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-The Project Gutenberg eBook of Le grand secret, by Maurice
-Maeterlinck
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
-will have to check the laws of the country where you are located before
-using this eBook.
-
-Title: Le grand secret
-
-Author: Maurice Maeterlinck
-
-Release Date: April 18, 2022 [eBook #67863]
-
-Language: French
-
-Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team
- at https://www.pgdp.net (This book was produced from
- scanned images of public domain material from the Google
- Books project.)
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE GRAND SECRET ***
-
-
-
-
-
-
- MAURICE MAETERLINCK
-
- LE
- GRAND SECRET
-
-
- PARIS
- BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER
- EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
- 11, RUE DE GRENELLE, 11
-
- 1921
- Tous droits réservés.
- Copyright 1921, by Eugène Fasquelle.
-
-
-
-
-OUVRAGES DE MAURICE MAETERLINCK
-
-
-DANS LA BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER
-
-EUGÈNE FASQUELLE, Éditeur
-
- La Sagesse et la Destinée (75e mille) 1 vol.
- La Vie des Abeilles (93e mille) 1 vol.
- Le Temple Enseveli (32e mille) 1 vol.
- Le Double Jardin (26e mille) 1 vol.
- L’Intelligence des Fleurs (42e mille) 1 vol.
- La Mort (56e mille) 1 vol.
- Les Débris de la Guerre (17e mille) 1 vol.
- L’Hôte Inconnu (27e mille) 1 vol.
- Les Sentiers dans la Montagne (17e mille) 1 vol.
-
-
-THÉATRE
-
- Théâtre, Tome I.--_La Princesse Maleine_, _L’Intruse_,
- _Les Aveugles_ 1 vol.
- Tome II.--_Pelléas et Mélisande_ (1892), _Alladine et
- Palomides_ (1894), _Intérieur_ (1894), _La Mort de
- Tintagiles_ (1894) 1 vol.
- Tome III.--_Aglavaine et Sélysette_ (1896); _Ariane et
- Barbe-Bleue_ (1901), _Sœur Béatrice_ (1901) 1 vol.
- Joyzelle, pièce en 5 actes (13e mille) 1 vol.
- L’Oiseau Bleu, féerie en 6 actes et 12 tableaux (48e mille) 1 vol.
- La Tragédie de Macbeth, de W. Shakespeare. Traduction
- nouvelle avec une _Introduction_ et des _Notes_ (6e mille) 1 vol.
- Marie-Magdeleine, drame en 3 actes (6e mille) 1 vol.
- Monna Vanna, pièce en 3 actes (44e mille) 1 vol.
- Monna Vanna, drame lyrique en 4 actes et 5 tableaux, livret
- (musique de Henry Février) (11e mille) 1 broch.
- Pelléas et Mélisande, drame lyrique en 5 actes (4e mille) 1 broch.
- Intérieur, pièces en 1 acte (4e mille) 1 broch.
- La Mort de Tintagiles, drame lyrique en 5 actes 1 broch.
- Ariane et Barbe-Bleue, conte en 3 actes 1 broch.
- Le Miracle de Saint Antoine, farce en 2 actes 1 broch.
- Le Bourgmestre de Stilmonde, suivi de Le Sel de la Vie
- (6e mille) 1 vol.
-
-
-CHEZ DIVERS ÉDITEURS
-
- Le Trésor des Humbles (Mercure de France) 1 vol.
- Serres Chaudes (poésies).--(Lacomblez) 1 vol.
- L’Ornement des Noces spirituelles, de Ruysbroeck l’Admirable,
- traduit du flamand et précédé d’une Introduction.
- (Lacomblez) 1 vol.
- Les Disciples à Saïs et les Fragments de Novalis, traduits de
- l’allemand et précédés d’une Introduction (Lacomblez) 1 vol.
- Album de douze Chansons. (Stock) Épuisé.
-
-
-B--1926--Lib.-Imp. réunies, 7, rue Saint-Benoît, Paris.
-
-
-
-
-IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE:
-
-30 exemplaires numérotés sur papier du Japon,
-
-100 exemplaires numérotés sur papier de Hollande.
-
-
-
-
-PRÉLIMINAIRES
-
-
-I
-
-Qu’on ne s’attende pas à trouver ici une histoire ou une monographie
-méthodique de l’occultisme. Il y faudrait consacrer des volumes que
-remplirait forcément une grande partie du fatras que je veux avant tout
-épargner au lecteur. Je n’ai d’autre dessein que de dire aussi
-simplement que possible ce que m’ont appris plusieurs années passées
-dans ces régions assez décriées et peu fréquentées. J’en rapporte les
-impressions d’un voyageur de bonne foi qui les a parcourues en curieux
-plutôt qu’en croyant. Ce sera, si l’on veut, une sorte de résumé ou de
-mise au point provisoire. Je ne sais rien de plus que ce que pourrait
-apprendre le premier venu qui ferait la même excursion. Je ne suis pas
-un initié, je n’ai pas eu de maîtres évanescents et mystérieux venus
-tout exprès des confins de ce monde ou d’un autre pour me révéler les
-dernières vérités et me défendre de les répéter. Je n’ai pas eu accès
-aux bibliothèques cachées, à ces sources secrètes de la suprême Sagesse
-qui, paraît-il, existent quelque part, mais seront toujours pour nous
-comme si elles n’étaient point, attendu qu’en y pénétrant on se
-condamne, sous peine de mort, à un silence inviolable. Je n’ai pas
-davantage déchiffré d’incompréhensibles grimoires ni découvert une clef
-nouvelle aux livres sacrés des grandes religions. J’ai seulement lu et
-étudié la majeure partie de ce qui a été écrit sur ces questions; et
-parmi une masse énorme de documents absurdes, puérils, ressassés et
-inutiles, je ne me suis attaché qu’aux œuvres maîtresses qui ont
-vraiment à nous apprendre quelque chose que nous ne trouvons pas
-ailleurs. En déblayant ainsi les abords d’une étude trop souvent
-encombrée de débris rebutants, je faciliterai peut-être la tâche de ceux
-qui voudront et sauront aller plus loin que moi.
-
-
-II
-
-Grâce aux travaux d’une science assez récente, notamment grâce aux
-recherches des indianistes et des égyptologues, il nous est aujourd’hui
-beaucoup plus facile que naguère de retrouver les sources, de remonter
-le cours et de débrouiller le réseau souterrain du grand fleuve
-mystérieux qui depuis l’origine de l’histoire a coulé sous toutes les
-religions, sous toutes les croyances, sous toutes les philosophies, en
-un mot sous toutes les manifestations diurnes ou à ciel ouvert de la
-pensée humaine. Il n’est plus guère contestable que cette source se
-trouve dans l’Inde antique. De là, l’enseignement sacré se répandit
-probablement en Égypte, gagna la Perse ancienne, la Chaldée, satura le
-peuple hébreu, s’infiltra dans la Grèce et le nord de l’Europe,
-atteignit la Chine et même l’Amérique où la civilisation Astèque n’était
-qu’une réplique plus ou moins déformée de la civilisation égyptienne.
-
-Nous avons ainsi trois grands dérivés de l’occultisme primitif, Aryo ou
-Atlantéo-Hindou: 1º l’occultisme antique, c’est-à-dire égyptien, persan,
-chaldéen, juif et celui des mystères grecs; 2º l’ésotérisme
-judéo-chrétien avec les Esséniens, les gnostiques, les néo-platoniciens
-d’Alexandrie et les kabbalistes du moyen âge, et 3º l’occultisme moderne
-plus ou moins imprégné des précédents, mais qui, sous le vocable
-d’ailleurs assez inexact d’occultisme, désigne plus spécialement, à côté
-des théosophes, les spirites et les métapsychistes d’aujourd’hui.
-
-
-III
-
-Quant aux sources de la source primaire, il est à peu près impossible de
-les retrouver. Nous n’avons ici que les affirmations de la tradition
-occultiste, affirmations que des découvertes historiques semblent
-d’ailleurs çà et là confirmer. Ces traditions attribuent l’immense
-réservoir de sagesse qui s’était formé quelque part, dès l’origine de
-l’homme, et, à ce qu’elles disent, même avant sa venue sur cette terre,
-à des entités plus spirituelles, à des êtres moins engagés dans la
-matière, à des organismes psychiques, dont les derniers venus, les
-Atlantes, n’auraient été que les représentants dégénérés.
-
-Au point de vue historique, au delà de cinq ou six mille ans, sept mille
-peut-être, les documents nous font absolument défaut. Nous ne pouvons
-pas savoir comment est née la religion des Hindous et des Égyptiens.
-Quand nous la trouvons, elle est déjà toute faite dans ses grandes
-lignes, dans ses grands principes. Non seulement elle est toute faite;
-mais plus on remonte, plus elle est parfaite, plus elle est pure, plus
-elle se rapproche des plus hautes spéculations de l’agnosticisme
-d’aujourd’hui. Elle suppose une civilisation antérieure, dont, étant
-donnée la lenteur de toute évolution humaine, il est impossible
-d’évaluer la durée. Cette durée doit vraisemblablement se calculer par
-milliers de milliers d’années. C’est ici que la tradition occultiste
-vient à notre aide. Pourquoi cette tradition serait-elle, _à priori_,
-inacceptable et méprisable, alors que presque tout ce que nous savons de
-ces religions primitives est également fondé sur la tradition orale, car
-les textes écrits sont de beaucoup postérieurs; et qu’en outre tout ce
-que nous dit cette tradition concorde curieusement avec ce que nous
-avons appris d’autre part?
-
-
-IV
-
-En tout cas, si l’on a besoin de la tradition occultiste pour expliquer
-l’origine de cette sagesse qui nous paraît à bon droit surhumaine, on
-peut fort bien s’en passer pour ce qui concerne l’essentiel de cette
-sagesse même. Des textes authentiques et qu’on peut situer dans
-l’histoire, le contiennent tout entier; et sous ce rapport, les
-théosophes modernes qui prétendent avoir eu à leur disposition des
-documents secrets et avoir profité de révélations extraordinaires que
-leur auraient faites des Adeptes ou Mahatmas, d’une fraternité
-mystérieuse, ne nous ont rien appris qui ne se trouve dans les écrits
-accessibles à tous les orientalistes. Ce qui sépare les
-occultistes,--les théosophes de l’école de Blavatzky, par exemple, qui
-domine toutes les autres,--des indianistes et des égyptologues
-scientifiques, ce n’est pas ce qui a rapport à l’origine, à l’économie,
-au but de l’univers, aux fins de la terre et de l’homme, à la nature de
-la divinité, aux grands problèmes de la morale; ce sont presque
-uniquement des questions qui ont trait à la préhistoire, à la
-nomenclature des émanations de l’inconnaissable et à la manière de
-maîtriser et d’utiliser les forces inconnues de la nature.
-
-Occupons-nous d’abord des points où ils s’accordent; ce sont du reste
-les plus intéressants; car tout ce qui touche à la préhistoire est
-forcément hypothétique, les noms et les fonctions des dieux
-intermédiaires n’ont qu’un intérêt de second ordre; quant à
-l’utilisation des forces inconnues, elle regarde plutôt les sciences
-métapsychiques dont nous reparlerons plus loin.
-
-
-V
-
-«Ce que nous lisons dans les _Védas_, dit Rudolph Steiner, l’un des plus
-érudits et aussi des plus déconcertants parmi les occultistes
-contemporains, ce que nous lisons dans les _Védas_, ces archives de la
-sagesse hindoue, ne nous donne qu’une faible idée des sublimes
-enseignements des anciens instructeurs et non pas dans leur forme
-originelle. Seul le regard du clairvoyant, porté sur les arcanes du
-passé, peut découvrir la sagesse inédite qui se cache derrière ces
-écrits.»
-
-Historiquement, il est fort probable que Steiner a raison. En effet,
-comme je l’ai déjà dit, plus les textes sont anciens, plus ce qu’ils
-révèlent est pur et grandiose; et il est vraisemblable qu’ils ne sont
-eux-mêmes, selon l’expression de Steiner, qu’un écho affaibli
-d’enseignements plus sublimes. Mais ne possédant pas le regard du
-clairvoyant, nous devons nous contenter de ce que nous avons sous les
-yeux.
-
-Les textes que nous possédons sont les livres sacrés de l’Inde, que
-viennent corroborer ceux de l’Égypte et de la Perse. L’influence qu’ils
-exercèrent sur la pensée humaine, sinon dans leur forme présente, du
-moins par la tradition orale qu’ils n’ont fait que fixer, remonte aux
-origines de l’histoire, se répandit partout et ne cessa jamais de se
-faire sentir; mais, pour le monde occidental, leur découverte et leur
-étude méthodique sont relativement récentes. «Il y a cinquante ans,
-écrivait en 1875 Max Muller, il n’existait pas un lettré qui sût
-traduire une ligne du Véda, une ligne du Zend-Avesta ou une ligne du
-Tripitâka Bouddhique, sans parler des autres dialectes ou langages.»
-
-Si les faits prenaient d’abord, dans les annales de l’homme, les
-proportions qu’ils acquerront plus tard, la découverte de ces livres
-sacrés eût probablement bouleversé l’Europe; car c’est sans nul doute
-l’événement spirituel le plus important qui s’y soit produit depuis le
-christianisme. Mais il est rare qu’un événement spirituel ou moral se
-répande rapidement dans les masses. Il a contre lui trop de forces qui
-ont intérêt à l’étouffer. Celui-ci demeura confiné dans un petit cercle
-de savants et de philologues et atteignit même moins qu’il n’était
-présumable les métaphysiciens et les moralistes. Il attend encore
-l’heure de son expansion.
-
-
-VI
-
-La première question qui se pose est celle de la date de ces textes. Il
-est très difficile d’y donner une réponse précise; car s’il est
-relativement aisé de déterminer l’époque où les livres furent écrits, il
-est impossible d’évaluer le temps durant lequel ils existèrent
-uniquement dans la mémoire des hommes. Selon Max Muller, il n’y a guère
-de manuscrit sanscrit qui remonte plus haut que l’an mil de notre ère,
-et tout semble indiquer que l’écriture n’a été connue en Inde qu’au
-commencement de la période bouddhique (Ve siècle avant J.-C.),
-c’est-à-dire à la fin de la vieille littérature védique. Le _Rig-Véda_
-qui compte 1.028 hymnes, d’une moyenne de dix vers, soit 153.826 mots, a
-donc été conservé par le seul effort de la mémoire. Aujourd’hui encore,
-les Brahmanes savent tous le _Rig-Véda_ par cœur, comme leurs ancêtres
-d’il y a trois mille ans. C’est au delà du Xe siècle avant J.-C. que
-nous devons placer le développement spontané de la pensée védique telle
-que nous la trouvons dans le _Rig-Véda_. Déjà trois cents ans avant
-J.-C., toujours selon Max Muller, le sanscrit avait cessé d’être parlé
-par le peuple, ce qui est prouvé par une inscription dont la langue est
-au sanscrit ce que l’italien est au latin.
-
-Cette période des «Chandas», selon d’autres orientalistes, remonte
-probablement à deux ou trois mille ans avant J.-C., de sorte que nous
-voilà déjà à cinq mille ans, date la plus modeste et la plus prudente.
-«Une chose est certaine, ajoute Max Muller, c’est qu’il n’y a rien de
-plus ancien ni de plus primitif que les hymnes du _Rig-Véda_, non
-seulement dans l’Inde, mais dans tout le monde Aryen. En tant qu’Aryen
-de langue et de pensée, le _Rig-Véda_ est notre livre sacré le plus
-ancien[1].»
-
- [1] MAX MULLER, _Origine et développement de la religion_. Trad. J.
- Darmesteter, p. 142.
-
-Depuis les travaux du grand orientaliste, d’autres savants ont
-notablement reculé la date des premiers manuscrits et surtout celle des
-premières traditions; mais ils restent encore à d’énormes distances de
-la computation des Brahmanes qui reportent l’origine de leurs livres à
-des milliers de siècles avant notre ère. «Il y a actuellement plus de
-cinq mille ans, dit Swâmi Dayanound Saraswati, que les _Védas_ ont cessé
-d’être un objet d’études»; et selon les calculs de l’orientaliste
-Halled, les _Çastras_, d’après la chronologie des Brahmanes, doivent
-avoir sept millions d’années.
-
-Sans prendre parti dans ces querelles, le seul point qu’il importe
-d’établir, c’est que ces livres, ou plutôt la tradition qu’ils ont
-recueillie et fixée, est évidemment antérieure, l’Égypte, la Chine et la
-Chaldée peut-être exceptées, à tout ce que nous connaissons dans
-l’histoire de l’homme.
-
-
-VII
-
-Cette littérature comprend d’abord les quatre Védas: le _Rig_, le
-_Sama_, l’_Yadjour_ et l’_Atharva-Véda_, complétés par les commentaires
-ou _Brahmanas_ et les traités de philosophie appelés _Aranyakas_ et
-_Upanischads_, auxquels il faut ajouter les _Çastras_, ou _Sastras_ dont
-le plus connu est le _Manava-Dharma-Çastra_, ou _Lois de Manou_--qui,
-selon William Jones, Chézy et Loiseleur-Deslongchamps, remonte au XIIIe
-siècle avant notre ère,--et les premiers _Pouranas_.
-
-De ces textes, le _Rig_ est incontestablement le plus ancien. Les autres
-s’échelonnent sur un espace de plusieurs centaines, voire de plusieurs
-milliers d’années; mais tous, excepté les derniers _Pouranas_, sont
-antérieurs à l’ère chrétienne, ce qu’il ne faut pas perdre de vue, non
-dans un sentiment d’hostilité envers la grande religion occidentale,
-mais pour mettre celle-ci à sa place dans l’histoire et dans l’évolution
-de la pensée humaine.
-
-Le _Rig-Véda_ est encore plus polythéiste que panthéiste et les sommets
-de la doctrine n’y émergent que çà et là, par exemple dans les stances
-que nous citons plus loin. Ses divinités ne représentent que des forces
-physiques amplifiées que le _Sama-Véda_ et surtout les Brahmanes
-ramenèrent par la suite à des conceptions métaphysiques et à l’unité. Le
-_Sama-Véda_ affirme l’Inconnaissable et le _Yadjour-Véda_ le Panthéisme.
-Quant à l’_Atharva_, le plus ancien, selon les uns, le plus récent selon
-les autres, il est avant tout rituel.
-
-Ces idées furent développées par les commentaires des Brahmanes qui se
-multiplièrent surtout entre les XIIe et VIIe siècles avant J.-C.; mais
-se rattachent probablement à des traditions beaucoup plus anciennes que
-prétendent avoir retrouvées nos modernes théosophes, sans du reste
-étayer leurs assertions de preuves suffisantes.
-
-Il faut donc, quand on parle de la religion de l’Inde, la considérer
-dans son ensemble, depuis le Védisme primitif, en passant par le
-Brahmanisme et le Krichnaïsme, jusqu’au Bouddhisme; en s’arrêtant, si
-l’on veut, deux ou trois siècles avant notre ère, pour éviter tout
-soupçon d’infiltration judéo-chrétienne.
-
-Toute cette littérature à laquelle on peut annexer, entre bien d’autres,
-les textes semi-profanes du _Ramayana_ et du _Maha-Bahrata_, au milieu
-duquel s’épanouit le _Bhagavat-Gita_ ou _Chant du Bienheureux_, cette
-magnifique fleur du mysticisme hindou, est encore très imparfaitement
-connue et nous n’en possédons que ce que les Brahmanes ont bien voulu
-nous en livrer.
-
-Elle soulève une foule de questions extrêmement complexes dont bien peu
-ont été jusqu’ici résolues. Ajoutons que la traduction des textes
-sanscrits, surtout des plus anciens, est encore fort incertaine. Selon
-Roth, le véritable fondateur de l’exégèse védique, «le traducteur qui
-rendra le _Véda_ intelligible et lisible, _mutatis mutandis_, comme
-Homère l’est devenu depuis les travaux de Voss, est encore à venir et
-l’on ne peut guère prévoir sa venue avant le siècle prochain».
-
-Pour se faire une idée de l’incertitude de ces traductions, il suffit de
-voir à titre d’exemple, à la fin du troisième volume de la _Religion
-Védique_ d’Abel Bergaigne, le grand orientaliste français, les
-discussions qui s’élèvent entre les indianistes les plus célèbres, tels
-que Grassmann, Ludwig, Roth et Bergaigne lui-même, au sujet de
-l’interprétation de presque tous les mots essentiels de l’hymne I-123, à
-l’Aurore. «Elle étale, comme le dit Bergaigne, les misères de
-l’interprétation actuelle du _Rig-Véda_[2].»
-
- [2] _La Religion védique d’après les hymnes du Rig-Véda_, par A.
- BERGAIGNE, t. III, p. 283 et suiv.
-
-Les néo-théosophes se sont efforcés de résoudre quelques-uns des
-problèmes que soulèvent l’antiquité hindoue; mais leurs travaux, très
-intéressants en ce qui concerne la doctrine, sont extrêmement faibles au
-point de vue de la critique; et il est impossible de les suivre sur un
-terrain où l’on ne rencontre que des hypothèses invérifiables. La vérité
-c’est que, quand il s’agit de l’Inde, il faut renoncer à toute certitude
-chronologique. Pour prendre un minimum, sans doute très inférieur à la
-réalité, en laissant derrière nous une marge peut-être immense de
-siècles nébuleux, ne reportons pas à plus de trois ou quatre mille ans
-l’épanouissement des Brahmanas; nous constatons ainsi qu’existait à
-cette époque, au pied de l’Himalaya, une grandiose religion panthéiste
-et agnostique, qui plus tard devint ésotérique; et c’est tout ce qui,
-pour l’instant, nous importe.
-
-
-VIII
-
-Et l’Égypte, dira-t-on, ses monuments et ses hiéroglyphes ne sont-ils
-pas bien plus anciens? Écoutons sur ce point le très érudit égyptologue
-Le Page Renouf[3], une des grandes autorités en la matière. Il estime
-que les monuments égyptiens et leurs inscriptions ne peuvent servir de
-bases à des dates certaines; que les calculs fondés sur le lever
-héliaque des étoiles n’est pas probant, attendu que dans les textes il
-est plus vraisemblable qu’il s’agit de leur passage que de leur lever.
-Mais il est convaincu que, d’après les calculs les plus modérés, la
-monarchie égyptienne existait déjà plus de 2.000 ans avant que l’_Exode_
-fût écrit; or, l’_Exode_ remonte probablement à l’an 1310 avant J.-C.;
-et la date de la grande pyramide ne peut être reportée à moins de 3.000
-ou 4.000 ans avant notre ère. Ces calculs, de même que ceux qui font
-commencer l’ère chinoise 2.697 ans avant J.-C., nous ramènent assez
-curieusement à l’époque assignée par les indianistes au développement de
-la pensée védique, développement qui suppose une période de gestation et
-de formation infiniment plus reculée. Ils n’impliquent pas du reste que
-la civilisation égyptienne, tout comme la civilisation hindoue, ne soit
-beaucoup plus ancienne. Un autre grand égyptologue, Léonard Horner, de
-1851 à 1854, fit creuser dans la vallée du Nil, en divers endroits,
-quatre-vingt-quinze puits. On constate que la hauteur que le Nil ajoute
-chaque siècle à son lit d’alluvions est de 5 pouces, hauteur qui doit
-être moindre pour les couches inférieures, à cause de la pression; or,
-jusqu’aux profondeurs de 75 pieds, on trouva des sculptures de granit,
-des figures humaines et animales, des mosaïques, des vases, des
-fragments de briques et de poteries (celles-ci aux grandes profondeurs).
-Comme il y a 12 pouces dans un pied, cela nous reporte à plus de 17.000
-ou 18.000 ans. A une profondeur de 33 pieds 6 pouces on exhuma une
-tablette avec des inscriptions qui, d’après un calcul facile, avait par
-conséquent près de 8.000 ans. L’hypothèse de puits ou citernes, sur
-lesquels on serait tombé par hasard, doit être écartée, car le même fait
-s’est vérifié partout. Ces constatations, pour le dire en passant,
-donnent une fois de plus raison aux traditions occultistes, touchant
-l’antiquité de la civilisation humaine. Cette antiquité prodigieuse est
-en outre confirmée par les observations sidérales des anciens. Il existe
-par exemple un catalogue d’étoiles qu’on appelle le catalogue de
-Souryo-Shiddhanto; or, les différences de position de huit de ces
-étoiles fixes, prises au hasard, démontrent que les observations de
-Souryo remontent à plus de 58.000 ans.
-
- [3] P. LE PAGE RENOUF, _Lectures on the Origin and Growth of Religion
- as illustrated by the Religion of Ancient Egypt_.
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-IX
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-Est-ce l’Inde ou l’Égypte qui fut l’héritière directe de la sagesse
-légendaire que nous léguèrent des peuples plus anciens, notamment les
-probables Atlantes? Dans l’état présent de notre science, et sans tenir
-compte des traditions occultistes, il n’est pas encore possible de
-répondre.
-
-Il y a moins d’un siècle on ignorait à peu près complètement l’Égypte
-antique. On ne la connaissait que par des ouï-dire et des légendes plus
-ou moins fantaisistes recueillies par des historiens tard venus et
-surtout par les divagations des philosophes et des théurgistes de
-l’époque Alexandrine. C’est seulement en 1820, que Jean-François
-Champollion, grâce au triple texte de la célèbre pierre hiéroglyphique
-de Rosette, trouva la clef de l’écriture mystérieuse qui couvre tous les
-monuments, tous les tombeaux et presque tous les objets de la terre des
-Pharaons. Mais la mise en œuvre de la découverte fut longue et pénible;
-et ce n’est guère que quarante ans plus tard que l’un des plus illustres
-successeurs de Champollion, de Rougé, put dire qu’il n’y avait plus de
-texte égyptien qu’on ne fût à même de traduire. On déchiffra des
-documents sans nombre, et on acquit, quant au sens matériel de la
-plupart des inscriptions, une certitude presque définitive.
-
-Néanmoins, il paraît de plus en plus probable que sous le sens littéral
-des inscriptions religieuses, s’en cache un autre qu’on ne peut
-pénétrer. C’est l’hypothèse à laquelle, en présence du flottement de
-bien des mots, aboutissent forcément les égyptologues les plus
-objectifs, les plus scientifiques, bien qu’ils ajoutent aussitôt que
-rien ne la confirme formellement. Il est donc extrêmement vraisemblable
-que sous la religion officielle enseignée aux profanes, il y en avait
-une autre réservée aux prêtres et aux initiés; et l’hypothèse à laquelle
-sont contraints les savants, vient ici confirmer une fois de plus les
-assertions des occultistes, notamment celles des néo-platoniciens
-d’Alexandrie, au sujet des mystères égyptiens.
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-
-X
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-Quoi qu’il en soit, des textes sur l’authenticité desquels il n’y a pas
-le moindre doute, le _Livre des Morts_, les _Livres des hymnes_, le
-_Recueil des sentences morales_ de Ptahhoteph, le plus ancien livre de
-la terre, puisqu’il est contemporain des Pyramides, et beaucoup
-d’autres, permettent de nous faire une idée très précise de la haute
-morale d’abord et surtout de la théosophie fondamentale de l’Égypte,
-avant que cette théosophie ne se corrompît pour donner satisfaction au
-vulgaire et ne se transformât en un monstrueux polythéisme, qui du reste
-fut toujours plus apparent que réel.
-
-Or, plus les textes sont anciens, plus leurs enseignements se
-rapprochent de la tradition hindoue. Qu’ils soient antérieurs ou
-postérieurs à ceux-ci, la question est en somme secondaire; ce qui est
-plus intéressant, c’est le problème de l’origine commune, origine unique
-et immémoriale, dont la probabilité s’accroît à chaque pas qu’on hasarde
-dans la préhistoire. Plus on remonte dans le temps, plus nettement se
-révèle l’accord sur les points essentiels. Voici, par exemple, l’idée
-que se faisait de Dieu la religion égyptienne à ses débuts. Nous en
-trouverons un peu plus loin l’original ou la réplique hindoue, de même
-que nous aurons l’occasion de confronter les deux théogonies, les deux
-cosmogonies et les deux morales qui sont évidemment les sources de
-toutes les théogonies, de toutes les cosmogonies et de toutes les
-morales de l’humanité.
-
-Pour l’Égyptien qui a gardé la foi des origines, il n’y a qu’un seul
-Dieu, un Dieu unique. «Pas d’autre que lui.»--«Il est le seul être
-vivant en substance et en vérité.»--«Tu es seul et des millions d’êtres
-procèdent de toi.»--«Il a fait toutes choses et lui seul n’a pas été
-fait.»--«Partout et toujours, il est l’unique substance et il est
-inapprochable.»--«Il est l’un de l’un.»--«Il est hier, aujourd’hui et
-demain.»--«Il est Dieu se faisant Dieu, existant par lui-même, l’être
-double, c’est-à-dire, s’engendrant lui-même, générateur dès le
-commencement.»
-
-«Voici plus de cinq mille ans, dit de Rougé, que dans la vallée du Nil
-commença l’hymne à l’unité de Dieu et à l’immortalité de l’âme... La
-croyance à l’unité du Dieu suprême et à ses attributs comme créateur et
-législateur de l’homme qu’il dota d’une âme immortelle, voilà les
-notions primitives, serties comme des diamants indestructibles dans les
-superfétations mythologiques accumulées par les siècles qui ont passé
-sur cette antique civilisation[4].»
-
- [4] DE ROUGÉ, _Annales de la Philosophie chrétienne_, t. XX, p. 327.
-
-Assurément, il n’y a pas ici, dans la définition de la divinité, la
-pénétration, la subtilité et l’espace métaphysique, le bonheur
-d’expression, la magnificence verbale, le génie, en un mot, que nous
-trouverons dans les définitions hindoues. C’est que l’esprit égyptien
-est plus froid, plus sec, plus sobre, plus anguleux, plus réaliste, il a
-une imagination plus concrète, que l’inaccessible infini n’enflamme pas
-comme celle des peuples de l’Asie. Au surplus, ne perdons pas de vue que
-nous ne connaissons pas encore le sens secret qui se cache peut-être au
-fond de ces définitions. En tout cas, telles que nous les lisons, l’idée
-est la même et marque une même origine, que l’on peut, conformément aux
-traditions ésotériques et en attendant d’autres éclaircissements,
-appeler la pensée Atlantéenne. C’est une supposition que vient confirmer
-du reste le fameux passage du _Timée_, d’après lequel, au dire du prêtre
-égyptien qui parlait à Solon, l’Égypte aurait été, il y a 12.000 ans,
-une colonie Atlantéenne.
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-
-XI
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-Pour le Mazdéisme ou Zoroastrisme, la troisième des grandes religions,
-le problème de la filiation est plus simple, bien que celui des dates
-soit également compliqué. Zoroastre, ou plutôt l’un des Zoroastres, le
-dernier, aurait vécu, selon Aristote, au VIIe siècle avant notre ère.
-Pline le fait remonter à dix siècles avant Moïse, Hermippe de Smyrne,
-qui traduisit ses livres en grec, à 4.000 ans avant la prise de Troie et
-Eudoxe à 6.000 ans avant la mort de Platon.
-
-La science moderne, comme le constate Édouard Schuré d’après les
-savantes études d’Eugène Burnouf, de Spiegel, de James Darmesteter et de
-Harlez, déclare qu’il n’est pas possible de fixer la date où vécut le
-grand philosophe iranien, auteur du _Zend-Avesta_, mais la recule en
-tout cas à 2.500 ans avant J.-C. Max Muller, de son côté, a fourni la
-preuve que Zoroastre ou Zarathustra et ses disciples avaient résidé dans
-l’Inde. «Plusieurs des dieux zoroastriens, ajoute-t-il, ne sont que des
-réflexions, des déflexions des dieux primitifs et authentiques des
-Védas.» Ici il n’y a donc pas le moindre doute au sujet de l’antériorité
-des livres hindous; et en même temps est corroborée une fois de plus la
-fabuleuse antiquité de ces livres ou de ces traditions.
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-Ces observations préliminaires, dont le développement exigerait des
-volumes, suffisent,--et c’est ce qui nous intéresse pour l’instant,--à
-établir que l’enseignement qu’on retrouve dans la suite des temps au
-fond de toutes les religions, sous forme de mystères, d’initiation, de
-doctrine secrète, remonte, selon les calculs les plus timides, à des
-milliers d’années. Elles suffisent en tout cas à écarter la thèse assez
-puérile de ceux qui soutiennent qu’il est relativement récent et a subi
-l’influence des révélations judéo-chrétiennes. On ne défend plus
-sérieusement cette thèse; mais on tourne la difficulté en disant: Oui,
-il y a des vérités de cette religion primitive et même des textes ayant
-date plus ou moins certaine, antérieurs à Moïse et à Jésus-Christ; mais
-qui pourrait faire le départ des interpolations successives qui les ont
-transformés?
-
-Il existe dans l’Inde, paraît-il, plus de 1.200 textes des _Védas_ et
-plus de 350 textes des _Lois de Manou_, sans compter ceux des livres
-sacrés que les Brahmes ne nous ont pas livrés, et il est incontestable
-que dans ces textes ou dans les enseignements qu’ils reproduisent, se
-trouvent d’évidentes interpolations. Il ne faut jamais perdre de vue que
-la religion orientale que nous appelons vulgairement et fort
-improprement le Bouddhisme, se divise en trois grandes périodes qui
-correspondent assez exactement aux trois périodes qu’on pourrait marquer
-dans le christianisme, à savoir le Védisme ou la religion primitive, que
-les Brahmanes commentèrent, compliquèrent et corrompirent enfin à leur
-profit et qui devint le Brahmanisme contre lequel se révolta et que
-réforma au Ve siècle avant J.-C. Siddharta Gautama Bouddha ou
-Çakya-Mouni.
-
-Les indianistes, grâce surtout aux repères historiques que leur donne
-l’institution des castes, les changements de langue et de mètre, ont
-appris à démêler assez facilement, dans les textes suspects, ces trois
-courants; et sous la luxuriance et l’enchevêtrement des interpolations,
-apparaissent toujours les grandes lignes et les vérités essentielles qui
-nous importent seules.
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-
-
-L’INDE
-
-
-I
-
-Voyons d’abord l’idée qu’en même temps que les Égyptiens, et beaucoup
-plus probablement avant eux, se faisaient de la divinité ces ancêtres
-dont les traditions ont au moins 5.000 ou 6.000 ans et qui eux-mêmes
-tenaient ces traditions de peuples aujourd’hui disparus, dont la
-dernière trace dans la mémoire des hommes, selon le _Timée_ et le
-_Critias_ de Platon, remonte à cent vingt siècles.
-
-Je fais grâce au lecteur de l’inextricable nomenclature de la mythologie
-orientale, de la pullulation des dieux anthropomorphes que les prêtres
-de l’Inde, comme ceux de l’Égypte, de la Perse et de tous les temps et
-de tous les pays, furent forcés de créer pour répondre aux exigences de
-l’idolâtrie populaire. Je lui épargne également l’ostentation d’une
-érudition facile et prodigue de noms imprononçables, pour en venir
-directement et m’en tenir uniquement à la notion essentielle de la cause
-première, telle qu’on la trouve aux sources les plus reculées, et qui,
-peu à peu, si elle ne fut pas cachée au vulgaire ne fut plus comprise
-par lui, et devint le grand secret de l’élite des prêtres et des
-initiés.
-
-Écoutons tout de suite le _Rig-Véda_, le plus authentique écho des plus
-immémoriales traditions, quand il aborde la question formidable:
-
- «Il n’y avait ni l’Être ni le Non-Être. Il n’y avait ni l’atmosphère,
- ni le ciel au-dessus. Qu’est-ce qui se meut? En quel sens? Sous la
- garde de qui? Y avait-il des eaux et le profond abîme?
-
- «Ni la mort n’était alors, ni l’immortalité. Le jour n’était pas
- séparé de la nuit. Seul, l’Un respirait, sans souffle étranger, de
- lui-même; et il n’y avait rien d’autre que lui.
-
- «Alors s’éveilla en lui pour la première fois le désir; ce fut le
- premier germe de l’esprit. Le lien de l’Être, ils le découvrirent dans
- le Non-Être, les sages s’efforçant, pleins d’intelligence, en leur
- cœur...
-
- «Qui sait, qui peut nous dire d’où naquit, d’où vint la création, et
- si les dieux ne sont nés qu’après elle? Qui sait d’où elle est venue?
-
- «D’où cette création est venue, si elle est créée ou non créée, celui
- dont l’œil veille sur elle du plus haut ciel, celui-là seul le sait,
- et encore le sait-il?[5]»
-
- [5] _Rig_, X, 129.
-
-Est-il possible de trouver dans les annales humaines, paroles plus
-grandioses, plus chargées d’angoisse solennelle et qui rendent un son
-plus auguste, plus sacré et plus redoutable? Est-il possible de trouver
-à la base de tout, aveu d’ignorance plus total et plus irréductible; et
-du fond de notre agnosticisme que des milliers d’années ont agrandi,
-pourrions-nous en élargir l’horizon? D’emblée il dépasse tout et va plus
-loin que nous n’oserons jamais aller de peur de désespérer, puisqu’il ne
-craint pas de se demander si l’Être suprême sait ce qu’il a fait, sait
-s’il a créé ou non et doute s’il a pris conscience de lui-même...
-
-
-II
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-Écoutons ensuite le _Sama-Véda_ confirmer et développer ce magnifique
-aveu d’ignorance:
-
- «Si tu dis: Je connais parfaitement l’Être suprême, tu te trompes; qui
- pourrait dénombrer ses attributs? Si tu dis: Je pense le connaître,
- non que je croie le connaître parfaitement ni ne pas le connaître du
- tout, mais je le connais partiellement; car celui qui connaît toutes
- les manifestations des dieux qui procèdent de lui, connaît l’Être
- suprême, si tu dis cela tu te trompes, _ce n’est pas le connaître que
- de ne pas l’ignorer entièrement_.
-
- «Celui, au contraire, qui croit ne pas le connaître, c’est celui qui
- le connaît; et celui qui croit le connaître, c’est celui qui ne le
- connaît pas. Il est regardé comme incompréhensible par ceux qui le
- connaissent le plus et connu parfaitement par ceux qui l’ignorent
- entièrement.»
-
-A cet agnosticisme fondamental, l’_Yadjour-Véda_ vient ajouter son
-panthéisme total:
-
- «Le sage fixe ses regards sur cet être mystérieux dans lequel existe
- perpétuellement l’univers qui n’a pas d’autre base que Lui. En Lui ce
- monde est enfermé, c’est de Lui que ce monde est sorti. Il est enlacé
- et tissu dans toutes les créatures sous les diverses formes de
- l’existence.
-
- «Cet être unique, que rien ne peut atteindre, est plus rapide que la
- pensée; _et les dieux eux-mêmes ne peuvent comprendre ce moteur
- suprême qui les a tous devancés_. Il est loin et près de toutes
- choses. Il remplit cet univers entier et le dépasse encore infiniment.
-
- «Quand l’homme sait voir tous les êtres dans ce Suprême Esprit, et ce
- Suprême Esprit dans tous les êtres, il ne peut plus dédaigner quoi que
- ce soit.
-
- «Ils sont tombés dans une nuit bien profonde ceux qui ne croient pas à
- l’identité des êtres; ils sont tombés dans une nuit bien plus profonde
- encore ceux qui ne croient qu’à leur identité.
-
- «Il gagne d’être immortel celui qui croit à l’identité éternelle des
- êtres.
-
- «Tous les êtres sont dans ce Suprême Esprit, et ce Suprême Esprit est
- dans tous les êtres.
-
- «Les êtres lui apparaissent tels qu’ils furent de toute éternité,
- toujours semblables à eux-mêmes.»
-
-
-III
-
-Nos ancêtres s’efforcèrent de creuser cet immense aveu d’ignorance, de
-peupler ce néant abyssal où l’homme ne pouvait respirer et cherchèrent à
-définir cet être suprême qu’une tradition plus préhistorique
-qu’eux-mêmes n’avait pas osé concevoir. Il n’est pas de spectacle plus
-passionnant que cette lutte de nos pères d’il y a soixante ou cent
-siècles contre l’Inconnaissable; et, pour en donner une idée, je leur
-emprunte leur propre voix en ne reproduisant que les termes presque
-désespérés dont ils se servirent dans leurs livres sacrés les plus
-anciens et les plus authentiques, qu’il faut lire sans se laisser
-effrayer par l’incohérence des images qui est, comme le remarque
-Bergaigne, le pain quotidien de la poésie védique.
-
-Dieu, nous disent-ils, est l’Être et le grand tout existant par
-lui-même, incognoscible et cause sans cause de toutes les causes. Il est
-l’ancien des anciens et l’inconnu de l’inconnu. Il est tout et dans
-tout, l’âme éternelle de tous les êtres, que nul ne peut comprendre. Il
-est la réunion de toutes les formes matérielles, intellectuelles et
-morales de l’universalité des êtres. Il est l’unique, le germe
-primordial, non révélé de tout, la profondeur inconnue, la substance
-incréée de l’inconnu. «Non, non, est son Nom», et tout oscille
-perpétuellement entre «Tout est, rien n’est.» «La mer seule connaît la
-profondeur de la mer, l’espace seul connaît l’étendue de l’espace, Dieu
-seul peut connaître Dieu.» Il est le contenant inconnu de tout; il est
-le non-être parce qu’il est l’Être absolu, quelque chose qui n’est rien
-tout en étant tout. «Celui qui est et qui pourtant n’est pas, cause
-éternelle qui n’a pas d’être, l’Indécouvert et l’Indécouvrable,
-qu’aucune créature ne peut comprendre», dit Manou. Il n’est pas quelque
-chose, il n’est pas un être connu ou visible et l’on ne peut lui
-appliquer le nom d’aucun objet qui soit connu. Il est le caché des
-cachés, il est «Cela», le principe passif et latent. Le monde est son
-nom, son image; mais son existence première qui contient tout en soi est
-seule réellement existante. Cet univers est lui, il vient de lui, il
-retourne en lui. Tous les mondes ne font qu’un avec lui, car ils ne sont
-que par sa volonté; volonté éternelle et innée en toutes choses. Cette
-volonté se révèle dans ce que nous appelons la création, la conservation
-et la destruction de l’univers; mais il n’y a pas de création à
-proprement parler, car tout existant en lui depuis toujours, la création
-n’est qu’une émanation de ce qui était en lui. Cette émanation rend
-simplement visible à nos yeux ce qui ne l’était pas. De même, il n’y a
-pas de destruction, celle-ci n’étant qu’une inhalation de ce qui avait
-été exhalé; et cette inhalation ne fait à son tour que rendre invisible
-ce qui avait été vu; car tout est indestructible, puisque tout n’est que
-la substance de l’Être suprême qui lui-même n’a ni commencement ni fin,
-dans l’espace et le temps.
-
-
-IV
-
-Avoir sondé aussi profondément et sur une telle étendue, dès ce que
-notre ignorance appelle les origines, le mystère infini de la cause
-première inconnaissable, suppose évidemment une civilisation, une
-accumulation de pensées, de méditations, une expérience, une
-contemplation et une pénétration de l’univers qui sont bien faites pour
-nous émerveiller et nous humilier. Nous regagnons à peine les sommets
-d’où descendirent ces idées où panthéisme et monothéisme se confondent
-et ne forment plus qu’un dans l’incommensurable inconnu. Et qui sait si
-nous les aurions regagnés sans leur aide? Il y a moins d’un siècle, nous
-ignorions encore ces définitions dans leur netteté, dans leur grandeur
-originales; mais elles s’étaient infiltrées partout, elles flottaient en
-débris sur les eaux souterraines de toutes les religions, et d’abord sur
-celles de la religion officielle de l’Égypte où le «Noun» est aussi
-inconnaissable que le «Cela» hindou, et où, selon la tradition
-occultiste, comme révélation suprême, à la fin de la dernière
-initiation, on jetait en courant, dans l’oreille de l’adepte, ces mots
-terribles: «Osiris est un dieu noir!» c’est-à-dire un dieu qu’on ne peut
-pas connaître, qu’on ne connaîtra jamais!... Elles flottaient également
-sous la Bible, sinon sous celle de la Vulgate où elles deviennent
-méconnaissables, du moins sous celle d’hébraïsants comme Fabre d’Olivet
-qui lui ont, ou croient lui avoir restitué son sens véritable. Elles
-flottaient aussi sous les mystères de la Grèce qui n’étaient qu’une
-réplique déformée et pâlie des mystères égyptiens. Elles flottaient
-encore, et plus près de la surface, sous les doctrines des Esséniens
-qui, au dire de Pline, vécurent le long des rives de la Mer Morte
-pendant des milliers de siècles. «_Per sæculorum millia_» ce qui est
-évidemment exagéré. Elles flottaient dans la Kabbale, tradition des
-anciens initiés juifs, qui prétendent avoir conservé la loi orale que
-Dieu donna à Moïse sur le Sinaï et qui, transmise de bouche en bouche,
-fut écrite par les savants rabbins du Moyen âge. Elles flottaient sous
-les enseignements et les rêves extraordinaires des Gnostiques, héritiers
-probables des introuvables Esséniens, sous ceux des néo-platoniciens et
-sous le christianisme primitif, comme dans les ténèbres où se perdaient
-les malheureux Hermétistes médiévaux, parmi des textes de plus en plus
-mutilés et corrompus et des lueurs de plus en plus incertaines et
-dangereuses.
-
-
-V
-
-Voilà donc une grande vérité, la première de toutes, la vérité radicale,
-à laquelle nous sommes revenus: le caractère inconnaissable de la cause
-sans cause de toutes les causes. Mais cette cause ou ce Dieu, nous
-l’aurions toujours ignoré, ensevelis en lui, s’il ne s’était manifesté.
-Il fallait bien le faire sortir de son inactivité qui pour nous
-équivalait au néant, attendu que l’univers paraît avoir une existence et
-que nous-mêmes croyons vivre en lui. Dégagée de l’enchevêtrement des
-lianes théogoniques et théologiques qui bientôt l’envahirent de toutes
-parts, la cause première, ou plutôt la cause éternelle,--car n’ayant pas
-de commencement, elle ne peut être première ni seconde,--n’a jamais rien
-créé. Il n’y a pas eu de création vu que, de toute éternité tout existe
-en cette cause, sous une forme invisible à nos yeux, mais plus réelle
-que s’ils la voyaient, puisque nos yeux ne sont faits que pour voir
-l’illusion. Au point de vue de cette illusion, ce tout, qui existe
-toujours, apparaît ou disparaît selon un rythme éternel que scandent le
-sommeil et le réveil de la cause éternelle. «C’est ainsi, disent les
-_Lois de Manou_, que par un réveil et par un repos alternatifs, l’Être
-immuable fait revivre et mourir éternellement tout cet assemblage de
-créatures mobiles et immobiles[6].» Il s’exhale ou il expire et l’esprit
-descend dans la matière qui n’est qu’une forme visible de l’esprit, et
-les mondes innombrables naissent, se multiplient et évoluent dans
-l’univers. Il s’inhale ou il aspire; la matière rentre dans l’esprit qui
-n’est qu’une forme invisible de la matière, les mondes disparaissent,
-sans périr, et réintègrent la cause éternelle, pour en ressortir au
-réveil de Brahma, c’est-à-dire des milliards d’années après, pour y
-rentrer encore, au retour du sommeil, des milliards d’années plus tard;
-et il en fut et il en sera toujours ainsi, de toute éternité, dans toute
-éternité, sans commencement, sans arrêt et sans fin.
-
- [6] _Lois de Manou_, I, 57.
-
-
-VI
-
-C’est encore un immense aveu d’ignorance; et ce nouvel aveu, si haut
-qu’on remonte, le plus ancien de tous, est aussi le plus profond, le
-plus complet et le plus grandiose. Cette explication de
-l’incompréhensible univers, qui n’explique rien parce qu’on n’explique
-pas l’inexplicable, est plus admissible que toutes celles que nous
-pourrions donner et peut-être la seule que nous puissions accepter sans
-nous heurter à chaque pas aux objections insurmontables et aux questions
-sans réponse de notre raison.
-
-Ce second aveu, nous le trouvons à l’origine des deux religions-mères.
-En Égypte, même dans l’Égypte superficielle et exotérique que nous
-connaissons seule, et sans tenir compte du sens secret qu’ont
-probablement les hiéroglyphes, il prend une forme analogue. Il n’y a pas
-non plus création proprement dite, mais extériorisation d’un principe
-spirituel éternel et latent. Tout être et toute chose existent de toute
-éternité dans le «Noun», et y retournent après la mort. Le «Noun» est
-«l’abîme» de la Genèse; un esprit divin indéfini y flotte, portant en
-lui la somme des existences futures, d’où son nom de «Toum», qui
-signifie à la fois Néant et Totalité. Quand «Toum» voulut fonder dans
-son cœur tout ce qui existe, il se dressa parmi ce qui était dans le
-Noun, hors du Noun et des choses inertes, et le soleil «Râ» exista, la
-Lumière fut. Mais il n’y avait pas trois dieux, l’abîme, l’esprit dans
-l’abîme, la lumière hors de l’abîme. Toum, extériorisé par la force de
-son désir créateur, est devenu Râ-soleil, sans cesser d’être Toum, sans
-cesser d’être Noun. Il dit de lui-même: «Je suis Toum, celui qui
-existait seul dans le Noun. Je suis le Dieu grand qui se crée lui-même,
-c’est-à-dire le Noun, père des dieux.» Il est la somme des existences
-des êtres. Et pour exprimer cette idée que le démiurge a tout créé de
-son propre fonds, le célèbre papyrus de Leyde explique: «Il n’existait
-pas d’autre dieu avant lui, ni d’autre dieu avec lui, quand il a dit ses
-formes, il n’existait pas de mère pour lui qui lui ait fait son nom (en
-Égypte nommer équivalait à créer), point de père pour lui qui l’ait émis
-en disant: «C’est moi qui t’ai créé[7].»
-
- [7] Cf. A. MORET, _Les Mystères égyptiens_, p. 110 et suiv., et
- PIERRET, _Études égyptologiques_, p. 414.
-
-Pour créer, le dieu égyptien _pense_ d’abord, puis _parle_ le monde.
-(C’est déjà le Verbe, le fameux Logos des philosophes alexandrins que
-nous retrouverons plus tard.) Son intelligence suprême prend le nom de
-Phtah, son cœur, c’est-à-dire l’esprit qui l’anime, c’est Horus, et le
-Verbe, instrument de la création, c’est Thot. Nous avons ainsi:
-Phtah-Horus-Thot, démiurge-esprit-verbe, trinité dans l’unité Toum. Par
-la suite, comme dans les religions védique, perse et chaldéenne, le dieu
-suprême et inconnaissable est peu à peu relégué dans l’oubli, et l’on ne
-parle plus que de ses émanations innombrables dont les noms varient de
-siècle à siècle et parfois de ville à ville. C’est ainsi que dans le
-«Livre des Morts», Osiris qui devient le dieu le plus connu de l’Égypte
-dit qu’il est Toum.
-
-Dans le Mazdéisme ou Zoroastrisme, qui n’est qu’une adaptation du
-Védisme au caractère Iranien, le dieu suprême n’est pas le créateur tout
-puissant qui pouvait faire le monde comme il le voulait; il est soumis
-aux lois inflexibles de la cause première inconnue qu’il est peut-être
-lui-même. En Chaldée, carrefour où se rencontrent les religions de
-l’Inde, de l’Égypte et de la Perse, c’est encore la substance existant
-par elle-même, incréée, qui donne naissance à tout, ne créant pas parce
-que tout existe en elle, mais se manifestant périodiquement en reflétant
-son image dans le monde visible à nos yeux. Dans la Kabbale, dernier
-écho et contre-épreuve des enseignements ésotériques de la Chaldée et de
-l’Égypte, nous retrouvons le même aveu: l’esprit incréé, éternel,
-incognoscible, incompris dans sa pure essence, contient en soi le
-principe de tout ce qui existe et ne se manifeste et ne se rend visible
-à l’homme que par ses émanations.
-
-Enfin, si nous ouvrons la Bible, non plus dans sa traduction restreinte,
-superficielle et empirique, mais dans une version qui aille au fond du
-sens intime, essentiel et radical des mots hébreux, telle que celle que
-tenta Fabre d’Olivet, nous trouvons, au premier verset de la Genèse:
-«Premièrement-en-principe, c’est-à-dire avant tout, Il, Elohim,
-Lui-les-dieux, l’Être étant, créa, c’est-à-dire ne fit pas quelque chose
-de rien, mais tira d’un élément inconnu, fit passer du principe à
-l’essence, l’ipséité-des-cieux et l’ipséité-de-la-terre».
-
-«Et la terre existait, puissance contingente d’être, dans une puissance
-d’être; et l’obscurité (force compressive et durcissante) était sur la
-face de l’abîme (puissance universelle et contingente d’être); et le
-souffle de Lui-les-dieux (force expansive et dilatante) était
-générativement mouvant sur la face des eaux (passivité universelle)[8].»
-
- [8] FABRE D’OLIVET, _La Langue hébraïque restituée_, t. II, p. 25-27.
-
-N’est-il pas curieux de constater que cette traduction littérale nous
-ramène bien près de l’Inde, de l’idée du principe inconnu; et plus
-près encore de la création hindoue: passage du principe à
-l’essence, expansion de l’être des êtres qui contient tout, et de
-l’extériorisation, à son réveil, de ce qu’il renfermait en puissance
-durant son sommeil? Or, rappelons-nous qu’en 1875, Max Muller écrivait
-«Qu’il y a cinquante ans, il n’existait pas un seul lettré qui sût
-traduire une ligne du Véda». Il faut donc croire, malgré l’affirmation
-du grand Orientaliste, ou que Fabre d’Olivet était capable de le
-traduire, ou qu’il en avait saisi l’esprit dans les traditions de la
-Kabbale, qu’il ne pouvait connaître que par la très incomplète et très
-infidèle _Kabbala Denudata_ de Rosenroth, ou enfin que le texte hébreu,
-s’il dit réellement ce qu’il lui fait dire, comme tout semble le
-prouver, reproduit étrangement les principes hindous, car sa traduction,
-fruit de longs travaux antérieurs, parut en 1815, c’est-à-dire dix ou
-vingt ans avant qu’on eût appris à lire le sanscrit et les hiéroglyphes
-égyptiens.
-
-
-VII
-
-Est-il possible aujourd’hui, avec tout ce que nous croyons savoir, ou
-plutôt avec tout ce que nous savons enfin que nous ne savons pas, de
-donner de la divinité une idée plus vaste, plus profondément négative
-que celle qu’en donnèrent ces religions des débuts de l’humanité; et qui
-réponde mieux à l’immense ignorance sans espoir où nous nous débattrons
-toujours au sujet de la cause première; et ne nous trouvons-nous pas ici
-à d’énormes hauteurs au-dessus des dieux plus ou moins anthropomorphes
-qui succédèrent à l’inconnaissable suprême de la religion qui fut la
-mère méconnue de toutes les autres? N’est-ce pas à son énigme sans nom
-que nous revenons enfin, après avoir erré si longtemps, perdu tant de
-siècles et tant de forces, commis tant d’erreurs et de crimes à la
-chercher où elle n’était pas, loin des cimes primitives sur lesquelles
-elle nous attendait depuis des milliers et des milliers d’années?
-
-
-VIII
-
-Mais il fallait orner et peupler cet aveu d’ignorance, meubler ce néant
-sans bornes, animer cette abstraction qui dépasse les limites de
-l’entendement, et dont les hommes ne pouvaient se contenter. C’est à
-quoi s’évertuèrent toutes les religions, à commencer par celle qui
-d’abord l’avait osé faire.
-
-J’écarte une fois de plus les broussailles des théogonies, simples à
-leur origine, mais bientôt inextricables, pour m’en tenir aux grandes
-lignes. Dans la religion primitive, nous l’avons déjà vu, la cause
-inconnue, à un moment donné, pris dans l’infini des temps, recommençant
-ce qu’elle fit de toute éternité, se réveille, se dédouble, s’objective,
-se reflète dans la passivité universelle, et devient, jusqu’au prochain
-sommeil, notre univers visible. De cette cause inconnue, existant par
-elle-même, qui se divise en deux parties pour rendre visible ce qui
-était latent en elle, naissent Brahma ou Nara, le père, Nari, la mère
-universelle, dont naît à son tour Viradj, le fils, l’univers. Cette
-triade primitive prenant ensuite une forme plus anthropomorphe, devient
-Brahma, le créateur, Vichnou, le conservateur, et Siva, le destructeur
-et régénérateur. En Égypte, c’est Noun, Toum, Râ, puis Phtah, Horus,
-Thot, qui deviennent ensuite Osiris, Isis et Horus.
-
-A la suite de ces premières subdivisions de la cause inconnue, se
-précipite, à flots pressés, dans les panthéons primitifs, la foule des
-dieux qui ne sont que des émanations intermittentes, des délégations
-transitoires, des bourgeons éphémères de la cause première, des
-personnifications de plus en plus humaines de ses manifestations, de ses
-volontés, de ses attributs ou de ses facultés. Nous n’avons pas à les
-étudier ici, mais il est intéressant de marquer au passage les vérités
-profondes que rencontrent presque toujours ces cosmogonies et ces
-théogonies immémoriales et qui sont peu à peu confirmées par la science.
-Est-ce le seul hasard qui, par exemple, ait voulu que la terre émanât du
-chaos, se formât et se couvrît de vie, exactement dans l’ordre qu’elles
-indiquent? Selon le livre de Manou, l’éther engendre l’air, l’air en se
-transformant engendre la lumière; l’air et la lumière qui engendrent la
-chaleur produisent l’eau; et celle-ci est la matrice de tous les êtres
-vivants. «Lorsque ce monde fut sorti de l’obscurité, dit le Bhâgavatâ
-Purana, contemporain du Véda selon les Hindous, les principes
-élémentaires subtils produisirent la semence végétale qui anima d’abord
-les plantes. Des plantes, la vie passa dans des corps fantastiques qui
-naquirent de la boue des eaux; puis, par une série de formes et
-d’animaux différents, arriva jusqu’à l’homme.»--«Ils passèrent
-successivement par les végétaux, les vers, les insectes, les serpents,
-les tortues, les bestiaux et les animaux sauvages, tel est le degré
-inférieur», dit encore Manou, qui ajoute: «Les êtres acquièrent les
-qualités de ceux qui les précèdent, de telle sorte que plus un être est
-éloigné dans la série, plus il a de qualités[9].»
-
- [9] _Lois de Manou_, I, 20.
-
-N’est-ce pas toute l’évolution darwinienne, confirmée par la géologie et
-prévue il y a au moins 6.000 ans? D’autre part, n’est-ce pas à la
-théorie de l’«Akasha», que nous nommons plus grossièrement l’éther,
-source unique de tous les corps, que revient notre physique[10]? Ces
-exemples, que l’on pourrait multiplier à l’infini, ne sont-ils pas
-troublants? D’où venaient à nos ancêtres préhistoriques, dans une nuit
-et une déréliction qu’on s’imaginait épouvantables, ces intuitions
-extraordinaires, ces connaissances et ces certitudes que nous
-reconquerrons à peine; et s’ils ont vu juste sur ces points que nous
-pouvons par hasard contrôler, n’y a-t-il pas lieu de se demander s’ils
-n’ont pas vu plus juste et plus loin que nous sur bien d’autres
-questions où ils sont aussi affirmatifs et qui jusqu’ici ont échappé à
-notre vérification? Il est certain que pour en arriver où ils étaient,
-ils devaient avoir derrière eux un trésor de traditions, d’observations,
-d’expériences, de sagesse, en un mot, dont nous nous formons
-difficilement une idée; mais à laquelle, en attendant mieux, nous
-devrions faire confiance un peu plus que nous ne le faisons, et dont
-nous pourrions tirer profit pour apaiser nos craintes, apprendre à
-connaître et à rassurer notre avenir d’outre-tombe et guider notre vie.
-
- [10] Il est vrai que les récentes théories d’Einstein nient
- l’existence de l’éther et supposent que l’énergie rayonnante, la
- lumière visible par exemple, se propage d’une manière indépendante à
- travers l’espace vide _absolu_. Mais outre que ces théories semblent
- encore discutables, il convient de faire remarquer que l’éther
- scientifique auquel, jusqu’à Einstein, étaient forcés de recourir
- nos savants modernes, n’est pas exactement l’Akasha hindou, beaucoup
- plus subtil et plus immatériel, une sorte d’élément spirituel ou
- d’énergie divine, l’espace incréé, impérissable, infini.
-
-
-IX
-
-Nous venons de voir que les religions primitives et celles qui en
-dérivent s’accordent sur le caractère éternellement inconnaissable de la
-cause première; et que leurs explications au sujet du passage du
-non-être à l’être, du passif à l’actif, du dédoublement générateur de la
-triade, sont à peu près les mêmes.
-
-Remarquons ici l’étrange illogisme qui domine et répand son ombre sur
-tout le problème religieux. Les religions-mères, ou plutôt la
-religion-mère, enseigne que la cause des causes est inconnaissable,
-qu’il est impossible de la définir, de la comprendre, de l’imaginer;
-qu’elle est «Cela» et rien de plus, le non-être, tout en étant l’être
-par excellence, éternel, infini, occupant tout le temps, tout l’espace
-qu’il est lui-même, n’ayant ni formes, ni volontés, ni attributs
-particuliers, puisqu’il les a tous. Or, de cet inconditionné, de cet
-absolu de l’absolu, dont on ne peut dire ce qu’il est, encore moins ce
-qu’il veut, de cette source même de l’indéfinissable et de
-l’incognoscible, elle fait sortir des émanations qui deviennent aussitôt
-des dieux parfaitement connus, parfaitement définis, agissant très
-nettement dans leurs sphères respectives, manifestant une puissance et
-une volonté personnelles, promulguant des lois et tout un code de morale
-auxquels il est enjoint à l’homme de se soumettre. Comment des êtres
-aussi complètement connus peuvent-ils sortir d’un être essentiellement
-inconnu? Comment le tout étant inconnaissable, une partie de ce tout
-devient-elle subitement familière? Dans cet inconcevable sans limites,
-seul admissible, car c’est à lui que nous ramène la science, où est le
-point d’où sortent les dieux qui nous sont imposés? Où se trouvent le
-lien et le rapport? Où est le lieu et le moment où s’opère
-l’incompréhensible miracle de la transubstantiation de l’incognoscible?
-Où est la transition qui légitime ce formidable passage d’insondables
-ténèbres, non seulement au possible ou au probable, mais au connu décrit
-jusqu’en ses moindres détails?
-
-Ne semble-t-il pas que la religion-mère, et à sa suite toutes les autres
-qui ne sont que ses filles plus ou moins déguisées, ait arbitrairement
-bifurqué ou plutôt ait fait un saut immense et volontairement aveugle
-dans l’abîme de l’illogisme? N’est-il pas possible qu’elle n’ait pas osé
-tirer toutes les conséquences de son redoutable aveu; et ces
-conséquences, ne les aurait-elle pas déduites ailleurs, et précisément
-dans les enseignements secrets dont nous cherchons encore vainement les
-traces et dont la révélation rendait à jamais muets les grands initiés?
-
-
-X
-
-C’est un soupçon qui revient plus d’une fois quand on approfondit ces
-religions, et qui expliquerait ce cri effrayant de la tradition
-occultiste, que nous avons déjà noté: «Osiris est un dieu noir!» Le
-grand, le suprême secret serait-il un agnosticisme total? Sans parler
-des enseignements ésotériques que nous ne connaissons pas, n’est-ce pas
-un aveu presque public que ce mot de «Maya», le plus mystérieux de
-l’Inde, qui veut dire que tout, l’univers et les dieux mêmes qui le
-créent, le maintiennent et le dirigent, n’est qu’illusion de
-l’ignorance, et que l’incréé et l’inconnaissable sont seuls réels?
-
-Mais quelle religion pouvait déclarer à ses fidèles: «Nous ne savons
-rien; nous constatons simplement que cet univers existe ou du moins
-semble exister à nos yeux. Existe-t-il par lui-même, est-il dieu
-lui-même ou n’est-il que l’effet d’une cause plus reculée? Et derrière
-cette cause plus reculée ne doit-on pas en supposer une autre encore
-plus reculée, et ainsi indéfiniment, jusqu’à la folie, car si Dieu est,
-qui a fait Dieu?
-
-«Qu’il soit cause ou effet, il importe assez peu à notre ignorance qui
-en tout cas demeure irréductible et dont les ténèbres sont simplement
-déplacées. De très anciennes traditions nous disent qu’il est plutôt la
-manifestation d’une cause plus inconcevable que lui. Nous acceptons
-cette tradition, plus inexplicable peut-être que l’énigme telle qu’elle
-s’offre à nos yeux, mais qui semble rendre compte de ce qui y paraît
-transitoire ou périssable et y substitue un fond éternel, immuable et
-purement spirituel. Ignorant tout de cette cause, nous devons nous
-borner à constater certaines habitudes, certains équilibres, certaines
-lois qui paraissent être ses volontés. Nous en faisons provisoirement
-des dieux. Mais ces dieux ne sont que des personnifications peut-être
-justes, peut-être illusoires, peut-être erronées, de ce que nous croyons
-avoir observé. Il est possible que d’autres observations plus exactes
-les détrônent. Il est possible qu’on s’aperçoive un jour que la cause
-inconnue, un peu mieux connue en quelque partie, voulait autre chose que
-ce que nous avions cru. Nous changerons alors les noms, les volontés,
-les lois de nos dieux. Mais en attendant, ceux que nous vous offrons
-sont nés d’observations et d’expériences si sages et si anciennes qu’il
-n’en est pas jusqu’à présent qui les surpassent.»
-
-
-XI
-
-S’il lui était impossible de parler ainsi à ses fidèles qui ne
-l’auraient pas comprise, elle pouvait révéler le secret aux derniers
-initiés que de longues épreuves avaient préparés et dont une sélection
-inhumainement rigoureuse attestait l’intelligence. Elle avouait donc
-tout à quelques-uns d’entre eux. Elle leur disait probablement: «En leur
-offrant nos dieux, nous n’avons pas voulu tromper les hommes. Si nous
-leur avions confessé que Dieu est inconnu et inconcevable, qu’on ne peut
-dire ce qu’il est, ce qu’il veut; qu’il n’a ni forme, ni substance, ni
-résidence, ni commencement, ni fin, qu’il est partout et nulle part,
-qu’il n’est rien à force d’être tout, ils en auraient conclu qu’il
-n’existe point, qu’il n’y a ni lois ni devoirs et que l’univers est un
-immense abîme où chacun doit se hâter de faire ce qu’il lui plaît. Or,
-si nous ne savons rien, nous savons cependant que cela n’est pas, que
-cela ne peut pas être. Nous savons en tout cas que la cause des causes
-n’est pas matérielle, comme ils l’entendraient, car toute matière semble
-périssable, et elle ne pourra pas périr. Pour nous, cette cause inconnue
-est réellement notre Dieu, parce que notre intelligence est capable de
-la voir sur une étendue que notre imagination infirme peut seule
-limiter. Nous savons, avec une certitude que rien ne saurait ébranler,
-que cette cause, ou la cause de cette cause, et ainsi indéfiniment, doit
-exister, bien que nous sachions que nous ne pourrons jamais la connaître
-ni la comprendre. Mais fort peu d’hommes sont capables de se convaincre
-de l’existence d’une chose qu’ils ne pourront jamais voir, toucher,
-sentir, entendre, connaître ni comprendre; c’est pourquoi, au lieu du
-néant qu’ils croiraient que nous leur proposons si nous leur disions à
-quel point nous ignorons tout, nous leur offrons comme guides, certaines
-apparences de volonté que nous avons cru discerner dans les ténèbres de
-la durée et de l’espace...»
-
-
-XII
-
-Cet aveu d’ignorance totale quant à la cause première, quant à l’essence
-du dieu des dieux, nous le trouvons également à la racine de la religion
-égyptienne. Mais il est fort possible qu’ayant été perdu de vue,--car
-les hommes n’aiment pas à s’attarder dans une ignorance sans espoir,--il
-ait été nécessaire de le refaire aux initiés, de le préciser, d’y
-insister, d’en développer les conséquences; et qu’ainsi révélé dans
-toute son étendue, il soit devenu le fondement de la doctrine secrète.
-Nous constatons en effet que dans les théogonies subséquentes, on
-s’empressait d’oublier l’aveu enregistré aux premières pages des livres
-sacrés. On n’en tenait plus compte, on le refoulait dans la nuit des
-origines et de l’incompréhensible. Il n’en était plus jamais question;
-et l’on ne s’occupait plus que des dieux qui en étaient issus, en
-oubliant toujours d’ajouter qu’émanés de l’indicible inconnu ils
-devaient nécessairement, par essence et par définition, participer de sa
-nature et être aussi inconnus, aussi inconnaissables que lui. Il se peut
-donc que l’enseignement secret réservé aux prêtres suprêmes les ramenât
-à une plus juste notion de la vérité primordiale.
-
-A cet aveu aux initiés, on n’avait probablement pas à ajouter d’autres
-explications, vu qu’il détruit par la base toutes les explications
-possibles. Que pouvait-on, par exemple, leur dire au sujet de la
-première, de la plus redoutable de toutes les énigmes, à laquelle on se
-heurte immédiatement après celle de la cause des causes: l’origine du
-mal? Les religions exotériques la résolvaient en dédoublant, en
-multipliant leurs dieux. C’était simple et facile. Il y avait des dieux
-de lumière qui représentaient et faisaient le bien; et des dieux des
-ténèbres qui représentaient et faisaient le mal; ils luttaient entre eux
-dans tous les mondes; et si les dieux du bien étaient toujours les plus
-puissants, ils n’étaient cependant jamais complètement victorieux sur
-cette terre. Les types les plus nets de ce dualisme, nous les
-rencontrons dans la mythologie de l’Avesta, où ils prennent les noms
-d’Ormuzd et d’Ahriman; mais sous d’autres vocables, sous d’autres formes
-et indéfiniment multipliés, nous les retrouvons dans toutes les
-religions et jusque dans le christianisme où Ahriman devient le prince
-des démons.
-
-Mais que pouvait-on dire aux initiés? Les théosophes modernes qui
-prétendent dévoiler au moins une partie des enseignements secrets, en
-subdivisant également les manifestations du principe inconnu, ne font
-que reproduire, sous une autre forme, les explications trop faciles de
-la religion exotérique et restent aussi loin qu’elle de la source de
-l’énigme; et dans tout le domaine de l’occultisme, nous n’avons même pas
-l’ombre d’un commencement d’explication qui diffère autrement que par
-les termes de celles des religions officielles. Nous ne savons donc
-point ce qu’on leur révélait; et il est assez probable que, de même que
-pour le mystère de la cause première, on était obligé de leur avouer
-qu’on ne savait rien. Vraisemblablement, on ne pouvait leur dire que ce
-que nous diraient les philosophies optimistes d’aujourd’hui, à savoir
-que le mal n’existe pas en soi, mais uniquement à notre point de vue,
-qu’il est purement relatif, que le mal moral n’est qu’une cécité, ou une
-fantaisie de notre entendement, et le mal physique une organisation
-défectueuse ou une erreur de notre sensibilité; que la plus effroyable
-douleur n’est qu’une jouissance infidèlement traduite par nos nerfs,
-comme la jouissance la plus aiguë est déjà une douleur. C’est peut-être
-vrai; mais le malheureux homme et surtout le malheureux animal qui n’a
-pour toute vie que celle-ci, quand cette vie, comme il arrive trop
-souvent, n’est qu’un tissu d’intolérables souffrances, a droit à
-quelques éclaircissements supplémentaires.
-
-On les donnait en renvoyant aux existences successives, aux systèmes
-d’expiation et de purification. Mais ces éclaircissements, excellents
-quand on admet l’hypothèse de dieux intelligents dont on connaît les
-intentions, sont moins défendables lorsqu’il s’agit d’une cause
-inconnaissable à laquelle on ne peut attribuer une intelligence et une
-volonté sans nier qu’elle soit inconnue. Si l’on parvenait à fournir aux
-adeptes une autre explication qui s’imposât, elle devait renfermer la
-clef souveraine de l’énigme et ouvrir tous les mystères. Mais l’ombre
-même de cette clef chimérique n’est pas parvenue jusqu’à nous.
-
-
-XIII
-
-Tout branlants qu’en soient les fondements qui ne reposent que sur
-l’inconnaissable, il n’en reste pas moins que cette religion primitive
-nous a légué sur la constitution et l’évolution de l’univers, sur la
-durée des transformations des astres et de la terre, sur le temps,
-l’espace et l’éternité, sur les rapports de la matière et de l’esprit,
-sur les forces invisibles de la nature, sur les destinées probables de
-l’homme, et sur la morale, des enseignements incomparables. L’ésotérisme
-de toutes les religions, depuis l’Égypte peut-être et en tout cas depuis
-la Perse, la Chaldée, les mystères grecs, pour finir aux hermétistes du
-Moyen âge, profita de ces enseignements et en tira la partie la plus
-haute et la plus solide de son prestige, en les attribuant à une
-révélation secrète, jusqu’à ce que la découverte des livres sacrés de
-l’Inde en eût fait connaître la véritable source, et remis les choses au
-point. Au fond, l’ésotérisme ne fut jamais qu’une cosmogonie plus
-savante, une théogonie plus rationnelle, plus grandiose et plus pure,
-une morale plus élevée, que celle des religions vulgaires; outre qu’il
-possédait, pour soutenir ou défendre ses doctrines, le secret
-péniblement transmis et souvent affreusement obscurci, de la
-manipulation de certaines forces oubliées. Aujourd’hui, il nous est
-possible de reconnaître, sous toutes les déformations, sous toutes les
-surcharges, sous tous les masques, parfois terriblement défigurés, le
-même visage. A ce point de vue, il est certain que depuis la publication
-et la traduction des textes authentiques, l’occultisme, tel qu’on
-l’entendait encore il n’y a guère plus de cinquante ans, a perdu les
-trois quarts de ses meilleures provinces. Il a notamment perdu presque
-tout intérêt doctrinal, hormis comme moyen de contrôle, puisqu’on peut
-étudier à la source même d’où il s’était parcimonieusement infiltré,
-tout ce qu’il enseignait secrètement au sujet de Dieu ou des dieux, au
-sujet de l’origine des mondes, des forces immatérielles qui le mènent,
-du ciel et de l’enfer tels que l’entendaient les Juifs, les Grecs et les
-Chrétiens, au sujet de la constitution du corps et de l’âme, des
-destinées de celle-ci, de ses responsabilités et de son existence
-d’outre-tombe.
-
-Par contre, si ces textes anciens et authentiques, enfin traduits, nous
-prouvent que presque tout ce que l’occultisme affirmait au point de vue
-doctrinal n’était pas purement imaginaire mais reposait sur des
-traditions réelles et immémoriales; ils nous permettent aussi de
-supposer que tout ce qu’il affirmait sur d’autres points, et notamment
-sur l’utilisation de certaines forces inconnues, n’est pas non plus
-purement chimérique; et il regagne de ce côté ce qu’il perd de l’autre.
-En effet, si nous possédons les principaux livres sacrés de l’Inde, il
-est à peu près certain qu’il en est d’autres que nous ne connaissons pas
-encore, comme il est fort probable que nous n’avons pas pénétré le sens
-caché d’un grand nombre d’hiéroglyphes. Il se peut donc que les
-occultistes aient eu connaissance de ces écrits ou de ces traditions
-orales, par des infiltrations analogues à celles que nous avons pu
-constater. Il semble que l’on trouve des traces d’infiltrations de ce
-genre dans leur biologie, dans leur médecine, dans leur chimie, dans
-leur physique, dans leur astronomie et surtout dans tout ce qui touche à
-l’existence d’entités plus ou moins immatérielles qui paraissent vivre
-autour de nous. Sous ce rapport, l’occultisme garde encore un intérêt et
-mérite une étude attentive et méthodique qui pourrait efficacement
-seconder et peut-être rejoindre les travaux que les métapsychistes
-indépendants et scientifiques ont entrepris de leur côté, sur les mêmes
-sujets.
-
-
-XIV
-
-Quant à la tradition primitive, si elle a perdu le prestige d’être
-occulte, si d’autre part elle pèche par la base en tirant tous ses
-enseignements et toutes ses affirmations d’un fonds qu’elle-même a
-déclaré à jamais inaccessible, incompréhensible et inconnaissable, il
-n’en est pas moins vrai, abstraction faite de cette base défectueuse,
-que ces affirmations et ces enseignements sont les plus inattendus, les
-plus hauts, les plus admirables, les plus plausibles aussi et le plus
-fréquemment confirmés par les faits que l’homme ait connus jusqu’ici.
-
-Avons-nous le droit, par exemple, d’écarter _à priori_, comme une
-imagination puérile et qui ne repose sur rien, la notion de la déchéance
-de l’homme, que nous ne pouvons vérifier, quand tout à côté d’elle,
-presque contemporaine, nous en rencontrons une autre, aussi générale,
-celle des déluges et des cataclysmes universels et préhistoriques, que
-la géologie a matériellement constatés? A quelle vérité profonde répond
-cette légende d’une humanité supérieure, plus heureuse, plus
-intelligente que la nôtre? Nous n’en savons rien jusqu’à ce jour; mais
-nous ne savions pas davantage à quoi répondait la tradition des grandes
-catastrophes, avant que les annales de ces bouleversements, inscrites
-dans les entrailles de la terre, ne nous eussent révélé qu’ils avaient
-eu lieu. On pourrait citer un grand nombre d’enseignements de ce genre,
-intuitions géniales ou vérités immémoriales, dont la science retrouve
-les traces ou qu’elle rejoint aujourd’hui. J’ai déjà noté l’apparition
-successive des diverses formes de la vie, énumérées exactement dans
-l’ordre que leur assigne la paléontologie. Il faudrait y ajouter le rôle
-prépondérant de l’éther, ce fluide cosmique impondérable, transition de
-l’esprit à la matière, source de tout ce qui existe, que la religion
-primitive appelait Akasha, et qui, d’échos en échos, devient le Télesma
-de l’Hermès Trismégiste, le Feu vivant de Zoroastre, le Feu générateur
-d’Héraclite, l’Ignis subtillissimus d’Hippocrate, la Lumière astrale de
-la Kabbale, le Pneuma de Gallien, la Quinta essentia et l’Azoth des
-alchimistes, l’Esprit de vie de Saint Thomas d’Aquin, la Matière subtile
-de Descartes, le Spiritus subtillissimus de Newton, l’Od de Reichenbach
-et de Carl du Prel, «l’éther infini, mystérieux et toujours en
-mouvement, d’où tout sort, où tout rentre», auquel nos savants, dans
-leurs laboratoires, sont enfin obligés d’avoir recours afin de rendre
-compte d’une foule de phénomènes qui sans lui seraient absolument
-inexplicables. Tout ce que nos physiciens et nos chimistes appellent
-chaleur, lumière, électricité, magnétisme, n’était pour nos ancêtres que
-les manifestations élémentaires d’une substance unique. Ils avaient, il
-y a des milliers d’années, reconnu la présence et l’intervention
-souveraine de cet agent ubiquitaire dans tous les phénomènes de la vie;
-de même qu’ils avaient décrit, avant nos astronomes, la naissance et la
-formation des astres; de même encore que la prétendue chimère de la
-transmutation des métaux, qu’ils avaient léguée aux alchimistes du Moyen
-âge est également confirmée par l’évolution chimique et thermique des
-étoiles, «qui, comme le fait observer Charles Nordmann, nous offrent un
-exemple complet de cette transmutation, puisque les métaux les plus
-lourds n’y apparaissent qu’après les éléments légers et lorsqu’elles se
-sont suffisamment refroidies»; de même enfin, car il faut nous borner,
-qu’à l’encontre de la science de naguères, ils avaient enseigné qu’il
-fallait porter à des millions de siècles la durée des mondes, les âges
-de la terre et le temps qui s’écoulera entre sa naissance et sa
-destruction, puisqu’un jour de Brahma, qui correspond à l’évolution de
-notre globe, compte quatre milliards trois cent vingt millions d’années.
-
-
-XV
-
-Sur une autre question plus grandiose et plus essentielle, car elle
-renferme la loi radicale de notre univers, ils ont également une
-tradition inattendue, dont l’humanité ne pourra jamais contrôler qu’une
-infime partie. Ils nous disent que le Cosmos, manifestation visible de
-la cause inconnue et invisible, n’a jamais été et ne sera jamais qu’une
-suite ininterrompue d’expansions et de contractions, d’évaporations et
-de condensations, de sommeils et de réveils, d’inspirations et
-d’expirations, d’attractions et de répulsions, d’évolutions et
-d’involutions, de matérialisations et de spiritualisations,
-«d’intériorisations et d’extériorisations», comme dit le Docteur
-Jaworski qui a retrouvé en biologie un principe analogue.
-
-La cause inconnue se réveille; et durant des milliards d’années, les
-mondes irradient, se dispersent, s’épandent, se dilatent dans l’espace;
-elle se rendort, et les mêmes mondes, durant des milliards d’années,
-accourus de tous les points de l’horizon, s’attirent, se concentrent, se
-contractent et se coagulent, pour ne plus former, sans périr, car rien
-n’est périssable, qu’une masse unique qui rentre dans la cause
-invisible. Nous sommes précisément dans une de ces périodes de
-contraction ou d’inhalation, à laquelle préside cette immense et
-mystérieuse loi de la gravitation, dont rien ne peut rendre compte, si
-elle n’est pas électrique, magnétique ou spirituelle, et qui domine
-toutes les autres lois de la nature. Si tous les corps, selon Newton,
-s’attirent mutuellement en raison directe de leur masse et en raison
-inverse du carré de leurs distances, depuis l’éternité sans
-commencement, toute la matière de l’univers ne devrait plus former qu’un
-bloc infini, à moins de supposer un équilibre parfait et inébranlable
-qui serait l’immobilité éternelle. Dans le mouvement perpétuel des
-astres, où le déplacement irrégulier d’un atôme le troublerait, il ne
-paraît pas possible que cet équilibre puisse exister. En fait, il est à
-peu près certain qu’il n’existe pas, et l’Apex, le lieu mystérieux de la
-sphère céleste, dans le voisinage de Véga, vers lequel se précipite
-notre système solaire avec tout son cortège de planètes, sera peut-être,
-pour ce qui nous regarde, son point de rupture et l’une des premières
-phases de la grande contraction, qui selon les derniers calculs des
-astronomes, aura lieu dans 400.000 ans.
-
-Mais si cette formidable contraction doit presque inévitablement se
-produire, l’univers, quelque jour, ne sera plus qu’un monstrueux bloc de
-matière, compact, infini, et probablement à jamais mort, hors duquel il
-ne serait plus possible de placer quelque chose. Ce bloc illimité, formé
-de toute la matière cosmique, même du fluide éthérique et presque
-spirituel qui remplit les fabuleuses étendues interstellaires,
-occuperait-il tout l’espace, définitivement et à jamais coagulé dans la
-mort; ou flotterait-il dans un vide plus subtil que celui de l’éther et
-désormais soumis à d’autres volontés? Il semble que la loi fondamentale
-de l’univers aboutisse à une sorte d’anéantissement, d’impasse ou de
-non-sens; et d’autre part, si on nie cette attraction ou cette
-gravitation universelle, on nie le seul phénomène que l’on constate avec
-certitude, et on laisse tous les mondes absolument sans lois.
-
-
-XVI
-
-L’imagination, l’intuition, les observations ou les traditions de nos
-ancêtres ont dépassé ce point mort. Ils ont, sous leur phraséologie
-mythique ou mystique, considéré l’univers comme un phénomène électrique,
-ou plutôt comme une immense source d’énergie subtile et inconnaissable,
-qui obéit aux mêmes lois que celles de l’énergie magnétique, où tout est
-action et réaction, où il y a toujours deux forces affrontées et
-antagonistes; et renversant les pôles de l’aimant, à l’attraction ils
-font succéder la répulsion, à la force centripète une force centrifuge,
-à la gravitation une autre loi qui n’a pas encore de nom, qui disperse à
-nouveau la matière et les mondes, pour recommencer une nouvelle journée
-de Brahma. C’est le _solve et coagula_ des alchimistes.
-
-Ce n’est évidemment qu’une hypothèse dont on ne peut étayer quelques
-côtés que sur certains phénomènes électriques et magnétiques, et sur les
-propriétés des corps radio-actifs, mais dont l’ensemble est
-naturellement invérifiable. Seulement, il est curieux de constater une
-fois de plus que cette hypothèse, la plus grandiose, la plus hardie, et
-aussi la plus ancienne, la première de toutes, est peut-être la seule à
-laquelle la science puisse se rallier sans déroger. Ici encore, ne
-sommes-nous pas en droit de nous demander s’ils n’ont pas vu plus juste
-et plus loin que nous, et si nous sommes capables d’imaginer une
-cosmogonie aussi vaste, aussi vraisemblable que la leur?
-
-
-XVII
-
-Si de ces hauteurs nous redescendons à l’homme, nous retrouvons des
-intuitions ou des certitudes aussi remarquables. Sans nous aventurer
-dans la complexité de subdivisions du reste postérieures, qui nous
-entraînerait trop loin, bornons-nous à dire que dans tous les
-enseignements primitifs, qui concordent merveilleusement, l’homme se
-compose de trois parties essentielles: un corps physique périssable, un
-principe spirituel, ombre ou double astral, également périssable, mais
-beaucoup plus durable que le corps, et un principe immortel qui, après
-des évolutions plus ou moins longues, retourne à son origine qui est
-Dieu. Or, on peut constater que dans les phénomènes de l’hypnose, du
-magnétisme, du médiumnisme et du somnambulisme, dans tout ce qui touche
-à certaines facultés extraordinaires du subconscient qui semblent
-indépendantes du corps physique, de même que dans certaines
-manifestations d’outre-tombe qui ne sont plus guère niables, nos
-sciences métapsychiques sont en quelque sorte forcées d’admettre
-l’existence de ce double astral qui déborde de toutes parts l’entité
-physique, peut la quitter, s’en séparer, agir indépendamment et loin
-d’elle; et probablement lui survivre, ce qui semble donner raison, une
-fois de plus, et sur un point extrêmement important, aux intuitions
-presque préhistoriques de nos ancêtres hindous et égyptiens.
-
-
-XVIII
-
-On pourrait, comme je l’ai trop souvent répété, multiplier ces exemples;
-et chaque fois que notre science vient ainsi confirmer une de ces
-intuitions ou de ces traditions, il serait sage de jeter un regard plus
-confiant sur celles qui attendent encore cette confirmation. Plus il y
-aura de points sur lesquels il est démontré qu’elles ne se sont pas
-trompées, plus il y aura de chances pour qu’elles ne se soient pas
-trompées davantage sur ceux qui sont encore invérifiables. Souvent ce
-sont les plus importants et qui nous touchent le plus directement, le
-plus profondément. Ne tirons pas encore de conclusions trop générales ou
-trop hâtives; mais que ces premières confirmations ou commencements de
-confirmations nous engagent à accorder un crédit provisoire et attentif
-aux autres hypothèses. Quand nous aurons définitivement réglé ces
-premiers points, nous ne serons pas au bout de nos peines; mais nous
-nous trouverons beaucoup plus loin que nous n’étions, et c’est tout ce
-que nous sommes en droit d’exiger ou d’espérer de n’importe quel système
-religieux ou philosophique et même de n’importe quelle science; sans
-compter que la moindre avance ici, qui est le centre de tout, a des
-conséquences incomparablement plus grandes qu’une avance sur le diamètre
-ou la circonférence; car c’est de ce centre ou de ce moyeu que partent
-tous les rais de l’immense roue dont la science n’a guère étudié que la
-périphérie.
-
-Il faut admettre une fois pour toutes, qu’on ne peut rien comprendre ni
-expliquer, sinon, on ne serait plus un homme mais un dieu; ou plutôt le
-seul Dieu. Hors quelques constatations mathématiques et matérielles,
-dont au demeurant on ne pénètre pas l’essence, tout n’est qu’hypothèse.
-C’est donc uniquement sur des hypothèses que nous avons à régler notre
-vie, en ne comptant pas sur des certitudes qui probablement ne viendront
-jamais. Il importe donc de bien choisir nos hypothèses vitales, de ne
-prendre que les plus hautes, les meilleures et les plus plausibles; et
-nous voyons que ce sont presque toujours les plus anciennes. Dans la
-hiérarchie des évolutions, nous ne connaîtrons jamais l’être central ou
-suprême, ni sa pensée dernière; mais cela n’empêche pas que nous ne
-devions tâcher à savoir beaucoup plus que nous ne savons. Si nous ne
-pouvons tout connaître, ce n’est pas une raison pour nous résigner à ne
-connaître rien; et si d’autres sciences que la science proprement ou
-improprement dite, peuvent nous aider, nous faire aller plus vite et
-plus loin, il est profitable de les interroger ou du moins de ne pas les
-rejeter d’avance et sans examen, comme on l’a fait trop souvent et trop
-légèrement jusqu’ici.
-
-
-XIX
-
-Parmi ces affirmations et ces enseignements incontrôlables, ne retenons
-que ceux qui nous intéressent le plus, notamment ceux qui ont trait à la
-conduite de notre vie, aux sanctions, aux responsabilités, aux
-récompenses et à la morale qui en découle, aux mystères de la mort, à
-l’existence d’outre-tombe et aux destinées finales de l’homme.
-
-Jusqu’à présent, presque tous les enseignements qui portent sur ces
-points étaient, pour nous Européens, ésotériques et se cachaient dans
-les replis de la Kabbale et de la Gnose, héritières traquées, hagardes
-et obscures de la sagesse hindoue, égyptienne, persane et chaldéenne.
-Mais depuis la lecture des textes sanscrits, ils ne le sont plus, du
-moins dans leurs parties essentielles, car bien que, comme je l’ai déjà
-dit, nous soyons loin de connaître tous les livres sacrés de l’Inde et
-peut-être plus loin encore d’avoir saisi le sens secret des
-hiéroglyphes, il est néanmoins peu probable que de nouvelles révélations
-ou des éclaircissements plus complets soient de nature à bouleverser
-sérieusement ce que nous savons.
-
-
-XX
-
-Aucune règle de conduite, aucune morale ne pouvait être tirée de la
-cause première inconnaissable, du Dieu unique et non manifesté. Il est
-en effet impossible de connaître ce qu’il veut, puisqu’il est impossible
-de le connaître lui-même. Pour trouver une volonté dans l’infini, dans
-l’univers ou dans la divinité, nous sommes obligés de nous jeter dans
-l’invérifiable et de franchir l’abîme d’illogisme dont nous avons déjà
-parlé, en faisant procéder de cette cause qui pour se manifester s’est
-divisée, un ou plusieurs dieux, émanations de l’inconnaissable qui
-deviennent subitement aussi connues que si elles étaient sorties des
-mains de l’homme. Il est certain que la base de la morale qui découlera
-de cette opération arbitraire, sera toujours précaire et ne s’offre que
-comme un postulat sur lequel il faut fermer les yeux. Mais il est
-remarquable qu’après cette opération préliminaire, ou concurremment avec
-elle, dans toutes les religions primitives, nous en trouvions une autre
-qui en est comme la conséquence nécessaire et en tout cas constante: le
-sacrifice volontaire de l’une de ces émanations de l’inconnaissable, qui
-s’incarne, renonce à ses prérogatives, afin de diviniser l’homme en
-humanisant Dieu.
-
-L’Égypte, l’Inde, la Chaldée, la Chine, le Mexique, le Pérou, tous ont
-le mythe de l’enfant-dieu, né d’une vierge; et le premier jésuite
-missionnaire en Chine trouva que la naissance miraculeuse du Christ
-avait été anticipée par Fuh-Ke, né 3468 ans avant J.-C. On a très
-justement fait remarquer que si un prêtre de l’antique Thèbes ou
-d’Héliopolis revenait sur cette terre, il reconnaîtrait, dans le tableau
-de la Vierge à l’enfant de Raphaël, l’image d’Horus dans les bras
-d’Isis. L’Isis égyptienne, comme notre vierge immaculée, était également
-représentée debout sur un croissant et couronnée d’étoiles. Devaki nous
-est pareillement montrée tenant dans ses bras le divin Krichna ou
-Krischna, comme l’est Istar, à Babylone, l’enfant Tammuz sur ses genoux.
-Le mythe de l’incarnation, qui est aussi un mythe solaire, se répète
-ainsi d’âge en âge, sous des noms différents, mais c’est dans l’Inde où
-il est à peu près certain qu’il prit naissance, que nous le retrouvons
-sous sa forme la plus pure, la plus élevée et la plus significative.
-
-
-XXI
-
-Sans nous attarder aux discutables incarnations des Hermès, des Manous
-et des Zoroastres, qu’il est impossible de contrôler historiquement,
-parmi les nombreuses incarnations de Vichnou, la seconde personne de la
-trinité brahmanique, ne rappelons que les deux plus célèbres, la
-huitième, celle de Krichna, et la neuvième, celle du Bouddha. Pour dater
-approximativement la première, nous avons le Bhagavat-Gita, qui met en
-relief l’admirable figure de Krichna. Les indianistes catholiques
-sentant le danger qu’à leur point de vue trop étroit, l’incarnation de
-Krichna fait courir à celle du Christ, admettent que le Bhagavat-Gita
-fut composé avant notre ère, mais soutiennent qu’il fut remanié depuis.
-Comme il est difficile de prouver ces remaniements, ils ajoutent qu’au
-surplus, s’il est démontré que le Bhagavat-Gita et d’autres livres
-sacrés aussi gênants sont réellement antérieurs au Christ, ils sont
-l’œuvre du démon qui, prévoyant l’incarnation de Jésus, avaient voulu,
-par ces préfigurations, en énerver l’effet. Quoiqu’il en soit, des
-indianistes purement scientifiques, tels que William Jones, Colebrooke,
-Thomas Strange, Wilson, Princeps, etc., s’accordent à reconnaître qu’il
-remonte au moins à douze ou quinze siècles avant notre ère. Il est en
-effet commenté et analysé dans le Madana-Ratna-Pradipa, recueil des
-textes des plus anciens législateurs, dans Vrihaspati, dans Parasara,
-dans Narada et dans une foule d’autres ouvrages d’une incontestable
-authenticité. Selon d’autres orientalistes, pour tout dire, les poèmes
-sur Krichna ne remontent pas au delà du Maha-Bharata, ce qui nous
-reporte en tout cas à deux siècles avant J.-C.
-
-Quant à l’incarnation de Siddharta Gautama Bouddha ou Çakya-Mouni, il
-n’y a plus de doute possible, Çakya-Mouni étant un personnage historique
-qui vécut au V siècle avant J.-C.
-
-
-XXII
-
-Tout ceci du reste est suffisamment connu et il serait inutile
-d’insister. Mais quel peut être le sens secret d’un mythe aussi
-immémorial, aussi unanime, aussi déconcertant? La cause inconnue de
-toutes les causes, se subdivisant, descendant des hauteurs de
-l’inconcevable, se sacrifiant, se limitant et devenant homme pour se
-faire connaître aux hommes? Toutes les interprétations qu’on en pourrait
-donner ne seraient-elles pas déraisonnables si l’on ne veut pas voir
-sous cet incompréhensible mythe un nouvel aveu, cette fois plus
-détourné, mieux déguisé, plus profondément caché de l’agnosticisme
-fondamental, de l’ignorance sublime et invincible des grands
-instructeurs primitifs? Ils savaient que de l’inconnaissable ne peut
-naître que l’inconnu. Ils savaient que l’homme ne pourrait jamais
-connaître Dieu, et c’est pourquoi, ne cherchant plus du côté où tout
-espoir était forclos, ils vont droit à l’homme qui est la seule chose
-qu’ils connaissent. Ils se disent: il nous est impossible de savoir ce
-qu’est Dieu, où il est, ce qu’il veut; mais nous savons qu’étant partout
-et qu’étant tout, il est nécessairement dans l’homme et qu’il est
-l’homme; ce n’est donc que dans l’homme et par l’homme que nous pouvons
-découvrir sa volonté. Sous le symbole de l’incarnation, ils cachent
-ainsi la grande vérité que toutes les lois divines sont humaines; et
-cette vérité n’est que le revers d’une autre vérité aussi grande, à
-savoir que dans l’homme se trouve le seul dieu que nous puissions
-connaître.
-
-Dieu se manifeste dans la nature; mais il ne nous a jamais parlé que par
-la bouche des hommes. Ne cherchez pas ailleurs, dans les espaces infinis
-et inaccessibles, le Dieu dont vous êtes inquiets; c’est en vous qu’il
-se cache, c’est en vous que vous devez le découvrir. Il est en vous
-autant qu’en ceux où il paraît s’être incarné d’une façon plus
-éclatante. Tout homme est Krichna, tout homme est le Bouddha; il n’y a
-entre le dieu qu’ils incarnent en eux et celui qui s’incarne en
-vous-même, aucune différence, mais ils ont su l’y retrouver mieux que
-vous. Imitez-les, vous serez leur égal; et si vous ne pouvez les suivre,
-écoutez du moins ce qu’ils vous disent, car ils ne peuvent vous dire que
-ce que vous dirait le dieu qui est en vous, si vous aviez appris à
-l’écouter comme ils l’ont écouté.
-
-
-XXIII
-
-Voilà le fond de toute la religion védique et de toutes les religions
-ésotériques qui en dérivent. Mais à sa source, la vérité est à peine
-enveloppée de symboles ou de mythes transparents. Elle n’a rien de
-secret, souvent même elle s’affirme hautement, sans réticences et sans
-voiles. «Quand tous les autres dieux ne sont plus que des noms qui
-s’évanouissent, dit Max Muller, il ne reste plus que l’_Atman_, le moi
-subjectif, et _Brahma_, le moi objectif, et la science suprême s’exprime
-dans ces mots: _Tat twam_, _Hoc tu_, «Tu es cela», toi, ton moi
-véritable, ce qu’on ne peut t’arracher quand disparaît tout ce qui avait
-semblé tien pour un temps. Quand tout ce qui avait été créé s’évanouit
-comme un rêve, ton moi réel appartient au moi éternel; l’_Atman_, la
-personne qui est en toi est le vrai Brahma. Ce Brahma dont la naissance
-et la mort t’avaient un instant séparé, mais qui te reçoit de nouveau
-dans son sein, aussitôt que tu reviens à lui[11].»
-
- [11] MAX MULLER, _Origine de la Religion_, p. 321.
-
-«Le Rig-Véda ou le Véda des hymnes, le vrai Véda ou le Véda par
-excellence, dit encore Max Muller, finit dans les Upanishads, ou, comme
-on les appela plus tard, dans le Védanda. Or, la note dominante des
-Upanishads, c’est le «Connais-toi toi-même», c’est-à-dire connais l’être
-qui est le support de ton Moi et apprends à le trouver et à le
-reconnaître dans l’Être éternel et suprême, l’Un sans second, qui est le
-support du monde entier.»
-
-«Le culte à sa dernière hauteur, celui du Vanaprastha, c’est-à-dire du
-vieillard, de l’homme qui a payé ses trois dettes, qui a vu «le fils de
-son fils», et se retire dans la forêt, devient purement mental et, à la
-fin, l’examen de soi-même, au sens le plus profond du mot, c’est-à-dire
-la reconnaissance du moi individuel avec le moi éternel, devient la
-seule occupation qui lui soit encore permise[12].»
-
- [12] _Ibid._, p. 313.
-
-«Cherche le Moi caché dans ton cœur», dit le _Mahabharata_, dernier écho
-des grands enseignements, «Brahma, le vrai Dieu, c’est toi-même». Tel
-est, répétons-le, le fond de la pensée védique; et c’est de cette pensée
-que découle tout le reste. Pour la retrouver, nous n’avons nullement
-besoin de la théosophie moderne qui n’a fait que l’étayer de textes
-moins connus et d’une authenticité moins certaine. Jamais elle ne fut
-secrète, mais par sa grandeur même, elle échappait aux yeux de ceux qui
-ne pouvaient la comprendre; et peu à peu, à mesure que se multipliaient
-les dieux et qu’ils se mirent à la portée des hommes, elle fut perdue de
-vue. Sa hauteur seule la rendit ésotérique. Aux temps héroïques du
-védisme, où presque tous, après avoir accompli leurs devoirs envers
-leurs parents et leurs enfants se retiraient dans la forêt pour y
-attendre tranquillement la mort, rentrer en eux-mêmes et y chercher le
-dieu caché avec lequel ils allaient bientôt se confondre, elle était la
-pensée de tout un peuple. Mais les peuples ne restent pas longtemps
-fidèles aux sommets. Afin de ne pas perdre tout contact avec eux, elle
-dut descendre, masquer son visage, se mêler à la foule sous mille
-déguisements. Néanmoins, nous la retrouvons toujours sous les voiles de
-plus en plus épais dont elle se couvre. «L’homme est la clef de
-l’univers», proclamait encore l’axiome fondamental des hermétistes du
-Moyen âge, d’une voix étouffée sous le fatras de textes illisibles et de
-grimoires indéchiffrables, comme Novalis, sans peut-être se douter qu’il
-retrouvait une vérité vieille de plusieurs milliers d’années, presque
-aussi vieille que le monde, la répétait une dernière fois, sous une
-forme à peine altérée, en nous apprenant que «notre premier devoir est
-la recherche de notre moi transcendental».
-
-Abandonnés dans un univers infini où nous ne pouvons rien connaître que
-nous-mêmes, n’est-ce pas, en effet, la seule vérité qui surnage, la
-seule qui ne soit pas illusoire, la seule aussi que nous puissions,
-après tant d’interprétations erronées où nous ne l’avions pas reconnue,
-après tant de mésaventures, encore espérer de rejoindre?
-
-
-XXIV
-
-Dieu ou la cause première est inconnaissable; mais étant partout, il est
-nécessairement en nous; c’est donc en nous-mêmes que nous pouvons
-découvrir ce qu’il nous importe d’en connaître. Voilà les deux points
-d’appui de la voûte qui soutient la religion primitive et toutes celles,
-ou du moins la doctrine réelle mais secrète de toutes celles qui en
-dérivent, c’est-à-dire de toutes celles que nous connaissons, hors le
-fétichisme de peuplades tout à fait barbares. Elle les avait trouvés dès
-l’origine, ou plutôt dès ce que nous appelons l’origine qui devait avoir
-derrière soi un passé de milliers, peut-être de millions d’années. Nous
-n’en avons pas trouvé d’autres, nous n’en trouverons jamais d’autres, à
-moins d’une révélation impossible, sinon en principe du moins en fait;
-car rien qui n’est pas humain ou divinement humain ne peut parvenir
-jusqu’à nous. Nous sommes revenus au point d’où nos ancêtres étaient
-partis; et le jour où l’humanité en atteindra un autre, sera le jour le
-plus extraordinaire qui, depuis la naissance de ce monde, ait éclairé
-notre planète.
-
-Les incarnations de Dieu, dans la pensée religieuse primitive, ne sont
-donc que des extériorisations périodiques et sporadiques, des
-manifestations éclatantes, synthétiques et exceptionnelles du Dieu qui
-est en tout homme. Cette incarnation est universelle et latente en
-chacun de nous; mais si l’incarnation est regardée comme un privilège
-pour l’homme en qui elle s’opère, elle est considérée comme un sacrifice
-de la part de Dieu. Vichnou s’est volontairement sacrifié en descendant
-dans Krichna et dans le Bouddha. S’est-il également sacrifié en
-descendant dans les autres hommes? D’où vient cette idée de sacrifice?
-Elle est assez mystérieuse et remonte sans doute à de très antiques
-traditions; en tout cas, elle ne paraît pas purement rationnelle comme
-les deux précédentes. On n’explique nulle part pourquoi il est
-nécessaire qu’une émanation de Dieu redescende dans l’homme qui est déjà
-une émanation divine. Il y a là un hiatus que ne comble pas le mythe de
-la déchéance originelle qui reste également inexpliqué. A moins que
-l’idée en question ne repose tout simplement sur cette constatation que
-tout homme qui dépasse les autres, qui voit plus haut et plus loin
-qu’eux et leur enseigne ce qu’ils ne peuvent pas encore comprendre, est
-forcément méconnu, persécuté, sacrifié et malheureux.
-
-
-XXV
-
-Cette idée, explicable ou non, n’en est pas moins très importante, car
-c’est elle qui semble avoir aiguillé la morale primitive sur l’une des
-voies principales qu’elle a suivies. En effet, la notion de
-l’inconnaissable, si elle élargissait la pensée courageuse qui
-s’aventurait sur ses pics dénudés, ne pouvait donner que des
-enseignements négatifs. Elle écartait assurément les petits dieux
-anthropomorphes et presque toujours malfaisants; mais ne laissait à leur
-place qu’un vide immense et silencieux. D’autre part, le panthéisme,
-aussi vaste que l’agnosticisme, apprenait, il est vrai, que Dieu étant
-partout et tout étant Dieu, tout devait être aimé et respecté; mais il
-s’ensuivait que le mal, ou du moins ce que l’homme est forcé d’appeler
-le mal, étant divin comme le bien, devait être aimé et respecté à l’égal
-de celui-ci. L’idée était trop nue, trop illimitée, survoûtait trop
-gigantesquement les deux pôles de l’univers, pour que l’homme osât s’y
-engager et y pût choisir un chemin.
-
-Enfin, la recherche du dieu caché en chacun de nous, qui est un des
-corollaires de ce panthéisme, si elle était laissée sans direction, ne
-pouvait aboutir qu’à des conséquences dangereuses. Il y a en nous toutes
-espèces de dieux ou toutes espèces d’instincts, de pensées, de désirs,
-de passions que l’on peut prendre pour des dieux; il y en a de bons et
-de mauvais; et les mauvais sont souvent plus nombreux et en tout cas
-plus faciles à trouver que les bons. Le vrai Dieu, le plus haut, le plus
-immatériel, ne se révèle qu’à quelques-uns. Ce Dieu ainsi révélé, qui
-n’est en somme que les meilleures pensées des meilleurs d’entre nous, il
-fallait appeler sur lui l’attention des autres hommes; le leur faire
-connaître et le leur imposer; et c’est peut-être ainsi que cet étrange
-mythe qui n’est probablement au fond que la reconnaissance d’un
-phénomène humain et naturel, s’est peu à peu insinué, puis implanté et
-développé. Il est en effet assez vraisemblable que, comme tout ce qui a
-rapport à l’évolution des hommes, il n’ait pas surgi tout d’un coup d’un
-cerveau unique, mais se soit dégagé confusément et précisé lentement, au
-cours de tâtonnements et de siècles sans nombre.
-
-
-XXVI
-
-Sans nous arrêter davantage à cet énigme, bornons-nous à constater
-l’influence qu’elle eut sur la morale primitive, en l’orientant dès le
-début vers d’autres cimes que celles que lui montrait l’intelligence. A
-son défaut, la morale primitive qui croyait écouter un Dieu caché, mais
-n’entendait en somme que la raison humaine, n’eût été qu’une morale
-cérébrale et eût pu dévier vers une contemplation stérile ou vers un
-rationalisme froid, rigide, austère et implacable; car la raison seule,
-même quand elle s’élève très haut et qu’on la prend pour la voix de
-Dieu, ne suffit pas à guider les hommes vers les sommets de
-l’abnégation, de la bonté et de l’amour. L’exemple d’un sacrifice
-initial courba sa rigueur et la lança dans une autre direction et vers
-un but qu’elle eût peut-être fini par entrevoir, mais n’eût atteint que
-beaucoup plus tard et après d’innombrables et cruelles erreurs.
-
-Est-ce sur ce mythe de l’incarnation que se greffe le dogme,--bien qu’il
-n’y ait pas à proprement parler de dogmes dans les religions
-orientales,--de la réincarnation où se trouvent toutes les sanctions et
-toutes les récompenses de la religion primitive? Le principe essentiel
-de l’homme, le support de son moi étant divin et immortel, après la
-disparition du corps qui l’avait momentanément séparé de son origine
-spirituelle, doit logiquement retourner à cette origine. Mais d’autre
-part, le dieu caché, par l’intermédiaire des grandes incarnations, ayant
-introduit dans la morale la notion du bien et du mal, il ne paraissait
-pas admissible que l’âme, qui n’avait pas écouté sa propre voix ou celle
-des divins instructeurs et s’était plus ou moins souillée dans la vie,
-pût rentrer d’emblée et sans purification préalable dans l’océan
-immaculé de l’esprit éternel. De l’incarnation à la réincarnation il n’y
-avait qu’un pas qui fut sans doute presque inconsciemment franchi; et de
-la réincarnation aux réincarnations et aux purifications successives, la
-transition était encore plus facile; et d’elles découle toute la morale
-hindoue, avec son Karma, qui n’est en somme que le casier judiciaire
-d’une âme, casier qui la suit, s’aggrave ou s’allège dans ses
-palingénésies, jusqu’au Nirvana, lequel n’est pas, comme on se le
-représente trop souvent, l’annihilation ou la dispersion dans le sein de
-Dieu, ou, d’autre part, la réunion avec Dieu, coïncidant avec la
-perfection de l’esprit humain débarrassé de la matière, l’acquiescement
-parfait à la loi, le calme inaltérable dans la contemplation de ce qui
-est, l’espérance désintéressée de ce qui doit être et le repos dans
-l’absolu, c’est-à-dire dans le monde des causes où toutes les illusions
-des sens disparaissent; mais un état plus mystérieux qui n’est pas le
-bonheur parfait ni le néant mais à proprement parler et une fois de
-plus, l’inconnaissable. «Que le Parfait existe au delà de la mort, dit
-un texte contemporain du Bouddha qui révèle le sens devenu ésotérique du
-Nirvana, que le Parfait existe au delà de la mort, cela n’est pas exact.
-Que le Parfait n’existe pas au delà de la mort, cela non plus n’est pas
-exact. Que le Parfait à la fois existe et n’existe pas au delà de la
-mort, cela non plus n’est pas exact[13].»
-
- [13] _Sanyutta Nikâya_, vol. II, fol. 110 et 199.
-
-Comme le dit très bien Oldenberg qui cite ce passage entre plusieurs
-autres où se trouve le même aveu: «Ce n’est pas nier le Nirvana ou le
-Parfait ou conclure qu’il n’existe pas du tout. L’esprit est arrivé ici
-au bord d’un mystère insondable. Inutile de chercher à le découvrir. Si
-on renonçait définitivement à une éternité future, on parlerait d’autre
-façon; c’est le cœur qui s’abrite derrière le voile du mystère. A la
-raison qui hésite à admettre une vie éternelle comme concevable, il
-tâche d’arracher l’espérance en une vie dépassant toute conception[14].»
-
- [14] OLDENBERG, _Le Bouddha_, p. 235.
-
-Et c’est encore renouveler l’antique aveu fondamental que pour tout ce
-qui touche à l’essentiel, on ne sait rien, on ne peut rien savoir, en
-même temps que c’est une preuve nouvelle de la magnifique sincérité et
-de la haute et souveraine sagesse de la religion primitive.
-
-Tous les êtres finiront-ils par atteindre le Nirvana? Qu’adviendra-t-il
-alors, et pourquoi, puisque tout existe de toute éternité, tous ne
-l’ont-ils pas encore atteint? A ces questions et à d’autres de ce genre,
-les Védas n’opposent qu’un silence dédaigneux; mais des textes
-bouddhiques, entre autres celui-ci, répondent sagement à ceux qui
-veulent en savoir trop: «Le Sublime n’a pas révélé cela; parce que cela
-ne sert pas au salut, que cela ne sert pas à la vie pieuse, au
-détachement des choses terrestres, à l’anéantissement du désir, à la
-cessation, au repos, à la connaissance, à l’illumination, au Nirvana;
-pour cette raison, le Sublime n’en a rien révélé.»
-
-
-XXVII
-
-Quelle que soit la valeur de ces hypothèses, il est indubitable que la
-morale que nous voyons naître de cet agnosticisme et de ce panthéisme
-illimités, est la plus haute, la plus pure, la plus désintéressée, la
-plus sensible, la plus fouillée, la plus délicate, la plus limpide, la
-plus parfaite, que nous ayons connue jusqu’à ce jour et que sans doute
-nous puissions espérer de connaître.
-
-Cette morale, aussi bien que l’énigme de l’incarnation et du sacrifice
-dont nous venons de parler, et que tant d’autres points que nous n’avons
-fait qu’effleurer, exigerait une étude particulière qui n’est pas notre
-objet. Il suffira de rappeler qu’elle repose sur le principe des
-réincarnations successives et du Karma.
-
-Le monde, à proprement parler, n’a pas été créé; il n’y a pas en
-sanscrit de mot qui corresponde à l’idée de création, comme il n’y en a
-pas qui corresponde à celle de néant. L’univers est une matérialisation
-momentanée et sans doute illusoire de la cause inconnue et spirituelle.
-Séparée de l’esprit qui est son essence propre, réelle et éternelle, la
-matière tend à y revenir et d’évolutions en évolutions, partie de plus
-bas que le minéral, en passant par la plante et l’animal, pour aboutir à
-l’homme et le dépasser, elle se transforme et se spiritualise, jusqu’à
-ce qu’elle soit assez pure pour remonter à son origine. Cette
-purification exige souvent une longue série de réincarnations, mais il
-est possible d’en réduire le nombre et même d’y mettre un terme par une
-spiritualisation intensive, héroïque et totale qui dès la mort et
-parfois même dès cette vie, ramène l’âme dans le sein de Brahma.
-
-Cette explication de l’inexplicable, malgré les objections qui se
-présentent, notamment au sujet de l’origine et de la nécessité de la
-matière ou du mal, qui sont laissées dans l’ombre, en vaut une autre et
-a l’avantage d’être la première en date, outre qu’elle est la plus
-vaste, qu’elle embrasse tout ce qu’on peut imaginer et part du grand
-principe spirituel auquel, faute de tout autre acceptable, nous sommes
-de plus en plus impérieusement forcés de revenir.
-
-En tout cas, elle l’a prouvé, elle a favorisé plus que nulle autre
-l’éclosion et l’évolution d’une morale que l’homme n’avait jamais
-atteinte et qu’il n’a pas dépassée jusqu’ici.
-
-Il faudrait disposer de plus de place que nous n’en avons et
-déséquilibrer cette étude, pour en donner une idée suffisante.
-
-L’admirable de cette morale, quand on la prend près de sa source où elle
-a encore sa pureté, c’est qu’elle est tout intérieure, toute
-spirituelle. Elle ne trouve ses sanctions et ses récompenses qu’en notre
-propre cœur. Il n’y a pas de juge qui attende l’âme à la sortie du
-corps, il n’y a pas de paradis, il n’y a pas d’enfer; car l’enfer ne
-vient que plus tard. Le juge, l’enfer ou le paradis, c’est l’âme même,
-l’âme seule. Elle ne rencontre rien ni personne. Elle n’a pas besoin de
-se juger, elle se voit telle qu’elle est, telle que l’ont faite ses
-actions et ses pensées, à la fin de cette vie et des vies antérieures.
-Elle s’aperçoit enfin, tout entière, dans l’infaillible miroir que lui
-tend la mort, et reconnaît que son bonheur ou son malheur c’est
-elle-même. Elle ne peut jouir ou souffrir que d’elle-même. Elle est
-seule dans l’infini, il n’y a pas de dieu au-dessus d’elle pour lui
-sourire ou l’effrayer; elle est le dieu qu’elle a déçu, mécontenté ou
-satisfait. Sa condamnation ou son absolution, c’est ce qu’elle est
-devenue. Elle ne peut pas sortir d’elle-même pour aller ailleurs où elle
-serait plus heureuse. Elle ne peut respirer que dans l’atmosphère
-qu’elle s’est créée, elle est son atmosphère, elle est son propre monde
-et son propre milieu; et il faut qu’elle s’élève et se purifie pour que
-ce monde et ce milieu s’élèvent, se purifient et s’étendent avec elle,
-autour d’elle.
-
- * * * * *
-
-«L’âme, dit Manou, est son propre témoin, l’âme est son propre asile; ne
-méprisez jamais votre âme, ce témoin par excellence des hommes!»
-
-«Les méchants se disent: «Personne ne nous «voit», mais les Dieux les
-regardent, de même que l’esprit qui siège en eux.»
-
-«O homme! tandis que tu te dis: «Je suis seul avec moi-même», dans ton
-cœur réside sans cesse cet Esprit suprême, observateur attentif et
-silencieux de tout le bien et de tout le mal.
-
-«Cet Esprit qui siège dans ton cœur, c’est un juge sévère, un punisseur
-inflexible, c’est Yama, le juge des morts[15].»
-
- [15] _Manou_, VIII, 84, 85, 91, 92.
-
-
-XXVIII
-
-Entre la naissance et la mort qui n’est qu’une nouvelle naissance, les
-_Lois de Manou_ distinguent cinq périodes: la conception, l’enfance, le
-noviciat ou l’étude des sciences divines et humaines, l’état de père de
-famille et enfin celui d’anachorète se préparant à la mort. Chacune de
-ces périodes a ses devoirs qu’il faut avoir accomplis, avant de pouvoir
-aspirer à la retraite dans la forêt. En attendant cette heure entre
-toutes désirée, «la résignation, dit Manou, l’action de rendre le bien
-pour le mal, la tempérance, la probité, la pureté, la chasteté et la
-répression des sens, la connaissance des livres sacrés, le culte de la
-vérité, l’abstention de la colère, telles sont les dix vertus en quoi
-consiste le devoir[16].»
-
- [16] _Manou_, VI, 92.
-
-Le but de notre vie sur cette terre, c’est de mettre un terme aux
-réincarnations, car la réincarnation est un châtiment que l’âme est
-obligée de s’infliger tant qu’elle ne se sent pas assez pure pour
-rentrer en Dieu. «Atteindre la condition suprême, dit Manou, ne plus
-renaître sur cette terre, voilà l’idéal! Être assuré d’un bonheur
-éternel et que la terre ne voie plus notre âme venir de nouveau
-s’envelopper de sa grossière substance.»
-
-Cette purification, cette dématérialisation progressive, ce renoncement
-à tout égoïsme, commence dès le début de la vie et se poursuit durant
-toutes les phases de l’existence; mais il faut d’abord accomplir tous
-les devoirs de cette existence active: «Car, sachez-le tous, disent les
-livres sacrés, nul d’entre vous n’arrivera à s’absorber dans le sein de
-Brahma par la prière seulement, et le mystérieux monosyllabe n’effacera
-vos dernières souillures que quand vous arriverez sur le seuil de la vie
-future, chargé de bonnes œuvres, et les plus méritoires parmi ces œuvres
-seront celles qui auront pour mobiles l’amour du prochain et la
-charité.»
-
-«Une seule bonne action, dit encore Manou, vaut mieux que mille bonnes
-pensées, et ceux qui remplissent leurs devoirs sont supérieurs à ceux
-qui les connaissent.»
-
-«Que le sage observe constamment les devoirs moraux (Yamas) avec plus
-d’attention que les devoirs pieux (Niyamas), celui qui néglige les
-devoirs moraux déchoit même lorsqu’il observe les devoirs pieux[17].»
-
- [17] _Manou_, IV, 204.
-
-
-XXIX
-
-Il y a dans la vie ceux périodes bien distinctes: la période active ou
-sociale, où l’homme fonde sa famille, assure sa descendance, travaille
-de ses mains, accomplit les humbles devoirs de l’existence quotidienne
-envers les siens et ceux qui les entourent. Pour ces jours encore
-profanes, abondent les plus angéliques préceptes de résignation, de
-respect de la vie, de patience et d’amour.
-
- * * * * *
-
-«Les maux dont nous affligeons notre prochain, dit Krichna, nous
-poursuivent ainsi que notre ombre suit notre corps.»
-
-«De même que la terre supporte ceux qui la foulent aux pieds et lui
-déchirent le sein en la labourant, de même nous devons rendre le bien
-pour le mal.»
-
-«Qu’il sache bien que ce qui est au-dessus de tout, c’est le respect de
-soi-même et l’amour du prochain.»
-
-«Celui qui remplit tous ses devoirs pour plaire à Dieu seul et sans
-envisager la récompense future, est sûr d’un immortel bonheur[18].»
-
- [18] _Ibid._, II, 15.
-
-«Si un acte pieux procède de l’espoir d’une récompense en ce monde ou
-dans l’autre, cet acte est dit intéressé. Mais celui qui n’a
-d’autre mobile que la connaissance et l’amour de Dieu, est dit
-désintéressé[19].» (Méditons un moment cette parole vieille de plusieurs
-milliers d’années, une de celles que nous pouvons redire sans y changer
-une syllabe, car Dieu ici, comme dans toute la littérature védique,
-c’est le meilleur et l’éternel de nous-mêmes et de l’univers.)
-
- [19] _Ibid._, XII, 89.
-
-«L’homme dont tous les actes religieux sont intéressés parvient au rang
-des saints et des anges (Devas). Mais celui dont tous les actes pieux
-sont désintéressés se dépouille pour toujours des cinq éléments pour
-acquérir l’immortalité dans la Grande Ame.»
-
-«De toutes les choses qui purifient, la pureté dans l’acquisition des
-richesses est la meilleure. Celui qui conserve sa pureté en devenant
-riche est réellement pur, et non celui qui s’est purifié avec la terre
-et l’eau.»
-
-«Les hommes instruits se purifient par le pardon des offenses, par des
-aumônes et par la prière. L’intelligence est purifiée par le savoir.»
-
-«La main d’un artisan est toujours pure pendant qu’il travaille.»
-
-«Bien que la conduite de son époux soit blâmable, bien qu’il se livre à
-d’autres amours et soit dépourvu de bonnes qualités, une femme vertueuse
-doit constamment le révérer comme un Dieu.»
-
-«Celui qui a souillé l’eau par quelque impureté ne doit vivre que
-d’aumônes pendant un mois entier.»
-
-«Afin de ne causer la mort d’aucun animal, que le Sannyâsî (c’est-à-dire
-le mendiant ascétique), la nuit comme le jour, même au risque de se
-faire du mal, marche en regardant à terre[20].»
-
- [20] _Ibid._, XII, 90; V, 106, 107, 129, 154; XI, 255; VI, 68.
-
-«Pour avoir coupé, une seule fois et sans mauvaise intention, des arbres
-portant leur fruit, des buissons, des lianes, des plantes grimpantes ou
-des plantes rampantes en fleur, on doit répéter cent prières du
-Rig-Véda.»
-
-«Si l’on arrache inutilement des plantes cultivées ou des plantes nées
-spontanément dans une forêt, on doit suivre une vache pendant un jour
-entier et ne se nourrir que de lait.»
-
-«Par un aveu fait devant tout le monde, par le repentir, par la
-dévotion, par la récitation des prières sacrées, un pêcheur peut être
-déchargé de sa faute, ainsi qu’en donnant des aumônes, lorsqu’il se
-trouve dans l’impossibilité de faire d’autre pénitence.»
-
-«Autant son âme éprouve de regret pour une mauvaise action, autant son
-corps est déchargé du poids de cette action perverse.»
-
-«La réussite de toutes les affaires du monde dépend des lois du Destin,
-réglées par les actions des mortels dans leurs existences précédentes,
-et de la conduite de l’homme; les décrets de la Destinée sont un
-mystère; c’est donc aux moyens dépendant de l’homme qu’il faut avoir
-recours.»
-
-«La justice est le seul ami qui accompagne les hommes après le trépas;
-car toute affection est soumise à la même destruction que le corps[21].»
-
- [21] _Ibid._, XI, 142, 144, 227, 229; VII, 205.
-
-«Si celui qui vous frappe laisse tomber le bâton dont il se sert,
-ramassez-le et rendez-le lui sans murmurer.»
-
-«Vous n’abandonnerez pas les animaux dans leur vieillesse, en souvenir
-des services qu’ils vous ont rendus[22].»
-
- [22] _Sama Véda_.
-
-«Celui qui méprise une femme méprise sa mère. Les larmes des femmes
-attirent le feu céleste sur ceux qui les font couler.»
-
-«L’honnête homme doit tomber sous les coups des méchants, comme l’arbre
-Santal qui, lorsqu’on l’abat, parfume la hache qui le frappe[23].»
-
- [23] _Pradasa_.
-
-«Porter les trois bâtons de l’ascète, observer le silence, porter les
-cheveux en tresse, se raser la tête, se vêtir de vêtements d’écorce ou
-de peaux, accomplir les vœux et les ablutions, célébrer la Agnihotra,
-habiter dans la forêt, s’émacier le corps, tout cela est vain si le cœur
-n’est pas pur.»
-
-«Celui qui, quelque soin qu’il prenne de lui-même, pratique le calme de
-l’âme, qui est calme, soumis, contenu, chaste, et a cessé de trouver à
-redire aux autres êtres, celui-là est vraiment un Brahmane, un Çramane
-(ascète), un Bhikshu (frère mendiant).»
-
-«O Bhârata, à quoi sert la forêt à qui s’est dominé, et à quoi sert-elle
-à qui ne s’est pas dominé? Partout où vit un homme qui s’est dominé, là
-est la forêt, là est l’hermitage.»
-
-«Le sage restât-il dans sa maison, quelque soin qu’il prenne de
-lui-même, s’il est toujours pur et plein d’amour tout le long de sa vie,
-est délivré de tous les maux.»
-
-«Ce n’est pas l’hermitage qui fait la vertu; la vertu ne vient que de la
-pratique. Donc, que l’homme ne fasse pas aux autres ce qui serait
-douloureux à lui-même.»
-
-«Le monde est soutenu par toute action qui n’a que le sacrifice,
-c’est-à-dire le don volontaire de soi pour objet; c’est dans ce don
-volontaire, sans attachement aux formes que l’homme doit accomplir
-l’action. Il faut accomplir l’action à seule fin de servir les autres.
-Celui qui voit l’inaction dans l’action et l’action dans l’inaction, est
-un sage parmi les hommes; il est harmonisé aux vrais principes, quelque
-action qu’il fasse. Un tel homme, ayant abandonné tout attachement au
-fruit de l’action, toujours content, ne dépendant de personne, bien que
-faisant des actions, est comme s’il n’en faisait pas. Toutes ses pensées
-empreintes de sagesse et tous ses actes faits de sacrifices sont comme
-évaporés[24].»
-
- [24] _Vanaparva_, 13445.--_Paraboles de Buddhgosha_.--_Cantiparva_,
- 5951.--_Vanaparva_, 13550.--_Lois de Yajnavalkya_, III,
- 65.--_Bhagavat-Gita_.
-
-
-XXX
-
-Voilà, pris au hasard, dans un immense trésor encore en partie inconnu,
-quelques conseils, vieux de milliers d’années, qui, bien avant le
-christianisme, guidaient les hommes de bonne volonté jusqu’à la lisière
-de la forêt. Alors, comme dit Manou, «lorsque le chef de la famille voit
-sa peau se rider et ses cheveux blanchir et qu’il a sous les yeux le
-fils de son fils», quand il n’a plus de devoirs à remplir, que personne
-n’a plus besoin de son aide, qu’il soit le plus riche marchand de la
-cité ou le plus pauvre paysan du village, il peut enfin se consacrer aux
-choses éternelles, quitter sa femme, ses enfants, ses proches, ses amis,
-«prendre une peau de gazelle ou un manteau d’écorce», pour se retirer
-dans la solitude, s’enfoncer dans l’énorme forêt tropicale, oublier son
-corps et les vaines pensées qui en naissent et écouter la voix du Dieu
-caché au fond de son être, la voix «du voyageur qu’on ne voit pas, dit
-le _Brahmane des cent sentiers_, de l’entendeur non entendu, du penseur
-non pensé, du connaisseur non connu, de l’Atman, le meneur intérieur,
-l’impérissable, en dehors de qui il n’y a que douleur.» Il peut méditer
-sur l’infinité de l’espace, l’infinité de la raison et «la non existence
-de rien», saisir l’instant d’illumination qui apporte «la délivrance que
-personne ne peut enseigner, qu’il faut trouver soi-même, qui est
-ineffable», et purifier son âme afin de lui épargner, s’il est possible,
-un nouveau retour sur cette terre.
-
-Arrivé là, «Qu’il ne désire pas la mort, qu’il ne désire pas la vie;
-ainsi qu’un moissonneur qui, le soir venu, attend paisiblement son
-salaire à la porte de son maître, qu’il attende que le moment soit
-venu.»
-
-«Qu’il réfléchisse, avec l’application d’esprit la plus exclusive, sur
-l’essence subtile et indivisible de l’Ame suprême, et sur son existence
-dans les corps des êtres les plus élevés et les plus bas.»
-
-«Méditant avec délices sur l’Être suprême, n’ayant besoin de rien,
-inaccessible à tout désir des sens, sans autre société que son âme et la
-pensée de Dieu, qu’il vive dans l’attente constante de la béatitude
-éternelle.»
-
-«Car le principal de tous les devoirs, c’est d’acquérir la connaissance
-de l’âme suprême, c’est la première de toutes les sciences, car elle
-seule confère à l’homme l’immortalité.»
-
-«Ainsi l’homme qui reconnaît dans sa propre âme l’âme suprême, présente
-dans toutes les créatures, se montre le même à l’égard de tous et
-obtient le sort le plus heureux, celui d’être à la fin absorbé dans le
-sein de Brahma[25].»
-
- [25] _Manou_, VI, 45, 65, 49; XII, 85, 125.
-
-«Après avoir ainsi abandonné toute pratique pieuse, tout acte de
-dévotion austère, appliquant son esprit à la contemplation unique de la
-grande Cause Première, exempt de tout désir mauvais, son âme est déjà
-sur le seuil du Swarga, alors que son enveloppe mortelle palpite encore
-comme la dernière lueur d’une lampe qui s’éteint[26].»
-
- [26] _Ibid._, VI, 96.
-
-
-XXXI
-
-Presque tout ceci, ne l’oublions pas, est bien antérieur au Bouddhisme,
-remonte aux origines du Brahmanisme et touche directement aux Védas.
-Convenons que cette morale, dont je n’ai pu donner ici que le plus
-sommaire aperçu, la première qu’ait connue l’humanité, est aussi la plus
-haute qu’elle ait pratiquée. Elle part d’un principe que même
-aujourd’hui, avec tout ce que nous croyons avoir appris, nous ne pouvons
-contester, à savoir que l’homme et tout ce qui l’environne n’est qu’une
-sorte d’émanation, de matérialisation momentanée de la cause inconnue et
-spirituelle à laquelle il doit retourner; et ne fait que déduire, avec
-une beauté, une élévation et une logique incomparables, les conséquences
-de ce principe. Il n’y a pas ici de révélation extra-terrestre, de
-Sinaï, de tonnerre dans le ciel, de dieu spécialement descendu sur notre
-planète. Il n’avait pas besoin d’y descendre, il était déjà dans le cœur
-de tous les hommes, parce que tous les hommes ne sont qu’une partie de
-lui-même et ne peuvent être autre chose. Ils interrogent ce dieu qui
-semble résider dans leur âme, dans leur esprit, en un mot dans le
-principe immatériel qui donne la vie à leur corps. Il ne leur dit pas,
-il est vrai, ou peut-être le leur dit-il sans qu’ils puissent le
-comprendre, pourquoi il les a momentanément et apparemment séparés de
-lui; et c’est,--origine du mal et nécessité de l’épreuve,--le postulat
-aussi inaccessible que le mystère de la cause première, avec cette
-différence, que le mystère de la cause première était inévitable, au
-lieu que la nécessité de celui-ci est incompréhensible. Mais le postulat
-accordé, tout le reste s’éclaire et se déroule comme un syllogisme. La
-matière est ce qui nous sépare de Dieu, l’esprit ce qui nous y unit; il
-faut donc que l’esprit l’emporte sur la matière. Mais l’esprit n’est pas
-seulement l’intelligence, il est aussi le cœur, le sentiment, il est
-tout ce qui n’est pas matériel; il faut donc que sous toutes ses formes
-il se purifie, s’étende, s’élève et triomphe de la matière. Il n’y eut
-jamais, et il ne saurait, je pense, y avoir spiritualisation plus
-grandiose, plus logique, plus inattaquable, plus réaliste, en ce sens
-qu’elle ne se fonde que sur des réalités, et plus divinement humaine. Il
-est certain qu’après tant de siècles, après tant d’acquisitions et
-d’expériences, nous nous rencontrons au même point. Partant comme eux de
-l’inconnaissable, nous ne pouvons trouver autre chose, et ne saurions
-mieux dire. Seul serait supérieur aux immenses efforts que leurs mots
-ont tentés, un silence résigné, préférable en théorie, mais qui
-pratiquement ne peut conduire qu’à une ignorance immobile et désespérée.
-
-
-
-
-L’ÉGYPTE
-
-
-I
-
-Nous avons déjà vu, en parlant de Noun, Toum et Phtah, l’idée que se
-faisaient les Égyptiens de la cause première, de la création ou plutôt
-de l’émanation ou de la manifestation de l’univers. Elle est, du moins
-telle que nous la connaissons par la traduction probablement incomplète
-des hiéroglyphes, sous une forme moins frappante, moins profonde et
-moins métaphysique, analogue à celle des Védas, et révèle une source
-commune.
-
-Immédiatement après l’énigme de la cause première, ils rencontrèrent,
-eux aussi, inévitablement, l’insoluble problème de l’origine du mal, et,
-sans trop oser l’approfondir, y trouvèrent une solution plus pâle, plus
-évasive, mais au fond presque semblable à celle des Hindous. Dans
-l’Osirisme, l’esprit et la matière s’appellent la lumière et les
-ténèbres; et «Set, l’antagoniste de Râ-lumière, dans les mythes de Râ,
-d’Osiris et d’Horus, n’est pas un dieu du mal, dit Le Page Renouf, il
-représente une réalité physique, une loi constante de la nature[27]». Il
-est un dieu aussi réel que ses adversaires et son culte est aussi ancien
-que le leur. Il avait ses prêtres comme eux, et il est fils de la même
-cause inconnue. Il est si peu séparable de la force qui lui est opposée
-que sur certains monuments les têtes d’Horus et de Set surmontent le
-même corps et ne forment qu’un seul dieu.
-
- [27] _Op. cit._, p. 115.
-
-Après les mêmes aveux d’ignorance, ici encore, comme dans l’Inde, le
-mythe de l’incarnation vient préciser et diriger une morale qui, sortie
-de l’inconnaissable, ne pouvait prendre forme et n’être connue que dans
-l’homme et par l’homme. Osiris, Horus, Thot ou Hermès qui prit cinq fois
-la forme humaine au dire des occultistes, ne sont que des incarnations
-plus mémorables du dieu qui réside en chacun de nous. De ces
-incarnations découle avec moins d’éclat, moins d’abondance, moins de
-force,--car le génie égyptien n’a pas l’ampleur, l’élévation, la
-puissance d’abstraction du génie hindou,--une morale plus humble, plus
-terre à terre, mais de la même nature que celle de Manou, de Krichna et
-du Bouddha, ou plutôt de ceux qui dans la nuit des âges précédèrent
-Manou, Krichna et le Bouddha. Cette morale se trouve dans le _Livre des
-Morts_ et dans les inscriptions funéraires. Quelques-uns des papyrus qui
-reproduisent le _Livre des Morts_ ont plus de quatre mille ans; mais des
-textes de ce même livre, qui recouvraient presque toutes les tombes et
-presque tous les sarcophages, sont probablement plus anciens. Ce sont,
-avec les inscriptions cunéiformes, les plus antiques écritures, ayant
-date certaine, que possède l’humanité. Le plus vénérable des codes de
-morale, œuvre de Phtahotep, encore imparfaitement déchiffré,
-contemporain des Pyramides, se couvre de l’autorité d’ancêtres
-infiniment plus reculés. «Pas une des vertus chrétiennes, dit F.-J.
-Chapas, l’un des grands égyptologues de la première heure, n’est oubliée
-dans la morale égyptienne. La piété, la charité, la bonté, l’empire sur
-soi-même, dans la parole et l’action, la chasteté, la protection des
-faibles, la bienveillance envers les humbles, la déférence envers les
-supérieurs, le respect de la propriété d’autrui, jusqu’en ses plus
-petits détails, tout y est exprimé en langage excellent.»
-
-
-II
-
-«Je n’ai pas fait de mal à un enfant, dit une inscription funéraire. Je
-n’ai pas opprimé une veuve, je n’ai pas maltraité un berger. Durant ma
-vie, il n’y avait pas un mendiant; et quand vinrent les années de
-famine, je labourai toute la terre de la province, nourrissant tous ses
-habitants et je fis en sorte que la veuve était comme si elle n’avait
-pas perdu son époux[28].»
-
- [28] Inscriptions d’Ameni, _Denkm_, II, pl. 121.
-
-Celui-ci «était le père des faibles, le soutien de ceux qui n’avaient
-pas de mère; craint des méchants il protégeait le pauvre. Il était le
-vengeur de celui que le puissant avait dépouillé. Il était l’époux de la
-veuve et le refuge de l’orphelin[29]». «Celui-là était le protecteur des
-humbles, une palme d’abondance pour l’indigent, l’aliment des pauvres,
-la richesse du faible, et sa sagesse était au service de
-l’ignorant[30].»--«J’étais le pain de celui qui avait faim, l’eau de
-celui qui avait soif, le vêtement de celui qui était nu, le refuge de
-celui qui était dans le besoin. Ce que j’ai fait pour eux, Dieu l’avait
-fait pour moi»[31], disent d’autres inscriptions, reprenant toujours le
-même thème de bonté, de justice et de charité. «Bien que grand, j’ai
-toujours agi comme si j’avais été petit. Je n’ai jamais barré la route à
-quelqu’un qui valait mieux que moi. J’ai toujours répété ce qu’on
-m’avait dit, exactement comme on me l’avait dit. Je n’ai jamais approuvé
-ce qui est bas et mal, mais j’ai pris plaisir à dire la vérité. La
-sincérité et la bonté qui étaient dans le cœur de mon père et de ma
-mère, mon amour les leur a rendues. J’ai été la joie de mes frères,
-l’ami de mes compagnons, j’ai reçu les voyageurs sur la route; mes
-portes étaient ouvertes à ceux qui venaient du dehors et je leur ai
-donné de quoi se rafraîchir. Ce que me dictait mon cœur, je n’hésitais
-pas à l’accomplir[32].»
-
- [29] Tablette d’Antuff. Louvre, C. 26.
-
- [30] British Museum, 581.
-
- [31] DUMICHEN, _Kalenderinschriften_, XLVI.
-
- [32] BERGMANN, _Hieroglyphische Inschriften_, pl. VI, I. 8; pl. VIII,
- IX.
-
-
-III
-
-Dans le _Livre des Morts_, quand, après la longue et terrible traversée
-du Douaou, qui n’est pas l’enfer égyptien, comme on l’a dit, mais une
-région intermédiaire entre la mort et la vie éternelle, l’âme est
-arrivée dans le pays de «Menti» qu’on appela plus tard l’«Amenti», elle
-se trouve en face de Maât ou Maît, la plus mystérieuse divinité de
-l’Égypte. Maât est la ligne droite, elle représente la Loi, la
-Justice-Vérité, la Justice absolue. Chacun des grands dieux se dit
-maître de Maât, mais elle ne reconnaît aucun maître. Les dieux vivent
-par elle, elle règne seule sur la terre, dans les cieux et le monde
-d’outre-tombe; elle est à la fois la mère du dieu qui l’a créée, sa
-fille et le dieu lui-même. En présence d’Osiris assis sur son trône de
-juge, est mis dans un des plateaux de la balance le cœur du mort qui
-symbolise toute sa nature morale, dans l’autre plateau se trouve une
-image de Maât. Quarante-deux divinités, qui représentent les
-quarante-deux péchés qu’elles sont chargées de punir, sont rangées
-derrière la balance dont Horus surveille l’aiguille, tandis que Téhutin,
-le dieu des lettres, inscrit le résultat de la pesée. Tout ceci n’est
-évidemment qu’une représentation allégorique, une sorte de mise en
-images, une projection sur l’écran de ce monde, de ce qui se passe dans
-l’autre, au fond d’une âme ou d’une conscience qui se juge après la
-mort.
-
-Alors, si l’épreuve est favorable, se passe une chose extraordinaire qui
-révèle la signification secrète, inattendue et profonde de toute cette
-mythologie: l’homme devient dieu. Il devient Osiris même. Il se découvre
-pareil à celui qui le juge. Il joint son nom à celui d’Osiris, il est
-Osiris-un-tel. Il se retrouve enfin le dieu inconnu qu’il était à son
-insu. Il reconnaît l’Éternel caché au fond de lui-même, qu’il avait
-cherché durant toute son existence et qui, finalement délivré par ses
-bonnes œuvres, par ses efforts spirituels, se révèle identique au dieu
-qu’il avait écouté et adoré et dont il avait voulu se rapprocher en le
-prenant pour modèle.
-
-C’est, sous une autre image, l’absorption de l’âme purifiée dans le sein
-de Brahma, le retour à la divinité de ce qu’il y avait de divin dans
-l’homme, comme aussi, sous l’allégorie dramatique, l’âme qui se juge
-elle-même et se reconnaît digne de rentrer en Dieu.
-
-
-IV
-
-Rudolph Steiner qui, lorsqu’il ne s’égare pas dans les visions peut-être
-plausibles mais invérifiables de la préhistoire, des clichés astraux et
-de la vie sur d’autres planètes, est un esprit très juste et très
-perspicace, a remarquablement mis en lumière le sens de ce jugement et
-de cette identification de l’âme avec Dieu. «L’Être Osiris, dit-il,
-n’est que le degré le plus parfait de l’être humain. Il s’entend de soi
-que l’Osiris qui règne en juge sur l’ordre éternel de l’univers, n’est
-lui-même qu’un homme parfait. Entre l’état humain et l’état divin, il
-n’y a qu’une différence de degré. L’homme est en voie de développement;
-à la fin de sa carrière il devient Dieu. Dans cette conception, Dieu est
-un éternel devenir et non pas un Dieu fini en soi.
-
-«Tel étant l’ordre universel, il est évident que celui-là seul peut
-entrer dans la vie d’Osiris, qui est déjà devenu un Osiris lui-même
-avant de frapper à la porte du temple éternel. La vie la plus haute de
-l’homme consiste donc à se changer en Osiris. L’homme devient parfait
-lorsqu’il vit comme Osiris, lorsqu’il traverse ce qu’Osiris a traversé.
-Le mythe d’Osiris acquiert par là un sens plus profond. Il devient le
-modèle de celui qui veut éveiller l’Éternel en lui-même[33].»
-
- [33] RUDOLPH STEINER, _Le Mystère chrétien et les Mystères antiques_.
- Trad. de J. SAUERWEIN, p. 170.
-
-
-V
-
-Cette Osirification, cette déification de l’âme du juste a toujours
-étonné les égyptologues qui n’en saisissaient pas le sens caché et ne
-voyaient pas qu’elle rejoignait le Nirvana védique dont elle n’est
-qu’une réplique dramatisée. Mais les textes authentiques sont là, et
-même du point de vue exotérique, il n’est pas possible de leur donner
-une autre signification. Le fond de la religion égyptienne, sous toutes
-ses végétations parasites qui devinrent peu à peu monstrueuses, est bien
-le même que celui de la religion védique; d’un même point de départ dans
-l’inconnaissable, c’est le culte et la recherche du dieu dans l’homme et
-le retour de l’homme en dieu. Le juste, c’est-à-dire celui qui durant sa
-vie s’est efforcé de retrouver l’éternel en lui-même et d’écouter sa
-voix, délivré de son corps, ne devient pas seulement Osiris; mais de
-même qu’Osiris est d’autres dieux, il devient aussi d’autres dieux. Il
-parle comme s’il était Râ, Tmu, Seb, Chnemu, Horus, et ainsi de suite.
-«Ni les hommes, ni les dieux, ni les esprits des décédés, ni les hommes
-passés, présents et futurs, quels qu’ils soient, ne peuvent plus lui
-faire de mal. Il est celui qui s’avance en sûreté. Son nom est «Celui
-que les hommes ne connaissent pas». «Son nom est hier qui voit des jours
-sans nombre, passant en triomphe sur les routes du ciel.» «Il est le
-Seigneur de l’éternité. Il est le maître de la couronne royale et chacun
-de ses membres est un dieu.»
-
-
-VI
-
-Mais qu’arrive-t-il si la sentence n’est pas favorable, si l’âme n’est
-pas jugée digne de rentrer dans l’éternel, de redevenir le dieu qu’elle
-était? On n’en sait rien. Tout ce qu’on a dit au sujet de châtiments,
-d’expiations, de transmigrations purificatrices, ne repose sur aucun
-texte authentique. «On ne trouve trace, dit Le Page Renouf, d’une
-conception de ce genre dans aucun des textes égyptiens découverts
-jusqu’ici. Les transformations après la mort, nous est-il dit
-expressément, dépendent uniquement de la volonté du défunt ou de son
-génie[34]», c’est-à-dire de son âme. N’est-ce pas dire expressément
-aussi qu’elles ne dépendent que du jugement de l’âme sur elle-même et
-qu’elle seule reconnaît et décide, comme l’âme hindoue chargée de son
-Karma, si elle est digne ou non de rentrer dans la divinité; en d’autres
-termes qu’il n’y a de ciel et d’enfer qu’en nous-mêmes?
-
- [34] LE PAGE RENOUF, _op. cit._, p. 183.
-
-Mais que devient-elle si elle ne se juge pas digne d’être dieu?
-Attend-elle ou se réincarne-t-elle? Nul texte égyptien ne permet de
-trancher la question; il n’y a pas trace non plus d’un état
-intermédiaire entre la mort et l’éternelle béatitude. Les rites
-funéraires ne donnent, sur ce point, aucune indication. Ils semblent
-prévoir, pour le mort, une vie d’outre-tombe exactement pareille, sur un
-autre plan, à celle qu’il menait sur la terre. Mais ces rites ne
-paraissent pas s’appliquer à l’âme proprement dite, au principe divin.
-La religion égyptienne, comme les autres religions primitives, distingue
-en l’homme trois parties: le corps physique, une entité spirituelle
-périssable, une sorte de reflet du corps, qui lui survivait, une ombre
-ou plutôt un double, qui pouvait à son gré se confondre avec la momie ou
-s’en détacher, et enfin un principe purement spirituel, l’âme véritable
-et immortelle qui, après le jugement, devenait dieu.
-
-Le double désemparé, et non pas l’âme qui redevenait Osiris, errait
-misérablement entre le monde visible et l’invisible, comme semblent le
-faire les désincarnés de nos spirites, si les rites funéraires ne
-venaient à son aide pour le ramener et le retenir près du corps qu’il
-avait abandonné. Tout le rituel ne visait qu’à prolonger autant que
-possible l’existence de ce double, en pourvoyant à ses besoins,
-analogues à ceux de sa vie terrestre, en le fixant près de sa momie
-incorruptible, en l’enchaînant dans une demeure qui lui fût agréable.
-
-L’existence de ce double était supposée très longue. Une tablette du
-Louvre nous montre, par exemple, que Psamtik, fils d’Ut’ahor, qui vivait
-au temps de la 26e dynastie, était prêtre de trois souverains de la
-grande Pyramide, morts depuis plus de 2.000 ans.
-
-Cette idée du double, comme le fait remarquer Herbert Spencer, est
-d’ailleurs universelle. «Partout, nous dit-il, nous voyons exprimée ou
-impliquée la croyance que chaque personne est double et que, quand elle
-meurt, son autre moi, qu’il demeure proche ou qu’il s’en soit allé au
-loin, peut revenir et est capable de nuire à ses ennemis ou d’aider ses
-amis.»
-
-Ce double égyptien n’est d’ailleurs que le Périsprit, le Corps Astral
-des occultistes, cette entité désincarnée, ce subconscient plus ou moins
-indépendant de notre corps, cet hôte inconnu, auquel sont ramenés,
-malgré eux, nos modernes métapsychistes, quand ils constatent certaines
-manifestations hypnotiques ou médiumniques, certains phénomènes de
-télépathie, d’action à distance, de matérialisation et d’apparitions
-posthumes qui autrement seraient à peu près inexplicables. Une fois de
-plus, les anciennes religions avaient ici précédé notre science, vu
-peut-être plus juste et plus loin qu’elle. Je dis peut-être, car si
-l’existence du double, de l’astral ou de l’entité subconsciente à peu
-près indépendante de notre cerveau, n’est plus guère contestable en ce
-qui concerne les vivants, elle peut encore être discutée quand il s’agit
-des morts. Il est certain qu’à l’appui de cette existence, des faits
-extrêmement troublants s’accumulent; seule leur interprétation n’est pas
-encore décisive. Mais l’antique hypothèse égyptienne devient de plus en
-plus plausible et réfutait d’avance, il y a des milliers d’années,
-l’objection capitale que l’on fait aux spirites quand on leur dit que
-leurs esprits désincarnés ne sont que de pauvres ombres incohérentes et
-effarées, avant tout soucieuses d’établir leur identité et de se
-raccrocher à leur vie d’autrefois, de misérables mânes à qui la mort n’a
-rien révélé, et qui n’ont rien à nous apprendre sur leur existence
-d’outre-tombe, pâle reflet de leur existence antérieure. Il est en effet
-très explicable que cet esprit désincarné ne sache pas autre chose que
-ce qu’il savait durant sa vie. Le double égyptien dont il n’est que la
-réplique n’était pas l’âme véritable, l’âme immortelle qui, si le
-jugement de l’Amenti lui était favorable, rentrait en dieu ou plutôt
-redevenait dieu. Les rites sépulcraux n’entendaient pas s’occuper de
-cette âme dont le sort était fixé par la sentence de Maât; ils voulaient
-seulement rendre moins précaire, moins misérable, l’existence posthume
-de ce principe attardé et plus lent à se dissoudre, de cette sorte de
-déchet spirituel, de ce fantôme nerveux, magnétique ou fluidique qui
-avait été un homme et ne formait plus qu’un faisceau de souvenirs
-tenaces et sans asile. Ils cherchaient à lui adoucir, en maintenant
-autour de lui les objets de ces souvenirs, le passage de la mort à
-l’éternel oubli. Les Égyptiens avaient sans doute constaté plus
-nettement que nous l’évidence de ce double dont nous commençons à peine
-à soupçonner l’existence; car leur civilisation, héritière du reste de
-longues civilisations antérieures, était beaucoup plus ancienne que la
-nôtre et se portait davantage vers les côtés spirituels et invisibles de
-la vie. Mais ils ne préjugeaient rien, de même que l’hypothèse spirite,
-si elle était bien présentée, ne préjugerait rien au sujet de la
-destinée de l’âme proprement dite.
-
-Le double n’était soumis à aucun jugement. Que l’homme eût été bon ou
-mauvais, juste ou injuste, il avait droit aux mêmes rites funéraires, à
-la même existence d’outre-tombe. Son châtiment ou sa récompense, c’était
-lui-même, c’était de continuer d’être ce qu’il avait été, c’était de
-poursuivre, sur un autre plan, la vie haute ou basse, étroite ou large,
-intelligente ou stupide, généreuse ou égoïste, qu’il avait menée sur la
-terre.
-
-Remarquons que dans nos manifestations spirites il n’est pas question
-non plus de récompense ou de châtiment. Nos désincarnés, même lorsqu’ils
-furent croyants, ne font presque jamais allusion à un jugement posthume,
-à un enfer, à un ciel, à un purgatoire et, quand exceptionnellement ils
-en parlent, on peut presque à coup sûr soupçonner quelque interpolation
-télépathique. Ils sont, ou si l’on veut, paraissent être ce qu’ils
-étaient durant leur existence: plus ou moins consistants, plus ou moins
-cultivés, plus ou moins intelligents, plus ou moins volontaires, selon
-que leur pensée était consistante, cultivée, volontaire. Ils ne
-retrouvent que ce qu’ils ont semé dans les champs spirituels de ce
-monde. Mais ils n’ont pas,--et c’est la seule différence,--subi, comme
-le double égyptien, l’incantation magique qui, à tort ou à raison, pour
-leur bonheur ou leur malheur, violant les lois de la nature, rattachait
-celui-ci à ses restes physiques et l’empêchait de flotter comme une
-épave entre un monde matériel où il ne pouvait plus vivre et un univers
-spirituel où il semble qu’il lui fût interdit de pénétrer.
-
-
-VII
-
-Grâce à ces soins, grâce à ce culte et à cette prévoyance, le double
-était-il heureux? On n’oserait l’affirmer. Il existe un texte terrible,
-l’inscription funéraire de la femme de Pasherenpath, qui est le plus
-déchirant cri de regret et de détresse que les morts aient poussé vers
-la vie. Il est vrai que cette inscription est de l’époque des Ptolémées,
-c’est-à-dire des derniers temps de l’Égypte, déformée par la Grèce, deux
-ou trois siècles avant notre ère. Elle nous montre la décadence et
-presque la ruine de la foi égyptienne; et chose plus grave et plus
-inquiétante, en parlant de l’Amenti, semble confondre la destinée du
-double avec celle de l’âme immortelle. Voici cette inscription qui
-témoigne à quelles incertitudes aboutissent les religions les plus
-solides et les plus affirmatives; et comment, à la fin de leur cours,
-elles nous replongent dans les ténèbres du grand secret, dans le chaos
-de l’inconnaissable, d’où elles étaient sorties.
-
- «Oh! mon frère, mon époux, ne cesse pas de boire, de manger, de vider
- la coupe de la joie et de vivre dans les fêtes. Suis chaque jour tes
- désirs et ne laisse pas le souci pénétrer dans ton cœur tant que tu
- vivras sur cette terre! Car l’Amenti est le pays du sourd sommeil et
- de l’obscurité, séjour de deuil pour ceux qui l’habitent. Ils dorment
- dans leurs formes, ils ne se réveillent plus pour voir leurs frères,
- ils ne reconnaissent leur père ni leur mère; leur cœur est indifférent
- à leur femme et à leurs enfants. Chacun sur la terre jouit de l’eau de
- la vie; mais la soif est à mes côtés. L’eau vient à celui qui demeure
- sur la terre, mais j’ai soif de l’eau qui est près de moi. Je ne sais
- où je suis depuis que je suis en ce lieu et j’implore l’eau qui coule,
- j’implore la brise sur la rive du fleuve, afin que par elle puisse
- être rafraîchie la douleur de mon cœur. Car quant au Dieu qui est ici,
- «Mort Absolue» est son nom. Il appelle tous les hommes et tous
- viennent à lui en tremblant de peur. Avec lui il n’y a pas de respect
- pour les hommes ou les dieux; près de lui les grands sont comme les
- petits. On craint de le prier, car il n’écoute pas. Nul ne vient
- l’invoquer, car il n’est pas bon pour ceux qui l’adorent et ne tient
- pas compte des offrandes qu’on lui fait[35].»
-
- [35] SHARPE, _Egyptian Inscriptions_, I, pl. 4.
-
-
-VIII
-
-Et la réincarnation? On croit généralement que l’Égypte est par
-excellence le pays de la palingénésie et de la métempsychose. Il n’en
-est rien. Pas un texte égyptien n’y fait allusion. Il est vrai que l’âme
-devenant Osiris pouvait prendre toutes les formes; mais ce n’est pas là
-la réincarnation proprement dite, la réincarnation expiatoire et
-purificatrice des Hindous. Tout ce qu’on nous a dit à ce sujet repose
-principalement sur un texte d’Hérodote qui note que «les Égyptiens
-furent les premiers à affirmer que l’âme de l’homme est immortelle. Sans
-cesse, d’un vivant qui meurt, elle passe dans un autre qui naît, et,
-quand elle a parcouru tout le monde terrestre, aquatique et aérien, elle
-revient alors s’introduire en un corps humain. Ce voyage circulaire dure
-3.000 ans. C’est là une théorie que, plus ou moins près de nous,
-plusieurs Grecs se sont appropriés; je sais leurs noms et ne les écris
-point[36]».
-
- [36] _Hérodote_, II, 123.
-
-De même, tout ce qui concerne les fameux mystères de l’initiation
-égyptienne est de source relativement récente et date de l’époque où les
-traditions et les théories hindoues, chaldéennes, juives et
-néo-platoniciennes se mêlaient et fermentaient violemment dans
-Alexandrie. L’Égypte des Pharaons ne nous dit pas ce que devenait l’âme
-qui n’était pas béatifiée. Il est possible qu’elle fût obligée de
-revenir sur terre pour se purifier et que le secret de cette
-réincarnation demeurât réservé aux initiés, comme il est également
-possible que des textes mieux interprétés ou que d’autres que nous ne
-connaissons pas encore, justifient et expliquent la tradition
-ésotérique. Il ne serait du reste pas surprenant, comme le fait
-remarquer Sédir, occultiste des plus érudits, qu’une partie des secrets
-qui ne se trouvent pas dans les inscriptions que nous croyons
-entièrement comprendre, nous fussent venus par la Chaldée, attendu que
-c’est parmi les Mages, sur les confins du Tigre et de l’Euphrate, que
-Cambyse, après la conquête de l’Égypte, transporta tous les prêtres de
-ce dernier pays, sans exception et sans retour. Quoiqu’il en soit, je le
-répète, les textes purement égyptiens ne permettent pas, pour l’instant,
-de trancher la question.
-
-
-
-
-LA PERSE
-
-
-La Perse nous retiendra moins longtemps, car sa religion est sans doute
-un reflet du Védisme ou, plus probablement, révèle une commune origine.
-Eugène Burnouf et Spiegel ont en effet prouvé que certaines parties de
-l’Avesta sont aussi anciennes que le Rig.
-
-Le Mazdéisme ou Zoroastrisme paraît donc être une adaptation à l’esprit
-Iranien du Védisme ou de traditions aryennes--(atlantéennes diraient les
-théosophes)--antérieures au Védisme. Durant la captivité de Babylone,
-infiltré dans le Chaldéisme, il exerça une influence profonde sur la
-religion du peuple juif. Nous lui devons, entre autres choses, tels
-qu’ils ont passé dans la tradition judéo-chrétienne, la notion de
-l’immortalité de l’âme, le jugement de celle-ci, le jugement dernier, la
-résurrection des morts, le purgatoire, la croyance à l’efficacité des
-bonnes œuvres au point de vue du salut, la réversibilité des peines et
-des récompenses et toute notre angéologie.
-
-Le Zoroastrisme a tenté de résoudre plus nettement que les autres
-religions anciennes l’énigme du mal, en faisant de celui-ci un dieu
-distinct, perpétuellement en lutte avec le Dieu du bien. Mais ce
-dualisme est plus apparent que réel. Ahura-Mazda ou Ormazd, ou Ormuzd,
-l’Être absolu et universel, le Verbe, l’Esprit omnipotent et omniscient,
-la Réalité, précède et domine Agra-Mainyus ou Ahriman, la Non-Réalité,
-c’est-à-dire ce qui est mauvais et trompeur, qui dans ses ténèbres
-ignore tout, paraît aussi inférieur à Ormazd que le démon l’est au Dieu
-des chrétiens et ne se montre en somme qu’une sorte de singe de la
-divinité, imitant maladroitement les créations de cette dernière et ne
-pouvant produire que des vices, des maux et quelques êtres malfaisants
-qui seront anéantis dans l’immense victoire du bien; car la fin du
-monde, dans le système de Zoroastre, n’est que la régénération de la
-création.
-
-On ne nous dit du reste pas pourquoi Ormazd, le dieu suprême, est obligé
-de tolérer Ahriman qui, il est vrai, ne personnifie pas le mal en soi;
-mais le mal nécessaire au bien, les ténèbres indispensables à la
-manifestation de la lumière, la réaction qui suit l’action, le principe
-ou le pôle négatif opposé au positif pour assurer la vie et l’équilibre
-de l’univers.
-
-Ormazd lui-même semble d’ailleurs obéir à la nécessité, ou à une loi
-naturelle plus puissante que lui et surtout au Temps, dont les décrets
-sont le Destin, «car en dehors du Temps, dit l’_Uléma_, tout a été créé
-et le Temps est le créateur. Le Temps ne laisse voir en soi ni cime ni
-racines, et toujours il a été et toujours il sera. Un homme intelligent
-ne demandera pas: D’où vient le Temps? ni s’il y a eu un temps où cette
-puissance n’existait pas[37]».
-
- [37] J. DARMESTETER, _Ormazd et Ahriman_, p. 320.
-
-Il serait intéressant d’étudier cette religion, au point de vue de ce
-qui lui doit le christianisme qui lui fit autant et même plus d’emprunts
-qu’au Brahmanisme et au Bouddhisme. Il faudrait également s’arrêter, ne
-fût-ce qu’un instant, à sa morale, une des plus hautes, des plus pures,
-des plus noblement humaines que l’on connaisse. Mais cette étude
-déborderait notre cadre. Nous devons, par exemple, à la Perse antique,
-l’admirable notion de la conscience, sorte de puissance divine, existant
-de toute éternité, indépendante du corps matériel, ne prenant aucune
-part aux fautes qu’elle voit s’accomplir, restant pure au milieu des
-pires égarements, accompagnant, après la mort, l’âme de l’homme qui,
-s’il fut juste, lorsqu’elle franchit le pont Tchinvat ou pont de la
-Rétribution, voit s’avancer à sa rencontre une jeune fille d’une
-miraculeuse beauté. «Qui es-tu, lui demande l’âme étonnée, toi qui me
-sembles plus belle et plus magnifique qu’aucune fille de la terre»? Et
-sa conscience répond: «Je suis tes propres œuvres. Je suis l’incarnation
-de tes bonnes pensées, paroles et actions, je suis l’incarnation de ta
-foi pleine de piété[38]?»
-
- [38] _Yesth_, XXII.
-
-Au contraire, si c’est un pécheur qui franchit le pont de la
-Rétribution, sa conscience vient à lui sous une forme horrible, bien
-qu’en soi elle ne change pas et se présente seulement aux hommes telle
-qu’ils ont mérité de la voir. Cette allégorie, qu’on croirait tirée d’un
-recueil de paraboles chrétiennes, date peut-être de 5.000 ou 6.000 ans
-et n’est qu’une dramatisation du Karma hindou. Ici encore, comme dans le
-Karma et l’Osirification, c’est l’âme qui se juge elle-même.
-
-Nous devons aussi au Mazdéisme la mystérieuse et subtile notion des
-Fravashis ou Férouers que la Kabbale emprunta à la Perse et dont le
-mysticisme juif et le christianisme firent les anges et surtout les
-anges gardiens. Elle implique la préexistence des âmes. Les Férouers
-sont la forme spirituelle de l’être, indépendante de la vie matérielle
-et antérieure à celle-ci. Ormazd offre le choix aux Férouers des hommes
-de rester dans le monde spirituel ou de descendre sur terre pour
-s’incarner dans des corps humains. Ce sont des sortes de prototypes dont
-Platon tira probablement sa théorie des «Idées», en supposant que toute
-chose avait une double existence, d’abord en idée puis en réalité.
-
-Ajoutons qu’un phénomène analogue à celui que nous avons déjà constaté,
-dans l’Inde, se répéta ici: ce qui était public et patent dans le
-Mazdéisme devint peu à peu secret et fut réservé aux seuls initiés dans
-ce que les Grecs et les Juifs, notamment dans leur Kabbale, lui
-empruntèrent.
-
-
-
-
-LA CHALDÉE
-
-
-La Chaldée, c’est-à-dire la Babylonie et l’Assyrie, est comme la Perse,
-la patrie des Mages, et on la regarde généralement comme la terre
-classique de l’occultisme; mais ici encore, ainsi que nous l’avons vu
-pour l’Égypte, la légende ne concorde guère avec la réalité historique.
-
-Il semble _à priori_, que la Chaldée doive nous intéresser spécialement,
-non qu’il soit probable qu’elle ait à nous apprendre autre chose que
-l’Inde, l’Égypte et la Perse dont elle est tributaire, mais parce que
-c’est en elle que se trouve vraisemblablement la source principale de la
-Kabbale qui est elle-même la grande fontaine où s’alimenta l’occultisme
-du Moyen âge, tel qu’il s’est prolongé jusqu’à nous.
-
-On avait espéré que la découverte de la clef des écritures
-cunéiformes,--découverte qui ne remonte guère à plus d’un
-demi-siècle,--et le déchiffrement des inscriptions de Ninive et de
-Babylone, nous apporteraient des révélations précieuses sur les mystères
-de la religion chaldéenne. Mais ces inscriptions qui remontent à 2.000,
-à 3.750 et même pour l’une d’elles, conservée au British Museum, à 4.000
-ans avant J.-C., et dont la lecture est du reste beaucoup plus
-incertaine et plus controversée que celle des hiéroglyphes et du
-sanscrit, ne nous ont donné que des biographies royales, des
-nomenclatures de conquêtes, des formules incantatoires, des litanies et
-des psaumes qui servirent de modèles aux psaumes hébreux. Nous y voyons
-que le fond de la religion très primitive des Soumirs ou Sumers et des
-Accads ou Akkadiens qui peuplaient la basse Chaldée avant la conquête
-sémite, était la magie et la sorcellerie auxquelles succéda un
-polythéisme naturaliste que les Sémites conquérants, moins civilisés que
-leurs vaincus, adoptèrent en partie, jusqu’à ce que, environ 2.000 ans
-avant notre ère, l’élément sémite ayant pris le dessus, réduisit
-graduellement les dieux primitifs à n’être plus que des phases ou des
-attributs de Baal, le dieu suprême, le Dieu-Soleil.
-
-Ces inscriptions ne nous ont donc rien appris sur le secret,--si secret
-il y a,--de la religion chaldéenne et n’ont pas ajouté grand chose aux
-renseignements que nous possédions déjà grâce aux fragments de Bérose,
-dont elles ont du reste permis de contrôler plus d’une fois
-l’exactitude.
-
-Bérose, comme on sait, était un astronome chaldéen, prêtre de Bélus, à
-Babylone, qui vers l’an 280 avant J.-C., c’est-à-dire peu après la mort
-d’Alexandre, écrivit en grec une histoire de sa patrie. Comme il lisait
-les caractères cunéiformes, il sut mettre à profit les archives du
-temple de Babylone. Malheureusement l’œuvre de Bérose est presque
-entièrement perdue et il ne nous en reste que quelques débris recueillis
-par Josèphe, Eusèbe, Tatien, Pline, Vitruve et Sénèque. Cette perte est
-d’autant plus regrettable que Bérose, qui paraît avoir été un historien
-sérieux et consciencieux, affirmait avoir eu accès à des documents
-attribués à des êtres qui précédèrent l’apparition de l’homme sur cette
-terre; et que son histoire, au dire d’Eusèbe, comprenait 215 myriades
-d’années. Nous avons également perdu sa cosmogonie et avec elle toute la
-science astronomique et astrologique de la Chaldée, qui était le grand
-secret des Mages de Babylone dont le zodiaque remonte à 6.700 ans. Nous
-n’avons plus que le traité connu sous le nom d’_Observations de Bel_,
-traduit en grec par Bérose, mais dont le texte qui nous est parvenu est
-de beaucoup postérieur.
-
-Les quelques pages qui nous restent de la cosmologie chaldéenne offrent
-une sorte d’«anticipation» des théories darwiniennes au sujet de
-l’origine du monde et de l’homme. Le premier dieu et le premier homme
-étaient un dieu et un homme-poisson,--ce qui est du reste confirmé par
-l’embryologie,--nés de l’immense océan cosmique; et la nature, en
-s’essayant à créer, produisit d’abord des monstres hétéroclites et
-inviables. Quant à l’astrologie, selon la remarque de A.-H. Sayce, le
-savant professeur d’assyriologie de l’Université d’Oxford, elle semble
-surtout basée sur l’axiome: _Post hoc ergo propter hoc_, c’est-à-dire
-que deux événements se succédant, le second était considéré comme la
-cause du premier; de là le soin avec lequel les astrologues observaient
-les phénomènes célestes, afin de prédire empiriquement l’avenir.
-
-Somme toute, nous ne connaissons que très imparfaitement la religion
-officielle de l’Assyrie et de la Babylonie dont les dieux paraissent
-assez barbares. Cette religion ne s’éclaire et ne devient intéressante
-qu’à partir de la conquête de Cyrus qui apporta les enseignements
-zoroastriens et hindous, ou confirma et compléta ceux qui
-vraisemblablement avaient déjà pénétré dans le secret des temples; car
-la Chaldée avait toujours été le grand carrefour où se rencontraient
-forcément toutes les théologies de l’Inde, de l’Égypte et de la Perse.
-C’est ainsi que ces enseignements s’infiltrèrent dans la Bible, dans la
-Kabbale et de là dans le christianisme.
-
-Mais en tant que religion-source, il faut constater que les documents
-authentiques récemment découverts ne nous apprennent presque rien et que
-tout ce qu’on a dit au sujet de l’ésotérisme et des mystères de la
-Chaldée ne repose que sur des légendes ou des écrits notoirement
-apocryphes.
-
-
-
-
-LA GRÈCE ANTÉ-SOCRATIQUE
-
-
-I
-
-Il nous reste, pour compléter cette revue sommaire des religions
-primitives et cette recherche des origines du grand secret, à dire un
-mot de la théogonie anté-socratique.
-
-Avant l’époque classique, les philosophes grecs, dont nous ne possédons
-d’ailleurs que des fragments mutilés, Pythagore, Pétron, Hippasos,
-Xénophane, Anaximandre, Anaximène, Héraclite, Alcmène, Parménide d’Élée,
-Leucippe, Démocrite, Empédocle, Anaxagore, se trouvaient déjà dans la
-situation inquiétante et bizarre où se retrouvèrent, quinze à vingt
-siècles plus tard, les Kabbalistes juifs et les occultistes du Moyen
-âge. Ils semblent comme eux pressentir l’existence ou la tradition
-obscure d’une religion plus ancienne et plus haute qui avait répondu ou
-essayé de répondre à toutes les questions angoissantes sur la divinité,
-l’origine du monde et son but, l’éternel devenir se juxtaposant à l’être
-immobile, le passage du chaos au cosmos, la sortie du grand tout et la
-rentrée en lui, l’esprit et la matière, le bien et le mal, la naissance
-de l’univers et sa fin, l’attraction et la répulsion, le sort, la place
-et la destinée de l’homme.
-
-Elle avait surtout, cette tradition perdue que nous avons retrouvée
-presque intacte dans l’Inde, fait une fois pour toutes le départ entre
-le connaissable et l’inconnaissable, et attribuant à celui-ci la portion
-du lion, ose installer au centre de sa doctrine un immense aveu
-d’ignorance.
-
-Mais les Grecs ne semblent pas se douter de l’existence de cet aveu,
-simple, net et profond, qui leur eût épargné bien des recherches vaines;
-ou bien, leur esprit plus subtil, plus remuant, plus entreprenant, ne
-voulait pas l’admettre; et toute leur cosmogonie, leur théogonie et leur
-métaphysique n’est qu’un effort incessant pour le diminuer en le
-subdivisant, en l’émiettant à l’infini, comme s’ils eussent espéré qu’à
-force de rendre petite chacune des parties de l’inconnaissable, ils
-arriveraient à en connaître le tout.
-
-C’est du reste un spectacle extrêmement curieux que cette lutte de la
-raison grecque, lucide, exigeante, tatillonne et voulant se rendre
-compte de tout, contre les ténèbres grandioses et souvent désordonnées
-des religions asiatiques. On a dit qu’il manquait aux Grecs le sentiment
-de l’absolu divin; ce sera vrai, mais plus tard. Au début, leur pensée,
-encore sous l’influence de traditions mystérieuses, est tout imprégnée
-du sentiment de cet absolu qui les a souvent, par les seuls sentiers de
-la raison, conduits beaucoup plus haut, et peut-être plus près de la
-vérité, que leurs successeurs plus habiles qui l’avaient perdu.
-
-
-II
-
-Mais sans entrer dans le détail de leurs tâtonnements vers une lumière
-pressentie ou profondément ensevelie dans la mémoire atavique ou dans
-des mythes qu’on ne comprenait plus, sans préciser l’apport de chacun de
-ces philosophes, ce qui nécessiterait des développements intéressants
-mais disproportionnés, notons simplement les concordances essentielles
-avec les théories védiques et brahmaniques.
-
-Xénophane le premier, contre les poètes, affirma l’existence d’un dieu
-unique, immuable, éternel. «Dieu, dit-il, n’est point né, car il
-n’aurait pu naître que de son semblable ou de son contraire, deux
-hypothèses dont la première est inutile et la seconde absurde. On ne
-peut dire ni qu’il est infini ni qu’il est fini; car infini, n’ayant ni
-milieu, ni commencement ni fin, il ne serait rien du tout; et fini, il
-exigerait une limite et cesserait d’être un. Il n’est ni en repos ni en
-mouvement pour des raisons analogues. Bref, on ne peut lui donner que
-des caractères négatifs[39].» Ce qui est bien, sous une autre forme,
-avouer qu’il est aussi inconnaissable que la cause première des hindous.
-
- [39] ALBERT RIVAUD, _Le Problème du devenir_, p. 102.
-
-Cet aveu de l’inconnaissable est du reste plus nettement formulé par
-Xénophane, en un autre endroit. «La vérité, il n’y a point d’homme, il
-n’y en aura point à la connaître, sur les dieux et sur les choses que
-j’enseigne. Arrivât-il à quelqu’un de rencontrer la vérité absolue, la
-rencontre demeurerait par lui-même ignorée. En toutes choses, il n’y a
-que la vraisemblance[40]».
-
- [40] Fr. 34.
-
-Ne pourrions-nous pas répéter aujourd’hui ce qu’il y a plus de
-vingt-cinq siècles affirmait le fondateur de l’école d’Élée? Y eut-il,
-ici comme ailleurs, infiltration de la tradition primitive? C’est
-probable; en tout cas, sur d’autres points, la filiation est nettement
-établie. Les Orphiques qui se trouvent à l’origine légendaire et
-préhistorique de la poésie et de la philosophie hellénique, sont en
-réalité, selon Hérodote, des Égyptiens[41]. Nous avons vu d’autre part
-que la religion égyptienne et la religion védique ont vraisemblablement
-une source commune; et qu’il est pour l’instant impossible de dire avec
-certitude laquelle est la plus ancienne. Or, les Pythagoriciens ont
-emprunté aux Orphiques l’errance des âmes et la série des purifications.
-D’autres leur ont pris le mythe de Dionysos, avec toutes ses
-conséquences; car Dionysos, dieu-enfant, tué par les Titans et dont
-Athénée sauve le cœur en le cachant dans une corbeille et que Jupiter
-fait renaître, c’est Osiris, c’est Krichna, c’est le Bouddha, c’est
-toutes les incarnations divines, c’est le dieu qui descend ou plutôt
-éclate dans l’homme, c’est la mort provisoire et illusoire et la
-renaissance réelle et immortelle, c’est l’union temporaire avec la
-divinité qui n’est que le prélude de l’union définitive, c’est le cycle
-sans fin de l’éternel devenir.
-
- [41] _Hérodote_, II, 81.
-
-
-III
-
-Héraclite, dont on a fait le philosophe des mystères, éclaire ce cycle.
-«Dans la périphérie du cercle, le commencement et la fin ne font
-qu’un[42].» «La divinité est chez lui, dit Auguste Dies, origine et
-terme des existences individuelles. L’unité se divise en pluralité et la
-pluralité se résoud en unité; mais unité et pluralité sont
-contemporaines et l’émanation du sein de la divinité est accompagnée
-d’un retour incessant à la divinité[43].» Tout sort de Dieu, tout rentre
-en Dieu, tout devient un, un devient tout. Dieu ou le monde est un, la
-pensée divine est répandue en toutes les parties de l’univers. En un
-mot, son système, comme celui des Védas et des Égyptiens, est un
-panthéisme unitaire.
-
- [42] _Héraclite_, fr. 102.
-
- [43] AUGUSTE DIES, _Le Cycle mystique_, p. 62.
-
-Dans Empédocle, qui succède à Xénophane et à Parménide, nous retrouvons
-exactement, au sujet de la cosmologie, la théorie hindoue de l’expansion
-et de la contraction de l’univers, du dieu qui l’inspire et qui
-l’expire, de l’intériorisation et de l’extériorisation alternatives. «A
-l’origine, les éléments sont confondus dans la parfaite immobilité du
-Sphéros. Mais quand la force de répulsion qui demeurait inactive à la
-circonférence externe, a repris son mouvement vers le centre, la
-séparation commence. Elle irait jusqu’à l’absolue division et
-l’éparpillement de l’être, si une force antagoniste ne ramenait les
-éléments dispersés, jusqu’à ce que graduellement se recompose l’unité
-primitive[44].»
-
- [44] _Ibid._, p. 84, 85.
-
-Le génie grec qui, comme nous en voyons ici un exemple curieux, veut
-autant que possible expliquer l’inexplicable, que le génie hindou se
-contente de grandiosement ressentir, appelle haine la force de répulsion
-et amitié la force d’attraction. Ces forces existent de toute éternité.
-«Elles étaient, elles seront, et jamais, à ce que je crois, n’en sera
-dépouillée l’interminable durée. Tantôt la pluralité se résoud en unité
-dans l’amour, et tantôt l’unité se redivise en pluralité dans la haine
-et le combat.»
-
-Mais d’où vient cette dualité dans l’unité, d’où naissent ces principes
-opposés d’attraction et de répulsion, de haine et d’amour? Empédocle et
-son école ne le disent point. Ils constatent simplement que dans la
-division, la répulsion ou la haine, il y a déchéance, et ascension ou
-réascension dans l’attraction, le retour à l’unité et à l’amour, de même
-que les Hindous mettaient l’idée de déchéance dans la matière et l’idée
-de remontée et de retour à la divinité, dans l’esprit. L’aveu
-d’ignorance est pareil, et pareils sont aussi les moyens de sortir de la
-haine et de se dégager de la matière. C’est d’abord la purification
-durant la vie, et une purification toute spirituelle. «Bienheureux, dit
-le philosophe d’Agrigente, est celui qui s’acquiert une richesse de
-pensées divines; malheureux est celui qui n’a des dieux qu’une opinion
-ténébreuse.»
-
-C’est encore et surtout la purification par les réincarnations
-successives. Empédocle va plus loin que la religion védique qui se
-borne, du moins jusqu’à Manou, à la réincarnation de l’homme dans
-l’homme, il admet comme les Pythagoriciens, la métempsycose,
-c’est-à-dire le passage de l’âme, non seulement dans les animaux, mais
-même dans les plantes, et la ramène ainsi, d’ascensions en ascensions
-jusqu’à la divinité d’où elle était sortie et où elle rentre et se
-résorbe, comme dans le Nirvana hindou.
-
-
-IV
-
-Il est peut-être intéressant, à ce propos, de faire remarquer que, comme
-dans la doctrine védique et égyptienne, il n’est pas question de
-récompenses et de châtiments extérieurs. Dans la métempsycose
-anté-socratique, comme dans la réincarnation hindoue, comme devant le
-tribunal d’Osiris, c’est l’âme qui se juge et qui, automatiquement, pour
-ainsi dire, se classe dans le bonheur ou le malheur auquel elle a droit.
-Il n’y a pas de dieu irrité et vengeur, il n’y a pas de lieux spéciaux
-et maudits réservés aux réprouvés et à l’expiation. On n’expie pas dans
-la mort, parce qu’il n’y a pas de mort. On n’expie que dans la vie et
-par la vie, en celle-ci ou dans l’autre. Ou plutôt il n’y a pas
-expiation, il y a simplement dessillation. L’âme est heureuse ou
-malheureuse parce qu’elle se sent ou ne se sent pas à sa place; parce
-qu’elle peut ou ne peut pas atteindre la hauteur qu’elle avait espérée.
-Elle n’éprouve sa divinité qu’à proportion qu’elle a compris ou comprend
-Dieu. Dépouillée de tout ce qui était matériel et l’aveuglait, elle se
-voit tout d’un coup sur l’autre rive, telle qu’elle était à son insu sur
-celle-ci. De tous ses biens, de son bonheur ou de sa gloire, il ne lui
-reste que ses acquisitions intellectuelles et morales. Elle n’est plus
-autre chose que les pensées qu’elle eut et les vertus qu’elle pratiqua.
-Elle constate ce qu’elle est et entrevoit ce qu’elle aurait pu être; et
-si elle n’est pas satisfaite, elle se dit: «c’est à recommencer», et
-elle rentre volontairement dans la vie pour viser plus haut et en
-ressortir plus grande et plus heureuse.
-
-
-V
-
-Au fond, dans la théologie et dans les mythes anté-socratiques, comme
-dans les théologies et les mythes des religions qui les précédèrent, il
-n’y a pas d’enfer, il n’y a pas de paradis. Aux souterrains de l’Hadès,
-comme aux prés des Champs-Élysées, ne se trouvent que les ombres, les
-mânes astrales, les doubles égyptiens, les restes inconsistants de nos
-désincarnés. Les instruments de leur supplice ou les accessoires de leur
-pâle félicité, ne sont que des pièces d’identité, à l’aide desquels,
-comme les vagues interlocuteurs de nos spirites, ils cherchent à se
-faire reconnaître. Ici, aussi bien que dans l’Inde, l’enfer n’est pas un
-lieu, mais un état de l’âme après la mort. Les mânes ne sont pas
-châtiées dans la pénombre, elles continuent seulement d’y vivre les
-reflets de leur vie d’autrefois. Tantale y a soif, Sisyphe y roule son
-rocher, les Danaïdes s’y épuisent à remplir leur tonneau sans fond,
-Achille y brandit sa lance, Ulysse y porte sa rame, Hercule y tend son
-arc; leurs vaines effigies répètent à l’infini les gestes mémorables ou
-habituels de leur existence terrestre; mais l’esprit impérissable, l’âme
-immortelle n’est pas là, elle se purifie, elle agit autre part, en
-d’autres corps, sur la longue route invisible qui la ramène en Dieu.
-
-A ce moment, comme à toutes les hautes origines, il n’y a pas encore de
-crainte de la mort et de l’au-delà. Cette crainte ne se montre et ne se
-développe dans les grandes religions que lorsque celles-ci commencent à
-se corrompre au profit des prêtres et des rois. L’intuition et
-l’intelligence de l’humanité ne regagnèrent jamais l’altitude qu’elles
-atteignirent quand elles conçurent de la divinité l’idée dont nous
-retrouvons les traces les plus pures dans les traditions védiques. On
-peut dire qu’en ces jours l’homme découvrit au plus haut de lui-même et
-y fixa, une fois pour toutes, la notion du divin, qu’il oublia depuis,
-qu’il altéra souvent; mais sous les oublis et les altérations éphémères,
-elle transparaît toujours. Et c’est ainsi, qu’au fond de tous ces
-mythes, de tous ces enseignements parfois si disparates, nous sentons le
-même optimisme, ou du moins la même confiance ignorante, car le secret
-le plus ancien de l’homme est bien une immense, une aveugle confiance en
-la divinité dont il était sorti sans cesser d’en faire partie et dans
-laquelle il rentrera un jour.
-
-Il y aurait encore bien d’autres points de contact à signaler, par
-exemple dans la théorie des atomistes qui renferme d’étranges
-intuitions. Leucippe et Démocrite, notamment, enseignent que le
-mouvement gyratoire des sphères existe de toute éternité et Anaxagore
-développe la théorie des tourbillons élémentaires que retrouve la
-science contemporaine. Mais ce que nous venons de noter paraîtra sans
-doute suffisant. Du reste, on aborde la plupart des grands mystères de
-l’homme dans cette philosophie trop généralement regardée comme un tissu
-d’absurdité et de spéculations puériles. A l’étudier de plus près, on y
-constate au contraire les plus merveilleux efforts de la raison humaine
-qui, secrètement soutenue par la vérité que contenaient des mythes
-obnubilés, serre de plus près qu’un grand nombre d’hypothèses modernes,
-le vraisemblable et le plausible.
-
-
-VI
-
-On peut supposer que les parties les plus hautes de cette théosophie et
-de cette philosophie, c’est-à-dire celles qui touchaient à la cause
-suprême et à l’inconnaissable, peu à peu négligées et oubliées dans la
-théosophie et la philosophie classiques, devinrent, comme en Égypte et
-dans l’Inde, le secret des hiérophantes et formèrent, avec des
-traditions orales et plus directes, le fond de ces fameux mystères
-grecs, notamment de ceux d’Eleusis, dont on n’a jamais percé les
-ténèbres.
-
-Le dernier mot du grand secret devait y être aussi l’aveu d’une
-ignorance invincible et sacrée. En tout cas, ce qu’il y avait déjà de
-négatif et d’inconnaissable dans les mythes et dans cette philosophie
-qu’on lui rappelait, suffisait à anéantir chez l’initié les dieux
-qu’adorait le profane, en même temps qu’il apprenait pourquoi un
-enseignement, si dangereux pour ceux qui n’étaient pas à même d’en
-comprendre l’ampleur, devait rester occulte. Il n’y avait probablement
-pas autre chose dans cette révélation suprême, parce qu’il n’y a
-probablement pas d’autre secret que l’homme puisse posséder ou
-concevoir; qu’il ne peut avoir existé, qu’il n’existera jamais de
-formule qui donne la clef de l’univers.
-
-Mais outre cet aveu qui devait paraître écrasant ou libérateur, selon la
-qualité de l’esprit qui le recevait, on initiait probablement le
-néophyte à une science occulte plus positive, analogue à celle que
-possédaient les prêtres égyptiens et hindous. On devait surtout lui
-enseigner le moyen d’arriver à l’union divine ou à l’immersion dans la
-divinité par l’extase. Il est permis de supposer que cette extase était
-obtenue à l’aide de procédés hypnotiques, mais d’un hypnotisme beaucoup
-plus savant et plus développé que le nôtre, et dans lequel l’hypnotisme
-proprement dit, le magnétisme, le médiumnisme, et toutes les
-mystérieuses forces, odiques et autres, du subconscient, mieux connues
-qu’elles ne le sont aujourd’hui, se mêlaient et étaient mises en œuvre.
-
-Celui que plusieurs considèrent comme le plus grand théosophe
-contemporain, Rudolph Steiner, prétend, ainsi que nous le verrons plus
-loin, avoir retrouvé le moyen, ou l’un des moyens, de provoquer cette
-extase et de se mettre en communication avec les mondes supérieurs et
-avec Dieu.
-
-
-VII
-
-De ce qui précède, on peut, semble-t-il, conclure que les grands
-initiés, ou pour parler plus exactement, les adeptes des religions
-ésotériques, des collèges de prêtres ou des fraternités occultes, sur
-l’origine et le but de l’univers, sur le caractère inconnaissable de la
-cause première, ou du dieu des dieux, sur les devoirs et les destinées
-de l’homme, ne savaient pas autre chose que ce qu’avaient ouvertement
-enseigné, à ceux qui étaient capables de le comprendre, les grandes
-religions primitives. Ils ne savaient pas autre chose pour la raison que
-jusqu’ici il n’a pas été possible de savoir et par conséquent
-d’enseigner autre chose. S’ils avaient su autre chose, nous le saurions
-aussi; car il n’est guère admissible que l’essentiel d’un tel secret
-n’eût pas transpiré depuis tant de milliers d’années qu’il était connu
-de tant de milliers d’hommes. S’il était possible d’imaginer qu’il
-existe et que nous le puissions connaître, le connaissant, nous ne
-serions plus des hommes. Il y a à la connaissance des limites que le
-cerveau n’a pas encore franchies, qu’il ne pourra jamais franchir sans
-cesser d’être un cerveau humain. Tout au plus, l’aveu de l’agnosticisme
-irréductible et du panthéisme intégral, qui sont les deux pôles entre
-lesquels a toujours oscillé, oscille encore et probablement oscillera
-toujours la pensée humaine la plus haute, pouvait-il être plus franc,
-plus net, plus dénué de formes, plus total et mettre en garde ceux qui
-le recevaient contre les apparences fallacieuses et les mensonges
-nécessaires des théogonies et des mythologies officielles.
-
-
-VIII
-
-Non plus qu’à une certaine hauteur il n’y avait de cosmogonie, de
-théogonie ou de théologie ésotérique, n’y avait-il de morale secrète.
-Sous ce rapport, nous venons de le voir à la hâte, les religions
-primitives avaient tout exploré, sans laisser un coin d’ombre où pussent
-se réfugier les amants du mystère et les chercheurs d’inconnu. Leur
-morale est d’emblée, ou paraît être d’emblée,--car nous ignorons les
-milliers d’années d’élaboration,--la plus élevée, la plus parfaite que
-l’homme puisse espérer de pratiquer. Elle a tout éprouvé, elle a tenté
-et gravi toutes les montagnes. Où elle a passé, et elle a passé partout,
-surtout sur les plus âpres cimes, il ne reste rien à glaner. Nous sommes
-encore à des centaines de siècles au-dessous de ce qu’elle atteignit sur
-les sommets de l’abnégation, de la bonté, de la pitié, du sacrifice, du
-don total de soi; et principalement dans la recherche de ce que Novalis
-appelait «notre moi transcendental», c’est-à-dire la partie divine et
-éternelle de notre être.
-
-Quant aux sanctions, elles allèrent également à l’extrême de ce que
-l’intelligence peut concevoir; car parties de l’inconnaissable, elles ne
-pouvaient, à peine de se démentir, attribuer à cet inconnaissable une
-volonté quelconque. Elles devaient donc mettre en nous-mêmes la
-récompense et le châtiment d’une morale qui ne pouvait naître qu’en
-nous. Ici non plus il n’y avait pas la moindre place pour un
-enseignement différent et occulte.
-
-Reste l’énigme de l’origine du mal, de l’antagonisme apparent de
-l’esprit et de la matière, de la nécessité du sacrifice, de la douleur
-et de l’expiation. Ici encore, à moins de se contredire, la tradition
-occulte ne pouvait rien fonder sur l’inconnaissable. Elle avait
-simplement à admettre, à titre provisoire, l’explication la plus haute
-des religions ésotériques qui regardent la matière et les ténèbres, la
-division et la séparation, non comme le mal en soi, mais comme des états
-transitoires de la substance une et éternelle, une phase du va-et-vient
-du devenir sans fin, dont il fallait s’efforcer de sortir pour atteindre
-le plus tôt possible l’état ou la phase spirituelle. Elle n’avait et
-sans doute ne pouvait avoir à cet égard un enseignement plus
-satisfaisant. En tout cas aucun écho n’en est parvenu jusqu’à nous et il
-est probable qu’elle se contentait, une fois de plus, d’accentuer l’aveu
-de son ignorance invincible.
-
-
-IX
-
-Voilà donc les points,--et ce sont les plus importants,--sur lesquels
-l’enseignement ésotérique, s’il y eut à l’origine un tel enseignement,
-devait nécessairement se confondre avec l’enseignement public des
-religions primitives saisies près de leurs sources. Il est
-vraisemblable, je l’ai déjà dit, que cet enseignement ne prit un
-caractère secret que beaucoup plus tard, quand les religions officielles
-se furent extraordinairement compliquées et profondément corrompues.
-L’ésotérisme ne fut alors que le retour à la pureté originelle, de même
-qu’en Grèce, les doctrines ou les hypothèses anté-socratiques,
-d’origine, quoiqu’on en ait dit, évidemment asiatique, devinrent celles
-des mystères. Il est donc à peu près certain que sur ces questions, les
-occultistes de tous les temps et de tous les pays n’en savaient pas plus
-que nous. Mais il est d’autres domaines où ils paraissent avoir possédé
-des traditions que les religions officielles ne nous ont pas transmises
-et dont les successeurs des grands adeptes de l’Inde, de l’Égypte, de la
-Perse, de la Chaldée et de la Grèce, les Kabbalistes, les
-néo-platoniciens, les gnostiques et les hermétistes du Moyen âge ont
-plus ou moins vainement tenté de retrouver le secret.
-
-
-X
-
-Ce domaine est celui des forces inconnues de la nature. Il n’est plus
-guère possible de contester que les prêtres de l’Inde, de l’Égypte, les
-Mages de la Perse et de la Chaldée avaient en chimie, en physique, en
-astronomie, en médecine, des connaissances que sur certains points nous
-avons sans doute dépassées, mais que sur d’autres nous sommes peut-être
-fort loin d’avoir récupérées. Sans rappeler ici ces rochers de quinze
-cents tonnes transportés à d’énormes distances par des procédés
-inconnus, ou ces pierres branlantes, blocs de cinq cent mille kilos qui
-n’appartiennent jamais au sol sur lequel ils se trouvent et qui
-remontent aux temps préhistoriques des Atlantes, il est indubitable que
-la grande pyramide, celle de Khéops, par exemple, est une sorte
-d’immense hiéroglyphe qui, par ses dimensions, ses proportions, ses
-dispositions intérieures, son orientation astronomique, propose toute
-une série d’énigmes dont on n’a jusqu’ici déchiffré que les plus
-évidentes. Une tradition occulte avait toujours affirmé que cette
-pyramide recélait des secrets essentiels, mais c’est tout récemment
-qu’on a commencé de les démêler. L’abbé Moreux, le savant directeur de
-l’observatoire de Bourges, résumant parfaitement la question dans ses
-_Énigmes de la Science_[45], nous montre que le méridien de la pyramide,
-ou la ligne nord-sud, passant par son sommet, est le méridien idéal,
-c’est-à-dire celui qui traverse le plus de continents et le moins de
-mers, et que si l’on calcule exactement l’étendue des terres que l’homme
-peut habiter, il les divise en deux parties rigoureusement égales.
-D’autre part, en multipliant la hauteur de la pyramide par un million,
-on trouve la distance de la terre au soleil, soit 148.208.000
-kilomètres, ce qui est, à un million de kilomètres près, la distance
-qu’à la suite de longs travaux, d’expéditions lointaines et dangereuses,
-et grâce aux progrès de la photographie céleste, la science moderne a
-définitivement adoptée.
-
- [45] Abbé TH. MOREUX, _Les Énigmes de la science_, p. 5 et suiv.
-
-De son côté, le célèbre astronome Clarcke a déduit des mesures récentes
-le rayon polaire de la terre qu’il évalue à 6.356.521 mètres. Or, c’est
-exactement la coudée pyramidale, soit 0,6356,521 multiplié par 10
-millions. Ensuite, en divisant le côté de la pyramide par la coudée
-employée dans sa construction, on trouve la longueur de l’année
-sidérale, c’est-à-dire le temps que le soleil met à revenir au même
-point du ciel. Puis, si nous multiplions le pouce pyramidal par 100
-millions, nous obtiendrons la longueur parcourue par la terre sur son
-orbite en un jour de vingt-quatre heures, avec une approximation plus
-grande que ne pourraient le permettre nos mesures actuelles, le yard ou
-le mètre français. Enfin, le passage d’entrée de la pyramide regardait
-l’étoile polaire de l’époque; il aurait donc été orienté en tenant
-compte de la précession des équinoxes, phénomène d’après lequel le pôle
-céleste revient coïncider avec les mêmes étoiles au bout de 25.796 ans.
-
-Nous voyons donc, comme le dit l’abbé Moreux, «que toutes ces conquêtes
-de la science moderne se trouvent dans la grande pyramide, à l’état de
-grandeurs naturelles, mesurées et toujours mesurables, ayant seulement
-besoin pour se montrer au grand jour, de la signification métrique
-qu’elles portent en elles».
-
-Il est impossible d’attribuer à de simples coïncidences ces
-enseignements singuliers. Ils nous prouvent que les prêtres égyptiens
-avaient en géographie, en mathématiques, en géométrie, en astronomie,
-des connaissances que nous venons à peine de reconquérir; et rien ne
-nous dit que cette énigmatique pyramide ne renferme pas une foule
-d’autres secrets que nous n’avons pas encore découverts. Mais le plus
-étrange, le plus déconcertant, c’est qu’aucun des innombrables
-hiéroglyphes qu’on a déchiffrés, rien de ce que nous trouvons dans toute
-la littérature de l’Égypte antique, ne fait allusion à cette science
-extraordinaire. Il est même évident que les prêtres ont voulu la cacher;
-la coudée pyramidale ou sacrée, clef de tous les calculs et de toutes
-les mesures scientifiques, n’était pas employée d’une façon courante; et
-tout ce savoir miraculeux, venu on ne sait d’où, était volontairement et
-systématiquement enseveli dans un tombeau et proposé comme une énigme ou
-un défi aux siècles futurs. La révélation d’un tel mystère, due au
-hasard, ne nous permet-elle pas de soupçonner que bien d’autres
-mystères, de toute nature, soit dans cette pyramide, soit en d’autres
-monuments ou dans les écritures sacrées, attendent d’un autre hasard une
-révélation analogue?
-
-En l’attendant, il est en tout cas très probable que les prêtres
-égyptiens avaient enseigné aux mages de la Chaldée le secret de ce
-qu’Eliphas Lévi appelle «une pyrotechnie transcendentale» et que les uns
-et les autres connaissaient l’électricité et avaient des moyens de la
-produire et de la diriger que nous ignorons encore. En effet, Pline nous
-rapporte que Numa, qui fut initié aux mystères des mages, possédait
-l’art de former et de diriger la foudre et qu’il se servit avec succès
-de sa batterie foudroyante contre un monstre nommé Volta qui désolait la
-campagne romaine[46]. Devançant l’invention du téléphone, les prêtres
-égyptiens pouvaient encore, nous dit-on, instantanément communiquer d’un
-temple à l’autre, quelle que fût la distance. Du reste la Bible[47] nous
-a laissé le témoignage de leur science et de leur puissance, lorsqu’elle
-nous les montre, parmi les dix plaies qui n’étaient que des œuvres de
-magie, luttant à coups de miracles contre Moïse qui était lui-même un de
-leurs initiés.
-
- [46] _Pline_, l. II, ch. 53.
-
- [47] _Exode_, VII, VIII.
-
-
-XI
-
-Mais c’est surtout en ce qui touche au subconscient, aux mystères de
-l’Hôte inconnu, à ce que nous appelons aujourd’hui la psychologie
-anormale, à l’astral, à l’hypnotisme, au médiumnisme, aux propriétés de
-l’éther, aux fluides ignorés, à la médecine odique, à l’hyperchimie, à
-la survivance, à la connaissance de l’avenir, qu’ils devaient posséder
-des secrets à la recherche desquels les hermétistes du Moyen âge, au
-milieu de leurs pentacles, de leurs cryptogrammes, de leurs grimoires
-falsifiés et méconnaissables, se sont exténués. C’est apparemment dans
-ces régions de l’occultisme qu’il nous reste quelque chose à glaner; et
-c’est vers elles que revient, par d’autres chemins, notre métapsychique.
-
-C’est également dans ces parages ténébreux que les derniers initiés de
-l’Inde, héritiers des traditions ésotériques, l’emportent encore de
-beaucoup sur tout ce que nous savons et produisent ces phénomènes
-singuliers que la jonglerie et la supercherie ne suffisent pas toujours
-à expliquer et qui provoquent l’étonnement des voyageurs les plus
-sceptiques et les plus soupçonneux.
-
-Ont-ils en réserve, comme ils le prétendent, d’autres secrets, notamment
-ceux qui leur permettraient de manipuler certaines forces terribles et
-irrésistibles, telle que la force intramoléculaire ou la puissance
-formidable et inépuisable de la gravitation, du son ou de l’éther? C’est
-possible mais moins certain. Il est assez incompréhensible qu’en cas
-d’urgence, quand il était question de vie ou de mort, ils n’y aient
-jamais eu recours. L’Inde, comme l’Égypte, la Perse et la Chaldée, a
-subi d’effroyables invasions qui non seulement menaçaient sa
-civilisation, anéantissaient ses richesses, brûlaient ses livres sacrés,
-massacraient ses habitants, mais s’attaquaient à ses dieux, violaient
-ses temples, exterminaient ses prêtres. Cependant on ne constate pas
-qu’elle ait jamais tourné contre ses agresseurs une arme surnaturelle.
-On peut répondre que vu l’immensité des territoires, ces invasions ne
-furent jamais totales, que les derniers initiés pouvaient fuir devant
-elles et se réfugier en d’inaccessibles montagnes; qu’au surplus, leur
-royaume n’étant pas de ce monde, ils ne se sentaient pas le droit d’user
-de leurs pouvoirs supra-terrestres, car un axiome fondamental de la
-haute science interdit de l’abaisser à la poursuite d’un dessein
-matériellement avantageux; c’est encore possible. Il n’en reste pas
-moins que la domination anglaise et surtout la conquête du Thibet, en
-1904, par le colonel Younghusband, ont porté un coup très sensible au
-prestige de leurs connaissances occultes.
-
-
-XII
-
-Jusqu’en 1904, en effet, le Thibet était considéré par les occultistes
-comme le dernier asile de leur science. Il possédait, à leur dire,
-d’immenses bibliothèques souterraines, aux livres innombrables, dont
-certains remontaient aux temps préhistoriques des Atlantes, où étaient
-consignées, en des langues connues seulement de quelques adeptes, les
-révélations suprêmes et immémoriales. Au sein de ses lamasseries où
-pullulaient des milliers de moines, il nourrissait un collège de grands
-initiés, à la tête duquel se trouvait, initié des initiés, et
-incarnation de Dieu sur la terre, le Dalai-Lama.
-
-Aucun Européen n’avait jamais, affirmait-on, violé son territoire sacré;
-ce qui du reste n’était pas tout à fait exact, car en 1661, en 1715 et
-en 1719, deux ou trois jésuites et quelques capucins y avaient pénétré.
-En 1740, un voyageur hollandais séjourna dans Lhassa, puis, en 1813, un
-Anglais. Ensuite, en 1846, les missionnaires Huc et Gobet, déguisés en
-lamas, parvinrent à s’y glisser. Mais depuis, malgré de multiples et
-périlleuses tentatives, dont la dernière et la plus notoire fut celle de
-Sven-Hedin, aucun explorateur n’avait réussi à atteindre la ville
-sainte. On peut donc dire que de toutes les terres de notre globe,
-c’était la plus mystérieuse et la plus prestigieuse.
-
-A l’annonce de l’expédition sacrilège, on s’attendit, dans le monde des
-occultistes, à d’étranges événements. Je me rappelle la confiance, la
-sereine certitude avec laquelle l’un des plus savants, des plus sérieux
-de ceux-ci, au début de l’année 1904, me disait: «Ils ne savent pas à
-quoi ils s’attaquent. Ils vont provoquer dans leur refuge les plus
-redoutables puissances. Il est à peu près certain que les derniers
-adeptes transhimalayens possèdent le secret de la terrible force
-éthérique ou sidérale, le «Mash-maket» des Atlantes, l’irrésistible
-«Vril» dont parle Bulwer-Lytton, cette force vibratoire qui, d’après les
-instructions qui se trouvent dans l’Astra-Vidya, peut réduire en cendre
-cent mille hommes et éléphants, aussi facilement qu’elle réduirait en
-poudre un rat mort. Il va se passer des choses extraordinaires. Ils
-n’atteindront jamais l’inviolable Potala!»
-
-Il ne se passa rien du tout, du moins rien de ce qu’on attendait. Après
-de longs pourparlois diplomatiques, où se révèlèrent, sous un jour
-déconcertant, l’impéritie, l’incompréhension, la sénilité, la mauvaise
-foi chinoise, et l’astuce enfantine du collège des Lamas, les troupes du
-colonel Younghusband, composées surtout de Sikhs et de Gurkhas, encadrés
-d’Européens, se mirent en marche. Dans ces régions déchiquetées et sur
-ces hauts plateaux glacés, désolés et inhabitables de l’Himalaya, les
-plus âpres du monde, elles eurent à surmonter des difficultés inouïes et
-dans des défilés qu’une poignée d’hommes bien commandés eût rendus
-inexpugnables, se heurtèrent plus d’une fois à la résistance inhabile et
-courageuse des soldats du Dalai-Lama, fanatisés par les «mantras» et les
-charmes de leurs prêtres, mais armés de fusils à mèche et de mauvais
-canons indigènes. Les Anglais approchèrent enfin de Lhassa, et les abbés
-des grands monastères, affolés, durant cinq jours, maudirent
-solennellement l’envahisseur, mirent en mouvement des milliers de
-moulins à prières, eurent recours aux suprêmes incantations;
-inutilement. Le 4 août, le colonel Younghusband fit son entrée dans la
-capitale du Thibet, occupa le Saint des Saints, la résidence de Dieu: la
-Potala, immense et fantastique édifice qui s’élance au-dessus des
-masures de la ville et ressemble, avec ses terrasses, ses toits plats,
-ses bastions, à une forteresse, à une superposition de villas
-italiennes, à une caserne aux fenêtres innombrables et à certains
-gratte-ciel américains. Le Dalai-Lama, la treizième incarnation de la
-divinité, le pape du Bouddhisme, le père spirituel de six cent millions
-d’âmes, avait honteusement pris la fuite et ne fut jamais retrouvé. On
-explora les couvents et les sanctuaires où grouillaient plus de trente
-mille moines résignés et indifférents et on n’y découvrit que les restes
-de la plus haute religion que connurent les hommes, achevant de se
-décomposer dans de puériles superstitions, dans le mécanisme des moulins
-à prières, et dans la plus déplorable sorcellerie. Ainsi s’effondra le
-suprême asile du mystère et furent livrés aux profanes les derniers
-secrets de la terre.
-
-
-
-
-LES GNOSTIQUES ET LES NÉO-PLATONICIENS
-
-
-I
-
-Laissant de côté Platon et son école dont les théories sont trop connues
-pour qu’il soit utile de les rappeler ici, nous quittons maintenant les
-eaux relativement claires des religions primitives pour entrer dans les
-remous confus qui en dérivent. A mesure que se perdaient les notions
-grandioses et simples que leur altitude même dérobait aux regards,
-celles qui leur succédaient et qui n’en étaient que des reflets déformés
-ou brisés, s’obscurcissaient et se multipliaient. Il suffira de les
-passer assez rapidement en revue; car après ce que nous savons, ou
-plutôt après ce que nous savons ne pouvoir savoir, elles n’ont plus
-grand chose à nous apprendre et ne font qu’embrouiller et compliquer
-sans fruit l’aveu de l’inconnaissable et les conséquences qui en
-découlent.
-
-Avant la lecture des hiéroglyphes et la découverte des livres sacrés de
-l’Inde et de la Perse, jusqu’aux travaux de nos métapsychistes
-scientifiques, les seules sources de l’occultisme étaient la Kabbale et
-les écrits des gnostiques et des néo-platoniciens d’Alexandrie.
-
-Il est assez difficile de situer chronologiquement la Kabbale. Le Sefer
-Yezirah, tel que nous le connaissons, qui en est le portique, semble
-avoir été écrit vers l’an 829 de notre ère, et le Zohar qui en est le
-temple, vers la fin du XIIIe siècle. Mais une partie des doctrines
-qu’elle enseigne remonte beaucoup plus haut, c’est-à-dire jusqu’à la
-captivité de Babylone et même jusqu’au séjour des Hébreux en Égypte. Il
-faudrait donc, à ce point de vue, la placer avant les gnostiques et les
-néo-platoniciens; mais d’autre part, elle a fait à ceux-ci tant
-d’emprunts, ils ont exercé sur elle une telle influence, qu’il est
-presque impossible d’en parler avant qu’on ait fait connaître ceux à qui
-elle doit le meilleur et le pire de ses théories.
-
-
-II
-
-Il est vrai que de leur côté, ces traditions juives mêlèrent leurs flots
-abondants à ceux des autres religions orientales qui du Ier au VIe
-siècle envahirent la théosophie et la philosophie grecque et romaine et
-firent qu’on remit en question et qu’on se reprit à étudier de plus près
-les croyances et les théories sur lesquelles on avait vécu. Il y eut
-alors, dans le monde intellectuel, et surtout à Alexandrie où
-confluaient toutes les races et toutes les doctrines, une étrange fièvre
-de curiosité, d’inquiétude et d’activité. Pour la première fois,--elle
-le croyait du moins,--la philosophie hellénique se trouvait directement
-en contact avec les religions et les philosophies orientales,
-audacieuses, grandioses, abyssales, que jusqu’alors elle ne connaissait
-que par ouï-dire ou par bribes parcimonieuses. Les Gnostiques
-apportaient entre autres les doctrines de Zoroastre; les énigmatiques
-Esséniens, théosophes et théurgistes, venus des bords de la Mer Morte,
-qui disparurent assez mystérieusement, bien qu’au temps de Philon ils
-fussent au nombre de 40.000, ou finirent par se confondre avec les
-Gnostiques, représentaient sans doute plus directement l’élément hindou;
-les Kabbalistes d’avant la Kabbale écrite ravivaient les enseignements
-de la Perse, de la Chaldée et de l’Égypte, les Chrétiens s’éveillaient
-entre la Bible et les légendes de l’Inde, les Néo-platoniciens qu’on
-pourrait plus justement appeler les Néo-orphiques ou Néo-pythagoriciens,
-revenaient aux vieux philosophes du VIe siècle avant notre ère et
-s’efforçaient d’y retrouver des vérités trop longtemps méconnues que les
-révélations orientales remettaient brusquement en lumière.
-
-Nous n’avons pas à étudier ici cette effervescence qui est une des
-crises les plus intenses et, à certains égards, les plus fécondes que
-l’on constate dans l’histoire de la pensée humaine. Pour ce qui nous
-intéresse en ce moment, il suffit de noter qu’au point de vue de l’idée
-de Dieu, de la cause première, de l’esprit pré-cosmique, ou de la
-réalité absolue qui précède tout être manifesté ou conditionné, comme au
-point de vue de l’origine, du but, de l’économie de l’univers et de la
-nature du bien et du mal, elle ne nous apprend rien que nous n’ayons
-trouvé dans les religions et les philosophies antérieures. Les
-manifestations de l’Inconnaissable, la division de l’Unité primordiale,
-la descente de l’esprit dans la matière sont attribuées au _Logos_ et
-changent de nom sans changer de ténèbres. Pour tenter d’expliquer les
-contradictions insolubles entre un dieu immobile et un univers sans
-cesse en mouvement, entre un dieu inconnaissable qu’on finit par
-connaître dans tous ses détails, entre un dieu bon qui crée, veut ou
-permet le mal, on imagine d’abord une triple hypostase, puis une foule
-de divinités intermédiaires, démiurges ou dédoublements de Dieu, Éons,
-facultés ou attributs divins personnifiés, anges et démons. Dans le
-remous de ces spécialisations, de ces distinctions, de ces subdivisions
-ingénieuses, subtiles et inextricables, le simple et immense aveu de
-l’Inconnaissable est bientôt submergé d’un tel flot de paroles qu’on ne
-l’aperçoit plus. On ne tarde pas à l’oublier complètement, on n’y fait
-plus allusion, et l’Inconnu suprême engendre tant de divinités
-secondaires et si bien connues, qu’il n’ose plus rappeler aux hommes
-qu’ils ne le connaîtront jamais. Naturellement, plus il y a de mots et
-d’éclaircissements, plus les vérités primitives sur lesquelles on
-travaille s’effacent et s’obscurcissent; si bien qu’après avoir atteint
-ou regagné dans Philon, et surtout dans Plotin, les plus hauts, sommets
-de la pensée et être descendu d’une part aux élucubrations du casse-tête
-chinois qu’est le fameux «Pistis-Sophia» attribué à Valentin et de
-l’autre aux prétendues révélations de Jamblique sur les mystères
-égyptiens, révélations qui ne révèlent rien du tout, tout ce mouvement
-gnostique et néo-platonicien finit, avec les successeurs de Valentin et
-les continuateurs de Porphyre et de Proclus, par sombrer dans la plus
-puérile logomachie et la plus vulgaire sorcellerie.
-
-Il est donc inutile d’insister; non que l’étude de cette effervescence
-soit sans intérêt; au contraire, il est peu de moments dans l’histoire
-où l’intelligence ait eu à affronter des problèmes aussi nouveaux, aussi
-complexes, aussi ardus; où elle ait fait preuve de plus de puissance, de
-vitalité et d’enthousiasme. Mais ce que j’en ai dit suffit à mon dessein
-qui est simplement de montrer que les occultistes de la Grèce et surtout
-ceux du Moyen âge qui nous intéressent particulièrement parce qu’ils
-sont plus près de nous et que leur souvenir est demeuré plus vivace,
-n’ont rien à nous apprendre d’essentiel que nous ne connaissions déjà
-par l’Inde, l’Égypte et la Perse.
-
-
-
-
-LA KABBALE
-
-
-I
-
-Nous arrivons enfin à la Kabbale qui est en quelque sorte le nœud vital
-de l’occultisme tel qu’on l’entend communément.
-
-Ce mot de Kabbale, qui couvre des doctrines en général très peu ou très
-mal connues, demeure pour les uns chargé de prestiges et de mystères qui
-les inquiètent et les font presque frissonner comme s’ils y voyaient un
-reflet de flammes infernales; tandis que pour d’autres, il n’évoque
-qu’un illisible fatras de superstitions absurdes, de sornettes, de
-bizarres formules à prétentions diaboliques, d’énigmes enfantines,
-d’élucubrations périmées qui ne valent plus un examen sérieux.
-
-Bien qu’il répugne d’employer à son propos une expression que l’usage a
-rendue aussi fruste, la vérité c’est que la Kabbale ne mérite ni cet
-excès d’honneur ni cette indignité. D’abord, il y a deux Kabbales, la
-Kabbale proprement dite ou Kabbale théorique, la seule dont nous ayons à
-nous occuper, et la Kabbale pratique qui n’est qu’une sorte de dermatose
-sénile qui peu à peu envahit les parties les moins nobles de la première
-et dégénéra en imbéciles pratiques de magie noire et de basse
-sorcellerie auxquelles il est impossible de s’intéresser.
-
-L’étude philosophique, critique et scientifique de la Kabbale, comme
-celle du Védisme, des hiéroglyphes, du Mazdéisme, date d’hier. Avant les
-travaux d’Ad. Franck, on ne connaissait la Kabbale que par l’œuvre de
-Knorr von Rosenroth, la _Kabbala denudata_, publiée en 1677, qui ne
-considérait dans le Zohar que le «Livre des Mystères» et «La Grande
-Assemblée», c’est-à-dire ses parties les plus obscures et négligeant les
-textes ne donnait que des extraits, mal entendus, de commentateurs. Ad.
-Franck, dans sa _Kabbale ou la philosophie religieuse des Hébreux_,
-parue en 1842, reproduit pour la première fois les textes complets et
-authentiques, les traduit et les commente. Joël et Jellinek poursuivent
-ses recherches, discutent ses conclusions, rectifient ses erreurs; et le
-dernier en date des interprètes de ces livres mystérieux, S. Karppe,
-dans son _Étude sur les origines et la nature du Zohar_, reprenant la
-question de plus haut et remontant aux sources du mysticisme juif, nous
-donne en 1901 une étude qui permet de s’aventurer sans crainte sur ces
-terres suspectes et dangereuses.
-
-La Kabbale, de l’hébreu «Kaballah» qui, comme vous l’apprendront tous
-les dictionnaires, signifie tradition, a la prétention d’être un
-enseignement occulte, en marge ou plutôt au-dessus de l’enseignement de
-la Bible, ou des doctrines orthodoxes de la Thora c’est-à-dire du
-Pentateuque, transmis oralement depuis Moïse, qui les aurait reçus
-directement de Dieu, jusqu’à une époque qui va du IXe au XIIIe et XIVe
-siècle de notre ère, où ces secrets murmurés de bouche à oreille, comme
-on disait entre initiés, furent enfin fixés par écrit. Il est impossible
-de savoir si cette prétention est plus ou moins fondée, car au delà d’un
-ou deux siècles avant J.-C., les traces historiques qui rattacheraient
-la tradition que nous connaissons à une tradition antérieure font
-absolument défaut. Nous devons donc nous borner à prendre les deux
-livres de la Kabbale, le _Sefer Yerizah_ et le _Zohar_, tels qu’ils se
-présentent, et examiner ce qu’ils contenaient au moment où ils furent
-écrits.
-
-Le _Sefer Yerizah_ ou «Livre de la Création», qu’on attribua d’abord
-assez puérilement au patriarche Abraham, puis, sans certitude, à Rabbi
-Akiba, est somme toute l’œuvre d’un auteur inconnu qui le rédigea entre
-le VIIIe et le IXe siècle de notre ère.
-
-Pour donner une idée de cette œuvre, il suffira de transcrire ici
-quelques paragraphes du chapitre premier:
-
- «Par 32 voix merveilleuses de sagesse, Yah, Yehovah Zebaoth, Dieu
- vivant, Dieu fort élevé et sublime, demeurant éternellement, dont le
- nom est saint (il est sublime et saint) a tracé et créé son monde en
- trois livres: le livre proprement dit, le nombre et la parole.
-
- «Dix Sephiroth sans rien et 22 lettres dont 3 lettres fondamentales, 7
- lettres doubles et 12 lettres simples.
-
- «Dix Sephiroth sans rien, selon le nombre de 10 doigts, 5 en face de
- 5. Et l’alliance de l’Un est adaptée juste au milieu par la
- circoncision de la langue et la circoncision de la chair.
-
- «Dix Sephiroth sans rien; 10 et non 9, 10 et
- non 11. Comprends avec sagesse et médite avec intelligence, examine et
- creuse-les. Rapporte la chose à sa clarté et mets son auteur à sa
- place.
-
- «Dix Sephiroth sans rien, leur mesure est le 10 sans fin: profondeur
- de commencement et profondeur de fin; profondeur de bien et profondeur
- de mal; profondeur de haut et profondeur de bas; profondeur d’Orient
- et profondeur d’Occident; profondeur de Nord et profondeur de Sud; un
- maître unique, Dieu, roi fidèle, règne sur tous du haut de sa demeure
- sainte et éternelle.
-
- «Dix Sephiroth sans rien; leur aspect est comme l’éclair, mais leur
- fin n’a pas de fin. Son mot sur eux est qu’ils courent et viennent, et
- selon sa parole ils se précipitent comme la tempête et se prosternent
- devant son trône.
-
- «Dix Sephiroth sans rien; leur fin fixée à leur commencement et leur
- commencement à leur fin, comme une flamme attachée au charbon. Le
- maître est unique et il n’a pas de second. Or devant l’Un que
- comptes-tu?»
-
-Et cela continue ainsi, longuement, s’enfonçant dans une sorte
-d’incompréhensible superstition de lettres et de nombres, considérés
-comme des puissances abstraites. Il est certain que l’on fait dire à de
-tels textes tout ce qu’on veut et qu’on en tire ce qu’on désire. On y
-rencontre pour la première fois la notion des _Sephiroth_ que le _Zohar_
-développera amplement; et on y démêle un système de création où «le
-Verbe, c’est-à-dire la parole de Dieu, en exprimant les lettres _alef_,
-_mem_, _schin_, comme l’explique S. Karppe, l’un des plus savants
-commentateurs du livre énigmatique, donne naissance aux trois éléments,
-et, en produisant par ces lettres six combinaisons, il donne naissance
-aux six directions, c’est-à-dire donne aux éléments la faculté de se
-répandre dans tous les sens. Puis, imprimant dans ces éléments les 22
-lettres de l’alphabet, y compris les 3 lettres, _alef_, _mem_, _schin_
-(non plus en tant qu’éléments substantiels, mais formels), et en
-exprimant toute la variété de mots qui résultent de ces lettres, il
-produit toute la multiplicité des choses[48].»
-
- [48] S. KARPPE, _Études sur les origines et la nature du Zohar_, p.
- 159 et 163.
-
-Tout cela, on le voit, ne révèle rien de bien important; et je ne me
-serais pas arrêté à ces charades solennelles, si le _Sefer Yerizah_ ne
-jouissait chez les occultistes d’une réputation qui semble assez usurpée
-quand on y regarde de près, et s’il ne servait de point de départ et
-d’appui au Zohar qui s’y réfère constamment.
-
-Les occultistes ont essayé de nous donner des clefs du Sefer; mais
-j’avoue humblement que ces clefs ne m’ont rien ouvert. Somme toute, il
-est assez vraisemblable, comme le dit Karppe, que ce livre abscons est
-tout simplement le travail d’un pédagogue préoccupé de quintessencier en
-un manuel très court, toutes les connaissances scientifiques
-élémentaires relatives à la lecture et à la grammaire, à la cosmologie
-et à la physique, à la division du temps et de l’espace, à l’anatomie et
-à la doctrine juive; et qu’au lieu d’être l’œuvre d’un mystique c’est
-plutôt une sorte d’aide-mémoire ou d’Enchiridion mnémotechnique.
-
-
-II
-
-Le _Zohar_,--qui signifie l’_Éclat_,--comme le _Sefer Yerizah_, est le
-fruit d’une longue fermentation mystique qui remonte à une époque où le
-Talmud n’était pas encore clôturé, c’est-à-dire antérieure au VIe siècle
-de notre ère, et surtout à la période appelée Gaonique. Après une assez
-longue éclipse, ce mysticisme recommence environ 820 ans après J.-C., et
-se continue dans les écrits des grands théologiens juifs, Ibn Gabirol,
-Juda Hallévi, Abn-Ezra, et principalement dans ceux de Maïmonide.
-Ensuite, préparant directement la Kabbale, viennent l’École d’Isaac
-l’Aveugle qui est avant tout métaphysique, «abstraction des abstractions
-néo-platoniciennes», comme on l’a définie, où brille notamment
-Nachmanide, puis l’École d’Éléazar de Worms qui s’applique spécialement
-au mystère des lettres et des nombres, et l’École d’Abulafia qui
-développe la contemplation pure.
-
-Nous arrivons ainsi au Zohar proprement dit. Comme la Bible, comme les
-Védas, l’Avesta et le Livre des Morts égyptien, ce n’est pas un travail
-homogène, mais le produit d’une lente incubation, œuvre de
-collaborateurs anonymes et nombreux, incohérente, décousue, souvent
-contradictoire, où l’on trouve de tout, le meilleur comme le pire, les
-spéculations les plus hautes et les divagations les plus extravagantes
-et les plus puériles, le recueil, le réservoir ou plutôt le bazar où
-s’accumule pêle-mêle tout ce qui n’a pu trouver place dans la religion
-officielle, parce que trop hardi, trop élevé, trop bizarre ou trop
-étranger à l’esprit juif.
-
-Il n’est pas facile de fixer la date d’une œuvre de ce genre. Franck,
-pour faire valoir son antiquité, invoque sa forme chaldéenne; mais
-beaucoup de rabbins du Moyen âge écrivaient l’araméen chaldaïque.
-Ensuite on a soutenu qu’il était l’œuvre du Tanaïte Simon ben Jochaï
-(vers 150 après J.-C.), mais rien n’est venu confirmer cette
-attribution. On ne trouve aucune trace certaine de son existence avant
-la fin du XIIIe siècle. Le plus probable, et l’érudit S. Karppe arrive à
-cette conclusion après avoir longuement et minutieusement discuté toutes
-les hypothèses, est que Moïse de Léon, qui vécut au commencement du XIVe
-siècle, fut à coup sûr mêlé à la composition du Zohar; et s’il n’en fut
-pas l’auteur principal, ramassa dans un même tout un certain nombre de
-fragments mystiques, commentaires de l’Écriture, issus, comme tant
-d’autres œuvres de la littérature juive, de la collaboration d’écrivains
-multiples. En tous cas, il est certain que le Zohar tel que nous le
-connaissons est relativement moderne.
-
-
-III
-
-Au Jéhovah de la Bible, dieu unique, personnel, anthropomorphe et
-créateur direct de l’univers, le Zohar substitue ou plutôt superpose ou
-présuppose le _En-sof_, c’est-à-dire l’infini, le _Ayin_, c’est-à-dire
-le néant, l’Ancien des anciens, le Mystérieux des mystérieux, le Long
-Visage. L’En-Sof, c’est Dieu en soi, aussi inconnaissable, aussi
-inconcevable que la Cause sans cause ou l’Esprit suprême des Védas, dont
-il n’est qu’une réplique modifiée par le génie juif. Il est même plus
-près du néant que l’esprit suprême des Hindous, sa première
-manifestation, la première Séfirah, la «Couronne» est encore le néant;
-il est l’Ayin de l’Ayin, le néant du néant. On ne l’appelle même pas
-«Cela» comme dans l’Inde. «Lorsque tout était encore enveloppé en lui,
-dit le Zohar, Dieu était le mystérieux parmi les mystérieux. Alors, il
-était sans nom. Le seul terme qui lui convînt eût été l’interrogatif:
-Qui[49]»?
-
- [49] _Zohar_, II, 105.
-
-On ne peut en donner que des descriptions négatives et contradictoires.
-«Il est séparé puisqu’il est supérieur à tout, et il n’est pas séparé.
-Il a une forme et il n’a pas de forme. Il a une forme en tant qu’il
-établit l’univers et il n’a pas de forme en tant qu’il n’y est pas
-enfermé[50].»
-
- [50] _Zohar_, III, 288-a.
-
-Avant le développement de l’univers, il n’était pas ou n’était qu’un
-point d’interrogation dans le néant. Nous retrouvons donc ici, au
-départ, l’aveu d’une ignorance absolue, invincible, irréductible.
-L’En-Sof n’est qu’un agrandissement illimité de l’Inconnaissable; le
-Dieu de la Bible est absorbé et disparaît dans une immense abstraction;
-de là la nécessité du secret.
-
-Mais cette négation inconcevable, impénétrable, immobile, éternelle, il
-fallait, comme la Cause suprême des religions de l’Inde, la faire sortir
-de son néant et de son immobilité, la faire passer de l’infini au fini,
-de l’invisible au visible, et c’est ici que commencent les difficultés.
-Dieu étant l’infini, c’est-à-dire remplissant tout, comment, à côté de
-l’En-Sof, l’infini, y a-t-il place pour le Sof, le fini? Le Zohar est
-visiblement embarrassé et ses explications l’égarent loin de l’humble et
-grandiose simplicité de la théosophie hindoue. Il répugne à avouer son
-ignorance, il veut rendre compte de tout et, tâtonnant dans
-l’Inconnaissable, s’embrouille en des interprétations souvent
-inconciliables et, quand le sol manque sous ses pas, a recours à des
-allégories et à des métaphores pour masquer l’impuissance de la pensée
-ou donner une issue apparente à l’impasse où il s’est engagé. Il se
-demande un moment s’il admettra la création _ex nihilo_, en étendant à
-ce premier acte le caractère incompréhensible de la divinité; puis il
-paraît se raviser et se rallie à la doctrine de l’émanation qu’il a
-trouvée dans l’Inde, dans le Zoroastrisme et chez les néo-platoniciens.
-Il la modifie pour l’adapter au génie juif et la complique à l’extrême,
-sans parvenir à l’éclaircir.
-
-Cette théorie de l’émanation, dans le Zohar, est en effet étrangement
-obscure, incertaine, hétéroclite et tombe à chaque instant dans
-l’anthropomorphisme.
-
-Pour faire place à l’univers, Dieu qui remplissait tout se concentre, et
-dans l’espace laissé libre irradie sa pensée et extériorise une partie
-de lui-même. Cette première émanation ou irradiation c’est la première
-Séfirah, «La Couronne». Elle représente l’infini ayant fait un pas vers
-le fini, le Néant ayant fait un pas vers l’Être, la substance première.
-De cette première Séfirah, presque encore le néant, mais un néant plus
-accessible à notre esprit, émanent en évoluant deux nouvelles Séfiroth,
-la Sagesse, principe mâle, et l’Intelligence, principe femelle;
-c’est-à-dire qu’à partir de la «Couronne», apparaissent les contraires,
-la première différenciation des choses. De l’union de la Sagesse et de
-l’Intelligence naît la Science; nous avons ainsi l’Idée pure, la Pensée
-extériorisée et la Voix ou la Parole qui relie la première à la
-deuxième. A cette première trinité de Séfiroth en succède une autre: la
-Grâce ou Grandeur, la Justice ou Sévérité ou Force et leur médiatrice la
-Beauté. Enfin les Séfiroth confondues dans la Beauté évoluent encore et
-produisent un troisième groupe, Victoire, Gloire, Fondement, et enfin la
-Séfirah Empire ou Royauté qui réalise toutes les Séfiroth dans l’univers
-visible.
-
-L’ensemble des Séfiroth forme d’autre part le mystérieux Adam Kadmon,
-l’homme supérieur, l’homme primordial, dont les occultistes nous
-parleront abondamment et qui lui-même représente l’univers.
-
-Cette explication de l’inexplicable, comme toutes les explications de ce
-genre, n’explique en somme rien du tout et cache l’incompréhensible sous
-un flot d’ingénieuses métaphores. Obéissant, comme l’avaient fait les
-religions antérieures, à la nécessité de jeter un pont entre l’infini et
-le fini, entre l’inconcevable et la pensée, au lieu de se contenter
-comme l’Inde, du réveil ou du dédoublement de la Cause suprême, ou du
-Logos égyptien, Perse et néo-platonicien, elle multiplie les passerelles
-en multipliant les intermédiaires; mais pour être nombreuses, ces
-passerelles n’en aboutissent pas moins au même aveu d’ignorance. En tout
-cas cette explication, en dissimulant ce nouvel aveu sous un monceau
-d’images, a l’avantage de reléguer dans une sorte d’«_In pace_»
-inaccessible, le premier aveu, le plus embarrassant, l’aveu principal
-qui place hors de notre portée la cause première et l’existence de Dieu.
-A partir de la création des Séfiroth et de l’univers, l’En-Sof est
-généralement oublié; comme le «Cela» de l’Inde, comme le «Noun» de
-l’Égypte, on le passe volontiers sous silence, on s’interroge rarement à
-son sujet. Même pour une doctrine secrète et mystérieuse comme la
-Kabbale, il est trop secret, trop mystérieux, trop incompréhensible, et
-toute l’attention se porte uniquement sur des émanations que
-l’imagination lui prête et que l’on croit connaître parce qu’on leur a
-donné des noms, des vertus, des fonctions, des attributs, en un mot
-parce qu’on les a créées soi-même.
-
-
-IV
-
-Quand l’En-Sof a-t-il commencé ses émanations? A cette question que
-l’Inde résolvait par la théorie des sommeils et des réveils de Brahma,
-sans commencement ni fin, la Kabbale ne répond pas très clairement.
-«Avant, dit-elle, que Dieu eût créé ce monde, il avait créé beaucoup de
-mondes et il les avait fait disparaître jusqu’à ce qu’il lui vînt à la
-pensée de créer celui-ci[51].» Que sont devenus ces mondes disparus?
-«C’est le privilège, répond-elle, de la force du roi suprême que ces
-mondes qui ne purent prendre forme ne périssent pas, que rien ne périt,
-même le souffle de sa bouche; tout a sa place et sa destination et Dieu
-sait ce qu’il en fait. Même la parole de l’homme et le son de sa voix ne
-tombent pas dans le néant, toute chose a sa place et sa demeure[52].»
-
- [51] III, 61-b.
-
- [52] II, 100-b.
-
-Et notre monde que devient-il? Où va-t-il? Quelle est sa destinée? Le
-Zohar étant une œuvre hétéroclite, une compilation très tardive, sa
-doctrine, à cet égard, est beaucoup moins nette que celle du
-brahmanisme; mais dégagée des éléments illogiques et étrangers qui
-souvent traversent et détournent son cours, elle arrive également au
-panthéisme, et par le panthéisme à l’optimisme inévitable. L’En-Sof,
-l’infini, est tout, par conséquent tout est lui. Pour se manifester, le
-pur abstrait se développe par des intermédiaires et, se dégradant
-volontairement par bonté, aboutit à la pensée et à la matière qui n’est
-que la dernière dégradation de la pensée; et quand viendra l’ère
-messianique, «toute chose rentrera dans sa racine, comme elle en était
-sortie[53].»
-
- [53] III, 296.
-
-L’homme qui dans le Zohar est le centre du monde et le microcosme, peut
-déjà, dès sa mort, jouir de ce retour dans le parfait, et son âme
-purifiée recevoir le baiser de paix qui «l’unit à nouveau et à jamais à
-sa racine, à son principe[54]».
-
- [54] I, 68-a.
-
-Et le mal? Le mal dans le Zohar, comme dans le Brahmanisme, est la
-matière. «L’homme par sa victoire sur le mal triomphe de la matière ou
-plutôt subordonne en lui la matière à une vocation plus haute; il
-ennoblit la matière et la fait remonter du point extrême où elle était
-reléguée vers le lieu de ses origines. En lui, qui est le grand
-conscient, la matière prend conscience de la distance qui la sépare du
-bien suprême, et elle tend vers ce bien. Par l’homme les ténèbres
-aspirent vers la lumière, le multiple vers l’un, la nature entière vers
-Dieu.
-
-«Par l’homme Dieu se refait lui-même après avoir traversé toute la
-magnifique diversité des êtres. Puisque l’homme est une expression
-résumée de tout, quand il a vaincu le mal en lui, il l’a vaincu dans le
-tout, il entraîne dans son ascension tous les éléments inférieurs, et
-par sa montée s’opère la montée du cosmos tout entier[55].»
-
- [55] S. KARPPE, _op. cit._, p. 478.
-
-Mais pourquoi le mal était-il nécessaire? «Pourquoi, se demande le
-Zohar, si l’âme est d’essence céleste descend-elle sur la terre?» La
-réponse à cette grande question qu’aucune religion n’a donnée, le Zohar,
-selon son habitude quand il se trouve embarrassé, l’esquive par une
-allégorie: «Un roi envoya son fils à la campagne afin qu’il y devînt
-robuste et acquît les connaissances nécessaires. Après quelque temps on
-lui annonça que son fils avait grandi, qu’il s’était fortifié et que son
-éducation était achevée. Alors il envoya, par amour pour lui, la reine
-elle-même le prendre et le ramener au palais. Ainsi la nature enfante au
-roi de l’univers un fils, l’âme céleste et il l’envoie aux champs,
-c’est-à-dire dans l’univers terrestre afin qu’il se fortifie et
-s’ennoblisse[56].»
-
- [56] I, 245.
-
-Les disciples de R. Simon ben Zemach Durân, l’un des grands docteurs du
-Zohar, lui demandent: «Ne vaudrait-il pas mieux que l’homme ne fût pas
-né, plutôt que de naître avec la faculté de pécher et d’irriter Dieu?»
-Et le maître répond: «Certes non, car l’univers, sous la forme qu’il a,
-est ce qu’il y a de meilleur. Or, la loi est indispensable au maintien
-de cet univers, autrement l’univers serait un désert; et l’homme à son
-tour est indispensable à la loi...» Les disciples comprirent et dirent:
-«Certes Dieu n’a pas créé le monde sans cause; la loi est en effet le
-vêtement de Dieu, ce par quoi il est accessible. Sans la vertu humaine
-Dieu n’aurait qu’un vêtement misérable. Celui qui fait le mal souille en
-son âme le vêtement de Dieu, et celui qui-accomplit le bien se revêt de
-la magnificence divine[57].» Nous aurions mauvaise grâce de nous montrer
-plus exigeants que ces disciples accommodants et respectueux.
-
- [57] I, 23-a-b.
-
-Une autre question capitale, l’éternité des peines, est également
-esquivée. Logiquement, une religion panthéiste ne saurait admettre que
-Dieu châtie et torture éternellement une partie de lui-même. Le Zohar
-dit bien quelque part: «Combien y a-t-il d’âmes et d’esprits qui sont
-roulés éternellement et ne revoient plus jamais les parvis célestes!»
-
-Mais d’un autre côté, il enseigne expressément la doctrine de la
-transmigration, c’est-à-dire de la purification graduelle des âmes par
-les existences successives; et il appuie cette doctrine évidemment
-empruntée aux grandes religions antérieures, sur des textes de la Bible,
-entre autres sur l’Ecclésiaste (IV, 2), où il est dit: «Et je loue les
-morts qui sont déjà morts plus que les vivants qui vivent encore.» Que
-signifie, se demande le Zohar, les morts qui sont déjà morts? Ce sont
-ceux qui sont déjà morts une fois auparavant, c’est-à-dire qui n’en sont
-plus à leur première pérégrination. Or, il est évident que la doctrine
-de la transmigration purificatrice exclut nécessairement les peines
-éternelles.
-
-
-V
-
-Le Zohar est donc, je l’ai déjà dit, une vaste compilation anonyme qui,
-sous prétexte de révéler à des initiés le sens secret de la Bible et
-spécialement du Pentateuque, habille de vêtements juifs les grands aveux
-d’ignorance des grandes religions antérieures, en surchargeant ces
-vêtements de tous les ornements nouveaux et compliqués que lui
-fournissent les Esséniens, les néo-platoniciens, les gnostiques et même
-les premiers siècles du christianisme. Il est, qu’il l’avoue ou non, sur
-les points capitaux, nettement agnostique, comme le Brahmanisme. Il est
-panthéiste comme lui. Pour lui aussi la création est plutôt une
-émanation et le mal est également la matière et la séparation ou la
-multiplicité, et le bien le retour à l’esprit et à l’unité. Il admet
-enfin la transmigration des âmes et leur purification et par conséquent
-le Karma, de même que l’absorption finale en la divinité, c’est-à-dire
-le Nirvana.
-
-Il est curieux de le constater, nous avons ici, pour la première
-fois,--car les autres ne sont pas arrivées jusqu’à nous,--une doctrine
-ésotérique et se proclamant telle, et cette doctrine n’a pas autre chose
-à nous apprendre que ce que nous apprenaient sans réticences et sans
-mystères, du moins à leur début, les religions primitives. Comme
-celles-ci, avec ses grands aveux et ses expédients, différents de forme,
-mais au fond identiques, pour passer du néant à l’être, de l’infini au
-fini, de l’inconnaissable au connu, elle appartient à la même tradition
-rationaliste qui tente d’expliquer l’inexplicable par de plausibles
-hypothèses et des inductions auxquelles nous pourrions donner d’autres
-tournures et d’autres noms, mais qu’en somme nous serions incapables,
-même aujourd’hui, d’améliorer sensiblement. Tout au plus serions-nous
-tentés de renoncer à toute explication et d’étendre l’aveu d’ignorance à
-l’ensemble des origines, des manifestations et des fins de la vie, ce
-qui serait peut-être le plus sage.
-
-Elle nous montre ainsi que toute doctrine secrète ne fut probablement
-jamais et sans doute ne saurait être autre chose; et que les révélations
-les plus hautes qu’on nous ait apportées furent toujours tirées de
-l’homme par l’homme même.
-
-On imagine facilement l’importance que prit durant le Moyen âge cette
-doctrine occulte. Connue seulement de quelques initiés, enveloppée de
-formules et d’images incompréhensibles, chuchotée de bouche à oreille au
-milieu de dangers terribles, elle avait un rayonnement souterrain, une
-sorte d’attrait sombre et irrésistible. Elle regardait le monde de
-beaucoup plus haut que la Bible qu’elle considérait comme un tissu
-d’allégories derrière lesquelles se cachait une vérité qu’elle
-connaissait seule; elle apportait aux hommes, à travers les broussailles
-de ses végétations bizarres et parasites, les derniers échos des grands
-enseignements de la raison humaine à son aurore.
-
-
-
-
-LES HERMÉTISTES
-
-
-I
-
-Tout l’occultisme ou l’hermétisme du Moyen âge sort donc de la Kabbale
-et des écrits alexandrins en y ajoutant peut-être certaines traditions
-de pratiques magiques très répandues dans l’ancienne Égypte et la
-Chaldée.
-
-La partie théosophique et philosophique de cet occultisme n’a donc rien
-à nous apprendre. Elle n’est qu’un reflet déformé, une redite
-extrêmement corrompue et souvent méconnaissable de ce que nous avons
-déjà vu et entendu. L’appareil mystérieux dont elle s’entoure, et qui
-d’abord intrigue et fait illusion, n’est qu’une précaution indispensable
-pour cacher aux yeux de l’Église les affirmations défendues, hérétiques
-et dangereuses qu’elle renfermait. L’iconographie occultiste, les
-signes, les étoiles, les triangles, les pentagrammes, les pentacles
-étaient au fond des aide-mémoire, des mots de passe, ou des sortes de
-rébus qui permettaient aux affidés de se reconnaître et de se
-communiquer des vérités que menaçaient sans cesse le bûcher et, après
-les explications qu’on nous a données, ne recèlent et ne pouvaient rien
-recéler qui ne nous semble aujourd’hui parfaitement admissible et
-inoffensif.
-
-L’alchimie même, qui demeure la région la plus intéressante de
-l’occultisme médiéval, n’est en somme qu’un trompe-l’œil, une sorte
-d’écran derrière lequel les véritables initiés cherchaient le secret de
-la vie. «Le Grand œuvre, dit Éliphas Lévi, n’était pas à proprement
-parler le secret de la transmutation des métaux, résultat accessoire,
-mais l’arcane universel de la vie, la recherche du point central de
-transformation où la lumière se fait matière et se condense en une terre
-qui contient en elle le principe du mouvement et de la vie... C’est la
-fixation de la lumière astrale par une magie souveraine de la volonté.»
-Ce qui nous mène aux phénomènes odiques, dont nous parlerons plus loin,
-qui nous mettent sur la voie de cette fixation.
-
-Bien plus, aux yeux des grands initiés, la recherche de l’or n’était
-qu’un symbole qui voilait la recherche du divin et des facultés divines
-dans l’homme; et seuls les alchimistes inférieurs qui prenaient au pied
-de la lettre les indications cabalistiques des grimoires, s’épuisaient à
-résoudre des problèmes et se ruinaient à poursuivre des expériences qui
-du reste firent faire à la chimie des progrès et des découvertes que,
-sur certains points, elle n’a pas encore dépassés.
-
-
-II
-
-D’autre part, on s’imagine trop volontiers que l’occultisme du Moyen âge
-est avant tout diabolique. La vérité est que les initiés ne croyaient
-pas au démon et ne pouvaient y croire, puisqu’ils n’admettaient pas la
-révélation chrétienne telle que l’Église la leur présentait. «Pas de
-démons en dehors de l’humanité» est un des axiomes fondamentaux du haut
-occultisme. «C’est, disait Van Helmont, le fruit d’une paresse sans
-bornes que d’attribuer au diable ce que nous ne connaissons pas.» «Il ne
-faut pas en laisser l’honneur au diable», protestait de son côté
-Paracelse.
-
-Les démons et les diables, les anges déchus ou les damnés entourés de
-flammes éternelles ne grouillent que dans les bas-fonds de la magie
-noire ou de la sorcellerie. La fantasmagorie des sabbats nous masque
-trop souvent le véritable occultisme qui était avant tout, au sein d’un
-péril de mort incessant et parmi des ténèbres hostiles, la recherche
-tâtonnante et passionnée d’une vérité, ou du moins d’une apparence de
-vérité, car il n’y a pas autre chose en ce monde, qui avait rayonné, qui
-rayonnait peut-être encore quelque part, mais qui semblait perdue et
-dont on ne retrouvait que des débris précieux mais informes, mêlés à
-l’épaisse poussière de mensonges irritants et décevants; et le meilleur
-des forces s’épuisait à un triage ingrat.
-
-
-III
-
-Écartant les esprits infernaux, ils croyaient cependant à l’existence et
-à l’intervention d’autres êtres invisibles. Ils étaient convaincus que
-le monde qui échappe à nos sens est beaucoup plus peuplé que celui que
-nous percevons, et que nous vivons au milieu d’une foule de présences
-diaphanes mais attentives et actives qui, le plus souvent, agissent sur
-nous à notre insu, mais sur lesquels, par une éducation spéciale de
-notre volonté, nous pouvons agir à notre tour. Ces invisibles ne
-sortaient pas de l’enfer, puisque pour les initiés du Moyen âge, presque
-aussi sûrement que pour les fidèles des grandes religions, aux temps où
-l’initiation n’était pas encore nécessaire, l’enfer n’était pas un lieu
-de torture et de malédiction, mais un état d’âme après la mort.
-C’étaient ou des esprits errant hors de la chair, valant à peu près ce
-qu’ils avaient valu durant leur vie terrestre, ou les esprits d’êtres
-qui n’avaient pas encore été incarnés, appelés élémentaux, esprits
-neutres, indifférents, moralement amorphes et abouliques et faisant le
-bien ou le mal selon la volonté de celui qui avait appris à les dominer.
-
-Il est incontestable que certaines expériences de nos spirites,
-notamment celles de la «Correspondance croisée», certaines apparitions
-posthumes presque scientifiquement constatées, certains phénomènes de
-matérialisation, d’idéoplastie et de lévitation remettent sérieusement
-en question la plausibilité de ces théories.
-
-Quant aux scènes d’évocation qui flottent souvent entre la haute magie
-et la goétie ou magie noire, et qui, aux yeux du vulgaire, occupent,
-avec l’alchimie et l’astrologie, les trois points culminants de
-l’occultisme, leur appareil solennel, leurs formules cabalistiques et
-leur rituel impressionnant mis à part, elles correspondent exactement
-aux évocations plus familières qui se font chaque jour autour de nos
-tables tournantes, de l’humble «Ouid-Ja» ou des miroirs magiques. Elles
-correspondent aussi aux manifestations que produisait par exemple la
-célèbre Eusapia Paladino et que réalise en ce moment, sous les contrôles
-les plus sévères, le médium de Mme Bisson, avec cette différence qu’au
-lieu du fantôme humain qu’attendent aujourd’hui les assistants, les
-croyants du Moyen âge voulaient voir le diable en personne, et le diable
-qui hantait leur pensée leur apparaissait tel qu’ils se l’imaginaient.
-
-Y a-t-il en ces manifestations auto-suggestion, suggestion collective,
-exsudation, transfert et cristallisation de matière spiritualisée
-empruntée aux spectateurs, ou s’y mêle-t-il un élément extra-terrestre
-et inconnu? S’il est impossible de le démêler quand il s’agit de faits
-qui se passent sous nos yeux, à plus forte raison serait-il téméraire de
-trancher la question quand elle s’adresse à des phénomènes vieux de
-plusieurs siècles, qui ne nous sont connus que par des relations plus ou
-moins tendancielles.
-
-
-IV
-
-Enfin l’alchimie et l’astrologie, les deux autres sommets auxquels je
-viens de faire allusion, sont, dans l’occultisme du Moyen âge, des
-sciences de seconde main qui ne nous apportent, au point de vue du grand
-secret, aucun élément nouveau et dont les origines grecques, juives et
-arabes ne se rattachent à l’Égypte et à la Chaldée que par des écrits
-apocryphes et relativement récents. Cette étude, en ce qui concerne
-l’alchimie, a été magistralement faite par Pierre Berthelot dans son
-livre sur «_les Origines de l’Alchimie_». Il a épuisé le sujet, tout au
-moins en sa partie chimique; mais on pourrait peut-être compléter son
-œuvre au point de vue hyperchimique, ou métachimique ou psychochimique
-qui ne semble pas moins important. Il serait également souhaitable qu’un
-grand astronome philosophe nous donnât sur l’astrologie le pendant de
-cet admirable travail; mais jusqu’ici les sources sont si pauvres qu’il
-ne paraît guère possible de l’entreprendre. Il en faudrait faire autant
-pour la médecine hermétique qui du reste est liée à l’alchimie et à
-l’astrologie.
-
-Mais l’alchimie et l’astrologie qui ne sont en somme que de la chimie et
-de l’astronomie transcendentales, prétendant dépasser la matière et les
-astres pour atteindre les principes spirituels et éternels qui
-constituent l’une et dirigent les autres, ne nous réserveraient
-peut-être des surprises et des révélations que si l’on pouvait remonter
-directement à leurs sources hindoues, égyptiennes et chaldéennes, ce
-qu’on n’a pu faire jusqu’ici, car nous n’avons, qui s’en rapproche, que
-le fameux Papyrus de Leyde, et cet unique document n’est que le carnet
-d’un orfèvre égyptien renfermant des formules pour composer des
-alliages, dorer les métaux, teindre les étoffes en pourpre et imiter et
-falsifier l’or et l’argent.
-
-
-V
-
-Parmi les occultistes médiévaux, presque tous alchimistes, bornons-nous
-à rappeler les noms de Raymond Lulle (XIIIe siècle), _Doctor
-Illuminatus_, auteur de l’_Ars Magna_, à peu près illisible aujourd’hui,
-Nicolas Flamel (XVe siècle), qui selon Berthelot n’est qu’un pur
-charlatan, Reuchlin, Weigel, le maître de Boëhme, Bernard le Trévisan,
-Basile Valentin qui étudia surtout l’antimoine, les deux Isaac, père et
-fils, Jean Trithème, qu’Éliphas Lévi appelle «le plus grand magicien
-dogmatique du Moyen âge», bien que sa célèbre cryptographie,
-_Polygraphia_ ou _Steganographia_, soient des jeux de lettres assez
-puérils, et son élève, Cornélius Agrippa auteur de _De Occulta
-Philosophia_, qui réédite simplement des théories de l’école
-d’Alexandrie, et n’est, au dire d’Éliphas Lévi, «qu’un audacieux
-profanateur, heureusement très superficiel dans ses écrits». Nous avons
-encore, au XVIe siècle, Guillaume Postel qui sut le grec, l’hébreu et
-l’arabe, voyagea beaucoup et rapporta en Europe d’importants manuscrits
-orientaux, entre autres les œuvres d’Aboul-Féda, l’historien arabe du
-XIIIe siècle. «Le cher et bon Guillaume Postel, écrit Éliphas Lévi dans
-une lettre au baron Spédaliéri, notre père en la Sainte Science, puisque
-nous lui devons la connaissance du Sefer Jesirah et du Zohar, eût été le
-plus grand initié de son siècle si le mysticisme ascétique et le célibat
-forcé n’avaient fait monter à son cerveau les fumées enivrantes de
-l’enthousiasme qui ont fait parfois délirer sa haute raison», remarque,
-soit dit en passant, qui, pourrait s’appliquer à des hermétistes
-d’autres temps et d’autres pays.
-
-Après Henri Khunrath, Oswald Crollius, etc., nous passons au XVIIe
-siècle, à ses débuts, la grande époque de l’alchimie qui se rapprocha
-davantage de la science proprement dite. Van Helmont découvre le suc
-gastrique, Glauber le sulfate de soude, les huiles lourdes du goudron et
-entrevoit le chlore, tandis que Kunckel trouve le phosphore.
-
-Si je faisais ici une histoire générale de l’occultisme, au lieu de
-rechercher simplement ce qu’ont à nous apprendre d’inédit les derniers
-adeptes, conscients ou inconscients d’une sagesse occulte dont nous
-avons suivi les traces à travers les âges, j’aurais dû m’arrêter un
-instant à ces mystérieux Templiers qui adoptèrent en partie les
-traditions juives et les récits du Talmud; et auxquels succédèrent les
-Rose-Croix. Je devrais aussi mettre à part et étudier un peu plus
-longuement deux figures bizarres et énigmatiques qui dominent et
-résument tout l’occultisme du Moyen âge, à savoir Paracelse et Jakob
-Boëhme. Mais à les étudier de près on constate qu’eux non plus, quelles
-que soient leurs prétentions, ne tirèrent pas d’une source inconnue les
-révélations qu’ils apportèrent et qui bouleversèrent leurs
-contemporains.
-
-Philippus-Auréolus-Théophrastus-Bombast von Hohenheim, dit Paracelsus
-(traduction approximative de Hohenheim), né en Suisse en 1493 et mort à
-Salzbourg en 1541, porte le poids d’une injuste légende qui le
-représente comme un ivrogne, un débauché, un charlatan et un fou. Il eut
-sans doute bien des défauts et ne paraît pas toujours parfaitement
-équilibré, mais n’en demeure pas moins un des êtres les plus
-extraordinaires que mentionne l’histoire. Il était néo-platonicien et
-par conséquent n’ignorait pas les écrits alexandrins accessibles aux
-hermétistes de son temps; mais il est probable qu’en outre, au cours de
-ses voyages en Turquie et en Égypte, il eut plus directement
-connaissance de certaines traditions asiatiques au sujet du corps
-éthérique ou astral, théories sur lesquelles il fonda toute sa médecine.
-Il enseigne en effet, comme l’enseignaient d’anciens traités hindous
-qu’ont depuis remis en lumière les théosophes, que nos maladies viennent
-non pas de notre corps physique mais de notre corps éthérique qui
-correspond à peu près à ce que nous appelons aujourd’hui le
-subconscient, et qu’en conséquence il faut agir avant tout sur ce
-subconscient. Il est certain que bien des faits, dans bien des cas,
-tendent à confirmer cette hypothèse, et c’est peut-être de ce côté que
-s’orientera la thérapeutique de demain. Selon lui, les plantes mêmes ont
-un corps éthérique, et les médicaments n’agissent pas en vertu de leurs
-propriétés chimiques mais en vertu de leurs propriétés astrales, ce qui
-est encore un point que la découverte assez récente de l’«Od», que nous
-retrouverons plus loin, semble corroborer.
-
-Ses idées touchant l’existence d’un fluide vital universel, l’Akahsa des
-Hindous, qu’il appelait l’Alkahest, et de la Lumière astrale des
-Kabbalistes, sont aussi de celles que nos théories modernes sur le rôle
-prépondérant de l’éther rappellent à notre attention. Il est évident,
-d’autre part, qu’il a souvent dépassé la mesure; en systématisant à
-outrance et puérilement des concordances purement apparentes ou verbales
-entre certaines parties du corps humain et celles des plantes
-médicinales; de même que ses affirmations au sujet des _Archées_, sortes
-de génies particuliers préposés au fonctions des divers organes et ses
-fantaisies charlatanesques de l’_Homunculus_, ne sont plus défendables.
-Mais ces erreurs étaient inhérentes à la science de son temps et ne sont
-peut-être pas beaucoup plus ridicules que les nôtres. Tout compte fait,
-il reste de lui le souvenir d’un précurseur bien étonnant et d’un
-visionnaire prodigieux.
-
-Quant à Jakob Boëhme, le fameux cordonnier de Goerlitz, son cas serait
-miraculeux et absolument inexplicable s’il avait réellement été
-l’illettré qu’on a dit. Mais cette légende doit être décidément écartée.
-Boëhme avait étudié les théosophes allemands, notamment Paracelse, et
-connaissait parfaitement les néo-platoniciens dont il réédite en somme
-les doctrines, en les déformant un peu, en les enveloppant d’une
-phraséologie plus obscure mais parfois inattendue et très
-impressionnante, et en y mêlant des éléments de Kabbale, de
-mathématiques mystiques et d’alchimie. Je renvoie ceux qu’intéresserait
-cet esprit étrange et assurément génial, mais très inégal--car il y a
-dans son œuvre un fatras illisible--à l’étude que lui a consacrée Émile
-Boutroux sous ce titre: _Le Philosophe Allemand Jacob Bœmhe_. Ils ne
-sauraient trouver meilleur guide.
-
-
-
-
-LES OCCULTISTES MODERNES
-
-
-I
-
-Avant les découvertes des indianistes et des égyptologues, les
-occultistes modernes que l’on peut,--mettant à part Swedenborg, un grand
-visionnaire isolé,--faire remonter à Martinez Pasqualis, né en 1715 et
-mort en 1779, ont forcément travaillé sur les mêmes textes et les mêmes
-traditions, s’attachant tour à tour, selon leurs goûts, à la Kabbale, ou
-aux théories alexandrines. Pasqualis n’a rien écrit, mais a laissé la
-légende d’un prestigieux magicien. Son disciple, Claude de Saint-Martin,
-«le Philosophe Inconnu», est une sorte de théosophe intuitif qui finit
-par redécouvrir Jakob Boëhme. Ses livres, bien pensés et remarquablement
-écrits, peuvent encore se lire avec plaisir et même avec fruit. Sans
-nous arrêter au comte de Saint-Germain, qui prétendait avoir gardé le
-souvenir de toutes ses existences antérieures, à Cagliostro, puissant
-illusionniste et redoutable charlatan, au marquis d’Argens, à dom
-Pernetty, à d’Espréménil, à Lavater, à Eckartshausen, à Delille de
-Salle, à l’abbé Terrasson, à Bergasse, à Clootz, à Court de Gebelin, ni
-à tous les mystiques qui vers la fin du XVIIIe siècle pullulèrent dans
-l’aristocratie et les loges maçonniques et faisaient partie des
-associations secrètes qui préparèrent la Révolution, mais n’ont rien de
-sérieux à nous apprendre, retenons le nom de Fabre d’Olivet, écrivain de
-premier ordre, qui nous donne de la Genèse de Moïse une interprétation
-nouvelle, hardie et grandiose sur la valeur de laquelle, n’étant pas
-hébraïsant, je n’ai pas qualité pour me prononcer, mais que la Kabbale
-récemment étudiée semble confirmer et qui se présente entourée d’un
-appareil scientifique et philologique impressionnant.
-
-
-II
-
-Et voici Éliphas Lévi avec ses livres aux titres inquiétants: _Histoire
-de la Magie_, _La Clef des Grands Mystères_, _Dogme et rituel de la
-Haute Magie_, _Le Grand Arcane ou l’Occultisme dévoilé_, etc., le
-dernier maître de l’occultisme proprement dit, de l’occultisme qui
-précède immédiatement celui de nos métapsychistes qui ont définitivement
-renoncé à la Kabbale, à la Gnose, aux Alexandrins et ne se réclament
-plus que de l’expérience scientifique.
-
-Éliphas Lévi, de son vrai nom Alphonse-Louis-Constant, né en 1810 et
-mort en 1875, résume en quelque sorte tout l’occultisme du Moyen âge
-avec ses tâtonnements, ses demi-vérités, ses connaissances tronquées,
-ses intuitions, ses irritantes obscurités, ses agaçantes réticences, ses
-erreurs et ses préjugés. Écrivant avant d’avoir su ou voulu profiter des
-principales découvertes des indianistes et des égyptologues et des
-travaux de la critique contemporaine, dénué lui-même de tout esprit
-critique, il ne travaillait que sur les documents médiévaux dont nous
-avons parlé; et le Séfer Yerizah, le Zohar (dont il ne connaissait du
-reste que les fragments fantaisistes de la _Kabbala Denudata_), le
-Talmud et l’Apocalypse mis à part, s’attachait de préférence aux plus
-indiscutablement apocryphes. A côté de ceux que je viens de citer, ses
-trois livres de chevet étaient le _Livre d’Hénoch_, les _Écrits d’Hermès
-Trismégiste_ et le _Tarot_.
-
-Le _Livre d’Hénoch_, attribué par la légende au patriarche Hénoch, fils
-de Jared et père de Mathusalem, doit se placer aux environs de l’ère
-chrétienne, attendu que le dernier événement connu par son auteur est la
-guerre d’Antiochus Sidetes contre Jean Hyrcan. C’est un livre
-apocalyptique, probablement écrit par un Essénien, comme le prouve son
-angéologie, et qui exerça une profonde influence sur le mysticisme juif
-d’avant le Zohar.
-
-Les _Écrits d’Hermès Trismégiste_, que Louis Ménard a traduits et
-auxquels il a consacré une étude définitive[58], attribués à Thoth,
-l’Hermès égyptien, nous révèlent dans leur conception de Dieu de très
-curieuses analogies avec les livres sacrés de l’Inde, notamment le
-_Baghavat-Gita_, nous montrent une fois de plus l’universelle
-infiltration de la grande religion primitive. Mais chronologiquement, il
-n’y a pas le moindre doute: le _Poimandrès_, l’_Asclépios_ et les
-fragments du _Livre Sacré_, sont nés à Alexandrie. La théologie
-hermétique est pleine de pensées et d’expressions néo-platoniciennes et
-d’autres empruntées à Philon; et des passages entiers du _Poimandrès_
-peuvent être juxtaposés à l’_Apocalypse_ de Saint-Jean et lui font écho,
-ce qui prouve que les deux ouvrages ont été écrits à des dates peu
-éloignées l’une de l’autre. Il n’est donc pas surprenant que, non plus
-que Jamblique, ils n’aient rien à nous apprendre sur la religion de
-l’antique Égypte, puisqu’à l’époque où les Grecs l’étudièrent, la
-symbolique de cette religion, comme le remarque Louis Ménard, était déjà
-une lettre morte pour ses prêtres eux-mêmes.
-
- [58] LOUIS MÉNARD, _Hermès Trismégiste_.
-
-Quant au _Tarot_, il serait, au dire des occultistes, le premier livre
-écrit de main humaine et antérieur à ceux de l’Inde, d’où il aurait
-passé en Égypte. Malheureusement, on n’en trouve pas trace dans
-l’archéologie de ces deux pays. Il est vrai qu’une chronique italienne
-nous apprend que le premier jeu de cartes, qui n’est que le Tarot
-vulgarisé, fut importé à Viterbe, en 1379, par les Sarrasins, ce qui
-révèle une origine orientale. En tout cas, sous sa forme actuelle, il ne
-remonte qu’à Jacquemin Gringonneur, enlumineur du temps de Charles VI.
-
-Il est évident qu’ainsi documenté, Éliphas Lévi n’a rien de bien sérieux
-à nous révéler. Il est en outre embarrassé par l’ingrate et impossible
-tâche qu’il s’est imposée en voulant concilier l’occultisme avec le
-dogme catholique. Mais son érudition, dans sa sphère, est remarquable,
-et il a parfois d’étonnantes intuitions qui semblent avoir entrevu,
-notamment en ce qui touche aux médiums, aux fluides odiques, aux
-manifestations de l’astral, plus d’une découverte de nos métapsychistes.
-En outre, lorsqu’il aborde un sujet qui n’est pas purement chimérique,
-et qui tient à des réalités profondes, en morale par exemple, et même en
-politique, et quand, comme le font fréquemment les occultistes, il ne
-s’enveloppe pas d’énervants sous-entendus qui paraissent craindre d’en
-dire trop et ne trahissent au fond que la peur de n’avoir rien à dire,
-il lui arrive d’écrire d’excellentes pages qui, après la vogue exagérée
-dont elles jouirent, ne méritent pas l’injuste oubli auxquelles on
-semble les condamner.
-
-
-III
-
-Dans l’école d’Éliphas Lévi, et suivant à peu près les mêmes errements,
-on peut ranger deux hommes de valeur: Stanislas de Guaita et le docteur
-Encausse, plus connu sous le nom de Papus. Leur cas est assez spécial.
-Ce sont deux grands érudits qui connaissent à fond la littérature
-kabbalistique, gréco-égyptienne et tout l’hermétisme du Moyen âge. Ils
-sont également au courant des travaux des orientalistes, des
-égyptologues, des théosophes et des recherches de nos occultistes
-purement scientifiques. Ils savent aussi que les textes qu’ils invoquent
-sont des apocryphes extrêmement suspects; et quoiqu’ils le sachent et
-parfois le proclament, ils partent de ces textes, s’y attachent, s’y
-confinent et fondent sur eux leurs théories, comme s’il s’agissait de
-documents authentiques et indiscutables. Ainsi de Guaita édifie la
-partie la plus importante de son œuvre sur la «Table d’émeraude», un
-apocryphe de l’apocryphe Trismégiste, après avoir déclaré: «Nous ne
-chicanerons point sur l’authenticité, l’attribution et la date de l’un
-des documents les plus magistralement initiatiques que nous ait transmis
-l’antiquité gréco-égyptienne.
-
-«Les uns s’obstinent à n’y voir que l’œuvre amphigourique d’un rêveur
-alexandrin, d’autres taxent même ce document d’apocryphe du Ve siècle.
-Quelques-uns le veulent de quatre mille ans plus ancien.
-
-«Que nous importe... Il est certain que cette page résume les traditions
-de l’antique Égypte[59].»
-
- [59] STANISLAS DE GUAITA, _La Clef de la Magie noire_, p. 119.
-
-Ce n’est pas certain du tout, attendu que les monuments authentiques de
-l’Égypte des Pharaons ne nous fournissent absolument rien qui confirme
-ce résumé abscons, et le «Que nous importe», n’est-il pas bien cavalier
-quand il s’agit d’un texte dont on fait la clef de voûte de sa doctrine?
-
-De son côté, Papus consacre un volume entier au commentaire du Tarot,
-dans lequel il voit le plus ancien monument de la sagesse ésotérique,
-alors qu’il sait mieux que personne qu’on n’en retrouve pas de traces
-authentiques avant le XIVe siècle.
-
-En signalant cette faille bizarre à la base de leur œuvre,--et
-naturellement elle a de nombreuses ramifications,--je n’entends
-nullement suspecter l’honnêteté, l’évidente bonne foi de cette œuvre
-extrêmement intéressante, pleine d’aperçus originaux, d’intuitions,
-d’hypothèses, d’interprétations, de rapprochements ingénieux, de
-recherches et de trouvailles curieuses. Ils savent tous deux beaucoup de
-choses oubliées ou négligées, qu’il est bon de rappeler parfois; et si
-Papus, trop pressé, bâcle souvent ses volumes, de Guaita soigne
-toujours, presque à l’excès, sa phrase hautaine, attentive, miroitante
-et un peu compassée.
-
-
-IV
-
-La situation des néo-théosophes, offre quelque analogie avec celle des
-trois occultistes dont je viens de parler. On sait que la «Société
-Théosophique» fut fondée en 1875, par Mme Blavatzky. Je n’ai pas à juger
-ici, au point de vue moral, cette femme énigmatique. Il est certain que
-le rapport du Dr Hodgson, spécialement envoyé aux Indes, en 1884, par la
-«Society for Psychical Research», afin de faire une enquête sur son cas,
-jette sur elle une ombre assez fâcheuse. Néanmoins, après avoir revu les
-pièces du procès, je conviens qu’il est après tout fort possible que le
-très honnête Hodgson ait été lui même victime de supercheries plus
-diaboliques que celles qu’il croyait démasquer. Je sais encore qu’on
-impute à Mme Blavatzky et à d’autres théosophes, de nombreux plagiats;
-on prétend notamment que _Le Bouddhisme ésotérique_ de A.-P. Sinnet et
-_La Doctrine secrète_ seraient d’un nommé Palma, dont les manuscrits
-auraient été achetés par les fondateurs de la Société Théosophique, ou
-des démarquages à peine déguisés d’ouvrages parus vingt ans auparavant,
-sous la signature d’occultistes occidentaux, notamment de Louis Lucas.
-
-Je ne m’attarderai pas à ces questions qui me semblent beaucoup moins
-importantes que celle des documents préhistoriques et secrets et des
-commentaires ésotériques sur lesquels repose toute la révélation
-théosophique. Quels qu’en soient l’auteur ou les auteurs, je prends
-l’œuvre telle qu’elle se présente. _L’Isis dévoilée_, _La Doctrine
-secrète_ et les autres écrits, très nombreux, de Mme Blavatzky, forment
-un monument énorme et mal équilibré, ou plutôt une sorte de chantier
-colossal, où la suprême sagesse, la plus exceptionnelle et la plus vaste
-érudition, et les débris les plus douteux de la science, de la légende
-et de l’histoire, les hypothèses les plus impressionnantes et le plus
-dénuées de fondement, les faits les plus exacts et les plus
-invraisemblables, les idées les plus justes et les plus chimériques, les
-rêves les plus hauts et les rêveries les plus incohérentes, sont
-déversés pêle-mêle par tombereaux inépuisables. Il y a donc dans cette
-accumulation de matériaux un déchet considérable, des affirmations
-fantastiques que l’on rejette _à priori_; mais il faut reconnaître, si
-l’on veut être impartial, qu’on y trouve aussi des spéculations qui
-comptent parmi les plus grandioses qu’on ait faites. Le fond en est
-évidemment védique ou plutôt brahmanique et védandique et se trouve dans
-des textes qui n’ont rien d’occulte. Mais à ces textes des indianistes
-officiels, les théosophes en superposent d’autres qu’ils prétendent
-beaucoup plus anciens et plus purs et qui leur sont fournis et expliqués
-par des adeptes hindous, héritiers directs de la Sagesse immémoriale et
-secrète. Il est certain que leurs écrits sans rien révéler de nouveau
-sur les points essentiels des grands aveux d’ignorance qui se trouvent à
-l’horizon des religions anciennes, y ajoutent une foule
-d’éclaircissements, de commentaires, de théories et de détails qui
-seraient extrêmement intéressants s’ils nous étaient offerts après avoir
-été soumis à une critique historique et philologique aussi rigoureuse
-que celle que firent subir à leurs documents les indianistes qui ne se
-prétendent pas initiés. Malheureusement il n’en va pas ainsi. Prenons
-par exemple le _Livre de Dzyan_, c’est-à-dire les Slocas ou stances
-mystérieuses qui se trouvent à la base de toute la doctrine secrète de
-Mme Blavatzky. Il nous est présenté comme «un manuscrit archaïque,
-assemblage de feuilles de palmiers rendu, par quelque procédé inconnu,
-inaltérable à l’eau, à l’air et au feu, et écrit dans une langue perdue,
-le _Sinzar_, antérieure au sanscrit et que comprennent seuls quelques
-rares adeptes hindous», et c’est tout. Pas un mot pour nous dire d’où
-provient ce manuscrit, comment il a été miraculeusement conservé, ce
-qu’est le _Sinzar_, à laquelle des cent langues, auquel des cinq ou six
-cents dialectes hindous il se rattache, comment il s’écrit, comment on
-peut encore le comprendre et le traduire, quelle est approximativement
-l’époque à laquelle il remonte, etc. On n’en a cure, et c’est toujours
-ainsi. Il faut croire sur parole et sans examen. Ces méthodes sont
-évidemment regrettables, car si les textes en question avaient été
-passés au crible d’une critique suffisante, ils compteraient parmi les
-plus curieux de la littérature asiatique. Telles qu’on nous les donne,
-la cosmogonie et l’anthropogénèse du _Livre de Dzyan_ paraissent être
-des spéculations de brahmanes et pourraient faire partie des
-_Upanischads_. Elles sont ingénieusement commentées par des adeptes
-parfaitement au courant de nos sciences occidentales. Si elles sont
-authentiquement préhistoriques, leurs affirmations au sujet de
-l’évolution des mondes et de l’homme, partiellement confirmées par nos
-dernières découvertes ou théories scientifiques, sont réellement
-troublantes. Si elles ne le sont pas, ces affirmations deviennent de
-simples hypothèses, toujours grandioses, parfois plausibles, mais le
-plus souvent incroyablement et inutilement compliquées, et en tout cas,
-arbitraires et chimériques.
-
-
-V
-
-Ce qui n’empêche point _La Doctrine Secrète_ d’être une sorte de vaste
-encyclopédie des sciences ésotériques, surtout dans ses annexes, ses
-commentaires, ses «parerga», où l’on trouve une foule de rapprochements
-ingénieux et curieux entre les enseignements et les manifestations de
-l’occultisme, à travers les pays et les siècles. Il en jaillit parfois
-une lumière inattendue dont les rayons s’étendent au loin, sur des
-régions de la pensée qui ne sont plus guère fréquentées. En tout cas,
-l’œuvre prouverait une fois de plus, si c’était nécessaire, et avec un
-éclat insolite, l’origine commune de l’idée que se fit un jour
-l’humanité, bien avant l’histoire que nous connaissons, des grands
-mystères qui l’enveloppèrent. On y trouve aussi de larges et excellents
-tableaux où la science occulte est confrontée à la science moderne et
-semble souvent, il faut en convenir, précéder ou dominer celle-ci. On y
-découvre encore bien d’autres choses, jetées en vrac, mais qui ne
-méritent pas le dédain avec lequel, depuis quelque temps, on affecte de
-les traiter.
-
-Au surplus, je n’ai pas à faire ici l’histoire ou le procès de la
-théosophie. Il fallait simplement la signaler à la rencontre,
-puisqu’elle est l’avant-dernière forme de l’occultisme. Il suffira
-d’ajouter que les vices de sa méthode initiale s’accusent et s’aggravent
-chez les continuateurs de Mme Blavatzky. Chez Mme Annie Besant,--femme
-d’ailleurs remarquable,--et chez Leadbeater, tout est en l’air, tout
-s’édifie dans les nues, et les affirmations gratuites et invérifiables
-pleuvent de plus en plus dru sur chaque page. Ils semblent du reste
-lancer la théosophie dans des voies où les fidèles de la première heure
-hésitent à les suivre.
-
-Ces vices s’aggravent surtout et éclatent dans toute leur candeur chez
-certains auteurs de second plan, moins habiles que leurs maîtres à les
-dissimuler; par exemple chez Scott-Elliot, l’historien de _L’Atlantide_
-et de _La Lémurie perdue_. Scott-Elliot commence son histoire de
-l’Atlantide de la manière la plus raisonnable et la plus scientifique.
-Il invoque les textes historiques qui ne permettent guère de douter
-qu’une île immense, dont l’une des extrémités s’avançait non loin des
-colonnes d’Hercule, s’effondra dans l’Océan, et disparut à jamais, en
-engloutissant la merveilleuse civilisation qu’elle portait. Il corrobore
-ces textes de preuves très judicieuses tirées de l’orographie
-sous-marine, de la persistance de la mer des Sargasses, de la géologie,
-de la chorographie, etc. Puis, tout à coup, presque sans nous prévenir,
-ayant recours à des documents occultes, à des mappemondes de terre
-cuite, miraculeusement retrouvées, à des révélations qui viennent on ne
-sait d’où, à des clichés astraux qu’il prétend récupérer dans l’espace
-et le temps, et qu’il traite sur le même pied que les arguments
-historiques et géologiques, il nous décrit par le menu, comme s’il
-vivait au milieu d’eux, les villes, les temples, les palais des Atlantes
-et toute leur civilisation politique, morale, religieuse et
-scientifique, en annexant à son œuvre une série de cartes détaillées de
-continents fabuleux, hyperboréens, lémuriens, etc., disparus depuis
-800.000, 200.000 et 60.000 ans, et délimités avec autant de minutie et
-d’assurance que s’il s’agissait de la géographie contemporaine de la
-Bretagne ou de la Normandie.
-
-
-VI
-
-Le chef d’une branche indépendante ou dissidente de la Théosophie, un
-érudit, un philosophe et un visionnaire extrêmement curieux, dont j’ai
-déjà parlé, Rudolph Steiner, use à peu près des mêmes procédés, mais
-tente du moins de les expliquer et de les justifier.
-
-A la différence des théosophes orthodoxes, il ne se contente point de
-révéler, de commenter et d’interpréter les livres secrets et sacrés de
-la tradition orientale, mais entend trouver en lui-même toutes les
-vérités qu’ils renferment. «C’est dans l’âme, proclame-t-il, que se
-révèle le sens de l’univers.» Le secret de tout est en nous, puisque
-tout est en nous, et il est en chacun de nous autant qu’il était dans le
-Christ. «Le Logos en évolution incessante en des millions de
-personnalités humaines a été détourné et concentré par la conception
-chrétienne sur l’unique personnalité de Jésus. La force divine éparse
-dans le monde entier fut ramassée en un seul. Aux yeux de cette
-conception, Jésus est le seul homme devenu Dieu. Il a pris sur lui la
-divinisation de toute l’humanité. On cherche en lui ce que précédemment
-on avait cherché dans sa propre âme[60].»
-
- [60] RUDOLPH STEINER, _Le Mystère chrétien et les Mystères antiques_.
- Trad. par ÉDOUARD SHURÉ, p. 228.
-
-Il faut reprendre cette recherche que le symbole du Christ a trop
-longtemps interrompu. Cette idée très défendable quand on y voit la
-recherche de notre «Moi transcendental», dont le subconscient de nos
-métapsychistes n’est que la partie la plus accessible, devient beaucoup
-plus contestable dans les développements que lui donne notre auteur. Il
-prétend nous révéler le moyen de réveiller presque mécaniquement et
-infailliblement le Dieu qui dort en nous. Selon lui, «la différence
-entre l’initiation orientale et l’initiation occidentale consiste en ce
-que la première se faisait à l’état de sommeil et la seconde à l’état de
-veille. On évite par conséquent la séparation toujours dangereuse du
-corps éthérique d’avec le corps physique». Pour obtenir l’état extatique
-qui permet de se mettre en communication avec les mondes supérieurs ou
-avec tous les mondes dispersés dans l’espace et le temps et même avec la
-divinité, il s’agit, par des exercices spirituels, de cultiver et
-développer méthodiquement certains organes de l’astral qui nous font
-voir et entendre, dans les êtres et les choses, des entités qui ne
-pénètrent jamais sur le plan physique. Les principes de ces exercices,
-du moins dans leurs parties spirituelles, sont évidemment empruntées aux
-pratiques immémoriales du Yoga hindou, et notamment au Sûtra de
-Patânjali. Steiner enseigne ainsi que l’organe astral qui se trouverait
-dans le voisinage du larynx servirait à voir les pensées des autres
-hommes et permettrait de jeter un regard profond dans les vraies lois
-des phénomènes naturels. C’est encore ainsi qu’un organe qui
-avoisinerait le cœur, serait l’instrument qui servirait à connaître les
-états d’âme des autres hommes. Quiconque l’aurait développé pourrait
-vérifier l’existence de certaines forces profondes chez les animaux ou
-chez les plantes. C’est ainsi, enfin, que le sens qui résiderait au
-creux de l’estomac percevrait les facultés et les talents des hommes et
-découvrirait en outre le rôle que les animaux, les végétaux, les
-pierres, les métaux, les phénomènes atmosphériques jouent dans
-l’économie de la nature. Il expose longuement et minutieusement tout
-ceci, comme tout ce qui concerne l’évolution, l’entraînement,
-l’organisation du corps éthérique, et la vision du «Soi» supérieur, dans
-un livre intitulé: _L’Initiation ou la connaissance des mondes
-supérieurs_[61].
-
- [61] RUDOLPH STEINER, _L’Initiation_. Trad. par JULES SAUERWEIN, p.
- 188 et suiv.
-
-Quand on lit ce traité de l’extase, du reste remarquable à plus d’un
-point de vue, on est tenté de se demander si l’auteur a réussi à éviter
-le danger contre lequel il prémunit ses disciples et s’il ne se trouve
-pas lui-même «dans un univers créé de toutes pièces par sa propre
-imagination»; j’ignore du reste si l’expérience confirme ses
-allégations. On peut essayer. Les procédés sont assez simples et, au
-rebours de ceux du Yoga, parfaitement inoffensifs. Mais il faut que
-l’entraînement spirituel se fasse sous la direction d’un maître qu’il
-n’est pas toujours facile de se procurer. En tout cas, il est permis de
-concevoir une sorte d’«état second» supérieur à celui des hypnotisés,
-des somnambules ou des médiums, qui procurerait des visions ou des
-intuitions très différentes de celles que nous fournissent nos sens ou
-notre intelligence dans leur état normal. Quant à savoir si ces visions
-ou ces intuitions répondent à des réalités d’un autre plan ou d’autres
-mondes, c’est une question que pourraient seuls trancher ceux qui les
-ont éprouvées. La plupart des grands mystiques ont eu spontanément des
-visions et des intuitions de ce genre, mais elles ne seraient vraiment
-intéressantes que s’il était prouvé qu’elles proviennent de mystiques
-réellement et totalement illettrés. Tels étaient, soutient-on, Jakob
-Boëhme, le théosophe-cordonnier de Goerlitz et Ruysbroeck l’Admirable,
-le vieux moine brabançon qui vécut aux XIIIe et XIVe siècles. Si
-vraiment il n’y avait pas dans leurs révélations réminiscence
-inconsciente de lectures, on y rencontre de telles analogies avec les
-enseignements, devenus plus tard ésotériques, des grandes religions
-primitives, qu’il faudrait croire que tout au haut ou tout au fond de
-l’humanité, cet enseignement existe, identique, immuable et latent, et
-correspond à quelque vérité objective et universelle. On trouve
-notamment dans l’_Ornement des Noces spirituelles_, dans le _Livre de la
-suprême Vérité_, dans le _Livre du Royaume des Amants_ de Ruysbroeck,
-des pages entières qui, abstraction faite de la phraséologie chrétienne,
-pourraient avoir été écrites par un anachrorète du temps des Brahmanes,
-ou par un néo-platonicien d’Alexandrie. D’autre part, l’idée
-fondamentale de l’œuvre de Boëhme est l’idée néo-platonicienne d’une
-divinité inconsciente ou d’un «néant» divin, qui prend graduellement
-conscience en s’objectivant et en réalisant ses virtualités latentes.
-Mais Boëhme, nous l’avons vu, n’était nullement illettré. Quant à
-Ruysbroeck, bien que son œuvre soit écrite dans le patois flamand que
-parlent encore les paysans du Brabant et des Flandres, n’oublions pas
-qu’avant de devenir l’ermite de la forêt de Soignes, il avait été
-vicaire à Bruxelles et avait vécu dans l’atmosphère mystique qu’avaient
-créée, aux XIIIe et XIVe siècles, Albert Le Grand et surtout ses
-contemporains Johann Eckhart dont le panthéisme mystique est analogue à
-celui des Alexandrins et Jean Tauler qui, au dire de Surius, le
-traducteur et le biographe de Ruysbroeck, visita celui-ci dans sa
-solitude de Groenendael. Or, Jean Tauler préconisait également l’union
-avec la divinité et la création de Dieu dans l’âme. On voit donc qu’il
-est assez hasardeux d’affirmer que ses visions furent absolument
-spontanées.
-
-
-VII
-
-Pour Steiner, la question ne se pose même pas. Avant d’avoir retrouvé ou
-cru retrouver en lui-même les vérités ésotériques qu’il révèle, il
-connaissait à fond toutes les littératures mystiques, de sorte qu’il est
-à peu près certain que ses visions ne lui furent apportées que par le
-reflux de sa mémoire consciente ou subconsciente. Au demeurant, il ne
-diffère guère des théosophes orthodoxes, que sur un point qui peut
-paraître plus ou moins essentiel: au lieu de faire, non pas du Bouddha,
-mais des Bouddhas, c’est-à-dire des révélateurs ou des intermédiaires
-successifs, les centres de l’évolution spirituelle, il attribue au
-Christ le rôle capital dans cette évolution, synthétisant en lui tout le
-divin épars dans tous les hommes et en faisant ainsi le symbole par
-excellence de l’humanité à la recherche du Dieu qui dort en elle. C’est
-une opinion soutenable, quand on l’envisage, comme il semble le faire,
-au point de vue allégorique, mais qu’il serait plus difficile de
-défendre au point de vue historique.
-
-Steiner a mis en pratique ses méthodes intuitives, qui sont une sorte de
-psychométrie transcendentale, pour reconstituer l’histoire des Atlantes
-et nous révéler ce qui se passe dans le soleil, la lune et d’autres
-mondes. Il nous décrit les transformations successives des entités qui
-deviendront des hommes, et il le fait avec tant d’assurance qu’on se
-demande, après l’avoir suivi avec intérêt à travers des préliminaires
-qui dénotent un esprit très pondéré, très logique et très vaste, s’il
-devient subitement fou ou si l’on a affaire à un mystificateur ou à un
-véritable voyant. Dans le doute, on se dit que le subconscient, qui nous
-a déjà causé tant de surprises, nous en réserve peut-être d’autres qui
-seront aussi fantastiques que celles du théosophe autrichien, et,
-instruit par l’expérience, on s’abstient de le condamner sans appel.
-
-Tout compte fait, nous constatons une fois de plus, au sortir de ses
-œuvres, comme au sortir de la plupart des autres, que ce qu’il appelle
-«le grand drame de la connaissance que les anciens représentaient et
-vivaient dans leurs temples», et dont la vie, la mort et la résurrection
-du Christ, comme celles d’Osiris et de Krischna, n’est qu’une
-interprétation symbolique, devrait plutôt s’appeler le grand drame de
-l’ignorance essentielle et invincible.
-
-
-
-
-LES MÉTAPSYCHISTES
-
-
-I
-
-Nous arrivons ainsi aux occultistes d’aujourd’hui, qui ne sont plus des
-hiérophantes, des adeptes, des initiés ou des voyants, mais de simples
-chercheurs appliquant à l’étude des phénomènes anormaux les méthodes de
-la science expérimentale. Ces phénomènes, pour peu que l’attention soit
-mise en éveil, on les constate de toutes parts dans la vie. Sont-ils
-exclusivement dus aux forces inconnues du subconscient ou à des entités
-invisibles qui ne sont pas, ne sont pas encore ou ne sont plus des
-hommes? Le grand intérêt, on pourrait dire tout l’intérêt de la question
-est là, mais la réponse est encore en suspens, bien que s’accentue la
-tendance à la chercher dans un autre monde que le nôtre; et la
-conversion au spiritisme de purs savants tels que sir Oliver Lodge, et
-plus récemment celle du professeur W.-J. Crawford, sont à cet égard
-assez significatives.
-
-Je ne reviendrai pas ici sur les communications spirites, les phantasmes
-des vivants et des morts, les phénomènes prémonitoires, les
-manifestations psychométriques et médiumniques dont j’ai esquissé
-l’étude dans _La Mort_ et dans _L’Hôte Inconnu_. Ce que j’en ai dit dans
-ces livres peut donner une idée sommaire, provisoire,--car tout est
-provisoire dans ces régions,--mais suffisante, de l’état présent de la
-science métapsychique sur ces points.
-
-Mais il en est d’autres qui n’entraient pas alors dans le cadre de mon
-travail, qu’il faut que j’aborde aujourd’hui, d’abord parce qu’ayant
-passé en revue, rapidement, mais aussi complètement que possible, dans
-une monographie forcément écourtée, tout l’occultisme passé, il est
-équitable de traiter de la même façon l’occultisme présent, mais aussi
-et surtout parce que ces points que j’avais réservés jettent une lumière
-assez inattendue sur plusieurs autres et autorisent sinon des
-conclusions, du moins certaines inductions qui termineront cette étude.
-
-
-II
-
-Il ne s’agit plus, pour nos modernes occultistes comme pour leurs
-devanciers plus présomptueux, d’interroger directement l’inconnaissable,
-de remonter aux origines de la Cause sans Cause, d’expliquer
-l’inexplicable transition de l’infini au fini, de l’inconnaissable au
-connu, de l’esprit à la matière, du bien au mal, de l’absolu au relatif,
-de l’éternel à l’éphémère, de l’invisible au visible, de l’immobilité au
-mouvement, du virtuel au réel, et de trouver dans tout cet
-incompréhensible une théogonie, une cosmogonie, une religion et une
-morale qui ne soient pas aussi désespérantes que les ténèbres d’où on
-s’est efforcé de les tirer.
-
-Assagis par d’innombrables désillusions, ils se résignent à un rôle plus
-modeste. Au milieu d’une science que la nature même de ses
-investigations a rendu presque nécessairement matérialiste, ils
-conquièrent patiemment un îlot où ils donnent asile à des phénomènes que
-les lois ou plutôt les habitudes de la matière, telles que croyons les
-connaître, ne suffisent pas à expliquer. Ils arrivent ainsi, peu à peu,
-sinon à nous prouver, du moins à nous acheminer vers la preuve, qu’il y
-a dans l’homme, que l’on peut considérer comme une sorte de résumé de
-l’univers, une force spirituelle autre que celle qui émane de ses
-organes ou de son cerveau matériel et conscient et qui ne dépend pas
-uniquement de l’existence de son corps. Reconnaissons que cet îlot de
-nos occultistes, qui prennent maintenant le nom de métapsychistes, est
-encore assez désordonné. On y remarque tout le désarroi d’une
-installation récente et provisoire. Chacun y apporte chaque jour ses
-petites ou ses grandes trouvailles, les déballe et les entasse pêle-mêle
-sur la grève. Le très incertain y voisine avec l’incontestable,
-l’excellent avec le pire et le commencement avec la fin. Il serait temps
-de tirer de cette profusion et de cette confusion de matériaux, quelques
-lois générales qui y missent un peu d’ordre; mais il est douteux qu’on
-le puisse d’ores et déjà tenter, car l’inventaire n’est pas terminé et
-l’on pressent qu’une découverte inattendue peut tout remettre en
-question et renverser de fond en comble les théories le plus prudemment
-édifiées.
-
-En attendant, on pourrait essayer de commencer par le commencement.
-Puisque les phénomènes qui s’accumulent tendent à établir que la force
-spirituelle qui émane de l’homme ne dépend pas entièrement de son
-cerveau et de la vie de son corps, il serait logique de démontrer
-d’abord que la pensée peut exister sans cerveau et en fait existait
-avant qu’un cerveau ne fût né. Si l’on y réussissait, l’existence
-posthume et tous les phénomènes attribués au subconscient deviendraient
-presque naturels et, en tout cas, beaucoup plus explicables.
-
-
-III
-
-La grande objection que les matérialistes ont toujours faite aux
-spiritualistes et qu’ils font encore, mais moins hardiment aujourd’hui,
-se résume en ceci: Pas de pensée sans cerveau. L’âme ou l’esprit est une
-sécrétion de la substance cérébrale; le cerveau mort, la pensée s’arrête
-et il ne reste rien.
-
-A cette objection formidable, à ces constatations en apparence
-irréfutables, parce que l’expérience quotidienne de la mort vient sans
-cesse les confirmer, on n’avait jusqu’ici à opposer aucun argument
-réellement sérieux. On était au fond beaucoup plus désarmé qu’on n’osait
-en convenir. Mais depuis un certain nombre d’années, les travaux de nos
-métapsychistes, dont on n’a pas encore tiré toutes les conséquences,
-fournissent enfin, sinon des arguments péremptoires qu’on ne trouvera
-peut-être jamais, du moins des commencements d’arguments qui permettent
-de faire tête aux matérialistes, non plus dans les nuages religieux ou
-métaphysiques, mais sur leur propre terrain où règne seule la déesse,
-d’ailleurs fort respectable, de la méthode expérimentale. On rejoint
-ainsi, par-dessus les siècles, les affirmations et les constatations que
-des ancêtres préhistoriques nous avaient léguées comme un trésor secret
-ou trop longtemps enseveli dans l’oubli.
-
-On fuierait avec plaisir ces discussions assez oiseuses entre
-spiritualistes et matérialistes, si ces derniers n’obligeaient d’y
-revenir, en soutenant aveuglément que la matière est tout, le principe
-de tout, que tout commence et finit en elle et par elle et qu’il n’y a
-pas autre chose. Il serait plus raisonnable de reconnaître, une fois
-pour toutes, que la matière et l’esprit ne sont au fond que deux états
-différents d’une même substance ou plutôt d’une même énergie éternelle.
-C’est ce qu’a toujours affirmé, plus nettement qu’aucune autre, la
-religion primitive de l’Inde, en ajoutant que l’esprit était l’état
-primordial de cette substance ou de cette énergie et que la matière
-n’est que le résultat d’une manifestation, d’une condensation ou d’une
-dégradation de l’esprit. Toute sa cosmogonie, toute sa théosophie et
-toute sa morale découle de ce principe fondamental, dont les
-conséquences, alors qu’en apparence il ne s’agit que d’une querelle de
-mots, sont, en pratique, énormes.
-
-Il s’agit donc tout d’abord de savoir si l’esprit est antérieur à la
-matière ou si l’inverse est vrai, si la matière est la condition de
-l’esprit ou si c’est au contraire l’esprit qui est la condition de la
-matière. Dans l’état présent de la science, et sans tenir compte des
-enseignements des grandes religions, est-il possible de répondre à cette
-question?
-
-Nos matérialistes affirment que la vie est la condition indispensable
-pour que la pensée naisse et se forme dans le cerveau. Ils ont raison;
-mais qu’est-ce que la vie, à leurs yeux, sinon une manifestation de la
-matière qui déjà n’est plus la matière telle qu’ils l’entendent et que
-nous avons bien le droit d’appeler esprit, âme et même dieu si nous le
-désirons? S’ils soutiennent que la matière ne peut produire la vie sans
-qu’un germe venu du dehors ne l’y fasse naître, ils passent _ipso facto_
-dans notre camp, puisqu’ils reconnaissent qu’il faut autre chose que la
-matière pour produire la vie. Si d’autre part, ils prétendent que la vie
-émane de la matière, ils confessent qu’elle s’y trouvait préalablement
-renfermée, et reviennent se ranger parmi nous. Ils ont du reste
-récemment,--voyez entre autres les expériences du Dr Gustave Le
-Bon,--été forcés de reconnaître que la matière inerte n’existe point, et
-qu’un caillou, un bloc de lave, stérilisé par les feux les plus
-infernaux, est doué d’une activité intra-moléculaire absolument
-fantastique, et dépense en tourbillons intérieurs une énergie qui serait
-capable d’ébranler des trains entiers et de leur faire faire le tour de
-notre globe. Or, qu’est-ce que cette activité et cette énergie, sinon
-une forme irrécusable de la vie universelle? Et nous voilà encore une
-fois d’accord. Mais où nous ne le sommes plus, c’est quand ils
-prétendent sans aucune raison, ou plutôt contre toute raison, que la
-matière existait avant cette énergie. Nous pouvons admettre qu’elle
-existait en même temps, depuis l’origine du monde; mais la simple
-logique et l’observation des faits nous obligent de reconnaître que
-lorsque la matière s’est mise en mouvement, s’est mise à évoluer, non
-plus intérieurement, comme dans un caillou, mais extérieurement, comme
-dans un cristal, une plante ou un animal, c’est la même énergie, la même
-force motrice qui était en elle qui a déterminé ce mouvement ou cette
-évolution. Cette même logique et cette même observation des faits nous
-forcent encore de reconnaître que lorsqu’il s’est agi de transformer et
-d’organiser la matière, ce n’est pas celle-ci, mais la vie qu’elle
-recélait, qui a commencé. Or dans ce cas, comme dans les querelles qui
-se terminent devant les tribunaux, il est extrêmement important de
-savoir qui a commencé. Si c’est la matière,--mais soit dit en passant,
-comment commencerait-elle quelque chose, comment prendrait-elle une
-initiative, sans cesser d’être la matière, telle que la définissent les
-matérialistes, c’est-à-dire une chose par elle-même nécessairement
-inerte et immobile?--Mais enfin, si pour admettre l’impossible, c’est la
-matière qui a commencé, il est assez probable que notre esprit périra ou
-plutôt s’éteindra avec elle et retournera en elle à cette élémentaire
-activité intra-moléculaire qui marquait son commencement et marquera sa
-fin. Si c’est au contraire l’esprit qui a commencé, il est non moins
-probable, qu’ayant su transformer la matière et l’organiser, il est plus
-puissant et d’une autre nature que cette matière, et qu’ayant su s’en
-servir, en tirer parti pour évoluer, s’accroître et s’élever,--et c’est
-bien l’évolution spirituelle que nous constatons, sur notre terre qui
-part du minéral, pour aboutir à l’homme,--il est, dis-je, non moins
-probable qu’ayant su se servir de la matière et en être le maître, il ne
-lui permettra pas, quand elle semblera se dissoudre, de l’entraîner dans
-sa dissolution, de l’éteindre quand elle s’éteint ou de le faire
-rétrograder vers cette obscure activité intra-moléculaire d’où il
-l’avait tirée...
-
-
-IV
-
-En tout cas, pour ce qui nous intéresse particulièrement, c’est-à-dire
-l’antériorité de la pensée ou du cerveau, ou la possibilité de la pensée
-sans cerveau, la question est tranchée par les faits. Avant l’apparition
-de l’homme et des animaux les plus intelligents, la nature était déjà
-beaucoup plus intelligente que nous et avait déjà réalisé dans le monde
-des plantes, des poissons, des sauriens, des oiseaux reptiliens, et
-surtout dans le monde des insectes, la plupart des inventions
-merveilleuses devant lesquelles nous nous extasions encore aujourd’hui.
-Où était à ce moment, le cerveau de la nature? Probablement dans la
-matière et surtout hors de la matière, partout et nulle part, comme il
-est encore aujourd’hui. Vous aurez beau nous objecter que tout cela
-s’est fait peu à peu, avec une lenteur infinie, à travers des
-tâtonnements incessants; c’est entendu, mais le temps ne fait rien à
-l’affaire. Il est donc évident, à moins que vous n’admettiez que l’effet
-précède la cause, qu’il y avait quelque part, on ne sait où, une
-intelligence qui déjà fonctionnait sans organes visibles ou
-localisables, nous démontrant ainsi que les organes que nous croyons
-indispensables pour qu’une pensée se produise, ne sont que le produit
-d’une pensée préexistante, les effets d’une cause antérieure et
-spirituelle.
-
-
-V
-
-Il est au demeurant fort possible que depuis la formation de notre
-cerveau, la nature pense mieux qu’elle ne le faisait. Il est fort
-possible, comme le prétendent certains biologistes, que les acquisitions
-de notre intelligence profitent à la nature et se reversent dans le
-fonds commun de l’intelligence universelle. Je n’y vois, pour ma part,
-aucun inconvénient. Cela ne prouve nullement que la nature ait besoin du
-cerveau de l’homme pour avoir des idées. Elle les avait toutes bien
-avant lui. Quand l’homme invente par exemple l’imprimerie ou la machine
-à écrire pour faciliter la diffusion de sa pensée, cela ne prouve
-nullement qu’il ait besoin de l’imprimerie ou de la machine à écrire
-pour penser.
-
-Il semble en effet que la nature, tout au moins sur notre petite terre,
-se soit assagie, et ne commette plus les énormes bévues qu’elle faisait
-à l’origine, quand elle créait des milliers de monstres hétéroclites et
-inviables. Il n’en est pas moins vrai qu’elle ne nous a pas attendus
-pour se mettre à penser et à imaginer beaucoup plus de choses que nous
-n’en imaginerons jamais. Nous n’avons pas cessé et nous ne cesserons pas
-de sitôt, de puiser à pleines mains à l’immense fonds d’intelligence
-accumulé par elle avant notre venue. Ernest Kapp, dans sa _Philosophie
-de la Technique_, a lumineusement démontré que toutes nos inventions,
-toutes nos machines, ne sont que des projections organiques,
-c’est-à-dire des imitations inconscientes de modèles fournis par la
-nature. Nos pompes sont la pompe de notre cœur, nos bielles sont la
-reproduction de nos articulations, notre appareil photographique est la
-chambre noire de notre œil, nos appareils télégraphiques représentent
-notre système nerveux; dans les rayons X, nous reconnaissons la
-propriété organique de la lucidité somnambulique qui voit à travers les
-objets, qui lit par exemple le contenu d’une lettre cachetée et enfermée
-dans une triple boîte de métal. Dans la télégraphie sans fil, nous
-suivons les indications que nous avait données la télépathie,
-c’est-à-dire la communication directe d’une pensée, par ondes
-spirituelles analogues aux ondes hertziennes, et dans les phénomènes de
-la lévitation et des déplacements d’objets sans contact, se trouve une
-autre indication dont nous n’avons pas encore su tirer parti. Elle nous
-met sur la voie du procédé qui nous permettra peut-être un jour de
-vaincre les terribles lois de la gravitation qui nous enchaînent à cette
-terre, car il semble bien que ces lois, au lieu d’être, comme on le
-croyait, à jamais incompréhensibles et impénétrables, sont surtout
-magnétiques, c’est-à-dire maniables et utilisables.
-
-
-VI
-
-Et je ne parle ici que du monde restreint de l’homme. Que serait-ce si
-nous faisions le recensement des inventions de la nature dans le royaume
-des insectes, où elle semble avoir prodigué, bien avant notre arrivée
-sur la terre, un génie plus varié et plus abondant que celui qu’elle a
-dépensé pour nous. Outre l’idée d’organisations politiques et sociales
-que nous imiterons peut-être un jour, nous y trouverions des miracles
-mécaniques qui nous sont inaccessibles et le secret des forces dont nous
-n’avons encore aucune notion. D’où vient, notamment, pour ne citer que
-le plus humble et le plus désagréable des exemples, d’où vient l’énergie
-fabuleuse qui permet à la puce de faire un bond qui correspond pour
-l’homme à un saut en hauteur ou en longueur de quatre ou cinq cents
-mètres? Et le scorpion languedocien, où puise-t-il l’aliment mystérieux
-qui, malgré une activité incessante, lui permet de vivre pendant neuf
-mois sans aucune nourriture? Où le puisent aussi les petits de la Lycose
-et de l’araignée Clotho, qui ont une faculté analogue? En vertu de
-quelle alchimie voyons-nous, dans l’isolement absolu, sans que rien du
-dehors s’y puisse introduire, décupler sur place le volume de l’œuf d’un
-autre insecte, le Minotaure? Le grand entomologiste, J.-H. Fabre, sans
-se douter qu’il rééditait une théorie fondamentale de Paracelse,--car
-malgré elle, la science se rapproche chaque jour de la Magie,--soupçonne
-très curieusement «qu’ils empruntent une partie de leur activité aux
-énergies ambiantes, chaleur, électricité, lumière ou autres modes variés
-d’un même agent,» qui est exactement l’agent universel, l’astral, le
-fluide cosmique, éthérique ou vital, l’Akahsa des occultistes ou l’Od de
-nos savants modernes.
-
-
-VII
-
-Pour le dire en passant, la nature sans cerveau, clairement, une fois de
-plus, indique ici à nos cerveaux la voie qu’ils auront à suivre s’ils
-veulent nous débarrasser des lourds et répugnants assujettissements de
-la nourriture, qui nous accordent à peine quelques heures de loisir,
-entre les trois ou quatre repas que nous devons faire chaque jour.
-L’heure est peut-être moins éloignée qu’on ne croit, où nous cesserons
-d’être des estomacs avides et des ventres insatiables, où nous
-découvrirons à notre tour le magnifique secret de ces insectes et
-parviendrons à tirer, à leur exemple, notre vie du fluide universel et
-invisible qui nous enveloppe et nous pénètre aussi bien qu’eux.
-
-Il y a là, pour notre science, des champs inexplorés et illimités. Il y
-aura là, surtout au point de vue de notre vie spirituelle, une
-transformation qui facilitera singulièrement l’intelligence de notre
-existence future; car lorsque nous n’aurons plus à faire les trois ou
-quatre repas qui maintenant encombrent ou illuminent, selon les
-tempéraments, toutes nos heures, depuis le lever jusqu’au coucher du
-soleil, nous commencerons peut-être à comprendre que la pensée ou l’âme
-n’est pas nécessairement malheureuse, désœuvrée, désemparée et la proie
-d’un éternel ennui, quand elle n’a plus dans la journée les points de
-repère ou les buts que sont le déjeuner, le thé, le dîner et le souper.
-Ce sera une excellente initiation au régime d’outre-tombe et de
-l’éternité.
-
-Pour revenir une dernière fois à cette question de la pensée sans
-cerveau, qui est la clef de voûte de tout l’édifice, supposons qu’à la
-suite d’un cataclysme qui sans doute s’est déjà produit et peut à chaque
-instant se reproduire sur notre globe, tous les cerveaux, toutes les
-plus élémentaires, les plus gélatineuses velléités d’organisation
-nerveuse ou cérébrale, depuis celle de l’amibe jusqu’à l’homme, soient
-brusquement anéantis. Croyez-vous que la terre resterait nue, déserte,
-inerte, à jamais morte, si les conditions d’existence redevenaient
-exactement semblables à ce qu’elles étaient avant la catastrophe? Il
-n’est guère permis de le présumer. Il est au contraire à peu près
-certain que la vie, retrouvant les mêmes circonstances favorables,
-recommencerait à peu près de la même façon. L’intelligence renaîtrait
-graduellement, des idées reparaîtraient, se formeraient de nouveaux
-organes, nous donnant ainsi l’irréfragable preuve que la pensée n’était
-pas morte, qu’elle ne peut pas mourir, qu’elle se réfugie et subsiste
-quelque part, intangible et impérissable, au-dessus de la ruine totale
-de ses instruments ou de ses véhicules, et qu’elle est, en un mot,
-indépendante de la matière.
-
-
-VIII
-
-Étudions maintenant en nous-mêmes cette préexistence de l’esprit.
-Avions-nous déjà un cerveau quand au moment de notre conception nous
-étions encore cet infusoire que seuls les microscopes peuvent rendre
-visible à nos yeux? Pourtant, nous étions déjà en puissance tout ce que
-nous sommes aujourd’hui. Nous n’étions pas seulement nous-mêmes, avec
-notre caractère, nos idées innées, nos vertus et nos vices, tout ce que
-notre cerveau qui n’existait pas encore allait développer beaucoup plus
-tard; nous renfermions déjà tout ce que nos ancêtres avaient été; nous
-portions en nous tout ce qu’ils avaient acquis dans une suite de siècles
-dont nul ne sait le nombre; leurs expériences, leur sagesse, leurs
-habitudes, leurs tares et leurs qualités, les conséquences de leurs
-fautes et de leurs mérites; tout cela s’entassait, s’agitait,
-fructifiait dans un point invisible. Nous y portions aussi, ce qui
-paraît bien plus extraordinaire, mais est aussi incontestable, toute
-notre descendance, toute la suite ininterrompue de nos enfants et des
-enfants de nos enfants en qui nous revivrons dans l’infini des temps, et
-dont nous contenions déjà toutes les aptitudes, tout le destin, tout
-l’avenir. Quand la matière accumule tant de choses en une sorte de bout
-de fil si ténu qu’il échappe presque au microscope, n’est-elle pas
-subtile au point de ressembler étrangement à un principe spirituel?
-
-Négligeons aujourd’hui l’action de nos descendants sur nous-mêmes, sur
-notre caractère, sur nos déterminations, action qui est assez probable
-puisqu’ils existent incontestablement en nous, mais qu’il serait trop
-long de rechercher, et insistons un moment sur ce fait que nos ancêtres
-qui nous paraissent morts continuent très réellement de vivre en nous.
-Je ne m’attarderai pas sur ce point, car j’ai hâte d’aborder des
-arguments plus récents; je me contenterai donc de le signaler à votre
-attention, car les phénomènes de l’hérédité sont maintenant admis et
-classés. Il est indubitable que chacun d’entre nous n’est qu’une sorte
-de total de ses ascendants et reproduit plus ou moins exactement la
-personnalité de l’un ou de plusieurs d’entre eux qui manifestement
-continuent de penser et d’agir en lui. Il pense par notre cerveau,
-direz-vous. C’est peut-être vrai. Il use de l’organe qu’il a à sa
-disposition, mais il est évident qu’il existe toujours, qu’il vit et
-pense bien qu’il n’ait plus de cerveau personnel, et c’est tout ce qu’il
-importait pour l’instant d’établir.
-
-
-IX
-
-Nous venons de voir, trop rapidement et trop sommairement, que la pensée
-peut exister, et en fait existe partout sans cerveau, qu’elle semble
-antérieure à la matière et qu’elle a en réalité une existence
-indépendante de celle-ci. Je ne noterai qu’en passant une objection des
-matérialistes qui nous disent: «Si la pensée est indépendante de la
-matière, comment se fait-il qu’elle cesse de fonctionner ou ne
-fonctionne plus qu’incomplètement quand le cerveau est lésé?» Cette
-objection, qui du reste n’atteint pas la source de la pensée mais
-seulement l’état de son conducteur ou de son condensateur, perd une
-partie de sa valeur si on lui oppose un nombre suffisant de
-constatations qui prouvent exactement le contraire. Je pourrais, si nous
-en avions le loisir, vous fournir une liste de cas médicalement établis
-où la pensée a continué de fonctionner normalement, alors que la presque
-totalité du cerveau est réduite en bouillie ou n’est plus qu’un abcès
-purulent. Je renvoie ceux que la question intéresse aux ouvrages
-spéciaux; ils trouveront notamment dans le livre magistral du Dr Geley:
-«_De l’Inconscient au Conscient_», des exemples qui les
-convaincront[62].
-
- [62] Dr G. GELEY, _De l’Inconscient au Conscient_, p. 8 et suiv.
-
-Au fond, cette objection des matérialistes est surtout un sophisme qui a
-été fort bien réfuté par le Dr Carl du Prel. Dire que toute blessure
-faite au cerveau atteint l’esprit, que toute pensée cesse quand le
-cerveau est détruit et qu’en conséquence l’esprit est un produit du
-cerveau, c’est raisonner exactement comme ceci: toute lésion de
-l’appareil télégraphique nuit à la dépêche, et le fil étant coupé, la
-dépêche n’existe plus; donc l’appareil produit la dépêche, et il est
-interdit à la science de supposer qu’il y a encore, derrière l’appareil,
-un employé du télégraphe.
-
-
-X
-
-Arrivons aux constatations que la science de ces dernières années,
-rejoignant par-dessus des millénaires les affirmations des anciennes
-religions et des occultistes, vient de recueillir. Elles jettent un jour
-nouveau sur le problème et corroborent enfin, par l’expérience, les
-doctrines ésotériques au sujet du corps astral, ou éthérique, ou de
-l’hôte inconnu, si vous le préférez, de ses facultés extraordinaires et
-incompréhensibles, de sa survivance probable et de son indépendance par
-rapport à notre corps physique.
-
-Nous savions tous qu’une partie très importante de notre existence, de
-notre personnalité, était ensevelie dans les ténèbres de l’inconscience
-ou de la subconscience. Nous logions dans ces ténèbres toute notre vie
-organique, celle de notre estomac, de notre cœur, de nos poumons, de nos
-reins et de notre cerveau même, qui fonctionnent dans une obscurité où
-ne pénètre que par hasard,--en cas de maladie, par exemple,--un rayon de
-conscience. Nous y logions ensuite nos instincts, les plus bas comme les
-plus hauts, tout ce qu’il y avait d’inné, de mystérieux et
-d’irrésistible dans nos connaissances et nos aspirations, nos goûts, nos
-aptitudes, et notre caractère, et bien d’autres choses que nous n’avons
-pas le temps de passer en revue.
-
-Mais depuis un certain nombre d’années, des études scientifiques sur
-l’hypnotisme et la médiumnité ont prodigieusement agrandi et éclairé cet
-extraordinaire et féerique domaine de l’inconscient.
-
-On est arrivé, pas à pas, à constater d’une manière objective,
-matérielle et indubitable, que notre petite existence consciente et
-cérébrale n’est rien si on la compare à l’immense existence
-ultra-cérébrale et secrète que nous menons en même temps; cette
-existence inconnue englobe le passé et l’avenir et, même dans le
-présent, peut s’étendre à d’énormes distances de notre corps physique.
-On s’est notamment aperçu que la mémoire étroite, infidèle et fragile
-que nous croyions unique, était doublée dans l’ombre d’une autre mémoire
-sans limites, infatigable, inépuisable, incorruptible, inébranlable,
-infaillible, enregistrant quelque part,--peut-être dans le cerveau, mais
-en tout cas pas dans le cerveau tel que nous le connaissons et qui régit
-notre conscience, car elle paraît être indépendante de l’état de ce
-cerveau,--enregistrant, dis-je, de façon indélébile, les moindres
-événements, les plus minimes émotions, les plus fugitives pensées de
-notre vie. C’est ainsi, pour ne citer qu’un exemple entre mille, qu’une
-servante totalement illettrée pouvait, en état d’hypnose, réciter sans
-une incorrection des pages entières de sanscrit, pour avoir, autrefois,
-entendu lire par son premier maître, qui était un orientaliste, des
-passages des Védas.
-
-C’est ainsi qu’il a été prouvé que n’importe quel chapitre d’un des
-milliers de livres que nous avons lus reste inaltérablement photographié
-dans notre souvenir et peut, à un moment donné, reparaître sous nos
-yeux, sans qu’il y manque un point ou une virgule. C’est encore ainsi
-que le colonel de Rochas, dans ses expériences sur la régression de la
-mémoire et de la personnalité, faisait remonter à ses sujets le cours de
-toute leur vie, jusqu’à leur petite enfance, dont les moindres détails
-ressuscitaient avec une netteté, un relief extraordinaire, détails qui,
-lorsqu’ils étaient contrôlés, étaient reconnus parfaitement exacts. Il
-faisait bien mieux, il parvenait à réveiller la mémoire de leurs vies
-antérieures. Mais ici, le contrôle étant plus difficile, la question
-n’est pas au point, et je ne veux vous mener que sur la terre ferme des
-faits acquis et incontestés.
-
-
-XI
-
-Donc, voilà déjà une énorme partie de notre moi qui nous échappe, dont
-nous ignorons l’existence, que nous n’utilisons pas, qui vit,
-enregistre, agit en dehors de notre cerveau conscient, une mémoire
-idéale, qui, pratiquement, ne nous sert de rien, à côté de laquelle
-celle qui nous obéit n’est qu’un étroit sommet, une sorte d’aiguille,
-sans cesse rongée par le temps, émergeant de l’océan de l’oubli, et sous
-laquelle se prolonge et s’étale une colossale montagne de souvenirs
-inaltérables, dont notre cerveau ne peut tirer parti. Or, sur quoi
-fondons-nous notre personnalité, la nature de notre moi, cette identité
-que nous craignons surtout de perdre par la mort? Uniquement sur notre
-mémoire consciente, car nous n’en connaissons pas d’autre, et cette
-mémoire, nous venons de le voir, comparée à l’autre, est précaire et
-insignifiante. N’est-ce pas le moment de nous demander où se trouve
-réellement notre moi, où réside notre véritable personnalité? Est-ce
-dans la petite mémoire incertaine et précaire ou dans la grande,
-l’infaillible et l’inébranlable? Quel moi choisirons-nous après notre
-mort? Celui qui n’est fait que de souvenirs vacillants, ou l’autre qui
-nous représente tout entier, sans solution de continuité, qui n’a pas
-laissé perdre un fait, un spectacle, une sensation de notre existence et
-garde, vivant en lui le moi de tous ceux qui sont morts avant nous? S’il
-est à redouter que la première mémoire, celle dont se sert notre
-cerveau, s’altère ou s’éteigne au moment de la mort, comme au moindre
-malaise elle s’altère ou s’éteint dans la vie, n’est-il pas, au
-contraire, plus que probable que l’autre, la grande, qu’aucune secousse,
-aucune maladie ne parvient à troubler, résistera également au choc
-énorme de la mort et n’y a-t-il pas beaucoup de chances pour que nous la
-retrouvions intacte de l’autre côté du tombeau?
-
-Sinon pourquoi ce formidable travail d’enregistrement, cette incroyable
-accumulation de clichés sans emploi, puisque dans l’existence normale
-nous n’en secouons jamais la poussière et que les quelques repères de
-notre mémoire cérébrale suffisent à maintenir les lignes essentielles de
-notre identité? Il est admis que la nature n’a rien fait d’inutile; on
-doit donc présumer que ces clichés serviront plus tard, qu’ils seront
-nécessaires ailleurs, et cet ailleurs où peut-il être que dans une autre
-vie?
-
-On fera l’inévitable objection que c’est le cerveau seul qui enregistre
-les clichés de cette mémoire, comme les clichés, de l’autre et que le
-cerveau étant mort, etc. C’est possible, mais ne serait-il pas assez
-bizarre qu’il fût seul à faire avec un soin, qui l’absorberait tout
-entier, toutes ces opérations qui ne l’intéressent pas, dont, l’instant
-d’après, il n’a plus cure, et dont il ne semble pas se rendre compte? En
-tout cas, ce n’est pas le cerveau tel que nous l’entendons communément,
-et c’est déjà une très importante constatation.
-
-
-XII
-
-Mais cette mémoire cachée, ou cryptomnésie, comme l’appellent les
-spécialistes, n’est qu’une des faces de la cryptopsychie ou psychologie
-cachée de l’inconscient. Je n’ai pas le loisir de rappeler ici tout ce
-que le savant, l’artiste, le mathématicien doit à la collaboration du
-subconscient. Nous avons tous plus ou moins profité de cette
-collaboration mystérieuse.
-
-Ce subconscient, ce personnage étrange que j’ai appelé d’ailleurs:
-«L’Hôte Inconnu», qui vit et agit pour son propre compte en dehors de
-notre cerveau, ne représente pas seulement tout notre passé qu’il
-cristallise intégralement dans sa mémoire; il est aussi notre avenir
-qu’il pressent, qu’il découvre, que souvent il révèle, car les
-prédictions véridiques chez certains sensitifs ou somnambules,
-particulièrement doués, quand il s’agit de faits personnels, sont si
-nombreuses que l’existence de la faculté n’est plus guère niable. Il
-déborde donc prodigieusement dans le temps, notre petit «Moi» conscient,
-qui ne vit que sur l’étroit plateau du présent. Il le déborde tout aussi
-prodigieusement dans l’espace. Par-dessus les océans et les montagnes,
-parcourant en une seconde des centaines de lieues, il nous avertit de la
-mort ou du malheur qui frappe ou qui menace l’un des nôtres à l’autre
-bout du monde.
-
-Sur ce point, il n’y a plus le moindre doute, et des milliers de faits
-contrôlés nous dispensent de renouveler les réserves que nous venons de
-faire au sujet des prédictions de l’avenir.
-
-Cet hôte inconnu et probablement gigantesque, dont nous n’avons pas
-aujourd’hui à prendre les mesures, mais à constater l’existence, est du
-reste bien moins un personnage nouveau qu’un personnage oublié depuis la
-recrudescence de nos sciences positives. Nos diverses religions le
-connaissaient bien mieux que nous et qu’elles l’aient appelé
-«âme--esprit--corps éthérique--corps astral--étincelle divine», peu
-importe, c’est toujours la même entité transcendentale qui englobe notre
-cerveau, et notre «Moi» conscient, existait probablement avant celui-ci
-et lui survit aussi probablement qu’il lui préexistait, et sans la
-présence duquel on ne peut expliquer les trois quarts des phénomènes
-essentiels de notre vie.
-
-
-XIII
-
-Laissant de côté pour l’instant d’autres propriétés de ce singulier
-personnage, qu’on croyait à jamais relégué dans l’invisible, telles que
-les matérialisations, l’idéoplastie, les lévitations, la lucidité, la
-bilocation, la psychométrie, etc., il me reste à exposer de quelle façon
-imprévue et curieuse, une science assez récente est parvenue à
-constater, à étudier et à analyser certaines de ces manifestations
-physiques, et à examiner ce que ces constatations ajoutent aux
-probabilités de survie ou d’immortalité du même personnage, qui pourrait
-bien être après tout la partie essentielle et impérissable de notre
-«Moi».
-
-Je viens de rappeler à quel point les études sur l’hypnotisme et la
-médiumnité ont étendu le champ du subconscient. Jusqu’ici, selon les
-écoles, on attribuait les phénomènes qu’on y constatait, soit à la
-suggestion, soit à un fluide dont on ignorait la nature et dont on se
-bornait à enregistrer les effets surprenants. Les choses en étaient là,
-et les querelles entre suggestionistes et mesmériens menaçaient de
-s’éterniser lorsque, il y a une cinquantaine d’années, en 1866 et 1867,
-pour être précis, un savant autrichien, le baron von Reichenbach, publia
-ses premiers ouvrages sur les effluves odiques. Le docteur Carl du Prel,
-un savant allemand, compléta l’œuvre de Reichenbach et, doué d’un esprit
-scientifique de premier ordre et d’une intuition parfois géniale, sut en
-tirer toutes les conséquences. On ne leur a pas rendu pleine justice
-jusqu’ici, et leurs travaux n’ont pas encore obtenu le retentissement
-qu’ils méritent. Il ne faut pas s’en étonner, les progrès de la science
-officielle, la seule qui pénètre jusqu’au public, sont toujours beaucoup
-plus lents que ceux de la science indépendante. Il a fallu plus de cent
-ans pour que l’électricité de Volta devint notre électricité moderne et
-la reine du monde industriel. Il a fallu également plus d’un siècle
-depuis les expériences de Mesmer, pour que l’hypnotisme fût enfin
-reconnu par les académies de médecine, étudié dans les universités et
-classé dans la thérapeutique. Il en faudra peut-être autant pour que les
-expériences de Reichenbach, mises au point par du Prel et complétées par
-de Rochas, portent tous leurs fruits. En attendant, leurs études jettent
-un jour admirable sur toute une série de phénomènes obscurs et confus,
-dont, pour la première fois, elles ont objectivement démontré
-l’existence et repéré la source.
-
-Reichenbach a réellement redécouvert le fluide vital universel qui n’est
-autre que l’Akahsa des religions préhistoriques, le Télesma d’Hermès, le
-feu vivant du Zoroastre, le feu générateur d’Héraclite, la lumière
-astrale de la Kabbale, l’Alcahest de Paracelse, l’esprit de vie des
-occultistes, la force vitale de Saint Thomas. Il l’a appelé «Od» d’un
-mot sanscrit qui veut dire «Qui pénètre partout», et il y voit très
-justement la limite extrême de notre analyse de l’homme, le point où la
-ligne de démarcation entre l’esprit et le corps disparaît, si bien qu’il
-semble que l’essence intime de l’homme soit «odique».
-
-Je ne peux naturellement pas exposer ici les innombrables expériences de
-Reichenbach, du Prel et de Rochas. Il suffira de dire qu’en principe,
-l’Od est le fluide magnétique ou vital qui à chaque seconde notre
-existence émane de tout notre être, en flots ininterrompus. A l’état
-normal, ces émanations ou ces effluves dont on soupçonnait l’existence,
-grâce aux phénomènes de l’hypnotisme, nous demeurent totalement inconnus
-et invisibles. Reichenbach, le premier, découvrit que les «sensitifs»,
-c’est-à-dire les sujets en état d’hypnose, voyaient très nettement ces
-effluves dans l’obscurité. A la suite d’un très grand nombre
-d’expériences dont toutes possibilités de suggestion consciente ou
-inconsciente étaient soigneusement exclues, il a établi que l’amplitude
-et la puissance de ces effluves variaient d’après les émotions, l’état
-d’âme ou de santé de ceux qui les produisaient, qu’ils étaient toujours
-bleuâtres du côté droit du corps, et d’un rouge jaune du côté gauche. Il
-a encore constaté que de semblables effluves émanent non seulement de
-l’homme, des animaux, des plantes, mais même des minéraux. Il est
-parvenu à photographier l’Od émanant des cristaux de roche, l’Od humain,
-l’Od résultant d’opérations chimiques, celui de masses de métal
-amorphes, celui que produit le bruit ou le frottement; en un mot, il a
-démontré que le magnétisme ou l’«Od» existe dans la nature entière, ce
-qu’avaient d’ailleurs enseigné les occultistes de tous les temps et de
-tous les pays[63].
-
- [63] De récentes expériences de M. Walter-J. Kilner, rapportées dans
- son livre: _The Human Atmosphere_, sont venues matériellement
- démontrer l’existence de ces émanations, de ces effluves, de cette
- «Aura» humaine ou du moins d’une «Aura» analogue qui est un
- véritable double astral ou éthérique. Il suffit de regarder le sujet
- à travers un écran formé d’une cuve de verre très plate renfermant
- une solution alcoolique de dicyanine, substance chimique dérivée du
- goudron de houille, qui sensibilise la rétine aux rayons
- ultra-violets, pour que l’«Aura» apparaisse non plus seulement aux
- sensitifs, comme dans les expériences de Reichenbach, mais aux yeux
- de 95 p. 100 des individus doués d’une vue normale. Il est du reste
- possible que cette «Aura» ne soit pas un double éthérique, mais un
- simple rayonnement nerveux. Voir à ce sujet l’excellent résumé de M.
- RENÉ SUDRE, dans le nº 3 du _Bulletin de l’Institut métapsychique
- international_ (janvier-février 1921).
-
-
-XIV
-
-Voilà donc l’existence de cette émanation universelle expérimentalement
-démontrée. Il s’agirait, maintenant, d’en faire connaître les propriétés
-et les effets.
-
-Je me borne à quelques traits essentiels. Grâce à ces effluves, on a pu
-constater que ce fluide était le même que celui qui produit les
-manifestations des tables tournantes; en effet, aux yeux des sensitifs,
-ces manifestations s’accompagnent de phénomènes lumineux dont le
-synchronisme ne laisse aucun doute sur la corrélation de l’émission du
-fluide avec les mouvements de la table. Elle ne se met en branle que
-lorsque les radiations qui sortent des mains des assistants deviennent
-suffisamment puissantes. Ces radiations se condensent en colonnes
-lumineuses au centre de la table, et plus elles sont intenses, plus la
-table s’anime. Quand elles s’éteignent, la table retombe inerte.
-
-Il en est de même pour les déplacements d’objets sans contact, les
-apports, la lévitation, manifestations aujourd’hui suffisamment établies
-et contrôlées pour qu’on n’ait plus besoin d’en refaire la
-démonstration. Il est donc certain que ce fluide, qui peut mettre en
-mouvement un pendule dans un vase de verre clos au chalumeau, comme il
-est capable de soulever une table de plus de cent kilos, possède une
-force parfois énorme, indépendante de nos muscles, que l’on peut
-attribuer à nos nerfs, à notre âme, à tout ce que l’on veut, mais qui
-n’en est pas moins d’une nature nettement et purement spirituelle.
-
-Il est en outre à peu près certain, bien que les constatations
-expérimentales soient ici moins avancées et plus difficiles, à cause de
-la rareté des sujets, que c’est ce même fluide odique qui intervient
-dans les phénomènes de matérialisation, notamment dans ceux que
-produisait la célèbre Eusapia Paladino et dans ceux, beaucoup plus
-probants et beaucoup plus rigoureusement contrôlés du médium, de madame
-Bisson. Il tire probablement, soit du médium, soit des assistants, la
-substance plastique à l’aide de laquelle il forme et organise les corps
-_tangibles_, qui naissent et disparaissent au cours de ces
-manifestations, nous donnant ainsi un aperçu très curieux sur la manière
-dont la pensée, l’esprit ou le fluide créateur agit sur la matière, la
-condense, la modèle et se comporte, lorsqu’il s’agit de former notre
-corps.
-
-
-XV
-
-Il a encore été expérimentalement démontré que ce fluide odique peut
-être capté. Il est possible d’en charger n’importe quel objet. L’objet
-magnétisé, dans lequel le magnétiseur a fait passer une partie de sa
-force vitale, toute possibilité de suggestion étant écartée, conservera
-toujours sur le sensitif la même action, c’est-à-dire celle qu’avait
-voulue le magnétiseur. Il le fera rire ou pleurer, grelotter ou suer,
-danser ou s’endormir, selon la volonté qu’avait le magnétiseur en
-émettant son fluide. En outre, ce fluide paraît indestructible: un pilon
-de marbre magnétisé, et mis successivement dans l’acide muriatique,
-nitreux et sulfurique, soumis à l’action corrosive de l’ammoniaque, ne
-perd rien de sa force. Une barre de fer chauffée à blanc, de la résine
-fondue et recoulée en d’autres formes, l’eau bouillie, le papier brûlé
-et réduit en cendres, garde toute sa puissance. Il y a plus, pour
-prouver que l’appréciation de cette force ne dépend pas d’une impression
-humaine, on a constaté que l’eau magnétisée, puis bouillie, dévie de
-vingt degrés, comme avant l’ébullition, l’aiguille d’un rhéomètre, qui
-est, comme chacun le sait, l’appareil qui mesure les courants
-électriques. Il serait intéressant de savoir si cette force vitale
-emprisonnée dans un objet survit au magnétiseur. Je ne sais si des
-expériences ont été faites sur ce point. En tous cas, on a observé que
-plus de six mois après avoir été chargées d’Od, les substances les plus
-hétéroclites: fer, étain, colophane, cire, soufre, marbre, gardaient
-intactes leurs vertus magnétiques.
-
-
-XVI
-
-Non seulement le fluide odique ainsi capté renferme et reproduit la
-volonté du magnétiseur, il renferme encore et représente une partie de
-la personnalité du magnétisé, et notamment toute sa sensibilité.
-Le colonel de Rochas a fait sur ce point, qu’il appelle:
-«_L’extériorisation de la sensibilité_», une foule d’expériences
-déconcertantes et cependant inattaquables et décisives, qui nous
-ramènent directement aux pratiques de l’envoûtement des magiciens de
-l’antiquité et des sorcières du Moyen âge, ce qui nous montre une fois
-de plus que sous les plus étranges croyances ou superstitions, dès
-qu’elles sont suffisamment générales il y a presque toujours une vérité
-cachée ou oubliée.
-
-Je crois inutile de rappeler ici les expériences qui sont connues de
-tous ceux qui ont entr’ouvert un livre de métapsychique. Je dois me
-borner; ce que j’ai dit suffit à établir qu’il y a en nous un principe
-vital qui n’est pas indissolublement lié à notre corps, qui peut le
-quitter, qui peut s’extérioriser, du moins en partie et momentanément
-durant notre vie, qui peut être rendu visible, qui possède une force
-indépendante de nos muscles, qui peut condenser de la matière, la
-modeler, l’organiser, la faire vivre, non seulement en apparence, comme
-les fantômes de notre imagination, mais comme des corps tangibles et
-réels, dont la substance s’évanouit et rentre en nous de façon
-inexplicable. Nous avons également vu que ce principe vital peut être
-capté dans un objet, et maintient indestructiblement dans cet objet,
-malgré toutes les manipulations physiques ou chimiques, la volonté du
-magnétiseur et la sensibilité du magnétisé. N’est-ce pas le moment de se
-demander si, étant à ce point séparable et indépendant de notre corps,
-si étant à ce point indestructible, par exemple dans les cendres d’un
-papier brûlé qui n’en renfermait qu’une minime partie, ce fluide vital
-ne survit pas à la destruction de notre corps? En réponse à cette
-question, nous avons, outre la logique, les très troublantes
-constatations des sociétés savantes qui se sont vouées à la recherche
-des cas de survivance rigoureusement constatées, notamment, les cinq ou
-six cents apparitions de morts contrôlées par la «Society for Psychical
-Research». Il faut convenir que ces apparitions, qui sont probablement
-des manifestations odiques d’outre-tombe, paraissent beaucoup plus
-vraisemblables, depuis que nous connaissons certaines propriétés de
-l’étrange fluide que nous venons d’étudier.
-
-
-XVII
-
-Depuis la mort des chefs de l’école odique, Reichenbach, du Prel et de
-Rochas, cette étude des fluides a été quelque peu négligée, à tort selon
-nous, car elle est loin d’être épuisée; mais il y a des modes en
-métapsychie comme en toutes choses. La «Society for Psychical Research»,
-notamment, durant ces dernières années, s’est occupée presque
-exclusivement de la question des «Correspondances croisées», et son
-enquête, si elle n’a pas donné des résultats absolument péremptoires,
-permet du moins de soupçonner de plus en plus sérieusement la présence,
-autour de nous, d’entités spirituelles, invisibles et intelligentes,
-désincarnées ou autres, qui s’amusent, c’est le mot, à nous prouver
-qu’elles se jouent de l’espace et du temps et poursuivent un dessein
-qu’on ne démêle pas encore. Je sais bien que l’on peut, à la rigueur,
-attribuer ces communications insolites aux facultés inconnues du
-subconscient; mais l’hypothèse devient de jour en jour plus précaire, et
-le moment n’est peut-être pas très éloigné où nous serons enfin forcés
-d’admettre l’existence de ces désincarnés, de ces doubles, de ces
-esprits errants, de ces élémentaires, de ces «Dhyan-Choans», de ces
-«Dévas», de ces esprits cosmiques, dont les occultistes d’autrefois
-n’avaient jamais douté.
-
-Dans cet ordre d’idées, pour ne pas parler du _Raymond_ de Sir Oliver
-Lodge, des très intéressantes expériences spirites de P.-E. Cornillier
-ni d’une foule d’autres, ce qui nous entraînerait trop loin, les récents
-travaux du Dr W. Crawford, qui ont fait sensation dans le monde
-métapsychique, sont venus apporter à la théorie des «Invisibles», un
-sérieux appui. Il est vrai, comme nous le verrons, que cet appui lui
-vient moins des faits mêmes que de l’interprétation qu’on leur donne.
-
-
-XVIII
-
-W.-J. Crawford, docteur ès sciences, professeur au collège de Belfast, a
-fait sur la «télékinésie», ou mouvements sans contact, des expériences
-conduites avec une telle rigueur scientifique qu’elles excluent
-entièrement toute idée de fraude et confirment complètement celles de
-Crookes avec Home, de l’Institut psychologique avec Eusapia, et
-d’Ochorovicz avec Mlle Tomscyk.
-
-Il s’agit, dans ces expériences, de ce phénomène extrêmement bizarre qui
-est une sorte d’extériorisation physique, de dédoublement d’abord
-amorphe et ensuite plus ou moins plastique du médium. Du corps de
-celui-ci sort une substance indéfinissable, tantôt visible, comme chez
-Éva, le médium de Mme Bisson, tantôt invisible, comme chez le médium de
-Crawford, mais qui, même invisible, peut être touchée et délimitée et
-agit comme si elle avait une réalité objective.
-
-Cette substance, moite, froide, parfois visqueuse, qu’on appelle
-l’«Ectoplasme», peut être pesée et son poids correspond exactement à
-celui dont s’allège le corps du médium; elle peut atteindre jusqu’à 50
-pour cent du poids total de celui-ci. A la fin de la séance, elle se
-résorbe, sans laisser de trace, dans le corps du sujet qui reprend
-instantanément son poids normal.
-
-Dans ces expériences, cette substance invisible se comporte comme si
-elle sortait du corps du médium sous la forme d’une tige plus ou moins
-rigide qui va soulever une table placée à une certaine distance du siège
-sur lequel le médium est assis. Si la table est trop lourde pour être
-soulevée directement, à bout de bras, pour ainsi dire, la tige ou le
-levier psychique se courbe, prend un point d’appui sur le sol et se
-redresse pour soulever le meuble. Quand ce levier invisible ne prend son
-point d’appui que sur le médium, le poids de ce dernier s’augmente de
-celui de l’objet soulevé; mais quand il prend son point d’appui sur le
-sol, le poids du médium est diminué du poids reporté sur ce point
-d’appui.
-
-Ces phénomènes de lévitation étaient parfaitement connus avant les
-recherches de Crawford, mais par la découverte du levier invisible,
-parfois perceptible au toucher et pouvant même être photographié, il en
-a le premier révélé le mécanisme tout ensemble matériel et psychique. En
-outre, au cours de ses innombrables expériences, il a constaté que tout
-se passait comme si des entités invisibles y assistaient, y
-collaboraient et souvent les dirigeaient. Il communiquait avec elles par
-la typtologie et, ayant remarqué que ces opérateurs mystérieux ne
-paraissaient pas bien comprendre l’intérêt scientifique des phénomènes,
-il les interrogea et conclut de leurs réponses qu’ils n’étaient que des
-sortes de manœuvres, manipulant des forces qu’ils ne connaissaient pas
-et accomplissant une besogne commandée par des êtres d’un ordre plus
-élevé qui ne pouvaient ou ne daignaient opérer eux-mêmes.
-
-On peut évidemment soutenir que ces collaborateurs invisibles émanent du
-subconscient du médium ou des assistants et la question est encore
-insoluble. Mais la conviction où fut amené peu à peu et pour ainsi dire
-par la force des choses, un savant d’abord aussi sceptique que l’était
-Crawford, ne mérite pas moins d’être sérieusement envisagée. En tout
-cas, ses expériences, comme celles du fluide odique, démontrent une fois
-de plus que notre être est beaucoup plus immatériel, plus psychique,
-plus mystérieux, plus puissant et sans doute plus durable que nous ne le
-croyons; ce que nous avaient enseigné les religions primitives et les
-occultistes qui s’en inspirèrent.
-
-
-XIX
-
-En ne perdant pas de vue les autres manifestations spirites, les
-apparitions posthumes, les phénomènes de psychométrie et de
-matérialisation, les prévisions de l’avenir, le mystère des animaux
-parlants, les miracles de Lourdes et d’autres lieux, que nous ne
-mentionnons ici que pour mémoire, voilà, en regard des immenses et
-orgueilleuses affirmations d’autrefois, les demi-certitudes et les
-petits faits lentement reconquis par nos occultistes d’aujourd’hui. A
-première vue, c’est peu de chose et même si la grande question centrale
-de notre métapsychique, la question de la survivance était enfin
-résolue, cette solution tant attendue ne nous mènerait pas encore bien
-loin, beaucoup moins loin, sans doute, que n’étaient allés les prêtres
-de l’Inde et de l’Égypte. Mais pour modestes qu’elles sont, les
-découvertes de nos occultistes ont du moins l’avantage de reposer sur
-des faits que nous pouvons contrôler et doivent nous être plus
-précieuses que les plus grandioses hypothèses qui jusqu’ici ont échappé
-à toute vérification.
-
-
-XX
-
-Maintenant, il est fort possible que pour pénétrer plus avant dans les
-régions où ils s’aventurent, les méthodes purement expérimentales, qui
-sont les plus sûres dans les autres sciences, soient insuffisantes. Il
-entre en jeu d’autres éléments que ceux que la science a coutume de
-rencontrer. Il s’agit de forces peut-être plus spirituelles que celles
-de notre esprit et pour les saisir et les dominer, il se peut qu’il soit
-nécessaire de s’occuper d’abord de notre propre spiritualisation. Il est
-bon d’avoir des laboratoires parfaitement organisés, mais c’est
-probablement en nous-mêmes que se trouve le véritable laboratoire d’où
-sortiront les dernières découvertes. Il semble que mieux que nous les
-prêtres et les mages des grandes religions l’avaient compris. Quand ils
-voulaient s’engager dans les domaines ultra-spirituels de la nature, ils
-s’y préparaient longuement. Ils sentaient qu’il ne leur suffisait pas
-d’être des savants, mais qu’avant tout ils devaient devenir des saints.
-Ils commençaient par faire l’éducation de leur volonté, par sacrifier
-tout leur être, par mourir à tout désir. Ils enveloppaient leurs forces
-intellectuelles d’une force morale qui les menait beaucoup plus
-directement sur le plan où se passaient les phénomènes étranges qu’ils
-interrogeaient. Il est assez vraisemblable qu’il y a dans l’invisible ou
-l’infini des choses que l’intelligence n’atteint pas, sur lesquelles
-elle n’a aucune prise, mais qu’une autre puissance peut rejoindre; et
-cette puissance est peut-être ce qu’on appelle l’âme ou ce subconscient
-supérieur que les antiques religions avaient appris à cultiver par des
-exercices et surtout par un renoncement et une concentration spirituelle
-dont nous avons perdu la pratique et même la notion.
-
-
-
-
-CONCLUSIONS
-
-
-I
-
-Nous avons déjà, au cours de cette étude, rencontré la plupart des
-conclusions qu’on en peut tirer; il suffira de rappeler, en les
-résumant, les principales.
-
-A l’origine des religions, notamment à l’origine de celle qui paraît
-être la plus ancienne et la source des autres, il n’y a pas de doctrine
-secrète, il n’y a pas de révélation, il n’y a que la tradition
-préhistorique d’une métaphysique que nous appellerions aujourd’hui
-purement rationaliste. L’aveu d’ignorance totale au sujet de la nature,
-des attributs, du caractère, des volontés, de l’existence même de la
-Cause première ou du Dieu des dieux, est formel et public. C’est une
-immense négation, on ne sait rien, on ne peut pas savoir, on ne saura
-jamais, car Dieu lui-même ne sait peut-être pas.
-
-Cette Cause première inconnue est nécessairement infinie, car l’infini
-seul est inconnaissable et le Dieu des dieux ne serait plus le Dieu des
-dieux et ne se concevrait point s’il n’était pas tout. De son infinité
-naît donc inévitablement le panthéisme, attendu que cette cause étant
-tout, tout est elle et qu’il n’est pas possible d’imaginer quelque chose
-qui la limite et ne soit pas elle, en elle ou par elle. De ce panthéisme
-dérive à son tour la croyance à l’immortalité et l’optimisme final, vu
-que la cause étant infinie dans l’espace et le temps, rien de ce qui est
-elle ou en elle ne peut être anéanti sans qu’elle anéantisse une partie
-d’elle-même, ce qui est impossible puisqu’elle serait encore le néant
-qui tenterait de la limiter; de même que rien non plus ne peut être
-éternellement malheureux sans qu’elle condamne une partie d’elle-même à
-un malheur éternel.
-
-Agnosticisme total, avec ses conséquences: infinité divine, panthéisme,
-immortalité de tout et optimisme final, voilà donc le point de départ
-des grands instructeurs primitifs, pures intelligences et logiciens
-implacables, tels que l’étaient, s’il faut en croire les traditions
-occultistes, les mystérieux Atlantes; et ne serait-ce pas le même point
-de départ que devraient choisir aujourd’hui ceux qui voudraient fonder
-une religion nouvelle qui ne répugnât pas à la raison humaine de plus en
-plus exigeante?
-
-
-II
-
-Mais si tout est Dieu et doit être nécessairement immortel, il n’en est
-pas moins certain que les hommes, les choses, les mondes disparaissent.
-A partir de ce moment, nous quittons les conséquences logiques du grand
-aveu d’ignorance pour entrer dans le dédale de théories qui ne sont plus
-inattaquables, et qui du reste, à l’origine, ne nous sont pas proposées
-comme des révélations, mais comme de simples hypothèses métaphysiques,
-des spéculations très anciennes, nées de la nécessité d’accorder les
-faits avec les déductions trop abstraites et trop rigides de la raison
-humaine.
-
-En réalité, selon ces hypothèses, l’homme, les mondes, l’univers ne
-périssent jamais; ils disparaissent et reparaissent tour à tour, dans
-l’éternité, en vertu de Maya, l’illusion de l’ignorance. Quand ils ne
-sont plus pour nous, quand ils n’existent plus pour personne, ils
-existent toujours virtuellement, où personne ne les voit; et ceux qui
-ont cessé de les voir ne cessent pas d’exister comme s’ils les voyaient.
-De même, quand Dieu se limite pour se manifester et prendre conscience
-d’une partie de soi, il ne cesse pas d’être infini et inconnaissable à
-lui-même. Il semble se mettre un moment au point de vue ou à portée de
-ceux qu’il a réveillés dans son sein.
-
-Cette dernière hypothèse ne pouvait être à l’origine, comme elle l’est
-encore maintenant et comme elle le sera toujours, qu’un pis-aller, mais
-devint plus tard une sorte de dogme qui, avidement accueilli par
-l’imagination, se substitua bientôt complètement à la grande négation
-primitive. A partir de ce moment, désespérant de connaître
-l’inconnaissable, on le dédouble, on le subdivise, on le multiplie, on
-relègue dans l’inaccessible infini l’inconcevable cause première et on
-ne s’occupe plus que des causes secondes par lesquelles elle se
-manifeste et agit. On ne se demande pas, ou plutôt on n’ose pas se
-demander comment la cause étant essentiellement inconnaissable, ses
-manifestations peuvent être considérées comme connues sans qu’elle cesse
-d’être inconnaissable, et on entre dans l’immense cercle vicieux où il
-faut bien se résigner à vivre sous peine de se condamner à une négation,
-à une immobilité, à une ignorance et à un silence éternels.
-
-Ne pouvant connaître Dieu en soi, on se contente de le chercher et de
-l’interroger dans ses créatures et surtout dans l’homme. On croit l’y
-trouver, et les religions naissent avec leurs dieux, leurs cultes, leurs
-sacrifices, leurs croyances, leurs morales, leurs enfers et leurs cieux.
-La filiation qui les rattache toutes à la Cause inconnue est de plus en
-plus oubliée et ne reparaît qu’à certains moments, par exemple,
-longtemps après, dans le Bouddhisme, dans les métaphysiques, dans les
-mystères et dans les traditions occultes. Mais malgré cet oubli, grâce à
-l’idée de cette cause première, nécessairement une, invisible,
-intangible, inconcevable, et qu’on est par conséquent obligé de
-considérer comme purement spirituelle; dans la religion primitive, deux
-grands principes, infiltrés par la suite dans celles qui en dérivèrent,
-sont demeurés vivaces, qui répètent sourdement, sous toutes les
-apparences, que l’essence est une et que l’esprit est la source de tout,
-l’unique certitude, la seule réalité éternelle.
-
-
-III
-
-De ces deux principes qui au fond n’en sont qu’un, découle toute la
-morale primitive qui devint la grande morale de l’humanité. L’unité
-étant l’idéal et le souverain bien, le mal est la séparation, la
-division, la multiplicité; et la matière n’est en somme qu’un résultat
-de la séparation ou de la multiplicité. Il faut donc pour rentrer dans
-l’unité, se dépouiller, sortir de la matière qui n’est qu’une forme
-inférieure, une dégradation de l’esprit.
-
-C’est ainsi qu’on trouva ou qu’on crut trouver la volonté de
-l’inconnaissable et la clef de toute morale, sans du reste oser se
-demander pourquoi cette rupture de l’unité et cette dégradation de
-l’esprit avaient été nécessaires; comme si l’on avait supposé que la
-Cause première qui aurait pu retenir toutes choses à l’état d’unité
-souverainement heureuse dans son sein unique, immobile et souverainement
-heureux, eût été condamnée par une loi supérieure et irrésistible au
-mouvement et aux recommencements éternels.
-
-Ces idées, trop purement métaphysiques pour alimenter une religion,
-furent bientôt, dans l’Inde même, recouvertes d’une prodigieuse
-végétation de mythes et devinrent peu à peu le secret des brahmanes qui
-les cultivèrent, les développèrent, les approfondirent et les
-compliquèrent jusqu’à la démence. De là elles se répandirent sur la
-terre ou regagnèrent les lieux d’où elles étaient parties, car s’il nous
-est permis de repérer plus ou moins chronologiquement un foyer central,
-il nous est impossible de déterminer d’où elles surgirent dans la
-préhistoire, à moins de nous en rapporter aux légendes théosophiques des
-sept races, que nous pourrons peut-être admettre quand on nous offrira
-des documents moins critiquables que ceux qu’on nous a fournis
-jusqu’ici.
-
-
-IV
-
-En tout cas, nous suivons assez facilement, dans le monde historique, la
-marche de ces idées, qu’elles soient simultanées ou postérieures, dans
-l’Inde, dans l’Égypte et la Perse, ou qu’elles pénètrent en Chaldée et
-dans la Grèce anté-socratique par des mythes, par des contacts ou des
-émigrations que nous ignorons, ou, spécialement pour l’Hellade, par les
-poèmes orphiques, recueillis à l’époque alexandrine, mais remontant à
-des temps légendaires et nous offrant des vers qui, comme le constate
-Émile Burnouf dans sa _Science des religions_, sont traduits mot à mot
-des hymnes du Véda[64].
-
- [64] ÉMILE BURNOUF, _La science des religions_, p. 105.
-
-Par suite du séjour en Égypte, de la captivité de Babylone et de la
-conquête de Cyrus, elles atteignirent la Bible, s’y dénaturèrent pour
-s’accorder au monothéisme juif, mais se conservèrent secrètement, à peu
-près pures, par transmission orale, dans la Kabbale, où l’En-Sof, comme
-nous l’avons vu, est la réplique exacte de l’Inconnaissable hindou et
-conduit à un agnotiscisme, à un panthéisme, à un optimisme et à une
-morale presque similaires.
-
-Ces idées, étouffées sous la Bible dans le monde juif, et dans le monde
-gréco-romain sous le poids des religions et des philosophies
-officielles, survécurent dans des sectes secrètes et notamment parmi les
-Esséniens, ainsi que dans les mystères, et reparurent à la lumière du
-jour aux environs de l’ère chrétienne, dans les écoles gnostiques et
-néo-platoniciennes et plus tard dans la Kabbale enfin fixée par écrit,
-d’où elles passèrent, plus ou moins défigurées, dans l’occultisme du
-Moyen âge dont elles forment l’unique fond.
-
-
-V
-
-Nous voyons ainsi que l’occultisme, ou plutôt la doctrine secrète,
-variable dans ses formes, souvent très obscurcie, surtout durant le
-Moyen âge, mais presque partout identique dans son fond, fut toujours
-une protestation de la raison humaine, fidèle à ses traditions
-anté-historiques, contre les affirmations arbitraires et les prétendues
-révélations des religions publiques et officielles. Elle opposait à
-leurs dogmes sans fondements, à leurs manifestations divines
-anthropomorphes, illogiques, trop petites et inacceptables, l’aveu d’une
-ignorance totale et invincible sur tous les points essentiels. De cet
-aveu, qui au premier abord paraît tout détruire mais qui conduit presque
-forcément à une conception spiritualiste de l’univers, elle sut tirer
-une métaphysique, une mystique et une morale beaucoup plus pures, plus
-élevées, plus désintéressées et surtout plus rationnelles que celles qui
-naquirent des religions qui l’étouffèrent. On pourrait même démontrer
-que tout ce que ces religions ont encore de commun sur des hauteurs où
-toutes se rejoignent, tout ce qui n’a pu être rabaissé au niveau des
-exigences matérielles d’une trop longue vie, tout ce qu’on trouve en
-elles de grandiose, d’infini, d’impérissable et d’universel, elles le
-doivent à cette métaphysique immémoriale où plongèrent leurs premières
-racines.
-
-Il semble même qu’à mesure que le temps les en éloigne, l’esprit les y
-ramène; c’est ainsi que dans les deux dernières, sans parler de tout ce
-qu’elles lui empruntèrent plus directement, le Dieu-le-Père du
-Christianisme et l’Allah de l’Islamisme, sont bien plus près de l’En-Sof
-de la Kabbale que du Jéhovah de la Bible; et que le Verbe de Saint Jean,
-dont il n’est pas question dans l’Ancien Testament, ni dans les
-Synoptiques, n’est que le Logos des gnostiques et des néo-platoniciens
-qui le tenaient eux-mêmes de l’Inde et de l’Égypte.
-
-
-VI
-
-Est-ce donc là le grand secret de l’humanité qu’on cachait avec tant de
-soin sous des formules mystérieuses et sacrées, sous des rites parfois
-effrayants, sous des réticences et des silences redoutables: une
-négation sans bornes, un vide immense, une ignorance sans espoir? Oui,
-ce n’est que cela; et il est heureux que ce ne soit pas autre chose, car
-un Dieu et un univers assez petits pour que le petit cerveau de l’homme
-pût en faire le tour, en comprendre la nature et l’économie, en
-connaître l’origine, le but et les limites, deviendraient si étroits et
-si misérables que personne ne se résignerait à y demeurer éternellement
-prisonnier. Il faut à l’humanité l’infini et son corollaire l’ignorance
-invincible pour ne pas se sentir dupe ou victime d’une inexcusable
-expérience ou d’une erreur sans issue. On pouvait ne pas l’appeler à la
-vie, mais puisqu’on l’a tirée du néant, il lui faut l’illimité de
-l’espace et du temps dont on lui a donné l’idée; elle est en droit de
-participer de tout ce qu’est celui qui la fit naître avant qu’elle lui
-pardonne d’être née. Et elle n’y peut participer qu’à condition de ne
-pas comprendre. Toute certitude, du moins tant que notre cerveau ne sera
-pas délivré des liens qui l’entravent, deviendrait une borne contre
-laquelle irait se briser tout désir d’exister. Réjouissons-nous donc de
-n’en pas avoir d’autre que celle d’une ignorance aussi infinie que le
-monde ou le Dieu qui en est l’objet.
-
-
-VII
-
-Après tant d’efforts, après tant d’épreuves, nous nous retrouvons
-exactement au point d’où étaient partis nos grands instructeurs. Ils
-nous ont légué une sagesse que nous commençons à peine à débarrasser des
-débris que les siècles y avaient déposés; et sous ces débris nous
-retrouvons intact le plus haut aveu d’ignorance que l’homme ait osé
-proférer. C’est peu si l’on aime l’illusion, c’est beaucoup si l’on
-préfère la vérité. Nous savons enfin qu’il n’y eut jamais de révélation
-ultra-humaine, de message direct et irrécusable de la divinité, de
-secret ineffable et que tout ce que l’homme croit connaître au sujet de
-Dieu, de son origine et de ses fins, c’est de sa propre raison qu’il l’a
-tiré. On se doutait bien, avant d’avoir interrogé nos ancêtres
-préhistoriques, que toute révélation, au sens où l’entendent les
-religions, était et sera toujours impossible; car on ne peut révéler à
-quelqu’un que ce qu’il est capable de comprendre, et Dieu seul peut
-comprendre Dieu. Mais on s’imaginait volontiers, qu’ayant pour ainsi
-dire assisté à la naissance du monde, ils devaient en savoir plus que
-nous puisqu’ils étaient encore plus près de Dieu. Ils n’étaient pas plus
-près de Dieu, ils étaient simplement plus près de la raison humaine que
-n’avaient pas encore offusquée des imaginations millénaires. Ils se sont
-contentés de nous donner les seuls repères que cette raison puisse
-découvrir dans l’inconnaissable: panthéisme, spiritualisme, immortalité,
-optimisme final, abandonnant le reste aux hypothèses de leurs
-successeurs et laissant sagement sans réponse, comme nous les
-laisserions encore aujourd’hui, toutes les questions insolubles que les
-religions qui suivirent tranchèrent aveuglément, de façon souvent
-ingénieuse, mais toujours arbitraire et parfois puérile.
-
-
-VIII
-
-Faut-il refaire le compte de ces questions? Passage du virtuel au réel,
-de l’essence au devenir, du néant à l’être, descente de l’esprit dans la
-matière, c’est-à-dire origine du mal, et remontée de la matière vers
-l’esprit, nécessité de sortir d’un état éternellement bienheureux pour y
-revenir après une purification et des épreuves dont l’indispensabilité
-est incompréhensible; recommencements éternels pour atteindre un but qui
-fuira toujours, puisqu’il n’a pas été atteint, bien que dans le passé on
-ait eu pour l’atteindre autant de temps qu’on en aura dans l’avenir.
-
-On pourrait allonger sans mesure ce bilan de l’inconnaissable. Il
-suffira d’ajouter pour le clore que la question qui, à tort ou à raison
-nous inquiète le plus, celle qui concerne le sort de notre conscience et
-de notre personnalité dans l’absorption divine, demeure elle aussi sans
-réponse; car le Nirvana ne décide, ne précise rien, et le Bouddha,
-dernier interprète des grands enseignements ésotériques, avoue lui-même
-qu’il ne sait pas si cette absorption a lieu dans un néant ou dans un
-bonheur éternel: «Le sublime ne l’a pas révélé.»
-
-«Le Sublime ne l’a pas révélé», car rien n’a été révélé et rien n’est
-résolu parce qu’il est probable que rien ne sera jamais résoluble et
-qu’il est vraisemblable que des êtres dont l’intelligence serait un
-million de fois plus puissante que la nôtre ne trouveraient pas encore
-de solution. Pour comprendre la création, nous dire d’où elle vient, où
-elle va, il faudrait en être l’auteur; et encore, se demande le
-Rig-Véda, à la source même de la sagesse primordiale, «Et encore, le
-sait-il?»
-
-Le grand secret, le seul secret, c’est que tout est secret. Apprenons du
-moins à l’école de nos mystérieux ancêtres à faire, comme ils l’avaient
-fait, la part de l’inconnaissable et à n’y chercher que ce qui s’y
-trouve, c’est-à-dire la certitude que tout est Dieu, que tout est en lui
-et y doit aboutir dans le bonheur, et que la seule divinité que nous
-puissions espérer de connaître, c’est au plus profond de nous-mêmes
-qu’il la faut découvrir. Le grand secret n’a pas changé d’aspect, il
-reste, à la même place, ce qu’il était pour eux. Ils surent, dès
-l’origine, tirer de l’inconnaissable la morale la plus pure que nous
-ayons eue; puisque nous nous retrouvons au même point dans cet
-inconnaissable, il serait hasardeux, pour ne pas dire impossible, d’en
-déduire d’autres enseignements. Et leurs enseignements, qui par le haut
-sont demeurés les mêmes et ne diffèrent qu’aux parties basses dans
-toutes les religions dont les dogmes divers ne sont au fond que des
-traductions ou des interprétations mythologiques de ces vérités trop
-abstraites, auraient fait de l’homme ce qu’il n’est pas encore, s’il
-avait eu le courage de les suivre. Ne les oublions point, c’est le
-dernier et le meilleur conseil que nous donne le testament mystique que
-nous venons de feuilleter.
-
-
-
-
-TABLE
-
-
- Pages.
- Préliminaires 1
- L’Inde 29
- L’Égypte 111
- La Perse 133
- La Chaldée 141
- La Grèce anté-socratique 149
- Les Gnostiques et les Néo-Platoniciens 181
- La Kabbale 189
- Les Hermétistes 213
- Les Occultistes modernes 229
- Les Métapsychistes 255
- Conclusions 303
-
-
-B--1926--Lib.-Imp. réunies, 7, rue Saint-Benoît, Paris.
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-*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE GRAND SECRET ***
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- The Project Gutenberg eBook of Le grand secret, by Maurice Maeterlinck.
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-<div lang='en' xml:lang='en'>
-<p style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of <span lang='fr' xml:lang='fr'>Le grand secret</span>, by Maurice Maeterlinck</p>
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
-at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you
-are not located in the United States, you will have to check the laws of the
-country where you are located before using this eBook.
-</div>
-</div>
-
-<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: <span lang='fr' xml:lang='fr'>Le grand secret</span></p>
-<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Maurice Maeterlinck</p>
-<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Release Date: April 18, 2022 [eBook #67863]</p>
-<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Language: French</p>
- <p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em; text-align:left'>Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was produced from scanned images of public domain material from the Google Books project.)</p>
-<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>LE GRAND SECRET</span> ***</div>
-<p class="c large b sans-serif">MAURICE MAETERLINCK</p>
-
-<h1>LE<br />
-<span class="large">GRAND SECRET</span></h1>
-
-
-<p class="c gap"><span class="large">PARIS</span><br />
-BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER<br />
-<span class="small sans-serif">EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR</span><br />
-11, <span class="xsmall g">RUE DE GRENELLE</span>, 11</p>
-
-<p class="c">1921<br />
-<span class="small">Tous droits réservés.<br />
-Copyright 1921, by <span class="sc">Eugène Fasquelle</span>.</span></p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<p class="c top4em b large">OUVRAGES DE MAURICE MAETERLINCK</p>
-
-
-<table summary="">
-<tr><td colspan="2" class="c pad"><div><span class="sans-serif">DANS LA BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER</span><br />
-EUGÈNE FASQUELLE, <span class="sc">Éditeur</span></div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>La Sagesse et la Destinée</b> (75<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small w4"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>La Vie des Abeilles</b> (93<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Le Temple Enseveli</b> (32<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Le Double Jardin</b> (26<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>L’Intelligence des Fleurs</b> (42<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>La Mort</b> (56<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Les Débris de la Guerre</b> (17<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>L’Hôte Inconnu</b> (27<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Les Sentiers dans la Montagne</b> (17<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-
-<tr><td colspan="2" class="c pad sans-serif"><div>THÉATRE</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Théâtre</b>, Tome I. — <i>La Princesse Maleine</i>, <i>L’Intruse,
-Les Aveugles</i></td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap left15em small">Tome II. — <i>Pelléas et Mélisande</i> (1892), <i>Alladine
-et Palomides</i> (1894), <i>Intérieur</i> (1894), <i>La
-Mort de Tintagiles</i> (1894)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap left15em small">Tome III. — <i>Aglavaine et Sélysette</i> (1896) ; <i>Ariane
-et Barbe-Bleue</i> (1901), <i>Sœur Béatrice</i> (1901)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Joyzelle</b>, pièce en 5 actes (13<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>L’Oiseau Bleu</b>, féerie en 6 actes et 12 tableaux
-(48<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>La Tragédie de Macbeth</b>, de W. Shakespeare.
-Traduction nouvelle avec une <i>Introduction</i> et des
-<i>Notes</i> (6<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Marie-Magdeleine</b>, drame en 3 actes (6<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Monna Vanna</b>, pièce en 3 actes (44<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Monna Vanna</b>, drame lyrique en 4 actes et 5 tableaux,
-livret (musique de Henry Février) (11<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 broch.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Pelléas et Mélisande</b>, drame lyrique en 5 actes
-(4<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 broch.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Intérieur</b>, pièces en 1 acte (4<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 broch.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>La Mort de Tintagiles</b>, drame lyrique en 5 actes</td>
-<td class="r bot small"><div>1 broch.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Ariane et Barbe-Bleue</b>, conte en 3 actes</td>
-<td class="r bot small"><div>1 broch.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Le Miracle de Saint Antoine</b>, farce en 2 actes</td>
-<td class="r bot small"><div>1 broch.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Le Bourgmestre de Stilmonde</b>, suivi de <b>Le
-Sel de la Vie</b> (6<sup>e</sup> mille)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td colspan="2" class="c pad"><div>CHEZ DIVERS ÉDITEURS</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Le Trésor des Humbles</b> (Mercure de France)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Serres Chaudes</b> (poésies). — (Lacomblez)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>L’Ornement des Noces spirituelles</b>, de Ruysbroeck
-l’Admirable, traduit du flamand et précédé
-d’une Introduction. (Lacomblez)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Les Disciples à Saïs et les Fragments de
-Novalis</b>, traduits de l’allemand et précédés d’une
-Introduction (Lacomblez)</td>
-<td class="r bot small"><div>1 vol.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap small"><b>Album de douze Chansons.</b> (Stock)</td>
-<td class="r bot small"><div><i>Épuisé.</i></div></td></tr>
-</table>
-
-<p class="c gap small">B — 1926 — Lib.-Imp. réunies, 7, rue Saint-Benoît, Paris.</p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<p class="c top4em"><span class="small">IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE</span> :</p>
-
-<p class="c i">30 exemplaires numérotés sur papier du Japon,<br />
-100 exemplaires numérotés sur papier de Hollande.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch1">PRÉLIMINAIRES</h2>
-
-
-<h3>I</h3>
-
-<p>Qu’on ne s’attende pas à trouver ici une
-histoire ou une monographie méthodique de
-l’occultisme. Il y faudrait consacrer des volumes
-que remplirait forcément une grande partie du
-fatras que je veux avant tout épargner au
-lecteur. Je n’ai d’autre dessein que de dire
-aussi simplement que possible ce que m’ont
-appris plusieurs années passées dans ces régions
-assez décriées et peu fréquentées. J’en rapporte
-les impressions d’un voyageur de bonne foi
-qui les a parcourues en curieux plutôt qu’en
-croyant. Ce sera, si l’on veut, une sorte de résumé
-ou de mise au point provisoire. Je ne sais
-rien de plus que ce que pourrait apprendre le
-premier venu qui ferait la même excursion.
-Je ne suis pas un initié, je n’ai pas eu de maîtres
-évanescents et mystérieux venus tout exprès
-des confins de ce monde ou d’un autre pour me
-révéler les dernières vérités et me défendre de
-les répéter. Je n’ai pas eu accès aux bibliothèques
-cachées, à ces sources secrètes de la suprême
-Sagesse qui, paraît-il, existent quelque part,
-mais seront toujours pour nous comme si elles
-n’étaient point, attendu qu’en y pénétrant on
-se condamne, sous peine de mort, à un silence
-inviolable. Je n’ai pas davantage déchiffré
-d’incompréhensibles grimoires ni découvert une
-clef nouvelle aux livres sacrés des grandes
-religions. J’ai seulement lu et étudié la majeure
-partie de ce qui a été écrit sur ces questions ;
-et parmi une masse énorme de documents
-absurdes, puérils, ressassés et inutiles, je ne me
-suis attaché qu’aux œuvres maîtresses qui ont
-vraiment à nous apprendre quelque chose que
-nous ne trouvons pas ailleurs. En déblayant
-ainsi les abords d’une étude trop souvent
-encombrée de débris rebutants, je faciliterai
-peut-être la tâche de ceux qui voudront et
-sauront aller plus loin que moi.</p>
-
-
-<h3>II</h3>
-
-<p>Grâce aux travaux d’une science assez récente,
-notamment grâce aux recherches des
-indianistes et des égyptologues, il nous est
-aujourd’hui beaucoup plus facile que naguère
-de retrouver les sources, de remonter le cours
-et de débrouiller le réseau souterrain du grand
-fleuve mystérieux qui depuis l’origine de l’histoire
-a coulé sous toutes les religions, sous toutes
-les croyances, sous toutes les philosophies, en
-un mot sous toutes les manifestations diurnes
-ou à ciel ouvert de la pensée humaine. Il n’est
-plus guère contestable que cette source se trouve
-dans l’Inde antique. De là, l’enseignement
-sacré se répandit probablement en Égypte,
-gagna la Perse ancienne, la Chaldée, satura
-le peuple hébreu, s’infiltra dans la Grèce et le
-nord de l’Europe, atteignit la Chine et même
-l’Amérique où la civilisation Astèque n’était
-qu’une réplique plus ou moins déformée de la
-civilisation égyptienne.</p>
-
-<p>Nous avons ainsi trois grands dérivés de
-l’occultisme primitif, Aryo ou Atlantéo-Hindou :
-1<sup>o</sup> l’occultisme antique, c’est-à-dire égyptien,
-persan, chaldéen, juif et celui des mystères
-grecs ; 2<sup>o</sup> l’ésotérisme judéo-chrétien avec les
-Esséniens, les gnostiques, les néo-platoniciens
-d’Alexandrie et les kabbalistes du moyen âge, et
-3<sup>o</sup> l’occultisme moderne plus ou moins imprégné
-des précédents, mais qui, sous le vocable
-d’ailleurs assez inexact d’occultisme, désigne
-plus spécialement, à côté des théosophes, les
-spirites et les métapsychistes d’aujourd’hui.</p>
-
-
-<h3>III</h3>
-
-<p>Quant aux sources de la source primaire, il
-est à peu près impossible de les retrouver. Nous
-n’avons ici que les affirmations de la tradition
-occultiste, affirmations que des découvertes
-historiques semblent d’ailleurs çà et là confirmer.
-Ces traditions attribuent l’immense
-réservoir de sagesse qui s’était formé quelque
-part, dès l’origine de l’homme, et, à ce qu’elles
-disent, même avant sa venue sur cette terre,
-à des entités plus spirituelles, à des êtres moins
-engagés dans la matière, à des organismes psychiques,
-dont les derniers venus, les Atlantes,
-n’auraient été que les représentants dégénérés.</p>
-
-<p>Au point de vue historique, au delà de cinq
-ou six mille ans, sept mille peut-être, les documents
-nous font absolument défaut. Nous ne
-pouvons pas savoir comment est née la religion
-des Hindous et des Égyptiens. Quand nous la
-trouvons, elle est déjà toute faite dans ses
-grandes lignes, dans ses grands principes. Non
-seulement elle est toute faite ; mais plus on remonte,
-plus elle est parfaite, plus elle est pure,
-plus elle se rapproche des plus hautes spéculations
-de l’agnosticisme d’aujourd’hui. Elle suppose
-une civilisation antérieure, dont, étant
-donnée la lenteur de toute évolution humaine,
-il est impossible d’évaluer la durée. Cette durée
-doit vraisemblablement se calculer par milliers
-de milliers d’années. C’est ici que la tradition
-occultiste vient à notre aide. Pourquoi cette
-tradition serait-elle, <i lang="la" xml:lang="la">à priori</i>, inacceptable et
-méprisable, alors que presque tout ce que nous
-savons de ces religions primitives est également
-fondé sur la tradition orale, car les textes
-écrits sont de beaucoup postérieurs ; et qu’en
-outre tout ce que nous dit cette tradition concorde
-curieusement avec ce que nous avons
-appris d’autre part ?</p>
-
-
-<h3>IV</h3>
-
-<p>En tout cas, si l’on a besoin de la tradition
-occultiste pour expliquer l’origine de cette
-sagesse qui nous paraît à bon droit surhumaine,
-on peut fort bien s’en passer pour ce qui concerne
-l’essentiel de cette sagesse même. Des
-textes authentiques et qu’on peut situer dans
-l’histoire, le contiennent tout entier ; et sous ce
-rapport, les théosophes modernes qui prétendent
-avoir eu à leur disposition des documents
-secrets et avoir profité de révélations extraordinaires
-que leur auraient faites des Adeptes
-ou Mahatmas, d’une fraternité mystérieuse, ne
-nous ont rien appris qui ne se trouve dans les
-écrits accessibles à tous les orientalistes. Ce
-qui sépare les occultistes, — les théosophes de
-l’école de Blavatzky, par exemple, qui domine
-toutes les autres, — des indianistes et des
-égyptologues scientifiques, ce n’est pas ce qui
-a rapport à l’origine, à l’économie, au but de
-l’univers, aux fins de la terre et de l’homme,
-à la nature de la divinité, aux grands problèmes
-de la morale ; ce sont presque uniquement des
-questions qui ont trait à la préhistoire, à la
-nomenclature des émanations de l’inconnaissable
-et à la manière de maîtriser et d’utiliser
-les forces inconnues de la nature.</p>
-
-<p>Occupons-nous d’abord des points où ils
-s’accordent ; ce sont du reste les plus intéressants ;
-car tout ce qui touche à la préhistoire
-est forcément hypothétique, les noms et les
-fonctions des dieux intermédiaires n’ont qu’un
-intérêt de second ordre ; quant à l’utilisation
-des forces inconnues, elle regarde plutôt les
-sciences métapsychiques dont nous reparlerons
-plus loin.</p>
-
-
-<h3>V</h3>
-
-<p>« Ce que nous lisons dans les <i>Védas</i>, dit Rudolph
-Steiner, l’un des plus érudits et aussi
-des plus déconcertants parmi les occultistes
-contemporains, ce que nous lisons dans les <i>Védas</i>,
-ces archives de la sagesse hindoue, ne nous
-donne qu’une faible idée des sublimes enseignements
-des anciens instructeurs et non pas dans
-leur forme originelle. Seul le regard du clairvoyant,
-porté sur les arcanes du passé, peut
-découvrir la sagesse inédite qui se cache derrière
-ces écrits. »</p>
-
-<p>Historiquement, il est fort probable que
-Steiner a raison. En effet, comme je l’ai déjà
-dit, plus les textes sont anciens, plus ce qu’ils
-révèlent est pur et grandiose ; et il est vraisemblable
-qu’ils ne sont eux-mêmes, selon l’expression
-de Steiner, qu’un écho affaibli d’enseignements
-plus sublimes. Mais ne possédant pas
-le regard du clairvoyant, nous devons nous contenter
-de ce que nous avons sous les yeux.</p>
-
-<p>Les textes que nous possédons sont les livres
-sacrés de l’Inde, que viennent corroborer ceux
-de l’Égypte et de la Perse. L’influence qu’ils
-exercèrent sur la pensée humaine, sinon dans
-leur forme présente, du moins par la tradition
-orale qu’ils n’ont fait que fixer, remonte aux
-origines de l’histoire, se répandit partout et ne
-cessa jamais de se faire sentir ; mais, pour le
-monde occidental, leur découverte et leur étude
-méthodique sont relativement récentes. « Il y
-a cinquante ans, écrivait en 1875 Max Muller,
-il n’existait pas un lettré qui sût traduire une
-ligne du Véda, une ligne du Zend-Avesta ou une
-ligne du Tripitâka Bouddhique, sans parler
-des autres dialectes ou langages. »</p>
-
-<p>Si les faits prenaient d’abord, dans les annales
-de l’homme, les proportions qu’ils acquerront
-plus tard, la découverte de ces livres sacrés eût
-probablement bouleversé l’Europe ; car c’est
-sans nul doute l’événement spirituel le plus
-important qui s’y soit produit depuis le christianisme.
-Mais il est rare qu’un événement
-spirituel ou moral se répande rapidement dans
-les masses. Il a contre lui trop de forces qui ont
-intérêt à l’étouffer. Celui-ci demeura confiné
-dans un petit cercle de savants et de philologues
-et atteignit même moins qu’il n’était présumable
-les métaphysiciens et les moralistes.
-Il attend encore l’heure de son expansion.</p>
-
-
-<h3>VI</h3>
-
-<p>La première question qui se pose est celle
-de la date de ces textes. Il est très difficile
-d’y donner une réponse précise ; car s’il est
-relativement aisé de déterminer l’époque où
-les livres furent écrits, il est impossible d’évaluer
-le temps durant lequel ils existèrent uniquement
-dans la mémoire des hommes. Selon Max
-Muller, il n’y a guère de manuscrit sanscrit
-qui remonte plus haut que l’an mil de notre ère,
-et tout semble indiquer que l’écriture n’a été
-connue en Inde qu’au commencement de la
-période bouddhique (<small>V</small><sup>e</sup> siècle avant J.-C.),
-c’est-à-dire à la fin de la vieille littérature
-védique. Le <i>Rig-Véda</i> qui compte 1.028 hymnes,
-d’une moyenne de dix vers, soit 153.826 mots,
-a donc été conservé par le seul effort de la mémoire.
-Aujourd’hui encore, les Brahmanes
-savent tous le <i>Rig-Véda</i> par cœur, comme leurs
-ancêtres d’il y a trois mille ans. C’est au delà
-du <small>X</small><sup>e</sup> siècle avant J.-C. que nous devons placer
-le développement spontané de la pensée védique
-telle que nous la trouvons dans le <i>Rig-Véda</i>.
-Déjà trois cents ans avant J.-C., toujours selon
-Max Muller, le sanscrit avait cessé d’être parlé
-par le peuple, ce qui est prouvé par une inscription
-dont la langue est au sanscrit ce que l’italien
-est au latin.</p>
-
-<p>Cette période des « Chandas », selon d’autres
-orientalistes, remonte probablement à deux ou
-trois mille ans avant J.-C., de sorte que nous
-voilà déjà à cinq mille ans, date la plus modeste
-et la plus prudente. « Une chose est certaine,
-ajoute Max Muller, c’est qu’il n’y a rien de plus
-ancien ni de plus primitif que les hymnes du
-<i>Rig-Véda</i>, non seulement dans l’Inde, mais dans
-tout le monde Aryen. En tant qu’Aryen de
-langue et de pensée, le <i>Rig-Véda</i> est notre livre
-sacré le plus ancien<a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> <span class="sc">Max Muller</span>, <i>Origine et développement de la religion</i>.
-Trad. J. Darmesteter, p. 142.</p>
-</div>
-<p>Depuis les travaux du grand orientaliste,
-d’autres savants ont notablement reculé la
-date des premiers manuscrits et surtout celle
-des premières traditions ; mais ils restent encore
-à d’énormes distances de la computation des
-Brahmanes qui reportent l’origine de leurs
-livres à des milliers de siècles avant notre ère.
-« Il y a actuellement plus de cinq mille ans,
-dit Swâmi Dayanound Saraswati, que les <i>Védas</i>
-ont cessé d’être un objet d’études » ; et selon les
-calculs de l’orientaliste Halled, les <i>Çastras</i>,
-d’après la chronologie des Brahmanes, doivent
-avoir sept millions d’années.</p>
-
-<p>Sans prendre parti dans ces querelles, le seul
-point qu’il importe d’établir, c’est que ces livres,
-ou plutôt la tradition qu’ils ont recueillie et
-fixée, est évidemment antérieure, l’Égypte, la
-Chine et la Chaldée peut-être exceptées, à tout
-ce que nous connaissons dans l’histoire de
-l’homme.</p>
-
-
-<h3>VII</h3>
-
-<p>Cette littérature comprend d’abord les quatre
-Védas : le <i>Rig</i>, le <i>Sama</i>, l’<i>Yadjour</i> et l’<i>Atharva-Véda</i>,
-complétés par les commentaires ou
-<i>Brahmanas</i> et les traités de philosophie appelés
-<i>Aranyakas</i> et <i>Upanischads</i>, auxquels il faut
-ajouter les <i>Çastras</i>, ou <i>Sastras</i> dont le plus
-connu est le <i>Manava-Dharma-Çastra</i>, ou <i>Lois
-de Manou</i> — qui, selon William Jones, Chézy et
-Loiseleur-Deslongchamps, remonte au <small>XIII</small><sup>e</sup> siècle
-avant notre ère, — et les premiers <i>Pouranas</i>.</p>
-
-<p>De ces textes, le <i>Rig</i> est incontestablement
-le plus ancien. Les autres s’échelonnent sur un
-espace de plusieurs centaines, voire de plusieurs
-milliers d’années ; mais tous, excepté les derniers
-<i>Pouranas</i>, sont antérieurs à l’ère chrétienne,
-ce qu’il ne faut pas perdre de vue, non dans
-un sentiment d’hostilité envers la grande religion
-occidentale, mais pour mettre celle-ci à sa
-place dans l’histoire et dans l’évolution de la
-pensée humaine.</p>
-
-<p>Le <i>Rig-Véda</i> est encore plus polythéiste que
-panthéiste et les sommets de la doctrine n’y
-émergent que çà et là, par exemple dans les
-stances que nous citons plus loin. Ses divinités
-ne représentent que des forces physiques
-amplifiées que le <i>Sama-Véda</i> et surtout les
-Brahmanes ramenèrent par la suite à des conceptions
-métaphysiques et à l’unité. Le <i>Sama-Véda</i>
-affirme l’Inconnaissable et le <i>Yadjour-Véda</i>
-le Panthéisme. Quant à l’<i>Atharva</i>, le plus
-ancien, selon les uns, le plus récent selon les
-autres, il est avant tout rituel.</p>
-
-<p>Ces idées furent développées par les commentaires
-des Brahmanes qui se multiplièrent
-surtout entre les <small>XII</small><sup>e</sup> et <small>VII</small><sup>e</sup> siècles avant J.-C. ;
-mais se rattachent probablement à des traditions
-beaucoup plus anciennes que prétendent
-avoir retrouvées nos modernes théosophes,
-sans du reste étayer leurs assertions de preuves
-suffisantes.</p>
-
-<p>Il faut donc, quand on parle de la religion
-de l’Inde, la considérer dans son ensemble,
-depuis le Védisme primitif, en passant par le
-Brahmanisme et le Krichnaïsme, jusqu’au
-Bouddhisme ; en s’arrêtant, si l’on veut,
-deux ou trois siècles avant notre ère, pour
-éviter tout soupçon d’infiltration judéo-chrétienne.</p>
-
-<p>Toute cette littérature à laquelle on peut
-annexer, entre bien d’autres, les textes semi-profanes
-du <i>Ramayana</i> et du <i>Maha-Bahrata</i>,
-au milieu duquel s’épanouit le <i>Bhagavat-Gita</i>
-ou <i>Chant du Bienheureux</i>, cette magnifique
-fleur du mysticisme hindou, est encore très imparfaitement
-connue et nous n’en possédons
-que ce que les Brahmanes ont bien voulu nous
-en livrer.</p>
-
-<p>Elle soulève une foule de questions extrêmement
-complexes dont bien peu ont été jusqu’ici
-résolues. Ajoutons que la traduction des textes
-sanscrits, surtout des plus anciens, est encore
-fort incertaine. Selon Roth, le véritable fondateur
-de l’exégèse védique, « le traducteur qui
-rendra le <i>Véda</i> intelligible et lisible, <i lang="la" xml:lang="la">mutatis
-mutandis</i>, comme Homère l’est devenu depuis
-les travaux de Voss, est encore à venir et l’on
-ne peut guère prévoir sa venue avant le siècle
-prochain ».</p>
-
-<p>Pour se faire une idée de l’incertitude de ces
-traductions, il suffit de voir à titre d’exemple,
-à la fin du troisième volume de la <i>Religion
-Védique</i> d’Abel Bergaigne, le grand orientaliste
-français, les discussions qui s’élèvent entre les
-indianistes les plus célèbres, tels que Grassmann,
-Ludwig, Roth et Bergaigne lui-même, au sujet
-de l’interprétation de presque tous les mots
-essentiels de l’hymne I-123, à l’Aurore. « Elle
-étale, comme le dit Bergaigne, les misères de
-l’interprétation actuelle du <i>Rig-Véda</i><a id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">[2]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_2" href="#FNanchor_2"><span class="label">[2]</span></a> <i>La Religion védique d’après les hymnes du Rig-Véda</i>, par
-<span class="sc">A. Bergaigne</span>, t. III, p. 283 et suiv.</p>
-</div>
-<p>Les néo-théosophes se sont efforcés de résoudre
-quelques-uns des problèmes que soulèvent
-l’antiquité hindoue ; mais leurs travaux, très
-intéressants en ce qui concerne la doctrine,
-sont extrêmement faibles au point de vue de la
-critique ; et il est impossible de les suivre sur un
-terrain où l’on ne rencontre que des hypothèses
-invérifiables. La vérité c’est que, quand il s’agit
-de l’Inde, il faut renoncer à toute certitude
-chronologique. Pour prendre un minimum,
-sans doute très inférieur à la réalité, en laissant
-derrière nous une marge peut-être immense de
-siècles nébuleux, ne reportons pas à plus de trois
-ou quatre mille ans l’épanouissement des Brahmanas ;
-nous constatons ainsi qu’existait à cette
-époque, au pied de l’Himalaya, une grandiose
-religion panthéiste et agnostique, qui plus
-tard devint ésotérique ; et c’est tout ce qui,
-pour l’instant, nous importe.</p>
-
-
-<h3>VIII</h3>
-
-<p>Et l’Égypte, dira-t-on, ses monuments et
-ses hiéroglyphes ne sont-ils pas bien plus anciens ?
-Écoutons sur ce point le très érudit
-égyptologue Le Page Renouf<a id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a>, une des grandes
-autorités en la matière. Il estime que les monuments
-égyptiens et leurs inscriptions ne peuvent
-servir de bases à des dates certaines ; que les
-calculs fondés sur le lever héliaque des étoiles
-n’est pas probant, attendu que dans les textes
-il est plus vraisemblable qu’il s’agit de leur passage
-que de leur lever. Mais il est convaincu
-que, d’après les calculs les plus modérés, la monarchie
-égyptienne existait déjà plus de 2.000 ans
-avant que l’<i>Exode</i> fût écrit ; or, l’<i>Exode</i> remonte
-probablement à l’an 1310 avant J.-C. ; et la
-date de la grande pyramide ne peut être reportée
-à moins de 3.000 ou 4.000 ans avant notre ère.
-Ces calculs, de même que ceux qui font commencer
-l’ère chinoise 2.697 ans avant J.-C., nous
-ramènent assez curieusement à l’époque assignée
-par les indianistes au développement de la pensée
-védique, développement qui suppose une
-période de gestation et de formation infiniment
-plus reculée. Ils n’impliquent pas du reste que
-la civilisation égyptienne, tout comme la civilisation
-hindoue, ne soit beaucoup plus ancienne.
-Un autre grand égyptologue, Léonard Horner,
-de 1851 à 1854, fit creuser dans la vallée du Nil,
-en divers endroits, quatre-vingt-quinze puits.
-On constate que la hauteur que le Nil ajoute
-chaque siècle à son lit d’alluvions est de 5 pouces,
-hauteur qui doit être moindre pour les couches
-inférieures, à cause de la pression ; or, jusqu’aux
-profondeurs de 75 pieds, on trouva des sculptures
-de granit, des figures humaines et animales,
-des mosaïques, des vases, des fragments de
-briques et de poteries (celles-ci aux grandes
-profondeurs). Comme il y a 12 pouces dans un
-pied, cela nous reporte à plus de 17.000 ou
-18.000 ans. A une profondeur de 33 pieds 6 pouces
-on exhuma une tablette avec des inscriptions
-qui, d’après un calcul facile, avait par conséquent
-près de 8.000 ans. L’hypothèse de puits
-ou citernes, sur lesquels on serait tombé par
-hasard, doit être écartée, car le même fait s’est
-vérifié partout. Ces constatations, pour le dire
-en passant, donnent une fois de plus raison aux
-traditions occultistes, touchant l’antiquité de
-la civilisation humaine. Cette antiquité prodigieuse
-est en outre confirmée par les observations
-sidérales des anciens. Il existe par exemple un
-catalogue d’étoiles qu’on appelle le catalogue
-de Souryo-Shiddhanto ; or, les différences de
-position de huit de ces étoiles fixes, prises au
-hasard, démontrent que les observations de
-Souryo remontent à plus de 58.000 ans.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_3" href="#FNanchor_3"><span class="label">[3]</span></a> <span class="sc">P. Le Page Renouf</span>, <i lang="en" xml:lang="en">Lectures on the Origin and Growth
-of Religion as illustrated by the Religion of Ancient Egypt</i>.</p>
-</div>
-
-<h3>IX</h3>
-
-<p>Est-ce l’Inde ou l’Égypte qui fut l’héritière
-directe de la sagesse légendaire que nous léguèrent
-des peuples plus anciens, notamment
-les probables Atlantes ? Dans l’état présent
-de notre science, et sans tenir compte des traditions
-occultistes, il n’est pas encore possible
-de répondre.</p>
-
-<p>Il y a moins d’un siècle on ignorait à peu près
-complètement l’Égypte antique. On ne la connaissait
-que par des ouï-dire et des légendes
-plus ou moins fantaisistes recueillies par des
-historiens tard venus et surtout par les divagations
-des philosophes et des théurgistes de
-l’époque Alexandrine. C’est seulement en 1820,
-que Jean-François Champollion, grâce au triple
-texte de la célèbre pierre hiéroglyphique de
-Rosette, trouva la clef de l’écriture mystérieuse
-qui couvre tous les monuments, tous les tombeaux
-et presque tous les objets de la terre des
-Pharaons. Mais la mise en œuvre de la découverte
-fut longue et pénible ; et ce n’est guère
-que quarante ans plus tard que l’un des plus
-illustres successeurs de Champollion, de Rougé,
-put dire qu’il n’y avait plus de texte égyptien
-qu’on ne fût à même de traduire. On déchiffra
-des documents sans nombre, et on acquit,
-quant au sens matériel de la plupart des inscriptions,
-une certitude presque définitive.</p>
-
-<p>Néanmoins, il paraît de plus en plus probable
-que sous le sens littéral des inscriptions religieuses,
-s’en cache un autre qu’on ne peut
-pénétrer. C’est l’hypothèse à laquelle, en présence
-du flottement de bien des mots, aboutissent
-forcément les égyptologues les plus
-objectifs, les plus scientifiques, bien qu’ils
-ajoutent aussitôt que rien ne la confirme formellement.
-Il est donc extrêmement vraisemblable
-que sous la religion officielle enseignée
-aux profanes, il y en avait une autre réservée
-aux prêtres et aux initiés ; et l’hypothèse à
-laquelle sont contraints les savants, vient ici
-confirmer une fois de plus les assertions des
-occultistes, notamment celles des néo-platoniciens
-d’Alexandrie, au sujet des mystères
-égyptiens.</p>
-
-
-<h3>X</h3>
-
-<p>Quoi qu’il en soit, des textes sur l’authenticité
-desquels il n’y a pas le moindre doute, le
-<i>Livre des Morts</i>, les <i>Livres des hymnes</i>, le <i>Recueil
-des sentences morales</i> de Ptahhoteph, le plus
-ancien livre de la terre, puisqu’il est contemporain
-des Pyramides, et beaucoup d’autres,
-permettent de nous faire une idée très précise
-de la haute morale d’abord et surtout de la
-théosophie fondamentale de l’Égypte, avant
-que cette théosophie ne se corrompît pour donner
-satisfaction au vulgaire et ne se transformât
-en un monstrueux polythéisme, qui du reste
-fut toujours plus apparent que réel.</p>
-
-<p>Or, plus les textes sont anciens, plus leurs
-enseignements se rapprochent de la tradition
-hindoue. Qu’ils soient antérieurs ou postérieurs
-à ceux-ci, la question est en somme secondaire ;
-ce qui est plus intéressant, c’est le problème de
-l’origine commune, origine unique et immémoriale,
-dont la probabilité s’accroît à chaque
-pas qu’on hasarde dans la préhistoire. Plus on
-remonte dans le temps, plus nettement se révèle
-l’accord sur les points essentiels. Voici, par
-exemple, l’idée que se faisait de Dieu la religion
-égyptienne à ses débuts. Nous en trouverons
-un peu plus loin l’original ou la réplique hindoue,
-de même que nous aurons l’occasion de confronter
-les deux théogonies, les deux cosmogonies
-et les deux morales qui sont évidemment
-les sources de toutes les théogonies, de toutes
-les cosmogonies et de toutes les morales de
-l’humanité.</p>
-
-<p>Pour l’Égyptien qui a gardé la foi des origines,
-il n’y a qu’un seul Dieu, un Dieu unique.
-« Pas d’autre que lui. » — « Il est le seul être
-vivant en substance et en vérité. » — « Tu es
-seul et des millions d’êtres procèdent de toi. » — « Il
-a fait toutes choses et lui seul n’a pas été
-fait. » — « Partout et toujours, il est l’unique
-substance et il est inapprochable. » — « Il est
-l’un de l’un. » — « Il est hier, aujourd’hui et
-demain. » — « Il est Dieu se faisant Dieu, existant
-par lui-même, l’être double, c’est-à-dire,
-s’engendrant lui-même, générateur dès le commencement. »</p>
-
-<p>« Voici plus de cinq mille ans, dit de Rougé,
-que dans la vallée du Nil commença l’hymne
-à l’unité de Dieu et à l’immortalité de l’âme…
-La croyance à l’unité du Dieu suprême et à ses
-attributs comme créateur et législateur de
-l’homme qu’il dota d’une âme immortelle,
-voilà les notions primitives, serties comme des
-diamants indestructibles dans les superfétations
-mythologiques accumulées par les siècles
-qui ont passé sur cette antique civilisation<a id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">[4]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_4" href="#FNanchor_4"><span class="label">[4]</span></a> <span class="sc">De Rougé</span>, <i>Annales de la Philosophie chrétienne</i>, t. XX,
-p. 327.</p>
-</div>
-<p>Assurément, il n’y a pas ici, dans la définition
-de la divinité, la pénétration, la subtilité et
-l’espace métaphysique, le bonheur d’expression,
-la magnificence verbale, le génie, en un mot,
-que nous trouverons dans les définitions hindoues.
-C’est que l’esprit égyptien est plus froid,
-plus sec, plus sobre, plus anguleux, plus réaliste,
-il a une imagination plus concrète, que l’inaccessible
-infini n’enflamme pas comme celle des
-peuples de l’Asie. Au surplus, ne perdons pas
-de vue que nous ne connaissons pas encore le
-sens secret qui se cache peut-être au fond de
-ces définitions. En tout cas, telles que nous les
-lisons, l’idée est la même et marque une même
-origine, que l’on peut, conformément aux traditions
-ésotériques et en attendant d’autres
-éclaircissements, appeler la pensée Atlantéenne.
-C’est une supposition que vient confirmer du
-reste le fameux passage du <i>Timée</i>, d’après
-lequel, au dire du prêtre égyptien qui parlait
-à Solon, l’Égypte aurait été, il y a 12.000 ans,
-une colonie Atlantéenne.</p>
-
-
-<h3>XI</h3>
-
-<p>Pour le Mazdéisme ou Zoroastrisme, la troisième
-des grandes religions, le problème de la filiation
-est plus simple, bien que celui des dates soit
-également compliqué. Zoroastre, ou plutôt l’un
-des Zoroastres, le dernier, aurait vécu, selon
-Aristote, au <small>VII</small><sup>e</sup> siècle avant notre ère. Pline
-le fait remonter à dix siècles avant Moïse,
-Hermippe de Smyrne, qui traduisit ses livres
-en grec, à 4.000 ans avant la prise de Troie et
-Eudoxe à 6.000 ans avant la mort de Platon.</p>
-
-<p>La science moderne, comme le constate
-Édouard Schuré d’après les savantes études
-d’Eugène Burnouf, de Spiegel, de James Darmesteter
-et de Harlez, déclare qu’il n’est pas
-possible de fixer la date où vécut le grand
-philosophe iranien, auteur du <i>Zend-Avesta</i>,
-mais la recule en tout cas à 2.500 ans avant
-J.-C. Max Muller, de son côté, a fourni la preuve
-que Zoroastre ou Zarathustra et ses disciples
-avaient résidé dans l’Inde. « Plusieurs des dieux
-zoroastriens, ajoute-t-il, ne sont que des réflexions,
-des déflexions des dieux primitifs et
-authentiques des Védas. » Ici il n’y a donc pas
-le moindre doute au sujet de l’antériorité des
-livres hindous ; et en même temps est corroborée
-une fois de plus la fabuleuse antiquité de ces
-livres ou de ces traditions.</p>
-
-<p>Ces observations préliminaires, dont le développement
-exigerait des volumes, suffisent, — et
-c’est ce qui nous intéresse pour l’instant, — à
-établir que l’enseignement qu’on retrouve dans
-la suite des temps au fond de toutes les religions,
-sous forme de mystères, d’initiation, de doctrine
-secrète, remonte, selon les calculs les plus
-timides, à des milliers d’années. Elles suffisent
-en tout cas à écarter la thèse assez puérile de
-ceux qui soutiennent qu’il est relativement
-récent et a subi l’influence des révélations
-judéo-chrétiennes. On ne défend plus sérieusement
-cette thèse ; mais on tourne la difficulté
-en disant : Oui, il y a des vérités de cette religion
-primitive et même des textes ayant date plus
-ou moins certaine, antérieurs à Moïse et à
-Jésus-Christ ; mais qui pourrait faire le départ
-des interpolations successives qui les ont transformés ?</p>
-
-<p>Il existe dans l’Inde, paraît-il, plus de
-1.200 textes des <i>Védas</i> et plus de 350 textes des
-<i>Lois de Manou</i>, sans compter ceux des livres
-sacrés que les Brahmes ne nous ont pas livrés,
-et il est incontestable que dans ces textes ou
-dans les enseignements qu’ils reproduisent, se
-trouvent d’évidentes interpolations. Il ne faut
-jamais perdre de vue que la religion orientale
-que nous appelons vulgairement et fort improprement
-le Bouddhisme, se divise en trois
-grandes périodes qui correspondent assez exactement
-aux trois périodes qu’on pourrait marquer
-dans le christianisme, à savoir le Védisme
-ou la religion primitive, que les Brahmanes
-commentèrent, compliquèrent et corrompirent
-enfin à leur profit et qui devint le Brahmanisme
-contre lequel se révolta et que réforma au
-<small>V</small><sup>e</sup> siècle avant J.-C. Siddharta Gautama Bouddha
-ou Çakya-Mouni.</p>
-
-<p>Les indianistes, grâce surtout aux repères
-historiques que leur donne l’institution des
-castes, les changements de langue et de mètre,
-ont appris à démêler assez facilement, dans les
-textes suspects, ces trois courants ; et sous la
-luxuriance et l’enchevêtrement des interpolations,
-apparaissent toujours les grandes lignes
-et les vérités essentielles qui nous importent
-seules.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch2">L’INDE</h2>
-
-
-<h3>I</h3>
-
-<p>Voyons d’abord l’idée qu’en même temps
-que les Égyptiens, et beaucoup plus probablement
-avant eux, se faisaient de la divinité ces
-ancêtres dont les traditions ont au moins 5.000
-ou 6.000 ans et qui eux-mêmes tenaient ces
-traditions de peuples aujourd’hui disparus,
-dont la dernière trace dans la mémoire des
-hommes, selon le <i>Timée</i> et le <i>Critias</i> de Platon,
-remonte à cent vingt siècles.</p>
-
-<p>Je fais grâce au lecteur de l’inextricable
-nomenclature de la mythologie orientale, de
-la pullulation des dieux anthropomorphes que
-les prêtres de l’Inde, comme ceux de l’Égypte,
-de la Perse et de tous les temps et de tous les
-pays, furent forcés de créer pour répondre aux
-exigences de l’idolâtrie populaire. Je lui épargne
-également l’ostentation d’une érudition facile
-et prodigue de noms imprononçables, pour en
-venir directement et m’en tenir uniquement
-à la notion essentielle de la cause première, telle
-qu’on la trouve aux sources les plus reculées,
-et qui, peu à peu, si elle ne fut pas cachée au
-vulgaire ne fut plus comprise par lui, et devint
-le grand secret de l’élite des prêtres et des
-initiés.</p>
-
-<p>Écoutons tout de suite le <i>Rig-Véda</i>, le plus
-authentique écho des plus immémoriales traditions,
-quand il aborde la question formidable :</p>
-
-<blockquote>
-<p>« Il n’y avait ni l’Être ni le Non-Être. Il n’y
-avait ni l’atmosphère, ni le ciel au-dessus.
-Qu’est-ce qui se meut ? En quel sens ? Sous la
-garde de qui ? Y avait-il des eaux et le profond
-abîme ?</p>
-
-<p>« Ni la mort n’était alors, ni l’immortalité. Le
-jour n’était pas séparé de la nuit. Seul, l’Un
-respirait, sans souffle étranger, de lui-même ;
-et il n’y avait rien d’autre que lui.</p>
-
-<p>« Alors s’éveilla en lui pour la première fois
-le désir ; ce fut le premier germe de l’esprit.
-Le lien de l’Être, ils le découvrirent dans le
-Non-Être, les sages s’efforçant, pleins d’intelligence,
-en leur cœur…</p>
-
-<p>« Qui sait, qui peut nous dire d’où naquit,
-d’où vint la création, et si les dieux ne sont nés
-qu’après elle ? Qui sait d’où elle est venue ?</p>
-
-<p>« D’où cette création est venue, si elle est
-créée ou non créée, celui dont l’œil veille sur elle
-du plus haut ciel, celui-là seul le sait, et encore
-le sait-il ?<a id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">[5]</a> »</p>
-</blockquote>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_5" href="#FNanchor_5"><span class="label">[5]</span></a> <i>Rig</i>, X, 129.</p>
-</div>
-<p>Est-il possible de trouver dans les annales
-humaines, paroles plus grandioses, plus chargées
-d’angoisse solennelle et qui rendent un son
-plus auguste, plus sacré et plus redoutable ?
-Est-il possible de trouver à la base de tout,
-aveu d’ignorance plus total et plus irréductible ;
-et du fond de notre agnosticisme que des milliers
-d’années ont agrandi, pourrions-nous en
-élargir l’horizon ? D’emblée il dépasse tout et
-va plus loin que nous n’oserons jamais aller de
-peur de désespérer, puisqu’il ne craint pas de
-se demander si l’Être suprême sait ce qu’il a
-fait, sait s’il a créé ou non et doute s’il a pris
-conscience de lui-même…</p>
-
-
-<h3>II</h3>
-
-<p>Écoutons ensuite le <i>Sama-Véda</i> confirmer et
-développer ce magnifique aveu d’ignorance :</p>
-
-<blockquote>
-<p>« Si tu dis : Je connais parfaitement l’Être
-suprême, tu te trompes ; qui pourrait dénombrer
-ses attributs ? Si tu dis : Je pense le connaître,
-non que je croie le connaître parfaitement ni ne
-pas le connaître du tout, mais je le connais
-partiellement ; car celui qui connaît toutes les
-manifestations des dieux qui procèdent de lui,
-connaît l’Être suprême, si tu dis cela tu te
-trompes, <i>ce n’est pas le connaître que de ne pas
-l’ignorer entièrement</i>.</p>
-
-<p>« Celui, au contraire, qui croit ne pas le connaître,
-c’est celui qui le connaît ; et celui qui croit
-le connaître, c’est celui qui ne le connaît pas.
-Il est regardé comme incompréhensible par ceux
-qui le connaissent le plus et connu parfaitement
-par ceux qui l’ignorent entièrement. »</p>
-</blockquote>
-
-<p>A cet agnosticisme fondamental, l’<i>Yadjour-Véda</i>
-vient ajouter son panthéisme total :</p>
-
-<blockquote>
-<p>« Le sage fixe ses regards sur cet être mystérieux
-dans lequel existe perpétuellement
-l’univers qui n’a pas d’autre base que Lui. En
-Lui ce monde est enfermé, c’est de Lui que ce
-monde est sorti. Il est enlacé et tissu dans toutes
-les créatures sous les diverses formes de l’existence.</p>
-
-<p>« Cet être unique, que rien ne peut atteindre,
-est plus rapide que la pensée ; <i>et les dieux eux-mêmes
-ne peuvent comprendre ce moteur suprême
-qui les a tous devancés</i>. Il est loin et près
-de toutes choses. Il remplit cet univers entier
-et le dépasse encore infiniment.</p>
-
-<p>« Quand l’homme sait voir tous les êtres dans
-ce Suprême Esprit, et ce Suprême Esprit dans tous
-les êtres, il ne peut plus dédaigner quoi que ce soit.</p>
-
-<p>« Ils sont tombés dans une nuit bien profonde
-ceux qui ne croient pas à l’identité des êtres ;
-ils sont tombés dans une nuit bien plus profonde
-encore ceux qui ne croient qu’à leur
-identité.</p>
-
-<p>« Il gagne d’être immortel celui qui croit
-à l’identité éternelle des êtres.</p>
-
-<p>« Tous les êtres sont dans ce Suprême Esprit,
-et ce Suprême Esprit est dans tous les êtres.</p>
-
-<p>« Les êtres lui apparaissent tels qu’ils furent
-de toute éternité, toujours semblables à eux-mêmes. »</p>
-</blockquote>
-
-
-<h3>III</h3>
-
-<p>Nos ancêtres s’efforcèrent de creuser cet
-immense aveu d’ignorance, de peupler ce néant
-abyssal où l’homme ne pouvait respirer et
-cherchèrent à définir cet être suprême qu’une
-tradition plus préhistorique qu’eux-mêmes
-n’avait pas osé concevoir. Il n’est pas de spectacle
-plus passionnant que cette lutte de nos
-pères d’il y a soixante ou cent siècles contre
-l’Inconnaissable ; et, pour en donner une idée,
-je leur emprunte leur propre voix en ne reproduisant
-que les termes presque désespérés dont
-ils se servirent dans leurs livres sacrés les plus
-anciens et les plus authentiques, qu’il faut lire
-sans se laisser effrayer par l’incohérence des
-images qui est, comme le remarque Bergaigne,
-le pain quotidien de la poésie védique.</p>
-
-<p>Dieu, nous disent-ils, est l’Être et le grand
-tout existant par lui-même, incognoscible et
-cause sans cause de toutes les causes. Il est
-l’ancien des anciens et l’inconnu de l’inconnu.
-Il est tout et dans tout, l’âme éternelle de tous
-les êtres, que nul ne peut comprendre. Il est la
-réunion de toutes les formes matérielles, intellectuelles
-et morales de l’universalité des êtres.
-Il est l’unique, le germe primordial, non révélé
-de tout, la profondeur inconnue, la substance
-incréée de l’inconnu. « Non, non, est son Nom »,
-et tout oscille perpétuellement entre « Tout est,
-rien n’est. » « La mer seule connaît la profondeur
-de la mer, l’espace seul connaît l’étendue de l’espace,
-Dieu seul peut connaître Dieu. » Il est le
-contenant inconnu de tout ; il est le non-être
-parce qu’il est l’Être absolu, quelque chose qui
-n’est rien tout en étant tout. « Celui qui est
-et qui pourtant n’est pas, cause éternelle qui
-n’a pas d’être, l’Indécouvert et l’Indécouvrable,
-qu’aucune créature ne peut comprendre », dit
-Manou. Il n’est pas quelque chose, il n’est pas
-un être connu ou visible et l’on ne peut lui
-appliquer le nom d’aucun objet qui soit connu.
-Il est le caché des cachés, il est « Cela », le
-principe passif et latent. Le monde est son
-nom, son image ; mais son existence première
-qui contient tout en soi est seule réellement
-existante. Cet univers est lui, il vient de lui, il
-retourne en lui. Tous les mondes ne font qu’un
-avec lui, car ils ne sont que par sa volonté ;
-volonté éternelle et innée en toutes choses.
-Cette volonté se révèle dans ce que nous appelons
-la création, la conservation et la destruction
-de l’univers ; mais il n’y a pas de création
-à proprement parler, car tout existant en lui
-depuis toujours, la création n’est qu’une émanation
-de ce qui était en lui. Cette émanation
-rend simplement visible à nos yeux ce qui ne
-l’était pas. De même, il n’y a pas de destruction,
-celle-ci n’étant qu’une inhalation de ce
-qui avait été exhalé ; et cette inhalation ne fait
-à son tour que rendre invisible ce qui avait été
-vu ; car tout est indestructible, puisque tout
-n’est que la substance de l’Être suprême qui lui-même
-n’a ni commencement ni fin, dans l’espace
-et le temps.</p>
-
-
-<h3>IV</h3>
-
-<p>Avoir sondé aussi profondément et sur une
-telle étendue, dès ce que notre ignorance appelle
-les origines, le mystère infini de la cause première
-inconnaissable, suppose évidemment une
-civilisation, une accumulation de pensées, de
-méditations, une expérience, une contemplation
-et une pénétration de l’univers qui sont bien
-faites pour nous émerveiller et nous humilier.
-Nous regagnons à peine les sommets d’où descendirent
-ces idées où panthéisme et monothéisme
-se confondent et ne forment plus qu’un
-dans l’incommensurable inconnu. Et qui sait
-si nous les aurions regagnés sans leur aide ?
-Il y a moins d’un siècle, nous ignorions encore
-ces définitions dans leur netteté, dans leur grandeur
-originales ; mais elles s’étaient infiltrées
-partout, elles flottaient en débris sur les eaux
-souterraines de toutes les religions, et d’abord
-sur celles de la religion officielle de l’Égypte où
-le « Noun » est aussi inconnaissable que le « Cela »
-hindou, et où, selon la tradition occultiste,
-comme révélation suprême, à la fin de la dernière
-initiation, on jetait en courant, dans l’oreille
-de l’adepte, ces mots terribles : « Osiris est un
-dieu noir ! » c’est-à-dire un dieu qu’on ne peut
-pas connaître, qu’on ne connaîtra jamais !…
-Elles flottaient également sous la Bible, sinon
-sous celle de la Vulgate où elles deviennent
-méconnaissables, du moins sous celle d’hébraïsants
-comme Fabre d’Olivet qui lui ont,
-ou croient lui avoir restitué son sens véritable.
-Elles flottaient aussi sous les mystères de la
-Grèce qui n’étaient qu’une réplique déformée
-et pâlie des mystères égyptiens. Elles flottaient
-encore, et plus près de la surface, sous les doctrines
-des Esséniens qui, au dire de Pline, vécurent
-le long des rives de la Mer Morte pendant des
-milliers de siècles. « <i lang="la" xml:lang="la">Per sæculorum millia</i> » ce
-qui est évidemment exagéré. Elles flottaient
-dans la Kabbale, tradition des anciens initiés
-juifs, qui prétendent avoir conservé la loi orale
-que Dieu donna à Moïse sur le Sinaï et qui,
-transmise de bouche en bouche, fut écrite par
-les savants rabbins du Moyen âge. Elles flottaient
-sous les enseignements et les rêves extraordinaires
-des Gnostiques, héritiers probables des
-introuvables Esséniens, sous ceux des néo-platoniciens
-et sous le christianisme primitif,
-comme dans les ténèbres où se perdaient les
-malheureux Hermétistes médiévaux, parmi des
-textes de plus en plus mutilés et corrompus
-et des lueurs de plus en plus incertaines et
-dangereuses.</p>
-
-
-<h3>V</h3>
-
-<p>Voilà donc une grande vérité, la première
-de toutes, la vérité radicale, à laquelle nous
-sommes revenus : le caractère inconnaissable
-de la cause sans cause de toutes les causes.
-Mais cette cause ou ce Dieu, nous l’aurions
-toujours ignoré, ensevelis en lui, s’il ne s’était
-manifesté. Il fallait bien le faire sortir de son
-inactivité qui pour nous équivalait au néant,
-attendu que l’univers paraît avoir une existence
-et que nous-mêmes croyons vivre en lui. Dégagée
-de l’enchevêtrement des lianes théogoniques
-et théologiques qui bientôt l’envahirent de
-toutes parts, la cause première, ou plutôt la
-cause éternelle, — car n’ayant pas de commencement,
-elle ne peut être première ni seconde, — n’a
-jamais rien créé. Il n’y a pas eu de création
-vu que, de toute éternité tout existe en cette
-cause, sous une forme invisible à nos yeux, mais
-plus réelle que s’ils la voyaient, puisque nos yeux
-ne sont faits que pour voir l’illusion. Au point de
-vue de cette illusion, ce tout, qui existe toujours,
-apparaît ou disparaît selon un rythme éternel
-que scandent le sommeil et le réveil de la cause
-éternelle. « C’est ainsi, disent les <i>Lois de Manou</i>,
-que par un réveil et par un repos alternatifs,
-l’Être immuable fait revivre et mourir éternellement
-tout cet assemblage de créatures mobiles
-et immobiles<a id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">[6]</a>. » Il s’exhale ou il expire et l’esprit
-descend dans la matière qui n’est qu’une
-forme visible de l’esprit, et les mondes innombrables
-naissent, se multiplient et évoluent
-dans l’univers. Il s’inhale ou il aspire ; la matière
-rentre dans l’esprit qui n’est qu’une
-forme invisible de la matière, les mondes disparaissent,
-sans périr, et réintègrent la cause
-éternelle, pour en ressortir au réveil de Brahma,
-c’est-à-dire des milliards d’années après, pour
-y rentrer encore, au retour du sommeil, des
-milliards d’années plus tard ; et il en fut et il
-en sera toujours ainsi, de toute éternité, dans
-toute éternité, sans commencement, sans arrêt
-et sans fin.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_6" href="#FNanchor_6"><span class="label">[6]</span></a> <i>Lois de Manou</i>, I, 57.</p>
-</div>
-
-<h3>VI</h3>
-
-<p>C’est encore un immense aveu d’ignorance ;
-et ce nouvel aveu, si haut qu’on remonte, le
-plus ancien de tous, est aussi le plus profond,
-le plus complet et le plus grandiose. Cette
-explication de l’incompréhensible univers, qui
-n’explique rien parce qu’on n’explique pas
-l’inexplicable, est plus admissible que toutes
-celles que nous pourrions donner et peut-être
-la seule que nous puissions accepter sans nous
-heurter à chaque pas aux objections insurmontables
-et aux questions sans réponse de
-notre raison.</p>
-
-<p>Ce second aveu, nous le trouvons à l’origine
-des deux religions-mères. En Égypte,
-même dans l’Égypte superficielle et exotérique
-que nous connaissons seule, et sans tenir compte
-du sens secret qu’ont probablement les hiéroglyphes,
-il prend une forme analogue. Il n’y
-a pas non plus création proprement dite, mais
-extériorisation d’un principe spirituel éternel
-et latent. Tout être et toute chose existent
-de toute éternité dans le « Noun », et y retournent
-après la mort. Le « Noun » est « l’abîme » de la
-Genèse ; un esprit divin indéfini y flotte, portant
-en lui la somme des existences futures, d’où
-son nom de « Toum », qui signifie à la fois Néant
-et Totalité. Quand « Toum » voulut fonder dans
-son cœur tout ce qui existe, il se dressa parmi
-ce qui était dans le Noun, hors du Noun et des
-choses inertes, et le soleil « Râ » exista, la Lumière
-fut. Mais il n’y avait pas trois dieux,
-l’abîme, l’esprit dans l’abîme, la lumière hors de
-l’abîme. Toum, extériorisé par la force de son
-désir créateur, est devenu Râ-soleil, sans cesser
-d’être Toum, sans cesser d’être Noun. Il dit
-de lui-même : « Je suis Toum, celui qui existait
-seul dans le Noun. Je suis le Dieu grand qui se
-crée lui-même, c’est-à-dire le Noun, père des
-dieux. » Il est la somme des existences des êtres.
-Et pour exprimer cette idée que le démiurge
-a tout créé de son propre fonds, le célèbre
-papyrus de Leyde explique : « Il n’existait pas
-d’autre dieu avant lui, ni d’autre dieu avec lui,
-quand il a dit ses formes, il n’existait pas de mère
-pour lui qui lui ait fait son nom (en Égypte nommer
-équivalait à créer), point de père pour lui
-qui l’ait émis en disant : « C’est moi qui t’ai créé<a id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">[7]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_7" href="#FNanchor_7"><span class="label">[7]</span></a> Cf. <span class="sc">A. Moret</span>, <i>Les Mystères égyptiens</i>, p. 110 et suiv., et
-<span class="sc">Pierret</span>, <i>Études égyptologiques</i>, p. 414.</p>
-</div>
-<p>Pour créer, le dieu égyptien <i>pense</i> d’abord,
-puis <i>parle</i> le monde. (C’est déjà le Verbe, le
-fameux Logos des philosophes alexandrins que
-nous retrouverons plus tard.) Son intelligence
-suprême prend le nom de Phtah, son cœur,
-c’est-à-dire l’esprit qui l’anime, c’est Horus,
-et le Verbe, instrument de la création, c’est
-Thot. Nous avons ainsi : Phtah-Horus-Thot,
-démiurge-esprit-verbe, trinité dans l’unité Toum.
-Par la suite, comme dans les religions védique,
-perse et chaldéenne, le dieu suprême et inconnaissable
-est peu à peu relégué dans l’oubli,
-et l’on ne parle plus que de ses émanations
-innombrables dont les noms varient de siècle à
-siècle et parfois de ville à ville. C’est ainsi
-que dans le « Livre des Morts », Osiris qui devient
-le dieu le plus connu de l’Égypte dit qu’il est
-Toum.</p>
-
-<p>Dans le Mazdéisme ou Zoroastrisme, qui n’est
-qu’une adaptation du Védisme au caractère
-Iranien, le dieu suprême n’est pas le créateur
-tout puissant qui pouvait faire le monde comme
-il le voulait ; il est soumis aux lois inflexibles
-de la cause première inconnue qu’il est peut-être
-lui-même. En Chaldée, carrefour où se
-rencontrent les religions de l’Inde, de l’Égypte
-et de la Perse, c’est encore la substance existant
-par elle-même, incréée, qui donne naissance
-à tout, ne créant pas parce que tout existe en
-elle, mais se manifestant périodiquement en
-reflétant son image dans le monde visible à nos
-yeux. Dans la Kabbale, dernier écho et contre-épreuve
-des enseignements ésotériques de la
-Chaldée et de l’Égypte, nous retrouvons le même
-aveu : l’esprit incréé, éternel, incognoscible,
-incompris dans sa pure essence, contient en soi
-le principe de tout ce qui existe et ne se manifeste
-et ne se rend visible à l’homme que par ses
-émanations.</p>
-
-<p>Enfin, si nous ouvrons la Bible, non plus
-dans sa traduction restreinte, superficielle et
-empirique, mais dans une version qui aille au
-fond du sens intime, essentiel et radical des mots
-hébreux, telle que celle que tenta Fabre d’Olivet,
-nous trouvons, au premier verset de la Genèse :
-« Premièrement-en-principe, c’est-à-dire avant
-tout, Il, Elohim, Lui-les-dieux, l’Être étant,
-créa, c’est-à-dire ne fit pas quelque chose de
-rien, mais tira d’un élément inconnu, fit passer
-du principe à l’essence, l’ipséité-des-cieux et
-l’ipséité-de-la-terre ».</p>
-
-<p>« Et la terre existait, puissance contingente
-d’être, dans une puissance d’être ; et l’obscurité
-(force compressive et durcissante) était sur la
-face de l’abîme (puissance universelle et contingente
-d’être) ; et le souffle de Lui-les-dieux
-(force expansive et dilatante) était générativement
-mouvant sur la face des eaux (passivité
-universelle)<a id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">[8]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_8" href="#FNanchor_8"><span class="label">[8]</span></a> <span class="sc">Fabre d’Olivet</span>, <i>La Langue hébraïque restituée</i>, t. II,
-p. 25-27.</p>
-</div>
-<p>N’est-il pas curieux de constater que cette
-traduction littérale nous ramène bien près de
-l’Inde, de l’idée du principe inconnu ; et plus
-près encore de la création hindoue : passage
-du principe à l’essence, expansion de l’être des
-êtres qui contient tout, et de l’extériorisation,
-à son réveil, de ce qu’il renfermait en puissance
-durant son sommeil ? Or, rappelons-nous qu’en
-1875, Max Muller écrivait « Qu’il y a cinquante
-ans, il n’existait pas un seul lettré qui sût traduire
-une ligne du Véda ». Il faut donc croire,
-malgré l’affirmation du grand Orientaliste, ou
-que Fabre d’Olivet était capable de le traduire,
-ou qu’il en avait saisi l’esprit dans les traditions
-de la Kabbale, qu’il ne pouvait connaître que
-par la très incomplète et très infidèle <i>Kabbala
-Denudata</i> de Rosenroth, ou enfin que le texte
-hébreu, s’il dit réellement ce qu’il lui fait
-dire, comme tout semble le prouver, reproduit
-étrangement les principes hindous, car sa traduction,
-fruit de longs travaux antérieurs,
-parut en 1815, c’est-à-dire dix ou vingt ans avant
-qu’on eût appris à lire le sanscrit et les hiéroglyphes
-égyptiens.</p>
-
-
-<h3>VII</h3>
-
-<p>Est-il possible aujourd’hui, avec tout ce que
-nous croyons savoir, ou plutôt avec tout ce que
-nous savons enfin que nous ne savons pas, de
-donner de la divinité une idée plus vaste, plus
-profondément négative que celle qu’en donnèrent
-ces religions des débuts de l’humanité ;
-et qui réponde mieux à l’immense ignorance
-sans espoir où nous nous débattrons toujours au
-sujet de la cause première ; et ne nous trouvons-nous
-pas ici à d’énormes hauteurs au-dessus
-des dieux plus ou moins anthropomorphes
-qui succédèrent à l’inconnaissable suprême
-de la religion qui fut la mère méconnue de toutes
-les autres ? N’est-ce pas à son énigme sans nom
-que nous revenons enfin, après avoir erré si
-longtemps, perdu tant de siècles et tant de forces,
-commis tant d’erreurs et de crimes à la chercher
-où elle n’était pas, loin des cimes primitives
-sur lesquelles elle nous attendait depuis des
-milliers et des milliers d’années ?</p>
-
-
-<h3>VIII</h3>
-
-<p>Mais il fallait orner et peupler cet aveu
-d’ignorance, meubler ce néant sans bornes,
-animer cette abstraction qui dépasse les limites
-de l’entendement, et dont les hommes ne pouvaient
-se contenter. C’est à quoi s’évertuèrent
-toutes les religions, à commencer par celle qui
-d’abord l’avait osé faire.</p>
-
-<p>J’écarte une fois de plus les broussailles des
-théogonies, simples à leur origine, mais bientôt
-inextricables, pour m’en tenir aux grandes
-lignes. Dans la religion primitive, nous l’avons
-déjà vu, la cause inconnue, à un moment donné,
-pris dans l’infini des temps, recommençant ce
-qu’elle fit de toute éternité, se réveille, se dédouble,
-s’objective, se reflète dans la passivité
-universelle, et devient, jusqu’au prochain sommeil,
-notre univers visible. De cette cause inconnue,
-existant par elle-même, qui se divise
-en deux parties pour rendre visible ce qui était
-latent en elle, naissent Brahma ou Nara, le
-père, Nari, la mère universelle, dont naît à son
-tour Viradj, le fils, l’univers. Cette triade primitive
-prenant ensuite une forme plus anthropomorphe,
-devient Brahma, le créateur, Vichnou,
-le conservateur, et Siva, le destructeur
-et régénérateur. En Égypte, c’est Noun, Toum,
-Râ, puis Phtah, Horus, Thot, qui deviennent
-ensuite Osiris, Isis et Horus.</p>
-
-<p>A la suite de ces premières subdivisions de
-la cause inconnue, se précipite, à flots pressés,
-dans les panthéons primitifs, la foule des dieux
-qui ne sont que des émanations intermittentes,
-des délégations transitoires, des bourgeons
-éphémères de la cause première, des personnifications
-de plus en plus humaines de ses manifestations,
-de ses volontés, de ses attributs ou
-de ses facultés. Nous n’avons pas à les étudier
-ici, mais il est intéressant de marquer au passage
-les vérités profondes que rencontrent
-presque toujours ces cosmogonies et ces théogonies
-immémoriales et qui sont peu à peu
-confirmées par la science. Est-ce le seul hasard
-qui, par exemple, ait voulu que la terre émanât
-du chaos, se formât et se couvrît de vie,
-exactement dans l’ordre qu’elles indiquent ?
-Selon le livre de Manou, l’éther engendre l’air,
-l’air en se transformant engendre la lumière ;
-l’air et la lumière qui engendrent la chaleur produisent
-l’eau ; et celle-ci est la matrice de tous
-les êtres vivants. « Lorsque ce monde fut sorti
-de l’obscurité, dit le Bhâgavatâ Purana, contemporain
-du Véda selon les Hindous, les principes
-élémentaires subtils produisirent la semence
-végétale qui anima d’abord les plantes.
-Des plantes, la vie passa dans des corps fantastiques
-qui naquirent de la boue des eaux ; puis,
-par une série de formes et d’animaux différents,
-arriva jusqu’à l’homme. » — « Ils passèrent
-successivement par les végétaux, les vers, les
-insectes, les serpents, les tortues, les bestiaux
-et les animaux sauvages, tel est le degré inférieur »,
-dit encore Manou, qui ajoute : « Les
-êtres acquièrent les qualités de ceux qui les
-précèdent, de telle sorte que plus un être est
-éloigné dans la série, plus il a de qualités<a id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">[9]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_9" href="#FNanchor_9"><span class="label">[9]</span></a> <i>Lois de Manou</i>, I, 20.</p>
-</div>
-<p>N’est-ce pas toute l’évolution darwinienne,
-confirmée par la géologie et prévue il y a au
-moins 6.000 ans ? D’autre part, n’est-ce pas
-à la théorie de l’« Akasha », que nous nommons
-plus grossièrement l’éther, source unique de
-tous les corps, que revient notre physique<a id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">[10]</a> ?
-Ces exemples, que l’on pourrait multiplier à
-l’infini, ne sont-ils pas troublants ? D’où venaient
-à nos ancêtres préhistoriques, dans une nuit
-et une déréliction qu’on s’imaginait épouvantables,
-ces intuitions extraordinaires, ces connaissances
-et ces certitudes que nous reconquerrons
-à peine ; et s’ils ont vu juste sur ces
-points que nous pouvons par hasard contrôler,
-n’y a-t-il pas lieu de se demander s’ils n’ont
-pas vu plus juste et plus loin que nous sur bien
-d’autres questions où ils sont aussi affirmatifs
-et qui jusqu’ici ont échappé à notre vérification ?
-Il est certain que pour en arriver où ils
-étaient, ils devaient avoir derrière eux un
-trésor de traditions, d’observations, d’expériences,
-de sagesse, en un mot, dont nous nous
-formons difficilement une idée ; mais à laquelle,
-en attendant mieux, nous devrions faire confiance
-un peu plus que nous ne le faisons, et dont
-nous pourrions tirer profit pour apaiser nos
-craintes, apprendre à connaître et à rassurer
-notre avenir d’outre-tombe et guider notre vie.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_10" href="#FNanchor_10"><span class="label">[10]</span></a> Il est vrai que les récentes théories d’Einstein nient
-l’existence de l’éther et supposent que l’énergie rayonnante,
-la lumière visible par exemple, se propage d’une manière
-indépendante à travers l’espace vide <i>absolu</i>. Mais outre que
-ces théories semblent encore discutables, il convient de faire
-remarquer que l’éther scientifique auquel, jusqu’à Einstein,
-étaient forcés de recourir nos savants modernes, n’est pas
-exactement l’Akasha hindou, beaucoup plus subtil et plus
-immatériel, une sorte d’élément spirituel ou d’énergie divine,
-l’espace incréé, impérissable, infini.</p>
-</div>
-
-<h3>IX</h3>
-
-<p>Nous venons de voir que les religions primitives
-et celles qui en dérivent s’accordent sur
-le caractère éternellement inconnaissable de
-la cause première ; et que leurs explications
-au sujet du passage du non-être à l’être, du
-passif à l’actif, du dédoublement générateur
-de la triade, sont à peu près les mêmes.</p>
-
-<p>Remarquons ici l’étrange illogisme qui domine
-et répand son ombre sur tout le problème
-religieux. Les religions-mères, ou plutôt la
-religion-mère, enseigne que la cause des causes
-est inconnaissable, qu’il est impossible de la
-définir, de la comprendre, de l’imaginer ; qu’elle
-est « Cela » et rien de plus, le non-être, tout
-en étant l’être par excellence, éternel, infini,
-occupant tout le temps, tout l’espace qu’il est
-lui-même, n’ayant ni formes, ni volontés, ni
-attributs particuliers, puisqu’il les a tous. Or,
-de cet inconditionné, de cet absolu de l’absolu,
-dont on ne peut dire ce qu’il est, encore moins
-ce qu’il veut, de cette source même de l’indéfinissable
-et de l’incognoscible, elle fait sortir
-des émanations qui deviennent aussitôt des
-dieux parfaitement connus, parfaitement définis,
-agissant très nettement dans leurs sphères
-respectives, manifestant une puissance et une
-volonté personnelles, promulguant des lois et
-tout un code de morale auxquels il est enjoint
-à l’homme de se soumettre. Comment des êtres
-aussi complètement connus peuvent-ils sortir
-d’un être essentiellement inconnu ? Comment
-le tout étant inconnaissable, une partie de ce
-tout devient-elle subitement familière ? Dans
-cet inconcevable sans limites, seul admissible,
-car c’est à lui que nous ramène la science, où est
-le point d’où sortent les dieux qui nous sont
-imposés ? Où se trouvent le lien et le rapport ?
-Où est le lieu et le moment où s’opère l’incompréhensible
-miracle de la transubstantiation
-de l’incognoscible ? Où est la transition qui
-légitime ce formidable passage d’insondables
-ténèbres, non seulement au possible ou au
-probable, mais au connu décrit jusqu’en ses
-moindres détails ?</p>
-
-<p>Ne semble-t-il pas que la religion-mère, et
-à sa suite toutes les autres qui ne sont que ses
-filles plus ou moins déguisées, ait arbitrairement
-bifurqué ou plutôt ait fait un saut immense
-et volontairement aveugle dans l’abîme de l’illogisme ?
-N’est-il pas possible qu’elle n’ait pas
-osé tirer toutes les conséquences de son redoutable
-aveu ; et ces conséquences, ne les aurait-elle
-pas déduites ailleurs, et précisément dans
-les enseignements secrets dont nous cherchons
-encore vainement les traces et dont la révélation
-rendait à jamais muets les grands initiés ?</p>
-
-
-<h3>X</h3>
-
-<p>C’est un soupçon qui revient plus d’une fois
-quand on approfondit ces religions, et qui expliquerait
-ce cri effrayant de la tradition occultiste,
-que nous avons déjà noté : « Osiris est un
-dieu noir ! » Le grand, le suprême secret serait-il
-un agnosticisme total ? Sans parler des enseignements
-ésotériques que nous ne connaissons
-pas, n’est-ce pas un aveu presque public que ce
-mot de « Maya », le plus mystérieux de l’Inde,
-qui veut dire que tout, l’univers et les dieux
-mêmes qui le créent, le maintiennent et le
-dirigent, n’est qu’illusion de l’ignorance, et que
-l’incréé et l’inconnaissable sont seuls réels ?</p>
-
-<p>Mais quelle religion pouvait déclarer à ses
-fidèles : « Nous ne savons rien ; nous constatons
-simplement que cet univers existe ou du moins
-semble exister à nos yeux. Existe-t-il par lui-même,
-est-il dieu lui-même ou n’est-il que l’effet
-d’une cause plus reculée ? Et derrière cette
-cause plus reculée ne doit-on pas en supposer une
-autre encore plus reculée, et ainsi indéfiniment,
-jusqu’à la folie, car si Dieu est, qui a fait Dieu ?</p>
-
-<p>« Qu’il soit cause ou effet, il importe assez
-peu à notre ignorance qui en tout cas demeure
-irréductible et dont les ténèbres sont simplement
-déplacées. De très anciennes traditions
-nous disent qu’il est plutôt la manifestation
-d’une cause plus inconcevable que lui. Nous
-acceptons cette tradition, plus inexplicable peut-être
-que l’énigme telle qu’elle s’offre à nos yeux,
-mais qui semble rendre compte de ce qui y
-paraît transitoire ou périssable et y substitue
-un fond éternel, immuable et purement spirituel.
-Ignorant tout de cette cause, nous devons
-nous borner à constater certaines habitudes,
-certains équilibres, certaines lois qui paraissent
-être ses volontés. Nous en faisons provisoirement
-des dieux. Mais ces dieux ne sont que des
-personnifications peut-être justes, peut-être illusoires,
-peut-être erronées, de ce que nous
-croyons avoir observé. Il est possible que
-d’autres observations plus exactes les détrônent.
-Il est possible qu’on s’aperçoive un jour que
-la cause inconnue, un peu mieux connue en
-quelque partie, voulait autre chose que ce que
-nous avions cru. Nous changerons alors les
-noms, les volontés, les lois de nos dieux.
-Mais en attendant, ceux que nous vous offrons
-sont nés d’observations et d’expériences si
-sages et si anciennes qu’il n’en est pas jusqu’à
-présent qui les surpassent. »</p>
-
-
-<h3>XI</h3>
-
-<p>S’il lui était impossible de parler ainsi à ses
-fidèles qui ne l’auraient pas comprise, elle pouvait
-révéler le secret aux derniers initiés que de
-longues épreuves avaient préparés et dont une
-sélection inhumainement rigoureuse attestait
-l’intelligence. Elle avouait donc tout à quelques-uns
-d’entre eux. Elle leur disait probablement :
-« En leur offrant nos dieux, nous n’avons pas
-voulu tromper les hommes. Si nous leur avions
-confessé que Dieu est inconnu et inconcevable,
-qu’on ne peut dire ce qu’il est, ce qu’il veut ;
-qu’il n’a ni forme, ni substance, ni résidence, ni
-commencement, ni fin, qu’il est partout et nulle
-part, qu’il n’est rien à force d’être tout, ils en
-auraient conclu qu’il n’existe point, qu’il n’y
-a ni lois ni devoirs et que l’univers est un
-immense abîme où chacun doit se hâter de faire
-ce qu’il lui plaît. Or, si nous ne savons rien,
-nous savons cependant que cela n’est pas, que
-cela ne peut pas être. Nous savons en tout cas
-que la cause des causes n’est pas matérielle,
-comme ils l’entendraient, car toute matière
-semble périssable, et elle ne pourra pas périr.
-Pour nous, cette cause inconnue est réellement
-notre Dieu, parce que notre intelligence est
-capable de la voir sur une étendue que notre
-imagination infirme peut seule limiter. Nous
-savons, avec une certitude que rien ne saurait
-ébranler, que cette cause, ou la cause de cette
-cause, et ainsi indéfiniment, doit exister, bien
-que nous sachions que nous ne pourrons jamais
-la connaître ni la comprendre. Mais fort peu
-d’hommes sont capables de se convaincre de
-l’existence d’une chose qu’ils ne pourront jamais
-voir, toucher, sentir, entendre, connaître ni
-comprendre ; c’est pourquoi, au lieu du néant
-qu’ils croiraient que nous leur proposons si
-nous leur disions à quel point nous ignorons
-tout, nous leur offrons comme guides, certaines
-apparences de volonté que nous avons cru
-discerner dans les ténèbres de la durée et de
-l’espace… »</p>
-
-
-<h3>XII</h3>
-
-<p>Cet aveu d’ignorance totale quant à la cause
-première, quant à l’essence du dieu des dieux,
-nous le trouvons également à la racine de la
-religion égyptienne. Mais il est fort possible
-qu’ayant été perdu de vue, — car les hommes
-n’aiment pas à s’attarder dans une ignorance
-sans espoir, — il ait été nécessaire de le refaire
-aux initiés, de le préciser, d’y insister, d’en
-développer les conséquences ; et qu’ainsi révélé
-dans toute son étendue, il soit devenu le fondement
-de la doctrine secrète. Nous constatons en
-effet que dans les théogonies subséquentes, on
-s’empressait d’oublier l’aveu enregistré aux
-premières pages des livres sacrés. On n’en tenait
-plus compte, on le refoulait dans la nuit des
-origines et de l’incompréhensible. Il n’en était
-plus jamais question ; et l’on ne s’occupait plus
-que des dieux qui en étaient issus, en oubliant
-toujours d’ajouter qu’émanés de l’indicible inconnu
-ils devaient nécessairement, par essence
-et par définition, participer de sa nature et être
-aussi inconnus, aussi inconnaissables que lui. Il
-se peut donc que l’enseignement secret réservé
-aux prêtres suprêmes les ramenât à une plus
-juste notion de la vérité primordiale.</p>
-
-<p>A cet aveu aux initiés, on n’avait probablement
-pas à ajouter d’autres explications, vu
-qu’il détruit par la base toutes les explications
-possibles. Que pouvait-on, par exemple, leur dire
-au sujet de la première, de la plus redoutable
-de toutes les énigmes, à laquelle on se heurte
-immédiatement après celle de la cause des
-causes : l’origine du mal ? Les religions exotériques
-la résolvaient en dédoublant, en multipliant
-leurs dieux. C’était simple et facile.
-Il y avait des dieux de lumière qui représentaient
-et faisaient le bien ; et des dieux des ténèbres
-qui représentaient et faisaient le mal ; ils luttaient
-entre eux dans tous les mondes ; et si
-les dieux du bien étaient toujours les plus puissants,
-ils n’étaient cependant jamais complètement
-victorieux sur cette terre. Les types
-les plus nets de ce dualisme, nous les rencontrons
-dans la mythologie de l’Avesta, où ils
-prennent les noms d’Ormuzd et d’Ahriman ;
-mais sous d’autres vocables, sous d’autres
-formes et indéfiniment multipliés, nous les
-retrouvons dans toutes les religions et jusque
-dans le christianisme où Ahriman devient le
-prince des démons.</p>
-
-<p>Mais que pouvait-on dire aux initiés ? Les
-théosophes modernes qui prétendent dévoiler
-au moins une partie des enseignements secrets,
-en subdivisant également les manifestations
-du principe inconnu, ne font que reproduire,
-sous une autre forme, les explications trop
-faciles de la religion exotérique et restent aussi
-loin qu’elle de la source de l’énigme ; et dans
-tout le domaine de l’occultisme, nous n’avons
-même pas l’ombre d’un commencement d’explication
-qui diffère autrement que par les termes
-de celles des religions officielles. Nous ne savons
-donc point ce qu’on leur révélait ; et il est assez
-probable que, de même que pour le mystère
-de la cause première, on était obligé de leur
-avouer qu’on ne savait rien. Vraisemblablement,
-on ne pouvait leur dire que ce que nous
-diraient les philosophies optimistes d’aujourd’hui,
-à savoir que le mal n’existe pas en
-soi, mais uniquement à notre point de vue,
-qu’il est purement relatif, que le mal moral
-n’est qu’une cécité, ou une fantaisie de notre
-entendement, et le mal physique une organisation
-défectueuse ou une erreur de notre sensibilité ;
-que la plus effroyable douleur n’est
-qu’une jouissance infidèlement traduite par nos
-nerfs, comme la jouissance la plus aiguë est
-déjà une douleur. C’est peut-être vrai ; mais
-le malheureux homme et surtout le malheureux
-animal qui n’a pour toute vie que celle-ci, quand
-cette vie, comme il arrive trop souvent, n’est
-qu’un tissu d’intolérables souffrances, a droit
-à quelques éclaircissements supplémentaires.</p>
-
-<p>On les donnait en renvoyant aux existences
-successives, aux systèmes d’expiation et de
-purification. Mais ces éclaircissements, excellents
-quand on admet l’hypothèse de dieux
-intelligents dont on connaît les intentions, sont
-moins défendables lorsqu’il s’agit d’une cause
-inconnaissable à laquelle on ne peut attribuer
-une intelligence et une volonté sans nier
-qu’elle soit inconnue. Si l’on parvenait à fournir
-aux adeptes une autre explication qui s’imposât,
-elle devait renfermer la clef souveraine de
-l’énigme et ouvrir tous les mystères. Mais
-l’ombre même de cette clef chimérique n’est
-pas parvenue jusqu’à nous.</p>
-
-
-<h3>XIII</h3>
-
-<p>Tout branlants qu’en soient les fondements
-qui ne reposent que sur l’inconnaissable, il
-n’en reste pas moins que cette religion primitive
-nous a légué sur la constitution et l’évolution
-de l’univers, sur la durée des transformations
-des astres et de la terre, sur le temps, l’espace et
-l’éternité, sur les rapports de la matière et de
-l’esprit, sur les forces invisibles de la nature,
-sur les destinées probables de l’homme, et sur
-la morale, des enseignements incomparables.
-L’ésotérisme de toutes les religions, depuis
-l’Égypte peut-être et en tout cas depuis la
-Perse, la Chaldée, les mystères grecs, pour
-finir aux hermétistes du Moyen âge, profita
-de ces enseignements et en tira la partie
-la plus haute et la plus solide de son prestige,
-en les attribuant à une révélation secrète,
-jusqu’à ce que la découverte des livres sacrés
-de l’Inde en eût fait connaître la véritable
-source, et remis les choses au point. Au fond,
-l’ésotérisme ne fut jamais qu’une cosmogonie
-plus savante, une théogonie plus rationnelle,
-plus grandiose et plus pure, une morale plus
-élevée, que celle des religions vulgaires ; outre
-qu’il possédait, pour soutenir ou défendre ses
-doctrines, le secret péniblement transmis et
-souvent affreusement obscurci, de la manipulation
-de certaines forces oubliées. Aujourd’hui, il
-nous est possible de reconnaître, sous toutes
-les déformations, sous toutes les surcharges,
-sous tous les masques, parfois terriblement
-défigurés, le même visage. A ce point de vue,
-il est certain que depuis la publication et la
-traduction des textes authentiques, l’occultisme,
-tel qu’on l’entendait encore il n’y a
-guère plus de cinquante ans, a perdu les trois
-quarts de ses meilleures provinces. Il a notamment
-perdu presque tout intérêt doctrinal,
-hormis comme moyen de contrôle, puisqu’on
-peut étudier à la source même d’où il s’était
-parcimonieusement infiltré, tout ce qu’il enseignait
-secrètement au sujet de Dieu ou des
-dieux, au sujet de l’origine des mondes, des
-forces immatérielles qui le mènent, du ciel et
-de l’enfer tels que l’entendaient les Juifs, les
-Grecs et les Chrétiens, au sujet de la constitution
-du corps et de l’âme, des destinées de celle-ci,
-de ses responsabilités et de son existence d’outre-tombe.</p>
-
-<p>Par contre, si ces textes anciens et authentiques,
-enfin traduits, nous prouvent que presque
-tout ce que l’occultisme affirmait au point
-de vue doctrinal n’était pas purement imaginaire
-mais reposait sur des traditions réelles
-et immémoriales ; ils nous permettent aussi
-de supposer que tout ce qu’il affirmait sur
-d’autres points, et notamment sur l’utilisation
-de certaines forces inconnues, n’est pas non plus
-purement chimérique ; et il regagne de ce côté
-ce qu’il perd de l’autre. En effet, si nous possédons
-les principaux livres sacrés de l’Inde,
-il est à peu près certain qu’il en est d’autres
-que nous ne connaissons pas encore, comme il
-est fort probable que nous n’avons pas pénétré
-le sens caché d’un grand nombre d’hiéroglyphes.
-Il se peut donc que les occultistes aient eu
-connaissance de ces écrits ou de ces traditions
-orales, par des infiltrations analogues à celles
-que nous avons pu constater. Il semble que l’on
-trouve des traces d’infiltrations de ce genre
-dans leur biologie, dans leur médecine, dans
-leur chimie, dans leur physique, dans leur
-astronomie et surtout dans tout ce qui touche
-à l’existence d’entités plus ou moins immatérielles
-qui paraissent vivre autour de nous. Sous
-ce rapport, l’occultisme garde encore un intérêt
-et mérite une étude attentive et méthodique
-qui pourrait efficacement seconder et
-peut-être rejoindre les travaux que les métapsychistes
-indépendants et scientifiques ont
-entrepris de leur côté, sur les mêmes sujets.</p>
-
-
-<h3>XIV</h3>
-
-<p>Quant à la tradition primitive, si elle a
-perdu le prestige d’être occulte, si d’autre part
-elle pèche par la base en tirant tous ses enseignements
-et toutes ses affirmations d’un fonds
-qu’elle-même a déclaré à jamais inaccessible,
-incompréhensible et inconnaissable, il n’en est
-pas moins vrai, abstraction faite de cette base
-défectueuse, que ces affirmations et ces enseignements
-sont les plus inattendus, les plus
-hauts, les plus admirables, les plus plausibles
-aussi et le plus fréquemment confirmés par les
-faits que l’homme ait connus jusqu’ici.</p>
-
-<p>Avons-nous le droit, par exemple, d’écarter <i lang="la" xml:lang="la">à
-priori</i>, comme une imagination puérile et qui ne
-repose sur rien, la notion de la déchéance de
-l’homme, que nous ne pouvons vérifier, quand
-tout à côté d’elle, presque contemporaine, nous
-en rencontrons une autre, aussi générale, celle
-des déluges et des cataclysmes universels et
-préhistoriques, que la géologie a matériellement
-constatés ? A quelle vérité profonde répond
-cette légende d’une humanité supérieure, plus
-heureuse, plus intelligente que la nôtre ? Nous
-n’en savons rien jusqu’à ce jour ; mais nous ne
-savions pas davantage à quoi répondait la tradition
-des grandes catastrophes, avant que les
-annales de ces bouleversements, inscrites dans
-les entrailles de la terre, ne nous eussent révélé
-qu’ils avaient eu lieu. On pourrait citer un grand
-nombre d’enseignements de ce genre, intuitions
-géniales ou vérités immémoriales, dont la science
-retrouve les traces ou qu’elle rejoint aujourd’hui.
-J’ai déjà noté l’apparition successive
-des diverses formes de la vie, énumérées exactement
-dans l’ordre que leur assigne la paléontologie.
-Il faudrait y ajouter le rôle prépondérant
-de l’éther, ce fluide cosmique impondérable,
-transition de l’esprit à la matière, source de tout
-ce qui existe, que la religion primitive appelait
-Akasha, et qui, d’échos en échos, devient le
-Télesma de l’Hermès Trismégiste, le Feu vivant
-de Zoroastre, le Feu générateur d’Héraclite,
-l’<span lang="la" xml:lang="la">Ignis subtillissimus</span> d’Hippocrate, la Lumière
-astrale de la Kabbale, le Pneuma de Gallien,
-la <span lang="la" xml:lang="la">Quinta essentia</span> et l’Azoth des alchimistes,
-l’Esprit de vie de Saint Thomas d’Aquin, la
-Matière subtile de Descartes, le <span lang="la" xml:lang="la">Spiritus subtillissimus</span>
-de Newton, l’Od de Reichenbach et de
-Carl du Prel, « l’éther infini, mystérieux et toujours
-en mouvement, d’où tout sort, où tout
-rentre », auquel nos savants, dans leurs laboratoires,
-sont enfin obligés d’avoir recours afin
-de rendre compte d’une foule de phénomènes
-qui sans lui seraient absolument inexplicables.
-Tout ce que nos physiciens et nos chimistes
-appellent chaleur, lumière, électricité, magnétisme,
-n’était pour nos ancêtres que les manifestations
-élémentaires d’une substance unique.
-Ils avaient, il y a des milliers d’années, reconnu
-la présence et l’intervention souveraine de cet
-agent ubiquitaire dans tous les phénomènes
-de la vie ; de même qu’ils avaient décrit, avant
-nos astronomes, la naissance et la formation
-des astres ; de même encore que la prétendue
-chimère de la transmutation des métaux,
-qu’ils avaient léguée aux alchimistes du Moyen
-âge est également confirmée par l’évolution
-chimique et thermique des étoiles, « qui, comme
-le fait observer Charles Nordmann, nous offrent
-un exemple complet de cette transmutation,
-puisque les métaux les plus lourds n’y apparaissent
-qu’après les éléments légers et lorsqu’elles
-se sont suffisamment refroidies » ; de
-même enfin, car il faut nous borner, qu’à l’encontre
-de la science de naguères, ils avaient
-enseigné qu’il fallait porter à des millions de
-siècles la durée des mondes, les âges de la terre
-et le temps qui s’écoulera entre sa naissance
-et sa destruction, puisqu’un jour de Brahma,
-qui correspond à l’évolution de notre globe,
-compte quatre milliards trois cent vingt millions
-d’années.</p>
-
-
-<h3>XV</h3>
-
-<p>Sur une autre question plus grandiose et plus
-essentielle, car elle renferme la loi radicale de
-notre univers, ils ont également une tradition
-inattendue, dont l’humanité ne pourra jamais
-contrôler qu’une infime partie. Ils nous disent
-que le Cosmos, manifestation visible de la
-cause inconnue et invisible, n’a jamais été et
-ne sera jamais qu’une suite ininterrompue
-d’expansions et de contractions, d’évaporations
-et de condensations, de sommeils et de réveils,
-d’inspirations et d’expirations, d’attractions et
-de répulsions, d’évolutions et d’involutions, de
-matérialisations et de spiritualisations, « d’intériorisations
-et d’extériorisations », comme dit
-le Docteur Jaworski qui a retrouvé en biologie
-un principe analogue.</p>
-
-<p>La cause inconnue se réveille ; et durant des
-milliards d’années, les mondes irradient, se
-dispersent, s’épandent, se dilatent dans l’espace ;
-elle se rendort, et les mêmes mondes, durant
-des milliards d’années, accourus de tous les
-points de l’horizon, s’attirent, se concentrent,
-se contractent et se coagulent, pour ne plus
-former, sans périr, car rien n’est périssable,
-qu’une masse unique qui rentre dans la cause
-invisible. Nous sommes précisément dans une
-de ces périodes de contraction ou d’inhalation,
-à laquelle préside cette immense et mystérieuse
-loi de la gravitation, dont rien ne peut rendre
-compte, si elle n’est pas électrique, magnétique
-ou spirituelle, et qui domine toutes les autres
-lois de la nature. Si tous les corps, selon Newton,
-s’attirent mutuellement en raison directe de
-leur masse et en raison inverse du carré de leurs
-distances, depuis l’éternité sans commencement,
-toute la matière de l’univers ne devrait
-plus former qu’un bloc infini, à moins de supposer
-un équilibre parfait et inébranlable qui serait
-l’immobilité éternelle. Dans le mouvement
-perpétuel des astres, où le déplacement irrégulier
-d’un atôme le troublerait, il ne paraît
-pas possible que cet équilibre puisse exister.
-En fait, il est à peu près certain qu’il n’existe
-pas, et l’Apex, le lieu mystérieux de la sphère
-céleste, dans le voisinage de Véga, vers lequel
-se précipite notre système solaire avec tout son
-cortège de planètes, sera peut-être, pour ce qui
-nous regarde, son point de rupture et l’une
-des premières phases de la grande contraction,
-qui selon les derniers calculs des astronomes,
-aura lieu dans 400.000 ans.</p>
-
-<p>Mais si cette formidable contraction doit
-presque inévitablement se produire, l’univers,
-quelque jour, ne sera plus qu’un monstrueux
-bloc de matière, compact, infini, et probablement
-à jamais mort, hors duquel il ne serait
-plus possible de placer quelque chose. Ce bloc
-illimité, formé de toute la matière cosmique,
-même du fluide éthérique et presque spirituel
-qui remplit les fabuleuses étendues interstellaires,
-occuperait-il tout l’espace, définitivement
-et à jamais coagulé dans la mort ; ou flotterait-il
-dans un vide plus subtil que celui de l’éther
-et désormais soumis à d’autres volontés ? Il
-semble que la loi fondamentale de l’univers
-aboutisse à une sorte d’anéantissement, d’impasse
-ou de non-sens ; et d’autre part, si on nie
-cette attraction ou cette gravitation universelle,
-on nie le seul phénomène que l’on constate avec
-certitude, et on laisse tous les mondes absolument
-sans lois.</p>
-
-
-<h3>XVI</h3>
-
-<p>L’imagination, l’intuition, les observations
-ou les traditions de nos ancêtres ont dépassé
-ce point mort. Ils ont, sous leur phraséologie
-mythique ou mystique, considéré l’univers
-comme un phénomène électrique, ou plutôt
-comme une immense source d’énergie subtile
-et inconnaissable, qui obéit aux mêmes lois que
-celles de l’énergie magnétique, où tout est action
-et réaction, où il y a toujours deux forces affrontées
-et antagonistes ; et renversant les pôles de
-l’aimant, à l’attraction ils font succéder la répulsion,
-à la force centripète une force centrifuge,
-à la gravitation une autre loi qui n’a pas encore
-de nom, qui disperse à nouveau la matière
-et les mondes, pour recommencer une nouvelle
-journée de Brahma. C’est le <i lang="la" xml:lang="la">solve et coagula</i>
-des alchimistes.</p>
-
-<p>Ce n’est évidemment qu’une hypothèse dont
-on ne peut étayer quelques côtés que sur certains
-phénomènes électriques et magnétiques,
-et sur les propriétés des corps radio-actifs, mais
-dont l’ensemble est naturellement invérifiable.
-Seulement, il est curieux de constater une fois
-de plus que cette hypothèse, la plus grandiose,
-la plus hardie, et aussi la plus ancienne, la première
-de toutes, est peut-être la seule à laquelle
-la science puisse se rallier sans déroger. Ici encore,
-ne sommes-nous pas en droit de nous
-demander s’ils n’ont pas vu plus juste et plus
-loin que nous, et si nous sommes capables
-d’imaginer une cosmogonie aussi vaste, aussi
-vraisemblable que la leur ?</p>
-
-
-<h3>XVII</h3>
-
-<p>Si de ces hauteurs nous redescendons à
-l’homme, nous retrouvons des intuitions ou des
-certitudes aussi remarquables. Sans nous aventurer
-dans la complexité de subdivisions du reste
-postérieures, qui nous entraînerait trop loin,
-bornons-nous à dire que dans tous les enseignements
-primitifs, qui concordent merveilleusement,
-l’homme se compose de trois parties
-essentielles : un corps physique périssable, un
-principe spirituel, ombre ou double astral,
-également périssable, mais beaucoup plus durable
-que le corps, et un principe immortel
-qui, après des évolutions plus ou moins longues,
-retourne à son origine qui est Dieu. Or, on peut
-constater que dans les phénomènes de l’hypnose,
-du magnétisme, du médiumnisme et du
-somnambulisme, dans tout ce qui touche à
-certaines facultés extraordinaires du subconscient
-qui semblent indépendantes du corps physique,
-de même que dans certaines manifestations
-d’outre-tombe qui ne sont plus guère
-niables, nos sciences métapsychiques sont en
-quelque sorte forcées d’admettre l’existence
-de ce double astral qui déborde de toutes parts
-l’entité physique, peut la quitter, s’en séparer,
-agir indépendamment et loin d’elle ; et probablement
-lui survivre, ce qui semble donner raison,
-une fois de plus, et sur un point extrêmement
-important, aux intuitions presque préhistoriques
-de nos ancêtres hindous et égyptiens.</p>
-
-
-<h3>XVIII</h3>
-
-<p>On pourrait, comme je l’ai trop souvent
-répété, multiplier ces exemples ; et chaque fois
-que notre science vient ainsi confirmer une de
-ces intuitions ou de ces traditions, il serait sage
-de jeter un regard plus confiant sur celles qui
-attendent encore cette confirmation. Plus il
-y aura de points sur lesquels il est démontré
-qu’elles ne se sont pas trompées, plus il y aura
-de chances pour qu’elles ne se soient pas trompées
-davantage sur ceux qui sont encore invérifiables.
-Souvent ce sont les plus importants
-et qui nous touchent le plus directement, le plus
-profondément. Ne tirons pas encore de conclusions
-trop générales ou trop hâtives ; mais que
-ces premières confirmations ou commencements
-de confirmations nous engagent à accorder
-un crédit provisoire et attentif aux autres hypothèses.
-Quand nous aurons définitivement
-réglé ces premiers points, nous ne serons pas au
-bout de nos peines ; mais nous nous trouverons
-beaucoup plus loin que nous n’étions, et c’est
-tout ce que nous sommes en droit d’exiger ou
-d’espérer de n’importe quel système religieux
-ou philosophique et même de n’importe quelle
-science ; sans compter que la moindre avance
-ici, qui est le centre de tout, a des conséquences
-incomparablement plus grandes qu’une avance
-sur le diamètre ou la circonférence ; car c’est de
-ce centre ou de ce moyeu que partent tous les
-rais de l’immense roue dont la science n’a
-guère étudié que la périphérie.</p>
-
-<p>Il faut admettre une fois pour toutes, qu’on
-ne peut rien comprendre ni expliquer, sinon,
-on ne serait plus un homme mais un dieu ; ou
-plutôt le seul Dieu. Hors quelques constatations
-mathématiques et matérielles, dont au demeurant
-on ne pénètre pas l’essence, tout n’est
-qu’hypothèse. C’est donc uniquement sur des
-hypothèses que nous avons à régler notre vie,
-en ne comptant pas sur des certitudes qui probablement
-ne viendront jamais. Il importe
-donc de bien choisir nos hypothèses vitales,
-de ne prendre que les plus hautes, les meilleures
-et les plus plausibles ; et nous voyons que ce sont
-presque toujours les plus anciennes. Dans la
-hiérarchie des évolutions, nous ne connaîtrons
-jamais l’être central ou suprême, ni sa pensée
-dernière ; mais cela n’empêche pas que nous ne
-devions tâcher à savoir beaucoup plus que nous
-ne savons. Si nous ne pouvons tout connaître,
-ce n’est pas une raison pour nous résigner à ne
-connaître rien ; et si d’autres sciences que la
-science proprement ou improprement dite,
-peuvent nous aider, nous faire aller plus vite
-et plus loin, il est profitable de les interroger
-ou du moins de ne pas les rejeter d’avance et
-sans examen, comme on l’a fait trop souvent
-et trop légèrement jusqu’ici.</p>
-
-
-<h3>XIX</h3>
-
-<p>Parmi ces affirmations et ces enseignements
-incontrôlables, ne retenons que ceux qui nous
-intéressent le plus, notamment ceux qui ont trait
-à la conduite de notre vie, aux sanctions, aux
-responsabilités, aux récompenses et à la morale
-qui en découle, aux mystères de la mort, à l’existence
-d’outre-tombe et aux destinées finales
-de l’homme.</p>
-
-<p>Jusqu’à présent, presque tous les enseignements
-qui portent sur ces points étaient, pour
-nous Européens, ésotériques et se cachaient
-dans les replis de la Kabbale et de la Gnose,
-héritières traquées, hagardes et obscures de la
-sagesse hindoue, égyptienne, persane et chaldéenne.
-Mais depuis la lecture des textes sanscrits,
-ils ne le sont plus, du moins dans leurs
-parties essentielles, car bien que, comme je l’ai
-déjà dit, nous soyons loin de connaître tous
-les livres sacrés de l’Inde et peut-être plus loin
-encore d’avoir saisi le sens secret des hiéroglyphes,
-il est néanmoins peu probable que de nouvelles
-révélations ou des éclaircissements plus complets
-soient de nature à bouleverser sérieusement
-ce que nous savons.</p>
-
-
-<h3>XX</h3>
-
-<p>Aucune règle de conduite, aucune morale
-ne pouvait être tirée de la cause première inconnaissable,
-du Dieu unique et non manifesté.
-Il est en effet impossible de connaître ce qu’il
-veut, puisqu’il est impossible de le connaître
-lui-même. Pour trouver une volonté dans l’infini,
-dans l’univers ou dans la divinité, nous
-sommes obligés de nous jeter dans l’invérifiable
-et de franchir l’abîme d’illogisme dont nous
-avons déjà parlé, en faisant procéder de cette
-cause qui pour se manifester s’est divisée, un
-ou plusieurs dieux, émanations de l’inconnaissable
-qui deviennent subitement aussi connues
-que si elles étaient sorties des mains de l’homme.
-Il est certain que la base de la morale qui découlera
-de cette opération arbitraire, sera toujours
-précaire et ne s’offre que comme un postulat
-sur lequel il faut fermer les yeux. Mais il est
-remarquable qu’après cette opération préliminaire,
-ou concurremment avec elle, dans
-toutes les religions primitives, nous en trouvions
-une autre qui en est comme la conséquence
-nécessaire et en tout cas constante : le sacrifice
-volontaire de l’une de ces émanations de l’inconnaissable,
-qui s’incarne, renonce à ses prérogatives,
-afin de diviniser l’homme en humanisant
-Dieu.</p>
-
-<p>L’Égypte, l’Inde, la Chaldée, la Chine, le
-Mexique, le Pérou, tous ont le mythe de l’enfant-dieu,
-né d’une vierge ; et le premier jésuite
-missionnaire en Chine trouva que la naissance
-miraculeuse du Christ avait été anticipée par
-Fuh-Ke, né 3468 ans avant J.-C. On a très
-justement fait remarquer que si un prêtre de
-l’antique Thèbes ou d’Héliopolis revenait
-sur cette terre, il reconnaîtrait, dans le tableau
-de la Vierge à l’enfant de Raphaël,
-l’image d’Horus dans les bras d’Isis. L’Isis
-égyptienne, comme notre vierge immaculée,
-était également représentée debout sur un
-croissant et couronnée d’étoiles. Devaki nous
-est pareillement montrée tenant dans ses bras
-le divin Krichna ou Krischna, comme l’est Istar,
-à Babylone, l’enfant Tammuz sur ses genoux. Le
-mythe de l’incarnation, qui est aussi un mythe
-solaire, se répète ainsi d’âge en âge, sous des
-noms différents, mais c’est dans l’Inde où il
-est à peu près certain qu’il prit naissance, que
-nous le retrouvons sous sa forme la plus pure,
-la plus élevée et la plus significative.</p>
-
-
-<h3>XXI</h3>
-
-<p>Sans nous attarder aux discutables incarnations
-des Hermès, des Manous et des Zoroastres,
-qu’il est impossible de contrôler historiquement,
-parmi les nombreuses incarnations
-de Vichnou, la seconde personne de la
-trinité brahmanique, ne rappelons que les deux
-plus célèbres, la huitième, celle de Krichna,
-et la neuvième, celle du Bouddha. Pour dater
-approximativement la première, nous avons
-le Bhagavat-Gita, qui met en relief l’admirable
-figure de Krichna. Les indianistes catholiques
-sentant le danger qu’à leur point de vue trop
-étroit, l’incarnation de Krichna fait courir à
-celle du Christ, admettent que le Bhagavat-Gita
-fut composé avant notre ère, mais soutiennent
-qu’il fut remanié depuis. Comme il
-est difficile de prouver ces remaniements, ils
-ajoutent qu’au surplus, s’il est démontré que le
-Bhagavat-Gita et d’autres livres sacrés aussi
-gênants sont réellement antérieurs au Christ,
-ils sont l’œuvre du démon qui, prévoyant l’incarnation
-de Jésus, avaient voulu, par ces préfigurations,
-en énerver l’effet. Quoiqu’il en soit,
-des indianistes purement scientifiques, tels que
-William Jones, Colebrooke, Thomas Strange,
-Wilson, Princeps, etc., s’accordent à reconnaître
-qu’il remonte au moins à douze ou
-quinze siècles avant notre ère. Il est en effet
-commenté et analysé dans le Madana-Ratna-Pradipa,
-recueil des textes des plus anciens
-législateurs, dans Vrihaspati, dans Parasara,
-dans Narada et dans une foule d’autres ouvrages
-d’une incontestable authenticité. Selon d’autres
-orientalistes, pour tout dire, les poèmes sur
-Krichna ne remontent pas au delà du Maha-Bharata,
-ce qui nous reporte en tout cas à deux
-siècles avant J.-C.</p>
-
-<p>Quant à l’incarnation de Siddharta Gautama
-Bouddha ou Çakya-Mouni, il n’y a plus de doute
-possible, Çakya-Mouni étant un personnage
-historique qui vécut au <small>V</small> siècle avant J.-C.</p>
-
-
-<h3>XXII</h3>
-
-<p>Tout ceci du reste est suffisamment connu
-et il serait inutile d’insister. Mais quel peut
-être le sens secret d’un mythe aussi immémorial,
-aussi unanime, aussi déconcertant ? La cause
-inconnue de toutes les causes, se subdivisant,
-descendant des hauteurs de l’inconcevable, se
-sacrifiant, se limitant et devenant homme pour
-se faire connaître aux hommes ? Toutes les interprétations
-qu’on en pourrait donner ne seraient-elles
-pas déraisonnables si l’on ne veut
-pas voir sous cet incompréhensible mythe un
-nouvel aveu, cette fois plus détourné, mieux
-déguisé, plus profondément caché de l’agnosticisme
-fondamental, de l’ignorance sublime
-et invincible des grands instructeurs primitifs ?
-Ils savaient que de l’inconnaissable ne peut
-naître que l’inconnu. Ils savaient que l’homme
-ne pourrait jamais connaître Dieu, et c’est
-pourquoi, ne cherchant plus du côté où tout
-espoir était forclos, ils vont droit à l’homme
-qui est la seule chose qu’ils connaissent. Ils se
-disent : il nous est impossible de savoir ce qu’est
-Dieu, où il est, ce qu’il veut ; mais nous savons
-qu’étant partout et qu’étant tout, il est nécessairement
-dans l’homme et qu’il est l’homme ;
-ce n’est donc que dans l’homme et par l’homme
-que nous pouvons découvrir sa volonté. Sous le
-symbole de l’incarnation, ils cachent ainsi la
-grande vérité que toutes les lois divines sont
-humaines ; et cette vérité n’est que le revers
-d’une autre vérité aussi grande, à savoir que
-dans l’homme se trouve le seul dieu que nous
-puissions connaître.</p>
-
-<p>Dieu se manifeste dans la nature ; mais il ne
-nous a jamais parlé que par la bouche des
-hommes. Ne cherchez pas ailleurs, dans les
-espaces infinis et inaccessibles, le Dieu dont vous
-êtes inquiets ; c’est en vous qu’il se cache, c’est
-en vous que vous devez le découvrir. Il est en
-vous autant qu’en ceux où il paraît s’être incarné
-d’une façon plus éclatante. Tout homme est
-Krichna, tout homme est le Bouddha ; il n’y a
-entre le dieu qu’ils incarnent en eux et celui qui
-s’incarne en vous-même, aucune différence, mais
-ils ont su l’y retrouver mieux que vous. Imitez-les,
-vous serez leur égal ; et si vous ne pouvez
-les suivre, écoutez du moins ce qu’ils vous disent,
-car ils ne peuvent vous dire que ce que vous
-dirait le dieu qui est en vous, si vous aviez
-appris à l’écouter comme ils l’ont écouté.</p>
-
-
-<h3>XXIII</h3>
-
-<p>Voilà le fond de toute la religion védique
-et de toutes les religions ésotériques qui en
-dérivent. Mais à sa source, la vérité est à peine
-enveloppée de symboles ou de mythes transparents.
-Elle n’a rien de secret, souvent même elle
-s’affirme hautement, sans réticences et sans
-voiles. « Quand tous les autres dieux ne sont
-plus que des noms qui s’évanouissent, dit Max
-Muller, il ne reste plus que l’<i>Atman</i>, le moi subjectif,
-et <i>Brahma</i>, le moi objectif, et la science
-suprême s’exprime dans ces mots : <i>Tat twam</i>,
-<i lang="la" xml:lang="la">Hoc tu</i>, « Tu es cela », toi, ton moi véritable,
-ce qu’on ne peut t’arracher quand disparaît
-tout ce qui avait semblé tien pour un temps.
-Quand tout ce qui avait été créé s’évanouit
-comme un rêve, ton moi réel appartient au moi
-éternel ; l’<i>Atman</i>, la personne qui est en toi
-est le vrai Brahma. Ce Brahma dont la naissance
-et la mort t’avaient un instant séparé,
-mais qui te reçoit de nouveau dans son sein,
-aussitôt que tu reviens à lui<a id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor">[11]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_11" href="#FNanchor_11"><span class="label">[11]</span></a> <span class="sc">Max Muller</span>, <i>Origine de la Religion</i>, p. 321.</p>
-</div>
-<p>« Le Rig-Véda ou le Véda des hymnes, le
-vrai Véda ou le Véda par excellence, dit encore
-Max Muller, finit dans les Upanishads, ou,
-comme on les appela plus tard, dans le Védanda.
-Or, la note dominante des Upanishads, c’est
-le « Connais-toi toi-même », c’est-à-dire connais
-l’être qui est le support de ton Moi et apprends
-à le trouver et à le reconnaître dans l’Être
-éternel et suprême, l’Un sans second, qui est
-le support du monde entier. »</p>
-
-<p>« Le culte à sa dernière hauteur, celui du Vanaprastha,
-c’est-à-dire du vieillard, de l’homme
-qui a payé ses trois dettes, qui a vu « le fils
-de son fils », et se retire dans la forêt, devient
-purement mental et, à la fin, l’examen de soi-même,
-au sens le plus profond du mot, c’est-à-dire
-la reconnaissance du moi individuel avec le
-moi éternel, devient la seule occupation qui lui
-soit encore permise<a id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor">[12]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_12" href="#FNanchor_12"><span class="label">[12]</span></a> <i lang="la" xml:lang="la">Ibid.</i>, p. 313.</p>
-</div>
-<p>« Cherche le Moi caché dans ton cœur »,
-dit le <i>Mahabharata</i>, dernier écho des grands
-enseignements, « Brahma, le vrai Dieu, c’est
-toi-même ». Tel est, répétons-le, le fond de la
-pensée védique ; et c’est de cette pensée que
-découle tout le reste. Pour la retrouver, nous
-n’avons nullement besoin de la théosophie
-moderne qui n’a fait que l’étayer de textes
-moins connus et d’une authenticité moins certaine.
-Jamais elle ne fut secrète, mais par sa
-grandeur même, elle échappait aux yeux de ceux
-qui ne pouvaient la comprendre ; et peu à peu,
-à mesure que se multipliaient les dieux et qu’ils
-se mirent à la portée des hommes, elle fut
-perdue de vue. Sa hauteur seule la rendit ésotérique.
-Aux temps héroïques du védisme, où
-presque tous, après avoir accompli leurs devoirs
-envers leurs parents et leurs enfants se retiraient
-dans la forêt pour y attendre tranquillement
-la mort, rentrer en eux-mêmes et y chercher
-le dieu caché avec lequel ils allaient bientôt
-se confondre, elle était la pensée de tout un
-peuple. Mais les peuples ne restent pas longtemps
-fidèles aux sommets. Afin de ne pas perdre tout
-contact avec eux, elle dut descendre, masquer
-son visage, se mêler à la foule sous mille déguisements.
-Néanmoins, nous la retrouvons toujours
-sous les voiles de plus en plus épais dont
-elle se couvre. « L’homme est la clef de l’univers »,
-proclamait encore l’axiome fondamental des
-hermétistes du Moyen âge, d’une voix étouffée
-sous le fatras de textes illisibles et de grimoires
-indéchiffrables, comme Novalis, sans peut-être
-se douter qu’il retrouvait une vérité vieille de
-plusieurs milliers d’années, presque aussi vieille
-que le monde, la répétait une dernière fois,
-sous une forme à peine altérée, en nous apprenant
-que « notre premier devoir est la recherche
-de notre moi transcendental ».</p>
-
-<p>Abandonnés dans un univers infini où nous
-ne pouvons rien connaître que nous-mêmes,
-n’est-ce pas, en effet, la seule vérité qui surnage,
-la seule qui ne soit pas illusoire, la seule aussi
-que nous puissions, après tant d’interprétations
-erronées où nous ne l’avions pas reconnue,
-après tant de mésaventures, encore espérer
-de rejoindre ?</p>
-
-
-<h3>XXIV</h3>
-
-<p>Dieu ou la cause première est inconnaissable ;
-mais étant partout, il est nécessairement en
-nous ; c’est donc en nous-mêmes que nous pouvons
-découvrir ce qu’il nous importe d’en connaître.
-Voilà les deux points d’appui de la voûte
-qui soutient la religion primitive et toutes celles,
-ou du moins la doctrine réelle mais secrète
-de toutes celles qui en dérivent, c’est-à-dire
-de toutes celles que nous connaissons, hors le
-fétichisme de peuplades tout à fait barbares.
-Elle les avait trouvés dès l’origine, ou plutôt
-dès ce que nous appelons l’origine qui devait
-avoir derrière soi un passé de milliers, peut-être
-de millions d’années. Nous n’en avons pas trouvé
-d’autres, nous n’en trouverons jamais d’autres,
-à moins d’une révélation impossible, sinon en
-principe du moins en fait ; car rien qui n’est
-pas humain ou divinement humain ne peut
-parvenir jusqu’à nous. Nous sommes revenus
-au point d’où nos ancêtres étaient partis ; et
-le jour où l’humanité en atteindra un autre, sera
-le jour le plus extraordinaire qui, depuis la naissance
-de ce monde, ait éclairé notre planète.</p>
-
-<p>Les incarnations de Dieu, dans la pensée
-religieuse primitive, ne sont donc que des extériorisations
-périodiques et sporadiques, des
-manifestations éclatantes, synthétiques et exceptionnelles
-du Dieu qui est en tout homme.
-Cette incarnation est universelle et latente en
-chacun de nous ; mais si l’incarnation est regardée
-comme un privilège pour l’homme en qui
-elle s’opère, elle est considérée comme un sacrifice
-de la part de Dieu. Vichnou s’est volontairement
-sacrifié en descendant dans Krichna
-et dans le Bouddha. S’est-il également sacrifié
-en descendant dans les autres hommes ? D’où
-vient cette idée de sacrifice ? Elle est assez mystérieuse
-et remonte sans doute à de très antiques
-traditions ; en tout cas, elle ne paraît
-pas purement rationnelle comme les deux précédentes.
-On n’explique nulle part pourquoi
-il est nécessaire qu’une émanation de Dieu
-redescende dans l’homme qui est déjà une émanation
-divine. Il y a là un hiatus que ne comble
-pas le mythe de la déchéance originelle qui reste
-également inexpliqué. A moins que l’idée en
-question ne repose tout simplement sur cette
-constatation que tout homme qui dépasse les
-autres, qui voit plus haut et plus loin qu’eux
-et leur enseigne ce qu’ils ne peuvent pas encore
-comprendre, est forcément méconnu, persécuté,
-sacrifié et malheureux.</p>
-
-
-<h3>XXV</h3>
-
-<p>Cette idée, explicable ou non, n’en est pas
-moins très importante, car c’est elle qui semble
-avoir aiguillé la morale primitive sur l’une
-des voies principales qu’elle a suivies. En effet,
-la notion de l’inconnaissable, si elle élargissait
-la pensée courageuse qui s’aventurait sur ses
-pics dénudés, ne pouvait donner que des enseignements
-négatifs. Elle écartait assurément
-les petits dieux anthropomorphes et presque
-toujours malfaisants ; mais ne laissait à leur
-place qu’un vide immense et silencieux. D’autre
-part, le panthéisme, aussi vaste que l’agnosticisme,
-apprenait, il est vrai, que Dieu étant partout
-et tout étant Dieu, tout devait être aimé
-et respecté ; mais il s’ensuivait que le mal,
-ou du moins ce que l’homme est forcé d’appeler
-le mal, étant divin comme le bien, devait être
-aimé et respecté à l’égal de celui-ci. L’idée était
-trop nue, trop illimitée, survoûtait trop gigantesquement
-les deux pôles de l’univers, pour
-que l’homme osât s’y engager et y pût choisir
-un chemin.</p>
-
-<p>Enfin, la recherche du dieu caché en chacun
-de nous, qui est un des corollaires de ce panthéisme,
-si elle était laissée sans direction,
-ne pouvait aboutir qu’à des conséquences dangereuses.
-Il y a en nous toutes espèces de dieux
-ou toutes espèces d’instincts, de pensées, de
-désirs, de passions que l’on peut prendre pour
-des dieux ; il y en a de bons et de mauvais ; et
-les mauvais sont souvent plus nombreux et en
-tout cas plus faciles à trouver que les bons.
-Le vrai Dieu, le plus haut, le plus immatériel,
-ne se révèle qu’à quelques-uns. Ce Dieu ainsi
-révélé, qui n’est en somme que les meilleures
-pensées des meilleurs d’entre nous, il fallait
-appeler sur lui l’attention des autres hommes ;
-le leur faire connaître et le leur imposer ; et c’est
-peut-être ainsi que cet étrange mythe qui n’est
-probablement au fond que la reconnaissance
-d’un phénomène humain et naturel, s’est peu
-à peu insinué, puis implanté et développé. Il
-est en effet assez vraisemblable que, comme tout
-ce qui a rapport à l’évolution des hommes, il
-n’ait pas surgi tout d’un coup d’un cerveau
-unique, mais se soit dégagé confusément et
-précisé lentement, au cours de tâtonnements
-et de siècles sans nombre.</p>
-
-
-<h3>XXVI</h3>
-
-<p>Sans nous arrêter davantage à cet énigme,
-bornons-nous à constater l’influence qu’elle eut
-sur la morale primitive, en l’orientant dès le
-début vers d’autres cimes que celles que lui
-montrait l’intelligence. A son défaut, la morale
-primitive qui croyait écouter un Dieu caché,
-mais n’entendait en somme que la raison humaine,
-n’eût été qu’une morale cérébrale et
-eût pu dévier vers une contemplation stérile
-ou vers un rationalisme froid, rigide, austère
-et implacable ; car la raison seule, même quand
-elle s’élève très haut et qu’on la prend pour la
-voix de Dieu, ne suffit pas à guider les hommes
-vers les sommets de l’abnégation, de la bonté
-et de l’amour. L’exemple d’un sacrifice initial
-courba sa rigueur et la lança dans une autre
-direction et vers un but qu’elle eût peut-être
-fini par entrevoir, mais n’eût atteint que beaucoup
-plus tard et après d’innombrables et
-cruelles erreurs.</p>
-
-<p>Est-ce sur ce mythe de l’incarnation que se
-greffe le dogme, — bien qu’il n’y ait pas à proprement
-parler de dogmes dans les religions
-orientales, — de la réincarnation où se trouvent
-toutes les sanctions et toutes les récompenses
-de la religion primitive ? Le principe essentiel
-de l’homme, le support de son moi étant divin
-et immortel, après la disparition du corps qui
-l’avait momentanément séparé de son origine
-spirituelle, doit logiquement retourner à cette
-origine. Mais d’autre part, le dieu caché, par
-l’intermédiaire des grandes incarnations, ayant
-introduit dans la morale la notion du bien et
-du mal, il ne paraissait pas admissible que
-l’âme, qui n’avait pas écouté sa propre voix ou
-celle des divins instructeurs et s’était plus ou
-moins souillée dans la vie, pût rentrer d’emblée
-et sans purification préalable dans l’océan
-immaculé de l’esprit éternel. De l’incarnation
-à la réincarnation il n’y avait qu’un pas qui fut
-sans doute presque inconsciemment franchi ; et
-de la réincarnation aux réincarnations et aux
-purifications successives, la transition était
-encore plus facile ; et d’elles découle toute la
-morale hindoue, avec son Karma, qui n’est en
-somme que le casier judiciaire d’une âme, casier
-qui la suit, s’aggrave ou s’allège dans ses palingénésies,
-jusqu’au Nirvana, lequel n’est pas,
-comme on se le représente trop souvent, l’annihilation
-ou la dispersion dans le sein de Dieu,
-ou, d’autre part, la réunion avec Dieu, coïncidant
-avec la perfection de l’esprit humain débarrassé
-de la matière, l’acquiescement parfait à
-la loi, le calme inaltérable dans la contemplation
-de ce qui est, l’espérance désintéressée de ce qui
-doit être et le repos dans l’absolu, c’est-à-dire
-dans le monde des causes où toutes les illusions
-des sens disparaissent ; mais un état plus mystérieux
-qui n’est pas le bonheur parfait ni le néant
-mais à proprement parler et une fois de plus,
-l’inconnaissable. « Que le Parfait existe au delà
-de la mort, dit un texte contemporain du Bouddha
-qui révèle le sens devenu ésotérique du
-Nirvana, que le Parfait existe au delà de la mort,
-cela n’est pas exact. Que le Parfait n’existe pas
-au delà de la mort, cela non plus n’est pas exact.
-Que le Parfait à la fois existe et n’existe pas au
-delà de la mort, cela non plus n’est pas exact<a id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor">[13]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_13" href="#FNanchor_13"><span class="label">[13]</span></a> <i>Sanyutta Nikâya</i>, vol. II, fol. 110 et 199.</p>
-</div>
-<p>Comme le dit très bien Oldenberg qui cite ce
-passage entre plusieurs autres où se trouve
-le même aveu : « Ce n’est pas nier le Nirvana
-ou le Parfait ou conclure qu’il n’existe pas du
-tout. L’esprit est arrivé ici au bord d’un mystère
-insondable. Inutile de chercher à le découvrir.
-Si on renonçait définitivement à une éternité
-future, on parlerait d’autre façon ; c’est le
-cœur qui s’abrite derrière le voile du mystère.
-A la raison qui hésite à admettre une vie éternelle
-comme concevable, il tâche d’arracher
-l’espérance en une vie dépassant toute conception<a id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor">[14]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_14" href="#FNanchor_14"><span class="label">[14]</span></a> <span class="sc">Oldenberg</span>, <i>Le Bouddha</i>, p. 235.</p>
-</div>
-<p>Et c’est encore renouveler l’antique aveu
-fondamental que pour tout ce qui touche à
-l’essentiel, on ne sait rien, on ne peut rien
-savoir, en même temps que c’est une preuve
-nouvelle de la magnifique sincérité et de la haute
-et souveraine sagesse de la religion primitive.</p>
-
-<p>Tous les êtres finiront-ils par atteindre le
-Nirvana ? Qu’adviendra-t-il alors, et pourquoi,
-puisque tout existe de toute éternité, tous ne
-l’ont-ils pas encore atteint ? A ces questions et
-à d’autres de ce genre, les Védas n’opposent
-qu’un silence dédaigneux ; mais des textes
-bouddhiques, entre autres celui-ci, répondent
-sagement à ceux qui veulent en savoir trop :
-« Le Sublime n’a pas révélé cela ; parce que cela
-ne sert pas au salut, que cela ne sert pas à la
-vie pieuse, au détachement des choses terrestres,
-à l’anéantissement du désir, à la cessation, au
-repos, à la connaissance, à l’illumination, au
-Nirvana ; pour cette raison, le Sublime n’en a
-rien révélé. »</p>
-
-
-<h3>XXVII</h3>
-
-<p>Quelle que soit la valeur de ces hypothèses,
-il est indubitable que la morale que nous voyons
-naître de cet agnosticisme et de ce panthéisme
-illimités, est la plus haute, la plus pure, la plus
-désintéressée, la plus sensible, la plus fouillée,
-la plus délicate, la plus limpide, la plus parfaite,
-que nous ayons connue jusqu’à ce jour et que
-sans doute nous puissions espérer de connaître.</p>
-
-<p>Cette morale, aussi bien que l’énigme de l’incarnation
-et du sacrifice dont nous venons de
-parler, et que tant d’autres points que nous
-n’avons fait qu’effleurer, exigerait une étude
-particulière qui n’est pas notre objet. Il suffira
-de rappeler qu’elle repose sur le principe des réincarnations
-successives et du Karma.</p>
-
-<p>Le monde, à proprement parler, n’a pas été
-créé ; il n’y a pas en sanscrit de mot qui corresponde
-à l’idée de création, comme il n’y en a
-pas qui corresponde à celle de néant. L’univers
-est une matérialisation momentanée et sans
-doute illusoire de la cause inconnue et spirituelle.
-Séparée de l’esprit qui est son essence
-propre, réelle et éternelle, la matière tend à y
-revenir et d’évolutions en évolutions, partie de
-plus bas que le minéral, en passant par la plante
-et l’animal, pour aboutir à l’homme et le dépasser,
-elle se transforme et se spiritualise, jusqu’à
-ce qu’elle soit assez pure pour remonter à son
-origine. Cette purification exige souvent une
-longue série de réincarnations, mais il est possible
-d’en réduire le nombre et même d’y mettre
-un terme par une spiritualisation intensive,
-héroïque et totale qui dès la mort et parfois
-même dès cette vie, ramène l’âme dans le sein
-de Brahma.</p>
-
-<p>Cette explication de l’inexplicable, malgré
-les objections qui se présentent, notamment
-au sujet de l’origine et de la nécessité de la matière
-ou du mal, qui sont laissées dans l’ombre,
-en vaut une autre et a l’avantage d’être la première
-en date, outre qu’elle est la plus vaste,
-qu’elle embrasse tout ce qu’on peut imaginer
-et part du grand principe spirituel auquel,
-faute de tout autre acceptable, nous sommes
-de plus en plus impérieusement forcés de revenir.</p>
-
-<p>En tout cas, elle l’a prouvé, elle a favorisé
-plus que nulle autre l’éclosion et l’évolution
-d’une morale que l’homme n’avait jamais
-atteinte et qu’il n’a pas dépassée jusqu’ici.</p>
-
-<p>Il faudrait disposer de plus de place que nous
-n’en avons et déséquilibrer cette étude, pour
-en donner une idée suffisante.</p>
-
-<p>L’admirable de cette morale, quand on la
-prend près de sa source où elle a encore sa pureté,
-c’est qu’elle est tout intérieure, toute
-spirituelle. Elle ne trouve ses sanctions et ses
-récompenses qu’en notre propre cœur. Il n’y
-a pas de juge qui attende l’âme à la sortie du
-corps, il n’y a pas de paradis, il n’y a pas d’enfer ;
-car l’enfer ne vient que plus tard. Le juge,
-l’enfer ou le paradis, c’est l’âme même, l’âme
-seule. Elle ne rencontre rien ni personne. Elle
-n’a pas besoin de se juger, elle se voit telle
-qu’elle est, telle que l’ont faite ses actions et
-ses pensées, à la fin de cette vie et des vies
-antérieures. Elle s’aperçoit enfin, tout entière,
-dans l’infaillible miroir que lui tend la mort,
-et reconnaît que son bonheur ou son malheur
-c’est elle-même. Elle ne peut jouir ou souffrir
-que d’elle-même. Elle est seule dans l’infini,
-il n’y a pas de dieu au-dessus d’elle pour
-lui sourire ou l’effrayer ; elle est le dieu qu’elle
-a déçu, mécontenté ou satisfait. Sa condamnation
-ou son absolution, c’est ce qu’elle est
-devenue. Elle ne peut pas sortir d’elle-même
-pour aller ailleurs où elle serait plus heureuse.
-Elle ne peut respirer que dans l’atmosphère
-qu’elle s’est créée, elle est son atmosphère, elle
-est son propre monde et son propre milieu ;
-et il faut qu’elle s’élève et se purifie pour que ce
-monde et ce milieu s’élèvent, se purifient et
-s’étendent avec elle, autour d’elle.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>« L’âme, dit Manou, est son propre témoin,
-l’âme est son propre asile ; ne méprisez jamais
-votre âme, ce témoin par excellence des
-hommes ! »</p>
-
-<p>« Les méchants se disent : « Personne ne nous
-« voit », mais les Dieux les regardent, de même
-que l’esprit qui siège en eux. »</p>
-
-<p>« O homme ! tandis que tu te dis : « Je suis seul
-avec moi-même », dans ton cœur réside sans cesse
-cet Esprit suprême, observateur attentif et
-silencieux de tout le bien et de tout le mal.</p>
-
-<p>« Cet Esprit qui siège dans ton cœur, c’est
-un juge sévère, un punisseur inflexible, c’est
-Yama, le juge des morts<a id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor">[15]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_15" href="#FNanchor_15"><span class="label">[15]</span></a> <i>Manou</i>, VIII, 84, 85, 91, 92.</p>
-</div>
-
-<h3>XXVIII</h3>
-
-<p>Entre la naissance et la mort qui n’est qu’une
-nouvelle naissance, les <i>Lois de Manou</i> distinguent
-cinq périodes : la conception, l’enfance,
-le noviciat ou l’étude des sciences divines et
-humaines, l’état de père de famille et enfin celui
-d’anachorète se préparant à la mort. Chacune de
-ces périodes a ses devoirs qu’il faut avoir accomplis,
-avant de pouvoir aspirer à la retraite dans
-la forêt. En attendant cette heure entre toutes
-désirée, « la résignation, dit Manou, l’action
-de rendre le bien pour le mal, la tempérance,
-la probité, la pureté, la chasteté et la répression
-des sens, la connaissance des livres sacrés, le
-culte de la vérité, l’abstention de la colère, telles
-sont les dix vertus en quoi consiste le devoir<a id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor">[16]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_16" href="#FNanchor_16"><span class="label">[16]</span></a> <i>Manou</i>, VI, 92.</p>
-</div>
-<p>Le but de notre vie sur cette terre, c’est de
-mettre un terme aux réincarnations, car la
-réincarnation est un châtiment que l’âme est
-obligée de s’infliger tant qu’elle ne se sent pas
-assez pure pour rentrer en Dieu. « Atteindre la
-condition suprême, dit Manou, ne plus renaître
-sur cette terre, voilà l’idéal ! Être assuré d’un
-bonheur éternel et que la terre ne voie plus
-notre âme venir de nouveau s’envelopper de
-sa grossière substance. »</p>
-
-<p>Cette purification, cette dématérialisation progressive,
-ce renoncement à tout égoïsme, commence
-dès le début de la vie et se poursuit durant
-toutes les phases de l’existence ; mais il faut
-d’abord accomplir tous les devoirs de cette existence
-active : « Car, sachez-le tous, disent les livres
-sacrés, nul d’entre vous n’arrivera à s’absorber
-dans le sein de Brahma par la prière seulement,
-et le mystérieux monosyllabe n’effacera vos
-dernières souillures que quand vous arriverez
-sur le seuil de la vie future, chargé de bonnes
-œuvres, et les plus méritoires parmi ces œuvres
-seront celles qui auront pour mobiles l’amour
-du prochain et la charité. »</p>
-
-<p>« Une seule bonne action, dit encore Manou,
-vaut mieux que mille bonnes pensées, et ceux
-qui remplissent leurs devoirs sont supérieurs
-à ceux qui les connaissent. »</p>
-
-<p>« Que le sage observe constamment les devoirs
-moraux (Yamas) avec plus d’attention que les
-devoirs pieux (Niyamas), celui qui néglige
-les devoirs moraux déchoit même lorsqu’il
-observe les devoirs pieux<a id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor">[17]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_17" href="#FNanchor_17"><span class="label">[17]</span></a> <i>Manou</i>, IV, 204.</p>
-</div>
-
-<h3>XXIX</h3>
-
-<p>Il y a dans la vie ceux périodes bien distinctes :
-la période active ou sociale, où l’homme
-fonde sa famille, assure sa descendance, travaille
-de ses mains, accomplit les humbles
-devoirs de l’existence quotidienne envers les
-siens et ceux qui les entourent. Pour ces jours
-encore profanes, abondent les plus angéliques
-préceptes de résignation, de respect de la vie,
-de patience et d’amour.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>« Les maux dont nous affligeons notre prochain,
-dit Krichna, nous poursuivent ainsi
-que notre ombre suit notre corps. »</p>
-
-<p>« De même que la terre supporte ceux qui la
-foulent aux pieds et lui déchirent le sein en la
-labourant, de même nous devons rendre le bien
-pour le mal. »</p>
-
-<p>« Qu’il sache bien que ce qui est au-dessus
-de tout, c’est le respect de soi-même et l’amour
-du prochain. »</p>
-
-<p>« Celui qui remplit tous ses devoirs pour
-plaire à Dieu seul et sans envisager la récompense
-future, est sûr d’un immortel bonheur<a id="FNanchor_18" href="#Footnote_18" class="fnanchor">[18]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_18" href="#FNanchor_18"><span class="label">[18]</span></a> <i lang="la" xml:lang="la">Ibid.</i>, II, 15.</p>
-</div>
-<p>« Si un acte pieux procède de l’espoir d’une
-récompense en ce monde ou dans l’autre, cet
-acte est dit intéressé. Mais celui qui n’a d’autre
-mobile que la connaissance et l’amour de Dieu,
-est dit désintéressé<a id="FNanchor_19" href="#Footnote_19" class="fnanchor">[19]</a>. » (Méditons un moment cette
-parole vieille de plusieurs milliers d’années,
-une de celles que nous pouvons redire sans y
-changer une syllabe, car Dieu ici, comme dans
-toute la littérature védique, c’est le meilleur
-et l’éternel de nous-mêmes et de l’univers.)</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_19" href="#FNanchor_19"><span class="label">[19]</span></a> <i lang="la" xml:lang="la">Ibid.</i>, XII, 89.</p>
-</div>
-<p>« L’homme dont tous les actes religieux sont
-intéressés parvient au rang des saints et des
-anges (Devas). Mais celui dont tous les actes
-pieux sont désintéressés se dépouille pour toujours
-des cinq éléments pour acquérir l’immortalité
-dans la Grande Ame. »</p>
-
-<p>« De toutes les choses qui purifient, la pureté
-dans l’acquisition des richesses est la meilleure.
-Celui qui conserve sa pureté en devenant riche
-est réellement pur, et non celui qui s’est purifié
-avec la terre et l’eau. »</p>
-
-<p>« Les hommes instruits se purifient par le
-pardon des offenses, par des aumônes et par la
-prière. L’intelligence est purifiée par le savoir. »</p>
-
-<p>« La main d’un artisan est toujours pure
-pendant qu’il travaille. »</p>
-
-<p>« Bien que la conduite de son époux soit
-blâmable, bien qu’il se livre à d’autres amours
-et soit dépourvu de bonnes qualités, une femme
-vertueuse doit constamment le révérer comme
-un Dieu. »</p>
-
-<p>« Celui qui a souillé l’eau par quelque impureté
-ne doit vivre que d’aumônes pendant un mois
-entier. »</p>
-
-<p>« Afin de ne causer la mort d’aucun animal,
-que le Sannyâsî (c’est-à-dire le mendiant ascétique),
-la nuit comme le jour, même au risque de
-se faire du mal, marche en regardant à terre<a id="FNanchor_20" href="#Footnote_20" class="fnanchor">[20]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_20" href="#FNanchor_20"><span class="label">[20]</span></a> <i lang="la" xml:lang="la">Ibid.</i>, XII, 90 ; V, 106, 107, 129, 154 ; XI, 255 ; VI, 68.</p>
-</div>
-<p>« Pour avoir coupé, une seule fois et sans
-mauvaise intention, des arbres portant leur
-fruit, des buissons, des lianes, des plantes grimpantes
-ou des plantes rampantes en fleur, on
-doit répéter cent prières du Rig-Véda. »</p>
-
-<p>« Si l’on arrache inutilement des plantes cultivées
-ou des plantes nées spontanément dans
-une forêt, on doit suivre une vache pendant
-un jour entier et ne se nourrir que de lait. »</p>
-
-<p>« Par un aveu fait devant tout le monde,
-par le repentir, par la dévotion, par la récitation
-des prières sacrées, un pêcheur peut être
-déchargé de sa faute, ainsi qu’en donnant des
-aumônes, lorsqu’il se trouve dans l’impossibilité
-de faire d’autre pénitence. »</p>
-
-<p>« Autant son âme éprouve de regret pour une
-mauvaise action, autant son corps est déchargé
-du poids de cette action perverse. »</p>
-
-<p>« La réussite de toutes les affaires du monde
-dépend des lois du Destin, réglées par les actions
-des mortels dans leurs existences précédentes,
-et de la conduite de l’homme ; les décrets de
-la Destinée sont un mystère ; c’est donc aux
-moyens dépendant de l’homme qu’il faut avoir
-recours. »</p>
-
-<p>« La justice est le seul ami qui accompagne
-les hommes après le trépas ; car toute affection
-est soumise à la même destruction que le corps<a id="FNanchor_21" href="#Footnote_21" class="fnanchor">[21]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_21" href="#FNanchor_21"><span class="label">[21]</span></a> <i lang="la" xml:lang="la">Ibid.</i>, XI, 142, 144, 227, 229 ; VII, 205.</p>
-</div>
-<p>« Si celui qui vous frappe laisse tomber le
-bâton dont il se sert, ramassez-le et rendez-le
-lui sans murmurer. »</p>
-
-<p>« Vous n’abandonnerez pas les animaux dans
-leur vieillesse, en souvenir des services qu’ils
-vous ont rendus<a id="FNanchor_22" href="#Footnote_22" class="fnanchor">[22]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_22" href="#FNanchor_22"><span class="label">[22]</span></a> <i>Sama Véda</i>.</p>
-</div>
-<p>« Celui qui méprise une femme méprise sa
-mère. Les larmes des femmes attirent le feu
-céleste sur ceux qui les font couler. »</p>
-
-<p>« L’honnête homme doit tomber sous les
-coups des méchants, comme l’arbre Santal
-qui, lorsqu’on l’abat, parfume la hache qui le
-frappe<a id="FNanchor_23" href="#Footnote_23" class="fnanchor">[23]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_23" href="#FNanchor_23"><span class="label">[23]</span></a> <i>Pradasa</i>.</p>
-</div>
-<p>« Porter les trois bâtons de l’ascète, observer
-le silence, porter les cheveux en tresse, se raser
-la tête, se vêtir de vêtements d’écorce ou de
-peaux, accomplir les vœux et les ablutions,
-célébrer la Agnihotra, habiter dans la forêt,
-s’émacier le corps, tout cela est vain si le cœur
-n’est pas pur. »</p>
-
-<p>« Celui qui, quelque soin qu’il prenne de
-lui-même, pratique le calme de l’âme, qui est
-calme, soumis, contenu, chaste, et a cessé de
-trouver à redire aux autres êtres, celui-là est
-vraiment un Brahmane, un Çramane (ascète),
-un Bhikshu (frère mendiant). »</p>
-
-<p>« O Bhârata, à quoi sert la forêt à qui s’est
-dominé, et à quoi sert-elle à qui ne s’est pas
-dominé ? Partout où vit un homme qui s’est
-dominé, là est la forêt, là est l’hermitage. »</p>
-
-<p>« Le sage restât-il dans sa maison, quelque
-soin qu’il prenne de lui-même, s’il est toujours
-pur et plein d’amour tout le long de sa vie, est
-délivré de tous les maux. »</p>
-
-<p>« Ce n’est pas l’hermitage qui fait la vertu ;
-la vertu ne vient que de la pratique. Donc, que
-l’homme ne fasse pas aux autres ce qui serait
-douloureux à lui-même. »</p>
-
-<p>« Le monde est soutenu par toute action qui
-n’a que le sacrifice, c’est-à-dire le don volontaire
-de soi pour objet ; c’est dans ce don volontaire,
-sans attachement aux formes que
-l’homme doit accomplir l’action. Il faut accomplir
-l’action à seule fin de servir les autres. Celui
-qui voit l’inaction dans l’action et l’action dans
-l’inaction, est un sage parmi les hommes ; il
-est harmonisé aux vrais principes, quelque
-action qu’il fasse. Un tel homme, ayant abandonné
-tout attachement au fruit de l’action,
-toujours content, ne dépendant de personne,
-bien que faisant des actions, est comme s’il
-n’en faisait pas. Toutes ses pensées empreintes
-de sagesse et tous ses actes faits de sacrifices
-sont comme évaporés<a id="FNanchor_24" href="#Footnote_24" class="fnanchor">[24]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_24" href="#FNanchor_24"><span class="label">[24]</span></a> <i>Vanaparva</i>, 13445. — <i>Paraboles de Buddhgosha</i>. — <i>Cantiparva</i>,
-5951. — <i>Vanaparva</i>, 13550. — <i>Lois de Yajnavalkya</i>,
-III, 65. — <i>Bhagavat-Gita</i>.</p>
-</div>
-
-<h3>XXX</h3>
-
-<p>Voilà, pris au hasard, dans un immense
-trésor encore en partie inconnu, quelques
-conseils, vieux de milliers d’années, qui, bien
-avant le christianisme, guidaient les hommes
-de bonne volonté jusqu’à la lisière de la forêt.
-Alors, comme dit Manou, « lorsque le chef de
-la famille voit sa peau se rider et ses cheveux
-blanchir et qu’il a sous les yeux le fils de son
-fils », quand il n’a plus de devoirs à remplir,
-que personne n’a plus besoin de son aide, qu’il
-soit le plus riche marchand de la cité ou le plus
-pauvre paysan du village, il peut enfin se consacrer
-aux choses éternelles, quitter sa femme,
-ses enfants, ses proches, ses amis, « prendre
-une peau de gazelle ou un manteau d’écorce »,
-pour se retirer dans la solitude, s’enfoncer dans
-l’énorme forêt tropicale, oublier son corps et
-les vaines pensées qui en naissent et écouter
-la voix du Dieu caché au fond de son être, la
-voix « du voyageur qu’on ne voit pas, dit le
-<i>Brahmane des cent sentiers</i>, de l’entendeur
-non entendu, du penseur non pensé, du connaisseur
-non connu, de l’Atman, le meneur intérieur,
-l’impérissable, en dehors de qui il n’y a
-que douleur. » Il peut méditer sur l’infinité de
-l’espace, l’infinité de la raison et « la non existence
-de rien », saisir l’instant d’illumination
-qui apporte « la délivrance que personne ne
-peut enseigner, qu’il faut trouver soi-même,
-qui est ineffable », et purifier son âme afin de
-lui épargner, s’il est possible, un nouveau
-retour sur cette terre.</p>
-
-<p>Arrivé là, « Qu’il ne désire pas la mort, qu’il
-ne désire pas la vie ; ainsi qu’un moissonneur
-qui, le soir venu, attend paisiblement son salaire
-à la porte de son maître, qu’il attende que le
-moment soit venu. »</p>
-
-<p>« Qu’il réfléchisse, avec l’application d’esprit
-la plus exclusive, sur l’essence subtile et indivisible
-de l’Ame suprême, et sur son existence
-dans les corps des êtres les plus élevés et les
-plus bas. »</p>
-
-<p>« Méditant avec délices sur l’Être suprême,
-n’ayant besoin de rien, inaccessible à tout désir
-des sens, sans autre société que son âme et
-la pensée de Dieu, qu’il vive dans l’attente
-constante de la béatitude éternelle. »</p>
-
-<p>« Car le principal de tous les devoirs, c’est
-d’acquérir la connaissance de l’âme suprême,
-c’est la première de toutes les sciences, car
-elle seule confère à l’homme l’immortalité. »</p>
-
-<p>« Ainsi l’homme qui reconnaît dans sa propre
-âme l’âme suprême, présente dans toutes les
-créatures, se montre le même à l’égard de tous
-et obtient le sort le plus heureux, celui d’être
-à la fin absorbé dans le sein de Brahma<a id="FNanchor_25" href="#Footnote_25" class="fnanchor">[25]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_25" href="#FNanchor_25"><span class="label">[25]</span></a> <i>Manou</i>, VI, 45, 65, 49 ; XII, 85, 125.</p>
-</div>
-<p>« Après avoir ainsi abandonné toute pratique
-pieuse, tout acte de dévotion austère, appliquant
-son esprit à la contemplation unique de la grande
-Cause Première, exempt de tout désir mauvais,
-son âme est déjà sur le seuil du Swarga, alors
-que son enveloppe mortelle palpite encore
-comme la dernière lueur d’une lampe qui
-s’éteint<a id="FNanchor_26" href="#Footnote_26" class="fnanchor">[26]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_26" href="#FNanchor_26"><span class="label">[26]</span></a> <i lang="la" xml:lang="la">Ibid.</i>, VI, 96.</p>
-</div>
-
-<h3>XXXI</h3>
-
-<p>Presque tout ceci, ne l’oublions pas, est bien
-antérieur au Bouddhisme, remonte aux origines
-du Brahmanisme et touche directement aux
-Védas. Convenons que cette morale, dont je
-n’ai pu donner ici que le plus sommaire aperçu,
-la première qu’ait connue l’humanité, est aussi
-la plus haute qu’elle ait pratiquée. Elle part d’un
-principe que même aujourd’hui, avec tout ce
-que nous croyons avoir appris, nous ne pouvons
-contester, à savoir que l’homme et tout ce qui
-l’environne n’est qu’une sorte d’émanation,
-de matérialisation momentanée de la cause
-inconnue et spirituelle à laquelle il doit retourner ;
-et ne fait que déduire, avec une beauté,
-une élévation et une logique incomparables,
-les conséquences de ce principe. Il n’y a pas ici
-de révélation extra-terrestre, de Sinaï, de
-tonnerre dans le ciel, de dieu spécialement
-descendu sur notre planète. Il n’avait pas besoin
-d’y descendre, il était déjà dans le cœur de
-tous les hommes, parce que tous les hommes ne
-sont qu’une partie de lui-même et ne peuvent
-être autre chose. Ils interrogent ce dieu qui
-semble résider dans leur âme, dans leur esprit,
-en un mot dans le principe immatériel qui
-donne la vie à leur corps. Il ne leur dit pas, il
-est vrai, ou peut-être le leur dit-il sans qu’ils
-puissent le comprendre, pourquoi il les a momentanément
-et apparemment séparés de lui ;
-et c’est, — origine du mal et nécessité de
-l’épreuve, — le postulat aussi inaccessible que
-le mystère de la cause première, avec cette différence,
-que le mystère de la cause première
-était inévitable, au lieu que la nécessité de celui-ci
-est incompréhensible. Mais le postulat accordé,
-tout le reste s’éclaire et se déroule comme un
-syllogisme. La matière est ce qui nous sépare
-de Dieu, l’esprit ce qui nous y unit ; il faut donc
-que l’esprit l’emporte sur la matière. Mais l’esprit
-n’est pas seulement l’intelligence, il est
-aussi le cœur, le sentiment, il est tout ce qui n’est
-pas matériel ; il faut donc que sous toutes ses
-formes il se purifie, s’étende, s’élève et
-triomphe de la matière. Il n’y eut jamais, et
-il ne saurait, je pense, y avoir spiritualisation
-plus grandiose, plus logique, plus inattaquable,
-plus réaliste, en ce sens qu’elle ne se fonde que
-sur des réalités, et plus divinement humaine.
-Il est certain qu’après tant de siècles, après
-tant d’acquisitions et d’expériences, nous nous
-rencontrons au même point. Partant comme eux
-de l’inconnaissable, nous ne pouvons trouver
-autre chose, et ne saurions mieux dire. Seul
-serait supérieur aux immenses efforts que leurs
-mots ont tentés, un silence résigné, préférable
-en théorie, mais qui pratiquement ne peut
-conduire qu’à une ignorance immobile et désespérée.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch3">L’ÉGYPTE</h2>
-
-
-<h3>I</h3>
-
-<p>Nous avons déjà vu, en parlant de Noun,
-Toum et Phtah, l’idée que se faisaient les
-Égyptiens de la cause première, de la création
-ou plutôt de l’émanation ou de la manifestation
-de l’univers. Elle est, du moins telle que nous la
-connaissons par la traduction probablement
-incomplète des hiéroglyphes, sous une forme
-moins frappante, moins profonde et moins
-métaphysique, analogue à celle des Védas,
-et révèle une source commune.</p>
-
-<p>Immédiatement après l’énigme de la cause
-première, ils rencontrèrent, eux aussi, inévitablement,
-l’insoluble problème de l’origine du
-mal, et, sans trop oser l’approfondir, y trouvèrent
-une solution plus pâle, plus évasive, mais au
-fond presque semblable à celle des Hindous.
-Dans l’Osirisme, l’esprit et la matière s’appellent
-la lumière et les ténèbres ; et « Set, l’antagoniste
-de Râ-lumière, dans les mythes de Râ, d’Osiris
-et d’Horus, n’est pas un dieu du mal, dit Le Page
-Renouf, il représente une réalité physique, une
-loi constante de la nature<a id="FNanchor_27" href="#Footnote_27" class="fnanchor">[27]</a> ». Il est un dieu aussi
-réel que ses adversaires et son culte est aussi
-ancien que le leur. Il avait ses prêtres comme eux,
-et il est fils de la même cause inconnue. Il est
-si peu séparable de la force qui lui est opposée
-que sur certains monuments les têtes d’Horus
-et de Set surmontent le même corps et ne forment
-qu’un seul dieu.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_27" href="#FNanchor_27"><span class="label">[27]</span></a> <i lang="la" xml:lang="la">Op. cit.</i>, p. 115.</p>
-</div>
-<p>Après les mêmes aveux d’ignorance, ici encore,
-comme dans l’Inde, le mythe de l’incarnation
-vient préciser et diriger une morale qui,
-sortie de l’inconnaissable, ne pouvait prendre
-forme et n’être connue que dans l’homme et par
-l’homme. Osiris, Horus, Thot ou Hermès qui
-prit cinq fois la forme humaine au dire des occultistes,
-ne sont que des incarnations plus mémorables
-du dieu qui réside en chacun de nous.
-De ces incarnations découle avec moins d’éclat,
-moins d’abondance, moins de force, — car le
-génie égyptien n’a pas l’ampleur, l’élévation,
-la puissance d’abstraction du génie hindou, — une
-morale plus humble, plus terre à terre,
-mais de la même nature que celle de Manou, de
-Krichna et du Bouddha, ou plutôt de ceux qui
-dans la nuit des âges précédèrent Manou,
-Krichna et le Bouddha. Cette morale se trouve
-dans le <i>Livre des Morts</i> et dans les inscriptions
-funéraires. Quelques-uns des papyrus qui reproduisent
-le <i>Livre des Morts</i> ont plus de quatre
-mille ans ; mais des textes de ce même livre, qui
-recouvraient presque toutes les tombes et presque
-tous les sarcophages, sont probablement plus
-anciens. Ce sont, avec les inscriptions cunéiformes,
-les plus antiques écritures, ayant date certaine,
-que possède l’humanité. Le plus vénérable
-des codes de morale, œuvre de Phtahotep, encore
-imparfaitement déchiffré, contemporain des Pyramides,
-se couvre de l’autorité d’ancêtres infiniment
-plus reculés. « Pas une des vertus chrétiennes,
-dit F.-J. Chapas, l’un des grands égyptologues
-de la première heure, n’est oubliée dans
-la morale égyptienne. La piété, la charité, la
-bonté, l’empire sur soi-même, dans la parole
-et l’action, la chasteté, la protection des faibles,
-la bienveillance envers les humbles, la déférence
-envers les supérieurs, le respect de la
-propriété d’autrui, jusqu’en ses plus petits
-détails, tout y est exprimé en langage excellent. »</p>
-
-
-<h3>II</h3>
-
-<p>« Je n’ai pas fait de mal à un enfant, dit une
-inscription funéraire. Je n’ai pas opprimé une
-veuve, je n’ai pas maltraité un berger. Durant
-ma vie, il n’y avait pas un mendiant ; et quand
-vinrent les années de famine, je labourai toute
-la terre de la province, nourrissant tous ses
-habitants et je fis en sorte que la veuve était
-comme si elle n’avait pas perdu son époux<a id="FNanchor_28" href="#Footnote_28" class="fnanchor">[28]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_28" href="#FNanchor_28"><span class="label">[28]</span></a> Inscriptions d’Ameni, <i>Denkm</i>, II, pl. 121.</p>
-</div>
-<p>Celui-ci « était le père des faibles, le soutien
-de ceux qui n’avaient pas de mère ; craint des
-méchants il protégeait le pauvre. Il était le
-vengeur de celui que le puissant avait dépouillé.
-Il était l’époux de la veuve et le refuge de l’orphelin<a id="FNanchor_29" href="#Footnote_29" class="fnanchor">[29]</a> ».
-« Celui-là était le protecteur des humbles,
-une palme d’abondance pour l’indigent,
-l’aliment des pauvres, la richesse du faible, et
-sa sagesse était au service de l’ignorant<a id="FNanchor_30" href="#Footnote_30" class="fnanchor">[30]</a>. » — « J’étais
-le pain de celui qui avait faim, l’eau de
-celui qui avait soif, le vêtement de celui qui était
-nu, le refuge de celui qui était dans le besoin.
-Ce que j’ai fait pour eux, Dieu l’avait fait pour
-moi »<a id="FNanchor_31" href="#Footnote_31" class="fnanchor">[31]</a>, disent d’autres inscriptions, reprenant
-toujours le même thème de bonté, de justice
-et de charité. « Bien que grand, j’ai toujours
-agi comme si j’avais été petit. Je n’ai jamais
-barré la route à quelqu’un qui valait mieux que
-moi. J’ai toujours répété ce qu’on m’avait dit,
-exactement comme on me l’avait dit. Je n’ai
-jamais approuvé ce qui est bas et mal, mais j’ai
-pris plaisir à dire la vérité. La sincérité et la
-bonté qui étaient dans le cœur de mon père
-et de ma mère, mon amour les leur a rendues.
-J’ai été la joie de mes frères, l’ami de mes compagnons,
-j’ai reçu les voyageurs sur la route ;
-mes portes étaient ouvertes à ceux qui venaient
-du dehors et je leur ai donné de quoi se rafraîchir.
-Ce que me dictait mon cœur, je n’hésitais pas
-à l’accomplir<a id="FNanchor_32" href="#Footnote_32" class="fnanchor">[32]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_29" href="#FNanchor_29"><span class="label">[29]</span></a> Tablette d’Antuff. Louvre, C. 26.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_30" href="#FNanchor_30"><span class="label">[30]</span></a> <span lang="en" xml:lang="en">British Museum</span>, 581.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_31" href="#FNanchor_31"><span class="label">[31]</span></a> <span class="sc">Dumichen</span>, <i lang="de" xml:lang="de">Kalenderinschriften</i>, XLVI.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_32" href="#FNanchor_32"><span class="label">[32]</span></a> <span class="sc">Bergmann</span>, <i lang="de" xml:lang="de">Hieroglyphische Inschriften</i>, pl. VI, I. 8 ;
-pl. VIII, IX.</p>
-</div>
-
-<h3>III</h3>
-
-<p>Dans le <i>Livre des Morts</i>, quand, après la
-longue et terrible traversée du Douaou, qui
-n’est pas l’enfer égyptien, comme on l’a dit,
-mais une région intermédiaire entre la mort
-et la vie éternelle, l’âme est arrivée dans le pays
-de « Menti » qu’on appela plus tard l’« Amenti »,
-elle se trouve en face de Maât ou Maît, la plus
-mystérieuse divinité de l’Égypte. Maât est la
-ligne droite, elle représente la Loi, la Justice-Vérité,
-la Justice absolue. Chacun des grands
-dieux se dit maître de Maât, mais elle ne reconnaît
-aucun maître. Les dieux vivent par elle,
-elle règne seule sur la terre, dans les cieux et
-le monde d’outre-tombe ; elle est à la fois la
-mère du dieu qui l’a créée, sa fille et le dieu lui-même.
-En présence d’Osiris assis sur son trône
-de juge, est mis dans un des plateaux de la balance
-le cœur du mort qui symbolise toute sa
-nature morale, dans l’autre plateau se trouve
-une image de Maât. Quarante-deux divinités,
-qui représentent les quarante-deux péchés
-qu’elles sont chargées de punir, sont rangées
-derrière la balance dont Horus surveille l’aiguille,
-tandis que Téhutin, le dieu des lettres,
-inscrit le résultat de la pesée. Tout ceci n’est
-évidemment qu’une représentation allégorique,
-une sorte de mise en images, une projection sur
-l’écran de ce monde, de ce qui se passe dans
-l’autre, au fond d’une âme ou d’une conscience
-qui se juge après la mort.</p>
-
-<p>Alors, si l’épreuve est favorable, se passe une
-chose extraordinaire qui révèle la signification
-secrète, inattendue et profonde de toute cette
-mythologie : l’homme devient dieu. Il devient
-Osiris même. Il se découvre pareil à celui qui
-le juge. Il joint son nom à celui d’Osiris, il est
-Osiris-un-tel. Il se retrouve enfin le dieu inconnu
-qu’il était à son insu. Il reconnaît l’Éternel
-caché au fond de lui-même, qu’il avait cherché
-durant toute son existence et qui, finalement
-délivré par ses bonnes œuvres, par ses efforts
-spirituels, se révèle identique au dieu qu’il
-avait écouté et adoré et dont il avait voulu
-se rapprocher en le prenant pour modèle.</p>
-
-<p>C’est, sous une autre image, l’absorption de
-l’âme purifiée dans le sein de Brahma, le retour
-à la divinité de ce qu’il y avait de divin dans
-l’homme, comme aussi, sous l’allégorie dramatique,
-l’âme qui se juge elle-même et se reconnaît
-digne de rentrer en Dieu.</p>
-
-
-<h3>IV</h3>
-
-<p>Rudolph Steiner qui, lorsqu’il ne s’égare pas
-dans les visions peut-être plausibles mais invérifiables
-de la préhistoire, des clichés astraux
-et de la vie sur d’autres planètes, est un esprit
-très juste et très perspicace, a remarquablement
-mis en lumière le sens de ce jugement et de cette
-identification de l’âme avec Dieu. « L’Être
-Osiris, dit-il, n’est que le degré le plus parfait
-de l’être humain. Il s’entend de soi que l’Osiris
-qui règne en juge sur l’ordre éternel de l’univers,
-n’est lui-même qu’un homme parfait. Entre
-l’état humain et l’état divin, il n’y a qu’une
-différence de degré. L’homme est en voie de développement ;
-à la fin de sa carrière il devient
-Dieu. Dans cette conception, Dieu est un éternel
-devenir et non pas un Dieu fini en soi.</p>
-
-<p>« Tel étant l’ordre universel, il est évident
-que celui-là seul peut entrer dans la vie d’Osiris,
-qui est déjà devenu un Osiris lui-même avant
-de frapper à la porte du temple éternel. La vie
-la plus haute de l’homme consiste donc à se
-changer en Osiris. L’homme devient parfait
-lorsqu’il vit comme Osiris, lorsqu’il traverse
-ce qu’Osiris a traversé. Le mythe d’Osiris
-acquiert par là un sens plus profond. Il devient
-le modèle de celui qui veut éveiller l’Éternel
-en lui-même<a id="FNanchor_33" href="#Footnote_33" class="fnanchor">[33]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_33" href="#FNanchor_33"><span class="label">[33]</span></a> <span class="sc">Rudolph Steiner</span>, <i>Le Mystère chrétien et les Mystères antiques</i>.
-Trad. de <span class="sc">J. Sauerwein</span>, p. 170.</p>
-</div>
-
-<h3>V</h3>
-
-<p>Cette Osirification, cette déification de l’âme
-du juste a toujours étonné les égyptologues
-qui n’en saisissaient pas le sens caché et ne
-voyaient pas qu’elle rejoignait le Nirvana
-védique dont elle n’est qu’une réplique dramatisée.
-Mais les textes authentiques sont là,
-et même du point de vue exotérique, il n’est
-pas possible de leur donner une autre signification.
-Le fond de la religion égyptienne, sous
-toutes ses végétations parasites qui devinrent
-peu à peu monstrueuses, est bien le même que
-celui de la religion védique ; d’un même point
-de départ dans l’inconnaissable, c’est le culte
-et la recherche du dieu dans l’homme et le retour
-de l’homme en dieu. Le juste, c’est-à-dire celui
-qui durant sa vie s’est efforcé de retrouver
-l’éternel en lui-même et d’écouter sa voix,
-délivré de son corps, ne devient pas seulement
-Osiris ; mais de même qu’Osiris est d’autres
-dieux, il devient aussi d’autres dieux. Il parle
-comme s’il était Râ, Tmu, Seb, Chnemu, Horus,
-et ainsi de suite. « Ni les hommes, ni les dieux,
-ni les esprits des décédés, ni les hommes passés,
-présents et futurs, quels qu’ils soient, ne peuvent
-plus lui faire de mal. Il est celui qui s’avance
-en sûreté. Son nom est « Celui que les hommes
-ne connaissent pas ». « Son nom est hier
-qui voit des jours sans nombre, passant en
-triomphe sur les routes du ciel. » « Il est le
-Seigneur de l’éternité. Il est le maître de la couronne
-royale et chacun de ses membres est un
-dieu. »</p>
-
-
-<h3>VI</h3>
-
-<p>Mais qu’arrive-t-il si la sentence n’est pas
-favorable, si l’âme n’est pas jugée digne de rentrer
-dans l’éternel, de redevenir le dieu qu’elle
-était ? On n’en sait rien. Tout ce qu’on a dit au
-sujet de châtiments, d’expiations, de transmigrations
-purificatrices, ne repose sur aucun
-texte authentique. « On ne trouve trace, dit
-Le Page Renouf, d’une conception de ce genre
-dans aucun des textes égyptiens découverts
-jusqu’ici. Les transformations après la mort,
-nous est-il dit expressément, dépendent uniquement
-de la volonté du défunt ou de son génie<a id="FNanchor_34" href="#Footnote_34" class="fnanchor">[34]</a> »,
-c’est-à-dire de son âme. N’est-ce pas dire expressément
-aussi qu’elles ne dépendent que du jugement
-de l’âme sur elle-même et qu’elle seule
-reconnaît et décide, comme l’âme hindoue
-chargée de son Karma, si elle est digne ou non
-de rentrer dans la divinité ; en d’autres termes
-qu’il n’y a de ciel et d’enfer qu’en nous-mêmes ?</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_34" href="#FNanchor_34"><span class="label">[34]</span></a> <span class="sc">Le Page Renouf</span>, <i lang="la" xml:lang="la">op. cit.</i>, p. 183.</p>
-</div>
-<p>Mais que devient-elle si elle ne se juge pas
-digne d’être dieu ? Attend-elle ou se réincarne-t-elle ?
-Nul texte égyptien ne permet de trancher
-la question ; il n’y a pas trace non plus
-d’un état intermédiaire entre la mort et l’éternelle
-béatitude. Les rites funéraires ne donnent,
-sur ce point, aucune indication. Ils semblent
-prévoir, pour le mort, une vie d’outre-tombe
-exactement pareille, sur un autre plan, à celle
-qu’il menait sur la terre. Mais ces rites ne paraissent
-pas s’appliquer à l’âme proprement
-dite, au principe divin. La religion égyptienne,
-comme les autres religions primitives, distingue
-en l’homme trois parties : le corps physique,
-une entité spirituelle périssable, une sorte de
-reflet du corps, qui lui survivait, une ombre
-ou plutôt un double, qui pouvait à son gré se
-confondre avec la momie ou s’en détacher,
-et enfin un principe purement spirituel, l’âme
-véritable et immortelle qui, après le jugement,
-devenait dieu.</p>
-
-<p>Le double désemparé, et non pas l’âme qui redevenait
-Osiris, errait misérablement entre le
-monde visible et l’invisible, comme semblent
-le faire les désincarnés de nos spirites, si les
-rites funéraires ne venaient à son aide pour le
-ramener et le retenir près du corps qu’il avait
-abandonné. Tout le rituel ne visait qu’à prolonger
-autant que possible l’existence de ce double,
-en pourvoyant à ses besoins, analogues à ceux
-de sa vie terrestre, en le fixant près de sa momie
-incorruptible, en l’enchaînant dans une demeure
-qui lui fût agréable.</p>
-
-<p>L’existence de ce double était supposée très
-longue. Une tablette du Louvre nous montre,
-par exemple, que Psamtik, fils d’Ut’ahor, qui
-vivait au temps de la 26<sup>e</sup> dynastie, était prêtre
-de trois souverains de la grande Pyramide,
-morts depuis plus de 2.000 ans.</p>
-
-<p>Cette idée du double, comme le fait remarquer
-Herbert Spencer, est d’ailleurs universelle.
-« Partout, nous dit-il, nous voyons exprimée ou
-impliquée la croyance que chaque personne
-est double et que, quand elle meurt, son autre
-moi, qu’il demeure proche ou qu’il s’en soit allé
-au loin, peut revenir et est capable de nuire à
-ses ennemis ou d’aider ses amis. »</p>
-
-<p>Ce double égyptien n’est d’ailleurs que le
-Périsprit, le Corps Astral des occultistes,
-cette entité désincarnée, ce subconscient plus
-ou moins indépendant de notre corps, cet hôte
-inconnu, auquel sont ramenés, malgré eux,
-nos modernes métapsychistes, quand ils constatent
-certaines manifestations hypnotiques
-ou médiumniques, certains phénomènes de télépathie,
-d’action à distance, de matérialisation
-et d’apparitions posthumes qui autrement
-seraient à peu près inexplicables. Une fois
-de plus, les anciennes religions avaient ici précédé
-notre science, vu peut-être plus juste et
-plus loin qu’elle. Je dis peut-être, car si l’existence
-du double, de l’astral ou de l’entité subconsciente
-à peu près indépendante de notre
-cerveau, n’est plus guère contestable en ce qui
-concerne les vivants, elle peut encore être
-discutée quand il s’agit des morts. Il est certain
-qu’à l’appui de cette existence, des faits extrêmement
-troublants s’accumulent ; seule leur
-interprétation n’est pas encore décisive. Mais
-l’antique hypothèse égyptienne devient de plus
-en plus plausible et réfutait d’avance, il y a
-des milliers d’années, l’objection capitale que
-l’on fait aux spirites quand on leur dit que leurs
-esprits désincarnés ne sont que de pauvres
-ombres incohérentes et effarées, avant tout
-soucieuses d’établir leur identité et de se
-raccrocher à leur vie d’autrefois, de misérables
-mânes à qui la mort n’a rien révélé, et qui n’ont
-rien à nous apprendre sur leur existence d’outre-tombe,
-pâle reflet de leur existence antérieure.
-Il est en effet très explicable que cet esprit
-désincarné ne sache pas autre chose que ce qu’il
-savait durant sa vie. Le double égyptien dont
-il n’est que la réplique n’était pas l’âme véritable,
-l’âme immortelle qui, si le jugement de
-l’Amenti lui était favorable, rentrait en dieu
-ou plutôt redevenait dieu. Les rites sépulcraux
-n’entendaient pas s’occuper de cette âme dont
-le sort était fixé par la sentence de Maât ; ils
-voulaient seulement rendre moins précaire,
-moins misérable, l’existence posthume de ce
-principe attardé et plus lent à se dissoudre,
-de cette sorte de déchet spirituel, de ce fantôme
-nerveux, magnétique ou fluidique qui avait
-été un homme et ne formait plus qu’un faisceau
-de souvenirs tenaces et sans asile. Ils cherchaient
-à lui adoucir, en maintenant autour de lui
-les objets de ces souvenirs, le passage de la mort
-à l’éternel oubli. Les Égyptiens avaient sans
-doute constaté plus nettement que nous l’évidence
-de ce double dont nous commençons à
-peine à soupçonner l’existence ; car leur civilisation,
-héritière du reste de longues civilisations
-antérieures, était beaucoup plus ancienne que
-la nôtre et se portait davantage vers les côtés
-spirituels et invisibles de la vie. Mais ils ne préjugeaient
-rien, de même que l’hypothèse spirite,
-si elle était bien présentée, ne préjugerait rien
-au sujet de la destinée de l’âme proprement
-dite.</p>
-
-<p>Le double n’était soumis à aucun jugement.
-Que l’homme eût été bon ou mauvais, juste ou
-injuste, il avait droit aux mêmes rites funéraires,
-à la même existence d’outre-tombe. Son châtiment
-ou sa récompense, c’était lui-même,
-c’était de continuer d’être ce qu’il avait été,
-c’était de poursuivre, sur un autre plan, la vie
-haute ou basse, étroite ou large, intelligente ou
-stupide, généreuse ou égoïste, qu’il avait menée
-sur la terre.</p>
-
-<p>Remarquons que dans nos manifestations
-spirites il n’est pas question non plus de récompense
-ou de châtiment. Nos désincarnés,
-même lorsqu’ils furent croyants, ne font presque
-jamais allusion à un jugement posthume, à un
-enfer, à un ciel, à un purgatoire et, quand
-exceptionnellement ils en parlent, on peut
-presque à coup sûr soupçonner quelque interpolation
-télépathique. Ils sont, ou si l’on veut,
-paraissent être ce qu’ils étaient durant leur
-existence : plus ou moins consistants, plus ou
-moins cultivés, plus ou moins intelligents, plus
-ou moins volontaires, selon que leur pensée
-était consistante, cultivée, volontaire. Ils ne
-retrouvent que ce qu’ils ont semé dans les
-champs spirituels de ce monde. Mais ils n’ont
-pas, — et c’est la seule différence, — subi,
-comme le double égyptien, l’incantation magique
-qui, à tort ou à raison, pour leur bonheur
-ou leur malheur, violant les lois de la nature,
-rattachait celui-ci à ses restes physiques et
-l’empêchait de flotter comme une épave entre
-un monde matériel où il ne pouvait plus vivre
-et un univers spirituel où il semble qu’il lui fût
-interdit de pénétrer.</p>
-
-
-<h3>VII</h3>
-
-<p>Grâce à ces soins, grâce à ce culte et à cette
-prévoyance, le double était-il heureux ? On
-n’oserait l’affirmer. Il existe un texte terrible,
-l’inscription funéraire de la femme de Pasherenpath,
-qui est le plus déchirant cri de regret
-et de détresse que les morts aient poussé vers
-la vie. Il est vrai que cette inscription est de
-l’époque des Ptolémées, c’est-à-dire des derniers
-temps de l’Égypte, déformée par la Grèce,
-deux ou trois siècles avant notre ère. Elle nous
-montre la décadence et presque la ruine de la
-foi égyptienne ; et chose plus grave et plus inquiétante,
-en parlant de l’Amenti, semble confondre
-la destinée du double avec celle de l’âme
-immortelle. Voici cette inscription qui témoigne
-à quelles incertitudes aboutissent les religions les
-plus solides et les plus affirmatives ; et comment,
-à la fin de leur cours, elles nous replongent dans
-les ténèbres du grand secret, dans le chaos de
-l’inconnaissable, d’où elles étaient sorties.</p>
-
-<blockquote>
-<p>« Oh ! mon frère, mon époux, ne cesse pas de
-boire, de manger, de vider la coupe de la joie et
-de vivre dans les fêtes. Suis chaque jour tes</p>
-</blockquote>
-<blockquote>
-<p>désirs et ne laisse pas le souci pénétrer dans ton
-cœur tant que tu vivras sur cette terre ! Car
-l’Amenti est le pays du sourd sommeil et de
-l’obscurité, séjour de deuil pour ceux qui l’habitent.
-Ils dorment dans leurs formes, ils ne se
-réveillent plus pour voir leurs frères, ils ne reconnaissent
-leur père ni leur mère ; leur cœur est
-indifférent à leur femme et à leurs enfants.
-Chacun sur la terre jouit de l’eau de la vie ;
-mais la soif est à mes côtés. L’eau vient à celui
-qui demeure sur la terre, mais j’ai soif de l’eau
-qui est près de moi. Je ne sais où je suis depuis
-que je suis en ce lieu et j’implore l’eau qui coule,
-j’implore la brise sur la rive du fleuve, afin que
-par elle puisse être rafraîchie la douleur de mon
-cœur. Car quant au Dieu qui est ici, « Mort
-Absolue » est son nom. Il appelle tous les hommes
-et tous viennent à lui en tremblant de peur.
-Avec lui il n’y a pas de respect pour les hommes
-ou les dieux ; près de lui les grands sont comme
-les petits. On craint de le prier, car il n’écoute
-pas. Nul ne vient l’invoquer, car il n’est pas
-bon pour ceux qui l’adorent et ne tient pas
-compte des offrandes qu’on lui fait<a id="FNanchor_35" href="#Footnote_35" class="fnanchor">[35]</a>. »</p>
-</blockquote>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_35" href="#FNanchor_35"><span class="label">[35]</span></a> <span class="sc">Sharpe</span>, <i lang="en" xml:lang="en">Egyptian Inscriptions</i>, I, pl. 4.</p>
-</div>
-
-<h3>VIII</h3>
-
-<p>Et la réincarnation ? On croit généralement
-que l’Égypte est par excellence le pays de la
-palingénésie et de la métempsychose. Il n’en
-est rien. Pas un texte égyptien n’y fait allusion.
-Il est vrai que l’âme devenant Osiris pouvait
-prendre toutes les formes ; mais ce n’est pas là
-la réincarnation proprement dite, la réincarnation
-expiatoire et purificatrice des Hindous.
-Tout ce qu’on nous a dit à ce sujet repose principalement
-sur un texte d’Hérodote qui note
-que « les Égyptiens furent les premiers à affirmer
-que l’âme de l’homme est immortelle. Sans
-cesse, d’un vivant qui meurt, elle passe dans un
-autre qui naît, et, quand elle a parcouru tout
-le monde terrestre, aquatique et aérien, elle
-revient alors s’introduire en un corps humain.
-Ce voyage circulaire dure 3.000 ans. C’est là
-une théorie que, plus ou moins près de nous,
-plusieurs Grecs se sont appropriés ; je sais leurs
-noms et ne les écris point<a id="FNanchor_36" href="#Footnote_36" class="fnanchor">[36]</a> ».</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_36" href="#FNanchor_36"><span class="label">[36]</span></a> <i>Hérodote</i>, II, 123.</p>
-</div>
-<p>De même, tout ce qui concerne les fameux
-mystères de l’initiation égyptienne est de source
-relativement récente et date de l’époque où
-les traditions et les théories hindoues, chaldéennes,
-juives et néo-platoniciennes se mêlaient
-et fermentaient violemment dans Alexandrie.
-L’Égypte des Pharaons ne nous dit pas
-ce que devenait l’âme qui n’était pas béatifiée.
-Il est possible qu’elle fût obligée de revenir sur
-terre pour se purifier et que le secret de cette
-réincarnation demeurât réservé aux initiés,
-comme il est également possible que des textes
-mieux interprétés ou que d’autres que nous
-ne connaissons pas encore, justifient et expliquent
-la tradition ésotérique. Il ne serait du
-reste pas surprenant, comme le fait remarquer
-Sédir, occultiste des plus érudits, qu’une partie
-des secrets qui ne se trouvent pas dans les inscriptions
-que nous croyons entièrement comprendre,
-nous fussent venus par la Chaldée,
-attendu que c’est parmi les Mages, sur les confins
-du Tigre et de l’Euphrate, que Cambyse,
-après la conquête de l’Égypte, transporta tous
-les prêtres de ce dernier pays, sans exception
-et sans retour. Quoiqu’il en soit, je le répète,
-les textes purement égyptiens ne permettent
-pas, pour l’instant, de trancher la question.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch4">LA PERSE</h2>
-
-
-<p>La Perse nous retiendra moins longtemps,
-car sa religion est sans doute un reflet du Védisme
-ou, plus probablement, révèle une commune
-origine. Eugène Burnouf et Spiegel ont
-en effet prouvé que certaines parties de l’Avesta
-sont aussi anciennes que le Rig.</p>
-
-<p>Le Mazdéisme ou Zoroastrisme paraît donc
-être une adaptation à l’esprit Iranien du Védisme
-ou de traditions aryennes — (atlantéennes
-diraient les théosophes) — antérieures au Védisme.
-Durant la captivité de Babylone, infiltré
-dans le Chaldéisme, il exerça une influence
-profonde sur la religion du peuple juif.
-Nous lui devons, entre autres choses, tels qu’ils
-ont passé dans la tradition judéo-chrétienne,
-la notion de l’immortalité de l’âme, le jugement
-de celle-ci, le jugement dernier, la résurrection
-des morts, le purgatoire, la croyance à l’efficacité
-des bonnes œuvres au point de vue du salut,
-la réversibilité des peines et des récompenses
-et toute notre angéologie.</p>
-
-<p>Le Zoroastrisme a tenté de résoudre plus nettement
-que les autres religions anciennes
-l’énigme du mal, en faisant de celui-ci un dieu
-distinct, perpétuellement en lutte avec le Dieu
-du bien. Mais ce dualisme est plus apparent
-que réel. Ahura-Mazda ou Ormazd, ou Ormuzd,
-l’Être absolu et universel, le Verbe, l’Esprit
-omnipotent et omniscient, la Réalité, précède
-et domine Agra-Mainyus ou Ahriman, la Non-Réalité,
-c’est-à-dire ce qui est mauvais et trompeur,
-qui dans ses ténèbres ignore tout, paraît
-aussi inférieur à Ormazd que le démon l’est au
-Dieu des chrétiens et ne se montre en somme
-qu’une sorte de singe de la divinité, imitant
-maladroitement les créations de cette dernière
-et ne pouvant produire que des vices, des maux
-et quelques êtres malfaisants qui seront anéantis
-dans l’immense victoire du bien ; car la fin
-du monde, dans le système de Zoroastre, n’est
-que la régénération de la création.</p>
-
-<p>On ne nous dit du reste pas pourquoi Ormazd,
-le dieu suprême, est obligé de tolérer Ahriman
-qui, il est vrai, ne personnifie pas le mal en soi ;
-mais le mal nécessaire au bien, les ténèbres
-indispensables à la manifestation de la lumière,
-la réaction qui suit l’action, le principe ou le
-pôle négatif opposé au positif pour assurer la
-vie et l’équilibre de l’univers.</p>
-
-<p>Ormazd lui-même semble d’ailleurs obéir
-à la nécessité, ou à une loi naturelle plus puissante
-que lui et surtout au Temps, dont les décrets
-sont le Destin, « car en dehors du Temps,
-dit l’<i>Uléma</i>, tout a été créé et le Temps est le
-créateur. Le Temps ne laisse voir en soi ni
-cime ni racines, et toujours il a été et toujours
-il sera. Un homme intelligent ne demandera pas :
-D’où vient le Temps ? ni s’il y a eu un temps
-où cette puissance n’existait pas<a id="FNanchor_37" href="#Footnote_37" class="fnanchor">[37]</a> ».</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_37" href="#FNanchor_37"><span class="label">[37]</span></a> <span class="sc">J. Darmesteter</span>, <i>Ormazd et Ahriman</i>, p. 320.</p>
-</div>
-<p>Il serait intéressant d’étudier cette religion,
-au point de vue de ce qui lui doit le christianisme
-qui lui fit autant et même plus d’emprunts
-qu’au Brahmanisme et au Bouddhisme.
-Il faudrait également s’arrêter, ne fût-ce qu’un
-instant, à sa morale, une des plus hautes, des
-plus pures, des plus noblement humaines que
-l’on connaisse. Mais cette étude déborderait
-notre cadre. Nous devons, par exemple, à la
-Perse antique, l’admirable notion de la conscience,
-sorte de puissance divine, existant de
-toute éternité, indépendante du corps matériel,
-ne prenant aucune part aux fautes qu’elle voit
-s’accomplir, restant pure au milieu des pires
-égarements, accompagnant, après la mort,
-l’âme de l’homme qui, s’il fut juste, lorsqu’elle
-franchit le pont Tchinvat ou pont de la Rétribution,
-voit s’avancer à sa rencontre une jeune
-fille d’une miraculeuse beauté. « Qui es-tu,
-lui demande l’âme étonnée, toi qui me sembles
-plus belle et plus magnifique qu’aucune fille
-de la terre » ? Et sa conscience répond : « Je suis
-tes propres œuvres. Je suis l’incarnation de tes
-bonnes pensées, paroles et actions, je suis l’incarnation
-de ta foi pleine de piété<a id="FNanchor_38" href="#Footnote_38" class="fnanchor">[38]</a> ? »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_38" href="#FNanchor_38"><span class="label">[38]</span></a> <i>Yesth</i>, XXII.</p>
-</div>
-<p>Au contraire, si c’est un pécheur qui franchit
-le pont de la Rétribution, sa conscience vient
-à lui sous une forme horrible, bien qu’en soi elle
-ne change pas et se présente seulement aux
-hommes telle qu’ils ont mérité de la voir. Cette
-allégorie, qu’on croirait tirée d’un recueil de paraboles
-chrétiennes, date peut-être de 5.000 ou
-6.000 ans et n’est qu’une dramatisation du Karma
-hindou. Ici encore, comme dans le Karma
-et l’Osirification, c’est l’âme qui se juge elle-même.</p>
-
-<p>Nous devons aussi au Mazdéisme la mystérieuse
-et subtile notion des Fravashis ou
-Férouers que la Kabbale emprunta à la Perse et
-dont le mysticisme juif et le christianisme firent
-les anges et surtout les anges gardiens. Elle
-implique la préexistence des âmes. Les Férouers
-sont la forme spirituelle de l’être, indépendante
-de la vie matérielle et antérieure à celle-ci.
-Ormazd offre le choix aux Férouers des hommes
-de rester dans le monde spirituel ou de descendre
-sur terre pour s’incarner dans des corps
-humains. Ce sont des sortes de prototypes
-dont Platon tira probablement sa théorie des
-« Idées », en supposant que toute chose avait
-une double existence, d’abord en idée puis en
-réalité.</p>
-
-<p>Ajoutons qu’un phénomène analogue à celui
-que nous avons déjà constaté, dans l’Inde, se
-répéta ici : ce qui était public et patent dans
-le Mazdéisme devint peu à peu secret et fut réservé
-aux seuls initiés dans ce que les Grecs et
-les Juifs, notamment dans leur Kabbale, lui
-empruntèrent.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch5">LA CHALDÉE</h2>
-
-
-<p>La Chaldée, c’est-à-dire la Babylonie et
-l’Assyrie, est comme la Perse, la patrie des
-Mages, et on la regarde généralement comme
-la terre classique de l’occultisme ; mais ici encore,
-ainsi que nous l’avons vu pour l’Égypte,
-la légende ne concorde guère avec la réalité historique.</p>
-
-<p>Il semble <i lang="la" xml:lang="la">à priori</i>, que la Chaldée doive nous
-intéresser spécialement, non qu’il soit probable
-qu’elle ait à nous apprendre autre chose que
-l’Inde, l’Égypte et la Perse dont elle est tributaire,
-mais parce que c’est en elle que se trouve
-vraisemblablement la source principale de la
-Kabbale qui est elle-même la grande fontaine où
-s’alimenta l’occultisme du Moyen âge, tel qu’il
-s’est prolongé jusqu’à nous.</p>
-
-<p>On avait espéré que la découverte de la clef
-des écritures cunéiformes, — découverte qui
-ne remonte guère à plus d’un demi-siècle, — et
-le déchiffrement des inscriptions de Ninive
-et de Babylone, nous apporteraient des révélations
-précieuses sur les mystères de la religion
-chaldéenne. Mais ces inscriptions qui remontent
-à 2.000, à 3.750 et même pour l’une d’elles, conservée
-au <span lang="en" xml:lang="en">British Museum</span>, à 4.000 ans avant
-J.-C., et dont la lecture est du reste beaucoup
-plus incertaine et plus controversée que celle
-des hiéroglyphes et du sanscrit, ne nous ont
-donné que des biographies royales, des nomenclatures
-de conquêtes, des formules incantatoires,
-des litanies et des psaumes qui servirent
-de modèles aux psaumes hébreux. Nous y
-voyons que le fond de la religion très primitive
-des Soumirs ou Sumers et des Accads ou Akkadiens
-qui peuplaient la basse Chaldée avant la
-conquête sémite, était la magie et la sorcellerie
-auxquelles succéda un polythéisme naturaliste
-que les Sémites conquérants, moins civilisés
-que leurs vaincus, adoptèrent en partie, jusqu’à
-ce que, environ 2.000 ans avant notre ère, l’élément
-sémite ayant pris le dessus, réduisit graduellement
-les dieux primitifs à n’être plus que
-des phases ou des attributs de Baal, le dieu
-suprême, le Dieu-Soleil.</p>
-
-<p>Ces inscriptions ne nous ont donc rien appris
-sur le secret, — si secret il y a, — de la religion
-chaldéenne et n’ont pas ajouté grand chose aux
-renseignements que nous possédions déjà grâce
-aux fragments de Bérose, dont elles ont du
-reste permis de contrôler plus d’une fois l’exactitude.</p>
-
-<p>Bérose, comme on sait, était un astronome
-chaldéen, prêtre de Bélus, à Babylone, qui
-vers l’an 280 avant J.-C., c’est-à-dire peu
-après la mort d’Alexandre, écrivit en grec une
-histoire de sa patrie. Comme il lisait les caractères
-cunéiformes, il sut mettre à profit les
-archives du temple de Babylone. Malheureusement
-l’œuvre de Bérose est presque entièrement
-perdue et il ne nous en reste que quelques
-débris recueillis par Josèphe, Eusèbe, Tatien,
-Pline, Vitruve et Sénèque. Cette perte est d’autant
-plus regrettable que Bérose, qui paraît avoir
-été un historien sérieux et consciencieux, affirmait
-avoir eu accès à des documents attribués
-à des êtres qui précédèrent l’apparition de
-l’homme sur cette terre ; et que son histoire, au
-dire d’Eusèbe, comprenait 215 myriades d’années.
-Nous avons également perdu sa cosmogonie
-et avec elle toute la science astronomique
-et astrologique de la Chaldée, qui était le grand
-secret des Mages de Babylone dont le zodiaque
-remonte à 6.700 ans. Nous n’avons plus que le
-traité connu sous le nom d’<i>Observations de
-Bel</i>, traduit en grec par Bérose, mais dont le
-texte qui nous est parvenu est de beaucoup
-postérieur.</p>
-
-<p>Les quelques pages qui nous restent de la
-cosmologie chaldéenne offrent une sorte d’« anticipation »
-des théories darwiniennes au sujet
-de l’origine du monde et de l’homme. Le premier
-dieu et le premier homme étaient un dieu
-et un homme-poisson, — ce qui est du reste
-confirmé par l’embryologie, — nés de l’immense
-océan cosmique ; et la nature, en s’essayant à
-créer, produisit d’abord des monstres hétéroclites
-et inviables. Quant à l’astrologie, selon
-la remarque de A.-H. Sayce, le savant professeur
-d’assyriologie de l’Université d’Oxford,
-elle semble surtout basée sur l’axiome : <i lang="la" xml:lang="la">Post
-hoc ergo propter hoc</i>, c’est-à-dire que deux événements
-se succédant, le second était considéré
-comme la cause du premier ; de là le soin avec
-lequel les astrologues observaient les phénomènes
-célestes, afin de prédire empiriquement
-l’avenir.</p>
-
-<p>Somme toute, nous ne connaissons que très
-imparfaitement la religion officielle de l’Assyrie
-et de la Babylonie dont les dieux paraissent
-assez barbares. Cette religion ne s’éclaire et ne
-devient intéressante qu’à partir de la conquête
-de Cyrus qui apporta les enseignements zoroastriens
-et hindous, ou confirma et compléta
-ceux qui vraisemblablement avaient déjà pénétré
-dans le secret des temples ; car la Chaldée
-avait toujours été le grand carrefour où se
-rencontraient forcément toutes les théologies
-de l’Inde, de l’Égypte et de la Perse. C’est
-ainsi que ces enseignements s’infiltrèrent dans
-la Bible, dans la Kabbale et de là dans le
-christianisme.</p>
-
-<p>Mais en tant que religion-source, il faut constater
-que les documents authentiques récemment
-découverts ne nous apprennent presque
-rien et que tout ce qu’on a dit au sujet de
-l’ésotérisme et des mystères de la Chaldée ne
-repose que sur des légendes ou des écrits notoirement
-apocryphes.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch6">LA GRÈCE ANTÉ-SOCRATIQUE</h2>
-
-
-<h3>I</h3>
-
-<p>Il nous reste, pour compléter cette revue sommaire
-des religions primitives et cette recherche
-des origines du grand secret, à dire un mot de
-la théogonie anté-socratique.</p>
-
-<p>Avant l’époque classique, les philosophes
-grecs, dont nous ne possédons d’ailleurs que des
-fragments mutilés, Pythagore, Pétron, Hippasos,
-Xénophane, Anaximandre, Anaximène,
-Héraclite, Alcmène, Parménide d’Élée, Leucippe,
-Démocrite, Empédocle, Anaxagore, se
-trouvaient déjà dans la situation inquiétante
-et bizarre où se retrouvèrent, quinze à vingt
-siècles plus tard, les Kabbalistes juifs et les
-occultistes du Moyen âge. Ils semblent comme
-eux pressentir l’existence ou la tradition obscure
-d’une religion plus ancienne et plus haute
-qui avait répondu ou essayé de répondre à toutes
-les questions angoissantes sur la divinité, l’origine
-du monde et son but, l’éternel devenir se
-juxtaposant à l’être immobile, le passage du
-chaos au cosmos, la sortie du grand tout et la
-rentrée en lui, l’esprit et la matière, le bien et
-le mal, la naissance de l’univers et sa fin,
-l’attraction et la répulsion, le sort, la place et
-la destinée de l’homme.</p>
-
-<p>Elle avait surtout, cette tradition perdue
-que nous avons retrouvée presque intacte dans
-l’Inde, fait une fois pour toutes le départ entre
-le connaissable et l’inconnaissable, et attribuant
-à celui-ci la portion du lion, ose installer
-au centre de sa doctrine un immense aveu
-d’ignorance.</p>
-
-<p>Mais les Grecs ne semblent pas se douter de
-l’existence de cet aveu, simple, net et profond,
-qui leur eût épargné bien des recherches vaines ;
-ou bien, leur esprit plus subtil, plus remuant,
-plus entreprenant, ne voulait pas l’admettre ;
-et toute leur cosmogonie, leur théogonie et leur
-métaphysique n’est qu’un effort incessant pour
-le diminuer en le subdivisant, en l’émiettant à
-l’infini, comme s’ils eussent espéré qu’à force
-de rendre petite chacune des parties de l’inconnaissable,
-ils arriveraient à en connaître le tout.</p>
-
-<p>C’est du reste un spectacle extrêmement curieux
-que cette lutte de la raison grecque, lucide,
-exigeante, tatillonne et voulant se rendre
-compte de tout, contre les ténèbres grandioses
-et souvent désordonnées des religions asiatiques.
-On a dit qu’il manquait aux Grecs le sentiment
-de l’absolu divin ; ce sera vrai, mais plus tard.
-Au début, leur pensée, encore sous l’influence
-de traditions mystérieuses, est tout imprégnée
-du sentiment de cet absolu qui les a souvent,
-par les seuls sentiers de la raison, conduits
-beaucoup plus haut, et peut-être plus près de la
-vérité, que leurs successeurs plus habiles qui
-l’avaient perdu.</p>
-
-
-<h3>II</h3>
-
-<p>Mais sans entrer dans le détail de leurs tâtonnements
-vers une lumière pressentie ou profondément
-ensevelie dans la mémoire atavique
-ou dans des mythes qu’on ne comprenait plus,
-sans préciser l’apport de chacun de ces philosophes,
-ce qui nécessiterait des développements
-intéressants mais disproportionnés, notons simplement
-les concordances essentielles avec les
-théories védiques et brahmaniques.</p>
-
-<p>Xénophane le premier, contre les poètes,
-affirma l’existence d’un dieu unique, immuable,
-éternel. « Dieu, dit-il, n’est point né, car il
-n’aurait pu naître que de son semblable ou de
-son contraire, deux hypothèses dont la première
-est inutile et la seconde absurde. On ne
-peut dire ni qu’il est infini ni qu’il est fini ;
-car infini, n’ayant ni milieu, ni commencement
-ni fin, il ne serait rien du tout ; et fini, il exigerait
-une limite et cesserait d’être un. Il n’est
-ni en repos ni en mouvement pour des raisons
-analogues. Bref, on ne peut lui donner que des
-caractères négatifs<a id="FNanchor_39" href="#Footnote_39" class="fnanchor">[39]</a>. » Ce qui est bien, sous une
-autre forme, avouer qu’il est aussi inconnaissable
-que la cause première des hindous.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_39" href="#FNanchor_39"><span class="label">[39]</span></a> <span class="sc">Albert Rivaud</span>, <i>Le Problème du devenir</i>, p. 102.</p>
-</div>
-<p>Cet aveu de l’inconnaissable est du reste
-plus nettement formulé par Xénophane, en un
-autre endroit. « La vérité, il n’y a point d’homme,
-il n’y en aura point à la connaître, sur les dieux
-et sur les choses que j’enseigne. Arrivât-il à
-quelqu’un de rencontrer la vérité absolue, la
-rencontre demeurerait par lui-même ignorée. En
-toutes choses, il n’y a que la vraisemblance<a id="FNanchor_40" href="#Footnote_40" class="fnanchor">[40]</a> ».</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_40" href="#FNanchor_40"><span class="label">[40]</span></a> Fr. 34.</p>
-</div>
-<p>Ne pourrions-nous pas répéter aujourd’hui
-ce qu’il y a plus de vingt-cinq siècles affirmait
-le fondateur de l’école d’Élée ? Y eut-il, ici
-comme ailleurs, infiltration de la tradition primitive ?
-C’est probable ; en tout cas, sur d’autres
-points, la filiation est nettement établie. Les
-Orphiques qui se trouvent à l’origine légendaire
-et préhistorique de la poésie et de la philosophie
-hellénique, sont en réalité, selon Hérodote, des
-Égyptiens<a id="FNanchor_41" href="#Footnote_41" class="fnanchor">[41]</a>. Nous avons vu d’autre part que
-la religion égyptienne et la religion védique ont
-vraisemblablement une source commune ; et
-qu’il est pour l’instant impossible de dire avec
-certitude laquelle est la plus ancienne. Or, les
-Pythagoriciens ont emprunté aux Orphiques
-l’errance des âmes et la série des purifications.
-D’autres leur ont pris le mythe de Dionysos,
-avec toutes ses conséquences ; car Dionysos,
-dieu-enfant, tué par les Titans et dont Athénée
-sauve le cœur en le cachant dans une corbeille
-et que Jupiter fait renaître, c’est Osiris, c’est
-Krichna, c’est le Bouddha, c’est toutes les
-incarnations divines, c’est le dieu qui descend
-ou plutôt éclate dans l’homme, c’est la mort
-provisoire et illusoire et la renaissance réelle et
-immortelle, c’est l’union temporaire avec la
-divinité qui n’est que le prélude de l’union définitive,
-c’est le cycle sans fin de l’éternel devenir.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_41" href="#FNanchor_41"><span class="label">[41]</span></a> <i>Hérodote</i>, II, 81.</p>
-</div>
-
-<h3>III</h3>
-
-<p>Héraclite, dont on a fait le philosophe des
-mystères, éclaire ce cycle. « Dans la périphérie
-du cercle, le commencement et la fin ne font
-qu’un<a id="FNanchor_42" href="#Footnote_42" class="fnanchor">[42]</a>. » « La divinité est chez lui, dit Auguste
-Dies, origine et terme des existences individuelles.
-L’unité se divise en pluralité et la pluralité
-se résoud en unité ; mais unité et pluralité
-sont contemporaines et l’émanation du
-sein de la divinité est accompagnée d’un retour
-incessant à la divinité<a id="FNanchor_43" href="#Footnote_43" class="fnanchor">[43]</a>. » Tout sort de Dieu,
-tout rentre en Dieu, tout devient un, un devient
-tout. Dieu ou le monde est un, la pensée
-divine est répandue en toutes les parties de
-l’univers. En un mot, son système, comme
-celui des Védas et des Égyptiens, est un panthéisme
-unitaire.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_42" href="#FNanchor_42"><span class="label">[42]</span></a> <i>Héraclite</i>, fr. 102.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_43" href="#FNanchor_43"><span class="label">[43]</span></a> <span class="sc">Auguste Dies</span>, <i>Le Cycle mystique</i>, p. 62.</p>
-</div>
-<p>Dans Empédocle, qui succède à Xénophane
-et à Parménide, nous retrouvons exactement,
-au sujet de la cosmologie, la théorie hindoue
-de l’expansion et de la contraction de l’univers,
-du dieu qui l’inspire et qui l’expire, de l’intériorisation
-et de l’extériorisation alternatives.
-« A l’origine, les éléments sont confondus dans
-la parfaite immobilité du Sphéros. Mais quand
-la force de répulsion qui demeurait inactive à
-la circonférence externe, a repris son mouvement
-vers le centre, la séparation commence.
-Elle irait jusqu’à l’absolue division et l’éparpillement
-de l’être, si une force antagoniste ne
-ramenait les éléments dispersés, jusqu’à ce
-que graduellement se recompose l’unité primitive<a id="FNanchor_44" href="#Footnote_44" class="fnanchor">[44]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_44" href="#FNanchor_44"><span class="label">[44]</span></a> <i lang="la" xml:lang="la">Ibid.</i>, p. 84, 85.</p>
-</div>
-<p>Le génie grec qui, comme nous en voyons ici
-un exemple curieux, veut autant que possible
-expliquer l’inexplicable, que le génie hindou se
-contente de grandiosement ressentir, appelle
-haine la force de répulsion et amitié la force
-d’attraction. Ces forces existent de toute éternité.
-« Elles étaient, elles seront, et jamais, à ce
-que je crois, n’en sera dépouillée l’interminable
-durée. Tantôt la pluralité se résoud en unité
-dans l’amour, et tantôt l’unité se redivise en
-pluralité dans la haine et le combat. »</p>
-
-<p>Mais d’où vient cette dualité dans l’unité,
-d’où naissent ces principes opposés d’attraction
-et de répulsion, de haine et d’amour ?
-Empédocle et son école ne le disent point.
-Ils constatent simplement que dans la division,
-la répulsion ou la haine, il y a déchéance, et
-ascension ou réascension dans l’attraction, le
-retour à l’unité et à l’amour, de même que les
-Hindous mettaient l’idée de déchéance dans
-la matière et l’idée de remontée et de retour à
-la divinité, dans l’esprit. L’aveu d’ignorance
-est pareil, et pareils sont aussi les moyens de
-sortir de la haine et de se dégager de la matière.
-C’est d’abord la purification durant la vie, et
-une purification toute spirituelle. « Bienheureux,
-dit le philosophe d’Agrigente, est celui qui
-s’acquiert une richesse de pensées divines ;
-malheureux est celui qui n’a des dieux qu’une
-opinion ténébreuse. »</p>
-
-<p>C’est encore et surtout la purification par les
-réincarnations successives. Empédocle va plus
-loin que la religion védique qui se borne, du
-moins jusqu’à Manou, à la réincarnation de
-l’homme dans l’homme, il admet comme les
-Pythagoriciens, la métempsycose, c’est-à-dire le
-passage de l’âme, non seulement dans les animaux,
-mais même dans les plantes, et la ramène
-ainsi, d’ascensions en ascensions jusqu’à
-la divinité d’où elle était sortie et où elle
-rentre et se résorbe, comme dans le Nirvana
-hindou.</p>
-
-
-<h3>IV</h3>
-
-<p>Il est peut-être intéressant, à ce propos, de
-faire remarquer que, comme dans la doctrine
-védique et égyptienne, il n’est pas question
-de récompenses et de châtiments extérieurs.
-Dans la métempsycose anté-socratique, comme
-dans la réincarnation hindoue, comme devant
-le tribunal d’Osiris, c’est l’âme qui se juge et
-qui, automatiquement, pour ainsi dire, se classe
-dans le bonheur ou le malheur auquel elle a
-droit. Il n’y a pas de dieu irrité et vengeur, il
-n’y a pas de lieux spéciaux et maudits réservés
-aux réprouvés et à l’expiation. On n’expie pas
-dans la mort, parce qu’il n’y a pas de mort.
-On n’expie que dans la vie et par la vie, en
-celle-ci ou dans l’autre. Ou plutôt il n’y a pas
-expiation, il y a simplement dessillation. L’âme
-est heureuse ou malheureuse parce qu’elle se
-sent ou ne se sent pas à sa place ; parce qu’elle
-peut ou ne peut pas atteindre la hauteur qu’elle
-avait espérée. Elle n’éprouve sa divinité qu’à
-proportion qu’elle a compris ou comprend Dieu.
-Dépouillée de tout ce qui était matériel et
-l’aveuglait, elle se voit tout d’un coup sur
-l’autre rive, telle qu’elle était à son insu sur
-celle-ci. De tous ses biens, de son bonheur ou
-de sa gloire, il ne lui reste que ses acquisitions
-intellectuelles et morales. Elle n’est plus autre
-chose que les pensées qu’elle eut et les vertus
-qu’elle pratiqua. Elle constate ce qu’elle est et
-entrevoit ce qu’elle aurait pu être ; et si elle n’est
-pas satisfaite, elle se dit : « c’est à recommencer »,
-et elle rentre volontairement dans la vie pour
-viser plus haut et en ressortir plus grande et
-plus heureuse.</p>
-
-
-<h3>V</h3>
-
-<p>Au fond, dans la théologie et dans les mythes
-anté-socratiques, comme dans les théologies et
-les mythes des religions qui les précédèrent, il
-n’y a pas d’enfer, il n’y a pas de paradis. Aux
-souterrains de l’Hadès, comme aux prés des
-Champs-Élysées, ne se trouvent que les ombres,
-les mânes astrales, les doubles égyptiens, les
-restes inconsistants de nos désincarnés. Les
-instruments de leur supplice ou les accessoires
-de leur pâle félicité, ne sont que des pièces
-d’identité, à l’aide desquels, comme les vagues
-interlocuteurs de nos spirites, ils cherchent à
-se faire reconnaître. Ici, aussi bien que dans
-l’Inde, l’enfer n’est pas un lieu, mais un état
-de l’âme après la mort. Les mânes ne sont
-pas châtiées dans la pénombre, elles continuent
-seulement d’y vivre les reflets de leur vie d’autrefois.
-Tantale y a soif, Sisyphe y roule son
-rocher, les Danaïdes s’y épuisent à remplir leur
-tonneau sans fond, Achille y brandit sa lance,
-Ulysse y porte sa rame, Hercule y tend son arc ;
-leurs vaines effigies répètent à l’infini les gestes
-mémorables ou habituels de leur existence terrestre ;
-mais l’esprit impérissable, l’âme immortelle
-n’est pas là, elle se purifie, elle agit autre
-part, en d’autres corps, sur la longue route invisible
-qui la ramène en Dieu.</p>
-
-<p>A ce moment, comme à toutes les hautes origines,
-il n’y a pas encore de crainte de la mort
-et de l’au-delà. Cette crainte ne se montre et
-ne se développe dans les grandes religions que
-lorsque celles-ci commencent à se corrompre au
-profit des prêtres et des rois. L’intuition et
-l’intelligence de l’humanité ne regagnèrent jamais
-l’altitude qu’elles atteignirent quand elles
-conçurent de la divinité l’idée dont nous retrouvons
-les traces les plus pures dans les traditions
-védiques. On peut dire qu’en ces jours
-l’homme découvrit au plus haut de lui-même et
-y fixa, une fois pour toutes, la notion du divin,
-qu’il oublia depuis, qu’il altéra souvent ; mais
-sous les oublis et les altérations éphémères, elle
-transparaît toujours. Et c’est ainsi, qu’au fond
-de tous ces mythes, de tous ces enseignements
-parfois si disparates, nous sentons le même optimisme,
-ou du moins la même confiance ignorante,
-car le secret le plus ancien de l’homme
-est bien une immense, une aveugle confiance en
-la divinité dont il était sorti sans cesser d’en faire
-partie et dans laquelle il rentrera un jour.</p>
-
-<p>Il y aurait encore bien d’autres points de
-contact à signaler, par exemple dans la théorie
-des atomistes qui renferme d’étranges intuitions.
-Leucippe et Démocrite, notamment, enseignent
-que le mouvement gyratoire des
-sphères existe de toute éternité et Anaxagore
-développe la théorie des tourbillons élémentaires
-que retrouve la science contemporaine.
-Mais ce que nous venons de noter paraîtra
-sans doute suffisant. Du reste, on aborde la plupart
-des grands mystères de l’homme dans
-cette philosophie trop généralement regardée
-comme un tissu d’absurdité et de spéculations
-puériles. A l’étudier de plus près, on y constate
-au contraire les plus merveilleux efforts de
-la raison humaine qui, secrètement soutenue
-par la vérité que contenaient des mythes obnubilés,
-serre de plus près qu’un grand nombre
-d’hypothèses modernes, le vraisemblable et le
-plausible.</p>
-
-
-<h3>VI</h3>
-
-<p>On peut supposer que les parties les plus
-hautes de cette théosophie et de cette philosophie,
-c’est-à-dire celles qui touchaient à
-la cause suprême et à l’inconnaissable, peu à
-peu négligées et oubliées dans la théosophie et
-la philosophie classiques, devinrent, comme en
-Égypte et dans l’Inde, le secret des hiérophantes
-et formèrent, avec des traditions
-orales et plus directes, le fond de ces fameux
-mystères grecs, notamment de ceux d’Eleusis,
-dont on n’a jamais percé les ténèbres.</p>
-
-<p>Le dernier mot du grand secret devait y être
-aussi l’aveu d’une ignorance invincible et sacrée.
-En tout cas, ce qu’il y avait déjà de négatif et
-d’inconnaissable dans les mythes et dans cette
-philosophie qu’on lui rappelait, suffisait à
-anéantir chez l’initié les dieux qu’adorait le
-profane, en même temps qu’il apprenait pourquoi
-un enseignement, si dangereux pour ceux
-qui n’étaient pas à même d’en comprendre l’ampleur,
-devait rester occulte. Il n’y avait probablement
-pas autre chose dans cette révélation
-suprême, parce qu’il n’y a probablement pas
-d’autre secret que l’homme puisse posséder ou
-concevoir ; qu’il ne peut avoir existé, qu’il
-n’existera jamais de formule qui donne la clef
-de l’univers.</p>
-
-<p>Mais outre cet aveu qui devait paraître écrasant
-ou libérateur, selon la qualité de l’esprit
-qui le recevait, on initiait probablement le néophyte
-à une science occulte plus positive, analogue
-à celle que possédaient les prêtres égyptiens
-et hindous. On devait surtout lui enseigner
-le moyen d’arriver à l’union divine ou à
-l’immersion dans la divinité par l’extase. Il
-est permis de supposer que cette extase était
-obtenue à l’aide de procédés hypnotiques, mais
-d’un hypnotisme beaucoup plus savant et plus
-développé que le nôtre, et dans lequel l’hypnotisme
-proprement dit, le magnétisme, le médiumnisme,
-et toutes les mystérieuses forces,
-odiques et autres, du subconscient, mieux
-connues qu’elles ne le sont aujourd’hui, se
-mêlaient et étaient mises en œuvre.</p>
-
-<p>Celui que plusieurs considèrent comme le
-plus grand théosophe contemporain, Rudolph
-Steiner, prétend, ainsi que nous le verrons plus
-loin, avoir retrouvé le moyen, ou l’un des
-moyens, de provoquer cette extase et de se
-mettre en communication avec les mondes
-supérieurs et avec Dieu.</p>
-
-
-<h3>VII</h3>
-
-<p>De ce qui précède, on peut, semble-t-il,
-conclure que les grands initiés, ou pour parler
-plus exactement, les adeptes des religions ésotériques,
-des collèges de prêtres ou des fraternités
-occultes, sur l’origine et le but de l’univers,
-sur le caractère inconnaissable de la cause
-première, ou du dieu des dieux, sur les devoirs
-et les destinées de l’homme, ne savaient pas
-autre chose que ce qu’avaient ouvertement enseigné,
-à ceux qui étaient capables de le comprendre,
-les grandes religions primitives. Ils
-ne savaient pas autre chose pour la raison que
-jusqu’ici il n’a pas été possible de savoir et par
-conséquent d’enseigner autre chose. S’ils avaient
-su autre chose, nous le saurions aussi ; car il
-n’est guère admissible que l’essentiel d’un tel
-secret n’eût pas transpiré depuis tant de milliers
-d’années qu’il était connu de tant de milliers
-d’hommes. S’il était possible d’imaginer
-qu’il existe et que nous le puissions connaître,
-le connaissant, nous ne serions plus des hommes.
-Il y a à la connaissance des limites que le cerveau
-n’a pas encore franchies, qu’il ne pourra jamais
-franchir sans cesser d’être un cerveau humain.
-Tout au plus, l’aveu de l’agnosticisme irréductible
-et du panthéisme intégral, qui sont les
-deux pôles entre lesquels a toujours oscillé,
-oscille encore et probablement oscillera toujours
-la pensée humaine la plus haute, pouvait-il être
-plus franc, plus net, plus dénué de formes, plus
-total et mettre en garde ceux qui le recevaient
-contre les apparences fallacieuses et les mensonges
-nécessaires des théogonies et des mythologies
-officielles.</p>
-
-
-<h3>VIII</h3>
-
-<p>Non plus qu’à une certaine hauteur il n’y
-avait de cosmogonie, de théogonie ou de théologie
-ésotérique, n’y avait-il de morale secrète.
-Sous ce rapport, nous venons de le voir à la hâte,
-les religions primitives avaient tout exploré,
-sans laisser un coin d’ombre où pussent se réfugier
-les amants du mystère et les chercheurs
-d’inconnu. Leur morale est d’emblée, ou paraît
-être d’emblée, — car nous ignorons les milliers
-d’années d’élaboration, — la plus élevée, la
-plus parfaite que l’homme puisse espérer de
-pratiquer. Elle a tout éprouvé, elle a tenté et
-gravi toutes les montagnes. Où elle a passé, et
-elle a passé partout, surtout sur les plus âpres
-cimes, il ne reste rien à glaner. Nous sommes
-encore à des centaines de siècles au-dessous
-de ce qu’elle atteignit sur les sommets de l’abnégation,
-de la bonté, de la pitié, du sacrifice,
-du don total de soi ; et principalement dans
-la recherche de ce que Novalis appelait « notre
-moi transcendental », c’est-à-dire la partie
-divine et éternelle de notre être.</p>
-
-<p>Quant aux sanctions, elles allèrent également
-à l’extrême de ce que l’intelligence peut concevoir ;
-car parties de l’inconnaissable, elles ne
-pouvaient, à peine de se démentir, attribuer à cet
-inconnaissable une volonté quelconque. Elles
-devaient donc mettre en nous-mêmes la récompense
-et le châtiment d’une morale qui ne pouvait
-naître qu’en nous. Ici non plus il n’y avait
-pas la moindre place pour un enseignement
-différent et occulte.</p>
-
-<p>Reste l’énigme de l’origine du mal, de l’antagonisme
-apparent de l’esprit et de la matière,
-de la nécessité du sacrifice, de la douleur et de
-l’expiation. Ici encore, à moins de se contredire,
-la tradition occulte ne pouvait rien fonder
-sur l’inconnaissable. Elle avait simplement
-à admettre, à titre provisoire, l’explication la
-plus haute des religions ésotériques qui regardent
-la matière et les ténèbres, la division et la séparation,
-non comme le mal en soi, mais comme
-des états transitoires de la substance une et
-éternelle, une phase du va-et-vient du devenir
-sans fin, dont il fallait s’efforcer de sortir pour
-atteindre le plus tôt possible l’état ou la phase
-spirituelle. Elle n’avait et sans doute ne pouvait
-avoir à cet égard un enseignement plus
-satisfaisant. En tout cas aucun écho n’en est
-parvenu jusqu’à nous et il est probable qu’elle
-se contentait, une fois de plus, d’accentuer
-l’aveu de son ignorance invincible.</p>
-
-
-<h3>IX</h3>
-
-<p>Voilà donc les points, — et ce sont les plus
-importants, — sur lesquels l’enseignement
-ésotérique, s’il y eut à l’origine un tel enseignement,
-devait nécessairement se confondre
-avec l’enseignement public des religions primitives
-saisies près de leurs sources. Il est vraisemblable,
-je l’ai déjà dit, que cet enseignement
-ne prit un caractère secret que beaucoup plus
-tard, quand les religions officielles se furent
-extraordinairement compliquées et profondément
-corrompues. L’ésotérisme ne fut alors
-que le retour à la pureté originelle, de même
-qu’en Grèce, les doctrines ou les hypothèses
-anté-socratiques, d’origine, quoiqu’on en ait
-dit, évidemment asiatique, devinrent celles des
-mystères. Il est donc à peu près certain que sur
-ces questions, les occultistes de tous les temps
-et de tous les pays n’en savaient pas plus que
-nous. Mais il est d’autres domaines où ils paraissent
-avoir possédé des traditions que les
-religions officielles ne nous ont pas transmises
-et dont les successeurs des grands adeptes de
-l’Inde, de l’Égypte, de la Perse, de la Chaldée
-et de la Grèce, les Kabbalistes, les néo-platoniciens,
-les gnostiques et les hermétistes du
-Moyen âge ont plus ou moins vainement tenté
-de retrouver le secret.</p>
-
-
-<h3>X</h3>
-
-<p>Ce domaine est celui des forces inconnues
-de la nature. Il n’est plus guère possible de contester
-que les prêtres de l’Inde, de l’Égypte,
-les Mages de la Perse et de la Chaldée avaient
-en chimie, en physique, en astronomie, en médecine,
-des connaissances que sur certains points
-nous avons sans doute dépassées, mais que sur
-d’autres nous sommes peut-être fort loin d’avoir
-récupérées. Sans rappeler ici ces rochers de
-quinze cents tonnes transportés à d’énormes
-distances par des procédés inconnus, ou ces
-pierres branlantes, blocs de cinq cent mille kilos
-qui n’appartiennent jamais au sol sur lequel
-ils se trouvent et qui remontent aux temps
-préhistoriques des Atlantes, il est indubitable
-que la grande pyramide, celle de Khéops, par
-exemple, est une sorte d’immense hiéroglyphe
-qui, par ses dimensions, ses proportions, ses
-dispositions intérieures, son orientation astronomique,
-propose toute une série d’énigmes
-dont on n’a jusqu’ici déchiffré que les plus
-évidentes. Une tradition occulte avait toujours
-affirmé que cette pyramide recélait des secrets
-essentiels, mais c’est tout récemment qu’on a
-commencé de les démêler. L’abbé Moreux,
-le savant directeur de l’observatoire de Bourges,
-résumant parfaitement la question dans ses
-<i>Énigmes de la Science</i><a id="FNanchor_45" href="#Footnote_45" class="fnanchor">[45]</a>, nous montre que le méridien
-de la pyramide, ou la ligne nord-sud,
-passant par son sommet, est le méridien idéal,
-c’est-à-dire celui qui traverse le plus de continents
-et le moins de mers, et que si l’on calcule
-exactement l’étendue des terres que l’homme peut
-habiter, il les divise en deux parties rigoureusement
-égales. D’autre part, en multipliant la
-hauteur de la pyramide par un million, on
-trouve la distance de la terre au soleil, soit
-148.208.000 kilomètres, ce qui est, à un million
-de kilomètres près, la distance qu’à la suite
-de longs travaux, d’expéditions lointaines et
-dangereuses, et grâce aux progrès de la photographie
-céleste, la science moderne a définitivement
-adoptée.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_45" href="#FNanchor_45"><span class="label">[45]</span></a> Abbé <span class="sc">Th. Moreux</span>, <i>Les Énigmes de la science</i>, p. 5 et suiv.</p>
-</div>
-<p>De son côté, le célèbre astronome Clarcke
-a déduit des mesures récentes le rayon polaire
-de la terre qu’il évalue à 6.356.521 mètres.
-Or, c’est exactement la coudée pyramidale,
-soit 0,6356,521 multiplié par 10 millions.
-Ensuite, en divisant le côté de la pyramide
-par la coudée employée dans sa construction,
-on trouve la longueur de l’année sidérale, c’est-à-dire
-le temps que le soleil met à revenir au
-même point du ciel. Puis, si nous multiplions
-le pouce pyramidal par 100 millions, nous
-obtiendrons la longueur parcourue par la terre
-sur son orbite en un jour de vingt-quatre heures,
-avec une approximation plus grande que ne
-pourraient le permettre nos mesures actuelles,
-le yard ou le mètre français. Enfin, le passage
-d’entrée de la pyramide regardait l’étoile polaire
-de l’époque ; il aurait donc été orienté
-en tenant compte de la précession des équinoxes,
-phénomène d’après lequel le pôle céleste revient
-coïncider avec les mêmes étoiles au bout de
-25.796 ans.</p>
-
-<p>Nous voyons donc, comme le dit l’abbé
-Moreux, « que toutes ces conquêtes de la science
-moderne se trouvent dans la grande pyramide,
-à l’état de grandeurs naturelles, mesurées et
-toujours mesurables, ayant seulement besoin
-pour se montrer au grand jour, de la signification
-métrique qu’elles portent en elles ».</p>
-
-<p>Il est impossible d’attribuer à de simples
-coïncidences ces enseignements singuliers. Ils
-nous prouvent que les prêtres égyptiens avaient
-en géographie, en mathématiques, en géométrie,
-en astronomie, des connaissances que nous
-venons à peine de reconquérir ; et rien ne nous
-dit que cette énigmatique pyramide ne renferme
-pas une foule d’autres secrets que nous n’avons
-pas encore découverts. Mais le plus étrange,
-le plus déconcertant, c’est qu’aucun des innombrables
-hiéroglyphes qu’on a déchiffrés, rien
-de ce que nous trouvons dans toute la littérature
-de l’Égypte antique, ne fait allusion à
-cette science extraordinaire. Il est même évident
-que les prêtres ont voulu la cacher ; la
-coudée pyramidale ou sacrée, clef de tous les
-calculs et de toutes les mesures scientifiques,
-n’était pas employée d’une façon courante ;
-et tout ce savoir miraculeux, venu on ne sait
-d’où, était volontairement et systématiquement
-enseveli dans un tombeau et proposé
-comme une énigme ou un défi aux siècles
-futurs. La révélation d’un tel mystère, due
-au hasard, ne nous permet-elle pas de soupçonner
-que bien d’autres mystères, de toute nature,
-soit dans cette pyramide, soit en d’autres
-monuments ou dans les écritures sacrées, attendent
-d’un autre hasard une révélation analogue ?</p>
-
-<p>En l’attendant, il est en tout cas très probable
-que les prêtres égyptiens avaient enseigné aux
-mages de la Chaldée le secret de ce qu’Eliphas
-Lévi appelle « une pyrotechnie transcendentale »
-et que les uns et les autres connaissaient
-l’électricité et avaient des moyens de la produire
-et de la diriger que nous ignorons encore. En
-effet, Pline nous rapporte que Numa, qui fut
-initié aux mystères des mages, possédait l’art
-de former et de diriger la foudre et qu’il se servit
-avec succès de sa batterie foudroyante contre
-un monstre nommé Volta qui désolait la campagne
-romaine<a id="FNanchor_46" href="#Footnote_46" class="fnanchor">[46]</a>. Devançant l’invention du téléphone,
-les prêtres égyptiens pouvaient encore,
-nous dit-on, instantanément communiquer d’un
-temple à l’autre, quelle que fût la distance. Du
-reste la Bible<a id="FNanchor_47" href="#Footnote_47" class="fnanchor">[47]</a> nous a laissé le témoignage de
-leur science et de leur puissance, lorsqu’elle
-nous les montre, parmi les dix plaies qui n’étaient
-que des œuvres de magie, luttant à coups de
-miracles contre Moïse qui était lui-même un de
-leurs initiés.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_46" href="#FNanchor_46"><span class="label">[46]</span></a> <i>Pline</i>, l. II, ch. 53.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_47" href="#FNanchor_47"><span class="label">[47]</span></a> <i>Exode</i>, VII, VIII.</p>
-</div>
-
-<h3>XI</h3>
-
-<p>Mais c’est surtout en ce qui touche au subconscient,
-aux mystères de l’Hôte inconnu, à
-ce que nous appelons aujourd’hui la psychologie
-anormale, à l’astral, à l’hypnotisme, au
-médiumnisme, aux propriétés de l’éther, aux
-fluides ignorés, à la médecine odique, à l’hyperchimie,
-à la survivance, à la connaissance de
-l’avenir, qu’ils devaient posséder des secrets
-à la recherche desquels les hermétistes du
-Moyen âge, au milieu de leurs pentacles, de
-leurs cryptogrammes, de leurs grimoires falsifiés
-et méconnaissables, se sont exténués. C’est
-apparemment dans ces régions de l’occultisme
-qu’il nous reste quelque chose à glaner ; et c’est
-vers elles que revient, par d’autres chemins,
-notre métapsychique.</p>
-
-<p>C’est également dans ces parages ténébreux
-que les derniers initiés de l’Inde, héritiers des
-traditions ésotériques, l’emportent encore de
-beaucoup sur tout ce que nous savons et produisent
-ces phénomènes singuliers que la jonglerie
-et la supercherie ne suffisent pas toujours
-à expliquer et qui provoquent l’étonnement
-des voyageurs les plus sceptiques et les plus
-soupçonneux.</p>
-
-<p>Ont-ils en réserve, comme ils le prétendent,
-d’autres secrets, notamment ceux qui leur
-permettraient de manipuler certaines forces
-terribles et irrésistibles, telle que la force intramoléculaire
-ou la puissance formidable et inépuisable
-de la gravitation, du son ou de l’éther ?
-C’est possible mais moins certain. Il est assez
-incompréhensible qu’en cas d’urgence, quand
-il était question de vie ou de mort, ils n’y aient
-jamais eu recours. L’Inde, comme l’Égypte,
-la Perse et la Chaldée, a subi d’effroyables invasions
-qui non seulement menaçaient sa civilisation,
-anéantissaient ses richesses, brûlaient
-ses livres sacrés, massacraient ses habitants,
-mais s’attaquaient à ses dieux, violaient ses
-temples, exterminaient ses prêtres. Cependant
-on ne constate pas qu’elle ait jamais tourné
-contre ses agresseurs une arme surnaturelle.
-On peut répondre que vu l’immensité des territoires,
-ces invasions ne furent jamais totales,
-que les derniers initiés pouvaient fuir devant
-elles et se réfugier en d’inaccessibles montagnes ;
-qu’au surplus, leur royaume n’étant pas
-de ce monde, ils ne se sentaient pas le droit
-d’user de leurs pouvoirs supra-terrestres, car
-un axiome fondamental de la haute science
-interdit de l’abaisser à la poursuite d’un dessein
-matériellement avantageux ; c’est encore possible.
-Il n’en reste pas moins que la domination
-anglaise et surtout la conquête du Thibet,
-en 1904, par le colonel Younghusband, ont porté
-un coup très sensible au prestige de leurs connaissances
-occultes.</p>
-
-
-<h3>XII</h3>
-
-<p>Jusqu’en 1904, en effet, le Thibet était considéré
-par les occultistes comme le dernier asile
-de leur science. Il possédait, à leur dire,
-d’immenses bibliothèques souterraines, aux
-livres innombrables, dont certains remontaient
-aux temps préhistoriques des Atlantes, où
-étaient consignées, en des langues connues
-seulement de quelques adeptes, les révélations
-suprêmes et immémoriales. Au sein de ses lamasseries
-où pullulaient des milliers de moines, il
-nourrissait un collège de grands initiés, à la tête
-duquel se trouvait, initié des initiés, et incarnation
-de Dieu sur la terre, le Dalai-Lama.</p>
-
-<p>Aucun Européen n’avait jamais, affirmait-on,
-violé son territoire sacré ; ce qui du reste n’était
-pas tout à fait exact, car en 1661, en 1715
-et en 1719, deux ou trois jésuites et quelques
-capucins y avaient pénétré. En 1740, un voyageur
-hollandais séjourna dans Lhassa, puis,
-en 1813, un Anglais. Ensuite, en 1846, les missionnaires
-Huc et Gobet, déguisés en lamas,
-parvinrent à s’y glisser. Mais depuis, malgré
-de multiples et périlleuses tentatives, dont
-la dernière et la plus notoire fut celle de Sven-Hedin,
-aucun explorateur n’avait réussi à
-atteindre la ville sainte. On peut donc dire que
-de toutes les terres de notre globe, c’était la
-plus mystérieuse et la plus prestigieuse.</p>
-
-<p>A l’annonce de l’expédition sacrilège, on
-s’attendit, dans le monde des occultistes, à
-d’étranges événements. Je me rappelle la confiance,
-la sereine certitude avec laquelle l’un
-des plus savants, des plus sérieux de ceux-ci,
-au début de l’année 1904, me disait : « Ils ne
-savent pas à quoi ils s’attaquent. Ils vont provoquer
-dans leur refuge les plus redoutables
-puissances. Il est à peu près certain que les
-derniers adeptes transhimalayens possèdent le
-secret de la terrible force éthérique ou sidérale,
-le « Mash-maket » des Atlantes, l’irrésistible
-« Vril » dont parle Bulwer-Lytton, cette force
-vibratoire qui, d’après les instructions qui se
-trouvent dans l’Astra-Vidya, peut réduire en
-cendre cent mille hommes et éléphants, aussi
-facilement qu’elle réduirait en poudre un rat
-mort. Il va se passer des choses extraordinaires.
-Ils n’atteindront jamais l’inviolable Potala ! »</p>
-
-<p>Il ne se passa rien du tout, du moins rien
-de ce qu’on attendait. Après de longs pourparlois
-diplomatiques, où se révèlèrent, sous un jour
-déconcertant, l’impéritie, l’incompréhension, la
-sénilité, la mauvaise foi chinoise, et l’astuce
-enfantine du collège des Lamas, les troupes du
-colonel Younghusband, composées surtout de
-Sikhs et de Gurkhas, encadrés d’Européens,
-se mirent en marche. Dans ces régions déchiquetées
-et sur ces hauts plateaux glacés, désolés
-et inhabitables de l’Himalaya, les plus âpres
-du monde, elles eurent à surmonter des difficultés
-inouïes et dans des défilés qu’une poignée
-d’hommes bien commandés eût rendus inexpugnables,
-se heurtèrent plus d’une fois à la résistance
-inhabile et courageuse des soldats du
-Dalai-Lama, fanatisés par les « mantras » et
-les charmes de leurs prêtres, mais armés de fusils
-à mèche et de mauvais canons indigènes. Les
-Anglais approchèrent enfin de Lhassa, et les
-abbés des grands monastères, affolés, durant
-cinq jours, maudirent solennellement l’envahisseur,
-mirent en mouvement des milliers de moulins
-à prières, eurent recours aux suprêmes incantations ;
-inutilement. Le 4 août, le colonel
-Younghusband fit son entrée dans la capitale du
-Thibet, occupa le Saint des Saints, la résidence
-de Dieu : la Potala, immense et fantastique
-édifice qui s’élance au-dessus des masures de
-la ville et ressemble, avec ses terrasses, ses
-toits plats, ses bastions, à une forteresse, à
-une superposition de villas italiennes, à une
-caserne aux fenêtres innombrables et à certains
-gratte-ciel américains. Le Dalai-Lama,
-la treizième incarnation de la divinité, le pape
-du Bouddhisme, le père spirituel de six cent
-millions d’âmes, avait honteusement pris la
-fuite et ne fut jamais retrouvé. On explora
-les couvents et les sanctuaires où grouillaient
-plus de trente mille moines résignés et indifférents
-et on n’y découvrit que les restes de la
-plus haute religion que connurent les hommes,
-achevant de se décomposer dans de puériles
-superstitions, dans le mécanisme des moulins
-à prières, et dans la plus déplorable sorcellerie.
-Ainsi s’effondra le suprême asile du mystère et
-furent livrés aux profanes les derniers secrets de
-la terre.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch7">LES GNOSTIQUES
-ET LES NÉO-PLATONICIENS</h2>
-
-
-<h3>I</h3>
-
-<p>Laissant de côté Platon et son école dont les
-théories sont trop connues pour qu’il soit utile
-de les rappeler ici, nous quittons maintenant
-les eaux relativement claires des religions primitives
-pour entrer dans les remous confus
-qui en dérivent. A mesure que se perdaient
-les notions grandioses et simples que leur altitude
-même dérobait aux regards, celles qui leur
-succédaient et qui n’en étaient que des reflets
-déformés ou brisés, s’obscurcissaient et se multipliaient.
-Il suffira de les passer assez rapidement
-en revue ; car après ce que nous savons,
-ou plutôt après ce que nous savons ne pouvoir
-savoir, elles n’ont plus grand chose à nous
-apprendre et ne font qu’embrouiller et compliquer
-sans fruit l’aveu de l’inconnaissable et les
-conséquences qui en découlent.</p>
-
-<p>Avant la lecture des hiéroglyphes et la découverte
-des livres sacrés de l’Inde et de la Perse,
-jusqu’aux travaux de nos métapsychistes scientifiques,
-les seules sources de l’occultisme
-étaient la Kabbale et les écrits des gnostiques
-et des néo-platoniciens d’Alexandrie.</p>
-
-<p>Il est assez difficile de situer chronologiquement
-la Kabbale. Le Sefer Yezirah, tel que nous
-le connaissons, qui en est le portique, semble avoir
-été écrit vers l’an 829 de notre ère, et le Zohar
-qui en est le temple, vers la fin du <small>XIII</small><sup>e</sup> siècle.
-Mais une partie des doctrines qu’elle enseigne
-remonte beaucoup plus haut, c’est-à-dire jusqu’à
-la captivité de Babylone et même jusqu’au
-séjour des Hébreux en Égypte. Il faudrait donc,
-à ce point de vue, la placer avant les gnostiques
-et les néo-platoniciens ; mais d’autre part,
-elle a fait à ceux-ci tant d’emprunts, ils ont
-exercé sur elle une telle influence, qu’il est presque
-impossible d’en parler avant qu’on ait fait
-connaître ceux à qui elle doit le meilleur et le
-pire de ses théories.</p>
-
-
-<h3>II</h3>
-
-<p>Il est vrai que de leur côté, ces traditions
-juives mêlèrent leurs flots abondants à ceux des
-autres religions orientales qui du <small>I</small><sup>er</sup> au <small>VI</small><sup>e</sup> siècle
-envahirent la théosophie et la philosophie
-grecque et romaine et firent qu’on remit en question
-et qu’on se reprit à étudier de plus près les
-croyances et les théories sur lesquelles on avait
-vécu. Il y eut alors, dans le monde intellectuel,
-et surtout à Alexandrie où confluaient toutes les
-races et toutes les doctrines, une étrange fièvre
-de curiosité, d’inquiétude et d’activité. Pour la
-première fois, — elle le croyait du moins, — la
-philosophie hellénique se trouvait directement
-en contact avec les religions et les philosophies
-orientales, audacieuses, grandioses, abyssales,
-que jusqu’alors elle ne connaissait que par
-ouï-dire ou par bribes parcimonieuses. Les
-Gnostiques apportaient entre autres les doctrines
-de Zoroastre ; les énigmatiques Esséniens,
-théosophes et théurgistes, venus des bords
-de la Mer Morte, qui disparurent assez mystérieusement,
-bien qu’au temps de Philon ils
-fussent au nombre de 40.000, ou finirent par se
-confondre avec les Gnostiques, représentaient
-sans doute plus directement l’élément hindou ;
-les Kabbalistes d’avant la Kabbale écrite
-ravivaient les enseignements de la Perse, de la
-Chaldée et de l’Égypte, les Chrétiens s’éveillaient
-entre la Bible et les légendes de l’Inde,
-les Néo-platoniciens qu’on pourrait plus justement
-appeler les Néo-orphiques ou Néo-pythagoriciens,
-revenaient aux vieux philosophes du
-<small>VI</small><sup>e</sup> siècle avant notre ère et s’efforçaient d’y
-retrouver des vérités trop longtemps méconnues
-que les révélations orientales remettaient
-brusquement en lumière.</p>
-
-<p>Nous n’avons pas à étudier ici cette effervescence
-qui est une des crises les plus intenses et, à
-certains égards, les plus fécondes que l’on
-constate dans l’histoire de la pensée humaine.
-Pour ce qui nous intéresse en ce moment, il suffit
-de noter qu’au point de vue de l’idée de Dieu,
-de la cause première, de l’esprit pré-cosmique,
-ou de la réalité absolue qui précède tout être
-manifesté ou conditionné, comme au point de
-vue de l’origine, du but, de l’économie de l’univers
-et de la nature du bien et du mal, elle ne
-nous apprend rien que nous n’ayons trouvé dans
-les religions et les philosophies antérieures. Les
-manifestations de l’Inconnaissable, la division
-de l’Unité primordiale, la descente de l’esprit
-dans la matière sont attribuées au <i>Logos</i> et
-changent de nom sans changer de ténèbres.
-Pour tenter d’expliquer les contradictions insolubles
-entre un dieu immobile et un univers
-sans cesse en mouvement, entre un dieu inconnaissable
-qu’on finit par connaître dans tous ses
-détails, entre un dieu bon qui crée, veut ou
-permet le mal, on imagine d’abord une triple
-hypostase, puis une foule de divinités intermédiaires,
-démiurges ou dédoublements de Dieu,
-Éons, facultés ou attributs divins personnifiés,
-anges et démons. Dans le remous de ces spécialisations,
-de ces distinctions, de ces subdivisions ingénieuses,
-subtiles et inextricables, le simple et
-immense aveu de l’Inconnaissable est bientôt submergé
-d’un tel flot de paroles qu’on ne l’aperçoit
-plus. On ne tarde pas à l’oublier complètement,
-on n’y fait plus allusion, et l’Inconnu suprême
-engendre tant de divinités secondaires et si
-bien connues, qu’il n’ose plus rappeler aux
-hommes qu’ils ne le connaîtront jamais. Naturellement,
-plus il y a de mots et d’éclaircissements,
-plus les vérités primitives sur lesquelles
-on travaille s’effacent et s’obscurcissent ;
-si bien qu’après avoir atteint ou regagné dans
-Philon, et surtout dans Plotin, les plus hauts,
-sommets de la pensée et être descendu d’une
-part aux élucubrations du casse-tête chinois
-qu’est le fameux « Pistis-Sophia » attribué à
-Valentin et de l’autre aux prétendues révélations
-de Jamblique sur les mystères égyptiens,
-révélations qui ne révèlent rien du tout, tout ce
-mouvement gnostique et néo-platonicien finit,
-avec les successeurs de Valentin et les continuateurs
-de Porphyre et de Proclus, par sombrer
-dans la plus puérile logomachie et la plus vulgaire
-sorcellerie.</p>
-
-<p>Il est donc inutile d’insister ; non que l’étude
-de cette effervescence soit sans intérêt ; au
-contraire, il est peu de moments dans l’histoire
-où l’intelligence ait eu à affronter des problèmes
-aussi nouveaux, aussi complexes, aussi ardus ;
-où elle ait fait preuve de plus de puissance,
-de vitalité et d’enthousiasme. Mais ce que j’en
-ai dit suffit à mon dessein qui est simplement
-de montrer que les occultistes de la Grèce et
-surtout ceux du Moyen âge qui nous intéressent
-particulièrement parce qu’ils sont plus près de
-nous et que leur souvenir est demeuré plus vivace,
-n’ont rien à nous apprendre d’essentiel
-que nous ne connaissions déjà par l’Inde,
-l’Égypte et la Perse.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch8">LA KABBALE</h2>
-
-
-<h3>I</h3>
-
-<p>Nous arrivons enfin à la Kabbale qui est en
-quelque sorte le nœud vital de l’occultisme tel
-qu’on l’entend communément.</p>
-
-<p>Ce mot de Kabbale, qui couvre des doctrines
-en général très peu ou très mal connues, demeure
-pour les uns chargé de prestiges et de mystères
-qui les inquiètent et les font presque frissonner
-comme s’ils y voyaient un reflet de flammes
-infernales ; tandis que pour d’autres, il n’évoque
-qu’un illisible fatras de superstitions absurdes,
-de sornettes, de bizarres formules à prétentions
-diaboliques, d’énigmes enfantines, d’élucubrations
-périmées qui ne valent plus un examen
-sérieux.</p>
-
-<p>Bien qu’il répugne d’employer à son propos
-une expression que l’usage a rendue aussi
-fruste, la vérité c’est que la Kabbale ne mérite
-ni cet excès d’honneur ni cette indignité.
-D’abord, il y a deux Kabbales, la Kabbale
-proprement dite ou Kabbale théorique, la seule
-dont nous ayons à nous occuper, et la Kabbale
-pratique qui n’est qu’une sorte de dermatose
-sénile qui peu à peu envahit les parties les moins
-nobles de la première et dégénéra en imbéciles
-pratiques de magie noire et de basse sorcellerie
-auxquelles il est impossible de s’intéresser.</p>
-
-<p>L’étude philosophique, critique et scientifique
-de la Kabbale, comme celle du Védisme,
-des hiéroglyphes, du Mazdéisme, date d’hier.
-Avant les travaux d’Ad. Franck, on ne connaissait
-la Kabbale que par l’œuvre de Knorr von
-Rosenroth, la <i lang="la" xml:lang="la">Kabbala denudata</i>, publiée en
-1677, qui ne considérait dans le Zohar que le
-« Livre des Mystères » et « La Grande Assemblée »,
-c’est-à-dire ses parties les plus obscures et négligeant
-les textes ne donnait que des extraits,
-mal entendus, de commentateurs. Ad. Franck,
-dans sa <i>Kabbale ou la philosophie religieuse des
-Hébreux</i>, parue en 1842, reproduit pour la
-première fois les textes complets et authentiques,
-les traduit et les commente. Joël et Jellinek
-poursuivent ses recherches, discutent ses conclusions,
-rectifient ses erreurs ; et le dernier
-en date des interprètes de ces livres mystérieux,
-S. Karppe, dans son <i>Étude sur les origines et
-la nature du Zohar</i>, reprenant la question de
-plus haut et remontant aux sources du mysticisme
-juif, nous donne en 1901 une étude
-qui permet de s’aventurer sans crainte sur ces
-terres suspectes et dangereuses.</p>
-
-<p>La Kabbale, de l’hébreu « Kaballah » qui,
-comme vous l’apprendront tous les dictionnaires,
-signifie tradition, a la prétention d’être un enseignement
-occulte, en marge ou plutôt au-dessus
-de l’enseignement de la Bible, ou des doctrines
-orthodoxes de la Thora c’est-à-dire du Pentateuque,
-transmis oralement depuis Moïse, qui
-les aurait reçus directement de Dieu, jusqu’à
-une époque qui va du <small>IX</small><sup>e</sup> au <small>XIII</small><sup>e</sup> et <small>XIV</small><sup>e</sup> siècle
-de notre ère, où ces secrets murmurés de bouche
-à oreille, comme on disait entre initiés, furent
-enfin fixés par écrit. Il est impossible de savoir
-si cette prétention est plus ou moins fondée, car
-au delà d’un ou deux siècles avant J.-C., les
-traces historiques qui rattacheraient la tradition
-que nous connaissons à une tradition antérieure
-font absolument défaut. Nous devons
-donc nous borner à prendre les deux livres de la
-Kabbale, le <i>Sefer Yerizah</i> et le <i>Zohar</i>, tels qu’ils
-se présentent, et examiner ce qu’ils contenaient
-au moment où ils furent écrits.</p>
-
-<p>Le <i>Sefer Yerizah</i> ou « Livre de la Création »,
-qu’on attribua d’abord assez puérilement
-au patriarche Abraham, puis, sans certitude,
-à Rabbi Akiba, est somme toute l’œuvre d’un
-auteur inconnu qui le rédigea entre le <small>VIII</small><sup>e</sup> et
-le <small>IX</small><sup>e</sup> siècle de notre ère.</p>
-
-<p>Pour donner une idée de cette œuvre, il suffira
-de transcrire ici quelques paragraphes du chapitre
-premier :</p>
-
-<blockquote>
-<p>« Par 32 voix merveilleuses de sagesse, Yah,
-Yehovah Zebaoth, Dieu vivant, Dieu fort élevé
-et sublime, demeurant éternellement, dont le
-nom est saint (il est sublime et saint) a tracé
-et créé son monde en trois livres : le livre proprement
-dit, le nombre et la parole.</p>
-
-<p>« Dix Sephiroth sans rien et 22 lettres dont
-3 lettres fondamentales, 7 lettres doubles et
-12 lettres simples.</p>
-
-<p>« Dix Sephiroth sans rien, selon le nombre
-de 10 doigts, 5 en face de 5. Et l’alliance de l’Un
-est adaptée juste au milieu par la circoncision
-de la langue et la circoncision de la chair.</p>
-
-<p>« Dix Sephiroth sans rien ; 10 et non 9, 10 et</p>
-</blockquote>
-<blockquote>
-<p>non 11. Comprends avec sagesse et médite avec
-intelligence, examine et creuse-les. Rapporte
-la chose à sa clarté et mets son auteur à sa place.</p>
-
-<p>« Dix Sephiroth sans rien, leur mesure est
-le 10 sans fin : profondeur de commencement
-et profondeur de fin ; profondeur de bien et profondeur
-de mal ; profondeur de haut et profondeur
-de bas ; profondeur d’Orient et profondeur
-d’Occident ; profondeur de Nord et profondeur
-de Sud ; un maître unique, Dieu, roi fidèle, règne
-sur tous du haut de sa demeure sainte et éternelle.</p>
-
-<p>« Dix Sephiroth sans rien ; leur aspect est
-comme l’éclair, mais leur fin n’a pas de fin.
-Son mot sur eux est qu’ils courent et viennent,
-et selon sa parole ils se précipitent comme la
-tempête et se prosternent devant son trône.</p>
-
-<p>« Dix Sephiroth sans rien ; leur fin fixée
-à leur commencement et leur commencement
-à leur fin, comme une flamme attachée au charbon.
-Le maître est unique et il n’a pas de second.
-Or devant l’Un que comptes-tu ? »</p>
-</blockquote>
-
-<p>Et cela continue ainsi, longuement, s’enfonçant
-dans une sorte d’incompréhensible superstition
-de lettres et de nombres, considérés
-comme des puissances abstraites. Il est certain
-que l’on fait dire à de tels textes tout ce qu’on
-veut et qu’on en tire ce qu’on désire. On y
-rencontre pour la première fois la notion des
-<i>Sephiroth</i> que le <i>Zohar</i> développera amplement ;
-et on y démêle un système de création où « le
-Verbe, c’est-à-dire la parole de Dieu, en exprimant
-les lettres <i>alef</i>, <i>mem</i>, <i>schin</i>, comme l’explique
-S. Karppe, l’un des plus savants commentateurs
-du livre énigmatique, donne naissance
-aux trois éléments, et, en produisant par ces
-lettres six combinaisons, il donne naissance aux
-six directions, c’est-à-dire donne aux éléments
-la faculté de se répandre dans tous les sens.
-Puis, imprimant dans ces éléments les 22 lettres
-de l’alphabet, y compris les 3 lettres, <i>alef</i>, <i>mem</i>,
-<i>schin</i> (non plus en tant qu’éléments substantiels,
-mais formels), et en exprimant toute la variété
-de mots qui résultent de ces lettres, il produit
-toute la multiplicité des choses<a id="FNanchor_48" href="#Footnote_48" class="fnanchor">[48]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_48" href="#FNanchor_48"><span class="label">[48]</span></a> <span class="sc">S. Karppe</span>, <i>Études sur les origines et la nature du Zohar</i>,
-p. 159 et 163.</p>
-</div>
-<p>Tout cela, on le voit, ne révèle rien de bien
-important ; et je ne me serais pas arrêté à ces
-charades solennelles, si le <i>Sefer Yerizah</i> ne
-jouissait chez les occultistes d’une réputation
-qui semble assez usurpée quand on y regarde
-de près, et s’il ne servait de point de départ
-et d’appui au Zohar qui s’y réfère constamment.</p>
-
-<p>Les occultistes ont essayé de nous donner des
-clefs du Sefer ; mais j’avoue humblement que
-ces clefs ne m’ont rien ouvert. Somme toute, il
-est assez vraisemblable, comme le dit Karppe,
-que ce livre abscons est tout simplement le
-travail d’un pédagogue préoccupé de quintessencier
-en un manuel très court, toutes les connaissances
-scientifiques élémentaires relatives
-à la lecture et à la grammaire, à la cosmologie et
-à la physique, à la division du temps et de l’espace,
-à l’anatomie et à la doctrine juive ; et
-qu’au lieu d’être l’œuvre d’un mystique c’est
-plutôt une sorte d’aide-mémoire ou d’Enchiridion
-mnémotechnique.</p>
-
-
-<h3>II</h3>
-
-<p>Le <i>Zohar</i>, — qui signifie l’<i>Éclat</i>, — comme le
-<i>Sefer Yerizah</i>, est le fruit d’une longue fermentation
-mystique qui remonte à une époque où
-le Talmud n’était pas encore clôturé, c’est-à-dire
-antérieure au <small>VI</small><sup>e</sup> siècle de notre ère, et
-surtout à la période appelée Gaonique. Après
-une assez longue éclipse, ce mysticisme recommence
-environ 820 ans après J.-C., et se
-continue dans les écrits des grands théologiens
-juifs, Ibn Gabirol, Juda Hallévi, Abn-Ezra,
-et principalement dans ceux de Maïmonide.
-Ensuite, préparant directement la Kabbale,
-viennent l’École d’Isaac l’Aveugle qui est avant
-tout métaphysique, « abstraction des abstractions
-néo-platoniciennes », comme on l’a définie,
-où brille notamment Nachmanide, puis l’École
-d’Éléazar de Worms qui s’applique spécialement
-au mystère des lettres et des nombres, et
-l’École d’Abulafia qui développe la contemplation
-pure.</p>
-
-<p>Nous arrivons ainsi au Zohar proprement dit.
-Comme la Bible, comme les Védas, l’Avesta et
-le Livre des Morts égyptien, ce n’est pas un travail
-homogène, mais le produit d’une lente
-incubation, œuvre de collaborateurs anonymes
-et nombreux, incohérente, décousue, souvent
-contradictoire, où l’on trouve de tout, le meilleur
-comme le pire, les spéculations les plus hautes
-et les divagations les plus extravagantes et les
-plus puériles, le recueil, le réservoir ou plutôt
-le bazar où s’accumule pêle-mêle tout ce qui n’a
-pu trouver place dans la religion officielle,
-parce que trop hardi, trop élevé, trop bizarre
-ou trop étranger à l’esprit juif.</p>
-
-<p>Il n’est pas facile de fixer la date d’une œuvre
-de ce genre. Franck, pour faire valoir son antiquité,
-invoque sa forme chaldéenne ; mais beaucoup
-de rabbins du Moyen âge écrivaient l’araméen
-chaldaïque. Ensuite on a soutenu qu’il
-était l’œuvre du Tanaïte Simon ben Jochaï
-(vers 150 après J.-C.), mais rien n’est venu confirmer
-cette attribution. On ne trouve aucune
-trace certaine de son existence avant la fin
-du <small>XIII</small><sup>e</sup> siècle. Le plus probable, et l’érudit
-S. Karppe arrive à cette conclusion après avoir
-longuement et minutieusement discuté toutes
-les hypothèses, est que Moïse de Léon, qui vécut
-au commencement du <small>XIV</small><sup>e</sup> siècle, fut à coup
-sûr mêlé à la composition du Zohar ; et s’il
-n’en fut pas l’auteur principal, ramassa dans
-un même tout un certain nombre de fragments
-mystiques, commentaires de l’Écriture,
-issus, comme tant d’autres œuvres de la littérature
-juive, de la collaboration d’écrivains
-multiples. En tous cas, il est certain que le Zohar
-tel que nous le connaissons est relativement
-moderne.</p>
-
-
-<h3>III</h3>
-
-<p>Au Jéhovah de la Bible, dieu unique, personnel,
-anthropomorphe et créateur direct de
-l’univers, le Zohar substitue ou plutôt superpose
-ou présuppose le <i>En-sof</i>, c’est-à-dire l’infini,
-le <i>Ayin</i>, c’est-à-dire le néant, l’Ancien des anciens,
-le Mystérieux des mystérieux, le Long
-Visage. L’En-Sof, c’est Dieu en soi, aussi inconnaissable,
-aussi inconcevable que la Cause sans
-cause ou l’Esprit suprême des Védas, dont il
-n’est qu’une réplique modifiée par le génie juif.
-Il est même plus près du néant que l’esprit
-suprême des Hindous, sa première manifestation,
-la première Séfirah, la « Couronne » est
-encore le néant ; il est l’Ayin de l’Ayin, le néant
-du néant. On ne l’appelle même pas « Cela »
-comme dans l’Inde. « Lorsque tout était encore
-enveloppé en lui, dit le Zohar, Dieu était le
-mystérieux parmi les mystérieux. Alors, il était
-sans nom. Le seul terme qui lui convînt eût
-été l’interrogatif : Qui<a id="FNanchor_49" href="#Footnote_49" class="fnanchor">[49]</a> » ?</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_49" href="#FNanchor_49"><span class="label">[49]</span></a> <i>Zohar</i>, II, 105.</p>
-</div>
-<p>On ne peut en donner que des descriptions
-négatives et contradictoires. « Il est séparé
-puisqu’il est supérieur à tout, et il n’est pas
-séparé. Il a une forme et il n’a pas de forme.
-Il a une forme en tant qu’il établit l’univers
-et il n’a pas de forme en tant qu’il n’y est pas
-enfermé<a id="FNanchor_50" href="#Footnote_50" class="fnanchor">[50]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_50" href="#FNanchor_50"><span class="label">[50]</span></a> <i>Zohar</i>, III, 288-<i>a</i>.</p>
-</div>
-<p>Avant le développement de l’univers, il
-n’était pas ou n’était qu’un point d’interrogation
-dans le néant. Nous retrouvons donc ici,
-au départ, l’aveu d’une ignorance absolue,
-invincible, irréductible. L’En-Sof n’est qu’un
-agrandissement illimité de l’Inconnaissable ;
-le Dieu de la Bible est absorbé et disparaît
-dans une immense abstraction ; de là la nécessité
-du secret.</p>
-
-<p>Mais cette négation inconcevable, impénétrable,
-immobile, éternelle, il fallait, comme
-la Cause suprême des religions de l’Inde, la
-faire sortir de son néant et de son immobilité,
-la faire passer de l’infini au fini, de l’invisible
-au visible, et c’est ici que commencent les difficultés.
-Dieu étant l’infini, c’est-à-dire remplissant
-tout, comment, à côté de l’En-Sof, l’infini,
-y a-t-il place pour le Sof, le fini ? Le Zohar est
-visiblement embarrassé et ses explications
-l’égarent loin de l’humble et grandiose simplicité
-de la théosophie hindoue. Il répugne à avouer
-son ignorance, il veut rendre compte de tout et,
-tâtonnant dans l’Inconnaissable, s’embrouille
-en des interprétations souvent inconciliables
-et, quand le sol manque sous ses pas, a recours
-à des allégories et à des métaphores pour masquer
-l’impuissance de la pensée ou donner une
-issue apparente à l’impasse où il s’est engagé.
-Il se demande un moment s’il admettra la création
-<i lang="la" xml:lang="la">ex nihilo</i>, en étendant à ce premier acte
-le caractère incompréhensible de la divinité ;
-puis il paraît se raviser et se rallie à la doctrine
-de l’émanation qu’il a trouvée dans l’Inde, dans
-le Zoroastrisme et chez les néo-platoniciens.
-Il la modifie pour l’adapter au génie juif et la
-complique à l’extrême, sans parvenir à l’éclaircir.</p>
-
-<p>Cette théorie de l’émanation, dans le Zohar,
-est en effet étrangement obscure, incertaine,
-hétéroclite et tombe à chaque instant dans
-l’anthropomorphisme.</p>
-
-<p>Pour faire place à l’univers, Dieu qui remplissait
-tout se concentre, et dans l’espace laissé
-libre irradie sa pensée et extériorise une partie
-de lui-même. Cette première émanation ou irradiation
-c’est la première Séfirah, « La Couronne ».
-Elle représente l’infini ayant fait un
-pas vers le fini, le Néant ayant fait un pas vers
-l’Être, la substance première. De cette première
-Séfirah, presque encore le néant, mais un néant
-plus accessible à notre esprit, émanent en
-évoluant deux nouvelles Séfiroth, la Sagesse,
-principe mâle, et l’Intelligence, principe femelle ;
-c’est-à-dire qu’à partir de la « Couronne »,
-apparaissent les contraires, la première différenciation
-des choses. De l’union de la Sagesse
-et de l’Intelligence naît la Science ; nous avons
-ainsi l’Idée pure, la Pensée extériorisée et la
-Voix ou la Parole qui relie la première à la
-deuxième. A cette première trinité de Séfiroth
-en succède une autre : la Grâce ou Grandeur,
-la Justice ou Sévérité ou Force et leur médiatrice
-la Beauté. Enfin les Séfiroth confondues
-dans la Beauté évoluent encore et produisent
-un troisième groupe, Victoire, Gloire, Fondement,
-et enfin la Séfirah Empire ou Royauté
-qui réalise toutes les Séfiroth dans l’univers
-visible.</p>
-
-<p>L’ensemble des Séfiroth forme d’autre part
-le mystérieux Adam Kadmon, l’homme supérieur,
-l’homme primordial, dont les occultistes
-nous parleront abondamment et qui lui-même
-représente l’univers.</p>
-
-<p>Cette explication de l’inexplicable, comme
-toutes les explications de ce genre, n’explique
-en somme rien du tout et cache l’incompréhensible
-sous un flot d’ingénieuses métaphores.
-Obéissant, comme l’avaient fait les religions
-antérieures, à la nécessité de jeter un pont
-entre l’infini et le fini, entre l’inconcevable et
-la pensée, au lieu de se contenter comme l’Inde,
-du réveil ou du dédoublement de la Cause suprême,
-ou du Logos égyptien, Perse et néo-platonicien,
-elle multiplie les passerelles en multipliant
-les intermédiaires ; mais pour être nombreuses,
-ces passerelles n’en aboutissent pas
-moins au même aveu d’ignorance. En tout cas
-cette explication, en dissimulant ce nouvel
-aveu sous un monceau d’images, a l’avantage
-de reléguer dans une sorte d’« <i lang="la" xml:lang="la">In pace</i> » inaccessible,
-le premier aveu, le plus embarrassant,
-l’aveu principal qui place hors de notre portée
-la cause première et l’existence de Dieu. A partir
-de la création des Séfiroth et de l’univers,
-l’En-Sof est généralement oublié ; comme le
-« Cela » de l’Inde, comme le « Noun » de l’Égypte,
-on le passe volontiers sous silence, on s’interroge
-rarement à son sujet. Même pour une doctrine
-secrète et mystérieuse comme la Kabbale, il
-est trop secret, trop mystérieux, trop incompréhensible,
-et toute l’attention se porte uniquement
-sur des émanations que l’imagination lui
-prête et que l’on croit connaître parce qu’on leur
-a donné des noms, des vertus, des fonctions,
-des attributs, en un mot parce qu’on les a créées
-soi-même.</p>
-
-
-<h3>IV</h3>
-
-<p>Quand l’En-Sof a-t-il commencé ses émanations ?
-A cette question que l’Inde résolvait
-par la théorie des sommeils et des réveils de
-Brahma, sans commencement ni fin, la Kabbale
-ne répond pas très clairement. « Avant, dit-elle,
-que Dieu eût créé ce monde, il avait créé
-beaucoup de mondes et il les avait fait disparaître
-jusqu’à ce qu’il lui vînt à la pensée de
-créer celui-ci<a id="FNanchor_51" href="#Footnote_51" class="fnanchor">[51]</a>. » Que sont devenus ces mondes
-disparus ? « C’est le privilège, répond-elle, de
-la force du roi suprême que ces mondes qui ne
-purent prendre forme ne périssent pas, que rien
-ne périt, même le souffle de sa bouche ; tout a sa
-place et sa destination et Dieu sait ce qu’il en
-fait. Même la parole de l’homme et le son de sa
-voix ne tombent pas dans le néant, toute chose
-a sa place et sa demeure<a id="FNanchor_52" href="#Footnote_52" class="fnanchor">[52]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_51" href="#FNanchor_51"><span class="label">[51]</span></a> III, 61-<i>b</i>.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_52" href="#FNanchor_52"><span class="label">[52]</span></a> II, 100-<i>b</i>.</p>
-</div>
-<p>Et notre monde que devient-il ? Où va-t-il ?
-Quelle est sa destinée ? Le Zohar étant une
-œuvre hétéroclite, une compilation très tardive,
-sa doctrine, à cet égard, est beaucoup moins
-nette que celle du brahmanisme ; mais dégagée
-des éléments illogiques et étrangers qui souvent
-traversent et détournent son cours, elle arrive
-également au panthéisme, et par le panthéisme
-à l’optimisme inévitable. L’En-Sof, l’infini, est
-tout, par conséquent tout est lui. Pour se manifester,
-le pur abstrait se développe par des
-intermédiaires et, se dégradant volontairement
-par bonté, aboutit à la pensée et à la matière
-qui n’est que la dernière dégradation de la pensée ;
-et quand viendra l’ère messianique, « toute
-chose rentrera dans sa racine, comme elle en
-était sortie<a id="FNanchor_53" href="#Footnote_53" class="fnanchor">[53]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_53" href="#FNanchor_53"><span class="label">[53]</span></a> III, 296.</p>
-</div>
-<p>L’homme qui dans le Zohar est le centre du
-monde et le microcosme, peut déjà, dès sa mort,
-jouir de ce retour dans le parfait, et son âme
-purifiée recevoir le baiser de paix qui « l’unit à
-nouveau et à jamais à sa racine, à son principe<a id="FNanchor_54" href="#Footnote_54" class="fnanchor">[54]</a> ».</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_54" href="#FNanchor_54"><span class="label">[54]</span></a> I, 68-<i>a</i>.</p>
-</div>
-<p>Et le mal ? Le mal dans le Zohar, comme dans
-le Brahmanisme, est la matière. « L’homme
-par sa victoire sur le mal triomphe de la matière
-ou plutôt subordonne en lui la matière à une
-vocation plus haute ; il ennoblit la matière et la
-fait remonter du point extrême où elle était
-reléguée vers le lieu de ses origines. En lui, qui
-est le grand conscient, la matière prend conscience
-de la distance qui la sépare du bien
-suprême, et elle tend vers ce bien. Par l’homme
-les ténèbres aspirent vers la lumière, le multiple
-vers l’un, la nature entière vers Dieu.</p>
-
-<p>« Par l’homme Dieu se refait lui-même après
-avoir traversé toute la magnifique diversité
-des êtres. Puisque l’homme est une expression
-résumée de tout, quand il a vaincu le mal en
-lui, il l’a vaincu dans le tout, il entraîne dans
-son ascension tous les éléments inférieurs, et
-par sa montée s’opère la montée du cosmos
-tout entier<a id="FNanchor_55" href="#Footnote_55" class="fnanchor">[55]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_55" href="#FNanchor_55"><span class="label">[55]</span></a> <span class="sc">S. Karppe</span>, <i lang="la" xml:lang="la">op. cit.</i>, p. 478.</p>
-</div>
-<p>Mais pourquoi le mal était-il nécessaire ?
-« Pourquoi, se demande le Zohar, si l’âme est
-d’essence céleste descend-elle sur la terre ? »
-La réponse à cette grande question qu’aucune
-religion n’a donnée, le Zohar, selon son habitude
-quand il se trouve embarrassé, l’esquive par une
-allégorie : « Un roi envoya son fils à la campagne
-afin qu’il y devînt robuste et acquît les connaissances
-nécessaires. Après quelque temps on lui
-annonça que son fils avait grandi, qu’il s’était
-fortifié et que son éducation était achevée.
-Alors il envoya, par amour pour lui, la reine
-elle-même le prendre et le ramener au palais.
-Ainsi la nature enfante au roi de l’univers un fils,
-l’âme céleste et il l’envoie aux champs, c’est-à-dire
-dans l’univers terrestre afin qu’il se fortifie
-et s’ennoblisse<a id="FNanchor_56" href="#Footnote_56" class="fnanchor">[56]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_56" href="#FNanchor_56"><span class="label">[56]</span></a> I, 245.</p>
-</div>
-<p>Les disciples de R. Simon ben Zemach Durân,
-l’un des grands docteurs du Zohar, lui demandent :
-« Ne vaudrait-il pas mieux que
-l’homme ne fût pas né, plutôt que de naître
-avec la faculté de pécher et d’irriter Dieu ? » Et
-le maître répond : « Certes non, car l’univers,
-sous la forme qu’il a, est ce qu’il y a de meilleur.
-Or, la loi est indispensable au maintien de cet
-univers, autrement l’univers serait un désert ;
-et l’homme à son tour est indispensable à la
-loi… » Les disciples comprirent et dirent : « Certes
-Dieu n’a pas créé le monde sans cause ; la loi
-est en effet le vêtement de Dieu, ce par quoi
-il est accessible. Sans la vertu humaine Dieu
-n’aurait qu’un vêtement misérable. Celui qui
-fait le mal souille en son âme le vêtement de
-Dieu, et celui qui-accomplit le bien se revêt
-de la magnificence divine<a id="FNanchor_57" href="#Footnote_57" class="fnanchor">[57]</a>. » Nous aurions
-mauvaise grâce de nous montrer plus exigeants
-que ces disciples accommodants et respectueux.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_57" href="#FNanchor_57"><span class="label">[57]</span></a> I, 23-<i>a-b</i>.</p>
-</div>
-<p>Une autre question capitale, l’éternité des
-peines, est également esquivée. Logiquement,
-une religion panthéiste ne saurait admettre
-que Dieu châtie et torture éternellement une
-partie de lui-même. Le Zohar dit bien quelque
-part : « Combien y a-t-il d’âmes et d’esprits
-qui sont roulés éternellement et ne revoient
-plus jamais les parvis célestes ! »</p>
-
-<p>Mais d’un autre côté, il enseigne expressément
-la doctrine de la transmigration, c’est-à-dire
-de la purification graduelle des âmes par
-les existences successives ; et il appuie cette doctrine
-évidemment empruntée aux grandes
-religions antérieures, sur des textes de la Bible,
-entre autres sur l’Ecclésiaste (IV, 2), où il est
-dit : « Et je loue les morts qui sont déjà morts
-plus que les vivants qui vivent encore. » Que
-signifie, se demande le Zohar, les morts qui
-sont déjà morts ? Ce sont ceux qui sont déjà
-morts une fois auparavant, c’est-à-dire qui n’en
-sont plus à leur première pérégrination. Or,
-il est évident que la doctrine de la transmigration
-purificatrice exclut nécessairement les
-peines éternelles.</p>
-
-
-<h3>V</h3>
-
-<p>Le Zohar est donc, je l’ai déjà dit, une vaste
-compilation anonyme qui, sous prétexte de révéler
-à des initiés le sens secret de la Bible et spécialement
-du Pentateuque, habille de vêtements
-juifs les grands aveux d’ignorance des grandes
-religions antérieures, en surchargeant ces vêtements
-de tous les ornements nouveaux et compliqués
-que lui fournissent les Esséniens, les
-néo-platoniciens, les gnostiques et même les
-premiers siècles du christianisme. Il est, qu’il
-l’avoue ou non, sur les points capitaux, nettement
-agnostique, comme le Brahmanisme.
-Il est panthéiste comme lui. Pour lui aussi la
-création est plutôt une émanation et le mal
-est également la matière et la séparation ou la
-multiplicité, et le bien le retour à l’esprit et à
-l’unité. Il admet enfin la transmigration des
-âmes et leur purification et par conséquent le
-Karma, de même que l’absorption finale en la
-divinité, c’est-à-dire le Nirvana.</p>
-
-<p>Il est curieux de le constater, nous avons
-ici, pour la première fois, — car les autres ne
-sont pas arrivées jusqu’à nous, — une doctrine
-ésotérique et se proclamant telle, et cette doctrine
-n’a pas autre chose à nous apprendre que
-ce que nous apprenaient sans réticences et sans
-mystères, du moins à leur début, les religions
-primitives. Comme celles-ci, avec ses grands
-aveux et ses expédients, différents de forme,
-mais au fond identiques, pour passer du néant
-à l’être, de l’infini au fini, de l’inconnaissable
-au connu, elle appartient à la même tradition
-rationaliste qui tente d’expliquer l’inexplicable
-par de plausibles hypothèses et des inductions
-auxquelles nous pourrions donner d’autres
-tournures et d’autres noms, mais qu’en somme
-nous serions incapables, même aujourd’hui,
-d’améliorer sensiblement. Tout au plus serions-nous
-tentés de renoncer à toute explication et
-d’étendre l’aveu d’ignorance à l’ensemble des
-origines, des manifestations et des fins de la vie,
-ce qui serait peut-être le plus sage.</p>
-
-<p>Elle nous montre ainsi que toute doctrine
-secrète ne fut probablement jamais et sans doute
-ne saurait être autre chose ; et que les révélations
-les plus hautes qu’on nous ait apportées
-furent toujours tirées de l’homme par l’homme
-même.</p>
-
-<p>On imagine facilement l’importance que prit
-durant le Moyen âge cette doctrine occulte.
-Connue seulement de quelques initiés, enveloppée
-de formules et d’images incompréhensibles,
-chuchotée de bouche à oreille au milieu de dangers
-terribles, elle avait un rayonnement souterrain,
-une sorte d’attrait sombre et irrésistible.
-Elle regardait le monde de beaucoup plus
-haut que la Bible qu’elle considérait comme un
-tissu d’allégories derrière lesquelles se cachait
-une vérité qu’elle connaissait seule ; elle apportait
-aux hommes, à travers les broussailles de
-ses végétations bizarres et parasites, les derniers
-échos des grands enseignements de la raison
-humaine à son aurore.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch9">LES HERMÉTISTES</h2>
-
-
-<h3>I</h3>
-
-<p>Tout l’occultisme ou l’hermétisme du Moyen
-âge sort donc de la Kabbale et des écrits alexandrins
-en y ajoutant peut-être certaines traditions
-de pratiques magiques très répandues
-dans l’ancienne Égypte et la Chaldée.</p>
-
-<p>La partie théosophique et philosophique de
-cet occultisme n’a donc rien à nous apprendre.
-Elle n’est qu’un reflet déformé, une redite extrêmement
-corrompue et souvent méconnaissable
-de ce que nous avons déjà vu et entendu. L’appareil
-mystérieux dont elle s’entoure, et qui d’abord
-intrigue et fait illusion, n’est qu’une précaution
-indispensable pour cacher aux yeux de l’Église
-les affirmations défendues, hérétiques et dangereuses
-qu’elle renfermait. L’iconographie occultiste,
-les signes, les étoiles, les triangles, les pentagrammes,
-les pentacles étaient au fond des
-aide-mémoire, des mots de passe, ou des sortes
-de rébus qui permettaient aux affidés de se
-reconnaître et de se communiquer des vérités
-que menaçaient sans cesse le bûcher et, après
-les explications qu’on nous a données, ne recèlent
-et ne pouvaient rien recéler qui ne nous
-semble aujourd’hui parfaitement admissible
-et inoffensif.</p>
-
-<p>L’alchimie même, qui demeure la région la
-plus intéressante de l’occultisme médiéval,
-n’est en somme qu’un trompe-l’œil, une sorte
-d’écran derrière lequel les véritables initiés
-cherchaient le secret de la vie. « Le Grand œuvre,
-dit Éliphas Lévi, n’était pas à proprement
-parler le secret de la transmutation des métaux,
-résultat accessoire, mais l’arcane universel
-de la vie, la recherche du point central de transformation
-où la lumière se fait matière et se
-condense en une terre qui contient en elle le principe
-du mouvement et de la vie… C’est la fixation
-de la lumière astrale par une magie souveraine
-de la volonté. » Ce qui nous mène aux phénomènes
-odiques, dont nous parlerons plus loin,
-qui nous mettent sur la voie de cette fixation.</p>
-
-<p>Bien plus, aux yeux des grands initiés, la
-recherche de l’or n’était qu’un symbole qui
-voilait la recherche du divin et des facultés
-divines dans l’homme ; et seuls les alchimistes
-inférieurs qui prenaient au pied de la lettre les
-indications cabalistiques des grimoires, s’épuisaient
-à résoudre des problèmes et se ruinaient
-à poursuivre des expériences qui du reste firent
-faire à la chimie des progrès et des découvertes
-que, sur certains points, elle n’a pas encore
-dépassés.</p>
-
-
-<h3>II</h3>
-
-<p>D’autre part, on s’imagine trop volontiers
-que l’occultisme du Moyen âge est avant tout
-diabolique. La vérité est que les initiés ne
-croyaient pas au démon et ne pouvaient y croire,
-puisqu’ils n’admettaient pas la révélation chrétienne
-telle que l’Église la leur présentait. « Pas
-de démons en dehors de l’humanité » est un
-des axiomes fondamentaux du haut occultisme.
-« C’est, disait Van Helmont, le fruit d’une paresse
-sans bornes que d’attribuer au diable ce que
-nous ne connaissons pas. » « Il ne faut pas en
-laisser l’honneur au diable », protestait de son
-côté Paracelse.</p>
-
-<p>Les démons et les diables, les anges déchus
-ou les damnés entourés de flammes éternelles
-ne grouillent que dans les bas-fonds de la magie
-noire ou de la sorcellerie. La fantasmagorie
-des sabbats nous masque trop souvent le véritable
-occultisme qui était avant tout, au sein
-d’un péril de mort incessant et parmi des ténèbres
-hostiles, la recherche tâtonnante et passionnée
-d’une vérité, ou du moins d’une apparence
-de vérité, car il n’y a pas autre chose en
-ce monde, qui avait rayonné, qui rayonnait
-peut-être encore quelque part, mais qui semblait
-perdue et dont on ne retrouvait que des débris
-précieux mais informes, mêlés à l’épaisse poussière
-de mensonges irritants et décevants ; et
-le meilleur des forces s’épuisait à un triage
-ingrat.</p>
-
-
-<h3>III</h3>
-
-<p>Écartant les esprits infernaux, ils croyaient
-cependant à l’existence et à l’intervention
-d’autres êtres invisibles. Ils étaient convaincus
-que le monde qui échappe à nos sens est beaucoup
-plus peuplé que celui que nous percevons,
-et que nous vivons au milieu d’une foule de présences
-diaphanes mais attentives et actives
-qui, le plus souvent, agissent sur nous à notre
-insu, mais sur lesquels, par une éducation spéciale
-de notre volonté, nous pouvons agir à
-notre tour. Ces invisibles ne sortaient pas de
-l’enfer, puisque pour les initiés du Moyen âge,
-presque aussi sûrement que pour les fidèles des
-grandes religions, aux temps où l’initiation
-n’était pas encore nécessaire, l’enfer n’était pas
-un lieu de torture et de malédiction, mais un
-état d’âme après la mort. C’étaient ou des esprits
-errant hors de la chair, valant à peu près ce
-qu’ils avaient valu durant leur vie terrestre,
-ou les esprits d’êtres qui n’avaient pas encore
-été incarnés, appelés élémentaux, esprits neutres,
-indifférents, moralement amorphes et abouliques
-et faisant le bien ou le mal selon la volonté
-de celui qui avait appris à les dominer.</p>
-
-<p>Il est incontestable que certaines expériences
-de nos spirites, notamment celles de la « Correspondance
-croisée », certaines apparitions posthumes
-presque scientifiquement constatées,
-certains phénomènes de matérialisation, d’idéoplastie
-et de lévitation remettent sérieusement
-en question la plausibilité de ces théories.</p>
-
-<p>Quant aux scènes d’évocation qui flottent
-souvent entre la haute magie et la goétie ou
-magie noire, et qui, aux yeux du vulgaire,
-occupent, avec l’alchimie et l’astrologie, les trois
-points culminants de l’occultisme, leur appareil
-solennel, leurs formules cabalistiques et leur
-rituel impressionnant mis à part, elles correspondent
-exactement aux évocations plus familières
-qui se font chaque jour autour de nos
-tables tournantes, de l’humble « Ouid-Ja » ou
-des miroirs magiques. Elles correspondent
-aussi aux manifestations que produisait par
-exemple la célèbre Eusapia Paladino et que
-réalise en ce moment, sous les contrôles les plus
-sévères, le médium de Mme Bisson, avec cette
-différence qu’au lieu du fantôme humain qu’attendent
-aujourd’hui les assistants, les croyants
-du Moyen âge voulaient voir le diable en personne,
-et le diable qui hantait leur pensée leur
-apparaissait tel qu’ils se l’imaginaient.</p>
-
-<p>Y a-t-il en ces manifestations auto-suggestion,
-suggestion collective, exsudation, transfert
-et cristallisation de matière spiritualisée
-empruntée aux spectateurs, ou s’y mêle-t-il
-un élément extra-terrestre et inconnu ? S’il est
-impossible de le démêler quand il s’agit de faits
-qui se passent sous nos yeux, à plus forte raison
-serait-il téméraire de trancher la question quand
-elle s’adresse à des phénomènes vieux de plusieurs
-siècles, qui ne nous sont connus que par
-des relations plus ou moins tendancielles.</p>
-
-
-<h3>IV</h3>
-
-<p>Enfin l’alchimie et l’astrologie, les deux autres
-sommets auxquels je viens de faire allusion,
-sont, dans l’occultisme du Moyen âge, des
-sciences de seconde main qui ne nous apportent,
-au point de vue du grand secret, aucun élément
-nouveau et dont les origines grecques, juives
-et arabes ne se rattachent à l’Égypte et à la
-Chaldée que par des écrits apocryphes et relativement
-récents. Cette étude, en ce qui concerne
-l’alchimie, a été magistralement faite par
-Pierre Berthelot dans son livre sur « <i>les Origines
-de l’Alchimie</i> ». Il a épuisé le sujet, tout au
-moins en sa partie chimique ; mais on pourrait
-peut-être compléter son œuvre au point de vue
-hyperchimique, ou métachimique ou psychochimique
-qui ne semble pas moins important.
-Il serait également souhaitable qu’un grand
-astronome philosophe nous donnât sur l’astrologie
-le pendant de cet admirable travail ; mais
-jusqu’ici les sources sont si pauvres qu’il ne
-paraît guère possible de l’entreprendre. Il en
-faudrait faire autant pour la médecine hermétique
-qui du reste est liée à l’alchimie et à l’astrologie.</p>
-
-<p>Mais l’alchimie et l’astrologie qui ne sont
-en somme que de la chimie et de l’astronomie
-transcendentales, prétendant dépasser la matière
-et les astres pour atteindre les principes
-spirituels et éternels qui constituent l’une et
-dirigent les autres, ne nous réserveraient peut-être
-des surprises et des révélations que si l’on
-pouvait remonter directement à leurs sources
-hindoues, égyptiennes et chaldéennes, ce qu’on
-n’a pu faire jusqu’ici, car nous n’avons, qui s’en
-rapproche, que le fameux Papyrus de Leyde,
-et cet unique document n’est que le carnet d’un
-orfèvre égyptien renfermant des formules pour
-composer des alliages, dorer les métaux, teindre
-les étoffes en pourpre et imiter et falsifier l’or
-et l’argent.</p>
-
-
-<h3>V</h3>
-
-<p>Parmi les occultistes médiévaux, presque tous
-alchimistes, bornons-nous à rappeler les noms
-de Raymond Lulle (<small>XIII</small><sup>e</sup> siècle), <i lang="la" xml:lang="la">Doctor Illuminatus</i>,
-auteur de l’<i lang="la" xml:lang="la">Ars Magna</i>, à peu près illisible
-aujourd’hui, Nicolas Flamel (<small>XV</small><sup>e</sup> siècle),
-qui selon Berthelot n’est qu’un pur charlatan,
-Reuchlin, Weigel, le maître de Boëhme, Bernard
-le Trévisan, Basile Valentin qui étudia
-surtout l’antimoine, les deux Isaac, père et fils,
-Jean Trithème, qu’Éliphas Lévi appelle « le plus
-grand magicien dogmatique du Moyen âge »,
-bien que sa célèbre cryptographie, <i lang="la" xml:lang="la">Polygraphia</i>
-ou <i lang="la" xml:lang="la">Steganographia</i>, soient des jeux de lettres
-assez puérils, et son élève, Cornélius Agrippa
-auteur de <i lang="la" xml:lang="la">De Occulta Philosophia</i>, qui réédite
-simplement des théories de l’école d’Alexandrie,
-et n’est, au dire d’Éliphas Lévi, « qu’un
-audacieux profanateur, heureusement très superficiel
-dans ses écrits ». Nous avons encore,
-au <small>XVI</small><sup>e</sup> siècle, Guillaume Postel qui sut le grec,
-l’hébreu et l’arabe, voyagea beaucoup et rapporta
-en Europe d’importants manuscrits orientaux,
-entre autres les œuvres d’Aboul-Féda,
-l’historien arabe du <small>XIII</small><sup>e</sup> siècle. « Le cher et
-bon Guillaume Postel, écrit Éliphas Lévi dans
-une lettre au baron Spédaliéri, notre père en
-la Sainte Science, puisque nous lui devons la
-connaissance du Sefer Jesirah et du Zohar, eût
-été le plus grand initié de son siècle si le mysticisme
-ascétique et le célibat forcé n’avaient
-fait monter à son cerveau les fumées enivrantes
-de l’enthousiasme qui ont fait parfois délirer
-sa haute raison », remarque, soit dit en passant,
-qui, pourrait s’appliquer à des hermétistes
-d’autres temps et d’autres pays.</p>
-
-<p>Après Henri Khunrath, Oswald Crollius, etc.,
-nous passons au <small>XVII</small><sup>e</sup> siècle, à ses débuts, la
-grande époque de l’alchimie qui se rapprocha
-davantage de la science proprement dite. Van
-Helmont découvre le suc gastrique, Glauber
-le sulfate de soude, les huiles lourdes du goudron
-et entrevoit le chlore, tandis que Kunckel
-trouve le phosphore.</p>
-
-<p>Si je faisais ici une histoire générale de l’occultisme,
-au lieu de rechercher simplement ce
-qu’ont à nous apprendre d’inédit les derniers
-adeptes, conscients ou inconscients d’une sagesse
-occulte dont nous avons suivi les traces
-à travers les âges, j’aurais dû m’arrêter un instant
-à ces mystérieux Templiers qui adoptèrent
-en partie les traditions juives et les récits du
-Talmud ; et auxquels succédèrent les Rose-Croix.
-Je devrais aussi mettre à part et étudier
-un peu plus longuement deux figures bizarres
-et énigmatiques qui dominent et résument
-tout l’occultisme du Moyen âge, à savoir Paracelse
-et Jakob Boëhme. Mais à les étudier de
-près on constate qu’eux non plus, quelles que
-soient leurs prétentions, ne tirèrent pas d’une
-source inconnue les révélations qu’ils apportèrent
-et qui bouleversèrent leurs contemporains.</p>
-
-<p>Philippus-Auréolus-Théophrastus-Bombast
-von Hohenheim, dit Paracelsus (traduction
-approximative de Hohenheim), né en Suisse
-en 1493 et mort à Salzbourg en 1541, porte le
-poids d’une injuste légende qui le représente
-comme un ivrogne, un débauché, un charlatan
-et un fou. Il eut sans doute bien des défauts
-et ne paraît pas toujours parfaitement
-équilibré, mais n’en demeure pas moins un des
-êtres les plus extraordinaires que mentionne
-l’histoire. Il était néo-platonicien et par conséquent
-n’ignorait pas les écrits alexandrins
-accessibles aux hermétistes de son temps ; mais
-il est probable qu’en outre, au cours de ses
-voyages en Turquie et en Égypte, il eut plus
-directement connaissance de certaines traditions
-asiatiques au sujet du corps éthérique ou astral,
-théories sur lesquelles il fonda toute sa médecine.
-Il enseigne en effet, comme l’enseignaient
-d’anciens traités hindous qu’ont depuis remis
-en lumière les théosophes, que nos maladies
-viennent non pas de notre corps physique mais
-de notre corps éthérique qui correspond à peu
-près à ce que nous appelons aujourd’hui le subconscient,
-et qu’en conséquence il faut agir
-avant tout sur ce subconscient. Il est certain que
-bien des faits, dans bien des cas, tendent à
-confirmer cette hypothèse, et c’est peut-être
-de ce côté que s’orientera la thérapeutique
-de demain. Selon lui, les plantes mêmes ont
-un corps éthérique, et les médicaments n’agissent
-pas en vertu de leurs propriétés chimiques mais
-en vertu de leurs propriétés astrales, ce qui est
-encore un point que la découverte assez récente
-de l’« Od », que nous retrouverons plus loin,
-semble corroborer.</p>
-
-<p>Ses idées touchant l’existence d’un fluide vital
-universel, l’Akahsa des Hindous, qu’il appelait
-l’Alkahest, et de la Lumière astrale des
-Kabbalistes, sont aussi de celles que nos théories
-modernes sur le rôle prépondérant de l’éther
-rappellent à notre attention. Il est évident,
-d’autre part, qu’il a souvent dépassé la mesure ;
-en systématisant à outrance et puérilement
-des concordances purement apparentes ou verbales
-entre certaines parties du corps humain
-et celles des plantes médicinales ; de même
-que ses affirmations au sujet des <i>Archées</i>, sortes
-de génies particuliers préposés au fonctions
-des divers organes et ses fantaisies charlatanesques
-de l’<i lang="la" xml:lang="la">Homunculus</i>, ne sont plus défendables.
-Mais ces erreurs étaient inhérentes
-à la science de son temps et ne sont peut-être
-pas beaucoup plus ridicules que les nôtres.
-Tout compte fait, il reste de lui le souvenir d’un
-précurseur bien étonnant et d’un visionnaire
-prodigieux.</p>
-
-<p>Quant à Jakob Boëhme, le fameux cordonnier
-de Goerlitz, son cas serait miraculeux et absolument
-inexplicable s’il avait réellement été
-l’illettré qu’on a dit. Mais cette légende doit
-être décidément écartée. Boëhme avait étudié
-les théosophes allemands, notamment Paracelse,
-et connaissait parfaitement les néo-platoniciens
-dont il réédite en somme les doctrines,
-en les déformant un peu, en les enveloppant
-d’une phraséologie plus obscure mais parfois
-inattendue et très impressionnante, et en y
-mêlant des éléments de Kabbale, de mathématiques
-mystiques et d’alchimie. Je renvoie
-ceux qu’intéresserait cet esprit étrange et assurément
-génial, mais très inégal — car il y a
-dans son œuvre un fatras illisible — à l’étude
-que lui a consacrée Émile Boutroux sous ce titre :
-<i>Le Philosophe Allemand Jacob Bœmhe</i>. Ils ne
-sauraient trouver meilleur guide.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch10">LES OCCULTISTES MODERNES</h2>
-
-
-<h3>I</h3>
-
-<p>Avant les découvertes des indianistes et des
-égyptologues, les occultistes modernes que l’on
-peut, — mettant à part Swedenborg, un grand
-visionnaire isolé, — faire remonter à Martinez
-Pasqualis, né en 1715 et mort en 1779, ont forcément
-travaillé sur les mêmes textes et les mêmes
-traditions, s’attachant tour à tour, selon leurs
-goûts, à la Kabbale, ou aux théories alexandrines.
-Pasqualis n’a rien écrit, mais a laissé
-la légende d’un prestigieux magicien. Son disciple,
-Claude de Saint-Martin, « le Philosophe
-Inconnu », est une sorte de théosophe intuitif
-qui finit par redécouvrir Jakob Boëhme. Ses
-livres, bien pensés et remarquablement écrits,
-peuvent encore se lire avec plaisir et même avec
-fruit. Sans nous arrêter au comte de Saint-Germain,
-qui prétendait avoir gardé le souvenir
-de toutes ses existences antérieures, à Cagliostro,
-puissant illusionniste et redoutable charlatan,
-au marquis d’Argens, à dom Pernetty,
-à d’Espréménil, à Lavater, à Eckartshausen,
-à Delille de Salle, à l’abbé Terrasson, à Bergasse,
-à Clootz, à Court de Gebelin, ni à tous
-les mystiques qui vers la fin du <small>XVIII</small><sup>e</sup> siècle
-pullulèrent dans l’aristocratie et les loges maçonniques
-et faisaient partie des associations
-secrètes qui préparèrent la Révolution, mais
-n’ont rien de sérieux à nous apprendre, retenons
-le nom de Fabre d’Olivet, écrivain de
-premier ordre, qui nous donne de la Genèse
-de Moïse une interprétation nouvelle, hardie
-et grandiose sur la valeur de laquelle, n’étant
-pas hébraïsant, je n’ai pas qualité pour me
-prononcer, mais que la Kabbale récemment
-étudiée semble confirmer et qui se présente
-entourée d’un appareil scientifique et philologique
-impressionnant.</p>
-
-
-<h3>II</h3>
-
-<p>Et voici Éliphas Lévi avec ses livres aux
-titres inquiétants : <i>Histoire de la Magie</i>, <i>La
-Clef des Grands Mystères</i>, <i>Dogme et rituel de la
-Haute Magie</i>, <i>Le Grand Arcane ou l’Occultisme
-dévoilé</i>, etc., le dernier maître de l’occultisme
-proprement dit, de l’occultisme qui précède
-immédiatement celui de nos métapsychistes
-qui ont définitivement renoncé à la Kabbale,
-à la Gnose, aux Alexandrins et ne se réclament
-plus que de l’expérience scientifique.</p>
-
-<p>Éliphas Lévi, de son vrai nom Alphonse-Louis-Constant,
-né en 1810 et mort en 1875,
-résume en quelque sorte tout l’occultisme du
-Moyen âge avec ses tâtonnements, ses demi-vérités,
-ses connaissances tronquées, ses intuitions,
-ses irritantes obscurités, ses agaçantes
-réticences, ses erreurs et ses préjugés. Écrivant
-avant d’avoir su ou voulu profiter des principales
-découvertes des indianistes et des égyptologues
-et des travaux de la critique contemporaine,
-dénué lui-même de tout esprit critique,
-il ne travaillait que sur les documents médiévaux
-dont nous avons parlé ; et le Séfer Yerizah,
-le Zohar (dont il ne connaissait du reste que
-les fragments fantaisistes de la <i lang="la" xml:lang="la">Kabbala Denudata</i>),
-le Talmud et l’Apocalypse mis à part, s’attachait
-de préférence aux plus indiscutablement apocryphes.
-A côté de ceux que je viens de citer,
-ses trois livres de chevet étaient le <i>Livre d’Hénoch</i>,
-les <i>Écrits d’Hermès Trismégiste</i> et le <i>Tarot</i>.</p>
-
-<p>Le <i>Livre d’Hénoch</i>, attribué par la légende au
-patriarche Hénoch, fils de Jared et père de Mathusalem,
-doit se placer aux environs de l’ère
-chrétienne, attendu que le dernier événement
-connu par son auteur est la guerre d’Antiochus
-Sidetes contre Jean Hyrcan. C’est un livre
-apocalyptique, probablement écrit par un
-Essénien, comme le prouve son angéologie,
-et qui exerça une profonde influence sur le mysticisme
-juif d’avant le Zohar.</p>
-
-<p>Les <i>Écrits d’Hermès Trismégiste</i>, que Louis
-Ménard a traduits et auxquels il a consacré
-une étude définitive<a id="FNanchor_58" href="#Footnote_58" class="fnanchor">[58]</a>, attribués à Thoth, l’Hermès
-égyptien, nous révèlent dans leur conception
-de Dieu de très curieuses analogies avec les
-livres sacrés de l’Inde, notamment le <i>Baghavat-Gita</i>,
-nous montrent une fois de plus l’universelle
-infiltration de la grande religion primitive.
-Mais chronologiquement, il n’y a pas le moindre
-doute : le <i>Poimandrès</i>, l’<i>Asclépios</i> et les fragments
-du <i>Livre Sacré</i>, sont nés à Alexandrie.
-La théologie hermétique est pleine de pensées
-et d’expressions néo-platoniciennes et d’autres
-empruntées à Philon ; et des passages entiers du
-<i>Poimandrès</i> peuvent être juxtaposés à l’<i>Apocalypse</i>
-de Saint-Jean et lui font écho, ce qui
-prouve que les deux ouvrages ont été écrits
-à des dates peu éloignées l’une de l’autre. Il
-n’est donc pas surprenant que, non plus que
-Jamblique, ils n’aient rien à nous apprendre
-sur la religion de l’antique Égypte, puisqu’à
-l’époque où les Grecs l’étudièrent, la symbolique
-de cette religion, comme le remarque
-Louis Ménard, était déjà une lettre morte pour
-ses prêtres eux-mêmes.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_58" href="#FNanchor_58"><span class="label">[58]</span></a> <span class="sc">Louis Ménard</span>, <i>Hermès Trismégiste</i>.</p>
-</div>
-<p>Quant au <i>Tarot</i>, il serait, au dire des occultistes,
-le premier livre écrit de main humaine
-et antérieur à ceux de l’Inde, d’où il aurait
-passé en Égypte. Malheureusement, on n’en
-trouve pas trace dans l’archéologie de ces deux
-pays. Il est vrai qu’une chronique italienne
-nous apprend que le premier jeu de cartes, qui
-n’est que le Tarot vulgarisé, fut importé à
-Viterbe, en 1379, par les Sarrasins, ce qui
-révèle une origine orientale. En tout cas, sous
-sa forme actuelle, il ne remonte qu’à Jacquemin
-Gringonneur, enlumineur du temps de
-Charles VI.</p>
-
-<p>Il est évident qu’ainsi documenté, Éliphas
-Lévi n’a rien de bien sérieux à nous révéler. Il
-est en outre embarrassé par l’ingrate et impossible
-tâche qu’il s’est imposée en voulant concilier
-l’occultisme avec le dogme catholique. Mais
-son érudition, dans sa sphère, est remarquable,
-et il a parfois d’étonnantes intuitions qui semblent
-avoir entrevu, notamment en ce qui touche
-aux médiums, aux fluides odiques, aux manifestations
-de l’astral, plus d’une découverte
-de nos métapsychistes. En outre, lorsqu’il
-aborde un sujet qui n’est pas purement chimérique,
-et qui tient à des réalités profondes, en
-morale par exemple, et même en politique,
-et quand, comme le font fréquemment les occultistes,
-il ne s’enveloppe pas d’énervants sous-entendus
-qui paraissent craindre d’en dire trop
-et ne trahissent au fond que la peur de n’avoir
-rien à dire, il lui arrive d’écrire d’excellentes
-pages qui, après la vogue exagérée dont elles
-jouirent, ne méritent pas l’injuste oubli auxquelles
-on semble les condamner.</p>
-
-
-<h3>III</h3>
-
-<p>Dans l’école d’Éliphas Lévi, et suivant à
-peu près les mêmes errements, on peut ranger
-deux hommes de valeur : Stanislas de Guaita
-et le docteur Encausse, plus connu sous le nom
-de Papus. Leur cas est assez spécial. Ce sont deux
-grands érudits qui connaissent à fond la littérature
-kabbalistique, gréco-égyptienne et tout
-l’hermétisme du Moyen âge. Ils sont également
-au courant des travaux des orientalistes, des
-égyptologues, des théosophes et des recherches
-de nos occultistes purement scientifiques. Ils
-savent aussi que les textes qu’ils invoquent
-sont des apocryphes extrêmement suspects ;
-et quoiqu’ils le sachent et parfois le proclament,
-ils partent de ces textes, s’y attachent, s’y confinent
-et fondent sur eux leurs théories, comme
-s’il s’agissait de documents authentiques et
-indiscutables. Ainsi de Guaita édifie la partie
-la plus importante de son œuvre sur la « Table
-d’émeraude », un apocryphe de l’apocryphe
-Trismégiste, après avoir déclaré : « Nous ne
-chicanerons point sur l’authenticité, l’attribution
-et la date de l’un des documents les plus
-magistralement initiatiques que nous ait transmis
-l’antiquité gréco-égyptienne.</p>
-
-<p>« Les uns s’obstinent à n’y voir que l’œuvre
-amphigourique d’un rêveur alexandrin, d’autres
-taxent même ce document d’apocryphe du
-<small>V</small><sup>e</sup> siècle. Quelques-uns le veulent de quatre
-mille ans plus ancien.</p>
-
-<p>« Que nous importe… Il est certain que cette
-page résume les traditions de l’antique Égypte<a id="FNanchor_59" href="#Footnote_59" class="fnanchor">[59]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_59" href="#FNanchor_59"><span class="label">[59]</span></a> <span class="sc">Stanislas de Guaita</span>, <i>La Clef de la Magie noire</i>, p. 119.</p>
-</div>
-<p>Ce n’est pas certain du tout, attendu que les
-monuments authentiques de l’Égypte des Pharaons
-ne nous fournissent absolument rien qui
-confirme ce résumé abscons, et le « Que nous
-importe », n’est-il pas bien cavalier quand il
-s’agit d’un texte dont on fait la clef de voûte
-de sa doctrine ?</p>
-
-<p>De son côté, Papus consacre un volume entier
-au commentaire du Tarot, dans lequel il voit
-le plus ancien monument de la sagesse ésotérique,
-alors qu’il sait mieux que personne qu’on
-n’en retrouve pas de traces authentiques avant
-le <small>XIV</small><sup>e</sup> siècle.</p>
-
-<p>En signalant cette faille bizarre à la base de
-leur œuvre, — et naturellement elle a de nombreuses
-ramifications, — je n’entends nullement
-suspecter l’honnêteté, l’évidente bonne foi de
-cette œuvre extrêmement intéressante, pleine
-d’aperçus originaux, d’intuitions, d’hypothèses,
-d’interprétations, de rapprochements ingénieux,
-de recherches et de trouvailles curieuses. Ils
-savent tous deux beaucoup de choses oubliées
-ou négligées, qu’il est bon de rappeler parfois ;
-et si Papus, trop pressé, bâcle souvent ses volumes,
-de Guaita soigne toujours, presque
-à l’excès, sa phrase hautaine, attentive, miroitante
-et un peu compassée.</p>
-
-
-<h3>IV</h3>
-
-<p>La situation des néo-théosophes, offre quelque
-analogie avec celle des trois occultistes dont je
-viens de parler. On sait que la « Société Théosophique »
-fut fondée en 1875, par Mme Blavatzky.
-Je n’ai pas à juger ici, au point de vue
-moral, cette femme énigmatique. Il est certain
-que le rapport du D<sup>r</sup> Hodgson, spécialement
-envoyé aux Indes, en 1884, par la « <span lang="en" xml:lang="en">Society for
-Psychical Research</span> », afin de faire une enquête
-sur son cas, jette sur elle une ombre assez fâcheuse.
-Néanmoins, après avoir revu les pièces
-du procès, je conviens qu’il est après tout fort
-possible que le très honnête Hodgson ait été
-lui même victime de supercheries plus diaboliques
-que celles qu’il croyait démasquer. Je
-sais encore qu’on impute à Mme Blavatzky
-et à d’autres théosophes, de nombreux plagiats ;
-on prétend notamment que <i>Le Bouddhisme ésotérique</i>
-de A.-P. Sinnet et <i>La Doctrine secrète</i>
-seraient d’un nommé Palma, dont les manuscrits
-auraient été achetés par les fondateurs de la
-Société Théosophique, ou des démarquages
-à peine déguisés d’ouvrages parus vingt ans auparavant,
-sous la signature d’occultistes occidentaux,
-notamment de Louis Lucas.</p>
-
-<p>Je ne m’attarderai pas à ces questions qui me
-semblent beaucoup moins importantes que celle
-des documents préhistoriques et secrets et des
-commentaires ésotériques sur lesquels repose
-toute la révélation théosophique. Quels qu’en
-soient l’auteur ou les auteurs, je prends l’œuvre
-telle qu’elle se présente. <i>L’Isis dévoilée</i>, <i>La
-Doctrine secrète</i> et les autres écrits, très nombreux,
-de Mme Blavatzky, forment un monument
-énorme et mal équilibré, ou plutôt une
-sorte de chantier colossal, où la suprême sagesse,
-la plus exceptionnelle et la plus vaste érudition,
-et les débris les plus douteux de la science,
-de la légende et de l’histoire, les hypothèses
-les plus impressionnantes et le plus dénuées de
-fondement, les faits les plus exacts et les plus
-invraisemblables, les idées les plus justes et
-les plus chimériques, les rêves les plus hauts et
-les rêveries les plus incohérentes, sont déversés
-pêle-mêle par tombereaux inépuisables.
-Il y a donc dans cette accumulation de matériaux
-un déchet considérable, des affirmations
-fantastiques que l’on rejette <i lang="la" xml:lang="la">à priori</i> ; mais
-il faut reconnaître, si l’on veut être impartial,
-qu’on y trouve aussi des spéculations qui
-comptent parmi les plus grandioses qu’on ait
-faites. Le fond en est évidemment védique
-ou plutôt brahmanique et védandique et se
-trouve dans des textes qui n’ont rien d’occulte.
-Mais à ces textes des indianistes officiels, les
-théosophes en superposent d’autres qu’ils prétendent
-beaucoup plus anciens et plus purs
-et qui leur sont fournis et expliqués par des
-adeptes hindous, héritiers directs de la Sagesse
-immémoriale et secrète. Il est certain que leurs
-écrits sans rien révéler de nouveau sur les points
-essentiels des grands aveux d’ignorance qui se
-trouvent à l’horizon des religions anciennes, y
-ajoutent une foule d’éclaircissements, de commentaires,
-de théories et de détails qui seraient
-extrêmement intéressants s’ils nous étaient offerts
-après avoir été soumis à une critique historique
-et philologique aussi rigoureuse que celle
-que firent subir à leurs documents les indianistes
-qui ne se prétendent pas initiés. Malheureusement
-il n’en va pas ainsi. Prenons par exemple le
-<i>Livre de Dzyan</i>, c’est-à-dire les Slocas ou stances
-mystérieuses qui se trouvent à la base de toute
-la doctrine secrète de Mme Blavatzky. Il nous
-est présenté comme « un manuscrit archaïque,
-assemblage de feuilles de palmiers rendu, par
-quelque procédé inconnu, inaltérable à l’eau,
-à l’air et au feu, et écrit dans une langue perdue,
-le <i>Sinzar</i>, antérieure au sanscrit et que comprennent
-seuls quelques rares adeptes hindous »,
-et c’est tout. Pas un mot pour nous dire d’où
-provient ce manuscrit, comment il a été miraculeusement
-conservé, ce qu’est le <i>Sinzar</i>, à
-laquelle des cent langues, auquel des cinq ou six
-cents dialectes hindous il se rattache, comment
-il s’écrit, comment on peut encore le comprendre
-et le traduire, quelle est approximativement
-l’époque à laquelle il remonte, etc. On n’en
-a cure, et c’est toujours ainsi. Il faut croire sur
-parole et sans examen. Ces méthodes sont évidemment
-regrettables, car si les textes en question
-avaient été passés au crible d’une critique
-suffisante, ils compteraient parmi les plus curieux
-de la littérature asiatique. Telles qu’on nous
-les donne, la cosmogonie et l’anthropogénèse
-du <i>Livre de Dzyan</i> paraissent être des spéculations
-de brahmanes et pourraient faire partie
-des <i>Upanischads</i>. Elles sont ingénieusement
-commentées par des adeptes parfaitement au
-courant de nos sciences occidentales. Si elles
-sont authentiquement préhistoriques, leurs affirmations
-au sujet de l’évolution des mondes et
-de l’homme, partiellement confirmées par nos
-dernières découvertes ou théories scientifiques,
-sont réellement troublantes. Si elles ne le sont
-pas, ces affirmations deviennent de simples
-hypothèses, toujours grandioses, parfois plausibles,
-mais le plus souvent incroyablement
-et inutilement compliquées, et en tout cas,
-arbitraires et chimériques.</p>
-
-
-<h3>V</h3>
-
-<p>Ce qui n’empêche point <i>La Doctrine Secrète</i>
-d’être une sorte de vaste encyclopédie des
-sciences ésotériques, surtout dans ses annexes,
-ses commentaires, ses « parerga », où l’on trouve
-une foule de rapprochements ingénieux et curieux
-entre les enseignements et les manifestations
-de l’occultisme, à travers les pays et
-les siècles. Il en jaillit parfois une lumière
-inattendue dont les rayons s’étendent au loin,
-sur des régions de la pensée qui ne sont plus
-guère fréquentées. En tout cas, l’œuvre prouverait
-une fois de plus, si c’était nécessaire, et avec
-un éclat insolite, l’origine commune de l’idée
-que se fit un jour l’humanité, bien avant l’histoire
-que nous connaissons, des grands mystères
-qui l’enveloppèrent. On y trouve aussi
-de larges et excellents tableaux où la science
-occulte est confrontée à la science moderne et
-semble souvent, il faut en convenir, précéder
-ou dominer celle-ci. On y découvre encore bien
-d’autres choses, jetées en vrac, mais qui ne
-méritent pas le dédain avec lequel, depuis
-quelque temps, on affecte de les traiter.</p>
-
-<p>Au surplus, je n’ai pas à faire ici l’histoire
-ou le procès de la théosophie. Il fallait simplement
-la signaler à la rencontre, puisqu’elle est
-l’avant-dernière forme de l’occultisme. Il suffira
-d’ajouter que les vices de sa méthode initiale
-s’accusent et s’aggravent chez les continuateurs
-de Mme Blavatzky. Chez Mme Annie Besant, — femme
-d’ailleurs remarquable, — et chez
-Leadbeater, tout est en l’air, tout s’édifie
-dans les nues, et les affirmations gratuites et
-invérifiables pleuvent de plus en plus dru sur
-chaque page. Ils semblent du reste lancer la
-théosophie dans des voies où les fidèles de la
-première heure hésitent à les suivre.</p>
-
-<p>Ces vices s’aggravent surtout et éclatent dans
-toute leur candeur chez certains auteurs de second
-plan, moins habiles que leurs maîtres
-à les dissimuler ; par exemple chez Scott-Elliot,
-l’historien de <i>L’Atlantide</i> et de <i>La Lémurie
-perdue</i>. Scott-Elliot commence son histoire
-de l’Atlantide de la manière la plus raisonnable
-et la plus scientifique. Il invoque les textes historiques
-qui ne permettent guère de douter
-qu’une île immense, dont l’une des extrémités
-s’avançait non loin des colonnes d’Hercule,
-s’effondra dans l’Océan, et disparut à jamais,
-en engloutissant la merveilleuse civilisation
-qu’elle portait. Il corrobore ces textes de preuves
-très judicieuses tirées de l’orographie sous-marine,
-de la persistance de la mer des Sargasses,
-de la géologie, de la chorographie, etc.
-Puis, tout à coup, presque sans nous prévenir,
-ayant recours à des documents occultes, à des
-mappemondes de terre cuite, miraculeusement
-retrouvées, à des révélations qui viennent on ne
-sait d’où, à des clichés astraux qu’il prétend
-récupérer dans l’espace et le temps, et qu’il
-traite sur le même pied que les arguments
-historiques et géologiques, il nous décrit par le
-menu, comme s’il vivait au milieu d’eux, les
-villes, les temples, les palais des Atlantes et
-toute leur civilisation politique, morale, religieuse
-et scientifique, en annexant à son œuvre
-une série de cartes détaillées de continents
-fabuleux, hyperboréens, lémuriens, etc., disparus
-depuis 800.000, 200.000 et 60.000 ans,
-et délimités avec autant de minutie et d’assurance
-que s’il s’agissait de la géographie contemporaine
-de la Bretagne ou de la Normandie.</p>
-
-
-<h3>VI</h3>
-
-<p>Le chef d’une branche indépendante ou dissidente
-de la Théosophie, un érudit, un philosophe
-et un visionnaire extrêmement curieux, dont
-j’ai déjà parlé, Rudolph Steiner, use à peu près
-des mêmes procédés, mais tente du moins de
-les expliquer et de les justifier.</p>
-
-<p>A la différence des théosophes orthodoxes,
-il ne se contente point de révéler, de commenter
-et d’interpréter les livres secrets et sacrés de
-la tradition orientale, mais entend trouver
-en lui-même toutes les vérités qu’ils renferment.
-« C’est dans l’âme, proclame-t-il, que se révèle
-le sens de l’univers. » Le secret de tout est en
-nous, puisque tout est en nous, et il est en chacun
-de nous autant qu’il était dans le Christ.
-« Le Logos en évolution incessante en des
-millions de personnalités humaines a été
-détourné et concentré par la conception chrétienne
-sur l’unique personnalité de Jésus. La
-force divine éparse dans le monde entier fut
-ramassée en un seul. Aux yeux de cette conception,
-Jésus est le seul homme devenu Dieu.
-Il a pris sur lui la divinisation de toute l’humanité.
-On cherche en lui ce que précédemment
-on avait cherché dans sa propre âme<a id="FNanchor_60" href="#Footnote_60" class="fnanchor">[60]</a>. »</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_60" href="#FNanchor_60"><span class="label">[60]</span></a> <span class="sc">Rudolph Steiner</span>, <i>Le Mystère chrétien et les Mystères
-antiques</i>. Trad. par <span class="sc">Édouard Shuré</span>, p. 228.</p>
-</div>
-<p>Il faut reprendre cette recherche que le symbole
-du Christ a trop longtemps interrompu.
-Cette idée très défendable quand on y voit la
-recherche de notre « Moi transcendental », dont
-le subconscient de nos métapsychistes n’est
-que la partie la plus accessible, devient beaucoup
-plus contestable dans les développements que
-lui donne notre auteur. Il prétend nous révéler
-le moyen de réveiller presque mécaniquement
-et infailliblement le Dieu qui dort en nous.
-Selon lui, « la différence entre l’initiation orientale
-et l’initiation occidentale consiste en ce que
-la première se faisait à l’état de sommeil et la
-seconde à l’état de veille. On évite par conséquent
-la séparation toujours dangereuse du corps
-éthérique d’avec le corps physique ». Pour obtenir
-l’état extatique qui permet de se mettre
-en communication avec les mondes supérieurs
-ou avec tous les mondes dispersés dans l’espace
-et le temps et même avec la divinité, il s’agit,
-par des exercices spirituels, de cultiver et développer
-méthodiquement certains organes de
-l’astral qui nous font voir et entendre, dans
-les êtres et les choses, des entités qui ne pénètrent
-jamais sur le plan physique. Les principes de
-ces exercices, du moins dans leurs parties spirituelles,
-sont évidemment empruntées aux
-pratiques immémoriales du Yoga hindou, et
-notamment au Sûtra de Patânjali. Steiner enseigne
-ainsi que l’organe astral qui se trouverait
-dans le voisinage du larynx servirait à voir les
-pensées des autres hommes et permettrait de
-jeter un regard profond dans les vraies lois des
-phénomènes naturels. C’est encore ainsi qu’un
-organe qui avoisinerait le cœur, serait l’instrument
-qui servirait à connaître les états d’âme
-des autres hommes. Quiconque l’aurait développé
-pourrait vérifier l’existence de certaines
-forces profondes chez les animaux ou chez les
-plantes. C’est ainsi, enfin, que le sens qui résiderait
-au creux de l’estomac percevrait les facultés
-et les talents des hommes et découvrirait en
-outre le rôle que les animaux, les végétaux, les
-pierres, les métaux, les phénomènes atmosphériques
-jouent dans l’économie de la nature. Il
-expose longuement et minutieusement tout ceci,
-comme tout ce qui concerne l’évolution, l’entraînement,
-l’organisation du corps éthérique,
-et la vision du « Soi » supérieur, dans un livre
-intitulé : <i>L’Initiation ou la connaissance des
-mondes supérieurs</i><a id="FNanchor_61" href="#Footnote_61" class="fnanchor">[61]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_61" href="#FNanchor_61"><span class="label">[61]</span></a> <span class="sc">Rudolph Steiner</span>, <i>L’Initiation</i>. Trad. par <span class="sc">Jules Sauerwein</span>,
-p. 188 et suiv.</p>
-</div>
-<p>Quand on lit ce traité de l’extase, du reste
-remarquable à plus d’un point de vue, on est
-tenté de se demander si l’auteur a réussi à
-éviter le danger contre lequel il prémunit ses
-disciples et s’il ne se trouve pas lui-même « dans
-un univers créé de toutes pièces par sa propre
-imagination » ; j’ignore du reste si l’expérience
-confirme ses allégations. On peut essayer. Les
-procédés sont assez simples et, au rebours de
-ceux du Yoga, parfaitement inoffensifs. Mais
-il faut que l’entraînement spirituel se fasse sous
-la direction d’un maître qu’il n’est pas toujours
-facile de se procurer. En tout cas, il est
-permis de concevoir une sorte d’« état second »
-supérieur à celui des hypnotisés, des somnambules
-ou des médiums, qui procurerait des visions
-ou des intuitions très différentes de celles
-que nous fournissent nos sens ou notre intelligence
-dans leur état normal. Quant à savoir
-si ces visions ou ces intuitions répondent à des
-réalités d’un autre plan ou d’autres mondes,
-c’est une question que pourraient seuls trancher
-ceux qui les ont éprouvées. La plupart des
-grands mystiques ont eu spontanément des
-visions et des intuitions de ce genre, mais elles
-ne seraient vraiment intéressantes que s’il
-était prouvé qu’elles proviennent de mystiques
-réellement et totalement illettrés. Tels étaient,
-soutient-on, Jakob Boëhme, le théosophe-cordonnier
-de Goerlitz et Ruysbroeck l’Admirable,
-le vieux moine brabançon qui vécut
-aux <small>XIII</small><sup>e</sup> et <small>XIV</small><sup>e</sup> siècles. Si vraiment il n’y avait
-pas dans leurs révélations réminiscence inconsciente
-de lectures, on y rencontre de telles
-analogies avec les enseignements, devenus
-plus tard ésotériques, des grandes religions
-primitives, qu’il faudrait croire que tout au haut
-ou tout au fond de l’humanité, cet enseignement
-existe, identique, immuable et latent, et correspond
-à quelque vérité objective et universelle.
-On trouve notamment dans l’<i>Ornement des
-Noces spirituelles</i>, dans le <i>Livre de la suprême
-Vérité</i>, dans le <i>Livre du Royaume des Amants</i> de
-Ruysbroeck, des pages entières qui, abstraction
-faite de la phraséologie chrétienne, pourraient
-avoir été écrites par un anachrorète du temps
-des Brahmanes, ou par un néo-platonicien
-d’Alexandrie. D’autre part, l’idée fondamentale
-de l’œuvre de Boëhme est l’idée néo-platonicienne
-d’une divinité inconsciente ou d’un
-« néant » divin, qui prend graduellement conscience
-en s’objectivant et en réalisant ses virtualités
-latentes. Mais Boëhme, nous l’avons vu,
-n’était nullement illettré. Quant à Ruysbroeck,
-bien que son œuvre soit écrite dans le patois flamand
-que parlent encore les paysans du Brabant
-et des Flandres, n’oublions pas qu’avant de devenir
-l’ermite de la forêt de Soignes, il avait été
-vicaire à Bruxelles et avait vécu dans l’atmosphère
-mystique qu’avaient créée, aux <small>XIII</small><sup>e</sup> et
-<small>XIV</small><sup>e</sup> siècles, Albert Le Grand et surtout ses contemporains
-Johann Eckhart dont le panthéisme
-mystique est analogue à celui des Alexandrins
-et Jean Tauler qui, au dire de Surius, le traducteur
-et le biographe de Ruysbroeck, visita
-celui-ci dans sa solitude de Groenendael. Or,
-Jean Tauler préconisait également l’union avec
-la divinité et la création de Dieu dans l’âme.
-On voit donc qu’il est assez hasardeux d’affirmer
-que ses visions furent absolument spontanées.</p>
-
-
-<h3>VII</h3>
-
-<p>Pour Steiner, la question ne se pose même pas.
-Avant d’avoir retrouvé ou cru retrouver en lui-même
-les vérités ésotériques qu’il révèle, il
-connaissait à fond toutes les littératures mystiques,
-de sorte qu’il est à peu près certain que
-ses visions ne lui furent apportées que par le
-reflux de sa mémoire consciente ou subconsciente.
-Au demeurant, il ne diffère guère des
-théosophes orthodoxes, que sur un point qui
-peut paraître plus ou moins essentiel : au lieu de
-faire, non pas du Bouddha, mais des Bouddhas,
-c’est-à-dire des révélateurs ou des intermédiaires
-successifs, les centres de l’évolution
-spirituelle, il attribue au Christ le rôle capital
-dans cette évolution, synthétisant en lui tout
-le divin épars dans tous les hommes et en faisant
-ainsi le symbole par excellence de l’humanité
-à la recherche du Dieu qui dort en elle.
-C’est une opinion soutenable, quand on l’envisage,
-comme il semble le faire, au point de vue
-allégorique, mais qu’il serait plus difficile de
-défendre au point de vue historique.</p>
-
-<p>Steiner a mis en pratique ses méthodes intuitives,
-qui sont une sorte de psychométrie transcendentale,
-pour reconstituer l’histoire des
-Atlantes et nous révéler ce qui se passe dans le
-soleil, la lune et d’autres mondes. Il nous décrit
-les transformations successives des entités qui
-deviendront des hommes, et il le fait avec tant
-d’assurance qu’on se demande, après l’avoir
-suivi avec intérêt à travers des préliminaires
-qui dénotent un esprit très pondéré, très logique
-et très vaste, s’il devient subitement fou ou
-si l’on a affaire à un mystificateur ou à un véritable
-voyant. Dans le doute, on se dit que le
-subconscient, qui nous a déjà causé tant de
-surprises, nous en réserve peut-être d’autres
-qui seront aussi fantastiques que celles du théosophe
-autrichien, et, instruit par l’expérience,
-on s’abstient de le condamner sans appel.</p>
-
-<p>Tout compte fait, nous constatons une fois
-de plus, au sortir de ses œuvres, comme au
-sortir de la plupart des autres, que ce qu’il
-appelle « le grand drame de la connaissance
-que les anciens représentaient et vivaient dans
-leurs temples », et dont la vie, la mort et la résurrection
-du Christ, comme celles d’Osiris et de
-Krischna, n’est qu’une interprétation symbolique,
-devrait plutôt s’appeler le grand drame
-de l’ignorance essentielle et invincible.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch11">LES MÉTAPSYCHISTES</h2>
-
-
-<h3>I</h3>
-
-<p>Nous arrivons ainsi aux occultistes d’aujourd’hui,
-qui ne sont plus des hiérophantes, des
-adeptes, des initiés ou des voyants, mais de
-simples chercheurs appliquant à l’étude des
-phénomènes anormaux les méthodes de la
-science expérimentale. Ces phénomènes, pour
-peu que l’attention soit mise en éveil, on les
-constate de toutes parts dans la vie. Sont-ils
-exclusivement dus aux forces inconnues du subconscient
-ou à des entités invisibles qui ne sont
-pas, ne sont pas encore ou ne sont plus des
-hommes ? Le grand intérêt, on pourrait dire
-tout l’intérêt de la question est là, mais la
-réponse est encore en suspens, bien que s’accentue
-la tendance à la chercher dans un autre
-monde que le nôtre ; et la conversion au spiritisme
-de purs savants tels que sir Oliver
-Lodge, et plus récemment celle du professeur
-W.-J. Crawford, sont à cet égard assez significatives.</p>
-
-<p>Je ne reviendrai pas ici sur les communications
-spirites, les phantasmes des vivants et
-des morts, les phénomènes prémonitoires, les
-manifestations psychométriques et médiumniques
-dont j’ai esquissé l’étude dans <i>La Mort</i>
-et dans <i>L’Hôte Inconnu</i>. Ce que j’en ai dit dans
-ces livres peut donner une idée sommaire,
-provisoire, — car tout est provisoire dans ces
-régions, — mais suffisante, de l’état présent de
-la science métapsychique sur ces points.</p>
-
-<p>Mais il en est d’autres qui n’entraient pas alors
-dans le cadre de mon travail, qu’il faut que
-j’aborde aujourd’hui, d’abord parce qu’ayant
-passé en revue, rapidement, mais aussi complètement
-que possible, dans une monographie
-forcément écourtée, tout l’occultisme passé,
-il est équitable de traiter de la même façon
-l’occultisme présent, mais aussi et surtout parce
-que ces points que j’avais réservés jettent une
-lumière assez inattendue sur plusieurs autres
-et autorisent sinon des conclusions, du moins
-certaines inductions qui termineront cette
-étude.</p>
-
-
-<h3>II</h3>
-
-<p>Il ne s’agit plus, pour nos modernes occultistes
-comme pour leurs devanciers plus présomptueux,
-d’interroger directement l’inconnaissable,
-de remonter aux origines de la Cause sans
-Cause, d’expliquer l’inexplicable transition de
-l’infini au fini, de l’inconnaissable au connu,
-de l’esprit à la matière, du bien au mal, de l’absolu
-au relatif, de l’éternel à l’éphémère, de l’invisible
-au visible, de l’immobilité au mouvement,
-du virtuel au réel, et de trouver dans tout
-cet incompréhensible une théogonie, une cosmogonie,
-une religion et une morale qui ne soient
-pas aussi désespérantes que les ténèbres d’où
-on s’est efforcé de les tirer.</p>
-
-<p>Assagis par d’innombrables désillusions, ils
-se résignent à un rôle plus modeste. Au milieu
-d’une science que la nature même de ses investigations
-a rendu presque nécessairement matérialiste,
-ils conquièrent patiemment un îlot où
-ils donnent asile à des phénomènes que les lois
-ou plutôt les habitudes de la matière, telles que
-croyons les connaître, ne suffisent pas à expliquer.
-Ils arrivent ainsi, peu à peu, sinon à nous
-prouver, du moins à nous acheminer vers la
-preuve, qu’il y a dans l’homme, que l’on peut
-considérer comme une sorte de résumé de l’univers,
-une force spirituelle autre que celle qui
-émane de ses organes ou de son cerveau matériel
-et conscient et qui ne dépend pas uniquement
-de l’existence de son corps. Reconnaissons que
-cet îlot de nos occultistes, qui prennent maintenant
-le nom de métapsychistes, est encore
-assez désordonné. On y remarque tout le désarroi
-d’une installation récente et provisoire.
-Chacun y apporte chaque jour ses petites ou
-ses grandes trouvailles, les déballe et les entasse
-pêle-mêle sur la grève. Le très incertain y voisine
-avec l’incontestable, l’excellent avec le pire
-et le commencement avec la fin. Il serait temps
-de tirer de cette profusion et de cette confusion
-de matériaux, quelques lois générales qui
-y missent un peu d’ordre ; mais il est douteux
-qu’on le puisse d’ores et déjà tenter, car l’inventaire
-n’est pas terminé et l’on pressent qu’une
-découverte inattendue peut tout remettre en
-question et renverser de fond en comble les
-théories le plus prudemment édifiées.</p>
-
-<p>En attendant, on pourrait essayer de commencer
-par le commencement. Puisque les phénomènes
-qui s’accumulent tendent à établir que
-la force spirituelle qui émane de l’homme ne
-dépend pas entièrement de son cerveau et de la
-vie de son corps, il serait logique de démontrer
-d’abord que la pensée peut exister sans cerveau
-et en fait existait avant qu’un cerveau ne fût
-né. Si l’on y réussissait, l’existence posthume et
-tous les phénomènes attribués au subconscient
-deviendraient presque naturels et, en tout cas,
-beaucoup plus explicables.</p>
-
-
-<h3>III</h3>
-
-<p>La grande objection que les matérialistes ont
-toujours faite aux spiritualistes et qu’ils font
-encore, mais moins hardiment aujourd’hui,
-se résume en ceci : Pas de pensée sans cerveau.
-L’âme ou l’esprit est une sécrétion de la substance
-cérébrale ; le cerveau mort, la pensée
-s’arrête et il ne reste rien.</p>
-
-<p>A cette objection formidable, à ces constatations
-en apparence irréfutables, parce que
-l’expérience quotidienne de la mort vient sans
-cesse les confirmer, on n’avait jusqu’ici à opposer
-aucun argument réellement sérieux. On était
-au fond beaucoup plus désarmé qu’on n’osait en
-convenir. Mais depuis un certain nombre d’années,
-les travaux de nos métapsychistes, dont
-on n’a pas encore tiré toutes les conséquences,
-fournissent enfin, sinon des arguments péremptoires
-qu’on ne trouvera peut-être jamais, du
-moins des commencements d’arguments qui
-permettent de faire tête aux matérialistes,
-non plus dans les nuages religieux ou métaphysiques,
-mais sur leur propre terrain où règne
-seule la déesse, d’ailleurs fort respectable, de
-la méthode expérimentale. On rejoint ainsi,
-par-dessus les siècles, les affirmations et les
-constatations que des ancêtres préhistoriques
-nous avaient léguées comme un trésor secret
-ou trop longtemps enseveli dans l’oubli.</p>
-
-<p>On fuierait avec plaisir ces discussions assez
-oiseuses entre spiritualistes et matérialistes,
-si ces derniers n’obligeaient d’y revenir, en
-soutenant aveuglément que la matière est tout,
-le principe de tout, que tout commence et finit
-en elle et par elle et qu’il n’y a pas autre chose.
-Il serait plus raisonnable de reconnaître, une
-fois pour toutes, que la matière et l’esprit ne
-sont au fond que deux états différents d’une
-même substance ou plutôt d’une même énergie
-éternelle. C’est ce qu’a toujours affirmé, plus
-nettement qu’aucune autre, la religion primitive
-de l’Inde, en ajoutant que l’esprit était
-l’état primordial de cette substance ou de cette
-énergie et que la matière n’est que le résultat
-d’une manifestation, d’une condensation ou
-d’une dégradation de l’esprit. Toute sa cosmogonie,
-toute sa théosophie et toute sa morale
-découle de ce principe fondamental, dont les
-conséquences, alors qu’en apparence il ne s’agit
-que d’une querelle de mots, sont, en pratique,
-énormes.</p>
-
-<p>Il s’agit donc tout d’abord de savoir si l’esprit
-est antérieur à la matière ou si l’inverse est
-vrai, si la matière est la condition de l’esprit
-ou si c’est au contraire l’esprit qui est la condition
-de la matière. Dans l’état présent de la
-science, et sans tenir compte des enseignements
-des grandes religions, est-il possible de répondre
-à cette question ?</p>
-
-<p>Nos matérialistes affirment que la vie est
-la condition indispensable pour que la pensée
-naisse et se forme dans le cerveau. Ils ont
-raison ; mais qu’est-ce que la vie, à leurs yeux,
-sinon une manifestation de la matière qui déjà
-n’est plus la matière telle qu’ils l’entendent
-et que nous avons bien le droit d’appeler esprit,
-âme et même dieu si nous le désirons ? S’ils
-soutiennent que la matière ne peut produire
-la vie sans qu’un germe venu du dehors ne l’y
-fasse naître, ils passent <i lang="la" xml:lang="la">ipso facto</i> dans notre
-camp, puisqu’ils reconnaissent qu’il faut autre
-chose que la matière pour produire la vie. Si
-d’autre part, ils prétendent que la vie émane de
-la matière, ils confessent qu’elle s’y trouvait
-préalablement renfermée, et reviennent se ranger
-parmi nous. Ils ont du reste récemment, — voyez
-entre autres les expériences du
-D<sup>r</sup> Gustave Le Bon, — été forcés de reconnaître
-que la matière inerte n’existe point, et qu’un
-caillou, un bloc de lave, stérilisé par les feux
-les plus infernaux, est doué d’une activité
-intra-moléculaire absolument fantastique, et
-dépense en tourbillons intérieurs une énergie
-qui serait capable d’ébranler des trains entiers
-et de leur faire faire le tour de notre globe. Or,
-qu’est-ce que cette activité et cette énergie,
-sinon une forme irrécusable de la vie universelle ?
-Et nous voilà encore une fois d’accord. Mais où
-nous ne le sommes plus, c’est quand ils prétendent
-sans aucune raison, ou plutôt contre toute
-raison, que la matière existait avant cette énergie.
-Nous pouvons admettre qu’elle existait
-en même temps, depuis l’origine du monde ; mais
-la simple logique et l’observation des faits nous
-obligent de reconnaître que lorsque la matière
-s’est mise en mouvement, s’est mise à évoluer,
-non plus intérieurement, comme dans un caillou,
-mais extérieurement, comme dans un cristal,
-une plante ou un animal, c’est la même énergie,
-la même force motrice qui était en elle qui a
-déterminé ce mouvement ou cette évolution.
-Cette même logique et cette même observation
-des faits nous forcent encore de reconnaître
-que lorsqu’il s’est agi de transformer et d’organiser
-la matière, ce n’est pas celle-ci, mais la vie
-qu’elle recélait, qui a commencé. Or dans ce cas,
-comme dans les querelles qui se terminent
-devant les tribunaux, il est extrêmement
-important de savoir qui a commencé. Si c’est
-la matière, — mais soit dit en passant, comment
-commencerait-elle quelque chose, comment
-prendrait-elle une initiative, sans cesser d’être
-la matière, telle que la définissent les matérialistes,
-c’est-à-dire une chose par elle-même
-nécessairement inerte et immobile ? — Mais
-enfin, si pour admettre l’impossible, c’est la
-matière qui a commencé, il est assez probable
-que notre esprit périra ou plutôt s’éteindra
-avec elle et retournera en elle à cette élémentaire
-activité intra-moléculaire qui marquait son commencement
-et marquera sa fin. Si c’est au contraire
-l’esprit qui a commencé, il est non moins
-probable, qu’ayant su transformer la matière
-et l’organiser, il est plus puissant et d’une
-autre nature que cette matière, et qu’ayant su
-s’en servir, en tirer parti pour évoluer, s’accroître
-et s’élever, — et c’est bien l’évolution
-spirituelle que nous constatons, sur notre terre
-qui part du minéral, pour aboutir à l’homme, — il
-est, dis-je, non moins probable qu’ayant su
-se servir de la matière et en être le maître, il
-ne lui permettra pas, quand elle semblera se
-dissoudre, de l’entraîner dans sa dissolution, de
-l’éteindre quand elle s’éteint ou de le faire rétrograder
-vers cette obscure activité intra-moléculaire
-d’où il l’avait tirée…</p>
-
-
-<h3>IV</h3>
-
-<p>En tout cas, pour ce qui nous intéresse particulièrement,
-c’est-à-dire l’antériorité de la pensée
-ou du cerveau, ou la possibilité de la pensée
-sans cerveau, la question est tranchée par
-les faits. Avant l’apparition de l’homme et des
-animaux les plus intelligents, la nature était
-déjà beaucoup plus intelligente que nous et avait
-déjà réalisé dans le monde des plantes, des poissons,
-des sauriens, des oiseaux reptiliens, et
-surtout dans le monde des insectes, la plupart
-des inventions merveilleuses devant lesquelles
-nous nous extasions encore aujourd’hui. Où
-était à ce moment, le cerveau de la nature ?
-Probablement dans la matière et surtout hors
-de la matière, partout et nulle part, comme il
-est encore aujourd’hui. Vous aurez beau nous
-objecter que tout cela s’est fait peu à peu, avec
-une lenteur infinie, à travers des tâtonnements
-incessants ; c’est entendu, mais le temps ne fait
-rien à l’affaire. Il est donc évident, à moins
-que vous n’admettiez que l’effet précède la
-cause, qu’il y avait quelque part, on ne sait
-où, une intelligence qui déjà fonctionnait sans
-organes visibles ou localisables, nous démontrant
-ainsi que les organes que nous croyons
-indispensables pour qu’une pensée se produise,
-ne sont que le produit d’une pensée préexistante,
-les effets d’une cause antérieure et spirituelle.</p>
-
-
-<h3>V</h3>
-
-<p>Il est au demeurant fort possible que depuis
-la formation de notre cerveau, la nature pense
-mieux qu’elle ne le faisait. Il est fort possible,
-comme le prétendent certains biologistes, que
-les acquisitions de notre intelligence profitent
-à la nature et se reversent dans le fonds commun
-de l’intelligence universelle. Je n’y vois, pour
-ma part, aucun inconvénient. Cela ne prouve
-nullement que la nature ait besoin du cerveau
-de l’homme pour avoir des idées. Elle les avait
-toutes bien avant lui. Quand l’homme invente
-par exemple l’imprimerie ou la machine à
-écrire pour faciliter la diffusion de sa pensée,
-cela ne prouve nullement qu’il ait besoin de
-l’imprimerie ou de la machine à écrire pour
-penser.</p>
-
-<p>Il semble en effet que la nature, tout au moins
-sur notre petite terre, se soit assagie, et ne commette
-plus les énormes bévues qu’elle faisait
-à l’origine, quand elle créait des milliers de
-monstres hétéroclites et inviables. Il n’en est
-pas moins vrai qu’elle ne nous a pas attendus
-pour se mettre à penser et à imaginer beaucoup
-plus de choses que nous n’en imaginerons jamais.
-Nous n’avons pas cessé et nous ne cesserons
-pas de sitôt, de puiser à pleines mains à
-l’immense fonds d’intelligence accumulé par
-elle avant notre venue. Ernest Kapp, dans
-sa <i>Philosophie de la Technique</i>, a lumineusement
-démontré que toutes nos inventions,
-toutes nos machines, ne sont que des projections
-organiques, c’est-à-dire des imitations inconscientes
-de modèles fournis par la nature. Nos
-pompes sont la pompe de notre cœur, nos
-bielles sont la reproduction de nos articulations,
-notre appareil photographique est la chambre
-noire de notre œil, nos appareils télégraphiques
-représentent notre système nerveux ; dans les
-rayons X, nous reconnaissons la propriété organique
-de la lucidité somnambulique qui voit
-à travers les objets, qui lit par exemple le
-contenu d’une lettre cachetée et enfermée dans
-une triple boîte de métal. Dans la télégraphie
-sans fil, nous suivons les indications que nous
-avait données la télépathie, c’est-à-dire la communication
-directe d’une pensée, par ondes
-spirituelles analogues aux ondes hertziennes, et
-dans les phénomènes de la lévitation et des déplacements
-d’objets sans contact, se trouve
-une autre indication dont nous n’avons pas
-encore su tirer parti. Elle nous met sur la voie
-du procédé qui nous permettra peut-être un jour
-de vaincre les terribles lois de la gravitation
-qui nous enchaînent à cette terre, car il semble
-bien que ces lois, au lieu d’être, comme
-on le croyait, à jamais incompréhensibles
-et impénétrables, sont surtout magnétiques,
-c’est-à-dire maniables et utilisables.</p>
-
-
-<h3>VI</h3>
-
-<p>Et je ne parle ici que du monde restreint de
-l’homme. Que serait-ce si nous faisions le recensement
-des inventions de la nature dans le
-royaume des insectes, où elle semble avoir
-prodigué, bien avant notre arrivée sur la terre,
-un génie plus varié et plus abondant que celui
-qu’elle a dépensé pour nous. Outre l’idée d’organisations
-politiques et sociales que nous
-imiterons peut-être un jour, nous y trouverions
-des miracles mécaniques qui nous sont inaccessibles
-et le secret des forces dont nous n’avons
-encore aucune notion. D’où vient, notamment,
-pour ne citer que le plus humble et le plus
-désagréable des exemples, d’où vient l’énergie
-fabuleuse qui permet à la puce de faire un bond
-qui correspond pour l’homme à un saut en hauteur
-ou en longueur de quatre ou cinq cents
-mètres ? Et le scorpion languedocien, où puise-t-il
-l’aliment mystérieux qui, malgré une activité
-incessante, lui permet de vivre pendant
-neuf mois sans aucune nourriture ? Où le puisent
-aussi les petits de la Lycose et de l’araignée
-Clotho, qui ont une faculté analogue ? En vertu
-de quelle alchimie voyons-nous, dans l’isolement
-absolu, sans que rien du dehors s’y puisse
-introduire, décupler sur place le volume de
-l’œuf d’un autre insecte, le Minotaure ? Le
-grand entomologiste, J.-H. Fabre, sans se douter
-qu’il rééditait une théorie fondamentale de Paracelse, — car
-malgré elle, la science se rapproche
-chaque jour de la Magie, — soupçonne
-très curieusement « qu’ils empruntent une partie
-de leur activité aux énergies ambiantes, chaleur,
-électricité, lumière ou autres modes variés
-d’un même agent, » qui est exactement l’agent
-universel, l’astral, le fluide cosmique, éthérique
-ou vital, l’Akahsa des occultistes ou l’Od de nos
-savants modernes.</p>
-
-
-<h3>VII</h3>
-
-<p>Pour le dire en passant, la nature sans cerveau,
-clairement, une fois de plus, indique ici
-à nos cerveaux la voie qu’ils auront à suivre
-s’ils veulent nous débarrasser des lourds et répugnants
-assujettissements de la nourriture, qui
-nous accordent à peine quelques heures de
-loisir, entre les trois ou quatre repas que nous
-devons faire chaque jour. L’heure est peut-être
-moins éloignée qu’on ne croit, où nous cesserons
-d’être des estomacs avides et des ventres insatiables,
-où nous découvrirons à notre tour
-le magnifique secret de ces insectes et parviendrons
-à tirer, à leur exemple, notre vie du fluide
-universel et invisible qui nous enveloppe et nous
-pénètre aussi bien qu’eux.</p>
-
-<p>Il y a là, pour notre science, des champs
-inexplorés et illimités. Il y aura là, surtout au
-point de vue de notre vie spirituelle, une transformation
-qui facilitera singulièrement l’intelligence
-de notre existence future ; car lorsque
-nous n’aurons plus à faire les trois ou quatre
-repas qui maintenant encombrent ou illuminent,
-selon les tempéraments, toutes nos heures,
-depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, nous
-commencerons peut-être à comprendre que la
-pensée ou l’âme n’est pas nécessairement malheureuse,
-désœuvrée, désemparée et la proie d’un
-éternel ennui, quand elle n’a plus dans la journée
-les points de repère ou les buts que sont le déjeuner,
-le thé, le dîner et le souper. Ce sera une
-excellente initiation au régime d’outre-tombe
-et de l’éternité.</p>
-
-<p>Pour revenir une dernière fois à cette question
-de la pensée sans cerveau, qui est la clef de voûte
-de tout l’édifice, supposons qu’à la suite d’un
-cataclysme qui sans doute s’est déjà produit
-et peut à chaque instant se reproduire sur notre
-globe, tous les cerveaux, toutes les plus élémentaires,
-les plus gélatineuses velléités d’organisation
-nerveuse ou cérébrale, depuis celle
-de l’amibe jusqu’à l’homme, soient brusquement
-anéantis. Croyez-vous que la terre resterait
-nue, déserte, inerte, à jamais morte, si les
-conditions d’existence redevenaient exactement
-semblables à ce qu’elles étaient avant la catastrophe ?
-Il n’est guère permis de le présumer.
-Il est au contraire à peu près certain que la vie,
-retrouvant les mêmes circonstances favorables,
-recommencerait à peu près de la même façon.
-L’intelligence renaîtrait graduellement, des idées
-reparaîtraient, se formeraient de nouveaux
-organes, nous donnant ainsi l’irréfragable
-preuve que la pensée n’était pas morte, qu’elle
-ne peut pas mourir, qu’elle se réfugie et subsiste
-quelque part, intangible et impérissable, au-dessus
-de la ruine totale de ses instruments
-ou de ses véhicules, et qu’elle est, en un mot,
-indépendante de la matière.</p>
-
-
-<h3>VIII</h3>
-
-<p>Étudions maintenant en nous-mêmes cette
-préexistence de l’esprit. Avions-nous déjà un
-cerveau quand au moment de notre conception
-nous étions encore cet infusoire que seuls les
-microscopes peuvent rendre visible à nos yeux ?
-Pourtant, nous étions déjà en puissance tout
-ce que nous sommes aujourd’hui. Nous n’étions
-pas seulement nous-mêmes, avec notre caractère,
-nos idées innées, nos vertus et nos vices,
-tout ce que notre cerveau qui n’existait pas
-encore allait développer beaucoup plus tard ;
-nous renfermions déjà tout ce que nos ancêtres
-avaient été ; nous portions en nous tout ce qu’ils
-avaient acquis dans une suite de siècles dont
-nul ne sait le nombre ; leurs expériences, leur
-sagesse, leurs habitudes, leurs tares et leurs
-qualités, les conséquences de leurs fautes et de
-leurs mérites ; tout cela s’entassait, s’agitait,
-fructifiait dans un point invisible. Nous y portions
-aussi, ce qui paraît bien plus extraordinaire,
-mais est aussi incontestable, toute notre
-descendance, toute la suite ininterrompue de
-nos enfants et des enfants de nos enfants en qui
-nous revivrons dans l’infini des temps, et dont
-nous contenions déjà toutes les aptitudes, tout
-le destin, tout l’avenir. Quand la matière
-accumule tant de choses en une sorte de bout
-de fil si ténu qu’il échappe presque au microscope,
-n’est-elle pas subtile au point de ressembler
-étrangement à un principe spirituel ?</p>
-
-<p>Négligeons aujourd’hui l’action de nos descendants
-sur nous-mêmes, sur notre caractère,
-sur nos déterminations, action qui est assez
-probable puisqu’ils existent incontestablement
-en nous, mais qu’il serait trop long de rechercher,
-et insistons un moment sur ce fait que nos
-ancêtres qui nous paraissent morts continuent
-très réellement de vivre en nous. Je ne m’attarderai
-pas sur ce point, car j’ai hâte d’aborder
-des arguments plus récents ; je me contenterai
-donc de le signaler à votre attention, car les
-phénomènes de l’hérédité sont maintenant
-admis et classés. Il est indubitable que chacun
-d’entre nous n’est qu’une sorte de total de ses
-ascendants et reproduit plus ou moins exactement
-la personnalité de l’un ou de plusieurs
-d’entre eux qui manifestement continuent de
-penser et d’agir en lui. Il pense par notre cerveau,
-direz-vous. C’est peut-être vrai. Il use
-de l’organe qu’il a à sa disposition, mais il est
-évident qu’il existe toujours, qu’il vit et pense
-bien qu’il n’ait plus de cerveau personnel,
-et c’est tout ce qu’il importait pour l’instant
-d’établir.</p>
-
-
-<h3>IX</h3>
-
-<p>Nous venons de voir, trop rapidement et trop
-sommairement, que la pensée peut exister,
-et en fait existe partout sans cerveau, qu’elle
-semble antérieure à la matière et qu’elle a en
-réalité une existence indépendante de celle-ci.
-Je ne noterai qu’en passant une objection des
-matérialistes qui nous disent : « Si la pensée
-est indépendante de la matière, comment se
-fait-il qu’elle cesse de fonctionner ou ne fonctionne
-plus qu’incomplètement quand le cerveau
-est lésé ? » Cette objection, qui du reste n’atteint
-pas la source de la pensée mais seulement l’état
-de son conducteur ou de son condensateur, perd
-une partie de sa valeur si on lui oppose un
-nombre suffisant de constatations qui prouvent
-exactement le contraire. Je pourrais, si nous en
-avions le loisir, vous fournir une liste de cas
-médicalement établis où la pensée a continué
-de fonctionner normalement, alors que la
-presque totalité du cerveau est réduite en
-bouillie ou n’est plus qu’un abcès purulent.
-Je renvoie ceux que la question intéresse aux
-ouvrages spéciaux ; ils trouveront notamment
-dans le livre magistral du D<sup>r</sup> Geley : « <i>De l’Inconscient
-au Conscient</i> », des exemples qui les
-convaincront<a id="FNanchor_62" href="#Footnote_62" class="fnanchor">[62]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_62" href="#FNanchor_62"><span class="label">[62]</span></a> D<sup>r</sup> <span class="sc">G. Geley</span>, <i>De l’Inconscient au Conscient</i>, p. 8 et suiv.</p>
-</div>
-<p>Au fond, cette objection des matérialistes
-est surtout un sophisme qui a été fort bien réfuté
-par le D<sup>r</sup> Carl du Prel. Dire que toute blessure
-faite au cerveau atteint l’esprit, que toute
-pensée cesse quand le cerveau est détruit et
-qu’en conséquence l’esprit est un produit du
-cerveau, c’est raisonner exactement comme ceci :
-toute lésion de l’appareil télégraphique nuit
-à la dépêche, et le fil étant coupé, la dépêche
-n’existe plus ; donc l’appareil produit la dépêche,
-et il est interdit à la science de supposer
-qu’il y a encore, derrière l’appareil, un employé
-du télégraphe.</p>
-
-
-<h3>X</h3>
-
-<p>Arrivons aux constatations que la science
-de ces dernières années, rejoignant par-dessus
-des millénaires les affirmations des anciennes
-religions et des occultistes, vient
-de recueillir. Elles jettent un jour nouveau sur
-le problème et corroborent enfin, par l’expérience,
-les doctrines ésotériques au sujet du
-corps astral, ou éthérique, ou de l’hôte inconnu,
-si vous le préférez, de ses facultés extraordinaires
-et incompréhensibles, de sa survivance probable
-et de son indépendance par rapport à
-notre corps physique.</p>
-
-<p>Nous savions tous qu’une partie très importante
-de notre existence, de notre personnalité,
-était ensevelie dans les ténèbres de l’inconscience
-ou de la subconscience. Nous logions
-dans ces ténèbres toute notre vie organique,
-celle de notre estomac, de notre cœur, de nos
-poumons, de nos reins et de notre cerveau
-même, qui fonctionnent dans une obscurité
-où ne pénètre que par hasard, — en cas de maladie,
-par exemple, — un rayon de conscience. Nous
-y logions ensuite nos instincts, les plus bas
-comme les plus hauts, tout ce qu’il y avait
-d’inné, de mystérieux et d’irrésistible dans nos
-connaissances et nos aspirations, nos goûts,
-nos aptitudes, et notre caractère, et bien d’autres
-choses que nous n’avons pas le temps de passer
-en revue.</p>
-
-<p>Mais depuis un certain nombre d’années,
-des études scientifiques sur l’hypnotisme et la
-médiumnité ont prodigieusement agrandi et
-éclairé cet extraordinaire et féerique domaine
-de l’inconscient.</p>
-
-<p>On est arrivé, pas à pas, à constater d’une
-manière objective, matérielle et indubitable,
-que notre petite existence consciente et cérébrale
-n’est rien si on la compare à l’immense
-existence ultra-cérébrale et secrète que nous
-menons en même temps ; cette existence inconnue
-englobe le passé et l’avenir et, même dans
-le présent, peut s’étendre à d’énormes distances
-de notre corps physique. On s’est notamment
-aperçu que la mémoire étroite, infidèle et fragile
-que nous croyions unique, était doublée
-dans l’ombre d’une autre mémoire sans limites,
-infatigable, inépuisable, incorruptible, inébranlable,
-infaillible, enregistrant quelque part, — peut-être
-dans le cerveau, mais en tout cas
-pas dans le cerveau tel que nous le connaissons
-et qui régit notre conscience, car elle paraît
-être indépendante de l’état de ce cerveau, — enregistrant,
-dis-je, de façon indélébile, les
-moindres événements, les plus minimes émotions,
-les plus fugitives pensées de notre vie.
-C’est ainsi, pour ne citer qu’un exemple entre
-mille, qu’une servante totalement illettrée pouvait,
-en état d’hypnose, réciter sans une incorrection
-des pages entières de sanscrit, pour avoir,
-autrefois, entendu lire par son premier maître,
-qui était un orientaliste, des passages des Védas.</p>
-
-<p>C’est ainsi qu’il a été prouvé que n’importe
-quel chapitre d’un des milliers de livres que
-nous avons lus reste inaltérablement photographié
-dans notre souvenir et peut, à un moment
-donné, reparaître sous nos yeux, sans qu’il y
-manque un point ou une virgule. C’est encore
-ainsi que le colonel de Rochas, dans ses expériences
-sur la régression de la mémoire et de la
-personnalité, faisait remonter à ses sujets le
-cours de toute leur vie, jusqu’à leur petite enfance,
-dont les moindres détails ressuscitaient
-avec une netteté, un relief extraordinaire,
-détails qui, lorsqu’ils étaient contrôlés, étaient
-reconnus parfaitement exacts. Il faisait bien
-mieux, il parvenait à réveiller la mémoire de
-leurs vies antérieures. Mais ici, le contrôle étant
-plus difficile, la question n’est pas au point,
-et je ne veux vous mener que sur la terre ferme
-des faits acquis et incontestés.</p>
-
-
-<h3>XI</h3>
-
-<p>Donc, voilà déjà une énorme partie de notre
-moi qui nous échappe, dont nous ignorons
-l’existence, que nous n’utilisons pas, qui vit,
-enregistre, agit en dehors de notre cerveau
-conscient, une mémoire idéale, qui, pratiquement,
-ne nous sert de rien, à côté de laquelle
-celle qui nous obéit n’est qu’un étroit sommet,
-une sorte d’aiguille, sans cesse rongée par le
-temps, émergeant de l’océan de l’oubli, et sous
-laquelle se prolonge et s’étale une colossale
-montagne de souvenirs inaltérables, dont notre
-cerveau ne peut tirer parti. Or, sur quoi fondons-nous
-notre personnalité, la nature de notre moi,
-cette identité que nous craignons surtout de
-perdre par la mort ? Uniquement sur notre
-mémoire consciente, car nous n’en connaissons
-pas d’autre, et cette mémoire, nous venons de
-le voir, comparée à l’autre, est précaire et insignifiante.
-N’est-ce pas le moment de nous demander
-où se trouve réellement notre moi,
-où réside notre véritable personnalité ? Est-ce
-dans la petite mémoire incertaine et précaire
-ou dans la grande, l’infaillible et l’inébranlable ?
-Quel moi choisirons-nous après notre mort ?
-Celui qui n’est fait que de souvenirs vacillants,
-ou l’autre qui nous représente tout entier,
-sans solution de continuité, qui n’a pas laissé
-perdre un fait, un spectacle, une sensation de
-notre existence et garde, vivant en lui le moi
-de tous ceux qui sont morts avant nous ? S’il
-est à redouter que la première mémoire, celle
-dont se sert notre cerveau, s’altère ou s’éteigne
-au moment de la mort, comme au moindre
-malaise elle s’altère ou s’éteint dans la vie,
-n’est-il pas, au contraire, plus que probable que
-l’autre, la grande, qu’aucune secousse, aucune
-maladie ne parvient à troubler, résistera également
-au choc énorme de la mort et n’y a-t-il
-pas beaucoup de chances pour que nous la retrouvions
-intacte de l’autre côté du tombeau ?</p>
-
-<p>Sinon pourquoi ce formidable travail d’enregistrement,
-cette incroyable accumulation de
-clichés sans emploi, puisque dans l’existence
-normale nous n’en secouons jamais la poussière
-et que les quelques repères de notre mémoire
-cérébrale suffisent à maintenir les lignes essentielles
-de notre identité ? Il est admis que la
-nature n’a rien fait d’inutile ; on doit donc présumer
-que ces clichés serviront plus tard,
-qu’ils seront nécessaires ailleurs, et cet ailleurs
-où peut-il être que dans une autre vie ?</p>
-
-<p>On fera l’inévitable objection que c’est le
-cerveau seul qui enregistre les clichés de cette
-mémoire, comme les clichés, de l’autre et que le
-cerveau étant mort, etc. C’est possible, mais
-ne serait-il pas assez bizarre qu’il fût seul à
-faire avec un soin, qui l’absorberait tout entier,
-toutes ces opérations qui ne l’intéressent pas,
-dont, l’instant d’après, il n’a plus cure, et dont
-il ne semble pas se rendre compte ? En tout cas,
-ce n’est pas le cerveau tel que nous l’entendons
-communément, et c’est déjà une très importante
-constatation.</p>
-
-
-<h3>XII</h3>
-
-<p>Mais cette mémoire cachée, ou cryptomnésie,
-comme l’appellent les spécialistes, n’est qu’une
-des faces de la cryptopsychie ou psychologie
-cachée de l’inconscient. Je n’ai pas le loisir
-de rappeler ici tout ce que le savant, l’artiste,
-le mathématicien doit à la collaboration du subconscient.
-Nous avons tous plus ou moins
-profité de cette collaboration mystérieuse.</p>
-
-<p>Ce subconscient, ce personnage étrange que
-j’ai appelé d’ailleurs : « L’Hôte Inconnu », qui
-vit et agit pour son propre compte en dehors
-de notre cerveau, ne représente pas seulement
-tout notre passé qu’il cristallise intégralement
-dans sa mémoire ; il est aussi notre avenir qu’il
-pressent, qu’il découvre, que souvent il révèle,
-car les prédictions véridiques chez certains sensitifs
-ou somnambules, particulièrement doués,
-quand il s’agit de faits personnels, sont si nombreuses
-que l’existence de la faculté n’est plus
-guère niable. Il déborde donc prodigieusement
-dans le temps, notre petit « Moi » conscient,
-qui ne vit que sur l’étroit plateau du présent.
-Il le déborde tout aussi prodigieusement dans
-l’espace. Par-dessus les océans et les montagnes,
-parcourant en une seconde des centaines
-de lieues, il nous avertit de la mort ou
-du malheur qui frappe ou qui menace l’un des
-nôtres à l’autre bout du monde.</p>
-
-<p>Sur ce point, il n’y a plus le moindre doute,
-et des milliers de faits contrôlés nous dispensent
-de renouveler les réserves que nous venons de
-faire au sujet des prédictions de l’avenir.</p>
-
-<p>Cet hôte inconnu et probablement gigantesque,
-dont nous n’avons pas aujourd’hui
-à prendre les mesures, mais à constater l’existence,
-est du reste bien moins un personnage
-nouveau qu’un personnage oublié depuis la
-recrudescence de nos sciences positives. Nos
-diverses religions le connaissaient bien mieux
-que nous et qu’elles l’aient appelé « âme — esprit — corps
-éthérique — corps astral — étincelle
-divine », peu importe, c’est toujours la
-même entité transcendentale qui englobe notre
-cerveau, et notre « Moi » conscient, existait
-probablement avant celui-ci et lui survit aussi
-probablement qu’il lui préexistait, et sans la
-présence duquel on ne peut expliquer les trois
-quarts des phénomènes essentiels de notre vie.</p>
-
-
-<h3>XIII</h3>
-
-<p>Laissant de côté pour l’instant d’autres propriétés
-de ce singulier personnage, qu’on croyait
-à jamais relégué dans l’invisible, telles que les
-matérialisations, l’idéoplastie, les lévitations,
-la lucidité, la bilocation, la psychométrie, etc.,
-il me reste à exposer de quelle façon imprévue
-et curieuse, une science assez récente
-est parvenue à constater, à étudier et à analyser
-certaines de ces manifestations physiques, et
-à examiner ce que ces constatations ajoutent
-aux probabilités de survie ou d’immortalité
-du même personnage, qui pourrait bien être
-après tout la partie essentielle et impérissable
-de notre « Moi ».</p>
-
-<p>Je viens de rappeler à quel point les études
-sur l’hypnotisme et la médiumnité ont étendu
-le champ du subconscient. Jusqu’ici, selon les
-écoles, on attribuait les phénomènes qu’on y
-constatait, soit à la suggestion, soit à un fluide
-dont on ignorait la nature et dont on se bornait
-à enregistrer les effets surprenants. Les choses
-en étaient là, et les querelles entre suggestionistes
-et mesmériens menaçaient de s’éterniser
-lorsque, il y a une cinquantaine d’années, en
-1866 et 1867, pour être précis, un savant autrichien,
-le baron von Reichenbach, publia ses
-premiers ouvrages sur les effluves odiques.
-Le docteur Carl du Prel, un savant allemand,
-compléta l’œuvre de Reichenbach et, doué d’un
-esprit scientifique de premier ordre et d’une
-intuition parfois géniale, sut en tirer toutes les
-conséquences. On ne leur a pas rendu pleine
-justice jusqu’ici, et leurs travaux n’ont pas
-encore obtenu le retentissement qu’ils méritent.
-Il ne faut pas s’en étonner, les progrès de la
-science officielle, la seule qui pénètre jusqu’au
-public, sont toujours beaucoup plus lents
-que ceux de la science indépendante. Il a fallu
-plus de cent ans pour que l’électricité de Volta
-devint notre électricité moderne et la reine du
-monde industriel. Il a fallu également plus d’un
-siècle depuis les expériences de Mesmer, pour
-que l’hypnotisme fût enfin reconnu par les
-académies de médecine, étudié dans les universités
-et classé dans la thérapeutique. Il en faudra
-peut-être autant pour que les expériences de
-Reichenbach, mises au point par du Prel et
-complétées par de Rochas, portent tous leurs
-fruits. En attendant, leurs études jettent un
-jour admirable sur toute une série de phénomènes
-obscurs et confus, dont, pour la première
-fois, elles ont objectivement démontré
-l’existence et repéré la source.</p>
-
-<p>Reichenbach a réellement redécouvert le
-fluide vital universel qui n’est autre que l’Akahsa
-des religions préhistoriques, le Télesma d’Hermès,
-le feu vivant du Zoroastre, le feu générateur
-d’Héraclite, la lumière astrale de la Kabbale,
-l’Alcahest de Paracelse, l’esprit de vie des occultistes,
-la force vitale de Saint Thomas. Il l’a
-appelé « Od » d’un mot sanscrit qui veut dire
-« Qui pénètre partout », et il y voit très justement
-la limite extrême de notre analyse de
-l’homme, le point où la ligne de démarcation
-entre l’esprit et le corps disparaît, si bien qu’il
-semble que l’essence intime de l’homme soit
-« odique ».</p>
-
-<p>Je ne peux naturellement pas exposer ici
-les innombrables expériences de Reichenbach,
-du Prel et de Rochas. Il suffira de
-dire qu’en principe, l’Od est le fluide magnétique
-ou vital qui à chaque seconde notre
-existence émane de tout notre être, en flots
-ininterrompus. A l’état normal, ces émanations
-ou ces effluves dont on soupçonnait l’existence,
-grâce aux phénomènes de l’hypnotisme, nous
-demeurent totalement inconnus et invisibles.
-Reichenbach, le premier, découvrit que les
-« sensitifs », c’est-à-dire les sujets en état d’hypnose,
-voyaient très nettement ces effluves dans
-l’obscurité. A la suite d’un très grand nombre
-d’expériences dont toutes possibilités de suggestion
-consciente ou inconsciente étaient soigneusement
-exclues, il a établi que l’amplitude et
-la puissance de ces effluves variaient d’après
-les émotions, l’état d’âme ou de santé de ceux
-qui les produisaient, qu’ils étaient toujours
-bleuâtres du côté droit du corps, et d’un rouge
-jaune du côté gauche. Il a encore constaté que
-de semblables effluves émanent non seulement
-de l’homme, des animaux, des plantes, mais
-même des minéraux. Il est parvenu à photographier
-l’Od émanant des cristaux de roche,
-l’Od humain, l’Od résultant d’opérations chimiques,
-celui de masses de métal amorphes,
-celui que produit le bruit ou le frottement ;
-en un mot, il a démontré que le magnétisme
-ou l’« Od » existe dans la nature entière, ce
-qu’avaient d’ailleurs enseigné les occultistes
-de tous les temps et de tous les pays<a id="FNanchor_63" href="#Footnote_63" class="fnanchor">[63]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_63" href="#FNanchor_63"><span class="label">[63]</span></a> De récentes expériences de M. Walter-J. Kilner, rapportées
-dans son livre : <i lang="en" xml:lang="en">The Human Atmosphere</i>, sont venues
-matériellement démontrer l’existence de ces émanations, de
-ces effluves, de cette « Aura » humaine ou du moins d’une
-« Aura » analogue qui est un véritable double astral ou éthérique.
-Il suffit de regarder le sujet à travers un écran formé
-d’une cuve de verre très plate renfermant une solution alcoolique
-de dicyanine, substance chimique dérivée du goudron de
-houille, qui sensibilise la rétine aux rayons ultra-violets, pour
-que l’« Aura » apparaisse non plus seulement aux sensitifs,
-comme dans les expériences de Reichenbach, mais aux yeux
-de 95 p. 100 des individus doués d’une vue normale. Il est du
-reste possible que cette « Aura » ne soit pas un double éthérique,
-mais un simple rayonnement nerveux. Voir à ce sujet l’excellent
-résumé de <span class="sc">M. René Sudre</span>, dans le n<sup>o</sup> 3 du <i>Bulletin de
-l’Institut métapsychique international</i> (janvier-février 1921).</p>
-</div>
-
-<h3>XIV</h3>
-
-<p>Voilà donc l’existence de cette émanation
-universelle expérimentalement démontrée. Il
-s’agirait, maintenant, d’en faire connaître les
-propriétés et les effets.</p>
-
-<p>Je me borne à quelques traits essentiels.
-Grâce à ces effluves, on a pu constater que ce
-fluide était le même que celui qui produit les
-manifestations des tables tournantes ; en effet,
-aux yeux des sensitifs, ces manifestations
-s’accompagnent de phénomènes lumineux dont
-le synchronisme ne laisse aucun doute sur la
-corrélation de l’émission du fluide avec les mouvements
-de la table. Elle ne se met en branle
-que lorsque les radiations qui sortent des mains
-des assistants deviennent suffisamment puissantes.
-Ces radiations se condensent en colonnes
-lumineuses au centre de la table, et plus elles
-sont intenses, plus la table s’anime. Quand elles
-s’éteignent, la table retombe inerte.</p>
-
-<p>Il en est de même pour les déplacements d’objets
-sans contact, les apports, la lévitation,
-manifestations aujourd’hui suffisamment établies
-et contrôlées pour qu’on n’ait plus besoin
-d’en refaire la démonstration. Il est donc certain
-que ce fluide, qui peut mettre en mouvement
-un pendule dans un vase de verre clos
-au chalumeau, comme il est capable de soulever
-une table de plus de cent kilos, possède une force
-parfois énorme, indépendante de nos muscles,
-que l’on peut attribuer à nos nerfs, à notre
-âme, à tout ce que l’on veut, mais qui n’en
-est pas moins d’une nature nettement et purement
-spirituelle.</p>
-
-<p>Il est en outre à peu près certain, bien que les
-constatations expérimentales soient ici moins
-avancées et plus difficiles, à cause de la rareté
-des sujets, que c’est ce même fluide odique
-qui intervient dans les phénomènes de matérialisation,
-notamment dans ceux que produisait
-la célèbre Eusapia Paladino et dans ceux,
-beaucoup plus probants et beaucoup plus
-rigoureusement contrôlés du médium, de madame
-Bisson. Il tire probablement, soit du médium,
-soit des assistants, la substance plastique
-à l’aide de laquelle il forme et organise les corps
-<i>tangibles</i>, qui naissent et disparaissent au cours
-de ces manifestations, nous donnant ainsi un
-aperçu très curieux sur la manière dont la pensée,
-l’esprit ou le fluide créateur agit sur la
-matière, la condense, la modèle et se comporte,
-lorsqu’il s’agit de former notre corps.</p>
-
-
-<h3>XV</h3>
-
-<p>Il a encore été expérimentalement démontré
-que ce fluide odique peut être capté. Il est possible
-d’en charger n’importe quel objet. L’objet
-magnétisé, dans lequel le magnétiseur a fait
-passer une partie de sa force vitale, toute possibilité
-de suggestion étant écartée, conservera
-toujours sur le sensitif la même action, c’est-à-dire
-celle qu’avait voulue le magnétiseur. Il
-le fera rire ou pleurer, grelotter ou suer, danser
-ou s’endormir, selon la volonté qu’avait le magnétiseur
-en émettant son fluide. En outre, ce
-fluide paraît indestructible : un pilon de marbre
-magnétisé, et mis successivement dans l’acide
-muriatique, nitreux et sulfurique, soumis à l’action
-corrosive de l’ammoniaque, ne perd rien
-de sa force. Une barre de fer chauffée à blanc,
-de la résine fondue et recoulée en d’autres
-formes, l’eau bouillie, le papier brûlé et réduit
-en cendres, garde toute sa puissance. Il y a plus,
-pour prouver que l’appréciation de cette force
-ne dépend pas d’une impression humaine, on
-a constaté que l’eau magnétisée, puis bouillie,
-dévie de vingt degrés, comme avant l’ébullition,
-l’aiguille d’un rhéomètre, qui est, comme chacun
-le sait, l’appareil qui mesure les courants électriques.
-Il serait intéressant de savoir si cette
-force vitale emprisonnée dans un objet survit au
-magnétiseur. Je ne sais si des expériences ont
-été faites sur ce point. En tous cas, on a observé
-que plus de six mois après avoir été chargées
-d’Od, les substances les plus hétéroclites : fer,
-étain, colophane, cire, soufre, marbre, gardaient
-intactes leurs vertus magnétiques.</p>
-
-
-<h3>XVI</h3>
-
-<p>Non seulement le fluide odique ainsi capté
-renferme et reproduit la volonté du magnétiseur,
-il renferme encore et représente une partie
-de la personnalité du magnétisé, et notamment
-toute sa sensibilité. Le colonel de Rochas a
-fait sur ce point, qu’il appelle : « <i>L’extériorisation
-de la sensibilité</i> », une foule d’expériences
-déconcertantes et cependant inattaquables et
-décisives, qui nous ramènent directement aux
-pratiques de l’envoûtement des magiciens
-de l’antiquité et des sorcières du Moyen âge,
-ce qui nous montre une fois de plus que sous les
-plus étranges croyances ou superstitions, dès
-qu’elles sont suffisamment générales il y a presque
-toujours une vérité cachée ou oubliée.</p>
-
-<p>Je crois inutile de rappeler ici les expériences
-qui sont connues de tous ceux qui ont entr’ouvert
-un livre de métapsychique. Je dois me
-borner ; ce que j’ai dit suffit à établir qu’il y a
-en nous un principe vital qui n’est pas indissolublement
-lié à notre corps, qui peut le quitter,
-qui peut s’extérioriser, du moins en partie et
-momentanément durant notre vie, qui peut être
-rendu visible, qui possède une force indépendante
-de nos muscles, qui peut condenser de la matière,
-la modeler, l’organiser, la faire vivre, non seulement
-en apparence, comme les fantômes de
-notre imagination, mais comme des corps tangibles
-et réels, dont la substance s’évanouit
-et rentre en nous de façon inexplicable. Nous
-avons également vu que ce principe vital peut
-être capté dans un objet, et maintient indestructiblement
-dans cet objet, malgré toutes les manipulations
-physiques ou chimiques, la volonté
-du magnétiseur et la sensibilité du magnétisé.
-N’est-ce pas le moment de se demander si,
-étant à ce point séparable et indépendant de
-notre corps, si étant à ce point indestructible,
-par exemple dans les cendres d’un papier brûlé
-qui n’en renfermait qu’une minime partie,
-ce fluide vital ne survit pas à la destruction de
-notre corps ? En réponse à cette question, nous
-avons, outre la logique, les très troublantes
-constatations des sociétés savantes qui se sont
-vouées à la recherche des cas de survivance
-rigoureusement constatées, notamment, les
-cinq ou six cents apparitions de morts contrôlées
-par la « <span lang="en" xml:lang="en">Society for Psychical Research</span> ».
-Il faut convenir que ces apparitions, qui
-sont probablement des manifestations odiques
-d’outre-tombe, paraissent beaucoup plus vraisemblables,
-depuis que nous connaissons certaines
-propriétés de l’étrange fluide que nous
-venons d’étudier.</p>
-
-
-<h3>XVII</h3>
-
-<p>Depuis la mort des chefs de l’école odique,
-Reichenbach, du Prel et de Rochas, cette étude
-des fluides a été quelque peu négligée, à tort
-selon nous, car elle est loin d’être épuisée ; mais
-il y a des modes en métapsychie comme en
-toutes choses. La « <span lang="en" xml:lang="en">Society for Psychical Research</span> »,
-notamment, durant ces dernières
-années, s’est occupée presque exclusivement
-de la question des « Correspondances croisées »,
-et son enquête, si elle n’a pas donné des résultats
-absolument péremptoires, permet du moins de
-soupçonner de plus en plus sérieusement la
-présence, autour de nous, d’entités spirituelles,
-invisibles et intelligentes, désincarnées ou
-autres, qui s’amusent, c’est le mot, à nous prouver
-qu’elles se jouent de l’espace et du temps
-et poursuivent un dessein qu’on ne démêle pas
-encore. Je sais bien que l’on peut, à la rigueur,
-attribuer ces communications insolites aux facultés
-inconnues du subconscient ; mais l’hypothèse
-devient de jour en jour plus précaire,
-et le moment n’est peut-être pas très éloigné
-où nous serons enfin forcés d’admettre l’existence
-de ces désincarnés, de ces doubles, de ces
-esprits errants, de ces élémentaires, de ces
-« Dhyan-Choans », de ces « Dévas », de ces
-esprits cosmiques, dont les occultistes d’autrefois
-n’avaient jamais douté.</p>
-
-<p>Dans cet ordre d’idées, pour ne pas parler
-du <i>Raymond</i> de Sir Oliver Lodge, des très intéressantes
-expériences spirites de P.-E. Cornillier
-ni d’une foule d’autres, ce qui nous entraînerait
-trop loin, les récents travaux du D<sup>r</sup> W. Crawford,
-qui ont fait sensation dans le monde métapsychique,
-sont venus apporter à la théorie
-des « Invisibles », un sérieux appui. Il est vrai,
-comme nous le verrons, que cet appui lui vient
-moins des faits mêmes que de l’interprétation
-qu’on leur donne.</p>
-
-
-<h3>XVIII</h3>
-
-<p>W.-J. Crawford, docteur ès sciences, professeur
-au collège de Belfast, a fait sur la « télékinésie »,
-ou mouvements sans contact, des
-expériences conduites avec une telle rigueur
-scientifique qu’elles excluent entièrement toute
-idée de fraude et confirment complètement
-celles de Crookes avec Home, de l’Institut psychologique
-avec Eusapia, et d’Ochorovicz avec
-Mlle Tomscyk.</p>
-
-<p>Il s’agit, dans ces expériences, de ce phénomène
-extrêmement bizarre qui est une sorte
-d’extériorisation physique, de dédoublement
-d’abord amorphe et ensuite plus ou moins plastique
-du médium. Du corps de celui-ci sort une
-substance indéfinissable, tantôt visible, comme
-chez Éva, le médium de Mme Bisson, tantôt
-invisible, comme chez le médium de Crawford,
-mais qui, même invisible, peut être touchée et
-délimitée et agit comme si elle avait une réalité
-objective.</p>
-
-<p>Cette substance, moite, froide, parfois visqueuse,
-qu’on appelle l’« Ectoplasme », peut
-être pesée et son poids correspond exactement à
-celui dont s’allège le corps du médium ; elle peut
-atteindre jusqu’à 50 pour cent du poids total
-de celui-ci. A la fin de la séance, elle se résorbe,
-sans laisser de trace, dans le corps du sujet
-qui reprend instantanément son poids normal.</p>
-
-<p>Dans ces expériences, cette substance invisible
-se comporte comme si elle sortait du corps
-du médium sous la forme d’une tige plus ou
-moins rigide qui va soulever une table placée
-à une certaine distance du siège sur lequel
-le médium est assis. Si la table est trop lourde
-pour être soulevée directement, à bout de bras,
-pour ainsi dire, la tige ou le levier psychique
-se courbe, prend un point d’appui sur le sol
-et se redresse pour soulever le meuble. Quand
-ce levier invisible ne prend son point d’appui que
-sur le médium, le poids de ce dernier s’augmente
-de celui de l’objet soulevé ; mais quand il prend
-son point d’appui sur le sol, le poids du médium
-est diminué du poids reporté sur ce point d’appui.</p>
-
-<p>Ces phénomènes de lévitation étaient parfaitement
-connus avant les recherches de Crawford,
-mais par la découverte du levier invisible,
-parfois perceptible au toucher et pouvant même
-être photographié, il en a le premier révélé le
-mécanisme tout ensemble matériel et psychique.
-En outre, au cours de ses innombrables
-expériences, il a constaté que tout se passait
-comme si des entités invisibles y assistaient,
-y collaboraient et souvent les dirigeaient. Il
-communiquait avec elles par la typtologie et,
-ayant remarqué que ces opérateurs mystérieux
-ne paraissaient pas bien comprendre l’intérêt
-scientifique des phénomènes, il les interrogea
-et conclut de leurs réponses qu’ils n’étaient
-que des sortes de manœuvres, manipulant des
-forces qu’ils ne connaissaient pas et accomplissant
-une besogne commandée par des êtres d’un
-ordre plus élevé qui ne pouvaient ou ne daignaient
-opérer eux-mêmes.</p>
-
-<p>On peut évidemment soutenir que ces collaborateurs
-invisibles émanent du subconscient
-du médium ou des assistants et la question est
-encore insoluble. Mais la conviction où fut
-amené peu à peu et pour ainsi dire par la force
-des choses, un savant d’abord aussi sceptique
-que l’était Crawford, ne mérite pas moins
-d’être sérieusement envisagée. En tout cas,
-ses expériences, comme celles du fluide odique,
-démontrent une fois de plus que notre être
-est beaucoup plus immatériel, plus psychique,
-plus mystérieux, plus puissant et sans doute
-plus durable que nous ne le croyons ; ce que nous
-avaient enseigné les religions primitives et les
-occultistes qui s’en inspirèrent.</p>
-
-
-<h3>XIX</h3>
-
-<p>En ne perdant pas de vue les autres manifestations
-spirites, les apparitions posthumes,
-les phénomènes de psychométrie et de matérialisation,
-les prévisions de l’avenir, le mystère
-des animaux parlants, les miracles de Lourdes
-et d’autres lieux, que nous ne mentionnons
-ici que pour mémoire, voilà, en regard des immenses
-et orgueilleuses affirmations d’autrefois,
-les demi-certitudes et les petits faits lentement
-reconquis par nos occultistes d’aujourd’hui.
-A première vue, c’est peu de chose et
-même si la grande question centrale de notre
-métapsychique, la question de la survivance
-était enfin résolue, cette solution tant attendue
-ne nous mènerait pas encore bien loin, beaucoup
-moins loin, sans doute, que n’étaient allés les
-prêtres de l’Inde et de l’Égypte. Mais pour
-modestes qu’elles sont, les découvertes de nos
-occultistes ont du moins l’avantage de reposer
-sur des faits que nous pouvons contrôler et
-doivent nous être plus précieuses que les plus
-grandioses hypothèses qui jusqu’ici ont échappé
-à toute vérification.</p>
-
-
-<h3>XX</h3>
-
-<p>Maintenant, il est fort possible que pour pénétrer
-plus avant dans les régions où ils s’aventurent,
-les méthodes purement expérimentales,
-qui sont les plus sûres dans les autres sciences,
-soient insuffisantes. Il entre en jeu d’autres
-éléments que ceux que la science a coutume
-de rencontrer. Il s’agit de forces peut-être plus
-spirituelles que celles de notre esprit et pour les
-saisir et les dominer, il se peut qu’il soit nécessaire
-de s’occuper d’abord de notre propre
-spiritualisation. Il est bon d’avoir des laboratoires
-parfaitement organisés, mais c’est probablement
-en nous-mêmes que se trouve le véritable
-laboratoire d’où sortiront les dernières
-découvertes. Il semble que mieux que nous les
-prêtres et les mages des grandes religions
-l’avaient compris. Quand ils voulaient s’engager
-dans les domaines ultra-spirituels de la nature,
-ils s’y préparaient longuement. Ils sentaient
-qu’il ne leur suffisait pas d’être des savants,
-mais qu’avant tout ils devaient devenir des
-saints. Ils commençaient par faire l’éducation
-de leur volonté, par sacrifier tout leur être, par
-mourir à tout désir. Ils enveloppaient leurs
-forces intellectuelles d’une force morale qui les
-menait beaucoup plus directement sur le plan où
-se passaient les phénomènes étranges qu’ils interrogeaient.
-Il est assez vraisemblable qu’il y a
-dans l’invisible ou l’infini des choses que l’intelligence
-n’atteint pas, sur lesquelles elle n’a
-aucune prise, mais qu’une autre puissance peut
-rejoindre ; et cette puissance est peut-être ce
-qu’on appelle l’âme ou ce subconscient supérieur
-que les antiques religions avaient appris
-à cultiver par des exercices et surtout par un
-renoncement et une concentration spirituelle
-dont nous avons perdu la pratique et même la
-notion.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch12">CONCLUSIONS</h2>
-
-
-<h3>I</h3>
-
-<p>Nous avons déjà, au cours de cette étude,
-rencontré la plupart des conclusions qu’on
-en peut tirer ; il suffira de rappeler, en les résumant,
-les principales.</p>
-
-<p>A l’origine des religions, notamment à l’origine
-de celle qui paraît être la plus ancienne
-et la source des autres, il n’y a pas de doctrine
-secrète, il n’y a pas de révélation, il n’y a que
-la tradition préhistorique d’une métaphysique
-que nous appellerions aujourd’hui purement
-rationaliste. L’aveu d’ignorance totale au sujet
-de la nature, des attributs, du caractère, des
-volontés, de l’existence même de la Cause première
-ou du Dieu des dieux, est formel et public.
-C’est une immense négation, on ne sait rien,
-on ne peut pas savoir, on ne saura jamais,
-car Dieu lui-même ne sait peut-être pas.</p>
-
-<p>Cette Cause première inconnue est nécessairement
-infinie, car l’infini seul est inconnaissable
-et le Dieu des dieux ne serait plus le Dieu
-des dieux et ne se concevrait point s’il n’était pas
-tout. De son infinité naît donc inévitablement
-le panthéisme, attendu que cette cause étant
-tout, tout est elle et qu’il n’est pas possible
-d’imaginer quelque chose qui la limite et ne soit
-pas elle, en elle ou par elle. De ce panthéisme
-dérive à son tour la croyance à l’immortalité et
-l’optimisme final, vu que la cause étant infinie
-dans l’espace et le temps, rien de ce qui est elle ou
-en elle ne peut être anéanti sans qu’elle anéantisse
-une partie d’elle-même, ce qui est impossible
-puisqu’elle serait encore le néant qui tenterait
-de la limiter ; de même que rien non plus
-ne peut être éternellement malheureux sans
-qu’elle condamne une partie d’elle-même à un
-malheur éternel.</p>
-
-<p>Agnosticisme total, avec ses conséquences :
-infinité divine, panthéisme, immortalité de tout
-et optimisme final, voilà donc le point de départ
-des grands instructeurs primitifs, pures intelligences
-et logiciens implacables, tels que l’étaient,
-s’il faut en croire les traditions occultistes, les
-mystérieux Atlantes ; et ne serait-ce pas le même
-point de départ que devraient choisir aujourd’hui
-ceux qui voudraient fonder une religion
-nouvelle qui ne répugnât pas à la raison humaine
-de plus en plus exigeante ?</p>
-
-
-<h3>II</h3>
-
-<p>Mais si tout est Dieu et doit être nécessairement
-immortel, il n’en est pas moins certain
-que les hommes, les choses, les mondes disparaissent.
-A partir de ce moment, nous quittons
-les conséquences logiques du grand aveu d’ignorance
-pour entrer dans le dédale de théories
-qui ne sont plus inattaquables, et qui du reste,
-à l’origine, ne nous sont pas proposées comme
-des révélations, mais comme de simples hypothèses
-métaphysiques, des spéculations très
-anciennes, nées de la nécessité d’accorder les
-faits avec les déductions trop abstraites et trop
-rigides de la raison humaine.</p>
-
-<p>En réalité, selon ces hypothèses, l’homme,
-les mondes, l’univers ne périssent jamais ; ils
-disparaissent et reparaissent tour à tour, dans
-l’éternité, en vertu de Maya, l’illusion de l’ignorance.
-Quand ils ne sont plus pour nous, quand
-ils n’existent plus pour personne, ils existent
-toujours virtuellement, où personne ne les voit ;
-et ceux qui ont cessé de les voir ne cessent pas
-d’exister comme s’ils les voyaient. De même,
-quand Dieu se limite pour se manifester et
-prendre conscience d’une partie de soi, il ne
-cesse pas d’être infini et inconnaissable à lui-même.
-Il semble se mettre un moment au point
-de vue ou à portée de ceux qu’il a réveillés
-dans son sein.</p>
-
-<p>Cette dernière hypothèse ne pouvait être à
-l’origine, comme elle l’est encore maintenant
-et comme elle le sera toujours, qu’un pis-aller,
-mais devint plus tard une sorte de dogme qui,
-avidement accueilli par l’imagination, se substitua
-bientôt complètement à la grande négation
-primitive. A partir de ce moment, désespérant
-de connaître l’inconnaissable, on le dédouble,
-on le subdivise, on le multiplie, on
-relègue dans l’inaccessible infini l’inconcevable
-cause première et on ne s’occupe plus que des
-causes secondes par lesquelles elle se manifeste
-et agit. On ne se demande pas, ou plutôt on n’ose
-pas se demander comment la cause étant essentiellement
-inconnaissable, ses manifestations
-peuvent être considérées comme connues sans
-qu’elle cesse d’être inconnaissable, et on entre
-dans l’immense cercle vicieux où il faut bien
-se résigner à vivre sous peine de se condamner
-à une négation, à une immobilité, à une ignorance
-et à un silence éternels.</p>
-
-<p>Ne pouvant connaître Dieu en soi, on se contente
-de le chercher et de l’interroger dans
-ses créatures et surtout dans l’homme. On
-croit l’y trouver, et les religions naissent avec
-leurs dieux, leurs cultes, leurs sacrifices, leurs
-croyances, leurs morales, leurs enfers et leurs
-cieux. La filiation qui les rattache toutes à la
-Cause inconnue est de plus en plus oubliée
-et ne reparaît qu’à certains moments, par
-exemple, longtemps après, dans le Bouddhisme,
-dans les métaphysiques, dans les mystères et
-dans les traditions occultes. Mais malgré cet
-oubli, grâce à l’idée de cette cause première,
-nécessairement une, invisible, intangible, inconcevable,
-et qu’on est par conséquent obligé
-de considérer comme purement spirituelle ;
-dans la religion primitive, deux grands principes,
-infiltrés par la suite dans celles qui en
-dérivèrent, sont demeurés vivaces, qui répètent
-sourdement, sous toutes les apparences, que
-l’essence est une et que l’esprit est la source de
-tout, l’unique certitude, la seule réalité éternelle.</p>
-
-
-<h3>III</h3>
-
-<p>De ces deux principes qui au fond n’en sont
-qu’un, découle toute la morale primitive qui
-devint la grande morale de l’humanité. L’unité
-étant l’idéal et le souverain bien, le mal est la
-séparation, la division, la multiplicité ; et la
-matière n’est en somme qu’un résultat de la
-séparation ou de la multiplicité. Il faut donc
-pour rentrer dans l’unité, se dépouiller, sortir
-de la matière qui n’est qu’une forme inférieure,
-une dégradation de l’esprit.</p>
-
-<p>C’est ainsi qu’on trouva ou qu’on crut trouver
-la volonté de l’inconnaissable et la clef de
-toute morale, sans du reste oser se demander
-pourquoi cette rupture de l’unité et cette dégradation
-de l’esprit avaient été nécessaires ;
-comme si l’on avait supposé que la Cause première
-qui aurait pu retenir toutes choses à l’état
-d’unité souverainement heureuse dans son sein
-unique, immobile et souverainement heureux,
-eût été condamnée par une loi supérieure et
-irrésistible au mouvement et aux recommencements
-éternels.</p>
-
-<p>Ces idées, trop purement métaphysiques
-pour alimenter une religion, furent bientôt,
-dans l’Inde même, recouvertes d’une prodigieuse
-végétation de mythes et devinrent peu
-à peu le secret des brahmanes qui les cultivèrent,
-les développèrent, les approfondirent
-et les compliquèrent jusqu’à la démence. De
-là elles se répandirent sur la terre ou regagnèrent
-les lieux d’où elles étaient parties, car s’il nous
-est permis de repérer plus ou moins chronologiquement
-un foyer central, il nous est impossible
-de déterminer d’où elles surgirent dans
-la préhistoire, à moins de nous en rapporter
-aux légendes théosophiques des sept races,
-que nous pourrons peut-être admettre quand
-on nous offrira des documents moins critiquables
-que ceux qu’on nous a fournis jusqu’ici.</p>
-
-
-<h3>IV</h3>
-
-<p>En tout cas, nous suivons assez facilement,
-dans le monde historique, la marche de ces idées,
-qu’elles soient simultanées ou postérieures, dans
-l’Inde, dans l’Égypte et la Perse, ou qu’elles
-pénètrent en Chaldée et dans la Grèce anté-socratique
-par des mythes, par des contacts ou des
-émigrations que nous ignorons, ou, spécialement
-pour l’Hellade, par les poèmes orphiques, recueillis
-à l’époque alexandrine, mais remontant
-à des temps légendaires et nous offrant des vers
-qui, comme le constate Émile Burnouf dans sa
-<i>Science des religions</i>, sont traduits mot à mot
-des hymnes du Véda<a id="FNanchor_64" href="#Footnote_64" class="fnanchor">[64]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_64" href="#FNanchor_64"><span class="label">[64]</span></a> <span class="sc">Émile Burnouf</span>, <i>La science des religions</i>, p. 105.</p>
-</div>
-<p>Par suite du séjour en Égypte, de la captivité
-de Babylone et de la conquête de Cyrus, elles
-atteignirent la Bible, s’y dénaturèrent pour
-s’accorder au monothéisme juif, mais se conservèrent
-secrètement, à peu près pures, par transmission
-orale, dans la Kabbale, où l’En-Sof,
-comme nous l’avons vu, est la réplique exacte
-de l’Inconnaissable hindou et conduit à un
-agnotiscisme, à un panthéisme, à un optimisme
-et à une morale presque similaires.</p>
-
-<p>Ces idées, étouffées sous la Bible dans le
-monde juif, et dans le monde gréco-romain sous
-le poids des religions et des philosophies officielles,
-survécurent dans des sectes secrètes
-et notamment parmi les Esséniens, ainsi que
-dans les mystères, et reparurent à la lumière
-du jour aux environs de l’ère chrétienne, dans
-les écoles gnostiques et néo-platoniciennes et
-plus tard dans la Kabbale enfin fixée par écrit,
-d’où elles passèrent, plus ou moins défigurées,
-dans l’occultisme du Moyen âge dont elles
-forment l’unique fond.</p>
-
-
-<h3>V</h3>
-
-<p>Nous voyons ainsi que l’occultisme, ou plutôt
-la doctrine secrète, variable dans ses formes,
-souvent très obscurcie, surtout durant le Moyen
-âge, mais presque partout identique dans son
-fond, fut toujours une protestation de la raison
-humaine, fidèle à ses traditions anté-historiques,
-contre les affirmations arbitraires et les prétendues
-révélations des religions publiques et
-officielles. Elle opposait à leurs dogmes sans fondements,
-à leurs manifestations divines anthropomorphes,
-illogiques, trop petites et inacceptables,
-l’aveu d’une ignorance totale et invincible
-sur tous les points essentiels. De cet aveu,
-qui au premier abord paraît tout détruire mais
-qui conduit presque forcément à une conception
-spiritualiste de l’univers, elle sut tirer
-une métaphysique, une mystique et une morale
-beaucoup plus pures, plus élevées, plus
-désintéressées et surtout plus rationnelles que
-celles qui naquirent des religions qui l’étouffèrent.
-On pourrait même démontrer que tout
-ce que ces religions ont encore de commun sur
-des hauteurs où toutes se rejoignent, tout ce
-qui n’a pu être rabaissé au niveau des exigences
-matérielles d’une trop longue vie, tout ce qu’on
-trouve en elles de grandiose, d’infini, d’impérissable
-et d’universel, elles le doivent à cette
-métaphysique immémoriale où plongèrent leurs
-premières racines.</p>
-
-<p>Il semble même qu’à mesure que le temps
-les en éloigne, l’esprit les y ramène ; c’est ainsi
-que dans les deux dernières, sans parler de tout
-ce qu’elles lui empruntèrent plus directement,
-le Dieu-le-Père du Christianisme et l’Allah de
-l’Islamisme, sont bien plus près de l’En-Sof
-de la Kabbale que du Jéhovah de la Bible ;
-et que le Verbe de Saint Jean, dont il n’est pas
-question dans l’Ancien Testament, ni dans
-les Synoptiques, n’est que le Logos des gnostiques
-et des néo-platoniciens qui le tenaient
-eux-mêmes de l’Inde et de l’Égypte.</p>
-
-
-<h3>VI</h3>
-
-<p>Est-ce donc là le grand secret de l’humanité
-qu’on cachait avec tant de soin sous des formules
-mystérieuses et sacrées, sous des rites
-parfois effrayants, sous des réticences et des
-silences redoutables : une négation sans bornes,
-un vide immense, une ignorance sans espoir ?
-Oui, ce n’est que cela ; et il est heureux que ce
-ne soit pas autre chose, car un Dieu et un univers
-assez petits pour que le petit cerveau de
-l’homme pût en faire le tour, en comprendre
-la nature et l’économie, en connaître l’origine,
-le but et les limites, deviendraient si étroits
-et si misérables que personne ne se résignerait
-à y demeurer éternellement prisonnier. Il faut
-à l’humanité l’infini et son corollaire l’ignorance
-invincible pour ne pas se sentir dupe ou victime
-d’une inexcusable expérience ou d’une
-erreur sans issue. On pouvait ne pas l’appeler
-à la vie, mais puisqu’on l’a tirée du néant,
-il lui faut l’illimité de l’espace et du temps dont
-on lui a donné l’idée ; elle est en droit de participer
-de tout ce qu’est celui qui la fit naître
-avant qu’elle lui pardonne d’être née. Et elle
-n’y peut participer qu’à condition de ne pas
-comprendre. Toute certitude, du moins tant
-que notre cerveau ne sera pas délivré des liens
-qui l’entravent, deviendrait une borne contre
-laquelle irait se briser tout désir d’exister. Réjouissons-nous
-donc de n’en pas avoir d’autre
-que celle d’une ignorance aussi infinie que le
-monde ou le Dieu qui en est l’objet.</p>
-
-
-<h3>VII</h3>
-
-<p>Après tant d’efforts, après tant d’épreuves,
-nous nous retrouvons exactement au point d’où
-étaient partis nos grands instructeurs. Ils nous
-ont légué une sagesse que nous commençons
-à peine à débarrasser des débris que les siècles
-y avaient déposés ; et sous ces débris nous retrouvons
-intact le plus haut aveu d’ignorance
-que l’homme ait osé proférer. C’est peu si l’on
-aime l’illusion, c’est beaucoup si l’on préfère
-la vérité. Nous savons enfin qu’il n’y eut jamais
-de révélation ultra-humaine, de message direct
-et irrécusable de la divinité, de secret ineffable
-et que tout ce que l’homme croit connaître au
-sujet de Dieu, de son origine et de ses fins,
-c’est de sa propre raison qu’il l’a tiré. On se
-doutait bien, avant d’avoir interrogé nos ancêtres
-préhistoriques, que toute révélation, au
-sens où l’entendent les religions, était et sera
-toujours impossible ; car on ne peut révéler
-à quelqu’un que ce qu’il est capable de comprendre,
-et Dieu seul peut comprendre Dieu.
-Mais on s’imaginait volontiers, qu’ayant pour
-ainsi dire assisté à la naissance du monde,
-ils devaient en savoir plus que nous puisqu’ils
-étaient encore plus près de Dieu. Ils n’étaient
-pas plus près de Dieu, ils étaient simplement
-plus près de la raison humaine que n’avaient
-pas encore offusquée des imaginations millénaires.
-Ils se sont contentés de nous donner
-les seuls repères que cette raison puisse découvrir
-dans l’inconnaissable : panthéisme, spiritualisme,
-immortalité, optimisme final, abandonnant
-le reste aux hypothèses de leurs successeurs
-et laissant sagement sans réponse,
-comme nous les laisserions encore aujourd’hui,
-toutes les questions insolubles que les religions
-qui suivirent tranchèrent aveuglément, de façon
-souvent ingénieuse, mais toujours arbitraire
-et parfois puérile.</p>
-
-
-<h3>VIII</h3>
-
-<p>Faut-il refaire le compte de ces questions ?
-Passage du virtuel au réel, de l’essence au devenir,
-du néant à l’être, descente de l’esprit dans
-la matière, c’est-à-dire origine du mal, et remontée
-de la matière vers l’esprit, nécessité de
-sortir d’un état éternellement bienheureux pour
-y revenir après une purification et des épreuves
-dont l’indispensabilité est incompréhensible ; recommencements
-éternels pour atteindre un but
-qui fuira toujours, puisqu’il n’a pas été atteint,
-bien que dans le passé on ait eu pour l’atteindre
-autant de temps qu’on en aura dans l’avenir.</p>
-
-<p>On pourrait allonger sans mesure ce bilan de
-l’inconnaissable. Il suffira d’ajouter pour le
-clore que la question qui, à tort ou à raison nous
-inquiète le plus, celle qui concerne le sort de
-notre conscience et de notre personnalité dans
-l’absorption divine, demeure elle aussi sans
-réponse ; car le Nirvana ne décide, ne précise
-rien, et le Bouddha, dernier interprète des
-grands enseignements ésotériques, avoue lui-même
-qu’il ne sait pas si cette absorption a
-lieu dans un néant ou dans un bonheur éternel :
-« Le sublime ne l’a pas révélé. »</p>
-
-<p>« Le Sublime ne l’a pas révélé », car rien n’a
-été révélé et rien n’est résolu parce qu’il est
-probable que rien ne sera jamais résoluble et
-qu’il est vraisemblable que des êtres dont l’intelligence
-serait un million de fois plus puissante que
-la nôtre ne trouveraient pas encore de solution.
-Pour comprendre la création, nous dire d’où elle
-vient, où elle va, il faudrait en être l’auteur ; et
-encore, se demande le Rig-Véda, à la source même
-de la sagesse primordiale, « Et encore, le sait-il ? »</p>
-
-<p>Le grand secret, le seul secret, c’est que tout
-est secret. Apprenons du moins à l’école de nos
-mystérieux ancêtres à faire, comme ils l’avaient
-fait, la part de l’inconnaissable et à n’y chercher
-que ce qui s’y trouve, c’est-à-dire la certitude
-que tout est Dieu, que tout est en lui et y doit
-aboutir dans le bonheur, et que la seule divinité
-que nous puissions espérer de connaître, c’est
-au plus profond de nous-mêmes qu’il la faut
-découvrir. Le grand secret n’a pas changé
-d’aspect, il reste, à la même place, ce qu’il était
-pour eux. Ils surent, dès l’origine, tirer de l’inconnaissable
-la morale la plus pure que nous
-ayons eue ; puisque nous nous retrouvons au
-même point dans cet inconnaissable, il serait
-hasardeux, pour ne pas dire impossible, d’en
-déduire d’autres enseignements. Et leurs enseignements,
-qui par le haut sont demeurés les
-mêmes et ne diffèrent qu’aux parties basses
-dans toutes les religions dont les dogmes divers
-ne sont au fond que des traductions ou des interprétations
-mythologiques de ces vérités trop
-abstraites, auraient fait de l’homme ce qu’il
-n’est pas encore, s’il avait eu le courage de les
-suivre. Ne les oublions point, c’est le dernier
-et le meilleur conseil que nous donne le testament
-mystique que nous venons de feuilleter.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">TABLE</h2>
-
-
-<table summary="">
-<tr><td>&nbsp;</td> <td class="r small"><div>Pages.</div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Préliminaires</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch1">1</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">L’Inde</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch2">29</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">L’Égypte</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch3">111</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">La Perse</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch4">133</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">La Chaldée</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch5">141</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">La Grèce anté-socratique</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch6">149</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Les Gnostiques et les Néo-Platoniciens</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch7">181</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">La Kabbale</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch8">189</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Les Hermétistes</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch9">213</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Les Occultistes modernes</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch10">229</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Les Métapsychistes</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch11">255</a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap">Conclusions</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch12">303</a></div></td></tr>
-</table>
-
-<p class="c gap small">B — 1926 — Lib.-Imp. réunies, 7, rue Saint-Benoît, Paris.</p>
-
-<div lang='en' xml:lang='en'>
-<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>LE GRAND SECRET</span> ***</div>
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-Project Gutenberg&#8482; is synonymous with the free distribution of
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-goals and ensuring that the Project Gutenberg&#8482; collection will
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-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
-</div>
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-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
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-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
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-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
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-and official page at www.gutenberg.org/contact
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-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
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-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
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