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-The Project Gutenberg eBook of Le paillasson, by Laurent Tailhade
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
-will have to check the laws of the country where you are located before
-using this eBook.
-
-Title: Le paillasson
- Mœurs de province
-
-Author: Laurent Tailhade
-
-Release Date: November 26, 2021 [eBook #66827]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at
- https://www.pgdp.net (This book was produced from images made
- available by the HathiTrust Digital Library.)
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PAILLASSON ***
-
-
-
-
- LAURENT TAILHADE
-
- LE PAILLASSON
-
- MŒURS DE PROVINCE
-
-
- “LE LIVRE”
- 9, RUE COËTLOGON, PARIS
- 1924
-
-
-
-
-Il a été tiré à part de cet ouvrage 10 exemplaires sur Japon des
-Manufactures Impériales, numérotés de 1 à 10, 50 exemplaires sur
-Hollande Van Gelder Zonen, numérotés de 11 à 60 et 10 exemplaires de
-Collaborateurs, Hors-Commerce, sur divers papiers, numérotés de I à X.
-
-
-
-
-Tous droits de reproductions réservés pour tous pays.
-
-Copyright by «LE LIVRE», Paris, 1924.
-
-
-
-
-AVANT-PROPOS
-
-
-L’inintelligence du lecteur se devant présumer, nous voulons bien
-élucider son titre aux acquéreurs de ce papier.
-
-«_Le Paillasson_» fut ainsi nommé pour ce qu’il servira d’intermédiaire
-à décrotter nos bottes, ô province, contre ton mufle détesté.
-
- * * * * *
-
-Avec les indigènes, croupiers, logeurs en garnis, marchands d’eaux
-tièdes, et autres infirmes à qui l’on montrera leur béjaune, nous
-sacrifierons de quelques pinchenettes les touristes idiots, les
-baigneurs incongrus. Une fois au moins «_la Reine des Pyrénées_» à
-croppetons sur sa cagnotte, humera ce vase et quoi qu’elle en tienne,
-exhibera ses parfums.
-
-Les goîtreux folâtres ou pontifiants: crétins politiques, noblesse de
-comptoir, gouines parvenues, cette mont-joie de faux dandies qui, par
-Bigorre, épanouit ses truandes élégances, obtiendront une vitrine élue,
-en notre musée d’horreurs.
-
-De ce que peuvent furibonder à nos chausses les veillaques époussetés,
-nous ne daignons avoir souci. Grognements de porcs, abois de roquets ou
-sifflets de vipères, cela ne nous chault plus qu’une guigne, et même il
-est pour nous complaire, qu’un peu de huée, contre-pointe l’honnêteté de
-nos propos.
-
-Des pseudonymes transparents (de gaze et de barèges aérien), des
-pseudonymes vêtiront les syllabes répugnantes, par quoi furent
-immatriculés aux registres sociaux les algonquins à dégourdir nos
-épigrammes.
-
-Savonnette précieuse et qui permet de ne s’écorcher point le galoubet
-devant la ménagerie bigourdane.
-
-LAURENT TAILHADE.
-
-
-
-
-I
-
-VILLES D’EAUX
-
-(_Bagnères de Bigorre_)
-
-
-De tous les fumiers propres à réchauffer le goût de la prostitution, à
-gonfler d’une sève fécale les ventres arrondis en citrouilles devant le
-dieu Cent-Sous, de tous les pourrissoirs où la dignité se vertdegrise,
-où l’intellect se désagrège en des pensers de batracien, il n’en est
-point que je sache de plus méphitique, de plus nauséabond que les
-tannières généralement connues sous l’appellation humide: _Villes
-d’Eaux_. Pour la copulation du crétinisme avec la filouterie, pour
-l’embrassement des pantalons et des sycophantes, ce sont bocages
-d’élection, ces choses plantées sur la montagne ou déposées au fil des
-grèves.
-
-Les barons de la séquence, les tendrons hydrargiriques, les calicots
-phanérogames, les galériens nantis de mouchoirs, les Agnès compromises
-par de trop peu secrètes parturitions, les femmes du monde Jean Lorrain,
-se viennent engluer aux appeaux de l’habitant aranéeux. Campements de
-bohème aux pays de _Misère_, visites de la pègre transhumante chez les
-votereaux suspects des mauvais lieux à piscines, qui nombrera les
-immondices, de quoi vous êtes parfumés!
-
-Certes le pays de Gascogne porte mieux que tout autre un vif renom pour
-ses tripots et ses lieux d’empoisonnement.
-
-Depuis Barèges où Gassuro chasse l’izard et le chrétien, jusques à Pau
-où trichent les notaires, chaque bourgade s’y peut vanter d’une table
-hellénique, ornée d’un croupier en surtout.
-
-L’amoureux de la forte somme y serre l’ongle du ponte carottier. Sicre
-règne à Luchon et Blandin--ce Neptune--donne des lois à Biarritz. Tous
-les autres ont leurs _journées_, où des Espagnols pain d’épices,
-aventurent leurs piastres, avec des mouvements de gorilles promus curés,
-des _pokers_ où reluisent tels gentilshommes à qui le papa _Dur_[1]
-refuserait quarante sols. Toutes ces villes ont leurs pontes et des
-idées sur la conduite à mener devant le point de cinq: toutes regorgent
-d’anecdotes que Follou brode sur le dessert; mais Bagnères de Bigorre se
-glorifie seule de Monseigneur Fiorentino della Porta, fermier général à
-Cauterets.
-
- [1] Dur, un citerien de Bagnères.
-
-Peut-être satisfairait-on les curieux de ce personnage en détaillant par
-le menu son histoire naturelle. Contentons-nous de le suspendre à nos
-discours (tel un rameau du Vignemale) et de nommer, après les fleurs de
-chiourme écloses à ses pieds, Félix, le suzerain de Saint-Pol. Maréchal
-qui, comme un lierre, végète sur les ruines et toi, jeune homme
-inexpressible, que les femmes ont si fort gâté.
-
-Après le cercle, les étuves. Car il faut bien de temps à autre récurer
-un peu ses ongles et se laver les pieds. Il existe des caractères
-audacieux pour confier leurs organes les plus intimes aux fantaisies de
-médecins hilares et de masseurs emplis de cupidité. Les adolescents
-vigoureux réchappent quelquefois de ces immersions néfastes auprès
-desquelles le système hydrothérapique du regrettable Carrier pourrait
-passer pour de la Saint Jean.
-
-Bigorre s’est constitué depuis longtemps une spécialité de courants
-d’air qui font de ses thermes le plus merveilleux endroit du monde pour,
-en quelques minutes, acquérir une maladie mortelle. Par compensation un
-administrateur infatigable prit le soin de réduire en cotrets tous les
-arbres susceptibles de fournir quelque ombrage au temps caniculaire, de
-sorte que les visiteurs ont le choix entre la pleurésie et l’insolation.
-
-Ceci posé, nulle industrie plus honnête dans Bagnères. Les démolitions
-et reconstructions annuelles des baignoires donnent du pain à vingt
-équipes d’ouvriers, que, nonobstant la douceur de son nom, le jeune
-Monsieur Clément, traite comme des nègres. D’autres virtuoses aussi
-jouent de ces pistons, par quoi les vice-rois de la compagnie nous
-firent paraître leurs merveilleuses capacités.
-
-Les loueurs en garni, fournisseurs de punaises et de fauteuils à trois
-pieds, les promeneurs de guimbardes, les caïmans de toute espèce, ne
-mériteraient-ils pas un thrène spécial en cette véridique lamentation?
-Mais la fée Mab, la jolie petite fée Mab, avec ses ailes de crêpe et son
-diadème de perle, a tiré la coquille de noix, son carrosse, et Mercutio,
-le page, se délecte à la voir baller dans un rayon nacreux de lune.
-
-A qui profite au surplus de prouver la moindre chose? A quoi bon
-houspiller les échines de Messieurs les paltoquets et les honorer
-d’exordes comminatoires. N’est-ce pas, proprement, vouloir ferrer des
-cigales? Aussi bien, nous les allons voir à l’œuvre et notre petit
-bonheur annuel est près de débuter. La saison s’ouvre en bâillant comme
-une huître qu’elle est. Cabotins, épiciers, fausses comtesses, Athéniens
-du baccara, valseuses en fer, chaperonnées de pères en bois, touristes à
-voiles verts, Anglaises giraffières, le déballage commence et la parade
-ambulera demain. Les gargottiers intoxiquent leurs potages, les valets
-de cercle machinent des portées. Le juif Lévy est à son pupitre et les
-doucheuses à leurs tuyaux.
-
-Philistins, entrez dans Bagnères! Le lotus de la sottise y va donner sa
-floraison.
-
-
-
-
-II
-
-LE ROI DE LA BAROUSSE
-
-OU M. IGNACE PAPULARD CANDIDAT AUX ÉLECTIONS GÉNÉRALES
-
-
-M. Ignace Papulard, docteur en droit, zélateur de la Société des
-Courses, membre de plusieurs archi-confréries et candidat balloté au
-Conseil fédéral, avantagea récemment les lettres françaises d’un
-opuscule immortel.
-
-J’entends le manifeste par quoi ce jeune Rodrigue dévoila son cœur aux
-collèges électoraux selon la bonne formule du _conciones_ et de M.
-Hervé.
-
-A l’exemple des grands aïeux, que les labeurs de la guerre et les soins
-de la diplomatie n’empêchaient point de sacrifier aux grâces, l’éminent
-docteur infuse sa doctrine en des pages stupéfiantes de beauté. Sa
-harangue l’égale d’emblée aux gentilshommes qui n’estimèrent point
-s’encanailler en raffinant sur le bien dire: Montaigne, Salluste du
-Bartas, Agrippa d’Aubigné, Bussy-Rabutin, La Rochefoucauld et tant
-d’autres illustres--ses précurseurs.
-
-Il convient de louer sur toutes fleurs, la rose blanche, et Ignace
-Papulard entre les enfants des hommes. Jeune, verbeux, fait d’un air à
-savoir peu de cruelles, Marc de la Barousse n’hésite point devant les
-sacrifices les plus audacieux. Pour raffermir le trône et retaper
-l’autel, il part comme un bon petit Quichotte, exposant aux vicissitudes
-climatériques son crâne chauve et son paletot bleu--fidèle, mais
-déteint. Par les granges, sous les arbres, dans les auberges, il
-confabule avec le pacant et tette son reginglat. Des lumières
-l’environnent. Saint-Crétin, dentiste, l’offre aux peuplades agricoles
-«car, dit-il, lui seul peut guérir, sans pharmacopée, les maux de la
-vigne et le progrès des doctrines funestes». O merveilleuse puissance de
-l’orviétan! Ignace Papulard assoiera demain son alopécie hâtive entre
-les grosses légumes départementales. Disert comme la jument de Bayard,
-il parlera même sous l’eau, sans demander de sucre, et poussera Philippe
-VII avec un zèle de voyageur en vins.
-
-Notre humble rang de chroniqueur, le respect qu’on doit aux institutions
-monarchiques, nous imposent le devoir d’admirer en silence les hautes
-destinées où gravit _Ignacelou_, sans prétendre le moins du monde
-pénétrer les conseils de ce génie à la Talleyrand.
-
- «_Je laisse aux plus hardis l’honneur de la carrière_»
-
-et me contenterai de commenter l’échantillon d’éloquence tribunitienne
-dont se pourlèchent encore les indigènes de Mauléon!
-
- «_Mes Chers Concitoyens_»
-
-Début simple, familier aux grands penseurs. Remarquons l’habileté dont
-M. Papulard évite les formules irritantes. Un pur aux mains sales eût
-apostrophé: «Citoyens!» tout court: lui, ne juge pas inutile d’ajouter
-le préfixe que l’on sait, lorsqu’il est question de ses électeurs.
-
-Le docteur connaît la ponctuation et l’usite avec à propos.
-
- «_Je viens solliciter pour le Conseil général vos libres suffrages._»
-
-Notez la magnificence hautaine, la simplicité toute guerrière du
-discours. La phrase tombe dans un vague lamartinien qui laisse fluer la
-pensée, en de molles rêveries. Les suffrages que M. Papulard sollicite,
-les veut-il pour sa personne ou pour le conseil général? Tout porte à
-croire cependant qu’il les réclame en faveur de ce dernier.
-
- «_Trop souvent, on dénature le caractère véritable du mandat qui
- incombe au conseiller général, et pour moi, c’est un mandat
- d’affaires, que j’entends accepter et non un mandat politique._»
-
-D’aucuns esprits grincheux trouveront peut-être la liaison insuffisante
-entre les deux idées que relie la conjonctive ET: 1º la pensée délicate
-sur la falsification du mandat; 2º les intentions particulières de M.
-Papulard, à l’égard du mandat susnommé. Pour notre part, nous ne voyons
-en cela qu’une belle hardiesse miraculeusement propre à relever la
-composition par quelque chose d’imprévu et de passionné.
-
-Autre exemple!
-
- «_La politique! on la mêle à tout et pour tout!_»
-
-Des grimauds eussent écrit: «_La politique, on la mêle à tout_» suivant
-les errements de ce faquin de Vaugelas. Mais les porphyrogénètes
-dédaignent ces pratiques de la syntaxe roturière et se laissent emporter
-à leur bon plaisir. Par un tour incorrect le duc de Saint-Simon campe un
-bélître en pleine lumière:
-
- «_Il n’avait pas le sens commun, ni fréquenté personne que l’on peut
- nommer._»
-
-La Fontaine dit:
-
- «_Et pleurés du vieillard, il grava sur le marbre ce que je viens de
- raconter._»
-
-Pourquoi, le dauphin de la Barousse, ne jouirait-il pas d’égales
-privautés?
-
- «_Les électeurs, en ne se préoccupant que d’une chose, la couleur du
- candidat_, (après tout, si c’est leur caprice à ces gens-là, de n’être
- point conseillés par un nègre!)--_parfois indigne--souvent
- incapable--plus souvent insatiable--ont fini par faire arriver au
- pouvoir_... (le reste comme chez M. Goujat de Cassagnac).
-
-Je voudrais bien savoir lequel est incapable, indigne ou insatiable. Le
-candidat? La couleur? nonobstant, je m’incline, en déplorant
-l’imperfection de mon intelligence.
-
-Plus loin, notre Ignace, définit l’attitude qu’il prétend adopter «_au
-sein_» de ses confrères:
-
- «_Or_, se demande-t-il par un artifice agréable--_quel est le vrai
- rôle d’un conseiller général?_»
-
-Et d’emblée, il se répond:
-
- «C’est: 1º _de s’occuper des affaires du département_ (entre nous, je
- l’avais soupçonné avant ce jour); 2º _de s’occuper plus
- particulièrement et surtout des affaires du canton_» (Ah! bah!)
-
-_Particulièrement et surtout_, rappellent, sans l’affaiblir, la
-construction _en outre_ et _surtout_, rencontrée un peu plus haut, les
-répétitions ne contribuent pas peu à donner au style, un énergique
-inattendu.
-
-J’omets à regret des aperçus exquis touchant le pacage et l’élève du
-bétail, à propos de quoi le jeune écrivain sut retrouver les mots du
-comte de Buffon. A travers un bosquet fleuri de catachrèses et de
-synecdoques, j’arrive à la cavatine finale, au thème de bravoure où le
-pacificateur du Louron exalte la bonté de son ours. D’accord avec son
-roy, il veut «_à tout prix_» sauver _le droit, la liberté, la propriété,
-l’ordre et la religion_. Ah! la religion! Est-elle assez consolée de
-l’indifférence du temps en ces béates Pyrénées! Voici que pour corrober
-son pouvoir, le palatin de la Barousse, apparaît casque en tête et dague
-au poing. Spectacle édifiant! Comme la Hire ou du Guesclin, le baron
-Marc s’agenouille dans le sanctuaire avec un bruit de casseroles
-héroïques. Il offre pour les encensoirs, la myrrhe des croisades, le
-baume oriental, le cinname, qu’autrefois sous le nom plus modeste de
-cannelle, ses auteurs débitaient en des cornets de papier gris.
-
-J’arrête ici l’examen littéraire de l’élucubration Ignace Papulard. Pour
-la fin, j’ai réservé la phrase unique, la phrase parangon, le Kohinnor
-des phrases, dont s’empanache l’inaccessible péroraison.
-
-Oyez la dévotement:
-
- «_Non! Vous achèverez votre œuvre! elle est digne de vous_ (à toi,
- Jacques Bonhomme!) _et moi, je me rendrai toujours digne de
- vous-mêmes_.»
-
-Rien d’approchant ne fut à ma connaissance proféré jusqu’à nous par les
-auteurs gaulois. L’on distingue ici l’influx du Paraclet. Je rementois
-vaguement telles grandiloquences prud’hommiennes! «_Ce sabre est le plus
-beau jour de ma vie! Si ce mariage ne peut faire ton bonheur, sois-le!_»
-et je m’abîme, écrasé sous les catadupes oratoires de ce docteur en
-droit qui pourrait aussi bien être docteur ès-lettres, mais qui préfère
-solliciter le _libre_ choix du Louron.
-
-Puissent-ils poser sur sa tête les suffrages des bons ruraux!
-
-En le proclamant souverain définitif de la Barousse, les terriens de
-Loures manifesteront une jugeotte extraordinaire: car jamais dans le
-vaste monde, ils n’en pourraient trouver un autre aussi complet.
-
-
-
-
-III
-
-LES GENTILSHOMMES DU RATEAU
-
-
-Faites vos jeux, messieurs. Tout va. Messieurs, faites vos jeux. Les
-jeux sont faits. Rien ne va plus.
-
-Et du soir au matin, l’homme psalmodie l’imperturbable rengaine, très
-empesé, nonobstant la vâcherie des joueurs. La voix neutre, le regard
-pâle, ce Kapellmeister de la ruine mène paisiblement la symphonie du
-baccara. De tout ce qui remue autour des tables vertes, de toutes les
-avarices, de toutes les fièvres, de tous les désastres, il extrait en
-pièces de cent sous sa vie atone et régulière. Impassible, en la folie
-des gageures, au souffle démentiel courbant les pontes énervés, il opère
-et trafique, selon le rituel de son industrie. Il connaît le flux et le
-reflux de l’or entre les mains fébriles et, des vices ambiants, extrait
-des rentes, comme d’une portée de lapins. D’un coup de palette ou de
-râteau, il exécute les arrêts du hasard--nul frisson n’avivant son
-masque saturnien. Lorsqu’il mêle, indifférent, les lourdes portées de
-cartes, lorsque d’un art prestigieux, il enchevêtre les séquences, ou,
-correctement les étale sur le tapis, aucune terreur ne lui vient de ces
-figures aux poses sacerdotales et farouches, teintes de rouge et de
-noir, marquées aux couleurs du sang et du deuil.
-
-Sans broncher, il adjuge les banques, ramasse ou distribue les enjeux et
-réclame le silence quand les conversations s’élèvent ou que les colères
-s’exaltent. Si quelque malheureux, ne sachant pas encore l’art de tomber
-avec grâce, lacère les cartes après un coup perdu, et les lui jette au
-visage, il ne s’en émeut pas autrement. Le métier veut ça. Seul, il
-n’est pas ivre et garde sa bienveillance d’homme sobre pour tous ces
-malheureux inébriés d’avarice et de fureur. Il sait les jurons que la
-malchance apprend aux gens distingués, le dictionnaire des tripots,
-cette langue bête et puante comme le lieu où elle s’éveille, dans
-l’empouacrement du tabac et l’infection de la sueur humaine. Il compatit
-aux superstitions de ces crétins, qui, à l’heure de prendre une main,
-observent des rites fétichistes à déconcerter un bonze. Appliqué à
-ronger l’opulente moëlle de sa sottise, il a pour ses vagissements et
-ses délices des caresses de belluaire présidant au repas des animaux.
-
-Le croupier n’a pas d’âge--peut-être n’a-t-il pas de sexe. Il est
-indifféremment blond ou brun, laid ou beau, jeune ou vieux. Cependant un
-air de maturité ne lui messied pas, non plus qu’un peu de calvitie, sa
-fonction étant grave. Son costume varie à l’infini, depuis la mise sobre
-du gentleman habillé chez Renard, jusqu’aux fantaisies bariolées, sous
-quoi le hideux Alphonse dérobe ses nageoires. Toutefois le goût des
-chaînes de montre et des bagues volumineuses l’accompagne dans ses
-avatars. Quel que soit le milieu où vous le rencontrez, d’amples
-orfèvreries s’accrochent à son gilet ou fulgurent à ses mains noires de
-la crasse des tapis.
-
-Au moral le croupier regorge de paroles et d’intentions débonnaires. Il
-a des encouragements de dentiste poussant à l’extraction: une aménité de
-photographe accommodant le bourgeois. Des vocables d’un indicible
-euphémisme habitent sur ses lèvres. Pour lui, la perte de fortune est un
-«accident», la mort, «un événement bien désagréable». Hors de son
-emploi, il se souvient parfois qu’il est homme et donne satisfaction à
-des instincts paisibles, à ses aspirations bucoliques. Il raffole de
-l’idylle en chambre, suspend à sa fenêtre un jardin de grisette; il a
-des cyprins dans un bocal et sème du réséda au mois de mai. Il comprend
-les calembours et cite des anecdotes. Il a retenu quelques motifs
-d’opérette et les fredonne après souper. Il lit le compte-rendu des
-spectacles à la troisième page des gazettes, s’intéresse aux courses et
-sait mieux que personne de combien de longueurs _Miss Punaise_ à battu
-_Melon III_ dans la dernière réunion de Chantilly. Curieux des choses de
-l’esprit, il fréquente les petits théâtres et perfectionne son français
-par l’étude approfondie des nouvelles érotiques au goût du jour. Et le
-matin, quand le vent froid entrechoque vos membres, ô décavés, quand les
-coqs lancent des appels tragiques et se lamentent avec des voix humaines
-à cette heure du remords, du dégoût, de l’agonie et du suicide; lorsque
-l’affreuse soif des nuits de déveine colle la langue des joueurs et
-parchemine leurs joues, il regagne son logis, et d’un cœur imperturbé,
-sous la pâleur mortuaire de l’aube, suppute le produit de son infâme
-labeur.
-
-Au demeurant, il pense bien. Il est pour l’ordre avant tout et soutient
-la religion.
-
-Les yeux mouillés, le cœur ému d’une allégresse pie, il rêve au temps où
-son épargne lui fera des loisirs, où, béat et monseigneurisé, il
-épanouira sa ventripotence dans le congrès des notables philistins.
-Lorsque cette modération lui défaille et qu’il se sent promis à de plus
-hauts destins, l’avenir n’en reste pas moins couleur de roses et les
-portes béantes devant lui. Son étoile se dégage et, sans encombre, il
-succède à son entrepreneur. Ainsi commencèrent tant d’illustres, à qui
-les grives pleuvent à présent toutes rosées, décrotteurs passés
-millionnaires, et vénérés à l’égal des patriarches dans le monde du
-carton.
-
-La femme du croupier ne se distingue en rien de la bourgeoise ordinaire
-et précoce. Elle fait des enfants, de la cuisine et tout ce qui concerne
-son état. Elle peut être accoucheuse, modiste ou maîtresse de piano.
-Dans les casinos balnéaires, il lui arrive, pendant que son mari
-travaille, d’assister aux spectacles et aux bals, ce qui ne laisse pas
-de jeter quelque émoi dans la sous-préfecture, surprise de tant
-d’immodestie. A part cette débauche, elle vit chez elle en matrone
-romaine. Elle élève sa progéniture, dans les saines doctrines et
-souhaite mourir au milieu d’une postérité d’ingénieurs et d’avocats.
-
-Dans la vie de province, où la part faite à l’esprit est nulle, où les
-jeunes hommes, privés de maîtresses par le _cant_ des commères et la
-prudhommiaque austérité des parents, ne comprennent guère de l’amour que
-les fangeuses voluptés, dans cette existence somnolente où ne passe
-jamais le _sursum corda_ d’une passion ou d’une idée, le jeu tend toutes
-grandes ses toiles d’araignée. La dame de Pique règne en souveraine et
-le croupier, son féal page, grandit de la bassesse environnante. Le
-pillard lucifuge croît de tous les appétits, qu’il exploite et qu’il
-sert; des griffes, sinon des ailes de rapace viennent à ce chapon; juché
-sur sa haute chaise, il voit défiler sans relâche les habitués du
-cercle, connaît et salue presque _tous ces messieurs_. Il voit les
-affamés qui viennent gagner leur dîner du lendemain fraterniser avec les
-honnêtes personnes en train de perdre leur argent et leur orgueil.
-
-
-
-
-IV
-
-IMPRESSIONS DE TAPIS VERT
-
-
-Au Casino de Bagnères. Le cotillon du bal des Pauvres finissait et les
-dernières figures se déroulaient dans la maussaderie générale, la
-débandade des cavaliers laissés seuls sur leurs banquettes par le départ
-de leurs danseuses. Encapuchonnées de blanc, le corps noyé dans
-l’épaisseur des pelisses de bal et des fichus de blonde, des femmes
-traversaient le grand salon d’un pas frileux et rapide comme si le vent
-du matin eût déjà mordu les places nues de leur chair. Au dehors, des
-roulements de voitures s’éloignaient, mêlés au claironnement des coqs,
-au tintement obstiné d’une cloche conventuelle sonnant le lever des
-religieux. Un rideau soulevé montrait à une fenêtre la tache grise de
-l’aube. Les flammes du gaz défaillaient dans les lustres enguirlandés de
-traînes de lierre, dans les girandoles où se fanaient des sorbes en
-bouquets. Une impalpable vapeur enveloppait les choses d’un brouillard
-subtil couvrant d’une teinte uniforme de poussière les couples attardés
-dans la débâcle de la nuit. Et c’était dans la salle maintenant trop
-vaste, une odeur fauve et troublante, un effluve de fleurs brûlées par
-la sueur des poitrines et la chaleur des haleines, un fumet de champagne
-répandu et de parfums évaporés. Sur la scène que masquaient de leurs
-végétations frêles des bambous et des phénix, à travers les cloches
-orangées et blanches d’abutilons aussi hauts que des arbres, les
-musiciens éreintés rabotaient avec résignation une valse quelconque.
-Malgré l’ennui croissant on dansait encore. Le conducteur du cotillon
-gravement distribuait les accessoires, consultait de temps à autre une
-note écrite sur un carnet de bal. Les commissaires de la fête, une
-cocarde bleue à la boutonnière, causaient dans l’embrasure des portes,
-riant très haut, la verve chauffée par le vin de Bordeaux municipal. Par
-une portière ouverte, apparaissait en pleine clarté, le pillage du
-buffet, la déroute des bouteilles vidées, tandis qu’au centre de la
-pièce, avec sa nappe éburnéenne et son surtout de fleurs, une grande
-table s’offrait aux soupeurs attardés.
-
-Seul, en un coin, perdu et comme absent, un jeune homme somnolait dans
-une attitude veule, le dos au mur. Les jambes pendantes, le claque
-glissé à terre, dans un avachissement d’ennui, il attendait la fin du
-bal, sans doute pour manger. Il était entré dans le salon de danse avec
-une poignée de joueurs décavés et affamés, expectant pour se faire
-servir, l’invitation de quelque obligeant ami. Et comme la sauterie ne
-s’achevait pas et que les intrépides menaçaient de la prolonger pendant
-une heure ou deux, avec un beau sans-gêne, il travaillait à s’endormir.
-
-Petit, court, la tête au niveau des épaules, il étalait dans toute sa
-hideur, un joli visage d’imbécile aimé des femmes, avec sa moustache
-blonde, ses yeux de lin aux paupières sigillées et l’enfantine douceur
-de son sourire bête. Une graisse de volaille morte, empâtait ses joues
-aux paupières meurtries, enflait ses membres gourds. C’était un habitué
-des tapis verts, une figure continuellement rencontrée dans les tripots.
-Hétéroclite et vague, il passait plus effacé qu’une ombre parmi les
-comparses du jeu. Un des premiers à commencer la partie, il ne se
-retirait qu’à l’heure où les garçons du cercle éteignent les quinquets;
-une déveine tenace le poursuivait. Pendant des mois entiers, il perdait
-en détail les sommes qu’il empruntait de tous côtés. Avec une abnégation
-infinie, il recommençait les mêmes coups qui rataient invariablement,
-sans une plainte, sans une colère, sans une de ces fulgurations de dépit
-qui secouent en des spasmes rapides les joueurs les plus stoïques,
-mettant des flammes dans leurs regards et des lambeaux de chair à leurs
-ongles. Il n’en voulait pas à la fortune de lui être mauvaise, ni à ses
-vices de l’appauvrir.
-
-Malgré tous les déboires de son existence, il gardait la foi des
-lendemains, l’espoir d’un retour de chance qui le vengerait. Et souvent
-les derniers restés du funèbre «chemin de fer» qui se joue à quatre
-heures du matin, les combattants de cette lutte d’idiotie où chacun ne
-songe qu’à enfoncer un peu plus son voisin pour se refaire, avaient été
-surpris d’entendre sa voix flasque dire paisiblement: «Nous nous
-rattraperons bien quelque jour. Nous finirons aussi par trouver une
-main. Et puis, à quoi ça sert-il de se faire du mauvais sang?»
-
-Cette invincible confiance lui avait valu le surnom sous lequel tout le
-monde le désignait et que ses amis de Casino lui donnaient carrément,
-sans qu’il s’en fâchât. On l’appelait le _Monsieur qui attend une main_.
-
- * * * * *
-
-Son histoire était connue de tous et lui-même la racontait volontiers.
-C’était inepte, triste et sale comme la vie. Après avoir scandalisé
-Bordeaux, la ville des cravates blanches, où son père gagnait
-passablement d’argent à fabriquer du Château-Laffite dans les prix doux
-et avoir affiché une liaison ignoble, au point que sa famille avait dû
-le chasser, il traînait sa misère et ses amours, dans tous les recoins
-des Pyrénées. La bohême des villes d’eaux, le renouvellement de ces
-milieux cocasses, l’abritait un peu, lui permettait de demander au
-baccara de quoi payer l’auberge de l’exil. Mais les cartes n’étaient pas
-prospères, les notes chômaient longtemps et les hôteliers assaisonnaient
-d’insolences les repas qu’ils lui servaient. Heureusement il avait le
-cœur et l’appétit robustes et ne se décourageait pas pour si peu.
-Partout il était chez lui et perpétuait ses installations, habitué aux
-vides que creusent, dans les stations thermales, les saisons
-finissantes, acharné jusqu’au dernier jour à subjuguer la fortune. A
-Cauterets, à Luchon, à Bagnères, partout où, sous couleur
-d’hydrothérapie, on tripote du carton et l’on soupe avec des filles, il
-s’éternisait, dînant aux tables d’hôte, se gargarisant aux buvettes,
-expliquant aux nouveaux venus les paysages et les douches de l’endroit.
-Cela durait depuis des années. Depuis des années, aussi, il remorquait
-cette maîtresse par qui ses déboires avaient commencé, une grande brune
-laide, fanée, sans race et sans grâce, dont le nez suintait sous un
-enchifrènement perpétuel et qu’il adorait. C’était pour elle qu’il
-s’était condamné à tant de grotesques souffrances, qu’il avait répudié
-toute vergogne, frayant avec les grecs, tutoyé par des croupiers, si
-déchu que même dans le monde des joueurs, on le prenait en pitié. Et ce
-crucifié d’amour gardait parmi tous les hasards sa sérénité stupide de
-gros bébé. Sans le sou, ne possédant pour vivre que l’argent des cartes,
-il en était venu à garder les louis que «sa femme», ainsi qu’il la
-nommait, glissait parfois, le matin, dans son gilet. L’opprobre et la
-rancœur des choses qu’il vivait, ne mordaient pas sur lui. Dans la
-détente de son orgueil, dans la fuite de toute volonté, il se plongeait,
-comme en un bain d’indéfectible repos. Le pain de la douleur lui
-profitait.
-
- * * * * *
-
-Mais une fanfare jaillit de l’orchestre subitement réveillé. Le cotillon
-était fini. Deux par deux, les couples défilaient pour la promenade
-finale, armés d’engins charivariques, mirlitons, crécelles, trompettes
-et violons à quatre sols. Sur un signe du conducteur, les pistons
-attaquèrent la marche du Prophète et ce fut un vacarme épouvantable qui
-jaillit de toute la salle, accompagnant le thème auguste de Meyerbeer.
-
-
-
-
-V
-
-BOURGEOIS DE BAGNÈRES DE BIGORRE EN 1886
-
-
-J’ai sous les yeux cette furieuse estampe de Rembrandt: Saint Jean dans
-le Désert. Un plateau cendreux, aduste, et comme vitrifié par endroits,
-que surplombent de noires falaises. L’aride et le nu du roc vif, sans
-eau ni végétal. Un peuple éreinté de sommeil, prostré devers le sol,
-regardant avec des yeux vides l’halluciné qui le harangue. Debout, sur
-un mamelon effrité, le précurseur clame son rêve messianique, insoucieux
-de toute chose hormis de l’idéal. Le souffle de la mort rétracte ses
-lèvres d’où fulgure sur le vieux monde l’orage des malédictions. Son
-maigre corps, serré dans une loque, le capuchon nimbant sa tête creuse,
-le geste fanatique et bourru, tel surgit, en sa laideur fiévreuse,
-l’ancêtre des moines tourmenteurs!
-
-A vrai dire, près d’un tel homme, le père Janvier semble un peu terne et
-le comte de Mun tout à fait idiot.
-
---Qu’importe à l’ascète l’horreur brûlante de sa tanière, l’obtuse
-indifférence des auditeurs! Une voix lui parle. Hors du contingent et du
-concret, l’extase le ravit. Un dieu l’emporte vers les cîmes, lui
-découvre une justice nouvelle et, huées du farouche Thabor, les hordes
-noires des Barbares à venir, les destructeurs de toute harmonie sociale
-et de toute beauté.
-
-Au premier plan, dans une lumière--on dirait--apaisée, trois bourgeois
-pérorent avec un dégoût manifeste, improuvent ces ardeurs de colère et
-de foi. Leurs vêtements sont amples, levés dans des étoffes opulentes et
-durables--et faits d’un air cossu qui, d’abord, les signale pour des
-gens arrivés. De larges tiares, copieuses en broderies, cerclent leurs
-tempes grisâtres et leur personne entière montre un air de délibération,
-effet de la richesse autant que de l’estime où chacun les tient. Pour
-les visages, rien ne se peut imaginer de plus bassement laid. Pas un
-scrupule d’intelligence ou de passion. Ce sont bien là des marchands,
-inaccessibles à toute vérité d’ordre surnaturel. L’astuce, la
-goinfrerie, la lésine, la sottise poltronne déprimèrent ces faces,
-creusèrent ces rides, ignoblement. A coup sûr, ce sont des gens pieux,
-madrés en leur négoce et qui reluisent aux fins de mois. Aussi de quel
-mépris toisent-ils le mangeur de sauterelles, l’essénien prêchant la
-détestation du riche et la communauté. L’ahurissement du pleutre qui ne
-saisit pas, s’unit en leurs discours à la haine du banquier menacé dans
-son argent. Pourtant, ici, le grotesque domine, le trio de pieds-plats
-fait songer à certaines planches de Daumier, le cruel historien des
-bureaucrates; d’un Daumier gigantesque et promu à la vie sublime du
-grand art.
-
- * * * * *
-
-J’ai retrouvé, sur mainte hure bagnéraise l’expression lamentable et
-caricaturale de mes trois pharisiens. Un arrêté du préfet de police, le
-grand architinclin des belles petites et des chevaliers du râteau, vient
-d’interdire à grand tapage les jeux dits de hasard, dans les stations
-thermales. On a saisi les engins de toute espèce, les râteaux, les
-jetons, les chevaux de bois, les mascottes, ingénieux déguisement de la
-roulette proscrite, et renvoyé à leurs chères études, les filous
-cosmopolites dont se parent les Kursaals. Là-dessus, cris, fureurs,
-malédictions. On se fût cru dans Rama, au temps que Rachel lamentait ses
-enfançons. A Bigorre, comme ailleurs, l’exécution n’alla point sans
-quelque tapage et grincements de dents. Des voix éplorées gémirent chez
-Veaudelet. Polycarpe Remora, dit le bourreau des gueux, Polycarpe dont
-le claque-dents prêtait asile au monde des petits baigneurs, des
-ouvriers et des gens de peine, curieux d’être dévalisés, pleure des
-larmes de crocodile sur son industrie méchamment mise à mort. Le
-tenancier du casino, drapé dans sa majesté de père-noble, tonitrue avec
-les gestes du cardinal Brogni et menace de fermer sa boutique.
-
-L’esprit s’accoutume avec peine à la superlative barbarie d’un pareil
-châtiment.
-
-Quoi! jusqu’à la fin de septembre, les dilettanti de passage ne
-pourraient plus ouïr la _Dame Blanche_ et _Si j’étais Roi_! Le _Grand
-Mogol_, comme _Achilleus_ sous sa tente, disparaîtrait dans les jungles
-de Delhi! Le ténor Dumollard, ce luth, et Mademoiselle Trop-de-lilas,
-cette harpe, résorberaient leurs tons! Et tout cela pour éviter la ruine
-de quelques familles, le déshonneur des jeunes hommes, le désespoir des
-mères, les tragédies boueuses et sanglantes sur quoi les entrepreneurs
-de casinos écrêment leurs profits. A d’autres! Nous prend-on pour des
-faquins? Qu’une femme se noie, qu’un enfant de vingt ans se brûle après
-quelques nuits, où, d’accord avec les croupiers municipaux, les grecs
-ont arraché de ses mains le bien patrimonial, est-ce là de quoi mener si
-grand bruit quand la cagnotte marche et que Monsieur Delaroulette est
-satisfait?
-
-Pour mettre fin à ce scandale, et rendre aux amateurs passionnés de
-musique les organes éoliens qui tant nous ont charmés, les éphores de la
-ville se déboutonnèrent d’une protestation vraiment ingénieuse, où la
-moralité, l’organisation savante et la délicatesse du cercle de Bagnères
-sont exaltées comme il faut. Une localité si bien pensante, en effet, ne
-peut tenir un vulgaire brelan. C’est avec des tarots présanctifiés que
-l’on cartonne sur ses tapis. Un tripot, le casino de Bagnères! Oh! que
-nenni, mais une académie fermée à double tour, aristocratique et pieuse,
-moitié salon, moitié sanctuaire, où l’on ne coudoie que fleurs
-héraldiques, où l’on n’entend que propos à la Champcenetz. Depuis
-l’affaire Tigaud--un gentleman retiré dans sa villa de Poissy--l’on
-garde les cartes comme des infantes. On les environne de précautions
-merveilleusement combinées qu’un escroc de médiocre intelligence les
-peut connaître en un clin d’œil. Le reste n’est qu’un jeu pour l’adresse
-des philosophes à qui d’ailleurs le personnel des tables chaudes est
-toujours prêt à servir du gâteau, malgré l’honnêteté de quelques
-subalternes et la vigilance des ayants-droit. Mais c’est un fait
-indéniable, que jamais un grec ne pénétra dans Bagnères, que ses
-habitants professent une aversion marquée pour la poussette et le louis
-qui tombe, que sa maison de conversation est un site où les mœurs
-s’épurent, en même temps que l’esprit se familiarise avec les
-chefs-d’œuvre escarpés.
-
-Le document de nos «édiles» a trouvé près de l’administration
-préfectorale, un concours d’autant plus suave que des schismes
-politiques divisaient ces pouvoirs. On combla les fossés,--l’on oublia
-les querelles et l’on s’embrassa, comme, après la mort de Juliette, les
-Capulets et les Montaigus. Que les «blaireaux» paient de leur fortune,
-ou même de leur couenne, cette heure bénévole, quel maroufle
-hypocondriaque oserait fronder là-dessus!
-
- * * * * *
-
-Voilà quels événements agitèrent Bigorre et ses faubourgs. Les endroits
-publics regorgent d’yeux écarquillés et de lippes bavardes, commentant
-la décision ministérielle à ne plus finir, proposant avec abondance
-d’ineptes éventualités. Il y a là comme un bruit de grenouillère où
-vient choir un pavé. Seulement au _brékékékeh_ du divin Aristophane
-succèdent des aperçus écœurants de trivialité. Qui l’emportera dans ce
-duel tintamarresque, où la ville, représentée par ses élus, joue le
-personnage de mestre-de-camp! Souhaitons, pour en finir avec ces
-rabâchages, que le monde où l’on triche ait partie gagnée, par l’or ou
-par le fer, et que l’écharpe de Pallas, flotte comme devant sur la Tour
-de l’Horloge.
-
-Et peut-être, un soir, apprendrons-nous--sans chagrin du reste--que les
-vertueux défenseurs de la cagnotte y laissèrent, par la main de leurs
-enfants, quelque formidable rançon.
-
-Alors, les yeux dessillés par une mésaventure personnelle, ils
-comprendront, sans doute, à quel singulier rôle ils se voulurent
-commettre, et que l’ignorance est un crime aussi.
-
-Car enfin que répondraient-ils, ces chevaliers, ces purs, ces
-catholiques, si quelqu’un leur proposait en face de tenir--même par
-procuration--un établissement de filles ou un comptoir de bonneteau?
-
-
-
-
-VI
-
-BULLETIN DE VOTE.
-
-
-_Bagnères de Bigorre, 1886._
-
-J’ai reçu, ce matin, un imprimé de forme oblongue, contenant mes nom,
-prénoms, domicile et vertus, mais d’une réserve charmante, au sujet de
-mes ans. Cela remis par un sergot--irisurbaine--et dénudé de toute
-enveloppe. Mon cœur électoral a tressailli; car vous supposez bien que
-ce papier fatidique, n’était rien moins que la carte m’autorisant à
-circuler sur le trottoir du suffrage universel. Dimanche et quelque peu
-les jours suivants, s’il plaît aux candidats couchés dans le hamac du
-ballottage, les entendoires bagnérais auront à prononcer entre Monsieur
-Troussemêtre, qui en sa qualité d’arpenteur, doit tenir un plan, et le
-docteur Cazalas, jaloux de médicamenter notre belle patrie. A vrai dire,
-je dois beaucoup à ces messieurs, pour le soin qu’ils prennent d’égayer
-les murs de proclamations versicolores. Je n’ai point lu le texte de
-leurs papiers, à cause que le verbe constitutionnel n’entame point, sans
-douleur, ma caboche ignorante. Mais les beaux placards, usités pour le
-raccrochage des suffrageants, amusent l’œil de leur polychromie, et le
-préparent aux oiseaux imprévus, aux étoffes estomirantes, qu’importent
-dans nos murs les Landes et le Gers.
-
- * * * * *
-
-Pour le restant, Bagnères montre la gaieté, d’un champ de betteraves,
-dans un jour brumeux. Le Casino, peu sorti de ses fondations, unit
-agréablement les plâtriers aux dames indigènes, de quoi résultent force
-erreurs et confusions de maquillages. Les comédies fossiles alternent
-dans la salle des fêtes avec les renâclements du ténor sans voix et les
-ingénuités de chanteuses quinquagénaires. Joignez la laideur crue du
-badigeon, la présence inéluctable des mêmes spectateurs, et vous
-imaginerez sans doute l’allure pénitentiaire de ces divertissements.
-
-L’obstination qui caractérise les hôtes du Casino avec l’inamovibilité
-du répertoire, y donnent une sensation macabre d’ennui rétrospectif. Les
-visages restent les mêmes, allégés d’incisives et soulignés de pattes
-d’oie; les tailles se déforment, et telle qui s’essouffle aujourd’hui en
-des valses commémoratives, bondissait aux rythmes printaniers, voici
-quelque dix-huit ans.
-
-Il sied d’admirer la force d’âme à rendre capable d’endurer après des
-lustres, la _Rose de Saint Flour_ ou _les Dragons de Villars_.
-
-Une autre cause de tristesse est l’absence de joueurs qui fait pousser
-des champignons dans le tiroir de la cagnotte et substitue la dèche
-crapuleuse aux pêches miraculeuses de l’été. L’auguste influence qui
-supprima--fort à raison d’ailleurs--l’inepte pornographie des opérettes,
-devrait bien suspendre aussi le passe-temps de _la Mascotte_, où les
-petits jeunes gens compromettent le repos de leurs nuits et l’avarice de
-leurs ascendants.
-
- * * * * *
-
-Le ciel tout gris, le ciel ouateux d’après l’orage, descend en brume
-fine jusqu’au ras des coteaux. Les blanches routes aux candeurs
-marmorales ignorent les sveltes promeneuses et le gai fracas des
-excursions. Un petit âne chargé de bois, un pâtre sur le chemin de
-hautes bergeries et dans leurs tape-culs, les courtiers d’élection,
-promenant la sottise au grand air, voilà pour le paysage. La campagne
-s’endort au clapotement des eaux troubles, au gargouillis des branches
-égouttées. La pluie incessante avive et rajeunit le ton laqué des
-feuilles, depuis le vert noir des aunes, jusques au pâle argent de
-l’osier.
-
-Et c’est une gloire verte des bois et des prairies, des gazons où
-s’enorgueillit la claire dentelle des frênes, la découpure savante des
-yeuses, la pourpre jaune des sorbiers, l’aile tremblante des sycomores.
-Renaisse le bon soleil, ami des plantes et des hommes, le soleil qui
-fait bourdonner aux blessures des chênes les scarabées de lapis et d’or!
-Renaisse le bon soleil et tremblantes dans leurs robes de printemps, les
-belles dames inscriront sur les hêtres débonnaires des chiffres de
-jeunesse et de coquet amour.
-
-
-
-
-VII
-
-CONCERT NOCTURNE
-
-
-Hier au soir, dix juillet, la moleskine officielle appesantie de visages
-autochtones, un gros d’artistes lyriques préludaient à leurs
-glapissements par l’exécution de _Madame Angot_, cette primeur!
-
-Heureusement, ce soir-là, des pentes de _Salut_ aux chênes de
-_Labassère_, les arbres étaient mouillés de clair de lune. Sous le
-couvert des frênes, le long des rus bavards entre les pieds de menthe,
-un orchestre de parfums menait le branle des esprits.
-
-Au plus haut des frondes étagées, à travers les rameaux qu’empreint un
-bleu phosphore, des lampes sidérales clignotaient, vertes comme des
-émeraudes, sanglantes comme des rubis, laiteuses comme l’opale,
-brillantes comme le diamant. L’eau pétillait sous les viornes avec
-toutes sortes de _grupetti_, vocalises et _appoggiatures_, satisfaite
-autant qu’une diva patentée de ce gongorisme musical. Mesdames les
-fleurs en robes de gala, s’asseyaient pour entendre sur les coussins
-verts des prairies. Les narcisses, vêtus de lampas aurore, comme il
-convient à des princesses mythologiques. Les myosotis, en crêpe
-turquoise, passequillés d’or faisaient valoir des grâces de _Keepsake_.
-Les campanules désinvoltes rehaussaient, d’un œil de poudre, leur parure
-de chanoinesses et déferraient de quelques impertinences les
-pâquerettes, ces bourgeoises. Des pensionnats de clématites roulaient
-avec candeur sur la mousse des roches. Les bras nus, la gorge au vent,
-sous les palmes des houblonnières, les églantines riaient aux scarabées
-audacieux et corrects, à leur beauté bête d’officiers vainqueurs.
-
-C’était une merveilleuse assemblée et digne en tous points du spectacle
-attendu. Le gong des crapauds annonçait les entr’actes. Une escorte de
-lucioles ramenait à leurs carrosses les belles invitées, piquait dans
-l’herbe mille torches vivantes.
-
-A vrai dire, la fête manquait un peu de cette animation chère à nos
-joviales compatriotes et maintes corolles spéciales à leurs chapeaux ne
-l’honoraient point de leur présence. Mais ce sont là des revers sur quoi
-l’on se résigne volontiers.
-
-On ne saurait imaginer d’ailleurs, exécution plus triomphante, auditoire
-plus recueilli. Dans son duetto avec la fontaine, le rossignol provoqua
-des élans d’admiration, nonobstant les épigrammes d’une chevêche
-lettrée, adverse à toute espèce de ténor. Le grillon parut abuser aussi
-de son agilité sur le _forte piano_ et prolonger outre mesure ses
-dislocations. Une vieille cigale, son amie, l’excusa sur ses mauvaises
-mœurs, et que depuis la fenaison, il se grisait chaque jour
-abominablement.
-
-Les pieds poudreux, un brin de chèvrefeuille aux dents, l’oreille pleine
-de souffles harmonieux et la poitrine élargie aux brises de l’été, vous
-ouïrez demain la symphonie lunaire, vous boirez aux calices patents le
-vin fantasque de la nuit.
-
- «_De la nuit, Vierge Mère impalpable qui baigne
- Tous les jeunes émois de ses silences gris_»
-
-et vous ne me demanderez plus quels couvreurs en retrait d’emploi, quels
-mineurs matrinicides, chantent, de huit à onze, la mère Godichon, sous
-peine d’être classés bien au-dessous des mollusques gastéropodes, au
-niveau des lecteurs de M. Georges Ohnet.
-
-
-
-
-VIII
-
-FÊTE NATIONALE
-
-
- «_Un beau soleil a fêté ce grand jour_»
-
-comme au temps de la première manifestation, lorsque ce pauvre
-Flesselles, se chargea de fournir le _sang impur_. Les échevins
-bagnérais ont témoigné de leur fidélité monarchique par une singulière
-abstinence de pétards. J’avoue pour mon compte, adhérer petitement à ce
-jeûne pyrotechnique. Quel que soit le culte en exercice, il ne me
-déplaît point qu’on le récrée de fusées volantes. Cela repose un peu de
-la conversation des naturels. La Sainte-Cécile et l’Harmonie des
-pompiers ont alterné leurs fanfares exquises de civisme et d’éclat. Un
-des principaux éléments de nos réjouissances nationales, j’entends
-l’intoxication par les alcools, n’a point failli dans ce beau jour, que
-j’appellerai volontiers la _Saint Pochard_, si le premier janvier
-n’était baptisé la _Saint Concierge_, depuis longtemps.
-
- * * * * *
-
-Les embellissements du Casino marchent avec lenteur, en dépit de la
-canicule. Soigneusement épilé de tout feuillage, le parc offre l’aspect
-gracieux d’un steppe au grand soleil. Par contre, aux jours de pluie,
-les talons s’impriment en boue de la façon la plus marécageuse qui soit.
-Les scies grincent dans la pierre et la truelle sévit, comme aux beaux
-temps de la concession. Un progrès toutefois s’impose en ce jardin:
-c’est de complanter la maîtresse pelouse avec des tessons de bouteilles,
-relevés çà et là de quelques plumeaux touffus, à l’ombre de quoi, l’on
-acclimaterait aisément la vipère bérus et le serpent à sonnettes.
-
-
-
-
-IX
-
-BAGNÈRES DE BIGORRE
-
-
-_2 septembre 1886._
-
-Notre petite ville si riante au cours de la saison, montra, ces jours
-passés, une surprenante animation. L’on eût dit, que pour faire accueil
-à ses visiteurs, Bagnères se fût mise en frais de coquetterie, en
-multipliant sous leurs pas, les amusements de toutes sortes. A l’instar
-des grandes stations, notre paisible «endroit» a sa «grande semaine» qui
-ne le cède en rien à celles de Deauville, Luchon, Dinard et tous lieux
-renommés. Aux sportsmen, la Société des Courses offre une réunion
-embellie par tout ce que les haras pyrénéens recèlent de gentilshommes;
-aux favoris de Terpsichore, la mairie donne, dans les salons princiers
-du Casino, des bals d’une rare magnificence, où l’éclat des toilettes
-rehausse encore le choix du personnel; aux amis d’une franche gaîté, la
-Commission des fêtes exhibe des mâts de cocagne, avec leur couronnement
-obligatoire de gallinacées en putréfaction; aux babies, le prépotent
-Fauré ouvre l’Eden des sauteries infantiles, ce prélude aux jeux dont
-Tissot écrivit le manuel. Enfin pour les bourgeois, qu’effarouchent la
-dépense et le bruit, nos verdoyantes promenades se parent de leurs plus
-clairs soleils. Mais, par-dessus toutes les attractions, celles du luxe
-comme celles, non moins pénétrantes de la nature, le «clou» des
-réjouissances fut la cavalcade en masques, organisée par quelques jeunes
-fashionables, d’accord avec les notables commerçants.
-
-Notre compaing en journalisme, M. Ignace Papulard, que les graves soucis
-de la vie publique n’empêchent point d’être tout à tous et d’entendre,
-mieux que personne au monde, ces sortes de passe-temps, a droit à
-l’hommage de notre gratitude. Il y a dans M. Papulard--comme dans
-César--du dandy et du chef d’armée. C’est pourquoi nous le voyons si
-merveilleusement propre à gouverner les masses, dans un but de conquête
-ou de simple agrément. _Dux!_
-
-Donc la chevauchée à laquelle se complurent nos compatriotes et leurs
-amphitryons, naquit d’un sien concept, uni au désir de quelques éphèbes
-cagneux, jaloux d’exhiber, en tutus roses, leurs secrètes difformités.
-Le succès décora leurs efforts et la recette--nous dit-on--atteignit un
-chiffre inespéré. Qu’ils goûtent la pure joie d’adoucir quelques
-misères; la journée fut deux fois bonne, pour le plaisir et pour la
-charité.
-
- * * * * *
-
-Les étrangers affluent dans nos murs: le modeste «congé» coudoie
-l’élégante Parisienne, les Thermes sont forcés de débiter les eaux
-ménagères, pour satisfaire à l’incroyable empressement des baigneurs.
-Personne d’ailleurs ne paraît s’apercevoir de la substitution.
-
-
-
-
-X
-
-SUPPRESSION DES JEUX
-
-
-L’on a fort épilogué, touchant la décision du préfet de police par quoi
-le cercle chôme depuis huit jours. Certes rien n’est plus moral que de
-combattre la funeste passion du jeu, dans les municipes voisins et d’y
-protéger contre les écornifleurs, la ponte bécassière. Mais une telle
-mesure est inapplicable dans Bagnères où l’on entoure les joueurs d’une
-véhémente probité. Aussi, malgré les récriminations de quelques esprits
-grincheux, malgré certaines déclamations dictées bien plutôt par de
-basses rancunes que par la soif du vrai, nous n’hésitons pas à
-redemander, la réouverture du boudoir à tapis vert.
-
-Le cercle du Casino est l’habitacle d’un monde choisi, avec lequel on a
-tout bénéfice à perdre quelque somme. Pour notre part, nous avons
-distribué, dans l’espace de deux ans, la bagatelle de 20.000 louis aux
-diverses réunions florissant alors dans notre bonne ville et quand nous
-songeons aux fruits que nous retirâmes de ce faible débours, il nous
-vient une confusion d’avoir si chichement payé. Ce prix dérisoire nous
-valut quelques-unes de nos meilleures relations: la familiarité de
-Gaspard le Huron; le shake-hands du vénérable Escarmouche; le droit de
-tutoyer Martin et de recourir à l’obligeance de P. Tapa, le plus
-serviable des hommes--au denier deux. Pas une crapule n’a gîté dans
-Bigorre, au cours de ces nuits-là; pas une arsouille, pas un truand, pas
-un marlou, près de qui je n’aie connu la philanthropique douceur de
-prendre place, en attendant la main. «_Homo sum_...» Pas un goujat qui
-ne m’ait soufflé son brûle-gueule au visage! Pas un nigaud qui ne m’ait
-abreuvé de sornettes! Pas un croupier qui ne m’ait salué par mon nom!
-
-De telles acquisitions contre une misérable dépense! N’est-ce pas tout
-profit pour le récipiendaire et, comme disait Gavarni «beaucoup
-d’honneur pour son argent.» En vérité qui se voudrait plaindre? Quelque
-bardache, tout au plus.
-
- * * * * *
-
-Les représentations théâtrales poursuivent d’un cours égal leur
-triomphante carrière. La troupe lyrique et celle de comédie (_amant
-alterna camenæ_...) charment les doubles échos de la bonbonnière Saint
-Jean et de la salle des Fêtes. Ne reculant guère devant les
-sacrifices--même périlleux--quand il s’agit de l’art et de ses abonnés,
-M. Fauré nous révéla naguère un ouvrage inédit, ou peu s’en faut, dont
-l’originalité, la fantaisie et la verdeur nous ont su procurer une
-jouissance artistique aussi vive qu’inattendue. La chose est, sauf
-erreur, baptisée, _Les Dragons de Villars_ et passe communément pour une
-œuvre posthume d’Hector Berlioz. Dans cette partition, d’un style
-harmonieux et coulant, abondent les motifs aisés à retenir. Aussi
-avons-nous ouï sans trop d’ébahissement des chœurs de jeunes hommes
-aboyant à sa sortie
-
- «Je me disai... ai
- Quand tu passai... ai».
-
-D’autres partitions de moindre importance, des vaudevilles à foison, des
-drames par centaines et des saynettes par milliers; une fête nocturne
-dans les jardins du Casino, de quoi le besoin se fit sentir du jour où
-la température basse permit d’espérer une moisson flatteuse de
-bronchites et de rhumes de cerveau: tel est en résumé le bilan des
-allégresses bagnéraises. Soyons fiers et bénissons avec nos hôtes le
-sagace cornac auteur de ces loisirs.
-
-
-
-
-XI
-
-OUVERTURE DE LA CHASSE
-
-
-_Bagnères de Bigorre, 7 septembre 1886_
-
-L’ouverture de la chasse exécutée par un lutrin d’acéphales, peuple de
-résonnances imbéciles les coteaux et les bois. La vénerie au petit pied
-est à coup sûr un des moyens topiques dont use la classe moyenne pour
-faire patente son incurable stupidité. Aucun spectacle n’est plus idoine
-à éjouir les quadrupèdes de tout pelage que l’aspect d’un huissier en
-tenue de guerre, ou le ventre d’un tabellion bedonnant sous son carnier.
-J’imagine que les oiseaux de divers ordres garés des fusils maladroits,
-s’esclaffent aux dépens des boutiquiers cynégétiques. Le hérisson débite
-au lièvre maintes pointes, touchant les gabatines qu’il leur donna; le
-connil, cette crapule forestière, leur fait la nique au bord des haies;
-le geai les siffle, et le chat-huant les vitupère; la bécasse prend en
-pitié la niaiserie de leurs apophthegmes; et du creux des châtaigniers,
-la buse en parle à l’émouchet, son compère.--Eux, vont toujours, sans
-même soupçonner l’ironie des bêtes et des choses; la grimace
-cachinnatoire du soleil goguenard qui leur bleuit la trogne et
-vermillonne leur sinciput.
-
-Puis le soir tombe et les bestioles vengées se livrent sans contrainte
-aux passions affectives, dont Toussenel les a si libéralement
-gratifiées.
-
-Celui de tous les écrivains qui s’est le plus attendri sur les
-déjections naturelles, j’entends le père Michelet, n’a pas manqué
-d’attribuer aux moindres volatiles de suprêmes amours et de rares
-pensers. Volontiers, il s’extasie sur la vaillance des guêpes et le
-grand cœur des pingouins... Sans communier aussi largement de l’âme des
-choses, nous ressentons un fraternel émoi pour tant d’innocentes et
-gracieuses formes de la vie. Les oiseaux surtout, amis de la chaumière
-et du labour, portent une grâce augurale et pour ainsi dire sacrée. La
-caille, au plumage couleur de terre et de blé; le virevent, qui fuse le
-long des saulaies comme un éclair d’émeraude et de lapis; la perdrix, si
-délicatement fourrée d’une peluche bleuâtre où saignent des gouttes de
-corail; et par-dessus tous, la vaillante alouette qui porte au plus haut
-ciel l’allégresse des laborieux matins, ne sont-ils pas la voix même, le
-chant humble et doux du terroir natal?
-
-Je ne pense pas que ces considérations empêchent Messieurs les chasseurs
-de tirer au poil et à la plume, ni les maîtres-queux d’étendre leur
-butin sur de fines rôties. Nous déplorons seulement que la chair humaine
-n’ait point la saveur du lapereau, sans quoi nous proposerions à
-quelques snobs galipoteux, de remplacer les victimes ailées dont nous
-nous délectons.
-
- Le dernier feu s’éteint sur la lande embrumée:
- Plus de flamme aux carreaux, aux toits plus de fumée.
- La note des crapauds vibre, seule, et la nuit
- Sous ses voiles de crêpe endort ce faible bruit.
- Les étoiles ne sont pas encore allumées,
- Silencieusement des brises embaumées
- Passent sur le sommeil des moissons et des bois;
- Une clarté se pose au faîte blanc des toits
- Et de taches d’argent sème la terre brune:
- Voici qu’à l’orient, là-bas, monte la lune.
-
- * * * * *
-
-Le premier bal de la ville, commencé lugubrement, a secoué peu à peu son
-allure mortuaire et jusques vers l’aurore, papillonné clopin-clopant.
-Quelques gracieuses femmes, un soupçon de toilettes, les valses
-émergeant de bambous tout en fleurs, l’or du gaz sur les moulures
-pâtissières, en la salle dite des Fêtes, cela ne suffit point à
-galvaniser l’ennui dont Bagnères affadit ses visiteurs. Certaine robe
-d’un provincialisme excessif suscita de courts élans de gaieté, fournit
-aux désheurés du lendemain, le motif d’une agréable conversation. L’on
-rapporte que plusieurs convives autochtones portent encore du mal au
-cœur, pour s’être ingurgité sans mesure, l’orgeat gratuit et les
-sandwiches sébacées des festivals municipaux.
-
-
-
-
-XII
-
-IMPRESSION DE MID-SUMMER
-
-DU VAL DE PAYOLLE, LE DIMANCHE DE LA SAINT JEAN D’ÉTÉ
-
-
-Décortiqué, l’aubier fendu sous des coins ligneux, le pin surgit entre
-les pals qui l’étançonnent, mitré de fleurs, chappé de branches avec
-l’appareil d’un fantôme roi.
-
-Un orage fermente dans le ciel, torpide, rubéfiant l’azur de tonnerres
-avortés. C’est la pesanteur des midis électriques, aggravée aux fades
-exhalaisons des tilleuls. Ferments d’alcôve où se souvient le musc des
-chevelures, frissons du rut universel, orgasme des sèves pâmées si
-lourds aux poitrines humaines.
-
-De vers le ponant, aux fins de l’horizon, une rougeur étale, un abîme de
-sang cuivreux où se détermine en silhouette l’ogive mince des peupliers.
-En haut, le bleu lucide, l’onde claire d’un outremer déjà pâli. Des
-hirondelles incisent de leur aile noire les volutes pourpres des nuées.
-Tragiques, des flammes s’écroulent du zénith à l’occident. Et, dans une
-seule apothéose, vers l’incendie astral qui s’effondre et s’échaffaude,
-monte, d’abord fumée, l’embrase inepte et glorieux du _haillat_[2].
-
- [2] Haillat, bûcher, en dialecte gascon.
-
- * * * * *
-
-La foule stupide comme il convient. Des avoués sont venus là, concomités
-de leurs épouses, flanqués de leurs marcassins. Des guenipes aussi
-professionnellement. Des blousards--maternels avec excès--érigent à
-pleins bras leurs mômes englués de morve et de sucre en bâtons.
-
-Bannières en tête, chantres au flanc, voici le clergé nasiférant des
-cantiques. Autour du bûcher les vicaires génuflectent, goupillonnent et
-saluent, tandis que le célébrant à grand renfort d’allumettes, provoque
-l’étincelle paresseuse à jaillir. Un nuage se tord, écharpe grise lamée
-brusquement de stries écarlates. Des feuilles de buis vert claquent et
-pétillent, s’enchevêtrent en sequins d’or. Sur le tronc voué ruisselle
-un baume incandescent, qui le dévore. Les chantres suffoqués renâclent
-l’hymne de Guy d’Arezzo, le verset à doubles croches où ce moinillon
-inoccupé harponna «l’ut-ré-mi-fa-sol» tant douloureux aux enfances bien
-nées.
-
-Un ecclésiastique myope que le brasier roussit quelque peu, s’évertue de
-ramener son surplis en arrière. Les voyous se culbutent afin d’arder au
-brandon public les thyrses dont ils vont sur l’heure, effarer mesdames
-les bourgeoises en souci de leurs mollets.
-
-Et, dans le ciel où rougeoient des flammèches emportées dans le ciel
-métallique et fumeux comme une forge éteinte, dans le ciel où grandit
-l’impérissable amour, éclate, sur la cohue imbécile, le rire vengeur des
-anciens Dieux.
-
- * * * * *
-
-Un âpre soleil darde sur la garrigue ses obliques rayons. La brande
-verte et rose dort immobile dans les silences de midi. Seul, le claquet
-des grillons scande les minutes chaudes--horloge de l’été. Au loin vers
-la montagne, dans le val où badine quelque source, tremble au sommet des
-aulnes un brouillard évanoui. Massives, érigeant en plein ciel leurs
-arêtes d’acier bleu, les vastes Pyrénées enclosent l’horizon. Tours
-crênelées, flèches de cathédrales, coupoles imbriquées d’argent,
-toitures monstrueuses d’une cité pélasgique, les lourdes cîmes
-échafaudent par la rude clarté leurs dômes prestigieux. Dans l’azur nu,
-invisible presque, le tournoiement d’un vautour. Une couleuvre, par
-instants, rampe sous la bruyère avec le bruit sec du papier froissé.
-
-Et le pastour, dont les sabots tintent pesamment sur la route
-empoussiérée: le compagnon fourbu; le tourlourou convalescent, le
-porte-balles qui vend aux filles de ferme des bréviaires d’amour, hument
-avec transport l’incandescente beauté de la nature, cependant qu’au bord
-du fossé où volète la mésange, le villageois, en pleine lumière, touche
-les bœufs assés, d’un mouvement pontifical.
-
- * * * * *
-
-Sur la table un faisceau de lys. Chair florale près de quoi la chair
-vive s’humilie, nacre odorante à dépriser le vernis des coquillages. Ni
-feuilles, ni rameaux. La tige d’un vert blême ostente cet émail où--vol
-d’insectes mordorés--posent les étamines. Nulle innocence, d’ailleurs,
-malgré le symbolisme goîtreux des processionnaires. L’orgueil d’être
-blanc--tel un soleil de juin;--le faste des parfums trop généreux pour
-nos désirs.
-
-Superbes, d’une gloire laiteuse en la buire de Venise, les corymbes
-liliaux versent le plein été aux choses familières. Comme les bergers du
-Cantique, le Souvenir se repaît entre leurs dons. Emmi l’ombre où
-sussurre--inquiet--l’appel des aromates, renaît l’effluve des charmilles
-antérieures, le givre des longs soirs à travers d’autres branches. Les
-baisers fleuris de troènes, les cheveux constellés aux pâleurs des
-jasmins pernoctent, doux sabbat de la jeunesse fugitive.
-
-Par la fenêtre, un coin d’éther crépusculeux, estompé l’on dirait, de
-gaze noire. Le parterre noyé d’obscur, sans un bruit d’ailes ou de pas.
-Au loin, l’harmonica solitaire des crapauds exaltent Vénus qui rit à
-leurs yeux de topaze, et sur l’arête des ormes, se lève coruscante.
-
- * * * * *
-
-Crépuscule, mais imprégné de jour, où défilent endimanchées, les
-ménagères de l’endroit. Rasés bleu, les membres gauchis dans leur vêture
-de cadix, les mâles fument sur la place de l’Eglise, en attendant
-souper. Une fuite d’encens traîne sous le porche ouvert. Des béguines,
-symétrisant les chaises bousculées par la débâcle de vêpres, glissent,
-falottes entre les saints peinturlurés. C’est dans la nef, qu’épargne la
-rousseur de l’heure, un bleuissement de paradis, une Avallon campagnarde
-éclose aux fraîcheurs des bénitiers.
-
-Mais, plus rude, avec son fumet de simples écrasées, la moisson
-lithurgique imprègne d’âcre miel les rues de la bourgade. Roses bénites,
-lys sacrés et le fenouil qu’aima le Syrien Adonis, les herbes de la
-Saint-Jean évaporent sous les toits rustiques, leur ardente fenaison.
-
-Parmi ses glauques cheveux d’ondine, la nigelle aux yeux pers sème des
-nœuds de turquoise. La feuille trilobée des ancolies supporte avec
-fierté des campanes d’améthyste. Les daturas, les molènes velues, les
-euphorbes aux pétales virescents, les digitales assassines, bandent
-leurs piques mal famées et, noir de suprêmes venins, l’aconit fait
-craquer sous les sabots de frêne, ses cassolettes plutoniennes.
-
-Amère saveur des plantes! Breuvage de l’été qu’affadit à peine le
-nauséeux encens! C’est la veille où, par les hautes prairies, les jeunes
-hommes se baignent aux lustrales rosées, invigorent leur puberté dans la
-communion des choses. Les fontaines débordent, la fougère mûrit. Le
-village latin, célèbrera, ce soir, ses païennes et vivantes origines. A
-moins que, nantie de quelque billon, la jouvence locale ne se rue au
-café du Sud-Ouest, présentement illustré par les intermèdes et chansons
-de Mlle Pépita, romancière excentrique à l’instar de Paris, comme en
-témoigne, avec déférence, l’aboyeur public,--très digne--après un
-roulement de son tambour enchifrené.
-
-
-
-
-XIII
-
-PORTRAITS DE FAMILLE
-
-
- Le père Chose éteint le feu
- Et pour qu’aucun valseur ne lampe,
- Renverse le thé dans la lampe.
- Ses enfants le voudraient bien feu.
-
- Dindonnus semble un jeune Dieu
- Peint sur le mur, à la détrempe:
- Son crâne est la pomme de rampe
- Chère à Philippe de Grandlieu.
-
- Près de Clary-Bell qu’on assiège
- Dindonna, hors d’un bain de siège
- Fait de musc et de néroli,
-
- Se comprime le métatarse.
- Son corset de bourre est empli:
- C’est une dinde avec sa farce.
-
-
-
-
-XIV
-
-BALLADE
-
-EXÉCUTÉE EN RIMES PARNASSIENNES A LA LOUANGE DU DRAP BOSVIEL
-
-
- Chœurs bondissants par l’oréas neigeuse,
- Faunes velus, thyades aux bras blancs,
- Vous qui menez la cordace orageuse,
- Des antres sourds aux pics étincelants
- Et qui, le soir, sous les rameaux tremblants
- Mêlez vos voix au crotale sonore,
- Je veux chanter, en un rythme de miel,
- Le drap vainqueur, le drap essentiel,
- Le drap cossu dont Bigorre s’honore:
- Le meilleur drap est celui de Bosviel.
-
- Bosviel n’a pas la mine avantageuse.
- Son ventre gros bedonne et sort des plans,
- Son poil est gris et sa face rageuse:
- Même il a pour nos regards indolents
- L’air abruti des messieurs icoglans.
- Cependant la flamme interne le dore,
- Mais, dédaignant tout chic matériel,
- Il va tissant la laine, sous le ciel.
- Et, sans qu’il soit besoin de Mandragore,
- Le meilleur drap est celui de Bosviel.
-
- Par les taillis ombrés de nuit songeuse
- Le long des bois pleins de parfums troublants
- Nul ne le vit contempler Beseigeuse
- Cueillir des fleurs ou marcher à pas lents,
- Nul moins que lui ne mange d’ortolans.
- Il parle peu, sans nulle métaphore,
- Il aime mieux Gothon qu’Alaciel
- Et des bourgeois, sort providentiel,
- De cornes d’or, son front plat se décore,
- Le meilleur drap est celui de Bosviel,
-
-Envoi
-
- Prince, Carrère est beau comme Ariel,
- Et l’oncle Uzac se teint avant l’aurore,
- Turon fournit l’onguent mercuriel.
- Mais, de Dunkerque aux montagnes d’Andorre,
- Le meilleur drap est celui de Bosviel.
-
-
-
-
-XV
-
-A SEULE FIN D’EXALTER LE TACT DE M. DURAND.
-
-
- Des peintr’ étaient à la campagne,
- Ils respiraient l’air librement,
- Rêvant de revêtir le pagne,
- Quand débarqua... Marie Durand!
-
- Elle arrivait, vrai sujet Suisse,
- Mettant ses grands pieds dans le plat,
- Etalant un esprit novice,
- Parlant amour, et cœtera!
-
- Les peintres, frappés de marasme,
- Auraient voulu la voir au loin,
- Mais, comm’ ils avaient un’ belle âme,
- A leur table, ils lui offrent’ un coin!
-
-Moralité
-
- Quand vous irez à la campagne,
- Point n’en parlez à un M. Durand;
- Allez, revêtissez le pagne
- Et respirez l’air librement.
-
-
-
-
-XVI
-
-BALLADE
-
-POUR EXALTER LES MELONS SURHUMAINS DE MONSIEUR GAGA
-
-
- Il n’en est pas de plus sucré
- A Gambaiseuil, aux Yvelines,
- A Grosrouvre, Neauphle ou Méré.
- Les compotes, combien câlines,
-
- Que fomentent les Ursulines
- Et que Tanrade prodigua
- N’ont pas de douceurs plus félines:
- C’est l’œuvre de Monsieur Gaga.
-
- Il marche d’un air assuré,
- Parmi les couches cristallines:
- Ainsi Van Dick lâche son ré.
- Et les courges, ces orphelines,
-
- Et les endives de Malines,
- Et le myrthe, et le seringa,
- Proclament du val aux collines:
- C’est l’œuvre de Monsieur Gaga.
-
- Lorsque septembre enténébré
- Te pleure, ô Soleil qui déclines,
- Le melon, comme un sein doré,
- Pointe parmi les avelines.
-
- Viens, Brunehilde et toi Zerline
- Et toi, Maure pour qui Pingat
- Aurait ourdi ses mousselines!
- C’est l’œuvre de Monsieur Gaga!
-
-Envoi.
-
- Princesses! que vos mandolines
- Chantent, du Zenil au Volga,
- Ces cucurbites zinzolines:
- C’est l’œuvre de Monsieur Gaga!
-
-
-
-
-XVII
-
-SOUS LES TILLEULS DE BAGNÈRES
-
-
-En Messidor, pendant l’octave de la Saint-Jean, saison amène où les
-bouquets noués d’herbes au ruban mêlent à l’œillet de poète la rose de
-tous les mois, quand le plus humble courtil se pavoise de lys blancs, de
-jaunes soucis et de bleuâtres dauphinelles, quand le rossignol fait ouïr
-encore une chanson de miel (ainsi parlait le bon Aristophane) et qu’aux
-marges des fossés, le ver luisant pour sa vigile d’amour, accroche une
-lampe furtive, la maison rustique et le domaine forestier, la campagne
-avec ses champs, ses prés, ses halliers, ses jardins, ses pâturages et
-ses landes, appartiennent aux Esprits bienveillants dont les travaux et
-les jeux ne se déroulent que dans la paix des belles nuits.
-
-C’est le faîte de l’année et la semaine des semaines, où les ciels
-moroses du livide Occident se parent d’une grâce inconnue aux pays mêmes
-du lotus et de l’oranger. Le printemps s’achève et l’été commence à
-peine. Quelques fruits cependant brillent déjà parmi les fleurs, mais si
-légers, mais d’arome si suave, qu’on les prendrait pour des fleurs
-encore sur l’épine du framboisier, aux branches d’où pendent les
-cerises, au vert buisson que la groseille éclabousse d’ambre pâle et de
-grenat.
-
-Shakespeare à choisi cette nuit, la plus belle de toutes, pour y situer
-le rêve féerique de Thésée et d’Hippolyte, d’Obéron et de Titania,
-Nicolas Gogol, ce Virgile du Dniéper assigne même aux conciliabules des
-esprits qui gardent les richesses, des nains qui, dans les blancheurs
-lunaires, décapent leurs trésors depuis que brille l’étoile au soir
-jusqu’au premier chant du coq. Et c’est alors aussi que dans la nuit de
-Walpurgis, apparaît le spectre fatidique du Brocken, que passe au
-claquement des fouets, aux abois des limiers, la chevauchée
-d’Athta-troll avec la fée Habonde et la jeune Hérodias. La forêt des
-Ardennes se peuple de visions et de formes crépusculaires.
-
- _Les anciens loups
- Qui dorment dans la lune éclatante et magique_
-
-trottent devant le Chasseur Noir et la menée d’Hellequin, sous les fûts
-des mélèzes et des pins résineux. Malgré les vieilles maléfiques et les
-chats démoniaques menant leur sarabande au milieu des bruyères désertes,
-cette heure appartient à la sorcellerie amicale, au petit monde
-fantasque et tutélaire dont les caprices, la plupart du temps,
-améliorent le sort du pauvre, du banni, de l’orphelin, du miséreux.
-Nains propices, filandières secourables, corbeaux pareils à ceux de
-Wotan préparent dans les _Kinder und Hausmärchen_ des frères Grimm,
-toutes sortes de bonnes aventures aux porte-besaces, aux infirmes, aux
-enfants malingres, chassés par une marâtre du foyer paternel.
-
-Ces miracles tout naturellement s’épanouissent comme la fleur qui chante
-à l’époque où le soleil entre dans sa première maison d’été.
-
-En hiver, au contraire, les démons de la tempête rôdent parmi les
-ténèbres de la lande. Le vent d’ouest pleure, crie et sanglote, comme un
-chrétien égorgé par des bandits. Le froid, les bourrasques, la nuit
-hostile retiennent près du foyer, dans leur demeure bien close, le
-paysan et le bourgeois. Seuls, vagabondent après le couvre-feu, loin des
-villes et des bourgs, les écorcheurs, les faux-saulniers, les coquemares
-et les mauvais garçons. Beau temps pour le sabbat! Mais aux nuits de la
-Saint-Jean, près des ruisseaux qu’embaument le fenouil, la menthe et la
-reine des prés, sur les pelouses où verveine, sauge et boutons d’or
-passementent l’herbe verte que n’a pas touchée encore la faux du
-moissonneur, des esprits bénins, en attendant l’aurore, mènent danses et
-chœurs. C’est le temps où Dames blanches, _hades_ et farfadets se
-manifestent au pauvre bûcheron, à la fileuse indigente, où la fée et le
-lutin emplissent la huche de farine, donnent de l’esprit au Petit Poucet
-et des robes à Cendrillon.
-
-Le personnel des Contes de ma mère l’Oye, célèbre sa fête annuelle
-pendant ces claires ténèbres du Mid-Summer.
-
-Chaque moment de la belle saison s’est orné d’une parure individuelle,
-d’un parfum singulier. Il n’est herbe si menue, il n’est plante si
-rebutée et misérable qui pour glorifier le beau soleil, n’arbore quelque
-ornement. Les jardiniers se sont plus à dresser une horloge des fleurs.
-Pourquoi pas un calendrier du printemps?
-
-Cela irait des jacinthes aux pivoines, des anémones à l’œillet. Les
-arbres surtout, mieux que tout autre végétal, prêtent leur odeur, une
-odeur spéciale à chaque semaine du renouveau. Les pommiers d’abord, les
-pêchers, les amandiers; ensuite le lilas; puis, l’acacia, l’aubépin, le
-laurier-cerise comptent les heures, signalent à chaque étape la marche
-ascendante du soleil. Et quand, arrivé enfin au point culminant de sa
-course, il triomphe dans la jeunesse et la beauté, les tilleuls ouvrent
-enfin leur fleurette jaune pâle, d’où s’épanche, en plein ciel, un baume
-puissant et délicat. Ni la rose, ni la tubéreuse, ni le frais jasmin, ni
-le fugace parfum du réséda, aux crépuscules d’août, n’égalent cet arome
-dont s’enivrent les nocturnes promeneurs; c’est l’âme elle-même, le
-songe des belles nuits, au milieu de l’été.
-
- * * * * *
-
-Près de Riennel, dans ce vallon de Salut qu’enchante la lune féerique,
-dans les sites virgiliens de Bagnères, plus qu’en aucun lieu du monde,
-les tilleuls épanchent leur suave et pénétrante odeur. Quel adolescent
-pouvait aborder ces beaux lieux sans être ému de leur grâce, de leur
-paix profonde? Laissez Bagnères, la ville de province et la ville de
-bains, toute blanche avec ses ruisseaux, les ondes vives qui jaillissent
-dans un sol de marbre; négligez les édifices médiocres et la sculpture
-officielle qui prétend orner ses carrefours. Ici, l’ornement unique
-c’est l’arbre, le frêne, l’ormeau, le hêtre majestueux, dressant comme
-une colonne dorique son fût poli et régulier; c’est au bord des
-ruisseaux, dans les fonds marécageux pleins de calthas et de myosotis,
-l’aulne au feuillage vernissé d’un vert noirâtre, qu’effleure de son
-aile indécise l’essaim diapré des libellules.
-
-Dans le calme et frais décor, au pied de la montagne riche de sources,
-d’ombre et de silence, parmi les arbres que rajeunit sans cesse l’eau
-vive des fontaines, l’esprit se plaît à rêver les contes d’autrefois, à
-suivre l’image des superstitions millénaires, à figurer les
-métamorphoses de l’arbre et de la plante, du reptile et de l’oiseau, de
-la grotte et du torrent, à peupler les herbes, ces gramens, ces pentes
-d’émeraude, ces coins obscurs, d’êtres mystérieux et fugitifs, à suivre,
-tandis que les tilleuls pleuvent leurs parfums, les rondes volages de la
-Fée et de l’Ondine, le tournoiement des sylphes aériens, parmi les
-phalènes et les chauves-souris.
-
-_Unter den linden!_ Alphonse Karr eut l’honneur d’être un sot par la
-tête, un sot bien pensant, religieux, conservateur, et qui se piquait,
-en outre, de proférer des bons mots. Il décerna au plus inepte de ses
-bouquins le nom charmant des promenades germaniques. Ce n’est pas, en
-effet, à Berlin seulement, que l’on marche «sous les tilleuls». A
-Deventer, j’ai retrouvé le nom et la chose, vers la fin d’un été
-mélancolique, d’un été de Hollande, où les feuilles mortes et les
-bractées des chers tilleuls dansaient prématurément leur automnale
-sarabande, venaient s’abattre, comme des papillons morts sur l’eau
-dormante de l’Yssel.
-
-Mais, dans ce juillet pyrénéen, les feuillages gardent une jeunesse, une
-vigueur, une sève d’adolescence, une robuste et juvénile beauté!
-
-Faits pour abriter les amours des dieux et prêter leur ombre à
-l’éternelle fête des étreintes humaines, les arbres gardent à Bagnères
-toute leur splendeur. Ce délice de la hache qui tourmente notre âge de
-maçons, ne paraît pas avoir contaminé ce beau pays. A part une
-échancrure faite par les cagots devant la vierge de Bédal, échancrure
-qui met à nu ce fétiche mastoc et laid, pas un arbre, semble-t-il,
-depuis quarante ans, ne fut détronqué sans raison. Les robustes ormeaux,
-les frênes héroïques, dont chaque nodosité dit l’effort de la plante
-pour s’arracher à la glèbe, pour individualiser sa vie, étalent chaque
-année, avec plus de force, d’orgueil et d’opulence, leurs ombrages
-respectés.
-
-Ceux qui vinrent, enfants, cueillir en des paniers de frêle vannerie et
-proposer aux belles étrangères, le tilleul d’autrefois, hommes à
-présent, voient leurs fils recommencer la cueillette aux rameaux
-inférieurs des géants parfumés. Ils marchent dans le bain d’aromates qui
-délecta leur jeunesse. La permanente beauté des choses les console
-presque de vieillir. L’adolescence de la terre efface, un moment, les
-rides sinon de leur visage, du moins de leur esprit.
-
-Ces routes verdoyantes, ces chemins dans les bois, ces pentes du Monné,
-du Lhéris, ces rives de l’Adour, offrent aux cœurs inquiets un asile de
-paix profonde, un lieu de calme, d’oubli et de sérénité.
-
-Sophie Cottin, sous le turban jaune de Corinne, y vint fluer ses larmes
-en plusieurs volumes. Ramon y murmura, au lendemain de la Terreur, cette
-parole émouvante que cite Michelet: «Tant de pertes irréparables
-pleurées au sein de la Nature.»
-
-Les majestueuses cîmes encadrent l’horizon d’une muraille d’améthystes
-et de lapis, de sommets que hantent les vautours et qu’habite
-l’indéfectible hiver. Mais la plaine est à leurs pieds, d’un charme
-infiniment doux, avec je ne sais quel agrément sauvage qui préserve de
-toute fadeur ce climat délicieux. Qui l’a connu, aimé, aux heures de la
-jeunesse, qui, libre d’ambition, exempt de soucis et gonflé de sève
-comme les tilleuls de Messidor, a, sous leurs dômes pacifiques, goûté
-l’enivrement du matin, la beauté païenne, les souffles vierges de la
-montagne, en rapporte--je le sais!--pour les heures mornes et le
-crépuscule de la vie, une allégresse qui ne meurt pas, tels ces pastours
-des contes bleus qui, sur le coup de minuit, à la Saint-Jean d’Eté, ont
-reçu d’une fée amicale sous les branches odorantes, le philtre suprême,
-l’élixir de jouvence éternelle et d’indestructible amour.
-
-
-
-
-XVIII
-
-RECUERDO DE LOS TOROS
-
-
-_Saint Sébastien, 1886._
-
-Au coup de trois heures, frappant à vingt horloges, la cohue envahit la
-place des Taureaux. Avenue de la Libertad, sur la jetée de l’Alaméda, un
-moutonnement de houle où les fiacres à tendelets verts creusent des
-ressacs. Des femmes glissent, onduleuses, une flamme dans leurs yeux
-noirs. Des mantilles, des _abanillos_, et,--portant des mannes de
-raisin,--les Aragonnaises en taille courte, le visage délimité par une
-mante de point roux. Des Basques, bérets en tête, et la jambe prise en
-des housseaux de laine, soufflent abominablement dans leurs flûteaux
-suraigus.
-
-Sur le pont, défilent sans trève des sociétés chorales: un tas de
-_lyres_ et d’_harmonies_. Au festival tauromachique, le maire de
-Saint-Sébastien, adjoignit un concours d’orphéons, et sous les yeux des
-badauds vomis par les trains de plaisir, s’allonge vers le cirque, une
-phalange d’instrumentistes. Crevés de chaud, bouffis et suants, avec des
-gestes endoloris, ils traînent l’ampleur des grosses caisses, la
-configuration bizarre des _saxhorns_. Des enfants se haussent pour voir
-les _toreros_ escortés de longs hurrahs! des fils de bourgeois
-qu’endoctrinent leurs auteurs sur l’abomination des plaisirs
-sanguinaires; des filles vertes, aux hanches délurées, aux regards
-explicites, des marchands d’allumettes et de programmes à s’éventer.
-
-Par delà les parapets, l’eau calme de _la Renteria_ bleuit au loin, sans
-une écume, se perd au délicat azur. Des goëlands claquent du bec,
-lustrent leurs ailes noires, fondent en cercle sur la mer, et leurs
-appels mêlés aux fanfares retentissent opiniâtrement.
-
-La course ne promet pas d’être brillante, s’il faut en croire les
-initiés. Des taureaux de Félix Gomez et les grandes épées ne combattront
-pas.
-
-L’amphithéâtre est plein de la barrière au mur d’enceinte: des habitués
-se reconnaissent, discutent à voix basse, l’air satisfait et compétent.
-Une affiche reluisante de vermillon et d’or flotte sur le toril, indique
-la stalle du gouverneur. De l’autre côté de l’arène, en plein soleil, la
-foule encaquée sur les gradins d’_asiento_! la bariolure des ombrelles
-et des éventails. C’est comme un battement d’ailes, où, sur les fonds de
-couleur brutale, saignent des taureaux, flamboient des _matadors_. Le
-portrait de Mazantini est dans toutes les mains, sa légende sur toutes
-les lèvres. Jeune, beau, sorti d’honnête race, il apprit à toucher les
-bœufs par amour de l’art. Et comme il fut baptisé sur le sol du
-Guipuzcoa, qu’on le dit magnifique et brave de tous points, sa gloire
-obscurcit un peu le vieux renom des _Lagartijo_ et des _Frascuelo_.
-
- * * * * *
-
-Une sonnerie de trompettes. Le maire est dans la loge, et les
-_cuadrillas_ vont défiler. En tête, le héraut serré dans un justaucorps
-noir, empanaché d’un arc-en-ciel de vieilles plumes, fait exécuter des
-changements de pied à la plus lamentable haridelle qui se puisse voir:
-après les _banderilleros_ imbriqués de métal, puis, seul, en cape
-aventurine, la face rasée et le port olympien, l’_Espada_ Mazantini,
-derrière les _sobresalientes_ et Cara-Ancha, son rival. Tous saluent le
-magistrat qui, sans retard, octroie licence de procéder au combat.
-Paillon de cuivre, fleurs d’argent, étoffes diaprées et violentes,
-l’emphase des vieux costumes anoblit le champ-clos. Des servants
-poussent une porte; le silence choit, et poussé dans la piste, le
-taureau s’avance, ébloui.
-
-C’est un Andalou, bai-foncé, court de jambes, épais de fanon et
-d’encolure, les cornes ouvertes en croissant. Depuis l’aube, afin
-d’irriter son courage, on le tint prisonnier dans une boxe étroite, sans
-jour, presque sans air. Aussi trébuche-t-il aveuglé de ce plafond
-lumineux; soudain, un _chulo_ tout courant, le provoque des plis de sa
-_muleta_. Déjà, les _picadores_ sont à leur poste, la lance en arrêt;
-les pieds emboîtés dans des étriers de chêne, et le monstre, d’un élan
-irrésistible, fond sur eux.
-
-Ce m’est toujours une satisfaction nouvelle, de voir étripailler cinq ou
-six couples de chevaux. Avec le perroquet aimé des concierges, je ne
-connais pas d’animal plus odieux que la «conquête» de Monsieur de
-Buffon, ni qui mérite davantage l’animadversion des honnêtes gens.
-N’est-il pas l’occasion de mille sottises nidoreuses telles que
-steeple-chases, rallies-paper, courses plates, glapissements de
-bookmakers, sans compter les propos des connaisseurs.
-
- * * * * *
-
-Le premier carcan décousu, perd lamentablement ses entrailles, poignardé
-d’un coup de corne, puis le ventre, fouillé de l’encolure à
-l’arrière-train. Le foie, les poumons, coulent de la bête ouverte, qui
-souffle encore et trébuche parmi ses intestins: puis d’un tournoiement
-conique, s’écrase dans une flaque d’ordure et de sang. Un _picador_
-renversé, quitte la lice en clopinant, tandis qu’un aide enfonce la
-_puntilla_, dans le crâne des rosses moribondes.
-
- * * * * *
-
-Légers, sautillants, avec des pirouettes de danseurs, les
-_banderilleros_ armés de courtes flèches, bondissent devant le taureau.
-Lui, gratte le sol, du mufle et du pied; son haleine creuse des trous
-dans le sable; mais avant qu’il ait effleuré l’homme, celui-ci plante
-dans sa chair les banderilles empennées. Le hameçon tranchant et solide,
-qui termine la flèche d’une cuisante piqûre, exaspère l’animal. Une
-pratique féroce, contraire d’ailleurs aux traditions, consiste à ficher,
-en guise de banderilles, une pièce d’artifice dont le fracas et les
-étincelles aveuglent presque le taureau. Aussi quel qu’en puisse être le
-ragoût, il convient de repousser de tels comportements. Le sang tout
-cru--le sang versé par des mains intrépides--est la seule pourpre de
-mise, en la _plaza de toros_. Que les eunuques et les femmes à pâmoison,
-cherchent d’autres spectacles! La vue d’un beau supplice, la joie de
-sentir la vie humaine risquée sur un coup de dés, le ruissellement des
-blessures frais-giclantes, épanouissent en nous la férocité congénitale,
-sans qu’il soit besoin d’amusettes pyrotechniques ou de fleurs en papier
-peint.
-
- * * * * *
-
-Veste héliotrope à pampilles d’or, culotte et bas de soie blancs striés
-de cannetille, le jarret tendu, la brette emmaillottée dans une housse
-écarlate, Mazantini, jette à ses pieds, la toque de peluche et s’apprête
-à frapper le taureau.
-
-Un grand garçon, mince, brun, au nez droit, les yeux comme voilés par le
-froncement des paupières, la bouche fine et pure, accentuée d’un soupçon
-de gouaillerie, tel apparaît, dans la vigueur de ses trente ans,
-l’_Espada_ bien-aimé. L’on devine au moindre geste, qu’il marche dans le
-prestige inatténué de sa force et de son orgueil. Le désir d’un peuple
-de femmes et cette marée humaine, dont chaque souffle lui porte des
-baisers, l’allégresse vive du péril encouru, la juste arrogance d’un
-métier noble, en cet âge boutiquier, l’imprègnent d’une magnificence
-inconnue aux plus reluisants ténors. Ses cheveux drus, tressés en
-cadenette, selon le cérémonial prescrit, découvrent tout ce visage,
-reluisant d’audace et de beauté: un dieu qui sent l’abattoir.
-
- * * * * *
-
-Le duel se poursuit entre la brute et le tueur, avec toutes les feintes
-d’une escrime raffinée jusques au temps que, frappé droit entre les deux
-épaules, le quadrupède chancelle et tombe sur le sable vermeil. Puis, ce
-sont les vivats et les saluts de la foule, les petits cris extasiés des
-_señoras_, les trains de mules chaperonnées, emportant au clair
-grésillement des sonnettes, les lourds cadavres mutilés.
-
-Interminablement, les _corridas_ se déroulent avec des fortunes
-diverses. Cara-Ancha, qui n’est guère en bonheur, manque plusieurs fois
-la botte suprême, à la grande indignation de l’assistance. Les jurons
-pleuvent. «A Madrid, ce seraient des bouteilles vides et des oranges
-gâtées» dit quelqu’un près de moi. Des hommes, à barbe d’encre, avec des
-yeux de Montezuma sur le bûcher, gesticulent furieusement. Un prêtre
-jette son cigare pour injurier plus à l’aise: «_Fuero! Fuero! puerco!
-conchino!_» et mille gentillesses d’outre-monts. Pendant ce temps, les
-Basques sifflent dans leurs galoubets, les orphéons mugissent des polkas
-et le déplorable coryphée rate ses victimes à coup sûr. Cela tourne à la
-boucherie--«Charcutier», hurle un Français!--«_Puerco_» reprennent les
-Espagnols.
-
-A nos pieds, agonise le dernier mâle, une douceur dans ses yeux
-obliques, mourants déjà. Un coup de miséricorde, en plein front, le
-renverse, foudroyé.
-
-Par les vomitoires grands ouverts, les spectateurs ruissellent entre
-deux files de miquelets, s’éparpillent dans les rues pavoisées, comme un
-jour de Fête-Dieu. A tous les balcons, des housses claires, des
-verdures, des tapis: aux fenêtres, le drapeau de gueules et d’or: les
-_miradores_ pleins de robes, couleur du temps.
-
- * * * * *
-
-A la _Maillorquina_, les femmes lunchent, égratignent des sorbets,
-grignottent des pâtisseries aux jaunes d’œufs, avec force cédrats
-confits, _heladas_ et _vasos d’agua con esponjado_. Les fanfares
-continuent leurs évolutions au grand air. La _Marseillaise_ allume par
-les carrefours son patriotisme de trombone: les Basques déchirent la
-paix du soir de strideurs à la Valmajour.
-
-L’ombre s’appesantit et, dans l’or enfumé du couchant, passent les
-filles des Provinces, hautaines et d’une beauté si grave qu’on les
-prendrait, ainsi voilées, pour quelque Notre Dame, issant d’un retable,
-avec sa jupe lamée et sa couronne de jayet noir.
-
-
-
-
-TABLE DES MATIÈRES
-
-
- Avant-propos 7
- I. Villes d’Eaux (Bagnères de Bigorre) 11
- II. Le roi de la Barousse, ou M. Ignace Papulard, candidat
- aux élections générales 19
- III. Les gentilshommes du Râteau 31
- IV. Impression de tapis vert 41
- V. Bourgeois de Bagnères de Bigorre en 1886 51
- VI. Bulletin de vote 63
- VII. Concert nocturne 71
- VIII. Fête nationale 77
- IX. Bagnères de Bigorre (septembre 1886) 81
- X. Suppression des Jeux 87
- XI. Ouverture de la Chasse 93
- XII. Impressions du Mid-Summer, du Val de Payolle, le dimanche
- de la Saint Jean d’Eté 101
- XIII. Portraits de famille 111
- XIV. Ballade exécutée en rimes parnassiennes à la louange du
- drap Bosviel 115
- XV. A seule fin d’exalter le tact de M. Durand 121
- XVI. Ballade pour exalter les melons surhumains de
- Monsieur Gaga 125
- XVII. Sous les tilleuls de Bagnères de Bigorre 129
- XVIII. Recuerdo de los Toros 143
-
-
-IMPRIMERIE SAINTE-CATHERINE, BRUGES (BELGIQUE).
-
-
-
-
-ACHEVÉ D’IMPRIMER LE QUINZE FÉVRIER MIL NEUF CENT VINGT QUATRE SUR LES
-PRESSES DE L’IMPRIMERIE SAINTE-CATHERINE A BRUGES, POUR LA SOCIÉTÉ
-D’ÉDITION «LE LIVRE».
-
-
-
-
-Note du transcripteur
-
-On a appliqué les corrections figurant en erratum. L’orthographe et la
-ponctuation sont conformes à l’original, seules les erreurs
-typographiques absolument flagrantes ayant été corrigées.
-
-
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- The Project Gutenberg eBook of Le paillasson, by Laurent Tailhade.
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-
-<div style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of Le paillasson, by Laurent Tailhade</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
-at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you
-are not located in the United States, you will have to check the laws of the
-country where you are located before using this eBook.
-</div>
-
-<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: Le paillasson</p>
-<p style='display:block; margin-top:0; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:0;'>Mœurs de province</p>
-
-<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Laurent Tailhade</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Release Date: November 26, 2021 [eBook #66827]</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Language: French</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Character set encoding: UTF-8</div>
-
-<div style='display:block; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Produced by: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was produced from images made available by the HathiTrust Digital Library.)</div>
-
-<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PAILLASSON ***</div>
-<p class="c large">LAURENT TAILHADE</p>
-
-<h1>LE PAILLASSON</h1>
-
-<p class="c large">MŒURS DE PROVINCE</p>
-
-
-<p class="c gap"><span class="large">“LE LIVRE”</span><br />
-9, RUE COËTLOGON, PARIS<br />
-1924</p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<p class="noindent narrow top6em">Il a été tiré à part de cet ouvrage
-10 exemplaires sur Japon des Manufactures
-Impériales, numérotés de 1 à
-10, 50 exemplaires sur Hollande Van
-Gelder Zonen, numérotés de 11 à 60
-et 10 exemplaires de Collaborateurs,
-Hors-Commerce, sur divers papiers,
-numérotés de I à X.</p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<p class="c top6em">Tous droits de reproductions réservés
-pour tous pays.</p>
-
-<p class="c"><span lang="en" xml:lang="en">Copyright by</span> « <span class="sc">Le Livre</span> », Paris, 1924.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak i" id="ch0">AVANT-PROPOS</h2>
-
-
-<p class="i">L’inintelligence
-du lecteur se
-devant présumer, nous voulons
-bien élucider son titre aux
-acquéreurs de ce papier.</p>
-
-<p class="i">« <i class="sc">Le Paillasson</i> » fut ainsi
-nommé pour ce qu’il servira
-d’intermédiaire à décrotter nos bottes, ô province,
-contre ton mufle détesté.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p class="i">Avec les indigènes, croupiers, logeurs en
-garnis, marchands d’eaux tièdes, et autres
-infirmes à qui l’on montrera leur béjaune,
-nous sacrifierons de quelques pinchenettes
-les touristes idiots, les baigneurs incongrus.
-Une fois au moins « <i>la Reine des Pyrénées</i> »
-à croppetons sur sa cagnotte, humera ce
-vase et quoi qu’elle en tienne, exhibera ses
-parfums.</p>
-
-<p class="i">Les goîtreux folâtres ou pontifiants : crétins
-politiques, noblesse de comptoir, gouines
-parvenues, cette mont-joie de faux <span lang="en" xml:lang="en">dandies</span>
-qui, par Bigorre, épanouit ses truandes élégances,
-obtiendront une vitrine élue, en notre
-musée d’horreurs.</p>
-
-<p class="i">De ce que peuvent furibonder à nos chausses
-les veillaques époussetés, nous ne daignons
-avoir souci. Grognements de porcs, abois de
-roquets ou sifflets de vipères, cela ne nous
-chault plus qu’une guigne, et même il est
-pour nous complaire, qu’un peu de huée,
-contre-pointe l’honnêteté de nos propos.</p>
-
-<p class="i">Des pseudonymes transparents (de gaze
-et de barèges aérien), des pseudonymes vêtiront
-les syllabes répugnantes, par quoi furent
-immatriculés aux registres sociaux les algonquins
-à dégourdir nos épigrammes.</p>
-
-<p class="i">Savonnette précieuse et qui permet de ne
-s’écorcher point le galoubet devant la ménagerie
-bigourdane.</p>
-
-<p class="sign i">LAURENT TAILHADE.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch1">I<br />
-VILLES D’EAUX</h2>
-
-<p class="c">(<i>Bagnères de Bigorre</i>)</p>
-
-
-<p>De tous les fumiers propres à
-réchauffer le goût de la prostitution,
-à gonfler d’une
-sève fécale les ventres arrondis
-en citrouilles devant le
-dieu Cent-Sous, de tous les
-pourrissoirs où la dignité se vertdegrise,
-où l’intellect se désagrège en des pensers
-de batracien, il n’en est point que je sache
-de plus méphitique, de plus nauséabond
-que les tannières généralement connues
-sous l’appellation humide : <i>Villes d’Eaux</i>.
-Pour la copulation du crétinisme avec la
-filouterie, pour l’embrassement des pantalons
-et des sycophantes, ce sont bocages
-d’élection, ces choses plantées sur la montagne
-ou déposées au fil des grèves.</p>
-
-<p>Les barons de la séquence, les tendrons
-hydrargiriques, les calicots phanérogames,
-les galériens nantis de mouchoirs, les Agnès
-compromises par de trop peu secrètes
-parturitions, les femmes du monde Jean
-Lorrain, se viennent engluer aux appeaux
-de l’habitant aranéeux. Campements de
-bohème aux pays de <i>Misère</i>, visites de
-la pègre transhumante chez les votereaux
-suspects des mauvais lieux à piscines, qui
-nombrera les immondices, de quoi vous
-êtes parfumés !</p>
-
-<p>Certes le pays de Gascogne porte mieux
-que tout autre un vif renom pour ses
-tripots et ses lieux d’empoisonnement.</p>
-
-<p>Depuis Barèges où Gassuro chasse
-l’izard et le chrétien, jusques à Pau où
-trichent les notaires, chaque bourgade s’y
-peut vanter d’une table hellénique, ornée
-d’un croupier en surtout.</p>
-
-<p>L’amoureux de la forte somme y serre
-l’ongle du ponte carottier. Sicre règne à
-Luchon et Blandin — ce Neptune — donne
-des lois à Biarritz. Tous les autres ont
-leurs <i>journées</i>, où des Espagnols pain
-d’épices, aventurent leurs piastres, avec
-des mouvements de gorilles promus curés,
-des <i>pokers</i> où reluisent tels gentilshommes
-à qui le papa <i>Dur</i><a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a> refuserait quarante sols.
-Toutes ces villes ont leurs pontes et des
-idées sur la conduite à mener devant le
-point de cinq : toutes regorgent d’anecdotes
-que Follou brode sur le dessert ;
-mais Bagnères de Bigorre se glorifie seule
-de Monseigneur Fiorentino della Porta,
-fermier général à Cauterets.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> Dur, un citerien de Bagnères.</p>
-</div>
-<p>Peut-être satisfairait-on les curieux de
-ce personnage en détaillant par le menu
-son histoire naturelle. Contentons-nous de
-le suspendre à nos discours (tel un rameau
-du Vignemale) et de nommer, après les
-fleurs de chiourme écloses à ses pieds,
-Félix, le suzerain de Saint-Pol. Maréchal
-qui, comme un lierre, végète sur les ruines
-et toi, jeune homme inexpressible, que les
-femmes ont si fort gâté.</p>
-
-<p>Après le cercle, les étuves. Car il faut
-bien de temps à autre récurer un peu ses
-ongles et se laver les pieds. Il existe des
-caractères audacieux pour confier leurs
-organes les plus intimes aux fantaisies
-de médecins hilares et de masseurs emplis
-de cupidité. Les adolescents vigoureux
-réchappent quelquefois de ces immersions
-néfastes auprès desquelles le système hydrothérapique
-du regrettable Carrier pourrait
-passer pour de la Saint Jean.</p>
-
-<p>Bigorre s’est constitué depuis longtemps
-une spécialité de courants d’air qui font
-de ses thermes le plus merveilleux endroit
-du monde pour, en quelques minutes,
-acquérir une maladie mortelle. Par compensation
-un administrateur infatigable prit
-le soin de réduire en cotrets tous les arbres
-susceptibles de fournir quelque ombrage
-au temps caniculaire, de sorte que les
-visiteurs ont le choix entre la pleurésie et
-l’insolation.</p>
-
-<p>Ceci posé, nulle industrie plus honnête
-dans Bagnères. Les démolitions et reconstructions
-annuelles des baignoires donnent
-du pain à vingt équipes d’ouvriers, que,
-nonobstant la douceur de son nom, le
-jeune Monsieur Clément, traite comme des
-nègres. D’autres virtuoses aussi jouent de
-ces pistons, par quoi les vice-rois de la
-compagnie nous firent paraître leurs merveilleuses
-capacités.</p>
-
-<p>Les loueurs en garni, fournisseurs de
-punaises et de fauteuils à trois pieds, les
-promeneurs de guimbardes, les caïmans
-de toute espèce, ne mériteraient-ils pas
-un thrène spécial en cette véridique lamentation ?
-Mais la fée Mab, la jolie petite
-fée Mab, avec ses ailes de crêpe et son
-diadème de perle, a tiré la coquille de noix,
-son carrosse, et Mercutio, le page, se délecte
-à la voir baller dans un rayon nacreux de
-lune.</p>
-
-<p>A qui profite au surplus de prouver la
-moindre chose ? A quoi bon houspiller les
-échines de Messieurs les paltoquets et les
-honorer d’exordes comminatoires. N’est-ce
-pas, proprement, vouloir ferrer des cigales ?
-Aussi bien, nous les allons voir à l’œuvre
-et notre petit bonheur annuel est près de
-débuter. La saison s’ouvre en bâillant
-comme une huître qu’elle est. Cabotins,
-épiciers, fausses comtesses, Athéniens du
-baccara, valseuses en fer, chaperonnées de
-pères en bois, touristes à voiles verts,
-Anglaises giraffières, le déballage commence
-et la parade ambulera demain. Les gargottiers
-intoxiquent leurs potages, les valets
-de cercle machinent des portées. Le juif
-Lévy est à son pupitre et les doucheuses
-à leurs tuyaux.</p>
-
-<p>Philistins, entrez dans Bagnères ! Le
-lotus de la sottise y va donner
-sa floraison.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch2">II<br />
-LE ROI DE LA BAROUSSE</h2>
-
-<p class="c">OU <span class="large">M</span>. <span class="large">I</span>GNACE
-<span class="large">P</span>APULARD CANDIDAT AUX ÉLECTIONS GÉNÉRALES</p>
-
-
-<p>M. Ignace Papulard, docteur en
-droit, zélateur de la Société
-des Courses, membre de
-plusieurs archi-confréries et
-candidat balloté au Conseil
-fédéral, avantagea récemment
-les lettres françaises d’un opuscule
-immortel.</p>
-
-<p>J’entends le manifeste par quoi ce jeune
-Rodrigue dévoila son cœur aux collèges
-électoraux selon la bonne formule du <i lang="la" xml:lang="la">conciones</i>
-et de M. Hervé.</p>
-
-<p>A l’exemple des grands aïeux, que les
-labeurs de la guerre et les soins de la diplomatie
-n’empêchaient point de sacrifier
-aux grâces, l’éminent docteur infuse sa
-doctrine en des pages stupéfiantes de beauté.
-Sa harangue l’égale d’emblée aux gentilshommes
-qui n’estimèrent point s’encanailler
-en raffinant sur le bien dire : Montaigne,
-Salluste du Bartas, Agrippa d’Aubigné,
-Bussy-Rabutin, La Rochefoucauld
-et tant d’autres illustres — ses précurseurs.</p>
-
-<p>Il convient de louer sur toutes fleurs,
-la rose blanche, et Ignace Papulard
-entre les enfants des hommes. Jeune, verbeux,
-fait d’un air à savoir peu de cruelles,
-Marc de la Barousse n’hésite point devant
-les sacrifices les plus audacieux. Pour raffermir
-le trône et retaper l’autel, il part
-comme un bon petit Quichotte, exposant
-aux vicissitudes climatériques son crâne
-chauve et son paletot bleu — fidèle, mais
-déteint. Par les granges, sous les arbres,
-dans les auberges, il confabule avec le
-pacant et tette son reginglat. Des lumières
-l’environnent. Saint-Crétin, dentiste,
-l’offre aux peuplades agricoles « car,
-dit-il, lui seul peut guérir, sans pharmacopée,
-les maux de la vigne et le progrès
-des doctrines funestes ». O merveilleuse
-puissance de l’orviétan ! Ignace Papulard
-assoiera demain son alopécie hâtive entre
-les grosses légumes départementales. Disert
-comme la jument de Bayard, il
-parlera même sous l’eau, sans demander
-de sucre, et poussera Philippe VII avec
-un zèle de voyageur en vins.</p>
-
-<p>Notre humble rang de chroniqueur, le
-respect qu’on doit aux institutions monarchiques,
-nous imposent le devoir d’admirer
-en silence les hautes destinées où gravit
-<i>Ignacelou</i>, sans prétendre le moins du
-monde pénétrer les conseils de ce génie à
-la Talleyrand.</p>
-
-<blockquote>
-<p>« <i>Je laisse aux plus hardis l’honneur de la
-carrière</i> »</p>
-</blockquote>
-
-<p class="noindent">et me contenterai de commenter l’échantillon
-d’éloquence tribunitienne dont se pourlèchent
-encore les indigènes de Mauléon !</p>
-
-<blockquote>
-<p class="ind">« <i>Mes Chers Concitoyens</i> »</p>
-</blockquote>
-
-<p>Début simple, familier aux grands penseurs.
-Remarquons l’habileté dont M. Papulard
-évite les formules irritantes. Un
-pur aux mains sales eût apostrophé : « Citoyens ! »
-tout court : lui, ne juge pas
-inutile d’ajouter le préfixe que l’on sait,
-lorsqu’il est question de ses électeurs.</p>
-
-<p>Le docteur connaît la ponctuation et
-l’usite avec à propos.</p>
-
-<blockquote>
-<p class="noindent">« <i>Je viens solliciter pour le Conseil général
-vos libres suffrages.</i> »</p>
-</blockquote>
-
-<p>Notez la magnificence hautaine, la simplicité
-toute guerrière du discours. La
-phrase tombe dans un vague lamartinien
-qui laisse fluer la pensée, en de molles
-rêveries. Les suffrages que M. Papulard
-sollicite, les veut-il pour sa personne ou
-pour le conseil général ? Tout porte à croire
-cependant qu’il les réclame en faveur de
-ce dernier.</p>
-
-<blockquote>
-<p class="noindent">« <i>Trop souvent, on dénature le caractère
-véritable du mandat qui incombe au conseiller
-général, et pour moi, c’est un mandat
-d’affaires, que j’entends accepter et non
-un mandat politique.</i> »</p>
-</blockquote>
-
-<p>D’aucuns esprits grincheux trouveront
-peut-être la liaison insuffisante entre les
-deux idées que relie la conjonctive <span class="small">ET</span> :
-1<sup>o</sup> la pensée délicate sur la falsification du
-mandat ; 2<sup>o</sup> les intentions particulières de
-M. Papulard, à l’égard du mandat susnommé.
-Pour notre part, nous ne voyons
-en cela qu’une belle hardiesse miraculeusement
-propre à relever la composition par
-quelque chose d’imprévu et de passionné.</p>
-
-<p>Autre exemple !</p>
-
-<blockquote>
-<p class="noindent">« <i>La politique ! on la mêle à tout et pour
-tout !</i> »</p>
-</blockquote>
-
-<p>Des grimauds eussent écrit : « <i>La politique,
-on la mêle à tout</i> » suivant les errements
-de ce faquin de Vaugelas. Mais les
-porphyrogénètes dédaignent ces pratiques
-de la syntaxe roturière et se laissent emporter
-à leur bon plaisir. Par un tour
-incorrect le duc de Saint-Simon campe un
-bélître en pleine lumière :</p>
-
-<blockquote>
-<p class="noindent">« <i>Il n’avait pas le sens commun, ni fréquenté
-personne que l’on peut nommer.</i> »</p>
-</blockquote>
-
-<p>La Fontaine dit :</p>
-
-<blockquote>
-<p class="noindent">« <i>Et pleurés du vieillard, il grava sur le
-marbre ce que je viens de raconter.</i> »</p>
-</blockquote>
-
-<p>Pourquoi, le dauphin de la Barousse,
-ne jouirait-il pas d’égales privautés ?</p>
-
-<blockquote>
-<p class="noindent">« <i>Les électeurs, en ne se préoccupant que
-d’une chose, la couleur du candidat</i>, (après
-tout, si c’est leur caprice à ces gens-là,
-de n’être point conseillés par un nègre !) — <i>parfois
-indigne — souvent incapable — plus
-souvent insatiable — ont fini par faire
-arriver au pouvoir</i>… (le reste comme chez
-M. Goujat de Cassagnac).</p>
-</blockquote>
-
-<p>Je voudrais bien savoir lequel est incapable,
-indigne ou insatiable. Le candidat ?
-La couleur ? nonobstant, je m’incline, en
-déplorant l’imperfection de mon intelligence.</p>
-
-<p>Plus loin, notre Ignace, définit l’attitude
-qu’il prétend adopter « <i>au sein</i> » de ses
-confrères :</p>
-
-<blockquote>
-<p class="noindent">« <i>Or</i>, se demande-t-il par un artifice
-agréable — <i>quel est le vrai rôle d’un conseiller
-général ?</i> »</p>
-</blockquote>
-
-<p>Et d’emblée, il se répond :</p>
-
-<blockquote>
-<p class="noindent">« C’est : 1<sup>o</sup> <i>de s’occuper des affaires du
-département</i> (entre nous, je l’avais soupçonné
-avant ce jour) ; 2<sup>o</sup> <i>de s’occuper plus
-particulièrement et surtout des affaires du
-canton</i> » (Ah ! bah !)</p>
-</blockquote>
-
-<p><i>Particulièrement et surtout</i>, rappellent,
-sans l’affaiblir, la construction <i>en outre</i> et
-<i>surtout</i>, rencontrée un peu plus haut, les
-répétitions ne contribuent pas peu à donner
-au style, un énergique inattendu.</p>
-
-<p>J’omets à regret des aperçus exquis
-touchant le pacage et l’élève du bétail, à
-propos de quoi le jeune écrivain sut retrouver
-les mots du comte de Buffon. A
-travers un bosquet fleuri de catachrèses
-et de synecdoques, j’arrive à la cavatine
-finale, au thème de bravoure où le pacificateur
-du Louron exalte la bonté de son
-ours. D’accord avec son roy, il veut « <i>à
-tout prix</i> » sauver <i>le droit, la liberté, la
-propriété, l’ordre et la religion</i>. Ah ! la religion !
-Est-elle assez consolée de l’indifférence
-du temps en ces béates Pyrénées !
-Voici que pour corrober son pouvoir, le
-palatin de la Barousse, apparaît casque en
-tête et dague au poing. Spectacle édifiant !
-Comme la Hire ou du Guesclin, le baron
-Marc s’agenouille dans le sanctuaire avec
-un bruit de casseroles héroïques. Il offre
-pour les encensoirs, la myrrhe des croisades,
-le baume oriental, le cinname, qu’autrefois
-sous le nom plus modeste de cannelle,
-ses auteurs débitaient en des cornets de
-papier gris.</p>
-
-<p>J’arrête ici l’examen littéraire de l’élucubration
-Ignace Papulard. Pour la
-fin, j’ai réservé la phrase unique, la
-phrase parangon, le Kohinnor des phrases,
-dont s’empanache l’inaccessible péroraison.</p>
-
-<p>Oyez la dévotement :</p>
-
-<blockquote>
-<p class="noindent">« <i>Non ! Vous achèverez votre œuvre !
-elle est digne de vous</i> (à toi, Jacques Bonhomme !)
-<i>et moi, je me rendrai toujours
-digne de vous-mêmes</i>. »</p>
-</blockquote>
-
-<p>Rien d’approchant ne fut à ma connaissance
-proféré jusqu’à nous par les auteurs
-gaulois. L’on distingue ici l’influx du Paraclet.
-Je rementois vaguement telles grandiloquences
-prud’hommiennes ! « <i>Ce sabre
-est le plus beau jour de ma vie ! Si ce mariage
-ne peut faire ton bonheur, sois-le !</i> » et
-je m’abîme, écrasé sous les catadupes oratoires
-de ce docteur en droit qui pourrait
-aussi bien être docteur ès-lettres, mais qui
-préfère solliciter le <i>libre</i> choix du Louron.</p>
-
-<p>Puissent-ils poser sur sa tête les suffrages
-des bons ruraux !</p>
-
-<p>En le proclamant souverain définitif de
-la Barousse, les terriens de Loures manifesteront
-une jugeotte extraordinaire :
-car jamais dans le vaste
-monde, ils n’en pourraient
-trouver un autre aussi
-complet.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch3">III<br />
-LES GENTILSHOMMES DU RATEAU</h2>
-
-
-<p>Faites vos jeux, messieurs.
-Tout va. Messieurs, faites
-vos jeux. Les jeux sont faits.
-Rien ne va plus.</p>
-
-<p>Et du soir au matin,
-l’homme psalmodie l’imperturbable
-rengaine, très empesé, nonobstant
-la vâcherie des joueurs. La voix
-neutre, le regard pâle, ce <span lang="de" xml:lang="de">Kapellmeister</span>
-de la ruine mène paisiblement la symphonie
-du baccara. De tout ce qui remue autour
-des tables vertes, de toutes les avarices,
-de toutes les fièvres, de tous les désastres,
-il extrait en pièces de cent sous sa vie
-atone et régulière. Impassible, en la folie
-des gageures, au souffle démentiel courbant
-les pontes énervés, il opère et trafique,
-selon le rituel de son industrie. Il
-connaît le flux et le reflux de l’or entre
-les mains fébriles et, des vices ambiants,
-extrait des rentes, comme d’une portée de
-lapins. D’un coup de palette ou de râteau,
-il exécute les arrêts du hasard — nul
-frisson n’avivant son masque saturnien.
-Lorsqu’il mêle, indifférent, les lourdes
-portées de cartes, lorsque d’un art prestigieux,
-il enchevêtre les séquences, ou,
-correctement les étale sur le tapis, aucune
-terreur ne lui vient de ces figures aux poses
-sacerdotales et farouches, teintes de rouge
-et de noir, marquées aux couleurs du sang
-et du deuil.</p>
-
-<p>Sans broncher, il adjuge les banques,
-ramasse ou distribue les enjeux et réclame
-le silence quand les conversations s’élèvent
-ou que les colères s’exaltent. Si quelque
-malheureux, ne sachant pas encore l’art
-de tomber avec grâce, lacère les cartes
-après un coup perdu, et les lui jette au
-visage, il ne s’en émeut pas autrement.
-Le métier veut ça. Seul, il n’est pas ivre et
-garde sa bienveillance d’homme sobre pour
-tous ces malheureux inébriés d’avarice et
-de fureur. Il sait les jurons que la malchance
-apprend aux gens distingués, le
-dictionnaire des tripots, cette langue bête
-et puante comme le lieu où elle s’éveille,
-dans l’empouacrement du tabac et l’infection
-de la sueur humaine. Il compatit
-aux superstitions de ces crétins, qui, à
-l’heure de prendre une main, observent
-des rites fétichistes à déconcerter un bonze.
-Appliqué à ronger l’opulente moëlle de
-sa sottise, il a pour ses vagissements et
-ses délices des caresses de belluaire présidant
-au repas des animaux.</p>
-
-<p>Le croupier n’a pas d’âge — peut-être
-n’a-t-il pas de sexe. Il est indifféremment
-blond ou brun, laid ou beau, jeune ou
-vieux. Cependant un air de maturité ne lui
-messied pas, non plus qu’un peu de calvitie,
-sa fonction étant grave. Son costume
-varie à l’infini, depuis la mise sobre du
-gentleman habillé chez Renard, jusqu’aux
-fantaisies bariolées, sous quoi le hideux
-Alphonse dérobe ses nageoires. Toutefois
-le goût des chaînes de montre et des bagues
-volumineuses l’accompagne dans ses avatars.
-Quel que soit le milieu où vous le
-rencontrez, d’amples orfèvreries s’accrochent
-à son gilet ou fulgurent à ses mains
-noires de la crasse des tapis.</p>
-
-<p>Au moral le croupier regorge de paroles
-et d’intentions débonnaires. Il a des encouragements
-de dentiste poussant à l’extraction :
-une aménité de photographe accommodant
-le bourgeois. Des vocables
-d’un indicible euphémisme habitent sur ses
-lèvres. Pour lui, la perte de fortune est
-un « accident », la mort, « un événement
-bien désagréable ». Hors de son emploi, il
-se souvient parfois qu’il est homme et
-donne satisfaction à des instincts paisibles,
-à ses aspirations bucoliques. Il raffole de
-l’idylle en chambre, suspend à sa fenêtre
-un jardin de grisette ; il a des cyprins dans
-un bocal et sème du réséda au mois de mai.
-Il comprend les calembours et cite des
-anecdotes. Il a retenu quelques motifs
-d’opérette et les fredonne après souper. Il
-lit le compte-rendu des spectacles à la
-troisième page des gazettes, s’intéresse aux
-courses et sait mieux que personne de
-combien de longueurs <i>Miss Punaise</i> à
-battu <i>Melon III</i> dans la dernière réunion
-de Chantilly. Curieux des choses de l’esprit,
-il fréquente les petits théâtres et perfectionne
-son français par l’étude approfondie
-des nouvelles érotiques au goût
-du jour. Et le matin, quand le vent froid
-entrechoque vos membres, ô décavés,
-quand les coqs lancent des appels tragiques
-et se lamentent avec des voix humaines
-à cette heure du remords, du dégoût, de
-l’agonie et du suicide ; lorsque l’affreuse soif
-des nuits de déveine colle la langue des
-joueurs et parchemine leurs joues, il regagne
-son logis, et d’un cœur imperturbé,
-sous la pâleur mortuaire de l’aube, suppute
-le produit de son infâme labeur.</p>
-
-<p>Au demeurant, il pense bien. Il est
-pour l’ordre avant tout et soutient la religion.</p>
-
-<p>Les yeux mouillés, le cœur ému d’une
-allégresse pie, il rêve au temps où son
-épargne lui fera des loisirs, où, béat et
-monseigneurisé, il épanouira sa ventripotence
-dans le congrès des notables philistins.
-Lorsque cette modération lui défaille
-et qu’il se sent promis à de plus hauts
-destins, l’avenir n’en reste pas moins couleur
-de roses et les portes béantes devant
-lui. Son étoile se dégage et, sans encombre,
-il succède à son entrepreneur. Ainsi commencèrent
-tant d’illustres, à qui les grives
-pleuvent à présent toutes rosées, décrotteurs
-passés millionnaires, et vénérés à
-l’égal des patriarches dans le monde du
-carton.</p>
-
-<p>La femme du croupier ne se distingue
-en rien de la bourgeoise ordinaire et précoce.
-Elle fait des enfants, de la cuisine et
-tout ce qui concerne son état. Elle peut
-être accoucheuse, modiste ou maîtresse de
-piano. Dans les casinos balnéaires, il lui
-arrive, pendant que son mari travaille,
-d’assister aux spectacles et aux bals, ce
-qui ne laisse pas de jeter quelque émoi dans
-la sous-préfecture, surprise de tant d’immodestie.
-A part cette débauche, elle vit
-chez elle en matrone romaine. Elle élève
-sa progéniture, dans les saines doctrines
-et souhaite mourir au milieu d’une postérité
-d’ingénieurs et d’avocats.</p>
-
-<p>Dans la vie de province, où la part faite
-à l’esprit est nulle, où les jeunes hommes,
-privés de maîtresses par le <i lang="en" xml:lang="en">cant</i> des commères
-et la prudhommiaque austérité des
-parents, ne comprennent guère de l’amour
-que les fangeuses voluptés, dans cette
-existence somnolente où ne passe jamais le
-<i lang="la" xml:lang="la">sursum corda</i> d’une passion ou d’une idée,
-le jeu tend toutes grandes ses toiles d’araignée.
-La dame de Pique règne en souveraine
-et le croupier, son féal page, grandit
-de la bassesse environnante. Le pillard
-lucifuge croît de tous les appétits, qu’il
-exploite et qu’il sert ; des griffes, sinon des
-ailes de rapace viennent à ce chapon ;
-juché sur sa haute chaise, il voit défiler
-sans relâche les habitués du cercle, connaît
-et salue presque <i>tous ces messieurs</i>. Il voit
-les affamés qui viennent gagner leur
-dîner du lendemain fraterniser avec
-les honnêtes personnes en
-train de perdre leur argent
-et leur orgueil.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch4">IV<br />
-IMPRESSIONS DE TAPIS VERT</h2>
-
-
-<p>Au Casino de Bagnères. Le
-cotillon du bal des Pauvres
-finissait et les dernières figures
-se déroulaient dans la
-maussaderie générale, la débandade
-des cavaliers laissés
-seuls sur leurs banquettes par le départ
-de leurs danseuses. Encapuchonnées de
-blanc, le corps noyé dans l’épaisseur des
-pelisses de bal et des fichus de blonde, des
-femmes traversaient le grand salon d’un pas
-frileux et rapide comme si le vent du matin
-eût déjà mordu les places nues de leur chair.
-Au dehors, des roulements de voitures
-s’éloignaient, mêlés au claironnement des
-coqs, au tintement obstiné d’une cloche
-conventuelle sonnant le lever des religieux.
-Un rideau soulevé montrait à une fenêtre
-la tache grise de l’aube. Les flammes du
-gaz défaillaient dans les lustres enguirlandés
-de traînes de lierre, dans les girandoles
-où se fanaient des sorbes en bouquets.
-Une impalpable vapeur enveloppait les
-choses d’un brouillard subtil couvrant d’une
-teinte uniforme de poussière les couples
-attardés dans la débâcle de la nuit. Et
-c’était dans la salle maintenant trop vaste,
-une odeur fauve et troublante, un effluve
-de fleurs brûlées par la sueur des poitrines
-et la chaleur des haleines, un fumet de
-champagne répandu et de parfums évaporés.
-Sur la scène que masquaient de leurs
-végétations frêles des bambous et des
-phénix, à travers les cloches orangées et
-blanches d’abutilons aussi hauts que des
-arbres, les musiciens éreintés rabotaient
-avec résignation une valse quelconque.
-Malgré l’ennui croissant on dansait encore.
-Le conducteur du cotillon gravement distribuait
-les accessoires, consultait de temps
-à autre une note écrite sur un carnet de
-bal. Les commissaires de la fête, une cocarde
-bleue à la boutonnière, causaient
-dans l’embrasure des portes, riant très
-haut, la verve chauffée par le vin de Bordeaux
-municipal. Par une portière ouverte,
-apparaissait en pleine clarté, le pillage du
-buffet, la déroute des bouteilles vidées,
-tandis qu’au centre de la pièce, avec sa
-nappe éburnéenne et son surtout de fleurs,
-une grande table s’offrait aux soupeurs
-attardés.</p>
-
-<p>Seul, en un coin, perdu et comme absent,
-un jeune homme somnolait dans une
-attitude veule, le dos au mur. Les jambes
-pendantes, le claque glissé à terre, dans un
-avachissement d’ennui, il attendait la fin
-du bal, sans doute pour manger. Il était
-entré dans le salon de danse avec une
-poignée de joueurs décavés et affamés,
-expectant pour se faire servir, l’invitation
-de quelque obligeant ami. Et comme la
-sauterie ne s’achevait pas et que les intrépides
-menaçaient de la prolonger pendant
-une heure ou deux, avec un beau sans-gêne,
-il travaillait à s’endormir.</p>
-
-<p>Petit, court, la tête au niveau des épaules,
-il étalait dans toute sa hideur, un joli visage
-d’imbécile aimé des femmes, avec sa
-moustache blonde, ses yeux de lin aux
-paupières sigillées et l’enfantine douceur
-de son sourire bête. Une graisse de volaille
-morte, empâtait ses joues aux paupières
-meurtries, enflait ses membres gourds.
-C’était un habitué des tapis verts, une
-figure continuellement rencontrée dans les
-tripots. Hétéroclite et vague, il passait
-plus effacé qu’une ombre parmi les comparses
-du jeu. Un des premiers à commencer
-la partie, il ne se retirait qu’à l’heure
-où les garçons du cercle éteignent les quinquets ;
-une déveine tenace le poursuivait.
-Pendant des mois entiers, il perdait en
-détail les sommes qu’il empruntait de tous
-côtés. Avec une abnégation infinie, il recommençait
-les mêmes coups qui rataient
-invariablement, sans une plainte, sans une
-colère, sans une de ces fulgurations de
-dépit qui secouent en des spasmes rapides
-les joueurs les plus stoïques, mettant des
-flammes dans leurs regards et des lambeaux
-de chair à leurs ongles. Il n’en voulait pas
-à la fortune de lui être mauvaise, ni à ses
-vices de l’appauvrir.</p>
-
-<p>Malgré tous les déboires de son existence,
-il gardait la foi des lendemains,
-l’espoir d’un retour de chance qui le vengerait.
-Et souvent les derniers restés du
-funèbre « chemin de fer » qui se joue à
-quatre heures du matin, les combattants
-de cette lutte d’idiotie où chacun ne songe
-qu’à enfoncer un peu plus son voisin
-pour se refaire, avaient été surpris d’entendre
-sa voix flasque dire paisiblement :
-« Nous nous rattraperons bien quelque
-jour. Nous finirons aussi par trouver une
-main. Et puis, à quoi ça sert-il de se faire
-du mauvais sang ? »</p>
-
-<p>Cette invincible confiance lui avait valu
-le surnom sous lequel tout le monde le
-désignait et que ses amis de Casino lui
-donnaient carrément, sans qu’il s’en fâchât.
-On l’appelait le <i>Monsieur qui attend
-une main</i>.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Son histoire était connue de tous et lui-même
-la racontait volontiers. C’était inepte,
-triste et sale comme la vie. Après
-avoir scandalisé Bordeaux, la ville des cravates
-blanches, où son père gagnait passablement
-d’argent à fabriquer du Château-Laffite
-dans les prix doux et avoir affiché
-une liaison ignoble, au point que sa famille
-avait dû le chasser, il traînait sa
-misère et ses amours, dans tous les recoins
-des Pyrénées. La bohême des villes d’eaux,
-le renouvellement de ces milieux cocasses,
-l’abritait un peu, lui permettait de demander
-au baccara de quoi payer l’auberge de
-l’exil. Mais les cartes n’étaient pas prospères,
-les notes chômaient longtemps et
-les hôteliers assaisonnaient d’insolences les
-repas qu’ils lui servaient. Heureusement il
-avait le cœur et l’appétit robustes et ne se
-décourageait pas pour si peu. Partout il
-était chez lui et perpétuait ses installations,
-habitué aux vides que creusent, dans les
-stations thermales, les saisons finissantes,
-acharné jusqu’au dernier jour à subjuguer
-la fortune. A Cauterets, à Luchon, à Bagnères,
-partout où, sous couleur d’hydrothérapie,
-on tripote du carton et l’on soupe
-avec des filles, il s’éternisait, dînant aux
-tables d’hôte, se gargarisant aux buvettes,
-expliquant aux nouveaux venus les paysages
-et les douches de l’endroit. Cela
-durait depuis des années. Depuis des années,
-aussi, il remorquait cette maîtresse
-par qui ses déboires avaient commencé,
-une grande brune laide, fanée, sans race
-et sans grâce, dont le nez suintait sous
-un enchifrènement perpétuel et qu’il adorait.
-C’était pour elle qu’il s’était condamné
-à tant de grotesques souffrances,
-qu’il avait répudié toute vergogne, frayant
-avec les grecs, tutoyé par des croupiers,
-si déchu que même dans le monde des
-joueurs, on le prenait en pitié. Et ce crucifié
-d’amour gardait parmi tous les hasards
-sa sérénité stupide de gros bébé.
-Sans le sou, ne possédant pour vivre que
-l’argent des cartes, il en était venu à garder
-les louis que « sa femme », ainsi qu’il la
-nommait, glissait parfois, le matin, dans son
-gilet. L’opprobre et la rancœur des choses
-qu’il vivait, ne mordaient pas sur lui.
-Dans la détente de son orgueil, dans la
-fuite de toute volonté, il se plongeait,
-comme en un bain d’indéfectible repos.
-Le pain de la douleur lui profitait.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Mais une fanfare jaillit de l’orchestre
-subitement réveillé. Le cotillon était fini.
-Deux par deux, les couples défilaient pour
-la promenade finale, armés d’engins charivariques,
-mirlitons, crécelles, trompettes et
-violons à quatre sols. Sur un signe du conducteur,
-les pistons attaquèrent la
-marche du Prophète et ce fut un
-vacarme épouvantable qui jaillit
-de toute la salle, accompagnant
-le thème auguste
-de Meyerbeer.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch5">V<br />
-BOURGEOIS DE BAGNÈRES DE
-BIGORRE EN 1886</h2>
-
-
-<p>J’ai sous les yeux cette furieuse
-estampe de Rembrandt : Saint
-Jean dans le Désert. Un
-plateau cendreux, aduste, et
-comme vitrifié par endroits,
-que surplombent de noires
-falaises. L’aride et le nu du roc vif, sans eau
-ni végétal. Un peuple éreinté de sommeil,
-prostré devers le sol, regardant avec des yeux
-vides l’halluciné qui le harangue. Debout,
-sur un mamelon effrité, le précurseur clame
-son rêve messianique, insoucieux de toute
-chose hormis de l’idéal. Le souffle de la
-mort rétracte ses lèvres d’où fulgure sur
-le vieux monde l’orage des malédictions.
-Son maigre corps, serré dans une loque,
-le capuchon nimbant sa tête creuse, le
-geste fanatique et bourru, tel surgit, en
-sa laideur fiévreuse, l’ancêtre des moines
-tourmenteurs !</p>
-
-<p>A vrai dire, près d’un tel homme, le
-père Janvier semble un peu terne et le
-comte de Mun tout à fait idiot.</p>
-
-<p>— Qu’importe à l’ascète l’horreur brûlante
-de sa tanière, l’obtuse indifférence
-des auditeurs ! Une voix lui parle. Hors du
-contingent et du concret, l’extase le ravit.
-Un dieu l’emporte vers les cîmes, lui
-découvre une justice nouvelle et, huées
-du farouche Thabor, les hordes noires des
-Barbares à venir, les destructeurs de toute
-harmonie sociale et de toute beauté.</p>
-
-<p>Au premier plan, dans une lumière — on
-dirait — apaisée, trois bourgeois pérorent
-avec un dégoût manifeste, improuvent
-ces ardeurs de colère et de foi. Leurs vêtements
-sont amples, levés dans des étoffes
-opulentes et durables — et faits d’un air
-cossu qui, d’abord, les signale pour des
-gens arrivés. De larges tiares, copieuses en
-broderies, cerclent leurs tempes grisâtres
-et leur personne entière montre un air de
-délibération, effet de la richesse autant
-que de l’estime où chacun les tient. Pour
-les visages, rien ne se peut imaginer de
-plus bassement laid. Pas un scrupule d’intelligence
-ou de passion. Ce sont bien là
-des marchands, inaccessibles à toute vérité
-d’ordre surnaturel. L’astuce, la goinfrerie,
-la lésine, la sottise poltronne déprimèrent
-ces faces, creusèrent ces rides,
-ignoblement. A coup sûr, ce sont des gens
-pieux, madrés en leur négoce et qui reluisent
-aux fins de mois. Aussi de quel
-mépris toisent-ils le mangeur de sauterelles,
-l’essénien prêchant la détestation
-du riche et la communauté. L’ahurissement
-du pleutre qui ne saisit pas, s’unit
-en leurs discours à la haine du banquier
-menacé dans son argent. Pourtant, ici,
-le grotesque domine, le trio de pieds-plats
-fait songer à certaines planches de
-Daumier, le cruel historien des bureaucrates ;
-d’un Daumier gigantesque et promu
-à la vie sublime du grand art.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>J’ai retrouvé, sur mainte hure bagnéraise
-l’expression lamentable et caricaturale
-de mes trois pharisiens. Un arrêté
-du préfet de police, le grand architinclin des
-belles petites et des chevaliers du râteau,
-vient d’interdire à grand tapage les jeux
-dits de hasard, dans les stations thermales.
-On a saisi les engins de toute espèce,
-les râteaux, les jetons, les chevaux
-de bois, les mascottes, ingénieux déguisement
-de la roulette proscrite, et renvoyé à
-leurs chères études, les filous cosmopolites
-dont se parent les Kursaals. Là-dessus,
-cris, fureurs, malédictions. On se
-fût cru dans Rama, au temps que Rachel
-lamentait ses enfançons. A Bigorre, comme
-ailleurs, l’exécution n’alla point sans quelque
-tapage et grincements de dents. Des
-voix éplorées gémirent chez Veaudelet.
-Polycarpe Remora, dit le bourreau des
-gueux, Polycarpe dont le claque-dents prêtait
-asile au monde des petits baigneurs, des
-ouvriers et des gens de peine, curieux
-d’être dévalisés, pleure des larmes de crocodile
-sur son industrie méchamment
-mise à mort. Le tenancier du casino,
-drapé dans sa majesté de père-noble, tonitrue
-avec les gestes du cardinal Brogni et
-menace de fermer sa boutique.</p>
-
-<p>L’esprit s’accoutume avec peine à la
-superlative barbarie d’un pareil châtiment.</p>
-
-<p>Quoi ! jusqu’à la fin de septembre, les
-<span lang="it" xml:lang="it">dilettanti</span> de passage ne pourraient plus
-ouïr la <i>Dame Blanche</i> et <i>Si j’étais Roi</i> !
-Le <i>Grand Mogol</i>, comme <i>Achilleus</i> sous
-sa tente, disparaîtrait dans les jungles de
-Delhi ! Le ténor Dumollard, ce luth, et
-Mademoiselle Trop-de-lilas, cette harpe,
-résorberaient leurs tons ! Et tout cela pour
-éviter la ruine de quelques familles, le
-déshonneur des jeunes hommes, le désespoir
-des mères, les tragédies boueuses et
-sanglantes sur quoi les entrepreneurs de
-casinos écrêment leurs profits. A d’autres !
-Nous prend-on pour des faquins ? Qu’une
-femme se noie, qu’un enfant de vingt ans
-se brûle après quelques nuits, où, d’accord
-avec les croupiers municipaux, les grecs
-ont arraché de ses mains le bien patrimonial,
-est-ce là de quoi mener si grand
-bruit quand la cagnotte marche et que
-Monsieur Delaroulette est satisfait ?</p>
-
-<p>Pour mettre fin à ce scandale, et rendre
-aux amateurs passionnés de musique les
-organes éoliens qui tant nous ont charmés,
-les éphores de la ville se déboutonnèrent
-d’une protestation vraiment ingénieuse, où
-la moralité, l’organisation savante et la
-délicatesse du cercle de Bagnères sont exaltées
-comme il faut. Une localité si bien
-pensante, en effet, ne peut tenir un vulgaire
-brelan. C’est avec des tarots présanctifiés
-que l’on cartonne sur ses tapis.
-Un tripot, le casino de Bagnères ! Oh !
-que nenni, mais une académie fermée à
-double tour, aristocratique et pieuse, moitié
-salon, moitié sanctuaire, où l’on ne coudoie
-que fleurs héraldiques, où l’on n’entend que
-propos à la Champcenetz. Depuis l’affaire
-Tigaud — un gentleman retiré dans
-sa villa de Poissy — l’on garde les cartes
-comme des infantes. On les environne de
-précautions merveilleusement combinées
-qu’un escroc de médiocre intelligence les
-peut connaître en un clin d’œil. Le reste
-n’est qu’un jeu pour l’adresse des philosophes
-à qui d’ailleurs le personnel des
-tables chaudes est toujours prêt à servir du
-gâteau, malgré l’honnêteté de quelques
-subalternes et la vigilance des ayants-droit.
-Mais c’est un fait indéniable, que jamais
-un grec ne pénétra dans Bagnères, que ses
-habitants professent une aversion marquée
-pour la poussette et le louis qui tombe,
-que sa maison de conversation est un site
-où les mœurs s’épurent, en même temps que
-l’esprit se familiarise avec les chefs-d’œuvre
-escarpés.</p>
-
-<p>Le document de nos « édiles » a trouvé
-près de l’administration préfectorale, un
-concours d’autant plus suave que des schismes
-politiques divisaient ces pouvoirs. On
-combla les fossés, — l’on oublia les querelles
-et l’on s’embrassa, comme, après la
-mort de Juliette, les Capulets et les Montaigus.
-Que les « blaireaux » paient de leur
-fortune, ou même de leur couenne, cette
-heure bénévole, quel maroufle hypocondriaque
-oserait fronder là-dessus !</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Voilà quels événements agitèrent Bigorre
-et ses faubourgs. Les endroits publics
-regorgent d’yeux écarquillés et de
-lippes bavardes, commentant la décision
-ministérielle à ne plus finir, proposant avec
-abondance d’ineptes éventualités. Il y a
-là comme un bruit de grenouillère où
-vient choir un pavé. Seulement au <i>brékékékeh</i>
-du divin Aristophane succèdent des
-aperçus écœurants de trivialité. Qui l’emportera
-dans ce duel tintamarresque, où
-la ville, représentée par ses élus, joue le
-personnage de mestre-de-camp ! Souhaitons,
-pour en finir avec ces rabâchages,
-que le monde où l’on triche ait partie
-gagnée, par l’or ou par le fer, et que l’écharpe
-de Pallas, flotte comme devant sur la
-Tour de l’Horloge.</p>
-
-<p>Et peut-être, un soir, apprendrons-nous — sans
-chagrin du reste — que les vertueux
-défenseurs de la cagnotte y laissèrent,
-par la main de leurs enfants, quelque formidable
-rançon.</p>
-
-<p>Alors, les yeux dessillés par une mésaventure
-personnelle, ils comprendront,
-sans doute, à quel singulier rôle ils se
-voulurent commettre, et que l’ignorance
-est un crime aussi.</p>
-
-<p>Car enfin que répondraient-ils, ces chevaliers,
-ces purs, ces catholiques, si quelqu’un
-leur proposait en face de tenir — même
-par procuration — un
-établissement de filles ou
-un comptoir de bonneteau ?</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch6">VI<br />
-BULLETIN DE VOTE.</h2>
-
-
-<p class="date"><i>Bagnères de Bigorre, 1886.</i></p>
-
-<p>J’ai reçu, ce matin, un imprimé
-de forme oblongue, contenant
-mes nom, prénoms, domicile
-et vertus, mais d’une
-réserve charmante, au sujet
-de mes ans. Cela remis par
-un sergot — irisurbaine — et dénudé de
-toute enveloppe. Mon cœur électoral a tressailli ;
-car vous supposez bien que ce papier
-fatidique, n’était rien moins que la carte
-m’autorisant à circuler sur le trottoir du
-suffrage universel. Dimanche et quelque
-peu les jours suivants, s’il plaît aux candidats
-couchés dans le hamac du ballottage,
-les entendoires bagnérais auront à prononcer
-entre Monsieur Troussemêtre, qui
-en sa qualité d’arpenteur, doit tenir un plan,
-et le docteur Cazalas, jaloux de médicamenter
-notre belle patrie. A vrai dire, je dois beaucoup
-à ces messieurs, pour le soin qu’ils
-prennent d’égayer les murs de proclamations
-versicolores. Je n’ai point lu le texte de leurs
-papiers, à cause que le verbe constitutionnel
-n’entame point, sans douleur, ma caboche
-ignorante. Mais les beaux placards, usités
-pour le raccrochage des suffrageants, amusent
-l’œil de leur polychromie, et le préparent
-aux oiseaux imprévus, aux étoffes
-estomirantes, qu’importent dans nos murs
-les Landes et le Gers.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Pour le restant, Bagnères montre la gaieté,
-d’un champ de betteraves, dans un jour
-brumeux. Le Casino, peu sorti de ses fondations,
-unit agréablement les plâtriers
-aux dames indigènes, de quoi résultent
-force erreurs et confusions de maquillages.
-Les comédies fossiles alternent dans la
-salle des fêtes avec les renâclements du
-ténor sans voix et les ingénuités de chanteuses
-quinquagénaires. Joignez la laideur
-crue du badigeon, la présence inéluctable
-des mêmes spectateurs, et vous imaginerez
-sans doute l’allure pénitentiaire de
-ces divertissements.</p>
-
-<p>L’obstination qui caractérise les hôtes
-du Casino avec l’inamovibilité du répertoire,
-y donnent une sensation macabre
-d’ennui rétrospectif. Les visages restent les
-mêmes, allégés d’incisives et soulignés de
-pattes d’oie ; les tailles se déforment, et
-telle qui s’essouffle aujourd’hui en des
-valses commémoratives, bondissait aux
-rythmes printaniers, voici quelque dix-huit
-ans.</p>
-
-<p>Il sied d’admirer la force d’âme à rendre
-capable d’endurer après des lustres, la
-<i>Rose de Saint Flour</i> ou <i>les Dragons de
-Villars</i>.</p>
-
-<p>Une autre cause de tristesse est l’absence
-de joueurs qui fait pousser des
-champignons dans le tiroir de la cagnotte
-et substitue la dèche crapuleuse aux pêches
-miraculeuses de l’été. L’auguste influence
-qui supprima — fort à raison d’ailleurs — l’inepte
-pornographie des opérettes, devrait
-bien suspendre aussi le passe-temps
-de <i>la Mascotte</i>, où les petits jeunes gens
-compromettent le repos de leurs nuits et
-l’avarice de leurs ascendants.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Le ciel tout gris, le ciel ouateux d’après
-l’orage, descend en brume fine jusqu’au
-ras des coteaux. Les blanches routes aux
-candeurs marmorales ignorent les sveltes
-promeneuses et le gai fracas des excursions.
-Un petit âne chargé de bois, un pâtre
-sur le chemin de hautes bergeries et dans
-leurs tape-culs, les courtiers d’élection,
-promenant la sottise au grand air, voilà
-pour le paysage. La campagne s’endort au
-clapotement des eaux troubles, au gargouillis
-des branches égouttées. La pluie
-incessante avive et rajeunit le ton laqué des
-feuilles, depuis le vert noir des aunes, jusques
-au pâle argent de l’osier.</p>
-
-<p>Et c’est une gloire verte des bois et des
-prairies, des gazons où s’enorgueillit la
-claire dentelle des frênes, la découpure
-savante des yeuses, la pourpre jaune des
-sorbiers, l’aile tremblante des sycomores.
-Renaisse le bon soleil, ami des plantes et
-des hommes, le soleil qui fait bourdonner
-aux blessures des chênes les scarabées de
-lapis et d’or ! Renaisse le bon soleil et
-tremblantes dans leurs robes de printemps,
-les belles dames inscriront
-sur les hêtres débonnaires des
-chiffres de jeunesse et de
-coquet amour.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch7">VII<br />
-CONCERT NOCTURNE</h2>
-
-
-<p>Hier au soir, dix juillet, la
-moleskine officielle appesantie
-de visages autochtones,
-un gros d’artistes lyriques
-préludaient à leurs glapissements
-par l’exécution de
-<i>Madame Angot</i>, cette primeur !</p>
-
-<p>Heureusement, ce soir-là, des pentes de
-<i>Salut</i> aux chênes de <i>Labassère</i>, les arbres
-étaient mouillés de clair de lune. Sous le
-couvert des frênes, le long des rus bavards
-entre les pieds de menthe, un orchestre
-de parfums menait le branle des esprits.</p>
-
-<p>Au plus haut des frondes étagées, à
-travers les rameaux qu’empreint un bleu
-phosphore, des lampes sidérales clignotaient,
-vertes comme des émeraudes, sanglantes
-comme des rubis, laiteuses comme
-l’opale, brillantes comme le diamant. L’eau
-pétillait sous les viornes avec toutes sortes
-de <i lang="it" xml:lang="it">grupetti</i>, vocalises et <i>appoggiatures</i>, satisfaite
-autant qu’une diva patentée de ce
-gongorisme musical. Mesdames les fleurs
-en robes de gala, s’asseyaient pour entendre
-sur les coussins verts des prairies. Les
-narcisses, vêtus de lampas aurore, comme
-il convient à des princesses mythologiques.
-Les myosotis, en crêpe turquoise, passequillés
-d’or faisaient valoir des grâces de
-<i lang="en" xml:lang="en">Keepsake</i>. Les campanules désinvoltes rehaussaient,
-d’un œil de poudre, leur parure
-de chanoinesses et déferraient de quelques
-impertinences les pâquerettes, ces bourgeoises.
-Des pensionnats de clématites roulaient
-avec candeur sur la mousse des
-roches. Les bras nus, la gorge au vent,
-sous les palmes des houblonnières, les
-églantines riaient aux scarabées audacieux
-et corrects, à leur beauté bête d’officiers
-vainqueurs.</p>
-
-<p>C’était une merveilleuse assemblée et
-digne en tous points du spectacle attendu.
-Le gong des crapauds annonçait les entr’actes.
-Une escorte de lucioles ramenait à
-leurs carrosses les belles invitées, piquait
-dans l’herbe mille torches vivantes.</p>
-
-<p>A vrai dire, la fête manquait un peu de
-cette animation chère à nos joviales compatriotes
-et maintes corolles spéciales à
-leurs chapeaux ne l’honoraient point de
-leur présence. Mais ce sont là des revers
-sur quoi l’on se résigne volontiers.</p>
-
-<p>On ne saurait imaginer d’ailleurs, exécution
-plus triomphante, auditoire plus
-recueilli. Dans son duetto avec la fontaine,
-le rossignol provoqua des élans d’admiration,
-nonobstant les épigrammes d’une
-chevêche lettrée, adverse à toute espèce de
-ténor. Le grillon parut abuser aussi de
-son agilité sur le <i lang="it" xml:lang="it">forte piano</i> et prolonger
-outre mesure ses dislocations. Une vieille
-cigale, son amie, l’excusa sur ses mauvaises
-mœurs, et que depuis la fenaison, il se
-grisait chaque jour abominablement.</p>
-
-<p>Les pieds poudreux, un brin de chèvrefeuille
-aux dents, l’oreille pleine de souffles
-harmonieux et la poitrine élargie aux
-brises de l’été, vous ouïrez demain la symphonie
-lunaire, vous boirez aux calices
-patents le vin fantasque de la nuit.</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">« <i>De la nuit, Vierge Mère impalpable qui baigne</i></div>
-<div class="verse"><i>Tous les jeunes émois de ses silences gris</i> »</div>
-</div>
-
-<p class="noindent">et vous ne me demanderez plus quels
-couvreurs en retrait d’emploi, quels mineurs
-matrinicides, chantent, de huit à
-onze, la mère Godichon, sous peine
-d’être classés bien au-dessous des
-mollusques gastéropodes, au
-niveau des lecteurs de
-M. Georges Ohnet.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch8">VIII<br />
-FÊTE NATIONALE</h2>
-
-
-
-<p>« <i>Un beau soleil a fêté ce grand
-jour</i> »</p>
-
-
-<p class="noindent">comme au temps de la première
-manifestation, lorsque
-ce pauvre Flesselles, se chargea
-de fournir le <i>sang impur</i>. Les échevins
-bagnérais ont témoigné de leur fidélité
-monarchique par une singulière abstinence
-de pétards. J’avoue pour mon compte,
-adhérer petitement à ce jeûne pyrotechnique.
-Quel que soit le culte en exercice,
-il ne me déplaît point qu’on le récrée de
-fusées volantes. Cela repose un peu de la
-conversation des naturels. La Sainte-Cécile
-et l’Harmonie des pompiers ont alterné
-leurs fanfares exquises de civisme et d’éclat.
-Un des principaux éléments de nos réjouissances
-nationales, j’entends l’intoxication
-par les alcools, n’a point failli dans
-ce beau jour, que j’appellerai volontiers
-la <i>Saint Pochard</i>, si le premier janvier
-n’était baptisé la <i>Saint Concierge</i>, depuis
-longtemps.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Les embellissements du Casino marchent
-avec lenteur, en dépit de la canicule. Soigneusement
-épilé de tout feuillage, le parc
-offre l’aspect gracieux d’un steppe au grand
-soleil. Par contre, aux jours de pluie, les
-talons s’impriment en boue de la façon la
-plus marécageuse qui soit. Les scies grincent
-dans la pierre et la truelle sévit,
-comme aux beaux temps de la concession.
-Un progrès toutefois s’impose en ce jardin :
-c’est de complanter la maîtresse pelouse
-avec des tessons de bouteilles, relevés çà
-et là de quelques plumeaux touffus,
-à l’ombre de quoi, l’on acclimaterait
-aisément la vipère bérus
-et le serpent à sonnettes.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch9">IX<br />
-BAGNÈRES DE BIGORRE</h2>
-
-
-<p class="date"><i>2 septembre 1886.</i></p>
-
-<p>Notre petite ville si riante au
-cours de la saison, montra,
-ces jours passés, une surprenante
-animation. L’on eût
-dit, que pour faire accueil à
-ses visiteurs, Bagnères se fût
-mise en frais de coquetterie, en multipliant
-sous leurs pas, les amusements de toutes
-sortes. A l’instar des grandes stations,
-notre paisible « endroit » a sa « grande
-semaine » qui ne le cède en rien à celles de
-Deauville, Luchon, Dinard et tous lieux
-renommés. Aux sportsmen, la Société des
-Courses offre une réunion embellie par
-tout ce que les haras pyrénéens recèlent
-de gentilshommes ; aux favoris de Terpsichore,
-la mairie donne, dans les salons
-princiers du Casino, des bals d’une rare
-magnificence, où l’éclat des toilettes rehausse
-encore le choix du personnel ; aux
-amis d’une franche gaîté, la Commission
-des fêtes exhibe des mâts de cocagne,
-avec leur couronnement obligatoire de gallinacées
-en putréfaction ; aux <span lang="en" xml:lang="en">babies</span>, le
-prépotent Fauré ouvre l’Eden des sauteries
-infantiles, ce prélude aux jeux dont
-Tissot écrivit le manuel. Enfin pour les
-bourgeois, qu’effarouchent la dépense et
-le bruit, nos verdoyantes promenades se
-parent de leurs plus clairs soleils. Mais,
-par-dessus toutes les attractions, celles
-du luxe comme celles, non moins pénétrantes
-de la nature, le « clou » des réjouissances
-fut la cavalcade en masques, organisée
-par quelques jeunes <span lang="en" xml:lang="en">fashionables</span>,
-d’accord avec les notables commerçants.</p>
-
-<p>Notre compaing en journalisme, M.
-Ignace Papulard, que les graves soucis de
-la vie publique n’empêchent point d’être
-tout à tous et d’entendre, mieux que personne
-au monde, ces sortes de passe-temps,
-a droit à l’hommage de notre gratitude. Il y
-a dans M. Papulard — comme dans César — du
-dandy et du chef d’armée. C’est
-pourquoi nous le voyons si merveilleusement
-propre à gouverner les masses, dans
-un but de conquête ou de simple agrément.
-<i lang="la" xml:lang="la">Dux !</i></p>
-
-<p>Donc la chevauchée à laquelle se complurent
-nos compatriotes et leurs amphitryons,
-naquit d’un sien concept, uni au
-désir de quelques éphèbes cagneux, jaloux
-d’exhiber, en tutus roses, leurs secrètes
-difformités. Le succès décora leurs efforts
-et la recette — nous dit-on — atteignit
-un chiffre inespéré. Qu’ils goûtent la pure
-joie d’adoucir quelques misères ; la journée
-fut deux fois bonne, pour le plaisir et pour
-la charité.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Les étrangers affluent dans nos murs : le
-modeste « congé » coudoie l’élégante Parisienne,
-les Thermes sont forcés de débiter
-les eaux ménagères, pour satisfaire à
-l’incroyable empressement des
-baigneurs. Personne d’ailleurs
-ne paraît s’apercevoir de
-la substitution.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch10">X<br />
-SUPPRESSION DES JEUX</h2>
-
-
-<p>L’on a fort épilogué, touchant
-la décision du préfet de police
-par quoi le cercle chôme
-depuis huit jours. Certes
-rien n’est plus moral que de
-combattre la funeste passion
-du jeu, dans les municipes voisins et d’y
-protéger contre les écornifleurs, la ponte
-bécassière. Mais une telle mesure est
-inapplicable dans Bagnères où l’on entoure
-les joueurs d’une véhémente probité.
-Aussi, malgré les récriminations de quelques
-esprits grincheux, malgré certaines
-déclamations dictées bien plutôt par de
-basses rancunes que par la soif du vrai,
-nous n’hésitons pas à redemander, la réouverture
-du boudoir à tapis vert.</p>
-
-<p>Le cercle du Casino est l’habitacle d’un
-monde choisi, avec lequel on a tout bénéfice
-à perdre quelque somme. Pour notre part,
-nous avons distribué, dans l’espace de
-deux ans, la bagatelle de 20.000 louis aux
-diverses réunions florissant alors dans notre
-bonne ville et quand nous songeons aux
-fruits que nous retirâmes de ce faible débours,
-il nous vient une confusion d’avoir
-si chichement payé. Ce prix dérisoire nous
-valut quelques-unes de nos meilleures relations :
-la familiarité de Gaspard le Huron ;
-le <span lang="en" xml:lang="en">shake-hands</span> du vénérable Escarmouche ;
-le droit de tutoyer Martin et de recourir
-à l’obligeance de P. Tapa, le plus serviable
-des hommes — au denier deux. Pas une
-crapule n’a gîté dans Bigorre, au cours de
-ces nuits-là ; pas une arsouille, pas un
-truand, pas un marlou, près de qui je n’aie
-connu la philanthropique douceur de prendre
-place, en attendant la main. « <i lang="la" xml:lang="la">Homo sum</i>… »
-Pas un goujat qui ne m’ait soufflé son
-brûle-gueule au visage ! Pas un nigaud qui
-ne m’ait abreuvé de sornettes ! Pas un croupier
-qui ne m’ait salué par mon nom !</p>
-
-<p>De telles acquisitions contre une misérable
-dépense ! N’est-ce pas tout profit
-pour le récipiendaire et, comme disait
-Gavarni « beaucoup d’honneur pour son
-argent. » En vérité qui se voudrait plaindre ?
-Quelque bardache, tout au plus.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Les représentations théâtrales poursuivent
-d’un cours égal leur triomphante carrière.
-La troupe lyrique et celle de comédie
-(<i lang="la" xml:lang="la">amant alterna camenæ</i>…) charment les
-doubles échos de la bonbonnière Saint
-Jean et de la salle des Fêtes. Ne reculant
-guère devant les sacrifices — même périlleux — quand
-il s’agit de l’art et de ses
-abonnés, M. Fauré nous révéla naguère
-un ouvrage inédit, ou peu s’en faut, dont
-l’originalité, la fantaisie et la verdeur nous
-ont su procurer une jouissance artistique
-aussi vive qu’inattendue. La chose est, sauf
-erreur, baptisée, <i>Les Dragons de Villars</i> et
-passe communément pour une œuvre posthume
-d’Hector Berlioz. Dans cette partition,
-d’un style harmonieux et coulant,
-abondent les motifs aisés à retenir. Aussi
-avons-nous ouï sans trop d’ébahissement
-des chœurs de jeunes hommes aboyant à sa
-sortie</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">« Je me disai… ai</div>
-<div class="verse">Quand tu passai… ai ».</div>
-</div>
-
-<p>D’autres partitions de moindre importance,
-des vaudevilles à foison, des drames
-par centaines et des saynettes par milliers ;
-une fête nocturne dans les jardins du
-Casino, de quoi le besoin se fit sentir du
-jour où la température basse permit d’espérer
-une moisson flatteuse de bronchites
-et de rhumes de cerveau : tel est en résumé
-le bilan des allégresses bagnéraises.
-Soyons fiers et bénissons avec nos
-hôtes le sagace cornac auteur
-de ces loisirs.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch11">XI<br />
-OUVERTURE DE LA CHASSE</h2>
-
-
-<p class="date"><i>Bagnères de Bigorre, 7 septembre 1886</i></p>
-
-<p>L’ouverture de la chasse exécutée
-par un lutrin d’acéphales,
-peuple de résonnances
-imbéciles les coteaux et les
-bois. La vénerie au petit
-pied est à coup sûr un
-des moyens topiques dont use la classe
-moyenne pour faire patente son incurable
-stupidité. Aucun spectacle n’est
-plus idoine à éjouir les quadrupèdes de
-tout pelage que l’aspect d’un huissier en
-tenue de guerre, ou le ventre d’un tabellion
-bedonnant sous son carnier. J’imagine
-que les oiseaux de divers ordres
-garés des fusils maladroits, s’esclaffent aux
-dépens des boutiquiers cynégétiques. Le
-hérisson débite au lièvre maintes pointes,
-touchant les gabatines qu’il leur donna ; le
-connil, cette crapule forestière, leur fait la
-nique au bord des haies ; le geai les siffle,
-et le chat-huant les vitupère ; la bécasse
-prend en pitié la niaiserie de leurs apophthegmes ;
-et du creux des châtaigniers, la
-buse en parle à l’émouchet, son compère. — Eux,
-vont toujours, sans même soupçonner
-l’ironie des bêtes et des choses ; la grimace
-cachinnatoire du soleil goguenard qui leur
-bleuit la trogne et vermillonne leur sinciput.</p>
-
-<p>Puis le soir tombe et les bestioles vengées
-se livrent sans contrainte aux passions
-affectives, dont Toussenel les a si libéralement
-gratifiées.</p>
-
-<p>Celui de tous les écrivains qui s’est le
-plus attendri sur les déjections naturelles,
-j’entends le père Michelet, n’a pas manqué
-d’attribuer aux moindres volatiles de suprêmes
-amours et de rares pensers. Volontiers,
-il s’extasie sur la vaillance des
-guêpes et le grand cœur des pingouins…
-Sans communier aussi largement de l’âme
-des choses, nous ressentons un fraternel
-émoi pour tant d’innocentes et gracieuses
-formes de la vie. Les oiseaux surtout,
-amis de la chaumière et du labour, portent
-une grâce augurale et pour ainsi dire
-sacrée. La caille, au plumage couleur de
-terre et de blé ; le virevent, qui fuse le long
-des saulaies comme un éclair d’émeraude
-et de lapis ; la perdrix, si délicatement
-fourrée d’une peluche bleuâtre où saignent
-des gouttes de corail ; et par-dessus tous,
-la vaillante alouette qui porte au plus haut
-ciel l’allégresse des laborieux matins, ne
-sont-ils pas la voix même, le chant humble
-et doux du terroir natal ?</p>
-
-<p>Je ne pense pas que ces considérations
-empêchent Messieurs les chasseurs de tirer
-au poil et à la plume, ni les maîtres-queux
-d’étendre leur butin sur de fines rôties.
-Nous déplorons seulement que la chair
-humaine n’ait point la saveur du lapereau,
-sans quoi nous proposerions à quelques
-snobs galipoteux, de remplacer les victimes
-ailées dont nous nous délectons.</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Le dernier feu s’éteint sur la lande embrumée :</div>
-<div class="verse">Plus de flamme aux carreaux, aux toits plus de fumée.</div>
-<div class="verse">La note des crapauds vibre, seule, et la nuit</div>
-<div class="verse">Sous ses voiles de crêpe endort ce faible bruit.</div>
-<div class="verse">Les étoiles ne sont pas encore allumées,</div>
-<div class="verse">Silencieusement des brises embaumées</div>
-<div class="verse">Passent sur le sommeil des moissons et des bois ;</div>
-<div class="verse">Une clarté se pose au faîte blanc des toits</div>
-<div class="verse">Et de taches d’argent sème la terre brune :</div>
-<div class="verse">Voici qu’à l’orient, là-bas, monte la lune.</div>
-</div>
-
-<hr />
-
-
-<p>Le premier bal de la ville, commencé
-lugubrement, a secoué peu à peu son allure
-mortuaire et jusques vers l’aurore, papillonné
-clopin-clopant. Quelques gracieuses
-femmes, un soupçon de toilettes, les valses
-émergeant de bambous tout en fleurs,
-l’or du gaz sur les moulures pâtissières,
-en la salle dite des Fêtes, cela ne suffit
-point à galvaniser l’ennui dont Bagnères
-affadit ses visiteurs. Certaine robe d’un
-provincialisme excessif suscita de courts
-élans de gaieté, fournit aux désheurés du
-lendemain, le motif d’une agréable conversation.
-L’on rapporte que plusieurs convives
-autochtones portent encore du
-mal au cœur, pour s’être ingurgité
-sans mesure, l’orgeat gratuit
-et les sandwiches sébacées
-des festivals
-municipaux.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch12">XII<br />
-IMPRESSION DE <span lang="en" xml:lang="en">MID-SUMMER</span></h2>
-
-<p class="c">DU VAL DE PAYOLLE, LE DIMANCHE DE LA
-SAINT JEAN D’ÉTÉ</p>
-
-
-<p>Décortiqué,
-l’aubier fendu sous
-des coins ligneux, le pin surgit
-entre les pals qui l’étançonnent,
-mitré de fleurs,
-chappé de branches avec
-l’appareil d’un fantôme roi.</p>
-
-<p>Un orage fermente dans le ciel, torpide,
-rubéfiant l’azur de tonnerres avortés. C’est
-la pesanteur des midis électriques, aggravée
-aux fades exhalaisons des tilleuls. Ferments
-d’alcôve où se souvient le musc des
-chevelures, frissons du rut universel, orgasme
-des sèves pâmées si lourds aux
-poitrines humaines.</p>
-
-<p>De vers le ponant, aux fins de l’horizon,
-une rougeur étale, un abîme de sang cuivreux
-où se détermine en silhouette l’ogive
-mince des peupliers. En haut, le bleu lucide,
-l’onde claire d’un outremer déjà
-pâli. Des hirondelles incisent de leur aile
-noire les volutes pourpres des nuées. Tragiques,
-des flammes s’écroulent du zénith
-à l’occident. Et, dans une seule apothéose,
-vers l’incendie astral qui s’effondre et
-s’échaffaude, monte, d’abord fumée, l’embrase
-inepte et glorieux du <i>haillat</i><a id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_2" href="#FNanchor_2"><span class="label">[2]</span></a> Haillat, bûcher, en dialecte gascon.</p>
-</div>
-<hr />
-
-
-<p>La foule stupide comme il convient.
-Des avoués sont venus là, concomités de
-leurs épouses, flanqués de leurs marcassins.
-Des guenipes aussi professionnellement.
-Des blousards — maternels avec
-excès — érigent à pleins bras leurs mômes
-englués de morve et de sucre en bâtons.</p>
-
-<p>Bannières en tête, chantres au flanc,
-voici le clergé nasiférant des cantiques.
-Autour du bûcher les vicaires génuflectent,
-goupillonnent et saluent, tandis que le
-célébrant à grand renfort d’allumettes,
-provoque l’étincelle paresseuse à jaillir.
-Un nuage se tord, écharpe grise lamée
-brusquement de stries écarlates. Des feuilles
-de buis vert claquent et pétillent, s’enchevêtrent
-en sequins d’or. Sur le tronc
-voué ruisselle un baume incandescent, qui
-le dévore. Les chantres suffoqués renâclent
-l’hymne de Guy d’Arezzo, le verset à
-doubles croches où ce moinillon inoccupé
-harponna « l’ut-ré-mi-fa-sol » tant douloureux
-aux enfances bien nées.</p>
-
-<p>Un ecclésiastique myope que le brasier
-roussit quelque peu, s’évertue de ramener
-son surplis en arrière. Les voyous se culbutent
-afin d’arder au brandon public les
-thyrses dont ils vont sur l’heure, effarer
-mesdames les bourgeoises en souci de leurs
-mollets.</p>
-
-<p>Et, dans le ciel où rougeoient des flammèches
-emportées dans le ciel métallique
-et fumeux comme une forge éteinte, dans
-le ciel où grandit l’impérissable amour,
-éclate, sur la cohue imbécile, le rire vengeur
-des anciens Dieux.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Un âpre soleil darde sur la garrigue ses
-obliques rayons. La brande verte et rose
-dort immobile dans les silences de midi.
-Seul, le claquet des grillons scande les
-minutes chaudes — horloge de l’été. Au
-loin vers la montagne, dans le val où badine
-quelque source, tremble au sommet des
-aulnes un brouillard évanoui. Massives,
-érigeant en plein ciel leurs arêtes d’acier
-bleu, les vastes Pyrénées enclosent l’horizon.
-Tours crênelées, flèches de cathédrales,
-coupoles imbriquées d’argent, toitures
-monstrueuses d’une cité pélasgique,
-les lourdes cîmes échafaudent par la rude
-clarté leurs dômes prestigieux. Dans l’azur
-nu, invisible presque, le tournoiement d’un
-vautour. Une couleuvre, par instants, rampe
-sous la bruyère avec le bruit sec du papier
-froissé.</p>
-
-<p>Et le pastour, dont les sabots tintent
-pesamment sur la route empoussiérée : le
-compagnon fourbu ; le tourlourou convalescent,
-le porte-balles qui vend aux filles
-de ferme des bréviaires d’amour, hument
-avec transport l’incandescente beauté de
-la nature, cependant qu’au bord du fossé
-où volète la mésange, le villageois, en
-pleine lumière, touche les bœufs assés,
-d’un mouvement pontifical.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Sur la table un faisceau de lys. Chair
-florale près de quoi la chair vive s’humilie,
-nacre odorante à dépriser le vernis des
-coquillages. Ni feuilles, ni rameaux. La
-tige d’un vert blême ostente cet émail où — vol
-d’insectes mordorés — posent les
-étamines. Nulle innocence, d’ailleurs, malgré
-le symbolisme goîtreux des processionnaires.
-L’orgueil d’être blanc — tel
-un soleil de juin ; — le faste des parfums
-trop généreux pour nos désirs.</p>
-
-<p>Superbes, d’une gloire laiteuse en la
-buire de Venise, les corymbes liliaux versent
-le plein été aux choses familières. Comme
-les bergers du Cantique, le Souvenir se
-repaît entre leurs dons. Emmi l’ombre
-où sussurre — inquiet — l’appel des
-aromates, renaît l’effluve des charmilles
-antérieures, le givre des longs soirs à travers
-d’autres branches. Les baisers fleuris de
-troènes, les cheveux constellés aux pâleurs
-des jasmins pernoctent, doux sabbat de
-la jeunesse fugitive.</p>
-
-<p>Par la fenêtre, un coin d’éther crépusculeux,
-estompé l’on dirait, de gaze noire.
-Le parterre noyé d’obscur, sans un bruit
-d’ailes ou de pas. Au loin, l’harmonica
-solitaire des crapauds exaltent Vénus qui
-rit à leurs yeux de topaze, et sur l’arête
-des ormes, se lève coruscante.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Crépuscule, mais imprégné de jour, où
-défilent endimanchées, les ménagères de
-l’endroit. Rasés bleu, les membres gauchis
-dans leur vêture de cadix, les mâles fument
-sur la place de l’Eglise, en attendant
-souper. Une fuite d’encens traîne sous le
-porche ouvert. Des béguines, symétrisant
-les chaises bousculées par la débâcle de
-vêpres, glissent, falottes entre les saints
-peinturlurés. C’est dans la nef, qu’épargne
-la rousseur de l’heure, un bleuissement de
-paradis, une Avallon campagnarde éclose
-aux fraîcheurs des bénitiers.</p>
-
-<p>Mais, plus rude, avec son fumet de
-simples écrasées, la moisson lithurgique
-imprègne d’âcre miel les rues de la bourgade.
-Roses bénites, lys sacrés et le fenouil
-qu’aima le Syrien Adonis, les herbes de la
-Saint-Jean évaporent sous les toits rustiques,
-leur ardente fenaison.</p>
-
-<p>Parmi ses glauques cheveux d’ondine,
-la nigelle aux yeux pers sème des nœuds de
-turquoise. La feuille trilobée des ancolies
-supporte avec fierté des campanes d’améthyste.
-Les daturas, les molènes velues, les
-euphorbes aux pétales virescents, les digitales
-assassines, bandent leurs piques mal
-famées et, noir de suprêmes venins, l’aconit
-fait craquer sous les sabots de frêne,
-ses cassolettes plutoniennes.</p>
-
-<p>Amère saveur des plantes ! Breuvage de
-l’été qu’affadit à peine le nauséeux encens !
-C’est la veille où, par les hautes prairies,
-les jeunes hommes se baignent aux lustrales
-rosées, invigorent leur puberté dans
-la communion des choses. Les fontaines
-débordent, la fougère mûrit. Le village
-latin, célèbrera, ce soir, ses païennes et
-vivantes origines. A moins que, nantie de
-quelque billon, la jouvence locale ne se
-rue au café du Sud-Ouest, présentement
-illustré par les intermèdes et chansons de
-Mlle Pépita, romancière excentrique à l’instar
-de Paris, comme en témoigne,
-avec déférence, l’aboyeur public, — très
-digne — après un
-roulement de son tambour
-enchifrené.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch13">XIII<br />
-PORTRAITS DE FAMILLE</h2>
-
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Le père Chose éteint le feu</div>
-<div class="verse">Et pour qu’aucun valseur ne lampe,</div>
-<div class="verse">Renverse le thé dans la lampe.</div>
-<div class="verse">Ses enfants le voudraient bien feu.</div>
-
-<div class="verse stanza">Dindonnus semble un jeune Dieu</div>
-<div class="verse">Peint sur le mur, à la détrempe :</div>
-<div class="verse">Son crâne est la pomme de rampe</div>
-<div class="verse">Chère à Philippe de Grandlieu.</div>
-
-<div class="verse stanza">Près de Clary-Bell qu’on assiège</div>
-<div class="verse">Dindonna, hors d’un bain de siège</div>
-<div class="verse">Fait de musc et de néroli,</div>
-
-<div class="verse stanza">Se comprime le métatarse.</div>
-<div class="verse">Son corset de bourre est empli :</div>
-<div class="verse">C’est une dinde avec sa farce.</div>
-</div>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch14">XIV<br />
-BALLADE</h2>
-
-<p class="c">EXÉCUTÉE EN RIMES PARNASSIENNES A LA
-LOUANGE DU DRAP BOSVIEL</p>
-
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Chœurs bondissants par l’oréas neigeuse,</div>
-<div class="verse">Faunes velus, thyades aux bras blancs,</div>
-<div class="verse">Vous qui menez la cordace orageuse,</div>
-<div class="verse">Des antres sourds aux pics étincelants</div>
-<div class="verse">Et qui, le soir, sous les rameaux tremblants</div>
-<div class="verse">Mêlez vos voix au crotale sonore,</div>
-<div class="verse">Je veux chanter, en un rythme de miel,</div>
-<div class="verse">Le drap vainqueur, le drap essentiel,</div>
-<div class="verse">Le drap cossu dont Bigorre s’honore :</div>
-<div class="verse">Le meilleur drap est celui de Bosviel.</div>
-
-<div class="verse stanza">Bosviel n’a pas la mine avantageuse.</div>
-<div class="verse">Son ventre gros bedonne et sort des plans,</div>
-<div class="verse">Son poil est gris et sa face rageuse :</div>
-<div class="verse">Même il a pour nos regards indolents</div>
-<div class="verse">L’air abruti des messieurs icoglans.</div>
-<div class="verse">Cependant la flamme interne le dore,</div>
-<div class="verse">Mais, dédaignant tout chic matériel,</div>
-<div class="verse">Il va tissant la laine, sous le ciel.</div>
-<div class="verse">Et, sans qu’il soit besoin de Mandragore,</div>
-<div class="verse">Le meilleur drap est celui de Bosviel.</div>
-
-<div class="verse stanza">Par les taillis ombrés de nuit songeuse</div>
-<div class="verse">Le long des bois pleins de parfums troublants</div>
-<div class="verse">Nul ne le vit contempler Beseigeuse</div>
-<div class="verse">Cueillir des fleurs ou marcher à pas lents,</div>
-<div class="verse">Nul moins que lui ne mange d’ortolans.</div>
-<div class="verse">Il parle peu, sans nulle métaphore,</div>
-<div class="verse">Il aime mieux Gothon qu’Alaciel</div>
-<div class="verse">Et des bourgeois, sort providentiel,</div>
-<div class="verse">De cornes d’or, son front plat se décore,</div>
-<div class="verse">Le meilleur drap est celui de Bosviel,</div>
-</div>
-
-<p class="c i">Envoi</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Prince, Carrère est beau comme Ariel,</div>
-<div class="verse">Et l’oncle Uzac se teint avant l’aurore,</div>
-<div class="verse">Turon fournit l’onguent mercuriel.</div>
-<div class="verse">Mais, de Dunkerque aux montagnes d’Andorre,</div>
-<div class="verse">Le meilleur drap est celui de Bosviel.</div>
-</div>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch15">XV<br />
-A SEULE FIN D’EXALTER LE TACT
-DE M. DURAND.</h2>
-
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Des peintr’ étaient à la campagne,</div>
-<div class="verse">Ils respiraient l’air librement,</div>
-<div class="verse">Rêvant de revêtir le pagne,</div>
-<div class="verse">Quand débarqua… Marie Durand !</div>
-
-<div class="verse stanza">Elle arrivait, vrai sujet Suisse,</div>
-<div class="verse">Mettant ses grands pieds dans le plat,</div>
-<div class="verse">Etalant un esprit novice,</div>
-<div class="verse">Parlant amour, et cœtera !</div>
-
-<div class="verse stanza">Les peintres, frappés de marasme,</div>
-<div class="verse">Auraient voulu la voir au loin,</div>
-<div class="verse">Mais, comm’ ils avaient un’ belle âme,</div>
-<div class="verse">A leur table, ils lui offrent’ un coin !</div>
-</div>
-
-<p class="c i">Moralité</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Quand vous irez à la campagne,</div>
-<div class="verse">Point n’en parlez à un M. Durand ;</div>
-<div class="verse">Allez, revêtissez le pagne</div>
-<div class="verse">Et respirez l’air librement.</div>
-</div>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch16">XVI<br />
-BALLADE</h2>
-
-<p class="c">POUR EXALTER LES MELONS SURHUMAINS DE
-<span class="large">M</span>ONSIEUR <span class="large">G</span>AGA</p>
-
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Il n’en est pas de plus sucré</div>
-<div class="verse">A Gambaiseuil, aux Yvelines,</div>
-<div class="verse">A Grosrouvre, Neauphle ou Méré.</div>
-<div class="verse">Les compotes, combien câlines,</div>
-
-<div class="verse stanza">Que fomentent les Ursulines</div>
-<div class="verse">Et que Tanrade prodigua</div>
-<div class="verse">N’ont pas de douceurs plus félines :</div>
-<div class="verse">C’est l’œuvre de Monsieur Gaga.</div>
-
-<div class="verse stanza">Il marche d’un air assuré,</div>
-<div class="verse">Parmi les couches cristallines :</div>
-<div class="verse">Ainsi Van Dick lâche son ré.</div>
-<div class="verse">Et les courges, ces orphelines,</div>
-
-<div class="verse stanza">Et les endives de Malines,</div>
-<div class="verse">Et le myrthe, et le seringa,</div>
-<div class="verse">Proclament du val aux collines :</div>
-<div class="verse">C’est l’œuvre de Monsieur Gaga.</div>
-
-<div class="verse stanza">Lorsque septembre enténébré</div>
-<div class="verse">Te pleure, ô Soleil qui déclines,</div>
-<div class="verse">Le melon, comme un sein doré,</div>
-<div class="verse">Pointe parmi les avelines.</div>
-
-<div class="verse stanza">Viens, Brunehilde et toi Zerline</div>
-<div class="verse">Et toi, Maure pour qui Pingat</div>
-<div class="verse">Aurait ourdi ses mousselines !</div>
-<div class="verse">C’est l’œuvre de Monsieur Gaga !</div>
-</div>
-
-<p class="c i">Envoi.</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Princesses ! que vos mandolines</div>
-<div class="verse">Chantent, du Zenil au Volga,</div>
-<div class="verse">Ces cucurbites zinzolines :</div>
-<div class="verse">C’est l’œuvre de Monsieur Gaga !</div>
-</div>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch17">XVII<br />
-SOUS LES TILLEULS DE BAGNÈRES</h2>
-
-
-<p>En Messidor, pendant l’octave
-de la Saint-Jean, saison
-amène où les bouquets noués
-d’herbes au ruban mêlent à
-l’œillet de poète la rose de
-tous les mois, quand le
-plus humble courtil se pavoise de lys
-blancs, de jaunes soucis et de bleuâtres
-dauphinelles, quand le rossignol fait ouïr
-encore une chanson de miel (ainsi parlait
-le bon Aristophane) et qu’aux marges des
-fossés, le ver luisant pour sa vigile d’amour,
-accroche une lampe furtive, la maison
-rustique et le domaine forestier, la campagne
-avec ses champs, ses prés, ses halliers,
-ses jardins, ses pâturages et ses landes,
-appartiennent aux Esprits bienveillants dont
-les travaux et les jeux ne se déroulent que
-dans la paix des belles nuits.</p>
-
-<p>C’est le faîte de l’année et la semaine des
-semaines, où les ciels moroses du livide
-Occident se parent d’une grâce inconnue
-aux pays mêmes du lotus et de l’oranger.
-Le printemps s’achève et l’été commence
-à peine. Quelques fruits cependant brillent
-déjà parmi les fleurs, mais si légers, mais
-d’arome si suave, qu’on les prendrait pour
-des fleurs encore sur l’épine du framboisier,
-aux branches d’où pendent les cerises, au
-vert buisson que la groseille éclabousse
-d’ambre pâle et de grenat.</p>
-
-<p>Shakespeare à choisi cette nuit, la plus
-belle de toutes, pour y situer le rêve féerique
-de Thésée et d’Hippolyte, d’Obéron
-et de Titania, Nicolas Gogol, ce Virgile
-du Dniéper assigne même aux conciliabules
-des esprits qui gardent les richesses,
-des nains qui, dans les blancheurs lunaires,
-décapent leurs trésors depuis que brille
-l’étoile au soir jusqu’au premier chant du
-coq. Et c’est alors aussi que dans la nuit de
-Walpurgis, apparaît le spectre fatidique
-du Brocken, que passe au claquement des
-fouets, aux abois des limiers, la chevauchée
-d’Athta-troll avec la fée Habonde et la jeune
-Hérodias. La forêt des Ardennes se peuple
-de visions et de formes crépusculaires.</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse i3"><i>Les anciens loups</i></div>
-<div class="verse"><i>Qui dorment dans la lune éclatante et magique</i></div>
-</div>
-
-<p class="noindent">trottent devant le Chasseur Noir et la
-menée d’Hellequin, sous les fûts des mélèzes
-et des pins résineux. Malgré les
-vieilles maléfiques et les chats démoniaques
-menant leur sarabande au milieu des bruyères
-désertes, cette heure appartient à la
-sorcellerie amicale, au petit monde fantasque
-et tutélaire dont les caprices, la plupart
-du temps, améliorent le sort du pauvre, du
-banni, de l’orphelin, du miséreux. Nains
-propices, filandières secourables, corbeaux
-pareils à ceux de Wotan préparent dans
-les <i lang="de" xml:lang="de">Kinder und Hausmärchen</i> des frères
-Grimm, toutes sortes de bonnes aventures
-aux porte-besaces, aux infirmes, aux enfants
-malingres, chassés par une marâtre
-du foyer paternel.</p>
-
-<p>Ces miracles tout naturellement s’épanouissent
-comme la fleur qui chante à
-l’époque où le soleil entre dans sa première
-maison d’été.</p>
-
-<p>En hiver, au contraire, les démons de la
-tempête rôdent parmi les ténèbres de la
-lande. Le vent d’ouest pleure, crie et sanglote,
-comme un chrétien égorgé par des
-bandits. Le froid, les bourrasques, la nuit
-hostile retiennent près du foyer, dans leur
-demeure bien close, le paysan et le bourgeois.
-Seuls, vagabondent après le couvre-feu,
-loin des villes et des bourgs, les écorcheurs,
-les faux-saulniers, les coquemares
-et les mauvais garçons. Beau temps pour
-le sabbat ! Mais aux nuits de la Saint-Jean,
-près des ruisseaux qu’embaument le fenouil,
-la menthe et la reine des prés, sur les
-pelouses où verveine, sauge et boutons
-d’or passementent l’herbe verte que n’a
-pas touchée encore la faux du moissonneur,
-des esprits bénins, en attendant l’aurore,
-mènent danses et chœurs. C’est le temps
-où Dames blanches, <i>hades</i> et farfadets se
-manifestent au pauvre bûcheron, à la fileuse
-indigente, où la fée et le lutin emplissent la
-huche de farine, donnent de l’esprit au
-Petit Poucet et des robes à Cendrillon.</p>
-
-<p>Le personnel des Contes de ma mère
-l’Oye, célèbre sa fête annuelle pendant ces
-claires ténèbres du <span lang="en" xml:lang="en">Mid-Summer</span>.</p>
-
-<p>Chaque moment de la belle saison s’est
-orné d’une parure individuelle, d’un parfum
-singulier. Il n’est herbe si menue, il
-n’est plante si rebutée et misérable qui
-pour glorifier le beau soleil, n’arbore quelque
-ornement. Les jardiniers se sont plus
-à dresser une horloge des fleurs. Pourquoi
-pas un calendrier du printemps ?</p>
-
-<p>Cela irait des jacinthes aux pivoines,
-des anémones à l’œillet. Les arbres surtout,
-mieux que tout autre végétal, prêtent leur
-odeur, une odeur spéciale à chaque semaine
-du renouveau. Les pommiers d’abord, les
-pêchers, les amandiers ; ensuite le lilas ;
-puis, l’acacia, l’aubépin, le laurier-cerise
-comptent les heures, signalent à chaque
-étape la marche ascendante du soleil. Et
-quand, arrivé enfin au point culminant de sa
-course, il triomphe dans la jeunesse et la
-beauté, les tilleuls ouvrent enfin leur fleurette
-jaune pâle, d’où s’épanche, en plein
-ciel, un baume puissant et délicat. Ni la
-rose, ni la tubéreuse, ni le frais jasmin, ni
-le fugace parfum du réséda, aux crépuscules
-d’août, n’égalent cet arome dont
-s’enivrent les nocturnes promeneurs ; c’est
-l’âme elle-même, le songe des belles nuits,
-au milieu de l’été.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Près de Riennel, dans ce vallon de Salut
-qu’enchante la lune féerique, dans les sites
-virgiliens de Bagnères, plus qu’en aucun
-lieu du monde, les tilleuls épanchent leur
-suave et pénétrante odeur. Quel adolescent
-pouvait aborder ces beaux lieux sans être
-ému de leur grâce, de leur paix profonde ?
-Laissez Bagnères, la ville de province et
-la ville de bains, toute blanche avec ses
-ruisseaux, les ondes vives qui jaillissent
-dans un sol de marbre ; négligez les édifices
-médiocres et la sculpture officielle qui
-prétend orner ses carrefours. Ici, l’ornement
-unique c’est l’arbre, le frêne, l’ormeau,
-le hêtre majestueux, dressant comme
-une colonne dorique son fût poli et régulier ;
-c’est au bord des ruisseaux, dans les
-fonds marécageux pleins de calthas et de
-myosotis, l’aulne au feuillage vernissé d’un
-vert noirâtre, qu’effleure de son aile indécise
-l’essaim diapré des libellules.</p>
-
-<p>Dans le calme et frais décor, au pied de
-la montagne riche de sources, d’ombre et de
-silence, parmi les arbres que rajeunit sans
-cesse l’eau vive des fontaines, l’esprit se
-plaît à rêver les contes d’autrefois, à suivre
-l’image des superstitions millénaires, à
-figurer les métamorphoses de l’arbre et
-de la plante, du reptile et de l’oiseau, de
-la grotte et du torrent, à peupler les herbes,
-ces gramens, ces pentes d’émeraude, ces
-coins obscurs, d’êtres mystérieux et fugitifs,
-à suivre, tandis que les tilleuls pleuvent
-leurs parfums, les rondes volages de
-la Fée et de l’Ondine, le tournoiement des
-sylphes aériens, parmi les phalènes et les
-chauves-souris.</p>
-
-<p><i lang="de" xml:lang="de">Unter den linden !</i> Alphonse Karr eut
-l’honneur d’être un sot par la tête, un
-sot bien pensant, religieux, conservateur,
-et qui se piquait, en outre, de proférer
-des bons mots. Il décerna au plus
-inepte de ses bouquins le nom charmant
-des promenades germaniques. Ce n’est pas,
-en effet, à Berlin seulement, que l’on
-marche « sous les tilleuls ». A Deventer,
-j’ai retrouvé le nom et la chose, vers la
-fin d’un été mélancolique, d’un été de
-Hollande, où les feuilles mortes et les
-bractées des chers tilleuls dansaient prématurément
-leur automnale sarabande, venaient
-s’abattre, comme des papillons morts
-sur l’eau dormante de l’Yssel.</p>
-
-<p>Mais, dans ce juillet pyrénéen, les feuillages
-gardent une jeunesse, une vigueur,
-une sève d’adolescence, une robuste et
-juvénile beauté !</p>
-
-<p>Faits pour abriter les amours des dieux
-et prêter leur ombre à l’éternelle fête des
-étreintes humaines, les arbres gardent à
-Bagnères toute leur splendeur. Ce délice
-de la hache qui tourmente notre âge de
-maçons, ne paraît pas avoir contaminé ce
-beau pays. A part une échancrure faite par
-les cagots devant la vierge de Bédal,
-échancrure qui met à nu ce fétiche mastoc et
-laid, pas un arbre, semble-t-il, depuis
-quarante ans, ne fut détronqué sans raison.
-Les robustes ormeaux, les frênes héroïques,
-dont chaque nodosité dit l’effort de la
-plante pour s’arracher à la glèbe, pour
-individualiser sa vie, étalent chaque année,
-avec plus de force, d’orgueil et d’opulence,
-leurs ombrages respectés.</p>
-
-<p>Ceux qui vinrent, enfants, cueillir en
-des paniers de frêle vannerie et proposer
-aux belles étrangères, le tilleul d’autrefois,
-hommes à présent, voient leurs fils recommencer
-la cueillette aux rameaux inférieurs
-des géants parfumés. Ils marchent
-dans le bain d’aromates qui délecta leur
-jeunesse. La permanente beauté des choses
-les console presque de vieillir. L’adolescence
-de la terre efface, un moment, les
-rides sinon de leur visage, du moins de
-leur esprit.</p>
-
-<p>Ces routes verdoyantes, ces chemins
-dans les bois, ces pentes du Monné, du
-Lhéris, ces rives de l’Adour, offrent aux
-cœurs inquiets un asile de paix profonde,
-un lieu de calme, d’oubli et de sérénité.</p>
-
-<p>Sophie Cottin, sous le turban jaune de
-Corinne, y vint fluer ses larmes en plusieurs
-volumes. Ramon y murmura, au
-lendemain de la Terreur, cette parole
-émouvante que cite Michelet : « Tant de
-pertes irréparables pleurées au sein de la
-Nature. »</p>
-
-<p>Les majestueuses cîmes encadrent l’horizon
-d’une muraille d’améthystes et de
-lapis, de sommets que hantent les vautours
-et qu’habite l’indéfectible hiver. Mais la
-plaine est à leurs pieds, d’un charme
-infiniment doux, avec je ne sais quel agrément
-sauvage qui préserve de toute fadeur
-ce climat délicieux. Qui l’a connu, aimé,
-aux heures de la jeunesse, qui, libre d’ambition,
-exempt de soucis et gonflé de sève
-comme les tilleuls de Messidor, a, sous leurs
-dômes pacifiques, goûté l’enivrement du
-matin, la beauté païenne, les souffles vierges
-de la montagne, en rapporte — je le sais ! — pour
-les heures mornes et le crépuscule
-de la vie, une allégresse qui ne meurt pas,
-tels ces pastours des contes bleus qui,
-sur le coup de minuit, à la Saint-Jean
-d’Eté, ont reçu d’une fée amicale sous
-les branches odorantes, le philtre
-suprême, l’élixir de jouvence
-éternelle et d’indestructible
-amour.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch18">XVIII<br />
-<span lang="es" xml:lang="es">RECUERDO DE LOS TOROS</span></h2>
-
-
-<p class="date"><i>Saint Sébastien, 1886.</i></p>
-
-<p>Au coup de trois heures, frappant
-à vingt horloges, la
-cohue envahit la place des
-Taureaux. Avenue de la
-<span lang="es" xml:lang="es">Libertad</span>, sur la jetée de
-l’Alaméda, un moutonnement
-de houle où les fiacres à tendelets verts
-creusent des ressacs. Des femmes glissent,
-onduleuses, une flamme dans leurs yeux
-noirs. Des mantilles, des <i lang="es" xml:lang="es">abanillos</i>, et, — portant
-des mannes de raisin, — les Aragonnaises
-en taille courte, le visage délimité
-par une mante de point roux. Des Basques,
-bérets en tête, et la jambe prise en des
-housseaux de laine, soufflent abominablement
-dans leurs flûteaux suraigus.</p>
-
-<p>Sur le pont, défilent sans trève des
-sociétés chorales : un tas de <i>lyres</i> et d’<i>harmonies</i>.
-Au festival tauromachique, le maire
-de Saint-Sébastien, adjoignit un concours
-d’orphéons, et sous les yeux des badauds
-vomis par les trains de plaisir, s’allonge
-vers le cirque, une phalange d’instrumentistes.
-Crevés de chaud, bouffis et suants,
-avec des gestes endoloris, ils traînent l’ampleur
-des grosses caisses, la configuration
-bizarre des <i lang="en" xml:lang="en">saxhorns</i>. Des enfants se haussent
-pour voir les <i lang="es" xml:lang="es">toreros</i> escortés de
-longs hurrahs ! des fils de bourgeois qu’endoctrinent
-leurs auteurs sur l’abomination
-des plaisirs sanguinaires ; des filles vertes,
-aux hanches délurées, aux regards explicites,
-des marchands d’allumettes et de
-programmes à s’éventer.</p>
-
-<p>Par delà les parapets, l’eau calme de
-<i>la Renteria</i> bleuit au loin, sans une écume,
-se perd au délicat azur. Des goëlands
-claquent du bec, lustrent leurs ailes noires,
-fondent en cercle sur la mer, et leurs appels
-mêlés aux fanfares retentissent opiniâtrement.</p>
-
-<p>La course ne promet pas d’être brillante,
-s’il faut en croire les initiés. Des taureaux
-de Félix Gomez et les grandes épées ne
-combattront pas.</p>
-
-<p>L’amphithéâtre est plein de la barrière
-au mur d’enceinte : des habitués se reconnaissent,
-discutent à voix basse, l’air
-satisfait et compétent. Une affiche reluisante
-de vermillon et d’or flotte sur le toril,
-indique la stalle du gouverneur. De l’autre
-côté de l’arène, en plein soleil, la foule
-encaquée sur les gradins d’<i lang="es" xml:lang="es">asiento</i> ! la bariolure
-des ombrelles et des éventails. C’est
-comme un battement d’ailes, où, sur les
-fonds de couleur brutale, saignent des
-taureaux, flamboient des <i lang="es" xml:lang="es">matadors</i>. Le
-portrait de Mazantini est dans toutes les
-mains, sa légende sur toutes les lèvres.
-Jeune, beau, sorti d’honnête race, il apprit
-à toucher les bœufs par amour de l’art.
-Et comme il fut baptisé sur le sol du
-Guipuzcoa, qu’on le dit magnifique et
-brave de tous points, sa gloire obscurcit
-un peu le vieux renom des <i>Lagartijo</i> et
-des <i>Frascuelo</i>.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Une sonnerie de trompettes. Le maire
-est dans la loge, et les <i lang="es" xml:lang="es">cuadrillas</i> vont
-défiler. En tête, le héraut serré dans un
-justaucorps noir, empanaché d’un arc-en-ciel
-de vieilles plumes, fait exécuter des
-changements de pied à la plus lamentable
-haridelle qui se puisse voir : après les
-<i lang="es" xml:lang="es">banderilleros</i> imbriqués de métal, puis, seul,
-en cape aventurine, la face rasée et le
-port olympien, l’<i lang="es" xml:lang="es">Espada</i> Mazantini, derrière
-les <i lang="es" xml:lang="es">sobresalientes</i> et Cara-Ancha, son
-rival. Tous saluent le magistrat qui, sans
-retard, octroie licence de procéder au combat.
-Paillon de cuivre, fleurs d’argent,
-étoffes diaprées et violentes, l’emphase
-des vieux costumes anoblit le champ-clos.
-Des servants poussent une porte ; le silence
-choit, et poussé dans la piste, le taureau
-s’avance, ébloui.</p>
-
-<p>C’est un Andalou, bai-foncé, court de
-jambes, épais de fanon et d’encolure, les
-cornes ouvertes en croissant. Depuis l’aube,
-afin d’irriter son courage, on le tint prisonnier
-dans une boxe étroite, sans jour,
-presque sans air. Aussi trébuche-t-il aveuglé
-de ce plafond lumineux ; soudain, un
-<i lang="es" xml:lang="es">chulo</i> tout courant, le provoque des plis
-de sa <i lang="es" xml:lang="es">muleta</i>. Déjà, les <i lang="es" xml:lang="es">picadores</i> sont à
-leur poste, la lance en arrêt ; les pieds
-emboîtés dans des étriers de chêne, et le
-monstre, d’un élan irrésistible, fond sur
-eux.</p>
-
-<p>Ce m’est toujours une satisfaction nouvelle,
-de voir étripailler cinq ou six couples
-de chevaux. Avec le perroquet aimé des
-concierges, je ne connais pas d’animal plus
-odieux que la « conquête » de Monsieur
-de Buffon, ni qui mérite davantage l’animadversion
-des honnêtes gens. N’est-il pas
-l’occasion de mille sottises nidoreuses telles
-que <span lang="en" xml:lang="en">steeple-chases</span>, <span lang="en" xml:lang="en">rallies-paper</span>, courses
-plates, glapissements de bookmakers, sans
-compter les propos des connaisseurs.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Le premier carcan décousu, perd lamentablement
-ses entrailles, poignardé d’un
-coup de corne, puis le ventre, fouillé de
-l’encolure à l’arrière-train. Le foie, les
-poumons, coulent de la bête ouverte, qui
-souffle encore et trébuche parmi ses intestins :
-puis d’un tournoiement conique,
-s’écrase dans une flaque d’ordure et de
-sang. Un <i lang="es" xml:lang="es">picador</i> renversé, quitte la lice
-en clopinant, tandis qu’un aide enfonce
-la <i lang="es" xml:lang="es">puntilla</i>, dans le crâne des rosses moribondes.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Légers, sautillants, avec des pirouettes de
-danseurs, les <i lang="es" xml:lang="es">banderilleros</i> armés de courtes
-flèches, bondissent devant le taureau. Lui,
-gratte le sol, du mufle et du pied ; son
-haleine creuse des trous dans le sable ;
-mais avant qu’il ait effleuré l’homme, celui-ci
-plante dans sa chair les banderilles
-empennées. Le hameçon tranchant et solide,
-qui termine la flèche d’une cuisante
-piqûre, exaspère l’animal. Une pratique
-féroce, contraire d’ailleurs aux traditions,
-consiste à ficher, en guise de banderilles,
-une pièce d’artifice dont le fracas et les
-étincelles aveuglent presque le taureau.
-Aussi quel qu’en puisse être le ragoût, il
-convient de repousser de tels comportements.
-Le sang tout cru — le sang versé
-par des mains intrépides — est la seule
-pourpre de mise, en la <i lang="es" xml:lang="es">plaza de toros</i>. Que
-les eunuques et les femmes à pâmoison,
-cherchent d’autres spectacles ! La vue d’un
-beau supplice, la joie de sentir la vie humaine
-risquée sur un coup de dés, le ruissellement
-des blessures frais-giclantes, épanouissent
-en nous la férocité congénitale,
-sans qu’il soit besoin d’amusettes pyrotechniques
-ou de fleurs en papier peint.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Veste héliotrope à pampilles d’or, culotte
-et bas de soie blancs striés de cannetille,
-le jarret tendu, la brette emmaillottée
-dans une housse écarlate, Mazantini, jette
-à ses pieds, la toque de peluche et s’apprête
-à frapper le taureau.</p>
-
-<p>Un grand garçon, mince, brun, au nez
-droit, les yeux comme voilés par le froncement
-des paupières, la bouche fine et pure,
-accentuée d’un soupçon de gouaillerie, tel
-apparaît, dans la vigueur de ses trente ans,
-l’<i lang="es" xml:lang="es">Espada</i> bien-aimé. L’on devine au moindre
-geste, qu’il marche dans le prestige inatténué
-de sa force et de son orgueil. Le
-désir d’un peuple de femmes et cette
-marée humaine, dont chaque souffle lui
-porte des baisers, l’allégresse vive du péril
-encouru, la juste arrogance d’un métier
-noble, en cet âge boutiquier, l’imprègnent
-d’une magnificence inconnue aux plus reluisants
-ténors. Ses cheveux drus, tressés
-en cadenette, selon le cérémonial prescrit,
-découvrent tout ce visage, reluisant d’audace
-et de beauté : un dieu qui sent l’abattoir.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Le duel se poursuit entre la brute et
-le tueur, avec toutes les feintes d’une escrime
-raffinée jusques au temps que, frappé
-droit entre les deux épaules, le quadrupède
-chancelle et tombe sur le sable vermeil.
-Puis, ce sont les vivats et les saluts de la
-foule, les petits cris extasiés des <i lang="es" xml:lang="es">señoras</i>,
-les trains de mules chaperonnées, emportant
-au clair grésillement des sonnettes, les
-lourds cadavres mutilés.</p>
-
-<p>Interminablement, les <i lang="es" xml:lang="es">corridas</i> se déroulent
-avec des fortunes diverses. Cara-Ancha,
-qui n’est guère en bonheur, manque
-plusieurs fois la botte suprême, à la grande
-indignation de l’assistance. Les jurons pleuvent.
-« A Madrid, ce seraient des bouteilles
-vides et des oranges gâtées » dit quelqu’un
-près de moi. Des hommes, à barbe d’encre,
-avec des yeux de Montezuma sur le bûcher,
-gesticulent furieusement. Un prêtre jette
-son cigare pour injurier plus à l’aise :
-« <i lang="es" xml:lang="es">Fuero ! Fuero ! puerco ! conchino !</i> » et mille
-gentillesses d’outre-monts. Pendant ce
-temps, les Basques sifflent dans leurs galoubets,
-les orphéons mugissent des polkas
-et le déplorable coryphée rate ses victimes
-à coup sûr. Cela tourne à la boucherie — « Charcutier »,
-hurle un Français ! — « <i lang="es" xml:lang="es">Puerco</i> »
-reprennent les Espagnols.</p>
-
-<p>A nos pieds, agonise le dernier mâle, une
-douceur dans ses yeux obliques, mourants
-déjà. Un coup de miséricorde, en plein
-front, le renverse, foudroyé.</p>
-
-<p>Par les vomitoires grands ouverts, les
-spectateurs ruissellent entre deux files de
-miquelets, s’éparpillent dans les rues pavoisées,
-comme un jour de Fête-Dieu.
-A tous les balcons, des housses claires,
-des verdures, des tapis : aux fenêtres,
-le drapeau de gueules et d’or : les
-<i lang="es" xml:lang="es">miradores</i> pleins de robes, couleur du
-temps.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>A la <i lang="es" xml:lang="es">Maillorquina</i>, les femmes lunchent,
-égratignent des sorbets, grignottent des
-pâtisseries aux jaunes d’œufs, avec force
-cédrats confits, <i lang="es" xml:lang="es">heladas</i> et <i lang="es" xml:lang="es">vasos d’agua con
-esponjado</i>. Les fanfares continuent leurs
-évolutions au grand air. La <i>Marseillaise</i>
-allume par les carrefours son patriotisme
-de trombone : les Basques déchirent
-la paix du soir de strideurs à la Valmajour.</p>
-
-<p>L’ombre s’appesantit et, dans l’or enfumé
-du couchant, passent les filles des
-Provinces, hautaines et d’une beauté si
-grave qu’on les prendrait, ainsi voilées,
-pour quelque Notre Dame, issant
-d’un retable, avec sa jupe
-lamée et sa couronne de
-jayet noir.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">TABLE DES MATIÈRES</h2>
-
-
-<table summary="">
-<tr><td>&nbsp;</td>
-<td class="drap">Avant-propos</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch0">7</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>I.</div></td>
-<td class="drap">Villes d’Eaux (<i>Bagnères
-de Bigorre</i>)</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch1">11</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>II.</div></td>
-<td class="drap">Le roi de la Barousse, ou
-M. Ignace Papulard,
-candidat aux élections
-générales</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch2">19</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>III.</div></td>
-<td class="drap">Les gentilshommes du Râteau</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch3">31</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>IV.</div></td>
-<td class="drap">Impression de tapis vert</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch4">41</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>V.</div></td>
-<td class="drap">Bourgeois de Bagnères de
-Bigorre en 1886</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch5">51</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>VI.</div></td>
-<td class="drap">Bulletin de vote</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch6">63</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>VII.</div></td>
-<td class="drap">Concert nocturne</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch7">71</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>VIII.</div></td>
-<td class="drap">Fête nationale</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch8">77</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>IX.</div></td>
-<td class="drap">Bagnères de Bigorre (<i>septembre
-1886</i>)</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch9">81</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>X.</div></td>
-<td class="drap">Suppression des Jeux</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch10">87</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>XI.</div></td>
-<td class="drap">Ouverture de la Chasse</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch11">93</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>XII.</div></td>
-<td class="drap">Impressions du <span lang="en" xml:lang="en">Mid-Summer</span>,
-du Val de Payolle,
-le dimanche de la
-Saint Jean d’Eté</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch12">101</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>XIII.</div></td>
-<td class="drap">Portraits de famille</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch13">111</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>XIV.</div></td>
-<td class="drap">Ballade exécutée en rimes
-parnassiennes à la
-louange du drap Bosviel</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch14">115</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>XV.</div></td>
-<td class="drap">A seule fin d’exalter le
-tact de M. Durand</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch15">121</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>XVI.</div></td>
-<td class="drap">Ballade pour exalter les
-melons surhumains de
-Monsieur Gaga</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch16">125</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>XVII.</div></td>
-<td class="drap">Sous les tilleuls de Bagnères
-de Bigorre</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch17">129</a></div></td></tr>
-<tr><td class="r"><div>XVIII.</div></td>
-<td class="drap" lang="es" xml:lang="es">Recuerdo de los Toros</td>
-<td class="bot r"><div><a href="#ch18">143</a></div></td></tr>
-</table>
-
-<p class="c gap xsmall">IMPRIMERIE SAINTE-CATHERINE, BRUGES (BELGIQUE).</p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<p class="narrow noindent top6em"><span class="small">ACHEVÉ D’IMPRIMER LE QUINZE FÉVRIER
-MIL NEUF CENT VINGT QUATRE SUR LES
-PRESSES DE L’IMPRIMERIE SAINTE-CATHERINE
-A BRUGES, POUR LA SOCIÉTÉ D’ÉDITION</span>
-« LE LIVRE ».</p>
-
-
-<div class="trnote">
-<h2>Note du transcripteur</h2>
-
-<p>On a appliqué les corrections figurant en erratum. L’orthographe et la
-ponctuation sont conformes à l’original, seules les erreurs
-typographiques absolument flagrantes ayant été corrigées.</p>
-
-</div>
-<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PAILLASSON ***</div>
-<div style='text-align:left'>
-
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-or any Project Gutenberg&#8482; work, (b) alteration, modification, or
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-Defect you cause.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg&#8482;
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg&#8482;&#8217;s
-goals and ensuring that the Project Gutenberg&#8482; collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg&#8482; and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation&#8217;s EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state&#8217;s laws.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation&#8217;s business office is located at 809 North 1500 West,
-Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
-to date contact information can be found at the Foundation&#8217;s website
-and official page at www.gutenberg.org/contact
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; depends upon and cannot survive without widespread
-public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
-visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 5. General Information About Project Gutenberg&#8482; electronic works
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg&#8482; concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg&#8482; eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Most people start at our website which has the main PG search
-facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This website includes information about Project Gutenberg&#8482;,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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