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If you are not located in the United States, you -will have to check the laws of the country where you are located before -using this eBook. - -Title: Le Témoin - 1914-1916 - -Author: Jean Aicard - -Release Date: April 18, 2022 [eBook #67867] - -Language: French - -Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images - generously made available by the Bibliothèque nationale de - France (BnF/Gallica)) - -*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE TÉMOIN *** - - - - - - JEAN AICARD - de l’Académie française - - LE TÉMOIN - --1914-1916-- - - A la guerre, tout est force morale. - Napoléon. - - Courage, j’ai vaincu le monde. - Jésus-Christ. - - - PARIS - ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR - 26, RUE RACINE, 26 - Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays. - - - - -ŒUVRES DE JEAN AICARD - -Collection in-18 jésus à 3 fr. 50 le volume - - -ROMANS - - Le Pavé d’Amour 1 vol. - Roi de Camargue 1 vol. - L’Été à l’Ombre 1 vol. - L’Ame d’un Enfant 1 vol. - Notre-Dame d’Amour 1 vol. - Diamant noir 1 vol. - Fleur d’Abîme 1 vol. - Malita 1 vol. - L’Ibis bleu 1 vol. - Tata 1 vol. - Benjamine 1 vol. - Maurin des Maures 1 vol. - L’Illustre Maurin 1 vol. - - -POÉSIE - - Les jeunes Croyances 1 vol. - Rébellions, Apaisements 1 vol. - Poèmes de Provence (cour. par l’Acad. fr.) 1 vol. - La Chanson de l’Enfant (cour. par l’Acad. fr.) 1 vol. - Miette et Noré (cour. par l’Acad. fr. Prix Vitet) 1 vol. - Lamartine (cour. par l’Ac. Prix du budg.) 1 vol. - Le Livre d’heures de l’Amour 1 vol. - Visite en Hollande 1 vol. - Le Dieu dans l’Homme 1 vol. - Au Bord du Désert 1 vol. - Le Livre des Petits 1 vol. - Jésus 1 vol. - - -THÉATRE - - Au clair de la Lune (un acte en vers) 1 vol. - Pygmalion (un acte en vers) 1 vol. - Smilis (4 actes en prose, à la Comédie-Française) 1 vol. - Le Père Lebonnard (4 actes en vers représentés à la - Comédie-Française) 1 vol. - Don Juan 1 vol. - Othello, le More de Venise (5 actes en vers, représentés à la - Comédie-Française). Portrait de Mounet-Sully, par Benjamin - Constant 1 vol. 4 fr. - La Légende du Cœur (5 actes en vers représentés au Théâtre - Antique d’Orange et au Théâtre Sarah-Bernhardt) 1 vol. - Le Manteau du Roi (5 actes en vers représentés à la - Porte-Saint-Martin) 1 vol. - Théâtre, tome I. - Théâtre, tome II. - - -77572.--Imprimerie LAHURE, rue de Fleurus, 9, à Paris. - - - - -A MA SŒUR - -MADAME JACQUELINE LONCLAS - -morte le 12 juin 1915 - - - - -Chère grande sœur, - - -J’avais commencé ce poème en 1913, et je t’en ai lu les douze premiers -chants en 1914, à la veille de cette guerre, qui, toute une année, fut -ton tourment. Elle te fit dire, le jour où l’on l’apprit qu’un de nos -jeunes amis était tombé sous les balles allemandes:--«Je sacrifierais -volontiers le temps qui me reste à vivre, si ma mort pouvait sauver -pareille jeunesse!» Je sais pourtant avec quel chagrin tu te sentais -arrachée lentement à mon infinie tendresse... - -Ce poème, dont la guerre a modifié le plan, sans rien modifier des -conclusions, je te le dédie, comme je t’ai dédié tous mes ouvrages,--car -la mort ne m’a pas séparé de toi: ton âme plus que jamais inspire et -soutient la mienne. - -JEAN AICARD. - -La Garde (Var), Décembre 1915. - - - - - CE POÈME A ÉTÉ LU - POUR LA PREMIÈRE FOIS - A BORD DU CUIRASSÉ PROVENCE - EN PRÉSENCE DE MM. LES OFFICIERS RÉUNIS - LE 30 DÉCEMBRE 1915 - ET - LES DEUX STROPHES SUIVANTES - EN SOUVENIR D’UNE COMMUNE ÉMOTION - ONT ÉTÉ COMMUNIQUÉES - A L’ÉQUIPAGE - PUIS INSCRITES - DUNE FAÇON DURABLE - A BORD DU CUIRASSÉ. - - - - -AU CUIRASSÉ PROVENCE - - - TON PAVILLON ET TON CANON, - JE LES VOIS VAINQUEURS PAR AVANCE, - FIER VAISSEAU QUI PORTES LE NOM, - L’AME ET LE NOM DE LA PROVENCE. - - AME FRANÇAISE, NOM LATIN, - C’EST LÀ DEUX GRANDEURS DE L’HISTOIRE; - ELLES T’ASSIGNENT TON DESTIN: - TU VAS NAVIGUER VERS LA GLOIRE. - -J. A. - - - - -TABLE DES TITRES - - - I.--Dans le Crépuscule 1 - II.--La Rencontre 5 - III.--Les Lassitudes 7 - IV.--Dans la Nuit 11 - V.--Les Présages 15 - VI.--L’Invective 19 - VII.--Le Témoin 27 - VIII.--Christophore 31 - IX.--L’Amour 35 - X.--L’Aurore 41 - XI.--C’est le Passé 43 - XII.--La Chaîne 47 - XIII.--La Tempête 51 - XIV.--Aux Armes! 57 - XV.--Le Doute 63 - XVI.--Sous le Soleil 69 - XVII.--Vers l’Unité 73 - XVIII.--La Croisade 79 - XIX.--La grande Menace 85 - XX.--Le Miracle 91 - XXI.--Les Morts 95 - XXII.--L’Idéal 99 - XXIII.--La Bonne Lorraine 101 - XXIV.--Odeur d’Ames 103 - XXV.--Debout, les Morts! 105 - XXVI.--Le Christ Allemand 115 - XXVII.--La Vérité 121 - XXVIII.--Les Désarmés 125 - XXIX.--Force et Sérénité 131 - XXX.--Le Rouge-Gorge 137 - XXXI.--La Terre promise 139 - - - - -LE TÉMOIN - - - - -I - - - C’était l’heure où, les yeux et le cœur pleins de doute, - Le marcheur devant lui voit s’effacer sa route, - Et, serrant son bâton comme une arme en sa main, - Cherche un gîte où dormir, en espérant demain. - - C’était l’heure où l’on sent sa lassitude, l’heure - Où l’on sent mieux qu’il faut que toute chose meure; - Heure auguste, où le froid qu’exhalent les tombeaux - Mêle une inquiétude au désir du repos, - Submerge les contours et les couleurs des choses, - Et, de la plaine, aux pics neigeux, saignants et roses, - Marée étrange, monte--et, lourde de sommeil, - Couvre sur l’horizon la gloire du soleil. - - Aux temps païens, quand sur nos chemins tombait l’ombre, - Quand les astres, qui sont les figures du Nombre - Et du Rythme, un à un, s’allumaient dans le ciel, - Les dieux, termes concrets de l’immatériel, - Muses, nymphes, tritons, les grâces et les forces, - Lentement s’échappaient des rochers, des écorces, - Et des mers, pour charmer les soirs mystérieux... - - L’approche de la nuit était l’heure des dieux. - Heure infinie, affreuse et tranquille, pareille - A celle où, se parlant de Jésus, mort la veille, - Deux pèlerins, dont l’un se nommait Cléophas, - Sur la route déserte où résonnait leur pas, - Dans la lente ténèbre où, sans voir, l’œil devine, - Virent soudain près d’eux, ombre humaine et divine, - Un inconnu surgir, étrange compagnon - Dont ils sentaient l’amour sans connaître son nom. - - - - -II - - - C’était cette même heure, et, venant de la ville, - Je regagnais mon champ, la maison, mon asile, - D’un pas de plus en plus inquiet et pressé, - Quand, devant moi, parut, spectre obscur et lassé, - Un mendiant très vieux, qui portait à grand’peine, - Tout seul, toute l’horreur de la misère humaine. - Malgré l’ombre, où mourait encore un peu du jour, - Je le voyais pliant sous ce fardeau trop lourd. - Un bâton soutenait l’effort de son courage; - Et, fouettant son manteau déchiqueté par l’âge, - Sa barbe aux flots tordus semblait, drapeau vivant, - Un haillon de douleur que déchire le vent. - - - - -III - - - Un vieil usage veut, au pays de mes pères, - Que, le soir, quand les loups sortent de leurs repaires, - On souhaite la paix aux passants inconnus. - Donc, lorsque je joignis ce vieillard aux pieds nus, - Je formulai le vœu qu’un salut accompagne, - Puis j’ajoutai:--«L’orage assombrit la campagne; - Allez-vous loin, par ces chemins très écartés? - Je puis--le voulez-vous?--marcher à vos côtés.» - - --«Soyez remercié, bon passant, mais j’ignore, - Chaque soir, en quel lieu me trouvera l’aurore: - Marcher ce soir, demain, toujours, c’est mon destin; - Et j’arrive du fond d’un passé si lointain - Que ma lassitude est sans mesure; je porte - Tous les maux et l’espoir de l’humanité morte.» - - --«Vous ne m’étonnez point, car moi-même, ô passant, - Je me plains comme vous parfois; en vieillissant, - On croit porter en soi l’âme même du monde; - On sent partout la noire éternité profonde; - On a tout vu, tout lu, tout souffert, on est las, - Et le vœu de mourir alourdit tous nos pas.» - - Je dis, et regardai mon compagnon de route; - Son dos, quoique bombé comme l’arc d’une voûte, - Maintenant semblait jeune et ses pas résolus, - Et je ne sais pourquoi je ne le plaignais plus: - On l’eût dit plein de force, et que son âme seule - Portât l’expérience et l’âge d’une aïeule, - Quand son corps résistait sans peine au poids des temps. - A chaque pas, ses pieds, tout à l’heure hésitants, - Plus raffermis, semblaient prendre, par un mystère, - Un élan de jeunesse au contact de la terre. - - Il me dit:--«De quel droit un dégoût si profond? - L’œuvre lente et sans fin que de longs siècles font, - Aucun siècle n’en voit au loin toute la trame: - Un instant, joie ou peine, occupe seul votre âme, - Comme le site étroit, dans un bois spacieux, - Fourré sombre ou clairière, occupe seul nos yeux.» - - - - -IV - - - Il dit. Nous cheminions dans la longue vallée, - Sous la nuit orageuse et comme désolée. - Au ciel, pas un éclair, pas un petit point d’or; - Le mont pourtant s’y découpait plus noir encor; - Nos sentiers rocailleux, contournant la montagne, - Étaient noirs; pas un feu, dans toute la campagne, - N’annonçait la douceur des asiles humains; - Et la nuit transformait en gouffres nos chemins. - - Il dit:--«Que souffre-t-on qui soit plus qu’une peine, - Tant que l’on n’a vécu rien qu’une vie humaine?» - - --«C’est avoir tout souffert qu’avoir subi l’amour, - Dis-je; c’est l’éternel enfer en un seul jour! - Né du désir, toujours déçu, de tout connaître, - L’amour, faux prometteur de joie, attire un être - Comme l’aimant fatal attire un brin de fer. - L’amour, qui soumet l’âme aux frissons de la chair, - Et nous fait accepter l’horreur de nous survivre, - Est un vin traître dont l’odeur vireuse enivre. - L’homme, meilleur que Dieu, voudrait, mais veut en vain, - Mêler aux âpretés de ce perfide vin - Un miel que la nature ignore: la tendresse; - Seules, les voluptés sont donneuses d’ivresse, - Et, fier de piétiner des flancs nus, de beaux seins, - Comme le vendangeur écrase les raisins, - L’amant ivre, brutal et cruel par nature, - Sans pitié comme Dieu, foule la créature! - La tendresse eût voulu poser, comme une sœur, - Sur un front douloureux son charme de douceur; - Le dévoûment, son baume apaisant sur la plaie; - Mais devant la laideur, le lâche amour s’effraie - Et se détourne... il faut des corps neufs au désir! - Le Minotaure, entre les vierges, veut choisir, - Et ce dragon, aussi nombreux que nous le sommes, - Renaît sans cesse au cœur des femmes et des hommes, - Et la moitié du monde, en un rut sans pitié, - Férocement affronte et mord l’autre moitié! - A peine si, parfois, un tendre et triste couple - Par les sentiers perdus s’enlace d’un bras souple; - Les autres, se roulant à terre, n’ont en eux - Que des tourments jaloux et des amours haineux; - Et telle, subissant la destinée aveugle - Qui livre au taureau fou la génisse qui meugle, - La vie en gémissant se terrasse et se mord, - Et s’enfante à jamais pour l’amour et la mort!» - - - - -V - - - --«Parmi les maux sans fin dont l’éternité pleure, - Enfant, tu n’as souffert que les tiens, et qu’une heure!» - - Je lui dis:--«J’ai souffert aussi les maux d’autrui: - Comme l’humanité, je traîne, dans la nuit, - Sous le ciel dont l’affreux silence nous menace, - Un reste douloureux d’espérance tenace. - Oui, j’espère en un rêve auquel je ne crois pas, - Et le vœu de mourir alourdit tous mes pas. - Il sera doux, l’instant où la morne inconnue - Entre ses bras terreux dissoudra ma chair nue; - Où ma chair cessera de redouter l’amour; - Où, ne regrettant rien, qu’un peu l’éclat du jour, - Je dormirai content de ne plus voir l’envie, - Acharnée et mordant sur la plus belle vie, - Insulter ou nier les plus nobles efforts. - - «Oui, j’appelle à grands cris la paix, la paix des morts, - Puisqu’il n’est pas d’amour certain ni de justice! - Oui, j’invoque le pur néant, seul dieu propice! - Un Autre avait promis à ce monde d’effrois - Qu’il viendrait apaiser les peuples et les rois, - Les courber sous sa main, les unir sous son règne; - Mais Celui-là n’est plus qu’une image qui saigne - Et montre à l’univers un flanc déchiqueté! - Son cœur n’est qu’une plaie ouverte à son côté, - Et c’est comme une bouche effroyable et plaintive - Qui crie en vain: «Seigneur! que votre règne arrive!» - Rien, rien ne lui répond, qu’un silence infini, - Le même au Golgotha que sur Gethsémani! - Il s’est trompé, Celui qui disait: «Paix sur terre!» - Sur le mont déserté la croix est solitaire; - La Guerre à l’œil de brute, au front dur et têtu, - Piétine, dans le sang, sur le temple abattu! - Les vrais rois sont ceux-là qui, brandissant l’épée, - Fouaillent comme un troupeau l’humanité dupée; - Le monde horrible attend les pires lendemains; - La haine arme partout les enfants des humains; - Les femmes, autrefois des mères attendries, - Contre l’antique époux se dressent en furies: - Et Celui qui promit au monde la pitié, - Aux mains des flagellants n’est qu’un fou châtié! - Il est traqué, raillé, chassé de tous ses temples, - Exemple mémorable, entre tous les exemples, - De l’inutilité d’avoir,--seul, au milieu - Des hommes vils,--la grâce et la beauté d’un Dieu!» - - - - -VI - - - A ces mots, tout le ciel craqua comme une voûte - Qui tout à coup s’entr’ouvre en se lézardant toute: - Et des gouffres de feu parurent au travers, - Par des trous aussitôt refermés qu’entr’ouverts. - L’occident noir poussait, au-dessus de nos têtes, - Les nuages, coursiers qui, fouettés des tempêtes, - Paraissaient secouer des flammes dans leur crin; - Sous leur galop, le ciel fut comme un pont d’airain - Qui vibre en sons profonds qu’un écho sourd prolonge; - Et, tout haut, malgré moi, je disais, comme en songe: - - --«N’est-il pas fou, ce dieu,--quand tout doit démentir - Sa doctrine, sa vie et sa mort de martyr, - (Et qui le sait! et qui connaît la race humaine!) - D’annoncer aux humains sa victoire certaine? - A peine intelligible à notre humanité, - N’est-il pas fou de croire à l’homme racheté? - Fou de croire qu’un jour tous iront dans sa voie? - Et sa mort,--au sommet d’un mont, pour qu’on la voie - De tous les horizons,--sa mort sur ce haut lieu, - N’est-elle pas vraiment la défaite de Dieu? - Elle est la grande preuve, éclatante, achevée, - Qu’en lui l’amour ne fut qu’une splendeur rêvée! - O Golgotha! sommet de honte! pilori - Où l’unique Bonté jette en vain son grand cri! - Monument d’infamie, où l’illusion sainte - Pousse éternellement son inutile plainte! - Trône où l’Envie, assise, heureuse, fouet en main, - Incarnant tout le lâche et hideux genre humain, - Tient sa cour de bourreaux, qui ricane autour d’elle! - Piédestal odieux de la haine immortelle - Qui brandit, en riant, les marteaux et les clous! - Autel où l’agneau blanc s’offre en victime aux loups! - Comment peux-tu paraître à l’humaine mémoire - La cime où Dieu le Juste achève sa victoire? - La justice avec lui fut roulée au linceul; - On entrevoit l’amour dans le rêve d’un seul, - Mais on veut oublier l’abandon des apôtres: - Le renîment de Pierre et la fuite des autres. - Et deux mille ans plus tard, ô Jésus mort pour nous, - On cherche sous ta croix un fidèle à genoux; - Car les pharisiens, qui font semblant de croire - A ton pouvoir d’amour, le savent illusoire. - Le bataillon sacré, tes chevaliers, soutiens - Du trône et de l’autel, ces deux pôles chrétiens, - Ceux-là, les prétendus servants de ta doctrine, - Qui la disent encore efficace et divine, - Ceux qui t’appellent Dieu de pitié, Dieu le Fils, - Et brodent saintement ta bannière de lys, - Tes derniers pèlerins, à peine quelques hommes, - Nous connaissant mauvais et vils, tels que nous sommes, - Tout en te proclamant vainqueur, ô dieu vaincu, - Voient bien qu’en vain leur dieu sur la terre a vécu - En homme,--et que ta mort n’a pas sauvé les mondes! - Et t’invoquant toujours, sans que tu leur répondes, - Ils appellent sur nous, châtiment mérité, - Un dieu-soldat, l’épée en main, casqué, botté, - Qui foule, sous des pieds sanglants, l’âme elle-même, - Pour être, et non plus toi! le chef, le dieu suprême. - ... Tes espoirs infinis sont-ils assez déçus! - Quelle erreur fut égale à la tienne, ô Jésus! - Oh! si du moins, quand sur ton gibet ton sang coule, - Un seul cri de pitié s’élevait de la foule! - Mais qu’espérais-tu donc de ce peuple au cœur bas? - Son ami n’est jamais Jésus; c’est Barrabas! - Mendiant de pitié sans pitié pour lui-même, - Il ne sert pas l’amour et demande qu’on l’aime! - A peine si le bon pasteur sauva parfois - Quelque errante brebis accourue à sa voix; - Le reste n’obéit qu’au chien puissant qui gronde; - Et, veule, piétinant dans sa fange profonde, - La foule est un troupeau qui bêle vers la mort! - Que si, rebelle un jour aux caprices du fort, - Un peuple, en justicier, tout à coup se redresse, - Lui qui, dans l’esclavage, invoquait ta tendresse, - Lui, doux vaincu d’hier, devient un dur vainqueur! - Dès qu’il a la victoire au nom des droits du cœur, - En hâte il les abjure, et sous ses pieds les broie: - Le doux agneau bêlant devient bête de proie. - Et c’est ainsi toujours qu’un juste révolté - Rend aux tyrans déchus un droit d’iniquité. - - «Ta statue était d’or avec des pieds d’argile, - Christ! Deux mille ans après l’aube de l’Évangile, - Tes prétendus chrétiens, sur l’univers à feu - Et à sang, blasphémant l’humanité de Dieu, - Relèvent Sabaoth, que leur folie adore, - Et dont la rouge gloire efface ton aurore! - Il s’est aussi fait homme; il est le dieu rival; - Tu passais sur un âne: il te nargue à cheval! - Les hommes fascinés, glorieux dans la honte, - Baisent les durs sabots de la bête qu’il monte. - C’est lui que l’on invoque à toute heure et partout; - Son image de bronze est la seule debout; - Tout puissant ou martyr, lui qu’en tremblant on nomme, - C’est lui qu’on voudrait être ou subir: le surhomme, - NAPOLÉON! C’est lui, lui seul, le roi des rois! - En un hochet de guerre il a changé ta croix; - Et nul n’en peut parler, sans qu’une voix réponde: - «C’est lui le vrai sauveur, le vrai maître du monde - «C’est lui le dieu d’hier et le dieu de demain, - «Qui règne et tient le globe étoilé dans sa main. - «Il ressuscitera selon la prophétie; - «C’est le mort qu’on attend toujours, le vrai Messie...» - - «J’ai tout vu, j’ai tout lu, tout souffert; je suis las, - Et le vœu de mourir appesantit mes pas...» - - - - -VII - - - --«Un livre, dit le vieil homme, est l’ombre d’un songe - Où, sans voix ni couleur, le passé se prolonge. - Ce sont des siècles, non des livres, que j’ai lus: - Bien des maux sont soufferts--que l’on ne verra plus.» - - Quand il se tut, la foudre errait encor, lointaine; - Puis un éclair muet illumina la plaine. - Le vent faiblit; sous des nuages moins épais, - Les grands bois frissonnants sentaient venir la paix. - - Il dit: - --«Je vois encor Jésus, devant ma porte, - Tomber sur ses genoux avec la croix qu’il porte. - Croyant son œuvre folle et son martyre vain, - Moi, fou, j’ai comme vous raillé l’homme divin. - Lui, ne m’a point maudit; il n’a maudit personne, - Étant toujours celui qui bénit et pardonne, - Mais il m’a regardé de son regard touchant, - Doux à qui le menace et tendre au plus méchant, - Et ce regard disait: «Tout passe: je demeure. - «Comment juger les temps, lorsqu’on ne vit qu’une heure? - «Je n’ai pas mérité ton rire et ton affront... - «C’est pourquoi tu vivras, quand les siècles mourront; - «Ainsi tu pourras, fût-ce après deux mille ans d’âge, - «Vieux comme un monde, ô Juif, me rendre témoignage. - «Tu marcheras sans halte, et partout, de tes yeux, - «Partout tu pourras voir mon pas mystérieux. - «Tu ne t’arrêteras, mort, dans ma paix profonde, - «Que le jour où j’aurai soumis l’âme du monde.» - - - - -VIII - - - Un nuage s’ouvrit, au zénith, lentement, - Par où nous souriait un peu du firmament; - Puis la lune, en ce coin d’espace, parut toute, - Éclairant de pâleurs mon compagnon de route. - - Ce vieillard, moins que moi lamentable, et moins las, - Et qui pourtant portait un monde, comme Atlas, - Ayant levé le front, parut grandir encore. - Je songeai: «Ce n’est point Atlas, c’est Christophore! - Il porte un souvenir plus lourd qu’un Christ-enfant, - Un dieu qu’on dit vaincu, mais qu’il croit triomphant; - Vingt siècles de combats pour la croix ou contre elle...» - - Il reprit, de sa voix calme et surnaturelle: - - --«Je marche sans repos, pour être le Témoin. - Derrière moi, le jour où je partis est loin, - Plus loin peut-être encore est devant moi ma halte; - Mais ma foi dans le jour qui m’est promis, m’exalte, - Et lorsque, par moments, les peuples plus heureux - Ont des princes moins durs ou moins de haine entre eux, - Alors, je sens venir la paix, et, comme une onde, - En mes veines courir la jeunesse du monde; - Un jeune espoir joyeux marche avec mes pieds lents; - Pour le monde et pour moi, qu’est-ce que deux mille ans? - J’ai deux mille ans, j’ai vu Lutèce et les deux Rome, - Et les hommes mourir, mais vivre et grandir l’Homme, - Car l’Homme a la durée et chacun n’a qu’un jour. - Les générations font, chacune à son tour, - En criant vers le ciel, leur chemin vers l’abîme... - Or, tout mortel, n’ayant que sa minute infime, - Nomme ses moindres maux le comble des malheurs, - Et ne reconnaît pas si les temps sont meilleurs; - Mais moi qui mesurai les horreurs de la vie - Sur la route au tombeau par vingt siècles suivie, - Moi qui raillai Jésus tombé sur le chemin, - Je sens mon cœur plus large et l’homme plus humain. - - «Qui laisserait Jésus, à l’époque présente, - Cheminer sans secours sous la croix écrasante? - Depuis l’heure où le grand crime fut accompli, - La croix n’est-elle pas un supplice aboli? - Le juge, en condamnant, n’est-il pas moins sévère? - Les fils du bon larron béni sur le Calvaire - Connaissent-ils encor l’in-pace ténébreux? - Les engins de terreur, toujours dressés contre eux, - Coins et poires d’angoisse, et toutes les tortures? - - «La loi se fait clémente aux pires créatures; - L’arbre infâme est en fleurs... L’ombre est douce, ô mon fils, - Qui sur nous et sur tous--tombe du crucifix.» - - - - -IX - - - Sur les pics où le bord du firmament repose, - Une lente lueur, blanche d’abord, puis rose, - Ondulante, marqua les lignes d’horizon. - Et, devinant au loin le toit de ma maison: - --«Le repos nous attend sur ma terrasse haute, - Lui dis-je, sous la treille où vous serez mon hôte.» - - Lointain, les yeux perdus, il ne m’écoutait pas, - Et c’est son rêve seul qu’il suivait à grands pas. - - --«L’amour, dit-il (et sa voix grave était plus grave), - C’est le maître insolent qui deviendra l’esclave. - Les loups dans les forêts, les ours, même les cerfs, - Et, dans les sables roux, les lions des déserts, - Avec des cris haineux, pris de fureur jalouse, - Bramant ou rugissant d’amour, mordent l’épouse; - Les hommes font comme eux, et leurs désirs grondants, - Fauves hargneux, ne sont que griffes et que dents. - La griffe rétractile, ayant guetté, veut prendre; - La dent se réjouit d’entrer dans la chair tendre; - Qu’importe au cerf ardent, lascif et furieux, - L’inutile refus de la biche aux grands yeux? - En proie au faux amour, l’âme en vain crie et saigne, - Et la tendresse humaine attend toujours son règne. - C’est pourquoi, détournant des hommes mon regard, - J’ai cherché l’homme--et vu, calme et chaste, à l’écart, - Le couple pur errer sous la forêt ombreuse. - J’ai vu, sur un seuil blanc, une sainte amoureuse - Attendre le retour du fiancé lointain; - L’amour est un plein jour dont elle est le matin; - Tout l’avenir aimant naîtra de cette aurore - Qui n’est qu’une lueur fraîche, incertaine encore; - Et ce couple de deux bons cœurs, simples et purs, - N’est que l’image en fleur d’innombrables futurs. - Ces deux êtres liés, douceur, candeur et grâce, - Promettent à l’amour une nouvelle race. - Ce seul couple béni, qui s’aime sans tourment, - Prépare à l’avenir un paradis aimant; - Et qu’importe s’il a désappris l’Évangile? - Tout amour vrai, qui n’est ni cruel ni fragile, - Fut un rêve ineffable au cœur de Jésus-Christ, - Car la lettre n’est rien, selon qu’il est écrit. - Oui, compagnon, il faut voir, par-delà les hommes, - Ce que nous deviendrons et non ce que nous sommes. - Vaste est l’amas des temps; le mal rampe au-dessus; - Par-dessous, mon œil suit la trace de Jésus. - Or, elle est comme une eau secrète sous la terre, - Où, dès qu’elle jaillit, l’oiseau se désaltère; - Je sais la reconnaître à ses reflets de feu, - Qui, là, semblent s’éteindre; ici, renaître un peu; - Et c’est en elle enfin, source, pluie ou rosée, - Que toute eau bonne à boire est et sera puisée. - Oui, sous les cris discords, j’entends de pures voix; - Écoute-les, sois attentif, regarde et vois: - Les œuvres de bonté, parmi tant d’œuvres viles, - Fleurissent, comme, sur le pavé noir des villes, - Quelques arbres, parmi les charrois et les cris, - Tendent au ciel lointain de beaux thyrses fleuris. - Que d’asiles de luxe offerts à la misère! - Que d’infirmes, manquant chez eux du nécessaire, - Hommes, enfants, vieillards, mères aux seins gonflés, - Y trouvent leur salut, ou meurent consolés. - D’autres que des croyants donnent les grands exemples. - Jamais la charité n’éleva plus de temples. - Et même l’animal,--que Christ a racheté, - Quand sur un âne, sans orgueil, il est monté,-- - Le cheval dans l’étable et le chien à la chaîne, - Sentent passer sur eux de la tendresse humaine... - - «Crois-moi, mon fils, car j’ai vingt siècles révolus, - Bien des maux sont soufferts, qu’on ne reverra plus.» - - - - -X - - - Derrière les grands pics montait l’aube sublime; - Puis l’aurore alluma des feux sur chaque cime. - Candélabres géants, ténébreux par en bas, - Les pins, les châtaigniers, ouvrant de larges bras, - Portaient, au plus fin bout de leurs épaisses branches, - Des feuilles qu’un reflet changeait en flammes blanches; - Les nids se réveillaient; une joie en frissons - Courait sur la colline où naissaient des chansons. - - Et le témoin de tant de jours tombés au gouffre, - De tous les maux soufferts et de tous ceux qu’on souffre, - Tourna vers moi son front par l’aurore éclairé. - On ne sait quoi de grand, d’étrange, de sacré, - La force du prophète et la douceur du sage, - Étaient, en creux profonds, gravés sur son visage. - Ses cheveux sur ses reins tombaient, bouclés et blancs; - Sa barbe en nœuds tordus s’enroulait à ses flancs; - Aux plis déchiquetés de sa souple tunique, - Le vent jeune arrachait une poussière antique; - Et, depuis deux mille ans, n’ayant fait que marcher, - Ses grands pieds, nus et durs, effritaient le rocher. - - - - -XI - - - Il dit:--«Témoin d’horreurs dix-neuf fois séculaires, - J’ai vu l’immense arène, aux hauts murs circulaires, - Qui, tout chargés de fronts, d’yeux et de bras mouvants, - Semblaient d’horribles murs faits de moellons vivants; - Les parois de ce puits hurlaient par mille bouches, - Et les regards étaient, sous des sourcils farouches, - Plus mordants et plus durs que le ciment romain. - Tout le fond de ce puits n’était que sang humain, - Et luisait sous les yeux des horribles murailles. - Ventre ouvert, retenant à deux mains leurs entrailles, - Les gladiateurs, nus, saluaient en mourant - Le vil César, qu’un peuple avili faisait grand. - Et toute cette horreur a passé comme un rêve. - Les vierges, les enfants qui saignaient sous le glaive, - S’étant donné la main l’un à l’autre en s’aimant, - Calmes, ont regardé le glaive fixement. - Le cirque a dit: Je hais! Ils ont répondu: J’aime! - Et le glaive est tombé, vaincu, dans leur sang même.» - - --«Vaincu pour peu de temps; des rois l’ont ramassé! - Des papes ont brandi le fer!» - - --«C’est le passé.» - - --«Un moine inventera la poudre... Oh! que de veuves - Pleurent les huguenots, chrétiens jetés aux fleuves!» - - --«C’est le passé.» - - --«Toi même, ils t’ont persécuté, - Juif, tous ces prétendus rêveurs de charité.» - - --«C’est le passé, qui fut rage, haine, colère. - Le jour vient, le regard du Juif même s’éclaire.» - - --«Le vieux peuple des Francs décapite son roi; - Lorsque la liberté règne, c’est par l’effroi. - A leur tour les martyrs ont ramassé l’épée: - Notre foi dans leur Christ, c’est eux qui l’ont frappée!» - - --«L’épée est belle aux mains vengeresses du Droit! - - --«Ton Christ nous a menti, plus personne n’y croit!» - - --«Qu’importe à Dieu les noms mortels dont on le nomme? - Amour, bonté, ces mots sur les lèvres de l’homme - Sont des noms plus humains de l’immatériel. - L’homme ne vit que pour lever les yeux au ciel; - Il y cherche à jamais l’idéal, son étoile; - L’orage n’est jamais qu’une heure, et n’est qu’un voile; - L’étoile est fixe au fond des gouffres infinis; - Et les hommes, pervers à la fois et bénis, - Tous rencontreront Dieu, puisque Dieu pour la terre - N’est qu’énigme, et que tous se heurtent au mystère... - - «L’Évangile chemine, et moi, je suis des yeux - Le triomphe du Christ, secret et merveilleux.» - - - - -XII - - - Nous restâmes longtemps plongés dans ce silence - Où l’esprit, comme dans un abîme, s’élance - Jusqu’à des profondeurs où les mots ne vont pas. - - Enfin le grand vieillard reprit d’un ton plus bas: - - --«Oui, vingt siècles auront suffi pour sa victoire. - Vous la mesurez lente au compas de l’histoire? - Je l’estime autrement. Vous, c’est par millions - Que vous comptez les morts des générations, - Depuis le soir où, sur la croix, Jésus expire; - Et vous répétez: «Comme il tarde, son empire!» - Tandis que je me vois seulement séparé - Par vingt hommes au plus, de son siècle sacré. - - «A l’heure où Christ, mourant, rentrait dans la lumière - Un enfant m’appela de sa plainte première. - Cet enfant, je le vis s’éteindre après cent ans, - Juste à l’heure où, près d’un berceau, ses fils, contents, - Accueillaient leur enfant à sa première plainte. - Ce fils, le soir de sa centième année atteinte, - Mourut. Et j’en ai vu vingt ainsi, tour à tour, - Lorsqu’un enfant de ses enfants venait au jour, - Expirer; et je vois que, du siècle où nous sommes, - Si je retourne au Christ par cette chaîne d’hommes, - Vingt hommes seulement, enlacés par la main, - Sont entre nous et le sauveur du genre humain.» - - Le grand vieillard se tut. J’avais l’âme étonnée. - A remonter les temps, non d’année en année, - Mais par ces vingt chaînons d’hommes vivant très vieux, - Les uns mourant quand les autres ouvraient les yeux, - Il semblait qu’un esprit divinement agile - M’emportât dans la crèche où naissait l’Évangile. - - --«Jésus, qu’on croit si loin de nous, est donc tout près? - Oh! comme j’aimerais le voir! J’arrêterais - Un peu, rien qu’en baisant le bas de sa tunique, - L’homme si merveilleux qu’il reste l’homme unique, - L’exemple, le modèle incomparable et pur, - Le maître maternel, le conseil calme et sûr, - L’être si beau, si calme et si pur, que nous, hommes, - Montrant par là que nous jugeons ce que nous sommes, - Nous n’avons pas admis qu’il fût un d’entre nous, - Et nous ne le nommons qu’en pliant les genoux!» - - Le vieillard souriait: - --«Dans le temps et l’espace, - Dès que l’homme, plus grand que l’homme, se dépasse, - Beau des vertus dont nous n’avons qu’un désir vain, - Nos cœurs, en le suivant, entrent dans le divin. - Et le divin, c’est nous meilleurs, nous bons et justes; - Le sens en est vivant dans les cœurs les plus frustes; - C’est le sens de l’amour, et rien n’est au-dessus, - Sinon l’amour lui-même, et l’amour c’est Jésus. - L’homme y va lentement, et par toutes les voies; - Par les pires douleurs, il marche vers ses joies; - Vous, vous désespérez du triomphe d’amour? - Moi, deux mille ans de nuit m’en présagent le jour.» - - - - -XIII - - - --«L’aube avait ébloui de ses plus douces flammes, - M’écriai-je, nos yeux trompés comme nos âmes. - Tantôt, quand sa candeur argentait les sommets, - Les orages semblaient vaincus à tout jamais; - Et maintenant, voyez, le chaos recommence: - Une nuit matinale emplit le ciel immense; - J’entends d’ici souffler les chevaux de la mer - Qui se cabrent, montés par les démons de l’air, - Et déjà la forêt, cette autre mer mouvante, - Paraît s’enfuir, courbée et criant d’épouvante. - Que de vaisseaux, par un tel vent, vont naufrager! - Venez sur la hauteur, où, loin de tout danger, - Nous jouirons de voir, selon le vieux Lucrèce, - Les gestes éperdus des marins en détresse...» - - Il comprit le sarcasme, et dit, sans plus: «Venez.» - - Un très grand crucifix, à mes yeux étonnés, - Surgit. Nous arrivions sur un plateau sévère - Que ce haut Christ de bois transformait en Calvaire. - - L’orage assombrissait deux tristes horizons: - La plaine vers le nord, cultures et maisons, - Qui, sans trop en souffrir, subissaient la tourmente, - Et, dans le sud, la mer qui toujours se lamente, - Qui fait, d’un seul soupir, osciller sur son dos - Les cuirassés de fer comme d’humbles fardeaux, - Et qui peut, s’il lui plaît, en rugissant de joie, - Dévorer ces volcans comme une faible proie. - - La mer! Combien a-t-elle englouti d’armadas! - - Or, sur les flots grondants, j’aperçus, tout là-bas, - Au bout d’un mât penchant, secoué par les lames, - Un pauvre être!--Et, de tous nos yeux, nous regardâmes. - - Le navire englouti vibrait à tous les chocs - Des lourds ressacs, dont la fureur brise des rocs. - Seul, le mât, émergeant du formidable abîme, - Secouait, comme un fruit perdu, l’homme à sa cime. - - Je songeais:--«En effet, cet homme est bien perdu! - Par qui son cri lointain serait-il entendu? - Et, le fût-il, qui donc quitterait le rivage - Pour arracher sa proie à cette mer sauvage? - Un bon Samaritain qui descend de cheval - Pour panser un blessé, fait un acte banal, - Facile, mais devant ce gouffre épouvantable, - Il faut être un héros pour être charitable!» - - Et voici qu’apparut, au large, en plein danger, - Un canot!--S’élevant, comme pour mieux plonger, - Sur l’écumeux sommet d’une lame puissante, - Il tomba vers les fonds par la pente glissante, - Pour remonter sans fin sur les monstrueux flancs - De ces montagnes d’eau, sombres, aux sommets blancs. - Et douze hommes--ce nombre est cher à l’Évangile-- - Attaquaient l’ouragan dans cet esquif fragile. - - --«Ce spectacle est divin! me dit alors le Juif; - Si tu cherches la vérité, sois attentif, - Encore plus qu’à ma parole, à ce spectacle. - L’action de ces gens est un humain miracle. - Pour sauver un seul homme ils vont douze à la mort. - Rester dans leur logis leur serait un remord; - Même, ils ont pris conseil de leur femme attendrie; - Connaissent-ils du moins cet homme, ou sa patrie? - Non. Fût-il ennemi, qu’ils lui tendraient la main. - Ils sont les sauveteurs, gloires du genre humain! - Et ces simples pêcheurs, si pauvres et si braves, - Sont les fils, rachetés, de ces pilleurs d’épaves - Qui, traîtres, allumaient, la nuit, par mauvais temps, - A terre, çà et là, de grands feux éclatants, - Pour attirer,--c’était la coutume barbare-- - Sur des rocs, un vaisseau que la lumière égare, - Et qui, trahi d’abord, était enfin pillé... - - «Depuis ce temps, un siècle à peine est écoulé! - - «Et, devant ce canot qui s’abaisse et remonte, - Sans cesse, sur des monts écroulés qu’il affronte, - Je vois, plus lumineux que l’aveuglant éclair, - Le spectre de Jésus qui marche sur la mer.» - - - - -XIV - - - La mer, bouleversée encor, n’était plus noire; - Les vents changeaient, chassant une nuit provisoire. - ... Tout l’azur reparut dans sa sérénité. - - --«Oui, me dit le vieillard, le monde est racheté. - Le Christ a, dans nos cœurs, jeté le grain qui lève. - Lentement, des héros réalisent son rêve, - Et son amour en eux resplendit, tout pareil - (Si ton cœur sait le voir) au radieux soleil.» - - --«Vous triomphez! je suis convaincu, répondis-je; - Ce triomphe à lui seul me paraît un prodige; - J’abjure devant vous mon scepticisme vain: - Des héros m’ont prouvé l’héroïsme divin!» - - Or, juste à ce moment, où le vieillard étrange - Me montrait l’idéal, fixe lorsque tout change, - Et sous le faux réel, qui seul nous apparaît, - Dieu rayonnant en nous comme un soleil secret, - Dans cet instant de joie et d’extase féconde, - Où la paix nous semblait l’espoir certain du monde, - Un cri troubla la terre, et, déchirant les airs, - De nouveau souleva la profondeur des mers: - --«AUX ARMES!»-- - - Des clairons stridaient, sonnant la charge, - Et la terre troublait les mers jusqu’au grand large: - Un peuple épouvantable, armé de fer, de feu, - De gaz mortels, et se disant l’élu de Dieu, - N’étant, esprit et chair, qu’appétit d’ogre immonde, - Marchait, organisé, contre l’ordre du monde! - - Tout le génie humain dompteur de l’élément, - Ce peuple élémental, sauvage savamment, - Le tournait contre l’homme en outil de torture; - Lui-même il s’était fait monstre, par la culture! - Méthodiquement serf d’un prince carnassier, - Le Teuton, formidable automate d’acier, - Ou chair amalgamée au corps des mitrailleuses, - Colosse lourd de force et de haine orgueilleuses, - Proclamait,--espérant figer ses ennemis - Dans l’horreur,--que tout crime, à la guerre, est permis! - - Ses plus graves savants, et ses poètes même, - Contresignaient d’un cœur tranquille un tel blasphème! - - Et ce peuple, avili par un si haut conseil, - Ce peuple, tel qu’on n’en vit pas sous le soleil, - Traînait captifs au loin femmes, enfants en larmes, - Des êtres impuissants à manier les armes, - Les grands-pères, craintifs et muets, consternés... - Ces Allemands, parfois, en lâches forcenés, - Faisaient de leurs captifs, sur leur front de bataille, - Un rempart défenseur, pitoyable muraille, - Où, frémissants d’amour, de haine,--de douleurs, - Les soldats ennemis, reconnaissant les leurs, - Vaincus par leur pitié, reculaient d’épouvante, - Tremblant de mutiler la muraille vivante! - Nietzsche, spectre dément, planait sur tout cela, - Et, non moins fou, Guillaume, invoquant Attila, - Criait: «Viole! tue! égorge enfants et femmes!» - Des prêtres, torturés par les reîtres infâmes, - Les yeux vers le ciel vide, y cherchaient Dieu, l’Absent! - Tout nageait dans le sang; partout du sang! du sang! - Les rivières étaient de sang et coulaient pleines! - Et des fuyards, au flanc des monts ou dans les plaines, - Couraient, se retournant pour regarder au loin - Leur ville en flamme; et Dieu, leur juge et leur témoin, - Laissait faire! et, dans sa fureur démoniaque, - L’agresseur, prétendant que c’est lui qu’on attaque, - Coupait des mains, des cous d’enfant, brûlait vivants - Des vieillards; tout fuyait, comme l’eau sous les vents; - Et le viol hideux, à face simiesque, - Prenait--détail horrible en l’horreur gigantesque-- - Des vierges, qui fuyaient la vie éperdument - Parce que c’était fuir l’affreux enfantement! - Criminels au hasard, sur l’enfant, sur les mères, - Du haut du ciel, les zeppelins, sombres chimères, - Lâchaient leur bombe! et quand l’avion surgissant - Les attaquait, alors le ciel pleurait du sang! - Plus d’asile! Et sur les grands steamers d’Angleterre, - Qui semblaient à l’abri des fureurs de la terre, - Des passagers (toujours des faibles, et toujours - Des femmes, des enfants, sans armes, sans secours!) - Voyaient surgir, dans les houles des mers d’Europe, - Le dos du sous-marin ou l’œil du périscope... - La torpille frappait le grand navire au flanc; - Et, colosse blessé, chancelant et soufflant, - Il entraînait, dans les fonds glauques des abîmes, - Avec lui, des milliers d’innocentes victimes - Qui priaient, qui voulaient la vie éperdument... - - Et, terre et mer, le monde entier criait: «Maman!» - Comme pour réveiller, dans son ombre éternelle, - L’amour, le Dieu muet, la Cause maternelle! - - - - -XV - - - Mais rien ne répondit. Nulle part l’agresseur - Ne trouva devant lui Dieu, le Dieu de douceur! - Et nos peuples, parmi le sang, les cris, les larmes, - Se levant indignés, durent prendre les armes, - Aiguiser des poignards et fondre des canons; - Et tous les beaux progrès, indignes de leurs noms, - Se firent instruments de mort et de torture; - Et, retournant aux lois brutes de la nature, - L’âme humaine appela la force à son secours, - La force! l’argument des grands loups et des ours! - - Et je dis au vieillard: - - --«C’est la fin de nos races. - Vois-tu ton Christ encor? Vois-tu toujours ses traces? - Vieux nécromant, je suis honteux de t’avoir cru: - Le primate éternel dans l’homme a reparu! - Le chrétien lâche, avec son rêve d’être un ange, - Insultait à la brute--et la brute se venge!» - - Sous l’injure, le vieux, comme sourd à mes cris, - Resta muet, songeur quelque temps. Je repris: - - --«Ton Christ est le plus faux des faux dieux qu’on délaisse! - Amour, bonté, mots creux, tout gonflés de faiblesse! - Sot qui ne sait qu’aimer! Fou qui veut être aimé! - Qui suit ton Christ n’est plus qu’un martyr désarmé, - Proie offerte aux soldats du lucre et de la haine, - Qui sont le nombre affreux, sans nom, la masse humaine. - Christ n’est qu’un doucereux et blanc magicien; - Certe, un charme est caché dans le songe chrétien, - Mais pernicieux, traître, endormeur d’énergie. - Sur la terre, que tant de meurtres ont rougie, - Comment répondre, nous, les tendres et les bons, - Nous, les propagateurs des infinis pardons, - Au fer qui fouille un cœur, en sort et s’y replonge? - Quel réveil dans l’horrible, après le divin songe! - Nos jardins, nos maisons, asiles de douceur, - Les voilà donc ouverts au noir envahisseur! - Nos bras chrétiens ne sauront pas tenir l’épée; - Ton Christ livre aux bourreaux l’humanité trompée!» - - Le vieillard recueillit sa pensée un moment, - Puis, l’œil plein de lumière, il dit, très doucement: - - --«S’il ne croit qu’aux ressorts puissants de la matière, - L’homme n’a pas en lui la force humaine entière. - Même stoïque, il meurt en vaincu révolté, - Il périt tout entier, serait-ce avec fierté. - Si la force est le droit, sa chute est légitime, - C’est justement qu’il tombe, et non pas en victime. - La force, c’est là tout ce que le fort défend; - Après lui, rien de lui ne reste triomphant. - Dès l’instant qu’à ses yeux seule la force compte, - Devenu le plus faible il n’a droit qu’à la honte, - Tandis que, l’œil levé vers son pur idéal, - Le croyant de l’amour souffre et meurt triomphal. - La souffrance est pour lui sainte, la mort sublime, - Il sent orgueil et joie à s’offrir en victime, - Il est le vrai guerrier qui veut, pense, aime et croit, - Et qui, même vaincu, laisse un vengeur: le Droit. - La force de l’idée est la seule immortelle; - Telle est la loi du Christ: la foi de France est telle. - - «Mon Christ est mort voilà deux mille ans accomplis, - Et nos âmes, aux plus secrets de leurs replis, - Gardent toutes, mon fils, sa divine pensée, - Que par le monde entier le temps a dispensée. - Elle est si bien mêlée au cours de notre sang, - Que, lorsque l’Antéchrist se lève menaçant, - Le bras, avant le cœur, s’élance à la défendre; - C’est d’instinct, désormais, malgré notre cœur tendre, - Que nous défendons, même oublieux de Jésus, - Les biens d’amour que, par sa mort, nous avons eus. - Des hommes, non des Christs, voilà ce que nous sommes, - Et nous le défendons, en nous, comme des hommes. - Nul ne passe en valeur ta vaillance, ô chrétien! - SACRIFICE est un fier mot d’ordre; c’est le tien. - La lance et les deux pieds sur quelque hydre abattue, - Lent à tuer, mais plus terrible lorsqu’il tue, - Le juste, quand il croit la justice en danger, - Non pas lui,--se fait dur pour la mieux protéger; - Quand l’indignation des plus doux se soulève, - Elle est comme la mer qui dévore la grève, - Et, contre l’injustice et le mal provocants, - Elle a la force involontaire des volcans!...» - - - - -XVI - - - Sans rien connaître à la souffrance de nos âmes, - L’azur riait, moins doux mais plus beau d’être en flammes. - Autour de nous, sur le haut désert rocailleux, - Le calme indifférent des grands espaces bleus - Resplendissait; mais, sous ce ciel d’apothéoses, - Tant d’éclat dénonçait la misère des choses, - Que, dressé là, sur ce plateau nu, dans les temps, - Le Dieu n’était plus rien, sous les cieux éclatants, - Qu’un débris plein de trous, où la vermine habite. - Dans la clarté fondaient tous les rêves en fuite. - Du radieux levant au couchant radieux, - Une moitié du globe apparut à nos yeux; - Et, du plateau désert où nous étions, nous vîmes, - Comme jailli soudain des plus affreux abîmes, - Un déluge de maux, de meurtres et d’effrois, - Submerger l’univers, où mouraient tous les droits. - - Des termes d’Amérique aux bornes de l’Asie, - Les hommes, en hurlant, frappés de frénésie, - S’armaient,--des millions d’hommes! Vingt millions - Ou trente, s’égorgeaient; sept, huit, dix nations. - On eût dit de la fin du monde en cataclysme! - Et tous se réclamaient du doux christianisme, - Ou de l’Islam, qui voit un prophète en Jésus. - Mais les fleuves étaient de sang, et, par-dessus, - L’impassible soleil rayonnait dans sa gloire. - Sur la réalité rouge, fangeuse et noire, - Il épandait à flots, à verse, par torrents, - Sur les camps ennemis, ses rais indifférents, - Le même éclat sur Reims et sur Sainte-Sophie, - Lui que, dans l’ostensoir, le prêtre glorifie! - - Et je criai: - - --«Maudit soit l’astre éblouissant - Qui peut voir sans horreur des rivières de sang! - Car le sang n’est pas fait pour empourprer la terre; - Il doit, dans les vivants, rester vivant mystère, - Dans les canaux secrets des corps rester secret; - Malheur, lorsqu’au soleil le sang des cœurs paraît! - Et malheur au soleil, quand l’humanité saigne, - S’il ne se voile pas d’horreur, et s’il se baigne - Dans la pourpre qui n’est pas, sur les horizons, - L’adieu resplendissant de ses propres rayons!» - - - - -XVII - - - --«La terre, bien de tous, sera-t-elle usurpée - Par un seul? Non! le droit de tous a pris l’épée, - Affirma le vieillard, et lorsque, ô mon enfant, - La Justice ou l’Amour indigné se défend, - L’âme du défenseur passe et vit dans le glaive; - Et même quand le bras des faibles le soulève, - Dans ses propres éclairs passe un étrange éclair, - Et, parmi les reflets dont resplendit le fer, - L’âme voit des rayons qui lui viennent des âmes. - Le juste armé vaincra les conquérants infâmes. - Le monde est un, au fond; il va vers l’unité - Visible, et ne peut être en sa marche arrêté. - Tout peuple est criminel d’en asservir un autre; - Et la France le sait, elle, le peuple apôtre! - L’Évangile en tous temps fut au fond de son cœur, - Et par elle le droit de tous sera vainqueur, - Tous les droits de chacun se feront équilibre; - Et, de même qu’en France un homme se sent libre, - Fût-il faible, et se sait protégé dans son droit, - De même, un jour, demain, ou plus tôt qu’on ne croit, - Chaque peuple sera, devant tous, son seul maître; - Et, librement unis, tous devront reconnaître, - Pour être protégés, qu’ils doivent protéger, - Et qu’être différent n’est pas être étranger. - Il n’est qu’un Droit, unique et sacré, loi suprême - Qui pour un homme ou pour tout un peuple est la même; - Et le respect aux droits des peuples reste dû, - Le même que l’État doit à l’individu. - Jésus et Jeanne d’Arc semèrent cette idée - Par le sang de vos morts aujourd’hui fécondée.» - - --«Fou! dis-je au grand vieillard, de croire au Dieu de paix! - Tu vas connaître enfin comme tu te trompais, - Tiens, vois!» - - La terre était un seul champ de bataille. - - Le Mage auguste, alors, sembla prendre la taille - D’un géant, et, son dos voûté se redressant, - Je crus voir un Samson indigné, si puissant - Qu’il pourrait ébranler les colonnes du monde. - Sa barbe au vent des monts se mouvait comme une onde; - Ses sombres yeux semblaient lancer des dards de feu. - - --«L’empereur des Germains, tout en invoquant Dieu, - Dit-il, a méconnu la norme de la vie. - Il rêve l’homme esclave et la terre asservie; - Il veut fouler la chair et l’esprit sous ses pieds; - Il dit que la faiblesse est l’âme des pitiés; - Il prétend que la force est l’unique puissance... - La force n’est qu’esprit, mon fils, en son essence. - Les peuples l’ont compris, et--regarde à ton tour-- - Albert, vrai roi, debout pour le droit et l’amour, - Sert l’honneur, l’honneur pur, que l’Allemagne oublie; - Et vos Français, qu’on crut une race affaiblie, - Artistes, artisans, le marchand, le penseur, - Et les oisifs, pour qui vivre n’est que douceur, - Ceux dont le mot Patrie excitait les sarcasmes, - Et tous ceux qui raillaient les beaux enthousiasmes, - Ceux qui niaient le sentiment, le dévouement, - Regarde-les! leur cœur s’exalte brusquement! - On dirait qu’en voyant l’affreuse Germanie - Servir les bas instincts dont elle est le génie, - Les plus pervers ont pris leurs vices en dégoût! - Transfigurés, soldats merveilleux tout à coup, - Pour que la grande fin prédite s’accomplisse, - Ils servent en héros ce mot: le Sacrifice, - Et meurent pour prouver qu’il est le seul salut! - Et, las des vanités où leur cœur se complut, - Les plus obscurs d’entre eux, les martyrs anonymes, - Disent, devant la mort, des mots qui sont sublimes! - Un souffle d’héroïsme a traversé les cœurs... - - «Où sont-ils maintenant, vos sceptiques moqueurs? - Ils trouvent, sous les yeux étonnés de l’Histoire, - Au baiser de la mort une saveur de gloire! - Et l’univers a dit: «Suivons les fils des Francs! - «Eux, c’est par la bonté loyale qu’ils sont grands!» - Et, de la mer Baltique au lac Tibériade, - Tout est debout,--ou pour ou contre la Croisade!» - - - - -XVIII - - - --«La Croisade, vieillard?» - - --«Oui!» dit-il, élevant - Son regard vers le ciel, tandis que, dans le vent, - Flottaient sa barbe longue et sa longue tunique. - Et, n’adressant qu’au Dieu fait homme--sa réplique: - - --«Oui, dit-il lentement, qu’il croie ou non en toi, - Christ, le monde moderne en ta tendresse a foi. - D’un mot que tu jetas dans la terre féconde - L’arbre immense a jailli, dont l’ombre est douce au monde! - Tous les penseurs, les plus libres, les plus hardis, - Négateurs de ton ciel et de ses paradis, - Souhaitent de les voir réalisés sur terre, - Et c’est toi que Calas remercie en Voltaire! - La Pensée affranchie est ta vassale encor; - Le meilleur d’elle est un denier de ton trésor; - L’altruisme, c’est ta charité sous un voile; - C’est pour avoir levé les yeux vers ton Étoile, - Que l’homme, avec des yeux mieux voyants, plus humains, - Sait marcher plus heureux dans ses tristes chemins. - Qu’il te confesse ou non, qu’importe! et que t’importe, - Si ta bonté de Dieu survit à la foi morte! - Non, tu n’as pas maudit les hommes pour si peu! - Tu restes l’éternel, qu’on t’appelle ou non Dieu. - Tu ne recherches point,--tu nous l’as dit toi même,-- - Les honneurs de ce monde, et, pourvu qu’on s’entr’aime, - Et que du Christ humain la terre ait hérité, - Toi, Dieu, tu nous souris, dans ton éternité!» - - --«Pourvu que l’on s’entr’aime!... Allons, vieillard, lui dis-je, - Ta foi dans Christ me semble un risible prodige, - Quand les humains, partout, inhumains sans remord, - Ne sont unis que par la haine, dans la mort...» - - Il reprit: - - --«Pour sauver ton rêve de tendresse, - Christ! contre le Germain le monde entier se dresse: - C’est la Croisade! Eh oui, les peuples et les rois - Se lèvent pour la croix de Rome, et pour la croix - Que Genève dessine en rouge sur ses flammes, - Et pour la croix secrète inscrite dans nos âmes, - Car, même dans le cœur des enfants d’Israël, - Quelque chose est entré de ton verbe immortel, - Et ton espoir d’amour les gagne et les soulève!... - Germains vils, qui tirez sur les croix de Genève, - La France est devant vous la chrétienne sans peur; - Le Quirinal, qui vous observe avec stupeur, - Sent se confondre, en la même pitié des hommes, - Les deux cœurs, hier encor désunis, des deux Romes; - Çakia-Mouni s’indigne, et les rajahs hindous - Vous surveillent de loin avec leurs grands yeux doux; - Mahomet vous méprise, et l’Afrique immobile - S’agite et court sur vous, toute, arabe et kabyle; - Et, vous tombés, elle dira: «C’était écrit,» - Car Mahomet sait rendre hommage à Jésus-Christ. - Oui, c’est bien la Croisade et c’est la guerre sainte! - L’Angleterre, dont les océans sont l’enceinte, - Tient fixés ses yeux clairs sur vous, sombres géants, - Et vous menace avec la voix des océans! - Et le tsar de Pologne et le tsar de la Haye, - Père des Slaves dont le nombre vous effraie, - Le tsar au bon cœur, pape et roi, Nicolas II, - Qui compte vos hauts faits et les juge hideux, - Nicolas II, que la douleur française touche, - Contre ta force brute, Allemagne farouche, - Brandit à l’horizon le glaive éblouissant - Dont la poignée est une croix teinte de sang!» - - - - -XIX - - - Le Christ de bois, que, seul, un ermite révère, - Du pic que nous foulions faisait un vrai Calvaire, - Et, chancelant, le Juif s’appuya d’une main - Sur Celui qui voulut sauver le genre humain. - Alors il dit, debout sur le pic haut et chauve: - - --«Sauveur, c’est, à son tour, Le monde qui te sauve! - S’il n’est fort, s’il n’est grand qu’appuyé sur toi,--toi, - Tu n’as plus de salut qu’en son glaive et sa loi.» - - Mais l’image du Dieu dont l’humanité doute, - La voyant à ses pieds souffrir et mourir toute, - Sembla crier vers nous et vers le ciel: «Je meurs!» - Et cela dominait la guerre et ses clameurs. - - Et, dans les grands lointains, voici ce que nous vîmes: - Des soldats ivres, fous, et prêts à tous les crimes, - Des hordes, mais en bel ordre matériel, - Avec un bruit de pas qui montait Jusqu’au ciel, - S’avançaient sur Paris, menaçaient Notre-Dame, - Et derrière eux, Louvain, Maline, étaient en flamme. - «Les voilà! les voilà qui viennent sur Paris!» - - C’est un sourd grondement sinistre; point de cris. - Sous le piétinement de l’innombrable foule, - Le sol, comme un tambour voilé, tressaille et roule. - Ils viennent,--les uhlans en tête, lance au poing. - La tour Eiffel les guette: ils se traînent au loin, - Hommes, chars et chevaux, fusils et mitrailleuses, - Sombre nuage, gros de foudres furieuses. - A voir sur l’horizon marcher ces guerriers-là, - Le mont de Geneviève a dit: «C’est Attila!» - Dans cette immense armée, il reconnaît la horde. - Ces êtres sans amour et sans miséricorde, - Gueule et ventre affamés, ces appétits grondants, - Veulent de la chair vive à mettre sous leurs dents; - Ils veulent des terrains tout cultivés, blé, vigne, - Un vaincu qui sous eux s’écrase,--et se résigne - A leur donner de l’or, de l’or par milliards! - Leur chef sinistre crie à ces bandits pillards, - Dont l’affreux crâne--en fer de lance se termine: - «Va, mon peuple, toi qui ne crains que la famine, - La France est riche! prends son pain, son or, son vin, - Et saccage Paris comme un autre Louvain! - Obéis; je commande, et mon ordre te couvre. - Fais flamber, s’il le faut, la Sorbonne et le Louvre! - Prends-leur Paris,--ou meurs! voilà ce que je veux, - Et que l’histoire dise à nos petits-neveux: - «Guillaume II, géant de Prusse, fut un homme - Plus grand que ce fameux Néron--qui brûla Rome!» - - Il dit, et les Germains répondent: «Hoch! hurrah! - Chef, nous t’aurons Paris! et lorsqu’il flambera, - Alors, docile au roi sanglant qui nous commande, - La France deviendra l’Allemagne plus grande! - Hoch! hoch!» - Tout en jetant le cri cher au Kaiser, - Ils roulent, flot montant d’horreur, de sang, de fer, - De feu,--torrent sans nom qui tord, saccage et broie, - Et c’est bien Attila, c’est la race de proie! - - Les voilà sous Paris, sous l’œil fixe des forts. - - Oh! qui seront les morts? Combien seront les morts? - - --«Les noirs envahisseurs, avec la faim au ventre, - Resteront là longtemps, cherchant par où l’on entre.» - - --«Soit, la France attendra.» - --«Mais s’ils étaient vainqueurs?» - --«On peut vaincre les corps, non la vertu des cœurs; - Nous attendrons toujours: le salut, c’est d’attendre.» - --«Mais s’ils prennent Paris? - --«Se laissera-t-il prendre?» - --«S’ils le prennent?» - --«Eh bien, sur Paris dévasté - Nous attendrons toujours.» - --«Quoi?» - --«Le jour d’équité, - Le triomphe final de la justice sainte! - L’autel du temple est mieux gardé que son enceinte! - L’esprit chrétien, l’esprit pur, ne peut pas mourir!» - - --«Mais s’ils brûlent Paris?» - - --«Nous saurons tout souffrir! - Nous le rebâtirons, sous les yeux de l’histoire, - Avec du ciment rouge et des marbres de gloire! - Nous n’attendons qu’un mot, le dernier, du Destin.» - - - - -XX - - - Ce spectacle et ces voix nous venaient d’un lointain - Formidable,--et ni mes regards ni mes oreilles, - Qui n’auraient pu subir réalités pareilles, - Ne percevaient image ou son; seuls, mes esprits - En eux-mêmes portaient ce spectacle et ces cris. - Et je sentais en moi, dans mon simple cœur d’homme, - Les souffrances de tous, dont je souffrais la somme. - - Et je compris quel faix terrible, à mes côtés, - Portaient, après dix-neuf cents ans, les reins voûtés - Du grand Juif; car son dos, qu’il redressait naguère, - Se courbait sous les maux que déchaîne la guerre, - Et qui lui rappelaient l’horreur du monde ancien. - - --«Paris, libre cerveau, cœur du monde chrétien, - Va périr!... Rien ne peut faire mentir l’oracle, - Criai-je. Rien ne peut nous sauver--qu’un miracle!» - - --«L’oracle, dit le vieux, sur quoi se fonde-t-il?» - - --«Sur l’imminence et sur la grandeur du péril. - Quand le boulet, dans l’air, accourt droit sur la cible, - Empêcher qu’il la frappe est la chose impossible: - Rien ne l’arrêtera sur la fin du trajet.» - - Or, à travers le sol sacré qu’il ravageait, - Peuple conculcateur de la miséricorde, - L’effroyable Germain, armée et pourtant horde, - Roulait à flots grondants comme un torrent mortel. - - Oiseaux rocks fabuleux, souillant le bleu du ciel, - Les taubes allemands, les éperviers corsaires, - Sur Compiègne déjà planaient, crispant leurs serres, - - Et, l’incendie au poing, chargés d’engins maudits, - Déguisés en soldats, je voyais des bandits - Qui menaçaient Paris du martyre et des flammes... - - Et le torrent de fer sanglant, de feux infâmes, - Gagne la capitale! y touche! en rugissant - Sa joie affreuse; et tout est rouge, flamme et sang... - Quand, sous mes yeux hagards, soudainement tout change... - La course au sud devient fuite à l’est?... - --«C’est étrange! - Le hideux cauchemar, criai-je, est-il fini? - Joffre le patient, Maunoury, Galliéni, - Comme Hercule, changeant, d’un simple coup d’épaule, - Le cours d’un fleuve, ont-ils détourné de la Gaule - L’horrible envahisseur, près de nous submerger? - Ou quel dieu nous a-t-il sauvés d’un tel danger?» - - - - -XXI - - - Alors le grand vieillard, désignant tout l’espace - Du ciel, dit simplement: - - --«Vois, là-haut, ce qui passe!» - - Une armée, en plein ciel, étonnait nos regards. - - Spectres flottants, esprits visibles, milliards - De formes, dont chacune était une pensée, - Multitude en une âme unique condensée, - Tous les morts accouraient, sans gestes et sans cris, - Sauver le cœur chrétien de l’univers, Paris. - - Et l’humanité morte emplissait l’étendue. - - Et sans être aperçue, et sans être entendue, - Elle pénétrait tout, réalité sans chair, - Matière éparse, plus subtile que l’éther, - Feu d’un éclat secret plus ardent qu’une flamme, - Fluide magnétique et respirable à l’âme; - Et tous nos combattants sentaient naître en leur cœur - Un dieu, l’enthousiasme, un dieu déjà vainqueur, - Une force innommée, un élan invincible, - Une puissance à qui rien n’est plus impossible... - C’était, dans les vivants, le vœu de tous les morts! - - Des milliards de vœux, des milliards d’efforts, - Tout le labeur humain, depuis l’âge de pierre, - Où l’homme se sentit des pleurs sous la paupière, - Joyeux lorsqu’il connut qu’il pouvait, de sa main, - Sur la paroi des rocs graver un rêve humain, - Et léguer à ses fils l’œuvre à peine rêvée - Pour qu’un jour, par leurs mains, elle fût achevée; - L’espoir d’un idéal que chaque siècle accroît, - L’amour d’abord, puis la justice, enfin le droit, - Tout cela, menacé par un peuple rapace, - L’éternité des morts, substance de l’espace, - Accourait le défendre; et tous, tous étaient là, - Même Caïn! Judas mère et même Attila, - Car, dans la mort immense, où tout crime s’expie, - Les négateurs d’amour, les meurtriers, l’impie, - Se sentent dépouillés d’eux-mêmes, lentement... - - Et servir la justice est leur seul châtiment. - - - - -XXII - - - --«L’humanité, mon fils, par de mauvaises routes, - Rêve confusément, à travers tous les doutes, - D’une paix merveilleuse et d’un amour final. - Parfois elle a cru voir mourir son idéal, - Mais l’éclipse n’est pas la fin et n’a qu’une heure. - L’idéal, qui n’est pas encor, lui seul demeure; - C’est le but immuable et sans fin déplacé, - Et l’avenir y court, sur l’aile du passé. - Sans l’idéal, n’étant que muscles, chair et force, - L’homme, athlète stupide, orgueilleux de son torse, - (La vie et la durée étant leur propre fin) - N’aurait pour tout devoir que d’assouvir sa faim, - Tandis qu’il cherche au monde une plus douce joie; - Et la beauté des cieux est là pour qu’il la voie, - Et la douceur d’aimer pour qu’il la sente en lui; - Et depuis qu’en son cœur son premier rêve a lui, - Astre d’un ciel plus beau que l’autre et non moins vaste, - Cet idéal a fait de lui l’Enthousiaste, - Et tous vont à l’Étoile, et tous lèvent le front, - Et c’est pourquoi les doux sont les forts, et vaincront.» - - Ainsi parla le vieux scruteur de tout mystère - Dont les pas en tous lieux sont écrits sur la terre. - - - - -XXIII - - - Nous croyions distinguer, dans les espaces bleus, - Tous les grands morts, tous les héros miraculeux, - Tous,--les penseurs et les guerriers... Et la bannière - De Jeanne d’Arc flottait, blanche, en pleine lumière, - Et sur cet étendard, qui planait au-dessus - De tous les fronts, ce mot resplendissait: JÉSUS. - - Puis, le soir vint, triste et profond. La cathédrale - De Reims, chef-d’œuvre pur de la France ancestrale, - Profilait son fantôme obscur dans l’azur noir. - Tout à coup, chose affreuse en la beauté du soir, - Sous les obus germains, toute, du faîte au porche, - Toute, elle s’enflamma comme une immense torche... - Et l’on vit, à cheval, aux clartés de ce feu, - Jeanne resplendissante et criant: - --«En nom Dieu, - Anglais! je vous adjure, en avant pour la France! - Nous avons même cœur: ayons même espérance, - Anglais! Boutons-les hors de France! chassons-les!» - - Et Jeanne chargeait, seule, en avant des Anglais. - - - - -XXIV - - - Paris, Paris sauvé jadis par Geneviève, - Voyait se détourner de lui le mauvais rêve, - Et les vils Allemands, les perfides guerriers, - En France même ayant préparé des terriers, - S’y cachaient, poursuivis, tels des bêtes immondes, - Par le glaive de France et le mépris des mondes. - - Dans ces trous, comme en leurs naturels habitats, - Dans ces bauges, vivaient, accroupis, leurs soldats. - - Et comme une eau pourrie exhale ses buées, - Ils soufflaient contre nous des poisons, par nuées - Ténébreuses, et qui, trahissant l’air du ciel, - Rendaient l’azur complice et pestilentiel. - - Leurs gaz asphyxiants, moyens de guerre infâmes, - Semblaient leur propre souffle et l’odeur de leurs âmes. - - - - -XXV - - - Parmi des morts et de grands blessés,--c’est alors - Qu’un Français, se levant, cria: «Debout, les morts!» - Mais nous seuls nous savions que cet appel sublime - Montait vers tous les morts accourus de l’abîme. - - Or, cet appel vibra dans tous les cœurs en deuil, - Au souvenir des morts enterrés sans cercueil. - Et les vierges en pleurs, les femmes noir-vêtues, - Croyaient ouïr les voix chères qui se sont tues... - Et nous, nous entendions chanter, en longs accords, - Ces même voix, lointains adieux d’esprits sans corps: - - --«Nous sommes morts pour vous défendre - Contre de vils envahisseurs, - Vous que nous aimions d’amour tendre, - Vieilles mères, petites sœurs! - - «Jeunesse encor mal aguerrie, - Tout éprise de grâce et d’arts, - Nous sommes morts pour la patrie, - Fiers de tomber sous vos regards. - - «La mort nous prit sans différence, - Riches, pauvres, jeunes ou vieux. - Et nous sommes morts, chère France, - Pour tes fils et pour nos aïeux. - - «Mourir pour toi,--ce fut bien vivre, - O France, cœur du monde! sel - De la terre! esprit du saint Livre - Qui veut l’amour universel! - - «Nous sommes morts pour la défense - Du plus doux idéal humain; - Pour le léguer pur à l’enfance - Qui sera la France demain. - - «Rapprochés par la mort des pères, - Et sentant notre âme sur eux, - Nos fils, dans nos maisons prospères, - Vivront plus fiers et plus heureux. - - «Nous sommes morts pour vous défendre - Contre de vils envahisseurs, - Vous que nous aimions d’un cœur tendre, - Petits enfants,--frères et sœurs!» - - Des tombes, çà et là fraîchement remuées, - Cette hymne, dominant la guerre et ses huées, - S’élançait, rejoignait, comme mêlée au vent, - Les anciens morts,--la mort, autre infini vivant, - Matrice des soleils, semence des étoiles! - Et les femmes, penchant le front sous leurs longs voiles, - Les vieux, un crêpe au bras, plusieurs peuples en deuil, - Répondaient, en un chant de magnifique orgueil: - - --«Vous aurez dans nos cœurs une tombe immortelle, - O vous que votre amour de la paix--a trahis! - Vous fîtes en mourant l’humanité plus belle, - Soldats morts pour notre pays! - - «Nous laissons, sous nos yeux cernés, couler nos larmes, - Mais nos cœurs sont encor plus grands que nos douleurs, - Et sur vos corps, ensevelis avec leurs armes, - Nous jetons des lauriers en fleurs. - - «Votre mort que l’on pleure, on la donne en exemple; - On la pleure en silence, on l’admire à grands cris; - Et nos cœurs éternels sont pour vous comme un temple - Où, dans l’or, vos noms sont inscrits. - - «Vous sûtes, par la mort, avec vos grandes âmes, - Faire, au monde sauvé, des avenirs plus beaux! - Et c’est pourquoi vos sœurs, vos mères et vos femmes, - Vous voient vivants sur vos tombeaux.» - - Telle, en prodigieuse et lente symphonie, - Chantait son chant d’orgueil l’espérance infinie. - - Alors, un autre chœur, mais plus retentissant, - De moins lente harmonie et de plus rude accent, - Vint jusqu’à nous... C’était la voix, l’âme enflammée, - La résolution ardente d’une armée... - Quelque chose pourtant d’allègre et de moqueur - Traversait les accords farouches de ce chœur: - - --«Nos camarades morts sont les moissons fauchées; - Mais nous, nous sommes le grain mûr, - Le grain gonflé d’espoir qui dort dans les tranchées, - Où germine déjà le triomphe futur. - - «Nous avons en mépris cette race allemande, - Son idéal matériel. - C’est la bête puante et féroce,--et gourmande, - L’ours noir qui rôde autour des ruchers pleins de miel. - - «Ruisselantes de sang, baïonnettes vermeilles, - Harcelez le fauve aux pieds lourds! - La brute, sous le dard de toutes les abeilles, - Saura bientôt comment on fait danser les ours. - - «Mais non, le dur Germain n’est pas si débonnaire; - Ce n’est pas l’ours, plaisant danseur; - Et les canons d’Europe, à défaut du tonnerre, - Écraseront, dans sa fange, l’envahisseur! - - «Voyons-le tel qu’il est: un dragon de légende, - Un monstre aux sept gueules d’enfer, - Et jurons-nous d’anéantir l’hydre allemande, - Avec la sape, avec la flamme, avec le fer! - - «Nous sauverons l’espoir, l’amour, la paix des mondes, - En frappant le monstre en plein cœur, - Et nous arracherons les sept langues immondes: - Il tordra ses anneaux sous le pied du vainqueur. - - «Entends-tu le serment des Francs, prince féroce, - Faux roi, Guillaume le second? - Nous mettrons sous nos pieds, sous l’épée et la crosse, - Ta tête affreuse et les sept têtes du dragon. - - «Nous ne voulons revoir nos maisons, plus prospères, - Que sous des drapeaux triomphants, - Quand les mères pourront offrir aux heureux pères - Des lauriers tout en fleurs par la main des enfants.» - - Des soldats souriants chantaient ce chant suprême, - Et la Mort reculait et doutait d’elle-même. - - - - -XXVI - - - La France ainsi chantait, fidèle librement - Au Christ universel, à l’Évangile aimant. - - Or un vent noir, venu du fond de l’Allemagne, - Apporta jusqu’à nous, dans un long sifflement, - Avec un gaz fétide, épars sur la campagne, - Un chant que suit l’effroi, que la mort accompagne... - C’est l’hymne du Christ allemand: - - «Je veux, moi, seul grand dans le monde, - Moi, le seul peuple élu de Dieu, - Purger la terre--elle est immonde-- - Par l’air empoisonné, par le fer et le feu. - - «C’est sur l’ordre exprès de Dieu même, - Que j’attaque, en vils ennemis, - Ces peuples corrompus, que j’aime, - Et qui, pour leur bonheur, doivent m’être soumis. - - «Notre vieux Dieu, celui qu’on nomme - Dieu le Père et le Roi des rois, - Laissa clouer le Fils de l’Homme, - Pour le salut du monde, à l’infamante croix... - - «Je suis le peuple qu’il désigne - Pour crucifier, à mon tour, - L’Humanité, sa fille indigne, - Et je la châtierai sans pitié, par amour. - - «La France est la prostituée - Qui corrompt le vieil univers; - Il faut donc qu’elle soit tuée!... - A nous ses vins! et les plages de ses deux mers! - - «Et puisqu’elle a dit elle-même - Qu’elle est le Christ des nations, - Je justifierai son blasphème: - Je livrerai la France aux tribulations. - - «Allemands! acceptons sans plainte - L’ordre de nous faire un cœur dur: - Nous accomplirons l’œuvre sainte - Que commandent Dieu même et Guillaume le Pur. - - «Soyons des Attilas superbes; - Fléaux par Dieu même voulus, - Foulons les corps comme des herbes! - Où passent nos chevaux, que rien ne vive plus! - - «Torturons nos tristes victimes, - Puisque Dieu veut leur châtiment; - Assurons-leur, bourreaux sublimes, - Un salut éternel par des maux d’un moment! - - «Que leur sanglot nous réjouisse, - Comme il réjouira le ciel! - Dieu m’a dit: «Va! le sacrifice - «Sera d’autant plus beau qu’il sera plus cruel!» - - «Savourons les cris de souffrance! - Pour être grands, soyons sans cœur! - Et sur le monde, et sur la France, - Nous représenterons Dieu même,--et Christ vainqueur.» - - --«Les entends-tu? dis-je au vieillard. - - «En Germanie, - Où l’on condamne à mort l’humanité punie, - Catholiques ou non, tous, prêtres et pasteurs, - Prônent le sacrifice... en sacrificateurs. - - «Ce qu’on prêche, dans les églises allemandes, - C’est un Christ noir, vrai fils du Satan des légendes.» - - - - -XXVII - - - --«La mort, dit Le vieux sage, est un feu dans la nuit; - C’est dans l’obscurité, qu’une étoile éblouit; - Plus s’épaissit l’obscur, mieux on voit toute flamme; - Nuit pour la chair, la mort est lumière pour l’âme. - A peine est-il tombé, que le reître germain, - Qui marchait contre vous, torche ou fusil en main, - Mort, entre frissonnant dans la vérité même, - O France! et c’est alors toi qu’il sert, toi qu’il aime! - Mais toi, France au grand cœur, ce qui fait ton cœur fort, - C’est la fidélité de tes fils dans la mort. - Le lourd crâne carré, que surmonte une pique, - Subit aveuglément son maître satanique, - Mais, cadavre, il le juge; il maudit, plein d’horreur, - L’Antéchrist reconnu dans ce rouge empereur; - Et Guillaume le Fauve à tout moment tressaille, - Quand il passe aujourd’hui sur un champ de bataille, - Car il y voit tous les cadavres allemands, - Le suivre du regard avec des yeux tournants. - Et ce regard, où désespère l’âme humaine, - Pour lui n’a plus d’humain qu’une implacable haine. - - «Le soldat français, lui, mort pour la vérité, - Ne donne à son bourreau qu’un regard contristé... - C’est alors que, sentant l’horreur de sa tuerie, - Le roi rouge, croyant mentir à Dieu, s’écrie: - - --«Je ne l’ai pas voulue!» - «A ce mot, l’œil des morts - Jette des feux qui vont, comme autant de remords, - Fouiller cette âme obscure, éperdue, exécrée, - Où s’allume un enfer d’épouvante sacrée.» - - - - -XXVIII - - - --«Haine! mort! je n’entends que ces mots, et des pleurs! - Père! je meurs de voir tuer!» - - --«Regarde ailleurs.» - - --«Hélas! vieillard! devant tant d’horreurs amassées - Toutes, à tout instant, par d’autres dépassées, - Aucun de nos espoirs ne me reste certain, - Je perds le goût de vivre et le sens du destin. - Le monde entier me semble entré dans la démence. - Comme un naufragé, seul, sur une mer immense, - Désespérément nage, et cherche, autour de lui, - Une épave, un débris flottant, un point d’appui, - Et, n’en trouvant aucun, seul dans la grande houle, - Tout seul contre les flots monstrueux,--sent qu’il coule, - Je meurs à ma raison qui sombre avec ma foi. - Si tu vois un vrai point fixe, montre-le-moi, - Mais qui soit bien réel, non plus dans tes chimères. - On égorge l’enfance! on fusille les mères! - Guillaume a fait cela! le refera demain! - Et qu’un prince vivant soit ce monstre inhumain, - Sans qu’il tombe honni, dégradé par le nombre, - Devant l’inexpliqué ma raison fuit... je sombre! - Et, mourant sans honneur, vainement irrité, - Ma faiblesse me semble une complicité! - - «Oh! lorsqu’on est l’esprit, la tendresse, la grâce, - La France! et reine et libre, et guerrière de race, - Riche, enviée, on a des périls à prévoir, - Et se garder au monde est le premier devoir; - Honneur du monde, on doit, plus belle d’être forte, - Abriter, au milieu d’une invincible escorte, - Ses droits et ses orgueils fièrement défendus, - Sous un dais rayonnant fait de glaives tendus. - - «Sous la voûte d’acier n’être pas bien gardée, - C’est offrir aux périls l’avenir de l’idée, - Les noblesses de l’art, les bonheurs de l’amour, - Tout ce qui rend si doux au cœur--l’éclat du jour. - - «Maintenant qu’une guerre interminable gronde, - Où rencontrer, dans quel recoin du vaste monde, - Puisqu’il faut qu’on massacre ou qu’on soit massacré, - Un geste évangélique et pur, vraiment sacré, - Le Christ en acte et non en mots gonflés d’emphase? - L’heure n’est plus à l’art de cadencer la phrase; - Montre-moi, si tu peux, un héros désarmé - Qui, vrai soldat du Christ, ne veuille qu’être aimé. - - «Alors, tout en foulant cette fange sanglante, - Vieillard, je pourrai croire à la victoire lente - Mais sûre,--de ce Dieu qui, mort sur un sommet, - Jamais ne nous revient et toujours se promet!» - - --«Eh bien, regarde, au plein milieu de la tuerie, - Vois, penché sur les grands blessés, dont la chair crie, - L’homme de paix, qui va les guérir par l’acier, - Et dont le saint labeur est de s’apitoyer, - De vaincre la souffrance et d’exalter la vie; - Par lui, la charité, malgré tout, est servie; - Ennemi de la mort qu’il attaque en soldat, - Seul il défend l’esprit de paix, en plein combat. - - «Vestale des chrétiens, près de lui, l’infirmière - Abrite, de sa main, l’amour--notre lumière. - - «Et parmi les effrois, le prêtre, à leur côté, - Héroïque avec eux, sauve la charité. - - «Tant que ceux-là, souvent martyrs de l’Allemagne, - Donneront aux horreurs la bonté pour compagne, - Le globe pourra voir, du zénith au nadir, - L’astre de Bethléem marcher et resplendir.» - - - - -XXIX - - - De hauts palmiers berçaient au vent leurs nobles palmes, - Sur les bords en gradins d’une rade aux eaux calmes. - - Cela nous apparut comme un vibrant décor, - Où dominait l’azur, où resplendissait l’or. - De notre plateau nu, rocailleux et grisâtre, - Nous admirions, comme un heureux fond de théâtre, - La ville, dont les toits, les clochers et les tours, - Encerclaient cette rade aux sinueux contours. - - Et le spectacle était d’une beauté parfaite. - - Pourtant, dans la cité qu’on aurait crue en fête, - A qui tout souriait, mer pure et ciel serein, - Les arsenaux, battant le fer, fondant l’airain, - Travaillaient pour la mort, à l’appel de la guerre; - Mais tout semblait aussi tranquille que naguère, - D’abord par la vertu du climat souriant - Où s’annonce déjà le charme d’Orient, - Puis, parce que le cœur héroïque de France - Poursuit son rythme, en guerre, en paix, sans différence, - Et que, sûr de sa force, exalté par son droit, - Il jouit du futur triomphe--auquel il croit. - - Nous avions sous nos yeux non pas un paysage, - Mais l’âme de la France aimée,--et son visage, - Tel qu’il était hier, tel qu’il sera demain, - Lorsqu’on aura chassé le cauchemar germain. - - Le grand pavois flottait, triomphant par avance, - En plein ciel libre, à bord du cuirassé PROVENCE, - Qui saluait, du bruit tonnant de son canon, - Le pays des lauriers, dont il porte le nom. - - Dans la montagne et les gorges les plus profondes, - Ce tonnerre, en échos, roulait par larges ondes, - Sans qu’on vît, même au loin, un nuage orageux. - Cachée, et s’exerçant à ses terribles jeux, - La mitrailleuse, exacte à scander ses rafales, - Soufflait ce bruit que fait la mer, par intervalles, - En roulant des galets qui se choquent entre eux. - - Dans l’air pur, tout fleuri de pavillons nombreux, - De blancs oiseaux marins, les ailes toutes grandes, - Entrelaçaient leurs vols en vivantes guirlandes, - Sur cet éden réel, sur ce rêve enchanté. - - Et, devant ces splendeurs de suprême beauté, - Le Mage s’écria: - - --«France, celte et latine, - A tous les beaux destins ta beauté te destine! - - «O France! tu vaincras tes fauves ennemis. - Ton triomphe certain commence; il est promis; - Car il faut que le monde aille vers la lumière, - Et c’est toi, vers l’amour, qui marches la première! - - «L’esprit germain est lourd, comme matériel, - Et le tien est ailé comme l’oiseau du ciel. - - «O France! tu vaincras, car le monde veut vivre. - La terre entière attend le verbe qui délivre, - Et qu’il soit esprit libre ou sentiment chrétien, - Le grand verbe d’amour sur terre, c’est le tien.» - - Entre ciel et mer, blanc, ses deux ailes tendues, - Un hydroavion, roi des deux étendues, - Planait,--et, pour nos cœurs, en ce siècle d’effrois, - Moderne labarum, figurait une croix. - - - - -XXX - - - La vision fondit comme un reflet sous l’onde. - - Et nous étions tous deux, seuls, au sommet du monde. - - Le bruit sourd du canon lointain, à temps égaux, - Ébranlait la montagne en frappant les échos: - On eût dit le marteau d’un Titan dans sa forge. - - Auprès de nous, chantait un petit rouge-gorge; - Sous la croix, sur ce haut désert plat, rocailleux, - Il s’attaquait du bec aux dards des chardons bleus. - - - - -XXXI - - - Et l’univers n’était, sous nos yeux, qu’une plaine. - - Tel, au pied de la croix, Jean, près de Magdeleine, - Le vieillard, sur le haut crucifix vermoulu, - S’appuya, cette fois dans un geste voulu. - Il mourait, et cherchait cet appui de son âme. - - Et de ses veux sa foi jaillit comme une flamme; - Il sembla qu’elle allait allumer tout là-bas - Des renouveaux d’espoir aux cœurs de nos soldats; - - Et l’on eût dit, au front du Sinaï, Moïse - Lançant des feux lointains sur la Terre Promise, - Et certain que les fils d’Israël la verront. - Ses cheveux au soleil irradiaient son front; - Sa barbe ruisselait dans le vent comme un fleuve: - Et ses yeux contemplaient une humanité neuve, - Préparée, à travers tant de siècles éteints, - Par tous les rêves purs qu’on n’a jamais atteints. - - O Terre de l’amour! éternelle espérée! - - Or, sous la Croix, qui me parut démesurée, - Le vieillard, tout à coup, en murmurant: «Je vois!» - Tomba. Tout s’éteignit en lui, regards et voix... - - Et la Croix, sous mes yeux, parut grandir encore. - - Midi, plus rayonnant, mais plus frais qu’une aurore, - Frappait d’aplomb sur nous et sur le Crucifix; - Le Dieu mort promettait le triomphe à ses fils: - Sur ses bras grands ouverts tombait tant de lumière, - Que leur ombre enlaçait la terre tout entière. - - - - -ACHEVÉ D’IMPRIMER - -SUR LES PRESSES DE L’IMPRIMERIE LAHURE - -LE 10 MARS 1916 - - -*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE TÉMOIN *** - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the -United States without permission and without paying copyright -royalties. 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Hart was the originator of the Project -Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of -volunteer support. - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online -at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you -are not located in the United States, you will have to check the laws of the -country where you are located before using this eBook. -</div> -</div> - -<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: <span lang='fr' xml:lang='fr'>Le Témoin</span></p> -<p style='display:block; margin-left:2em; text-indent:0; margin-top:0; margin-bottom:1em;'><span lang='fr' xml:lang='fr'>1914-1916</span></p> -<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Jean Aicard</p> -<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Release Date: April 18, 2022 [eBook #67867]</p> -<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Language: French</p> - <p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em; text-align:left'>Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))</p> -<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>LE TÉMOIN</span> ***</div> -<p class="c"><span class="large">JEAN AICARD</span><br /> -<span class="small">de l’Académie française</span></p> - -<h1>LE TÉMOIN</h1> - -<p class="c">— 1914-1916 —</p> - -<blockquote class="epi"> -<p>A la guerre, tout est -force morale.</p> - -<p class="sign"><span class="sc">Napoléon</span>.</p> - -<p>Courage, j’ai vaincu -le monde.</p> - -<p class="sign"><span class="sc">Jésus-Christ</span>.</p> - -</blockquote> -<p class="c gap"><span class="large">PARIS</span><br /> -ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR<br /> -26, <span class="small">RUE RACINE</span>, 26</p> - -<p class="c small">Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays.</p> - -<div class="break"></div> - -<p class="c top2em">ŒUVRES DE JEAN AICARD</p> - -<p class="c"><i>Collection in-</i>18 <i>jésus à</i> -<b>3</b> <i>fr.</i> <b>50</b> <i>le volume</i></p> - - -<p class="c">ROMANS</p> - -<ul> -<li><b>Le Pavé d’Amour</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Roi de Camargue</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>L’Été à l’Ombre</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>L’Ame d’un Enfant</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Notre-Dame d’Amour</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Diamant noir</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Fleur d’Abîme</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Malita</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>L’Ibis bleu</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Tata</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Benjamine</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Maurin des Maures</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>L’Illustre Maurin</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -</ul> -<p class="c clr">POÉSIE</p> - -<ul> -<li><b>Les jeunes Croyances</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Rébellions, Apaisements</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Poèmes de Provence</b> (cour. par l’Acad. fr.) <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>La Chanson de l’Enfant</b> (cour. par l’Acad. fr.) <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Miette et Noré</b> (cour. par l’Acad. fr. Prix Vitet) <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Lamartine</b> (cour. par l’Ac. Prix du budg.) <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Le Livre d’heures de l’Amour</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Visite en Hollande</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Le Dieu dans l’Homme</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Au Bord du Désert</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Le Livre des Petits</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Jésus</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -</ul> -<p class="c">THÉATRE</p> - -<ul> -<li><b>Au clair de la Lune</b> (un acte en vers) <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Pygmalion</b> (un acte en vers) <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Smilis</b> (4 actes en prose, à la Comédie-Française) <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Le Père Lebonnard</b> (4 actes en vers représentés à la -Comédie-Française) <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Don Juan</b> <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Othello, le More de Venise</b> (5 actes en vers, représentés -à la Comédie-Française). Portrait de Mounet-Sully, par -Benjamin Constant <span class="fl">1 vol. 4 fr.</span></li> -<li><b>La Légende du Cœur</b> (5 actes en vers représentés au Théâtre -Antique d’Orange et au Théâtre Sarah-Bernhardt) <span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Le Manteau du Roi</b> (5 actes en vers représentés à la Porte-Saint-Martin) -<span class="fl">1 vol.</span></li> -<li><b>Théâtre</b>, tome I.</li> -<li><b>Théâtre</b>, tome II.</li> -</ul> - -<p class="c gap small">77572. — Imprimerie <span class="sc">Lahure</span>, rue de Fleurus, 9, à Paris.</p> - -<div class="break"></div> - -<p class="c top6em"><span class="large">A MA SŒUR</span><br /> -<span class="sc">Madame Jacqueline</span> LONCLAS<br /> -<i>morte le</i> 12 <i>juin</i> 1915</p> - -<div class="break"></div> - -<p class="ind top4em i">Chère grande sœur,</p> - - -<p class="i">J’avais commencé ce poème en <span class="roman">1913</span>, et je t’en ai lu les -douze premiers chants en <span class="roman">1914</span>, à la veille de cette guerre, -qui, toute une année, fut ton tourment. Elle te fit dire, le -jour où l’on l’apprit qu’un de nos jeunes amis était tombé -sous les balles allemandes : — « Je sacrifierais volontiers le -temps qui me reste à vivre, si ma mort pouvait sauver -pareille jeunesse ! » Je sais pourtant avec quel chagrin tu -te sentais arrachée lentement à mon infinie tendresse…</p> - -<p class="i">Ce poème, dont la guerre a modifié le plan, sans rien -modifier des conclusions, je te le dédie, comme je t’ai dédié -tous mes ouvrages, — car la mort ne m’a pas séparé de toi : -ton âme plus que jamais inspire et soutient la mienne.</p> - -<p class="sign"><span class="sc">Jean Aicard</span>.</p> - -<p class="ind small i">La Garde (Var), Décembre <span class="roman">1915</span>.</p> - -<div class="break"></div> - - -<p class="c small top4em">CE POÈME A ÉTÉ LU<br /> -POUR LA PREMIÈRE FOIS<br /> -A BORD DU CUIRASSÉ PROVENCE<br /> -EN PRÉSENCE DE MM. LES OFFICIERS RÉUNIS<br /> -LE 30 DÉCEMBRE 1915<br /> -ET<br /> -LES DEUX STROPHES SUIVANTES<br /> -EN SOUVENIR D’UNE COMMUNE ÉMOTION<br /> -ONT ÉTÉ COMMUNIQUÉES<br /> -A L’ÉQUIPAGE<br /> -PUIS INSCRITES<br /> -DUNE FAÇON DURABLE<br /> -A BORD DU CUIRASSÉ.</p> - - -<div class="break"></div> - -<p class="c large top4em">AU CUIRASSÉ PROVENCE</p> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse small">TON PAVILLON ET TON CANON,</div> -<div class="verse small">JE LES VOIS VAINQUEURS PAR AVANCE,</div> -<div class="verse small">FIER VAISSEAU QUI PORTES LE NOM,</div> -<div class="verse small">L’AME ET LE NOM DE LA PROVENCE.</div> - -<div class="verse stanza small">AME FRANÇAISE, NOM LATIN,</div> -<div class="verse small">C’EST LÀ DEUX GRANDEURS DE L’HISTOIRE ;</div> -<div class="verse small">ELLES T’ASSIGNENT TON DESTIN :</div> -<div class="verse small">TU VAS NAVIGUER VERS LA GLOIRE.</div> -</div> - -<p class="sign">J. A.</p> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak">TABLE DES TITRES</h2> - - -<table summary=""> -<tr><td class="r"><div>I.</div></td> -<td class="drap sc">— Dans le Crépuscule</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c1">1</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>II.</div></td> -<td class="drap sc">— La Rencontre</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c2">5</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>III.</div></td> -<td class="drap sc">— Les Lassitudes</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c3">7</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>IV.</div></td> -<td class="drap sc">— Dans la Nuit</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c4">11</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>V.</div></td> -<td class="drap sc">— Les Présages</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c5">15</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>VI.</div></td> -<td class="drap sc">— L’Invective</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c6">19</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>VII.</div></td> -<td class="drap sc">— Le Témoin</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c7">27</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>VIII.</div></td> -<td class="drap sc">— Christophore</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c8">31</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>IX.</div></td> -<td class="drap sc">— L’Amour</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c9">35</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>X.</div></td> -<td class="drap sc">— L’Aurore</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c10">41</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XI.</div></td> -<td class="drap sc">— C’est le Passé</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c11">43</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XII.</div></td> -<td class="drap sc">— La Chaîne</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c12">47</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XIII.</div></td> -<td class="drap sc">— La Tempête</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c13">51</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XIV.</div></td> -<td class="drap sc">— Aux Armes !</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c14">57</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XV.</div></td> -<td class="drap sc">— Le Doute</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c15">63</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XVI.</div></td> -<td class="drap sc">— Sous le Soleil</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c16">69</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XVII.</div></td> -<td class="drap sc">— Vers l’Unité</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c17">73</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XVIII.</div></td> -<td class="drap sc">— La Croisade</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c18">79</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XIX.</div></td> -<td class="drap sc">— La grande Menace</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c19">85</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XX.</div></td> -<td class="drap sc">— Le Miracle</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c20">91</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXI.</div></td> -<td class="drap sc">— Les Morts</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c21">95</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXII.</div></td> -<td class="drap sc">— L’Idéal</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c22">99</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXIII.</div></td> -<td class="drap sc">— La Bonne Lorraine</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c23">101</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXIV.</div></td> -<td class="drap sc">— Odeur d’Ames</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c24">103</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXV.</div></td> -<td class="drap sc">— Debout, les Morts !</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c25">105</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXVI.</div></td> -<td class="drap sc">— Le Christ Allemand</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c26">115</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXVII.</div></td> -<td class="drap sc">— La Vérité</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c27">121</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXVIII.</div></td> -<td class="drap sc">— Les Désarmés</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c28">125</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXIX.</div></td> -<td class="drap sc">— Force et Sérénité</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c29">131</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXX.</div></td> -<td class="drap sc">— Le Rouge-Gorge</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c30">137</a></div></td></tr> -<tr><td class="r"><div>XXXI.</div></td> -<td class="drap sc">— La Terre promise</td> -<td class="bot r"><div><a href="#c31">139</a></div></td></tr> -</table> -<div class="chapter"></div> - -<p class="c xlarge">LE TÉMOIN</p> - - - - -<h2 class="nobreak" id="c1" title="I. — Dans le Crépuscule">I</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">C’était l’heure où, les yeux et le cœur pleins de doute,</div> -<div class="verse">Le marcheur devant lui voit s’effacer sa route,</div> -<div class="verse">Et, serrant son bâton comme une arme en sa main,</div> -<div class="verse">Cherche un gîte où dormir, en espérant demain.</div> - -<div class="verse stanza">C’était l’heure où l’on sent sa lassitude, l’heure</div> -<div class="verse">Où l’on sent mieux qu’il faut que toute chose meure ;</div> -<div class="verse">Heure auguste, où le froid qu’exhalent les tombeaux</div> -<div class="verse">Mêle une inquiétude au désir du repos,</div> -<div class="verse">Submerge les contours et les couleurs des choses,</div> -<div class="verse">Et, de la plaine, aux pics neigeux, saignants et roses,</div> -<div class="verse">Marée étrange, monte — et, lourde de sommeil,</div> -<div class="verse">Couvre sur l’horizon la gloire du soleil.</div> - -<div class="verse stanza">Aux temps païens, quand sur nos chemins tombait l’ombre,</div> -<div class="verse">Quand les astres, qui sont les figures du Nombre</div> -<div class="verse">Et du Rythme, un à un, s’allumaient dans le ciel,</div> -<div class="verse">Les dieux, termes concrets de l’immatériel,</div> -<div class="verse">Muses, nymphes, tritons, les grâces et les forces,</div> -<div class="verse">Lentement s’échappaient des rochers, des écorces,</div> -<div class="verse">Et des mers, pour charmer les soirs mystérieux…</div> - -<div class="verse stanza">L’approche de la nuit était l’heure des dieux.</div> -<div class="verse">Heure infinie, affreuse et tranquille, pareille</div> -<div class="verse">A celle où, se parlant de Jésus, mort la veille,</div> -<div class="verse">Deux pèlerins, dont l’un se nommait Cléophas,</div> -<div class="verse">Sur la route déserte où résonnait leur pas,</div> -<div class="verse">Dans la lente ténèbre où, sans voir, l’œil devine,</div> -<div class="verse">Virent soudain près d’eux, ombre humaine et divine,</div> -<div class="verse">Un inconnu surgir, étrange compagnon</div> -<div class="verse">Dont ils sentaient l’amour sans connaître son nom.</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c2" title="II. — La Rencontre">II</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">C’était cette même heure, et, venant de la ville,</div> -<div class="verse">Je regagnais mon champ, la maison, mon asile,</div> -<div class="verse">D’un pas de plus en plus inquiet et pressé,</div> -<div class="verse">Quand, devant moi, parut, spectre obscur et lassé,</div> -<div class="verse">Un mendiant très vieux, qui portait à grand’peine,</div> -<div class="verse">Tout seul, toute l’horreur de la misère humaine.</div> -<div class="verse">Malgré l’ombre, où mourait encore un peu du jour,</div> -<div class="verse">Je le voyais pliant sous ce fardeau trop lourd.</div> -<div class="verse">Un bâton soutenait l’effort de son courage ;</div> -<div class="verse">Et, fouettant son manteau déchiqueté par l’âge,</div> -<div class="verse">Sa barbe aux flots tordus semblait, drapeau vivant,</div> -<div class="verse">Un haillon de douleur que déchire le vent.</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c3" title="III. — Les Lassitudes">III</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Un vieil usage veut, au pays de mes pères,</div> -<div class="verse">Que, le soir, quand les loups sortent de leurs repaires,</div> -<div class="verse">On souhaite la paix aux passants inconnus.</div> -<div class="verse">Donc, lorsque je joignis ce vieillard aux pieds nus,</div> -<div class="verse">Je formulai le vœu qu’un salut accompagne,</div> -<div class="verse">Puis j’ajoutai : — « L’orage assombrit la campagne ;</div> -<div class="verse">Allez-vous loin, par ces chemins très écartés ?</div> -<div class="verse">Je puis — le voulez-vous ? — marcher à vos côtés. »</div> - -<div class="verse stanza">— « Soyez remercié, bon passant, mais j’ignore,</div> -<div class="verse">Chaque soir, en quel lieu me trouvera l’aurore :</div> -<div class="verse">Marcher ce soir, demain, toujours, c’est mon destin ;</div> -<div class="verse">Et j’arrive du fond d’un passé si lointain</div> -<div class="verse">Que ma lassitude est sans mesure ; je porte</div> -<div class="verse">Tous les maux et l’espoir de l’humanité morte. »</div> - -<div class="verse stanza">— « Vous ne m’étonnez point, car moi-même, ô passant,</div> -<div class="verse">Je me plains comme vous parfois ; en vieillissant,</div> -<div class="verse">On croit porter en soi l’âme même du monde ;</div> -<div class="verse">On sent partout la noire éternité profonde ;</div> -<div class="verse">On a tout vu, tout lu, tout souffert, on est las,</div> -<div class="verse">Et le vœu de mourir alourdit tous nos pas. »</div> - -<div class="verse stanza">Je dis, et regardai mon compagnon de route ;</div> -<div class="verse">Son dos, quoique bombé comme l’arc d’une voûte,</div> -<div class="verse">Maintenant semblait jeune et ses pas résolus,</div> -<div class="verse">Et je ne sais pourquoi je ne le plaignais plus :</div> -<div class="verse">On l’eût dit plein de force, et que son âme seule</div> -<div class="verse">Portât l’expérience et l’âge d’une aïeule,</div> -<div class="verse">Quand son corps résistait sans peine au poids des temps.</div> -<div class="verse">A chaque pas, ses pieds, tout à l’heure hésitants,</div> -<div class="verse">Plus raffermis, semblaient prendre, par un mystère,</div> -<div class="verse">Un élan de jeunesse au contact de la terre.</div> - -<div class="verse stanza">Il me dit : — « De quel droit un dégoût si profond ?</div> -<div class="verse">L’œuvre lente et sans fin que de longs siècles font,</div> -<div class="verse">Aucun siècle n’en voit au loin toute la trame :</div> -<div class="verse">Un instant, joie ou peine, occupe seul votre âme,</div> -<div class="verse">Comme le site étroit, dans un bois spacieux,</div> -<div class="verse">Fourré sombre ou clairière, occupe seul nos yeux. »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c4" title="IV. — Dans la Nuit">IV</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Il dit. Nous cheminions dans la longue vallée,</div> -<div class="verse">Sous la nuit orageuse et comme désolée.</div> -<div class="verse">Au ciel, pas un éclair, pas un petit point d’or ;</div> -<div class="verse">Le mont pourtant s’y découpait plus noir encor ;</div> -<div class="verse">Nos sentiers rocailleux, contournant la montagne,</div> -<div class="verse">Étaient noirs ; pas un feu, dans toute la campagne,</div> -<div class="verse">N’annonçait la douceur des asiles humains ;</div> -<div class="verse">Et la nuit transformait en gouffres nos chemins.</div> - -<div class="verse stanza">Il dit : — « Que souffre-t-on qui soit plus qu’une peine,</div> -<div class="verse">Tant que l’on n’a vécu rien qu’une vie humaine ? »</div> - -<div class="verse stanza">— « C’est avoir tout souffert qu’avoir subi l’amour,</div> -<div class="verse">Dis-je ; c’est l’éternel enfer en un seul jour !</div> -<div class="verse">Né du désir, toujours déçu, de tout connaître,</div> -<div class="verse">L’amour, faux prometteur de joie, attire un être</div> -<div class="verse">Comme l’aimant fatal attire un brin de fer.</div> -<div class="verse">L’amour, qui soumet l’âme aux frissons de la chair,</div> -<div class="verse">Et nous fait accepter l’horreur de nous survivre,</div> -<div class="verse">Est un vin traître dont l’odeur vireuse enivre.</div> -<div class="verse">L’homme, meilleur que Dieu, voudrait, mais veut en vain,</div> -<div class="verse">Mêler aux âpretés de ce perfide vin</div> -<div class="verse">Un miel que la nature ignore : la tendresse ;</div> -<div class="verse">Seules, les voluptés sont donneuses d’ivresse,</div> -<div class="verse">Et, fier de piétiner des flancs nus, de beaux seins,</div> -<div class="verse">Comme le vendangeur écrase les raisins,</div> -<div class="verse">L’amant ivre, brutal et cruel par nature,</div> -<div class="verse">Sans pitié comme Dieu, foule la créature !</div> -<div class="verse">La tendresse eût voulu poser, comme une sœur,</div> -<div class="verse">Sur un front douloureux son charme de douceur ;</div> -<div class="verse">Le dévoûment, son baume apaisant sur la plaie ;</div> -<div class="verse">Mais devant la laideur, le lâche amour s’effraie</div> -<div class="verse">Et se détourne… il faut des corps neufs au désir !</div> -<div class="verse">Le Minotaure, entre les vierges, veut choisir,</div> -<div class="verse">Et ce dragon, aussi nombreux que nous le sommes,</div> -<div class="verse">Renaît sans cesse au cœur des femmes et des hommes,</div> -<div class="verse">Et la moitié du monde, en un rut sans pitié,</div> -<div class="verse">Férocement affronte et mord l’autre moitié !</div> -<div class="verse">A peine si, parfois, un tendre et triste couple</div> -<div class="verse">Par les sentiers perdus s’enlace d’un bras souple ;</div> -<div class="verse">Les autres, se roulant à terre, n’ont en eux</div> -<div class="verse">Que des tourments jaloux et des amours haineux ;</div> -<div class="verse">Et telle, subissant la destinée aveugle</div> -<div class="verse">Qui livre au taureau fou la génisse qui meugle,</div> -<div class="verse">La vie en gémissant se terrasse et se mord,</div> -<div class="verse">Et s’enfante à jamais pour l’amour et la mort ! »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c5" title="V. — Les Présages">V</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">— « Parmi les maux sans fin dont l’éternité pleure,</div> -<div class="verse">Enfant, tu n’as souffert que les tiens, et qu’une heure ! »</div> - -<div class="verse stanza">Je lui dis : — « J’ai souffert aussi les maux d’autrui :</div> -<div class="verse">Comme l’humanité, je traîne, dans la nuit,</div> -<div class="verse">Sous le ciel dont l’affreux silence nous menace,</div> -<div class="verse">Un reste douloureux d’espérance tenace.</div> -<div class="verse">Oui, j’espère en un rêve auquel je ne crois pas,</div> -<div class="verse">Et le vœu de mourir alourdit tous mes pas.</div> -<div class="verse">Il sera doux, l’instant où la morne inconnue</div> -<div class="verse">Entre ses bras terreux dissoudra ma chair nue ;</div> -<div class="verse">Où ma chair cessera de redouter l’amour ;</div> -<div class="verse">Où, ne regrettant rien, qu’un peu l’éclat du jour,</div> -<div class="verse">Je dormirai content de ne plus voir l’envie,</div> -<div class="verse">Acharnée et mordant sur la plus belle vie,</div> -<div class="verse">Insulter ou nier les plus nobles efforts.</div> - -<div class="verse stanza">« Oui, j’appelle à grands cris la paix, la paix des morts,</div> -<div class="verse">Puisqu’il n’est pas d’amour certain ni de justice !</div> -<div class="verse">Oui, j’invoque le pur néant, seul dieu propice !</div> -<div class="verse">Un Autre avait promis à ce monde d’effrois</div> -<div class="verse">Qu’il viendrait apaiser les peuples et les rois,</div> -<div class="verse">Les courber sous sa main, les unir sous son règne ;</div> -<div class="verse">Mais Celui-là n’est plus qu’une image qui saigne</div> -<div class="verse">Et montre à l’univers un flanc déchiqueté !</div> -<div class="verse">Son cœur n’est qu’une plaie ouverte à son côté,</div> -<div class="verse">Et c’est comme une bouche effroyable et plaintive</div> -<div class="verse">Qui crie en vain : « Seigneur ! que votre règne arrive ! »</div> -<div class="verse">Rien, rien ne lui répond, qu’un silence infini,</div> -<div class="verse">Le même au Golgotha que sur Gethsémani !</div> -<div class="verse">Il s’est trompé, Celui qui disait : « Paix sur terre ! »</div> -<div class="verse">Sur le mont déserté la croix est solitaire ;</div> -<div class="verse">La Guerre à l’œil de brute, au front dur et têtu,</div> -<div class="verse">Piétine, dans le sang, sur le temple abattu !</div> -<div class="verse">Les vrais rois sont ceux-là qui, brandissant l’épée,</div> -<div class="verse">Fouaillent comme un troupeau l’humanité dupée ;</div> -<div class="verse">Le monde horrible attend les pires lendemains ;</div> -<div class="verse">La haine arme partout les enfants des humains ;</div> -<div class="verse">Les femmes, autrefois des mères attendries,</div> -<div class="verse">Contre l’antique époux se dressent en furies :</div> -<div class="verse">Et Celui qui promit au monde la pitié,</div> -<div class="verse">Aux mains des flagellants n’est qu’un fou châtié !</div> -<div class="verse">Il est traqué, raillé, chassé de tous ses temples,</div> -<div class="verse">Exemple mémorable, entre tous les exemples,</div> -<div class="verse">De l’inutilité d’avoir, — seul, au milieu</div> -<div class="verse">Des hommes vils, — la grâce et la beauté d’un Dieu ! »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c6" title="VI. — L’Invective">VI</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">A ces mots, tout le ciel craqua comme une voûte</div> -<div class="verse">Qui tout à coup s’entr’ouvre en se lézardant toute :</div> -<div class="verse">Et des gouffres de feu parurent au travers,</div> -<div class="verse">Par des trous aussitôt refermés qu’entr’ouverts.</div> -<div class="verse">L’occident noir poussait, au-dessus de nos têtes,</div> -<div class="verse">Les nuages, coursiers qui, fouettés des tempêtes,</div> -<div class="verse">Paraissaient secouer des flammes dans leur crin ;</div> -<div class="verse">Sous leur galop, le ciel fut comme un pont d’airain</div> -<div class="verse">Qui vibre en sons profonds qu’un écho sourd prolonge ;</div> -<div class="verse">Et, tout haut, malgré moi, je disais, comme en songe :</div> - -<div class="verse stanza">— « N’est-il pas fou, ce dieu, — quand tout doit démentir</div> -<div class="verse">Sa doctrine, sa vie et sa mort de martyr,</div> -<div class="verse">(Et qui le sait ! et qui connaît la race humaine !)</div> -<div class="verse">D’annoncer aux humains sa victoire certaine ?</div> -<div class="verse">A peine intelligible à notre humanité,</div> -<div class="verse">N’est-il pas fou de croire à l’homme racheté ?</div> -<div class="verse">Fou de croire qu’un jour tous iront dans sa voie ?</div> -<div class="verse">Et sa mort, — au sommet d’un mont, pour qu’on la voie</div> -<div class="verse">De tous les horizons, — sa mort sur ce haut lieu,</div> -<div class="verse">N’est-elle pas vraiment la défaite de Dieu ?</div> -<div class="verse">Elle est la grande preuve, éclatante, achevée,</div> -<div class="verse">Qu’en lui l’amour ne fut qu’une splendeur rêvée !</div> -<div class="verse">O Golgotha ! sommet de honte ! pilori</div> -<div class="verse">Où l’unique Bonté jette en vain son grand cri !</div> -<div class="verse">Monument d’infamie, où l’illusion sainte</div> -<div class="verse">Pousse éternellement son inutile plainte !</div> -<div class="verse">Trône où l’Envie, assise, heureuse, fouet en main,</div> -<div class="verse">Incarnant tout le lâche et hideux genre humain,</div> -<div class="verse">Tient sa cour de bourreaux, qui ricane autour d’elle !</div> -<div class="verse">Piédestal odieux de la haine immortelle</div> -<div class="verse">Qui brandit, en riant, les marteaux et les clous !</div> -<div class="verse">Autel où l’agneau blanc s’offre en victime aux loups !</div> -<div class="verse">Comment peux-tu paraître à l’humaine mémoire</div> -<div class="verse">La cime où Dieu le Juste achève sa victoire ?</div> -<div class="verse">La justice avec lui fut roulée au linceul ;</div> -<div class="verse">On entrevoit l’amour dans le rêve d’un seul,</div> -<div class="verse">Mais on veut oublier l’abandon des apôtres :</div> -<div class="verse">Le renîment de Pierre et la fuite des autres.</div> -<div class="verse">Et deux mille ans plus tard, ô Jésus mort pour nous,</div> -<div class="verse">On cherche sous ta croix un fidèle à genoux ;</div> -<div class="verse">Car les pharisiens, qui font semblant de croire</div> -<div class="verse">A ton pouvoir d’amour, le savent illusoire.</div> -<div class="verse">Le bataillon sacré, tes chevaliers, soutiens</div> -<div class="verse">Du trône et de l’autel, ces deux pôles chrétiens,</div> -<div class="verse">Ceux-là, les prétendus servants de ta doctrine,</div> -<div class="verse">Qui la disent encore efficace et divine,</div> -<div class="verse">Ceux qui t’appellent Dieu de pitié, Dieu le Fils,</div> -<div class="verse">Et brodent saintement ta bannière de lys,</div> -<div class="verse">Tes derniers pèlerins, à peine quelques hommes,</div> -<div class="verse">Nous connaissant mauvais et vils, tels que nous sommes,</div> -<div class="verse">Tout en te proclamant vainqueur, ô dieu vaincu,</div> -<div class="verse">Voient bien qu’en vain leur dieu sur la terre a vécu</div> -<div class="verse">En homme, — et que ta mort n’a pas sauvé les mondes !</div> -<div class="verse">Et t’invoquant toujours, sans que tu leur répondes,</div> -<div class="verse">Ils appellent sur nous, châtiment mérité,</div> -<div class="verse">Un dieu-soldat, l’épée en main, casqué, botté,</div> -<div class="verse">Qui foule, sous des pieds sanglants, l’âme elle-même,</div> -<div class="verse">Pour être, et non plus toi ! le chef, le dieu suprême.</div> -<div class="verse">… Tes espoirs infinis sont-ils assez déçus !</div> -<div class="verse">Quelle erreur fut égale à la tienne, ô Jésus !</div> -<div class="verse">Oh ! si du moins, quand sur ton gibet ton sang coule,</div> -<div class="verse">Un seul cri de pitié s’élevait de la foule !</div> -<div class="verse">Mais qu’espérais-tu donc de ce peuple au cœur bas ?</div> -<div class="verse">Son ami n’est jamais Jésus ; c’est Barrabas !</div> -<div class="verse">Mendiant de pitié sans pitié pour lui-même,</div> -<div class="verse">Il ne sert pas l’amour et demande qu’on l’aime !</div> -<div class="verse">A peine si le bon pasteur sauva parfois</div> -<div class="verse">Quelque errante brebis accourue à sa voix ;</div> -<div class="verse">Le reste n’obéit qu’au chien puissant qui gronde ;</div> -<div class="verse">Et, veule, piétinant dans sa fange profonde,</div> -<div class="verse">La foule est un troupeau qui bêle vers la mort !</div> -<div class="verse">Que si, rebelle un jour aux caprices du fort,</div> -<div class="verse">Un peuple, en justicier, tout à coup se redresse,</div> -<div class="verse">Lui qui, dans l’esclavage, invoquait ta tendresse,</div> -<div class="verse">Lui, doux vaincu d’hier, devient un dur vainqueur !</div> -<div class="verse">Dès qu’il a la victoire au nom des droits du cœur,</div> -<div class="verse">En hâte il les abjure, et sous ses pieds les broie :</div> -<div class="verse">Le doux agneau bêlant devient bête de proie.</div> -<div class="verse">Et c’est ainsi toujours qu’un juste révolté</div> -<div class="verse">Rend aux tyrans déchus un droit d’iniquité.</div> - -<div class="verse stanza">« Ta statue était d’or avec des pieds d’argile,</div> -<div class="verse">Christ ! Deux mille ans après l’aube de l’Évangile,</div> -<div class="verse">Tes prétendus chrétiens, sur l’univers à feu</div> -<div class="verse">Et à sang, blasphémant l’humanité de Dieu,</div> -<div class="verse">Relèvent Sabaoth, que leur folie adore,</div> -<div class="verse">Et dont la rouge gloire efface ton aurore !</div> -<div class="verse">Il s’est aussi fait homme ; il est le dieu rival ;</div> -<div class="verse">Tu passais sur un âne : il te nargue à cheval !</div> -<div class="verse">Les hommes fascinés, glorieux dans la honte,</div> -<div class="verse">Baisent les durs sabots de la bête qu’il monte.</div> -<div class="verse">C’est lui que l’on invoque à toute heure et partout ;</div> -<div class="verse">Son image de bronze est la seule debout ;</div> -<div class="verse">Tout puissant ou martyr, lui qu’en tremblant on nomme,</div> -<div class="verse">C’est lui qu’on voudrait être ou subir : le surhomme,</div> -<div class="verse"><span class="sc">Napoléon</span> ! C’est lui, lui seul, le roi des rois !</div> -<div class="verse">En un hochet de guerre il a changé ta croix ;</div> -<div class="verse">Et nul n’en peut parler, sans qu’une voix réponde :</div> -<div class="verse">« C’est lui le vrai sauveur, le vrai maître du monde</div> -<div class="verse">« C’est lui le dieu d’hier et le dieu de demain,</div> -<div class="verse">« Qui règne et tient le globe étoilé dans sa main.</div> -<div class="verse">« Il ressuscitera selon la prophétie ;</div> -<div class="verse">« C’est le mort qu’on attend toujours, le vrai Messie… »</div> - -<div class="verse stanza">« J’ai tout vu, j’ai tout lu, tout souffert ; je suis las,</div> -<div class="verse">Et le vœu de mourir appesantit mes pas… »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c7" title="VII. — Le Témoin">VII</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">— « Un livre, dit le vieil homme, est l’ombre d’un songe</div> -<div class="verse">Où, sans voix ni couleur, le passé se prolonge.</div> -<div class="verse">Ce sont des siècles, non des livres, que j’ai lus :</div> -<div class="verse">Bien des maux sont soufferts — que l’on ne verra plus. »</div> - -<div class="verse stanza">Quand il se tut, la foudre errait encor, lointaine ;</div> -<div class="verse">Puis un éclair muet illumina la plaine.</div> -<div class="verse">Le vent faiblit ; sous des nuages moins épais,</div> -<div class="verse">Les grands bois frissonnants sentaient venir la paix.</div> - -<div class="verse stanza">Il dit :</div> -<div class="verse i2">— « Je vois encor Jésus, devant ma porte,</div> -<div class="verse">Tomber sur ses genoux avec la croix qu’il porte.</div> -<div class="verse">Croyant son œuvre folle et son martyre vain,</div> -<div class="verse">Moi, fou, j’ai comme vous raillé l’homme divin.</div> -<div class="verse">Lui, ne m’a point maudit ; il n’a maudit personne,</div> -<div class="verse">Étant toujours celui qui bénit et pardonne,</div> -<div class="verse">Mais il m’a regardé de son regard touchant,</div> -<div class="verse">Doux à qui le menace et tendre au plus méchant,</div> -<div class="verse">Et ce regard disait : « Tout passe : je demeure.</div> -<div class="verse">« Comment juger les temps, lorsqu’on ne vit qu’une heure ?</div> -<div class="verse">« Je n’ai pas mérité ton rire et ton affront…</div> -<div class="verse">« C’est pourquoi tu vivras, quand les siècles mourront ;</div> -<div class="verse">« Ainsi tu pourras, fût-ce après deux mille ans d’âge,</div> -<div class="verse">« Vieux comme un monde, ô Juif, me rendre témoignage.</div> -<div class="verse">« Tu marcheras sans halte, et partout, de tes yeux,</div> -<div class="verse">« Partout tu pourras voir mon pas mystérieux.</div> -<div class="verse">« Tu ne t’arrêteras, mort, dans ma paix profonde,</div> -<div class="verse">« Que le jour où j’aurai soumis l’âme du monde. »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c8" title="VIII. — Christophore">VIII</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Un nuage s’ouvrit, au zénith, lentement,</div> -<div class="verse">Par où nous souriait un peu du firmament ;</div> -<div class="verse">Puis la lune, en ce coin d’espace, parut toute,</div> -<div class="verse">Éclairant de pâleurs mon compagnon de route.</div> - -<div class="verse stanza">Ce vieillard, moins que moi lamentable, et moins las,</div> -<div class="verse">Et qui pourtant portait un monde, comme Atlas,</div> -<div class="verse">Ayant levé le front, parut grandir encore.</div> -<div class="verse">Je songeai : « Ce n’est point Atlas, c’est Christophore !</div> -<div class="verse">Il porte un souvenir plus lourd qu’un Christ-enfant,</div> -<div class="verse">Un dieu qu’on dit vaincu, mais qu’il croit triomphant ;</div> -<div class="verse">Vingt siècles de combats pour la croix ou contre elle… »</div> - -<div class="verse stanza">Il reprit, de sa voix calme et surnaturelle :</div> - -<div class="verse stanza">— « Je marche sans repos, pour être le Témoin.</div> -<div class="verse">Derrière moi, le jour où je partis est loin,</div> -<div class="verse">Plus loin peut-être encore est devant moi ma halte ;</div> -<div class="verse">Mais ma foi dans le jour qui m’est promis, m’exalte,</div> -<div class="verse">Et lorsque, par moments, les peuples plus heureux</div> -<div class="verse">Ont des princes moins durs ou moins de haine entre eux,</div> -<div class="verse">Alors, je sens venir la paix, et, comme une onde,</div> -<div class="verse">En mes veines courir la jeunesse du monde ;</div> -<div class="verse">Un jeune espoir joyeux marche avec mes pieds lents ;</div> -<div class="verse">Pour le monde et pour moi, qu’est-ce que deux mille ans ?</div> -<div class="verse">J’ai deux mille ans, j’ai vu Lutèce et les deux Rome,</div> -<div class="verse">Et les hommes mourir, mais vivre et grandir l’Homme,</div> -<div class="verse">Car l’Homme a la durée et chacun n’a qu’un jour.</div> -<div class="verse">Les générations font, chacune à son tour,</div> -<div class="verse">En criant vers le ciel, leur chemin vers l’abîme…</div> -<div class="verse">Or, tout mortel, n’ayant que sa minute infime,</div> -<div class="verse">Nomme ses moindres maux le comble des malheurs,</div> -<div class="verse">Et ne reconnaît pas si les temps sont meilleurs ;</div> -<div class="verse">Mais moi qui mesurai les horreurs de la vie</div> -<div class="verse">Sur la route au tombeau par vingt siècles suivie,</div> -<div class="verse">Moi qui raillai Jésus tombé sur le chemin,</div> -<div class="verse">Je sens mon cœur plus large et l’homme plus humain.</div> - -<div class="verse stanza">« Qui laisserait Jésus, à l’époque présente,</div> -<div class="verse">Cheminer sans secours sous la croix écrasante ?</div> -<div class="verse">Depuis l’heure où le grand crime fut accompli,</div> -<div class="verse">La croix n’est-elle pas un supplice aboli ?</div> -<div class="verse">Le juge, en condamnant, n’est-il pas moins sévère ?</div> -<div class="verse">Les fils du bon larron béni sur le Calvaire</div> -<div class="verse">Connaissent-ils encor l’<span lang="la" xml:lang="la">in-pace</span> ténébreux ?</div> -<div class="verse">Les engins de terreur, toujours dressés contre eux,</div> -<div class="verse">Coins et poires d’angoisse, et toutes les tortures ?</div> - -<div class="verse stanza">« La loi se fait clémente aux pires créatures ;</div> -<div class="verse">L’arbre infâme est en fleurs… L’ombre est douce, ô mon fils,</div> -<div class="verse">Qui sur nous et sur tous — tombe du crucifix. »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c9" title="IX. — L’Amour">IX</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Sur les pics où le bord du firmament repose,</div> -<div class="verse">Une lente lueur, blanche d’abord, puis rose,</div> -<div class="verse">Ondulante, marqua les lignes d’horizon.</div> -<div class="verse">Et, devinant au loin le toit de ma maison :</div> -<div class="verse">— « Le repos nous attend sur ma terrasse haute,</div> -<div class="verse">Lui dis-je, sous la treille où vous serez mon hôte. »</div> - -<div class="verse stanza">Lointain, les yeux perdus, il ne m’écoutait pas,</div> -<div class="verse">Et c’est son rêve seul qu’il suivait à grands pas.</div> - -<div class="verse stanza">— « L’amour, dit-il (et sa voix grave était plus grave),</div> -<div class="verse">C’est le maître insolent qui deviendra l’esclave.</div> -<div class="verse">Les loups dans les forêts, les ours, même les cerfs,</div> -<div class="verse">Et, dans les sables roux, les lions des déserts,</div> -<div class="verse">Avec des cris haineux, pris de fureur jalouse,</div> -<div class="verse">Bramant ou rugissant d’amour, mordent l’épouse ;</div> -<div class="verse">Les hommes font comme eux, et leurs désirs grondants,</div> -<div class="verse">Fauves hargneux, ne sont que griffes et que dents.</div> -<div class="verse">La griffe rétractile, ayant guetté, veut prendre ;</div> -<div class="verse">La dent se réjouit d’entrer dans la chair tendre ;</div> -<div class="verse">Qu’importe au cerf ardent, lascif et furieux,</div> -<div class="verse">L’inutile refus de la biche aux grands yeux ?</div> -<div class="verse">En proie au faux amour, l’âme en vain crie et saigne,</div> -<div class="verse">Et la tendresse humaine attend toujours son règne.</div> -<div class="verse">C’est pourquoi, détournant des hommes mon regard,</div> -<div class="verse">J’ai cherché l’homme — et vu, calme et chaste, à l’écart,</div> -<div class="verse">Le couple pur errer sous la forêt ombreuse.</div> -<div class="verse">J’ai vu, sur un seuil blanc, une sainte amoureuse</div> -<div class="verse">Attendre le retour du fiancé lointain ;</div> -<div class="verse">L’amour est un plein jour dont elle est le matin ;</div> -<div class="verse">Tout l’avenir aimant naîtra de cette aurore</div> -<div class="verse">Qui n’est qu’une lueur fraîche, incertaine encore ;</div> -<div class="verse">Et ce couple de deux bons cœurs, simples et purs,</div> -<div class="verse">N’est que l’image en fleur d’innombrables futurs.</div> -<div class="verse">Ces deux êtres liés, douceur, candeur et grâce,</div> -<div class="verse">Promettent à l’amour une nouvelle race.</div> -<div class="verse">Ce seul couple béni, qui s’aime sans tourment,</div> -<div class="verse">Prépare à l’avenir un paradis aimant ;</div> -<div class="verse">Et qu’importe s’il a désappris l’Évangile ?</div> -<div class="verse">Tout amour vrai, qui n’est ni cruel ni fragile,</div> -<div class="verse">Fut un rêve ineffable au cœur de Jésus-Christ,</div> -<div class="verse">Car la lettre n’est rien, selon qu’il est écrit.</div> -<div class="verse">Oui, compagnon, il faut voir, par-delà les hommes,</div> -<div class="verse">Ce que nous deviendrons et non ce que nous sommes.</div> -<div class="verse">Vaste est l’amas des temps ; le mal rampe au-dessus ;</div> -<div class="verse">Par-dessous, mon œil suit la trace de Jésus.</div> -<div class="verse">Or, elle est comme une eau secrète sous la terre,</div> -<div class="verse">Où, dès qu’elle jaillit, l’oiseau se désaltère ;</div> -<div class="verse">Je sais la reconnaître à ses reflets de feu,</div> -<div class="verse">Qui, là, semblent s’éteindre ; ici, renaître un peu ;</div> -<div class="verse">Et c’est en elle enfin, source, pluie ou rosée,</div> -<div class="verse">Que toute eau bonne à boire est et sera puisée.</div> -<div class="verse">Oui, sous les cris discords, j’entends de pures voix ;</div> -<div class="verse">Écoute-les, sois attentif, regarde et vois :</div> -<div class="verse">Les œuvres de bonté, parmi tant d’œuvres viles,</div> -<div class="verse">Fleurissent, comme, sur le pavé noir des villes,</div> -<div class="verse">Quelques arbres, parmi les charrois et les cris,</div> -<div class="verse">Tendent au ciel lointain de beaux thyrses fleuris.</div> -<div class="verse">Que d’asiles de luxe offerts à la misère !</div> -<div class="verse">Que d’infirmes, manquant chez eux du nécessaire,</div> -<div class="verse">Hommes, enfants, vieillards, mères aux seins gonflés,</div> -<div class="verse">Y trouvent leur salut, ou meurent consolés.</div> -<div class="verse">D’autres que des croyants donnent les grands exemples.</div> -<div class="verse">Jamais la charité n’éleva plus de temples.</div> -<div class="verse">Et même l’animal, — que Christ a racheté,</div> -<div class="verse">Quand sur un âne, sans orgueil, il est monté, —</div> -<div class="verse">Le cheval dans l’étable et le chien à la chaîne,</div> -<div class="verse">Sentent passer sur eux de la tendresse humaine…</div> - -<div class="verse stanza">« Crois-moi, mon fils, car j’ai vingt siècles révolus,</div> -<div class="verse">Bien des maux sont soufferts, qu’on ne reverra plus. »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c10" title="X. — L’Aurore">X</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Derrière les grands pics montait l’aube sublime ;</div> -<div class="verse">Puis l’aurore alluma des feux sur chaque cime.</div> -<div class="verse">Candélabres géants, ténébreux par en bas,</div> -<div class="verse">Les pins, les châtaigniers, ouvrant de larges bras,</div> -<div class="verse">Portaient, au plus fin bout de leurs épaisses branches,</div> -<div class="verse">Des feuilles qu’un reflet changeait en flammes blanches ;</div> -<div class="verse">Les nids se réveillaient ; une joie en frissons</div> -<div class="verse">Courait sur la colline où naissaient des chansons.</div> - -<div class="verse stanza">Et le témoin de tant de jours tombés au gouffre,</div> -<div class="verse">De tous les maux soufferts et de tous ceux qu’on souffre,</div> -<div class="verse">Tourna vers moi son front par l’aurore éclairé.</div> -<div class="verse">On ne sait quoi de grand, d’étrange, de sacré,</div> -<div class="verse">La force du prophète et la douceur du sage,</div> -<div class="verse">Étaient, en creux profonds, gravés sur son visage.</div> -<div class="verse">Ses cheveux sur ses reins tombaient, bouclés et blancs ;</div> -<div class="verse">Sa barbe en nœuds tordus s’enroulait à ses flancs ;</div> -<div class="verse">Aux plis déchiquetés de sa souple tunique,</div> -<div class="verse">Le vent jeune arrachait une poussière antique ;</div> -<div class="verse">Et, depuis deux mille ans, n’ayant fait que marcher,</div> -<div class="verse">Ses grands pieds, nus et durs, effritaient le rocher.</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c11" title="XI. — C’est le Passé">XI</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Il dit : — « Témoin d’horreurs dix-neuf fois séculaires,</div> -<div class="verse">J’ai vu l’immense arène, aux hauts murs circulaires,</div> -<div class="verse">Qui, tout chargés de fronts, d’yeux et de bras mouvants,</div> -<div class="verse">Semblaient d’horribles murs faits de moellons vivants ;</div> -<div class="verse">Les parois de ce puits hurlaient par mille bouches,</div> -<div class="verse">Et les regards étaient, sous des sourcils farouches,</div> -<div class="verse">Plus mordants et plus durs que le ciment romain.</div> -<div class="verse">Tout le fond de ce puits n’était que sang humain,</div> -<div class="verse">Et luisait sous les yeux des horribles murailles.</div> -<div class="verse">Ventre ouvert, retenant à deux mains leurs entrailles,</div> -<div class="verse">Les gladiateurs, nus, saluaient en mourant</div> -<div class="verse">Le vil César, qu’un peuple avili faisait grand.</div> -<div class="verse">Et toute cette horreur a passé comme un rêve.</div> -<div class="verse">Les vierges, les enfants qui saignaient sous le glaive,</div> -<div class="verse">S’étant donné la main l’un à l’autre en s’aimant,</div> -<div class="verse">Calmes, ont regardé le glaive fixement.</div> -<div class="verse">Le cirque a dit : Je hais ! Ils ont répondu : J’aime !</div> -<div class="verse">Et le glaive est tombé, vaincu, dans leur sang même. »</div> - -<div class="verse stanza">— « Vaincu pour peu de temps ; des rois l’ont ramassé !</div> -<div class="verse">Des papes ont brandi le fer ! »</div> - -<div class="verse i8 stanza">— « C’est le passé. »</div> - -<div class="verse stanza">— « Un moine inventera la poudre… Oh ! que de veuves</div> -<div class="verse">Pleurent les huguenots, chrétiens jetés aux fleuves ! »</div> - -<div class="verse stanza">— « C’est le passé. »</div> - -<div class="verse i5 stanza">— « Toi même, ils t’ont persécuté,</div> -<div class="verse">Juif, tous ces prétendus rêveurs de charité. »</div> - -<div class="verse stanza">— « C’est le passé, qui fut rage, haine, colère.</div> -<div class="verse">Le jour vient, le regard du Juif même s’éclaire. »</div> - -<div class="verse stanza">— « Le vieux peuple des Francs décapite son roi ;</div> -<div class="verse">Lorsque la liberté règne, c’est par l’effroi.</div> -<div class="verse">A leur tour les martyrs ont ramassé l’épée :</div> -<div class="verse">Notre foi dans leur Christ, c’est eux qui l’ont frappée ! »</div> - -<div class="verse stanza">— « L’épée est belle aux mains vengeresses du Droit !</div> - -<div class="verse stanza">— « Ton Christ nous a menti, plus personne n’y croit ! »</div> - -<div class="verse stanza">— « Qu’importe à Dieu les noms mortels dont on le nomme ?</div> -<div class="verse">Amour, bonté, ces mots sur les lèvres de l’homme</div> -<div class="verse">Sont des noms plus humains de l’immatériel.</div> -<div class="verse">L’homme ne vit que pour lever les yeux au ciel ;</div> -<div class="verse">Il y cherche à jamais l’idéal, son étoile ;</div> -<div class="verse">L’orage n’est jamais qu’une heure, et n’est qu’un voile ;</div> -<div class="verse">L’étoile est fixe au fond des gouffres infinis ;</div> -<div class="verse">Et les hommes, pervers à la fois et bénis,</div> -<div class="verse">Tous rencontreront Dieu, puisque Dieu pour la terre</div> -<div class="verse">N’est qu’énigme, et que tous se heurtent au mystère…</div> - -<div class="verse stanza">« L’Évangile chemine, et moi, je suis des yeux</div> -<div class="verse">Le triomphe du Christ, secret et merveilleux. »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c12" title="XII. — La Chaîne">XII</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Nous restâmes longtemps plongés dans ce silence</div> -<div class="verse">Où l’esprit, comme dans un abîme, s’élance</div> -<div class="verse">Jusqu’à des profondeurs où les mots ne vont pas.</div> - -<div class="verse stanza">Enfin le grand vieillard reprit d’un ton plus bas :</div> - -<div class="verse stanza">— « Oui, vingt siècles auront suffi pour sa victoire.</div> -<div class="verse">Vous la mesurez lente au compas de l’histoire ?</div> -<div class="verse">Je l’estime autrement. Vous, c’est par millions</div> -<div class="verse">Que vous comptez les morts des générations,</div> -<div class="verse">Depuis le soir où, sur la croix, Jésus expire ;</div> -<div class="verse">Et vous répétez : « Comme il tarde, son empire ! »</div> -<div class="verse">Tandis que je me vois seulement séparé</div> -<div class="verse">Par vingt hommes au plus, de son siècle sacré.</div> - -<div class="verse stanza">« A l’heure où Christ, mourant, rentrait dans la lumière</div> -<div class="verse">Un enfant m’appela de sa plainte première.</div> -<div class="verse">Cet enfant, je le vis s’éteindre après cent ans,</div> -<div class="verse">Juste à l’heure où, près d’un berceau, ses fils, contents,</div> -<div class="verse">Accueillaient leur enfant à sa première plainte.</div> -<div class="verse">Ce fils, le soir de sa centième année atteinte,</div> -<div class="verse">Mourut. Et j’en ai vu vingt ainsi, tour à tour,</div> -<div class="verse">Lorsqu’un enfant de ses enfants venait au jour,</div> -<div class="verse">Expirer ; et je vois que, du siècle où nous sommes,</div> -<div class="verse">Si je retourne au Christ par cette chaîne d’hommes,</div> -<div class="verse">Vingt hommes seulement, enlacés par la main,</div> -<div class="verse">Sont entre nous et le sauveur du genre humain. »</div> - -<div class="verse stanza">Le grand vieillard se tut. J’avais l’âme étonnée.</div> -<div class="verse">A remonter les temps, non d’année en année,</div> -<div class="verse">Mais par ces vingt chaînons d’hommes vivant très vieux,</div> -<div class="verse">Les uns mourant quand les autres ouvraient les yeux,</div> -<div class="verse">Il semblait qu’un esprit divinement agile</div> -<div class="verse">M’emportât dans la crèche où naissait l’Évangile.</div> - -<div class="verse stanza">— « Jésus, qu’on croit si loin de nous, est donc tout près ?</div> -<div class="verse">Oh ! comme j’aimerais le voir ! J’arrêterais</div> -<div class="verse">Un peu, rien qu’en baisant le bas de sa tunique,</div> -<div class="verse">L’homme si merveilleux qu’il reste l’homme unique,</div> -<div class="verse">L’exemple, le modèle incomparable et pur,</div> -<div class="verse">Le maître maternel, le conseil calme et sûr,</div> -<div class="verse">L’être si beau, si calme et si pur, que nous, hommes,</div> -<div class="verse">Montrant par là que nous jugeons ce que nous sommes,</div> -<div class="verse">Nous n’avons pas admis qu’il fût un d’entre nous,</div> -<div class="verse">Et nous ne le nommons qu’en pliant les genoux ! »</div> - -<div class="verse stanza">Le vieillard souriait :</div> -<div class="verse i6">— « Dans le temps et l’espace,</div> -<div class="verse">Dès que l’homme, plus grand que l’homme, se dépasse,</div> -<div class="verse">Beau des vertus dont nous n’avons qu’un désir vain,</div> -<div class="verse">Nos cœurs, en le suivant, entrent dans le divin.</div> -<div class="verse">Et le divin, c’est nous meilleurs, nous bons et justes ;</div> -<div class="verse">Le sens en est vivant dans les cœurs les plus frustes ;</div> -<div class="verse">C’est le sens de l’amour, et rien n’est au-dessus,</div> -<div class="verse">Sinon l’amour lui-même, et l’amour c’est Jésus.</div> -<div class="verse">L’homme y va lentement, et par toutes les voies ;</div> -<div class="verse">Par les pires douleurs, il marche vers ses joies ;</div> -<div class="verse">Vous, vous désespérez du triomphe d’amour ?</div> -<div class="verse">Moi, deux mille ans de nuit m’en présagent le jour. »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c13" title="XIII. — La Tempête">XIII</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">— « L’aube avait ébloui de ses plus douces flammes,</div> -<div class="verse">M’écriai-je, nos yeux trompés comme nos âmes.</div> -<div class="verse">Tantôt, quand sa candeur argentait les sommets,</div> -<div class="verse">Les orages semblaient vaincus à tout jamais ;</div> -<div class="verse">Et maintenant, voyez, le chaos recommence :</div> -<div class="verse">Une nuit matinale emplit le ciel immense ;</div> -<div class="verse">J’entends d’ici souffler les chevaux de la mer</div> -<div class="verse">Qui se cabrent, montés par les démons de l’air,</div> -<div class="verse">Et déjà la forêt, cette autre mer mouvante,</div> -<div class="verse">Paraît s’enfuir, courbée et criant d’épouvante.</div> -<div class="verse">Que de vaisseaux, par un tel vent, vont naufrager !</div> -<div class="verse">Venez sur la hauteur, où, loin de tout danger,</div> -<div class="verse">Nous jouirons de voir, selon le vieux Lucrèce,</div> -<div class="verse">Les gestes éperdus des marins en détresse… »</div> - -<div class="verse stanza">Il comprit le sarcasme, et dit, sans plus : « Venez. »</div> - -<div class="verse stanza">Un très grand crucifix, à mes yeux étonnés,</div> -<div class="verse">Surgit. Nous arrivions sur un plateau sévère</div> -<div class="verse">Que ce haut Christ de bois transformait en Calvaire.</div> - -<div class="verse stanza">L’orage assombrissait deux tristes horizons :</div> -<div class="verse">La plaine vers le nord, cultures et maisons,</div> -<div class="verse">Qui, sans trop en souffrir, subissaient la tourmente,</div> -<div class="verse">Et, dans le sud, la mer qui toujours se lamente,</div> -<div class="verse">Qui fait, d’un seul soupir, osciller sur son dos</div> -<div class="verse">Les cuirassés de fer comme d’humbles fardeaux,</div> -<div class="verse">Et qui peut, s’il lui plaît, en rugissant de joie,</div> -<div class="verse">Dévorer ces volcans comme une faible proie.</div> - -<div class="verse stanza">La mer ! Combien a-t-elle englouti d’armadas !</div> - -<div class="verse stanza">Or, sur les flots grondants, j’aperçus, tout là-bas,</div> -<div class="verse">Au bout d’un mât penchant, secoué par les lames,</div> -<div class="verse">Un pauvre être ! — Et, de tous nos yeux, nous regardâmes.</div> - -<div class="verse stanza">Le navire englouti vibrait à tous les chocs</div> -<div class="verse">Des lourds ressacs, dont la fureur brise des rocs.</div> -<div class="verse">Seul, le mât, émergeant du formidable abîme,</div> -<div class="verse">Secouait, comme un fruit perdu, l’homme à sa cime.</div> - -<div class="verse stanza">Je songeais : — « En effet, cet homme est bien perdu !</div> -<div class="verse">Par qui son cri lointain serait-il entendu ?</div> -<div class="verse">Et, le fût-il, qui donc quitterait le rivage</div> -<div class="verse">Pour arracher sa proie à cette mer sauvage ?</div> -<div class="verse">Un bon Samaritain qui descend de cheval</div> -<div class="verse">Pour panser un blessé, fait un acte banal,</div> -<div class="verse">Facile, mais devant ce gouffre épouvantable,</div> -<div class="verse">Il faut être un héros pour être charitable ! »</div> - -<div class="verse stanza">Et voici qu’apparut, au large, en plein danger,</div> -<div class="verse">Un canot ! — S’élevant, comme pour mieux plonger,</div> -<div class="verse">Sur l’écumeux sommet d’une lame puissante,</div> -<div class="verse">Il tomba vers les fonds par la pente glissante,</div> -<div class="verse">Pour remonter sans fin sur les monstrueux flancs</div> -<div class="verse">De ces montagnes d’eau, sombres, aux sommets blancs.</div> -<div class="verse">Et douze hommes — ce nombre est cher à l’Évangile —</div> -<div class="verse">Attaquaient l’ouragan dans cet esquif fragile.</div> - -<div class="verse stanza">— « Ce spectacle est divin ! me dit alors le Juif ;</div> -<div class="verse">Si tu cherches la vérité, sois attentif,</div> -<div class="verse">Encore plus qu’à ma parole, à ce spectacle.</div> -<div class="verse">L’action de ces gens est un humain miracle.</div> -<div class="verse">Pour sauver un seul homme ils vont douze à la mort.</div> -<div class="verse">Rester dans leur logis leur serait un remord ;</div> -<div class="verse">Même, ils ont pris conseil de leur femme attendrie ;</div> -<div class="verse">Connaissent-ils du moins cet homme, ou sa patrie ?</div> -<div class="verse">Non. Fût-il ennemi, qu’ils lui tendraient la main.</div> -<div class="verse">Ils sont les sauveteurs, gloires du genre humain !</div> -<div class="verse">Et ces simples pêcheurs, si pauvres et si braves,</div> -<div class="verse">Sont les fils, rachetés, de ces pilleurs d’épaves</div> -<div class="verse">Qui, traîtres, allumaient, la nuit, par mauvais temps,</div> -<div class="verse">A terre, çà et là, de grands feux éclatants,</div> -<div class="verse">Pour attirer, — c’était la coutume barbare —</div> -<div class="verse">Sur des rocs, un vaisseau que la lumière égare,</div> -<div class="verse">Et qui, trahi d’abord, était enfin pillé…</div> - -<div class="verse stanza">« Depuis ce temps, un siècle à peine est écoulé !</div> - -<div class="verse stanza">« Et, devant ce canot qui s’abaisse et remonte,</div> -<div class="verse">Sans cesse, sur des monts écroulés qu’il affronte,</div> -<div class="verse">Je vois, plus lumineux que l’aveuglant éclair,</div> -<div class="verse">Le spectre de Jésus qui marche sur la mer. »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c14" title="XIV. — Aux Armes !">XIV</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">La mer, bouleversée encor, n’était plus noire ;</div> -<div class="verse">Les vents changeaient, chassant une nuit provisoire.</div> -<div class="verse">… Tout l’azur reparut dans sa sérénité.</div> - -<div class="verse stanza">— « Oui, me dit le vieillard, le monde est racheté.</div> -<div class="verse">Le Christ a, dans nos cœurs, jeté le grain qui lève.</div> -<div class="verse">Lentement, des héros réalisent son rêve,</div> -<div class="verse">Et son amour en eux resplendit, tout pareil</div> -<div class="verse">(Si ton cœur sait le voir) au radieux soleil. »</div> - -<div class="verse stanza">— « Vous triomphez ! je suis convaincu, répondis-je ;</div> -<div class="verse">Ce triomphe à lui seul me paraît un prodige ;</div> -<div class="verse">J’abjure devant vous mon scepticisme vain :</div> -<div class="verse">Des héros m’ont prouvé l’héroïsme divin ! »</div> - -<div class="verse stanza">Or, juste à ce moment, où le vieillard étrange</div> -<div class="verse">Me montrait l’idéal, fixe lorsque tout change,</div> -<div class="verse">Et sous le faux réel, qui seul nous apparaît,</div> -<div class="verse">Dieu rayonnant en nous comme un soleil secret,</div> -<div class="verse">Dans cet instant de joie et d’extase féconde,</div> -<div class="verse">Où la paix nous semblait l’espoir certain du monde,</div> -<div class="verse">Un cri troubla la terre, et, déchirant les airs,</div> -<div class="verse">De nouveau souleva la profondeur des mers :</div> -<div class="verse">— « <span class="sc">Aux armes !</span> » —</div> - -<div class="verse i4 stanza">Des clairons stridaient, sonnant la charge,</div> -<div class="verse">Et la terre troublait les mers jusqu’au grand large :</div> -<div class="verse">Un peuple épouvantable, armé de fer, de feu,</div> -<div class="verse">De gaz mortels, et se disant l’élu de Dieu,</div> -<div class="verse">N’étant, esprit et chair, qu’appétit d’ogre immonde,</div> -<div class="verse">Marchait, organisé, contre l’ordre du monde !</div> - -<div class="verse stanza">Tout le génie humain dompteur de l’élément,</div> -<div class="verse">Ce peuple élémental, sauvage savamment,</div> -<div class="verse">Le tournait contre l’homme en outil de torture ;</div> -<div class="verse">Lui-même il s’était fait monstre, par la culture !</div> -<div class="verse">Méthodiquement serf d’un prince carnassier,</div> -<div class="verse">Le Teuton, formidable automate d’acier,</div> -<div class="verse">Ou chair amalgamée au corps des mitrailleuses,</div> -<div class="verse">Colosse lourd de force et de haine orgueilleuses,</div> -<div class="verse">Proclamait, — espérant figer ses ennemis</div> -<div class="verse">Dans l’horreur, — que tout crime, à la guerre, est permis !</div> - -<div class="verse stanza">Ses plus graves savants, et ses poètes même,</div> -<div class="verse">Contresignaient d’un cœur tranquille un tel blasphème !</div> - -<div class="verse stanza">Et ce peuple, avili par un si haut conseil,</div> -<div class="verse">Ce peuple, tel qu’on n’en vit pas sous le soleil,</div> -<div class="verse">Traînait captifs au loin femmes, enfants en larmes,</div> -<div class="verse">Des êtres impuissants à manier les armes,</div> -<div class="verse">Les grands-pères, craintifs et muets, consternés…</div> -<div class="verse">Ces Allemands, parfois, en lâches forcenés,</div> -<div class="verse">Faisaient de leurs captifs, sur leur front de bataille,</div> -<div class="verse">Un rempart défenseur, pitoyable muraille,</div> -<div class="verse">Où, frémissants d’amour, de haine, — de douleurs,</div> -<div class="verse">Les soldats ennemis, reconnaissant les leurs,</div> -<div class="verse">Vaincus par leur pitié, reculaient d’épouvante,</div> -<div class="verse">Tremblant de mutiler la muraille vivante !</div> -<div class="verse">Nietzsche, spectre dément, planait sur tout cela,</div> -<div class="verse">Et, non moins fou, Guillaume, invoquant Attila,</div> -<div class="verse">Criait : « Viole ! tue ! égorge enfants et femmes ! »</div> -<div class="verse">Des prêtres, torturés par les reîtres infâmes,</div> -<div class="verse">Les yeux vers le ciel vide, y cherchaient Dieu, l’Absent !</div> -<div class="verse">Tout nageait dans le sang ; partout du sang ! du sang !</div> -<div class="verse">Les rivières étaient de sang et coulaient pleines !</div> -<div class="verse">Et des fuyards, au flanc des monts ou dans les plaines,</div> -<div class="verse">Couraient, se retournant pour regarder au loin</div> -<div class="verse">Leur ville en flamme ; et Dieu, leur juge et leur témoin,</div> -<div class="verse">Laissait faire ! et, dans sa fureur démoniaque,</div> -<div class="verse">L’agresseur, prétendant que c’est lui qu’on attaque,</div> -<div class="verse">Coupait des mains, des cous d’enfant, brûlait vivants</div> -<div class="verse">Des vieillards ; tout fuyait, comme l’eau sous les vents ;</div> -<div class="verse">Et le viol hideux, à face simiesque,</div> -<div class="verse">Prenait — détail horrible en l’horreur gigantesque —</div> -<div class="verse">Des vierges, qui fuyaient la vie éperdument</div> -<div class="verse">Parce que c’était fuir l’affreux enfantement !</div> -<div class="verse">Criminels au hasard, sur l’enfant, sur les mères,</div> -<div class="verse">Du haut du ciel, les zeppelins, sombres chimères,</div> -<div class="verse">Lâchaient leur bombe ! et quand l’avion surgissant</div> -<div class="verse">Les attaquait, alors le ciel pleurait du sang !</div> -<div class="verse">Plus d’asile ! Et sur les grands steamers d’Angleterre,</div> -<div class="verse">Qui semblaient à l’abri des fureurs de la terre,</div> -<div class="verse">Des passagers (toujours des faibles, et toujours</div> -<div class="verse">Des femmes, des enfants, sans armes, sans secours !)</div> -<div class="verse">Voyaient surgir, dans les houles des mers d’Europe,</div> -<div class="verse">Le dos du sous-marin ou l’œil du périscope…</div> -<div class="verse">La torpille frappait le grand navire au flanc ;</div> -<div class="verse">Et, colosse blessé, chancelant et soufflant,</div> -<div class="verse">Il entraînait, dans les fonds glauques des abîmes,</div> -<div class="verse">Avec lui, des milliers d’innocentes victimes</div> -<div class="verse">Qui priaient, qui voulaient la vie éperdument…</div> - -<div class="verse stanza">Et, terre et mer, le monde entier criait : « Maman ! »</div> -<div class="verse">Comme pour réveiller, dans son ombre éternelle,</div> -<div class="verse">L’amour, le Dieu muet, la Cause maternelle !</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c15" title="XV. — Le Doute">XV</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Mais rien ne répondit. Nulle part l’agresseur</div> -<div class="verse">Ne trouva devant lui Dieu, le Dieu de douceur !</div> -<div class="verse">Et nos peuples, parmi le sang, les cris, les larmes,</div> -<div class="verse">Se levant indignés, durent prendre les armes,</div> -<div class="verse">Aiguiser des poignards et fondre des canons ;</div> -<div class="verse">Et tous les beaux progrès, indignes de leurs noms,</div> -<div class="verse">Se firent instruments de mort et de torture ;</div> -<div class="verse">Et, retournant aux lois brutes de la nature,</div> -<div class="verse">L’âme humaine appela la force à son secours,</div> -<div class="verse">La force ! l’argument des grands loups et des ours !</div> - -<div class="verse stanza">Et je dis au vieillard :</div> - -<div class="verse i6 stanza">— « C’est la fin de nos races.</div> -<div class="verse">Vois-tu ton Christ encor ? Vois-tu toujours ses traces ?</div> -<div class="verse">Vieux nécromant, je suis honteux de t’avoir cru :</div> -<div class="verse">Le primate éternel dans l’homme a reparu !</div> -<div class="verse">Le chrétien lâche, avec son rêve d’être un ange,</div> -<div class="verse">Insultait à la brute — et la brute se venge ! »</div> - -<div class="verse stanza">Sous l’injure, le vieux, comme sourd à mes cris,</div> -<div class="verse">Resta muet, songeur quelque temps. Je repris :</div> - -<div class="verse stanza">— « Ton Christ est le plus faux des faux dieux qu’on délaisse !</div> -<div class="verse">Amour, bonté, mots creux, tout gonflés de faiblesse !</div> -<div class="verse">Sot qui ne sait qu’aimer ! Fou qui veut être aimé !</div> -<div class="verse">Qui suit ton Christ n’est plus qu’un martyr désarmé,</div> -<div class="verse">Proie offerte aux soldats du lucre et de la haine,</div> -<div class="verse">Qui sont le nombre affreux, sans nom, la masse humaine.</div> -<div class="verse">Christ n’est qu’un doucereux et blanc magicien ;</div> -<div class="verse">Certe, un charme est caché dans le songe chrétien,</div> -<div class="verse">Mais pernicieux, traître, endormeur d’énergie.</div> -<div class="verse">Sur la terre, que tant de meurtres ont rougie,</div> -<div class="verse">Comment répondre, nous, les tendres et les bons,</div> -<div class="verse">Nous, les propagateurs des infinis pardons,</div> -<div class="verse">Au fer qui fouille un cœur, en sort et s’y replonge ?</div> -<div class="verse">Quel réveil dans l’horrible, après le divin songe !</div> -<div class="verse">Nos jardins, nos maisons, asiles de douceur,</div> -<div class="verse">Les voilà donc ouverts au noir envahisseur !</div> -<div class="verse">Nos bras chrétiens ne sauront pas tenir l’épée ;</div> -<div class="verse">Ton Christ livre aux bourreaux l’humanité trompée ! »</div> - -<div class="verse stanza">Le vieillard recueillit sa pensée un moment,</div> -<div class="verse">Puis, l’œil plein de lumière, il dit, très doucement :</div> - -<div class="verse stanza">— « S’il ne croit qu’aux ressorts puissants de la matière,</div> -<div class="verse">L’homme n’a pas en lui la force humaine entière.</div> -<div class="verse">Même stoïque, il meurt en vaincu révolté,</div> -<div class="verse">Il périt tout entier, serait-ce avec fierté.</div> -<div class="verse">Si la force est le droit, sa chute est légitime,</div> -<div class="verse">C’est justement qu’il tombe, et non pas en victime.</div> -<div class="verse">La force, c’est là tout ce que le fort défend ;</div> -<div class="verse">Après lui, rien de lui ne reste triomphant.</div> -<div class="verse">Dès l’instant qu’à ses yeux seule la force compte,</div> -<div class="verse">Devenu le plus faible il n’a droit qu’à la honte,</div> -<div class="verse">Tandis que, l’œil levé vers son pur idéal,</div> -<div class="verse">Le croyant de l’amour souffre et meurt triomphal.</div> -<div class="verse">La souffrance est pour lui sainte, la mort sublime,</div> -<div class="verse">Il sent orgueil et joie à s’offrir en victime,</div> -<div class="verse">Il est le vrai guerrier qui veut, pense, aime et croit,</div> -<div class="verse">Et qui, même vaincu, laisse un vengeur : le Droit.</div> -<div class="verse">La force de l’idée est la seule immortelle ;</div> -<div class="verse">Telle est la loi du Christ : la foi de France est telle.</div> - -<div class="verse stanza">« Mon Christ est mort voilà deux mille ans accomplis,</div> -<div class="verse">Et nos âmes, aux plus secrets de leurs replis,</div> -<div class="verse">Gardent toutes, mon fils, sa divine pensée,</div> -<div class="verse">Que par le monde entier le temps a dispensée.</div> -<div class="verse">Elle est si bien mêlée au cours de notre sang,</div> -<div class="verse">Que, lorsque l’Antéchrist se lève menaçant,</div> -<div class="verse">Le bras, avant le cœur, s’élance à la défendre ;</div> -<div class="verse">C’est d’instinct, désormais, malgré notre cœur tendre,</div> -<div class="verse">Que nous défendons, même oublieux de Jésus,</div> -<div class="verse">Les biens d’amour que, par sa mort, nous avons eus.</div> -<div class="verse">Des hommes, non des Christs, voilà ce que nous sommes,</div> -<div class="verse">Et nous le défendons, en nous, comme des hommes.</div> -<div class="verse">Nul ne passe en valeur ta vaillance, ô chrétien !</div> -<div class="verse"><span class="sc">Sacrifice</span> est un fier mot d’ordre ; c’est le tien.</div> -<div class="verse">La lance et les deux pieds sur quelque hydre abattue,</div> -<div class="verse">Lent à tuer, mais plus terrible lorsqu’il tue,</div> -<div class="verse">Le juste, quand il croit la justice en danger,</div> -<div class="verse">Non pas lui, — se fait dur pour la mieux protéger ;</div> -<div class="verse">Quand l’indignation des plus doux se soulève,</div> -<div class="verse">Elle est comme la mer qui dévore la grève,</div> -<div class="verse">Et, contre l’injustice et le mal provocants,</div> -<div class="verse">Elle a la force involontaire des volcans !… »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c16" title="XVI. — Sous le Soleil">XVI</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Sans rien connaître à la souffrance de nos âmes,</div> -<div class="verse">L’azur riait, moins doux mais plus beau d’être en flammes.</div> -<div class="verse">Autour de nous, sur le haut désert rocailleux,</div> -<div class="verse">Le calme indifférent des grands espaces bleus</div> -<div class="verse">Resplendissait ; mais, sous ce ciel d’apothéoses,</div> -<div class="verse">Tant d’éclat dénonçait la misère des choses,</div> -<div class="verse">Que, dressé là, sur ce plateau nu, dans les temps,</div> -<div class="verse">Le Dieu n’était plus rien, sous les cieux éclatants,</div> -<div class="verse">Qu’un débris plein de trous, où la vermine habite.</div> -<div class="verse">Dans la clarté fondaient tous les rêves en fuite.</div> -<div class="verse">Du radieux levant au couchant radieux,</div> -<div class="verse">Une moitié du globe apparut à nos yeux ;</div> -<div class="verse">Et, du plateau désert où nous étions, nous vîmes,</div> -<div class="verse">Comme jailli soudain des plus affreux abîmes,</div> -<div class="verse">Un déluge de maux, de meurtres et d’effrois,</div> -<div class="verse">Submerger l’univers, où mouraient tous les droits.</div> - -<div class="verse stanza">Des termes d’Amérique aux bornes de l’Asie,</div> -<div class="verse">Les hommes, en hurlant, frappés de frénésie,</div> -<div class="verse">S’armaient, — des millions d’hommes ! Vingt millions</div> -<div class="verse">Ou trente, s’égorgeaient ; sept, huit, dix nations.</div> -<div class="verse">On eût dit de la fin du monde en cataclysme !</div> -<div class="verse">Et tous se réclamaient du doux christianisme,</div> -<div class="verse">Ou de l’Islam, qui voit un prophète en Jésus.</div> -<div class="verse">Mais les fleuves étaient de sang, et, par-dessus,</div> -<div class="verse">L’impassible soleil rayonnait dans sa gloire.</div> -<div class="verse">Sur la réalité rouge, fangeuse et noire,</div> -<div class="verse">Il épandait à flots, à verse, par torrents,</div> -<div class="verse">Sur les camps ennemis, ses rais indifférents,</div> -<div class="verse">Le même éclat sur Reims et sur Sainte-Sophie,</div> -<div class="verse">Lui que, dans l’ostensoir, le prêtre glorifie !</div> - -<div class="verse stanza">Et je criai :</div> - -<div class="verse i3 stanza">— « Maudit soit l’astre éblouissant</div> -<div class="verse">Qui peut voir sans horreur des rivières de sang !</div> -<div class="verse">Car le sang n’est pas fait pour empourprer la terre ;</div> -<div class="verse">Il doit, dans les vivants, rester vivant mystère,</div> -<div class="verse">Dans les canaux secrets des corps rester secret ;</div> -<div class="verse">Malheur, lorsqu’au soleil le sang des cœurs paraît !</div> -<div class="verse">Et malheur au soleil, quand l’humanité saigne,</div> -<div class="verse">S’il ne se voile pas d’horreur, et s’il se baigne</div> -<div class="verse">Dans la pourpre qui n’est pas, sur les horizons,</div> -<div class="verse">L’adieu resplendissant de ses propres rayons ! »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c17" title="XVII. — Vers l’Unité">XVII</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">— « La terre, bien de tous, sera-t-elle usurpée</div> -<div class="verse">Par un seul ? Non ! le droit de tous a pris l’épée,</div> -<div class="verse">Affirma le vieillard, et lorsque, ô mon enfant,</div> -<div class="verse">La Justice ou l’Amour indigné se défend,</div> -<div class="verse">L’âme du défenseur passe et vit dans le glaive ;</div> -<div class="verse">Et même quand le bras des faibles le soulève,</div> -<div class="verse">Dans ses propres éclairs passe un étrange éclair,</div> -<div class="verse">Et, parmi les reflets dont resplendit le fer,</div> -<div class="verse">L’âme voit des rayons qui lui viennent des âmes.</div> -<div class="verse">Le juste armé vaincra les conquérants infâmes.</div> -<div class="verse">Le monde est un, au fond ; il va vers l’unité</div> -<div class="verse">Visible, et ne peut être en sa marche arrêté.</div> -<div class="verse">Tout peuple est criminel d’en asservir un autre ;</div> -<div class="verse">Et la France le sait, elle, le peuple apôtre !</div> -<div class="verse">L’Évangile en tous temps fut au fond de son cœur,</div> -<div class="verse">Et par elle le droit de tous sera vainqueur,</div> -<div class="verse">Tous les droits de chacun se feront équilibre ;</div> -<div class="verse">Et, de même qu’en France un homme se sent libre,</div> -<div class="verse">Fût-il faible, et se sait protégé dans son droit,</div> -<div class="verse">De même, un jour, demain, ou plus tôt qu’on ne croit,</div> -<div class="verse">Chaque peuple sera, devant tous, son seul maître ;</div> -<div class="verse">Et, librement unis, tous devront reconnaître,</div> -<div class="verse">Pour être protégés, qu’ils doivent protéger,</div> -<div class="verse">Et qu’être différent n’est pas être étranger.</div> -<div class="verse">Il n’est qu’un Droit, unique et sacré, loi suprême</div> -<div class="verse">Qui pour un homme ou pour tout un peuple est la même ;</div> -<div class="verse">Et le respect aux droits des peuples reste dû,</div> -<div class="verse">Le même que l’État doit à l’individu.</div> -<div class="verse">Jésus et Jeanne d’Arc semèrent cette idée</div> -<div class="verse">Par le sang de vos morts aujourd’hui fécondée. »</div> - -<div class="verse stanza">— « Fou ! dis-je au grand vieillard, de croire au Dieu de paix !</div> -<div class="verse">Tu vas connaître enfin comme tu te trompais,</div> -<div class="verse">Tiens, vois ! »</div> - -<div class="verse i4 stanza">La terre était un seul champ de bataille.</div> - -<div class="verse stanza">Le Mage auguste, alors, sembla prendre la taille</div> -<div class="verse">D’un géant, et, son dos voûté se redressant,</div> -<div class="verse">Je crus voir un Samson indigné, si puissant</div> -<div class="verse">Qu’il pourrait ébranler les colonnes du monde.</div> -<div class="verse">Sa barbe au vent des monts se mouvait comme une onde ;</div> -<div class="verse">Ses sombres yeux semblaient lancer des dards de feu.</div> - -<div class="verse stanza">— « L’empereur des Germains, tout en invoquant Dieu,</div> -<div class="verse">Dit-il, a méconnu la norme de la vie.</div> -<div class="verse">Il rêve l’homme esclave et la terre asservie ;</div> -<div class="verse">Il veut fouler la chair et l’esprit sous ses pieds ;</div> -<div class="verse">Il dit que la faiblesse est l’âme des pitiés ;</div> -<div class="verse">Il prétend que la force est l’unique puissance…</div> -<div class="verse">La force n’est qu’esprit, mon fils, en son essence.</div> -<div class="verse">Les peuples l’ont compris, et — regarde à ton tour —</div> -<div class="verse">Albert, vrai roi, debout pour le droit et l’amour,</div> -<div class="verse">Sert l’honneur, l’honneur pur, que l’Allemagne oublie ;</div> -<div class="verse">Et vos Français, qu’on crut une race affaiblie,</div> -<div class="verse">Artistes, artisans, le marchand, le penseur,</div> -<div class="verse">Et les oisifs, pour qui vivre n’est que douceur,</div> -<div class="verse">Ceux dont le mot Patrie excitait les sarcasmes,</div> -<div class="verse">Et tous ceux qui raillaient les beaux enthousiasmes,</div> -<div class="verse">Ceux qui niaient le sentiment, le dévouement,</div> -<div class="verse">Regarde-les ! leur cœur s’exalte brusquement !</div> -<div class="verse">On dirait qu’en voyant l’affreuse Germanie</div> -<div class="verse">Servir les bas instincts dont elle est le génie,</div> -<div class="verse">Les plus pervers ont pris leurs vices en dégoût !</div> -<div class="verse">Transfigurés, soldats merveilleux tout à coup,</div> -<div class="verse">Pour que la grande fin prédite s’accomplisse,</div> -<div class="verse">Ils servent en héros ce mot : le Sacrifice,</div> -<div class="verse">Et meurent pour prouver qu’il est le seul salut !</div> -<div class="verse">Et, las des vanités où leur cœur se complut,</div> -<div class="verse">Les plus obscurs d’entre eux, les martyrs anonymes,</div> -<div class="verse">Disent, devant la mort, des mots qui sont sublimes !</div> -<div class="verse">Un souffle d’héroïsme a traversé les cœurs…</div> - -<div class="verse stanza">« Où sont-ils maintenant, vos sceptiques moqueurs ?</div> -<div class="verse">Ils trouvent, sous les yeux étonnés de l’Histoire,</div> -<div class="verse">Au baiser de la mort une saveur de gloire !</div> -<div class="verse">Et l’univers a dit : « Suivons les fils des Francs !</div> -<div class="verse">« Eux, c’est par la bonté loyale qu’ils sont grands ! »</div> -<div class="verse">Et, de la mer Baltique au lac Tibériade,</div> -<div class="verse">Tout est debout, — ou pour ou contre la Croisade ! »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c18" title="XVIII. — La Croisade">XVIII</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">— « La Croisade, vieillard ? »</div> - -<div class="verse i7 stanza">— « Oui ! » dit-il, élevant</div> -<div class="verse">Son regard vers le ciel, tandis que, dans le vent,</div> -<div class="verse">Flottaient sa barbe longue et sa longue tunique.</div> -<div class="verse">Et, n’adressant qu’au Dieu fait homme — sa réplique :</div> - -<div class="verse stanza">— « Oui, dit-il lentement, qu’il croie ou non en toi,</div> -<div class="verse">Christ, le monde moderne en ta tendresse a foi.</div> -<div class="verse">D’un mot que tu jetas dans la terre féconde</div> -<div class="verse">L’arbre immense a jailli, dont l’ombre est douce au monde !</div> -<div class="verse">Tous les penseurs, les plus libres, les plus hardis,</div> -<div class="verse">Négateurs de ton ciel et de ses paradis,</div> -<div class="verse">Souhaitent de les voir réalisés sur terre,</div> -<div class="verse">Et c’est toi que Calas remercie en Voltaire !</div> -<div class="verse">La Pensée affranchie est ta vassale encor ;</div> -<div class="verse">Le meilleur d’elle est un denier de ton trésor ;</div> -<div class="verse">L’altruisme, c’est ta charité sous un voile ;</div> -<div class="verse">C’est pour avoir levé les yeux vers ton Étoile,</div> -<div class="verse">Que l’homme, avec des yeux mieux voyants, plus humains,</div> -<div class="verse">Sait marcher plus heureux dans ses tristes chemins.</div> -<div class="verse">Qu’il te confesse ou non, qu’importe ! et que t’importe,</div> -<div class="verse">Si ta bonté de Dieu survit à la foi morte !</div> -<div class="verse">Non, tu n’as pas maudit les hommes pour si peu !</div> -<div class="verse">Tu restes l’éternel, qu’on t’appelle ou non Dieu.</div> -<div class="verse">Tu ne recherches point, — tu nous l’as dit toi même, —</div> -<div class="verse">Les honneurs de ce monde, et, pourvu qu’on s’entr’aime,</div> -<div class="verse">Et que du Christ humain la terre ait hérité,</div> -<div class="verse">Toi, Dieu, tu nous souris, dans ton éternité ! »</div> - -<div class="verse stanza">— « Pourvu que l’on s’entr’aime !… Allons, vieillard, lui dis-je,</div> -<div class="verse">Ta foi dans Christ me semble un risible prodige,</div> -<div class="verse">Quand les humains, partout, inhumains sans remord,</div> -<div class="verse">Ne sont unis que par la haine, dans la mort… »</div> - -<div class="verse stanza">Il reprit :</div> - -<div class="verse i3 stanza">— « Pour sauver ton rêve de tendresse,</div> -<div class="verse">Christ ! contre le Germain le monde entier se dresse :</div> -<div class="verse">C’est la Croisade ! Eh oui, les peuples et les rois</div> -<div class="verse">Se lèvent pour la croix de Rome, et pour la croix</div> -<div class="verse">Que Genève dessine en rouge sur ses flammes,</div> -<div class="verse">Et pour la croix secrète inscrite dans nos âmes,</div> -<div class="verse">Car, même dans le cœur des enfants d’Israël,</div> -<div class="verse">Quelque chose est entré de ton verbe immortel,</div> -<div class="verse">Et ton espoir d’amour les gagne et les soulève !…</div> -<div class="verse">Germains vils, qui tirez sur les croix de Genève,</div> -<div class="verse">La France est devant vous la chrétienne sans peur ;</div> -<div class="verse">Le Quirinal, qui vous observe avec stupeur,</div> -<div class="verse">Sent se confondre, en la même pitié des hommes,</div> -<div class="verse">Les deux cœurs, hier encor désunis, des deux Romes ;</div> -<div class="verse">Çakia-Mouni s’indigne, et les rajahs hindous</div> -<div class="verse">Vous surveillent de loin avec leurs grands yeux doux ;</div> -<div class="verse">Mahomet vous méprise, et l’Afrique immobile</div> -<div class="verse">S’agite et court sur vous, toute, arabe et kabyle ;</div> -<div class="verse">Et, vous tombés, elle dira : « C’était écrit, »</div> -<div class="verse">Car Mahomet sait rendre hommage à Jésus-Christ.</div> -<div class="verse">Oui, c’est bien la Croisade et c’est la guerre sainte !</div> -<div class="verse">L’Angleterre, dont les océans sont l’enceinte,</div> -<div class="verse">Tient fixés ses yeux clairs sur vous, sombres géants,</div> -<div class="verse">Et vous menace avec la voix des océans !</div> -<div class="verse">Et le tsar de Pologne et le tsar de la Haye,</div> -<div class="verse">Père des Slaves dont le nombre vous effraie,</div> -<div class="verse">Le tsar au bon cœur, pape et roi, Nicolas II,</div> -<div class="verse">Qui compte vos hauts faits et les juge hideux,</div> -<div class="verse">Nicolas II, que la douleur française touche,</div> -<div class="verse">Contre ta force brute, Allemagne farouche,</div> -<div class="verse">Brandit à l’horizon le glaive éblouissant</div> -<div class="verse">Dont la poignée est une croix teinte de sang ! »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c19" title="XIX. — La grande Menace">XIX</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Le Christ de bois, que, seul, un ermite révère,</div> -<div class="verse">Du pic que nous foulions faisait un vrai Calvaire,</div> -<div class="verse">Et, chancelant, le Juif s’appuya d’une main</div> -<div class="verse">Sur Celui qui voulut sauver le genre humain.</div> -<div class="verse">Alors il dit, debout sur le pic haut et chauve :</div> - -<div class="verse stanza">— « Sauveur, c’est, à son tour, Le monde qui te sauve !</div> -<div class="verse">S’il n’est fort, s’il n’est grand qu’appuyé sur toi, — toi,</div> -<div class="verse">Tu n’as plus de salut qu’en son glaive et sa loi. »</div> - -<div class="verse stanza">Mais l’image du Dieu dont l’humanité doute,</div> -<div class="verse">La voyant à ses pieds souffrir et mourir toute,</div> -<div class="verse">Sembla crier vers nous et vers le ciel : « Je meurs ! »</div> -<div class="verse">Et cela dominait la guerre et ses clameurs.</div> - -<div class="verse stanza">Et, dans les grands lointains, voici ce que nous vîmes :</div> -<div class="verse">Des soldats ivres, fous, et prêts à tous les crimes,</div> -<div class="verse">Des hordes, mais en bel ordre matériel,</div> -<div class="verse">Avec un bruit de pas qui montait Jusqu’au ciel,</div> -<div class="verse">S’avançaient sur Paris, menaçaient Notre-Dame,</div> -<div class="verse">Et derrière eux, Louvain, Maline, étaient en flamme.</div> -<div class="verse">« Les voilà ! les voilà qui viennent sur Paris ! »</div> - -<div class="verse stanza">C’est un sourd grondement sinistre ; point de cris.</div> -<div class="verse">Sous le piétinement de l’innombrable foule,</div> -<div class="verse">Le sol, comme un tambour voilé, tressaille et roule.</div> -<div class="verse">Ils viennent, — les uhlans en tête, lance au poing.</div> -<div class="verse">La tour Eiffel les guette : ils se traînent au loin,</div> -<div class="verse">Hommes, chars et chevaux, fusils et mitrailleuses,</div> -<div class="verse">Sombre nuage, gros de foudres furieuses.</div> -<div class="verse">A voir sur l’horizon marcher ces guerriers-là,</div> -<div class="verse">Le mont de Geneviève a dit : « C’est Attila ! »</div> -<div class="verse">Dans cette immense armée, il reconnaît la horde.</div> -<div class="verse">Ces êtres sans amour et sans miséricorde,</div> -<div class="verse">Gueule et ventre affamés, ces appétits grondants,</div> -<div class="verse">Veulent de la chair vive à mettre sous leurs dents ;</div> -<div class="verse">Ils veulent des terrains tout cultivés, blé, vigne,</div> -<div class="verse">Un vaincu qui sous eux s’écrase, — et se résigne</div> -<div class="verse">A leur donner de l’or, de l’or par milliards !</div> -<div class="verse">Leur chef sinistre crie à ces bandits pillards,</div> -<div class="verse">Dont l’affreux crâne — en fer de lance se termine :</div> -<div class="verse">« Va, mon peuple, toi qui ne crains que la famine,</div> -<div class="verse">La France est riche ! prends son pain, son or, son vin,</div> -<div class="verse">Et saccage Paris comme un autre Louvain !</div> -<div class="verse">Obéis ; je commande, et mon ordre te couvre.</div> -<div class="verse">Fais flamber, s’il le faut, la Sorbonne et le Louvre !</div> -<div class="verse">Prends-leur Paris, — ou meurs ! voilà ce que je veux,</div> -<div class="verse">Et que l’histoire dise à nos petits-neveux :</div> -<div class="verse">« Guillaume II, géant de Prusse, fut un homme</div> -<div class="verse">Plus grand que ce fameux Néron — qui brûla Rome ! »</div> - -<div class="verse stanza">Il dit, et les Germains répondent : « Hoch ! hurrah !</div> -<div class="verse">Chef, nous t’aurons Paris ! et lorsqu’il flambera,</div> -<div class="verse">Alors, docile au roi sanglant qui nous commande,</div> -<div class="verse">La France deviendra l’Allemagne plus grande !</div> -<div class="verse">Hoch ! hoch ! »</div> -<div class="verse i3">Tout en jetant le cri cher au Kaiser,</div> -<div class="verse">Ils roulent, flot montant d’horreur, de sang, de fer,</div> -<div class="verse">De feu, — torrent sans nom qui tord, saccage et broie,</div> -<div class="verse">Et c’est bien Attila, c’est la race de proie !</div> - -<div class="verse stanza">Les voilà sous Paris, sous l’œil fixe des forts.</div> - -<div class="verse stanza">Oh ! qui seront les morts ? Combien seront les morts ?</div> - -<div class="verse stanza">— « Les noirs envahisseurs, avec la faim au ventre,</div> -<div class="verse">Resteront là longtemps, cherchant par où l’on entre. »</div> - -<div class="verse stanza">— « Soit, la France attendra. »</div> -<div class="verse i8">— « Mais s’ils étaient vainqueurs ? »</div> -<div class="verse">— « On peut vaincre les corps, non la vertu des cœurs ;</div> -<div class="verse">Nous attendrons toujours : le salut, c’est d’attendre. »</div> -<div class="verse">— « Mais s’ils prennent Paris ?</div> -<div class="verse i8">— « Se laissera-t-il prendre ? »</div> -<div class="verse">— « S’ils le prennent ? »</div> -<div class="verse i6">— « Eh bien, sur Paris dévasté</div> -<div class="verse">Nous attendrons toujours. »</div> -<div class="verse i7">— « Quoi ? »</div> -<div class="verse i9">— « Le jour d’équité,</div> -<div class="verse">Le triomphe final de la justice sainte !</div> -<div class="verse">L’autel du temple est mieux gardé que son enceinte !</div> -<div class="verse">L’esprit chrétien, l’esprit pur, ne peut pas mourir ! »</div> - -<div class="verse stanza">— « Mais s’ils brûlent Paris ? »</div> - -<div class="verse i8 stanza">— « Nous saurons tout souffrir !</div> -<div class="verse">Nous le rebâtirons, sous les yeux de l’histoire,</div> -<div class="verse">Avec du ciment rouge et des marbres de gloire !</div> -<div class="verse">Nous n’attendons qu’un mot, le dernier, du Destin. »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c20" title="XX. — Le Miracle">XX</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Ce spectacle et ces voix nous venaient d’un lointain</div> -<div class="verse">Formidable, — et ni mes regards ni mes oreilles,</div> -<div class="verse">Qui n’auraient pu subir réalités pareilles,</div> -<div class="verse">Ne percevaient image ou son ; seuls, mes esprits</div> -<div class="verse">En eux-mêmes portaient ce spectacle et ces cris.</div> -<div class="verse">Et je sentais en moi, dans mon simple cœur d’homme,</div> -<div class="verse">Les souffrances de tous, dont je souffrais la somme.</div> - -<div class="verse stanza">Et je compris quel faix terrible, à mes côtés,</div> -<div class="verse">Portaient, après dix-neuf cents ans, les reins voûtés</div> -<div class="verse">Du grand Juif ; car son dos, qu’il redressait naguère,</div> -<div class="verse">Se courbait sous les maux que déchaîne la guerre,</div> -<div class="verse">Et qui lui rappelaient l’horreur du monde ancien.</div> - -<div class="verse stanza">— « Paris, libre cerveau, cœur du monde chrétien,</div> -<div class="verse">Va périr !… Rien ne peut faire mentir l’oracle,</div> -<div class="verse">Criai-je. Rien ne peut nous sauver — qu’un miracle ! »</div> - -<div class="verse stanza">— « L’oracle, dit le vieux, sur quoi se fonde-t-il ? »</div> - -<div class="verse stanza">— « Sur l’imminence et sur la grandeur du péril.</div> -<div class="verse">Quand le boulet, dans l’air, accourt droit sur la cible,</div> -<div class="verse">Empêcher qu’il la frappe est la chose impossible :</div> -<div class="verse">Rien ne l’arrêtera sur la fin du trajet. »</div> - -<div class="verse stanza">Or, à travers le sol sacré qu’il ravageait,</div> -<div class="verse">Peuple conculcateur de la miséricorde,</div> -<div class="verse">L’effroyable Germain, armée et pourtant horde,</div> -<div class="verse">Roulait à flots grondants comme un torrent mortel.</div> - -<div class="verse stanza">Oiseaux rocks fabuleux, souillant le bleu du ciel,</div> -<div class="verse">Les taubes allemands, les éperviers corsaires,</div> -<div class="verse">Sur Compiègne déjà planaient, crispant leurs serres,</div> - -<div class="verse stanza">Et, l’incendie au poing, chargés d’engins maudits,</div> -<div class="verse">Déguisés en soldats, je voyais des bandits</div> -<div class="verse">Qui menaçaient Paris du martyre et des flammes…</div> - -<div class="verse stanza">Et le torrent de fer sanglant, de feux infâmes,</div> -<div class="verse">Gagne la capitale ! y touche ! en rugissant</div> -<div class="verse">Sa joie affreuse ; et tout est rouge, flamme et sang…</div> -<div class="verse">Quand, sous mes yeux hagards, soudainement tout change…</div> -<div class="verse">La course au sud devient fuite à l’est ?…</div> -<div class="verse i11">— « C’est étrange !</div> -<div class="verse">Le hideux cauchemar, criai-je, est-il fini ?</div> -<div class="verse">Joffre le patient, Maunoury, Galliéni,</div> -<div class="verse">Comme Hercule, changeant, d’un simple coup d’épaule,</div> -<div class="verse">Le cours d’un fleuve, ont-ils détourné de la Gaule</div> -<div class="verse">L’horrible envahisseur, près de nous submerger ?</div> -<div class="verse">Ou quel dieu nous a-t-il sauvés d’un tel danger ? »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c21" title="XXI. — Les Morts">XXI</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Alors le grand vieillard, désignant tout l’espace</div> -<div class="verse">Du ciel, dit simplement :</div> - -<div class="verse i6 stanza">— « Vois, là-haut, ce qui passe ! »</div> - -<div class="verse stanza">Une armée, en plein ciel, étonnait nos regards.</div> - -<div class="verse stanza">Spectres flottants, esprits visibles, milliards</div> -<div class="verse">De formes, dont chacune était une pensée,</div> -<div class="verse">Multitude en une âme unique condensée,</div> -<div class="verse">Tous les morts accouraient, sans gestes et sans cris,</div> -<div class="verse">Sauver le cœur chrétien de l’univers, Paris.</div> - -<div class="verse stanza">Et l’humanité morte emplissait l’étendue.</div> - -<div class="verse stanza">Et sans être aperçue, et sans être entendue,</div> -<div class="verse">Elle pénétrait tout, réalité sans chair,</div> -<div class="verse">Matière éparse, plus subtile que l’éther,</div> -<div class="verse">Feu d’un éclat secret plus ardent qu’une flamme,</div> -<div class="verse">Fluide magnétique et respirable à l’âme ;</div> -<div class="verse">Et tous nos combattants sentaient naître en leur cœur</div> -<div class="verse">Un dieu, l’enthousiasme, un dieu déjà vainqueur,</div> -<div class="verse">Une force innommée, un élan invincible,</div> -<div class="verse">Une puissance à qui rien n’est plus impossible…</div> -<div class="verse">C’était, dans les vivants, le vœu de tous les morts !</div> - -<div class="verse stanza">Des milliards de vœux, des milliards d’efforts,</div> -<div class="verse">Tout le labeur humain, depuis l’âge de pierre,</div> -<div class="verse">Où l’homme se sentit des pleurs sous la paupière,</div> -<div class="verse">Joyeux lorsqu’il connut qu’il pouvait, de sa main,</div> -<div class="verse">Sur la paroi des rocs graver un rêve humain,</div> -<div class="verse">Et léguer à ses fils l’œuvre à peine rêvée</div> -<div class="verse">Pour qu’un jour, par leurs mains, elle fût achevée ;</div> -<div class="verse">L’espoir d’un idéal que chaque siècle accroît,</div> -<div class="verse">L’amour d’abord, puis la justice, enfin le droit,</div> -<div class="verse">Tout cela, menacé par un peuple rapace,</div> -<div class="verse">L’éternité des morts, substance de l’espace,</div> -<div class="verse">Accourait le défendre ; et tous, tous étaient là,</div> -<div class="verse">Même Caïn ! Judas mère et même Attila,</div> -<div class="verse">Car, dans la mort immense, où tout crime s’expie,</div> -<div class="verse">Les négateurs d’amour, les meurtriers, l’impie,</div> -<div class="verse">Se sentent dépouillés d’eux-mêmes, lentement…</div> - -<div class="verse stanza">Et servir la justice est leur seul châtiment.</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c22" title="XXII. — L’Idéal">XXII</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">— « L’humanité, mon fils, par de mauvaises routes,</div> -<div class="verse">Rêve confusément, à travers tous les doutes,</div> -<div class="verse">D’une paix merveilleuse et d’un amour final.</div> -<div class="verse">Parfois elle a cru voir mourir son idéal,</div> -<div class="verse">Mais l’éclipse n’est pas la fin et n’a qu’une heure.</div> -<div class="verse">L’idéal, qui n’est pas encor, lui seul demeure ;</div> -<div class="verse">C’est le but immuable et sans fin déplacé,</div> -<div class="verse">Et l’avenir y court, sur l’aile du passé.</div> -<div class="verse">Sans l’idéal, n’étant que muscles, chair et force,</div> -<div class="verse">L’homme, athlète stupide, orgueilleux de son torse,</div> -<div class="verse">(La vie et la durée étant leur propre fin)</div> -<div class="verse">N’aurait pour tout devoir que d’assouvir sa faim,</div> -<div class="verse">Tandis qu’il cherche au monde une plus douce joie ;</div> -<div class="verse">Et la beauté des cieux est là pour qu’il la voie,</div> -<div class="verse">Et la douceur d’aimer pour qu’il la sente en lui ;</div> -<div class="verse">Et depuis qu’en son cœur son premier rêve a lui,</div> -<div class="verse">Astre d’un ciel plus beau que l’autre et non moins vaste,</div> -<div class="verse">Cet idéal a fait de lui l’Enthousiaste,</div> -<div class="verse">Et tous vont à l’Étoile, et tous lèvent le front,</div> -<div class="verse">Et c’est pourquoi les doux sont les forts, et vaincront. »</div> - -<div class="verse stanza">Ainsi parla le vieux scruteur de tout mystère</div> -<div class="verse">Dont les pas en tous lieux sont écrits sur la terre.</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c23" title="XXIII. — La Bonne Lorraine">XXIII</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Nous croyions distinguer, dans les espaces bleus,</div> -<div class="verse">Tous les grands morts, tous les héros miraculeux,</div> -<div class="verse">Tous, — les penseurs et les guerriers… Et la bannière</div> -<div class="verse">De Jeanne d’Arc flottait, blanche, en pleine lumière,</div> -<div class="verse">Et sur cet étendard, qui planait au-dessus</div> -<div class="verse">De tous les fronts, ce mot resplendissait : JÉSUS.</div> - -<div class="verse stanza">Puis, le soir vint, triste et profond. La cathédrale</div> -<div class="verse">De Reims, chef-d’œuvre pur de la France ancestrale,</div> -<div class="verse">Profilait son fantôme obscur dans l’azur noir.</div> -<div class="verse">Tout à coup, chose affreuse en la beauté du soir,</div> -<div class="verse">Sous les obus germains, toute, du faîte au porche,</div> -<div class="verse">Toute, elle s’enflamma comme une immense torche…</div> -<div class="verse">Et l’on vit, à cheval, aux clartés de ce feu,</div> -<div class="verse">Jeanne resplendissante et criant :</div> -<div class="verse i9">— « En nom Dieu,</div> -<div class="verse">Anglais ! je vous adjure, en avant pour la France !</div> -<div class="verse">Nous avons même cœur : ayons même espérance,</div> -<div class="verse">Anglais ! Boutons-les hors de France ! chassons-les ! »</div> - -<div class="verse stanza">Et Jeanne chargeait, seule, en avant des Anglais.</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c24" title="XXIV. — Odeur d’Ames">XXIV</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Paris, Paris sauvé jadis par Geneviève,</div> -<div class="verse">Voyait se détourner de lui le mauvais rêve,</div> -<div class="verse">Et les vils Allemands, les perfides guerriers,</div> -<div class="verse">En France même ayant préparé des terriers,</div> -<div class="verse">S’y cachaient, poursuivis, tels des bêtes immondes,</div> -<div class="verse">Par le glaive de France et le mépris des mondes.</div> - -<div class="verse stanza">Dans ces trous, comme en leurs naturels habitats,</div> -<div class="verse">Dans ces bauges, vivaient, accroupis, leurs soldats.</div> - -<div class="verse stanza">Et comme une eau pourrie exhale ses buées,</div> -<div class="verse">Ils soufflaient contre nous des poisons, par nuées</div> -<div class="verse">Ténébreuses, et qui, trahissant l’air du ciel,</div> -<div class="verse">Rendaient l’azur complice et pestilentiel.</div> - -<div class="verse stanza">Leurs gaz asphyxiants, moyens de guerre infâmes,</div> -<div class="verse">Semblaient leur propre souffle et l’odeur de leurs âmes.</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c25" title="XXV. — Debout, les Morts !">XXV</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Parmi des morts et de grands blessés, — c’est alors</div> -<div class="verse">Qu’un Français, se levant, cria : « Debout, les morts ! »</div> -<div class="verse">Mais nous seuls nous savions que cet appel sublime</div> -<div class="verse">Montait vers tous les morts accourus de l’abîme.</div> - -<div class="verse stanza">Or, cet appel vibra dans tous les cœurs en deuil,</div> -<div class="verse">Au souvenir des morts enterrés sans cercueil.</div> -<div class="verse">Et les vierges en pleurs, les femmes noir-vêtues,</div> -<div class="verse">Croyaient ouïr les voix chères qui se sont tues…</div> -<div class="verse">Et nous, nous entendions chanter, en longs accords,</div> -<div class="verse">Ces même voix, lointains adieux d’esprits sans corps :</div> - -<div class="verse i1 stanza">— « Nous sommes morts pour vous défendre</div> -<div class="verse i1">Contre de vils envahisseurs,</div> -<div class="verse i1">Vous que nous aimions d’amour tendre,</div> -<div class="verse i1">Vieilles mères, petites sœurs !</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Jeunesse encor mal aguerrie,</div> -<div class="verse i1">Tout éprise de grâce et d’arts,</div> -<div class="verse i1">Nous sommes morts pour la patrie,</div> -<div class="verse i1">Fiers de tomber sous vos regards.</div> - -<div class="verse i1 stanza">« La mort nous prit sans différence,</div> -<div class="verse i1">Riches, pauvres, jeunes ou vieux.</div> -<div class="verse i1">Et nous sommes morts, chère France,</div> -<div class="verse i1">Pour tes fils et pour nos aïeux.</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Mourir pour toi, — ce fut bien vivre,</div> -<div class="verse i1">O France, cœur du monde ! sel</div> -<div class="verse i1">De la terre ! esprit du saint Livre</div> -<div class="verse i1">Qui veut l’amour universel !</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Nous sommes morts pour la défense</div> -<div class="verse i1">Du plus doux idéal humain ;</div> -<div class="verse i1">Pour le léguer pur à l’enfance</div> -<div class="verse i1">Qui sera la France demain.</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Rapprochés par la mort des pères,</div> -<div class="verse i1">Et sentant notre âme sur eux,</div> -<div class="verse i1">Nos fils, dans nos maisons prospères,</div> -<div class="verse i1">Vivront plus fiers et plus heureux.</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Nous sommes morts pour vous défendre</div> -<div class="verse i1">Contre de vils envahisseurs,</div> -<div class="verse i1">Vous que nous aimions d’un cœur tendre,</div> -<div class="verse i1">Petits enfants, — frères et sœurs ! »</div> - -<div class="verse stanza">Des tombes, çà et là fraîchement remuées,</div> -<div class="verse">Cette hymne, dominant la guerre et ses huées,</div> -<div class="verse">S’élançait, rejoignait, comme mêlée au vent,</div> -<div class="verse">Les anciens morts, — la mort, autre infini vivant,</div> -<div class="verse">Matrice des soleils, semence des étoiles !</div> -<div class="verse">Et les femmes, penchant le front sous leurs longs voiles,</div> -<div class="verse">Les vieux, un crêpe au bras, plusieurs peuples en deuil,</div> -<div class="verse">Répondaient, en un chant de magnifique orgueil :</div> - -<div class="verse stanza">— « Vous aurez dans nos cœurs une tombe immortelle,</div> -<div class="verse">O vous que votre amour de la paix — a trahis !</div> -<div class="verse">Vous fîtes en mourant l’humanité plus belle,</div> -<div class="verse i1">Soldats morts pour notre pays !</div> - -<div class="verse stanza">« Nous laissons, sous nos yeux cernés, couler nos larmes,</div> -<div class="verse">Mais nos cœurs sont encor plus grands que nos douleurs,</div> -<div class="verse">Et sur vos corps, ensevelis avec leurs armes,</div> -<div class="verse i1">Nous jetons des lauriers en fleurs.</div> - -<div class="verse stanza">« Votre mort que l’on pleure, on la donne en exemple ;</div> -<div class="verse">On la pleure en silence, on l’admire à grands cris ;</div> -<div class="verse">Et nos cœurs éternels sont pour vous comme un temple</div> -<div class="verse i1">Où, dans l’or, vos noms sont inscrits.</div> - -<div class="verse stanza">« Vous sûtes, par la mort, avec vos grandes âmes,</div> -<div class="verse">Faire, au monde sauvé, des avenirs plus beaux !</div> -<div class="verse">Et c’est pourquoi vos sœurs, vos mères et vos femmes,</div> -<div class="verse i1">Vous voient vivants sur vos tombeaux. »</div> - -<div class="verse stanza">Telle, en prodigieuse et lente symphonie,</div> -<div class="verse">Chantait son chant d’orgueil l’espérance infinie.</div> - -<div class="verse stanza">Alors, un autre chœur, mais plus retentissant,</div> -<div class="verse">De moins lente harmonie et de plus rude accent,</div> -<div class="verse">Vint jusqu’à nous… C’était la voix, l’âme enflammée,</div> -<div class="verse">La résolution ardente d’une armée…</div> -<div class="verse">Quelque chose pourtant d’allègre et de moqueur</div> -<div class="verse">Traversait les accords farouches de ce chœur :</div> - -<div class="verse stanza">— « Nos camarades morts sont les moissons fauchées ;</div> -<div class="verse i1">Mais nous, nous sommes le grain mûr,</div> -<div class="verse">Le grain gonflé d’espoir qui dort dans les tranchées,</div> -<div class="verse">Où germine déjà le triomphe futur.</div> - -<div class="verse stanza">« Nous avons en mépris cette race allemande,</div> -<div class="verse i1">Son idéal matériel.</div> -<div class="verse">C’est la bête puante et féroce, — et gourmande,</div> -<div class="verse">L’ours noir qui rôde autour des ruchers pleins de miel.</div> - -<div class="verse stanza">« Ruisselantes de sang, baïonnettes vermeilles,</div> -<div class="verse i1">Harcelez le fauve aux pieds lourds !</div> -<div class="verse">La brute, sous le dard de toutes les abeilles,</div> -<div class="verse">Saura bientôt comment on fait danser les ours.</div> - -<div class="verse stanza">« Mais non, le dur Germain n’est pas si débonnaire ;</div> -<div class="verse i1">Ce n’est pas l’ours, plaisant danseur ;</div> -<div class="verse">Et les canons d’Europe, à défaut du tonnerre,</div> -<div class="verse">Écraseront, dans sa fange, l’envahisseur !</div> - -<div class="verse stanza">« Voyons-le tel qu’il est : un dragon de légende,</div> -<div class="verse i1">Un monstre aux sept gueules d’enfer,</div> -<div class="verse">Et jurons-nous d’anéantir l’hydre allemande,</div> -<div class="verse">Avec la sape, avec la flamme, avec le fer !</div> - -<div class="verse stanza">« Nous sauverons l’espoir, l’amour, la paix des mondes,</div> -<div class="verse i1">En frappant le monstre en plein cœur,</div> -<div class="verse">Et nous arracherons les sept langues immondes :</div> -<div class="verse">Il tordra ses anneaux sous le pied du vainqueur.</div> - -<div class="verse stanza">« Entends-tu le serment des Francs, prince féroce,</div> -<div class="verse i1">Faux roi, Guillaume le second ?</div> -<div class="verse">Nous mettrons sous nos pieds, sous l’épée et la crosse,</div> -<div class="verse">Ta tête affreuse et les sept têtes du dragon.</div> - -<div class="verse stanza">« Nous ne voulons revoir nos maisons, plus prospères,</div> -<div class="verse i1">Que sous des drapeaux triomphants,</div> -<div class="verse">Quand les mères pourront offrir aux heureux pères</div> -<div class="verse">Des lauriers tout en fleurs par la main des enfants. »</div> - -<div class="verse stanza">Des soldats souriants chantaient ce chant suprême,</div> -<div class="verse">Et la Mort reculait et doutait d’elle-même.</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c26" title="XXVI. — Le Christ Allemand">XXVI</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">La France ainsi chantait, fidèle librement</div> -<div class="verse">Au Christ universel, à l’Évangile aimant.</div> - -<div class="verse stanza">Or un vent noir, venu du fond de l’Allemagne,</div> -<div class="verse">Apporta jusqu’à nous, dans un long sifflement,</div> -<div class="verse">Avec un gaz fétide, épars sur la campagne,</div> -<div class="verse">Un chant que suit l’effroi, que la mort accompagne…</div> -<div class="verse i1">C’est l’hymne du Christ allemand :</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Je veux, moi, seul grand dans le monde,</div> -<div class="verse i1">Moi, le seul peuple élu de Dieu,</div> -<div class="verse i1">Purger la terre — elle est immonde —</div> -<div class="verse">Par l’air empoisonné, par le fer et le feu.</div> - -<div class="verse i1 stanza">« C’est sur l’ordre exprès de Dieu même,</div> -<div class="verse i1">Que j’attaque, en vils ennemis,</div> -<div class="verse i1">Ces peuples corrompus, que j’aime,</div> -<div class="verse">Et qui, pour leur bonheur, doivent m’être soumis.</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Notre vieux Dieu, celui qu’on nomme</div> -<div class="verse i1">Dieu le Père et le Roi des rois,</div> -<div class="verse i1">Laissa clouer le Fils de l’Homme,</div> -<div class="verse">Pour le salut du monde, à l’infamante croix…</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Je suis le peuple qu’il désigne</div> -<div class="verse i1">Pour crucifier, à mon tour,</div> -<div class="verse i1">L’Humanité, sa fille indigne,</div> -<div class="verse">Et je la châtierai sans pitié, par amour.</div> - -<div class="verse i1 stanza">« La France est la prostituée</div> -<div class="verse i1">Qui corrompt le vieil univers ;</div> -<div class="verse i1">Il faut donc qu’elle soit tuée !…</div> -<div class="verse">A nous ses vins ! et les plages de ses deux mers !</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Et puisqu’elle a dit elle-même</div> -<div class="verse i1">Qu’elle est le Christ des nations,</div> -<div class="verse i1">Je justifierai son blasphème :</div> -<div class="verse">Je livrerai la France aux tribulations.</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Allemands ! acceptons sans plainte</div> -<div class="verse i1">L’ordre de nous faire un cœur dur :</div> -<div class="verse i1">Nous accomplirons l’œuvre sainte</div> -<div class="verse">Que commandent Dieu même et Guillaume le Pur.</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Soyons des Attilas superbes ;</div> -<div class="verse i1">Fléaux par Dieu même voulus,</div> -<div class="verse i1">Foulons les corps comme des herbes !</div> -<div class="verse">Où passent nos chevaux, que rien ne vive plus !</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Torturons nos tristes victimes,</div> -<div class="verse i1">Puisque Dieu veut leur châtiment ;</div> -<div class="verse i1">Assurons-leur, bourreaux sublimes,</div> -<div class="verse">Un salut éternel par des maux d’un moment !</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Que leur sanglot nous réjouisse,</div> -<div class="verse i1">Comme il réjouira le ciel !</div> -<div class="verse i1">Dieu m’a dit : « Va ! le sacrifice</div> -<div class="verse">« Sera d’autant plus beau qu’il sera plus cruel ! »</div> - -<div class="verse i1 stanza">« Savourons les cris de souffrance !</div> -<div class="verse i1">Pour être grands, soyons sans cœur !</div> -<div class="verse i1">Et sur le monde, et sur la France,</div> -<div class="verse">Nous représenterons Dieu même, — et Christ vainqueur. »</div> - -<div class="verse stanza">— « Les entends-tu ? dis-je au vieillard.</div> - -<div class="verse i10 stanza">« En Germanie,</div> -<div class="verse">Où l’on condamne à mort l’humanité punie,</div> -<div class="verse">Catholiques ou non, tous, prêtres et pasteurs,</div> -<div class="verse">Prônent le sacrifice… en sacrificateurs.</div> - -<div class="verse stanza">« Ce qu’on prêche, dans les églises allemandes,</div> -<div class="verse">C’est un Christ noir, vrai fils du Satan des légendes. »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c27" title="XXVII. — La Vérité">XXVII</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">— « La mort, dit Le vieux sage, est un feu dans la nuit ;</div> -<div class="verse">C’est dans l’obscurité, qu’une étoile éblouit ;</div> -<div class="verse">Plus s’épaissit l’obscur, mieux on voit toute flamme ;</div> -<div class="verse">Nuit pour la chair, la mort est lumière pour l’âme.</div> -<div class="verse">A peine est-il tombé, que le reître germain,</div> -<div class="verse">Qui marchait contre vous, torche ou fusil en main,</div> -<div class="verse">Mort, entre frissonnant dans la vérité même,</div> -<div class="verse">O France ! et c’est alors toi qu’il sert, toi qu’il aime !</div> -<div class="verse">Mais toi, France au grand cœur, ce qui fait ton cœur fort,</div> -<div class="verse">C’est la fidélité de tes fils dans la mort.</div> -<div class="verse">Le lourd crâne carré, que surmonte une pique,</div> -<div class="verse">Subit aveuglément son maître satanique,</div> -<div class="verse">Mais, cadavre, il le juge ; il maudit, plein d’horreur,</div> -<div class="verse">L’Antéchrist reconnu dans ce rouge empereur ;</div> -<div class="verse">Et Guillaume le Fauve à tout moment tressaille,</div> -<div class="verse">Quand il passe aujourd’hui sur un champ de bataille,</div> -<div class="verse">Car il y voit tous les cadavres allemands,</div> -<div class="verse">Le suivre du regard avec des yeux tournants.</div> -<div class="verse">Et ce regard, où désespère l’âme humaine,</div> -<div class="verse">Pour lui n’a plus d’humain qu’une implacable haine.</div> - -<div class="verse stanza">« Le soldat français, lui, mort pour la vérité,</div> -<div class="verse">Ne donne à son bourreau qu’un regard contristé…</div> -<div class="verse">C’est alors que, sentant l’horreur de sa tuerie,</div> -<div class="verse">Le roi rouge, croyant mentir à Dieu, s’écrie :</div> - -<div class="verse stanza">— « Je ne l’ai pas voulue ! »</div> -<div class="verse i7">« A ce mot, l’œil des morts</div> -<div class="verse">Jette des feux qui vont, comme autant de remords,</div> -<div class="verse">Fouiller cette âme obscure, éperdue, exécrée,</div> -<div class="verse">Où s’allume un enfer d’épouvante sacrée. »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c28" title="XXVIII. — Les Désarmés">XXVIII</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">— « Haine ! mort ! je n’entends que ces mots, et des pleurs !</div> -<div class="verse">Père ! je meurs de voir tuer ! »</div> - -<div class="verse i8 stanza">— « Regarde ailleurs. »</div> - -<div class="verse stanza">— « Hélas ! vieillard ! devant tant d’horreurs amassées</div> -<div class="verse">Toutes, à tout instant, par d’autres dépassées,</div> -<div class="verse">Aucun de nos espoirs ne me reste certain,</div> -<div class="verse">Je perds le goût de vivre et le sens du destin.</div> -<div class="verse">Le monde entier me semble entré dans la démence.</div> -<div class="verse">Comme un naufragé, seul, sur une mer immense,</div> -<div class="verse">Désespérément nage, et cherche, autour de lui,</div> -<div class="verse">Une épave, un débris flottant, un point d’appui,</div> -<div class="verse">Et, n’en trouvant aucun, seul dans la grande houle,</div> -<div class="verse">Tout seul contre les flots monstrueux, — sent qu’il coule,</div> -<div class="verse">Je meurs à ma raison qui sombre avec ma foi.</div> -<div class="verse">Si tu vois un vrai point fixe, montre-le-moi,</div> -<div class="verse">Mais qui soit bien réel, non plus dans tes chimères.</div> -<div class="verse">On égorge l’enfance ! on fusille les mères !</div> -<div class="verse">Guillaume a fait cela ! le refera demain !</div> -<div class="verse">Et qu’un prince vivant soit ce monstre inhumain,</div> -<div class="verse">Sans qu’il tombe honni, dégradé par le nombre,</div> -<div class="verse">Devant l’inexpliqué ma raison fuit… je sombre !</div> -<div class="verse">Et, mourant sans honneur, vainement irrité,</div> -<div class="verse">Ma faiblesse me semble une complicité !</div> - -<div class="verse stanza">« Oh ! lorsqu’on est l’esprit, la tendresse, la grâce,</div> -<div class="verse">La France ! et reine et libre, et guerrière de race,</div> -<div class="verse">Riche, enviée, on a des périls à prévoir,</div> -<div class="verse">Et se garder au monde est le premier devoir ;</div> -<div class="verse">Honneur du monde, on doit, plus belle d’être forte,</div> -<div class="verse">Abriter, au milieu d’une invincible escorte,</div> -<div class="verse">Ses droits et ses orgueils fièrement défendus,</div> -<div class="verse">Sous un dais rayonnant fait de glaives tendus.</div> - -<div class="verse stanza">« Sous la voûte d’acier n’être pas bien gardée,</div> -<div class="verse">C’est offrir aux périls l’avenir de l’idée,</div> -<div class="verse">Les noblesses de l’art, les bonheurs de l’amour,</div> -<div class="verse">Tout ce qui rend si doux au cœur — l’éclat du jour.</div> - -<div class="verse stanza">« Maintenant qu’une guerre interminable gronde,</div> -<div class="verse">Où rencontrer, dans quel recoin du vaste monde,</div> -<div class="verse">Puisqu’il faut qu’on massacre ou qu’on soit massacré,</div> -<div class="verse">Un geste évangélique et pur, vraiment sacré,</div> -<div class="verse">Le Christ en acte et non en mots gonflés d’emphase ?</div> -<div class="verse">L’heure n’est plus à l’art de cadencer la phrase ;</div> -<div class="verse">Montre-moi, si tu peux, un héros désarmé</div> -<div class="verse">Qui, vrai soldat du Christ, ne veuille qu’être aimé.</div> - -<div class="verse stanza">« Alors, tout en foulant cette fange sanglante,</div> -<div class="verse">Vieillard, je pourrai croire à la victoire lente</div> -<div class="verse">Mais sûre, — de ce Dieu qui, mort sur un sommet,</div> -<div class="verse">Jamais ne nous revient et toujours se promet ! »</div> - -<div class="verse stanza">— « Eh bien, regarde, au plein milieu de la tuerie,</div> -<div class="verse">Vois, penché sur les grands blessés, dont la chair crie,</div> -<div class="verse">L’homme de paix, qui va les guérir par l’acier,</div> -<div class="verse">Et dont le saint labeur est de s’apitoyer,</div> -<div class="verse">De vaincre la souffrance et d’exalter la vie ;</div> -<div class="verse">Par lui, la charité, malgré tout, est servie ;</div> -<div class="verse">Ennemi de la mort qu’il attaque en soldat,</div> -<div class="verse">Seul il défend l’esprit de paix, en plein combat.</div> - -<div class="verse stanza">« Vestale des chrétiens, près de lui, l’infirmière</div> -<div class="verse">Abrite, de sa main, l’amour — notre lumière.</div> - -<div class="verse stanza">« Et parmi les effrois, le prêtre, à leur côté,</div> -<div class="verse">Héroïque avec eux, sauve la charité.</div> - -<div class="verse stanza">« Tant que ceux-là, souvent martyrs de l’Allemagne,</div> -<div class="verse">Donneront aux horreurs la bonté pour compagne,</div> -<div class="verse">Le globe pourra voir, du zénith au nadir,</div> -<div class="verse">L’astre de Bethléem marcher et resplendir. »</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c29" title="XXIX. — Force et Sérénité">XXIX</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">De hauts palmiers berçaient au vent leurs nobles palmes,</div> -<div class="verse">Sur les bords en gradins d’une rade aux eaux calmes.</div> - -<div class="verse stanza">Cela nous apparut comme un vibrant décor,</div> -<div class="verse">Où dominait l’azur, où resplendissait l’or.</div> -<div class="verse">De notre plateau nu, rocailleux et grisâtre,</div> -<div class="verse">Nous admirions, comme un heureux fond de théâtre,</div> -<div class="verse">La ville, dont les toits, les clochers et les tours,</div> -<div class="verse">Encerclaient cette rade aux sinueux contours.</div> - -<div class="verse stanza">Et le spectacle était d’une beauté parfaite.</div> - -<div class="verse stanza">Pourtant, dans la cité qu’on aurait crue en fête,</div> -<div class="verse">A qui tout souriait, mer pure et ciel serein,</div> -<div class="verse">Les arsenaux, battant le fer, fondant l’airain,</div> -<div class="verse">Travaillaient pour la mort, à l’appel de la guerre ;</div> -<div class="verse">Mais tout semblait aussi tranquille que naguère,</div> -<div class="verse">D’abord par la vertu du climat souriant</div> -<div class="verse">Où s’annonce déjà le charme d’Orient,</div> -<div class="verse">Puis, parce que le cœur héroïque de France</div> -<div class="verse">Poursuit son rythme, en guerre, en paix, sans différence,</div> -<div class="verse">Et que, sûr de sa force, exalté par son droit,</div> -<div class="verse">Il jouit du futur triomphe — auquel il croit.</div> - -<div class="verse stanza">Nous avions sous nos yeux non pas un paysage,</div> -<div class="verse">Mais l’âme de la France aimée, — et son visage,</div> -<div class="verse">Tel qu’il était hier, tel qu’il sera demain,</div> -<div class="verse">Lorsqu’on aura chassé le cauchemar germain.</div> - -<div class="verse stanza">Le grand pavois flottait, triomphant par avance,</div> -<div class="verse">En plein ciel libre, à bord du cuirassé <span class="sc">Provence</span>,</div> -<div class="verse">Qui saluait, du bruit tonnant de son canon,</div> -<div class="verse">Le pays des lauriers, dont il porte le nom.</div> - -<div class="verse stanza">Dans la montagne et les gorges les plus profondes,</div> -<div class="verse">Ce tonnerre, en échos, roulait par larges ondes,</div> -<div class="verse">Sans qu’on vît, même au loin, un nuage orageux.</div> -<div class="verse">Cachée, et s’exerçant à ses terribles jeux,</div> -<div class="verse">La mitrailleuse, exacte à scander ses rafales,</div> -<div class="verse">Soufflait ce bruit que fait la mer, par intervalles,</div> -<div class="verse">En roulant des galets qui se choquent entre eux.</div> - -<div class="verse stanza">Dans l’air pur, tout fleuri de pavillons nombreux,</div> -<div class="verse">De blancs oiseaux marins, les ailes toutes grandes,</div> -<div class="verse">Entrelaçaient leurs vols en vivantes guirlandes,</div> -<div class="verse">Sur cet éden réel, sur ce rêve enchanté.</div> - -<div class="verse stanza">Et, devant ces splendeurs de suprême beauté,</div> -<div class="verse">Le Mage s’écria :</div> - -<div class="verse i4 stanza">— « France, celte et latine,</div> -<div class="verse">A tous les beaux destins ta beauté te destine !</div> - -<div class="verse stanza">« O France ! tu vaincras tes fauves ennemis.</div> -<div class="verse">Ton triomphe certain commence ; il est promis ;</div> -<div class="verse">Car il faut que le monde aille vers la lumière,</div> -<div class="verse">Et c’est toi, vers l’amour, qui marches la première !</div> - -<div class="verse stanza">« L’esprit germain est lourd, comme matériel,</div> -<div class="verse">Et le tien est ailé comme l’oiseau du ciel.</div> - -<div class="verse stanza">« O France ! tu vaincras, car le monde veut vivre.</div> -<div class="verse">La terre entière attend le verbe qui délivre,</div> -<div class="verse">Et qu’il soit esprit libre ou sentiment chrétien,</div> -<div class="verse">Le grand verbe d’amour sur terre, c’est le tien. »</div> - -<div class="verse stanza">Entre ciel et mer, blanc, ses deux ailes tendues,</div> -<div class="verse">Un hydroavion, roi des deux étendues,</div> -<div class="verse">Planait, — et, pour nos cœurs, en ce siècle d’effrois,</div> -<div class="verse">Moderne labarum, figurait une croix.</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c30" title="XXX. — Le Rouge-Gorge">XXX</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">La vision fondit comme un reflet sous l’onde.</div> - -<div class="verse stanza">Et nous étions tous deux, seuls, au sommet du monde.</div> - -<div class="verse stanza">Le bruit sourd du canon lointain, à temps égaux,</div> -<div class="verse">Ébranlait la montagne en frappant les échos :</div> -<div class="verse">On eût dit le marteau d’un Titan dans sa forge.</div> - -<div class="verse stanza">Auprès de nous, chantait un petit rouge-gorge ;</div> -<div class="verse">Sous la croix, sur ce haut désert plat, rocailleux,</div> -<div class="verse">Il s’attaquait du bec aux dards des chardons bleus.</div> -</div> - -<div class="chapter"></div> - -<h2 class="nobreak" id="c31" title="XXXI. — La Terre promise">XXXI</h2> - - -<div class="poetry"> -<div class="verse">Et l’univers n’était, sous nos yeux, qu’une plaine.</div> - -<div class="verse stanza">Tel, au pied de la croix, Jean, près de Magdeleine,</div> -<div class="verse">Le vieillard, sur le haut crucifix vermoulu,</div> -<div class="verse">S’appuya, cette fois dans un geste voulu.</div> -<div class="verse">Il mourait, et cherchait cet appui de son âme.</div> - -<div class="verse stanza">Et de ses veux sa foi jaillit comme une flamme ;</div> -<div class="verse">Il sembla qu’elle allait allumer tout là-bas</div> -<div class="verse">Des renouveaux d’espoir aux cœurs de nos soldats ;</div> - -<div class="verse stanza">Et l’on eût dit, au front du Sinaï, Moïse</div> -<div class="verse">Lançant des feux lointains sur la Terre Promise,</div> -<div class="verse">Et certain que les fils d’Israël la verront.</div> -<div class="verse">Ses cheveux au soleil irradiaient son front ;</div> -<div class="verse">Sa barbe ruisselait dans le vent comme un fleuve :</div> -<div class="verse">Et ses yeux contemplaient une humanité neuve,</div> -<div class="verse">Préparée, à travers tant de siècles éteints,</div> -<div class="verse">Par tous les rêves purs qu’on n’a jamais atteints.</div> - -<div class="verse stanza">O Terre de l’amour ! éternelle espérée !</div> - -<div class="verse stanza">Or, sous la Croix, qui me parut démesurée,</div> -<div class="verse">Le vieillard, tout à coup, en murmurant : « Je vois ! »</div> -<div class="verse">Tomba. Tout s’éteignit en lui, regards et voix…</div> - -<div class="verse stanza">Et la Croix, sous mes yeux, parut grandir encore.</div> - -<div class="verse stanza">Midi, plus rayonnant, mais plus frais qu’une aurore,</div> -<div class="verse">Frappait d’aplomb sur nous et sur le Crucifix ;</div> -<div class="verse">Le Dieu mort promettait le triomphe à ses fils :</div> -<div class="verse">Sur ses bras grands ouverts tombait tant de lumière,</div> -<div class="verse">Que leur ombre enlaçait la terre tout entière.</div> -</div> - -<div class="break"></div> - -<p class="c top6em">ACHEVÉ D’IMPRIMER<br /> -<span class="small">SUR LES PRESSES DE L’IMPRIMERIE LAHURE<br /> -LE 10 MARS 1916</span></p> - - -<div lang='en' xml:lang='en'> -<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>LE TÉMOIN</span> ***</div> -<div style='text-align:left'> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Updated editions will replace the previous one—the old editions will -be renamed. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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Redistribution is subject to the trademark -license, especially commercial redistribution. -</div> - -<div style='margin-top:1em; font-size:1.1em; text-align:center'>START: FULL LICENSE</div> -<div style='text-align:center;font-size:0.9em'>THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE</div> -<div style='text-align:center;font-size:0.9em'>PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase “Project -Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg™ License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™ electronic works -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™ -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all -the terms of this agreement, you must cease using and return or -destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your -possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a -Project Gutenberg™ electronic work and you do not agree to be bound -by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person -or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.B. “Project Gutenberg” is a registered trademark. It may only be -used on or associated in any way with an electronic work by people who -agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few -things that you can do with most Project Gutenberg™ electronic works -even without complying with the full terms of this agreement. See -paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project -Gutenberg™ electronic works if you follow the terms of this -agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg™ -electronic works. See paragraph 1.E below. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (“the -Foundation” or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection -of Project Gutenberg™ electronic works. Nearly all the individual -works in the collection are in the public domain in the United -States. 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Information about the Mission of Project Gutenberg™ -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of -computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s -goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg™ and future -generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see -Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state’s laws. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, -Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up -to date contact information can be found at the Foundation’s website -and official page at www.gutenberg.org/contact -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread -public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine-readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. 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Thus, we do not -necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper -edition. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Most people start at our website which has the main PG search -facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -This website includes information about Project Gutenberg™, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. -</div> - -</div> -</div> -</body> -</html> diff --git a/old/67867-h/images/cover.jpg b/old/67867-h/images/cover.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 602c6bb..0000000 --- a/old/67867-h/images/cover.jpg +++ /dev/null |
