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If you are not located in the United States, you -will have to check the laws of the country where you are located before -using this eBook. - -Title: Le Témoin - 1914-1916 - -Author: Jean Aicard - -Release Date: April 18, 2022 [eBook #67867] - -Language: French - -Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images - generously made available by the Bibliothèque nationale de - France (BnF/Gallica)) - -*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE TÉMOIN *** - - - - - - JEAN AICARD - de l’Académie française - - LE TÉMOIN - --1914-1916-- - - A la guerre, tout est force morale. - Napoléon. - - Courage, j’ai vaincu le monde. - Jésus-Christ. - - - PARIS - ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR - 26, RUE RACINE, 26 - Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays. - - - - -ŒUVRES DE JEAN AICARD - -Collection in-18 jésus à 3 fr. 50 le volume - - -ROMANS - - Le Pavé d’Amour 1 vol. - Roi de Camargue 1 vol. - L’Été à l’Ombre 1 vol. - L’Ame d’un Enfant 1 vol. - Notre-Dame d’Amour 1 vol. - Diamant noir 1 vol. - Fleur d’Abîme 1 vol. - Malita 1 vol. - L’Ibis bleu 1 vol. - Tata 1 vol. - Benjamine 1 vol. - Maurin des Maures 1 vol. - L’Illustre Maurin 1 vol. - - -POÉSIE - - Les jeunes Croyances 1 vol. - Rébellions, Apaisements 1 vol. - Poèmes de Provence (cour. par l’Acad. fr.) 1 vol. - La Chanson de l’Enfant (cour. par l’Acad. fr.) 1 vol. - Miette et Noré (cour. par l’Acad. fr. Prix Vitet) 1 vol. - Lamartine (cour. par l’Ac. Prix du budg.) 1 vol. - Le Livre d’heures de l’Amour 1 vol. - Visite en Hollande 1 vol. - Le Dieu dans l’Homme 1 vol. - Au Bord du Désert 1 vol. - Le Livre des Petits 1 vol. - Jésus 1 vol. - - -THÉATRE - - Au clair de la Lune (un acte en vers) 1 vol. - Pygmalion (un acte en vers) 1 vol. - Smilis (4 actes en prose, à la Comédie-Française) 1 vol. - Le Père Lebonnard (4 actes en vers représentés à la - Comédie-Française) 1 vol. - Don Juan 1 vol. - Othello, le More de Venise (5 actes en vers, représentés à la - Comédie-Française). Portrait de Mounet-Sully, par Benjamin - Constant 1 vol. 4 fr. - La Légende du Cœur (5 actes en vers représentés au Théâtre - Antique d’Orange et au Théâtre Sarah-Bernhardt) 1 vol. - Le Manteau du Roi (5 actes en vers représentés à la - Porte-Saint-Martin) 1 vol. - Théâtre, tome I. - Théâtre, tome II. - - -77572.--Imprimerie LAHURE, rue de Fleurus, 9, à Paris. - - - - -A MA SŒUR - -MADAME JACQUELINE LONCLAS - -morte le 12 juin 1915 - - - - -Chère grande sœur, - - -J’avais commencé ce poème en 1913, et je t’en ai lu les douze premiers -chants en 1914, à la veille de cette guerre, qui, toute une année, fut -ton tourment. Elle te fit dire, le jour où l’on l’apprit qu’un de nos -jeunes amis était tombé sous les balles allemandes:--«Je sacrifierais -volontiers le temps qui me reste à vivre, si ma mort pouvait sauver -pareille jeunesse!» Je sais pourtant avec quel chagrin tu te sentais -arrachée lentement à mon infinie tendresse... - -Ce poème, dont la guerre a modifié le plan, sans rien modifier des -conclusions, je te le dédie, comme je t’ai dédié tous mes ouvrages,--car -la mort ne m’a pas séparé de toi: ton âme plus que jamais inspire et -soutient la mienne. - -JEAN AICARD. - -La Garde (Var), Décembre 1915. - - - - - CE POÈME A ÉTÉ LU - POUR LA PREMIÈRE FOIS - A BORD DU CUIRASSÉ PROVENCE - EN PRÉSENCE DE MM. LES OFFICIERS RÉUNIS - LE 30 DÉCEMBRE 1915 - ET - LES DEUX STROPHES SUIVANTES - EN SOUVENIR D’UNE COMMUNE ÉMOTION - ONT ÉTÉ COMMUNIQUÉES - A L’ÉQUIPAGE - PUIS INSCRITES - DUNE FAÇON DURABLE - A BORD DU CUIRASSÉ. - - - - -AU CUIRASSÉ PROVENCE - - - TON PAVILLON ET TON CANON, - JE LES VOIS VAINQUEURS PAR AVANCE, - FIER VAISSEAU QUI PORTES LE NOM, - L’AME ET LE NOM DE LA PROVENCE. - - AME FRANÇAISE, NOM LATIN, - C’EST LÀ DEUX GRANDEURS DE L’HISTOIRE; - ELLES T’ASSIGNENT TON DESTIN: - TU VAS NAVIGUER VERS LA GLOIRE. - -J. A. - - - - -TABLE DES TITRES - - - I.--Dans le Crépuscule 1 - II.--La Rencontre 5 - III.--Les Lassitudes 7 - IV.--Dans la Nuit 11 - V.--Les Présages 15 - VI.--L’Invective 19 - VII.--Le Témoin 27 - VIII.--Christophore 31 - IX.--L’Amour 35 - X.--L’Aurore 41 - XI.--C’est le Passé 43 - XII.--La Chaîne 47 - XIII.--La Tempête 51 - XIV.--Aux Armes! 57 - XV.--Le Doute 63 - XVI.--Sous le Soleil 69 - XVII.--Vers l’Unité 73 - XVIII.--La Croisade 79 - XIX.--La grande Menace 85 - XX.--Le Miracle 91 - XXI.--Les Morts 95 - XXII.--L’Idéal 99 - XXIII.--La Bonne Lorraine 101 - XXIV.--Odeur d’Ames 103 - XXV.--Debout, les Morts! 105 - XXVI.--Le Christ Allemand 115 - XXVII.--La Vérité 121 - XXVIII.--Les Désarmés 125 - XXIX.--Force et Sérénité 131 - XXX.--Le Rouge-Gorge 137 - XXXI.--La Terre promise 139 - - - - -LE TÉMOIN - - - - -I - - - C’était l’heure où, les yeux et le cœur pleins de doute, - Le marcheur devant lui voit s’effacer sa route, - Et, serrant son bâton comme une arme en sa main, - Cherche un gîte où dormir, en espérant demain. - - C’était l’heure où l’on sent sa lassitude, l’heure - Où l’on sent mieux qu’il faut que toute chose meure; - Heure auguste, où le froid qu’exhalent les tombeaux - Mêle une inquiétude au désir du repos, - Submerge les contours et les couleurs des choses, - Et, de la plaine, aux pics neigeux, saignants et roses, - Marée étrange, monte--et, lourde de sommeil, - Couvre sur l’horizon la gloire du soleil. - - Aux temps païens, quand sur nos chemins tombait l’ombre, - Quand les astres, qui sont les figures du Nombre - Et du Rythme, un à un, s’allumaient dans le ciel, - Les dieux, termes concrets de l’immatériel, - Muses, nymphes, tritons, les grâces et les forces, - Lentement s’échappaient des rochers, des écorces, - Et des mers, pour charmer les soirs mystérieux... - - L’approche de la nuit était l’heure des dieux. - Heure infinie, affreuse et tranquille, pareille - A celle où, se parlant de Jésus, mort la veille, - Deux pèlerins, dont l’un se nommait Cléophas, - Sur la route déserte où résonnait leur pas, - Dans la lente ténèbre où, sans voir, l’œil devine, - Virent soudain près d’eux, ombre humaine et divine, - Un inconnu surgir, étrange compagnon - Dont ils sentaient l’amour sans connaître son nom. - - - - -II - - - C’était cette même heure, et, venant de la ville, - Je regagnais mon champ, la maison, mon asile, - D’un pas de plus en plus inquiet et pressé, - Quand, devant moi, parut, spectre obscur et lassé, - Un mendiant très vieux, qui portait à grand’peine, - Tout seul, toute l’horreur de la misère humaine. - Malgré l’ombre, où mourait encore un peu du jour, - Je le voyais pliant sous ce fardeau trop lourd. - Un bâton soutenait l’effort de son courage; - Et, fouettant son manteau déchiqueté par l’âge, - Sa barbe aux flots tordus semblait, drapeau vivant, - Un haillon de douleur que déchire le vent. - - - - -III - - - Un vieil usage veut, au pays de mes pères, - Que, le soir, quand les loups sortent de leurs repaires, - On souhaite la paix aux passants inconnus. - Donc, lorsque je joignis ce vieillard aux pieds nus, - Je formulai le vœu qu’un salut accompagne, - Puis j’ajoutai:--«L’orage assombrit la campagne; - Allez-vous loin, par ces chemins très écartés? - Je puis--le voulez-vous?--marcher à vos côtés.» - - --«Soyez remercié, bon passant, mais j’ignore, - Chaque soir, en quel lieu me trouvera l’aurore: - Marcher ce soir, demain, toujours, c’est mon destin; - Et j’arrive du fond d’un passé si lointain - Que ma lassitude est sans mesure; je porte - Tous les maux et l’espoir de l’humanité morte.» - - --«Vous ne m’étonnez point, car moi-même, ô passant, - Je me plains comme vous parfois; en vieillissant, - On croit porter en soi l’âme même du monde; - On sent partout la noire éternité profonde; - On a tout vu, tout lu, tout souffert, on est las, - Et le vœu de mourir alourdit tous nos pas.» - - Je dis, et regardai mon compagnon de route; - Son dos, quoique bombé comme l’arc d’une voûte, - Maintenant semblait jeune et ses pas résolus, - Et je ne sais pourquoi je ne le plaignais plus: - On l’eût dit plein de force, et que son âme seule - Portât l’expérience et l’âge d’une aïeule, - Quand son corps résistait sans peine au poids des temps. - A chaque pas, ses pieds, tout à l’heure hésitants, - Plus raffermis, semblaient prendre, par un mystère, - Un élan de jeunesse au contact de la terre. - - Il me dit:--«De quel droit un dégoût si profond? - L’œuvre lente et sans fin que de longs siècles font, - Aucun siècle n’en voit au loin toute la trame: - Un instant, joie ou peine, occupe seul votre âme, - Comme le site étroit, dans un bois spacieux, - Fourré sombre ou clairière, occupe seul nos yeux.» - - - - -IV - - - Il dit. Nous cheminions dans la longue vallée, - Sous la nuit orageuse et comme désolée. - Au ciel, pas un éclair, pas un petit point d’or; - Le mont pourtant s’y découpait plus noir encor; - Nos sentiers rocailleux, contournant la montagne, - Étaient noirs; pas un feu, dans toute la campagne, - N’annonçait la douceur des asiles humains; - Et la nuit transformait en gouffres nos chemins. - - Il dit:--«Que souffre-t-on qui soit plus qu’une peine, - Tant que l’on n’a vécu rien qu’une vie humaine?» - - --«C’est avoir tout souffert qu’avoir subi l’amour, - Dis-je; c’est l’éternel enfer en un seul jour! - Né du désir, toujours déçu, de tout connaître, - L’amour, faux prometteur de joie, attire un être - Comme l’aimant fatal attire un brin de fer. - L’amour, qui soumet l’âme aux frissons de la chair, - Et nous fait accepter l’horreur de nous survivre, - Est un vin traître dont l’odeur vireuse enivre. - L’homme, meilleur que Dieu, voudrait, mais veut en vain, - Mêler aux âpretés de ce perfide vin - Un miel que la nature ignore: la tendresse; - Seules, les voluptés sont donneuses d’ivresse, - Et, fier de piétiner des flancs nus, de beaux seins, - Comme le vendangeur écrase les raisins, - L’amant ivre, brutal et cruel par nature, - Sans pitié comme Dieu, foule la créature! - La tendresse eût voulu poser, comme une sœur, - Sur un front douloureux son charme de douceur; - Le dévoûment, son baume apaisant sur la plaie; - Mais devant la laideur, le lâche amour s’effraie - Et se détourne... il faut des corps neufs au désir! - Le Minotaure, entre les vierges, veut choisir, - Et ce dragon, aussi nombreux que nous le sommes, - Renaît sans cesse au cœur des femmes et des hommes, - Et la moitié du monde, en un rut sans pitié, - Férocement affronte et mord l’autre moitié! - A peine si, parfois, un tendre et triste couple - Par les sentiers perdus s’enlace d’un bras souple; - Les autres, se roulant à terre, n’ont en eux - Que des tourments jaloux et des amours haineux; - Et telle, subissant la destinée aveugle - Qui livre au taureau fou la génisse qui meugle, - La vie en gémissant se terrasse et se mord, - Et s’enfante à jamais pour l’amour et la mort!» - - - - -V - - - --«Parmi les maux sans fin dont l’éternité pleure, - Enfant, tu n’as souffert que les tiens, et qu’une heure!» - - Je lui dis:--«J’ai souffert aussi les maux d’autrui: - Comme l’humanité, je traîne, dans la nuit, - Sous le ciel dont l’affreux silence nous menace, - Un reste douloureux d’espérance tenace. - Oui, j’espère en un rêve auquel je ne crois pas, - Et le vœu de mourir alourdit tous mes pas. - Il sera doux, l’instant où la morne inconnue - Entre ses bras terreux dissoudra ma chair nue; - Où ma chair cessera de redouter l’amour; - Où, ne regrettant rien, qu’un peu l’éclat du jour, - Je dormirai content de ne plus voir l’envie, - Acharnée et mordant sur la plus belle vie, - Insulter ou nier les plus nobles efforts. - - «Oui, j’appelle à grands cris la paix, la paix des morts, - Puisqu’il n’est pas d’amour certain ni de justice! - Oui, j’invoque le pur néant, seul dieu propice! - Un Autre avait promis à ce monde d’effrois - Qu’il viendrait apaiser les peuples et les rois, - Les courber sous sa main, les unir sous son règne; - Mais Celui-là n’est plus qu’une image qui saigne - Et montre à l’univers un flanc déchiqueté! - Son cœur n’est qu’une plaie ouverte à son côté, - Et c’est comme une bouche effroyable et plaintive - Qui crie en vain: «Seigneur! que votre règne arrive!» - Rien, rien ne lui répond, qu’un silence infini, - Le même au Golgotha que sur Gethsémani! - Il s’est trompé, Celui qui disait: «Paix sur terre!» - Sur le mont déserté la croix est solitaire; - La Guerre à l’œil de brute, au front dur et têtu, - Piétine, dans le sang, sur le temple abattu! - Les vrais rois sont ceux-là qui, brandissant l’épée, - Fouaillent comme un troupeau l’humanité dupée; - Le monde horrible attend les pires lendemains; - La haine arme partout les enfants des humains; - Les femmes, autrefois des mères attendries, - Contre l’antique époux se dressent en furies: - Et Celui qui promit au monde la pitié, - Aux mains des flagellants n’est qu’un fou châtié! - Il est traqué, raillé, chassé de tous ses temples, - Exemple mémorable, entre tous les exemples, - De l’inutilité d’avoir,--seul, au milieu - Des hommes vils,--la grâce et la beauté d’un Dieu!» - - - - -VI - - - A ces mots, tout le ciel craqua comme une voûte - Qui tout à coup s’entr’ouvre en se lézardant toute: - Et des gouffres de feu parurent au travers, - Par des trous aussitôt refermés qu’entr’ouverts. - L’occident noir poussait, au-dessus de nos têtes, - Les nuages, coursiers qui, fouettés des tempêtes, - Paraissaient secouer des flammes dans leur crin; - Sous leur galop, le ciel fut comme un pont d’airain - Qui vibre en sons profonds qu’un écho sourd prolonge; - Et, tout haut, malgré moi, je disais, comme en songe: - - --«N’est-il pas fou, ce dieu,--quand tout doit démentir - Sa doctrine, sa vie et sa mort de martyr, - (Et qui le sait! et qui connaît la race humaine!) - D’annoncer aux humains sa victoire certaine? - A peine intelligible à notre humanité, - N’est-il pas fou de croire à l’homme racheté? - Fou de croire qu’un jour tous iront dans sa voie? - Et sa mort,--au sommet d’un mont, pour qu’on la voie - De tous les horizons,--sa mort sur ce haut lieu, - N’est-elle pas vraiment la défaite de Dieu? - Elle est la grande preuve, éclatante, achevée, - Qu’en lui l’amour ne fut qu’une splendeur rêvée! - O Golgotha! sommet de honte! pilori - Où l’unique Bonté jette en vain son grand cri! - Monument d’infamie, où l’illusion sainte - Pousse éternellement son inutile plainte! - Trône où l’Envie, assise, heureuse, fouet en main, - Incarnant tout le lâche et hideux genre humain, - Tient sa cour de bourreaux, qui ricane autour d’elle! - Piédestal odieux de la haine immortelle - Qui brandit, en riant, les marteaux et les clous! - Autel où l’agneau blanc s’offre en victime aux loups! - Comment peux-tu paraître à l’humaine mémoire - La cime où Dieu le Juste achève sa victoire? - La justice avec lui fut roulée au linceul; - On entrevoit l’amour dans le rêve d’un seul, - Mais on veut oublier l’abandon des apôtres: - Le renîment de Pierre et la fuite des autres. - Et deux mille ans plus tard, ô Jésus mort pour nous, - On cherche sous ta croix un fidèle à genoux; - Car les pharisiens, qui font semblant de croire - A ton pouvoir d’amour, le savent illusoire. - Le bataillon sacré, tes chevaliers, soutiens - Du trône et de l’autel, ces deux pôles chrétiens, - Ceux-là, les prétendus servants de ta doctrine, - Qui la disent encore efficace et divine, - Ceux qui t’appellent Dieu de pitié, Dieu le Fils, - Et brodent saintement ta bannière de lys, - Tes derniers pèlerins, à peine quelques hommes, - Nous connaissant mauvais et vils, tels que nous sommes, - Tout en te proclamant vainqueur, ô dieu vaincu, - Voient bien qu’en vain leur dieu sur la terre a vécu - En homme,--et que ta mort n’a pas sauvé les mondes! - Et t’invoquant toujours, sans que tu leur répondes, - Ils appellent sur nous, châtiment mérité, - Un dieu-soldat, l’épée en main, casqué, botté, - Qui foule, sous des pieds sanglants, l’âme elle-même, - Pour être, et non plus toi! le chef, le dieu suprême. - ... Tes espoirs infinis sont-ils assez déçus! - Quelle erreur fut égale à la tienne, ô Jésus! - Oh! si du moins, quand sur ton gibet ton sang coule, - Un seul cri de pitié s’élevait de la foule! - Mais qu’espérais-tu donc de ce peuple au cœur bas? - Son ami n’est jamais Jésus; c’est Barrabas! - Mendiant de pitié sans pitié pour lui-même, - Il ne sert pas l’amour et demande qu’on l’aime! - A peine si le bon pasteur sauva parfois - Quelque errante brebis accourue à sa voix; - Le reste n’obéit qu’au chien puissant qui gronde; - Et, veule, piétinant dans sa fange profonde, - La foule est un troupeau qui bêle vers la mort! - Que si, rebelle un jour aux caprices du fort, - Un peuple, en justicier, tout à coup se redresse, - Lui qui, dans l’esclavage, invoquait ta tendresse, - Lui, doux vaincu d’hier, devient un dur vainqueur! - Dès qu’il a la victoire au nom des droits du cœur, - En hâte il les abjure, et sous ses pieds les broie: - Le doux agneau bêlant devient bête de proie. - Et c’est ainsi toujours qu’un juste révolté - Rend aux tyrans déchus un droit d’iniquité. - - «Ta statue était d’or avec des pieds d’argile, - Christ! Deux mille ans après l’aube de l’Évangile, - Tes prétendus chrétiens, sur l’univers à feu - Et à sang, blasphémant l’humanité de Dieu, - Relèvent Sabaoth, que leur folie adore, - Et dont la rouge gloire efface ton aurore! - Il s’est aussi fait homme; il est le dieu rival; - Tu passais sur un âne: il te nargue à cheval! - Les hommes fascinés, glorieux dans la honte, - Baisent les durs sabots de la bête qu’il monte. - C’est lui que l’on invoque à toute heure et partout; - Son image de bronze est la seule debout; - Tout puissant ou martyr, lui qu’en tremblant on nomme, - C’est lui qu’on voudrait être ou subir: le surhomme, - NAPOLÉON! C’est lui, lui seul, le roi des rois! - En un hochet de guerre il a changé ta croix; - Et nul n’en peut parler, sans qu’une voix réponde: - «C’est lui le vrai sauveur, le vrai maître du monde - «C’est lui le dieu d’hier et le dieu de demain, - «Qui règne et tient le globe étoilé dans sa main. - «Il ressuscitera selon la prophétie; - «C’est le mort qu’on attend toujours, le vrai Messie...» - - «J’ai tout vu, j’ai tout lu, tout souffert; je suis las, - Et le vœu de mourir appesantit mes pas...» - - - - -VII - - - --«Un livre, dit le vieil homme, est l’ombre d’un songe - Où, sans voix ni couleur, le passé se prolonge. - Ce sont des siècles, non des livres, que j’ai lus: - Bien des maux sont soufferts--que l’on ne verra plus.» - - Quand il se tut, la foudre errait encor, lointaine; - Puis un éclair muet illumina la plaine. - Le vent faiblit; sous des nuages moins épais, - Les grands bois frissonnants sentaient venir la paix. - - Il dit: - --«Je vois encor Jésus, devant ma porte, - Tomber sur ses genoux avec la croix qu’il porte. - Croyant son œuvre folle et son martyre vain, - Moi, fou, j’ai comme vous raillé l’homme divin. - Lui, ne m’a point maudit; il n’a maudit personne, - Étant toujours celui qui bénit et pardonne, - Mais il m’a regardé de son regard touchant, - Doux à qui le menace et tendre au plus méchant, - Et ce regard disait: «Tout passe: je demeure. - «Comment juger les temps, lorsqu’on ne vit qu’une heure? - «Je n’ai pas mérité ton rire et ton affront... - «C’est pourquoi tu vivras, quand les siècles mourront; - «Ainsi tu pourras, fût-ce après deux mille ans d’âge, - «Vieux comme un monde, ô Juif, me rendre témoignage. - «Tu marcheras sans halte, et partout, de tes yeux, - «Partout tu pourras voir mon pas mystérieux. - «Tu ne t’arrêteras, mort, dans ma paix profonde, - «Que le jour où j’aurai soumis l’âme du monde.» - - - - -VIII - - - Un nuage s’ouvrit, au zénith, lentement, - Par où nous souriait un peu du firmament; - Puis la lune, en ce coin d’espace, parut toute, - Éclairant de pâleurs mon compagnon de route. - - Ce vieillard, moins que moi lamentable, et moins las, - Et qui pourtant portait un monde, comme Atlas, - Ayant levé le front, parut grandir encore. - Je songeai: «Ce n’est point Atlas, c’est Christophore! - Il porte un souvenir plus lourd qu’un Christ-enfant, - Un dieu qu’on dit vaincu, mais qu’il croit triomphant; - Vingt siècles de combats pour la croix ou contre elle...» - - Il reprit, de sa voix calme et surnaturelle: - - --«Je marche sans repos, pour être le Témoin. - Derrière moi, le jour où je partis est loin, - Plus loin peut-être encore est devant moi ma halte; - Mais ma foi dans le jour qui m’est promis, m’exalte, - Et lorsque, par moments, les peuples plus heureux - Ont des princes moins durs ou moins de haine entre eux, - Alors, je sens venir la paix, et, comme une onde, - En mes veines courir la jeunesse du monde; - Un jeune espoir joyeux marche avec mes pieds lents; - Pour le monde et pour moi, qu’est-ce que deux mille ans? - J’ai deux mille ans, j’ai vu Lutèce et les deux Rome, - Et les hommes mourir, mais vivre et grandir l’Homme, - Car l’Homme a la durée et chacun n’a qu’un jour. - Les générations font, chacune à son tour, - En criant vers le ciel, leur chemin vers l’abîme... - Or, tout mortel, n’ayant que sa minute infime, - Nomme ses moindres maux le comble des malheurs, - Et ne reconnaît pas si les temps sont meilleurs; - Mais moi qui mesurai les horreurs de la vie - Sur la route au tombeau par vingt siècles suivie, - Moi qui raillai Jésus tombé sur le chemin, - Je sens mon cœur plus large et l’homme plus humain. - - «Qui laisserait Jésus, à l’époque présente, - Cheminer sans secours sous la croix écrasante? - Depuis l’heure où le grand crime fut accompli, - La croix n’est-elle pas un supplice aboli? - Le juge, en condamnant, n’est-il pas moins sévère? - Les fils du bon larron béni sur le Calvaire - Connaissent-ils encor l’in-pace ténébreux? - Les engins de terreur, toujours dressés contre eux, - Coins et poires d’angoisse, et toutes les tortures? - - «La loi se fait clémente aux pires créatures; - L’arbre infâme est en fleurs... L’ombre est douce, ô mon fils, - Qui sur nous et sur tous--tombe du crucifix.» - - - - -IX - - - Sur les pics où le bord du firmament repose, - Une lente lueur, blanche d’abord, puis rose, - Ondulante, marqua les lignes d’horizon. - Et, devinant au loin le toit de ma maison: - --«Le repos nous attend sur ma terrasse haute, - Lui dis-je, sous la treille où vous serez mon hôte.» - - Lointain, les yeux perdus, il ne m’écoutait pas, - Et c’est son rêve seul qu’il suivait à grands pas. - - --«L’amour, dit-il (et sa voix grave était plus grave), - C’est le maître insolent qui deviendra l’esclave. - Les loups dans les forêts, les ours, même les cerfs, - Et, dans les sables roux, les lions des déserts, - Avec des cris haineux, pris de fureur jalouse, - Bramant ou rugissant d’amour, mordent l’épouse; - Les hommes font comme eux, et leurs désirs grondants, - Fauves hargneux, ne sont que griffes et que dents. - La griffe rétractile, ayant guetté, veut prendre; - La dent se réjouit d’entrer dans la chair tendre; - Qu’importe au cerf ardent, lascif et furieux, - L’inutile refus de la biche aux grands yeux? - En proie au faux amour, l’âme en vain crie et saigne, - Et la tendresse humaine attend toujours son règne. - C’est pourquoi, détournant des hommes mon regard, - J’ai cherché l’homme--et vu, calme et chaste, à l’écart, - Le couple pur errer sous la forêt ombreuse. - J’ai vu, sur un seuil blanc, une sainte amoureuse - Attendre le retour du fiancé lointain; - L’amour est un plein jour dont elle est le matin; - Tout l’avenir aimant naîtra de cette aurore - Qui n’est qu’une lueur fraîche, incertaine encore; - Et ce couple de deux bons cœurs, simples et purs, - N’est que l’image en fleur d’innombrables futurs. - Ces deux êtres liés, douceur, candeur et grâce, - Promettent à l’amour une nouvelle race. - Ce seul couple béni, qui s’aime sans tourment, - Prépare à l’avenir un paradis aimant; - Et qu’importe s’il a désappris l’Évangile? - Tout amour vrai, qui n’est ni cruel ni fragile, - Fut un rêve ineffable au cœur de Jésus-Christ, - Car la lettre n’est rien, selon qu’il est écrit. - Oui, compagnon, il faut voir, par-delà les hommes, - Ce que nous deviendrons et non ce que nous sommes. - Vaste est l’amas des temps; le mal rampe au-dessus; - Par-dessous, mon œil suit la trace de Jésus. - Or, elle est comme une eau secrète sous la terre, - Où, dès qu’elle jaillit, l’oiseau se désaltère; - Je sais la reconnaître à ses reflets de feu, - Qui, là, semblent s’éteindre; ici, renaître un peu; - Et c’est en elle enfin, source, pluie ou rosée, - Que toute eau bonne à boire est et sera puisée. - Oui, sous les cris discords, j’entends de pures voix; - Écoute-les, sois attentif, regarde et vois: - Les œuvres de bonté, parmi tant d’œuvres viles, - Fleurissent, comme, sur le pavé noir des villes, - Quelques arbres, parmi les charrois et les cris, - Tendent au ciel lointain de beaux thyrses fleuris. - Que d’asiles de luxe offerts à la misère! - Que d’infirmes, manquant chez eux du nécessaire, - Hommes, enfants, vieillards, mères aux seins gonflés, - Y trouvent leur salut, ou meurent consolés. - D’autres que des croyants donnent les grands exemples. - Jamais la charité n’éleva plus de temples. - Et même l’animal,--que Christ a racheté, - Quand sur un âne, sans orgueil, il est monté,-- - Le cheval dans l’étable et le chien à la chaîne, - Sentent passer sur eux de la tendresse humaine... - - «Crois-moi, mon fils, car j’ai vingt siècles révolus, - Bien des maux sont soufferts, qu’on ne reverra plus.» - - - - -X - - - Derrière les grands pics montait l’aube sublime; - Puis l’aurore alluma des feux sur chaque cime. - Candélabres géants, ténébreux par en bas, - Les pins, les châtaigniers, ouvrant de larges bras, - Portaient, au plus fin bout de leurs épaisses branches, - Des feuilles qu’un reflet changeait en flammes blanches; - Les nids se réveillaient; une joie en frissons - Courait sur la colline où naissaient des chansons. - - Et le témoin de tant de jours tombés au gouffre, - De tous les maux soufferts et de tous ceux qu’on souffre, - Tourna vers moi son front par l’aurore éclairé. - On ne sait quoi de grand, d’étrange, de sacré, - La force du prophète et la douceur du sage, - Étaient, en creux profonds, gravés sur son visage. - Ses cheveux sur ses reins tombaient, bouclés et blancs; - Sa barbe en nœuds tordus s’enroulait à ses flancs; - Aux plis déchiquetés de sa souple tunique, - Le vent jeune arrachait une poussière antique; - Et, depuis deux mille ans, n’ayant fait que marcher, - Ses grands pieds, nus et durs, effritaient le rocher. - - - - -XI - - - Il dit:--«Témoin d’horreurs dix-neuf fois séculaires, - J’ai vu l’immense arène, aux hauts murs circulaires, - Qui, tout chargés de fronts, d’yeux et de bras mouvants, - Semblaient d’horribles murs faits de moellons vivants; - Les parois de ce puits hurlaient par mille bouches, - Et les regards étaient, sous des sourcils farouches, - Plus mordants et plus durs que le ciment romain. - Tout le fond de ce puits n’était que sang humain, - Et luisait sous les yeux des horribles murailles. - Ventre ouvert, retenant à deux mains leurs entrailles, - Les gladiateurs, nus, saluaient en mourant - Le vil César, qu’un peuple avili faisait grand. - Et toute cette horreur a passé comme un rêve. - Les vierges, les enfants qui saignaient sous le glaive, - S’étant donné la main l’un à l’autre en s’aimant, - Calmes, ont regardé le glaive fixement. - Le cirque a dit: Je hais! Ils ont répondu: J’aime! - Et le glaive est tombé, vaincu, dans leur sang même.» - - --«Vaincu pour peu de temps; des rois l’ont ramassé! - Des papes ont brandi le fer!» - - --«C’est le passé.» - - --«Un moine inventera la poudre... Oh! que de veuves - Pleurent les huguenots, chrétiens jetés aux fleuves!» - - --«C’est le passé.» - - --«Toi même, ils t’ont persécuté, - Juif, tous ces prétendus rêveurs de charité.» - - --«C’est le passé, qui fut rage, haine, colère. - Le jour vient, le regard du Juif même s’éclaire.» - - --«Le vieux peuple des Francs décapite son roi; - Lorsque la liberté règne, c’est par l’effroi. - A leur tour les martyrs ont ramassé l’épée: - Notre foi dans leur Christ, c’est eux qui l’ont frappée!» - - --«L’épée est belle aux mains vengeresses du Droit! - - --«Ton Christ nous a menti, plus personne n’y croit!» - - --«Qu’importe à Dieu les noms mortels dont on le nomme? - Amour, bonté, ces mots sur les lèvres de l’homme - Sont des noms plus humains de l’immatériel. - L’homme ne vit que pour lever les yeux au ciel; - Il y cherche à jamais l’idéal, son étoile; - L’orage n’est jamais qu’une heure, et n’est qu’un voile; - L’étoile est fixe au fond des gouffres infinis; - Et les hommes, pervers à la fois et bénis, - Tous rencontreront Dieu, puisque Dieu pour la terre - N’est qu’énigme, et que tous se heurtent au mystère... - - «L’Évangile chemine, et moi, je suis des yeux - Le triomphe du Christ, secret et merveilleux.» - - - - -XII - - - Nous restâmes longtemps plongés dans ce silence - Où l’esprit, comme dans un abîme, s’élance - Jusqu’à des profondeurs où les mots ne vont pas. - - Enfin le grand vieillard reprit d’un ton plus bas: - - --«Oui, vingt siècles auront suffi pour sa victoire. - Vous la mesurez lente au compas de l’histoire? - Je l’estime autrement. Vous, c’est par millions - Que vous comptez les morts des générations, - Depuis le soir où, sur la croix, Jésus expire; - Et vous répétez: «Comme il tarde, son empire!» - Tandis que je me vois seulement séparé - Par vingt hommes au plus, de son siècle sacré. - - «A l’heure où Christ, mourant, rentrait dans la lumière - Un enfant m’appela de sa plainte première. - Cet enfant, je le vis s’éteindre après cent ans, - Juste à l’heure où, près d’un berceau, ses fils, contents, - Accueillaient leur enfant à sa première plainte. - Ce fils, le soir de sa centième année atteinte, - Mourut. Et j’en ai vu vingt ainsi, tour à tour, - Lorsqu’un enfant de ses enfants venait au jour, - Expirer; et je vois que, du siècle où nous sommes, - Si je retourne au Christ par cette chaîne d’hommes, - Vingt hommes seulement, enlacés par la main, - Sont entre nous et le sauveur du genre humain.» - - Le grand vieillard se tut. J’avais l’âme étonnée. - A remonter les temps, non d’année en année, - Mais par ces vingt chaînons d’hommes vivant très vieux, - Les uns mourant quand les autres ouvraient les yeux, - Il semblait qu’un esprit divinement agile - M’emportât dans la crèche où naissait l’Évangile. - - --«Jésus, qu’on croit si loin de nous, est donc tout près? - Oh! comme j’aimerais le voir! J’arrêterais - Un peu, rien qu’en baisant le bas de sa tunique, - L’homme si merveilleux qu’il reste l’homme unique, - L’exemple, le modèle incomparable et pur, - Le maître maternel, le conseil calme et sûr, - L’être si beau, si calme et si pur, que nous, hommes, - Montrant par là que nous jugeons ce que nous sommes, - Nous n’avons pas admis qu’il fût un d’entre nous, - Et nous ne le nommons qu’en pliant les genoux!» - - Le vieillard souriait: - --«Dans le temps et l’espace, - Dès que l’homme, plus grand que l’homme, se dépasse, - Beau des vertus dont nous n’avons qu’un désir vain, - Nos cœurs, en le suivant, entrent dans le divin. - Et le divin, c’est nous meilleurs, nous bons et justes; - Le sens en est vivant dans les cœurs les plus frustes; - C’est le sens de l’amour, et rien n’est au-dessus, - Sinon l’amour lui-même, et l’amour c’est Jésus. - L’homme y va lentement, et par toutes les voies; - Par les pires douleurs, il marche vers ses joies; - Vous, vous désespérez du triomphe d’amour? - Moi, deux mille ans de nuit m’en présagent le jour.» - - - - -XIII - - - --«L’aube avait ébloui de ses plus douces flammes, - M’écriai-je, nos yeux trompés comme nos âmes. - Tantôt, quand sa candeur argentait les sommets, - Les orages semblaient vaincus à tout jamais; - Et maintenant, voyez, le chaos recommence: - Une nuit matinale emplit le ciel immense; - J’entends d’ici souffler les chevaux de la mer - Qui se cabrent, montés par les démons de l’air, - Et déjà la forêt, cette autre mer mouvante, - Paraît s’enfuir, courbée et criant d’épouvante. - Que de vaisseaux, par un tel vent, vont naufrager! - Venez sur la hauteur, où, loin de tout danger, - Nous jouirons de voir, selon le vieux Lucrèce, - Les gestes éperdus des marins en détresse...» - - Il comprit le sarcasme, et dit, sans plus: «Venez.» - - Un très grand crucifix, à mes yeux étonnés, - Surgit. Nous arrivions sur un plateau sévère - Que ce haut Christ de bois transformait en Calvaire. - - L’orage assombrissait deux tristes horizons: - La plaine vers le nord, cultures et maisons, - Qui, sans trop en souffrir, subissaient la tourmente, - Et, dans le sud, la mer qui toujours se lamente, - Qui fait, d’un seul soupir, osciller sur son dos - Les cuirassés de fer comme d’humbles fardeaux, - Et qui peut, s’il lui plaît, en rugissant de joie, - Dévorer ces volcans comme une faible proie. - - La mer! Combien a-t-elle englouti d’armadas! - - Or, sur les flots grondants, j’aperçus, tout là-bas, - Au bout d’un mât penchant, secoué par les lames, - Un pauvre être!--Et, de tous nos yeux, nous regardâmes. - - Le navire englouti vibrait à tous les chocs - Des lourds ressacs, dont la fureur brise des rocs. - Seul, le mât, émergeant du formidable abîme, - Secouait, comme un fruit perdu, l’homme à sa cime. - - Je songeais:--«En effet, cet homme est bien perdu! - Par qui son cri lointain serait-il entendu? - Et, le fût-il, qui donc quitterait le rivage - Pour arracher sa proie à cette mer sauvage? - Un bon Samaritain qui descend de cheval - Pour panser un blessé, fait un acte banal, - Facile, mais devant ce gouffre épouvantable, - Il faut être un héros pour être charitable!» - - Et voici qu’apparut, au large, en plein danger, - Un canot!--S’élevant, comme pour mieux plonger, - Sur l’écumeux sommet d’une lame puissante, - Il tomba vers les fonds par la pente glissante, - Pour remonter sans fin sur les monstrueux flancs - De ces montagnes d’eau, sombres, aux sommets blancs. - Et douze hommes--ce nombre est cher à l’Évangile-- - Attaquaient l’ouragan dans cet esquif fragile. - - --«Ce spectacle est divin! me dit alors le Juif; - Si tu cherches la vérité, sois attentif, - Encore plus qu’à ma parole, à ce spectacle. - L’action de ces gens est un humain miracle. - Pour sauver un seul homme ils vont douze à la mort. - Rester dans leur logis leur serait un remord; - Même, ils ont pris conseil de leur femme attendrie; - Connaissent-ils du moins cet homme, ou sa patrie? - Non. Fût-il ennemi, qu’ils lui tendraient la main. - Ils sont les sauveteurs, gloires du genre humain! - Et ces simples pêcheurs, si pauvres et si braves, - Sont les fils, rachetés, de ces pilleurs d’épaves - Qui, traîtres, allumaient, la nuit, par mauvais temps, - A terre, çà et là, de grands feux éclatants, - Pour attirer,--c’était la coutume barbare-- - Sur des rocs, un vaisseau que la lumière égare, - Et qui, trahi d’abord, était enfin pillé... - - «Depuis ce temps, un siècle à peine est écoulé! - - «Et, devant ce canot qui s’abaisse et remonte, - Sans cesse, sur des monts écroulés qu’il affronte, - Je vois, plus lumineux que l’aveuglant éclair, - Le spectre de Jésus qui marche sur la mer.» - - - - -XIV - - - La mer, bouleversée encor, n’était plus noire; - Les vents changeaient, chassant une nuit provisoire. - ... Tout l’azur reparut dans sa sérénité. - - --«Oui, me dit le vieillard, le monde est racheté. - Le Christ a, dans nos cœurs, jeté le grain qui lève. - Lentement, des héros réalisent son rêve, - Et son amour en eux resplendit, tout pareil - (Si ton cœur sait le voir) au radieux soleil.» - - --«Vous triomphez! je suis convaincu, répondis-je; - Ce triomphe à lui seul me paraît un prodige; - J’abjure devant vous mon scepticisme vain: - Des héros m’ont prouvé l’héroïsme divin!» - - Or, juste à ce moment, où le vieillard étrange - Me montrait l’idéal, fixe lorsque tout change, - Et sous le faux réel, qui seul nous apparaît, - Dieu rayonnant en nous comme un soleil secret, - Dans cet instant de joie et d’extase féconde, - Où la paix nous semblait l’espoir certain du monde, - Un cri troubla la terre, et, déchirant les airs, - De nouveau souleva la profondeur des mers: - --«AUX ARMES!»-- - - Des clairons stridaient, sonnant la charge, - Et la terre troublait les mers jusqu’au grand large: - Un peuple épouvantable, armé de fer, de feu, - De gaz mortels, et se disant l’élu de Dieu, - N’étant, esprit et chair, qu’appétit d’ogre immonde, - Marchait, organisé, contre l’ordre du monde! - - Tout le génie humain dompteur de l’élément, - Ce peuple élémental, sauvage savamment, - Le tournait contre l’homme en outil de torture; - Lui-même il s’était fait monstre, par la culture! - Méthodiquement serf d’un prince carnassier, - Le Teuton, formidable automate d’acier, - Ou chair amalgamée au corps des mitrailleuses, - Colosse lourd de force et de haine orgueilleuses, - Proclamait,--espérant figer ses ennemis - Dans l’horreur,--que tout crime, à la guerre, est permis! - - Ses plus graves savants, et ses poètes même, - Contresignaient d’un cœur tranquille un tel blasphème! - - Et ce peuple, avili par un si haut conseil, - Ce peuple, tel qu’on n’en vit pas sous le soleil, - Traînait captifs au loin femmes, enfants en larmes, - Des êtres impuissants à manier les armes, - Les grands-pères, craintifs et muets, consternés... - Ces Allemands, parfois, en lâches forcenés, - Faisaient de leurs captifs, sur leur front de bataille, - Un rempart défenseur, pitoyable muraille, - Où, frémissants d’amour, de haine,--de douleurs, - Les soldats ennemis, reconnaissant les leurs, - Vaincus par leur pitié, reculaient d’épouvante, - Tremblant de mutiler la muraille vivante! - Nietzsche, spectre dément, planait sur tout cela, - Et, non moins fou, Guillaume, invoquant Attila, - Criait: «Viole! tue! égorge enfants et femmes!» - Des prêtres, torturés par les reîtres infâmes, - Les yeux vers le ciel vide, y cherchaient Dieu, l’Absent! - Tout nageait dans le sang; partout du sang! du sang! - Les rivières étaient de sang et coulaient pleines! - Et des fuyards, au flanc des monts ou dans les plaines, - Couraient, se retournant pour regarder au loin - Leur ville en flamme; et Dieu, leur juge et leur témoin, - Laissait faire! et, dans sa fureur démoniaque, - L’agresseur, prétendant que c’est lui qu’on attaque, - Coupait des mains, des cous d’enfant, brûlait vivants - Des vieillards; tout fuyait, comme l’eau sous les vents; - Et le viol hideux, à face simiesque, - Prenait--détail horrible en l’horreur gigantesque-- - Des vierges, qui fuyaient la vie éperdument - Parce que c’était fuir l’affreux enfantement! - Criminels au hasard, sur l’enfant, sur les mères, - Du haut du ciel, les zeppelins, sombres chimères, - Lâchaient leur bombe! et quand l’avion surgissant - Les attaquait, alors le ciel pleurait du sang! - Plus d’asile! Et sur les grands steamers d’Angleterre, - Qui semblaient à l’abri des fureurs de la terre, - Des passagers (toujours des faibles, et toujours - Des femmes, des enfants, sans armes, sans secours!) - Voyaient surgir, dans les houles des mers d’Europe, - Le dos du sous-marin ou l’œil du périscope... - La torpille frappait le grand navire au flanc; - Et, colosse blessé, chancelant et soufflant, - Il entraînait, dans les fonds glauques des abîmes, - Avec lui, des milliers d’innocentes victimes - Qui priaient, qui voulaient la vie éperdument... - - Et, terre et mer, le monde entier criait: «Maman!» - Comme pour réveiller, dans son ombre éternelle, - L’amour, le Dieu muet, la Cause maternelle! - - - - -XV - - - Mais rien ne répondit. Nulle part l’agresseur - Ne trouva devant lui Dieu, le Dieu de douceur! - Et nos peuples, parmi le sang, les cris, les larmes, - Se levant indignés, durent prendre les armes, - Aiguiser des poignards et fondre des canons; - Et tous les beaux progrès, indignes de leurs noms, - Se firent instruments de mort et de torture; - Et, retournant aux lois brutes de la nature, - L’âme humaine appela la force à son secours, - La force! l’argument des grands loups et des ours! - - Et je dis au vieillard: - - --«C’est la fin de nos races. - Vois-tu ton Christ encor? Vois-tu toujours ses traces? - Vieux nécromant, je suis honteux de t’avoir cru: - Le primate éternel dans l’homme a reparu! - Le chrétien lâche, avec son rêve d’être un ange, - Insultait à la brute--et la brute se venge!» - - Sous l’injure, le vieux, comme sourd à mes cris, - Resta muet, songeur quelque temps. Je repris: - - --«Ton Christ est le plus faux des faux dieux qu’on délaisse! - Amour, bonté, mots creux, tout gonflés de faiblesse! - Sot qui ne sait qu’aimer! Fou qui veut être aimé! - Qui suit ton Christ n’est plus qu’un martyr désarmé, - Proie offerte aux soldats du lucre et de la haine, - Qui sont le nombre affreux, sans nom, la masse humaine. - Christ n’est qu’un doucereux et blanc magicien; - Certe, un charme est caché dans le songe chrétien, - Mais pernicieux, traître, endormeur d’énergie. - Sur la terre, que tant de meurtres ont rougie, - Comment répondre, nous, les tendres et les bons, - Nous, les propagateurs des infinis pardons, - Au fer qui fouille un cœur, en sort et s’y replonge? - Quel réveil dans l’horrible, après le divin songe! - Nos jardins, nos maisons, asiles de douceur, - Les voilà donc ouverts au noir envahisseur! - Nos bras chrétiens ne sauront pas tenir l’épée; - Ton Christ livre aux bourreaux l’humanité trompée!» - - Le vieillard recueillit sa pensée un moment, - Puis, l’œil plein de lumière, il dit, très doucement: - - --«S’il ne croit qu’aux ressorts puissants de la matière, - L’homme n’a pas en lui la force humaine entière. - Même stoïque, il meurt en vaincu révolté, - Il périt tout entier, serait-ce avec fierté. - Si la force est le droit, sa chute est légitime, - C’est justement qu’il tombe, et non pas en victime. - La force, c’est là tout ce que le fort défend; - Après lui, rien de lui ne reste triomphant. - Dès l’instant qu’à ses yeux seule la force compte, - Devenu le plus faible il n’a droit qu’à la honte, - Tandis que, l’œil levé vers son pur idéal, - Le croyant de l’amour souffre et meurt triomphal. - La souffrance est pour lui sainte, la mort sublime, - Il sent orgueil et joie à s’offrir en victime, - Il est le vrai guerrier qui veut, pense, aime et croit, - Et qui, même vaincu, laisse un vengeur: le Droit. - La force de l’idée est la seule immortelle; - Telle est la loi du Christ: la foi de France est telle. - - «Mon Christ est mort voilà deux mille ans accomplis, - Et nos âmes, aux plus secrets de leurs replis, - Gardent toutes, mon fils, sa divine pensée, - Que par le monde entier le temps a dispensée. - Elle est si bien mêlée au cours de notre sang, - Que, lorsque l’Antéchrist se lève menaçant, - Le bras, avant le cœur, s’élance à la défendre; - C’est d’instinct, désormais, malgré notre cœur tendre, - Que nous défendons, même oublieux de Jésus, - Les biens d’amour que, par sa mort, nous avons eus. - Des hommes, non des Christs, voilà ce que nous sommes, - Et nous le défendons, en nous, comme des hommes. - Nul ne passe en valeur ta vaillance, ô chrétien! - SACRIFICE est un fier mot d’ordre; c’est le tien. - La lance et les deux pieds sur quelque hydre abattue, - Lent à tuer, mais plus terrible lorsqu’il tue, - Le juste, quand il croit la justice en danger, - Non pas lui,--se fait dur pour la mieux protéger; - Quand l’indignation des plus doux se soulève, - Elle est comme la mer qui dévore la grève, - Et, contre l’injustice et le mal provocants, - Elle a la force involontaire des volcans!...» - - - - -XVI - - - Sans rien connaître à la souffrance de nos âmes, - L’azur riait, moins doux mais plus beau d’être en flammes. - Autour de nous, sur le haut désert rocailleux, - Le calme indifférent des grands espaces bleus - Resplendissait; mais, sous ce ciel d’apothéoses, - Tant d’éclat dénonçait la misère des choses, - Que, dressé là, sur ce plateau nu, dans les temps, - Le Dieu n’était plus rien, sous les cieux éclatants, - Qu’un débris plein de trous, où la vermine habite. - Dans la clarté fondaient tous les rêves en fuite. - Du radieux levant au couchant radieux, - Une moitié du globe apparut à nos yeux; - Et, du plateau désert où nous étions, nous vîmes, - Comme jailli soudain des plus affreux abîmes, - Un déluge de maux, de meurtres et d’effrois, - Submerger l’univers, où mouraient tous les droits. - - Des termes d’Amérique aux bornes de l’Asie, - Les hommes, en hurlant, frappés de frénésie, - S’armaient,--des millions d’hommes! Vingt millions - Ou trente, s’égorgeaient; sept, huit, dix nations. - On eût dit de la fin du monde en cataclysme! - Et tous se réclamaient du doux christianisme, - Ou de l’Islam, qui voit un prophète en Jésus. - Mais les fleuves étaient de sang, et, par-dessus, - L’impassible soleil rayonnait dans sa gloire. - Sur la réalité rouge, fangeuse et noire, - Il épandait à flots, à verse, par torrents, - Sur les camps ennemis, ses rais indifférents, - Le même éclat sur Reims et sur Sainte-Sophie, - Lui que, dans l’ostensoir, le prêtre glorifie! - - Et je criai: - - --«Maudit soit l’astre éblouissant - Qui peut voir sans horreur des rivières de sang! - Car le sang n’est pas fait pour empourprer la terre; - Il doit, dans les vivants, rester vivant mystère, - Dans les canaux secrets des corps rester secret; - Malheur, lorsqu’au soleil le sang des cœurs paraît! - Et malheur au soleil, quand l’humanité saigne, - S’il ne se voile pas d’horreur, et s’il se baigne - Dans la pourpre qui n’est pas, sur les horizons, - L’adieu resplendissant de ses propres rayons!» - - - - -XVII - - - --«La terre, bien de tous, sera-t-elle usurpée - Par un seul? Non! le droit de tous a pris l’épée, - Affirma le vieillard, et lorsque, ô mon enfant, - La Justice ou l’Amour indigné se défend, - L’âme du défenseur passe et vit dans le glaive; - Et même quand le bras des faibles le soulève, - Dans ses propres éclairs passe un étrange éclair, - Et, parmi les reflets dont resplendit le fer, - L’âme voit des rayons qui lui viennent des âmes. - Le juste armé vaincra les conquérants infâmes. - Le monde est un, au fond; il va vers l’unité - Visible, et ne peut être en sa marche arrêté. - Tout peuple est criminel d’en asservir un autre; - Et la France le sait, elle, le peuple apôtre! - L’Évangile en tous temps fut au fond de son cœur, - Et par elle le droit de tous sera vainqueur, - Tous les droits de chacun se feront équilibre; - Et, de même qu’en France un homme se sent libre, - Fût-il faible, et se sait protégé dans son droit, - De même, un jour, demain, ou plus tôt qu’on ne croit, - Chaque peuple sera, devant tous, son seul maître; - Et, librement unis, tous devront reconnaître, - Pour être protégés, qu’ils doivent protéger, - Et qu’être différent n’est pas être étranger. - Il n’est qu’un Droit, unique et sacré, loi suprême - Qui pour un homme ou pour tout un peuple est la même; - Et le respect aux droits des peuples reste dû, - Le même que l’État doit à l’individu. - Jésus et Jeanne d’Arc semèrent cette idée - Par le sang de vos morts aujourd’hui fécondée.» - - --«Fou! dis-je au grand vieillard, de croire au Dieu de paix! - Tu vas connaître enfin comme tu te trompais, - Tiens, vois!» - - La terre était un seul champ de bataille. - - Le Mage auguste, alors, sembla prendre la taille - D’un géant, et, son dos voûté se redressant, - Je crus voir un Samson indigné, si puissant - Qu’il pourrait ébranler les colonnes du monde. - Sa barbe au vent des monts se mouvait comme une onde; - Ses sombres yeux semblaient lancer des dards de feu. - - --«L’empereur des Germains, tout en invoquant Dieu, - Dit-il, a méconnu la norme de la vie. - Il rêve l’homme esclave et la terre asservie; - Il veut fouler la chair et l’esprit sous ses pieds; - Il dit que la faiblesse est l’âme des pitiés; - Il prétend que la force est l’unique puissance... - La force n’est qu’esprit, mon fils, en son essence. - Les peuples l’ont compris, et--regarde à ton tour-- - Albert, vrai roi, debout pour le droit et l’amour, - Sert l’honneur, l’honneur pur, que l’Allemagne oublie; - Et vos Français, qu’on crut une race affaiblie, - Artistes, artisans, le marchand, le penseur, - Et les oisifs, pour qui vivre n’est que douceur, - Ceux dont le mot Patrie excitait les sarcasmes, - Et tous ceux qui raillaient les beaux enthousiasmes, - Ceux qui niaient le sentiment, le dévouement, - Regarde-les! leur cœur s’exalte brusquement! - On dirait qu’en voyant l’affreuse Germanie - Servir les bas instincts dont elle est le génie, - Les plus pervers ont pris leurs vices en dégoût! - Transfigurés, soldats merveilleux tout à coup, - Pour que la grande fin prédite s’accomplisse, - Ils servent en héros ce mot: le Sacrifice, - Et meurent pour prouver qu’il est le seul salut! - Et, las des vanités où leur cœur se complut, - Les plus obscurs d’entre eux, les martyrs anonymes, - Disent, devant la mort, des mots qui sont sublimes! - Un souffle d’héroïsme a traversé les cœurs... - - «Où sont-ils maintenant, vos sceptiques moqueurs? - Ils trouvent, sous les yeux étonnés de l’Histoire, - Au baiser de la mort une saveur de gloire! - Et l’univers a dit: «Suivons les fils des Francs! - «Eux, c’est par la bonté loyale qu’ils sont grands!» - Et, de la mer Baltique au lac Tibériade, - Tout est debout,--ou pour ou contre la Croisade!» - - - - -XVIII - - - --«La Croisade, vieillard?» - - --«Oui!» dit-il, élevant - Son regard vers le ciel, tandis que, dans le vent, - Flottaient sa barbe longue et sa longue tunique. - Et, n’adressant qu’au Dieu fait homme--sa réplique: - - --«Oui, dit-il lentement, qu’il croie ou non en toi, - Christ, le monde moderne en ta tendresse a foi. - D’un mot que tu jetas dans la terre féconde - L’arbre immense a jailli, dont l’ombre est douce au monde! - Tous les penseurs, les plus libres, les plus hardis, - Négateurs de ton ciel et de ses paradis, - Souhaitent de les voir réalisés sur terre, - Et c’est toi que Calas remercie en Voltaire! - La Pensée affranchie est ta vassale encor; - Le meilleur d’elle est un denier de ton trésor; - L’altruisme, c’est ta charité sous un voile; - C’est pour avoir levé les yeux vers ton Étoile, - Que l’homme, avec des yeux mieux voyants, plus humains, - Sait marcher plus heureux dans ses tristes chemins. - Qu’il te confesse ou non, qu’importe! et que t’importe, - Si ta bonté de Dieu survit à la foi morte! - Non, tu n’as pas maudit les hommes pour si peu! - Tu restes l’éternel, qu’on t’appelle ou non Dieu. - Tu ne recherches point,--tu nous l’as dit toi même,-- - Les honneurs de ce monde, et, pourvu qu’on s’entr’aime, - Et que du Christ humain la terre ait hérité, - Toi, Dieu, tu nous souris, dans ton éternité!» - - --«Pourvu que l’on s’entr’aime!... Allons, vieillard, lui dis-je, - Ta foi dans Christ me semble un risible prodige, - Quand les humains, partout, inhumains sans remord, - Ne sont unis que par la haine, dans la mort...» - - Il reprit: - - --«Pour sauver ton rêve de tendresse, - Christ! contre le Germain le monde entier se dresse: - C’est la Croisade! Eh oui, les peuples et les rois - Se lèvent pour la croix de Rome, et pour la croix - Que Genève dessine en rouge sur ses flammes, - Et pour la croix secrète inscrite dans nos âmes, - Car, même dans le cœur des enfants d’Israël, - Quelque chose est entré de ton verbe immortel, - Et ton espoir d’amour les gagne et les soulève!... - Germains vils, qui tirez sur les croix de Genève, - La France est devant vous la chrétienne sans peur; - Le Quirinal, qui vous observe avec stupeur, - Sent se confondre, en la même pitié des hommes, - Les deux cœurs, hier encor désunis, des deux Romes; - Çakia-Mouni s’indigne, et les rajahs hindous - Vous surveillent de loin avec leurs grands yeux doux; - Mahomet vous méprise, et l’Afrique immobile - S’agite et court sur vous, toute, arabe et kabyle; - Et, vous tombés, elle dira: «C’était écrit,» - Car Mahomet sait rendre hommage à Jésus-Christ. - Oui, c’est bien la Croisade et c’est la guerre sainte! - L’Angleterre, dont les océans sont l’enceinte, - Tient fixés ses yeux clairs sur vous, sombres géants, - Et vous menace avec la voix des océans! - Et le tsar de Pologne et le tsar de la Haye, - Père des Slaves dont le nombre vous effraie, - Le tsar au bon cœur, pape et roi, Nicolas II, - Qui compte vos hauts faits et les juge hideux, - Nicolas II, que la douleur française touche, - Contre ta force brute, Allemagne farouche, - Brandit à l’horizon le glaive éblouissant - Dont la poignée est une croix teinte de sang!» - - - - -XIX - - - Le Christ de bois, que, seul, un ermite révère, - Du pic que nous foulions faisait un vrai Calvaire, - Et, chancelant, le Juif s’appuya d’une main - Sur Celui qui voulut sauver le genre humain. - Alors il dit, debout sur le pic haut et chauve: - - --«Sauveur, c’est, à son tour, Le monde qui te sauve! - S’il n’est fort, s’il n’est grand qu’appuyé sur toi,--toi, - Tu n’as plus de salut qu’en son glaive et sa loi.» - - Mais l’image du Dieu dont l’humanité doute, - La voyant à ses pieds souffrir et mourir toute, - Sembla crier vers nous et vers le ciel: «Je meurs!» - Et cela dominait la guerre et ses clameurs. - - Et, dans les grands lointains, voici ce que nous vîmes: - Des soldats ivres, fous, et prêts à tous les crimes, - Des hordes, mais en bel ordre matériel, - Avec un bruit de pas qui montait Jusqu’au ciel, - S’avançaient sur Paris, menaçaient Notre-Dame, - Et derrière eux, Louvain, Maline, étaient en flamme. - «Les voilà! les voilà qui viennent sur Paris!» - - C’est un sourd grondement sinistre; point de cris. - Sous le piétinement de l’innombrable foule, - Le sol, comme un tambour voilé, tressaille et roule. - Ils viennent,--les uhlans en tête, lance au poing. - La tour Eiffel les guette: ils se traînent au loin, - Hommes, chars et chevaux, fusils et mitrailleuses, - Sombre nuage, gros de foudres furieuses. - A voir sur l’horizon marcher ces guerriers-là, - Le mont de Geneviève a dit: «C’est Attila!» - Dans cette immense armée, il reconnaît la horde. - Ces êtres sans amour et sans miséricorde, - Gueule et ventre affamés, ces appétits grondants, - Veulent de la chair vive à mettre sous leurs dents; - Ils veulent des terrains tout cultivés, blé, vigne, - Un vaincu qui sous eux s’écrase,--et se résigne - A leur donner de l’or, de l’or par milliards! - Leur chef sinistre crie à ces bandits pillards, - Dont l’affreux crâne--en fer de lance se termine: - «Va, mon peuple, toi qui ne crains que la famine, - La France est riche! prends son pain, son or, son vin, - Et saccage Paris comme un autre Louvain! - Obéis; je commande, et mon ordre te couvre. - Fais flamber, s’il le faut, la Sorbonne et le Louvre! - Prends-leur Paris,--ou meurs! voilà ce que je veux, - Et que l’histoire dise à nos petits-neveux: - «Guillaume II, géant de Prusse, fut un homme - Plus grand que ce fameux Néron--qui brûla Rome!» - - Il dit, et les Germains répondent: «Hoch! hurrah! - Chef, nous t’aurons Paris! et lorsqu’il flambera, - Alors, docile au roi sanglant qui nous commande, - La France deviendra l’Allemagne plus grande! - Hoch! hoch!» - Tout en jetant le cri cher au Kaiser, - Ils roulent, flot montant d’horreur, de sang, de fer, - De feu,--torrent sans nom qui tord, saccage et broie, - Et c’est bien Attila, c’est la race de proie! - - Les voilà sous Paris, sous l’œil fixe des forts. - - Oh! qui seront les morts? Combien seront les morts? - - --«Les noirs envahisseurs, avec la faim au ventre, - Resteront là longtemps, cherchant par où l’on entre.» - - --«Soit, la France attendra.» - --«Mais s’ils étaient vainqueurs?» - --«On peut vaincre les corps, non la vertu des cœurs; - Nous attendrons toujours: le salut, c’est d’attendre.» - --«Mais s’ils prennent Paris? - --«Se laissera-t-il prendre?» - --«S’ils le prennent?» - --«Eh bien, sur Paris dévasté - Nous attendrons toujours.» - --«Quoi?» - --«Le jour d’équité, - Le triomphe final de la justice sainte! - L’autel du temple est mieux gardé que son enceinte! - L’esprit chrétien, l’esprit pur, ne peut pas mourir!» - - --«Mais s’ils brûlent Paris?» - - --«Nous saurons tout souffrir! - Nous le rebâtirons, sous les yeux de l’histoire, - Avec du ciment rouge et des marbres de gloire! - Nous n’attendons qu’un mot, le dernier, du Destin.» - - - - -XX - - - Ce spectacle et ces voix nous venaient d’un lointain - Formidable,--et ni mes regards ni mes oreilles, - Qui n’auraient pu subir réalités pareilles, - Ne percevaient image ou son; seuls, mes esprits - En eux-mêmes portaient ce spectacle et ces cris. - Et je sentais en moi, dans mon simple cœur d’homme, - Les souffrances de tous, dont je souffrais la somme. - - Et je compris quel faix terrible, à mes côtés, - Portaient, après dix-neuf cents ans, les reins voûtés - Du grand Juif; car son dos, qu’il redressait naguère, - Se courbait sous les maux que déchaîne la guerre, - Et qui lui rappelaient l’horreur du monde ancien. - - --«Paris, libre cerveau, cœur du monde chrétien, - Va périr!... Rien ne peut faire mentir l’oracle, - Criai-je. Rien ne peut nous sauver--qu’un miracle!» - - --«L’oracle, dit le vieux, sur quoi se fonde-t-il?» - - --«Sur l’imminence et sur la grandeur du péril. - Quand le boulet, dans l’air, accourt droit sur la cible, - Empêcher qu’il la frappe est la chose impossible: - Rien ne l’arrêtera sur la fin du trajet.» - - Or, à travers le sol sacré qu’il ravageait, - Peuple conculcateur de la miséricorde, - L’effroyable Germain, armée et pourtant horde, - Roulait à flots grondants comme un torrent mortel. - - Oiseaux rocks fabuleux, souillant le bleu du ciel, - Les taubes allemands, les éperviers corsaires, - Sur Compiègne déjà planaient, crispant leurs serres, - - Et, l’incendie au poing, chargés d’engins maudits, - Déguisés en soldats, je voyais des bandits - Qui menaçaient Paris du martyre et des flammes... - - Et le torrent de fer sanglant, de feux infâmes, - Gagne la capitale! y touche! en rugissant - Sa joie affreuse; et tout est rouge, flamme et sang... - Quand, sous mes yeux hagards, soudainement tout change... - La course au sud devient fuite à l’est?... - --«C’est étrange! - Le hideux cauchemar, criai-je, est-il fini? - Joffre le patient, Maunoury, Galliéni, - Comme Hercule, changeant, d’un simple coup d’épaule, - Le cours d’un fleuve, ont-ils détourné de la Gaule - L’horrible envahisseur, près de nous submerger? - Ou quel dieu nous a-t-il sauvés d’un tel danger?» - - - - -XXI - - - Alors le grand vieillard, désignant tout l’espace - Du ciel, dit simplement: - - --«Vois, là-haut, ce qui passe!» - - Une armée, en plein ciel, étonnait nos regards. - - Spectres flottants, esprits visibles, milliards - De formes, dont chacune était une pensée, - Multitude en une âme unique condensée, - Tous les morts accouraient, sans gestes et sans cris, - Sauver le cœur chrétien de l’univers, Paris. - - Et l’humanité morte emplissait l’étendue. - - Et sans être aperçue, et sans être entendue, - Elle pénétrait tout, réalité sans chair, - Matière éparse, plus subtile que l’éther, - Feu d’un éclat secret plus ardent qu’une flamme, - Fluide magnétique et respirable à l’âme; - Et tous nos combattants sentaient naître en leur cœur - Un dieu, l’enthousiasme, un dieu déjà vainqueur, - Une force innommée, un élan invincible, - Une puissance à qui rien n’est plus impossible... - C’était, dans les vivants, le vœu de tous les morts! - - Des milliards de vœux, des milliards d’efforts, - Tout le labeur humain, depuis l’âge de pierre, - Où l’homme se sentit des pleurs sous la paupière, - Joyeux lorsqu’il connut qu’il pouvait, de sa main, - Sur la paroi des rocs graver un rêve humain, - Et léguer à ses fils l’œuvre à peine rêvée - Pour qu’un jour, par leurs mains, elle fût achevée; - L’espoir d’un idéal que chaque siècle accroît, - L’amour d’abord, puis la justice, enfin le droit, - Tout cela, menacé par un peuple rapace, - L’éternité des morts, substance de l’espace, - Accourait le défendre; et tous, tous étaient là, - Même Caïn! Judas mère et même Attila, - Car, dans la mort immense, où tout crime s’expie, - Les négateurs d’amour, les meurtriers, l’impie, - Se sentent dépouillés d’eux-mêmes, lentement... - - Et servir la justice est leur seul châtiment. - - - - -XXII - - - --«L’humanité, mon fils, par de mauvaises routes, - Rêve confusément, à travers tous les doutes, - D’une paix merveilleuse et d’un amour final. - Parfois elle a cru voir mourir son idéal, - Mais l’éclipse n’est pas la fin et n’a qu’une heure. - L’idéal, qui n’est pas encor, lui seul demeure; - C’est le but immuable et sans fin déplacé, - Et l’avenir y court, sur l’aile du passé. - Sans l’idéal, n’étant que muscles, chair et force, - L’homme, athlète stupide, orgueilleux de son torse, - (La vie et la durée étant leur propre fin) - N’aurait pour tout devoir que d’assouvir sa faim, - Tandis qu’il cherche au monde une plus douce joie; - Et la beauté des cieux est là pour qu’il la voie, - Et la douceur d’aimer pour qu’il la sente en lui; - Et depuis qu’en son cœur son premier rêve a lui, - Astre d’un ciel plus beau que l’autre et non moins vaste, - Cet idéal a fait de lui l’Enthousiaste, - Et tous vont à l’Étoile, et tous lèvent le front, - Et c’est pourquoi les doux sont les forts, et vaincront.» - - Ainsi parla le vieux scruteur de tout mystère - Dont les pas en tous lieux sont écrits sur la terre. - - - - -XXIII - - - Nous croyions distinguer, dans les espaces bleus, - Tous les grands morts, tous les héros miraculeux, - Tous,--les penseurs et les guerriers... Et la bannière - De Jeanne d’Arc flottait, blanche, en pleine lumière, - Et sur cet étendard, qui planait au-dessus - De tous les fronts, ce mot resplendissait: JÉSUS. - - Puis, le soir vint, triste et profond. La cathédrale - De Reims, chef-d’œuvre pur de la France ancestrale, - Profilait son fantôme obscur dans l’azur noir. - Tout à coup, chose affreuse en la beauté du soir, - Sous les obus germains, toute, du faîte au porche, - Toute, elle s’enflamma comme une immense torche... - Et l’on vit, à cheval, aux clartés de ce feu, - Jeanne resplendissante et criant: - --«En nom Dieu, - Anglais! je vous adjure, en avant pour la France! - Nous avons même cœur: ayons même espérance, - Anglais! Boutons-les hors de France! chassons-les!» - - Et Jeanne chargeait, seule, en avant des Anglais. - - - - -XXIV - - - Paris, Paris sauvé jadis par Geneviève, - Voyait se détourner de lui le mauvais rêve, - Et les vils Allemands, les perfides guerriers, - En France même ayant préparé des terriers, - S’y cachaient, poursuivis, tels des bêtes immondes, - Par le glaive de France et le mépris des mondes. - - Dans ces trous, comme en leurs naturels habitats, - Dans ces bauges, vivaient, accroupis, leurs soldats. - - Et comme une eau pourrie exhale ses buées, - Ils soufflaient contre nous des poisons, par nuées - Ténébreuses, et qui, trahissant l’air du ciel, - Rendaient l’azur complice et pestilentiel. - - Leurs gaz asphyxiants, moyens de guerre infâmes, - Semblaient leur propre souffle et l’odeur de leurs âmes. - - - - -XXV - - - Parmi des morts et de grands blessés,--c’est alors - Qu’un Français, se levant, cria: «Debout, les morts!» - Mais nous seuls nous savions que cet appel sublime - Montait vers tous les morts accourus de l’abîme. - - Or, cet appel vibra dans tous les cœurs en deuil, - Au souvenir des morts enterrés sans cercueil. - Et les vierges en pleurs, les femmes noir-vêtues, - Croyaient ouïr les voix chères qui se sont tues... - Et nous, nous entendions chanter, en longs accords, - Ces même voix, lointains adieux d’esprits sans corps: - - --«Nous sommes morts pour vous défendre - Contre de vils envahisseurs, - Vous que nous aimions d’amour tendre, - Vieilles mères, petites sœurs! - - «Jeunesse encor mal aguerrie, - Tout éprise de grâce et d’arts, - Nous sommes morts pour la patrie, - Fiers de tomber sous vos regards. - - «La mort nous prit sans différence, - Riches, pauvres, jeunes ou vieux. - Et nous sommes morts, chère France, - Pour tes fils et pour nos aïeux. - - «Mourir pour toi,--ce fut bien vivre, - O France, cœur du monde! sel - De la terre! esprit du saint Livre - Qui veut l’amour universel! - - «Nous sommes morts pour la défense - Du plus doux idéal humain; - Pour le léguer pur à l’enfance - Qui sera la France demain. - - «Rapprochés par la mort des pères, - Et sentant notre âme sur eux, - Nos fils, dans nos maisons prospères, - Vivront plus fiers et plus heureux. - - «Nous sommes morts pour vous défendre - Contre de vils envahisseurs, - Vous que nous aimions d’un cœur tendre, - Petits enfants,--frères et sœurs!» - - Des tombes, çà et là fraîchement remuées, - Cette hymne, dominant la guerre et ses huées, - S’élançait, rejoignait, comme mêlée au vent, - Les anciens morts,--la mort, autre infini vivant, - Matrice des soleils, semence des étoiles! - Et les femmes, penchant le front sous leurs longs voiles, - Les vieux, un crêpe au bras, plusieurs peuples en deuil, - Répondaient, en un chant de magnifique orgueil: - - --«Vous aurez dans nos cœurs une tombe immortelle, - O vous que votre amour de la paix--a trahis! - Vous fîtes en mourant l’humanité plus belle, - Soldats morts pour notre pays! - - «Nous laissons, sous nos yeux cernés, couler nos larmes, - Mais nos cœurs sont encor plus grands que nos douleurs, - Et sur vos corps, ensevelis avec leurs armes, - Nous jetons des lauriers en fleurs. - - «Votre mort que l’on pleure, on la donne en exemple; - On la pleure en silence, on l’admire à grands cris; - Et nos cœurs éternels sont pour vous comme un temple - Où, dans l’or, vos noms sont inscrits. - - «Vous sûtes, par la mort, avec vos grandes âmes, - Faire, au monde sauvé, des avenirs plus beaux! - Et c’est pourquoi vos sœurs, vos mères et vos femmes, - Vous voient vivants sur vos tombeaux.» - - Telle, en prodigieuse et lente symphonie, - Chantait son chant d’orgueil l’espérance infinie. - - Alors, un autre chœur, mais plus retentissant, - De moins lente harmonie et de plus rude accent, - Vint jusqu’à nous... C’était la voix, l’âme enflammée, - La résolution ardente d’une armée... - Quelque chose pourtant d’allègre et de moqueur - Traversait les accords farouches de ce chœur: - - --«Nos camarades morts sont les moissons fauchées; - Mais nous, nous sommes le grain mûr, - Le grain gonflé d’espoir qui dort dans les tranchées, - Où germine déjà le triomphe futur. - - «Nous avons en mépris cette race allemande, - Son idéal matériel. - C’est la bête puante et féroce,--et gourmande, - L’ours noir qui rôde autour des ruchers pleins de miel. - - «Ruisselantes de sang, baïonnettes vermeilles, - Harcelez le fauve aux pieds lourds! - La brute, sous le dard de toutes les abeilles, - Saura bientôt comment on fait danser les ours. - - «Mais non, le dur Germain n’est pas si débonnaire; - Ce n’est pas l’ours, plaisant danseur; - Et les canons d’Europe, à défaut du tonnerre, - Écraseront, dans sa fange, l’envahisseur! - - «Voyons-le tel qu’il est: un dragon de légende, - Un monstre aux sept gueules d’enfer, - Et jurons-nous d’anéantir l’hydre allemande, - Avec la sape, avec la flamme, avec le fer! - - «Nous sauverons l’espoir, l’amour, la paix des mondes, - En frappant le monstre en plein cœur, - Et nous arracherons les sept langues immondes: - Il tordra ses anneaux sous le pied du vainqueur. - - «Entends-tu le serment des Francs, prince féroce, - Faux roi, Guillaume le second? - Nous mettrons sous nos pieds, sous l’épée et la crosse, - Ta tête affreuse et les sept têtes du dragon. - - «Nous ne voulons revoir nos maisons, plus prospères, - Que sous des drapeaux triomphants, - Quand les mères pourront offrir aux heureux pères - Des lauriers tout en fleurs par la main des enfants.» - - Des soldats souriants chantaient ce chant suprême, - Et la Mort reculait et doutait d’elle-même. - - - - -XXVI - - - La France ainsi chantait, fidèle librement - Au Christ universel, à l’Évangile aimant. - - Or un vent noir, venu du fond de l’Allemagne, - Apporta jusqu’à nous, dans un long sifflement, - Avec un gaz fétide, épars sur la campagne, - Un chant que suit l’effroi, que la mort accompagne... - C’est l’hymne du Christ allemand: - - «Je veux, moi, seul grand dans le monde, - Moi, le seul peuple élu de Dieu, - Purger la terre--elle est immonde-- - Par l’air empoisonné, par le fer et le feu. - - «C’est sur l’ordre exprès de Dieu même, - Que j’attaque, en vils ennemis, - Ces peuples corrompus, que j’aime, - Et qui, pour leur bonheur, doivent m’être soumis. - - «Notre vieux Dieu, celui qu’on nomme - Dieu le Père et le Roi des rois, - Laissa clouer le Fils de l’Homme, - Pour le salut du monde, à l’infamante croix... - - «Je suis le peuple qu’il désigne - Pour crucifier, à mon tour, - L’Humanité, sa fille indigne, - Et je la châtierai sans pitié, par amour. - - «La France est la prostituée - Qui corrompt le vieil univers; - Il faut donc qu’elle soit tuée!... - A nous ses vins! et les plages de ses deux mers! - - «Et puisqu’elle a dit elle-même - Qu’elle est le Christ des nations, - Je justifierai son blasphème: - Je livrerai la France aux tribulations. - - «Allemands! acceptons sans plainte - L’ordre de nous faire un cœur dur: - Nous accomplirons l’œuvre sainte - Que commandent Dieu même et Guillaume le Pur. - - «Soyons des Attilas superbes; - Fléaux par Dieu même voulus, - Foulons les corps comme des herbes! - Où passent nos chevaux, que rien ne vive plus! - - «Torturons nos tristes victimes, - Puisque Dieu veut leur châtiment; - Assurons-leur, bourreaux sublimes, - Un salut éternel par des maux d’un moment! - - «Que leur sanglot nous réjouisse, - Comme il réjouira le ciel! - Dieu m’a dit: «Va! le sacrifice - «Sera d’autant plus beau qu’il sera plus cruel!» - - «Savourons les cris de souffrance! - Pour être grands, soyons sans cœur! - Et sur le monde, et sur la France, - Nous représenterons Dieu même,--et Christ vainqueur.» - - --«Les entends-tu? dis-je au vieillard. - - «En Germanie, - Où l’on condamne à mort l’humanité punie, - Catholiques ou non, tous, prêtres et pasteurs, - Prônent le sacrifice... en sacrificateurs. - - «Ce qu’on prêche, dans les églises allemandes, - C’est un Christ noir, vrai fils du Satan des légendes.» - - - - -XXVII - - - --«La mort, dit Le vieux sage, est un feu dans la nuit; - C’est dans l’obscurité, qu’une étoile éblouit; - Plus s’épaissit l’obscur, mieux on voit toute flamme; - Nuit pour la chair, la mort est lumière pour l’âme. - A peine est-il tombé, que le reître germain, - Qui marchait contre vous, torche ou fusil en main, - Mort, entre frissonnant dans la vérité même, - O France! et c’est alors toi qu’il sert, toi qu’il aime! - Mais toi, France au grand cœur, ce qui fait ton cœur fort, - C’est la fidélité de tes fils dans la mort. - Le lourd crâne carré, que surmonte une pique, - Subit aveuglément son maître satanique, - Mais, cadavre, il le juge; il maudit, plein d’horreur, - L’Antéchrist reconnu dans ce rouge empereur; - Et Guillaume le Fauve à tout moment tressaille, - Quand il passe aujourd’hui sur un champ de bataille, - Car il y voit tous les cadavres allemands, - Le suivre du regard avec des yeux tournants. - Et ce regard, où désespère l’âme humaine, - Pour lui n’a plus d’humain qu’une implacable haine. - - «Le soldat français, lui, mort pour la vérité, - Ne donne à son bourreau qu’un regard contristé... - C’est alors que, sentant l’horreur de sa tuerie, - Le roi rouge, croyant mentir à Dieu, s’écrie: - - --«Je ne l’ai pas voulue!» - «A ce mot, l’œil des morts - Jette des feux qui vont, comme autant de remords, - Fouiller cette âme obscure, éperdue, exécrée, - Où s’allume un enfer d’épouvante sacrée.» - - - - -XXVIII - - - --«Haine! mort! je n’entends que ces mots, et des pleurs! - Père! je meurs de voir tuer!» - - --«Regarde ailleurs.» - - --«Hélas! vieillard! devant tant d’horreurs amassées - Toutes, à tout instant, par d’autres dépassées, - Aucun de nos espoirs ne me reste certain, - Je perds le goût de vivre et le sens du destin. - Le monde entier me semble entré dans la démence. - Comme un naufragé, seul, sur une mer immense, - Désespérément nage, et cherche, autour de lui, - Une épave, un débris flottant, un point d’appui, - Et, n’en trouvant aucun, seul dans la grande houle, - Tout seul contre les flots monstrueux,--sent qu’il coule, - Je meurs à ma raison qui sombre avec ma foi. - Si tu vois un vrai point fixe, montre-le-moi, - Mais qui soit bien réel, non plus dans tes chimères. - On égorge l’enfance! on fusille les mères! - Guillaume a fait cela! le refera demain! - Et qu’un prince vivant soit ce monstre inhumain, - Sans qu’il tombe honni, dégradé par le nombre, - Devant l’inexpliqué ma raison fuit... je sombre! - Et, mourant sans honneur, vainement irrité, - Ma faiblesse me semble une complicité! - - «Oh! lorsqu’on est l’esprit, la tendresse, la grâce, - La France! et reine et libre, et guerrière de race, - Riche, enviée, on a des périls à prévoir, - Et se garder au monde est le premier devoir; - Honneur du monde, on doit, plus belle d’être forte, - Abriter, au milieu d’une invincible escorte, - Ses droits et ses orgueils fièrement défendus, - Sous un dais rayonnant fait de glaives tendus. - - «Sous la voûte d’acier n’être pas bien gardée, - C’est offrir aux périls l’avenir de l’idée, - Les noblesses de l’art, les bonheurs de l’amour, - Tout ce qui rend si doux au cœur--l’éclat du jour. - - «Maintenant qu’une guerre interminable gronde, - Où rencontrer, dans quel recoin du vaste monde, - Puisqu’il faut qu’on massacre ou qu’on soit massacré, - Un geste évangélique et pur, vraiment sacré, - Le Christ en acte et non en mots gonflés d’emphase? - L’heure n’est plus à l’art de cadencer la phrase; - Montre-moi, si tu peux, un héros désarmé - Qui, vrai soldat du Christ, ne veuille qu’être aimé. - - «Alors, tout en foulant cette fange sanglante, - Vieillard, je pourrai croire à la victoire lente - Mais sûre,--de ce Dieu qui, mort sur un sommet, - Jamais ne nous revient et toujours se promet!» - - --«Eh bien, regarde, au plein milieu de la tuerie, - Vois, penché sur les grands blessés, dont la chair crie, - L’homme de paix, qui va les guérir par l’acier, - Et dont le saint labeur est de s’apitoyer, - De vaincre la souffrance et d’exalter la vie; - Par lui, la charité, malgré tout, est servie; - Ennemi de la mort qu’il attaque en soldat, - Seul il défend l’esprit de paix, en plein combat. - - «Vestale des chrétiens, près de lui, l’infirmière - Abrite, de sa main, l’amour--notre lumière. - - «Et parmi les effrois, le prêtre, à leur côté, - Héroïque avec eux, sauve la charité. - - «Tant que ceux-là, souvent martyrs de l’Allemagne, - Donneront aux horreurs la bonté pour compagne, - Le globe pourra voir, du zénith au nadir, - L’astre de Bethléem marcher et resplendir.» - - - - -XXIX - - - De hauts palmiers berçaient au vent leurs nobles palmes, - Sur les bords en gradins d’une rade aux eaux calmes. - - Cela nous apparut comme un vibrant décor, - Où dominait l’azur, où resplendissait l’or. - De notre plateau nu, rocailleux et grisâtre, - Nous admirions, comme un heureux fond de théâtre, - La ville, dont les toits, les clochers et les tours, - Encerclaient cette rade aux sinueux contours. - - Et le spectacle était d’une beauté parfaite. - - Pourtant, dans la cité qu’on aurait crue en fête, - A qui tout souriait, mer pure et ciel serein, - Les arsenaux, battant le fer, fondant l’airain, - Travaillaient pour la mort, à l’appel de la guerre; - Mais tout semblait aussi tranquille que naguère, - D’abord par la vertu du climat souriant - Où s’annonce déjà le charme d’Orient, - Puis, parce que le cœur héroïque de France - Poursuit son rythme, en guerre, en paix, sans différence, - Et que, sûr de sa force, exalté par son droit, - Il jouit du futur triomphe--auquel il croit. - - Nous avions sous nos yeux non pas un paysage, - Mais l’âme de la France aimée,--et son visage, - Tel qu’il était hier, tel qu’il sera demain, - Lorsqu’on aura chassé le cauchemar germain. - - Le grand pavois flottait, triomphant par avance, - En plein ciel libre, à bord du cuirassé PROVENCE, - Qui saluait, du bruit tonnant de son canon, - Le pays des lauriers, dont il porte le nom. - - Dans la montagne et les gorges les plus profondes, - Ce tonnerre, en échos, roulait par larges ondes, - Sans qu’on vît, même au loin, un nuage orageux. - Cachée, et s’exerçant à ses terribles jeux, - La mitrailleuse, exacte à scander ses rafales, - Soufflait ce bruit que fait la mer, par intervalles, - En roulant des galets qui se choquent entre eux. - - Dans l’air pur, tout fleuri de pavillons nombreux, - De blancs oiseaux marins, les ailes toutes grandes, - Entrelaçaient leurs vols en vivantes guirlandes, - Sur cet éden réel, sur ce rêve enchanté. - - Et, devant ces splendeurs de suprême beauté, - Le Mage s’écria: - - --«France, celte et latine, - A tous les beaux destins ta beauté te destine! - - «O France! tu vaincras tes fauves ennemis. - Ton triomphe certain commence; il est promis; - Car il faut que le monde aille vers la lumière, - Et c’est toi, vers l’amour, qui marches la première! - - «L’esprit germain est lourd, comme matériel, - Et le tien est ailé comme l’oiseau du ciel. - - «O France! tu vaincras, car le monde veut vivre. - La terre entière attend le verbe qui délivre, - Et qu’il soit esprit libre ou sentiment chrétien, - Le grand verbe d’amour sur terre, c’est le tien.» - - Entre ciel et mer, blanc, ses deux ailes tendues, - Un hydroavion, roi des deux étendues, - Planait,--et, pour nos cœurs, en ce siècle d’effrois, - Moderne labarum, figurait une croix. - - - - -XXX - - - La vision fondit comme un reflet sous l’onde. - - Et nous étions tous deux, seuls, au sommet du monde. - - Le bruit sourd du canon lointain, à temps égaux, - Ébranlait la montagne en frappant les échos: - On eût dit le marteau d’un Titan dans sa forge. - - Auprès de nous, chantait un petit rouge-gorge; - Sous la croix, sur ce haut désert plat, rocailleux, - Il s’attaquait du bec aux dards des chardons bleus. - - - - -XXXI - - - Et l’univers n’était, sous nos yeux, qu’une plaine. - - Tel, au pied de la croix, Jean, près de Magdeleine, - Le vieillard, sur le haut crucifix vermoulu, - S’appuya, cette fois dans un geste voulu. - Il mourait, et cherchait cet appui de son âme. - - Et de ses veux sa foi jaillit comme une flamme; - Il sembla qu’elle allait allumer tout là-bas - Des renouveaux d’espoir aux cœurs de nos soldats; - - Et l’on eût dit, au front du Sinaï, Moïse - Lançant des feux lointains sur la Terre Promise, - Et certain que les fils d’Israël la verront. - Ses cheveux au soleil irradiaient son front; - Sa barbe ruisselait dans le vent comme un fleuve: - Et ses yeux contemplaient une humanité neuve, - Préparée, à travers tant de siècles éteints, - Par tous les rêves purs qu’on n’a jamais atteints. - - O Terre de l’amour! éternelle espérée! - - Or, sous la Croix, qui me parut démesurée, - Le vieillard, tout à coup, en murmurant: «Je vois!» - Tomba. Tout s’éteignit en lui, regards et voix... - - Et la Croix, sous mes yeux, parut grandir encore. - - Midi, plus rayonnant, mais plus frais qu’une aurore, - Frappait d’aplomb sur nous et sur le Crucifix; - Le Dieu mort promettait le triomphe à ses fils: - Sur ses bras grands ouverts tombait tant de lumière, - Que leur ombre enlaçait la terre tout entière. - - - - -ACHEVÉ D’IMPRIMER - -SUR LES PRESSES DE L’IMPRIMERIE LAHURE - -LE 10 MARS 1916 - - -*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE TÉMOIN *** - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the -United States without permission and without paying copyright -royalties. 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