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If you are not located in the United States, you -will have to check the laws of the country where you are located before -using this eBook. - -Title: Considerations politiques sur les coups d'estat - -Author: Gabriel Naudé - -Release Date: January 28, 2023 [eBook #69887] - -Language: French - -Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team - at https://www.pgdp.net (This file was produced from images - generously made available by The Internet Archive) - -*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CONSIDERATIONS POLITIQUES SUR -LES COUPS D'ESTAT *** - - - - - - CONSIDERATIONS - POLITIQUES - SUR LES - COUPS D’ESTAT. - - Par Gabriel Naudé, Parisien. - - - Sur la Copie de Rome. - M DC LXVII. - - - - -AU LECTEUR. - - -Ce livre n’ayant esté composé que pour la satisfaction d’un particulier, -on n’en fit imprimer que 12 exemplaires, qui n’ont paru que dans fort -peu de Cabinets où ils ont toujours tenu le premier rang entre les -pieces curieuses; mais comme le hazard m’en a donné une copie, j’ay cru -que je n’obligerois pas peu le public en luy donnant un thresor qui -n’estoit possedé que de fort peu de personnes; cela joint au merite de -l’auteur & à celuy de l’ouvrage, à qui on faisoit tort de ne les pas -faire connoistre, m’ont obligé à le mettre sous la presse, & à inserer à -la fin de chaque page la traduction Françoise des citations Greques, -Latines & Italiennes qui sont dans le corps du livre, afin de faire -connoistre le merite de l’œuvre à plus de personnes, & donner au livre -la seule perfection qui sembloit y manquer; ceux qui le liront -admireront ce Traité & me sçauront bon gré de leur avoir fait part d’une -piece si rare. Adieu. - - - - -Ce livre n’a pas esté composé pour plaire à tout le monde, si l’Auteur -en eust eu le dessein, il ne l’auroit pas écrit du stile de Montagne & -de Charon, dont il sçait bien que beaucoup de personnes se rebuttent à -cause du grand nombre des citations Latines. Mais comme il ne s’est mis -à le faire que par obeïssance, il a esté obligé de coucher sur le papier -les mêmes discours, & de rapporter les mêmes autoritez dont il s’estoit -servy en parlant à son Eminence. Aussi n’est-ce pas pour rendre cet -ouvrage public qu’il a esté mis sous la presse; elle n’a roulé que par -le commandement, & pour la satisfaction de ce grand Prelat, qui n’a ses -lectures agréables que dans la facilité des livres imprimez: Et qui pour -cette cause a voulu faire tirer une _douzaine d’exemplaires_ de -celuy-cy, au lieu des copies manuscrites qu’il en faudroit faire. Je -sçay bien que ce nombre est trop petit pour permettre que ce livre soit -veu d’autant de personnes que le Prince de Balzac & le Ministre de -Sillion. Mais comme les choses qu’il traitte sont beaucoup plus -importantes, il est aussi fort à propos qu’elles ne soient pas si -communes. Et en un mot l’Auteur n’a eu autre but que la satisfaction de -son Eminence, tant pour composer, que pour publier cet ouvrage. - - - - -A l’Auteur. - - - L’un s’émerveillera de vous voir en jeunesse - Déja tout posseder, ce que l’antiquité, - Se travaillant sans fin dans son infinité, - A peine a sceu tirer des Tresors de sagesse. - - Un autre admirera l’heroïque hardiesse, - Dont voulant rétablir icy la liberté, - Vous combatés si bien contre la fausseté, - Même dedans la place où elle est la Maitresse. - - Bref, dans vostre discours chacun admirera - Une diversité des merveilles qu’il a; - Mais voicy celle-là qu’entre autres j’ay trouvée: - - C’est que sçachant si bien le naturel des Grands, - Leur maxime & leurs _COUPS_, vous soyez si long-temps - Resté dans une vie innocente & privée. - -Jac. Bouchard, à Rome. - - - - - A MONSEIGNEUR, - L’EMINENTISSIME - CARDINAL - DE BAGNI, - mon tres-bon & tres-honoré - Maistre. - - [1]_Non equidem hoc studeo, bullatis ut mihi nugis - Pagina turgescat dare pondus idonea sumo: - Secreti loquimur, tibi nunc, hortante camœna, - Excutienda damus præcordia._ - -(Pers. Sat. 5.) - - [1] Je n’ay point essayé d’enfler mes ouvrages de sornettes boufies - qui ne font que de la fumée. Je vous parle confidemment, & la muse - me sollicite de vous découvrir le fond de mon ame. - - -MONSEIGNEUR, - -Puis que vous estes maintenant à Rome, joüissant des honneurs qui -servent de recompense à vos merites, & vivant dans le repos que les -fonctions publiques heureusement exercées en sept Gouvernemens, une -Vice-legation, & deux Nonciatures vous y ont acquis: je n’ay pas cru -pouvoir mieux employer le loisir duquel vostre bien-veillance & vostre -bonté extraordinaire m’y font pareillement joüir, qu’en vous entretenant -des plus relevées Maximes de la Politique, & de ces grandes affaires -d’Estat, en la conduite desquelles V. E. a tellement fait remarquer sa -prudence, que les plus grands Genies qui gouvernent presentement toute -l’Europe, en sont demeurez remplis d’étonnement, & n’ont jamais mieux -reüssi aux deliberations & entreprises les plus difficiles, que lors -qu’ils les ont maniées suivant les bons & genereux avis qu’il vous a -pleu de leur en donner, _Adeò_ - - [2]_Nil desperandum Teucro duce & auspice Teucro!_ - -(Horat. l. 1. carm. Ode 7.) - - [2] Aussi ne faut-il point desesperer, puisque Teucer marche à la - teste, il ne faut rien craindre aussi sous le bonheur de sa - conduite. - - - - -Chapitre I. - -Objections que l’on peut faire contre ce discours avec les Réponses -necessaires. - - -Mais à grand peine, MONSEIGNEUR, ay-je tracé les premieres lignes de ce -Discours, que je me treuve renfermé entre deux puissantes difficultez, -capables à mon avis d’empécher toute autre personne qui auroit moins de -courage & d’affection que moy, de passer outre, & de glacer le sang des -plus échauffez à la recherche de ces Resolutions, non moins perilleuses -que extraordinaires. Car si le judicieux Poëte Horace (_Ode 1. lib. 2._) -disoit ingenûment à son amy Pollio, qui vouloit écrire l’histoire des -guerres civiles arrivées de son temps, - - [3]_Periculosæ plenum opus aleæ - Tractas, & incedis per ignes - Suppositos cineri doloso._ - - [3] Vostre ouvrage est perilleux, & vous marchez sur des feux cachés - sous une cendre trompeuse. - -Quel bon succés peut-on attendre de cette mienne entreprise beaucoup -plus difficile & temeraire: veu que pour ne rien dire du danger qu’il y -a de vouloir déchiffrer les actions des Princes, & faire voir à nud ce -qu’ils s’efforcent tous les jours de voiler avec mille sortes -d’artifices; il y en a encore deux autres de non moindre consequence; -l’un desquels je puis en quelque façon apprehender pour ce qui regarde & -touche vostre personne; comme aussi rencontrer l’autre en ce qui -concerne la mienne. - -Et pour ce qui est du premier je dirois volontiers avec le Poëte qui a -si bien traitté la Philosophie dans ses beaux vers, qu’il est maintenant -le seul & unique soustien de sa secte: - - [4]_Illud in his rebus vereor, ne forte rearis, - Impia te rationis inire elementa, viamque - Indugredi sceleris._ - -(Lucret. lib. 1.) - - [4] J’apprehende que de ce pas il ne vous viene en l’esprit que vous - estes dans les elemens de l’impieté, & que vous entrez dans la voie - du crime. - -Au moins devrois-je craindre à bon droit de blesser les oreilles de V. -E., d’effaroucher ses yeux, & de troubler la douceur & facilité de sa -nature, aussi-bien que le repos & l’intégrité de sa conscience, par le -recit de tant de fourbes, de tromperies, violences & autres semblables -actions injustes (comme elles semblent de premier abord) & tyranniques, -qu’il me faudra cy-aprés deduire, expliquer & defendre. - -Que si Enée, l’un des plus resolus Capitaines de l’antiquité, fut -tellement émeu de commiseration au seul recit qu’il luy falloit faire -devant la Reyne de Carthage, du sac & des ruïnes de la Ville de Troye -qu’il ne le put commencer que par ces paroles: - - [5]_Quanquam animus meminisse horret, luctuque refugit._ - -(Virgil. Æn. 2.) - - [5] Bien que mon ame ait horreur de s’en souvenir, & qu’elle s’éloigne - de tout son pouvoir de la seule pensée d’un deuil si sensible. - -Et si un certain Empereur qui n’a toutefois pû éviter le surnom de -Cruel, dit un jour au Prevost, qui luy faisoit signer la condamnation de -deux pauvres miserables: [6]_Utinam nescirem literas_: (Senec. lib. 2. -de clem.) Ne pourriez-vous pas souhaitter avec plus de raison de n’avoir -jamais veu ce discours; puis qu’il ne vous doit entretenir que de ce qui -est le moins convenable à vostre grande humanité, candeur & -bien-veillance? Et puis ne ferois-je pas beaucoup mieux de suivre le -conseil de Salomon, [7]_coram Rege tuo noli videri sapiens_, & vivre -dans la continuation des estudes esquelles j’ay esté nourri dés ma -jeunesse, que de paroistre devant vous avec ces conceptions -extravagantes, comme Diognotus fit avec les siennes devant Alexandre, -pour se faire estimer un grand Ingenieur & Architecte? veu -principalement que je puis apprehender d’avoir pareille issuë de ce -raisonnement, qu’eut le Grammairien Phormion de celuy de l’art militaire -qu’il fit devant Annibal, estimé le premier Capitaine de son temps? -[8]_Omnes siquidem videmur nobis saperdæ, festivi, belli, quum simus -copreæ._ (Varro.) - - [6] Pleût à Dieu que je n’eusse aucune connoissance des lettres. - - [7] Ne veuille pas faire le sage devant ton Roy. - - [8] Veu même qu’il nous semble à tous que nous sommes sages, plaisans - & beaux, quoique nous ne soyons que des boufons. - -Et à la verité quand je viens à considerer le peu de moyens que j’ay -pour me bien acquiter de cette entreprise, qui est la seconde -difficulté, que j’ay presque envie de ne point passer outre & de m’en -déporter entierement; afin de ne point encourir la censure que Phœbus -donna en pareille rencontre à son fils dans le Poëte, - - [9]_Magna petis, Phaëton, & quæ non viribus ipsis - Munera conveniunt._ - -(Ovid. in Met.) - - [9] Tu demandes des choses grandes, Phaëton, & des dons qui ne sont - pas proportionnés à tes forces. - -Aussi fit-il une cheute memorable pour s’estre approché trop prés du -Soleil; & plusieurs qui n’avoient pas moins de temerité ont signalé leur -perte par la trop grande hardiesse de leur entreprise. Et moy qui suis -encore tout nouveau en ces exercices, - - [10]_Ense velut nudo parmaque inglorius alba._ - -(Virgil. Æn. 9.) - - [10] Comme portant une épée à la main avec une rondache blanche, pour - ne m’estre point encore signalé dans le peril. - -Oseray-je bien me mesler de ces sacrifices, plus cachez que ceux de la -Déesse Eleusine, sans y estre initié? Avec quelle asseurance pourray-je -entrer dans le fond de ces affaires, penetrer les cabinets des Grands, -passer au sanctuaire où se forment tous ces hardis desseins, sans avoir -eu l’addresse & la communication de ceux qui les conduisent? Certes je -pardonnerois volontiers à celuy qui me voyant en cette resolution, -jugeroit incontinent, que ce seroit violenter la nature, laquelle ne -passe jamais si promptement d’une extremité à l’autre; ou pour en parler -plus moderément, que ce seroit avec beaucoup plus de hardiesse que de -raison, vouloir singler sur les plus hautes mers sans Boussole, & -s’engager dans un labyrinthe de ruses, & de subtilitez infinies, sans -avoir en main le filet de cette science pour s’en déveloper avec le -succés d’une issuë favorable. Et ce d’autant plus volontiers qu’il n’en -est pas icy, comme de ceux qui envisagent avec beaucoup moins de -difficulté le Soleil, qu’ils sont plus éloignez de sa face; ou bien -comme de ces peintres, dont ceux qui ont la veuë courte, font -d’ordinaire les plus excellens Tableaux: mais plustost que cette -Prudence Politique est semblable au Prothée, duquel il nous est -impossible d’avoir aucune connoissance certaine, qu’aprés estre -descendus [11]_in secreta senis_, & avoir contemplé d’un œil fixe & -asseuré, tous ses divers mouvemens, figures & metamorphoses, au moyen -desquelles - - [11] Dans les secrets de ce vieillard. - - [12]_Fit subito sus horridus, atraque Tigris, - Squammosusque Draco, & fulva cervice Leæna._ - -(Virgil. in Georg. IV.) - - [12] Tout d’un coup il vous presente l’horreur d’un sanglier, il se - couvre de la peau noire d’un tygre, des écailles d’un dragon, & du - poil roux d’une lionne. - -Toutefois comme le jeune Aristée ne fut point détourné par les grandes -difficultez que luy proposoit Arethuse, d’entreprendre son voyage, & -d’obtenir en suite toute sorte de contentement: Aussi les precedentes -n’auront pas plus de force en mon endroit, & mille autres davantage ne -me pourroient empescher, qu’aprés m’estre avisé du conseil que donne -Pline le jeune, [13]_tutius per plana, sed humilius & depressius iter; -frequentior currentibus quàm reptantibus lapsus; sed & his non -labentibus nulla laus, illis nonnulla laus etiamsi labantur_, je ne -fournisse entierement la carriere du dessein que je me suis proposé. - - [13] Les chemins unis sont bien plus assurez, mais aussy plus bas & - plus ravalez; ceux qui courent tombent bien plus souvent que ceux - qui marchent bellement; mais ceux-cy ne remportent aucune loüange - quoi qu’ils ne tombent pas, au lieu que ceux-là en acquierent en - quelque façon encore bien qu’ils tombent. - -C’est pourquoy, MONSEIGNEUR, pour répondre aux deux difficultez que je -me suis faites cy-dessus; & à celle qui regarde V. E. premierement, il -ne faut point apprehender que cette doctrine heurte tant soit peu vostre -pieté, ou trouble aucunement le repos & l’integrité de vostre -conscience, comme il semble de premier abord, que ces trois vers de -Lucrece le veüillent persuader: le Soleil épand sa lumiere sur les -choses les plus viles & abjectes sans en estre gasté ou noircy, - - [14]_Nec quia forte lutum radiis ferit, est ideo ipse - Fœdus; non sordet lumen quum sordida tangit._ - -(Paling. in Scorp.) - - [14] Bien que de ses rayons il puisse toucher de la bouë, il n’en est - pas pour cela soüillé; la lumiere ne se soüille point quand elle - touche des choses sales. - -Les Theologiens ne sont pas moins religieux pour sçavoir en quoy -consistent les heresies; ny les Medecins moins preud’hommes, pour -connoistre la force & la composition de tous les venins. Les habitudes -de l’entendement sont distinguées de celles de la volonté, & les -premieres appartiennent aux sciences, & sont toujours loüables, les -secondes regardent les actions morales, qui peuvent estre bonnes ou -mauvaises. Tritheme & Pererius ont monstré qu’il estoit expedient qu’il -y eust des Magiciens, & que l’on sceust au vray le moyen d’invoquer les -demons, pour convaincre par l’apparition d’iceux l’incredulité des -Athées: Les soldats vont d’ordinaire aux exercices pour apprendre à bien -manier la picque, & à tirer du mousquet; afin de pouvoir avec plus -d’artifice & d’industrie, tuër les hommes & détruire leurs semblables: -mais ils ne s’en servent neanmoins que contre les ennemis de leur -Prince, ou de la patrie: Les meilleurs Chirurgiens n’estudient autre -chose qu’à pouvoir dextrement couper bras & jambes, & ce pour le salut -des malades, - - [15]_Truncantur & artus, - Ut liceat reliquis securum degere membris._ - -(Claud. 2. in Eutrop.) - - [15] On coupe certains membres, afin de garantir les autres par le - retranchement de ceux-là. - -Pourquoy doncque sera-t-il defendu à un grand Politique, de sçavoir -hausser ou baisser, produire ou resserrer, condamner ou absoudre, faire -vivre ou mourir, ceux qu’il jugera expedient de traitter de la sorte, -pour le bien & le repos de son Estat. - -Beaucoup tiennent que le Prince bien sage & avisé, doit non seulement -commander selon les loix; mais encore aux loix même si la necessité le -requiert. Pour garder justice aux choses grandes, dit Charon, il faut -quelquefois s’en détourner aux choses petites, & pour faire droit en -gros, il est permis de faire tort en détail. - -Que si l’on m’objecte qu’il n’est pas toutefois à propos de discourir de -ces choses, & que c’est proprement mettre [16]_gladium ancipitem in manu -stulti_, que de les enseigner; je répondray à cela, que les méchans -peuvent abuser de tout ce qu’il y a de meilleur en ce monde, & faire -comme les mouches bastardes & frelons, qui convertissent les plus belles -fleurs en amertume: Les Heretiques trouvent les fondemens de leur -impieté dans la Sainte Ecriture: Les Paracelsistes abusent du texte -d’Hippocrate pour établir leurs songes: Les Avocats citent le Code & les -Pandectes, pour defendre les plus coupables; & neanmoins l’on n’a jamais -songé à supprimer ces Livres: l’épée peut aussi-tost offenser que -defendre, le vin aussi-tost enyvrer que nourir, les remedes aussi-tost -tuër que guerir; & personne toutefois n’a encore dit que leur usage ne -fust tres-necessaire. C’est une loy commune à toutes les choses, -qu’estant instituées à bonne fin, l’on en abuse bien souvent: la Nature -ne produit pas les venins pour servir aux poisons, & à faire mourir les -hommes, parce qu’en ce faisant elle se détruiroit elle-même: mais c’est -nostre propre malice qui les convertit en cet usage, [17]_Terra quidem -nobis malorum remedium genuit, nos illud vitæ fecimus venenum._ (Plin. -lib. 18. cap. 1.) - - [16] Une épée à deux tranchans entre les mains d’un fol. - - [17] La terre nous a bien produit des remedes pour soulager nos maux; - mais nous les avons convertis en poison pour nous oster la vie. - -Mais il faut encore passer outre, & dire que la malice & la depravation -des hommes est si grande, & les moyens desquels ils se servent pour -venir à bout de leurs desseins si hardis & dangereux, que de vouloir -parler de la Politique suivant qu’elle se traitte & exerce aujourd’huy, -sans rien dire de ces Coups d’Estat, c’est proprement ignorer la Pedie, -& le moyen qu’enseigne Aristote dans ses Analytiques, pour parler de -toutes choses à propos, & suivant les principes & demonstrations qui -leur sont propres & essentielles, [18]_est enim pædiæ inscitia nescire, -quorum oporteat quærere demonstrationem, quorum verò non oporteat_: -comme il dit en sa Metaphysique. C’est pourquoy Lipse & Charon, bien -qu’ils ne fussent pas des Timons & Mysantropes, ont voulu traitter de -cette partie, pour ne point laisser leurs ouvrages imparfaits: Et le -même Aristote qui n’avoit pas accoustumé de rien faire [19]ἀπαιδεύτως, -lors qu’il a traitté de la Politique & des gouvernemens opposez à la -Monarchie, Aristocratie & Democratie, qui sont la tyrannie, l’olygarchie -& l’ochlocratie, il donne aussi-bien les preceptes de ces trois vicieux -que des legitimes. En quoy il a esté suivi par Saint Thomas en ses -Commentaires, où aprés avoir blasmé & dissuadé par toutes raisons -possibles la domination tyrannique, il donne neanmoins les avis & les -regles communes pour l’établir, au cas que quelqu’un soit si méchant que -de le vouloir faire. Et qu’ainsi ne soit, voila ses propres mots tirez -du Commentaire sur le cinquiéme des Politiques texte XI. [20]_Ad -salvationem tyrannidis, expedit excellentes in potentia vel divitiis -interficere, quia tales per potentiam quam habent possunt insurgere -contra Tyrannum. Iterum expedit interficere sapientes, tales enim per -sapientiam suam possunt invenire vias ad expellendam tyrannidem, nec -scholas, nec alias congregationes, per quas contingit vacare circa -sapientiam permittendum est, sapientes enim ad magna inclinantur, & ideò -magnanimi sunt, & tales de facili insurgunt. Ad salvandam tyrannidem -oportet quod Tyrannus procuret, ut subditi imponant sibi invicem crimina -& turbent se ipsos, ut amicus amicum, & populus contra divites, & -divites inter se dissentiant, sic enim minus poterunt insurgere propter -eorum divisionem: oportet etiam subditos facere pauperes, sic enim minus -poterunt insurgere contra Tyrannum. Procuranda sunt vectigalia, hoc est -exactiones multæ, magnæ, sic enim cito poterunt depauperari subditi. -Tyrannus debet procurare bella inter subditos, vel etiam extraneos, ita -ut non possint vacare ad aliquid tractandum contra tyrannum. Regnum -salvatur per amicos, tyrannus autem ad salvandam tyrannidem non debet -confidere amicis._ Et au texte suivant qui est le XII, voila comme il -enseigne l’hypocrisie & la simulation: [21]_Expedit tyranno ad salvandam -tyrannidem, quod non appareat subditis sævus seu crudelis, nam si -appareat sævus reddit se odiosum; ex hoc autem facilius insurgunt in -eum: sed debet se reddere reverendum propter excellentiam alicujus boni -excellentis, reverentia enim debetur bono excellenti; & si non habeat -bonum illud excellens, debet simulare se habere illud. Tyrannus debet se -reddere talem, ut videatur subditis ipsos excellere in aliquo bono -excellenti, in quo ipsi deficiunt, ex quo eum revereantur. Si non habeat -virtutes secundum veritatem, faciat ut opinentur ipsum habere eas._ - - [18] Car c’est ignorer la pedie, que de ne sçavoir pas de quelles - choses il faut ou ne faut pas chercher la demonstration. - - [19] Sans en estre bien informé. - - [20] Pour le maintien de la tyrannie, il faut faire mourir les plus - puissans & les plus riches, parce que de telles gens se peuvent - soulever contre le Tyran par le moyen de l’autorité qu’ils ont. Il - est aussi necessaire de se defaire des grands esprits & des hommes - sçavans, parce qu’ils peuvent trouver, par leur science, le moyen de - ruïner la tyrannie; il ne faut pas même qu’il y ait des écoles, ni - autres congregations par le moyen desquelles on puisse apprendre les - sciences, car les gens sçavans ont de l’inclination pour les choses - grandes, & sont par consequent courageux & magnanimes, & de tels - hommes se soulevent facilement contre les Tyrans. Pour maintenir la - tyrannie, il faut que le Tyran fasse en sorte que ses sujets - s’accusent les uns les autres, & se troublent eux-mêmes, que l’ami - persecute l’ami, & qu’il y ait de la dissension entre le menu peuple - & les riches, & de la discorde entre les opulens. Car en ce faisant - ils auront moins de moyen de se soulever à cause de leur division. - Il faut aussi rendre pauvres les sujets, afin qu’il leur soit - d’autant plus difficile de se soulever contre le Tyran. Il faut - établir des subsides, c’est à dire des grandes exactions & en grand - nombre, car c’est le moyen de rendre bientost pauvres les sujets. Le - Tyran doit aussi susciter des guerres parmy ses sujets, & même parmy - les étrangers, afin qu’ils ne puissent negotier aucune chose contre - lui. Les Royaumes se maintienent par le moyen des amis, mais un - Tyran ne se doit fier à personne pour se conserver en la tyrannie. - - [21] Il ne faut pas qu’un Tyran, pour se maintenir dans la tyrannie, - paroisse à ses sujets estre cruel, car s’il leur paroît tel il se - rend odieux, ce qui les peut plus facilement faire soulever contre - lui: mais il se doit rendre venerable pour l’excellence de quelque - eminente vertu, car on doit toute sorte de respect à la vertu; & - s’il n’a pas cette qualité excellente il doit faire semblant qu’il - la possede. Le Tyran se doit rendre tel, qu’il semble à ses sujets - qu’il possede quelque eminente vertu qui leur manque, & pour - laquelle ils lui portent respect. S’il n’a point de vertus en effet; - qu’il fasse en sorte qu’ils croient qu’il en ait. - -Voila certes des preceptes bien estranges en la bouche d’un Saint, & qui -ne different en rien de ceux de Machiavel & de Cardan, mais qui se -peuvent toutefois sauver par ces deux raisons assez probables & -legitimes. La premiere est, que ces maximes estant ainsi declarées & -éventées, les sujets peuvent plus facilement reconnoistre quand les -deportemens de leurs Princes tendent à établir une Domination -Tyrannique; & consequemment y donner ordre: tout de même que les -mariniers se peuvent plus facilement retirer à l’abry, lors qu’ils ont -preveu l’orage & la tempeste, par les signes que les routiers & -pilotages leur en fournissent. La seconde, parce qu’un Tyran qui veut -sans conseil & avis establir sa domination, - - [22]_Cuncta ferit, dum cuncta timet grassatur in omnes, - Ut se posse putent._ - -(Claudian.) - - [22] Frape tout & n’épargne personne, & quand il craint le plus, c’est - pour lors qu’il attaque tout le monde, afin qu’on croie qu’il est - bien puissant. - -& ressemble quelquefois au loup, lequel estant entré dans la bergerie, & -pouvant se rassasier & appaiser sa faim sur une seule brebis, ne laisse -pourtant d’égorger toutes les autres; où au contraire s’il y procede -avec jugement, & suivant les preceptes de ceux qui sont plus avisez & -moins passionnez que luy, il se contentera peut-estre d’abatre comme -Tarquin les testes des pavots plus élevez, ou comme Thrasibule & -Periandre les esprits qui paroissent par dessus les autres; & ainsi le -mal qui ne se peut éviter le rendra beaucoup plus doux & supportable. - -D’ailleurs il ne faut pas craindre que le narré de tous ces tragiques -accidens puisse offenser les oreilles de V. E. ou troubler tant soit peu -la douceur & facilité de vostre nature. L’entiere connoissance que vous -vous estes acquise des affaires Politiques, la longue pratique & -experience que vous avez de la Cour des plus grands Monarques, où ces -Machiavellismes sont assez frequens, ne permettent pas que l’on vous -prenne pour apprenty à les connoistre. Et puis, encore que la justice, & -la clemence soient deux vertus bien sortables à un grand homme; il n’est -pas toutefois à propos qu’il ait pareille inclination à la misericorde: -Seneque en donne cette raison, en son traitté de la Clemence, (lib. 2. -c. 5.) [23]_Quemadmodum_, dit-il, _Religio deos colit, superstitio -violat, clementiam mansuetudinemque omnes boni præstabunt, misericordiam -autem vitabunt; est enim vitium pusilli animi ad speciem alienorum -malorum subsidentis_. Or ce seroit un crime de penser qu’il y eût rien -en V. E. de vil, rempant & abject, d’autant que s’il est vray, comme dit -le même, que [24]_nihil æque hominem quàm magnus animus decet_; avec -combien plus de raison, cet esprit fort se doit-il rencontrer en V. E. -pour accompagner dignement, & rehausser cette grande dignité qu’elle -soustient, non seulement de Prince de l’Eglise, mais encore de principal -conseiller de sa Sainteté, & quasi de tous les plus puissans Princes -d’Europe; [25]_Magnam enim fortunam magnus animus decet, qui nisi se ad -illam extulit, & altior stetit; illam quoque infra terram deducit_; au -moins fait-il qu’elle en est administrée avec beaucoup moins d’autorité -& de reputation. Ainsi voyons nous dans les histoires que le Roy -Epiphanes, pour avoir méprisé sa dignité, & ne s’estre pas gouverné en -Roy, fut surnommé l’Insensé: & que Ramire d’Arragon, qui n’avoit quitté -toutes les façons de faire des Moines, en sortant du Convent pour -prendre la Couronne, fut grandement mocqué & méprisé de tous ses -Courtisans. Nostre temps même nous fournit les exemples d’un Roy de la -grande Bretagne, lequel [26]_è stato schernito & besseggiato per haver -voluto comporte libri & fare del letterato_; (Tassoni lib. 7. cap. 4.) & -de Henry III, tant chanté & remarqué dans nos Histoires modernes, lequel -pour avoir vescu parmy les Moines, & dans un excés de devotion mal -reglée, abandonnant son Sceptre & le Gouvernement de son Estat, donna -sujet au Pape Sixte V, de dire: _Ce bon Roy fait tout ce qu’il peut pour -estre Moine, & moy j’ay fait tout ce que j’ay pû pour ne l’estre point._ -Et pour ce un des meilleurs avis que donna jamais Monsieur de Villeroy à -Henry le Grand, qui avoit vescu en soldat & carrabin pendant les guerres -qui se firent à son advenement à la Couronne, fut, lors qu’il luy dit, -_qu’un Prince qui n’estoit pas jaloux des respects de sa Majesté, en -permettoit l’offense & le mépris. Que les Roy ses predecesseurs dans les -plus grandes confusions avoient toujours fait les Roys: qu’il estoit -temps qu’il parlast, écrivist & commandast en Roy._ Mais à quoy bon -chercher des exemples chez les Princes étrangers, puis que l’histoire de -ceux qui ont gouverné la Ville où se treuve à present V. E. nous -represente deux Souverains Pontifes, qui pour n’avoir accompagné cette -grandeur de leur dignité supreme avec celle de l’esprit, servent encore -de fables & de sujet de médisance, & de risée à la posterité: la grande -pieté & religion qu’ils portoient empreinte sur leur face n’ayant pas eu -le pouvoir d’empescher, que Masson ne dit du premier, qui fut Celestin -cinquiéme, [27]_Vir fuit simplex, nec eruditus, & qui humana negotia ne -capere quidem posset._ (in Episcop. Rom.) Et Paul Jove du second, en -parlant d’une certaine sorte de poisson, qui estoit beaucoup encherie -pendant son Pontificat: [28]_Merluceo plebeio admodum pisci, Hadrianus -sextus sicuti in Republica administranda hebetis ingenii, vel depravati -judicii, ita in esculentis insulsissimi gustus, supra mediocre pretium -ridente toto foro Piscatorio jam fecerat._ (Libr. de piscib. Rom.) En -quoy neanmoins il s’est monstré beaucoup plus retenu & moderé, que -Pierre Martyr, non l’Heretique de Florence, mais le Protonotaire -Apostolique natif d’une petite bourgade du Duché de Milan, lequel avoit -dit en parlant de l’élection de ce même Pape: [29]_Cardinalibus hoc loco -accidit quod in fabulis de Pardo ac Leone super Agno raptando scribitur; -sortibus illis strenuè se dilacerantibus, quodcumque quadrupes iners -aliud prædæ se dominum fecit._ De maniere qu’il faut éviter les grandes -charges, ou les administrer avec une force & generosité d’esprit si -relevée par dessus le commun, qu’elle soit capable de donner envie à la -Fortune de la seconder, & favoriser en toutes ses entreprises: la Maxime -estant tres-asseurée, que quiconque apporte ce principe & fondement, -qu’il faut bien souvent avoir de la nature ([30]_bona enim mens, nec -emitur, nec comparatur_, dit Seneque) à la conduite de son bonheur, il -ne peut manquer d’estre le propre ouvrier & createur de sa fortune; -[31]_Sapiens pol ipse fingit Fortunam sibi._ (Plaut. in Trinum.) -Alexandre se propose-t-il, quoyque jeune & tres-mal fourny d’argent & de -soldats, de subjuguer les Perses, & de passer jusques aux Indes, il en -vient à bout. Cesar entreprend-il de gouverner seul cette grande -Republique qui commandoit à toutes les autres, il en treuve le moyen. -Deux Pastres Romulus & Tammerlan ont-ils volonté de fonder deux puissans -Empires, ils l’executent; Mahomet se veut-il faire de Marchand Prophete, -& de Prophete Souverain d’une troisiéme partie du Monde, il luy reüssit: -Et quel pensez-vous, MONSEIGNEUR, avoir esté le principal ressort qui a -causé tous ces merveilleux effets, nul autre en verité, sinon celuy que -Juvenal nous enseigne de toujours mettre & placer entre les premiers de -nos souhaits avec son [32]_fortem posse animum_. (Satyr. 10.) Or de -vouloir maintenant specifier quelles sont les parties qui bastissent, & -composent ce fort esprit, ce seroit vouloir enchasser un discours dans -un autre, & faire comme Montaigne, qui suit plustost les caprices de sa -phantaisie, que les titres de ses Essais. Il suffit pour le present de -dire, que l’une des premieres & plus necessaires pieces, est de penser -souvent à ce dire de Seneque: [33]_O quam contempta res est homo, nisi -supra humana se erexerit_: (In proœm. nat. quæst.) C’est à dire, s’il -n’envisage d’un œil ferme & asseuré, & quasi comme estant sur le dongeon -de quelque haute tour, tout ce Monde, se le presentant comme un theatre -assez mal ordonné, & remply de beaucoup de confusion, où les uns jouënt -des comedies, les autres des tragedies, & où il luy est permis -d’intervenir [34]_tanquam Deus aliquis ex machina_, toutes fois & -quantes qu’il en aura la volonté, ou que les diverses occasions luy -pourront persuader de ce faire. Que si par avanture, MONSEIGNEUR, il -vous semble extraordinaire, & hors de saison de mon âge, & peut-estre -aussi de la bien-seance de ma condition, que je me fasse si resolu en -ces matieres fort chatoüilleuses & delicates d’elles-mêmes, & beaucoup -plus encore en la bouche d’un jeune homme, lequel est appellé par -Horace, (de Arte Poët.) [35]_Utilium tardus provisor_, & n’a pas -accoustumé de s’adonner à des estudes si serieuses & importantes, - - [36]_Quæque decent longa decoctam ætate senectam._ - - [23] Ainsy comme la religion revere les Dieux, & que la superstition - les offense, tous les gens de bien embrasseront la clemence & la - douceur; mais ils éviteront la compassion. Car c’est une marque d’un - cœur bas, & d’un esprit foible, de se laisser toucher aux maux que - l’on voit souffrir aux autres. - - [24] Qu’il n’y a rien qui soit si bienseant à un homme qu’un grand - courage. - - [25] Car pour ménager une grande fortune il faut un grand esprit, & - tel que s’il ne s’est élevé jusques à elle & ne s’est placé au - dessus, il la renverse & la met plus bas que la terre. - - [26] A esté méprisé & moqué pour avoir voulu composer des livres, & - faire l’homme de lettres. - - [27] Ce fut un homme simple, sans erudition, & qui ne pouvoit pas même - comprendre les affaires humaines. - - [28] Adrien sixiéme qui avoit le goust insipide pour toutes sortes de - viandes aussi-bien que l’esprit hebeté, & le jugement depravé pour - l’administration de la Republique, avoit déja mis un prix excessif - au Merlus, qui est un poisson assés commun, ce qui attira la risée - de tout le marché aux poissons. - - [29] Il arriva en ce rencontre aux Cardinaux ce que la fable raconte - du Leopard & du Lion sur l’enlevement d’un agneau; que pendant que - ces deux genereux animaux se déchiroient en disputant vaillamment à - qui auroit la proye, une autre beste à quatre pieds, des plus brutes - & lâches, s’en rendit la maitresse. - - [30] Car on ne peut acheter l’esprit, ni l’acquerir par aucune autre - voie. - - [31] En verité l’homme sage se fabrique sa fortune lui-même. - - [32] Demandés un fort esprit qui soit gueri des craintes de la mort. - - [33] O que l’homme est une chose méprisable, s’il ne s’éleve au dessus - des choses humaines. - - [34] Comme quelque divinité qui sort d’une machine. - - [35] Negligent aux choses qui lui sont utiles. - - [36] Et qui convienent à la vieillesse consumée dans l’âge. - -Je puis premierement répondre à V. E. que l’âge auquel je me treuve, -n’est aucunement disproportionné à la matiere & au sujet que je traitte. -Le Poëte qui a le premier proféré ces deux beaux vers, - - [37]_Optima quæque dies miseris mortalibus ævi - Prima fugit, subeunt morbi tristisque senectus._ - -(Virgil. 3. Georg.) - - [37] Le meilleur de nos jours passe & fuit le premier: les maux - marchent ensuite & la triste vieillesse. - -passeroit à un besoin pour garend & caution de mon dire, puis qu’il luy -donne une si belle epithete; sur lequel Seneque voulant glosser à sa -mode, [38]_Quare optima?_ dit-il, _quia juvenes possumus facilem animum, -& adhuc tractabilem ad meliora convertere; quia hoc tempus idoneum est -laboribus, idoneum agitandis per studia ingeniis_. (Epist. 108.) Et si -beaucoup de personnes ont executé plusieurs belles entreprises, -auparavant la fleur de leur âge; pourquoy me sera-t-il defendu de les -suivre de loin, & de produire sinon des actions genereuses & relevées, -au moins quelques fortes & hardies conceptions? Veu principalement que -je me suis toujours efforcé d’acquerir certaines dispositions d’esprit, -qui ne m’y doivent pas estre maintenant inutiles. Car il est vray que -j’ay cultivé les Muses sans les trop caresser; & me suis assez plû aux -estudes sans trop m’y engager: j’ay passé par la Philosophie -Scholastique sans devenir Eristique, & par celle des plus vieux & -modernes sans me partialiser, - - [39]_Nullius addictus jurare in verba magistri._ - - [38] Pourquoy le meilleur? pource que nous pouvons beaucoup apprendre - en nostre jeunesse, & faire tourner nostre ame encore facile & - traitable du costé de la vertu; parce que ce temps-là est le plus - propre à supporter la peine, à exercer l’esprit dans l’estude & le - corps dans le travail. - - [39] Ne m’estant point obligé par serment, de suivre l’opinion d’aucun - maistre. - -Seneque m’a plus servi qu’Aristote; Plutarque que Platon: Juvenal & -Horace qu’Homere & Virgile: Montaigne & Charon que tous les precedens. -Je n’ay pas eu la pratique du Monde, pour découvrir par effet les ruses -& méchancetez qui s’y commettent, mais j’en ay toutefois veu une grande -partie dans les Histoires, Satyres & Tragedies. Le Pedantisme a bien pû -gagner quelque chose pendant sept ou huit ans que j’ay demeuré dans les -Colleges, sur mon corps & façons de faire exterieures, mais je me puis -vanter asseurément qu’il n’a rien empieté sur mon esprit. La Nature, -Dieu mercy, ne luy a pas esté marastre, elle luy a donné une bonne base -& fondement, la lecture de divers Auteurs l’a beaucoup aidé, mais celle -du Livre de S. Anthoine luy a fourny ce qu’il a de meilleur. En suite de -quoy je ne croy pas que V. E. puisse treuver mauvais qu’estant tout -plein de zele & de bonne affection à son service, j’employe ces pensées -qui me sont particulieres, pour honnestement le divertir: sans avoir -dessein de rencontrer quelque Agamemnon, lequel me dise comme à ce jeune -homme de Petrone qui venoit faire une longue declamation, -[40]_Adolescens, quoniam sermonem habes non publici saporis, & quod -rarissimum est amas bonam mentem, non fraudabere arte secreta_: (Init. -Satyr.) Et je n’estime pas aussi de manquer d’occasion pour faire valoir -mon petit talent dans la vie contemplative, à laquelle j’ay voüé & -destiné tout le reste de la mienne, sans me vouloir empescher & -empestrer dans l’active, sinon autant que le service de V. E. à laquelle -j’ay fait le premier vœu d’obeïr, m’y pourroit engager. - - [40] Jeune homme, parce que vos discours ont un agrément particulier, - & que vous avez de la passion pour les bons esprits, ce qui est - tres-rare, vous ne manquerés pas d’avoir de talens particuliers. - -Reste doncques maintenant à voir, si je n’outrepasse point les bornes de -ma capacité, en voulant traitter de ces choses autant éloignées -semble-t-il de ma connoissance, que le jour l’est de la nuit; qui est la -derniere difficulté que je me suis proposé cy-dessus de resoudre. Et à -cela je pourrois répondre brievement, que la difficulté seroit bientost -vuidée, si l’on en vouloit passer par cet arrest de Seneque, [41]_Paucis -ad bonam mentem opus est literis._ Mais pour en specifier quelque chose -davantage, j’avoüe ingenûment que je n’ay point tant de presomption, & -de bonne opinion de moy-même que de penser gagner le prix en cette -course, où je suis encore tout nouveau. Neanmoins puis que suivant le -dire du Poëte, (Horat. 1. Ep. 1.) - - [42]_Est aliquid prodire tenus, si non datur ultra_; - - [41] Un bon esprit n’a pas besoin de beaucoup de lettres. - - [42] C’est toujours faire quelque progrés, si on ne peut pas passer - outre. - -je feray quelque petit effort, & marcheray jusques à ce que je sois las -ou hors du droit chemin, alors je me reposeray, & attandray quelque -nouvelle connoissance ou instruction pour passer plus outre. Le bon -homme Aratus qui n’entendoit pas grand’chose en l’Astrologie, fit -toutefois un beau Livre de ses Phenomenes; Celse qui n’estoit que pur -Grammairien, a nonobstant composé un livre de grande importance en -Medecine: Dioscoride estoit soldat, Macer Senateur, & tous deux ont fort -bien écrit des plantes; Hippodamus même de simple architecte & masson -devint grand Politique, & auteur d’une Republique mentionnée par -Aristote. Aussi j’ay toujours esté de cette opinion, que quiconque a -tant soit peu de naturel & d’acquis par les estudes, il peut inferer & -deduire de cinq ou six bons principes, toutes sortes de conclusions, -comme Pline dit, que les Peintres anciens faisoient leurs plus belles -pieces par le meslange de quatre ou cinq sortes de couleurs seulement. -On peut aussi ajouster, que les sciences semblent estre comme -enchainées, & cadenacées les unes avec les autres, & avoir une telle -correspondance, que qui en possede une, possede aussi toutes celles qui -luy sont subalternes. Et de plus que le siecle où nous sommes, semble -beaucoup favoriser ce dessein, puis que l’on peut à peu prés sçavoir & -découvrir tous les plus grands secrets des Monarchies, les intrigues des -cours, les cabales des factieux, les pretextes & motifs particuliers, & -en un mot, [43]_quid Rex in aurem Reginæ dixerit, Quid Juno fabulata sit -cum Jove_, (Plaut.) par le moyen de tant de relations, memoires, -discours, instructions, libelles, manifestes, pasquins, & semblables -pieces secrettes, qui sortent tous les jours en lumiere, & qui sont en -effet capables de mieux & plus facilement former, dégourdir, & deniaiser -les esprits, que toutes les actions qui se pratiquent ordinairement és -Cours des Princes, dont nous ne pouvons qu’à grand’peine connoistre -l’importance, faute d’avoir penetré dans leurs causes, & divers -mouvemens. Bref pour finir en peu de mots ce qui concerne le particulier -de ma personne, - - [44]_Quod Cato, quod Curius sanctissima nomina quondam - Senserunt, non quid vulgus, plebsque inscia dicat, - Mente agito, atque mihi propono exempla bonorum._ - -(Paling. in Tauro.) - - [43] Ce que le Roy a dit en secret à la Reine, & les discours que - Junon a tenus à Jupiter. - - [44] Je ne pense point à ce que pourra dire le vulgaire, & la populace - ignorante, mais je medite sur les sentimens qu’ont eu jadis Caton & - Curius, dont les noms sont en grande veneration, & me propose - toujours l’exemple des gens de bien. - -Il est bien vray que ce dessein estant un des plus relevez que l’on -puisse choisir en toute la Politique, il en sera d’autant plus -difficile; mais aussi me fait-il esperer que la fin en sera plus -glorieuse; pour moy je me suis toujours plû de dire avec Properce, - - [45]_Magnum inter ascendo, sed dat mihi gloria vires; - Non juvat ex facili lecta corona jugo._ - - [45] J’entreprens quelque chose de grand & qui surpasse ma portée, - mais la gloire que j’espere y acquerir me donne des forces pour le - faire; je n’aime point les couronnes qu’on remporte sans peine. - -Et au pire aller, aux choses grandes l’oser est honorable, aux -perilleuses l’entreprise est hardie, aux hautes & relevées, la cheute -glorieuse; aux grandes mers si la route n’est heureuse, le naufrage est -celebre: J’ébauche, un autre achevera; j’ouvre la lyce, un autre -touchera le but; je sonne la trompette, un autre gagnera le prix, il y a -assez de personnes en ce monde qui ne peuvent marcher que sur les -chemins tracez par ceux qui les ont precedé; le nombre des esprits, qui -travaillent tous les jours à imiter les autres est assez grand, sans que -je captive encore le mien sous cet esclavage: & puis que tous les -Auteurs qui traittent de la Politique, ne mettent point de fin à leurs -discours ordinaires de la Religion, Justice, Clemence, Liberalité, & -autres semblables vertus du Prince, ou du Ministre, il vaut mieux que je -m’écarte un peu, pour n’estre atteint de cette contagion, ny envelopé -d’une telle foule; & que pour n’arriver des derniers, je passe par un -nouveau chemin, qui ne soit point fréquenté par le [46]_servum pecus_ -d’Horace, ny entrecoupé de ces grands Fangears & Marais relentis, où il -y a si long-temps que - - [47]_Veterem in limo Ranæ cecinere querelam._ - - [46] Les esclaves, ou gens de basse condition. - - [47] Les grenouilles ont chanté leurs vieilles plaintes dans la bouë. - -Or entre tous les points de la Politique, je ne voy pas qu’il y en ait -un moins agité & moins rebatu, ny pareillement plus digne de l’estre que -celuy des secrets, ou pour mieux dire des Coups d’Estat, car ce qu’en a -dit Clapmarius en son traitté [48]_de Arcanis Imperiorum_, ne peut -fournir une exception valable, puis que n’ayant pas seulement conceu ce -que signifioit le titre de son livre, il n’y a parlé que de ce que les -autres Ecrivains avoient déja dit & repeté mille fois auparavant, -touchant les regles generales de l’administration des Estats & Empires. -Et d’autant que cette matiere est si nouvelle, & relevée par dessus les -communs sentimens des Politiques, qu’elle n’a presque encore esté -effleurée par aucun d’eux, comme l’a remarqué Bodin au sixiéme de sa -Methode en ces mots: [49]_Multi multa graviter & copiosè de ferendis -moribus, de sanandis populis, de Principe instituendo, de legibus -stabiliendis, leviter tamen de statu, nihil de conversionibus -Imperiorum, & iis quæ Aristoteles Principum σοφίσματα, seu κρύφια -Tacitus Imperii Arcana vocat, ne attigerunt quidem:_ Je marcheray -toujours la bride en main, & apporteray toute la precaution, modestie, & -retenuë possible, pour assaisonner & temperer ces discours, desquels on -peut encore mieux dire, que Platon ne faisoit de ceux de Theologie, -οὑτοί γε οἱ λόγοι χαλεποί, [50]_difficiles & cum discrimine hi -sermones_. (Libr. de Repub.) Cardan & Campanelle font passer pour un -precepte d’importance, que pour bien traitter, ou presenter quelque -sujet, il en faut concevoir une parfaite idée, & y transmuer, s’il est -possible, tout son esprit, & toute son imagination; d’où l’on voit -souvent arriver, que ceux des Comediens qui sont le mieux pourveus de -cette faculté imaginative joüent aussi toujours mieux leurs personnages. -L’on dit en France, que Dubartas auparavant que de faire cette belle -description du Cheval où il a si bien rencontré, s’enfermoit quelquefois -dans une chambre, & se mettant à quatre pattes souffloit, hennissoit, -gambadoit, tiroit des ruades, alloit l’amble, le trot, le galot, à -courbette, & taschoit par toutes sortes de moyens à bien contrefaire le -Cheval. Agrippa même avouë, que lors qu’il voulut composer sa -declamation contre les sciences, il s’imagina d’estre comme un Chien qui -abayoit à toutes sortes de personnes; & lors qu’il voulut écrire de la -Pyrotechnie, ou des feux d’artifice, il se persuadoit d’estre changé en -un Dragon, qui souffloit le feu, & le souphre par la gueule, les yeux, -les oreilles & les narines. Pour moy lors que je traitteray ou écriray -de quelque sujet absolument bon & profitable, je seray bien-aise de me -servir de ces imaginations; mais en cette matiere qui est si panchante -vers l’injustice, je ne m’imagineray jamais d’estre quelque Neron, ou -Busiris, pour mieux treuver les moyens de perdre & d’exterminer le genre -humain. Ce me sera assez de ne pas encourir le blasme & la censure, que -Neron donnoit aux Politiques & Conseillers de son temps, [51]_quod -tanquam in Platonis Republica, non tanquam in Romuli fæce sententiam -dicerent_. Et si je sçavois que le peu que j’en diray pust causer -quelque abus & desordre plus grand que celuy qui est aujourd’huy en -pratique entre les Princes, je jetterois tout maintenant la plume & le -papier dans le feu, & ferois vœu d’eternel silence, pour ne me point -acquerir la loüange d’un homme fin & rusé dans les speculations -Politiques, en perdant celle d’homme de bien, de laquelle seule je veux -faire capital, & me vanter tout le reste de ma vie. - - [48] Des secrets des Empires. - - [49] Plusieurs ont traité au fond & fort amplement de l’établissement - des mœurs, de la guerison des peuples, de l’institution des Princes, - & de l’affermissement des loix; mais ils ont passé fort legerement - sur les affaires d’Estat, & n’ont rien dit des revolutions des - Empires, & de ce qu’Aristote appelle sophismes ou secrets des - Princes; & Tacite, secrets de l’Empire. - - [50] Ces discours sont fort difficiles & dangereux. - - [51] Qu’ils donnoient leur avis ou opinoient comme s’ils estoient dans - la Republique de Platon, & non parmy la populace abjecte & basse de - Romulus. - - - - -Chapitre II. - -Quels sont proprement les Coups d’Estat, & de combien de sortes. - - -Mais pour ne pas demeurer toujours en ces prefaces, & parler enfin du -sujet pour lequel elles sont faites, ce grand homme Juste Lipse traitant -en ses Politiques de la prudence, il la definit en peu de mots, _un -choix & triage des choses qui sont à fuïr, ou à desirer_; & aprés en -avoir amplement discouru comme on la prend d’ordinaire dans les Ecoles, -c’est à dire pour une vertu morale, qui n’a pour objet que la -consideration du bien; il vient en suite à parler d’une autre prudence, -laquelle il appelle meslée, parce qu’elle n’est pas si pure, si saine & -entiere que la precedente; participant un peu des fraudes & des -stratagemes qui s’exercent ordinairement dans les Cours des Princes, & -au maniement des plus importantes affaires du Gouvernement: Aussi -s’efforce-t-il de monstrer par son eloquence, que telle sorte de -Prudence doit estre estimée honneste, & qu’elle peut estre pratiquée -comme legitime, & permise. Aprés quoy il la definit assez -judicieusement, [52]_Argutum consilium à virtute, aut legibus devium, -Regni Regisque bono_; & de là passant à ses especes & differences, il en -constitue trois principales: la premiere desquelles, que l’on peut -appeller une fraude ou tromperie legere, fort petite, & de nulle -consideration, comprend sous soy la défiance, & la dissimulation; la -seconde qui retient encore quelque chose de la vertu, moins toutefois -que la precedente, a pour ses parties, [53]_conciliationem & -deceptionem_, c’est à dire le moyen de s’acquerir l’amitié & le service -des uns, & de leurer, decevoir, & tromper les autres, par fausses -promesses, mensonges, presens & autres biais, & moyens, s’il faut ainsi -dire, de contrebande, & plutost necessaires que permis ou honnestes. -Quant à la derniere, il dit qu’elle s’éloigne totalement de la vertu & -des loix, se plongeant bien avant dans la malice, & que les deux bases, -& fondemens plus asseurez sont la perfidie & l’injustice. - - [52] Un conseil fin & artificieux qui s’écarte un peu des loix & de la - vertu, pour le bien du Roy & du Royaume. - - [53] La conciliation & la deception. - -Il me semble toutefois, que pour chercher particulierement la nature de -ces secrets d’Estat, & enfoncer tout d’un coup la pointe de nostre -discours jusques à ce qui leur est propre & essentiel, nous devons -considerer la _Prudence_ comme une vertu morale & politique, laquelle -n’a autre but que de rechercher les divers biais, & les meilleures & -plus faciles inventions de traitter & faire reüssir les affaires que -l’homme se propose. D’où il s’ensuit pareillement que comme ces affaires -& divers moyens ne peuvent estre que de deux sortes, les uns faciles & -ordinaires, les autres extraordinaires, fascheux & difficiles; aussi ne -doit-on établir que deux sortes de prudence: la premiere ordinaire & -facile, qui chemine suivant le train commun sans exceder les loix & -coustumes du païs: la seconde extraordinaire, plus rigoureuse, severe & -difficile. La premiere comprend toutes les parties de prudence, -desquelles les Philosophes ont accoustumé de parler en leurs traittez -moraux, & outre plus ces trois premieres mentionées cy-dessus, & que -Juste Lipse attribue seulement à la prudence meslée & frauduleuse. Parce -que, à dire vray, si on considere bien leur nature & la necessité qu’ont -les Politiques de s’en servir, on ne peut à bon droit soupçonner -qu’elles soient injustes, vicieuses ou deshonnestes. Ce que pour mieux -comprendre, il faut sçavoir comme dit Charon, (Lib. 3. c. 2.) que la -justice, vertu & probité du Souverain, chemine un peu autrement que -celle des particuliers; elle a ses alleures plus larges & plus libres à -cause de la grande, pesante & dangereuse charge qu’il porte, c’est -pourquoy il luy convient marcher d’un pas qui peut sembler aux autres -detraqué & déreglé, mais qui luy est necessaire, loyal, & legitime; il -luy faut quelquefois esquiver & gauchir, mesler la prudence avec la -justice, & comme l’on dit, [54]_cum vulpe junctum vulpinari_: C’est en -quoy consiste la _pedie_ de bien gouverner. Les Agens, Nonces, -Ambassadeurs, Legats sont envoyez, & pour épier les actions des Princes -étrangers, & pour dissimuler, couvrir, & déguiser celles de leurs -Maistres. Louys XI, le plus sage & avisé de nos Roys, tenoit pour Maxime -principale de son Gouvernement, que [55]_qui nescit dissimulare nescit -regnare_; & l’Empereur Tibere, [56]_nullam ex virtutibus suis magis quàm -dissimulationem diligebat_. Ne voit-on pas que la plus grande vertu qui -regne aujourd’huy en Cour, est de se défier de tout le monde, & -dissimuler avec un chacun, puis que les simples & ouverts, ne sont en -nulle façon propres à ce mestier de gouverner, & trahissent bien souvent -eux & leur Estat. Or non seulement ces deux parties de se défier & -dissimuler à propos, qui consistent en l’omission, sont necessaires aux -Princes; mais il est encore souventefois requis de passer outre, & de -venir à l’action & commission, comme par exemple de gagner quelque -avantage, ou venir à bout de son dessein par moyens couverts, -equivoques, & subtilitez; affiner par belles paroles, lettres, -ambassades; faisant & obtenant par subtils moyens, ce que la difficulté -du temps & des affaires empesche de pouvoir autrement obtenir; [57]_& si -rectà portum tenere nequeas, idipsum mutata velificatione assequi_. -(Cicero lib. 11. ad Lentul.) Il est pareillement besoin de faire & -dresser des pratiques & intelligences secretes, attirer finement les -cœurs & affections des Officiers, serviteurs, & confidens des autres -Princes & Seigneurs étrangers, ou de ses propres sujets; ce que Ciceron -appelle au premier des Offices, [58]_conciliare sibi animos hominum & ad -usus suos adjungere_. A quoy faire doncques établir une prudence -particuliere & meslée, de laquelle ces actions dépendent -particulierement, comme fait Juste Lipse, puis qu’elles se peuvent -rapporter à l’ordinaire, & que telles ruses sont tous les jours -enseignées par les Politiques, inserées dans leurs raisonnemens, -persuadées par les Ministres, & pratiquées sans aucun soupçon -d’injustice, comme estant les principales regles & maximes pour bien -policer & administrer les Estats & Empires. Aussi ne meritent-elles -d’estre appellées secrets de Gouvernement, Coups d’Estat, & [59]_Arcana -Imperiorum_, comme celles qui pour estre comprises sous cette derniere -sorte de prudence extraordinaire, qui donne le branle aux affaires plus -fascheuses & difficiles, meritent particulierement & privativement à -toutes autres, d’estre appellées _Arcana Imperiorum_, puis que c’est le -seul titre que non seulement moy, mais tous les bons Auteurs qui ont -écrit auparavant moy leur ont donné. - - [54] Renarder, ou user de finesse, avec le renard. - - [55] Qui ne sçait pas dissimuler ne sçait pas aussi regner. - - [56] De toutes les vertus qu’il possedoit il n’y en avoit point qu’il - aimast plus que la dissimulation. - - [57] Et si on ne peut aller tout droit au port, y arriver en louvoyant - & en changeant de cours. - - [58] S’acquerir les cœurs des hommes, & les employer à son usage. - - [59] Secrets des Empires. - -Et en cela certainement nous pouvons remarquer la faute de beaucoup de -Politiques, & principalement de Clapmarius, lequel voulant faire un gros -Livre de _Arcanis Imperiorum_, & les reduire sous quelques preceptes -generaux, il dit premierement, que les secrets d’Estat ne sont rien -autre chose que les divers moyens, raisons & conseils desquels les -Princes se servent pour maintenir leur Autorité, & l’estat du public, -sans toutefois transgresser le droit commun, ou donner aucun soupçon de -fraude & d’injustice. Ce qu’ayant presupposé comme bien étably & -veritable, il les divise en deux sortes, & dit que les premiers se -doivent appeller secrets d’Empire, ou de Republiques, lesquels à raison -des trois sortes de Gouvernemens il subdivise encore en six autres -manieres, d’autant, par exemple, que l’Estat Monarchique doit avoir de -certains moyens & raisons particulieres pour se donner de garde d’estre -commandé par plusieurs qui le reduiroient en Aristocratie; d’autres pour -obvier au Gouvernement d’une populace & ne se changer en Democratiques: -& ainsi ces deux derniers doivent faire en sorte de ne point devenir -Monarchiques, ou de ne point tomber en quelque autre forme de -Gouvernement qui leur soit opposé. Les seconds sont ceux qu’il nomme & -qualifie du titre de secret de domination, lesquels ceux qui commandent -sont obligez de pratiquer pour se conserver en leur autorité soit -Monarchique, populaire ou Aristocratique. Ce qu’il confirme par une -curieuse enumeration de tous ces moyens, suivant qu’il les a pû -remarquer dedans Tite Live, Saluste, Amarcellin, & beaucoup d’Auteurs, -lesquels semblent demeurer tous d’accord de la signification de ces -mots, de la même façon que Clapmarius s’en est servy en tout son livre. -Or cela me feroit aucunement redouter l’indignation de tous ces grands -personnages, si je m’emancipois sans leur avoir demandé permission, de -leur dire qu’usurpant ce mot de secrets d’Estat, selon qu’il a esté -exposé cy-dessus, ils semblent s’éloigner de sa signification, & ne pas -bien comprendre la nature de la chose; estant certain que ces dictions -Latines, [60]_secretum & arcanum_, desquels ils se servent pour -l’exprimer, ne doivent point estre attribuez aux preceptes & maximes -d’une science, laquelle est commune, entenduë & pratiquée par un chacun: -mais seulement à ce que pour quelque raison ne doit estre ny connu ny -divulgué, parce que suivant que remarque le Poëte Marbodæus, - - [61]_Non secreta manent, quorum fit conscia turba._ - -(Libr. de Gem.) - - [60] Secret & caché. - - [61] Les choses qu’on communique à plusieurs personnes, ne demeurent - pas secretes. - - [62] Secret. - -Aussi apprenons nous des Grammairiens, que ce mot [62]_d’arcanum_, peut -estre derivé ab [63]_arce_, soit comme est d’avis Festus Pompeius, que -les Augures eussent coustume d’y faire un certain sacrifice, qu’ils -vouloient éloigner de la connoissance du peuple, ou parce que toutes -choses secretes & de consequence sont mieux gardées [64]_in arce_, qu’en -autre lieu. Ceux qui le tirent [65]_ab arca_ semblent aussi ne se pas -éloigner de la même opinion, & les bons Auteurs ne se sont jamais servis -de ces deux mots qu’en pareille signification. Virgile, - - [66]_Longius & volvens fatorum arcana movebo._ - -(Æneid. 1.) - - [63] Forteresse. - - [64] Dans une forteresse. - - [65] Coffre. - - [66] Et je vous raconteray plus au long le secret des fatalités. - -& en un autre lieu: - - [67]_Te colere, arcanos etiam tibi credere sensus._ - - [67] T’honorer & te confier les plus secretes pensées & passions de - mon cœur. - -Horace, - - [68]_Secretumque teges & vino tortus & irâ._ - - [68] Le vin ni la colere ne te doivent pas faire reveler le secret - qu’on t’aura confié. - -Et pour finir par celle de Lucain, n’a-t-il pas dit en parlant de la -source du Nil, qui estoit totalement inconnuë aux Egyptiens mêmes, - - [69]_Arcanum natura caput non protulit ulli, - Nec licuit populis parvum te Nile videre, - Amovitque sinus, & Gentes maluit ortus - Mirari quam nosse tuos._ - - [69] La nature n’a découvert à personne ta source, ô Nil, & il n’y a - point de peuple qui ait pû te voir en ton commencement: elle a - éloigné tes replis, & a mieux aimé faire admirer ton origine aux - nations, que de la leur faire connoître. - -Je remarqueray toutefois comme en passant, que l’on peut tirer un beau -parallele entre ce fleuve du Nil & les secrets d’Estat. Car tout ainsi -que les peuples plus voisins de sa source en tiroient mille commoditez -sans avoir aucune connoissance de son origine; ainsi faut-il que les -peuples admirent les heureux effets de ces Coups de Maistre sans -pourtant rien connoistre de leurs causes & divers ressorts. Or aprés -avoir monstré que ces Ecrivains ont corrompu les mots, nous pouvons -encore dire qu’ils ont pareillement depravé la nature de la chose, veu -qu’ils nous proposent des preceptes generaux & des maximes universelles, -fondées sur la justice & droit de Souveraineté, & par consequent -permises & pratiquées tous les jours, au veu & sceu de tout le monde; -lesquels neanmoins ils estiment estre des secrets d’Estat. Aussi ne -prenoient-ils pas garde qu’il y a une grande difference entre ceux-là, & -ceux dont nous voulons parler; puis que un chacun est fait sçavant, & -rendu capable des premiers, pour si peu d’estude qu’il veüille faire -dans les Auteurs qui en ont traitté; où au contraire ceux dont il est -maintenant question, naissent dans les plus retirez cabinets des -Princes, & ne se traittent ny deliberent en plein Senat, ou au milieu -d’une Cour de Parlement; mais entre deux ou trois des plus avisez & plus -confidens Ministres qu’ait un Prince. Et en effet, nous voyons -qu’Auguste, lors qu’il eut dessein, aprés avoir gagné la bataille -Actiaque, & appaisé les guerres civiles & étrangeres, de quitter le -titre d’Empereur, & de rendre la liberté à sa patrie; il n’en communiqua -pas au Senat, quoy qu’il l’eust augmenté de six cens Senateurs; ny à son -Conseil particulier, qui estoit composé de vingt personnes les plus -doctes & judicieuses qu’il avoit pû choisir; mais il proposa & remit -toute cette affaire au jugement de ses deux principaux Amis, Ministres, -& Confidens, Mecenas & Agrippa, [70]_quibuscum Imperii arcana -communicare solebat_, dit Dion. (Libr. 53.) Et si nous voulons remonter -jusques à ce grand homme qui luy avoit resigné sa fortune entre les -mains, Jules Cesar; nous trouverons dans Suetone [71]_in Julio_, qu’il -n’avoit que Quintus Pædius, & Cornelius Balbus, avec lesquels il -communiquoit τὰ μυσικάτατα, c’est à dire ce qu’il avoit de plus secret & -caché dans l’ame. Les Lacedemoniens qui augmenterent beaucoup leur Estat -aprés la Victoire de Lisandre, établirent bien un conseil de trente -personnes pour gouverner les affaires de leur Republique, mais non -contens de ce, ils choisirent douze des plus judicieux & avisez de leurs -Citoyens, pour estre comme les Oracles qui devoient par leur réponse -conclure les Coups d’Estat. Les Venitiens font aujourd’huy de même avec -leurs six Procureurs de Saint Marc; & il n’y a aucun Souverain tant -foible soit-il & de peu de consideration, qui soit si mal avisé, que de -remettre au jugement du public ce qui à peine demeure assez secret dans -l’oreille d’un Ministre ou Favori. C’est ce qui a fait dire à -Cassiodore, [72]_Arduum nimis est Principis meruisse secretum_, (Libr. -8. Epist. 10.) & en un autre lieu, où il parle d’un Conseiller secret de -Theodoric, [73]_Tecum pacis certa, tecum belli dubia conferebat, & quod -apud sapientes Reges singulare munus est, ille sollicitus ad omnia, -tecum pectoris pandebat arcana._ (Lib. 8. Epist. 9.) Eust-il pas fait -beau voir, que Charles IX eust deliberé de faire la Saint Barthelemy -avec tous les Conseillers de son Parlement, & que Henry III eust conclu -la mort de Messieurs de Guise au milieu de son Conseil? Je croy certes -qu’ils y eussent aussi-bien reüssi, comme à vouloir prendre les lievres -au son du tambour, ou les oiseaux avec des sonnettes. Et de plus je -demanderois volontiers à ces Messieurs, si tant est qu’ils appellent les -regles communes de regir & gouverner les Royaumes, [74]_Arcana -Imperiorum_, quel nom ils pourront donner à ces secrets meslez d’un peu -de severité, & sujets à la prudence extraordinaire, desquels nous venons -maintenant de parler. Car de les appeller comme fait Clapmarius aprés -Tacite, [75]_Flagitia Imperiorum_, c’est plustost remarquer ceux qui -sont faits en consideration d’un bien particulier, & par quelque Tyran, -que beaucoup d’autres qui se font pour l’interest public, & avec toute -l’equité que l’on peut apporter en ces grandes entreprises, qui -toutefois ne peuvent jamais estre si bien circonstanciées, qu’elles ne -soient toujours accompagnées de quelque espece d’injustice, & sujettes -par consequent au blasme & à la calomnie. - - [70] Auxquels il avoit accoustumé de communiquer les secrets de - l’Empire. - - [71] Sur Julius. - - [72] C’est par trop difficile d’avoir merité d’estre introduit dans le - secret du Prince. - - [73] Il conferoit avec toy des choses certaines de la paix & des - douteuses de la guerre, &, ce qui est une faveur singuliere d’un Roy - sage & prudent, comme il avoit soin de tout, il te reveloit les plus - secretes pensées de son cœur. - - [74] Les secrets des Empires. - - [75] Fourberies des Empires. - -Ces mots estant ainsi expliquez, il nous faut passer à la nature de la -chose qu’ils signifient: Or pour la bien penetrer & comprendre, il est -besoin d’en tirer la recherche de plus haut, & monstrer comme en la -Monastique ou gouvernement d’un seul, & en l’œconomie ou administration -d’une famille, qui sont les deux pivots de la Politique, il y a de -certaines ruses, détours, & stratagemes, desquels beaucoup se sont -servis, & se servent encore tous les jours pour venir à bout de leurs -pretensions. Charon en son livre de la Sagesse, Cardan en ses œuvres -intitulées [76]_Proxeneta, de utilitate capienda ex adversis, & de -sapientia_; Machiavel en ses discours sur T. Live, & en son Prince, en -ont donné assez amplement les preceptes. Pour moy ce me sera assez d’en -rapporter quelques exemples; aprés avoir toutefois observé qu’encore que -Juste Lipse (Civil. doctr. lib. 4. c. 13.) ait dit du dernier, [77]_Ab -illo facile obtinebimus, nec maculonem Italum tam districtè damnandum -(qui misera qua non manu hodie vapulat), & esse quandam, ut vir sanctus -ait, καλὴν καὶ ἐπαινετὴν πανουργίαν, honestam atque laudabilem -calliditatem_, (Basil. in Proverb.) & que Gaspar Schioppius ait fait un -petit livre en sa defense; on luy peut neanmoins sçavoir mauvais gré, de -ce que - - [78]_Floribus Austrum - Perditus, & liquidis immisit fontibus Apros._ - -(Virg. Bucol. Ecl. 2.) - - [76] Le Courtier, ou moyenneur, du profit qu’on peut tirer des - infortunes, & de la sagesse. - - [77] Nous obtiendrons facilement de luy, que ce broüillon d’Italien - n’est pas tant à blâmer, quoy que les plus chetifs se mêlent de le - condamner aujourd’huy; & qu’il y a de certaines ruses loüables & - honnestes, comme dit le saint homme. - - [78] Il a malheureusement jetté un vent furieux dans les fleurs, & des - sangliers dans les fontaines pour en troubler les clairs ruisseaux. - -Ayant le premier franchi le pas, rompu la glace, & profané, s’il faut -ainsi dire, par ses écrits, ce dont les plus judicieux se servoient -comme de moyens tres-cachez & puissans pour faire mieux reüssir leurs -entreprises. Aussi ferois-je conscience d’ajouster quelque chose à ce -qu’il en a dit, si les susnommez & beaucoup d’autres Politiques ne -m’avoient devancé, & donné quand & quand sujet de dire en cette matiere, -ce que Juvenal disoit de la Poësie. - - [79]_Stulta est clementia, cum tot ubique - Vatibus occurras, perituræ parcere chartæ._ - -(Satyr. 1.) - - [79] C’est une sotte clemence d’épargner le papier perissable, puisque - tu te rencontres si souvent en tant de lieux parmy les poëtes. - -Or entre les secrets de la Monastique, je ne pense pas qu’il y en ait de -plus relevez, eu égard à leur fin, que ceux qui ont esté pratiquez par -certaines personnes, qui pour se distinguer du reste des hommes, ont -voulu établir parmy eux quelque opinion de leur divinité. Ainsi voyons -nous que Salmonée avoit fait élever un pont d’airain, sur lequel faisant -rouler son carrosse attelé de puissans chevaux, & dardant d’un costé & -d’autre des feux d’artifice, il s’imaginoit de bien contrefaire le -foudre & les tonnerres de Jupiter, d’où le Poëte a pris occasion de -dire, - - [80]_Vidi & crudeles dantem Salmonea pœnas, - Dum flammas Jovis, & sonitus imitatur Olympi._ - -(Virg. Æn. 6.) - - [80] J’y vis aussi Salmonée qui soufroit d’étranges peines pour avoir - imité les flammes de Jupiter Olympien, & pour avoir contrefait le - bruit de ses foudres. - -Psaphon, qui n’estoit pas moins ambitieux que le precedent, nourrissoit -grande quantité de Pies, Merles, Jais, Perroquets & autres oiseaux -semblables, & aprés leur avoir bien appris à prononcer ces paroles, -_Psaphon est Dieu_, il les mettoit en liberté, afin que ceux qui -entendoient tant & de si extraordinaires témoins de sa divinité, fussent -plus facilement portez à la croire. Ainsi Heraclides le Pontique avoit -commandé à un de ses plus affidez serviteurs, de cacher sous ses -vestemens aprés qu’il seroit decedé, une grande Couleuvre, qu’il -nourrissoit dés long-temps auparavant à ce dessein, afin que cet animal -éveillé par le bruit que l’on feroit, portant son corps en terre, -s’élançast au milieu des pleureurs, & donnast sujet à la populace de -croire, que Heraclite avoit esté deïfié. Pour Empedocle il y proceda -avec plus de courage & de generosité, comme il estoit bien-seant à un -Philosophe; car estant assez âgé & comblé de gloire & d’honneur, il se -precipita volontairement dans les souspiraux & volcans du mont Ætna en -Sicile, pour faire croire son ravissement au Ciel, ne plus ne moins que -Romulus établit l’opinion du sien, en se noyant dans les Marests des -Chevres, - - [81]_Deus immortalis haberi - Dum cupit Empedocles, ardentem frigidus Æthnam - Insiluit._ - -(Horat. de arte Poët.) - - [81] Empedocle, voulant qu’on le tinst pour un Dieu immortel, se jetta - froidement dans les flammes du mont Ætna. - -Les Athées, qui trouvent à glosser sur tous les passages de la sainte -Ecriture, tiennent que celuy-cy du Deuteronome, (cap. 34.) [82]_non -cognovit homo sepulchrum ejus usque in præsentem Diem_, se doit entendre -de la même sorte, & que Moyse s’ensevelit en quelque precipice ou -abysme, pour estre puis aprés élevé dans les cieux par les Israëlites; -au lieu qu’ils devroient plûtost croire, & demeurer d’accord avec les -Chrestiens, qu’il cacha veritablement son corps, pour empescher les -Juifs de l’idolatrer aprés sa mort, connoissant fort bien qu’ils -estoient portez non moins de leur naturel, que par la hantise qu’ils -avoient eu avec les Egyptiens, à adorer tous ceux desquels ils avoient -receu quelque bien, ou de qui ils croyoient que la vertu estoit -singuliere & extraordinaire. L’on peut faire encore le même jugement de -ce que Diogenes Laërce rapporte de la Cuisse d’or de Pythagore, puis que -Plutarque en la vie de Numa dit ouvertement que ce fut une feinte & -stratageme de ce Philosophe, pour établir aussi-bien que les autres -l’opinion de sa divinité. Mais ce que fit Hercules fut beaucoup plus -ingenieux; car estant fort versé en Astrologie, témoin les Fables de sa -vie qui luy font porter le Ciel avec Atlas, il choisit justement l’heure -& le temps de l’apparition d’une grande Comete, pour se mettre sur le -bucher ardant, où il vouloit finir ses jours, afin que ce nouveau feu du -Ciel assistast comme témoin, & fist croire de luy ce que les Romains par -aprés vouloient persuader de leurs Empereurs, au moyen de l’aigle qui -s’envoloit du milieu des flammes, comme pour porter l’ame du defunct -entre les bras de Jupiter. Beaucoup d’autres, qui estoient plus modestes -& retenus en leurs desseins, se sont contentez de nous donner à -connoistre le soin que les Dieux prenoient de leurs personnes, par la -continuelle assistance de quelque Genie, ou particuliere divinité; comme -firent entre les Anciens Socrate, Plotin, Porphyre, Brutus, Sylla, & -Apollonius, pour ne rien dire de tous les Legislateurs; & parmy les -modernes Pic de la Mirandole, Cecco d’Ascoli, Hermolaus, Savonarole, -Niphus, Postel, Cardan, & Campanelle, qui se vantent tous d’en avoir eu -& de leur avoir parlé, sans toutefois qu’on les puisse accuser d’avoir -pratiqué les ceremonies Theurgiques, du livre faussement attribué à -Virgile [83]_de videndo Genio_; ou les mentionnées par Arbatel dans je -ne sçay quel fatras de semblables Livres, que l’on a grand tort de -publier sous le nom d’Agrippa. Aussi pour moy j’aimerois beaucoup mieux -établir la verité de ces Histoires, sur la merveilleuse force des -contractions d’esprit fort bien expliquées par Marsile Ficin & Jordanus -Brunus, desquels aussi Palingenius en trois ou quatre endroits de son -Zodiaque ne semble pas se beaucoup éloigner. Si nous n’aimons encore -mieux dire que tous ces Messieurs ont joüé de l’imposture, & ont voulu -imiter les fables de Numa, Zamolxis, & Minos, ou plustost celles que les -Rabins & Cabalistes (_Reuchlin. libr. de Cabala._) ont plaisamment -forgées sur les Patriarches du Vieil Testament, & nous voulant faire -croire de bonne foy, qu’Adam avoit esté gouverné par son Ange Raziel, -Sem par Jophiel, Abraham par Frza-d-Kiel, Isaac par Raphaël, Jacob par -Piel, & Moyse par Mittaron, - - [84]_Sed credat Judæus apella, - Non ego._ - - [82] L’homme n’a point connu son sepulchre jusques à ce jourd’huy. - - [83] Du moyen de voir les Genies. - - [84] Mais que le Juif circoncis le croye, & non pas moy. - -Quoy que c’en soit, on peut remarquer dans les Historiens, que ces ruses -n’ont pas toujours esté inutiles, puis que Scipion les ayant -judicieusement pratiquées il s’acquit la reputation d’un grand homme de -bien parmy les Romains, & fut envoyé conquester les Espagnes n’ayant -encore atteint l’âge de XXIV ans; Mais voyez aussi de quelle façon T. -Live (Libr. 6.) en parle: [85]_Fuit Scipio non tantùm veris artibus -mirabilis, sed arte quoque quadam adinventa in ostentationem composita, -pleraque apud multitudinem, aut per nocturnas visas species, aut veluti -divinitus mente monita agens._ Ainsi en ont fait beaucoup de Princes & -particuliers, & quand leur esprit n’a pas esté capable de ces finesses & -inventions si relevées, ils se sont contentez de donner par quelques -autres, le plus de lustre & de splendeur à leurs actions qu’il leur a -esté possible. C’est pourquoy Tacite a dit que Vespasien estoit, -[86]_omnium quæ diceret atque ageret arte quadam ostentator_, (Annal. -lib. 3.) & Corbulo nous est representé dans le même, [87]_super -experientiam sapientiamque, etiam specie inanium validus_; & ce avec -grande raison, puis que comme il dit en un autre endroit, -[88]_Principibus omnia ad famam dirigenda_, veu que suivant la remarque -de Cardan, [89]_Æstimatio & opinio rerum humanarum Reginæ sunt_. (Lib. -3. de utilit.) - - [85] Scipion ne se faisoit pas seulement admirer par les veritables - arts & sciences qu’il possedoit, mais aussi par un certain artifice - qu’il avoit trouvé & dont il se servoit fort utilement à se faire - paroistre; & faisoit plusieurs choses devant le peuple ou par le - moyen des visions qu’il disoit avoir euës de nuit, ou comme s’il en - avoit esté divinement averti & qu’on le luy eût inspiré du ciel. - - [86] Fort artificieux à donner du lustre à tout ce qu’il faisoit & à - tout ce qu’il disoit. - - [87] Considerable par la belle apparence dont il sçavoit colorer même - les choses vaines, outre l’experience & la sagesse qu’il avoit. - - [88] Les Princes doivent gouverner, & avoir soin de tout, pour leur - propre renommée. - - [89] L’estime & l’opinion sont les Reines de toutes les choses - humaines. - -L’on pourroit encore faire beaucoup plus de remarques sur ce qui touche -le gouvernement particulier des hommes; mais parce que cette matiere -n’est pas moins triviale que de peu de consequence, je m’en remettray à -ce qu’en a dit Cardan au livre cité un peu auparavant; & passeray aux -secrets de l’œconomie, ou reglement & administration des familles, entre -lesquels je me contenteray de remarquer seulement & pour exemple, -quelques-uns de ceux qui ont esté pratiquez pour reprimer, & comme parer -aux mauvais tours que joüent les femmes à leurs maris, - - [90]_Dum avidæ affectant implere voraginis antrum._ - - [90] Quand elles veulent remplir le trou de leur goufre insatiable. - -A propos de quoy il me souvient d’en avoir leu un dans les contes -facetieux de Bouchet, ou de Chaudiere, qui passera maintenant pour -serieux, comme estant beaucoup plus propre à corriger ces humeurs -gaillardes, que celuy de la Mule qui fut huit jours sans boire, dont -parle Cardan en son livre [91]_de sapientia_. Certain Medecin, -disent-ils, ayant eu avis que sa femme pour quelquefois se desennuyer - - [92]_Intrabat calidum veteri Centone lupanar_, - -(Juvenal.) - - [91] De la sagesse. - - [92] Elle entroit dans le lieu infame qui fumoit de l’ardeur des - impudiques débauches sur les vieux tapis de diverses couleurs. - -& qu’elle avoit même pris heure au lendemain pour luy joüer à fausse -compagnie, il ne s’en émeut point, & n’en fit aucun semblant; mais sur -la minuit, & lors que sa femme ne songeoit à rien moins, il se réveille -en sursaut feignant que les voleurs estoient dedans sa chambre, met la -main à ses armes, tire deux ou trois coups de pistolet, crie au meurtre, -à l’aide, frappe de son épée sur les tables & chenets, bref il fait tout -ce qu’il peut pour mettre la terreur & l’épouvante en sa maison; le -matin tout estant appaisé il ne manque de taster le poux à sa femme, -lequel il feint de trouver grandement alteré & oppressé à cause de la -peur qu’elle avoit euë, & pour ce il luy fait tirer dix ou douze onces -de sang, & cette evacuation ayant amené une petite émotion, il commence -de s’épouvanter comme si c’eust esté quelque grosse fievre, fait -redoubler sept ou huit bonnes saignées, par aprés vient à la raser, -ventouser, & purger magistralement; ce qu’il reïtera si souvent, qu’il -la fit demeurer plus de six mois au lict, sans avoir esté malade, -pendant lequel temps il eut tout loisir de rompre ses pratiques & -connoissances, de luy diminuer son enbonpoint vermeil & attrayant, & sur -tout de tellement refroidir, matter, & adoucir la ferveur, & les humeurs -picquantes & acrimonieuses de son temperament, qu’il assoupit en elle ce -feu plus inextinguible que celuy de la pierre Asbestos, - - [93]_Qui nulla moritur, nullaque extingitur arte._ - -(Trigault.) - - [93] Qu’on ne peut éteindre ny faire mourir par aucun artifice. - -Mais le secret que pratiquerent les peuples de la Chine, pour remedier -au même desordre qui s’estoit glissé dans leurs familles, fut beaucoup -plus gentil & industrieux. Car ils ordonnerent & établirent pour une des -premieres Loix du Royaume, que toute la bonne grace des femmes, ne -dépendroit doresnavant que de la petitesse de leurs pieds; & que -celles-là seroient jugées les plus belles, qui les auroient plus petits -& mignons: ce qui ne fut pas plûtost publié, que toutes les Meres sans -regarder à la consequence, commencerent de resserrer, estressir, & si -bien envelopper les pieds de leurs filles qu’elles ne pouvoient plus -sortir de la maison ny se soustenir droites, que sur les bras de deux ou -trois servantes. Ainsi cette figure artificielle ayant passé en -conformation naturelle, aussi-bien que celle des Macrocephales dont -parle Hippocrates, les Chinois ont insensiblement arresté & fixé le -Mercure que leurs femmes avoient dans les pieds, les faisant ressembler -à la Tortuë nommée par les Poëtes, - - [94]_Tardigrada, & domi porta, - Sub pedibus Veneris Cous quam finxit Apelles._ - - [94] Marchant lentement & portant sa maison, laquelle Apelles natif de - l’isle de Coos a peinte & placée sous les pieds de Venus. - -Ils ont empesché par ce moyen, qu’elles n’allassent plus à la promenade -des bons hommes, & à leurs passe-temps accoustumez: De même que les -Dames Venitiennes sont forcées de garder la maison plus souvent qu’elles -ne voudroient, par l’usage & les incommoditez nompareilles de leurs -grands patins. Mais l’histoire rapportée par Mocquet est bien plus -étrange, & sent beaucoup mieux son Coup d’Estat; car il dit avoir -appris, & veu mêmement pratiquer entre les Caribes, peuples barbares & -farouches, qu’arrivant la mort du mary pour quelque cause que ce soit, -la femme est contrainte sous peine de demeurer infame, abandonnée, & -mocquée de tous ses amis & parents, de se faire aussi mourir, & -d’allumer un grand feu au milieu duquel elle se precipite avec autant de -pompe & de réjoüissance, comme si elle estoit au jour de ses nopces; de -quoy ledit Mocquet s’étonnant fort, & en demandant la cause, on luy -répondit que cela avoit esté sagement étably, pour remedier à la grande -malice & lubricité des femmes de ce païs, qui avoient accoustumé devant -la publication de cette loy, d’empoisonner leurs maris, lors qu’elles en -estoient lasses ou qu’elles avoient envie d’en épouser quelque autre -plus robuste & gaillard, - - [95]_Quique suo melius nervum tendebat Ulysse._ - - [95] Et qui fût plus vigoureux que son Ulysse. - -Or si ce remede estoit bien proportionné à la nature de ceux qui -l’avoient ordonné; celuy que pratiqua Denys Tyran de Syracuse pour -empescher les assemblées & banquets qui se faisoient de nuit, n’estoit -pas aussi trop éloigné de la sienne: car sans témoigner qu’elles luy -dépleussent, ou monstrer qu’il craignist qu’on ne les fist à dessein de -conspirer contre son Estat, il se contenta d’introduire peu à peu -l’impunité pour toutes les voleries & larcins qui se commettoient de -nuit, les tournant plûtost en risée, & donnant la hardiesse par cette -tolerance à tous les mauvais garçons de ladite Ville, de si mal traitter -ceux qu’ils rencontroient la nuit par les ruës, que personne ne pouvoit -sortir de sa maison aprés le Soleil couché qu’il ne se mist au hazard -d’estre dévalisé, ou de perdre la vie par cette sorte de voleurs. Venons -maintenant à quelques autres moins serieux & par consequent aussi moins -fascheux & dangereux, en ce qui estoit de leur pratique; Les Republiques -de Grece voulant par regle de Police faire manger le poisson frais & à -bon marché à leurs sujets, ils n’eurent point recours à quelque tariffe -particuliere, de laquelle peut-estre que les ἰχθυοπώλαι, ou poissonniers -(comme nous les appellons) auroient eu raison de se plaindre; mais en se -servant de l’avis que le Poëte Comique Alexis dit leur avoir esté -proposé par Aristonique, ils defendirent sous grieve peine ausdits -Marchands de poisson, de se pouvoir seoir dans le marché ny en vendant -leurs marchandises, [96]_ut ii standi tædio lassitudineque confecti, -quàm recentissimos venderent_. Ainsi les Romains defendoient aux -Prestres de Jupiter de jamais monter à Cheval, _ne_, comme dit Festus -Pompeius, [97]_si longius urbe discederent, sacra negligerentur_; & pour -moy j’ose dire, que si l’on vouloit remedier à la grande confusion -qu’apporte le nombre excessif des carosses dans la Ville de Paris, il ne -faudroit que confisquer ceux que l’on trouveroit par les ruës avec moins -de cinq personnes dedans, puis qu’au moyen de cette ordonnance, ceux qui -y vont tous les jours seuls, prendroient la housse, & les autres qui ne -pourroient augmenter leur famille de trois ou quatre personnes, se -resoudroient facilement de la diminuer de trois ou quatre bouches -inutiles telles que seroient pour lors celles d’un cocher & de deux -chevaux. - - [96] Afin que lassés & ennuyés de se tenir debout ils les vendissent - tout fraix. - - [97] De peur qu’ils ne s’éloignassent par trop de la ville, & qu’ainsy - le service divin fust negligé ou discontinué. - -Il seroit facile d’augmenter le nombre de semblables exemples & secrets -d’œconomie; si les precedens ne pouvoient facilement nous faire juger -des autres, & nous tracer le chemin pour passer de ce second degré au -troisiéme, qui est celuy de la Politique & du Gouvernement des peuples, -sous l’administration d’un seul, ou de plusieurs. Or est-il qu’en ce qui -regarde celui-cy, pour ne rien laisser à dire de tout ce qui peut servir -à son éclaircissement, nous pouvons remarquer trois choses, c’est à -sçavoir la science generale de l’établissement & conservation des Estats -& Empires pour la premiere; laquelle science ne comprend pas seulement -la traditive de Platon & d’Aristote, mais encore tout ce que Ciceron en -son Livre des loix, Xenophon en son Prince, Plutarque en ses preceptes, -Isocrate, Synesius, & les autres Auteurs ont jugé devoir estre entendu & -pratiqué par ceux qui gouvernent: Aussi est-il vray qu’elle consiste en -certaines regles approuvées & receuës universellement d’un chacun, comme -par exemple que les choses n’arrivent pas fortuïtement ny -necessairement, qu’il y a un Dieu premier Auteur de toutes choses, qui -en a le soin, & qui a étably la recompense du Paradis pour les bons, & -les peines des enfers pour les méchans: Que les uns doivent commander, & -les autres obeïr: Qu’il est du devoir d’un homme de bien de defendre -l’honneur de son Dieu, de son Roy, & de sa patrie envers tous & contre -tous: Que la principale force du Prince gist en l’amour & union de ses -sujets: Qu’il a droit de faire des levées d’argent sur eux pour subvenir -aux necessitez de la guerre, & de l’estat de sa Maison: & ainsi des -autres que Marnix, Ammirato, Paruta, Remigio, Fiorentino, Zinaro, -Malvezzi & Botero ont fort bien expliquées dans leurs discours & -raisonnemens Politiques. - -La seconde est proprement ce que les François appellent, _Maximes -d’Estat_, & les Italiens, [98]_Ragion di stato_, quoyque Botero ait -compris sous ce terme toutes les trois differences que nous voulons -établir, disant, que la [99]_Ragione di stato, è notitia di mezzi atti à -fundare, conservare, e ampliare un Dominio_, en quoy il n’a pas si bien -rencontré à mon jugement, que ceux qui la definissent, [100]_excessum -juris communis propter bonum commune_, d’autant que cette derniere -definition estant plus speciale, particuliere & determinée, l’on peut au -moyen d’icelle distinguer, entre ces premieres regles de la fondation -des Empires, lesquelles sont établies sur les loix & conformes à la -raison; & ces secondes que Clapmarius appelle mal à propos, [101]_Arcana -Imperiorum_, & nous avec plus de raison, _Maximes d’Estat_; puis -qu’elles ne peuvent estre legitimes par le droit des Gens, civil ou -naturel; mais seulement par la consideration du bien, & de l’utilité -publique, qui passe assez souvent par dessus celles du particulier. -Ainsi voyons nous que l’Empereur Claudius ne pouvant par les loix de sa -patrie prendre à femme sa niepce charnelle Julia Agrippina fille de -Germanicus son frere, il eut recours aux loix d’Estat, pour fonder son -evidente contradiction aux loix ordinaires & l’épousa, [102]_ne fœmina -expertæ fœcunditatis_, dit Tacite, _integra juventa, claritudinem -Cæsarum in aliam domum transferret_. (Libr. 12.) C’est à dire, de -crainte que cette femme venant à se marier en quelque grande maison, le -sang des Cesars ne s’étendist en d’autres familles, & ne produisist une -multitude de Princes & Princesses, qui auroient eu avec le temps quelque -pretension à l’Empire, & en suite occasion de troubler le repos public. -Tibere pour cette même raison ne vouloit donner un mary à Agrippina -veuve de Germanicus, & mere de celle dont nous venons de parler, bien -qu’elle luy en demandast un avec pleurs & remonstrances, appuyées sur -des raisons si puissantes & legitimes, qu’on ne pouvoit luy refuser sans -commettre une injustice, laquelle neanmoins estoit legitimée par la loy -de l’Estat, puis que Tibere n’ignoroit point [103]_quantum ex Republica -peteretur_, (Tac. lib. 4. Annal.) c’est à dire de quelle consequence ce -mariage estoit, & que les enfans qui en proviendroient, estant -arriere-neveux d’Auguste la Republique Romaine tomberoit quelque jour en -des grands troubles & partialitez, à cause des divers pretendans à la -succession de l’Empire. Aucune loy ne permet pareillement, que nous -procurions du mal & du desavantage, à celuy qui ne nous en a jamais -fait; & neanmoins cette maxime d’Estat rapportée par Tite Live, (Lib. 2. -dec. 5.) [104]_id agendum ne omnium rerum jus ac potestas ad unum -populum perveniat_, nous oblige de donner secours à nos Voisins contre -ceux qui ne nous ont jamais offensé, de crainte que leur ruine ne serve -d’un échelon pour haster la nostre, & que tous nos compagnons, estant -devorez par ces nouveaux Cyclopes, nous n’en attendions autre grace que -celle qui fut donnée à Ulysse, d’estre reservé pour satisfaire à leur -derniere faim. C’est le pretexte duquel se servirent les Etoliens pour -obtenir secours du Roy Antiochus, & Demetrius Roy des Illyriens pour -exciter Philippes Roy de Macedoine & pere de Perseus à prendre les armes -contre les Romains. C’est encore la raison pourquoy ce grand homme -d’Estat Cosme de Medicis, n’eut rien tant à cœur, que d’empescher Milan -de tomber sous l’autorité des Venitiens, lors que la race des Vicomtes & -Ducs de Milan fut éteinte: & Henry le Grand ayant sceu que le Duc de -Savoye avoit failly à surprendre Geneve, il dit tout haut, que si son -coup eust reüssi, il l’auroit assiegé dedans dés le lendemain. Mais -neanmoins quand le Roy d’Espagne a voulu envahir les Estats du même Duc, -la France en vertu de la susdite Maxime, est allée puissamment au -secours: Et c’est elle aussi qui a fourny d’excuse legitime aux -alliances d’Alexandre Sixiéme & de François Premier avec le Grand -Seigneur; de pretexte aux traittez secrets de l’Espagnol avec les -Huguenots de France; & de passeport à tant de troupes que nous avons -fait glisser de temps en temps non moins en la Valteline qu’en Hollande, -bien qu’en apparence contre les regles sinon de la religion, au moins de -la pieté commune & de nostre conscience. Bref sans cette consideration -l’on n’auroit pas rompu tant de ligues dans Guicciardin; Charles V -n’auroit pas abandonné les Venitiens au Turc; Charles VIII n’eust pas -esté si promptement chassé d’Italie; Paul V n’eust pas joüy si -facilement du Duché de Ferrare; ny le Pape qui siege à present de celuy -d’Urbin: Tant de Princes ne desireroient pas la restitution du -Palatinat, ny tant de prosperité au Roy de Suede, ny que Casal demeurast -au Duc de Mantouë, si ce n’estoit pour borner en vertu de cette maxime, -l’ambition demesurée de certains peuples, qui voudroient pratiquer sur -les Princes voisins, ce que les riches Bourgeois pratiquent sur les -pauvres, - - [105]_O si angulus ille - Parvulus accedat qui nunc denormat agellum._ - -(Horat. 2. lib. serm.) - - [98] Raison d’Estat. - - [99] Raison d’Estat est la connoissance ou science des moyens propres - à poser les fondemens d’une Seigneurie, à la conserver & à - l’agrandir. - - [100] Excés du droit commun à cause du bien public. - - [101] Secrets des Empires. - - [102] Afin que cette femme dont la fecondité estoit reconnuë, & qui - estoit en la fleur de son âge, ne portast en une autre maison - l’illustre tige des Cesars. - - [103] Combien il y alloit de l’interest de la Republique. - - [104] Il faut faire cela afin que toute l’autorité ne viene point - entre les mains d’un seul peuple. - - [105] O, si nous pouvions faire approcher ce petit coin, qui defigure - maintenant nostre terre, & la rend inégale. - -Ajoustons encore que le droit de guerre ne permet point, que ceux-là -soient en aucune façon outragez, qui mettent les armes bas pour implorer -la misericorde du vainqueur; & neanmoins lors que la quantité des -prisonniers est si grande qu’on ne les peut facilement garder, nourrir & -mettre en lieu de seureté, ou que ceux de leur party ne les veulent -racheter, il est permis de les mettre tous bas par Maxime, d’autant -qu’ils pourroient affamer une armée, la tenir en défiance, favoriser les -entreprises de leurs compagnons, & causer mille autres difficultez. Et -pour cette raison Alde Manuce (Discorso 3.) a creu, de pouvoir -legitimement excuser Hannibal, de ce que en partant d’Italie il fit tuer -au temple de la Deesse Junon tous les captifs Romains qui ne le -voulurent pas suivre; encore qu’eu égard à cette action & à quelques -autres, Valere Maxime ait dit de luy, [106]_Hannibal cujus majore ex -parte virtus sævitia constabat_. On peut encore rapporter à semblables -maximes, les façons de faire, ou coustumes particulieres de certains -peuples en ce qui est de leur gouvernement; comme par exemple celle de -nostre Loy Salique, si religieusement observée touchant la succession -des Masles à la Couronne & l’exclusion des femmes, au moyen de laquelle -le Royaume fut preservé pendant la Ligue de l’invasion des Espagnols: -les bons & fideles François ayant protesté de nullité contre toutes les -poursuites étrangeres, & donné congé à ces beaux Corrivaux par le texte -formel de la Loy, - - [107]_Francorum Regni successor masculus esto._ - - [106] Hannibal dont la vertu consistoit pour la plus grande partie en - cruauté. - - [107] Que le successeur du Royaume de France soit mâle. - -De même nature est aux Chinois la loy qui defend sur peine de mort -l’entrée de leur Païs aux étrangers; au Grand Turc la coustume de faire -mourir tous ses parens; au Roy d’Ormus de les aveugler; à l’Ethiopien de -les enfermer sur le plus haut coupeau d’une montagne inaccessible; -l’Ostracisme aux Atheniens; la Matze aux peuples de Valaiz en Allemagne; -le Conseil des Discoles aux Luquois; le Lac Orfane à Venise; -l’Inquisition en Espagne & en Italie, & autres semblables loix & façons -de faire particulieres à chaque nation, qui n’ont toutes pour fondement -autre droit que celuy de l’Estat, & neanmoins sont tres-religieusement -observées, comme estant du tout necessaires à la manutention & -conservation des Estats qui les pratiquent. - -Finalement la derniere chose que nous avons dit cy-dessus devoir estre -considerée en la Politique, est celle des Coups d’Estat, qui peuvent -marcher sous la même definition que nous avons déja donnée aux Maximes & -à la raison d’Estat, [108]_ut sint excessus juris communis propter bonum -commune_, ou pour m’étendre un peu davantage en François, _des actions -hardies & extraordinaires que les Princes sont contraints d’executer aux -affaires difficiles & comme desesperées, contre le droit commun, sans -garder même aucun ordre ny forme de justice, hazardant l’interest du -particulier, pour le bien du public_. Mais pour les mieux distinguer des -Maximes, nous pouvons encore ajouster, qu’en ce qui se fait par Maximes, -les causes, raisons, manifestes, declarations, & toutes les formes & -façons de legitimer une action, precedent les effets & les operations, -où au contraire és Coups d’Estat on void plustost tomber le tonnerre -qu’on ne l’a entendu gronder dans les nuées, [109]_ante ferit quam -flamma micet_, les matines s’y disent auparavant qu’on les sonne, -l’execution precede la sentence; tout s’y fait à la Judaique; l’on y est -pris [110]_de Gallico_ sur le vert & sans y songer; tel reçoit le coup -qui le pensoit donner, tel y meurt qui pensoit bien estre en seureté, -tel en patit qui n’y songeoit pas, tout s’y fait de nuit, à l’obscur, & -parmy les brouillars & tenebres, la Deesse Laverne y preside, la -premiere grace qu’on luy demande est, - - [111]_Da fallere, da sanctum justumque videri, - Noctem peccatis, & fraudibus objice nubem._ - -(Horat.) - - [108] Qu’elles sont un excés du droit commun, à cause du bien public. - - [109] Il frape avant que d’éclater. - - [110] Selon le proverbe François. - - [111] Fai qu’on se trompe & que je paroisse juste & saint, couvre mes - pechés d’une nuit & mes fraudes d’une nuée. - -Ils ont toutefois cela de bon que la même justice & equité s’y rencontre -que nous avons dit estre dans les Maximes & raisons d’Estat; mais en -celles-là il est permis de les publier avant le coup, & la principale -regle de ceux-cy est de les tenir cachées jusques à la fin. Et qu’ainsi -ne soit les executions notables du Comte de S. Paul sous Louys XI, du -Maréchal de Biron sous Henry IV, du Comte d’Essex sous Isabelle Reyne -d’Angleterre, du Marquis d’Ancre sous le Roy à present regnant, des deux -freres sous Henry III, de Majon sous Guillaume premier Roy de Sicile, de -David Riccio sous Marie Stuart Reine d’Escosse, de Spurius Melius -Chevalier Romain sous Ahala Servilius Colonel de la Cavallerie Romaine, -& de Seianus & Plautian sous divers Empereurs ont esté toutes aussi -legitimes & necessaires les unes que les autres, & toutefois les trois -premieres doivent estre rapportées aux Maximes & raisons d’Estat, parce -que le procés fut instruit auparavant l’execution; & toutes les autres -aux secrets & Coups d’Estat, parce que le Procés ne fut fait qu’en suite -de l’execution. Nous y pouvons aussi apporter cette difference, que -quand bien les formalitez auroient precedé l’execution, si neanmoins la -religion y est grandement profanée, comme lors que les Venitiens disent, -[112]_somo Venetiani, dopo Chrestiani_; qu’un Prince Chrestien appelle -le Turc à son secours; que Henry VIII fit revolter son Royaume contre le -saint Siege; que le Duc de Saxe fomenta l’Heresie de Luther, que Charles -de Bourbon prit Rome & fut cause de la prison du Pape & de la mort de -trois Cardinaux: ou que l’affaire est du tout extraordinaire & de -tres-grande consequence pour le bien & le mal qui en peut arriver; alors -on se peut encore servir du terme de Coup d’Estat, comme on pourra juger -par le denombrement suivant de quelques-uns, qui ont esté pratiquez, non -par des Turcs infideles ou Canibales; mais par des Princes Chrestiens, -tels qu’ont esté pour ne point flater ny épargner nostre Nation, les -Roys de France, entre lesquels Clovis premier Roy Chrestien, en commit -de si étranges, & de si éloignez de toute sorte de justice, que je ne -sçay pas quelle pensée a eu le bon homme Savaron, de faire un livre de -sa sainteté: Charles VII se contenta de pratiquer celuy de Jeanne la -Pucelle; Louys XI viola la foy donnée au Connestable, trompoit un -chacun, sous le voile de Religion, & se servoit du Prevost l’Hermite -pour faire mourir beaucoup de personnes sans aucune forme de procés; -François I fut cause de la descente du Turc en Italie, & ne voulut -observer le traitté fait à Madrit; Charles IX fit faire cette memorable -execution de la Saint Barthelemy, & fit assassiner secretement -Lignerolles & Bussy; Henry III se défit de Messieurs de Guise; Henry IV -fit la Ligue offensive & defensive avec les Hollandois, pour ne rien -dire de sa conversion à la Foy Catholique; & Louys le Juste, duquel -toutes les actions sont des miracles, & les Coups d’Estat des effets de -sa justice, en a pratiqué deux notables en la mort du Marquis d’Ancre, & -au secours des Valtelins. Pour les Venitiens s’il est vray qu’ils -tiennent la maxime rapportée cy-dessus, il faut avoüer qu’ils demeurent -plongez dans un continuel Machiavelisme, afin de passer sous silence -beaucoup d’autres qu’ils commettent tous les jours: Les Florentins en se -réjoüissant de la captivité de S. Louys en la terre Sainte, ne commirent -pas un secret d’Estat; mais une action tres-blasmable & honteuse, -[113]_e nota_, dit le Villani, _che quando questa novella venne in -Firenze signoreggiando, Gibellini ne fecero festa à grandi fallo_. Entre -les Papes on peut remarquer la prison de Celestin, le poison d’Alexandre -sixiéme, l’assassinat intenté & non parfait du fra Paulo, comme preuves -tres-certaines, qu’ils ne dépoüillent pas toute leur humanité lors de -l’élection. Charles d’Anjou Roy de Sicile fit decapiter Conradin & -Frederic d’Austriche: Pierre d’Arragon autorisa les Vespres Sicilienes. -Alphonse Roy de Naples, & Alexandre sixiéme eurent recours à Bajazet -contre les forces de nostre Charles VIII: Henry VIII fit revolter -l’Angleterre contre le saint Siege; Charles V ne tint conte d’infeoder -le Milanois au Duc d’Orleans, comme il avoit promis lors qu’il passa par -la France; le même pouvant ruiner les Protestans, il s’en servit pour -nous faire la guerre, & les appella ses bandes noires; il détourna ce -que l’Allemagne avoit contribué pour la guerre du Turc à ruiner François -premier, sa haine contre le Roy d’Angleterre à cause de sa tante fit -roidir Rome contre Henry VIII, & donna occasion par ce moyen au schisme -qui en survint, aprés lequel il se ligua avec luy, & le fit armer contre -le Royaume de France: son Lieutenant Charles de Bourbon prit Rome, & y -établit une telle persecution contre les Ecclesiastiques, [114]_che non -vi era Huomo che havesse ardire, di andar per la via in habito di -chierico, ò di frate_: (Il dialogo di Charonte.) Bref il se fit de son -temps, & par son commandement un tel carnage d’hommes aux Indes, & païs -nouvellement découverts, qu’il ne s’en est jamais fait un pareil. -Philippes second ne voulut jamais permettre que le Pape se meslast de -l’affaire de Portugal; & fit pendre tous les soldats François, qui -allerent au secours de Dom Antonio; & qui ne sçait par quels moyens il -traversa la reduction à l’Eglise de Henry IV & sa reconciliation avec le -saint Siege, il le peut apprendre du Cardinal d’Ossat, qui a fort bien -enregistré dans ses lettres tous les artifices qui furent lors pratiquez -contre nostre Monarchie. Or ces exemples tirez de l’Histoire de dix ou -douze Princes seulement, estant en si grand nombre, je croy qu’ils -pourront aussi servir de preuve tres-veritable, pour monstrer, qu’encore -que les écrits de Machiavel soient defendus, sa doctrine toutefois ne -laisse pas d’estre pratiquée, par ceux même qui en autorisent la censure -& la defense. - - [112] Nous sommes Venitiens, & puis Chrestiens. - - [113] Et remarquez que quand cette nouvelle vint à Florence, les - Gibellins en firent une grande réjoüissance, mais mal à propos. - - [114] Qu’il n’y avoit homme qui osast entreprendre d’aller par la ruë - en habit de Clerc ou de religieux. - -Mais d’autant qu’aprés avoir amplement discouru sur la definition des -Coups d’Estat, il est aussi fort à propos de considerer quelle division -l’on en peut faire; il semble que la premiere & plus legitime est, de -les diviser en secrets d’Estat justes & injustes, c’est à dire en Royaux -& Tyranniques; & que l’on peut rapporter aux premiers la mort de -Plautian, de Seianus, du Mareschal d’Ancre, comme aux seconds celle de -Remus & de Conradin. - -Mais outre cette division, que je croy devoir estre suivie comme la -principale, on peut encore les diviser en ceux qui concernent le bien -public, & les autres qui ne regardent que l’interest particulier de ceux -qui les entreprennent. Hannibal voulant pratiquer les premiers, commanda -qu’on fist mourir ce prisonnier Romain, lequel en sa presence avoit -combatu & surmonté un Elephant, [115]_dicens eum indignum vita qui cogi -potuerat cum bestiis decertare_; bien qu’il soit plus vray-semblable, -comme a judicieusement remarqué Sarisberiensis, [116]_eum noluisse -captivum inauditi triumphi gloria illustrari, & infamari bestias, quarum -virtute terrorem orbi incusserat_. (Polycrat. cap. 2. lib. 1.) Et les -Eliens, peuples de la Grece, ayant fait venir le sculpteur Phidias de la -Ville d’Athenes, pour leur faire la statuë d’un Jupiter Olympien, comme -ils virent que cette statuë estoit merveilleusement bien faite, & que, -s’ils laissoient retourner Phidias à Athenes où il estoit rappellé, il y -en pourroit faire quelque autre qui terniroit la gloire de celle-là; ils -l’accuserent de sacrilege, & luy ayant coupé les deux mains le -renvoyerent en tel estat; [117]_nec puduit illos Jovem debere -sacrilegio_, dit Seneque: & le pauvre Phidias, [118]_talem fecit Jovem, -ut hoc ejus opus Elii ultimum esse vellent_. Quant à ceux des -particuliers ils ont esté pratiquez par tous les Legislateurs & nouveaux -Prophetes, comme nous dirons cy-aprés. - - [115] Disant que celuy qu’on avoit pû contraindre ou obliger à se - battre contre une beste estoit indigne de vivre. - - [116] Qu’il ne voulut pas qu’un prisonnier fust honoré de la gloire - d’un triomphe inouï, & que les bestes, par la vertu desquelles il - avoit donné de la terreur à tout le monde, fussent ainsy diffamées. - - [117] Et ils n’eurent pas honte de devoir Jupiter à un sacrilege. - - [118] Fit un tel Jupiter que les Eliens voulurent que ce fust son - dernier ouvrage. - -De plus on peut aussi les diviser en fortuits ou casuels, comme lors que -Colomb persuada à certains habitans du nouveau monde, qu’il leur -osteroit la Lune (qui se devoit bien-tost eclipser) s’ils ne luy -fournissoient des vivres en abondance; & en ceux qui sont premeditez, & -que l’on entreprend aprés une meure deliberation, pour le bien evident -que l’on juge en pouvoir avenir, tels que sont presque tous ceux -desquels nous avons parlé. - -Il y en a pareillement de simples qui se terminent par un seul coup, -comme la mort de Seianus, & de composez qui pour lors sont ou suivis, ou -precedez de quelques autres. Precedez, comme la saint Barthelemy de la -mort de Lignerolle, des nopces du Roy de Navarre, & de la blessure de -l’Admiral; Suivis, comme l’execution du Mareschal d’Ancre, de celle de -Travail, de sa femme la Marquise, & de l’exil de la Reine Mere. - -De plus il y en a qui se font par les Princes, quand la necessité & la -conjoncture des affaires le requierent ainsi, comme sont ceux desquels -nous pretendons de parler seulement en ce discours; & d’autres qui -s’executent par leurs ministres, lesquels se servent bien souvent de -l’Autorité de leurs Maistres pour conclure beaucoup d’affaires, soit -pour leur utilité particuliere ou celle du public, sans neanmoins que le -Prince en puisse connoistre les premiers ressorts ou mouvemens; ainsi -voyons nous que l’avancement de Postel sous François I, fut un petit -Coup d’Estat du Chancelier Poyet; que le mauvais rapport, que l’on fit -du Philosophe Bigot au même Roy, en fut un de Castellan Evesque de -Mascon; & de nos jours la mort de Reboul, la prison de l’Abbé du Bois, -le Chapeau rouge de Monsieur le Cardinal d’Ossat, ont esté attribuez à -Monsieur de Villeroy; ne plus ne moins que celuy de du Perron à Monsieur -de Sully, & l’execution de Travail à Monsieur de Luynes. Mais parce -qu’il seroit trop long & peut-estre ennuyeux, de rapporter icy toutes -les divisions que l’on peut faire sur cette matiere, & que d’ailleurs -elles sont presque inutiles & superfluës, je me contenteray des -precedentes, & laisseray la liberté à un chacun d’en introduire & -inventer telles autres que bon luy semblera. - - - - -Chapitre III. - -Avec quelles precautions & en quelles occasions on doit pratiquer les -Coups d’Estat. - - -Je viens maintenant à ce qui est de plus essentiel à ce discours, & puis -que les bons & sages Medecins n’ordonnent jamais les remedes dangereux & -violens, sans prescrire quand & quand toutes les precautions moyennant -lesquelles on s’en peut legitimement servir; il faut aussi que je fasse -le même en cette occasion, & je le feray d’autant plus volontiers, que -ces Coups d’Estat sont comme un glaive duquel on peut user & abuser, -comme la lance de Telephe qui peut blesser & guerir, comme cette Diane -d’Ephese qui avoit deux faces, l’une triste & l’autre joyeuse; bref -comme ces medailles de l’invention des Heretiques, qui portent la face -d’un Pape & d’un diable sous mêmes contours & lineamens; ou bien comme -ces tableaux qui representent la mort & la vie, suivant qu’on les -regarde d’un costé ou d’autre; joint que c’est le propre de quelque -Timon seulement, de dresser des gibets pour occasioner les hommes de s’y -pendre; & que pour moy je defere trop à la nature, & aux regles de -l’humanité qu’elle nous prescrit, pour rapporter ces histoires afin -qu’on les pratique mal à propos, - - [119]_Tam felix utinam, quàm pectore candidus essem: - Extat adhuc nemo saucius ore meo._ - - [119] Plût à Dieu que je fusse aussi heureux que j’ay le cœur sincere. - Il n’y a encore personne que ma bouche ait blessé. - -C’est pourquoy voulant prescrire les regles que l’on doit observer pour -s’en servir avec honneur, justice, utilité, & bien-seance, j’auray -recours à celles qu’en donne Charon (lib. 3. cap. 2.) & mettray pour la -premiere, que ce soit à la defensive & non à l’offensive, à se -conserver, & non à s’agrandir, à se preserver des tromperies, -méchancetez, & entreprises ou surprises dommageables, & non à en faire. -Le monde est plein d’artifices & de malices: [120]_Per fraudem & dolum -Regna evertuntur_, dit Aristote, _tu servari per eadem nefas esse vis_, -ajouste Lipse; il est permis de joüer à fin contre fin, & auprés du -Renard, contrefaire le Renard: Les loix nous pardonnent les delits que -la force nous oblige de commettre: [121]_Insitum est unicuique -animanti_, dit Saluste, _ut se vitamque tueatur_; & au rapport de -Ciceron (3. de offic.) [122]_communis utilitatis derelictio contra -naturam est_, & pour lors il est besoin de biaiser quelquefois, de -s’accommoder au temps & aux personnes, de mesler le fiel avec le miel, -d’appliquer le cautere où les corrosifs ne font rien, le fer, où le -cautere n’a point de puissance, & bien souvent le feu où le fer manque. - - [120] On renverse les royaumes, par le moyen des fraudes & des - finesses; & tu veux qu’il soit defendu de les conserver par les - mêmes moyens. - - [121] C’est de la nature de tous les animaux qu’ils se defendent & - leur vie aussi. - - [122] L’abandon de l’utilité commune est contre la nature. - -La seconde, que ce soit pour la necessité, ou evidente & importante -utilité publique de l’Estat, ou du Prince, à laquelle il faut courir; -c’est une obligation necessaire & indispensable, c’est toujours estre en -son devoir que de procurer le bien public, [123]_semper officio -fungitur_, dit Ciceron (ibid.) _utilitati hominum consulens & -societati_. Cette loy si commune & qui devroit estre la principale regle -de toutes les actions des Princes, [124]_Salus populi suprema lex esto_, -les absout de beaucoup de petites circonstances & formalitez, ausquelles -la justice les oblige: Aussi sont-ils maistres des loix pour les -allonger ou accourcir, confirmer ou abolir, non pas suivant ce que bon -leur semble; mais selon ce que la raison & l’utilité publique le -permettent: l’honneur du Prince, l’amour de la patrie, le salut du -peuple equipollent bien à quelques petites fautes & injustices; & nous -appliquerons encore le dire du Prophete, si toutefois il se peut faire -sans rien profaner: [125]_Expedit ut unus Homo moriatur pro populo, ne -tota gens pereat._ - - [123] Celuy qui pourvoit au bien & à la societé des hommes fait - toujours son devoir. - - [124] Que la conservation du peuple soit la souveraine loy. - - [125] Il est necessaire qu’un homme meure pour le peuple, afin que - toute la nation ne perisse pas. - -La troisiéme, que l’on marche plûtost en ces affaires au petit pas qu’au -galop, puisque - - [126]_Nulla unquam de morte hominis cunctatio longa est._ - -(Claudien.) - -& que l’on n’en fasse pas mestier & marchandise, crainte que le trop -frequent usage n’attire aprés soy l’injustice. L’experience nous -apprend, que tout ce qui est émerveillable & extraordinaire, ne se -monstre pas tous les jours: les Cometes n’apparoissent que de siecles en -siecles: les monstres, les deluges, les incendies du Vesuve, les -tremblemens de terre, n’arrivent que fort rarement, & cette rareté donne -un lustre & une couleur à beaucoup de choses, qui le perdent soudain que -l’on en use trop frequemment, - - [127]_Vilia sunt nobis, quæcunque prioribus annis - Vidimus, & sordet quicquid spectavimus olim._ - - [126] Il n’y a jamais de retardement qui soit long quand il est - question de faire mourir un homme. - - [127] Nous méprisons tout ce que nous avons veu les années passées, & - estimons comme de la bouë tout ce que nous ayons déja veu. - -J’ajouste que si le Prince se tient dans la retenuë de ces pratiques, il -ne pourra facilement en estre blasmé, ny ne passera à cette occasion -pour tyran, perfide, ou barbare, d’autant que l’on ne doit proprement -donner ces qualitez, qu’à ceux qui en ont contracté les habitudes, & ces -habitudes dépendent d’un grand nombre d’actions souventefois repetées, -[128]_habitus est actus multoties repetitus_, tout ainsi que la ligne -est une suite de points, la superficie une multiplication de lignes, -l’induction un amas de plusieurs preuves, & le syllogisme un entre-las -de diverses propositions. - - [128] L’habitude est un acte reïteré par plusieurs fois. - -La quatriéme, que l’on choisisse toujours les moyens les plus doux & -faciles, & que l’on prenne garde au precepte que donne Claudien à -l’Empereur Honorius, - - [129]_Metii satiabere pœnis? - Triste rigor nimius._ - -(de 4. Consul.) - - [129] Te contenteras-tu de la punition de Metius? C’est une chose - triste que la trop grande rigueur. - -Il n’appartient qu’à des tyrans de dire, [130]_sentiat se mori_, & qu’à -des diables de se plaire aux tourmens des hommes; il ne faut pas imiter -en ces actions les chevaux des Courses Olympiques, lesquels on ne -pouvoit plus retenir lors qu’une fois ils avoient pris carriere, il y -faut proceder en juge, & non comme partie; en Medecin, & non pas en -bourreau; en homme retenu, prudent, sage, & discret, & non pas en -colere, vindicatif & abandonné à des passions extraordinaires & -violentes: cette belle vertu de Clemence, - - [131]_Quæ docet ut pœnis hominum, vel sanguine pasci, - Turpe ferumque putes._ - - [130] Qu’il se sente mourir. - - [131] Qui enseigne à estimer sale & cruël, de se repaitre des tourmens - & du sang des humains. - -est toujours plus estimée que la rigueur & severité; la masse -d’Hercules, disent les Poëtes, luy avoit esté donnée pour vaincre les -Geans, punir les tyrans, & exterminer les monstres, & neanmoins elle -estoit faite de la fourche d’un olivier, en symbole de paix & de -tranquillité; l’on peut souventefois remedier à un grand arbre qui s’en -va mourant, en taillant seulement quelques-unes de ses branches; & une -simple seignée faite à propos, rompt bien souvent le cours à de grandes -maladies; bref il faut imiter les bons Chirurgiens qui commencent -toujours par les operations les plus faciles à supporter; & les Juifs -qui donnoient certains breuvages aux condamnez à mort pour leur oster -les sentimens, & la douleur du supplice; la seule teste de Seianus -devoit contenter Tibere; Hannibal pouvoit bien rendre tous ses captifs -inutiles à la guerre sans les tuer; le Sac de Rome eut esté moins -odieux, si l’on eust porté plus de respect aux temples & à leurs -ministres; & le Marquis d’Ancre n’eut pas esté moins justement puny, -quand on ne l’eust point traisné & dechiré. [132]_Illos crudeles -vocabo_, dit Seneque (de clem. cap. 4.) _qui puniendi causam habent, -modum non habent._ - - [132] J’appelleray ceux-là cruëls qui ont des raisons de punir, mais - qui ne peuvent suivre de regles, & qui n’ont point de moderation. - -La cinquiéme, que pour justifier ces actions, & diminuer le blâme -qu’elles ont accoustumé d’apporter quand & soy, lors que les Princes se -trouvent reduits & necessitez de les prattiquer, ils ne les fassent qu’à -regret, & en souspirant, comme le pere qui fait cauteriser ou couper un -membre à son enfant pour luy sauver la vie, ou luy arracher une dent -pour avoir du repos; c’est ce que le Poëte Claudien n’oublie pas en la -description qu’il fait d’un bon Prince: - - [133]_Sit piger ad pœnas Princeps, ad præmia velox, - Quique dolet quoties cogitur esse ferox._ - - [133] Que le Prince soit lent au chastiment & prompt aux recompenses; - & qu’il ait du regret quand il est contraint à estre severe & - rigoureux. - -Il faut doncques retarder, ou au moins ne precipiter ces executions, les -mascher & ruminer souvent dans son esprit, s’imaginer tous les moyens -possibles pour les gauchir & éviter si faire se peut, si non pour les -adoucir & faciliter; & en un mot ne s’y point resoudre, qu’avec autant -de difficulté que feroit un homme attaqué sur mer par la tempeste, à -sacrifier tout son bien à la fureur de cet Element, ou un malade à se -voir couper la jambe. - -Aussi n’est-ce pas mon intention de finir icy le nombre de ces -precautions par quelqu’une, que l’on puisse croire estre la derniere de -celles qu’il y faut observer: l’ajouste qui voudra à ses écrits, pour -moy je ne la mettray jamais aux miens, n’estimant pas raisonnable, de -prescrire des fins & des limites à la clemence & humanité; qu’elle -étende ses bornes si loing qu’elle voudra, elles me sembleront toujours -trop courtes & resserrées. Quand on n’a point peur que son cheval -bronche on luy peut lascher la bride asseurément; lors que le vent est -bon on peut deployer toutes les voiles; on ne doit borner les vertus que -par les vices qui leur sont contraires, & tant qu’elles s’en éloignent -assez pour n’y point tomber, on n’a que faire de les retenir. Il est -bien vray qu’elles n’ont pas leur carriere si franche au sujet que nous -traitons maintenant, comme en beaucoup d’autres, mais aussi sera-ce -assez que le Prince qui ne peut estre du tout bon, le soit à demy, & que -celuy qui par une raison superieure ne peut estre du tout juste, ne soit -pas aussi du tout cruel, injuste & meschant. Mais quand bien nous -n’aurions que ces cinq regles & precautions, je croy, qu’elles sont -suffisantes de faire juger à ceux qui auront tant soit peu d’esprit & -d’inclination au bien, ce qui sera de la raison, & encore que je ne les -eusse point specifiées, la discretion toutefois & le jugement des hommes -sages ne permettent pas qu’ils les puissent ignorer, veu que - - [134]_Quid faciat, quid non, homini prudentia monstrat._ - -(Paling. in Virgine.) - - [134] La Prudence montre à l’homme ce qu’il doit ou ce qu’il ne doit - pas faire. - -Aussi est-ce bien mon intention que de toutes les Histoires que j’ay -rapportées cy-dessus & que je cotteray encore dans la suite de ce -discours, celles-là passent seulement pour legitimes, lesquelles estant -appliquées à ces cinq regles ou à celles de la prudence en general, se -rencontreront conformes à ce qui sera du droit & de la raison. - -Mais toutes les maximes & precautions susdites ne servant que pour nous -rendre mieux instruits & disposez à l’execution de ces Coups d’Estat, il -faut maintenant voir en quelles rencontres & occasions on les peut -pratiquer. Charon sans faire semblant de rien en propose 4 ou 5 dans son -livre de la sagesse (l. 3. c. 2.) mais brievement [135]_à la sfugita_, & -faisant comme les Scythes qui décochent leurs meilleures fléches lors -qu’ils semblent fuïr le plus fort. Je les étendray davantage par raisons -& exemples, & y en ajouteray beaucoup d’autres, qui serviront comme de -titres, ausquels on pourra rapporter celles qui se rencontreront aprés -dans les Auteurs & Historiens. - - [135] A la dérobée. - -Or entre ces occasions il n’y a point de doute qu’on doit faire marcher -les premieres, quoy qu’elles soient à mon avis les plus injustes, celles -qui se rencontrent en l’établissement & nouvelle erection ou changement -des Royaumes & Principautez: Et pour parler premierement de l’erection, -si nous considerons quels ont esté les commencemens de toutes les -Monarchies, nous trouverons toujours qu’elles ont commencé par -quelques-unes de ces inventions & supercheries, en faisant marcher la -Religion & les miracles en teste d’une longue suite de barbaries & de -cruautez. C’est Tite Live (l. 4. decad. 1.) qui en a le premier fait la -remarque: [136]_Datur_, dit-il, _hæc venia antiquitati, ut miscendo -humana divinis, primordia urbium augustiora faciat_. Ce que nous -montrerons cy-aprés estre tres-veritable, mais pour cette heure, il nous -faut demeurer dans le general, & commencer nostre preuve par -l’établissement des quatre premieres & plus grandes Monarchies du monde. -Cette tant renommée Reyne Semiramis qui fonda l’Empire des Assyriens, -fut assez industrieuse pour persuader à ses peuples, qu’ayant esté -exposée en son enfance, les oiseaux avoient eu le soin de la nourrir, -luy apportant la becquée comme ils ont coustume de faire à leurs petits: -& voulant encore confirmer cette fable par les dernieres actions de sa -vie, elle ordonna qu’on feroit courir le bruit aprés sa mort qu’elle -avoit esté convertie en pigeon, & qu’elle s’estoit envolée, avec une -grande quantité d’oiseaux qui l’estoient venu querir jusques dans sa -chambre. Elle eut encore la resolution de feindre & changer son sexe, & -de femme qu’elle estoit devenir masle, joüant le personnage de son fils -Ninus, & le contrefaisant en toutes ses actions: & pour mieux venir à -bout de cette entreprise, elle s’avisa d’introduire une nouvelle sorte -de vestemens parmy le peuple, qui estoient grandement favorables à -couvrir & cacher ce qui pouvoit le plus facilement la faire reconnoistre -pour femme. [137]_Brachia enim ac crura velamentis, caput tiara tegit, & -ne novo habitu aliquid occultare videretur, eodem ornatu populum vestiri -jubet, quem morem vestis exinde gens universa tenet_, & par ce moyen, -[138]_primis initiis sexum mentita, puer credita est_. (Just. initio.) -Cyrus qui établit la Monarchie des Perses, voulut aussi s’autoriser par -la vigne que son grand pere Astyages avoit veu naistre [139]_ex -naturalibus filiæ, cujus palmite omnis Asia obumbrabatur_; & du songe -que luy-même eut lors qu’il prit les armes, & qu’il choisit un esclave -pour compagnon de toutes ses entreprises; mais il faisoit encore mieux -valoir l’opinion qu’une chienne l’avoit nourry & alaité dans les bois, -où il avoit esté exposé par Harpago, jusques à ce qu’un Pasteur l’ayant -rencontré fortuitement, il le porta à sa femme, & le fit soigneusement -nourrir dans sa maison. Pour Alexandre & Romulus, comme leurs desseins -estoient plus relevez, aussi jugerent-ils qu’il estoit necessaire de -prattiquer davantage & de beaucoup plus puissans stratagemes. C’est -pourquoy encore qu’ils commençassent aussi-bien que les precedens par -celuy de leur origine, ils le porterent toutefois le plus haut qu’il se -pouvoit faire, d’où Sidonius a eu occasion de dire, - - [140]_Magnus Alexander, nec non Romanus habentur - Concepti serpente Deo._ - - [136] On permet à l’Antiquité qu’en mélant des choses humaines parmy - les divines, elle rende plus augustes les commencemens des villes. - - [137] Car elle couvrit ses bras & ses jambes d’une robe, & la teste - d’un turban; & afin qu’elle ne semblast pas cacher quelque chose - sous ce nouvel habit, elle ordonna que tout son peuple en prist de - semblables, laquelle mode ce peuple garde encore. - - [138] Au commencement s’estant travestie elle fut prise pour un - garçon. - - [139] De sa fille, dont l’ombre des sarmens couvroit toute l’Asie. - - [140] Le grand Alexandre & le Romain sont estimés avoir esté conceus - d’un serpent & d’un Dieu. - -Car pour Alexandre il fit croire que Jupiter avoit accoustumé de venir -voir & de se réjouïr avec sa mere Olympias sous la figure d’un serpent, -& que lors qu’il vint au monde, la Déesse Diane assista si assiduement -aux couches de ladite Olympias, qu’elle ne songea pas à secourir le -temple qu’elle avoit en Ephese, lequel dans cet intervalle fut -entierement consommé, par un fortuït embrasement. Quoy plus, afin de -mieux établir l’opinion de sa divinité dans la croyance de ses sujets, -il disposa les Prestres de Jupiter Ammon en Egypte, [141]_ut -ingredientem templum statim ut Ammonis filium salutarent_; (Justin. l. -11.) & pour mieux joüer encore son personnage, [142]_Rogat num omnes -patris sui interfectores sit ultus, respondent patrem ejus, nec posse -interfici, nec mori_; il en vint même aux effets, commandant à Parmenion -de démolir tous les temples, & d’abolir les honneurs que les peuples de -l’Orient rendoient à Jason, [143]_ne cujusquam nomen in Oriente -venerabilius quam Alexandri esset_. Ajoustons à cela que certains -captifs luy ayant donné la connoissance du remede dont on se pouvoit -servir contre les fléches empoisonnées des Indiens, il fit croire -auparavant que de le publier, que Dieu le luy avoit revelé en songe. -Mais cette insatiable cupidité l’ayant conduit jusques à se faire -adorer, il reconnut enfin par les remonstrances de Callisthenes, par -l’obstination des Lacedemoniens, & par les blessures qu’il recevoit tous -les jours en combatant, que toutes ses forces ne seroient jamais -suffisantes pour pouvoir établir cette nouvelle Apotheose, & qu’il faut -une plus grande fortune pour gagner une petite place dans le ciel, que -pour dompter icy bas & dominer toute la terre. Que si l’on veut ajouster -à ces histoires celles de la mort de son Pere Philippe, de laquelle il -fut consentant avec sa mere Olympias, & celle aussi de Clytus, qu’il tua -de sa propre main, parce qu’il s’estoit acquis trop d’autorité entre les -soldats, l’on trouvera qu’Alexandre pratiquoit en secret ce que Cesar a -fait depuis tout ouvertement, [144]_si violandum est jus, regnandi -causa_. Quant à Romulus, il se mit en credit par les histoires du Dieu -Mars, qui pratiquoit familierement avec sa mere Rhea; par celle de la -Louve qui le nourrit; par la tromperie des Vautours, la mort de son -frere, l’Asile qu’il établit à Rome, le ravissement des Sabines, le -meurtre de Tatius qu’il laissa impuny, & finalement par la mort en se -noyant dans des marests, pour faire croire que son corps avoit esté -enlevé dans les cieux, puis qu’on ne le pouvoit trouver en terre. Or si -l’on ajouste à ces Coups d’Estat de Romulus, ceux que Numa Pompilius son -successeur prattiqua au moyen de sa nymphe Egerie, & des superstitions -qu’il établit pendant son Regne, il sera facile en suite de juger, - - [145]_Quibus auspiciis illa inclita Roma - Imperium Terris animos æquavit Olympo._ - -(Virgil.) - - [141] Que dés qu’il entreroit au temple ils le salüassent comme le - fils de Jupiter Ammon. - - [142] Il demanda s’il ne s’estoit pas vengé de tous les meurtriers de - son pere, & ils répondirent que son pere ne pouvoit ni estre tué ni - mourir. - - [143] Afin qu’il n’y eût point de nom en Orient plus venerable que - celuy d’Alexandre. - - [144] S’il faut violer le droit, c’est pour regner. - - [145] Par quelle fortune cette fameuse Rome, a maistrisé toute la - terre, & a porté son ambition aussi haut que l’Olympe. - -Il est encore à propos de remarquer, que tout ainsi que cette domination -Monarchique ne s’estoit pû établir sans beaucoup de ruses & de -tromperies, il n’en fallut aussi gueres moins pour la détruire, lors que -les Tarquins estant chassez de Rome à cause du violement de Lucresse, on -changea l’Estat d’un Royaume en celuy d’une Republique. Car nous y -pouvons premierement remarquer la folie simulée de Junius Brutus, sa -cheute feinte, son baston de sureau presenté à l’oracle, & en suite -l’execution qu’il fit faire de ses deux fils, tant parce qu’ils estoient -amys des Tarquins, & accusez de les avoir voulu remettre dans la ville, -qu’aussi parce que l’education qu’ils avoient receuë durant l’Estat -Monarchique, estoit directement contraire à celuy qu’il vouloit établir: -& pour couronner toutes ces actions par quelque grand Coup d’Estat, & -par un vray [146]_arcanum Imperii_, il fit chasser de Rome Tarquinius -Collatinus, quoy qu’il fust mary de Lucresse, qu’il eust esté son -compagnon au Consulat, & qu’il n’eust pas moins contribué que luy à la -ruine des Tarquins: car quoy qu’il prist pour pretexte que le nom des -Tarquins estoit devenu si odieux aux Romains, qu’ils ne pouvoient pas -même le souffrir en la personne de leurs amis; son principal but -neanmoins estoit de ne laisser aucun reste de ceux qu’il avoit poussez -jusques à la derniere extremité, & aussi de ne partager la gloire de -cette action avec une personne dont luy-même avoüoit & publioit le -merite: [147]_Meminimus, fatemur, ejecisti Reges, absolve beneficium -tuum, aufer hinc regium nomen_. (ap. Liv. l. 2.) Que si nous voulions -examiner toutes les autres Monarchies & tous les Estats qui sont -inferieurs à ces quatre, nous pourrions emplir un gros volume de -semblables histoires. C’est pourquoy ce sera assez pour la derniere -preuve de nostre maxime, d’examiner ce que pratiqua Mahomet, à -l’établissement non moins de sa Religion, que de l’Empire lequel est -aujourd’huy le plus puissant du monde. Certes comme tous les grands -esprits (_Postellus & alii_) ont toujours eu l’industrie de prendre -avantage des plus signalées disgraces qui leur sont arrivées, cettuy-cy -pareillement voulut faire de même; de façon que voyant qu’il estoit fort -sujet à tomber du haut mal, il s’avisa de faire croire à ses amis que -les plus violens paroxismes de son epilepsie, estoient autant d’extases -& de signes de l’esprit de Dieu qui descendoit en luy; il leur persuada -aussi qu’un pigeon blanc qui venoit manger des grains de bled dans son -oreille, estoit l’Ange Gabriel qui luy venoit annoncer de la part du -même Dieu ce qu’il avoit à faire: En suite de cela il se servit du Moine -Sergius pour composer un Alcoran, qu’il feignoit luy estre dicté de la -propre bouche de Dieu; finalement il attira un fameux Astrologue pour -disposer les peuples par les predictions qu’il faisoit du changement -d’Estat qui devoit arriver, & de la nouvelle loy qu’un grand Prophete -devoit établir, à recevoir plus facilement la sienne lors qu’il -viendroit à la publier. Mais s’estant une fois apperceu que son -Secretaire Abdala Ben-salon, contre lequel il s’estoit picqué à tort, -commençoit à découvrir & publier telles impostures, il l’égorgea un soir -dans sa maison, & fit mettre le feu aux quatre coins, avec intention de -persuader le lendemain au peuple que cela estoit arrivé par le feu du -Ciel, & pour chastier ledit Secretaire qui s’estoit efforcé de changer & -corrompre quelques passages de l’Alcoran. Ce n’estoit pas toutefois à -cette finesse que devoient aboutir toutes les autres, il en falloit -encore une qui achevast le mystere, & ce fut qu’il persuada au plus -fidelle de ses domestiques, de descendre au fond d’un puits qui estoit -proche d’un grand chemin, afin de crier lors qu’il passeroit en -compagnie d’une grande multitude de peuple qui le suivoit ordinairement, -_Mahomet est le bien-aymé de Dieu, Mahomet est le bien-aymé de Dieu_: & -cela estant arrivé de la façon qu’il avoit proposé, il remercia soudain -la divine bonté d’un témoignage si remarquable, & pria tout le peuple -qui le suivoit de combler à l’heure même ce puits, & de bastir au dessus -une petite Mosquée pour marque d’un tel miracle. Et par cette invention -ce pauvre domestique fut incontinent assommé, & ensevely sous une gresle -de cailloux, qui luy osterent bien le moyen de jamais découvrir la -fausseté de ce miracle, - - [148]_Excepit sed terra sonum, calamique loquaces._ - -(Petron. in Epigram.) - - [146] Secret d’Empire. - - [147] Il nous en souvient, nous le confessons, tu as chassé les Roys, - paracheve cette bonne action, & oste d’icy le nom royal. - - [148] Mais la terre & les plumes babillardes en receurent le son. - -La seconde occasion que l’on peut avoir de pratiquer ces coups fourrez, -est la conservation, ou rétablissement, & restauration des Estats & -Principautez, lors que par quelque malheur ou par la seule longueur du -temps, qui mine & consomme toutes choses, ils commencent à pancher vers -leur ruine, & à menacer d’une prochaine cheute, si bien-tost l’on n’y -donne ordre. Et certes d’autant plus que toutes les choses ayment leur -conservation, & sont obligées de maintenir autant qu’il est possible les -principes de leur estre, ou au moins de leur bien estre; je me persuade -aussi qu’il est alors permis, voire même necessaire que ce qui a servy à -les établir, serve aussi à les maintenir. J’ajouste encore que si -l’opinion d’Ovide est veritable, - - [149]_Non minor est virtus quàm quærere parta tueri: - Casus inest illic, hic erit artis opus,_ - - [149] Il n’y a pas moins de vertu à conserver qu’à aquerir du bien: en - celui-cy il y a de la fortune, mais celui-là est une œuvre de - l’industrie. - -on doit raisonnablement conclure, que ces Coups d’Estat sont plus -necessaires pour la conservation & manutention des Monarchies, que pour -leur établissement; au moins seront-ils plus justes, puis que auparavant -qu’un Estat soit formé & dressé, il n’y a nulle necessité de l’établir; -tant s’en faut, c’est le plus souvent un coup de hazard, ou l’effet de -la puissance & ambition de quelque particulier; mais au contraire quand -il est étably & policé, l’on est en suite obligé de le maintenir. Or -puis qu’il ne seroit pas à propos de ressembler à ces vagabonds & -Cingaristes, - - [150]_Quos aliena juvant, propriis habitare molestum._ - - [150] Qui se plaisant chés autruy, ne sçauroient demeurer dans leur - propre maison. - -aprés avoir tiré tant de preuves & d’exemples des Histoires étrangeres, -il ne sera pas comme je croy hors de propos de feüilleter un peu la -nostre, puis qu’elle peut nous en fournir d’aussi remarquables que -celles des Grecs & des Romains. Et à la verité quand je considere ce que -fit Clovis nostre premier Roy Chrestien, il faut avoüer que je n’ay -encore rien veu de semblable en toute l’antiquité. Car la Gaule se -trouvant divisée lorsqu’il vint à la Couronne en quatre diverses -nations, dont le Visigoth possedoit la Gascogne, le Bourguignon estoit -Maistre du Lionnois, les Romains commandoient à Soissons & à toutes ses -appartenances, & les François qui pour lors estoient encore presque tous -Payens, gouvernoient le demeurant: Il luy prit envie de reünir & -rassembler ces quatre pieces separées sous son Empire, comme Esculape -fit les membres d’Hippolyte. Et pour ce faire, considerant que la -Religion Payenne commençoit insensiblement à vieillir, & à se diminuer, -aprés avoir gagné la bataille de Tolbiac sur un Prince Allemand, il prit -resolution de se faire Chrestien, & de se concilier par ce moyen la -bienveillance non seulement de la Reyne Clothilde sa femme, mais encore -de beaucoup de Prelats, & de tout le commun peuple de la France. Surquoy -je dois remarquer comme en passant, qu’encore qu’il me seroit plus seant -de rapporter les premiers motifs d’un changement si remarquable à -quelque sainte inspiration, octroyée au Roy Clovis par les prieres de la -bonne Reyne Clothilde, & que je ferois mieux d’interpreter toutes ces -choses douteuses en bien; il faut neanmoins que je me range icy du costé -des Politiques, qui seuls ont le privilege de les interpreter en mal, ou -au moins d’y remarquer quelque ruse & stratageme, afin de demeurer -toujours du costé des plus fins, & d’aiguiser l’esprit de ceux qu’ils -instruisent par le recit de ces actions remarquables & judicieuses à la -verité, mais qui ne sont fondées le plus souvent que sur de vaines -conjectures, & sur des soupçons qui ne donnent & ne peuvent en aucune -façon prejudicier à la verité de l’Histoire. Continuant doncques à -parler de cette conversion de Clovis suivant les sentiments de Pasquier, -& de quelques autres Politiques, nous dirons que l’Escu descendu du -Ciel, les miracles du Sacre, & l’Auriflamb, dont Paul Emile ne dit mot, -furent de petits Coups d’Estat pour autoriser le changement de Religion, -duquel il se vouloit servir comme d’une puissante machine pour ruiner -tous les petits Princes qui estoient ses voisins. Et en effet il -commença par le Romain, contre lequel la haine commune des nations -étrangeres combatoit, puis par le Visigoth & Bourguignon, sous ombre -qu’ils estoient Arriens, & ensuite il entreprit les Princes Ragnacaire, -Cacarie, Sigebert & son fils, descendans de Clodion, qui occupoient -encore quelques petits échantillons de la France; & il les fit tous -frauduleusement assassiner, sans autre pretexte que pour eviter le -ressentiment qu’ils pourroient avoir un jour du tort que leur avoit fait -Merové son ayeul. Et aprés cela je laisse à juger comme j’ay déja fait -cy-dessus, quelle raison a pû avoir Monsieur Savaron de faire un livre -afin de prouver & établir la sainteté de Clovis. Pour moy je croy que la -meilleure preuve qu’il nous en pouvoit donner, estoit de luy faire dire -comme fit un certain Poëte à Scipion, - - [151]_Si fas cædendo cælestia scandere cuiquam, - Mi soli Cæli maxima porta patet._ - - [151] Si par des meurtres on peut monter au ciel, la porte n’en est - ouverte qu’à moy seul. - -Neanmoins comme la sagesse des hommes n’est que pure folie devant Dieu, -il arriva que ses successeurs se laissant conduire par les Maires du -Palais comme des bufles par le nez, le Royaume aprés avoir changé de -diverses mains, aboutit finalement à Pepin rejetton de la famille de -Clodion, comme il est fort bien expliqué par Pasquier; & ainsi Clovis -augmenta à la verité, & unit le Royaume de France, mais il ne put -toutefois le conserver long-temps à sa maison, ny à ceux qui en sont -descendus. La France doncques ayant esté reünie de la sorte par Clovis, -& un peu aprés baucoup augmentée par Charlemagne, elle se conserva -long-temps en un estat assez florissant, jusques à ce que les Anglois -sortant de leur nid, ils y apporterent la guerre, & la continuerent si -obstinément, qu’en estant presque devenus maistres, il fut necessaire -sous Charles VII, d’avoir recours à quelque Coup d’Estat pour les en -chasser: ce fut doncques à celuy de Jeanne la Pucelle, lequel est avoüé -pour tel par Juste Lipse en ses Politiques, & par quelques autres -Historiens étrangers, mais particulierement par deux des nostres, -sçavoir du Bellay Langey en son art militaire, & par du Haillan en son -Histoire, pour ne citer icy beaucoup d’autres Ecrivains de moindre -consideration. Or ce Coup d’Estat ayant si heureusement reüssi que -chacun sçait, & la Pucelle n’ayant esté brulée qu’en effigie, nos -affaires commencerent un peu aprés à s’empirer, tant par les guerres -precedentes, que par celles qui vinrent ensuite, & la France devint -comme ces corps cachectiques & mal sains qui ne respirent que par -industrie, & ne se soustiennent que par la vertu des remedes: car elle -ne s’est depuis ce temps là maintenuë que par le moyen des stratagemes -pratiquez par Louïs XI, François I, Charles IX, & par ceux encore qui -leur ont succedé, desquels je ne diray rien presentement, puis que -toutes nos Histoires en sont pleines, & qu’il y aura lieu cy-aprés de -rapporter ceux qui me sembleront les plus remarquables. - -La troisiéme raison qui peut legitimer ces Coups d’Estat, est lors qu’il -s’agit d’affoiblir ou casser certains droits, privileges, franchises & -exemptions dont joüissent quelques sujets au prejudice & diminution de -l’autorité du Prince; comme lors que Charles V, voulant ruiner le droit -de l’élection, & asseurer l’Empire à sa famille, se servit pour cet -effet des predications de Luther, & luy donna tout loisir d’établir sa -doctrine, afin que sa predication prenant pied en Allemagne, la division -se glissast parmy les Princes Electeurs, & qu’il eust le moyen de les -ruiner plus facilement, lors qu’il les voudroit entreprendre. C’est ce -que Monsieur le Duc de Nevers a si bien remarqué dans le Discours qu’il -fit imprimer en l’an 1590, sur la condition des affaires de l’Estat, -dedié au Pape Sixte cinquiéme, que je ne puis moins faire que de -rapporter icy les propres termes dont il s’est servy. _Le pretexte de la -Religion_, dit-il, _n’est pas une chose nouvelle, & beaucoup de grands -Princes s’en sont servis pour cuider parvenir à leur but. Je veux cotter -la guerre que Charles V fit contre les Princes Protestans de la secte de -Luther, car il ne l’eust jamais entrepris, s’il n’eust eu intention de -rendre hereditaire à la Maison d’Austriche la Couronne Imperiale; -partant il s’attaqua aux Princes Electeurs de l’Empire pour les ruiner & -abolir cette élection. Car si le zele de l’honneur de Dieu, & le desir -de soustenir la sainte Religion Catholique eust dominé son esprit, il -n’eust retardé depuis l’an 1519, qu’il fut éleu Empereur, jusques en -l’année 1549, à prendre les armes pour éteindre, comme il luy eust esté -lors fort aisé à faire, l’heresie que Luther commença d’allumer dés l’an -1526 en Allemagne, sans attendre qu’elle eust embrasé la plus grande -region de l’Europe: mais parce qu’il estimoit que telle nouveauté luy -pourroit apporter commodité plus que dommage; tant à l’endroit du Pape -que des Princes de Germanie, à cause de la division que cette heresie -engendroit parmy eux, specialement entre les Princes seculiers & les -autres, voire aussi parmy les simples laics, il la laissa augmenter -jusques à ce qu’elle eust produit l’effet qu’il avoit projetté; & lors -il suscita le Pape Paul troisiéme pour faire la guerre aux Protestans -sous pretexte de Religion, mais en intention de les exterminer & rendre -l’Empire hereditaire à sa Maison._ Cela fut aussi remarqué par François -premier en son Apologie de l’an 1537. _L’Empereur sous couleur de la -Religion armé de la ligue des Catholiques, veut opprimer l’autre, & se -faire le chemin à la Monarchie_: C’estoit à la verité une grande ruse -conceuë de longue-main, avec beaucoup de jugement & de prudence. Mais -Philippe second en pratiqua une autre, de laquelle l’effet fut bien plus -prompt & asseuré, quoy qu’en chose de moindre consequence, puis qu’elle -n’avoit autre but que d’abolir les privileges octroyez autrefois au -Royaume d’Arragon, qui estoient en effet si avantageux, & si -courageusement maintenus par ce peuple, que les Roys d’Espagne ne se -pouvoient pas vanter de leur commander absolument: voyant doncques qu’il -se presentoit une belle occasion de les ruiner, sur ce que Antonio Perez -son Secretaire d’Estat & leur compatriote, aprés avoir rompu les prisons -de Castille s’estoit retiré en Arragon, pour asseurer sa vie sous la -faveur des Privileges octroyez à ce Royaume: il jugea que c’estoit un -beau pretexte pour se tirer une telle épine du pied: c’est pourquoy -ayant sous main pratiqué les Jesuites afin qu’ils excitassent le peuple -à prendre les armes, & à defendre les privileges & libertez du païs, luy -de son costé met ensemble une grosse armée, & fait mine de vouloir -combattre celle des Arragonois; sur ces entrefaites les Jesuites -commencent à joüer leur jeu, & à chanter la palinodie, remonstrant au -peuple que veritablement le Roy avoit la raison de son costé, que ses -forces estoient trop puissantes, les leurs trop foibles pour attendre le -hazard de quelque rencontre, aprés laquelle il n’y auroit point de -pardon; bref ils font si bien que la peur & l’étonnement se glissent -dans le cœur des Arragonois, leur armée se dissipe, chacun s’étonne, -s’enfuit, se cache, & cependant l’armée du Roy d’Espagne passe outre, -entre dedans Sarragosse, y bastit une Citadelle, demolit les maisons -principales, fait mourir les uns, bannit les autres; & n’oublie rien -pour ruiner & dompter entierement cette Province, laquelle est -maintenant plus sujette & soumise au Roy d’Espagne qu’aucune autre. - -Au contraire lors qu’il faut établir quelque loy notable, quelque -reglement ou arrest de consequence, il est bon de se servir des mêmes -moyens, & d’avoir recours à ces maximes; & qu’ainsi ne soit nous en -avons tant d’exemples pratiquez par les Romains, & autres peuples -estimez des plus sages, qu’il n’est pas même bien-seant d’en douter: Y -a-t-il rien de plus cruël que de decimer toute une legion, pour la fuite -ou lascheté de quelques soldats particuliers? & neanmoins cette loy fut -établie & soigneusement observée par les Romains, afin de tenir tous les -soldats en leur devoir par la terreur de ces supplices. Et les mêmes -Romains, voulant empescher les attentats que les esclaves domestiques -pouvoient faire sur la vie de leurs Maistres, ils ordonnerent, que lors -qu’un tel delit auroit esté commis en quelque maison, tous les esclaves -qui s’y rencontreroient seroient égorgez aux funerailles de leur -Maistre; & cette loy fut si religieusement observée, que Pedanius -Prefect de la ville ayant esté tué par un de ses esclaves, il y en eut -400 de compte fait qui furent executez, nonobstant les intercessions que -fit pour eux tout le peuple de Rome, & nonobstant même l’avis de -quelques Senateurs, ausquels Cassius s’opposa ouvertement, & avec tant -de raisons, que l’opinion contraire, quoy que jugée totalement -inhumaine, fut suivie, comme il est rapporté par Tacite. (_l. 4. -Annal._) Aussi est-ce le precepte de Ciceron, (_1. Officior._) que -[152]_ita probanda est mansuetudo atque clementia, ut Reipublicæ causa -adhibeatur severitas, sine qua administrari civitas non potest_. Les -Perses avoient anciennement étably cette loy pour asseurer la vie de -leur Prince, que quiconque entreprenoit sur elle, n’estoit pas seulement -puny en sa personne, mais en celle de tous ses parens, que l’on faisoit -mourir du même supplice, comme on le remarque particulierement de -Bessus; & Fernand Pinto dit avoir esté en un Royaume, où il vit -pratiquer la même coustume, sur plus de cinquante ou soixante personnes, -qui estoient toutes parentes d’un jeune Page, lequel en l’âge de dix ou -douze ans avoit bien eu la hardiesse de tuër son Roy. Le grand Tamerlan -ayant sceu qu’un soldat de son armée avoit beu une chopine de laict sans -l’avoir voulu payer, il le fit éventrer en presence de tous ses -compagnons, afin de les tenir par cet exemple si extraordinaire, dans -l’obeïssance de ses commandemens. Les crimes de fausse monoye & -d’heresie n’estoient pas plus griefs il y a cent ans qu’à cette heure, & -neanmoins en ce temps-là, les Faux Monoyeurs estoient bouillis tout vifs -dans de l’huile, & les Heretiques brulez, le tout non à autre fin, que -pour imprimer la terreur de ces supplices, és esprits de ceux que la -simple defense du Prince n’estoit pas suffisante de retenir en leur -devoir, [153]_& sic multorum saluti potiùs quàm libidini consulendum_. -(Salust. ad Cæsar.) - - [152] Il faut user de douceur & de clemence en la temperant de quelque - severité pour le bien public, sans laquelle on ne sçauroit gouverner - une ville. - - [153] Et ainsy il faut plustost pourvoir au salut de plusieurs, qu’à - leur appetit particulier. - -Une autre occasion de demeurer roide en l’execution de ces maximes, est -lors qu’il est necessaire de ruiner quelque puissance, laquelle pour -estre trop grande, nombreuse, ou étenduë en divers lieux, on ne peut pas -facilement abatre par les voyes ordinaires, - - [154]_Cùm illam - Defendat numerus, junctæque umbone phalanges._ - - [154] Parce qu’elle est defenduë par des troupes nombreuses & par des - regimens armés. - -Et quoy qu’il fut grandement à desirer que l’on pust en venir toujours -aussi facilement à bout, que les Roys d’Espagne ont fait des Morisques & -Marans, qu’ils chasserent par deux fois de leurs Royaumes, jusques au -nombre de plus de deux cens quarante mille familles, & ce en vertu d’un -simple Edict & Commandement: Neanmoins parce que toutes les affaires ne -sont pas semblables en leurs circonstances, ny les maladies accompagnées -de mêmes symptomes ou accidens; aussi faut-il bien souvent changer de -remedes, & en pratiquer quelquefois de plus violens les uns que les -autres, - - [155]_Ulcera possessis altè suffusa medullis, - Non leviore manu, ferro curantur & igne; - Ad vivum penetrant flammæ, quo funditus humor - Defluat, & vacuis corrupto sanguine venis - Arescat fons ille mali._ - -(Claudian. 3. in Eutrop.) - - [155] On guerit par le fer & le feu, & non par quelque remede doux, - les ulceres qui se sont attachés au plus profond des mouëlles; les - flammes penetrant jusques au vif, font entierement evacuer l’humeur - peccante, & tarir ensuite la cause du mal, ayant tiré tout ce qu’il - y avoit de mauvais sang dans les veines. - -La main basse que Mithridates fit faire en un seul jour sur quarante -mille Citoyens Romains épandus en divers endroits de l’Asie, estoit un -des Coups d’Estat dont je pretens parler. Comme aussi les Vespres -Sicilienes, autorisées par Pierre Roy d’Arragon, & subtilement tramées -par Prochyte grand Seigneur du païs, lequel déguisé en Cordelier noüa si -bien la partie, qu’un jour de Pasques ou de Pentecoste de l’an M CC -LXXXII, lors qu’on sonnoit le premier coup des vespres, les Siciliens -massacrerent tous les François qui estoient dans leur Isle, sans même -pardonner aux femmes ny aux petits enfans. Pareille histoire se passa -encore il n’y a pas vingt ans dans l’Isle de Magna, où les habitans de -la ville de Corme, se delivrerent par un semblable moyen, & en une seule -nuit d’une armée de trente mille hommes, qui y avoit esté envoyée par -Arcomat Lieutenant du Roy de Perse. Mais puis que nous avons dans nostre -Histoire de France l’exemple de la Saint Barthelemy, qui est un des plus -signalez que l’on puisse trouver en aucune autre, il nous y faut -particulierement arrester, pour la considerer suivant toutes ses -principales circonstances. Elle fut doncques entreprise par la Reyne -Catherine de Medicis, offensée de la mort du Capitaine Charry; par -Monsieur de Guise, qui vouloit venger l’assassinat de son Pere, commis -par Poltrot à la sollicitation de l’Amiral & des Protestans; & par le -Roy Charles & le Duc d’Anjou; le premier se voulant vanger de la -retraite que lesdits Protestans luy firent faire plus viste qu’il ne -vouloit de Meaux à Paris, & tous deux pensant de pouvoir par ce moyen -ruiner les Huguenots, qui avoient esté cause de tous les troubles & -massacres survenus pendant l’espace de trente ou quarante ans en ce -Royaume. L’affaire fut concertée fort long-temps, & avec une telle -resolution de la tenir secrete, que Lignerolles Gentilhomme du Duc -d’Anjou, ayant témoigné au Roy, encore bien que couvertement, d’en -sçavoir quelque chose, il fut incontinent aprés dépesché, par un duel -que le Roy même sous main luy suscita. Le lieu choisi pour y attirer -tous les plus riches & autorisez d’entre les Huguenots fut Paris. -L’occasion fut prise sur la réjoüissance des noces entre le Roy de -Navarre, qui estoit de la Religion, & la Reyne Marguerite. La blessure -de l’Amiral causée par le Duc de Guise son ancien ennemy, fut le -commencement de la tragedie: les moyens de l’executer en faisant venir -douze cens Arquebusiers, & les compagnies des Suisses à Paris furent -mêmement approuvez par l’Amiral, sur la croyance qu’il eut que c’estoit -pour le defendre contre la Maison de Lorraine: bref tout fut si bien -disposé, que l’on ne manque en chose quelconque sinon en l’execution, à -laquelle si on eust procedé rigoureusement il faut avoüer que c’eust -esté le plus hardy Coup d’Estat, & le plus subtilement conduit, que l’on -ait jamais pratiqué en France ou en autre lieu. Certes pour moy, encore -que la Saint Barthelemy soit à cette heure également condamnée par les -Protestans & par les Catholiques, & que Monsieur de Thou nous ait -rapporté l’opinion que son pere & luy en avoient par ces vers de Stace, - - [156]_Occidat illa dies ævo, neu postera credant - Sæcula; nos certè taceamus, & obruta multa - Nocte, tegi propriæ patiamur crimina gentis._ - - [156] Qu’il ne se parle jamais plus de ce jour, & que les siecles - avenir ne croyent point qu’il ait esté; & pour nous gardons le - silence & couvrons les crimes de nostre propre nation, les - ensevelissant dans des profondes tenebres. - -Je ne craindray point toutefois de dire que ce fut une action -tres-juste, & tres-remarquable, & dont la cause estoit plus que -legitime, quoy que les effets en ayent esté bien dangereux & -extraordinaires. C’est une grande lascheté ce me semble à tant -d’Historiens François d’avoir abandonné la cause du Roy Charles IX, & de -n’avoir monstré le juste sujet qu’il avoit eu de se défaire de l’Amiral -& de ses complices: on luy avoit fait son procés quelques années -auparavant, & ce fameux arrest estoit intervenu en suite, qui fut -traduit en huit langues, & intimé ou signifié, si l’on peut ainsi dire, -à toutes ses troupes; on avoit donné un second arrest en explication du -premier, & tous les Protestans avoient esté si souvent declarez -criminels de leze Majesté, qu’il y avoit un grand sujet de loüer cette -action, comme le seul remede aux guerres qui ont esté depuis ce -temps-là, & qui suivront peut-estre jusques à la fin de nostre -Monarchie, si l’on n’eust point manqué à l’axiome de Cardan, qui dit: -[157]_Nunquam tentabis, ut non perficias._ (in Proxen.) Il falloit -imiter les Chirurgiens experts, qui pendant que la veine est ouverte, -tirent du sang jusques aux defaillances, pour nettoyer les corps -cacochymes de leurs mauvaises humeurs. Ce n’est rien de bien partir si -l’on ne fournit la carriere: le prix est au bout de la lice, & la fin -regle toujours le commencement. On me pourra toutefois objecter qu’il y -a trois circonstances à cette action qui la rendent extremement odieuse -à la posterité. La premiere que le procedé n’en a pas esté legitime, la -seconde que l’effusion de sang y a esté trop grande, & la derniere que -beaucoup d’innocens ont esté envelopez avec les coupables. Mais pour y -satisfaire je répondray à ce qui est de la premiere, qu’il faut entendre -là-dessus nos Theologiens lors qu’ils traittent [158]_de fide Hæreticis -servanda_, & cependant je diray de mon chef, que les Huguenots nous -l’ayant rompuë plusieurs fois, & s’estant efforcez de surprendre le Roy -Charles, à Meaux & ailleurs, on pouvoit bien leur rendre la pareille; & -puis ne lisons nous pas dans Platon (_5. de Rep._) que ceux qui -commandent, c’est à dire les Souverains, peuvent quelquefois fourber & -mentir quand il en doit arriver un bien notable à leurs sujets? Or -pouvoit-il arriver un plus grand bien à la France, que celuy de la ruine -totale des Protestans? Certes ils nous la baillerent si belle par leur -peu de jugement, que c’eust presque esté une pareille faute à nous de -les manquer, comme à l’Amiral de s’estre venu enfermer avec toute la -fleur de son party, dans la plus grande ville & la plus ennemie qu’il -pust avoir, sans se défier de la Reyne mere, à laquelle il avoit tué -Charry, de ceux de Lorraine desquels il avoit fait assassiner le Pere, & -du Roy qu’il avoit fait galloper depuis Meaux jusques à Paris. Ne -sçavoit-il pas que sa Religion estant haïe aux personnes mêmement les -plus douces & traitables, elle ne pouvoit estre qu’abominée & detestée -en la sienne, & en celle de tant de coupejarets desquels il estoit -ordinairement accompagné? D’ailleurs le bruit qu’on fit courir en même -temps qu’ils avoient entrepris de nous traitter comme on les traitta -incontinent aprés leur dessein découvert, ne pouvoit-il pas estre -veritable? beaucoup le tiennent pour tres-asseuré, & pour moy j’estime -qu’excepté les Politiques, chacun le peut tenir pour constant. Quant à -ce qui est de l’effusion de sang qu’on dit y avoir esté prodigieuse, -elle n’égaloit pas celle des journées de Coutras, de Saint Denys, de -Moncontour, ny tant d’autres tuëries, desquelles ils avoient esté cause. -Et quiconque lira dans les Histoires, que les habitans de Cesarée -tuërent quatre-vingts mille Juifs en un jour; qu’il en mourut un million -deux cens quarante mille en sept ans dans la Judée; que Cesar se vante -dans Pline d’avoir fait mourir un million cent nonante & deux mille -hommes en ses guerres étrangeres; & Pompée encore davantage; que Quintus -Fabius envoya des Colonies en l’autre monde, de 100000 Gaulois, Caius -Marius de 200000 Cimbres, Charles Martel de 300000 Theutons; que 2000 -Chevaliers Romains, & 300 Senateurs, furent immolez à la passion du -Triumvirat, quatre legions entieres à celle de Sylla, 40000 Romains à -celle de Mithridate; que Sempronius Gracchus ruina 300 villes en -Espagne, & les Espagnols toutes celles du Nouveau monde, avec plus de 7 -ou 8 millions d’habitans: Qui considerera, dis-je, toutes ces sanglantes -tragedies, une bonne partie desquelles se trouve enregistrée dans le -traitté de la Constance de Juste Lipse, il aura assez de quoy s’étonner -parmy tant de barbaries, & de croire aussi que celle de la Saint -Barthelemy n’a pas esté des plus grandes, quoy qu’elle fust une des plus -justes & necessaires. Pour la troisiéme difficulté elle semble assez -considerable, veu que beaucoup de Catholiques furent enveloppez dans la -même tempeste, & servirent de curée à la vengeance de leurs ennemis; -mais il ne faut que la maxime de Crassus dans Tacite (_Annal. 14._) pour -luy fournir en deux mots de réponse, [159]_habet aliquid ex iniquo omne -magnum exemplum, quod contra singulos utilitate publica rependit_. D’où -vient doncques que cette action, puis qu’elle estoit si legitime & -raisonnable, a neanmoins esté & est encore tellement blâmée & décriée; -pour moy, j’en attribue la premiere cause à ce qu’elle n’a esté faite -qu’à demy, car les Huguenots qui sont restez, auroient mauvaise grace de -l’approuver, & beaucoup de Catholiques qui voient bien qu’elle n’a de -rien servy, ne se peuvent empescher de dire, qu’on se pouvoit bien -passer de l’entreprendre, puis que l’on ne la vouloit pas achever; où au -contraire si l’on eust fait main basse sur tous les Heretiques, il n’en -resteroit maintenant aucun au moins en France pour la blâmer, & les -Catholiques pareillement n’auroient pas sujet de le faire, voyant le -grand repos & le grand bien qu’elle leur auroit apporté. La seconde -raison est, que suivant le dire du Poëte, - - [160]_Segnius irritant animos demissa per aures, - Quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus._ - - [157] Il ne faut jamais rien entreprendre si on ne le veut achever. - - [158] De la foy qu’on doit tenir aux heretiques. - - [159] Tout grand exemple a quelque chose d’injuste, qui est recompensé - envers les particuliers par l’utilité publique qu’il procure. - - [160] Ce qu’on dit doucement à l’oreille irrite bien plus lentement - les esprits, que ce qu’on voit d’un œil fidelle. - -Aussi voyons nous qu’on ne parle pas en si mauvais termes de cette -execution en Italie & aux autres Royaumes étrangers, comme l’on fait en -France, où elle a esté faite, au milieu de Paris, & en presence d’un -million de personnes; & qu’ainsi ne soit les Polonois, qui en receurent -l’histoire & le narré particulier, de la part même des plus seditieux & -depitez Ministres, pendant que l’Evêque de Valence briguoit leurs -suffrages pour l’élection de Henry III, ne firent pas grande difficulté -de les luy accorder, parce qu’ils sçavoient bien, qu’il ne faut pas -juger du naturel d’un Prince, sur le seul pied de quelque action -extraordinaire & violente, à laquelle il aura esté forcé par de -tres-justes & puissantes raisons d’Estat. J’ajouste que cette action -n’est pas encore beaucoup éloignée de nostre memoire; Que la pluspart de -nos Histoires ont esté faites depuis ce temps-là par des Huguenots, & -enfin que nous en avons la description si ample, & si particuliere dans -les Memoires de Charles IX, l’Histoire de Beze, les Martyrologes, & -beaucoup d’autres livres composez à dessein par les Protestans, pour -condamner cette action, que rien n’y estant oublié de tout ce qui la -peut rendre blâmable & odieuse, il ne se peut pas faire aussi, que ceux -qui entendent la deposition de ces témoins corrompus, ne soient de leur -opinion; quoy que tous ceux qui la dépoüillent de ces petites -circonstances, & qui en veulent juger sans passion, soient d’un -sentiment contraire. Au reste personne ne peut nier, qu’il ne soit mort -tant de factieux, & de personnes de commandement à la journée de la -Saint Barthelemy, que depuis ce temps-là les Huguenots n’ont pû faire -des armées d’eux-mêmes; & que ce coup n’ait rompu toutes les -intelligences, toutes les cabales & menées qu’ils avoient tant au dedans -qu’au dehors du Royaume, & qu’enfin ce n’ait esté peu de chose de tous -leurs plus grands efforts, lors qu’ils n’ont point esté soustenus par -les broüilleries & seditions des Catholiques. Il est vray aussi comme -quelques Politiques ont remarqué, que la même journée a esté cause d’un -mal, duquel on ne se pouvoit jamais douter, car toutes les villes qui -firent la Saint Barthelemy, & qui tuerent les Huguenots pour obeïr au -Roy, & chercher les moyens de mettre le Royaume en paix, ont esté les -premieres à commencer la ligue, sur ce qu’elles craignoient, & non sans -raison, que le Roy de Navarre, qui estoit Huguenot, venant à la -Couronne, il n’en voulust faire quelque ressentiment; & par ce moyen -l’on peut dire que la Saint Barthelemy, pour n’avoir pas esté executée -comme il falloit, non seulement n’appaisa pas la guerre au sujet de -laquelle elle avoit esté faite, mais en excita une autre encore plus -dangereuse. - -De plus lors qu’il est question d’autoriser un homme, & l’affaire dont -il se mesle, de mettre en credit quelque Prince, de gagner quelqu’un, ou -de le porter & encourager à quelque resolution importante; je croy que -pour venir plus facilement à bout de ces choses on peut y mesler les -stratagemes & les ruses d’Estat. Ainsi voyons nous que tous les Anciens -Legislateurs voulant autoriser, affermir, & bien fonder les loix qu’ils -donnoient à leurs peuples, ils n’ont point eu de meilleur moyen de le -faire, qu’en publiant & faisant croire avec toute l’industrie possible -qu’ils les avoient receües de quelque Divinité, Zoroastre d’Oromasis, -Trismegiste de Mercure, Zamolxis de Vesta, Charondas de Saturne, Minos -de Jupiter, Lycurgue d’Apollon, Draco & Solon de Minerve, Numa de la -Nymphe Egerie, Mahomet de l’Ange Gabriel; & Moyse, qui a esté le plus -sage de tous, nous décrit en l’Exode comme il receut la sienne -immediatement de Dieu. En consideration de quoy combien que le Regne des -Juifs soit entierement ruïné & aboly, [161]_mansit tamen_, dit -Campanella (in aphorism. Polit.) _religio Mosaïca cum superstitione in -Hebræis & Mahumetanis, & cum reformatione præclarissima in Christianis_. -C’est comme je croy, ce qui a donné sujet à Cardan de conseiller aux -Princes, qui pour estre peu avantagez de naissance ou dépourveus -d’argent, de Partisans, de forces militaires, & de soldats, ne peuvent -gouverner leurs Estats avec assez de splendeur & d’autorité, de -s’appuyer de la Religion, comme firent autrefois & fort heureusement -David, Numa, & Vespasien. Philippe II Roy d’Espagne ayant esté un des -plus sages Princes de son temps, s’avisa aussi d’une fort belle ruse -pour autoriser de bonne heure son fils parmy les peuples à qui il devoit -un jour commander. Car il fit un Edict qui estoit grandement -prejudiciable à ses sujets, faisant courir le bruit qu’il le vouloit -publier & verifier de jour à autre, de quoy le peuple commence à -murmurer & à se plaindre; luy neanmoins persiste en sa resolution, -laquelle est pareillement suivie des plaintes redoublées de son peuple: -enfin le bruit en vient aux oreilles de l’Infant, qui promet d’assister -le peuple, & d’empescher par tous moyens possibles que cet Edict ne soit -publié, menaçant à cet effet ceux qui voudroient entreprendre de -l’executer, & n’oubliant rien de ce qui pouvoit découvrir l’affection -qu’il avoit à delivrer le peuple de cette oppression: de maniere que le -Roy Philippe venant à rachever son jeu, & à ne plus parler de l’Edict, -chacun s’imagina que l’opposition du jeune Prince avoit esté la seule -cause de le faire supprimer; & par cette invention son Pere luy fit -gagner un empire dans le cœur & dans l’affection des Espagnols, qui -estoit beaucoup plus asseuré, que celuy qu’il avoit sur les Espagnes: -[162]_longe enim valentior est amor ad obtinendum quod velis, quàm -timor_, dit Pline le jeune. (_8. epist._) Bref si nous prenons garde aux -moyens que l’on pratiqua pour convertir Henry IV à la Religion -Catholique, & pour l’y confirmer, nous trouverons que ç’a esté une -action conduite avec beaucoup d’esprit & d’industrie. Car encore que -nous la devions tenir pour tres-veritable & asseurée, comme en effet -tant de témoignages qu’il en a rendus tout le temps de sa vie, ne -permettent pas à personne de pouvoir douter qu’elle ne fust telle. Si -toutefois nous voulons nous donner cette liberté de la considerer en -Politique, nous pouvons facilement y remarquer trois choses, sçavoir les -motifs de sa conversion, qui ne furent autres que l’obstinée resistance -de Monsieur du Maine, lequel pour cette occasion est qualifié dans les -memoires de Tavanes, _seul auteur aprés Dieu de la conversion de Henry -IV_, & la verité est qu’il n’avoit tenu qu’à luy de traiter -tres-avantageusement, lors que sa Majesté n’estoit encore convertie: -Mais soit que Dieu eust fortifié son zele, ou que les esperances -mondaines l’eussent charmé, il se reduisit comme dit l’Italien _al -verde_, & ne faisant rien pour soy, il fit beaucoup pour la France. On -met aussi entre les motifs de cette conversion le conseil donné au Roy -par Monsieur de Sully, l’un des principaux & des mieux sensez Huguenots -de son armée, _que la Couronne de France valoit bien la peine d’entendre -une Messe_. Pour ce qui est des circonstances de la conversion, il s’y -en passa deux fort remarquables; la premiere que le Roy fut instruit & -catechisé non par quelque Theologien bigot ou superstitieux qui luy eust -peut-estre rendu l’entrée de nos Eglises semblable à ces portiques & -vestibules, de qui le Poëte a dit, - - [163]_Centauri in foribus stabulant, scyllæque biformes._ - - [161] Toutefois la religion Mosaïque est restée avec superstition - parmy les Juifs & les Mahometans, & avec une tres-belle reformation - parmy les Chrestiens. - - [162] Car l’amour est infiniment plus puissant que la crainte, pour - nous faire obtenir quelque chose. - - [163] Il y a des Centaures aux Portes, & des Scylles à deux formes. - -Mais par René Benoist Docteur en Theologie, & Curé de la paroisse de S. -Eustache, lequel, si l’on en peut juger suivant le commun bruit, & ce -qui se passa à l’article de sa mort, n’estoit ny Catholique trop zelé, -ny Huguenot obstiné. D’où vient que maniant dextrement la conscience du -Roy, & de la même sorte qu’il avoit fait celle de ses Paroissiens, -pendant l’espace de 25 ou 30 ans, il luy fit seulement comprendre les -principaux Mysteres, ne luy exaggerant point beaucoup de petites -ceremonies & traditions, & conduit plûtost cette conversion en homme -avisé & en Politique, que non pas en scrupuleux & superstitieux -Theologien. La seconde chose notable fut l’Histoire de la possedée -Marthe Brossier, laquelle à dire vray n’estoit qu’une pure feinte, -entreprise par quelques zelez Catholiques, & appuyée par un bon -Cardinal, afin que le Diable duquel on feignoit qu’elle fust possedée -venant à estre chassé par la vertu du S. Sacrement, le Roy eust occasion -de croire la presence réelle en l’Eucharistie, de laquelle presence ou -pour mieux dire transsubstantiation, on ne tenoit pas qu’il fust -entierement persuadé. Mais luy qui ne se laissoit pas facilement -surprendre, voulut qu’auparavant que d’en venir aux exorcismes, les -Medecins & Chirurgiens fussent appellez pour en dire leur avis, lequel -ayant esté conceu en ces termes rapportez par Monsieur Marescot, dans le -petit livret qu’il a composé sur cette Histoire: [164]_Naturalia multa, -ficta plurima, à dæmone nulla._ Cette pauvre possedée, aprés avoir -découvert l’ignorance & la bestise de tous les bigots de Paris, fut -menacée du fouët, si elle n’en sortoit bien-tost. C’est pourquoy certain -Abbé la mena à Rome, d’où Monsieur le Cardinal d’Ossat la fit si -promptement chasser, qu’elle n’eust pas le loisir d’y surprendre -personne. La derniere chose que l’on peut remarquer en cette conversion, -est ce qui se passa en suite. Sur quoy le Politique qui doit faire son -profit & tirer instruction des moindres syllabes & remarques des -Historiens, pourra faire reflexion sur ce que répondit un païsan au même -Roy Henry IV, que la poche sent toujours le hareng, comme il -l’interrogeoit sans se faire connoistre de ce que l’on disoit parmy le -peuple de sa conversion: Et aussi que le Mareschal de Biron estant -fasché du refus qu’on luy avoit fait du Gouvernement de Bourg en Bresse, -dit à quelqu’un de ses amys, que s’il avoit esté Huguenot on ne luy -auroit pas refusé; c’est de Cayet (Hist. sept.) que je tiens ces deux -remarques, lesquelles neanmoins, excepté le Politique, personne ne doit -estimer vraysemblables, puis qu’elles sont démenties par beaucoup -d’autres, qui leur sont directement opposées. - - [164] Beaucoup de choses naturelles, quantité de feintes, & aucune de - la part du Demon. - -Finalement la loy des contraires qui se doivent traitter sous même genre -nous oblige de ranger encore icy les occasions qui se peuvent presenter, -de borner ou ruiner la trop grande puissance de celuy qui en voudroit -abuser au prejudice de l’Estat, ou qui par le grand nombre de ses -partisans, & la cabale de ses correspondances, s’est rendu redoutable au -Souverain; voire même s’il faut le dépécher secretement, sans passer par -toutes les formalitez d’une justice reglée, on le peut faire, pourveu -neanmoins qu’il soit coupable, & qu’il ait merité une mort publique, -s’il eust esté possible de le chastier de telle sorte. La raison sur -laquelle Charron fait rouler cette maxime, est que en cela il n’y a rien -que la forme violée, & que le Prince estant maistre des formalitez, il -s’en peut aussi dispenser suivant qu’il le juge à propos. Chez les -Romains, lors que quelqu’un s’efforçoit d’obtenir un office sans le -consentement du peuple, ou qu’il donnoit le moindre soupçon d’aspirer à -la Royauté, on le punissoit de mort _lege Valeria_, c’est à dire le -plutost que l’on pouvoit, & sans forme de justice, à laquelle on -songeoit seulement aprés l’execution. Le fameux Juris Consulte Ulpian -passe encore plus outre quand il dit, que [165]_si forte latro -manifestus, vel seditio prærupta, factioque cruenta, vel alia justa -causa moram non recipiant, non pœnæ festinatione, sed præveniendi -periculi causa punire permittit, deinde scribere_: telles furent les -executions de Parmenion & Philotas par Alexandre; de Plautian & de -Seianus chez les Romains, de Guillaume Mason en Sicile, de Messieurs de -Guise & du Mareschal d’Ancre sous le regne de deux de nos Roys, & du -Colonel des Lansquenets dans Pavie, auquel Antonio de Leve fit donner un -boüillon alteré, parce qu’il y fomentoit le trouble & la sedition. Or -quoy que ces actions ne puissent estre legitimées, que par une necessité -extraordinaire & absolüe, & qu’il y ait de l’injustice & de la barbarie -à les pratiquer trop souvent; les Espagnols neanmoins ont trouvé moyen -de les accommoder à leurs consciences, & de surmonter beaucoup de -difficultez en les prattiquant. Car ils donnent des juges cachez & -secrets à celuy qu’ils estiment criminel d’Estat, ils instruisent son -procés, le condamnent, & cherchent aprés de faire mettre leur sentence -en execution par tous moyens possibles. Antoine Rincon Espagnol & par -consequent sujet de Charles V, ne pouvant demeurer en seureté à son païs -se retire vers François I, & est envoyé par luy à Constantinople, pour -traitter d’une alliance avec Soliman: l’Empereur qui prevoyoit bien le -dommage que luy pouvoit apporter cette Ambassade, fait tuer Rincon & -Cesar Fregose son Collegue, comme ils descendoient sur le Po pour aller -à Venise, par l’entremise d’Alfonse d’Avalos son Lieutenant au Milanois; -de quoy tant s’en faut que ledit Empereur s’estimast coupable, que même -un de nos Evêques a bien voulu plaider pour son innocence, [166]_Rinco -exul Hispanus, & Francisci apud Solymannum legatione functus, non -injuria fortasse, Fregosus præter jus cæsus videbatur._ (Belcar. lib. -22.) André Doria ayant quitté le party du Roy de France, & pris celuy de -l’Empereur, sous la faveur duquel il tenoit la ville de Genes comme en -esclavage, Louys Fieschy Citoyen de la même ville, entreprend avec -l’assistance de Henry II, & de Pierre Louys Farnese Duc de Parme & de -Plaisance, de la mettre en liberté: il tuë d’abord Jannetin Doria & se -noie par hazard, lors que l’entreprise estoit à peine commencée: Que -fait l’Empereur Charles V? sur cet incident il fait resoudre en son -Conseil secret, que Pierre Louys est criminel de leze Majesté, & envoye -les ordres en même temps à Doria de le faire assassiner, & à Gonzague -Gouverneur de Milan de se saisir de la ville de Plaisance; ce qui fut -ponctuellement executé suivant le projet qu’il en avoit donné: & quoy -qu’il ait fait le possible pour témoigner qu’il n’avoit eu aucune part -en cette execution, tous les Historiens neanmoins écrivent le contraire, -& le distique rapporté par Noël des Comptes nous apprend assez ce que -l’on en croyoit dés ce temps-là: - - [167]_Cæsaris injussu cecidit Farnesius Heros, - Sed data sunt jussu præmia sicariis._ - - [165] Si par fortune un larron manifeste, ou une sedition dangereuse, - & une faction sanglante, ou quelque autre juste cause, ne demandent - aucun retardement, il est permis de punir, non pas pour haster la - punition, mais pour prevenir le danger; & puis écrire ou faire les - formalités du procés. - - [166] Il sembloit que Rincon banni d’Espagne, & Ambassadeur de - François vers Soliman, n’avoit pas esté tué à tort, ni Fregose tout - à fait contre le droit. - - [167] Le Heros Farnese fut assassiné sans que l’Empereur l’eût - commandé, mais les meurtriers furent recompensez par son ordre. - -Quoy plus, le Cardinal George de Hongrie ne fut-il pas sententié de la -même façon, & executé encore avec plus d’inhumanité par Ferdinand -d’Austriche, sur la crainte qu’il eut que ledit Cardinal ne recherchast -l’assistance du Turc, pour commander toujours dans la Transilvanie? Et -n’avons nous pas veu depuis quatre ans seulement, que le Walstein a esté -assassiné dans Egra, par les secretes menées du Comte d’Ognate, qui -estoit pour lors Ambassadeur du Roy d’Espagne auprés de l’Empereur? & -que le Bourgmestre la Ruelle a esté traitté de la même sorte dans la -ville de Liege par le Comte de Warfuzée, suivant les Ordres que le -Marquis d’Aytone Gouverneur des armes du Païs-bas luy en avoit donnez, -avec des formalitez si precises, que celles de le faire mourir _bien -confessé & resigné à la volonté de Dieu_, n’y estoient pas oubliées, -pour valider davantage cette action, & la rendre semblable à une -sentence criminelle legitimement rendue & executée? Bref cette maniere -de justice est tellement en usage dans les Maisons d’Austriche & -d’Espagne, que le pere même ne voulut pas en exempter son propre fils, -lors qu’il jugea qu’il estoit moins expedient pour le bien de son -Royaume de le laisser vivre, que de le faire mourir. [168]_Cætera enim -maleficia tunc persequare cum facta sunt, hoc nisi provideris ne -accidat, ubi evenit, frustra judicia explores_, comme disoit fort bien -Caton en discourant de la conjuration de Catilina dans Saluste. Et -pleust à Dieu que ce grand Empereur Charles V, qui avoit tant fait -d’autres Coups d’Estat, ne fust point demeuré court en celuy qu’il -falloit pratiquer sur la personne de Luther, lors qu’il comparut à la -Conference d’Ausbourg! nous ne serions pas maintenant contraints de dire -avec le Poëte Lucian, - - [169]_Heu quantum terræ potuit Pelagique parari, - Hoc quem civiles fuderunt sanguine dextræ._ - - [168] Poursuivez la punition des autres crimes quand on les a commis, - mais pour celuy-cy, si vous ne le prevenez avant sa naissance, quand - il est arrivé en vain recherchez-vous d’en faire justice. - - [169] Helas! quelle grande étendue de terre & de mer auroit-on pû - acquerir par ce sang que les guerres civiles ont fait verser. - -Et nous n’aurions pas éprouvé combien ce vers de Lucrece estoit -veritable, - - [170]_Religio peperit scelerata atque impia facta._ - - [170] La religion a produit des actions méchantes & impies. - -Car pour ne rien dire de l’Allemagne, & des autres païs étrangers, l’on -a verifié (_Bodin & autres_) que depuis les premiers tumultes excitez -par les Calvinistes jusques au regne de Henry IV, les pretendus Reformez -nous ont livré cinq batailles tres-cruelles & sanglantes, & ont esté -cause de la mort d’un million de personnes, des surprises de 300 villes, -d’une dépense de 150 millions pour le seul payement de la gendarmerie, & -que neuf villes, 400 villages, 20000 eglises, 2000 Monasteres, & 10000 -Maisons ont esté tout à fait bruslées ou razées. A quoy si l’on joint ce -qui s’est passé dans les dernieres guerres contre le Roy d’à present, je -m’asseure que l’on pourra bastir un spectacle d’horreur, capable -d’émouvoir à compassion les cœurs les plus inhumains, & de tirer encore -cette exclamation de la bouche des plus retenus, - - [171]_Tantum religio potuit suadere malorum - Horribili super aspectu mortalibus instans!_ - - [171] La religion a-t-elle pû conseiller tant de maux, qui servent - maintenant d’un triste spectacle aux mortels! - -Or d’autant que personne n’a encore fait de reflexion sur cette Histoire -de Luther, je diray en passant que l’on fit trois grandes fautes, à mon -avis, lors qu’il commença de publier ses heresies: la premiere d’avoir -permis qu’il passast de la correction des mœurs à celle de la doctrine, -puisque la plus commune est toujours la meilleure, qu’il est -tres-dangereux d’y rien changer & peu utile, que ce n’est pas à un -particulier de le faire, & enfin qu’un Royaume Chrestien bien policé ne -doit jamais recevoir d’autres nouveautez en la religion, que celles que -les Papes ou Conciles ont accoustumé d’y introduire de temps en temps -pour s’accommoder au besoin que l’Eglise en peut avoir, laquelle Eglise -doit estre la seule regle de la sainte Ecriture & de nostre foy, comme -les Conciles le sont de l’Eglise, & entre les Conciles celuy-là qui a -esté celebré le dernier doit estre preferé à tous les precedens. La -seconde fut, que Luther estant venu de bonne foy à Ausbourg pour -conferer & s’accorder, s’il estoit possible, avec les Catholiques, le -Cardinal Cayetan devoit accepter les offres qu’il fit de ne plus rien -dire, ny écrire en la matiere dont il s’agissoit, pourveu que -reciproquement on imposast silence à Ecchius, Cochleus, Sylvester -Prierias, & autres ses adversaires: & non pas le presser de se dédire en -public, & de chanter la palinodie de tout ce qu’il avoit dit & presché, -avec tant d’ardeur & de vehemence. Aprés quoy la troisiéme faute fut de -n’avoir pas eu recours à un Coup d’Estat lors que l’on vit qu’il prenoit -le frain aux dents, & qu’il regimboit à bon escient contre le zele -indiscret du Legat. Car il luy falloit jetter quelque os en bouche, ou -luy cadenasser la langue en mettant dessus un Aigle, puisque les Bœufs & -les Syrenes, que l’on employoit à même fin au temps passé, ne sont plus -en usage, c’est à dire qu’il le falloit gagner par quelque bon benefice -ou pension, comme l’on a fait du depuis beaucoup des plus doctes & -autorisez Ministres. Ferrier avoit bien entrepris il n’y a pas trente -ans, d’aller soûtenir dans la ville de Rome que le Pape estoit -l’Antichrist; & toutefois la Reine Mere n’eut pas grande peine à luy -faire quitter son party, pour se ranger au nostre: Et Monsieur le -Cardinal de Richelieu fut-il jamais venu à bout de tant de glorieuses -entreprises contre les Huguenots, s’il ne se fust servy bien à propos -des finances du Roy, pour gagner tous leurs meilleurs Capitaines? tant -ce dire d’Horace est veritable: - - [172]_Aurum per medios ire satellites - Et perrumpere amat saxa, potentius - Ictu fulmineo._ - -(Ode 16. l. 3.) - - [172] L’or passe au travers des gardes & brise les rochers avec un - plus violent effort que le tonnerre. - -Que si l’on ne pouvoit venir à bout de Luther par ce moyen-là, il -falloit en pratiquer un autre, & faire en sorte de le mettre en lieu de -seureté, comme l’on a fait depuis peu l’Abbé du Bois & le Benedictin -Barnese; ou passer outre, & l’expedier sourdement, comme l’on dit que -Catherine de Medicis, fit un signalé Magicien; ou publiquement & par -forme de justice, comme les Peres du Concile de Constance avoient fait -Jean Huz & Hierôme de Prague: quoy qu’à dire vray les premiers moyens -estoient plus à propos, puis qu’ils estoient les plus doux, faciles & -couverts, & qu’ils pouvoient plus asseurément produire l’effet que l’on -en esperoit; ce que ne pouvoient pas faire les derniers, qui eussent -peut-estre aigry l’esprit du Duc de Saxe, & confirmé davantage les -Sectateurs de Luther en leurs fausses opinions; ce que disoit un ancien -des Chrestiens, [173]_Sanguis Martyrum semen Christianorum_, se pouvant -aussi dire de tous ceux qui ont une fois commencé à maintenir des -opinions qu’ils se persuadent estre veritables. Et en effet Henry II, -pensant étouffer par ce genre de supplice, non l’heresie, mais les -occasions que pourroient avoir un jour les Princes étrangers de le -traverser par le moyen des Calvinistes, comme il avoit broüillé & -traversé l’Empereur en assistant les Lutheriens d’Allemagne, il se -trompa de telle sorte que le nombre des Heretiques croissant tous les -jours davantage, ils broüillerent enfin la France sous Charles neuf de -la façon que chacun sçait; & Henry troisiéme ne pouvant moins faire que -de s’appuyer de leurs forces, cela échauffa tellement la melancolie & le -zele indiscret du Jacobin, qu’il n’apprehenda point de perdre sa vie -pour luy oster la sienne. Le docte Mathematicien Regiomontanus ayant -esté appellé d’Allemagne à Rome pour servir à la reformation du -Calendrier, il y mourut lors qu’il estoit au plus fort de son travail, & -si l’on en veut croire ses amis, & la plus grande part des Heretiques, -ce fut par un Coup d’Estat de Gregoire XIII, qui aima mieux joüer du -gobelet, que de voir son dessein & le travail des plus habiles -Astronomes de l’Italie non seulement retardé, mais entierement renversé -par les oppositions d’un si docte personnage: Mais il est tres-certain, -que la mort de Regiomontanus ne doit aucunement flestrir l’innocence -d’un si bon & si genereux Pape, puis que ce fut plustost un crime des -enfans de George Trapezonze, lesquels faschez de sa mort, & croyant que -Regiomontanus en estoit cause, pour avoir trop librement remarqué une -infinité de fautes dans la traduction Latine de l’Almageste de Ptolomée -faite par ledit Trapezonze, ils se resolurent enfin de luy rendre la -pareille & de le traitter plutost à la Grecque qu’à la Romaine. Si les -Venitiens eussent esté aussi innocens de la mort de leur Citoyen -Lauredan, que le Pape de celle de Regiomontanus, Bodin (_l. 6._) -n’auroit pas remarqué dans sa methode qu’il ne vescut guere, aprés avoir -appaisé par sa seule presence, une furieuse sedition des gens de la -Marine, acharnez contre la populace, aprés que tous les Magistrats & les -forces même de la ville assemblées, n’y avoient pû donner ordre. -Peut-estre craignoient-ils qu’ayant reconnu quel estoit son pouvoir, & -quel empire il avoit sur les sujets de la Republique, il ne luy prist -envie de se rendre maistre absolu de leur Estat; Peut-estre aussi le -firent-ils par jalousie & emulation, comme Aristote dit que les -Argonautes ne voulurent point d’Hercule en leur compagnie, crainte que -toute la gloire d’une si belle entreprise ne fust attribuée à sa seule -valeur & vertu: - - [174]_Urit in fulgore suo qui prægravat artes - Infra se positas._ - -(Horat. Ep. l. 2. ep. 1.) - - [173] Le sang des Martyrs est la semence des Chrestiens. - - [174] Car celuy de qui la valeur ternit la gloire de toutes autres - entreprises que des sienes, attire l’envie par l’éclat de ses - glorieuses actions. - -Et le même ajouste que les Ephesiens bannirent leur Prince Hermodorus, -parce qu’il estoit trop homme de bien. C’est la raison qui fit établir -l’Ostracisme à Athenes, & qui obligea Scipion & Hannibal à faire mourir -deux braves soldats leurs prisonniers. Mais si le stratageme estoit vray -duquel on dit que les Venitiens se servirent il n’y a pas long-temps, -lors qu’ils firent courir le bruit que le Duc d’Ossone vouloit -entreprendre sur leur ville, je croy que ç’a esté un des plus judicieux -dont nous ayons encore parlé; aussi leur estoit-il tres-important de le -faire, pour obliger l’Ambassadeur d’un des plus grands Princes de -l’Europe, à quitter ses prattiques qui n’alloient à rien moins qu’à la -ruine de leur Estat, & le forcer en suite à une honneste retraite. C’est -ainsi qu’il faut reserver ces grands remedes pour les maladies -perilleuses, & pour s’en servir comme Horace dit qu’il faut faire des -Dieux, que l’on introduit aux tragedies, pour achever & finir ce dont -les hommes ne peuvent plus venir à bout. - - [175]_Nec Deus intersit nisi dignus vindice nodus - Adfuerit._ - -(De arte poëtica ad Pis.) - - [175] Il ne faut point qu’un Dieu s’entre-mêle dans l’action, si - quelque incident n’y met un nœud qui ne se puisse défaire par un - autre moyen. - -Ou comme les Mariniers font de l’ancre double, qu’ils ne jettent en mer -qu’aprés avoir perdu toute autre asseurance. Et à la verité si un -Conseiller ou Ministre proposoit, à toutes les difficultez qui se -presentent, d’en sortir par quelqu’un de ces expediens, il ne le -faudroit pas tenir pour moins sot & méchant, que seroit le Chirurgien -qui voudroit guerir chaque blessure en brûlant ou coupant le membre qui -l’auroit receuë, [176]_extremis siquidem malis extrema remedia adhibenda -sunt_. J’ajouste que si le même Conseiller abuse de ces remedes pour -appuyer ses interests, ou donner plus de champ à ses passions, outre -qu’il trahit le service de son Maistre, il se rend encore coupable -devant Dieu, & devant les hommes, du mal qu’il entreprend de faire; & le -Souverain même, quand il en use autrement que le bien du public ou le -sien, qui n’en est pas separé, le requiert, il fait plûtost ce qui est -de la passion & de l’ambition d’un Tyran, que l’office d’un Roy. Ainsi -voyons nous que la Reyne Catherine de Medicis, [177]_quam exitio patriæ -natam Mathematici dixerant_, ne pouvant souffrir d’estre mariée à un -fils de Roy sans estre Reyne, employa l’artifice d’un Montecuculi pour -se delivrer du seul obstacle qu’elle en avoit, en la personne de l’aisné -de son mary. [178]_Adfinitatem enim nuper cum Clemente contractam, tanto -sceleri causam dedisse postea compertum, quamvis inscio marito; verùm -illo mortuo, cum frater proximus esset ut in regnum paternum succederet, -omissa indagandæ rei cura est, & suppressa veritas_, comme a fort bien -remarqué Monsieur de Thou dans l’original de son Histoire. Elle -entreprit en suite la protection des Huguenots par lettres & avis -secrets, pour contrecarrer la puissance du Connestable & de Monsieur de -Guise, à l’assassinat duquel arrivé devant Orleans, les memoires de -Tavanes disent qu’elle se vanta d’avoir eu part, comme elle eut encore -du depuis à celuy de l’Amiral; sans toutefois qu’elle eust d’autres -motifs pour joüer toutes ces sanglantes tragedies, que le seul desir de -contenter son ambition, de regner sous le nom de ses enfans, & de -maintenir l’inimitié entre ceux, de qui l’autorité portoit trop -d’ombrage à la sienne. - - [176] Car il ne faut employer les extrêmes remedes qu’aux extrêmes - maladies. - - [177] Dont les Mathematiciens avoient dit qu’elle estoit née pour la - ruine de la patrie. - - [178] Car on remarqua puis aprés que l’alliance qui avoit esté - contractée peu de temps auparavant avec Clement, avoit fourni - l’occasion d’une si grande méchanceté, quoi qu’à l’insceu de son - mary: mais quand il fut mort, son frere estant le plus proche qui - pût succeder au royaume du pere, on negligea d’en faire la - recherche, & la verité fut par ce moyen supprimée. - - - - -Chapitre IV. - -De quelles opinions faut-il estre persuadé pour entreprendre des Coups -d’Estat. - - -Ce n’est pas assez d’avoir monstré les occasions que l’on peut avoir -d’entreprendre ces stratagemes, si nous ne passons plus outre, & que -nous ne declarions aussi de quelles notions & persuasions il faut estre -persuadé, pour les executer avec hardiesse, & en venir à bout -heureusement. Et bien que ce titre semble plûtost appartenir aux -qualitez & conditions du Ministre qui les peut conseiller, je ne lairray -toutefois de coucher icy les principales, puis que ce sont des maximes -tres-certaines, universelles & infaillibles, que non seulement les -conseillers, mais les Princes & toutes personnes de bon sens & de -jugement doivent suivre & observer en toutes les affaires qui leur -peuvent survenir; & au defaut desquelles les raisonnemens que l’on fait -en matiere d’Estat, sont bien souvent cornus, estropiez, & plus -semblables à des contes de vieilles, & de gens grossiers & mechaniques, -qu’à des discours de personnes sages & experimentées aux affaires du -monde. - -Boëce ce grand Conseiller d’Estat du Roy Theodoric, nous fournira la -premiere, qu’il exprime en ces termes au livre de la consolation: -[179]_Constat æterna positumque lege est, in mundo constans genitum esse -nihil_; à quoy s’accorde pareillement Saint Hierôme lors qu’il dit en -ses epistres, [180]_omnia orta occidunt & aucta senescunt_: Les Poëtes -aussi ont esté de ce même sentiment. - - [181]_Immortale nihil mundi compage tenetur, - Non Urbes, non Regna hominum, non aurea Roma._ - - [179] C’est un axiome fondé sur une loy eternelle, qu’il n’y a rien - d’engendré au monde qui ne soit sujet à quelque changement. - - [180] Il n’y a rien qui prenne naissance qui ne meure & tout ce qui - prend accroissement vieillit. - - [181] Il n’y a rien d’immortel dans le monde, non pas même les villes, - ny les royaumes des humains, ny Rome qui estoit si opulente. - -Et tous ceux-là generalement ne s’en éloignent gueres, qui considerent -avec attention, comme ce grand cercle de l’univers depuis qu’il a une -fois commencé son cours, n’a point cessé d’emporter & faire rouler quant -& soy les Monarchies, les Religions, les sectes, les villes, les hommes, -les bestes, arbres, pierres, & generalement tout ce qui se trouve -compris & enfermé dans cette grande machine; les cieux même ne sont pas -exempts des changemens ny de corruption. Le premier Empire des -Assyriens, celuy des Perses, qui le suivit, ont aussi cessé des -premiers; le Grec & le Romain ne l’ont pas fait plus longue. Ces -puissantes familles de Ptolomée, d’Attalus, de Seleucides ne servent -plus que de fables, - - [182]_Miramur periisse homines, monimenta fatiscunt; - Mors etiam saxis nominibusque venit._ - -(Rutil. in Itiner.) - - [182] Nous nous étonnons de la mort des hommes; les sepulcres - s’ouvrent, car la mort vient attaquer les rochers & les noms. - -Cette Isle de Crete où il y avoit cent villes, cette ville de Thebes, où -il y avoit cent portes, cette Troye bastie par les mains des Dieux, -cette Rome qui triompha de tout le monde, où sont-elles maintenant? -[183]_Jam seges est ubi Troia fuit._ Il ne faut doncques pas croupir en -l’erreur de ces foibles esprits, qui s’imaginent que Rome sera toujours -le siege des saints Peres, & Paris celuy des Roys de France. -[184]_Byzantium illud vides quod sibi placet duplicis imperii sede? -Venetias istas quæ superbiunt mille annorum firmitate? Veniet illis sua -dies, & tu Antvverpia, ocelle urbium, aliquando non eris_, disoit -judicieusement Lipse. De maniere que cette maxime estant tres-veritable, -un bon esprit ne desesperera jamais de pouvoir surmonter toutes les -difficultez, qui empescheroient peut-estre quelque autre d’executer ou -d’entreprendre ces affaires d’importance. Comme par exemple, s’il est -question qu’un Ministre, soit pour le service de Dieu, ou pour celuy de -son Maistre, songe aux moyens de ruiner quelque Republique ou Empire, -cette maxime generale luy fera croire de premier abord, qu’une telle -entreprise n’est pas impossible, puis qu’il n’y en a pas une qui jouïsse -du privilege de pouvoir toujours durer & subsister. Et si au contraire, -il est question d’en établir quelque autre, il se servira encore du même -axiome pour se resoudre à l’entreprendre, & il se persuadera d’en -pouvoir venir aussi facilement à bout, comme ont fait les Suisses, les -Lucquois, les Hollandois, & ceux de Geneve, non dans les siecles dont -nous n’avons plus de memoire, mais dans les deux derniers, & quasi de -fraische date. Aussi en est-il de même des Estats, que des hommes, il en -meurt & naist bien souvent, les uns sont étouffez en leurs principes, -les autres passent un peu plus outre, & prennent force & consistance aux -dépens de leurs voisins, beaucoup parviennent même jusques en -vieillesse; mais enfin les forces viennent à leur manquer, ils font -place aux autres, & quittent la partie pour ne la pouvoir plus defendre: - - [185]_Sic omnia verti - Cernimus, atque alias assumere pondera gentes, - Concidere has._ - - [183] Il croist maintenant du bled là où estoit autrefois Troye. - - [184] Vois-tu cette Constantinople qui se flate du siege d’un double - empire? & Venise qui se glorifie d’une fermeté de mille ans? Leur - jour viendra; & toy Anvers, qui es l’œillet de toutes les villes, le - temps viendra que tu ne seras plus. - - [185] Ainsi voyons nous bouleverser toutes choses; ces nations - s’affoiblir, & d’autres s’acquerir du pouvoir. - -Et alors les premieres maladies les émeuvent, les secondes les -ébranlent, les troisiémes les emportent; Gracchus, Sertorius, Spartacus -donnerent le premier Coup à la Romaine; Sylla, Marius, Pompée, Jules -Cæsar la porterent sur le panchant, à deux doigts de sa ruine, & Auguste -aprés les furies du Triumvirat l’ensevelit, [186]_Urgentibus scilicet -Imperii Romani fatis_: & de la plus celebre Republique du monde il en -fit le plus grand Empire, tout ainsi que des plus grands Empires qui -sont aujourd’huy, il s’en fera quelque jour des fameuses Republiques. -Mais il faut encore observer que ces changemens, ces revolutions des -Estats, cette mort des Empires, ne se fait pas sans entraisner avec soy -les Loix, la Religion & les Sectes: s’il n’est toutefois plus veritable -de dire, que ces trois principes internes des Estats venant à vieillir & -se corrompre, la religion par les heresies ou atheismes; la justice par -la venalité des offices, la faveur des grands, l’autorité des -Souverains; & les Sectes par la liberté qu’un chacun prend d’introduire -de nouveaux dogmes, ou de rétablir les anciens, ils font aussi tomber & -perir tout ce qui estoit basty dessus, & disposent les affaires à -quelque revolte ou changement memorable. Certes si l’on considere bien -maintenant, quel est l’Estat de l’Europe, il ne sera pas aussi difficile -de juger qu’elle doit bien-tost servir de Theatre où se joüeront -beaucoup de semblables tragedies, puis que la pluspart des Estats -qu’elle contient ne sont pas beaucoup éloignez de l’âge qui a fait perir -tous les autres, & que tant de longues & fascheuses guerres ont fait -naistre, & ont augmenté les causes mentionnées cy-dessus, qui peuvent -ruiner la justice; comme le trop grand nombre de Colleges, seminaires, -étudians, joints à la facilité d’imprimer & transporter les livres, ont -déja bien ébranlé les Sectes & la Religion. Et en effet c’est une chose -hors de doute, qu’il s’est fait plus de nouveaux systemes dedans -l’Astronomie, que plus de nouveautez se sont introduites dans la -Philosophie, Medecine & Theologie, que le nombre des Athées s’est plus -fait paroistre depuis l’année 1452, qu’aprés la prise de Constantinople -tous les Grecs, & les sciences avec eux se refugierent en Europe, & -particulierement en France & en Italie, qu’il ne s’en estoit fait -pendant les mille années precedentes. Pour moy je défie les mieux versez -en nostre Histoire de France, de m’y monstrer que quelqu’un ait esté -accusé d’Atheïsme, auparavant le Regne de François I, surnommé le -Restaurateur des lettres, & peut-estre encore seroit-on bien empesché de -me montrer le même dans l’Histoire d’Italie, auparavant les caresses que -Cosme & Laurens de Medicis firent aux hommes lettrez; ce fut de même -sous le siecle d’Auguste que le Poëte Horace (_lib. 1. Ode XXXIV._) -disoit de soy-même: - - [187]_Parcus Deorum cultor, & infrequens, - Insanientis dum sapientiæ - Consultus erro._ - - [186] Les fatalités de l’Empire Romain estant enfin arrivées. - - [187] L’estude que j’ay faite d’une sagesse insensée, m’avoit rendu si - peu soigneux d’honorer les Dieux, que je les adorois rarement. - -Que Lucrece pensoit bien se concilier la bienveillance de ses lecteurs, -en leur disant qu’il les vouloit delivrer des gesnes & des peines que -leur donnoit la religion, - - [188]_Dum relligionum animos vinclis exsolvere pergo._ - - [188] Pendant que je continue à rompre les liens dont la religion a - embarrassé vos esprits. - -Et que S. Paul disoit aux Romains, [189]_tunc veni cum Deus non erat in -vobis_. Ce fut enfin sous les Rois Almansor & Miramolin, plus studieux & -lettrez que n’avoient esté tous leurs Predecesseurs, que les Aladinistes -ou libertins, eurent grande vogue parmy les Arabes: en suite de quoy -nous pouvons bien dire avec Seneque, [190]_ut rerum omnium sic literarum -intemperantia laboramus_. - - [189] Je suis venu à vous, en un temps qu’il n’y avoit point de Dieu - parmy vous. - - [190] Nous sommes aussi-bien travaillez de l’intemperance des lettres - que de celle de toutes autres choses. - -La seconde opinion de laquelle on doit estre persuadé pour bien reüssir -aux Coups d’Estat, est de croire qu’il ne faut pas remüer tout le monde -pour occasionner les changemens des plus grands Empires, ils arrivent -bien souvent sans qu’on y pense, ou au moins sans que l’on fasse de si -grands preparatifs. Et comme Archimede remuoit les plus pesans fardeaux, -avec trois ou quatre bastons industrieusement joints ensemble, aussi -peut-on quelquefois remüer, voire même ruiner ou faire naistre des -grandes affaires, par des moyens qui sont presque de nulle -consideration. C’est de quoy Ciceron (_Philip. 5._) nous avertit lors -qu’il dit, [191]_quis nesciat, minimis fieri momentis maximas temporum -inclinationes_; le monde suivant la doctrine de Moyse a esté fait de -rien, & en celle d’Epicure il n’a esté composé que du concours de divers -atomes: Et ces grands fleuves qui roulent avec impetuosité presque d’un -bout de la terre à l’autre, sont d’ordinaire si petits vers leurs -sources qu’un enfant les peut facilement traverser, - - [192]_Flumina quanta vides parvis è fontibus orta?_ - - [191] Qui est-ce qui ignore que dans un moment il peut arriver de - grands changemens aux temps. - - [192] Quelles grandes rivieres ne voit on pas qui prenent leur - naissance de fort petites fontaines? - -Il en est de même aux affaires Politiques, une petite flammeche negligée -excite bien souvent un grand feu, - - [193]_Dum neglecta solent incendia sumere vires._ - - [193] Lors que les embrasemens ont coustume de se renforcer à mesure - qu’on les neglige. - -Et comme il ne fallut qu’une petite pierre arrachée de la montagne, pour -ruiner la grande statue, ou plutost le grand colosse de Nabuchodonosor; -de même une petite chose peut facilement renverser de grandes -Monarchies. Qui eust jamais creu que le ravissement de Helene, le -violement de Lucrece par Tarquin, & celuy de la fille du Comte Julien -par le Roy Roderic, eussent produit des effets si notables tant en -Grece, qu’Italie & Espagne? Mais qui eust jamais pensé que les Etoles & -Arcades se fussent acharnez à la guerre pour une hure de Sanglier; ceux -de Carthage & de Bisague pour le fust d’un brigantin; le Duc de -Bourgogne & les Suisses pour un chariot de peaux de Mouton; les Frisons -& les Romains du temps de Drusus pour des cuirs de Bœuf; & les Pictes & -Escossois pour quelques Chiens perdus? Ou que du temps de Justinian -toutes les villes de l’Empire eussent pû se diviser & concevoir une -haine mortelle les unes contre les autres, pour le differend des -couleurs qui se portoient aux jeux & recreations publiques? La nature -même semble avoir agreable cette façon de proceder, lors qu’elle produit -les grands & spacieux Cedres d’un petit germe; & les Elephans & Balenes, -d’un atome s’il faut ainsi dire de semence. C’est en quoy elle s’efforce -d’imiter son Createur, qui a coustume de tirer la grandeur de ses -actions, de la foiblesse de leurs principes, & de les mener d’un -commencement debile au progrez d’une perfection accomplie. Et en effet -lors qu’il voulut delivrer son peuple de la captivité de Pharaon, il -n’envoya pas quelque Roy, ou quelque Prince, accompagné d’une puissante -armée, mais il se servit d’un simple homme [194]_impeditioris & -tardioris linguæ, qui pascebat oves Jethro soceri sui_; (Exod. 3. & 4.) -lors qu’il voulut chastier & épouvanter les Egyptiens, il ne se servit -pas du foudre ny du tonnerre, [195]_sed immisit tantum ranas, cyniphes & -locustas & omne genus muscarum_; lors qu’il fallut delivrer les -Philistins, ce fut par les mains de Saül qu’il fit couronner Roy de son -peuple, au même temps qu’il ne pensoit qu’à chercher [196]_asinas patris -sui Cis_; (1 Reg. 11.) ainsi pour combattre Goliath, il choisit David -[197]_dum ambulabat post gregem patris sui_; (c. 17.) & pour delivrer -Bethulie de la persecution d’Holofernes, il n’employa point de puissans -& courageux soldats, [198]_sed manus fœminæ dejecit eum_. (Judith. 9.) -Mais puis que ces actions sont autant de miracles, & que nous ne pouvons -pas les tirer en consequence, faisons un peu de reflexion sur la -grandeur de l’Empire du Turc, & sur les merveilleux progrez que font -tous les jours les Lutheriens & Calvinistes, & je m’asseure que l’on -sera contraint d’admirer comme le dépit de deux Moines qui n’avoient -pour toutes armes que la langue & la plume, ont pû estre cause de si -grandes revolutions, & de changemens en la Police & en la Religion si -extraordinaires. Aprés quoy il faut avoüer que les Ambassadeurs des -Scythes avoient bonne raison de remonstrer à Alexandre, que [199]_fortis -Leo aliquando minimarum avium pabulum est, ferrum rubigo consumit, & -nihil est cui periculum non immineat ab invalido_. C’est doncques le -devoir du bon Politique, de considerer toutes les moindres circonstances -qui se rencontrent aux affaires serieuses & difficiles, pour s’en -servir, en les augmentant, & en faisant quelquefois d’une Mouche un -Elefant, d’une petite égratignure une grande playe, & d’une étincelle un -grand feu; ou bien en diminuant toutes ces choses suivant qu’il en sera -besoin pour favoriser ses intentions. Et à ce propos il me souvient d’un -accident peu remarqué qui se passa aux Estats tenus à Paris l’an 1615, -lequel neanmoins estoit capable de ruiner la France, & de luy faire -changer sa façon de Gouvernement, si l’on n’y eust promptement remedié; -car la Noblesse ayant inseré dans son cahier de remonstrances un article -pour faire comprendre le bien qui pouvoit revenir à la France de la -cassation du droit annuel, ou pour estre mieux entendu de la Polette, le -Tiers Estat qui se croyoit grandement lesé par cette proposition, en -coucha un autre dans le sien, par lequel le Roy estoit supplié, de -retrancher les pensions qu’il donnoit à beaucoup de Gentilshommes qui ne -luy rendoient aucun service; là-dessus chaque partie commence à -s’alterer, & chacun de son costé envoye des deputez pour faire entendre -ses raisons; ils se rencontrent, & en viennent aux injures, les deputez -de la Noblesse appellant ceux du Tiers Estat des Rustres, & les menaçant -de les traitter à coups d’éperon; ceux-cy répondent qu’ils n’avoient pas -la hardiesse de le faire, & que s’ils y avoient seulement songé, il y -avoit 100000 hommes dans Paris, qui en tireroient la raison sur le -champ: cependant quelques Magistrats & Ecclesiastiques qui estoient -presens à ces discours, jugeant bien des dangereuses consequences qui en -pouvoient arriver, vont à bride abbatue au Louvre, avertissent le Roy de -ce qui se passe, le prient & conjurent d’y remedier promptement, & font -en sorte que Sa Majesté, les Reynes & tous les Princes y interposant -leur autorité, defenses furent faites sur peine de la vie, de plus -parler de ces deux articles, ny de plus tenir aucun discours de tout ce -qui s’estoit passé à leur sujet; & bien nous prit de ce qu’on y apporta -si promptement remede: car si les deputez de la Noblesse eussent passé -des paroles aux effets, ceux du Tiers Estat se fussent peut-estre -rencontrez si violents, obstinez & vindicatifs, & le peuple de Paris en -telle verve & disposition, que toute la Noblesse qui y estoit, eust -couru grande risque d’estre sacagée, & peut-estre qu’en suite on eust -fait le même par toutes les autres villes du Royaume, qui suivent -d’ordinaire l’exemple de la Capitale. - - [194] Qui n’avoit pas la langue bien pendue & avoit peine à parler, & - qui paissoit les brebis de son beaupere Jethro. - - [195] Mais leur envoya des grenoüilles, des sauterelles, des mouches à - chien, & toutes autres sortes de mouches. - - [196] Les ânesses de Cis son pere. - - [197] Lors qu’il alloit aprés le troupeau de son pere. - - [198] Mais il fut abbatu par la main d’une femme. - - [199] Quelquefois le Lion courageux sert de pasture aux plus petits - oiseaux, que la roüillure consume le fer, & qu’il n’y a rien qui ne - coure risque d’estre endommagé de la plus foible chose. - -Or parce que si cet accident fust arrivé, c’eust esté par le moyen de la -populace, laquelle sans juger & connoistre ce qui estoit de la raison, -se fust jettée à l’impourveu & à l’étourdie, sur ceux qu’on luy auroit -mis les premiers en butte de sa fureur; il n’est pas hors de propos -d’avertir & de mettre pour une troisiéme persuasion, que les meilleurs -Coups d’Estat se faisant par son moyen on doit aussi particulierement -connoistre, quel est son naturel, & avec combien de hardiesse & -d’asseurance on s’en peut servir, & la tourner & disposer à ses -desseins. Ceux qui en ont fait la plus entiere & la plus particuliere -description, la representent à bon droit comme une beste à plusieurs -testes, vagabonde, errante, folle, étourdie, sans conduite, sans esprit, -ny jugement. Et en effet si l’on prend garde à sa raison, Palingenius -dit, que - - [200]_Judicium vulgi insulsum, imbecillaque mens est._ - -(in Piscib.) - - [200] Le jugement du commun peuple est toujours sot, & son entendement - foible. - -Si à ses passions, le même ajouste, - - [201]_Quod furit atque ferit sævissima bellua vulgus._ - -(in Sagitt.) - - [201] Que la populace est une tres-cruelle beste, & qu’elle devient - furieuse & frape le plus souvent. - -Si à ses mœurs & façons de faire, [202]_Hi vulgi mores, odisse -præsentia, ventura cupere, præterita celebrare._ Si à toutes ses autres -qualitez, Saluste nous la represente, [203]_ingenio mobili, seditiosam, -discordiosam, cupidam rerum novarum, quieti & otio adversam_. Mais moy -je passe plus outre, & dis qu’elle est inferieure aux bestes, pire que -les bestes, & plus sotte cent fois que les bestes mêmes; car les bestes -n’ayant point l’usage de la raison, elles se laissent conduire à -l’instinct que la Nature leur donne pour regle de leur vie, actions, -passions & façons de faire, dont elles ne se departent jamais, sinon -lors que la méchanceté des hommes les en fait sortir. Là où le peuple -(j’entens par ce mot le vulgaire ramassé, la tourbe & lie populaire, -gens sous quelque couvert que ce soit de basse, servile, & mechanique -condition) estant doüé de la raison; il en abuse en mille sortes, & -devient par son moyen le Theatre où les Orateurs, les Predicateurs, les -faux Prophetes, les imposteurs, les rusez politiques, les mutins, les -seditieux, les dépitez, les superstitieux, les ambitieux, bref tous ceux -qui ont quelque nouveau dessein, representent leurs plus furieuses & -sanglantes tragedies. Aussi sçavons nous que cette populace est comparée -à une mer sujette à toutes sortes de vents & de tempestes: au Cameleon -qui peut recevoir toutes sortes de couleurs excepté la blanche; & à la -sentine & cloaque dans laquelle coulent toutes les ordures de la maison. -Ses plus belles parties sont d’estre inconstante & variable, approuver & -improuver quelque chose en même temps, courir toujours d’un contraire à -l’autre, croire de leger, se mutiner promptement, toujours gronder & -murmurer: bref tout ce qu’elle pense n’est que vanité, tout ce qu’elle -dit est faux & absurde, ce qu’elle improuve est bon, ce qu’elle approuve -mauvais, ce qu’elle louë infame, & tout ce qu’elle fait & entreprend -n’est que pure folie. Aussi est-ce ce qui a fait dire à Seneque, (_de -vita B. cap. 2._) [204]_Non tam bene cum rebus humanis geritur ut -meliora pluribus placeant: argumentum pessimi est turba._ Et le même ne -donne autre avis pour connoistre les bonnes opinions & comme parle le -Poëte Satyrique, [205]_quid solidum crepet_, sinon de ne pas suivre -celle du peuple, [206]_Sanabimur si modo separemur à cœtu._ Que Postel -luy persuade que Jesus-Christ n’a sauvé que les hommes, & que sa mere -Jeanne doit sauver les femmes, il le croira soudain. Que David George se -dise fils de Dieu, il l’adorera. Qu’un tailleur enthousiaste & fanatique -contrefasse le Roy dans Munster, & dise que Dieu l’a destiné pour -chastier toutes les Puissances de la terre, il luy obeïra & le -respectera comme le plus grand Monarque du monde. Que le Pere Domptius -luy annonce la venuë de l’Antechrist, qu’il est âgé de dix ans, qu’il a -des cornes, il témoignera de s’en effrayer. Que des imposteurs & -Charlatans se qualifient freres de la Rose-Croix, il courra aprés eux. -Qu’on luy rapporte que Paris doit bien-tost abismer, il s’enfuira. Que -tout le monde doit estre submergé, il bastira des Arches & des basteaux -de bonne heure pour n’estre pas surpris. Que la mer se doit secher & que -des chariots pourront aller de Genes à Jerusalem, il se preparera pour -faire le voyage. Qu’on luy conte les fables de Melusine, du sabat des -sorcieres, des loups garoux, des lutins, des fées, des Paredres, il les -admirera. Que la matrice tourmente quelque pauvre fille, il dira qu’elle -est possedée, ou croira à quelque Prestre ignorant ou méchant, qui la -fait passer pour telle. Que quelque Alchimiste, Magicien, Astrologue, -Lulliste, Cabaliste, commencent un peu à la cajoller, il les prendra -pour les plus sçavans, & pour les plus honnestes gens du monde. Qu’un -Pierre l’Hermite vienne prescher la croisade, il fera des reliques du -poil de son mulet. Qu’on luy dise en riant qu’une Canne ou un Oison sont -inspirées du S. Esprit, il le croira serieusement. Que la peste ou la -tempeste ruine une province, il en accusera soudain des graisseurs ou -Magiciens. Bref si on le trompe & befle aujourd’huy, il se lairra encore -surprendre demain, ne faisant jamais profit des rencontres passez, pour -se gouverner dans les presentes ou futures; & en ces choses consistent -les principaux signes de sa grande foiblesse & imbecillité. Pour ce qui -est de son inconstance, nous en avons un bel exemple dans les Actes des -Apostres en ce que les habitans de Lystrie & de Derben, n’eurent pas -plutost apperceu S. Paul & S. Barnabé, que [207]_levaverunt vocem suam -Lycaonicè dicentes; Dii similes facti hominibus descendunt ad nos; & -vocabant Barnabam Jovem, Paulum quoque Mercurium_; & neanmoins -incontinent aprés voila que [208]_lapidantes Paulum, traxerunt eum extra -civitatem, existimantes mortuum esse_. Les Romains adorent le matin -Seianus, & le soir - - [209]_Ducitur unco - Spectandus._ - -(Juven. Sat. 10.) - - [202] Voicy les mœurs du menu peuple, haïr les choses presentes, - desirer les futures, & celebrer celles qui sont passées. - - [203] D’un naturel inconstant, seditieuse, querelleuse, convoiteuse de - choses nouvelles, & ennemie du repos & de la tranquillité. - - [204] Les choses humaines n’ont pas tant de bonne fortune, que les - plus saines & les meilleures soient agreables au plus grand nombre: - La foule est ordinairement une marque du peu de prix que valent les - choses. - - [205] Qu’est-ce qu’il y a de solide. - - [206] Nous serons gueris pourveu que nous nous separions de la foule. - - [207] Ils éleverent leur voix & dirent en langue Lycaonienne: Les - Dieux sont descendus vers nous sous la forme d’hommes: Et ils - appeloient Barnabé Jupiter & Paul Mercure. - - [208] Ayant lapidé Paul, ils le traisnerent hors de la ville croyant - qu’il fust mort. - - [209] Il est traîné avec un croc pour servir de spectacle au peuple. - -Les Parisiens en font de même du Marquis d’Ancre, & aprés avoir déchiré -la robe du Pere à Jesus Maria, pour en conserver les pieces comme -reliques, ils le befflent, & s’en mocquent deux jours aprés. Que s’il -entre en colere, ce sera comme le jeune homme de Horace, lequel - - [210]_Iram - Colligit & ponit temerè, & mutatur in horas._ - -(ad Pison.) - - [210] Se courrouce & s’appaise facilement, & change à toute heure. - -S’il rencontre quelque homme d’autorité lors qu’il est en sa plus -boüillante mutinerie & sedition, il s’enfuira & abandonnera tout; s’il -se presente quelque gueux temeraire, ou hardy qui luy remette, comme on -dit communément, le cœur au ventre, & le feu aux étoupes, il reviendra -plus furieux qu’auparavant; bref nous luy pouvons particulierement -attribüer ce que disoit Seneque (_de vita B. cap. 28._) de tous les -hommes, [211]_fluctuat, aliud ex alio comprehendit, petita relinquit, -relicta repetit, alternæ inter cupiditatem suam, & pœnitentiam vices -sunt_. Or d’autant que la force gist toujours de son costé, & que c’est -luy qui donne le plus grand branle à tout ce qui se fait -d’extraordinaire dans l’Estat, il faut que les Princes ou leurs -Ministres s’estudient à le manier & persuader par belles paroles, le -seduire & tromper par les apparences, le gagner & tourner à ses desseins -par des predicateurs & miracles sous pretexte de sainteté, ou par le -moyen des bonnes plumes, en leur faisant faire des livrets clandestins, -des manifestes, apologies & declarations artistement composées pour le -mener par le nez, & luy faire approuver ou condamner sur l’etiquete du -sac tout ce qu’il contient. - - [211] Il est toujours en doute, il fait toujours de nouveaux desseins, - il quitte ce qu’il avoit demandé, & il redemande aussi-tost ce qu’il - vient de quitter: le desir & le repentir commandent chez luy tour à - tour, & possedent l’un aprés l’autre la domination de son ame. - -Mais comme il n’y a jamais eu que deux moyens capables de maintenir les -hommes en leur devoir, sçavoir la rigueur des supplices établis par les -anciens legislateurs pour reprimer les crimes, dont les juges pouvoient -avoir connoissance; & la crainte des Dieux & de leur foudre, pour -empescher ceux dont par faute de témoins ils ne pouvoient estre -suffisamment informez, conformément à ce que dit le Poëte Palingenius: -(_in Libra._) - - [212]_Semiferum vulgus frænandum est relligione - Pœnarumque metu, nam fallax atque malignum - Illius ingenium est semper, nec sponte movetur - Ad rectum._ - - [212] C’est par la religion & par la crainte des supplices, qu’il faut - brider la populace à demy sauvage, car son esprit est toujours - trompeur & malin, & de soi-même ne se porte point à ce qui est - droit. - -Aussi les mêmes Legislateurs ont bien reconnu, qu’il n’y avoit rien qui -dominast avec plus de violence les esprits des peuples que ce dernier, -lequel venant à se trouver en butte de quelque action, il porte soudain -toute la poursuite que l’on en peut faire à l’extremité; la prudence se -change en passion, la colere, s’il y en a tant soit peu, se tourne en -rage, toute la conduite s’en va en confusion, les biens mêmes & la vie -ne se mettent pas en consideration, s’il les faut perdre pour defendre -la divinité de quelque dent de singe, d’un bœuf, d’un chat, d’un oignon, -ou de quelque autre idole encore plus ridicule, [213]_nulla siquidem res -efficacius multitudinem movet quàm superstitio_. (Q. Curt. l. 4.) Et en -effet ç’a toujours esté le premier masque que l’on a donné à toutes les -ruses & tromperies pratiques aux trois differences de vie, ausquelles -nous avons déja dit, que l’on pouvoit rapporter les Coups d’Estat. Car -pour ce qui est de la Monastique, nous avons l’exemple dans S. Hierôme -(_epist. 13. lib. 2._) de ces vieux moines de la Thebaïde, qui -[214]_dæmonum contra se pugnantium portenta fingunt, ut apud imperitos & -vulgi homines miracula sui faciant & lucra sectentur_. A quoy nous -pouvons rapporter la tromperie que firent les prestres du Dieu Canopus, -pour le rendre superieur au feu qui estoit le Dieu des Perses; -l’invention du Chevalier Romain Monde, pour jouïr de la belle Pauline -sous le nom d’Esculape, les visions supposées des Jacobins de Berne, & -les fausses apparitions des Cordeliers d’Orleans, qui sont toutes trop -communes & triviales pour en faire icy un plus long recit. Que si l’on -doute qu’il ne se commette un pareil abus dans l’œconomie, il ne faut -que lire ce que Rabby Moses écrit des Prestres de l’Idole Thamuz ou -Adonis, qui pour augmenter leurs offrandes, le faisoient bien souvent -pleurer sur les iniquitez du peuple, mais avec des larmes de plomb -fondu, au moyen d’un feu qu’ils allumoient derriere son image; & certes -il n’y aura plus d’occasion d’en douter, aprés avoir leu dans le dernier -Chapitre de Daniel, comme en couvrant de cendres le pavé de la Chapelle -de l’Idole Bel, il découvrit que les Prestres avec leurs femmes & enfans -venoient enlever de nuict par des conduits sousterrains, tout ce que le -pauvre peuple abusé croyoit estre mangé par ce Dieu qu’ils adoroient -sous la figure d’un dragon. Finalement pour ce qui est de la Politique, -il faut un peu s’y étendre davantage, puis que c’est nostre principal -dessein, & montrer en quelle façon les Princes ou leurs Ministres, -[215]_quibus quæstui sunt capti superstitione animi_, (Livius l. 4.) ont -bien sceu ménager la Religion, & s’en servir comme du plus facile & plus -asseuré moyen, qu’ils eussent pour venir à bout de leurs entreprises -plus relevées. Je trouve doncques qu’ils en ont usé en cinq façons -principales, sous lesquelles par aprés on en peut rapporter beaucoup -d’autres petites. La premiere & la plus commune & ordinaire est celle de -tous les Legislateurs & Politiques, qui ont persuadé à leurs peuples, -d’avoir la communication des dieux, pour venir plus facilement à bout de -ce qu’ils avoient la volonté d’executer: comme nous voyons qu’outre ces -anciens que nous avons rapportez cy-dessus, Scipion voulut faire croire -qu’il n’entreprenoit rien sans le Conseil de Jupiter Capitolin, Sylla -que toutes ses actions estoient favorisées par Apollon de Delphe, duquel -il portoit toujours une petite image; & Sertorius que sa biche luy -apportoit les nouvelles de tout ce qui estoit conclu dans le concile des -Dieux. Mais pour venir aux Histoires qui nous sont plus voisines, il est -certain que par de semblables moyens Jacques Bussularius domina quelque -temps à Pavie, Jean de Vicence à Boulogne, & Hierôme Savanarole à -Florence, duquel nous avons cette remarque dans Machiavel: (sur T. Liv.) -_Le peuple de Florence n’est pas beste, auquel neanmoins F. Hierôme -Savanarole a bien fait croire qu’il parloit à Dieu._ Il n’y a pas plus -de soixante ans que Guillaume Postel en voulut faire de même en France, -& depuis peu encore Campanelle en la haute Calabre: mais ils n’en purent -venir à bout, non plus que les precedens, pour n’avoir pas eu la force -en main; car comme dit Machiavel, cette condition est necessaire à tous -ceux qui veulent établir quelque nouvelle Religion. Et en effet ce fut -par son moyen que le Sophi Ismaël, ayant par l’avis de Treschel Cuselbas -introduit une nouvelle secte en la religion de Mahomet, il usurpa en -suite l’Empire de Perse, & il arriva presque en même temps, que -l’Hermite Schacoculis, aprés avoir bien joüé son personnage l’espace de -sept ans dans un desert, leva enfin le masque, & s’estant declaré -autheur d’une nouvelle secte, il s’empara de plusieurs villes, defit le -Bascha d’Anatolie, avec Corcut fils de Bajazet, & eut bien passé plus -outre, s’il n’eust irrité par le sac d’une caravane le Sophi de Perse, -qui le fit tailler en pieces par ses soldats. Lipse met encore avec -ceux-cy un certain Calender, qui par une devotion simulée ébranla toute -la Natolie, & tint les Turcs en cervelle, jusques à ce qu’il fust défait -en une bataille rangée; & un Ismaël Africain qui prit cette voye pour -ravir le sceptre à son maistre le Roy de Maroc. - - [213] Il n’y a rien qui fasse agir plus efficacement la populace, que - la superstition. - - [214] Feignent des monstres & Demons qui se batent contre eux, pour - persuader leurs miracles aux idiots & au menu peuple, & pour aquerir - du bien. - - [215] Qui font leur profit des esprits adonnés à la bigoterie. - -La seconde invention de laquelle ont usé les Politiques pour se -prevaloir de la religion parmy les peuples, a esté de feindre des -miracles, controuver des songes, inventer des visions, & produire des -monstres & des prodiges: - - [216]_Quæ vitæ rationem vertere possent, - Fortunasque omnes magno turbare timore._ - - [216] Qui pussent changer la façon de vivre, & troubler toutes les - fortunes par une grande crainte. - -Ainsy voyons nous qu’Alexandre ayant esté avisé par quelque Medecin d’un -remede souverain contre les flesches empoisonnées de ses ennemis, il fit -croire que Jupiter le luy avoit revelé en songe: & Vespasian attitroit -des personnes qui feignoient d’estre aveugles & boiteuses, afin qu’il -les guerist en les touchant; c’est aussi pour cette raison que Clovis -accompagna sa conversion de tant de miracles; que Charles Sept augmenta -le credit de Jeanne la Pucelle, & l’Empereur d’apresent celuy du Pere à -Jesus Maria; sous esperance peut-estre de gagner encore quelque bataille -non moindre que celle de Prague. - -La troisiéme a pour fondement les faux bruits, revelations, & -propheties, que l’on fait courir à dessein pour épouvanter le peuple, -l’étonner, l’ébranler, ou bien pour le confirmer, enhardir & encourager, -suivant que les occasions de faire l’un ou l’autre se presentent. Et à -ce propos Postel remarque, que Mahomet entretenoit un fameux Astrologue, -qui ne faisoit autre chose que prescher une grande revolution, & un -grand changement qui se devoit faire, tant en la religion, qu’en -l’Empire, avec une longue suite de toutes sortes de prosperitez, afin de -frayer par cette invention le chemin au même Mahomet, & preparer les -peuples à recevoir plus volontiers la religion qu’il vouloit introduire, -& par même moyen intimider ceux qui ne la voudroient pas approuver, par -le soupçon qu’ils pouvoient avoir de combattre contre l’ordre des -destinées, en s’opposant à ce nouveau favory du Ciel, celuy-là estant -toujours le plus avantagé, - - [217]_Cui militat æther - Et conjurati veniunt ad classica venti._ - - [217] Pour qui le ciel combat, & les vents d’un commun accord vienent - au son de ses trompettes. - -Ce fut par le moyen de ces folles creances que Ferdinand Cortez occupa -le Royaume de Mexique, où il fut receu comme s’il eust esté le -Topilchin, que tous les devins avoient predit devoir bien-tost arriver. -Et François Pizarre dans celuy du Perou, où il entra avec le general -applaudissement de tous les peuples, qui le prenoient pour celuy que le -Viracoca devoit envoyer pour delivrer leur Roy de la captivité. -Charlemagne même penetra bien avant dans l’Espagne au moyen d’une -vieille idole, qui comme les devins avoient preveu laissa tomber une -grosse clef qu’elle tenoit en la main; & les Alarbes ou Sarasins venant -sous la conduite du Comte Julian, à inonder le même Royaume d’Espagne, -on ne tint presque conte de les repousser, parce qu’on avoit veu quelque -temps auparavant leurs faces depeintes sur une toile qui fut trouvée -dans un vieil Chasteau proche la ville de Tolede, où l’on croyoit -qu’elle avoit esté enfermée par quelque grand Prophete. Et j’ose bien -dire avec beaucoup d’Historiens, que sans ces belles predictions, -Mahomet II n’auroit pas si facilement pris la ville de Constantinople. -Mais veut-on un exemple plus remarquable, que celuy qui arriva en l’an M -DC XIII, au sujet d’Ascosta Cité principale de l’Isle de Magna, laquelle -estant revoltée contre le Sophi, elle fut prise sans beaucoup de -difficulté par son Lieutenant Arcomat, & ce en vertu d’une certaine -prophetie receuë par tradition entre les citoyens, qui disoit que si -cette ville ne se rendoit à Arcomat, elle seroit Arcomatée, c’est à dire -que si elle ne se rendoit à _Dissipe_ elle seroit dissipée, encore que -si elle eust voulu se defendre, elle n’eust peut-estre pas esté prise, -veu qu’au rapport de Garcias _ab Horto_ Medecin Portugais, qui y avoit -esté trente ou quarante ans auparavant, elle contenoit cinq lieuës de -tour, cinquante mille feux, & rendoit au Sophi quinze millions six cens -mille escus chaque année de revenu asseuré. C’est doncques un grand -chemin ouvert aux Politiques pour tromper & seduire la sotte populace, -que de se servir de ces predictions pour luy faire craindre ou esperer, -recevoir ou refuser tout ce que bon luy semblera. - -Mais celuy d’avoir des Predicateurs & de se servir d’hommes bien-disans -est encore beaucoup plus court & plus asseuré, n’y ayant rien de quoy -l’on ne puisse facilement venir à bout par ce stratageme. La force de -l’eloquence & d’un parler fardé & industrieux, coule avec tel plaisir -dans les oreilles, qu’il faut estre sourd, ou plus fin que Ulysses, pour -n’en estre pas charmé; Aussi est-il vray, que tout ce que les Poëtes ont -écrit des douze labeurs d’Hercules, trouve sa mythologie dans les -differents effets de l’eloquence, par le moyen de laquelle ce grand -homme venoit à bout de toutes sortes de difficultez; c’est pourquoy les -anciens Gaulois eurent bonne raison de le representer avec beaucoup de -petites chaisnes d’or qui sortoient de sa bouche, & s’alloient attacher -aux oreilles d’une grande multitude de personnes qu’il trainoit ainsi -enchainée aprés soy. Ce fut encore par ce moyen que - - [218]_Sylvestres homines sacer interpresque deorum, - Cædibus & victu fœdo deterruit Orpheus, - Dictus ob hoc lenire Tygres, rabidosque Leones._ - -(Horat. de Art. poët.) - - [218] Le divin Orphée interprete des Dieux a retiré du meurtre & de la - barbarie les hommes sauvages; ce qui luy a donné le bruit d’avoir - trouvé l’invention d’adoucir les Tygres & les Lyons furieux. - -Et par la même raison Philippe Roy de Macedoine, l’un des grands -Politiques qui ait jamais esté, & qui sçavoit fort bien que [219]_omnia -summa ratione gesta etiam fortuna sequitur_, (T. Liv.) ne se soucioit -point de combattre ouvertement & à main forte contre les Atheniens, veu -qu’il luy estoit plus facile de les surmonter par l’eloquence de -Demosthenes, & par les resolutions prejudiciables qu’il faisoit passer -au Senat. Pericles s’aidoit pareillement du beau parler d’Ephialte, pour -rendre le même Estat des Atheniens du tout populaire; & c’est pour cette -raison que l’on disoit anciennement, que les Orateurs avoient le même -pouvoir sur la populace que les vents ont sur la mer. Aprés quoy s’il -faut aussi parler de nostre France, ne sçait-on pas que cette fameuse -Croisade entreprise avec tant de zele par Godefroy de Boüillon, fut -persuadée & concluë par les harangues & predications d’un simple homme -surnommé Pierre l’Hermite, comme la seconde par celles de Saint Bernard; -Quoy plus y eut-il jamais un meurtre plus meschant, & plus abominable -que celuy de Louys Duc d’Orleans fait l’an 1407, par le Duc de -Bourgogne? Neanmoins il se trouva Maistre Jean Petit Theologien & grand -Predicateur, qui le sceut si bien pallier, couvrir & déguiser par les -sermons qu’il fit à Paris dans le parvis de Nostre-Dame, que tous ceux -qui vouloient par aprés soustenir le party de la Maison d’Orleans -estoient tenus par le peuple pour mutins & rebelles; ce qui les -contraignit d’user du même artifice que leur ennemy, & de se mettre sous -la protection de ce grand homme de bien Jean Gerson, qui entreprit leur -defense, & fit declarer au Concile de Constance la proposition tenuë par -Petit, pour heretique & erronée. Mais comme ce Jean Petit avoit esté -cause d’un grand mal sous Charles VI, il y eut un frere Richard -Cordelier sous Charles VII, qui fut aussi cause d’un grand bien; car en -dix predications de six heures chacune qu’il fit dans Paris, il fit -jetter dans des feux allumez tout exprés aux carrefours, tout ce qu’il y -avoit de tables, tabliers, cartes, billes, billards, dez, & autres jeux -de sort ou de chance, qui portent & violentent les hommes à jurer & -blasphemer: mais ce bon homme ne fut pas si-tost sorti de Paris qu’on -commença à le mépriser & à le gausser ouvertement, & le peuple retourna -avec plus d’application qu’auparavant, à ses divertissemens ordinaires: -ne plus ne moins que les metamorphoses étranges, & les conversions, s’il -faut ainsi dire, miraculeuses que faisoit, il n’y a pas vingt ans, le -Pere Capucin _Giacinto da Casale_ par toutes les villes d’Italie où il -preschoit, ne duroient qu’autant de temps que ledit Pere y demeuroit -pour y exercer les fonctions de cette charge. Que si nous descendons au -regne de François Premier, nous y verrons cette grande & furieuse -bataille de Marignan, donnée avec tant d’obstination & d’animosité par -les Suisses, qu’ils combattirent deux jours entiers, & se firent presque -tous étendre sur la place, sans neanmoins en avoir eu d’autre sujet plus -pressant que la Harangue que leur fit le Cardinal de Sion nommé dans -Paul Jove (_in elog._) [220]_Sedunensis Antistes_; car aprés l’avoir -entendu haranguer, ils se resolurent de combattre, livrerent la -bataille, & contesterent la victoire jusques à la derniere goutte de -leur sang. Nous y verrons aussi comme Monluc Evêque de Valance, fut -envoyé vers les Venitiens pour legitimer par ses belles paroles, le -secours que son Maistre faisoit venir de Turquie pour se defendre contre -l’Empereur Charles V, & lors que la S. Barthelemy fut faite, le même -Monluc & Pibrac, travaillerent si bien de la plume & de la langue, que -cette grande execution ne put détourner, comme nous l’avons déja -remarqué, les Polonois, quoy que instruits particulierement de tout ce -qui s’y estoit passé par les Calvinistes, de choisir Henry III pour leur -Roy, au prejudice de tant d’autres Princes qui n’avoient rien épargné -pour venir à bout de leurs pretentions. Ne fut-ce pas aussi une chose -remarquable, que le premier siege de la Rochelle, fut mieux soustenu par -les continuelles predications de quarante Ministres qui s’y estoient -refugiez, que par tous les Capitaines & Soldats dont elle estoit assez -bien fournie? Et du temps que les Parisiens mangeoient les Chiens & les -Rats pour n’obeïr pas à un Roy heretique, n’estoit-ce pas Boucher, Rose, -Wincestre, & beaucoup d’autres Curez qui les entretenoient en cette -resolution? Certes il est tres-constant que si le Ministre Chamier -n’eust esté emporté d’un coup de canon sur les bastions de Montauban, -cette ville n’auroit peut-estre pas donné moins de peine à prendre que -la Rochelle. Et lors que Campanelle eut dessein de se faire Roy de la -haute Calabre, il choisit tres à propos pour compagnon de son -entreprise, un frere Denys Pontius, qui s’estoit acquis la reputation du -plus eloquent, & du plus persuasif homme qui fust de son temps. Aussi -voyons nous dans l’ancien Testament que Dieu voulant delivrer son peuple -par le moyen de Moyse, qui n’estoit bon qu’à commander, à cause qu’il -estoit begue & homme de fort peu de paroles, il luy enjoignit de se -servir de l’eloquence de son frere Aaron. [221]_Aaron frater tuus -levites, scio quod eloquens sit, loquere ad eum, & pone verba mea in ore -ejus_, (Exodi cap. 4.) & un peu aprés il repete encore, [222]_ecce -constitui te Deum Pharaonis, & Aaron frater tuus erit Propheta tuus, tu -loqueris ei omnia quæ mandabo tibi, & ille loquetur ad Pharaonem_. (cap. -7.) C’est ce que les Payens vrais Singes de nos Mysteres, ont depuis -voulu representer par leur Pallas Deesse des sciences & de l’eloquence, -laquelle neanmoins estoit armée de la lance, bouclier, & bourguignote, -pour monstrer que les armes ne sçauroient beaucoup avancer sans -l’eloquence, ny l’eloquence sans les armes. Or d’autant que cette -liaison & assemblage de deux si differentes qualitez, ne se peut que -fort rarement trouver en une même personne, comme a fort bien monstré -Virgile par l’exemple de Drances, - - [223]_Cui lingua melior, sed frigida bello - Dextra._ - - [219] La fortune accompagne tout ce qu’on fait avec un grand - raisonnement. - - [220] Prelat de Sion. - - [221] Je sçay que ton frere Aaron le Levite est eloquent, parle à luy, - & luy mets mes paroles en sa bouche. - - [222] Voicy, je t’ay établi Dieu sur Pharaon, & ton frere Aaron sera - ton Prophete; tu luy diras tout ce que je t’ordonneray, & il le dira - lui-même à Pharaon. - - [223] Qui a la langue bonne, mais ses mains sont froides au combat. - -Cela a esté cause, que les plus grands Capitaines ont toujours observé -pour suppléer à ce defaut, d’avoir à leur suite, ou de se joindre -d’affection avec quelqu’un assez puissant, pour seconder par l’effort de -sa langue celuy de leur épée: Ninus par exemple se servit de Zoroastre, -Agamemnon de Nestor, Diomedes d’Ulysse, Pyrrhus de Cynée, Trajan de -Pline le Jeune, Theodoric de Cassiodore; & le même se peut ainsi dire de -tous les grands guerriers qui n’ont pas moins que les precedens caressé -cette [224]_Venus verticordia_, & n’ont pareillement ignoré, que - - [225]_Cultus habet sermo & sapiens mirabile robur, - Imperat affectus varios, animumque gubernat._ - - [224] Venus qui change & tourne les cœurs où elle veut. - - [225] Un discours sage & bien poli a une merveilleuse force, il - gouverne l’esprit, & commande sur des passions diverses. - -Pour moy je tiens le discours si puissant, que je n’ay rien trouvé -jusques à cette heure, qui soit exempt de son empire, c’est luy qui -persuade, & qui fait croire les plus fabuleuses religions, qui suscite -les guerres les plus iniques, qui donne voile & couleur aux actions les -plus noires, qui calme & appaise les seditions les plus violentes, qui -excite la rage & la fureur aux ames les plus paisibles; bref c’est luy -qui plante & abat les heresies, qui fait revolter l’Angleterre & -convertir le Japon, - - [226]_Limus ut hic durescit, & hæc ut cera liquescit - Uno eodemque igne._ - -(Virg. Ecl. 4.) - - [226] Tout ainsi qu’un même feu endurcit la bouë & fait fondre la - cire. - -Et si un Prince avoit douze hommes de telle trempe à sa devotion, je -l’estimerois plus fort, & croirois qu’il se feroit mieux obeïr en son -Royaume, que s’il y avoit deux puissantes armées. Mais d’autant que l’on -se peut servir de l’eloquence en deux façons pour parler ou pour écrire; -il faut encore remarquer que cette seconde partie n’est pas de moindre -consequence que la premiere, & j’ose dire qu’elle la surpasse en quelque -façon; car un homme qui parle ne peut estre entendu qu’en un lieu & de 3 -ou 4000 hommes tout au plus, - - [227]_Gaude quod videant oculi te mille loquentem._ - - [227] Réjouï-toi de ce qu’il y a mille yeux qui te voient parler. - -Là où celuy qui escrit peut declarer ses conceptions en tous lieux, & à -toutes personnes. J’ajouste que beaucoup de bonnes raisons échapent -souvent aux oreilles par la precipitation de la langue, qui ne peuvent -si facilement tromper les yeux quand ils repassent plusieurs fois sur -une même chose. Et ce que les armes ne peuvent bien souvent obtenir sur -les hommes, ceux-cy le gagnent par une simple declaration ou manifeste. -C’est pourquoy François I, & Charles cinq ne se faisoient pas moins la -guerre avec leurs lettres & apologies, qu’avec les lances & les épées: & -nous avons veu de nostre temps, que la querelle du Pape & des Venitiens; -le debat sur le serment de fidelité en Angleterre; la faveur du Marquis -d’Ancre & Messieurs de Luyne en France, la guerre du Palatin en -Allemagne, & des Valtelins en Suisse, ont produit une infinité de -libelles autant prejudiciables aux uns que favorables aux autres. Ceux -qui ont veu les merveilleux effets qu’ont produit la Cassandre & l’Ombre -de Henry le Grand contre le Marquis d’Ancre, le Contadin Provençal & -l’Hermite du mont Valerien, contre Messieurs de Luyne; le Mot à -l’oreille & la voix publique, contre le Marquis de la Vieuville, -[228]l’_Admonitio_ même, & le _Mysteria Politica_ de Jansenius, contre -les bons desseins de nostre Roy. Ceux-là dis-je ne peuvent pas douter -combien de semblables écrits ont de force. Et Dieu veüille que ceux n’en -ayent pas tant contre l’estat present de la France qui sont -journellement envoyez de Bruxelles, ou qu’il se trouve des personnes -assez capables & affectionnées, pour defendre vigoureusement les -interests du Roy contre les mutinez, comme le Pere Paul l’Hermite a -courageusement defendu la cause des Venitiens; & Pibrac & Monluc celle -de Charles IX & de Henry III, contre les plus furieuses médisances de -tous les Calvinistes. - - [228] L’advertissement & les Mysteres Politiques. - -Mais aprés avoir amplement discouru de tous ces moyens pour accommoder -la Religion aux choses Politiques, il ne faut pas oublier celuy qui a -toujours esté le plus en usage, & plus subtilement pratiqué, qui est -d’entreprendre sous le pretexte de Religion ce qu’aucun autre ne -pourroit rendre valable & legitime. Et en effet le proverbe communément -usurpé par les Juifs, [229]_in nomine Domini committitur omne malum_, ne -se trouve pas moins veritable, que le reproche que fit le Pape Leon à -l’Empereur Theodose, [230]_privatæ causæ pietatis aguntur obtentu, & -cupiditatum quisque suarum religionem habet velut pedissequam_. De quoy -puis que les exemples sont si communs que tous les livres ne sont pleins -d’autre chose, je me contenteray, aprés avoir assez parlé de nos -François, de m’arrester icy sur les Espagnols & de suivre ponctuellement -ce que Mariana le plus fidele de leurs Historiens en a remarqué. Il dit -doncques en parlant des premiers Goths, qui occuperent les Espagnes, & -des guerres qu’ils faisoient pour se chasser les uns les autres, qu’ils -se servoient de la Religion comme d’un pretexte pour regner, & son -refrain ordinaire est, [231]_optimum fore judicavit religionis -prætextum_, (l. 6. c. 5.) en parlant du Roy Josenand qui se fit assister -des Bourguignons Arriens pour chasser le Roy Suintila; & lors qu’il est -question des Roys de Chintila, [232]_cum species religionis -obtenderetur_; (c. 6.) comme aussi décrivant en quelle façon Ervigius -avoit chassé le Roy Wamba, [233]_optimum visum est religionis speciem -obtendere_; (c. 7.) & quand deux freres de la Maison d’Arragon -[234]_violento imperiosi Pontificis mandato_ (c’estoit Boniface VIII) -s’armerent l’un contre l’autre, ce bon Pere remarque fort à propos, -qu’il n’y avoit rien de plus inhumain, que de violer ainsi les loix de -la nature, [235]_sed tanti fides religioque fuere_; (lib. 51. c. 1.) & -le même encore parlant de la Navarre, que Ferdinand [236]_immensa -imperandi ambitione_, osta à sa propre Niepce, il ajouste pour excuse, -[237]_sed species religionis prætexta facto est, & Pontificis jussa_. -(lib. 25. cap. ult.) Mais parce que ce ne seroit jamais fait de vouloir -alleguer tous les endroits où ce brave auteur a fait de semblables -remarques, j’attesteray tout son livre entier qui n’est plein d’autre -chose; & passant à Charles V, je produiray contre luy ce que disoit -François I, en son apologie de l’an 1537. _Charles veut empieter sur les -Estats sous couleur de Religion._ Et en parlant de la guerre -d’Allemagne, _l’Empereur sous couleur de religion armé de la ligue des -Catholiques, veut opprimer l’autre & se faire le chemin à la Monarchie_, -Ce qui fut aussi fort bien remarqué par Monsieur de Nevers au passage -que nous avons allegué cy-dessus. Finalement lors que le feu Roy Jacques -fut appellé à la Couronne d’Angleterre, le Roy d’Espagne se hasta de -noüer une étroitte alliance avec luy, le Connestable de Castille y fut -envoyé, la relation en a esté imprimée, & Rovida Senateur de Milan -appelle cette alliance une œuvre tres-sainte, reconnoist le Roy -d’Angleterre pour un tres-saint Prince Chrestien, luy offre de la part -du Roy son Maistre toutes ses forces par mer & par terre, & proteste que -le Roy d’Espagne le fait [238]_divinâ admonitione, divinâ voluntate, -divinâ ope, non nisi magno Dei beneficio_. Puis doncques que le naturel -de la plûpart des Princes est de traitter de la religion en Charlatans, -& de s’en servir comme d’une drogue, pour entretenir le credit & la -reputation de leur theatre, on ne doit pas, ce me semble, blâmer un -Politique, si pour venir à bout de quelque affaire importante, il a -recours à la même industrie, bien qu’il soit plus honneste de dire le -contraire, & que pour en parler sainement, - - [239]_Non sunt hæc dicenda palam, prodendaque vulgo, - Quippe hominum plerique mali, plerique scelesti._ - -(Palingen. in Libra.) - - [229] Sous le nom de Dieu on commet toute sorte de mal. - - [230] On traite des affaires privées sous le pretexte de la religion, - qu’un chacun rend chambriere de ses convoitises. - - [231] Il jugea que le pretexte de la religion seroit tres-bon. - - [232] Lors qu’on faisoit parade de la religion. - - [233] Il fut trouvé fort bon, de faire parade de la religion. - - [234] Par un ordre violent qu’un Pape imperieux donna. - - [235] Mais la foy & la religion eurent tant de force. - - [236] Par l’immense ambition qu’il avoit de commander à tous. - - [237] Mais il se couvrit du pretexte de la religion, & des ordres du - Pape. - - [238] Par un avertissement divin, par la volonté divine, par - l’assistance divine, & comme par une grande grace de Dieu. - - [239] On ne doit point découvrir ny reveler de telles choses au menu - peuple, veu que parmy les hommes il y en a tant de méchants & de - scelerats. - -Toutes ces maximes neanmoins demeureroient sans lustre, & sans éclat, si -elles n’estoient rehaussées, & comme animées d’une autre, qui nous -enseigne de les prendre par le bon biais, & de bien choisir l’heure & le -temps favorable pour les mettre en execution, - - [240]_Data tempore prosunt, - Et data non apto tempore multa nocent._ - - [240] Les choses qu’on applique opportunément, profitent & reüssissent - bien; mais il y en a beaucoup qui sont fort nuisibles, quand elles - ne sont pas appliquées en un temps propre. - -Et encore n’est-ce pas assez d’avoir acquis cette prudence ordinaire & -commune à beaucoup de Politiques, si nous ne passons à une autre encore -plus rafinée, & qui est seulement propre aux plus rusez & experimentez -Ministres, pour se prevaloir des occasions fortuites, & tirer profit & -avantage de ce qui auroit esté negligé de quelque autre, ou qui -peut-estre luy auroit porté prejudice. Telle fut l’occasion de cette -grande eclipse qui arriva sous l’Empereur Tibere, lors que toutes les -legions de Hongrie estoient si fierement revoltées, qu’il n’y avoit -quasi aucune apparence de les pouvoir appaiser; car un autre moins avisé -que Drusus eust negligé cette occasion, & n’eust jamais pensé d’en -pouvoir tirer quelque avantage; mais luy voyant que les mutins avoient -conceu une grande frayeur de cette obscurité, parce qu’ils n’en -sçavoient pas la cause, il prit l’occasion aux cheveux, & les intimida -de telle sorte, qu’il vint à bout par cet accident de ce à quoy tous les -autres Chefs, & luy-même auparavant desesperoient de pouvoir donner -ordre. Tel fut aussi le stratageme duquel le Roy Tullus couvrit -ingenieusement la retraitte de Metius Suffetius, voire même en tira un -avantage nompareil, faisant courir le bruit & passer parole d’escadron -en escadron, qu’il l’avoit envoyé pour surprendre ses ennemis, & leur -oster tout moyen de retraite: En suite de quoy je m’étonne bien fort, -comme T. Live & Corneille Tacite, qui rapportent ces deux Histoires, se -sont contentez d’en tirer des conclusions particulieres, & que le -premier ait seulement dit, [241]_Stratagema est, quæ in certamine à -transfugis nostris perfide fiunt, ea dicere fieri nostro jussu_; & -l’autre, [242]_In commoto populo sedando, convertenda in sapientiam & -occasionem mitigationis, quæ casus obtulit, & quæ populos ille pavet aut -observat etiam superstitiosè_, veu qu’il falloit tout d’un coup en tirer -cette regle generale, [243]_quæ casus obtulit in sapientiam vertenda_, -puis que non seulement aux trahisons, & aux mutineries, mais en toutes -autres sortes d’affaires & de rencontres, [244]_mos est hominibus_, -comme dit Cassiodore, _occasiones repentinas ad artes ducere_. Ainsi -lisons nous que Christophle Colomb, aprés avoir supputé le temps auquel -une grande eclipse devoit arriver, il menaça certains habitans du -nouveau Monde, de convertir la Lune en sang, & de la leur oster -entierement, s’ils ne luy fournissoient les rafraischissemens dont il -avoit besoin, & qui luy furent incontinent envoyez, dés aussi-tost que -l’eclipse commença de paroistre. J’ay remarqué cy-dessus que Ferdinand -Cortez fit croire aux habitans de Mexique, qu’il estoit le Dieu -Tophilchin, pour entrer plus facilement dans leur Royaume; & que -François Pizarre se servant du même stratageme en la conqueste du Perou, -se faisoit nommer le Viracoca. Ce fut encore par ce moyen que Mahomet -changea son epilepsie en extase, & que Charles V se servit de l’heresie -de Luther, pour diviser & affoiblir les Princes d’Allemagne, qui -pouvoient en demeurant unis controller l’autorité qu’il vouloit avoir -dans l’Empire, & empescher le projet qu’il avoit dressé d’une Monarchie -universelle. Disons encore que le même Empereur, n’ayant plus l’esprit & -le jugement assez fort pour gouverner un Estat si grand qu’estoit le -sien, & voyant d’ailleurs que la fortune naissante de Henry II, mettoit -des bornes à la sienne, se mocquoit de son [245]_plus ultra_, & faisoit -dire aux Pasquinades, - - [246]_Siste pedem Metis, hæc tibi meta datur._ - - [241] C’est un stratageme, que de dire, que ce que nos transfuges font - perfidement pendant le combat, se fait par nostre ordre. - - [242] Pour appaiser l’émotion d’un peuple, il faut tourner en sagesse - & en occasion de l’addoucir les choses que le cas fortuit presente, - & celles dont ce peuple s’épouvante, ou qu’il observe avec - superstition. - - [243] Il faut tourner en sagesse les choses que le cas fortuit - presente. - - [244] Les hommes ont accoutumé de mettre en œuvre & se servir - artificieusement des rencontres impreveües. - - [245] Plus outre. - - [246] Arreste toi à Mets, car c’est là la borne qui t’est donnée. - -Il couvrit toutes ces disgraces, du voile de Pieté & de Religion, -s’enfermant dans un cloistre, où il eut pareillement la commodité de -faire penitence du peché secret, qu’il avoit commis en la naissance d’un -fils bastard, qui luy estoit aussi neveu. Ainsi Philippe II, prit sujet -de casser tous les Privileges extraordinaires des Arragonois, sur la -protection qu’ils voulurent donner à Antonio Perez; & je trouve entre -nos Roys de France que Philippe premier augmenta beaucoup son Royaume, & -le delivra s’il faut ainsi dire de la Tutele des Maires du Palais, -pendant que tous les Princes de la France, & son Frere même estoient -occupez à combattre les Sarrasins, sous la conduite de Godefroy de -Boüillon; & pendant la troisiéme Croisade, on pourroit dire que Philippe -Auguste abandonna le Roy Richard d’Angleterre, pour s’en revenir en -France broüiller les affaires des Anglois, parce qu’en matiere d’Estat, -[247]_quædam nisi fallacia vires assumpserint, fidem propositi non -inveniunt, laudemque occulto magis tramite quàm via recta petunt_. (Val. -Max. l. 7. cap. 3.) - - [247] Il y a de certaines choses qui ne rencontrent pas la croyance - qu’on s’est proposée, si elles n’ont pris des forces par le moyen de - quelque tromperie, & qui cherchent plustost la loüange par quelques - sentiers cachez que par des voyes droites. - - - - -Chapitre V. - -Quelles conditions sont requises au Ministre avec qui l’on peut -concerter les Coups d’Estat. - - -L’on me pourra objecter icy que je ne devrois traitter des conditions du -Ministre, qu’aprés avoir parlé de celles du Prince, puis que c’est luy -qui donne le premier branle & mouvement à tout ce qui est fait dans son -Conseil, comme le premier mobile entraine tous les Cieux avec soy, & le -Soleil communique sa lumiere à tous les Astres & Planetes: Mais à cela -je puis répondre, que les Souverains nous sont donnez ou par succession -ou par élection; or de ces deux moyens le premier suit la nature, à -laquelle nous obeïssons ponctuellement, sans restriction ou -consideration d’aucune circonstance voire même, - - [248]_Dum pecudes auro, dum murice vestit Asellos._ - - [248] Quand il revest d’or les brebis, & les ânes de pourpre. - -Et le second dépend des brigues, monopoles, & cabales de ceux qui se -trouvent les plus riches, & les plus puissans d’amis, de faveurs, & -d’argent, pour satisfaire à leur ambition; de maniere que ce seroit -parler en vray pedant, de proposer ou de penser seulement, que les -considerations de la vertu & des merites, puissent avoir lieu parmy un -tel desordre. Mais pour ce qui est des Ministres, on en peut philosopher -d’autre façon, parce qu’ils dependent absolument du choix que le Prince -en peut faire; luy estant permis, voire même bien-seant & honorable, de -trier soigneusement d’entre tous ses amis ou domestiques, celuy qu’il -jugera estre le mieux conditionné pour le serieux employ où il le veut -mettre, [249]_Sapientissimum enim dicunt eum esse cui quod opus sit -veniat in mentem, proximè accedere, illum qui alterius bene inventis -obtemperet._ (Cicero pro Cluentio.) J’ajouste encore qu’outre l’honneur -que le Prince reçoit d’une telle election, il en retire une commodité -tres-grande, & si considerable, que s’il ne se veut negliger & -abandonner luy-même, il est presque necessité de proceder à cette -election, Velleius Paterculus ayant remarqué fort à propos, que -[250]_magna negotia magnis adjutoribus egent_, (lib. 2.) & Tacite, que -[251]_gravissimi Principis labores queis orbem terræ capessit, egent -adminiculis_. (12. Annal.) Joint que comme dit fort bien Euripides, -σοφὸς τύραννος τῶν σοφῶν συνουσίᾳ, [252]_princeps fit sapiens sapientum -commercio_. Et en effet les Histoires nous apprennent, que ceux-là ont -toujours esté estimez les plus sages entre les Princes, qui n’ont rien -fait de leurs testes, ny sans avis de quelque fidele & asseuré Ministre; -d’où vient qu’Alexandre avoit toujours auprés de soy Clitus & Ephestion: -qu’Auguste ne faisoit rien sans l’avis de Mecenas & d’Agrippa; que Neron -fut le meilleur des Empereurs pendant qu’il suivit le conseil de Burrus -& de Seneque; & pour venir à ce qui est plus de nostre connoissance, -Charles V & Philippes II, ont eu les Sieurs de Chevres, & Ruy de Gomez -pour confidents, tout ainsi que les intimes Conseillers de Charles VII, -furent en divers temps le Comte de Dunois, Louvet President de Provence, -Tannegui du Chastel, & un Comte de Dammartin. Pour ce qui est de son -fils Louys XI, comme il estoit d’un esprit défiant, variable, & toujours -trouble, aussi changea-t-il plusieurs fois de serviteurs secrets & -affidez, mais neanmoins il en avoit toujours quelqu’un à qui il se -communiquoit plus librement qu’aux autres, témoin le Cardinal Ballue, -Philippes de Comines, & son Medecin Cottier. Charles VIII en fit de même -du Cardinal Brissonet, & son successeur Louys XII, du Cardinal d’Amboise -qui le possedoit entierement. Le Roy François I avoit plus de fiance à -l’Amiral d’Annebaut qu’à nul autre, & Henry II, au Connestable de -Montmorency. Bref nous voyons dans la suite de nos Annales, que les deux -freres de Lorraine furent l’appuy de François II, le Cardinal Birague de -Charles IX, Monsieur d’Espernon de Henry III, Messieurs de Sully, -Villeroy, & Sillery de Henry IV, & Monseigneur le Cardinal de Richelieu -de nostre Roy Louys le Juste & le Triomphant. - - [249] Car on appelle le plus sage celuy, à qui vient en la pensée tout - ce dont il a besoin, & que celui-là en approche de bien prés qui - obeït aux bonnes inventions qu’un autre a trouvées. - - [250] Les grandes affaires ont besoin de grandes aides. - - [251] La plus grande peine qu’un Prince puisse prendre à gouverner le - monde, a besoin d’assistance. - - [252] Le Prince se rend sage par le commerce qu’il a avec les sages. - -Mais cette maxime estant établie comme tres-certaine & veritable, que -les Princes doivent avoir quelque Conseiller secret & affidé, les -Politiques se trouvent bien en peine à se resoudre, s’ils se doivent -contenter d’un seul, ou en avoir plusieurs en égal & pareil degré de -confidence. Car si l’on veut agir par raisons & par exemples, Xenophon -nous avertira d’un costé, que πολλοὶ βασιλέως ὀφθαλμοὶ καὶ πολλοὰ ὤτα, -[253]_multi debent esse Regis oculi, & multæ aures_, (l. 28. pæd.) & le -Triumvirat qui a si heureusement gouverné la France sous Henry IV, fera -foy de son dire, quand bien nous n’aurions pas l’exemple d’Auguste & des -anciens. D’ailleurs aussi nous sçavons qu’entre plusieurs [254]_non voto -vivitur uno_, & qu’en matiere d’affaires il n’y a rien de plus -prejudiciable, ny de plus fascheux que la diversité d’opinions; que la -haine, l’ambition, la vaine gloire ou passions semblables font bien -souvent proposer & autoriser, ce qui est directement contraire à la -raison, & Tacite remarque fort à propos, que [255]_cæde Messalinæ -convulsa est Principis domus, orto apud libertos certamine_: de sorte -que tout ainsi que le grand nombre de Medecins tuë souvent les malades, -le trop grand nombre de Conseillers ruine aussi presque toujours les -affaires. C’est pourquoy il me semble à propos pour accorder ces deux -opinions si differentes, d’user de quelque distinction, & de dire, que -si le Prince se juge assez fort, autorisé, judicieux, & capable pour -estre au dessus de ses Conseillers & Confidens, il est bon d’en avoir -trois ou quatre, parce que aprés qu’ils auront opiné sur quelque -incident, il en pourra tirer diverses ouvertures ou moyens, & choisir -celuy qu’il estimera plus expedient d’executer: Mais s’il est d’un -esprit foible, peu entendu & incapable de choisir le meilleur avis & le -faire suivre, il est sans doute plus expedient, qu’il ne se confie qu’à -un seul qu’il choisira pour le plus judicieux & mieux conditionné de -tous les autres; parce que s’il se commet à plusieurs, il peut arriver -que chacun d’eux aura ses interests particuliers differents, ses -intentions diverses, ses desseins tout à fait dissemblables, sur quoy le -Prince n’estant pas en estat de les regler, & de leur servir de chef, -les brigues & les partis se formeront dans son Conseil, l’ambition s’y -coulera, & la jalousie qui la suit d’aussi prés comme elle fait l’amour, -la raison n’y fera rien, & la passion y fera tout, le secret en sera -banny, & cependant le pauvre Prince sera inquieté d’une étrange façon, -il ne sçaura à quoy se resoudre, ny de quel costé se tourner, il servira -de fable à son peuple, & de joüet à la passion de ses Ministres. C’est -ce qui a esté tres-judicieusement remarqué par Tacite à propos de -l’Empereur Galba, [256]_quippe hiantes in magna fortuna amicorum -cupiditates, ipsa Galbæ facilitas intendebat; cum apud infirmum & -credulum minori metu, & majori præmio peccaretur_. Autant en arriva-t-il -à l’Empereur Claudius, & de nostre temps à Charles VIII, en ce qui -concernoit les affaires de Pise & Siene. Guicciardin fait la même -remarque de Clement VII, & les Politiques Italiens ont pris sujet d’en -former cet Axiome, [257]_Ogni volta che un Principe sarà in mano di più, -quando non habbia consiglio e prudenza da se, sarà preda da tutti_; où -au contraire s’il ne se fie qu’à un seul Ministre bien conditionné & -entretenu suivant les devoirs reciproques de maistre à serviteur, toutes -choses en iront beaucoup mieux pour le Prince, son credit luy sera -conservé, son autorité maintenuë, sa personne aimée, ses commandemens -executez, & tout son Estat en recevra des fruits pareils à ceux que -reçoit maintenant la France du sage gouvernement de Monseigneur le -Cardinal de Richelieu. - - [253] Le Roy doit avoir plusieurs yeux, & plusieurs oreilles. - - [254] On n’est pas toujours d’un même sentiment. - - [255] Par la mort de Messalina la maison du Prince fut toute - bouleversée, à cause de la contestation qui survint entre ses - affranchis. - - [256] Car la trop grande facilité de Galba augmentoit la convoitise de - ses amis, qui baailloient aprés une grande fortune; veu même que les - fautes que l’on commettoit auprés d’un esprit foible & credule comme - le sien, estoient suivies de moins d’apprehension, & de plus de - recompense. - - [257] Toutes les fois qu’un Prince se met entre les mains de - plusieurs, s’il n’a du conseil & de la prudence de soy-même, il sera - la proye de tous. - -Cela donc estant resolu qu’un Prince doit avoir quelque Ministre ou -Conseiller secret, fidele, & confident, il faut maintenant voir de -quelle façon il le peut choisir, & quelles qualitez il doit rechercher -en sa personne; ou pour mieux dire, de quelle condition il le doit -prendre, tant pour ce qui est du corps & des accidens qui le suivent, -que de l’esprit. Aprés quoy nous ajousterons aussi ce que doit -contribuer le Prince à la satisfaction de son Ministre, & mettrons fin à -ce present discours. - -Or pour ce qui est du premier point qui nous doit principalement -monstrer de quelle qualité, office ou sorte de personnes on peut prendre -un Ministre, je m’y trouve aussi empesché que l’estoit Vegece pour -resoudre de quel lieu & de quelle condition de personnes on pouvoit -choisir un bon soldat. Car comme toutes les affaires ne sont pas -semblables, aussi toutes sortes de personnes ne sont pas toujours bonnes -à toutes sortes de negociations, non plus que tout bois n’estoit -anciennement propre à faire la statue de Mercure. Je diray neanmoins -pour vuider ce different, qu’il faut distinguer entre le Ministre de -Conseil, & le Ministre d’execution, car encore que l’on leur puisse -donner à tous deux cet avertissement rapporté par T. Live, (_lib. 24._) -[258]_magis nullius interest quàm tua, T. Ofacili, non imponi cervicibus -tuis onus, sub quo concidas_; il faut neanmoins pour les considerer tous -deux en particulier, y apporter aussi des conditions differentes, & dire -pour ce qui est du dernier, qu’on ne peut manquer de le tirer d’entre -les plus nobles & illustres familles, afin qu’il exerce la charge & le -commandement qu’on luy donnera, avec plus d’éclat, de grandeur & -d’autorité. Il faut aussi prendre garde qu’il ait l’inclination & la -suffisance proportionnée à l’employ auquel il est destiné, - - [259]_Nec enim loricam poscit Achillis Thersites._ - - [258] Il t’importe plus qu’à aucun autre, Titus Ofacilius, de ne te - charger pas d’un fardeau dont tu puisses estre accablé. - - [259] Car un Thersite ne demande pas la cuirasse d’Achilles. - -Et comme un Appius ne duisoit aucunement aux affaires populaires, Cleon -n’entendoit pas la conduite d’une armée, Philopœmen ne sçavoit nullement -commander sur mer, Pericles n’estoit bon que pour gouverner, Diomedes -que pour combattre, Ulysse que pour conseiller; il faut de même tirer -avantage de ces diverses inclinations, afin d’appeller à chaque vacation -celuy qui pour y avoir du naturel, la peut exercer avec honneur & -satisfaction; autrement ce seroit faire tort à ceux qui sont nez pour -commander, de les assujettir aux autres, qui ne sont faits que pour -obeïr; à ceux qui ne sont pas hardis & belliqueux, de leur donner la -conduite d’une armée; & d’employer aux Ambassades ceux qui ne sçavent ny -parler ny haranguer; estant beaucoup plus à propos, comme nous avertit -un Ancien, [260]_quemque cuique functioni pro indole admovere_: mais -pour ce qui est du choix d’un Ministre secret, je croy qu’on en peut -discourir d’autre façon, & pour resoudre le doute proposé cy-dessus si -on le doit tirer d’entre les familles illustres de l’Estat, ou des -personnes de mediocre condition; il me semble qu’on le peut faire de -toutes les deux sortes indifferemment, parce que [261]_dum nullum -fastidiretur genus in quo eniteret virtus, crevit imperium Romanum_. (T. -Livius lib. 4.) Il y a toutefois ces difficultez du costé des nobles & -grands Seigneurs, qu’ils sont enviez des autres, que bien souvent au -lieu d’obeïr ils veulent commander, qu’ils conseillent plutost le Prince -suivant leur interest particulier, que le bien de l’Estat, qu’ils -veulent avancer leurs creatures, & ruiner ceux qui sont contraires à -leur cabale; qu’ils veulent bien souvent entreprendre sur l’autorité de -leur Maistre, comme firent les Maires du Palais en France, qu’ils -broüillent le Royaume pour se rendre necessaires, qu’ils ne sont jamais -contens de ce qu’on leur donne, comme estant toujours au dessous de ce -qu’ils pensent avoir merité, soit pour leurs services ou pour la -grandeur de leur maison; bref il me semble qu’en cette occasion, où l’on -n’a que faire de la noblesse & dignité des personnes, mais plutost de -leur avis, conseil, & jugement, un Marquis, un Duc, un Prince, ne -peuvent pas mieux rencontrer que les hommes de mediocre condition, & -peuvent causer beaucoup plus de mal; où au contraire ceux-cy peuvent -faire autant de bien, ne coustent pas tant, se rendent plus sujets, plus -faciles & traitables, & sont beaucoup moins à craindre. Et à la verité -Seneque avoit raison de dire, [262]_nulli præclusa est virtus, omnes -admittit, nec censum, nec sexum eligit_. (in epistol.) A propos de quoy -Tacite remarque que les Allemans prenoient même conseil de leurs femmes, -[263]_nec consilia earum aspernabantur, nec responsa negligebant_. (de -morib. Germ.) Ce que Plutarque confirme aussi des Lacedemoniens, & -beaucoup d’Historiens, des Empereurs Auguste & Justinien; & Cecilius -disoit fort bien dans les Tusculanes de Ciceron, [264]_sæpe etiam sub -sordido pallio latet sapientia_. Ce sont les occasions, l’employ, & les -affaires qui la découvrent, & qui la font briller & éclatter. Si l’on -n’eust employé Matthieu Paumier Florentin, à l’ambassade de laquelle il -s’acquita si dignement, envers le Roy Alphonse, on auroit toujours creu -qu’il n’estoit bon qu’à battre le mortier pour faire des medecines & -clysteres; si le Cardinal d’Ossat ne se fust rencontré dans les affaires -de la Cour de Rome, on se fust toujours persuadé qu’il n’estoit propre -qu’à pedanter dans les Colleges de Paris & à defendre Ramus contre -Charpentier. Et le semblable peut-on dire encore des Cardinaux Balue, -Ximenes, & du Perron, [265]_quorum nobilitas sola fuit atque unica -virtus_. L’on dit que de toutes tailles bons Levriers, & pourquoy non de -toutes sortes de conditions de bons esprits: Cardan estoit Medecin, -Bodin Advocat, Charon Theologien, Montagne Gentilhomme, la Nouë Soldat, -& le Pere Paul Moine: enfin - - [266]_Sæpe etiam est olitor verba opportuna locutus._ - - [260] D’employer chacun à la fonction dont son genie est plus capable. - - [261] L’empire Romain s’est toujours augmenté, pendant qu’on n’a point - dedaigné ceux où l’on voyoit éclater la vertu, de quelle condition - qu’ils fussent. - - [262] La vertu n’est inaccessible à personne; elle reçoit un chacun, & - ne fait choix, ny de condition ny de sexe. - - [263] Ils ne méprisoient pas leurs conseils, & ne negligeoient pas - leurs réponses. - - [264] Et souvent aussi il y a de la sagesse cachée sous un vilain - manteau. - - [265] Qui n’avoient point d’autre noblesse que leur seule vertu. - -C’est pourquoy je n’exclus personne de cette charge, non les étrangers, -parce que Tibere [267]_subinde res suas quibusdam ignotis mandabat_, -(Tacit. 4. Annal.) & que Charles V se servit de Granvelle, François I de -Trivulse, Henry II de Strozzi, & Charles IX du Cardinal de Birague. Non -les jeunes, parce que [268]_cani indices ætatis non sapientiæ_, & que -Ciceron nous avertit, [269]_ab eximia virtute progressum ætatis -expectari non oportere_, (Philip. 5.) témoin les exemples de Josephe, -David, Ephestion, & Papyrius. Non les vieux, puis que Moyse par le -conseil de son beau-pere Jethro, en choisit LXX pour gouverner avec luy -le peuple d’Israël; & que Louys XI pensa estre accablé par la guerre du -bien public, pour n’avoir pas voulu croire aux vieux Conseillers, que -son Pere luy avoit laissez. Non les ignorans, puis que, comme dit -Seneque, [270]_paucis ad bonam mentem opus est literis_, & que suivant -l’opinion de Thucydides les esprits grossiers sont plus propres à -gouverner des peuples, que ceux qui sont plus subtils & épurez; les -grands esprits ayant cela de propre qu’ils sont plus portez à innover -qu’à negotier, _novandis quàm gerendis rebus aptiora_, (Curt. l. 4.) à -dépendre qu’à conserver, à poursuivre leur pointe avec obstination qu’à -ceder ou s’accommoder à la necessité des affaires, & à traitter enfin -avec des Anges ou intelligences, qu’avec des hommes, [271]_quod enim -celeriter arripiunt, id quum tardè percipi vident discruciantur_. (Cic. -pro Roscio.) Non les lettrez, veu que [272]_Imperator Alexander -consiliis togæ & militiæ literatos adhibebat, & maxime eos qui historiam -norant_, (Lamprid. in eo.) joint que le Cardinal de Richelieu a esté -tiré du fond de sa Bibliotheque pour gouverner la France. Non les -Philosophes, à cause de Xenophon, Seneque & Plutarque. Non les Medecins, -puis que Oribase par ses bons conseils & avis éleva Julien à l’Empire, -que Apollophanes estoit chef du Conseil d’Antiochus, qu’Estienne fut -envoyé par l’Empereur Justinien à Cosroës, que Jacques Cottier & Olivier -le Dain furent des principaux Conseillers de Louys XI, le Pere de -Monsieur le Chancelier de l’Hospital de Charles de Bourbon, & Monsieur -Miron du Roy Henry III. Non les Moines à cause du Pere Paul de Venise, -ny pour finir, telles autres sortes de personnes que ce soit, pourveu -qu’elles ayent les conditions que nous expliquerons cy-aprés; -[273]_magna enim ingenia sæpe in occulto latent_, comme disoit Plaute, -(_in Capt._) & la Prudence & Sagesse ne fait point choix de personnes, -elle habite aussi-bien dans le tonneau de Diogenes, aux écoles, sous un -froc, & sous des méchans haillons, que parmy les delices & somptuositez -d’un Palais. Tant s’en faut, [274]_nescio quomodo factum est, ut semper -bonæ mentis soror sit paupertas_. - - [266] Un jardinier même a dit souvent de bonnes choses. - - [267] Commettoit quelquefois l’administration de ses affaires à des - gens inconnus. - - [268] Les cheveux blancs sont les marques de l’âge, & non de la - sagesse. - - [269] Qu’il ne faut pas attendre le progrés de l’âge d’une - extraordinaire vertu. - - [270] Un bon esprit n’a pas besoin de beaucoup de lettres. - - [271] Car ils enragent de voir aller lentement ce qu’ils ont entrepris - avec precipitation. - - [272] L’Empereur Alexandre employoit aux conseils de la robe & de la - guerre des hommes lettrez, & particulierement ceux qui sçavoient - l’histoire. - - [273] Car il arrive souvent que les grands esprits demeurent cachez. - - [274] Je ne sçay comment il est arrivé que la pauvreté soit toujours - la sœur & la compagne du bon esprit. - -Or les conditions que le Ministre doit apporter & contribuer du sien au -service de son Prince, ne se peuvent expliquer qu’assez difficilement. -C’est ce qui a fait suer tant d’écrivains, ce qui a ouvert la carriere à -tant de discours, & ce qui a produit tant de livres sur l’idée, -l’exemple & la parfaite description du bon Conseiller, du fidele -Ministre, du prudent Politique, & de l’homme d’Estat, quoy que tous ces -auteurs ayent plutost ressemblé aux Archers de Diogenes, qui sembloyent -tirer au plus loing du but, qu’à Ciceron en son livre de l’Orateur, ou à -Xenophon en son Prince. Pour moy qui n’ay pas entrepris comme eux de -publier un gros livre de toutes les vertus, sous ombre de trois ou -quatre qui sont necessaires à un Ministre, je diray premierement: Que je -le veux estre tel en effect qu’il sera en predicament, connu du Prince, -& choisi de luy-même par la seule consideration de ses merites, sans -autre recommendation que de sa propre vertu, [275]_virtute enim ambire -oportet non favitoribus_. Beaucoup qui viennent sur le theatre du monde -pour entrer aux honneurs & confidences, y paroissent bien souvent -revestus d’ornemens empruntez, de faveurs, d’amis, d’argent, de -sollicitations & poursuites ambitieuses, ils s’y presentent comme la -Corneille d’Esope couverts des plumes d’autruy, & font parade de ce qui -n’est pas à eux, pour obtenir ce qu’ils ne meritent pas; mais leur -nudité paroist toujours à travers de ces habits, qu’ils n’ont que par -emprunt, & qui les expose aussitost à la honte sur le propre Theatre de -la gloire. Il faut doncques qu’un homme qui se veut maintenir en credit -& en reputation jusques à la fin, entre & penetre dans le credit & la -bonne opinion de son Maistre, orné comme l’estoit Hippias Eleus de -vestemens faits de sa main, de sçavoir, de prudence, de vertu, de -merite, de courage, bref de choses qui soient de son propre creu: il -faut que comme le Soleil il produise du dedans la lumiere qu’il éclaire -au dehors, de peur qu’il ne ressemble à la Lune, qui n’ayant ce qui la -fait luire que par emprunt, monstre bien-tost sa defaillance. Mais parce -que ce n’est rien de parler des merites en general, si l’on ne determine -en particulier, quelles sont les vertus qui les composent; je croy qu’on -les peut toutes rapporter à trois principales, sçavoir la Force, la -Justice, & la Prudence. Sur lesquelles je me veux un peu étendre, pour -les expliquer d’une façon moins triviale & commune que celle des écoles. - - [275] Car il faut aspirer aux charges par la vertu & non pas par le - moyen des fauteurs. - -Par la force j’entens certaine trempe & disposition d’esprit toujours -égale en soy, ferme, stable, heroïque, capable de tout voir, tout oüir, -& tout faire, sans se troubler, se perdre, s’étonner; laquelle vertu se -peut facilement acquerir en faisant des continuelles reflexions sur la -condition de nostre nature foible, debile, & sujette à toutes sortes de -maladies & d’infirmitez, sur la vanité des pompes & honneurs de ce -monde; sur la foiblesse & imbecillité de nostre esprit; sur les -changemens & revolutions des affaires; sur les diverses faces & -metaschematismes du Ciel & de la terre; sur la diversité des opinions, -des sectes, des religions, sur le peu de durée de toutes choses; bref -sur les grands avantages qu’il y a de fuïr le vice & de suivre la vertu. -Aussi est-ce à peu prés comme l’a décrite Juvenal par ces beaux vers de -sa X. Satyre. - - [276]_Fortem posce animum, mortis terrore vacantem, - Qui spatium vitæ extremum inter munera ponat - Naturæ, qui ferre queat quoscunque dolores, - Nesciat irasci, cupiat nihil, & potiores - Herculis ærumnas ducat sævosque labores - Et Venere, & plumis, & cœnis Sardanapali._ - - [276] Demandez un esprit qui soit gueri des craintes de la mort, qui - mette au rang des presens de la Nature le dernier terme de la vie, - qui puisse endurer toutes sortes de fatigues, qui ne se fasche - point, qui ne desire rien, & qui estime davantage les peines - d’Hercule, & ses longs travaux, que les delices, les festins, & les - plumes (_licts_) de Sardanapale. - -Monsieur le Chancelier de l’Hospital qui estoit pourveu de cette force -d’esprit autant qu’aucun autre de ceux qui l’ont precedé ou suivy, la -décrivoit encore plus brievement, quoy qu’en termes beaucoup plus -hardis, desquels même il avoit composé sa devise, [277]_si fractus -illabatur orbis impavidum ferient ruinæ_. Arriere doncques de ce -Ministere tant d’esprits foibles & effeminez, tant d’ames coüardes & -pusillanimes, qui s’épouvantent des premieres difficultez, qui fuyent à -la moindre resistance, & qui perdent l’esprit lors qu’on leur parle de -quelque grande resolution. Je veux un esprit d’Epictete, de Socrates, -d’Epicure, de Seneque, de Brutus, de Caton, & pour me servir d’exemples -plus familiers, du Pere Paul, du Cardinal d’Ossat, du President Janin, -de V. Eminence, de Ferrier, & de quelques autres de pareille marque. Je -veux qu’il ait les bonnes maximes de Philosophie dans la teste non pas -sur les levres; qu’il connoisse la nature en son tout & non pas en -quelque partie; qu’il vive dans le monde comme s’il en estoit dehors, & -au dessous du Ciel comme s’il estoit au dessus, afin qu’il ne puisse pas -seulement comme les Gaulois apprehender la ruine de cette grande -machine, je veux qu’il s’imagine de bonne heure que la Cour est le lieu -du monde où il se dit & fait plus de sottises, où les amitiés sont plus -capricieuses & interessées, les hommes plus masquez, les maistres moins -affectionnez à leurs serviteurs, & la fortune plus folle & aveugle; afin -qu’il s’accoustume aussi de bonne heure à ne se point scandaliser de -toutes ces extravagances. Je veux enfin qu’il puisse regarder -[278]_oculo irretorto_ ceux qui seront plus riches, & moins dignes de -l’estre que luy, qu’il se picque d’une pauvreté genereuse, d’une -obstination au bien, d’une liberté Philosophique mais pourtant civile, -qu’il ne soit au monde que par accident, à la Cour que par emprunt, & au -service d’un Maistre que pour s’en acquiter honnestement. Or quiconque -aura cette premiere, universelle, & generale disposition, qui conduit -l’homme à une apathie, franchise, & bonté naturelle, il aura par même -moyen la fidelité, [279]_optimum enim quemque fidelissimum puto_, disoit -fort bien Pline en parlant à l’Empereur Trajan; & cette fidelité ne sera -pas commune, bridée de certaines circonstances, & assujettie à diverses -considerations de nos interests particuliers, des personnes, de la fin -des affaires, & de mille autres, mais une fidelité telle que doit avoir -un galand homme, pour servir celuy à qui il la promettra envers tous & -contre tous, sans exception de lieu, de temps, ny de personnes. C’est -ainsi que C. Blosius servoit son amy Tiberius Gracchus, (_Valer. Max. -lib. 4. cap. 7._) & le Pere du Chancelier de l’Hospital son maistre -Charles de Bourbon, duquel se trouvant Medecin & Confident lors de sa -disgrace & persecution, il ne l’abandonna jamais, le suivant en habit -déguisé, participant à toutes ses infortunes, le secondant en tous ses -desseins contre le Roy, contre l’Empereur & contre Rome, les Cardinaux & -le Pape même. Action que son fils ce grand Chancelier de France a -tellement estimée, qu’il l’a bien voulu placer comme la plus remarquable -de sa famille, en teste de son Testament. Il faut doncques qu’un -affectionné Ministre soit premierement & principalement garny de -fidelité, & que lors qu’il sera besoin de la témoigner, il dise -librement, - - [280]_Huic ego nec rerum metas nec tempora pono, - Obsequium sine fine dedi._ - - [277] Si le monde se bouleversoit, ses ruïnes me fraperoient, sans que - j’en fusse épouventé. - - [278] D’un œuil droit & non de travers. - - [279] Car j’estime que le plus homme de bien est aussi le plus - fidelle. - - [280] Je ne mets point icy de bornes, & n’y limite point de temps, - j’ay témoigné une obeïssance sans fin. - -Il faut aussi qu’il soit dégagé d’ambition, d’avarice, de convoitise & -de tout autre desir, que de bien servir son Maistre dans l’estat d’une -fortune mediocre, honneste, & capable de le delivrer luy & ses plus -proches parens, d’envie & de necessité. Car s’il commence une fois à -aller au plus à se vouloir avancer dans les charges & dignitez, il ne se -pourra pas faire qu’il ne prefere son bien propre à celuy de son -Maistre, & qu’il ne se serve premier que luy; & cela estant, c’est -ouvrir la porte à l’infidelité, perfidie & trahison, il n’y aura plus de -secret qu’il ne découvre, plus de conseil qu’il n’évente, plus de -resolution qu’il ne declare, plus d’ennemy qu’il ne courtise, bref - - [281]_Publica privatis postponet commoda rebus._ - - [281] Il preferera son profit particulier au bien public. - -S’il desire la grandeur de son Maistre ce ne sera que pour avancer la -sienne, à laquelle s’il ne peut parvenir en le servant avec fidelité, il -ne fera point de doute de le deservir, de le vendre & livrer à ses -ennemis pour satisfaire à son ambition, ou à son avarice demesurée, - - [282]_Namque ubi avaritia est habitant ferme omnia ibidem - Flagitia, impietas, perjuria, furta, rapinæ, - Fraudes atque doli, insidiæque & proditiones._ - -(Paling. in Sagit.) - - [282] Car là où est l’avarice, tous les autres vices y habitent aussi, - l’impieté, le parjure, le vol, la rapine, les fraudes & tromperies, - les embusches & les trahisons. - -C’est ce que pratiqua autrefois Stilico, quand pour s’acquerir l’amitié -d’Alaric Roy des Gots, & s’appuyer de son secours pour se saisir de -l’Empire d’Orient, il fit une paix honteuse avec luy & obligea -l’Empereur de luy payer tribut sous le nom de pension; & Pierre des -Vignes Chancelier de Frederic II, fut à bon droit privé de la veuë, pour -avoir noüé une intelligence trop secrete avec le Pape Alexandre III, -ennemy capital de son Maistre. Ce fut encore pour la même cause que le -Cardinal Balue demeura XII ans resserré dans la Tour des Loches sous le -Regne de Louys XI, & que le Cardinal du Prat décheut de sa faveur, & fut -long-temps en prison pendant celuy de François I. Cette même force & -disposition d’esprit defend aussi à nostre Ministre d’estre trop credule -ou superstitieux, & bigot: Car bien que [283]_credulitas error sit magis -quam culpa, & quidem in optimi cujusque mentem facillimè obrepat_, (Cic. -l. 1. ep. 23.) c’est toutefois le propre d’un homme judicieux & bien -sensé, de ne rien croire [284]_nisi quod in oculos incurret_; (Senec. de -Ira.) au moins Palingenius est d’avis qu’il faut ainsi faire, crainte -d’estre trompé, parce que - - [285]_Qui facilis credit facilis quoque fallitur idem._ - - [283] La credulité soit plutost une erreur qu’une faute, & qu’elle - s’empare facilement des meilleurs naturels. - - [284] Que ce qu’il void de ses yeux. - - [285] Qui croit facilement se laisse aussi facilement tromper. - -Et comme nous avons dit cy-dessus, qu’il y avoit quatre ou cinq moyens -d’attraper ou tromper les trop credules & superstitieux, aussi faut-il -que celuy qui se mesle de les pratiquer, ne soit pas si sot que de s’y -laisser prendre par d’autres qui s’en voudroient servir contre luy-même. -Joint qu’à un Ministre qui aura l’esprit assez bas pour le ravaler & -soumettre à la creance de tant de fables, impostures, faux miracles, -tromperies, & charlataneries qui se font ordinairement, ne pourra pas -donner grande esperance de bien reüssir en beaucoup d’affaires où il -faut gaillardement enjamber par dessus toutes ces folies. Les souplesses -d’Estat, les artifices des Courtisans, les menées & pratiques de -quelques avisez Politiques, trompent aisément un homme plongé dans des -devotions excessives & superstitieuses. La prediction d’un devin, le -croassement d’un corbeau, la rencontre d’un maure, un faux bruit, -quelque vau de ville, tromperie, ou superstition, luy feront perdre -l’escrime, l’étonneront, & le reduiront à prendre quelque party honteux -& deshonneste; A quoy s’il est tant soit peu porté de sa nature, la -superstition sœur germaine de cette grande credulité, l’y plongera tout -à fait, & luy ostera si peu de jugement qui luy pouvoit rester. -[286]_Occentus soricis auditus Fabio Maximo dictaturam, C. Flaminio -magisterium equitum deponendi causam præbuit._ (Val. Max. l. 1. cap. -10.) Elle luy ravira le repos du corps, & la fermeté, constance, & -resolution de l’esprit; [287]_superstitione enim qui est imbutus -quiescere nunquam potest_: (Cicero de fin. l. 1.) elle l’assujettira à -mille terreurs paniques, & luy fera craindre & redouter, - - [288]_Nihilo metuenda magis, quàm - Quæ pueri in tenebris pavitant, finguntque futura._ - - [286] Le chant d’une souris fut cause que Fabius Maximus se démit de - la Dictature, & Caius Flaminius de la charge de Colonel de la - Cavalerie. - - [287] Car quiconque est imbu de superstition, il luy est impossible de - reposer. - - [288] Des choses qui ne sont non plus à craindre que celles dont les - enfans ont peur dans les tenebres, & qu’ils s’imaginent devoir - arriver. - -Elle luy fera commettre plus de pechez qu’il n’en est defendu aux dix -commandemens, & se frottant les yeux avec de l’eau benite, ou touchant -la chape d’un Prestre, il pensera effacer toutes les mauvaises actions -de sa vie: [289]_sic errore quodam mentis famulatur impietati_; -(Paschas. de virtut.) elle luy fera trouver des scrupules où il n’y en a -point, & auparavant que de conclure une affaire, il en voudra parler -cent fois à un confesseur. Il luy revelera le conseil de son Prince, le -soumettra à sa censure, l’examinera suivant toutes les regles des -Casuistes, & à la fin [290]_ea quæ Dei sunt audacter excludet, ut sua -tantùm admittat_; bref elle le rendra sot, impertinent, stupide, -méchant, incapable de rien voir, de rien faire, de rien juger ou -examiner à propos, & capable seulement de causer la perte & la ruine -totale de quiconque se servira de luy, & la sienne propre, puis que -[291]_superstitione quisquis illaqueatus est, non potest effugere -proximas miserias, ipsa sibi superstitio supplicium est, dum quæ non -sunt mala hæc fingit esse talia, & quæ sunt mediocria mala, hæc maxima -facit ac lethalia_. Il ne faut point tant de mysteres & de ceremonies -pour estre homme de bien, Lycurgue fut estimé tel quoy qu’il eust -retranché beaucoup de choses superflues & inutiles à la Religion. Le -vieux Caton passoit pour le plus vertueux de Rome, encore qu’il se fust -mocqué de celuy qui prenoit pour mauvais augure que les souris eussent -rongé ses chausses, & qu’il luy eust dit, [292]_non esse illud monstrum -quod arrosæ sint à soricibus caligæ, sed verè monstrum habendum fuisse -si sorices à caligis roderentur_. (D. August. de Doct. Christian.) -Luculle ne fut estimé impie pour avoir combatu Triganes un jour que le -Calendrier Romain marquoit pour malheureux; ny Claudius pour avoir -méprisé les auspices des poulets; non plus que Lucius Æmilius Paulus -pour avoir le premier commencé d’abatre & ruiner les Temples d’Isis & de -Serapis. D’où l’on peut conjecturer que la superstition est le vray -caractere d’une ame foible, rampante, effeminée, populaire, & de -laquelle tout esprit fort, tout homme resolu, tout bon Ministre doit -dire, comme faisoit Varron de quelque autre chose qui ne valoit pas -mieux, - - [293]_Apage in directum à domo nostra istam insanitatem._ - -(in Eumenidib.) - - [289] Et ainsi par l’erreur de l’entendement on se rend esclave de - l’impieté. - - [290] Il rejettera hardiment les choses qui sont de Dieu pour admettre - les sienes propres. - - [291] Quiconque est enlassé dans la superstition, il ne peut pas - éviter les miseres qui luy panchent sur la teste; sa superstition - luy est un supplice, lors qu’il s’imagine mauvaises des choses qui - ne le sont pas; & qu’il fait grands & mortels les maux qui ne sont - que mediocres. - - [292] Que ce n’estoit pas un prodige que les souris eussent rongé des - chausses, mais que c’en seroit veritablement un si des chausses - rongeoient des souris. - - [293] Chassons de nostre maison cette folie. - -La seconde vertu qui doit servir de base & de fondement aux merites & à -la bonne renommée de nostre Conseiller, c’est la Justice; de laquelle si -nous voulions expliquer toutes les parties, il la faudroit comparer à -une grosse tige qui produit trois branches, dont l’une monte à Dieu, -l’autre s’étend vers soy-même, & la tierce vers le prochain; & chacune -desdites branches produit encore divers petits rameaux que je -n’expliqueray point en particulier, m’estant assez de prendre les choses -en gros, & non en détail. C’est pourquoy je mettray le principal -fondement de cette justice à estre homme de bien, à vivre suivant les -loix de Dieu & de la Nature, noblement, philosophiquement, avec une -integrité sans fard, une vertu sans art, une religion sans crainte, sans -scrupule, & une ferme resolution de bien faire, sans autre respect & -consideration, que de ce qu’il faut ainsi vivre, pour vivre en homme de -bien & d’honneur, - - [294]_Oderunt peccare boni virtutis amore._ - - [294] Les gens de bien haïssent le vice pour l’amour de la vertu. - -Mais d’autant que cette justice naturelle, universelle, noble & -philosophique, est quelquefois hors d’usage & incommode dans la pratique -du monde, où [295]_veri juris germanæque justitiæ solidam & expressam -effigiem nullam tenemus, umbris & imaginibus utimur_. Il faudra bien -souvent se servir de l’artificielle, particuliere, politique, faite & -rapportée au besoin & à la necessité des Polices & Estats, puis qu’elle -est assez lâche & assez molle pour s’accommoder comme la regle Lesbienne -à la foiblesse humaine & populaire, & aux divers temps, personnes, -affaires & accidens: Toutes lesquelles considerations nous obligent bien -souvent à plusieurs choses que la justice naturelle rejetteroit & -condamneroit absolument. Mais quoy, il faut vivre comme les autres, & -parmy tant de corruptions, celuy qui en a le moins doit passer pour le -meilleur, [296]_beatus qui minimis urgetur_; entre tant de vices on en -peut bien quelquefois legitimer un; & parmy tant de bonnes actions en -déguiser quelqu’une. C’est doncques une maxime, que comme entre les -lances celles-là sont estimées les meilleures, qui sont les plus -souples, aussi entre les Ministres, on doit priser davantage ceux qui -sçavent le mieux plier, & s’accommoder aux diverses occurrences, pour -venir à bout de leurs desseins, imitant ainsi le Dieu Vertumnus qui -disoit dans Properce: - - [297]_Opportuna mea est cunctis natura figuris, - In quamcunque voles verte decorus ero._ - - [295] Nous n’avons aucune solide & expresse effigie du vray droit, & - de la veritable justice, nous nous servons seulement de leurs - ombres. - - [296] Bienheureux est celuy qui est travaillé des plus petites. - - [297] Ma nature est propre à prendre toutes sortes de figures, donnez - moy celle que vous voudrez, je seray beau sous chacune. - -Qu’il se souvienne seulement d’observer toujours ces deux preceptes, le -premier de conjoindre & assembler autant qu’il luy sera possible -l’utilité & l’honnesteté, l’envisageant toujours & la costoyant le plus -prés qu’il luy sera possible: l’autre de ne servir jamais d’instrument à -la passion de son Maistre, & de ne rien proposer ny conclure, qu’il ne -juge luy-même estre necessaire pour la conservation de l’Estat, le bien -du peuple, ou le salut du Prince, demeurant à couvert pour ce qui sera -du reste sous ce bon avis de Plutarque, _Que bien souvent pour faire la -justice il ne faut pas tout ce qui est juste_. (Livre de la curiosité.) - -Enfin la troisiéme & derniere partie qui doit composer & perfectionner -nostre Ministre, est la Prudence, Vertu si necessaire à un homme de -cette qualité, qu’il ne peut en aucune façon s’en passer, veu que comme -nous enseigne Aristote, [298]_prudentia & scientia civilis iidem sunt -animi habitus_, (l. 6. Eth. c. 8.) & qu’au reste elle est si puissante -qu’elle seule domine & gouverne les trois temps de nostre vie, [299]_dum -præsentia ordinat, futura prævidet, præterita recordatur_: si -universelle qu’elle comprend sous soy toutes les autres vertus, -circonstances, & observations que nous pouvons faire icy de la science, -modestie, experience, conduitte, retenuë, discretion, & particulierement -de ce que les Italiens appellent _Segretezza_ par un terme qui leur est -propre. Juvenal (_Sat. X._) ayant fort bien dit que - - [300]_Nullum numen abest si sit prudentia_: - - [298] La prudence & la science civile sont les mêmes habitudes d’un - esprit. - - [299] Lors qu’elle ordonne pour le present, prevoit l’avenir & se - souvient du passé. - - [300] La fortune ne manque jamais là où il y a de la prudence. - -Neanmoins comme plusieurs choses sont requises pour former l’or, qui est -le Roy des Metaux, la preparation de la matiere, la disposition de la -Terre, la chaleur du Soleil, la longueur du temps; aussi pour former -cette Prudence, la Reyne des vertus politiques, l’or des Royaumes, le -thresor des Estats, il faut de grandes aides, & des avantages -tres-heureux; la force de l’esprit, la solidité du jugement, la pointe -de la raison, la docilité pour apprendre, l’instruction receuë des -grands personnages, l’estude des sciences, la connoissance de -l’histoire, l’heureuse memoire des choses passées, sont les dispositions -pour y parvenir: la saine consultation, la connoissance & consideration -des circonstances, la prevoyance des effets, la precaution contre les -empeschemens, la prompte expedition, sont les belles actions qu’elle -produit; & enfin le repos des peuples, le salut des Estats, le bien -commun des hommes, sont les fruits divins que l’on en recueille. Mais -encore n’est-ce rien dire, si nous n’ajoustons quels sont les lignes, -par lesquels on peut juger du progrez que quelqu’un aura fait en -l’acquisition de ce thresor, & s’il est veritablement assez sage & -prudent pour seconder un Prince en l’administration de son Estat. Or -entre plusieurs que l’on en peut donner, je proposeray ceux-cy comme les -plus ordinaires & communs, sçavoir tenir secret ce qu’il n’est à propos -de dire, & parler par necessité plutost que par ambition, ne croire trop -promptement ny à toutes sortes de personnes, estre plus prompt à donner -ce qui est à soy qu’à demander ce qui appartient à autruy, examiner bien -les choses auparavant que d’en juger, ne médire de personne, excuser les -fautes, & defendre la renommée d’un chacun, ne mépriser personne, non -pas même les moindres: Honorer les hommes selon leurs merites & -qualitez, donner plus de loüange à ses compagnons qu’à soy-même, servir -& entretenir ses amis, demeurer ferme & constant parmy leurs adversitez, -ne changer de dessein & de resolution sans quelque grand sujet, -deliberer à loisir & executer gayement & avec diligence, ne -s’émerveiller de ce qui est extraordinaire, ny se mocquer de personne, -mais sur tout épargner les pauvres & ses amys, n’envier la loüange à -ceux qui la meritent, non pas même à ses ennemis, ne parler sans -sçavoir, ne donner conseil qu’à ceux qui le demandent, ne faire -l’entendu en ce qui n’est pas de sa profession, & ne parler de ce qui en -est qu’avec modestie & sans jactance & affectation, comme faisoit Piso, -duquel Vell. Paterc. a dit, [301]_quæ agenda sunt agit sine ulla -ostentatione agendi_; avoir plus d’effets que de paroles, plus de -patience que de violence, desirer plutost le bien que le mal à ses -ennemis, plutost perdre que plaider, n’estre cause d’aucun trouble ny -remuement, finalement aymer Dieu, servir son prochain, & ne souhaitter -la mort ny la craindre. Or ce qui m’a fait recueillir tous ces signes si -particulierement, c’est parce que le choix d’un Ministre est de si -grande importance, que les Princes ont grand interest de ne s’y pas -tromper, & encore qu’il ne faille pas esperer de les pouvoir tous -rencontrer en un homme, on ne peut toutefois manquer de preferer celuy -qui en aura le plus. Et quand le Prince l’aura trouvé, ce sera à faire à -luy de le bien maintenir & choier comme un precieux thresor, parce que -si la naissance ne luy a donné des couronnes, les couronnes toutefois ne -se peuvent passer de luy: si la fortune ne l’a fait Roy, sa suffisance -le rend l’oracle des Roys, & tout ce qu’il dira des loix, ses simples -paroles passeront pour raisons, ses actions pour exemples, & toute sa -vie pour miracle. - - [301] Il fait ce qu’il faut faire sans aucune ostentation de ses - actions. - -Aprés avoir expliqué ce qui est du devoir du Ministre envers le Prince, -il nous reste à considerer, comme en passant neanmoins, ce que le Prince -doit contribuer de son costé, pour bien traitter avec son Ministre, & -parce qu’en matiere de regles & preceptes, j’ay toujours estimé avec -Horace, que les plus courts sont les meilleurs, - - [302]_Quicquid præcipies esto brevis_; - - [302] Sois succinct dans tous les preceptes que tu donneras. - -Je reduiray tous ceux qui me semblent les plus necessaires en cette -occasion à trois principaux, dont le premier sera de le traitter en amy, -non pas en serviteur, de parler & conferer avec luy à cœur ouvert, de ne -luy rien celer de tout ce qu’il sçaura, de luy ouvrir une entiere -confidence, & de traitter avec luy comme il feroit avec soy-même, sans -avoir honte de luy declarer sa foiblesse, ignorance, imbecillité ou tel -autre defaut qu’il pourra avoir; Ny aussi son dépit, ses fascheries, -coleres, mécontentemens, & semblables passions, qui le pourront -tourmenter. Et si je n’ay assez d’autorité pour établir cette maxime, -qu’on defere au moins quelque chose à l’avis de Seneque, [303]_Cogita_, -dit-il, _an tibi in amicitiam aliquis recipiendus sit, quum placuerit id -fieri, toto illum pectore admitte, tam audacter cum illo loquere quàm -tecum_. C’est ce qu’il avoit encore dit auparavant en beaucoup moins de -paroles, [304]_tu omnia cum amico delibera, sed de illo prius_. Que si -l’autorité d’un si grand homme a besoin d’estre appuyée & soustenue par -quelques raisons, T. Live nous en fournira une tres-puissante & valable, -[305]_vult sibi quisque credi, & habita fides ipsam fidem obligat_: les -experimentez Chymistes tiennent que pour faire de l’or on ne se doit -servir que de l’or même, - - [306]_Nec aliunde quæras auri primordia, in auro - Semina sunt auri, quamvis abstrusa recedant - Longius, & multo nobis quærenda labore._ - -(Augurel.) - - [303] Pense s’il te faut recevoir quelcun en ton amitié, & quand tu - l’auras voulu faire, admets l’y de tout ton cœur, & luy parle aussi - hardiment qu’à toi-même. - - [304] Delibere de toutes choses avec ton amy; mais delibere - premierement d’en avoir un tel qu’il faut. - - [305] Un chacun veut qu’on se fie à luy, & la confiance que nous avons - en quelcun l’oblige à se confier en nous & à nous estre fidelle. - - [306] Ne cherche point ailleurs l’origine de l’or; l’or contient les - semences de l’or, quoi qu’elles nous soient fort cachées, ce qui - fait que nous sommes obligés à travailler beaucoup pour les - chercher. - -Les Lapidaires épreuvent tous les jours, qu’il se faut servir du diamant -pour en tailler & preparer un autre; les Oiseleurs que pour faire bonne -chasse il se faut servir de ces oiseaux que Varro appelle, [307]_illices -& traditores generis sui_: Les Philosophes moraux, que l’amour ne se -peut acquerir que par une amitié & affection reciproque. - - [307] Traitres de ceux de leur espece, & servant à les faire prendre. - - _Veux-tu mon fils que t’apprenne en peu d’heure - Le beau secret du breuvage amoureux; - Aime les tiens, tu seras aimé d’eux; - Il n’y a point de recepte meilleure._ - -Comment doncques un Prince pourra-t-il trouver de la confidence en -quelque amy, s’il ne luy en communique auparavant de son costé, s’il ne -luy monstre ce qui sera de son devoir en s’acquittant du sien propre: -[308]_Si vis me flere_, disoit Horace, _dolendum est prius tibi_. -[309]_Cur te habebo ut Consulem, si me non habeas ut Senatorem_, -repliquoit un autre? Il faut tout ou rien, & jouïr d’une entiere -confidence, ou n’en avoir point; declarer aujourd’huy une affaire, en -taire demain une autre, en entamer quelqu’une, & ne la pas achever, -garder toujours quelque [310]_retentum_, & ne pas tout dire, sont des -marques de défiance, d’inquietude & d’irresolution, qui font perdre au -Ministre la visée pour ce qui est du conseil, & l’affection pour ce qui -concerne le service. - - [308] Si tu veux que je pleure, il faut que tu t’affliges auparavant. - - [309] Pourquoy te traiteray-je comme un Consul, si tu ne me traites - pas comme un Senateur. - - [310] Chose de retenu. - -La seconde chose que le Prince doit observer envers son Ministre, est -qu’il le tienne comme amy, & non pas comme flateur, qu’il luy permette -de parler & d’opiner librement, d’expliquer & fortifier son opinion, -sans le contraindre ou luy sçavoir mauvais gré de ne point condescendre -à la sienne, [311]_meliora enim vulnera diligentis, quàm oscula -blandientis_, & puis que comme disoit un brave Conseiller à son Maistre, -[312]_non potes me simul amico & adulatore uti_. Si un Prince veut estre -flatté, il a assez de Gentilshommes & Courtisans qui ne cherchent que -l’occasion de le faire, sans y employer celuy qui doit estre sa bouche -de verité. Et celuy-là ne peut jamais bien reüssir, [313]_cujus aures -ita formatæ sunt, ut aspera quæ utilia, & nihil nisi jucundum non -læsurum accipiant_. (Tacit. 3. hist.) - - [311] Car les blessures d’un amy sont meilleures que les baisers d’un - flateur. - - [312] Tu ne peux pas te servir de moy comme amy & flateur tout - ensemble. - - [313] Dont les oreilles sont formées, à trouver rudes les choses qui - sont utiles, & à n’écouter rien que de plaisant, & qui ne peut - blesser. - -Finalement comme ceux qui demeurent quelque temps au Soleil sont -échauffez par sa chaleur; aussi faut-il que celuy qu’un Prince ou -Souverain approche de sa personne, ressente les effets de son pouvoir, & -de l’amitié qu’il luy porte par la recompense deüe à ses services; & -quoy que la plus honorable & glorieuse qu’il luy puisse donner, soit de -les agréer, & de s’en declarer satisfait, [314]_beneficium siquidem est -reddere bonitatis verba_, (Senec.) & suivant même l’opinion commune, - - [315]_Principibus placuisse viris non ultima laus est._ - - [314] Veu que c’est un bienfait, ou une recompense, que de parler en - bons termes des services qu’on a reçus. - - [315] On ne remporte pas peu de loüange d’avoir plu aux Princes. - -Il faut neanmoins passer outre, & pratiquer à son occasion cette belle -vertu de la liberalité, en luy subministrant les choses necessaires pour -vivre honnestement dans un estat mediocre, & autant éloigné de -l’ambition que de la necessité. Philippes II disoit à Ruy Gomes son -Confident serviteur, _faites mes affaires & je feray les vostres_: Il -faut que tous les Princes en disent autant à leurs Ministres, s’ils en -veulent estre servis avec affection & fidelité, [316]_liberalitas enim -commune quoddam vinculum est, quo beneficus & beneficio devinctus -astringuntur_. Et j’estime qu’il seroit encore meilleur de les mettre -promptement en repos de ce costé-là, afin que n’ayant plus à la teste -cet horrible monstre de pauvreté, ils apportent un esprit entierement -libre & dégagé de toutes passions au maniement des affaires, qui seroit -le premier fruit de cette liberalité, comme le second d’acquerir -beaucoup d’honneur & de recommandation à celuy qui l’auroit pratiquée, -d’autant que, selon la remarque d’Aristote, entre tous les Princes -vertueux, [317]_ii fere diliguntur maximè, qui fama & laude valent -liberalitatis_; & le dernier de rendre les personnes entierement liées -au service de ceux qui leur font du bien, veu que, suivant le dire d’un -Ancien, qui a le premier inventé les bienfaits, il a voulu forger des -seps & des menottes, pour enchaisner les hommes, les captiver & traisner -aprés soy. - - [316] Car la liberalité est un certain lien qui lie le bienfaiteur & - celuy qui reçoit le bienfait. - - [317] On aime particulierement ceux qui ont le renom & la loüange - d’estre les plus liberaux. - -Voila, MONSEIGNEUR, tout ce que j’avois à dire en cette matiere, de -laquelle je n’eusse jamais voulu entreprendre de traitter, si V. -Eminence ne me l’eust commandé, & que sa grande bonté & facilité ne -m’eussent fait esperer une excuse favorable, de toutes les fautes que je -puis y avoir commises. Je sçay qu’elle desiroit d’autres forces que les -miennes, une plume plus diserte & eloquente, une erudition plus grande, -un jugement plus fort, un esprit plus universel: Mais nous aurions peu -de statues de Jupiter s’il n’eust esté permis qu’à Phidias de les faire, -& Rome seroit maintenant sans peintures & tableaux, si d’autres n’y -avoient travaillé que Michel Ange, & Raphael d’Urbin: les bons ouvriers -ne se rencontrent pas si souvent, que l’on se puisse passer des mauvais, -ny les grands Politiques, que l’on ne se divertisse quelquefois dans les -écrits des moindres, sous le titre desquels s’il plaist à V. Eminence de -recouvrir le present discours, elle m’obligera de songer à quelque autre -de plus longue haleine; & j’ose bien me promettre sous la continuation -de vostre faveur & bienveillance, que - - [318]_Illa dies olim veniet (modo stamina - Longa trahat Lachesis) quum te & tua facta canemus - Uberius, nomenque tuum Gangetica tellus, - Et Tartessiaci resonabunt littora ponti. - Ibit Hyperboreas passim tua fama per urbes, - Et per me extremis Libyæ nosceris in oris, - Tunc ego majori Musarum percitus œstro, - Omnibus ostendam, quanto tenearis amore - Justitiæ, sit quanta tibi pietasque fidesque, - Quantum consilio valeas & fortibus ausis, - Quàm sis munificus, quàm clemens, denique per me - Ingenium, moresque tuos mirabitur orbis. - At nunc ista tibi quæ tradimus accipe læto - Interea vultu, & præsentibus annue cœptis._ - - [318] Le temps viendra un jour (pourveu que la Parque fasse nostre - fusée longue) que nous publierons plus amplement les belles actions - de vostre personne; & que vostre nom retentira dans la terre du - Gange, & sur les costes de la mer d’Espagne. Vostre nom ira jusques - aux villes du Nord, & je vous feray connoistre dans les extremités - de la Libye. Alors poussé d’une plus grande veine poëtique, je feray - voir à tout le monde combien vous estes amateur de la justice, - combien grande est la foy & la pieté dont vous estes orné; combien - vous estes puissant en conseil, & en courageuses entreprises; - combien vous estes liberal, & clement, & enfin je feray que toute la - terre admirera vostre esprit & vos mœurs. Mais cependant recevés ce - que je vous offre maintenant, & daignés prendre en bonne part & - favoriser la presente entreprise. - - - - -TABLE - -des Chapitres. - - - Objections que l’on peut faire contre ce discours, avec les - réponses necessaires. Chap. I. pag. 3 - - Quels sont proprement les Coups d’Estat, & de combien de - sortes. Chap. II. 50 - - Avec quelles precautions, & en quelles occasions on doit - prattiquer les Coups d’Estat. Chap. III. 118 - - De quelles opinions faut-il estre persuadé pour entreprendre - des Coups d’Estat. Chap. IV. 213 - - Quelles conditions sont requises au Ministre avec qui l’on - peut concerter les Coups d’Estat. Chap. V. 283 - - -FIN. - - -*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CONSIDERATIONS POLITIQUES SUR -LES COUPS D'ESTAT *** - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the -United States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ -concept and trademark. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online -at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. 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Adieu.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<p class="top4em">Ce livre n’a pas esté composé pour -plaire à tout le monde, si l’Auteur en -eust eu le dessein, il ne l’auroit pas écrit du -stile de Montagne & de Charon, dont il sçait -bien que beaucoup de personnes se -rebuttent à cause du grand nombre des citations -Latines. Mais comme il ne s’est -mis à le faire que par obeïssance, il a esté -obligé de coucher sur le papier les mêmes -discours, & de rapporter les mêmes autoritez -dont il s’estoit servy en parlant à son Eminence. -Aussi n’est-ce pas pour rendre -cet ouvrage public qu’il a esté mis sous la -presse ; elle n’a roulé que par le commandement, -& pour la satisfaction de ce grand -Prelat, qui n’a ses lectures agréables que -dans la facilité des livres imprimez : Et -qui pour cette cause a voulu faire tirer une -<i>douzaine d’exemplaires</i> de celuy-cy, au lieu -des copies manuscrites qu’il en faudroit -faire. Je sçay bien que ce nombre est trop -petit pour permettre que ce livre soit veu -d’autant de personnes que le Prince de Balzac -& le Ministre de Sillion. Mais comme -les choses qu’il traitte sont beaucoup plus -importantes, il est aussi fort à propos -qu’elles ne soient pas si communes. Et en -un mot l’Auteur n’a eu autre but que la satisfaction -de son Eminence, tant pour -composer, que pour publier cet ouvrage.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak sc">A l’Auteur.</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse i">L’un s’émerveillera de vous voir en jeunesse</div> -<div class="verse i">Déja tout posseder, ce que l’antiquité,</div> -<div class="verse i">Se travaillant sans fin dans son infinité,</div> -<div class="verse i">A peine a sceu tirer des Tresors de sagesse.</div> - -<div class="verse stanza i">Un autre admirera l’heroïque hardiesse,</div> -<div class="verse i">Dont voulant rétablir icy la liberté,</div> -<div class="verse i">Vous combatés si bien contre la fausseté,</div> -<div class="verse i">Même dedans la place où elle est la Maitresse.</div> - -<div class="verse stanza i">Bref, dans vostre discours chacun admirera</div> -<div class="verse i">Une diversité des merveilles qu’il a ;</div> -<div class="verse i">Mais voicy celle-là qu’entre autres j’ay trouvée :</div> - -<div class="verse stanza i">C’est que sçachant si bien le naturel des Grands,</div> -<div class="verse i">Leur maxime & leurs <span class="sc rm">Coups</span>, vous soyez si long-temps</div> -<div class="verse i">Resté dans une vie innocente & privée.</div> -</div> - -<p class="sign">Jac. Bouchard, à Rome.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" title="Epistre"> </h2> - -<p class="c"><span class="small i">A MONSEIGNEUR</span>, -L’EMINENTISSIME<br /> -<span class="large">CARDINAL</span><br /> -<span class="xlarge">DE BAGNI,</span><br /> -mon tres-bon & tres-honoré<br /> -Maistre.</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a>Non equidem hoc studeo, bullatis ut mihi nugis</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Pagina turgescat dare pondus idonea sumo :</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Secreti loquimur, tibi nunc, hortante camœna,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Excutienda damus præcordia.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Pers. Sat. 5.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> Je n’ay point essayé d’enfler mes ouvrages -de sornettes boufies qui ne font que de la fumée. -Je vous parle confidemment, & la muse -me sollicite de vous découvrir le fond de mon -ame.</p> -</div> - -<p class="noindent"><span class="sc">Monseigneur</span>,</p> - -<p>Puis que vous estes maintenant -à Rome, joüissant des honneurs -qui servent de recompense -à vos merites, & vivant dans -le repos que les fonctions publiques -heureusement exercées -en sept Gouvernemens, une -Vice-legation, & deux Nonciatures -vous y ont acquis : je n’ay -pas cru pouvoir mieux employer -le loisir duquel vostre bien-veillance -& vostre bonté extraordinaire -m’y font pareillement -joüir, qu’en vous entretenant des -plus relevées Maximes de la Politique, -& de ces grandes affaires -d’Estat, en la conduite desquelles -V. E. a tellement fait remarquer -sa prudence, que les plus -grands Genies qui gouvernent -presentement toute l’Europe, en -sont demeurez remplis d’étonnement, -& n’ont jamais mieux -reüssi aux deliberations & entreprises -les plus difficiles, que lors -qu’ils les ont maniées suivant -les bons & genereux avis qu’il -vous a pleu de leur en donner, -<i lang="la" xml:lang="la">Adeò</i></p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">[2]</a><i lang="la" xml:lang="la">Nil desperandum Teucro duce & auspice Teucro !</i></div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Horat. l. 1. carm. Ode 7.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_2" href="#FNanchor_2"><span class="label">[2]</span></a> Aussi ne faut-il point desesperer, puisque -Teucer marche à la teste, il ne faut -rien craindre aussi sous le bonheur de sa conduite.</p> -</div> -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch1"><span class="sc">Chapitre I.</span><br /> -<span class="i">Objections que l’on peut faire contre -ce discours avec les Réponses -necessaires.</span></h2> - - -<p>Mais à grand peine, <span class="sc">Monseigneur</span>, -ay-je tracé -les premieres lignes de ce Discours, -que je me treuve renfermé -entre deux puissantes difficultez, -capables à mon avis d’empécher -toute autre personne qui auroit -moins de courage & d’affection -que moy, de passer outre, & de -glacer le sang des plus échauffez -à la recherche de ces Resolutions, -non moins perilleuses que extraordinaires. -Car si le judicieux -Poëte Horace (<i lang="la" xml:lang="la">Ode <span class="rm">1</span>. lib. <span class="rm">2</span>.</i>) disoit -ingenûment à son amy Pollio, -qui vouloit écrire l’histoire -des guerres civiles arrivées de son -temps,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a>Periculosæ plenum opus aleæ</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Tractas, & incedis per ignes</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Suppositos cineri doloso.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_3" href="#FNanchor_3"><span class="label">[3]</span></a> Vostre ouvrage est perilleux, & vous marchez -sur des feux cachés sous une cendre trompeuse.</p> -</div> -<p class="noindent">Quel bon succés peut-on attendre -de cette mienne entreprise -beaucoup plus difficile & temeraire : -veu que pour ne rien dire -du danger qu’il y a de vouloir -déchiffrer les actions des Princes, -& faire voir à nud ce qu’ils s’efforcent -tous les jours de voiler -avec mille sortes d’artifices ; il y -en a encore deux autres de non -moindre consequence ; l’un desquels je -puis en quelque façon apprehender -pour ce qui regarde & -touche vostre personne ; comme -aussi rencontrer l’autre en ce qui -concerne la mienne.</p> - -<p>Et pour ce qui est du premier -je dirois volontiers avec le Poëte -qui a si bien traitté la Philosophie -dans ses beaux vers, qu’il est -maintenant le seul & unique -soustien de sa secte :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">[4]</a>Illud in his rebus vereor, ne forte rearis,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Impia te rationis inire elementa, viamque</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Indugredi sceleris.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Lucret. lib. 1.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_4" href="#FNanchor_4"><span class="label">[4]</span></a> J’apprehende que de ce pas il ne vous -viene en l’esprit que vous estes dans les elemens -de l’impieté, & que vous entrez dans la -voie du crime.</p> -</div> -<p class="noindent">Au moins devrois-je craindre à -bon droit de blesser les oreilles -de V. E., d’effaroucher ses yeux, -& de troubler la douceur & facilité -de sa nature, aussi-bien que -le repos & l’intégrité de sa conscience, -par le recit de tant de -fourbes, de tromperies, violences -& autres semblables actions -injustes (comme elles semblent -de premier abord) & tyranniques, -qu’il me faudra cy-aprés deduire, -expliquer & defendre.</p> - -<p>Que si Enée, l’un des plus resolus -Capitaines de l’antiquité, -fut tellement émeu de commiseration -au seul recit qu’il luy falloit -faire devant la Reyne de Carthage, -du sac & des ruïnes de la -Ville de Troye qu’il ne le put -commencer que par ces paroles :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">[5]</a>Quanquam animus meminisse horret, luctuque refugit.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virgil. Æn. 2.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_5" href="#FNanchor_5"><span class="label">[5]</span></a> Bien que mon ame ait horreur de s’en -souvenir, & qu’elle s’éloigne de tout son -pouvoir de la seule pensée d’un deuil si sensible.</p> -</div> -<p class="noindent">Et si un certain Empereur qui n’a -toutefois pû éviter le surnom de -Cruel, dit un jour au Prevost, qui -luy faisoit signer la condamnation -de deux pauvres miserables : <a id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">[6]</a><i lang="la" xml:lang="la">Utinam -nescirem literas</i> : (<span lang="la" xml:lang="la">Senec. lib. 2. -de clem.</span>) Ne pourriez-vous pas -souhaitter avec plus de raison de -n’avoir jamais veu ce discours ; -puis qu’il ne vous doit entretenir -que de ce qui est le moins convenable -à vostre grande humanité, -candeur & bien-veillance ? Et -puis ne ferois-je pas beaucoup -mieux de suivre le conseil de Salomon, -<a id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">[7]</a><i lang="la" xml:lang="la">coram Rege tuo noli videri -sapiens</i>, & vivre dans la continuation -des estudes esquelles j’ay esté -nourri dés ma jeunesse, que de -paroistre devant vous avec ces -conceptions extravagantes, comme -Diognotus fit avec les siennes -devant Alexandre, pour se faire -estimer un grand Ingenieur & -Architecte ? veu principalement -que je puis apprehender d’avoir -pareille issuë de ce raisonnement, -qu’eut le Grammairien Phormion -de celuy de l’art militaire qu’il -fit devant Annibal, estimé le premier -Capitaine de son temps ? -<a id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">[8]</a><i lang="la" xml:lang="la">Omnes siquidem videmur nobis saperdæ, -festivi, belli, quum simus copreæ.</i> -(Varro.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_6" href="#FNanchor_6"><span class="label">[6]</span></a> Pleût à Dieu que je n’eusse aucune connoissance -des lettres.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_7" href="#FNanchor_7"><span class="label">[7]</span></a> Ne veuille pas faire -le sage devant ton Roy.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_8" href="#FNanchor_8"><span class="label">[8]</span></a> Veu même qu’il nous semble à tous que -nous sommes sages, plaisans & beaux, quoique -nous ne soyons que des boufons.</p> -</div> -<p>Et à la verité quand je viens à -considerer le peu de moyens que -j’ay pour me bien acquiter de cette -entreprise, qui est la seconde -difficulté, que j’ay presque envie -de ne point passer outre & de m’en -déporter entierement ; afin de ne -point encourir la censure que -Phœbus donna en pareille rencontre -à son fils dans le Poëte,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">[9]</a>Magna petis, Phaëton, & quæ non viribus ipsis</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Munera conveniunt.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Ovid. in Met.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_9" href="#FNanchor_9"><span class="label">[9]</span></a> Tu demandes des choses grandes, Phaëton, & des dons -qui ne sont pas proportionnés à tes forces.</p> -</div> -<p class="noindent">Aussi fit-il une cheute memorable -pour s’estre approché trop prés -du Soleil ; & plusieurs qui n’avoient -pas moins de temerité -ont signalé leur perte par la trop -grande hardiesse de leur entreprise. -Et moy qui suis encore tout -nouveau en ces exercices,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">[10]</a>Ense velut nudo parmaque inglorius alba.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virgil. Æn. 9.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_10" href="#FNanchor_10"><span class="label">[10]</span></a> Comme portant une épée à la main avec -une rondache blanche, pour ne m’estre point -encore signalé dans le peril.</p> -</div> -<p class="noindent">Oseray-je bien me mesler de ces -sacrifices, plus cachez que ceux de -la Déesse Eleusine, sans y estre initié ? -Avec quelle asseurance pourray-je -entrer dans le fond de ces -affaires, penetrer les cabinets des -Grands, passer au sanctuaire où se -forment tous ces hardis desseins, -sans avoir eu l’addresse & la communication -de ceux qui les conduisent ? -Certes je pardonnerois -volontiers à celuy qui me voyant -en cette resolution, jugeroit incontinent, -que ce seroit violenter -la nature, laquelle ne passe jamais -si promptement d’une extremité -à l’autre ; ou pour en parler plus -moderément, que ce seroit avec -beaucoup plus de hardiesse que de -raison, vouloir singler sur les plus -hautes mers sans Boussole, & s’engager -dans un labyrinthe de ruses, -& de subtilitez infinies, sans -avoir en main le filet de cette -science pour s’en déveloper avec -le succés d’une issuë favorable. Et -ce d’autant plus volontiers qu’il -n’en est pas icy, comme de ceux -qui envisagent avec beaucoup -moins de difficulté le Soleil, qu’ils -sont plus éloignez de sa face ; ou -bien comme de ces peintres, dont -ceux qui ont la veuë courte, font -d’ordinaire les plus excellens Tableaux : -mais plustost que cette -Prudence Politique est semblable -au Prothée, duquel il nous est -impossible d’avoir aucune connoissance -certaine, qu’aprés estre -descendus <a id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor">[11]</a><i lang="la" xml:lang="la">in secreta senis</i>, & avoir -contemplé d’un œil fixe & asseuré, -tous ses divers mouvemens, -figures & metamorphoses, au -moyen desquelles</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_11" href="#FNanchor_11"><span class="label">[11]</span></a> Dans les secrets de ce vieillard.</p> -</div> -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor">[12]</a>Fit subito sus horridus, atraque Tigris,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Squammosusque Draco, & fulva cervice Leæna.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virgil. in Georg. IV.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_12" href="#FNanchor_12"><span class="label">[12]</span></a> Tout d’un coup il vous presente l’horreur d’un sanglier, -il se couvre de la peau noire d’un tygre, -des écailles d’un dragon, & du poil roux -d’une lionne.</p> -</div> -<p class="noindent">Toutefois comme le jeune Aristée -ne fut point détourné par les -grandes difficultez que luy proposoit -Arethuse, d’entreprendre -son voyage, & d’obtenir en suite -toute sorte de contentement : Aussi -les precedentes n’auront pas plus -de force en mon endroit, & mille -autres davantage ne me pourroient -empescher, qu’aprés m’estre -avisé du conseil que donne Pline -le jeune, <a id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor">[13]</a><i lang="la" xml:lang="la">tutius per plana, sed -humilius & depressius iter ; frequentior -currentibus quàm reptantibus lapsus ; -sed & his non labentibus nulla laus, illis -nonnulla laus etiamsi labantur</i>, je ne -fournisse entierement la carriere -du dessein que je me suis proposé.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_13" href="#FNanchor_13"><span class="label">[13]</span></a> Les chemins unis sont bien plus assurez, -mais aussy plus bas & plus ravalez ; ceux -qui courent tombent bien plus souvent que -ceux qui marchent bellement ; mais ceux-cy -ne remportent aucune loüange quoi qu’ils -ne tombent pas, au lieu que ceux-là en acquierent -en quelque façon encore bien qu’ils tombent.</p> -</div> -<p>C’est pourquoy, <span class="sc">Monseigneur</span>, -pour répondre aux deux -difficultez que je me suis faites cy-dessus ; -& à celle qui regarde V. E. -premierement, il ne faut point apprehender -que cette doctrine -heurte tant soit peu vostre pieté, -ou trouble aucunement le repos & -l’integrité de vostre conscience, -comme il semble de premier abord, -que ces trois vers de Lucrece -le veüillent persuader : le Soleil -épand sa lumiere sur les choses -les plus viles & abjectes sans en estre -gasté ou noircy,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor">[14]</a>Nec quia forte lutum radiis ferit, est ideo ipse</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Fœdus ; non sordet lumen quum sordida tangit.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Paling. in Scorp.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_14" href="#FNanchor_14"><span class="label">[14]</span></a> Bien que de ses rayons il puisse toucher -de la bouë, il n’en est pas pour cela soüillé ; la -lumiere ne se soüille point quand elle touche -des choses sales.</p> -</div> -<p class="noindent">Les Theologiens ne sont pas moins -religieux pour sçavoir en quoy -consistent les heresies ; ny les Medecins -moins preud’hommes, pour -connoistre la force & la composition -de tous les venins. Les -habitudes de l’entendement sont -distinguées de celles de la volonté, -& les premieres appartiennent -aux sciences, & sont toujours -loüables, les secondes regardent -les actions morales, qui peuvent -estre bonnes ou mauvaises. Tritheme -& Pererius ont monstré -qu’il estoit expedient qu’il y eust -des Magiciens, & que l’on sceust -au vray le moyen d’invoquer les -demons, pour convaincre par l’apparition -d’iceux l’incredulité des -Athées : Les soldats vont d’ordinaire -aux exercices pour apprendre à -bien manier la picque, & à tirer -du mousquet ; afin de pouvoir -avec plus d’artifice & d’industrie, -tuër les hommes & détruire leurs -semblables : mais ils ne s’en servent -neanmoins que contre les ennemis -de leur Prince, ou de la patrie : -Les meilleurs Chirurgiens n’estudient -autre chose qu’à pouvoir -dextrement couper bras & jambes, -& ce pour le salut des malades,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor">[15]</a>Truncantur & artus,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ut liceat reliquis securum degere membris.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Claud. 2. in Eutrop.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_15" href="#FNanchor_15"><span class="label">[15]</span></a> On coupe certains membres, afin de garantir -les autres par le retranchement de ceux-là.</p> -</div> -<p class="noindent">Pourquoy doncque sera-t-il defendu -à un grand Politique, de -sçavoir hausser ou baisser, produire -ou resserrer, condamner ou absoudre, -faire vivre ou mourir, -ceux qu’il jugera expedient de -traitter de la sorte, pour le bien & -le repos de son Estat.</p> - -<p>Beaucoup tiennent que le Prince -bien sage & avisé, doit non -seulement commander selon les -loix ; mais encore aux loix même -si la necessité le requiert. Pour -garder justice aux choses grandes, -dit Charon, il faut quelquefois -s’en détourner aux choses petites, -& pour faire droit en gros, -il est permis de faire tort en détail.</p> - -<p>Que si l’on m’objecte qu’il n’est -pas toutefois à propos de discourir -de ces choses, & que c’est proprement -mettre <a id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor">[16]</a><i lang="la" xml:lang="la">gladium ancipitem -in manu stulti</i>, que de les enseigner ; -je répondray à cela, que les -méchans peuvent abuser de tout ce -qu’il y a de meilleur en ce monde, -& faire comme les mouches -bastardes & frelons, qui convertissent -les plus belles fleurs en amertume : -Les Heretiques trouvent -les fondemens de leur impieté -dans la Sainte Ecriture : Les -Paracelsistes abusent du texte -d’Hippocrate pour établir leurs -songes : Les Avocats citent le -Code & les Pandectes, pour defendre -les plus coupables ; & neanmoins -l’on n’a jamais songé à supprimer -ces Livres : l’épée peut aussi-tost -offenser que defendre, le vin -aussi-tost enyvrer que nourir, les -remedes aussi-tost tuër que guerir ; -& personne toutefois n’a encore -dit que leur usage ne fust -tres-necessaire. C’est une loy commune -à toutes les choses, qu’estant -instituées à bonne fin, l’on en abuse -bien souvent : la Nature ne -produit pas les venins pour servir -aux poisons, & à faire mourir les -hommes, parce qu’en ce faisant elle -se détruiroit elle-même : mais c’est -nostre propre malice qui les convertit -en cet usage, <a id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor">[17]</a><i lang="la" xml:lang="la">Terra quidem -nobis malorum remedium genuit, nos -illud vitæ fecimus venenum.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">Plin. lib. -18. cap. 1.</span>)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_16" href="#FNanchor_16"><span class="label">[16]</span></a> Une épée à deux tranchans entre les -mains d’un fol.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_17" href="#FNanchor_17"><span class="label">[17]</span></a> La terre nous a bien produit des remedes -pour soulager nos maux ; mais nous les -avons convertis en poison pour nous oster la -vie.</p> -</div> -<p>Mais il faut encore passer outre, -& dire que la malice & la depravation -des hommes est si grande, -& les moyens desquels ils se -servent pour venir à bout de leurs -desseins si hardis & dangereux, -que de vouloir parler de la Politique -suivant qu’elle se traitte & -exerce aujourd’huy, sans rien dire -de ces Coups d’Estat, c’est proprement -ignorer la Pedie, & le -moyen qu’enseigne Aristote dans -ses Analytiques, pour parler de -toutes choses à propos, & suivant -les principes & demonstrations qui -leur sont propres & essentielles, -<a id="FNanchor_18" href="#Footnote_18" class="fnanchor">[18]</a><i lang="la" xml:lang="la">est enim pædiæ inscitia nescire, quorum -oporteat quærere demonstrationem, -quorum verò non oporteat</i> : comme -il dit en sa Metaphysique. -C’est pourquoy Lipse & Charon, -bien qu’ils ne fussent pas des Timons -& Mysantropes, ont voulu -traitter de cette partie, pour ne -point laisser leurs ouvrages imparfaits : -Et le même Aristote qui -n’avoit pas accoustumé de rien faire -<a id="FNanchor_19" href="#Footnote_19" class="fnanchor">[19]</a>ἀπαιδεύτως, lors qu’il a traitté -de la Politique & des gouvernemens -opposez à la Monarchie, -Aristocratie & Democratie, qui -sont la tyrannie, l’olygarchie & -l’ochlocratie, il donne aussi-bien les -preceptes de ces trois vicieux que -des legitimes. En quoy il a esté suivi -par Saint Thomas en ses Commentaires, -où aprés avoir blasmé -& dissuadé par toutes raisons possibles -la domination tyrannique, -il donne neanmoins les avis & les -regles communes pour l’établir, -au cas que quelqu’un soit si méchant -que de le vouloir faire. Et -qu’ainsi ne soit, voila ses propres -mots tirez du Commentaire sur le -cinquiéme des Politiques texte XI. -<a id="FNanchor_20" href="#Footnote_20" class="fnanchor">[20]</a><i lang="la" xml:lang="la">Ad salvationem tyrannidis, expedit -excellentes in potentia vel divitiis interficere, -quia tales per potentiam quam -habent possunt insurgere contra Tyrannum. -Iterum expedit interficere sapientes, -tales enim per sapientiam suam possunt -invenire vias ad expellendam tyrannidem, -nec scholas, nec alias congregationes, -per quas contingit vacare -circa sapientiam permittendum est, sapientes -enim ad magna inclinantur, & -ideò magnanimi sunt, & tales de facili -insurgunt. Ad salvandam tyrannidem -oportet quod Tyrannus procuret, ut subditi -imponant sibi invicem crimina & -turbent se ipsos, ut amicus amicum, & -populus contra divites, & divites inter -se dissentiant, sic enim minus poterunt -insurgere propter eorum divisionem : -oportet etiam subditos facere pauperes, -sic enim minus poterunt insurgere contra -Tyrannum. Procuranda sunt vectigalia, -hoc est exactiones multæ, magnæ, -sic enim cito poterunt depauperari subditi. -Tyrannus debet procurare bella inter -subditos, vel etiam extraneos, ita ut -non possint vacare ad aliquid tractandum -contra tyrannum. Regnum salvatur -per amicos, tyrannus autem ad salvandam -tyrannidem non debet confidere -amicis.</i> Et au texte suivant qui -est le XII, voila comme il enseigne -l’hypocrisie & la simulation : -<a id="FNanchor_21" href="#Footnote_21" class="fnanchor">[21]</a><i lang="la" xml:lang="la">Expedit tyranno ad salvandam tyrannidem, -quod non appareat subditis -sævus seu crudelis, nam si appareat sævus -reddit se odiosum ; ex hoc autem facilius -insurgunt in eum : sed debet se reddere -reverendum propter excellentiam -alicujus boni excellentis, reverentia enim -debetur bono excellenti ; & si non habeat -bonum illud excellens, debet simulare se -habere illud. Tyrannus debet se reddere -talem, ut videatur subditis ipsos excellere -in aliquo bono excellenti, in quo ipsi deficiunt, -ex quo eum revereantur. Si non -habeat virtutes secundum veritatem, faciat -ut opinentur ipsum habere eas.</i></p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_18" href="#FNanchor_18"><span class="label">[18]</span></a> Car c’est ignorer la pedie, que de ne sçavoir -pas de quelles choses il faut ou ne faut pas -chercher la demonstration.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_19" href="#FNanchor_19"><span class="label">[19]</span></a> Sans en estre bien informé.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_20" href="#FNanchor_20"><span class="label">[20]</span></a> Pour le maintien de la tyrannie, il faut -faire mourir les plus puissans & les plus riches, -parce que de telles gens se peuvent soulever -contre le Tyran par le moyen de l’autorité -qu’ils ont. Il est aussi necessaire de se defaire -des grands esprits & des hommes sçavans, parce -qu’ils peuvent trouver, par leur science, le -moyen de ruïner la tyrannie ; il ne faut pas -même qu’il y ait des écoles, ni autres congregations -par le moyen desquelles on puisse -apprendre les sciences, car les gens sçavans -ont de l’inclination pour les choses grandes, -& sont par consequent courageux & magnanimes, -& de tels hommes se soulevent facilement -contre les Tyrans. Pour maintenir la tyrannie, -il faut que le Tyran fasse en sorte que -ses sujets s’accusent les uns les autres, & se -troublent eux-mêmes, que l’ami persecute -l’ami, & qu’il y ait de la dissension entre le -menu peuple & les riches, & de la discorde entre -les opulens. Car en ce faisant ils auront -moins de moyen de se soulever à cause de leur -division. Il faut aussi rendre pauvres les sujets, -afin qu’il leur soit d’autant plus difficile de -se soulever contre le Tyran. Il faut établir des -subsides, c’est à dire des grandes exactions & en -grand nombre, car c’est le moyen de rendre -bientost pauvres les sujets. Le Tyran doit aussi -susciter des guerres parmy ses sujets, & même -parmy les étrangers, afin qu’ils ne puissent negotier -aucune chose contre lui. Les Royaumes -se maintienent par le moyen des amis, -mais un Tyran ne se doit fier à personne pour -se conserver en la tyrannie.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_21" href="#FNanchor_21"><span class="label">[21]</span></a> Il ne faut pas qu’un Tyran, pour se maintenir -dans la tyrannie, paroisse à ses sujets estre -cruel, car s’il leur paroît tel il se rend odieux, -ce qui les peut plus facilement faire soulever -contre lui : mais il se doit rendre venerable -pour l’excellence de quelque eminente vertu, -car on doit toute sorte de respect à la vertu ; & -s’il n’a pas cette qualité excellente il doit faire -semblant qu’il la possede. Le Tyran se doit -rendre tel, qu’il semble à ses sujets qu’il possede -quelque eminente vertu qui leur manque, -& pour laquelle ils lui portent respect. S’il n’a -point de vertus en effet ; qu’il fasse en sorte -qu’ils croient qu’il en ait.</p> -</div> -<p>Voila certes des preceptes bien -estranges en la bouche d’un Saint, -& qui ne different en rien de ceux -de Machiavel & de Cardan, mais -qui se peuvent toutefois sauver par -ces deux raisons assez probables & -legitimes. La premiere est, que -ces maximes estant ainsi declarées -& éventées, les sujets peuvent plus -facilement reconnoistre quand les -deportemens de leurs Princes tendent -à établir une Domination -Tyrannique ; & consequemment -y donner ordre : tout de même -que les mariniers se peuvent plus -facilement retirer à l’abry, lors -qu’ils ont preveu l’orage & la -tempeste, par les signes que les -routiers & pilotages leur en fournissent. -La seconde, parce qu’un -Tyran qui veut sans conseil & avis -establir sa domination,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_22" href="#Footnote_22" class="fnanchor">[22]</a>Cuncta ferit, dum cuncta timet grassatur in omnes,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ut se posse putent.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Claudian.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_22" href="#FNanchor_22"><span class="label">[22]</span></a> Frape tout & n’épargne personne, & -quand il craint le plus, c’est pour lors qu’il attaque -tout le monde, afin qu’on croie qu’il est -bien puissant.</p> -</div> -<p class="noindent">& ressemble quelquefois au loup, -lequel estant entré dans la bergerie, -& pouvant se rassasier & appaiser -sa faim sur une seule brebis, -ne laisse pourtant d’égorger toutes -les autres ; où au contraire s’il -y procede avec jugement, & suivant -les preceptes de ceux qui sont -plus avisez & moins passionnez -que luy, il se contentera peut-estre -d’abatre comme Tarquin les testes -des pavots plus élevez, ou comme -Thrasibule & Periandre les -esprits qui paroissent par dessus -les autres ; & ainsi le mal qui ne se -peut éviter le rendra beaucoup -plus doux & supportable.</p> - -<p>D’ailleurs il ne faut pas craindre -que le narré de tous ces tragiques -accidens puisse offenser les -oreilles de V. E. ou troubler tant -soit peu la douceur & facilité de -vostre nature. L’entiere connoissance -que vous vous estes acquise -des affaires Politiques, la longue -pratique & experience que vous -avez de la Cour des plus grands -Monarques, où ces Machiavellismes -sont assez frequens, ne -permettent pas que l’on vous prenne -pour apprenty à les connoistre. -Et puis, encore que la justice, & la -clemence soient deux vertus bien -sortables à un grand homme ; il -n’est pas toutefois à propos qu’il -ait pareille inclination à la misericorde : -Seneque en donne cette -raison, en son traitté de la Clemence, -(<span lang="la" xml:lang="la">lib. 2. c. 5.</span>) <a id="FNanchor_23" href="#Footnote_23" class="fnanchor">[23]</a><i lang="la" xml:lang="la">Quemadmodum</i>, -dit-il, <i lang="la" xml:lang="la">Religio deos colit, superstitio -violat, clementiam mansuetudinemque -omnes boni præstabunt, misericordiam -autem vitabunt ; est enim vitium -pusilli animi ad speciem alienorum -malorum subsidentis</i>. Or ce seroit un -crime de penser qu’il y eût rien en -V. E. de vil, rempant & abject, -d’autant que s’il est vray, comme -dit le même, que <a id="FNanchor_24" href="#Footnote_24" class="fnanchor">[24]</a><i lang="la" xml:lang="la">nihil æque hominem -quàm magnus animus decet</i> ; avec -combien plus de raison, cet esprit -fort se doit-il rencontrer en V. E. -pour accompagner dignement, & -rehausser cette grande dignité -qu’elle soustient, non seulement -de Prince de l’Eglise, mais encore -de principal conseiller de sa Sainteté, -& quasi de tous les plus puissans -Princes d’Europe ; <a id="FNanchor_25" href="#Footnote_25" class="fnanchor">[25]</a><i lang="la" xml:lang="la">Magnam -enim fortunam magnus animus decet, -qui nisi se ad illam extulit, & altior -stetit ; illam quoque infra terram deducit</i> ; -au moins fait-il qu’elle en est -administrée avec beaucoup moins -d’autorité & de reputation. Ainsi -voyons nous dans les histoires que -le Roy Epiphanes, pour avoir méprisé -sa dignité, & ne s’estre pas -gouverné en Roy, fut surnommé -l’Insensé : & que Ramire d’Arragon, -qui n’avoit quitté toutes -les façons de faire des Moines, en -sortant du Convent pour prendre -la Couronne, fut grandement -mocqué & méprisé de tous ses -Courtisans. Nostre temps même -nous fournit les exemples d’un -Roy de la grande Bretagne, lequel -<a id="FNanchor_26" href="#Footnote_26" class="fnanchor">[26]</a><i lang="it" xml:lang="it">è stato schernito & besseggiato -per haver voluto comporte libri & -fare del letterato</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">Tassoni lib. 7. -cap. 4.</span>) & de Henry III, tant -chanté & remarqué dans nos Histoires -modernes, lequel pour avoir -vescu parmy les Moines, & -dans un excés de devotion mal reglée, -abandonnant son Sceptre & -le Gouvernement de son Estat, -donna sujet au Pape Sixte V, de -dire : <i>Ce bon Roy fait tout ce qu’il -peut pour estre Moine, & moy j’ay fait -tout ce que j’ay pû pour ne l’estre point.</i> -Et pour ce un des meilleurs avis -que donna jamais Monsieur de -Villeroy à Henry le Grand, qui -avoit vescu en soldat & carrabin -pendant les guerres qui se firent -à son advenement à la Couronne, -fut, lors qu’il luy dit, <i>qu’un Prince -qui n’estoit pas jaloux des respects de -sa Majesté, en permettoit l’offense & -le mépris. Que les Roy ses predecesseurs -dans les plus grandes confusions -avoient toujours fait les Roys : qu’il -estoit temps qu’il parlast, écrivist & -commandast en Roy.</i> Mais à quoy -bon chercher des exemples chez -les Princes étrangers, puis que -l’histoire de ceux qui ont gouverné -la Ville où se treuve à present -V. E. nous represente deux -Souverains Pontifes, qui pour n’avoir -accompagné cette grandeur -de leur dignité supreme avec celle -de l’esprit, servent encore de -fables & de sujet de médisance, & -de risée à la posterité : la grande -pieté & religion qu’ils portoient -empreinte sur leur face n’ayant pas -eu le pouvoir d’empescher, que -Masson ne dit du premier, qui -fut Celestin cinquiéme, <a id="FNanchor_27" href="#Footnote_27" class="fnanchor">[27]</a><i lang="la" xml:lang="la">Vir fuit -simplex, nec eruditus, & qui humana -negotia ne capere quidem posset.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">in -Episcop. Rom.</span>) Et Paul Jove du -second, en parlant d’une certaine -sorte de poisson, qui estoit beaucoup -encherie pendant son Pontificat : -<a id="FNanchor_28" href="#Footnote_28" class="fnanchor">[28]</a><i lang="la" xml:lang="la">Merluceo plebeio admodum -pisci, Hadrianus sextus sicuti in Republica -administranda hebetis ingenii, vel -depravati judicii, ita in esculentis insulsissimi -gustus, supra mediocre pretium -ridente toto foro Piscatorio jam fecerat.</i> -(<span lang="la" xml:lang="la">Libr. de piscib. Rom.</span>) En -quoy neanmoins il s’est monstré -beaucoup plus retenu & moderé, -que Pierre Martyr, non l’Heretique -de Florence, mais le Protonotaire -Apostolique natif d’une -petite bourgade du Duché de Milan, -lequel avoit dit en parlant -de l’élection de ce même Pape : -<a id="FNanchor_29" href="#Footnote_29" class="fnanchor">[29]</a><i lang="la" xml:lang="la">Cardinalibus hoc loco accidit quod -in fabulis de Pardo ac Leone super Agno -raptando scribitur ; sortibus illis strenuè -se dilacerantibus, quodcumque quadrupes -iners aliud prædæ se dominum fecit.</i> -De maniere qu’il faut éviter les -grandes charges, ou les administrer -avec une force & generosité d’esprit -si relevée par dessus le commun, -qu’elle soit capable de donner -envie à la Fortune de la seconder, -& favoriser en toutes ses entreprises : -la Maxime estant tres-asseurée, -que quiconque apporte ce principe -& fondement, qu’il faut bien souvent -avoir de la nature (<a id="FNanchor_30" href="#Footnote_30" class="fnanchor">[30]</a><i lang="la" xml:lang="la">bona enim -mens, nec emitur, nec comparatur</i>, -dit Seneque) à la conduite de son -bonheur, il ne peut manquer d’estre -le propre ouvrier & createur de -sa fortune ; <a id="FNanchor_31" href="#Footnote_31" class="fnanchor">[31]</a><i lang="la" xml:lang="la">Sapiens pol ipse fingit Fortunam -sibi.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">Plaut. in Trinum.</span>) Alexandre -se propose-t-il, quoyque -jeune & tres-mal fourny d’argent -& de soldats, de subjuguer les Perses, -& de passer jusques aux Indes, -il en vient à bout. Cesar entreprend-il -de gouverner seul cette -grande Republique qui commandoit -à toutes les autres, il en treuve -le moyen. Deux Pastres Romulus -& Tammerlan ont-ils volonté -de fonder deux puissans -Empires, ils l’executent ; Mahomet -se veut-il faire de Marchand -Prophete, & de Prophete Souverain -d’une troisiéme partie du -Monde, il luy reüssit : Et quel -pensez-vous, <span class="sc">Monseigneur</span>, -avoir esté le principal ressort qui a -causé tous ces merveilleux effets, -nul autre en verité, sinon celuy -que Juvenal nous enseigne de toujours -mettre & placer entre les premiers -de nos souhaits avec son <a id="FNanchor_32" href="#Footnote_32" class="fnanchor">[32]</a><i lang="la" xml:lang="la">fortem -posse animum</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Satyr. 10.</span>) Or de -vouloir maintenant specifier quelles -sont les parties qui bastissent, & -composent ce fort esprit, ce seroit -vouloir enchasser un discours dans -un autre, & faire comme Montaigne, -qui suit plustost les caprices -de sa phantaisie, que les titres de ses -Essais. Il suffit pour le present de -dire, que l’une des premieres & -plus necessaires pieces, est de penser -souvent à ce dire de Seneque : <a id="FNanchor_33" href="#Footnote_33" class="fnanchor">[33]</a><i lang="la" xml:lang="la">O -quam contempta res est homo, nisi supra -humana se erexerit</i> : (<span lang="la" xml:lang="la">In proœm. nat. -quæst.</span>) C’est à dire, s’il n’envisage -d’un œil ferme & asseuré, & quasi -comme estant sur le dongeon de -quelque haute tour, tout ce Monde, -se le presentant comme un theatre -assez mal ordonné, & remply de -beaucoup de confusion, où les uns -jouënt des comedies, les autres des -tragedies, & où il luy est permis -d’intervenir <a id="FNanchor_34" href="#Footnote_34" class="fnanchor">[34]</a><i lang="la" xml:lang="la">tanquam Deus aliquis ex -machina</i>, toutes fois & quantes qu’il -en aura la volonté, ou que les diverses -occasions luy pourront persuader -de ce faire. Que si par avanture, -<span class="sc">Monseigneur</span>, il vous -semble extraordinaire, & hors de -saison de mon âge, & peut-estre -aussi de la bien-seance de ma condition, -que je me fasse si resolu en -ces matieres fort chatoüilleuses & -delicates d’elles-mêmes, & beaucoup -plus encore en la bouche -d’un jeune homme, lequel est appellé -par Horace, (<span lang="la" xml:lang="la">de Arte Poët.</span>) -<a id="FNanchor_35" href="#Footnote_35" class="fnanchor">[35]</a><i lang="la" xml:lang="la">Utilium tardus provisor</i>, & n’a pas -accoustumé de s’adonner à des -estudes si serieuses & importantes,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_36" href="#Footnote_36" class="fnanchor">[36]</a>Quæque decent longa decoctam ætate senectam.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_23" href="#FNanchor_23"><span class="label">[23]</span></a> Ainsy comme la religion revere les Dieux, -& que la superstition les offense, tous les gens -de bien embrasseront la clemence & la douceur ; -mais ils éviteront la compassion. Car -c’est une marque d’un cœur bas, & d’un esprit -foible, de se laisser toucher aux maux que l’on -voit souffrir aux autres.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_24" href="#FNanchor_24"><span class="label">[24]</span></a> Qu’il n’y a rien qui soit si bienseant à un -homme qu’un grand courage.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_25" href="#FNanchor_25"><span class="label">[25]</span></a> Car pour -ménager une grande fortune il faut un grand -esprit, & tel que s’il ne s’est élevé jusques à elle -& ne s’est placé au dessus, il la renverse & la -met plus bas que la terre.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_26" href="#FNanchor_26"><span class="label">[26]</span></a> A esté méprisé & moqué pour avoir voulu -composer des livres, & faire l’homme de -lettres.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_27" href="#FNanchor_27"><span class="label">[27]</span></a> Ce fut un homme simple, sans erudition, -& qui ne pouvoit pas même comprendre les -affaires humaines.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_28" href="#FNanchor_28"><span class="label">[28]</span></a> Adrien sixiéme qui -avoit le goust insipide pour toutes sortes de -viandes aussi-bien que l’esprit hebeté, & le jugement -depravé pour l’administration de la -Republique, avoit déja mis un prix excessif -au Merlus, qui est un poisson assés commun, -ce qui attira la risée de tout le marché aux -poissons.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_29" href="#FNanchor_29"><span class="label">[29]</span></a> Il arriva en ce rencontre aux Cardinaux -ce que la fable raconte du Leopard & du Lion -sur l’enlevement d’un agneau ; que pendant -que ces deux genereux animaux se déchiroient -en disputant vaillamment à qui auroit -la proye, une autre beste à quatre pieds, des -plus brutes & lâches, s’en rendit la maitresse.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_30" href="#FNanchor_30"><span class="label">[30]</span></a> Car on ne peut acheter l’esprit, ni l’acquerir -par aucune autre voie.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_31" href="#FNanchor_31"><span class="label">[31]</span></a> En verité -l’homme sage se fabrique sa fortune lui-même.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_32" href="#FNanchor_32"><span class="label">[32]</span></a> Demandés un fort esprit qui soit gueri -des craintes de la mort.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_33" href="#FNanchor_33"><span class="label">[33]</span></a> O que l’homme est une chose méprisable, -s’il ne s’éleve au dessus des choses humaines.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_34" href="#FNanchor_34"><span class="label">[34]</span></a> Comme quelque divinité qui sort -d’une machine.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_35" href="#FNanchor_35"><span class="label">[35]</span></a> Negligent aux choses qui lui sont utiles.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_36" href="#FNanchor_36"><span class="label">[36]</span></a> Et qui convienent à la vieillesse consumée -dans l’âge.</p> -</div> -<p class="noindent">Je puis premierement répondre à -V. E. que l’âge auquel je me treuve, -n’est aucunement disproportionné -à la matiere & au sujet que -je traitte. Le Poëte qui a le premier -proféré ces deux beaux vers,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_37" href="#Footnote_37" class="fnanchor">[37]</a>Optima quæque dies miseris mortalibus ævi</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Prima fugit, subeunt morbi tristisque senectus.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virgil. 3. Georg.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_37" href="#FNanchor_37"><span class="label">[37]</span></a> Le meilleur de nos jours passe -& fuit le premier : les maux marchent ensuite -& la triste vieillesse.</p> -</div> -<p class="noindent">passeroit à un besoin pour garend -& caution de mon dire, puis qu’il -luy donne une si belle epithete ; sur -lequel Seneque voulant glosser à -sa mode, <a id="FNanchor_38" href="#Footnote_38" class="fnanchor">[38]</a><i lang="la" xml:lang="la">Quare optima ?</i> dit-il, -<i lang="la" xml:lang="la">quia juvenes possumus facilem animum, -& adhuc tractabilem ad meliora convertere ; -quia hoc tempus idoneum est -laboribus, idoneum agitandis per studia -ingeniis</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Epist. 108.</span>) Et si beaucoup -de personnes ont executé -plusieurs belles entreprises, auparavant -la fleur de leur âge ; pourquoy -me sera-t-il defendu de les -suivre de loin, & de produire sinon -des actions genereuses & relevées, -au moins quelques fortes -& hardies conceptions ? Veu principalement -que je me suis toujours -efforcé d’acquerir certaines -dispositions d’esprit, qui ne m’y -doivent pas estre maintenant inutiles. -Car il est vray que j’ay cultivé -les Muses sans les trop caresser ; -& me suis assez plû aux estudes -sans trop m’y engager : j’ay -passé par la Philosophie Scholastique -sans devenir Eristique, & par -celle des plus vieux & modernes -sans me partialiser,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_39" href="#Footnote_39" class="fnanchor">[39]</a>Nullius addictus jurare in verba magistri.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_38" href="#FNanchor_38"><span class="label">[38]</span></a> Pourquoy le meilleur ? pource que nous -pouvons beaucoup apprendre en nostre jeunesse, -& faire tourner nostre ame encore facile -& traitable du costé de la vertu ; parce -que ce temps-là est le plus propre à supporter -la peine, à exercer l’esprit dans l’estude & le -corps dans le travail.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_39" href="#FNanchor_39"><span class="label">[39]</span></a> Ne m’estant point obligé par serment, de -suivre l’opinion d’aucun maistre.</p> -</div> -<p class="noindent">Seneque m’a plus servi qu’Aristote ; -Plutarque que Platon : Juvenal -& Horace qu’Homere & Virgile : -Montaigne & Charon que -tous les precedens. Je n’ay pas eu -la pratique du Monde, pour découvrir -par effet les ruses & méchancetez -qui s’y commettent, -mais j’en ay toutefois veu une -grande partie dans les Histoires, -Satyres & Tragedies. Le Pedantisme -a bien pû gagner quelque -chose pendant sept ou huit ans -que j’ay demeuré dans les Colleges, -sur mon corps & façons -de faire exterieures, mais je me -puis vanter asseurément qu’il n’a -rien empieté sur mon esprit. La -Nature, Dieu mercy, ne luy a pas -esté marastre, elle luy a donné -une bonne base & fondement, la -lecture de divers Auteurs l’a -beaucoup aidé, mais celle du Livre -de S. Anthoine luy a fourny -ce qu’il a de meilleur. En -suite de quoy je ne croy pas -que V. E. puisse treuver mauvais -qu’estant tout plein de zele -& de bonne affection à son -service, j’employe ces pensées -qui me sont particulieres, pour -honnestement le divertir : sans -avoir dessein de rencontrer quelque -Agamemnon, lequel me dise -comme à ce jeune homme de Petrone -qui venoit faire une longue -declamation, <a id="FNanchor_40" href="#Footnote_40" class="fnanchor">[40]</a><i lang="la" xml:lang="la">Adolescens, quoniam -sermonem habes non publici saporis, & -quod rarissimum est amas bonam mentem, -non fraudabere arte secreta</i> : -(<span lang="la" xml:lang="la">Init. Satyr.</span>) Et je n’estime pas -aussi de manquer d’occasion pour -faire valoir mon petit talent dans la -vie contemplative, à laquelle j’ay -voüé & destiné tout le reste de -la mienne, sans me vouloir empescher -& empestrer dans l’active, -sinon autant que le service de -V. E. à laquelle j’ay fait le premier -vœu d’obeïr, m’y pourroit -engager.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_40" href="#FNanchor_40"><span class="label">[40]</span></a> Jeune homme, parce que vos discours -ont un agrément particulier, & que vous avez -de la passion pour les bons esprits, ce qui est -tres-rare, vous ne manquerés pas d’avoir de talens -particuliers.</p> -</div> -<p>Reste doncques maintenant à -voir, si je n’outrepasse point les -bornes de ma capacité, en voulant -traitter de ces choses autant -éloignées semble-t-il de ma connoissance, -que le jour l’est de la -nuit ; qui est la derniere difficulté -que je me suis proposé cy-dessus -de resoudre. Et à cela je pourrois -répondre brievement, que -la difficulté seroit bientost vuidée, -si l’on en vouloit passer par cet -arrest de Seneque, <a id="FNanchor_41" href="#Footnote_41" class="fnanchor">[41]</a><i lang="la" xml:lang="la">Paucis ad bonam -mentem opus est literis.</i> Mais -pour en specifier quelque chose -davantage, j’avoüe ingenûment -que je n’ay point tant de presomption, -& de bonne opinion de -moy-même que de penser gagner -le prix en cette course, où je suis -encore tout nouveau. Neanmoins -puis que suivant le dire du Poëte, -(<span lang="la" xml:lang="la">Horat. 1. Ep. 1.</span>)</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_42" href="#Footnote_42" class="fnanchor">[42]</a>Est aliquid prodire tenus, si non datur ultra ;</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_41" href="#FNanchor_41"><span class="label">[41]</span></a> Un bon esprit n’a pas besoin de beaucoup -de lettres.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_42" href="#FNanchor_42"><span class="label">[42]</span></a> C’est toujours faire quelque -progrés, si on ne peut pas passer outre.</p> -</div> -<p class="noindent">je feray quelque petit effort, & -marcheray jusques à ce que je sois -las ou hors du droit chemin, alors -je me reposeray, & attandray -quelque nouvelle connoissance -ou instruction pour passer plus -outre. Le bon homme Aratus qui -n’entendoit pas grand’chose en -l’Astrologie, fit toutefois un beau -Livre de ses Phenomenes ; Celse -qui n’estoit que pur Grammairien, -a nonobstant composé un -livre de grande importance en -Medecine : Dioscoride estoit soldat, -Macer Senateur, & tous deux -ont fort bien écrit des plantes ; -Hippodamus même de simple architecte -& masson devint grand -Politique, & auteur d’une Republique -mentionnée par Aristote. -Aussi j’ay toujours esté de cette -opinion, que quiconque a tant -soit peu de naturel & d’acquis par -les estudes, il peut inferer & deduire -de cinq ou six bons principes, -toutes sortes de conclusions, -comme Pline dit, que les -Peintres anciens faisoient leurs -plus belles pieces par le meslange -de quatre ou cinq sortes de couleurs -seulement. On peut aussi -ajouster, que les sciences semblent -estre comme enchainées, -& cadenacées les unes avec les autres, -& avoir une telle correspondance, -que qui en possede une, -possede aussi toutes celles qui luy -sont subalternes. Et de plus que -le siecle où nous sommes, semble -beaucoup favoriser ce dessein, -puis que l’on peut à peu prés sçavoir -& découvrir tous les plus -grands secrets des Monarchies, -les intrigues des cours, les cabales -des factieux, les pretextes & motifs -particuliers, & en un mot, -<a id="FNanchor_43" href="#Footnote_43" class="fnanchor">[43]</a><i lang="la" xml:lang="la">quid Rex in aurem Reginæ dixerit, -Quid Juno fabulata sit cum Jove</i>, -(<span lang="la" xml:lang="la">Plaut.</span>) par le moyen de tant de -relations, memoires, discours, instructions, -libelles, manifestes, -pasquins, & semblables pieces secrettes, -qui sortent tous les jours -en lumiere, & qui sont en effet -capables de mieux & plus facilement -former, dégourdir, & -deniaiser les esprits, que toutes les -actions qui se pratiquent ordinairement -és Cours des Princes, dont -nous ne pouvons qu’à grand’peine -connoistre l’importance, faute -d’avoir penetré dans leurs causes, -& divers mouvemens. Bref -pour finir en peu de mots ce qui -concerne le particulier de ma personne,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_44" href="#Footnote_44" class="fnanchor">[44]</a>Quod Cato, quod Curius sanctissima nomina quondam</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Senserunt, non quid vulgus, plebsque inscia dicat,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Mente agito, atque mihi propono exempla bonorum.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Paling. in Tauro.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_43" href="#FNanchor_43"><span class="label">[43]</span></a> Ce que le Roy a dit en secret à la Reine, -& les discours que Junon a tenus à Jupiter.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_44" href="#FNanchor_44"><span class="label">[44]</span></a> Je ne pense point à ce que pourra dire le -vulgaire, & la populace ignorante, mais je -medite sur les sentimens qu’ont eu jadis Caton -& Curius, dont les noms sont en grande -veneration, & me propose toujours l’exemple -des gens de bien.</p> -</div> -<p class="noindent">Il est bien vray que ce dessein -estant un des plus relevez que -l’on puisse choisir en toute la Politique, -il en sera d’autant plus difficile ; -mais aussi me fait-il esperer -que la fin en sera plus glorieuse ; -pour moy je me suis toujours plû -de dire avec Properce,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_45" href="#Footnote_45" class="fnanchor">[45]</a>Magnum inter ascendo, sed dat mihi gloria vires ;</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Non juvat ex facili lecta corona jugo.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_45" href="#FNanchor_45"><span class="label">[45]</span></a> J’entreprens quelque chose de grand & -qui surpasse ma portée, mais la gloire que -j’espere y acquerir me donne des forces pour le -faire ; je n’aime point les couronnes qu’on remporte -sans peine.</p> -</div> -<p class="noindent">Et au pire aller, aux choses grandes -l’oser est honorable, aux perilleuses -l’entreprise est hardie, aux -hautes & relevées, la cheute glorieuse ; -aux grandes mers si la route -n’est heureuse, le naufrage est -celebre : J’ébauche, un autre achevera ; -j’ouvre la lyce, un autre touchera -le but ; je sonne la trompette, -un autre gagnera le prix, -il y a assez de personnes en ce -monde qui ne peuvent marcher -que sur les chemins tracez par -ceux qui les ont precedé ; le nombre -des esprits, qui travaillent tous -les jours à imiter les autres est -assez grand, sans que je captive -encore le mien sous cet esclavage : -& puis que tous les Auteurs -qui traittent de la Politique, ne -mettent point de fin à leurs discours -ordinaires de la Religion, -Justice, Clemence, Liberalité, & -autres semblables vertus du Prince, -ou du Ministre, il vaut mieux -que je m’écarte un peu, pour -n’estre atteint de cette contagion, -ny envelopé d’une telle foule ; & -que pour n’arriver des derniers, -je passe par un nouveau chemin, -qui ne soit point fréquenté par -le <a id="FNanchor_46" href="#Footnote_46" class="fnanchor">[46]</a><i lang="la" xml:lang="la">servum pecus</i> d’Horace, ny entrecoupé -de ces grands Fangears -& Marais relentis, où il y a si long-temps -que</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_47" href="#Footnote_47" class="fnanchor">[47]</a>Veterem in limo Ranæ cecinere querelam.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_46" href="#FNanchor_46"><span class="label">[46]</span></a> Les esclaves, ou gens de basse condition.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_47" href="#FNanchor_47"><span class="label">[47]</span></a> Les grenouilles ont chanté leurs vieilles -plaintes dans la bouë.</p> -</div> -<p class="noindent">Or entre tous les points de la Politique, -je ne voy pas qu’il y en -ait un moins agité & moins rebatu, -ny pareillement plus digne -de l’estre que celuy des secrets, -ou pour mieux dire des Coups -d’Estat, car ce qu’en a dit Clapmarius -en son traitté <a id="FNanchor_48" href="#Footnote_48" class="fnanchor">[48]</a><i lang="la" xml:lang="la">de Arcanis Imperiorum</i>, -ne peut fournir une exception -valable, puis que n’ayant -pas seulement conceu ce que signifioit -le titre de son livre, il n’y -a parlé que de ce que les autres -Ecrivains avoient déja dit & repeté -mille fois auparavant, touchant les -regles generales de l’administration -des Estats & Empires. Et d’autant -que cette matiere est si nouvelle, -& relevée par dessus les communs -sentimens des Politiques, -qu’elle n’a presque encore esté -effleurée par aucun d’eux, comme -l’a remarqué Bodin au sixiéme de -sa Methode en ces mots : <a id="FNanchor_49" href="#Footnote_49" class="fnanchor">[49]</a><i lang="la" xml:lang="la">Multi -multa graviter & copiosè de ferendis -moribus, de sanandis populis, de Principe -instituendo, de legibus stabiliendis, -leviter tamen de statu, nihil de conversionibus -Imperiorum, & iis quæ Aristoteles -Principum σοφίσματα, seu -κρύφια Tacitus Imperii Arcana vocat, -ne attigerunt quidem :</i> Je marcheray -toujours la bride en main, -& apporteray toute la precaution, -modestie, & retenuë possible, pour -assaisonner & temperer ces discours, -desquels on peut encore -mieux dire, que Platon ne faisoit -de ceux de Theologie, οὑτοί γε οἱ λόγοι -χαλεποί, <a id="FNanchor_50" href="#Footnote_50" class="fnanchor">[50]</a><i lang="la" xml:lang="la">difficiles & cum discrimine -hi sermones</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Libr. de Repub.</span>) -Cardan & Campanelle font passer -pour un precepte d’importance, -que pour bien traitter, ou -presenter quelque sujet, il en faut -concevoir une parfaite idée, & y -transmuer, s’il est possible, tout son -esprit, & toute son imagination ; -d’où l’on voit souvent arriver, que -ceux des Comediens qui sont -le mieux pourveus de cette faculté -imaginative joüent aussi toujours -mieux leurs personnages. -L’on dit en France, que Dubartas -auparavant que de faire cette -belle description du Cheval où il -a si bien rencontré, s’enfermoit -quelquefois dans une chambre, -& se mettant à quatre pattes souffloit, -hennissoit, gambadoit, tiroit -des ruades, alloit l’amble, le trot, -le galot, à courbette, & taschoit -par toutes sortes de moyens à bien -contrefaire le Cheval. Agrippa -même avouë, que lors qu’il voulut -composer sa declamation contre -les sciences, il s’imagina d’estre -comme un Chien qui abayoit à -toutes sortes de personnes ; & lors -qu’il voulut écrire de la Pyrotechnie, -ou des feux d’artifice, il -se persuadoit d’estre changé en un -Dragon, qui souffloit le feu, & -le souphre par la gueule, les yeux, -les oreilles & les narines. Pour -moy lors que je traitteray ou écriray -de quelque sujet absolument -bon & profitable, je seray bien-aise -de me servir de ces imaginations ; -mais en cette matiere qui -est si panchante vers l’injustice, -je ne m’imagineray jamais d’estre -quelque Neron, ou Busiris, pour -mieux treuver les moyens de perdre -& d’exterminer le genre humain. -Ce me sera assez de ne pas -encourir le blasme & la censure, -que Neron donnoit aux Politiques -& Conseillers de son temps, -<a id="FNanchor_51" href="#Footnote_51" class="fnanchor">[51]</a><i lang="la" xml:lang="la">quod tanquam in Platonis Republica, -non tanquam in Romuli fæce sententiam -dicerent</i>. Et si je sçavois que -le peu que j’en diray pust causer -quelque abus & desordre plus -grand que celuy qui est aujourd’huy -en pratique entre les Princes, -je jetterois tout maintenant -la plume & le papier dans le feu, & -ferois vœu d’eternel silence, pour -ne me point acquerir la loüange -d’un homme fin & rusé dans les -speculations Politiques, en perdant -celle d’homme de bien, de -laquelle seule je veux faire capital, -& me vanter tout le reste de -ma vie.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_48" href="#FNanchor_48"><span class="label">[48]</span></a> Des secrets des Empires.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_49" href="#FNanchor_49"><span class="label">[49]</span></a> Plusieurs ont traité au fond & fort amplement -de l’établissement des mœurs, de la -guerison des peuples, de l’institution des Princes, -& de l’affermissement des loix ; mais ils -ont passé fort legerement sur les affaires d’Estat, -& n’ont rien dit des revolutions des Empires, -& de ce qu’Aristote appelle sophismes ou secrets -des Princes ; & Tacite, secrets de l’Empire.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_50" href="#FNanchor_50"><span class="label">[50]</span></a> Ces discours sont fort difficiles & dangereux.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_51" href="#FNanchor_51"><span class="label">[51]</span></a> Qu’ils donnoient leur avis ou opinoient -comme s’ils estoient dans la Republique de -Platon, & non parmy la populace abjecte & -basse de Romulus.</p> -</div> -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch2"><span class="sc">Chapitre II.</span><br /> -<span class="i">Quels sont proprement les Coups d’Estat, -& de combien de sortes.</span></h2> - - -<p>Mais pour ne pas demeurer -toujours en ces prefaces, & -parler enfin du sujet pour lequel -elles sont faites, ce grand homme -Juste Lipse traitant en ses Politiques -de la prudence, il la definit -en peu de mots, <i>un choix & triage -des choses qui sont à fuïr, ou à desirer</i> ; -& aprés en avoir amplement -discouru comme on la prend d’ordinaire -dans les Ecoles, c’est à -dire pour une vertu morale, qui -n’a pour objet que la consideration -du bien ; il vient en suite à -parler d’une autre prudence, laquelle -il appelle meslée, parce -qu’elle n’est pas si pure, si saine -& entiere que la precedente ; participant -un peu des fraudes & des -stratagemes qui s’exercent ordinairement -dans les Cours des Princes, -& au maniement des plus importantes -affaires du Gouvernement : -Aussi s’efforce-t-il de monstrer -par son eloquence, que telle sorte -de Prudence doit estre estimée -honneste, & qu’elle peut estre -pratiquée comme legitime, & -permise. Aprés quoy il la definit -assez judicieusement, <a id="FNanchor_52" href="#Footnote_52" class="fnanchor">[52]</a><i lang="la" xml:lang="la">Argutum -consilium à virtute, aut legibus devium, -Regni Regisque bono</i> ; & de là passant -à ses especes & differences, il en -constitue trois principales : la premiere -desquelles, que l’on peut -appeller une fraude ou tromperie -legere, fort petite, & de nulle -consideration, comprend sous soy -la défiance, & la dissimulation ; la -seconde qui retient encore quelque -chose de la vertu, moins toutefois -que la precedente, a pour -ses parties, <a id="FNanchor_53" href="#Footnote_53" class="fnanchor">[53]</a><i lang="la" xml:lang="la">conciliationem & deceptionem</i>, -c’est à dire le moyen de -s’acquerir l’amitié & le service des -uns, & de leurer, decevoir, & -tromper les autres, par fausses -promesses, mensonges, presens & -autres biais, & moyens, s’il faut -ainsi dire, de contrebande, & -plutost necessaires que permis ou -honnestes. Quant à la derniere, -il dit qu’elle s’éloigne totalement -de la vertu & des loix, se plongeant -bien avant dans la malice, & -que les deux bases, & fondemens -plus asseurez sont la perfidie & -l’injustice.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_52" href="#FNanchor_52"><span class="label">[52]</span></a> Un conseil fin & artificieux qui s’écarte -un peu des loix & de la vertu, pour le bien du -Roy & du Royaume.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_53" href="#FNanchor_53"><span class="label">[53]</span></a> La conciliation & la deception.</p> -</div> -<p>Il me semble toutefois, que -pour chercher particulierement la -nature de ces secrets d’Estat, & -enfoncer tout d’un coup la pointe -de nostre discours jusques à ce qui -leur est propre & essentiel, nous -devons considerer la <i>Prudence</i> comme -une vertu morale & politique, -laquelle n’a autre but que de -rechercher les divers biais, & les -meilleures & plus faciles inventions -de traitter & faire reüssir -les affaires que l’homme se propose. -D’où il s’ensuit pareillement -que comme ces affaires & divers -moyens ne peuvent estre que de -deux sortes, les uns faciles & ordinaires, -les autres extraordinaires, -fascheux & difficiles ; aussi ne -doit-on établir que deux sortes -de prudence : la premiere ordinaire -& facile, qui chemine suivant -le train commun sans exceder -les loix & coustumes du païs : -la seconde extraordinaire, plus rigoureuse, -severe & difficile. La -premiere comprend toutes les parties -de prudence, desquelles les -Philosophes ont accoustumé de -parler en leurs traittez moraux, -& outre plus ces trois premieres -mentionées cy-dessus, & que Juste -Lipse attribue seulement à la prudence -meslée & frauduleuse. Parce -que, à dire vray, si on considere -bien leur nature & la necessité -qu’ont les Politiques de s’en servir, -on ne peut à bon droit soupçonner -qu’elles soient injustes, vicieuses -ou deshonnestes. Ce que -pour mieux comprendre, il faut -sçavoir comme dit Charon, (<span lang="la" xml:lang="la">Lib. -3. c. 2.</span>) que la justice, vertu -& probité du Souverain, chemine -un peu autrement que celle -des particuliers ; elle a ses alleures -plus larges & plus libres à -cause de la grande, pesante & dangereuse -charge qu’il porte, c’est -pourquoy il luy convient marcher -d’un pas qui peut sembler -aux autres detraqué & déreglé, -mais qui luy est necessaire, loyal, -& legitime ; il luy faut quelquefois -esquiver & gauchir, mesler -la prudence avec la justice, & -comme l’on dit, <a id="FNanchor_54" href="#Footnote_54" class="fnanchor">[54]</a><i lang="la" xml:lang="la">cum vulpe junctum -vulpinari</i> : C’est en quoy -consiste la <i>pedie</i> de bien gouverner. -Les Agens, Nonces, Ambassadeurs, -Legats sont envoyez, -& pour épier les actions des Princes -étrangers, & pour dissimuler, -couvrir, & déguiser celles de -leurs Maistres. Louys XI, le plus -sage & avisé de nos Roys, tenoit -pour Maxime principale de -son Gouvernement, que <a id="FNanchor_55" href="#Footnote_55" class="fnanchor">[55]</a><i lang="la" xml:lang="la">qui -nescit dissimulare nescit regnare</i> ; & -l’Empereur Tibere, <a id="FNanchor_56" href="#Footnote_56" class="fnanchor">[56]</a><i lang="la" xml:lang="la">nullam ex -virtutibus suis magis quàm dissimulationem -diligebat</i>. Ne voit-on pas que -la plus grande vertu qui regne -aujourd’huy en Cour, est de se -défier de tout le monde, & dissimuler -avec un chacun, puis que -les simples & ouverts, ne sont en -nulle façon propres à ce mestier -de gouverner, & trahissent bien -souvent eux & leur Estat. Or non -seulement ces deux parties de se -défier & dissimuler à propos, qui -consistent en l’omission, sont necessaires -aux Princes ; mais il est -encore souventefois requis de passer -outre, & de venir à l’action & -commission, comme par exemple -de gagner quelque avantage, ou -venir à bout de son dessein par -moyens couverts, equivoques, & -subtilitez ; affiner par belles paroles, -lettres, ambassades ; faisant -& obtenant par subtils moyens, -ce que la difficulté du temps & -des affaires empesche de pouvoir -autrement obtenir ; <a id="FNanchor_57" href="#Footnote_57" class="fnanchor">[57]</a><i lang="la" xml:lang="la">& si rectà -portum tenere nequeas, idipsum mutata -velificatione assequi</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Cicero -lib. 11. ad Lentul.</span>) Il est pareillement -besoin de faire & dresser -des pratiques & intelligences secretes, -attirer finement les cœurs -& affections des Officiers, serviteurs, -& confidens des autres -Princes & Seigneurs étrangers, -ou de ses propres sujets ; ce que -Ciceron appelle au premier des -Offices, <a id="FNanchor_58" href="#Footnote_58" class="fnanchor">[58]</a><i lang="la" xml:lang="la">conciliare sibi animos hominum -& ad usus suos adjungere</i>. A -quoy faire doncques établir une -prudence particuliere & meslée, -de laquelle ces actions dépendent -particulierement, comme fait Juste -Lipse, puis qu’elles se peuvent -rapporter à l’ordinaire, & que -telles ruses sont tous les jours enseignées -par les Politiques, inserées -dans leurs raisonnemens, persuadées -par les Ministres, & pratiquées -sans aucun soupçon d’injustice, -comme estant les principales -regles & maximes pour -bien policer & administrer les -Estats & Empires. Aussi ne meritent-elles -d’estre appellées secrets -de Gouvernement, Coups d’Estat, -& <a id="FNanchor_59" href="#Footnote_59" class="fnanchor">[59]</a><i lang="la" xml:lang="la">Arcana Imperiorum</i>, comme -celles qui pour estre comprises -sous cette derniere sorte de prudence -extraordinaire, qui donne -le branle aux affaires plus fascheuses -& difficiles, meritent particulierement -& privativement à -toutes autres, d’estre appellées <i lang="la" xml:lang="la">Arcana -Imperiorum</i>, puis que c’est -le seul titre que non seulement -moy, mais tous les bons Auteurs -qui ont écrit auparavant moy leur -ont donné.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_54" href="#FNanchor_54"><span class="label">[54]</span></a> Renarder, ou user de finesse, avec le renard.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_55" href="#FNanchor_55"><span class="label">[55]</span></a> Qui ne sçait pas dissimuler ne sçait pas -aussi regner.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_56" href="#FNanchor_56"><span class="label">[56]</span></a> De toutes les vertus qu’il possedoit -il n’y en avoit point qu’il aimast plus -que la dissimulation.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_57" href="#FNanchor_57"><span class="label">[57]</span></a> Et si on ne peut aller tout droit au port, -y arriver en louvoyant & en changeant de -cours.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_58" href="#FNanchor_58"><span class="label">[58]</span></a> S’acquerir les cœurs des hommes, & les -employer à son usage.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_59" href="#FNanchor_59"><span class="label">[59]</span></a> Secrets des Empires.</p> -</div> -<p>Et en cela certainement nous -pouvons remarquer la faute de -beaucoup de Politiques, & principalement -de Clapmarius, lequel -voulant faire un gros Livre de -<i lang="la" xml:lang="la">Arcanis Imperiorum</i>, & les reduire -sous quelques preceptes generaux, -il dit premierement, que -les secrets d’Estat ne sont rien autre -chose que les divers moyens, -raisons & conseils desquels les -Princes se servent pour maintenir -leur Autorité, & l’estat du public, -sans toutefois transgresser -le droit commun, ou donner aucun -soupçon de fraude & d’injustice. -Ce qu’ayant presupposé -comme bien étably & veritable, -il les divise en deux sortes, & dit -que les premiers se doivent appeller -secrets d’Empire, ou de -Republiques, lesquels à raison des -trois sortes de Gouvernemens il -subdivise encore en six autres -manieres, d’autant, par exemple, -que l’Estat Monarchique doit avoir -de certains moyens & raisons -particulieres pour se donner -de garde d’estre commandé par -plusieurs qui le reduiroient en Aristocratie ; -d’autres pour obvier -au Gouvernement d’une populace -& ne se changer en Democratiques : -& ainsi ces deux derniers -doivent faire en sorte de ne point -devenir Monarchiques, ou de ne -point tomber en quelque autre -forme de Gouvernement qui leur -soit opposé. Les seconds sont ceux -qu’il nomme & qualifie du titre -de secret de domination, lesquels -ceux qui commandent sont obligez -de pratiquer pour se conserver -en leur autorité soit Monarchique, -populaire ou Aristocratique. Ce -qu’il confirme par une curieuse -enumeration de tous ces moyens, -suivant qu’il les a pû remarquer -dedans Tite Live, Saluste, Amarcellin, -& beaucoup d’Auteurs, -lesquels semblent demeurer tous -d’accord de la signification de ces -mots, de la même façon que Clapmarius -s’en est servy en tout son -livre. Or cela me feroit aucunement -redouter l’indignation de -tous ces grands personnages, si je -m’emancipois sans leur avoir demandé -permission, de leur dire -qu’usurpant ce mot de secrets -d’Estat, selon qu’il a esté exposé -cy-dessus, ils semblent s’éloigner -de sa signification, & ne pas bien -comprendre la nature de la chose ; -estant certain que ces dictions Latines, -<a id="FNanchor_60" href="#Footnote_60" class="fnanchor">[60]</a><i lang="la" xml:lang="la">secretum & arcanum</i>, desquels -ils se servent pour l’exprimer, -ne doivent point estre attribuez -aux preceptes & maximes d’une -science, laquelle est commune, -entenduë & pratiquée par un chacun : -mais seulement à ce que -pour quelque raison ne doit estre -ny connu ny divulgué, parce que -suivant que remarque le Poëte -Marbodæus,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_61" href="#Footnote_61" class="fnanchor">[61]</a>Non secreta manent, quorum fit conscia turba.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Libr. de Gem.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_60" href="#FNanchor_60"><span class="label">[60]</span></a> Secret & caché.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_61" href="#FNanchor_61"><span class="label">[61]</span></a> Les choses qu’on communique -à plusieurs personnes, ne demeurent -pas secretes.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_62" href="#FNanchor_62"><span class="label">[62]</span></a> Secret.</p> -</div> -<p class="noindent">Aussi apprenons nous des Grammairiens, -que ce mot <a id="FNanchor_62" href="#Footnote_62" class="fnanchor">[62]</a><i>d’<span lang="la" xml:lang="la">arcanum</span></i>, -peut estre derivé <span lang="la" xml:lang="la">ab <a id="FNanchor_63" href="#Footnote_63" class="fnanchor">[63]</a><i>arce</i></span>, soit -comme est d’avis Festus Pompeius, -que les Augures eussent -coustume d’y faire un certain sacrifice, -qu’ils vouloient éloigner -de la connoissance du peuple, ou -parce que toutes choses secretes -& de consequence sont mieux gardées -<a id="FNanchor_64" href="#Footnote_64" class="fnanchor">[64]</a><i lang="la" xml:lang="la">in arce</i>, qu’en autre lieu. -Ceux qui le tirent <a id="FNanchor_65" href="#Footnote_65" class="fnanchor">[65]</a><i lang="la" xml:lang="la">ab arca</i> semblent -aussi ne se pas éloigner de -la même opinion, & les bons Auteurs -ne se sont jamais servis de ces -deux mots qu’en pareille signification. -Virgile,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_66" href="#Footnote_66" class="fnanchor">[66]</a>Longius & volvens fatorum arcana movebo.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Æneid. 1.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_63" href="#FNanchor_63"><span class="label">[63]</span></a> Forteresse.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_64" href="#FNanchor_64"><span class="label">[64]</span></a> Dans une forteresse.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_65" href="#FNanchor_65"><span class="label">[65]</span></a> Coffre.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_66" href="#FNanchor_66"><span class="label">[66]</span></a> Et je vous raconteray plus au long le secret des fatalités.</p> -</div> -<p class="noindent">& en un autre lieu :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_67" href="#Footnote_67" class="fnanchor">[67]</a>Te colere, arcanos etiam tibi credere sensus.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_67" href="#FNanchor_67"><span class="label">[67]</span></a> T’honorer & te confier les plus secretes -pensées & passions de mon cœur.</p> -</div> -<p class="noindent">Horace,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_68" href="#Footnote_68" class="fnanchor">[68]</a>Secretumque teges & vino tortus & irâ.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_68" href="#FNanchor_68"><span class="label">[68]</span></a> Le vin ni la colere ne te doivent pas faire reveler -le secret qu’on t’aura confié.</p> -</div> -<p class="noindent">Et pour finir par celle de Lucain, -n’a-t-il pas dit en parlant de la -source du Nil, qui estoit totalement -inconnuë aux Egyptiens -mêmes,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_69" href="#Footnote_69" class="fnanchor">[69]</a>Arcanum natura caput non protulit ulli,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Nec licuit populis parvum te Nile videre,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Amovitque sinus, & Gentes maluit ortus</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Mirari quam nosse tuos.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_69" href="#FNanchor_69"><span class="label">[69]</span></a> La nature n’a découvert à personne ta -source, ô Nil, & il n’y a point de peuple qui -ait pû te voir en ton commencement : elle a -éloigné tes replis, & a mieux aimé faire admirer -ton origine aux nations, que de la leur -faire connoître.</p> -</div> -<p class="noindent">Je remarqueray toutefois comme -en passant, que l’on peut tirer -un beau parallele entre ce -fleuve du Nil & les secrets d’Estat. -Car tout ainsi que les peuples -plus voisins de sa source en tiroient -mille commoditez sans avoir -aucune connoissance de son -origine ; ainsi faut-il que les peuples -admirent les heureux effets de -ces Coups de Maistre sans pourtant -rien connoistre de leurs causes -& divers ressorts. Or aprés -avoir monstré que ces Ecrivains -ont corrompu les mots, nous -pouvons encore dire qu’ils ont -pareillement depravé la nature de -la chose, veu qu’ils nous proposent -des preceptes generaux & des -maximes universelles, fondées sur -la justice & droit de Souveraineté, -& par consequent permises & pratiquées -tous les jours, au veu & -sceu de tout le monde ; lesquels -neanmoins ils estiment estre des -secrets d’Estat. Aussi ne prenoient-ils -pas garde qu’il y a une grande -difference entre ceux-là, & -ceux dont nous voulons parler ; -puis que un chacun est fait sçavant, -& rendu capable des premiers, -pour si peu d’estude qu’il -veüille faire dans les Auteurs qui -en ont traitté ; où au contraire -ceux dont il est maintenant question, -naissent dans les plus retirez -cabinets des Princes, & ne -se traittent ny deliberent en plein -Senat, ou au milieu d’une Cour -de Parlement ; mais entre deux ou -trois des plus avisez & plus confidens -Ministres qu’ait un Prince. -Et en effet, nous voyons -qu’Auguste, lors qu’il eut dessein, -aprés avoir gagné la bataille -Actiaque, & appaisé les guerres -civiles & étrangeres, de quitter -le titre d’Empereur, & de rendre -la liberté à sa patrie ; il n’en communiqua -pas au Senat, quoy qu’il -l’eust augmenté de six cens Senateurs ; -ny à son Conseil particulier, -qui estoit composé de vingt -personnes les plus doctes & judicieuses -qu’il avoit pû choisir ; -mais il proposa & remit toute cette -affaire au jugement de ses deux -principaux Amis, Ministres, & -Confidens, Mecenas & Agrippa, -<a id="FNanchor_70" href="#Footnote_70" class="fnanchor">[70]</a><i lang="la" xml:lang="la">quibuscum Imperii arcana communicare -solebat</i>, dit Dion. (<span lang="la" xml:lang="la">Libr. 53.</span>) -Et si nous voulons remonter jusques -à ce grand homme qui luy -avoit resigné sa fortune entre les -mains, Jules Cesar ; nous trouverons -dans Suetone <a id="FNanchor_71" href="#Footnote_71" class="fnanchor">[71]</a><i lang="la" xml:lang="la">in Julio</i>, qu’il -n’avoit que Quintus Pædius, & -Cornelius Balbus, avec lesquels il -communiquoit τὰ μυσικάτατα, -c’est à dire ce qu’il avoit de plus -secret & caché dans l’ame. Les -Lacedemoniens qui augmenterent -beaucoup leur Estat aprés la Victoire -de Lisandre, établirent bien -un conseil de trente personnes -pour gouverner les affaires de leur -Republique, mais non contens -de ce, ils choisirent douze des plus -judicieux & avisez de leurs Citoyens, -pour estre comme les Oracles -qui devoient par leur réponse -conclure les Coups d’Estat. -Les Venitiens font aujourd’huy -de même avec leurs six Procureurs -de Saint Marc ; & il n’y a aucun -Souverain tant foible soit-il -& de peu de consideration, qui -soit si mal avisé, que de remettre -au jugement du public ce qui à -peine demeure assez secret dans -l’oreille d’un Ministre ou Favori. -C’est ce qui a fait dire à Cassiodore, -<a id="FNanchor_72" href="#Footnote_72" class="fnanchor">[72]</a><i lang="la" xml:lang="la">Arduum nimis est Principis meruisse -secretum</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Libr. 8. Epist. 10.</span>) -& en un autre lieu, où il parle d’un -Conseiller secret de Theodoric, -<a id="FNanchor_73" href="#Footnote_73" class="fnanchor">[73]</a><i lang="la" xml:lang="la">Tecum pacis certa, tecum belli dubia -conferebat, & quod apud sapientes Reges -singulare munus est, ille sollicitus ad -omnia, tecum pectoris pandebat arcana.</i> -(<span lang="la" xml:lang="la">Lib. 8. Epist. 9.</span>) Eust-il pas -fait beau voir, que Charles IX -eust deliberé de faire la Saint Barthelemy -avec tous les Conseillers -de son Parlement, & que Henry -III eust conclu la mort de -Messieurs de Guise au milieu de -son Conseil ? Je croy certes qu’ils -y eussent aussi-bien reüssi, comme -à vouloir prendre les lievres -au son du tambour, ou les oiseaux -avec des sonnettes. Et de plus je -demanderois volontiers à ces Messieurs, -si tant est qu’ils appellent -les regles communes de regir & -gouverner les Royaumes, <a id="FNanchor_74" href="#Footnote_74" class="fnanchor">[74]</a><i lang="la" xml:lang="la">Arcana -Imperiorum</i>, quel nom ils pourront -donner à ces secrets meslez -d’un peu de severité, & sujets à -la prudence extraordinaire, desquels -nous venons maintenant de -parler. Car de les appeller comme -fait Clapmarius aprés Tacite, <a id="FNanchor_75" href="#Footnote_75" class="fnanchor">[75]</a><i lang="la" xml:lang="la">Flagitia -Imperiorum</i>, c’est plustost remarquer -ceux qui sont faits en -consideration d’un bien particulier, -& par quelque Tyran, que -beaucoup d’autres qui se font -pour l’interest public, & avec -toute l’equité que l’on peut apporter -en ces grandes entreprises, -qui toutefois ne peuvent jamais -estre si bien circonstanciées, qu’elles -ne soient toujours accompagnées -de quelque espece d’injustice, -& sujettes par consequent au -blasme & à la calomnie.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_70" href="#FNanchor_70"><span class="label">[70]</span></a> Auxquels il avoit accoustumé de communiquer -les secrets de l’Empire.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_71" href="#FNanchor_71"><span class="label">[71]</span></a> Sur Julius.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_72" href="#FNanchor_72"><span class="label">[72]</span></a> C’est par trop difficile d’avoir merité -d’estre introduit dans le secret du Prince.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_73" href="#FNanchor_73"><span class="label">[73]</span></a> Il conferoit avec toy des choses certaines de la -paix & des douteuses de la guerre, &, ce qui est -une faveur singuliere d’un Roy sage & prudent, -comme il avoit soin de tout, il te reveloit les -plus secretes pensées de son cœur.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_74" href="#FNanchor_74"><span class="label">[74]</span></a> Les secrets des Empires.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_75" href="#FNanchor_75"><span class="label">[75]</span></a> Fourberies des Empires.</p> -</div> -<p>Ces mots estant ainsi expliquez, -il nous faut passer à la nature -de la chose qu’ils signifient : -Or pour la bien penetrer & comprendre, -il est besoin d’en tirer -la recherche de plus haut, & -monstrer comme en la Monastique -ou gouvernement d’un seul, -& en l’œconomie ou administration -d’une famille, qui sont les -deux pivots de la Politique, il y a -de certaines ruses, détours, & -stratagemes, desquels beaucoup se -sont servis, & se servent encore -tous les jours pour venir à bout -de leurs pretensions. Charon en -son livre de la Sagesse, Cardan en -ses œuvres intitulées <a id="FNanchor_76" href="#Footnote_76" class="fnanchor">[76]</a><i lang="la" xml:lang="la">Proxeneta, -de utilitate capienda ex adversis, & de -sapientia</i> ; Machiavel en ses discours -sur T. Live, & en son Prince, en -ont donné assez amplement les -preceptes. Pour moy ce me sera assez -d’en rapporter quelques exemples ; -aprés avoir toutefois observé -qu’encore que Juste Lipse (<span lang="la" xml:lang="la">Civil. -doctr. lib. 4. c. 13.</span>) ait dit du dernier, -<a id="FNanchor_77" href="#Footnote_77" class="fnanchor">[77]</a><i lang="la" xml:lang="la">Ab illo facile obtinebimus, nec -maculonem Italum tam districtè damnandum -(qui misera qua non manu -hodie vapulat), & esse quandam, ut vir -sanctus ait, καλὴν καὶ ἐπαινετὴν πανουργίαν, -honestam atque laudabilem calliditatem</i>, -(<span lang="la" xml:lang="la">Basil. in Proverb.</span>) & -que Gaspar Schioppius ait fait un -petit livre en sa defense ; on luy -peut neanmoins sçavoir mauvais -gré, de ce que</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i2 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_78" href="#Footnote_78" class="fnanchor">[78]</a>Floribus Austrum</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Perditus, & liquidis immisit fontibus Apros.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virg. Bucol. Ecl. 2.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_76" href="#FNanchor_76"><span class="label">[76]</span></a> Le Courtier, ou moyenneur, du profit -qu’on peut tirer des infortunes, & de la -sagesse.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_77" href="#FNanchor_77"><span class="label">[77]</span></a> Nous obtiendrons facilement de -luy, que ce broüillon d’Italien n’est pas tant -à blâmer, quoy que les plus chetifs se mêlent -de le condamner aujourd’huy ; & qu’il y a de -certaines ruses loüables & honnestes, comme -dit le saint homme.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_78" href="#FNanchor_78"><span class="label">[78]</span></a> Il a malheureusement jetté un vent furieux -dans les fleurs, & des sangliers dans les -fontaines pour en troubler les clairs ruisseaux.</p> -</div> -<p class="noindent">Ayant le premier franchi le pas, -rompu la glace, & profané, s’il -faut ainsi dire, par ses écrits, ce -dont les plus judicieux se servoient -comme de moyens tres-cachez -& puissans pour faire mieux -reüssir leurs entreprises. Aussi ferois-je -conscience d’ajouster quelque -chose à ce qu’il en a dit, si -les susnommez & beaucoup d’autres -Politiques ne m’avoient devancé, -& donné quand & quand -sujet de dire en cette matiere, ce -que Juvenal disoit de la Poësie.</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_79" href="#Footnote_79" class="fnanchor">[79]</a>Stulta est clementia, cum tot ubique</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Vatibus occurras, perituræ parcere chartæ.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Satyr. 1.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_79" href="#FNanchor_79"><span class="label">[79]</span></a> C’est une sotte clemence d’épargner le -papier perissable, puisque tu te rencontres si -souvent en tant de lieux parmy les poëtes.</p> -</div> -<p class="noindent">Or entre les secrets de la Monastique, -je ne pense pas qu’il y en -ait de plus relevez, eu égard à -leur fin, que ceux qui ont esté -pratiquez par certaines personnes, -qui pour se distinguer du reste -des hommes, ont voulu établir -parmy eux quelque opinion de -leur divinité. Ainsi voyons nous -que Salmonée avoit fait élever -un pont d’airain, sur lequel faisant -rouler son carrosse attelé de puissans -chevaux, & dardant d’un -costé & d’autre des feux d’artifice, -il s’imaginoit de bien contrefaire -le foudre & les tonnerres de -Jupiter, d’où le Poëte a pris occasion -de dire,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_80" href="#Footnote_80" class="fnanchor">[80]</a>Vidi & crudeles dantem Salmonea pœnas,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Dum flammas Jovis, & sonitus imitatur Olympi.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virg. Æn. 6.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_80" href="#FNanchor_80"><span class="label">[80]</span></a> J’y vis aussi Salmonée qui soufroit d’étranges -peines pour avoir imité les flammes de Jupiter -Olympien, & pour avoir contrefait le -bruit de ses foudres.</p> -</div> -<p class="noindent">Psaphon, qui n’estoit pas moins -ambitieux que le precedent, nourrissoit -grande quantité de Pies, -Merles, Jais, Perroquets & autres -oiseaux semblables, & aprés leur -avoir bien appris à prononcer ces -paroles, <i>Psaphon est Dieu</i>, il les mettoit -en liberté, afin que ceux qui -entendoient tant & de si extraordinaires -témoins de sa divinité, -fussent plus facilement portez à la -croire. Ainsi Heraclides le Pontique -avoit commandé à un de ses -plus affidez serviteurs, de cacher -sous ses vestemens aprés qu’il seroit -decedé, une grande Couleuvre, -qu’il nourrissoit dés long-temps -auparavant à ce dessein, afin que -cet animal éveillé par le bruit que -l’on feroit, portant son corps en -terre, s’élançast au milieu des pleureurs, -& donnast sujet à la populace -de croire, que Heraclite avoit esté -deïfié. Pour Empedocle il y proceda -avec plus de courage & de generosité, -comme il estoit bien-seant -à un Philosophe ; car estant assez -âgé & comblé de gloire & d’honneur, -il se precipita volontairement -dans les souspiraux & volcans du -mont Ætna en Sicile, pour faire -croire son ravissement au Ciel, ne -plus ne moins que Romulus établit -l’opinion du sien, en se noyant -dans les Marests des Chevres,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i2 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_81" href="#Footnote_81" class="fnanchor">[81]</a>Deus immortalis haberi</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Dum cupit Empedocles, ardentem frigidus Æthnam</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Insiluit.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Horat. de arte Poët.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_81" href="#FNanchor_81"><span class="label">[81]</span></a> Empedocle, voulant qu’on le tinst pour -un Dieu immortel, se jetta froidement dans -les flammes du mont Ætna.</p> -</div> -<p class="noindent">Les Athées, qui trouvent à glosser -sur tous les passages de la sainte -Ecriture, tiennent que celuy-cy -du Deuteronome, (<span lang="la" xml:lang="la">cap. 34.</span>) <a id="FNanchor_82" href="#Footnote_82" class="fnanchor">[82]</a><i lang="la" xml:lang="la">non -cognovit homo sepulchrum ejus usque -in præsentem Diem</i>, se doit entendre -de la même sorte, & que -Moyse s’ensevelit en quelque precipice -ou abysme, pour estre puis -aprés élevé dans les cieux par les -Israëlites ; au lieu qu’ils devroient -plûtost croire, & demeurer d’accord -avec les Chrestiens, qu’il cacha -veritablement son corps, pour -empescher les Juifs de l’idolatrer -aprés sa mort, connoissant fort -bien qu’ils estoient portez non -moins de leur naturel, que par la -hantise qu’ils avoient eu avec les -Egyptiens, à adorer tous ceux desquels -ils avoient receu quelque -bien, ou de qui ils croyoient que -la vertu estoit singuliere & extraordinaire. -L’on peut faire encore -le même jugement de ce que Diogenes -Laërce rapporte de la Cuisse -d’or de Pythagore, puis que Plutarque -en la vie de Numa dit ouvertement -que ce fut une feinte -& stratageme de ce Philosophe, -pour établir aussi-bien que les autres -l’opinion de sa divinité. Mais -ce que fit Hercules fut beaucoup -plus ingenieux ; car estant fort -versé en Astrologie, témoin les -Fables de sa vie qui luy font porter -le Ciel avec Atlas, il choisit -justement l’heure & le temps de -l’apparition d’une grande Comete, -pour se mettre sur le bucher -ardant, où il vouloit finir ses jours, -afin que ce nouveau feu du Ciel -assistast comme témoin, & fist -croire de luy ce que les Romains -par aprés vouloient persuader de -leurs Empereurs, au moyen de -l’aigle qui s’envoloit du milieu -des flammes, comme pour porter -l’ame du defunct entre les bras -de Jupiter. Beaucoup d’autres, -qui estoient plus modestes & retenus -en leurs desseins, se sont contentez -de nous donner à connoistre -le soin que les Dieux prenoient -de leurs personnes, par la continuelle -assistance de quelque Genie, -ou particuliere divinité ; comme -firent entre les Anciens Socrate, -Plotin, Porphyre, Brutus, -Sylla, & Apollonius, pour ne rien -dire de tous les Legislateurs ; & -parmy les modernes Pic de la Mirandole, -Cecco d’Ascoli, Hermolaus, -Savonarole, Niphus, Postel, -Cardan, & Campanelle, qui -se vantent tous d’en avoir eu & -de leur avoir parlé, sans toutefois -qu’on les puisse accuser d’avoir -pratiqué les ceremonies Theurgiques, -du livre faussement attribué -à Virgile <a id="FNanchor_83" href="#Footnote_83" class="fnanchor">[83]</a><i lang="la" xml:lang="la">de videndo Genio</i> ; -ou les mentionnées par Arbatel -dans je ne sçay quel fatras de semblables -Livres, que l’on a grand -tort de publier sous le nom d’Agrippa. -Aussi pour moy j’aimerois -beaucoup mieux établir la -verité de ces Histoires, sur la merveilleuse -force des contractions -d’esprit fort bien expliquées par -Marsile Ficin & Jordanus Brunus, -desquels aussi Palingenius en trois -ou quatre endroits de son Zodiaque -ne semble pas se beaucoup -éloigner. Si nous n’aimons encore -mieux dire que tous ces -Messieurs ont joüé de l’imposture, -& ont voulu imiter les fables -de Numa, Zamolxis, & Minos, ou -plustost celles que les Rabins & -Cabalistes (<i lang="la" xml:lang="la">Reuchlin. libr. de Cabala.</i>) -ont plaisamment forgées sur -les Patriarches du Vieil Testament, -& nous voulant faire croire de -bonne foy, qu’Adam avoit esté -gouverné par son Ange Raziel, -Sem par Jophiel, Abraham par -Frza-d-Kiel, Isaac par Raphaël, -Jacob par Piel, & Moyse par Mittaron,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i2 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_84" href="#Footnote_84" class="fnanchor">[84]</a>Sed credat Judæus apella,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Non ego.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_82" href="#FNanchor_82"><span class="label">[82]</span></a> L’homme n’a point connu son sepulchre -jusques à ce jourd’huy.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_83" href="#FNanchor_83"><span class="label">[83]</span></a> Du moyen de voir les Genies.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_84" href="#FNanchor_84"><span class="label">[84]</span></a> Mais que le Juif circoncis le croye, & non -pas moy.</p> -</div> -<p class="noindent">Quoy que c’en soit, on peut remarquer -dans les Historiens, que -ces ruses n’ont pas toujours esté -inutiles, puis que Scipion les ayant -judicieusement pratiquées il s’acquit -la reputation d’un grand -homme de bien parmy les Romains, -& fut envoyé conquester -les Espagnes n’ayant encore atteint -l’âge de <small>XXIV</small> ans ; Mais -voyez aussi de quelle façon T. Live -(<span lang="la" xml:lang="la">Libr. 6.</span>) en parle : <a id="FNanchor_85" href="#Footnote_85" class="fnanchor">[85]</a><i lang="la" xml:lang="la">Fuit Scipio -non tantùm veris artibus mirabilis, sed -arte quoque quadam adinventa in -ostentationem composita, pleraque apud -multitudinem, aut per nocturnas visas -species, aut veluti divinitus mente -monita agens.</i> Ainsi en ont fait beaucoup -de Princes & particuliers, & -quand leur esprit n’a pas esté capable -de ces finesses & inventions -si relevées, ils se sont contentez -de donner par quelques autres, le -plus de lustre & de splendeur à -leurs actions qu’il leur a esté possible. -C’est pourquoy Tacite a -dit que Vespasien estoit, <a id="FNanchor_86" href="#Footnote_86" class="fnanchor">[86]</a><i lang="la" xml:lang="la">omnium -quæ diceret atque ageret arte quadam -ostentator</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Annal. lib. 3.</span>) & Corbulo -nous est representé dans -le même, <a id="FNanchor_87" href="#Footnote_87" class="fnanchor">[87]</a><i lang="la" xml:lang="la">super experientiam sapientiamque, -etiam specie inanium validus</i> ; -& ce avec grande raison, -puis que comme il dit en un autre -endroit, <a id="FNanchor_88" href="#Footnote_88" class="fnanchor">[88]</a><i lang="la" xml:lang="la">Principibus omnia ad -famam dirigenda</i>, veu que suivant -la remarque de Cardan, <a id="FNanchor_89" href="#Footnote_89" class="fnanchor">[89]</a><i lang="la" xml:lang="la">Æstimatio -& opinio rerum humanarum Reginæ -sunt</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Lib. 3. de utilit.</span>)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_85" href="#FNanchor_85"><span class="label">[85]</span></a> Scipion ne se faisoit pas seulement -admirer par les veritables arts & sciences -qu’il possedoit, mais aussi par un certain artifice -qu’il avoit trouvé & dont il se servoit fort -utilement à se faire paroistre ; & faisoit plusieurs -choses devant le peuple ou par le moyen des -visions qu’il disoit avoir euës de nuit, ou comme -s’il en avoit esté divinement averti & qu’on -le luy eût inspiré du ciel.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_86" href="#FNanchor_86"><span class="label">[86]</span></a> Fort artificieux à donner du lustre à tout -ce qu’il faisoit & à tout ce qu’il disoit.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_87" href="#FNanchor_87"><span class="label">[87]</span></a> Considerable -par la belle apparence dont il sçavoit -colorer même les choses vaines, outre l’experience -& la sagesse qu’il avoit.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_88" href="#FNanchor_88"><span class="label">[88]</span></a> Les Princes doivent gouverner, & avoir -soin de tout, pour leur propre renommée.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_89" href="#FNanchor_89"><span class="label">[89]</span></a> L’estime & l’opinion sont les Reines de toutes -les choses humaines.</p> -</div> -<p>L’on pourroit encore faire -beaucoup plus de remarques sur -ce qui touche le gouvernement -particulier des hommes ; mais -parce que cette matiere n’est pas -moins triviale que de peu de consequence, -je m’en remettray à -ce qu’en a dit Cardan au livre -cité un peu auparavant ; & -passeray aux secrets de l’œconomie, -ou reglement & administration -des familles, entre lesquels -je me contenteray de remarquer -seulement & pour exemple, -quelques-uns de ceux qui -ont esté pratiquez pour reprimer, -& comme parer aux mauvais tours -que joüent les femmes à leurs maris,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_90" href="#Footnote_90" class="fnanchor">[90]</a>Dum avidæ affectant implere voraginis antrum.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_90" href="#FNanchor_90"><span class="label">[90]</span></a> Quand elles veulent remplir le trou de -leur goufre insatiable.</p> -</div> -<p class="noindent">A propos de quoy il me souvient -d’en avoir leu un dans les contes -facetieux de Bouchet, ou de Chaudiere, -qui passera maintenant pour -serieux, comme estant beaucoup -plus propre à corriger ces humeurs -gaillardes, que celuy de la -Mule qui fut huit jours sans boire, -dont parle Cardan en son livre -<a id="FNanchor_91" href="#Footnote_91" class="fnanchor">[91]</a><i lang="la" xml:lang="la">de sapientia</i>. Certain Medecin, -disent-ils, ayant eu avis que -sa femme pour quelquefois se desennuyer</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_92" href="#Footnote_92" class="fnanchor">[92]</a>Intrabat calidum veteri Centone lupanar,</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Juvenal.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_91" href="#FNanchor_91"><span class="label">[91]</span></a> De la sagesse.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_92" href="#FNanchor_92"><span class="label">[92]</span></a> Elle -entroit dans le lieu infame qui fumoit de l’ardeur -des impudiques débauches sur les vieux -tapis de diverses couleurs.</p> -</div> -<p class="noindent">& qu’elle avoit même pris heure -au lendemain pour luy joüer à -fausse compagnie, il ne s’en émeut -point, & n’en fit aucun semblant ; -mais sur la minuit, & lors que sa -femme ne songeoit à rien moins, -il se réveille en sursaut feignant -que les voleurs estoient dedans sa -chambre, met la main à ses armes, -tire deux ou trois coups de pistolet, -crie au meurtre, à l’aide, frappe -de son épée sur les tables & -chenets, bref il fait tout ce qu’il -peut pour mettre la terreur & -l’épouvante en sa maison ; le matin -tout estant appaisé il ne manque -de taster le poux à sa femme, -lequel il feint de trouver grandement -alteré & oppressé à cause de -la peur qu’elle avoit euë, & pour -ce il luy fait tirer dix ou douze -onces de sang, & cette evacuation -ayant amené une petite émotion, -il commence de s’épouvanter -comme si c’eust esté quelque -grosse fievre, fait redoubler sept -ou huit bonnes saignées, par aprés -vient à la raser, ventouser, & purger -magistralement ; ce qu’il reïtera -si souvent, qu’il la fit demeurer -plus de six mois au lict, sans -avoir esté malade, pendant lequel -temps il eut tout loisir de rompre -ses pratiques & connoissances, de -luy diminuer son enbonpoint -vermeil & attrayant, & sur tout -de tellement refroidir, matter, & -adoucir la ferveur, & les humeurs -picquantes & acrimonieuses de -son temperament, qu’il assoupit -en elle ce feu plus inextinguible -que celuy de la pierre Asbestos,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_93" href="#Footnote_93" class="fnanchor">[93]</a>Qui nulla moritur, nullaque extingitur arte.</div> -</div> - -<p class="attr">(Trigault.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_93" href="#FNanchor_93"><span class="label">[93]</span></a> Qu’on ne peut éteindre ny faire mourir -par aucun artifice.</p> -</div> -<p class="noindent">Mais le secret que pratiquerent -les peuples de la Chine, pour remedier -au même desordre qui -s’estoit glissé dans leurs familles, -fut beaucoup plus gentil & industrieux. -Car ils ordonnerent & -établirent pour une des premieres -Loix du Royaume, que toute -la bonne grace des femmes, ne dépendroit -doresnavant que de la -petitesse de leurs pieds ; & que -celles-là seroient jugées les plus -belles, qui les auroient plus petits -& mignons : ce qui ne fut pas -plûtost publié, que toutes les Meres -sans regarder à la consequence, -commencerent de resserrer, -estressir, & si bien envelopper les -pieds de leurs filles qu’elles ne -pouvoient plus sortir de la maison -ny se soustenir droites, que sur les -bras de deux ou trois servantes. -Ainsi cette figure artificielle ayant -passé en conformation naturelle, -aussi-bien que celle des Macrocephales -dont parle Hippocrates, -les Chinois ont insensiblement -arresté & fixé le Mercure -que leurs femmes avoient -dans les pieds, les faisant ressembler -à la Tortuë nommée par les -Poëtes,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i2 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_94" href="#Footnote_94" class="fnanchor">[94]</a>Tardigrada, & domi porta,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Sub pedibus Veneris Cous quam finxit Apelles.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_94" href="#FNanchor_94"><span class="label">[94]</span></a> Marchant lentement & portant sa maison, -laquelle Apelles natif de l’isle de Coos a -peinte & placée sous les pieds de Venus.</p> -</div> -<p class="noindent">Ils ont empesché par ce moyen, -qu’elles n’allassent plus à la promenade -des bons hommes, & à -leurs passe-temps accoustumez : -De même que les Dames Venitiennes -sont forcées de garder la -maison plus souvent qu’elles ne -voudroient, par l’usage & les incommoditez -nompareilles de leurs -grands patins. Mais l’histoire rapportée -par Mocquet est bien plus -étrange, & sent beaucoup mieux -son Coup d’Estat ; car il dit avoir -appris, & veu mêmement pratiquer -entre les Caribes, peuples -barbares & farouches, qu’arrivant -la mort du mary pour quelque -cause que ce soit, la femme -est contrainte sous peine de demeurer -infame, abandonnée, & -mocquée de tous ses amis & parents, -de se faire aussi mourir, & -d’allumer un grand feu au milieu -duquel elle se precipite avec autant -de pompe & de réjoüissance, -comme si elle estoit au jour de ses -nopces ; de quoy ledit Mocquet -s’étonnant fort, & en demandant -la cause, on luy répondit -que cela avoit esté sagement étably, -pour remedier à la grande -malice & lubricité des femmes de -ce païs, qui avoient accoustumé -devant la publication de cette loy, -d’empoisonner leurs maris, lors -qu’elles en estoient lasses ou qu’elles -avoient envie d’en épouser -quelque autre plus robuste & gaillard,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_95" href="#Footnote_95" class="fnanchor">[95]</a>Quique suo melius nervum tendebat Ulysse.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_95" href="#FNanchor_95"><span class="label">[95]</span></a> Et qui fût plus vigoureux que son Ulysse.</p> -</div> -<p class="noindent">Or si ce remede estoit bien proportionné -à la nature de ceux qui -l’avoient ordonné ; celuy que pratiqua -Denys Tyran de Syracuse -pour empescher les assemblées & -banquets qui se faisoient de nuit, -n’estoit pas aussi trop éloigné de -la sienne : car sans témoigner qu’elles -luy dépleussent, ou monstrer -qu’il craignist qu’on ne les fist à -dessein de conspirer contre son -Estat, il se contenta d’introduire -peu à peu l’impunité pour toutes -les voleries & larcins qui se -commettoient de nuit, les tournant -plûtost en risée, & donnant -la hardiesse par cette tolerance à -tous les mauvais garçons de ladite -Ville, de si mal traitter ceux -qu’ils rencontroient la nuit par -les ruës, que personne ne pouvoit -sortir de sa maison aprés le Soleil -couché qu’il ne se mist au hazard -d’estre dévalisé, ou de perdre la -vie par cette sorte de voleurs. Venons -maintenant à quelques autres -moins serieux & par consequent -aussi moins fascheux & dangereux, -en ce qui estoit de leur -pratique ; Les Republiques de -Grece voulant par regle de Police -faire manger le poisson frais -& à bon marché à leurs sujets, ils -n’eurent point recours à quelque -tariffe particuliere, de laquelle -peut-estre que les ἰχθυοπώλαι, ou -poissonniers (comme nous les appellons) -auroient eu raison de se -plaindre ; mais en se servant de -l’avis que le Poëte Comique Alexis -dit leur avoir esté proposé par -Aristonique, ils defendirent sous -grieve peine ausdits Marchands -de poisson, de se pouvoir seoir -dans le marché ny en vendant -leurs marchandises, <a id="FNanchor_96" href="#Footnote_96" class="fnanchor">[96]</a><i lang="la" xml:lang="la">ut ii standi -tædio lassitudineque confecti, quàm recentissimos -venderent</i>. Ainsi les Romains -defendoient aux Prestres de -Jupiter de jamais monter à Cheval, -<i lang="la" xml:lang="la">ne</i>, comme dit Festus Pompeius, -<a id="FNanchor_97" href="#Footnote_97" class="fnanchor">[97]</a><i lang="la" xml:lang="la">si longius urbe discederent, -sacra negligerentur</i> ; & pour moy -j’ose dire, que si l’on vouloit remedier -à la grande confusion -qu’apporte le nombre excessif des -carosses dans la Ville de Paris, il -ne faudroit que confisquer ceux -que l’on trouveroit par les ruës -avec moins de cinq personnes dedans, -puis qu’au moyen de cette -ordonnance, ceux qui y vont tous -les jours seuls, prendroient la -housse, & les autres qui ne pourroient -augmenter leur famille de -trois ou quatre personnes, se resoudroient -facilement de la diminuer -de trois ou quatre bouches -inutiles telles que seroient pour -lors celles d’un cocher & de deux -chevaux.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_96" href="#FNanchor_96"><span class="label">[96]</span></a> Afin que lassés & ennuyés de se tenir debout -ils les vendissent tout fraix.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_97" href="#FNanchor_97"><span class="label">[97]</span></a> De peur qu’ils ne s’éloignassent par trop -de la ville, & qu’ainsy le service divin fust negligé -ou discontinué.</p> -</div> -<p>Il seroit facile d’augmenter le -nombre de semblables exemples -& secrets d’œconomie ; si les precedens -ne pouvoient facilement -nous faire juger des autres, & -nous tracer le chemin pour passer -de ce second degré au troisiéme, -qui est celuy de la Politique & du -Gouvernement des peuples, sous -l’administration d’un seul, ou de -plusieurs. Or est-il qu’en ce qui -regarde celui-cy, pour ne rien laisser -à dire de tout ce qui peut servir -à son éclaircissement, nous pouvons -remarquer trois choses, c’est -à sçavoir la science generale de -l’établissement & conservation des -Estats & Empires pour la premiere ; -laquelle science ne comprend -pas seulement la traditive de Platon -& d’Aristote, mais encore -tout ce que Ciceron en son Livre -des loix, Xenophon en son Prince, -Plutarque en ses preceptes, Isocrate, -Synesius, & les autres Auteurs -ont jugé devoir estre entendu -& pratiqué par ceux qui gouvernent : -Aussi est-il vray qu’elle -consiste en certaines regles approuvées -& receuës universellement -d’un chacun, comme par -exemple que les choses n’arrivent -pas fortuïtement ny necessairement, -qu’il y a un Dieu premier -Auteur de toutes choses, qui en -a le soin, & qui a étably la recompense -du Paradis pour les bons, -& les peines des enfers pour les -méchans : Que les uns doivent -commander, & les autres obeïr : -Qu’il est du devoir d’un homme -de bien de defendre l’honneur de -son Dieu, de son Roy, & de sa -patrie envers tous & contre tous : -Que la principale force du Prince -gist en l’amour & union de ses -sujets : Qu’il a droit de faire des -levées d’argent sur eux pour subvenir -aux necessitez de la guerre, -& de l’estat de sa Maison : & ainsi -des autres que Marnix, Ammirato, -Paruta, Remigio, Fiorentino, -Zinaro, Malvezzi & Botero -ont fort bien expliquées dans -leurs discours & raisonnemens Politiques.</p> - -<p>La seconde est proprement ce -que les François appellent, <i>Maximes -d’Estat</i>, & les Italiens, <a id="FNanchor_98" href="#Footnote_98" class="fnanchor">[98]</a><i lang="it" xml:lang="it">Ragion -di stato</i>, quoyque Botero ait -compris sous ce terme toutes les -trois differences que nous voulons -établir, disant, que la <a id="FNanchor_99" href="#Footnote_99" class="fnanchor">[99]</a><i lang="it" xml:lang="it">Ragione -di stato, è notitia di mezzi atti -à fundare, conservare, e ampliare un -Dominio</i>, en quoy il n’a pas si bien -rencontré à mon jugement, que -ceux qui la definissent, <a id="FNanchor_100" href="#Footnote_100" class="fnanchor">[100]</a><i lang="la" xml:lang="la">excessum -juris communis propter bonum commune</i>, -d’autant que cette derniere definition -estant plus speciale, particuliere -& determinée, l’on peut -au moyen d’icelle distinguer, -entre ces premieres regles de la -fondation des Empires, lesquelles -sont établies sur les loix & -conformes à la raison ; & ces secondes -que Clapmarius appelle -mal à propos, <a id="FNanchor_101" href="#Footnote_101" class="fnanchor">[101]</a><i lang="la" xml:lang="la">Arcana Imperiorum</i>, -& nous avec plus de raison, -<i>Maximes d’Estat</i> ; puis qu’elles -ne peuvent estre legitimes -par le droit des Gens, civil ou -naturel ; mais seulement par la -consideration du bien, & de l’utilité -publique, qui passe assez -souvent par dessus celles du particulier. -Ainsi voyons nous que -l’Empereur Claudius ne pouvant -par les loix de sa patrie prendre -à femme sa niepce charnelle Julia -Agrippina fille de Germanicus -son frere, il eut recours aux -loix d’Estat, pour fonder son evidente -contradiction aux loix ordinaires -& l’épousa, <a id="FNanchor_102" href="#Footnote_102" class="fnanchor">[102]</a><i lang="la" xml:lang="la">ne fœmina expertæ -fœcunditatis</i>, dit Tacite, <i lang="la" xml:lang="la">integra -juventa, claritudinem Cæsarum -in aliam domum transferret</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Libr. -12.</span>) C’est à dire, de crainte que -cette femme venant à se marier -en quelque grande maison, le -sang des Cesars ne s’étendist en -d’autres familles, & ne produisist -une multitude de Princes & -Princesses, qui auroient eu avec -le temps quelque pretension à -l’Empire, & en suite occasion de -troubler le repos public. Tibere -pour cette même raison ne vouloit -donner un mary à Agrippina -veuve de Germanicus, & -mere de celle dont nous venons -de parler, bien qu’elle luy en demandast -un avec pleurs & remonstrances, -appuyées sur des -raisons si puissantes & legitimes, -qu’on ne pouvoit luy refuser sans -commettre une injustice, laquelle -neanmoins estoit legitimée par -la loy de l’Estat, puis que Tibere -n’ignoroit point <a id="FNanchor_103" href="#Footnote_103" class="fnanchor">[103]</a><i lang="la" xml:lang="la">quantum ex -Republica peteretur</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Tac. lib. 4. -Annal.</span>) c’est à dire de quelle consequence -ce mariage estoit, & -que les enfans qui en proviendroient, -estant arriere-neveux -d’Auguste la Republique Romaine -tomberoit quelque jour en des -grands troubles & partialitez, à -cause des divers pretendans à la -succession de l’Empire. Aucune -loy ne permet pareillement, que -nous procurions du mal & du -desavantage, à celuy qui ne nous -en a jamais fait ; & neanmoins cette -maxime d’Estat rapportée par -Tite Live, (<span lang="la" xml:lang="la">Lib. 2. dec. 5.</span>) <a id="FNanchor_104" href="#Footnote_104" class="fnanchor">[104]</a><i lang="la" xml:lang="la">id -agendum ne omnium rerum jus ac potestas -ad unum populum perveniat</i>, -nous oblige de donner secours à -nos Voisins contre ceux qui ne -nous ont jamais offensé, de crainte -que leur ruine ne serve d’un -échelon pour haster la nostre, & -que tous nos compagnons, estant -devorez par ces nouveaux Cyclopes, -nous n’en attendions autre -grace que celle qui fut donnée à -Ulysse, d’estre reservé pour satisfaire -à leur derniere faim. C’est -le pretexte duquel se servirent les -Etoliens pour obtenir secours du -Roy Antiochus, & Demetrius -Roy des Illyriens pour exciter -Philippes Roy de Macedoine & -pere de Perseus à prendre les armes -contre les Romains. C’est -encore la raison pourquoy ce -grand homme d’Estat Cosme de -Medicis, n’eut rien tant à cœur, -que d’empescher Milan de tomber -sous l’autorité des Venitiens, -lors que la race des Vicomtes & -Ducs de Milan fut éteinte : & -Henry le Grand ayant sceu que -le Duc de Savoye avoit failly à -surprendre Geneve, il dit tout -haut, que si son coup eust reüssi, -il l’auroit assiegé dedans dés le -lendemain. Mais neanmoins quand -le Roy d’Espagne a voulu envahir -les Estats du même Duc, la -France en vertu de la susdite Maxime, -est allée puissamment au secours : -Et c’est elle aussi qui a -fourny d’excuse legitime aux alliances -d’Alexandre Sixiéme & de -François Premier avec le Grand -Seigneur ; de pretexte aux traittez -secrets de l’Espagnol avec les Huguenots -de France ; & de passeport -à tant de troupes que nous avons -fait glisser de temps en temps non -moins en la Valteline qu’en Hollande, -bien qu’en apparence contre -les regles sinon de la religion, -au moins de la pieté commune & -de nostre conscience. Bref sans -cette consideration l’on n’auroit -pas rompu tant de ligues dans -Guicciardin ; Charles V n’auroit -pas abandonné les Venitiens au -Turc ; Charles VIII n’eust pas -esté si promptement chassé d’Italie ; -Paul V n’eust pas joüy si facilement -du Duché de Ferrare ; -ny le Pape qui siege à present de -celuy d’Urbin : Tant de Princes -ne desireroient pas la restitution -du Palatinat, ny tant de prosperité -au Roy de Suede, ny que -Casal demeurast au Duc de Mantouë, -si ce n’estoit pour borner en -vertu de cette maxime, l’ambition -demesurée de certains peuples, qui -voudroient pratiquer sur les Princes -voisins, ce que les riches Bourgeois -pratiquent sur les pauvres,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_105" href="#Footnote_105" class="fnanchor">[105]</a>O si angulus ille</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Parvulus accedat qui nunc denormat agellum.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Horat. 2. lib. serm.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_98" href="#FNanchor_98"><span class="label">[98]</span></a> Raison d’Estat.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_99" href="#FNanchor_99"><span class="label">[99]</span></a> Raison d’Estat est la -connoissance ou science des moyens propres à -poser les fondemens d’une Seigneurie, à la -conserver & à l’agrandir.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_100" href="#FNanchor_100"><span class="label">[100]</span></a> Excés du droit -commun à cause du bien public.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_101" href="#FNanchor_101"><span class="label">[101]</span></a> Secrets des Empires.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_102" href="#FNanchor_102"><span class="label">[102]</span></a> Afin que cette femme dont la fecondité -estoit reconnuë, & qui estoit en la fleur de son -âge, ne portast en une autre maison l’illustre tige -des Cesars.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_103" href="#FNanchor_103"><span class="label">[103]</span></a> Combien il y alloit de l’interest de la -Republique.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_104" href="#FNanchor_104"><span class="label">[104]</span></a> Il faut faire cela afin que toute -l’autorité ne viene point entre les mains -d’un seul peuple.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_105" href="#FNanchor_105"><span class="label">[105]</span></a> O, si nous pouvions faire approcher ce -petit coin, qui defigure maintenant nostre terre, -& la rend inégale.</p> -</div> -<p class="noindent">Ajoustons encore que le droit de -guerre ne permet point, que ceux-là -soient en aucune façon outragez, -qui mettent les armes bas -pour implorer la misericorde du -vainqueur ; & neanmoins lors que -la quantité des prisonniers est si -grande qu’on ne les peut facilement -garder, nourrir & mettre -en lieu de seureté, ou que ceux -de leur party ne les veulent racheter, -il est permis de les mettre -tous bas par Maxime, d’autant -qu’ils pourroient affamer une armée, -la tenir en défiance, favoriser -les entreprises de leurs compagnons, -& causer mille autres -difficultez. Et pour cette raison -Alde Manuce (<span lang="it" xml:lang="it">Discorso 3.</span>) a creu, -de pouvoir legitimement excuser -Hannibal, de ce que en partant -d’Italie il fit tuer au temple de la -Deesse Junon tous les captifs Romains -qui ne le voulurent pas suivre ; -encore qu’eu égard à cette -action & à quelques autres, Valere -Maxime ait dit de luy, <a id="FNanchor_106" href="#Footnote_106" class="fnanchor">[106]</a><i lang="la" xml:lang="la">Hannibal -cujus majore ex parte virtus sævitia -constabat</i>. On peut encore -rapporter à semblables maximes, -les façons de faire, ou coustumes -particulieres de certains peuples -en ce qui est de leur gouvernement ; -comme par exemple celle -de nostre Loy Salique, si religieusement -observée touchant la -succession des Masles à la Couronne -& l’exclusion des femmes, -au moyen de laquelle le Royaume -fut preservé pendant la Ligue -de l’invasion des Espagnols : les -bons & fideles François ayant protesté -de nullité contre toutes les -poursuites étrangeres, & donné -congé à ces beaux Corrivaux par -le texte formel de la Loy,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_107" href="#Footnote_107" class="fnanchor">[107]</a>Francorum Regni successor masculus esto.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_106" href="#FNanchor_106"><span class="label">[106]</span></a> Hannibal dont la vertu consistoit pour la -plus grande partie en cruauté.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_107" href="#FNanchor_107"><span class="label">[107]</span></a> Que le successeur -du Royaume de France soit mâle.</p> -</div> -<p class="noindent">De même nature est aux Chinois -la loy qui defend sur peine de -mort l’entrée de leur Païs aux -étrangers ; au Grand Turc la -coustume de faire mourir tous -ses parens ; au Roy d’Ormus de -les aveugler ; à l’Ethiopien de les -enfermer sur le plus haut coupeau -d’une montagne inaccessible ; -l’Ostracisme aux Atheniens ; -la Matze aux peuples de Valaiz -en Allemagne ; le Conseil des -Discoles aux Luquois ; le Lac -Orfane à Venise ; l’Inquisition -en Espagne & en Italie, & autres -semblables loix & façons de faire -particulieres à chaque nation, qui -n’ont toutes pour fondement autre -droit que celuy de l’Estat, & -neanmoins sont tres-religieusement -observées, comme estant du -tout necessaires à la manutention -& conservation des Estats qui les -pratiquent.</p> - -<p>Finalement la derniere chose -que nous avons dit cy-dessus devoir -estre considerée en la Politique, -est celle des Coups d’Estat, -qui peuvent marcher sous la même -definition que nous avons déja -donnée aux Maximes & à la raison -d’Estat, <a id="FNanchor_108" href="#Footnote_108" class="fnanchor">[108]</a><i lang="la" xml:lang="la">ut sint excessus juris communis -propter bonum commune</i>, ou -pour m’étendre un peu davantage -en François, <i>des actions hardies -& extraordinaires que les Princes sont -contraints d’executer aux affaires difficiles -& comme desesperées, contre le -droit commun, sans garder même aucun -ordre ny forme de justice, hazardant -l’interest du particulier, pour le -bien du public</i>. Mais pour les mieux -distinguer des Maximes, nous -pouvons encore ajouster, qu’en -ce qui se fait par Maximes, les -causes, raisons, manifestes, declarations, -& toutes les formes & -façons de legitimer une action, -precedent les effets & les operations, -où au contraire és Coups -d’Estat on void plustost tomber -le tonnerre qu’on ne l’a entendu -gronder dans les nuées, <a id="FNanchor_109" href="#Footnote_109" class="fnanchor">[109]</a><i lang="la" xml:lang="la">ante -ferit quam flamma micet</i>, les matines -s’y disent auparavant qu’on les -sonne, l’execution precede la sentence ; -tout s’y fait à la Judaique ; -l’on y est pris <a id="FNanchor_110" href="#Footnote_110" class="fnanchor">[110]</a><i lang="la" xml:lang="la">de Gallico</i> sur le -vert & sans y songer ; tel reçoit -le coup qui le pensoit donner, tel -y meurt qui pensoit bien estre en -seureté, tel en patit qui n’y songeoit -pas, tout s’y fait de nuit, à -l’obscur, & parmy les brouillars -& tenebres, la Deesse Laverne y -preside, la premiere grace qu’on -luy demande est,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_111" href="#Footnote_111" class="fnanchor">[111]</a>Da fallere, da sanctum justumque videri,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Noctem peccatis, & fraudibus objice nubem.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Horat.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_108" href="#FNanchor_108"><span class="label">[108]</span></a> Qu’elles sont un excés du droit commun, à -cause du bien public.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_109" href="#FNanchor_109"><span class="label">[109]</span></a> Il frape avant que d’éclater.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_110" href="#FNanchor_110"><span class="label">[110]</span></a> Selon le proverbe François.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_111" href="#FNanchor_111"><span class="label">[111]</span></a> Fai qu’on se trompe -& que je paroisse juste & saint, couvre -mes pechés d’une nuit & mes fraudes d’une -nuée.</p> -</div> -<p class="noindent">Ils ont toutefois cela de bon que -la même justice & equité s’y rencontre -que nous avons dit estre -dans les Maximes & raisons -d’Estat ; mais en celles-là il est permis -de les publier avant le coup, -& la principale regle de ceux-cy -est de les tenir cachées jusques à -la fin. Et qu’ainsi ne soit les executions -notables du Comte de S. -Paul sous Louys XI, du Maréchal -de Biron sous Henry IV, -du Comte d’Essex sous Isabelle -Reyne d’Angleterre, du Marquis -d’Ancre sous le Roy à present regnant, -des deux freres sous Henry -III, de Majon sous Guillaume -premier Roy de Sicile, de David -Riccio sous Marie Stuart Reine -d’Escosse, de Spurius Melius Chevalier -Romain sous Ahala Servilius -Colonel de la Cavallerie Romaine, -& de Seianus & Plautian -sous divers Empereurs ont esté -toutes aussi legitimes & necessaires -les unes que les autres, & toutefois -les trois premieres doivent -estre rapportées aux Maximes & -raisons d’Estat, parce que le procés -fut instruit auparavant l’execution ; -& toutes les autres aux -secrets & Coups d’Estat, parce -que le Procés ne fut fait qu’en -suite de l’execution. Nous y pouvons -aussi apporter cette difference, -que quand bien les formalitez -auroient precedé l’execution, si -neanmoins la religion y est grandement -profanée, comme lors -que les Venitiens disent, <a id="FNanchor_112" href="#Footnote_112" class="fnanchor">[112]</a><i lang="it" xml:lang="it">somo -Venetiani, dopo Chrestiani</i> ; qu’un -Prince Chrestien appelle le Turc -à son secours ; que Henry VIII -fit revolter son Royaume contre -le saint Siege ; que le Duc de Saxe -fomenta l’Heresie de Luther, que -Charles de Bourbon prit Rome -& fut cause de la prison du Pape -& de la mort de trois Cardinaux : -ou que l’affaire est du tout extraordinaire -& de tres-grande consequence -pour le bien & le mal qui -en peut arriver ; alors on se peut -encore servir du terme de Coup -d’Estat, comme on pourra juger -par le denombrement suivant de -quelques-uns, qui ont esté pratiquez, -non par des Turcs infideles -ou Canibales ; mais par des -Princes Chrestiens, tels qu’ont -esté pour ne point flater ny épargner -nostre Nation, les Roys de -France, entre lesquels Clovis premier -Roy Chrestien, en commit -de si étranges, & de si éloignez -de toute sorte de justice, que je -ne sçay pas quelle pensée a eu le -bon homme Savaron, de faire un -livre de sa sainteté : Charles VII -se contenta de pratiquer celuy de -Jeanne la Pucelle ; Louys XI viola -la foy donnée au Connestable, -trompoit un chacun, sous le voile -de Religion, & se servoit du -Prevost l’Hermite pour faire -mourir beaucoup de personnes -sans aucune forme de procés ; -François I fut cause de la descente -du Turc en Italie, & ne voulut -observer le traitté fait à Madrit ; -Charles IX fit faire cette -memorable execution de la Saint -Barthelemy, & fit assassiner secretement -Lignerolles & Bussy ; -Henry III se défit de Messieurs -de Guise ; Henry IV fit la Ligue -offensive & defensive avec les -Hollandois, pour ne rien dire de -sa conversion à la Foy Catholique ; -& Louys le Juste, duquel -toutes les actions sont des miracles, -& les Coups d’Estat des effets -de sa justice, en a pratiqué deux -notables en la mort du Marquis -d’Ancre, & au secours des Valtelins. -Pour les Venitiens s’il est -vray qu’ils tiennent la maxime rapportée -cy-dessus, il faut avoüer -qu’ils demeurent plongez dans un -continuel Machiavelisme, afin de -passer sous silence beaucoup d’autres -qu’ils commettent tous les -jours : Les Florentins en se réjoüissant -de la captivité de S. -Louys en la terre Sainte, ne commirent -pas un secret d’Estat ; mais -une action tres-blasmable & honteuse, -<a id="FNanchor_113" href="#Footnote_113" class="fnanchor">[113]</a><i lang="it" xml:lang="it">e nota</i>, dit le Villani, <i lang="it" xml:lang="it">che -quando questa novella venne in Firenze -signoreggiando, Gibellini ne fecero -festa à grandi fallo</i>. Entre les Papes -on peut remarquer la prison de -Celestin, le poison d’Alexandre -sixiéme, l’assassinat intenté & non -parfait du fra Paulo, comme preuves -tres-certaines, qu’ils ne dépoüillent -pas toute leur humanité -lors de l’élection. Charles -d’Anjou Roy de Sicile fit decapiter -Conradin & Frederic d’Austriche : -Pierre d’Arragon autorisa -les Vespres Sicilienes. Alphonse -Roy de Naples, & Alexandre -sixiéme eurent recours à Bajazet -contre les forces de nostre Charles -VIII : Henry VIII fit revolter -l’Angleterre contre le saint -Siege ; Charles V ne tint conte -d’infeoder le Milanois au Duc -d’Orleans, comme il avoit promis -lors qu’il passa par la France ; le -même pouvant ruiner les Protestans, -il s’en servit pour nous faire -la guerre, & les appella ses bandes -noires ; il détourna ce que -l’Allemagne avoit contribué pour -la guerre du Turc à ruiner François -premier, sa haine contre le -Roy d’Angleterre à cause de sa -tante fit roidir Rome contre Henry -VIII, & donna occasion par -ce moyen au schisme qui en survint, -aprés lequel il se ligua avec -luy, & le fit armer contre le -Royaume de France : son Lieutenant -Charles de Bourbon prit -Rome, & y établit une telle persecution -contre les Ecclesiastiques, -<a id="FNanchor_114" href="#Footnote_114" class="fnanchor">[114]</a><i lang="it" xml:lang="it">che non vi era Huomo che havesse -ardire, di andar per la via in habito -di chierico, ò di frate</i> : (<span lang="it" xml:lang="it">Il dialogo -di Charonte.</span>) Bref il se fit de -son temps, & par son commandement -un tel carnage d’hommes -aux Indes, & païs nouvellement -découverts, qu’il ne s’en est jamais -fait un pareil. Philippes second -ne voulut jamais permettre -que le Pape se meslast de l’affaire -de Portugal ; & fit pendre tous les -soldats François, qui allerent au -secours de Dom Antonio ; & qui -ne sçait par quels moyens il traversa -la reduction à l’Eglise de Henry -IV & sa reconciliation avec le -saint Siege, il le peut apprendre -du Cardinal d’Ossat, qui a fort -bien enregistré dans ses lettres -tous les artifices qui furent lors -pratiquez contre nostre Monarchie. -Or ces exemples tirez de -l’Histoire de dix ou douze Princes -seulement, estant en si grand nombre, -je croy qu’ils pourront aussi -servir de preuve tres-veritable, -pour monstrer, qu’encore que les -écrits de Machiavel soient defendus, -sa doctrine toutefois ne -laisse pas d’estre pratiquée, par -ceux même qui en autorisent la -censure & la defense.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_112" href="#FNanchor_112"><span class="label">[112]</span></a> Nous sommes Venitiens, & puis Chrestiens.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_113" href="#FNanchor_113"><span class="label">[113]</span></a> Et remarquez que quand cette nouvelle -vint à Florence, les Gibellins en firent une -grande réjoüissance, mais mal à propos.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_114" href="#FNanchor_114"><span class="label">[114]</span></a> Qu’il n’y avoit homme qui osast entreprendre -d’aller par la ruë en habit de Clerc ou -de religieux.</p> -</div> -<p>Mais d’autant qu’aprés avoir -amplement discouru sur la definition -des Coups d’Estat, il est aussi -fort à propos de considerer quelle -division l’on en peut faire ; il semble -que la premiere & plus legitime -est, de les diviser en secrets -d’Estat justes & injustes, c’est à -dire en Royaux & Tyranniques ; -& que l’on peut rapporter aux -premiers la mort de Plautian, de -Seianus, du Mareschal d’Ancre, -comme aux seconds celle de Remus -& de Conradin.</p> - -<p>Mais outre cette division, que -je croy devoir estre suivie comme -la principale, on peut encore -les diviser en ceux qui concernent -le bien public, & les autres qui -ne regardent que l’interest particulier -de ceux qui les entreprennent. -Hannibal voulant pratiquer -les premiers, commanda qu’on fist -mourir ce prisonnier Romain, lequel -en sa presence avoit combatu -& surmonté un Elephant, <a id="FNanchor_115" href="#Footnote_115" class="fnanchor">[115]</a><i lang="la" xml:lang="la">dicens -eum indignum vita qui cogi potuerat -cum bestiis decertare</i> ; bien qu’il soit -plus vray-semblable, comme a judicieusement -remarqué Sarisberiensis, -<a id="FNanchor_116" href="#Footnote_116" class="fnanchor">[116]</a><i lang="la" xml:lang="la">eum noluisse captivum inauditi -triumphi gloria illustrari, & infamari -bestias, quarum virtute terrorem -orbi incusserat</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Polycrat. cap. 2. -lib. 1.</span>) Et les Eliens, peuples de la -Grece, ayant fait venir le sculpteur -Phidias de la Ville d’Athenes, -pour leur faire la statuë d’un Jupiter -Olympien, comme ils virent -que cette statuë estoit merveilleusement -bien faite, & que, s’ils -laissoient retourner Phidias à Athenes -où il estoit rappellé, il y -en pourroit faire quelque autre -qui terniroit la gloire de celle-là ; -ils l’accuserent de sacrilege, & luy -ayant coupé les deux mains le renvoyerent -en tel estat ; <a id="FNanchor_117" href="#Footnote_117" class="fnanchor">[117]</a><i lang="la" xml:lang="la">nec puduit -illos Jovem debere sacrilegio</i>, dit Seneque : -& le pauvre Phidias, <a id="FNanchor_118" href="#Footnote_118" class="fnanchor">[118]</a><i lang="la" xml:lang="la">talem -fecit Jovem, ut hoc ejus opus Elii -ultimum esse vellent</i>. Quant à ceux -des particuliers ils ont esté pratiquez -par tous les Legislateurs & -nouveaux Prophetes, comme nous -dirons cy-aprés.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_115" href="#FNanchor_115"><span class="label">[115]</span></a> Disant que celuy qu’on avoit pû contraindre -ou obliger à se battre contre une beste estoit -indigne de vivre.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_116" href="#FNanchor_116"><span class="label">[116]</span></a> Qu’il ne voulut pas qu’un -prisonnier fust honoré de la gloire d’un triomphe -inouï, & que les bestes, par la vertu desquelles -il avoit donné de la terreur à tout le -monde, fussent ainsy diffamées.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_117" href="#FNanchor_117"><span class="label">[117]</span></a> Et ils n’eurent pas honte de devoir Jupiter -à un sacrilege.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_118" href="#FNanchor_118"><span class="label">[118]</span></a> Fit un tel Jupiter -que les Eliens voulurent que ce fust son dernier -ouvrage.</p> -</div> -<p>De plus on peut aussi les diviser -en fortuits ou casuels, comme -lors que Colomb persuada à -certains habitans du nouveau -monde, qu’il leur osteroit la Lune -(qui se devoit bien-tost eclipser) -s’ils ne luy fournissoient des -vivres en abondance ; & en ceux -qui sont premeditez, & que l’on -entreprend aprés une meure deliberation, -pour le bien evident que -l’on juge en pouvoir avenir, tels -que sont presque tous ceux desquels -nous avons parlé.</p> - -<p>Il y en a pareillement de simples -qui se terminent par un seul -coup, comme la mort de Seianus, -& de composez qui pour lors sont -ou suivis, ou precedez de quelques -autres. Precedez, comme la -saint Barthelemy de la mort de -Lignerolle, des nopces du Roy -de Navarre, & de la blessure de -l’Admiral ; Suivis, comme l’execution -du Mareschal d’Ancre, de -celle de Travail, de sa femme -la Marquise, & de l’exil de la Reine -Mere.</p> - -<p>De plus il y en a qui se font -par les Princes, quand la necessité -& la conjoncture des affaires -le requierent ainsi, comme sont -ceux desquels nous pretendons de -parler seulement en ce discours ; & -d’autres qui s’executent par leurs -ministres, lesquels se servent bien -souvent de l’Autorité de leurs -Maistres pour conclure beaucoup -d’affaires, soit pour leur utilité -particuliere ou celle du public, -sans neanmoins que le Prince en -puisse connoistre les premiers ressorts -ou mouvemens ; ainsi voyons -nous que l’avancement de Postel -sous François I, fut un petit Coup -d’Estat du Chancelier Poyet ; que -le mauvais rapport, que l’on fit du -Philosophe Bigot au même Roy, -en fut un de Castellan Evesque de -Mascon ; & de nos jours la mort -de Reboul, la prison de l’Abbé du -Bois, le Chapeau rouge de Monsieur -le Cardinal d’Ossat, ont esté -attribuez à Monsieur de Villeroy ; -ne plus ne moins que celuy de du -Perron à Monsieur de Sully, & -l’execution de Travail à Monsieur -de Luynes. Mais parce qu’il seroit -trop long & peut-estre ennuyeux, -de rapporter icy toutes -les divisions que l’on peut faire -sur cette matiere, & que d’ailleurs -elles sont presque inutiles & superfluës, -je me contenteray des -precedentes, & laisseray la liberté -à un chacun d’en introduire & inventer -telles autres que bon luy -semblera.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch3"><span class="sc">Chapitre III.</span><br /> -<span class="i">Avec quelles precautions & en quelles -occasions on doit pratiquer les -Coups d’Estat.</span></h2> - - -<p>Je viens maintenant à ce qui est -de plus essentiel à ce discours, -& puis que les bons & sages -Medecins n’ordonnent jamais les -remedes dangereux & violens, -sans prescrire quand & quand toutes -les precautions moyennant lesquelles -on s’en peut legitimement -servir ; il faut aussi que je fasse le -même en cette occasion, & je le feray -d’autant plus volontiers, que -ces Coups d’Estat sont comme un -glaive duquel on peut user & abuser, -comme la lance de Telephe -qui peut blesser & guerir, comme -cette Diane d’Ephese qui avoit -deux faces, l’une triste & l’autre -joyeuse ; bref comme ces medailles -de l’invention des Heretiques, -qui portent la face d’un Pape & -d’un diable sous mêmes contours -& lineamens ; ou bien comme ces -tableaux qui representent la mort -& la vie, suivant qu’on les regarde -d’un costé ou d’autre ; joint que -c’est le propre de quelque Timon -seulement, de dresser des gibets -pour occasioner les hommes de s’y -pendre ; & que pour moy je defere -trop à la nature, & aux regles -de l’humanité qu’elle nous -prescrit, pour rapporter ces histoires -afin qu’on les pratique mal à -propos,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_119" href="#Footnote_119" class="fnanchor">[119]</a>Tam felix utinam, quàm pectore candidus essem :</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Extat adhuc nemo saucius ore meo.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_119" href="#FNanchor_119"><span class="label">[119]</span></a> Plût à Dieu que je fusse aussi heureux que -j’ay le cœur sincere. Il n’y a encore personne -que ma bouche ait blessé.</p> -</div> -<p class="noindent">C’est pourquoy voulant prescrire -les regles que l’on doit observer -pour s’en servir avec honneur, justice, -utilité, & bien-seance, j’auray -recours à celles qu’en donne -Charon (<span lang="la" xml:lang="la">lib. 3. cap. 2.</span>) & mettray -pour la premiere, que ce soit à la -defensive & non à l’offensive, à se -conserver, & non à s’agrandir, à -se preserver des tromperies, méchancetez, -& entreprises ou surprises -dommageables, & non à en -faire. Le monde est plein d’artifices -& de malices : <a id="FNanchor_120" href="#Footnote_120" class="fnanchor">[120]</a><i lang="la" xml:lang="la">Per fraudem & -dolum Regna evertuntur</i>, dit Aristote, -<i lang="la" xml:lang="la">tu servari per eadem nefas esse vis</i>, ajouste -Lipse ; il est permis de joüer -à fin contre fin, & auprés du Renard, -contrefaire le Renard : Les -loix nous pardonnent les delits -que la force nous oblige de commettre : -<a id="FNanchor_121" href="#Footnote_121" class="fnanchor">[121]</a><i lang="la" xml:lang="la">Insitum est unicuique animanti</i>, -dit Saluste, <i lang="la" xml:lang="la">ut se vitamque -tueatur</i> ; & au rapport de Ciceron -(<span lang="la" xml:lang="la">3. de offic.</span>) <a id="FNanchor_122" href="#Footnote_122" class="fnanchor">[122]</a><i lang="la" xml:lang="la">communis utilitatis derelictio -contra naturam est</i>, & pour -lors il est besoin de biaiser quelquefois, -de s’accommoder au -temps & aux personnes, de mesler -le fiel avec le miel, d’appliquer le -cautere où les corrosifs ne font -rien, le fer, où le cautere n’a point -de puissance, & bien souvent le feu -où le fer manque.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_120" href="#FNanchor_120"><span class="label">[120]</span></a> On renverse les royaumes, par le moyen -des fraudes & des finesses ; & tu veux qu’il soit -defendu de les conserver par les mêmes -moyens.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_121" href="#FNanchor_121"><span class="label">[121]</span></a> C’est de la nature de tous les -animaux qu’ils se defendent & leur vie aussi.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_122" href="#FNanchor_122"><span class="label">[122]</span></a> L’abandon de l’utilité commune est contre -la nature.</p> -</div> -<p>La seconde, que ce soit pour -la necessité, ou evidente & importante -utilité publique de -l’Estat, ou du Prince, à laquelle -il faut courir ; c’est une obligation -necessaire & indispensable, -c’est toujours estre en son -devoir que de procurer le bien -public, <a id="FNanchor_123" href="#Footnote_123" class="fnanchor">[123]</a><i lang="la" xml:lang="la">semper officio fungitur</i>, -dit Ciceron (<span lang="la" xml:lang="la">ibid.</span>) <i lang="la" xml:lang="la">utilitati hominum -consulens & societati</i>. Cette -loy si commune & qui devroit -estre la principale regle -de toutes les actions des Princes, -<a id="FNanchor_124" href="#Footnote_124" class="fnanchor">[124]</a><i lang="la" xml:lang="la">Salus populi suprema lex esto</i>, -les absout de beaucoup de petites -circonstances & formalitez, ausquelles -la justice les oblige : Aussi -sont-ils maistres des loix pour les -allonger ou accourcir, confirmer -ou abolir, non pas suivant ce -que bon leur semble ; mais selon -ce que la raison & l’utilité publique -le permettent : l’honneur du -Prince, l’amour de la patrie, le -salut du peuple equipollent bien -à quelques petites fautes & injustices ; -& nous appliquerons encore -le dire du Prophete, si toutefois -il se peut faire sans rien -profaner : <a id="FNanchor_125" href="#Footnote_125" class="fnanchor">[125]</a><i lang="la" xml:lang="la">Expedit ut unus Homo -moriatur pro populo, ne tota gens -pereat.</i></p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_123" href="#FNanchor_123"><span class="label">[123]</span></a> Celuy qui pourvoit au bien & à la societé -des hommes fait toujours son devoir.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_124" href="#FNanchor_124"><span class="label">[124]</span></a> Que la conservation du peuple soit la souveraine -loy.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_125" href="#FNanchor_125"><span class="label">[125]</span></a> Il est necessaire qu’un homme -meure pour le peuple, afin que toute la -nation ne perisse pas.</p> -</div> -<p>La troisiéme, que l’on marche -plûtost en ces affaires au petit pas -qu’au galop, puisque</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_126" href="#Footnote_126" class="fnanchor">[126]</a>Nulla unquam de morte hominis cunctatio longa est.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Claudien.)</p> - -<p class="noindent">& que l’on n’en fasse pas mestier -& marchandise, crainte que le -trop frequent usage n’attire aprés -soy l’injustice. L’experience nous -apprend, que tout ce qui est -émerveillable & extraordinaire, -ne se monstre pas tous les -jours : les Cometes n’apparoissent -que de siecles en siecles : les -monstres, les deluges, les incendies -du Vesuve, les tremblemens -de terre, n’arrivent que fort rarement, -& cette rareté donne un -lustre & une couleur à beaucoup -de choses, qui le perdent soudain -que l’on en use trop frequemment,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_127" href="#Footnote_127" class="fnanchor">[127]</a>Vilia sunt nobis, quæcunque prioribus annis</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Vidimus, & sordet quicquid spectavimus olim.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_126" href="#FNanchor_126"><span class="label">[126]</span></a> Il n’y a jamais de retardement qui soit -long quand il est question de faire mourir un -homme.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_127" href="#FNanchor_127"><span class="label">[127]</span></a> Nous méprisons tout ce que nous -avons veu les années passées, & estimons comme -de la bouë tout ce que nous ayons déja -veu.</p> -</div> -<p class="noindent">J’ajouste que si le Prince se tient -dans la retenuë de ces pratiques, -il ne pourra facilement en estre -blasmé, ny ne passera à cette occasion -pour tyran, perfide, ou -barbare, d’autant que l’on ne doit -proprement donner ces qualitez, -qu’à ceux qui en ont contracté les -habitudes, & ces habitudes dépendent -d’un grand nombre d’actions -souventefois repetées, <a id="FNanchor_128" href="#Footnote_128" class="fnanchor">[128]</a><i lang="la" xml:lang="la">habitus -est actus multoties repetitus</i>, tout -ainsi que la ligne est une suite de -points, la superficie une multiplication -de lignes, l’induction -un amas de plusieurs preuves, & -le syllogisme un entre-las de diverses -propositions.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_128" href="#FNanchor_128"><span class="label">[128]</span></a> L’habitude est un acte reïteré par plusieurs -fois.</p> -</div> -<p>La quatriéme, que l’on choisisse -toujours les moyens les plus -doux & faciles, & que l’on prenne -garde au precepte que donne -Claudien à l’Empereur Honorius,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i2 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_129" href="#Footnote_129" class="fnanchor">[129]</a>Metii satiabere pœnis ?</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Triste rigor nimius.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(de 4. Consul.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_129" href="#FNanchor_129"><span class="label">[129]</span></a> Te contenteras-tu de la punition de Metius ? -C’est une chose triste que la trop grande -rigueur.</p> -</div> -<p class="noindent">Il n’appartient qu’à des tyrans -de dire, <a id="FNanchor_130" href="#Footnote_130" class="fnanchor">[130]</a><i lang="la" xml:lang="la">sentiat se mori</i>, & qu’à -des diables de se plaire aux tourmens -des hommes ; il ne faut pas -imiter en ces actions les chevaux -des Courses Olympiques, -lesquels on ne pouvoit plus retenir -lors qu’une fois ils avoient -pris carriere, il y faut proceder -en juge, & non comme partie ; -en Medecin, & non pas en bourreau ; -en homme retenu, prudent, -sage, & discret, & non -pas en colere, vindicatif & abandonné -à des passions extraordinaires -& violentes : cette belle vertu -de Clemence,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_131" href="#Footnote_131" class="fnanchor">[131]</a>Quæ docet ut pœnis hominum, vel sanguine pasci,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Turpe ferumque putes.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_130" href="#FNanchor_130"><span class="label">[130]</span></a> Qu’il se sente mourir.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_131" href="#FNanchor_131"><span class="label">[131]</span></a> Qui enseigne à estimer sale & cruël, de -se repaitre des tourmens & du sang des humains.</p> -</div> -<p class="noindent">est toujours plus estimée que la -rigueur & severité ; la masse d’Hercules, -disent les Poëtes, luy avoit -esté donnée pour vaincre les -Geans, punir les tyrans, & exterminer -les monstres, & neanmoins -elle estoit faite de la fourche d’un -olivier, en symbole de paix & de -tranquillité ; l’on peut souventefois -remedier à un grand arbre -qui s’en va mourant, en taillant -seulement quelques-unes de ses -branches ; & une simple seignée -faite à propos, rompt bien souvent -le cours à de grandes maladies ; -bref il faut imiter les bons -Chirurgiens qui commencent -toujours par les operations les plus -faciles à supporter ; & les Juifs -qui donnoient certains breuvages -aux condamnez à mort pour leur -oster les sentimens, & la douleur du -supplice ; la seule teste de Seianus -devoit contenter Tibere ; Hannibal -pouvoit bien rendre tous -ses captifs inutiles à la guerre sans -les tuer ; le Sac de Rome eut esté -moins odieux, si l’on eust porté -plus de respect aux temples & à -leurs ministres ; & le Marquis -d’Ancre n’eut pas esté moins -justement puny, quand on ne -l’eust point traisné & dechiré. -<a id="FNanchor_132" href="#Footnote_132" class="fnanchor">[132]</a><i lang="la" xml:lang="la">Illos crudeles vocabo</i>, dit Seneque -(<span lang="la" xml:lang="la">de clem. cap. 4.</span>) <i lang="la" xml:lang="la">qui puniendi causam -habent, modum non habent.</i></p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_132" href="#FNanchor_132"><span class="label">[132]</span></a> J’appelleray ceux-là cruëls qui ont des -raisons de punir, mais qui ne peuvent suivre -de regles, & qui n’ont point de moderation.</p> -</div> -<p>La cinquiéme, que pour justifier -ces actions, & diminuer le -blâme qu’elles ont accoustumé -d’apporter quand & soy, lors que -les Princes se trouvent reduits & -necessitez de les prattiquer, ils -ne les fassent qu’à regret, & en -souspirant, comme le pere qui -fait cauteriser ou couper un membre -à son enfant pour luy sauver -la vie, ou luy arracher une dent -pour avoir du repos ; c’est ce que -le Poëte Claudien n’oublie pas en -la description qu’il fait d’un bon -Prince :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_133" href="#Footnote_133" class="fnanchor">[133]</a>Sit piger ad pœnas Princeps, ad præmia velox,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Quique dolet quoties cogitur esse ferox.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_133" href="#FNanchor_133"><span class="label">[133]</span></a> Que le Prince soit lent au chastiment & -prompt aux recompenses ; & qu’il ait du regret -quand il est contraint à estre severe & rigoureux.</p> -</div> -<p class="noindent">Il faut doncques retarder, ou au -moins ne precipiter ces executions, -les mascher & ruminer souvent -dans son esprit, s’imaginer tous les -moyens possibles pour les gauchir -& éviter si faire se peut, si non -pour les adoucir & faciliter ; & -en un mot ne s’y point resoudre, -qu’avec autant de difficulté que -feroit un homme attaqué sur mer -par la tempeste, à sacrifier tout -son bien à la fureur de cet Element, -ou un malade à se voir couper -la jambe.</p> - -<p>Aussi n’est-ce pas mon intention -de finir icy le nombre de ces -precautions par quelqu’une, que -l’on puisse croire estre la derniere -de celles qu’il y faut observer : -l’ajouste qui voudra à ses écrits, -pour moy je ne la mettray jamais -aux miens, n’estimant pas raisonnable, -de prescrire des fins & des -limites à la clemence & humanité ; -qu’elle étende ses bornes si loing -qu’elle voudra, elles me sembleront -toujours trop courtes & resserrées. -Quand on n’a point peur -que son cheval bronche on luy -peut lascher la bride asseurément ; -lors que le vent est bon on peut -deployer toutes les voiles ; on ne -doit borner les vertus que par les -vices qui leur sont contraires, & -tant qu’elles s’en éloignent assez -pour n’y point tomber, on n’a -que faire de les retenir. Il est bien -vray qu’elles n’ont pas leur carriere -si franche au sujet que nous -traitons maintenant, comme en -beaucoup d’autres, mais aussi sera-ce -assez que le Prince qui ne peut -estre du tout bon, le soit à demy, -& que celuy qui par une raison -superieure ne peut estre du tout -juste, ne soit pas aussi du tout -cruel, injuste & meschant. Mais -quand bien nous n’aurions que -ces cinq regles & precautions, -je croy, qu’elles sont suffisantes -de faire juger à ceux qui -auront tant soit peu d’esprit & -d’inclination au bien, ce qui sera -de la raison, & encore que -je ne les eusse point specifiées, -la discretion toutefois & le jugement -des hommes sages ne permettent -pas qu’ils les puissent -ignorer, veu que</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_134" href="#Footnote_134" class="fnanchor">[134]</a>Quid faciat, quid non, homini prudentia monstrat.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Paling. in Virgine.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_134" href="#FNanchor_134"><span class="label">[134]</span></a> La Prudence montre à l’homme ce qu’il -doit ou ce qu’il ne doit pas faire.</p> -</div> -<p class="noindent">Aussi est-ce bien mon intention -que de toutes les Histoires que j’ay -rapportées cy-dessus & que je cotteray -encore dans la suite de ce -discours, celles-là passent seulement -pour legitimes, lesquelles -estant appliquées à ces cinq regles -ou à celles de la prudence en -general, se rencontreront conformes -à ce qui sera du droit & de la -raison.</p> - -<p>Mais toutes les maximes & -precautions susdites ne servant -que pour nous rendre mieux instruits -& disposez à l’execution de -ces Coups d’Estat, il faut maintenant -voir en quelles rencontres & -occasions on les peut pratiquer. -Charon sans faire semblant de rien -en propose 4 ou 5 dans son livre -de la sagesse (<span lang="la" xml:lang="la">l. 3. c. 2.</span>) mais brievement -<a id="FNanchor_135" href="#Footnote_135" class="fnanchor">[135]</a><i lang="it" xml:lang="it">à la sfugita</i>, & faisant -comme les Scythes qui décochent -leurs meilleures fléches lors qu’ils -semblent fuïr le plus fort. Je les -étendray davantage par raisons & -exemples, & y en ajouteray beaucoup -d’autres, qui serviront comme -de titres, ausquels on pourra -rapporter celles qui se rencontreront -aprés dans les Auteurs & -Historiens.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_135" href="#FNanchor_135"><span class="label">[135]</span></a> A la dérobée.</p> -</div> -<p>Or entre ces occasions il n’y a -point de doute qu’on doit faire -marcher les premieres, quoy qu’elles -soient à mon avis les plus injustes, -celles qui se rencontrent -en l’établissement & nouvelle erection -ou changement des Royaumes -& Principautez : Et pour parler -premierement de l’erection, -si nous considerons quels ont esté -les commencemens de toutes les -Monarchies, nous trouverons toujours -qu’elles ont commencé par -quelques-unes de ces inventions & -supercheries, en faisant marcher la -Religion & les miracles en teste -d’une longue suite de barbaries & -de cruautez. C’est Tite Live (<span lang="la" xml:lang="la">l. 4. -decad. 1.</span>) qui en a le premier fait la -remarque : <a id="FNanchor_136" href="#Footnote_136" class="fnanchor">[136]</a><i lang="la" xml:lang="la">Datur</i>, dit-il, <i lang="la" xml:lang="la">hæc venia -antiquitati, ut miscendo humana divinis, -primordia urbium augustiora faciat</i>. -Ce que nous montrerons cy-aprés -estre tres-veritable, mais -pour cette heure, il nous faut demeurer -dans le general, & commencer -nostre preuve par l’établissement -des quatre premieres & -plus grandes Monarchies du monde. -Cette tant renommée Reyne -Semiramis qui fonda l’Empire des -Assyriens, fut assez industrieuse -pour persuader à ses peuples, -qu’ayant esté exposée en son enfance, -les oiseaux avoient eu -le soin de la nourrir, luy apportant -la becquée comme ils -ont coustume de faire à leurs petits : -& voulant encore confirmer -cette fable par les dernieres -actions de sa vie, elle ordonna -qu’on feroit courir le bruit aprés -sa mort qu’elle avoit esté convertie -en pigeon, & qu’elle s’estoit -envolée, avec une grande quantité -d’oiseaux qui l’estoient venu -querir jusques dans sa chambre. -Elle eut encore la resolution de -feindre & changer son sexe, & -de femme qu’elle estoit devenir -masle, joüant le personnage de son -fils Ninus, & le contrefaisant en -toutes ses actions : & pour mieux -venir à bout de cette entreprise, -elle s’avisa d’introduire une nouvelle -sorte de vestemens parmy -le peuple, qui estoient grandement -favorables à couvrir & cacher -ce qui pouvoit le plus facilement -la faire reconnoistre pour -femme. <a id="FNanchor_137" href="#Footnote_137" class="fnanchor">[137]</a><i lang="la" xml:lang="la">Brachia enim ac crura velamentis, -caput tiara tegit, & ne novo -habitu aliquid occultare videretur, eodem -ornatu populum vestiri jubet, quem -morem vestis exinde gens universa tenet</i>, -& par ce moyen, <a id="FNanchor_138" href="#Footnote_138" class="fnanchor">[138]</a><i lang="la" xml:lang="la">primis initiis -sexum mentita, puer credita est</i>. -(<span lang="la" xml:lang="la">Just. initio.</span>) Cyrus qui établit -la Monarchie des Perses, voulut -aussi s’autoriser par la vigne que -son grand pere Astyages avoit -veu naistre <a id="FNanchor_139" href="#Footnote_139" class="fnanchor">[139]</a><i lang="la" xml:lang="la">ex naturalibus filiæ, -cujus palmite omnis Asia obumbrabatur</i> ; -& du songe que luy-même eut -lors qu’il prit les armes, & qu’il -choisit un esclave pour compagnon -de toutes ses entreprises ; -mais il faisoit encore mieux valoir -l’opinion qu’une chienne l’avoit -nourry & alaité dans les bois, où -il avoit esté exposé par Harpago, -jusques à ce qu’un Pasteur l’ayant -rencontré fortuitement, il le porta -à sa femme, & le fit soigneusement -nourrir dans sa maison. Pour -Alexandre & Romulus, comme -leurs desseins estoient plus relevez, -aussi jugerent-ils qu’il estoit -necessaire de prattiquer davantage -& de beaucoup plus puissans -stratagemes. C’est pourquoy encore -qu’ils commençassent aussi-bien -que les precedens par celuy -de leur origine, ils le porterent -toutefois le plus haut qu’il se pouvoit -faire, d’où Sidonius a eu occasion -de dire,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_140" href="#Footnote_140" class="fnanchor">[140]</a>Magnus Alexander, nec non Romanus habentur</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Concepti serpente Deo.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_136" href="#FNanchor_136"><span class="label">[136]</span></a> On permet à l’Antiquité qu’en mélant -des choses humaines parmy les divines, elle -rende plus augustes les commencemens des -villes.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_137" href="#FNanchor_137"><span class="label">[137]</span></a> Car elle couvrit ses bras & ses jambes -d’une robe, & la teste d’un turban ; & afin -qu’elle ne semblast pas cacher quelque chose -sous ce nouvel habit, elle ordonna que tout -son peuple en prist de semblables, laquelle mode -ce peuple garde encore.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_138" href="#FNanchor_138"><span class="label">[138]</span></a> Au commencement -s’estant travestie elle fut prise pour un -garçon.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_139" href="#FNanchor_139"><span class="label">[139]</span></a> De sa fille, dont l’ombre des sarmens -couvroit toute l’Asie.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_140" href="#FNanchor_140"><span class="label">[140]</span></a> Le grand Alexandre & le Romain sont -estimés avoir esté conceus d’un serpent & d’un -Dieu.</p> -</div> -<p class="noindent">Car pour Alexandre il fit croire -que Jupiter avoit accoustumé de -venir voir & de se réjouïr avec sa -mere Olympias sous la figure d’un -serpent, & que lors qu’il vint au -monde, la Déesse Diane assista si -assiduement aux couches de ladite -Olympias, qu’elle ne songea pas à -secourir le temple qu’elle avoit en -Ephese, lequel dans cet intervalle -fut entierement consommé, par -un fortuït embrasement. Quoy -plus, afin de mieux établir l’opinion -de sa divinité dans la croyance -de ses sujets, il disposa les Prestres -de Jupiter Ammon en Egypte, -<a id="FNanchor_141" href="#Footnote_141" class="fnanchor">[141]</a><i lang="la" xml:lang="la">ut ingredientem templum statim -ut Ammonis filium salutarent</i> ; -(<span lang="la" xml:lang="la">Justin. l. 11.</span>) & pour mieux joüer -encore son personnage, <a id="FNanchor_142" href="#Footnote_142" class="fnanchor">[142]</a><i lang="la" xml:lang="la">Rogat -num omnes patris sui interfectores sit -ultus, respondent patrem ejus, nec posse -interfici, nec mori</i> ; il en vint même -aux effets, commandant à Parmenion -de démolir tous les temples, -& d’abolir les honneurs que -les peuples de l’Orient rendoient -à Jason, <a id="FNanchor_143" href="#Footnote_143" class="fnanchor">[143]</a><i lang="la" xml:lang="la">ne cujusquam nomen in -Oriente venerabilius quam Alexandri -esset</i>. Ajoustons à cela que certains -captifs luy ayant donné la connoissance -du remede dont on se -pouvoit servir contre les fléches -empoisonnées des Indiens, il fit -croire auparavant que de le publier, -que Dieu le luy avoit revelé -en songe. Mais cette insatiable -cupidité l’ayant conduit jusques -à se faire adorer, il reconnut -enfin par les remonstrances de -Callisthenes, par l’obstination des -Lacedemoniens, & par les blessures -qu’il recevoit tous les jours en -combatant, que toutes ses forces -ne seroient jamais suffisantes pour -pouvoir établir cette nouvelle -Apotheose, & qu’il faut une plus -grande fortune pour gagner une -petite place dans le ciel, que pour -dompter icy bas & dominer toute -la terre. Que si l’on veut ajouster -à ces histoires celles de la -mort de son Pere Philippe, de laquelle -il fut consentant avec sa -mere Olympias, & celle aussi de -Clytus, qu’il tua de sa propre main, -parce qu’il s’estoit acquis trop -d’autorité entre les soldats, l’on -trouvera qu’Alexandre pratiquoit -en secret ce que Cesar a fait depuis -tout ouvertement, <a id="FNanchor_144" href="#Footnote_144" class="fnanchor">[144]</a><i lang="la" xml:lang="la">si violandum -est jus, regnandi causa</i>. Quant -à Romulus, il se mit en credit par -les histoires du Dieu Mars, qui -pratiquoit familierement avec sa -mere Rhea ; par celle de la Louve -qui le nourrit ; par la tromperie -des Vautours, la mort de son frere, -l’Asile qu’il établit à Rome, -le ravissement des Sabines, le -meurtre de Tatius qu’il laissa impuny, -& finalement par la mort en -se noyant dans des marests, pour -faire croire que son corps avoit -esté enlevé dans les cieux, puis -qu’on ne le pouvoit trouver en terre. -Or si l’on ajouste à ces Coups -d’Estat de Romulus, ceux que -Numa Pompilius son successeur -prattiqua au moyen de sa nymphe -Egerie, & des superstitions qu’il -établit pendant son Regne, il sera -facile en suite de juger,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_145" href="#Footnote_145" class="fnanchor">[145]</a>Quibus auspiciis illa inclita Roma</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Imperium Terris animos æquavit Olympo.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virgil.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_141" href="#FNanchor_141"><span class="label">[141]</span></a> Que dés qu’il entreroit au temple ils le -salüassent comme le fils de Jupiter Ammon.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_142" href="#FNanchor_142"><span class="label">[142]</span></a> Il demanda s’il ne s’estoit pas vengé de tous -les meurtriers de son pere, & ils répondirent -que son pere ne pouvoit ni estre tué ni mourir.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_143" href="#FNanchor_143"><span class="label">[143]</span></a> Afin qu’il n’y eût point de nom en Orient -plus venerable que celuy d’Alexandre.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_144" href="#FNanchor_144"><span class="label">[144]</span></a> S’il faut violer le droit, c’est pour regner.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_145" href="#FNanchor_145"><span class="label">[145]</span></a> Par quelle fortune cette fameuse Rome, a -maistrisé toute la terre, & a porté son ambition -aussi haut que l’Olympe.</p> -</div> -<p class="noindent">Il est encore à propos de remarquer, -que tout ainsi que cette domination -Monarchique ne s’estoit -pû établir sans beaucoup de ruses -& de tromperies, il n’en fallut -aussi gueres moins pour la détruire, -lors que les Tarquins estant -chassez de Rome à cause du violement -de Lucresse, on changea l’Estat -d’un Royaume en celuy d’une -Republique. Car nous y pouvons -premierement remarquer la -folie simulée de Junius Brutus, sa -cheute feinte, son baston de sureau -presenté à l’oracle, & en suite -l’execution qu’il fit faire de ses -deux fils, tant parce qu’ils estoient -amys des Tarquins, & accusez de -les avoir voulu remettre dans la -ville, qu’aussi parce que l’education -qu’ils avoient receuë durant -l’Estat Monarchique, estoit directement -contraire à celuy qu’il -vouloit établir : & pour couronner -toutes ces actions par quelque -grand Coup d’Estat, & par -un vray <a id="FNanchor_146" href="#Footnote_146" class="fnanchor">[146]</a><i lang="la" xml:lang="la">arcanum Imperii</i>, il fit -chasser de Rome Tarquinius Collatinus, -quoy qu’il fust mary de -Lucresse, qu’il eust esté son compagnon -au Consulat, & qu’il -n’eust pas moins contribué que -luy à la ruine des Tarquins : car -quoy qu’il prist pour pretexte que -le nom des Tarquins estoit devenu -si odieux aux Romains, qu’ils -ne pouvoient pas même le souffrir -en la personne de leurs amis ; -son principal but neanmoins estoit -de ne laisser aucun reste de ceux -qu’il avoit poussez jusques à la -derniere extremité, & aussi de ne -partager la gloire de cette action -avec une personne dont luy-même -avoüoit & publioit le merite : -<a id="FNanchor_147" href="#Footnote_147" class="fnanchor">[147]</a><i lang="la" xml:lang="la">Meminimus, fatemur, ejecisti Reges, -absolve beneficium tuum, aufer -hinc regium nomen</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">ap. Liv. l. 2.</span>) -Que si nous voulions examiner -toutes les autres Monarchies & -tous les Estats qui sont inferieurs -à ces quatre, nous pourrions emplir -un gros volume de semblables -histoires. C’est pourquoy ce -sera assez pour la derniere preuve -de nostre maxime, d’examiner ce -que pratiqua Mahomet, à l’établissement -non moins de sa Religion, -que de l’Empire lequel est -aujourd’huy le plus puissant du -monde. Certes comme tous les -grands esprits (<i lang="la" xml:lang="la">Postellus & alii</i>) ont -toujours eu l’industrie de prendre -avantage des plus signalées -disgraces qui leur sont arrivées, -cettuy-cy pareillement voulut faire -de même ; de façon que voyant -qu’il estoit fort sujet à tomber du -haut mal, il s’avisa de faire croire -à ses amis que les plus violens -paroxismes de son epilepsie, -estoient autant d’extases & de signes -de l’esprit de Dieu qui -descendoit en luy ; il leur persuada -aussi qu’un pigeon blanc qui -venoit manger des grains de bled -dans son oreille, estoit l’Ange -Gabriel qui luy venoit annoncer -de la part du même Dieu ce qu’il -avoit à faire : En suite de cela il -se servit du Moine Sergius pour -composer un Alcoran, qu’il feignoit -luy estre dicté de la propre -bouche de Dieu ; finalement il -attira un fameux Astrologue pour -disposer les peuples par les predictions -qu’il faisoit du changement -d’Estat qui devoit arriver, & de -la nouvelle loy qu’un grand Prophete -devoit établir, à recevoir -plus facilement la sienne lors qu’il -viendroit à la publier. Mais s’estant -une fois apperceu que son -Secretaire Abdala Ben-salon, contre -lequel il s’estoit picqué à tort, -commençoit à découvrir & publier -telles impostures, il l’égorgea -un soir dans sa maison, & fit -mettre le feu aux quatre coins, -avec intention de persuader le -lendemain au peuple que cela -estoit arrivé par le feu du Ciel, -& pour chastier ledit Secretaire -qui s’estoit efforcé de changer & -corrompre quelques passages de -l’Alcoran. Ce n’estoit pas toutefois -à cette finesse que devoient -aboutir toutes les autres, il en falloit -encore une qui achevast le -mystere, & ce fut qu’il persuada au -plus fidelle de ses domestiques, de -descendre au fond d’un puits qui -estoit proche d’un grand chemin, -afin de crier lors qu’il passeroit en -compagnie d’une grande multitude -de peuple qui le suivoit ordinairement, -<i>Mahomet est le bien-aymé -de Dieu, Mahomet est le bien-aymé -de Dieu</i> : & cela estant arrivé de -la façon qu’il avoit proposé, il -remercia soudain la divine bonté -d’un témoignage si remarquable, -& pria tout le peuple qui le suivoit -de combler à l’heure même -ce puits, & de bastir au dessus une -petite Mosquée pour marque d’un -tel miracle. Et par cette invention -ce pauvre domestique fut incontinent -assommé, & ensevely -sous une gresle de cailloux, qui -luy osterent bien le moyen de jamais -découvrir la fausseté de ce -miracle,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_148" href="#Footnote_148" class="fnanchor">[148]</a>Excepit sed terra sonum, calamique loquaces.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Petron. in Epigram.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_146" href="#FNanchor_146"><span class="label">[146]</span></a> Secret d’Empire.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_147" href="#FNanchor_147"><span class="label">[147]</span></a> Il nous en souvient, nous le confessons, -tu as chassé les Roys, paracheve cette bonne -action, & oste d’icy le nom royal.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_148" href="#FNanchor_148"><span class="label">[148]</span></a> Mais la terre & les plumes babillardes en -receurent le son.</p> -</div> -<p class="noindent">La seconde occasion que l’on peut -avoir de pratiquer ces coups fourrez, -est la conservation, ou rétablissement, -& restauration des -Estats & Principautez, lors que -par quelque malheur ou par la -seule longueur du temps, qui mine -& consomme toutes choses, ils -commencent à pancher vers leur -ruine, & à menacer d’une prochaine -cheute, si bien-tost l’on n’y -donne ordre. Et certes d’autant -plus que toutes les choses ayment -leur conservation, & sont obligées -de maintenir autant qu’il est possible -les principes de leur estre, -ou au moins de leur bien estre ; je -me persuade aussi qu’il est alors -permis, voire même necessaire que -ce qui a servy à les établir, serve -aussi à les maintenir. J’ajouste -encore que si l’opinion d’Ovide -est veritable,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_149" href="#Footnote_149" class="fnanchor">[149]</a>Non minor est virtus quàm quærere parta tueri :</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Casus inest illic, hic erit artis opus,</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_149" href="#FNanchor_149"><span class="label">[149]</span></a> Il n’y a pas moins de vertu à conserver -qu’à aquerir du bien : en celui-cy il y a de la -fortune, mais celui-là est une œuvre de l’industrie.</p> -</div> -<p class="noindent">on doit raisonnablement conclure, -que ces Coups d’Estat sont plus -necessaires pour la conservation -& manutention des Monarchies, -que pour leur établissement ; au -moins seront-ils plus justes, puis -que auparavant qu’un Estat soit -formé & dressé, il n’y a nulle necessité -de l’établir ; tant s’en faut, -c’est le plus souvent un coup de -hazard, ou l’effet de la puissance -& ambition de quelque particulier ; -mais au contraire quand il -est étably & policé, l’on est en suite -obligé de le maintenir. Or puis -qu’il ne seroit pas à propos de -ressembler à ces vagabonds & Cingaristes,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_150" href="#Footnote_150" class="fnanchor">[150]</a>Quos aliena juvant, propriis habitare molestum.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_150" href="#FNanchor_150"><span class="label">[150]</span></a> Qui se plaisant chés autruy, ne sçauroient -demeurer dans leur propre maison.</p> -</div> -<p class="noindent">aprés avoir tiré tant de preuves -& d’exemples des Histoires étrangeres, -il ne sera pas comme je croy -hors de propos de feüilleter un -peu la nostre, puis qu’elle peut -nous en fournir d’aussi remarquables -que celles des Grecs & des -Romains. Et à la verité quand je -considere ce que fit Clovis nostre -premier Roy Chrestien, il faut -avoüer que je n’ay encore rien -veu de semblable en toute l’antiquité. -Car la Gaule se trouvant -divisée lorsqu’il vint à la Couronne -en quatre diverses nations, -dont le Visigoth possedoit la -Gascogne, le Bourguignon estoit -Maistre du Lionnois, les Romains -commandoient à Soissons & à toutes -ses appartenances, & les François -qui pour lors estoient encore -presque tous Payens, gouvernoient -le demeurant : Il luy prit envie de -reünir & rassembler ces quatre -pieces separées sous son Empire, -comme Esculape fit les membres -d’Hippolyte. Et pour ce faire, -considerant que la Religion -Payenne commençoit insensiblement -à vieillir, & à se diminuer, -aprés avoir gagné la bataille de -Tolbiac sur un Prince Allemand, -il prit resolution de se faire Chrestien, -& de se concilier par ce -moyen la bienveillance non seulement -de la Reyne Clothilde sa -femme, mais encore de beaucoup -de Prelats, & de tout le commun -peuple de la France. Surquoy je -dois remarquer comme en passant, -qu’encore qu’il me seroit -plus seant de rapporter les premiers -motifs d’un changement si -remarquable à quelque sainte inspiration, -octroyée au Roy Clovis -par les prieres de la bonne -Reyne Clothilde, & que je ferois -mieux d’interpreter toutes ces -choses douteuses en bien ; il faut -neanmoins que je me range icy -du costé des Politiques, qui seuls -ont le privilege de les interpreter -en mal, ou au moins d’y remarquer -quelque ruse & stratageme, -afin de demeurer toujours du -costé des plus fins, & d’aiguiser -l’esprit de ceux qu’ils instruisent -par le recit de ces actions remarquables -& judicieuses à la verité, -mais qui ne sont fondées le plus -souvent que sur de vaines conjectures, -& sur des soupçons qui ne -donnent & ne peuvent en aucune -façon prejudicier à la verité de -l’Histoire. Continuant doncques -à parler de cette conversion de -Clovis suivant les sentiments de -Pasquier, & de quelques autres -Politiques, nous dirons que l’Escu -descendu du Ciel, les miracles du -Sacre, & l’Auriflamb, dont Paul -Emile ne dit mot, furent de -petits Coups d’Estat pour autoriser -le changement de Religion, -duquel il se vouloit servir comme -d’une puissante machine pour -ruiner tous les petits Princes qui -estoient ses voisins. Et en effet il -commença par le Romain, contre -lequel la haine commune des -nations étrangeres combatoit, puis -par le Visigoth & Bourguignon, -sous ombre qu’ils estoient Arriens, -& ensuite il entreprit les -Princes Ragnacaire, Cacarie, Sigebert -& son fils, descendans de -Clodion, qui occupoient encore -quelques petits échantillons de la -France ; & il les fit tous frauduleusement -assassiner, sans autre -pretexte que pour eviter le ressentiment -qu’ils pourroient avoir un -jour du tort que leur avoit fait -Merové son ayeul. Et aprés cela -je laisse à juger comme j’ay déja -fait cy-dessus, quelle raison a -pû avoir Monsieur Savaron de -faire un livre afin de prouver & -établir la sainteté de Clovis. Pour -moy je croy que la meilleure -preuve qu’il nous en pouvoit -donner, estoit de luy faire dire -comme fit un certain Poëte à Scipion,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_151" href="#Footnote_151" class="fnanchor">[151]</a>Si fas cædendo cælestia scandere cuiquam,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Mi soli Cæli maxima porta patet.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_151" href="#FNanchor_151"><span class="label">[151]</span></a> Si par des meurtres on peut monter au -ciel, la porte n’en est ouverte qu’à moy seul.</p> -</div> -<p class="noindent">Neanmoins comme la sagesse des -hommes n’est que pure folie devant -Dieu, il arriva que ses successeurs -se laissant conduire par -les Maires du Palais comme des -bufles par le nez, le Royaume -aprés avoir changé de diverses -mains, aboutit finalement à Pepin -rejetton de la famille de Clodion, -comme il est fort bien expliqué -par Pasquier ; & ainsi Clovis -augmenta à la verité, & unit -le Royaume de France, mais il -ne put toutefois le conserver -long-temps à sa maison, ny à ceux -qui en sont descendus. La France -doncques ayant esté reünie de -la sorte par Clovis, & un peu -aprés baucoup augmentée par -Charlemagne, elle se conserva -long-temps en un estat assez florissant, -jusques à ce que les Anglois -sortant de leur nid, ils y apporterent -la guerre, & la continuerent -si obstinément, qu’en -estant presque devenus maistres, -il fut necessaire sous Charles VII, -d’avoir recours à quelque Coup -d’Estat pour les en chasser : ce -fut doncques à celuy de Jeanne la -Pucelle, lequel est avoüé pour -tel par Juste Lipse en ses Politiques, -& par quelques autres -Historiens étrangers, mais particulierement -par deux des nostres, -sçavoir du Bellay Langey en son -art militaire, & par du Haillan -en son Histoire, pour ne citer icy -beaucoup d’autres Ecrivains de -moindre consideration. Or ce -Coup d’Estat ayant si heureusement -reüssi que chacun sçait, & la -Pucelle n’ayant esté brulée qu’en -effigie, nos affaires commencerent -un peu aprés à s’empirer, -tant par les guerres precedentes, -que par celles qui vinrent ensuite, -& la France devint comme -ces corps cachectiques & mal sains -qui ne respirent que par industrie, -& ne se soustiennent que par la -vertu des remedes : car elle ne -s’est depuis ce temps là maintenuë -que par le moyen des stratagemes -pratiquez par Louïs XI, -François I, Charles IX, & par -ceux encore qui leur ont succedé, -desquels je ne diray rien presentement, -puis que toutes nos -Histoires en sont pleines, & qu’il -y aura lieu cy-aprés de rapporter -ceux qui me sembleront les plus -remarquables.</p> - -<p>La troisiéme raison qui peut -legitimer ces Coups d’Estat, est -lors qu’il s’agit d’affoiblir ou casser -certains droits, privileges, franchises -& exemptions dont joüissent -quelques sujets au prejudice & diminution -de l’autorité du Prince ; -comme lors que Charles V, voulant -ruiner le droit de l’élection, & -asseurer l’Empire à sa famille, se -servit pour cet effet des predications -de Luther, & luy donna -tout loisir d’établir sa doctrine, -afin que sa predication prenant -pied en Allemagne, la division se -glissast parmy les Princes Electeurs, -& qu’il eust le moyen de -les ruiner plus facilement, lors -qu’il les voudroit entreprendre. -C’est ce que Monsieur le Duc de -Nevers a si bien remarqué dans le -Discours qu’il fit imprimer en -l’an 1590, sur la condition des -affaires de l’Estat, dedié au Pape -Sixte cinquiéme, que je ne puis -moins faire que de rapporter icy -les propres termes dont il s’est -servy. <i>Le pretexte de la Religion</i>, -dit-il, <i>n’est pas une chose nouvelle, & -beaucoup de grands Princes s’en sont -servis pour cuider parvenir à leur but. -Je veux cotter la guerre que Charles V -fit contre les Princes Protestans de la -secte de Luther, car il ne l’eust jamais -entrepris, s’il n’eust eu intention de -rendre hereditaire à la Maison d’Austriche -la Couronne Imperiale ; partant -il s’attaqua aux Princes Electeurs de -l’Empire pour les ruiner & abolir cette -élection. Car si le zele de l’honneur de -Dieu, & le desir de soustenir la sainte -Religion Catholique eust dominé son -esprit, il n’eust retardé depuis l’an <span class="rm">1519</span>, -qu’il fut éleu Empereur, jusques en -l’année <span class="rm">1549</span>, à prendre les armes -pour éteindre, comme il luy eust esté -lors fort aisé à faire, l’heresie que Luther -commença d’allumer dés l’an <span class="rm">1526</span> -en Allemagne, sans attendre qu’elle eust -embrasé la plus grande region de l’Europe : -mais parce qu’il estimoit que telle -nouveauté luy pourroit apporter commodité -plus que dommage ; tant à l’endroit -du Pape que des Princes de Germanie, -à cause de la division que cette -heresie engendroit parmy eux, specialement -entre les Princes seculiers & les -autres, voire aussi parmy les simples -laics, il la laissa augmenter jusques à -ce qu’elle eust produit l’effet qu’il avoit -projetté ; & lors il suscita le Pape Paul -troisiéme pour faire la guerre aux Protestans -sous pretexte de Religion, mais -en intention de les exterminer & rendre -l’Empire hereditaire à sa Maison.</i> Cela -fut aussi remarqué par François -premier en son Apologie de l’an -1537. <i>L’Empereur sous couleur de la -Religion armé de la ligue des Catholiques, -veut opprimer l’autre, & se faire -le chemin à la Monarchie</i> : C’estoit -à la verité une grande ruse conceuë -de longue-main, avec beaucoup -de jugement & de prudence. -Mais Philippe second en pratiqua une -autre, de laquelle l’effet fut -bien plus prompt & asseuré, quoy -qu’en chose de moindre consequence, -puis qu’elle n’avoit autre -but que d’abolir les privileges -octroyez autrefois au Royaume -d’Arragon, qui estoient en effet -si avantageux, & si courageusement -maintenus par ce peuple, -que les Roys d’Espagne ne se pouvoient -pas vanter de leur commander -absolument : voyant doncques -qu’il se presentoit une belle -occasion de les ruiner, sur ce -que Antonio Perez son Secretaire -d’Estat & leur compatriote, aprés -avoir rompu les prisons de Castille -s’estoit retiré en Arragon, pour -asseurer sa vie sous la faveur des Privileges -octroyez à ce Royaume : -il jugea que c’estoit un beau -pretexte pour se tirer une telle -épine du pied : c’est pourquoy -ayant sous main pratiqué les Jesuites -afin qu’ils excitassent le peuple -à prendre les armes, & à defendre -les privileges & libertez du -païs, luy de son costé met ensemble -une grosse armée, & fait mine -de vouloir combattre celle des -Arragonois ; sur ces entrefaites les -Jesuites commencent à joüer leur -jeu, & à chanter la palinodie, remonstrant -au peuple que veritablement -le Roy avoit la raison de -son costé, que ses forces estoient -trop puissantes, les leurs trop foibles -pour attendre le hazard de -quelque rencontre, aprés laquelle -il n’y auroit point de pardon ; -bref ils font si bien que la peur & -l’étonnement se glissent dans le -cœur des Arragonois, leur armée -se dissipe, chacun s’étonne, s’enfuit, -se cache, & cependant l’armée -du Roy d’Espagne passe outre, -entre dedans Sarragosse, y -bastit une Citadelle, demolit les -maisons principales, fait mourir -les uns, bannit les autres ; & n’oublie -rien pour ruiner & dompter -entierement cette Province, laquelle -est maintenant plus sujette -& soumise au Roy d’Espagne -qu’aucune autre.</p> - -<p>Au contraire lors qu’il faut établir -quelque loy notable, quelque -reglement ou arrest de consequence, -il est bon de se servir des -mêmes moyens, & d’avoir recours -à ces maximes ; & qu’ainsi ne soit -nous en avons tant d’exemples -pratiquez par les Romains, & -autres peuples estimez des plus sages, -qu’il n’est pas même bien-seant -d’en douter : Y a-t-il rien de -plus cruël que de decimer toute -une legion, pour la fuite ou lascheté -de quelques soldats particuliers ? -& neanmoins cette loy fut -établie & soigneusement observée -par les Romains, afin de tenir tous -les soldats en leur devoir par la -terreur de ces supplices. Et les -mêmes Romains, voulant empescher -les attentats que les esclaves -domestiques pouvoient faire -sur la vie de leurs Maistres, ils -ordonnerent, que lors qu’un tel -delit auroit esté commis en quelque -maison, tous les esclaves qui -s’y rencontreroient seroient égorgez -aux funerailles de leur Maistre ; -& cette loy fut si religieusement -observée, que Pedanius Prefect de -la ville ayant esté tué par un de -ses esclaves, il y en eut 400 de -compte fait qui furent executez, -nonobstant les intercessions que -fit pour eux tout le peuple de Rome, -& nonobstant même l’avis -de quelques Senateurs, ausquels -Cassius s’opposa ouvertement, & -avec tant de raisons, que l’opinion -contraire, quoy que jugée totalement -inhumaine, fut suivie, comme -il est rapporté par Tacite. (<i lang="la" xml:lang="la">l. <span class="rm">4</span>. -Annal.</i>) Aussi est-ce le precepte -de Ciceron, (<i lang="la" xml:lang="la"><span class="rm">1</span>. Officior.</i>) que -<a id="FNanchor_152" href="#Footnote_152" class="fnanchor">[152]</a><i lang="la" xml:lang="la">ita probanda est mansuetudo atque clementia, -ut Reipublicæ causa adhibeatur -severitas, sine qua administrari civitas -non potest</i>. Les Perses avoient -anciennement étably cette loy -pour asseurer la vie de leur Prince, -que quiconque entreprenoit -sur elle, n’estoit pas seulement -puny en sa personne, mais en celle -de tous ses parens, que l’on -faisoit mourir du même supplice, -comme on le remarque particulierement -de Bessus ; & Fernand -Pinto dit avoir esté en un Royaume, -où il vit pratiquer la même -coustume, sur plus de cinquante -ou soixante personnes, qui -estoient toutes parentes d’un jeune -Page, lequel en l’âge de dix -ou douze ans avoit bien eu la hardiesse -de tuër son Roy. Le grand -Tamerlan ayant sceu qu’un soldat -de son armée avoit beu une -chopine de laict sans l’avoir voulu -payer, il le fit éventrer en presence -de tous ses compagnons, -afin de les tenir par cet exemple -si extraordinaire, dans l’obeïssance -de ses commandemens. Les -crimes de fausse monoye & d’heresie -n’estoient pas plus griefs il -y a cent ans qu’à cette heure, & -neanmoins en ce temps-là, les -Faux Monoyeurs estoient bouillis -tout vifs dans de l’huile, & les -Heretiques brulez, le tout non -à autre fin, que pour imprimer la -terreur de ces supplices, és esprits -de ceux que la simple defense du -Prince n’estoit pas suffisante de retenir -en leur devoir, <a id="FNanchor_153" href="#Footnote_153" class="fnanchor">[153]</a><i lang="la" xml:lang="la">& sic multorum -saluti potiùs quàm libidini consulendum</i>. -(<span lang="la" xml:lang="la">Salust. ad Cæsar.</span>)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_152" href="#FNanchor_152"><span class="label">[152]</span></a> Il faut user de douceur & de clemence -en la temperant de quelque severité pour le -bien public, sans laquelle on ne sçauroit gouverner -une ville.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_153" href="#FNanchor_153"><span class="label">[153]</span></a> Et ainsy il faut plustost pourvoir au salut de -plusieurs, qu’à leur appetit particulier.</p> -</div> -<p>Une autre occasion de demeurer -roide en l’execution de ces -maximes, est lors qu’il est necessaire -de ruiner quelque puissance, -laquelle pour estre trop grande, -nombreuse, ou étenduë en divers -lieux, on ne peut pas facilement -abatre par les voyes ordinaires,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_154" href="#Footnote_154" class="fnanchor">[154]</a>Cùm illam</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Defendat numerus, junctæque umbone phalanges.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_154" href="#FNanchor_154"><span class="label">[154]</span></a> Parce qu’elle est defenduë par des troupes nombreuses -& par des regimens armés.</p> -</div> -<p class="noindent">Et quoy qu’il fut grandement à -desirer que l’on pust en venir toujours -aussi facilement à bout, que -les Roys d’Espagne ont fait des -Morisques & Marans, qu’ils chasserent -par deux fois de leurs -Royaumes, jusques au nombre -de plus de deux cens quarante -mille familles, & ce en vertu d’un -simple Edict & Commandement : -Neanmoins parce que toutes les -affaires ne sont pas semblables en -leurs circonstances, ny les maladies -accompagnées de mêmes symptomes -ou accidens ; aussi faut-il -bien souvent changer de remedes, -& en pratiquer quelquefois -de plus violens les uns que les autres,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_155" href="#Footnote_155" class="fnanchor">[155]</a>Ulcera possessis altè suffusa medullis,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Non leviore manu, ferro curantur & igne ;</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ad vivum penetrant flammæ, quo funditus humor</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Defluat, & vacuis corrupto sanguine venis</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Arescat fons ille mali.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Claudian. 3. in Eutrop.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_155" href="#FNanchor_155"><span class="label">[155]</span></a> On guerit par le fer & le feu, & non par -quelque remede doux, les ulceres qui se sont -attachés au plus profond des mouëlles ; les flammes -penetrant jusques au vif, font entierement -evacuer l’humeur peccante, & tarir ensuite la -cause du mal, ayant tiré tout ce qu’il y avoit de -mauvais sang dans les veines.</p> -</div> -<p class="noindent">La main basse que Mithridates fit -faire en un seul jour sur quarante -mille Citoyens Romains épandus -en divers endroits de l’Asie, estoit -un des Coups d’Estat dont je pretens -parler. Comme aussi les Vespres -Sicilienes, autorisées par Pierre -Roy d’Arragon, & subtilement -tramées par Prochyte grand Seigneur -du païs, lequel déguisé en -Cordelier noüa si bien la partie, -qu’un jour de Pasques ou de -Pentecoste de l’an <small>M CC LXXXII</small>, -lors qu’on sonnoit le premier -coup des vespres, les Siciliens -massacrerent tous les François -qui estoient dans leur Isle, sans -même pardonner aux femmes -ny aux petits enfans. Pareille histoire -se passa encore il n’y a -pas vingt ans dans l’Isle de Magna, -où les habitans de la ville de -Corme, se delivrerent par un semblable -moyen, & en une seule -nuit d’une armée de trente mille -hommes, qui y avoit esté envoyée -par Arcomat Lieutenant -du Roy de Perse. Mais puis que -nous avons dans nostre Histoire -de France l’exemple de la Saint -Barthelemy, qui est un des plus -signalez que l’on puisse trouver -en aucune autre, il nous y faut -particulierement arrester, pour la -considerer suivant toutes ses principales -circonstances. Elle fut -doncques entreprise par la Reyne -Catherine de Medicis, offensée -de la mort du Capitaine Charry ; -par Monsieur de Guise, qui vouloit -venger l’assassinat de son Pere, -commis par Poltrot à la sollicitation -de l’Amiral & des Protestans ; -& par le Roy Charles & -le Duc d’Anjou ; le premier se -voulant vanger de la retraite que -lesdits Protestans luy firent faire -plus viste qu’il ne vouloit de -Meaux à Paris, & tous deux pensant -de pouvoir par ce moyen ruiner -les Huguenots, qui avoient -esté cause de tous les troubles & -massacres survenus pendant l’espace -de trente ou quarante ans en -ce Royaume. L’affaire fut concertée -fort long-temps, & avec -une telle resolution de la tenir secrete, -que Lignerolles Gentilhomme -du Duc d’Anjou, ayant -témoigné au Roy, encore bien -que couvertement, d’en sçavoir -quelque chose, il fut incontinent -aprés dépesché, par un duel que -le Roy même sous main luy suscita. -Le lieu choisi pour y attirer -tous les plus riches & autorisez -d’entre les Huguenots fut Paris. -L’occasion fut prise sur la réjoüissance -des noces entre le Roy de -Navarre, qui estoit de la Religion, -& la Reyne Marguerite. -La blessure de l’Amiral causée -par le Duc de Guise son ancien -ennemy, fut le commencement -de la tragedie : les moyens de -l’executer en faisant venir douze -cens Arquebusiers, & les compagnies -des Suisses à Paris furent -mêmement approuvez par l’Amiral, -sur la croyance qu’il eut -que c’estoit pour le defendre contre -la Maison de Lorraine : bref -tout fut si bien disposé, que l’on -ne manque en chose quelconque -sinon en l’execution, à laquelle -si on eust procedé rigoureusement -il faut avoüer que c’eust -esté le plus hardy Coup d’Estat, -& le plus subtilement conduit, -que l’on ait jamais pratiqué en -France ou en autre lieu. Certes -pour moy, encore que la Saint -Barthelemy soit à cette heure également -condamnée par les Protestans -& par les Catholiques, -& que Monsieur de Thou nous -ait rapporté l’opinion que son pere -& luy en avoient par ces vers de -Stace,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_156" href="#Footnote_156" class="fnanchor">[156]</a>Occidat illa dies ævo, neu postera credant</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Sæcula ; nos certè taceamus, & obruta multa</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Nocte, tegi propriæ patiamur crimina gentis.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_156" href="#FNanchor_156"><span class="label">[156]</span></a> Qu’il ne se parle jamais plus de ce jour, -& que les siecles avenir ne croyent point -qu’il ait esté ; & pour nous gardons le silence -& couvrons les crimes de nostre propre nation, -les ensevelissant dans des profondes tenebres.</p> -</div> -<p class="noindent">Je ne craindray point toutefois de -dire que ce fut une action tres-juste, -& tres-remarquable, & dont -la cause estoit plus que legitime, -quoy que les effets en ayent esté -bien dangereux & extraordinaires. -C’est une grande lascheté ce -me semble à tant d’Historiens -François d’avoir abandonné la -cause du Roy Charles IX, & de -n’avoir monstré le juste sujet qu’il -avoit eu de se défaire de l’Amiral -& de ses complices : on luy -avoit fait son procés quelques années -auparavant, & ce fameux -arrest estoit intervenu en suite, -qui fut traduit en huit langues, -& intimé ou signifié, si l’on peut -ainsi dire, à toutes ses troupes ; -on avoit donné un second arrest -en explication du premier, & tous -les Protestans avoient esté si souvent -declarez criminels de leze -Majesté, qu’il y avoit un grand -sujet de loüer cette action, comme -le seul remede aux guerres qui -ont esté depuis ce temps-là, & qui -suivront peut-estre jusques à la fin -de nostre Monarchie, si l’on n’eust -point manqué à l’axiome de Cardan, -qui dit : <a id="FNanchor_157" href="#Footnote_157" class="fnanchor">[157]</a><i lang="la" xml:lang="la">Nunquam tentabis, -ut non perficias.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">in Proxen.</span>) Il -falloit imiter les Chirurgiens experts, -qui pendant que la veine est -ouverte, tirent du sang jusques -aux defaillances, pour nettoyer les -corps cacochymes de leurs mauvaises -humeurs. Ce n’est rien de -bien partir si l’on ne fournit la carriere : -le prix est au bout de la lice, -& la fin regle toujours le commencement. -On me pourra toutefois -objecter qu’il y a trois circonstances -à cette action qui la -rendent extremement odieuse à la -posterité. La premiere que le -procedé n’en a pas esté legitime, -la seconde que l’effusion de sang -y a esté trop grande, & la derniere -que beaucoup d’innocens ont -esté envelopez avec les coupables. -Mais pour y satisfaire je répondray -à ce qui est de la premiere, -qu’il faut entendre là-dessus nos -Theologiens lors qu’ils traittent -<a id="FNanchor_158" href="#Footnote_158" class="fnanchor">[158]</a><i lang="la" xml:lang="la">de fide Hæreticis servanda</i>, & cependant -je diray de mon chef, -que les Huguenots nous l’ayant -rompuë plusieurs fois, & s’estant -efforcez de surprendre le Roy -Charles, à Meaux & ailleurs, on -pouvoit bien leur rendre la pareille ; -& puis ne lisons nous pas -dans Platon (<i lang="la" xml:lang="la"><span class="rm">5</span>. de Rep.</i>) que ceux -qui commandent, c’est à dire les -Souverains, peuvent quelquefois -fourber & mentir quand il en doit -arriver un bien notable à leurs -sujets ? Or pouvoit-il arriver un -plus grand bien à la France, que -celuy de la ruine totale des Protestans ? -Certes ils nous la baillerent -si belle par leur peu de jugement, -que c’eust presque esté une pareille -faute à nous de les manquer, -comme à l’Amiral de s’estre venu -enfermer avec toute la fleur -de son party, dans la plus grande -ville & la plus ennemie qu’il -pust avoir, sans se défier de la -Reyne mere, à laquelle il avoit tué -Charry, de ceux de Lorraine desquels -il avoit fait assassiner le Pere, -& du Roy qu’il avoit fait galloper -depuis Meaux jusques à Paris. -Ne sçavoit-il pas que sa Religion -estant haïe aux personnes -mêmement les plus douces & traitables, -elle ne pouvoit estre qu’abominée -& detestée en la sienne, -& en celle de tant de coupejarets -desquels il estoit ordinairement -accompagné ? D’ailleurs le bruit -qu’on fit courir en même temps -qu’ils avoient entrepris de nous -traitter comme on les traitta incontinent -aprés leur dessein découvert, -ne pouvoit-il pas estre -veritable ? beaucoup le tiennent -pour tres-asseuré, & pour moy -j’estime qu’excepté les Politiques, -chacun le peut tenir pour constant. -Quant à ce qui est de l’effusion -de sang qu’on dit y avoir -esté prodigieuse, elle n’égaloit pas -celle des journées de Coutras, de -Saint Denys, de Moncontour, ny -tant d’autres tuëries, desquelles ils -avoient esté cause. Et quiconque -lira dans les Histoires, que les habitans -de Cesarée tuërent quatre-vingts -mille Juifs en un jour ; -qu’il en mourut un million deux -cens quarante mille en sept ans -dans la Judée ; que Cesar se vante -dans Pline d’avoir fait mourir -un million cent nonante & deux -mille hommes en ses guerres étrangeres ; -& Pompée encore davantage ; -que Quintus Fabius envoya -des Colonies en l’autre monde, -de 100000 Gaulois, Caius -Marius de 200000 Cimbres, -Charles Martel de 300000 Theutons ; -que 2000 Chevaliers Romains, -& 300 Senateurs, furent -immolez à la passion du Triumvirat, -quatre legions entieres à -celle de Sylla, 40000 Romains à -celle de Mithridate ; que Sempronius -Gracchus ruina 300 villes -en Espagne, & les Espagnols -toutes celles du Nouveau monde, -avec plus de 7 ou 8 millions d’habitans : -Qui considerera, dis-je, toutes -ces sanglantes tragedies, une -bonne partie desquelles se trouve -enregistrée dans le traitté de la -Constance de Juste Lipse, il aura -assez de quoy s’étonner parmy -tant de barbaries, & de croire aussi -que celle de la Saint Barthelemy -n’a pas esté des plus grandes, quoy -qu’elle fust une des plus justes & -necessaires. Pour la troisiéme difficulté -elle semble assez considerable, -veu que beaucoup de Catholiques -furent enveloppez dans -la même tempeste, & servirent de -curée à la vengeance de leurs ennemis ; -mais il ne faut que la maxime -de Crassus dans Tacite (<i lang="la" xml:lang="la">Annal. -<span class="rm">14</span>.</i>) pour luy fournir en deux -mots de réponse, <a id="FNanchor_159" href="#Footnote_159" class="fnanchor">[159]</a><i lang="la" xml:lang="la">habet aliquid ex -iniquo omne magnum exemplum, quod -contra singulos utilitate publica rependit</i>. -D’où vient doncques que cette -action, puis qu’elle estoit si legitime -& raisonnable, a neanmoins -esté & est encore tellement -blâmée & décriée ; pour moy, -j’en attribue la premiere cause à -ce qu’elle n’a esté faite qu’à demy, -car les Huguenots qui sont -restez, auroient mauvaise grace -de l’approuver, & beaucoup de -Catholiques qui voient bien -qu’elle n’a de rien servy, ne se -peuvent empescher de dire, qu’on -se pouvoit bien passer de l’entreprendre, -puis que l’on ne la vouloit -pas achever ; où au contraire -si l’on eust fait main basse sur -tous les Heretiques, il n’en resteroit -maintenant aucun au moins -en France pour la blâmer, & les -Catholiques pareillement n’auroient -pas sujet de le faire, voyant -le grand repos & le grand bien -qu’elle leur auroit apporté. La -seconde raison est, que suivant le -dire du Poëte,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_160" href="#Footnote_160" class="fnanchor">[160]</a>Segnius irritant animos demissa per aures,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_157" href="#FNanchor_157"><span class="label">[157]</span></a> Il ne faut jamais rien entreprendre si on -ne le veut achever.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_158" href="#FNanchor_158"><span class="label">[158]</span></a> De la foy qu’on doit tenir aux heretiques.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_159" href="#FNanchor_159"><span class="label">[159]</span></a> Tout grand exemple a quelque chose -d’injuste, qui est recompensé envers les particuliers -par l’utilité publique qu’il procure.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_160" href="#FNanchor_160"><span class="label">[160]</span></a> Ce qu’on dit doucement à l’oreille irrite -bien plus lentement les esprits, que ce qu’on -voit d’un œil fidelle.</p> -</div> -<p class="noindent">Aussi voyons nous qu’on ne parle -pas en si mauvais termes de cette -execution en Italie & aux autres -Royaumes étrangers, comme l’on -fait en France, où elle a esté -faite, au milieu de Paris, & en -presence d’un million de personnes ; -& qu’ainsi ne soit les Polonois, -qui en receurent l’histoire & -le narré particulier, de la part même -des plus seditieux & depitez -Ministres, pendant que l’Evêque -de Valence briguoit leurs suffrages -pour l’élection de Henry III, -ne firent pas grande difficulté de -les luy accorder, parce qu’ils sçavoient -bien, qu’il ne faut pas juger -du naturel d’un Prince, sur -le seul pied de quelque action -extraordinaire & violente, à laquelle -il aura esté forcé par de -tres-justes & puissantes raisons -d’Estat. J’ajouste que cette action -n’est pas encore beaucoup éloignée -de nostre memoire ; Que la -pluspart de nos Histoires ont esté -faites depuis ce temps-là par des -Huguenots, & enfin que nous en -avons la description si ample, & -si particuliere dans les Memoires -de Charles IX, l’Histoire de Beze, -les Martyrologes, & beaucoup -d’autres livres composez à dessein -par les Protestans, pour condamner -cette action, que rien n’y -estant oublié de tout ce qui la -peut rendre blâmable & odieuse, -il ne se peut pas faire aussi, que -ceux qui entendent la deposition -de ces témoins corrompus, ne -soient de leur opinion ; quoy que -tous ceux qui la dépoüillent de -ces petites circonstances, & qui en -veulent juger sans passion, soient -d’un sentiment contraire. Au reste -personne ne peut nier, qu’il ne -soit mort tant de factieux, & de -personnes de commandement à la -journée de la Saint Barthelemy, -que depuis ce temps-là les Huguenots -n’ont pû faire des armées -d’eux-mêmes ; & que ce coup -n’ait rompu toutes les intelligences, -toutes les cabales & menées -qu’ils avoient tant au dedans qu’au -dehors du Royaume, & qu’enfin -ce n’ait esté peu de chose de tous -leurs plus grands efforts, lors qu’ils -n’ont point esté soustenus par les -broüilleries & seditions des Catholiques. -Il est vray aussi comme -quelques Politiques ont remarqué, -que la même journée a -esté cause d’un mal, duquel on -ne se pouvoit jamais douter, car -toutes les villes qui firent la Saint -Barthelemy, & qui tuerent les -Huguenots pour obeïr au Roy, -& chercher les moyens de mettre -le Royaume en paix, ont esté les -premieres à commencer la ligue, -sur ce qu’elles craignoient, & non -sans raison, que le Roy de Navarre, -qui estoit Huguenot, venant à la -Couronne, il n’en voulust faire -quelque ressentiment ; & par ce -moyen l’on peut dire que la Saint -Barthelemy, pour n’avoir pas esté -executée comme il falloit, non -seulement n’appaisa pas la guerre -au sujet de laquelle elle avoit esté -faite, mais en excita une autre encore -plus dangereuse.</p> - -<p>De plus lors qu’il est question -d’autoriser un homme, & l’affaire -dont il se mesle, de mettre en credit -quelque Prince, de gagner -quelqu’un, ou de le porter & encourager -à quelque resolution -importante ; je croy que pour -venir plus facilement à bout de -ces choses on peut y mesler les -stratagemes & les ruses d’Estat. -Ainsi voyons nous que tous les -Anciens Legislateurs voulant autoriser, -affermir, & bien fonder -les loix qu’ils donnoient à leurs -peuples, ils n’ont point eu de -meilleur moyen de le faire, -qu’en publiant & faisant croire -avec toute l’industrie possible -qu’ils les avoient receües de quelque -Divinité, Zoroastre d’Oromasis, -Trismegiste de Mercure, -Zamolxis de Vesta, Charondas -de Saturne, Minos de Jupiter, -Lycurgue d’Apollon, Draco & -Solon de Minerve, Numa de -la Nymphe Egerie, Mahomet -de l’Ange Gabriel ; & Moyse, -qui a esté le plus sage de tous, -nous décrit en l’Exode comme -il receut la sienne immediatement -de Dieu. En consideration de quoy -combien que le Regne des -Juifs soit entierement ruïné & -aboly, <a id="FNanchor_161" href="#Footnote_161" class="fnanchor">[161]</a><i lang="la" xml:lang="la">mansit tamen</i>, dit Campanella -(<span lang="la" xml:lang="la">in aphorism. Polit.</span>) <i lang="la" xml:lang="la">religio -Mosaïca cum superstitione in Hebræis & -Mahumetanis, & cum reformatione præclarissima -in Christianis</i>. C’est comme -je croy, ce qui a donné sujet -à Cardan de conseiller aux Princes, -qui pour estre peu avantagez -de naissance ou dépourveus d’argent, -de Partisans, de forces militaires, -& de soldats, ne peuvent -gouverner leurs Estats avec assez -de splendeur & d’autorité, de -s’appuyer de la Religion, comme -firent autrefois & fort heureusement -David, Numa, & Vespasien. -Philippe II Roy d’Espagne -ayant esté un des plus sages Princes -de son temps, s’avisa aussi -d’une fort belle ruse pour autoriser -de bonne heure son fils parmy -les peuples à qui il devoit un -jour commander. Car il fit un -Edict qui estoit grandement prejudiciable -à ses sujets, faisant courir -le bruit qu’il le vouloit publier -& verifier de jour à autre, -de quoy le peuple commence à -murmurer & à se plaindre ; luy -neanmoins persiste en sa resolution, -laquelle est pareillement suivie -des plaintes redoublées de son -peuple : enfin le bruit en vient -aux oreilles de l’Infant, qui promet -d’assister le peuple, & d’empescher -par tous moyens possibles -que cet Edict ne soit publié, -menaçant à cet effet ceux qui voudroient -entreprendre de l’executer, -& n’oubliant rien de ce qui -pouvoit découvrir l’affection qu’il -avoit à delivrer le peuple de cette -oppression : de maniere que le -Roy Philippe venant à rachever -son jeu, & à ne plus parler de -l’Edict, chacun s’imagina que -l’opposition du jeune Prince avoit -esté la seule cause de le faire supprimer ; -& par cette invention son -Pere luy fit gagner un empire dans -le cœur & dans l’affection des -Espagnols, qui estoit beaucoup -plus asseuré, que celuy qu’il avoit -sur les Espagnes : <a id="FNanchor_162" href="#Footnote_162" class="fnanchor">[162]</a><i lang="la" xml:lang="la">longe enim valentior -est amor ad obtinendum quod -velis, quàm timor</i>, dit Pline le jeune. -(<i lang="la" xml:lang="la"><span class="rm">8</span>. epist.</i>) Bref si nous prenons -garde aux moyens que l’on pratiqua -pour convertir Henry IV -à la Religion Catholique, & pour -l’y confirmer, nous trouverons -que ç’a esté une action conduite -avec beaucoup d’esprit & d’industrie. -Car encore que nous la -devions tenir pour tres-veritable -& asseurée, comme en effet tant de -témoignages qu’il en a rendus tout -le temps de sa vie, ne permettent -pas à personne de pouvoir douter -qu’elle ne fust telle. Si toutefois -nous voulons nous donner cette -liberté de la considerer en Politique, -nous pouvons facilement y -remarquer trois choses, sçavoir les -motifs de sa conversion, qui ne furent -autres que l’obstinée resistance -de Monsieur du Maine, lequel -pour cette occasion est qualifié -dans les memoires de Tavanes, <i>seul -auteur aprés Dieu de la conversion de -Henry IV</i>, & la verité est qu’il n’avoit -tenu qu’à luy de traiter tres-avantageusement, -lors que sa -Majesté n’estoit encore convertie : -Mais soit que Dieu eust fortifié -son zele, ou que les esperances -mondaines l’eussent charmé, -il se reduisit comme dit l’Italien -<i lang="it" xml:lang="it">al verde</i>, & ne faisant rien pour soy, -il fit beaucoup pour la France. On -met aussi entre les motifs de cette -conversion le conseil donné au -Roy par Monsieur de Sully, l’un -des principaux & des mieux sensez -Huguenots de son armée, <i>que la -Couronne de France valoit bien la peine -d’entendre une Messe</i>. Pour ce qui est -des circonstances de la conversion, -il s’y en passa deux fort remarquables ; -la premiere que le -Roy fut instruit & catechisé non -par quelque Theologien bigot ou -superstitieux qui luy eust peut-estre -rendu l’entrée de nos Eglises -semblable à ces portiques & -vestibules, de qui le Poëte a dit,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_163" href="#Footnote_163" class="fnanchor">[163]</a>Centauri in foribus stabulant, scyllæque biformes.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_161" href="#FNanchor_161"><span class="label">[161]</span></a> Toutefois la religion Mosaïque est restée -avec superstition parmy les Juifs & les Mahometans, -& avec une tres-belle reformation -parmy les Chrestiens.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_162" href="#FNanchor_162"><span class="label">[162]</span></a> Car l’amour est infiniment plus puissant -que la crainte, pour nous faire obtenir quelque -chose.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_163" href="#FNanchor_163"><span class="label">[163]</span></a> Il y a des Centaures aux Portes, & des Scylles -à deux formes.</p> -</div> -<p class="noindent">Mais par René Benoist Docteur -en Theologie, & Curé de la paroisse -de S. Eustache, lequel, si l’on -en peut juger suivant le commun -bruit, & ce qui se passa à l’article -de sa mort, n’estoit ny Catholique -trop zelé, ny Huguenot obstiné. -D’où vient que maniant -dextrement la conscience du Roy, -& de la même sorte qu’il avoit -fait celle de ses Paroissiens, pendant -l’espace de 25 ou 30 ans, il -luy fit seulement comprendre -les principaux Mysteres, ne luy -exaggerant point beaucoup de petites -ceremonies & traditions, & -conduit plûtost cette conversion -en homme avisé & en Politique, -que non pas en scrupuleux & superstitieux -Theologien. La seconde -chose notable fut l’Histoire de -la possedée Marthe Brossier, laquelle -à dire vray n’estoit qu’une -pure feinte, entreprise par quelques -zelez Catholiques, & appuyée -par un bon Cardinal, afin -que le Diable duquel on feignoit -qu’elle fust possedée venant à estre -chassé par la vertu du S. Sacrement, -le Roy eust occasion de croire -la presence réelle en l’Eucharistie, -de laquelle presence ou pour -mieux dire transsubstantiation, on -ne tenoit pas qu’il fust entierement -persuadé. Mais luy qui ne se laissoit -pas facilement surprendre, -voulut qu’auparavant que d’en -venir aux exorcismes, les Medecins -& Chirurgiens fussent appellez -pour en dire leur avis, lequel -ayant esté conceu en ces termes -rapportez par Monsieur Marescot, -dans le petit livret qu’il a composé -sur cette Histoire : <a id="FNanchor_164" href="#Footnote_164" class="fnanchor">[164]</a><i lang="la" xml:lang="la">Naturalia -multa, ficta plurima, à dæmone -nulla.</i> Cette pauvre possedée, aprés -avoir découvert l’ignorance & la -bestise de tous les bigots de Paris, -fut menacée du fouët, si elle n’en -sortoit bien-tost. C’est pourquoy -certain Abbé la mena à Rome, -d’où Monsieur le Cardinal d’Ossat -la fit si promptement chasser, -qu’elle n’eust pas le loisir d’y surprendre -personne. La derniere -chose que l’on peut remarquer en -cette conversion, est ce qui se -passa en suite. Sur quoy le Politique -qui doit faire son profit & -tirer instruction des moindres syllabes -& remarques des Historiens, -pourra faire reflexion sur -ce que répondit un païsan au -même Roy Henry IV, que la -poche sent toujours le hareng, -comme il l’interrogeoit sans se faire -connoistre de ce que l’on disoit -parmy le peuple de sa conversion : -Et aussi que le Mareschal -de Biron estant fasché du refus -qu’on luy avoit fait du Gouvernement -de Bourg en Bresse, dit -à quelqu’un de ses amys, que s’il -avoit esté Huguenot on ne luy -auroit pas refusé ; c’est de Cayet -(Hist. sept.) que je tiens ces deux -remarques, lesquelles neanmoins, -excepté le Politique, personne ne -doit estimer vraysemblables, puis -qu’elles sont démenties par beaucoup -d’autres, qui leur sont directement -opposées.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_164" href="#FNanchor_164"><span class="label">[164]</span></a> Beaucoup de choses naturelles, quantité -de feintes, & aucune de la part du Demon.</p> -</div> -<p>Finalement la loy des contraires -qui se doivent traitter sous -même genre nous oblige de ranger -encore icy les occasions qui -se peuvent presenter, de borner -ou ruiner la trop grande puissance -de celuy qui en voudroit abuser -au prejudice de l’Estat, ou -qui par le grand nombre de ses -partisans, & la cabale de ses correspondances, -s’est rendu redoutable -au Souverain ; voire même -s’il faut le dépécher secretement, -sans passer par toutes les formalitez -d’une justice reglée, on le peut -faire, pourveu neanmoins qu’il soit -coupable, & qu’il ait merité une -mort publique, s’il eust esté possible -de le chastier de telle sorte. -La raison sur laquelle Charron fait -rouler cette maxime, est que en -cela il n’y a rien que la forme violée, -& que le Prince estant maistre -des formalitez, il s’en peut aussi -dispenser suivant qu’il le juge à -propos. Chez les Romains, lors -que quelqu’un s’efforçoit d’obtenir -un office sans le consentement -du peuple, ou qu’il donnoit le -moindre soupçon d’aspirer à la -Royauté, on le punissoit de mort -<i lang="la" xml:lang="la">lege Valeria</i>, c’est à dire le plutost -que l’on pouvoit, & sans forme -de justice, à laquelle on songeoit -seulement aprés l’execution. -Le fameux Juris Consulte Ulpian -passe encore plus outre quand il -dit, que <a id="FNanchor_165" href="#Footnote_165" class="fnanchor">[165]</a><i lang="la" xml:lang="la">si forte latro manifestus, vel -seditio prærupta, factioque cruenta, vel -alia justa causa moram non recipiant, -non pœnæ festinatione, sed præveniendi -periculi causa punire permittit, deinde -scribere</i> : telles furent les executions -de Parmenion & Philotas par Alexandre ; -de Plautian & de Seianus -chez les Romains, de Guillaume -Mason en Sicile, de Messieurs de -Guise & du Mareschal d’Ancre -sous le regne de deux de nos -Roys, & du Colonel des Lansquenets -dans Pavie, auquel Antonio -de Leve fit donner un boüillon -alteré, parce qu’il y fomentoit -le trouble & la sedition. Or -quoy que ces actions ne puissent -estre legitimées, que par une necessité -extraordinaire & absolüe, -& qu’il y ait de l’injustice & de -la barbarie à les pratiquer trop -souvent ; les Espagnols neanmoins -ont trouvé moyen de les accommoder -à leurs consciences, & de -surmonter beaucoup de difficultez -en les prattiquant. Car ils donnent -des juges cachez & secrets à -celuy qu’ils estiment criminel -d’Estat, ils instruisent son procés, -le condamnent, & cherchent aprés -de faire mettre leur sentence en -execution par tous moyens possibles. -Antoine Rincon Espagnol -& par consequent sujet de Charles V, -ne pouvant demeurer en seureté -à son païs se retire vers François -I, & est envoyé par luy à Constantinople, -pour traitter d’une -alliance avec Soliman : l’Empereur -qui prevoyoit bien le dommage -que luy pouvoit apporter -cette Ambassade, fait tuer Rincon -& Cesar Fregose son Collegue, -comme ils descendoient sur le Po -pour aller à Venise, par l’entremise -d’Alfonse d’Avalos son Lieutenant -au Milanois ; de quoy tant -s’en faut que ledit Empereur s’estimast -coupable, que même un de -nos Evêques a bien voulu plaider -pour son innocence, <a id="FNanchor_166" href="#Footnote_166" class="fnanchor">[166]</a><i lang="la" xml:lang="la">Rinco -exul Hispanus, & Francisci apud Solymannum -legatione functus, non injuria -fortasse, Fregosus præter jus cæsus -videbatur.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">Belcar. lib. 22.</span>) André -Doria ayant quitté le party -du Roy de France, & pris celuy -de l’Empereur, sous la faveur -duquel il tenoit la ville de -Genes comme en esclavage, Louys -Fieschy Citoyen de la même ville, -entreprend avec l’assistance de -Henry II, & de Pierre Louys -Farnese Duc de Parme & de Plaisance, -de la mettre en liberté : il -tuë d’abord Jannetin Doria & se -noie par hazard, lors que l’entreprise -estoit à peine commencée : -Que fait l’Empereur Charles V ? -sur cet incident il fait resoudre -en son Conseil secret, que -Pierre Louys est criminel de leze -Majesté, & envoye les ordres en -même temps à Doria de le faire -assassiner, & à Gonzague Gouverneur -de Milan de se saisir de -la ville de Plaisance ; ce qui fut -ponctuellement executé suivant -le projet qu’il en avoit donné : & -quoy qu’il ait fait le possible pour -témoigner qu’il n’avoit eu aucune -part en cette execution, tous -les Historiens neanmoins écrivent -le contraire, & le distique rapporté -par Noël des Comptes nous apprend -assez ce que l’on en croyoit -dés ce temps-là :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_167" href="#Footnote_167" class="fnanchor">[167]</a>Cæsaris injussu cecidit Farnesius Heros,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Sed data sunt jussu præmia sicariis.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_165" href="#FNanchor_165"><span class="label">[165]</span></a> Si par fortune un larron manifeste, ou -une sedition dangereuse, & une faction sanglante, -ou quelque autre juste cause, ne demandent -aucun retardement, il est permis de -punir, non pas pour haster la punition, mais -pour prevenir le danger ; & puis écrire ou faire -les formalités du procés.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_166" href="#FNanchor_166"><span class="label">[166]</span></a> Il sembloit que Rincon banni d’Espagne, -& Ambassadeur de François vers Soliman, n’avoit -pas esté tué à tort, ni Fregose tout à fait -contre le droit.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_167" href="#FNanchor_167"><span class="label">[167]</span></a> Le Heros Farnese fut assassiné sans que -l’Empereur l’eût commandé, mais les meurtriers -furent recompensez par son ordre.</p> -</div> -<p>Quoy plus, le Cardinal George -de Hongrie ne fut-il pas sententié -de la même façon, & executé -encore avec plus d’inhumanité -par Ferdinand d’Austriche, sur -la crainte qu’il eut que ledit Cardinal -ne recherchast l’assistance du -Turc, pour commander toujours -dans la Transilvanie ? Et n’avons -nous pas veu depuis quatre ans -seulement, que le Walstein a esté -assassiné dans Egra, par les secretes -menées du Comte d’Ognate, -qui estoit pour lors Ambassadeur -du Roy d’Espagne auprés -de l’Empereur ? & que le Bourgmestre -la Ruelle a esté traitté -de la même sorte dans la ville de -Liege par le Comte de Warfuzée, -suivant les Ordres que le -Marquis d’Aytone Gouverneur -des armes du Païs-bas luy en avoit -donnez, avec des formalitez -si precises, que celles de le faire -mourir <i>bien confessé & resigné -à la volonté de Dieu</i>, n’y estoient -pas oubliées, pour valider davantage -cette action, & la rendre -semblable à une sentence criminelle -legitimement rendue & executée ? -Bref cette maniere de justice -est tellement en usage dans -les Maisons d’Austriche & d’Espagne, -que le pere même ne voulut -pas en exempter son propre -fils, lors qu’il jugea qu’il estoit -moins expedient pour le bien de -son Royaume de le laisser vivre, -que de le faire mourir. <a id="FNanchor_168" href="#Footnote_168" class="fnanchor">[168]</a><i lang="la" xml:lang="la">Cætera -enim maleficia tunc persequare cum facta -sunt, hoc nisi provideris ne accidat, -ubi evenit, frustra judicia explores</i>, -comme disoit fort bien Caton en -discourant de la conjuration de -Catilina dans Saluste. Et pleust à -Dieu que ce grand Empereur -Charles V, qui avoit tant fait d’autres -Coups d’Estat, ne fust point -demeuré court en celuy qu’il falloit -pratiquer sur la personne de -Luther, lors qu’il comparut à la -Conference d’Ausbourg ! nous ne -serions pas maintenant contraints -de dire avec le Poëte Lucian,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_169" href="#Footnote_169" class="fnanchor">[169]</a>Heu quantum terræ potuit Pelagique parari,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Hoc quem civiles fuderunt sanguine dextræ.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_168" href="#FNanchor_168"><span class="label">[168]</span></a> Poursuivez la punition des autres crimes -quand on les a commis, mais pour celuy-cy, -si vous ne le prevenez avant sa naissance, -quand il est arrivé en vain recherchez-vous -d’en faire justice.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_169" href="#FNanchor_169"><span class="label">[169]</span></a> Helas ! quelle -grande étendue de terre & de mer auroit-on -pû acquerir par ce sang que les guerres civiles -ont fait verser.</p> -</div> -<p class="noindent">Et nous n’aurions pas éprouvé -combien ce vers de Lucrece estoit -veritable,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_170" href="#Footnote_170" class="fnanchor">[170]</a>Religio peperit scelerata atque impia facta.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_170" href="#FNanchor_170"><span class="label">[170]</span></a> La religion a produit des actions méchantes -& impies.</p> -</div> -<p class="noindent">Car pour ne rien dire de l’Allemagne, -& des autres païs étrangers, -l’on a verifié (<i>Bodin & autres</i>) -que depuis les premiers tumultes -excitez par les Calvinistes -jusques au regne de Henry IV, -les pretendus Reformez nous ont -livré cinq batailles tres-cruelles & -sanglantes, & ont esté cause de la -mort d’un million de personnes, -des surprises de 300 villes, d’une -dépense de 150 millions pour le -seul payement de la gendarmerie, -& que neuf villes, 400 villages, -20000 eglises, 2000 Monasteres, -& 10000 Maisons ont esté tout à -fait bruslées ou razées. A quoy -si l’on joint ce qui s’est passé dans -les dernieres guerres contre le -Roy d’à present, je m’asseure que -l’on pourra bastir un spectacle -d’horreur, capable d’émouvoir à -compassion les cœurs les plus inhumains, -& de tirer encore cette -exclamation de la bouche des plus -retenus,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_171" href="#Footnote_171" class="fnanchor">[171]</a>Tantum religio potuit suadere malorum</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Horribili super aspectu mortalibus instans !</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_171" href="#FNanchor_171"><span class="label">[171]</span></a> La religion a-t-elle pû conseiller tant de -maux, qui servent maintenant d’un triste spectacle -aux mortels !</p> -</div> -<p class="noindent">Or d’autant que personne n’a encore -fait de reflexion sur cette -Histoire de Luther, je diray en -passant que l’on fit trois grandes -fautes, à mon avis, lors qu’il commença -de publier ses heresies : la -premiere d’avoir permis qu’il passast -de la correction des mœurs à -celle de la doctrine, puisque la -plus commune est toujours la -meilleure, qu’il est tres-dangereux -d’y rien changer & peu utile, que -ce n’est pas à un particulier de le -faire, & enfin qu’un Royaume -Chrestien bien policé ne doit jamais -recevoir d’autres nouveautez -en la religion, que celles que -les Papes ou Conciles ont accoustumé -d’y introduire de temps -en temps pour s’accommoder au -besoin que l’Eglise en peut avoir, -laquelle Eglise doit estre la seule -regle de la sainte Ecriture & de -nostre foy, comme les Conciles -le sont de l’Eglise, & entre les -Conciles celuy-là qui a esté celebré -le dernier doit estre preferé à -tous les precedens. La seconde -fut, que Luther estant venu de -bonne foy à Ausbourg pour conferer -& s’accorder, s’il estoit possible, -avec les Catholiques, le Cardinal -Cayetan devoit accepter les -offres qu’il fit de ne plus rien dire, -ny écrire en la matiere dont -il s’agissoit, pourveu que reciproquement -on imposast silence à -Ecchius, Cochleus, Sylvester Prierias, -& autres ses adversaires : & -non pas le presser de se dédire en -public, & de chanter la palinodie -de tout ce qu’il avoit dit & -presché, avec tant d’ardeur & de -vehemence. Aprés quoy la troisiéme -faute fut de n’avoir pas eu recours -à un Coup d’Estat lors que -l’on vit qu’il prenoit le frain aux -dents, & qu’il regimboit à bon -escient contre le zele indiscret du -Legat. Car il luy falloit jetter -quelque os en bouche, ou luy -cadenasser la langue en mettant -dessus un Aigle, puisque les Bœufs -& les Syrenes, que l’on employoit -à même fin au temps passé, ne -sont plus en usage, c’est à dire -qu’il le falloit gagner par quelque -bon benefice ou pension, comme -l’on a fait du depuis beaucoup -des plus doctes & autorisez Ministres. -Ferrier avoit bien entrepris -il n’y a pas trente ans, d’aller -soûtenir dans la ville de Rome -que le Pape estoit l’Antichrist ; -& toutefois la Reine Mere -n’eut pas grande peine à luy -faire quitter son party, pour se -ranger au nostre : Et Monsieur le -Cardinal de Richelieu fut-il jamais -venu à bout de tant de glorieuses -entreprises contre les Huguenots, -s’il ne se fust servy bien à propos -des finances du Roy, pour gagner -tous leurs meilleurs Capitaines ? -tant ce dire d’Horace est veritable :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_172" href="#Footnote_172" class="fnanchor">[172]</a>Aurum per medios ire satellites</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Et perrumpere amat saxa, potentius</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ictu fulmineo.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Ode 16. l. 3.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_172" href="#FNanchor_172"><span class="label">[172]</span></a> L’or passe au travers des gardes & brise -les rochers avec un plus violent effort que le -tonnerre.</p> -</div> -<p class="noindent">Que si l’on ne pouvoit venir à -bout de Luther par ce moyen-là, -il falloit en pratiquer un autre, -& faire en sorte de le mettre en -lieu de seureté, comme l’on a -fait depuis peu l’Abbé du Bois & -le Benedictin Barnese ; ou passer -outre, & l’expedier sourdement, -comme l’on dit que Catherine de -Medicis, fit un signalé Magicien ; -ou publiquement & par forme de -justice, comme les Peres du Concile -de Constance avoient fait Jean -Huz & Hierôme de Prague : -quoy qu’à dire vray les premiers -moyens estoient plus à propos, -puis qu’ils estoient les plus doux, -faciles & couverts, & qu’ils pouvoient -plus asseurément produire -l’effet que l’on en esperoit ; ce que -ne pouvoient pas faire les derniers, -qui eussent peut-estre aigry l’esprit -du Duc de Saxe, & confirmé davantage -les Sectateurs de Luther en -leurs fausses opinions ; ce que disoit -un ancien des Chrestiens, <a id="FNanchor_173" href="#Footnote_173" class="fnanchor">[173]</a><i lang="la" xml:lang="la">Sanguis -Martyrum semen Christianorum</i>, se -pouvant aussi dire de tous ceux -qui ont une fois commencé à -maintenir des opinions qu’ils se -persuadent estre veritables. Et en -effet Henry II, pensant étouffer -par ce genre de supplice, non -l’heresie, mais les occasions que -pourroient avoir un jour les Princes -étrangers de le traverser par -le moyen des Calvinistes, comme -il avoit broüillé & traversé -l’Empereur en assistant les Lutheriens -d’Allemagne, il se trompa -de telle sorte que le nombre des -Heretiques croissant tous les jours -davantage, ils broüillerent enfin -la France sous Charles neuf de la -façon que chacun sçait ; & Henry -troisiéme ne pouvant moins faire -que de s’appuyer de leurs forces, -cela échauffa tellement la melancolie -& le zele indiscret du Jacobin, -qu’il n’apprehenda point -de perdre sa vie pour luy oster la -sienne. Le docte Mathematicien -Regiomontanus ayant esté appellé -d’Allemagne à Rome pour servir -à la reformation du Calendrier, -il y mourut lors qu’il estoit -au plus fort de son travail, & si -l’on en veut croire ses amis, & la -plus grande part des Heretiques, -ce fut par un Coup d’Estat de -Gregoire XIII, qui aima mieux -joüer du gobelet, que de voir son -dessein & le travail des plus habiles -Astronomes de l’Italie non -seulement retardé, mais entierement -renversé par les oppositions -d’un si docte personnage : Mais -il est tres-certain, que la mort de -Regiomontanus ne doit aucunement -flestrir l’innocence d’un si -bon & si genereux Pape, puis que -ce fut plustost un crime des enfans -de George Trapezonze, lesquels -faschez de sa mort, & -croyant que Regiomontanus en -estoit cause, pour avoir trop librement -remarqué une infinité -de fautes dans la traduction Latine -de l’Almageste de Ptolomée faite -par ledit Trapezonze, ils se resolurent -enfin de luy rendre la pareille -& de le traitter plutost à la Grecque -qu’à la Romaine. Si les Venitiens -eussent esté aussi innocens -de la mort de leur Citoyen Lauredan, -que le Pape de celle de Regiomontanus, -Bodin (<i lang="la" xml:lang="la">l. <span class="rm">6</span>.</i>) n’auroit -pas remarqué dans sa methode -qu’il ne vescut guere, -aprés avoir appaisé par sa seule -presence, une furieuse sedition des -gens de la Marine, acharnez contre -la populace, aprés que tous -les Magistrats & les forces même -de la ville assemblées, n’y avoient -pû donner ordre. Peut-estre craignoient-ils -qu’ayant reconnu quel -estoit son pouvoir, & quel empire -il avoit sur les sujets de la Republique, -il ne luy prist envie de -se rendre maistre absolu de leur -Estat ; Peut-estre aussi le firent-ils -par jalousie & emulation, comme -Aristote dit que les Argonautes -ne voulurent point d’Hercule -en leur compagnie, crainte que -toute la gloire d’une si belle entreprise -ne fust attribuée à sa seule -valeur & vertu :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_174" href="#Footnote_174" class="fnanchor">[174]</a>Urit in fulgore suo qui prægravat artes</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Infra se positas.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Horat. Ep. l. 2. ep. 1.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_173" href="#FNanchor_173"><span class="label">[173]</span></a> Le sang des Martyrs est la semence des -Chrestiens.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_174" href="#FNanchor_174"><span class="label">[174]</span></a> Car celuy de qui la valeur ternit la gloire -de toutes autres entreprises que des sienes, attire -l’envie par l’éclat de ses glorieuses actions.</p> -</div> -<p class="noindent">Et le même ajouste que les Ephesiens -bannirent leur Prince Hermodorus, -parce qu’il estoit trop -homme de bien. C’est la raison qui -fit établir l’Ostracisme à Athenes, -& qui obligea Scipion & Hannibal -à faire mourir deux braves soldats -leurs prisonniers. Mais si le stratageme -estoit vray duquel on dit -que les Venitiens se servirent il -n’y a pas long-temps, lors qu’ils -firent courir le bruit que le Duc -d’Ossone vouloit entreprendre sur -leur ville, je croy que ç’a esté -un des plus judicieux dont nous -ayons encore parlé ; aussi leur -estoit-il tres-important de le faire, -pour obliger l’Ambassadeur -d’un des plus grands Princes de -l’Europe, à quitter ses prattiques -qui n’alloient à rien moins qu’à -la ruine de leur Estat, & le forcer -en suite à une honneste retraite. -C’est ainsi qu’il faut reserver ces -grands remedes pour les maladies -perilleuses, & pour s’en servir -comme Horace dit qu’il faut faire -des Dieux, que l’on introduit -aux tragedies, pour achever & finir -ce dont les hommes ne peuvent -plus venir à bout.</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_175" href="#Footnote_175" class="fnanchor">[175]</a>Nec Deus intersit nisi dignus vindice nodus</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Adfuerit.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(De arte poëtica ad Pis.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_175" href="#FNanchor_175"><span class="label">[175]</span></a> Il ne faut point qu’un Dieu s’entre-mêle -dans l’action, si quelque incident n’y met -un nœud qui ne se puisse défaire par un autre -moyen.</p> -</div> -<p class="noindent">Ou comme les Mariniers font de -l’ancre double, qu’ils ne jettent en -mer qu’aprés avoir perdu toute -autre asseurance. Et à la verité si -un Conseiller ou Ministre proposoit, -à toutes les difficultez qui -se presentent, d’en sortir par quelqu’un -de ces expediens, il ne le -faudroit pas tenir pour moins sot -& méchant, que seroit le Chirurgien -qui voudroit guerir chaque -blessure en brûlant ou coupant le -membre qui l’auroit receuë, <a id="FNanchor_176" href="#Footnote_176" class="fnanchor">[176]</a><i lang="la" xml:lang="la">extremis -siquidem malis extrema remedia -adhibenda sunt</i>. J’ajouste que si le -même Conseiller abuse de ces remedes -pour appuyer ses interests, -ou donner plus de champ à ses passions, -outre qu’il trahit le service -de son Maistre, il se rend encore -coupable devant Dieu, & devant -les hommes, du mal qu’il entreprend -de faire ; & le Souverain même, -quand il en use autrement que -le bien du public ou le sien, qui -n’en est pas separé, le requiert, il -fait plûtost ce qui est de la passion -& de l’ambition d’un Tyran, que -l’office d’un Roy. Ainsi voyons -nous que la Reyne Catherine de -Medicis, <a id="FNanchor_177" href="#Footnote_177" class="fnanchor">[177]</a><i lang="la" xml:lang="la">quam exitio patriæ natam -Mathematici dixerant</i>, ne pouvant -souffrir d’estre mariée à un fils de -Roy sans estre Reyne, employa -l’artifice d’un Montecuculi pour -se delivrer du seul obstacle qu’elle -en avoit, en la personne de l’aisné -de son mary. <a id="FNanchor_178" href="#Footnote_178" class="fnanchor">[178]</a><i lang="la" xml:lang="la">Adfinitatem enim nuper -cum Clemente contractam, tanto -sceleri causam dedisse postea compertum, -quamvis inscio marito ; verùm illo -mortuo, cum frater proximus esset ut in -regnum paternum succederet, omissa indagandæ -rei cura est, & suppressa veritas</i>, -comme a fort bien remarqué -Monsieur de Thou dans l’original -de son Histoire. Elle entreprit en -suite la protection des Huguenots -par lettres & avis secrets, pour contrecarrer -la puissance du Connestable -& de Monsieur de Guise, -à l’assassinat duquel arrivé devant -Orleans, les memoires de Tavanes -disent qu’elle se vanta d’avoir eu -part, comme elle eut encore du -depuis à celuy de l’Amiral ; sans -toutefois qu’elle eust d’autres motifs -pour joüer toutes ces sanglantes -tragedies, que le seul desir de -contenter son ambition, de regner -sous le nom de ses enfans, & de -maintenir l’inimitié entre ceux, de -qui l’autorité portoit trop d’ombrage -à la sienne.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_176" href="#FNanchor_176"><span class="label">[176]</span></a> Car il ne faut employer les extrêmes remedes -qu’aux extrêmes maladies.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_177" href="#FNanchor_177"><span class="label">[177]</span></a> Dont les Mathematiciens avoient dit -qu’elle estoit née pour la ruine de la patrie.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_178" href="#FNanchor_178"><span class="label">[178]</span></a> Car on remarqua puis aprés que l’alliance -qui avoit esté contractée peu de temps auparavant -avec Clement, avoit fourni l’occasion d’une -si grande méchanceté, quoi qu’à l’insceu de son -mary : mais quand il fut mort, son frere estant -le plus proche qui pût succeder au royaume du -pere, on negligea d’en faire la recherche, & la -verité fut par ce moyen supprimée.</p> -</div> -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch4"><span class="sc">Chapitre IV.</span><br /> -<span class="i">De quelles opinions faut-il estre persuadé -pour entreprendre des -Coups d’Estat.</span></h2> - - -<p>Ce n’est pas assez d’avoir -monstré les occasions que -l’on peut avoir d’entreprendre ces -stratagemes, si nous ne passons -plus outre, & que nous ne declarions -aussi de quelles notions & -persuasions il faut estre persuadé, -pour les executer avec hardiesse, -& en venir à bout heureusement. -Et bien que ce titre semble plûtost -appartenir aux qualitez & -conditions du Ministre qui les -peut conseiller, je ne lairray toutefois -de coucher icy les principales, -puis que ce sont des maximes -tres-certaines, universelles & -infaillibles, que non seulement les -conseillers, mais les Princes & toutes -personnes de bon sens & de -jugement doivent suivre & observer -en toutes les affaires qui leur -peuvent survenir ; & au defaut -desquelles les raisonnemens que -l’on fait en matiere d’Estat, sont -bien souvent cornus, estropiez, -& plus semblables à des contes de -vieilles, & de gens grossiers & -mechaniques, qu’à des discours de -personnes sages & experimentées -aux affaires du monde.</p> - -<p>Boëce ce grand Conseiller -d’Estat du Roy Theodoric, nous -fournira la premiere, qu’il exprime -en ces termes au livre de -la consolation : <a id="FNanchor_179" href="#Footnote_179" class="fnanchor">[179]</a><i lang="la" xml:lang="la">Constat æterna -positumque lege est, in mundo constans -genitum esse nihil</i> ; à quoy s’accorde -pareillement Saint Hierôme -lors qu’il dit en ses epistres, <a id="FNanchor_180" href="#Footnote_180" class="fnanchor">[180]</a><i lang="la" xml:lang="la">omnia -orta occidunt & aucta senescunt</i> : Les -Poëtes aussi ont esté de ce même -sentiment.</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_181" href="#Footnote_181" class="fnanchor">[181]</a>Immortale nihil mundi compage tenetur,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Non Urbes, non Regna hominum, non aurea Roma.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_179" href="#FNanchor_179"><span class="label">[179]</span></a> C’est un axiome fondé sur une loy eternelle, -qu’il n’y a rien d’engendré au monde -qui ne soit sujet à quelque changement.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_180" href="#FNanchor_180"><span class="label">[180]</span></a> Il n’y a rien qui prenne naissance qui ne -meure & tout ce qui prend accroissement -vieillit.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_181" href="#FNanchor_181"><span class="label">[181]</span></a> Il n’y a rien d’immortel dans le monde, -non pas même les villes, ny les royaumes -des humains, ny Rome qui estoit si opulente.</p> -</div> -<p>Et tous ceux-là generalement ne -s’en éloignent gueres, qui considerent -avec attention, comme -ce grand cercle de l’univers depuis -qu’il a une fois commencé -son cours, n’a point cessé d’emporter -& faire rouler quant & soy -les Monarchies, les Religions, les -sectes, les villes, les hommes, les -bestes, arbres, pierres, & generalement -tout ce qui se trouve compris -& enfermé dans cette grande -machine ; les cieux même ne sont -pas exempts des changemens ny -de corruption. Le premier Empire -des Assyriens, celuy des Perses, -qui le suivit, ont aussi cessé -des premiers ; le Grec & le Romain -ne l’ont pas fait plus longue. -Ces puissantes familles de Ptolomée, -d’Attalus, de Seleucides ne -servent plus que de fables,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_182" href="#Footnote_182" class="fnanchor">[182]</a>Miramur periisse homines, monimenta fatiscunt ;</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Mors etiam saxis nominibusque venit.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Rutil. in Itiner.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_182" href="#FNanchor_182"><span class="label">[182]</span></a> Nous nous étonnons de la mort des -hommes ; les sepulcres s’ouvrent, car la mort -vient attaquer les rochers & les noms.</p> -</div> -<p class="noindent">Cette Isle de Crete où il y avoit -cent villes, cette ville de Thebes, -où il y avoit cent portes, cette -Troye bastie par les mains des -Dieux, cette Rome qui triompha -de tout le monde, où sont-elles -maintenant ? <a id="FNanchor_183" href="#Footnote_183" class="fnanchor">[183]</a><i lang="la" xml:lang="la">Jam seges est ubi Troia -fuit.</i> Il ne faut doncques pas croupir -en l’erreur de ces foibles esprits, -qui s’imaginent que Rome sera -toujours le siege des saints Peres, -& Paris celuy des Roys de France. -<a id="FNanchor_184" href="#Footnote_184" class="fnanchor">[184]</a><i lang="la" xml:lang="la">Byzantium illud vides quod sibi -placet duplicis imperii sede ? Venetias -istas quæ superbiunt mille annorum firmitate ? -Veniet illis sua dies, & tu Antvverpia, -ocelle urbium, aliquando non -eris</i>, disoit judicieusement Lipse. -De maniere que cette maxime -estant tres-veritable, un bon esprit -ne desesperera jamais de pouvoir -surmonter toutes les difficultez, -qui empescheroient peut-estre -quelque autre d’executer ou d’entreprendre -ces affaires d’importance. -Comme par exemple, s’il -est question qu’un Ministre, soit -pour le service de Dieu, ou pour -celuy de son Maistre, songe aux -moyens de ruiner quelque Republique -ou Empire, cette maxime -generale luy fera croire de premier -abord, qu’une telle entreprise -n’est pas impossible, puis qu’il n’y -en a pas une qui jouïsse du privilege -de pouvoir toujours durer & -subsister. Et si au contraire, il est -question d’en établir quelque autre, -il se servira encore du même -axiome pour se resoudre à l’entreprendre, -& il se persuadera d’en -pouvoir venir aussi facilement à -bout, comme ont fait les Suisses, -les Lucquois, les Hollandois, & -ceux de Geneve, non dans les -siecles dont nous n’avons plus de -memoire, mais dans les deux derniers, -& quasi de fraische date. -Aussi en est-il de même des Estats, -que des hommes, il en meurt & -naist bien souvent, les uns sont -étouffez en leurs principes, les autres -passent un peu plus outre, & -prennent force & consistance aux -dépens de leurs voisins, beaucoup -parviennent même jusques en -vieillesse ; mais enfin les forces -viennent à leur manquer, ils font -place aux autres, & quittent la -partie pour ne la pouvoir plus defendre :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_185" href="#Footnote_185" class="fnanchor">[185]</a>Sic omnia verti</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Cernimus, atque alias assumere pondera gentes,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Concidere has.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_183" href="#FNanchor_183"><span class="label">[183]</span></a> Il croist maintenant du bled là où estoit autrefois -Troye.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_184" href="#FNanchor_184"><span class="label">[184]</span></a> Vois-tu cette Constantinople qui se flate -du siege d’un double empire ? & Venise qui se -glorifie d’une fermeté de mille ans ? Leur jour -viendra ; & toy Anvers, qui es l’œillet de toutes -les villes, le temps viendra que tu ne seras -plus.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_185" href="#FNanchor_185"><span class="label">[185]</span></a> Ainsi voyons nous bouleverser toutes -choses ; ces nations s’affoiblir, & d’autres s’acquerir -du pouvoir.</p> -</div> -<p class="noindent">Et alors les premieres maladies les -émeuvent, les secondes les ébranlent, -les troisiémes les emportent ; -Gracchus, Sertorius, -Spartacus donnerent le premier -Coup à la Romaine ; Sylla, Marius, -Pompée, Jules Cæsar la porterent -sur le panchant, à deux -doigts de sa ruine, & Auguste -aprés les furies du Triumvirat -l’ensevelit, <a id="FNanchor_186" href="#Footnote_186" class="fnanchor">[186]</a><i lang="la" xml:lang="la">Urgentibus scilicet Imperii -Romani fatis</i> : & de la plus celebre -Republique du monde il en -fit le plus grand Empire, tout -ainsi que des plus grands Empires -qui sont aujourd’huy, il s’en -fera quelque jour des fameuses -Republiques. Mais il faut encore -observer que ces changemens, ces -revolutions des Estats, cette mort -des Empires, ne se fait pas sans -entraisner avec soy les Loix, la -Religion & les Sectes : s’il n’est -toutefois plus veritable de dire, -que ces trois principes internes -des Estats venant à vieillir & se -corrompre, la religion par les heresies -ou atheismes ; la justice par -la venalité des offices, la faveur -des grands, l’autorité des Souverains ; -& les Sectes par la liberté -qu’un chacun prend d’introduire -de nouveaux dogmes, ou de rétablir -les anciens, ils font aussi tomber -& perir tout ce qui estoit -basty dessus, & disposent les affaires -à quelque revolte ou changement -memorable. Certes si l’on -considere bien maintenant, quel -est l’Estat de l’Europe, il ne sera -pas aussi difficile de juger qu’elle -doit bien-tost servir de Theatre -où se joüeront beaucoup de semblables -tragedies, puis que la pluspart -des Estats qu’elle contient ne -sont pas beaucoup éloignez de -l’âge qui a fait perir tous les autres, -& que tant de longues & -fascheuses guerres ont fait naistre, -& ont augmenté les causes mentionnées -cy-dessus, qui peuvent -ruiner la justice ; comme le trop -grand nombre de Colleges, seminaires, -étudians, joints à la facilité -d’imprimer & transporter -les livres, ont déja bien ébranlé -les Sectes & la Religion. Et en -effet c’est une chose hors de doute, -qu’il s’est fait plus de nouveaux -systemes dedans l’Astronomie, -que plus de nouveautez -se sont introduites dans la Philosophie, -Medecine & Theologie, -que le nombre des Athées s’est -plus fait paroistre depuis l’année -1452, qu’aprés la prise de -Constantinople tous les Grecs, -& les sciences avec eux se refugierent -en Europe, & particulierement -en France & en Italie, -qu’il ne s’en estoit fait pendant -les mille années precedentes. Pour -moy je défie les mieux versez -en nostre Histoire de France, -de m’y monstrer que quelqu’un -ait esté accusé d’Atheïsme, auparavant -le Regne de François I, -surnommé le Restaurateur des -lettres, & peut-estre encore seroit-on -bien empesché de me montrer -le même dans l’Histoire -d’Italie, auparavant les caresses -que Cosme & Laurens de Medicis -firent aux hommes lettrez ; -ce fut de même sous le siecle -d’Auguste que le Poëte Horace -(<i lang="la" xml:lang="la">lib. <span class="rm">1</span>. Ode <small class="rm">XXXIV</small>.</i>) disoit de soy-même :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_187" href="#Footnote_187" class="fnanchor">[187]</a>Parcus Deorum cultor, & infrequens,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Insanientis dum sapientiæ</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Consultus erro.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_186" href="#FNanchor_186"><span class="label">[186]</span></a> Les fatalités de l’Empire -Romain estant enfin arrivées.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_187" href="#FNanchor_187"><span class="label">[187]</span></a> L’estude que j’ay faite d’une sagesse insensée, -m’avoit rendu si peu soigneux d’honorer -les Dieux, que je les adorois rarement.</p> -</div> -<p class="noindent">Que Lucrece pensoit bien se concilier -la bienveillance de ses lecteurs, -en leur disant qu’il les -vouloit delivrer des gesnes & des -peines que leur donnoit la religion,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_188" href="#Footnote_188" class="fnanchor">[188]</a>Dum relligionum animos vinclis exsolvere pergo.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_188" href="#FNanchor_188"><span class="label">[188]</span></a> Pendant que je continue à rompre les liens -dont la religion a embarrassé vos esprits.</p> -</div> -<p class="noindent">Et que S. Paul disoit aux Romains, -<a id="FNanchor_189" href="#Footnote_189" class="fnanchor">[189]</a><i lang="la" xml:lang="la">tunc veni cum Deus non erat -in vobis</i>. Ce fut enfin sous les Rois -Almansor & Miramolin, plus studieux -& lettrez que n’avoient esté -tous leurs Predecesseurs, que les -Aladinistes ou libertins, eurent -grande vogue parmy les Arabes : -en suite de quoy nous pouvons -bien dire avec Seneque, <a id="FNanchor_190" href="#Footnote_190" class="fnanchor">[190]</a><i lang="la" xml:lang="la">ut rerum -omnium sic literarum intemperantia laboramus</i>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_189" href="#FNanchor_189"><span class="label">[189]</span></a> Je suis venu à vous, en un temps qu’il n’y avoit -point de Dieu parmy vous.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_190" href="#FNanchor_190"><span class="label">[190]</span></a> Nous sommes aussi-bien travaillez de l’intemperance -des lettres que de celle de toutes -autres choses.</p> -</div> -<p>La seconde opinion de laquelle -on doit estre persuadé pour -bien reüssir aux Coups d’Estat, -est de croire qu’il ne faut pas -remüer tout le monde pour occasionner -les changemens des plus -grands Empires, ils arrivent bien -souvent sans qu’on y pense, ou -au moins sans que l’on fasse de si -grands preparatifs. Et comme Archimede -remuoit les plus pesans -fardeaux, avec trois ou quatre -bastons industrieusement joints -ensemble, aussi peut-on quelquefois -remüer, voire même ruiner -ou faire naistre des grandes affaires, -par des moyens qui sont presque -de nulle consideration. C’est -de quoy Ciceron (<i lang="la" xml:lang="la">Philip. <span class="rm">5</span>.</i>) nous -avertit lors qu’il dit, <a id="FNanchor_191" href="#Footnote_191" class="fnanchor">[191]</a><i lang="la" xml:lang="la">quis nesciat, -minimis fieri momentis maximas temporum -inclinationes</i> ; le monde suivant -la doctrine de Moyse a esté -fait de rien, & en celle d’Epicure -il n’a esté composé que du concours -de divers atomes : Et ces -grands fleuves qui roulent avec -impetuosité presque d’un bout de -la terre à l’autre, sont d’ordinaire si -petits vers leurs sources qu’un enfant -les peut facilement traverser,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_192" href="#Footnote_192" class="fnanchor">[192]</a>Flumina quanta vides parvis è fontibus orta ?</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_191" href="#FNanchor_191"><span class="label">[191]</span></a> Qui est-ce qui ignore que dans un moment -il peut arriver de grands changemens -aux temps.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_192" href="#FNanchor_192"><span class="label">[192]</span></a> Quelles grandes rivieres ne voit -on pas qui prenent leur naissance de fort petites -fontaines ?</p> -</div> -<p class="noindent">Il en est de même aux affaires Politiques, -une petite flammeche -negligée excite bien souvent un -grand feu,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_193" href="#Footnote_193" class="fnanchor">[193]</a>Dum neglecta solent incendia sumere vires.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_193" href="#FNanchor_193"><span class="label">[193]</span></a> Lors que les embrasemens -ont coustume de se renforcer à mesure qu’on -les neglige.</p> -</div> -<p class="noindent">Et comme il ne fallut qu’une petite -pierre arrachée de la montagne, -pour ruiner la grande statue, -ou plutost le grand colosse -de Nabuchodonosor ; de même -une petite chose peut facilement -renverser de grandes Monarchies. -Qui eust jamais creu que le ravissement -de Helene, le violement -de Lucrece par Tarquin, & celuy -de la fille du Comte Julien -par le Roy Roderic, eussent produit -des effets si notables tant en -Grece, qu’Italie & Espagne ? Mais -qui eust jamais pensé que les Etoles -& Arcades se fussent acharnez -à la guerre pour une hure de Sanglier ; -ceux de Carthage & de Bisague -pour le fust d’un brigantin ; -le Duc de Bourgogne & les Suisses -pour un chariot de peaux de -Mouton ; les Frisons & les Romains -du temps de Drusus pour -des cuirs de Bœuf ; & les Pictes -& Escossois pour quelques Chiens -perdus ? Ou que du temps de Justinian -toutes les villes de l’Empire -eussent pû se diviser & concevoir -une haine mortelle les unes -contre les autres, pour le differend -des couleurs qui se portoient -aux jeux & recreations publiques ? -La nature même semble -avoir agreable cette façon de -proceder, lors qu’elle produit -les grands & spacieux Cedres -d’un petit germe ; & les Elephans -& Balenes, d’un atome s’il faut -ainsi dire de semence. C’est en -quoy elle s’efforce d’imiter son -Createur, qui a coustume de tirer -la grandeur de ses actions, de -la foiblesse de leurs principes, & -de les mener d’un commencement -debile au progrez d’une -perfection accomplie. Et en effet -lors qu’il voulut delivrer son peuple -de la captivité de Pharaon, -il n’envoya pas quelque Roy, -ou quelque Prince, accompagné -d’une puissante armée, mais il -se servit d’un simple homme <a id="FNanchor_194" href="#Footnote_194" class="fnanchor">[194]</a><i lang="la" xml:lang="la">impeditioris -& tardioris linguæ, qui -pascebat oves Jethro soceri sui</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">Exod. -3. & 4.</span>) lors qu’il voulut chastier -& épouvanter les Egyptiens, -il ne se servit pas du foudre ny -du tonnerre, <a id="FNanchor_195" href="#Footnote_195" class="fnanchor">[195]</a><i lang="la" xml:lang="la">sed immisit tantum -ranas, cyniphes & locustas & omne genus -muscarum</i> ; lors qu’il fallut delivrer -les Philistins, ce fut par les -mains de Saül qu’il fit couronner -Roy de son peuple, au même -temps qu’il ne pensoit qu’à chercher -<a id="FNanchor_196" href="#Footnote_196" class="fnanchor">[196]</a><i lang="la" xml:lang="la">asinas patris sui Cis</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">1 Reg. -11.</span>) ainsi pour combattre Goliath, -il choisit David <a id="FNanchor_197" href="#Footnote_197" class="fnanchor">[197]</a><i lang="la" xml:lang="la">dum ambulabat -post gregem patris sui</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">c. 17.</span>) -& pour delivrer Bethulie de la -persecution d’Holofernes, il n’employa -point de puissans & courageux -soldats, <a id="FNanchor_198" href="#Footnote_198" class="fnanchor">[198]</a><i lang="la" xml:lang="la">sed manus fœminæ -dejecit eum</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Judith. 9.</span>) Mais puis -que ces actions sont autant de miracles, -& que nous ne pouvons -pas les tirer en consequence, faisons -un peu de reflexion sur la -grandeur de l’Empire du Turc, -& sur les merveilleux progrez -que font tous les jours les Lutheriens -& Calvinistes, & je -m’asseure que l’on sera contraint -d’admirer comme le dépit de -deux Moines qui n’avoient pour -toutes armes que la langue & la -plume, ont pû estre cause de si -grandes revolutions, & de changemens -en la Police & en la Religion -si extraordinaires. Aprés -quoy il faut avoüer que les Ambassadeurs -des Scythes avoient -bonne raison de remonstrer à Alexandre, -que <a id="FNanchor_199" href="#Footnote_199" class="fnanchor">[199]</a><i lang="la" xml:lang="la">fortis Leo aliquando -minimarum avium pabulum est, ferrum -rubigo consumit, & nihil est cui -periculum non immineat ab invalido</i>. -C’est doncques le devoir du bon -Politique, de considerer toutes -les moindres circonstances qui se -rencontrent aux affaires serieuses -& difficiles, pour s’en servir, en -les augmentant, & en faisant quelquefois -d’une Mouche un Elefant, -d’une petite égratignure une grande -playe, & d’une étincelle un -grand feu ; ou bien en diminuant -toutes ces choses suivant qu’il en -sera besoin pour favoriser ses intentions. -Et à ce propos il me souvient -d’un accident peu remarqué qui se -passa aux Estats tenus à Paris l’an -1615, lequel neanmoins estoit capable -de ruiner la France, & de luy -faire changer sa façon de Gouvernement, -si l’on n’y eust promptement -remedié ; car la Noblesse -ayant inseré dans son cahier de remonstrances -un article pour faire -comprendre le bien qui pouvoit -revenir à la France de la cassation -du droit annuel, ou pour estre -mieux entendu de la Polette, le -Tiers Estat qui se croyoit grandement -lesé par cette proposition, en -coucha un autre dans le sien, par -lequel le Roy estoit supplié, de retrancher -les pensions qu’il donnoit -à beaucoup de Gentilshommes -qui ne luy rendoient aucun -service ; là-dessus chaque partie -commence à s’alterer, & chacun -de son costé envoye des deputez -pour faire entendre ses raisons ; ils -se rencontrent, & en viennent -aux injures, les deputez de la Noblesse -appellant ceux du Tiers -Estat des Rustres, & les menaçant -de les traitter à coups d’éperon ; -ceux-cy répondent qu’ils -n’avoient pas la hardiesse de le faire, -& que s’ils y avoient seulement -songé, il y avoit 100000 -hommes dans Paris, qui en tireroient -la raison sur le champ : cependant -quelques Magistrats & -Ecclesiastiques qui estoient presens -à ces discours, jugeant bien -des dangereuses consequences qui -en pouvoient arriver, vont à bride -abbatue au Louvre, avertissent le -Roy de ce qui se passe, le prient -& conjurent d’y remedier promptement, -& font en sorte que Sa -Majesté, les Reynes & tous les -Princes y interposant leur autorité, -defenses furent faites sur -peine de la vie, de plus parler de -ces deux articles, ny de plus tenir -aucun discours de tout ce qui -s’estoit passé à leur sujet ; & bien -nous prit de ce qu’on y apporta -si promptement remede : car si les -deputez de la Noblesse eussent -passé des paroles aux effets, ceux -du Tiers Estat se fussent peut-estre -rencontrez si violents, obstinez -& vindicatifs, & le peuple -de Paris en telle verve & disposition, -que toute la Noblesse qui y -estoit, eust couru grande risque -d’estre sacagée, & peut-estre -qu’en suite on eust fait le même -par toutes les autres villes du -Royaume, qui suivent d’ordinaire -l’exemple de la Capitale.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_194" href="#FNanchor_194"><span class="label">[194]</span></a> Qui n’avoit pas la langue bien pendue & -avoit peine à parler, & qui paissoit les brebis -de son beaupere Jethro.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_195" href="#FNanchor_195"><span class="label">[195]</span></a> Mais leur envoya -des grenoüilles, des sauterelles, des mouches -à chien, & toutes autres sortes de -mouches.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_196" href="#FNanchor_196"><span class="label">[196]</span></a> Les ânesses de Cis son pere.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_197" href="#FNanchor_197"><span class="label">[197]</span></a> Lors qu’il alloit aprés le troupeau de son -pere.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_198" href="#FNanchor_198"><span class="label">[198]</span></a> Mais il fut abbatu par la main d’une -femme.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_199" href="#FNanchor_199"><span class="label">[199]</span></a> Quelquefois le Lion courageux sert de -pasture aux plus petits oiseaux, que la roüillure -consume le fer, & qu’il n’y a rien qui -ne coure risque d’estre endommagé de la plus -foible chose.</p> -</div> -<p>Or parce que si cet accident -fust arrivé, c’eust esté par le -moyen de la populace, laquelle -sans juger & connoistre ce qui -estoit de la raison, se fust jettée à -l’impourveu & à l’étourdie, sur -ceux qu’on luy auroit mis les -premiers en butte de sa fureur ; il -n’est pas hors de propos d’avertir -& de mettre pour une troisiéme -persuasion, que les meilleurs -Coups d’Estat se faisant par son -moyen on doit aussi particulierement -connoistre, quel est son naturel, -& avec combien de hardiesse -& d’asseurance on s’en peut -servir, & la tourner & disposer à -ses desseins. Ceux qui en ont fait -la plus entiere & la plus particuliere -description, la representent -à bon droit comme une beste à -plusieurs testes, vagabonde, errante, -folle, étourdie, sans conduite, -sans esprit, ny jugement. Et -en effet si l’on prend garde à sa -raison, Palingenius dit, que</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_200" href="#Footnote_200" class="fnanchor">[200]</a>Judicium vulgi insulsum, imbecillaque mens est.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(in Piscib.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_200" href="#FNanchor_200"><span class="label">[200]</span></a> Le jugement du commun peuple est toujours -sot, & son entendement foible.</p> -</div> -<p class="noindent">Si à ses passions, le même ajouste,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_201" href="#Footnote_201" class="fnanchor">[201]</a>Quod furit atque ferit sævissima bellua vulgus.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(in Sagitt.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_201" href="#FNanchor_201"><span class="label">[201]</span></a> Que la populace est une tres-cruelle beste, & qu’elle -devient furieuse & frape le plus souvent.</p> -</div> -<p class="noindent">Si à ses mœurs & façons de faire, -<a id="FNanchor_202" href="#Footnote_202" class="fnanchor">[202]</a><i lang="la" xml:lang="la">Hi vulgi mores, odisse præsentia, -ventura cupere, præterita celebrare.</i> Si -à toutes ses autres qualitez, Saluste -nous la represente, <a id="FNanchor_203" href="#Footnote_203" class="fnanchor">[203]</a><i lang="la" xml:lang="la">ingenio -mobili, seditiosam, discordiosam, cupidam -rerum novarum, quieti & otio -adversam</i>. Mais moy je passe plus -outre, & dis qu’elle est inferieure -aux bestes, pire que les bestes, -& plus sotte cent fois que les -bestes mêmes ; car les bestes -n’ayant point l’usage de la raison, -elles se laissent conduire à l’instinct -que la Nature leur donne pour -regle de leur vie, actions, passions -& façons de faire, dont elles ne se -departent jamais, sinon lors que -la méchanceté des hommes les -en fait sortir. Là où le peuple -(j’entens par ce mot le vulgaire -ramassé, la tourbe & lie populaire, -gens sous quelque couvert que -ce soit de basse, servile, & mechanique -condition) estant doüé de -la raison ; il en abuse en mille sortes, -& devient par son moyen le -Theatre où les Orateurs, les Predicateurs, -les faux Prophetes, les -imposteurs, les rusez politiques, -les mutins, les seditieux, les dépitez, -les superstitieux, les ambitieux, -bref tous ceux qui ont -quelque nouveau dessein, representent -leurs plus furieuses & sanglantes -tragedies. Aussi sçavons -nous que cette populace est comparée -à une mer sujette à toutes -sortes de vents & de tempestes : -au Cameleon qui peut recevoir -toutes sortes de couleurs excepté -la blanche ; & à la sentine & cloaque -dans laquelle coulent toutes -les ordures de la maison. Ses plus -belles parties sont d’estre inconstante -& variable, approuver & -improuver quelque chose en même -temps, courir toujours d’un -contraire à l’autre, croire de leger, -se mutiner promptement, -toujours gronder & murmurer : -bref tout ce qu’elle pense n’est -que vanité, tout ce qu’elle dit est -faux & absurde, ce qu’elle improuve -est bon, ce qu’elle approuve -mauvais, ce qu’elle louë infame, -& tout ce qu’elle fait & entreprend -n’est que pure folie. Aussi -est-ce ce qui a fait dire à Seneque, -(<i lang="la" xml:lang="la">de vita B. cap. <span class="rm">2</span>.</i>) <a id="FNanchor_204" href="#Footnote_204" class="fnanchor">[204]</a><i lang="la" xml:lang="la">Non tam bene -cum rebus humanis geritur ut meliora -pluribus placeant : argumentum pessimi -est turba.</i> Et le même ne donne autre -avis pour connoistre les bonnes -opinions & comme parle le Poëte -Satyrique, <a id="FNanchor_205" href="#Footnote_205" class="fnanchor">[205]</a><i lang="la" xml:lang="la">quid solidum crepet</i>, sinon -de ne pas suivre celle du peuple, -<a id="FNanchor_206" href="#Footnote_206" class="fnanchor">[206]</a><i lang="la" xml:lang="la">Sanabimur si modo separemur -à cœtu.</i> Que Postel luy persuade -que Jesus-Christ n’a sauvé que les -hommes, & que sa mere Jeanne -doit sauver les femmes, il le croira -soudain. Que David George se dise -fils de Dieu, il l’adorera. Qu’un tailleur -enthousiaste & fanatique contrefasse -le Roy dans Munster, & dise -que Dieu l’a destiné pour chastier -toutes les Puissances de la terre, il -luy obeïra & le respectera comme -le plus grand Monarque du monde. -Que le Pere Domptius luy annonce -la venuë de l’Antechrist, -qu’il est âgé de dix ans, qu’il a des -cornes, il témoignera de s’en effrayer. -Que des imposteurs & -Charlatans se qualifient freres de la -Rose-Croix, il courra aprés eux. -Qu’on luy rapporte que Paris doit -bien-tost abismer, il s’enfuira. Que -tout le monde doit estre submergé, -il bastira des Arches & des basteaux -de bonne heure pour n’estre pas -surpris. Que la mer se doit secher & -que des chariots pourront aller de -Genes à Jerusalem, il se preparera -pour faire le voyage. Qu’on luy -conte les fables de Melusine, du -sabat des sorcieres, des loups garoux, -des lutins, des fées, des -Paredres, il les admirera. Que la -matrice tourmente quelque pauvre -fille, il dira qu’elle est possedée, -ou croira à quelque Prestre -ignorant ou méchant, qui la fait -passer pour telle. Que quelque Alchimiste, -Magicien, Astrologue, -Lulliste, Cabaliste, commencent -un peu à la cajoller, il les prendra -pour les plus sçavans, & pour les -plus honnestes gens du monde. -Qu’un Pierre l’Hermite vienne -prescher la croisade, il fera des reliques -du poil de son mulet. Qu’on -luy dise en riant qu’une Canne -ou un Oison sont inspirées du -S. Esprit, il le croira serieusement. -Que la peste ou la tempeste ruine -une province, il en accusera soudain -des graisseurs ou Magiciens. -Bref si on le trompe & befle aujourd’huy, -il se lairra encore surprendre -demain, ne faisant jamais -profit des rencontres passez, pour -se gouverner dans les presentes ou -futures ; & en ces choses consistent -les principaux signes de sa grande -foiblesse & imbecillité. Pour -ce qui est de son inconstance, nous -en avons un bel exemple dans les -Actes des Apostres en ce que les -habitans de Lystrie & de Derben, -n’eurent pas plutost apperceu S. -Paul & S. Barnabé, que <a id="FNanchor_207" href="#Footnote_207" class="fnanchor">[207]</a><i lang="la" xml:lang="la">levaverunt -vocem suam Lycaonicè dicentes ; Dii similes -facti hominibus descendunt ad nos ; -& vocabant Barnabam Jovem, Paulum -quoque Mercurium</i> ; & neanmoins -incontinent aprés voila que <a id="FNanchor_208" href="#Footnote_208" class="fnanchor">[208]</a><i lang="la" xml:lang="la">lapidantes -Paulum, traxerunt eum extra -civitatem, existimantes mortuum esse</i>. -Les Romains adorent le matin -Seianus, & le soir</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_209" href="#Footnote_209" class="fnanchor">[209]</a>Ducitur unco</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Spectandus.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Juven. Sat. 10.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_202" href="#FNanchor_202"><span class="label">[202]</span></a> Voicy les mœurs du menu peuple, haïr les -choses presentes, desirer les futures, & celebrer -celles qui sont passées.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_203" href="#FNanchor_203"><span class="label">[203]</span></a> D’un naturel inconstant, seditieuse, querelleuse, -convoiteuse de choses nouvelles, & -ennemie du repos & de la tranquillité.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_204" href="#FNanchor_204"><span class="label">[204]</span></a> Les choses humaines n’ont pas tant de -bonne fortune, que les plus saines & les -meilleures soient agreables au plus grand -nombre : La foule est ordinairement une marque -du peu de prix que valent les choses.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_205" href="#FNanchor_205"><span class="label">[205]</span></a> Qu’est-ce qu’il y a de solide.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_206" href="#FNanchor_206"><span class="label">[206]</span></a> Nous serons -gueris pourveu que nous nous separions -de la foule.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_207" href="#FNanchor_207"><span class="label">[207]</span></a> Ils éleverent leur voix & dirent en langue -Lycaonienne : Les Dieux sont descendus vers -nous sous la forme d’hommes : Et ils appeloient -Barnabé Jupiter & Paul Mercure.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_208" href="#FNanchor_208"><span class="label">[208]</span></a> Ayant lapidé Paul, ils le traisnerent hors de -la ville croyant qu’il fust mort.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_209" href="#FNanchor_209"><span class="label">[209]</span></a> Il est traîné avec un croc pour servir de -spectacle au peuple.</p> -</div> -<p class="noindent">Les Parisiens en font de même du -Marquis d’Ancre, & aprés avoir -déchiré la robe du Pere à Jesus -Maria, pour en conserver les pieces -comme reliques, ils le befflent, -& s’en mocquent deux jours -aprés. Que s’il entre en colere, ce -sera comme le jeune homme de -Horace, lequel</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_210" href="#Footnote_210" class="fnanchor">[210]</a>Iram</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Colligit & ponit temerè, & mutatur in horas.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(ad Pison.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_210" href="#FNanchor_210"><span class="label">[210]</span></a> Se courrouce & s’appaise -facilement, & change à toute heure.</p> -</div> -<p class="noindent">S’il rencontre quelque homme -d’autorité lors qu’il est en sa plus -boüillante mutinerie & sedition, -il s’enfuira & abandonnera tout ; -s’il se presente quelque gueux temeraire, -ou hardy qui luy remette, -comme on dit communément, -le cœur au ventre, & le feu -aux étoupes, il reviendra plus -furieux qu’auparavant ; bref nous -luy pouvons particulierement attribüer -ce que disoit Seneque (<i lang="la" xml:lang="la">de -vita B. cap. <span class="rm">28</span>.</i>) de tous les hommes, -<a id="FNanchor_211" href="#Footnote_211" class="fnanchor">[211]</a><i lang="la" xml:lang="la">fluctuat, aliud ex alio comprehendit, -petita relinquit, relicta repetit, -alternæ inter cupiditatem suam, -& pœnitentiam vices sunt</i>. Or d’autant que -la force gist toujours de -son costé, & que c’est luy qui -donne le plus grand branle à tout -ce qui se fait d’extraordinaire -dans l’Estat, il faut que les Princes -ou leurs Ministres s’estudient -à le manier & persuader par belles -paroles, le seduire & tromper -par les apparences, le gagner & -tourner à ses desseins par des predicateurs -& miracles sous pretexte -de sainteté, ou par le moyen des -bonnes plumes, en leur faisant faire -des livrets clandestins, des manifestes, -apologies & declarations -artistement composées pour le -mener par le nez, & luy faire approuver -ou condamner sur l’etiquete -du sac tout ce qu’il contient.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_211" href="#FNanchor_211"><span class="label">[211]</span></a> Il est toujours en doute, il fait toujours -de nouveaux desseins, il quitte ce qu’il avoit -demandé, & il redemande aussi-tost ce qu’il -vient de quitter : le desir & le repentir commandent -chez luy tour à tour, & possedent -l’un aprés l’autre la domination de son ame.</p> -</div> -<p>Mais comme il n’y a jamais eu -que deux moyens capables de -maintenir les hommes en leur devoir, -sçavoir la rigueur des supplices -établis par les anciens legislateurs -pour reprimer les crimes, -dont les juges pouvoient avoir -connoissance ; & la crainte des -Dieux & de leur foudre, pour empescher -ceux dont par faute de témoins -ils ne pouvoient estre suffisamment -informez, conformément -à ce que dit le Poëte Palingenius : -(<i lang="la" xml:lang="la">in Libra.</i>)</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_212" href="#Footnote_212" class="fnanchor">[212]</a>Semiferum vulgus frænandum est relligione</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Pœnarumque metu, nam fallax atque malignum</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Illius ingenium est semper, nec sponte movetur</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ad rectum.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_212" href="#FNanchor_212"><span class="label">[212]</span></a> C’est par la religion & par la crainte des -supplices, qu’il faut brider la populace à demy -sauvage, car son esprit est toujours trompeur -& malin, & de soi-même ne se porte point à -ce qui est droit.</p> -</div> -<p class="noindent">Aussi les mêmes Legislateurs ont -bien reconnu, qu’il n’y avoit rien -qui dominast avec plus de violence -les esprits des peuples que -ce dernier, lequel venant à se trouver -en butte de quelque action, il -porte soudain toute la poursuite -que l’on en peut faire à l’extremité ; -la prudence se change en passion, -la colere, s’il y en a tant soit -peu, se tourne en rage, toute la -conduite s’en va en confusion, les -biens mêmes & la vie ne se mettent -pas en consideration, s’il les -faut perdre pour defendre la divinité -de quelque dent de singe, -d’un bœuf, d’un chat, d’un oignon, -ou de quelque autre idole -encore plus ridicule, <a id="FNanchor_213" href="#Footnote_213" class="fnanchor">[213]</a><i lang="la" xml:lang="la">nulla siquidem -res efficacius multitudinem movet -quàm superstitio</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Q. Curt. l. 4.</span>) -Et en effet ç’a toujours esté le -premier masque que l’on a donné -à toutes les ruses & tromperies -pratiques aux trois differences de -vie, ausquelles nous avons déja -dit, que l’on pouvoit rapporter -les Coups d’Estat. Car pour ce -qui est de la Monastique, nous -avons l’exemple dans S. Hierôme -(<i lang="la" xml:lang="la">epist. <span class="rm">13</span>. lib. -<span class="rm">2</span>.</i>) de ces vieux moines -de la Thebaïde, qui <a id="FNanchor_214" href="#Footnote_214" class="fnanchor">[214]</a><i lang="la" xml:lang="la">dæmonum -contra se pugnantium portenta fingunt, -ut apud imperitos & vulgi homines -miracula sui faciant & lucra sectentur</i>. -A quoy nous pouvons rapporter -la tromperie que firent les -prestres du Dieu Canopus, pour -le rendre superieur au feu qui -estoit le Dieu des Perses ; l’invention -du Chevalier Romain Monde, -pour jouïr de la belle Pauline -sous le nom d’Esculape, les visions -supposées des Jacobins de Berne, -& les fausses apparitions des Cordeliers -d’Orleans, qui sont toutes -trop communes & triviales pour -en faire icy un plus long recit. -Que si l’on doute qu’il ne se commette -un pareil abus dans l’œconomie, -il ne faut que lire ce que -Rabby Moses écrit des Prestres de -l’Idole Thamuz ou Adonis, qui -pour augmenter leurs offrandes, -le faisoient bien souvent pleurer -sur les iniquitez du peuple, mais -avec des larmes de plomb fondu, -au moyen d’un feu qu’ils allumoient -derriere son image ; & -certes il n’y aura plus d’occasion -d’en douter, aprés avoir leu dans -le dernier Chapitre de Daniel, -comme en couvrant de cendres le -pavé de la Chapelle de l’Idole Bel, -il découvrit que les Prestres avec -leurs femmes & enfans venoient -enlever de nuict par des conduits -sousterrains, tout ce que le -pauvre peuple abusé croyoit estre -mangé par ce Dieu qu’ils adoroient -sous la figure d’un dragon. -Finalement pour ce qui est -de la Politique, il faut un peu s’y -étendre davantage, puis que c’est -nostre principal dessein, & montrer -en quelle façon les Princes ou -leurs Ministres, <a id="FNanchor_215" href="#Footnote_215" class="fnanchor">[215]</a><i lang="la" xml:lang="la">quibus quæstui sunt -capti superstitione animi</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Livius l. 4.</span>) -ont bien sceu ménager la Religion, -& s’en servir comme du plus -facile & plus asseuré moyen, qu’ils -eussent pour venir à bout de leurs -entreprises plus relevées. Je trouve -doncques qu’ils en ont usé en cinq -façons principales, sous lesquelles -par aprés on en peut rapporter -beaucoup d’autres petites. La premiere -& la plus commune & ordinaire -est celle de tous les Legislateurs -& Politiques, qui ont persuadé -à leurs peuples, d’avoir la -communication des dieux, pour -venir plus facilement à bout de ce -qu’ils avoient la volonté d’executer : -comme nous voyons qu’outre -ces anciens que nous avons -rapportez cy-dessus, Scipion voulut -faire croire qu’il n’entreprenoit -rien sans le Conseil de Jupiter -Capitolin, Sylla que toutes ses -actions estoient favorisées par Apollon -de Delphe, duquel il portoit -toujours une petite image ; & -Sertorius que sa biche luy apportoit -les nouvelles de tout ce qui -estoit conclu dans le concile des -Dieux. Mais pour venir aux Histoires -qui nous sont plus voisines, -il est certain que par de semblables -moyens Jacques Bussularius domina -quelque temps à Pavie, Jean -de Vicence à Boulogne, & Hierôme -Savanarole à Florence, duquel -nous avons cette remarque -dans Machiavel : (sur T. Liv.) <i>Le -peuple de Florence n’est pas beste, auquel -neanmoins F. Hierôme Savanarole -a bien fait croire qu’il parloit à Dieu.</i> -Il n’y a pas plus de soixante ans -que Guillaume Postel en voulut -faire de même en France, & depuis -peu encore Campanelle en la -haute Calabre : mais ils n’en purent -venir à bout, non plus que -les precedens, pour n’avoir pas eu -la force en main ; car comme dit -Machiavel, cette condition est -necessaire à tous ceux qui veulent -établir quelque nouvelle Religion. -Et en effet ce fut par son -moyen que le Sophi Ismaël, -ayant par l’avis de Treschel Cuselbas -introduit une nouvelle secte -en la religion de Mahomet, il -usurpa en suite l’Empire de Perse, -& il arriva presque en même -temps, que l’Hermite Schacoculis, -aprés avoir bien joüé son personnage -l’espace de sept ans dans -un desert, leva enfin le masque, -& s’estant declaré autheur d’une -nouvelle secte, il s’empara de plusieurs -villes, defit le Bascha d’Anatolie, -avec Corcut fils de Bajazet, -& eut bien passé plus outre, -s’il n’eust irrité par le sac d’une -caravane le Sophi de Perse, qui -le fit tailler en pieces par ses soldats. -Lipse met encore avec ceux-cy -un certain Calender, qui par -une devotion simulée ébranla -toute la Natolie, & tint les Turcs -en cervelle, jusques à ce qu’il fust -défait en une bataille rangée ; & -un Ismaël Africain qui prit cette -voye pour ravir le sceptre à son -maistre le Roy de Maroc.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_213" href="#FNanchor_213"><span class="label">[213]</span></a> Il n’y a rien qui fasse agir plus efficacement -la populace, que la superstition.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_214" href="#FNanchor_214"><span class="label">[214]</span></a> Feignent des monstres & Demons qui se batent contre -eux, pour persuader leurs miracles aux idiots -& au menu peuple, & pour aquerir du bien.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_215" href="#FNanchor_215"><span class="label">[215]</span></a> Qui font leur profit des esprits adonnés -à la bigoterie.</p> -</div> -<p>La seconde invention de laquelle -ont usé les Politiques pour -se prevaloir de la religion parmy -les peuples, a esté de feindre -des miracles, controuver des songes, -inventer des visions, & produire -des monstres & des prodiges :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i1 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_216" href="#Footnote_216" class="fnanchor">[216]</a>Quæ vitæ rationem vertere possent,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Fortunasque omnes magno turbare timore.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_216" href="#FNanchor_216"><span class="label">[216]</span></a> Qui pussent changer la façon de vivre, -& troubler toutes les fortunes par une grande -crainte.</p> -</div> -<p class="noindent">Ainsy voyons nous qu’Alexandre -ayant esté avisé par quelque Medecin -d’un remede souverain contre -les flesches empoisonnées de -ses ennemis, il fit croire que Jupiter -le luy avoit revelé en songe : -& Vespasian attitroit des personnes -qui feignoient d’estre aveugles -& boiteuses, afin qu’il les guerist -en les touchant ; c’est aussi pour -cette raison que Clovis accompagna -sa conversion de tant de miracles ; -que Charles Sept augmenta -le credit de Jeanne la Pucelle, & -l’Empereur d’apresent celuy du -Pere à Jesus Maria ; sous esperance -peut-estre de gagner encore -quelque bataille non moindre que -celle de Prague.</p> - -<p>La troisiéme a pour fondement -les faux bruits, revelations, & -propheties, que l’on fait courir à -dessein pour épouvanter le peuple, -l’étonner, l’ébranler, ou bien -pour le confirmer, enhardir & -encourager, suivant que les occasions -de faire l’un ou l’autre se presentent. -Et à ce propos Postel remarque, -que Mahomet entretenoit -un fameux Astrologue, qui ne faisoit -autre chose que prescher une -grande revolution, & un grand -changement qui se devoit faire, -tant en la religion, qu’en l’Empire, -avec une longue suite de toutes sortes -de prosperitez, afin de frayer par -cette invention le chemin au même -Mahomet, & preparer les peuples -à recevoir plus volontiers la -religion qu’il vouloit introduire, -& par même moyen intimider -ceux qui ne la voudroient pas approuver, -par le soupçon qu’ils -pouvoient avoir de combattre contre -l’ordre des destinées, en s’opposant -à ce nouveau favory du -Ciel, celuy-là estant toujours le -plus avantagé,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_217" href="#Footnote_217" class="fnanchor">[217]</a>Cui militat æther</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Et conjurati veniunt ad classica venti.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_217" href="#FNanchor_217"><span class="label">[217]</span></a> Pour qui le ciel combat, & les vents d’un -commun accord vienent au son de ses trompettes.</p> -</div> -<p class="noindent">Ce fut par le moyen de ces folles -creances que Ferdinand Cortez -occupa le Royaume de Mexique, -où il fut receu comme s’il eust -esté le Topilchin, que tous les -devins avoient predit devoir bien-tost -arriver. Et François Pizarre -dans celuy du Perou, où il entra -avec le general applaudissement -de tous les peuples, qui le prenoient -pour celuy que le Viracoca -devoit envoyer pour delivrer leur -Roy de la captivité. Charlemagne -même penetra bien avant dans -l’Espagne au moyen d’une vieille -idole, qui comme les devins avoient -preveu laissa tomber une -grosse clef qu’elle tenoit en la -main ; & les Alarbes ou Sarasins -venant sous la conduite du Comte -Julian, à inonder le même -Royaume d’Espagne, on ne tint -presque conte de les repousser, -parce qu’on avoit veu quelque -temps auparavant leurs faces depeintes -sur une toile qui fut trouvée -dans un vieil Chasteau proche -la ville de Tolede, où l’on croyoit -qu’elle avoit esté enfermée par -quelque grand Prophete. Et j’ose -bien dire avec beaucoup d’Historiens, -que sans ces belles predictions, -Mahomet II n’auroit -pas si facilement pris la ville de -Constantinople. Mais veut-on un -exemple plus remarquable, que -celuy qui arriva en l’an <small>M DC -XIII</small>, au sujet d’Ascosta Cité -principale de l’Isle de Magna, laquelle -estant revoltée contre le -Sophi, elle fut prise sans beaucoup -de difficulté par son Lieutenant -Arcomat, & ce en vertu -d’une certaine prophetie receuë -par tradition entre les citoyens, -qui disoit que si cette ville ne se -rendoit à Arcomat, elle seroit Arcomatée, -c’est à dire que si elle -ne se rendoit à <i>Dissipe</i> elle seroit -dissipée, encore que si elle eust -voulu se defendre, elle n’eust peut-estre -pas esté prise, veu qu’au rapport -de Garcias <i lang="la" xml:lang="la">ab Horto</i> Medecin -Portugais, qui y avoit esté trente -ou quarante ans auparavant, elle -contenoit cinq lieuës de tour, -cinquante mille feux, & rendoit -au Sophi quinze millions six cens -mille escus chaque année de revenu -asseuré. C’est doncques un -grand chemin ouvert aux Politiques -pour tromper & seduire la -sotte populace, que de se servir -de ces predictions pour luy faire -craindre ou esperer, recevoir ou -refuser tout ce que bon luy semblera.</p> - -<p>Mais celuy d’avoir des Predicateurs -& de se servir d’hommes -bien-disans est encore beaucoup -plus court & plus asseuré, n’y -ayant rien de quoy l’on ne puisse -facilement venir à bout par ce stratageme. -La force de l’eloquence -& d’un parler fardé & industrieux, -coule avec tel plaisir dans les -oreilles, qu’il faut estre sourd, ou -plus fin que Ulysses, pour n’en -estre pas charmé ; Aussi est-il vray, -que tout ce que les Poëtes ont -écrit des douze labeurs d’Hercules, -trouve sa mythologie dans -les differents effets de l’eloquence, -par le moyen de laquelle ce -grand homme venoit à bout de -toutes sortes de difficultez ; c’est -pourquoy les anciens Gaulois eurent -bonne raison de le representer -avec beaucoup de petites chaisnes -d’or qui sortoient de sa bouche, -& s’alloient attacher aux -oreilles d’une grande multitude -de personnes qu’il trainoit ainsi -enchainée aprés soy. Ce fut encore -par ce moyen que</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_218" href="#Footnote_218" class="fnanchor">[218]</a>Sylvestres homines sacer interpresque deorum,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Cædibus & victu fœdo deterruit Orpheus,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Dictus ob hoc lenire Tygres, rabidosque Leones.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Horat. de Art. poët.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_218" href="#FNanchor_218"><span class="label">[218]</span></a> Le divin Orphée interprete des Dieux a -retiré du meurtre & de la barbarie les hommes -sauvages ; ce qui luy a donné le bruit d’avoir -trouvé l’invention d’adoucir les Tygres & -les Lyons furieux.</p> -</div> -<p class="noindent">Et par la même raison Philippe -Roy de Macedoine, l’un des -grands Politiques qui ait jamais -esté, & qui sçavoit fort bien que -<a id="FNanchor_219" href="#Footnote_219" class="fnanchor">[219]</a><i lang="la" xml:lang="la">omnia summa ratione gesta etiam -fortuna sequitur</i>, (T. Liv.) ne se -soucioit point de combattre ouvertement -& à main forte contre -les Atheniens, veu qu’il luy estoit -plus facile de les surmonter par -l’eloquence de Demosthenes, & -par les resolutions prejudiciables -qu’il faisoit passer au Senat. Pericles -s’aidoit pareillement du beau -parler d’Ephialte, pour rendre le -même Estat des Atheniens du -tout populaire ; & c’est pour cette -raison que l’on disoit anciennement, -que les Orateurs avoient -le même pouvoir sur la populace -que les vents ont sur la mer. Aprés -quoy s’il faut aussi parler de nostre -France, ne sçait-on pas que cette -fameuse Croisade entreprise avec -tant de zele par Godefroy de Boüillon, -fut persuadée & concluë par -les harangues & predications d’un -simple homme surnommé Pierre -l’Hermite, comme la seconde par -celles de Saint Bernard ; Quoy plus -y eut-il jamais un meurtre plus -meschant, & plus abominable que -celuy de Louys Duc d’Orleans -fait l’an 1407, par le Duc de Bourgogne ? -Neanmoins il se trouva -Maistre Jean Petit Theologien & -grand Predicateur, qui le sceut si -bien pallier, couvrir & déguiser -par les sermons qu’il fit à Paris -dans le parvis de Nostre-Dame, -que tous ceux qui vouloient par -aprés soustenir le party de la Maison -d’Orleans estoient tenus par -le peuple pour mutins & rebelles ; -ce qui les contraignit d’user -du même artifice que leur ennemy, -& de se mettre sous la protection -de ce grand homme de -bien Jean Gerson, qui entreprit -leur defense, & fit declarer au -Concile de Constance la proposition -tenuë par Petit, pour heretique -& erronée. Mais comme ce -Jean Petit avoit esté cause d’un -grand mal sous Charles VI, il y -eut un frere Richard Cordelier -sous Charles VII, qui fut aussi -cause d’un grand bien ; car en dix -predications de six heures chacune -qu’il fit dans Paris, il fit jetter -dans des feux allumez tout exprés -aux carrefours, tout ce qu’il y -avoit de tables, tabliers, cartes, -billes, billards, dez, & autres jeux -de sort ou de chance, qui portent -& violentent les hommes à -jurer & blasphemer : mais ce bon -homme ne fut pas si-tost sorti de -Paris qu’on commença à le mépriser -& à le gausser ouvertement, -& le peuple retourna avec plus -d’application qu’auparavant, à ses -divertissemens ordinaires : ne plus -ne moins que les metamorphoses -étranges, & les conversions, s’il -faut ainsi dire, miraculeuses que -faisoit, il n’y a pas vingt ans, le -Pere Capucin <i>Giacinto da Casale</i> -par toutes les villes d’Italie où il -preschoit, ne duroient qu’autant -de temps que ledit Pere y demeuroit -pour y exercer les fonctions -de cette charge. Que si nous descendons -au regne de François Premier, -nous y verrons cette grande -& furieuse bataille de Marignan, -donnée avec tant d’obstination & -d’animosité par les Suisses, -qu’ils combattirent deux jours -entiers, & se firent presque tous -étendre sur la place, sans neanmoins -en avoir eu d’autre sujet -plus pressant que la Harangue -que leur fit le Cardinal de Sion -nommé dans Paul Jove (<i lang="la" xml:lang="la">in elog.</i>) -<a id="FNanchor_220" href="#Footnote_220" class="fnanchor">[220]</a><i lang="la" xml:lang="la">Sedunensis Antistes</i> ; car aprés l’avoir -entendu haranguer, ils se resolurent -de combattre, livrerent la -bataille, & contesterent la victoire -jusques à la derniere goutte de -leur sang. Nous y verrons aussi -comme Monluc Evêque de Valance, -fut envoyé vers les Venitiens -pour legitimer par ses belles -paroles, le secours que son Maistre -faisoit venir de Turquie pour se -defendre contre l’Empereur Charles -V, & lors que la S. Barthelemy -fut faite, le même Monluc -& Pibrac, travaillerent si bien de -la plume & de la langue, que cette -grande execution ne put détourner, -comme nous l’avons déja -remarqué, les Polonois, quoy -que instruits particulierement de -tout ce qui s’y estoit passé par les -Calvinistes, de choisir Henry III -pour leur Roy, au prejudice de -tant d’autres Princes qui n’avoient -rien épargné pour venir à bout -de leurs pretentions. Ne fut-ce pas -aussi une chose remarquable, que -le premier siege de la Rochelle, -fut mieux soustenu par les continuelles -predications de quarante -Ministres qui s’y estoient refugiez, -que par tous les Capitaines -& Soldats dont elle estoit assez -bien fournie ? Et du temps que -les Parisiens mangeoient les Chiens -& les Rats pour n’obeïr pas à un -Roy heretique, n’estoit-ce pas -Boucher, Rose, Wincestre, & -beaucoup d’autres Curez qui les -entretenoient en cette resolution ? -Certes il est tres-constant que si -le Ministre Chamier n’eust esté -emporté d’un coup de canon sur -les bastions de Montauban, cette -ville n’auroit peut-estre pas donné -moins de peine à prendre que -la Rochelle. Et lors que Campanelle -eut dessein de se faire Roy -de la haute Calabre, il choisit tres -à propos pour compagnon de son -entreprise, un frere Denys Pontius, -qui s’estoit acquis la reputation -du plus eloquent, & du -plus persuasif homme qui fust de -son temps. Aussi voyons nous -dans l’ancien Testament que Dieu -voulant delivrer son peuple par -le moyen de Moyse, qui n’estoit -bon qu’à commander, à cause -qu’il estoit begue & homme de -fort peu de paroles, il luy enjoignit -de se servir de l’eloquence -de son frere Aaron. <a id="FNanchor_221" href="#Footnote_221" class="fnanchor">[221]</a><i lang="la" xml:lang="la">Aaron -frater tuus levites, scio quod eloquens -sit, loquere ad eum, & pone verba mea -in ore ejus</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Exodi cap. 4.</span>) & un -peu aprés il repete encore, <a id="FNanchor_222" href="#Footnote_222" class="fnanchor">[222]</a><i lang="la" xml:lang="la">ecce -constitui te Deum Pharaonis, & Aaron -frater tuus erit Propheta tuus, tu loqueris -ei omnia quæ mandabo tibi, & -ille loquetur ad Pharaonem</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">cap. 7.</span>) -C’est ce que les Payens vrais Singes -de nos Mysteres, ont depuis -voulu representer par leur Pallas -Deesse des sciences & de l’eloquence, -laquelle neanmoins estoit -armée de la lance, bouclier, & -bourguignote, pour monstrer que -les armes ne sçauroient beaucoup -avancer sans l’eloquence, ny l’eloquence -sans les armes. Or d’autant -que cette liaison & assemblage -de deux si differentes qualitez, -ne se peut que fort rarement -trouver en une même personne, -comme a fort bien monstré Virgile -par l’exemple de Drances,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i1 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_223" href="#Footnote_223" class="fnanchor">[223]</a>Cui lingua melior, sed frigida bello</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Dextra.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_219" href="#FNanchor_219"><span class="label">[219]</span></a> La fortune accompagne tout ce qu’on fait -avec un grand raisonnement.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_220" href="#FNanchor_220"><span class="label">[220]</span></a> Prelat de Sion.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_221" href="#FNanchor_221"><span class="label">[221]</span></a> Je sçay que ton frere Aaron le Levite est -eloquent, parle à luy, & luy mets mes paroles -en sa bouche.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_222" href="#FNanchor_222"><span class="label">[222]</span></a> Voicy, je t’ay établi Dieu -sur Pharaon, & ton frere Aaron sera ton Prophete ; -tu luy diras tout ce que je t’ordonneray, -& il le dira lui-même à Pharaon.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_223" href="#FNanchor_223"><span class="label">[223]</span></a> Qui a la langue bonne, mais ses mains -sont froides au combat.</p> -</div> -<p class="noindent">Cela a esté cause, que les plus -grands Capitaines ont toujours observé -pour suppléer à ce defaut, -d’avoir à leur suite, ou de se joindre -d’affection avec quelqu’un -assez puissant, pour seconder par -l’effort de sa langue celuy de leur -épée : Ninus par exemple se servit -de Zoroastre, Agamemnon de -Nestor, Diomedes d’Ulysse, Pyrrhus -de Cynée, Trajan de Pline -le Jeune, Theodoric de Cassiodore ; -& le même se peut ainsi dire -de tous les grands guerriers -qui n’ont pas moins que les precedens -caressé cette <a id="FNanchor_224" href="#Footnote_224" class="fnanchor">[224]</a><i lang="la" xml:lang="la">Venus verticordia</i>, -& n’ont pareillement ignoré, -que</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_225" href="#Footnote_225" class="fnanchor">[225]</a>Cultus habet sermo & sapiens mirabile robur,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Imperat affectus varios, animumque gubernat.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_224" href="#FNanchor_224"><span class="label">[224]</span></a> Venus qui change & tourne les cœurs où -elle veut.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_225" href="#FNanchor_225"><span class="label">[225]</span></a> Un discours sage & bien poli a -une merveilleuse force, il gouverne l’esprit, & -commande sur des passions diverses.</p> -</div> -<p class="noindent">Pour moy je tiens le discours si -puissant, que je n’ay rien trouvé -jusques à cette heure, qui soit -exempt de son empire, c’est luy -qui persuade, & qui fait croire -les plus fabuleuses religions, qui -suscite les guerres les plus iniques, -qui donne voile & couleur -aux actions les plus noires, qui -calme & appaise les seditions les -plus violentes, qui excite la rage -& la fureur aux ames les plus paisibles ; -bref c’est luy qui plante -& abat les heresies, qui fait revolter -l’Angleterre & convertir le -Japon,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_226" href="#Footnote_226" class="fnanchor">[226]</a>Limus ut hic durescit, & hæc ut cera liquescit</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Uno eodemque igne.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Virg. Ecl. 4.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_226" href="#FNanchor_226"><span class="label">[226]</span></a> Tout ainsi qu’un même feu endurcit la -bouë & fait fondre la cire.</p> -</div> -<p class="noindent">Et si un Prince avoit douze hommes -de telle trempe à sa devotion, -je l’estimerois plus fort, & croirois -qu’il se feroit mieux obeïr en -son Royaume, que s’il y avoit -deux puissantes armées. Mais d’autant -que l’on se peut servir de l’eloquence -en deux façons pour -parler ou pour écrire ; il faut encore -remarquer que cette seconde -partie n’est pas de moindre consequence -que la premiere, & j’ose -dire qu’elle la surpasse en quelque -façon ; car un homme qui parle -ne peut estre entendu qu’en un -lieu & de 3 ou 4000 hommes tout -au plus,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_227" href="#Footnote_227" class="fnanchor">[227]</a>Gaude quod videant oculi te mille loquentem.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_227" href="#FNanchor_227"><span class="label">[227]</span></a> Réjouï-toi de ce qu’il y a mille yeux qui -te voient parler.</p> -</div> -<p class="noindent">Là où celuy qui escrit peut declarer -ses conceptions en tous -lieux, & à toutes personnes. J’ajouste -que beaucoup de bonnes -raisons échapent souvent aux oreilles -par la precipitation de la -langue, qui ne peuvent si facilement -tromper les yeux quand ils -repassent plusieurs fois sur une -même chose. Et ce que les armes -ne peuvent bien souvent obtenir -sur les hommes, ceux-cy le gagnent -par une simple declaration -ou manifeste. C’est pourquoy -François I, & Charles cinq ne se -faisoient pas moins la guerre avec -leurs lettres & apologies, qu’avec -les lances & les épées : & nous -avons veu de nostre temps, que -la querelle du Pape & des Venitiens ; -le debat sur le serment de -fidelité en Angleterre ; la faveur -du Marquis d’Ancre & Messieurs -de Luyne en France, la guerre -du Palatin en Allemagne, & des -Valtelins en Suisse, ont produit -une infinité de libelles autant prejudiciables -aux uns que favorables -aux autres. Ceux qui ont veu -les merveilleux effets qu’ont produit -la Cassandre & l’Ombre de -Henry le Grand contre le Marquis -d’Ancre, le Contadin Provençal -& l’Hermite du mont Valerien, -contre Messieurs de Luyne ; -le Mot à l’oreille & la voix -publique, contre le Marquis de la -Vieuville, <a id="FNanchor_228" href="#Footnote_228" class="fnanchor">[228]</a>l’<i lang="la" xml:lang="la">Admonitio</i> même, & -le <i lang="la" xml:lang="la">Mysteria Politica</i> de Jansenius, -contre les bons desseins de nostre -Roy. Ceux-là dis-je ne peuvent -pas douter combien de semblables -écrits ont de force. Et Dieu veüille -que ceux n’en ayent pas tant contre -l’estat present de la France qui -sont journellement envoyez de -Bruxelles, ou qu’il se trouve des -personnes assez capables & affectionnées, -pour defendre vigoureusement -les interests du Roy -contre les mutinez, comme le Pere -Paul l’Hermite a courageusement -defendu la cause des Venitiens ; -& Pibrac & Monluc celle -de Charles IX & de Henry III, -contre les plus furieuses médisances -de tous les Calvinistes.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_228" href="#FNanchor_228"><span class="label">[228]</span></a> L’advertissement & les Mysteres Politiques.</p> -</div> -<p>Mais aprés avoir amplement -discouru de tous ces moyens pour -accommoder la Religion aux -choses Politiques, il ne faut pas -oublier celuy qui a toujours esté -le plus en usage, & plus subtilement -pratiqué, qui est d’entreprendre -sous le pretexte de Religion -ce qu’aucun autre ne pourroit -rendre valable & legitime. -Et en effet le proverbe communément -usurpé par les Juifs, -<a id="FNanchor_229" href="#Footnote_229" class="fnanchor">[229]</a><i lang="la" xml:lang="la">in nomine Domini committitur omne -malum</i>, ne se trouve pas moins veritable, -que le reproche que fit le -Pape Leon à l’Empereur Theodose, -<a id="FNanchor_230" href="#Footnote_230" class="fnanchor">[230]</a><i lang="la" xml:lang="la">privatæ causæ pietatis aguntur -obtentu, & cupiditatum quisque -suarum religionem habet velut pedissequam</i>. -De quoy puis que les exemples -sont si communs que tous -les livres ne sont pleins d’autre -chose, je me contenteray, aprés -avoir assez parlé de nos François, -de m’arrester icy sur les Espagnols -& de suivre ponctuellement -ce que Mariana le plus fidele de -leurs Historiens en a remarqué. -Il dit doncques en parlant des premiers -Goths, qui occuperent les -Espagnes, & des guerres qu’ils -faisoient pour se chasser les uns les -autres, qu’ils se servoient de la -Religion comme d’un pretexte -pour regner, & son refrain ordinaire -est, <a id="FNanchor_231" href="#Footnote_231" class="fnanchor">[231]</a><i lang="la" xml:lang="la">optimum fore judicavit -religionis prætextum</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">l. 6. c. 5.</span>) en -parlant du Roy Josenand qui se -fit assister des Bourguignons Arriens -pour chasser le Roy Suintila ; -& lors qu’il est question des -Roys de Chintila, <a id="FNanchor_232" href="#Footnote_232" class="fnanchor">[232]</a><i lang="la" xml:lang="la">cum species religionis -obtenderetur</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">c. 6.</span>) comme -aussi décrivant en quelle façon -Ervigius avoit chassé le Roy -Wamba, <a id="FNanchor_233" href="#Footnote_233" class="fnanchor">[233]</a><i lang="la" xml:lang="la">optimum visum est religionis -speciem obtendere</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">c. 7.</span>) & -quand deux freres de la Maison -d’Arragon <a id="FNanchor_234" href="#Footnote_234" class="fnanchor">[234]</a><i lang="la" xml:lang="la">violento imperiosi Pontificis -mandato</i> (c’estoit Boniface VIII) -s’armerent l’un contre l’autre, ce -bon Pere remarque fort à propos, -qu’il n’y avoit rien de plus inhumain, -que de violer ainsi les loix -de la nature, <a id="FNanchor_235" href="#Footnote_235" class="fnanchor">[235]</a><i lang="la" xml:lang="la">sed tanti fides religioque -fuere</i> ; (<span lang="la" xml:lang="la">lib. 51. c. 1.</span>) & le même -encore parlant de la Navarre, que -Ferdinand <a id="FNanchor_236" href="#Footnote_236" class="fnanchor">[236]</a><i lang="la" xml:lang="la">immensa imperandi ambitione</i>, -osta à sa propre Niepce, -il ajouste pour excuse, <a id="FNanchor_237" href="#Footnote_237" class="fnanchor">[237]</a><i lang="la" xml:lang="la">sed species -religionis prætexta facto est, & -Pontificis jussa</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">lib. 25. cap. ult.</span>) -Mais parce que ce ne seroit jamais -fait de vouloir alleguer tous les -endroits où ce brave auteur a fait -de semblables remarques, j’attesteray -tout son livre entier qui n’est -plein d’autre chose ; & passant à -Charles V, je produiray contre luy -ce que disoit François I, en son -apologie de l’an 1537. <i>Charles veut -empieter sur les Estats sous couleur de -Religion.</i> Et en parlant de la guerre -d’Allemagne, <i>l’Empereur sous couleur -de religion armé de la ligue des -Catholiques, veut opprimer l’autre & -se faire le chemin à la Monarchie</i>, -Ce qui fut aussi fort bien remarqué -par Monsieur de Nevers au -passage que nous avons allegué -cy-dessus. Finalement lors que -le feu Roy Jacques fut appellé -à la Couronne d’Angleterre, le -Roy d’Espagne se hasta de noüer -une étroitte alliance avec luy, le -Connestable de Castille y fut envoyé, -la relation en a esté imprimée, -& Rovida Senateur de -Milan appelle cette alliance une -œuvre tres-sainte, reconnoist le -Roy d’Angleterre pour un tres-saint -Prince Chrestien, luy offre -de la part du Roy son Maistre -toutes ses forces par mer & par -terre, & proteste que le Roy -d’Espagne le fait <a id="FNanchor_238" href="#Footnote_238" class="fnanchor">[238]</a><i lang="la" xml:lang="la">divinâ admonitione, -divinâ voluntate, divinâ ope, non -nisi magno Dei beneficio</i>. Puis doncques -que le naturel de la plûpart -des Princes est de traitter de la religion -en Charlatans, & de s’en servir -comme d’une drogue, pour -entretenir le credit & la reputation -de leur theatre, on ne doit -pas, ce me semble, blâmer un Politique, -si pour venir à bout de -quelque affaire importante, il a -recours à la même industrie, bien -qu’il soit plus honneste de dire -le contraire, & que pour en parler -sainement,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_239" href="#Footnote_239" class="fnanchor">[239]</a>Non sunt hæc dicenda palam, prodendaque vulgo,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Quippe hominum plerique mali, plerique scelesti.</div> -</div> - -<p class="attr">(Palingen. in Libra.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_229" href="#FNanchor_229"><span class="label">[229]</span></a> Sous le nom de Dieu on commet toute sorte -de mal.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_230" href="#FNanchor_230"><span class="label">[230]</span></a> On traite des affaires privées sous -le pretexte de la religion, qu’un chacun rend -chambriere de ses convoitises.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_231" href="#FNanchor_231"><span class="label">[231]</span></a> Il jugea que le pretexte de la religion seroit -tres-bon.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_232" href="#FNanchor_232"><span class="label">[232]</span></a> Lors qu’on faisoit parade de -la religion.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_233" href="#FNanchor_233"><span class="label">[233]</span></a> Il fut trouvé fort bon, de faire -parade de la religion.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_234" href="#FNanchor_234"><span class="label">[234]</span></a> Par un ordre violent -qu’un Pape imperieux donna.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_235" href="#FNanchor_235"><span class="label">[235]</span></a> Mais la foy & la religion eurent tant de -force.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_236" href="#FNanchor_236"><span class="label">[236]</span></a> Par l’immense ambition qu’il avoit -de commander à tous.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_237" href="#FNanchor_237"><span class="label">[237]</span></a> Mais il se -couvrit du pretexte de la religion, & des ordres -du Pape.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_238" href="#FNanchor_238"><span class="label">[238]</span></a> Par un avertissement divin, par la volonté -divine, par l’assistance divine, & comme -par une grande grace de Dieu.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_239" href="#FNanchor_239"><span class="label">[239]</span></a> On ne doit point découvrir ny reveler de -telles choses au menu peuple, veu que parmy -les hommes il y en a tant de méchants & de -scelerats.</p> -</div> -<p class="noindent">Toutes ces maximes neanmoins -demeureroient sans lustre, & sans -éclat, si elles n’estoient rehaussées, -& comme animées d’une -autre, qui nous enseigne de les -prendre par le bon biais, & de -bien choisir l’heure & le temps -favorable pour les mettre en execution,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i3 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_240" href="#Footnote_240" class="fnanchor">[240]</a>Data tempore prosunt,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Et data non apto tempore multa nocent.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_240" href="#FNanchor_240"><span class="label">[240]</span></a> Les choses qu’on applique opportunément, -profitent & reüssissent bien ; mais il y -en a beaucoup qui sont fort nuisibles, quand -elles ne sont pas appliquées en un temps propre.</p> -</div> -<p class="noindent">Et encore n’est-ce pas assez d’avoir -acquis cette prudence ordinaire -& commune à beaucoup de -Politiques, si nous ne passons à -une autre encore plus rafinée, & -qui est seulement propre aux plus -rusez & experimentez Ministres, -pour se prevaloir des occasions -fortuites, & tirer profit & avantage -de ce qui auroit esté negligé -de quelque autre, ou qui peut-estre -luy auroit porté prejudice. -Telle fut l’occasion de cette grande -eclipse qui arriva sous l’Empereur -Tibere, lors que toutes les -legions de Hongrie estoient si fierement -revoltées, qu’il n’y avoit -quasi aucune apparence de les -pouvoir appaiser ; car un autre -moins avisé que Drusus eust negligé -cette occasion, & n’eust jamais -pensé d’en pouvoir tirer -quelque avantage ; mais luy voyant -que les mutins avoient conceu -une grande frayeur de cette obscurité, -parce qu’ils n’en sçavoient -pas la cause, il prit l’occasion aux -cheveux, & les intimida de telle -sorte, qu’il vint à bout par cet accident -de ce à quoy tous les autres -Chefs, & luy-même auparavant -desesperoient de pouvoir -donner ordre. Tel fut aussi le -stratageme duquel le Roy Tullus -couvrit ingenieusement la retraitte -de Metius Suffetius, voire même -en tira un avantage nompareil, -faisant courir le bruit & passer -parole d’escadron en escadron, -qu’il l’avoit envoyé pour surprendre -ses ennemis, & leur oster -tout moyen de retraite : En suite -de quoy je m’étonne bien fort, -comme T. Live & Corneille Tacite, -qui rapportent ces deux Histoires, -se sont contentez d’en tirer -des conclusions particulieres, -& que le premier ait seulement -dit, <a id="FNanchor_241" href="#Footnote_241" class="fnanchor">[241]</a><i lang="la" xml:lang="la">Stratagema est, quæ in certamine -à transfugis nostris perfide fiunt, -ea dicere fieri nostro jussu</i> ; & l’autre, -<a id="FNanchor_242" href="#Footnote_242" class="fnanchor">[242]</a><i lang="la" xml:lang="la">In commoto populo sedando, convertenda -in sapientiam & occasionem mitigationis, -quæ casus obtulit, & quæ -populos ille pavet aut observat etiam -superstitiosè</i>, veu qu’il falloit tout -d’un coup en tirer cette regle generale, -<a id="FNanchor_243" href="#Footnote_243" class="fnanchor">[243]</a><i lang="la" xml:lang="la">quæ casus obtulit in sapientiam -vertenda</i>, puis que non seulement -aux trahisons, & aux mutineries, -mais en toutes autres sortes -d’affaires & de rencontres, -<a id="FNanchor_244" href="#Footnote_244" class="fnanchor">[244]</a><i lang="la" xml:lang="la">mos est hominibus</i>, comme dit Cassiodore, -<i lang="la" xml:lang="la">occasiones repentinas ad artes -ducere</i>. Ainsi lisons nous que -Christophle Colomb, aprés avoir -supputé le temps auquel une grande -eclipse devoit arriver, il menaça -certains habitans du nouveau -Monde, de convertir la Lune en -sang, & de la leur oster entierement, -s’ils ne luy fournissoient -les rafraischissemens dont il avoit -besoin, & qui luy furent incontinent -envoyez, dés aussi-tost que -l’eclipse commença de paroistre. -J’ay remarqué cy-dessus que Ferdinand -Cortez fit croire aux habitans -de Mexique, qu’il estoit -le Dieu Tophilchin, pour entrer -plus facilement dans leur Royaume ; -& que François Pizarre se -servant du même stratageme en -la conqueste du Perou, se faisoit -nommer le Viracoca. Ce fut encore -par ce moyen que Mahomet -changea son epilepsie en extase, -& que Charles V se servit -de l’heresie de Luther, pour diviser -& affoiblir les Princes d’Allemagne, -qui pouvoient en demeurant -unis controller l’autorité -qu’il vouloit avoir dans l’Empire, -& empescher le projet qu’il -avoit dressé d’une Monarchie universelle. -Disons encore que le -même Empereur, n’ayant plus -l’esprit & le jugement assez fort -pour gouverner un Estat si grand -qu’estoit le sien, & voyant d’ailleurs -que la fortune naissante de -Henry II, mettoit des bornes à la -sienne, se mocquoit de son <a id="FNanchor_245" href="#Footnote_245" class="fnanchor">[245]</a><i lang="la" xml:lang="la">plus -ultra</i>, & faisoit dire aux Pasquinades,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_246" href="#Footnote_246" class="fnanchor">[246]</a>Siste pedem Metis, hæc tibi meta datur.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_241" href="#FNanchor_241"><span class="label">[241]</span></a> C’est un stratageme, que de dire, que ce -que nos transfuges font perfidement pendant -le combat, se fait par nostre ordre.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_242" href="#FNanchor_242"><span class="label">[242]</span></a> Pour appaiser l’émotion d’un peuple, il faut tourner -en sagesse & en occasion de l’addoucir les choses -que le cas fortuit presente, & celles dont ce -peuple s’épouvante, ou qu’il observe avec superstition.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_243" href="#FNanchor_243"><span class="label">[243]</span></a> Il faut tourner en sagesse les choses que le -cas fortuit presente.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_244" href="#FNanchor_244"><span class="label">[244]</span></a> Les hommes ont accoutumé -de mettre en œuvre & se servir artificieusement -des rencontres impreveües.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_245" href="#FNanchor_245"><span class="label">[245]</span></a> Plus outre.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_246" href="#FNanchor_246"><span class="label">[246]</span></a> Arreste toi à Mets, car c’est -là la borne qui t’est donnée.</p> -</div> -<p class="noindent">Il couvrit toutes ces disgraces, -du voile de Pieté & de Religion, -s’enfermant dans un cloistre, où il -eut pareillement la commodité de -faire penitence du peché secret, -qu’il avoit commis en la naissance -d’un fils bastard, qui luy estoit -aussi neveu. Ainsi Philippe II, -prit sujet de casser tous les Privileges -extraordinaires des Arragonois, -sur la protection qu’ils -voulurent donner à Antonio Perez ; -& je trouve entre nos Roys -de France que Philippe premier -augmenta beaucoup son Royaume, -& le delivra s’il faut ainsi dire -de la Tutele des Maires du Palais, -pendant que tous les Princes -de la France, & son Frere même -estoient occupez à combattre -les Sarrasins, sous la conduite -de Godefroy de Boüillon ; & -pendant la troisiéme Croisade, on -pourroit dire que Philippe Auguste -abandonna le Roy Richard -d’Angleterre, pour s’en revenir en -France broüiller les affaires des -Anglois, parce qu’en matiere -d’Estat, <a id="FNanchor_247" href="#Footnote_247" class="fnanchor">[247]</a><i lang="la" xml:lang="la">quædam nisi fallacia vires -assumpserint, fidem propositi non inveniunt, -laudemque occulto magis tramite -quàm via recta petunt</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Val. -Max. l. 7. cap. 3.</span>)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_247" href="#FNanchor_247"><span class="label">[247]</span></a> Il y a de certaines choses qui ne rencontrent -pas la croyance qu’on s’est proposée, si -elles n’ont pris des forces par le moyen de quelque -tromperie, & qui cherchent plustost la -loüange par quelques sentiers cachez que par -des voyes droites.</p> -</div> -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="ch5"><span class="sc">Chapitre V.</span><br /> -<span class="i">Quelles conditions sont requises au -Ministre avec qui l’on peut -concerter les Coups -d’Estat.</span></h2> - - -<p>L’on me pourra objecter icy -que je ne devrois traitter des -conditions du Ministre, qu’aprés -avoir parlé de celles du Prince, -puis que c’est luy qui donne le -premier branle & mouvement à -tout ce qui est fait dans son Conseil, -comme le premier mobile entraine -tous les Cieux avec soy, & -le Soleil communique sa lumiere -à tous les Astres & Planetes : Mais -à cela je puis répondre, que les -Souverains nous sont donnez ou -par succession ou par élection ; -or de ces deux moyens le premier -suit la nature, à laquelle -nous obeïssons ponctuellement, -sans restriction ou consideration -d’aucune circonstance voire -même,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_248" href="#Footnote_248" class="fnanchor">[248]</a>Dum pecudes auro, dum murice vestit Asellos.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_248" href="#FNanchor_248"><span class="label">[248]</span></a> Quand il revest d’or les brebis, & les ânes -de pourpre.</p> -</div> -<p class="noindent">Et le second dépend des brigues, -monopoles, & cabales de ceux qui -se trouvent les plus riches, & les -plus puissans d’amis, de faveurs, -& d’argent, pour satisfaire à leur -ambition ; de maniere que ce seroit -parler en vray pedant, de -proposer ou de penser seulement, -que les considerations de la vertu -& des merites, puissent avoir -lieu parmy un tel desordre. Mais -pour ce qui est des Ministres, on -en peut philosopher d’autre façon, -parce qu’ils dependent absolument -du choix que le Prince en -peut faire ; luy estant permis, voire -même bien-seant & honorable, -de trier soigneusement d’entre -tous ses amis ou domestiques, -celuy qu’il jugera estre le mieux -conditionné pour le serieux employ -où il le veut mettre, <a id="FNanchor_249" href="#Footnote_249" class="fnanchor">[249]</a><i lang="la" xml:lang="la">Sapientissimum -enim dicunt eum esse cui quod -opus sit veniat in mentem, proximè -accedere, illum qui alterius bene inventis -obtemperet.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">Cicero pro Cluentio.</span>) -J’ajouste encore qu’outre -l’honneur que le Prince reçoit -d’une telle election, il en retire -une commodité tres-grande, & si -considerable, que s’il ne se veut -negliger & abandonner luy-même, -il est presque necessité de proceder -à cette election, Velleius Paterculus -ayant remarqué fort à -propos, que <a id="FNanchor_250" href="#Footnote_250" class="fnanchor">[250]</a><i lang="la" xml:lang="la">magna negotia magnis -adjutoribus egent</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">lib. 2.</span>) & Tacite, -que <a id="FNanchor_251" href="#Footnote_251" class="fnanchor">[251]</a><i lang="la" xml:lang="la">gravissimi Principis labores queis -orbem terræ capessit, egent adminiculis</i>. -(<span lang="la" xml:lang="la">12. Annal.</span>) Joint que comme -dit fort bien Euripides, σοφὸς -τύραννος τῶν σοφῶν συνουσίᾳ, <a id="FNanchor_252" href="#Footnote_252" class="fnanchor">[252]</a><i lang="la" xml:lang="la">princeps -fit sapiens sapientum commercio</i>. -Et en effet les Histoires nous apprennent, -que ceux-là ont toujours -esté estimez les plus sages -entre les Princes, qui n’ont rien -fait de leurs testes, ny sans avis -de quelque fidele & asseuré Ministre ; -d’où vient qu’Alexandre -avoit toujours auprés de soy Clitus -& Ephestion : qu’Auguste ne -faisoit rien sans l’avis de Mecenas -& d’Agrippa ; que Neron fut le -meilleur des Empereurs pendant -qu’il suivit le conseil de Burrus -& de Seneque ; & pour venir à -ce qui est plus de nostre connoissance, -Charles V & Philippes II, -ont eu les Sieurs de Chevres, & -Ruy de Gomez pour confidents, -tout ainsi que les intimes Conseillers -de Charles VII, furent -en divers temps le Comte de Dunois, -Louvet President de Provence, -Tannegui du Chastel, & -un Comte de Dammartin. Pour -ce qui est de son fils Louys XI, -comme il estoit d’un esprit défiant, -variable, & toujours trouble, -aussi changea-t-il plusieurs fois -de serviteurs secrets & affidez, -mais neanmoins il en avoit toujours -quelqu’un à qui il se communiquoit -plus librement qu’aux -autres, témoin le Cardinal Ballue, -Philippes de Comines, & son Medecin -Cottier. Charles VIII en -fit de même du Cardinal Brissonet, -& son successeur Louys XII, -du Cardinal d’Amboise qui le -possedoit entierement. Le Roy -François I avoit plus de fiance à -l’Amiral d’Annebaut qu’à nul -autre, & Henry II, au Connestable -de Montmorency. Bref -nous voyons dans la suite de nos -Annales, que les deux freres de -Lorraine furent l’appuy de François -II, le Cardinal Birague de -Charles IX, Monsieur d’Espernon -de Henry III, Messieurs de -Sully, Villeroy, & Sillery de Henry -IV, & Monseigneur le Cardinal -de Richelieu de nostre Roy -Louys le Juste & le Triomphant.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_249" href="#FNanchor_249"><span class="label">[249]</span></a> Car on appelle le plus sage celuy, à qui -vient en la pensée tout ce dont il a besoin, & -que celui-là en approche de bien prés qui -obeït aux bonnes inventions qu’un autre a -trouvées.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_250" href="#FNanchor_250"><span class="label">[250]</span></a> Les grandes affaires ont besoin de -grandes aides.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_251" href="#FNanchor_251"><span class="label">[251]</span></a> La plus grande peine qu’un -Prince puisse prendre à gouverner le monde, a -besoin d’assistance.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_252" href="#FNanchor_252"><span class="label">[252]</span></a> Le Prince se rend sage par le commerce -qu’il a avec les sages.</p> -</div> -<p>Mais cette maxime estant établie -comme tres-certaine & veritable, -que les Princes doivent avoir -quelque Conseiller secret & affidé, -les Politiques se trouvent bien en -peine à se resoudre, s’ils se doivent -contenter d’un seul, ou en avoir -plusieurs en égal & pareil degré de -confidence. Car si l’on veut agir -par raisons & par exemples, Xenophon -nous avertira d’un costé, -que πολλοὶ βασιλέως ὀφθαλμοὶ καὶ -πολλοὰ ὤτα, <a id="FNanchor_253" href="#Footnote_253" class="fnanchor">[253]</a><i lang="la" xml:lang="la">multi debent esse Regis -oculi, & multæ aures</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">l. 28. pæd.</span>) -& le Triumvirat qui a si heureusement -gouverné la France sous -Henry IV, fera foy de son dire, -quand bien nous n’aurions pas -l’exemple d’Auguste & des anciens. -D’ailleurs aussi nous sçavons -qu’entre plusieurs <a id="FNanchor_254" href="#Footnote_254" class="fnanchor">[254]</a><i lang="la" xml:lang="la">non voto vivitur -uno</i>, & qu’en matiere d’affaires -il n’y a rien de plus prejudiciable, -ny de plus fascheux que la diversité -d’opinions ; que la haine, -l’ambition, la vaine gloire ou passions -semblables font bien souvent -proposer & autoriser, ce qui -est directement contraire à la raison, -& Tacite remarque fort à -propos, que <a id="FNanchor_255" href="#Footnote_255" class="fnanchor">[255]</a><i lang="la" xml:lang="la">cæde Messalinæ convulsa -est Principis domus, orto apud -libertos certamine</i> : de sorte que tout -ainsi que le grand nombre de Medecins -tuë souvent les malades, -le trop grand nombre de Conseillers -ruine aussi presque toujours -les affaires. C’est pourquoy -il me semble à propos pour -accorder ces deux opinions si differentes, -d’user de quelque distinction, -& de dire, que si le -Prince se juge assez fort, autorisé, -judicieux, & capable pour -estre au dessus de ses Conseillers -& Confidens, il est bon d’en -avoir trois ou quatre, parce que -aprés qu’ils auront opiné sur -quelque incident, il en pourra tirer -diverses ouvertures ou moyens, -& choisir celuy qu’il estimera -plus expedient d’executer : Mais -s’il est d’un esprit foible, peu -entendu & incapable de choisir -le meilleur avis & le faire suivre, -il est sans doute plus expedient, -qu’il ne se confie qu’à un seul -qu’il choisira pour le plus judicieux -& mieux conditionné de -tous les autres ; parce que s’il se -commet à plusieurs, il peut arriver -que chacun d’eux aura ses -interests particuliers differents, -ses intentions diverses, ses desseins -tout à fait dissemblables, -sur quoy le Prince n’estant pas -en estat de les regler, & de leur -servir de chef, les brigues & -les partis se formeront dans son -Conseil, l’ambition s’y coulera, -& la jalousie qui la suit d’aussi -prés comme elle fait l’amour, -la raison n’y fera rien, & la -passion y fera tout, le secret en -sera banny, & cependant le pauvre -Prince sera inquieté d’une -étrange façon, il ne sçaura à quoy -se resoudre, ny de quel costé -se tourner, il servira de fable -à son peuple, & de joüet -à la passion de ses Ministres. -C’est ce qui a esté tres-judicieusement -remarqué par Tacite -à propos de l’Empereur Galba, -<a id="FNanchor_256" href="#Footnote_256" class="fnanchor">[256]</a><i lang="la" xml:lang="la">quippe hiantes in magna fortuna amicorum -cupiditates, ipsa Galbæ facilitas -intendebat ; cum apud infirmum & -credulum minori metu, & majori -præmio peccaretur</i>. Autant en arriva-t-il -à l’Empereur Claudius, & -de nostre temps à Charles VIII, -en ce qui concernoit les affaires -de Pise & Siene. Guicciardin fait -la même remarque de Clement -VII, & les Politiques Italiens -ont pris sujet d’en former cet -Axiome, <a id="FNanchor_257" href="#Footnote_257" class="fnanchor">[257]</a><i lang="it" xml:lang="it">Ogni volta che un Principe -sarà in mano di più, quando non habbia -consiglio e prudenza da se, sarà -preda da tutti</i> ; où au contraire s’il -ne se fie qu’à un seul Ministre bien -conditionné & entretenu suivant -les devoirs reciproques de maistre -à serviteur, toutes choses en iront -beaucoup mieux pour le Prince, -son credit luy sera conservé, son -autorité maintenuë, sa personne -aimée, ses commandemens executez, -& tout son Estat en recevra -des fruits pareils à ceux que -reçoit maintenant la France du sage -gouvernement de Monseigneur -le Cardinal de Richelieu.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_253" href="#FNanchor_253"><span class="label">[253]</span></a> Le Roy doit avoir plusieurs yeux, & plusieurs -oreilles.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_254" href="#FNanchor_254"><span class="label">[254]</span></a> On n’est pas toujours d’un même sentiment.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_255" href="#FNanchor_255"><span class="label">[255]</span></a> Par la mort de Messalina la maison -du Prince fut toute bouleversée, à cause de la -contestation qui survint entre ses affranchis.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_256" href="#FNanchor_256"><span class="label">[256]</span></a> Car la trop grande facilité de Galba augmentoit -la convoitise de ses amis, qui baailloient -aprés une grande fortune ; veu même -que les fautes que l’on commettoit auprés -d’un esprit foible & credule comme le -sien, estoient suivies de moins d’apprehension, -& de plus de recompense.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_257" href="#FNanchor_257"><span class="label">[257]</span></a> Toutes les fois -qu’un Prince se met entre les mains de plusieurs, -s’il n’a du conseil & de la prudence de -soy-même, il sera la proye de tous.</p> -</div> -<p>Cela donc estant resolu qu’un -Prince doit avoir quelque Ministre -ou Conseiller secret, fidele, & -confident, il faut maintenant voir -de quelle façon il le peut choisir, -& quelles qualitez il doit rechercher -en sa personne ; ou pour -mieux dire, de quelle condition -il le doit prendre, tant pour ce -qui est du corps & des accidens -qui le suivent, que de l’esprit. -Aprés quoy nous ajousterons aussi -ce que doit contribuer le Prince -à la satisfaction de son Ministre, -& mettrons fin à ce present discours.</p> - -<p>Or pour ce qui est du premier -point qui nous doit principalement -monstrer de quelle qualité, -office ou sorte de personnes -on peut prendre un Ministre, je -m’y trouve aussi empesché que -l’estoit Vegece pour resoudre de -quel lieu & de quelle condition -de personnes on pouvoit choisir -un bon soldat. Car comme toutes -les affaires ne sont pas semblables, -aussi toutes sortes de personnes -ne sont pas toujours bonnes -à toutes sortes de negociations, -non plus que tout bois -n’estoit anciennement propre à -faire la statue de Mercure. Je diray -neanmoins pour vuider ce -different, qu’il faut distinguer -entre le Ministre de Conseil, & -le Ministre d’execution, car encore -que l’on leur puisse donner à -tous deux cet avertissement rapporté -par T. Live, (<i lang="la" xml:lang="la">lib. <span class="rm">24</span>.</i>) <a id="FNanchor_258" href="#Footnote_258" class="fnanchor">[258]</a><i lang="la" xml:lang="la">magis -nullius interest quàm tua, T. Ofacili, -non imponi cervicibus tuis onus, -sub quo concidas</i> ; il faut neanmoins -pour les considerer tous deux en -particulier, y apporter aussi des -conditions differentes, & dire -pour ce qui est du dernier, qu’on -ne peut manquer de le tirer d’entre -les plus nobles & illustres familles, -afin qu’il exerce la charge -& le commandement qu’on luy -donnera, avec plus d’éclat, de -grandeur & d’autorité. Il faut -aussi prendre garde qu’il ait l’inclination -& la suffisance proportionnée -à l’employ auquel il est -destiné,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_259" href="#Footnote_259" class="fnanchor">[259]</a>Nec enim loricam poscit Achillis Thersites.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_258" href="#FNanchor_258"><span class="label">[258]</span></a> Il t’importe plus qu’à aucun autre, Titus -Ofacilius, de ne te charger pas d’un fardeau -dont tu puisses estre accablé.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_259" href="#FNanchor_259"><span class="label">[259]</span></a> Car -un Thersite ne demande pas la cuirasse d’Achilles.</p> -</div> -<p class="noindent">Et comme un Appius ne duisoit -aucunement aux affaires populaires, -Cleon n’entendoit pas la conduite -d’une armée, Philopœmen -ne sçavoit nullement commander -sur mer, Pericles n’estoit bon que -pour gouverner, Diomedes que -pour combattre, Ulysse que pour -conseiller ; il faut de même tirer -avantage de ces diverses inclinations, -afin d’appeller à chaque -vacation celuy qui pour y avoir -du naturel, la peut exercer avec -honneur & satisfaction ; autrement -ce seroit faire tort à ceux -qui sont nez pour commander, de -les assujettir aux autres, qui ne -sont faits que pour obeïr ; à ceux -qui ne sont pas hardis & belliqueux, -de leur donner la conduite -d’une armée ; & d’employer -aux Ambassades ceux qui -ne sçavent ny parler ny haranguer ; -estant beaucoup plus à propos, -comme nous avertit un Ancien, -<a id="FNanchor_260" href="#Footnote_260" class="fnanchor">[260]</a><i lang="la" xml:lang="la">quemque cuique functioni pro -indole admovere</i> : mais pour ce qui -est du choix d’un Ministre secret, -je croy qu’on en peut discourir -d’autre façon, & pour resoudre le -doute proposé cy-dessus si on le -doit tirer d’entre les familles illustres -de l’Estat, ou des personnes -de mediocre condition ; il me semble -qu’on le peut faire de toutes -les deux sortes indifferemment, -parce que <a id="FNanchor_261" href="#Footnote_261" class="fnanchor">[261]</a><i lang="la" xml:lang="la">dum nullum fastidiretur -genus in quo eniteret virtus, crevit -imperium Romanum</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">T. Livius -lib. 4.</span>) Il y a toutefois ces difficultez -du costé des nobles & -grands Seigneurs, qu’ils sont enviez -des autres, que bien souvent -au lieu d’obeïr ils veulent -commander, qu’ils conseillent -plutost le Prince suivant leur interest -particulier, que le bien de -l’Estat, qu’ils veulent avancer leurs -creatures, & ruiner ceux qui sont -contraires à leur cabale ; qu’ils -veulent bien souvent entreprendre -sur l’autorité de leur Maistre, -comme firent les Maires du Palais -en France, qu’ils broüillent -le Royaume pour se rendre necessaires, -qu’ils ne sont jamais -contens de ce qu’on leur donne, -comme estant toujours au dessous -de ce qu’ils pensent avoir merité, -soit pour leurs services ou pour la -grandeur de leur maison ; bref il -me semble qu’en cette occasion, -où l’on n’a que faire de la noblesse -& dignité des personnes, -mais plutost de leur avis, conseil, -& jugement, un Marquis, un -Duc, un Prince, ne peuvent pas -mieux rencontrer que les hommes -de mediocre condition, & peuvent -causer beaucoup plus de mal ; où -au contraire ceux-cy peuvent faire -autant de bien, ne coustent pas -tant, se rendent plus sujets, plus -faciles & traitables, & sont beaucoup -moins à craindre. Et à la -verité Seneque avoit raison de dire, -<a id="FNanchor_262" href="#Footnote_262" class="fnanchor">[262]</a><i lang="la" xml:lang="la">nulli præclusa est virtus, omnes -admittit, nec censum, nec sexum eligit</i>. -(in epistol.) A propos de quoy -Tacite remarque que les Allemans -prenoient même conseil de -leurs femmes, <a id="FNanchor_263" href="#Footnote_263" class="fnanchor">[263]</a><i lang="la" xml:lang="la">nec consilia earum -aspernabantur, nec responsa negligebant</i>. -(<span lang="la" xml:lang="la">de morib. Germ.</span>) Ce que -Plutarque confirme aussi des Lacedemoniens, -& beaucoup d’Historiens, -des Empereurs Auguste -& Justinien ; & Cecilius disoit fort -bien dans les Tusculanes de Ciceron, -<a id="FNanchor_264" href="#Footnote_264" class="fnanchor">[264]</a><i lang="la" xml:lang="la">sæpe etiam sub sordido pallio -latet sapientia</i>. Ce sont les occasions, -l’employ, & les affaires qui la -découvrent, & qui la font briller -& éclatter. Si l’on n’eust employé -Matthieu Paumier Florentin, à -l’ambassade de laquelle il s’acquita -si dignement, envers le Roy -Alphonse, on auroit toujours creu -qu’il n’estoit bon qu’à battre le -mortier pour faire des medecines -& clysteres ; si le Cardinal d’Ossat -ne se fust rencontré dans les affaires -de la Cour de Rome, on se -fust toujours persuadé qu’il n’estoit -propre qu’à pedanter dans -les Colleges de Paris & à defendre -Ramus contre Charpentier. -Et le semblable peut-on dire encore -des Cardinaux Balue, Ximenes, -& du Perron, <a id="FNanchor_265" href="#Footnote_265" class="fnanchor">[265]</a><i lang="la" xml:lang="la">quorum -nobilitas sola fuit atque unica virtus</i>. -L’on dit que de toutes tailles bons -Levriers, & pourquoy non de -toutes sortes de conditions de bons -esprits : Cardan estoit Medecin, -Bodin Advocat, Charon Theologien, -Montagne Gentilhomme, -la Nouë Soldat, & le Pere Paul -Moine : enfin</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_266" href="#Footnote_266" class="fnanchor">[266]</a>Sæpe etiam est olitor verba opportuna locutus.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_260" href="#FNanchor_260"><span class="label">[260]</span></a> D’employer chacun à la fonction dont son -genie est plus capable.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_261" href="#FNanchor_261"><span class="label">[261]</span></a> L’empire Romain -s’est toujours augmenté, pendant qu’on n’a -point dedaigné ceux où l’on voyoit éclater la -vertu, de quelle condition qu’ils fussent.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_262" href="#FNanchor_262"><span class="label">[262]</span></a> La vertu n’est inaccessible à personne ; elle -reçoit un chacun, & ne fait choix, ny de condition -ny de sexe.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_263" href="#FNanchor_263"><span class="label">[263]</span></a> Ils ne méprisoient pas -leurs conseils, & ne negligeoient pas leurs réponses.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_264" href="#FNanchor_264"><span class="label">[264]</span></a> Et souvent aussi il y a de la sagesse -cachée sous un vilain manteau.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_265" href="#FNanchor_265"><span class="label">[265]</span></a> Qui n’avoient point d’autre noblesse que -leur seule vertu.</p> -</div> -<p class="noindent">C’est pourquoy je n’exclus personne -de cette charge, non les -étrangers, parce que Tibere <a id="FNanchor_267" href="#Footnote_267" class="fnanchor">[267]</a><i lang="la" xml:lang="la">subinde -res suas quibusdam ignotis mandabat</i>, -(<span lang="la" xml:lang="la">Tacit. 4. Annal.</span>) & que -Charles V se servit de Granvelle, -François I de Trivulse, Henry II -de Strozzi, & Charles IX du -Cardinal de Birague. Non les jeunes, -parce que <a id="FNanchor_268" href="#Footnote_268" class="fnanchor">[268]</a><i lang="la" xml:lang="la">cani indices ætatis -non sapientiæ</i>, & que Ciceron nous -avertit, <a id="FNanchor_269" href="#Footnote_269" class="fnanchor">[269]</a><i lang="la" xml:lang="la">ab eximia virtute progressum -ætatis expectari non oportere</i>, -(<span lang="la" xml:lang="la">Philip. 5.</span>) témoin les exemples -de Josephe, David, Ephestion, & -Papyrius. Non les vieux, puis que -Moyse par le conseil de son beau-pere -Jethro, en choisit <small>LXX</small> pour -gouverner avec luy le peuple -d’Israël ; & que Louys XI pensa -estre accablé par la guerre du bien -public, pour n’avoir pas voulu -croire aux vieux Conseillers, que -son Pere luy avoit laissez. Non les -ignorans, puis que, comme dit Seneque, -<a id="FNanchor_270" href="#Footnote_270" class="fnanchor">[270]</a><i lang="la" xml:lang="la">paucis ad bonam mentem opus -est literis</i>, & que suivant l’opinion -de Thucydides les esprits grossiers -sont plus propres à gouverner -des peuples, que ceux qui sont -plus subtils & épurez ; les grands -esprits ayant cela de propre qu’ils -sont plus portez à innover qu’à -negotier, <i lang="la" xml:lang="la">novandis quàm gerendis rebus -aptiora</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Curt. l. 4.</span>) à dépendre -qu’à conserver, à poursuivre leur -pointe avec obstination qu’à ceder -ou s’accommoder à la necessité des -affaires, & à traitter enfin avec des -Anges ou intelligences, qu’avec -des hommes, <a id="FNanchor_271" href="#Footnote_271" class="fnanchor">[271]</a><i lang="la" xml:lang="la">quod enim celeriter arripiunt, -id quum tardè percipi vident discruciantur</i>. -(<span lang="la" xml:lang="la">Cic. pro Roscio.</span>) Non -les lettrez, veu que <a id="FNanchor_272" href="#Footnote_272" class="fnanchor">[272]</a><i lang="la" xml:lang="la">Imperator Alexander -consiliis togæ & militiæ literatos -adhibebat, & maxime eos qui historiam -norant</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Lamprid. in eo.</span>) -joint que le Cardinal de Richelieu -a esté tiré du fond de sa Bibliotheque -pour gouverner la -France. Non les Philosophes, à -cause de Xenophon, Seneque & -Plutarque. Non les Medecins, puis -que Oribase par ses bons conseils -& avis éleva Julien à l’Empire, -que Apollophanes estoit chef du -Conseil d’Antiochus, qu’Estienne -fut envoyé par l’Empereur Justinien -à Cosroës, que Jacques Cottier -& Olivier le Dain furent des principaux -Conseillers de Louys XI, -le Pere de Monsieur le Chancelier -de l’Hospital de Charles de -Bourbon, & Monsieur Miron du -Roy Henry III. Non les Moines -à cause du Pere Paul de Venise, -ny pour finir, telles autres sortes -de personnes que ce soit, pourveu -qu’elles ayent les conditions -que nous expliquerons cy-aprés ; -<a id="FNanchor_273" href="#Footnote_273" class="fnanchor">[273]</a><i lang="la" xml:lang="la">magna enim ingenia sæpe in occulto -latent</i>, comme disoit Plaute, (<i lang="la" xml:lang="la">in -Capt.</i>) & la Prudence & Sagesse -ne fait point choix de personnes, -elle habite aussi-bien dans le tonneau -de Diogenes, aux écoles, -sous un froc, & sous des méchans -haillons, que parmy les delices & -somptuositez d’un Palais. Tant -s’en faut, <a id="FNanchor_274" href="#Footnote_274" class="fnanchor">[274]</a><i lang="la" xml:lang="la">nescio quomodo factum est, -ut semper bonæ mentis soror sit paupertas</i>.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_266" href="#FNanchor_266"><span class="label">[266]</span></a> Un jardinier même a dit souvent de bonnes -choses.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_267" href="#FNanchor_267"><span class="label">[267]</span></a> Commettoit quelquefois l’administration -de ses affaires à des gens inconnus.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_268" href="#FNanchor_268"><span class="label">[268]</span></a> Les cheveux blancs sont les marques de -l’âge, & non de la sagesse.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_269" href="#FNanchor_269"><span class="label">[269]</span></a> Qu’il ne faut pas -attendre le progrés de l’âge d’une extraordinaire -vertu.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_270" href="#FNanchor_270"><span class="label">[270]</span></a> Un bon esprit n’a pas besoin de beaucoup -de lettres.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_271" href="#FNanchor_271"><span class="label">[271]</span></a> Car ils enragent de voir aller lentement -ce qu’ils ont entrepris avec precipitation.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_272" href="#FNanchor_272"><span class="label">[272]</span></a> L’Empereur Alexandre employoit aux conseils -de la robe & de la guerre des hommes -lettrez, & particulierement ceux qui sçavoient -l’histoire.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_273" href="#FNanchor_273"><span class="label">[273]</span></a> Car il arrive souvent que les grands esprits -demeurent cachez.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_274" href="#FNanchor_274"><span class="label">[274]</span></a> Je ne sçay comment il est -arrivé que la pauvreté soit toujours la sœur & -la compagne du bon esprit.</p> -</div> -<p>Or les conditions que le Ministre -doit apporter & contribuer -du sien au service de son Prince, -ne se peuvent expliquer qu’assez -difficilement. C’est ce qui a fait -suer tant d’écrivains, ce qui a ouvert -la carriere à tant de discours, -& ce qui a produit tant de livres -sur l’idée, l’exemple & la parfaite -description du bon Conseiller, du -fidele Ministre, du prudent Politique, -& de l’homme d’Estat, -quoy que tous ces auteurs ayent -plutost ressemblé aux Archers de -Diogenes, qui sembloyent tirer -au plus loing du but, qu’à Ciceron -en son livre de l’Orateur, ou -à Xenophon en son Prince. Pour -moy qui n’ay pas entrepris comme -eux de publier un gros livre -de toutes les vertus, sous ombre -de trois ou quatre qui sont necessaires -à un Ministre, je diray -premierement : Que je le veux -estre tel en effect qu’il sera en predicament, -connu du Prince, & -choisi de luy-même par la seule -consideration de ses merites, sans -autre recommendation que de sa -propre vertu, <a id="FNanchor_275" href="#Footnote_275" class="fnanchor">[275]</a><i lang="la" xml:lang="la">virtute enim ambire -oportet non favitoribus</i>. Beaucoup -qui viennent sur le theatre -du monde pour entrer aux honneurs -& confidences, y paroissent -bien souvent revestus d’ornemens -empruntez, de faveurs, d’amis, -d’argent, de sollicitations & poursuites -ambitieuses, ils s’y presentent -comme la Corneille d’Esope -couverts des plumes d’autruy, & -font parade de ce qui n’est pas à -eux, pour obtenir ce qu’ils ne meritent -pas ; mais leur nudité paroist -toujours à travers de ces habits, -qu’ils n’ont que par emprunt, & -qui les expose aussitost à la honte -sur le propre Theatre de la gloire. -Il faut doncques qu’un homme -qui se veut maintenir en credit -& en reputation jusques à la -fin, entre & penetre dans le credit -& la bonne opinion de son -Maistre, orné comme l’estoit Hippias -Eleus de vestemens faits de -sa main, de sçavoir, de prudence, -de vertu, de merite, de courage, -bref de choses qui soient de son -propre creu : il faut que comme -le Soleil il produise du dedans la -lumiere qu’il éclaire au dehors, -de peur qu’il ne ressemble à la -Lune, qui n’ayant ce qui la fait -luire que par emprunt, monstre -bien-tost sa defaillance. Mais parce -que ce n’est rien de parler des -merites en general, si l’on ne determine -en particulier, quelles -sont les vertus qui les composent ; -je croy qu’on les peut toutes rapporter -à trois principales, sçavoir -la Force, la Justice, & la Prudence. -Sur lesquelles je me veux un -peu étendre, pour les expliquer -d’une façon moins triviale -& commune que celle des écoles.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_275" href="#FNanchor_275"><span class="label">[275]</span></a> Car il faut aspirer aux charges par la vertu -& non pas par le moyen des fauteurs.</p> -</div> -<p>Par la force j’entens certaine -trempe & disposition d’esprit toujours -égale en soy, ferme, stable, -heroïque, capable de tout voir, -tout oüir, & tout faire, sans se -troubler, se perdre, s’étonner ; -laquelle vertu se peut facilement -acquerir en faisant des continuelles -reflexions sur la condition de -nostre nature foible, debile, & -sujette à toutes sortes de maladies -& d’infirmitez, sur la vanité des -pompes & honneurs de ce monde ; -sur la foiblesse & imbecillité -de nostre esprit ; sur les changemens -& revolutions des affaires ; -sur les diverses faces & metaschematismes -du Ciel & de la terre ; -sur la diversité des opinions, des -sectes, des religions, sur le peu de -durée de toutes choses ; bref sur -les grands avantages qu’il y a de -fuïr le vice & de suivre la vertu. -Aussi est-ce à peu prés comme l’a -décrite Juvenal par ces beaux vers -de sa <small>X</small>. Satyre.</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_276" href="#Footnote_276" class="fnanchor">[276]</a>Fortem posce animum, mortis terrore vacantem,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Qui spatium vitæ extremum inter munera ponat</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Naturæ, qui ferre queat quoscunque dolores,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Nesciat irasci, cupiat nihil, & potiores</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Herculis ærumnas ducat sævosque labores</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Et Venere, & plumis, & cœnis Sardanapali.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_276" href="#FNanchor_276"><span class="label">[276]</span></a> Demandez un esprit qui soit gueri des -craintes de la mort, qui mette au rang des -presens de la Nature le dernier terme de la vie, -qui puisse endurer toutes sortes de fatigues, -qui ne se fasche point, qui ne desire rien, & -qui estime davantage les peines d’Hercule, & -ses longs travaux, que les delices, les festins, & -les plumes (<i>licts</i>) de Sardanapale.</p> -</div> -<p class="noindent">Monsieur le Chancelier de l’Hospital -qui estoit pourveu de cette -force d’esprit autant qu’aucun autre -de ceux qui l’ont precedé ou -suivy, la décrivoit encore plus -brievement, quoy qu’en termes -beaucoup plus hardis, desquels -même il avoit composé sa devise, -<a id="FNanchor_277" href="#Footnote_277" class="fnanchor">[277]</a><i lang="la" xml:lang="la">si fractus illabatur orbis impavidum -ferient ruinæ</i>. Arriere doncques de -ce Ministere tant d’esprits foibles -& effeminez, tant d’ames coüardes -& pusillanimes, qui s’épouvantent -des premieres difficultez, qui -fuyent à la moindre resistance, & -qui perdent l’esprit lors qu’on leur -parle de quelque grande resolution. -Je veux un esprit d’Epictete, -de Socrates, d’Epicure, de -Seneque, de Brutus, de Caton, & -pour me servir d’exemples plus familiers, -du Pere Paul, du Cardinal -d’Ossat, du President Janin, -de V. Eminence, de Ferrier, & de -quelques autres de pareille marque. -Je veux qu’il ait les bonnes -maximes de Philosophie dans la -teste non pas sur les levres ; qu’il -connoisse la nature en son tout & -non pas en quelque partie ; qu’il -vive dans le monde comme s’il -en estoit dehors, & au dessous -du Ciel comme s’il estoit au dessus, -afin qu’il ne puisse pas seulement -comme les Gaulois apprehender -la ruine de cette grande -machine, je veux qu’il s’imagine -de bonne heure que la Cour -est le lieu du monde où il se -dit & fait plus de sottises, où -les amitiés sont plus capricieuses -& interessées, les hommes plus -masquez, les maistres moins affectionnez -à leurs serviteurs, & la -fortune plus folle & aveugle ; afin -qu’il s’accoustume aussi de bonne -heure à ne se point scandaliser -de toutes ces extravagances. -Je veux enfin qu’il puisse regarder -<a id="FNanchor_278" href="#Footnote_278" class="fnanchor">[278]</a><i lang="la" xml:lang="la">oculo irretorto</i> ceux qui seront -plus riches, & moins dignes -de l’estre que luy, qu’il se -picque d’une pauvreté genereuse, -d’une obstination au bien, d’une -liberté Philosophique mais pourtant -civile, qu’il ne soit au monde -que par accident, à la Cour -que par emprunt, & au service -d’un Maistre que pour s’en acquiter -honnestement. Or quiconque -aura cette premiere, universelle, -& generale disposition, qui -conduit l’homme à une apathie, -franchise, & bonté naturelle, il -aura par même moyen la fidelité, -<a id="FNanchor_279" href="#Footnote_279" class="fnanchor">[279]</a><i lang="la" xml:lang="la">optimum enim quemque fidelissimum -puto</i>, disoit fort bien Pline -en parlant à l’Empereur Trajan ; -& cette fidelité ne sera pas commune, -bridée de certaines circonstances, -& assujettie à diverses -considerations de nos interests -particuliers, des personnes, de la -fin des affaires, & de mille autres, -mais une fidelité telle que -doit avoir un galand homme, pour -servir celuy à qui il la promettra -envers tous & contre tous, sans -exception de lieu, de temps, ny de -personnes. C’est ainsi que C. Blosius -servoit son amy Tiberius Gracchus, -(<i lang="la" xml:lang="la">Valer. Max. lib. <span class="rm">4</span>. cap. <span class="rm">7</span>.</i>) & le Pere -du Chancelier de l’Hospital son -maistre Charles de Bourbon, duquel -se trouvant Medecin & Confident -lors de sa disgrace & persecution, -il ne l’abandonna jamais, le -suivant en habit déguisé, participant -à toutes ses infortunes, le -secondant en tous ses desseins -contre le Roy, contre l’Empereur -& contre Rome, les Cardinaux -& le Pape même. Action que son -fils ce grand Chancelier de France -a tellement estimée, qu’il l’a -bien voulu placer comme la plus -remarquable de sa famille, en -teste de son Testament. Il faut -doncques qu’un affectionné Ministre -soit premierement & principalement -garny de fidelité, & -que lors qu’il sera besoin de la témoigner, -il dise librement,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_280" href="#Footnote_280" class="fnanchor">[280]</a>Huic ego nec rerum metas nec tempora pono,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Obsequium sine fine dedi.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_277" href="#FNanchor_277"><span class="label">[277]</span></a> Si le monde se bouleversoit, ses ruïnes me -fraperoient, sans que j’en fusse épouventé.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_278" href="#FNanchor_278"><span class="label">[278]</span></a> D’un œuil droit & non de travers.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_279" href="#FNanchor_279"><span class="label">[279]</span></a> Car j’estime que le plus homme de bien est aussi le -plus fidelle.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_280" href="#FNanchor_280"><span class="label">[280]</span></a> Je ne mets point icy de bornes, & n’y limite -point de temps, j’ay témoigné une obeïssance -sans fin.</p> -</div> -<p class="noindent">Il faut aussi qu’il soit dégagé d’ambition, -d’avarice, de convoitise & -de tout autre desir, que de bien -servir son Maistre dans l’estat d’une -fortune mediocre, honneste, & -capable de le delivrer luy & ses -plus proches parens, d’envie & de -necessité. Car s’il commence une -fois à aller au plus à se vouloir avancer -dans les charges & dignitez, -il ne se pourra pas faire qu’il ne -prefere son bien propre à celuy de -son Maistre, & qu’il ne se serve -premier que luy ; & cela estant, -c’est ouvrir la porte à l’infidelité, -perfidie & trahison, il n’y aura plus -de secret qu’il ne découvre, plus -de conseil qu’il n’évente, plus de -resolution qu’il ne declare, plus -d’ennemy qu’il ne courtise, bref</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_281" href="#Footnote_281" class="fnanchor">[281]</a>Publica privatis postponet commoda rebus.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_281" href="#FNanchor_281"><span class="label">[281]</span></a> Il preferera son profit particulier au bien -public.</p> -</div> -<p class="noindent">S’il desire la grandeur de son -Maistre ce ne sera que pour avancer -la sienne, à laquelle s’il ne peut -parvenir en le servant avec fidelité, -il ne fera point de doute de le deservir, -de le vendre & livrer à ses -ennemis pour satisfaire à son ambition, -ou à son avarice demesurée,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_282" href="#Footnote_282" class="fnanchor">[282]</a>Namque ubi avaritia est habitant ferme omnia ibidem</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Flagitia, impietas, perjuria, furta, rapinæ,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Fraudes atque doli, insidiæque & proditiones.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Paling. in Sagit.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_282" href="#FNanchor_282"><span class="label">[282]</span></a> Car là où est l’avarice, tous les autres -vices y habitent aussi, l’impieté, le parjure, -le vol, la rapine, les fraudes & tromperies, les -embusches & les trahisons.</p> -</div> -<p>C’est ce que pratiqua autrefois Stilico, -quand pour s’acquerir l’amitié -d’Alaric Roy des Gots, & s’appuyer -de son secours pour se saisir -de l’Empire d’Orient, il fit une -paix honteuse avec luy & obligea -l’Empereur de luy payer tribut -sous le nom de pension ; & Pierre -des Vignes Chancelier de Frederic -II, fut à bon droit privé de la -veuë, pour avoir noüé une intelligence -trop secrete avec le Pape -Alexandre III, ennemy capital de -son Maistre. Ce fut encore pour -la même cause que le Cardinal -Balue demeura XII ans resserré -dans la Tour des Loches sous le -Regne de Louys XI, & que le Cardinal -du Prat décheut de sa faveur, -& fut long-temps en prison pendant -celuy de François I. Cette -même force & disposition d’esprit -defend aussi à nostre Ministre -d’estre trop credule ou superstitieux, -& bigot : Car bien que <a id="FNanchor_283" href="#Footnote_283" class="fnanchor">[283]</a><i lang="la" xml:lang="la">credulitas error -sit magis quam culpa, & -quidem in optimi cujusque mentem facillimè -obrepat</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Cic. l. 1. ep. 23.</span>) -c’est toutefois le propre d’un homme judicieux -& bien sensé, de ne -rien croire <a id="FNanchor_284" href="#Footnote_284" class="fnanchor">[284]</a><i lang="la" xml:lang="la">nisi quod in oculos incurret</i> ; -(<span lang="la" xml:lang="la">Senec. de Ira.</span>) au moins Palingenius -est d’avis qu’il faut -ainsi faire, crainte d’estre trompé, -parce que</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_285" href="#Footnote_285" class="fnanchor">[285]</a>Qui facilis credit facilis quoque fallitur idem.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_283" href="#FNanchor_283"><span class="label">[283]</span></a> La credulité soit plutost une erreur qu’une -faute, & qu’elle s’empare facilement des meilleurs -naturels.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_284" href="#FNanchor_284"><span class="label">[284]</span></a> Que ce qu’il void de ses yeux.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_285" href="#FNanchor_285"><span class="label">[285]</span></a> Qui croit facilement se laisse aussi facilement -tromper.</p> -</div> -<p class="noindent">Et comme nous avons dit cy-dessus, -qu’il y avoit quatre ou cinq -moyens d’attraper ou tromper les -trop credules & superstitieux, aussi -faut-il que celuy qui se mesle de -les pratiquer, ne soit pas si sot que -de s’y laisser prendre par d’autres -qui s’en voudroient servir contre -luy-même. Joint qu’à un Ministre -qui aura l’esprit assez bas pour le -ravaler & soumettre à la creance -de tant de fables, impostures, faux -miracles, tromperies, & charlataneries -qui se font ordinairement, -ne pourra pas donner grande esperance -de bien reüssir en beaucoup -d’affaires où il faut gaillardement -enjamber par dessus toutes ces folies. -Les souplesses d’Estat, les artifices -des Courtisans, les menées -& pratiques de quelques avisez -Politiques, trompent aisément un -homme plongé dans des devotions -excessives & superstitieuses. -La prediction d’un devin, le croassement -d’un corbeau, la rencontre -d’un maure, un faux bruit, quelque -vau de ville, tromperie, ou -superstition, luy feront perdre -l’escrime, l’étonneront, & le reduiront -à prendre quelque party -honteux & deshonneste ; A quoy -s’il est tant soit peu porté de sa nature, -la superstition sœur germaine -de cette grande credulité, l’y -plongera tout à fait, & luy ostera -si peu de jugement qui luy pouvoit -rester. <a id="FNanchor_286" href="#Footnote_286" class="fnanchor">[286]</a><i lang="la" xml:lang="la">Occentus soricis auditus -Fabio Maximo dictaturam, C. Flaminio -magisterium equitum deponendi causam -præbuit.</i> (<span lang="la" xml:lang="la">Val. Max. l. 1. cap. 10.</span>) -Elle luy ravira le repos du corps, -& la fermeté, constance, & resolution -de l’esprit ; <a id="FNanchor_287" href="#Footnote_287" class="fnanchor">[287]</a><i lang="la" xml:lang="la">superstitione enim -qui est imbutus quiescere nunquam potest</i> : -(<span lang="la" xml:lang="la">Cicero de fin. l. 1.</span>) elle l’assujettira -à mille terreurs paniques, -& luy fera craindre & redouter,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i1 i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_288" href="#Footnote_288" class="fnanchor">[288]</a>Nihilo metuenda magis, quàm</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Quæ pueri in tenebris pavitant, finguntque futura.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_286" href="#FNanchor_286"><span class="label">[286]</span></a> Le chant d’une souris fut cause que Fabius -Maximus se démit de la Dictature, & Caius -Flaminius de la charge de Colonel de la Cavalerie.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_287" href="#FNanchor_287"><span class="label">[287]</span></a> Car quiconque est imbu de superstition, -il luy est impossible de reposer.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_288" href="#FNanchor_288"><span class="label">[288]</span></a> Des choses qui ne sont non plus à craindre que celles -dont les enfans ont peur dans les tenebres, -& qu’ils s’imaginent devoir arriver.</p> -</div> -<p class="noindent">Elle luy fera commettre plus de -pechez qu’il n’en est defendu aux -dix commandemens, & se frottant -les yeux avec de l’eau benite, ou -touchant la chape d’un Prestre, il -pensera effacer toutes les mauvaises -actions de sa vie : <a id="FNanchor_289" href="#Footnote_289" class="fnanchor">[289]</a><i lang="la" xml:lang="la">sic errore -quodam mentis famulatur impietati</i> ; -(<span lang="la" xml:lang="la">Paschas. de virtut.</span>) elle luy fera -trouver des scrupules où il n’y -en a point, & auparavant que de -conclure une affaire, il en voudra -parler cent fois à un confesseur. -Il luy revelera le conseil de -son Prince, le soumettra à sa censure, -l’examinera suivant toutes les -regles des Casuistes, & à la fin <a id="FNanchor_290" href="#Footnote_290" class="fnanchor">[290]</a><i lang="la" xml:lang="la">ea -quæ Dei sunt audacter excludet, ut sua -tantùm admittat</i> ; bref elle le rendra -sot, impertinent, stupide, méchant, -incapable de rien voir, de -rien faire, de rien juger ou examiner -à propos, & capable seulement -de causer la perte & la ruine totale -de quiconque se servira de luy, -& la sienne propre, puis que <a id="FNanchor_291" href="#Footnote_291" class="fnanchor">[291]</a><i lang="la" xml:lang="la">superstitione -quisquis illaqueatus est, non -potest effugere proximas miserias, ipsa -sibi superstitio supplicium est, dum quæ -non sunt mala hæc fingit esse talia, & -quæ sunt mediocria mala, hæc maxima -facit ac lethalia</i>. Il ne faut point -tant de mysteres & de ceremonies -pour estre homme de bien, -Lycurgue fut estimé tel quoy -qu’il eust retranché beaucoup de -choses superflues & inutiles à la -Religion. Le vieux Caton passoit -pour le plus vertueux de Rome, -encore qu’il se fust mocqué de -celuy qui prenoit pour mauvais -augure que les souris eussent rongé -ses chausses, & qu’il luy eust -dit, <a id="FNanchor_292" href="#Footnote_292" class="fnanchor">[292]</a><i lang="la" xml:lang="la">non esse illud monstrum quod arrosæ -sint à soricibus caligæ, sed verè monstrum -habendum fuisse si sorices à caligis -roderentur</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">D. August. de Doct. -Christian.</span>) Luculle ne fut estimé -impie pour avoir combatu Triganes -un jour que le Calendrier -Romain marquoit pour malheureux ; -ny Claudius pour avoir -méprisé les auspices des poulets ; -non plus que Lucius Æmilius -Paulus pour avoir le premier commencé -d’abatre & ruiner les Temples -d’Isis & de Serapis. D’où l’on -peut conjecturer que la superstition -est le vray caractere d’une -ame foible, rampante, effeminée, -populaire, & de laquelle tout -esprit fort, tout homme resolu, -tout bon Ministre doit dire, comme -faisoit Varron de quelque autre -chose qui ne valoit pas mieux,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_293" href="#Footnote_293" class="fnanchor">[293]</a>Apage in directum à domo nostra istam insanitatem.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(in Eumenidib.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_289" href="#FNanchor_289"><span class="label">[289]</span></a> Et ainsi par l’erreur de l’entendement on -se rend esclave de l’impieté.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_290" href="#FNanchor_290"><span class="label">[290]</span></a> Il rejettera hardiment -les choses qui sont de Dieu pour admettre -les sienes propres.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_291" href="#FNanchor_291"><span class="label">[291]</span></a> Quiconque est enlassé dans la superstition, -il ne peut pas éviter les miseres qui luy panchent -sur la teste ; sa superstition luy est un supplice, -lors qu’il s’imagine mauvaises des choses -qui ne le sont pas ; & qu’il fait grands & mortels -les maux qui ne sont que mediocres.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_292" href="#FNanchor_292"><span class="label">[292]</span></a> Que ce n’estoit pas un prodige que les -souris eussent rongé des chausses, mais que c’en -seroit veritablement un si des chausses rongeoient -des souris.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_293" href="#FNanchor_293"><span class="label">[293]</span></a> Chassons de nostre maison cette folie.</p> -</div> -<p>La seconde vertu qui doit servir -de base & de fondement aux -merites & à la bonne renommée -de nostre Conseiller, c’est la Justice ; -de laquelle si nous voulions -expliquer toutes les parties, il la -faudroit comparer à une grosse -tige qui produit trois branches, -dont l’une monte à Dieu, l’autre -s’étend vers soy-même, & la tierce -vers le prochain ; & chacune -desdites branches produit encore -divers petits rameaux que je n’expliqueray -point en particulier, -m’estant assez de prendre les choses -en gros, & non en détail. C’est -pourquoy je mettray le principal -fondement de cette justice à estre -homme de bien, à vivre suivant -les loix de Dieu & de la Nature, -noblement, philosophiquement, -avec une integrité sans fard, une -vertu sans art, une religion sans -crainte, sans scrupule, & une ferme -resolution de bien faire, sans -autre respect & consideration, que -de ce qu’il faut ainsi vivre, pour -vivre en homme de bien & d’honneur,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_294" href="#Footnote_294" class="fnanchor">[294]</a>Oderunt peccare boni virtutis amore.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_294" href="#FNanchor_294"><span class="label">[294]</span></a> Les gens de bien haïssent le vice pour -l’amour de la vertu.</p> -</div> -<p class="noindent">Mais d’autant que cette justice -naturelle, universelle, noble & -philosophique, est quelquefois -hors d’usage & incommode dans -la pratique du monde, où <a id="FNanchor_295" href="#Footnote_295" class="fnanchor">[295]</a><i lang="la" xml:lang="la">veri -juris germanæque justitiæ solidam & -expressam effigiem nullam tenemus, -umbris & imaginibus utimur</i>. Il faudra -bien souvent se servir de l’artificielle, -particuliere, politique, -faite & rapportée au besoin & à la -necessité des Polices & Estats, puis -qu’elle est assez lâche & assez molle -pour s’accommoder comme la regle -Lesbienne à la foiblesse humaine -& populaire, & aux divers -temps, personnes, affaires & accidens : -Toutes lesquelles considerations -nous obligent bien souvent à -plusieurs choses que la justice naturelle -rejetteroit & condamneroit -absolument. Mais quoy, il faut vivre -comme les autres, & parmy -tant de corruptions, celuy qui en -a le moins doit passer pour le meilleur, -<a id="FNanchor_296" href="#Footnote_296" class="fnanchor">[296]</a><i lang="la" xml:lang="la">beatus qui minimis urgetur</i> ; -entre tant de vices on en peut bien -quelquefois legitimer un ; & parmy -tant de bonnes actions en déguiser -quelqu’une. C’est doncques -une maxime, que comme entre les -lances celles-là sont estimées les -meilleures, qui sont les plus souples, -aussi entre les Ministres, on -doit priser davantage ceux qui -sçavent le mieux plier, & s’accommoder -aux diverses occurrences, -pour venir à bout de leurs -desseins, imitant ainsi le Dieu -Vertumnus qui disoit dans Properce :</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_297" href="#Footnote_297" class="fnanchor">[297]</a>Opportuna mea est cunctis natura figuris,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">In quamcunque voles verte decorus ero.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_295" href="#FNanchor_295"><span class="label">[295]</span></a> Nous n’avons aucune -solide & expresse effigie du vray droit, & de -la veritable justice, nous nous servons seulement -de leurs ombres.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_296" href="#FNanchor_296"><span class="label">[296]</span></a> Bienheureux est celuy qui est travaillé des -plus petites.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_297" href="#FNanchor_297"><span class="label">[297]</span></a> Ma nature est propre à prendre toutes sortes -de figures, donnez moy celle que vous voudrez, -je seray beau sous chacune.</p> -</div> -<p class="noindent">Qu’il se souvienne seulement d’observer -toujours ces deux preceptes, -le premier de conjoindre & -assembler autant qu’il luy sera possible -l’utilité & l’honnesteté, l’envisageant -toujours & la costoyant -le plus prés qu’il luy sera possible : -l’autre de ne servir jamais d’instrument -à la passion de son Maistre, -& de ne rien proposer ny conclure, -qu’il ne juge luy-même estre -necessaire pour la conservation -de l’Estat, le bien du peuple, ou -le salut du Prince, demeurant à -couvert pour ce qui sera du reste -sous ce bon avis de Plutarque, <i>Que -bien souvent pour faire la justice il ne -faut pas tout ce qui est juste</i>. (Livre de -la curiosité.)</p> - -<p>Enfin la troisiéme & derniere -partie qui doit composer & perfectionner -nostre Ministre, est la -Prudence, Vertu si necessaire à un -homme de cette qualité, qu’il ne -peut en aucune façon s’en passer, -veu que comme nous enseigne -Aristote, <a id="FNanchor_298" href="#Footnote_298" class="fnanchor">[298]</a><i lang="la" xml:lang="la">prudentia & scientia civilis -iidem sunt animi habitus</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">l. 6. Eth. -c. 8.</span>) & qu’au reste elle est si -puissante qu’elle seule domine & -gouverne les trois temps de nostre -vie, <a id="FNanchor_299" href="#Footnote_299" class="fnanchor">[299]</a><i lang="la" xml:lang="la">dum præsentia ordinat, futura -prævidet, præterita recordatur</i> : si universelle -qu’elle comprend sous soy -toutes les autres vertus, circonstances, -& observations que nous pouvons -faire icy de la science, modestie, -experience, conduitte, retenuë, -discretion, & particulierement -de ce que les Italiens appellent -<i lang="it" xml:lang="it">Segretezza</i> par un terme qui -leur est propre. Juvenal (<i lang="la" xml:lang="la">Sat. X.</i>) -ayant fort bien dit que</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_300" href="#Footnote_300" class="fnanchor">[300]</a>Nullum numen abest si sit prudentia :</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_298" href="#FNanchor_298"><span class="label">[298]</span></a> La prudence & la science civile sont les -mêmes habitudes d’un esprit.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_299" href="#FNanchor_299"><span class="label">[299]</span></a> Lors qu’elle -ordonne pour le present, prevoit l’avenir & se -souvient du passé.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_300" href="#FNanchor_300"><span class="label">[300]</span></a> La fortune ne manque jamais là où il y a -de la prudence.</p> -</div> -<p class="noindent">Neanmoins comme plusieurs choses -sont requises pour former l’or, -qui est le Roy des Metaux, la -preparation de la matiere, la disposition -de la Terre, la chaleur -du Soleil, la longueur du temps ; -aussi pour former cette Prudence, -la Reyne des vertus politiques, -l’or des Royaumes, le thresor des -Estats, il faut de grandes aides, -& des avantages tres-heureux ; la -force de l’esprit, la solidité du jugement, -la pointe de la raison, la -docilité pour apprendre, l’instruction -receuë des grands personnages, -l’estude des sciences, la connoissance -de l’histoire, l’heureuse -memoire des choses passées, sont -les dispositions pour y parvenir : -la saine consultation, la connoissance -& consideration des circonstances, -la prevoyance des effets, -la precaution contre les empeschemens, -la prompte expedition, sont -les belles actions qu’elle produit ; -& enfin le repos des peuples, le -salut des Estats, le bien commun -des hommes, sont les fruits divins -que l’on en recueille. Mais encore -n’est-ce rien dire, si nous n’ajoustons -quels sont les lignes, par -lesquels on peut juger du progrez -que quelqu’un aura fait en l’acquisition -de ce thresor, & s’il est -veritablement assez sage & prudent -pour seconder un Prince en -l’administration de son Estat. Or -entre plusieurs que l’on en peut -donner, je proposeray ceux-cy -comme les plus ordinaires & communs, -sçavoir tenir secret ce qu’il -n’est à propos de dire, & parler -par necessité plutost que par ambition, -ne croire trop promptement -ny à toutes sortes de personnes, -estre plus prompt à donner -ce qui est à soy qu’à demander -ce qui appartient à autruy, -examiner bien les choses auparavant -que d’en juger, ne médire -de personne, excuser les fautes, & -defendre la renommée d’un chacun, -ne mépriser personne, non -pas même les moindres : Honorer -les hommes selon leurs merites -& qualitez, donner plus de -loüange à ses compagnons qu’à -soy-même, servir & entretenir ses -amis, demeurer ferme & constant -parmy leurs adversitez, ne changer -de dessein & de resolution sans -quelque grand sujet, deliberer à -loisir & executer gayement & avec -diligence, ne s’émerveiller de ce -qui est extraordinaire, ny se mocquer -de personne, mais sur tout -épargner les pauvres & ses amys, -n’envier la loüange à ceux qui la -meritent, non pas même à ses ennemis, -ne parler sans sçavoir, ne -donner conseil qu’à ceux qui le -demandent, ne faire l’entendu en -ce qui n’est pas de sa profession, & -ne parler de ce qui en est qu’avec -modestie & sans jactance & affectation, -comme faisoit Piso, duquel -Vell. Paterc. a dit, <a id="FNanchor_301" href="#Footnote_301" class="fnanchor">[301]</a><i lang="la" xml:lang="la">quæ agenda sunt -agit sine ulla ostentatione agendi</i> ; avoir -plus d’effets que de paroles, plus de -patience que de violence, desirer -plutost le bien que le mal à ses -ennemis, plutost perdre que plaider, -n’estre cause d’aucun trouble -ny remuement, finalement aymer -Dieu, servir son prochain, & ne -souhaitter la mort ny la craindre. -Or ce qui m’a fait recueillir tous -ces signes si particulierement, -c’est parce que le choix d’un Ministre -est de si grande importance, -que les Princes ont grand interest -de ne s’y pas tromper, & -encore qu’il ne faille pas esperer -de les pouvoir tous rencontrer en -un homme, on ne peut toutefois -manquer de preferer celuy qui en -aura le plus. Et quand le Prince -l’aura trouvé, ce sera à faire à luy -de le bien maintenir & choier -comme un precieux thresor, parce -que si la naissance ne luy a donné -des couronnes, les couronnes toutefois -ne se peuvent passer de luy : -si la fortune ne l’a fait Roy, sa -suffisance le rend l’oracle des -Roys, & tout ce qu’il dira des -loix, ses simples paroles passeront -pour raisons, ses actions pour -exemples, & toute sa vie pour miracle.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_301" href="#FNanchor_301"><span class="label">[301]</span></a> Il fait ce qu’il faut faire sans aucune ostentation -de ses actions.</p> -</div> -<p>Aprés avoir expliqué ce qui -est du devoir du Ministre envers -le Prince, il nous reste à considerer, -comme en passant neanmoins, -ce que le Prince doit contribuer de -son costé, pour bien traitter avec -son Ministre, & parce qu’en matiere -de regles & preceptes, j’ay -toujours estimé avec Horace, que -les plus courts sont les meilleurs,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_302" href="#Footnote_302" class="fnanchor">[302]</a>Quicquid præcipies esto brevis ;</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_302" href="#FNanchor_302"><span class="label">[302]</span></a> Sois succinct dans tous les preceptes que -tu donneras.</p> -</div> -<p class="noindent">Je reduiray tous ceux qui me -semblent les plus necessaires en -cette occasion à trois principaux, -dont le premier sera de le traitter -en amy, non pas en serviteur, de -parler & conferer avec luy à cœur -ouvert, de ne luy rien celer de -tout ce qu’il sçaura, de luy ouvrir -une entiere confidence, & de traitter -avec luy comme il feroit avec -soy-même, sans avoir honte de -luy declarer sa foiblesse, ignorance, -imbecillité ou tel autre defaut -qu’il pourra avoir ; Ny aussi son -dépit, ses fascheries, coleres, mécontentemens, -& semblables passions, -qui le pourront tourmenter. -Et si je n’ay assez d’autorité -pour établir cette maxime, qu’on -defere au moins quelque chose à -l’avis de Seneque, <a id="FNanchor_303" href="#Footnote_303" class="fnanchor">[303]</a><i lang="la" xml:lang="la">Cogita</i>, dit-il, -<i lang="la" xml:lang="la">an tibi in amicitiam aliquis recipiendus -sit, quum placuerit id fieri, toto illum -pectore admitte, tam audacter cum illo -loquere quàm tecum</i>. C’est ce qu’il -avoit encore dit auparavant en -beaucoup moins de paroles, <a id="FNanchor_304" href="#Footnote_304" class="fnanchor">[304]</a><i lang="la" xml:lang="la">tu -omnia cum amico delibera, sed de illo -prius</i>. Que si l’autorité d’un si -grand homme a besoin d’estre appuyée -& soustenue par quelques -raisons, T. Live nous en fournira -une tres-puissante & valable, -<a id="FNanchor_305" href="#Footnote_305" class="fnanchor">[305]</a><i lang="la" xml:lang="la">vult sibi quisque credi, & habita fides -ipsam fidem obligat</i> : les experimentez -Chymistes tiennent que -pour faire de l’or on ne se doit servir -que de l’or même,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_306" href="#Footnote_306" class="fnanchor">[306]</a>Nec aliunde quæras auri primordia, in auro</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Semina sunt auri, quamvis abstrusa recedant</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Longius, & multo nobis quærenda labore.</div> -</div> - -<p class="attr" lang="la" xml:lang="la">(Augurel.)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_303" href="#FNanchor_303"><span class="label">[303]</span></a> Pense s’il te faut recevoir quelcun en -ton amitié, & quand tu l’auras voulu faire, -admets l’y de tout ton cœur, & luy parle -aussi hardiment qu’à toi-même.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_304" href="#FNanchor_304"><span class="label">[304]</span></a> Delibere -de toutes choses avec ton amy ; mais delibere -premierement d’en avoir un tel qu’il -faut.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_305" href="#FNanchor_305"><span class="label">[305]</span></a> Un chacun veut qu’on se fie à luy, & la -confiance que nous avons en quelcun l’oblige -à se confier en nous & à nous estre fidelle.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_306" href="#FNanchor_306"><span class="label">[306]</span></a> Ne cherche point ailleurs l’origine de l’or ; -l’or contient les semences de l’or, quoi qu’elles -nous soient fort cachées, ce qui fait que -nous sommes obligés à travailler beaucoup -pour les chercher.</p> -</div> -<p class="noindent">Les Lapidaires épreuvent tous les -jours, qu’il se faut servir du diamant -pour en tailler & preparer -un autre ; les Oiseleurs que pour -faire bonne chasse il se faut servir -de ces oiseaux que Varro appelle, -<a id="FNanchor_307" href="#Footnote_307" class="fnanchor">[307]</a><i lang="la" xml:lang="la">illices & traditores generis sui</i> : -Les Philosophes moraux, que l’amour -ne se peut acquerir que -par une amitié & affection reciproque.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_307" href="#FNanchor_307"><span class="label">[307]</span></a> Traitres de ceux de leur -espece, & servant à les faire prendre.</p> -</div> -<div class="poetry"> -<div class="verse i">Veux-tu mon fils que t’apprenne en peu d’heure</div> -<div class="verse i">Le beau secret du breuvage amoureux ;</div> -<div class="verse i">Aime les tiens, tu seras aimé d’eux ;</div> -<div class="verse i">Il n’y a point de recepte meilleure.</div> -</div> - -<p>Comment doncques un Prince -pourra-t-il trouver de la confidence -en quelque amy, s’il ne luy en -communique auparavant de son -costé, s’il ne luy monstre ce qui -sera de son devoir en s’acquittant -du sien propre : <a id="FNanchor_308" href="#Footnote_308" class="fnanchor">[308]</a><i lang="la" xml:lang="la">Si vis me flere</i>, -disoit Horace, <i lang="la" xml:lang="la">dolendum est prius -tibi</i>. <a id="FNanchor_309" href="#Footnote_309" class="fnanchor">[309]</a><i lang="la" xml:lang="la">Cur te habebo ut Consulem, si me -non habeas ut Senatorem</i>, repliquoit -un autre ? Il faut tout ou rien, & -jouïr d’une entiere confidence, ou -n’en avoir point ; declarer aujourd’huy -une affaire, en taire -demain une autre, en entamer -quelqu’une, & ne la pas achever, -garder toujours quelque <a id="FNanchor_310" href="#Footnote_310" class="fnanchor">[310]</a><i lang="la" xml:lang="la">retentum</i>, -& ne pas tout dire, sont des -marques de défiance, d’inquietude -& d’irresolution, qui font perdre -au Ministre la visée pour ce qui est -du conseil, & l’affection pour ce -qui concerne le service.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_308" href="#FNanchor_308"><span class="label">[308]</span></a> Si tu veux que je pleure, il faut que tu -t’affliges auparavant.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_309" href="#FNanchor_309"><span class="label">[309]</span></a> Pourquoy te traiteray-je -comme un Consul, si tu ne me traites -pas comme un Senateur.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_310" href="#FNanchor_310"><span class="label">[310]</span></a> Chose de retenu.</p> -</div> -<p>La seconde chose que le Prince -doit observer envers son Ministre, -est qu’il le tienne comme amy, & -non pas comme flateur, qu’il luy -permette de parler & d’opiner librement, -d’expliquer & fortifier -son opinion, sans le contraindre -ou luy sçavoir mauvais gré de ne -point condescendre à la sienne, -<a id="FNanchor_311" href="#Footnote_311" class="fnanchor">[311]</a><i lang="la" xml:lang="la">meliora enim vulnera diligentis, quàm -oscula blandientis</i>, & puis que comme -disoit un brave Conseiller à -son Maistre, <a id="FNanchor_312" href="#Footnote_312" class="fnanchor">[312]</a><i lang="la" xml:lang="la">non potes me simul amico -& adulatore uti</i>. Si un Prince -veut estre flatté, il a assez de Gentilshommes -& Courtisans qui ne -cherchent que l’occasion de le faire, -sans y employer celuy qui doit -estre sa bouche de verité. Et celuy-là -ne peut jamais bien reüssir, <a id="FNanchor_313" href="#Footnote_313" class="fnanchor">[313]</a><i lang="la" xml:lang="la">cujus -aures ita formatæ sunt, ut aspera quæ -utilia, & nihil nisi jucundum non læsurum -accipiant</i>. (<span lang="la" xml:lang="la">Tacit. 3. hist.</span>)</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_311" href="#FNanchor_311"><span class="label">[311]</span></a> Car les blessures -d’un amy sont meilleures que les baisers d’un -flateur.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_312" href="#FNanchor_312"><span class="label">[312]</span></a> Tu ne peux pas te servir de moy comme -amy & flateur tout ensemble.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_313" href="#FNanchor_313"><span class="label">[313]</span></a> Dont les oreilles sont formées, à trouver rudes les choses -qui sont utiles, & à n’écouter rien que de plaisant, -& qui ne peut blesser.</p> -</div> -<p>Finalement comme ceux qui -demeurent quelque temps au Soleil -sont échauffez par sa chaleur ; -aussi faut-il que celuy qu’un Prince -ou Souverain approche de sa -personne, ressente les effets de son -pouvoir, & de l’amitié qu’il luy -porte par la recompense deüe à ses -services ; & quoy que la plus honorable -& glorieuse qu’il luy puisse -donner, soit de les agréer, & de s’en -declarer satisfait, <a id="FNanchor_314" href="#Footnote_314" class="fnanchor">[314]</a><i lang="la" xml:lang="la">beneficium siquidem -est reddere bonitatis verba</i>, (<span lang="la" xml:lang="la">Senec.</span>) -& suivant même l’opinion commune,</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_315" href="#Footnote_315" class="fnanchor">[315]</a>Principibus placuisse viris non ultima laus est.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_314" href="#FNanchor_314"><span class="label">[314]</span></a> Veu que c’est un bienfait, ou une recompense, -que de parler en bons termes des services -qu’on a reçus.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_315" href="#FNanchor_315"><span class="label">[315]</span></a> On ne remporte pas peu de -loüange d’avoir plu aux Princes.</p> -</div> -<p class="noindent">Il faut neanmoins passer outre, & -pratiquer à son occasion cette belle -vertu de la liberalité, en luy subministrant -les choses necessaires -pour vivre honnestement dans un -estat mediocre, & autant éloigné -de l’ambition que de la necessité. -Philippes II disoit à Ruy Gomes -son Confident serviteur, <i>faites mes -affaires & je feray les vostres</i> : Il faut -que tous les Princes en disent autant -à leurs Ministres, s’ils en veulent -estre servis avec affection & fidelité, -<a id="FNanchor_316" href="#Footnote_316" class="fnanchor">[316]</a><i lang="la" xml:lang="la">liberalitas enim commune -quoddam vinculum est, quo beneficus -& beneficio devinctus astringuntur</i>. Et -j’estime qu’il seroit encore meilleur -de les mettre promptement en repos -de ce costé-là, afin que n’ayant -plus à la teste cet horrible monstre -de pauvreté, ils apportent un esprit -entierement libre & dégagé de -toutes passions au maniement des -affaires, qui seroit le premier fruit -de cette liberalité, comme le second -d’acquerir beaucoup d’honneur -& de recommandation à celuy -qui l’auroit pratiquée, d’autant -que, selon la remarque d’Aristote, -entre tous les Princes vertueux, -<a id="FNanchor_317" href="#Footnote_317" class="fnanchor">[317]</a><i lang="la" xml:lang="la">ii fere diliguntur maximè, qui -fama & laude valent liberalitatis</i> ; & le -dernier de rendre les personnes entierement -liées au service de ceux -qui leur font du bien, veu que, suivant -le dire d’un Ancien, qui a le -premier inventé les bienfaits, il a -voulu forger des seps & des menottes, -pour enchaisner les hommes, -les captiver & traisner aprés soy.</p> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_316" href="#FNanchor_316"><span class="label">[316]</span></a> Car la liberalité -est un certain lien qui lie le bienfaiteur -& celuy qui reçoit le bienfait.</p> -</div> -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_317" href="#FNanchor_317"><span class="label">[317]</span></a> On aime particulierement ceux qui ont -le renom & la loüange d’estre les plus liberaux.</p> -</div> -<p>Voila, <span class="sc">Monseigneur</span>, tout -ce que j’avois à dire en cette matiere, -de laquelle je n’eusse jamais -voulu entreprendre de traitter, si -V. Eminence ne me l’eust commandé, -& que sa grande bonté & -facilité ne m’eussent fait esperer -une excuse favorable, de toutes -les fautes que je puis y avoir commises. -Je sçay qu’elle desiroit d’autres -forces que les miennes, une -plume plus diserte & eloquente, -une erudition plus grande, un jugement -plus fort, un esprit plus -universel : Mais nous aurions peu -de statues de Jupiter s’il n’eust esté -permis qu’à Phidias de les faire, & -Rome seroit maintenant sans peintures -& tableaux, si d’autres n’y -avoient travaillé que Michel Ange, -& Raphael d’Urbin : les bons -ouvriers ne se rencontrent pas si -souvent, que l’on se puisse passer -des mauvais, ny les grands Politiques, -que l’on ne se divertisse quelquefois -dans les écrits des moindres, -sous le titre desquels s’il plaist -à V. Eminence de recouvrir le -present discours, elle m’obligera -de songer à quelque autre de plus -longue haleine ; & j’ose bien me -promettre sous la continuation de -vostre faveur & bienveillance, que</p> - -<div class="poetry"> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la"><a id="FNanchor_318" href="#Footnote_318" class="fnanchor">[318]</a>Illa dies olim veniet (modo stamina</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Longa trahat Lachesis) quum te & tua facta canemus</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Uberius, nomenque tuum Gangetica tellus,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Et Tartessiaci resonabunt littora ponti.</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ibit Hyperboreas passim tua fama per urbes,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Et per me extremis Libyæ nosceris in oris,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Tunc ego majori Musarum percitus œstro,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Omnibus ostendam, quanto tenearis amore</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Justitiæ, sit quanta tibi pietasque fidesque,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Quantum consilio valeas & fortibus ausis,</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Quàm sis munificus, quàm clemens, denique per me</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Ingenium, moresque tuos mirabitur orbis.</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">At nunc ista tibi quæ tradimus accipe læto</div> -<div class="verse i" lang="la" xml:lang="la">Interea vultu, & præsentibus annue cœptis.</div> -</div> - -<div class="footnote"><p><a id="Footnote_318" href="#FNanchor_318"><span class="label">[318]</span></a> Le temps viendra un jour (pourveu que la -Parque fasse nostre fusée longue) que nous publierons -plus amplement les belles actions de -vostre personne ; & que vostre nom retentira -dans la terre du Gange, & sur les costes de la -mer d’Espagne. Vostre nom ira jusques aux villes -du Nord, & je vous feray connoistre dans -les extremités de la Libye. Alors poussé d’une -plus grande veine poëtique, je feray voir à -tout le monde combien vous estes amateur de -la justice, combien grande est la foy & la pieté -dont vous estes orné ; combien vous estes puissant -en conseil, & en courageuses entreprises ; -combien vous estes liberal, & clement, & enfin -je feray que toute la terre admirera vostre -esprit & vos mœurs. Mais cependant recevés ce -que je vous offre maintenant, & daignés prendre -en bonne part & favoriser la presente entreprise.</p> -</div> -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak">TABLE<br /> -des Chapitres.</h2> - - -<table summary=""> -<tr><td class="drap"><span class="i">Objections que l’on peut faire contre -ce discours, avec les réponses -necessaires.</span> Chap. I.</td> -<td class="r bot w3"><div>pag. <a href="#ch1">3</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="i">Quels sont proprement les Coups d’Estat, -& de combien de sortes.</span> Chap. II.</td> -<td class="r bot"><div><a href="#ch2">50</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="i">Avec quelles precautions, & en quelles -occasions on doit prattiquer les Coups -d’Estat.</span> Chap. III.</td> -<td class="r bot"><div><a href="#ch3">118</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="i">De quelles opinions faut-il estre persuadé -pour entreprendre des Coups d’Estat.</span> -Chap. IV.</td> -<td class="r bot"><div><a href="#ch4">213</a></div></td></tr> -<tr><td class="drap"><span class="i">Quelles conditions sont requises au Ministre -avec qui l’on peut concerter les -Coups d’Estat.</span> Chap. V.</td> -<td class="r bot"><div><a href="#ch5">283</a></div></td></tr> -</table> - -<p class="c gap g">FIN.</p> - - -<div lang='en' xml:lang='en'> -<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>CONSIDERATIONS POLITIQUES SUR LES COUPS D'ESTAT</span> ***</div> -<div style='text-align:left'> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Updated editions will replace the previous one—the old editions will -be renamed. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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Redistribution is subject to the trademark -license, especially commercial redistribution. -</div> - -<div style='margin-top:1em; font-size:1.1em; text-align:center'>START: FULL LICENSE</div> -<div style='text-align:center;font-size:0.9em'>THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE</div> -<div style='text-align:center;font-size:0.9em'>PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase “Project -Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg™ License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™ electronic works -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™ -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all -the terms of this agreement, you must cease using and return or -destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your -possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a -Project Gutenberg™ electronic work and you do not agree to be bound -by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person -or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.B. “Project Gutenberg” is a registered trademark. 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Information about the Mission of Project Gutenberg™ -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of -computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s -goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg™ and future -generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see -Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state’s laws. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, -Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up -to date contact information can be found at the Foundation’s website -and official page at www.gutenberg.org/contact -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread -public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine-readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. 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Thus, we do not -necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper -edition. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Most people start at our website which has the main PG search -facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -This website includes information about Project Gutenberg™, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. -</div> - -</div> -</div> -</body> -</html> diff --git a/old/69887-h/images/cover.jpg b/old/69887-h/images/cover.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index e24c0c6..0000000 --- a/old/69887-h/images/cover.jpg +++ /dev/null |
