-assistance de quelque Genie,
-ou particuliere divinité ; comme
-firent entre les Anciens Socrate,
-Plotin, Porphyre, Brutus,
-Sylla, &amp; Apollonius, pour ne rien
-dire de tous les Legislateurs ; &amp;
-parmy les modernes Pic de la Mirandole,
-Cecco d’Ascoli, Hermolaus,
-Savonarole, Niphus, Postel,
-Cardan, &amp; Campanelle, qui
-se vantent tous d’en avoir eu &amp;
-de leur avoir parlé, sans toutefois
-qu’on les puisse accuser d’avoir
-pratiqué les ceremonies Theurgiques,
-du livre faussement attribué
-à Virgile <a id="FNanchor_83" href="#Footnote_83" class="fnanchor">[83]</a><i lang="la" xml:lang="la">de videndo Genio</i> ;
-ou les mentionnées par Arbatel
-dans je ne sçay quel fatras de semblables
-Livres, que l’on a grand
-tort de publier sous le nom d’Agrippa.
-Aussi pour moy j’aimerois
-beaucoup mieux établir la
-verité de ces Histoires, sur la merveilleuse
-force des contractions
-d’esprit fort bien expliquées par
-Marsile Ficin &amp; Jordanus Brunus,
-desquels aussi Palingenius en trois
-ou quatre endroits de son Zodiaque
-ne semble pas se beaucoup
-éloigner. Si nous n’aimons encore
-mieux dire que tous ces
-Messieurs ont joüé de l’imposture,
-&amp; ont voulu imiter les fables
-de Numa, Zamolxis, &amp; Minos, ou
-plustost celles que les Rabins &amp;
-Cabalistes (<i lang="la" xml:lang="la">Reuchlin. libr. de Cabala.</i>)
-ont plaisamment forgées sur
-les Patriarches du Vieil Testament,
-&amp; nous voulant faire croire de
-bonne foy, qu’Adam avoit esté
-gouverné par son Ange Raziel,
-Sem par Jophiel, Abraham par
-Frza-d-Kiel, Isaac par Raphaël,
-Jacob par Piel, &amp; Moyse par Mittaron,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i2 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_84" href="#Footnote_84" class="fnanchor">[84]</a>Sed credat Judæus apella,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Non ego.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_82" href="#FNanchor_82"><span class="label">[82]</span></a> L’homme n’a point connu son sepulchre
-jusques à ce jourd’huy.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_83" href="#FNanchor_83"><span class="label">[83]</span></a> Du moyen de voir les Genies.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_84" href="#FNanchor_84"><span class="label">[84]</span></a> Mais que le Juif circoncis le croye, &amp; non
-pas moy.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Quoy que c’en soit, on peut remarquer
-dans les Historiens, que
-ces ruses n’ont pas toujours esté
-inutiles, puis que Scipion les ayant
-judicieusement pratiquées il s’acquit
-la reputation d’un grand
-homme de bien parmy les Romains,
-&amp; fut envoyé conquester
-les Espagnes n’ayant encore atteint
-l’âge de <small>XXIV</small> ans ; Mais
-voyez aussi de quelle façon T. Live
-(<span lang="la" xml:lang="la">Libr. 6.</span>) en parle : <a id="FNanchor_85" href="#Footnote_85" class="fnanchor">[85]</a><i lang="la" xml:lang="la">Fuit Scipio
-non tantùm veris artibus mirabilis, sed
-arte quoque quadam adinventa in
-ostentationem composita, pleraque apud
-multitudinem, aut per nocturnas visas
-species, aut veluti divinitus mente
-monita agens.</i> Ainsi en ont fait beaucoup
-de Princes &amp; particuliers, &amp;
-quand leur esprit n’a pas esté capable
-de ces finesses &amp; inventions
-si relevées, ils se sont contentez
-de donner par quelques autres, le
-plus de lustre &amp; de splendeur à
-leurs actions qu’il leur a esté possible.
-C’est pourquoy Tacite a
-dit que Vespasien estoit, <a id="FNanchor_86" href="#Footnote_86" class="fnanchor">[86]</a><i lang="la" xml:lang="la">omnium
-quæ diceret atque ageret arte quadam
-ostentator</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Annal. lib. 3.</span>) &amp; Corbulo
-nous est representé dans
-le même, <a id="FNanchor_87" href="#Footnote_87" class="fnanchor">[87]</a><i lang="la" xml:lang="la">super experientiam sapientiamque,
-etiam specie inanium validus</i> ;
-&amp; ce avec grande raison,
-puis que comme il dit en un autre
-endroit, <a id="FNanchor_88" href="#Footnote_88" class="fnanchor">[88]</a><i lang="la" xml:lang="la">Principibus omnia ad
-famam dirigenda</i>, veu que suivant
-la remarque de Cardan, <a id="FNanchor_89" href="#Footnote_89" class="fnanchor">[89]</a><i lang="la" xml:lang="la">Æstimatio
-&amp; opinio rerum humanarum Reginæ
-sunt</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Lib. 3. de utilit.</span>)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_85" href="#FNanchor_85"><span class="label">[85]</span></a> Scipion ne se faisoit pas seulement
-admirer par les veritables arts &amp; sciences
-qu’il possedoit, mais aussi par un certain artifice
-qu’il avoit trouvé &amp; dont il se servoit fort
-utilement à se faire paroistre ; &amp; faisoit plusieurs
-choses devant le peuple ou par le moyen des
-visions qu’il disoit avoir euës de nuit, ou comme
-s’il en avoit esté divinement averti &amp; qu’on
-le luy eût inspiré du ciel.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_86" href="#FNanchor_86"><span class="label">[86]</span></a> Fort artificieux à donner du lustre à tout
-ce qu’il faisoit &amp; à tout ce qu’il disoit.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_87" href="#FNanchor_87"><span class="label">[87]</span></a> Considerable
-par la belle apparence dont il sçavoit
-colorer même les choses vaines, outre l’experience
-&amp; la sagesse qu’il avoit.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_88" href="#FNanchor_88"><span class="label">[88]</span></a> Les Princes doivent gouverner, &amp; avoir
-soin de tout, pour leur propre renommée.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_89" href="#FNanchor_89"><span class="label">[89]</span></a> L’estime &amp; l’opinion sont les Reines de toutes
-les choses humaines.</p>
-</div>
-<p>L’on pourroit encore faire
-beaucoup plus de remarques sur
-ce qui touche le gouvernement
-particulier des hommes ; mais
-parce que cette matiere n’est pas
-moins triviale que de peu de consequence,
-je m’en remettray à
-ce qu’en a dit Cardan au livre
-cité un peu auparavant ; &amp;
-passeray aux secrets de l’œconomie,
-ou reglement &amp; administration
-des familles, entre lesquels
-je me contenteray de remarquer
-seulement &amp; pour exemple,
-quelques-uns de ceux qui
-ont esté pratiquez pour reprimer,
-&amp; comme parer aux mauvais tours
-que joüent les femmes à leurs maris,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_90" href="#Footnote_90" class="fnanchor">[90]</a>Dum avidæ affectant implere voraginis antrum.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_90" href="#FNanchor_90"><span class="label">[90]</span></a> Quand elles veulent remplir le trou de
-leur goufre insatiable.</p>
-</div>
-<p class="noindent">A propos de quoy il me souvient
-d’en avoir leu un dans les contes
-facetieux de Bouchet, ou de Chaudiere,
-qui passera maintenant pour
-serieux, comme estant beaucoup
-plus propre à corriger ces humeurs
-gaillardes, que celuy de la
-Mule qui fut huit jours sans boire,
-dont parle Cardan en son livre
-<a id="FNanchor_91" href="#Footnote_91" class="fnanchor">[91]</a><i lang="la" xml:lang="la">de sapientia</i>. Certain Medecin,
-disent-ils, ayant eu avis que
-sa femme pour quelquefois se desennuyer</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_92" href="#Footnote_92" class="fnanchor">[92]</a>Intrabat calidum veteri Centone lupanar,</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Juvenal.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_91" href="#FNanchor_91"><span class="label">[91]</span></a> De la sagesse.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_92" href="#FNanchor_92"><span class="label">[92]</span></a> Elle
-entroit dans le lieu infame qui fumoit de l’ardeur
-des impudiques débauches sur les vieux
-tapis de diverses couleurs.</p>
-</div>
-<p class="noindent">&amp; qu’elle avoit même pris heure
-au lendemain pour luy joüer à
-fausse compagnie, il ne s’en émeut
-point, &amp; n’en fit aucun semblant ;
-mais sur la minuit, &amp; lors que sa
-femme ne songeoit à rien moins,
-il se réveille en sursaut feignant
-que les voleurs estoient dedans sa
-chambre, met la main à ses armes,
-tire deux ou trois coups de pistolet,
-crie au meurtre, à l’aide, frappe
-de son épée sur les tables &amp;
-chenets, bref il fait tout ce qu’il
-peut pour mettre la terreur &amp;
-l’épouvante en sa maison ; le matin
-tout estant appaisé il ne manque
-de taster le poux à sa femme,
-lequel il feint de trouver grandement
-alteré &amp; oppressé à cause de
-la peur qu’elle avoit euë, &amp; pour
-ce il luy fait tirer dix ou douze
-onces de sang, &amp; cette evacuation
-ayant amené une petite émotion,
-il commence de s’épouvanter
-comme si c’eust esté quelque
-grosse fievre, fait redoubler sept
-ou huit bonnes saignées, par aprés
-vient à la raser, ventouser, &amp; purger
-magistralement ; ce qu’il reïtera
-si souvent, qu’il la fit demeurer
-plus de six mois au lict, sans
-avoir esté malade, pendant lequel
-temps il eut tout loisir de rompre
-ses pratiques &amp; connoissances, de
-luy diminuer son enbonpoint
-vermeil &amp; attrayant, &amp; sur tout
-de tellement refroidir, matter, &amp;
-adoucir la ferveur, &amp; les humeurs
-picquantes &amp; acrimonieuses de
-son temperament, qu’il assoupit
-en elle ce feu plus inextinguible
-que celuy de la pierre Asbestos,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_93" href="#Footnote_93" class="fnanchor">[93]</a>Qui nulla moritur, nullaque extingitur arte.</div>
-</div>
-
-<p class="attr">(Trigault.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_93" href="#FNanchor_93"><span class="label">[93]</span></a> Qu’on ne peut éteindre ny faire mourir
-par aucun artifice.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Mais le secret que pratiquerent
-les peuples de la Chine, pour remedier
-au même desordre qui
-s’estoit glissé dans leurs familles,
-fut beaucoup plus gentil &amp; industrieux.
-Car ils ordonnerent &amp;
-établirent pour une des premieres
-Loix du Royaume, que toute
-la bonne grace des femmes, ne dépendroit
-doresnavant que de la
-petitesse de leurs pieds ; &amp; que
-celles-là seroient jugées les plus
-belles, qui les auroient plus petits
-&amp; mignons : ce qui ne fut pas
-plûtost publié, que toutes les Meres
-sans regarder à la consequence,
-commencerent de resserrer,
-estressir, &amp; si bien envelopper les
-pieds de leurs filles qu’elles ne
-pouvoient plus sortir de la maison
-ny se soustenir droites, que sur les
-bras de deux ou trois servantes.
-Ainsi cette figure artificielle ayant
-passé en conformation naturelle,
-aussi-bien que celle des Macrocephales
-dont parle Hippocrates,
-les Chinois ont insensiblement
-arresté &amp; fixé le Mercure
-que leurs femmes avoient
-dans les pieds, les faisant ressembler
-à la Tortuë nommée par les
-Poëtes,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i2 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_94" href="#Footnote_94" class="fnanchor">[94]</a>Tardigrada, &amp; domi porta,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Sub pedibus Veneris Cous quam finxit Apelles.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_94" href="#FNanchor_94"><span class="label">[94]</span></a> Marchant lentement &amp; portant sa maison,
-laquelle Apelles natif de l’isle de Coos a
-peinte &amp; placée sous les pieds de Venus.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Ils ont empesché par ce moyen,
-qu’elles n’allassent plus à la promenade
-des bons hommes, &amp; à
-leurs passe-temps accoustumez :
-De même que les Dames Venitiennes
-sont forcées de garder la
-maison plus souvent qu’elles ne
-voudroient, par l’usage &amp; les incommoditez
-nompareilles de leurs
-grands patins. Mais l’histoire rapportée
-par Mocquet est bien plus
-étrange, &amp; sent beaucoup mieux
-son Coup d’Estat ; car il dit avoir
-appris, &amp; veu mêmement pratiquer
-entre les Caribes, peuples
-barbares &amp; farouches, qu’arrivant
-la mort du mary pour quelque
-cause que ce soit, la femme
-est contrainte sous peine de demeurer
-infame, abandonnée, &amp;
-mocquée de tous ses amis &amp; parents,
-de se faire aussi mourir, &amp;
-d’allumer un grand feu au milieu
-duquel elle se precipite avec autant
-de pompe &amp; de réjoüissance,
-comme si elle estoit au jour de ses
-nopces ; de quoy ledit Mocquet
-s’étonnant fort, &amp; en demandant
-la cause, on luy répondit
-que cela avoit esté sagement étably,
-pour remedier à la grande
-malice &amp; lubricité des femmes de
-ce païs, qui avoient accoustumé
-devant la publication de cette loy,
-d’empoisonner leurs maris, lors
-qu’elles en estoient lasses ou qu’elles
-avoient envie d’en épouser
-quelque autre plus robuste &amp; gaillard,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_95" href="#Footnote_95" class="fnanchor">[95]</a>Quique suo melius nervum tendebat Ulysse.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_95" href="#FNanchor_95"><span class="label">[95]</span></a> Et qui fût plus vigoureux que son Ulysse.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Or si ce remede estoit bien proportionné
-à la nature de ceux qui
-l’avoient ordonné ; celuy que pratiqua
-Denys Tyran de Syracuse
-pour empescher les assemblées &amp;
-banquets qui se faisoient de nuit,
-n’estoit pas aussi trop éloigné de
-la sienne : car sans témoigner qu’elles
-luy dépleussent, ou monstrer
-qu’il craignist qu’on ne les fist à
-dessein de conspirer contre son
-Estat, il se contenta d’introduire
-peu à peu l’impunité pour toutes
-les voleries &amp; larcins qui se
-commettoient de nuit, les tournant
-plûtost en risée, &amp; donnant
-la hardiesse par cette tolerance à
-tous les mauvais garçons de ladite
-Ville, de si mal traitter ceux
-qu’ils rencontroient la nuit par
-les ruës, que personne ne pouvoit
-sortir de sa maison aprés le Soleil
-couché qu’il ne se mist au hazard
-d’estre dévalisé, ou de perdre la
-vie par cette sorte de voleurs. Venons
-maintenant à quelques autres
-moins serieux &amp; par consequent
-aussi moins fascheux &amp; dangereux,
-en ce qui estoit de leur
-pratique ; Les Republiques de
-Grece voulant par regle de Police
-faire manger le poisson frais
-&amp; à bon marché à leurs sujets, ils
-n’eurent point recours à quelque
-tariffe particuliere, de laquelle
-peut-estre que les ἰχθυοπώλαι, ou
-poissonniers (comme nous les appellons)
-auroient eu raison de se
-plaindre ; mais en se servant de
-l’avis que le Poëte Comique Alexis
-dit leur avoir esté proposé par
-Aristonique, ils defendirent sous
-grieve peine ausdits Marchands
-de poisson, de se pouvoir seoir
-dans le marché ny en vendant
-leurs marchandises, <a id="FNanchor_96" href="#Footnote_96" class="fnanchor">[96]</a><i lang="la" xml:lang="la">ut ii standi
-tædio lassitudineque confecti, quàm recentissimos
-venderent</i>. Ainsi les Romains
-defendoient aux Prestres de
-Jupiter de jamais monter à Cheval,
-<i lang="la" xml:lang="la">ne</i>, comme dit Festus Pompeius,
-<a id="FNanchor_97" href="#Footnote_97" class="fnanchor">[97]</a><i lang="la" xml:lang="la">si longius urbe discederent,
-sacra negligerentur</i> ; &amp; pour moy
-j’ose dire, que si l’on vouloit remedier
-à la grande confusion
-qu’apporte le nombre excessif des
-carosses dans la Ville de Paris, il
-ne faudroit que confisquer ceux
-que l’on trouveroit par les ruës
-avec moins de cinq personnes dedans,
-puis qu’au moyen de cette
-ordonnance, ceux qui y vont tous
-les jours seuls, prendroient la
-housse, &amp; les autres qui ne pourroient
-augmenter leur famille de
-trois ou quatre personnes, se resoudroient
-facilement de la diminuer
-de trois ou quatre bouches
-inutiles telles que seroient pour
-lors celles d’un cocher &amp; de deux
-chevaux.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_96" href="#FNanchor_96"><span class="label">[96]</span></a> Afin que lassés &amp; ennuyés de se tenir debout
-ils les vendissent tout fraix.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_97" href="#FNanchor_97"><span class="label">[97]</span></a> De peur qu’ils ne s’éloignassent par trop
-de la ville, &amp; qu’ainsy le service divin fust negligé
-ou discontinué.</p>
-</div>
-<p>Il seroit facile d’augmenter le
-nombre de semblables exemples
-&amp; secrets d’œconomie ; si les precedens
-ne pouvoient facilement
-nous faire juger des autres, &amp;
-nous tracer le chemin pour passer
-de ce second degré au troisiéme,
-qui est celuy de la Politique &amp; du
-Gouvernement des peuples, sous
-l’administration d’un seul, ou de
-plusieurs. Or est-il qu’en ce qui
-regarde celui-cy, pour ne rien laisser
-à dire de tout ce qui peut servir
-à son éclaircissement, nous pouvons
-remarquer trois choses, c’est
-à sçavoir la science generale de
-l’établissement &amp; conservation des
-Estats &amp; Empires pour la premiere ;
-laquelle science ne comprend
-pas seulement la traditive de Platon
-&amp; d’Aristote, mais encore
-tout ce que Ciceron en son Livre
-des loix, Xenophon en son Prince,
-Plutarque en ses preceptes, Isocrate,
-Synesius, &amp; les autres Auteurs
-ont jugé devoir estre entendu
-&amp; pratiqué par ceux qui gouvernent :
-Aussi est-il vray qu’elle
-consiste en certaines regles approuvées
-&amp; receuës universellement
-d’un chacun, comme par
-exemple que les choses n’arrivent
-pas fortuïtement ny necessairement,
-qu’il y a un Dieu premier
-Auteur de toutes choses, qui en
-a le soin, &amp; qui a étably la recompense
-du Paradis pour les bons,
-&amp; les peines des enfers pour les
-méchans : Que les uns doivent
-commander, &amp; les autres obeïr :
-Qu’il est du devoir d’un homme
-de bien de defendre l’honneur de
-son Dieu, de son Roy, &amp; de sa
-patrie envers tous &amp; contre tous :
-Que la principale force du Prince
-gist en l’amour &amp; union de ses
-sujets : Qu’il a droit de faire des
-levées d’argent sur eux pour subvenir
-aux necessitez de la guerre,
-&amp; de l’estat de sa Maison : &amp; ainsi
-des autres que Marnix, Ammirato,
-Paruta, Remigio, Fiorentino,
-Zinaro, Malvezzi &amp; Botero
-ont fort bien expliquées dans
-leurs discours &amp; raisonnemens Politiques.</p>
-
-<p>La seconde est proprement ce
-que les François appellent, <i>Maximes
-d’Estat</i>, &amp; les Italiens, <a id="FNanchor_98" href="#Footnote_98" class="fnanchor">[98]</a><i lang="it" xml:lang="it">Ragion
-di stato</i>, quoyque Botero ait
-compris sous ce terme toutes les
-trois differences que nous voulons
-établir, disant, que la <a id="FNanchor_99" href="#Footnote_99" class="fnanchor">[99]</a><i lang="it" xml:lang="it">Ragione
-di stato, è notitia di mezzi atti
-à fundare, conservare, e ampliare un
-Dominio</i>, en quoy il n’a pas si bien
-rencontré à mon jugement, que
-ceux qui la definissent, <a id="FNanchor_100" href="#Footnote_100" class="fnanchor">[100]</a><i lang="la" xml:lang="la">excessum
-juris communis propter bonum commune</i>,
-d’autant que cette derniere definition
-estant plus speciale, particuliere
-&amp; determinée, l’on peut
-au moyen d’icelle distinguer,
-entre ces premieres regles de la
-fondation des Empires, lesquelles
-sont établies sur les loix &amp;
-conformes à la raison ; &amp; ces secondes
-que Clapmarius appelle
-mal à propos, <a id="FNanchor_101" href="#Footnote_101" class="fnanchor">[101]</a><i lang="la" xml:lang="la">Arcana Imperiorum</i>,
-&amp; nous avec plus de raison,
-<i>Maximes d’Estat</i> ; puis qu’elles
-ne peuvent estre legitimes
-par le droit des Gens, civil ou
-naturel ; mais seulement par la
-consideration du bien, &amp; de l’utilité
-publique, qui passe assez
-souvent par dessus celles du particulier.
-Ainsi voyons nous que
-l’Empereur Claudius ne pouvant
-par les loix de sa patrie prendre
-à femme sa niepce charnelle Julia
-Agrippina fille de Germanicus
-son frere, il eut recours aux
-loix d’Estat, pour fonder son evidente
-contradiction aux loix ordinaires
-&amp; l’épousa, <a id="FNanchor_102" href="#Footnote_102" class="fnanchor">[102]</a><i lang="la" xml:lang="la">ne fœmina expertæ
-fœcunditatis</i>, dit Tacite, <i lang="la" xml:lang="la">integra
-juventa, claritudinem Cæsarum
-in aliam domum transferret</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Libr.
-12.</span>) C’est à dire, de crainte que
-cette femme venant à se marier
-en quelque grande maison, le
-sang des Cesars ne s’étendist en
-d’autres familles, &amp; ne produisist
-une multitude de Princes &amp;
-Princesses, qui auroient eu avec
-le temps quelque pretension à
-l’Empire, &amp; en suite occasion de
-troubler le repos public. Tibere
-pour cette même raison ne vouloit
-donner un mary à Agrippina
-veuve de Germanicus, &amp;
-mere de celle dont nous venons
-de parler, bien qu’elle luy en demandast
-un avec pleurs &amp; remonstrances,
-appuyées sur des
-raisons si puissantes &amp; legitimes,
-qu’on ne pouvoit luy refuser sans
-commettre une injustice, laquelle
-neanmoins estoit legitimée par
-la loy de l’Estat, puis que Tibere
-n’ignoroit point <a id="FNanchor_103" href="#Footnote_103" class="fnanchor">[103]</a><i lang="la" xml:lang="la">quantum ex
-Republica peteretur</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Tac. lib. 4.
-Annal.</span>) c’est à dire de quelle consequence
-ce mariage estoit, &amp;
-que les enfans qui en proviendroient,
-estant arriere-neveux
-d’Auguste la Republique Romaine
-tomberoit quelque jour en des
-grands troubles &amp; partialitez, à
-cause des divers pretendans à la
-succession de l’Empire. Aucune
-loy ne permet pareillement, que
-nous procurions du mal &amp; du
-desavantage, à celuy qui ne nous
-en a jamais fait ; &amp; neanmoins cette
-maxime d’Estat rapportée par
-Tite Live, (<span lang="la" xml:lang="la">Lib. 2. dec. 5.</span>) <a id="FNanchor_104" href="#Footnote_104" class="fnanchor">[104]</a><i lang="la" xml:lang="la">id
-agendum ne omnium rerum jus ac potestas
-ad unum populum perveniat</i>,
-nous oblige de donner secours à
-nos Voisins contre ceux qui ne
-nous ont jamais offensé, de crainte
-que leur ruine ne serve d’un
-échelon pour haster la nostre, &amp;
-que tous nos compagnons, estant
-devorez par ces nouveaux Cyclopes,
-nous n’en attendions autre
-grace que celle qui fut donnée à
-Ulysse, d’estre reservé pour satisfaire
-à leur derniere faim. C’est
-le pretexte duquel se servirent les
-Etoliens pour obtenir secours du
-Roy Antiochus, &amp; Demetrius
-Roy des Illyriens pour exciter
-Philippes Roy de Macedoine &amp;
-pere de Perseus à prendre les armes
-contre les Romains. C’est
-encore la raison pourquoy ce
-grand homme d’Estat Cosme de
-Medicis, n’eut rien tant à cœur,
-que d’empescher Milan de tomber
-sous l’autorité des Venitiens,
-lors que la race des Vicomtes &amp;
-Ducs de Milan fut éteinte : &amp;
-Henry le Grand ayant sceu que
-le Duc de Savoye avoit failly à
-surprendre Geneve, il dit tout
-haut, que si son coup eust reüssi,
-il l’auroit assiegé dedans dés le
-lendemain. Mais neanmoins quand
-le Roy d’Espagne a voulu envahir
-les Estats du même Duc, la
-France en vertu de la susdite Maxime,
-est allée puissamment au secours :
-Et c’est elle aussi qui a
-fourny d’excuse legitime aux alliances
-d’Alexandre Sixiéme &amp; de
-François Premier avec le Grand
-Seigneur ; de pretexte aux traittez
-secrets de l’Espagnol avec les Huguenots
-de France ; &amp; de passeport
-à tant de troupes que nous avons
-fait glisser de temps en temps non
-moins en la Valteline qu’en Hollande,
-bien qu’en apparence contre
-les regles sinon de la religion,
-au moins de la pieté commune &amp;
-de nostre conscience. Bref sans
-cette consideration l’on n’auroit
-pas rompu tant de ligues dans
-Guicciardin ; Charles V n’auroit
-pas abandonné les Venitiens au
-Turc ; Charles VIII n’eust pas
-esté si promptement chassé d’Italie ;
-Paul V n’eust pas joüy si facilement
-du Duché de Ferrare ;
-ny le Pape qui siege à present de
-celuy d’Urbin : Tant de Princes
-ne desireroient pas la restitution
-du Palatinat, ny tant de prosperité
-au Roy de Suede, ny que
-Casal demeurast au Duc de Mantouë,
-si ce n’estoit pour borner en
-vertu de cette maxime, l’ambition
-demesurée de certains peuples, qui
-voudroient pratiquer sur les Princes
-voisins, ce que les riches Bourgeois
-pratiquent sur les pauvres,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_105" href="#Footnote_105" class="fnanchor">[105]</a>O si angulus ille</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Parvulus accedat qui nunc denormat agellum.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Horat. 2. lib. serm.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_98" href="#FNanchor_98"><span class="label">[98]</span></a> Raison d’Estat.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_99" href="#FNanchor_99"><span class="label">[99]</span></a> Raison d’Estat est la
-connoissance ou science des moyens propres à
-poser les fondemens d’une Seigneurie, à la
-conserver &amp; à l’agrandir.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_100" href="#FNanchor_100"><span class="label">[100]</span></a> Excés du droit
-commun à cause du bien public.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_101" href="#FNanchor_101"><span class="label">[101]</span></a> Secrets des Empires.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_102" href="#FNanchor_102"><span class="label">[102]</span></a> Afin que cette femme dont la fecondité
-estoit reconnuë, &amp; qui estoit en la fleur de son
-âge, ne portast en une autre maison l’illustre tige
-des Cesars.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_103" href="#FNanchor_103"><span class="label">[103]</span></a> Combien il y alloit de l’interest de la
-Republique.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_104" href="#FNanchor_104"><span class="label">[104]</span></a> Il faut faire cela afin que toute
-l’autorité ne viene point entre les mains
-d’un seul peuple.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_105" href="#FNanchor_105"><span class="label">[105]</span></a> O, si nous pouvions faire approcher ce
-petit coin, qui defigure maintenant nostre terre,
-&amp; la rend inégale.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Ajoustons encore que le droit de
-guerre ne permet point, que ceux-là
-soient en aucune façon outragez,
-qui mettent les armes bas
-pour implorer la misericorde du
-vainqueur ; &amp; neanmoins lors que
-la quantité des prisonniers est si
-grande qu’on ne les peut facilement
-garder, nourrir &amp; mettre
-en lieu de seureté, ou que ceux
-de leur party ne les veulent racheter,
-il est permis de les mettre
-tous bas par Maxime, d’autant
-qu’ils pourroient affamer une armée,
-la tenir en défiance, favoriser
-les entreprises de leurs compagnons,
-&amp; causer mille autres
-difficultez. Et pour cette raison
-Alde Manuce (<span lang="it" xml:lang="it">Discorso 3.</span>) a creu,
-de pouvoir legitimement excuser
-Hannibal, de ce que en partant
-d’Italie il fit tuer au temple de la
-Deesse Junon tous les captifs Romains
-qui ne le voulurent pas suivre ;
-encore qu’eu égard à cette
-action &amp; à quelques autres, Valere
-Maxime ait dit de luy, <a id="FNanchor_106" href="#Footnote_106" class="fnanchor">[106]</a><i lang="la" xml:lang="la">Hannibal
-cujus majore ex parte virtus sævitia
-constabat</i>. On peut encore
-rapporter à semblables maximes,
-les façons de faire, ou coustumes
-particulieres de certains peuples
-en ce qui est de leur gouvernement ;
-comme par exemple celle
-de nostre Loy Salique, si religieusement
-observée touchant la
-succession des Masles à la Couronne
-&amp; l’exclusion des femmes,
-au moyen de laquelle le Royaume
-fut preservé pendant la Ligue
-de l’invasion des Espagnols : les
-bons &amp; fideles François ayant protesté
-de nullité contre toutes les
-poursuites étrangeres, &amp; donné
-congé à ces beaux Corrivaux par
-le texte formel de la Loy,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_107" href="#Footnote_107" class="fnanchor">[107]</a>Francorum Regni successor masculus esto.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_106" href="#FNanchor_106"><span class="label">[106]</span></a> Hannibal dont la vertu consistoit pour la
-plus grande partie en cruauté.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_107" href="#FNanchor_107"><span class="label">[107]</span></a> Que le successeur
-du Royaume de France soit mâle.</p>
-</div>
-<p class="noindent">De même nature est aux Chinois
-la loy qui defend sur peine de
-mort l’entrée de leur Païs aux
-étrangers ; au Grand Turc la
-coustume de faire mourir tous
-ses parens ; au Roy d’Ormus de
-les aveugler ; à l’Ethiopien de les
-enfermer sur le plus haut coupeau
-d’une montagne inaccessible ;
-l’Ostracisme aux Atheniens ;
-la Matze aux peuples de Valaiz
-en Allemagne ; le Conseil des
-Discoles aux Luquois ; le Lac
-Orfane à Venise ; l’Inquisition
-en Espagne &amp; en Italie, &amp; autres
-semblables loix &amp; façons de faire
-particulieres à chaque nation, qui
-n’ont toutes pour fondement autre
-droit que celuy de l’Estat, &amp;
-neanmoins sont tres-religieusement
-observées, comme estant du
-tout necessaires à la manutention
-&amp; conservation des Estats qui les
-pratiquent.</p>
-
-<p>Finalement la derniere chose
-que nous avons dit cy-dessus devoir
-estre considerée en la Politique,
-est celle des Coups d’Estat,
-qui peuvent marcher sous la même
-definition que nous avons déja
-donnée aux Maximes &amp; à la raison
-d’Estat, <a id="FNanchor_108" href="#Footnote_108" class="fnanchor">[108]</a><i lang="la" xml:lang="la">ut sint excessus juris communis
-propter bonum commune</i>, ou
-pour m’étendre un peu davantage
-en François, <i>des actions hardies
-&amp; extraordinaires que les Princes sont
-contraints d’executer aux affaires difficiles
-&amp; comme desesperées, contre le
-droit commun, sans garder même aucun
-ordre ny forme de justice, hazardant
-l’interest du particulier, pour le
-bien du public</i>. Mais pour les mieux
-distinguer des Maximes, nous
-pouvons encore ajouster, qu’en
-ce qui se fait par Maximes, les
-causes, raisons, manifestes, declarations,
-&amp; toutes les formes &amp;
-façons de legitimer une action,
-precedent les effets &amp; les operations,
-où au contraire és Coups
-d’Estat on void plustost tomber
-le tonnerre qu’on ne l’a entendu
-gronder dans les nuées, <a id="FNanchor_109" href="#Footnote_109" class="fnanchor">[109]</a><i lang="la" xml:lang="la">ante
-ferit quam flamma micet</i>, les matines
-s’y disent auparavant qu’on les
-sonne, l’execution precede la sentence ;
-tout s’y fait à la Judaique ;
-l’on y est pris <a id="FNanchor_110" href="#Footnote_110" class="fnanchor">[110]</a><i lang="la" xml:lang="la">de Gallico</i> sur le
-vert &amp; sans y songer ; tel reçoit
-le coup qui le pensoit donner, tel
-y meurt qui pensoit bien estre en
-seureté, tel en patit qui n’y songeoit
-pas, tout s’y fait de nuit, à
-l’obscur, &amp; parmy les brouillars
-&amp; tenebres, la Deesse Laverne y
-preside, la premiere grace qu’on
-luy demande est,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_111" href="#Footnote_111" class="fnanchor">[111]</a>Da fallere, da sanctum justumque videri,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Noctem peccatis, &amp; fraudibus objice nubem.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Horat.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_108" href="#FNanchor_108"><span class="label">[108]</span></a> Qu’elles sont un excés du droit commun, à
-cause du bien public.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_109" href="#FNanchor_109"><span class="label">[109]</span></a> Il frape avant que d’éclater.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_110" href="#FNanchor_110"><span class="label">[110]</span></a> Selon le proverbe François.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_111" href="#FNanchor_111"><span class="label">[111]</span></a> Fai qu’on se trompe
-&amp; que je paroisse juste &amp; saint, couvre
-mes pechés d’une nuit &amp; mes fraudes d’une
-nuée.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Ils ont toutefois cela de bon que
-la même justice &amp; equité s’y rencontre
-que nous avons dit estre
-dans les Maximes &amp; raisons
-d’Estat ; mais en celles-là il est permis
-de les publier avant le coup,
-&amp; la principale regle de ceux-cy
-est de les tenir cachées jusques à
-la fin. Et qu’ainsi ne soit les executions
-notables du Comte de S.
-Paul sous Louys XI, du Maréchal
-de Biron sous Henry IV,
-du Comte d’Essex sous Isabelle
-Reyne d’Angleterre, du Marquis
-d’Ancre sous le Roy à present regnant,
-des deux freres sous Henry
-III, de Majon sous Guillaume
-premier Roy de Sicile, de David
-Riccio sous Marie Stuart Reine
-d’Escosse, de Spurius Melius Chevalier
-Romain sous Ahala Servilius
-Colonel de la Cavallerie Romaine,
-&amp; de Seianus &amp; Plautian
-sous divers Empereurs ont esté
-toutes aussi legitimes &amp; necessaires
-les unes que les autres, &amp; toutefois
-les trois premieres doivent
-estre rapportées aux Maximes &amp;
-raisons d’Estat, parce que le procés
-fut instruit auparavant l’execution ;
-&amp; toutes les autres aux
-secrets &amp; Coups d’Estat, parce
-que le Procés ne fut fait qu’en
-suite de l’execution. Nous y pouvons
-aussi apporter cette difference,
-que quand bien les formalitez
-auroient precedé l’execution, si
-neanmoins la religion y est grandement
-profanée, comme lors
-que les Venitiens disent, <a id="FNanchor_112" href="#Footnote_112" class="fnanchor">[112]</a><i lang="it" xml:lang="it">somo
-Venetiani, dopo Chrestiani</i> ; qu’un
-Prince Chrestien appelle le Turc
-à son secours ; que Henry VIII
-fit revolter son Royaume contre
-le saint Siege ; que le Duc de Saxe
-fomenta l’Heresie de Luther, que
-Charles de Bourbon prit Rome
-&amp; fut cause de la prison du Pape
-&amp; de la mort de trois Cardinaux :
-ou que l’affaire est du tout extraordinaire
-&amp; de tres-grande consequence
-pour le bien &amp; le mal qui
-en peut arriver ; alors on se peut
-encore servir du terme de Coup
-d’Estat, comme on pourra juger
-par le denombrement suivant de
-quelques-uns, qui ont esté pratiquez,
-non par des Turcs infideles
-ou Canibales ; mais par des
-Princes Chrestiens, tels qu’ont
-esté pour ne point flater ny épargner
-nostre Nation, les Roys de
-France, entre lesquels Clovis premier
-Roy Chrestien, en commit
-de si étranges, &amp; de si éloignez
-de toute sorte de justice, que je
-ne sçay pas quelle pensée a eu le
-bon homme Savaron, de faire un
-livre de sa sainteté : Charles VII
-se contenta de pratiquer celuy de
-Jeanne la Pucelle ; Louys XI viola
-la foy donnée au Connestable,
-trompoit un chacun, sous le voile
-de Religion, &amp; se servoit du
-Prevost l’Hermite pour faire
-mourir beaucoup de personnes
-sans aucune forme de procés ;
-François I fut cause de la descente
-du Turc en Italie, &amp; ne voulut
-observer le traitté fait à Madrit ;
-Charles IX fit faire cette
-memorable execution de la Saint
-Barthelemy, &amp; fit assassiner secretement
-Lignerolles &amp; Bussy ;
-Henry III se défit de Messieurs
-de Guise ; Henry IV fit la Ligue
-offensive &amp; defensive avec les
-Hollandois, pour ne rien dire de
-sa conversion à la Foy Catholique ;
-&amp; Louys le Juste, duquel
-toutes les actions sont des miracles,
-&amp; les Coups d’Estat des effets
-de sa justice, en a pratiqué deux
-notables en la mort du Marquis
-d’Ancre, &amp; au secours des Valtelins.
-Pour les Venitiens s’il est
-vray qu’ils tiennent la maxime rapportée
-cy-dessus, il faut avoüer
-qu’ils demeurent plongez dans un
-continuel Machiavelisme, afin de
-passer sous silence beaucoup d’autres
-qu’ils commettent tous les
-jours : Les Florentins en se réjoüissant
-de la captivité de S.
-Louys en la terre Sainte, ne commirent
-pas un secret d’Estat ; mais
-une action tres-blasmable &amp; honteuse,
-<a id="FNanchor_113" href="#Footnote_113" class="fnanchor">[113]</a><i lang="it" xml:lang="it">e nota</i>, dit le Villani, <i lang="it" xml:lang="it">che
-quando questa novella venne in Firenze
-signoreggiando, Gibellini ne fecero
-festa à grandi fallo</i>. Entre les Papes
-on peut remarquer la prison de
-Celestin, le poison d’Alexandre
-sixiéme, l’assassinat intenté &amp; non
-parfait du fra Paulo, comme preuves
-tres-certaines, qu’ils ne dépoüillent
-pas toute leur humanité
-lors de l’élection. Charles
-d’Anjou Roy de Sicile fit decapiter
-Conradin &amp; Frederic d’Austriche :
-Pierre d’Arragon autorisa
-les Vespres Sicilienes. Alphonse
-Roy de Naples, &amp; Alexandre
-sixiéme eurent recours à Bajazet
-contre les forces de nostre Charles
-VIII : Henry VIII fit revolter
-l’Angleterre contre le saint
-Siege ; Charles V ne tint conte
-d’infeoder le Milanois au Duc
-d’Orleans, comme il avoit promis
-lors qu’il passa par la France ; le
-même pouvant ruiner les Protestans,
-il s’en servit pour nous faire
-la guerre, &amp; les appella ses bandes
-noires ; il détourna ce que
-l’Allemagne avoit contribué pour
-la guerre du Turc à ruiner François
-premier, sa haine contre le
-Roy d’Angleterre à cause de sa
-tante fit roidir Rome contre Henry
-VIII, &amp; donna occasion par
-ce moyen au schisme qui en survint,
-aprés lequel il se ligua avec
-luy, &amp; le fit armer contre le
-Royaume de France : son Lieutenant
-Charles de Bourbon prit
-Rome, &amp; y établit une telle persecution
-contre les Ecclesiastiques,
-<a id="FNanchor_114" href="#Footnote_114" class="fnanchor">[114]</a><i lang="it" xml:lang="it">che non vi era Huomo che havesse
-ardire, di andar per la via in habito
-di chierico, ò di frate</i> : (<span lang="it" xml:lang="it">Il dialogo
-di Charonte.</span>) Bref il se fit de
-son temps, &amp; par son commandement
-un tel carnage d’hommes
-aux Indes, &amp; païs nouvellement
-découverts, qu’il ne s’en est jamais
-fait un pareil. Philippes second
-ne voulut jamais permettre
-que le Pape se meslast de l’affaire
-de Portugal ; &amp; fit pendre tous les
-soldats François, qui allerent au
-secours de Dom Antonio ; &amp; qui
-ne sçait par quels moyens il traversa
-la reduction à l’Eglise de Henry
-IV &amp; sa reconciliation avec le
-saint Siege, il le peut apprendre
-du Cardinal d’Ossat, qui a fort
-bien enregistré dans ses lettres
-tous les artifices qui furent lors
-pratiquez contre nostre Monarchie.
-Or ces exemples tirez de
-l’Histoire de dix ou douze Princes
-seulement, estant en si grand nombre,
-je croy qu’ils pourront aussi
-servir de preuve tres-veritable,
-pour monstrer, qu’encore que les
-écrits de Machiavel soient defendus,
-sa doctrine toutefois ne
-laisse pas d’estre pratiquée, par
-ceux même qui en autorisent la
-censure &amp; la defense.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_112" href="#FNanchor_112"><span class="label">[112]</span></a> Nous sommes Venitiens, &amp; puis Chrestiens.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_113" href="#FNanchor_113"><span class="label">[113]</span></a> Et remarquez que quand cette nouvelle
-vint à Florence, les Gibellins en firent une
-grande réjoüissance, mais mal à propos.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_114" href="#FNanchor_114"><span class="label">[114]</span></a> Qu’il n’y avoit homme qui osast entreprendre
-d’aller par la ruë en habit de Clerc ou
-de religieux.</p>
-</div>
-<p>Mais d’autant qu’aprés avoir
-amplement discouru sur la definition
-des Coups d’Estat, il est aussi
-fort à propos de considerer quelle
-division l’on en peut faire ; il semble
-que la premiere &amp; plus legitime
-est, de les diviser en secrets
-d’Estat justes &amp; injustes, c’est à
-dire en Royaux &amp; Tyranniques ;
-&amp; que l’on peut rapporter aux
-premiers la mort de Plautian, de
-Seianus, du Mareschal d’Ancre,
-comme aux seconds celle de Remus
-&amp; de Conradin.</p>
-
-<p>Mais outre cette division, que
-je croy devoir estre suivie comme
-la principale, on peut encore
-les diviser en ceux qui concernent
-le bien public, &amp; les autres qui
-ne regardent que l’interest particulier
-de ceux qui les entreprennent.
-Hannibal voulant pratiquer
-les premiers, commanda qu’on fist
-mourir ce prisonnier Romain, lequel
-en sa presence avoit combatu
-&amp; surmonté un Elephant, <a id="FNanchor_115" href="#Footnote_115" class="fnanchor">[115]</a><i lang="la" xml:lang="la">dicens
-eum indignum vita qui cogi potuerat
-cum bestiis decertare</i> ; bien qu’il soit
-plus vray-semblable, comme a judicieusement
-remarqué Sarisberiensis,
-<a id="FNanchor_116" href="#Footnote_116" class="fnanchor">[116]</a><i lang="la" xml:lang="la">eum noluisse captivum inauditi
-triumphi gloria illustrari, &amp; infamari
-bestias, quarum virtute terrorem
-orbi incusserat</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Polycrat. cap. 2.
-lib. 1.</span>) Et les Eliens, peuples de la
-Grece, ayant fait venir le sculpteur
-Phidias de la Ville d’Athenes,
-pour leur faire la statuë d’un Jupiter
-Olympien, comme ils virent
-que cette statuë estoit merveilleusement
-bien faite, &amp; que, s’ils
-laissoient retourner Phidias à Athenes
-où il estoit rappellé, il y
-en pourroit faire quelque autre
-qui terniroit la gloire de celle-là ;
-ils l’accuserent de sacrilege, &amp; luy
-ayant coupé les deux mains le renvoyerent
-en tel estat ; <a id="FNanchor_117" href="#Footnote_117" class="fnanchor">[117]</a><i lang="la" xml:lang="la">nec puduit
-illos Jovem debere sacrilegio</i>, dit Seneque :
-&amp; le pauvre Phidias, <a id="FNanchor_118" href="#Footnote_118" class="fnanchor">[118]</a><i lang="la" xml:lang="la">talem
-fecit Jovem, ut hoc ejus opus Elii
-ultimum esse vellent</i>. Quant à ceux
-des particuliers ils ont esté pratiquez
-par tous les Legislateurs &amp;
-nouveaux Prophetes, comme nous
-dirons cy-aprés.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_115" href="#FNanchor_115"><span class="label">[115]</span></a> Disant que celuy qu’on avoit pû contraindre
-ou obliger à se battre contre une beste estoit
-indigne de vivre.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_116" href="#FNanchor_116"><span class="label">[116]</span></a> Qu’il ne voulut pas qu’un
-prisonnier fust honoré de la gloire d’un triomphe
-inouï, &amp; que les bestes, par la vertu desquelles
-il avoit donné de la terreur à tout le
-monde, fussent ainsy diffamées.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_117" href="#FNanchor_117"><span class="label">[117]</span></a> Et ils n’eurent pas honte de devoir Jupiter
-à un sacrilege.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_118" href="#FNanchor_118"><span class="label">[118]</span></a> Fit un tel Jupiter
-que les Eliens voulurent que ce fust son dernier
-ouvrage.</p>
-</div>
-<p>De plus on peut aussi les diviser
-en fortuits ou casuels, comme
-lors que Colomb persuada à
-certains habitans du nouveau
-monde, qu’il leur osteroit la Lune
-(qui se devoit bien-tost eclipser)
-s’ils ne luy fournissoient des
-vivres en abondance ; &amp; en ceux
-qui sont premeditez, &amp; que l’on
-entreprend aprés une meure deliberation,
-pour le bien evident que
-l’on juge en pouvoir avenir, tels
-que sont presque tous ceux desquels
-nous avons parlé.</p>
-
-<p>Il y en a pareillement de simples
-qui se terminent par un seul
-coup, comme la mort de Seianus,
-&amp; de composez qui pour lors sont
-ou suivis, ou precedez de quelques
-autres. Precedez, comme la
-saint Barthelemy de la mort de
-Lignerolle, des nopces du Roy
-de Navarre, &amp; de la blessure de
-l’Admiral ; Suivis, comme l’execution
-du Mareschal d’Ancre, de
-celle de Travail, de sa femme
-la Marquise, &amp; de l’exil de la Reine
-Mere.</p>
-
-<p>De plus il y en a qui se font
-par les Princes, quand la necessité
-&amp; la conjoncture des affaires
-le requierent ainsi, comme sont
-ceux desquels nous pretendons de
-parler seulement en ce discours ; &amp;
-d’autres qui s’executent par leurs
-ministres, lesquels se servent bien
-souvent de l’Autorité de leurs
-Maistres pour conclure beaucoup
-d’affaires, soit pour leur utilité
-particuliere ou celle du public,
-sans neanmoins que le Prince en
-puisse connoistre les premiers ressorts
-ou mouvemens ; ainsi voyons
-nous que l’avancement de Postel
-sous François I, fut un petit Coup
-d’Estat du Chancelier Poyet ; que
-le mauvais rapport, que l’on fit du
-Philosophe Bigot au même Roy,
-en fut un de Castellan Evesque de
-Mascon ; &amp; de nos jours la mort
-de Reboul, la prison de l’Abbé du
-Bois, le Chapeau rouge de Monsieur
-le Cardinal d’Ossat, ont esté
-attribuez à Monsieur de Villeroy ;
-ne plus ne moins que celuy de du
-Perron à Monsieur de Sully, &amp;
-l’execution de Travail à Monsieur
-de Luynes. Mais parce qu’il seroit
-trop long &amp; peut-estre ennuyeux,
-de rapporter icy toutes
-les divisions que l’on peut faire
-sur cette matiere, &amp; que d’ailleurs
-elles sont presque inutiles &amp; superfluës,
-je me contenteray des
-precedentes, &amp; laisseray la liberté
-à un chacun d’en introduire &amp; inventer
-telles autres que bon luy
-semblera.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch3"><span class="sc">Chapitre III.</span><br />
-<span class="i">Avec quelles precautions &amp; en quelles
-occasions on doit pratiquer les
-Coups d’Estat.</span></h2>
-
-
-<p>Je viens maintenant à ce qui est
-de plus essentiel à ce discours,
-&amp; puis que les bons &amp; sages
-Medecins n’ordonnent jamais les
-remedes dangereux &amp; violens,
-sans prescrire quand &amp; quand toutes
-les precautions moyennant lesquelles
-on s’en peut legitimement
-servir ; il faut aussi que je fasse le
-même en cette occasion, &amp; je le feray
-d’autant plus volontiers, que
-ces Coups d’Estat sont comme un
-glaive duquel on peut user &amp; abuser,
-comme la lance de Telephe
-qui peut blesser &amp; guerir, comme
-cette Diane d’Ephese qui avoit
-deux faces, l’une triste &amp; l’autre
-joyeuse ; bref comme ces medailles
-de l’invention des Heretiques,
-qui portent la face d’un Pape &amp;
-d’un diable sous mêmes contours
-&amp; lineamens ; ou bien comme ces
-tableaux qui representent la mort
-&amp; la vie, suivant qu’on les regarde
-d’un costé ou d’autre ; joint que
-c’est le propre de quelque Timon
-seulement, de dresser des gibets
-pour occasioner les hommes de s’y
-pendre ; &amp; que pour moy je defere
-trop à la nature, &amp; aux regles
-de l’humanité qu’elle nous
-prescrit, pour rapporter ces histoires
-afin qu’on les pratique mal à
-propos,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_119" href="#Footnote_119" class="fnanchor">[119]</a>Tam felix utinam, quàm pectore candidus essem :</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Extat adhuc nemo saucius ore meo.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_119" href="#FNanchor_119"><span class="label">[119]</span></a> Plût à Dieu que je fusse aussi heureux que
-j’ay le cœur sincere. Il n’y a encore personne
-que ma bouche ait blessé.</p>
-</div>
-<p class="noindent">C’est pourquoy voulant prescrire
-les regles que l’on doit observer
-pour s’en servir avec honneur, justice,
-utilité, &amp; bien-seance, j’auray
-recours à celles qu’en donne
-Charon (<span lang="la" xml:lang="la">lib. 3. cap. 2.</span>) &amp; mettray
-pour la premiere, que ce soit à la
-defensive &amp; non à l’offensive, à se
-conserver, &amp; non à s’agrandir, à
-se preserver des tromperies, méchancetez,
-&amp; entreprises ou surprises
-dommageables, &amp; non à en
-faire. Le monde est plein d’artifices
-&amp; de malices : <a id="FNanchor_120" href="#Footnote_120" class="fnanchor">[120]</a><i lang="la" xml:lang="la">Per fraudem &amp;
-dolum Regna evertuntur</i>, dit Aristote,
-<i lang="la" xml:lang="la">tu servari per eadem nefas esse vis</i>, ajouste
-Lipse ; il est permis de joüer
-à fin contre fin, &amp; auprés du Renard,
-contrefaire le Renard : Les
-loix nous pardonnent les delits
-que la force nous oblige de commettre :
-<a id="FNanchor_121" href="#Footnote_121" class="fnanchor">[121]</a><i lang="la" xml:lang="la">Insitum est unicuique animanti</i>,
-dit Saluste, <i lang="la" xml:lang="la">ut se vitamque
-tueatur</i> ; &amp; au rapport de Ciceron
-(<span lang="la" xml:lang="la">3. de offic.</span>) <a id="FNanchor_122" href="#Footnote_122" class="fnanchor">[122]</a><i lang="la" xml:lang="la">communis utilitatis derelictio
-contra naturam est</i>, &amp; pour
-lors il est besoin de biaiser quelquefois,
-de s’accommoder au
-temps &amp; aux personnes, de mesler
-le fiel avec le miel, d’appliquer le
-cautere où les corrosifs ne font
-rien, le fer, où le cautere n’a point
-de puissance, &amp; bien souvent le feu
-où le fer manque.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_120" href="#FNanchor_120"><span class="label">[120]</span></a> On renverse les royaumes, par le moyen
-des fraudes &amp; des finesses ; &amp; tu veux qu’il soit
-defendu de les conserver par les mêmes
-moyens.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_121" href="#FNanchor_121"><span class="label">[121]</span></a> C’est de la nature de tous les
-animaux qu’ils se defendent &amp; leur vie aussi.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_122" href="#FNanchor_122"><span class="label">[122]</span></a> L’abandon de l’utilité commune est contre
-la nature.</p>
-</div>
-<p>La seconde, que ce soit pour
-la necessité, ou evidente &amp; importante
-utilité publique de
-l’Estat, ou du Prince, à laquelle
-il faut courir ; c’est une obligation
-necessaire &amp; indispensable,
-c’est toujours estre en son
-devoir que de procurer le bien
-public, <a id="FNanchor_123" href="#Footnote_123" class="fnanchor">[123]</a><i lang="la" xml:lang="la">semper officio fungitur</i>,
-dit Ciceron (<span lang="la" xml:lang="la">ibid.</span>) <i lang="la" xml:lang="la">utilitati hominum
-consulens &amp; societati</i>. Cette
-loy si commune &amp; qui devroit
-estre la principale regle
-de toutes les actions des Princes,
-<a id="FNanchor_124" href="#Footnote_124" class="fnanchor">[124]</a><i lang="la" xml:lang="la">Salus populi suprema lex esto</i>,
-les absout de beaucoup de petites
-circonstances &amp; formalitez, ausquelles
-la justice les oblige : Aussi
-sont-ils maistres des loix pour les
-allonger ou accourcir, confirmer
-ou abolir, non pas suivant ce
-que bon leur semble ; mais selon
-ce que la raison &amp; l’utilité publique
-le permettent : l’honneur du
-Prince, l’amour de la patrie, le
-salut du peuple equipollent bien
-à quelques petites fautes &amp; injustices ;
-&amp; nous appliquerons encore
-le dire du Prophete, si toutefois
-il se peut faire sans rien
-profaner : <a id="FNanchor_125" href="#Footnote_125" class="fnanchor">[125]</a><i lang="la" xml:lang="la">Expedit ut unus Homo
-moriatur pro populo, ne tota gens
-pereat.</i></p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_123" href="#FNanchor_123"><span class="label">[123]</span></a> Celuy qui pourvoit au bien &amp; à la societé
-des hommes fait toujours son devoir.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_124" href="#FNanchor_124"><span class="label">[124]</span></a> Que la conservation du peuple soit la souveraine
-loy.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_125" href="#FNanchor_125"><span class="label">[125]</span></a> Il est necessaire qu’un homme
-meure pour le peuple, afin que toute la
-nation ne perisse pas.</p>
-</div>
-<p>La troisiéme, que l’on marche
-plûtost en ces affaires au petit pas
-qu’au galop, puisque</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_126" href="#Footnote_126" class="fnanchor">[126]</a>Nulla unquam de morte hominis cunctatio longa est.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Claudien.)</p>
-
-<p class="noindent">&amp; que l’on n’en fasse pas mestier
-&amp; marchandise, crainte que le
-trop frequent usage n’attire aprés
-soy l’injustice. L’experience nous
-apprend, que tout ce qui est
-émerveillable &amp; extraordinaire,
-ne se monstre pas tous les
-jours : les Cometes n’apparoissent
-que de siecles en siecles : les
-monstres, les deluges, les incendies
-du Vesuve, les tremblemens
-de terre, n’arrivent que fort rarement,
-&amp; cette rareté donne un
-lustre &amp; une couleur à beaucoup
-de choses, qui le perdent soudain
-que l’on en use trop frequemment,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_127" href="#Footnote_127" class="fnanchor">[127]</a>Vilia sunt nobis, quæcunque prioribus annis</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Vidimus, &amp; sordet quicquid spectavimus olim.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_126" href="#FNanchor_126"><span class="label">[126]</span></a> Il n’y a jamais de retardement qui soit
-long quand il est question de faire mourir un
-homme.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_127" href="#FNanchor_127"><span class="label">[127]</span></a> Nous méprisons tout ce que nous
-avons veu les années passées, &amp; estimons comme
-de la bouë tout ce que nous ayons déja
-veu.</p>
-</div>
-<p class="noindent">J’ajouste que si le Prince se tient
-dans la retenuë de ces pratiques,
-il ne pourra facilement en estre
-blasmé, ny ne passera à cette occasion
-pour tyran, perfide, ou
-barbare, d’autant que l’on ne doit
-proprement donner ces qualitez,
-qu’à ceux qui en ont contracté les
-habitudes, &amp; ces habitudes dépendent
-d’un grand nombre d’actions
-souventefois repetées, <a id="FNanchor_128" href="#Footnote_128" class="fnanchor">[128]</a><i lang="la" xml:lang="la">habitus
-est actus multoties repetitus</i>, tout
-ainsi que la ligne est une suite de
-points, la superficie une multiplication
-de lignes, l’induction
-un amas de plusieurs preuves, &amp;
-le syllogisme un entre-las de diverses
-propositions.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_128" href="#FNanchor_128"><span class="label">[128]</span></a> L’habitude est un acte reïteré par plusieurs
-fois.</p>
-</div>
-<p>La quatriéme, que l’on choisisse
-toujours les moyens les plus
-doux &amp; faciles, &amp; que l’on prenne
-garde au precepte que donne
-Claudien à l’Empereur Honorius,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i2 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_129" href="#Footnote_129" class="fnanchor">[129]</a>Metii satiabere pœnis ?</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Triste rigor nimius.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(de 4. Consul.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_129" href="#FNanchor_129"><span class="label">[129]</span></a> Te contenteras-tu de la punition de Metius ?
-C’est une chose triste que la trop grande
-rigueur.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Il n’appartient qu’à des tyrans
-de dire, <a id="FNanchor_130" href="#Footnote_130" class="fnanchor">[130]</a><i lang="la" xml:lang="la">sentiat se mori</i>, &amp; qu’à
-des diables de se plaire aux tourmens
-des hommes ; il ne faut pas
-imiter en ces actions les chevaux
-des Courses Olympiques,
-lesquels on ne pouvoit plus retenir
-lors qu’une fois ils avoient
-pris carriere, il y faut proceder
-en juge, &amp; non comme partie ;
-en Medecin, &amp; non pas en bourreau ;
-en homme retenu, prudent,
-sage, &amp; discret, &amp; non
-pas en colere, vindicatif &amp; abandonné
-à des passions extraordinaires
-&amp; violentes : cette belle vertu
-de Clemence,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_131" href="#Footnote_131" class="fnanchor">[131]</a>Quæ docet ut pœnis hominum, vel sanguine pasci,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Turpe ferumque putes.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_130" href="#FNanchor_130"><span class="label">[130]</span></a> Qu’il se sente mourir.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_131" href="#FNanchor_131"><span class="label">[131]</span></a> Qui enseigne à estimer sale &amp; cruël, de
-se repaitre des tourmens &amp; du sang des humains.</p>
-</div>
-<p class="noindent">est toujours plus estimée que la
-rigueur &amp; severité ; la masse d’Hercules,
-disent les Poëtes, luy avoit
-esté donnée pour vaincre les
-Geans, punir les tyrans, &amp; exterminer
-les monstres, &amp; neanmoins
-elle estoit faite de la fourche d’un
-olivier, en symbole de paix &amp; de
-tranquillité ; l’on peut souventefois
-remedier à un grand arbre
-qui s’en va mourant, en taillant
-seulement quelques-unes de ses
-branches ; &amp; une simple seignée
-faite à propos, rompt bien souvent
-le cours à de grandes maladies ;
-bref il faut imiter les bons
-Chirurgiens qui commencent
-toujours par les operations les plus
-faciles à supporter ; &amp; les Juifs
-qui donnoient certains breuvages
-aux condamnez à mort pour leur
-oster les sentimens, &amp; la douleur du
-supplice ; la seule teste de Seianus
-devoit contenter Tibere ; Hannibal
-pouvoit bien rendre tous
-ses captifs inutiles à la guerre sans
-les tuer ; le Sac de Rome eut esté
-moins odieux, si l’on eust porté
-plus de respect aux temples &amp; à
-leurs ministres ; &amp; le Marquis
-d’Ancre n’eut pas esté moins
-justement puny, quand on ne
-l’eust point traisné &amp; dechiré.
-<a id="FNanchor_132" href="#Footnote_132" class="fnanchor">[132]</a><i lang="la" xml:lang="la">Illos crudeles vocabo</i>, dit Seneque
-(<span lang="la" xml:lang="la">de clem. cap. 4.</span>) <i lang="la" xml:lang="la">qui puniendi causam
-habent, modum non habent.</i></p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_132" href="#FNanchor_132"><span class="label">[132]</span></a> J’appelleray ceux-là cruëls qui ont des
-raisons de punir, mais qui ne peuvent suivre
-de regles, &amp; qui n’ont point de moderation.</p>
-</div>
-<p>La cinquiéme, que pour justifier
-ces actions, &amp; diminuer le
-blâme qu’elles ont accoustumé
-d’apporter quand &amp; soy, lors que
-les Princes se trouvent reduits &amp;
-necessitez de les prattiquer, ils
-ne les fassent qu’à regret, &amp; en
-souspirant, comme le pere qui
-fait cauteriser ou couper un membre
-à son enfant pour luy sauver
-la vie, ou luy arracher une dent
-pour avoir du repos ; c’est ce que
-le Poëte Claudien n’oublie pas en
-la description qu’il fait d’un bon
-Prince :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_133" href="#Footnote_133" class="fnanchor">[133]</a>Sit piger ad pœnas Princeps, ad præmia velox,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Quique dolet quoties cogitur esse ferox.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_133" href="#FNanchor_133"><span class="label">[133]</span></a> Que le Prince soit lent au chastiment &amp;
-prompt aux recompenses ; &amp; qu’il ait du regret
-quand il est contraint à estre severe &amp; rigoureux.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Il faut doncques retarder, ou au
-moins ne precipiter ces executions,
-les mascher &amp; ruminer souvent
-dans son esprit, s’imaginer tous les
-moyens possibles pour les gauchir
-&amp; éviter si faire se peut, si non
-pour les adoucir &amp; faciliter ; &amp;
-en un mot ne s’y point resoudre,
-qu’avec autant de difficulté que
-feroit un homme attaqué sur mer
-par la tempeste, à sacrifier tout
-son bien à la fureur de cet Element,
-ou un malade à se voir couper
-la jambe.</p>
-
-<p>Aussi n’est-ce pas mon intention
-de finir icy le nombre de ces
-precautions par quelqu’une, que
-l’on puisse croire estre la derniere
-de celles qu’il y faut observer :
-l’ajouste qui voudra à ses écrits,
-pour moy je ne la mettray jamais
-aux miens, n’estimant pas raisonnable,
-de prescrire des fins &amp; des
-limites à la clemence &amp; humanité ;
-qu’elle étende ses bornes si loing
-qu’elle voudra, elles me sembleront
-toujours trop courtes &amp; resserrées.
-Quand on n’a point peur
-que son cheval bronche on luy
-peut lascher la bride asseurément ;
-lors que le vent est bon on peut
-deployer toutes les voiles ; on ne
-doit borner les vertus que par les
-vices qui leur sont contraires, &amp;
-tant qu’elles s’en éloignent assez
-pour n’y point tomber, on n’a
-que faire de les retenir. Il est bien
-vray qu’elles n’ont pas leur carriere
-si franche au sujet que nous
-traitons maintenant, comme en
-beaucoup d’autres, mais aussi sera-ce
-assez que le Prince qui ne peut
-estre du tout bon, le soit à demy,
-&amp; que celuy qui par une raison
-superieure ne peut estre du tout
-juste, ne soit pas aussi du tout
-cruel, injuste &amp; meschant. Mais
-quand bien nous n’aurions que
-ces cinq regles &amp; precautions,
-je croy, qu’elles sont suffisantes
-de faire juger à ceux qui
-auront tant soit peu d’esprit &amp;
-d’inclination au bien, ce qui sera
-de la raison, &amp; encore que
-je ne les eusse point specifiées,
-la discretion toutefois &amp; le jugement
-des hommes sages ne permettent
-pas qu’ils les puissent
-ignorer, veu que</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_134" href="#Footnote_134" class="fnanchor">[134]</a>Quid faciat, quid non, homini prudentia monstrat.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Paling. in Virgine.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_134" href="#FNanchor_134"><span class="label">[134]</span></a> La Prudence montre à l’homme ce qu’il
-doit ou ce qu’il ne doit pas faire.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Aussi est-ce bien mon intention
-que de toutes les Histoires que j’ay
-rapportées cy-dessus &amp; que je cotteray
-encore dans la suite de ce
-discours, celles-là passent seulement
-pour legitimes, lesquelles
-estant appliquées à ces cinq regles
-ou à celles de la prudence en
-general, se rencontreront conformes
-à ce qui sera du droit &amp; de la
-raison.</p>
-
-<p>Mais toutes les maximes &amp;
-precautions susdites ne servant
-que pour nous rendre mieux instruits
-&amp; disposez à l’execution de
-ces Coups d’Estat, il faut maintenant
-voir en quelles rencontres &amp;
-occasions on les peut pratiquer.
-Charon sans faire semblant de rien
-en propose 4 ou 5 dans son livre
-de la sagesse (<span lang="la" xml:lang="la">l. 3. c. 2.</span>) mais brievement
-<a id="FNanchor_135" href="#Footnote_135" class="fnanchor">[135]</a><i lang="it" xml:lang="it">à la sfugita</i>, &amp; faisant
-comme les Scythes qui décochent
-leurs meilleures fléches lors qu’ils
-semblent fuïr le plus fort. Je les
-étendray davantage par raisons &amp;
-exemples, &amp; y en ajouteray beaucoup
-d’autres, qui serviront comme
-de titres, ausquels on pourra
-rapporter celles qui se rencontreront
-aprés dans les Auteurs &amp;
-Historiens.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_135" href="#FNanchor_135"><span class="label">[135]</span></a> A la dérobée.</p>
-</div>
-<p>Or entre ces occasions il n’y a
-point de doute qu’on doit faire
-marcher les premieres, quoy qu’elles
-soient à mon avis les plus injustes,
-celles qui se rencontrent
-en l’établissement &amp; nouvelle erection
-ou changement des Royaumes
-&amp; Principautez : Et pour parler
-premierement de l’erection,
-si nous considerons quels ont esté
-les commencemens de toutes les
-Monarchies, nous trouverons toujours
-qu’elles ont commencé par
-quelques-unes de ces inventions &amp;
-supercheries, en faisant marcher la
-Religion &amp; les miracles en teste
-d’une longue suite de barbaries &amp;
-de cruautez. C’est Tite Live (<span lang="la" xml:lang="la">l. 4.
-decad. 1.</span>) qui en a le premier fait la
-remarque : <a id="FNanchor_136" href="#Footnote_136" class="fnanchor">[136]</a><i lang="la" xml:lang="la">Datur</i>, dit-il, <i lang="la" xml:lang="la">hæc venia
-antiquitati, ut miscendo humana divinis,
-primordia urbium augustiora faciat</i>.
-Ce que nous montrerons cy-aprés
-estre tres-veritable, mais
-pour cette heure, il nous faut demeurer
-dans le general, &amp; commencer
-nostre preuve par l’établissement
-des quatre premieres &amp;
-plus grandes Monarchies du monde.
-Cette tant renommée Reyne
-Semiramis qui fonda l’Empire des
-Assyriens, fut assez industrieuse
-pour persuader à ses peuples,
-qu’ayant esté exposée en son enfance,
-les oiseaux avoient eu
-le soin de la nourrir, luy apportant
-la becquée comme ils
-ont coustume de faire à leurs petits :
-&amp; voulant encore confirmer
-cette fable par les dernieres
-actions de sa vie, elle ordonna
-qu’on feroit courir le bruit aprés
-sa mort qu’elle avoit esté convertie
-en pigeon, &amp; qu’elle s’estoit
-envolée, avec une grande quantité
-d’oiseaux qui l’estoient venu
-querir jusques dans sa chambre.
-Elle eut encore la resolution de
-feindre &amp; changer son sexe, &amp;
-de femme qu’elle estoit devenir
-masle, joüant le personnage de son
-fils Ninus, &amp; le contrefaisant en
-toutes ses actions : &amp; pour mieux
-venir à bout de cette entreprise,
-elle s’avisa d’introduire une nouvelle
-sorte de vestemens parmy
-le peuple, qui estoient grandement
-favorables à couvrir &amp; cacher
-ce qui pouvoit le plus facilement
-la faire reconnoistre pour
-femme. <a id="FNanchor_137" href="#Footnote_137" class="fnanchor">[137]</a><i lang="la" xml:lang="la">Brachia enim ac crura velamentis,
-caput tiara tegit, &amp; ne novo
-habitu aliquid occultare videretur, eodem
-ornatu populum vestiri jubet, quem
-morem vestis exinde gens universa tenet</i>,
-&amp; par ce moyen, <a id="FNanchor_138" href="#Footnote_138" class="fnanchor">[138]</a><i lang="la" xml:lang="la">primis initiis
-sexum mentita, puer credita est</i>.
-(<span lang="la" xml:lang="la">Just. initio.</span>) Cyrus qui établit
-la Monarchie des Perses, voulut
-aussi s’autoriser par la vigne que
-son grand pere Astyages avoit
-veu naistre <a id="FNanchor_139" href="#Footnote_139" class="fnanchor">[139]</a><i lang="la" xml:lang="la">ex naturalibus filiæ,
-cujus palmite omnis Asia obumbrabatur</i> ;
-&amp; du songe que luy-même eut
-lors qu’il prit les armes, &amp; qu’il
-choisit un esclave pour compagnon
-de toutes ses entreprises ;
-mais il faisoit encore mieux valoir
-l’opinion qu’une chienne l’avoit
-nourry &amp; alaité dans les bois, où
-il avoit esté exposé par Harpago,
-jusques à ce qu’un Pasteur l’ayant
-rencontré fortuitement, il le porta
-à sa femme, &amp; le fit soigneusement
-nourrir dans sa maison. Pour
-Alexandre &amp; Romulus, comme
-leurs desseins estoient plus relevez,
-aussi jugerent-ils qu’il estoit
-necessaire de prattiquer davantage
-&amp; de beaucoup plus puissans
-stratagemes. C’est pourquoy encore
-qu’ils commençassent aussi-bien
-que les precedens par celuy
-de leur origine, ils le porterent
-toutefois le plus haut qu’il se pouvoit
-faire, d’où Sidonius a eu occasion
-de dire,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_140" href="#Footnote_140" class="fnanchor">[140]</a>Magnus Alexander, nec non Romanus habentur</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Concepti serpente Deo.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_136" href="#FNanchor_136"><span class="label">[136]</span></a> On permet à l’Antiquité qu’en mélant
-des choses humaines parmy les divines, elle
-rende plus augustes les commencemens des
-villes.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_137" href="#FNanchor_137"><span class="label">[137]</span></a> Car elle couvrit ses bras &amp; ses jambes
-d’une robe, &amp; la teste d’un turban ; &amp; afin
-qu’elle ne semblast pas cacher quelque chose
-sous ce nouvel habit, elle ordonna que tout
-son peuple en prist de semblables, laquelle mode
-ce peuple garde encore.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_138" href="#FNanchor_138"><span class="label">[138]</span></a> Au commencement
-s’estant travestie elle fut prise pour un
-garçon.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_139" href="#FNanchor_139"><span class="label">[139]</span></a> De sa fille, dont l’ombre des sarmens
-couvroit toute l’Asie.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_140" href="#FNanchor_140"><span class="label">[140]</span></a> Le grand Alexandre &amp; le Romain sont
-estimés avoir esté conceus d’un serpent &amp; d’un
-Dieu.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Car pour Alexandre il fit croire
-que Jupiter avoit accoustumé de
-venir voir &amp; de se réjouïr avec sa
-mere Olympias sous la figure d’un
-serpent, &amp; que lors qu’il vint au
-monde, la Déesse Diane assista si
-assiduement aux couches de ladite
-Olympias, qu’elle ne songea pas à
-secourir le temple qu’elle avoit en
-Ephese, lequel dans cet intervalle
-fut entierement consommé, par
-un fortuït embrasement. Quoy
-plus, afin de mieux établir l’opinion
-de sa divinité dans la croyance
-de ses sujets, il disposa les Prestres
-de Jupiter Ammon en Egypte,
-<a id="FNanchor_141" href="#Footnote_141" class="fnanchor">[141]</a><i lang="la" xml:lang="la">ut ingredientem templum statim
-ut Ammonis filium salutarent</i> ;
-(<span lang="la" xml:lang="la">Justin. l. 11.</span>) &amp; pour mieux joüer
-encore son personnage, <a id="FNanchor_142" href="#Footnote_142" class="fnanchor">[142]</a><i lang="la" xml:lang="la">Rogat
-num omnes patris sui interfectores sit
-ultus, respondent patrem ejus, nec posse
-interfici, nec mori</i> ; il en vint même
-aux effets, commandant à Parmenion
-de démolir tous les temples,
-&amp; d’abolir les honneurs que
-les peuples de l’Orient rendoient
-à Jason, <a id="FNanchor_143" href="#Footnote_143" class="fnanchor">[143]</a><i lang="la" xml:lang="la">ne cujusquam nomen in
-Oriente venerabilius quam Alexandri
-esset</i>. Ajoustons à cela que certains
-captifs luy ayant donné la connoissance
-du remede dont on se
-pouvoit servir contre les fléches
-empoisonnées des Indiens, il fit
-croire auparavant que de le publier,
-que Dieu le luy avoit revelé
-en songe. Mais cette insatiable
-cupidité l’ayant conduit jusques
-à se faire adorer, il reconnut
-enfin par les remonstrances de
-Callisthenes, par l’obstination des
-Lacedemoniens, &amp; par les blessures
-qu’il recevoit tous les jours en
-combatant, que toutes ses forces
-ne seroient jamais suffisantes pour
-pouvoir établir cette nouvelle
-Apotheose, &amp; qu’il faut une plus
-grande fortune pour gagner une
-petite place dans le ciel, que pour
-dompter icy bas &amp; dominer toute
-la terre. Que si l’on veut ajouster
-à ces histoires celles de la
-mort de son Pere Philippe, de laquelle
-il fut consentant avec sa
-mere Olympias, &amp; celle aussi de
-Clytus, qu’il tua de sa propre main,
-parce qu’il s’estoit acquis trop
-d’autorité entre les soldats, l’on
-trouvera qu’Alexandre pratiquoit
-en secret ce que Cesar a fait depuis
-tout ouvertement, <a id="FNanchor_144" href="#Footnote_144" class="fnanchor">[144]</a><i lang="la" xml:lang="la">si violandum
-est jus, regnandi causa</i>. Quant
-à Romulus, il se mit en credit par
-les histoires du Dieu Mars, qui
-pratiquoit familierement avec sa
-mere Rhea ; par celle de la Louve
-qui le nourrit ; par la tromperie
-des Vautours, la mort de son frere,
-l’Asile qu’il établit à Rome,
-le ravissement des Sabines, le
-meurtre de Tatius qu’il laissa impuny,
-&amp; finalement par la mort en
-se noyant dans des marests, pour
-faire croire que son corps avoit
-esté enlevé dans les cieux, puis
-qu’on ne le pouvoit trouver en terre.
-Or si l’on ajouste à ces Coups
-d’Estat de Romulus, ceux que
-Numa Pompilius son successeur
-prattiqua au moyen de sa nymphe
-Egerie, &amp; des superstitions qu’il
-établit pendant son Regne, il sera
-facile en suite de juger,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_145" href="#Footnote_145" class="fnanchor">[145]</a>Quibus auspiciis illa inclita Roma</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Imperium Terris animos æquavit Olympo.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virgil.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_141" href="#FNanchor_141"><span class="label">[141]</span></a> Que dés qu’il entreroit au temple ils le
-salüassent comme le fils de Jupiter Ammon.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_142" href="#FNanchor_142"><span class="label">[142]</span></a> Il demanda s’il ne s’estoit pas vengé de tous
-les meurtriers de son pere, &amp; ils répondirent
-que son pere ne pouvoit ni estre tué ni mourir.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_143" href="#FNanchor_143"><span class="label">[143]</span></a> Afin qu’il n’y eût point de nom en Orient
-plus venerable que celuy d’Alexandre.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_144" href="#FNanchor_144"><span class="label">[144]</span></a> S’il faut violer le droit, c’est pour regner.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_145" href="#FNanchor_145"><span class="label">[145]</span></a> Par quelle fortune cette fameuse Rome, a
-maistrisé toute la terre, &amp; a porté son ambition
-aussi haut que l’Olympe.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Il est encore à propos de remarquer,
-que tout ainsi que cette domination
-Monarchique ne s’estoit
-pû établir sans beaucoup de ruses
-&amp; de tromperies, il n’en fallut
-aussi gueres moins pour la détruire,
-lors que les Tarquins estant
-chassez de Rome à cause du violement
-de Lucresse, on changea l’Estat
-d’un Royaume en celuy d’une
-Republique. Car nous y pouvons
-premierement remarquer la
-folie simulée de Junius Brutus, sa
-cheute feinte, son baston de sureau
-presenté à l’oracle, &amp; en suite
-l’execution qu’il fit faire de ses
-deux fils, tant parce qu’ils estoient
-amys des Tarquins, &amp; accusez de
-les avoir voulu remettre dans la
-ville, qu’aussi parce que l’education
-qu’ils avoient receuë durant
-l’Estat Monarchique, estoit directement
-contraire à celuy qu’il
-vouloit établir : &amp; pour couronner
-toutes ces actions par quelque
-grand Coup d’Estat, &amp; par
-un vray <a id="FNanchor_146" href="#Footnote_146" class="fnanchor">[146]</a><i lang="la" xml:lang="la">arcanum Imperii</i>, il fit
-chasser de Rome Tarquinius Collatinus,
-quoy qu’il fust mary de
-Lucresse, qu’il eust esté son compagnon
-au Consulat, &amp; qu’il
-n’eust pas moins contribué que
-luy à la ruine des Tarquins : car
-quoy qu’il prist pour pretexte que
-le nom des Tarquins estoit devenu
-si odieux aux Romains, qu’ils
-ne pouvoient pas même le souffrir
-en la personne de leurs amis ;
-son principal but neanmoins estoit
-de ne laisser aucun reste de ceux
-qu’il avoit poussez jusques à la
-derniere extremité, &amp; aussi de ne
-partager la gloire de cette action
-avec une personne dont luy-même
-avoüoit &amp; publioit le merite :
-<a id="FNanchor_147" href="#Footnote_147" class="fnanchor">[147]</a><i lang="la" xml:lang="la">Meminimus, fatemur, ejecisti Reges,
-absolve beneficium tuum, aufer
-hinc regium nomen</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">ap. Liv. l. 2.</span>)
-Que si nous voulions examiner
-toutes les autres Monarchies &amp;
-tous les Estats qui sont inferieurs
-à ces quatre, nous pourrions emplir
-un gros volume de semblables
-histoires. C’est pourquoy ce
-sera assez pour la derniere preuve
-de nostre maxime, d’examiner ce
-que pratiqua Mahomet, à l’établissement
-non moins de sa Religion,
-que de l’Empire lequel est
-aujourd’huy le plus puissant du
-monde. Certes comme tous les
-grands esprits (<i lang="la" xml:lang="la">Postellus &amp; alii</i>) ont
-toujours eu l’industrie de prendre
-avantage des plus signalées
-disgraces qui leur sont arrivées,
-cettuy-cy pareillement voulut faire
-de même ; de façon que voyant
-qu’il estoit fort sujet à tomber du
-haut mal, il s’avisa de faire croire
-à ses amis que les plus violens
-paroxismes de son epilepsie,
-estoient autant d’extases &amp; de signes
-de l’esprit de Dieu qui
-descendoit en luy ; il leur persuada
-aussi qu’un pigeon blanc qui
-venoit manger des grains de bled
-dans son oreille, estoit l’Ange
-Gabriel qui luy venoit annoncer
-de la part du même Dieu ce qu’il
-avoit à faire : En suite de cela il
-se servit du Moine Sergius pour
-composer un Alcoran, qu’il feignoit
-luy estre dicté de la propre
-bouche de Dieu ; finalement il
-attira un fameux Astrologue pour
-disposer les peuples par les predictions
-qu’il faisoit du changement
-d’Estat qui devoit arriver, &amp; de
-la nouvelle loy qu’un grand Prophete
-devoit établir, à recevoir
-plus facilement la sienne lors qu’il
-viendroit à la publier. Mais s’estant
-une fois apperceu que son
-Secretaire Abdala Ben-salon, contre
-lequel il s’estoit picqué à tort,
-commençoit à découvrir &amp; publier
-telles impostures, il l’égorgea
-un soir dans sa maison, &amp; fit
-mettre le feu aux quatre coins,
-avec intention de persuader le
-lendemain au peuple que cela
-estoit arrivé par le feu du Ciel,
-&amp; pour chastier ledit Secretaire
-qui s’estoit efforcé de changer &amp;
-corrompre quelques passages de
-l’Alcoran. Ce n’estoit pas toutefois
-à cette finesse que devoient
-aboutir toutes les autres, il en falloit
-encore une qui achevast le
-mystere, &amp; ce fut qu’il persuada au
-plus fidelle de ses domestiques, de
-descendre au fond d’un puits qui
-estoit proche d’un grand chemin,
-afin de crier lors qu’il passeroit en
-compagnie d’une grande multitude
-de peuple qui le suivoit ordinairement,
-<i>Mahomet est le bien-aymé
-de Dieu, Mahomet est le bien-aymé
-de Dieu</i> : &amp; cela estant arrivé de
-la façon qu’il avoit proposé, il
-remercia soudain la divine bonté
-d’un témoignage si remarquable,
-&amp; pria tout le peuple qui le suivoit
-de combler à l’heure même
-ce puits, &amp; de bastir au dessus une
-petite Mosquée pour marque d’un
-tel miracle. Et par cette invention
-ce pauvre domestique fut incontinent
-assommé, &amp; ensevely
-sous une gresle de cailloux, qui
-luy osterent bien le moyen de jamais
-découvrir la fausseté de ce
-miracle,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_148" href="#Footnote_148" class="fnanchor">[148]</a>Excepit sed terra sonum, calamique loquaces.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Petron. in Epigram.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_146" href="#FNanchor_146"><span class="label">[146]</span></a> Secret d’Empire.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_147" href="#FNanchor_147"><span class="label">[147]</span></a> Il nous en souvient, nous le confessons,
-tu as chassé les Roys, paracheve cette bonne
-action, &amp; oste d’icy le nom royal.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_148" href="#FNanchor_148"><span class="label">[148]</span></a> Mais la terre &amp; les plumes babillardes en
-receurent le son.</p>
-</div>
-<p class="noindent">La seconde occasion que l’on peut
-avoir de pratiquer ces coups fourrez,
-est la conservation, ou rétablissement,
-&amp; restauration des
-Estats &amp; Principautez, lors que
-par quelque malheur ou par la
-seule longueur du temps, qui mine
-&amp; consomme toutes choses, ils
-commencent à pancher vers leur
-ruine, &amp; à menacer d’une prochaine
-cheute, si bien-tost l’on n’y
-donne ordre. Et certes d’autant
-plus que toutes les choses ayment
-leur conservation, &amp; sont obligées
-de maintenir autant qu’il est possible
-les principes de leur estre,
-ou au moins de leur bien estre ; je
-me persuade aussi qu’il est alors
-permis, voire même necessaire que
-ce qui a servy à les établir, serve
-aussi à les maintenir. J’ajouste
-encore que si l’opinion d’Ovide
-est veritable,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_149" href="#Footnote_149" class="fnanchor">[149]</a>Non minor est virtus quàm quærere parta tueri :</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Casus inest illic, hic erit artis opus,</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_149" href="#FNanchor_149"><span class="label">[149]</span></a> Il n’y a pas moins de vertu à conserver
-qu’à aquerir du bien : en celui-cy il y a de la
-fortune, mais celui-là est une œuvre de l’industrie.</p>
-</div>
-<p class="noindent">on doit raisonnablement conclure,
-que ces Coups d’Estat sont plus
-necessaires pour la conservation
-&amp; manutention des Monarchies,
-que pour leur établissement ; au
-moins seront-ils plus justes, puis
-que auparavant qu’un Estat soit
-formé &amp; dressé, il n’y a nulle necessité
-de l’établir ; tant s’en faut,
-c’est le plus souvent un coup de
-hazard, ou l’effet de la puissance
-&amp; ambition de quelque particulier ;
-mais au contraire quand il
-est étably &amp; policé, l’on est en suite
-obligé de le maintenir. Or puis
-qu’il ne seroit pas à propos de
-ressembler à ces vagabonds &amp; Cingaristes,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_150" href="#Footnote_150" class="fnanchor">[150]</a>Quos aliena juvant, propriis habitare molestum.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_150" href="#FNanchor_150"><span class="label">[150]</span></a> Qui se plaisant chés autruy, ne sçauroient
-demeurer dans leur propre maison.</p>
-</div>
-<p class="noindent">aprés avoir tiré tant de preuves
-&amp; d’exemples des Histoires étrangeres,
-il ne sera pas comme je croy
-hors de propos de feüilleter un
-peu la nostre, puis qu’elle peut
-nous en fournir d’aussi remarquables
-que celles des Grecs &amp; des
-Romains. Et à la verité quand je
-considere ce que fit Clovis nostre
-premier Roy Chrestien, il faut
-avoüer que je n’ay encore rien
-veu de semblable en toute l’antiquité.
-Car la Gaule se trouvant
-divisée lorsqu’il vint à la Couronne
-en quatre diverses nations,
-dont le Visigoth possedoit la
-Gascogne, le Bourguignon estoit
-Maistre du Lionnois, les Romains
-commandoient à Soissons &amp; à toutes
-ses appartenances, &amp; les François
-qui pour lors estoient encore
-presque tous Payens, gouvernoient
-le demeurant : Il luy prit envie de
-reünir &amp; rassembler ces quatre
-pieces separées sous son Empire,
-comme Esculape fit les membres
-d’Hippolyte. Et pour ce faire,
-considerant que la Religion
-Payenne commençoit insensiblement
-à vieillir, &amp; à se diminuer,
-aprés avoir gagné la bataille de
-Tolbiac sur un Prince Allemand,
-il prit resolution de se faire Chrestien,
-&amp; de se concilier par ce
-moyen la bienveillance non seulement
-de la Reyne Clothilde sa
-femme, mais encore de beaucoup
-de Prelats, &amp; de tout le commun
-peuple de la France. Surquoy je
-dois remarquer comme en passant,
-qu’encore qu’il me seroit
-plus seant de rapporter les premiers
-motifs d’un changement si
-remarquable à quelque sainte inspiration,
-octroyée au Roy Clovis
-par les prieres de la bonne
-Reyne Clothilde, &amp; que je ferois
-mieux d’interpreter toutes ces
-choses douteuses en bien ; il faut
-neanmoins que je me range icy
-du costé des Politiques, qui seuls
-ont le privilege de les interpreter
-en mal, ou au moins d’y remarquer
-quelque ruse &amp; stratageme,
-afin de demeurer toujours du
-costé des plus fins, &amp; d’aiguiser
-l’esprit de ceux qu’ils instruisent
-par le recit de ces actions remarquables
-&amp; judicieuses à la verité,
-mais qui ne sont fondées le plus
-souvent que sur de vaines conjectures,
-&amp; sur des soupçons qui ne
-donnent &amp; ne peuvent en aucune
-façon prejudicier à la verité de
-l’Histoire. Continuant doncques
-à parler de cette conversion de
-Clovis suivant les sentiments de
-Pasquier, &amp; de quelques autres
-Politiques, nous dirons que l’Escu
-descendu du Ciel, les miracles du
-Sacre, &amp; l’Auriflamb, dont Paul
-Emile ne dit mot, furent de
-petits Coups d’Estat pour autoriser
-le changement de Religion,
-duquel il se vouloit servir comme
-d’une puissante machine pour
-ruiner tous les petits Princes qui
-estoient ses voisins. Et en effet il
-commença par le Romain, contre
-lequel la haine commune des
-nations étrangeres combatoit, puis
-par le Visigoth &amp; Bourguignon,
-sous ombre qu’ils estoient Arriens,
-&amp; ensuite il entreprit les
-Princes Ragnacaire, Cacarie, Sigebert
-&amp; son fils, descendans de
-Clodion, qui occupoient encore
-quelques petits échantillons de la
-France ; &amp; il les fit tous frauduleusement
-assassiner, sans autre
-pretexte que pour eviter le ressentiment
-qu’ils pourroient avoir un
-jour du tort que leur avoit fait
-Merové son ayeul. Et aprés cela
-je laisse à juger comme j’ay déja
-fait cy-dessus, quelle raison a
-pû avoir Monsieur Savaron de
-faire un livre afin de prouver &amp;
-établir la sainteté de Clovis. Pour
-moy je croy que la meilleure
-preuve qu’il nous en pouvoit
-donner, estoit de luy faire dire
-comme fit un certain Poëte à Scipion,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_151" href="#Footnote_151" class="fnanchor">[151]</a>Si fas cædendo cælestia scandere cuiquam,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Mi soli Cæli maxima porta patet.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_151" href="#FNanchor_151"><span class="label">[151]</span></a> Si par des meurtres on peut monter au
-ciel, la porte n’en est ouverte qu’à moy seul.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Neanmoins comme la sagesse des
-hommes n’est que pure folie devant
-Dieu, il arriva que ses successeurs
-se laissant conduire par
-les Maires du Palais comme des
-bufles par le nez, le Royaume
-aprés avoir changé de diverses
-mains, aboutit finalement à Pepin
-rejetton de la famille de Clodion,
-comme il est fort bien expliqué
-par Pasquier ; &amp; ainsi Clovis
-augmenta à la verité, &amp; unit
-le Royaume de France, mais il
-ne put toutefois le conserver
-long-temps à sa maison, ny à ceux
-qui en sont descendus. La France
-doncques ayant esté reünie de
-la sorte par Clovis, &amp; un peu
-aprés baucoup augmentée par
-Charlemagne, elle se conserva
-long-temps en un estat assez florissant,
-jusques à ce que les Anglois
-sortant de leur nid, ils y apporterent
-la guerre, &amp; la continuerent
-si obstinément, qu’en
-estant presque devenus maistres,
-il fut necessaire sous Charles VII,
-d’avoir recours à quelque Coup
-d’Estat pour les en chasser : ce
-fut doncques à celuy de Jeanne la
-Pucelle, lequel est avoüé pour
-tel par Juste Lipse en ses Politiques,
-&amp; par quelques autres
-Historiens étrangers, mais particulierement
-par deux des nostres,
-sçavoir du Bellay Langey en son
-art militaire, &amp; par du Haillan
-en son Histoire, pour ne citer icy
-beaucoup d’autres Ecrivains de
-moindre consideration. Or ce
-Coup d’Estat ayant si heureusement
-reüssi que chacun sçait, &amp; la
-Pucelle n’ayant esté brulée qu’en
-effigie, nos affaires commencerent
-un peu aprés à s’empirer,
-tant par les guerres precedentes,
-que par celles qui vinrent ensuite,
-&amp; la France devint comme
-ces corps cachectiques &amp; mal sains
-qui ne respirent que par industrie,
-&amp; ne se soustiennent que par la
-vertu des remedes : car elle ne
-s’est depuis ce temps là maintenuë
-que par le moyen des stratagemes
-pratiquez par Louïs XI,
-François I, Charles IX, &amp; par
-ceux encore qui leur ont succedé,
-desquels je ne diray rien presentement,
-puis que toutes nos
-Histoires en sont pleines, &amp; qu’il
-y aura lieu cy-aprés de rapporter
-ceux qui me sembleront les plus
-remarquables.</p>
-
-<p>La troisiéme raison qui peut
-legitimer ces Coups d’Estat, est
-lors qu’il s’agit d’affoiblir ou casser
-certains droits, privileges, franchises
-&amp; exemptions dont joüissent
-quelques sujets au prejudice &amp; diminution
-de l’autorité du Prince ;
-comme lors que Charles V, voulant
-ruiner le droit de l’élection, &amp;
-asseurer l’Empire à sa famille, se
-servit pour cet effet des predications
-de Luther, &amp; luy donna
-tout loisir d’établir sa doctrine,
-afin que sa predication prenant
-pied en Allemagne, la division se
-glissast parmy les Princes Electeurs,
-&amp; qu’il eust le moyen de
-les ruiner plus facilement, lors
-qu’il les voudroit entreprendre.
-C’est ce que Monsieur le Duc de
-Nevers a si bien remarqué dans le
-Discours qu’il fit imprimer en
-l’an 1590, sur la condition des
-affaires de l’Estat, dedié au Pape
-Sixte cinquiéme, que je ne puis
-moins faire que de rapporter icy
-les propres termes dont il s’est
-servy. <i>Le pretexte de la Religion</i>,
-dit-il, <i>n’est pas une chose nouvelle, &amp;
-beaucoup de grands Princes s’en sont
-servis pour cuider parvenir à leur but.
-Je veux cotter la guerre que Charles V
-fit contre les Princes Protestans de la
-secte de Luther, car il ne l’eust jamais
-entrepris, s’il n’eust eu intention de
-rendre hereditaire à la Maison d’Austriche
-la Couronne Imperiale ; partant
-il s’attaqua aux Princes Electeurs de
-l’Empire pour les ruiner &amp; abolir cette
-élection. Car si le zele de l’honneur de
-Dieu, &amp; le desir de soustenir la sainte
-Religion Catholique eust dominé son
-esprit, il n’eust retardé depuis l’an <span class="rm">1519</span>,
-qu’il fut éleu Empereur, jusques en
-l’année <span class="rm">1549</span>, à prendre les armes
-pour éteindre, comme il luy eust esté
-lors fort aisé à faire, l’heresie que Luther
-commença d’allumer dés l’an <span class="rm">1526</span>
-en Allemagne, sans attendre qu’elle eust
-embrasé la plus grande region de l’Europe :
-mais parce qu’il estimoit que telle
-nouveauté luy pourroit apporter commodité
-plus que dommage ; tant à l’endroit
-du Pape que des Princes de Germanie,
-à cause de la division que cette
-heresie engendroit parmy eux, specialement
-entre les Princes seculiers &amp; les
-autres, voire aussi parmy les simples
-laics, il la laissa augmenter jusques à
-ce qu’elle eust produit l’effet qu’il avoit
-projetté ; &amp; lors il suscita le Pape Paul
-troisiéme pour faire la guerre aux Protestans
-sous pretexte de Religion, mais
-en intention de les exterminer &amp; rendre
-l’Empire hereditaire à sa Maison.</i> Cela
-fut aussi remarqué par François
-premier en son Apologie de l’an
-1537. <i>L’Empereur sous couleur de la
-Religion armé de la ligue des Catholiques,
-veut opprimer l’autre, &amp; se faire
-le chemin à la Monarchie</i> : C’estoit
-à la verité une grande ruse conceuë
-de longue-main, avec beaucoup
-de jugement &amp; de prudence.
-Mais Philippe second en pratiqua une
-autre, de laquelle l’effet fut
-bien plus prompt &amp; asseuré, quoy
-qu’en chose de moindre consequence,
-puis qu’elle n’avoit autre
-but que d’abolir les privileges
-octroyez autrefois au Royaume
-d’Arragon, qui estoient en effet
-si avantageux, &amp; si courageusement
-maintenus par ce peuple,
-que les Roys d’Espagne ne se pouvoient
-pas vanter de leur commander
-absolument : voyant doncques
-qu’il se presentoit une belle
-occasion de les ruiner, sur ce
-que Antonio Perez son Secretaire
-d’Estat &amp; leur compatriote, aprés
-avoir rompu les prisons de Castille
-s’estoit retiré en Arragon, pour
-asseurer sa vie sous la faveur des Privileges
-octroyez à ce Royaume :
-il jugea que c’estoit un beau
-pretexte pour se tirer une telle
-épine du pied : c’est pourquoy
-ayant sous main pratiqué les Jesuites
-afin qu’ils excitassent le peuple
-à prendre les armes, &amp; à defendre
-les privileges &amp; libertez du
-païs, luy de son costé met ensemble
-une grosse armée, &amp; fait mine
-de vouloir combattre celle des
-Arragonois ; sur ces entrefaites les
-Jesuites commencent à joüer leur
-jeu, &amp; à chanter la palinodie, remonstrant
-au peuple que veritablement
-le Roy avoit la raison de
-son costé, que ses forces estoient
-trop puissantes, les leurs trop foibles
-pour attendre le hazard de
-quelque rencontre, aprés laquelle
-il n’y auroit point de pardon ;
-bref ils font si bien que la peur &amp;
-l’étonnement se glissent dans le
-cœur des Arragonois, leur armée
-se dissipe, chacun s’étonne, s’enfuit,
-se cache, &amp; cependant l’armée
-du Roy d’Espagne passe outre,
-entre dedans Sarragosse, y
-bastit une Citadelle, demolit les
-maisons principales, fait mourir
-les uns, bannit les autres ; &amp; n’oublie
-rien pour ruiner &amp; dompter
-entierement cette Province, laquelle
-est maintenant plus sujette
-&amp; soumise au Roy d’Espagne
-qu’aucune autre.</p>
-
-<p>Au contraire lors qu’il faut établir
-quelque loy notable, quelque
-reglement ou arrest de consequence,
-il est bon de se servir des
-mêmes moyens, &amp; d’avoir recours
-à ces maximes ; &amp; qu’ainsi ne soit
-nous en avons tant d’exemples
-pratiquez par les Romains, &amp;
-autres peuples estimez des plus sages,
-qu’il n’est pas même bien-seant
-d’en douter : Y a-t-il rien de
-plus cruël que de decimer toute
-une legion, pour la fuite ou lascheté
-de quelques soldats particuliers ?
-&amp; neanmoins cette loy fut
-établie &amp; soigneusement observée
-par les Romains, afin de tenir tous
-les soldats en leur devoir par la
-terreur de ces supplices. Et les
-mêmes Romains, voulant empescher
-les attentats que les esclaves
-domestiques pouvoient faire
-sur la vie de leurs Maistres, ils
-ordonnerent, que lors qu’un tel
-delit auroit esté commis en quelque
-maison, tous les esclaves qui
-s’y rencontreroient seroient égorgez
-aux funerailles de leur Maistre ;
-&amp; cette loy fut si religieusement
-observée, que Pedanius Prefect de
-la ville ayant esté tué par un de
-ses esclaves, il y en eut 400 de
-compte fait qui furent executez,
-nonobstant les intercessions que
-fit pour eux tout le peuple de Rome,
-&amp; nonobstant même l’avis
-de quelques Senateurs, ausquels
-Cassius s’opposa ouvertement, &amp;
-avec tant de raisons, que l’opinion
-contraire, quoy que jugée totalement
-inhumaine, fut suivie, comme
-il est rapporté par Tacite. (<i lang="la" xml:lang="la">l. <span class="rm">4</span>.
-Annal.</i>) Aussi est-ce le precepte
-de Ciceron, (<i lang="la" xml:lang="la"><span class="rm">1</span>. Officior.</i>) que
-<a id="FNanchor_152" href="#Footnote_152" class="fnanchor">[152]</a><i lang="la" xml:lang="la">ita probanda est mansuetudo atque clementia,
-ut Reipublicæ causa adhibeatur
-severitas, sine qua administrari civitas
-non potest</i>. Les Perses avoient
-anciennement étably cette loy
-pour asseurer la vie de leur Prince,
-que quiconque entreprenoit
-sur elle, n’estoit pas seulement
-puny en sa personne, mais en celle
-de tous ses parens, que l’on
-faisoit mourir du même supplice,
-comme on le remarque particulierement
-de Bessus ; &amp; Fernand
-Pinto dit avoir esté en un Royaume,
-où il vit pratiquer la même
-coustume, sur plus de cinquante
-ou soixante personnes, qui
-estoient toutes parentes d’un jeune
-Page, lequel en l’âge de dix
-ou douze ans avoit bien eu la hardiesse
-de tuër son Roy. Le grand
-Tamerlan ayant sceu qu’un soldat
-de son armée avoit beu une
-chopine de laict sans l’avoir voulu
-payer, il le fit éventrer en presence
-de tous ses compagnons,
-afin de les tenir par cet exemple
-si extraordinaire, dans l’obeïssance
-de ses commandemens. Les
-crimes de fausse monoye &amp; d’heresie
-n’estoient pas plus griefs il
-y a cent ans qu’à cette heure, &amp;
-neanmoins en ce temps-là, les
-Faux Monoyeurs estoient bouillis
-tout vifs dans de l’huile, &amp; les
-Heretiques brulez, le tout non
-à autre fin, que pour imprimer la
-terreur de ces supplices, és esprits
-de ceux que la simple defense du
-Prince n’estoit pas suffisante de retenir
-en leur devoir, <a id="FNanchor_153" href="#Footnote_153" class="fnanchor">[153]</a><i lang="la" xml:lang="la">&amp; sic multorum
-saluti potiùs quàm libidini consulendum</i>.
-(<span lang="la" xml:lang="la">Salust. ad Cæsar.</span>)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_152" href="#FNanchor_152"><span class="label">[152]</span></a> Il faut user de douceur &amp; de clemence
-en la temperant de quelque severité pour le
-bien public, sans laquelle on ne sçauroit gouverner
-une ville.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_153" href="#FNanchor_153"><span class="label">[153]</span></a> Et ainsy il faut plustost pourvoir au salut de
-plusieurs, qu’à leur appetit particulier.</p>
-</div>
-<p>Une autre occasion de demeurer
-roide en l’execution de ces
-maximes, est lors qu’il est necessaire
-de ruiner quelque puissance,
-laquelle pour estre trop grande,
-nombreuse, ou étenduë en divers
-lieux, on ne peut pas facilement
-abatre par les voyes ordinaires,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_154" href="#Footnote_154" class="fnanchor">[154]</a>Cùm illam</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Defendat numerus, junctæque umbone phalanges.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_154" href="#FNanchor_154"><span class="label">[154]</span></a> Parce qu’elle est defenduë par des troupes nombreuses
-&amp; par des regimens armés.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et quoy qu’il fut grandement à
-desirer que l’on pust en venir toujours
-aussi facilement à bout, que
-les Roys d’Espagne ont fait des
-Morisques &amp; Marans, qu’ils chasserent
-par deux fois de leurs
-Royaumes, jusques au nombre
-de plus de deux cens quarante
-mille familles, &amp; ce en vertu d’un
-simple Edict &amp; Commandement :
-Neanmoins parce que toutes les
-affaires ne sont pas semblables en
-leurs circonstances, ny les maladies
-accompagnées de mêmes symptomes
-ou accidens ; aussi faut-il
-bien souvent changer de remedes,
-&amp; en pratiquer quelquefois
-de plus violens les uns que les autres,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_155" href="#Footnote_155" class="fnanchor">[155]</a>Ulcera possessis altè suffusa medullis,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Non leviore manu, ferro curantur &amp; igne ;</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ad vivum penetrant flammæ, quo funditus humor</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Defluat, &amp; vacuis corrupto sanguine venis</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Arescat fons ille mali.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Claudian. 3. in Eutrop.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_155" href="#FNanchor_155"><span class="label">[155]</span></a> On guerit par le fer &amp; le feu, &amp; non par
-quelque remede doux, les ulceres qui se sont
-attachés au plus profond des mouëlles ; les flammes
-penetrant jusques au vif, font entierement
-evacuer l’humeur peccante, &amp; tarir ensuite la
-cause du mal, ayant tiré tout ce qu’il y avoit de
-mauvais sang dans les veines.</p>
-</div>
-<p class="noindent">La main basse que Mithridates fit
-faire en un seul jour sur quarante
-mille Citoyens Romains épandus
-en divers endroits de l’Asie, estoit
-un des Coups d’Estat dont je pretens
-parler. Comme aussi les Vespres
-Sicilienes, autorisées par Pierre
-Roy d’Arragon, &amp; subtilement
-tramées par Prochyte grand Seigneur
-du païs, lequel déguisé en
-Cordelier noüa si bien la partie,
-qu’un jour de Pasques ou de
-Pentecoste de l’an <small>M CC LXXXII</small>,
-lors qu’on sonnoit le premier
-coup des vespres, les Siciliens
-massacrerent tous les François
-qui estoient dans leur Isle, sans
-même pardonner aux femmes
-ny aux petits enfans. Pareille histoire
-se passa encore il n’y a
-pas vingt ans dans l’Isle de Magna,
-où les habitans de la ville de
-Corme, se delivrerent par un semblable
-moyen, &amp; en une seule
-nuit d’une armée de trente mille
-hommes, qui y avoit esté envoyée
-par Arcomat Lieutenant
-du Roy de Perse. Mais puis que
-nous avons dans nostre Histoire
-de France l’exemple de la Saint
-Barthelemy, qui est un des plus
-signalez que l’on puisse trouver
-en aucune autre, il nous y faut
-particulierement arrester, pour la
-considerer suivant toutes ses principales
-circonstances. Elle fut
-doncques entreprise par la Reyne
-Catherine de Medicis, offensée
-de la mort du Capitaine Charry ;
-par Monsieur de Guise, qui vouloit
-venger l’assassinat de son Pere,
-commis par Poltrot à la sollicitation
-de l’Amiral &amp; des Protestans ;
-&amp; par le Roy Charles &amp;
-le Duc d’Anjou ; le premier se
-voulant vanger de la retraite que
-lesdits Protestans luy firent faire
-plus viste qu’il ne vouloit de
-Meaux à Paris, &amp; tous deux pensant
-de pouvoir par ce moyen ruiner
-les Huguenots, qui avoient
-esté cause de tous les troubles &amp;
-massacres survenus pendant l’espace
-de trente ou quarante ans en
-ce Royaume. L’affaire fut concertée
-fort long-temps, &amp; avec
-une telle resolution de la tenir secrete,
-que Lignerolles Gentilhomme
-du Duc d’Anjou, ayant
-témoigné au Roy, encore bien
-que couvertement, d’en sçavoir
-quelque chose, il fut incontinent
-aprés dépesché, par un duel que
-le Roy même sous main luy suscita.
-Le lieu choisi pour y attirer
-tous les plus riches &amp; autorisez
-d’entre les Huguenots fut Paris.
-L’occasion fut prise sur la réjoüissance
-des noces entre le Roy de
-Navarre, qui estoit de la Religion,
-&amp; la Reyne Marguerite.
-La blessure de l’Amiral causée
-par le Duc de Guise son ancien
-ennemy, fut le commencement
-de la tragedie : les moyens de
-l’executer en faisant venir douze
-cens Arquebusiers, &amp; les compagnies
-des Suisses à Paris furent
-mêmement approuvez par l’Amiral,
-sur la croyance qu’il eut
-que c’estoit pour le defendre contre
-la Maison de Lorraine : bref
-tout fut si bien disposé, que l’on
-ne manque en chose quelconque
-sinon en l’execution, à laquelle
-si on eust procedé rigoureusement
-il faut avoüer que c’eust
-esté le plus hardy Coup d’Estat,
-&amp; le plus subtilement conduit,
-que l’on ait jamais pratiqué en
-France ou en autre lieu. Certes
-pour moy, encore que la Saint
-Barthelemy soit à cette heure également
-condamnée par les Protestans
-&amp; par les Catholiques,
-&amp; que Monsieur de Thou nous
-ait rapporté l’opinion que son pere
-&amp; luy en avoient par ces vers de
-Stace,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_156" href="#Footnote_156" class="fnanchor">[156]</a>Occidat illa dies ævo, neu postera credant</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Sæcula ; nos certè taceamus, &amp; obruta multa</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Nocte, tegi propriæ patiamur crimina gentis.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_156" href="#FNanchor_156"><span class="label">[156]</span></a> Qu’il ne se parle jamais plus de ce jour,
-&amp; que les siecles avenir ne croyent point
-qu’il ait esté ; &amp; pour nous gardons le silence
-&amp; couvrons les crimes de nostre propre nation,
-les ensevelissant dans des profondes tenebres.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Je ne craindray point toutefois de
-dire que ce fut une action tres-juste,
-&amp; tres-remarquable, &amp; dont
-la cause estoit plus que legitime,
-quoy que les effets en ayent esté
-bien dangereux &amp; extraordinaires.
-C’est une grande lascheté ce
-me semble à tant d’Historiens
-François d’avoir abandonné la
-cause du Roy Charles IX, &amp; de
-n’avoir monstré le juste sujet qu’il
-avoit eu de se défaire de l’Amiral
-&amp; de ses complices : on luy
-avoit fait son procés quelques années
-auparavant, &amp; ce fameux
-arrest estoit intervenu en suite,
-qui fut traduit en huit langues,
-&amp; intimé ou signifié, si l’on peut
-ainsi dire, à toutes ses troupes ;
-on avoit donné un second arrest
-en explication du premier, &amp; tous
-les Protestans avoient esté si souvent
-declarez criminels de leze
-Majesté, qu’il y avoit un grand
-sujet de loüer cette action, comme
-le seul remede aux guerres qui
-ont esté depuis ce temps-là, &amp; qui
-suivront peut-estre jusques à la fin
-de nostre Monarchie, si l’on n’eust
-point manqué à l’axiome de Cardan,
-qui dit : <a id="FNanchor_157" href="#Footnote_157" class="fnanchor">[157]</a><i lang="la" xml:lang="la">Nunquam tentabis,
-ut non perficias.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">in Proxen.</span>) Il
-falloit imiter les Chirurgiens experts,
-qui pendant que la veine est
-ouverte, tirent du sang jusques
-aux defaillances, pour nettoyer les
-corps cacochymes de leurs mauvaises
-humeurs. Ce n’est rien de
-bien partir si l’on ne fournit la carriere :
-le prix est au bout de la lice,
-&amp; la fin regle toujours le commencement.
-On me pourra toutefois
-objecter qu’il y a trois circonstances
-à cette action qui la
-rendent extremement odieuse à la
-posterité. La premiere que le
-procedé n’en a pas esté legitime,
-la seconde que l’effusion de sang
-y a esté trop grande, &amp; la derniere
-que beaucoup d’innocens ont
-esté envelopez avec les coupables.
-Mais pour y satisfaire je répondray
-à ce qui est de la premiere,
-qu’il faut entendre là-dessus nos
-Theologiens lors qu’ils traittent
-<a id="FNanchor_158" href="#Footnote_158" class="fnanchor">[158]</a><i lang="la" xml:lang="la">de fide Hæreticis servanda</i>, &amp; cependant
-je diray de mon chef,
-que les Huguenots nous l’ayant
-rompuë plusieurs fois, &amp; s’estant
-efforcez de surprendre le Roy
-Charles, à Meaux &amp; ailleurs, on
-pouvoit bien leur rendre la pareille ;
-&amp; puis ne lisons nous pas
-dans Platon (<i lang="la" xml:lang="la"><span class="rm">5</span>. de Rep.</i>) que ceux
-qui commandent, c’est à dire les
-Souverains, peuvent quelquefois
-fourber &amp; mentir quand il en doit
-arriver un bien notable à leurs
-sujets ? Or pouvoit-il arriver un
-plus grand bien à la France, que
-celuy de la ruine totale des Protestans ?
-Certes ils nous la baillerent
-si belle par leur peu de jugement,
-que c’eust presque esté une pareille
-faute à nous de les manquer,
-comme à l’Amiral de s’estre venu
-enfermer avec toute la fleur
-de son party, dans la plus grande
-ville &amp; la plus ennemie qu’il
-pust avoir, sans se défier de la
-Reyne mere, à laquelle il avoit tué
-Charry, de ceux de Lorraine desquels
-il avoit fait assassiner le Pere,
-&amp; du Roy qu’il avoit fait galloper
-depuis Meaux jusques à Paris.
-Ne sçavoit-il pas que sa Religion
-estant haïe aux personnes
-mêmement les plus douces &amp; traitables,
-elle ne pouvoit estre qu’abominée
-&amp; detestée en la sienne,
-&amp; en celle de tant de coupejarets
-desquels il estoit ordinairement
-accompagné ? D’ailleurs le bruit
-qu’on fit courir en même temps
-qu’ils avoient entrepris de nous
-traitter comme on les traitta incontinent
-aprés leur dessein découvert,
-ne pouvoit-il pas estre
-veritable ? beaucoup le tiennent
-pour tres-asseuré, &amp; pour moy
-j’estime qu’excepté les Politiques,
-chacun le peut tenir pour constant.
-Quant à ce qui est de l’effusion
-de sang qu’on dit y avoir
-esté prodigieuse, elle n’égaloit pas
-celle des journées de Coutras, de
-Saint Denys, de Moncontour, ny
-tant d’autres tuëries, desquelles ils
-avoient esté cause. Et quiconque
-lira dans les Histoires, que les habitans
-de Cesarée tuërent quatre-vingts
-mille Juifs en un jour ;
-qu’il en mourut un million deux
-cens quarante mille en sept ans
-dans la Judée ; que Cesar se vante
-dans Pline d’avoir fait mourir
-un million cent nonante &amp; deux
-mille hommes en ses guerres étrangeres ;
-&amp; Pompée encore davantage ;
-que Quintus Fabius envoya
-des Colonies en l’autre monde,
-de 100000 Gaulois, Caius
-Marius de 200000 Cimbres,
-Charles Martel de 300000 Theutons ;
-que 2000 Chevaliers Romains,
-&amp; 300 Senateurs, furent
-immolez à la passion du Triumvirat,
-quatre legions entieres à
-celle de Sylla, 40000 Romains à
-celle de Mithridate ; que Sempronius
-Gracchus ruina 300 villes
-en Espagne, &amp; les Espagnols
-toutes celles du Nouveau monde,
-avec plus de 7 ou 8 millions d’habitans :
-Qui considerera, dis-je, toutes
-ces sanglantes tragedies, une
-bonne partie desquelles se trouve
-enregistrée dans le traitté de la
-Constance de Juste Lipse, il aura
-assez de quoy s’étonner parmy
-tant de barbaries, &amp; de croire aussi
-que celle de la Saint Barthelemy
-n’a pas esté des plus grandes, quoy
-qu’elle fust une des plus justes &amp;
-necessaires. Pour la troisiéme difficulté
-elle semble assez considerable,
-veu que beaucoup de Catholiques
-furent enveloppez dans
-la même tempeste, &amp; servirent de
-curée à la vengeance de leurs ennemis ;
-mais il ne faut que la maxime
-de Crassus dans Tacite (<i lang="la" xml:lang="la">Annal.
-<span class="rm">14</span>.</i>) pour luy fournir en deux
-mots de réponse, <a id="FNanchor_159" href="#Footnote_159" class="fnanchor">[159]</a><i lang="la" xml:lang="la">habet aliquid ex
-iniquo omne magnum exemplum, quod
-contra singulos utilitate publica rependit</i>.
-D’où vient doncques que cette
-action, puis qu’elle estoit si legitime
-&amp; raisonnable, a neanmoins
-esté &amp; est encore tellement
-blâmée &amp; décriée ; pour moy,
-j’en attribue la premiere cause à
-ce qu’elle n’a esté faite qu’à demy,
-car les Huguenots qui sont
-restez, auroient mauvaise grace
-de l’approuver, &amp; beaucoup de
-Catholiques qui voient bien
-qu’elle n’a de rien servy, ne se
-peuvent empescher de dire, qu’on
-se pouvoit bien passer de l’entreprendre,
-puis que l’on ne la vouloit
-pas achever ; où au contraire
-si l’on eust fait main basse sur
-tous les Heretiques, il n’en resteroit
-maintenant aucun au moins
-en France pour la blâmer, &amp; les
-Catholiques pareillement n’auroient
-pas sujet de le faire, voyant
-le grand repos &amp; le grand bien
-qu’elle leur auroit apporté. La
-seconde raison est, que suivant le
-dire du Poëte,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_160" href="#Footnote_160" class="fnanchor">[160]</a>Segnius irritant animos demissa per aures,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_157" href="#FNanchor_157"><span class="label">[157]</span></a> Il ne faut jamais rien entreprendre si on
-ne le veut achever.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_158" href="#FNanchor_158"><span class="label">[158]</span></a> De la foy qu’on doit tenir aux heretiques.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_159" href="#FNanchor_159"><span class="label">[159]</span></a> Tout grand exemple a quelque chose
-d’injuste, qui est recompensé envers les particuliers
-par l’utilité publique qu’il procure.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_160" href="#FNanchor_160"><span class="label">[160]</span></a> Ce qu’on dit doucement à l’oreille irrite
-bien plus lentement les esprits, que ce qu’on
-voit d’un œil fidelle.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Aussi voyons nous qu’on ne parle
-pas en si mauvais termes de cette
-execution en Italie &amp; aux autres
-Royaumes étrangers, comme l’on
-fait en France, où elle a esté
-faite, au milieu de Paris, &amp; en
-presence d’un million de personnes ;
-&amp; qu’ainsi ne soit les Polonois,
-qui en receurent l’histoire &amp;
-le narré particulier, de la part même
-des plus seditieux &amp; depitez
-Ministres, pendant que l’Evêque
-de Valence briguoit leurs suffrages
-pour l’élection de Henry III,
-ne firent pas grande difficulté de
-les luy accorder, parce qu’ils sçavoient
-bien, qu’il ne faut pas juger
-du naturel d’un Prince, sur
-le seul pied de quelque action
-extraordinaire &amp; violente, à laquelle
-il aura esté forcé par de
-tres-justes &amp; puissantes raisons
-d’Estat. J’ajouste que cette action
-n’est pas encore beaucoup éloignée
-de nostre memoire ; Que la
-pluspart de nos Histoires ont esté
-faites depuis ce temps-là par des
-Huguenots, &amp; enfin que nous en
-avons la description si ample, &amp;
-si particuliere dans les Memoires
-de Charles IX, l’Histoire de Beze,
-les Martyrologes, &amp; beaucoup
-d’autres livres composez à dessein
-par les Protestans, pour condamner
-cette action, que rien n’y
-estant oublié de tout ce qui la
-peut rendre blâmable &amp; odieuse,
-il ne se peut pas faire aussi, que
-ceux qui entendent la deposition
-de ces témoins corrompus, ne
-soient de leur opinion ; quoy que
-tous ceux qui la dépoüillent de
-ces petites circonstances, &amp; qui en
-veulent juger sans passion, soient
-d’un sentiment contraire. Au reste
-personne ne peut nier, qu’il ne
-soit mort tant de factieux, &amp; de
-personnes de commandement à la
-journée de la Saint Barthelemy,
-que depuis ce temps-là les Huguenots
-n’ont pû faire des armées
-d’eux-mêmes ; &amp; que ce coup
-n’ait rompu toutes les intelligences,
-toutes les cabales &amp; menées
-qu’ils avoient tant au dedans qu’au
-dehors du Royaume, &amp; qu’enfin
-ce n’ait esté peu de chose de tous
-leurs plus grands efforts, lors qu’ils
-n’ont point esté soustenus par les
-broüilleries &amp; seditions des Catholiques.
-Il est vray aussi comme
-quelques Politiques ont remarqué,
-que la même journée a
-esté cause d’un mal, duquel on
-ne se pouvoit jamais douter, car
-toutes les villes qui firent la Saint
-Barthelemy, &amp; qui tuerent les
-Huguenots pour obeïr au Roy,
-&amp; chercher les moyens de mettre
-le Royaume en paix, ont esté les
-premieres à commencer la ligue,
-sur ce qu’elles craignoient, &amp; non
-sans raison, que le Roy de Navarre,
-qui estoit Huguenot, venant à la
-Couronne, il n’en voulust faire
-quelque ressentiment ; &amp; par ce
-moyen l’on peut dire que la Saint
-Barthelemy, pour n’avoir pas esté
-executée comme il falloit, non
-seulement n’appaisa pas la guerre
-au sujet de laquelle elle avoit esté
-faite, mais en excita une autre encore
-plus dangereuse.</p>
-
-<p>De plus lors qu’il est question
-d’autoriser un homme, &amp; l’affaire
-dont il se mesle, de mettre en credit
-quelque Prince, de gagner
-quelqu’un, ou de le porter &amp; encourager
-à quelque resolution
-importante ; je croy que pour
-venir plus facilement à bout de
-ces choses on peut y mesler les
-stratagemes &amp; les ruses d’Estat.
-Ainsi voyons nous que tous les
-Anciens Legislateurs voulant autoriser,
-affermir, &amp; bien fonder
-les loix qu’ils donnoient à leurs
-peuples, ils n’ont point eu de
-meilleur moyen de le faire,
-qu’en publiant &amp; faisant croire
-avec toute l’industrie possible
-qu’ils les avoient receües de quelque
-Divinité, Zoroastre d’Oromasis,
-Trismegiste de Mercure,
-Zamolxis de Vesta, Charondas
-de Saturne, Minos de Jupiter,
-Lycurgue d’Apollon, Draco &amp;
-Solon de Minerve, Numa de
-la Nymphe Egerie, Mahomet
-de l’Ange Gabriel ; &amp; Moyse,
-qui a esté le plus sage de tous,
-nous décrit en l’Exode comme
-il receut la sienne immediatement
-de Dieu. En consideration de quoy
-combien que le Regne des
-Juifs soit entierement ruïné &amp;
-aboly, <a id="FNanchor_161" href="#Footnote_161" class="fnanchor">[161]</a><i lang="la" xml:lang="la">mansit tamen</i>, dit Campanella
-(<span lang="la" xml:lang="la">in aphorism. Polit.</span>) <i lang="la" xml:lang="la">religio
-Mosaïca cum superstitione in Hebræis &amp;
-Mahumetanis, &amp; cum reformatione præclarissima
-in Christianis</i>. C’est comme
-je croy, ce qui a donné sujet
-à Cardan de conseiller aux Princes,
-qui pour estre peu avantagez
-de naissance ou dépourveus d’argent,
-de Partisans, de forces militaires,
-&amp; de soldats, ne peuvent
-gouverner leurs Estats avec assez
-de splendeur &amp; d’autorité, de
-s’appuyer de la Religion, comme
-firent autrefois &amp; fort heureusement
-David, Numa, &amp; Vespasien.
-Philippe II Roy d’Espagne
-ayant esté un des plus sages Princes
-de son temps, s’avisa aussi
-d’une fort belle ruse pour autoriser
-de bonne heure son fils parmy
-les peuples à qui il devoit un
-jour commander. Car il fit un
-Edict qui estoit grandement prejudiciable
-à ses sujets, faisant courir
-le bruit qu’il le vouloit publier
-&amp; verifier de jour à autre,
-de quoy le peuple commence à
-murmurer &amp; à se plaindre ; luy
-neanmoins persiste en sa resolution,
-laquelle est pareillement suivie
-des plaintes redoublées de son
-peuple : enfin le bruit en vient
-aux oreilles de l’Infant, qui promet
-d’assister le peuple, &amp; d’empescher
-par tous moyens possibles
-que cet Edict ne soit publié,
-menaçant à cet effet ceux qui voudroient
-entreprendre de l’executer,
-&amp; n’oubliant rien de ce qui
-pouvoit découvrir l’affection qu’il
-avoit à delivrer le peuple de cette
-oppression : de maniere que le
-Roy Philippe venant à rachever
-son jeu, &amp; à ne plus parler de
-l’Edict, chacun s’imagina que
-l’opposition du jeune Prince avoit
-esté la seule cause de le faire supprimer ;
-&amp; par cette invention son
-Pere luy fit gagner un empire dans
-le cœur &amp; dans l’affection des
-Espagnols, qui estoit beaucoup
-plus asseuré, que celuy qu’il avoit
-sur les Espagnes : <a id="FNanchor_162" href="#Footnote_162" class="fnanchor">[162]</a><i lang="la" xml:lang="la">longe enim valentior
-est amor ad obtinendum quod
-velis, quàm timor</i>, dit Pline le jeune.
-(<i lang="la" xml:lang="la"><span class="rm">8</span>. epist.</i>) Bref si nous prenons
-garde aux moyens que l’on pratiqua
-pour convertir Henry IV
-à la Religion Catholique, &amp; pour
-l’y confirmer, nous trouverons
-que ç’a esté une action conduite
-avec beaucoup d’esprit &amp; d’industrie.
-Car encore que nous la
-devions tenir pour tres-veritable
-&amp; asseurée, comme en effet tant de
-témoignages qu’il en a rendus tout
-le temps de sa vie, ne permettent
-pas à personne de pouvoir douter
-qu’elle ne fust telle. Si toutefois
-nous voulons nous donner cette
-liberté de la considerer en Politique,
-nous pouvons facilement y
-remarquer trois choses, sçavoir les
-motifs de sa conversion, qui ne furent
-autres que l’obstinée resistance
-de Monsieur du Maine, lequel
-pour cette occasion est qualifié
-dans les memoires de Tavanes, <i>seul
-auteur aprés Dieu de la conversion de
-Henry IV</i>, &amp; la verité est qu’il n’avoit
-tenu qu’à luy de traiter tres-avantageusement,
-lors que sa
-Majesté n’estoit encore convertie :
-Mais soit que Dieu eust fortifié
-son zele, ou que les esperances
-mondaines l’eussent charmé,
-il se reduisit comme dit l’Italien
-<i lang="it" xml:lang="it">al verde</i>, &amp; ne faisant rien pour soy,
-il fit beaucoup pour la France. On
-met aussi entre les motifs de cette
-conversion le conseil donné au
-Roy par Monsieur de Sully, l’un
-des principaux &amp; des mieux sensez
-Huguenots de son armée, <i>que la
-Couronne de France valoit bien la peine
-d’entendre une Messe</i>. Pour ce qui est
-des circonstances de la conversion,
-il s’y en passa deux fort remarquables ;
-la premiere que le
-Roy fut instruit &amp; catechisé non
-par quelque Theologien bigot ou
-superstitieux qui luy eust peut-estre
-rendu l’entrée de nos Eglises
-semblable à ces portiques &amp;
-vestibules, de qui le Poëte a dit,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_163" href="#Footnote_163" class="fnanchor">[163]</a>Centauri in foribus stabulant, scyllæque biformes.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_161" href="#FNanchor_161"><span class="label">[161]</span></a> Toutefois la religion Mosaïque est restée
-avec superstition parmy les Juifs &amp; les Mahometans,
-&amp; avec une tres-belle reformation
-parmy les Chrestiens.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_162" href="#FNanchor_162"><span class="label">[162]</span></a> Car l’amour est infiniment plus puissant
-que la crainte, pour nous faire obtenir quelque
-chose.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_163" href="#FNanchor_163"><span class="label">[163]</span></a> Il y a des Centaures aux Portes, &amp; des Scylles
-à deux formes.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Mais par René Benoist Docteur
-en Theologie, &amp; Curé de la paroisse
-de S. Eustache, lequel, si l’on
-en peut juger suivant le commun
-bruit, &amp; ce qui se passa à l’article
-de sa mort, n’estoit ny Catholique
-trop zelé, ny Huguenot obstiné.
-D’où vient que maniant
-dextrement la conscience du Roy,
-&amp; de la même sorte qu’il avoit
-fait celle de ses Paroissiens, pendant
-l’espace de 25 ou 30 ans, il
-luy fit seulement comprendre
-les principaux Mysteres, ne luy
-exaggerant point beaucoup de petites
-ceremonies &amp; traditions, &amp;
-conduit plûtost cette conversion
-en homme avisé &amp; en Politique,
-que non pas en scrupuleux &amp; superstitieux
-Theologien. La seconde
-chose notable fut l’Histoire de
-la possedée Marthe Brossier, laquelle
-à dire vray n’estoit qu’une
-pure feinte, entreprise par quelques
-zelez Catholiques, &amp; appuyée
-par un bon Cardinal, afin
-que le Diable duquel on feignoit
-qu’elle fust possedée venant à estre
-chassé par la vertu du S. Sacrement,
-le Roy eust occasion de croire
-la presence réelle en l’Eucharistie,
-de laquelle presence ou pour
-mieux dire transsubstantiation, on
-ne tenoit pas qu’il fust entierement
-persuadé. Mais luy qui ne se laissoit
-pas facilement surprendre,
-voulut qu’auparavant que d’en
-venir aux exorcismes, les Medecins
-&amp; Chirurgiens fussent appellez
-pour en dire leur avis, lequel
-ayant esté conceu en ces termes
-rapportez par Monsieur Marescot,
-dans le petit livret qu’il a composé
-sur cette Histoire : <a id="FNanchor_164" href="#Footnote_164" class="fnanchor">[164]</a><i lang="la" xml:lang="la">Naturalia
-multa, ficta plurima, à dæmone
-nulla.</i> Cette pauvre possedée, aprés
-avoir découvert l’ignorance &amp; la
-bestise de tous les bigots de Paris,
-fut menacée du fouët, si elle n’en
-sortoit bien-tost. C’est pourquoy
-certain Abbé la mena à Rome,
-d’où Monsieur le Cardinal d’Ossat
-la fit si promptement chasser,
-qu’elle n’eust pas le loisir d’y surprendre
-personne. La derniere
-chose que l’on peut remarquer en
-cette conversion, est ce qui se
-passa en suite. Sur quoy le Politique
-qui doit faire son profit &amp;
-tirer instruction des moindres syllabes
-&amp; remarques des Historiens,
-pourra faire reflexion sur
-ce que répondit un païsan au
-même Roy Henry IV, que la
-poche sent toujours le hareng,
-comme il l’interrogeoit sans se faire
-connoistre de ce que l’on disoit
-parmy le peuple de sa conversion :
-Et aussi que le Mareschal
-de Biron estant fasché du refus
-qu’on luy avoit fait du Gouvernement
-de Bourg en Bresse, dit
-à quelqu’un de ses amys, que s’il
-avoit esté Huguenot on ne luy
-auroit pas refusé ; c’est de Cayet
-(Hist. sept.) que je tiens ces deux
-remarques, lesquelles neanmoins,
-excepté le Politique, personne ne
-doit estimer vraysemblables, puis
-qu’elles sont démenties par beaucoup
-d’autres, qui leur sont directement
-opposées.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_164" href="#FNanchor_164"><span class="label">[164]</span></a> Beaucoup de choses naturelles, quantité
-de feintes, &amp; aucune de la part du Demon.</p>
-</div>
-<p>Finalement la loy des contraires
-qui se doivent traitter sous
-même genre nous oblige de ranger
-encore icy les occasions qui
-se peuvent presenter, de borner
-ou ruiner la trop grande puissance
-de celuy qui en voudroit abuser
-au prejudice de l’Estat, ou
-qui par le grand nombre de ses
-partisans, &amp; la cabale de ses correspondances,
-s’est rendu redoutable
-au Souverain ; voire même
-s’il faut le dépécher secretement,
-sans passer par toutes les formalitez
-d’une justice reglée, on le peut
-faire, pourveu neanmoins qu’il soit
-coupable, &amp; qu’il ait merité une
-mort publique, s’il eust esté possible
-de le chastier de telle sorte.
-La raison sur laquelle Charron fait
-rouler cette maxime, est que en
-cela il n’y a rien que la forme violée,
-&amp; que le Prince estant maistre
-des formalitez, il s’en peut aussi
-dispenser suivant qu’il le juge à
-propos. Chez les Romains, lors
-que quelqu’un s’efforçoit d’obtenir
-un office sans le consentement
-du peuple, ou qu’il donnoit le
-moindre soupçon d’aspirer à la
-Royauté, on le punissoit de mort
-<i lang="la" xml:lang="la">lege Valeria</i>, c’est à dire le plutost
-que l’on pouvoit, &amp; sans forme
-de justice, à laquelle on songeoit
-seulement aprés l’execution.
-Le fameux Juris Consulte Ulpian
-passe encore plus outre quand il
-dit, que <a id="FNanchor_165" href="#Footnote_165" class="fnanchor">[165]</a><i lang="la" xml:lang="la">si forte latro manifestus, vel
-seditio prærupta, factioque cruenta, vel
-alia justa causa moram non recipiant,
-non pœnæ festinatione, sed præveniendi
-periculi causa punire permittit, deinde
-scribere</i> : telles furent les executions
-de Parmenion &amp; Philotas par Alexandre ;
-de Plautian &amp; de Seianus
-chez les Romains, de Guillaume
-Mason en Sicile, de Messieurs de
-Guise &amp; du Mareschal d’Ancre
-sous le regne de deux de nos
-Roys, &amp; du Colonel des Lansquenets
-dans Pavie, auquel Antonio
-de Leve fit donner un boüillon
-alteré, parce qu’il y fomentoit
-le trouble &amp; la sedition. Or
-quoy que ces actions ne puissent
-estre legitimées, que par une necessité
-extraordinaire &amp; absolüe,
-&amp; qu’il y ait de l’injustice &amp; de
-la barbarie à les pratiquer trop
-souvent ; les Espagnols neanmoins
-ont trouvé moyen de les accommoder
-à leurs consciences, &amp; de
-surmonter beaucoup de difficultez
-en les prattiquant. Car ils donnent
-des juges cachez &amp; secrets à
-celuy qu’ils estiment criminel
-d’Estat, ils instruisent son procés,
-le condamnent, &amp; cherchent aprés
-de faire mettre leur sentence en
-execution par tous moyens possibles.
-Antoine Rincon Espagnol
-&amp; par consequent sujet de Charles V,
-ne pouvant demeurer en seureté
-à son païs se retire vers François
-I, &amp; est envoyé par luy à Constantinople,
-pour traitter d’une
-alliance avec Soliman : l’Empereur
-qui prevoyoit bien le dommage
-que luy pouvoit apporter
-cette Ambassade, fait tuer Rincon
-&amp; Cesar Fregose son Collegue,
-comme ils descendoient sur le Po
-pour aller à Venise, par l’entremise
-d’Alfonse d’Avalos son Lieutenant
-au Milanois ; de quoy tant
-s’en faut que ledit Empereur s’estimast
-coupable, que même un de
-nos Evêques a bien voulu plaider
-pour son innocence, <a id="FNanchor_166" href="#Footnote_166" class="fnanchor">[166]</a><i lang="la" xml:lang="la">Rinco
-exul Hispanus, &amp; Francisci apud Solymannum
-legatione functus, non injuria
-fortasse, Fregosus præter jus cæsus
-videbatur.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">Belcar. lib. 22.</span>) André
-Doria ayant quitté le party
-du Roy de France, &amp; pris celuy
-de l’Empereur, sous la faveur
-duquel il tenoit la ville de
-Genes comme en esclavage, Louys
-Fieschy Citoyen de la même ville,
-entreprend avec l’assistance de
-Henry II, &amp; de Pierre Louys
-Farnese Duc de Parme &amp; de Plaisance,
-de la mettre en liberté : il
-tuë d’abord Jannetin Doria &amp; se
-noie par hazard, lors que l’entreprise
-estoit à peine commencée :
-Que fait l’Empereur Charles V ?
-sur cet incident il fait resoudre
-en son Conseil secret, que
-Pierre Louys est criminel de leze
-Majesté, &amp; envoye les ordres en
-même temps à Doria de le faire
-assassiner, &amp; à Gonzague Gouverneur
-de Milan de se saisir de
-la ville de Plaisance ; ce qui fut
-ponctuellement executé suivant
-le projet qu’il en avoit donné : &amp;
-quoy qu’il ait fait le possible pour
-témoigner qu’il n’avoit eu aucune
-part en cette execution, tous
-les Historiens neanmoins écrivent
-le contraire, &amp; le distique rapporté
-par Noël des Comptes nous apprend
-assez ce que l’on en croyoit
-dés ce temps-là :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_167" href="#Footnote_167" class="fnanchor">[167]</a>Cæsaris injussu cecidit Farnesius Heros,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Sed data sunt jussu præmia sicariis.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_165" href="#FNanchor_165"><span class="label">[165]</span></a> Si par fortune un larron manifeste, ou
-une sedition dangereuse, &amp; une faction sanglante,
-ou quelque autre juste cause, ne demandent
-aucun retardement, il est permis de
-punir, non pas pour haster la punition, mais
-pour prevenir le danger ; &amp; puis écrire ou faire
-les formalités du procés.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_166" href="#FNanchor_166"><span class="label">[166]</span></a> Il sembloit que Rincon banni d’Espagne,
-&amp; Ambassadeur de François vers Soliman, n’avoit
-pas esté tué à tort, ni Fregose tout à fait
-contre le droit.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_167" href="#FNanchor_167"><span class="label">[167]</span></a> Le Heros Farnese fut assassiné sans que
-l’Empereur l’eût commandé, mais les meurtriers
-furent recompensez par son ordre.</p>
-</div>
-<p>Quoy plus, le Cardinal George
-de Hongrie ne fut-il pas sententié
-de la même façon, &amp; executé
-encore avec plus d’inhumanité
-par Ferdinand d’Austriche, sur
-la crainte qu’il eut que ledit Cardinal
-ne recherchast l’assistance du
-Turc, pour commander toujours
-dans la Transilvanie ? Et n’avons
-nous pas veu depuis quatre ans
-seulement, que le Walstein a esté
-assassiné dans Egra, par les secretes
-menées du Comte d’Ognate,
-qui estoit pour lors Ambassadeur
-du Roy d’Espagne auprés
-de l’Empereur ? &amp; que le Bourgmestre
-la Ruelle a esté traitté
-de la même sorte dans la ville de
-Liege par le Comte de Warfuzée,
-suivant les Ordres que le
-Marquis d’Aytone Gouverneur
-des armes du Païs-bas luy en avoit
-donnez, avec des formalitez
-si precises, que celles de le faire
-mourir <i>bien confessé &amp; resigné
-à la volonté de Dieu</i>, n’y estoient
-pas oubliées, pour valider davantage
-cette action, &amp; la rendre
-semblable à une sentence criminelle
-legitimement rendue &amp; executée ?
-Bref cette maniere de justice
-est tellement en usage dans
-les Maisons d’Austriche &amp; d’Espagne,
-que le pere même ne voulut
-pas en exempter son propre
-fils, lors qu’il jugea qu’il estoit
-moins expedient pour le bien de
-son Royaume de le laisser vivre,
-que de le faire mourir. <a id="FNanchor_168" href="#Footnote_168" class="fnanchor">[168]</a><i lang="la" xml:lang="la">Cætera
-enim maleficia tunc persequare cum facta
-sunt, hoc nisi provideris ne accidat,
-ubi evenit, frustra judicia explores</i>,
-comme disoit fort bien Caton en
-discourant de la conjuration de
-Catilina dans Saluste. Et pleust à
-Dieu que ce grand Empereur
-Charles V, qui avoit tant fait d’autres
-Coups d’Estat, ne fust point
-demeuré court en celuy qu’il falloit
-pratiquer sur la personne de
-Luther, lors qu’il comparut à la
-Conference d’Ausbourg ! nous ne
-serions pas maintenant contraints
-de dire avec le Poëte Lucian,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_169" href="#Footnote_169" class="fnanchor">[169]</a>Heu quantum terræ potuit Pelagique parari,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Hoc quem civiles fuderunt sanguine dextræ.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_168" href="#FNanchor_168"><span class="label">[168]</span></a> Poursuivez la punition des autres crimes
-quand on les a commis, mais pour celuy-cy,
-si vous ne le prevenez avant sa naissance,
-quand il est arrivé en vain recherchez-vous
-d’en faire justice.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_169" href="#FNanchor_169"><span class="label">[169]</span></a> Helas ! quelle
-grande étendue de terre &amp; de mer auroit-on
-pû acquerir par ce sang que les guerres civiles
-ont fait verser.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et nous n’aurions pas éprouvé
-combien ce vers de Lucrece estoit
-veritable,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_170" href="#Footnote_170" class="fnanchor">[170]</a>Religio peperit scelerata atque impia facta.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_170" href="#FNanchor_170"><span class="label">[170]</span></a> La religion a produit des actions méchantes
-&amp; impies.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Car pour ne rien dire de l’Allemagne,
-&amp; des autres païs étrangers,
-l’on a verifié (<i>Bodin &amp; autres</i>)
-que depuis les premiers tumultes
-excitez par les Calvinistes
-jusques au regne de Henry IV,
-les pretendus Reformez nous ont
-livré cinq batailles tres-cruelles &amp;
-sanglantes, &amp; ont esté cause de la
-mort d’un million de personnes,
-des surprises de 300 villes, d’une
-dépense de 150 millions pour le
-seul payement de la gendarmerie,
-&amp; que neuf villes, 400 villages,
-20000 eglises, 2000 Monasteres,
-&amp; 10000 Maisons ont esté tout à
-fait bruslées ou razées. A quoy
-si l’on joint ce qui s’est passé dans
-les dernieres guerres contre le
-Roy d’à present, je m’asseure que
-l’on pourra bastir un spectacle
-d’horreur, capable d’émouvoir à
-compassion les cœurs les plus inhumains,
-&amp; de tirer encore cette
-exclamation de la bouche des plus
-retenus,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_171" href="#Footnote_171" class="fnanchor">[171]</a>Tantum religio potuit suadere malorum</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Horribili super aspectu mortalibus instans !</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_171" href="#FNanchor_171"><span class="label">[171]</span></a> La religion a-t-elle pû conseiller tant de
-maux, qui servent maintenant d’un triste spectacle
-aux mortels !</p>
-</div>
-<p class="noindent">Or d’autant que personne n’a encore
-fait de reflexion sur cette
-Histoire de Luther, je diray en
-passant que l’on fit trois grandes
-fautes, à mon avis, lors qu’il commença
-de publier ses heresies : la
-premiere d’avoir permis qu’il passast
-de la correction des mœurs à
-celle de la doctrine, puisque la
-plus commune est toujours la
-meilleure, qu’il est tres-dangereux
-d’y rien changer &amp; peu utile, que
-ce n’est pas à un particulier de le
-faire, &amp; enfin qu’un Royaume
-Chrestien bien policé ne doit jamais
-recevoir d’autres nouveautez
-en la religion, que celles que
-les Papes ou Conciles ont accoustumé
-d’y introduire de temps
-en temps pour s’accommoder au
-besoin que l’Eglise en peut avoir,
-laquelle Eglise doit estre la seule
-regle de la sainte Ecriture &amp; de
-nostre foy, comme les Conciles
-le sont de l’Eglise, &amp; entre les
-Conciles celuy-là qui a esté celebré
-le dernier doit estre preferé à
-tous les precedens. La seconde
-fut, que Luther estant venu de
-bonne foy à Ausbourg pour conferer
-&amp; s’accorder, s’il estoit possible,
-avec les Catholiques, le Cardinal
-Cayetan devoit accepter les
-offres qu’il fit de ne plus rien dire,
-ny écrire en la matiere dont
-il s’agissoit, pourveu que reciproquement
-on imposast silence à
-Ecchius, Cochleus, Sylvester Prierias,
-&amp; autres ses adversaires : &amp;
-non pas le presser de se dédire en
-public, &amp; de chanter la palinodie
-de tout ce qu’il avoit dit &amp;
-presché, avec tant d’ardeur &amp; de
-vehemence. Aprés quoy la troisiéme
-faute fut de n’avoir pas eu recours
-à un Coup d’Estat lors que
-l’on vit qu’il prenoit le frain aux
-dents, &amp; qu’il regimboit à bon
-escient contre le zele indiscret du
-Legat. Car il luy falloit jetter
-quelque os en bouche, ou luy
-cadenasser la langue en mettant
-dessus un Aigle, puisque les Bœufs
-&amp; les Syrenes, que l’on employoit
-à même fin au temps passé, ne
-sont plus en usage, c’est à dire
-qu’il le falloit gagner par quelque
-bon benefice ou pension, comme
-l’on a fait du depuis beaucoup
-des plus doctes &amp; autorisez Ministres.
-Ferrier avoit bien entrepris
-il n’y a pas trente ans, d’aller
-soûtenir dans la ville de Rome
-que le Pape estoit l’Antichrist ;
-&amp; toutefois la Reine Mere
-n’eut pas grande peine à luy
-faire quitter son party, pour se
-ranger au nostre : Et Monsieur le
-Cardinal de Richelieu fut-il jamais
-venu à bout de tant de glorieuses
-entreprises contre les Huguenots,
-s’il ne se fust servy bien à propos
-des finances du Roy, pour gagner
-tous leurs meilleurs Capitaines ?
-tant ce dire d’Horace est veritable :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_172" href="#Footnote_172" class="fnanchor">[172]</a>Aurum per medios ire satellites</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Et perrumpere amat saxa, potentius</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ictu fulmineo.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Ode 16. l. 3.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_172" href="#FNanchor_172"><span class="label">[172]</span></a> L’or passe au travers des gardes &amp; brise
-les rochers avec un plus violent effort que le
-tonnerre.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Que si l’on ne pouvoit venir à
-bout de Luther par ce moyen-là,
-il falloit en pratiquer un autre,
-&amp; faire en sorte de le mettre en
-lieu de seureté, comme l’on a
-fait depuis peu l’Abbé du Bois &amp;
-le Benedictin Barnese ; ou passer
-outre, &amp; l’expedier sourdement,
-comme l’on dit que Catherine de
-Medicis, fit un signalé Magicien ;
-ou publiquement &amp; par forme de
-justice, comme les Peres du Concile
-de Constance avoient fait Jean
-Huz &amp; Hierôme de Prague :
-quoy qu’à dire vray les premiers
-moyens estoient plus à propos,
-puis qu’ils estoient les plus doux,
-faciles &amp; couverts, &amp; qu’ils pouvoient
-plus asseurément produire
-l’effet que l’on en esperoit ; ce que
-ne pouvoient pas faire les derniers,
-qui eussent peut-estre aigry l’esprit
-du Duc de Saxe, &amp; confirmé davantage
-les Sectateurs de Luther en
-leurs fausses opinions ; ce que disoit
-un ancien des Chrestiens, <a id="FNanchor_173" href="#Footnote_173" class="fnanchor">[173]</a><i lang="la" xml:lang="la">Sanguis
-Martyrum semen Christianorum</i>, se
-pouvant aussi dire de tous ceux
-qui ont une fois commencé à
-maintenir des opinions qu’ils se
-persuadent estre veritables. Et en
-effet Henry II, pensant étouffer
-par ce genre de supplice, non
-l’heresie, mais les occasions que
-pourroient avoir un jour les Princes
-étrangers de le traverser par
-le moyen des Calvinistes, comme
-il avoit broüillé &amp; traversé
-l’Empereur en assistant les Lutheriens
-d’Allemagne, il se trompa
-de telle sorte que le nombre des
-Heretiques croissant tous les jours
-davantage, ils broüillerent enfin
-la France sous Charles neuf de la
-façon que chacun sçait ; &amp; Henry
-troisiéme ne pouvant moins faire
-que de s’appuyer de leurs forces,
-cela échauffa tellement la melancolie
-&amp; le zele indiscret du Jacobin,
-qu’il n’apprehenda point
-de perdre sa vie pour luy oster la
-sienne. Le docte Mathematicien
-Regiomontanus ayant esté appellé
-d’Allemagne à Rome pour servir
-à la reformation du Calendrier,
-il y mourut lors qu’il estoit
-au plus fort de son travail, &amp; si
-l’on en veut croire ses amis, &amp; la
-plus grande part des Heretiques,
-ce fut par un Coup d’Estat de
-Gregoire XIII, qui aima mieux
-joüer du gobelet, que de voir son
-dessein &amp; le travail des plus habiles
-Astronomes de l’Italie non
-seulement retardé, mais entierement
-renversé par les oppositions
-d’un si docte personnage : Mais
-il est tres-certain, que la mort de
-Regiomontanus ne doit aucunement
-flestrir l’innocence d’un si
-bon &amp; si genereux Pape, puis que
-ce fut plustost un crime des enfans
-de George Trapezonze, lesquels
-faschez de sa mort, &amp;
-croyant que Regiomontanus en
-estoit cause, pour avoir trop librement
-remarqué une infinité
-de fautes dans la traduction Latine
-de l’Almageste de Ptolomée faite
-par ledit Trapezonze, ils se resolurent
-enfin de luy rendre la pareille
-&amp; de le traitter plutost à la Grecque
-qu’à la Romaine. Si les Venitiens
-eussent esté aussi innocens
-de la mort de leur Citoyen Lauredan,
-que le Pape de celle de Regiomontanus,
-Bodin (<i lang="la" xml:lang="la">l. <span class="rm">6</span>.</i>) n’auroit
-pas remarqué dans sa methode
-qu’il ne vescut guere,
-aprés avoir appaisé par sa seule
-presence, une furieuse sedition des
-gens de la Marine, acharnez contre
-la populace, aprés que tous
-les Magistrats &amp; les forces même
-de la ville assemblées, n’y avoient
-pû donner ordre. Peut-estre craignoient-ils
-qu’ayant reconnu quel
-estoit son pouvoir, &amp; quel empire
-il avoit sur les sujets de la Republique,
-il ne luy prist envie de
-se rendre maistre absolu de leur
-Estat ; Peut-estre aussi le firent-ils
-par jalousie &amp; emulation, comme
-Aristote dit que les Argonautes
-ne voulurent point d’Hercule
-en leur compagnie, crainte que
-toute la gloire d’une si belle entreprise
-ne fust attribuée à sa seule
-valeur &amp; vertu :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_174" href="#Footnote_174" class="fnanchor">[174]</a>Urit in fulgore suo qui prægravat artes</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Infra se positas.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Horat. Ep. l. 2. ep. 1.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_173" href="#FNanchor_173"><span class="label">[173]</span></a> Le sang des Martyrs est la semence des
-Chrestiens.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_174" href="#FNanchor_174"><span class="label">[174]</span></a> Car celuy de qui la valeur ternit la gloire
-de toutes autres entreprises que des sienes, attire
-l’envie par l’éclat de ses glorieuses actions.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et le même ajouste que les Ephesiens
-bannirent leur Prince Hermodorus,
-parce qu’il estoit trop
-homme de bien. C’est la raison qui
-fit établir l’Ostracisme à Athenes,
-&amp; qui obligea Scipion &amp; Hannibal
-à faire mourir deux braves soldats
-leurs prisonniers. Mais si le stratageme
-estoit vray duquel on dit
-que les Venitiens se servirent il
-n’y a pas long-temps, lors qu’ils
-firent courir le bruit que le Duc
-d’Ossone vouloit entreprendre sur
-leur ville, je croy que ç’a esté
-un des plus judicieux dont nous
-ayons encore parlé ; aussi leur
-estoit-il tres-important de le faire,
-pour obliger l’Ambassadeur
-d’un des plus grands Princes de
-l’Europe, à quitter ses prattiques
-qui n’alloient à rien moins qu’à
-la ruine de leur Estat, &amp; le forcer
-en suite à une honneste retraite.
-C’est ainsi qu’il faut reserver ces
-grands remedes pour les maladies
-perilleuses, &amp; pour s’en servir
-comme Horace dit qu’il faut faire
-des Dieux, que l’on introduit
-aux tragedies, pour achever &amp; finir
-ce dont les hommes ne peuvent
-plus venir à bout.</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_175" href="#Footnote_175" class="fnanchor">[175]</a>Nec Deus intersit nisi dignus vindice nodus</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Adfuerit.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(De arte poëtica ad Pis.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_175" href="#FNanchor_175"><span class="label">[175]</span></a> Il ne faut point qu’un Dieu s’entre-mêle
-dans l’action, si quelque incident n’y met
-un nœud qui ne se puisse défaire par un autre
-moyen.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Ou comme les Mariniers font de
-l’ancre double, qu’ils ne jettent en
-mer qu’aprés avoir perdu toute
-autre asseurance. Et à la verité si
-un Conseiller ou Ministre proposoit,
-à toutes les difficultez qui
-se presentent, d’en sortir par quelqu’un
-de ces expediens, il ne le
-faudroit pas tenir pour moins sot
-&amp; méchant, que seroit le Chirurgien
-qui voudroit guerir chaque
-blessure en brûlant ou coupant le
-membre qui l’auroit receuë, <a id="FNanchor_176" href="#Footnote_176" class="fnanchor">[176]</a><i lang="la" xml:lang="la">extremis
-siquidem malis extrema remedia
-adhibenda sunt</i>. J’ajouste que si le
-même Conseiller abuse de ces remedes
-pour appuyer ses interests,
-ou donner plus de champ à ses passions,
-outre qu’il trahit le service
-de son Maistre, il se rend encore
-coupable devant Dieu, &amp; devant
-les hommes, du mal qu’il entreprend
-de faire ; &amp; le Souverain même,
-quand il en use autrement que
-le bien du public ou le sien, qui
-n’en est pas separé, le requiert, il
-fait plûtost ce qui est de la passion
-&amp; de l’ambition d’un Tyran, que
-l’office d’un Roy. Ainsi voyons
-nous que la Reyne Catherine de
-Medicis, <a id="FNanchor_177" href="#Footnote_177" class="fnanchor">[177]</a><i lang="la" xml:lang="la">quam exitio patriæ natam
-Mathematici dixerant</i>, ne pouvant
-souffrir d’estre mariée à un fils de
-Roy sans estre Reyne, employa
-l’artifice d’un Montecuculi pour
-se delivrer du seul obstacle qu’elle
-en avoit, en la personne de l’aisné
-de son mary. <a id="FNanchor_178" href="#Footnote_178" class="fnanchor">[178]</a><i lang="la" xml:lang="la">Adfinitatem enim nuper
-cum Clemente contractam, tanto
-sceleri causam dedisse postea compertum,
-quamvis inscio marito ; verùm illo
-mortuo, cum frater proximus esset ut in
-regnum paternum succederet, omissa indagandæ
-rei cura est, &amp; suppressa veritas</i>,
-comme a fort bien remarqué
-Monsieur de Thou dans l’original
-de son Histoire. Elle entreprit en
-suite la protection des Huguenots
-par lettres &amp; avis secrets, pour contrecarrer
-la puissance du Connestable
-&amp; de Monsieur de Guise,
-à l’assassinat duquel arrivé devant
-Orleans, les memoires de Tavanes
-disent qu’elle se vanta d’avoir eu
-part, comme elle eut encore du
-depuis à celuy de l’Amiral ; sans
-toutefois qu’elle eust d’autres motifs
-pour joüer toutes ces sanglantes
-tragedies, que le seul desir de
-contenter son ambition, de regner
-sous le nom de ses enfans, &amp; de
-maintenir l’inimitié entre ceux, de
-qui l’autorité portoit trop d’ombrage
-à la sienne.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_176" href="#FNanchor_176"><span class="label">[176]</span></a> Car il ne faut employer les extrêmes remedes
-qu’aux extrêmes maladies.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_177" href="#FNanchor_177"><span class="label">[177]</span></a> Dont les Mathematiciens avoient dit
-qu’elle estoit née pour la ruine de la patrie.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_178" href="#FNanchor_178"><span class="label">[178]</span></a> Car on remarqua puis aprés que l’alliance
-qui avoit esté contractée peu de temps auparavant
-avec Clement, avoit fourni l’occasion d’une
-si grande méchanceté, quoi qu’à l’insceu de son
-mary : mais quand il fut mort, son frere estant
-le plus proche qui pût succeder au royaume du
-pere, on negligea d’en faire la recherche, &amp; la
-verité fut par ce moyen supprimée.</p>
-</div>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch4"><span class="sc">Chapitre IV.</span><br />
-<span class="i">De quelles opinions faut-il estre persuadé
-pour entreprendre des
-Coups d’Estat.</span></h2>
-
-
-<p>Ce n’est pas assez d’avoir
-monstré les occasions que
-l’on peut avoir d’entreprendre ces
-stratagemes, si nous ne passons
-plus outre, &amp; que nous ne declarions
-aussi de quelles notions &amp;
-persuasions il faut estre persuadé,
-pour les executer avec hardiesse,
-&amp; en venir à bout heureusement.
-Et bien que ce titre semble plûtost
-appartenir aux qualitez &amp;
-conditions du Ministre qui les
-peut conseiller, je ne lairray toutefois
-de coucher icy les principales,
-puis que ce sont des maximes
-tres-certaines, universelles &amp;
-infaillibles, que non seulement les
-conseillers, mais les Princes &amp; toutes
-personnes de bon sens &amp; de
-jugement doivent suivre &amp; observer
-en toutes les affaires qui leur
-peuvent survenir ; &amp; au defaut
-desquelles les raisonnemens que
-l’on fait en matiere d’Estat, sont
-bien souvent cornus, estropiez,
-&amp; plus semblables à des contes de
-vieilles, &amp; de gens grossiers &amp;
-mechaniques, qu’à des discours de
-personnes sages &amp; experimentées
-aux affaires du monde.</p>
-
-<p>Boëce ce grand Conseiller
-d’Estat du Roy Theodoric, nous
-fournira la premiere, qu’il exprime
-en ces termes au livre de
-la consolation : <a id="FNanchor_179" href="#Footnote_179" class="fnanchor">[179]</a><i lang="la" xml:lang="la">Constat æterna
-positumque lege est, in mundo constans
-genitum esse nihil</i> ; à quoy s’accorde
-pareillement Saint Hierôme
-lors qu’il dit en ses epistres, <a id="FNanchor_180" href="#Footnote_180" class="fnanchor">[180]</a><i lang="la" xml:lang="la">omnia
-orta occidunt &amp; aucta senescunt</i> : Les
-Poëtes aussi ont esté de ce même
-sentiment.</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_181" href="#Footnote_181" class="fnanchor">[181]</a>Immortale nihil mundi compage tenetur,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Non Urbes, non Regna hominum, non aurea Roma.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_179" href="#FNanchor_179"><span class="label">[179]</span></a> C’est un axiome fondé sur une loy eternelle,
-qu’il n’y a rien d’engendré au monde
-qui ne soit sujet à quelque changement.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_180" href="#FNanchor_180"><span class="label">[180]</span></a> Il n’y a rien qui prenne naissance qui ne
-meure &amp; tout ce qui prend accroissement
-vieillit.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_181" href="#FNanchor_181"><span class="label">[181]</span></a> Il n’y a rien d’immortel dans le monde,
-non pas même les villes, ny les royaumes
-des humains, ny Rome qui estoit si opulente.</p>
-</div>
-<p>Et tous ceux-là generalement ne
-s’en éloignent gueres, qui considerent
-avec attention, comme
-ce grand cercle de l’univers depuis
-qu’il a une fois commencé
-son cours, n’a point cessé d’emporter
-&amp; faire rouler quant &amp; soy
-les Monarchies, les Religions, les
-sectes, les villes, les hommes, les
-bestes, arbres, pierres, &amp; generalement
-tout ce qui se trouve compris
-&amp; enfermé dans cette grande
-machine ; les cieux même ne sont
-pas exempts des changemens ny
-de corruption. Le premier Empire
-des Assyriens, celuy des Perses,
-qui le suivit, ont aussi cessé
-des premiers ; le Grec &amp; le Romain
-ne l’ont pas fait plus longue.
-Ces puissantes familles de Ptolomée,
-d’Attalus, de Seleucides ne
-servent plus que de fables,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_182" href="#Footnote_182" class="fnanchor">[182]</a>Miramur periisse homines, monimenta fatiscunt ;</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Mors etiam saxis nominibusque venit.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Rutil. in Itiner.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_182" href="#FNanchor_182"><span class="label">[182]</span></a> Nous nous étonnons de la mort des
-hommes ; les sepulcres s’ouvrent, car la mort
-vient attaquer les rochers &amp; les noms.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Cette Isle de Crete où il y avoit
-cent villes, cette ville de Thebes,
-où il y avoit cent portes, cette
-Troye bastie par les mains des
-Dieux, cette Rome qui triompha
-de tout le monde, où sont-elles
-maintenant ? <a id="FNanchor_183" href="#Footnote_183" class="fnanchor">[183]</a><i lang="la" xml:lang="la">Jam seges est ubi Troia
-fuit.</i> Il ne faut doncques pas croupir
-en l’erreur de ces foibles esprits,
-qui s’imaginent que Rome sera
-toujours le siege des saints Peres,
-&amp; Paris celuy des Roys de France.
-<a id="FNanchor_184" href="#Footnote_184" class="fnanchor">[184]</a><i lang="la" xml:lang="la">Byzantium illud vides quod sibi
-placet duplicis imperii sede ? Venetias
-istas quæ superbiunt mille annorum firmitate ?
-Veniet illis sua dies, &amp; tu Antvverpia,
-ocelle urbium, aliquando non
-eris</i>, disoit judicieusement Lipse.
-De maniere que cette maxime
-estant tres-veritable, un bon esprit
-ne desesperera jamais de pouvoir
-surmonter toutes les difficultez,
-qui empescheroient peut-estre
-quelque autre d’executer ou d’entreprendre
-ces affaires d’importance.
-Comme par exemple, s’il
-est question qu’un Ministre, soit
-pour le service de Dieu, ou pour
-celuy de son Maistre, songe aux
-moyens de ruiner quelque Republique
-ou Empire, cette maxime
-generale luy fera croire de premier
-abord, qu’une telle entreprise
-n’est pas impossible, puis qu’il n’y
-en a pas une qui jouïsse du privilege
-de pouvoir toujours durer &amp;
-subsister. Et si au contraire, il est
-question d’en établir quelque autre,
-il se servira encore du même
-axiome pour se resoudre à l’entreprendre,
-&amp; il se persuadera d’en
-pouvoir venir aussi facilement à
-bout, comme ont fait les Suisses,
-les Lucquois, les Hollandois, &amp;
-ceux de Geneve, non dans les
-siecles dont nous n’avons plus de
-memoire, mais dans les deux derniers,
-&amp; quasi de fraische date.
-Aussi en est-il de même des Estats,
-que des hommes, il en meurt &amp;
-naist bien souvent, les uns sont
-étouffez en leurs principes, les autres
-passent un peu plus outre, &amp;
-prennent force &amp; consistance aux
-dépens de leurs voisins, beaucoup
-parviennent même jusques en
-vieillesse ; mais enfin les forces
-viennent à leur manquer, ils font
-place aux autres, &amp; quittent la
-partie pour ne la pouvoir plus defendre :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_185" href="#Footnote_185" class="fnanchor">[185]</a>Sic omnia verti</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Cernimus, atque alias assumere pondera gentes,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Concidere has.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_183" href="#FNanchor_183"><span class="label">[183]</span></a> Il croist maintenant du bled là où estoit autrefois
-Troye.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_184" href="#FNanchor_184"><span class="label">[184]</span></a> Vois-tu cette Constantinople qui se flate
-du siege d’un double empire ? &amp; Venise qui se
-glorifie d’une fermeté de mille ans ? Leur jour
-viendra ; &amp; toy Anvers, qui es l’œillet de toutes
-les villes, le temps viendra que tu ne seras
-plus.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_185" href="#FNanchor_185"><span class="label">[185]</span></a> Ainsi voyons nous bouleverser toutes
-choses ; ces nations s’affoiblir, &amp; d’autres s’acquerir
-du pouvoir.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et alors les premieres maladies les
-émeuvent, les secondes les ébranlent,
-les troisiémes les emportent ;
-Gracchus, Sertorius,
-Spartacus donnerent le premier
-Coup à la Romaine ; Sylla, Marius,
-Pompée, Jules Cæsar la porterent
-sur le panchant, à deux
-doigts de sa ruine, &amp; Auguste
-aprés les furies du Triumvirat
-l’ensevelit, <a id="FNanchor_186" href="#Footnote_186" class="fnanchor">[186]</a><i lang="la" xml:lang="la">Urgentibus scilicet Imperii
-Romani fatis</i> : &amp; de la plus celebre
-Republique du monde il en
-fit le plus grand Empire, tout
-ainsi que des plus grands Empires
-qui sont aujourd’huy, il s’en
-fera quelque jour des fameuses
-Republiques. Mais il faut encore
-observer que ces changemens, ces
-revolutions des Estats, cette mort
-des Empires, ne se fait pas sans
-entraisner avec soy les Loix, la
-Religion &amp; les Sectes : s’il n’est
-toutefois plus veritable de dire,
-que ces trois principes internes
-des Estats venant à vieillir &amp; se
-corrompre, la religion par les heresies
-ou atheismes ; la justice par
-la venalité des offices, la faveur
-des grands, l’autorité des Souverains ;
-&amp; les Sectes par la liberté
-qu’un chacun prend d’introduire
-de nouveaux dogmes, ou de rétablir
-les anciens, ils font aussi tomber
-&amp; perir tout ce qui estoit
-basty dessus, &amp; disposent les affaires
-à quelque revolte ou changement
-memorable. Certes si l’on
-considere bien maintenant, quel
-est l’Estat de l’Europe, il ne sera
-pas aussi difficile de juger qu’elle
-doit bien-tost servir de Theatre
-où se joüeront beaucoup de semblables
-tragedies, puis que la pluspart
-des Estats qu’elle contient ne
-sont pas beaucoup éloignez de
-l’âge qui a fait perir tous les autres,
-&amp; que tant de longues &amp;
-fascheuses guerres ont fait naistre,
-&amp; ont augmenté les causes mentionnées
-cy-dessus, qui peuvent
-ruiner la justice ; comme le trop
-grand nombre de Colleges, seminaires,
-étudians, joints à la facilité
-d’imprimer &amp; transporter
-les livres, ont déja bien ébranlé
-les Sectes &amp; la Religion. Et en
-effet c’est une chose hors de doute,
-qu’il s’est fait plus de nouveaux
-systemes dedans l’Astronomie,
-que plus de nouveautez
-se sont introduites dans la Philosophie,
-Medecine &amp; Theologie,
-que le nombre des Athées s’est
-plus fait paroistre depuis l’année
-1452, qu’aprés la prise de
-Constantinople tous les Grecs,
-&amp; les sciences avec eux se refugierent
-en Europe, &amp; particulierement
-en France &amp; en Italie,
-qu’il ne s’en estoit fait pendant
-les mille années precedentes. Pour
-moy je défie les mieux versez
-en nostre Histoire de France,
-de m’y monstrer que quelqu’un
-ait esté accusé d’Atheïsme, auparavant
-le Regne de François I,
-surnommé le Restaurateur des
-lettres, &amp; peut-estre encore seroit-on
-bien empesché de me montrer
-le même dans l’Histoire
-d’Italie, auparavant les caresses
-que Cosme &amp; Laurens de Medicis
-firent aux hommes lettrez ;
-ce fut de même sous le siecle
-d’Auguste que le Poëte Horace
-(<i lang="la" xml:lang="la">lib. <span class="rm">1</span>. Ode <small class="rm">XXXIV</small>.</i>) disoit de soy-même :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_187" href="#Footnote_187" class="fnanchor">[187]</a>Parcus Deorum cultor, &amp; infrequens,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Insanientis dum sapientiæ</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Consultus erro.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_186" href="#FNanchor_186"><span class="label">[186]</span></a> Les fatalités de l’Empire
-Romain estant enfin arrivées.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_187" href="#FNanchor_187"><span class="label">[187]</span></a> L’estude que j’ay faite d’une sagesse insensée,
-m’avoit rendu si peu soigneux d’honorer
-les Dieux, que je les adorois rarement.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Que Lucrece pensoit bien se concilier
-la bienveillance de ses lecteurs,
-en leur disant qu’il les
-vouloit delivrer des gesnes &amp; des
-peines que leur donnoit la religion,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_188" href="#Footnote_188" class="fnanchor">[188]</a>Dum relligionum animos vinclis exsolvere pergo.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_188" href="#FNanchor_188"><span class="label">[188]</span></a> Pendant que je continue à rompre les liens
-dont la religion a embarrassé vos esprits.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et que S. Paul disoit aux Romains,
-<a id="FNanchor_189" href="#Footnote_189" class="fnanchor">[189]</a><i lang="la" xml:lang="la">tunc veni cum Deus non erat
-in vobis</i>. Ce fut enfin sous les Rois
-Almansor &amp; Miramolin, plus studieux
-&amp; lettrez que n’avoient esté
-tous leurs Predecesseurs, que les
-Aladinistes ou libertins, eurent
-grande vogue parmy les Arabes :
-en suite de quoy nous pouvons
-bien dire avec Seneque, <a id="FNanchor_190" href="#Footnote_190" class="fnanchor">[190]</a><i lang="la" xml:lang="la">ut rerum
-omnium sic literarum intemperantia laboramus</i>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_189" href="#FNanchor_189"><span class="label">[189]</span></a> Je suis venu à vous, en un temps qu’il n’y avoit
-point de Dieu parmy vous.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_190" href="#FNanchor_190"><span class="label">[190]</span></a> Nous sommes aussi-bien travaillez de l’intemperance
-des lettres que de celle de toutes
-autres choses.</p>
-</div>
-<p>La seconde opinion de laquelle
-on doit estre persuadé pour
-bien reüssir aux Coups d’Estat,
-est de croire qu’il ne faut pas
-remüer tout le monde pour occasionner
-les changemens des plus
-grands Empires, ils arrivent bien
-souvent sans qu’on y pense, ou
-au moins sans que l’on fasse de si
-grands preparatifs. Et comme Archimede
-remuoit les plus pesans
-fardeaux, avec trois ou quatre
-bastons industrieusement joints
-ensemble, aussi peut-on quelquefois
-remüer, voire même ruiner
-ou faire naistre des grandes affaires,
-par des moyens qui sont presque
-de nulle consideration. C’est
-de quoy Ciceron (<i lang="la" xml:lang="la">Philip. <span class="rm">5</span>.</i>) nous
-avertit lors qu’il dit, <a id="FNanchor_191" href="#Footnote_191" class="fnanchor">[191]</a><i lang="la" xml:lang="la">quis nesciat,
-minimis fieri momentis maximas temporum
-inclinationes</i> ; le monde suivant
-la doctrine de Moyse a esté
-fait de rien, &amp; en celle d’Epicure
-il n’a esté composé que du concours
-de divers atomes : Et ces
-grands fleuves qui roulent avec
-impetuosité presque d’un bout de
-la terre à l’autre, sont d’ordinaire si
-petits vers leurs sources qu’un enfant
-les peut facilement traverser,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_192" href="#Footnote_192" class="fnanchor">[192]</a>Flumina quanta vides parvis è fontibus orta ?</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_191" href="#FNanchor_191"><span class="label">[191]</span></a> Qui est-ce qui ignore que dans un moment
-il peut arriver de grands changemens
-aux temps.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_192" href="#FNanchor_192"><span class="label">[192]</span></a> Quelles grandes rivieres ne voit
-on pas qui prenent leur naissance de fort petites
-fontaines ?</p>
-</div>
-<p class="noindent">Il en est de même aux affaires Politiques,
-une petite flammeche
-negligée excite bien souvent un
-grand feu,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_193" href="#Footnote_193" class="fnanchor">[193]</a>Dum neglecta solent incendia sumere vires.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_193" href="#FNanchor_193"><span class="label">[193]</span></a> Lors que les embrasemens
-ont coustume de se renforcer à mesure qu’on
-les neglige.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et comme il ne fallut qu’une petite
-pierre arrachée de la montagne,
-pour ruiner la grande statue,
-ou plutost le grand colosse
-de Nabuchodonosor ; de même
-une petite chose peut facilement
-renverser de grandes Monarchies.
-Qui eust jamais creu que le ravissement
-de Helene, le violement
-de Lucrece par Tarquin, &amp; celuy
-de la fille du Comte Julien
-par le Roy Roderic, eussent produit
-des effets si notables tant en
-Grece, qu’Italie &amp; Espagne ? Mais
-qui eust jamais pensé que les Etoles
-&amp; Arcades se fussent acharnez
-à la guerre pour une hure de Sanglier ;
-ceux de Carthage &amp; de Bisague
-pour le fust d’un brigantin ;
-le Duc de Bourgogne &amp; les Suisses
-pour un chariot de peaux de
-Mouton ; les Frisons &amp; les Romains
-du temps de Drusus pour
-des cuirs de Bœuf ; &amp; les Pictes
-&amp; Escossois pour quelques Chiens
-perdus ? Ou que du temps de Justinian
-toutes les villes de l’Empire
-eussent pû se diviser &amp; concevoir
-une haine mortelle les unes
-contre les autres, pour le differend
-des couleurs qui se portoient
-aux jeux &amp; recreations publiques ?
-La nature même semble
-avoir agreable cette façon de
-proceder, lors qu’elle produit
-les grands &amp; spacieux Cedres
-d’un petit germe ; &amp; les Elephans
-&amp; Balenes, d’un atome s’il faut
-ainsi dire de semence. C’est en
-quoy elle s’efforce d’imiter son
-Createur, qui a coustume de tirer
-la grandeur de ses actions, de
-la foiblesse de leurs principes, &amp;
-de les mener d’un commencement
-debile au progrez d’une
-perfection accomplie. Et en effet
-lors qu’il voulut delivrer son peuple
-de la captivité de Pharaon,
-il n’envoya pas quelque Roy,
-ou quelque Prince, accompagné
-d’une puissante armée, mais il
-se servit d’un simple homme <a id="FNanchor_194" href="#Footnote_194" class="fnanchor">[194]</a><i lang="la" xml:lang="la">impeditioris
-&amp; tardioris linguæ, qui
-pascebat oves Jethro soceri sui</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">Exod.
-3. &amp; 4.</span>) lors qu’il voulut chastier
-&amp; épouvanter les Egyptiens,
-il ne se servit pas du foudre ny
-du tonnerre, <a id="FNanchor_195" href="#Footnote_195" class="fnanchor">[195]</a><i lang="la" xml:lang="la">sed immisit tantum
-ranas, cyniphes &amp; locustas &amp; omne genus
-muscarum</i> ; lors qu’il fallut delivrer
-les Philistins, ce fut par les
-mains de Saül qu’il fit couronner
-Roy de son peuple, au même
-temps qu’il ne pensoit qu’à chercher
-<a id="FNanchor_196" href="#Footnote_196" class="fnanchor">[196]</a><i lang="la" xml:lang="la">asinas patris sui Cis</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">1 Reg.
-11.</span>) ainsi pour combattre Goliath,
-il choisit David <a id="FNanchor_197" href="#Footnote_197" class="fnanchor">[197]</a><i lang="la" xml:lang="la">dum ambulabat
-post gregem patris sui</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">c. 17.</span>)
-&amp; pour delivrer Bethulie de la
-persecution d’Holofernes, il n’employa
-point de puissans &amp; courageux
-soldats, <a id="FNanchor_198" href="#Footnote_198" class="fnanchor">[198]</a><i lang="la" xml:lang="la">sed manus fœminæ
-dejecit eum</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Judith. 9.</span>) Mais puis
-que ces actions sont autant de miracles,
-&amp; que nous ne pouvons
-pas les tirer en consequence, faisons
-un peu de reflexion sur la
-grandeur de l’Empire du Turc,
-&amp; sur les merveilleux progrez
-que font tous les jours les Lutheriens
-&amp; Calvinistes, &amp; je
-m’asseure que l’on sera contraint
-d’admirer comme le dépit de
-deux Moines qui n’avoient pour
-toutes armes que la langue &amp; la
-plume, ont pû estre cause de si
-grandes revolutions, &amp; de changemens
-en la Police &amp; en la Religion
-si extraordinaires. Aprés
-quoy il faut avoüer que les Ambassadeurs
-des Scythes avoient
-bonne raison de remonstrer à Alexandre,
-que <a id="FNanchor_199" href="#Footnote_199" class="fnanchor">[199]</a><i lang="la" xml:lang="la">fortis Leo aliquando
-minimarum avium pabulum est, ferrum
-rubigo consumit, &amp; nihil est cui
-periculum non immineat ab invalido</i>.
-C’est doncques le devoir du bon
-Politique, de considerer toutes
-les moindres circonstances qui se
-rencontrent aux affaires serieuses
-&amp; difficiles, pour s’en servir, en
-les augmentant, &amp; en faisant quelquefois
-d’une Mouche un Elefant,
-d’une petite égratignure une grande
-playe, &amp; d’une étincelle un
-grand feu ; ou bien en diminuant
-toutes ces choses suivant qu’il en
-sera besoin pour favoriser ses intentions.
-Et à ce propos il me souvient
-d’un accident peu remarqué qui se
-passa aux Estats tenus à Paris l’an
-1615, lequel neanmoins estoit capable
-de ruiner la France, &amp; de luy
-faire changer sa façon de Gouvernement,
-si l’on n’y eust promptement
-remedié ; car la Noblesse
-ayant inseré dans son cahier de remonstrances
-un article pour faire
-comprendre le bien qui pouvoit
-revenir à la France de la cassation
-du droit annuel, ou pour estre
-mieux entendu de la Polette, le
-Tiers Estat qui se croyoit grandement
-lesé par cette proposition, en
-coucha un autre dans le sien, par
-lequel le Roy estoit supplié, de retrancher
-les pensions qu’il donnoit
-à beaucoup de Gentilshommes
-qui ne luy rendoient aucun
-service ; là-dessus chaque partie
-commence à s’alterer, &amp; chacun
-de son costé envoye des deputez
-pour faire entendre ses raisons ; ils
-se rencontrent, &amp; en viennent
-aux injures, les deputez de la Noblesse
-appellant ceux du Tiers
-Estat des Rustres, &amp; les menaçant
-de les traitter à coups d’éperon ;
-ceux-cy répondent qu’ils
-n’avoient pas la hardiesse de le faire,
-&amp; que s’ils y avoient seulement
-songé, il y avoit 100000
-hommes dans Paris, qui en tireroient
-la raison sur le champ : cependant
-quelques Magistrats &amp;
-Ecclesiastiques qui estoient presens
-à ces discours, jugeant bien
-des dangereuses consequences qui
-en pouvoient arriver, vont à bride
-abbatue au Louvre, avertissent le
-Roy de ce qui se passe, le prient
-&amp; conjurent d’y remedier promptement,
-&amp; font en sorte que Sa
-Majesté, les Reynes &amp; tous les
-Princes y interposant leur autorité,
-defenses furent faites sur
-peine de la vie, de plus parler de
-ces deux articles, ny de plus tenir
-aucun discours de tout ce qui
-s’estoit passé à leur sujet ; &amp; bien
-nous prit de ce qu’on y apporta
-si promptement remede : car si les
-deputez de la Noblesse eussent
-passé des paroles aux effets, ceux
-du Tiers Estat se fussent peut-estre
-rencontrez si violents, obstinez
-&amp; vindicatifs, &amp; le peuple
-de Paris en telle verve &amp; disposition,
-que toute la Noblesse qui y
-estoit, eust couru grande risque
-d’estre sacagée, &amp; peut-estre
-qu’en suite on eust fait le même
-par toutes les autres villes du
-Royaume, qui suivent d’ordinaire
-l’exemple de la Capitale.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_194" href="#FNanchor_194"><span class="label">[194]</span></a> Qui n’avoit pas la langue bien pendue &amp;
-avoit peine à parler, &amp; qui paissoit les brebis
-de son beaupere Jethro.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_195" href="#FNanchor_195"><span class="label">[195]</span></a> Mais leur envoya
-des grenoüilles, des sauterelles, des mouches
-à chien, &amp; toutes autres sortes de
-mouches.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_196" href="#FNanchor_196"><span class="label">[196]</span></a> Les ânesses de Cis son pere.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_197" href="#FNanchor_197"><span class="label">[197]</span></a> Lors qu’il alloit aprés le troupeau de son
-pere.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_198" href="#FNanchor_198"><span class="label">[198]</span></a> Mais il fut abbatu par la main d’une
-femme.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_199" href="#FNanchor_199"><span class="label">[199]</span></a> Quelquefois le Lion courageux sert de
-pasture aux plus petits oiseaux, que la roüillure
-consume le fer, &amp; qu’il n’y a rien qui
-ne coure risque d’estre endommagé de la plus
-foible chose.</p>
-</div>
-<p>Or parce que si cet accident
-fust arrivé, c’eust esté par le
-moyen de la populace, laquelle
-sans juger &amp; connoistre ce qui
-estoit de la raison, se fust jettée à
-l’impourveu &amp; à l’étourdie, sur
-ceux qu’on luy auroit mis les
-premiers en butte de sa fureur ; il
-n’est pas hors de propos d’avertir
-&amp; de mettre pour une troisiéme
-persuasion, que les meilleurs
-Coups d’Estat se faisant par son
-moyen on doit aussi particulierement
-connoistre, quel est son naturel,
-&amp; avec combien de hardiesse
-&amp; d’asseurance on s’en peut
-servir, &amp; la tourner &amp; disposer à
-ses desseins. Ceux qui en ont fait
-la plus entiere &amp; la plus particuliere
-description, la representent
-à bon droit comme une beste à
-plusieurs testes, vagabonde, errante,
-folle, étourdie, sans conduite,
-sans esprit, ny jugement. Et
-en effet si l’on prend garde à sa
-raison, Palingenius dit, que</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_200" href="#Footnote_200" class="fnanchor">[200]</a>Judicium vulgi insulsum, imbecillaque mens est.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(in Piscib.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_200" href="#FNanchor_200"><span class="label">[200]</span></a> Le jugement du commun peuple est toujours
-sot, &amp; son entendement foible.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Si à ses passions, le même ajouste,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_201" href="#Footnote_201" class="fnanchor">[201]</a>Quod furit atque ferit sævissima bellua vulgus.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(in Sagitt.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_201" href="#FNanchor_201"><span class="label">[201]</span></a> Que la populace est une tres-cruelle beste, &amp; qu’elle
-devient furieuse &amp; frape le plus souvent.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Si à ses mœurs &amp; façons de faire,
-<a id="FNanchor_202" href="#Footnote_202" class="fnanchor">[202]</a><i lang="la" xml:lang="la">Hi vulgi mores, odisse præsentia,
-ventura cupere, præterita celebrare.</i> Si
-à toutes ses autres qualitez, Saluste
-nous la represente, <a id="FNanchor_203" href="#Footnote_203" class="fnanchor">[203]</a><i lang="la" xml:lang="la">ingenio
-mobili, seditiosam, discordiosam, cupidam
-rerum novarum, quieti &amp; otio
-adversam</i>. Mais moy je passe plus
-outre, &amp; dis qu’elle est inferieure
-aux bestes, pire que les bestes,
-&amp; plus sotte cent fois que les
-bestes mêmes ; car les bestes
-n’ayant point l’usage de la raison,
-elles se laissent conduire à l’instinct
-que la Nature leur donne pour
-regle de leur vie, actions, passions
-&amp; façons de faire, dont elles ne se
-departent jamais, sinon lors que
-la méchanceté des hommes les
-en fait sortir. Là où le peuple
-(j’entens par ce mot le vulgaire
-ramassé, la tourbe &amp; lie populaire,
-gens sous quelque couvert que
-ce soit de basse, servile, &amp; mechanique
-condition) estant doüé de
-la raison ; il en abuse en mille sortes,
-&amp; devient par son moyen le
-Theatre où les Orateurs, les Predicateurs,
-les faux Prophetes, les
-imposteurs, les rusez politiques,
-les mutins, les seditieux, les dépitez,
-les superstitieux, les ambitieux,
-bref tous ceux qui ont
-quelque nouveau dessein, representent
-leurs plus furieuses &amp; sanglantes
-tragedies. Aussi sçavons
-nous que cette populace est comparée
-à une mer sujette à toutes
-sortes de vents &amp; de tempestes :
-au Cameleon qui peut recevoir
-toutes sortes de couleurs excepté
-la blanche ; &amp; à la sentine &amp; cloaque
-dans laquelle coulent toutes
-les ordures de la maison. Ses plus
-belles parties sont d’estre inconstante
-&amp; variable, approuver &amp;
-improuver quelque chose en même
-temps, courir toujours d’un
-contraire à l’autre, croire de leger,
-se mutiner promptement,
-toujours gronder &amp; murmurer :
-bref tout ce qu’elle pense n’est
-que vanité, tout ce qu’elle dit est
-faux &amp; absurde, ce qu’elle improuve
-est bon, ce qu’elle approuve
-mauvais, ce qu’elle louë infame,
-&amp; tout ce qu’elle fait &amp; entreprend
-n’est que pure folie. Aussi
-est-ce ce qui a fait dire à Seneque,
-(<i lang="la" xml:lang="la">de vita B. cap. <span class="rm">2</span>.</i>) <a id="FNanchor_204" href="#Footnote_204" class="fnanchor">[204]</a><i lang="la" xml:lang="la">Non tam bene
-cum rebus humanis geritur ut meliora
-pluribus placeant : argumentum pessimi
-est turba.</i> Et le même ne donne autre
-avis pour connoistre les bonnes
-opinions &amp; comme parle le Poëte
-Satyrique, <a id="FNanchor_205" href="#Footnote_205" class="fnanchor">[205]</a><i lang="la" xml:lang="la">quid solidum crepet</i>, sinon
-de ne pas suivre celle du peuple,
-<a id="FNanchor_206" href="#Footnote_206" class="fnanchor">[206]</a><i lang="la" xml:lang="la">Sanabimur si modo separemur
-à cœtu.</i> Que Postel luy persuade
-que Jesus-Christ n’a sauvé que les
-hommes, &amp; que sa mere Jeanne
-doit sauver les femmes, il le croira
-soudain. Que David George se dise
-fils de Dieu, il l’adorera. Qu’un tailleur
-enthousiaste &amp; fanatique contrefasse
-le Roy dans Munster, &amp; dise
-que Dieu l’a destiné pour chastier
-toutes les Puissances de la terre, il
-luy obeïra &amp; le respectera comme
-le plus grand Monarque du monde.
-Que le Pere Domptius luy annonce
-la venuë de l’Antechrist,
-qu’il est âgé de dix ans, qu’il a des
-cornes, il témoignera de s’en effrayer.
-Que des imposteurs &amp;
-Charlatans se qualifient freres de la
-Rose-Croix, il courra aprés eux.
-Qu’on luy rapporte que Paris doit
-bien-tost abismer, il s’enfuira. Que
-tout le monde doit estre submergé,
-il bastira des Arches &amp; des basteaux
-de bonne heure pour n’estre pas
-surpris. Que la mer se doit secher &amp;
-que des chariots pourront aller de
-Genes à Jerusalem, il se preparera
-pour faire le voyage. Qu’on luy
-conte les fables de Melusine, du
-sabat des sorcieres, des loups garoux,
-des lutins, des fées, des
-Paredres, il les admirera. Que la
-matrice tourmente quelque pauvre
-fille, il dira qu’elle est possedée,
-ou croira à quelque Prestre
-ignorant ou méchant, qui la fait
-passer pour telle. Que quelque Alchimiste,
-Magicien, Astrologue,
-Lulliste, Cabaliste, commencent
-un peu à la cajoller, il les prendra
-pour les plus sçavans, &amp; pour les
-plus honnestes gens du monde.
-Qu’un Pierre l’Hermite vienne
-prescher la croisade, il fera des reliques
-du poil de son mulet. Qu’on
-luy dise en riant qu’une Canne
-ou un Oison sont inspirées du
-S. Esprit, il le croira serieusement.
-Que la peste ou la tempeste ruine
-une province, il en accusera soudain
-des graisseurs ou Magiciens.
-Bref si on le trompe &amp; befle aujourd’huy,
-il se lairra encore surprendre
-demain, ne faisant jamais
-profit des rencontres passez, pour
-se gouverner dans les presentes ou
-futures ; &amp; en ces choses consistent
-les principaux signes de sa grande
-foiblesse &amp; imbecillité. Pour
-ce qui est de son inconstance, nous
-en avons un bel exemple dans les
-Actes des Apostres en ce que les
-habitans de Lystrie &amp; de Derben,
-n’eurent pas plutost apperceu S.
-Paul &amp; S. Barnabé, que <a id="FNanchor_207" href="#Footnote_207" class="fnanchor">[207]</a><i lang="la" xml:lang="la">levaverunt
-vocem suam Lycaonicè dicentes ; Dii similes
-facti hominibus descendunt ad nos ;
-&amp; vocabant Barnabam Jovem, Paulum
-quoque Mercurium</i> ; &amp; neanmoins
-incontinent aprés voila que <a id="FNanchor_208" href="#Footnote_208" class="fnanchor">[208]</a><i lang="la" xml:lang="la">lapidantes
-Paulum, traxerunt eum extra
-civitatem, existimantes mortuum esse</i>.
-Les Romains adorent le matin
-Seianus, &amp; le soir</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_209" href="#Footnote_209" class="fnanchor">[209]</a>Ducitur unco</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Spectandus.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Juven. Sat. 10.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_202" href="#FNanchor_202"><span class="label">[202]</span></a> Voicy les mœurs du menu peuple, haïr les
-choses presentes, desirer les futures, &amp; celebrer
-celles qui sont passées.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_203" href="#FNanchor_203"><span class="label">[203]</span></a> D’un naturel inconstant, seditieuse, querelleuse,
-convoiteuse de choses nouvelles, &amp;
-ennemie du repos &amp; de la tranquillité.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_204" href="#FNanchor_204"><span class="label">[204]</span></a> Les choses humaines n’ont pas tant de
-bonne fortune, que les plus saines &amp; les
-meilleures soient agreables au plus grand
-nombre : La foule est ordinairement une marque
-du peu de prix que valent les choses.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_205" href="#FNanchor_205"><span class="label">[205]</span></a> Qu’est-ce qu’il y a de solide.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_206" href="#FNanchor_206"><span class="label">[206]</span></a> Nous serons
-gueris pourveu que nous nous separions
-de la foule.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_207" href="#FNanchor_207"><span class="label">[207]</span></a> Ils éleverent leur voix &amp; dirent en langue
-Lycaonienne : Les Dieux sont descendus vers
-nous sous la forme d’hommes : Et ils appeloient
-Barnabé Jupiter &amp; Paul Mercure.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_208" href="#FNanchor_208"><span class="label">[208]</span></a> Ayant lapidé Paul, ils le traisnerent hors de
-la ville croyant qu’il fust mort.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_209" href="#FNanchor_209"><span class="label">[209]</span></a> Il est traîné avec un croc pour servir de
-spectacle au peuple.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Les Parisiens en font de même du
-Marquis d’Ancre, &amp; aprés avoir
-déchiré la robe du Pere à Jesus
-Maria, pour en conserver les pieces
-comme reliques, ils le befflent,
-&amp; s’en mocquent deux jours
-aprés. Que s’il entre en colere, ce
-sera comme le jeune homme de
-Horace, lequel</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_210" href="#Footnote_210" class="fnanchor">[210]</a>Iram</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Colligit &amp; ponit temerè, &amp; mutatur in horas.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(ad Pison.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_210" href="#FNanchor_210"><span class="label">[210]</span></a> Se courrouce &amp; s’appaise
-facilement, &amp; change à toute heure.</p>
-</div>
-<p class="noindent">S’il rencontre quelque homme
-d’autorité lors qu’il est en sa plus
-boüillante mutinerie &amp; sedition,
-il s’enfuira &amp; abandonnera tout ;
-s’il se presente quelque gueux temeraire,
-ou hardy qui luy remette,
-comme on dit communément,
-le cœur au ventre, &amp; le feu
-aux étoupes, il reviendra plus
-furieux qu’auparavant ; bref nous
-luy pouvons particulierement attribüer
-ce que disoit Seneque (<i lang="la" xml:lang="la">de
-vita B. cap. <span class="rm">28</span>.</i>) de tous les hommes,
-<a id="FNanchor_211" href="#Footnote_211" class="fnanchor">[211]</a><i lang="la" xml:lang="la">fluctuat, aliud ex alio comprehendit,
-petita relinquit, relicta repetit,
-alternæ inter cupiditatem suam,
-&amp; pœnitentiam vices sunt</i>. Or d’autant que
-la force gist toujours de
-son costé, &amp; que c’est luy qui
-donne le plus grand branle à tout
-ce qui se fait d’extraordinaire
-dans l’Estat, il faut que les Princes
-ou leurs Ministres s’estudient
-à le manier &amp; persuader par belles
-paroles, le seduire &amp; tromper
-par les apparences, le gagner &amp;
-tourner à ses desseins par des predicateurs
-&amp; miracles sous pretexte
-de sainteté, ou par le moyen des
-bonnes plumes, en leur faisant faire
-des livrets clandestins, des manifestes,
-apologies &amp; declarations
-artistement composées pour le
-mener par le nez, &amp; luy faire approuver
-ou condamner sur l’etiquete
-du sac tout ce qu’il contient.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_211" href="#FNanchor_211"><span class="label">[211]</span></a> Il est toujours en doute, il fait toujours
-de nouveaux desseins, il quitte ce qu’il avoit
-demandé, &amp; il redemande aussi-tost ce qu’il
-vient de quitter : le desir &amp; le repentir commandent
-chez luy tour à tour, &amp; possedent
-l’un aprés l’autre la domination de son ame.</p>
-</div>
-<p>Mais comme il n’y a jamais eu
-que deux moyens capables de
-maintenir les hommes en leur devoir,
-sçavoir la rigueur des supplices
-établis par les anciens legislateurs
-pour reprimer les crimes,
-dont les juges pouvoient avoir
-connoissance ; &amp; la crainte des
-Dieux &amp; de leur foudre, pour empescher
-ceux dont par faute de témoins
-ils ne pouvoient estre suffisamment
-informez, conformément
-à ce que dit le Poëte Palingenius :
-(<i lang="la" xml:lang="la">in Libra.</i>)</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_212" href="#Footnote_212" class="fnanchor">[212]</a>Semiferum vulgus frænandum est relligione</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Pœnarumque metu, nam fallax atque malignum</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Illius ingenium est semper, nec sponte movetur</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ad rectum.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_212" href="#FNanchor_212"><span class="label">[212]</span></a> C’est par la religion &amp; par la crainte des
-supplices, qu’il faut brider la populace à demy
-sauvage, car son esprit est toujours trompeur
-&amp; malin, &amp; de soi-même ne se porte point à
-ce qui est droit.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Aussi les mêmes Legislateurs ont
-bien reconnu, qu’il n’y avoit rien
-qui dominast avec plus de violence
-les esprits des peuples que
-ce dernier, lequel venant à se trouver
-en butte de quelque action, il
-porte soudain toute la poursuite
-que l’on en peut faire à l’extremité ;
-la prudence se change en passion,
-la colere, s’il y en a tant soit
-peu, se tourne en rage, toute la
-conduite s’en va en confusion, les
-biens mêmes &amp; la vie ne se mettent
-pas en consideration, s’il les
-faut perdre pour defendre la divinité
-de quelque dent de singe,
-d’un bœuf, d’un chat, d’un oignon,
-ou de quelque autre idole
-encore plus ridicule, <a id="FNanchor_213" href="#Footnote_213" class="fnanchor">[213]</a><i lang="la" xml:lang="la">nulla siquidem
-res efficacius multitudinem movet
-quàm superstitio</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Q. Curt. l. 4.</span>)
-Et en effet ç’a toujours esté le
-premier masque que l’on a donné
-à toutes les ruses &amp; tromperies
-pratiques aux trois differences de
-vie, ausquelles nous avons déja
-dit, que l’on pouvoit rapporter
-les Coups d’Estat. Car pour ce
-qui est de la Monastique, nous
-avons l’exemple dans S. Hierôme
-(<i lang="la" xml:lang="la">epist. <span class="rm">13</span>. lib.
-<span class="rm">2</span>.</i>) de ces vieux moines
-de la Thebaïde, qui <a id="FNanchor_214" href="#Footnote_214" class="fnanchor">[214]</a><i lang="la" xml:lang="la">dæmonum
-contra se pugnantium portenta fingunt,
-ut apud imperitos &amp; vulgi homines
-miracula sui faciant &amp; lucra sectentur</i>.
-A quoy nous pouvons rapporter
-la tromperie que firent les
-prestres du Dieu Canopus, pour
-le rendre superieur au feu qui
-estoit le Dieu des Perses ; l’invention
-du Chevalier Romain Monde,
-pour jouïr de la belle Pauline
-sous le nom d’Esculape, les visions
-supposées des Jacobins de Berne,
-&amp; les fausses apparitions des Cordeliers
-d’Orleans, qui sont toutes
-trop communes &amp; triviales pour
-en faire icy un plus long recit.
-Que si l’on doute qu’il ne se commette
-un pareil abus dans l’œconomie,
-il ne faut que lire ce que
-Rabby Moses écrit des Prestres de
-l’Idole Thamuz ou Adonis, qui
-pour augmenter leurs offrandes,
-le faisoient bien souvent pleurer
-sur les iniquitez du peuple, mais
-avec des larmes de plomb fondu,
-au moyen d’un feu qu’ils allumoient
-derriere son image ; &amp;
-certes il n’y aura plus d’occasion
-d’en douter, aprés avoir leu dans
-le dernier Chapitre de Daniel,
-comme en couvrant de cendres le
-pavé de la Chapelle de l’Idole Bel,
-il découvrit que les Prestres avec
-leurs femmes &amp; enfans venoient
-enlever de nuict par des conduits
-sousterrains, tout ce que le
-pauvre peuple abusé croyoit estre
-mangé par ce Dieu qu’ils adoroient
-sous la figure d’un dragon.
-Finalement pour ce qui est
-de la Politique, il faut un peu s’y
-étendre davantage, puis que c’est
-nostre principal dessein, &amp; montrer
-en quelle façon les Princes ou
-leurs Ministres, <a id="FNanchor_215" href="#Footnote_215" class="fnanchor">[215]</a><i lang="la" xml:lang="la">quibus quæstui sunt
-capti superstitione animi</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Livius l. 4.</span>)
-ont bien sceu ménager la Religion,
-&amp; s’en servir comme du plus
-facile &amp; plus asseuré moyen, qu’ils
-eussent pour venir à bout de leurs
-entreprises plus relevées. Je trouve
-doncques qu’ils en ont usé en cinq
-façons principales, sous lesquelles
-par aprés on en peut rapporter
-beaucoup d’autres petites. La premiere
-&amp; la plus commune &amp; ordinaire
-est celle de tous les Legislateurs
-&amp; Politiques, qui ont persuadé
-à leurs peuples, d’avoir la
-communication des dieux, pour
-venir plus facilement à bout de ce
-qu’ils avoient la volonté d’executer :
-comme nous voyons qu’outre
-ces anciens que nous avons
-rapportez cy-dessus, Scipion voulut
-faire croire qu’il n’entreprenoit
-rien sans le Conseil de Jupiter
-Capitolin, Sylla que toutes ses
-actions estoient favorisées par Apollon
-de Delphe, duquel il portoit
-toujours une petite image ; &amp;
-Sertorius que sa biche luy apportoit
-les nouvelles de tout ce qui
-estoit conclu dans le concile des
-Dieux. Mais pour venir aux Histoires
-qui nous sont plus voisines,
-il est certain que par de semblables
-moyens Jacques Bussularius domina
-quelque temps à Pavie, Jean
-de Vicence à Boulogne, &amp; Hierôme
-Savanarole à Florence, duquel
-nous avons cette remarque
-dans Machiavel : (sur T. Liv.) <i>Le
-peuple de Florence n’est pas beste, auquel
-neanmoins F. Hierôme Savanarole
-a bien fait croire qu’il parloit à Dieu.</i>
-Il n’y a pas plus de soixante ans
-que Guillaume Postel en voulut
-faire de même en France, &amp; depuis
-peu encore Campanelle en la
-haute Calabre : mais ils n’en purent
-venir à bout, non plus que
-les precedens, pour n’avoir pas eu
-la force en main ; car comme dit
-Machiavel, cette condition est
-necessaire à tous ceux qui veulent
-établir quelque nouvelle Religion.
-Et en effet ce fut par son
-moyen que le Sophi Ismaël,
-ayant par l’avis de Treschel Cuselbas
-introduit une nouvelle secte
-en la religion de Mahomet, il
-usurpa en suite l’Empire de Perse,
-&amp; il arriva presque en même
-temps, que l’Hermite Schacoculis,
-aprés avoir bien joüé son personnage
-l’espace de sept ans dans
-un desert, leva enfin le masque,
-&amp; s’estant declaré autheur d’une
-nouvelle secte, il s’empara de plusieurs
-villes, defit le Bascha d’Anatolie,
-avec Corcut fils de Bajazet,
-&amp; eut bien passé plus outre,
-s’il n’eust irrité par le sac d’une
-caravane le Sophi de Perse, qui
-le fit tailler en pieces par ses soldats.
-Lipse met encore avec ceux-cy
-un certain Calender, qui par
-une devotion simulée ébranla
-toute la Natolie, &amp; tint les Turcs
-en cervelle, jusques à ce qu’il fust
-défait en une bataille rangée ; &amp;
-un Ismaël Africain qui prit cette
-voye pour ravir le sceptre à son
-maistre le Roy de Maroc.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_213" href="#FNanchor_213"><span class="label">[213]</span></a> Il n’y a rien qui fasse agir plus efficacement
-la populace, que la superstition.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_214" href="#FNanchor_214"><span class="label">[214]</span></a> Feignent des monstres &amp; Demons qui se batent contre
-eux, pour persuader leurs miracles aux idiots
-&amp; au menu peuple, &amp; pour aquerir du bien.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_215" href="#FNanchor_215"><span class="label">[215]</span></a> Qui font leur profit des esprits adonnés
-à la bigoterie.</p>
-</div>
-<p>La seconde invention de laquelle
-ont usé les Politiques pour
-se prevaloir de la religion parmy
-les peuples, a esté de feindre
-des miracles, controuver des songes,
-inventer des visions, &amp; produire
-des monstres &amp; des prodiges :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i1 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_216" href="#Footnote_216" class="fnanchor">[216]</a>Quæ vitæ rationem vertere possent,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Fortunasque omnes magno turbare timore.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_216" href="#FNanchor_216"><span class="label">[216]</span></a> Qui pussent changer la façon de vivre,
-&amp; troubler toutes les fortunes par une grande
-crainte.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Ainsy voyons nous qu’Alexandre
-ayant esté avisé par quelque Medecin
-d’un remede souverain contre
-les flesches empoisonnées de
-ses ennemis, il fit croire que Jupiter
-le luy avoit revelé en songe :
-&amp; Vespasian attitroit des personnes
-qui feignoient d’estre aveugles
-&amp; boiteuses, afin qu’il les guerist
-en les touchant ; c’est aussi pour
-cette raison que Clovis accompagna
-sa conversion de tant de miracles ;
-que Charles Sept augmenta
-le credit de Jeanne la Pucelle, &amp;
-l’Empereur d’apresent celuy du
-Pere à Jesus Maria ; sous esperance
-peut-estre de gagner encore
-quelque bataille non moindre que
-celle de Prague.</p>
-
-<p>La troisiéme a pour fondement
-les faux bruits, revelations, &amp;
-propheties, que l’on fait courir à
-dessein pour épouvanter le peuple,
-l’étonner, l’ébranler, ou bien
-pour le confirmer, enhardir &amp;
-encourager, suivant que les occasions
-de faire l’un ou l’autre se presentent.
-Et à ce propos Postel remarque,
-que Mahomet entretenoit
-un fameux Astrologue, qui ne faisoit
-autre chose que prescher une
-grande revolution, &amp; un grand
-changement qui se devoit faire,
-tant en la religion, qu’en l’Empire,
-avec une longue suite de toutes sortes
-de prosperitez, afin de frayer par
-cette invention le chemin au même
-Mahomet, &amp; preparer les peuples
-à recevoir plus volontiers la
-religion qu’il vouloit introduire,
-&amp; par même moyen intimider
-ceux qui ne la voudroient pas approuver,
-par le soupçon qu’ils
-pouvoient avoir de combattre contre
-l’ordre des destinées, en s’opposant
-à ce nouveau favory du
-Ciel, celuy-là estant toujours le
-plus avantagé,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_217" href="#Footnote_217" class="fnanchor">[217]</a>Cui militat æther</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Et conjurati veniunt ad classica venti.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_217" href="#FNanchor_217"><span class="label">[217]</span></a> Pour qui le ciel combat, &amp; les vents d’un
-commun accord vienent au son de ses trompettes.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Ce fut par le moyen de ces folles
-creances que Ferdinand Cortez
-occupa le Royaume de Mexique,
-où il fut receu comme s’il eust
-esté le Topilchin, que tous les
-devins avoient predit devoir bien-tost
-arriver. Et François Pizarre
-dans celuy du Perou, où il entra
-avec le general applaudissement
-de tous les peuples, qui le prenoient
-pour celuy que le Viracoca
-devoit envoyer pour delivrer leur
-Roy de la captivité. Charlemagne
-même penetra bien avant dans
-l’Espagne au moyen d’une vieille
-idole, qui comme les devins avoient
-preveu laissa tomber une
-grosse clef qu’elle tenoit en la
-main ; &amp; les Alarbes ou Sarasins
-venant sous la conduite du Comte
-Julian, à inonder le même
-Royaume d’Espagne, on ne tint
-presque conte de les repousser,
-parce qu’on avoit veu quelque
-temps auparavant leurs faces depeintes
-sur une toile qui fut trouvée
-dans un vieil Chasteau proche
-la ville de Tolede, où l’on croyoit
-qu’elle avoit esté enfermée par
-quelque grand Prophete. Et j’ose
-bien dire avec beaucoup d’Historiens,
-que sans ces belles predictions,
-Mahomet II n’auroit
-pas si facilement pris la ville de
-Constantinople. Mais veut-on un
-exemple plus remarquable, que
-celuy qui arriva en l’an <small>M DC
-XIII</small>, au sujet d’Ascosta Cité
-principale de l’Isle de Magna, laquelle
-estant revoltée contre le
-Sophi, elle fut prise sans beaucoup
-de difficulté par son Lieutenant
-Arcomat, &amp; ce en vertu
-d’une certaine prophetie receuë
-par tradition entre les citoyens,
-qui disoit que si cette ville ne se
-rendoit à Arcomat, elle seroit Arcomatée,
-c’est à dire que si elle
-ne se rendoit à <i>Dissipe</i> elle seroit
-dissipée, encore que si elle eust
-voulu se defendre, elle n’eust peut-estre
-pas esté prise, veu qu’au rapport
-de Garcias <i lang="la" xml:lang="la">ab Horto</i> Medecin
-Portugais, qui y avoit esté trente
-ou quarante ans auparavant, elle
-contenoit cinq lieuës de tour,
-cinquante mille feux, &amp; rendoit
-au Sophi quinze millions six cens
-mille escus chaque année de revenu
-asseuré. C’est doncques un
-grand chemin ouvert aux Politiques
-pour tromper &amp; seduire la
-sotte populace, que de se servir
-de ces predictions pour luy faire
-craindre ou esperer, recevoir ou
-refuser tout ce que bon luy semblera.</p>
-
-<p>Mais celuy d’avoir des Predicateurs
-&amp; de se servir d’hommes
-bien-disans est encore beaucoup
-plus court &amp; plus asseuré, n’y
-ayant rien de quoy l’on ne puisse
-facilement venir à bout par ce stratageme.
-La force de l’eloquence
-&amp; d’un parler fardé &amp; industrieux,
-coule avec tel plaisir dans les
-oreilles, qu’il faut estre sourd, ou
-plus fin que Ulysses, pour n’en
-estre pas charmé ; Aussi est-il vray,
-que tout ce que les Poëtes ont
-écrit des douze labeurs d’Hercules,
-trouve sa mythologie dans
-les differents effets de l’eloquence,
-par le moyen de laquelle ce
-grand homme venoit à bout de
-toutes sortes de difficultez ; c’est
-pourquoy les anciens Gaulois eurent
-bonne raison de le representer
-avec beaucoup de petites chaisnes
-d’or qui sortoient de sa bouche,
-&amp; s’alloient attacher aux
-oreilles d’une grande multitude
-de personnes qu’il trainoit ainsi
-enchainée aprés soy. Ce fut encore
-par ce moyen que</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_218" href="#Footnote_218" class="fnanchor">[218]</a>Sylvestres homines sacer interpresque deorum,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Cædibus &amp; victu fœdo deterruit Orpheus,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Dictus ob hoc lenire Tygres, rabidosque Leones.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Horat. de Art. poët.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_218" href="#FNanchor_218"><span class="label">[218]</span></a> Le divin Orphée interprete des Dieux a
-retiré du meurtre &amp; de la barbarie les hommes
-sauvages ; ce qui luy a donné le bruit d’avoir
-trouvé l’invention d’adoucir les Tygres &amp;
-les Lyons furieux.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et par la même raison Philippe
-Roy de Macedoine, l’un des
-grands Politiques qui ait jamais
-esté, &amp; qui sçavoit fort bien que
-<a id="FNanchor_219" href="#Footnote_219" class="fnanchor">[219]</a><i lang="la" xml:lang="la">omnia summa ratione gesta etiam
-fortuna sequitur</i>, (T. Liv.) ne se
-soucioit point de combattre ouvertement
-&amp; à main forte contre
-les Atheniens, veu qu’il luy estoit
-plus facile de les surmonter par
-l’eloquence de Demosthenes, &amp;
-par les resolutions prejudiciables
-qu’il faisoit passer au Senat. Pericles
-s’aidoit pareillement du beau
-parler d’Ephialte, pour rendre le
-même Estat des Atheniens du
-tout populaire ; &amp; c’est pour cette
-raison que l’on disoit anciennement,
-que les Orateurs avoient
-le même pouvoir sur la populace
-que les vents ont sur la mer. Aprés
-quoy s’il faut aussi parler de nostre
-France, ne sçait-on pas que cette
-fameuse Croisade entreprise avec
-tant de zele par Godefroy de Boüillon,
-fut persuadée &amp; concluë par
-les harangues &amp; predications d’un
-simple homme surnommé Pierre
-l’Hermite, comme la seconde par
-celles de Saint Bernard ; Quoy plus
-y eut-il jamais un meurtre plus
-meschant, &amp; plus abominable que
-celuy de Louys Duc d’Orleans
-fait l’an 1407, par le Duc de Bourgogne ?
-Neanmoins il se trouva
-Maistre Jean Petit Theologien &amp;
-grand Predicateur, qui le sceut si
-bien pallier, couvrir &amp; déguiser
-par les sermons qu’il fit à Paris
-dans le parvis de Nostre-Dame,
-que tous ceux qui vouloient par
-aprés soustenir le party de la Maison
-d’Orleans estoient tenus par
-le peuple pour mutins &amp; rebelles ;
-ce qui les contraignit d’user
-du même artifice que leur ennemy,
-&amp; de se mettre sous la protection
-de ce grand homme de
-bien Jean Gerson, qui entreprit
-leur defense, &amp; fit declarer au
-Concile de Constance la proposition
-tenuë par Petit, pour heretique
-&amp; erronée. Mais comme ce
-Jean Petit avoit esté cause d’un
-grand mal sous Charles VI, il y
-eut un frere Richard Cordelier
-sous Charles VII, qui fut aussi
-cause d’un grand bien ; car en dix
-predications de six heures chacune
-qu’il fit dans Paris, il fit jetter
-dans des feux allumez tout exprés
-aux carrefours, tout ce qu’il y
-avoit de tables, tabliers, cartes,
-billes, billards, dez, &amp; autres jeux
-de sort ou de chance, qui portent
-&amp; violentent les hommes à
-jurer &amp; blasphemer : mais ce bon
-homme ne fut pas si-tost sorti de
-Paris qu’on commença à le mépriser
-&amp; à le gausser ouvertement,
-&amp; le peuple retourna avec plus
-d’application qu’auparavant, à ses
-divertissemens ordinaires : ne plus
-ne moins que les metamorphoses
-étranges, &amp; les conversions, s’il
-faut ainsi dire, miraculeuses que
-faisoit, il n’y a pas vingt ans, le
-Pere Capucin <i>Giacinto da Casale</i>
-par toutes les villes d’Italie où il
-preschoit, ne duroient qu’autant
-de temps que ledit Pere y demeuroit
-pour y exercer les fonctions
-de cette charge. Que si nous descendons
-au regne de François Premier,
-nous y verrons cette grande
-&amp; furieuse bataille de Marignan,
-donnée avec tant d’obstination &amp;
-d’animosité par les Suisses,
-qu’ils combattirent deux jours
-entiers, &amp; se firent presque tous
-étendre sur la place, sans neanmoins
-en avoir eu d’autre sujet
-plus pressant que la Harangue
-que leur fit le Cardinal de Sion
-nommé dans Paul Jove (<i lang="la" xml:lang="la">in elog.</i>)
-<a id="FNanchor_220" href="#Footnote_220" class="fnanchor">[220]</a><i lang="la" xml:lang="la">Sedunensis Antistes</i> ; car aprés l’avoir
-entendu haranguer, ils se resolurent
-de combattre, livrerent la
-bataille, &amp; contesterent la victoire
-jusques à la derniere goutte de
-leur sang. Nous y verrons aussi
-comme Monluc Evêque de Valance,
-fut envoyé vers les Venitiens
-pour legitimer par ses belles
-paroles, le secours que son Maistre
-faisoit venir de Turquie pour se
-defendre contre l’Empereur Charles
-V, &amp; lors que la S. Barthelemy
-fut faite, le même Monluc
-&amp; Pibrac, travaillerent si bien de
-la plume &amp; de la langue, que cette
-grande execution ne put détourner,
-comme nous l’avons déja
-remarqué, les Polonois, quoy
-que instruits particulierement de
-tout ce qui s’y estoit passé par les
-Calvinistes, de choisir Henry III
-pour leur Roy, au prejudice de
-tant d’autres Princes qui n’avoient
-rien épargné pour venir à bout
-de leurs pretentions. Ne fut-ce pas
-aussi une chose remarquable, que
-le premier siege de la Rochelle,
-fut mieux soustenu par les continuelles
-predications de quarante
-Ministres qui s’y estoient refugiez,
-que par tous les Capitaines
-&amp; Soldats dont elle estoit assez
-bien fournie ? Et du temps que
-les Parisiens mangeoient les Chiens
-&amp; les Rats pour n’obeïr pas à un
-Roy heretique, n’estoit-ce pas
-Boucher, Rose, Wincestre, &amp;
-beaucoup d’autres Curez qui les
-entretenoient en cette resolution ?
-Certes il est tres-constant que si
-le Ministre Chamier n’eust esté
-emporté d’un coup de canon sur
-les bastions de Montauban, cette
-ville n’auroit peut-estre pas donné
-moins de peine à prendre que
-la Rochelle. Et lors que Campanelle
-eut dessein de se faire Roy
-de la haute Calabre, il choisit tres
-à propos pour compagnon de son
-entreprise, un frere Denys Pontius,
-qui s’estoit acquis la reputation
-du plus eloquent, &amp; du
-plus persuasif homme qui fust de
-son temps. Aussi voyons nous
-dans l’ancien Testament que Dieu
-voulant delivrer son peuple par
-le moyen de Moyse, qui n’estoit
-bon qu’à commander, à cause
-qu’il estoit begue &amp; homme de
-fort peu de paroles, il luy enjoignit
-de se servir de l’eloquence
-de son frere Aaron. <a id="FNanchor_221" href="#Footnote_221" class="fnanchor">[221]</a><i lang="la" xml:lang="la">Aaron
-frater tuus levites, scio quod eloquens
-sit, loquere ad eum, &amp; pone verba mea
-in ore ejus</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Exodi cap. 4.</span>) &amp; un
-peu aprés il repete encore, <a id="FNanchor_222" href="#Footnote_222" class="fnanchor">[222]</a><i lang="la" xml:lang="la">ecce
-constitui te Deum Pharaonis, &amp; Aaron
-frater tuus erit Propheta tuus, tu loqueris
-ei omnia quæ mandabo tibi, &amp;
-ille loquetur ad Pharaonem</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">cap. 7.</span>)
-C’est ce que les Payens vrais Singes
-de nos Mysteres, ont depuis
-voulu representer par leur Pallas
-Deesse des sciences &amp; de l’eloquence,
-laquelle neanmoins estoit
-armée de la lance, bouclier, &amp;
-bourguignote, pour monstrer que
-les armes ne sçauroient beaucoup
-avancer sans l’eloquence, ny l’eloquence
-sans les armes. Or d’autant
-que cette liaison &amp; assemblage
-de deux si differentes qualitez,
-ne se peut que fort rarement
-trouver en une même personne,
-comme a fort bien monstré Virgile
-par l’exemple de Drances,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i1 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_223" href="#Footnote_223" class="fnanchor">[223]</a>Cui lingua melior, sed frigida bello</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Dextra.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_219" href="#FNanchor_219"><span class="label">[219]</span></a> La fortune accompagne tout ce qu’on fait
-avec un grand raisonnement.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_220" href="#FNanchor_220"><span class="label">[220]</span></a> Prelat de Sion.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_221" href="#FNanchor_221"><span class="label">[221]</span></a> Je sçay que ton frere Aaron le Levite est
-eloquent, parle à luy, &amp; luy mets mes paroles
-en sa bouche.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_222" href="#FNanchor_222"><span class="label">[222]</span></a> Voicy, je t’ay établi Dieu
-sur Pharaon, &amp; ton frere Aaron sera ton Prophete ;
-tu luy diras tout ce que je t’ordonneray,
-&amp; il le dira lui-même à Pharaon.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_223" href="#FNanchor_223"><span class="label">[223]</span></a> Qui a la langue bonne, mais ses mains
-sont froides au combat.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Cela a esté cause, que les plus
-grands Capitaines ont toujours observé
-pour suppléer à ce defaut,
-d’avoir à leur suite, ou de se joindre
-d’affection avec quelqu’un
-assez puissant, pour seconder par
-l’effort de sa langue celuy de leur
-épée : Ninus par exemple se servit
-de Zoroastre, Agamemnon de
-Nestor, Diomedes d’Ulysse, Pyrrhus
-de Cynée, Trajan de Pline
-le Jeune, Theodoric de Cassiodore ;
-&amp; le même se peut ainsi dire
-de tous les grands guerriers
-qui n’ont pas moins que les precedens
-caressé cette <a id="FNanchor_224" href="#Footnote_224" class="fnanchor">[224]</a><i lang="la" xml:lang="la">Venus verticordia</i>,
-&amp; n’ont pareillement ignoré,
-que</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_225" href="#Footnote_225" class="fnanchor">[225]</a>Cultus habet sermo &amp; sapiens mirabile robur,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Imperat affectus varios, animumque gubernat.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_224" href="#FNanchor_224"><span class="label">[224]</span></a> Venus qui change &amp; tourne les cœurs où
-elle veut.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_225" href="#FNanchor_225"><span class="label">[225]</span></a> Un discours sage &amp; bien poli a
-une merveilleuse force, il gouverne l’esprit, &amp;
-commande sur des passions diverses.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Pour moy je tiens le discours si
-puissant, que je n’ay rien trouvé
-jusques à cette heure, qui soit
-exempt de son empire, c’est luy
-qui persuade, &amp; qui fait croire
-les plus fabuleuses religions, qui
-suscite les guerres les plus iniques,
-qui donne voile &amp; couleur
-aux actions les plus noires, qui
-calme &amp; appaise les seditions les
-plus violentes, qui excite la rage
-&amp; la fureur aux ames les plus paisibles ;
-bref c’est luy qui plante
-&amp; abat les heresies, qui fait revolter
-l’Angleterre &amp; convertir le
-Japon,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_226" href="#Footnote_226" class="fnanchor">[226]</a>Limus ut hic durescit, &amp; hæc ut cera liquescit</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Uno eodemque igne.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virg. Ecl. 4.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_226" href="#FNanchor_226"><span class="label">[226]</span></a> Tout ainsi qu’un même feu endurcit la
-bouë &amp; fait fondre la cire.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et si un Prince avoit douze hommes
-de telle trempe à sa devotion,
-je l’estimerois plus fort, &amp; croirois
-qu’il se feroit mieux obeïr en
-son Royaume, que s’il y avoit
-deux puissantes armées. Mais d’autant
-que l’on se peut servir de l’eloquence
-en deux façons pour
-parler ou pour écrire ; il faut encore
-remarquer que cette seconde
-partie n’est pas de moindre consequence
-que la premiere, &amp; j’ose
-dire qu’elle la surpasse en quelque
-façon ; car un homme qui parle
-ne peut estre entendu qu’en un
-lieu &amp; de 3 ou 4000 hommes tout
-au plus,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_227" href="#Footnote_227" class="fnanchor">[227]</a>Gaude quod videant oculi te mille loquentem.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_227" href="#FNanchor_227"><span class="label">[227]</span></a> Réjouï-toi de ce qu’il y a mille yeux qui
-te voient parler.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Là où celuy qui escrit peut declarer
-ses conceptions en tous
-lieux, &amp; à toutes personnes. J’ajouste
-que beaucoup de bonnes
-raisons échapent souvent aux oreilles
-par la precipitation de la
-langue, qui ne peuvent si facilement
-tromper les yeux quand ils
-repassent plusieurs fois sur une
-même chose. Et ce que les armes
-ne peuvent bien souvent obtenir
-sur les hommes, ceux-cy le gagnent
-par une simple declaration
-ou manifeste. C’est pourquoy
-François I, &amp; Charles cinq ne se
-faisoient pas moins la guerre avec
-leurs lettres &amp; apologies, qu’avec
-les lances &amp; les épées : &amp; nous
-avons veu de nostre temps, que
-la querelle du Pape &amp; des Venitiens ;
-le debat sur le serment de
-fidelité en Angleterre ; la faveur
-du Marquis d’Ancre &amp; Messieurs
-de Luyne en France, la guerre
-du Palatin en Allemagne, &amp; des
-Valtelins en Suisse, ont produit
-une infinité de libelles autant prejudiciables
-aux uns que favorables
-aux autres. Ceux qui ont veu
-les merveilleux effets qu’ont produit
-la Cassandre &amp; l’Ombre de
-Henry le Grand contre le Marquis
-d’Ancre, le Contadin Provençal
-&amp; l’Hermite du mont Valerien,
-contre Messieurs de Luyne ;
-le Mot à l’oreille &amp; la voix
-publique, contre le Marquis de la
-Vieuville, <a id="FNanchor_228" href="#Footnote_228" class="fnanchor">[228]</a>l’<i lang="la" xml:lang="la">Admonitio</i> même, &amp;
-le <i lang="la" xml:lang="la">Mysteria Politica</i> de Jansenius,
-contre les bons desseins de nostre
-Roy. Ceux-là dis-je ne peuvent
-pas douter combien de semblables
-écrits ont de force. Et Dieu veüille
-que ceux n’en ayent pas tant contre
-l’estat present de la France qui
-sont journellement envoyez de
-Bruxelles, ou qu’il se trouve des
-personnes assez capables &amp; affectionnées,
-pour defendre vigoureusement
-les interests du Roy
-contre les mutinez, comme le Pere
-Paul l’Hermite a courageusement
-defendu la cause des Venitiens ;
-&amp; Pibrac &amp; Monluc celle
-de Charles IX &amp; de Henry III,
-contre les plus furieuses médisances
-de tous les Calvinistes.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_228" href="#FNanchor_228"><span class="label">[228]</span></a> L’advertissement &amp; les Mysteres Politiques.</p>
-</div>
-<p>Mais aprés avoir amplement
-discouru de tous ces moyens pour
-accommoder la Religion aux
-choses Politiques, il ne faut pas
-oublier celuy qui a toujours esté
-le plus en usage, &amp; plus subtilement
-pratiqué, qui est d’entreprendre
-sous le pretexte de Religion
-ce qu’aucun autre ne pourroit
-rendre valable &amp; legitime.
-Et en effet le proverbe communément
-usurpé par les Juifs,
-<a id="FNanchor_229" href="#Footnote_229" class="fnanchor">[229]</a><i lang="la" xml:lang="la">in nomine Domini committitur omne
-malum</i>, ne se trouve pas moins veritable,
-que le reproche que fit le
-Pape Leon à l’Empereur Theodose,
-<a id="FNanchor_230" href="#Footnote_230" class="fnanchor">[230]</a><i lang="la" xml:lang="la">privatæ causæ pietatis aguntur
-obtentu, &amp; cupiditatum quisque
-suarum religionem habet velut pedissequam</i>.
-De quoy puis que les exemples
-sont si communs que tous
-les livres ne sont pleins d’autre
-chose, je me contenteray, aprés
-avoir assez parlé de nos François,
-de m’arrester icy sur les Espagnols
-&amp; de suivre ponctuellement
-ce que Mariana le plus fidele de
-leurs Historiens en a remarqué.
-Il dit doncques en parlant des premiers
-Goths, qui occuperent les
-Espagnes, &amp; des guerres qu’ils
-faisoient pour se chasser les uns les
-autres, qu’ils se servoient de la
-Religion comme d’un pretexte
-pour regner, &amp; son refrain ordinaire
-est, <a id="FNanchor_231" href="#Footnote_231" class="fnanchor">[231]</a><i lang="la" xml:lang="la">optimum fore judicavit
-religionis prætextum</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">l. 6. c. 5.</span>) en
-parlant du Roy Josenand qui se
-fit assister des Bourguignons Arriens
-pour chasser le Roy Suintila ;
-&amp; lors qu’il est question des
-Roys de Chintila, <a id="FNanchor_232" href="#Footnote_232" class="fnanchor">[232]</a><i lang="la" xml:lang="la">cum species religionis
-obtenderetur</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">c. 6.</span>) comme
-aussi décrivant en quelle façon
-Ervigius avoit chassé le Roy
-Wamba, <a id="FNanchor_233" href="#Footnote_233" class="fnanchor">[233]</a><i lang="la" xml:lang="la">optimum visum est religionis
-speciem obtendere</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">c. 7.</span>) &amp;
-quand deux freres de la Maison
-d’Arragon <a id="FNanchor_234" href="#Footnote_234" class="fnanchor">[234]</a><i lang="la" xml:lang="la">violento imperiosi Pontificis
-mandato</i> (c’estoit Boniface VIII)
-s’armerent l’un contre l’autre, ce
-bon Pere remarque fort à propos,
-qu’il n’y avoit rien de plus inhumain,
-que de violer ainsi les loix
-de la nature, <a id="FNanchor_235" href="#Footnote_235" class="fnanchor">[235]</a><i lang="la" xml:lang="la">sed tanti fides religioque
-fuere</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">lib. 51. c. 1.</span>) &amp; le même
-encore parlant de la Navarre, que
-Ferdinand <a id="FNanchor_236" href="#Footnote_236" class="fnanchor">[236]</a><i lang="la" xml:lang="la">immensa imperandi ambitione</i>,
-osta à sa propre Niepce,
-il ajouste pour excuse, <a id="FNanchor_237" href="#Footnote_237" class="fnanchor">[237]</a><i lang="la" xml:lang="la">sed species
-religionis prætexta facto est, &amp;
-Pontificis jussa</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">lib. 25. cap. ult.</span>)
-Mais parce que ce ne seroit jamais
-fait de vouloir alleguer tous les
-endroits où ce brave auteur a fait
-de semblables remarques, j’attesteray
-tout son livre entier qui n’est
-plein d’autre chose ; &amp; passant à
-Charles V, je produiray contre luy
-ce que disoit François I, en son
-apologie de l’an 1537. <i>Charles veut
-empieter sur les Estats sous couleur de
-Religion.</i> Et en parlant de la guerre
-d’Allemagne, <i>l’Empereur sous couleur
-de religion armé de la ligue des
-Catholiques, veut opprimer l’autre &amp;
-se faire le chemin à la Monarchie</i>,
-Ce qui fut aussi fort bien remarqué
-par Monsieur de Nevers au
-passage que nous avons allegué
-cy-dessus. Finalement lors que
-le feu Roy Jacques fut appellé
-à la Couronne d’Angleterre, le
-Roy d’Espagne se hasta de noüer
-une étroitte alliance avec luy, le
-Connestable de Castille y fut envoyé,
-la relation en a esté imprimée,
-&amp; Rovida Senateur de
-Milan appelle cette alliance une
-œuvre tres-sainte, reconnoist le
-Roy d’Angleterre pour un tres-saint
-Prince Chrestien, luy offre
-de la part du Roy son Maistre
-toutes ses forces par mer &amp; par
-terre, &amp; proteste que le Roy
-d’Espagne le fait <a id="FNanchor_238" href="#Footnote_238" class="fnanchor">[238]</a><i lang="la" xml:lang="la">divinâ admonitione,
-divinâ voluntate, divinâ ope, non
-nisi magno Dei beneficio</i>. Puis doncques
-que le naturel de la plûpart
-des Princes est de traitter de la religion
-en Charlatans, &amp; de s’en servir
-comme d’une drogue, pour
-entretenir le credit &amp; la reputation
-de leur theatre, on ne doit
-pas, ce me semble, blâmer un Politique,
-si pour venir à bout de
-quelque affaire importante, il a
-recours à la même industrie, bien
-qu’il soit plus honneste de dire
-le contraire, &amp; que pour en parler
-sainement,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_239" href="#Footnote_239" class="fnanchor">[239]</a>Non sunt hæc dicenda palam, prodendaque vulgo,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Quippe hominum plerique mali, plerique scelesti.</div>
-</div>
-
-<p class="attr">(Palingen. in Libra.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_229" href="#FNanchor_229"><span class="label">[229]</span></a> Sous le nom de Dieu on commet toute sorte
-de mal.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_230" href="#FNanchor_230"><span class="label">[230]</span></a> On traite des affaires privées sous
-le pretexte de la religion, qu’un chacun rend
-chambriere de ses convoitises.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_231" href="#FNanchor_231"><span class="label">[231]</span></a> Il jugea que le pretexte de la religion seroit
-tres-bon.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_232" href="#FNanchor_232"><span class="label">[232]</span></a> Lors qu’on faisoit parade de
-la religion.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_233" href="#FNanchor_233"><span class="label">[233]</span></a> Il fut trouvé fort bon, de faire
-parade de la religion.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_234" href="#FNanchor_234"><span class="label">[234]</span></a> Par un ordre violent
-qu’un Pape imperieux donna.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_235" href="#FNanchor_235"><span class="label">[235]</span></a> Mais la foy &amp; la religion eurent tant de
-force.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_236" href="#FNanchor_236"><span class="label">[236]</span></a> Par l’immense ambition qu’il avoit
-de commander à tous.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_237" href="#FNanchor_237"><span class="label">[237]</span></a> Mais il se
-couvrit du pretexte de la religion, &amp; des ordres
-du Pape.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_238" href="#FNanchor_238"><span class="label">[238]</span></a> Par un avertissement divin, par la volonté
-divine, par l’assistance divine, &amp; comme
-par une grande grace de Dieu.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_239" href="#FNanchor_239"><span class="label">[239]</span></a> On ne doit point découvrir ny reveler de
-telles choses au menu peuple, veu que parmy
-les hommes il y en a tant de méchants &amp; de
-scelerats.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Toutes ces maximes neanmoins
-demeureroient sans lustre, &amp; sans
-éclat, si elles n’estoient rehaussées,
-&amp; comme animées d’une
-autre, qui nous enseigne de les
-prendre par le bon biais, &amp; de
-bien choisir l’heure &amp; le temps
-favorable pour les mettre en execution,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_240" href="#Footnote_240" class="fnanchor">[240]</a>Data tempore prosunt,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Et data non apto tempore multa nocent.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_240" href="#FNanchor_240"><span class="label">[240]</span></a> Les choses qu’on applique opportunément,
-profitent &amp; reüssissent bien ; mais il y
-en a beaucoup qui sont fort nuisibles, quand
-elles ne sont pas appliquées en un temps propre.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et encore n’est-ce pas assez d’avoir
-acquis cette prudence ordinaire
-&amp; commune à beaucoup de
-Politiques, si nous ne passons à
-une autre encore plus rafinée, &amp;
-qui est seulement propre aux plus
-rusez &amp; experimentez Ministres,
-pour se prevaloir des occasions
-fortuites, &amp; tirer profit &amp; avantage
-de ce qui auroit esté negligé
-de quelque autre, ou qui peut-estre
-luy auroit porté prejudice.
-Telle fut l’occasion de cette grande
-eclipse qui arriva sous l’Empereur
-Tibere, lors que toutes les
-legions de Hongrie estoient si fierement
-revoltées, qu’il n’y avoit
-quasi aucune apparence de les
-pouvoir appaiser ; car un autre
-moins avisé que Drusus eust negligé
-cette occasion, &amp; n’eust jamais
-pensé d’en pouvoir tirer
-quelque avantage ; mais luy voyant
-que les mutins avoient conceu
-une grande frayeur de cette obscurité,
-parce qu’ils n’en sçavoient
-pas la cause, il prit l’occasion aux
-cheveux, &amp; les intimida de telle
-sorte, qu’il vint à bout par cet accident
-de ce à quoy tous les autres
-Chefs, &amp; luy-même auparavant
-desesperoient de pouvoir
-donner ordre. Tel fut aussi le
-stratageme duquel le Roy Tullus
-couvrit ingenieusement la retraitte
-de Metius Suffetius, voire même
-en tira un avantage nompareil,
-faisant courir le bruit &amp; passer
-parole d’escadron en escadron,
-qu’il l’avoit envoyé pour surprendre
-ses ennemis, &amp; leur oster
-tout moyen de retraite : En suite
-de quoy je m’étonne bien fort,
-comme T. Live &amp; Corneille Tacite,
-qui rapportent ces deux Histoires,
-se sont contentez d’en tirer
-des conclusions particulieres,
-&amp; que le premier ait seulement
-dit, <a id="FNanchor_241" href="#Footnote_241" class="fnanchor">[241]</a><i lang="la" xml:lang="la">Stratagema est, quæ in certamine
-à transfugis nostris perfide fiunt,
-ea dicere fieri nostro jussu</i> ; &amp; l’autre,
-<a id="FNanchor_242" href="#Footnote_242" class="fnanchor">[242]</a><i lang="la" xml:lang="la">In commoto populo sedando, convertenda
-in sapientiam &amp; occasionem mitigationis,
-quæ casus obtulit, &amp; quæ
-populos ille pavet aut observat etiam
-superstitiosè</i>, veu qu’il falloit tout
-d’un coup en tirer cette regle generale,
-<a id="FNanchor_243" href="#Footnote_243" class="fnanchor">[243]</a><i lang="la" xml:lang="la">quæ casus obtulit in sapientiam
-vertenda</i>, puis que non seulement
-aux trahisons, &amp; aux mutineries,
-mais en toutes autres sortes
-d’affaires &amp; de rencontres,
-<a id="FNanchor_244" href="#Footnote_244" class="fnanchor">[244]</a><i lang="la" xml:lang="la">mos est hominibus</i>, comme dit Cassiodore,
-<i lang="la" xml:lang="la">occasiones repentinas ad artes
-ducere</i>. Ainsi lisons nous que
-Christophle Colomb, aprés avoir
-supputé le temps auquel une grande
-eclipse devoit arriver, il menaça
-certains habitans du nouveau
-Monde, de convertir la Lune en
-sang, &amp; de la leur oster entierement,
-s’ils ne luy fournissoient
-les rafraischissemens dont il avoit
-besoin, &amp; qui luy furent incontinent
-envoyez, dés aussi-tost que
-l’eclipse commença de paroistre.
-J’ay remarqué cy-dessus que Ferdinand
-Cortez fit croire aux habitans
-de Mexique, qu’il estoit
-le Dieu Tophilchin, pour entrer
-plus facilement dans leur Royaume ;
-&amp; que François Pizarre se
-servant du même stratageme en
-la conqueste du Perou, se faisoit
-nommer le Viracoca. Ce fut encore
-par ce moyen que Mahomet
-changea son epilepsie en extase,
-&amp; que Charles V se servit
-de l’heresie de Luther, pour diviser
-&amp; affoiblir les Princes d’Allemagne,
-qui pouvoient en demeurant
-unis controller l’autorité
-qu’il vouloit avoir dans l’Empire,
-&amp; empescher le projet qu’il
-avoit dressé d’une Monarchie universelle.
-Disons encore que le
-même Empereur, n’ayant plus
-l’esprit &amp; le jugement assez fort
-pour gouverner un Estat si grand
-qu’estoit le sien, &amp; voyant d’ailleurs
-que la fortune naissante de
-Henry II, mettoit des bornes à la
-sienne, se mocquoit de son <a id="FNanchor_245" href="#Footnote_245" class="fnanchor">[245]</a><i lang="la" xml:lang="la">plus
-ultra</i>, &amp; faisoit dire aux Pasquinades,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_246" href="#Footnote_246" class="fnanchor">[246]</a>Siste pedem Metis, hæc tibi meta datur.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_241" href="#FNanchor_241"><span class="label">[241]</span></a> C’est un stratageme, que de dire, que ce
-que nos transfuges font perfidement pendant
-le combat, se fait par nostre ordre.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_242" href="#FNanchor_242"><span class="label">[242]</span></a> Pour appaiser l’émotion d’un peuple, il faut tourner
-en sagesse &amp; en occasion de l’addoucir les choses
-que le cas fortuit presente, &amp; celles dont ce
-peuple s’épouvante, ou qu’il observe avec superstition.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_243" href="#FNanchor_243"><span class="label">[243]</span></a> Il faut tourner en sagesse les choses que le
-cas fortuit presente.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_244" href="#FNanchor_244"><span class="label">[244]</span></a> Les hommes ont accoutumé
-de mettre en œuvre &amp; se servir artificieusement
-des rencontres impreveües.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_245" href="#FNanchor_245"><span class="label">[245]</span></a> Plus outre.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_246" href="#FNanchor_246"><span class="label">[246]</span></a> Arreste toi à Mets, car c’est
-là la borne qui t’est donnée.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Il couvrit toutes ces disgraces,
-du voile de Pieté &amp; de Religion,
-s’enfermant dans un cloistre, où il
-eut pareillement la commodité de
-faire penitence du peché secret,
-qu’il avoit commis en la naissance
-d’un fils bastard, qui luy estoit
-aussi neveu. Ainsi Philippe II,
-prit sujet de casser tous les Privileges
-extraordinaires des Arragonois,
-sur la protection qu’ils
-voulurent donner à Antonio Perez ;
-&amp; je trouve entre nos Roys
-de France que Philippe premier
-augmenta beaucoup son Royaume,
-&amp; le delivra s’il faut ainsi dire
-de la Tutele des Maires du Palais,
-pendant que tous les Princes
-de la France, &amp; son Frere même
-estoient occupez à combattre
-les Sarrasins, sous la conduite
-de Godefroy de Boüillon ; &amp;
-pendant la troisiéme Croisade, on
-pourroit dire que Philippe Auguste
-abandonna le Roy Richard
-d’Angleterre, pour s’en revenir en
-France broüiller les affaires des
-Anglois, parce qu’en matiere
-d’Estat, <a id="FNanchor_247" href="#Footnote_247" class="fnanchor">[247]</a><i lang="la" xml:lang="la">quædam nisi fallacia vires
-assumpserint, fidem propositi non inveniunt,
-laudemque occulto magis tramite
-quàm via recta petunt</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Val.
-Max. l. 7. cap. 3.</span>)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_247" href="#FNanchor_247"><span class="label">[247]</span></a> Il y a de certaines choses qui ne rencontrent
-pas la croyance qu’on s’est proposée, si
-elles n’ont pris des forces par le moyen de quelque
-tromperie, &amp; qui cherchent plustost la
-loüange par quelques sentiers cachez que par
-des voyes droites.</p>
-</div>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch5"><span class="sc">Chapitre V.</span><br />
-<span class="i">Quelles conditions sont requises au
-Ministre avec qui l’on peut
-concerter les Coups
-d’Estat.</span></h2>
-
-
-<p>L’on me pourra objecter icy
-que je ne devrois traitter des
-conditions du Ministre, qu’aprés
-avoir parlé de celles du Prince,
-puis que c’est luy qui donne le
-premier branle &amp; mouvement à
-tout ce qui est fait dans son Conseil,
-comme le premier mobile entraine
-tous les Cieux avec soy, &amp;
-le Soleil communique sa lumiere
-à tous les Astres &amp; Planetes : Mais
-à cela je puis répondre, que les
-Souverains nous sont donnez ou
-par succession ou par élection ;
-or de ces deux moyens le premier
-suit la nature, à laquelle
-nous obeïssons ponctuellement,
-sans restriction ou consideration
-d’aucune circonstance voire
-même,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_248" href="#Footnote_248" class="fnanchor">[248]</a>Dum pecudes auro, dum murice vestit Asellos.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_248" href="#FNanchor_248"><span class="label">[248]</span></a> Quand il revest d’or les brebis, &amp; les ânes
-de pourpre.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et le second dépend des brigues,
-monopoles, &amp; cabales de ceux qui
-se trouvent les plus riches, &amp; les
-plus puissans d’amis, de faveurs,
-&amp; d’argent, pour satisfaire à leur
-ambition ; de maniere que ce seroit
-parler en vray pedant, de
-proposer ou de penser seulement,
-que les considerations de la vertu
-&amp; des merites, puissent avoir
-lieu parmy un tel desordre. Mais
-pour ce qui est des Ministres, on
-en peut philosopher d’autre façon,
-parce qu’ils dependent absolument
-du choix que le Prince en
-peut faire ; luy estant permis, voire
-même bien-seant &amp; honorable,
-de trier soigneusement d’entre
-tous ses amis ou domestiques,
-celuy qu’il jugera estre le mieux
-conditionné pour le serieux employ
-où il le veut mettre, <a id="FNanchor_249" href="#Footnote_249" class="fnanchor">[249]</a><i lang="la" xml:lang="la">Sapientissimum
-enim dicunt eum esse cui quod
-opus sit veniat in mentem, proximè
-accedere, illum qui alterius bene inventis
-obtemperet.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">Cicero pro Cluentio.</span>)
-J’ajouste encore qu’outre
-l’honneur que le Prince reçoit
-d’une telle election, il en retire
-une commodité tres-grande, &amp; si
-considerable, que s’il ne se veut
-negliger &amp; abandonner luy-même,
-il est presque necessité de proceder
-à cette election, Velleius Paterculus
-ayant remarqué fort à
-propos, que <a id="FNanchor_250" href="#Footnote_250" class="fnanchor">[250]</a><i lang="la" xml:lang="la">magna negotia magnis
-adjutoribus egent</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">lib. 2.</span>) &amp; Tacite,
-que <a id="FNanchor_251" href="#Footnote_251" class="fnanchor">[251]</a><i lang="la" xml:lang="la">gravissimi Principis labores queis
-orbem terræ capessit, egent adminiculis</i>.
-(<span lang="la" xml:lang="la">12. Annal.</span>) Joint que comme
-dit fort bien Euripides, σοφὸς
-τύραννος τῶν σοφῶν συνουσίᾳ, <a id="FNanchor_252" href="#Footnote_252" class="fnanchor">[252]</a><i lang="la" xml:lang="la">princeps
-fit sapiens sapientum commercio</i>.
-Et en effet les Histoires nous apprennent,
-que ceux-là ont toujours
-esté estimez les plus sages
-entre les Princes, qui n’ont rien
-fait de leurs testes, ny sans avis
-de quelque fidele &amp; asseuré Ministre ;
-d’où vient qu’Alexandre
-avoit toujours auprés de soy Clitus
-&amp; Ephestion : qu’Auguste ne
-faisoit rien sans l’avis de Mecenas
-&amp; d’Agrippa ; que Neron fut le
-meilleur des Empereurs pendant
-qu’il suivit le conseil de Burrus
-&amp; de Seneque ; &amp; pour venir à
-ce qui est plus de nostre connoissance,
-Charles V &amp; Philippes II,
-ont eu les Sieurs de Chevres, &amp;
-Ruy de Gomez pour confidents,
-tout ainsi que les intimes Conseillers
-de Charles VII, furent
-en divers temps le Comte de Dunois,
-Louvet President de Provence,
-Tannegui du Chastel, &amp;
-un Comte de Dammartin. Pour
-ce qui est de son fils Louys XI,
-comme il estoit d’un esprit défiant,
-variable, &amp; toujours trouble,
-aussi changea-t-il plusieurs fois
-de serviteurs secrets &amp; affidez,
-mais neanmoins il en avoit toujours
-quelqu’un à qui il se communiquoit
-plus librement qu’aux
-autres, témoin le Cardinal Ballue,
-Philippes de Comines, &amp; son Medecin
-Cottier. Charles VIII en
-fit de même du Cardinal Brissonet,
-&amp; son successeur Louys XII,
-du Cardinal d’Amboise qui le
-possedoit entierement. Le Roy
-François I avoit plus de fiance à
-l’Amiral d’Annebaut qu’à nul
-autre, &amp; Henry II, au Connestable
-de Montmorency. Bref
-nous voyons dans la suite de nos
-Annales, que les deux freres de
-Lorraine furent l’appuy de François
-II, le Cardinal Birague de
-Charles IX, Monsieur d’Espernon
-de Henry III, Messieurs de
-Sully, Villeroy, &amp; Sillery de Henry
-IV, &amp; Monseigneur le Cardinal
-de Richelieu de nostre Roy
-Louys le Juste &amp; le Triomphant.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_249" href="#FNanchor_249"><span class="label">[249]</span></a> Car on appelle le plus sage celuy, à qui
-vient en la pensée tout ce dont il a besoin, &amp;
-que celui-là en approche de bien prés qui
-obeït aux bonnes inventions qu’un autre a
-trouvées.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_250" href="#FNanchor_250"><span class="label">[250]</span></a> Les grandes affaires ont besoin de
-grandes aides.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_251" href="#FNanchor_251"><span class="label">[251]</span></a> La plus grande peine qu’un
-Prince puisse prendre à gouverner le monde, a
-besoin d’assistance.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_252" href="#FNanchor_252"><span class="label">[252]</span></a> Le Prince se rend sage par le commerce
-qu’il a avec les sages.</p>
-</div>
-<p>Mais cette maxime estant établie
-comme tres-certaine &amp; veritable,
-que les Princes doivent avoir
-quelque Conseiller secret &amp; affidé,
-les Politiques se trouvent bien en
-peine à se resoudre, s’ils se doivent
-contenter d’un seul, ou en avoir
-plusieurs en égal &amp; pareil degré de
-confidence. Car si l’on veut agir
-par raisons &amp; par exemples, Xenophon
-nous avertira d’un costé,
-que πολλοὶ βασιλέως ὀφθαλμοὶ καὶ
-πολλοὰ ὤτα, <a id="FNanchor_253" href="#Footnote_253" class="fnanchor">[253]</a><i lang="la" xml:lang="la">multi debent esse Regis
-oculi, &amp; multæ aures</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">l. 28. pæd.</span>)
-&amp; le Triumvirat qui a si heureusement
-gouverné la France sous
-Henry IV, fera foy de son dire,
-quand bien nous n’aurions pas
-l’exemple d’Auguste &amp; des anciens.
-D’ailleurs aussi nous sçavons
-qu’entre plusieurs <a id="FNanchor_254" href="#Footnote_254" class="fnanchor">[254]</a><i lang="la" xml:lang="la">non voto vivitur
-uno</i>, &amp; qu’en matiere d’affaires
-il n’y a rien de plus prejudiciable,
-ny de plus fascheux que la diversité
-d’opinions ; que la haine,
-l’ambition, la vaine gloire ou passions
-semblables font bien souvent
-proposer &amp; autoriser, ce qui
-est directement contraire à la raison,
-&amp; Tacite remarque fort à
-propos, que <a id="FNanchor_255" href="#Footnote_255" class="fnanchor">[255]</a><i lang="la" xml:lang="la">cæde Messalinæ convulsa
-est Principis domus, orto apud
-libertos certamine</i> : de sorte que tout
-ainsi que le grand nombre de Medecins
-tuë souvent les malades,
-le trop grand nombre de Conseillers
-ruine aussi presque toujours
-les affaires. C’est pourquoy
-il me semble à propos pour
-accorder ces deux opinions si differentes,
-d’user de quelque distinction,
-&amp; de dire, que si le
-Prince se juge assez fort, autorisé,
-judicieux, &amp; capable pour
-estre au dessus de ses Conseillers
-&amp; Confidens, il est bon d’en
-avoir trois ou quatre, parce que
-aprés qu’ils auront opiné sur
-quelque incident, il en pourra tirer
-diverses ouvertures ou moyens,
-&amp; choisir celuy qu’il estimera
-plus expedient d’executer : Mais
-s’il est d’un esprit foible, peu
-entendu &amp; incapable de choisir
-le meilleur avis &amp; le faire suivre,
-il est sans doute plus expedient,
-qu’il ne se confie qu’à un seul
-qu’il choisira pour le plus judicieux
-&amp; mieux conditionné de
-tous les autres ; parce que s’il se
-commet à plusieurs, il peut arriver
-que chacun d’eux aura ses
-interests particuliers differents,
-ses intentions diverses, ses desseins
-tout à fait dissemblables,
-sur quoy le Prince n’estant pas
-en estat de les regler, &amp; de leur
-servir de chef, les brigues &amp;
-les partis se formeront dans son
-Conseil, l’ambition s’y coulera,
-&amp; la jalousie qui la suit d’aussi
-prés comme elle fait l’amour,
-la raison n’y fera rien, &amp; la
-passion y fera tout, le secret en
-sera banny, &amp; cependant le pauvre
-Prince sera inquieté d’une
-étrange façon, il ne sçaura à quoy
-se resoudre, ny de quel costé
-se tourner, il servira de fable
-à son peuple, &amp; de joüet
-à la passion de ses Ministres.
-C’est ce qui a esté tres-judicieusement
-remarqué par Tacite
-à propos de l’Empereur Galba,
-<a id="FNanchor_256" href="#Footnote_256" class="fnanchor">[256]</a><i lang="la" xml:lang="la">quippe hiantes in magna fortuna amicorum
-cupiditates, ipsa Galbæ facilitas
-intendebat ; cum apud infirmum &amp;
-credulum minori metu, &amp; majori
-præmio peccaretur</i>. Autant en arriva-t-il
-à l’Empereur Claudius, &amp;
-de nostre temps à Charles VIII,
-en ce qui concernoit les affaires
-de Pise &amp; Siene. Guicciardin fait
-la même remarque de Clement
-VII, &amp; les Politiques Italiens
-ont pris sujet d’en former cet
-Axiome, <a id="FNanchor_257" href="#Footnote_257" class="fnanchor">[257]</a><i lang="it" xml:lang="it">Ogni volta che un Principe
-sarà in mano di più, quando non habbia
-consiglio e prudenza da se, sarà
-preda da tutti</i> ; où au contraire s’il
-ne se fie qu’à un seul Ministre bien
-conditionné &amp; entretenu suivant
-les devoirs reciproques de maistre
-à serviteur, toutes choses en iront
-beaucoup mieux pour le Prince,
-son credit luy sera conservé, son
-autorité maintenuë, sa personne
-aimée, ses commandemens executez,
-&amp; tout son Estat en recevra
-des fruits pareils à ceux que
-reçoit maintenant la France du sage
-gouvernement de Monseigneur
-le Cardinal de Richelieu.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_253" href="#FNanchor_253"><span class="label">[253]</span></a> Le Roy doit avoir plusieurs yeux, &amp; plusieurs
-oreilles.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_254" href="#FNanchor_254"><span class="label">[254]</span></a> On n’est pas toujours d’un même sentiment.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_255" href="#FNanchor_255"><span class="label">[255]</span></a> Par la mort de Messalina la maison
-du Prince fut toute bouleversée, à cause de la
-contestation qui survint entre ses affranchis.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_256" href="#FNanchor_256"><span class="label">[256]</span></a> Car la trop grande facilité de Galba augmentoit
-la convoitise de ses amis, qui baailloient
-aprés une grande fortune ; veu même
-que les fautes que l’on commettoit auprés
-d’un esprit foible &amp; credule comme le
-sien, estoient suivies de moins d’apprehension,
-&amp; de plus de recompense.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_257" href="#FNanchor_257"><span class="label">[257]</span></a> Toutes les fois
-qu’un Prince se met entre les mains de plusieurs,
-s’il n’a du conseil &amp; de la prudence de
-soy-même, il sera la proye de tous.</p>
-</div>
-<p>Cela donc estant resolu qu’un
-Prince doit avoir quelque Ministre
-ou Conseiller secret, fidele, &amp;
-confident, il faut maintenant voir
-de quelle façon il le peut choisir,
-&amp; quelles qualitez il doit rechercher
-en sa personne ; ou pour
-mieux dire, de quelle condition
-il le doit prendre, tant pour ce
-qui est du corps &amp; des accidens
-qui le suivent, que de l’esprit.
-Aprés quoy nous ajousterons aussi
-ce que doit contribuer le Prince
-à la satisfaction de son Ministre,
-&amp; mettrons fin à ce present discours.</p>
-
-<p>Or pour ce qui est du premier
-point qui nous doit principalement
-monstrer de quelle qualité,
-office ou sorte de personnes
-on peut prendre un Ministre, je
-m’y trouve aussi empesché que
-l’estoit Vegece pour resoudre de
-quel lieu &amp; de quelle condition
-de personnes on pouvoit choisir
-un bon soldat. Car comme toutes
-les affaires ne sont pas semblables,
-aussi toutes sortes de personnes
-ne sont pas toujours bonnes
-à toutes sortes de negociations,
-non plus que tout bois
-n’estoit anciennement propre à
-faire la statue de Mercure. Je diray
-neanmoins pour vuider ce
-different, qu’il faut distinguer
-entre le Ministre de Conseil, &amp;
-le Ministre d’execution, car encore
-que l’on leur puisse donner à
-tous deux cet avertissement rapporté
-par T. Live, (<i lang="la" xml:lang="la">lib. <span class="rm">24</span>.</i>) <a id="FNanchor_258" href="#Footnote_258" class="fnanchor">[258]</a><i lang="la" xml:lang="la">magis
-nullius interest quàm tua, T. Ofacili,
-non imponi cervicibus tuis onus,
-sub quo concidas</i> ; il faut neanmoins
-pour les considerer tous deux en
-particulier, y apporter aussi des
-conditions differentes, &amp; dire
-pour ce qui est du dernier, qu’on
-ne peut manquer de le tirer d’entre
-les plus nobles &amp; illustres familles,
-afin qu’il exerce la charge
-&amp; le commandement qu’on luy
-donnera, avec plus d’éclat, de
-grandeur &amp; d’autorité. Il faut
-aussi prendre garde qu’il ait l’inclination
-&amp; la suffisance proportionnée
-à l’employ auquel il est
-destiné,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_259" href="#Footnote_259" class="fnanchor">[259]</a>Nec enim loricam poscit Achillis Thersites.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_258" href="#FNanchor_258"><span class="label">[258]</span></a> Il t’importe plus qu’à aucun autre, Titus
-Ofacilius, de ne te charger pas d’un fardeau
-dont tu puisses estre accablé.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_259" href="#FNanchor_259"><span class="label">[259]</span></a> Car
-un Thersite ne demande pas la cuirasse d’Achilles.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et comme un Appius ne duisoit
-aucunement aux affaires populaires,
-Cleon n’entendoit pas la conduite
-d’une armée, Philopœmen
-ne sçavoit nullement commander
-sur mer, Pericles n’estoit bon que
-pour gouverner, Diomedes que
-pour combattre, Ulysse que pour
-conseiller ; il faut de même tirer
-avantage de ces diverses inclinations,
-afin d’appeller à chaque
-vacation celuy qui pour y avoir
-du naturel, la peut exercer avec
-honneur &amp; satisfaction ; autrement
-ce seroit faire tort à ceux
-qui sont nez pour commander, de
-les assujettir aux autres, qui ne
-sont faits que pour obeïr ; à ceux
-qui ne sont pas hardis &amp; belliqueux,
-de leur donner la conduite
-d’une armée ; &amp; d’employer
-aux Ambassades ceux qui
-ne sçavent ny parler ny haranguer ;
-estant beaucoup plus à propos,
-comme nous avertit un Ancien,
-<a id="FNanchor_260" href="#Footnote_260" class="fnanchor">[260]</a><i lang="la" xml:lang="la">quemque cuique functioni pro
-indole admovere</i> : mais pour ce qui
-est du choix d’un Ministre secret,
-je croy qu’on en peut discourir
-d’autre façon, &amp; pour resoudre le
-doute proposé cy-dessus si on le
-doit tirer d’entre les familles illustres
-de l’Estat, ou des personnes
-de mediocre condition ; il me semble
-qu’on le peut faire de toutes
-les deux sortes indifferemment,
-parce que <a id="FNanchor_261" href="#Footnote_261" class="fnanchor">[261]</a><i lang="la" xml:lang="la">dum nullum fastidiretur
-genus in quo eniteret virtus, crevit
-imperium Romanum</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">T. Livius
-lib. 4.</span>) Il y a toutefois ces difficultez
-du costé des nobles &amp;
-grands Seigneurs, qu’ils sont enviez
-des autres, que bien souvent
-au lieu d’obeïr ils veulent
-commander, qu’ils conseillent
-plutost le Prince suivant leur interest
-particulier, que le bien de
-l’Estat, qu’ils veulent avancer leurs
-creatures, &amp; ruiner ceux qui sont
-contraires à leur cabale ; qu’ils
-veulent bien souvent entreprendre
-sur l’autorité de leur Maistre,
-comme firent les Maires du Palais
-en France, qu’ils broüillent
-le Royaume pour se rendre necessaires,
-qu’ils ne sont jamais
-contens de ce qu’on leur donne,
-comme estant toujours au dessous
-de ce qu’ils pensent avoir merité,
-soit pour leurs services ou pour la
-grandeur de leur maison ; bref il
-me semble qu’en cette occasion,
-où l’on n’a que faire de la noblesse
-&amp; dignité des personnes,
-mais plutost de leur avis, conseil,
-&amp; jugement, un Marquis, un
-Duc, un Prince, ne peuvent pas
-mieux rencontrer que les hommes
-de mediocre condition, &amp; peuvent
-causer beaucoup plus de mal ; où
-au contraire ceux-cy peuvent faire
-autant de bien, ne coustent pas
-tant, se rendent plus sujets, plus
-faciles &amp; traitables, &amp; sont beaucoup
-moins à craindre. Et à la
-verité Seneque avoit raison de dire,
-<a id="FNanchor_262" href="#Footnote_262" class="fnanchor">[262]</a><i lang="la" xml:lang="la">nulli præclusa est virtus, omnes
-admittit, nec censum, nec sexum eligit</i>.
-(in epistol.) A propos de quoy
-Tacite remarque que les Allemans
-prenoient même conseil de
-leurs femmes, <a id="FNanchor_263" href="#Footnote_263" class="fnanchor">[263]</a><i lang="la" xml:lang="la">nec consilia earum
-aspernabantur, nec responsa negligebant</i>.
-(<span lang="la" xml:lang="la">de morib. Germ.</span>) Ce que
-Plutarque confirme aussi des Lacedemoniens,
-&amp; beaucoup d’Historiens,
-des Empereurs Auguste
-&amp; Justinien ; &amp; Cecilius disoit fort
-bien dans les Tusculanes de Ciceron,
-<a id="FNanchor_264" href="#Footnote_264" class="fnanchor">[264]</a><i lang="la" xml:lang="la">sæpe etiam sub sordido pallio
-latet sapientia</i>. Ce sont les occasions,
-l’employ, &amp; les affaires qui la
-découvrent, &amp; qui la font briller
-&amp; éclatter. Si l’on n’eust employé
-Matthieu Paumier Florentin, à
-l’ambassade de laquelle il s’acquita
-si dignement, envers le Roy
-Alphonse, on auroit toujours creu
-qu’il n’estoit bon qu’à battre le
-mortier pour faire des medecines
-&amp; clysteres ; si le Cardinal d’Ossat
-ne se fust rencontré dans les affaires
-de la Cour de Rome, on se
-fust toujours persuadé qu’il n’estoit
-propre qu’à pedanter dans
-les Colleges de Paris &amp; à defendre
-Ramus contre Charpentier.
-Et le semblable peut-on dire encore
-des Cardinaux Balue, Ximenes,
-&amp; du Perron, <a id="FNanchor_265" href="#Footnote_265" class="fnanchor">[265]</a><i lang="la" xml:lang="la">quorum
-nobilitas sola fuit atque unica virtus</i>.
-L’on dit que de toutes tailles bons
-Levriers, &amp; pourquoy non de
-toutes sortes de conditions de bons
-esprits : Cardan estoit Medecin,
-Bodin Advocat, Charon Theologien,
-Montagne Gentilhomme,
-la Nouë Soldat, &amp; le Pere Paul
-Moine : enfin</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_266" href="#Footnote_266" class="fnanchor">[266]</a>Sæpe etiam est olitor verba opportuna locutus.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_260" href="#FNanchor_260"><span class="label">[260]</span></a> D’employer chacun à la fonction dont son
-genie est plus capable.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_261" href="#FNanchor_261"><span class="label">[261]</span></a> L’empire Romain
-s’est toujours augmenté, pendant qu’on n’a
-point dedaigné ceux où l’on voyoit éclater la
-vertu, de quelle condition qu’ils fussent.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_262" href="#FNanchor_262"><span class="label">[262]</span></a> La vertu n’est inaccessible à personne ; elle
-reçoit un chacun, &amp; ne fait choix, ny de condition
-ny de sexe.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_263" href="#FNanchor_263"><span class="label">[263]</span></a> Ils ne méprisoient pas
-leurs conseils, &amp; ne negligeoient pas leurs réponses.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_264" href="#FNanchor_264"><span class="label">[264]</span></a> Et souvent aussi il y a de la sagesse
-cachée sous un vilain manteau.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_265" href="#FNanchor_265"><span class="label">[265]</span></a> Qui n’avoient point d’autre noblesse que
-leur seule vertu.</p>
-</div>
-<p class="noindent">C’est pourquoy je n’exclus personne
-de cette charge, non les
-étrangers, parce que Tibere <a id="FNanchor_267" href="#Footnote_267" class="fnanchor">[267]</a><i lang="la" xml:lang="la">subinde
-res suas quibusdam ignotis mandabat</i>,
-(<span lang="la" xml:lang="la">Tacit. 4. Annal.</span>) &amp; que
-Charles V se servit de Granvelle,
-François I de Trivulse, Henry II
-de Strozzi, &amp; Charles IX du
-Cardinal de Birague. Non les jeunes,
-parce que <a id="FNanchor_268" href="#Footnote_268" class="fnanchor">[268]</a><i lang="la" xml:lang="la">cani indices ætatis
-non sapientiæ</i>, &amp; que Ciceron nous
-avertit, <a id="FNanchor_269" href="#Footnote_269" class="fnanchor">[269]</a><i lang="la" xml:lang="la">ab eximia virtute progressum
-ætatis expectari non oportere</i>,
-(<span lang="la" xml:lang="la">Philip. 5.</span>) témoin les exemples
-de Josephe, David, Ephestion, &amp;
-Papyrius. Non les vieux, puis que
-Moyse par le conseil de son beau-pere
-Jethro, en choisit <small>LXX</small> pour
-gouverner avec luy le peuple
-d’Israël ; &amp; que Louys XI pensa
-estre accablé par la guerre du bien
-public, pour n’avoir pas voulu
-croire aux vieux Conseillers, que
-son Pere luy avoit laissez. Non les
-ignorans, puis que, comme dit Seneque,
-<a id="FNanchor_270" href="#Footnote_270" class="fnanchor">[270]</a><i lang="la" xml:lang="la">paucis ad bonam mentem opus
-est literis</i>, &amp; que suivant l’opinion
-de Thucydides les esprits grossiers
-sont plus propres à gouverner
-des peuples, que ceux qui sont
-plus subtils &amp; épurez ; les grands
-esprits ayant cela de propre qu’ils
-sont plus portez à innover qu’à
-negotier, <i lang="la" xml:lang="la">novandis quàm gerendis rebus
-aptiora</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Curt. l. 4.</span>) à dépendre
-qu’à conserver, à poursuivre leur
-pointe avec obstination qu’à ceder
-ou s’accommoder à la necessité des
-affaires, &amp; à traitter enfin avec des
-Anges ou intelligences, qu’avec
-des hommes, <a id="FNanchor_271" href="#Footnote_271" class="fnanchor">[271]</a><i lang="la" xml:lang="la">quod enim celeriter arripiunt,
-id quum tardè percipi vident discruciantur</i>.
-(<span lang="la" xml:lang="la">Cic. pro Roscio.</span>) Non
-les lettrez, veu que <a id="FNanchor_272" href="#Footnote_272" class="fnanchor">[272]</a><i lang="la" xml:lang="la">Imperator Alexander
-consiliis togæ &amp; militiæ literatos
-adhibebat, &amp; maxime eos qui historiam
-norant</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Lamprid. in eo.</span>)
-joint que le Cardinal de Richelieu
-a esté tiré du fond de sa Bibliotheque
-pour gouverner la
-France. Non les Philosophes, à
-cause de Xenophon, Seneque &amp;
-Plutarque. Non les Medecins, puis
-que Oribase par ses bons conseils
-&amp; avis éleva Julien à l’Empire,
-que Apollophanes estoit chef du
-Conseil d’Antiochus, qu’Estienne
-fut envoyé par l’Empereur Justinien
-à Cosroës, que Jacques Cottier
-&amp; Olivier le Dain furent des principaux
-Conseillers de Louys XI,
-le Pere de Monsieur le Chancelier
-de l’Hospital de Charles de
-Bourbon, &amp; Monsieur Miron du
-Roy Henry III. Non les Moines
-à cause du Pere Paul de Venise,
-ny pour finir, telles autres sortes
-de personnes que ce soit, pourveu
-qu’elles ayent les conditions
-que nous expliquerons cy-aprés ;
-<a id="FNanchor_273" href="#Footnote_273" class="fnanchor">[273]</a><i lang="la" xml:lang="la">magna enim ingenia sæpe in occulto
-latent</i>, comme disoit Plaute, (<i lang="la" xml:lang="la">in
-Capt.</i>) &amp; la Prudence &amp; Sagesse
-ne fait point choix de personnes,
-elle habite aussi-bien dans le tonneau
-de Diogenes, aux écoles,
-sous un froc, &amp; sous des méchans
-haillons, que parmy les delices &amp;
-somptuositez d’un Palais. Tant
-s’en faut, <a id="FNanchor_274" href="#Footnote_274" class="fnanchor">[274]</a><i lang="la" xml:lang="la">nescio quomodo factum est,
-ut semper bonæ mentis soror sit paupertas</i>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_266" href="#FNanchor_266"><span class="label">[266]</span></a> Un jardinier même a dit souvent de bonnes
-choses.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_267" href="#FNanchor_267"><span class="label">[267]</span></a> Commettoit quelquefois l’administration
-de ses affaires à des gens inconnus.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_268" href="#FNanchor_268"><span class="label">[268]</span></a> Les cheveux blancs sont les marques de
-l’âge, &amp; non de la sagesse.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_269" href="#FNanchor_269"><span class="label">[269]</span></a> Qu’il ne faut pas
-attendre le progrés de l’âge d’une extraordinaire
-vertu.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_270" href="#FNanchor_270"><span class="label">[270]</span></a> Un bon esprit n’a pas besoin de beaucoup
-de lettres.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_271" href="#FNanchor_271"><span class="label">[271]</span></a> Car ils enragent de voir aller lentement
-ce qu’ils ont entrepris avec precipitation.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_272" href="#FNanchor_272"><span class="label">[272]</span></a> L’Empereur Alexandre employoit aux conseils
-de la robe &amp; de la guerre des hommes
-lettrez, &amp; particulierement ceux qui sçavoient
-l’histoire.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_273" href="#FNanchor_273"><span class="label">[273]</span></a> Car il arrive souvent que les grands esprits
-demeurent cachez.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_274" href="#FNanchor_274"><span class="label">[274]</span></a> Je ne sçay comment il est
-arrivé que la pauvreté soit toujours la sœur &amp;
-la compagne du bon esprit.</p>
-</div>
-<p>Or les conditions que le Ministre
-doit apporter &amp; contribuer
-du sien au service de son Prince,
-ne se peuvent expliquer qu’assez
-difficilement. C’est ce qui a fait
-suer tant d’écrivains, ce qui a ouvert
-la carriere à tant de discours,
-&amp; ce qui a produit tant de livres
-sur l’idée, l’exemple &amp; la parfaite
-description du bon Conseiller, du
-fidele Ministre, du prudent Politique,
-&amp; de l’homme d’Estat,
-quoy que tous ces auteurs ayent
-plutost ressemblé aux Archers de
-Diogenes, qui sembloyent tirer
-au plus loing du but, qu’à Ciceron
-en son livre de l’Orateur, ou
-à Xenophon en son Prince. Pour
-moy qui n’ay pas entrepris comme
-eux de publier un gros livre
-de toutes les vertus, sous ombre
-de trois ou quatre qui sont necessaires
-à un Ministre, je diray
-premierement : Que je le veux
-estre tel en effect qu’il sera en predicament,
-connu du Prince, &amp;
-choisi de luy-même par la seule
-consideration de ses merites, sans
-autre recommendation que de sa
-propre vertu, <a id="FNanchor_275" href="#Footnote_275" class="fnanchor">[275]</a><i lang="la" xml:lang="la">virtute enim ambire
-oportet non favitoribus</i>. Beaucoup
-qui viennent sur le theatre
-du monde pour entrer aux honneurs
-&amp; confidences, y paroissent
-bien souvent revestus d’ornemens
-empruntez, de faveurs, d’amis,
-d’argent, de sollicitations &amp; poursuites
-ambitieuses, ils s’y presentent
-comme la Corneille d’Esope
-couverts des plumes d’autruy, &amp;
-font parade de ce qui n’est pas à
-eux, pour obtenir ce qu’ils ne meritent
-pas ; mais leur nudité paroist
-toujours à travers de ces habits,
-qu’ils n’ont que par emprunt, &amp;
-qui les expose aussitost à la honte
-sur le propre Theatre de la gloire.
-Il faut doncques qu’un homme
-qui se veut maintenir en credit
-&amp; en reputation jusques à la
-fin, entre &amp; penetre dans le credit
-&amp; la bonne opinion de son
-Maistre, orné comme l’estoit Hippias
-Eleus de vestemens faits de
-sa main, de sçavoir, de prudence,
-de vertu, de merite, de courage,
-bref de choses qui soient de son
-propre creu : il faut que comme
-le Soleil il produise du dedans la
-lumiere qu’il éclaire au dehors,
-de peur qu’il ne ressemble à la
-Lune, qui n’ayant ce qui la fait
-luire que par emprunt, monstre
-bien-tost sa defaillance. Mais parce
-que ce n’est rien de parler des
-merites en general, si l’on ne determine
-en particulier, quelles
-sont les vertus qui les composent ;
-je croy qu’on les peut toutes rapporter
-à trois principales, sçavoir
-la Force, la Justice, &amp; la Prudence.
-Sur lesquelles je me veux un
-peu étendre, pour les expliquer
-d’une façon moins triviale
-&amp; commune que celle des écoles.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_275" href="#FNanchor_275"><span class="label">[275]</span></a> Car il faut aspirer aux charges par la vertu
-&amp; non pas par le moyen des fauteurs.</p>
-</div>
-<p>Par la force j’entens certaine
-trempe &amp; disposition d’esprit toujours
-égale en soy, ferme, stable,
-heroïque, capable de tout voir,
-tout oüir, &amp; tout faire, sans se
-troubler, se perdre, s’étonner ;
-laquelle vertu se peut facilement
-acquerir en faisant des continuelles
-reflexions sur la condition de
-nostre nature foible, debile, &amp;
-sujette à toutes sortes de maladies
-&amp; d’infirmitez, sur la vanité des
-pompes &amp; honneurs de ce monde ;
-sur la foiblesse &amp; imbecillité
-de nostre esprit ; sur les changemens
-&amp; revolutions des affaires ;
-sur les diverses faces &amp; metaschematismes
-du Ciel &amp; de la terre ;
-sur la diversité des opinions, des
-sectes, des religions, sur le peu de
-durée de toutes choses ; bref sur
-les grands avantages qu’il y a de
-fuïr le vice &amp; de suivre la vertu.
-Aussi est-ce à peu prés comme l’a
-décrite Juvenal par ces beaux vers
-de sa <small>X</small>. Satyre.</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_276" href="#Footnote_276" class="fnanchor">[276]</a>Fortem posce animum, mortis terrore vacantem,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Qui spatium vitæ extremum inter munera ponat</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Naturæ, qui ferre queat quoscunque dolores,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Nesciat irasci, cupiat nihil, &amp; potiores</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Herculis ærumnas ducat sævosque labores</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Et Venere, &amp; plumis, &amp; cœnis Sardanapali.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_276" href="#FNanchor_276"><span class="label">[276]</span></a> Demandez un esprit qui soit gueri des
-craintes de la mort, qui mette au rang des
-presens de la Nature le dernier terme de la vie,
-qui puisse endurer toutes sortes de fatigues,
-qui ne se fasche point, qui ne desire rien, &amp;
-qui estime davantage les peines d’Hercule, &amp;
-ses longs travaux, que les delices, les festins, &amp;
-les plumes (<i>licts</i>) de Sardanapale.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Monsieur le Chancelier de l’Hospital
-qui estoit pourveu de cette
-force d’esprit autant qu’aucun autre
-de ceux qui l’ont precedé ou
-suivy, la décrivoit encore plus
-brievement, quoy qu’en termes
-beaucoup plus hardis, desquels
-même il avoit composé sa devise,
-<a id="FNanchor_277" href="#Footnote_277" class="fnanchor">[277]</a><i lang="la" xml:lang="la">si fractus illabatur orbis impavidum
-ferient ruinæ</i>. Arriere doncques de
-ce Ministere tant d’esprits foibles
-&amp; effeminez, tant d’ames coüardes
-&amp; pusillanimes, qui s’épouvantent
-des premieres difficultez, qui
-fuyent à la moindre resistance, &amp;
-qui perdent l’esprit lors qu’on leur
-parle de quelque grande resolution.
-Je veux un esprit d’Epictete,
-de Socrates, d’Epicure, de
-Seneque, de Brutus, de Caton, &amp;
-pour me servir d’exemples plus familiers,
-du Pere Paul, du Cardinal
-d’Ossat, du President Janin,
-de V. Eminence, de Ferrier, &amp; de
-quelques autres de pareille marque.
-Je veux qu’il ait les bonnes
-maximes de Philosophie dans la
-teste non pas sur les levres ; qu’il
-connoisse la nature en son tout &amp;
-non pas en quelque partie ; qu’il
-vive dans le monde comme s’il
-en estoit dehors, &amp; au dessous
-du Ciel comme s’il estoit au dessus,
-afin qu’il ne puisse pas seulement
-comme les Gaulois apprehender
-la ruine de cette grande
-machine, je veux qu’il s’imagine
-de bonne heure que la Cour
-est le lieu du monde où il se
-dit &amp; fait plus de sottises, où
-les amitiés sont plus capricieuses
-&amp; interessées, les hommes plus
-masquez, les maistres moins affectionnez
-à leurs serviteurs, &amp; la
-fortune plus folle &amp; aveugle ; afin
-qu’il s’accoustume aussi de bonne
-heure à ne se point scandaliser
-de toutes ces extravagances.
-Je veux enfin qu’il puisse regarder
-<a id="FNanchor_278" href="#Footnote_278" class="fnanchor">[278]</a><i lang="la" xml:lang="la">oculo irretorto</i> ceux qui seront
-plus riches, &amp; moins dignes
-de l’estre que luy, qu’il se
-picque d’une pauvreté genereuse,
-d’une obstination au bien, d’une
-liberté Philosophique mais pourtant
-civile, qu’il ne soit au monde
-que par accident, à la Cour
-que par emprunt, &amp; au service
-d’un Maistre que pour s’en acquiter
-honnestement. Or quiconque
-aura cette premiere, universelle,
-&amp; generale disposition, qui
-conduit l’homme à une apathie,
-franchise, &amp; bonté naturelle, il
-aura par même moyen la fidelité,
-<a id="FNanchor_279" href="#Footnote_279" class="fnanchor">[279]</a><i lang="la" xml:lang="la">optimum enim quemque fidelissimum
-puto</i>, disoit fort bien Pline
-en parlant à l’Empereur Trajan ;
-&amp; cette fidelité ne sera pas commune,
-bridée de certaines circonstances,
-&amp; assujettie à diverses
-considerations de nos interests
-particuliers, des personnes, de la
-fin des affaires, &amp; de mille autres,
-mais une fidelité telle que
-doit avoir un galand homme, pour
-servir celuy à qui il la promettra
-envers tous &amp; contre tous, sans
-exception de lieu, de temps, ny de
-personnes. C’est ainsi que C. Blosius
-servoit son amy Tiberius Gracchus,
-(<i lang="la" xml:lang="la">Valer. Max. lib. <span class="rm">4</span>. cap. <span class="rm">7</span>.</i>) &amp; le Pere
-du Chancelier de l’Hospital son
-maistre Charles de Bourbon, duquel
-se trouvant Medecin &amp; Confident
-lors de sa disgrace &amp; persecution,
-il ne l’abandonna jamais, le
-suivant en habit déguisé, participant
-à toutes ses infortunes, le
-secondant en tous ses desseins
-contre le Roy, contre l’Empereur
-&amp; contre Rome, les Cardinaux
-&amp; le Pape même. Action que son
-fils ce grand Chancelier de France
-a tellement estimée, qu’il l’a
-bien voulu placer comme la plus
-remarquable de sa famille, en
-teste de son Testament. Il faut
-doncques qu’un affectionné Ministre
-soit premierement &amp; principalement
-garny de fidelité, &amp;
-que lors qu’il sera besoin de la témoigner,
-il dise librement,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_280" href="#Footnote_280" class="fnanchor">[280]</a>Huic ego nec rerum metas nec tempora pono,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Obsequium sine fine dedi.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_277" href="#FNanchor_277"><span class="label">[277]</span></a> Si le monde se bouleversoit, ses ruïnes me
-fraperoient, sans que j’en fusse épouventé.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_278" href="#FNanchor_278"><span class="label">[278]</span></a> D’un œuil droit &amp; non de travers.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_279" href="#FNanchor_279"><span class="label">[279]</span></a> Car j’estime que le plus homme de bien est aussi le
-plus fidelle.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_280" href="#FNanchor_280"><span class="label">[280]</span></a> Je ne mets point icy de bornes, &amp; n’y limite
-point de temps, j’ay témoigné une obeïssance
-sans fin.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Il faut aussi qu’il soit dégagé d’ambition,
-d’avarice, de convoitise &amp;
-de tout autre desir, que de bien
-servir son Maistre dans l’estat d’une
-fortune mediocre, honneste, &amp;
-capable de le delivrer luy &amp; ses
-plus proches parens, d’envie &amp; de
-necessité. Car s’il commence une
-fois à aller au plus à se vouloir avancer
-dans les charges &amp; dignitez,
-il ne se pourra pas faire qu’il ne
-prefere son bien propre à celuy de
-son Maistre, &amp; qu’il ne se serve
-premier que luy ; &amp; cela estant,
-c’est ouvrir la porte à l’infidelité,
-perfidie &amp; trahison, il n’y aura plus
-de secret qu’il ne découvre, plus
-de conseil qu’il n’évente, plus de
-resolution qu’il ne declare, plus
-d’ennemy qu’il ne courtise, bref</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_281" href="#Footnote_281" class="fnanchor">[281]</a>Publica privatis postponet commoda rebus.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_281" href="#FNanchor_281"><span class="label">[281]</span></a> Il preferera son profit particulier au bien
-public.</p>
-</div>
-<p class="noindent">S’il desire la grandeur de son
-Maistre ce ne sera que pour avancer
-la sienne, à laquelle s’il ne peut
-parvenir en le servant avec fidelité,
-il ne fera point de doute de le deservir,
-de le vendre &amp; livrer à ses
-ennemis pour satisfaire à son ambition,
-ou à son avarice demesurée,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_282" href="#Footnote_282" class="fnanchor">[282]</a>Namque ubi avaritia est habitant ferme omnia ibidem</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Flagitia, impietas, perjuria, furta, rapinæ,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Fraudes atque doli, insidiæque &amp; proditiones.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Paling. in Sagit.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_282" href="#FNanchor_282"><span class="label">[282]</span></a> Car là où est l’avarice, tous les autres
-vices y habitent aussi, l’impieté, le parjure,
-le vol, la rapine, les fraudes &amp; tromperies, les
-embusches &amp; les trahisons.</p>
-</div>
-<p>C’est ce que pratiqua autrefois Stilico,
-quand pour s’acquerir l’amitié
-d’Alaric Roy des Gots, &amp; s’appuyer
-de son secours pour se saisir
-de l’Empire d’Orient, il fit une
-paix honteuse avec luy &amp; obligea
-l’Empereur de luy payer tribut
-sous le nom de pension ; &amp; Pierre
-des Vignes Chancelier de Frederic
-II, fut à bon droit privé de la
-veuë, pour avoir noüé une intelligence
-trop secrete avec le Pape
-Alexandre III, ennemy capital de
-son Maistre. Ce fut encore pour
-la même cause que le Cardinal
-Balue demeura XII ans resserré
-dans la Tour des Loches sous le
-Regne de Louys XI, &amp; que le Cardinal
-du Prat décheut de sa faveur,
-&amp; fut long-temps en prison pendant
-celuy de François I. Cette
-même force &amp; disposition d’esprit
-defend aussi à nostre Ministre
-d’estre trop credule ou superstitieux,
-&amp; bigot : Car bien que <a id="FNanchor_283" href="#Footnote_283" class="fnanchor">[283]</a><i lang="la" xml:lang="la">credulitas error
-sit magis quam culpa, &amp;
-quidem in optimi cujusque mentem facillimè
-obrepat</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Cic. l. 1. ep. 23.</span>)
-c’est toutefois le propre d’un homme judicieux
-&amp; bien sensé, de ne
-rien croire <a id="FNanchor_284" href="#Footnote_284" class="fnanchor">[284]</a><i lang="la" xml:lang="la">nisi quod in oculos incurret</i> ;
-(<span lang="la" xml:lang="la">Senec. de Ira.</span>) au moins Palingenius
-est d’avis qu’il faut
-ainsi faire, crainte d’estre trompé,
-parce que</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_285" href="#Footnote_285" class="fnanchor">[285]</a>Qui facilis credit facilis quoque fallitur idem.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_283" href="#FNanchor_283"><span class="label">[283]</span></a> La credulité soit plutost une erreur qu’une
-faute, &amp; qu’elle s’empare facilement des meilleurs
-naturels.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_284" href="#FNanchor_284"><span class="label">[284]</span></a> Que ce qu’il void de ses yeux.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_285" href="#FNanchor_285"><span class="label">[285]</span></a> Qui croit facilement se laisse aussi facilement
-tromper.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Et comme nous avons dit cy-dessus,
-qu’il y avoit quatre ou cinq
-moyens d’attraper ou tromper les
-trop credules &amp; superstitieux, aussi
-faut-il que celuy qui se mesle de
-les pratiquer, ne soit pas si sot que
-de s’y laisser prendre par d’autres
-qui s’en voudroient servir contre
-luy-même. Joint qu’à un Ministre
-qui aura l’esprit assez bas pour le
-ravaler &amp; soumettre à la creance
-de tant de fables, impostures, faux
-miracles, tromperies, &amp; charlataneries
-qui se font ordinairement,
-ne pourra pas donner grande esperance
-de bien reüssir en beaucoup
-d’affaires où il faut gaillardement
-enjamber par dessus toutes ces folies.
-Les souplesses d’Estat, les artifices
-des Courtisans, les menées
-&amp; pratiques de quelques avisez
-Politiques, trompent aisément un
-homme plongé dans des devotions
-excessives &amp; superstitieuses.
-La prediction d’un devin, le croassement
-d’un corbeau, la rencontre
-d’un maure, un faux bruit, quelque
-vau de ville, tromperie, ou
-superstition, luy feront perdre
-l’escrime, l’étonneront, &amp; le reduiront
-à prendre quelque party
-honteux &amp; deshonneste ; A quoy
-s’il est tant soit peu porté de sa nature,
-la superstition sœur germaine
-de cette grande credulité, l’y
-plongera tout à fait, &amp; luy ostera
-si peu de jugement qui luy pouvoit
-rester. <a id="FNanchor_286" href="#Footnote_286" class="fnanchor">[286]</a><i lang="la" xml:lang="la">Occentus soricis auditus
-Fabio Maximo dictaturam, C. Flaminio
-magisterium equitum deponendi causam
-præbuit.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">Val. Max. l. 1. cap. 10.</span>)
-Elle luy ravira le repos du corps,
-&amp; la fermeté, constance, &amp; resolution
-de l’esprit ; <a id="FNanchor_287" href="#Footnote_287" class="fnanchor">[287]</a><i lang="la" xml:lang="la">superstitione enim
-qui est imbutus quiescere nunquam potest</i> :
-(<span lang="la" xml:lang="la">Cicero de fin. l. 1.</span>) elle l’assujettira
-à mille terreurs paniques,
-&amp; luy fera craindre &amp; redouter,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i1 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_288" href="#Footnote_288" class="fnanchor">[288]</a>Nihilo metuenda magis, quàm</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Quæ pueri in tenebris pavitant, finguntque futura.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_286" href="#FNanchor_286"><span class="label">[286]</span></a> Le chant d’une souris fut cause que Fabius
-Maximus se démit de la Dictature, &amp; Caius
-Flaminius de la charge de Colonel de la Cavalerie.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_287" href="#FNanchor_287"><span class="label">[287]</span></a> Car quiconque est imbu de superstition,
-il luy est impossible de reposer.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_288" href="#FNanchor_288"><span class="label">[288]</span></a> Des choses qui ne sont non plus à craindre que celles
-dont les enfans ont peur dans les tenebres,
-&amp; qu’ils s’imaginent devoir arriver.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Elle luy fera commettre plus de
-pechez qu’il n’en est defendu aux
-dix commandemens, &amp; se frottant
-les yeux avec de l’eau benite, ou
-touchant la chape d’un Prestre, il
-pensera effacer toutes les mauvaises
-actions de sa vie : <a id="FNanchor_289" href="#Footnote_289" class="fnanchor">[289]</a><i lang="la" xml:lang="la">sic errore
-quodam mentis famulatur impietati</i> ;
-(<span lang="la" xml:lang="la">Paschas. de virtut.</span>) elle luy fera
-trouver des scrupules où il n’y
-en a point, &amp; auparavant que de
-conclure une affaire, il en voudra
-parler cent fois à un confesseur.
-Il luy revelera le conseil de
-son Prince, le soumettra à sa censure,
-l’examinera suivant toutes les
-regles des Casuistes, &amp; à la fin <a id="FNanchor_290" href="#Footnote_290" class="fnanchor">[290]</a><i lang="la" xml:lang="la">ea
-quæ Dei sunt audacter excludet, ut sua
-tantùm admittat</i> ; bref elle le rendra
-sot, impertinent, stupide, méchant,
-incapable de rien voir, de
-rien faire, de rien juger ou examiner
-à propos, &amp; capable seulement
-de causer la perte &amp; la ruine totale
-de quiconque se servira de luy,
-&amp; la sienne propre, puis que <a id="FNanchor_291" href="#Footnote_291" class="fnanchor">[291]</a><i lang="la" xml:lang="la">superstitione
-quisquis illaqueatus est, non
-potest effugere proximas miserias, ipsa
-sibi superstitio supplicium est, dum quæ
-non sunt mala hæc fingit esse talia, &amp;
-quæ sunt mediocria mala, hæc maxima
-facit ac lethalia</i>. Il ne faut point
-tant de mysteres &amp; de ceremonies
-pour estre homme de bien,
-Lycurgue fut estimé tel quoy
-qu’il eust retranché beaucoup de
-choses superflues &amp; inutiles à la
-Religion. Le vieux Caton passoit
-pour le plus vertueux de Rome,
-encore qu’il se fust mocqué de
-celuy qui prenoit pour mauvais
-augure que les souris eussent rongé
-ses chausses, &amp; qu’il luy eust
-dit, <a id="FNanchor_292" href="#Footnote_292" class="fnanchor">[292]</a><i lang="la" xml:lang="la">non esse illud monstrum quod arrosæ
-sint à soricibus caligæ, sed verè monstrum
-habendum fuisse si sorices à caligis
-roderentur</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">D. August. de Doct.
-Christian.</span>) Luculle ne fut estimé
-impie pour avoir combatu Triganes
-un jour que le Calendrier
-Romain marquoit pour malheureux ;
-ny Claudius pour avoir
-méprisé les auspices des poulets ;
-non plus que Lucius Æmilius
-Paulus pour avoir le premier commencé
-d’abatre &amp; ruiner les Temples
-d’Isis &amp; de Serapis. D’où l’on
-peut conjecturer que la superstition
-est le vray caractere d’une
-ame foible, rampante, effeminée,
-populaire, &amp; de laquelle tout
-esprit fort, tout homme resolu,
-tout bon Ministre doit dire, comme
-faisoit Varron de quelque autre
-chose qui ne valoit pas mieux,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_293" href="#Footnote_293" class="fnanchor">[293]</a>Apage in directum à domo nostra istam insanitatem.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(in Eumenidib.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_289" href="#FNanchor_289"><span class="label">[289]</span></a> Et ainsi par l’erreur de l’entendement on
-se rend esclave de l’impieté.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_290" href="#FNanchor_290"><span class="label">[290]</span></a> Il rejettera hardiment
-les choses qui sont de Dieu pour admettre
-les sienes propres.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_291" href="#FNanchor_291"><span class="label">[291]</span></a> Quiconque est enlassé dans la superstition,
-il ne peut pas éviter les miseres qui luy panchent
-sur la teste ; sa superstition luy est un supplice,
-lors qu’il s’imagine mauvaises des choses
-qui ne le sont pas ; &amp; qu’il fait grands &amp; mortels
-les maux qui ne sont que mediocres.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_292" href="#FNanchor_292"><span class="label">[292]</span></a> Que ce n’estoit pas un prodige que les
-souris eussent rongé des chausses, mais que c’en
-seroit veritablement un si des chausses rongeoient
-des souris.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_293" href="#FNanchor_293"><span class="label">[293]</span></a> Chassons de nostre maison cette folie.</p>
-</div>
-<p>La seconde vertu qui doit servir
-de base &amp; de fondement aux
-merites &amp; à la bonne renommée
-de nostre Conseiller, c’est la Justice ;
-de laquelle si nous voulions
-expliquer toutes les parties, il la
-faudroit comparer à une grosse
-tige qui produit trois branches,
-dont l’une monte à Dieu, l’autre
-s’étend vers soy-même, &amp; la tierce
-vers le prochain ; &amp; chacune
-desdites branches produit encore
-divers petits rameaux que je n’expliqueray
-point en particulier,
-m’estant assez de prendre les choses
-en gros, &amp; non en détail. C’est
-pourquoy je mettray le principal
-fondement de cette justice à estre
-homme de bien, à vivre suivant
-les loix de Dieu &amp; de la Nature,
-noblement, philosophiquement,
-avec une integrité sans fard, une
-vertu sans art, une religion sans
-crainte, sans scrupule, &amp; une ferme
-resolution de bien faire, sans
-autre respect &amp; consideration, que
-de ce qu’il faut ainsi vivre, pour
-vivre en homme de bien &amp; d’honneur,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_294" href="#Footnote_294" class="fnanchor">[294]</a>Oderunt peccare boni virtutis amore.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_294" href="#FNanchor_294"><span class="label">[294]</span></a> Les gens de bien haïssent le vice pour
-l’amour de la vertu.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Mais d’autant que cette justice
-naturelle, universelle, noble &amp;
-philosophique, est quelquefois
-hors d’usage &amp; incommode dans
-la pratique du monde, où <a id="FNanchor_295" href="#Footnote_295" class="fnanchor">[295]</a><i lang="la" xml:lang="la">veri
-juris germanæque justitiæ solidam &amp;
-expressam effigiem nullam tenemus,
-umbris &amp; imaginibus utimur</i>. Il faudra
-bien souvent se servir de l’artificielle,
-particuliere, politique,
-faite &amp; rapportée au besoin &amp; à la
-necessité des Polices &amp; Estats, puis
-qu’elle est assez lâche &amp; assez molle
-pour s’accommoder comme la regle
-Lesbienne à la foiblesse humaine
-&amp; populaire, &amp; aux divers
-temps, personnes, affaires &amp; accidens :
-Toutes lesquelles considerations
-nous obligent bien souvent à
-plusieurs choses que la justice naturelle
-rejetteroit &amp; condamneroit
-absolument. Mais quoy, il faut vivre
-comme les autres, &amp; parmy
-tant de corruptions, celuy qui en
-a le moins doit passer pour le meilleur,
-<a id="FNanchor_296" href="#Footnote_296" class="fnanchor">[296]</a><i lang="la" xml:lang="la">beatus qui minimis urgetur</i> ;
-entre tant de vices on en peut bien
-quelquefois legitimer un ; &amp; parmy
-tant de bonnes actions en déguiser
-quelqu’une. C’est doncques
-une maxime, que comme entre les
-lances celles-là sont estimées les
-meilleures, qui sont les plus souples,
-aussi entre les Ministres, on
-doit priser davantage ceux qui
-sçavent le mieux plier, &amp; s’accommoder
-aux diverses occurrences,
-pour venir à bout de leurs
-desseins, imitant ainsi le Dieu
-Vertumnus qui disoit dans Properce :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_297" href="#Footnote_297" class="fnanchor">[297]</a>Opportuna mea est cunctis natura figuris,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">In quamcunque voles verte decorus ero.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_295" href="#FNanchor_295"><span class="label">[295]</span></a> Nous n’avons aucune
-solide &amp; expresse effigie du vray droit, &amp; de
-la veritable justice, nous nous servons seulement
-de leurs ombres.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_296" href="#FNanchor_296"><span class="label">[296]</span></a> Bienheureux est celuy qui est travaillé des
-plus petites.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_297" href="#FNanchor_297"><span class="label">[297]</span></a> Ma nature est propre à prendre toutes sortes
-de figures, donnez moy celle que vous voudrez,
-je seray beau sous chacune.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Qu’il se souvienne seulement d’observer
-toujours ces deux preceptes,
-le premier de conjoindre &amp;
-assembler autant qu’il luy sera possible
-l’utilité &amp; l’honnesteté, l’envisageant
-toujours &amp; la costoyant
-le plus prés qu’il luy sera possible :
-l’autre de ne servir jamais d’instrument
-à la passion de son Maistre,
-&amp; de ne rien proposer ny conclure,
-qu’il ne juge luy-même estre
-necessaire pour la conservation
-de l’Estat, le bien du peuple, ou
-le salut du Prince, demeurant à
-couvert pour ce qui sera du reste
-sous ce bon avis de Plutarque, <i>Que
-bien souvent pour faire la justice il ne
-faut pas tout ce qui est juste</i>. (Livre de
-la curiosité.)</p>
-
-<p>Enfin la troisiéme &amp; derniere
-partie qui doit composer &amp; perfectionner
-nostre Ministre, est la
-Prudence, Vertu si necessaire à un
-homme de cette qualité, qu’il ne
-peut en aucune façon s’en passer,
-veu que comme nous enseigne
-Aristote, <a id="FNanchor_298" href="#Footnote_298" class="fnanchor">[298]</a><i lang="la" xml:lang="la">prudentia &amp; scientia civilis
-iidem sunt animi habitus</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">l. 6. Eth.
-c. 8.</span>) &amp; qu’au reste elle est si
-puissante qu’elle seule domine &amp;
-gouverne les trois temps de nostre
-vie, <a id="FNanchor_299" href="#Footnote_299" class="fnanchor">[299]</a><i lang="la" xml:lang="la">dum præsentia ordinat, futura
-prævidet, præterita recordatur</i> : si universelle
-qu’elle comprend sous soy
-toutes les autres vertus, circonstances,
-&amp; observations que nous pouvons
-faire icy de la science, modestie,
-experience, conduitte, retenuë,
-discretion, &amp; particulierement
-de ce que les Italiens appellent
-<i lang="it" xml:lang="it">Segretezza</i> par un terme qui
-leur est propre. Juvenal (<i lang="la" xml:lang="la">Sat. X.</i>)
-ayant fort bien dit que</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_300" href="#Footnote_300" class="fnanchor">[300]</a>Nullum numen abest si sit prudentia :</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_298" href="#FNanchor_298"><span class="label">[298]</span></a> La prudence &amp; la science civile sont les
-mêmes habitudes d’un esprit.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_299" href="#FNanchor_299"><span class="label">[299]</span></a> Lors qu’elle
-ordonne pour le present, prevoit l’avenir &amp; se
-souvient du passé.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_300" href="#FNanchor_300"><span class="label">[300]</span></a> La fortune ne manque jamais là où il y a
-de la prudence.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Neanmoins comme plusieurs choses
-sont requises pour former l’or,
-qui est le Roy des Metaux, la
-preparation de la matiere, la disposition
-de la Terre, la chaleur
-du Soleil, la longueur du temps ;
-aussi pour former cette Prudence,
-la Reyne des vertus politiques,
-l’or des Royaumes, le thresor des
-Estats, il faut de grandes aides,
-&amp; des avantages tres-heureux ; la
-force de l’esprit, la solidité du jugement,
-la pointe de la raison, la
-docilité pour apprendre, l’instruction
-receuë des grands personnages,
-l’estude des sciences, la connoissance
-de l’histoire, l’heureuse
-memoire des choses passées, sont
-les dispositions pour y parvenir :
-la saine consultation, la connoissance
-&amp; consideration des circonstances,
-la prevoyance des effets,
-la precaution contre les empeschemens,
-la prompte expedition, sont
-les belles actions qu’elle produit ;
-&amp; enfin le repos des peuples, le
-salut des Estats, le bien commun
-des hommes, sont les fruits divins
-que l’on en recueille. Mais encore
-n’est-ce rien dire, si nous n’ajoustons
-quels sont les lignes, par
-lesquels on peut juger du progrez
-que quelqu’un aura fait en l’acquisition
-de ce thresor, &amp; s’il est
-veritablement assez sage &amp; prudent
-pour seconder un Prince en
-l’administration de son Estat. Or
-entre plusieurs que l’on en peut
-donner, je proposeray ceux-cy
-comme les plus ordinaires &amp; communs,
-sçavoir tenir secret ce qu’il
-n’est à propos de dire, &amp; parler
-par necessité plutost que par ambition,
-ne croire trop promptement
-ny à toutes sortes de personnes,
-estre plus prompt à donner
-ce qui est à soy qu’à demander
-ce qui appartient à autruy,
-examiner bien les choses auparavant
-que d’en juger, ne médire
-de personne, excuser les fautes, &amp;
-defendre la renommée d’un chacun,
-ne mépriser personne, non
-pas même les moindres : Honorer
-les hommes selon leurs merites
-&amp; qualitez, donner plus de
-loüange à ses compagnons qu’à
-soy-même, servir &amp; entretenir ses
-amis, demeurer ferme &amp; constant
-parmy leurs adversitez, ne changer
-de dessein &amp; de resolution sans
-quelque grand sujet, deliberer à
-loisir &amp; executer gayement &amp; avec
-diligence, ne s’émerveiller de ce
-qui est extraordinaire, ny se mocquer
-de personne, mais sur tout
-épargner les pauvres &amp; ses amys,
-n’envier la loüange à ceux qui la
-meritent, non pas même à ses ennemis,
-ne parler sans sçavoir, ne
-donner conseil qu’à ceux qui le
-demandent, ne faire l’entendu en
-ce qui n’est pas de sa profession, &amp;
-ne parler de ce qui en est qu’avec
-modestie &amp; sans jactance &amp; affectation,
-comme faisoit Piso, duquel
-Vell. Paterc. a dit, <a id="FNanchor_301" href="#Footnote_301" class="fnanchor">[301]</a><i lang="la" xml:lang="la">quæ agenda sunt
-agit sine ulla ostentatione agendi</i> ; avoir
-plus d’effets que de paroles, plus de
-patience que de violence, desirer
-plutost le bien que le mal à ses
-ennemis, plutost perdre que plaider,
-n’estre cause d’aucun trouble
-ny remuement, finalement aymer
-Dieu, servir son prochain, &amp; ne
-souhaitter la mort ny la craindre.
-Or ce qui m’a fait recueillir tous
-ces signes si particulierement,
-c’est parce que le choix d’un Ministre
-est de si grande importance,
-que les Princes ont grand interest
-de ne s’y pas tromper, &amp;
-encore qu’il ne faille pas esperer
-de les pouvoir tous rencontrer en
-un homme, on ne peut toutefois
-manquer de preferer celuy qui en
-aura le plus. Et quand le Prince
-l’aura trouvé, ce sera à faire à luy
-de le bien maintenir &amp; choier
-comme un precieux thresor, parce
-que si la naissance ne luy a donné
-des couronnes, les couronnes toutefois
-ne se peuvent passer de luy :
-si la fortune ne l’a fait Roy, sa
-suffisance le rend l’oracle des
-Roys, &amp; tout ce qu’il dira des
-loix, ses simples paroles passeront
-pour raisons, ses actions pour
-exemples, &amp; toute sa vie pour miracle.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_301" href="#FNanchor_301"><span class="label">[301]</span></a> Il fait ce qu’il faut faire sans aucune ostentation
-de ses actions.</p>
-</div>
-<p>Aprés avoir expliqué ce qui
-est du devoir du Ministre envers
-le Prince, il nous reste à considerer,
-comme en passant neanmoins,
-ce que le Prince doit contribuer de
-son costé, pour bien traitter avec
-son Ministre, &amp; parce qu’en matiere
-de regles &amp; preceptes, j’ay
-toujours estimé avec Horace, que
-les plus courts sont les meilleurs,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_302" href="#Footnote_302" class="fnanchor">[302]</a>Quicquid præcipies esto brevis ;</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_302" href="#FNanchor_302"><span class="label">[302]</span></a> Sois succinct dans tous les preceptes que
-tu donneras.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Je reduiray tous ceux qui me
-semblent les plus necessaires en
-cette occasion à trois principaux,
-dont le premier sera de le traitter
-en amy, non pas en serviteur, de
-parler &amp; conferer avec luy à cœur
-ouvert, de ne luy rien celer de
-tout ce qu’il sçaura, de luy ouvrir
-une entiere confidence, &amp; de traitter
-avec luy comme il feroit avec
-soy-même, sans avoir honte de
-luy declarer sa foiblesse, ignorance,
-imbecillité ou tel autre defaut
-qu’il pourra avoir ; Ny aussi son
-dépit, ses fascheries, coleres, mécontentemens,
-&amp; semblables passions,
-qui le pourront tourmenter.
-Et si je n’ay assez d’autorité
-pour établir cette maxime, qu’on
-defere au moins quelque chose à
-l’avis de Seneque, <a id="FNanchor_303" href="#Footnote_303" class="fnanchor">[303]</a><i lang="la" xml:lang="la">Cogita</i>, dit-il,
-<i lang="la" xml:lang="la">an tibi in amicitiam aliquis recipiendus
-sit, quum placuerit id fieri, toto illum
-pectore admitte, tam audacter cum illo
-loquere quàm tecum</i>. C’est ce qu’il
-avoit encore dit auparavant en
-beaucoup moins de paroles, <a id="FNanchor_304" href="#Footnote_304" class="fnanchor">[304]</a><i lang="la" xml:lang="la">tu
-omnia cum amico delibera, sed de illo
-prius</i>. Que si l’autorité d’un si
-grand homme a besoin d’estre appuyée
-&amp; soustenue par quelques
-raisons, T. Live nous en fournira
-une tres-puissante &amp; valable,
-<a id="FNanchor_305" href="#Footnote_305" class="fnanchor">[305]</a><i lang="la" xml:lang="la">vult sibi quisque credi, &amp; habita fides
-ipsam fidem obligat</i> : les experimentez
-Chymistes tiennent que
-pour faire de l’or on ne se doit servir
-que de l’or même,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_306" href="#Footnote_306" class="fnanchor">[306]</a>Nec aliunde quæras auri primordia, in auro</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Semina sunt auri, quamvis abstrusa recedant</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Longius, &amp; multo nobis quærenda labore.</div>
-</div>
-
-<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Augurel.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_303" href="#FNanchor_303"><span class="label">[303]</span></a> Pense s’il te faut recevoir quelcun en
-ton amitié, &amp; quand tu l’auras voulu faire,
-admets l’y de tout ton cœur, &amp; luy parle
-aussi hardiment qu’à toi-même.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_304" href="#FNanchor_304"><span class="label">[304]</span></a> Delibere
-de toutes choses avec ton amy ; mais delibere
-premierement d’en avoir un tel qu’il
-faut.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_305" href="#FNanchor_305"><span class="label">[305]</span></a> Un chacun veut qu’on se fie à luy, &amp; la
-confiance que nous avons en quelcun l’oblige
-à se confier en nous &amp; à nous estre fidelle.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_306" href="#FNanchor_306"><span class="label">[306]</span></a> Ne cherche point ailleurs l’origine de l’or ;
-l’or contient les semences de l’or, quoi qu’elles
-nous soient fort cachées, ce qui fait que
-nous sommes obligés à travailler beaucoup
-pour les chercher.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Les Lapidaires épreuvent tous les
-jours, qu’il se faut servir du diamant
-pour en tailler &amp; preparer
-un autre ; les Oiseleurs que pour
-faire bonne chasse il se faut servir
-de ces oiseaux que Varro appelle,
-<a id="FNanchor_307" href="#Footnote_307" class="fnanchor">[307]</a><i lang="la" xml:lang="la">illices &amp; traditores generis sui</i> :
-Les Philosophes moraux, que l’amour
-ne se peut acquerir que
-par une amitié &amp; affection reciproque.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_307" href="#FNanchor_307"><span class="label">[307]</span></a> Traitres de ceux de leur
-espece, &amp; servant à les faire prendre.</p>
-</div>
-<div class="poetry">
-<div class="verse i">Veux-tu mon fils que t’apprenne en peu d’heure</div>
-<div class="verse i">Le beau secret du breuvage amoureux ;</div>
-<div class="verse i">Aime les tiens, tu seras aimé d’eux ;</div>
-<div class="verse i">Il n’y a point de recepte meilleure.</div>
-</div>
-
-<p>Comment doncques un Prince
-pourra-t-il trouver de la confidence
-en quelque amy, s’il ne luy en
-communique auparavant de son
-costé, s’il ne luy monstre ce qui
-sera de son devoir en s’acquittant
-du sien propre : <a id="FNanchor_308" href="#Footnote_308" class="fnanchor">[308]</a><i lang="la" xml:lang="la">Si vis me flere</i>,
-disoit Horace, <i lang="la" xml:lang="la">dolendum est prius
-tibi</i>. <a id="FNanchor_309" href="#Footnote_309" class="fnanchor">[309]</a><i lang="la" xml:lang="la">Cur te habebo ut Consulem, si me
-non habeas ut Senatorem</i>, repliquoit
-un autre ? Il faut tout ou rien, &amp;
-jouïr d’une entiere confidence, ou
-n’en avoir point ; declarer aujourd’huy
-une affaire, en taire
-demain une autre, en entamer
-quelqu’une, &amp; ne la pas achever,
-garder toujours quelque <a id="FNanchor_310" href="#Footnote_310" class="fnanchor">[310]</a><i lang="la" xml:lang="la">retentum</i>,
-&amp; ne pas tout dire, sont des
-marques de défiance, d’inquietude
-&amp; d’irresolution, qui font perdre
-au Ministre la visée pour ce qui est
-du conseil, &amp; l’affection pour ce
-qui concerne le service.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_308" href="#FNanchor_308"><span class="label">[308]</span></a> Si tu veux que je pleure, il faut que tu
-t’affliges auparavant.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_309" href="#FNanchor_309"><span class="label">[309]</span></a> Pourquoy te traiteray-je
-comme un Consul, si tu ne me traites
-pas comme un Senateur.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_310" href="#FNanchor_310"><span class="label">[310]</span></a> Chose de retenu.</p>
-</div>
-<p>La seconde chose que le Prince
-doit observer envers son Ministre,
-est qu’il le tienne comme amy, &amp;
-non pas comme flateur, qu’il luy
-permette de parler &amp; d’opiner librement,
-d’expliquer &amp; fortifier
-son opinion, sans le contraindre
-ou luy sçavoir mauvais gré de ne
-point condescendre à la sienne,
-<a id="FNanchor_311" href="#Footnote_311" class="fnanchor">[311]</a><i lang="la" xml:lang="la">meliora enim vulnera diligentis, quàm
-oscula blandientis</i>, &amp; puis que comme
-disoit un brave Conseiller à
-son Maistre, <a id="FNanchor_312" href="#Footnote_312" class="fnanchor">[312]</a><i lang="la" xml:lang="la">non potes me simul amico
-&amp; adulatore uti</i>. Si un Prince
-veut estre flatté, il a assez de Gentilshommes
-&amp; Courtisans qui ne
-cherchent que l’occasion de le faire,
-sans y employer celuy qui doit
-estre sa bouche de verité. Et celuy-là
-ne peut jamais bien reüssir, <a id="FNanchor_313" href="#Footnote_313" class="fnanchor">[313]</a><i lang="la" xml:lang="la">cujus
-aures ita formatæ sunt, ut aspera quæ
-utilia, &amp; nihil nisi jucundum non læsurum
-accipiant</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Tacit. 3. hist.</span>)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_311" href="#FNanchor_311"><span class="label">[311]</span></a> Car les blessures
-d’un amy sont meilleures que les baisers d’un
-flateur.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_312" href="#FNanchor_312"><span class="label">[312]</span></a> Tu ne peux pas te servir de moy comme
-amy &amp; flateur tout ensemble.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_313" href="#FNanchor_313"><span class="label">[313]</span></a> Dont les oreilles sont formées, à trouver rudes les choses
-qui sont utiles, &amp; à n’écouter rien que de plaisant,
-&amp; qui ne peut blesser.</p>
-</div>
-<p>Finalement comme ceux qui
-demeurent quelque temps au Soleil
-sont échauffez par sa chaleur ;
-aussi faut-il que celuy qu’un Prince
-ou Souverain approche de sa
-personne, ressente les effets de son
-pouvoir, &amp; de l’amitié qu’il luy
-porte par la recompense deüe à ses
-services ; &amp; quoy que la plus honorable
-&amp; glorieuse qu’il luy puisse
-donner, soit de les agréer, &amp; de s’en
-declarer satisfait, <a id="FNanchor_314" href="#Footnote_314" class="fnanchor">[314]</a><i lang="la" xml:lang="la">beneficium siquidem
-est reddere bonitatis verba</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Senec.</span>)
-&amp; suivant même l’opinion commune,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_315" href="#Footnote_315" class="fnanchor">[315]</a>Principibus placuisse viris non ultima laus est.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_314" href="#FNanchor_314"><span class="label">[314]</span></a> Veu que c’est un bienfait, ou une recompense,
-que de parler en bons termes des services
-qu’on a reçus.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_315" href="#FNanchor_315"><span class="label">[315]</span></a> On ne remporte pas peu de
-loüange d’avoir plu aux Princes.</p>
-</div>
-<p class="noindent">Il faut neanmoins passer outre, &amp;
-pratiquer à son occasion cette belle
-vertu de la liberalité, en luy subministrant
-les choses necessaires
-pour vivre honnestement dans un
-estat mediocre, &amp; autant éloigné
-de l’ambition que de la necessité.
-Philippes II disoit à Ruy Gomes
-son Confident serviteur, <i>faites mes
-affaires &amp; je feray les vostres</i> : Il faut
-que tous les Princes en disent autant
-à leurs Ministres, s’ils en veulent
-estre servis avec affection &amp; fidelité,
-<a id="FNanchor_316" href="#Footnote_316" class="fnanchor">[316]</a><i lang="la" xml:lang="la">liberalitas enim commune
-quoddam vinculum est, quo beneficus
-&amp; beneficio devinctus astringuntur</i>. Et
-j’estime qu’il seroit encore meilleur
-de les mettre promptement en repos
-de ce costé-là, afin que n’ayant
-plus à la teste cet horrible monstre
-de pauvreté, ils apportent un esprit
-entierement libre &amp; dégagé de
-toutes passions au maniement des
-affaires, qui seroit le premier fruit
-de cette liberalité, comme le second
-d’acquerir beaucoup d’honneur
-&amp; de recommandation à celuy
-qui l’auroit pratiquée, d’autant
-que, selon la remarque d’Aristote,
-entre tous les Princes vertueux,
-<a id="FNanchor_317" href="#Footnote_317" class="fnanchor">[317]</a><i lang="la" xml:lang="la">ii fere diliguntur maximè, qui
-fama &amp; laude valent liberalitatis</i> ; &amp; le
-dernier de rendre les personnes entierement
-liées au service de ceux
-qui leur font du bien, veu que, suivant
-le dire d’un Ancien, qui a le
-premier inventé les bienfaits, il a
-voulu forger des seps &amp; des menottes,
-pour enchaisner les hommes,
-les captiver &amp; traisner aprés soy.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_316" href="#FNanchor_316"><span class="label">[316]</span></a> Car la liberalité
-est un certain lien qui lie le bienfaiteur
-&amp; celuy qui reçoit le bienfait.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_317" href="#FNanchor_317"><span class="label">[317]</span></a> On aime particulierement ceux qui ont
-le renom &amp; la loüange d’estre les plus liberaux.</p>
-</div>
-<p>Voila, <span class="sc">Monseigneur</span>, tout
-ce que j’avois à dire en cette matiere,
-de laquelle je n’eusse jamais
-voulu entreprendre de traitter, si
-V. Eminence ne me l’eust commandé,
-&amp; que sa grande bonté &amp;
-facilité ne m’eussent fait esperer
-une excuse favorable, de toutes
-les fautes que je puis y avoir commises.
-Je sçay qu’elle desiroit d’autres
-forces que les miennes, une
-plume plus diserte &amp; eloquente,
-une erudition plus grande, un jugement
-plus fort, un esprit plus
-universel : Mais nous aurions peu
-de statues de Jupiter s’il n’eust esté
-permis qu’à Phidias de les faire, &amp;
-Rome seroit maintenant sans peintures
-&amp; tableaux, si d’autres n’y
-avoient travaillé que Michel Ange,
-&amp; Raphael d’Urbin : les bons
-ouvriers ne se rencontrent pas si
-souvent, que l’on se puisse passer
-des mauvais, ny les grands Politiques,
-que l’on ne se divertisse quelquefois
-dans les écrits des moindres,
-sous le titre desquels s’il plaist
-à V. Eminence de recouvrir le
-present discours, elle m’obligera
-de songer à quelque autre de plus
-longue haleine ; &amp; j’ose bien me
-promettre sous la continuation de
-vostre faveur &amp; bienveillance, que</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_318" href="#Footnote_318" class="fnanchor">[318]</a>Illa dies olim veniet (modo stamina</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Longa trahat Lachesis) quum te &amp; tua facta canemus</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Uberius, nomenque tuum Gangetica tellus,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Et Tartessiaci resonabunt littora ponti.</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ibit Hyperboreas passim tua fama per urbes,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Et per me extremis Libyæ nosceris in oris,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Tunc ego majori Musarum percitus œstro,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Omnibus ostendam, quanto tenearis amore</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Justitiæ, sit quanta tibi pietasque fidesque,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Quantum consilio valeas &amp; fortibus ausis,</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Quàm sis munificus, quàm clemens, denique per me</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ingenium, moresque tuos mirabitur orbis.</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">At nunc ista tibi quæ tradimus accipe læto</div>
-<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Interea vultu, &amp; præsentibus annue cœptis.</div>
-</div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_318" href="#FNanchor_318"><span class="label">[318]</span></a> Le temps viendra un jour (pourveu que la
-Parque fasse nostre fusée longue) que nous publierons
-plus amplement les belles actions de
-vostre personne ; &amp; que vostre nom retentira
-dans la terre du Gange, &amp; sur les costes de la
-mer d’Espagne. Vostre nom ira jusques aux villes
-du Nord, &amp; je vous feray connoistre dans
-les extremités de la Libye. Alors poussé d’une
-plus grande veine poëtique, je feray voir à
-tout le monde combien vous estes amateur de
-la justice, combien grande est la foy &amp; la pieté
-dont vous estes orné ; combien vous estes puissant
-en conseil, &amp; en courageuses entreprises ;
-combien vous estes liberal, &amp; clement, &amp; enfin
-je feray que toute la terre admirera vostre
-esprit &amp; vos mœurs. Mais cependant recevés ce
-que je vous offre maintenant, &amp; daignés prendre
-en bonne part &amp; favoriser la presente entreprise.</p>
-</div>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">TABLE<br />
-des Chapitres.</h2>
-
-
-<table summary="">
-<tr><td class="drap"><span class="i">Objections que l’on peut faire contre
-ce discours, avec les réponses
-necessaires.</span> Chap. I.</td>
-<td class="r bot w3"><div>pag. <a href="#ch1">3</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="i">Quels sont proprement les Coups d’Estat,
-&amp; de combien de sortes.</span> Chap. II.</td>
-<td class="r bot"><div><a href="#ch2">50</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="i">Avec quelles precautions, &amp; en quelles
-occasions on doit prattiquer les Coups
-d’Estat.</span> Chap. III.</td>
-<td class="r bot"><div><a href="#ch3">118</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="i">De quelles opinions faut-il estre persuadé
-pour entreprendre des Coups d’Estat.</span>
-Chap. IV.</td>
-<td class="r bot"><div><a href="#ch4">213</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap"><span class="i">Quelles conditions sont requises au Ministre
-avec qui l’on peut concerter les
-Coups d’Estat.</span> Chap. V.</td>
-<td class="r bot"><div><a href="#ch5">283</a></div></td></tr>
-</table>
-
-<p class="c gap g">FIN.</p>
-
-
-<div lang='en' xml:lang='en'>
-<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>CONSIDERATIONS POLITIQUES SUR LES COUPS D&#039;ESTAT</span> ***</div>
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-additions or deletions to any Project Gutenberg&#8482; work, and (c) any
-Defect you cause.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg&#8482;
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg&#8482;&#8217;s
-goals and ensuring that the Project Gutenberg&#8482; collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg&#8482; and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation&#8217;s EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state&#8217;s laws.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation&#8217;s business office is located at 809 North 1500 West,
-Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
-to date contact information can be found at the Foundation&#8217;s website
-and official page at www.gutenberg.org/contact
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; depends upon and cannot survive without widespread
-public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
-visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>.
-</div>
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-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-</div>
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-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 5. General Information About Project Gutenberg&#8482; electronic works
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg&#8482; concept of a library of electronic works that could be
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-</div>
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