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-The Project Gutenberg eBook of Comment placer sa fortune, by Jacques
-Bainville
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
-will have to check the laws of the country where you are located before
-using this eBook.
-
-Title: Comment placer sa fortune
-
-Author: Jacques Bainville
-
-Release Date: February 19, 2021 [eBook #64598]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images generously
- made available by The Internet Archive/Canadian Libraries)
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK COMMENT PLACER SA FORTUNE ***
-
-
-
-
- APRÈS LA GUERRE
-
- COMMENT
- PLACER SA FORTUNE
-
- PAR
- JACQUES BAINVILLE
-
- L'INSTABILITÉ DES FORTUNES
- PRINCIPES SUR LESQUELS DOIT REPOSER UNE FORTUNE.
- DES IMMEUBLES--DES PLACEMENTS HYPOTHÉCAIRES.
- EMPRUNTS D'ÉTATS--LES CHEMINS DE FER FRANÇAIS
- ET ÉTRANGERS--LES VALEURS INDUSTRIELLES--BANQUES
- ET SOCIÉTÉS DE CRÉDIT--LA SPÉCULATION ET
- LA BOURSE--LE CAPITALISTE, LES IMPOTS ET LES LOIS
-
- PARIS
- NOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE
- 3, PLACE DU PANTHÉON, 3
-
-
-
-
- IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE
- SUR VERGÉ TEINTÉ DES PAPETERIES LAFUMA
- FILIGRANÉ AU MONOGRAMME
- DE
- LA NOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE
- 50 EXEMPLAIRES NUMEROTÉS A LA PRESSE
-
-
-Copyright 1919, by Société française d'Édition et de Librairie,
-proprietor of Nouvelle Librairie Nationale.
-
-Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour
-tous pays.
-
-
-
-
-AVANT-PROPOS
-
-
-Ce livre s'adresse à toutes les personnes qui, possédant une fortune
-petite ou grande, d'origine ancienne ou nouvelle, ont besoin de
-principes directeurs et de renseignements pratiques pour la placer et
-l'administrer.
-
-En cette matière, ce ne sont pas les conseils qui manquent. Mais les
-conseils désintéressés sont rares. Chacun se méfie du détaillant qui
-vante un produit. On se demande: «Quel intérêt peut-il avoir à insister
-pour me vendre cette marque plutôt qu'une autre?» Les mêmes personnes
-qui doutent de leur épicier suivront aveuglément le banquier ou même le
-commis de banque qui les invitera à acheter une valeur. Pourtant, dans
-les deux cas, la méfiance doit être la même, et elle doit être d'autant
-plus vive qu'il s'agit de plus grosses sommes pour l'acquéreur et de
-plus grosses commissions pour le courtier.
-
-Les pertes énormes subies par les capitalistes français dans ces
-dernières années ont en grande partie pour cause les erreurs,
-volontaires ou involontaires, des financiers ou des établissements de
-crédit qui s'étaient constitués les tuteurs du capital et de l'épargne.
-L'auteur de ce livre n'a aucune espèce d'attache financière. Il ne
-soutient aucun système. Il livre au public le résultat de ses études et
-de ses observations.
-
-Sa seule ambition est de rendre service. Quant à son intérêt, il a
-consisté à écrire un ouvrage qui, étant utile à beaucoup de monde,
-pourra être lu avec profit par un public nombreux.
-
-Les personnes auxquelles nous avons songé en écrivant ce livre sont
-légion en France, ou la fortune, aux degrés les plus divers, est si
-répandue. Il nous est apparu aussi que les meilleurs traités du même
-genre écrits avant la guerre ne s'appliquaient plus aux circonstances
-actuelles. Un guide nouveau était nécessaire pour tenir compte des
-bouleversements survenus depuis 1914 et de ceux qui pourraient se
-produire encore.
-
-A qui nous adressons-nous? Non seulement aux personnes qui vivent de
-leurs revenus, mais aussi à celles qui s'enrichissent par leur travail
-et leur économie et à qui leurs occupations ne permettent pas d'étudier
-à fond par elles-mêmes la meilleure manière de mettre leur épargne à
-l'abri, dans un temps où la sécurité des capitaux est si précaire.
-
-Proudhon a écrit, il y a déjà de longues années, dans son _Manuel du
-spéculateur à la Bourse_:
-
-«Le rentier, qui vit sur la foi de son inscription; l'actionnaire qui
-compte sur son dividende; le propriétaire foncier dont l'avoir est tout
-en terres et en maisons; le commerçant dont la sécurité repose sur
-l'éventualité des bénéfices; le père de famille, qui cherche pour
-l'établissement de ses fils, pour la dot de ses filles le placement le
-plus solide et le plus productif; tous ceux dont la fortune est engagée
-soit dans les fonds publics, soit dans les entreprises industrielles,
-soit dans des propriétés rurales et urbaines, et qui trop souvent
-oublient que cette fortune change incessamment, tant en capital qu'en
-intérêts, par les mouvements quotidiens de la Bourse; tout ce monde,
-étranger pour la plupart à la spéculation, a besoin cependant d'en
-connaître à peu près les objets, d'en observer les oscillations et d'en
-prévoir les résultats.»
-
- * * * * *
-
-Ce besoin est plus grand aujourd'hui que jamais. La prudence, la science
-et la réflexion, nécessaires en tout temps à la conservation de la
-richesse, sont indispensables dans les périodes agitées. Le rentier,
-l'actionnaire, le propriétaire foncier, le commerçant, le père de
-famille: voilà les personnes dont nous souhaitons être lu. C'est à
-elles, c'est à nos classes moyennes, indignement rançonnées par des
-financiers sans patriotisme et sans scrupules, que cet ouvrage est
-dédié.
-
-J. B.
-
-
-
-
-APRÈS LA GUERRE
-
-COMMENT PLACER SA FORTUNE
-
-
-
-
-CHAPITRE PREMIER
-
-UNE PÉRIODE D'INSTABILITÉ ET D'INSÉCURITÉ POUR LES FORTUNES
-
-L'instabilité des fortunes est un phénomène de tous les temps.--La
-guerre a considérablement aggravé ce phénomène.--Longue période de
-sécurité et d'enrichissement de 1815 à 1914--Le danger d'autrefois était
-la baisse de l'intérêt et les conversions.--Fausses croyances nourries à
-cet égard: l'argent ne devait plus rien rapporter.--L'intérêt s'est
-relevé, mais des capitaux ont été détruits.--Ébranlement de toutes les
-fortunes.--Autres menaces qui pèsent sur elles.--Probabilité de grandes
-crises financières, sinon de catastrophes.--De nouvelles méthodes de
-gestion des patrimoines sont nécessaires.--En quoi l'esprit et les
-habitudes des capitalistes doivent changer.
-
-
-Nos pères, qui en savaient bien autant que nous, avaient coutume de dire
-qu'une fortune est plus difficile à conserver qu'à acquérir. Ils
-disaient aussi qu'une fortune ne passe pas trois générations. C'est ce
-qu'exprimait le proverbe de la vieille France: «Cent ans bannière, cent
-ans civière», c'est-à-dire cent ans de prospérité et cent ans de
-pauvreté. Une famille réussit rarement, en effet, à garder son rang
-pendant plus d'un siècle. De tout temps, les patrimoines qui n'ont pas
-été entretenus et renouvelés ont disparu. Même sans catastrophe brutale
-et sans dilapidation, les capitaux s'usent lentement et s'évaporent par
-l'effet des années.
-
-De 1815 à 1914, les fortunes ont joui d'une sécurité et d'une stabilité
-remarquables. En France, les classes moyennes, plus douées de l'esprit
-d'économie que de l'esprit d'entreprise, étaient portées naturellement
-par le flot montant de la richesse publique. Nos révolutions du XIXe
-siècle, purement politiques, avaient laissé la propriété intacte. Les
-blessures financières de la guerre de 1870 avaient été rapidement
-pansées. Sans autre effort que celui de l'épargne, la bourgeoisie
-française, dont les rangs grossissaient tous les jours, était en progrès
-constant. Les cas de régression tenaient presque toujours à des fautes
-individuelles et non à des causes générales.
-
-Pendant les dernières années du XIXe siècle et les premières du XXe, les
-rentiers avaient pourtant une inquiétude. Par l'effet de l'accumulation
-et de l'abondance des capitaux, l'intérêt de l'argent ne cessait de
-décroître et les conversions successives de la rente sanctionnaient
-cette baisse. De 5 p. 100, qui était autrefois le taux ordinaire,
-l'intérêt était tombé à 4, puis à 3 et plus bas encore. Le taux de 2 1/2
-était couramment accepté. L'esprit humain étant enclin à croire que tout
-mouvement une fois commencé doit se poursuivre indéfiniment, on
-prévoyait que bientôt l'argent ne pourrait plus s'employer qu'à 2 p.
-100, sinon à moins. Ainsi le rentier voyait son revenu condamné à une
-chute lente et tendant vers zéro. Nous avons connu un financier aussi
-célèbre qu'opulent, qui était en même temps un économiste, et qui,
-presque quotidiennement, à la table de famille, enseignait à ses enfants
-qu'ils ne devaient pas se fier à son héritage, qu'un jour viendrait où
-il faudrait une fortune si fantastique pour vivre de ses seules rentes
-que les riches eux-mêmes seraient contraints de travailler.
-
-Les événements ont pris une autre tournure. On s'alarmait pour le
-revenu, en se croyant sûr du capital. Ç'aurait dû être le contraire.
-S'il est vrai qu'aujourd'hui bien peu de personnes peuvent se dispenser
-de travailler, ce n'est pas parce que l'argent ne rapporte plus rien:
-l'État lui-même emprunte à 5,70 p. 100 et les placements à 6 p. 100 sont
-devenus communs. Mais, à la sécurité d'autrefois, qui avait engendré la
-diminution de l'intérêt, a succédé une insécurité profonde. Il n'y a
-plus pléthore mais destruction de capitaux. La guerre européenne en a
-consommé et anéanti une quantité prodigieuse. Les États se sont endettés
-par centaines de milliards. Les grandes entreprises d'intérêt public,
-telles que les Compagnies de chemins de fer, ont elles-mêmes subi des
-pertes immenses. Il y a eu des ruines de toute sorte, une diminution
-formidable de la richesse universelle. Sans doute on a vu des fortunes
-se faire. De grandes quantités de billets de banque, de titres des
-rentes nouvelles circulent de main en main. Ce n'est pas un
-enrichissement véritable. Le papier émis ne tient pas lieu des choses
-consommées et détruites, de celles que la diminution du travail a
-empêché de produire. C'est ainsi que, chez les belligérants les plus
-gravement atteints, le papier-monnaie a pris un développement inouï,
-alarmant, qui a eu pour première conséquence d'entraîner l'avilissement
-de sa faculté d'achat et la hausse de tous les prix. C'est au milieu
-d'une immense révolution économique que nous vivons. Et une révolution
-économique entraîne fatalement une révolution sociale, à forme
-silencieuse ou explosive: peu importe. L'effet est le même pour les
-individus.
-
-La richesse, pendant la guerre et depuis, s'est déplacée. Elle a changé
-de mains. Il y a de «nouveaux riches» et de «nouveaux pauvres». Bien
-rares sont les patrimoines anciennement constitués qui ont pu se
-maintenir tels qu'ils étaient. L'avilissement de l'argent, la chute
-profonde des valeurs mobilières, dont quelques-unes ne se relèveront
-sans doute jamais, ont retenti sur toutes les fortunes, des plus grandes
-aux plus petites. Une portion considérable des portefeuilles, composée
-de valeurs russes, autrichiennes, hongroises, turques, etc... est
-gravement compromise. On n'oserait jurer que cette liste nécrologique ne
-s'allongera pas.
-
-D'autre part, la grande secousse de la guerre a eu pour effet de
-précipiter une évolution déjà commencée. Le régime capitaliste s'était
-développé au XIXe siècle avec les progrès rapides de l'industrie et sous
-la protection des lois qui étaient alors en vigueur. D'une part, le
-droit de propriété individuelle était sacré, intangible et regardé comme
-faisant partie des Droits de l'homme. Garanti par l'État, la société et
-le Code, il donnait, à quiconque possédait, une sécurité inconnue à
-toutes les autres époques. D'autre part, la conception individualiste de
-la Révolution française, contraire à tout ce qui était corporations ou
-syndicats, paralysait les revendications ouvrières.
-
-Peu à peu, ces conditions ont changé. Et puis, avec le temps, beaucoup
-d'éléments des fortunes françaises ont vieilli. On a oublié les services
-rendus par le capital lorsqu'il s'était agi de mettre les mines en
-valeur et de construire les voies ferrées. Il paraît moins naturel
-qu'autrefois que le fait de posséder une action de chemins de fer ou de
-charbonnage donne le droit de toucher des dividendes copieux à une
-personne qui ne connaît les locomotives que pour avoir voyagé et le
-charbon que pour se chauffer au coin de son poêle. L'expérience ayant
-prouvé que le travail lui-même avait besoin du capital, celui-ci n'est
-pas déchu de son droit à l'intérêt, mais sa part est restreinte et, si
-restreinte soit-elle, encore contestée.
-
-Il résulte de ces divers phénomènes que les patrimoines français sont
-largement entamés, gravement ébranlés et exposés à des diminutions
-nouvelles par le fait des circonstances. La situation financière de
-notre pays elle-même, après les formidables dépenses de la guerre, n'est
-pas sans inspirer des inquiétudes. Sa dette colossale, ajoutée à un
-passif déjà lourd, oblige à se demander si la France pourra toujours
-faire face à ses engagements. Ainsi, d'une part, les revenus sont
-réduits par les pertes éprouvées ou menacent de l'être par des pertes
-nouvelles. De l'autre, les impôts s'aggravent, se multiplient, et la vie
-est devenue plus coûteuse. Jamais l'administration d'une fortune n'a été
-plus difficile.
-
-Il est donc bien certain que les idées qui avaient cours avant la guerre
-doivent être révisées. Un capitaliste qui s'entêterait à suivre les
-pratiques recommandables autrefois irait directement à la ruine. A temps
-nouveaux, besoins nouveaux.
-
-Assurément, la propriété sera éternelle. Depuis que les hommes vivent en
-société, elle a survécu à tous les bouleversements et elle survivra
-encore à celui-ci. Le capital lui-même se reconstituera toujours. La
-difficulté, dans une période de transition, consiste à sauver le capital
-existant et à le garder entre ses mains.
-
-Nous assistons en ce moment à une lutte de la société capitaliste, telle
-qu'elle s'était constituée au XIXe siècle, pour durer et s'adapter à
-travers les transformations du XXe siècle. Cette adaptation ne se fera
-pas sans peine et il est probable qu'il y aura, chemin faisant, bien des
-victimes.
-
-Existe-t-il une recette infaillible pour abriter les capitaux et les
-soustraire aux conséquences des métamorphoses économiques et sociales?
-Nous ne le croyons pas. Nous nous proposons seulement de donner dans ce
-livre des indications pratiques et utiles, de mettre en garde contre des
-écueils, de dissiper de dangereuses illusions, d'exposer des principes
-fondés sur l'observation et sur l'expérience et dont l'application
-permettra aux capitalistes et aux rentiers d'échapper au moins à une
-partie des risques auxquels ils sont exposés pour longtemps. Selon
-toutes les apparences, les agitations ne sont pas près de prendre fin en
-Europe. L'ordre nouveau établi par la paix n'est pas lui-même très sûr.
-Le fût-il, que la liquidation serait encore pénible et douloureuse. Sans
-doute, personne ne peut se vanter de tout prévoir. Mais celui qui ne
-prévoit rien et qui s'en remet au hasard, comme celui qui ne veut rien
-changer à ses habitudes, est le jouet des événements.
-
-Nous sommes convaincu que les classes moyennes, durement éprouvées par
-les conséquences de la guerre, résisteront à la tourmente. Formées par
-le travail et l'économie, elles savent que là sont les seules sources de
-la richesse. Si elles ont été frappées, ce n'est pas leur esprit de
-cupidité ou leur goût du risque qui en est cause. Leur prudence et leur
-modération sont proverbiales. Elles ont toujours eu pour principe de
-rechercher moins de gros intérêts ou des bénéfices que la sécurité du
-capital, ou ce qu'on croyait être autrefois la sécurité. Si elles ont
-péché, c'est par excès de confiance. Le nom illustre de Ferdinand de
-Lesseps avait suffi jadis à engager dans le Panama les plus timides,
-alors que le canal de Suez, dans sa nouveauté, avait effrayé le public.
-Pour les fonds russes, l'appel de l'État français, la propagande des
-établissements de crédit, le prestige d'un Empire immense et dont les
-faiblesses étaient inconnues: voilà ce qui a séduit les souscripteurs
-bien plus que l'attrait d'un intérêt élevé. C'est par la même confiance,
-le même respect des institutions anciennes et célèbres, que la
-bourgeoisie française s'est attardée aux actions de nos compagnies de
-chemins de fer, alors que ces titres ne promettaient plus que des
-déboires à leurs porteurs.
-
-On a dit bien des fois que l'éducation financière du public français
-était à faire. Ce sont malheureusement des aigrefins, souvent patentés,
-qui s'en chargent et qui exploitent la crédulité et l'esprit de routine.
-Les capitalistes, pour se défendre, vont avoir, encore plus qu'hier,
-besoin d'esprit critique. Plus qu'hier ils devront être renseignés, ils
-devront être prudents, mais prudents à bon escient, et non pas sur la
-foi de charlatans ou d'intermédiaires malhonnêtes par profession. Ils
-devront se garder aussi d'une aveugle fidélité à des traditions
-périmées.
-
-L'illusion de la Bourse est une de celles qui auront été le plus
-funestes. Combien de personnes s'imaginaient que les prix inscrits dans
-les colonnes de la cote correspondaient à des valeurs réelles et
-durables! Il a fallu la tourmente de la guerre pour montrer la fragilité
-de ce château de cartes. A l'avenir, les capitalistes devront savoir
-qu'une fortune constituée tout entière en papier et qui dépend d'une
-estimation éphémère, qui est soumise à tous les hasards des événements
-intérieurs et extérieurs, ne repose pas sur des bases solides. De
-nouvelles méthodes de placement et de gestion se recommandent
-aujourd'hui d'une façon impérieuse et le capitaliste doit se faire, à
-tous les égards, un nouvel esprit.
-
-Pendant des années qui pourront être longues, il devra d'abord avoir
-toujours présente à la pensée l'idée que des catastrophes financières
-ou, tout au moins, des crises graves sont possibles. Dans l'hypothèse la
-plus favorable, il est exagéré de croire que la France, par exemple, se
-relèvera aussi promptement et en suivant une marche aussi régulièrement
-progressive qu'après 1871. Personne n'a encore pu calculer exactement
-les répercussions de la guerre. Personne ne sait au juste comment (pour
-ne parler toujours que de la France), trente-cinq milliards de billets
-de banque, en face de cinq milliards d'or seulement, plus quelques
-dizaines de milliards de Bons de la Défense Nationale qui, eux mêmes, ne
-sont qu'une autre forme des billets de banque, pourront être retirés de
-la circulation pour que celle-ci revienne à un niveau normal, sans
-compter que, pour la première fois, la France a une grosse dette
-extérieure. En tout cas, la guérison sera longue. Elle ne se fera pas
-sans rechutes contre lesquelles les personnes prudentes doivent, dès
-maintenant, se prémunir.
-
-Mais l'esprit du capitaliste devra changer à un autre égard. Il devra
-s'élargir aux proportions des nécessités de notre époque. Les impôts
-seront multiples et lourds: il faudra s'y résigner et se dire que, s'il
-est désagréable de payer l'impôt sur le revenu, il serait encore pire de
-n'avoir plus de revenus du tout, ce qui fût arrivé si nous avions été
-vaincus. Il faudra encore compter avec de nouveaux rapports entre le
-capital et le travail. Il y a des revendications ouvrières dont
-l'exagération est absurde et qui, si elles étaient écoutées,
-aboutiraient à tuer la poule aux oeufs d'or, comme le bolchevisme l'a
-fait en Russie. La résistance à ces folies est un devoir. Mais il n'est
-de l'intérêt de personne qu'il y ait des ploutocrates d'une part et, de
-l'autre, des prolétaires sans attaches avec l'industrie qui a besoin de
-leurs bras. Il s'agit seulement, pour les possédants, de compter avec
-les évolutions inévitables, de les comprendre et de ne pas se laisser
-surprendre par elles.
-
-Nous avons déjà cité tout à l'heure un proverbe de la vieille France. Un
-autre, familier à l'ancienne noblesse, disait: «Nous venons tous de la
-charrue.» Que chaque capitaliste songe à ses origines ou à celles de sa
-famille. Il sentira combien le plus riche est près de ceux qui ne
-possèdent rien. Ce n'est pas notre rôle de moraliser sur les devoirs de
-la richesse. Mais il n'est pas mauvais, même pour gérer et conserver sa
-fortune, de savoir qu'elle a des collaborateurs obscurs, peu favorisés,
-dans les rangs desquels on aurait pu naître et où retourneront peut-être
-les descendants de ceux qui possèdent aujourd'hui, comme tant de
-familles, riches autrefois, ont elles-mêmes déchu.
-
-C'est un métier, somme toute, d'être capitaliste. Et ce métier exige des
-qualités, lui aussi. Une fortune ne se garde que par les moyens qui
-l'ont formée: le travail et l'économie. Il y faut encore de la
-prévoyance, de la réflexion, de l'étude. Les chapitres qui suivent
-constituent un guide méthodique pour la conservation des patrimoines,
-qui sont une des forces de la nation. Le devoir de quiconque a créé ou
-reçu le sien est de le transmettre intact et même accru à ses
-successeurs. Les anciens avaient coutume de dire que ce n'est pas une
-honte d'être pauvre mais qu'il est honteux de ne pas aspirer à sortir de
-la pauvreté. Il est encore plus honteux, et sans profit pour la
-collectivité, de se laisser appauvrir par ignorance, insouciance ou
-paresse d'esprit.
-
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-LE PRINCIPE DE LA DIVISION GÉOGRAPHIQUE DES PLACEMENTS, QUI S'EST MONTRÉ
-INSUFFISANT, DOIT ÊTRE COMPLÉTÉ PAR UN AUTRE PRINCIPE
-
-La division des risques est une précaution élémentaire.--L'écueil c'est
-qu'elle tourne parfois à la multiplication des risques.--Exemples
-malheureux de dissémination des capitaux.--Nécessité de précautions
-supplémentaires.--Valeurs solides et réelles sur lesquelles doit reposer
-une fortune.--Les biens-fonds réhabilités.--Gages à exiger des valeurs
-mobilières.--Le remboursement prochain du capital est la clause
-essentielle de tout prêt d'argent.--Application de ce principe aux
-placements mobiliers et avantages qu'il comporte.--Règles pratiques à en
-tirer.
-
-
-On a toujours su qu'il n'était pas bon de mettre tous ses oeufs dans le
-même panier. Mais le principe de la division des risques a pu être
-appliqué avec une facilité inconnue au temps jadis dès que la diffusion
-des valeurs mobilières eut permis de placer de l'argent dans les quatre
-parties du monde, par un simple ordre d'achat donné à la Bourse.
-Diversifiez, internationalisez vos placements: tel est le conseil qui a
-été prodigué avant la guerre, et, en lui-même, il était bon.
-
-Seulement, il ne fallait pas courir au-devant des risques sous prétexte
-de les diviser. Un rentier qui aurait eu en portefeuille, il y a une
-douzaine d'années, des valeurs russes, austro-hongroises et mexicaines,
-se serait cru garanti par cette variété contre les accidents qui
-pouvaient l'atteindre d'autre part. En réalité, il fût allé lui-même
-chercher sa perte. Au temps où le Mexique était bien gouverné, où les
-Empires de Russie et d'Autriche se présentaient comme des édifices
-solides, des économistes expérimentés n'hésitaient pas à recommander
-comme sûres et avantageuses les valeurs de ces pays. On voit pourtant ce
-qu'il en est advenu.
-
-Avant la guerre, un autre attrait de la diversité des placements, aux
-yeux des rentiers, c'était aussi, et peut-être surtout qu'on y voyait un
-moyen de relever le rendement d'un portefeuille, l'intérêt de l'argent
-étant, d'une façon courante, moins élevé en France que dans beaucoup de
-pays étrangers. Cette considération a perdu aujourd'hui sa raison
-d'être.
-
-En outre, on s'imaginait volontiers que l'expatriation des capitaux
-était une garantie contre les mesures fiscales de caractère socialiste,
-et notamment contre l'impôt sur le revenu, qui était, à ce moment-là, un
-grand épouvantail et dont le mécanisme était d'ailleurs mal compris. On
-ne se représentait pas qu'on s'exposait tout simplement, dans la plupart
-des cas, à subir les impôts du pays de refuge, plus les impôts français.
-Car les gouvernements et les administrations de tous les pays ont
-tendance à se copier, et cette tendance est encore plus forte quand les
-besoins sont à peu près les mêmes partout. Si le fisc a la main lourde
-en France, il n'est pas plus indulgent en maints autres endroits. Et le
-socialisme d'État, après avoir semé la terreur lorsqu'il est apparu chez
-nous, semble modéré et conservateur quand on compare ses mesures
-fiscales à celles des nouvelles Républiques socialistes qui sont nées de
-la défaite des Empires centraux, sans parler des Républiques de Soviets
-et de la dictature du prolétariat.
-
-Avec le socialisme, le nationalisme est l'autre tendance des États
-modernes. Ces deux tendances se conjuguent souvent. Pas plus que les
-individus, les peuples n'aiment leurs créanciers. Les pays qui ont une
-grosse dette extérieure, qui sont les débiteurs de l'étranger, sont très
-portés à renier leurs engagements. Ce sentiment xénophobe explique pour
-une bonne part ce qui s'est passé en Russie depuis la révolution.
-D'autres pays, qui ont été heureux de trouver des capitaux étrangers
-pour les mettre en valeur, ne songent plus qu'à exproprier les sociétés
-concessionnaires une fois que les entreprises sont entrées dans la
-période des bénéfices. Dans l'ère de nationalisme intense où le monde
-est entré, les peuples les plus primitifs ou, comme le peuple chinois,
-les plus endormis, prennent conscience d'eux-mêmes, selon l'expression
-consacrée, et le font souvent sentir à leurs bailleurs de fonds.
-
-Il ne suffisait pas naguère, il ne suffira pas encore demain d'envoyer
-sa fortune au delà de la frontière pour la mettre en sûreté. Il faut
-encore connaître le fort et le faible des nations auxquelles on la
-confie. Il faut être renseigné sur leur situation politique, leurs
-finances, leur législation. Et puis, s'il est difficile, quand il s'agit
-d'autre chose que de fonds d'État, de distinguer les bonnes valeurs des
-mauvaises dans son propre pays, la difficulté est encore plus grande
-quand il s'agit d'entreprises situées dans des pays avec lesquels on
-n'est pas familier et qu'on ne connaît que par ouï-dire.
-
-A l'épreuve de la guerre et des bouleversements qu'elle a produits, il
-est apparu que la division des placements et leur distribution
-géographique ne rendaient pas tous les services qui en étaient attendus.
-Les personnes qui, par ce procédé, ont réussi à sortir de la crise avec
-leur fortune intacte doivent reconnaître qu'il y a dans leur cas plus de
-chance que de science. Au fond, un homme d'affaires vraiment génial, qui
-eût compris dès 1911, au moment du coup d'Agadir, ou dès 1912 et 1913, à
-la lumière des conflits balkaniques, que l'Europe allait enfin à la
-guerre générale si souvent annoncée, eût tout simplement réalisé son
-portefeuille. Alors, se trouvant à la tête d'un capital liquide, au
-moment où les valeurs du monde entier s'effondraient, cet homme
-audacieux et pénétrant eût réalisé des bénéfices considérables.
-
-En effet, sauf un très petit nombre de pays neutres qui ont été
-favorisés par les événements, sauf quelques valeurs dites «de guerre»
-qui, grâce à la longue durée des hostilités, ont travaillé pour
-l'armement avec de très gros profits, on a vu la généralité des
-meilleures valeurs descendre à des cours inconnus. Tel a été le cas,
-notamment, des valeurs à revenu fixe comme les obligations des chemins
-de fer américains de premier ordre, qui ont automatiquement baissé
-jusqu'à ce qu'elles fussent arrivées à se mettre au niveau demandé par
-le relèvement général du loyer de l'argent. Des titres rapportant 3 1/2
-ou 4 p. 100, se tenaient au pair, lorsque l'intérêt courant était à ce
-taux. Ils sont tombés à 70, lorsque les emprunts à 5 et 5 1/2 p. 100 et
-même davantage se sont multipliés.
-
-Puisqu'il est extrêmement probable que nous ne sommes pas au bout de la
-série des grandes crises financières, _la préoccupation essentielle doit
-donc encore maintenant s'adresser au capital plus qu'au revenu_. Le
-revenu se trouvera toujours. Sauvegarder d'abord le capital, c'est la
-tâche première et la plus difficile.
-
-La division géographique des placements peut y aider, mais elle ne
-suffit pas. Des temps sont venus où l'édifice du crédit est fragile. Les
-garanties d'une créance doivent être examinées avec plus de soin qu'au
-moment où la solvabilité générale créait un état d'équilibre et de
-confiance. Les valeurs mobilières ressemblent étroitement, à cet égard,
-aux billets de banque. En période de prospérité, personne ne regarde de
-très près à leurs garanties réelles parce que l'on sait que le papier
-trouve à s'échanger sans peine. Les cours de Bourse ont beau n'être
-qu'une estimation, ils offrent des promesses de stabilité et même de
-plus-value. La force de l'ensemble maintient les parties en équilibre.
-Mais, en temps de crise, et quand le crédit est ébranlé, la réalité
-reprend ses droits. Toutes les valeurs fictives se déprécient. Celles
-qui ne reposent pas sur quelque chose de solide tombent à zéro. C'est
-cette solidité qui doit être requise et recherchée avant tout.
-
-Il résulte de là que l'assurance contre les risques ne doit plus
-seulement consister à disséminer une fortune sur les divers points du
-globe, mais surtout à en éliminer autant que possible les éléments
-fictifs. A cet effet, il importe de modifier les méthodes de placement
-naguère en honneur et de revenir aux principes de méfiance et de
-sécurité qui dirigeaient les capitalistes d'autrefois.
-
-La terre, les maisons, les prêts couverts par une hypothèque large et
-précise: voilà les premières valeurs réelles sans lesquelles une fortune
-est construite sur des sables mouvants. Aujourd'hui le porteur de
-maintes valeurs mobilières peut regarder avec envie le propriétaire
-d'immeubles, qui a, sans doute, ses tracas, mais qui peut voir et
-toucher son bien, alors que, d'un jour à l'autre, rentes d'État,
-actions, obligations sont exposées à devenir une insaisissable fumée.
-Pendant la Révolution, les possesseurs d'assignats ont été ruinés. Les
-acheteurs de biens nationaux se sont enrichis. Les anciens propriétaires
-maintenus en possession n'ont rien perdu. Il y a là une leçon.
-
-La guerre a réhabilité les immeubles comme elle a réhabilité
-l'agriculture, mère de toute richesse. On a acheté à de hauts prix les
-terres et les maisons. Pour les valeurs mobilières elles-mêmes, les
-bailleurs de fonds se sont montrés plus exigeants quant aux gages. Cela
-est si vrai que les sociétés qui s'adressent au crédit public offrent de
-plus en plus aux obligataires des garanties hypothécaires sur leurs
-constructions et leurs installations industrielles.
-
-Sans doute, des placements en bonnes valeurs françaises ou étrangères se
-recommandent aux propriétaires fonciers, même dans un pays où la
-propriété semble aussi bien garantie par l'état social qu'elle l'est en
-France. Il est utile et même indispensable, pour le propriétaire
-d'immeubles, de posséder un capital liquide ou d'une réalisation facile,
-pour les raisons que nous exposons au chapitre suivant. Mais c'est à la
-condition que les valeurs choisies soient elles-mêmes sérieusement
-gagées. Et l'examen de ces gages, surtout quand il s'agit de valeurs
-étrangères, ne se fait pas toujours aisément à distance et dans des pays
-dont l'organisation financière et les lois sont souvent très différentes
-des nôtres.
-
-L'insécurité universelle demande encore une autre précaution: c'est que
-les capitaux, autant que possible, ne soient prêtés qu'à la condition
-d'être rendus dans un délai suffisamment rapproché. Prenons le prêt
-d'argent type qui est le prêt hypothécaire. Non seulement un gage
-immobilier lui est affecté, mais encore le débiteur s'oblige à
-rembourser le capital à date fixe. La simple créance chirographaire,
-autrement dit le «billet», ne jouit pas de gages particuliers, mais sa
-clause principale, c'est celle qui fixe l'échéance du remboursement. Une
-reconnaissance de dette souscrite par un particulier constitue déjà un
-titre bien fragile. Si le «billet» ne stipule pas un remboursement
-rapide, c'est un titre encore plus incertain. Un emprunt à long terme,
-et à plus forte raison un emprunt perpétuel, quelle que soit la qualité
-du débiteur, État ou société industrielle, ne vaut pas mieux.
-
-Qu'avons-nous vu pendant la guerre et depuis? C'est que, à valeur égale,
-à rendement égal, les titres à remboursement éloigné tombaient, tandis
-que les titres à remboursement prochain se maintenaient au pair ou aux
-environs du pair. Prenons un exemple. On négociait à la Bourse de
-New-York, il y a quelques années, deux obligations de chemins de fer du
-même type, de la même valeur nominale, pareillement recommandables et
-d'un revenu identique, la _Pennsylvania 3 1/2_ et la _New York Central 3
-1/2_. En 1906 ces deux titres se tenaient au pair, à quelques points
-près. Mais le premier était remboursable en 1915 et le second en 1919
-seulement. Peu à peu, les circonstances générales devenant moins
-favorables, des crises s'étant produites aux États-Unis, la _New York
-Central_ baissa, tandis que la _Pennsylvania_, soutenue par la proximité
-du remboursement, bougeait à peine. En 1915, alors que cette obligation
-était remboursée intégralement à 1000 dollars, l'autre n'en valait plus
-que 800, à la Bourse de New-York. Elle n'en valait plus que 700 en 1919.
-Cet exemple est remarquablement instructif. On pourrait y ajouter que la
-même Compagnie Pennsylvania avait introduit à la Bourse de Paris des
-obligations 3 3/4 p. 100 remboursables en 1921. Dès l'année 1919, ces
-obligations sont au pair de 500 francs.
-
-De même il est de notoriété publique que le cours des obligations des
-chemins de fer français est soutenu par l'amortissement régulier de ses
-titres, qui se fait par voie de tirage au sort annuel. C'est ce qui
-explique que ces obligations se capitalisent plus haut même que les
-rentes sur l'État. Si quelque circonstance voulait que l'amortissement,
-jusqu'ici régulier, fût suspendu, différé ou seulement ralenti, il est
-certain que ces titres baisseraient aussitôt dans des proportions
-considérables. Il est également facile de remarquer que le 3 p. 100
-amortissable et remboursable selon les mêmes règles que les obligations
-de chemins de fer se tient aujourd'hui à dix ou onze points au-dessus du
-3 p. 100 perpétuel; toujours pour la même raison qui est la perspective
-de récupérer en espèces le capital prêté.
-
-Ainsi, pour protéger ses capitaux, _il ne suffit pas de les distribuer
-géographiquement dans l'espace, il faut encore les distribuer dans le
-temps_. Une fortune dans laquelle entrent des sommes remboursables à des
-dates diverses et successives échappe ainsi pour une partie importante
-aux fluctuations de la Bourse. En outre, elle se rafraîchit et se
-rajeunit incessamment. Enfin, des remboursements survenant à l'heure
-d'une dépression et d'une crise sont une aubaine qu'un homme avisé met à
-profit pour des placements fructueux.
-
-A plus forte raison, le commerçant et l'industriel qui ne veulent pas
-laisser leur argent improductif mais qui pourront en avoir besoin un
-jour pour agrandir leurs affaires, ont intérêt, de même que le père de
-famille qui prévoit l'époque où il devra doter sa fille, à stabiliser de
-cette manière une notable partie de leurs capitaux. C'est le meilleur
-moyen de s'assurer contre les risques de la Bourse. Sans doute, il n'est
-pas interdit d'attendre un accroissement de son capital par un placement
-à long terme. Si tout se passe normalement et heureusement, comme on
-peut l'espérer, les cours des valeurs s'élèveront à mesure que la guerre
-s'éloignera. En particulier, les souscripteurs et les acheteurs des
-nouvelles rentes françaises seront récompensés d'avoir eu confiance dans
-leur pays. Il n'en est pas moins sage, nécessaire et d'une bonne
-administration de se garantir contre le risque des bourrasques
-financières et contre les destructions inévitables que le temps entraîne
-avec lui.
-
-Pour conclure, il est salutaire de ne pas perdre de vue ces trois
-principes: 1º que les immeubles sont l'élément permanent de la richesse;
-2º que des garanties réelles doivent être attachées dans la plupart des
-cas aux valeurs mobilières pour que celles-ci soient autre chose que des
-«billets» ou des papiers d'une valeur variable et contestable; 3º que le
-capitaliste ne doit prêter au moins une partie de ses capitaux que pour
-un temps limité, avec des dates de remboursement échelonnées, de façon à
-s'assurer des rentrées d'argent périodiques et à ne jamais être pris de
-court par les événements.
-
-Ces principes de légitime défense et de prudence réfléchie auraient
-rendu de grands services aux capitalistes qui s'en seraient inspirés
-avant la guerre. Ils seront encore bienfaisants au cours des années à
-venir. Nous allons en suivre l'application dans l'examen des divers
-éléments qui constituent la généralité des fortunes en France ou qu'il
-peut être utile d'y faire entrer.
-
-
-
-
-CHAPITRE III
-
-DES IMMEUBLES
-
-La revanche des anciens placements.--Toute richesse part de la
-terre.--Stabilité de la propriété immobilière.--Un exemple
-typique.--Relèvement de la valeur de la terre en France.--Hausse des
-produits agricoles.--Sécurité de la propriété rurale, due, dans notre
-pays, à son extrême division.--Le dépeuplement des campagnes est le seul
-point noir.--Conseils pour la gestion des biens fonciers.--Les maisons
-de rapport à Paris et dans les grandes villes.--Achat, construction et
-entretien.--Les spéculations sur les terrains.--Les formes excentriques
-de la propriété et leurs périls.
-
-
-«Avoir du bien au soleil», et «avoir pignon sur rue»: ces deux
-expressions proverbiales rappellent qu'au temps jadis nos pères
-considéraient que la véritable fortune, durable et solide, consistait en
-immeubles, en terres et en maisons. Pendant la longue période de
-tranquillité relative, de stabilité, de prospérité et de développement
-industriel qui a favorisé l'essor prodigieux des valeurs mobilières, la
-vieille préférence de l'épargne française pour les placements fonciers
-n'avait cessé d'aller en s'affaiblissant. La facilité du coupon touché
-sans fatigue, souvent par l'intermédiaire d'une banque ou d'un receveur
-de rentes, s'opposait aux tracas de la propriété: les locataires, les
-fermiers, les impôts, les réparations et l'entretien.
-
-Quelques années avant la guerre, une personne qui faisait l'acquisition
-d'une ferme semblait déraisonnable et, en tout cas, rétrograde et
-attachée aux préjugés d'un autre âge. L'achat ou la construction d'un
-immeuble urbain, à moins que ce ne fût pour le revendre et comme
-opération spéculative, finissait par être presque aussi mal jugé. A quoi
-bon se donner les soucis de la propriété quand toute la gamme des
-valeurs de Bourse était là?
-
-Les épreuves de la guerre ont changé ce point de vue et montré que les
-vieilles habitudes de placement étaient sages et fondées sur
-l'expérience. Un spirituel Parisien, venu, comme presque tous les
-Parisiens, de province, nous disait un jour: «Ayant quelques économies,
-je les avais placées en fonds russes. Et j'ai pensé, depuis, au pré que
-mon père aurait acheté avec cet argent-là. Au moins le pré serait
-toujours à sa place.»
-
-Non seulement le pré serait à sa place, mais sa valeur se serait
-considérablement accrue. Un des effets de la guerre a été d'augmenter
-presque partout le prix de la terre et des maisons. La dépréciation des
-billets et des valeurs, la méfiance pour tout ce qui est papier, a eu
-pour conséquence que les valeurs réelles ont été recherchées. Et quelle
-valeur est plus réelle que la terre, d'où part toute richesse, que les
-maisons, puisqu'il faut toujours se loger?
-
-La véritable richesse est là. C'est une erreur de croire que nos pères
-aient placé leur fortune en immeubles parce qu'ils ne connaissaient pas
-d'autres sortes de placements. Sans doute les valeurs mobilières étaient
-fort loin d'être développées. Elles étaient même dans l'enfance. Mais
-enfin elles existaient. L'antiquité avait déjà connu les sociétés par
-actions. Et les rentes sur l'Hôtel de Ville, les actions de la Compagnie
-des Indes, qui ont laissé des souvenirs malheureux dans l'histoire,
-qu'était-ce, sinon l'équivalent de nos fonds d'État et de nos titres
-industriels? Lorsque plusieurs négociants s'associaient pour acheter un
-navire, ils formaient une société de navigation. Et ainsi de suite.
-
-Nos pères savaient fort bien, et par expérience, que les valeurs
-mobilières, dont l'essence n'a pas changé, quelle qu'ait pu être la
-forme qu'elles avaient de leur temps, étaient condamnées à périr. Leur
-préférence pour les placements immobiliers était parfaitement fondée.
-Car l'immeuble, qu'il s'agisse d'une maison ou d'une terre de culture,
-n'offre pas seulement sur le papier l'avantage de la solidité
-matérielle. Il a encore cette supériorité que son rendement se trouve
-toujours, à travers les âges, égal à la valeur de l'argent dans un temps
-donné.
-
-Le célèbre économiste et financier Léon Say avait une profonde méfiance
-des valeurs mobilières qui n'ont même plus la valeur du papier,
-disait-il, «parce que quelque chose est écrit dessus». Il aimait à citer
-l'exemple d'un petit domaine, la terre de Bourbilly, qui avait appartenu
-un moment à Mme de Sévigné et qui, resté tel quel du XVIe siècle à nos
-jours, avait toujours donné à ses propriétaires un revenu croissant. Ce
-domaine, qui produisait 50 livres en l'an 1523, produisait 2.000 francs
-en 1884. La puissance d'achat de 50 livres au XVIe siècle étant celle de
-2.000 francs au XIXe, on voit en quoi consiste la seconde garantie qui
-est attachée aux biens immeubles: leur rendement et leur valeur locative
-se règlent exactement sur la valeur de l'argent, les denrées agricoles
-étant elles-mêmes les régulatrices des prix. Au contraire, disait Léon
-Say achevant sa démonstration, un capital mobilier égal à la valeur du
-domaine de Bourbilly, qui eût rapporté 50 livres en 1523, en admettant
-qu'il eût pu arriver intact aux mains des lointains héritiers de 1884,
-n'eût rapporté que 50 francs[1].
-
- [1] Les personnes que ces questions intéressent trouveront de nombreux
- éclaircissements dans le beau livre de M. CAZIOT, la _Valeur de la
- terre en France_ (J.-B. Baillière, éditeur).
-
-Nous avons déjà commencé, depuis la guerre, à assister à un phénomène du
-même genre et dont la marche a été extraordinairement rapide. A la
-dépréciation du papier-monnaie, à l'avilissement de l'argent, a
-correspondu une hausse considérable des produits de la terre et du prix
-de la terre elle-même. Nos paysans, qui se sont enrichis, achètent les
-moindres parcelles à des prix qui eussent paru fantastiques il y a
-quelques années. Sans le savoir, ils raisonnent comme des écononomistes
-savants.
-
-D'abord, comme Léon Say, ils n'ont pas confiance dans le papier. Ils ont
-hâte de transformer leurs billets de banque ou leurs bons de la Défense
-nationale en quelque chose de tangible. Ensuite ils sentent bien que les
-produits de la terre, c'est-à-dire les aliments indispensables à
-l'homme, donneront un intérêt correspondant au capital engagé.
-
-Plus la monnaie d'un pays est dépréciée, et plus la terre est
-recherchée, plus elle vaut cher. La hausse de la terre est même un signe
-précurseur de crise de toutes les autres valeurs, y compris le
-papier-monnaie. Ainsi, en 1917, en Hongrie, pays agricole, un
-demi-hectare de terres labourables avait été vendu 22 000 couronnes et
-cette enchère semblait alors fantastique et absurde. L'acquéreur
-semblait ne devoir jamais retrouver l'intérêt de son capital. Mais, en
-1919, la couronne valait à peine 17 centimes (au lieu de 1 fr. 05)
-tandis qu'inversement le prix du quintal de froment avait monté en
-conséquence. L'enchère insensée avait été parfaitement raisonnable.
-
-La terre, en France, avait subi une dépréciation considérable à partir
-de 1880. Dès l'année 1908, le relèvement était devenu sensible. Il n'a
-fait, depuis, que s'accentuer. Le préjugé hostile à la propriété rurale
-a disparu et le moindre lopin, dans les bons pays de culture, trouve
-aujourd'hui dix acquéreurs pour un. La valeur locative de la terre
-suivra naturellement la hausse de l'hectare. En sorte que les
-propriétaires fonciers, frappés, il y a trente ans, dans leur capital et
-leur revenu, connaîtront de nouveau des jours prospères. Déjà, dans les
-régions où le métayage est en honneur, les propriétaires ont participé
-directement aux bénéfices réalisés pendant la guerre par les
-cultivateurs.
-
-C'était donc bien à la légère qu'on dénigrait les vieilles méthodes de
-placement et qu'on faisait fi de l'expérience de nos ancêtres. La
-propriété rurale prend aujourd'hui sa revanche et les inconvénients
-qu'elle offre (quelle forme de propriété n'a les siens?) semblent peu de
-chose quand on les compare aux risques de disparition totale qui sont
-attachés aux valeurs mobilières. Nous sommes d'avis que, dans notre
-siècle comme à toutes les époques agitées, il n'y a pas de fortune
-solide sans assise terrienne.
-
-En France, notamment, l'extrême division de la propriété rurale
-constitue une garantie de premier ordre. La question agraire ne se pose
-pas dans notre pays parce que les _latifundia_ n'existent pas et que les
-domaines un peu étendus y sont même extrêmement rares. Il est difficile
-d'imaginer une seule hypothèse dans laquelle, chez nous, la terre serait
-l'objet de mesures socialistes, tant il y a de degrés de la petite
-propriété à la moyenne et à la grande.
-
-Quant à la crainte des impôts, s'il est vrai qu'il est difficile que la
-terre échappe au fisc, il y a aussi une compensation: c'est que, par la
-force des choses, la valeur des denrées agricoles tend toujours à
-équilibrer toutes les charges. Pour employer une expression vulgaire,
-celui qui tient le bon bout, c'est le détenteur du sol d'où vient tout
-ce qui se mange et tout ce qui se boit. Tôt ou tard le propriétaire
-terrien retrouve son heure.
-
-Le danger social qui menace la propriété rurale est d'une autre nature.
-Il est particulier à la France: c'est la dépopulation. Avant 1914, on a
-vu des régions entières de plus en plus désertées. C'était le cas des
-départements situés dans la vallée de la Garonne, vallée jadis célèbre
-par sa fertilité. C'était le cas aussi de nombreux départements de l'Est
-où la main-d'oeuvre rurale passait dans l'industrie. Dans toutes ces
-parties de la France, la valeur de la propriété rurale ne cessait de
-s'effondrer. Au contraire, en Bretagne, peu favorisée par la nature,
-mais où la natalité était forte et où les habitants émigraient peu, la
-terre était toujours mieux cultivée, toujours plus recherchée, et le
-prix de l'hectare s'est élevé constamment.
-
-La guerre, malheureusement, a frappé surtout la classe rurale et, en
-plus d'un endroit, c'est une question angoissante de savoir s'il y aura
-encore des bras pour tenir la charrue. Il y a là un phénomène beaucoup
-plus inquiétant que la hausse du salaire de l'ouvrier agricole.
-Cependant on peut espérer que le dépeuplement des campagnes ne
-s'accélérera pas et même qu'il y aura un reflux, la profession de
-cultivateur étant redevenue et devant rester longtemps encore
-rémunératrice. L'extension de la culture mécanique, l'accroissement des
-engrais (potasse d'Alsace) contribueront sans doute à maintenir cette
-situation favorable.
-
-Il n'en est pas moins vrai que, d'une façon générale, la région ouest de
-la France est la vraie région agricole, la seule où le cultivateur soit
-assez enraciné et la population rurale encore dense. Il va sans dire
-aussi qu'une ferme ne doit pas s'acheter à la légère et qu'il importe de
-s'informer sérieusement de la qualité du fonds, parfois très variable
-dans une même commune, de l'état des bâtiments, des conditions du bail,
-s'il y a un bail en cours, et, s'il n'y en a pas, de la facilité de
-trouver un locataire.
-
-Il faut bien savoir aussi que la propriété immobilière (et ceci est vrai
-de la terre comme des maisons de rapport) ne peut se conserver et se
-transmettre par héritage qu'à une condition: c'est que le propriétaire
-ait toujours assez d'argent liquide devant lui pour faire face aux
-dépenses prévues ou imprévues, ordinaires ou extraordinaires, telles que
-les réparations et les droits successoraux. L'usage ancien, lorsque les
-fortunes étaient surtout foncières, était de garder toujours par devers
-soi une somme importante. Nous avons connu un riche propriétaire, qui ne
-croyait qu'aux biens au soleil, et qui, pourvu de belles rentes,
-conservait toujours intacte devant lui une année entière de son revenu.
-C'était la sagesse même. Les familles aristocratiques dont le patrimoine
-est tout entier en terres et qui vivent au jour le jour sont condamnées,
-à chaque accident et à chaque partage, à vendre ou à emprunter. C'est la
-ruine certaine au bout de peu de générations. La propriété ne peut se
-maintenir dans les mêmes mains que par la prévoyance et l'économie.
-Quiconque mange tout son revenu mange inévitablement le fonds.
-
- *
-
- * *
-
-Le moratorium des loyers, pendant la guerre, et les abus auxquels il a
-donné lieu, les lois votées ou projetées qui tendent à restreindre les
-droits des propriétaires, n'ont pas empêché la propriété urbaine d'être
-aussi appréciée que la propriété rurale. Là aussi le désir, si vif et
-presque universel, en temps de crise économique et sociale, de
-transformer les valeurs fiduciaires en valeurs solides a poussé les
-capitalistes à rechercher les maisons de rapport. En dépit du relèvement
-des droits d'enregistrement, jamais les transactions immobilières n'ont
-été aussi nombreuses et à des prix aussi élevés qu'à partir de 1918.
-
-On peut dire que, depuis une centaine d'années, presque tous les
-propriétaires d'immeubles à Paris et dans la plupart des grandes villes
-de France se sont enrichis. La vétusté des maisons n'a même pas été une
-cause d'appauvrissement, car la valeur du terrain rachetait amplement la
-perte occasionnée par la démolition nécessaire de constructions
-vieillies. D'une façon générale, à Paris et dans la banlieue, surtout la
-banlieue Ouest, la valeur des terrains a quintuplé quand elle n'a pas
-décuplé et centuplé en certains cas depuis 1850. Il suffit de se
-souvenir, en effet, que des personnes âgées ont encore vu paître des
-vaches à l'endroit où se trouve aujourd'hui le parc Monceau. On a pu
-voir à Passy et à Auteuil, jusqu'en 1890, des maisons de paysans.
-D'ailleurs, beaucoup de riches familles parisiennes d'aujourd'hui
-remontent à un grand-père maraîcher ou blanchisseur qui, pour sa petite
-industrie, possédait un vaste terrain valant alors quelques sous le
-mètre, et sur lequel se sont élevées des maisons de rapport.
-
-Depuis la guerre, la construction des immeubles s'est presque
-entièrement arrêtée. Il est probable qu'elle ne reprendra pas activement
-de sitôt en raison de la cherté des matériaux et de la main-d'oeuvre. Il
-en résulte une pénurie des logements qui a pour conséquence
-l'augmentation des loyers. Les propriétaires possèdent donc ce que les
-socialistes appellent un «monopole de fait», et il est question de la
-taxation des loyers. Ces mesures, en admettant même qu'elles soient
-prises, n'empêcheront jamais qu'un immeuble en briques ou en pierres de
-taille constitue une valeur solide, durable, infiniment plus sûre que
-toutes les valeurs de papier.
-
-Cette sécurité rachète amplement les ennuis de la gestion, dont il est
-facile de se décharger, d'ailleurs, sur des personnes ou des
-institutions de confiance dont c'est le métier. Mais il va sans dire
-que, comme le propriétaire d'immeubles ruraux, et pour les mêmes
-raisons, le propriétaire d'immeubles urbains doit se garder de dépenser
-tout son revenu. Il doit toujours compter avec les frais d'entretien et
-avec les dépenses imprévues pour réparations et réfection. Une maison de
-rapport, pour conserver sa valeur locative, doit être de temps en temps
-remise au goût du jour. En outre, l'amortissement du capital employé à
-la construction doit être prévu; sinon ce capital disparaîtrait à la
-longue avec l'usure des années.
-
-Les personnes qui font construire sans être elles-mêmes du métier et
-sans appartenir à l'une des corporations du «bâtiment» doivent bien
-savoir aussi que les devis d'architecte sont toujours considérablement
-dépassés. Quant à celles qui achètent un immeuble tout construit, nous
-croyons devoir leur donner un conseil particulièrement sage à une époque
-d'incertitude comme celle que nous traversons: c'est de réaliser la
-somme nécessaire à l'acquisition avant de signer l'acte de vente. En
-effet, qu'une tourmente de Bourse se produise, et les valeurs sur
-lesquelles on comptait peuvent s'effondrer. Nous connaissons, dans une
-famille parisienne, un cas de ce genre qui s'est produit jadis. Quelques
-jours avant la révolution de 1848, un bourgeois aisé avait acheté une
-maison importante qu'il se proposait de payer avec ses valeurs. La
-panique qui suivit la révolution bouleversa tous ses calculs et
-l'immeuble lui-même, dans la crise de confiance générale, ne put être
-revendu qu'avec une perte sensible. Ainsi, faute de prévoyance, une
-opération tout à fait normale devint une cause de ruine.
-
-Nous ne parlons pas ici des achats de terrains nus. C'est de la
-spéculation pure. L'acquéreur compte sur une plus-value qui ne s'obtient
-parfois qu'après un temps fort long pendant lequel il faut payer l'impôt
-foncier tandis que le capital employé reste improductif. A l'heure
-actuelle, l'arrêt des constructions rend ce risque encore plus sérieux.
-Dans l'espoir d'une plus-value qui est loin d'être toujours certaine, le
-spéculateur s'expose à se priver pour longtemps de son argent.
-
-Quant aux usines et manufactures, c'est un genre d'immeubles dont les
-particuliers doivent se détourner en raison de la difficulté de trouver
-des locataires. Il en est de même des maisons de plaisance à la campagne
-ou à la mer, qui, sauf dans certains lieux régulièrement fréquentés ou
-bien à proximité d'une grande ville, peuvent apporter des déboires. Au
-chapitre qui suit, celui des hypothèques, nous développons les raisons
-qui conseillent de s'écarter des formes excentriques de la propriété.
-Une usine ne convient qu'à un industriel et une maison de plaisance doit
-être considérée avant tout comme une maison d'agrément. Pour un
-placement sérieux, il n'y a que les maisons de rapport proprement
-dites[2].
-
- [2] Les droits de mutation et de transcription devant être
- prochainement relevés, on peut compter qu'avec les honoraires du
- notaire les frais d'achat d'un immeuble, qui étaient d'environ 10 p.
- 100 du prix principal, monteront à l'avenir à environ 15 p. 100.
-
-
-
-
-CHAPITRE IV
-
-DES PLACEMENTS HYPOTHÉCAIRES
-
-Raisons pour lesquelles se recommande ce genre de
-placements.--Conditions auxquelles ils sont sûrs et avantageux.--Des
-précautions à prendre et des dangers à éviter.--De la part qu'il
-convient de leur attribuer dans un patrimoine.
-
-
-Un principe essentiel s'impose à tout capitaliste prudent. C'est de ne
-prêter aucune somme d'argent avant de s'être assuré au préalable, non
-seulement des garanties affectées à la créance, mais encore du
-remboursement intégral des fonds dans un espace de temps limité. De ce
-point de vue, on comprendra que les placements hypothécaires
-apparaissent comme étant au plus haut degré recommandables, car ils
-remplissent les deux conditions que nous venons d'énoncer. Ce genre de
-placement était en grand honneur autrefois. Il mériterait d'être plus
-souvent pratiqué à une époque d'insécurité pour les capitaux telle que
-la nôtre.
-
-Le gage immobilier, à la condition absolue qu'il soit choisi avec
-discernement et en observant certaines règles que nous préciserons tout
-à l'heure, est en effet d'une solidité sans pareille. Bien entendu, une
-hypothèque sérieuse doit toujours, et sans exception, être une première
-hypothèque. Toute autre n'est qu'une spéculation. De plus, le prêt ne
-doit en aucun cas dépasser 50 p. 100 de la valeur vénale présumée de
-l'immeuble affecté à la garantie, en sorte qu'il subsiste une marge
-suffisante pour les dépréciations éventuelles et aussi pour les intérêts
-impayés, frais d'expropriation et de poursuites, etc., s'il y a lieu.
-L'usage est d'ailleurs d'évaluer ces frais à 20 p. 100 du capital
-exposé, en sorte qu'une inscription hypothécaire totale de 120.000
-francs doit être prise sur un immeuble d'une valeur d'au moins 200.000
-francs pour sûreté d'une avance de 100.000 francs, lesquels sont seuls à
-porter intérêt au profit du créancier, comme il va de soi.
-
-En outre, et cette stipulation est de toute première importance, le
-délai fixé pour le remboursement ne doit pas, en principe, quelle que
-soit la tentation qu'éprouve un rentier d'assurer son repos pour une
-longue durée, s'étendre au delà de dix années. Ce délai est d'ailleurs
-celui qui est fixé par la loi elle-même pour le renouvellement des
-inscriptions hypothécaires, et il n'est pas rare que les dispositions de
-la loi, comme beaucoup d'usages et de moeurs, reposent sur des raisons
-de bon sens et d'expérience. Il est néanmoins des capitalistes très
-prudents qui préfèrent se tenir en deçà de cette limite extrême de dix
-années et qui ne consentent que des prêts à terme plus court. Il
-convient d'approuver leur prévoyance. Car il suffit souvent d'un espace
-de temps très bref pour que des constructions vieillissent, pour que la
-terre, dans une région donnée, se déprécie, et pour qu'un immeuble de
-rapport urbain, situé dans un quartier dont la population vient à se
-détourner pour des causes imprévues, ne trouve que difficilement des
-locataires ou ne les trouve plus que dans une catégorie inférieure et
-moyennant une forte réduction des loyers. Il suffit de se rappeler la
-disgrâce du Palais-Royal, qui, après avoir été un des lieux les plus
-fréquentés de Paris, a perdu sa vogue.
-
-Les exemples et les chiffres cités par M. Pierre Caziot, inspecteur
-général du Crédit foncier de France, dans son remarquable ouvrage, _la
-Valeur de la terre en France_, sont extrêmement significatifs à cet
-égard. Nous citerons quelques cas qui pourront fixer les idées.
-
-Ainsi il n'est pas rare que des exploitations rurales aient perdu en
-vingt ou vingt-cinq ans beaucoup plus de la moitié de leur valeur. M.
-Pierre Caziot signale une ferme du pays de Caux réputée «excellente» et
-qui, payée 300.000 francs en 1876, s'est vendue 105.000 francs seulement
-en 1905. Très loin de là, et dans un autre pays renommé pour sa
-fertilité, la Limagne, une propriété évaluée au prix de 180.000 francs
-en 1879, a été achetée 43.500 francs en 1903. Dans la vallée de la
-Garonne, un «domaine d'alluvions» qui, en 1884, avait été payé 360.000
-francs, frais compris, par son propriétaire et passait pour valoir
-réellement 320.000 francs, a été cédé pour 105.000 francs seulement en
-1904, c'est-à-dire juste vingt ans plus tard. On voit que, dans ce cas,
-qui n'est pas isolé, un créancier qui se fût reposé sur la règle de 50
-p. 100 de garantie et qui eût consenti un prêt remboursable au bout de
-vingt ans se serait lourdement trompé. Une personne qui, en 1884, eût
-avancé au propriétaire de ce domaine 120.000 francs seulement, garantis
-par une première hypothèque et remboursables en 1904, eût peut-être
-pensé faire un placement des plus sérieux et dépourvu de risques. Dans
-la réalité, cette personne eût été imprudente et se fût exposée à une
-perte sensible, sinon même à une perte grave.
-
-Aussi faut-il considérer que des prêts à court terme renforcent la
-garantie du capital avancé pour la raison qu'ils permettent au prêteur
-de suivre, pour ainsi dire pas à pas, la valeur de la propriété qui lui
-sert de gage. De plus, il devient possible au prêteur, par la diversité
-de ses placements hypothécaires, de se ménager des rentrées d'argent à
-des dates successives et d'échelonner les remboursements en sorte qu'il
-soit mis à même, mécaniquement, pour ainsi dire, de profiter des
-occasions qui se présentent, et, en particulier, d'un relèvement du taux
-de l'intérêt. La règle, ici, est la même que celle que nous poserons
-pour les emprunts d'État, les obligations de chemins de fer ou leurs
-succédanés. Représentez-vous la bonne fortune qui fût échue à un
-capitaliste qui, durant la crise de 1913-1914, eût vu arriver à
-expiration un prêt de 100.000 francs, consenti dix années plus tôt. Avec
-100.000 francs, en 1904, il ne pouvait acheter, par exemple, que 215
-obligations du chemin de fer du Nord. Avec la même somme en juin 1914,
-il pouvait en acquérir 240. Deux mois plus tard, en pleine guerre
-européenne, 100.000 francs liquides devenaient une fortune. Et, de
-toutes façons, la situation du créancier eût été excellente, car à toute
-demande de prolongation de délai ou de renouvellement de la part de son
-débiteur, il lui eût été possible de relever l'intérêt porté par
-l'obligation hypothécaire, vu la raréfaction des capitaux et la cherté
-du loyer de l'argent, d'obtenir 5 p. 100 et même davantage, au lieu de 4
-p. 100, taux courant au début du XXe siècle. Après la guerre, il est
-probable que le taux de 5 1/2 p. 100, autorisé par la loi, se
-maintiendra longtemps.
-
-Enfin, il tombe sous le sens qu'un père de famille prévoyant et qui
-calcule que, dans un certain nombre d'années, il devra doter une fille
-ou pourvoir à l'établissement d'un fils, trouvera un avantage
-considérable à placer son argent de telle sorte qu'il soit assuré, au
-jour dit, de retrouver intacte et liquide la somme dont il pense avoir
-besoin. Or, tandis qu'il est absolument impossible de prévoir, même par
-approximation, cinq ou dix ans à l'avance, le cours des valeurs sur les
-marchés financiers, le remboursement d'une obligation hypothécaire de
-bonne qualité se fait au contraire à la date fixée, sans perte et sans
-déception.
-
-Ces deux avantages conjoints: sécurité du capital prêté, réapparition du
-capital intact dans un délai rapproché, paraissent extrêmement
-séduisants à beaucoup de capitalistes avisés qui, en outre, n'ignorent
-pas que l'administration et la loi renforcent de toute leur autorité la
-situation des créanciers hypothécaires.
-
-Non seulement il y a des fonctionnaires spéciaux attachés à la
-conservation des hypothèques, mais encore le Code civil contient tout un
-«titre» qui en établit les règles avec une précision minutieuse. C'est
-que notre système administratif et nos Codes ont été, il y a cent et
-quelques années, l'oeuvre de la bourgeoisie française. En remplissant
-leur mission de législateurs, les représentants du monde bourgeois
-s'étaient tout naturellement appliqués à entourer la propriété de
-garanties particulières. Et naturellement aussi ils s'étaient occupés de
-la propriété sous les aspects qu'elle avait coutume de revêtir de leur
-temps. Pénétrés de cette idée que les patrimoines étaient quelque chose
-d'intangible et de sacré et que l'État devait mettre toutes ses forces
-au service de la conservation des patrimoines, les rédacteurs du Code
-civil ont accumulé les précautions autour de la propriété immobilière et
-des hypothèques, qui constituaient l'élément essentiel des fortunes
-privées au commencement du XIXe siècle. Notre Code civil est le Code
-d'un pays où les terres et les maisons représentaient les principales
-richesses, en ce sens que terres et maisons étaient les valeurs dans
-lesquelles toute richesse tendait à se convertir. Lorsque, plus tard,
-les valeurs mobilières eurent pris leur essor et commencé à jouir d'une
-vogue presque universelle, il fallut, tant bien que mal, adapter nos
-lois à ce nouvel état de choses. L'adaptation a été tellement
-insuffisante que, de nos jours encore, le législateur se préoccupe de la
-réviser chaque fois que le besoin de «protéger l'épargne» s'impose à la
-suite de quelque scandale trop éclatant. D'ailleurs, on peut dire
-qu'aucune des mesures que le législateur a prises en ce sens n'a eu
-d'efficacité réelle. Quelquefois même ces mesures se sont retournées
-contre les intentions de leurs auteurs: témoin l'obligation, pour les
-sociétés qui font appel au crédit public, de publier leur bilan et un
-certain nombre d'autres renseignements au _Journal officiel_, insertions
-dont les émetteurs malhonnêtes se servent ensuite auprès de la masse des
-naïfs comme d'une estampille de l'État.
-
-Au contraire, les précautions qui sont prises pour la protection du
-créancier hypothécaire ne laissent place à aucun doute. Tous les
-articles du Code civil qui y ont trait sont d'une perfection digne de
-servir de modèle. Et cela même constitue une garantie qui n'est pas à
-dédaigner.
-
-Au point de vue fiscal, les créanciers hypothécaires ont été jusqu'à
-présent relativement ménagés: cela dit au point de vue du créancier,
-s'entend, car le débiteur, pour sa part, a des droits d'enregistrement
-très lourds à acquitter. En tout cas, le créancier hypothécaire avait
-touché, jusqu'à hier, ses intérêts nets de tout impôt. La taxe de 5 p.
-100 en est retranchée depuis la mise en vigueur de l'impôt cédulaire sur
-les diverses sources de revenus. Toutefois, il est permis de considérer
-que le «tour de vis», en ce qui concerne cette «cédule», sera modéré,
-sinon retenu par le souci, très apparent dans le Parlement français, de
-ne pas mécontenter trop vivement le monde rural. En effet, toute
-taxation aura pour effet de rendre plus exigeants les détenteurs de
-capitaux qui ont tendance à se dédommager sur l'emprunteur. Or les
-petits propriétaires, dans nos campagnes, recourent fréquemment aux
-emprunts hypothécaires pour se procurer les fonds nécessaires à la mise
-en valeur ou au développement de leur exploitation. Il arrive même que
-des cultivateurs hypothèquent la terre qu'ils possèdent afin d'en
-acquérir une autre à laquelle, par leur labeur, ils réussissent à faire
-produire plus que l'intérêt de la somme qu'ils ont empruntée. Les
-populations agricoles forment une clientèle électorale dont les voeux
-sont très écoutés. Il paraît donc assez probable, pour ces raisons, que
-le revenu des créances hypothécaires a chance, pendant assez longtemps,
-d'être moins frappé que le revenu des valeurs mobilières.
-
-La meilleure preuve du caractère avantageux des placements hypothécaires
-réside dans le fait que les établissements connus sous le nom de
-«Crédits fonciers» n'exercent pas une autre industrie que celle qui
-consiste à placer sur hypothèques les sommes qu'ils empruntent au
-public, leur bénéfice étant constitué par la différence entre l'intérêt
-qu'ils reçoivent de leurs débiteurs d'une part, et l'intérêt qu'ils
-payent à leurs propres obligataires de l'autre. Il est donc clair que le
-capitaliste trouve avantage à pratiquer directement l'opération qu'il
-fait par personne interposée en achetant les obligations d'une société
-de Crédit foncier.
-
-Seulement il va sans dire que le capitaliste doit suppléer par un
-redoublement d'attention et de prudence aux services d'information que
-possèdent de grands établissements supérieurement outillés. Il est on ne
-peut plus dangereux de prêter de l'argent, même en première hypothèque,
-sur un immeuble quelconque, si l'on ne s'est pas assuré par soi-même de
-la valeur et du rendement de cet immeuble. Il importe de ne pas se
-laisser éblouir par les mots de «première hypothèque». Les capitalistes
-qui succombent à la tentation de placer de l'argent sur des propriétés
-lointaines et qu'ils n'ont jamais vues s'exposent à de fâcheuses
-mésaventures.
-
-Il est particulièrement périlleux d'accepter pour gage des propriétés de
-plaisance, châteaux, parcs, etc. qui n'ont, en somme, d'autre valeur que
-leur attrait aux yeux d'un nombre limité de personnes, et qui
-représentent des charges plutôt qu'un rapport. A éviter encore (sauf
-exceptions légitimées par la connaissance approfondie de cas
-particuliers) les constructions destinées à l'industrie. Il est souvent
-arrivé qu'un prêteur téméraire se réveillât un matin nanti d'un château
-ou bien d'une manufacture abandonnée par le manufacturier en faillite,
-et se trouvât bien en peine de tirer parti de son gage. Aussi les
-statuts du Crédit foncier de France qui, d'une façon générale, éliminent
-toute cette catégorie d'immeubles de ceux sur lesquels peuvent être
-consenties des avances, doivent-ils servir de guide à cet égard. Il n'en
-arrive pas moins au Crédit foncier lui-même d'éprouver des surprises et
-des pertes. En 1914, on a dû mettre en vente à sa requête un des plus
-grands hôtels de Trouville, maison naguère très achalandée et qui, en
-outre, comportait 4.000 mètres de terrain dans le plus bel emplacement
-d'une plage à la mode. La concurrence, surgie à l'improviste, d'une
-plage voisine, ayant causé un tort considérable à Trouville, la marge de
-garantie, jugée quelques années auparavant plus que suffisante par le
-Crédit foncier, s'est trouvée réduite à tel point que cet établissement
-a eu lieu de concevoir de fortes craintes pour sa créance. Il y a là une
-indication à retenir pour le capitaliste judicieux et prudent, qui sera
-toujours sage d'éviter de s'engager dans les affaires qui reposent sur
-l'exploitation d'une vogue ou d'un plaisir. D'une année à l'autre, un
-simple caprice du public suffit à ruiner une station thermale, un
-casino, un théâtre, etc. Les exemples sont innombrables et chacun en
-retrouverait sans peine dans sa mémoire de très frappants.
-
-Les hypothèques sur les maisons de rapport et sur les terres cultivées
-sont donc les seules qui se recommandent. Encore faut-il, dans ces cas
-mêmes, choisir avec soin et se conformer aux observations que nous avons
-formulées plus haut pour l'acquisition de ces deux sortes de propriétés.
-Il est tout à fait déraisonnable de prendre pour gage des terres situées
-dans une région en pleine décadence agricole et qui n'a pas ou n'a que
-peu de chances de se relever. Il est téméraire également d'avancer de
-l'argent sur les vignobles, lesquels sont particulièrement sujets à des
-crises graves.
-
-Il n'est pas très rare d'ailleurs que, dans les provinces, les notaires,
-qui servent d'intermédiaires entre le créancier et le débiteur et pour
-qui ces opérations représentent une part très appréciable de leur
-activité, ajoutent leur garantie personnelle à la garantie hypothécaire
-qu'ils ont négociée. Il n'est pas rare non plus qu'ils se chargent de
-tous les recouvrements. Lorsque le notaire est une personne solvable,
-éprouvée, et qui mérite notoirement confiance, le capitaliste peut, à la
-rigueur, se dispenser de s'assurer par lui-même de la solidité de son
-gage. Ce cas se présente surtout dans les campagnes ou l'on a l'avantage
-de connaître de plus près que dans les villes les personnes et les
-situations de fortune. Ajoutons qu'un inconvénient des placements
-hypothécaires est que le paiement des arrérages ne se fait pas toujours
-avec la régularité absolue à laquelle est accoutumé le porteur de bonnes
-valeurs mobilières. Il est même d'usage, dans certaines régions rurales
-de la France, qu'un délai de trois mois soit accordé au débiteur. Mais,
-bien entendu, l'argent prêté porte intérêt jusqu'au jour où le
-remboursement intégral est effectué, sans quoi la tolérance précitée
-deviendrait un cadeau pur et simple accordé au débiteur.
-
-Ces observations faites, nous ne pouvons que répéter notre opinion sur
-les placements hypothécaires, qui sont éminemment propres, dans une
-période de trouble pour les capitaux comme celle qui vient de s'ouvrir,
-à apporter aux fortunes privées un précieux élément de stabilité. Un
-capitaliste qui placerait le cinquième environ de sa fortune en
-hypothèques de premier rang, sur des gages solides, judicieusement
-choisis, aurait chance de faire un très bon calcul et de s'en féliciter
-dans l'avenir. Nous pouvons ajouter, pour l'édification du lecteur, que
-nous connaissons des personnes qui sont mêlées de près, en raison de
-leur profession, aux affaires de la Bourse et qui n'en placent pas
-moins, de la manière que nous venons de définir, une notable fraction de
-leur avoir. Il y a là, nous semble-t-il, une indication à retenir et à
-utiliser.
-
-Nous savons qu'on reproche à ce genre de placement l'immobilisation de
-capital qu'il entraîne, ainsi que la difficulté de céder et de négocier
-les obligations hypothécaires. Les transferts sont certes possibles,
-mais ils sont coûteux: 4 p. 100 du capital environ. C'est pourquoi l'on
-a dit que le créancier était «rivé à l'hypothèque». N'est-il pas rivé
-bien autrement, le porteur de valeurs mobilières qui ont baissé de 20,
-30 ou 50 p. 100, sinon davantage, qui ne trouvent plus d'acheteurs en
-Bourse et ne sont plus cotées ou n'offrent plus que des cours fictifs?
-
-L'immobilisation des capitaux par le prêt hypothécaire n'est pas niable.
-Mais, sans compter que la question ne se pose pas pour les personnes qui
-vivent de leurs revenus, l'inconvénient peut être notablement atténué
-par le système qui consiste à fractionner les placements. Ce système,
-comme nous l'avons montré, permet au prêteur d'échelonner les
-remboursements et de se ménager des rentrées successives de capital
-liquide. Quant à l'objection tirée de la peine qu'il faut se donner pour
-trouver de bons gages immobiliers, dépourvus de vices cachés, nous
-demandons si elle ne s'applique pas à l'acquisition des valeurs
-mobilières et dans des conditions infiniment pires d'obscurité et de
-tâtonnement.
-
-
-
-
-CHAPITRE V
-
-EMPRUNTS FRANÇAIS ET EMPRUNTS DES ÉTATS ALLIÉS DE LA FRANCE
-
-Danger des rentes perpétuelles.--Qu'il faut leur préférer les rentes
-amortissables.--Comparaison des deux 3 p. 100 français.--Le crédit de la
-France victorieuse.--Ombres et clartés.--Raisons pour lesquelles le
-capitaliste doit être porteur des rentes nouvelles.--Emprunts des villes
-et des colonies françaises.--Immense prospérité des États-Unis.--La
-décadence des consolidés anglais et les fonds britanniques.--Rente
-belge.--Rente italienne.--La catastrophe russe et nos milliards:
-incertitudes de l'avenir et richesses latentes de la Russie.--Fonds
-roumains, serbes, grecs et portugais.--Japon et Chine.
-
-
-Avant le mois d'août 1914, la dette publique des grands États européens
-atteignait un total dont s'effrayaient les financiers. Celle de la
-France semblait particulièrement lourde et inquiétante: une trentaine de
-milliards, passif du XIXe siècle et de la défaite de 1870, avec une
-population stationnaire et une exportation lentement progressive,
-largement dépassée par celle de nos concurrents. Peu d'amortissement.
-Des dépenses croissantes, des charges toujours plus lourdes, des budgets
-plus enflés... Ces préoccupations se répandaient dans le public et la
-vieille confiance dans la rente française commençait à être ébranlée.
-Au-dessus du pair, dans les premières années du XXe siècle, le 3 p. 100
-s'était effrité peu à peu, d'autant plus qu'il était menacé de l'impôt
-cédulaire. Certaines personnes se vantaient de ne plus en avoir un
-centime en portefeuille et se félicitaient d'avoir échappé à une
-diminution certaine de leur capital et de leur revenu.
-
-«Il n'y a pas de rente perpétuelle. Il n'y a que les concessions de
-cimetière qui soient à perpétuité. Et encore un jour vient où l'on
-désaffecte les cimetières», disait un homme d'esprit. Il traduisait
-ainsi l'inquiétude qui s'empare de tous les détenteurs de titres,
-lorsque ces titres ne sont pas soutenus par un amortissement régulier,
-dès qu'un mouvement continu de baisse commence à se produire. Une rente
-est perpétuelle lorsque son capital _ne doit jamais être remboursé_. Ce
-capital n'est représenté que par les cours cotés en Bourse, eux-mêmes
-expression du crédit public. Qu'une grande crise survienne, et c'est
-alors seulement que la masse s'aperçoit qu'il est anormal de prêter à
-l'État autrement qu'on ne prête aux particuliers, c'est-à-dire sans
-prescrire un terme pour le remboursement.
-
-En temps de calme et de prospérité, quand le loyer de l'argent s'abaisse
-et que l'État n'a pas besoin d'emprunter, la rente atteint et dépasse le
-pair. Alors l'État réduit sa dette perpétuelle par le moyen des
-conversions. Telle est sa façon de rembourser. C'est ainsi que, par
-l'effet de réductions successives, notre vieux 5 p. 100 était devenu du
-3 p. 100 en 1902. Mais que survienne une grande catastrophe, alors les
-cours descendent avec une vitesse vertigineuse. Voilà comment les
-porteurs de rente perpétuelle, après avoir vu leur intérêt diminuer des
-deux cinquièmes, avaient fini par voir leur capital lui-même diminuer
-d'un tiers puisque, venant du pair, le 3 p. 100 ne valait guère plus
-d'une soixantaine de francs en 1919.
-
-Pendant ce temps, l'autre type de 3 p. 100, le 3 p. 100 amortissable, ne
-perdait qu'un quart de sa valeur et se tenait à 75 francs. C'est que,
-celui-là, l'État s'est engagé à le rembourser par séries tirées au sort
-chaque année et qu'il a tenu scrupuleusement cet engagement pendant
-toute la guerre. Le porteur de 3 p. 100 amortissable a l'assurance
-écrite de revoir son capital, assurance que le porteur de 3 p. 100
-perpétuel n'a pas. Et, dans un temps d'incertitude, la garantie du
-capital est ce qui importe le plus. On ne prête plus qu'à très court
-terme quand le lendemain n'est pas sûr. Le gouvernement français l'a si
-bien compris que, pendant les hostilités et même après, il a émis des
-bons et des obligations aux échéances les plus diverses, variant d'un
-mois à dix ans, et qui ont obtenu pour cette raison un immense succès.
-
-En même temps, il émettait des rentes perpétuelles mais à des prix très
-inférieurs, du 5 p. 100 à moins de 90 francs, du 4 p. 100 aux environs
-de 70, ce qui promettait aux souscripteurs, outre un intérêt
-substantiel, une augmentation considérable de leur capital, avec la
-hausse escomptée des cours dans un avenir plus ou moins rapproché. Mais
-cette espérance ne pouvait rivaliser avec la certitude donnée par les
-bons et les obligations à court terme ni même avec les chances de tirage
-au sort du 3 p. 100 amortissable dont les cours sont plus élevés que
-ceux des deux emprunts de guerre 4 p. 100.
-
-De ces constatations, un enseignement précieux se dégage pour les
-porteurs de fonds d'États.
-
-Si puissant et si prospère que soit un État, rien n'est éternel. Il n'y
-a pas de progrès indéfini. Si le crédit public est solide, l'État
-convertit ses rentes: c'est ce qu'avaient fait tour à tour, dans la
-période contemporaine, la France, l'Italie, précédées par l'Angleterre
-dont le _consolidé_ n'était plus que du 2 1/2. Quand, au contraire, le
-crédit public faiblit, les cours s'effondrent et le capital est atteint.
-Après quelques mouvements de bascule de ce genre, au bout d'un certain
-nombre d'années, que resterait-il d'une fortune constituée en rentes
-dites perpétuelles sur l'État le plus riche et le mieux administré du
-monde,--en admettant que cet État durât toujours semblable à lui-même,
-alors que nous avons sous les yeux l'exemple de tant d'Empires écroulés?
-Il est clair qu'il n'en resterait plus que ce qui reste des anciennes
-rentes sur l'Hôtel-de-Ville du temps passé: un simple souvenir.
-
-Un père de famille soucieux de l'avenir de ses enfants et de la
-conservation de son patrimoine doit donc suivre les fluctuations de la
-rente elle-même d'aussi près que celles d'une valeur industrielle.
-D'ailleurs, la rente n'est-elle pas une action de ces vastes sociétés
-qui s'appellent les nations? L'idée de l'État a acquis de notre temps un
-prestige et même une majesté qu'elle a dus à la stabilité dont les
-grandes puissances avaient fait preuve pendant le XIXe siècle. C'est ce
-qui effaçait le souvenir de la faillite partielle où était tombé notre
-pays, lorsque la Révolution française avait été obligée de renier les
-deux tiers de sa dette en donnant au reste le nom de «tiers consolidé».
-Il a fallu la guerre pour rappeler aux rentiers la fragilité des États.
-
-La Russie ruinée par la révolution, l'Autriche-Hongrie décomposée:
-l'exemple de ces deux puissances, où le public français avait placé tant
-d'argent, a montré combien était sage le vieux conseil de ne pas mettre
-tous ses oeufs dans le même panier. D'autre part, dans les pays
-victorieux eux-mêmes, l'énorme baisse des anciens fonds publics révélait
-le danger des rentes perpétuelles, puisque le porteur de consolidé
-anglais, naguère réputé la première valeur du monde, perdait 40 p. 100
-de son capital. Les fonds d'État qui passent pour les plus sûrs exigent
-donc, comme tous les autres éléments des fortunes, une attention
-toujours soutenue, une prudence toujours en éveil.
-
-Ces expériences cruelles, dont plus d'un patrimoine français aura peine
-à se relever, doivent nous servir à réitérer ce conseil fondamental:
-protégez au moins une partie de vos capitaux en ne les plaçant pas tous
-à fonds perdus. Garantissez-vous une certaine stabilité par des
-placements temporaires et remboursables à échéances fixes. Ne vous fiez
-pas aux seuls cours de Bourse pour évaluer votre fortune. La vieille
-société est entrée dans une période de secousses et de transformations
-où les crises seront fréquentes. Jouez, si vous voulez, la chance de sa
-conservation et de son relèvement. Assurez-vous aussi contre les risques
-possibles en les divisant avec sagesse, dans le temps aussi bien que
-dans l'espace. Et prenez toujours pour guide la préservation de votre
-capital, de façon à être toujours à même, en cas de perte, d'en
-retrouver une partie et de réparer votre fortune.
-
-A la lumière de cet avertissement préalable, nous examinerons utilement
-au point de vue pratique les conditions présentes et, autant que
-possible, à venir, des fonds émis par les divers États, en commençant
-par ceux qui ont pris part à la guerre.
-
- *
-
- * *
-
-«Soyez toujours à la hausse sur votre pays, _be always a bull on your
-country._» Ce conseil vient du grand financier américain Pierpont
-Morgan. Nous plaindrions, en effet, le Français qui, pouvant souscrire,
-ne fût-ce qu'à cinquante ou à cinq francs de rente, se serait abstenu de
-participer pendant la guerre aux emprunts de la Défense nationale.
-
-Jusqu'ici les souscripteurs n'ont pas eu à regretter leur confiance. Ils
-n'ont pas seulement entre les mains un titre dont le revenu, au prix
-d'émission, ressortait à plus de 5 1/2 p. 100, garanti pendant
-vingt-cinq années contre tout impôt ou conversion. Ils ont pu, parfois,
-enregistrer une plus-value qui, normalement, devrait se reproduire et
-augmenter.
-
-L'heureuse terminaison de la guerre permet d'abord d'espérer que, malgré
-l'énormité de ses pertes et de ses charges, la France ne fera pas
-faillite, sort qui est réservé aux vaincus. Sans doute il faudra à
-l'État, pour triompher de ses énormes difficultés financières, de la
-prudence, de la sagesse, une bonne administration. Reste à savoir si
-nous avons ces garanties. Il lui faudra aussi obtenir des États-Unis une
-aide de plusieurs années et des avances sur les milliards à payer par
-l'Allemagne à titre de réparations. Il faudra en outre que ces milliards
-soient exactement payés par les vaincus. II faudra, enfin, que nous
-ayons vis-à-vis de l'Allemagne une sécurité telle que nous ne soyons
-plus exposés au danger d'une nouvelle guerre, ni, par conséquent,
-astreints à supporter le fardeau d'une armée permanente.
-
-Si ces conditions sont remplies, alors, et alors seulement, la France
-reconstituera sa vie économique et fera face à ses engagements malgré
-l'effroyable saignée qui lui a enlevé près de deux millions d'hommes
-énergiques, la fleur de la nation. La France retrouve, libres de
-charges, ses riches provinces agricoles et industrielles d'Alsace et de
-Lorraine. Il ne tient qu'à elle et à son gouvernement d'être de nouveau
-florissante quand la période de la liquidation sera franchie.
-
-Voilà pour la sécurité qu'offrent dans l'avenir les emprunts français.
-Nous ne croyons pas qu'il convienne de nourrir des espérances exagérées.
-Jusqu'à ce que les rentes nouvelles se stabilisent au pair ou aux
-environs du pair, en admettant même qu'il ne survienne pas de gros
-imprévu, il y aura encore plus d'une crise et, par conséquent, plus d'un
-recul. L'Europe reste trop troublée pour qu'il n'y ait pas, ici et là,
-quelques nouveaux orages. A l'intérieur même, il serait excessif de
-compter que l'harmonie sera toujours parfaite.
-
-La France offre toutefois une particularité qui, aux yeux de l'homme
-réfléchi, est singulièrement précieuse. C'est, par excellence, le pays
-de la petite propriété et des fortunes moyennes. Cet état social, dans
-une époque tourmentée, est éminemment favorable à la sécurité des
-capitaux. Il atténue les luttes violentes entre possédants et
-non-possédants. On doit se rappeler que sept millions de personnes ont
-souscrit à l'emprunt 4 p. 100 de 1918. Cela fait qu'environ quatre
-familles françaises sur cinq sont intéressées, par le fait de ce seul
-emprunt, à la tranquillité publique et à la solvabilité de l'État. Une
-pareille proportion ne se retrouve dans aucun autre pays.
-
-Prises en elles-mêmes, estimées à leur valeur intrinsèque, toute
-considération de sentiment et de patriotisme mise à part, les nouvelles
-rentes françaises offrent donc un attrait et des garanties appréciables.
-Le capitaliste français a même un intérêt certain à en être muni.
-D'abord leur revenu est exonéré de tout impôt cédulaire. Ensuite, des
-dispositions fiscales ont prévu que les rentes émises pendant les
-hostilités, déjà acceptées en payement des taxes sur les bénéfices de
-guerre, le seraient également en payement des taxes successorales. Il y
-a là une tendance à laquelle il faut prendre garde, car elle pourra se
-développer. Elle consiste à privilégier le porteur de rentes françaises
-par rapport au porteur d'autres titres. Au cas, qui n'est nullement
-impossible, où des impôts extraordinaires viendraient à être établis, le
-même privilège pourrait encore trouver une application considérablement
-étendue, tandis qu'un capitaliste non pourvu de nos fonds nationaux
-pourrait être exposé à des sacrifices supplémentaires. C'est une
-conséquence de cette loi de la nationalisation de l'argent que nous
-avons exposée plus haut.
-
-Aussi pensons-nous qu'à tous les égards le capitaliste français serait
-bien inspiré en plaçant environ la huitième partie de sa fortune en
-rentes françaises perpétuelles des différentes séries qui sont
-actuellement à sa disposition. A lui de voir un jour, si, comme on
-l'espère, le cours de ces rentes a sensiblement monté, il doit réaliser
-et consolider son bénéfice. Nous le répétons: rien n'est éternel. Même
-si une période de tranquillité et de prospérité doit s'ouvrir, un moment
-viendra toujours où les vaches maigres succéderont aux vaches grasses.
-Il sera bon d'avoir mis à profit les heures favorables pour s'abriter
-contre les retours de fortune et de ne pas s'endormir sur le mol
-oreiller d'une «perpétuité» illusoire.
-
-D'ailleurs, l'État français lui-même, ses grandes villes et ses colonies
-offrent et offriront encore une grande variété d'emprunts amortissables,
-garantissant des remboursements de capitaux soit à échéance fixe, soit
-par tirage au sort. Il est probable que pendant assez longtemps le
-Trésor continuera à émettre des bons à courte échéance productifs d'un
-intérêt avantageux. Ce sera un excellent refuge pour les capitalistes
-désireux de voir venir les événements et de se ménager des
-disponibilités.
-
-Les emprunts des grandes villes et notamment de la ville de Paris, qui a
-toujours tenu ses engagements d'une façon scrupuleuse, ne cesseront
-certainement pas d'être recherchés par l'épargne, et avec raison. La
-ville de Paris a coutume d'offrir au public des emprunts à lots. Nous ne
-conseillerons jamais à personne de sacrifier à l'attrait de la loterie
-une part importante de son revenu. En général, les emprunts à lots sont
-moins rémunérateurs que les autres et l'on paie cher quelques millièmes
-de chances de s'enrichir grâce à un hasard heureux. Lorsque les valeurs
-à lots donnent un intérêt inférieur à la moyenne, il convient de n'en
-prendre que pour ouvrir une porte à la fortune. Le calcul des
-probabilités montre que la perte de revenu éprouvée sur cent titres de
-ce genre n'est pas compensée par la chance de voir sortir un des bons
-numéros. Dans ce cas, les valeurs à lots doivent être considérées comme
-des billets de loterie de qualité supérieure. Les portefeuilles bien
-administrés ne leur font qu'une part restreinte.
-
-Les emprunts des colonies françaises doivent être assimilés aux emprunts
-de la métropole et jouissent des mêmes garanties quand ils ont la
-caution de l'État. Les personnes très prévoyantes feront cependant une
-distinction entre nos possessions africaines et nos possessions
-asiatiques. Les premières ne semblent pas avoir, d'ici longtemps, à
-redouter le sort de tant de colonies qui, au cours des siècles, ont
-passé de main en main. Nous sommes solidement établis, et plus
-solidement encore depuis la guerre, dans l'Afrique du Nord et dans
-l'Afrique occidentale. Les obligations 3 p. 100 de cette dernière, dont
-le coupon est net d'impôt, sont séduisantes. Remboursables à cinq cents
-francs, elles valaient environ trois cent cinquante francs en 1919. Pour
-l'Afrique du Nord, qui comprend l'Algérie, la Tunisie et le Maroc, les
-obligations marocaines sont, par le revenu, les plus rémunératrices. Les
-Tunisiennes 3 p. 100, surtout celles de la série 1892, la plus ancienne
-et dont l'amortissement est par conséquent plus rapide, paraissent les
-plus dignes d'être recherchées.
-
-Quant à nos colonies d'Extrême-Orient, Indo-Chine, Annam et Tonkin, leur
-destinée est beaucoup moins sûre. L'Asie, avec son énorme population,
-pourrait bien être travaillée un jour ou l'autre par ces mouvements
-nationalistes qui, venus d'Europe, ont répandu leurs ondes un peu
-partout. Déjà, aux Indes, se sont manifestés des signes précurseurs qui
-ne laissent pas d'inquiéter les Anglais. Il y a, dans le monde
-asiatique, de grosses inconnues. Il est inutile de les affronter sous la
-forme de valeurs qui n'offrent aucun avantage spécial et dont il est
-facile de s'abstenir. Remarquons en outre que l'obligation 3 1/2 de
-l'_Indo-Chine_ n'est pas garantie par l'État français.
-
- *
-
- * *
-
-Avant de passer en revue les fonds d'États étrangers, il importe de
-rappeler que les coupons de ces valeurs sont soumis, en France, à un
-impôt cédulaire qui est actuellement de 6 p. 100 et qui pourra bien être
-aggravé un jour ou l'autre. Certaines de ces valeurs acquittent déjà des
-taxes dans leur pays d'origine. Il est possible qu'avec la marée
-montante des budgets, ces taxes soient augmentées là où elles existent,
-créées où elles n'existent pas. On devra donc tenir compte de ces
-déductions dans le calcul du revenu. Cette observation s'applique
-d'ailleurs à toutes les sortes de valeurs étrangères.
-
-Une autre remarque concerne le change. Avant la guerre, la France avait
-sur toutes les places des changes excellents. La guerre a bouleversé
-cette situation. Le franc vaut moins que le dollar, la livre sterling,
-le florin, etc... Les personnes qui possédaient des valeurs de pays au
-crédit solide ont bénéficié de ce renversement des rôles. Elles touchent
-une prime importante sur leurs coupons payables en monnaie étrangère.
-Elles enregistrent aussi une plus-value sur leurs titres eux-mêmes,
-qu'elles peuvent alors trouver avantage à vendre au dehors.
-
-Aujourd'hui, les changes sur l'Angleterre, les États-Unis et les pays
-neutres prospères, restent défavorables à la France dans des proportions
-qui ne se sont jamais vues. Il est probable que cette tension se
-prolongera quelque temps encore. Elle est, comme nous venons de le dire,
-extrêmement profitable pour les porteurs de valeurs américaines,
-anglaises, espagnoles, suisses, hollandaises et Scandinaves, dont le
-revenu et le capital bénéficient d'un accroissement qui va de 20 à 40 p.
-100. Quant aux personnes qui acquièrent actuellement ces sortes de
-valeurs, il va sans dire qu'elles doivent débourser une somme
-correspondant à la dépréciation du franc, ou, s'il s'agit de titres
-cotés à la Bourse de Paris, les payer plus cher. Si le franc remonte, si
-l'équilibre des changes vient à se rétablir dans un temps relativement
-court, les personnes qui auraient exporté prématurément leurs capitaux
-seraient exposées à subir une perte sèche. C'est un point qui ne doit
-pas être perdu de vue.
-
-Un autre qu'on ne doit pas négliger non plus, c'est que tel État,
-aujourd'hui ami ou neutre, peut être dans l'avenir entraîné dans un
-conflit avec la France. Placer toute sa fortune ou une grande partie de
-sa fortune dans un seul pays étranger est donc une imprudence, quelques
-raisons qu'on ait de croire que les relations de la France avec ce pays
-seront toujours bonnes.
-
- *
-
- * *
-
-De tous les pays du monde, les _États-Unis_ ont incomparablement les
-finances les plus solides. Avant leur participation à la guerre, ils
-n'avaient pour ainsi dire pas de dette nationale et leur rente 2 p. 100
-était au pair. Elle était d'ailleurs à peu près introuvable. Depuis son
-entrée dans la guerre, le gouvernement fédéral a émis plusieurs emprunts
-qui ont été des succès magnifiques. Au commencement de l'année 1919,
-tous ces emprunts étaient au pair, sinon au-dessus. Le 4 p. 100
-remboursable en 1925 avait même atteint, à la Bourse de New-York, le
-cours de 109. Les deux «emprunts de la liberté», _Liberty loan_, l'un 3
-1/2, l'autre 4 1/4, approchaient des mêmes cours. Ce sont,
-incontestablement, les premières valeurs du monde.
-
-Pour se rendre compte des bases solides sur lesquelles repose la
-prospérité des États-Unis, il suffira de lire cet exposé que nous
-empruntons à un article du _Brooklyn Eagle_ publié le 25 décembre 1918:
-
- Au 1er juillet 1912, la richesse des États-Unis était évaluée à 188
- milliards de dollars, soit $1.965 par tête. La dette nationale était
- alors de 1 milliard de dollars, soit $10,77 par tête.
-
- Au 1er octobre 1917, la richesse nationale était évaluée à 225
- milliards de dollars... et plus de 3 milliards de dollars s'y sont
- ajoutés depuis cette date.
-
- Il est vrai que notre dette nationale s'est accrue, elle aussi. En
- octobre 1917, elle était de $4.500.000.000, et aujourd'hui elle est de
- $17 milliards. Mais de cette somme il faut déduire les $8 milliards
- qui nous sont dus par l'étranger, et dont les intérêts annuels
- s'élèvent à plusieurs millions de dollars. La France et le Royaume-Uni
- ont une dette qui atteint presque la moitié de leur richesse
- nationale. Les $9 milliards de dette nette des États-Unis n'atteignent
- pas 1/25 de leur richesse nationale. De plus, notre richesse nationale
- est presque triple de celle du Royaume-Uni et quadruple de celle de la
- France.
-
- Pour les ressources, les États-Unis sont également la «terre de Dieu».
- Nous possédons 60 p. 100 du pétrole mondial. Nous avons chez nous deux
- tiers du cuivre, plus des deux tiers du coton, 40 p. 100 du charbon et
- du minerai de fer existant dans le monde. Dans le chiffre de nos
- importations, les produits manufacturés n'entrent que pour 13 p. 100,
- tandis que, sur les 6 milliards de dollars de marchandises que nous
- avons exportées dans le courant de l'année dernière, 4 milliards
- étaient représentés par des produits fabriqués par les machines
- américaines et les travailleurs américains.
-
- Et si on demande si tout ce commerce ne va pas disparaître maintenant
- que la guerre est finie, il faut répondre sans hésitation qu'il n'en
- sera rien. C'est un fait regrettable qu'il faudra à l'Europe plusieurs
- années pour rétablir ses industries. Son capital et son énergie
- devront pendant quelque temps être consacrés au travail de la
- construction. Les manufacturiers américains devront fournir les
- millions de dollars de matériaux dont l'Europe aura besoin pour se
- remettre sur pied. Et, dans les années qui vont venir, les États-Unis
- devront fournir la plus grande partie de ce qui se vendra en Asie et
- dans l'Amérique du Sud. Notre commerce avec ces parties du monde a
- doublé depuis le début de la guerre, et il nous en restera une grande
- partie, même si les États-Unis refusent d'engager une concurrence sans
- merci avec les puissances aux côtés desquelles ils ont combattu.
-
-Aux garanties qu'apporte cette prospérité, les emprunts des États-Unis
-ajoutent celles qui résultent d'une sécurité politique et sociale qu'on
-chercherait vainement ailleurs. Les États-Unis n'ont pas, d'ici
-longtemps, de grand danger extérieur à craindre. A l'intérieur, le
-socialisme, qui compte encore à peine comme élément électoral, a des
-formes modérées et il n'y a pas de pays où les tentatives de sabotage,
-d'anarchie et de bolchevisme, comme celles des Travailleurs
-Internationaux pendant la guerre, aient été plus énergiquement
-réprimées. C'est sans doute aux États-Unis que le régime capitaliste,
-tel qu'il a régné en Europe pendant le XIXe siècle, se maintiendra le
-plus longtemps. La richesse américaine, la légèreté des charges du
-gouvernement fédéral, ne donneront pas lieu non plus à une fiscalité
-excessive. Bien que les États-Unis aient commencé à connaître les taxes
-et les impôts, ils ont encore, à cet égard, une marge étendue par
-rapport aux grands États européens.
-
-Un emprunt comme celui de la ville de New-York (_New-York City 4 1/2_
-remboursable en 1957) est de tous points assimilable à ceux du
-gouvernement fédéral. Nous renvoyons le lecteur au chapitre des
-obligations industrielles pour les bons d'entreprises municipales émis
-par les grandes villes américaines.
-
-Les valeurs canadiennes de même nature se recommandent également et pour
-les mêmes raisons. Ainsi le _Canadian Fives_ remboursable en 1931, le _4
-1/2 Canadien_ (1920-1956), le _Dominion of Canada 3 %_ (1938), les
-_Ville de Montréal 3 1/2_ (1933). Ces fonds, comme ceux des États-Unis,
-sont au pair ou voisins du pair et offrent peu de chances d'une hausse
-considérable. Mais leur stabilité fait peu de doute et leur
-remboursement est prochain. La richesse du Canada, l'esprit de travail
-et d'ordre qui anime sa population, constituent des garanties d'une
-qualité rare. Au cas, nullement impossible, où de nouvelles secousses
-européennes viendraient à se produire, on ne regretterait pas d'avoir
-abrité contre les risques une fraction de son capital placée en bonnes
-valeurs d'État ou de grandes villes américaines et canadiennes.
-
- *
-
- * *
-
-On citait autrefois Victor Hugo et le président de la République Jules
-Grévy comme ayant donné le mauvais exemple d'expatrier leur bien et
-d'accorder plus de confiance à la rente anglaise qu'à la rente
-française. Cependant, comme nous l'avons dit plus haut, un placement en
-_Consolidés anglais_, effectué il y a trente ou quarante ans, n'aurait
-pas été très profitable. Il ne semble pas non plus qu'à l'heure actuelle
-les fonds d'État britanniques doivent être mis en portefeuille par des
-étrangers, au moins pour des quantités considérables.
-
-Ce n'est pas que l'Angleterre soit, à aucun degré, menacée de faillite.
-Son crédit reste et restera sans doute brillant. Quelle que soit
-l'énormité de la dette qu'elle a dû contracter pour faire face à ses
-dépenses de guerre, elle n'en sera pas écrasée. Après les guerres
-napoléoniennes, le Royaume-Uni devait une vingtaine de milliards, somme
-inouïe à cette époque. Les économistes du temps pensaient qu'un pareil
-passif était incompatible avec de bonnes finances. Cependant, grâce au
-développement de sa population, de son industrie et de son commerce,
-grâce aussi à sa bonne politique budgétaire, le Royaume-Uni a supporté
-sans peine et amorti régulièrement sa dette des temps passés.
-
-De nos jours, 250 milliards ne sont pas plus pour l'Angleterre que 20
-milliards il y a cent ans. De nos jours, comme alors, l'Angleterre est
-venue à bout de son ennemi. Elle occupe dans le monde une situation qui
-n'a jamais été si belle. Elle est la grande bénéficiaire de la victoire.
-De tous les belligérants européens, c'est elle sans doute qui supportera
-le moins difficilement le poids de ses dettes.
-
-Elle n'a qu'un point noir: la question sociale. Pas de petite propriété,
-peu de classes moyennes, un faible goût de l'épargne: entre un vaste
-prolétariat et un haut capitalisme puissant mais restreint, il n'y a
-pas, en Angleterre, de matelas qui s'interpose. Une crise grave, dont
-nous voyons déjà les prodromes, est possible. Si, comme il y a lieu de
-le penser, la politique anglaise reste fidèle à elle-même, elle
-continuera ce qu'elle avait déjà commencé avant la guerre. Elle résoudra
-le problème en imposant des sacrifices étendus à la fortune. Le porteur
-français de valeurs britanniques serait exposé à payer de lourds impôts
-à la fois en France et en Angleterre, car il n'est pas certain que
-l'_income-tax_ soit toujours remboursé aux porteurs étrangers. Ceux-ci
-seraient donc doublement atteints. Avant de placer de fortes sommes de
-l'autre côté de la Manche, on fera sagement de calculer le péril des
-deux taxations. Les personnes qui passeront outre ont le choix entre les
-_Consolidés_ dont nous avons parlé plus haut, les emprunts de guerre, ou
-_War Loans_ (3 1/2, 4, 4 1/2 et 5 %) et quelques fonds hautement réputés
-comme l'_Irish Loan_ 2 3/4 et le _London County Council_ 3 1/2, ainsi
-que quelques fonds coloniaux.
-
- *
-
- * *
-
-La _Belgique_ avait été surprise en pleine prospérité par l'agression
-allemande. Comme les peuples heureux, jusqu'en 1914 elle n'avait pas
-d'histoire. Le jeune État belge, qui date seulement de 1830, n'avait
-jamais connu d'aventures ni de catastrophes. Son passif était donc léger
-et sa dette avait été employée presque tout entière à mettre le pays en
-valeur. Il suffit de se souvenir que la Belgique était, par rapport à sa
-population et à sa superficie, le premier des peuples exportateurs
-d'Europe, ce qui légitimait l'excellence de son crédit.
-
-On doit penser qu'elle retrouvera cette prospérité après la guerre,
-quand les dommages qu'elle a subis auront été réparés. Sans doute, ses
-charges seront plus lourdes. S'il doit y avoir encore des budgets
-militaires, la Belgique, ayant renoncé à une illusoire neutralité, en
-aura un. Toutefois sa position spéciale dans la guerre, sa qualité de
-victime, ont fait que ses dépenses ont été infiniment moindres, tout
-compte tenu de son importance numérique, que celles des grands États ses
-alliés.
-
-Si elle continue à être bien gouvernée, la Belgique pourra être encore
-un des pays les plus heureux du monde. Sa rente 3 %, les rentes
-nouvelles qu'elle pourra émettre, seront de bons placements. Il faudra
-seulement se souvenir que, dans le cas d'une guerre nouvelle, la
-Belgique ne serait plus un État neutre, mais un belligérant comme un
-autre, exposé aux mêmes risques qu'un autre. En se délivrant des périls
-de la neutralité, elle en a perdu aussi les bénéfices, c'est-à-dire la
-garantie des puissances.
-
- * * * * *
-
-Après avoir eu un passé agité, la _rente italienne_ avait fini par
-prendre rang parmi les meilleures valeurs. L'Italien s'adonne à
-l'épargne. Profondément méfiant, l'Italien n'achète que de la terre ou
-le fonds d'État national. D'où la bonne tenue de ce titre qui, jadis
-placé par larges tranches au dehors, avait fini par être en grande
-partie rapatrié.
-
-La guerre a laissé les finances italiennes dans une situation obscure et
-les dirigeants ne dissimulent pas leurs alarmes. Le change défavorable
-que l'Italie a subi pendant la guerre est à lui seul un sérieux
-symptôme. Pourtant l'Italie a fait une guerre heureuse et, à bien des
-égards, une guerre moins dispendieuse que nous. S'il ne lui survient
-rien de fâcheux à l'intérieur, ses finances pourront se relever, grâce à
-sa population croissante. Quant à l'extérieur, la diplomatie italienne,
-malgré son habileté, saura-t-elle conjurer tous les orages amassés sur
-l'Adriatique? C'est une question.
-
-Un autre risque à courir, c'est le sans-gêne avec lequel l'État italien
-a coutume de traiter ses créanciers et même les entreprises privées: le
-rachat léonin des assurances en est un exemple. Nulle part le fameux
-«fait du prince» n'est plus en honneur, et nulle part l'État souverain
-ne se sent plus libre à l'égard de ses engagements. L'Italie opère, avec
-la plus grande désinvolture, des conversions forcées, qui ne sont que
-des réductions de dettes par le moyen de l'impôt. Le bénéfice du Trésor
-public est une considération qui prime tout, même le respect des
-contrats. La «garantie» de l'État italien, qui ne se pique pas, lui,
-d'être «honnête homme», est donc, à cet égard, sujette à caution: les
-porteurs de rente convertie et les obligataires français d'un certain
-_chemin de fer de Toscane_, pour ne pas prendre d'autres exemples, en
-savent quelque chose.
-
-Pour ces diverses raisons, nous croyons devoir conseiller aux
-capitalistes de ne s'intéresser que modérément aux fonds italiens, et,
-s'ils s'y intéressent, de ne pas s'y éterniser.
-
- *
-
- * *
-
-Parmi les puissances orientales qui ont pris part à la guerre, la
-_Russie_ touche douloureusement le capital français. La déception russe,
-c'est vingt-cinq ans de notre histoire politique et financière. La
-cessation de paiements de la Russie s'ajoute à la faillite de l'alliance
-et elle atteint des centaines de milliers d'épargnants français qui
-avaient fait confiance à l'allié de leur pays.
-
-En 1905, pendant la première révolution russe, la révolution manquée,
-nous avons entendu dire à M. Henri Germain, le célèbre directeur du
-Crédit Lyonnais: «Si la Russie devient libérale, oh! alors, elle est
-perdue.» La Russie n'est pas seulement devenue libérale: elle ne l'est
-restée que quelques semaines pour devenir socialiste et tomber dans
-l'anarchie. Avec le tsarisme, ce qui a disparu, en réalité, c'est le
-seul gouvernement européen et s'inspirant d'idées européennes qu'ait eu
-la Russie. Depuis la chute de ce régime, on a pu voir la vérité du mot:
-«Il n'y a pas de Russie d'Europe.» Le bolchevisme n'est qu'une forme de
-barbarie asiatique.
-
-La Russie sera-t-elle libérée ou se libérera-t-elle du bolchevisme?
-C'est possible. Dans ce cas, quelle sorte de gouvernement aura-t-elle?
-Et si ce gouvernement reconnaissait les dettes de l'ancien régime,
-serait-il en mesure d'en reprendre le service? Serait-il capable, pour
-commencer, de rétablir territorialement la Russie telle qu'elle était du
-temps des tsars, la Pologne et la Finlande, qui ont reconquis leur
-indépendance, exceptées? Serait-il capable de reconstituer
-économiquement la Russie pour faire face aux engagements nationaux?
-
-Il suffit de poser ces questions pour se rendre compte que, dans
-l'hypothèse la plus favorable, la reprise du service normal de la Dette
-russe ne peut pas être envisagée avant longtemps, si jamais elle doit
-avoir lieu. Il semble que les possesseurs de fonds russes doivent en
-tout cas s'armer d'une longue patience.
-
-L'immense faute qu'on a commise en France a été de méconnaître la
-fragilité politique de la Russie. A l'appel des sociétés de crédit,
-uniquement soucieuses de toucher leurs commissions, le public français
-souscrivait aux emprunts russes comme à des valeurs de tout repos. Des
-personnes prudentes et renommées pour leur sagacité, comme M. Paul
-Leroy-Beaulieu, se croyaient très modérées en conseillant de ne pas
-placer plus de 10 p. 100 d'une fortune en fonds russes. L'événement a
-prouvé que cette proportion était encore trop forte.
-
-Et pourtant le crédit de la Russie n'était pas mauvais. Depuis 1822,
-date de son premier emprunt extérieur, elle avait toujours fait face à
-ses engagements. Surtout ses possibilités de développement économique
-étaient énormes. Aujourd'hui encore, malgré les ruines accumulées par la
-Révolution, la Russie banqueroutière est dans cette situation paradoxale
-que ses richesses naturelles représentent infiniment plus que le total
-de ses dettes. Elle est même à cet égard dans une situation privilégiée
-par rapport aux autres grands pays européens accablés par leurs dépenses
-de guerre. Paisible et bien administrée, l'Ukraine, à elle seule,
-pourrait payer les créanciers de la Russie.
-
-Seulement ces richesses latentes ne sont pas exploitées et ne pourront
-l'être que quand l'ordre politique aura reparu et aura duré. Or, il est
-plus que douteux que l'ordre se rétablisse aisément dans toutes ces
-régions de l'Europe orientale. S'il revient un jour, les porteurs de
-fonds russes auront entre les mains un papier qui ne sera pas dénué de
-valeur. Il se peut que l'on voie, à cet égard, des renversements de
-situation bizarres et tel pourra être en faillite quand la Russie
-donnerait quelque dédommagement à ses créanciers. Il serait téméraire
-d'en dire davantage et d'exciter des espérances peut-être injustifiées.
-
-Puisse seulement la leçon russe avoir enseigné aux capitalistes français
-la méfiance.
-
-Les emprunts _finlandais_ méritent une mention spéciale. Avant la
-guerre, ils étaient garantis par la Russie. Mais la Finlande avait de
-bien meilleures finances que l'État russe. Avec la Prusse et la Suède,
-la Finlande était le seul État européen qui pût mettre en face de sa
-dette un actif réel, grâce surtout à ses vastes domaines forestiers.
-Depuis la révolution russe et la proclamation de son indépendance, la
-Finlande a négligé de payer ses créanciers. Ce ne sont pas les scrupules
-qui étouffent les peuples libérés et les nationalités nouvelles. Plus
-tard, si la Finlande fait honneur à sa signature, si sa situation
-politique s'éclaircit et si elle n'a plus à craindre le voisinage du
-bolchevisme, les emprunts finlandais pourront, dans une certaine mesure,
-mériter l'attention.
-
- *
-
- * *
-
-Les fonds _roumains_ ont subi une éclipse qui sera probablement
-passagère. La Roumanie a dû suspendre ses paiements en 1918 lorsque,
-trahie par la révolution russe, elle a été contrainte de s'incliner
-devant l'Allemagne et de signer la paix de Bucarest. Sa bonne foi et sa
-bonne volonté à l'égard de ses créanciers sont hors de question.
-
-Avant la guerre, la situation financière de la Roumanie était très
-saine. Ses richesses agricoles et pétrolières lui assuraient des revenus
-abondants. Ses emprunts étaient d'excellentes valeurs qui méritaient
-d'être acquises par les personnes les plus timorées.
-
-Il convient d'être plus réservé aujourd'hui. Après de dures épreuves, la
-Roumanie a vu la guerre tourner en sa faveur. Par la réunion de la
-Bessarabie et de la Transylvanie, son territoire et sa population seront
-plus que doublés. Elle possède, avec sa monarchie, un gouvernement
-sérieux et qui paraît stable. Son avenir serait donc séduisant et ses
-emprunts mériteraient confiance si elle n'appartenait à cette Europe
-orientale qui est menacée pour longtemps de convulsions. La Roumanie est
-terriblement isolée. C'est un îlot de civilisation au milieu de la
-barbarie. Elle aura de la peine à se défendre contre les révolutions
-sociales et nationales déchaînées autour d'elle. Tant que l'ordre n'aura
-pas été rétabli en Russie, la sécurité intérieure et extérieure manquera
-à l'État roumain.
-
-Pour cette raison il est donc fort chanceux d'acquérir en ce moment des
-fonds de cet État. C'est une spéculation pure. Toutefois, du jour où il
-apparaîtrait d'une façon certaine que l'Europe orientale s'apaise et
-retourne à l'ordre et à la tranquillité, les fonds roumains
-deviendraient séduisants. Nous engageons les capitalistes à surveiller
-cette éventualité.
-
- *
-
- * *
-
-Le coupon des rentes _serbes_ a été payé régulièrement pendant la
-guerre, grâce aux avances des Alliés. Quoique ruinée, la Serbie a une
-population paysanne énergique et travailleuse, qui pourrait réparer les
-désastres de la guerre. Ce pays est malheureusement engagé dans une
-politique qui n'est pas de tout repos. Il est exposé à toutes les
-secousses et à toutes les explosions balkaniques qui ne sont pas près de
-prendre fin et qu'aggravent les problèmes surgis de la décomposition de
-l'Autriche. L'union de la Serbie avec les Yougo-Slaves détachés de
-l'Empire austro-hongrois préparerait de nouvelles agitations et de
-nouveaux conflits. Nous conseillons l'abstention tant pour les emprunts
-anciens de la Serbie que pour ceux qu'elle pourrait lancer au nom de la
-Yougo-Slavie ou royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Si ce royaume
-unitaire arrive à se constituer, il annonce trop d'ambitions, il
-inquiète trop ses voisins (et en premier lieu l'Italie) pour avoir une
-existence tranquille. Si l'unité ne se fait pas, la Serbie, saignée à
-blanc par la guerre, sera faible et retrouvera ses ennemis d'hier,
-l'Allemand, le Hongrois, le Bulgare, sans en compter peut-être d'autres.
-De longtemps, ce coin de l'Europe ne sera pas un refuge pour les
-capitaux.
-
- *
-
- * *
-
-La _Grèce_ a été un allié de la dernière heure qui a vécu d'ailleurs des
-subsides et des allocations fournis par les Alliés. L'habile politique
-de M. Yenizelos n'a pas amélioré ses finances. Et puis, M. Yenizelos
-n'est pas éternel et qui sait, après lui, ce que deviendra la Grèce?
-Deux emprunts helléniques seulement sont recommandables, c'est le 2 1/2
-et le 4 p. 100 gagés sur des recettes d'État et des monopoles, le 2 1/2
-surtout dont la gestion est confiée à des représentants des grandes
-puissances sur le modèle de l'administration de la Dette ottomane. Les
-emprunts futurs de la Grèce qui n'auraient pas de garanties du même
-ordre seront à écarter purement et simplement.
-
-Quant au _Portugal_, dont l'histoire financière est peu brillante,
-l'instabilité politique de ce pays conseille l'abstention complète.
-
- *
-
- * *
-
-«Le _Japon_ occupe au point de vue économique la position d'un
-vainqueur.» Ce mot d'un journal japonais, écrit au lendemain de
-l'armistice du 11 novembre 1918, est vrai. Pendant toute la durée de la
-guerre, le Japon s'est préoccupé de limiter sa mise et il y a réussi. Sa
-situation monétaire est brillante. Il est soucieux de la conserver et de
-la développer. On pouvait craindre autrefois qu'il ne se laissât
-entraîner à une politique impérialiste. La prospérité l'a calmé. Il a vu
-aussi les États-Unis, jusqu'ici dépourvus d'armée, se donner une force
-militaire, ce qui a pu lui inspirer de nouvelles réflexions. Toutefois
-la politique de l'Extrême-Orient réserve sans doute bien des surprises.
-A l'intérieur, il ne semble pas que de gros accidents soient à craindre
-et la discipline nationale du Japon reste forte. Mais il ne faut pas
-oublier que sa structure économique et financière est récente et
-fragile. Le pays est lointain et, somme toute, mal connu et mystérieux.
-On fera bien de ne s'engager dans ses fonds que pour des sommes
-limitées.
-
-La surveillance des grandes puissances européennes est la seule garantie
-des emprunts _chinois_.
-
-Cette surveillance s'exercera-t-elle toujours avec la même efficacité?
-Déjà la caution de la Russie n'existe plus. Quant à l'état des finances
-chinoises, il est déplorable. Sans doute la Chine évoluant pacifiquement
-deviendrait une force économique de premier ordre. Ses ressources sont
-immenses. On doit seulement se demander si, prenant conscience
-d'elle-même, elle ne sera pas sujette à de dangereuses explosions
-révolutionnaires et nationalistes. Le continent asiatique inquiète déjà
-les esprits avisés de l'Europe. Il est probable qu'il s'agitera beaucoup
-au cours de ce siècle-ci. Cet énorme réservoir d'hommes commence à
-sortir de sa passivité. Tant que l'avenir ne sera pas plus clair, la
-prudence, pour les capitalistes européens, sera de rigueur.
-
-
-
-
-CHAPITRE VI
-
-EMPRUNTS DES ÉTATS QUI ONT ÉTÉ EN GUERRE AVEC LES ALLIÉS ET DES NOUVEAUX
-ÉTATS ISSUS DE LA DÉCOMPOSITION DE L'AUTRICHE-HONGRIE
-
-Les fonds allemands.--Fonds autrichiens et hongrois.--Conséquences de la
-dissolution de la monarchie austro-hongroise.--La distribution de la
-dette et les nouvelles nationalités.--Raisons de méfiance à l'égard des
-appels au crédit de la Pologne, de la Tchéco-Slovaquie et de la
-Yougo-Slavie.--Fonds bulgares. Fonds ottomans.--L'Europe centrale et
-orientale devra être évitée longtemps par les capitaux.
-
-
-Ce chapitre sera nécessairement bref, car nous n'avons pas besoin de
-mettre le capital et l'épargne en garde contre les fonds des États
-vaincus qui auront à payer les frais de la guerre et qui sont ruinés
-pour longtemps.
-
-Rares étaient les Français qui possédaient des rentes de l'Empire ou des
-États allemands, bien que, dans les années qui ont précédé la guerre,
-des démarcheurs et des banquiers eussent cherché à en écouler chez nous.
-Les personnes qui avaient succombé à la tentation auront été bien punies
-d'avoir joué sur le tableau de l'ennemi. A l'avenir, personne ne sera
-tenté de recommencer.
-
-Le cas est différent en ce qui concerne nos autres adversaires.
-L'Autriche-Hongrie, la Bulgarie, la Turquie ont trouvé du crédit en
-France avec l'autorisation du gouvernement, jusqu'à la veille des
-hostilités, ce qui prouve que le capitaliste doit se méfier de toutes
-les suggestions des établissements de crédit et même des recommandations
-officielles. L'Autriche-Hongrie était l'alliée de l'Allemagne, la
-Bulgarie suspecte, la Turquie peu sûre. Mais les établissements de
-crédit ne songeaient qu'aux commissions à encaisser. Quant au
-gouvernement, ou bien il s'aveuglait sur les dispositions de ces pays,
-ou bien il se servait de l'épargne française et la guidait vers des
-placements détestables dans l'idée d'amadouer des pays hostiles.
-
-L'épargne française aura fait les frais de cette diplomatie aventureuse.
-C'est ainsi que, quelques mois avant la guerre, fut lancé en France un
-emprunt ottoman dont un seul coupon a été payé et qui a donné aux Jeunes
-Turcs les moyens de préparer la guerre. Peut-être, à Gallipoli, des
-soldats français, ayant souscrit, eux ou leurs parents, à cet emprunt,
-ont-ils été frappés des projectiles que leur propre argent avait payés.
-Quelle monstrueuse ironie!
-
-Les fonds _autrichiens_ et _hongrois_ se trouvaient en quantités
-sérieuses dans les portefeuilles français avant la guerre. Il faut leur
-assimiler les _obligations des chemins de fer autrichiens_, chemins de
-fer rachetés et dont les titres étaient devenus des titres d'État. Le
-traité de paix stipule que les arrérages de ces emprunts devront être
-payés de préférence aux emprunts de guerre, ce qui est une certaine
-garantie pour les porteurs français. Toutefois la faillite menace
-l'Autriche et la Hongrie. On peut considérer que la Hongrie, pays
-agricole, est moins ruinée que l'Autriche bien que les nouvelles
-frontières qui lui sont imposées diminuent gravement ses ressources.
-
-Cependant une autre question se pose. L'Empire austro-hongrois s'est
-dissous. L'Autriche et la Hongrie ont été amputées, diminuées dans leur
-population, dans leur territoire et dans leurs ressources au profit des
-nouveaux États qui sont nés de la chute de l'ancienne monarchie.
-L'Autriche et la Hongrie réduites à elles-mêmes seraient donc incapables
-de faire face à leurs engagements. Le traité a prévu avec raison que les
-États qui sont nés ou qui se sont agrandis aux dépens de l'Empire déchu
-devraient prendre leur part des dettes de la communauté, et nous ne nous
-intéressons, bien entendu, qu'aux dettes d'avant-guerre, les seules dont
-les titres soient possédés par des Français.
-
-Il se trouvera donc que les porteurs de rente autrichienne seront
-créanciers à la fois de l'Autriche proprement dite, de la Yougo-Slavie,
-de la Pologne et de la Tchéco-Slovaquie. Les porteurs de rente hongroise
-seront créanciers de la Hongrie, de la Yougo-Slavie, de la
-Tchéco-Slovaquie et de la Roumanie. Comment, dans ces conditions, se
-fera le service de la Dette? Comment se fera la discrimination? Cela est
-bien obscur et doit laisser les intéressés perplexes.
-
-Il est en outre à craindre que le crédit de ces nouveaux États,
-dépourvus d'administration et qui auront tout à créer chez eux, ne soit
-pas très solide. Ils auront besoin de faire preuve de sagesse et dans
-leur politique intérieure et dans leur politique extérieure.
-Malheureusement les symptômes, à l'heure actuelle, ne sont pas très
-favorables. En outre, la décomposition de l'Autriche a étendu à l'Europe
-centrale une situation qui ne ressemble que trop à la situation
-balkanique. Il y a de fortes raisons de craindre l'instabilité du nouvel
-ordre de choses. Ce que les jeunes nationalités qui viennent de prendre
-leur essor auraient de mieux à faire, ce serait de se fédérer entre
-elles. Cette solution équivaudrait à reconstituer l'ancienne Autriche.
-Si elle doit être admise, il serait bien étonnant que ce ne fût pas
-après des luttes et des convulsions qui en auraient démontré la
-nécessité après avoir singulièrement aggravé les dégâts.
-
-Les trois nouveaux États polonais, tchèque et yougo-slave, étant
-considérés comme nos alliés, ne vont probablement pas tarder à faire
-appel au crédit international. Nous croyons devoir conseiller la plus
-grande réserve. Nous avons déjà dit plus haut ce que nous pensions de la
-Yougo-Slavie. Quelles que soient les sympathies qu'appellent les
-Tchéco-Slovaques et la Pologne, les Français n'ont plus le droit ni les
-moyens de faire de la finance sentimentale ni d'aventurer leurs
-capitaux. Il suffira d'observer que, pour le premier semestre de l'année
-1919, la Pologne, sans dette, a déjà un déficit de deux milliards.
-
-D'une manière générale, l'Europe centrale et orientale nous apparaît
-comme devant être pour longtemps évitée par les capitalistes. L'exemple
-de la Bulgarie peut servir de leçon. Voilà un pays qui a joui chez nous
-pendant de longues années d'une popularité inexplicable et qui nous a
-odieusement trompés. La France ne devra plus être la vache à lait des
-nationalités nouvelles.
-
-Nous ne nous appesantirons pas sur les anciens _emprunts bulgares_. Le
-traité de paix donne à cet égard les garanties nécessaires et usuelles
-aux intérêts des porteurs. Les personnes qui ne sont pas engagées dans
-ces titres feront mieux de n'y pas entrer. Le pays est trop peu sûr.
-
-Restent les _fonds ottomans_. Ce sont peut-être, de tous ceux des États
-qui ont été nos ennemis, les moins mal protégés. Le caractère
-international de l'espèce de protectorat qui est imposé à l'Empire turc,
-joint aux privilèges anciens attachés à quelques-unes des dettes
-ottomanes, font espérer que les porteurs ne seront pas dépouillés.
-Néanmoins, la plus grande incertitude plane sur l'avenir de la Turquie
-comme de tout l'Orient. Ces titres ne peuvent tenter les personnes qui,
-au goût du risque et de la spéculation, ne joignent pas une certaine
-connaissance des choses orientales.
-
-Sans développer davantage ces divers points, nous concluons donc, avec
-le bon sens: on ne prête pas à l'ennemi, on ne prête pas aux vaincus. On
-ne prête pas non plus à de jeunes États qui n'ont pas encore fait la
-preuve de leur solvabilité.
-
-
-
-
-CHAPITRE VII
-
-EMPRUNTS DES ÉTATS NEUTRES
-
-Les pays épargnés par la guerre se sont enrichis.--Leurs emprunts sont
-d'un moindre rapport que ceux des belligérants.--Est-ce le moment
-d'entrer dans ces valeurs?--Avantages qu'elles offrent encore
-temporairement.--Examen des six pays neutres d'Europe: Espagne, Suisse,
-Hollande, pays Scandinaves.--Le Mexique et l'Amérique du Sud.--Nécessité
-d'une soigneuse discrimination.
-
-
-Nous entrons ici dans le paradis des fonds d'États. Parmi les peuples
-qui se sont tenus prudemment à l'écart de la guerre,--nous rangeons dans
-cette catégorie les Républiques Sud-américaines qui se sont contentées
-de rompre avec l'Allemagne,--les uns se sont enrichis, les autres, du
-moins, ne se sont pas couverts de dettes comme les belligérants. Par
-comparaison, leur situation financière, qui n'était pas toujours de
-premier ordre, apparaît comme améliorée. Il y a là, pour certains
-d'entre eux, un trompe-l'oeil. On aurait tort de croire que tous les
-pays qui se sont tenus dans la neutralité ont acquis, par cela même, une
-solvabilité à toute épreuve.
-
-Les personnes qui avaient observé le principe de la distribution
-géographique des placements, lorsqu'elles étaient bien tombées, ont été
-récompensées de leur prudence pendant la guerre. Encore fallait-il bien
-tomber ou avoir été doué d'une prévoyance rare pour discerner les pays
-qui échapperaient à une tourmente dont ceux-mêmes qui l'annonçaient ne
-pouvaient soupçonner l'ampleur. Il y a donc eu plus de chance que de
-science dans la distribution des portefeuilles les plus judicieusement
-composés. Il suffit d'ailleurs de consulter les tableaux de placements
-donnés avant 1914 par les conseilleurs les plus qualifiés pour se rendre
-compte des erreurs que les plus sages peuvent commettre. Ce qui confirme
-notre principe essentiel, qu'il ne suffit pas, pour assurer les
-capitaux, de les répandre sur toute la surface du globe.
-
-D'ailleurs, la roue tourne. Tel État qui vient d'échapper à la guerre et
-dont la situation paraît enviable subira demain à son tour quelque choc
-dont il est difficile pour le moment d'apercevoir les causes. Tel autre,
-au contraire, au sujet duquel les perspectives étaient sombres, semble
-rester à l'abri des orages. Il y reste jusqu'à ce que son tour arrive.
-La stabilité et la prospérité sont pour les États ce que la santé est
-pour l'homme le mieux portant: quelque chose de provisoire.
-
-Essayons de raisonner en ce qui concerne les capitaux et leur besoin
-accru de sécurité. Les rentiers qui, dans le choix de leurs placements,
-se régleraient sur leur tempérament personnel en appliquant les données
-généralement admises autrefois, obéiraient à l'une ou à l'autre des deux
-tendances suivantes. Hardis, ils parieraient pour le relèvement des
-États qui ont souffert de la guerre, ils spéculeraient sur la hausse de
-leurs emprunts. Timorés, ils se réfugieraient dans les titres des États
-qui ne se sont pas endettés.
-
-Le premier système a des précédents encourageants. L'histoire du XIXe
-siècle montre qu'en effet les grandes nations qui ont subi les plus
-dures épreuves, dont le crédit a paru à un moment donné le plus
-compromis ou a été le plus discuté, sont parvenues à rétablir leur
-situation. Elles ont récompensé les prêteurs qui ont eu confiance en
-elles. Tel a été le cas de l'Italie, dont la solidité financière, aux
-débuts difficiles de son unité, semblait plus qu'aléatoire. Tel a été
-aussi le cas de la France. Après 1815, et après 1871, son relèvement a
-justifié toutes les espérances de ceux qui avaient cru en elle. On cite
-des spéculateurs qui, à la suite de la première guerre franco-allemande,
-sont restés dix ans à la hausse sur nos fonds nationaux et dont
-l'enrichissement s'est fait tout seul à mesure que les forces
-économiques de la France se reconstituaient.
-
-L'Espagne offre un phénomène du même genre. Les agitations de sa
-politique avaient longtemps détourné le public de ses emprunts. En 1898,
-sa guerre désastreuse avec les États-Unis avait failli la conduire à la
-banqueroute. Pourtant l'Espagne a résisté et ceux qui avaient ponté sur
-elle au moment où elle était le plus bas ont gagné. Nous connaissons à
-ce sujet une anecdote symbolique.
-
-Pendant la guerre hispano-américaine, la rente espagnole dite
-Extérieure, c'est-à-dire payable en or à Paris, était tombée aux
-environs de 30 francs. On parlait de suspendre les paiements ou, au
-moins, de les réduire et de recourir à une faillite partielle. Était-ce
-le moment d'acheter et de courir l'aventure? Les esprits craintifs
-disaient non. Les amateurs de risque disaient oui. Or, il y avait un
-ménage français où le mari était timide et la femme aventureuse. La
-femme conseillait d'acheter de l'Extérieure. Le mari refusait.
-L'occasion passa. Lentement d'abord, l'Extérieure se mit à remonter:
-l'Espagne tenait ses engagements. Tous les soirs, dans le journal,
-Madame lisait les cours. Elle les lisait à voix haute. Madame triomphait
-et Monsieur était humilié. Par sottise il avait manqué une fortune. Et
-l'histoire ajoute que, quand l'Extérieure fut au pair, le ménage
-divorça...
-
-La question est de savoir si ces exemples de relèvement progressif et de
-guérison rapide sont encore applicables à la situation actuelle. En
-somme, l'expérience que nous avons du crédit des grands États, tel qu'il
-s'est constitué dans le monde contemporain, est une expérience étendue
-sur un temps très court par rapport à la longévité des nations. C'est
-tout au plus l'espace d'un siècle, beaucoup moins pour de nombreux pays.
-On ne saurait tirer du fait que, de 1815 à 1914, aucun État important
-n'a fait faillite et que les pays éprouvés se sont tirés d'affaire, la
-conclusion que l'échafaudage financier des sociétés contemporaines est
-indestructible et que ce qui s'est passé au XIXe siècle recommencera au
-XXe.
-
-Pas plus qu'il n'est certain que tous les belligérants se relèveront de
-leurs plaies, il n'est certain que les États restés neutres de 1914 à
-1918 jouiront d'une prospérité éternelle, à l'abri des convulsions et
-des hasards. Leur bonheur ne doit donc pas faire illusion outre mesure.
-Le monde nouveau, tel qu'il est sorti de la paix, est trop instable pour
-qu'on puisse assurer que celui-ci ou celui-là seront toujours exempts
-des guerres et des révolutions.
-
-Ainsi le rentier irait sans le savoir au devant de nouveaux risques s'il
-portait inconsidérément sa fortune chez les anciens «neutres». Il faudra
-encore choisir entre eux et scruter leur fort et leur faible.
-
- *
-
- * *
-
-L'_Espagne_ a été merveilleusement favorisée par la guerre. L'or a
-afflué chez elle. Sa rente extérieure a largement dépassé le pair. Le
-change, phénomène inouï, lui est devenu favorable au point que le billet
-de banque français a perdu plus de 30 p. 100. Les porteurs de rente
-espagnole, qui semblaient avoir fait un placement aventureux, se sont
-trouvés au contraire avoir fait une opération excellente.
-
-Tous ces signes veulent-ils dire que l'Espagne jouit d'une prospérité
-réelle et durable? C'est une autre affaire. L'Espagne, à qui la guerre a
-apporté une richesse imprévue, souffre d'un malaise politique et social
-mal défini qui inspire des inquiétudes à tous les observateurs. Rien de
-net n'est encore sorti de ce malaise, mais c'est un état qui ne se
-prolongera peut-être pas éternellement. Au cas où une révolution
-surviendrait, le précédent lamentable de la République espagnole de 1873
-n'est pas de nature à rassurer. Les personnes qui détiennent de la rente
-Extérieure en quantités modérées peuvent conserver leurs titres. C'est
-un élément de variété dans la composition d'un portefeuille. En acheter
-à l'heure actuelle (23 p. 100 au-dessus du pair en août 1919) semble
-bien aléatoire, vu l'obscurité qui entoure l'avenir de la politique
-espagnole. Par contre, si l'horizon s'éclaircissait, si l'ordre se
-stabilisait et si un personnel rajeuni venait administrer l'Espagne, ce
-pays, où il y a encore tant à faire, serait des plus intéressant.
-
-La _Suisse_ n'a pas profité de la guerre. Elle en a même souffert et
-elle y a beaucoup perdu. Elle a dû accroître sa Dette pour couvrir les
-dépenses que lui a causées une longue mobilisation, maintenue pendant
-toute la durée des hostilités. La Suisse n'en est pas moins, par rapport
-à tous ses voisins, dans une situation enviable, accusée par un change
-qui ne cesse de lui être favorable. Neutre au point de vue diplomatique
-et militaire, la Suisse qui, entourée de belligérants, a pu échapper à
-la guerre, semble avoir fait aussi l'épreuve de sa résistance à la
-révolution. Les tentatives de bolchevisme qui ont eu lieu à Zurich ont
-été réprimées et l'attitude de l'ensemble de la population, dont
-l'esprit est parfaitement sain, permet de penser que ces tentatives, si
-elles se renouvelaient, seraient vouées au même échec.
-
-Les rentes suisses 3 et 3 1/2 cotées à Paris, ainsi que les emprunts des
-principaux cantons, offrent de sérieuses garanties. Leur rendement est
-médiocre étant donné le loyer courant de l'argent. Elles promettent du
-moins de la sécurité quant au capital, surtout pour les séries les plus
-anciennes amorties par tirage régulier, comme les chemins de fer
-fédéraux 3 1/2 1899-1902.
-
-La _Hollande_, elle aussi, a miraculeusement échappé à la guerre. Ce
-sage pays aurait une apparence bien trompeuse s'il devait connaître des
-bouleversements intérieurs. Ses rentes ont le défaut d'être rares et
-chères.
-
-Nous arrivons, en remontant vers le Nord, au groupe Scandinave. Avec ces
-trois royaumes s'achève la liste des États européens restés neutres.
-Tous trois jouissent d'un excellent crédit. Leur politique intérieure et
-extérieure est paisible. Le _Danemark_, dont la prudence à l'égard de
-l'Allemagne a été remarquable, recouvre le Slesvig et par là accroît ses
-ressources. La _Norvège_ a souffert de la guerre sous-marine. Mais sa
-flotte marchande, quoique diminuée, lui a valu et lui vaudra encore de
-beaux bénéfices. Sa situation financière est bonne et l'épargne s'y
-développe d'une façon constante.
-
-La statistique officielle des Caisses d'épargne de Norvège, pour l'année
-1917 montre combien la prospérité nationale a augmenté pendant les
-années de guerre. L'ensemble des dépôts opérés dans les caisses
-d'épargne de 65 villes et de 476 communes de la campagne, a augmenté
-d'une manière inconnue jusqu'alors. Le capital déposé était en 1900 de
-300 millions, en 1910 de 500 millions, en 1915 de plus de 720 millions,
-en 1916 il dépassait 950 millions, et en 1917 il atteignait presque
-1.250 millions de couronnes. Pendant 7 ans, de 1910 à 1917 les dépôts
-ont donc augmenté d'environ 750 millions. Pour avoir une idée tout à
-fait complète de cet accroissement de la prospérité norvégienne, il
-faudrait aussi connaître le montant des capitaux déposés dans les
-banques privées. Il est probable, dans ces conditions, que les
-Norvégiens rachèteront et rapatrieront leurs emprunts nationaux qui sont
-ainsi assurés d'une certaine stabilité sur les marchés extérieurs.
-
-Quant à la _Suède_, elle est, comme nous l'avons déjà dit, un des rares
-États du monde qui possèdent un riche patrimoine productif, et son actif
-(composé en particulier de célèbres mines de fer), balance presque son
-passif.
-
-C'est peut-être la Suède pourtant dont la politique intérieure
-laisserait le plus à désirer et serait exposée à des surprises et à des
-secousses, sa dynastie étant très discutée et combattue. Toutefois le
-bolchevisme a vainement essayé de s'introduire dans les pays
-Scandinaves. En sorte que les fonds danois, norvégiens et suédois, les
-deux premiers surtout, lorsqu'il est possible de s'en procurer (car il
-est devenu assez rare, depuis quelque temps, que les porteurs s'en
-dessaisissent) peuvent être acquis, eux aussi, pour leur sécurité plus
-que pour leur rendement.
-
- *
-
- * *
-
-Parmi les États de l'Amérique centrale et de l'Amérique méridionale,
-quelques-uns, suivant le conseil donné par le président Wilson, avaient
-rompu avec l'Allemagne. Même parmi ceux-là, aucun n'a réellement
-participé à la guerre. On peut donc les considérer tous également comme
-étant restés dans la neutralité. Mais à d'autres égards, et pour
-apprécier leur crédit respectif, de profondes différences s'imposent.
-
-Les Républiques de l'Amérique du Sud ont souvent mal récompensé la
-confiance que l'Europe mettait en elles. Le défaut des pays neufs et
-sans richesse acquise, c'est qu'ils sont voués pendant longtemps à
-l'instabilité économique, sujets à des crises. Ayant sans cesse besoin
-de capitaux étrangers pour mettre leurs richesses en valeurs ils sont
-exposés à la faillite dès que ces capitaux leur manquent. L'Europe ne
-devant plus être d'ici plusieurs années en état de les alimenter, ces
-crises se reproduiront, à moins que les États-Unis ne jouent le rôle de
-banquier. Enfin, parmi les Républiques sud-américaines, plusieurs ne
-sont pas encore sorties de l'ère des agitations politiques et de
-l'administration défectueuse. C'est ce qui explique le long martyrologe
-des emprunts de ces pays, entre lesquels il importe de distinguer
-soigneusement.
-
-Le _Mexique_ est celui qui a valu à ses créanciers la déception la plus
-cruelle. Pendant la longue et bienfaisante dictature de Porfirio Diaz,
-le Mexique s'était élevé à un degré de prospérité remarquable. Il était
-entré dans la société des États les plus civilisés. Il a suffi de la
-chute du dictateur pour ruiner l'oeuvre de Porfirio Diaz et, depuis,
-l'histoire du Mexique n'a plus été que celle d'un vaste brigandage.
-Aucun coupon n'a plus été payé: c'est le pendant du bolchevisme russe,
-et la France a, là-bas, trois milliards en souffrance.
-
-Après avoir laissé l'anarchie mexicaine se développer, si même ils ne
-l'ont pas vue d'un oeil favorable, les États-Unis semblent changer
-d'attitude. Sous leur influence, l'ordre pourra se rétablir au Mexique.
-Il pourrait devenir intéressant, dans cette attente, d'acquérir quelques
-valeurs mexicaines (rentes 4 %, obligations des chemins de fer
-fédéraux.) Toutefois il conviendrait de n'en acquérir qu'avec
-modération. Le Mexique ne retrouvera pas du jour au lendemain son
-équilibre. Et si les États-Unis y rétablissent l'ordre, il n'est pas
-certain que ce soit pour payer tout de suite et intégralement l'arriéré
-dû aux porteurs européens.
-
-Mêmes observations en ce qui concerne _Haïti_. La mainmise américaine
-sur ce pays, qui a suspendu ses paiements en 1915, ne paraît qu'une
-affaire de temps. Toutefois l'achat des trois séries de rentes
-haïtiennes cotées à la Bourse de Paris et qui ont atteint en 1919 des
-cours élevés reste dans une large mesure une opération spéculative car
-le service de la dette est toujours en souffrance.
-
-Nous passons sur les petits États de l'Amérique centrale qui, presque
-tous, n'ont apporté que des déboires à leurs créanciers, pour en venir
-tout de suite à l'Amérique du Sud.
-
-Le _Brésil_, avec ses immenses ressources et un gouvernement
-remarquablement abondant en hommes distingués, n'en est pas moins le
-type du pays sud-américain voué aux crises économiques parce qu'il
-dépend de ses récoltes. Le café, qui constitue sa principale
-exportation, est soumis à des variations brusques et considérables. D'où
-l'instabilité des budgets brésiliens. Ce n'est pas sans raison que ses
-créanciers avaient stipulé autrefois la création d'un emprunt
-privilégié, dit _Funding_, dont l'intérêt est servi avant celui de
-toutes les autres séries. Cette garantie se traduit par les cours
-toujours supérieurs du _Funding_ ancien (il en a été émis un _nouveau_
-par la suite, ce qui constitue une sorte de supercherie à laquelle il
-importe de ne pas se laisser prendre). Pour tant faire que d'acheter du
-brésilien, il est préférable de se porter sur le _Funding_ authentique.
-
-Le Brésil est un État fédéral dont les États particuliers, jouissant
-d'une large autonomie, sont loin d'avoir tous des finances excellentes.
-Ils sont aussi responsables de leurs propres dettes. L'expérience a
-prouvé que leurs emprunts étaient peu sûrs et il convient de s'en
-écarter.
-
-L'_Uruguay_, qui s'adonne à l'élevage, a depuis un certain nombre
-d'années une existence calme et prospère. Après avoir fait banqueroute
-autrefois, il procure des satisfactions à ses bailleurs de fonds par un
-service ponctuel de sa dette, d'ailleurs proportionnée à sa population
-restreinte, bien que, pendant la guerre, il ait suspendu les
-amortissements promis a ses créanciers. Toutefois, sauf accident
-imprévu, son 3 1/2 et ses 5 p. 100 paraissent, à faible dose,
-recommandables pour un portefeuille abondant.
-
-C'est principalement au blé que la _République argentine_ doit sa
-richesse. Son budget dépend donc aussi de ses récoltes. Son passé
-financier n'est pas encourageant, car elle a fait une faillite en 1891
-et une autre, partielle, en 1900. Mais, depuis, son crédit s'est relevé.
-Pour le moment, la somme de ses emprunts ne paraît pas excéder ses
-ressources normales[3]. On peut craindre seulement pour l'Argentine
-quelques troubles sociaux dont Buenos-Aires a déjà présenté les
-symptômes.
-
- [3] Même réserve que pour le Brésil en ce qui concerne les emprunts
- des États particuliers.
-
-Il serait faux, en effet, de s'imaginer que le continent sud-américain
-fût à l'abri des bouleversements que connaît l'Europe, et même à l'abri
-de la guerre. Il n'y a pas encore si longtemps que le _Chili_, le
-_Pérou_ et la _Bolivie_ ont soutenu entre eux de longues luttes dont le
-souvenir n'est pas éteint et qui ont menacé récemment de se rallumer. Il
-est prudent de ne pas entrer dans les fonds de ces États, quoique
-l'ouverture du canal de Panama leur apporte beaucoup de promesses.
-D'ailleurs si un emprunt bolivien est coté à Paris (ne pas oublier que
-la Bolivie, semblable à son voisin le Paraguay, n'a pas accès à la mer)
-les valeurs péruviennes et chiliennes ne sont cotées qu'à Londres. Mieux
-vaut les y laisser.
-
-Il en est de même pour l'_Équateur_, la _Colombie_ et le _Venezuela_,
-qu'il s'agisse des emprunts existants ou futurs de ces pays agités et
-dont les finances sont informes ou précaires.
-
-
-
-
-CHAPITRE VIII
-
-UN ÉLÉMENT DES FORTUNES FRANÇAISES EN DANGER: LES ACTIONS DE CHEMINS DE
-FER
-
-Illusion du public quant à la prospérité des compagnies.--Elles sont
-écrasées par leurs charges financières, fiscales et sociales.--Elles
-n'ont pas la liberté de leurs tarifs et le terme des concessions
-approche.--L'actionnaire garde tous les risques et ne touche qu'une
-faible part des bénéfices, quand il y en a.--Situation et avenir des six
-grandes compagnies françaises.--Le rachat est un soulagement et un
-bienfait: exemple de l'Ouest.--Cas des chemins de fer algériens.--Les
-rachats futurs seront-ils aussi avantageux?
-
-
-L'exemple des actions de chemins de fer illustre d'une manière
-éclatante--et douloureuse pour les porteurs de ces vénérables titres de
-«pères de famille»--tous nos précédents exposés sur le _processus_
-d'après lequel les détenteurs de la «fortune acquise» risquent de se
-voir dépouillés légalement, normalement et morceau par morceau, à la
-manière dont les artichauts sont effeuillés.
-
-Les actions des chemins de fer français--nous parlerons plus loin des
-actions des chemins de fer étrangers--ont joui pendant de longues années
-d'une vogue exceptionnelle, avant et après les célèbres conventions de
-1883. Elles ont longtemps figuré, elles figurent même encore à la place
-d'honneur dans le portefeuille des rentiers les plus timorés. Il faut
-croire que ces rentiers n'ont jamais lu ni le cahier des charges ni le
-bilan des compagnies, sinon la capitalisation de faveur, la
-capitalisation déconcertante de ces titres ne s'expliquerait pas. Il est
-tout à fait extraordinaire, par exemple, de constater qu'en 1900, année
-de l'Exposition universelle, les actions de nos grandes compagnies de
-chemins de fer s'étaient capitalisées exactement au même taux que leurs
-obligations. C'est-à-dire qu'en réalisant son bénéfice sur ses actions
-Nord, Lyon, Orléans ou autres, et en acquérant, en échange, des
-obligations de ces mêmes compagnies, un capitaliste prévoyant et
-calculateur, sans diminuer le moins du monde son revenu, sans changer la
-nature de son placement, eût stabilisé une large part de sa fortune.
-Cette équivalence entre les actions et les obligations avait duré en
-effet assez longtemps pour suggérer et pour permettre l'exécution du
-plus indiqué, du plus judicieux des arbitrages. Pour ceux--et ils sont
-légion--qui ne s'y sont pas résolus au bon moment, la plus-value des
-actions de chemins de fer sera restée fictive et théorique, car les
-cours fabuleux qui étaient cotés aux environs de l'année 1900 sont loin
-et ne reparaîtront jamais.
-
-Il est incroyable, mais vrai, que des milliers d'actionnaires des
-chemins de fer français, composés en immense majorité de pères de
-famille prudents, économes, et disposés à se prendre pour de vigilants
-administrateurs de leur bien, auront négligé de profiter d'un mouvement
-spéculatif pour convertir en obligations leurs actions de chemins de
-fer, alors que cette opération si simple eût consolidé leur situation
-d'une manière inespérée. Le mot d'ineptie n'est pas trop fort pour
-caractériser une pareille indifférence, une insensibilité aussi complète
-à l'intérêt le plus évident.
-
-En effet, depuis cette occasion perdue,--chance suprême mise par la
-spéculation à la portée des classes moyennes,--les cours des actions de
-chemins de fer, à force de se déprécier, ont fait subir au portefeuille
-de leurs détenteurs des pertes telles, que seules, des valeurs de
-troisième ordre étaient réputées jadis pouvoir offrir à la baisse un
-champ aussi considérable. Songez en effet que les actions du célèbre
-réseau Paris-Lyon-Méditerranée, après avoir valu près de 2 000 francs en
-1900, n'en valaient plus que 1 200 environ en juillet 1914, soit une
-chute de 40 p. 100! Or, dans le même temps, les cours des obligations de
-la même Compagnie n'avaient guère baissé que de 15 p. 100, étant
-revenues de 485 francs à 410. Pendant la guerre, le cours moyen de
-l'action est tombé aux environs de 700 francs tandis que l'obligation a
-rarement fléchi, et de peu, au-dessous de 320. Encore ces obligations
-ont-elles la promesse d'un remboursement au pair dans un délai qui peut
-être rapproché par une chance heureuse aux tirages annuels. On voit
-ainsi, par un nouvel exemple, l'avantage que l'on trouve à placer son
-capital à l'abri des fluctuations et des aventures en cherchant un
-refuge dans les valeurs à revenu fixe, soutenues par un amortissement
-régulier, sans attendre, pour prendre cette résolution salutaire, que
-les crises soient survenues.
-
-Mais, en 1900, selon l'illusion régnante et à peu près universelle, le
-loyer de l'argent ne pouvait manquer de s'abaisser d'une façon
-régulière. Les économistes, les financiers, le public, les savants et
-les ignorants, tout le monde était convaincu que le taux de l'intérêt
-devait continuer à décroître et ne manquerait pas de s'établir à 2 1/2,
-sinon même à 2 %. La ville de Paris, vers cette époque, n'avait-elle pas
-émis, en effet, un emprunt de ce dernier type[4]? On s'imaginait donc
-que celles des compagnies de chemins de fer qui se sont réservé la
-faculté de rembourser leur dette par anticipation (ce sont les
-Compagnies de Lyon et d'Orléans), ne tarderaient pas à procéder à la
-conversion en 2 1/2 ou 2 3/4 de leurs obligations 3 p. 100. On
-s'imaginait aussi que le cours des obligations des autres compagnies,
-les obligations inconvertibles, devant se fixer à tout jamais au-dessus
-du pair, le porteur serait par conséquent exposé à subir une perte
-chaque fois que, par le jeu de l'amortissement, ces obligations seraient
-remboursées à 500 francs. C'est justement le contraire qui s'est
-produit.
-
- [4] Dans les dernières années du XIXe siècle, les compagnies de
- chemins de fer pouvaient émettre, elles aussi, des obligations du
- type 2 1/2. Depuis 1910, elles ont dû se résoudre à revenir au type
- 4 p. 100. Les voici présentement à 5.
-
-Pendant ce temps, on pensait que les actions de chemins de fer offraient
-de vastes espérances de plus-value et d'augmentation de bénéfices. On se
-reposait d'une part sur la garantie de l'État; on se leurrait de l'autre
-sur la possibilité d'accroître les dividendes. Ce faux calcul, dont
-l'excuse est qu'il partait d'une erreur et d'une illusion presque
-générales, aura coûté cher aux personnes qui seront restées fidèles à
-ces titres, pour la seule raison qu'ils possédaient l'estime de la
-bourgeoisie française et parce qu'on se souvenait qu'ils avaient enrichi
-la première génération de leurs détenteurs. En sorte qu'on ne prenait
-même plus la peine de les étudier, tant leur bonne réputation les
-rendait supérieurs à toute analyse et à tout examen.
-
- *
-
- * *
-
-Cependant, il n'eût pas été difficile, moyennant un peu d'attention, au
-capitaliste le moins familier avec la comptabilité complexe des Sociétés
-par actions, de découvrir les graves faiblesses des compagnies de
-chemins de fer.
-
-La première de ces faiblesses, il n'est même pas exagéré de dire la
-première de ces tares, avait été signalée à l'attention du public, il
-n'y a pas moins de soixante ans, par le célèbre _Manuel du spéculateur à
-la Bourse_, ouvrage de Proudhon, ce singulier génie, fait à la fois de
-clartés et de nuages.
-
-En 1855, c'est-à-dire aux origines de la constitution des six grands
-réseaux et du régime sous lequel se trouvent encore les compagnies,
-Proudhon remarquait déjà que le caractère principal de la gestion des
-chemins de fer français était de vivre d'emprunts et de couvrir non
-seulement les travaux neufs, mais encore le renouvellement de la voie et
-le renouvellement du matériel roulant, au moyen de continuelles
-émissions d'obligations. Le principe n'a pas changé depuis le temps où
-Proudhon faisait cette remarque. Les emprunts à jet continu n'ont pas
-cessé d'être la méthode d'administration des compagnies de chemins de
-fer, qui n'achètent pas une locomotive sans contracter une dette
-nouvelle et qui ne mettent pas un fourgon au rebut sans garder la charge
-de l'intérêt et de l'amortissement du capital emprunté pour
-l'acquisition de cet objet de première nécessité.
-
-Un industriel ordinaire, une société quelconque qui emploieraient de
-pareils procédés iraient droit à la ruine et seraient jugés avec la
-dernière sévérité. Mais, pour la bourgeoisie française, les compagnies
-de chemins de fer sont au-dessus de la critique. Leurs actions
-bénéficient d'une vieille renommée. Le portefeuille des pères de famille
-en est rempli... Telle est, jusque dans les affaires d'intérêt, la force
-de l'habitude et la puissance de la tradition.
-
-Deux exemples vont tout de suite fixer les idées du lecteur sur la
-gestion financière des grandes compagnies et les alarmes que les
-capitalistes prévoyants doivent en concevoir.
-
-Voici la plus prospère de toutes les compagnies, celle à qui s'attachent
-le nom, l'autorité, le prestige financier des Rothschild: la puissante
-Compagnie du Nord. Nous ne parlons même pas de sa situation financière
-présente ni des pertes terribles que la guerre lui a fait subir par la
-destruction d'une si large partie de son réseau. Mais, pour l'exercice
-1913, comme pour les exercices précédents, les chemins de fer du Nord
-avaient eu recours au crédit public et ne lui avaient pas demandé moins
-de 87 880 000 francs, somme qui correspondait alors à une charge
-annuelle supplémentaire d'environ 4 400 000 francs jusqu'à la fin de la
-concession. D'avance, le Nord avait donc engagé pour 4 400 000 francs
-ses recettes supplémentaires à venir. Que sera-ce pour les emprunts que
-nécessite la guerre!
-
-Cependant, pour le même exercice 1913, le bénéfice distribuable de la
-Compagnie (y compris celui des lignes nord-belges) n'avait atteint que
-30 millions en chiffres ronds. C'est-à-dire que, si les chemins de fer
-étaient une industrie comme une autre, les bénéfices réalisés par le
-Nord en 1913 n'auraient pas suffi à ses besoins normaux.
-
-Le cas est le même pour le réseau de l'Est. Ce réseau s'était fait
-remarquer dans les années qui ont précédé la guerre par l'augmentation
-considérable de recettes que le développement industriel de la région
-qu'il dessert (et en particulier l'essor du bassin de Briey), lui avait
-permis de réaliser. Les recettes de l'Est s'étaient accrues de plus de
-100 millions depuis le commencement du siècle. Aussi la Compagnie
-avait-elle pu rembourser à l'État, tranche par tranche, toute la dette
-constituée durant les années mauvaises au titre de la garantie
-d'intérêt. Enfin, en 1914, année suprême, la Compagnie avait pu relever
-son dividende, très modestement, il est vrai, et de la très pauvre somme
-de 2 francs: mais les actionnaires, depuis longtemps, n'avaient reçu
-pareille aubaine et s'étaient estimés heureux. S'ils y avaient regardé
-de près ils auraient vu combien cette pièce de 2 francs elle-même était
-précaire!
-
-L'exercice 1913 avait marqué pour la Compagnie de l'Est l'ère de ce
-qu'on appelle la «liberté des dividendes». Nous verrons à un autre
-endroit les étroites limites de cette liberté. Pour le moment, ce qu'il
-importe de remarquer, c'est que, dans une année considérée comme une
-année prospère, l'Est avait dû, pour satisfaire aux besoins de son
-réseau, emprunter une somme de 80 millions en chiffres ronds,
-correspondant à une annuité d'environ 4 millions et demi, pour le
-service des intérêts et de l'amortissement. L'année précédente, l'appel
-au crédit et la charge corrélative avaient été presque exactement
-pareils. Il n'y avait donc pas de raison pour, que, au cours des années
-suivantes, et en admettant même que la guerre ne fût pas survenue, la
-nécessité de recourir à l'emprunt ne fût pas demeurée la même: le
-rapport l'annonçait d'ailleurs en toutes lettres. Et comment, en vérité,
-la Compagnie des chemins de fer de l'Est eût-elle suffi à 80 millions de
-dépenses obligatoires avec un bénéfice net de 25 millions environ? Même
-en supprimant et le dividende réservé et le modeste dividende
-supplémentaire de 2 francs, elle fût restée bien loin de compte!
-
-L'emprunt et toujours l'emprunt: voilà donc la loi vitale des chemins de
-fer français. C'est pourquoi l'on conçoit sans peine les alarmes qui
-assiègent les administrateurs des compagnies de chemins de fer et qui
-sont exprimées chaque année par eux, sous une forme plus ou moins
-sibylline, aux Assemblées générales. A mesure que la durée de la
-concession s'abrège et se rapproche de son terme (il ne reste plus que
-trente-cinq ans à courir pour le Nord), la dette s'enfle et le service,
-aggravé par les droits de timbre grandissants, en devient plus onéreux
-et plus lourd. Ainsi, la Compagnie de l'Est, en dix années, avait vu,
-pour les «dépenses de premier établissement», son passif s'accroître
-d'un demi-milliard, en dépit des amortissements régulièrement pratiqués
-sur les obligations antérieurement émises. Où, quand et comment
-s'arrêtera cet endettement prodigieux que la guerre aura aggravé dans
-des proportions incalculables? On dira que les compagnies continuent,
-conformément aux engagements qu'elles ont pris, à amortir leurs emprunts
-antérieurs. Mais il y a longtemps qu'elles empruntent beaucoup plus
-qu'elles ne remboursent et leur dette ne diminue jamais. Si l'Est, par
-exemple, avait remboursé pour 23 millions de francs d'obligations
-anciennes en 1913, il en avait émis pour 80 millions de francs de
-nouvelles. De plus, les annuités libérées par les remboursements, sont
-destinées, comme on le sait, à accroître la masse réservée aux
-amortissements annuels, suivant les tables d'amortissement. On voit donc
-que la dette nouvelle de 80 millions contractée dans l'année 1914 est
-restée tout entière, intérêts et principal, comme les dettes
-précédentes, à la charge de la Compagnie, puisque la somme affectée au
-paiement des arrérages sur les obligations remboursées et annulées, doit
-servir à rembourser et à annuler une plus grande quantité des
-obligations restantes, et ainsi de suite, de manière à assurer le
-remboursement intégral de tous les emprunts avant la fin de la
-concession.
-
-Il apparaît ainsi que l'industrie des chemins de fer, en France, est une
-industrie d'un genre tout à fait spécial, et qui ressemble fort à celle
-des Danaïdes condamnées à remplir un tonneau sans fond. D'une part les
-compagnies ont et doivent avoir continuellement recours à l'emprunt et
-leur dette obligataire ne cesse de s'enfler. D'autre part, elles
-n'exploitent qu'à titre de concessionnaires des réseaux qui, au terme de
-la concession, doivent revenir gratuitement à l'État. La concession,
-c'est la fameuse «peau de chagrin» de Balzac. Elle se rétrécit chaque
-année. Pendant ce temps la dette s'enfle et, quel que soit le génie
-d'économie qu'on y pourra mettre, elle ne peut manquer de s'enfler
-encore, sous peine, pour les travaux d'art et les voies, de tomber en
-ruines, pour le matériel de se délabrer.
-
-Au point de vue strictement financier, et par les lois mêmes de leurs
-contrats, les compagnies de chemins de fer sont donc placées dans une
-situation on ne peut plus alarmante pour l'avenir.
-
-Il est question, il est vrai, depuis quelque temps, de les aider à
-sortir de ces soucis qui pourraient devenir bientôt des embarras et qui
-sont un principe de ruine. Divers projets ont été agités. L'État
-autoriserait les compagnies à émettre des obligations remboursables en
-cinquante années (comme le sont déjà les obligations de l'Ouest-État),
-c'est-à-dire après l'expiration des concessions. Il est assez probable
-qu'il faudra bien, tôt ou tard, adopter ou cette solution-là ou une
-autre du même genre, à moins qu'on ne désire voir les compagnies
-succomber sous le fardeau[5]. Mais le texte du cahier des charges est
-formel: les réseaux doivent revenir à l'État en pleine et entière
-propriété et libres de toute dette et engagement. Tout ce que l'État
-accorderait aux compagnies dans cet ordre d'idées serait donc générosité
-pure, et il y a peu de chances pour que, l'État voulût-il être généreux,
-l'opinion et le Parlement le lui permissent. Il faudrait donc très
-certainement que les actionnaires se résolussent à payer par quelque
-nouveau sacrifice le soulagement qui leur serait accordé. Et pourtant,
-des sacrifices, il ne leur reste plus le moyen d'en faire beaucoup!
-
- [5] Le président du conseil d'administration de l'Est, à l'assemblée
- générale de 1914, a fait remarquer aux actionnaires que leurs
- charges d'intérêt et d'amortissement qui ressortaient, en 1907, à
- 4,68 par obligation, ressortaient à 5,21 en 1913. D'autre part, M.
- Félix Chautemps, député, dans son rapport sur les chemins de fer,
- calculait ainsi la progression de la charge imposée pour le service
- d'un emprunt à 4 p. 100:
-
- Durée Taux d'intérêt
- de l'amortissement et d'amortissement
-
- 50 ans. 4,655 p. 100
- 45 ans. 4,82 --
- 40 ans. 5,002 --
- 35 ans. 5,357 --
- 30 ans. 5,783 --
- 25 ans. 6,40 --
- 20 ans. 7,358 --
- 15 ans. 8,99 --
- 10 ans. 12,33 --
-
- 7, 8, 12 p. 100! Et c'était des chiffres d'avant-guerre!
- Aujourd'hui, il faudrait au moins les doubler. Ce serait
- l'écrasement pur et simple du budget des Compagnies, l'impossibilité
- pour elles d'entretenir les réseaux. Pour peu que l'État y mît de
- mauvaise volonté, les Compagnies se verraient exposées à cette
- alternative: la ruine ou la déchéance.
-
- *
-
- * *
-
-En effet, les compagnies de chemins de fer auront été les premières et
-naturelles victimes des réglementations qui tendent à accroître la part
-du travail et à réduire celle du capital. Cette espèce de lente
-évaporation des capitaux, cette consomption des revenus et bénéfices
-divers dont nous avons montré plus haut la marche, ne pouvait manquer de
-s'exercer avec une rapidité et une gravité particulières sur une
-industrie qui occupe un personnel considérable, qui se trouve sous le
-contrôle direct de l'État et qui, en outre, est privée de la liberté de
-fixer ses tarifs. Ceux-ci, il est vrai, ont bien été relevés pendant la
-guerre: mais, en contre-partie, les compagnies ont dû assumer des
-charges nouvelles et cette augmentation des tarifs ne suffit déjà plus.
-En d'autres termes, les compagnies sont ligotées, prisonnières. Aucune
-issue ne leur est offerte, sinon des procès dont la solution est
-lointaine et douteuse, quand elles se croient fondées à prétendre que
-l'intervention du législateur a été inique et abusive, ou même quand des
-pertes immenses leur ont été infligées par un cas de force majeure comme
-la guerre.
-
-C'est ce qui s'était produit déjà pour le régime des retraites que le
-Parlement avait imposé aux compagnies en 1909 et 1911. Ce régime, chose
-très remarquable, était infiniment plus favorable aux travailleurs de la
-voie ferrée que celui des retraites ouvrières de droit commun dont
-l'État assure lui-même le service, et il y a là un symptôme à retenir.
-Il apparaît d'abord que l'État est disposé à se montrer plus exigeant
-pour les autres que pour lui-même. Et puis, au lieu d'être à
-l'uniformité, l'avenir ne serait-il pas aux privilèges? Déjà il est à
-remarquer que les ouvriers mineurs ont obtenu des avantages
-particuliers, un traitement spécial, qu'ils s'efforcent de développer et
-d'améliorer encore. Le cas des cheminots est le même: c'est l'image d'un
-socialisme pratique et sans doctrine, où les travailleurs organisés se
-procurent, à l'aide des Parlements, des conditions d'existence
-confortables et durables à l'intérieur et sur les produits de
-l'industrie même qui assure leur subsistance. Il est probable que cette
-tendance, qui est celle de l'incorporation du prolétariat à la
-profession, ira en croissant et en se précisant. Les dividendes et les
-intérêts du capital s'en ressentiront dans une sérieuse mesure.
-Certaines branches de l'industrie, qui ne sont pas encore atteintes par
-des réglementations de cette nature, le sentent si bien qu'elles
-dissimulent de leur mieux leurs bénéfices pour que l'intervention de
-l'État les épargne ou les ménage. Tel est le cas, notamment, de la
-grande métallurgie française, si prospère depuis quelques années. Nous
-serions surpris, si, un jour ou l'autre, la grande métallurgie n'était
-pas frappée par le même genre de contrainte que les charbonnages et les
-compagnies de chemins de fer ont déjà subi, et n'ont pas fini de subir.
-
-Les Compagnies ont déclaré que leur bon droit ne faisait pas de doute et
-que le Conseil d'État ne manquerait pas de leur allouer une indemnité
-pour le préjudice que les lois de 1909 et de 1911, relatives à la Caisse
-des Retraites, leur ont porté. C'était également, nous le savons, au
-moment du vote, l'avis de certains parlementaires qui, tout en ayant
-approuvé ces lois par nécessité politique et sociale, restaient imbus du
-vieux principe du respect qui est dû aux contrats. Assurément, si les
-Compagnies devaient obtenir gain de cause dans cette affaire, et dans
-toutes celles du même genre qui se sont succédé depuis, ce serait pour
-elles non seulement un dédommagement appréciable, mais encore un heureux
-précédent. Toutefois rien n'est plus douteux. L'ancienne notion de la
-sainteté et de l'inviolabilité des contrats, qui s'imposait jadis même à
-la puissance publique, s'obscurcit de jour en jour. Dans les Assemblées,
-le vieil esprit juridique de la bourgeoisie française s'affaiblit. La
-guerre a habitué les esprits à l'idée de la réquisition et le Trésor
-public a déjà tant de charges! Quant au Conseil d'État, juge suprême des
-différends de cette nature, son indépendance est restée jusqu'ici
-au-dessus de tout soupçon. Mais qui oserait affirmer que les tribunaux
-administratifs eux-mêmes ne finiront pas par refléter et par exprimer
-les idées du gouvernement et de l'opinion publique, dont ils sont, en
-définitive, l'émanation?
-
-Les formidables augmentations de dépenses de toute sorte que les
-Compagnies ont dû subir du fait des hostilités rendent d'ailleurs leur
-situation financière tellement incertaine, que les administrateurs, au
-fond d'eux-mêmes, doivent se demander comment ils en sortiront. Il
-convient d'ailleurs de s'attendre à des aggravations progressives de
-leurs charges de toute nature, en particulier par les relèvements des
-salaires du personnel et l'accroissement constant de ce même personnel,
-qu'entraînent les améliorations et les adoucissements des conditions de
-travail.
-
-Il serait donc sage et prudent d'envisager comme un fait accompli et à
-peu près définitif, une réduction considérable des bénéfices des chemins
-de fer français. Cette réduction, exprimée par ce qu'on appelle le
-coefficient d'exploitation, c'est-à-dire le rapport des dépenses aux
-recettes, suivait déjà depuis une dizaine d'années avant la guerre, une
-marche alarmante. C'est un phénomène, nous le verrons tout à l'heure,
-qui n'est pas particulier aux réseaux français. Mais il est peut-être
-plus grave pour les actionnaires de nos réseaux que pour les
-actionnaires des réseaux étrangers, en raison du régime spécial de nos
-chemins de fer et, en particulier du régime des concessions qui interdit
-de compter sur l'avenir. De 1950 à 1960, l'heure de la mort sonnera pour
-toutes les grandes compagnies. Les actionnaires qui n'auraient pas la
-curiosité de rechercher ce qui, à cette époque, leur adviendra à
-eux-mêmes ou à leurs héritiers, feraient preuve d'une impardonnable
-incurie.
-
-Prenons l'exemple du Paris-Lyon-Méditerranée dont les recettes brutes
-étaient considérables avant 1914 et ne cessaient de s'accroître. Mais,
-quand on y regardait de plus près, on s'apercevait que, dans le même
-temps, les dépenses s'étaient parallèlement accrues, en sorte que, le
-coefficient d'exploitation ayant passé de 47 à 57 p. 100, le bénéfice
-net était resté stationnaire. La Compagnie encaisse et manie des sommes
-considérables (près de 600 millions en 1913). Son budget en était venu
-alors à approcher le budget de l'État belge; il égalait, s'il ne le
-dépassait pas, celui de la République Argentine, et tout cela sans
-profit pour les actionnaires, dont le dividende actuel reste à la merci
-des événements, depuis surtout que la garantie d'intérêts (qui expirait
-pour le Nord et le Lyon en 1915) ne leur est plus assurée. Ce dividende
-réservé qui, pour le P.-L.-M., était de 55 francs, a été réduit à 40
-francs pendant la guerre. Encore ce dividende est-il _entièrement
-fictif_. En 1919 il n'a pu être distribué que grâce à une émission
-d'obligations autorisée par l'État, le déficit total étant de 212
-millions. Les actionnaires du P.-L.-M. en sont donc réduits à emprunter
-pour assurer le service de leur dette, et ils empruntent encore pour se
-voter à eux-mêmes un dividende! Nous le répétons: c'est un gouffre.
-
-Ainsi la progression des recettes n'influence pas le revenu des
-actionnaires, qui reste immobile, quand il n'est pas menacé de
-diminution. Il ne faudrait pas trop compter à cet égard sur le renouveau
-d'activité et de prospérité qui suivra la guerre, car les prix du
-charbon et de toutes les matières resteront longtemps ruineux. En
-admettant même que les compagnies pansent leurs plaies, il y a une
-raison majeure et trop souvent oubliée (si elle n'est pas ignorée) pour
-que les bénéfices, s'il en survenait par hasard de supplémentaires,
-échappent aux actions. En effet, les cahiers des charges stipulent que
-l'État est appelé au partage des bénéfices dans la proportion des deux
-tiers, dès que le dividende réservé se trouve dépassé. Pour l'Est, par
-exemple, sur un excédent de revenu de 7 millions, on constate que
-l'État, en vertu des récentes conventions, avait pris 4 700 000 francs
-et qu'il n'est demeuré que 2 350 000 francs aux porteurs d'actions
-(1914).
-
-En d'autres termes, toutes les mauvaises chances restent aux
-actionnaires. Quant aux chances favorables, elles sont considérablement
-réduites par le fait que l'État s'est adjugé la part du lion.
-
-Voilà la situation vraie et que les intéressés auront profit à méditer.
-Nous n'avons pas à examiner dans ce livre le bien-fondé de ces clauses
-de partage et des droits que s'attribue l'État. Nous renseignons les
-capitalistes, sans plus. Et il est bien certain que, dans des conditions
-pareilles, les actions de chemins de fer constituent des valeurs
-industrielles singulièrement aléatoires et totalement dépourvues
-d'attrait. Il est singulier, nous le répétons, qu'on ne le sache pas
-davantage.
-
-Au surplus, il est impossible de dissimuler que le personnel dirigeant
-des compagnies a pris une lourde responsabilité vis-à-vis des
-actionnaires, en acceptant et en leur faisant accepter les fameuses
-conventions de 1883. Les actionnaires sentaient bien alors que leur
-intérêt était de laisser l'État racheter les compagnies, puisque l'État
-voulait modifier les contrats existants et construire des lignes
-nouvelles, dont l'improductivité était d'avance certaine. Cette opinion
-très juste des actionnaires s'était même exprimée nettement à
-l'assemblée extraordinaire du P.-L.-M. du 24 décembre 1883, où un tiers
-des actionnaires présents refusa de ratifier la convention: cette
-opposition était grandement justifiée, puisque les dividendes de 65, 70,
-75 francs, distribués pour les exercices précédents, ne devaient plus
-jamais reparaître.
-
-A quels mobiles ont obéi les états-majors des compagnies en acceptant et
-en faisant accepter les conventions de 1883? C'est ce qu'il est
-difficile de dire avec certitude. Ils invoquèrent alors le patriotisme,
-le devoir d'assister l'État dans l'oeuvre de réorganisation de la
-France; et aussi «les véritables principes économiques», les dangers de
-«l'étatisation» et du socialisme d'État. Les «véritables principes
-économiques» auront coûté cher dans cette circonstance aux actionnaires,
-qu'ils auront livrés sans défense aux entreprises du socialisme par les
-interventions législatives que nous avons exposées.
-
-Il y avait certainement en 1883, parmi l'élite qui compose les conseils
-des compagnies, des théoriciens, des sociologues, des philosophes, qui
-croyaient sincèrement aux principes. Mais il nous paraît difficile de ne
-pas admettre qu'il y ait eu aussi des professionnels des grandes
-affaires qui auront calculé tout ce qu'ils perdraient, non pas sans
-doute de profit, mais surtout d'influence et de moyens d'action, en ne
-participant plus au gouvernement de ces puissants organismes que sont
-les compagnies de chemins de fer. Un incident est venu révéler au
-public, voilà quelques années, que les capitaux considérables, les
-dizaines de millions dont les conseils d'administration ont le maniement
-et assurent l'emploi temporaire entre les échéances, pouvaient être
-utilisés au gré de certains administrateurs et servir à des opérations
-aventureuses et même illicites: nous voulons parler des traites Crosnier
-escomptées par la Compagnie d'Orléans et qui furent découvertes après la
-déconfiture retentissante et le suicide de ce spéculateur. Un pareil
-abus, nous en sommes persuadé, aura été tout à fait rare dans l'histoire
-des compagnies de chemins de fer. Mais il y a là une indication qu'il
-serait un peu naïf de négliger. Oui, beaucoup de raisons font que
-l'administration de nos grands réseaux est tentante pour des financiers
-et des hommes d'affaires. Il n'est pas douteux que si, en 1883, ces
-états-majors n'avaient eu en vue que l'intérêt des actionnaires, ils
-eussent laissé l'État recourir à la procédure de rachat. Et s'ils ont
-fait un autre calcul, s'ils ont cru qu'il serait plus avantageux pour
-les compagnies d'exploiter les réseaux sous le nouveau régime que de se
-faire exproprier moyennant les indemnités prévues, eh bien! l'expérience
-aura prouvé qu'au moins pour la majorité d'entre elles, ces élites
-d'hommes d'affaires et d'économistes s'étaient trompées.
-
- *
-
- * *
-
-Nous résumerons tout ce qui précède en disant que les actions des
-chemins de fer français sont devenues des valeurs totalement dépourvues
-de perspectives d'avenir, sinon même des valeurs aléatoires et
-présentant plus de mauvaises chances que de favorables. Les profits
-industriels en sont rongés par les lois ouvrières, expression d'un
-inéluctable mouvement social. Toute hausse des matières premières, tout
-renchérissement de la main-d'oeuvre les menacent directement, sans que
-les Compagnies puissent se dédommager par le relèvement des tarifs, que
-l'État n'autorise qu'à des conditions elles-mêmes onéreuses. Les charges
-financières et fiscales s'aggravent. L'expiration des concessions
-approche...
-
-Qu'est-ce que l'actionnaire pourrait espérer de bon?
-
-Toutefois, la situation des six grandes Compagnies, Nord, Paris-Lyon,
-Est, Orléans, Midi et Ouest, offre aujourd'hui des différences
-considérables. Il importe de distinguer entre elles, tout compte tenu
-des observations générales que nous venons de présenter.
-
-_La Compagnie du Nord_ a été et serait encore la plus prospère de toutes
-si la guerre n'était venue frapper sur elle un coup terrible. Ses
-recettes kilométriques étaient de beaucoup les plus fortes, avec un
-réseau court, présentant très peu d'artères improductives, et qui
-traverse nos provinces les plus peuplées, les plus industrieuses, les
-plus riches, celles aussi qui, naturellement, ont tenté l'ennemi. Jamais
-le Nord, jadis, n'avait fait appel à la garantie d'intérêts. Cette
-garantie toutefois expirait le 1er janvier 1915 et, à partir de ce
-moment, l'action Nord n'était plus qu'une valeur industrielle comme une
-autre, particulièrement exposée, en raison de la nature de son trafic, à
-subir l'influence des crises économiques, ainsi que le rapport des
-administrateurs le fait observer presque tous les ans. Il était donc
-déjà possible que, durant les trente-cinq années de vie qui restaient à
-la société, les cascades des cours fussent nombreuses.
-
-Le réseau Nord-Belge contribuait régulièrement, et dans une proportion
-de plus du tiers, à grossir le dividende. Si l'État Belge venait à
-manifester vis-à-vis de ce réseau privé les mêmes exigences que l'État
-français,--ce qui paraît assez probable d'après bien des
-symptômes,--cette source de revenus pourrait bien avoir à souffrir. La
-Belgique, elle aussi, fera une politique sociale intense et elle annonce
-déjà une «régie des chemins de fer».
-
-Quant au tunnel sous la Manche dont le percement est décidé en principe,
-tant par la France que par l'Angleterre, il apportera certainement au
-Nord un élément de bénéfices appréciable. Cependant il ne faudrait pas
-escompter cet élément trop tôt, car on estime qu'en mettant les choses
-au mieux, il s'écoulera peut-être une dizaine d'années avant que le
-tunnel soit ouvert au trafic.
-
-On calculait, toujours avant la guerre, qu'en 1950, à la fin de la
-concession, quand toutes les actions auraient été remboursées à 400
-francs (car le pair des actions Nord, il ne faut pas l'oublier, n'est
-que de 400 francs), la répartition de l'actif disponible, (le matériel
-roulant évalué à dire d'experts ayant été repris par l'État), laisserait
-une somme à peu près égale à la valeur présente de l'action de
-jouissance, qui était alors d'environ 1.300 francs. Inutile de dire que
-ce calcul renfermait un grand nombre d'éléments douteux et
-incontrôlables. Bien des choses pouvaient changer et, avec l'invasion
-allemande et ses conséquences, bien des choses ont changé en effet, bien
-des hypothèses ont été démenties, bien des équilibres ont été rompus et
-d'autres le seront encore d'ici 1950, époque à laquelle beaucoup
-d'hommes faits, aujourd'hui vivants, ont chance d'être encore de ce
-monde, où les jeunes enfants de la génération la plus récente
-atteindront la force de l'âge. Il y a là un point d'interrogation qui
-doit se poser aux pères de familles prévoyants.
-
-Il serait donc tout à fait inexact et dangereux de classer l'action Nord
-comme la seconde valeur du monde, ainsi que l'avait fait le public
-français dans un concours organisé, voilà une quinzaine d'années, par un
-considérable organe financier. Ce n'est peut-être même plus aujourd'hui
-la moins mauvaise des actions de chemins de fer français. On répète
-volontiers que, jusqu'ici, les personnes qui l'ont achetée dans les
-périodes de très grande dépression n'ont pas eu à s'en repentir: il est
-impossible que ces rebondissements, auxquels on se fie, n'aient pas un
-terme.
-
-_La Compagnie des Chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée_,
-comme celle du Nord, doit désormais pourvoir à ses dividendes par ses
-propres moyens, la garantie d'intérêt ayant expiré le 1er janvier 1915,
-à moins qu'une nouvelle convention n'intervienne qui, on peut en être
-sûr, ne fera pas un pont d'or aux actionnaires. Vu sur la carte, le
-réseau est splendide, avec sa grande artère principale à haut rendement.
-Il convient aussi de tenir compte du retour à la France de
-l'Alsace-Lorraine et peut-être de l'entrée de la rive gauche du Rhin
-dans notre sphère d'influence économique. Le Lyon pourra profiter de ce
-nouvel état de choses.
-
-La grande faiblesse du P.-L.-M. est l'énormité même de son réseau, qui
-s'accroît sans relâche. C'est le géant des chemins de fer français et
-ses proportions colossales ne donnent que plus de prise à toutes les
-aggravations de dépenses et de charges. Son personnel forme une armée.
-Et tel relèvement de salaires, qui coûte quelques centaines de mille
-francs au Nord, s'élève pour lui, d'un seul bond, à plusieurs millions.
-De toutes les Compagnies, celle de Paris-Lyon doit être la plus sensible
-à la double étreinte de la législation ouvrière et de la législation
-fiscale.
-
-En outre, les besoins d'argent du P.-L.-M. sont constants et
-gigantesques. On n'en aperçoit pas la fin, car les travaux neufs
-complémentaires à exécuter forment un programme immense. Tout relèvement
-du loyer de l'argent est donc particulièrement coûteux au P.-L.-M., dont
-les charges financières ne cessent de grandir et dont les obligations se
-placent à un cours déjà inférieur au cours des obligations des autres
-Compagnies, en raison de l'extinction de la garantie, de la plus longue
-durée de l'amortissement et de la largeur des tranches qui sont offertes
-au public.
-
-Enfin, il ne faut pas oublier que le P.-L.-M. atteint très vite la
-limite du partage des bénéfices avec l'État. Il lui est même déjà arrivé
-de l'atteindre. La marge des bénéfices éventuels est donc très étroite,
-en sorte que les circonstances défavorables l'emportent de beaucoup sur
-les circonstances favorables et il ne faudrait guère compter sur
-celles-ci. Il serait même bien hardi de promettre aux actionnaires
-qu'ils reverront jamais l'ancien dividende réservé. Pour le moment, on
-ne peut dire qu'une chose de la situation financière du P.-L.-M., c'est
-qu'elle est tragique.
-
-A l'expiration de la concession (décembre 1958), toutes les actions du
-Lyon ayant été remboursées à 500 francs et étant devenues des actions de
-jouissance, que reviendrait-il à chacune d'elles? C'est ce qu'il serait
-bien aventureux de vouloir prédire. L'action de jouissance du P.-L.-M.
-est estimée aujourd'hui en Bourse valoir à peu près 350 francs. Il est
-extrêmement douteux, pour ne pas dire plus, que ces 350 francs se
-retrouvent au 31 décembre 1958, dans les divers éléments d'actif qui
-appartiendraient en propre à la Compagnie au moment où elle devrait
-remettre tout son réseau à l'État.
-
-En d'autres termes, si une «valeur de père de famille» ne doit comporter
-que la proportion d'aléas la plus faible possible, l'action
-Paris-Lyon-Méditerranée n'apparaît nullement comme ayant les caractères
-qui sont requis pour ces valeurs-là.
-
-_La Compagnie des chemins de fer de l'Est_ a eu une histoire
-particulièrement intéresssante. La guerre de 1870 et le traité de
-Francfort avaient failli ruiner le chemin de fer de l'Est et l'avaient
-anémié longtemps par l'amputation de la magnifique partie alsacienne de
-son réseau. L'Est était même probablement condamné à végéter tristement
-jusqu'à la fin de ses jours, à l'époque où la revanche semblait
-chimérique, sans la mise en valeur du bassin de Briey, qu'on a pu
-appeler le Transvaal français, et qui a eu pour conséquence la
-transformation de toute une contrée, naguère agricole, en région de
-haute activité industrielle. Le retour à la France de l'Alsace-Lorraine
-promet aux chemins de fer de l'Est une nouvelle prospérité. Mais
-recevront-ils de nouveau le réseau alsacien? Et à quelles conditions? A
-quel prix l'État le rétrocéderait-il à la Compagnie? La Compagnie
-trouverait-elle, dans la nouvelle convention qui serait signée, une
-compensation aux dommages considérables que l'invasion lui a valus? Il
-faudrait connaître la réponse qui sera faite à ces questions avant de
-compter sur un essor des dividendes.
-
-Lourdement endetté envers l'État, l'Est avait pu, avant la guerre, en
-recourant à l'emprunt, rembourser sa dette de garantie et, par l'effet
-de sa convention de 1911, disposer de ses bénéfices, dans la limite
-étroite, toutefois, que nous avons définie plus haut. L'attribution
-obligatoire à l'État des deux tiers des sommes qui dépassent le
-dividende réservé restreint considérablement les possibilités
-d'augmentation du revenu. On ne peut donc prévoir pour celui-ci, dans
-l'hypothèse la plus favorable, que des accroissements lents et modestes,
-s'il s'en produit.
-
-La garantie de l'État, assurée à l'Est jusqu'en 1935, constitue pour
-cette Compagnie une assurance contre les risques inséparables de
-l'industrie des chemins de fer en France. Dans ces conditions, l'action
-Est semble pouvoir présenter assez longtemps une certaine stabilité.
-L'acquéreur se tromperait toutefois en croyant faire fortune. Les cours
-actuels, pour un revenu minimum de 35 fr. 50, tiennent déjà compte des
-possibilités les plus heureuses.
-
-Tout à fait spécial est le cas des _Compagnies de l'Orléans_ et du
-_Midi_. Si elles étaient des Sociétés comme les autres et réduites à
-leurs seules ressources, ces Compagnies auraient fait faillite depuis
-longtemps. On a même pu craindre que l'heure de cette faillite ne sonnât
-en 1915. Mais un arrêt du Conseil d'État, mettant fin à une vieille
-querelle qui, jadis, a fait couler beaucoup d'encre, et même renversé
-des ministères, est venu assurer à l'Orléans et au Midi, sans qu'il
-subsiste l'ombre d'un doute, le bénéfice de la garantie jusqu'à la fin
-des concessions (respectivement 1956 et 1960). Le gouvernement s'est
-incliné. Singulière combinaison, on en conviendra! Humiliante situation
-pour l'État, destiné à subvenir à toutes les insuffisances de deux
-Compagnies privées et à remplir le rôle défini par le vers de la
-comédie:
-
- Un oncle est un banquier donné par la nature.
-
-Quoi qu'il arrive, l'actionnaire de l'Orléans et celui du Midi ont la
-certitude de toucher, pendant plus de quarante ans, un dividende
-minimum, plus le remboursement de l'action au pair de 500 francs. Par
-exemple qu'ils n'attendent rien de plus! Il est universellement admis
-que ni l'Orléans ni le Midi ne parviendront à rembourser leur lourde
-dette de garantie qui se grossit sans relâche des intérêts arriérés[6].
-Tout l'actif qui apparaîtra à la fin des concessions ne peut manquer
-d'être repris par l'État créancier pour le payer de ses avances. Il est
-même moins que certain que l'État y retrouve son compte.
-
- [6] L'Orléans a pourtant, jadis, été une compagnie extraordinairement
- prospère. Les actions ont même été dédoublées, en sorte que, sur le
- pied du dividende actuel de 59 francs, une action primitive
- donnerait 118 francs de revenu. Mais les conventions de 1883 ont
- transformé du tout au tout l'exploitation de la Compagnie qui,
- surchargée de lignes dépourvues de trafic rémunérateur, est devenu
- déficitaire. La réglementation du travail, des retraites, etc... a
- aggravé cette situation au moment où une lueur d'espoir se faisait
- jour et où la Compagnie commençait à pouvoir rembourser les avances
- de l'État.
-
-Un placement en actions Orléans ou Midi doit donc être considéré comme
-un placement à fonds perdus pour la somme qui sépare le remboursement à
-500 francs du cours actuel de ces valeurs. En d'autres termes, le
-capitaliste sérieux qui posséderait l'une ou l'autre de ces valeurs
-devrait songer, par des prélèvements sur son dividende, à reconstituer,
-d'ici 1966, une somme d'environ 500 francs par action d'Orléans et,
-d'ici 1960, d'environ 350 francs par action Midi. En vérité, le jeu n'en
-vaut pas la chandelle.
-
-Et nous voici enfin en présence du phénix des actions de chemins de fer
-français. Nous voulons parler de l'action de la _Compagnie des Chemins
-de fer de l'Ouest_ en liquidation, l'ancien Ouest racheté, aujourd'hui
-Ouest-État.
-
-Les finances de l'Ouest étaient dans une situation lamentable, lorsque
-le gouvernement, en 1908, vint tirer les actionnaires d'angoisses trop
-fondées en se chargeant d'administrer le réseau moyennant le paiement de
-bonnes et copieuses annuités. Sans doute, à ce moment-là, l'État devait
-garantir le dividende des actions jusqu'au 31 décembre 1934, mais il le
-devait jusqu'en 1934 seulement, tandis que le rachat a eu pour effet
-d'étendre cette garantie jusqu'à l'expiration de la concession, soit
-vingt-deux années plus tard (1956).
-
-Or, en 1908, tout faisait prévoir (et cette prévision se trouverait
-singulièrement renforcée aujourd'hui), non seulement que la Compagnie de
-l'Ouest, à l'expiration de la garantie, ne serait plus en état de
-distribuer le moindre dividende à ses actionnaires, mais encore qu'elle
-serait exposée à ne pas suffire au service de ses obligations. Déjà,
-malgré une sévère économie et une compression énergique des dépenses,
-les insuffisances du produit net étaient telles que la Compagnie avait
-dû souvent demander à l'État bien plus que les 11 500 000 francs
-nécessaires au paiement du dividende minimum. Ces appels à la garantie
-avaient été si nombreux, si répétés, que la Compagnie, en 1908, se
-trouvait avoir contracté envers l'État une dette qui, en principal et en
-intérêts, ne s'élevait pas à moins de 350 millions. A grand'peine
-couverte alors par la valeur du matériel roulant, cette somme serait
-déjà (par le jeu seul de l'intérêt à 4 p. 100) bien dépassée aujourd'hui
-et l'on peut estimer qu'elle eût très probablement atteint, sinon
-dépassé, les environs d'un milliard en 1934. L'avenir de la Compagnie
-était désespéré.
-
-Le rachat a dissipé les alarmes des actionnaires. D'un trait de plume,
-il a passé condamnation sur les 350 millions de la dette de garantie. Il
-a, d'une manière indiscutable et définitive, mis à la charge du Trésor
-le service des intérêts et de l'amortissement des obligations et des
-actions. Et la bienfaisance du rachat est même allée encore plus loin.
-
-Non seulement les actionnaires sont assurés de recevoir jusqu'en 1956 le
-dividende minimum (38 fr. 50). Non seulement le remboursement de leurs
-actions au pair de 500 francs ne fait pas de doute pour eux. Mais
-encore, plus favorisés que les actionnaires de toutes les autres
-Compagnies, ils n'ont pas d'inquiétudes à concevoir au sujet de la prime
-au-dessus du pair (200 francs environ) que représente normalement le
-cours de leurs titres. Ils n'ont pas à se préoccuper de la valeur de
-l'actif disponible au moment de la reprise du réseau par l'État. Ils
-sont dispensés de songer à amortir une perte certaine par un prélèvement
-sur le dividende. Car, en leur laissant la propriété d'une réserve
-spéciale constituée aux temps très anciens où leur Compagnie était
-prospère, et qui s'élève à une quarantaine de millions (soit 130 fr. par
-action), le rachat a tout prévu. Les revenus de cette réserve,
-capitalisés jusqu'en 1956, formeront la somme nécessaire pour que chaque
-action reçoive au minimum, à la liquidation définitive, la valeur
-actuelle de l'action de jouissance[7]. Il paraît même probable, d'après
-un article de la convention de rachat, que, lorsque les réserves
-accumulées se seront établies d'une manière durable au-dessus du chiffre
-primitif, le surplus deviendra immédiatement distribuable. En pareil
-cas, chose paradoxale, on verrait l'Ouest racheté, jadis profondément
-déficitaire et condamné à la faillite, accroître son dividende, tandis
-que des Compagnies anciennement prospères, comme le Lyon, auraient été
-obligées de restreindre sinon de supprimer le leur[8].
-
- [7] A ce propos nous ferons remarquer qu'il y a une différence
- constante, qui dépasse souvent une centaine de francs, entre le
- cours de l'action de capital de l'Ouest et le cours de l'action de
- jouissance augmenté des 500 francs du remboursement. Cette
- différence tient à ce que celle-ci a droit au dividende de 21
- francs, tandis que l'action de capital ne reçoit, en plus, que les
- intérêts à 3 1/2 soit 17 fr. 50. Il en résulte que l'action
- remboursée à 500 francs en vertu du tirage au sort vaut 500 francs
- en numéraire, plus une action de jouissance (il est facile de se
- rendre compte par la lecture du premier tableau de Bourse venu que
- la situation est la même pour les actions Orléans). En vendant
- l'action de jouissance et en rachetant avec le produit de cette
- vente, joint aux 500 francs de capital remboursé, une nouvelle
- action Ouest, l'actionnaire peut, si la chance aux tirages le
- favorise, accroître, de temps à autre, le revenu de son titre. Nous
- avons tenu à citer cet exemple, afin de montrer que, pour le
- capitaliste attentif, bien des occasions se présentent qui passent
- inaperçues pour le capitaliste distrait.
-
- [8] L'accroissement des droits de timbre et des divers impôts qui
- restent à la charge de la Société civile qui a pris la place de
- l'ancienne Compagnie de l'Ouest, pourrait cependant déranger les
- calculs établis sur l'accumulation des intérêts. A cela près, la
- méthode selon laquelle est administré ce patrimoine commun des
- actionnaires pourrait servir de modèle.
-
-Ainsi, bien garantie quant au revenu, bien garantie quant au capital,
-l'action Ouest, par un extraordinaire renversement des rôles, est
-devenue la première des actions de chemins de fer français. Complètement
-dégagée des soucis croissants, des risques et des incertitudes que
-comporte l'administration d'un grand réseau, l'action Ouest s'est
-transformée pour moitié en une créance directe sur l'État français. Pour
-l'autre moitié, cette action est la 300 millième part d'une riche
-Société de capitalisation. Ainsi la politique du socialisme d'État,
-toute nuisible qu'elle est, d'une manière générale, aux fortunes
-privées, aura certainement, dans ce cas, sauvé de la ruine un élément
-des patrimoines français.
-
-D'après un pareil précédent, nous serions vivement tenté de formuler cet
-axiome: _l'avenir et le salut des compagnies de chemins de fer français
-sont dans le rachat et ne sont que là_. Mais, en dépit des contrats, les
-rachats futurs se feront-ils toujours aussi correctement que s'est fait
-le rachat de l'Ouest? Si le Parlement et l'administration venaient, tout
-en étendant le domaine des monopoles, à perdre la tradition bourgeoise
-du respect de la propriété et des contrats, à ne plus se soucier de
-conserver à l'État la réputation d'«honnête homme», ne verrait-on pas, à
-la procédure de rachat, se substituer la procédure de déchéance? Déjà le
-parti socialiste voulait, en 1908, que la concession de la Compagnie de
-l'Ouest fût purement et simplement révoquée. Il y a là un symptôme à
-retenir[9]. Même si l'on ne procède pas au rachat, la révision des
-conventions de 1883, devenue inéluctable depuis la guerre,
-apporterait-elle aux actionnaires les garanties qu'ils souhaiteraient?
-Il y a là bien des points d'interrogation.
-
- [9] M. Albert Thomas, membre influent et renseigné du groupe
- socialiste parlementaire, écrivait dans son livre, _L'État et les
- compagnies de chemins de fer_ (1914):
-
- «Une _audacieuse politique de nationalisation_ est indispensable
- pour résoudre tous les problèmes que révolution industrielle ou
- sociale a posés et qui sont, d'ores et déjà, reconnus insolubles
- sous le régime des conventions de 1883». C'est nous qui soulignons
- les mots _audacieuse politique de nationalisation_. La question est
- de savoir si cette «audace» qui, par le rachat de l'Ouest, s'est
- appliquée aux finances de l'État et a bénéficié aux actionnaires,
- n'aurait pas tendance à imposer aux actionnaires des sacrifices que
- l'État ne serait pas en mesure de supporter indéfiniment.
-
-Pour le moment, après avoir si gravement effrayé les classes
-possédantes, les rachats sont plus justement appréciés. On a pu s'en
-apercevoir par l'exemple des chemins de fer algériens et l'on a pu
-assister, en 1914, à une hausse immédiate des actions _Bône-Guelma_, à
-la seule nouvelle que ce réseau était racheté par l'Algérie.
-
-Antérieurement, en 1908, le réseau de l'_Est-Algérien_ avait déjà été
-incorporé au réseau d'État. Mais la convention amiable conclue avec la
-Compagnie de l'Ouest, ayant, à cette époque, été l'objet des critiques
-du parti socialiste, l'administration a préféré ne pas s'exposer aux
-mêmes reproches pour l'Est-Algérien et attendre le jugement de la
-juridiction contentieuse. La Compagnie a interjeté appel auprès du
-Conseil d'État de l'arrêt rendu par le conseil de préfecture de
-Constantine et les actionnaires ne sont pas encore (en 1919) fixés sur
-le sort qui leur sera fait. L'expérience, à notre avis, sera
-intéressante et susceptible de donner aux capitalistes une indication
-définitive sur ce qu'il faut attendre des expropriations par rachat.
-
-D'ores et déjà, il est certain que le dividende de trente francs garanti
-par l'État aux actions de l'_Est-Algérien_ leur demeurera acquis.
-L'administration ne l'a même pas contesté et, depuis qu'elle a pris
-possession du réseau, elle paye chaque année à la Compagnie une annuité
-suffisante pour subvenir au service des obligations et à la distribution
-du dividende ordinaire. Mais la Compagnie prétend avoir droit à des
-annuités plus fortes et réclame à l'État, pour chaque année restant à
-courir jusqu'à la fin de la concession (1978) une somme supérieure de
-755 000 francs à celle que l'État consent spontanément à lui verser. Si
-la Compagnie avait gain de cause sur l'ensemble ou seulement sur une
-partie de ses revendications, le rachat de l'_Est-Algérien_ vu le nombre
-relativement peu élevé des actions (50 000), pourrait avoir pour effet
-d'accroître le revenu des actionnaires dans une proportion qui ne serait
-pas négligeable, étant donné la légèreté du titre. C'est ainsi que
-certaines personnes prétendent que si la Compagnie de l'Ouest, au lieu
-de s'entendre à l'amiable avec l'État, s'était présentée devant les
-tribunaux administratifs, elle eût obtenu des conditions encore bien
-plus favorables que celles qui lui ont été reconnues par le compromis.
-Quoi qu'il en soit, on admet assez généralement que les actionnaires de
-l'_Est-Algérien_ conserveront au moins la propriété d'une réserve qui
-représente à peu près 70 francs par action. Ils se trouveraient alors
-sur le même pied que les actionnaires de l'Ouest et n'auraient plus à
-craindre de perdre la différence entre le cours de l'action (550 francs
-environ, après avoir été de plus de 700 naguère) et le remboursement à
-500 francs. On a pu remarquer depuis quelque temps le zèle avec lequel
-certains capitalistes recherchaient les actions de jouissance de
-l'_Est-Algérien_ et du _Bône-Guelma_. Ces petits titres, qui, pour le
-moment, ne produisent aucun revenu, ne sont même pas cotés en Bourse, et
-certains banquiers, outillés pour ce genre de négociations, se chargent
-seuls de mettre en rapport les vendeurs et les acheteurs. Ces
-capitalistes ont sans doute des raisons de penser qu'une spéculation sur
-les deux rachats, à l'aide de titres d'un prix de revient presque
-insignifiant, pourrait ne pas être maladroite.
-
-Voilà un exemple qui est encore, à notre avis, très instructif. Car il
-montre que le capital peut trouver, dans les circonstances créées par
-l'évolution vers le socialisme d'État, des occasions imprévues de
-compenser des pertes ou des dommages subis par ailleurs. Qui sait si,
-dans l'avenir, d'autres occasions, aujourd'hui insoupçonnables, ne
-surgiront pas d'une métamorphose encore plus étendue de l'organisation
-économique et sociale sur laquelle nous avons été accoutumés à nous
-reposer? Aux personnes les plus pessimistes et les plus disposées à
-croire à une dissolution irréparable des anciens éléments qui
-composaient les patrimoines, nous montrons, au milieu d'une catégorie de
-valeurs visiblement fatiguées, vieillies, ayant produit tout ce qu'elles
-pouvaient produire, les cas inattendus de relèvement et de guérison que
-présentent les actions de l'Ouest et les actions des chemins de fer
-algériens.
-
-La Compagnie du _Bône-Guelma_, soulagée de son réseau d'Algérie, gardera
-l'exploitation d'un réseau tunisien sur la valeur et l'avenir duquel il
-est, pour le moment, difficile de se prononcer. Il ne subsiste plus en
-Algérie qu'une seule Compagnie privée, celle de l'_Ouest-Algérien_, qui
-sera sans doute, un jour ou l'autre, rattachée aux chemins de fer
-unifiés de l'État. Cette opération paraît retardée par le fait que
-l'Ouest-Algérien, compagnie privée, peut étendre ses lignes vers le
-Maroc sans soulever de difficultés, hier diplomatiques, aujourd'hui
-administratives. Si le rachat de cette compagnie venait à paraître à
-l'horizon, le capitaliste ferait peut-être bien de s'y porter. Car
-certaines précautions de la Compagnie, (notamment une annulation d'une
-partie de ses actions), permettent de penser qu'elle s'est préparée à
-cette éventualité et s'est mise en bonne posture.
-
-Nous arrêtons ici cet examen des actions des chemins de fer français,
-sur lesquelles nous avons particulièrement insisté en raison du danger
-qui les menace, de la place qu'elles occupent dans les patrimoines
-français et des inquiétudes qu'elles doivent inspirer aux porteurs.
-
-Nous n'ajouterons qu'un mot: si telles sont les conditions d'insécurité
-dans lesquelles les grands réseaux continuent leur exploitation, que
-dire des chemins de fer secondaires, des lignes d'intérêt local, etc...?
-Ces sociétés, avec leurs faibles recettes, ne peuvent manquer d'être
-écrasées par la hausse des matières premières et par les lois qui
-réglementent le travail, les salaires, les retraites, etc... Après tant
-d'exemples malheureux ou décourageants, on se demande comment ces
-Compagnies trouvent encore des actionnaires, et il est probable qu'elles
-en trouveront de plus en plus difficilement. Pas plus que les ponts ou
-que les routes, les chemins de fer de l'avenir ne seront sans doute des
-entreprises privées.
-
-
-
-
-CHAPITRE IX
-
-LES ACTIONS DES CHEMINS DE FER ÉTRANGERS
-
-La plus grande partie des bonnes lignes d'Europe constitue des
-exploitations directes d'État.--Les Compagnies qui existent encore sont
-dans une situation voisine de celle des chemins de fer français.--Un mot
-alarmant de M. Lloyd George.--Le cas de la Compagnie du Sud de
-l'Autriche: comment un chemin de fer est conduit à la ruine.--Crise
-grave des chemins de fer américains avant la guerre européenne: pourquoi
-cette crise menace de se représenter et d'être durable.--Le krach des
-chemins de fer exotiques.--Conclusion: les actions de chemins de fer
-sont le type de la valeur mobilière qui meurt.
-
-
-Les États européens ont, en grand nombre, au cours de ces vingt-cinq ou
-trente dernières années, racheté leurs chemins de fer, qu'ils exploitent
-directement. C'est l'indication très nette d'une tendance générale à
-enlever aux chemins de fer le caractère d'entreprises commerciales pour
-les transformer en services publics. Cette tendance devant avoir pour
-effet de réduire progressivement jusqu'à zéro le bénéfice des réseaux,
-on comprendra dès lors que, à l'étranger comme en France, les
-actionnaires de ces compagnies soient exposés à de désagréables
-surprises et courent généralement des risques sans proportion avec les
-chances non seulement d'accroître, mais même de conserver leur revenu et
-leur capital.
-
-Nous allons passer en revue les principales valeurs de chemins de fer
-étrangers auxquelles le public français est intéressé ou susceptible de
-s'intéresser. Depuis les premières années du XXe siècle, le même
-phénomène se remarquait pour presque toutes, en Amérique comme en
-Europe: augmentation du coefficient d'exploitation, décroissance du
-produit net, ingérence continue et ruineuse de l'État dans
-l'administration et les services, cherté croissante de la main-d'oeuvre
-et des matières premières, amélioration sans cesse plus coûteuse des
-traitements, salaires et retraites, etc... Ainsi se volatilisent tous
-les bénéfices. Et il va sans dire, non seulement que ces causes
-subsisteront après la guerre, mais encore qu'elles seront aggravées. En
-sorte que le droit d'exploiter les réseaux de voies ferrées commence à
-apparaître comme une charge beaucoup plus que comme une source de
-profits, ainsi qu'on va pouvoir s'en rendre compte à l'aide de ce
-document curieux.
-
-Au mois de février 1908, un membre de la Chambre des Communes ayant
-présenté un ordre du jour favorable au rachat des chemins de fer
-anglais, le président du _Board of trade_ fit un exposé de la situation
-des Compagnies, dont nous tenons à reproduire l'essentiel, résumé
-d'après un compte rendu de son discours:
-
- Le ministre a eu soin de faire ressortir dans quelles conditions
- onéreuses les compagnies elles-mêmes ont à travailler. Mises à rançon
- dès le début, du chef des expropriations que réclamaient les tracés,
- on les sollicite aujourd'hui de toutes parts. On réclame d'elles la
- majoration des salaires du personnel, le raccourcissement des heures
- de travail, la multiplication des trains ouvriers: tout cela sans se
- demander si, entreprises commerciales, tous ces sacrifices joints à
- l'abaissement des tarifs, aux facilités sans cesse exigées, leur
- permettraient de réaliser ou non un bénéfice raisonnable.
-
-En voilà assez, pensons-nous, pour détourner les capitalistes français
-de s'intéresser aux chemins de fer anglais, s'ils venaient à en
-concevoir l'idée, surtout lorsque l'on saura que l'orateur qui traçait,
-en 1908, cette sombre peinture, n'était autre que M. Lloyd George,
-ministre dont les idées socialistes paraissaient alors effrayantes et
-qui n'est plus aujourd'hui qu'un conservateur, tant il a été dépassé.
-
-Ces paroles de M. Lloyd George nous invitent même à nous demander si les
-États contemporains n'auraient pas, en matière de chemins de fer, une
-secrète inclination à laisser les Compagnies aux prises avec une
-situation difficile jusqu'au moment où ces Compagnies, menacées de
-faillite, seraient disposées à se laisser racheter à vil prix.
-
-C'est, d'ailleurs, la politique qu'avait suivie le défunt gouvernement
-austro-hongrois vis-à-vis d'une Compagnie dans laquelle, par malheur,
-les capitalistes français sont engagés très gravement, et qui a éprouvé
-toutes sortes de vicissitudes au cours de son existence, longue d'une
-soixantaine d'années déjà environ. L'histoire des chemins de fer du sud
-de l'Autriche, appelés encore _Chemins Lombards_, est un exemple
-frappant de la manière dont une grande entreprise, jouissant à l'origine
-de toutes les apparences de la santé et de la prospérité, peut se
-trouver insensiblement conduite à la ruine.
-
-Le gouvernement de la monarchie autrichienne, en 1908, avait racheté la
-Compagnie des chemins de fer dits _Autrichiens_ qui exploitaient les
-réseaux du Nord et l'on pouvait penser qu'il ne tarderait pas à étendre
-cette opération au réseau du Sud. Soit dit en passant, et en
-vérification de nos observations du précédent chapitre, le rachat avait
-été une excellente affaire pour les actionnaires des chemins autrichiens
-du Nord. Leur dividende, fixé une fois pour toutes, était avantageux,
-soustrait à tout aléa, et même susceptible de légères augmentations. Il
-avait été en 1914 supérieur d'un quart à ce qu'il était en 1904. Et les
-cours de l'action, avant la guerre, témoignaient du contentement que le
-rachat avait causé aux porteurs. Mais que deviendront ces titres dans
-l'effondrement de la monarchie des Habsbourg et la banqueroute qui
-menace l'Autriche? C'est une bien sombre interrogation.
-
-Quant aux chemins lombards, l'État autrichien n'avait pas songé une
-minute à leur offrir le rachat. C'est que déjà, en 1908, leurs affaires
-commençaient à aller mal. Depuis sept ans, ni intérêt ni dividende
-n'avaient été distribués aux actions. L'amortissement des obligations
-venait d'être suspendu et la compagnie, qui ne tenait déjà plus tous ses
-engagements, était sur le chemin qui mène à la faillite. Loin de la
-délivrer de ces soucis par un rachat qui eut été un acte de charité
-semblable à ce qu'a été chez nous le rachat de l'Ouest, l'administration
-autrichienne voyait avec plaisir la situation de la Compagnie
-s'aggraver, et se plaisait même à lui imposer des dépenses nouvelles.
-Enfin, en 1914, la Compagnie étant au bord de l'abîme, l'État avait
-consenti à intervenir. Mais dans quelles conditions! Nous parlerons plus
-loin des sacrifices considérables qui ont été imposés aux obligataires
-des chemins lombards sans que, nous le verrons, ceux-ci aient la ferme
-assurance que de nouveaux sacrifices ne devront pas leur être demandés
-quelque jour, ce que fait craindre plus encore la triste situation
-financière de l'Autriche après la guerre. Quant aux actions, elles n'ont
-plus rien à espérer et elles ne conservent un semblant de valeur que par
-la force de l'habitude, et la puissance de l'illusion.
-
-Chose très remarquable, le réseau du sud de l'Autriche n'était nullement
-improductif. C'était même un assez beau réseau, sur certaines parties
-duquel le trafic était intense. La recette kilométrique en était
-supérieure à la moyenne de beaucoup de chemins de fer qui réalisent des
-bénéfices. Mais il est écrasé par le poids de sa dette. Ayant perdu ses
-lignes de Lombardie après la guerre de 1859, ses lignes de Vénétie après
-la guerre de 1866, il n'avait reçu du gouvernement italien que des
-indemnités insuffisantes sous forme d'annuités. D'autre part, l'immense
-majorité des actions et des obligations se trouvant aux mains
-d'étrangers, le gouvernement austro-hongrois ne s'était senti tenu à
-aucune espèce d'égards envers la compagnie et semblait même, au
-contraire, s'être appliqué à lui demander des sacrifices plus lourds et
-à la traiter avec plus de sévérité que les autres. Il y a là une leçon
-qui ne doit pas être perdue. Et, sur ce point, nous renverrons le
-lecteur à ce que nous avons dit précédemment à propos des dangers
-auxquels la tendance croissante des gouvernements au nationalisme
-économique expose les capitaux exportés dans les entreprises étrangères.
-
- *
-
- * *
-
-En Espagne, les chemins de fer se trouvent encore sous le régime des
-concessions, qui date de l'origine des compagnies. A la suite d'une
-longue période où elles apparurent comme besogneuses et condamnées à
-végéter, les compagnies espagnoles étaient parvenues depuis quelques
-années à une prospérité relative. Ce phénomène semble contredire la
-règle d'après laquelle les chemins de fer sont destinés à être de plus
-en plus difficilement rémunérateurs. Cette exception s'explique par le
-fait que l'Espagne a eu un développement économique particulièrement
-tardif et qu'elle commence seulement à entrer dans l'ère de l'activité
-industrielle. Mais surtout, en même temps que le trafic s'accroissait
-sur les réseaux principaux, le change baissait peu à peu. En sorte que
-les paiements en or que les compagnies se sont engagées à faire au
-dehors pour le service de leur dette, après avoir été une charge
-écrasante, sont devenus moins coûteux d'année en année. C'est ainsi que
-la _Compagnie du Nord de l'Espagne_ avait pu, après une longue
-suspension, recommencer la distribution de ses dividendes et la
-_Compagnie de Madrid-Saragosse_ accroître les siens. Les personnes qui
-se tenaient au courant du relèvement de la péninsule n'ont pas manqué de
-profiter de l'occasion qui s'offrait. Les actions _Nord de l'Espagne_,
-valaient, il y a une dizaine d'années, 150 francs environ, lorsque le
-change était au cours déplorable de 40 p. 100, c'est-à-dire lorsqu'il
-fallait donner 140 piécettes pour obtenir 100 fr. A la veille de la
-guerre, le change était descendu à 4 p. 100 seulement et les mêmes
-actions valaient, ou peu s'en faut, 450 francs. Peu de mouvements de
-hausse auront été aussi mathématiquement faciles à prévoir que celui-là.
-
-Mais, l'amélioration financière due au change n'a pas suffi longtemps à
-conjurer le flot montant des dépenses. Les chemins de fer espagnols
-n'ont plus devant eux que de très étroites perspectives, si même ils
-n'offrent pas plus de chance de rétrograder que de maintenir leurs
-cours. Pour eux comme pour les chemins de fer du monde entier, les
-dépenses ont grandi infiniment plus que les recettes. La réduction du
-produit net pour les chemins de fer espagnols a commencé et tout fait
-entrevoir qu'elle ira en s'accentuant pour les mêmes raisons
-qu'ailleurs: relèvement des salaires, adoucissement des conditions du
-travail, etc... La cherté du charbon et des matières premières est aussi
-un phénomène qui ne cessera pas de si tôt.
-
-Les actions des _Chemins de fer portugais_ avaient suivi, quoique
-d'assez loin, le retour de fortune des chemins de fer espagnols. Mais
-les mêmes appréhensions doivent être conçues au sujet de l'avenir de ces
-valeurs. Le Portugal, sous la monarchie parlementaire, se trouvait,
-selon les propres paroles du roi don Carlos, «dans le gâchis». Il
-n'apparaît pas que la République l'en ait tiré. Assez d'autres occasions
-vont s'offrir aux détenteurs de capitaux pour que, de longtemps, ils ne
-soient pas exposés à la séduction de s'engager dans les entreprises
-portugaises.
-
-En Italie, les chemins de fer dits _Méridionaux_, rachetés depuis
-quelques années, nous donnent l'exemple d'un rachat dont les
-actionnaires n'ont pas eu à se féliciter beaucoup. C'est, d'abord, que
-l'État italien, excellent défenseur de ses intérêts et depuis longtemps
-pénétré des conceptions du nationalisme économique, est assez coutumier
-des opérations léonines. Dans ses rapports avec les sociétés
-financières, il sait défendre ses droits et imposer le «fait du prince».
-Aussi le rachat des Méridionaux n'a-t-il pas été un rachat de
-magnificence comme le rachat de l'Ouest français. En outre, les
-administrateurs de cette compagnie ont employé les éléments d'actif
-restés propriété des actionnaires à diverses entreprises plus ou moins
-heureuses. L'action des Méridionaux est ainsi devenue pour partie une
-valeur industrielle reposant sur des affaires mal définies et qui n'ont
-aucun rapport avec l'exploitation des chemins de fer. Ce sont de ces
-surprises désagréables comme l'actionnaire, s'il n'est pas très diligent
-et ne suit pas de près les faits et gestes des conseils
-d'administration, est exposé à en éprouver souvent.
-
-Il ne subsiste plus, dans les autres pays d'Europe, qu'un très petit
-nombre de compagnies de chemins de fer, les réseaux, du moins les plus
-importants, étant presque tous exploités directement par l'État. S'il se
-présente quelques exceptions, c'est, par exemple, en Turquie. L'avenir
-que la paix réservera à ce pays est douteux et la réserve s'impose.
-Seuls, des capitalistes très bien renseignés sur les affaires d'Orient
-pourront se porter sur ces valeurs. Nous ne parlons que pour mémoire de
-la Russie dont les entreprises sont rayées pour longtemps de la liste
-des vivants.
-
-Ce qu'il ne faut pas perdre de vue, en tout cas, c'est que les valeurs
-étrangères pour lesquelles, au milieu d'un retentissant concert de
-publicité, le public français se voit sollicité à l'improviste, ont
-presque toujours enrichi depuis longtemps leurs détenteurs primitifs qui
-cherchent à réaliser leurs bénéfices sur un autre marché, aux dépens de
-dupes mal renseignées. Cette histoire est précisément celle de
-l'introduction des valeurs de chemins de fer américains en France.
-
-Au mois de janvier 1911, l'action _Atchison, Topeka et Santa-Fé_ valait
-à New-York environ cent dollars, un peu plus de 500 francs. Le titre
-n'offrait plus d'ailleurs, à ce moment-là, de perspectives très
-séduisantes. Il venait d'assez loin et les améliorations obtenues dans
-l'exploitation du réseau n'étaient plus guère susceptibles de
-développement, comme la suite l'a d'ailleurs prouvé. Cependant la hausse
-continua sur ces titres jusqu'au mois de juin 1911, date à laquelle les
-actions Atchison furent introduites sur le marché français au prix
-excessif de 605 francs. Les émetteurs américains n'avaient pas fait une
-mauvaise opération. L'affaire était moins belle pour les porteurs
-français. Il est juste de dire (ce qui n'ôte rien à la morale de cette
-histoire) que, pendant la guerre, l'action Atchison a retrouvé et même
-dépassé, grâce au bénéfice du change américain, son cours d'émission,
-tandis qu'en 1914, elle ne valait plus guère que 500 francs,
-c'est-à-dire ce qu'elle valait en Amérique quand le prochain lancement
-sur le marché de Paris n'était encore le secret que d'un petit nombre
-d'initiés.
-
-Les chemins de fer américains souffrent d'ailleurs des mêmes maux que
-les chemins de fer européens. Le temps n'est plus où la «libre Amérique»
-apparaissait comme une sorte de paradis des grandes affaires, où toutes
-les manifestations de l'activité humaine pouvaient se déployer à l'abri
-de l'intervention de l'État, sans connaître d'autres lois que celles de
-la concurrence. Les compagnies américaines, après avoir connu les
-inconvénients du régime de la liberté absolue, qui a multiplié les
-lignes rivales et inutiles, obligé les anciennes sociétés à racheter
-très cher les réseaux concurrents, sont étroitement soumises aujourd'hui
-au contrôle de l'État. Quoique propriétaires, et non concessionnaires de
-leurs réseaux, ces compagnies dépendent autant que les nôtres des
-pouvoirs publics. Elles ne sont plus maîtresses de leurs tarifs depuis
-1906, date à laquelle l'Interstate Commerce Commission, qui représente
-le gouvernement fédéral, a été investie du droit de les fixer.
-Accroissement des impôts, exigences du législateur, relèvement des
-salaires par pression syndicale sinon par le moyen des grèves, les
-compagnies américaines présentent exactement tous les genres de fissures
-par lesquelles s'écoulent les bénéfices des chemins de fer dans les
-autres pays.
-
-Jusqu'à ces dernières années, les actions des chemins de fer américains
-apparaissaient comme des valeurs au plus haut degré spéculatives, qui
-obéissaient à toutes les fluctuations de la prospérité américaine, et
-douées par là même d'une élasticité considérable.
-
-Ces conditions ont bien changé. Les crises industrielles, qui offrent
-des retours périodiques en Amérique comme ailleurs, mais plus
-particulièrement marqués en Amérique qu'ailleurs, continuent bien
-d'influer sur leurs bénéfices. Mais l'accroissement incessant des
-charges pèse sur les compagnies d'une façon bien plus grave, parce
-qu'elle est permanente. Les chemins de fer américains, comme les nôtres,
-accroissent tous les ans leur dette. Leur produit net s'abaisse, et
-nombreuses (on en comptait quatorze du 1er janvier 1913 à fin juin 1914)
-ont été celles qui ont suspendu ou diminué leurs répartitions. On a
-calculé que, de 1906 à 1914, la valeur en Bourse des titres des chemins
-de fer des États-Unis (actions et obligations) avait baissé de la somme
-formidable de trois milliards de dollars, c'est-à-dire de quinze
-milliards de francs.
-
-La crise financière universelle de l'année 1913 avait évidemment
-contribué à porter cette dépression à son point le plus bas. Mais, en
-dépit de la prospérité que la guerre européenne a value aux États-Unis,
-il ne faudrait pas compter, pour l'avenir, sur une reprise durable. La
-politique du gouvernement fédéral, en matière de chemins de fer, semble
-consister (selon les termes d'un rapport très intéressant de M. H. de
-Saint-Laurent, consul de France à Chicago) à procéder à une estimation
-de la valeur des réseaux et à accorder un revenu moyen d'environ 5 p.
-100 au capital reconnu par la Commission comme ayant été réellement
-investi dans les réseaux. Ce serait en somme un rachat dissimulé, mais à
-la suite d'évaluations dont le résultat semble extrêmement peu rassurant
-pour les actionnaires, si l'on tient compte de l'orientation du
-gouvernement fédéral.
-
-Étant donné ces menaces; étant donné l'immense variété des compagnies de
-chemins de fer américains, la complexité de leur organisation
-financière, l'énormité et l'enchevêtrement des réseaux, qui prêtent le
-flanc à toutes les surprises, il faut conclure que le capitaliste
-européen qui se rend acquéreur d'actions de cette nature opère dans
-l'inconnu et joue à une espèce de jeu qui ressemblerait beaucoup à celui
-de la roulette ou du baccara, s'il y avait chance d'y gagner.
-
-Deux actions de chemins de fer du continent américain, auxquels le
-public français s'est trouvé intéressé, auront toutefois, en ces
-dernières années, donné de la satisfaction aux porteurs. Ces deux cas
-s'expliquent par des causes exceptionnelles. Le _Canadian Pacific_ n'est
-pas seulement un chemin de fer; c'est un grand propriétaire foncier dans
-un pays neuf qui vient de passer par une phase de développement
-magnifique. Les bénéfices répartis aux actionnaires proviennent en
-réalité de bénéfices réalisés sur les ventes de terrains, car les
-recettes de l'exploitation elle-même sont de plus rongées par les
-dépenses. Ces bénéfices sont et resteront considérables tant que la
-population du Canada s'accroîtra et ils sont destinés à varier avec le
-mouvement de la population dans ce pays. D'ailleurs, le domaine
-territorial de la Compagnie, pour une part urbain, reste un des plus
-vastes qui appartiennent dans le monde à une société privée (environ
-sept ou huit départements français). Il n'en est pas moins destiné à
-s'épuiser un jour. En outre, il n'échappe pas aux observateurs que le
-_Canadian Pacific_ fait tous les ans appel au crédit pour des sommes
-considérables et ne cesse d'accroître ses charges. Il serait donc
-imprudent de s'attendre à des plus-values illimitées.
-
-Une autre valeur de chemins de fer a donné aussi quelque satisfaction:
-l'action des _chemins de fer de Santa-Fé_, dans la République argentine.
-Mais il s'agit là d'un cas de sauvetage plutôt que d'autre chose. Après
-avoir subi divers accidents, être arrivée au bord de la faillite et
-avoir été contrainte de demander un concordat, cette société,
-administrée par des mains plus habiles, a réussi à se relever. En
-réalité, la prospérité en est toute relative et ce n'est que par
-comparaison avec la détresse antérieure de la Compagnie qu'il est
-possible de parler de la bonne situation des chemins de fer de Santa-Fé.
-La marge des bénéfices reste très étroite et à la merci des crises
-économiques, de l'état des récoltes et même des intempéries.
-
-La vérité est que, presque toujours, les capitaux engagés dans les
-chemins de fer des pays neufs ou exotiques doivent être considérés comme
-dangereusement aventurés. C'est une vérité dont l'épargne française a
-fait, au Brésil et ailleurs, une cruelle expérience. Les chemins de fer
-ne peuvent être productifs que dans les pays où la population est dense,
-la richesse stable, le commerce et l'industrie développés. Or ces
-pays-là sont presque tous parvenus à un état politique et social qui est
-essentiellement défavorable à l'exploitation des voies ferrées par des
-sociétés privées. Nous voyons des pays comme les États-Unis, qui
-ignoraient naguère le régime de l'étatisme, s'y acheminer. Il faut, dans
-ces conditions, conclure avec la plus grande netteté que les actions de
-chemins de fer sont devenues universellement des valeurs dangereuses,
-aléatoires et, même pour les meilleures, dépourvues d'avenir. En sorte
-qu'il convient aux capitalistes prudents de les éviter ou de n'en plus
-surcharger leurs portefeuilles comme ont pu le faire, soit impunément
-soit même avec profit, les deux générations qui ont précédé la
-génération actuelle.
-
-Les actions des chemins de fer sont, de tous les éléments des fortunes
-modernes, celui qui aura le plus rapidement vieilli. Y rester
-aveuglément fidèle, par esprit de tradition familiale ou par habitude
-personnelle, serait s'exposer à la ruine de gaieté de coeur. C'est
-surtout des patrimoines qu'il est vrai de dire qu'ils ne se baignent ni
-ne se rafraîchissent deux fois dans le même fleuve.
-
-
-
-
-CHAPITRE X
-
-LES OBLIGATIONS DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS ET ÉTRANGERS
-
-Conditions auxquelles ces obligations peuvent attirer des placements
-sérieux.--Une garantie d'un grand État solvable est presque toujours
-nécessaire.--Exemple des obligations des grandes Compagnies
-françaises.--Avantages respectifs de ces diverses catégories
-d'obligations.--Des obligations de bonne apparence qui auront
-fait subir de lourdes pertes aux fortunes: les obligations
-lombardes.--Autre expérience pénible: les obligations des chemins de fer
-américains.--Éclaircissements sur la valeur de ces titres.--Quels sont
-ceux dont les porteurs ont eu à se féliciter?--Gages et remboursements
-des obligations américaines.--Il convient de se détourner des
-obligations de chemins de fer exotiques.--De quelques pièges dont le
-public n'est pas assez averti.
-
-
-Autant les placements en actions de chemins de fer doivent être écartés
-pour les raisons que nous avons dites, autant au contraire les
-obligations peuvent être recherchées, du moins à certaines conditions
-que nous allons définir et moyennant lesquelles le sort des obligations
-peut devenir nettement distinct de celui des actions.
-
-Tel est très certainement le cas pour les obligations des chemins de fer
-français.
-
-Nous avons vu, en effet, que, sur les six grands réseaux, il en est
-trois (Ouest, Orléans, Midi) qui jouissent d'une garantie pleine et
-entière de l'État jusqu'à la fin des concessions. L'intérêt et
-l'amortissement des obligations de ces compagnies sont donc assurés sans
-condition et sans discussion. Ce sont tout simplement des créances sur
-l'État français et qui suivront le sort des finances de l'État.
-
-Les trois autres compagnies, celles de l'Est, du Nord et du Paris-Lyon
-ne sont pas dans le même cas. La garantie que les conventions de 1883
-assurent à la compagnie de l'Est expire en 1935: à partir de cette
-époque le service des obligations n'aura plus d'autre couverture que le
-produit net. Cette situation est déjà celle des obligations Nord et
-Lyon. Ces deux compagnies, pour qui la garantie de l'État a disparu en
-1915, offrent en garantie à leurs obligations la marge constituée par
-leurs bénéfices, mais elles n'en offrent plus d'autre. S'il est à
-redouter que la marge constituée par ces bénéfices ne doive pas
-reparaître, faut-il appréhender aussi que le service des obligations du
-Nord et du Lyon reste en souffrance au cas où les compagnies entreraient
-dans une période de déficit? Ce danger ne paraît pas à craindre, au
-moins en temps normal, et à moins d'admettre que l'État, accablé sous le
-poids de ses propres charges, ne puisse remplir les engagements,
-_purement moraux et verbaux_ il est vrai, qu'il a pris à cet égard.
-
-Il y a des valeurs qui doivent, non sans raison, une partie de la
-confiance qu'elles inspirent à la manière même dont elles sont réparties
-dans le public et à la nature des portefeuilles où elles se trouvent
-classées. C'est justement le cas des obligations de nos chemins de fer.
-Elles sont extrêmement répandues, en France, dans la petite épargne, et
-non seulement dans la petite épargne individuelle, mais peut-être
-surtout dans ce qu'on pourrait appeler la petite épargne collective,
-celle que les sociétés de secours mutuels et les caisses de retraites
-représentent tout particulièrement. Ainsi, chose extrêmement importante
-en régime de démocratie, le nombre se trouve intéressé à un service
-ponctuel des obligations de chemins de fer. Toute défaillance dans le
-service des obligations d'une des compagnies non rachetées ou non
-garanties prendrait les proportions d'une catastrophe publique et
-atteindrait une foule d'électeurs, tandis que, les actions n'étant
-détenues que par la bourgeoisie moyenne, la suppression du dividende
-passerait inaperçue. On comprend donc sans peine que M. Joseph Caillaux,
-porte-parole autorisé de la démocratie radicale-socialiste, ait été
-amené à déclarer à la tribune de la Chambre, le 29 mars 1911, étant
-ministre des finances, qu'il ne pouvait concevoir aucune sorte de
-gouvernement qui pût jamais laisser le coupon des obligations de chemins
-de fer en souffrance. Il est très important de rapprocher de cette
-déclaration le fait que, malgré l'expiration de la garantie, les
-obligations du Nord et du Lyon ont continué, en vertu d'une circulaire
-ministérielle, à entrer dans la catégorie des placements légaux.
-
-Aussi peut-on regarder à juste titre les obligations de nos grandes
-compagnies de chemins de fer comme faisant partie des engagements
-explicites de l'État et comme devant suivre les destinées des finances
-de notre pays. Indépendamment du gage constitué par les recettes, c'est
-une considération des plus importantes.
-
-Les obligations de nos chemins de fer offrent les types les plus variés:
-au cours d'une existence déjà longue, où elles n'ont cessé d'emprunter,
-les compagnies ont suivi toutes les exigences du crédit. Actuellement le
-public a le choix entre les obligations 5 p. 100, 4 p. 100, 3 p. 100, 2
-1/2 p. 100. Les deux premières sont du rendement immédiat le plus
-avantageux. Mais elles se tiennent peu éloignées du pair et n'offrent
-par conséquent qu'une légère prime au remboursement. Les obligations du
-type 3 p. 100 offrent l'avantage d'avoir un marché extrêmement large et
-de nombreuses transactions quotidiennes, même par les temps de marasme
-financier: c'est peut-être, en France, la valeur préférée, à tous les
-degrés de l'épargne. Enfin la prime au remboursement est considérable.
-Elle atteint 170 francs pour des titres achetés à 325 francs pendant la
-guerre.
-
-Les obligations du type 2 1/2 p. 100 qui donnent un revenu inférieur ont
-au contraire une prime au remboursement encore un peu plus élevée.
-
-En somme, indépendamment de la sécurité qu'elles présentent, les
-obligations de chemins de fer 3 p. 100 et 2 1/2 p. 100 sont surtout
-intéressantes par la prime au remboursement qui doit être recueillie par
-tirages annuels d'ici la fin des concessions. Les obligations 2 1/2
-paraissent surtout convenir à ce point de vue aux sociétés de
-capitalisation, qui comptent sur le temps comme sur un collaborateur
-fidèle, ou aux pères de famille très prévoyants. Pour fixer les idées du
-lecteur, nous lui citerons le cas de la Compagnie de l'Ouest en
-liquidation qui, dans le portefeuille de cette importante réserve dont
-nous avons parlé plus haut, ne possède pas moins de 29 à 30.000
-obligations 2 1/2 des divers réseaux. D'ici l'époque où cette
-réserve,--on aurait dit autrefois cette tontine,--sera partagée entre
-les actionnaires, ces 30.000 obligations, évaluées avant la guerre par
-le conseil de liquidation, selon les cours de la Bourse, à 10 800 000
-francs en chiffres ronds, auront été remboursées à 500 francs (ou plus
-exactement 495 francs taxe déduite) et auront produit près de 14
-millions. Ainsi le bénéfice est mathématique et peut, d'ores et déjà,
-être calculé aux centimes près.
-
-On doit toutefois envisager le cas où ce bénéfice pourrait être réduit.
-C'est celui où les compagnies, terriblement obérées par la guerre, ne se
-relèveraient pas de leur déficit chronique et continueraient à faire
-appel à l'État pour de lourdes sommes. Si alors le cours des obligations
-3 p. 100 continuait à se tenir entre 300 et 350 francs, et à donner, par
-chaque titre amorti, une prime énorme, l'État pourrait être tenté de
-diminuer cette prime due aux circonstances, en aggravant la taxe sur les
-primes de remboursement. Cette taxe est actuellement de 4 p. 100 et
-porte sur la différence formée par le prix d'émission du titre et le
-taux auquel il est remboursé. A cet impôt pourrait d'ailleurs s'en
-ajouter légitimement un autre qui s'appliquerait au bénéfice réalisé sur
-chaque obligation amortie par rapport au cours moyen du titre pendant
-l'année. Tant que le capitaliste français n'aura à payer que des impôts
-de cette nature, il ne sera pas à plaindre.
-
-Il y a, pour la marche de l'amortissement, des différences notables
-entre les diverses compagnies. Voici l'ordre dans lequel elles se
-présentent: d'abord toutes les obligations du _Nord_, en vertu du terme
-de la concession qui expire dès 1950. Les obligations dites «anciennes»
-de l'_Orléans_, les 7 ou 800 000 premiers numéros des obligations
-«anciennes» de l'_Est_ (qui auraient droit à une cotation spéciale en
-Bourse), doivent être aussi complètement remboursées en 1950: les
-actuaires qui travaillent pour le compte des sociétés d'assurance et de
-capitalisation savent exactement quelles sont, pour chaque catégorie
-d'emprunts, les chances de tirage au sort et la progression annuelle de
-ces chances. D'ailleurs le public lui-même commence à s'en rendre
-compte, car les trois espèces d'obligations que nous venons de citer
-sont ordinairement plus recherchées que les autres. Les obligations Lyon
-et Midi viennent les dernières: et leurs cours, surtout pour les Lyon,
-s'en ressentent, la garantie absolue de l'État exerçant une bonne
-influence sur les Midi.
-
-Ces remboursements (1 titre sur moins de 50 pour les trois séries les
-plus favorisées que nous venons d'énumérer) s'accéléreront à mesure que
-l'expiration des concessions s'approchera. Ils sont destinés à agir sur
-les cours des obligations à la manière d'un aimant. Nous avons vu les
-obligations de chemins de fer, en ces derniers temps, résister à la
-baisse beaucoup mieux que le 3 p. 100 perpétuel. La raison de cette
-résistance est là. On peut considérer, après cette épreuve, les
-obligations de chemins de fer comme se trouvant, au point de vue de la
-stabilité des cours, dans des conditions relativement favorables. La
-régularité de l'amortissement fait le salut des valeurs dans les
-tempêtes financières. Et, jusqu'ici, cette régularité, pour nos grandes
-compagnies, ne saurait être mise en doute.
-
-Les obligations 3 p. 100 des chemins de fer algériens (_Ouest-Algérien_,
-_Est-Algérien_, _Bône-Guelma_, plus la série des anciens «Chemins
-algériens», _Mostaganem_, _Aïn-Thizy_, etc...) sont, au point de vue de
-la sécurité, dans la même situation que les obligations de l'Ouest, de
-l'Orléans ou du Midi, étant émises par des compagnies soit rachetées
-soit formellement garanties par l'État. Le cas est le même pour diverses
-obligations de chemins de fer coloniaux (_Port de la Réunion_,
-_Indo-Chine_ et _Yunnan_).
-
-Mais la durée des concessions et, par conséquent la période des
-remboursements, étant beaucoup plus longue (jusqu'à 1975 ou 1980 en
-moyenne) que pour les six grandes compagnies de la métropole, l'effet de
-l'amortissement se fait sentir moins nettement sur les cours. Les
-obligations des six grandes compagnies sont donc préférables, à moins
-que les obligations algériennes et coloniales diverses que nous venons
-de désigner ne se présentent à des cours inférieurs de 20 ou 25 francs
-au moins.
-
- *
-
- * *
-
-Il serait imprudent de conclure de ce qui précède que toutes les
-obligations de chemins de fer sont de bonnes valeurs et, en particulier,
-que les obligations des chemins de fer étrangers offrent les mêmes
-garanties que les nôtres. Cette analogie aura fait d'innombrables
-victimes. Et c'est en matière financière plus que par tout ailleurs
-qu'il faut se garder de raisonner par analogie.
-
-On peut dire que le martyrologe des obligations de chemins de fer est
-encore plus vaste que celui des actions, car, le plus souvent, on peut
-même dire malheureusement dans presque tous les cas, l'obligataire a
-fourni des sommes cinq ou dix fois plus considérables que le capital
-versé par les actionnaires.
-
-Les obligations des réseaux rachetés (_Victor-Emmanuel_ et _Méridionaux_
-en Italie, ou _Autrichiens_ par exemple), et les obligations garanties
-par l'État russe n'étant plus, les unes et les autres, que des fonds
-d'État, suivent, depuis les événements de 1918, les destinées de ces
-divers pays. Après elles, on n'aperçoit guère en Europe d'obligations de
-chemins de fer qui soient dignes d'inspirer une confiance parfaite. Les
-moins mauvaises sont peut-être celles du _Nord de l'Espagne_ et du
-_Saragosse_ qui, pendant la guerre, ont donné à leurs propriétaires des
-satisfactions qui ne seront pas éternelles. Encore la marge des
-bénéfices de ces compagnies est-elle bien étroite, en sorte que le
-service des obligations se trouve à la merci du moindre incident
-politique ou économique. La prime au remboursement est séduisante. Mais
-l'amortissement des emprunts du Nord de l'Espagne a été suspendu
-longtemps, il importe de s'en souvenir. Et l'on sait aussi que le
-«convenio», faillite déguisée, est un véritable produit de la terre
-espagnole. Quant aux obligataires des autres compagnies de la péninsule
-(_Andalous_, _Ouest de l'Espagne_, _Sud de l'Espagne_, etc...), ils ont
-passé par des épreuves douloureuses. C'est pourquoi, même pour les
-réseaux espagnols plus importants et plus prospères, mais dont la
-prospérité est bien récente et bien fragile, la plus grande
-circonspection est de rigueur.
-
-Car on peut parfaitement se ruiner avec des obligations de chemins de
-fer de l'aspect le plus rassurant. Cette circonstance se présente même
-d'autant plus souvent que le public s'en laisse aisément imposer par des
-valeurs qui ont la réputation de valeurs de «père de famille» et ne
-regarde pas de très près à la qualité du gage. On aura même vu des
-compagnies sérieuses, exploitant un beau réseau, faire subir à leurs
-obligataires des pertes graves. Transposée des actions aux obligations,
-l'histoire des chemins de fer lombards, que nous avons résumée
-antérieurement, permet de voir comment, de sacrifice en sacrifice, des
-porteurs d'obligations peuvent être conduits à n'avoir plus en main
-qu'un titre réduit, par des concordats successifs, quant aux intérêts ou
-quant au capital et, quelquefois, quant aux deux.
-
-La compagnie des chemins de fer lombards ou du Sud de l'Autriche a émis
-jadis en France la majeure partie de ses obligations à un taux supérieur
-a celui même des obligations similaires de nos grandes compagnies. Cela
-se passait en 1858, juste un an avant la guerre d'Italie. Le public
-français, à cette époque, n'a pas paru se douter un instant qu'il était
-invité à fournir des capitaux à une compagnie condamnée à perdre le
-meilleur de son réseau avant même de l'avoir exploité. La guerre de 1859
-devait avoir en effet pour résultat la cession de la Lombardie au
-Piémont par l'Autriche vaincue, cession rapidement suivie de
-l'expropriation de la compagnie autrichienne. En sorte qu'on peut très
-bien imaginer un père de famille français, ayant placé ses économies
-dans les chemins lombards, et dont le fils, officier ou soldat, eût été
-tué à Magenta ou à Solférino pour aider à fonder l'État italien qui
-devait s'empresser de rançonner la compagnie.
-
-Atteints déjà dans leur coupon par les impôts autrichiens et français
-(le revenu n'était que de 13 francs au lieu de 15 pour les obligations 3
-p. 100), les obligataires avaient dû, avant la guerre, renoncer en outre
-au remboursement de leurs titres à 500 francs. Après un essai de
-remaniement des tables d'amortissement, l'amortissement lui-même avait
-été complètement suspendu en 1908 et, sous la menace de la faillite, les
-créanciers avaient dû accepter en 1914 des conventions, d'ailleurs
-compliquées, qui réduisaient le nominal de leur titre soit à 325 francs,
-soit à 310 francs seulement, selon que la garantie du gouvernement
-autrichien devait être accordée ou non par le Parlement avant le 1er
-janvier 1915. Les annuités payées par le gouvernement italien pour le
-rachat des réseaux lombard et vénitien auraient formé le revenu
-nécessaire au service des intérêts et de l'amortissement d'une
-obligation sur deux: c'était encore l'élément le plus stable sur lequel
-les porteurs de titres pouvaient compter. Mais la guerre est survenue et
-la dislocation de l'Autriche-Hongrie s'en est suivie. L'Italie, la
-Yougo-Slavie, l'Autriche allemande vont dépecer ce malheureux réseau.
-Les actions n'ont plus d'espoir. Les obligations elles-mêmes sont en
-grand danger de subir de nouvelles et fortes réductions. Il est
-difficile de calculer ce qu'il leur restera. Et dire qu'en France elles
-figurent encore dans la liste des valeurs admises pour les remplois
-dotaux!
-
-En ce qui concerne les actions comme en ce qui concerne les obligations,
-on voit que l'exemple des chemins de fer du Sud de l'Autriche est
-saisissant. Il montre par quelles lentes dégradations, de concordat en
-concordat, des entreprises sérieuses peuvent faire subir des pertes
-graves à ceux qui leur ont accordé confiance, sinon même les mener
-jusqu'à la ruine.
-
- *
-
- * *
-
-Nous voici maintenant, avec les obligations des chemins de fer
-américains, en présence d'un cas qui n'est pas moins instructif, car il
-prouve à quel point la prudence et l'information sont nécessaires dans
-les placements et combien il importe de ne pas suivre aveuglément les
-vogues.
-
-Il y a environ dix ans, un économiste éminent, renommé non seulement
-pour sa science mais encore pour sa circonspection, rédacteur en chef
-d'un journal hebdomadaire très répandu, commençait à engager l'épargne
-française à se porter sur les obligations de chemins de fer des
-États-Unis. Dans son _Art de placer et gérer sa fortune_, M. Paul
-Leroy-Beaulieu résumait ses campagnes et sa pensée en ces termes
-particulièrement pressants et définitifs:
-
- Les obligations des principaux chemins de fer américains doivent être
- classées parmi les meilleures valeurs qui soient au monde... Ces
- obligations ont l'avantage de fournir facilement 1/2 à 3/4 p. 100,
- sinon 1 p. 100 de plus de rémunération que celles de nos compagnies de
- chemins de fer, avec une durée parfois double.
-
- Elles ont cet autre mérite que ces titres, en cas de grandes guerres
- au sein de l'Europe, seraient à l'abri des conséquences ou des
- répercussions de ces guerres, ce qui donne une sécurité précieuse...
-
- Les obligations des principaux chemins de fer américains sont appelées
- à remplir, au XXe siècle, la fonction que tenaient au XIXe siècle, les
- _Consolidés_ britanniques, celle de valeurs de refuge par excellence,
- avec l'avantage très appréciable d'un intérêt rémunérateur... Les
- capitalistes avisés et les intermédiaires dégourdis peuvent, dès
- maintenant, s'occuper de ces placements très recommandables.
-
-Des pronostics de M. Paul Leroy-Beaulieu, celui qui s'est réalisé le
-premier s'est réalisé à la lettre: les «intermédiaires dégourdis» se
-sont rencontrés tout de suite et en grand nombre pour saturer le public
-français d'obligations de chemins de fer américains. Plusieurs séries de
-ces obligations, de qualités très inégales, ont même été introduites sur
-le marché de Paris. Et certaines ont fait faire tout de suite des
-expériences ruineuses à l'épargne de notre pays.
-
-D'abord, il s'était révélé, dès la crise orientale de 1912-1913, que le
-marché de New-York, qui, par lui-même est déjà d'une extrême sensibilité
-et sujet aux crises les plus graves, n'était nullement soustrait aux
-conséquences et aux répercussions d'une guerre européenne. De plus, il
-eût été sage de prévoir que les États-Unis étaient exposés à des
-difficultés particulières du fait de leur politique extérieure:
-effectivement, sur ces entrefaites, les événements du Mexique étaient
-venus aggraver la dépression. On devait considérer enfin la guerre aux
-trusts, c'est-à-dire l'inauguration d'une politique sévère et même
-malveillante à l'égard des grandes entreprises, comme un avertissement
-sérieux.
-
-Non seulement la nationalité américaine ne pouvait pas suffire à
-conférer à ces obligations, d'une manière absolue, le caractère de
-«valeurs de refuge» mais encore il eût fallu supposer que le public
-français était en mesure de discerner avec certitude, dans l'énorme
-variété des compagnies de chemins de fer créées aux États-Unis par le
-système de la concurrence illimitée, les compagnies prospères et
-réalisant des bénéfices réguliers. Les obligations des chemins de fer
-américains forment un fouillis aussi complexe que les réseaux eux-mêmes
-qui s'enchevêtrent à l'infini. D'abord il faut tenir grand compte de ce
-fait que les compagnies américaines n'amortissent pas leurs emprunts,
-comme le font les nôtres, au moyen de tirages annuels calculés d'après
-la durée de la concession: ce procédé, inspiré de l'esprit français de
-prudence et d'économie, ne convient pas à l'audace américaine. De plus
-les chemins de fer des États-Unis, étant, non pas concessionnaires mais
-propriétaires à perpétuité de leurs réseaux, sont libres de fixer, pour
-le remboursement en bloc de leurs emprunts, des dates extrêmement
-variables, et qui s'étendent des années immédiatement prochaines à
-l'année 2361 (_West Shore_ 4 p. 100). Il est facile de se rendre compte
-que les administrateurs du West Shore se soucient fort peu de savoir à
-l'aide de quelles ressources cette dette, qui est de 250 millions de
-francs, pourra être remboursée dans quatre siècles et demi.
-
-Autre différence avec les obligations de chemins de fer français et qui
-peut devenir une cause de mécomptes graves. Les obligations américaines
-ne sont pas, comme les nôtres, uniformément gagées sur l'ensemble des
-ressources de la compagnie. Elles ne sont même pas, comme les
-obligations de certaines compagnies espagnoles (le _Nord de l'Espagne_,
-par exemple) nettement classées suivant le rang hypothécaire. Il y a
-pour désigner les diverses sortes de gages qui leur sont affectés une
-nomenclature extrêmement compliquée et dont la complexité même suggère
-la pensée que les émetteurs ne seraient pas fâchés que le public pût s'y
-égarer. Ainsi il est bien certain qu'une première hypothèque est prise
-en faveur des obligations qui portent la mention _first mortgage_. Mais
-cette première hypothèque n'est pas toujours générale: elle ne
-s'applique souvent qu'à une partie du réseau, à un certain nombre de
-milles de voies ferrées (_division_) dont la valeur ne peut être connue
-que par l'étude approfondie du titre hypothécaire (_mortgage deed_) qui
-est en la possession de la banque émettrice. Il faut donc ne pas s'en
-laisser imposer par la mention _first mortgage_ pas plus que par la
-mention _prior lien_, qui désigne bien, elle, une hypothèque de priorité
-primant toutes les autres, mais qui ne s'applique pas forcément à
-l'ensemble des propriétés de la compagnie, comme des personnes
-inattentives pourraient le croire, puisque certaines lignes peuvent déjà
-avoir été l'objet d'une hypothèque spéciale. De même le _general
-mortgage_ est sans doute une hypothèque générale qui embrasse tous les
-biens de la compagnie, mais qui peut être primée par des hypothèques
-particulières, des «divisions» antérieurement constituées. Quant à la
-mention de deuxième hypothèque, toujours peu séduisante pour les
-prêteurs, il ne faut guère s'attendre à la rencontrer, et moins encore
-la mention de troisième hypothèque (_second, third mortgage_). Celles-là
-sont désignées par des termes infiniment plus vagues et par des
-euphémismes plus engageants, comme ceux de _consolidated_ ou _blanket
-mortgage_. Et ce n'est pas tout. La nomenclature ne finit pas là. Il y a
-le _refunding mortgage_, qui désigne les emprunts destinés au
-remboursement de dettes devenues exigibles et à qui sont affectées les
-garanties de l'emprunt antérieur (car presque toujours les compagnies
-américaines contractent une nouvelle dette pour en éteindre une
-ancienne.) Il y a le _collateral trust_, qui est un gage constitué par
-un dépôt d'actions ou d'obligations (généralement d'une autre compagnie
-«contrôlée» par la compagnie émettrice), dépôt qui est remis aux mains
-de _trustees_ ou fidéicommis et dont la valeur est difficilement
-appréciable quand elle ne se trouve pas fictive. Enfin certaines
-obligations sont gagées sur le matériel roulant des compagnies,
-(_equipment mortgage bonds_), d'autres peuvent être échangées contre des
-actions à un cours déterminé (_convertible bonds_), d'autres n'ont aucun
-gage spécial (_debentures_). Si l'on veut bien songer qu'il n'y a pas
-moins de quarante compagnies américaines qui jouissent d'une certaine
-réputation et si l'on tient compte de ce fait que toutes ces compagnies
-ont contracté des emprunts des types les plus différents et les plus
-diversement gagés, on conviendra qu'à moins d'une initiation préalable
-et fort ardue, le capitaliste européen ne saurait puiser qu'au hasard
-dans l'énorme lot de ces obligations.
-
-L'embarras du choix ne doit pas, cependant, constituer une raison
-suffisante pour écarter ces valeurs _a priori_.
-
-Les rentiers américains ont un critérium qui leur permet de distinguer
-le bon grain de l'ivraie. Sont considérées comme offrant une sécurité
-incontestable les obligations qui figurent sur la liste des valeurs que
-les banques d'épargne des États (en particulier les banques d'épargne de
-l'État de New-York) sont autorisées à acquérir. Ces obligations offrent
-généralement des signes particuliers. Elles se capitalisent à un taux
-qui, en temps normal, est rarement supérieur à 3 1/2 ou 4 p. 100. Les
-fluctuations auxquelles elles sont sujettes se tiennent dans la limite
-de 10 p. 100 et elles jouissent d'un marché très large, en sorte qu'on
-peut toujours avoir la certitude de les réaliser à tout moment. Il va
-sans dire que, seul, le capitaliste européen qui est capable de lire des
-documents rédigés en anglais conformément au vocabulaire particulier de
-la finance américaine, pourra consulter lesdites listes avec profit et
-sans crainte de confusion, avant de passer un ordre d'achat. En d'autres
-termes cette lecture ne peut être faite que par des personnes munies
-d'une instruction financière supérieure.
-
-Le fait que les banques d'épargne placées sous la surveillance des États
-sont autorisées à acheter des obligations de chemins de fer prouve donc
-qu'il y a de bonnes obligations aux États-Unis, des obligations qui
-possèdent même une sorte de garantie morale du gouvernement, comparable
-à celle que nous avons pour les obligations des chemins de fer français.
-En ce sens, M. Paul Leroy-Beaulieu pouvait avoir raison de signaler les
-titres des principaux chemins de fer américains aux capitalistes
-européens désireux de diversifier leurs placements et de sortir des
-chemins battus.
-
-Seulement, avec la hantise qui a été celle de tous les économistes et de
-tous les hommes d'affaires de sa génération, M. Paul-Leroy-Beaulieu,
-redoutant une baisse toujours plus accentuée du taux de l'intérêt,
-trouvait aux obligations américaines à long terme l'avantage d'assurer
-aux porteurs, pendant de nombreuses années et même pendant plusieurs
-siècles, un revenu moyen constant. Leur «durée», comme on peut le voir
-dans le texte que nous avons cité plus haut, durée «parfois double de
-celle des obligations françaises», lui apparaissait comme une de leurs
-meilleures recommandations. Convaincu que le loyer de l'argent devait
-fatalement descendre à 2 1/2, 2, 1 1/2, peut-être même 1 p. 100, M.
-Leroy-Beaulieu était porté à croire que les obligations américaines les
-plus dignes d'être recherchées étaient celles qui n'étaient
-remboursables qu'en 1997, en 2047 ou même en l'an 2361 comme les West
-Shore. L'homme prévoyant, selon lui, eût été celui qui eût assuré à ses
-héritiers, et aux héritiers de ses héritiers un revenu de 4 p. 100
-pendant plusieurs siècles.
-
-Ce raisonnement étant faux, comme nous l'avons montré, l'expérience nous
-a, au contraire, apporté la preuve que les obligations américaines les
-plus dignes d'attirer l'attention étaient celles dont le remboursement
-était le plus rapproché.
-
-Nous pouvons voir, en effet, à chaque fois (et ces occasions ne sont pas
-rares) qu'une crise secoue le marché américain, les obligations dont le
-terme est proche rester presque insensibles à la baisse, ou leur
-sensibilité diminuer en raison de la proximité du terme. Reprenons des
-exemples que nous avons eu déjà l'occasion de citer plus haut. Les
-obligations 3 1/2 de la puissante compagnie _Pennsylvania Railroad_, de
-la série remboursable en 1912, ont été intégralement remboursées au pair
-l'année même où une première bourrasque devait assaillir les valeurs
-mobilières de tous les pays du monde. Supposons qu'un porteur de ces
-obligations eût employé son capital en obligations 3 1/2 de la même
-compagnie remboursables en 1915. Ces titres pouvaient s'obtenir alors à
-97, c'est-à-dire trois points au-dessous du pair, ce qui représentait
-une prime au remboursement de trois francs pour cent francs à toucher au
-bout de trois ans, soit, avec l'intérêt à 3 1/2, un revenu total de 4
-1/2 p. 100. Or, dès les premiers mois de 1914, ce capitaliste eût vu ses
-obligations approcher du pair (99 1/2 à 99 3/4) et il lui eût été d'ores
-et déjà possible de les arbitrer fructueusement contre des obligations
-de la même compagnie, à terme plus éloigné et dont les cours étaient
-bien moins élevés. Ou bien, en 1915, en pleine guerre, il fût rentré
-dans son capital, ce qui eût été une aubaine excellente.
-
-Il est visible à l'oeil le moins expérimenté que, pendant la baisse qui
-a sévi jusque sur les obligations américaines de premier ordre, les
-titres les plus résistants ont été ceux qui obéissaient à l'aimantation
-d'un remboursement prochain. On ne saurait que difficilement mettre en
-doute la sécurité qu'offrent, par exemple, les obligations 3 1/2
-première hypothèque du _New York Central_. Elles constituent
-certainement, au point de vue de la solidité du gage, une des premières
-valeurs du monde: le seul fait de posséder gares et voies ferrées en
-pleine ville de New-York crée à cette compagnie un privilège de fait et
-la rend propriétaire de terrains d'une valeur colossale. Eh bien, ces
-obligations, après avoir jadis dépassé le pair, sont tombées aux cours
-de 83 et même de 82, et, pendant la guerre, se sont difficilement
-maintenues à 70 ou 71 parce qu'elles ne sont remboursables qu'en 1997,
-tandis que nous venons de constater la stabilité des cours des
-obligations Pennsylvania 3 1/2 1915, qui étaient aussi bonnes mais non
-pas meilleures et qui, dans les temps de hausse, se tenaient au même
-niveau que les New York Central. Cependant d'autres obligations du type
-3 1/2, par exemple les _Baltimore and Ohio_ remboursables en 1925 se
-tenaient à 86, quoique émanant d'une compagnie dont la prospérité est
-beaucoup moins bien établie que celle du _New York Central_ et dont la
-gestion est pour ainsi dire plus aventureuse. Et parmi des valeurs qui
-passent, d'après la classification de M. Paul Leroy-Beaulieu lui-même
-pour n'être que des «valeurs d'appoint», on remarque que les _Chicago
-Burlington and Quincy joint bonds_ 4 p. 100 remboursables en 1921 valent
-93, presque autant que les _Pennsylvania Railroad_ 4 p. 100
-remboursables en 1923, titre de toute première classe, tandis que les
-_New York Central_ 4 p. 100, remboursables en 1934 seulement, soit
-treize ans plus tard, se tiennent à plusieurs points au-dessous de ces
-cours.
-
-Il serait fastidieux de multiplier ces exemples. Mais la conclusion qui
-s'impose c'est que les obligations des chemins de fer américains peuvent
-constituer pour le capitaliste diligent un véritable clavier dont le
-maniement lui permet soit d'avoir de bonnes chances de stabiliser toute
-une partie de son portefeuille, soit de s'assurer à date fixe des
-rentrées d'argent, ce dont il aura lieu de se féliciter en temps de
-crise. On s'en rend bien compte dans les milieux informés. Durant la
-«crise de confiance» de 1914, un peu avant la guerre, on signalait de
-Londres que beaucoup de personnes bien inspirées, lasses de laisser
-leurs capitaux stériles et se refusant toutefois à opérer des placements
-définitifs, recherchaient les «notes» à très court terme émises pour les
-besoins courants des compagnies américaines. Ainsi conçues, on peut dire
-que les obligations américaines constituent des «valeurs de refuge».
-
-Mais il est à craindre que l'expérience malheureuse que le public
-français vient de faire avec les obligations américaines qui lui ont été
-apportées en France même, ne la détourne pour longtemps de ces valeurs.
-En effet les intermédiaires que convoquait M. Paul Leroy-Beaulieu n'ont
-pas été très regardants quant à la qualité des titres que l'Amérique les
-chargeait d'introduire chez nous. On a donc fait absorber pêle-mêle à
-notre épargne des titres de premier ordre comme les _Pennsylvania_ 3 3/4
-p. 100; des titres que les Américains eux-mêmes classent dans une
-catégorie secondaire telles que les _Cleveland Cincinnati_ 4 p. 100,
-quoique appartenant encore à une compagnie qui distribue des dividendes;
-et enfin des titres tout à fait aléatoires sinon même franchement
-mauvais et dont l'émission a constitué une escroquerie, telles que les
-_Saint Louis and San Francisco_ dont les intérêts ont cessé d'être payés
-trente mois après leur introduction sur le marché de Paris. Si l'on
-pense qu'avec cela, ces valeurs, selon la méthode que nous avons déjà
-décrite et qui constitue un abus insupportable, ont été émises en France
-à un prix bien supérieur à celui que valaient, en Amérique même, des
-titres des mêmes compagnies jouissant de gages supérieurs, on comprendra
-que le public français, après un instant d'engouement, ait ensuite
-condamné en bloc toutes les obligations américaines. Après la
-suppression de paiements du Saint Louis and San Francisco, les
-poursuites contre la compagnie _New York New Haven_ ont renforcé cette
-défaveur. Toutefois, il ne faudrait pas confondre des obligations
-garanties par le _Pennsylvania Railroad_, puissant organisme qui offre,
-bon an mal an, une marge de bénéfices nets de 100 ou 150 millions de
-francs, avec des titres sans consistance. On a même vu les obligations
-_Pennsylvania_ cotées à Paris et remboursables en 1921 descendre à des
-cours beaucoup plus avantageux que les obligations de la même compagnie
-cotées à New-York. Voilà de ces occasions qu'il fallait savoir saisir.
-
-En résumé, les obligations des chemins de fer américains sont des titres
-qu'on ne peut acquérir qu'après une étude sérieuse, une sélection sévère
-et en parfaite connaissance de cause. A ces conditions elles peuvent
-donner des sujets de satisfaction aux porteurs et même, on l'a vu par
-les exemples et les faits que nous avons cités, pour les obligations à
-court terme ou à remboursement prochain, constituer une sorte
-d'assurance contre les risques de dépréciation que les fortunes sont
-exposées à courir.
-
- *
-
- * *
-
-Restent les obligations des chemins de fer exotiques. Nous pourrions
-compter sur nos doigts celles qui n'ont pas--ou, pour parler plus
-prudemment, celles qui n'ont pas encore--causé de déboires à leurs
-propriétaires.
-
-Nous ne prendrons qu'un seul exemple: celui des obligations 4 p. 100 des
-chemins de fer nationaux du Mexique.
-
-Émises à Paris, à un cours voisin du pair, au moment où le Mexique, sous
-la dictature de Porfirio Diaz, semblait entré au nombre des États dont
-la prospérité est stable, ces obligations jouissaient de fort beaux
-gages. Une hypothèque sur un réseau déjà productif, renforcée par une
-garantie formelle du gouvernement mexicain, avec engagement de payer les
-intérêts et de rembourser le capital en or, toutes ces conditions
-rendaient le titre séduisant. Mais qu'est-il resté de l'hypothèque
-lorsque la guerre civile a interrompu le trafic, détruit les lignes et
-les travaux d'art sur de nombreux points? Qu'est-il advenu de la
-garantie du gouvernement mexicain lorsque ce gouvernement a cessé de
-pouvoir faire face à ses engagements directs? Le paiement des intérêts a
-été suspendu et les cours sont tombés à 150 francs au-dessous du pair...
-Les obligations des chemins de fer mexicains pourront connaître des
-jours meilleurs. Tout le profit sera, dans cette hypothèse, pour ceux
-qui auront osé acheter au bon moment et dans les bas cours. Ce cas est
-celui qui s'était déjà présenté pour les obligations concordataires des
-chemins de fer de Santa-Fé, compagnie qui, après avoir touché le bord de
-la ruine, s'est brillamment relevée mais semble menacée de nouveau,
-comme tous les chemins de fer argentins et sud-américains.
-
-Les obligations des chemins de fer exotiques peuvent donc être
-exceptionnellement intéressantes comme valeurs spéculatives pour des
-capitalistes très attentifs et libres de leurs mouvements. C'est une
-duperie de les considérer comme valeurs de placement. Il est d'ailleurs
-absurde de se laisser tenter par un revenu de 5 p. 100 et même de 6 p.
-100, si l'on veut bien réfléchir à ceci que les compagnies ou les États
-qui offrent ce taux d'intérêt au prêteur français ne trouvaient pas
-d'argent chez eux à moins de 8, 10 ou 12 p. 100. Il faut espérer que le
-jour viendra où l'éducation financière de l'épargne française sera assez
-avancée pour que, à défaut de la surveillance de l'État français, le
-scandale de ces émissions, qui aboutissent souvent, dans l'espace de
-quelques mois, à des pertes graves, ne se reproduise plus.
-
-Pour finir, nous mettrons en garde contre une mention qui est parfois un
-principe d'erreur. Les prospectus d'émission insistent, chaque fois
-qu'ils peuvent le faire, sur les subventions que des États, des
-provinces ou des villes se sont engagés à fournir pour assurer le
-service des obligations de chemins de fer étrangers. Une société civile
-est même fréquemment, par surcroît de sécurité, formée par les
-obligataires pour recueillir ces subventions. Ce qu'on ne dit pas, c'est
-que ces garanties sont la plupart du temps subordonnées à
-l'accomplissement de diverses conditions, telles que la construction de
-la ligne dans un délai fixé, faute de quoi l'État garant se trouve délié
-de ses engagements en tout ou en partie. C'est le cas qui vient de se
-produire--sans aller dans l'Amérique du Sud--pour certains _chemins de
-fer_ en Toscane, soi-disant garantis par le gouvernement italien.
-
-Et l'État garant aurait bien souvent besoin d'être garanti lui-même. Que
-pouvait valoir, par exemple, l'engagement pris par le gouvernement de
-l'Equateur de suffire à toutes les défaillances de la compagnie fondée
-pour exploiter les chemins de fer de ce pays? Moins que rien. Il est à
-craindre, cependant que ce mot magique de «garantie» n'ait induit bien
-des épargnants français à opérer ce placement ruineux.
-
- *
-
- * *
-
-Durant quatre années de guerre où les emprunts des grands États ont
-drainé tous les capitaux disponibles, les compagnies de chemins de fer
-du monde entier n'ont pas pu faire appel au crédit. Elles vont regagner
-le temps perdu. Devant la masse des obligations offertes, le capitaliste
-ne sera jamais trop méfiant.
-
-Les chemins de fer français seront les premiers à servir. Ils ont déjà
-besoin de sommes colossales qu'il est malaisé d'évaluer même
-approximativement. Le robinet des émissions sera longtemps ouvert, sauf
-pour les heureuses compagnies rachetées comme celle de l'_Ouest_ et
-celle de l'_Est-Algérien_.
-
-Par le nouveau régime ou les nouvelles conventions qui devront forcément
-intervenir pour les chemins de fer français, le gage des obligations
-sera-t-il diminué ou accru? Le public fera bien d'y veiller. Quant aux
-chemins de fer étrangers, il importera d'être infiniment plus attentif
-et plus méfiant encore.
-
-
-
-
-CHAPITRE XI
-
-LES VALEURS INDUSTRIELLES
-
-Mot typique du baron de Rothschild.--Mal manger et bien dormir ou
-mal dormir et bien manger?--Petit nombre de bonnes valeurs
-industrielles.--Leur instabilité.--Nécessité de connaissances spéciales
-pour les acquérir et les surveiller.--Sept conseils pratiques
-essentiels.--Les _booms_ et les _krachs_.--Des mines et spécialement des
-charbonnages français après la guerre.--Un mot sur le canal de
-Suez.--Généralités sur les actions de jouissance et les parts de
-fondateur.
-
-
-On attribuait jadis ce mot au baron Alphonse de Rothschild. Lorsque des
-gens du monde le consultaient sur l'emploi de leurs capitaux, il
-répondait invariablement: «Voulez-vous bien dormir et mal manger?
-Achetez des fonds d'État sérieux, des obligations, de la rente.
-Voulez-vous bien manger et mal dormir? Achetez des valeurs
-industrielles.»
-
-Cette manière de présenter les choses correspondait à la situation du
-marché des capitaux telle qu'elle existait voilà un quart de siècle
-environ. Les excès que nous avons vus en ces dernières années n'avaient
-pas encore été commis. Les anciennes habitudes de modération, de
-prudence, et même de légitime méfiance qui sont propres aux classes
-moyennes de notre pays restaient en honneur. C'est pourquoi il était
-d'usage d'attribuer aux valeurs représentant des capitaux engagés dans
-l'industrie une autre capitalisation que celle des valeurs à revenu
-fixe. Le loyer de l'argent étant de 3 p. 100 pour les valeurs à revenu
-fixe, c'était toujours un intérêt de 5 p. 100 qui était demandé, pour le
-moins, aux valeurs industrielles, indépendamment des chances de
-plus-value, et en compensation des risques à courir. En ce sens le vieux
-baron de Rothschild dépeignait très exactement la situation du porteur
-de valeurs à revenu fixe d'autrefois, réduit à la portion congrue mais
-qui se croyait assuré d'avoir toujours cette portion, et le porteur de
-valeurs industrielles, touchant des dividendes quelquefois copieux mais
-aléatoires.
-
-On a changé tout cela. D'abord il est apparu que les porteurs de valeurs
-à revenu fixe, malgré les sacrifices qu'ils avaient consentis sur leur
-revenu pour assurer la sécurité de leur capital, étaient exposés comme
-les autres à la ruine ou au moins à de graves diminutions de leur
-patrimoine. Ensuite les valeurs industrielles ont été l'objet d'un tel
-engouement que la plupart d'entre elles, surtout parmi les plus
-célèbres, ont été capitalisées à un taux inférieur à celui des
-obligations ou des fonds d'État les mieux garantis. On a vu, par
-exemple, l'action du canal de Suez s'établir à des cours qui la
-capitalisaient à 2 1/2 p. 100 environ, les grands charbonnages français,
-dont quelques-uns ne devaient pas tarder à être dévastés par l'invasion
-allemande, se capitaliser à moins encore. Pendant la guerre, les mêmes
-excès se sont renouvelés mais sur une échelle beaucoup plus vaste. Il
-n'a pas été rare de voir les titres d'entreprises favorisées par leur
-situation géographique ou par les bénéfices exceptionnels que leur
-apportaient les circonstances monter à des cours auxquels ils donnaient
-un revenu moindre que les meilleures valeurs à revenu fixe.
-
-Rien n'est plus déraisonnable. Le sort des valeurs industrielles dépend
-de multiples circonstances dont l'appréciation échappe à l'homme
-incompétent. Pour une qui prospère, dix végètent ou disparaissent. Le
-public est frappé de l'étonnante prospérité de quelques-unes d'entre
-elles. Il est porté à croire que toutes les valeurs similaires sont
-promises au même succès. Il retient l'exemple des fortunes qui se sont
-faites sur certaines entreprises, et il oublie tous les cas de faillite
-et de ruine, infiniment plus nombreux. Ainsi les épargnants français,
-éblouis par le canal de Suez, avaient souscrit avec confiance et sans y
-regarder de plus près aux actions du canal de Panama, parce que
-l'affaire, lancée par le même homme, semblait identique. Il faut donc
-être en garde contre les fausses analogies.
-
-Les charbonnages français de la région du Nord ont rendu millionnaires
-les familles qui y étaient intéressées depuis l'origine. On ne tient pas
-compte des risques courus par les premiers participants des sociétés de
-Bruay, de Lens, ou du fameux «denier d'Anzin». Ceux qui sont tombés du
-premier coup sur le bon gisement, qui a donné mille pour un, sont le
-très petit nombre. C'est ce qu'on appelait dans notre vieux langage
-trouver la pie au nid. Nous connaissons un capitaliste lillois qui est
-un des gros actionnaires de l'opulente société de Bruay. Quand on le
-félicite de sa perspicacité, il ne manque jamais de répondre: «Bruay m'a
-simplement rendu ce que, les miens et moi, nous avons exposé et perdu
-ailleurs. Si nous avions placé en terres ou en rentes tout l'argent que
-nous avons enfoui dans des recherches de filon, des prospections, des
-mines mort-nées, je serais peut-être aussi riche qu'avec mes actions de
-Bruay. Seulement nous avons produit.»
-
-Cette observation montre la part du capital dans la création de la
-richesse et détruit les thèses du socialisme sur le parasitisme
-capitaliste. Elle montre aussi la part de risque qui est attachée à
-l'industrie et que compensent les bénéfices.
-
-C'est pourquoi il y a une différence considérable entre l'industriel qui
-dirige lui-même son usine, influe par son intelligence et son activité
-sur la marche des affaires, et l'actionnaire qui attend le dividende au
-coin de son feu, ignorant tout, la plupart du temps, de l'entreprise à
-laquelle il est intéressé. L'acheteur ou le souscripteur ordinaire de
-valeurs industrielles devra donc toujours suivre les conseils suivants:
-
-1º. Les valeurs industrielles, comportant des aléas de tout genre, ne
-peuvent entrer que dans les portefeuilles abondants et bien garnis. Les
-personnes d'une situation modeste commettraient toujours une grosse
-imprudence en leur donnant une autre part que celle du billet de
-loterie.
-
-2º. L'imprudence inexcusable, qui confine à l'impéritie, consiste à
-mettre la totalité ou la majeure partie de son avoir dans une ou deux
-valeurs industrielles ou dans la même catégorie de valeurs. Les exemples
-abondent d'industries tuées par une invention nouvelle ou par tout autre
-cas fortuit.
-
-3º. Observer toujours la plus vive méfiance à l'égard de la réclame et
-de la publicité qui sont faites autour d'une entreprise industrielle. Le
-capitaliste est rarement en état de juger par lui-même des possibilités
-de développement d'une industrie. Des quantités d'intermédiaires sont
-intéressés à le tromper. La lecture même des plans ne renseigne pas
-toujours d'une manière infaillible ceux qui croient savoir les lire. A
-moins d'une intuition spéciale et géniale, le moyen le plus sûr de
-connaître le fort et le faible d'une affaire, c'est d'en être. Seules
-les personnes qui ont des relations loyales et sincères dans le conseil
-d'administration d'une société pourront suivre avec fruit les conseils
-de cet administrateur ami. Il y a en France des industries prospères
-dont les actions et la direction sont pour ainsi dire en famille. Dans
-tous les autres cas, le capitaliste marche au hasard.
-
-4º. Pour les valeurs non plus achetées en banque ou en Bourse, mais
-souscrites à l'émission, la méfiance doit être la même. Pourtant, il
-importe de retenir d'une manière invariable et absolue cette distinction
-essentielle: une entreprise de grande envergure et qui fait appel au
-crédit public pour des sommes considérables peut être bonne et avoir de
-l'avenir; une petite entreprise qui cherche quelques millions ne peut
-être que mauvaise, sauf un hasard extraordinaire. Il est exceptionnel
-qu'une petite affaire vraiment bonne ait recours à une émission
-d'actions par la voie de la presse et la distribution de prospectus.
-Elle trouvera des commanditaires dans un groupe ou chez des banquiers
-intelligents; ou bien ses propriétaires la garderont pour eux et leurs
-proches sans offrir de partager leurs bénéfices avec des actionnaires
-inconnus, ce qui serait de la pure philanthropie. Si par hasard
-l'affaire lancée dans le public est vraiment sérieuse, le fondateur
-passe la main en gardant la part du lion et en grevant la nouvelle
-société de telle sorte que le dividende s'évanouit.
-
-5º Toute entreprise atteint, à un moment, son apogée. Ensuite vient la
-décadence. C'est une loi de ce monde. Pour quelques valeurs que l'on
-cite (toujours les mêmes parmi des milliers) et qui, pendant trente,
-quarante, cinquante années et plus n'ont cessé d'enrichir les familles
-qui les possédaient, combien, après une période d'éclat, sont retombées
-dans la médiocrité d'une existence difficile en attendant la fin! Rien
-n'est éternel. De nouvelles habitudes, les transformations des goûts et
-de la société, une disposition législative, parfois un simple arrêté
-préfectoral suffisent à transformer une brillante affaire en affaire
-médiocre, sinon à la ruiner. Des exemples comme ceux du _Petit Journal_
-qui ne s'est pas encore relevé d'un événement politique, de la
-_Compagnie Richer_, des _Bateaux Parisiens_, des _Bouillons Duval_,
-viennent immédiatement à l'esprit. Telle industrie, brillamment conduite
-par l'homme qui l'a créée ou relevée, végétera, après sa mort, entre les
-mains de ses successeurs. Sans doute rien n'est plus difficile que
-d'apprécier le moment où une affaire ne peut plus que décroître. C'est
-une question de jugement personnel et de flair. Mais l'heureux
-possesseur d'une valeur industrielle qui a beaucoup monté est presque
-toujours bien inspiré en réalisant et en consolidant la plus-value. _Le
-bénéfice que vous ne prendrez pas vous-même, les événements se
-chargeront de vous le prendre un jour._ Cet axiome reçoit de
-l'expérience des vérifications quotidiennes.
-
-6º Étant donné ce principe, rien n'est pire que de courir après son
-argent par le système des «moyennes». Certaines personnes, voyant
-baisser la valeur qu'elles possèdent, rachètent des titres pour se
-faire, dans l'ensemble, un cours moyen et compenser leur perte. Ce
-calcul, sauf exceptions motivées, est puéril. C'est de la spéculation à
-l'aveuglette. Si la valeur est bonne, elle remontera. Si elle ne l'est
-pas, il est absurde de vous en charger davantage. D'ailleurs, à part les
-cas de force majeure, si vous n'avez pas prévu la baisse de votre
-valeur, c'est que vous étiez mal renseigné sur elle. Demandez-vous bien
-si vous l'êtes mieux à présent.
-
-7º. Les inventions qui ont apporté le développement industriel du XIXe
-siècle ont donné lieu à la formation de grandes sociétés anonymes qui
-ont enrichi leurs premiers possesseurs. Tel a été le cas des chemins de
-fer, du gaz, etc... D'après ce précédent, on a tendance à croire que
-l'exploitation des inventions nouvelles produira les mêmes effets. Mais
-l'État ou les municipalités, en livrant cette exploitation à des
-sociétés concessionnaires, ont bien soin aujourd'hui de limiter d'avance
-leurs bénéfices. L'électricité, le Métropolitain n'ont pas enrichi leurs
-actionnaires. La télégraphie sans fil non plus, même en Amérique,
-quoique les _Marconi_ n'aient peut-être pas dit leur dernier mot. Mais
-il serait prudent à l'avenir de ne plus se faire d'illusions à cet
-égard. En règle générale, la société du XXe siècle n'admettra plus que
-des services d'utilité publique donnent des dividendes aux particuliers.
-Et ces dividendes apparaîtront un jour, qui n'est peut-être pas éloigné,
-comme aussi monstrueux que les péages du temps jadis.
-
- *
-
- * *
-
-Si une grande circonspection s'est toujours recommandée à l'égard des
-valeurs industrielles, la même prudence s'imposera encore après la
-guerre. Les capitaux seront sollicités de toutes parts. Les promesses
-les plus alléchantes ne feront pas défaut. Les capitalistes, éprouvant
-le besoin d'accroître un revenu souvent diminué et devenu insuffisant
-par la cherté de toutes choses, auront besoin de beaucoup de lumières
-pour ne pas se tromper.
-
-Ce n'est pas que nous détournions systématiquement la fortune française,
-suivant le système si justement reproché aux grands établissements de
-crédit, de commanditer l'industrie de notre pays qui aura besoin de
-capitaux si l'on ne veut pas que la mise en valeur des ressources
-nationales reste un vain mot. La participation à des industries
-prospères est un des moyens par lesquels les patrimoines éprouvés
-pourront se reconstituer. A une condition toutefois: c'est qu'ils ne
-suivent que des guides probes et sérieux. Nous avons vu, depuis quelques
-années, des groupes de banquiers honnêtes et actifs pousser au
-développement industriel de plusieurs régions de la France, en
-particulier celles de Nancy et de Grenoble. Les capitalistes qui les ont
-écoutés n'ont eu, la plupart du temps, qu'à s'en féliciter. Il y a là
-une question de confiance personnelle fondée sur l'expérience et les
-services rendus. Il est hautement souhaitable que, partout en France, la
-banque collabore avec l'industrie et le capital en y mettant la même
-probité et la même intelligence. L'avenir et le salut du pays sont là.
-
-On escompte pour les années à venir un renouveau prodigieux de la vie
-économique. Ce renouveau est dans la nature des choses, car, de tous
-côtés, après l'effroyable crise de la guerre, le besoin en produits
-manufacturés sera immense. Toutefois la concurrence sera âpre entre les
-nations. Les crises déterminées par la situation financière et monétaire
-des divers pays belligérants seront fréquentes et redoutables,
-entraînant avec elles des krachs et des faillites. En outre, et surtout,
-l'industrie devra faire une part de plus en plus large à son personnel
-ouvrier. L'augmentation des salaires et la réduction des heures de
-travail pèseront sur les bénéfices. La journée de huit heures,
-considérée jadis comme une revendication extrême qui devait mettre la
-production en péril, sera bientôt un minimum. Il y a des syndicats
-d'ouvriers anglais qui demandent déjà la semaine de trente heures. En
-attendant qu'un équilibre s'établisse ou qu'une réaction salutaire
-contre la «vague de paresse» se produise, l'industrie subira de
-violentes secousses.
-
-Il est d'ailleurs probable que la concurrence universelle incitera
-certains pays où le travailleur est sobre et peu exigeant à produire
-plus que les autres. Les rivalités économiques n'en seront que plus
-terribles. Il n'est peut-être pas absurde d'imaginer que la Chine, par
-exemple, où la main-d'oeuvre est abondante et bon marché,
-s'industrialise sous l'influence européenne, américaine ou japonaise. Ce
-serait alors une «invasion jaune» d'un genre imprévu. Sans aller
-jusqu'en Chine, on peut redouter qu'une Allemagne travailleuse n'écrase
-les marchés. L'avenir de l'industrie française dépend non seulement de
-l'effort qui sera fourni par les individus mais de l'esprit public et
-des méthodes du gouvernement.
-
-Bien d'autres hypothèses peuvent être faites sur les difficultés qui
-attendent l'industrie. En tout état de cause, ce qu'il ne faut pas
-perdre de vue, c'est l'invincible mouvement qui emporte le XXe siècle
-vers de nouveaux rapports du capital et du travail et de nouvelles
-formes de la vie économique et sociale. Ces formes seront profondément
-différentes de celles qu'a connues le siècle précédent, au commencement
-de la grande industrie, qui fut l'âge d'or du capitalisme.
-
-La régie et même peut-être la nationalisation des mines sont un
-phénomène avec lequel il faudra principalement compter, dût-il être
-passager. La tendance actuelle est de négliger les risques courus par le
-capital qui a mis en valeur les exploitations minières pour considérer
-qu'il n'est pas juste que des richesses naturelles, extraites de la
-terre par le travail humain, profitent à des particuliers. De plus en
-plus, l'État prélèvera donc une part sur les bénéfices. Les mines
-nouvelles seront ainsi, dans l'avenir, condamnées à un médiocre
-rendement jusqu'à ce que, les capitaux ne se trouvant plus pour faire
-les frais d'exploitations nouvelles, on leur rende la liberté.
-
-Les charbonnages français de la région du Nord ont une haute réputation
-méritée par la richesse de leurs gisements. Mais l'erreur qui consiste à
-croire qu'ils valent tous Anzin a entraîné plus d'une déception.
-Plusieurs d'entre eux, et des meilleurs, ont souffert de la guerre et
-des dévastations allemandes. C'est, par exemple, le cas de _Courrières_.
-Il faudra des sommes énormes et du temps avant que leur exploitation
-normale puisse reprendre. Certaines personnes croiront peut-être qu'avec
-la paix les dividendes d'avant 1914 vont immédiatement reparaître. Avant
-d'effectuer des placements de cette nature, elles seront sages de se
-renseigner avec soin.
-
-Dans leur immense variété, les mines de toutes sortes ont un trait
-commun: c'est qu'elles sont sujettes à s'épuiser. C'est ainsi qu'on a vu
-mourir, dans ces dernières années, plusieurs mines, notamment de cuivre,
-jadis prospères. Les professionnels sont renseignés sur la durée des
-gisements. C'est une chose que le grand public ignore ou connaît mal.
-Faute d'être informé, on s'expose donc à des surprises désagréables.
-
-Les mines d'or ont une durée particulièrement brève qui, parfois,
-n'excède pas une dizaine d'années. Ainsi s'explique qu'elles se
-capitalisent parfois à 8 et 10 pour 100. Les personnes qui sont séduites
-par ce gros revenu apparent ne se doutent pas, au premier abord, qu'il
-s'agit d'un revenu éminemment passager et périssable.
-
-Les actions des mines d'or sont surtout des valeurs spéculatives. Elles
-ne peuvent être touchées avec profit que par les personnes renseignées,
-qui suivent la Bourse de près et qui manient et remanient constamment
-leur portefeuille. Leur caractère est très bien illustré par cette chose
-vécue. Il y avait une fois un savant économiste qui employait sa science
-à la bonne administration de ses biens. Cet économiste avait une parente
-dont le pécule était modeste et il avait promis de lui donner, à la
-première occasion, un conseil de placement profitable. L'économiste tint
-parole. Ayant été des premiers à discerner l'avenir des mines d'or du
-Transvaal, il fit signe à sa cousine. Et les mines d'or montèrent,
-montèrent. Le jour vint où l'économiste expérimenté jugea que
-l'ascension était suffisante et même excessive et il réalisa son
-bénéfice. Cependant il avait oublié sa parente. Et les mines d'or
-redescendirent aussi vite qu'elles avaient monté. Après le _boom_ ce fut
-le _krach_. Après avoir touché la fortune, la pauvre femme fut ruinée.
-
-Cette histoire vraie montre que, pour se porter sur certaines valeurs,
-il faut être un spécialiste et même, dans toute la force du terme, un
-savant. Elle prouve aussi la vérité de l'axiome que nous avons énoncé
-plus haut: tout bénéfice qu'on ne prend pas soi-même, les événements se
-chargent de le prendre. A combien d'autres valeurs que les mines d'or
-qui ont eu une prospérité éphémère, à combien de sociétés de caoutchouc,
-de pétrole, de soie artificielle, etc... s'appliquerait l'anecdote que
-nous venons de raconter!
-
-Il n'y a pas de progrès indéfini. Toute entreprise atteint un jour sa
-limite. On pourrait faire une liste nécrologique de celles qui passaient
-jadis pour être hors de pair. Souvent aussi une valeur vit encore sur sa
-vieille réputation alors qu'elle porte déjà en elle-même le principe de
-son dépérissement.
-
-Un mot, pour finir, de la reine des valeurs industrielles, qui est le
-_Canal de Suez_. Ses actions et ses titres divers (parts de fondateur,
-société civile, obligations) jouissent de la faveur la plus légitime.
-L'actionnaire de cette puissante compagnie est l'associé d'une compagnie
-plus puissante encore: l'Angleterre qui possède les 176 000 actions
-vendues par le prodigue Ismaïl en 1875 et que le gouvernement français
-négligea d'acheter. Gomme le disait alors le _Times_: «La position d'une
-compagnie dont le propriétaire principal est la première puissance
-maritime et coloniale du monde est tout autre chose que celle d'une
-compagnie composée d'une multitude de petits actionnaires français.
-Toute éventualité qui porterait atteinte aux droits de la compagnie
-trouvera devant elle, non plus une faible association d'actionnaires,
-mais toute une nation qui peut se faire respecter.»
-
-C'est pourquoi, pendant la guerre, malgré la réduction du trafic et des
-dividendes, les titres de Suez se sont maintenus à de hauts cours. Pour
-protéger le canal menacé par les Allemands, l'Angleterre a fait un
-effort considérable. Placée sous la sauvegarde de l'Empire britannique,
-entourée de garanties internationales, cette propriété privée possède
-des privilèges exceptionnels, indépendamment de ses propres causes de
-prospérité.
-
-Il est probable qu'avec la reprise de l'activité maritime dans le monde,
-les recettes du canal de Suez ne tarderont pas à regagner leur niveau
-d'avant la guerre. On peut même entrevoir des bénéfices encore plus
-considérables avec la mise en valeur de la Mésopotamie et de l'Arabie,
-le développement de l'Afrique du Sud, etc...
-
-On n'oubliera pas, cependant, que le canal de Suez lui-même sera soumis
-tôt ou tard à la loi commune qui veut que tout change et que tout meure.
-Sans doute aucune concurrence, ni par voie de terre ni par le canal de
-Panama, ne le menace sérieusement. La victoire de l'Allemagne lui eût
-porté un coup redoutable. Ce péril n'existe plus. Le canal semble assuré
-d'une longue tranquillité.
-
-Et pourtant, qui sait?
-
-Qui sait si, un jour, le réveil des nationalités, après avoir embrasé
-l'Europe orientale, ne s'étendra pas à l'Orient proprement dit?
-L'occupation de l'Égypte par les Anglais se heurte déjà à un
-nationalisme égyptien capable de devenir la source de grosses
-difficultés. Et qui sait aussi, dans un autre ordre d'idées, si les
-transports aériens ne sont pas appelés à prendre une extension imprévue?
-C'est une idée qui commence à rencontrer moins d'incrédules qu'hier,
-puisque les gouvernements se préoccupent de réglementer la navigation
-aérienne.
-
-Admirables valeurs, les actions du canal de Suez ne doivent pas être
-regardées comme un mol oreiller sur lequel les porteurs actuels, ou du
-moins leurs enfants, pourront éternellement dormir.
-
- *
-
- * *
-
-Le public est en général peu informé de la nature réelle des valeurs
-industrielles qui sont en circulation. Il ne doit pas perdre de vue,
-cependant, que le _nominal_ de l'action se distingue de son _cours en
-Bourse_. Prenons par exemple une action du canal de Suez au nominal de
-500 francs. C'est à 500 francs que sera remboursée chaque action d'après
-le tirage au sort. En outre le porteur reçoit une action de dividende ou
-de jouissance.
-
-La différence entre ce capital de 500 francs et le cours de Bourse,
-généralement représentée à peu de chose près par le cours de l'action de
-jouissance, est ce que les Anglais appellent «de l'eau», c'est-à-dire
-une estimation des bénéfices de l'entreprise. Mais, à la liquidation
-finale (fin de concession, par exemple, pour le canal de Suez), les
-actionnaires ne sont nullement certains de retrouver cette valeur dans
-l'actif de la société, actif qu'ils auront à se partager. C'est le cas
-que nous avons vu pour les mines à épuisement rapide dont l'actionnaire
-doit amortir lui-même le capital. C'est un fait que beaucoup de
-personnes perdent de vue et qui les expose à des surprises désagréables.
-
-Les _parts de fondateurs_ ne doivent être acquises qu'à bon escient. En
-premier lieu, elles n'ont aucun droit sur l'actif social mais seulement
-sur les bénéfices. Elles ne sont donc que «de l'eau». En second lieu,
-leur participation aux bénéfices varie selon les statuts de la société.
-Parfois, mais pas toujours, le dividende des parts croit beaucoup plus
-vite que celui des actions. Les personnes informées sont au courant et à
-l'affut de ces particularités.
-
-Les augmentations de capital des entreprises prospères donnent souvent
-lieu à des manoeuvres que nous devons signaler. Les administrateurs font
-une publicité réduite pour écarter autant que possible les actionnaires
-de la souscription et user de leur droit à leur place. La publicité est
-toujours considérable pour les valeurs mauvaises ou médiocres. Elle est
-presque secrète pour les bonnes. Aux porteurs de s'occuper de leurs
-affaires et de les suivre avec attention. Il n'y a pas de philanthropie
-en affaires.
-
-
-
-
-CHAPITRE XII
-
-LES OBLIGATIONS INDUSTRIELLES
-
-Ce genre de placement peut être fort recommandable.--Il est de très
-bonnes obligations industrielles, mais toutes ne sont pas
-bonnes.--Comment les distinguer.--Nécessité de les diversifier et de ne
-pas se cantonner dans une seule branche d'industrie.--Les bons 6 p. 100
-et les prochaines émissions de l'industrie française.--Des titres de
-premier ordre et peu connus: les obligations des services municipaux
-américains.--Leurs avantages et leurs garanties.--Comment les choisir et
-comment les acheter.
-
-
-Les obligations des grandes sociétés industrielles, quand elles sont
-gagées sur l'actif d'entreprises prospères, peuvent être des valeurs
-excellentes. La cote de la Bourse de Paris, de Lyon et de Marseille en
-présente une grande variété. Il s'agit seulement de savoir choisir.
-
-Les observations que nous avons faites au sujet des actions
-industrielles s'appliquent encore ici, mais avec moins de force et plus
-de largeur. Des sociétés capables de réserver des mécomptes à leurs
-actionnaires peuvent offrir des garanties de premier ordre à leurs
-obligataires.
-
-L'ancienne _Compagnie des Omnibus_, dans les années pénibles de sa fin
-de concession, a tenu fidèlement tous ses engagements. C'est que, si son
-exploitation était devenue difficile, ses gages, représentés par le
-terrain de ses dépôts, restaient sûrs. Actuellement, les actions du
-_Métropolitain_ ne constituent pas un placement recommandable. Mais les
-obligations de la même société offrent de bonnes garanties.
-
-Les obligations industrielles judicieusement choisies sont un élément
-digne de composer la fortune des personnes prudentes. Il faut se
-souvenir cependant que le nom d'obligation n'est pas par lui-même une
-assurance contre tous les risques. En cas de faillite, les obligataires
-viennent à leur rang parmi les créanciers, à moins qu'ils n'aient reçu
-une hypothèque spéciale. Il va sans dire que les obligations munies
-d'une première hypothèque doivent toujours être préférées à celles de la
-seconde ou de la troisième série à moins qu'il ne s'agisse, par exemple,
-du _Canal de Suez_, dont les obligations ont toutes la même sécurité
-quelle que soit leur série.
-
-Les obligations industrielles participant aux vicissitudes de
-l'industrie, il importe donc de ne rechercher que les titres de sociétés
-connues pour leur prospérité et leur bonne gestion. Il est fréquent
-d'ailleurs que ces sociétés, lorsqu'elles empruntent de l'argent,
-s'adressent d'abord à leurs propres actionnaires et leur réservent le
-droit de souscrire. Il est clair que les obligations d'affaires comme
-les _Aciéries de la Marine_ ou le _Creusot_ sont des titres de premier
-ordre. Leurs pareils pourraient se compter assez vite.
-
-Il est à conseiller surtout aux personnes qui affectionnent ce genre de
-placements, de les diversifier et de ne pas s'exposer à suivre le sort
-d'une seule branche d'industrie qui peut, à un moment donné, être
-atteinte par une crise. Nous en avons un exemple avec les sociétés
-d'éclairage et de chauffage par le gaz qui sont presque toutes frappées.
-La même remarque peut s'appliquer aux compagnies françaises de
-transports maritimes, dont l'avenir est encore obscur, et qui ont passé
-par des jours si difficiles avant leur faveur récente.
-
-Les sociétés industrielles, pendant la guerre, ont fait au crédit des
-appels tentants sous la forme de bons à 6 p. 100 nets d'impôts qui ont
-procuré, en général, un bénéfice aux souscripteurs. Il est probable que,
-dans la période de reconstitution économique qui se prolongera après la
-guerre, ces appels au crédit vont se multiplier. Il ne faudrait pas
-croire que toutes les obligations à gros rendement qui seront offertes
-présenteront autant d'avantages et il ne faudra pas les prendre les yeux
-fermés avec une égale confiance, ni se fier à la réclame. Un prospectus
-a tôt fait de présenter comme des garanties de premier ordre des
-terrains nus ou des installations hors d'usage. En outre, les conditions
-de l'industrie française après la guerre resteront fort incertaines, et
-il est fort possible que, pendant une période de transition, les
-entreprises qui ne reposent pas sur des bases très solides soient
-dangereusement secouées.
-
- *
-
- * *
-
-Il existe d'excellentes obligations industrielles étrangères, mais la
-surveillance et le choix en sont encore plus malaisés que pour celles de
-notre pays. Il y faut des connaissances spéciales qui ne sont à la
-portée que d'un très petit nombre de personnes, à qui leur situation ou
-leurs relations permettent d'être renseignées de première main.
-
-Nous voulons cependant attirer l'attention sur une catégorie de valeurs
-fort sûres et d'un très bon rendement. A part quelques capitalistes bien
-guidés ou très informés, elles sont à peu près ignorées du public
-français. Nous voulons parler des _obligations des services municipaux_
-aux États-Unis.
-
-Les sociétés d'eau, de lumière, de traction, de téléphones des grandes
-villes des États-Unis sont des entreprises extrêmement prospères, parce
-qu'elles ont pour clientèle une population toujours croissante. Pendant
-ces quarante ou cinquante dernières années, elles ont résisté à toutes
-les crises économiques dont les chemins de fer et les autres industries
-ressentaient les répercussions, parfois jusqu'à y succomber.
-
-«Les obligations de services municipaux émises par des sociétés bien
-organisées et bien dirigées, écrit un auteur qui en a fait une étude
-particulière[10], sont considérées aux États-Unis comme le placement
-idéal pour des rentiers, pour des veuves ou mineurs, autrement dit pour
-toutes les personnes éloignées des affaires. Le fait que beaucoup de ces
-obligations sont classées parmi les placements légaux que peuvent faire
-les banques d'épargne et les _trustees_ (curateurs) est significatif,
-quand on se rappelle que seules les obligations de chemins de fer de la
-première classe (rapport maximum 4 p. 100), sont rangées dans ces
-placements autorisés par la loi. Rappelons à ce sujet que les lois qui
-limitent ces placements sont très sévères, _que les obligations ainsi
-autorisées portent le timbre spécial de l'État_ et qu'un _trustee_ ne
-peut être tenu responsable s'il survient une perte dans le capital
-confié à ses soins et placé de cette façon.»
-
- [10] _Les obligations américaines et le portefeuille français_, par
- LIONEL DE MONTESQUIOU (chez Marcel Rivière).
-
-Les obligations des grands services municipaux américains appartenant à
-cette catégorie pour ainsi dire légale, méritent vraiment le nom
-déplacement idéal si l'on considère qu'elles offrent avec la sécurité du
-capital, un rendement élevé (5 à 5 1/2 p. 100). Mais la sécurité du
-capital est bien, en ce moment, et sera pour longtemps ce qui intéresse
-le plus le capitaliste. Les obligations de services municipaux ont
-l'avantage que les sociétés émettrices possèdent et entretiennent un
-fonds d'amortissement (ce dont se dispensent les compagnies de chemins
-de fer des États-Unis). Le remboursement des obligations se fait à date
-fixe et, en cas de remboursement anticipé, avec une prime stipulée sur
-le titre et qui peut aller de 5 à 10 p. 100.
-
-Un patrimoine contenant une certaine quantité de ces obligations, qui
-répondent aux besoins et aux principes que nous avons exposés,
-posséderait donc aussi quelques-unes des garanties les plus solides dont
-puissent jouir humainement des capitaux dans le monde contemporain. La
-diversité de ces titres, les dates multiples de leur remboursement plus
-ou moins rapproché, permettent en outre aux capitalistes de rentrer dans
-leurs fonds à des époques prévues d'avance. Quant à la solvabilité des
-sociétés, l'objection tirée de la concurrence illimitée et de l'absence
-de monopoles en Amérique n'est pas valable, étant donné que, de même que
-pour les chemins de fer, il s'est établi pour les services municipaux
-des monopoles de fait.
-
-Mais comment choisir et se procurer ces valeurs incomparables? Elles
-sont extrêmement nombreuses et il n'en peut être donné une liste
-limitative. L'auteur que nous avons cité plus haut prend, par exemple,
-pour types de son étude économique l'_Edison Electric Illuminating Cy of
-Boston_, la _Philadelphia Electric_, la _Toronto Electric Light_,
-l'_American Telegraph and Telephone_, l'_American Light and Traction_,
-etc... Il va sans dire que les services municipaux de première classe
-sont infiniment plus nombreux.
-
-Leurs obligations ne sont pas négociées dans les Bourses américaines.
-Elles ne sont cotées qu'en banque, parce que, très bien classées, elles
-changent de main moins souvent que d'autres valeurs. Pour les acquérir
-(ce qui ne sera possible que quand l'exportation des capitaux français
-sera redevenue libre) il faut donc s'adresser à des banquiers
-américains. Bien entendu, faute d'une connaissance intime des choses
-américaines qui permette au capitaliste français un choix personnel et
-un contrôle direct, il importe de ne s'adresser qu'à des banques dont
-l'honorabilité soit notoirement au-dessus de tout soupçon, et de bien
-définir le genre de valeurs qu'on veut acheter, selon les indications
-que nous avons données plus haut, c'est-à-dire les obligations
-autorisées revêtues du timbre spécial.
-
-A cet égard aussi, les grandes fortunes, qui ont déjà la faculté de
-diversifier leurs placements, sont bien plus favorisées que les petites
-et les moyennes, dont les détenteurs n'ont pas les mêmes moyens
-d'information. Cependant celui qui possède un capital, qui veut le
-conserver et le léguer autant que possible intact à ses enfants doit se
-donner de la peine, s'instruire et se renseigner sans cesse. C'est la
-conclusion qu'on doit tirer de ce chapitre.
-
-
-
-
-CHAPITRE XIII
-
-ACTIONS DES BANQUES ET DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT
-
-Caractère dangereux de ces valeurs.--Absence de contrôle des
-actionnaires sur la marche des affaires sociales.--Différentes sortes de
-banques.--Les banques d'émission à privilège.--Les grands établissements
-de crédit: le système dont ils ont vécu paraît usé.--Les banques
-d'affaires.--Les Crédits fonciers et les sociétés immobilières: leurs
-actions et leurs obligations.
-
-
-L'industrie de la banque est fort complexe et elle a toujours été très
-aléatoire. Des krachs célèbres, comme celui de l'_Union générale_, en
-sont la preuve. Trop d'éléments entrent en jeu dans la prospérité et la
-déconfiture de ces affaires, depuis la situation économique générale
-jusqu'à l'habileté et la probité des directeurs. Ces valeurs conviennent
-mal, surtout dans les circonstances actuelles, aux personnes qui se
-contentent de toucher paisiblement leurs dividendes.
-
-Nous avons connu le chef d'une des plus importantes sociétés anonymes de
-crédit, à qui sa direction valait des émoluments considérables.
-Cependant, pour sa part, il ne possédait, de sa maison, que juste le
-nombre d'actions nécessaire, d'après les statuts, pour appartenir au
-conseil d'administration. Ce cuisinier, pourtant particulièrement expert
-et adroit, se méfiait de sa propre cuisine. Combien le public ne doit-il
-pas se méfier davantage, lui qui ne tient pas la queue de la poêle!
-
-Le contrôle des actionnaires sur l'activité et les résultats des banques
-est inexistant. Nuls bilans, nuls comptes rendus ne sont plus sommaires
-que ceux de ces entreprises. Sous prétexte que des renseignements
-fournis en Assemblée générale profiteraient aux concurrents et nuiraient
-à la société, les administrateurs s'enferment dans le mystère. Pour les
-suivre, il faut donc avoir la foi et les affaires d'argent veulent autre
-chose qu'une foi aveugle.
-
-On sait que les Banques se spécialisent dans les diverses manières de
-pratiquer le commerce de l'argent. Il n'existe que d'assez lointains
-rapports, par exemple, entre la _Banque de France_ qui émet du
-papier-monnaie avec privilège de l'État et les établissements de crédit
-qui, eux-mêmes, ont divers genres d'activité.
-
-Les actions de la _Banque de France_ constituent un des placements
-autorisés pour les remplois dotaux, ce qui ne veut pas dire qu'elles
-soient à l'abri des fluctuations. Leurs cours ne se sont pas fait faute
-de varier avec les bénéfices, eux-mêmes très variables, de la société.
-La guerre a été favorable à la Banque qui, de son côté, a rendu
-d'immenses services à l'État, peut-être trop, car elle en est devenue, à
-tous les égards, surtout à celui du crédit, une dépendance. Elle y a
-gagné le renouvellement de son privilège, ce qui la met à l'abri des
-attaques dirigées contre elle dans le Parlement et dans la presse. Aussi
-les cours sont-ils élevés. Le propre de la Banque de France est de
-gagner plus d'argent en temps de crise, où le taux de l'intérêt est
-élevé, que dans les temps calmes et prospères. On peut se régler
-là-dessus pour acheter et vendre ses actions qui ont d'ailleurs
-l'inconvénient d'être nominatives.
-
-La _Banque d'Algérie_, qui joue dans notre grande possession africaine
-le même rôle que la Banque de France dans la métropole, a enrichi assez
-rapidement ses actionnaires au cours des dernières années. Avec le
-développement de notre Afrique du Nord, elle peut avoir encore des
-perspectives. Pourtant les personnes qui entreraient aujourd'hui dans
-cette valeur ne doivent pas, semble-t-il, compter que les cours seront
-en perpétuelle ascension. On peut en dire autant de la _Banque de
-l'Afrique Occidentale_ qui a pourtant des chances de se développer avec
-cette colonie d'avenir. Quant à la _Banque d'Indo-Chine_ elle a à
-compter avec les crises monétaires si fréquentes en Extrême-Orient et
-avec l'instabilité des choses asiatiques.
-
-Les grands établissements de crédit, qui sont comme le Louvre et le Bon
-Marché de la finance, se livrent à des opérations bien différentes. Ils
-se règlent sur le modèle du _Crédit Lyonnais_ dont la principale
-industrie consiste d'abord à attirer les déposants par des commodités
-comparables à celles des grands magasins, ensuite à ne leur servir qu'un
-intérêt très faible, et à employer ces dépôts d'une manière sûre et plus
-fructueuse, la différence formant le bénéfice de l'établissement.
-D'autre part, ces maisons aux succursales multiples placent dans leur
-large clientèle des titres sur lesquels elles touchent des commissions
-souvent considérables, mais dont l'actionnaire ne connaît jamais le
-montant, qui fait partie du secret de la direction.
-
-C'est pourquoi nous conseillons fermement de ne pas accepter les yeux
-fermés les titres recommandés par les agences des établissements de
-crédit, peu regardants sur la qualité du papier qu'ils placent pourvu
-qu'ils touchent la commission. Le public a fait cette expérience à ses
-dépens sur une large échelle et il a appris que les magasins de valeurs
-écoulaient, comme le plus vulgaire épicier, des marchandises avariées
-sans égard pour leur clientèle. Bien que la foule des gogos soit
-innombrable et se renouvelle sans cesse, on peut penser que les
-établissements de crédit auront quelque difficulté à continuer ce genre
-de commerce. D'autre part, il n'est pas certain qu'ils puissent
-persister à faire fructifier leurs dépôts de la même façon que par le
-passé et à appliquer la maxime: «Les affaires, c'est l'argent des
-autres.» A tous les points de vue, les établissements de crédit ont
-abusé du public. En se désintéressant de l'industrie française, ils
-n'ont pas acquis la gratitude de la collectivité. La formule grâce à
-laquelle ils réalisaient des bénéfices semble bien périmée. En
-trouveront-ils une autre qui soit sûre et productive? Les signes n'en
-paraissent pas encore. Enfin la situation de certaines de ces maisons
-est pénible; c'est le moins qu'on en puisse dire. Leurs actions offrent
-donc peu d'attraits.
-
-Il y a un troisième genre de banques, dont la _Banque de Paris et des
-Pays-Bas_ est le type, qui ont pour spécialité de lancer des affaires et
-de gérer un vaste portefeuille de fonds d'États et de valeurs
-industrielles et autres. L'actionnaire de ces banques s'en remet à la
-compétence de la direction. On a dit que c'était un moyen, pour le
-rentier paisible et privé de connaissances particulières, de participer
-à un patrimoine administré par des hommes du métier et de s'intéresser
-sans risque à l'industrie. C'est vrai. Seulement on ne voit guère que
-ces banques enrichissent leurs actionnaires, ce qui est la preuve de ce
-que nous avons dit plus haut des valeurs industrielles qui, l'une dans
-l'autre, les bonnes compensant les mauvaises, finissent par laisser leur
-possesseur Grosjean comme devant. La variété même des entreprises
-auxquelles s'intéressent les banques de ce genre, si elle constitue
-d'une part une assurance, leur interdit d'autre part d'espérer de
-notables plus-values.
-
-Quant aux banques étrangères, d'une façon générale, il convient de les
-laisser de côté. Aux aléas propres au commerce de l'argent, elles
-joignent trop d'inconnu. Ne peuvent toucher à ce domaine que des
-personnes très bien renseignées.
-
-Restent enfin les crédits fonciers et les sociétés immobilières. Ces
-établissements ont eu une grande vogue et des jours heureux durant les
-années qui ont précédé la guerre. Il n'en a pas toujours été ainsi. Le
-_Crédit foncier de France_, (aujourd'hui si solide qu'en 1914 il a
-refusé de se prévaloir du moratorium et qu'il a payé à guichets ouverts)
-a connu autrefois de bien tristes moments. Heureusement l'expérience lui
-a profité. Le sort cruel de la société des _Immeubles de France_ ne doit
-pas être oublié non plus.
-
-Les résultats de ces établissements dépendent pour une part du sérieux
-de leur gestion et, pour l'autre, de la valeur de la propriété rurale et
-urbaine. Quand cette valeur est stable ou en ascension, quand les prêts
-ne sont consentis qu'avec des garanties sérieuses, quand la direction ne
-se livre pas à des spéculations téméraires, les résultats sont
-satisfaisants. Mais il faut que ces conditions soient réunies.
-
-Dans les pays neufs, les crédits fonciers ont un vaste champ d'activité.
-C'est le cas des crédits fonciers du Canada et de la République
-Argentine où des capitaux français sont intéressés. Il ne faut pas
-oublier pourtant que les pays neufs sont sujets à des crises profondes.
-
-Il est plus sage d'ailleurs d'acquérir des obligations plutôt que des
-actions des crédits fonciers. Les obligations du Crédit foncier de
-France ont une réputation de solidité très méritée. En dehors des
-sociétés que nous venons de citer, il existe en Égypte et dans les pays
-Scandinaves des Banques hypothécaires dont les obligations, cotées à la
-Bourse de Paris, sont convenablement garanties. C'est un bon élément de
-diversité dans les portefeuilles.
-
-
-
-
-CHAPITRE XIV
-
-LA SPÉCULATION ET LA BOURSE
-
-Dangers de la spéculation à terme.--La partie est inégale et
-déloyale.--Ceux qui jouent à coup sûr contre ceux qui jouent à
-l'aveuglette.--La contre-partie.--La spéculation au comptant.--Dans
-quelle mesure on peut s'y livrer.--Les arbitrages.--Nécessité d'une
-étude attentive des mouvements de Bourse: c'est une science et un
-métier.--Conseils pour la vente et l'achat des valeurs et la gestion des
-patrimoines.--Dangers des engouements et des paniques.
-
-
-La spéculation consiste essentiellement à vendre des marchandises qu'on
-ne possède pas ou bien à acheter des marchandises sans avoir l'argent
-qu'il faudrait pour les payer. Dans le premier cas, on parie que le prix
-de la marchandise diminuera, et l'on joue à la baisse. Dans le second
-cas, on parie que ce prix montera et l'on joue alors à la hausse.
-
-On spécule ainsi sur les métaux, la farine, le café, etc... A la Bourse
-des valeurs, les marchandises sont des fonds d'État, des actions, des
-obligations. Ce jeu est organisé. Il est légal autant que celui des
-courses. Il n'en constitue pas moins un des moyens les plus immoraux qui
-soient de détrousser le public à qui les agents de change, officiers
-ministériels, offrent le moyen de perdre son argent.
-
-Nous n'exposerons pas le mécanisme de la spéculation à terme. On sait,
-en gros, qu'il suffit de fournir une «couverture» suffisante et de payer
-les intérêts de quinzaine ou «reports» pour se livrer à ces opérations.
-Les lecteurs de cet ouvrage n'ont besoin de connaître qu'une chose: les
-raisons qu'il y a de ne jamais céder à la tentation de mettre le doigt
-dans cet engrenage, ni aux tentateurs qui promettent monts et
-merveilles.
-
-On cite des fortunes qui se sont faites à la Bourse. Ces bénéfices n'ont
-pu être obtenus que par la ruine d'autres joueurs. En face des gagnants,
-il y a les perdants. On peut dire que les uns et les autres se recrutent
-dans deux catégories éternelles: les naïfs qui se fient à la chance ou à
-des raisonnements mal étayés et qui sont généralement victimes d'une
-réclame éhontée, et les habiles qui disposent, non seulement de vastes
-capitaux et de puissants moyens par lesquels ils peuvent au besoin
-influencer le marché, mais encore de renseignements qui ne sont pas à la
-portée des simples mortels. La partie n'est pas égale. Les dés sont
-pipés et c'est la lutte du pot de terre contre le pot de fer.
-
-Deux exemples aujourd'hui historiques suffiront, pensons-nous, à
-dégoûter de jamais tenter la chance de la Bourse. On sait que la
-première guerre balkanique, celle de 1912, fut engagée par l'initiative
-du roi Nicolas de Monténégro. Ce prince peu scrupuleux se livrait à
-l'agiotage, et, cette fois, il s'y livra à coup sûr car, en déclarant la
-guerre à la Turquie, il détermina lui-même une chute des cours sur tous
-les marchés européens. Il était donc certain de gagner en prenant à
-l'avance une position à la baisse. De même, dans l'été de 1914, le
-fameux baron Rosenberg et quelques autres financiers austro-allemands de
-Paris qui savaient que la guerre était imminente et décidée par
-l'Allemagne, empochèrent de nombreux millions en vendant de la rente
-française, ce qui constituait à leurs yeux une simple avance sur la
-contribution dont Guillaume II se proposait de frapper la France
-vaincue.
-
-On voit combien il est téméraire et même absurde, dans ces conditions,
-d'affronter les risques de la Bourse. Le vulgaire joue les yeux fermés
-contre des gens qui connaissent le dessous des cartes. Il joue, en
-outre, avec des ressources faibles et limitées contre des détenteurs de
-capitaux considérables. Sans compter que les calculs les plus savants
-peuvent être dérangés par des événements imprévus. Il est arrivé de se
-tromper à Talleyrand lui-même qui trafiquait à la Bourse de ses
-renseignements diplomatiques et de son expérience. A plus forte raison,
-l'homme qui ne suit la marche des choses que d'après des journaux
-souvent influencés à dessein par les grands spéculateurs, ou qui s'en
-rapporte à de vagues «on dit», à ce que l'on appelle des «tuyaux»,
-est-il condamné d'avance à perdre, croyant à son flair après quelques
-occasions où la chance l'aura servi.
-
-Comment lutter, par exemple, avec ce banquier qui, averti
-professionnellement par des signes ignorés des profanes, suppute les
-variations prochaines du marché de l'argent avec un risque d'erreur
-minime? Comment lutter encore avec ces administrateurs d'une société qui
-savent, trois mois avant tout le monde, si le dividende sera augmenté ou
-diminué, si le titre montera ou baissera, et qui, souvent, propagent des
-bruits exactement contraires à la vérité? Ce qu'on appelle la
-_contre-partie_ n'est pas seulement la basse escroquerie d'intermédiaire
-véreux. Faire le contraire de ce qu'on dit est l'usage de la Bourse. Les
-vieux Parisiens ont souvent conté l'histoire de ce financier qui, tous
-les jours, et jusqu'en famille, répétait: «Les Lombards vont bien. Les
-Lombards monteront.» Et son fils, jeune homme sans expérience, de se
-mettre à la hausse sur les Lombards. La baisse n'ayant pas tardé à se
-produire, le fils fit des reproches à son père. «Imbécile, lui dit
-l'autre, sache donc que je m'entraînais à dire que les Lombards allaient
-bien parce que j'étais moi-même vendeur, sachant qu'ils allaient mal.»
-
-En résumé, nous ne saurions assez conseiller de fuir les spéculations de
-Bourse, qui ont ruiné tant de malheureux imprudents, et de fermer
-l'oreille aux suggestions de courtiers malhonnêtes et intéressés, qui
-proposent des combinaisons mirifiques.
-
-Par contre, il est tout à fait inoffensif et même recommandable, lorsque
-le marché à terme est en pleine activité, d'y recourir pour acheter des
-titres dont on se propose d'obtenir livraison ou pour vendre des valeurs
-que l'on possède effectivement. Le marché à terme, plus large que le
-marché au comptant, permet d'opérer sur de plus grandes quantités et
-avec de moindres variations de cours. Ce qu'on doit éviter et regarder
-comme un jeu pire que le baccara ou la roulette, c'est l'achat ou la
-vente à découvert, c'est-à-dire sans argent pour lever les quantités
-achetées ou sans titres pour livrer les quantités vendues.
-
- *
-
- * *
-
-Les opérations au comptant n'offrent pas les mêmes risques et elles
-peuvent augmenter les revenus des personnes adroites et prudentes. Au
-fond, l'acquéreur d'une valeur mobilière, comme celui d'une maison ou
-d'un pré, pense toujours faire une bonne affaire et espère une
-plus-value. D'autre part, comme nous l'avons vu, il est imprudent de
-s'endormir sur le portefeuille en apparence le mieux composé. Il y a des
-valeurs qui vieillissent et qu'on a intérêt à vendre pour les remplacer
-par d'autres. Le rentier modeste lui-même, nous l'avons dit plus haut,
-ne doit pas cesser de se renseigner, d'être vigilant et actif autant
-qu'économe, sous peine de voir son capital fondre par l'usure du temps.
-
-Le capitaliste intelligent, sans se départir de la plus stricte
-prudence, peut faire de temps en temps, dans la composition de ses
-valeurs, des changements avantageux qu'on nomme en Bourse des
-_arbitrages_. Les titres les plus solides sont sujets à des fluctuations
-que l'homme avisé sait mettre à profit. Remplacer une valeur par une
-autre de la même catégorie et de la même qualité en réalisant un
-bénéfice, parfois léger sans doute, mais absolument sûr, est une
-opération recommandable, une occasion que le père de famille se doit de
-ne pas laisser échapper.
-
-Le type de l'arbitrage sans danger est fourni par nos obligations de
-chemins de fer, considérées comme valeurs de tout repos. Les obligations
-3 p. 100 des grandes compagnies françaises et algériennes donnent lieu
-chaque jour à des transactions abondantes. Elles offrent souvent des
-différences de cours sensibles dont il faut savoir profiter. Leurs
-échéances étant variées, il est possible aussi, par des arbitrages
-adroits, de toucher non pas deux coupons semestriels seulement, mais
-trois ou quatre. Les boursiers désignent dédaigneusement du nom de
-«margoulins» ceux qui se livrent à ce trafic modeste. C'est parfois,
-pour les personnes oisives et qui n'ont pas mieux à faire, un moyen de
-doubler le revenu de valeurs d'un rendement réduit, mais sûr. Il va sans
-dire, d'ailleurs, que pour se livrer à des arbitrages, il faut laisser
-ses titres au porteur et ne pas les mettre au nominatif.
-
-Les personnes très attentives, qui ont le don de l'observation et de la
-mémoire, peuvent développer les opérations au comptant. Certaines
-valeurs ont des hauts et des bas périodiques, un rythme plus ou moins
-régulier. Les personnes qui ont étudié ces mouvements peuvent vendre ou
-acheter tour à tour avec bénéfice. Ce genre de spéculation ne peut
-porter d'ailleurs que sur un tout petit nombre de valeurs qui exigent
-des spécialistes. C'est une véritable science qui n'est pas, elle non
-plus, à la portée de tout le monde. Les profits qu'elle peut donner
-récompensent un travail assidu. C'est, dans toute la forme du terme, un
-métier. On ne peut donc l'exercer sans application et sans étude. Dans
-son _Manuel du spéculateur_, Proudhon, de son temps, décrivait ainsi la
-besogne du petit nombre des privilégiés qui savent gagner de l'argent à
-la Bourse:
-
- Les prudents, disait-il, font, d'un bout de l'année à l'autre, des
- opérations d'arbitrage. Ce sont des capitalistes qui n'achètent jamais
- au delà de leur fortune disponible. Ils profitent de la baisse pour
- placer leurs fonds et se contentent, en attendant la hausse, de palper
- leurs dividendes. Ils réalisent leur avoir quatre, cinq ou six fois
- par an, plus ou moins, selon les circonstances. Ils vont du Mobilier
- au Foncier, du Foncier à la Rente, de la Rente aux Chemins de fer, des
- Chemins de fer aux Petites Voitures, etc...
-
-Encore ne faut-il pas exagérer ce genre de trafic. Il importe de s'y
-livrer avec assez d'à-propos pour ne pas jouer la fable de l'homme qui,
-à la fin, se trouvait avoir changé un boeuf contre un oeuf. En outre, le
-plus habile ne peut se flatter d'apprécier avec exactitude le moment où
-une valeur atteint le tuf de la baisse ou l'apogée de la hausse. Il y a
-là une part d'incertitude sans compter qu'à trop étendre son clavier et
-à courir d'une valeur à l'autre on risque, au lieu d'agir à coup sûr, de
-se charger de titres qu'on connaît peu ou mal.
-
-Hâtons-nous d'ajouter que ce métier stérile pour la société n'est pas de
-ceux où nous voudrions voir entrer la jeunesse nouvelle qui, avant tout,
-doit produire. Ces exercices conviennent à des invalides ou à des
-vieillards.
-
- *
-
- * *
-
-Comme en toutes choses, la modération et le bon sens constituent les
-qualités maîtresses nécessaires à la conservation et à l'accroissement
-d'un patrimoine. Pour administrer une fortune, il faut de la réflexion
-et un jugement qui s'acquiert par l'expérience. Combien de personnes,
-étourdies, crédules ou présomptueuses n'ont jamais fait que des
-placements malheureux! Contre leurs propres entraînements ou contre les
-exploiteurs, doivent être en garde, surtout, les veuves, les novices qui
-héritent d'une fortune, et toutes les personnes qui, habituées à un
-travail intellectuel, sont accessibles aux idées générales et promptes
-d'imagination, mais que leur profession a toujours éloignées de la
-pratique des affaires, comme les médecins, les officiers, les
-ecclésiastiques. C'est dans cette catégorie qu'une réclame financière
-impudente fait le plus de dupes et qu'on s'abandonne le plus facilement
-à l'illusion que, sans études préalables, avec de l'inspiration, il est
-facile de gérer et d'accroître ses capitaux.
-
-Vendre, acheter, arbitrer ne doit se faire qu'à bon escient et à tête
-reposée. Il est aussi dangereux de céder aux engouements qu'aux
-paniques. Les professionnels de la Bourse savent très bien que le public
-achète à la hausse et vend à la baisse. C'est ainsi qu'en peu de temps
-on se ruine au profit des malins à l'affût des bons coups. Quand on
-s'aperçoit qu'une valeur périclite ou qu'elle est en danger, il faut
-s'en défaire sans hâte et avec sang-froid sans jeter le paquet
-par-dessus bord et à n'importe quel prix. L'homme maladroit, l'impulsif
-achète toujours au plus haut et vend au plus bas. L'homme réfléchi
-s'engraisse à ses dépens.
-
-Que l'on commence par diviser judicieusement sa fortune selon les règles
-que nous avons données et l'on supportera avec calme les vicissitudes
-des valeurs mobilières. Nous avons vu, en 1905 comme en 1917, les
-personnes qui possédaient une quantité raisonnable de fonds russes
-demeurer paisibles, et attendre des jours meilleurs. Les autres
-s'énervaient et, atteintes dans une partie essentielle de leur revenu,
-perdaient la tête et vendaient avec une grosse perte, croyant tout
-compromis. Pourtant, depuis que la Russie a suspendu ses paiements, le
-cours des rentes russes s'est relevé à plusieurs reprises quand les
-événements ont laissé espérer la chute du bolchevisme.
-
-En même temps, il faut savoir ne pas reculer devant un sacrifice
-indispensable et nécessaire. Mieux vaut, dit la sagesse des nations, se
-couper un bras que de perdre sa tête. L'entêtement est aussi funeste que
-la précipitation. Parce qu'une valeur a été bonne à un moment donné, ce
-n'est pas une raison pour qu'elle le redevienne. Beaucoup de gens
-pensent le contraire. Or, nous l'avons vu, il y a des valeurs qui
-meurent. Si l'on cherche, selon l'expression consacrée, à se faire une
-«moyenne» en achetant de nouvelles quantités des titres qui ont baissé,
-on risque tout simplement d'aggraver sa perte. Les actions des chemins
-de fer de Paris-Lyon, qui passaient pour des valeurs de pères de
-famille, n'ont cessé de s'effriter depuis vingt ans. Quiconque se serait
-acharné à acheter de ces actions pour se faire une moyenne n'aurait
-réussi qu'à multiplier la perte contre laquelle il aurait cherché à se
-couvrir.
-
-Nous croyons en avoir dit assez pour convaincre nos lecteurs de la
-précarité et de la fragilité des valeurs mobilières. Seuls le travail et
-l'épargne conservent les fortunes après les avoir créées. Il faut y
-joindre, pour la bonne gestion de ses biens, la sagesse, la prudence, le
-savoir et la raison.
-
-
-
-
-CHAPITRE XV
-
-LE CAPITALISTE, LES IMPOTS ET LES LOIS
-
-Multiplication et aggravation des impôts.--La tentation d'y
-échapper.--Dangers de la fraude et de la dissimulation en ce qui
-concerne l'impôt sur le revenu et les droits de succession.--L'intérêt
-des patrimoines et des familles ne s'accorde pas toujours avec les dons
-de la main à la main et les partages secrets.--Quelques cas et quelques
-exemples.--Divers moyens employés pour se soustraire aux
-impôts.--Trésors et cachettes.--Dépôts de titres et de fonds à
-l'étranger: écueils à éviter.--Les échanges de renseignements entre les
-États.--Péril des doubles taxations.--Une précaution légitime: la
-provision dans une banque anglaise ou américaine.--Conclusion et
-moralité de ce chapitre.
-
-
-L'insécurité des capitaux menace de s'accroître par le fait du désordre
-économique et politique que la guerre a répandu à travers le monde.
-D'autre part, la tendance de la société moderne est de traiter en
-ennemis le capital et la fortune acquise. L'État ayant en outre besoin
-de ressources considérables les demande à une taxation de plus en plus
-sévère. La jalousie démocratique et les exigences budgétaires conspirent
-à multiplier les impôts aux dépens de l'épargne la plus honnête.
-
-Si l'ingéniosité du fisc est grande, celle du contribuable ne l'est pas
-moins. De tout temps la matière imposable a cherché à s'échapper.
-L'esprit de dissimulation et de fraude se développe en raison même du
-poids des impôts. Toutefois, au temps où nous sommes, l'État pourchasse
-et traque toujours plus étroitement les fraudeurs et cherche à les
-saisir de toutes parts dans le réseau de ses dispositions légales. Il
-importe donc de savoir à quels inconvénients ou à quels dangers
-s'exposent les personnes qui, n'étant pas assez convaincues de la
-nécessité du devoir fiscal, veulent esquiver les taxes et les impôts.
-
-L'impôt sur le revenu est celui auquel le contribuable est le plus tenté
-de se soustraire, au moins partiellement. La déclaration est libre et le
-contrôle est encore vague, le système n'étant en France qu'au début de
-son application.
-
-Cependant il serait imprudent de croire que l'administration restera
-toujours indulgente et désarmée. A mesure que l'impôt sur le revenu
-prendra de l'âge, les renseignements se multiplieront chez le
-percepteur. Chaque contribuable aura sa fiche, enrichie des informations
-fournies par d'autres administrations, celles de l'enregistrement en
-particulier. Peu à peu le revenu des particuliers sera saisi à toutes
-ses sources et des surprises désagréables seront réservées aux
-dissimulateurs[11]. Déjà, en effet, les amendes atteignent des taux
-énormes et elles pourront aller jusqu'à la confiscation totale des
-sommes dissimulées.
-
- [11] Inutile, pensons-nous, d'ajouter que la sincérité est obligatoire
- pour les personnes dont les titres sont déposés dans les banques et
- les établissements de crédit où les comptes sont à ciel ouvert.
-
-Pour être productif, l'impôt sur le revenu doit être extrêmement sévère
-et ne faire grâce de rien. C'est ainsi qu'il fonctionne dans les pays où
-il est appliqué depuis longtemps. Un exemple tiré de la Prusse sur
-laquelle nos législateurs ont copié ce système et où il a atteint la
-perfection dans la tyrannie caporaliste, montrera comment une
-administration vigilante et bien outillée réussit à capter toutes les
-sources des revenus.
-
-Un Français, précepteur dans une riche famille prussienne, avait, selon
-la loi, déclaré ses appointements et se croyait ainsi en règle. Quelque
-temps après, il est appelé chez le percepteur et le dialogue suivant
-s'engage: «Monsieur, dit le fonctionnaire, j'ai le regret de vous dire
-que votre déclaration n'est pas complète. Vous avez bien
-inscrit vos gages. Mais vous êtes logé au château, si je ne me
-trompe?--Parfaitement.--A quel étage, je vous prie?--Au second.--C'est
-donc, d'après la valeur locative de la commune, la somme de tant que
-j'ajoute. Et vous prenez vos repas? A la table de famille?--En
-effet.--Nourriture de choix. Tant pour la nourriture... Un mot encore.
-Vous buvez du vin? de la bière?...--De la bière.--C'est donc tant pour
-la boisson.»
-
-Avec cela, le contribuable n'était pas quitte. Un jour, ses parents lui
-envoient de France un petit fût de vin. Et bientôt le percepteur le
-rappelle: «Monsieur, lui dit-il, vous avez déclaré que vous buviez de la
-bière à vos repas. Mais la régie m'apprend que vous avez reçu du vin.
-Vous allez donc boire du vin pendant quelques semaines. C'est un
-supplément que je dois ajouter à vos ressources normales.»
-
-Il est peu probable que les moeurs françaises s'accommodent jamais d'un
-régime aussi méticuleux et aussi inquisiteur, ou bien il échouera sur la
-résistance de l'esprit public. Mais il n'est pas douteux que l'impôt sur
-le revenu, après la tolérance des débuts, deviendra de plus en plus
-strict si l'on veut qu'il dure et qu'il produise quelque chose. Et les
-moyens d'information du fisc s'étendront et se préciseront, surtout pour
-la fortune acquise. La fraude et la dissimulation partielles resteront
-sans doute possibles. Les personnes qui voyagent pourront toujours, par
-exemple, toucher des coupons à l'étranger. Mais ceux-là dont la
-conscience ne répugne pas au mensonge doivent bien savoir qu'un moment
-arrive où le fisc reprend ses droits: c'est à l'ouverture des
-successions. Quiconque se préoccupe de ses héritiers, de sa femme et de
-ses enfants, doit savoir qu'une déclaration inexacte de son revenu les
-expose, après sa mort, à des amendes et à des confiscations.
-
-Les droits de succession constituent en France un élément important des
-ressources publiques. On frappe de préférence les morts parce qu'ils ne
-crient pas et qu'ils ne votent pas. Le législateur a donc été conduit à
-prévenir et à réprimer les évasions par tous les moyens en son pouvoir.
-De plus en plus, l'État tendra à intervenir au moment des décès pour
-empêcher les héritiers de se soustraire aux taxes. C'est ainsi que
-l'envoi en possession est soumis à des conditions sévères. Les
-coffres-forts loués à deux noms (ordinairement celui du mari et de la
-femme) dans un établissement de crédit sont l'objet d'une réglementation
-particulière, de même que les _comptes joints_ dans les banques. Ces
-anciens moyens de fraude sont éventés.
-
-Reste toujours la possibilité de partager de l'argent, ou des valeurs
-mobilières au porteur, de la main à la main. Nul n'ignore que cette
-pratique est courante dans les familles. Quand cette soustraction et ce
-partage s'étendent à des sommes considérables, il y a cependant
-plusieurs risques qu'on ne doit pas méconnaître.
-
-En premier lieu, les héritiers doivent savoir que la déclaration faite
-par le défunt pour l'impôt sur le revenu sert de contrôle à
-l'enregistrement pour la déclaration de la succession. C'est la
-contre-partie du cas que nous avons envisagé tout à l'heure et où le
-fisc trouvait dans la succession plus que le _de cujus_ n'avait annoncé
-pour son revenu annuel. Si le fisc trouve moins, ce n'est plus le mort
-qu'il frappera par une lourde amende. Ce sont les héritiers eux-mêmes
-qu'il poursuivra pour fraude et pour vol. L'époux survivant ou les
-enfants qui conservent ou se distribuent une somme d'argent liquide
-importante ou des titres au porteur doivent s'assurer au préalable
-qu'ils ne feront pas dans la fortune du défunt un trou capable d'attirer
-l'attention du fisc et ils devront se mettre d'accord avec le revenu
-déclaré dans les dernières années du conjoint ou des ascendants.
-
-A ces partages qui ne laissent pas de traces, il y a un autre
-inconvénient. Les inventaires et les actes de succession sont destinés à
-protéger les patrimoines et à empêcher qu'ils ne passent entre des mains
-étrangères. Un héritage qui n'est pas constaté par un acte authentique
-risque souvent d'échapper à la famille à laquelle il doit appartenir
-d'après la nature et la loi. Nous connaissons des cas très divers où des
-héritiers ont eu lieu de regretter de s'être partagé entre eux une
-fraction de la succession pour échapper aux taxes. Ainsi un fils marié
-meurt sans enfants: la part de l'héritage paternel non constatée par le
-notaire grossit la fortune de sa femme et passe ensuite à un nouveau
-mari ou à des neveux de l'autre branche. Même résultat en cas de
-séparation de biens et de divorce, la fraction soustraite étant tombée
-dans la communauté. Enfin des enfants qui ont laissé par ce procédé une
-partie de la fortune paternelle ou maternelle aux mains de l'époux
-survivant pour éviter la double taxe sont exposés à se voir un jour
-frustrés par le remariage du survivant. Quand on tourne la loi, on
-renonce aussi à ses garanties.
-
-Tous ces arrangements, pris dans l'idée de soustraire aux atteintes du
-fisc la plus grande partie possible d'un patrimoine, reposent en général
-sur l'idée que la famille restera toujours unie ou que ses membres
-seront frappés par la mort dans l'ordre naturel. Il n'en est
-malheureusement pas toujours ainsi. C'est pourquoi, sauf exceptions tout
-à fait motivées, les parents doivent être en garde contre les partages
-anticipés. Il y a danger, pour les mêmes raisons, à ne pas faire figurer
-dans un contrat la totalité d'une dot pour échapper aux droits de
-donation.
-
- *
-
- * *
-
-Les temps dans lesquels nous sommes entrés nous ramènent aux époques où
-la richesse cherchait à se défendre par toutes sortes de ruses et de
-cachettes contre les exactions et les brigandages. Les fortunes menacées
-s'efforcent de se dissimuler ou de se transformer de telle façon que le
-possesseur, au milieu des bouleversements et des incertitudes de
-l'époque, puisse mettre une part de ses biens à l'abri du fisc et aussi,
-en cas de besoin, retrouver une valeur réelle. Sous des formes modernes,
-la pratique du trésor, si répandue dans les siècles et dans les pays
-barbares, tend à s'imposer de nouveau. La crainte de l'impôt et le doute
-qui commence à s'attacher au papier (valeurs et même billets de banque),
-incitent beaucoup de personnes à se créer une sorte de réserve en
-nature, constituée d'objets précieux d'un petit volume et facile à
-transporter.
-
-Cet usage est resté courant dans les pays asiatiques, parmi lesquels il
-faut comprendre la Russie. Nous avons connu un riche négociant français
-de Moscou qui, prévoyant la révolution, portait constamment sur lui une
-bourse remplie de pierres précieuses, s'assurant ainsi contre les
-risques d'une spoliation qui, d'ailleurs, sous le régime bolchevik, ne
-devait pas tarder. De même les monastères orthodoxes, dont quelques-uns
-possédaient des richesses considérables, enfouissaient des diamants et
-des perles, plus aisément maniables que des lingots et qui représentent
-une valeur universellement négociable. En Allemagne, en Autriche, les
-mêmes pratiques ont été observées depuis la débâcle du papier et
-l'imminence d'impôts extraordinaires sur les fortunes.
-
-La nature humaine, à travers les âges et les climats, reste la même.
-L'ébranlement de l'ordre social ramène les usages des temps primitifs.
-Depuis la guerre, on a vu beaucoup de personnes acheter des bijoux, de
-l'argenterie et même des toiles de maîtres, afin de représenter au moins
-une partie de leur fortune autrement que par du papier. Encore s'agit-il
-de ne pas remplacer une valeur qu'on croit artificielle par une autre
-valeur qui peut le devenir, ce qui est en particulier le cas de la
-peinture dont le prix est affaire de mode et aussi affaire de
-circonstances. Au cas d'un grand bouleversement de la société comme
-celui dont la Russie a été le théâtre, un Raphaël ou un Titien ne sont
-pas une marchandise d'un placement facile ou avantageux.
-
-Beaucoup de personnes sont tentées par le fait que les objets d'art,
-depuis quelques années, ont monté d'une façon extraordinaire et ont
-souvent enrichi leurs possesseurs. Outre qu'il y a des exceptions, il
-faut s'attendre à des dépréciations lentes ou brusques dont plus d'un
-collectionneur a déjà fait l'expérience.
-
-L'_impôt sur le capital_, devant lequel le gouvernement français a
-reculé jusqu'ici, doit également être pris en considération. Si cet
-impôt devait entrer un jour dans nos lois, il n'est pas douteux qu'il
-atteindrait les mobiliers. En Hollande, où cet impôt existe, le fisc
-contrôle les déclarations des contribuables qui doivent, sur
-réquisition, ouvrir leur maison et leurs tiroirs. Il devient alors
-coûteux de posséder trop de belles choses. Et l'on ne pourrait jurer que
-l'État, pour faire face à ses besoins, n'en viendra pas là. La taille,
-la dîme et la gabelle paraîtront douces en comparaison.
-
- *
-
- * *
-
-Les dépôts d'argent ou de titres dans les banques étrangères sont un
-procédé couramment employé. En France, beaucoup de personnes y avaient
-eu recours avant 1914 pour échapper à l'impôt sur le revenu qui, alors,
-était un épouvantail. Pour être efficace, cette mesure doit s'entourer
-de nombreuses précautions. Les occasions d'erreur sont nombreuses. Ce
-n'est pas seulement la banque qui doit être choisie avec grand soin mais
-encore la nationalité et le siège de ces banques. Ainsi la Belgique
-avait été considérée comme un lieu de refuge très sûr. Or la Belgique,
-malgré sa neutralité, a été envahie la première. Pendant tout le temps
-de la guerre les personnes qui n'avaient pas retiré leurs dépôts ont été
-privées de leur revenu et, si l'Allemagne eût été victorieuse, elle eût
-certainement confisqué leur capital.
-
-On se tromperait surtout si l'on s'imaginait qu'il suffit, pour abriter
-sa fortune, de lui faire passer la frontière, en suivant les
-sollicitations intéressées des banques étrangères. Il faut connaître
-d'abord la législation de l'État dans lequel on envoie son argent si
-l'on ne veut pas s'exposer à payer, par exemple, deux fois l'impôt sur
-le revenu ou exposer ses héritiers à payer deux fois des droits de
-succession, dans leur pays et dans le pays de refuge. La même remarque
-s'impose, bien entendu, pour l'achat d'immeubles à l'étranger.
-
-Durant les premières années du XIXe siècle, le gouvernement français
-avait déjà cherché à conclure avec les gouvernements étrangers des
-accords destinés à établir un échange de renseignements au sujet des
-dépôts de leurs ressortissants. L'exemple avait été donné dès 1843 par
-une convention passée par l'administration française et l'administration
-belge pour la perception réciproque des droits d'enregistrement. Il
-résulte de cette convention que tous les actes dont l'enregistrement
-belge a connaissance passent immédiatement à l'enregistrement français.
-Les personnes de nationalité française qui se proposaient de dissimuler
-de l'argent en Belgique devaient donc faire bien attention qu'en aucun
-cas leurs opérations ne donnassent lieu à des actes susceptibles d'être
-enregistrés dans ce pays.
-
-Il y a plus: en 1907, une entente franco-anglaise a établi un régime
-précis d'échanges de renseignements au sujet des successions des
-ressortissants des deux pays. Le gouvernement britannique fournit donc
-au gouvernement français toutes les indications qu'il a recueillies
-lui-même sur l'héritage, en prélevant pour son compte les droits
-successoraux. D'où il résulte que les héritiers ont à payer les taxes
-françaises après les taxes anglaises, et ce doublement de droits qui
-sont également lourds des deux côtés de la Manche peut aller, pour de
-grosses sommes, jusqu'à une confiscation des deux tiers.
-
-Étant donné que les États vont être pendant de longues années à l'affût
-de toutes les ressources et qu'ils pourchasseront le capital, il est
-possible que ces arrangements s'étendent et se multiplient et qu'ils
-s'appliquent aux divers impôts, y compris l'impôt sur le revenu. Le
-capitaliste français fera donc bien de s'informer avant d'envoyer son
-argent au dehors, s'il ne veut pas imiter Gribouille. Il est à penser
-que d'ici peu de temps, en procédant à leur réorganisation financière,
-les États alliés vont chercher à resserrer la surveillance autour de
-ceux qu'on appelle déjà les «déserteurs de l'impôt».
-
-Il restera sans doute des pays qui seront heureux d'attirer les capitaux
-en leur assurant un traitement privilégié. Tel a été jusqu'à présent le
-cas de la Suisse. Reste à savoir si cet état de choses durera, si pour
-des raisons intérieures ou extérieures (pression diplomatique de ses
-voisins, par exemple), la Suisse, malgré la diversité de législation de
-ses cantons, n'en viendra pas aussi à restreindre son droit d'asile.
-
-Il va sans dire que des pays exotiques, sud-américains par exemple,
-seraient heureux d'accueillir des capitaux français sans les dénoncer.
-Mais là, c'est la sécurité qui manque. Quant aux États-Unis, ils en sont
-encore à l'âge d'or du capitalisme. Le droit de propriété et le secret
-des affaires y sont regardés, jusqu'ici, comme à peu près inviolables et
-l'État de New-York est particulièrement renommé pour son libéralisme à
-cet égard.
-
-Nous ne conseillerons jamais à personne de mettre tous ses oeufs dans le
-même panier et de confier _tous_ ses titres en dépôt à une _seule_
-banque, fût-elle américaine. Cependant il peut être utile de déposer
-quelque argent ou un certain nombre de valeurs chez un ou plusieurs
-banquiers américains jouissant d'un solide crédit. C'est une assurance
-contre les catastrophes qui, éventuellement, pourraient encore menacer
-l'Europe. Nous voyons tous les jours des Russes qui, contraints
-d'émigrer, ne sont pas réduits à la misère dans leur exil parce qu'ils
-avaient, en temps calme, prévu la possibilité des orages.
-
-Sans aller jusqu'aux hypothèses tragiques, il est toutefois
-recommandable pour les personnes qui font des affaires avec l'étranger
-ou qui voyagent fréquemment à l'étranger d'avoir une provision dans une
-banque anglaise ou américaine. Il est malheureusement à craindre que,
-d'ici longtemps, nous ne revoyions plus le franc au cours qu'il avait
-autrefois sur tous les marchés du monde. A la suite de la guerre, le
-change sur les places étrangères nous est devenu défavorable et il est
-probable qu'il le restera pendant une période prolongée. La livre
-sterling et surtout le dollar seront exposés à moins de variations. Il
-peut donc être utile de stabiliser d'avance une certaine somme pour ne
-pas être victime, en cas de besoin, d'une brusque tension du change et
-d'une dépréciation de la monnaie française.
-
-Nous conclurons ce chapitre en disant que la prudence est légitime mais
-que la fraude n'est pas toujours prudente. Elle fait souvent tomber de
-Charybde en Scylla celui qui y a recours. Enfin le bon citoyen doit se
-dire que le devoir fiscal est un devoir comme un autre et qu'après une
-guerre où toutes les fortunes se seraient englouties sans la victoire,
-le sacrifice d'argent n'est rien auprès du sacrifice du sang. La fraude
-n'est excusable que quand l'État ne remplit plus sa tâche essentielle,
-qui est de donner la sécurité à la nation, ou quand il ne garantit plus
-la propriété et qu'il confisque arbitrairement les biens.
-
-
-
-
-CHAPITRE XVI
-
-TÂCHES ET BESOINS DU TEMPS PRÉSENT
-
-Transformations et nécessités.--Le besoin de produire.--Les capitaux
-sont la réserve des producteurs.--Aux générations nouvelles.--Le
-«tempérament d'obligataire» et le «tempérament d'actionnaire».--Français
-et Allemands.--Perspectives d'avenir.--La France ne peut plus être un
-«pays de rentiers».
-
-
-Les principes que nous avons exposés et les conseils que nous avons
-donnés dans ce livre sont destinés à servir de guide pour conserver les
-patrimoines et en prévenir, autant que possible, la dissolution. Les
-méthodes que nous recommandons, appuyées sur le raisonnement et sur
-l'expérience, sont donc avant tout _conservatoires_. Et c'est déjà
-beaucoup, nous l'avons vu, quand on arrive à ce résultat que les
-capitaux péniblement amassés ne se volatilisent pas.
-
-Garder une fortune par le discernement, la prudence et l'économie, la
-transmettre intacte à ses successeurs, c'est difficile et c'est même
-très beau. Toutefois les temps dans lesquels nous sommes entrés
-demandent autre chose.
-
-Depuis de longues années, le but auquel tendaient, en France, la plupart
-des classes de la société, c'était d'arriver, le plus tôt possible, à
-vivre sans rien faire, fût-ce chichement, d'un revenu médiocre ou d'une
-retraite payée par une grande administration ou par l'État. C'est ce
-qu'on appelait jadis «vivre noblement». Ainsi la France tendait à
-devenir peu à peu un pays de rentiers, puissant par sa prodigieuse
-faculté d'épargne, mais où la notion du travail créateur se perdait.
-
-Cette conception de la vie a été violemment secouée par la guerre. Dans
-le bouleversement général, des milliers d'existences, arrangées pour une
-médiocrité paisible et qui ne comptaient pas avec l'imprévu, ont été
-atteintes avec dureté. L'honnête aisance dont se contentaient tant de
-personnes commence à confiner à la misère. C'est un mot courant que,
-d'ici longtemps, on ne reverra plus la «douceur de vivre» à laquelle la
-tragédie de 1914 a mis fin.
-
-On le répète de tous les côtés, et, ce qui est mieux, c'est une vérité
-sentie par les nouvelles générations: il importe de produire, de former
-de nouvelles richesses à la place de celles qui ont été anéanties. La
-France n'est plus assez riche pour qu'une quantité d'oisifs et de
-joueurs de dominos aussi forte que celle d'autrefois puisse encore
-subsister. La France était un pays où il y avait trop de joueurs de
-dominos, comme en Angleterre il y avait trop de joueurs de ballon.
-Aujourd'hui la France a sa fortune à refaire. Elle ne recevra plus du
-dehors tous les revenus qui, naguère, en faisaient la créancière du
-monde et compensaient l'insuffisance de son commerce extérieur. Elle
-s'est, au contraire, endettée envers l'étranger. Alors, si elle ne se
-met pas à produire, c'est bien simple: rien, chez nous, ne gardera de
-valeur, ni les rentes de l'État, ni les titres de toute sorte, ni la
-terre elle-même, parce que ce qui nous reste de richesses, par l'excès
-des importations, s'en ira au dehors, parce que la monnaie française
-sera de plus en plus «avariée» par rapport à la monnaie étrangère, et
-parce que notre actif deviendra peu à peu le gage de nos fournisseurs et
-de nos créanciers américains qui se mettront peut-être à exploiter notre
-pays pour leur compte, comme ils en manifestent déjà l'intention. C'est
-le cas qui s'est produit aux siècles derniers pour l'Espagne, couverte
-de gloire, mais inactive et endettée, et dont les ressources naturelles
-ne profitaient qu'aux étrangers. Voilà comment une nation devient serve
-et prolétaire.
-
-Pour de longues années, pour quelques générations, peut-être, l'état de
-rentier sera difficile sinon intenable. Le travail ne sera pas seulement
-un devoir national mais une nécessité individuelle. Entre les mains des
-hommes jeunes et actifs, le capital devra travailler lui aussi et
-devenir un instrument de production, sous peine, s'il reste inerte, de
-se consommer et de disparaître.
-
-Les méthodes que nous avons recommandées, les observations que nous
-avons consignées dans ce livre ne doivent donc pas être regardées comme
-destinées à fabriquer et à multiplier des rentiers mais à préserver de
-la ruine, de l'anéantissement et des mauvais conseillers nos capitaux
-plus précieux que jamais, afin qu'ils soient conservés intacts pour ceux
-qui pourront s'en servir d'une façon active et les faire produire à leur
-tour.
-
-Il serait absurde d'exiger que tout le monde mît son argent dans
-l'industrie pour la raison qu'il est certain la France doit produire ou
-mourir. Il y a quantité de personnes qui ne peuvent courir le risque des
-affaires et qui font mieux de s'en éloigner. Elles y perdraient ce
-qu'elles possèdent, faute d'expérience et de jugement. Seuls les mauvais
-financiers y gagneraient quelque chose. Les hommes âgés et qui ne
-peuvent recommencer leur vie, les veuves, les personnes qu'une
-profession libérale rend étrangères aux affaires d'argent: tous ceux-là
-ont besoin surtout qu'on leur indique les moyens d'assurer la sécurité
-de leur fortune, dans la mesure où l'esprit humain peut prévoir les
-événements. De même un industriel, un commerçant heureux ne peuvent pas
-indéfiniment étendre leurs affaires. Le jour vient où ils ont besoin de
-consolider leurs bénéfices, ne fût-ce que passagèrement. Ceux-là aussi
-doivent, autant que possible, pouvoir se faire une idée personnelle sur
-la manière dont il convient de placer leur fortune au lieu de s'en
-rapporter au hasard ou au premier venu.
-
-On a dit qu'une des infériorités des Français, avant la guerre, était
-dans leur «tempérament d'obligataires» tandis que les autres peuples,
-ceux qui avaient grandi et qui s'étaient enrichis, surtout les
-Allemands, avaient un «tempérament d'actionnaires». C'est vrai dans une
-large mesure. A l'avenir, les Français auront besoin d'être plus
-«actionnaires», c'est-à-dire plus créateurs de richesses et plus
-associés à la création des richesses qu'ils ne l'étaient autrefois.
-
-Cependant ce serait une erreur de s'imaginer que tous les Allemands
-d'avant la guerre, comme tous les Américains, ne cessaient pas de
-risquer leur argent dans des affaires nouvelles. Ils soufflaient
-parfois. Ils abritaient une partie de leurs bénéfices dans les valeurs
-sûres et dans les obligations et ils ne dédaignaient pas la puissance
-d'accumulation de l'épargne sans laquelle la puissance de création
-s'épuise vite. Malgré sa forte tendance au nationalisme économique,
-l'Allemagne possédait, elle aussi, de grandes quantités de valeurs
-étrangères, mais mieux choisies et réparties que les nôtres. C'était
-surtout des valeurs américaines, dont il y avait un marché important à
-Berlin et qui lui ont été plus utiles pendant la guerre que notre
-portefeuille bourré de russe, d'austro-hongrois et d'ottoman.
-
-Produire, c'est surtout la tâche de la génération nouvelle. Mais elle ne
-fera fructifier le capital que s'il lui est transmis dans de bonnes
-conditions. Que cette précieuse réserve ne soit pas étourdiment gérée,
-inconsidérément gaspillée.
-
-Avec un grand labeur, de belles chances s'offrent aussi aux Français
-d'aujourd'hui et de demain. Les jeunes à qui échoit une fortune, qui est
-souvent le débris d'un patrimoine plus gros, n'auront jamais trop de
-reconnaissance pour ceux qui l'auront amassée et conservée. Les jeunes
-doivent considérer ce capital comme un outil et un principe d'activité.
-Beaucoup de travail, un peu de peine, ajoutés à cette mise de fonds, ne
-tarderont pas à apporter leur récompense. De nos provinces, soulevées
-l'une après l'autre par un besoin ardent de renaître, s'élève un appel à
-l'argent qui féconde, à l'intelligence et à l'activité. Notre «houille
-blanche» attend qu'on la prenne. La paix ajoute à la merveilleuse
-Algérie la possession indiscutée de ce Maroc où les Allemands avec leur
-«tempérament d'actionnaires» nous ont montré, par leur convoitise, par
-leurs installations mêmes, ce qu'il y avait à récolter. Enfin, celui qui
-reçoit en partage de la bonne terre de France, qu'il la fasse valoir
-lui-même. Elle lui rendra vite les soins qu'il lui aura donnés.
-
-En fermant ce livre, nous voudrions que le lecteur en gardât cette
-impression qu'il n'a pas été écrit pour encourager les Français à rester
-un peuple de rentiers.
-
-
-FIN
-
-
-
-
-TABLEAU DES DROITS DE MUTATION PAR DÉCÈS ET DE DONATION ENTRE VIFS
-
-
-MUTATION PAR DÉCÈS.--I. DROITS DE MUTATION ORDINAIRE À PERCEVOIR SUR
-CHAQUE PART NETTE.
-
- PARTS DEGRÉ DE PARENTÉ
-
- Ligne directe Ligne directe
- descendante ascendante
-
- 1er 2e Au 1er 2e Au
- degré degré delà degré degré delà
-
- p. 100 p. 100 p. 100 p. 100 p. 100 p. 100
- fr. fr. fr. c. fr. c. fr. c. fr. c. fr. c. fr. c.
-
- Parts nettes de 10000 francs et au-dessous avec maximum successoral de
- 25000 francs.
-
- 1 à 2000 1 » 1 50 2 » 1 » 1 50 2 »
- 2001 à 10000 1 50 2 » 2 50 1 50 2 » 2 50
-
- Parts nettes supérieures à 10000 francs et successions dont l'actif
- total est supérieur à 25000 francs.
-
- 1 à 2000 1 » 1 50 2 » 2 50 3 » 3 50
- 2001 à 10000 2 » 2 50 3 » 3 50 4 » 4 50
- 10001 à 50000 3 » 3 50 4 » 4 50 5 » 5 50
- 50001 à 100000 4 » 4 50 5 » 5 50 6 » 6 50
- 100001 à 250000 5 » 5 50 6 » 6 50 7 » 7 50
- 250001 à 500000 6 » 6 50 7 » 7 50 8 » 8 50
- 500001 à 1000000 7 » 7 50 8 » 8 50 9 » 9 50
- 1000001 à 2000000 8 » 8 50 9 » 9 50 10 » 10 50
- 2000001 à 5000000 9 » 9 50 10 » 10 50 11 » 11 50
- 5000001 à 10000000 10 » 10 50 11 » 11 50 12 » 12 50
- 10000000 à 50000000 11 » 11 50 12 » 12 50 13 » 13 50
- Au delà de 50000000 12 » 12 50 13 » 13 50 14 » 14 50
-
-
- PARTS DEGRÉ DE PARENTÉ
-
- (A) Entre frères et soeurs
- (B) Entre oncles ou tantes et neveux ou nièces
- (C) Entre grands-oncles ou grand'tantes et
- petits-neveux ou petites-nièces et entre
- cousins germains
- (D) Entre parents au delà du 4e degré et
- personnes non parentes
-
- Entre (A) (B) (C) (D)
- époux
-
- p. 100 p. 100 p. 100 p. 100 p. 100
- fr. fr. fr. c. fr. c. fr. fr. fr.
-
- Parts nettes de 10000 francs et au-dessous avec maximum successoral de
- 25000 francs.
-
- 1 à 2000 4 » 10 » 12 15 18
- 2001 à 10000 4 75 10 75 13 16 19
-
- Parts nettes supérieures à 10000 francs et successions dont l'actif
- total est supérieur à 25000 francs.
-
- 1 à 2000 5 » 10 » 15 20 25
- 2001 à 10000 6 » 11 » 16 21 26
- 10001 à 50000 7 » 12 » 17 22 27
- 50001 à 100000 8 » 13 » 18 23 28
- 100001 à 250000 9 » 14 » 19 24 29
- 250001 à 500000 10 » 15 » 20 25 30
- 500001 à 1000000 11 » 16 » 21 26 31
- 1000001 à 2000000 12 » 17 » 22 27 32
- 2000001 à 5000000 13 » 18 » 23 28 33
- 5000001 à 10000000 14 » 19 » 24 29 34
- 10000000 à 50000000 15 » 20 » 25 30 35
- Au delà de 50000000 16 » 21 » 26 31 36
-
-_N. B._--Le montant de la taxe additionnelle (tableau nº II) est à
-déduire de l'actif de la succession pour la détermination de la part
-nette de chaque ayant-droit. (Inst. Régie du 10 janvier 1918.)
-
-
-MUTATION PAR DÉCÈS.--II. TAXE ADDITIONNELLE perçue sur l'ensemble de la
-succession quand il n'y a pas d'enfant vivant ou représenté et quand il
-y a moins de quatre enfants vivants ou représentés (les enfants morts
-victimes de la guerre étant comptés comme s'ils étaient vivants) à
-prélever sur l'ensemble de la succession.
-
- PARTS NOMBRE D'ENFANTS
- LAISSÉS PAR LE DÉFUNT
-
- Trois Deux Un Point
- enfants enfants enfant d'enfant
- vivants ou vivants ou vivant ou vivant ou
- représentés représentés représenté représenté
-
- p. 100 p. 100 p. 100 p. 100
- fr. fr. fr. c. fr. c. fr. fr.
-
- 1 à 2000 0 25 0 50 1 2
- 2001 à 10000 0 50 1 » 2 4
- 10001 à 50000 0 75 1 50 3 6
- 50001 à 100000 1 » 2 » 4 8
- 100001 à 250000 1 25 2 50 5 10
- 250001 à 500000 1 50 3 » 6 12
- 500001 à 1000000 1 75 3 50 7 14
- 1000001 à 2000000 2 » 4 » 8 16
- 2000001 à 5000000 2 25 4 50 9 18
- 5000001 à 10000000 2 50 5 » 10 20
- 10000000 à 50000000 2 75 5 50 11 22
- Au delà de 50000000 3 » 6 » 12 24
-
-
-MUTATION PAR DÉCÈS.--III. DÉDUCTION sur le montant des droits ordinaires
-(tableau I) en ce qui concerne la part de l'héritier, donataire ou
-légataire ayant quatre enfants vivants où plus au moment de l'ouverture
-de la succession:
-
-10 p. 100 pour chaque enfant en sus du troisième, avec maximum de
-réduction de 50 p. 100.
-
-
-MUTATION PAR DÉCÈS.--IV. PÉNALITÉS DE RETARD (loi du 10 avril 1910).
-
- 1 mois 0 fr. 50 p. 100 }
- 5 mois 1 franc p. 100 } du droit dû.
- Au delà 1 fr. 50 p. 100 }
-
-
-DROITS DE DONATION ENTRE VIFS
-
- INDICATION DES DEGRÉS PE PARENTÉ TARIF
- fr. c.
- En ligne directe
- Partage d'ascendants
- Entre plus de 2 enfants vivants ou représentés 2 50
- Entre 2 enfants vivants ou représentés 4 50
- Par contrat de mariage
- Plus de 2 enfants vivants ou représentés 4 50
- 2 enfants vivants ou représentés 5 50
- 1 enfant vivant ou représenté 6 50
- Hors contrat de mariage
- Plus de 2 enfants vivants ou représentés 6 50
- 2 enfants vivants ou représentés 8 50
- 1 enfant vivant ou représenté 10 50
- Entre époux
- Par contrat de mariage 8 »
- Hors contrat de mariage
- Plus de 2 enfants vivants ou représentés, issus du mariage 6 50
- 2 enfants vivants ou représentés, issus du mariage 10 50
- 1 enfant vivant ou représenté, issus du mariage 13 50
- Sans enfant vivant ou représenté, issus du mariage 17 »
- Entre frères et soeurs
- Par contrat de mariage aux futurs 13 »
- Hors contrat de mariage 23 »
- Entre oncles et tantes et neveux ou nièces
- Par contrat de mariage aux futurs 15 »
- Hors contrat de mariage 25 »
- Entre grands-oncles, grand'tantes, petits-neveux ou
- petites-nièces et entre cousins germains
- Par contrat de mariage aux futurs 17 »
- Hors contrat de mariage 27 »
- Entre parents au delà du 4e degré et entre personnes
- non parentes
- Par contrat de mariage aux futurs 21 »
- Hors contrat de mariage 31 »
-
-_Nota._--Les enfants morts victimes de la guerre sont comptés comme
-enfants vivants.
-
-
-
-
-TABLE DES MATIÈRES
-
-
- Pages.
-
- Avant-propos VII
-
- Chapitre premier.--Une période d'instabilité et d'insécurité
- pour les fortunes. 11
-
- L'instabilité des fortunes est un phénomène de tous les temps.--La
- guerre a considérablement aggravé ce phénomène.--Longue période de
- sécurité et d'enrichissement de 1815 à 1914.--Le danger d'autrefois
- était la baisse de l'intérêt et les conversions.--Fausses croyances
- nourries à cet égard: l'argent ne devait plus rien rapporter.
- --L'intérêt s'est relevé, mais les capitaux ont été détruits.
- --Ébranlement de toutes les fortunes.--Autres menaces qui pèsent sur
- elles.--Probabilité de grandes crises financières, sinon de
- catastrophes.--De nouvelles méthodes de gestion des patrimoines sont
- nécessaires.--En quoi l'esprit et les habitudes des capitalistes
- doivent changer.
-
- Chapitre II.--Le principe de la division géographique des
- placements, qui s'est montré insuffisant, doit être complété
- par un autre principe 22
-
- La division des risques est une précaution élémentaire.--L'écueil
- est qu'elle ne tourne pas à la multiplication des risques.--Exemples
- malheureux de dissémination des capitaux.--Nécessité de précautions
- supplémentaires.--Valeurs solides et réelles sur lesquelles doit
- reposer une fortune.--Les biens-fonds réhabilités.--Gages à exiger
- des valeurs mobilières.--Le remboursement prochain du capital est la
- clause essentielle de tout prêt d'argent.--Applications de ces
- principes aux placements mobiliers et avantages qu'ils comportent.
- --Règles pratiques à en tirer.
-
- Chapitre III.--Des immeubles 33
-
- La revanche des anciens placements.--Toute richesse part de la
- terre.--Stabilité de la propriété immobilière.--Un exemple typique.
- --Relèvement de la valeur de la terre en France.--Hausse des
- produits agricoles.--Sécurité de la propriété rurale, due, dans
- notre pays, à son extrême division.--Le dépeuplement des campagnes
- est le seul point noir.--Conseils pour la gestion des biens
- fonciers.--Les maisons de rapport à Paris et dans les grandes
- villes.--Achat, construction et entretien.--Les spéculations sur les
- terrains.--Les formes excentriques de la propriété et leurs périls.
-
- Chapitre IV.--Des placements hypothécaires 46
-
- Raisons pour lesquelles se recommande ce genre de placements.
- --Conditions auxquelles ils sont sûrs et avantageux.--Des
- précautions à prendre et des dangers à éviter.--De la part qu'il
- convient de leur attribuer dans un patrimoine.
-
- Chapitre V.--Emprunts français et emprunts des États alliés de
- la France 59
-
- Danger des rentes perpétuelles.--Qu'il faut leur préférer les
- rentes amortissables.--Comparaison des deux 3 p. 100 français.--Le
- crédit de la France victorieuse.--Ombres et clartés.--Raisons pour
- lesquelles le capitaliste doit être porteur des rentes nouvelles.
- --Emprunts des villes et des colonies françaises.--Immense
- prospérité des États-Unis.--La décadence des consolidés anglais et
- les fonds britanniques.--Rente belge.--Rente italienne.--La
- catastrophe russe et nos milliards: incertitudes de l'avenir et
- richesses latentes de la Russie.--Fonds roumains, serbes, grecs et
- portugais.--Japon et Chine.
-
- Chapitre VI.--Emprunts des États qui ont été en guerre avec les
- alliés et des nouveaux États issus de la décomposition de
- l'Autriche-Hongrie 89
-
- Les fonds allemands.--Fonds autrichiens et hongrois.--Conséquences
- de la dissolution de la monarchie austro-hongroise.--La distribution
- de la Dette et les nouvelles nationalités.--Raisons de méfiance à
- l'égard des appels au crédit de la Pologne, de la Tchéco-Slovaquie
- et de la Yougo-Slavie.--Fonds bulgares. Fonds ottomans.--L'Europe
- centrale et orientale devra être évitée longtemps par les capitaux.
-
- Chapitre VII.--Emprunts des États neutres 95
-
- Les pays épargnés par la guerre se sont enrichis.--Leurs emprunts
- sont d'un moindre rapport que ceux des belligérants.--Est-ce le
- moment d'entrer dans ces valeurs?--Avantages qu'elles offrent encore
- temporairement.--Examen des six pays neutres d'Europe: Espagne,
- Suisse, Hollande, pays Scandinaves.--Le Mexique et l'Amérique du
- Sud.--Nécessité d'une soigneuse discrimination.
-
- Chapitre VIII.--Un élément des fortunes françaises en danger:
- les actions de chemins de fer 108
-
- Illusion du public quant à la prospérité des compagnies.--Elles sont
- écrasées par leurs charges financières, fiscales et sociales.--Elles
- n'ont pas la liberté de leurs tarifs et le terme des concessions
- approche.--L'actionnaire garde tous les risques et ne touche qu'une
- faible part des bénéfices, quand il y en a.--Le rachat est un
- soulagement et un bienfait: exemple de l'Ouest.--Cas des chemins de
- fer algériens.--Les rachats futurs seront-ils aussi avantageux?
-
- Chapitre IX.--Les actions des chemins de fer étrangers. 146
-
- La plus grande partie des bonnes lignes d'Europe constitue des
- exploitations directes d'État.--Les Compagnies qui existent encore
- sont dans une situation voisine de celle des chemins de fer
- français.--Un mot alarmant de M. Lloyd George.--Le cas de la
- Compagnie du Sud de l'Autriche: Comment un chemin de fer est conduit
- à la ruine.--Crise grave des chemins de fer américains avant la
- guerre européenne; pourquoi cette crise menace de se représenter et
- d'être durable.--Le krach des chemins de fer exotiques.--Conclusion:
- les actions des chemins de fer sont le type de la valeur mobilière
- qui meurt.
-
- Chapitre X.--Les obligations des chemins de fer français et
- étrangers 161
-
- Conditions auxquelles ces obligations peuvent attirer des placements
- sérieux.--Une garantie d'un grand État solvable est presque toujours
- nécessaire.--Exemple des obligations des grandes Compagnies
- françaises.--Avantages respectifs de ces diverses catégories
- d'obligations.--Des obligations de bonne apparence qui auront fait
- subir de lourdes pertes aux fortunes: les obligations lombardes.
- --Autre expérience pénible: les obligations des chemins de fer
- américains.--Éclaircissements sur la valeur de ces titres.--Quels
- sont ceux dont les porteurs ont eu à se féliciter?--Gages et
- remboursements des obligations américaines.--Il convient de se
- détourner des obligations de chemins de fer exotiques.--De quelques
- pièges dont le public n'est pas assez averti.
-
- Chapitre XI--Les valeurs industrielles 188
-
- Mot typique du baron de Rothschild.--Mal manger et bien dormir ou
- mal dormir et bien manger?--Petit nombre de bonnes valeurs
- industrielles.--Leur instabilité.--Nécessité de connaissances
- spéciales pour les acquérir et les surveiller.--Sept conseils
- pratiques essentiels.--Les booms et les krachs.--Des mines et
- spécialement des charbonnages français après la guerre.--Un mot
- sur le canal de Suez.--Généralités sur les actions de jouissance
- et les parts de fondateur.
-
- Chapitre XII.--Les obligations industrielles 205
-
- Ce genre déplacement peut être fort recommandable.--Il est de très
- bonnes obligations industrielles, mais toutes ne sont pas bonnes.
- --Comment les distinguer.--Nécessité de les diversifier et de ne
- pas se cantonner dans une seule branche d'industrie.--Les bons
- 6 p. 100 et les prochaines émissions de l'industrie française.--Des
- titres de premier ordre et peu connus: les obligations des services
- municipaux américains.--Leurs avantages et leurs garanties.--Comment
- les choisir et comment les acheter.
-
- Chapitre XIII.--Actions des banques et des sociétés de crédit 212
-
- Caractère dangereux de ces valeurs.--Absence de contrôle des
- actionnaires sur la marche des affaires sociales.--Différentes
- sortes de banques.--Les banques d'émission à privilège.--Les grands
- établissements de crédit: le système dont ils ont vécu paraît usé.
- --Les banques d'affaires.--Les Crédits fonciers et les sociétés
- immobilières: leurs actions et leurs obligations.
-
- Chapitre XIV.--La spéculation et la bourse. 219
-
- Danger de la spéculation à terme.--La partie est inégale et
- déloyale.--Ceux qui jouent à coup sûr contre ceux qui jouent à
- l'aveuglette.--La contre-partie.--La spéculation au comptant.--Dans
- quelle mesure on peut s'y livrer.--Les arbitrages.--Nécessité d'une
- étude attentive des mouvements de Bourse: c'est une science et un
- métier.--Conseils pour la vente et l'achat des valeurs et la gestion
- des patrimoines.--Dangers des engouements et des paniques.
-
- Chapitre XV.--Le capitaliste, les impôts et les lois 229
-
- Multiplication et aggravation des impôts.--La tentation d'y
- échapper.--Dangers de la fraude et de la dissimulation en ce qui
- concerne l'impôt sur le revenu et les droits de succession.
- --L'intérêt des patrimoines et des familles ne s'accorde pas
- toujours avec les dons de la main à la main et les partages
- secrets.--Quelques cas et quelques exemples.--Divers moyens employés
- pour se soustraire aux impôts.--Trésors et cachettes.--Dépôts
- de titres et de fonds à l'étranger: écueils à éviter.--Les échanges
- de renseignements entre les États.--Péril des doubles taxations.
- --Une précaution légitime: la provision dans une banque anglaise ou
- américaine.--Conclusion et moralité de ce chapitre.
-
- Chapitre XVI.--Tâches et besoins du temps présent 243
-
- Transformations et nécessités.--Le besoin de produire.--Les capitaux
- sont la réserve des producteurs.--Aux générations nouvelles.--Le
- «tempérament d'obligataire» et le «tempérament d'actionnaire».
- --Français et Allemands.--Perspectives d'avenir.--La France ne peut
- plus être un «pays de rentiers».
-
- Appendice.--Tableaux des droits de mutation par décès et des droits
- de donation entre vifs hors texte in fine
-
-
-
-
- ACHEVÉ D'IMPRIMER
- LE VINGT-QUATRE SEPTEMBRE MIL NEUF CENT DIX NEUF
- PAR
- PHILIPPE RENOUARD
- POUR LA
- NOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE
- 3, Place du Panthéon, 3
- PARIS
-
-
-*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK COMMENT PLACER SA FORTUNE ***
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-additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
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-posted with the permission of the copyright holder found at the
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-of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain
-Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the
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- the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
- you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
- to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has
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- Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
- within 60 days following each date on which you prepare (or are
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- payments should be clearly marked as such and sent to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
- Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg
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- you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
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- receipt of the work.
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- distribution of Project Gutenberg-tm works.
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-1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
-Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than
-are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
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-the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set
-forth in Section 3 below.
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-DAMAGE.
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-defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
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-opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
-the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
-without further opportunities to fix the problem.
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-in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO
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-LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
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-or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or
-additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any
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-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
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-goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
-www.gutenberg.org
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-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation
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-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
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-The Foundation's business office is located at 809 North 1500 West,
-Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
-to date contact information can be found at the Foundation's website
-and official page at www.gutenberg.org/contact
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-Literary Archive Foundation
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-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without
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-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
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-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
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-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works
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-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
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-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
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- The Project Gutenberg eBook of Comment placer sa fortune, by Jacques Bainville.
-</title>
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-<body>
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-<div style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of Comment placer sa fortune, by Jacques Bainville</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
-at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you
-are not located in the United States, you will have to check the laws of the
-country where you are located before using this eBook.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: Comment placer sa fortune</div>
-
-<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Jacques Bainville</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Release Date: February 19, 2021 [eBook #64598]</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Language: French</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Character set encoding: UTF-8</div>
-
-<div style='display:block; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Produced by: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries)</div>
-
-<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK COMMENT PLACER SA FORTUNE ***</div>
-<p class="c small">APRÈS LA GUERRE</p>
-
-<h1>COMMENT<br />
-<span class="large">PLACER SA FORTUNE</span></h1>
-
-<p class="c"><span class="small">PAR</span><br />
-<span class="large">JACQUES BAINVILLE</span></p>
-
-<p class="c small">L'INSTABILITÉ DES FORTUNES</p>
-
-<p class="box small">PRINCIPES SUR LESQUELS DOIT REPOSER UNE FORTUNE. &mdash; DES
-IMMEUBLES &mdash; DES PLACEMENTS HYPOTHÉCAIRES. &mdash; EMPRUNTS D'ÉTATS &mdash; LES
-CHEMINS DE FER FRANÇAIS ET ÉTRANGERS &mdash; LES VALEURS INDUSTRIELLES &mdash; BANQUES
-ET SOCIÉTÉS DE CRÉDIT &mdash; LA SPÉCULATION ET
-LA BOURSE &mdash; LE CAPITALISTE, LES IMPOTS ET LES LOIS</p>
-
-<p class="c gap"><span class="large">PARIS</span><br />
-NOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE<br />
-3, <span class="small">PLACE DU PANTHÉON</span>, 3</p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<p class="c top4em"><span class="small">IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE<br />
-SUR VERGÉ TEINTÉ DES PAPETERIES LAFUMA<br />
-FILIGRANÉ AU MONOGRAMME<br />
-DE<br />
-LA NOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE</span><br />
-50 <span class="small">EXEMPLAIRES NUMEROTÉS A LA PRESSE</span></p>
-
-
-<p class="c gap small"><span lang="en" xml:lang="en">Copyright 1919, by</span> Société française d'Édition et de Librairie,
-<span lang="en" xml:lang="en">proprietor of</span> Nouvelle Librairie Nationale.</p>
-
-<p class="c small">Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak i" id="ch0">AVANT-PROPOS</h2>
-
-
-<p class="i">Ce livre s'adresse à toutes les personnes qui, possédant
-une fortune petite ou grande, d'origine ancienne ou
-nouvelle, ont besoin de principes directeurs et de renseignements
-pratiques pour la placer et l'administrer.</p>
-
-<p class="i">En cette matière, ce ne sont pas les conseils qui
-manquent. Mais les conseils désintéressés sont rares.
-Chacun se méfie du détaillant qui vante un produit. On
-se demande : «&nbsp;Quel intérêt peut-il avoir à insister pour
-me vendre cette marque plutôt qu'une autre?&nbsp;» Les
-mêmes personnes qui doutent de leur épicier suivront
-aveuglément le banquier ou même le commis de banque
-qui les invitera à acheter une valeur. Pourtant, dans les
-deux cas, la méfiance doit être la même, et elle doit être
-d'autant plus vive qu'il s'agit de plus grosses sommes
-pour l'acquéreur et de plus grosses commissions pour le
-courtier.</p>
-
-<p class="i">Les pertes énormes subies par les capitalistes français
-dans ces dernières années ont en grande partie pour
-cause les erreurs, volontaires ou involontaires, des financiers
-ou des établissements de crédit qui s'étaient constitués
-les tuteurs du capital et de l'épargne. L'auteur de
-ce livre n'a aucune espèce d'attache financière. Il ne
-soutient aucun système. Il livre au public le résultat de
-ses études et de ses observations.</p>
-
-<p class="i">Sa seule ambition est de rendre service. Quant à son
-intérêt, il a consisté à écrire un ouvrage qui, étant
-utile à beaucoup de monde, pourra être lu avec profit
-par un public nombreux.</p>
-
-<p class="i">Les personnes auxquelles nous avons songé en écrivant
-ce livre sont légion en France, ou la fortune, aux
-degrés les plus divers, est si répandue. Il nous est
-apparu aussi que les meilleurs traités du même genre
-écrits avant la guerre ne s'appliquaient plus aux circonstances
-actuelles. Un guide nouveau était nécessaire
-pour tenir compte des bouleversements survenus depuis
-1914 et de ceux qui pourraient se produire encore.</p>
-
-<p class="i">A qui nous adressons-nous? Non seulement aux personnes
-qui vivent de leurs revenus, mais aussi à celles qui
-s'enrichissent par leur travail et leur économie et à qui
-leurs occupations ne permettent pas d'étudier à fond par
-elles-mêmes la meilleure manière de mettre leur épargne
-à l'abri, dans un temps où la sécurité des capitaux est
-si précaire.</p>
-
-<p class="i">Proudhon a écrit, il y a déjà de longues années, dans
-son <i>Manuel du spéculateur à la Bourse</i> :</p>
-
-<p class="i">«&nbsp;Le rentier, qui vit sur la foi de son inscription ;
-l'actionnaire qui compte sur son dividende ; le propriétaire
-foncier dont l'avoir est tout en terres et en maisons ;
-le commerçant dont la sécurité repose sur
-l'éventualité des bénéfices ; le père de famille, qui
-cherche pour l'établissement de ses fils, pour la dot
-de ses filles le placement le plus solide et le plus productif ;
-tous ceux dont la fortune est engagée soit
-dans les fonds publics, soit dans les entreprises industrielles,
-soit dans des propriétés rurales et urbaines,
-et qui trop souvent oublient que cette fortune
-change incessamment, tant en capital qu'en intérêts,
-par les mouvements quotidiens de la Bourse ; tout ce
-monde, étranger pour la plupart à la spéculation, a
-besoin cependant d'en connaître à peu près les objets,
-d'en observer les oscillations et d'en prévoir les résultats.&nbsp;»</p>
-
-<hr />
-
-
-<p class="i">Ce besoin est plus grand aujourd'hui que jamais. La
-prudence, la science et la réflexion, nécessaires en tout
-temps à la conservation de la richesse, sont indispensables
-dans les périodes agitées. Le rentier, l'actionnaire,
-le propriétaire foncier, le commerçant, le père de
-famille : voilà les personnes dont nous souhaitons être
-lu. C'est à elles, c'est à nos classes moyennes, indignement
-rançonnées par des financiers sans patriotisme et
-sans scrupules, que cet ouvrage est dédié.</p>
-
-<p class="sign i">J. B.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p class="c">APRÈS LA GUERRE</p>
-
-<p class="c xlarge">COMMENT PLACER SA FORTUNE</p>
-
-
-
-
-<h2 class="nobreak" id="ch1" title="I. Instabilité des fortunes">CHAPITRE PREMIER</h2>
-
-<p class="c small">UNE PÉRIODE D'INSTABILITÉ ET D'INSÉCURITÉ
-POUR LES FORTUNES</p>
-
-<p class="d">L'instabilité des fortunes est un phénomène de tous les temps. &mdash; La
-guerre a considérablement aggravé ce phénomène. &mdash; Longue
-période de sécurité et d'enrichissement de 1815 à 1914 &mdash; Le
-danger d'autrefois était la baisse de l'intérêt et les conversions. &mdash; Fausses
-croyances nourries à cet égard : l'argent ne
-devait plus rien rapporter. &mdash; L'intérêt s'est relevé, mais des
-capitaux ont été détruits. &mdash; Ébranlement de toutes les fortunes. &mdash; Autres
-menaces qui pèsent sur elles. &mdash; Probabilité de
-grandes crises financières, sinon de catastrophes. &mdash; De nouvelles
-méthodes de gestion des patrimoines sont nécessaires. &mdash; En
-quoi l'esprit et les habitudes des capitalistes doivent changer.</p>
-
-
-<p>Nos pères, qui en savaient bien autant que
-nous, avaient coutume de dire qu'une fortune est
-plus difficile à conserver qu'à acquérir. Ils disaient
-aussi qu'une fortune ne passe pas trois générations.
-C'est ce qu'exprimait le proverbe de la vieille
-France : «&nbsp;Cent ans bannière, cent ans civière&nbsp;»,
-c'est-à-dire cent ans de prospérité et cent ans de
-pauvreté. Une famille réussit rarement, en effet,
-à garder son rang pendant plus d'un siècle. De
-tout temps, les patrimoines qui n'ont pas été
-entretenus et renouvelés ont disparu. Même sans
-catastrophe brutale et sans dilapidation, les capitaux
-s'usent lentement et s'évaporent par l'effet des
-années.</p>
-
-<p>De 1815 à 1914, les fortunes ont joui d'une
-sécurité et d'une stabilité remarquables. En
-France, les classes moyennes, plus douées de
-l'esprit d'économie que de l'esprit d'entreprise,
-étaient portées naturellement par le flot montant
-de la richesse publique. Nos révolutions du
-<small>XIX</small><sup>e</sup> siècle, purement politiques, avaient laissé la
-propriété intacte. Les blessures financières de la
-guerre de 1870 avaient été rapidement pansées.
-Sans autre effort que celui de l'épargne, la bourgeoisie
-française, dont les rangs grossissaient
-tous les jours, était en progrès constant. Les cas
-de régression tenaient presque toujours à des
-fautes individuelles et non à des causes générales.</p>
-
-<p>Pendant les dernières années du <small>XIX</small><sup>e</sup> siècle et
-les premières du <small>XX</small><sup>e</sup>, les rentiers avaient pourtant
-une inquiétude. Par l'effet de l'accumulation et de
-l'abondance des capitaux, l'intérêt de l'argent ne
-cessait de décroître et les conversions successives
-de la rente sanctionnaient cette baisse. De 5 p. 100,
-qui était autrefois le taux ordinaire, l'intérêt
-était tombé à 4, puis à 3 et plus bas encore. Le
-taux de 2&nbsp;½ était couramment accepté. L'esprit
-humain étant enclin à croire que tout mouvement
-une fois commencé doit se poursuivre indéfiniment,
-on prévoyait que bientôt l'argent ne pourrait
-plus s'employer qu'à 2 p. 100, sinon à moins.
-Ainsi le rentier voyait son revenu condamné à
-une chute lente et tendant vers zéro. Nous avons
-connu un financier aussi célèbre qu'opulent, qui
-était en même temps un économiste, et qui, presque
-quotidiennement, à la table de famille, enseignait
-à ses enfants qu'ils ne devaient pas se fier à son
-héritage, qu'un jour viendrait où il faudrait une
-fortune si fantastique pour vivre de ses seules
-rentes que les riches eux-mêmes seraient contraints
-de travailler.</p>
-
-<p>Les événements ont pris une autre tournure.
-On s'alarmait pour le revenu, en se croyant sûr
-du capital. Ç'aurait dû être le contraire. S'il est vrai
-qu'aujourd'hui bien peu de personnes peuvent se
-dispenser de travailler, ce n'est pas parce que
-l'argent ne rapporte plus rien : l'État lui-même
-emprunte à 5,70 p. 100 et les placements à
-6 p. 100 sont devenus communs. Mais, à la sécurité
-d'autrefois, qui avait engendré la diminution
-de l'intérêt, a succédé une insécurité profonde. Il
-n'y a plus pléthore mais destruction de capitaux.
-La guerre européenne en a consommé et anéanti
-une quantité prodigieuse. Les États se sont
-endettés par centaines de milliards. Les grandes
-entreprises d'intérêt public, telles que les Compagnies
-de chemins de fer, ont elles-mêmes subi des
-pertes immenses. Il y a eu des ruines de toute
-sorte, une diminution formidable de la richesse
-universelle. Sans doute on a vu des fortunes se
-faire. De grandes quantités de billets de banque,
-de titres des rentes nouvelles circulent de main en
-main. Ce n'est pas un enrichissement véritable.
-Le papier émis ne tient pas lieu des choses consommées
-et détruites, de celles que la diminution
-du travail a empêché de produire. C'est ainsi que,
-chez les belligérants les plus gravement atteints,
-le papier-monnaie a pris un développement inouï,
-alarmant, qui a eu pour première conséquence
-d'entraîner l'avilissement de sa faculté d'achat et
-la hausse de tous les prix. C'est au milieu d'une
-immense révolution économique que nous vivons.
-Et une révolution économique entraîne fatalement
-une révolution sociale, à forme silencieuse ou
-explosive : peu importe. L'effet est le même pour
-les individus.</p>
-
-<p>La richesse, pendant la guerre et depuis, s'est
-déplacée. Elle a changé de mains. Il y a de «&nbsp;nouveaux
-riches&nbsp;» et de «&nbsp;nouveaux pauvres&nbsp;». Bien
-rares sont les patrimoines anciennement constitués
-qui ont pu se maintenir tels qu'ils étaient.
-L'avilissement de l'argent, la chute profonde des
-valeurs mobilières, dont quelques-unes ne se
-relèveront sans doute jamais, ont retenti sur
-toutes les fortunes, des plus grandes aux plus
-petites. Une portion considérable des portefeuilles,
-composée de valeurs russes, autrichiennes,
-hongroises, turques, etc&hellip; est gravement
-compromise. On n'oserait jurer que cette
-liste nécrologique ne s'allongera pas.</p>
-
-<p>D'autre part, la grande secousse de la guerre a
-eu pour effet de précipiter une évolution déjà
-commencée. Le régime capitaliste s'était développé
-au <small>XIX</small><sup>e</sup> siècle avec les progrès rapides de l'industrie
-et sous la protection des lois qui étaient
-alors en vigueur. D'une part, le droit de propriété
-individuelle était sacré, intangible et regardé
-comme faisant partie des Droits de l'homme.
-Garanti par l'État, la société et le Code, il donnait,
-à quiconque possédait, une sécurité inconnue
-à toutes les autres époques. D'autre part, la conception
-individualiste de la Révolution française,
-contraire à tout ce qui était corporations ou syndicats,
-paralysait les revendications ouvrières.</p>
-
-<p>Peu à peu, ces conditions ont changé. Et puis,
-avec le temps, beaucoup d'éléments des fortunes
-françaises ont vieilli. On a oublié les services rendus
-par le capital lorsqu'il s'était agi de mettre les
-mines en valeur et de construire les voies ferrées.
-Il paraît moins naturel qu'autrefois que le fait de
-posséder une action de chemins de fer ou de
-charbonnage donne le droit de toucher des dividendes
-copieux à une personne qui ne connaît
-les locomotives que pour avoir voyagé et le charbon
-que pour se chauffer au coin de son poêle.
-L'expérience ayant prouvé que le travail lui-même
-avait besoin du capital, celui-ci n'est pas
-déchu de son droit à l'intérêt, mais sa part est restreinte
-et, si restreinte soit-elle, encore contestée.</p>
-
-<p>Il résulte de ces divers phénomènes que les
-patrimoines français sont largement entamés,
-gravement ébranlés et exposés à des diminutions
-nouvelles par le fait des circonstances. La situation
-financière de notre pays elle-même, après les formidables
-dépenses de la guerre, n'est pas sans
-inspirer des inquiétudes. Sa dette colossale, ajoutée
-à un passif déjà lourd, oblige à se demander si
-la France pourra toujours faire face à ses engagements.
-Ainsi, d'une part, les revenus sont réduits
-par les pertes éprouvées ou menacent de l'être par
-des pertes nouvelles. De l'autre, les impôts s'aggravent,
-se multiplient, et la vie est devenue plus
-coûteuse. Jamais l'administration d'une fortune
-n'a été plus difficile.</p>
-
-<p>Il est donc bien certain que les idées qui avaient
-cours avant la guerre doivent être révisées. Un
-capitaliste qui s'entêterait à suivre les pratiques
-recommandables autrefois irait directement à la
-ruine. A temps nouveaux, besoins nouveaux.</p>
-
-<p>Assurément, la propriété sera éternelle. Depuis
-que les hommes vivent en société, elle a survécu
-à tous les bouleversements et elle survivra encore
-à celui-ci. Le capital lui-même se reconstituera
-toujours. La difficulté, dans une période de transition,
-consiste à sauver le capital existant et à le
-garder entre ses mains.</p>
-
-<p>Nous assistons en ce moment à une lutte de la
-société capitaliste, telle qu'elle s'était constituée au
-<small>XIX</small><sup>e</sup> siècle, pour durer et s'adapter à travers les
-transformations du <small>XX</small><sup>e</sup> siècle. Cette adaptation ne
-se fera pas sans peine et il est probable qu'il y
-aura, chemin faisant, bien des victimes.</p>
-
-<p>Existe-t-il une recette infaillible pour abriter les
-capitaux et les soustraire aux conséquences des
-métamorphoses économiques et sociales? Nous ne
-le croyons pas. Nous nous proposons seulement de
-donner dans ce livre des indications pratiques et
-utiles, de mettre en garde contre des écueils, de
-dissiper de dangereuses illusions, d'exposer des
-principes fondés sur l'observation et sur l'expérience
-et dont l'application permettra aux capitalistes
-et aux rentiers d'échapper au moins à une
-partie des risques auxquels ils sont exposés pour
-longtemps. Selon toutes les apparences, les agitations
-ne sont pas près de prendre fin en Europe.
-L'ordre nouveau établi par la paix n'est pas lui-même
-très sûr. Le fût-il, que la liquidation serait
-encore pénible et douloureuse. Sans doute, personne
-ne peut se vanter de tout prévoir. Mais celui
-qui ne prévoit rien et qui s'en remet au hasard,
-comme celui qui ne veut rien changer à ses habitudes,
-est le jouet des événements.</p>
-
-<p>Nous sommes convaincu que les classes
-moyennes, durement éprouvées par les conséquences
-de la guerre, résisteront à la tourmente.
-Formées par le travail et l'économie, elles savent
-que là sont les seules sources de la richesse. Si
-elles ont été frappées, ce n'est pas leur esprit de
-cupidité ou leur goût du risque qui en est cause.
-Leur prudence et leur modération sont proverbiales.
-Elles ont toujours eu pour principe de
-rechercher moins de gros intérêts ou des bénéfices
-que la sécurité du capital, ou ce qu'on croyait
-être autrefois la sécurité. Si elles ont péché, c'est
-par excès de confiance. Le nom illustre de Ferdinand
-de Lesseps avait suffi jadis à engager dans
-le Panama les plus timides, alors que le canal de
-Suez, dans sa nouveauté, avait effrayé le public.
-Pour les fonds russes, l'appel de l'État français,
-la propagande des établissements de crédit, le
-prestige d'un Empire immense et dont les faiblesses
-étaient inconnues : voilà ce qui a séduit les
-souscripteurs bien plus que l'attrait d'un intérêt
-élevé. C'est par la même confiance, le même respect
-des institutions anciennes et célèbres, que la
-bourgeoisie française s'est attardée aux actions de
-nos compagnies de chemins de fer, alors que ces
-titres ne promettaient plus que des déboires à
-leurs porteurs.</p>
-
-<p>On a dit bien des fois que l'éducation financière
-du public français était à faire. Ce sont
-malheureusement des aigrefins, souvent patentés,
-qui s'en chargent et qui exploitent la crédulité et
-l'esprit de routine. Les capitalistes, pour se
-défendre, vont avoir, encore plus qu'hier, besoin
-d'esprit critique. Plus qu'hier ils devront être
-renseignés, ils devront être prudents, mais prudents
-à bon escient, et non pas sur la foi de charlatans
-ou d'intermédiaires malhonnêtes par profession.
-Ils devront se garder aussi d'une aveugle
-fidélité à des traditions périmées.</p>
-
-<p>L'illusion de la Bourse est une de celles qui
-auront été le plus funestes. Combien de personnes
-s'imaginaient que les prix inscrits dans
-les colonnes de la cote correspondaient à des
-valeurs réelles et durables! Il a fallu la tourmente
-de la guerre pour montrer la fragilité de
-ce château de cartes. A l'avenir, les capitalistes
-devront savoir qu'une fortune constituée tout
-entière en papier et qui dépend d'une estimation
-éphémère, qui est soumise à tous les hasards des
-événements intérieurs et extérieurs, ne repose
-pas sur des bases solides. De nouvelles méthodes
-de placement et de gestion se recommandent
-aujourd'hui d'une façon impérieuse et le capitaliste
-doit se faire, à tous les égards, un nouvel
-esprit.</p>
-
-<p>Pendant des années qui pourront être longues,
-il devra d'abord avoir toujours présente à la
-pensée l'idée que des catastrophes financières ou,
-tout au moins, des crises graves sont possibles.
-Dans l'hypothèse la plus favorable, il est exagéré
-de croire que la France, par exemple, se relèvera
-aussi promptement et en suivant une marche
-aussi régulièrement progressive qu'après 1871.
-Personne n'a encore pu calculer exactement les
-répercussions de la guerre. Personne ne sait au
-juste comment (pour ne parler toujours que de la
-France), trente-cinq milliards de billets de banque,
-en face de cinq milliards d'or seulement, plus
-quelques dizaines de milliards de Bons de la
-Défense Nationale qui, eux mêmes, ne sont qu'une
-autre forme des billets de banque, pourront être
-retirés de la circulation pour que celle-ci revienne
-à un niveau normal, sans compter que, pour la
-première fois, la France a une grosse dette extérieure.
-En tout cas, la guérison sera longue. Elle
-ne se fera pas sans rechutes contre lesquelles les
-personnes prudentes doivent, dès maintenant, se
-prémunir.</p>
-
-<p>Mais l'esprit du capitaliste devra changer à un
-autre égard. Il devra s'élargir aux proportions des
-nécessités de notre époque. Les impôts seront
-multiples et lourds : il faudra s'y résigner et se
-dire que, s'il est désagréable de payer l'impôt sur
-le revenu, il serait encore pire de n'avoir plus de
-revenus du tout, ce qui fût arrivé si nous avions
-été vaincus. Il faudra encore compter avec de
-nouveaux rapports entre le capital et le travail. Il
-y a des revendications ouvrières dont l'exagération
-est absurde et qui, si elles étaient écoutées, aboutiraient
-à tuer la poule aux &oelig;ufs d'or, comme le
-bolchevisme l'a fait en Russie. La résistance à ces
-folies est un devoir. Mais il n'est de l'intérêt de
-personne qu'il y ait des ploutocrates d'une part
-et, de l'autre, des prolétaires sans attaches avec
-l'industrie qui a besoin de leurs bras. Il s'agit
-seulement, pour les possédants, de compter avec
-les évolutions inévitables, de les comprendre et
-de ne pas se laisser surprendre par elles.</p>
-
-<p>Nous avons déjà cité tout à l'heure un proverbe
-de la vieille France. Un autre, familier à l'ancienne
-noblesse, disait : «&nbsp;Nous venons tous de la charrue.&nbsp;»
-Que chaque capitaliste songe à ses origines
-ou à celles de sa famille. Il sentira combien le
-plus riche est près de ceux qui ne possèdent
-rien. Ce n'est pas notre rôle de moraliser sur les
-devoirs de la richesse. Mais il n'est pas mauvais,
-même pour gérer et conserver sa fortune, de
-savoir qu'elle a des collaborateurs obscurs, peu
-favorisés, dans les rangs desquels on aurait pu
-naître et où retourneront peut-être les descendants
-de ceux qui possèdent aujourd'hui, comme tant
-de familles, riches autrefois, ont elles-mêmes
-déchu.</p>
-
-<p>C'est un métier, somme toute, d'être capitaliste.
-Et ce métier exige des qualités, lui aussi. Une
-fortune ne se garde que par les moyens qui l'ont
-formée : le travail et l'économie. Il y faut encore
-de la prévoyance, de la réflexion, de l'étude. Les
-chapitres qui suivent constituent un guide méthodique
-pour la conservation des patrimoines, qui
-sont une des forces de la nation. Le devoir de
-quiconque a créé ou reçu le sien est de le transmettre
-intact et même accru à ses successeurs. Les
-anciens avaient coutume de dire que ce n'est pas
-une honte d'être pauvre mais qu'il est honteux de
-ne pas aspirer à sortir de la pauvreté. Il est encore
-plus honteux, et sans profit pour la collectivité,
-de se laisser appauvrir par ignorance, insouciance
-ou paresse d'esprit.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch2" title="II. Principes de tout prêt d'argent">CHAPITRE II</h2>
-
-<p class="c small">LE PRINCIPE DE LA DIVISION GÉOGRAPHIQUE
-DES PLACEMENTS, QUI S'EST MONTRÉ INSUFFISANT,
-DOIT ÊTRE COMPLÉTÉ PAR UN AUTRE PRINCIPE</p>
-
-<p class="d">La division des risques est une précaution élémentaire. &mdash; L'écueil
-c'est qu'elle tourne parfois à la multiplication des risques. &mdash; Exemples
-malheureux de dissémination des capitaux. &mdash; Nécessité
-de précautions supplémentaires. &mdash; Valeurs solides et réelles sur
-lesquelles doit reposer une fortune. &mdash; Les biens-fonds réhabilités. &mdash; Gages
-à exiger des valeurs mobilières. &mdash; Le remboursement
-prochain du capital est la clause essentielle de tout prêt d'argent. &mdash; Application
-de ce principe aux placements mobiliers
-et avantages qu'il comporte. &mdash; Règles pratiques à en tirer.</p>
-
-
-<p>On a toujours su qu'il n'était pas bon de
-mettre tous ses &oelig;ufs dans le même panier. Mais
-le principe de la division des risques a pu être
-appliqué avec une facilité inconnue au temps
-jadis dès que la diffusion des valeurs mobilières
-eut permis de placer de l'argent dans les quatre
-parties du monde, par un simple ordre d'achat
-donné à la Bourse. Diversifiez, internationalisez
-vos placements : tel est le conseil qui a été prodigué
-avant la guerre, et, en lui-même, il était
-bon.</p>
-
-<p>Seulement, il ne fallait pas courir au-devant des
-risques sous prétexte de les diviser. Un rentier
-qui aurait eu en portefeuille, il y a une douzaine
-d'années, des valeurs russes, austro-hongroises et
-mexicaines, se serait cru garanti par cette variété
-contre les accidents qui pouvaient l'atteindre
-d'autre part. En réalité, il fût allé lui-même chercher
-sa perte. Au temps où le Mexique était bien
-gouverné, où les Empires de Russie et d'Autriche
-se présentaient comme des édifices solides, des
-économistes expérimentés n'hésitaient pas à
-recommander comme sûres et avantageuses les
-valeurs de ces pays. On voit pourtant ce qu'il en
-est advenu.</p>
-
-<p>Avant la guerre, un autre attrait de la diversité
-des placements, aux yeux des rentiers, c'était
-aussi, et peut-être surtout qu'on y voyait un
-moyen de relever le rendement d'un portefeuille,
-l'intérêt de l'argent étant, d'une façon courante,
-moins élevé en France que dans beaucoup de pays
-étrangers. Cette considération a perdu aujourd'hui
-sa raison d'être.</p>
-
-<p>En outre, on s'imaginait volontiers que l'expatriation
-des capitaux était une garantie contre les
-mesures fiscales de caractère socialiste, et notamment
-contre l'impôt sur le revenu, qui était, à ce
-moment-là, un grand épouvantail et dont le mécanisme
-était d'ailleurs mal compris. On ne se représentait
-pas qu'on s'exposait tout simplement,
-dans la plupart des cas, à subir les impôts du
-pays de refuge, plus les impôts français. Car les
-gouvernements et les administrations de tous les
-pays ont tendance à se copier, et cette tendance
-est encore plus forte quand les besoins sont à peu
-près les mêmes partout. Si le fisc a la main
-lourde en France, il n'est pas plus indulgent en
-maints autres endroits. Et le socialisme d'État,
-après avoir semé la terreur lorsqu'il est apparu
-chez nous, semble modéré et conservateur quand
-on compare ses mesures fiscales à celles des nouvelles
-Républiques socialistes qui sont nées de la
-défaite des Empires centraux, sans parler des Républiques
-de Soviets et de la dictature du prolétariat.</p>
-
-<p>Avec le socialisme, le nationalisme est l'autre
-tendance des États modernes. Ces deux tendances
-se conjuguent souvent. Pas plus que les individus,
-les peuples n'aiment leurs créanciers. Les pays
-qui ont une grosse dette extérieure, qui sont les
-débiteurs de l'étranger, sont très portés à renier
-leurs engagements. Ce sentiment xénophobe
-explique pour une bonne part ce qui s'est passé
-en Russie depuis la révolution. D'autres pays,
-qui ont été heureux de trouver des capitaux étrangers
-pour les mettre en valeur, ne songent plus
-qu'à exproprier les sociétés concessionnaires une
-fois que les entreprises sont entrées dans la période
-des bénéfices. Dans l'ère de nationalisme
-intense où le monde est entré, les peuples les
-plus primitifs ou, comme le peuple chinois, les
-plus endormis, prennent conscience d'eux-mêmes,
-selon l'expression consacrée, et le font souvent
-sentir à leurs bailleurs de fonds.</p>
-
-<p>Il ne suffisait pas naguère, il ne suffira pas
-encore demain d'envoyer sa fortune au delà de la
-frontière pour la mettre en sûreté. Il faut encore
-connaître le fort et le faible des nations auxquelles
-on la confie. Il faut être renseigné sur leur situation
-politique, leurs finances, leur législation. Et
-puis, s'il est difficile, quand il s'agit d'autre chose
-que de fonds d'État, de distinguer les bonnes
-valeurs des mauvaises dans son propre pays, la
-difficulté est encore plus grande quand il s'agit
-d'entreprises situées dans des pays avec lesquels
-on n'est pas familier et qu'on ne connaît que par
-ouï-dire.</p>
-
-<p>A l'épreuve de la guerre et des bouleversements
-qu'elle a produits, il est apparu que la division des
-placements et leur distribution géographique ne
-rendaient pas tous les services qui en étaient
-attendus. Les personnes qui, par ce procédé, ont
-réussi à sortir de la crise avec leur fortune intacte
-doivent reconnaître qu'il y a dans leur cas plus
-de chance que de science. Au fond, un homme
-d'affaires vraiment génial, qui eût compris dès
-1911, au moment du coup d'Agadir, ou dès 1912
-et 1913, à la lumière des conflits balkaniques,
-que l'Europe allait enfin à la guerre générale si
-souvent annoncée, eût tout simplement réalisé
-son portefeuille. Alors, se trouvant à la tête d'un
-capital liquide, au moment où les valeurs du
-monde entier s'effondraient, cet homme audacieux
-et pénétrant eût réalisé des bénéfices considérables.</p>
-
-<p>En effet, sauf un très petit nombre de pays
-neutres qui ont été favorisés par les événements,
-sauf quelques valeurs dites «&nbsp;de guerre&nbsp;» qui,
-grâce à la longue durée des hostilités, ont travaillé
-pour l'armement avec de très gros profits,
-on a vu la généralité des meilleures valeurs
-descendre à des cours inconnus. Tel a été le cas,
-notamment, des valeurs à revenu fixe comme les
-obligations des chemins de fer américains de premier
-ordre, qui ont automatiquement baissé jusqu'à
-ce qu'elles fussent arrivées à se mettre au
-niveau demandé par le relèvement général du
-loyer de l'argent. Des titres rapportant 3&nbsp;½ ou
-4 p. 100, se tenaient au pair, lorsque l'intérêt
-courant était à ce taux. Ils sont tombés à 70,
-lorsque les emprunts à 5 et 5&nbsp;½ p. 100 et
-même davantage se sont multipliés.</p>
-
-<p>Puisqu'il est extrêmement probable que nous
-ne sommes pas au bout de la série des grandes
-crises financières, <i>la préoccupation essentielle doit
-donc encore maintenant s'adresser au capital plus
-qu'au revenu</i>. Le revenu se trouvera toujours.
-Sauvegarder d'abord le capital, c'est la tâche première
-et la plus difficile.</p>
-
-<p>La division géographique des placements peut
-y aider, mais elle ne suffit pas. Des temps sont
-venus où l'édifice du crédit est fragile. Les garanties
-d'une créance doivent être examinées avec
-plus de soin qu'au moment où la solvabilité générale
-créait un état d'équilibre et de confiance. Les
-valeurs mobilières ressemblent étroitement, à cet
-égard, aux billets de banque. En période de prospérité,
-personne ne regarde de très près à leurs
-garanties réelles parce que l'on sait que le papier
-trouve à s'échanger sans peine. Les cours de
-Bourse ont beau n'être qu'une estimation, ils
-offrent des promesses de stabilité et même de
-plus-value. La force de l'ensemble maintient les
-parties en équilibre. Mais, en temps de crise, et
-quand le crédit est ébranlé, la réalité reprend ses
-droits. Toutes les valeurs fictives se déprécient.
-Celles qui ne reposent pas sur quelque chose de
-solide tombent à zéro. C'est cette solidité qui doit
-être requise et recherchée avant tout.</p>
-
-<p>Il résulte de là que l'assurance contre les risques
-ne doit plus seulement consister à disséminer
-une fortune sur les divers points du globe,
-mais surtout à en éliminer autant que possible les
-éléments fictifs. A cet effet, il importe de modifier
-les méthodes de placement naguère en honneur
-et de revenir aux principes de méfiance et de
-sécurité qui dirigeaient les capitalistes d'autrefois.</p>
-
-<p>La terre, les maisons, les prêts couverts par
-une hypothèque large et précise : voilà les premières
-valeurs réelles sans lesquelles une fortune
-est construite sur des sables mouvants. Aujourd'hui
-le porteur de maintes valeurs mobilières
-peut regarder avec envie le propriétaire d'immeubles,
-qui a, sans doute, ses tracas, mais qui peut
-voir et toucher son bien, alors que, d'un jour à
-l'autre, rentes d'État, actions, obligations sont
-exposées à devenir une insaisissable fumée. Pendant
-la Révolution, les possesseurs d'assignats
-ont été ruinés. Les acheteurs de biens nationaux
-se sont enrichis. Les anciens propriétaires maintenus
-en possession n'ont rien perdu. Il y a là une
-leçon.</p>
-
-<p>La guerre a réhabilité les immeubles comme
-elle a réhabilité l'agriculture, mère de toute
-richesse. On a acheté à de hauts prix les terres
-et les maisons. Pour les valeurs mobilières elles-mêmes,
-les bailleurs de fonds se sont montrés
-plus exigeants quant aux gages. Cela est si vrai
-que les sociétés qui s'adressent au crédit public
-offrent de plus en plus aux obligataires des garanties
-hypothécaires sur leurs constructions et leurs
-installations industrielles.</p>
-
-<p>Sans doute, des placements en bonnes valeurs
-françaises ou étrangères se recommandent aux
-propriétaires fonciers, même dans un pays où la
-propriété semble aussi bien garantie par l'état
-social qu'elle l'est en France. Il est utile et même
-indispensable, pour le propriétaire d'immeubles,
-de posséder un capital liquide ou d'une réalisation
-facile, pour les raisons que nous exposons au
-chapitre suivant. Mais c'est à la condition que
-les valeurs choisies soient elles-mêmes sérieusement
-gagées. Et l'examen de ces gages, surtout
-quand il s'agit de valeurs étrangères, ne se fait
-pas toujours aisément à distance et dans des pays
-dont l'organisation financière et les lois sont souvent
-très différentes des nôtres.</p>
-
-<p>L'insécurité universelle demande encore une
-autre précaution : c'est que les capitaux, autant
-que possible, ne soient prêtés qu'à la condition
-d'être rendus dans un délai suffisamment rapproché.
-Prenons le prêt d'argent type qui est le
-prêt hypothécaire. Non seulement un gage immobilier
-lui est affecté, mais encore le débiteur
-s'oblige à rembourser le capital à date fixe. La
-simple créance chirographaire, autrement dit le
-«&nbsp;billet&nbsp;», ne jouit pas de gages particuliers, mais sa
-clause principale, c'est celle qui fixe l'échéance
-du remboursement. Une reconnaissance de dette
-souscrite par un particulier constitue déjà un titre
-bien fragile. Si le «&nbsp;billet&nbsp;» ne stipule pas un
-remboursement rapide, c'est un titre encore plus
-incertain. Un emprunt à long terme, et à plus
-forte raison un emprunt perpétuel, quelle que soit
-la qualité du débiteur, État ou société industrielle,
-ne vaut pas mieux.</p>
-
-<p>Qu'avons-nous vu pendant la guerre et depuis?
-C'est que, à valeur égale, à rendement égal, les
-titres à remboursement éloigné tombaient, tandis
-que les titres à remboursement prochain se maintenaient
-au pair ou aux environs du pair. Prenons
-un exemple. On négociait à la Bourse de New-York,
-il y a quelques années, deux obligations de
-chemins de fer du même type, de la même valeur
-nominale, pareillement recommandables et
-d'un revenu identique, la <i>Pennsylvania 3&nbsp;½</i> et
-la <i>New York Central 3&nbsp;½</i>. En 1906 ces deux
-titres se tenaient au pair, à quelques points près.
-Mais le premier était remboursable en 1915 et le
-second en 1919 seulement. Peu à peu, les circonstances
-générales devenant moins favorables,
-des crises s'étant produites aux États-Unis, la
-<i>New York Central</i> baissa, tandis que la <i>Pennsylvania</i>,
-soutenue par la proximité du remboursement,
-bougeait à peine. En 1915, alors que cette
-obligation était remboursée intégralement à
-1000 dollars, l'autre n'en valait plus que 800, à
-la Bourse de New-York. Elle n'en valait plus que
-700 en 1919. Cet exemple est remarquablement
-instructif. On pourrait y ajouter que la même
-Compagnie Pennsylvania avait introduit à la
-Bourse de Paris des obligations 3&nbsp;¾ p. 100 remboursables
-en 1921. Dès l'année 1919, ces obligations
-sont au pair de 500 francs.</p>
-
-<p>De même il est de notoriété publique que le
-cours des obligations des chemins de fer français
-est soutenu par l'amortissement régulier de ses
-titres, qui se fait par voie de tirage au sort annuel.
-C'est ce qui explique que ces obligations se capitalisent
-plus haut même que les rentes sur l'État.
-Si quelque circonstance voulait que l'amortissement,
-jusqu'ici régulier, fût suspendu, différé ou
-seulement ralenti, il est certain que ces titres baisseraient
-aussitôt dans des proportions considérables.
-Il est également facile de remarquer que le 3 p. 100
-amortissable et remboursable selon les mêmes
-règles que les obligations de chemins de fer se
-tient aujourd'hui à dix ou onze points au-dessus
-du 3 p. 100 perpétuel ; toujours pour la même raison
-qui est la perspective de récupérer en espèces
-le capital prêté.</p>
-
-<p>Ainsi, pour protéger ses capitaux, <i>il ne suffit
-pas de les distribuer géographiquement dans l'espace,
-il faut encore les distribuer dans le temps</i>. Une
-fortune dans laquelle entrent des sommes remboursables
-à des dates diverses et successives
-échappe ainsi pour une partie importante aux
-fluctuations de la Bourse. En outre, elle se rafraîchit
-et se rajeunit incessamment. Enfin, des remboursements
-survenant à l'heure d'une dépression et
-d'une crise sont une aubaine qu'un homme avisé
-met à profit pour des placements fructueux.</p>
-
-<p>A plus forte raison, le commerçant et l'industriel
-qui ne veulent pas laisser leur argent improductif
-mais qui pourront en avoir besoin un jour
-pour agrandir leurs affaires, ont intérêt, de même
-que le père de famille qui prévoit l'époque où il
-devra doter sa fille, à stabiliser de cette manière une
-notable partie de leurs capitaux. C'est le meilleur
-moyen de s'assurer contre les risques de la Bourse.
-Sans doute, il n'est pas interdit d'attendre un
-accroissement de son capital par un placement à
-long terme. Si tout se passe normalement et
-heureusement, comme on peut l'espérer, les cours
-des valeurs s'élèveront à mesure que la guerre
-s'éloignera. En particulier, les souscripteurs et
-les acheteurs des nouvelles rentes françaises seront
-récompensés d'avoir eu confiance dans leur pays.
-Il n'en est pas moins sage, nécessaire et d'une
-bonne administration de se garantir contre le
-risque des bourrasques financières et contre les
-destructions inévitables que le temps entraîne avec
-lui.</p>
-
-<p>Pour conclure, il est salutaire de ne pas perdre
-de vue ces trois principes : 1<sup>o</sup> que les immeubles
-sont l'élément permanent de la richesse ; 2<sup>o</sup> que
-des garanties réelles doivent être attachées dans la
-plupart des cas aux valeurs mobilières pour que
-celles-ci soient autre chose que des «&nbsp;billets&nbsp;» ou
-des papiers d'une valeur variable et contestable ;
-3<sup>o</sup> que le capitaliste ne doit prêter au moins une
-partie de ses capitaux que pour un temps limité,
-avec des dates de remboursement échelonnées, de
-façon à s'assurer des rentrées d'argent périodiques
-et à ne jamais être pris de court par les
-événements.</p>
-
-<p>Ces principes de légitime défense et de prudence
-réfléchie auraient rendu de grands services
-aux capitalistes qui s'en seraient inspirés avant la
-guerre. Ils seront encore bienfaisants au cours
-des années à venir. Nous allons en suivre l'application
-dans l'examen des divers éléments qui
-constituent la généralité des fortunes en France
-ou qu'il peut être utile d'y faire entrer.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch3" title="III. Des immeubles">CHAPITRE III</h2>
-
-<p class="c small">DES IMMEUBLES</p>
-
-<p class="d">La revanche des anciens placements. &mdash; Toute richesse part de la
-terre. &mdash; Stabilité de la propriété immobilière. &mdash; Un exemple
-typique. &mdash; Relèvement de la valeur de la terre en France. &mdash; Hausse
-des produits agricoles. &mdash; Sécurité de la propriété
-rurale, due, dans notre pays, à son extrême division. &mdash; Le
-dépeuplement des campagnes est le seul point noir. &mdash; Conseils
-pour la gestion des biens fonciers. &mdash; Les maisons de rapport à
-Paris et dans les grandes villes. &mdash; Achat, construction et entretien. &mdash; Les
-spéculations sur les terrains. &mdash; Les formes excentriques
-de la propriété et leurs périls.</p>
-
-
-<p>«&nbsp;Avoir du bien au soleil&nbsp;», et «&nbsp;avoir pignon
-sur rue&nbsp;» : ces deux expressions proverbiales
-rappellent qu'au temps jadis nos pères considéraient
-que la véritable fortune, durable et solide,
-consistait en immeubles, en terres et en maisons.
-Pendant la longue période de tranquillité relative,
-de stabilité, de prospérité et de développement
-industriel qui a favorisé l'essor prodigieux
-des valeurs mobilières, la vieille préférence de
-l'épargne française pour les placements fonciers
-n'avait cessé d'aller en s'affaiblissant. La facilité
-du coupon touché sans fatigue, souvent par l'intermédiaire
-d'une banque ou d'un receveur de
-rentes, s'opposait aux tracas de la propriété :
-les locataires, les fermiers, les impôts, les réparations
-et l'entretien.</p>
-
-<p>Quelques années avant la guerre, une personne
-qui faisait l'acquisition d'une ferme semblait déraisonnable
-et, en tout cas, rétrograde et attachée
-aux préjugés d'un autre âge. L'achat ou la construction
-d'un immeuble urbain, à moins que ce
-ne fût pour le revendre et comme opération spéculative,
-finissait par être presque aussi mal jugé.
-A quoi bon se donner les soucis de la propriété
-quand toute la gamme des valeurs de Bourse
-était là?</p>
-
-<p>Les épreuves de la guerre ont changé ce point
-de vue et montré que les vieilles habitudes de
-placement étaient sages et fondées sur l'expérience.
-Un spirituel Parisien, venu, comme presque tous
-les Parisiens, de province, nous disait un jour :
-«&nbsp;Ayant quelques économies, je les avais placées
-en fonds russes. Et j'ai pensé, depuis, au pré que
-mon père aurait acheté avec cet argent-là. Au
-moins le pré serait toujours à sa place.&nbsp;»</p>
-
-<p>Non seulement le pré serait à sa place, mais sa
-valeur se serait considérablement accrue. Un des
-effets de la guerre a été d'augmenter presque partout
-le prix de la terre et des maisons. La dépréciation
-des billets et des valeurs, la méfiance pour
-tout ce qui est papier, a eu pour conséquence que
-les valeurs réelles ont été recherchées. Et quelle
-valeur est plus réelle que la terre, d'où part toute
-richesse, que les maisons, puisqu'il faut toujours
-se loger?</p>
-
-<p>La véritable richesse est là. C'est une erreur de
-croire que nos pères aient placé leur fortune en
-immeubles parce qu'ils ne connaissaient pas d'autres
-sortes de placements. Sans doute les valeurs
-mobilières étaient fort loin d'être développées.
-Elles étaient même dans l'enfance. Mais enfin
-elles existaient. L'antiquité avait déjà connu les
-sociétés par actions. Et les rentes sur l'Hôtel de
-Ville, les actions de la Compagnie des Indes, qui
-ont laissé des souvenirs malheureux dans l'histoire,
-qu'était-ce, sinon l'équivalent de nos fonds
-d'État et de nos titres industriels? Lorsque plusieurs
-négociants s'associaient pour acheter un
-navire, ils formaient une société de navigation.
-Et ainsi de suite.</p>
-
-<p>Nos pères savaient fort bien, et par expérience,
-que les valeurs mobilières, dont l'essence n'a pas
-changé, quelle qu'ait pu être la forme qu'elles
-avaient de leur temps, étaient condamnées à périr.
-Leur préférence pour les placements immobiliers
-était parfaitement fondée. Car l'immeuble, qu'il
-s'agisse d'une maison ou d'une terre de culture,
-n'offre pas seulement sur le papier l'avantage de
-la solidité matérielle. Il a encore cette supériorité
-que son rendement se trouve toujours, à travers
-les âges, égal à la valeur de l'argent dans un
-temps donné.</p>
-
-<p>Le célèbre économiste et financier Léon Say
-avait une profonde méfiance des valeurs mobilières
-qui n'ont même plus la valeur du papier,
-disait-il, «&nbsp;parce que quelque chose est écrit
-dessus&nbsp;». Il aimait à citer l'exemple d'un petit
-domaine, la terre de Bourbilly, qui avait appartenu
-un moment à M<sup>me</sup> de Sévigné et qui, resté
-tel quel du <small>XVI</small><sup>e</sup> siècle à nos jours, avait toujours
-donné à ses propriétaires un revenu croissant.
-Ce domaine, qui produisait 50 livres en l'an 1523,
-produisait 2.000 francs en 1884. La puissance
-d'achat de 50 livres au <small>XVI</small><sup>e</sup> siècle étant celle de
-2.000 francs au <small>XIX</small><sup>e</sup>, on voit en quoi consiste la
-seconde garantie qui est attachée aux biens immeubles :
-leur rendement et leur valeur locative se
-règlent exactement sur la valeur de l'argent, les
-denrées agricoles étant elles-mêmes les régulatrices
-des prix. Au contraire, disait Léon Say achevant
-sa démonstration, un capital mobilier égal à la
-valeur du domaine de Bourbilly, qui eût rapporté
-50 livres en 1523, en admettant qu'il eût
-pu arriver intact aux mains des lointains héritiers
-de 1884, n'eût rapporté que 50 francs<a id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_1" href="#FNanchor_1"><span class="label">[1]</span></a> Les personnes que ces questions intéressent trouveront de
-nombreux éclaircissements dans le beau livre de M. <span class="sc">Caziot</span>, la
-<i>Valeur de la terre en France</i> (J.-B. Baillière, éditeur).</p>
-</div>
-<p>Nous avons déjà commencé, depuis la guerre,
-à assister à un phénomène du même genre et dont
-la marche a été extraordinairement rapide. A la
-dépréciation du papier-monnaie, à l'avilissement
-de l'argent, a correspondu une hausse considérable
-des produits de la terre et du prix de la terre
-elle-même. Nos paysans, qui se sont enrichis,
-achètent les moindres parcelles à des prix qui
-eussent paru fantastiques il y a quelques années.
-Sans le savoir, ils raisonnent comme des écononomistes
-savants.</p>
-
-<p>D'abord, comme Léon Say, ils n'ont pas confiance
-dans le papier. Ils ont hâte de transformer
-leurs billets de banque ou leurs bons de la Défense
-nationale en quelque chose de tangible. Ensuite ils
-sentent bien que les produits de la terre, c'est-à-dire
-les aliments indispensables à l'homme, donneront
-un intérêt correspondant au capital engagé.</p>
-
-<p>Plus la monnaie d'un pays est dépréciée, et
-plus la terre est recherchée, plus elle vaut cher.
-La hausse de la terre est même un signe précurseur
-de crise de toutes les autres valeurs, y compris
-le papier-monnaie. Ainsi, en 1917, en Hongrie,
-pays agricole, un demi-hectare de terres
-labourables avait été vendu 22&nbsp;000 couronnes et
-cette enchère semblait alors fantastique et absurde.
-L'acquéreur semblait ne devoir jamais retrouver
-l'intérêt de son capital. Mais, en 1919, la couronne
-valait à peine 17 centimes (au lieu de 1 fr. 05)
-tandis qu'inversement le prix du quintal de froment
-avait monté en conséquence. L'enchère
-insensée avait été parfaitement raisonnable.</p>
-
-<p>La terre, en France, avait subi une dépréciation
-considérable à partir de 1880. Dès l'année
-1908, le relèvement était devenu sensible. Il n'a
-fait, depuis, que s'accentuer. Le préjugé hostile
-à la propriété rurale a disparu et le moindre lopin,
-dans les bons pays de culture, trouve aujourd'hui
-dix acquéreurs pour un. La valeur locative de la
-terre suivra naturellement la hausse de l'hectare.
-En sorte que les propriétaires fonciers, frappés, il
-y a trente ans, dans leur capital et leur revenu,
-connaîtront de nouveau des jours prospères. Déjà,
-dans les régions où le métayage est en honneur,
-les propriétaires ont participé directement aux
-bénéfices réalisés pendant la guerre par les cultivateurs.</p>
-
-<p>C'était donc bien à la légère qu'on dénigrait les
-vieilles méthodes de placement et qu'on faisait
-fi de l'expérience de nos ancêtres. La propriété
-rurale prend aujourd'hui sa revanche et les inconvénients
-qu'elle offre (quelle forme de propriété
-n'a les siens?) semblent peu de chose quand on
-les compare aux risques de disparition totale qui
-sont attachés aux valeurs mobilières. Nous sommes
-d'avis que, dans notre siècle comme à toutes les
-époques agitées, il n'y a pas de fortune solide sans
-assise terrienne.</p>
-
-<p>En France, notamment, l'extrême division de
-la propriété rurale constitue une garantie de premier
-ordre. La question agraire ne se pose pas
-dans notre pays parce que les <i lang="la" xml:lang="la">latifundia</i> n'existent
-pas et que les domaines un peu étendus y sont
-même extrêmement rares. Il est difficile d'imaginer
-une seule hypothèse dans laquelle, chez
-nous, la terre serait l'objet de mesures socialistes,
-tant il y a de degrés de la petite propriété à la
-moyenne et à la grande.</p>
-
-<p>Quant à la crainte des impôts, s'il est vrai qu'il
-est difficile que la terre échappe au fisc, il y a
-aussi une compensation : c'est que, par la force des
-choses, la valeur des denrées agricoles tend toujours
-à équilibrer toutes les charges. Pour employer
-une expression vulgaire, celui qui tient le
-bon bout, c'est le détenteur du sol d'où vient
-tout ce qui se mange et tout ce qui se boit. Tôt
-ou tard le propriétaire terrien retrouve son heure.</p>
-
-<p>Le danger social qui menace la propriété rurale
-est d'une autre nature. Il est particulier à la
-France : c'est la dépopulation. Avant 1914, on a
-vu des régions entières de plus en plus désertées.
-C'était le cas des départements situés dans la vallée
-de la Garonne, vallée jadis célèbre par sa fertilité.
-C'était le cas aussi de nombreux départements de
-l'Est où la main-d'&oelig;uvre rurale passait dans l'industrie.
-Dans toutes ces parties de la France, la
-valeur de la propriété rurale ne cessait de s'effondrer.
-Au contraire, en Bretagne, peu favorisée par
-la nature, mais où la natalité était forte et où les
-habitants émigraient peu, la terre était toujours
-mieux cultivée, toujours plus recherchée, et le
-prix de l'hectare s'est élevé constamment.</p>
-
-<p>La guerre, malheureusement, a frappé surtout
-la classe rurale et, en plus d'un endroit, c'est une
-question angoissante de savoir s'il y aura encore
-des bras pour tenir la charrue. Il y a là un phénomène
-beaucoup plus inquiétant que la hausse
-du salaire de l'ouvrier agricole. Cependant on
-peut espérer que le dépeuplement des campagnes
-ne s'accélérera pas et même qu'il y aura un reflux,
-la profession de cultivateur étant redevenue et
-devant rester longtemps encore rémunératrice.
-L'extension de la culture mécanique, l'accroissement
-des engrais (potasse d'Alsace) contribueront
-sans doute à maintenir cette situation favorable.</p>
-
-<p>Il n'en est pas moins vrai que, d'une façon
-générale, la région ouest de la France est la vraie
-région agricole, la seule où le cultivateur soit assez
-enraciné et la population rurale encore dense. Il
-va sans dire aussi qu'une ferme ne doit pas s'acheter
-à la légère et qu'il importe de s'informer
-sérieusement de la qualité du fonds, parfois très
-variable dans une même commune, de l'état des
-bâtiments, des conditions du bail, s'il y a un bail
-en cours, et, s'il n'y en a pas, de la facilité de
-trouver un locataire.</p>
-
-<p>Il faut bien savoir aussi que la propriété immobilière
-(et ceci est vrai de la terre comme des maisons
-de rapport) ne peut se conserver et se transmettre
-par héritage qu'à une condition : c'est que
-le propriétaire ait toujours assez d'argent liquide
-devant lui pour faire face aux dépenses prévues
-ou imprévues, ordinaires ou extraordinaires,
-telles que les réparations et les droits successoraux.
-L'usage ancien, lorsque les fortunes étaient surtout
-foncières, était de garder toujours par devers
-soi une somme importante. Nous avons connu un
-riche propriétaire, qui ne croyait qu'aux biens au
-soleil, et qui, pourvu de belles rentes, conservait
-toujours intacte devant lui une année entière de
-son revenu. C'était la sagesse même. Les familles
-aristocratiques dont le patrimoine est tout entier
-en terres et qui vivent au jour le jour sont condamnées,
-à chaque accident et à chaque partage,
-à vendre ou à emprunter. C'est la ruine certaine
-au bout de peu de générations. La propriété ne
-peut se maintenir dans les mêmes mains que par
-la prévoyance et l'économie. Quiconque mange
-tout son revenu mange inévitablement le fonds.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Le moratorium des loyers, pendant la guerre,
-et les abus auxquels il a donné lieu, les lois votées
-ou projetées qui tendent à restreindre les droits
-des propriétaires, n'ont pas empêché la propriété
-urbaine d'être aussi appréciée que la propriété
-rurale. Là aussi le désir, si vif et presque universel,
-en temps de crise économique et sociale,
-de transformer les valeurs fiduciaires en valeurs
-solides a poussé les capitalistes à rechercher les
-maisons de rapport. En dépit du relèvement des
-droits d'enregistrement, jamais les transactions
-immobilières n'ont été aussi nombreuses et à des
-prix aussi élevés qu'à partir de 1918.</p>
-
-<p>On peut dire que, depuis une centaine d'années,
-presque tous les propriétaires d'immeubles à
-Paris et dans la plupart des grandes villes de
-France se sont enrichis. La vétusté des maisons
-n'a même pas été une cause d'appauvrissement,
-car la valeur du terrain rachetait amplement la
-perte occasionnée par la démolition nécessaire de
-constructions vieillies. D'une façon générale, à
-Paris et dans la banlieue, surtout la banlieue
-Ouest, la valeur des terrains a quintuplé quand
-elle n'a pas décuplé et centuplé en certains cas
-depuis 1850. Il suffit de se souvenir, en effet, que
-des personnes âgées ont encore vu paître des
-vaches à l'endroit où se trouve aujourd'hui le
-parc Monceau. On a pu voir à Passy et à Auteuil,
-jusqu'en 1890, des maisons de paysans.
-D'ailleurs, beaucoup de riches familles parisiennes
-d'aujourd'hui remontent à un grand-père maraîcher
-ou blanchisseur qui, pour sa petite industrie,
-possédait un vaste terrain valant alors quelques
-sous le mètre, et sur lequel se sont élevées
-des maisons de rapport.</p>
-
-<p>Depuis la guerre, la construction des immeubles
-s'est presque entièrement arrêtée. Il est probable
-qu'elle ne reprendra pas activement de sitôt en
-raison de la cherté des matériaux et de la main-d'&oelig;uvre.
-Il en résulte une pénurie des logements
-qui a pour conséquence l'augmentation des
-loyers. Les propriétaires possèdent donc ce que
-les socialistes appellent un «&nbsp;monopole de fait&nbsp;»,
-et il est question de la taxation des loyers. Ces
-mesures, en admettant même qu'elles soient prises,
-n'empêcheront jamais qu'un immeuble en briques
-ou en pierres de taille constitue une valeur
-solide, durable, infiniment plus sûre que toutes
-les valeurs de papier.</p>
-
-<p>Cette sécurité rachète amplement les ennuis de
-la gestion, dont il est facile de se décharger, d'ailleurs,
-sur des personnes ou des institutions de
-confiance dont c'est le métier. Mais il va sans dire
-que, comme le propriétaire d'immeubles ruraux,
-et pour les mêmes raisons, le propriétaire d'immeubles
-urbains doit se garder de dépenser tout
-son revenu. Il doit toujours compter avec les frais
-d'entretien et avec les dépenses imprévues pour
-réparations et réfection. Une maison de rapport,
-pour conserver sa valeur locative, doit être de
-temps en temps remise au goût du jour. En
-outre, l'amortissement du capital employé à la
-construction doit être prévu ; sinon ce capital
-disparaîtrait à la longue avec l'usure des
-années.</p>
-
-<p>Les personnes qui font construire sans être
-elles-mêmes du métier et sans appartenir à l'une
-des corporations du «&nbsp;bâtiment&nbsp;» doivent bien
-savoir aussi que les devis d'architecte sont toujours
-considérablement dépassés. Quant à celles
-qui achètent un immeuble tout construit, nous
-croyons devoir leur donner un conseil particulièrement
-sage à une époque d'incertitude comme
-celle que nous traversons : c'est de réaliser la
-somme nécessaire à l'acquisition avant de signer
-l'acte de vente. En effet, qu'une tourmente de
-Bourse se produise, et les valeurs sur lesquelles
-on comptait peuvent s'effondrer. Nous connaissons,
-dans une famille parisienne, un cas de ce
-genre qui s'est produit jadis. Quelques jours
-avant la révolution de 1848, un bourgeois aisé
-avait acheté une maison importante qu'il se proposait
-de payer avec ses valeurs. La panique qui
-suivit la révolution bouleversa tous ses calculs et
-l'immeuble lui-même, dans la crise de confiance
-générale, ne put être revendu qu'avec une perte
-sensible. Ainsi, faute de prévoyance, une opération
-tout à fait normale devint une cause de
-ruine.</p>
-
-<p>Nous ne parlons pas ici des achats de terrains
-nus. C'est de la spéculation pure. L'acquéreur
-compte sur une plus-value qui ne s'obtient parfois
-qu'après un temps fort long pendant lequel il
-faut payer l'impôt foncier tandis que le capital
-employé reste improductif. A l'heure actuelle,
-l'arrêt des constructions rend ce risque encore
-plus sérieux. Dans l'espoir d'une plus-value qui
-est loin d'être toujours certaine, le spéculateur
-s'expose à se priver pour longtemps de son
-argent.</p>
-
-<p>Quant aux usines et manufactures, c'est un
-genre d'immeubles dont les particuliers doivent
-se détourner en raison de la difficulté de trouver
-des locataires. Il en est de même des maisons de
-plaisance à la campagne ou à la mer, qui, sauf
-dans certains lieux régulièrement fréquentés ou
-bien à proximité d'une grande ville, peuvent apporter
-des déboires. Au chapitre qui suit, celui des
-hypothèques, nous développons les raisons qui
-conseillent de s'écarter des formes excentriques
-de la propriété. Une usine ne convient qu'à un
-industriel et une maison de plaisance doit être
-considérée avant tout comme une maison d'agrément.
-Pour un placement sérieux, il n'y a que les
-maisons de rapport proprement dites<a id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_2" href="#FNanchor_2"><span class="label">[2]</span></a> Les droits de mutation et de transcription devant être prochainement
-relevés, on peut compter qu'avec les honoraires du notaire
-les frais d'achat d'un immeuble, qui étaient d'environ 10
-p. 100 du prix principal, monteront à l'avenir à environ 15 p. 100.</p>
-</div>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch4" title="IV. Des placements hypothécaires">CHAPITRE IV</h2>
-
-<p class="c small">DES PLACEMENTS HYPOTHÉCAIRES</p>
-
-<p class="d">Raisons pour lesquelles se recommande ce genre de placements. &mdash; Conditions
-auxquelles ils sont sûrs et avantageux. &mdash; Des précautions
-à prendre et des dangers à éviter. &mdash; De la part qu'il
-convient de leur attribuer dans un patrimoine.</p>
-
-
-<p>Un principe essentiel s'impose à tout capitaliste
-prudent. C'est de ne prêter aucune somme d'argent
-avant de s'être assuré au préalable, non seulement
-des garanties affectées à la créance, mais encore
-du remboursement intégral des fonds dans un
-espace de temps limité. De ce point de vue, on
-comprendra que les placements hypothécaires
-apparaissent comme étant au plus haut degré
-recommandables, car ils remplissent les deux conditions
-que nous venons d'énoncer. Ce genre de
-placement était en grand honneur autrefois. Il
-mériterait d'être plus souvent pratiqué à une
-époque d'insécurité pour les capitaux telle que la
-nôtre.</p>
-
-<p>Le gage immobilier, à la condition absolue qu'il
-soit choisi avec discernement et en observant certaines
-règles que nous préciserons tout à l'heure,
-est en effet d'une solidité sans pareille. Bien
-entendu, une hypothèque sérieuse doit toujours, et
-sans exception, être une première hypothèque.
-Toute autre n'est qu'une spéculation. De plus, le
-prêt ne doit en aucun cas dépasser 50 p. 100 de la
-valeur vénale présumée de l'immeuble affecté à la
-garantie, en sorte qu'il subsiste une marge suffisante
-pour les dépréciations éventuelles et aussi
-pour les intérêts impayés, frais d'expropriation et de
-poursuites, etc., s'il y a lieu. L'usage est d'ailleurs
-d'évaluer ces frais à 20 p. 100 du capital exposé,
-en sorte qu'une inscription hypothécaire totale de
-120.000 francs doit être prise sur un immeuble
-d'une valeur d'au moins 200.000 francs pour
-sûreté d'une avance de 100.000 francs, lesquels
-sont seuls à porter intérêt au profit du créancier,
-comme il va de soi.</p>
-
-<p>En outre, et cette stipulation est de toute première
-importance, le délai fixé pour le remboursement
-ne doit pas, en principe, quelle que soit la
-tentation qu'éprouve un rentier d'assurer son repos
-pour une longue durée, s'étendre au delà de dix
-années. Ce délai est d'ailleurs celui qui est fixé par la
-loi elle-même pour le renouvellement des inscriptions
-hypothécaires, et il n'est pas rare que les dispositions
-de la loi, comme beaucoup d'usages et de
-m&oelig;urs, reposent sur des raisons de bon sens et
-d'expérience. Il est néanmoins des capitalistes très
-prudents qui préfèrent se tenir en deçà de cette
-limite extrême de dix années et qui ne consentent
-que des prêts à terme plus court. Il convient
-d'approuver leur prévoyance. Car il suffit souvent
-d'un espace de temps très bref pour que des constructions
-vieillissent, pour que la terre, dans une
-région donnée, se déprécie, et pour qu'un immeuble
-de rapport urbain, situé dans un quartier dont la
-population vient à se détourner pour des causes
-imprévues, ne trouve que difficilement des locataires
-ou ne les trouve plus que dans une catégorie
-inférieure et moyennant une forte réduction des
-loyers. Il suffit de se rappeler la disgrâce du Palais-Royal,
-qui, après avoir été un des lieux les plus
-fréquentés de Paris, a perdu sa vogue.</p>
-
-<p>Les exemples et les chiffres cités par M. Pierre
-Caziot, inspecteur général du Crédit foncier de
-France, dans son remarquable ouvrage, <i>la Valeur
-de la terre en France</i>, sont extrêmement significatifs
-à cet égard. Nous citerons quelques cas qui
-pourront fixer les idées.</p>
-
-<p>Ainsi il n'est pas rare que des exploitations
-rurales aient perdu en vingt ou vingt-cinq ans
-beaucoup plus de la moitié de leur valeur. M. Pierre
-Caziot signale une ferme du pays de Caux réputée
-«&nbsp;excellente&nbsp;» et qui, payée 300.000 francs en 1876,
-s'est vendue 105.000 francs seulement en 1905.
-Très loin de là, et dans un autre pays renommé
-pour sa fertilité, la Limagne, une propriété évaluée
-au prix de 180.000 francs en 1879, a été achetée
-43.500 francs en 1903. Dans la vallée de la
-Garonne, un «&nbsp;domaine d'alluvions&nbsp;» qui, en 1884,
-avait été payé 360.000 francs, frais compris, par
-son propriétaire et passait pour valoir réellement
-320.000 francs, a été cédé pour 105.000 francs seulement en
-1904, c'est-à-dire juste vingt ans plus tard.
-On voit que, dans ce cas, qui n'est pas isolé, un créancier
-qui se fût reposé sur la règle de 50 p. 100 de
-garantie et qui eût consenti un prêt remboursable
-au bout de vingt ans se serait lourdement trompé.
-Une personne qui, en 1884, eût avancé au propriétaire
-de ce domaine 120.000 francs seulement,
-garantis par une première hypothèque et remboursables
-en 1904, eût peut-être pensé faire un placement
-des plus sérieux et dépourvu de risques.
-Dans la réalité, cette personne eût été imprudente
-et se fût exposée à une perte sensible, sinon même
-à une perte grave.</p>
-
-<p>Aussi faut-il considérer que des prêts à court
-terme renforcent la garantie du capital avancé pour
-la raison qu'ils permettent au prêteur de suivre,
-pour ainsi dire pas à pas, la valeur de la propriété
-qui lui sert de gage. De plus, il devient
-possible au prêteur, par la diversité de ses placements
-hypothécaires, de se ménager des rentrées
-d'argent à des dates successives et d'échelonner
-les remboursements en sorte qu'il soit mis à même,
-mécaniquement, pour ainsi dire, de profiter des
-occasions qui se présentent, et, en particulier,
-d'un relèvement du taux de l'intérêt. La règle, ici,
-est la même que celle que nous poserons pour les
-emprunts d'État, les obligations de chemins de
-fer ou leurs succédanés. Représentez-vous la bonne
-fortune qui fût échue à un capitaliste qui, durant
-la crise de 1913&ndash;1914, eût vu arriver à expiration
-un prêt de 100.000 francs, consenti dix
-années plus tôt. Avec 100.000 francs, en 1904,
-il ne pouvait acheter, par exemple, que 215 obligations
-du chemin de fer du Nord. Avec la même
-somme en juin 1914, il pouvait en acquérir 240.
-Deux mois plus tard, en pleine guerre européenne,
-100.000 francs liquides devenaient une
-fortune. Et, de toutes façons, la situation du créancier
-eût été excellente, car à toute demande de prolongation
-de délai ou de renouvellement de la part
-de son débiteur, il lui eût été possible de relever
-l'intérêt porté par l'obligation hypothécaire, vu la
-raréfaction des capitaux et la cherté du loyer de
-l'argent, d'obtenir 5 p. 100 et même davantage,
-au lieu de 4 p. 100, taux courant au début du
-<small>XX</small><sup>e</sup> siècle. Après la guerre, il est probable que
-le taux de 5&nbsp;½ p. 100, autorisé par la loi, se
-maintiendra longtemps.</p>
-
-<p>Enfin, il tombe sous le sens qu'un père de
-famille prévoyant et qui calcule que, dans un certain
-nombre d'années, il devra doter une fille ou
-pourvoir à l'établissement d'un fils, trouvera un
-avantage considérable à placer son argent de telle
-sorte qu'il soit assuré, au jour dit, de retrouver
-intacte et liquide la somme dont il pense avoir
-besoin. Or, tandis qu'il est absolument impossible
-de prévoir, même par approximation, cinq ou dix
-ans à l'avance, le cours des valeurs sur les marchés
-financiers, le remboursement d'une obligation
-hypothécaire de bonne qualité se fait au
-contraire à la date fixée, sans perte et sans déception.</p>
-
-<p>Ces deux avantages conjoints : sécurité du
-capital prêté, réapparition du capital intact dans
-un délai rapproché, paraissent extrêmement séduisants
-à beaucoup de capitalistes avisés qui, en
-outre, n'ignorent pas que l'administration et la loi
-renforcent de toute leur autorité la situation des
-créanciers hypothécaires.</p>
-
-<p>Non seulement il y a des fonctionnaires spéciaux
-attachés à la conservation des hypothèques,
-mais encore le Code civil contient tout un «&nbsp;titre&nbsp;»
-qui en établit les règles avec une précision minutieuse.
-C'est que notre système administratif et
-nos Codes ont été, il y a cent et quelques années,
-l'&oelig;uvre de la bourgeoisie française. En remplissant
-leur mission de législateurs, les représentants
-du monde bourgeois s'étaient tout naturellement
-appliqués à entourer la propriété de garanties particulières.
-Et naturellement aussi ils s'étaient occupés
-de la propriété sous les aspects qu'elle avait
-coutume de revêtir de leur temps. Pénétrés de
-cette idée que les patrimoines étaient quelque
-chose d'intangible et de sacré et que l'État devait
-mettre toutes ses forces au service de la conservation
-des patrimoines, les rédacteurs du Code civil
-ont accumulé les précautions autour de la propriété
-immobilière et des hypothèques, qui constituaient
-l'élément essentiel des fortunes privées
-au commencement du <small>XIX</small><sup>e</sup> siècle. Notre Code
-civil est le Code d'un pays où les terres et les maisons
-représentaient les principales richesses, en
-ce sens que terres et maisons étaient les valeurs
-dans lesquelles toute richesse tendait à se convertir.
-Lorsque, plus tard, les valeurs mobilières
-eurent pris leur essor et commencé à jouir d'une
-vogue presque universelle, il fallut, tant bien que
-mal, adapter nos lois à ce nouvel état de choses.
-L'adaptation a été tellement insuffisante que, de
-nos jours encore, le législateur se préoccupe de la
-réviser chaque fois que le besoin de «&nbsp;protéger
-l'épargne&nbsp;» s'impose à la suite de quelque scandale
-trop éclatant. D'ailleurs, on peut dire qu'aucune
-des mesures que le législateur a prises en ce
-sens n'a eu d'efficacité réelle. Quelquefois même
-ces mesures se sont retournées contre les intentions
-de leurs auteurs : témoin l'obligation, pour
-les sociétés qui font appel au crédit public, de
-publier leur bilan et un certain nombre d'autres
-renseignements au <i>Journal officiel</i>, insertions
-dont les émetteurs malhonnêtes se servent ensuite
-auprès de la masse des naïfs comme d'une estampille
-de l'État.</p>
-
-<p>Au contraire, les précautions qui sont prises
-pour la protection du créancier hypothécaire ne
-laissent place à aucun doute. Tous les articles du
-Code civil qui y ont trait sont d'une perfection
-digne de servir de modèle. Et cela même constitue
-une garantie qui n'est pas à dédaigner.</p>
-
-<p>Au point de vue fiscal, les créanciers hypothécaires
-ont été jusqu'à présent relativement ménagés :
-cela dit au point de vue du créancier, s'entend,
-car le débiteur, pour sa part, a des droits d'enregistrement
-très lourds à acquitter. En tout cas, le
-créancier hypothécaire avait touché, jusqu'à hier,
-ses intérêts nets de tout impôt. La taxe de
-5 p. 100 en est retranchée depuis la mise en
-vigueur de l'impôt cédulaire sur les diverses
-sources de revenus. Toutefois, il est permis de
-considérer que le «&nbsp;tour de vis&nbsp;», en ce qui concerne
-cette «&nbsp;cédule&nbsp;», sera modéré, sinon retenu
-par le souci, très apparent dans le Parlement français,
-de ne pas mécontenter trop vivement le monde
-rural. En effet, toute taxation aura pour effet de
-rendre plus exigeants les détenteurs de capitaux
-qui ont tendance à se dédommager sur l'emprunteur.
-Or les petits propriétaires, dans nos campagnes,
-recourent fréquemment aux emprunts
-hypothécaires pour se procurer les fonds nécessaires
-à la mise en valeur ou au développement de
-leur exploitation. Il arrive même que des cultivateurs
-hypothèquent la terre qu'ils possèdent afin
-d'en acquérir une autre à laquelle, par leur labeur,
-ils réussissent à faire produire plus que l'intérêt
-de la somme qu'ils ont empruntée. Les populations
-agricoles forment une clientèle électorale dont les
-v&oelig;ux sont très écoutés. Il paraît donc assez probable,
-pour ces raisons, que le revenu des créances
-hypothécaires a chance, pendant assez longtemps,
-d'être moins frappé que le revenu des valeurs
-mobilières.</p>
-
-<p>La meilleure preuve du caractère avantageux
-des placements hypothécaires réside dans le fait
-que les établissements connus sous le nom de
-«&nbsp;Crédits fonciers&nbsp;» n'exercent pas une autre
-industrie que celle qui consiste à placer sur hypothèques
-les sommes qu'ils empruntent au public,
-leur bénéfice étant constitué par la différence
-entre l'intérêt qu'ils reçoivent de leurs débiteurs
-d'une part, et l'intérêt qu'ils payent à leurs propres
-obligataires de l'autre. Il est donc clair que le
-capitaliste trouve avantage à pratiquer directement
-l'opération qu'il fait par personne interposée en
-achetant les obligations d'une société de Crédit
-foncier.</p>
-
-<p>Seulement il va sans dire que le capitaliste doit
-suppléer par un redoublement d'attention et de
-prudence aux services d'information que possèdent
-de grands établissements supérieurement
-outillés. Il est on ne peut plus dangereux de prêter
-de l'argent, même en première hypothèque, sur
-un immeuble quelconque, si l'on ne s'est pas
-assuré par soi-même de la valeur et du rendement
-de cet immeuble. Il importe de ne pas se laisser
-éblouir par les mots de «&nbsp;première hypothèque&nbsp;».
-Les capitalistes qui succombent à la tentation de
-placer de l'argent sur des propriétés lointaines et
-qu'ils n'ont jamais vues s'exposent à de fâcheuses
-mésaventures.</p>
-
-<p>Il est particulièrement périlleux d'accepter pour
-gage des propriétés de plaisance, châteaux, parcs, etc.
-qui n'ont, en somme, d'autre valeur que leur
-attrait aux yeux d'un nombre limité de personnes,
-et qui représentent des charges plutôt qu'un rapport.
-A éviter encore (sauf exceptions légitimées
-par la connaissance approfondie de cas particuliers)
-les constructions destinées à l'industrie. Il est souvent
-arrivé qu'un prêteur téméraire se réveillât un
-matin nanti d'un château ou bien d'une manufacture
-abandonnée par le manufacturier en faillite,
-et se trouvât bien en peine de tirer parti de son
-gage. Aussi les statuts du Crédit foncier de
-France qui, d'une façon générale, éliminent toute
-cette catégorie d'immeubles de ceux sur lesquels
-peuvent être consenties des avances, doivent-ils
-servir de guide à cet égard. Il n'en arrive pas
-moins au Crédit foncier lui-même d'éprouver des
-surprises et des pertes. En 1914, on a dû mettre
-en vente à sa requête un des plus grands hôtels de
-Trouville, maison naguère très achalandée et qui,
-en outre, comportait 4.000 mètres de terrain dans
-le plus bel emplacement d'une plage à la mode.
-La concurrence, surgie à l'improviste, d'une plage
-voisine, ayant causé un tort considérable à Trouville,
-la marge de garantie, jugée quelques années
-auparavant plus que suffisante par le Crédit foncier,
-s'est trouvée réduite à tel point que cet établissement
-a eu lieu de concevoir de fortes craintes
-pour sa créance. Il y a là une indication à retenir
-pour le capitaliste judicieux et prudent, qui sera
-toujours sage d'éviter de s'engager dans les affaires
-qui reposent sur l'exploitation d'une vogue ou
-d'un plaisir. D'une année à l'autre, un simple
-caprice du public suffit à ruiner une station thermale,
-un casino, un théâtre, etc. Les exemples
-sont innombrables et chacun en retrouverait sans
-peine dans sa mémoire de très frappants.</p>
-
-<p>Les hypothèques sur les maisons de rapport et
-sur les terres cultivées sont donc les seules qui se
-recommandent. Encore faut-il, dans ces cas mêmes,
-choisir avec soin et se conformer aux observations
-que nous avons formulées plus haut pour l'acquisition
-de ces deux sortes de propriétés. Il est tout
-à fait déraisonnable de prendre pour gage des
-terres situées dans une région en pleine décadence
-agricole et qui n'a pas ou n'a que peu de
-chances de se relever. Il est téméraire également
-d'avancer de l'argent sur les vignobles, lesquels
-sont particulièrement sujets à des crises graves.</p>
-
-<p>Il n'est pas très rare d'ailleurs que, dans les
-provinces, les notaires, qui servent d'intermédiaires
-entre le créancier et le débiteur et pour
-qui ces opérations représentent une part très
-appréciable de leur activité, ajoutent leur garantie
-personnelle à la garantie hypothécaire qu'ils ont
-négociée. Il n'est pas rare non plus qu'ils se
-chargent de tous les recouvrements. Lorsque le
-notaire est une personne solvable, éprouvée, et
-qui mérite notoirement confiance, le capitaliste
-peut, à la rigueur, se dispenser de s'assurer par
-lui-même de la solidité de son gage. Ce cas se
-présente surtout dans les campagnes ou l'on a
-l'avantage de connaître de plus près que dans les
-villes les personnes et les situations de fortune.
-Ajoutons qu'un inconvénient des placements
-hypothécaires est que le paiement des arrérages
-ne se fait pas toujours avec la régularité absolue
-à laquelle est accoutumé le porteur de bonnes
-valeurs mobilières. Il est même d'usage, dans
-certaines régions rurales de la France, qu'un
-délai de trois mois soit accordé au débiteur. Mais,
-bien entendu, l'argent prêté porte intérêt jusqu'au
-jour où le remboursement intégral est effectué,
-sans quoi la tolérance précitée deviendrait un
-cadeau pur et simple accordé au débiteur.</p>
-
-<p>Ces observations faites, nous ne pouvons que
-répéter notre opinion sur les placements hypothécaires,
-qui sont éminemment propres, dans une
-période de trouble pour les capitaux comme celle
-qui vient de s'ouvrir, à apporter aux fortunes privées
-un précieux élément de stabilité. Un capitaliste
-qui placerait le cinquième environ de sa fortune
-en hypothèques de premier rang, sur des
-gages solides, judicieusement choisis, aurait
-chance de faire un très bon calcul et de s'en féliciter
-dans l'avenir. Nous pouvons ajouter, pour
-l'édification du lecteur, que nous connaissons des
-personnes qui sont mêlées de près, en raison de
-leur profession, aux affaires de la Bourse et qui
-n'en placent pas moins, de la manière que nous
-venons de définir, une notable fraction de leur
-avoir. Il y a là, nous semble-t-il, une indication
-à retenir et à utiliser.</p>
-
-<p>Nous savons qu'on reproche à ce genre de placement
-l'immobilisation de capital qu'il entraîne,
-ainsi que la difficulté de céder et de négocier les
-obligations hypothécaires. Les transferts sont
-certes possibles, mais ils sont coûteux : 4 p. 100
-du capital environ. C'est pourquoi l'on a dit que
-le créancier était «&nbsp;rivé à l'hypothèque&nbsp;». N'est-il
-pas rivé bien autrement, le porteur de valeurs
-mobilières qui ont baissé de 20, 30 ou 50 p. 100,
-sinon davantage, qui ne trouvent plus d'acheteurs
-en Bourse et ne sont plus cotées ou n'offrent
-plus que des cours fictifs?</p>
-
-<p>L'immobilisation des capitaux par le prêt hypothécaire
-n'est pas niable. Mais, sans compter que
-la question ne se pose pas pour les personnes qui
-vivent de leurs revenus, l'inconvénient peut être
-notablement atténué par le système qui consiste
-à fractionner les placements. Ce système, comme
-nous l'avons montré, permet au prêteur d'échelonner
-les remboursements et de se ménager des
-rentrées successives de capital liquide. Quant à
-l'objection tirée de la peine qu'il faut se donner
-pour trouver de bons gages immobiliers, dépourvus
-de vices cachés, nous demandons si elle ne
-s'applique pas à l'acquisition des valeurs mobilières
-et dans des conditions infiniment pires
-d'obscurité et de tâtonnement.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch5" title="V. Emprunts français et des États alliés">CHAPITRE V</h2>
-
-<p class="c small">EMPRUNTS FRANÇAIS ET EMPRUNTS DES ÉTATS ALLIÉS
-DE LA FRANCE</p>
-
-<p class="d">Danger des rentes perpétuelles. &mdash; Qu'il faut leur préférer les
-rentes amortissables. &mdash; Comparaison des deux 3 p. 100 français. &mdash; Le
-crédit de la France victorieuse. &mdash; Ombres et clartés. &mdash; Raisons
-pour lesquelles le capitaliste doit être porteur des
-rentes nouvelles. &mdash; Emprunts des villes et des colonies françaises. &mdash; Immense
-prospérité des États-Unis. &mdash; La décadence
-des consolidés anglais et les fonds britanniques. &mdash; Rente belge. &mdash; Rente
-italienne. &mdash; La catastrophe russe et nos milliards :
-incertitudes de l'avenir et richesses latentes de la Russie. &mdash; Fonds
-roumains, serbes, grecs et portugais. &mdash; Japon et Chine.</p>
-
-
-<p>Avant le mois d'août 1914, la dette publique
-des grands États européens atteignait un total
-dont s'effrayaient les financiers. Celle de la France
-semblait particulièrement lourde et inquiétante :
-une trentaine de milliards, passif du <small>XIX</small><sup>e</sup> siècle et
-de la défaite de 1870, avec une population stationnaire
-et une exportation lentement progressive,
-largement dépassée par celle de nos concurrents.
-Peu d'amortissement. Des dépenses croissantes,
-des charges toujours plus lourdes, des budgets
-plus enflés&hellip; Ces préoccupations se répandaient
-dans le public et la vieille confiance dans la rente
-française commençait à être ébranlée. Au-dessus
-du pair, dans les premières années du <small>XX</small><sup>e</sup> siècle,
-le 3 p. 100 s'était effrité peu à peu, d'autant plus
-qu'il était menacé de l'impôt cédulaire. Certaines
-personnes se vantaient de ne plus en avoir un
-centime en portefeuille et se félicitaient d'avoir
-échappé à une diminution certaine de leur
-capital et de leur revenu.</p>
-
-<p>«&nbsp;Il n'y a pas de rente perpétuelle. Il n'y a que
-les concessions de cimetière qui soient à perpétuité.
-Et encore un jour vient où l'on désaffecte les
-cimetières&nbsp;», disait un homme d'esprit. Il traduisait
-ainsi l'inquiétude qui s'empare de tous les
-détenteurs de titres, lorsque ces titres ne sont
-pas soutenus par un amortissement régulier, dès
-qu'un mouvement continu de baisse commence à
-se produire. Une rente est perpétuelle lorsque son
-capital <i>ne doit jamais être remboursé</i>. Ce capital
-n'est représenté que par les cours cotés en Bourse,
-eux-mêmes expression du crédit public. Qu'une
-grande crise survienne, et c'est alors seulement
-que la masse s'aperçoit qu'il est anormal de
-prêter à l'État autrement qu'on ne prête aux particuliers,
-c'est-à-dire sans prescrire un terme pour
-le remboursement.</p>
-
-<p>En temps de calme et de prospérité, quand le
-loyer de l'argent s'abaisse et que l'État n'a pas
-besoin d'emprunter, la rente atteint et dépasse le
-pair. Alors l'État réduit sa dette perpétuelle par
-le moyen des conversions. Telle est sa façon de
-rembourser. C'est ainsi que, par l'effet de réductions
-successives, notre vieux 5 p. 100 était
-devenu du 3 p. 100 en 1902. Mais que survienne
-une grande catastrophe, alors les cours descendent
-avec une vitesse vertigineuse. Voilà comment les
-porteurs de rente perpétuelle, après avoir vu leur
-intérêt diminuer des deux cinquièmes, avaient fini
-par voir leur capital lui-même diminuer d'un
-tiers puisque, venant du pair, le 3 p. 100 ne
-valait guère plus d'une soixantaine de francs en
-1919.</p>
-
-<p>Pendant ce temps, l'autre type de 3 p. 100,
-le 3 p. 100 amortissable, ne perdait qu'un quart
-de sa valeur et se tenait à 75 francs. C'est que,
-celui-là, l'État s'est engagé à le rembourser par
-séries tirées au sort chaque année et qu'il a tenu
-scrupuleusement cet engagement pendant toute
-la guerre. Le porteur de 3 p. 100 amortissable
-a l'assurance écrite de revoir son capital, assurance
-que le porteur de 3 p. 100 perpétuel n'a pas.
-Et, dans un temps d'incertitude, la garantie du
-capital est ce qui importe le plus. On ne prête
-plus qu'à très court terme quand le lendemain
-n'est pas sûr. Le gouvernement français l'a si
-bien compris que, pendant les hostilités et même
-après, il a émis des bons et des obligations aux
-échéances les plus diverses, variant d'un mois à
-dix ans, et qui ont obtenu pour cette raison un immense
-succès.</p>
-
-<p>En même temps, il émettait des rentes perpétuelles
-mais à des prix très inférieurs, du 5 p. 100
-à moins de 90 francs, du 4 p. 100 aux environs
-de 70, ce qui promettait aux souscripteurs, outre
-un intérêt substantiel, une augmentation considérable
-de leur capital, avec la hausse escomptée
-des cours dans un avenir plus ou moins rapproché.
-Mais cette espérance ne pouvait rivaliser
-avec la certitude donnée par les bons et les obligations
-à court terme ni même avec les chances
-de tirage au sort du 3 p. 100 amortissable dont
-les cours sont plus élevés que ceux des deux emprunts
-de guerre 4 p. 100.</p>
-
-<p>De ces constatations, un enseignement précieux
-se dégage pour les porteurs de fonds
-d'États.</p>
-
-<p>Si puissant et si prospère que soit un État, rien
-n'est éternel. Il n'y a pas de progrès indéfini. Si
-le crédit public est solide, l'État convertit ses
-rentes : c'est ce qu'avaient fait tour à tour, dans
-la période contemporaine, la France, l'Italie, précédées
-par l'Angleterre dont le <i>consolidé</i> n'était
-plus que du 2&nbsp;½. Quand, au contraire, le crédit
-public faiblit, les cours s'effondrent et le capital
-est atteint. Après quelques mouvements de bascule
-de ce genre, au bout d'un certain nombre
-d'années, que resterait-il d'une fortune constituée
-en rentes dites perpétuelles sur l'État le plus riche
-et le mieux administré du monde, &mdash; en admettant
-que cet État durât toujours semblable à lui-même,
-alors que nous avons sous les yeux l'exemple de tant
-d'Empires écroulés? Il est clair qu'il n'en resterait
-plus que ce qui reste des anciennes rentes sur
-l'Hôtel-de-Ville du temps passé : un simple souvenir.</p>
-
-<p>Un père de famille soucieux de l'avenir de ses
-enfants et de la conservation de son patrimoine
-doit donc suivre les fluctuations de la rente elle-même
-d'aussi près que celles d'une valeur industrielle.
-D'ailleurs, la rente n'est-elle pas une
-action de ces vastes sociétés qui s'appellent les
-nations? L'idée de l'État a acquis de notre temps
-un prestige et même une majesté qu'elle a dus à
-la stabilité dont les grandes puissances avaient fait
-preuve pendant le <small>XIX</small><sup>e</sup> siècle. C'est ce qui effaçait
-le souvenir de la faillite partielle où était tombé
-notre pays, lorsque la Révolution française avait
-été obligée de renier les deux tiers de sa dette en
-donnant au reste le nom de «&nbsp;tiers consolidé&nbsp;».
-Il a fallu la guerre pour rappeler aux rentiers la
-fragilité des États.</p>
-
-<p>La Russie ruinée par la révolution, l'Autriche-Hongrie
-décomposée : l'exemple de ces deux
-puissances, où le public français avait placé tant
-d'argent, a montré combien était sage le vieux
-conseil de ne pas mettre tous ses &oelig;ufs dans le
-même panier. D'autre part, dans les pays victorieux
-eux-mêmes, l'énorme baisse des anciens
-fonds publics révélait le danger des rentes perpétuelles,
-puisque le porteur de consolidé anglais,
-naguère réputé la première valeur du monde,
-perdait 40 p. 100 de son capital. Les fonds d'État
-qui passent pour les plus sûrs exigent donc,
-comme tous les autres éléments des fortunes, une
-attention toujours soutenue, une prudence toujours
-en éveil.</p>
-
-<p>Ces expériences cruelles, dont plus d'un patrimoine
-français aura peine à se relever, doivent
-nous servir à réitérer ce conseil fondamental :
-protégez au moins une partie de vos capitaux en
-ne les plaçant pas tous à fonds perdus. Garantissez-vous
-une certaine stabilité par des placements
-temporaires et remboursables à échéances
-fixes. Ne vous fiez pas aux seuls cours de Bourse
-pour évaluer votre fortune. La vieille société est
-entrée dans une période de secousses et de transformations
-où les crises seront fréquentes. Jouez,
-si vous voulez, la chance de sa conservation et de
-son relèvement. Assurez-vous aussi contre les risques
-possibles en les divisant avec sagesse, dans
-le temps aussi bien que dans l'espace. Et prenez
-toujours pour guide la préservation de votre capital,
-de façon à être toujours à même, en cas de
-perte, d'en retrouver une partie et de réparer votre
-fortune.</p>
-
-<p>A la lumière de cet avertissement préalable,
-nous examinerons utilement au point de vue pratique
-les conditions présentes et, autant que possible,
-à venir, des fonds émis par les divers États,
-en commençant par ceux qui ont pris part à la
-guerre.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>«&nbsp;Soyez toujours à la hausse sur votre pays, <i lang="en" xml:lang="en">be
-always a bull on your country.</i>&nbsp;» Ce conseil vient
-du grand financier américain Pierpont Morgan.
-Nous plaindrions, en effet, le Français qui, pouvant
-souscrire, ne fût-ce qu'à cinquante ou à cinq francs
-de rente, se serait abstenu de participer pendant
-la guerre aux emprunts de la Défense nationale.</p>
-
-<p>Jusqu'ici les souscripteurs n'ont pas eu à regretter
-leur confiance. Ils n'ont pas seulement entre les
-mains un titre dont le revenu, au prix d'émission,
-ressortait à plus de 5&nbsp;½ p. 100, garanti
-pendant vingt-cinq années contre tout impôt ou
-conversion. Ils ont pu, parfois, enregistrer une plus-value
-qui, normalement, devrait se reproduire et
-augmenter.</p>
-
-<p>L'heureuse terminaison de la guerre permet
-d'abord d'espérer que, malgré l'énormité de ses
-pertes et de ses charges, la France ne fera pas
-faillite, sort qui est réservé aux vaincus. Sans
-doute il faudra à l'État, pour triompher de ses
-énormes difficultés financières, de la prudence, de
-la sagesse, une bonne administration. Reste à savoir
-si nous avons ces garanties. Il lui faudra
-aussi obtenir des États-Unis une aide de plusieurs
-années et des avances sur les milliards à payer par
-l'Allemagne à titre de réparations. Il faudra en
-outre que ces milliards soient exactement payés
-par les vaincus. II faudra, enfin, que nous ayons
-vis-à-vis de l'Allemagne une sécurité telle que
-nous ne soyons plus exposés au danger d'une
-nouvelle guerre, ni, par conséquent, astreints à
-supporter le fardeau d'une armée permanente.</p>
-
-<p>Si ces conditions sont remplies, alors, et alors
-seulement, la France reconstituera sa vie économique
-et fera face à ses engagements malgré
-l'effroyable saignée qui lui a enlevé près de deux
-millions d'hommes énergiques, la fleur de la nation.
-La France retrouve, libres de charges, ses riches
-provinces agricoles et industrielles d'Alsace et de
-Lorraine. Il ne tient qu'à elle et à son gouvernement
-d'être de nouveau florissante quand la période
-de la liquidation sera franchie.</p>
-
-<p>Voilà pour la sécurité qu'offrent dans l'avenir
-les emprunts français. Nous ne croyons pas qu'il
-convienne de nourrir des espérances exagérées.
-Jusqu'à ce que les rentes nouvelles se stabilisent
-au pair ou aux environs du pair, en admettant
-même qu'il ne survienne pas de gros imprévu, il
-y aura encore plus d'une crise et, par conséquent,
-plus d'un recul. L'Europe reste trop troublée pour
-qu'il n'y ait pas, ici et là, quelques nouveaux
-orages. A l'intérieur même, il serait excessif de
-compter que l'harmonie sera toujours parfaite.</p>
-
-<p>La France offre toutefois une particularité qui,
-aux yeux de l'homme réfléchi, est singulièrement
-précieuse. C'est, par excellence, le pays de la petite
-propriété et des fortunes moyennes. Cet état social,
-dans une époque tourmentée, est éminemment
-favorable à la sécurité des capitaux. Il atténue
-les luttes violentes entre possédants et non-possédants.
-On doit se rappeler que sept millions de
-personnes ont souscrit à l'emprunt 4 p. 100 de
-1918. Cela fait qu'environ quatre familles françaises
-sur cinq sont intéressées, par le fait de ce
-seul emprunt, à la tranquillité publique et à la
-solvabilité de l'État. Une pareille proportion ne se
-retrouve dans aucun autre pays.</p>
-
-<p>Prises en elles-mêmes, estimées à leur valeur
-intrinsèque, toute considération de sentiment et
-de patriotisme mise à part, les nouvelles rentes
-françaises offrent donc un attrait et des garanties
-appréciables. Le capitaliste français a même un
-intérêt certain à en être muni. D'abord leur revenu
-est exonéré de tout impôt cédulaire. Ensuite, des
-dispositions fiscales ont prévu que les rentes
-émises pendant les hostilités, déjà acceptées en
-payement des taxes sur les bénéfices de guerre, le
-seraient également en payement des taxes successorales.
-Il y a là une tendance à laquelle il faut
-prendre garde, car elle pourra se développer. Elle
-consiste à privilégier le porteur de rentes françaises
-par rapport au porteur d'autres titres. Au
-cas, qui n'est nullement impossible, où des impôts
-extraordinaires viendraient à être établis, le même
-privilège pourrait encore trouver une application
-considérablement étendue, tandis qu'un capitaliste
-non pourvu de nos fonds nationaux pourrait être
-exposé à des sacrifices supplémentaires. C'est une
-conséquence de cette loi de la nationalisation de
-l'argent que nous avons exposée plus haut.</p>
-
-<p>Aussi pensons-nous qu'à tous les égards le capitaliste
-français serait bien inspiré en plaçant
-environ la huitième partie de sa fortune en rentes
-françaises perpétuelles des différentes séries qui
-sont actuellement à sa disposition. A lui de voir
-un jour, si, comme on l'espère, le cours de ces
-rentes a sensiblement monté, il doit réaliser et
-consolider son bénéfice. Nous le répétons : rien
-n'est éternel. Même si une période de tranquillité
-et de prospérité doit s'ouvrir, un moment viendra
-toujours où les vaches maigres succéderont aux
-vaches grasses. Il sera bon d'avoir mis à profit les
-heures favorables pour s'abriter contre les retours
-de fortune et de ne pas s'endormir sur le mol
-oreiller d'une «&nbsp;perpétuité&nbsp;» illusoire.</p>
-
-<p>D'ailleurs, l'État français lui-même, ses grandes
-villes et ses colonies offrent et offriront encore
-une grande variété d'emprunts amortissables, garantissant
-des remboursements de capitaux soit à
-échéance fixe, soit par tirage au sort. Il est probable
-que pendant assez longtemps le Trésor continuera
-à émettre des bons à courte échéance productifs
-d'un intérêt avantageux. Ce sera un excellent
-refuge pour les capitalistes désireux de voir
-venir les événements et de se ménager des disponibilités.</p>
-
-<p>Les emprunts des grandes villes et notamment
-de la ville de Paris, qui a toujours tenu ses engagements
-d'une façon scrupuleuse, ne cesseront
-certainement pas d'être recherchés par l'épargne,
-et avec raison. La ville de Paris a coutume d'offrir
-au public des emprunts à lots. Nous ne conseillerons
-jamais à personne de sacrifier à l'attrait de la
-loterie une part importante de son revenu. En
-général, les emprunts à lots sont moins rémunérateurs
-que les autres et l'on paie cher quelques
-millièmes de chances de s'enrichir grâce à un
-hasard heureux. Lorsque les valeurs à lots donnent
-un intérêt inférieur à la moyenne, il convient de
-n'en prendre que pour ouvrir une porte à la fortune.
-Le calcul des probabilités montre que la
-perte de revenu éprouvée sur cent titres de ce
-genre n'est pas compensée par la chance de voir
-sortir un des bons numéros. Dans ce cas, les valeurs
-à lots doivent être considérées comme des billets
-de loterie de qualité supérieure. Les portefeuilles
-bien administrés ne leur font qu'une part restreinte.</p>
-
-<p>Les emprunts des colonies françaises doivent
-être assimilés aux emprunts de la métropole et
-jouissent des mêmes garanties quand ils ont la
-caution de l'État. Les personnes très prévoyantes
-feront cependant une distinction entre nos possessions
-africaines et nos possessions asiatiques.
-Les premières ne semblent pas avoir, d'ici longtemps,
-à redouter le sort de tant de colonies qui,
-au cours des siècles, ont passé de main en main.
-Nous sommes solidement établis, et plus solidement
-encore depuis la guerre, dans l'Afrique du
-Nord et dans l'Afrique occidentale. Les obligations
-3 p. 100 de cette dernière, dont le coupon
-est net d'impôt, sont séduisantes. Remboursables
-à cinq cents francs, elles valaient environ trois cent
-cinquante francs en 1919. Pour l'Afrique du Nord,
-qui comprend l'Algérie, la Tunisie et le Maroc,
-les obligations marocaines sont, par le revenu,
-les plus rémunératrices. Les Tunisiennes 3 p. 100,
-surtout celles de la série 1892, la plus ancienne
-et dont l'amortissement est par conséquent plus
-rapide, paraissent les plus dignes d'être recherchées.</p>
-
-<p>Quant à nos colonies d'Extrême-Orient, Indo-Chine,
-Annam et Tonkin, leur destinée est
-beaucoup moins sûre. L'Asie, avec son énorme
-population, pourrait bien être travaillée un jour
-ou l'autre par ces mouvements nationalistes qui,
-venus d'Europe, ont répandu leurs ondes un peu
-partout. Déjà, aux Indes, se sont manifestés des
-signes précurseurs qui ne laissent pas d'inquiéter
-les Anglais. Il y a, dans le monde asiatique, de
-grosses inconnues. Il est inutile de les affronter
-sous la forme de valeurs qui n'offrent aucun avantage
-spécial et dont il est facile de s'abstenir. Remarquons
-en outre que l'obligation 3&nbsp;½ de l'<i>Indo-Chine</i>
-n'est pas garantie par l'État français.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Avant de passer en revue les fonds d'États
-étrangers, il importe de rappeler que les coupons
-de ces valeurs sont soumis, en France, à un impôt
-cédulaire qui est actuellement de 6 p. 100 et
-qui pourra bien être aggravé un jour ou l'autre.
-Certaines de ces valeurs acquittent déjà des taxes
-dans leur pays d'origine. Il est possible qu'avec la
-marée montante des budgets, ces taxes soient
-augmentées là où elles existent, créées où elles
-n'existent pas. On devra donc tenir compte de ces
-déductions dans le calcul du revenu. Cette observation
-s'applique d'ailleurs à toutes les sortes de
-valeurs étrangères.</p>
-
-<p>Une autre remarque concerne le change. Avant
-la guerre, la France avait sur toutes les places des
-changes excellents. La guerre a bouleversé cette
-situation. Le franc vaut moins que le dollar, la
-livre sterling, le florin, etc&hellip; Les personnes qui
-possédaient des valeurs de pays au crédit solide
-ont bénéficié de ce renversement des rôles. Elles
-touchent une prime importante sur leurs coupons
-payables en monnaie étrangère. Elles enregistrent
-aussi une plus-value sur leurs titres eux-mêmes,
-qu'elles peuvent alors trouver avantage à vendre
-au dehors.</p>
-
-<p>Aujourd'hui, les changes sur l'Angleterre, les
-États-Unis et les pays neutres prospères, restent
-défavorables à la France dans des proportions qui
-ne se sont jamais vues. Il est probable que cette
-tension se prolongera quelque temps encore. Elle
-est, comme nous venons de le dire, extrêmement
-profitable pour les porteurs de valeurs américaines,
-anglaises, espagnoles, suisses, hollandaises et
-Scandinaves, dont le revenu et le capital bénéficient
-d'un accroissement qui va de 20 à 40 p. 100.
-Quant aux personnes qui acquièrent actuellement
-ces sortes de valeurs, il va sans dire qu'elles doivent
-débourser une somme correspondant à la
-dépréciation du franc, ou, s'il s'agit de titres cotés
-à la Bourse de Paris, les payer plus cher. Si le
-franc remonte, si l'équilibre des changes vient à
-se rétablir dans un temps relativement court, les
-personnes qui auraient exporté prématurément
-leurs capitaux seraient exposées à subir une perte
-sèche. C'est un point qui ne doit pas être perdu
-de vue.</p>
-
-<p>Un autre qu'on ne doit pas négliger non plus,
-c'est que tel État, aujourd'hui ami ou neutre,
-peut être dans l'avenir entraîné dans un conflit
-avec la France. Placer toute sa fortune ou une
-grande partie de sa fortune dans un seul pays
-étranger est donc une imprudence, quelques
-raisons qu'on ait de croire que les relations de la
-France avec ce pays seront toujours bonnes.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>De tous les pays du monde, les <i>États-Unis</i> ont
-incomparablement les finances les plus solides.
-Avant leur participation à la guerre, ils n'avaient
-pour ainsi dire pas de dette nationale et leur
-rente 2 p. 100 était au pair. Elle était d'ailleurs
-à peu près introuvable. Depuis son entrée dans
-la guerre, le gouvernement fédéral a émis plusieurs
-emprunts qui ont été des succès magnifiques.
-Au commencement de l'année 1919, tous
-ces emprunts étaient au pair, sinon au-dessus.
-Le 4 p. 100 remboursable en 1925 avait même
-atteint, à la Bourse de New-York, le cours de
-109. Les deux «&nbsp;emprunts de la liberté&nbsp;», <i lang="en" xml:lang="en">Liberty
-loan</i>, l'un 3&nbsp;½, l'autre 4&nbsp;¼, approchaient des
-mêmes cours. Ce sont, incontestablement, les
-premières valeurs du monde.</p>
-
-<p>Pour se rendre compte des bases solides sur
-lesquelles repose la prospérité des États-Unis, il
-suffira de lire cet exposé que nous empruntons à
-un article du <i lang="en" xml:lang="en">Brooklyn Eagle</i> publié le 25 décembre
-1918 :</p>
-
-<blockquote>
-<p>Au 1<sup>er</sup> juillet 1912, la richesse des États-Unis était
-évaluée à 188 milliards de dollars, soit $1.965 par tête.
-La dette nationale était alors de 1 milliard de dollars, soit
-$10,77 par tête.</p>
-
-<p>Au 1<sup>er</sup> octobre 1917, la richesse nationale était évaluée
-à 225 milliards de dollars&hellip; et plus de 3 milliards de dollars
-s'y sont ajoutés depuis cette date.</p>
-
-<p>Il est vrai que notre dette nationale s'est accrue, elle
-aussi. En octobre 1917, elle était de $4.500.000.000, et
-aujourd'hui elle est de $17 milliards. Mais de cette
-somme il faut déduire les $8 milliards qui nous sont dus
-par l'étranger, et dont les intérêts annuels s'élèvent à plusieurs
-millions de dollars. La France et le Royaume-Uni
-ont une dette qui atteint presque la moitié de leur richesse
-nationale. Les $9 milliards de dette nette des États-Unis
-n'atteignent pas&nbsp;½5 de leur richesse nationale. De plus,
-notre richesse nationale est presque triple de celle du
-Royaume-Uni et quadruple de celle de la France.</p>
-
-<p>Pour les ressources, les États-Unis sont également la
-«&nbsp;terre de Dieu&nbsp;». Nous possédons 60 p. 100 du pétrole
-mondial. Nous avons chez nous deux tiers du cuivre, plus
-des deux tiers du coton, 40 p. 100 du charbon et du minerai
-de fer existant dans le monde. Dans le chiffre de nos
-importations, les produits manufacturés n'entrent que
-pour 13 p. 100, tandis que, sur les 6 milliards de dollars
-de marchandises que nous avons exportées dans le courant
-de l'année dernière, 4 milliards étaient représentés par des
-produits fabriqués par les machines américaines et les
-travailleurs américains.</p>
-
-<p>Et si on demande si tout ce commerce ne va pas disparaître
-maintenant que la guerre est finie, il faut répondre
-sans hésitation qu'il n'en sera rien. C'est un fait regrettable
-qu'il faudra à l'Europe plusieurs années pour rétablir
-ses industries. Son capital et son énergie devront pendant
-quelque temps être consacrés au travail de la construction.
-Les manufacturiers américains devront fournir les millions
-de dollars de matériaux dont l'Europe aura besoin pour se
-remettre sur pied. Et, dans les années qui vont venir, les
-États-Unis devront fournir la plus grande partie de ce qui
-se vendra en Asie et dans l'Amérique du Sud. Notre commerce
-avec ces parties du monde a doublé depuis le début
-de la guerre, et il nous en restera une grande partie, même
-si les États-Unis refusent d'engager une concurrence sans
-merci avec les puissances aux côtés desquelles ils ont combattu.</p>
-</blockquote>
-
-<p>Aux garanties qu'apporte cette prospérité, les
-emprunts des États-Unis ajoutent celles qui résultent
-d'une sécurité politique et sociale qu'on chercherait
-vainement ailleurs. Les États-Unis n'ont
-pas, d'ici longtemps, de grand danger extérieur à
-craindre. A l'intérieur, le socialisme, qui compte
-encore à peine comme élément électoral, a des
-formes modérées et il n'y a pas de pays où les
-tentatives de sabotage, d'anarchie et de bolchevisme,
-comme celles des Travailleurs Internationaux
-pendant la guerre, aient été plus énergiquement
-réprimées. C'est sans doute aux États-Unis
-que le régime capitaliste, tel qu'il a régné en
-Europe pendant le <small>XIX</small><sup>e</sup> siècle, se maintiendra le
-plus longtemps. La richesse américaine, la légèreté
-des charges du gouvernement fédéral, ne donneront
-pas lieu non plus à une fiscalité excessive.
-Bien que les États-Unis aient commencé à connaître
-les taxes et les impôts, ils ont encore, à cet
-égard, une marge étendue par rapport aux grands
-États européens.</p>
-
-<p>Un emprunt comme celui de la ville de New-York
-(<i>New-York City 4&nbsp;½</i> remboursable en 1957)
-est de tous points assimilable à ceux du gouvernement
-fédéral. Nous renvoyons le lecteur au
-chapitre des obligations industrielles pour les
-bons d'entreprises municipales émis par les
-grandes villes américaines.</p>
-
-<p>Les valeurs canadiennes de même nature se
-recommandent également et pour les mêmes
-raisons. Ainsi le <i lang="en" xml:lang="en">Canadian Fives</i> remboursable en
-1931, le <i>4&nbsp;½ Canadien</i> (1920&ndash;1956), le <i lang="en" xml:lang="en">Dominion
-of Canada 3&nbsp;%</i> (1938), les <i>Ville de Montréal
-3&nbsp;½</i> (1933). Ces fonds, comme ceux des
-États-Unis, sont au pair ou voisins du pair et
-offrent peu de chances d'une hausse considérable.
-Mais leur stabilité fait peu de doute et leur remboursement
-est prochain. La richesse du Canada,
-l'esprit de travail et d'ordre qui anime sa population,
-constituent des garanties d'une qualité rare.
-Au cas, nullement impossible, où de nouvelles
-secousses européennes viendraient à se produire,
-on ne regretterait pas d'avoir abrité contre les
-risques une fraction de son capital placée en
-bonnes valeurs d'État ou de grandes villes américaines
-et canadiennes.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>On citait autrefois Victor Hugo et le président
-de la République Jules Grévy comme ayant donné
-le mauvais exemple d'expatrier leur bien et
-d'accorder plus de confiance à la rente anglaise
-qu'à la rente française. Cependant, comme nous
-l'avons dit plus haut, un placement en <i>Consolidés
-anglais</i>, effectué il y a trente ou quarante ans,
-n'aurait pas été très profitable. Il ne semble pas
-non plus qu'à l'heure actuelle les fonds d'État
-britanniques doivent être mis en portefeuille par
-des étrangers, au moins pour des quantités considérables.</p>
-
-<p>Ce n'est pas que l'Angleterre soit, à aucun
-degré, menacée de faillite. Son crédit reste et
-restera sans doute brillant. Quelle que soit l'énormité
-de la dette qu'elle a dû contracter pour faire
-face à ses dépenses de guerre, elle n'en sera pas
-écrasée. Après les guerres napoléoniennes, le
-Royaume-Uni devait une vingtaine de milliards,
-somme inouïe à cette époque. Les économistes du
-temps pensaient qu'un pareil passif était incompatible
-avec de bonnes finances. Cependant, grâce
-au développement de sa population, de son industrie
-et de son commerce, grâce aussi à sa bonne
-politique budgétaire, le Royaume-Uni a supporté
-sans peine et amorti régulièrement sa dette des
-temps passés.</p>
-
-<p>De nos jours, 250 milliards ne sont pas plus
-pour l'Angleterre que 20 milliards il y a cent ans.
-De nos jours, comme alors, l'Angleterre est venue
-à bout de son ennemi. Elle occupe dans le monde
-une situation qui n'a jamais été si belle. Elle est
-la grande bénéficiaire de la victoire. De tous les
-belligérants européens, c'est elle sans doute qui
-supportera le moins difficilement le poids de ses
-dettes.</p>
-
-<p>Elle n'a qu'un point noir : la question sociale.
-Pas de petite propriété, peu de classes moyennes,
-un faible goût de l'épargne : entre un vaste prolétariat
-et un haut capitalisme puissant mais restreint,
-il n'y a pas, en Angleterre, de matelas qui
-s'interpose. Une crise grave, dont nous voyons
-déjà les prodromes, est possible. Si, comme il y a
-lieu de le penser, la politique anglaise reste fidèle
-à elle-même, elle continuera ce qu'elle avait déjà
-commencé avant la guerre. Elle résoudra le problème
-en imposant des sacrifices étendus à la
-fortune. Le porteur français de valeurs britanniques
-serait exposé à payer de lourds impôts à la
-fois en France et en Angleterre, car il n'est pas
-certain que l'<i lang="en" xml:lang="en">income-tax</i> soit toujours remboursé
-aux porteurs étrangers. Ceux-ci seraient donc
-doublement atteints. Avant de placer de fortes
-sommes de l'autre côté de la Manche, on fera
-sagement de calculer le péril des deux taxations.
-Les personnes qui passeront outre ont le choix
-entre les <i>Consolidés</i> dont nous avons parlé plus
-haut, les emprunts de guerre, ou <i lang="en" xml:lang="en">War Loans</i>
-(3&nbsp;½, 4, 4&nbsp;½ et 5&nbsp;%) et quelques fonds hautement
-réputés comme l'<i lang="en" xml:lang="en">Irish Loan</i> 2&nbsp;¾ et le
-<i lang="en" xml:lang="en">London County Council</i> 3&nbsp;½, ainsi que quelques
-fonds coloniaux.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>La <i>Belgique</i> avait été surprise en pleine prospérité
-par l'agression allemande. Comme les peuples
-heureux, jusqu'en 1914 elle n'avait pas d'histoire.
-Le jeune État belge, qui date seulement de 1830,
-n'avait jamais connu d'aventures ni de catastrophes.
-Son passif était donc léger et sa dette
-avait été employée presque tout entière à mettre
-le pays en valeur. Il suffit de se souvenir que la
-Belgique était, par rapport à sa population et à
-sa superficie, le premier des peuples exportateurs
-d'Europe, ce qui légitimait l'excellence de son
-crédit.</p>
-
-<p>On doit penser qu'elle retrouvera cette prospérité
-après la guerre, quand les dommages qu'elle
-a subis auront été réparés. Sans doute, ses charges
-seront plus lourdes. S'il doit y avoir encore des
-budgets militaires, la Belgique, ayant renoncé à
-une illusoire neutralité, en aura un. Toutefois sa
-position spéciale dans la guerre, sa qualité de
-victime, ont fait que ses dépenses ont été infiniment
-moindres, tout compte tenu de son importance
-numérique, que celles des grands États ses
-alliés.</p>
-
-<p>Si elle continue à être bien gouvernée, la Belgique
-pourra être encore un des pays les plus
-heureux du monde. Sa rente 3&nbsp;%, les rentes
-nouvelles qu'elle pourra émettre, seront de bons
-placements. Il faudra seulement se souvenir que,
-dans le cas d'une guerre nouvelle, la Belgique ne
-serait plus un État neutre, mais un belligérant
-comme un autre, exposé aux mêmes risques qu'un
-autre. En se délivrant des périls de la neutralité,
-elle en a perdu aussi les bénéfices, c'est-à-dire la
-garantie des puissances.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Après avoir eu un passé agité, la <i>rente italienne</i>
-avait fini par prendre rang parmi les meilleures
-valeurs. L'Italien s'adonne à l'épargne. Profondément
-méfiant, l'Italien n'achète que de la terre ou
-le fonds d'État national. D'où la bonne tenue de
-ce titre qui, jadis placé par larges tranches au
-dehors, avait fini par être en grande partie rapatrié.</p>
-
-<p>La guerre a laissé les finances italiennes dans
-une situation obscure et les dirigeants ne dissimulent
-pas leurs alarmes. Le change défavorable que
-l'Italie a subi pendant la guerre est à lui seul un
-sérieux symptôme. Pourtant l'Italie a fait une
-guerre heureuse et, à bien des égards, une guerre
-moins dispendieuse que nous. S'il ne lui survient
-rien de fâcheux à l'intérieur, ses finances pourront
-se relever, grâce à sa population croissante. Quant
-à l'extérieur, la diplomatie italienne, malgré son
-habileté, saura-t-elle conjurer tous les orages
-amassés sur l'Adriatique? C'est une question.</p>
-
-<p>Un autre risque à courir, c'est le sans-gêne
-avec lequel l'État italien a coutume de traiter ses
-créanciers et même les entreprises privées : le
-rachat léonin des assurances en est un exemple.
-Nulle part le fameux «&nbsp;fait du prince&nbsp;» n'est plus
-en honneur, et nulle part l'État souverain ne se
-sent plus libre à l'égard de ses engagements.
-L'Italie opère, avec la plus grande désinvolture,
-des conversions forcées, qui ne sont que des réductions
-de dettes par le moyen de l'impôt. Le
-bénéfice du Trésor public est une considération
-qui prime tout, même le respect des contrats. La
-«&nbsp;garantie&nbsp;» de l'État italien, qui ne se pique pas,
-lui, d'être «&nbsp;honnête homme&nbsp;», est donc, à cet égard,
-sujette à caution : les porteurs de rente convertie
-et les obligataires français d'un certain <i>chemin de
-fer de Toscane</i>, pour ne pas prendre d'autres
-exemples, en savent quelque chose.</p>
-
-<p>Pour ces diverses raisons, nous croyons devoir
-conseiller aux capitalistes de ne s'intéresser que
-modérément aux fonds italiens, et, s'ils s'y intéressent,
-de ne pas s'y éterniser.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Parmi les puissances orientales qui ont pris
-part à la guerre, la <i>Russie</i> touche douloureusement
-le capital français. La déception russe, c'est
-vingt-cinq ans de notre histoire politique et financière.
-La cessation de paiements de la Russie
-s'ajoute à la faillite de l'alliance et elle atteint des
-centaines de milliers d'épargnants français qui
-avaient fait confiance à l'allié de leur pays.</p>
-
-<p>En 1905, pendant la première révolution russe,
-la révolution manquée, nous avons entendu dire à
-M. Henri Germain, le célèbre directeur du Crédit
-Lyonnais : «&nbsp;Si la Russie devient libérale, oh!
-alors, elle est perdue.&nbsp;» La Russie n'est pas seulement
-devenue libérale : elle ne l'est restée que
-quelques semaines pour devenir socialiste et
-tomber dans l'anarchie. Avec le tsarisme, ce qui a
-disparu, en réalité, c'est le seul gouvernement
-européen et s'inspirant d'idées européennes qu'ait
-eu la Russie. Depuis la chute de ce régime, on a
-pu voir la vérité du mot : «&nbsp;Il n'y a pas de Russie
-d'Europe.&nbsp;» Le bolchevisme n'est qu'une forme
-de barbarie asiatique.</p>
-
-<p>La Russie sera-t-elle libérée ou se libérera-t-elle
-du bolchevisme? C'est possible. Dans ce cas,
-quelle sorte de gouvernement aura-t-elle? Et si ce
-gouvernement reconnaissait les dettes de l'ancien
-régime, serait-il en mesure d'en reprendre le service?
-Serait-il capable, pour commencer, de rétablir
-territorialement la Russie telle qu'elle était
-du temps des tsars, la Pologne et la Finlande,
-qui ont reconquis leur indépendance, exceptées?
-Serait-il capable de reconstituer économiquement
-la Russie pour faire face aux engagements nationaux?</p>
-
-<p>Il suffit de poser ces questions pour se rendre
-compte que, dans l'hypothèse la plus favorable,
-la reprise du service normal de la Dette russe ne
-peut pas être envisagée avant longtemps, si jamais
-elle doit avoir lieu. Il semble que les possesseurs
-de fonds russes doivent en tout cas s'armer d'une
-longue patience.</p>
-
-<p>L'immense faute qu'on a commise en France a
-été de méconnaître la fragilité politique de la
-Russie. A l'appel des sociétés de crédit, uniquement
-soucieuses de toucher leurs commissions, le
-public français souscrivait aux emprunts russes
-comme à des valeurs de tout repos. Des personnes
-prudentes et renommées pour leur sagacité, comme
-M. Paul Leroy-Beaulieu, se croyaient très modérées
-en conseillant de ne pas placer plus de
-10 p. 100 d'une fortune en fonds russes. L'événement
-a prouvé que cette proportion était encore
-trop forte.</p>
-
-<p>Et pourtant le crédit de la Russie n'était pas
-mauvais. Depuis 1822, date de son premier
-emprunt extérieur, elle avait toujours fait face à
-ses engagements. Surtout ses possibilités de
-développement économique étaient énormes. Aujourd'hui
-encore, malgré les ruines accumulées
-par la Révolution, la Russie banqueroutière est
-dans cette situation paradoxale que ses richesses
-naturelles représentent infiniment plus que le
-total de ses dettes. Elle est même à cet égard dans
-une situation privilégiée par rapport aux autres
-grands pays européens accablés par leurs dépenses
-de guerre. Paisible et bien administrée, l'Ukraine,
-à elle seule, pourrait payer les créanciers de la
-Russie.</p>
-
-<p>Seulement ces richesses latentes ne sont pas
-exploitées et ne pourront l'être que quand l'ordre
-politique aura reparu et aura duré. Or, il est plus
-que douteux que l'ordre se rétablisse aisément
-dans toutes ces régions de l'Europe orientale. S'il
-revient un jour, les porteurs de fonds russes
-auront entre les mains un papier qui ne sera pas
-dénué de valeur. Il se peut que l'on voie, à cet
-égard, des renversements de situation bizarres et
-tel pourra être en faillite quand la Russie donnerait
-quelque dédommagement à ses créanciers. Il
-serait téméraire d'en dire davantage et d'exciter
-des espérances peut-être injustifiées.</p>
-
-<p>Puisse seulement la leçon russe avoir enseigné
-aux capitalistes français la méfiance.</p>
-
-<p>Les emprunts <i>finlandais</i> méritent une mention
-spéciale. Avant la guerre, ils étaient garantis par
-la Russie. Mais la Finlande avait de bien meilleures
-finances que l'État russe. Avec la Prusse et
-la Suède, la Finlande était le seul État européen
-qui pût mettre en face de sa dette un actif réel,
-grâce surtout à ses vastes domaines forestiers.
-Depuis la révolution russe et la proclamation de
-son indépendance, la Finlande a négligé de payer
-ses créanciers. Ce ne sont pas les scrupules qui
-étouffent les peuples libérés et les nationalités
-nouvelles. Plus tard, si la Finlande fait honneur
-à sa signature, si sa situation politique s'éclaircit
-et si elle n'a plus à craindre le voisinage du bolchevisme,
-les emprunts finlandais pourront, dans
-une certaine mesure, mériter l'attention.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Les fonds <i>roumains</i> ont subi une éclipse qui
-sera probablement passagère. La Roumanie a dû
-suspendre ses paiements en 1918 lorsque, trahie
-par la révolution russe, elle a été contrainte de
-s'incliner devant l'Allemagne et de signer la paix
-de Bucarest. Sa bonne foi et sa bonne volonté à
-l'égard de ses créanciers sont hors de question.</p>
-
-<p>Avant la guerre, la situation financière de la
-Roumanie était très saine. Ses richesses agricoles
-et pétrolières lui assuraient des revenus abondants.
-Ses emprunts étaient d'excellentes valeurs
-qui méritaient d'être acquises par les personnes
-les plus timorées.</p>
-
-<p>Il convient d'être plus réservé aujourd'hui.
-Après de dures épreuves, la Roumanie a vu la
-guerre tourner en sa faveur. Par la réunion de
-la Bessarabie et de la Transylvanie, son territoire
-et sa population seront plus que doublés. Elle
-possède, avec sa monarchie, un gouvernement
-sérieux et qui paraît stable. Son avenir serait donc
-séduisant et ses emprunts mériteraient confiance
-si elle n'appartenait à cette Europe orientale qui est
-menacée pour longtemps de convulsions. La Roumanie
-est terriblement isolée. C'est un îlot de
-civilisation au milieu de la barbarie. Elle aura de
-la peine à se défendre contre les révolutions
-sociales et nationales déchaînées autour d'elle.
-Tant que l'ordre n'aura pas été rétabli en Russie,
-la sécurité intérieure et extérieure manquera à
-l'État roumain.</p>
-
-<p>Pour cette raison il est donc fort chanceux d'acquérir
-en ce moment des fonds de cet État. C'est
-une spéculation pure. Toutefois, du jour où il
-apparaîtrait d'une façon certaine que l'Europe
-orientale s'apaise et retourne à l'ordre et à la
-tranquillité, les fonds roumains deviendraient
-séduisants. Nous engageons les capitalistes à surveiller
-cette éventualité.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Le coupon des rentes <i>serbes</i> a été payé régulièrement
-pendant la guerre, grâce aux avances des
-Alliés. Quoique ruinée, la Serbie a une population
-paysanne énergique et travailleuse, qui pourrait
-réparer les désastres de la guerre. Ce pays est
-malheureusement engagé dans une politique qui
-n'est pas de tout repos. Il est exposé à toutes les
-secousses et à toutes les explosions balkaniques
-qui ne sont pas près de prendre fin et qu'aggravent
-les problèmes surgis de la décomposition de
-l'Autriche. L'union de la Serbie avec les Yougo-Slaves
-détachés de l'Empire austro-hongrois préparerait
-de nouvelles agitations et de nouveaux
-conflits. Nous conseillons l'abstention tant pour
-les emprunts anciens de la Serbie que pour ceux
-qu'elle pourrait lancer au nom de la Yougo-Slavie
-ou royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Si
-ce royaume unitaire arrive à se constituer, il
-annonce trop d'ambitions, il inquiète trop ses voisins
-(et en premier lieu l'Italie) pour avoir une
-existence tranquille. Si l'unité ne se fait pas, la
-Serbie, saignée à blanc par la guerre, sera faible
-et retrouvera ses ennemis d'hier, l'Allemand, le
-Hongrois, le Bulgare, sans en compter peut-être
-d'autres. De longtemps, ce coin de l'Europe ne
-sera pas un refuge pour les capitaux.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>La <i>Grèce</i> a été un allié de la dernière heure
-qui a vécu d'ailleurs des subsides et des allocations
-fournis par les Alliés. L'habile politique de
-M. Yenizelos n'a pas amélioré ses finances. Et
-puis, M. Yenizelos n'est pas éternel et qui sait,
-après lui, ce que deviendra la Grèce? Deux emprunts
-helléniques seulement sont recommandables,
-c'est le 2&nbsp;½ et le 4 p. 100 gagés sur des
-recettes d'État et des monopoles, le 2&nbsp;½ surtout
-dont la gestion est confiée à des représentants
-des grandes puissances sur le modèle de l'administration
-de la Dette ottomane. Les emprunts
-futurs de la Grèce qui n'auraient pas de garanties
-du même ordre seront à écarter purement et simplement.</p>
-
-<p>Quant au <i>Portugal</i>, dont l'histoire financière
-est peu brillante, l'instabilité politique de ce pays
-conseille l'abstention complète.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>«&nbsp;Le <i>Japon</i> occupe au point de vue économique
-la position d'un vainqueur.&nbsp;» Ce mot d'un
-journal japonais, écrit au lendemain de l'armistice
-du 11 novembre 1918, est vrai. Pendant
-toute la durée de la guerre, le Japon s'est préoccupé
-de limiter sa mise et il y a réussi. Sa situation
-monétaire est brillante. Il est soucieux de la
-conserver et de la développer. On pouvait craindre
-autrefois qu'il ne se laissât entraîner à une politique
-impérialiste. La prospérité l'a calmé. Il a vu
-aussi les États-Unis, jusqu'ici dépourvus d'armée,
-se donner une force militaire, ce qui a pu lui inspirer
-de nouvelles réflexions. Toutefois la politique
-de l'Extrême-Orient réserve sans doute bien
-des surprises. A l'intérieur, il ne semble pas que
-de gros accidents soient à craindre et la discipline
-nationale du Japon reste forte. Mais il ne
-faut pas oublier que sa structure économique et
-financière est récente et fragile. Le pays est lointain
-et, somme toute, mal connu et mystérieux.
-On fera bien de ne s'engager dans ses fonds que
-pour des sommes limitées.</p>
-
-<p>La surveillance des grandes puissances européennes
-est la seule garantie des emprunts <i>chinois</i>.</p>
-
-<p>Cette surveillance s'exercera-t-elle toujours avec
-la même efficacité? Déjà la caution de la Russie
-n'existe plus. Quant à l'état des finances chinoises,
-il est déplorable. Sans doute la Chine évoluant
-pacifiquement deviendrait une force économique
-de premier ordre. Ses ressources sont
-immenses. On doit seulement se demander si,
-prenant conscience d'elle-même, elle ne sera pas
-sujette à de dangereuses explosions révolutionnaires
-et nationalistes. Le continent asiatique
-inquiète déjà les esprits avisés de l'Europe. Il est
-probable qu'il s'agitera beaucoup au cours de ce
-siècle-ci. Cet énorme réservoir d'hommes commence
-à sortir de sa passivité. Tant que l'avenir
-ne sera pas plus clair, la prudence, pour les capitalistes
-européens, sera de rigueur.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch6" title="VI. Emprunts d'États centre-européens">CHAPITRE VI</h2>
-
-<p class="c">EMPRUNTS DES ÉTATS QUI ONT ÉTÉ EN GUERRE
-AVEC LES ALLIÉS ET DES NOUVEAUX ÉTATS ISSUS
-DE LA DÉCOMPOSITION DE L'AUTRICHE-HONGRIE</p>
-
-<p class="d">Les fonds allemands. &mdash; Fonds autrichiens et hongrois. &mdash; Conséquences
-de la dissolution de la monarchie austro-hongroise. &mdash; La
-distribution de la dette et les nouvelles nationalités. &mdash; Raisons
-de méfiance à l'égard des appels au crédit de la Pologne, de
-la Tchéco-Slovaquie et de la Yougo-Slavie. &mdash; Fonds bulgares.
-Fonds ottomans. &mdash; L'Europe centrale et orientale devra être
-évitée longtemps par les capitaux.</p>
-
-
-<p>Ce chapitre sera nécessairement bref, car nous
-n'avons pas besoin de mettre le capital et l'épargne
-en garde contre les fonds des États vaincus qui
-auront à payer les frais de la guerre et qui sont
-ruinés pour longtemps.</p>
-
-<p>Rares étaient les Français qui possédaient des
-rentes de l'Empire ou des États allemands, bien
-que, dans les années qui ont précédé la guerre,
-des démarcheurs et des banquiers eussent cherché
-à en écouler chez nous. Les personnes qui avaient
-succombé à la tentation auront été bien punies
-d'avoir joué sur le tableau de l'ennemi. A l'avenir,
-personne ne sera tenté de recommencer.</p>
-
-<p>Le cas est différent en ce qui concerne nos autres
-adversaires. L'Autriche-Hongrie, la Bulgarie, la
-Turquie ont trouvé du crédit en France avec l'autorisation
-du gouvernement, jusqu'à la veille des
-hostilités, ce qui prouve que le capitaliste doit se
-méfier de toutes les suggestions des établissements
-de crédit et même des recommandations officielles.
-L'Autriche-Hongrie était l'alliée de l'Allemagne,
-la Bulgarie suspecte, la Turquie peu sûre.
-Mais les établissements de crédit ne songeaient
-qu'aux commissions à encaisser. Quant au gouvernement,
-ou bien il s'aveuglait sur les dispositions
-de ces pays, ou bien il se servait de l'épargne
-française et la guidait vers des placements détestables
-dans l'idée d'amadouer des pays hostiles.</p>
-
-<p>L'épargne française aura fait les frais de cette
-diplomatie aventureuse. C'est ainsi que, quelques
-mois avant la guerre, fut lancé en France un
-emprunt ottoman dont un seul coupon a été payé
-et qui a donné aux Jeunes Turcs les moyens de
-préparer la guerre. Peut-être, à Gallipoli, des soldats
-français, ayant souscrit, eux ou leurs parents,
-à cet emprunt, ont-ils été frappés des projectiles
-que leur propre argent avait payés. Quelle monstrueuse
-ironie!</p>
-
-<p>Les fonds <i>autrichiens</i> et <i>hongrois</i> se trouvaient
-en quantités sérieuses dans les portefeuilles français
-avant la guerre. Il faut leur assimiler les
-<i>obligations des chemins de fer autrichiens</i>, chemins
-de fer rachetés et dont les titres étaient devenus
-des titres d'État. Le traité de paix stipule que les
-arrérages de ces emprunts devront être payés de
-préférence aux emprunts de guerre, ce qui est
-une certaine garantie pour les porteurs français.
-Toutefois la faillite menace l'Autriche et la Hongrie.
-On peut considérer que la Hongrie, pays
-agricole, est moins ruinée que l'Autriche bien que
-les nouvelles frontières qui lui sont imposées
-diminuent gravement ses ressources.</p>
-
-<p>Cependant une autre question se pose. L'Empire
-austro-hongrois s'est dissous. L'Autriche et
-la Hongrie ont été amputées, diminuées dans
-leur population, dans leur territoire et dans leurs
-ressources au profit des nouveaux États qui sont
-nés de la chute de l'ancienne monarchie. L'Autriche
-et la Hongrie réduites à elles-mêmes seraient
-donc incapables de faire face à leurs engagements.
-Le traité a prévu avec raison que les
-États qui sont nés ou qui se sont agrandis aux
-dépens de l'Empire déchu devraient prendre leur
-part des dettes de la communauté, et nous ne nous
-intéressons, bien entendu, qu'aux dettes d'avant-guerre,
-les seules dont les titres soient possédés
-par des Français.</p>
-
-<p>Il se trouvera donc que les porteurs de rente
-autrichienne seront créanciers à la fois de l'Autriche
-proprement dite, de la Yougo-Slavie, de la
-Pologne et de la Tchéco-Slovaquie. Les porteurs
-de rente hongroise seront créanciers de la
-Hongrie, de la Yougo-Slavie, de la Tchéco-Slovaquie
-et de la Roumanie. Comment, dans ces
-conditions, se fera le service de la Dette? Comment
-se fera la discrimination? Cela est bien
-obscur et doit laisser les intéressés perplexes.</p>
-
-<p>Il est en outre à craindre que le crédit de ces
-nouveaux États, dépourvus d'administration et qui
-auront tout à créer chez eux, ne soit pas très solide.
-Ils auront besoin de faire preuve de sagesse et
-dans leur politique intérieure et dans leur politique
-extérieure. Malheureusement les symptômes,
-à l'heure actuelle, ne sont pas très favorables.
-En outre, la décomposition de l'Autriche a étendu
-à l'Europe centrale une situation qui ne ressemble
-que trop à la situation balkanique. Il y a
-de fortes raisons de craindre l'instabilité du nouvel
-ordre de choses. Ce que les jeunes nationalités
-qui viennent de prendre leur essor auraient de
-mieux à faire, ce serait de se fédérer entre elles.
-Cette solution équivaudrait à reconstituer l'ancienne
-Autriche. Si elle doit être admise, il serait
-bien étonnant que ce ne fût pas après des luttes
-et des convulsions qui en auraient démontré la
-nécessité après avoir singulièrement aggravé les
-dégâts.</p>
-
-<p>Les trois nouveaux États polonais, tchèque et
-yougo-slave, étant considérés comme nos alliés,
-ne vont probablement pas tarder à faire appel au
-crédit international. Nous croyons devoir conseiller
-la plus grande réserve. Nous avons déjà
-dit plus haut ce que nous pensions de la Yougo-Slavie.
-Quelles que soient les sympathies qu'appellent
-les Tchéco-Slovaques et la Pologne, les
-Français n'ont plus le droit ni les moyens de faire
-de la finance sentimentale ni d'aventurer leurs
-capitaux. Il suffira d'observer que, pour le premier
-semestre de l'année 1919, la Pologne, sans
-dette, a déjà un déficit de deux milliards.</p>
-
-<p>D'une manière générale, l'Europe centrale et
-orientale nous apparaît comme devant être pour
-longtemps évitée par les capitalistes. L'exemple
-de la Bulgarie peut servir de leçon. Voilà un
-pays qui a joui chez nous pendant de longues
-années d'une popularité inexplicable et qui nous
-a odieusement trompés. La France ne devra plus
-être la vache à lait des nationalités nouvelles.</p>
-
-<p>Nous ne nous appesantirons pas sur les anciens
-<i>emprunts bulgares</i>. Le traité de paix donne à cet
-égard les garanties nécessaires et usuelles aux
-intérêts des porteurs. Les personnes qui ne sont
-pas engagées dans ces titres feront mieux de n'y
-pas entrer. Le pays est trop peu sûr.</p>
-
-<p>Restent les <i>fonds ottomans</i>. Ce sont peut-être,
-de tous ceux des États qui ont été nos ennemis,
-les moins mal protégés. Le caractère international
-de l'espèce de protectorat qui est imposé à
-l'Empire turc, joint aux privilèges anciens attachés
-à quelques-unes des dettes ottomanes, font
-espérer que les porteurs ne seront pas dépouillés.
-Néanmoins, la plus grande incertitude plane sur
-l'avenir de la Turquie comme de tout l'Orient.
-Ces titres ne peuvent tenter les personnes qui, au
-goût du risque et de la spéculation, ne joignent
-pas une certaine connaissance des choses orientales.</p>
-
-<p>Sans développer davantage ces divers points,
-nous concluons donc, avec le bon sens : on ne
-prête pas à l'ennemi, on ne prête pas aux vaincus.
-On ne prête pas non plus à de jeunes États qui
-n'ont pas encore fait la preuve de leur solvabilité.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch7" title="VII. Emprunts des États neutres">CHAPITRE VII</h2>
-
-<p class="c small">EMPRUNTS DES ÉTATS NEUTRES</p>
-
-<p class="d">Les pays épargnés par la guerre se sont enrichis. &mdash; Leurs emprunts
-sont d'un moindre rapport que ceux des belligérants. &mdash; Est-ce
-le moment d'entrer dans ces valeurs? &mdash; Avantages
-qu'elles offrent encore temporairement. &mdash; Examen des six pays
-neutres d'Europe : Espagne, Suisse, Hollande, pays Scandinaves. &mdash; Le
-Mexique et l'Amérique du Sud. &mdash; Nécessité d'une soigneuse
-discrimination.</p>
-
-
-<p>Nous entrons ici dans le paradis des fonds
-d'États. Parmi les peuples qui se sont tenus prudemment
-à l'écart de la guerre, &mdash; nous rangeons
-dans cette catégorie les Républiques Sud-américaines
-qui se sont contentées de rompre avec
-l'Allemagne, &mdash; les uns se sont enrichis, les autres,
-du moins, ne se sont pas couverts de dettes comme
-les belligérants. Par comparaison, leur situation
-financière, qui n'était pas toujours de premier
-ordre, apparaît comme améliorée. Il y a là, pour
-certains d'entre eux, un trompe-l'&oelig;il. On aurait
-tort de croire que tous les pays qui se sont tenus
-dans la neutralité ont acquis, par cela même, une
-solvabilité à toute épreuve.</p>
-
-<p>Les personnes qui avaient observé le principe
-de la distribution géographique des placements,
-lorsqu'elles étaient bien tombées, ont été récompensées
-de leur prudence pendant la guerre.
-Encore fallait-il bien tomber ou avoir été doué
-d'une prévoyance rare pour discerner les pays
-qui échapperaient à une tourmente dont ceux-mêmes
-qui l'annonçaient ne pouvaient soupçonner
-l'ampleur. Il y a donc eu plus de chance que de
-science dans la distribution des portefeuilles les
-plus judicieusement composés. Il suffit d'ailleurs
-de consulter les tableaux de placements donnés
-avant 1914 par les conseilleurs les plus qualifiés
-pour se rendre compte des erreurs que les plus
-sages peuvent commettre. Ce qui confirme notre
-principe essentiel, qu'il ne suffit pas, pour assurer
-les capitaux, de les répandre sur toute la surface
-du globe.</p>
-
-<p>D'ailleurs, la roue tourne. Tel État qui vient
-d'échapper à la guerre et dont la situation paraît
-enviable subira demain à son tour quelque choc
-dont il est difficile pour le moment d'apercevoir
-les causes. Tel autre, au contraire, au sujet
-duquel les perspectives étaient sombres, semble
-rester à l'abri des orages. Il y reste jusqu'à ce que
-son tour arrive. La stabilité et la prospérité sont
-pour les États ce que la santé est pour l'homme le
-mieux portant : quelque chose de provisoire.</p>
-
-<p>Essayons de raisonner en ce qui concerne les
-capitaux et leur besoin accru de sécurité. Les rentiers
-qui, dans le choix de leurs placements, se
-régleraient sur leur tempérament personnel en
-appliquant les données généralement admises
-autrefois, obéiraient à l'une ou à l'autre des deux
-tendances suivantes. Hardis, ils parieraient pour le
-relèvement des États qui ont souffert de la guerre,
-ils spéculeraient sur la hausse de leurs emprunts.
-Timorés, ils se réfugieraient dans les titres des
-États qui ne se sont pas endettés.</p>
-
-<p>Le premier système a des précédents encourageants.
-L'histoire du <small>XIX</small><sup>e</sup> siècle montre qu'en effet
-les grandes nations qui ont subi les plus dures
-épreuves, dont le crédit a paru à un moment
-donné le plus compromis ou a été le plus discuté,
-sont parvenues à rétablir leur situation. Elles ont
-récompensé les prêteurs qui ont eu confiance en
-elles. Tel a été le cas de l'Italie, dont la solidité
-financière, aux débuts difficiles de son unité, semblait
-plus qu'aléatoire. Tel a été aussi le cas de la
-France. Après 1815, et après 1871, son relèvement
-a justifié toutes les espérances de ceux qui
-avaient cru en elle. On cite des spéculateurs qui,
-à la suite de la première guerre franco-allemande,
-sont restés dix ans à la hausse sur nos fonds nationaux
-et dont l'enrichissement s'est fait tout seul à
-mesure que les forces économiques de la France
-se reconstituaient.</p>
-
-<p>L'Espagne offre un phénomène du même genre.
-Les agitations de sa politique avaient longtemps
-détourné le public de ses emprunts. En 1898, sa
-guerre désastreuse avec les États-Unis avait failli
-la conduire à la banqueroute. Pourtant l'Espagne
-a résisté et ceux qui avaient ponté sur elle au
-moment où elle était le plus bas ont gagné. Nous
-connaissons à ce sujet une anecdote symbolique.</p>
-
-<p>Pendant la guerre hispano-américaine, la rente
-espagnole dite Extérieure, c'est-à-dire payable en
-or à Paris, était tombée aux environs de 30 francs.
-On parlait de suspendre les paiements ou, au moins,
-de les réduire et de recourir à une faillite partielle.
-Était-ce le moment d'acheter et de courir l'aventure?
-Les esprits craintifs disaient non. Les amateurs
-de risque disaient oui. Or, il y avait un
-ménage français où le mari était timide et la
-femme aventureuse. La femme conseillait d'acheter
-de l'Extérieure. Le mari refusait. L'occasion
-passa. Lentement d'abord, l'Extérieure se mit
-à remonter : l'Espagne tenait ses engagements.
-Tous les soirs, dans le journal, Madame lisait les
-cours. Elle les lisait à voix haute. Madame triomphait
-et Monsieur était humilié. Par sottise il avait
-manqué une fortune. Et l'histoire ajoute que,
-quand l'Extérieure fut au pair, le ménage
-divorça&hellip;</p>
-
-<p>La question est de savoir si ces exemples de
-relèvement progressif et de guérison rapide sont
-encore applicables à la situation actuelle. En
-somme, l'expérience que nous avons du crédit
-des grands États, tel qu'il s'est constitué dans le
-monde contemporain, est une expérience étendue
-sur un temps très court par rapport à la longévité
-des nations. C'est tout au plus l'espace d'un
-siècle, beaucoup moins pour de nombreux pays.
-On ne saurait tirer du fait que, de 1815 à 1914,
-aucun État important n'a fait faillite et que les pays
-éprouvés se sont tirés d'affaire, la conclusion que
-l'échafaudage financier des sociétés contemporaines
-est indestructible et que ce qui s'est passé
-au <small>XIX</small><sup>e</sup> siècle recommencera au <small>XX</small><sup>e</sup>.</p>
-
-<p>Pas plus qu'il n'est certain que tous les belligérants
-se relèveront de leurs plaies, il n'est certain
-que les États restés neutres de 1914 à 1918
-jouiront d'une prospérité éternelle, à l'abri des
-convulsions et des hasards. Leur bonheur ne doit
-donc pas faire illusion outre mesure. Le monde
-nouveau, tel qu'il est sorti de la paix, est trop instable
-pour qu'on puisse assurer que celui-ci ou
-celui-là seront toujours exempts des guerres et
-des révolutions.</p>
-
-<p>Ainsi le rentier irait sans le savoir au devant de
-nouveaux risques s'il portait inconsidérément sa
-fortune chez les anciens «&nbsp;neutres&nbsp;». Il faudra
-encore choisir entre eux et scruter leur fort et leur
-faible.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>L'<i>Espagne</i> a été merveilleusement favorisée par
-la guerre. L'or a afflué chez elle. Sa rente extérieure
-a largement dépassé le pair. Le change,
-phénomène inouï, lui est devenu favorable au
-point que le billet de banque français a perdu plus
-de 30 p. 100. Les porteurs de rente espagnole,
-qui semblaient avoir fait un placement aventureux,
-se sont trouvés au contraire avoir fait une opération
-excellente.</p>
-
-<p>Tous ces signes veulent-ils dire que l'Espagne
-jouit d'une prospérité réelle et durable? C'est une
-autre affaire. L'Espagne, à qui la guerre a apporté
-une richesse imprévue, souffre d'un malaise politique
-et social mal défini qui inspire des inquiétudes
-à tous les observateurs. Rien de net n'est encore
-sorti de ce malaise, mais c'est un état qui ne se
-prolongera peut-être pas éternellement. Au cas où
-une révolution surviendrait, le précédent lamentable
-de la République espagnole de 1873 n'est pas
-de nature à rassurer. Les personnes qui détiennent
-de la rente Extérieure en quantités modérées
-peuvent conserver leurs titres. C'est un élément
-de variété dans la composition d'un portefeuille.
-En acheter à l'heure actuelle (23 p. 100 au-dessus
-du pair en août 1919) semble bien aléatoire, vu
-l'obscurité qui entoure l'avenir de la politique
-espagnole. Par contre, si l'horizon s'éclaircissait, si
-l'ordre se stabilisait et si un personnel rajeuni
-venait administrer l'Espagne, ce pays, où il y a
-encore tant à faire, serait des plus intéressant.</p>
-
-<p>La <i>Suisse</i> n'a pas profité de la guerre. Elle en a
-même souffert et elle y a beaucoup perdu. Elle a
-dû accroître sa Dette pour couvrir les dépenses
-que lui a causées une longue mobilisation, maintenue
-pendant toute la durée des hostilités. La
-Suisse n'en est pas moins, par rapport à tous ses
-voisins, dans une situation enviable, accusée par
-un change qui ne cesse de lui être favorable.
-Neutre au point de vue diplomatique et militaire, la
-Suisse qui, entourée de belligérants, a pu échapper
-à la guerre, semble avoir fait aussi l'épreuve de sa
-résistance à la révolution. Les tentatives de bolchevisme
-qui ont eu lieu à Zurich ont été réprimées
-et l'attitude de l'ensemble de la population,
-dont l'esprit est parfaitement sain, permet de
-penser que ces tentatives, si elles se renouvelaient,
-seraient vouées au même échec.</p>
-
-<p>Les rentes suisses 3 et 3&nbsp;½ cotées à Paris,
-ainsi que les emprunts des principaux cantons,
-offrent de sérieuses garanties. Leur rendement est
-médiocre étant donné le loyer courant de l'argent.
-Elles promettent du moins de la sécurité quant au
-capital, surtout pour les séries les plus anciennes
-amorties par tirage régulier, comme les chemins
-de fer fédéraux 3&nbsp;½ 1899&ndash;1902.</p>
-
-<p>La <i>Hollande</i>, elle aussi, a miraculeusement
-échappé à la guerre. Ce sage pays aurait une apparence
-bien trompeuse s'il devait connaître des
-bouleversements intérieurs. Ses rentes ont le
-défaut d'être rares et chères.</p>
-
-<p>Nous arrivons, en remontant vers le Nord, au
-groupe Scandinave. Avec ces trois royaumes
-s'achève la liste des États européens restés neutres.
-Tous trois jouissent d'un excellent crédit. Leur
-politique intérieure et extérieure est paisible. Le
-<i>Danemark</i>, dont la prudence à l'égard de l'Allemagne
-a été remarquable, recouvre le Slesvig et
-par là accroît ses ressources. La <i>Norvège</i> a souffert
-de la guerre sous-marine. Mais sa flotte marchande,
-quoique diminuée, lui a valu et lui vaudra
-encore de beaux bénéfices. Sa situation financière
-est bonne et l'épargne s'y développe d'une façon
-constante.</p>
-
-<p>La statistique officielle des Caisses d'épargne de
-Norvège, pour l'année 1917 montre combien la
-prospérité nationale a augmenté pendant les années
-de guerre. L'ensemble des dépôts opérés dans les
-caisses d'épargne de 65 villes et de 476 communes
-de la campagne, a augmenté d'une manière inconnue
-jusqu'alors. Le capital déposé était en 1900
-de 300 millions, en 1910 de 500 millions, en
-1915 de plus de 720 millions, en 1916 il dépassait
-950 millions, et en 1917 il atteignait presque
-1.250 millions de couronnes. Pendant 7 ans, de
-1910 à 1917 les dépôts ont donc augmenté d'environ
-750 millions. Pour avoir une idée tout à fait
-complète de cet accroissement de la prospérité
-norvégienne, il faudrait aussi connaître le montant
-des capitaux déposés dans les banques privées. Il
-est probable, dans ces conditions, que les Norvégiens
-rachèteront et rapatrieront leurs emprunts
-nationaux qui sont ainsi assurés d'une certaine
-stabilité sur les marchés extérieurs.</p>
-
-<p>Quant à la <i>Suède</i>, elle est, comme nous l'avons
-déjà dit, un des rares États du monde qui possèdent
-un riche patrimoine productif, et son actif
-(composé en particulier de célèbres mines de fer),
-balance presque son passif.</p>
-
-<p>C'est peut-être la Suède pourtant dont la politique
-intérieure laisserait le plus à désirer et serait exposée
-à des surprises et à des secousses, sa dynastie étant
-très discutée et combattue. Toutefois le bolchevisme
-a vainement essayé de s'introduire dans les
-pays Scandinaves. En sorte que les fonds danois,
-norvégiens et suédois, les deux premiers surtout,
-lorsqu'il est possible de s'en procurer (car il est
-devenu assez rare, depuis quelque temps, que les
-porteurs s'en dessaisissent) peuvent être acquis,
-eux aussi, pour leur sécurité plus que pour leur
-rendement.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Parmi les États de l'Amérique centrale et de
-l'Amérique méridionale, quelques-uns, suivant le
-conseil donné par le président Wilson, avaient
-rompu avec l'Allemagne. Même parmi ceux-là,
-aucun n'a réellement participé à la guerre. On
-peut donc les considérer tous également comme
-étant restés dans la neutralité. Mais à d'autres
-égards, et pour apprécier leur crédit respectif, de
-profondes différences s'imposent.</p>
-
-<p>Les Républiques de l'Amérique du Sud ont
-souvent mal récompensé la confiance que l'Europe
-mettait en elles. Le défaut des pays neufs et
-sans richesse acquise, c'est qu'ils sont voués pendant
-longtemps à l'instabilité économique, sujets
-à des crises. Ayant sans cesse besoin de capitaux
-étrangers pour mettre leurs richesses en valeurs
-ils sont exposés à la faillite dès que ces capitaux
-leur manquent. L'Europe ne devant plus être d'ici
-plusieurs années en état de les alimenter, ces
-crises se reproduiront, à moins que les États-Unis
-ne jouent le rôle de banquier. Enfin, parmi les
-Républiques sud-américaines, plusieurs ne sont
-pas encore sorties de l'ère des agitations politiques
-et de l'administration défectueuse. C'est ce
-qui explique le long martyrologe des emprunts de
-ces pays, entre lesquels il importe de distinguer
-soigneusement.</p>
-
-<p>Le <i>Mexique</i> est celui qui a valu à ses créanciers
-la déception la plus cruelle. Pendant la longue et
-bienfaisante dictature de Porfirio Diaz, le Mexique
-s'était élevé à un degré de prospérité remarquable.
-Il était entré dans la société des États les plus
-civilisés. Il a suffi de la chute du dictateur pour
-ruiner l'&oelig;uvre de Porfirio Diaz et, depuis, l'histoire
-du Mexique n'a plus été que celle d'un vaste
-brigandage. Aucun coupon n'a plus été payé :
-c'est le pendant du bolchevisme russe, et la France
-a, là-bas, trois milliards en souffrance.</p>
-
-<p>Après avoir laissé l'anarchie mexicaine se développer,
-si même ils ne l'ont pas vue d'un &oelig;il
-favorable, les États-Unis semblent changer d'attitude.
-Sous leur influence, l'ordre pourra se
-rétablir au Mexique. Il pourrait devenir intéressant,
-dans cette attente, d'acquérir quelques valeurs
-mexicaines (rentes 4&nbsp;%, obligations des
-chemins de fer fédéraux.) Toutefois il conviendrait
-de n'en acquérir qu'avec modération. Le
-Mexique ne retrouvera pas du jour au lendemain
-son équilibre. Et si les États-Unis y rétablissent
-l'ordre, il n'est pas certain que ce soit pour payer
-tout de suite et intégralement l'arriéré dû aux
-porteurs européens.</p>
-
-<p>Mêmes observations en ce qui concerne <i>Haïti</i>.
-La mainmise américaine sur ce pays, qui a suspendu
-ses paiements en 1915, ne paraît qu'une
-affaire de temps. Toutefois l'achat des trois séries
-de rentes haïtiennes cotées à la Bourse de Paris
-et qui ont atteint en 1919 des cours élevés reste
-dans une large mesure une opération spéculative
-car le service de la dette est toujours en souffrance.</p>
-
-<p>Nous passons sur les petits États de l'Amérique
-centrale qui, presque tous, n'ont apporté que
-des déboires à leurs créanciers, pour en venir
-tout de suite à l'Amérique du Sud.</p>
-
-<p>Le <i>Brésil</i>, avec ses immenses ressources et un
-gouvernement remarquablement abondant en
-hommes distingués, n'en est pas moins le type du
-pays sud-américain voué aux crises économiques
-parce qu'il dépend de ses récoltes. Le café, qui
-constitue sa principale exportation, est soumis à
-des variations brusques et considérables. D'où
-l'instabilité des budgets brésiliens. Ce n'est pas
-sans raison que ses créanciers avaient stipulé
-autrefois la création d'un emprunt privilégié, dit
-<i lang="en" xml:lang="en">Funding</i>, dont l'intérêt est servi avant celui de
-toutes les autres séries. Cette garantie se traduit
-par les cours toujours supérieurs du <i lang="en" xml:lang="en">Funding</i>
-ancien (il en a été émis un <i>nouveau</i> par la suite,
-ce qui constitue une sorte de supercherie à laquelle
-il importe de ne pas se laisser prendre).
-Pour tant faire que d'acheter du brésilien, il est
-préférable de se porter sur le <i lang="en" xml:lang="en">Funding</i> authentique.</p>
-
-<p>Le Brésil est un État fédéral dont les États
-particuliers, jouissant d'une large autonomie,
-sont loin d'avoir tous des finances excellentes.
-Ils sont aussi responsables de leurs propres dettes.
-L'expérience a prouvé que leurs emprunts étaient
-peu sûrs et il convient de s'en écarter.</p>
-
-<p>L'<i>Uruguay</i>, qui s'adonne à l'élevage, a depuis
-un certain nombre d'années une existence calme
-et prospère. Après avoir fait banqueroute autrefois,
-il procure des satisfactions à ses bailleurs de
-fonds par un service ponctuel de sa dette, d'ailleurs
-proportionnée à sa population restreinte,
-bien que, pendant la guerre, il ait suspendu les
-amortissements promis a ses créanciers. Toutefois,
-sauf accident imprévu, son 3&nbsp;½ et ses 5 p. 100
-paraissent, à faible dose, recommandables pour
-un portefeuille abondant.</p>
-
-<p>C'est principalement au blé que la <i>République
-argentine</i> doit sa richesse. Son budget dépend
-donc aussi de ses récoltes. Son passé financier
-n'est pas encourageant, car elle a fait une faillite
-en 1891 et une autre, partielle, en 1900. Mais,
-depuis, son crédit s'est relevé. Pour le moment, la
-somme de ses emprunts ne paraît pas excéder ses
-ressources normales<a id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">[3]</a>. On peut craindre seulement
-pour l'Argentine quelques troubles sociaux
-dont Buenos-Aires a déjà présenté les symptômes.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_3" href="#FNanchor_3"><span class="label">[3]</span></a> Même réserve que pour le Brésil en ce qui concerne les emprunts
-des États particuliers.</p>
-</div>
-<p>Il serait faux, en effet, de s'imaginer que le
-continent sud-américain fût à l'abri des bouleversements
-que connaît l'Europe, et même à l'abri de
-la guerre. Il n'y a pas encore si longtemps que le
-<i>Chili</i>, le <i>Pérou</i> et la <i>Bolivie</i> ont soutenu entre eux
-de longues luttes dont le souvenir n'est pas éteint
-et qui ont menacé récemment de se rallumer. Il
-est prudent de ne pas entrer dans les fonds de ces
-États, quoique l'ouverture du canal de Panama
-leur apporte beaucoup de promesses. D'ailleurs si
-un emprunt bolivien est coté à Paris (ne pas
-oublier que la Bolivie, semblable à son voisin le
-Paraguay, n'a pas accès à la mer) les valeurs
-péruviennes et chiliennes ne sont cotées qu'à
-Londres. Mieux vaut les y laisser.</p>
-
-<p>Il en est de même pour l'<i>Équateur</i>, la <i>Colombie</i>
-et le <i>Venezuela</i>, qu'il s'agisse des emprunts existants
-ou futurs de ces pays agités et dont les
-finances sont informes ou précaires.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch8" title="VIII. Les actions de chemins de fer">CHAPITRE VIII</h2>
-
-<p class="c small">UN ÉLÉMENT DES FORTUNES FRANÇAISES EN DANGER :
-LES ACTIONS DE CHEMINS DE FER</p>
-
-<p class="d">Illusion du public quant à la prospérité des compagnies. &mdash; Elles
-sont écrasées par leurs charges financières, fiscales et sociales. &mdash; Elles
-n'ont pas la liberté de leurs tarifs et le terme des concessions
-approche. &mdash; L'actionnaire garde tous les risques et ne
-touche qu'une faible part des bénéfices, quand il y en a. &mdash; Situation
-et avenir des six grandes compagnies françaises. &mdash; Le
-rachat est un soulagement et un bienfait : exemple de l'Ouest. &mdash; Cas
-des chemins de fer algériens. &mdash; Les rachats futurs
-seront-ils aussi avantageux?</p>
-
-
-<p>L'exemple des actions de chemins de fer illustre
-d'une manière éclatante &mdash; et douloureuse pour
-les porteurs de ces vénérables titres de «&nbsp;pères de
-famille&nbsp;» &mdash; tous nos précédents exposés sur le
-<i>processus</i> d'après lequel les détenteurs de la
-«&nbsp;fortune acquise&nbsp;» risquent de se voir dépouillés
-légalement, normalement et morceau par morceau,
-à la manière dont les artichauts sont
-effeuillés.</p>
-
-<p>Les actions des chemins de fer français &mdash; nous
-parlerons plus loin des actions des chemins de fer
-étrangers &mdash; ont joui pendant de longues années
-d'une vogue exceptionnelle, avant et après les
-célèbres conventions de 1883. Elles ont longtemps
-figuré, elles figurent même encore à la
-place d'honneur dans le portefeuille des rentiers
-les plus timorés. Il faut croire que ces rentiers
-n'ont jamais lu ni le cahier des charges ni le bilan
-des compagnies, sinon la capitalisation de faveur,
-la capitalisation déconcertante de ces titres ne
-s'expliquerait pas. Il est tout à fait extraordinaire,
-par exemple, de constater qu'en 1900, année de
-l'Exposition universelle, les actions de nos grandes
-compagnies de chemins de fer s'étaient capitalisées
-exactement au même taux que leurs obligations.
-C'est-à-dire qu'en réalisant son bénéfice sur ses
-actions Nord, Lyon, Orléans ou autres, et en
-acquérant, en échange, des obligations de ces
-mêmes compagnies, un capitaliste prévoyant et
-calculateur, sans diminuer le moins du monde son
-revenu, sans changer la nature de son placement,
-eût stabilisé une large part de sa fortune. Cette
-équivalence entre les actions et les obligations avait
-duré en effet assez longtemps pour suggérer et
-pour permettre l'exécution du plus indiqué, du
-plus judicieux des arbitrages. Pour ceux &mdash; et ils
-sont légion &mdash; qui ne s'y sont pas résolus au bon
-moment, la plus-value des actions de chemins de
-fer sera restée fictive et théorique, car les cours
-fabuleux qui étaient cotés aux environs de l'année
-1900 sont loin et ne reparaîtront jamais.</p>
-
-<p>Il est incroyable, mais vrai, que des milliers
-d'actionnaires des chemins de fer français, composés
-en immense majorité de pères de famille
-prudents, économes, et disposés à se prendre pour
-de vigilants administrateurs de leur bien, auront
-négligé de profiter d'un mouvement spéculatif
-pour convertir en obligations leurs actions de
-chemins de fer, alors que cette opération si simple
-eût consolidé leur situation d'une manière inespérée.
-Le mot d'ineptie n'est pas trop fort pour
-caractériser une pareille indifférence, une insensibilité
-aussi complète à l'intérêt le plus évident.</p>
-
-<p>En effet, depuis cette occasion perdue, &mdash; chance
-suprême mise par la spéculation à la
-portée des classes moyennes, &mdash; les cours des
-actions de chemins de fer, à force de se déprécier,
-ont fait subir au portefeuille de leurs détenteurs
-des pertes telles, que seules, des valeurs de troisième
-ordre étaient réputées jadis pouvoir offrir
-à la baisse un champ aussi considérable. Songez
-en effet que les actions du célèbre réseau Paris-Lyon-Méditerranée,
-après avoir valu près de
-2&nbsp;000 francs en 1900, n'en valaient plus que
-1&nbsp;200 environ en juillet 1914, soit une chute de
-40 p. 100! Or, dans le même temps, les cours
-des obligations de la même Compagnie n'avaient
-guère baissé que de 15 p. 100, étant revenues de
-485 francs à 410. Pendant la guerre, le cours
-moyen de l'action est tombé aux environs de
-700 francs tandis que l'obligation a rarement
-fléchi, et de peu, au-dessous de 320. Encore ces
-obligations ont-elles la promesse d'un remboursement
-au pair dans un délai qui peut être rapproché
-par une chance heureuse aux tirages annuels.
-On voit ainsi, par un nouvel exemple, l'avantage
-que l'on trouve à placer son capital à l'abri des
-fluctuations et des aventures en cherchant un
-refuge dans les valeurs à revenu fixe, soutenues
-par un amortissement régulier, sans attendre,
-pour prendre cette résolution salutaire, que les
-crises soient survenues.</p>
-
-<p>Mais, en 1900, selon l'illusion régnante et
-à peu près universelle, le loyer de l'argent ne
-pouvait manquer de s'abaisser d'une façon régulière.
-Les économistes, les financiers, le public,
-les savants et les ignorants, tout le monde était
-convaincu que le taux de l'intérêt devait continuer
-à décroître et ne manquerait pas de s'établir à
-2&nbsp;½, sinon même à 2&nbsp;%. La ville de Paris, vers
-cette époque, n'avait-elle pas émis, en effet, un
-emprunt de ce dernier type<a id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">[4]</a>? On s'imaginait donc
-que celles des compagnies de chemins de fer qui
-se sont réservé la faculté de rembourser leur dette
-par anticipation (ce sont les Compagnies de Lyon
-et d'Orléans), ne tarderaient pas à procéder à la
-conversion en 2&nbsp;½ ou 2&nbsp;¾ de leurs obligations
-3 p. 100. On s'imaginait aussi que le cours des
-obligations des autres compagnies, les obligations
-inconvertibles, devant se fixer à tout jamais au-dessus
-du pair, le porteur serait par conséquent
-exposé à subir une perte chaque fois que, par le
-jeu de l'amortissement, ces obligations seraient
-remboursées à 500 francs. C'est justement le
-contraire qui s'est produit.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_4" href="#FNanchor_4"><span class="label">[4]</span></a> Dans les dernières années du <small>XIX</small><sup>e</sup> siècle, les compagnies de
-chemins de fer pouvaient émettre, elles aussi, des obligations du
-type 2&nbsp;½. Depuis 1910, elles ont dû se résoudre à revenir au type
-4 p. 100. Les voici présentement à 5.</p>
-</div>
-<p>Pendant ce temps, on pensait que les actions
-de chemins de fer offraient de vastes espérances
-de plus-value et d'augmentation de bénéfices. On
-se reposait d'une part sur la garantie de l'État ;
-on se leurrait de l'autre sur la possibilité d'accroître
-les dividendes. Ce faux calcul, dont l'excuse
-est qu'il partait d'une erreur et d'une illusion
-presque générales, aura coûté cher aux personnes
-qui seront restées fidèles à ces titres, pour la seule
-raison qu'ils possédaient l'estime de la bourgeoisie
-française et parce qu'on se souvenait qu'ils avaient
-enrichi la première génération de leurs détenteurs.
-En sorte qu'on ne prenait même plus la peine de
-les étudier, tant leur bonne réputation les rendait
-supérieurs à toute analyse et à tout examen.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Cependant, il n'eût pas été difficile, moyennant
-un peu d'attention, au capitaliste le moins familier
-avec la comptabilité complexe des Sociétés par
-actions, de découvrir les graves faiblesses des
-compagnies de chemins de fer.</p>
-
-<p>La première de ces faiblesses, il n'est même
-pas exagéré de dire la première de ces tares, avait
-été signalée à l'attention du public, il n'y a pas
-moins de soixante ans, par le célèbre <i>Manuel du
-spéculateur à la Bourse</i>, ouvrage de Proudhon,
-ce singulier génie, fait à la fois de clartés et de
-nuages.</p>
-
-<p>En 1855, c'est-à-dire aux origines de la constitution
-des six grands réseaux et du régime sous
-lequel se trouvent encore les compagnies, Proudhon
-remarquait déjà que le caractère principal
-de la gestion des chemins de fer français était de
-vivre d'emprunts et de couvrir non seulement les
-travaux neufs, mais encore le renouvellement de
-la voie et le renouvellement du matériel roulant,
-au moyen de continuelles émissions d'obligations.
-Le principe n'a pas changé depuis le temps où
-Proudhon faisait cette remarque. Les emprunts
-à jet continu n'ont pas cessé d'être la méthode
-d'administration des compagnies de chemins de
-fer, qui n'achètent pas une locomotive sans contracter
-une dette nouvelle et qui ne mettent pas
-un fourgon au rebut sans garder la charge de
-l'intérêt et de l'amortissement du capital emprunté
-pour l'acquisition de cet objet de première nécessité.</p>
-
-<p>Un industriel ordinaire, une société quelconque
-qui emploieraient de pareils procédés iraient droit
-à la ruine et seraient jugés avec la dernière sévérité.
-Mais, pour la bourgeoisie française, les compagnies
-de chemins de fer sont au-dessus de la
-critique. Leurs actions bénéficient d'une vieille
-renommée. Le portefeuille des pères de famille
-en est rempli&hellip; Telle est, jusque dans les affaires
-d'intérêt, la force de l'habitude et la puissance de
-la tradition.</p>
-
-<p>Deux exemples vont tout de suite fixer les idées
-du lecteur sur la gestion financière des grandes
-compagnies et les alarmes que les capitalistes
-prévoyants doivent en concevoir.</p>
-
-<p>Voici la plus prospère de toutes les compagnies,
-celle à qui s'attachent le nom, l'autorité, le prestige
-financier des Rothschild : la puissante Compagnie
-du Nord. Nous ne parlons même pas de sa
-situation financière présente ni des pertes terribles
-que la guerre lui a fait subir par la destruction
-d'une si large partie de son réseau. Mais, pour
-l'exercice 1913, comme pour les exercices précédents,
-les chemins de fer du Nord avaient eu
-recours au crédit public et ne lui avaient pas demandé
-moins de 87&nbsp;880&nbsp;000 francs, somme qui
-correspondait alors à une charge annuelle supplémentaire
-d'environ 4&nbsp;400&nbsp;000 francs jusqu'à la fin
-de la concession. D'avance, le Nord avait donc
-engagé pour 4&nbsp;400&nbsp;000 francs ses recettes supplémentaires
-à venir. Que sera-ce pour les emprunts
-que nécessite la guerre!</p>
-
-<p>Cependant, pour le même exercice 1913, le
-bénéfice distribuable de la Compagnie (y compris
-celui des lignes nord-belges) n'avait atteint que
-30 millions en chiffres ronds. C'est-à-dire que, si
-les chemins de fer étaient une industrie comme
-une autre, les bénéfices réalisés par le Nord en
-1913 n'auraient pas suffi à ses besoins normaux.</p>
-
-<p>Le cas est le même pour le réseau de l'Est. Ce
-réseau s'était fait remarquer dans les années qui
-ont précédé la guerre par l'augmentation considérable
-de recettes que le développement industriel
-de la région qu'il dessert (et en particulier l'essor
-du bassin de Briey), lui avait permis de réaliser.
-Les recettes de l'Est s'étaient accrues de plus de
-100 millions depuis le commencement du siècle.
-Aussi la Compagnie avait-elle pu rembourser à
-l'État, tranche par tranche, toute la dette constituée
-durant les années mauvaises au titre de la
-garantie d'intérêt. Enfin, en 1914, année suprême,
-la Compagnie avait pu relever son dividende, très
-modestement, il est vrai, et de la très pauvre
-somme de 2 francs : mais les actionnaires, depuis
-longtemps, n'avaient reçu pareille aubaine et
-s'étaient estimés heureux. S'ils y avaient regardé
-de près ils auraient vu combien cette pièce de
-2 francs elle-même était précaire!</p>
-
-<p>L'exercice 1913 avait marqué pour la Compagnie
-de l'Est l'ère de ce qu'on appelle la «&nbsp;liberté
-des dividendes&nbsp;». Nous verrons à un autre endroit
-les étroites limites de cette liberté. Pour le moment,
-ce qu'il importe de remarquer, c'est que, dans
-une année considérée comme une année prospère,
-l'Est avait dû, pour satisfaire aux besoins de son
-réseau, emprunter une somme de 80 millions en
-chiffres ronds, correspondant à une annuité d'environ
-4 millions et demi, pour le service des intérêts
-et de l'amortissement. L'année précédente,
-l'appel au crédit et la charge corrélative avaient
-été presque exactement pareils. Il n'y avait donc
-pas de raison pour, que, au cours des années
-suivantes, et en admettant même que la guerre ne
-fût pas survenue, la nécessité de recourir à l'emprunt
-ne fût pas demeurée la même : le rapport
-l'annonçait d'ailleurs en toutes lettres. Et comment,
-en vérité, la Compagnie des chemins de fer
-de l'Est eût-elle suffi à 80 millions de dépenses
-obligatoires avec un bénéfice net de 25 millions
-environ? Même en supprimant et le dividende
-réservé et le modeste dividende supplémentaire
-de 2 francs, elle fût restée bien loin de
-compte!</p>
-
-<p>L'emprunt et toujours l'emprunt : voilà donc la
-loi vitale des chemins de fer français. C'est pourquoi
-l'on conçoit sans peine les alarmes qui assiègent
-les administrateurs des compagnies de chemins
-de fer et qui sont exprimées chaque année
-par eux, sous une forme plus ou moins sibylline,
-aux Assemblées générales. A mesure que la durée
-de la concession s'abrège et se rapproche de son
-terme (il ne reste plus que trente-cinq ans à courir
-pour le Nord), la dette s'enfle et le service, aggravé
-par les droits de timbre grandissants, en devient
-plus onéreux et plus lourd. Ainsi, la Compagnie
-de l'Est, en dix années, avait vu, pour les «&nbsp;dépenses
-de premier établissement&nbsp;», son passif s'accroître
-d'un demi-milliard, en dépit des amortissements
-régulièrement pratiqués sur les obligations antérieurement
-émises. Où, quand et comment s'arrêtera
-cet endettement prodigieux que la guerre
-aura aggravé dans des proportions incalculables?
-On dira que les compagnies continuent, conformément
-aux engagements qu'elles ont pris, à
-amortir leurs emprunts antérieurs. Mais il y a
-longtemps qu'elles empruntent beaucoup plus
-qu'elles ne remboursent et leur dette ne diminue
-jamais. Si l'Est, par exemple, avait remboursé
-pour 23 millions de francs d'obligations anciennes
-en 1913, il en avait émis pour 80 millions de
-francs de nouvelles. De plus, les annuités libérées
-par les remboursements, sont destinées, comme
-on le sait, à accroître la masse réservée aux amortissements
-annuels, suivant les tables d'amortissement.
-On voit donc que la dette nouvelle de
-80 millions contractée dans l'année 1914 est
-restée tout entière, intérêts et principal, comme
-les dettes précédentes, à la charge de la Compagnie,
-puisque la somme affectée au paiement des
-arrérages sur les obligations remboursées et annulées,
-doit servir à rembourser et à annuler une
-plus grande quantité des obligations restantes, et
-ainsi de suite, de manière à assurer le remboursement
-intégral de tous les emprunts avant la fin
-de la concession.</p>
-
-<p>Il apparaît ainsi que l'industrie des chemins de
-fer, en France, est une industrie d'un genre tout
-à fait spécial, et qui ressemble fort à celle des
-Danaïdes condamnées à remplir un tonneau sans
-fond. D'une part les compagnies ont et doivent
-avoir continuellement recours à l'emprunt et leur
-dette obligataire ne cesse de s'enfler. D'autre part,
-elles n'exploitent qu'à titre de concessionnaires
-des réseaux qui, au terme de la concession, doivent
-revenir gratuitement à l'État. La concession,
-c'est la fameuse «&nbsp;peau de chagrin&nbsp;» de Balzac.
-Elle se rétrécit chaque année. Pendant ce temps la
-dette s'enfle et, quel que soit le génie d'économie
-qu'on y pourra mettre, elle ne peut manquer de
-s'enfler encore, sous peine, pour les travaux d'art
-et les voies, de tomber en ruines, pour le matériel
-de se délabrer.</p>
-
-<p>Au point de vue strictement financier, et par
-les lois mêmes de leurs contrats, les compagnies
-de chemins de fer sont donc placées dans une situation
-on ne peut plus alarmante pour l'avenir.</p>
-
-<p>Il est question, il est vrai, depuis quelque
-temps, de les aider à sortir de ces soucis qui pourraient
-devenir bientôt des embarras et qui sont un
-principe de ruine. Divers projets ont été agités.
-L'État autoriserait les compagnies à émettre des
-obligations remboursables en cinquante années
-(comme le sont déjà les obligations de l'Ouest-État),
-c'est-à-dire après l'expiration des concessions.
-Il est assez probable qu'il faudra bien, tôt
-ou tard, adopter ou cette solution-là ou une autre
-du même genre, à moins qu'on ne désire voir
-les compagnies succomber sous le fardeau<a id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">[5]</a>. Mais
-le texte du cahier des charges est formel : les
-réseaux doivent revenir à l'État en pleine et
-entière propriété et libres de toute dette et engagement.
-Tout ce que l'État accorderait aux compagnies
-dans cet ordre d'idées serait donc générosité
-pure, et il y a peu de chances pour que,
-l'État voulût-il être généreux, l'opinion et le Parlement
-le lui permissent. Il faudrait donc très
-certainement que les actionnaires se résolussent
-à payer par quelque nouveau sacrifice le soulagement
-qui leur serait accordé. Et pourtant, des
-sacrifices, il ne leur reste plus le moyen d'en faire
-beaucoup!</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_5" href="#FNanchor_5"><span class="label">[5]</span></a> Le président du conseil d'administration de l'Est, à l'assemblée
-générale de 1914, a fait remarquer aux actionnaires que
-leurs charges d'intérêt et d'amortissement qui ressortaient, en
-1907, à 4,68 par obligation, ressortaient à 5,21 en 1913. D'autre
-part, M. Félix Chautemps, député, dans son rapport sur les chemins
-de fer, calculait ainsi la progression de la charge imposée pour
-le service d'un emprunt à 4 p. 100 :</p>
-
-<table summary="">
-<tr><td><div class="c">Durée de l'amortissement</div></td>
-<td colspan="2"><div class="c">Taux d'intérêt et d'amortissement</div></td></tr>
-<tr><td><div class="c">50 ans.</div></td>
-<td><div class="r">4,<span class="comma">655</span></div></td>
-<td><div class="c">p.&nbsp;100</div></td></tr>
-<tr><td><div class="c">45 ans.</div></td>
-<td><div class="r">4,<span class="comma">82</span></div></td>
-<td><div class="c">&mdash;</div></td></tr>
-<tr><td><div class="c">40 ans.</div></td>
-<td><div class="r">5,<span class="comma">002</span></div></td>
-<td><div class="c">&mdash;</div></td></tr>
-<tr><td><div class="c">35 ans.</div></td>
-<td><div class="r">5,<span class="comma">357</span></div></td>
-<td><div class="c">&mdash;</div></td></tr>
-<tr><td><div class="c">30 ans.</div></td>
-<td><div class="r">5,<span class="comma">783</span></div></td>
-<td><div class="c">&mdash;</div></td></tr>
-<tr><td><div class="c">25 ans.</div></td>
-<td><div class="r">6,<span class="comma">40</span></div></td>
-<td><div class="c">&mdash;</div></td></tr>
-<tr><td><div class="c">20 ans.</div></td>
-<td><div class="r">7,<span class="comma">358</span></div></td>
-<td><div class="c">&mdash;</div></td></tr>
-<tr><td><div class="c">15 ans.</div></td>
-<td><div class="r">8,<span class="comma">99</span></div></td>
-<td><div class="c">&mdash;</div></td></tr>
-<tr><td><div class="c">10 ans.</div></td>
-<td><div class="r">12,<span class="comma">33</span></div></td>
-<td><div class="c">&mdash;</div></td></tr>
-</table>
-<p>7, 8, 12 p. 100! Et c'était des chiffres d'avant-guerre! Aujourd'hui,
-il faudrait au moins les doubler. Ce serait l'écrasement pur
-et simple du budget des Compagnies, l'impossibilité pour elles
-d'entretenir les réseaux. Pour peu que l'État y mît de mauvaise
-volonté, les Compagnies se verraient exposées à cette alternative : la
-ruine ou la déchéance.</p>
-</div>
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>En effet, les compagnies de chemins de fer
-auront été les premières et naturelles victimes des
-réglementations qui tendent à accroître la part du
-travail et à réduire celle du capital. Cette espèce
-de lente évaporation des capitaux, cette consomption
-des revenus et bénéfices divers dont nous
-avons montré plus haut la marche, ne pouvait
-manquer de s'exercer avec une rapidité et une
-gravité particulières sur une industrie qui occupe
-un personnel considérable, qui se trouve sous le
-contrôle direct de l'État et qui, en outre, est privée
-de la liberté de fixer ses tarifs. Ceux-ci, il est vrai,
-ont bien été relevés pendant la guerre : mais, en
-contre-partie, les compagnies ont dû assumer des
-charges nouvelles et cette augmentation des tarifs
-ne suffit déjà plus. En d'autres termes, les compagnies
-sont ligotées, prisonnières. Aucune issue ne
-leur est offerte, sinon des procès dont la solution
-est lointaine et douteuse, quand elles se croient
-fondées à prétendre que l'intervention du législateur
-a été inique et abusive, ou même quand des
-pertes immenses leur ont été infligées par un cas
-de force majeure comme la guerre.</p>
-
-<p>C'est ce qui s'était produit déjà pour le régime
-des retraites que le Parlement avait imposé aux
-compagnies en 1909 et 1911. Ce régime, chose très
-remarquable, était infiniment plus favorable aux
-travailleurs de la voie ferrée que celui des retraites
-ouvrières de droit commun dont l'État assure lui-même
-le service, et il y a là un symptôme à retenir.
-Il apparaît d'abord que l'État est disposé à se
-montrer plus exigeant pour les autres que pour
-lui-même. Et puis, au lieu d'être à l'uniformité,
-l'avenir ne serait-il pas aux privilèges? Déjà il est
-à remarquer que les ouvriers mineurs ont obtenu
-des avantages particuliers, un traitement spécial,
-qu'ils s'efforcent de développer et d'améliorer
-encore. Le cas des cheminots est le même : c'est
-l'image d'un socialisme pratique et sans doctrine,
-où les travailleurs organisés se procurent, à l'aide
-des Parlements, des conditions d'existence confortables
-et durables à l'intérieur et sur les produits
-de l'industrie même qui assure leur subsistance.
-Il est probable que cette tendance, qui est celle de
-l'incorporation du prolétariat à la profession, ira
-en croissant et en se précisant. Les dividendes et
-les intérêts du capital s'en ressentiront dans une
-sérieuse mesure. Certaines branches de l'industrie,
-qui ne sont pas encore atteintes par des réglementations
-de cette nature, le sentent si bien qu'elles
-dissimulent de leur mieux leurs bénéfices pour que
-l'intervention de l'État les épargne ou les ménage.
-Tel est le cas, notamment, de la grande métallurgie
-française, si prospère depuis quelques années.
-Nous serions surpris, si, un jour ou l'autre, la
-grande métallurgie n'était pas frappée par le même
-genre de contrainte que les charbonnages et les
-compagnies de chemins de fer ont déjà subi, et
-n'ont pas fini de subir.</p>
-
-<p>Les Compagnies ont déclaré que leur bon droit
-ne faisait pas de doute et que le Conseil d'État ne
-manquerait pas de leur allouer une indemnité
-pour le préjudice que les lois de 1909 et de 1911,
-relatives à la Caisse des Retraites, leur ont porté.
-C'était également, nous le savons, au moment du
-vote, l'avis de certains parlementaires qui, tout
-en ayant approuvé ces lois par nécessité politique
-et sociale, restaient imbus du vieux principe du
-respect qui est dû aux contrats. Assurément, si
-les Compagnies devaient obtenir gain de cause
-dans cette affaire, et dans toutes celles du même
-genre qui se sont succédé depuis, ce serait pour
-elles non seulement un dédommagement appréciable,
-mais encore un heureux précédent. Toutefois
-rien n'est plus douteux. L'ancienne notion
-de la sainteté et de l'inviolabilité des contrats, qui
-s'imposait jadis même à la puissance publique,
-s'obscurcit de jour en jour. Dans les Assemblées,
-le vieil esprit juridique de la bourgeoisie française
-s'affaiblit. La guerre a habitué les esprits à l'idée
-de la réquisition et le Trésor public a déjà tant
-de charges! Quant au Conseil d'État, juge suprême
-des différends de cette nature, son indépendance
-est restée jusqu'ici au-dessus de tout soupçon.
-Mais qui oserait affirmer que les tribunaux administratifs
-eux-mêmes ne finiront pas par refléter
-et par exprimer les idées du gouvernement et de
-l'opinion publique, dont ils sont, en définitive,
-l'émanation?</p>
-
-<p>Les formidables augmentations de dépenses de
-toute sorte que les Compagnies ont dû subir du
-fait des hostilités rendent d'ailleurs leur situation
-financière tellement incertaine, que les administrateurs,
-au fond d'eux-mêmes, doivent se demander
-comment ils en sortiront. Il convient d'ailleurs
-de s'attendre à des aggravations progressives de
-leurs charges de toute nature, en particulier par
-les relèvements des salaires du personnel et l'accroissement
-constant de ce même personnel,
-qu'entraînent les améliorations et les adoucissements
-des conditions de travail.</p>
-
-<p>Il serait donc sage et prudent d'envisager
-comme un fait accompli et à peu près définitif,
-une réduction considérable des bénéfices des chemins
-de fer français. Cette réduction, exprimée
-par ce qu'on appelle le coefficient d'exploitation,
-c'est-à-dire le rapport des dépenses aux recettes,
-suivait déjà depuis une dizaine d'années avant la
-guerre, une marche alarmante. C'est un phénomène,
-nous le verrons tout à l'heure, qui n'est
-pas particulier aux réseaux français. Mais il est
-peut-être plus grave pour les actionnaires de nos
-réseaux que pour les actionnaires des réseaux
-étrangers, en raison du régime spécial de nos chemins
-de fer et, en particulier du régime des concessions
-qui interdit de compter sur l'avenir. De
-1950 à 1960, l'heure de la mort sonnera pour
-toutes les grandes compagnies. Les actionnaires
-qui n'auraient pas la curiosité de rechercher ce qui,
-à cette époque, leur adviendra à eux-mêmes ou à
-leurs héritiers, feraient preuve d'une impardonnable
-incurie.</p>
-
-<p>Prenons l'exemple du Paris-Lyon-Méditerranée
-dont les recettes brutes étaient considérables avant
-1914 et ne cessaient de s'accroître. Mais, quand on
-y regardait de plus près, on s'apercevait que, dans
-le même temps, les dépenses s'étaient parallèlement
-accrues, en sorte que, le coefficient d'exploitation
-ayant passé de 47 à 57 p. 100, le bénéfice
-net était resté stationnaire. La Compagnie encaisse
-et manie des sommes considérables (près de
-600 millions en 1913). Son budget en était venu
-alors à approcher le budget de l'État belge ; il égalait,
-s'il ne le dépassait pas, celui de la République
-Argentine, et tout cela sans profit pour les actionnaires,
-dont le dividende actuel reste à la merci
-des événements, depuis surtout que la garantie
-d'intérêts (qui expirait pour le Nord et le Lyon en
-1915) ne leur est plus assurée. Ce dividende réservé
-qui, pour le P.-L.-M., était de 55 francs, a
-été réduit à 40 francs pendant la guerre. Encore
-ce dividende est-il <i>entièrement fictif</i>. En 1919 il n'a
-pu être distribué que grâce à une émission d'obligations
-autorisée par l'État, le déficit total étant
-de 212 millions. Les actionnaires du P.-L.-M. en
-sont donc réduits à emprunter pour assurer le service
-de leur dette, et ils empruntent encore pour
-se voter à eux-mêmes un dividende! Nous le répétons :
-c'est un gouffre.</p>
-
-<p>Ainsi la progression des recettes n'influence pas
-le revenu des actionnaires, qui reste immobile,
-quand il n'est pas menacé de diminution. Il ne
-faudrait pas trop compter à cet égard sur le renouveau
-d'activité et de prospérité qui suivra la
-guerre, car les prix du charbon et de toutes les
-matières resteront longtemps ruineux. En admettant
-même que les compagnies pansent leurs plaies,
-il y a une raison majeure et trop souvent oubliée
-(si elle n'est pas ignorée) pour que les bénéfices,
-s'il en survenait par hasard de supplémentaires,
-échappent aux actions. En effet, les cahiers des
-charges stipulent que l'État est appelé au partage
-des bénéfices dans la proportion des deux tiers, dès
-que le dividende réservé se trouve dépassé. Pour
-l'Est, par exemple, sur un excédent de revenu de
-7 millions, on constate que l'État, en vertu des
-récentes conventions, avait pris 4&nbsp;700&nbsp;000 francs
-et qu'il n'est demeuré que 2&nbsp;350&nbsp;000 francs aux
-porteurs d'actions (1914).</p>
-
-<p>En d'autres termes, toutes les mauvaises chances
-restent aux actionnaires. Quant aux chances favorables,
-elles sont considérablement réduites par le
-fait que l'État s'est adjugé la part du lion.</p>
-
-<p>Voilà la situation vraie et que les intéressés auront
-profit à méditer. Nous n'avons pas à examiner
-dans ce livre le bien-fondé de ces clauses de partage
-et des droits que s'attribue l'État. Nous renseignons
-les capitalistes, sans plus. Et il est bien
-certain que, dans des conditions pareilles, les
-actions de chemins de fer constituent des valeurs
-industrielles singulièrement aléatoires et totalement
-dépourvues d'attrait. Il est singulier, nous
-le répétons, qu'on ne le sache pas davantage.</p>
-
-<p>Au surplus, il est impossible de dissimuler que
-le personnel dirigeant des compagnies a pris une
-lourde responsabilité vis-à-vis des actionnaires,
-en acceptant et en leur faisant accepter les fameuses
-conventions de 1883. Les actionnaires sentaient
-bien alors que leur intérêt était de laisser l'État
-racheter les compagnies, puisque l'État voulait
-modifier les contrats existants et construire des
-lignes nouvelles, dont l'improductivité était
-d'avance certaine. Cette opinion très juste des
-actionnaires s'était même exprimée nettement à
-l'assemblée extraordinaire du P.-L.-M. du 24 décembre
-1883, où un tiers des actionnaires présents
-refusa de ratifier la convention : cette opposition
-était grandement justifiée, puisque les dividendes
-de 65, 70, 75 francs, distribués pour les exercices
-précédents, ne devaient plus jamais reparaître.</p>
-
-<p>A quels mobiles ont obéi les états-majors des
-compagnies en acceptant et en faisant accepter les
-conventions de 1883? C'est ce qu'il est difficile de
-dire avec certitude. Ils invoquèrent alors le patriotisme,
-le devoir d'assister l'État dans l'&oelig;uvre de
-réorganisation de la France ; et aussi «&nbsp;les véritables
-principes économiques&nbsp;», les dangers de
-«&nbsp;l'étatisation&nbsp;» et du socialisme d'État. Les «&nbsp;véritables
-principes économiques&nbsp;» auront coûté cher
-dans cette circonstance aux actionnaires, qu'ils
-auront livrés sans défense aux entreprises du
-socialisme par les interventions législatives que
-nous avons exposées.</p>
-
-<p>Il y avait certainement en 1883, parmi l'élite
-qui compose les conseils des compagnies, des
-théoriciens, des sociologues, des philosophes, qui
-croyaient sincèrement aux principes. Mais il nous
-paraît difficile de ne pas admettre qu'il y ait eu
-aussi des professionnels des grandes affaires qui
-auront calculé tout ce qu'ils perdraient, non pas
-sans doute de profit, mais surtout d'influence et
-de moyens d'action, en ne participant plus au
-gouvernement de ces puissants organismes que
-sont les compagnies de chemins de fer. Un incident
-est venu révéler au public, voilà quelques
-années, que les capitaux considérables, les dizaines
-de millions dont les conseils d'administration ont
-le maniement et assurent l'emploi temporaire
-entre les échéances, pouvaient être utilisés au gré
-de certains administrateurs et servir à des opérations
-aventureuses et même illicites : nous voulons
-parler des traites Crosnier escomptées par la
-Compagnie d'Orléans et qui furent découvertes
-après la déconfiture retentissante et le suicide de
-ce spéculateur. Un pareil abus, nous en sommes
-persuadé, aura été tout à fait rare dans l'histoire
-des compagnies de chemins de fer. Mais il y a là
-une indication qu'il serait un peu naïf de négliger.
-Oui, beaucoup de raisons font que l'administration
-de nos grands réseaux est tentante pour des financiers
-et des hommes d'affaires. Il n'est pas douteux
-que si, en 1883, ces états-majors n'avaient
-eu en vue que l'intérêt des actionnaires, ils eussent
-laissé l'État recourir à la procédure de rachat. Et
-s'ils ont fait un autre calcul, s'ils ont cru qu'il
-serait plus avantageux pour les compagnies d'exploiter
-les réseaux sous le nouveau régime que de
-se faire exproprier moyennant les indemnités prévues,
-eh bien! l'expérience aura prouvé qu'au
-moins pour la majorité d'entre elles, ces élites
-d'hommes d'affaires et d'économistes s'étaient
-trompées.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Nous résumerons tout ce qui précède en disant
-que les actions des chemins de fer français sont
-devenues des valeurs totalement dépourvues de
-perspectives d'avenir, sinon même des valeurs
-aléatoires et présentant plus de mauvaises chances
-que de favorables. Les profits industriels en sont
-rongés par les lois ouvrières, expression d'un inéluctable
-mouvement social. Toute hausse des matières
-premières, tout renchérissement de la main-d'&oelig;uvre
-les menacent directement, sans que les
-Compagnies puissent se dédommager par le relèvement
-des tarifs, que l'État n'autorise qu'à des
-conditions elles-mêmes onéreuses. Les charges
-financières et fiscales s'aggravent. L'expiration des
-concessions approche&hellip;</p>
-
-<p>Qu'est-ce que l'actionnaire pourrait espérer de
-bon?</p>
-
-<p>Toutefois, la situation des six grandes Compagnies,
-Nord, Paris-Lyon, Est, Orléans, Midi et
-Ouest, offre aujourd'hui des différences considérables.
-Il importe de distinguer entre elles, tout
-compte tenu des observations générales que nous
-venons de présenter.</p>
-
-<p><i>La Compagnie du Nord</i> a été et serait encore la
-plus prospère de toutes si la guerre n'était venue
-frapper sur elle un coup terrible. Ses recettes kilométriques
-étaient de beaucoup les plus fortes, avec
-un réseau court, présentant très peu d'artères
-improductives, et qui traverse nos provinces les
-plus peuplées, les plus industrieuses, les plus
-riches, celles aussi qui, naturellement, ont tenté
-l'ennemi. Jamais le Nord, jadis, n'avait fait appel
-à la garantie d'intérêts. Cette garantie toutefois
-expirait le 1<sup>er</sup> janvier 1915 et, à partir de ce
-moment, l'action Nord n'était plus qu'une valeur
-industrielle comme une autre, particulièrement
-exposée, en raison de la nature de son trafic,
-à subir l'influence des crises économiques, ainsi
-que le rapport des administrateurs le fait observer
-presque tous les ans. Il était donc déjà possible
-que, durant les trente-cinq années de vie qui restaient
-à la société, les cascades des cours fussent
-nombreuses.</p>
-
-<p>Le réseau Nord-Belge contribuait régulièrement,
-et dans une proportion de plus du tiers, à
-grossir le dividende. Si l'État Belge venait à manifester
-vis-à-vis de ce réseau privé les mêmes exigences
-que l'État français, &mdash; ce qui paraît assez
-probable d'après bien des symptômes, &mdash; cette
-source de revenus pourrait bien avoir à souffrir.
-La Belgique, elle aussi, fera une politique sociale
-intense et elle annonce déjà une «&nbsp;régie des chemins
-de fer&nbsp;».</p>
-
-<p>Quant au tunnel sous la Manche dont le percement
-est décidé en principe, tant par la France
-que par l'Angleterre, il apportera certainement au
-Nord un élément de bénéfices appréciable. Cependant
-il ne faudrait pas escompter cet élément trop
-tôt, car on estime qu'en mettant les choses au
-mieux, il s'écoulera peut-être une dizaine d'années
-avant que le tunnel soit ouvert au trafic.</p>
-
-<p>On calculait, toujours avant la guerre, qu'en
-1950, à la fin de la concession, quand toutes les
-actions auraient été remboursées à 400 francs (car
-le pair des actions Nord, il ne faut pas l'oublier,
-n'est que de 400 francs), la répartition de l'actif
-disponible, (le matériel roulant évalué à dire
-d'experts ayant été repris par l'État), laisserait une
-somme à peu près égale à la valeur présente de
-l'action de jouissance, qui était alors d'environ
-1.300 francs. Inutile de dire que ce calcul renfermait
-un grand nombre d'éléments douteux et
-incontrôlables. Bien des choses pouvaient changer
-et, avec l'invasion allemande et ses conséquences,
-bien des choses ont changé en effet, bien des hypothèses
-ont été démenties, bien des équilibres ont
-été rompus et d'autres le seront encore d'ici 1950,
-époque à laquelle beaucoup d'hommes faits, aujourd'hui
-vivants, ont chance d'être encore de ce
-monde, où les jeunes enfants de la génération la
-plus récente atteindront la force de l'âge. Il y a là
-un point d'interrogation qui doit se poser aux
-pères de familles prévoyants.</p>
-
-<p>Il serait donc tout à fait inexact et dangereux
-de classer l'action Nord comme la seconde valeur
-du monde, ainsi que l'avait fait le public français
-dans un concours organisé, voilà une quinzaine
-d'années, par un considérable organe financier. Ce
-n'est peut-être même plus aujourd'hui la moins
-mauvaise des actions de chemins de fer français.
-On répète volontiers que, jusqu'ici, les personnes
-qui l'ont achetée dans les périodes de très grande
-dépression n'ont pas eu à s'en repentir : il est impossible
-que ces rebondissements, auxquels on se
-fie, n'aient pas un terme.</p>
-
-<p><i>La Compagnie des Chemins de fer de Paris à
-Lyon et à la Méditerranée</i>, comme celle du Nord,
-doit désormais pourvoir à ses dividendes par ses
-propres moyens, la garantie d'intérêt ayant expiré
-le 1<sup>er</sup> janvier 1915, à moins qu'une nouvelle convention
-n'intervienne qui, on peut en être sûr, ne
-fera pas un pont d'or aux actionnaires. Vu sur la
-carte, le réseau est splendide, avec sa grande artère
-principale à haut rendement. Il convient aussi de
-tenir compte du retour à la France de l'Alsace-Lorraine
-et peut-être de l'entrée de la rive gauche
-du Rhin dans notre sphère d'influence économique.
-Le Lyon pourra profiter de ce nouvel état de choses.</p>
-
-<p>La grande faiblesse du P.-L.-M. est l'énormité
-même de son réseau, qui s'accroît sans relâche.
-C'est le géant des chemins de fer français et ses
-proportions colossales ne donnent que plus de
-prise à toutes les aggravations de dépenses et de
-charges. Son personnel forme une armée. Et tel
-relèvement de salaires, qui coûte quelques centaines
-de mille francs au Nord, s'élève pour lui,
-d'un seul bond, à plusieurs millions. De toutes
-les Compagnies, celle de Paris-Lyon doit être la
-plus sensible à la double étreinte de la législation
-ouvrière et de la législation fiscale.</p>
-
-<p>En outre, les besoins d'argent du P.-L.-M. sont
-constants et gigantesques. On n'en aperçoit pas la
-fin, car les travaux neufs complémentaires à exécuter
-forment un programme immense. Tout relèvement
-du loyer de l'argent est donc particulièrement
-coûteux au P.-L.-M., dont les charges
-financières ne cessent de grandir et dont les obligations
-se placent à un cours déjà inférieur au
-cours des obligations des autres Compagnies, en
-raison de l'extinction de la garantie, de la plus
-longue durée de l'amortissement et de la largeur
-des tranches qui sont offertes au public.</p>
-
-<p>Enfin, il ne faut pas oublier que le P.-L.-M.
-atteint très vite la limite du partage des bénéfices
-avec l'État. Il lui est même déjà arrivé de
-l'atteindre. La marge des bénéfices éventuels est
-donc très étroite, en sorte que les circonstances
-défavorables l'emportent de beaucoup sur les circonstances
-favorables et il ne faudrait guère
-compter sur celles-ci. Il serait même bien hardi
-de promettre aux actionnaires qu'ils reverront
-jamais l'ancien dividende réservé. Pour le moment,
-on ne peut dire qu'une chose de la situation
-financière du P.-L.-M., c'est qu'elle est tragique.</p>
-
-<p>A l'expiration de la concession (décembre 1958),
-toutes les actions du Lyon ayant été remboursées
-à 500 francs et étant devenues des actions de jouissance,
-que reviendrait-il à chacune d'elles? C'est
-ce qu'il serait bien aventureux de vouloir prédire.
-L'action de jouissance du P.-L.-M. est estimée
-aujourd'hui en Bourse valoir à peu près 350 francs.
-Il est extrêmement douteux, pour ne pas dire
-plus, que ces 350 francs se retrouvent au 31 décembre
-1958, dans les divers éléments d'actif qui
-appartiendraient en propre à la Compagnie au
-moment où elle devrait remettre tout son réseau
-à l'État.</p>
-
-<p>En d'autres termes, si une «&nbsp;valeur de père de
-famille&nbsp;» ne doit comporter que la proportion
-d'aléas la plus faible possible, l'action Paris-Lyon-Méditerranée
-n'apparaît nullement comme ayant
-les caractères qui sont requis pour ces valeurs-là.</p>
-
-<p><i>La Compagnie des chemins de fer de l'Est</i> a eu une
-histoire particulièrement intéresssante. La guerre
-de 1870 et le traité de Francfort avaient failli ruiner
-le chemin de fer de l'Est et l'avaient anémié longtemps
-par l'amputation de la magnifique partie
-alsacienne de son réseau. L'Est était même probablement
-condamné à végéter tristement jusqu'à
-la fin de ses jours, à l'époque où la revanche semblait
-chimérique, sans la mise en valeur du bassin
-de Briey, qu'on a pu appeler le Transvaal français,
-et qui a eu pour conséquence la transformation
-de toute une contrée, naguère agricole, en
-région de haute activité industrielle. Le retour à
-la France de l'Alsace-Lorraine promet aux chemins
-de fer de l'Est une nouvelle prospérité.
-Mais recevront-ils de nouveau le réseau alsacien?
-Et à quelles conditions? A quel prix l'État le
-rétrocéderait-il à la Compagnie? La Compagnie
-trouverait-elle, dans la nouvelle convention qui
-serait signée, une compensation aux dommages
-considérables que l'invasion lui a valus? Il faudrait
-connaître la réponse qui sera faite à ces questions
-avant de compter sur un essor des dividendes.</p>
-
-<p>Lourdement endetté envers l'État, l'Est avait
-pu, avant la guerre, en recourant à l'emprunt,
-rembourser sa dette de garantie et, par l'effet de
-sa convention de 1911, disposer de ses bénéfices,
-dans la limite étroite, toutefois, que nous avons
-définie plus haut. L'attribution obligatoire à l'État
-des deux tiers des sommes qui dépassent le dividende
-réservé restreint considérablement les possibilités
-d'augmentation du revenu. On ne peut
-donc prévoir pour celui-ci, dans l'hypothèse la
-plus favorable, que des accroissements lents et
-modestes, s'il s'en produit.</p>
-
-<p>La garantie de l'État, assurée à l'Est jusqu'en
-1935, constitue pour cette Compagnie une assurance
-contre les risques inséparables de l'industrie
-des chemins de fer en France. Dans ces conditions,
-l'action Est semble pouvoir présenter assez longtemps
-une certaine stabilité. L'acquéreur se tromperait
-toutefois en croyant faire fortune. Les cours
-actuels, pour un revenu minimum de 35 fr. 50,
-tiennent déjà compte des possibilités les plus heureuses.</p>
-
-<p>Tout à fait spécial est le cas des <i>Compagnies de
-l'Orléans</i> et du <i>Midi</i>. Si elles étaient des Sociétés
-comme les autres et réduites à leurs seules ressources,
-ces Compagnies auraient fait faillite depuis
-longtemps. On a même pu craindre que l'heure
-de cette faillite ne sonnât en 1915. Mais un arrêt
-du Conseil d'État, mettant fin à une vieille querelle
-qui, jadis, a fait couler beaucoup d'encre, et
-même renversé des ministères, est venu assurer à
-l'Orléans et au Midi, sans qu'il subsiste l'ombre
-d'un doute, le bénéfice de la garantie jusqu'à la
-fin des concessions (respectivement 1956 et 1960).
-Le gouvernement s'est incliné. Singulière combinaison,
-on en conviendra! Humiliante situation
-pour l'État, destiné à subvenir à toutes les insuffisances
-de deux Compagnies privées et à remplir
-le rôle défini par le vers de la comédie :</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Un oncle est un banquier donné par la nature.</div>
-</div>
-
-<p>Quoi qu'il arrive, l'actionnaire de l'Orléans et
-celui du Midi ont la certitude de toucher, pendant
-plus de quarante ans, un dividende minimum,
-plus le remboursement de l'action au pair de
-500 francs. Par exemple qu'ils n'attendent rien
-de plus! Il est universellement admis que ni
-l'Orléans ni le Midi ne parviendront à rembourser
-leur lourde dette de garantie qui se grossit sans
-relâche des intérêts arriérés<a id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">[6]</a>. Tout l'actif qui apparaîtra
-à la fin des concessions ne peut manquer
-d'être repris par l'État créancier pour le payer de
-ses avances. Il est même moins que certain que
-l'État y retrouve son compte.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_6" href="#FNanchor_6"><span class="label">[6]</span></a> L'Orléans a pourtant, jadis, été une compagnie extraordinairement
-prospère. Les actions ont même été dédoublées, en sorte
-que, sur le pied du dividende actuel de 59 francs, une action primitive
-donnerait 118 francs de revenu. Mais les conventions de
-1883 ont transformé du tout au tout l'exploitation de la Compagnie
-qui, surchargée de lignes dépourvues de trafic rémunérateur,
-est devenu déficitaire. La réglementation du travail, des retraites,
-etc&hellip; a aggravé cette situation au moment où une lueur
-d'espoir se faisait jour et où la Compagnie commençait à pouvoir
-rembourser les avances de l'État.</p>
-</div>
-<p>Un placement en actions Orléans ou Midi doit
-donc être considéré comme un placement à fonds
-perdus pour la somme qui sépare le remboursement
-à 500 francs du cours actuel de ces valeurs.
-En d'autres termes, le capitaliste sérieux qui posséderait
-l'une ou l'autre de ces valeurs devrait
-songer, par des prélèvements sur son dividende,
-à reconstituer, d'ici 1966, une somme d'environ
-500 francs par action d'Orléans et, d'ici 1960,
-d'environ 350 francs par action Midi. En vérité,
-le jeu n'en vaut pas la chandelle.</p>
-
-<p>Et nous voici enfin en présence du phénix des
-actions de chemins de fer français. Nous voulons
-parler de l'action de la <i>Compagnie des Chemins
-de fer de l'Ouest</i> en liquidation, l'ancien Ouest
-racheté, aujourd'hui Ouest-État.</p>
-
-<p>Les finances de l'Ouest étaient dans une situation
-lamentable, lorsque le gouvernement, en
-1908, vint tirer les actionnaires d'angoisses trop
-fondées en se chargeant d'administrer le réseau
-moyennant le paiement de bonnes et copieuses
-annuités. Sans doute, à ce moment-là, l'État devait
-garantir le dividende des actions jusqu'au 31 décembre
-1934, mais il le devait jusqu'en 1934
-seulement, tandis que le rachat a eu pour effet
-d'étendre cette garantie jusqu'à l'expiration de la
-concession, soit vingt-deux années plus tard (1956).</p>
-
-<p>Or, en 1908, tout faisait prévoir (et cette prévision
-se trouverait singulièrement renforcée aujourd'hui),
-non seulement que la Compagnie de
-l'Ouest, à l'expiration de la garantie, ne serait
-plus en état de distribuer le moindre dividende à
-ses actionnaires, mais encore qu'elle serait exposée
-à ne pas suffire au service de ses obligations. Déjà,
-malgré une sévère économie et une compression
-énergique des dépenses, les insuffisances du produit
-net étaient telles que la Compagnie avait dû
-souvent demander à l'État bien plus que les
-11&nbsp;500&nbsp;000 francs nécessaires au paiement du dividende
-minimum. Ces appels à la garantie avaient
-été si nombreux, si répétés, que la Compagnie,
-en 1908, se trouvait avoir contracté envers l'État
-une dette qui, en principal et en intérêts, ne s'élevait
-pas à moins de 350 millions. A grand'peine
-couverte alors par la valeur du matériel roulant,
-cette somme serait déjà (par le jeu seul de l'intérêt
-à 4 p. 100) bien dépassée aujourd'hui et l'on peut
-estimer qu'elle eût très probablement atteint,
-sinon dépassé, les environs d'un milliard en 1934.
-L'avenir de la Compagnie était désespéré.</p>
-
-<p>Le rachat a dissipé les alarmes des actionnaires.
-D'un trait de plume, il a passé condamnation sur
-les 350 millions de la dette de garantie. Il a, d'une
-manière indiscutable et définitive, mis à la charge
-du Trésor le service des intérêts et de l'amortissement
-des obligations et des actions. Et la bienfaisance
-du rachat est même allée encore plus loin.</p>
-
-<p>Non seulement les actionnaires sont assurés de
-recevoir jusqu'en 1956 le dividende minimum
-(38 fr. 50). Non seulement le remboursement de
-leurs actions au pair de 500 francs ne fait pas de
-doute pour eux. Mais encore, plus favorisés que
-les actionnaires de toutes les autres Compagnies,
-ils n'ont pas d'inquiétudes à concevoir au sujet de
-la prime au-dessus du pair (200 francs environ)
-que représente normalement le cours de leurs
-titres. Ils n'ont pas à se préoccuper de la valeur
-de l'actif disponible au moment de la reprise du
-réseau par l'État. Ils sont dispensés de songer à
-amortir une perte certaine par un prélèvement sur
-le dividende. Car, en leur laissant la propriété
-d'une réserve spéciale constituée aux temps très
-anciens où leur Compagnie était prospère, et qui
-s'élève à une quarantaine de millions (soit 130 fr.
-par action), le rachat a tout prévu. Les revenus
-de cette réserve, capitalisés jusqu'en 1956, formeront
-la somme nécessaire pour que chaque action
-reçoive au minimum, à la liquidation définitive,
-la valeur actuelle de l'action de jouissance<a id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">[7]</a>. Il
-paraît même probable, d'après un article de la
-convention de rachat, que, lorsque les réserves
-accumulées se seront établies d'une manière durable
-au-dessus du chiffre primitif, le surplus deviendra
-immédiatement distribuable. En pareil
-cas, chose paradoxale, on verrait l'Ouest racheté,
-jadis profondément déficitaire et condamné à la
-faillite, accroître son dividende, tandis que des
-Compagnies anciennement prospères, comme le
-Lyon, auraient été obligées de restreindre sinon de
-supprimer le leur<a id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">[8]</a>.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_7" href="#FNanchor_7"><span class="label">[7]</span></a> A ce propos nous ferons remarquer qu'il y a une différence
-constante, qui dépasse souvent une centaine de francs, entre le
-cours de l'action de capital de l'Ouest et le cours de l'action de jouissance
-augmenté des 500 francs du remboursement. Cette différence
-tient à ce que celle-ci a droit au dividende de 21 francs, tandis
-que l'action de capital ne reçoit, en plus, que les intérêts à 3&nbsp;½
-soit 17 fr. 50. Il en résulte que l'action remboursée à 500 francs
-en vertu du tirage au sort vaut 500 francs en numéraire, plus une
-action de jouissance (il est facile de se rendre compte par la lecture
-du premier tableau de Bourse venu que la situation est la
-même pour les actions Orléans). En vendant l'action de jouissance
-et en rachetant avec le produit de cette vente, joint aux 500 francs
-de capital remboursé, une nouvelle action Ouest, l'actionnaire
-peut, si la chance aux tirages le favorise, accroître, de temps à
-autre, le revenu de son titre. Nous avons tenu à citer cet exemple,
-afin de montrer que, pour le capitaliste attentif, bien des occasions
-se présentent qui passent inaperçues pour le capitaliste distrait.</p>
-</div>
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_8" href="#FNanchor_8"><span class="label">[8]</span></a> L'accroissement des droits de timbre et des divers impôts qui
-restent à la charge de la Société civile qui a pris la place de l'ancienne
-Compagnie de l'Ouest, pourrait cependant déranger les calculs
-établis sur l'accumulation des intérêts. A cela près, la méthode
-selon laquelle est administré ce patrimoine commun des actionnaires
-pourrait servir de modèle.</p>
-</div>
-<p>Ainsi, bien garantie quant au revenu, bien
-garantie quant au capital, l'action Ouest, par un
-extraordinaire renversement des rôles, est devenue
-la première des actions de chemins de fer français.
-Complètement dégagée des soucis croissants, des
-risques et des incertitudes que comporte l'administration
-d'un grand réseau, l'action Ouest s'est
-transformée pour moitié en une créance directe
-sur l'État français. Pour l'autre moitié, cette
-action est la 300 millième part d'une riche Société
-de capitalisation. Ainsi la politique du socialisme
-d'État, toute nuisible qu'elle est, d'une manière
-générale, aux fortunes privées, aura certainement,
-dans ce cas, sauvé de la ruine un élément des
-patrimoines français.</p>
-
-<p>D'après un pareil précédent, nous serions vivement
-tenté de formuler cet axiome : <i>l'avenir et le
-salut des compagnies de chemins de fer français
-sont dans le rachat et ne sont que là</i>. Mais, en dépit
-des contrats, les rachats futurs se feront-ils toujours
-aussi correctement que s'est fait le rachat de
-l'Ouest? Si le Parlement et l'administration
-venaient, tout en étendant le domaine des monopoles,
-à perdre la tradition bourgeoise du respect
-de la propriété et des contrats, à ne plus se soucier
-de conserver à l'État la réputation d'«&nbsp;honnête
-homme&nbsp;», ne verrait-on pas, à la procédure de
-rachat, se substituer la procédure de déchéance?
-Déjà le parti socialiste voulait, en 1908, que la
-concession de la Compagnie de l'Ouest fût purement
-et simplement révoquée. Il y a là un symptôme
-à retenir<a id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">[9]</a>. Même si l'on ne procède pas au
-rachat, la révision des conventions de 1883,
-devenue inéluctable depuis la guerre, apporterait-elle
-aux actionnaires les garanties qu'ils
-souhaiteraient? Il y a là bien des points d'interrogation.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_9" href="#FNanchor_9"><span class="label">[9]</span></a> M. Albert Thomas, membre influent et renseigné du groupe
-socialiste parlementaire, écrivait dans son livre, <i>L'État et les compagnies
-de chemins de fer</i> (1914) :</p>
-
-<p>«&nbsp;Une <i>audacieuse politique de nationalisation</i> est indispensable
-pour résoudre tous les problèmes que révolution industrielle ou
-sociale a posés et qui sont, d'ores et déjà, reconnus insolubles sous
-le régime des conventions de 1883&nbsp;». C'est nous qui soulignons
-les mots <i>audacieuse politique de nationalisation</i>. La question est de
-savoir si cette «&nbsp;audace&nbsp;» qui, par le rachat de l'Ouest, s'est appliquée
-aux finances de l'État et a bénéficié aux actionnaires, n'aurait
-pas tendance à imposer aux actionnaires des sacrifices que
-l'État ne serait pas en mesure de supporter indéfiniment.</p>
-</div>
-<p>Pour le moment, après avoir si gravement
-effrayé les classes possédantes, les rachats sont
-plus justement appréciés. On a pu s'en apercevoir
-par l'exemple des chemins de fer algériens et
-l'on a pu assister, en 1914, à une hausse immédiate
-des actions <i>Bône-Guelma</i>, à la seule nouvelle
-que ce réseau était racheté par l'Algérie.</p>
-
-<p>Antérieurement, en 1908, le réseau de l'<i>Est-Algérien</i>
-avait déjà été incorporé au réseau d'État.
-Mais la convention amiable conclue avec la
-Compagnie de l'Ouest, ayant, à cette époque, été
-l'objet des critiques du parti socialiste, l'administration
-a préféré ne pas s'exposer aux mêmes
-reproches pour l'Est-Algérien et attendre le jugement
-de la juridiction contentieuse. La Compagnie
-a interjeté appel auprès du Conseil d'État de
-l'arrêt rendu par le conseil de préfecture de
-Constantine et les actionnaires ne sont pas encore
-(en 1919) fixés sur le sort qui leur sera fait.
-L'expérience, à notre avis, sera intéressante et
-susceptible de donner aux capitalistes une indication
-définitive sur ce qu'il faut attendre des expropriations
-par rachat.</p>
-
-<p>D'ores et déjà, il est certain que le dividende
-de trente francs garanti par l'État aux actions de
-l'<i>Est-Algérien</i> leur demeurera acquis. L'administration
-ne l'a même pas contesté et, depuis qu'elle
-a pris possession du réseau, elle paye chaque
-année à la Compagnie une annuité suffisante pour
-subvenir au service des obligations et à la distribution
-du dividende ordinaire. Mais la Compagnie
-prétend avoir droit à des annuités plus
-fortes et réclame à l'État, pour chaque année
-restant à courir jusqu'à la fin de la concession
-(1978) une somme supérieure de 755&nbsp;000 francs
-à celle que l'État consent spontanément à lui verser.
-Si la Compagnie avait gain de cause sur
-l'ensemble ou seulement sur une partie de ses
-revendications, le rachat de l'<i>Est-Algérien</i> vu le
-nombre relativement peu élevé des actions
-(50&nbsp;000), pourrait avoir pour effet d'accroître le
-revenu des actionnaires dans une proportion qui
-ne serait pas négligeable, étant donné la légèreté
-du titre. C'est ainsi que certaines personnes prétendent
-que si la Compagnie de l'Ouest, au lieu
-de s'entendre à l'amiable avec l'État, s'était présentée
-devant les tribunaux administratifs, elle
-eût obtenu des conditions encore bien plus favorables
-que celles qui lui ont été reconnues par le
-compromis. Quoi qu'il en soit, on admet assez
-généralement que les actionnaires de l'<i>Est-Algérien</i>
-conserveront au moins la propriété d'une
-réserve qui représente à peu près 70 francs par
-action. Ils se trouveraient alors sur le même pied
-que les actionnaires de l'Ouest et n'auraient plus
-à craindre de perdre la différence entre le cours
-de l'action (550 francs environ, après avoir été de
-plus de 700 naguère) et le remboursement à
-500 francs. On a pu remarquer depuis quelque
-temps le zèle avec lequel certains capitalistes
-recherchaient les actions de jouissance de l'<i>Est-Algérien</i>
-et du <i>Bône-Guelma</i>. Ces petits titres,
-qui, pour le moment, ne produisent aucun
-revenu, ne sont même pas cotés en Bourse, et certains
-banquiers, outillés pour ce genre de négociations,
-se chargent seuls de mettre en rapport
-les vendeurs et les acheteurs. Ces capitalistes ont
-sans doute des raisons de penser qu'une spéculation
-sur les deux rachats, à l'aide de titres d'un
-prix de revient presque insignifiant, pourrait ne
-pas être maladroite.</p>
-
-<p>Voilà un exemple qui est encore, à notre avis,
-très instructif. Car il montre que le capital peut
-trouver, dans les circonstances créées par l'évolution
-vers le socialisme d'État, des occasions imprévues
-de compenser des pertes ou des dommages
-subis par ailleurs. Qui sait si, dans l'avenir,
-d'autres occasions, aujourd'hui insoupçonnables,
-ne surgiront pas d'une métamorphose encore
-plus étendue de l'organisation économique et
-sociale sur laquelle nous avons été accoutumés
-à nous reposer? Aux personnes les plus pessimistes
-et les plus disposées à croire à une
-dissolution irréparable des anciens éléments qui
-composaient les patrimoines, nous montrons, au
-milieu d'une catégorie de valeurs visiblement
-fatiguées, vieillies, ayant produit tout ce qu'elles
-pouvaient produire, les cas inattendus de relèvement
-et de guérison que présentent les actions
-de l'Ouest et les actions des chemins de fer algériens.</p>
-
-<p>La Compagnie du <i>Bône-Guelma</i>, soulagée de
-son réseau d'Algérie, gardera l'exploitation d'un
-réseau tunisien sur la valeur et l'avenir duquel il
-est, pour le moment, difficile de se prononcer. Il
-ne subsiste plus en Algérie qu'une seule Compagnie
-privée, celle de l'<i>Ouest-Algérien</i>, qui sera
-sans doute, un jour ou l'autre, rattachée aux
-chemins de fer unifiés de l'État. Cette opération
-paraît retardée par le fait que l'Ouest-Algérien,
-compagnie privée, peut étendre ses lignes vers le
-Maroc sans soulever de difficultés, hier diplomatiques,
-aujourd'hui administratives. Si le rachat
-de cette compagnie venait à paraître à l'horizon,
-le capitaliste ferait peut-être bien de s'y porter.
-Car certaines précautions de la Compagnie,
-(notamment une annulation d'une partie de ses
-actions), permettent de penser qu'elle s'est préparée
-à cette éventualité et s'est mise en bonne posture.</p>
-
-<p>Nous arrêtons ici cet examen des actions des
-chemins de fer français, sur lesquelles nous avons
-particulièrement insisté en raison du danger qui
-les menace, de la place qu'elles occupent dans les
-patrimoines français et des inquiétudes qu'elles
-doivent inspirer aux porteurs.</p>
-
-<p>Nous n'ajouterons qu'un mot : si telles sont les
-conditions d'insécurité dans lesquelles les grands
-réseaux continuent leur exploitation, que dire des
-chemins de fer secondaires, des lignes d'intérêt
-local, etc&hellip;? Ces sociétés, avec leurs faibles
-recettes, ne peuvent manquer d'être écrasées par
-la hausse des matières premières et par les lois
-qui réglementent le travail, les salaires, les retraites,
-etc&hellip; Après tant d'exemples malheureux
-ou décourageants, on se demande comment ces
-Compagnies trouvent encore des actionnaires, et il
-est probable qu'elles en trouveront de plus en
-plus difficilement. Pas plus que les ponts ou que
-les routes, les chemins de fer de l'avenir ne seront
-sans doute des entreprises privées.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch9" title="IX. Chemins de fer étrangers">CHAPITRE IX</h2>
-
-<p class="c small">LES ACTIONS DES CHEMINS DE FER ÉTRANGERS</p>
-
-<p class="d">La plus grande partie des bonnes lignes d'Europe constitue des
-exploitations directes d'État. &mdash; Les Compagnies qui existent
-encore sont dans une situation voisine de celle des chemins de
-fer français. &mdash; Un mot alarmant de M. Lloyd George. &mdash; Le
-cas de la Compagnie du Sud de l'Autriche : comment un chemin
-de fer est conduit à la ruine. &mdash; Crise grave des chemins
-de fer américains avant la guerre européenne : pourquoi cette
-crise menace de se représenter et d'être durable. &mdash; Le krach
-des chemins de fer exotiques. &mdash; Conclusion : les actions de
-chemins de fer sont le type de la valeur mobilière qui meurt.</p>
-
-
-<p>Les États européens ont, en grand nombre, au
-cours de ces vingt-cinq ou trente dernières années,
-racheté leurs chemins de fer, qu'ils exploitent
-directement. C'est l'indication très nette d'une
-tendance générale à enlever aux chemins de fer
-le caractère d'entreprises commerciales pour les
-transformer en services publics. Cette tendance
-devant avoir pour effet de réduire progressivement
-jusqu'à zéro le bénéfice des réseaux, on comprendra
-dès lors que, à l'étranger comme en
-France, les actionnaires de ces compagnies soient
-exposés à de désagréables surprises et courent
-généralement des risques sans proportion avec les
-chances non seulement d'accroître, mais même de
-conserver leur revenu et leur capital.</p>
-
-<p>Nous allons passer en revue les principales
-valeurs de chemins de fer étrangers auxquelles le
-public français est intéressé ou susceptible de
-s'intéresser. Depuis les premières années du
-<small>XX</small><sup>e</sup> siècle, le même phénomène se remarquait
-pour presque toutes, en Amérique comme en
-Europe : augmentation du coefficient d'exploitation,
-décroissance du produit net, ingérence continue
-et ruineuse de l'État dans l'administration et
-les services, cherté croissante de la main-d'&oelig;uvre
-et des matières premières, amélioration sans cesse
-plus coûteuse des traitements, salaires et retraites,
-etc&hellip; Ainsi se volatilisent tous les bénéfices.
-Et il va sans dire, non seulement que ces
-causes subsisteront après la guerre, mais encore
-qu'elles seront aggravées. En sorte que le droit
-d'exploiter les réseaux de voies ferrées commence
-à apparaître comme une charge beaucoup plus
-que comme une source de profits, ainsi qu'on va
-pouvoir s'en rendre compte à l'aide de ce document
-curieux.</p>
-
-<p>Au mois de février 1908, un membre de la
-Chambre des Communes ayant présenté un ordre
-du jour favorable au rachat des chemins de fer
-anglais, le président du <i lang="en" xml:lang="en">Board of trade</i> fit un
-exposé de la situation des Compagnies, dont nous
-tenons à reproduire l'essentiel, résumé d'après un
-compte rendu de son discours :</p>
-
-<blockquote>
-<p>Le ministre a eu soin de faire ressortir dans quelles
-conditions onéreuses les compagnies elles-mêmes ont à travailler.
-Mises à rançon dès le début, du chef des expropriations
-que réclamaient les tracés, on les sollicite aujourd'hui
-de toutes parts. On réclame d'elles la majoration des
-salaires du personnel, le raccourcissement des heures de
-travail, la multiplication des trains ouvriers : tout cela sans
-se demander si, entreprises commerciales, tous ces sacrifices
-joints à l'abaissement des tarifs, aux facilités sans cesse
-exigées, leur permettraient de réaliser ou non un bénéfice
-raisonnable.</p>
-</blockquote>
-
-<p>En voilà assez, pensons-nous, pour détourner
-les capitalistes français de s'intéresser aux chemins
-de fer anglais, s'ils venaient à en concevoir l'idée,
-surtout lorsque l'on saura que l'orateur qui traçait,
-en 1908, cette sombre peinture, n'était autre
-que M. Lloyd George, ministre dont les idées socialistes
-paraissaient alors effrayantes et qui n'est
-plus aujourd'hui qu'un conservateur, tant il a été
-dépassé.</p>
-
-<p>Ces paroles de M. Lloyd George nous invitent
-même à nous demander si les États contemporains
-n'auraient pas, en matière de chemins de fer, une
-secrète inclination à laisser les Compagnies aux
-prises avec une situation difficile jusqu'au moment
-où ces Compagnies, menacées de faillite, seraient
-disposées à se laisser racheter à vil prix.</p>
-
-<p>C'est, d'ailleurs, la politique qu'avait suivie
-le défunt gouvernement austro-hongrois vis-à-vis
-d'une Compagnie dans laquelle, par malheur, les
-capitalistes français sont engagés très gravement,
-et qui a éprouvé toutes sortes de vicissitudes au
-cours de son existence, longue d'une soixantaine
-d'années déjà environ. L'histoire des chemins de
-fer du sud de l'Autriche, appelés encore <i>Chemins
-Lombards</i>, est un exemple frappant de la manière
-dont une grande entreprise, jouissant à l'origine
-de toutes les apparences de la santé et de la prospérité,
-peut se trouver insensiblement conduite à
-la ruine.</p>
-
-<p>Le gouvernement de la monarchie autrichienne,
-en 1908, avait racheté la Compagnie des chemins
-de fer dits <i>Autrichiens</i> qui exploitaient les réseaux
-du Nord et l'on pouvait penser qu'il ne tarderait
-pas à étendre cette opération au réseau du Sud.
-Soit dit en passant, et en vérification de nos observations
-du précédent chapitre, le rachat avait été
-une excellente affaire pour les actionnaires des
-chemins autrichiens du Nord. Leur dividende,
-fixé une fois pour toutes, était avantageux, soustrait
-à tout aléa, et même susceptible de légères
-augmentations. Il avait été en 1914 supérieur d'un
-quart à ce qu'il était en 1904. Et les cours de
-l'action, avant la guerre, témoignaient du contentement
-que le rachat avait causé aux porteurs. Mais
-que deviendront ces titres dans l'effondrement de
-la monarchie des Habsbourg et la banqueroute qui
-menace l'Autriche? C'est une bien sombre interrogation.</p>
-
-<p>Quant aux chemins lombards, l'État autrichien
-n'avait pas songé une minute à leur offrir le rachat.
-C'est que déjà, en 1908, leurs affaires commençaient
-à aller mal. Depuis sept ans, ni intérêt ni
-dividende n'avaient été distribués aux actions.
-L'amortissement des obligations venait d'être suspendu
-et la compagnie, qui ne tenait déjà plus
-tous ses engagements, était sur le chemin qui
-mène à la faillite. Loin de la délivrer de ces soucis
-par un rachat qui eut été un acte de charité
-semblable à ce qu'a été chez nous le rachat de
-l'Ouest, l'administration autrichienne voyait avec
-plaisir la situation de la Compagnie s'aggraver, et
-se plaisait même à lui imposer des dépenses nouvelles.
-Enfin, en 1914, la Compagnie étant au bord
-de l'abîme, l'État avait consenti à intervenir. Mais
-dans quelles conditions! Nous parlerons plus loin
-des sacrifices considérables qui ont été imposés
-aux obligataires des chemins lombards sans que,
-nous le verrons, ceux-ci aient la ferme assurance
-que de nouveaux sacrifices ne devront pas leur
-être demandés quelque jour, ce que fait craindre
-plus encore la triste situation financière de l'Autriche
-après la guerre. Quant aux actions, elles
-n'ont plus rien à espérer et elles ne conservent un
-semblant de valeur que par la force de l'habitude,
-et la puissance de l'illusion.</p>
-
-<p>Chose très remarquable, le réseau du sud de
-l'Autriche n'était nullement improductif. C'était
-même un assez beau réseau, sur certaines parties
-duquel le trafic était intense. La recette kilométrique
-en était supérieure à la moyenne de beaucoup
-de chemins de fer qui réalisent des bénéfices.
-Mais il est écrasé par le poids de sa dette.
-Ayant perdu ses lignes de Lombardie après la
-guerre de 1859, ses lignes de Vénétie après la
-guerre de 1866, il n'avait reçu du gouvernement
-italien que des indemnités insuffisantes sous forme
-d'annuités. D'autre part, l'immense majorité des
-actions et des obligations se trouvant aux mains
-d'étrangers, le gouvernement austro-hongrois ne
-s'était senti tenu à aucune espèce d'égards envers
-la compagnie et semblait même, au contraire, s'être
-appliqué à lui demander des sacrifices plus lourds
-et à la traiter avec plus de sévérité que les autres.
-Il y a là une leçon qui ne doit pas être perdue. Et,
-sur ce point, nous renverrons le lecteur à ce que
-nous avons dit précédemment à propos des dangers
-auxquels la tendance croissante des gouvernements
-au nationalisme économique expose les
-capitaux exportés dans les entreprises étrangères.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>En Espagne, les chemins de fer se trouvent
-encore sous le régime des concessions, qui date
-de l'origine des compagnies. A la suite d'une longue
-période où elles apparurent comme besogneuses
-et condamnées à végéter, les compagnies
-espagnoles étaient parvenues depuis quelques
-années à une prospérité relative. Ce phénomène
-semble contredire la règle d'après laquelle les
-chemins de fer sont destinés à être de plus en
-plus difficilement rémunérateurs. Cette exception
-s'explique par le fait que l'Espagne a eu un développement
-économique particulièrement tardif et
-qu'elle commence seulement à entrer dans l'ère
-de l'activité industrielle. Mais surtout, en même
-temps que le trafic s'accroissait sur les réseaux
-principaux, le change baissait peu à peu. En sorte
-que les paiements en or que les compagnies se
-sont engagées à faire au dehors pour le service de
-leur dette, après avoir été une charge écrasante,
-sont devenus moins coûteux d'année en année.
-C'est ainsi que la <i>Compagnie du Nord de l'Espagne</i>
-avait pu, après une longue suspension, recommencer
-la distribution de ses dividendes et la <i>Compagnie
-de Madrid-Saragosse</i> accroître les siens.
-Les personnes qui se tenaient au courant du relèvement
-de la péninsule n'ont pas manqué de profiter
-de l'occasion qui s'offrait. Les actions <i>Nord de
-l'Espagne</i>, valaient, il y a une dizaine d'années,
-150 francs environ, lorsque le change était au
-cours déplorable de 40 p. 100, c'est-à-dire lorsqu'il
-fallait donner 140 piécettes pour obtenir 100 fr.
-A la veille de la guerre, le change était descendu
-à 4 p. 100 seulement et les mêmes actions valaient,
-ou peu s'en faut, 450 francs. Peu de mouvements
-de hausse auront été aussi mathématiquement
-faciles à prévoir que celui-là.</p>
-
-<p>Mais, l'amélioration financière due au change
-n'a pas suffi longtemps à conjurer le flot montant
-des dépenses. Les chemins de fer espagnols n'ont
-plus devant eux que de très étroites perspectives, si
-même ils n'offrent pas plus de chance de rétrograder
-que de maintenir leurs cours. Pour eux comme
-pour les chemins de fer du monde entier, les dépenses
-ont grandi infiniment plus que les recettes.
-La réduction du produit net pour les chemins de
-fer espagnols a commencé et tout fait entrevoir
-qu'elle ira en s'accentuant pour les mêmes raisons
-qu'ailleurs : relèvement des salaires, adoucissement
-des conditions du travail, etc&hellip; La cherté du charbon
-et des matières premières est aussi un phénomène
-qui ne cessera pas de si tôt.</p>
-
-<p>Les actions des <i>Chemins de fer portugais</i>
-avaient suivi, quoique d'assez loin, le retour de
-fortune des chemins de fer espagnols. Mais les
-mêmes appréhensions doivent être conçues au
-sujet de l'avenir de ces valeurs. Le Portugal, sous
-la monarchie parlementaire, se trouvait, selon les
-propres paroles du roi don Carlos, «&nbsp;dans le
-gâchis&nbsp;». Il n'apparaît pas que la République l'en
-ait tiré. Assez d'autres occasions vont s'offrir aux
-détenteurs de capitaux pour que, de longtemps,
-ils ne soient pas exposés à la séduction de s'engager
-dans les entreprises portugaises.</p>
-
-<p>En Italie, les chemins de fer dits <i>Méridionaux</i>,
-rachetés depuis quelques années, nous donnent
-l'exemple d'un rachat dont les actionnaires n'ont
-pas eu à se féliciter beaucoup. C'est, d'abord, que
-l'État italien, excellent défenseur de ses intérêts et
-depuis longtemps pénétré des conceptions du
-nationalisme économique, est assez coutumier des
-opérations léonines. Dans ses rapports avec les
-sociétés financières, il sait défendre ses droits et
-imposer le «&nbsp;fait du prince&nbsp;». Aussi le rachat des
-Méridionaux n'a-t-il pas été un rachat de magnificence
-comme le rachat de l'Ouest français. En
-outre, les administrateurs de cette compagnie ont
-employé les éléments d'actif restés propriété des
-actionnaires à diverses entreprises plus ou moins
-heureuses. L'action des Méridionaux est ainsi
-devenue pour partie une valeur industrielle reposant
-sur des affaires mal définies et qui n'ont aucun
-rapport avec l'exploitation des chemins de fer. Ce
-sont de ces surprises désagréables comme l'actionnaire,
-s'il n'est pas très diligent et ne suit pas de
-près les faits et gestes des conseils d'administration,
-est exposé à en éprouver souvent.</p>
-
-<p>Il ne subsiste plus, dans les autres pays d'Europe,
-qu'un très petit nombre de compagnies de chemins
-de fer, les réseaux, du moins les plus importants,
-étant presque tous exploités directement par
-l'État. S'il se présente quelques exceptions, c'est,
-par exemple, en Turquie. L'avenir que la paix
-réservera à ce pays est douteux et la réserve s'impose.
-Seuls, des capitalistes très bien renseignés
-sur les affaires d'Orient pourront se porter sur ces
-valeurs. Nous ne parlons que pour mémoire de la
-Russie dont les entreprises sont rayées pour longtemps
-de la liste des vivants.</p>
-
-<p>Ce qu'il ne faut pas perdre de vue, en tout cas,
-c'est que les valeurs étrangères pour lesquelles, au
-milieu d'un retentissant concert de publicité, le
-public français se voit sollicité à l'improviste, ont
-presque toujours enrichi depuis longtemps leurs
-détenteurs primitifs qui cherchent à réaliser leurs
-bénéfices sur un autre marché, aux dépens de
-dupes mal renseignées. Cette histoire est précisément
-celle de l'introduction des valeurs de chemins
-de fer américains en France.</p>
-
-<p>Au mois de janvier 1911, l'action <i>Atchison,
-Topeka et Santa-Fé</i> valait à New-York environ cent
-dollars, un peu plus de 500 francs. Le titre
-n'offrait plus d'ailleurs, à ce moment-là, de perspectives
-très séduisantes. Il venait d'assez loin et
-les améliorations obtenues dans l'exploitation du
-réseau n'étaient plus guère susceptibles de développement,
-comme la suite l'a d'ailleurs prouvé.
-Cependant la hausse continua sur ces titres jusqu'au
-mois de juin 1911, date à laquelle les actions
-Atchison furent introduites sur le marché français
-au prix excessif de 605 francs. Les émetteurs
-américains n'avaient pas fait une mauvaise opération.
-L'affaire était moins belle pour les porteurs
-français. Il est juste de dire (ce qui n'ôte rien à la
-morale de cette histoire) que, pendant la guerre,
-l'action Atchison a retrouvé et même dépassé,
-grâce au bénéfice du change américain, son cours
-d'émission, tandis qu'en 1914, elle ne valait plus
-guère que 500 francs, c'est-à-dire ce qu'elle valait
-en Amérique quand le prochain lancement sur le
-marché de Paris n'était encore le secret que d'un
-petit nombre d'initiés.</p>
-
-<p>Les chemins de fer américains souffrent d'ailleurs
-des mêmes maux que les chemins de fer
-européens. Le temps n'est plus où la «&nbsp;libre Amérique&nbsp;»
-apparaissait comme une sorte de paradis
-des grandes affaires, où toutes les manifestations
-de l'activité humaine pouvaient se déployer à
-l'abri de l'intervention de l'État, sans connaître
-d'autres lois que celles de la concurrence. Les
-compagnies américaines, après avoir connu les
-inconvénients du régime de la liberté absolue, qui
-a multiplié les lignes rivales et inutiles, obligé les
-anciennes sociétés à racheter très cher les réseaux
-concurrents, sont étroitement soumises aujourd'hui
-au contrôle de l'État. Quoique propriétaires,
-et non concessionnaires de leurs réseaux, ces compagnies
-dépendent autant que les nôtres des pouvoirs
-publics. Elles ne sont plus maîtresses de
-leurs tarifs depuis 1906, date à laquelle l'<span lang="en" xml:lang="en">Interstate
-Commerce Commission</span>, qui représente le
-gouvernement fédéral, a été investie du droit de
-les fixer. Accroissement des impôts, exigences du
-législateur, relèvement des salaires par pression
-syndicale sinon par le moyen des grèves, les compagnies
-américaines présentent exactement tous
-les genres de fissures par lesquelles s'écoulent les
-bénéfices des chemins de fer dans les autres pays.</p>
-
-<p>Jusqu'à ces dernières années, les actions des
-chemins de fer américains apparaissaient comme
-des valeurs au plus haut degré spéculatives, qui
-obéissaient à toutes les fluctuations de la prospérité
-américaine, et douées par là même d'une élasticité
-considérable.</p>
-
-<p>Ces conditions ont bien changé. Les crises industrielles,
-qui offrent des retours périodiques en
-Amérique comme ailleurs, mais plus particulièrement
-marqués en Amérique qu'ailleurs, continuent
-bien d'influer sur leurs bénéfices. Mais l'accroissement
-incessant des charges pèse sur les
-compagnies d'une façon bien plus grave, parce
-qu'elle est permanente. Les chemins de fer américains,
-comme les nôtres, accroissent tous les ans
-leur dette. Leur produit net s'abaisse, et nombreuses
-(on en comptait quatorze du 1<sup>er</sup> janvier 1913 à fin
-juin 1914) ont été celles qui ont suspendu ou diminué
-leurs répartitions. On a calculé que, de
-1906 à 1914, la valeur en Bourse des titres des
-chemins de fer des États-Unis (actions et obligations)
-avait baissé de la somme formidable de trois
-milliards de dollars, c'est-à-dire de quinze milliards
-de francs.</p>
-
-<p>La crise financière universelle de l'année 1913
-avait évidemment contribué à porter cette dépression
-à son point le plus bas. Mais, en dépit de la
-prospérité que la guerre européenne a value aux
-États-Unis, il ne faudrait pas compter, pour l'avenir,
-sur une reprise durable. La politique du gouvernement
-fédéral, en matière de chemins de fer,
-semble consister (selon les termes d'un rapport
-très intéressant de M. H. de Saint-Laurent, consul
-de France à Chicago) à procéder à une estimation
-de la valeur des réseaux et à accorder un revenu
-moyen d'environ 5 p. 100 au capital reconnu par
-la Commission comme ayant été réellement investi
-dans les réseaux. Ce serait en somme un rachat
-dissimulé, mais à la suite d'évaluations dont le
-résultat semble extrêmement peu rassurant pour
-les actionnaires, si l'on tient compte de l'orientation
-du gouvernement fédéral.</p>
-
-<p>Étant donné ces menaces ; étant donné l'immense
-variété des compagnies de chemins de fer
-américains, la complexité de leur organisation
-financière, l'énormité et l'enchevêtrement des
-réseaux, qui prêtent le flanc à toutes les surprises,
-il faut conclure que le capitaliste européen qui se
-rend acquéreur d'actions de cette nature opère
-dans l'inconnu et joue à une espèce de jeu qui
-ressemblerait beaucoup à celui de la roulette ou
-du baccara, s'il y avait chance d'y gagner.</p>
-
-<p>Deux actions de chemins de fer du continent
-américain, auxquels le public français s'est trouvé
-intéressé, auront toutefois, en ces dernières années,
-donné de la satisfaction aux porteurs. Ces deux
-cas s'expliquent par des causes exceptionnelles.
-Le <i lang="en" xml:lang="en">Canadian Pacific</i> n'est pas seulement un chemin
-de fer ; c'est un grand propriétaire foncier
-dans un pays neuf qui vient de passer par une
-phase de développement magnifique. Les bénéfices
-répartis aux actionnaires proviennent en réalité de
-bénéfices réalisés sur les ventes de terrains, car les
-recettes de l'exploitation elle-même sont de plus
-rongées par les dépenses. Ces bénéfices sont et resteront
-considérables tant que la population du Canada
-s'accroîtra et ils sont destinés à varier avec le
-mouvement de la population dans ce pays. D'ailleurs,
-le domaine territorial de la Compagnie, pour
-une part urbain, reste un des plus vastes qui
-appartiennent dans le monde à une société privée
-(environ sept ou huit départements français). Il
-n'en est pas moins destiné à s'épuiser un jour.
-En outre, il n'échappe pas aux observateurs que
-le <i lang="en" xml:lang="en">Canadian Pacific</i> fait tous les ans appel au crédit
-pour des sommes considérables et ne cesse
-d'accroître ses charges. Il serait donc imprudent
-de s'attendre à des plus-values illimitées.</p>
-
-<p>Une autre valeur de chemins de fer a donné
-aussi quelque satisfaction : l'action des <i>chemins
-de fer de Santa-Fé</i>, dans la République argentine.
-Mais il s'agit là d'un cas de sauvetage plutôt
-que d'autre chose. Après avoir subi divers accidents,
-être arrivée au bord de la faillite et avoir
-été contrainte de demander un concordat, cette
-société, administrée par des mains plus habiles, a
-réussi à se relever. En réalité, la prospérité en est
-toute relative et ce n'est que par comparaison avec
-la détresse antérieure de la Compagnie qu'il est
-possible de parler de la bonne situation des chemins
-de fer de Santa-Fé. La marge des bénéfices
-reste très étroite et à la merci des crises économiques,
-de l'état des récoltes et même des intempéries.</p>
-
-<p>La vérité est que, presque toujours, les capitaux
-engagés dans les chemins de fer des pays
-neufs ou exotiques doivent être considérés comme
-dangereusement aventurés. C'est une vérité dont
-l'épargne française a fait, au Brésil et ailleurs, une
-cruelle expérience. Les chemins de fer ne peuvent
-être productifs que dans les pays où la population
-est dense, la richesse stable, le commerce et l'industrie
-développés. Or ces pays-là sont presque
-tous parvenus à un état politique et social qui est
-essentiellement défavorable à l'exploitation des
-voies ferrées par des sociétés privées. Nous voyons
-des pays comme les États-Unis, qui ignoraient
-naguère le régime de l'étatisme, s'y acheminer. Il
-faut, dans ces conditions, conclure avec la plus
-grande netteté que les actions de chemins de fer
-sont devenues universellement des valeurs dangereuses,
-aléatoires et, même pour les meilleures,
-dépourvues d'avenir. En sorte qu'il convient aux
-capitalistes prudents de les éviter ou de n'en plus
-surcharger leurs portefeuilles comme ont pu le
-faire, soit impunément soit même avec profit, les
-deux générations qui ont précédé la génération
-actuelle.</p>
-
-<p>Les actions des chemins de fer sont, de tous les
-éléments des fortunes modernes, celui qui aura le
-plus rapidement vieilli. Y rester aveuglément
-fidèle, par esprit de tradition familiale ou par
-habitude personnelle, serait s'exposer à la ruine
-de gaieté de c&oelig;ur. C'est surtout des patrimoines
-qu'il est vrai de dire qu'ils ne se baignent ni ne
-se rafraîchissent deux fois dans le même fleuve.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch10" title="X. Obligations de chemins de fer">CHAPITRE X</h2>
-
-<p class="c small">LES OBLIGATIONS DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS
-ET ÉTRANGERS</p>
-
-<p class="d">Conditions auxquelles ces obligations peuvent attirer des placements
-sérieux. &mdash; Une garantie d'un grand État solvable est
-presque toujours nécessaire. &mdash; Exemple des obligations des
-grandes Compagnies françaises. &mdash; Avantages respectifs de ces
-diverses catégories d'obligations. &mdash; Des obligations de bonne
-apparence qui auront fait subir de lourdes pertes aux fortunes :
-les obligations lombardes. &mdash; Autre expérience pénible : les
-obligations des chemins de fer américains. &mdash; Éclaircissements
-sur la valeur de ces titres. &mdash; Quels sont ceux dont les porteurs
-ont eu à se féliciter? &mdash; Gages et remboursements des obligations
-américaines. &mdash; Il convient de se détourner des obligations
-de chemins de fer exotiques. &mdash; De quelques pièges dont
-le public n'est pas assez averti.</p>
-
-
-<p>Autant les placements en actions de chemins
-de fer doivent être écartés pour les raisons que
-nous avons dites, autant au contraire les obligations
-peuvent être recherchées, du moins à certaines
-conditions que nous allons définir et moyennant
-lesquelles le sort des obligations peut devenir
-nettement distinct de celui des actions.</p>
-
-<p>Tel est très certainement le cas pour les obligations
-des chemins de fer français.</p>
-
-<p>Nous avons vu, en effet, que, sur les six grands
-réseaux, il en est trois (Ouest, Orléans, Midi) qui
-jouissent d'une garantie pleine et entière de l'État
-jusqu'à la fin des concessions. L'intérêt et l'amortissement
-des obligations de ces compagnies sont
-donc assurés sans condition et sans discussion.
-Ce sont tout simplement des créances sur l'État
-français et qui suivront le sort des finances de
-l'État.</p>
-
-<p>Les trois autres compagnies, celles de l'Est,
-du Nord et du Paris-Lyon ne sont pas dans le
-même cas. La garantie que les conventions de
-1883 assurent à la compagnie de l'Est expire en
-1935 : à partir de cette époque le service des
-obligations n'aura plus d'autre couverture que le
-produit net. Cette situation est déjà celle des obligations
-Nord et Lyon. Ces deux compagnies, pour
-qui la garantie de l'État a disparu en 1915, offrent
-en garantie à leurs obligations la marge constituée
-par leurs bénéfices, mais elles n'en offrent plus
-d'autre. S'il est à redouter que la marge constituée
-par ces bénéfices ne doive pas reparaître, faut-il
-appréhender aussi que le service des obligations du
-Nord et du Lyon reste en souffrance au cas où les
-compagnies entreraient dans une période de déficit?
-Ce danger ne paraît pas à craindre, au moins en
-temps normal, et à moins d'admettre que l'État,
-accablé sous le poids de ses propres charges, ne
-puisse remplir les engagements, <i>purement moraux
-et verbaux</i> il est vrai, qu'il a pris à cet égard.</p>
-
-<p>Il y a des valeurs qui doivent, non sans raison,
-une partie de la confiance qu'elles inspirent à la
-manière même dont elles sont réparties dans le
-public et à la nature des portefeuilles où elles se
-trouvent classées. C'est justement le cas des obligations
-de nos chemins de fer. Elles sont extrêmement
-répandues, en France, dans la petite épargne,
-et non seulement dans la petite épargne individuelle,
-mais peut-être surtout dans ce qu'on pourrait
-appeler la petite épargne collective, celle que
-les sociétés de secours mutuels et les caisses de
-retraites représentent tout particulièrement. Ainsi,
-chose extrêmement importante en régime de démocratie,
-le nombre se trouve intéressé à un service
-ponctuel des obligations de chemins de fer.
-Toute défaillance dans le service des obligations
-d'une des compagnies non rachetées ou non garanties
-prendrait les proportions d'une catastrophe
-publique et atteindrait une foule d'électeurs, tandis
-que, les actions n'étant détenues que par la bourgeoisie
-moyenne, la suppression du dividende passerait
-inaperçue. On comprend donc sans peine
-que M. Joseph Caillaux, porte-parole autorisé de
-la démocratie radicale-socialiste, ait été amené à
-déclarer à la tribune de la Chambre, le 29 mars
-1911, étant ministre des finances, qu'il ne pouvait
-concevoir aucune sorte de gouvernement qui pût
-jamais laisser le coupon des obligations de chemins
-de fer en souffrance. Il est très important
-de rapprocher de cette déclaration le fait que,
-malgré l'expiration de la garantie, les obligations
-du Nord et du Lyon ont continué, en vertu d'une
-circulaire ministérielle, à entrer dans la catégorie
-des placements légaux.</p>
-
-<p>Aussi peut-on regarder à juste titre les obligations
-de nos grandes compagnies de chemins de
-fer comme faisant partie des engagements explicites
-de l'État et comme devant suivre les destinées
-des finances de notre pays. Indépendamment
-du gage constitué par les recettes, c'est une considération
-des plus importantes.</p>
-
-<p>Les obligations de nos chemins de fer offrent les
-types les plus variés : au cours d'une existence
-déjà longue, où elles n'ont cessé d'emprunter, les
-compagnies ont suivi toutes les exigences du crédit.
-Actuellement le public a le choix entre les
-obligations 5 p. 100, 4 p. 100, 3 p. 100, 2&nbsp;½
-p. 100. Les deux premières sont du rendement
-immédiat le plus avantageux. Mais elles se tiennent
-peu éloignées du pair et n'offrent par conséquent
-qu'une légère prime au remboursement. Les obligations
-du type 3 p. 100 offrent l'avantage d'avoir
-un marché extrêmement large et de nombreuses
-transactions quotidiennes, même par les temps de
-marasme financier : c'est peut-être, en France, la
-valeur préférée, à tous les degrés de l'épargne.
-Enfin la prime au remboursement est considérable.
-Elle atteint 170 francs pour des titres achetés à
-325 francs pendant la guerre.</p>
-
-<p>Les obligations du type 2&nbsp;½ p. 100 qui donnent
-un revenu inférieur ont au contraire une
-prime au remboursement encore un peu plus
-élevée.</p>
-
-<p>En somme, indépendamment de la sécurité
-qu'elles présentent, les obligations de chemins de
-fer 3 p. 100 et 2&nbsp;½ p. 100 sont surtout intéressantes
-par la prime au remboursement qui doit
-être recueillie par tirages annuels d'ici la fin des
-concessions. Les obligations 2&nbsp;½ paraissent surtout
-convenir à ce point de vue aux sociétés de
-capitalisation, qui comptent sur le temps comme
-sur un collaborateur fidèle, ou aux pères de famille
-très prévoyants. Pour fixer les idées du lecteur,
-nous lui citerons le cas de la Compagnie de l'Ouest
-en liquidation qui, dans le portefeuille de cette
-importante réserve dont nous avons parlé plus
-haut, ne possède pas moins de 29 à 30.000 obligations
-2&nbsp;½ des divers réseaux. D'ici l'époque
-où cette réserve, &mdash; on aurait dit autrefois cette
-tontine, &mdash; sera partagée entre les actionnaires,
-ces 30.000 obligations, évaluées avant la guerre
-par le conseil de liquidation, selon les cours de la
-Bourse, à 10&nbsp;800&nbsp;000 francs en chiffres ronds, auront
-été remboursées à 500 francs (ou plus exactement
-495 francs taxe déduite) et auront produit
-près de 14 millions. Ainsi le bénéfice est mathématique
-et peut, d'ores et déjà, être calculé aux
-centimes près.</p>
-
-<p>On doit toutefois envisager le cas où ce bénéfice
-pourrait être réduit. C'est celui où les compagnies,
-terriblement obérées par la guerre, ne se relèveraient
-pas de leur déficit chronique et continueraient
-à faire appel à l'État pour de lourdes
-sommes. Si alors le cours des obligations 3 p. 100
-continuait à se tenir entre 300 et 350 francs, et
-à donner, par chaque titre amorti, une prime
-énorme, l'État pourrait être tenté de diminuer
-cette prime due aux circonstances, en aggravant
-la taxe sur les primes de remboursement. Cette
-taxe est actuellement de 4 p. 100 et porte sur la
-différence formée par le prix d'émission du titre
-et le taux auquel il est remboursé. A cet impôt
-pourrait d'ailleurs s'en ajouter légitimement un
-autre qui s'appliquerait au bénéfice réalisé sur
-chaque obligation amortie par rapport au cours
-moyen du titre pendant l'année. Tant que le capitaliste
-français n'aura à payer que des impôts de
-cette nature, il ne sera pas à plaindre.</p>
-
-<p>Il y a, pour la marche de l'amortissement, des
-différences notables entre les diverses compagnies.
-Voici l'ordre dans lequel elles se présentent :
-d'abord toutes les obligations du <i>Nord</i>, en vertu
-du terme de la concession qui expire dès 1950.
-Les obligations dites «&nbsp;anciennes&nbsp;» de l'<i>Orléans</i>,
-les 7 ou 800&nbsp;000 premiers numéros des obligations
-«&nbsp;anciennes&nbsp;» de l'<i>Est</i> (qui auraient droit à une
-cotation spéciale en Bourse), doivent être aussi
-complètement remboursées en 1950 : les actuaires
-qui travaillent pour le compte des sociétés d'assurance
-et de capitalisation savent exactement quelles
-sont, pour chaque catégorie d'emprunts, les chances
-de tirage au sort et la progression annuelle de ces
-chances. D'ailleurs le public lui-même commence
-à s'en rendre compte, car les trois espèces d'obligations
-que nous venons de citer sont ordinairement
-plus recherchées que les autres. Les obligations
-Lyon et Midi viennent les dernières : et
-leurs cours, surtout pour les Lyon, s'en ressentent,
-la garantie absolue de l'État exerçant une
-bonne influence sur les Midi.</p>
-
-<p>Ces remboursements (1 titre sur moins de 50
-pour les trois séries les plus favorisées que nous
-venons d'énumérer) s'accéléreront à mesure que
-l'expiration des concessions s'approchera. Ils sont
-destinés à agir sur les cours des obligations à la
-manière d'un aimant. Nous avons vu les obligations
-de chemins de fer, en ces derniers temps,
-résister à la baisse beaucoup mieux que le 3 p. 100
-perpétuel. La raison de cette résistance est là. On
-peut considérer, après cette épreuve, les obligations
-de chemins de fer comme se trouvant, au
-point de vue de la stabilité des cours, dans des
-conditions relativement favorables. La régularité
-de l'amortissement fait le salut des valeurs dans
-les tempêtes financières. Et, jusqu'ici, cette régularité,
-pour nos grandes compagnies, ne saurait
-être mise en doute.</p>
-
-<p>Les obligations 3 p. 100 des chemins de fer
-algériens (<i>Ouest-Algérien</i>, <i>Est-Algérien</i>, <i>Bône-Guelma</i>,
-plus la série des anciens «&nbsp;Chemins algériens&nbsp;»,
-<i>Mostaganem</i>, <i>Aïn-Thizy</i>, etc&hellip;) sont, au
-point de vue de la sécurité, dans la même situation
-que les obligations de l'Ouest, de l'Orléans
-ou du Midi, étant émises par des compagnies soit
-rachetées soit formellement garanties par l'État.
-Le cas est le même pour diverses obligations de
-chemins de fer coloniaux (<i>Port de la Réunion</i>,
-<i>Indo-Chine</i> et <i>Yunnan</i>).</p>
-
-<p>Mais la durée des concessions et, par conséquent
-la période des remboursements, étant beaucoup
-plus longue (jusqu'à 1975 ou 1980 en moyenne)
-que pour les six grandes compagnies de la métropole,
-l'effet de l'amortissement se fait sentir moins
-nettement sur les cours. Les obligations des six
-grandes compagnies sont donc préférables, à
-moins que les obligations algériennes et coloniales
-diverses que nous venons de désigner ne se présentent
-à des cours inférieurs de 20 ou 25 francs
-au moins.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Il serait imprudent de conclure de ce qui précède
-que toutes les obligations de chemins de fer
-sont de bonnes valeurs et, en particulier, que les
-obligations des chemins de fer étrangers offrent
-les mêmes garanties que les nôtres. Cette analogie aura
-fait d'innombrables victimes. Et c'est en
-matière financière plus que par tout ailleurs qu'il
-faut se garder de raisonner par analogie.</p>
-
-<p>On peut dire que le martyrologe des obligations
-de chemins de fer est encore plus vaste que
-celui des actions, car, le plus souvent, on peut
-même dire malheureusement dans presque tous
-les cas, l'obligataire a fourni des sommes cinq ou
-dix fois plus considérables que le capital versé par
-les actionnaires.</p>
-
-<p>Les obligations des réseaux rachetés (<i>Victor-Emmanuel</i>
-et <i>Méridionaux</i> en Italie, ou <i>Autrichiens</i>
-par exemple), et les obligations garanties par l'État
-russe n'étant plus, les unes et les autres, que des
-fonds d'État, suivent, depuis les événements de
-1918, les destinées de ces divers pays. Après elles,
-on n'aperçoit guère en Europe d'obligations de
-chemins de fer qui soient dignes d'inspirer une
-confiance parfaite. Les moins mauvaises sont peut-être
-celles du <i>Nord de l'Espagne</i> et du <i>Saragosse</i>
-qui, pendant la guerre, ont donné à leurs propriétaires
-des satisfactions qui ne seront pas éternelles.
-Encore la marge des bénéfices de ces compagnies
-est-elle bien étroite, en sorte que le service des obligations
-se trouve à la merci du moindre incident
-politique ou économique. La prime au remboursement
-est séduisante. Mais l'amortissement des emprunts
-du Nord de l'Espagne a été suspendu longtemps,
-il importe de s'en souvenir. Et l'on sait aussi
-que le «&nbsp;<span lang="es" xml:lang="es">convenio</span>&nbsp;», faillite déguisée, est un véritable
-produit de la terre espagnole. Quant aux
-obligataires des autres compagnies de la péninsule
-(<i>Andalous</i>, <i>Ouest de l'Espagne</i>, <i>Sud de l'Espagne</i>,
-etc&hellip;), ils ont passé par des épreuves douloureuses.
-C'est pourquoi, même pour les réseaux
-espagnols plus importants et plus prospères, mais
-dont la prospérité est bien récente et bien fragile,
-la plus grande circonspection est de rigueur.</p>
-
-<p>Car on peut parfaitement se ruiner avec des
-obligations de chemins de fer de l'aspect le plus
-rassurant. Cette circonstance se présente même
-d'autant plus souvent que le public s'en laisse
-aisément imposer par des valeurs qui ont la réputation
-de valeurs de «&nbsp;père de famille&nbsp;» et ne regarde
-pas de très près à la qualité du gage. On
-aura même vu des compagnies sérieuses, exploitant
-un beau réseau, faire subir à leurs obligataires
-des pertes graves. Transposée des actions
-aux obligations, l'histoire des chemins de fer lombards,
-que nous avons résumée antérieurement,
-permet de voir comment, de sacrifice en sacrifice,
-des porteurs d'obligations peuvent être conduits
-à n'avoir plus en main qu'un titre réduit, par des
-concordats successifs, quant aux intérêts ou quant
-au capital et, quelquefois, quant aux deux.</p>
-
-<p>La compagnie des chemins de fer lombards ou
-du Sud de l'Autriche a émis jadis en France la
-majeure partie de ses obligations à un taux supérieur
-a celui même des obligations similaires de
-nos grandes compagnies. Cela se passait en 1858,
-juste un an avant la guerre d'Italie. Le public
-français, à cette époque, n'a pas paru se douter
-un instant qu'il était invité à fournir des capitaux
-à une compagnie condamnée à perdre le meilleur
-de son réseau avant même de l'avoir exploité. La
-guerre de 1859 devait avoir en effet pour résultat
-la cession de la Lombardie au Piémont par l'Autriche
-vaincue, cession rapidement suivie de
-l'expropriation de la compagnie autrichienne. En
-sorte qu'on peut très bien imaginer un père de
-famille français, ayant placé ses économies dans
-les chemins lombards, et dont le fils, officier ou
-soldat, eût été tué à Magenta ou à Solférino pour
-aider à fonder l'État italien qui devait s'empresser
-de rançonner la compagnie.</p>
-
-<p>Atteints déjà dans leur coupon par les impôts
-autrichiens et français (le revenu n'était que de
-13 francs au lieu de 15 pour les obligations
-3 p. 100), les obligataires avaient dû, avant la
-guerre, renoncer en outre au remboursement
-de leurs titres à 500 francs. Après un essai de
-remaniement des tables d'amortissement, l'amortissement
-lui-même avait été complètement suspendu
-en 1908 et, sous la menace de la faillite,
-les créanciers avaient dû accepter en 1914 des
-conventions, d'ailleurs compliquées, qui réduisaient
-le nominal de leur titre soit à 325 francs,
-soit à 310 francs seulement, selon que la garantie
-du gouvernement autrichien devait être accordée
-ou non par le Parlement avant le 1<sup>er</sup> janvier 1915.
-Les annuités payées par le gouvernement italien
-pour le rachat des réseaux lombard et vénitien auraient
-formé le revenu nécessaire au service des intérêts
-et de l'amortissement d'une obligation sur
-deux : c'était encore l'élément le plus stable sur
-lequel les porteurs de titres pouvaient compter.
-Mais la guerre est survenue et la dislocation de
-l'Autriche-Hongrie s'en est suivie. L'Italie, la
-Yougo-Slavie, l'Autriche allemande vont dépecer
-ce malheureux réseau. Les actions n'ont plus
-d'espoir. Les obligations elles-mêmes sont en
-grand danger de subir de nouvelles et fortes
-réductions. Il est difficile de calculer ce qu'il
-leur restera. Et dire qu'en France elles figurent
-encore dans la liste des valeurs admises pour les
-remplois dotaux!</p>
-
-<p>En ce qui concerne les actions comme en ce
-qui concerne les obligations, on voit que l'exemple
-des chemins de fer du Sud de l'Autriche est saisissant.
-Il montre par quelles lentes dégradations,
-de concordat en concordat, des entreprises sérieuses
-peuvent faire subir des pertes graves à
-ceux qui leur ont accordé confiance, sinon même
-les mener jusqu'à la ruine.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Nous voici maintenant, avec les obligations des
-chemins de fer américains, en présence d'un cas
-qui n'est pas moins instructif, car il prouve à quel
-point la prudence et l'information sont nécessaires
-dans les placements et combien il importe de ne
-pas suivre aveuglément les vogues.</p>
-
-<p>Il y a environ dix ans, un économiste éminent,
-renommé non seulement pour sa science mais
-encore pour sa circonspection, rédacteur en chef
-d'un journal hebdomadaire très répandu, commençait
-à engager l'épargne française à se porter
-sur les obligations de chemins de fer des États-Unis.
-Dans son <i>Art de placer et gérer sa fortune</i>,
-M. Paul Leroy-Beaulieu résumait ses campagnes
-et sa pensée en ces termes particulièrement pressants
-et définitifs :</p>
-
-<blockquote>
-<p>Les obligations des principaux chemins de fer américains
-doivent être classées parmi les meilleures valeurs qui soient
-au monde&hellip; Ces obligations ont l'avantage de fournir facilement
-½ à&nbsp;¾ p. 100, sinon 1 p. 100 de plus de rémunération
-que celles de nos compagnies de chemins de fer, avec
-une durée parfois double.</p>
-
-<p>Elles ont cet autre mérite que ces titres, en cas de
-grandes guerres au sein de l'Europe, seraient à l'abri des
-conséquences ou des répercussions de ces guerres, ce qui
-donne une sécurité précieuse&hellip;</p>
-
-<p>Les obligations des principaux chemins de fer américains
-sont appelées à remplir, au <small>XX</small><sup>e</sup> siècle, la fonction que
-tenaient au <small>XIX</small><sup>e</sup> siècle, les <i>Consolidés</i> britanniques, celle
-de valeurs de refuge par excellence, avec l'avantage très
-appréciable d'un intérêt rémunérateur&hellip; Les capitalistes
-avisés et les intermédiaires dégourdis peuvent, dès maintenant,
-s'occuper de ces placements très recommandables.</p>
-</blockquote>
-
-<p>Des pronostics de M. Paul Leroy-Beaulieu,
-celui qui s'est réalisé le premier s'est réalisé à la
-lettre : les «&nbsp;intermédiaires dégourdis&nbsp;» se sont
-rencontrés tout de suite et en grand nombre pour
-saturer le public français d'obligations de chemins
-de fer américains. Plusieurs séries de ces obligations,
-de qualités très inégales, ont même été
-introduites sur le marché de Paris. Et certaines
-ont fait faire tout de suite des expériences ruineuses
-à l'épargne de notre pays.</p>
-
-<p>D'abord, il s'était révélé, dès la crise orientale
-de 1912&ndash;1913, que le marché de New-York, qui,
-par lui-même est déjà d'une extrême sensibilité et
-sujet aux crises les plus graves, n'était nullement
-soustrait aux conséquences et aux répercussions
-d'une guerre européenne. De plus, il eût été sage
-de prévoir que les États-Unis étaient exposés à
-des difficultés particulières du fait de leur politique
-extérieure : effectivement, sur ces entrefaites,
-les événements du Mexique étaient venus
-aggraver la dépression. On devait considérer enfin
-la guerre aux trusts, c'est-à-dire l'inauguration
-d'une politique sévère et même malveillante à
-l'égard des grandes entreprises, comme un avertissement
-sérieux.</p>
-
-<p>Non seulement la nationalité américaine ne
-pouvait pas suffire à conférer à ces obligations,
-d'une manière absolue, le caractère de «&nbsp;valeurs
-de refuge&nbsp;» mais encore il eût fallu supposer que
-le public français était en mesure de discerner
-avec certitude, dans l'énorme variété des compagnies
-de chemins de fer créées aux États-Unis par
-le système de la concurrence illimitée, les compagnies
-prospères et réalisant des bénéfices réguliers.
-Les obligations des chemins de fer américains
-forment un fouillis aussi complexe que les
-réseaux eux-mêmes qui s'enchevêtrent à l'infini.
-D'abord il faut tenir grand compte de ce fait que
-les compagnies américaines n'amortissent pas
-leurs emprunts, comme le font les nôtres, au
-moyen de tirages annuels calculés d'après la
-durée de la concession : ce procédé, inspiré de
-l'esprit français de prudence et d'économie, ne
-convient pas à l'audace américaine. De plus les
-chemins de fer des États-Unis, étant, non pas
-concessionnaires mais propriétaires à perpétuité
-de leurs réseaux, sont libres de fixer, pour le
-remboursement en bloc de leurs emprunts, des
-dates extrêmement variables, et qui s'étendent des
-années immédiatement prochaines à l'année 2361
-(<i lang="en" xml:lang="en">West Shore</i> 4 p. 100). Il est facile de se rendre
-compte que les administrateurs du <span lang="en" xml:lang="en">West Shore</span>
-se soucient fort peu de savoir à l'aide de quelles
-ressources cette dette, qui est de 250 millions de
-francs, pourra être remboursée dans quatre siècles
-et demi.</p>
-
-<p>Autre différence avec les obligations de chemins
-de fer français et qui peut devenir une cause
-de mécomptes graves. Les obligations américaines
-ne sont pas, comme les nôtres, uniformément
-gagées sur l'ensemble des ressources de la compagnie.
-Elles ne sont même pas, comme les obligations
-de certaines compagnies espagnoles (le <i>Nord
-de l'Espagne</i>, par exemple) nettement classées
-suivant le rang hypothécaire. Il y a pour désigner
-les diverses sortes de gages qui leur sont affectés
-une nomenclature extrêmement compliquée et
-dont la complexité même suggère la pensée que
-les émetteurs ne seraient pas fâchés que le public
-pût s'y égarer. Ainsi il est bien certain
-qu'une première hypothèque est prise en faveur
-des obligations qui portent la mention <i lang="en" xml:lang="en">first mortgage</i>.
-Mais cette première hypothèque n'est pas
-toujours générale : elle ne s'applique souvent
-qu'à une partie du réseau, à un certain nombre
-de milles de voies ferrées (<i>division</i>) dont la valeur
-ne peut être connue que par l'étude approfondie du
-titre hypothécaire (<i lang="en" xml:lang="en">mortgage deed</i>) qui est en la
-possession de la banque émettrice. Il faut donc ne
-pas s'en laisser imposer par la mention <i lang="en" xml:lang="en">first mortgage</i>
-pas plus que par la mention <i lang="en" xml:lang="en">prior lien</i>, qui
-désigne bien, elle, une hypothèque de priorité
-primant toutes les autres, mais qui ne s'applique
-pas forcément à l'ensemble des propriétés de la
-compagnie, comme des personnes inattentives
-pourraient le croire, puisque certaines lignes
-peuvent déjà avoir été l'objet d'une hypothèque
-spéciale. De même le <i lang="en" xml:lang="en">general mortgage</i> est sans
-doute une hypothèque générale qui embrasse
-tous les biens de la compagnie, mais qui peut
-être primée par des hypothèques particulières,
-des «&nbsp;divisions&nbsp;» antérieurement constituées.
-Quant à la mention de deuxième hypothèque,
-toujours peu séduisante pour les prêteurs, il ne
-faut guère s'attendre à la rencontrer, et moins
-encore la mention de troisième hypothèque
-(<i lang="en" xml:lang="en">second, third mortgage</i>). Celles-là sont désignées
-par des termes infiniment plus vagues et par des
-euphémismes plus engageants, comme ceux de
-<i lang="en" xml:lang="en">consolidated</i> ou <i lang="en" xml:lang="en">blanket mortgage</i>. Et ce n'est pas
-tout. La nomenclature ne finit pas là. Il y a le
-<i lang="en" xml:lang="en">refunding mortgage</i>, qui désigne les emprunts
-destinés au remboursement de dettes devenues
-exigibles et à qui sont affectées les garanties de
-l'emprunt antérieur (car presque toujours les
-compagnies américaines contractent une nouvelle
-dette pour en éteindre une ancienne.) Il y a le
-<i lang="en" xml:lang="en">collateral trust</i>, qui est un gage constitué par un
-dépôt d'actions ou d'obligations (généralement
-d'une autre compagnie «&nbsp;contrôlée&nbsp;» par la compagnie
-émettrice), dépôt qui est remis aux mains
-de <i lang="en" xml:lang="en">trustees</i> ou fidéicommis et dont la valeur est
-difficilement appréciable quand elle ne se trouve
-pas fictive. Enfin certaines obligations sont gagées
-sur le matériel roulant des compagnies, (<i lang="en" xml:lang="en">equipment
-mortgage bonds</i>), d'autres peuvent être
-échangées contre des actions à un cours déterminé
-(<i lang="en" xml:lang="en">convertible bonds</i>), d'autres n'ont aucun gage
-spécial (<i lang="en" xml:lang="en">debentures</i>). Si l'on veut bien songer qu'il
-n'y a pas moins de quarante compagnies américaines
-qui jouissent d'une certaine réputation et si
-l'on tient compte de ce fait que toutes ces compagnies
-ont contracté des emprunts des types les plus
-différents et les plus diversement gagés, on conviendra
-qu'à moins d'une initiation préalable et
-fort ardue, le capitaliste européen ne saurait
-puiser qu'au hasard dans l'énorme lot de ces obligations.</p>
-
-<p>L'embarras du choix ne doit pas, cependant,
-constituer une raison suffisante pour écarter ces
-valeurs <i lang="la" xml:lang="la">a priori</i>.</p>
-
-<p>Les rentiers américains ont un critérium qui
-leur permet de distinguer le bon grain de l'ivraie.
-Sont considérées comme offrant une sécurité incontestable
-les obligations qui figurent sur la liste des
-valeurs que les banques d'épargne des États (en
-particulier les banques d'épargne de l'État de New-York)
-sont autorisées à acquérir. Ces obligations
-offrent généralement des signes particuliers. Elles
-se capitalisent à un taux qui, en temps normal,
-est rarement supérieur à 3&nbsp;½ ou 4 p. 100. Les
-fluctuations auxquelles elles sont sujettes se tiennent
-dans la limite de 10 p. 100 et elles jouissent
-d'un marché très large, en sorte qu'on peut toujours
-avoir la certitude de les réaliser à tout moment.
-Il va sans dire que, seul, le capitaliste européen
-qui est capable de lire des documents rédigés
-en anglais conformément au vocabulaire particulier
-de la finance américaine, pourra consulter lesdites
-listes avec profit et sans crainte de confusion,
-avant de passer un ordre d'achat. En d'autres
-termes cette lecture ne peut être faite que par des
-personnes munies d'une instruction financière supérieure.</p>
-
-<p>Le fait que les banques d'épargne placées sous
-la surveillance des États sont autorisées à acheter
-des obligations de chemins de fer prouve donc
-qu'il y a de bonnes obligations aux États-Unis,
-des obligations qui possèdent même une sorte de
-garantie morale du gouvernement, comparable à
-celle que nous avons pour les obligations des chemins
-de fer français. En ce sens, M. Paul Leroy-Beaulieu
-pouvait avoir raison de signaler les
-titres des principaux chemins de fer américains aux
-capitalistes européens désireux de diversifier leurs
-placements et de sortir des chemins battus.</p>
-
-<p>Seulement, avec la hantise qui a été celle de
-tous les économistes et de tous les hommes d'affaires
-de sa génération, M. Paul-Leroy-Beaulieu,
-redoutant une baisse toujours plus accentuée du
-taux de l'intérêt, trouvait aux obligations américaines
-à long terme l'avantage d'assurer aux porteurs,
-pendant de nombreuses années et même pendant
-plusieurs siècles, un revenu moyen constant.
-Leur «&nbsp;durée&nbsp;», comme on peut le voir dans le
-texte que nous avons cité plus haut, durée «&nbsp;parfois
-double de celle des obligations françaises&nbsp;», lui
-apparaissait comme une de leurs meilleures recommandations.
-Convaincu que le loyer de l'argent
-devait fatalement descendre à 2&nbsp;½, 2, 1&nbsp;½,
-peut-être même 1 p. 100, M. Leroy-Beaulieu
-était porté à croire que les obligations américaines
-les plus dignes d'être recherchées étaient celles
-qui n'étaient remboursables qu'en 1997, en 2047
-ou même en l'an 2361 comme les <span lang="en" xml:lang="en">West Shore</span>.
-L'homme prévoyant, selon lui, eût été celui qui
-eût assuré à ses héritiers, et aux héritiers de ses
-héritiers un revenu de 4 p. 100 pendant plusieurs
-siècles.</p>
-
-<p>Ce raisonnement étant faux, comme nous
-l'avons montré, l'expérience nous a, au contraire,
-apporté la preuve que les obligations américaines
-les plus dignes d'attirer l'attention étaient celles
-dont le remboursement était le plus rapproché.</p>
-
-<p>Nous pouvons voir, en effet, à chaque fois (et
-ces occasions ne sont pas rares) qu'une crise secoue
-le marché américain, les obligations dont le terme
-est proche rester presque insensibles à la baisse,
-ou leur sensibilité diminuer en raison de la proximité
-du terme. Reprenons des exemples que nous
-avons eu déjà l'occasion de citer plus haut. Les
-obligations 3&nbsp;½ de la puissante compagnie <i lang="en" xml:lang="en">Pennsylvania
-Railroad</i>, de la série remboursable en
-1912, ont été intégralement remboursées au pair
-l'année même où une première bourrasque devait
-assaillir les valeurs mobilières de tous les pays du
-monde. Supposons qu'un porteur de ces obligations
-eût employé son capital en obligations 3&nbsp;½ de la
-même compagnie remboursables en 1915. Ces titres
-pouvaient s'obtenir alors à 97, c'est-à-dire trois
-points au-dessous du pair, ce qui représentait une
-prime au remboursement de trois francs pour cent
-francs à toucher au bout de trois ans, soit, avec
-l'intérêt à 3&nbsp;½, un revenu total de 4&nbsp;½ p. 100.
-Or, dès les premiers mois de 1914, ce capitaliste
-eût vu ses obligations approcher du pair (99&nbsp;½ à
-99&nbsp;¾) et il lui eût été d'ores et déjà possible de
-les arbitrer fructueusement contre des obligations
-de la même compagnie, à terme plus éloigné et
-dont les cours étaient bien moins élevés. Ou bien,
-en 1915, en pleine guerre, il fût rentré dans son
-capital, ce qui eût été une aubaine excellente.</p>
-
-<p>Il est visible à l'&oelig;il le moins expérimenté que,
-pendant la baisse qui a sévi jusque sur les obligations
-américaines de premier ordre, les titres les
-plus résistants ont été ceux qui obéissaient à l'aimantation
-d'un remboursement prochain. On ne
-saurait que difficilement mettre en doute la sécurité
-qu'offrent, par exemple, les obligations 3&nbsp;½ première
-hypothèque du <i lang="en" xml:lang="en">New York Central</i>. Elles
-constituent certainement, au point de vue de la solidité
-du gage, une des premières valeurs du monde :
-le seul fait de posséder gares et voies ferrées en
-pleine ville de New-York crée à cette compagnie un
-privilège de fait et la rend propriétaire de terrains
-d'une valeur colossale. Eh bien, ces obligations,
-après avoir jadis dépassé le pair, sont tombées aux
-cours de 83 et même de 82, et, pendant la guerre,
-se sont difficilement maintenues à 70 ou 71 parce
-qu'elles ne sont remboursables qu'en 1997, tandis
-que nous venons de constater la stabilité des cours
-des obligations Pennsylvania 3&nbsp;½ 1915, qui étaient
-aussi bonnes mais non pas meilleures et qui, dans
-les temps de hausse, se tenaient au même niveau
-que les <span lang="en" xml:lang="en">New York Central</span>. Cependant d'autres
-obligations du type 3&nbsp;½, par exemple les <i lang="en" xml:lang="en">Baltimore
-and Ohio</i> remboursables en 1925 se tenaient
-à 86, quoique émanant d'une compagnie dont la
-prospérité est beaucoup moins bien établie que
-celle du <i lang="en" xml:lang="en">New York Central</i> et dont la gestion est
-pour ainsi dire plus aventureuse. Et parmi des valeurs
-qui passent, d'après la classification de M. Paul
-Leroy-Beaulieu lui-même pour n'être que des
-«&nbsp;valeurs d'appoint&nbsp;», on remarque que les
-<i lang="en" xml:lang="en">Chicago Burlington and Quincy joint bonds</i> 4 p. 100
-remboursables en 1921 valent 93, presque autant
-que les <i lang="en" xml:lang="en">Pennsylvania Railroad</i> 4 p. 100 remboursables
-en 1923, titre de toute première classe,
-tandis que les <i lang="en" xml:lang="en">New York Central</i> 4 p. 100, remboursables
-en 1934 seulement, soit treize ans plus
-tard, se tiennent à plusieurs points au-dessous de
-ces cours.</p>
-
-<p>Il serait fastidieux de multiplier ces exemples.
-Mais la conclusion qui s'impose c'est que les obligations
-des chemins de fer américains peuvent
-constituer pour le capitaliste diligent un véritable
-clavier dont le maniement lui permet soit d'avoir
-de bonnes chances de stabiliser toute une partie de
-son portefeuille, soit de s'assurer à date fixe des
-rentrées d'argent, ce dont il aura lieu de se féliciter
-en temps de crise. On s'en rend bien compte
-dans les milieux informés. Durant la «&nbsp;crise de
-confiance&nbsp;» de 1914, un peu avant la guerre, on
-signalait de Londres que beaucoup de personnes
-bien inspirées, lasses de laisser leurs capitaux stériles
-et se refusant toutefois à opérer des placements
-définitifs, recherchaient les «&nbsp;notes&nbsp;» à très
-court terme émises pour les besoins courants des
-compagnies américaines. Ainsi conçues, on peut
-dire que les obligations américaines constituent
-des «&nbsp;valeurs de refuge&nbsp;».</p>
-
-<p>Mais il est à craindre que l'expérience malheureuse
-que le public français vient de faire avec
-les obligations américaines qui lui ont été apportées
-en France même, ne la détourne pour longtemps
-de ces valeurs. En effet les intermédiaires
-que convoquait M. Paul Leroy-Beaulieu n'ont pas
-été très regardants quant à la qualité des titres
-que l'Amérique les chargeait d'introduire chez
-nous. On a donc fait absorber pêle-mêle à notre
-épargne des titres de premier ordre comme les
-<i>Pennsylvania</i> 3&nbsp;¾ p. 100 ; des titres que les
-Américains eux-mêmes classent dans une catégorie
-secondaire telles que les <i>Cleveland Cincinnati</i>
-4 p. 100, quoique appartenant encore à une compagnie
-qui distribue des dividendes ; et enfin des
-titres tout à fait aléatoires sinon même franchement
-mauvais et dont l'émission a constitué une
-escroquerie, telles que les <i lang="en" xml:lang="en">Saint Louis and San
-Francisco</i> dont les intérêts ont cessé d'être payés
-trente mois après leur introduction sur le marché
-de Paris. Si l'on pense qu'avec cela, ces valeurs,
-selon la méthode que nous avons déjà décrite et
-qui constitue un abus insupportable, ont été émises
-en France à un prix bien supérieur à celui que
-valaient, en Amérique même, des titres des mêmes
-compagnies jouissant de gages supérieurs, on
-comprendra que le public français, après un instant
-d'engouement, ait ensuite condamné en bloc toutes
-les obligations américaines. Après la suppression
-de paiements du <span lang="en" xml:lang="en">Saint Louis and San Francisco</span>,
-les poursuites contre la compagnie <i lang="en" xml:lang="en">New York New
-Haven</i> ont renforcé cette défaveur. Toutefois, il ne
-faudrait pas confondre des obligations garanties
-par le <i lang="en" xml:lang="en">Pennsylvania Railroad</i>, puissant organisme
-qui offre, bon an mal an, une marge de bénéfices
-nets de 100 ou 150 millions de francs, avec des
-titres sans consistance. On a même vu les obligations
-<i>Pennsylvania</i> cotées à Paris et remboursables
-en 1921 descendre à des cours beaucoup plus avantageux
-que les obligations de la même compagnie
-cotées à New-York. Voilà de ces occasions qu'il
-fallait savoir saisir.</p>
-
-<p>En résumé, les obligations des chemins de fer
-américains sont des titres qu'on ne peut acquérir
-qu'après une étude sérieuse, une sélection sévère
-et en parfaite connaissance de cause. A ces conditions
-elles peuvent donner des sujets de satisfaction
-aux porteurs et même, on l'a vu par les
-exemples et les faits que nous avons cités, pour
-les obligations à court terme ou à remboursement
-prochain, constituer une sorte d'assurance contre
-les risques de dépréciation que les fortunes sont
-exposées à courir.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Restent les obligations des chemins de fer exotiques.
-Nous pourrions compter sur nos doigts
-celles qui n'ont pas &mdash; ou, pour parler plus prudemment,
-celles qui n'ont pas encore &mdash; causé
-de déboires à leurs propriétaires.</p>
-
-<p>Nous ne prendrons qu'un seul exemple : celui
-des obligations 4 p. 100 des chemins de fer nationaux
-du Mexique.</p>
-
-<p>Émises à Paris, à un cours voisin du pair, au
-moment où le Mexique, sous la dictature de Porfirio
-Diaz, semblait entré au nombre des États
-dont la prospérité est stable, ces obligations
-jouissaient de fort beaux gages. Une hypothèque
-sur un réseau déjà productif, renforcée par une
-garantie formelle du gouvernement mexicain, avec
-engagement de payer les intérêts et de rembourser
-le capital en or, toutes ces conditions rendaient le
-titre séduisant. Mais qu'est-il resté de l'hypothèque
-lorsque la guerre civile a interrompu le trafic,
-détruit les lignes et les travaux d'art sur de nombreux
-points? Qu'est-il advenu de la garantie du
-gouvernement mexicain lorsque ce gouvernement
-a cessé de pouvoir faire face à ses engagements
-directs? Le paiement des intérêts a été suspendu
-et les cours sont tombés à 150 francs au-dessous
-du pair&hellip; Les obligations des chemins de fer
-mexicains pourront connaître des jours meilleurs.
-Tout le profit sera, dans cette hypothèse, pour ceux
-qui auront osé acheter au bon moment et dans les
-bas cours. Ce cas est celui qui s'était déjà présenté
-pour les obligations concordataires des chemins
-de fer de Santa-Fé, compagnie qui, après avoir
-touché le bord de la ruine, s'est brillamment
-relevée mais semble menacée de nouveau, comme
-tous les chemins de fer argentins et sud-américains.</p>
-
-<p>Les obligations des chemins de fer exotiques
-peuvent donc être exceptionnellement intéressantes
-comme valeurs spéculatives pour des
-capitalistes très attentifs et libres de leurs mouvements.
-C'est une duperie de les considérer
-comme valeurs de placement. Il est d'ailleurs
-absurde de se laisser tenter par un revenu de
-5 p. 100 et même de 6 p. 100, si l'on veut bien
-réfléchir à ceci que les compagnies ou les États
-qui offrent ce taux d'intérêt au prêteur français ne
-trouvaient pas d'argent chez eux à moins de 8, 10
-ou 12 p. 100. Il faut espérer que le jour viendra
-où l'éducation financière de l'épargne française
-sera assez avancée pour que, à défaut de la surveillance
-de l'État français, le scandale de ces émissions,
-qui aboutissent souvent, dans l'espace de
-quelques mois, à des pertes graves, ne se reproduise
-plus.</p>
-
-<p>Pour finir, nous mettrons en garde contre une
-mention qui est parfois un principe d'erreur. Les
-prospectus d'émission insistent, chaque fois qu'ils
-peuvent le faire, sur les subventions que des
-États, des provinces ou des villes se sont engagés
-à fournir pour assurer le service des obligations
-de chemins de fer étrangers. Une société civile
-est même fréquemment, par surcroît de sécurité,
-formée par les obligataires pour recueillir ces
-subventions. Ce qu'on ne dit pas, c'est que ces
-garanties sont la plupart du temps subordonnées à
-l'accomplissement de diverses conditions, telles
-que la construction de la ligne dans un délai fixé,
-faute de quoi l'État garant se trouve délié de
-ses engagements en tout ou en partie. C'est le cas
-qui vient de se produire &mdash; sans aller dans l'Amérique
-du Sud &mdash; pour certains <i>chemins de fer</i> en
-Toscane, soi-disant garantis par le gouvernement
-italien.</p>
-
-<p>Et l'État garant aurait bien souvent besoin
-d'être garanti lui-même. Que pouvait valoir, par
-exemple, l'engagement pris par le gouvernement
-de l'Equateur de suffire à toutes les défaillances
-de la compagnie fondée pour exploiter les chemins
-de fer de ce pays? Moins que rien. Il est à
-craindre, cependant que ce mot magique de
-«&nbsp;garantie&nbsp;» n'ait induit bien des épargnants
-français à opérer ce placement ruineux.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Durant quatre années de guerre où les emprunts
-des grands États ont drainé tous les capitaux disponibles,
-les compagnies de chemins de fer du
-monde entier n'ont pas pu faire appel au crédit.
-Elles vont regagner le temps perdu. Devant la
-masse des obligations offertes, le capitaliste ne
-sera jamais trop méfiant.</p>
-
-<p>Les chemins de fer français seront les premiers
-à servir. Ils ont déjà besoin de sommes colossales
-qu'il est malaisé d'évaluer même approximativement.
-Le robinet des émissions sera longtemps
-ouvert, sauf pour les heureuses compagnies
-rachetées comme celle de l'<i>Ouest</i> et celle de l'<i>Est-Algérien</i>.</p>
-
-<p>Par le nouveau régime ou les nouvelles conventions
-qui devront forcément intervenir pour
-les chemins de fer français, le gage des obligations
-sera-t-il diminué ou accru? Le public fera bien
-d'y veiller. Quant aux chemins de fer étrangers,
-il importera d'être infiniment plus attentif et plus
-méfiant encore.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch11" title="XI. Les valeurs industrielles">CHAPITRE XI</h2>
-
-<p class="c small">LES VALEURS INDUSTRIELLES</p>
-
-<p class="d">Mot typique du baron de Rothschild. &mdash; Mal manger et bien
-dormir ou mal dormir et bien manger? &mdash; Petit nombre de
-bonnes valeurs industrielles. &mdash; Leur instabilité. &mdash; Nécessité
-de connaissances spéciales pour les acquérir et les surveiller. &mdash; Sept
-conseils pratiques essentiels. &mdash; Les <i lang="en" xml:lang="en">booms</i> et les <i>krachs</i>. &mdash; Des
-mines et spécialement des charbonnages français après
-la guerre. &mdash; Un mot sur le canal de Suez. &mdash; Généralités sur
-les actions de jouissance et les parts de fondateur.</p>
-
-
-<p>On attribuait jadis ce mot au baron Alphonse
-de Rothschild. Lorsque des gens du monde le
-consultaient sur l'emploi de leurs capitaux, il
-répondait invariablement : «&nbsp;Voulez-vous bien
-dormir et mal manger? Achetez des fonds d'État
-sérieux, des obligations, de la rente. Voulez-vous
-bien manger et mal dormir? Achetez des valeurs
-industrielles.&nbsp;»</p>
-
-<p>Cette manière de présenter les choses correspondait
-à la situation du marché des capitaux
-telle qu'elle existait voilà un quart de siècle environ.
-Les excès que nous avons vus en ces dernières
-années n'avaient pas encore été commis.
-Les anciennes habitudes de modération, de prudence,
-et même de légitime méfiance qui sont
-propres aux classes moyennes de notre pays restaient
-en honneur. C'est pourquoi il était d'usage
-d'attribuer aux valeurs représentant des capitaux
-engagés dans l'industrie une autre capitalisation
-que celle des valeurs à revenu fixe. Le loyer de
-l'argent étant de 3 p. 100 pour les valeurs à revenu
-fixe, c'était toujours un intérêt de 5 p. 100 qui
-était demandé, pour le moins, aux valeurs industrielles,
-indépendamment des chances de plus-value,
-et en compensation des risques à courir.
-En ce sens le vieux baron de Rothschild dépeignait
-très exactement la situation du porteur de
-valeurs à revenu fixe d'autrefois, réduit à la portion
-congrue mais qui se croyait assuré d'avoir
-toujours cette portion, et le porteur de valeurs
-industrielles, touchant des dividendes quelquefois
-copieux mais aléatoires.</p>
-
-<p>On a changé tout cela. D'abord il est apparu
-que les porteurs de valeurs à revenu fixe, malgré
-les sacrifices qu'ils avaient consentis sur leur revenu
-pour assurer la sécurité de leur capital, étaient
-exposés comme les autres à la ruine ou au moins
-à de graves diminutions de leur patrimoine. Ensuite
-les valeurs industrielles ont été l'objet d'un
-tel engouement que la plupart d'entre elles, surtout
-parmi les plus célèbres, ont été capitalisées à
-un taux inférieur à celui des obligations ou des
-fonds d'État les mieux garantis. On a vu, par
-exemple, l'action du canal de Suez s'établir à des
-cours qui la capitalisaient à 2&nbsp;½ p. 100 environ,
-les grands charbonnages français, dont quelques-uns
-ne devaient pas tarder à être dévastés par
-l'invasion allemande, se capitaliser à moins encore.
-Pendant la guerre, les mêmes excès se sont renouvelés
-mais sur une échelle beaucoup plus vaste. Il
-n'a pas été rare de voir les titres d'entreprises
-favorisées par leur situation géographique ou par
-les bénéfices exceptionnels que leur apportaient les
-circonstances monter à des cours auxquels ils donnaient
-un revenu moindre que les meilleures valeurs
-à revenu fixe.</p>
-
-<p>Rien n'est plus déraisonnable. Le sort des valeurs
-industrielles dépend de multiples circonstances
-dont l'appréciation échappe à l'homme
-incompétent. Pour une qui prospère, dix végètent
-ou disparaissent. Le public est frappé de l'étonnante
-prospérité de quelques-unes d'entre elles.
-Il est porté à croire que toutes les valeurs similaires
-sont promises au même succès. Il retient
-l'exemple des fortunes qui se sont faites sur certaines
-entreprises, et il oublie tous les cas de faillite
-et de ruine, infiniment plus nombreux. Ainsi les
-épargnants français, éblouis par le canal de Suez,
-avaient souscrit avec confiance et sans y regarder
-de plus près aux actions du canal de Panama,
-parce que l'affaire, lancée par le même homme,
-semblait identique. Il faut donc être en garde contre
-les fausses analogies.</p>
-
-<p>Les charbonnages français de la région du Nord
-ont rendu millionnaires les familles qui y étaient
-intéressées depuis l'origine. On ne tient pas
-compte des risques courus par les premiers participants
-des sociétés de Bruay, de Lens, ou du
-fameux «&nbsp;denier d'Anzin&nbsp;». Ceux qui sont tombés
-du premier coup sur le bon gisement, qui a donné
-mille pour un, sont le très petit nombre. C'est
-ce qu'on appelait dans notre vieux langage trouver
-la pie au nid. Nous connaissons un capitaliste lillois
-qui est un des gros actionnaires de l'opulente
-société de Bruay. Quand on le félicite de sa perspicacité,
-il ne manque jamais de répondre : «&nbsp;Bruay
-m'a simplement rendu ce que, les miens et moi,
-nous avons exposé et perdu ailleurs. Si nous
-avions placé en terres ou en rentes tout l'argent
-que nous avons enfoui dans des recherches
-de filon, des prospections, des mines mort-nées,
-je serais peut-être aussi riche qu'avec mes
-actions de Bruay. Seulement nous avons produit.&nbsp;»</p>
-
-<p>Cette observation montre la part du capital dans
-la création de la richesse et détruit les thèses
-du socialisme sur le parasitisme capitaliste. Elle
-montre aussi la part de risque qui est attachée à
-l'industrie et que compensent les bénéfices.</p>
-
-<p>C'est pourquoi il y a une différence considérable
-entre l'industriel qui dirige lui-même son
-usine, influe par son intelligence et son activité sur
-la marche des affaires, et l'actionnaire qui attend
-le dividende au coin de son feu, ignorant tout, la
-plupart du temps, de l'entreprise à laquelle il est
-intéressé. L'acheteur ou le souscripteur ordinaire
-de valeurs industrielles devra donc toujours
-suivre les conseils suivants :</p>
-
-<p>1<sup>o</sup>. Les valeurs industrielles, comportant des
-aléas de tout genre, ne peuvent entrer que dans
-les portefeuilles abondants et bien garnis. Les personnes
-d'une situation modeste commettraient
-toujours une grosse imprudence en leur donnant
-une autre part que celle du billet de loterie.</p>
-
-<p>2<sup>o</sup>. L'imprudence inexcusable, qui confine à l'impéritie,
-consiste à mettre la totalité ou la majeure
-partie de son avoir dans une ou deux valeurs industrielles
-ou dans la même catégorie de valeurs.
-Les exemples abondent d'industries tuées par une
-invention nouvelle ou par tout autre cas fortuit.</p>
-
-<p>3<sup>o</sup>. Observer toujours la plus vive méfiance à
-l'égard de la réclame et de la publicité qui sont
-faites autour d'une entreprise industrielle. Le capitaliste
-est rarement en état de juger par lui-même
-des possibilités de développement d'une industrie.
-Des quantités d'intermédiaires sont intéressés à le
-tromper. La lecture même des plans ne renseigne
-pas toujours d'une manière infaillible ceux qui
-croient savoir les lire. A moins d'une intuition
-spéciale et géniale, le moyen le plus sûr de connaître
-le fort et le faible d'une affaire, c'est d'en
-être. Seules les personnes qui ont des relations
-loyales et sincères dans le conseil d'administration
-d'une société pourront suivre avec fruit les conseils
-de cet administrateur ami. Il y a en France des
-industries prospères dont les actions et la direction
-sont pour ainsi dire en famille. Dans tous
-les autres cas, le capitaliste marche au hasard.</p>
-
-<p>4<sup>o</sup>. Pour les valeurs non plus achetées en banque
-ou en Bourse, mais souscrites à l'émission, la méfiance
-doit être la même. Pourtant, il importe de
-retenir d'une manière invariable et absolue cette
-distinction essentielle : une entreprise de grande
-envergure et qui fait appel au crédit public pour des
-sommes considérables peut être bonne et avoir de
-l'avenir ; une petite entreprise qui cherche quelques
-millions ne peut être que mauvaise, sauf un hasard
-extraordinaire. Il est exceptionnel qu'une petite
-affaire vraiment bonne ait recours à une émission
-d'actions par la voie de la presse et la distribution
-de prospectus. Elle trouvera des commanditaires
-dans un groupe ou chez des banquiers intelligents ;
-ou bien ses propriétaires la garderont pour
-eux et leurs proches sans offrir de partager leurs
-bénéfices avec des actionnaires inconnus, ce qui
-serait de la pure philanthropie. Si par hasard
-l'affaire lancée dans le public est vraiment sérieuse,
-le fondateur passe la main en gardant la part du
-lion et en grevant la nouvelle société de telle sorte
-que le dividende s'évanouit.</p>
-
-<p>5<sup>o</sup> Toute entreprise atteint, à un moment, son
-apogée. Ensuite vient la décadence. C'est une loi
-de ce monde. Pour quelques valeurs que l'on cite
-(toujours les mêmes parmi des milliers) et qui,
-pendant trente, quarante, cinquante années et plus
-n'ont cessé d'enrichir les familles qui les possédaient,
-combien, après une période d'éclat, sont
-retombées dans la médiocrité d'une existence difficile
-en attendant la fin! Rien n'est éternel. De nouvelles
-habitudes, les transformations des goûts et
-de la société, une disposition législative, parfois un
-simple arrêté préfectoral suffisent à transformer
-une brillante affaire en affaire médiocre, sinon à la
-ruiner. Des exemples comme ceux du <i>Petit Journal</i>
-qui ne s'est pas encore relevé d'un événement
-politique, de la <i>Compagnie Richer</i>, des <i>Bateaux Parisiens</i>,
-des <i>Bouillons Duval</i>, viennent immédiatement
-à l'esprit. Telle industrie, brillamment
-conduite par l'homme qui l'a créée ou relevée,
-végétera, après sa mort, entre les mains de ses
-successeurs. Sans doute rien n'est plus difficile
-que d'apprécier le moment où une affaire ne peut
-plus que décroître. C'est une question de jugement
-personnel et de flair. Mais l'heureux possesseur
-d'une valeur industrielle qui a beaucoup
-monté est presque toujours bien inspiré en réalisant
-et en consolidant la plus-value. <i>Le bénéfice que
-vous ne prendrez pas vous-même, les événements se
-chargeront de vous le prendre un jour.</i> Cet axiome
-reçoit de l'expérience des vérifications quotidiennes.</p>
-
-<p>6<sup>o</sup> Étant donné ce principe, rien n'est pire que
-de courir après son argent par le système des
-«&nbsp;moyennes&nbsp;». Certaines personnes, voyant baisser
-la valeur qu'elles possèdent, rachètent des titres
-pour se faire, dans l'ensemble, un cours moyen
-et compenser leur perte. Ce calcul, sauf exceptions
-motivées, est puéril. C'est de la spéculation
-à l'aveuglette. Si la valeur est bonne, elle remontera.
-Si elle ne l'est pas, il est absurde de vous en
-charger davantage. D'ailleurs, à part les cas de
-force majeure, si vous n'avez pas prévu la baisse
-de votre valeur, c'est que vous étiez mal renseigné
-sur elle. Demandez-vous bien si vous l'êtes mieux
-à présent.</p>
-
-<p>7<sup>o</sup>. Les inventions qui ont apporté le développement
-industriel du <small>XIX</small><sup>e</sup> siècle ont donné lieu à
-la formation de grandes sociétés anonymes qui
-ont enrichi leurs premiers possesseurs. Tel a été
-le cas des chemins de fer, du gaz, etc&hellip; D'après
-ce précédent, on a tendance à croire que l'exploitation
-des inventions nouvelles produira les mêmes
-effets. Mais l'État ou les municipalités, en livrant
-cette exploitation à des sociétés concessionnaires,
-ont bien soin aujourd'hui de limiter d'avance
-leurs bénéfices. L'électricité, le Métropolitain n'ont
-pas enrichi leurs actionnaires. La télégraphie sans
-fil non plus, même en Amérique, quoique les
-<i>Marconi</i> n'aient peut-être pas dit leur dernier
-mot. Mais il serait prudent à l'avenir de ne plus
-se faire d'illusions à cet égard. En règle générale,
-la société du <small>XX</small><sup>e</sup> siècle n'admettra plus que des
-services d'utilité publique donnent des dividendes
-aux particuliers. Et ces dividendes apparaîtront
-un jour, qui n'est peut-être pas éloigné, comme
-aussi monstrueux que les péages du temps jadis.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Si une grande circonspection s'est toujours recommandée
-à l'égard des valeurs industrielles,
-la même prudence s'imposera encore après la
-guerre. Les capitaux seront sollicités de toutes
-parts. Les promesses les plus alléchantes ne feront
-pas défaut. Les capitalistes, éprouvant le besoin
-d'accroître un revenu souvent diminué et devenu
-insuffisant par la cherté de toutes choses, auront
-besoin de beaucoup de lumières pour ne pas se
-tromper.</p>
-
-<p>Ce n'est pas que nous détournions systématiquement
-la fortune française, suivant le système si
-justement reproché aux grands établissements de
-crédit, de commanditer l'industrie de notre pays
-qui aura besoin de capitaux si l'on ne veut pas que
-la mise en valeur des ressources nationales reste
-un vain mot. La participation à des industries prospères
-est un des moyens par lesquels les patrimoines
-éprouvés pourront se reconstituer. A une
-condition toutefois : c'est qu'ils ne suivent que
-des guides probes et sérieux. Nous avons vu, depuis
-quelques années, des groupes de banquiers
-honnêtes et actifs pousser au développement industriel
-de plusieurs régions de la France, en particulier
-celles de Nancy et de Grenoble. Les capitalistes
-qui les ont écoutés n'ont eu, la plupart du
-temps, qu'à s'en féliciter. Il y a là une question de
-confiance personnelle fondée sur l'expérience et
-les services rendus. Il est hautement souhaitable
-que, partout en France, la banque collabore avec
-l'industrie et le capital en y mettant la même probité
-et la même intelligence. L'avenir et le salut
-du pays sont là.</p>
-
-<p>On escompte pour les années à venir un renouveau
-prodigieux de la vie économique. Ce renouveau
-est dans la nature des choses, car, de tous
-côtés, après l'effroyable crise de la guerre, le besoin
-en produits manufacturés sera immense. Toutefois
-la concurrence sera âpre entre les nations.
-Les crises déterminées par la situation financière
-et monétaire des divers pays belligérants seront
-fréquentes et redoutables, entraînant avec elles
-des krachs et des faillites. En outre, et surtout,
-l'industrie devra faire une part de plus en plus
-large à son personnel ouvrier. L'augmentation des
-salaires et la réduction des heures de travail pèseront
-sur les bénéfices. La journée de huit heures,
-considérée jadis comme une revendication extrême
-qui devait mettre la production en péril, sera
-bientôt un minimum. Il y a des syndicats d'ouvriers
-anglais qui demandent déjà la semaine de
-trente heures. En attendant qu'un équilibre s'établisse
-ou qu'une réaction salutaire contre la «&nbsp;vague
-de paresse&nbsp;» se produise, l'industrie subira de
-violentes secousses.</p>
-
-<p>Il est d'ailleurs probable que la concurrence
-universelle incitera certains pays où le travailleur
-est sobre et peu exigeant à produire plus que
-les autres. Les rivalités économiques n'en seront
-que plus terribles. Il n'est peut-être pas absurde
-d'imaginer que la Chine, par exemple, où la main-d'&oelig;uvre
-est abondante et bon marché, s'industrialise
-sous l'influence européenne, américaine
-ou japonaise. Ce serait alors une «&nbsp;invasion jaune&nbsp;»
-d'un genre imprévu. Sans aller jusqu'en Chine, on
-peut redouter qu'une Allemagne travailleuse
-n'écrase les marchés. L'avenir de l'industrie française
-dépend non seulement de l'effort qui sera
-fourni par les individus mais de l'esprit public et
-des méthodes du gouvernement.</p>
-
-<p>Bien d'autres hypothèses peuvent être faites sur
-les difficultés qui attendent l'industrie. En tout
-état de cause, ce qu'il ne faut pas perdre de
-vue, c'est l'invincible mouvement qui emporte le
-<small>XX</small><sup>e</sup> siècle vers de nouveaux rapports du capital et
-du travail et de nouvelles formes de la vie économique
-et sociale. Ces formes seront profondément
-différentes de celles qu'a connues le siècle précédent,
-au commencement de la grande industrie,
-qui fut l'âge d'or du capitalisme.</p>
-
-<p>La régie et même peut-être la nationalisation
-des mines sont un phénomène avec lequel il faudra
-principalement compter, dût-il être passager.
-La tendance actuelle est de négliger les risques
-courus par le capital qui a mis en valeur les
-exploitations minières pour considérer qu'il n'est
-pas juste que des richesses naturelles, extraites
-de la terre par le travail humain, profitent à des
-particuliers. De plus en plus, l'État prélèvera
-donc une part sur les bénéfices. Les mines nouvelles
-seront ainsi, dans l'avenir, condamnées à
-un médiocre rendement jusqu'à ce que, les capitaux
-ne se trouvant plus pour faire les frais d'exploitations
-nouvelles, on leur rende la liberté.</p>
-
-<p>Les charbonnages français de la région du Nord
-ont une haute réputation méritée par la richesse
-de leurs gisements. Mais l'erreur qui consiste à
-croire qu'ils valent tous Anzin a entraîné plus
-d'une déception. Plusieurs d'entre eux, et des
-meilleurs, ont souffert de la guerre et des dévastations
-allemandes. C'est, par exemple, le cas de
-<i>Courrières</i>. Il faudra des sommes énormes et du
-temps avant que leur exploitation normale puisse
-reprendre. Certaines personnes croiront peut-être
-qu'avec la paix les dividendes d'avant 1914 vont
-immédiatement reparaître. Avant d'effectuer des
-placements de cette nature, elles seront sages de
-se renseigner avec soin.</p>
-
-<p>Dans leur immense variété, les mines de toutes
-sortes ont un trait commun : c'est qu'elles sont
-sujettes à s'épuiser. C'est ainsi qu'on a vu mourir,
-dans ces dernières années, plusieurs mines, notamment
-de cuivre, jadis prospères. Les professionnels
-sont renseignés sur la durée des gisements.
-C'est une chose que le grand public ignore ou connaît
-mal. Faute d'être informé, on s'expose donc
-à des surprises désagréables.</p>
-
-<p>Les mines d'or ont une durée particulièrement
-brève qui, parfois, n'excède pas une dizaine d'années.
-Ainsi s'explique qu'elles se capitalisent parfois
-à 8 et 10 pour 100. Les personnes qui sont
-séduites par ce gros revenu apparent ne se doutent
-pas, au premier abord, qu'il s'agit d'un revenu
-éminemment passager et périssable.</p>
-
-<p>Les actions des mines d'or sont surtout des
-valeurs spéculatives. Elles ne peuvent être touchées
-avec profit que par les personnes renseignées, qui
-suivent la Bourse de près et qui manient et remanient
-constamment leur portefeuille. Leur caractère
-est très bien illustré par cette chose vécue.
-Il y avait une fois un savant économiste qui
-employait sa science à la bonne administration de
-ses biens. Cet économiste avait une parente dont
-le pécule était modeste et il avait promis de lui
-donner, à la première occasion, un conseil de
-placement profitable. L'économiste tint parole.
-Ayant été des premiers à discerner l'avenir des
-mines d'or du Transvaal, il fit signe à sa cousine.
-Et les mines d'or montèrent, montèrent. Le jour
-vint où l'économiste expérimenté jugea que l'ascension
-était suffisante et même excessive et il
-réalisa son bénéfice. Cependant il avait oublié sa
-parente. Et les mines d'or redescendirent aussi
-vite qu'elles avaient monté. Après le <i lang="en" xml:lang="en">boom</i> ce fut
-le <i>krach</i>. Après avoir touché la fortune, la pauvre
-femme fut ruinée.</p>
-
-<p>Cette histoire vraie montre que, pour se porter
-sur certaines valeurs, il faut être un spécialiste et
-même, dans toute la force du terme, un savant.
-Elle prouve aussi la vérité de l'axiome que nous
-avons énoncé plus haut : tout bénéfice qu'on ne
-prend pas soi-même, les événements se chargent
-de le prendre. A combien d'autres valeurs que les
-mines d'or qui ont eu une prospérité éphémère, à
-combien de sociétés de caoutchouc, de pétrole, de
-soie artificielle, etc&hellip; s'appliquerait l'anecdote que
-nous venons de raconter!</p>
-
-<p>Il n'y a pas de progrès indéfini. Toute entreprise
-atteint un jour sa limite. On pourrait faire
-une liste nécrologique de celles qui passaient jadis
-pour être hors de pair. Souvent aussi une valeur
-vit encore sur sa vieille réputation alors qu'elle
-porte déjà en elle-même le principe de son dépérissement.</p>
-
-<p>Un mot, pour finir, de la reine des valeurs
-industrielles, qui est le <i>Canal de Suez</i>. Ses actions
-et ses titres divers (parts de fondateur, société
-civile, obligations) jouissent de la faveur la plus
-légitime. L'actionnaire de cette puissante compagnie
-est l'associé d'une compagnie plus puissante
-encore : l'Angleterre qui possède les 176&nbsp;000
-actions vendues par le prodigue Ismaïl en 1875 et
-que le gouvernement français négligea d'acheter.
-Gomme le disait alors le <i lang="en" xml:lang="en">Times</i> : «&nbsp;La position
-d'une compagnie dont le propriétaire principal est
-la première puissance maritime et coloniale du
-monde est tout autre chose que celle d'une compagnie
-composée d'une multitude de petits actionnaires
-français. Toute éventualité qui porterait
-atteinte aux droits de la compagnie trouvera
-devant elle, non plus une faible association d'actionnaires,
-mais toute une nation qui peut se faire
-respecter.&nbsp;»</p>
-
-<p>C'est pourquoi, pendant la guerre, malgré la
-réduction du trafic et des dividendes, les titres de
-Suez se sont maintenus à de hauts cours. Pour
-protéger le canal menacé par les Allemands, l'Angleterre
-a fait un effort considérable. Placée sous
-la sauvegarde de l'Empire britannique, entourée
-de garanties internationales, cette propriété privée
-possède des privilèges exceptionnels, indépendamment
-de ses propres causes de prospérité.</p>
-
-<p>Il est probable qu'avec la reprise de l'activité
-maritime dans le monde, les recettes du canal de
-Suez ne tarderont pas à regagner leur niveau
-d'avant la guerre. On peut même entrevoir des
-bénéfices encore plus considérables avec la mise
-en valeur de la Mésopotamie et de l'Arabie, le
-développement de l'Afrique du Sud, etc&hellip;</p>
-
-<p>On n'oubliera pas, cependant, que le canal de
-Suez lui-même sera soumis tôt ou tard à la loi
-commune qui veut que tout change et que tout
-meure. Sans doute aucune concurrence, ni par
-voie de terre ni par le canal de Panama, ne le
-menace sérieusement. La victoire de l'Allemagne
-lui eût porté un coup redoutable. Ce péril n'existe
-plus. Le canal semble assuré d'une longue tranquillité.</p>
-
-<p>Et pourtant, qui sait?</p>
-
-<p>Qui sait si, un jour, le réveil des nationalités,
-après avoir embrasé l'Europe orientale, ne
-s'étendra pas à l'Orient proprement dit? L'occupation
-de l'Égypte par les Anglais se heurte déjà
-à un nationalisme égyptien capable de devenir la
-source de grosses difficultés. Et qui sait aussi,
-dans un autre ordre d'idées, si les transports
-aériens ne sont pas appelés à prendre une extension
-imprévue? C'est une idée qui commence à
-rencontrer moins d'incrédules qu'hier, puisque
-les gouvernements se préoccupent de réglementer
-la navigation aérienne.</p>
-
-<p>Admirables valeurs, les actions du canal de
-Suez ne doivent pas être regardées comme un mol
-oreiller sur lequel les porteurs actuels, ou du moins
-leurs enfants, pourront éternellement dormir.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Le public est en général peu informé de la
-nature réelle des valeurs industrielles qui sont en
-circulation. Il ne doit pas perdre de vue, cependant,
-que le <i>nominal</i> de l'action se distingue de
-son <i>cours en Bourse</i>. Prenons par exemple une
-action du canal de Suez au nominal de 500 francs.
-C'est à 500 francs que sera remboursée chaque
-action d'après le tirage au sort. En outre le porteur
-reçoit une action de dividende ou de jouissance.</p>
-
-<p>La différence entre ce capital de 500 francs et
-le cours de Bourse, généralement représentée à
-peu de chose près par le cours de l'action de
-jouissance, est ce que les Anglais appellent «&nbsp;de
-l'eau&nbsp;», c'est-à-dire une estimation des bénéfices
-de l'entreprise. Mais, à la liquidation finale (fin de
-concession, par exemple, pour le canal de Suez),
-les actionnaires ne sont nullement certains de
-retrouver cette valeur dans l'actif de la société,
-actif qu'ils auront à se partager. C'est le cas que
-nous avons vu pour les mines à épuisement rapide
-dont l'actionnaire doit amortir lui-même le
-capital. C'est un fait que beaucoup de personnes
-perdent de vue et qui les expose à des surprises
-désagréables.</p>
-
-<p>Les <i>parts de fondateurs</i> ne doivent être acquises
-qu'à bon escient. En premier lieu, elles n'ont
-aucun droit sur l'actif social mais seulement sur
-les bénéfices. Elles ne sont donc que «&nbsp;de l'eau&nbsp;».
-En second lieu, leur participation aux bénéfices
-varie selon les statuts de la société. Parfois, mais
-pas toujours, le dividende des parts croit beaucoup
-plus vite que celui des actions. Les personnes
-informées sont au courant et à l'affut de ces particularités.</p>
-
-<p>Les augmentations de capital des entreprises
-prospères donnent souvent lieu à des man&oelig;uvres
-que nous devons signaler. Les administrateurs
-font une publicité réduite pour écarter autant que
-possible les actionnaires de la souscription et
-user de leur droit à leur place. La publicité est
-toujours considérable pour les valeurs mauvaises
-ou médiocres. Elle est presque secrète pour les
-bonnes. Aux porteurs de s'occuper de leurs affaires
-et de les suivre avec attention. Il n'y a pas de
-philanthropie en affaires.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch12" title="XII. Les obligations industrielles">CHAPITRE XII</h2>
-
-<p class="c small">LES OBLIGATIONS INDUSTRIELLES</p>
-
-<p class="d">Ce genre de placement peut être fort recommandable. &mdash; Il est de
-très bonnes obligations industrielles, mais toutes ne sont pas
-bonnes. &mdash; Comment les distinguer. &mdash; Nécessité de les diversifier
-et de ne pas se cantonner dans une seule branche d'industrie. &mdash; Les
-bons 6 p. 100 et les prochaines émissions de l'industrie
-française. &mdash; Des titres de premier ordre et peu connus :
-les obligations des services municipaux américains. &mdash; Leurs
-avantages et leurs garanties. &mdash; Comment les choisir et comment
-les acheter.</p>
-
-
-<p>Les obligations des grandes sociétés industrielles,
-quand elles sont gagées sur l'actif d'entreprises
-prospères, peuvent être des valeurs
-excellentes. La cote de la Bourse de Paris, de
-Lyon et de Marseille en présente une grande
-variété. Il s'agit seulement de savoir choisir.</p>
-
-<p>Les observations que nous avons faites au
-sujet des actions industrielles s'appliquent encore
-ici, mais avec moins de force et plus de
-largeur. Des sociétés capables de réserver des
-mécomptes à leurs actionnaires peuvent offrir des
-garanties de premier ordre à leurs obligataires.</p>
-
-<p>L'ancienne <i>Compagnie des Omnibus</i>, dans les
-années pénibles de sa fin de concession, a tenu
-fidèlement tous ses engagements. C'est que, si
-son exploitation était devenue difficile, ses gages,
-représentés par le terrain de ses dépôts, restaient
-sûrs. Actuellement, les actions du <i>Métropolitain</i>
-ne constituent pas un placement recommandable.
-Mais les obligations de la même société offrent de
-bonnes garanties.</p>
-
-<p>Les obligations industrielles judicieusement
-choisies sont un élément digne de composer la
-fortune des personnes prudentes. Il faut se souvenir
-cependant que le nom d'obligation n'est pas
-par lui-même une assurance contre tous les risques.
-En cas de faillite, les obligataires viennent à leur
-rang parmi les créanciers, à moins qu'ils n'aient
-reçu une hypothèque spéciale. Il va sans dire que
-les obligations munies d'une première hypothèque
-doivent toujours être préférées à celles de
-la seconde ou de la troisième série à moins qu'il
-ne s'agisse, par exemple, du <i>Canal de Suez</i>, dont
-les obligations ont toutes la même sécurité quelle
-que soit leur série.</p>
-
-<p>Les obligations industrielles participant aux
-vicissitudes de l'industrie, il importe donc de ne
-rechercher que les titres de sociétés connues pour
-leur prospérité et leur bonne gestion. Il est fréquent
-d'ailleurs que ces sociétés, lorsqu'elles empruntent
-de l'argent, s'adressent d'abord à leurs
-propres actionnaires et leur réservent le droit de
-souscrire. Il est clair que les obligations d'affaires
-comme les <i>Aciéries de la Marine</i> ou le <i>Creusot</i>
-sont des titres de premier ordre. Leurs pareils
-pourraient se compter assez vite.</p>
-
-<p>Il est à conseiller surtout aux personnes qui
-affectionnent ce genre de placements, de les diversifier
-et de ne pas s'exposer à suivre le sort d'une
-seule branche d'industrie qui peut, à un moment
-donné, être atteinte par une crise. Nous en avons
-un exemple avec les sociétés d'éclairage et de
-chauffage par le gaz qui sont presque toutes
-frappées. La même remarque peut s'appliquer aux
-compagnies françaises de transports maritimes,
-dont l'avenir est encore obscur, et qui ont passé
-par des jours si difficiles avant leur faveur récente.</p>
-
-<p>Les sociétés industrielles, pendant la guerre,
-ont fait au crédit des appels tentants sous la forme
-de bons à 6 p. 100 nets d'impôts qui ont procuré,
-en général, un bénéfice aux souscripteurs. Il
-est probable que, dans la période de reconstitution
-économique qui se prolongera après la
-guerre, ces appels au crédit vont se multiplier. Il
-ne faudrait pas croire que toutes les obligations à
-gros rendement qui seront offertes présenteront
-autant d'avantages et il ne faudra pas les prendre
-les yeux fermés avec une égale confiance, ni se fier
-à la réclame. Un prospectus a tôt fait de présenter
-comme des garanties de premier ordre des terrains
-nus ou des installations hors d'usage. En
-outre, les conditions de l'industrie française après
-la guerre resteront fort incertaines, et il est fort
-possible que, pendant une période de transition,
-les entreprises qui ne reposent pas sur des bases
-très solides soient dangereusement secouées.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Il existe d'excellentes obligations industrielles
-étrangères, mais la surveillance et le choix en sont
-encore plus malaisés que pour celles de notre pays.
-Il y faut des connaissances spéciales qui ne sont
-à la portée que d'un très petit nombre de personnes,
-à qui leur situation ou leurs relations permettent
-d'être renseignées de première main.</p>
-
-<p>Nous voulons cependant attirer l'attention sur
-une catégorie de valeurs fort sûres et d'un très
-bon rendement. A part quelques capitalistes bien
-guidés ou très informés, elles sont à peu près
-ignorées du public français. Nous voulons parler
-des <i>obligations des services municipaux</i> aux États-Unis.</p>
-
-<p>Les sociétés d'eau, de lumière, de traction, de
-téléphones des grandes villes des États-Unis sont
-des entreprises extrêmement prospères, parce
-qu'elles ont pour clientèle une population toujours
-croissante. Pendant ces quarante ou cinquante
-dernières années, elles ont résisté à toutes les crises
-économiques dont les chemins de fer et les autres
-industries ressentaient les répercussions, parfois
-jusqu'à y succomber.</p>
-
-<p>«&nbsp;Les obligations de services municipaux émises
-par des sociétés bien organisées et bien dirigées,
-écrit un auteur qui en a fait une étude
-particulière<a id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">[10]</a>, sont considérées aux États-Unis
-comme le placement idéal pour des rentiers, pour
-des veuves ou mineurs, autrement dit pour toutes
-les personnes éloignées des affaires. Le fait que
-beaucoup de ces obligations sont classées parmi les
-placements légaux que peuvent faire les banques
-d'épargne et les <i lang="en" xml:lang="en">trustees</i> (curateurs) est significatif,
-quand on se rappelle que seules les obligations
-de chemins de fer de la première classe (rapport
-maximum 4 p. 100), sont rangées dans ces placements
-autorisés par la loi. Rappelons à ce sujet
-que les lois qui limitent ces placements sont très
-sévères, <i>que les obligations ainsi autorisées portent
-le timbre spécial de l'État</i> et qu'un <i lang="en" xml:lang="en">trustee</i> ne peut
-être tenu responsable s'il survient une perte dans
-le capital confié à ses soins et placé de cette façon.&nbsp;»</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_10" href="#FNanchor_10"><span class="label">[10]</span></a> <i>Les obligations américaines et le portefeuille français</i>, par
-<span class="sc">Lionel de Montesquiou</span> (chez Marcel Rivière).</p>
-</div>
-<p>Les obligations des grands services municipaux
-américains appartenant à cette catégorie
-pour ainsi dire légale, méritent vraiment le nom
-déplacement idéal si l'on considère qu'elles offrent
-avec la sécurité du capital, un rendement élevé
-(5 à 5&nbsp;½ p. 100). Mais la sécurité du capital est
-bien, en ce moment, et sera pour longtemps ce
-qui intéresse le plus le capitaliste. Les obligations
-de services municipaux ont l'avantage que les
-sociétés émettrices possèdent et entretiennent un
-fonds d'amortissement (ce dont se dispensent les
-compagnies de chemins de fer des États-Unis).
-Le remboursement des obligations se fait à date
-fixe et, en cas de remboursement anticipé, avec
-une prime stipulée sur le titre et qui peut aller
-de 5 à 10 p. 100.</p>
-
-<p>Un patrimoine contenant une certaine quantité
-de ces obligations, qui répondent aux besoins et
-aux principes que nous avons exposés, posséderait
-donc aussi quelques-unes des garanties les plus
-solides dont puissent jouir humainement des capitaux
-dans le monde contemporain. La diversité de
-ces titres, les dates multiples de leur remboursement
-plus ou moins rapproché, permettent en outre
-aux capitalistes de rentrer dans leurs fonds à des
-époques prévues d'avance. Quant à la solvabilité
-des sociétés, l'objection tirée de la concurrence
-illimitée et de l'absence de monopoles en Amérique
-n'est pas valable, étant donné que, de même
-que pour les chemins de fer, il s'est établi pour
-les services municipaux des monopoles de fait.</p>
-
-<p>Mais comment choisir et se procurer ces valeurs
-incomparables? Elles sont extrêmement nombreuses
-et il n'en peut être donné une liste limitative.
-L'auteur que nous avons cité plus haut
-prend, par exemple, pour types de son étude économique
-l'<i lang="en" xml:lang="en">Edison Electric Illuminating Cy of Boston</i>,
-la <i lang="en" xml:lang="en">Philadelphia Electric</i>, la <i lang="en" xml:lang="en">Toronto Electric Light</i>,
-l'<i lang="en" xml:lang="en">American Telegraph and Telephone</i>, l'<i lang="en" xml:lang="en">American
-Light and Traction</i>, etc&hellip; Il va sans dire que les
-services municipaux de première classe sont infiniment
-plus nombreux.</p>
-
-<p>Leurs obligations ne sont pas négociées dans
-les Bourses américaines. Elles ne sont cotées
-qu'en banque, parce que, très bien classées, elles
-changent de main moins souvent que d'autres valeurs.
-Pour les acquérir (ce qui ne sera possible
-que quand l'exportation des capitaux français sera
-redevenue libre) il faut donc s'adresser à des banquiers
-américains. Bien entendu, faute d'une connaissance
-intime des choses américaines qui permette
-au capitaliste français un choix personnel
-et un contrôle direct, il importe de ne s'adresser
-qu'à des banques dont l'honorabilité soit notoirement
-au-dessus de tout soupçon, et de bien définir
-le genre de valeurs qu'on veut acheter, selon
-les indications que nous avons données plus haut,
-c'est-à-dire les obligations autorisées revêtues du
-timbre spécial.</p>
-
-<p>A cet égard aussi, les grandes fortunes, qui ont
-déjà la faculté de diversifier leurs placements,
-sont bien plus favorisées que les petites et les
-moyennes, dont les détenteurs n'ont pas les
-mêmes moyens d'information. Cependant celui
-qui possède un capital, qui veut le conserver et le
-léguer autant que possible intact à ses enfants doit
-se donner de la peine, s'instruire et se renseigner
-sans cesse. C'est la conclusion qu'on doit tirer de
-ce chapitre.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch13" title="XIII. Banques et sociétés de crédit">CHAPITRE XIII</h2>
-
-<p class="c small">ACTIONS DES BANQUES ET DES SOCIÉTÉS DE CRÉDIT</p>
-
-<p class="d">Caractère dangereux de ces valeurs. &mdash; Absence de contrôle des
-actionnaires sur la marche des affaires sociales. &mdash; Différentes
-sortes de banques. &mdash; Les banques d'émission à privilège. &mdash; Les
-grands établissements de crédit : le système dont ils ont
-vécu paraît usé. &mdash; Les banques d'affaires. &mdash; Les Crédits fonciers
-et les sociétés immobilières : leurs actions et leurs obligations.</p>
-
-
-<p>L'industrie de la banque est fort complexe et
-elle a toujours été très aléatoire. Des krachs célèbres,
-comme celui de l'<i>Union générale</i>, en sont
-la preuve. Trop d'éléments entrent en jeu dans la
-prospérité et la déconfiture de ces affaires, depuis
-la situation économique générale jusqu'à l'habileté
-et la probité des directeurs. Ces valeurs conviennent
-mal, surtout dans les circonstances actuelles,
-aux personnes qui se contentent de toucher paisiblement
-leurs dividendes.</p>
-
-<p>Nous avons connu le chef d'une des plus importantes
-sociétés anonymes de crédit, à qui sa direction
-valait des émoluments considérables. Cependant,
-pour sa part, il ne possédait, de sa maison,
-que juste le nombre d'actions nécessaire, d'après
-les statuts, pour appartenir au conseil d'administration.
-Ce cuisinier, pourtant particulièrement
-expert et adroit, se méfiait de sa propre cuisine.
-Combien le public ne doit-il pas se méfier davantage,
-lui qui ne tient pas la queue de la poêle!</p>
-
-<p>Le contrôle des actionnaires sur l'activité et les
-résultats des banques est inexistant. Nuls bilans,
-nuls comptes rendus ne sont plus sommaires que
-ceux de ces entreprises. Sous prétexte que des
-renseignements fournis en Assemblée générale
-profiteraient aux concurrents et nuiraient à la
-société, les administrateurs s'enferment dans le
-mystère. Pour les suivre, il faut donc avoir la foi
-et les affaires d'argent veulent autre chose qu'une
-foi aveugle.</p>
-
-<p>On sait que les Banques se spécialisent dans
-les diverses manières de pratiquer le commerce de
-l'argent. Il n'existe que d'assez lointains rapports,
-par exemple, entre la <i>Banque de France</i> qui émet
-du papier-monnaie avec privilège de l'État et les
-établissements de crédit qui, eux-mêmes, ont divers
-genres d'activité.</p>
-
-<p>Les actions de la <i>Banque de France</i> constituent
-un des placements autorisés pour les remplois
-dotaux, ce qui ne veut pas dire qu'elles soient à
-l'abri des fluctuations. Leurs cours ne se sont pas
-fait faute de varier avec les bénéfices, eux-mêmes
-très variables, de la société. La guerre a été favorable
-à la Banque qui, de son côté, a rendu d'immenses
-services à l'État, peut-être trop, car elle
-en est devenue, à tous les égards, surtout à celui
-du crédit, une dépendance. Elle y a gagné le renouvellement
-de son privilège, ce qui la met à
-l'abri des attaques dirigées contre elle dans le
-Parlement et dans la presse. Aussi les cours sont-ils
-élevés. Le propre de la Banque de France est
-de gagner plus d'argent en temps de crise, où le
-taux de l'intérêt est élevé, que dans les temps
-calmes et prospères. On peut se régler là-dessus
-pour acheter et vendre ses actions qui ont d'ailleurs
-l'inconvénient d'être nominatives.</p>
-
-<p>La <i>Banque d'Algérie</i>, qui joue dans notre
-grande possession africaine le même rôle que la
-Banque de France dans la métropole, a enrichi
-assez rapidement ses actionnaires au cours des
-dernières années. Avec le développement de notre
-Afrique du Nord, elle peut avoir encore des perspectives.
-Pourtant les personnes qui entreraient
-aujourd'hui dans cette valeur ne doivent pas,
-semble-t-il, compter que les cours seront en perpétuelle
-ascension. On peut en dire autant de la
-<i>Banque de l'Afrique Occidentale</i> qui a pourtant des
-chances de se développer avec cette colonie d'avenir.
-Quant à la <i>Banque d'Indo-Chine</i> elle a à compter
-avec les crises monétaires si fréquentes en
-Extrême-Orient et avec l'instabilité des choses
-asiatiques.</p>
-
-<p>Les grands établissements de crédit, qui sont
-comme le Louvre et le Bon Marché de la finance,
-se livrent à des opérations bien différentes. Ils
-se règlent sur le modèle du <i>Crédit Lyonnais</i> dont
-la principale industrie consiste d'abord à attirer
-les déposants par des commodités comparables à
-celles des grands magasins, ensuite à ne leur servir
-qu'un intérêt très faible, et à employer ces
-dépôts d'une manière sûre et plus fructueuse, la
-différence formant le bénéfice de l'établissement.
-D'autre part, ces maisons aux succursales multiples
-placent dans leur large clientèle des titres sur
-lesquels elles touchent des commissions souvent
-considérables, mais dont l'actionnaire ne connaît
-jamais le montant, qui fait partie du secret de la
-direction.</p>
-
-<p>C'est pourquoi nous conseillons fermement de
-ne pas accepter les yeux fermés les titres recommandés
-par les agences des établissements de crédit,
-peu regardants sur la qualité du papier qu'ils
-placent pourvu qu'ils touchent la commission.
-Le public a fait cette expérience à ses dépens sur
-une large échelle et il a appris que les magasins
-de valeurs écoulaient, comme le plus vulgaire
-épicier, des marchandises avariées sans égard
-pour leur clientèle. Bien que la foule des gogos
-soit innombrable et se renouvelle sans cesse, on
-peut penser que les établissements de crédit auront
-quelque difficulté à continuer ce genre de
-commerce. D'autre part, il n'est pas certain qu'ils
-puissent persister à faire fructifier leurs dépôts
-de la même façon que par le passé et à appliquer
-la maxime : «&nbsp;Les affaires, c'est l'argent des
-autres.&nbsp;» A tous les points de vue, les établissements
-de crédit ont abusé du public. En se désintéressant
-de l'industrie française, ils n'ont pas
-acquis la gratitude de la collectivité. La formule
-grâce à laquelle ils réalisaient des bénéfices semble
-bien périmée. En trouveront-ils une autre qui soit
-sûre et productive? Les signes n'en paraissent pas
-encore. Enfin la situation de certaines de ces maisons
-est pénible ; c'est le moins qu'on en puisse
-dire. Leurs actions offrent donc peu d'attraits.</p>
-
-<p>Il y a un troisième genre de banques, dont la
-<i>Banque de Paris et des Pays-Bas</i> est le type, qui ont
-pour spécialité de lancer des affaires et de gérer un
-vaste portefeuille de fonds d'États et de valeurs
-industrielles et autres. L'actionnaire de ces banques
-s'en remet à la compétence de la direction.
-On a dit que c'était un moyen, pour le rentier
-paisible et privé de connaissances particulières, de
-participer à un patrimoine administré par des
-hommes du métier et de s'intéresser sans risque à
-l'industrie. C'est vrai. Seulement on ne voit guère
-que ces banques enrichissent leurs actionnaires,
-ce qui est la preuve de ce que nous avons dit plus
-haut des valeurs industrielles qui, l'une dans
-l'autre, les bonnes compensant les mauvaises,
-finissent par laisser leur possesseur Grosjean
-comme devant. La variété même des entreprises
-auxquelles s'intéressent les banques de ce genre,
-si elle constitue d'une part une assurance, leur
-interdit d'autre part d'espérer de notables plus-values.</p>
-
-<p>Quant aux banques étrangères, d'une façon
-générale, il convient de les laisser de côté. Aux
-aléas propres au commerce de l'argent, elles joignent
-trop d'inconnu. Ne peuvent toucher à ce
-domaine que des personnes très bien renseignées.</p>
-
-<p>Restent enfin les crédits fonciers et les sociétés
-immobilières. Ces établissements ont eu une
-grande vogue et des jours heureux durant les
-années qui ont précédé la guerre. Il n'en a pas
-toujours été ainsi. Le <i>Crédit foncier de France</i>,
-(aujourd'hui si solide qu'en 1914 il a refusé de se
-prévaloir du moratorium et qu'il a payé à guichets
-ouverts) a connu autrefois de bien tristes
-moments. Heureusement l'expérience lui a profité.
-Le sort cruel de la société des <i>Immeubles de France</i>
-ne doit pas être oublié non plus.</p>
-
-<p>Les résultats de ces établissements dépendent
-pour une part du sérieux de leur gestion et, pour
-l'autre, de la valeur de la propriété rurale et
-urbaine. Quand cette valeur est stable ou en
-ascension, quand les prêts ne sont consentis
-qu'avec des garanties sérieuses, quand la direction
-ne se livre pas à des spéculations téméraires, les
-résultats sont satisfaisants. Mais il faut que ces
-conditions soient réunies.</p>
-
-<p>Dans les pays neufs, les crédits fonciers ont un
-vaste champ d'activité. C'est le cas des crédits
-fonciers du Canada et de la République Argentine
-où des capitaux français sont intéressés. Il
-ne faut pas oublier pourtant que les pays neufs
-sont sujets à des crises profondes.</p>
-
-<p>Il est plus sage d'ailleurs d'acquérir des obligations
-plutôt que des actions des crédits fonciers.
-Les obligations du Crédit foncier de France ont
-une réputation de solidité très méritée. En dehors
-des sociétés que nous venons de citer, il existe en
-Égypte et dans les pays Scandinaves des Banques
-hypothécaires dont les obligations, cotées à la
-Bourse de Paris, sont convenablement garanties.
-C'est un bon élément de diversité dans les portefeuilles.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch14" title="XIV. La spéculation et la bourse">CHAPITRE XIV</h2>
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-<p class="c small">LA SPÉCULATION ET LA BOURSE</p>
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-<p class="d">Dangers de la spéculation à terme. &mdash; La partie est inégale et
-déloyale. &mdash; Ceux qui jouent à coup sûr contre ceux qui
-jouent à l'aveuglette. &mdash; La contre-partie. &mdash; La spéculation au
-comptant. &mdash; Dans quelle mesure on peut s'y livrer. &mdash; Les
-arbitrages. &mdash; Nécessité d'une étude attentive des mouvements
-de Bourse : c'est une science et un métier. &mdash; Conseils pour la
-vente et l'achat des valeurs et la gestion des patrimoines. &mdash; Dangers
-des engouements et des paniques.</p>
-
-
-<p>La spéculation consiste essentiellement à vendre
-des marchandises qu'on ne possède pas ou bien à
-acheter des marchandises sans avoir l'argent qu'il
-faudrait pour les payer. Dans le premier cas, on
-parie que le prix de la marchandise diminuera, et
-l'on joue à la baisse. Dans le second cas, on
-parie que ce prix montera et l'on joue alors à la
-hausse.</p>
-
-<p>On spécule ainsi sur les métaux, la farine, le
-café, etc&hellip; A la Bourse des valeurs, les marchandises
-sont des fonds d'État, des actions, des obligations.
-Ce jeu est organisé. Il est légal autant
-que celui des courses. Il n'en constitue pas moins
-un des moyens les plus immoraux qui soient de
-détrousser le public à qui les agents de change,
-officiers ministériels, offrent le moyen de perdre
-son argent.</p>
-
-<p>Nous n'exposerons pas le mécanisme de la spéculation
-à terme. On sait, en gros, qu'il suffit de
-fournir une «&nbsp;couverture&nbsp;» suffisante et de payer
-les intérêts de quinzaine ou «&nbsp;reports&nbsp;» pour se
-livrer à ces opérations. Les lecteurs de cet ouvrage
-n'ont besoin de connaître qu'une chose : les raisons
-qu'il y a de ne jamais céder à la tentation de
-mettre le doigt dans cet engrenage, ni aux tentateurs
-qui promettent monts et merveilles.</p>
-
-<p>On cite des fortunes qui se sont faites à la
-Bourse. Ces bénéfices n'ont pu être obtenus que
-par la ruine d'autres joueurs. En face des gagnants,
-il y a les perdants. On peut dire que les
-uns et les autres se recrutent dans deux catégories
-éternelles : les naïfs qui se fient à la chance ou à
-des raisonnements mal étayés et qui sont généralement
-victimes d'une réclame éhontée, et les
-habiles qui disposent, non seulement de vastes
-capitaux et de puissants moyens par lesquels ils
-peuvent au besoin influencer le marché, mais
-encore de renseignements qui ne sont pas à la
-portée des simples mortels. La partie n'est pas
-égale. Les dés sont pipés et c'est la lutte du pot
-de terre contre le pot de fer.</p>
-
-<p>Deux exemples aujourd'hui historiques suffiront,
-pensons-nous, à dégoûter de jamais tenter la
-chance de la Bourse. On sait que la première
-guerre balkanique, celle de 1912, fut engagée par
-l'initiative du roi Nicolas de Monténégro. Ce
-prince peu scrupuleux se livrait à l'agiotage, et,
-cette fois, il s'y livra à coup sûr car, en déclarant
-la guerre à la Turquie, il détermina lui-même
-une chute des cours sur tous les marchés européens.
-Il était donc certain de gagner en prenant
-à l'avance une position à la baisse. De même,
-dans l'été de 1914, le fameux baron Rosenberg et
-quelques autres financiers austro-allemands de
-Paris qui savaient que la guerre était imminente
-et décidée par l'Allemagne, empochèrent de nombreux
-millions en vendant de la rente française,
-ce qui constituait à leurs yeux une simple avance
-sur la contribution dont Guillaume II se proposait
-de frapper la France vaincue.</p>
-
-<p>On voit combien il est téméraire et même
-absurde, dans ces conditions, d'affronter les
-risques de la Bourse. Le vulgaire joue les yeux
-fermés contre des gens qui connaissent le dessous
-des cartes. Il joue, en outre, avec des ressources
-faibles et limitées contre des détenteurs de capitaux
-considérables. Sans compter que les calculs les plus
-savants peuvent être dérangés par des événements
-imprévus. Il est arrivé de se tromper à Talleyrand
-lui-même qui trafiquait à la Bourse de ses renseignements
-diplomatiques et de son expérience. A
-plus forte raison, l'homme qui ne suit la marche
-des choses que d'après des journaux souvent influencés
-à dessein par les grands spéculateurs, ou
-qui s'en rapporte à de vagues «&nbsp;on dit&nbsp;», à ce que
-l'on appelle des «&nbsp;tuyaux&nbsp;», est-il condamné
-d'avance à perdre, croyant à son flair après quelques
-occasions où la chance l'aura servi.</p>
-
-<p>Comment lutter, par exemple, avec ce banquier
-qui, averti professionnellement par des
-signes ignorés des profanes, suppute les variations
-prochaines du marché de l'argent avec un risque
-d'erreur minime? Comment lutter encore avec
-ces administrateurs d'une société qui savent, trois
-mois avant tout le monde, si le dividende sera
-augmenté ou diminué, si le titre montera ou baissera,
-et qui, souvent, propagent des bruits exactement
-contraires à la vérité? Ce qu'on appelle la
-<i>contre-partie</i> n'est pas seulement la basse escroquerie
-d'intermédiaire véreux. Faire le contraire
-de ce qu'on dit est l'usage de la Bourse. Les vieux
-Parisiens ont souvent conté l'histoire de ce financier
-qui, tous les jours, et jusqu'en famille, répétait :
-«&nbsp;Les Lombards vont bien. Les Lombards
-monteront.&nbsp;» Et son fils, jeune homme sans
-expérience, de se mettre à la hausse sur les Lombards.
-La baisse n'ayant pas tardé à se produire,
-le fils fit des reproches à son père. «&nbsp;Imbécile,
-lui dit l'autre, sache donc que je m'entraînais à
-dire que les Lombards allaient bien parce que
-j'étais moi-même vendeur, sachant qu'ils allaient
-mal.&nbsp;»</p>
-
-<p>En résumé, nous ne saurions assez conseiller
-de fuir les spéculations de Bourse, qui ont ruiné
-tant de malheureux imprudents, et de fermer
-l'oreille aux suggestions de courtiers malhonnêtes
-et intéressés, qui proposent des combinaisons
-mirifiques.</p>
-
-<p>Par contre, il est tout à fait inoffensif et même
-recommandable, lorsque le marché à terme est
-en pleine activité, d'y recourir pour acheter des
-titres dont on se propose d'obtenir livraison ou
-pour vendre des valeurs que l'on possède effectivement.
-Le marché à terme, plus large que le
-marché au comptant, permet d'opérer sur de plus
-grandes quantités et avec de moindres variations
-de cours. Ce qu'on doit éviter et regarder comme
-un jeu pire que le baccara ou la roulette, c'est
-l'achat ou la vente à découvert, c'est-à-dire sans
-argent pour lever les quantités achetées ou sans
-titres pour livrer les quantités vendues.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Les opérations au comptant n'offrent pas les
-mêmes risques et elles peuvent augmenter les
-revenus des personnes adroites et prudentes. Au
-fond, l'acquéreur d'une valeur mobilière, comme
-celui d'une maison ou d'un pré, pense toujours
-faire une bonne affaire et espère une plus-value.
-D'autre part, comme nous l'avons vu, il est imprudent
-de s'endormir sur le portefeuille en apparence
-le mieux composé. Il y a des valeurs qui
-vieillissent et qu'on a intérêt à vendre pour les
-remplacer par d'autres. Le rentier modeste lui-même,
-nous l'avons dit plus haut, ne doit pas
-cesser de se renseigner, d'être vigilant et actif
-autant qu'économe, sous peine de voir son capital
-fondre par l'usure du temps.</p>
-
-<p>Le capitaliste intelligent, sans se départir de la
-plus stricte prudence, peut faire de temps en
-temps, dans la composition de ses valeurs, des
-changements avantageux qu'on nomme en
-Bourse des <i>arbitrages</i>. Les titres les plus solides
-sont sujets à des fluctuations que l'homme avisé
-sait mettre à profit. Remplacer une valeur par
-une autre de la même catégorie et de la même
-qualité en réalisant un bénéfice, parfois léger sans
-doute, mais absolument sûr, est une opération
-recommandable, une occasion que le père de
-famille se doit de ne pas laisser échapper.</p>
-
-<p>Le type de l'arbitrage sans danger est fourni
-par nos obligations de chemins de fer, considérées
-comme valeurs de tout repos. Les obligations
-3 p. 100 des grandes compagnies françaises et
-algériennes donnent lieu chaque jour à des transactions
-abondantes. Elles offrent souvent des
-différences de cours sensibles dont il faut savoir
-profiter. Leurs échéances étant variées, il est possible
-aussi, par des arbitrages adroits, de toucher
-non pas deux coupons semestriels seulement, mais
-trois ou quatre. Les boursiers désignent dédaigneusement
-du nom de «&nbsp;margoulins&nbsp;» ceux qui
-se livrent à ce trafic modeste. C'est parfois, pour
-les personnes oisives et qui n'ont pas mieux à
-faire, un moyen de doubler le revenu de valeurs
-d'un rendement réduit, mais sûr. Il va sans dire,
-d'ailleurs, que pour se livrer à des arbitrages, il
-faut laisser ses titres au porteur et ne pas les
-mettre au nominatif.</p>
-
-<p>Les personnes très attentives, qui ont le don
-de l'observation et de la mémoire, peuvent développer
-les opérations au comptant. Certaines valeurs
-ont des hauts et des bas périodiques, un
-rythme plus ou moins régulier. Les personnes qui
-ont étudié ces mouvements peuvent vendre ou
-acheter tour à tour avec bénéfice. Ce genre de
-spéculation ne peut porter d'ailleurs que sur un
-tout petit nombre de valeurs qui exigent des spécialistes.
-C'est une véritable science qui n'est pas,
-elle non plus, à la portée de tout le monde. Les
-profits qu'elle peut donner récompensent un travail
-assidu. C'est, dans toute la forme du terme,
-un métier. On ne peut donc l'exercer sans application
-et sans étude. Dans son <i>Manuel du spéculateur</i>,
-Proudhon, de son temps, décrivait ainsi la
-besogne du petit nombre des privilégiés qui savent
-gagner de l'argent à la Bourse :</p>
-
-<blockquote>
-<p>Les prudents, disait-il, font, d'un bout de l'année à
-l'autre, des opérations d'arbitrage. Ce sont des capitalistes
-qui n'achètent jamais au delà de leur fortune disponible.
-Ils profitent de la baisse pour placer leurs fonds et se contentent,
-en attendant la hausse, de palper leurs dividendes.
-Ils réalisent leur avoir quatre, cinq ou six fois par an, plus
-ou moins, selon les circonstances. Ils vont du Mobilier au
-Foncier, du Foncier à la Rente, de la Rente aux Chemins
-de fer, des Chemins de fer aux Petites Voitures, etc&hellip;</p>
-</blockquote>
-
-<p>Encore ne faut-il pas exagérer ce genre de
-trafic. Il importe de s'y livrer avec assez d'à-propos
-pour ne pas jouer la fable de l'homme qui, à
-la fin, se trouvait avoir changé un b&oelig;uf contre un
-&oelig;uf. En outre, le plus habile ne peut se flatter d'apprécier
-avec exactitude le moment où une valeur
-atteint le tuf de la baisse ou l'apogée de la hausse.
-Il y a là une part d'incertitude sans compter qu'à
-trop étendre son clavier et à courir d'une valeur à
-l'autre on risque, au lieu d'agir à coup sûr, de se
-charger de titres qu'on connaît peu ou mal.</p>
-
-<p>Hâtons-nous d'ajouter que ce métier stérile pour
-la société n'est pas de ceux où nous voudrions voir
-entrer la jeunesse nouvelle qui, avant tout, doit
-produire. Ces exercices conviennent à des invalides
-ou à des vieillards.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Comme en toutes choses, la modération et le
-bon sens constituent les qualités maîtresses nécessaires
-à la conservation et à l'accroissement
-d'un patrimoine. Pour administrer une fortune,
-il faut de la réflexion et un jugement qui s'acquiert
-par l'expérience. Combien de personnes,
-étourdies, crédules ou présomptueuses n'ont
-jamais fait que des placements malheureux!
-Contre leurs propres entraînements ou contre les
-exploiteurs, doivent être en garde, surtout, les
-veuves, les novices qui héritent d'une fortune, et
-toutes les personnes qui, habituées à un travail
-intellectuel, sont accessibles aux idées générales et
-promptes d'imagination, mais que leur profession
-a toujours éloignées de la pratique des affaires,
-comme les médecins, les officiers, les ecclésiastiques.
-C'est dans cette catégorie qu'une réclame financière
-impudente fait le plus de dupes et qu'on
-s'abandonne le plus facilement à l'illusion que,
-sans études préalables, avec de l'inspiration, il est
-facile de gérer et d'accroître ses capitaux.</p>
-
-<p>Vendre, acheter, arbitrer ne doit se faire qu'à
-bon escient et à tête reposée. Il est aussi dangereux
-de céder aux engouements qu'aux paniques. Les
-professionnels de la Bourse savent très bien que
-le public achète à la hausse et vend à la baisse.
-C'est ainsi qu'en peu de temps on se ruine au profit
-des malins à l'affût des bons coups. Quand on
-s'aperçoit qu'une valeur périclite ou qu'elle est
-en danger, il faut s'en défaire sans hâte et avec
-sang-froid sans jeter le paquet par-dessus bord et
-à n'importe quel prix. L'homme maladroit, l'impulsif
-achète toujours au plus haut et vend au
-plus bas. L'homme réfléchi s'engraisse à ses dépens.</p>
-
-<p>Que l'on commence par diviser judicieusement
-sa fortune selon les règles que nous avons données
-et l'on supportera avec calme les vicissitudes des
-valeurs mobilières. Nous avons vu, en 1905
-comme en 1917, les personnes qui possédaient
-une quantité raisonnable de fonds russes demeurer
-paisibles, et attendre des jours meilleurs. Les
-autres s'énervaient et, atteintes dans une partie
-essentielle de leur revenu, perdaient la tête et
-vendaient avec une grosse perte, croyant tout
-compromis. Pourtant, depuis que la Russie a suspendu
-ses paiements, le cours des rentes russes
-s'est relevé à plusieurs reprises quand les événements
-ont laissé espérer la chute du bolchevisme.</p>
-
-<p>En même temps, il faut savoir ne pas reculer
-devant un sacrifice indispensable et nécessaire.
-Mieux vaut, dit la sagesse des nations, se couper
-un bras que de perdre sa tête. L'entêtement est
-aussi funeste que la précipitation. Parce qu'une
-valeur a été bonne à un moment donné, ce n'est
-pas une raison pour qu'elle le redevienne. Beaucoup
-de gens pensent le contraire. Or, nous l'avons
-vu, il y a des valeurs qui meurent. Si l'on cherche,
-selon l'expression consacrée, à se faire une
-«&nbsp;moyenne&nbsp;» en achetant de nouvelles quantités
-des titres qui ont baissé, on risque tout simplement
-d'aggraver sa perte. Les actions des chemins
-de fer de Paris-Lyon, qui passaient pour des valeurs
-de pères de famille, n'ont cessé de s'effriter
-depuis vingt ans. Quiconque se serait acharné à
-acheter de ces actions pour se faire une moyenne
-n'aurait réussi qu'à multiplier la perte contre laquelle
-il aurait cherché à se couvrir.</p>
-
-<p>Nous croyons en avoir dit assez pour convaincre
-nos lecteurs de la précarité et de la fragilité des
-valeurs mobilières. Seuls le travail et l'épargne
-conservent les fortunes après les avoir créées. Il
-faut y joindre, pour la bonne gestion de ses biens,
-la sagesse, la prudence, le savoir et la raison.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch15" title="XV. Le capitaliste, les impôts et les lois">CHAPITRE XV</h2>
-
-<p class="c small">LE CAPITALISTE, LES IMPOTS ET LES LOIS</p>
-
-<p class="d">Multiplication et aggravation des impôts. &mdash; La tentation d'y
-échapper. &mdash; Dangers de la fraude et de la dissimulation en ce
-qui concerne l'impôt sur le revenu et les droits de succession. &mdash; L'intérêt
-des patrimoines et des familles ne s'accorde pas
-toujours avec les dons de la main à la main et les partages
-secrets. &mdash; Quelques cas et quelques exemples. &mdash; Divers
-moyens employés pour se soustraire aux impôts. &mdash; Trésors et
-cachettes. &mdash; Dépôts de titres et de fonds à l'étranger : écueils à
-éviter. &mdash; Les échanges de renseignements entre les États. &mdash; Péril
-des doubles taxations. &mdash; Une précaution légitime : la
-provision dans une banque anglaise ou américaine. &mdash; Conclusion
-et moralité de ce chapitre.</p>
-
-
-<p>L'insécurité des capitaux menace de s'accroître
-par le fait du désordre économique et politique
-que la guerre a répandu à travers le monde. D'autre
-part, la tendance de la société moderne est de
-traiter en ennemis le capital et la fortune acquise.
-L'État ayant en outre besoin de ressources considérables
-les demande à une taxation de plus en
-plus sévère. La jalousie démocratique et les
-exigences budgétaires conspirent à multiplier les
-impôts aux dépens de l'épargne la plus honnête.</p>
-
-<p>Si l'ingéniosité du fisc est grande, celle du
-contribuable ne l'est pas moins. De tout temps la
-matière imposable a cherché à s'échapper. L'esprit
-de dissimulation et de fraude se développe
-en raison même du poids des impôts. Toutefois,
-au temps où nous sommes, l'État pourchasse et
-traque toujours plus étroitement les fraudeurs et
-cherche à les saisir de toutes parts dans le réseau
-de ses dispositions légales. Il importe donc de savoir
-à quels inconvénients ou à quels dangers
-s'exposent les personnes qui, n'étant pas assez
-convaincues de la nécessité du devoir fiscal, veulent
-esquiver les taxes et les impôts.</p>
-
-<p>L'impôt sur le revenu est celui auquel le contribuable
-est le plus tenté de se soustraire, au moins
-partiellement. La déclaration est libre et le contrôle
-est encore vague, le système n'étant en France
-qu'au début de son application.</p>
-
-<p>Cependant il serait imprudent de croire que
-l'administration restera toujours indulgente et
-désarmée. A mesure que l'impôt sur le revenu
-prendra de l'âge, les renseignements se multiplieront
-chez le percepteur. Chaque contribuable aura
-sa fiche, enrichie des informations fournies par
-d'autres administrations, celles de l'enregistrement
-en particulier. Peu à peu le revenu des particuliers
-sera saisi à toutes ses sources et des surprises
-désagréables seront réservées aux dissimulateurs<a id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor">[11]</a>.
-Déjà, en effet, les amendes atteignent des
-taux énormes et elles pourront aller jusqu'à la
-confiscation totale des sommes dissimulées.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_11" href="#FNanchor_11"><span class="label">[11]</span></a> Inutile, pensons-nous, d'ajouter que la sincérité est obligatoire
-pour les personnes dont les titres sont déposés dans les
-banques et les établissements de crédit où les comptes sont à ciel
-ouvert.</p>
-</div>
-<p>Pour être productif, l'impôt sur le revenu doit
-être extrêmement sévère et ne faire grâce de rien.
-C'est ainsi qu'il fonctionne dans les pays où il est
-appliqué depuis longtemps. Un exemple tiré de
-la Prusse sur laquelle nos législateurs ont copié
-ce système et où il a atteint la perfection dans la
-tyrannie caporaliste, montrera comment une administration
-vigilante et bien outillée réussit à capter
-toutes les sources des revenus.</p>
-
-<p>Un Français, précepteur dans une riche famille
-prussienne, avait, selon la loi, déclaré ses appointements
-et se croyait ainsi en règle. Quelque
-temps après, il est appelé chez le percepteur et le
-dialogue suivant s'engage : «&nbsp;Monsieur, dit le fonctionnaire,
-j'ai le regret de vous dire que votre déclaration
-n'est pas complète. Vous avez bien
-inscrit vos gages. Mais vous êtes logé au château,
-si je ne me trompe? &mdash; Parfaitement. &mdash; A quel
-étage, je vous prie? &mdash; Au second. &mdash; C'est donc,
-d'après la valeur locative de la commune, la
-somme de tant que j'ajoute. Et vous prenez vos
-repas? A la table de famille? &mdash; En effet. &mdash; Nourriture
-de choix. Tant pour la nourriture&hellip; Un mot
-encore. Vous buvez du vin? de la bière?&hellip; &mdash; De
-la bière. &mdash; C'est donc tant pour la boisson.&nbsp;»</p>
-
-<p>Avec cela, le contribuable n'était pas quitte. Un
-jour, ses parents lui envoient de France un petit
-fût de vin. Et bientôt le percepteur le rappelle :
-«&nbsp;Monsieur, lui dit-il, vous avez déclaré que vous
-buviez de la bière à vos repas. Mais la régie m'apprend
-que vous avez reçu du vin. Vous allez donc
-boire du vin pendant quelques semaines. C'est un
-supplément que je dois ajouter à vos ressources
-normales.&nbsp;»</p>
-
-<p>Il est peu probable que les m&oelig;urs françaises
-s'accommodent jamais d'un régime aussi méticuleux
-et aussi inquisiteur, ou bien il échouera sur
-la résistance de l'esprit public. Mais il n'est pas
-douteux que l'impôt sur le revenu, après la tolérance
-des débuts, deviendra de plus en plus strict
-si l'on veut qu'il dure et qu'il produise quelque
-chose. Et les moyens d'information du fisc s'étendront
-et se préciseront, surtout pour la fortune
-acquise. La fraude et la dissimulation partielles
-resteront sans doute possibles. Les personnes qui
-voyagent pourront toujours, par exemple, toucher
-des coupons à l'étranger. Mais ceux-là dont
-la conscience ne répugne pas au mensonge doivent
-bien savoir qu'un moment arrive où le fisc reprend
-ses droits : c'est à l'ouverture des successions.
-Quiconque se préoccupe de ses héritiers, de sa
-femme et de ses enfants, doit savoir qu'une déclaration
-inexacte de son revenu les expose, après sa
-mort, à des amendes et à des confiscations.</p>
-
-<p>Les droits de succession constituent en France
-un élément important des ressources publiques.
-On frappe de préférence les morts parce qu'ils
-ne crient pas et qu'ils ne votent pas. Le législateur
-a donc été conduit à prévenir et à réprimer
-les évasions par tous les moyens en son pouvoir.
-De plus en plus, l'État tendra à intervenir au
-moment des décès pour empêcher les héritiers de
-se soustraire aux taxes. C'est ainsi que l'envoi en
-possession est soumis à des conditions sévères. Les
-coffres-forts loués à deux noms (ordinairement
-celui du mari et de la femme) dans un établissement
-de crédit sont l'objet d'une réglementation
-particulière, de même que les <i>comptes joints</i> dans
-les banques. Ces anciens moyens de fraude sont
-éventés.</p>
-
-<p>Reste toujours la possibilité de partager de l'argent,
-ou des valeurs mobilières au porteur, de la
-main à la main. Nul n'ignore que cette pratique
-est courante dans les familles. Quand cette soustraction
-et ce partage s'étendent à des sommes
-considérables, il y a cependant plusieurs risques
-qu'on ne doit pas méconnaître.</p>
-
-<p>En premier lieu, les héritiers doivent savoir
-que la déclaration faite par le défunt pour l'impôt
-sur le revenu sert de contrôle à l'enregistrement
-pour la déclaration de la succession. C'est la
-contre-partie du cas que nous avons envisagé
-tout à l'heure et où le fisc trouvait dans la succession
-plus que le <i lang="la" xml:lang="la">de cujus</i> n'avait annoncé pour son
-revenu annuel. Si le fisc trouve moins, ce n'est
-plus le mort qu'il frappera par une lourde amende.
-Ce sont les héritiers eux-mêmes qu'il poursuivra
-pour fraude et pour vol. L'époux survivant ou les
-enfants qui conservent ou se distribuent une
-somme d'argent liquide importante ou des titres
-au porteur doivent s'assurer au préalable qu'ils
-ne feront pas dans la fortune du défunt un trou
-capable d'attirer l'attention du fisc et ils devront
-se mettre d'accord avec le revenu déclaré
-dans les dernières années du conjoint ou des
-ascendants.</p>
-
-<p>A ces partages qui ne laissent pas de traces, il
-y a un autre inconvénient. Les inventaires et les
-actes de succession sont destinés à protéger les
-patrimoines et à empêcher qu'ils ne passent entre
-des mains étrangères. Un héritage qui n'est pas
-constaté par un acte authentique risque souvent
-d'échapper à la famille à laquelle il doit appartenir
-d'après la nature et la loi. Nous connaissons des
-cas très divers où des héritiers ont eu lieu de
-regretter de s'être partagé entre eux une fraction
-de la succession pour échapper aux taxes. Ainsi
-un fils marié meurt sans enfants : la part de l'héritage
-paternel non constatée par le notaire grossit
-la fortune de sa femme et passe ensuite à un nouveau
-mari ou à des neveux de l'autre branche.
-Même résultat en cas de séparation de biens et de
-divorce, la fraction soustraite étant tombée dans
-la communauté. Enfin des enfants qui ont laissé
-par ce procédé une partie de la fortune paternelle
-ou maternelle aux mains de l'époux survivant
-pour éviter la double taxe sont exposés à se voir
-un jour frustrés par le remariage du survivant.
-Quand on tourne la loi, on renonce aussi à ses
-garanties.</p>
-
-<p>Tous ces arrangements, pris dans l'idée de
-soustraire aux atteintes du fisc la plus grande
-partie possible d'un patrimoine, reposent en général
-sur l'idée que la famille restera toujours unie
-ou que ses membres seront frappés par la mort
-dans l'ordre naturel. Il n'en est malheureusement
-pas toujours ainsi. C'est pourquoi, sauf exceptions
-tout à fait motivées, les parents doivent être en
-garde contre les partages anticipés. Il y a danger,
-pour les mêmes raisons, à ne pas faire figurer
-dans un contrat la totalité d'une dot pour échapper
-aux droits de donation.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Les temps dans lesquels nous sommes entrés
-nous ramènent aux époques où la richesse cherchait
-à se défendre par toutes sortes de ruses et
-de cachettes contre les exactions et les brigandages.
-Les fortunes menacées s'efforcent de se
-dissimuler ou de se transformer de telle façon
-que le possesseur, au milieu des bouleversements
-et des incertitudes de l'époque, puisse mettre une
-part de ses biens à l'abri du fisc et aussi, en cas
-de besoin, retrouver une valeur réelle. Sous des
-formes modernes, la pratique du trésor, si répandue
-dans les siècles et dans les pays barbares,
-tend à s'imposer de nouveau. La crainte de
-l'impôt et le doute qui commence à s'attacher au
-papier (valeurs et même billets de banque), incitent
-beaucoup de personnes à se créer une sorte
-de réserve en nature, constituée d'objets précieux
-d'un petit volume et facile à transporter.</p>
-
-<p>Cet usage est resté courant dans les pays asiatiques,
-parmi lesquels il faut comprendre la
-Russie. Nous avons connu un riche négociant
-français de Moscou qui, prévoyant la révolution,
-portait constamment sur lui une bourse remplie
-de pierres précieuses, s'assurant ainsi contre les
-risques d'une spoliation qui, d'ailleurs, sous le
-régime bolchevik, ne devait pas tarder. De même
-les monastères orthodoxes, dont quelques-uns
-possédaient des richesses considérables, enfouissaient
-des diamants et des perles, plus aisément
-maniables que des lingots et qui représentent une
-valeur universellement négociable. En Allemagne,
-en Autriche, les mêmes pratiques ont été observées
-depuis la débâcle du papier et l'imminence
-d'impôts extraordinaires sur les fortunes.</p>
-
-<p>La nature humaine, à travers les âges et les
-climats, reste la même. L'ébranlement de l'ordre
-social ramène les usages des temps primitifs.
-Depuis la guerre, on a vu beaucoup de personnes
-acheter des bijoux, de l'argenterie et même des
-toiles de maîtres, afin de représenter au moins une
-partie de leur fortune autrement que par du
-papier. Encore s'agit-il de ne pas remplacer une
-valeur qu'on croit artificielle par une autre valeur
-qui peut le devenir, ce qui est en particulier le
-cas de la peinture dont le prix est affaire de mode
-et aussi affaire de circonstances. Au cas d'un grand
-bouleversement de la société comme celui dont la
-Russie a été le théâtre, un Raphaël ou un Titien
-ne sont pas une marchandise d'un placement
-facile ou avantageux.</p>
-
-<p>Beaucoup de personnes sont tentées par le fait
-que les objets d'art, depuis quelques années, ont
-monté d'une façon extraordinaire et ont souvent
-enrichi leurs possesseurs. Outre qu'il y a des
-exceptions, il faut s'attendre à des dépréciations
-lentes ou brusques dont plus d'un collectionneur
-a déjà fait l'expérience.</p>
-
-<p>L'<i>impôt sur le capital</i>, devant lequel le gouvernement
-français a reculé jusqu'ici, doit également
-être pris en considération. Si cet impôt devait entrer un
-jour dans nos lois, il n'est pas douteux qu'il
-atteindrait les mobiliers. En Hollande, où cet impôt
-existe, le fisc contrôle les déclarations des contribuables
-qui doivent, sur réquisition, ouvrir leur
-maison et leurs tiroirs. Il devient alors coûteux
-de posséder trop de belles choses. Et l'on ne pourrait
-jurer que l'État, pour faire face à ses besoins,
-n'en viendra pas là. La taille, la dîme et la gabelle
-paraîtront douces en comparaison.</p>
-
-<div class="asterism">*<br />* &nbsp;*</div>
-<p>Les dépôts d'argent ou de titres dans les banques
-étrangères sont un procédé couramment
-employé. En France, beaucoup de personnes y
-avaient eu recours avant 1914 pour échapper à
-l'impôt sur le revenu qui, alors, était un épouvantail.
-Pour être efficace, cette mesure doit s'entourer
-de nombreuses précautions. Les occasions
-d'erreur sont nombreuses. Ce n'est pas seulement
-la banque qui doit être choisie avec grand soin
-mais encore la nationalité et le siège de ces banques.
-Ainsi la Belgique avait été considérée comme
-un lieu de refuge très sûr. Or la Belgique, malgré
-sa neutralité, a été envahie la première. Pendant
-tout le temps de la guerre les personnes qui
-n'avaient pas retiré leurs dépôts ont été privées
-de leur revenu et, si l'Allemagne eût été victorieuse,
-elle eût certainement confisqué leur
-capital.</p>
-
-<p>On se tromperait surtout si l'on s'imaginait
-qu'il suffit, pour abriter sa fortune, de lui faire
-passer la frontière, en suivant les sollicitations
-intéressées des banques étrangères. Il faut connaître
-d'abord la législation de l'État dans lequel
-on envoie son argent si l'on ne veut pas s'exposer
-à payer, par exemple, deux fois l'impôt sur le
-revenu ou exposer ses héritiers à payer deux fois
-des droits de succession, dans leur pays et dans
-le pays de refuge. La même remarque s'impose,
-bien entendu, pour l'achat d'immeubles à l'étranger.</p>
-
-<p>Durant les premières années du <small>XIX</small><sup>e</sup> siècle, le
-gouvernement français avait déjà cherché à conclure
-avec les gouvernements étrangers des accords
-destinés à établir un échange de renseignements
-au sujet des dépôts de leurs ressortissants. L'exemple
-avait été donné dès 1843 par une convention
-passée par l'administration française et l'administration
-belge pour la perception réciproque des
-droits d'enregistrement. Il résulte de cette convention
-que tous les actes dont l'enregistrement
-belge a connaissance passent immédiatement à
-l'enregistrement français. Les personnes de nationalité
-française qui se proposaient de dissimuler
-de l'argent en Belgique devaient donc faire bien
-attention qu'en aucun cas leurs opérations ne
-donnassent lieu à des actes susceptibles d'être enregistrés
-dans ce pays.</p>
-
-<p>Il y a plus : en 1907, une entente franco-anglaise
-a établi un régime précis d'échanges de
-renseignements au sujet des successions des ressortissants
-des deux pays. Le gouvernement britannique
-fournit donc au gouvernement français
-toutes les indications qu'il a recueillies lui-même
-sur l'héritage, en prélevant pour son compte les
-droits successoraux. D'où il résulte que les héritiers
-ont à payer les taxes françaises après les
-taxes anglaises, et ce doublement de droits qui
-sont également lourds des deux côtés de la Manche
-peut aller, pour de grosses sommes, jusqu'à une
-confiscation des deux tiers.</p>
-
-<p>Étant donné que les États vont être pendant
-de longues années à l'affût de toutes les ressources
-et qu'ils pourchasseront le capital, il est possible
-que ces arrangements s'étendent et se multiplient
-et qu'ils s'appliquent aux divers impôts, y compris
-l'impôt sur le revenu. Le capitaliste français
-fera donc bien de s'informer avant d'envoyer son
-argent au dehors, s'il ne veut pas imiter Gribouille.
-Il est à penser que d'ici peu de temps, en
-procédant à leur réorganisation financière, les
-États alliés vont chercher à resserrer la surveillance
-autour de ceux qu'on appelle déjà les
-«&nbsp;déserteurs de l'impôt&nbsp;».</p>
-
-<p>Il restera sans doute des pays qui seront heureux
-d'attirer les capitaux en leur assurant un
-traitement privilégié. Tel a été jusqu'à présent le
-cas de la Suisse. Reste à savoir si cet état de
-choses durera, si pour des raisons intérieures ou
-extérieures (pression diplomatique de ses voisins,
-par exemple), la Suisse, malgré la diversité de
-législation de ses cantons, n'en viendra pas aussi
-à restreindre son droit d'asile.</p>
-
-<p>Il va sans dire que des pays exotiques, sud-américains
-par exemple, seraient heureux d'accueillir
-des capitaux français sans les dénoncer.
-Mais là, c'est la sécurité qui manque. Quant aux
-États-Unis, ils en sont encore à l'âge d'or du
-capitalisme. Le droit de propriété et le secret des
-affaires y sont regardés, jusqu'ici, comme à peu près
-inviolables et l'État de New-York est particulièrement
-renommé pour son libéralisme à cet égard.</p>
-
-<p>Nous ne conseillerons jamais à personne de
-mettre tous ses &oelig;ufs dans le même panier et de
-confier <i>tous</i> ses titres en dépôt à une <i>seule</i> banque,
-fût-elle américaine. Cependant il peut être utile
-de déposer quelque argent ou un certain nombre
-de valeurs chez un ou plusieurs banquiers américains
-jouissant d'un solide crédit. C'est une assurance
-contre les catastrophes qui, éventuellement,
-pourraient encore menacer l'Europe. Nous voyons
-tous les jours des Russes qui, contraints d'émigrer,
-ne sont pas réduits à la misère dans leur
-exil parce qu'ils avaient, en temps calme, prévu
-la possibilité des orages.</p>
-
-<p>Sans aller jusqu'aux hypothèses tragiques, il
-est toutefois recommandable pour les personnes
-qui font des affaires avec l'étranger ou qui
-voyagent fréquemment à l'étranger d'avoir une
-provision dans une banque anglaise ou américaine.
-Il est malheureusement à craindre que,
-d'ici longtemps, nous ne revoyions plus le franc
-au cours qu'il avait autrefois sur tous les marchés
-du monde. A la suite de la guerre, le change sur
-les places étrangères nous est devenu défavorable
-et il est probable qu'il le restera pendant une
-période prolongée. La livre sterling et surtout le
-dollar seront exposés à moins de variations. Il
-peut donc être utile de stabiliser d'avance une certaine
-somme pour ne pas être victime, en cas de
-besoin, d'une brusque tension du change et d'une
-dépréciation de la monnaie française.</p>
-
-<p>Nous conclurons ce chapitre en disant que la
-prudence est légitime mais que la fraude n'est pas
-toujours prudente. Elle fait souvent tomber de
-Charybde en Scylla celui qui y a recours. Enfin
-le bon citoyen doit se dire que le devoir fiscal est
-un devoir comme un autre et qu'après une guerre
-où toutes les fortunes se seraient englouties sans
-la victoire, le sacrifice d'argent n'est rien auprès
-du sacrifice du sang. La fraude n'est excusable
-que quand l'État ne remplit plus sa tâche essentielle,
-qui est de donner la sécurité à la nation,
-ou quand il ne garantit plus la propriété et qu'il
-confisque arbitrairement les biens.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ch16" title="XVI. Tâches et besoins du temps présent">CHAPITRE XVI</h2>
-
-<p class="c small">TÂCHES ET BESOINS DU TEMPS PRÉSENT</p>
-
-<p class="d">Transformations et nécessités. &mdash; Le besoin de produire. &mdash; Les
-capitaux sont la réserve des producteurs. &mdash; Aux générations
-nouvelles. &mdash; Le «&nbsp;tempérament d'obligataire&nbsp;» et le «&nbsp;tempérament
-d'actionnaire&nbsp;». &mdash; Français et Allemands. &mdash; Perspectives
-d'avenir. &mdash; La France ne peut plus être un «&nbsp;pays de
-rentiers&nbsp;».</p>
-
-
-<p>Les principes que nous avons exposés et les
-conseils que nous avons donnés dans ce livre sont
-destinés à servir de guide pour conserver les
-patrimoines et en prévenir, autant que possible,
-la dissolution. Les méthodes que nous recommandons,
-appuyées sur le raisonnement et sur
-l'expérience, sont donc avant tout <i>conservatoires</i>.
-Et c'est déjà beaucoup, nous l'avons vu, quand
-on arrive à ce résultat que les capitaux péniblement
-amassés ne se volatilisent pas.</p>
-
-<p>Garder une fortune par le discernement, la
-prudence et l'économie, la transmettre intacte à
-ses successeurs, c'est difficile et c'est même très
-beau. Toutefois les temps dans lesquels nous
-sommes entrés demandent autre chose.</p>
-
-<p>Depuis de longues années, le but auquel
-tendaient, en France, la plupart des classes de
-la société, c'était d'arriver, le plus tôt possible, à
-vivre sans rien faire, fût-ce chichement, d'un
-revenu médiocre ou d'une retraite payée par une
-grande administration ou par l'État. C'est ce
-qu'on appelait jadis «&nbsp;vivre noblement&nbsp;». Ainsi la
-France tendait à devenir peu à peu un pays de rentiers,
-puissant par sa prodigieuse faculté d'épargne,
-mais où la notion du travail créateur se perdait.</p>
-
-<p>Cette conception de la vie a été violemment
-secouée par la guerre. Dans le bouleversement
-général, des milliers d'existences, arrangées pour
-une médiocrité paisible et qui ne comptaient pas
-avec l'imprévu, ont été atteintes avec dureté.
-L'honnête aisance dont se contentaient tant de
-personnes commence à confiner à la misère. C'est
-un mot courant que, d'ici longtemps, on ne
-reverra plus la «&nbsp;douceur de vivre&nbsp;» à laquelle la
-tragédie de 1914 a mis fin.</p>
-
-<p>On le répète de tous les côtés, et, ce qui est
-mieux, c'est une vérité sentie par les nouvelles
-générations : il importe de produire, de former de
-nouvelles richesses à la place de celles qui ont été
-anéanties. La France n'est plus assez riche pour
-qu'une quantité d'oisifs et de joueurs de dominos
-aussi forte que celle d'autrefois puisse encore
-subsister. La France était un pays où il y avait
-trop de joueurs de dominos, comme en Angleterre
-il y avait trop de joueurs de ballon. Aujourd'hui
-la France a sa fortune à refaire. Elle ne recevra
-plus du dehors tous les revenus qui, naguère, en
-faisaient la créancière du monde et compensaient
-l'insuffisance de son commerce extérieur. Elle
-s'est, au contraire, endettée envers l'étranger.
-Alors, si elle ne se met pas à produire, c'est bien
-simple : rien, chez nous, ne gardera de valeur,
-ni les rentes de l'État, ni les titres de toute sorte,
-ni la terre elle-même, parce que ce qui nous reste
-de richesses, par l'excès des importations, s'en
-ira au dehors, parce que la monnaie française
-sera de plus en plus «&nbsp;avariée&nbsp;» par rapport à la
-monnaie étrangère, et parce que notre actif
-deviendra peu à peu le gage de nos fournisseurs
-et de nos créanciers américains qui se mettront
-peut-être à exploiter notre pays pour leur compte,
-comme ils en manifestent déjà l'intention. C'est
-le cas qui s'est produit aux siècles derniers pour
-l'Espagne, couverte de gloire, mais inactive et
-endettée, et dont les ressources naturelles ne profitaient
-qu'aux étrangers. Voilà comment une
-nation devient serve et prolétaire.</p>
-
-<p>Pour de longues années, pour quelques générations,
-peut-être, l'état de rentier sera difficile
-sinon intenable. Le travail ne sera pas seulement
-un devoir national mais une nécessité individuelle.
-Entre les mains des hommes jeunes et
-actifs, le capital devra travailler lui aussi et devenir
-un instrument de production, sous peine, s'il
-reste inerte, de se consommer et de disparaître.</p>
-
-<p>Les méthodes que nous avons recommandées,
-les observations que nous avons consignées dans
-ce livre ne doivent donc pas être regardées comme
-destinées à fabriquer et à multiplier des rentiers
-mais à préserver de la ruine, de l'anéantissement
-et des mauvais conseillers nos capitaux plus
-précieux que jamais, afin qu'ils soient conservés
-intacts pour ceux qui pourront s'en servir d'une
-façon active et les faire produire à leur tour.</p>
-
-<p>Il serait absurde d'exiger que tout le monde
-mît son argent dans l'industrie pour la raison qu'il
-est certain la France doit produire ou mourir. Il
-y a quantité de personnes qui ne peuvent courir
-le risque des affaires et qui font mieux de s'en
-éloigner. Elles y perdraient ce qu'elles possèdent,
-faute d'expérience et de jugement. Seuls les
-mauvais financiers y gagneraient quelque chose.
-Les hommes âgés et qui ne peuvent recommencer
-leur vie, les veuves, les personnes qu'une profession
-libérale rend étrangères aux affaires d'argent :
-tous ceux-là ont besoin surtout qu'on
-leur indique les moyens d'assurer la sécurité de
-leur fortune, dans la mesure où l'esprit humain
-peut prévoir les événements. De même un industriel,
-un commerçant heureux ne peuvent pas
-indéfiniment étendre leurs affaires. Le jour vient
-où ils ont besoin de consolider leurs bénéfices,
-ne fût-ce que passagèrement. Ceux-là aussi doivent,
-autant que possible, pouvoir se faire une idée
-personnelle sur la manière dont il convient de
-placer leur fortune au lieu de s'en rapporter au
-hasard ou au premier venu.</p>
-
-<p>On a dit qu'une des infériorités des Français,
-avant la guerre, était dans leur «&nbsp;tempérament
-d'obligataires&nbsp;» tandis que les autres peuples,
-ceux qui avaient grandi et qui s'étaient enrichis,
-surtout les Allemands, avaient un «&nbsp;tempérament
-d'actionnaires&nbsp;». C'est vrai dans une large mesure.
-A l'avenir, les Français auront besoin d'être plus
-«&nbsp;actionnaires&nbsp;», c'est-à-dire plus créateurs de
-richesses et plus associés à la création des richesses
-qu'ils ne l'étaient autrefois.</p>
-
-<p>Cependant ce serait une erreur de s'imaginer
-que tous les Allemands d'avant la guerre, comme
-tous les Américains, ne cessaient pas de risquer
-leur argent dans des affaires nouvelles. Ils soufflaient
-parfois. Ils abritaient une partie de leurs
-bénéfices dans les valeurs sûres et dans les obligations
-et ils ne dédaignaient pas la puissance
-d'accumulation de l'épargne sans laquelle la puissance
-de création s'épuise vite. Malgré sa forte
-tendance au nationalisme économique, l'Allemagne
-possédait, elle aussi, de grandes quantités
-de valeurs étrangères, mais mieux choisies et
-réparties que les nôtres. C'était surtout des valeurs
-américaines, dont il y avait un marché important
-à Berlin et qui lui ont été plus utiles pendant la
-guerre que notre portefeuille bourré de russe,
-d'austro-hongrois et d'ottoman.</p>
-
-<p>Produire, c'est surtout la tâche de la génération
-nouvelle. Mais elle ne fera fructifier le capital
-que s'il lui est transmis dans de bonnes conditions.
-Que cette précieuse réserve ne soit pas étourdiment
-gérée, inconsidérément gaspillée.</p>
-
-<p>Avec un grand labeur, de belles chances
-s'offrent aussi aux Français d'aujourd'hui et de
-demain. Les jeunes à qui échoit une fortune,
-qui est souvent le débris d'un patrimoine plus
-gros, n'auront jamais trop de reconnaissance pour
-ceux qui l'auront amassée et conservée. Les
-jeunes doivent considérer ce capital comme un
-outil et un principe d'activité. Beaucoup de
-travail, un peu de peine, ajoutés à cette mise de
-fonds, ne tarderont pas à apporter leur récompense.
-De nos provinces, soulevées l'une après
-l'autre par un besoin ardent de renaître, s'élève
-un appel à l'argent qui féconde, à l'intelligence
-et à l'activité. Notre «&nbsp;houille blanche&nbsp;» attend
-qu'on la prenne. La paix ajoute à la merveilleuse
-Algérie la possession indiscutée de ce Maroc où
-les Allemands avec leur «&nbsp;tempérament d'actionnaires&nbsp;»
-nous ont montré, par leur convoitise,
-par leurs installations mêmes, ce qu'il y avait à
-récolter. Enfin, celui qui reçoit en partage de la
-bonne terre de France, qu'il la fasse valoir lui-même.
-Elle lui rendra vite les soins qu'il lui aura
-donnés.</p>
-
-<p>En fermant ce livre, nous voudrions que le
-lecteur en gardât cette impression qu'il n'a pas
-été écrit pour encourager les Français à rester
-un peuple de rentiers.</p>
-
-
-<p class="c gap small">FIN</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak" id="ht">TABLEAU DES DROITS DE MUTATION PAR DÉCÈS ET DE DONATION ENTRE VIFS</h2>
-
-
-<p class="drap">MUTATION PAR DÉCÈS. &mdash; I. <span class="sc">Droits de mutation ordinaire à percevoir
-sur chaque part nette</span>.</p>
-
-<table summary="">
-<tr><td colspan="3"><div class="c">PARTS</div></td>
-<td colspan="6"><div class="c">DEGRÉ DE PARENTÉ</div></td></tr>
-<tr><td rowspan="3" colspan="3">&nbsp;</td>
-<td colspan="3">Ligne directe descendante</td>
-<td colspan="3">Ligne directe ascendante</td></tr>
-<tr><td>1<sup>er</sup> degré</td>
-<td>2<sup>e</sup> degré</td>
-<td>Au delà</td>
-<td>1<sup>er</sup> degré</td>
-<td>2<sup>e</sup> degré</td>
-<td>Au delà</td></tr>
-<tr><td><div class="c">p. 100</div></td>
-<td><div class="c">p. 100</div></td>
-<td><div class="c">p. 100</div></td>
-<td><div class="c">p. 100</div></td>
-<td><div class="c">p. 100</div></td>
-<td><div class="c">p. 100</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">fr.</div></td>
-<td>&nbsp;</td>
-<td><div class="r">fr.</div></td>
-<td><div class="r">fr. c.</div></td>
-<td><div class="r">fr. c.</div></td>
-<td><div class="r">fr. c.</div></td>
-<td><div class="r">fr. c.</div></td>
-<td><div class="r">fr. c.</div></td>
-<td><div class="r">fr. c.</div></td></tr>
-<tr><td colspan="9">Parts nettes de 10000 francs et au-dessous avec
-maximum successoral de 25000 francs.</td></tr>
-<tr><td><div class="r">1</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">2000</div></td>
-<td><div class="r">1 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">1 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">2 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">1 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">1 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">2 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">2001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">10000</div></td>
-<td><div class="r">1 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">2 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">2 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">1 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">2 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">2 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td colspan="9">Parts nettes supérieures à 10000 francs et successions dont l'actif
-total est supérieur à 25000 francs.</td></tr>
-<tr><td><div class="r">1</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">2000</div></td>
-<td><div class="r">1 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">1 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">2 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">2 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">3 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">3 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">2001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">10000</div></td>
-<td><div class="r">2 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">2 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">3 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">3 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">4 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">4 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">10001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">50000</div></td>
-<td><div class="r">3 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">3 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">4 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">4 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">5 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">5 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">50001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">100000</div></td>
-<td><div class="r">4 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">4 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">5 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">5 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">6 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">6 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">100001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">250000</div></td>
-<td><div class="r">5 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">5 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">6 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">6 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">7 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">7 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">250001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">500000</div></td>
-<td><div class="r">6 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">6 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">7 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">7 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">8 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">8 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">500001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">1000000</div></td>
-<td><div class="r">7 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">7 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">8 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">8 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">9 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">9 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">1000001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">2000000</div></td>
-<td><div class="r">8 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">8 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">9 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">9 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">10 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">10 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">2000001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">5000000</div></td>
-<td><div class="r">9 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">9 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">10 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">10 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">11 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">11 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">5000001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">10000000</div></td>
-<td><div class="r">10 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">10 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">11 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">11 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">12 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">12 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">10000000</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">50000000</div></td>
-<td><div class="r">11 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">11 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">12 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">12 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">13 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">13 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td colspan="2"><div class="r">Au delà de</div></td>
-<td><div class="r">50000000</div></td>
-<td><div class="r">12 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">12 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">13 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">13 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="r">14 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">14 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-</table>
-
-<table summary="">
-<tr><td colspan="3"><div class="c">PARTS</div></td>
-<td colspan="5"><div class="c">DEGRÉ DE PARENTÉ</div></td></tr>
-<tr><td colspan="3" rowspan="2">&nbsp;</td>
-<td>Entre époux</td>
-<td>Entre frères et s&oelig;urs</td>
-<td>Entre oncles ou tantes et neveux ou nièces</td>
-<td>Entre grands-oncles ou grand'tantes et petits-neveux ou
-petites-nièces et entre cousins germains</td>
-<td>Entre parents au delà du 4e degré et personnes non parentes</td></tr>
-<tr><td><div class="c">p. 100</div></td>
-<td><div class="c">p. 100</div></td>
-<td><div class="c">p. 100</div></td>
-<td><div class="c">p. 100</div></td>
-<td><div class="c">p. 100</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">fr.</div></td>
-<td>&nbsp;</td>
-<td><div class="r">fr.</div></td>
-<td><div class="r">fr. c.</div></td>
-<td><div class="r">fr. c.</div></td>
-<td><div class="c">fr.</div></td>
-<td><div class="c">fr.</div></td>
-<td><div class="c">fr.</div></td></tr>
-<tr><td colspan="8">Parts nettes de 10000 francs et au-dessous avec
-maximum successoral de 25000 francs.</td></tr>
-<tr><td><div class="r">1</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">2000</div></td>
-<td><div class="r">4 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">10 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">12</div></td>
-<td><div class="c">15</div></td>
-<td><div class="c">18</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">2001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">10000</div></td>
-<td><div class="r">4 <span class="cent">75</span></div></td>
-<td><div class="r">10 <span class="cent">75</span></div></td>
-<td><div class="c">13</div></td>
-<td><div class="c">16</div></td>
-<td><div class="c">19</div></td></tr>
-<tr><td colspan="8">Parts nettes supérieures à 10000 francs et
-successions dont l'actif total est supérieur à 25000 francs.</td></tr>
-<tr><td><div class="r">1</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">2000</div></td>
-<td><div class="r">5 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">10 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">15</div></td>
-<td><div class="c">20</div></td>
-<td><div class="c">25</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">2001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">10000</div></td>
-<td><div class="r">6 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">11 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">16</div></td>
-<td><div class="c">21</div></td>
-<td><div class="c">26</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">10001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">50000</div></td>
-<td><div class="r">7 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">12 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">17</div></td>
-<td><div class="c">22</div></td>
-<td><div class="c">27</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">50001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">100000</div></td>
-<td><div class="r">8 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">13 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">18</div></td>
-<td><div class="c">23</div></td>
-<td><div class="c">28</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">100001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">250000</div></td>
-<td><div class="r">9 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">14 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">19</div></td>
-<td><div class="c">24</div></td>
-<td><div class="c">29</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">250001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">500000</div></td>
-<td><div class="r">10 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">15 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">20</div></td>
-<td><div class="c">25</div></td>
-<td><div class="c">30</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">500001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">1000000</div></td>
-<td><div class="r">11 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">16 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">21</div></td>
-<td><div class="c">26</div></td>
-<td><div class="c">31</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">1000001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">2000000</div></td>
-<td><div class="r">12 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">17 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">22</div></td>
-<td><div class="c">27</div></td>
-<td><div class="c">32</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">2000001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">5000000</div></td>
-<td><div class="r">13 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">18 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">23</div></td>
-<td><div class="c">28</div></td>
-<td><div class="c">33</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">5000001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">10000000</div></td>
-<td><div class="r">14 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">19 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">24</div></td>
-<td><div class="c">29</div></td>
-<td><div class="c">34</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">10000000</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">50000000</div></td>
-<td><div class="r">15 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">20 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">25</div></td>
-<td><div class="c">30</div></td>
-<td><div class="c">35</div></td></tr>
-<tr><td colspan="2"><div class="r">Au delà de</div></td>
-<td><div class="r">50000000</div></td>
-<td><div class="r">16 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="r">21 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">26</div></td>
-<td><div class="c">31</div></td>
-<td><div class="c">36</div></td></tr>
-</table>
-<p><i>N. B.</i> &mdash; Le montant de la taxe additionnelle (tableau n<sup>o</sup> II) est à
-déduire de l'actif de la succession pour la détermination de la part nette de
-chaque ayant-droit. (Inst. Régie du 10 janvier 1918.)</p>
-
-
-<p class="drap gap">MUTATION PAR DÉCÈS. &mdash; II. <span class="sc">Taxe additionnelle</span>
-perçue sur l'ensemble de la succession quand il n'y a
-pas d'enfant vivant ou représenté et quand il y a moins
-de quatre enfants vivants ou représentés (les enfants
-morts victimes de la guerre étant comptés comme s'ils
-étaient vivants) à prélever sur l'ensemble de la succession.</p>
-
-<table summary="">
-<tr><td colspan="3"><div class="c">PARTS</div></td>
-<td colspan="4"><div class="c">NOMBRE D'ENFANTS<br />
-<span class="small">LAISSÉS PAR LE DÉFUNT</span></div></td></tr>
-<tr><td colspan="3" rowspan="2">&nbsp;</td>
-<td><div class="c">Trois enfants vivants ou représentés</div></td>
-<td><div class="c">Deux enfants vivants ou représentés</div></td>
-<td><div class="c">Un enfant vivant ou représenté</div></td>
-<td><div class="c">Point d'enfant vivant ou représenté</div></td></tr>
-<tr><td><div class="c">p. 100</div></td>
-<td><div class="c">p. 100</div></td>
-<td><div class="c">p. 100</div></td>
-<td><div class="c">p. 100</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">fr.</div></td>
-<td>&nbsp;</td>
-<td><div class="r">fr.</div></td>
-<td><div class="c">fr. c.</div></td>
-<td><div class="c">fr. c.</div></td>
-<td><div class="c">fr.</div></td>
-<td><div class="c">fr.</div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">1</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">2000</div></td>
-<td><div class="c">0 <span class="cent">25</span></div></td>
-<td><div class="c">0 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">1</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">2</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">2001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">10000</div></td>
-<td><div class="c">0 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="c">1 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">2</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">4</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">10001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">50000</div></td>
-<td><div class="c">0 <span class="cent">75</span></div></td>
-<td><div class="c">1 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">3</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">6</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">50001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">100000</div></td>
-<td><div class="c">1 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">2 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">4</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">8</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">100001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">250000</div></td>
-<td><div class="c">1 <span class="cent">25</span></div></td>
-<td><div class="c">2 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">5</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">10</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">250001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">500000</div></td>
-<td><div class="c">1 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="c">3 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">6</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">12</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">500001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">1000000</div></td>
-<td><div class="c">1 <span class="cent">75</span></div></td>
-<td><div class="c">3 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">7</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">14</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">1000001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">2000000</div></td>
-<td><div class="c">2 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">4 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">8</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">16</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">2000001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">5000000</div></td>
-<td><div class="c">2 <span class="cent">25</span></div></td>
-<td><div class="c">4 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">9</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">18</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">5000001</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">10000000</div></td>
-<td><div class="c">2 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="c">5 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">10</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">20</span></div></td></tr>
-<tr><td><div class="r">10000000</div></td>
-<td>à</td>
-<td><div class="r">50000000</div></td>
-<td><div class="c">2 <span class="cent">75</span></div></td>
-<td><div class="c">5 <span class="cent">50</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">11</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">22</span></div></td></tr>
-<tr><td colspan="2"><div class="r">Au delà de</div></td>
-<td><div class="r">50000000</div></td>
-<td><div class="c">3 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c">6 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">12</span></div></td>
-<td><div class="c"><span class="cent">24</span></div></td></tr>
-</table>
-
-<p class="drap gap">MUTATION PAR DÉCÈS. &mdash; III. <span class="sc">Déduction</span> sur le
-montant des droits ordinaires (tableau I) en ce qui
-concerne la part de l'héritier, donataire ou légataire
-ayant quatre enfants vivants où plus au moment de
-l'ouverture de la succession :</p>
-
-<p class="drap">10 p. 100 pour chaque enfant en sus du troisième, avec
-maximum de réduction de 50 p. 100.</p>
-
-
-<p class="drap gap">MUTATION PAR DÉCÈS. &mdash; IV. <span class="sc">Pénalités de retard</span>
-(loi du 10 avril 1910).</p>
-
-<table summary="">
-<tr><td><div class="r">1 mois</div></td>
-<td><div class="r">0 fr. 50</div></td>
-<td>p. 100</td>
-<td rowspan="3" class="row3">}</td>
-<td rowspan="3" class="mid">du droit dû.</td></tr>
-<tr><td><div class="r">5 mois</div></td>
-<td><div class="r">1 franc</div></td>
-<td>p. 100</td></tr>
-<tr><td>Au delà</td>
-<td><div class="r">1 fr. 50</div></td>
-<td>p. 100</td></tr>
-</table>
-
-<p class="c gap">DROITS DE DONATION ENTRE VIFS</p>
-
-<table summary="">
-<tr><td><div class="c">INDICATION DES DEGRÉS PE PARENTÉ</div></td>
-<td><div class="c">TARIF</div></td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td>
-<td><div class="r">fr. c.</div></td></tr>
-<tr><td>En ligne directe</td>
-<td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="ind1">Partage d'ascendants</td>
-<td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="ind2">Entre plus de 2 enfants vivants ou représentés</td>
-<td class="bot"><div class="r">2 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind2">Entre 2 enfants vivants ou représentés</td>
-<td class="bot"><div class="r">4 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind1">Par contrat de mariage</td>
-<td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="ind2">Plus de 2 enfants vivants ou représentés</td>
-<td class="bot"><div class="r">4 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind2">2 enfants vivants ou représentés</td>
-<td class="bot"><div class="r">5 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind2">1 enfant vivant ou représenté</td>
-<td class="bot"><div class="r">6 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind1">Hors contrat de mariage</td>
-<td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="ind2">Plus de 2 enfants vivants ou représentés</td>
-<td class="bot"><div class="r">6 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind2">2 enfants vivants ou représentés</td>
-<td class="bot"><div class="r">8 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind2">1 enfant vivant ou représenté</td>
-<td class="bot"><div class="r">10 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td>Entre époux</td>
-<td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="ind1">Par contrat de mariage</td>
-<td class="bot"><div class="r">8 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind1">Hors contrat de mariage</td></tr>
-<tr><td class="ind2">Plus de 2 enfants vivants ou représentés, issus du mariage</td>
-<td class="bot"><div class="r">6 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind2">2 enfants vivants ou représentés, issus du mariage</td>
-<td class="bot"><div class="r">10 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind2">1 enfant vivant ou représenté, issus du mariage</td>
-<td class="bot"><div class="r">13 <span class="cent">50</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind2">Sans enfant vivant ou représenté, issus du mariage</td>
-<td class="bot"><div class="r">17 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td></tr>
-<tr><td>Entre frères et s&oelig;urs</td>
-<td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="ind1">Par contrat de mariage aux futurs</td>
-<td class="bot"><div class="r">13 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind1">Hors contrat de mariage</td>
-<td class="bot"><div class="r">23 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td></tr>
-<tr><td>Entre oncles et tantes et neveux ou nièces</td>
-<td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="ind1">Par contrat de mariage aux futurs</td>
-<td class="bot"><div class="r">15 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind1">Hors contrat de mariage</td>
-<td class="bot"><div class="r">25 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td></tr>
-<tr><td>Entre grands-oncles, grand'tantes, petits-neveux ou
-petites-nièces et entre cousins germains</td>
-<td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="ind1">Par contrat de mariage aux futurs</td>
-<td class="bot"><div class="r">17 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind1">Hors contrat de mariage</td>
-<td class="bot"><div class="r">27 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td></tr>
-<tr><td>Entre parents au delà du 4<sup>e</sup> degré et entre personnes
-non parentes</td>
-<td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="ind1">Par contrat de mariage aux futurs</td>
-<td class="bot"><div class="r">21 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td></tr>
-<tr><td class="ind1">Hors contrat de mariage</td>
-<td class="bot"><div class="r">31 <span class="cent">&nbsp;»</span></div></td></tr>
-</table>
-<p><i>Nota.</i> &mdash; Les enfants morts victimes de la guerre sont comptés
-comme enfants vivants.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">TABLE DES MATIÈRES</h2>
-
-
-<table summary="">
-<tr><td>&nbsp;</td> <td class="small">Pages.</td></tr>
-<tr><td class="sc">Avant-propos</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch0"><small>VII</small></a></div></td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre premier. &mdash; Une période d'instabilité et d'insécurité
-pour les fortunes.</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch1">11</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">L'instabilité des fortunes est un phénomène de tous les
-temps. &mdash; La guerre a considérablement aggravé ce phénomène. &mdash; Longue
-période de sécurité et d'enrichissement
-de 1815 à 1914. &mdash; Le danger d'autrefois était
-la baisse de l'intérêt et les conversions. &mdash; Fausses
-croyances nourries à cet égard : l'argent ne devait plus
-rien rapporter. &mdash; L'intérêt s'est relevé, mais les capitaux
-ont été détruits. &mdash; Ébranlement de toutes les
-fortunes. &mdash; Autres menaces qui pèsent sur elles. &mdash; Probabilité
-de grandes crises financières, sinon de
-catastrophes. &mdash; De nouvelles méthodes de gestion des
-patrimoines sont nécessaires. &mdash; En quoi l'esprit et les
-habitudes des capitalistes doivent changer.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre II. &mdash; Le principe de la division géographique des
-placements, qui s'est montré insuffisant, doit être
-complété par un autre principe</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch2">22</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">La division des risques est une précaution élémentaire. &mdash; L'écueil
-est qu'elle ne tourne pas à la multiplication
-des risques. &mdash; Exemples malheureux de dissémination
-des capitaux. &mdash; Nécessité de précautions supplémentaires. &mdash; Valeurs
-solides et réelles sur lesquelles doit
-reposer une fortune. &mdash; Les biens-fonds réhabilités. &mdash; Gages
-à exiger des valeurs mobilières. &mdash; Le remboursement
-prochain du capital est la clause essentielle de
-tout prêt d'argent. &mdash; Applications de ces principes aux
-placements mobiliers et avantages qu'ils comportent. &mdash; Règles
-pratiques à en tirer.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre III. &mdash; Des immeubles</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch3">33</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">La revanche des anciens placements. &mdash; Toute richesse
-part de la terre. &mdash; Stabilité de la propriété immobilière. &mdash; Un
-exemple typique. &mdash; Relèvement de la valeur
-de la terre en France. &mdash; Hausse des produits agricoles. &mdash; Sécurité
-de la propriété rurale, due, dans
-notre pays, à son extrême division. &mdash; Le dépeuplement
-des campagnes est le seul point noir. &mdash; Conseils pour la
-gestion des biens fonciers. &mdash; Les maisons de rapport à
-Paris et dans les grandes villes. &mdash; Achat, construction
-et entretien. &mdash; Les spéculations sur les terrains. &mdash; Les
-formes excentriques de la propriété et leurs périls.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre IV. &mdash; Des placements hypothécaires</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch4">46</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">Raisons pour lesquelles se recommande ce genre de placements. &mdash; Conditions
-auxquelles ils sont sûrs et
-avantageux. &mdash; Des précautions à prendre et des dangers
-à éviter. &mdash; De la part qu'il convient de leur attribuer
-dans un patrimoine.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre V. &mdash; Emprunts français et emprunts des États
-alliés de la France</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch5">59</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">Danger des rentes perpétuelles. &mdash; Qu'il faut leur préférer
-les rentes amortissables. &mdash; Comparaison des deux
-3 p. 100 français. &mdash; Le crédit de la France victorieuse. &mdash; Ombres
-et clartés. &mdash; Raisons pour lesquelles le
-capitaliste doit être porteur des rentes nouvelles. &mdash; Emprunts
-des villes et des colonies françaises. &mdash; Immense
-prospérité des États-Unis. &mdash; La décadence
-des consolidés anglais et les fonds britanniques. &mdash; Rente
-belge. &mdash; Rente italienne. &mdash; La catastrophe
-russe et nos milliards : incertitudes de l'avenir et
-richesses latentes de la Russie. &mdash; Fonds roumains,
-serbes, grecs et portugais. &mdash; Japon et Chine.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre VI. &mdash; Emprunts des États qui ont été en guerre
-avec les alliés et des nouveaux États issus de la
-décomposition de l'Autriche-Hongrie</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch6">89</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">Les fonds allemands. &mdash; Fonds autrichiens et hongrois. &mdash; Conséquences
-de la dissolution de la monarchie
-austro-hongroise. &mdash; La distribution de la Dette et les
-nouvelles nationalités. &mdash; Raisons de méfiance à l'égard
-des appels au crédit de la Pologne, de la Tchéco-Slovaquie
-et de la Yougo-Slavie. &mdash; Fonds bulgares. Fonds
-ottomans. &mdash; L'Europe centrale et orientale devra
-être évitée longtemps par les capitaux.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre VII. &mdash; Emprunts des États neutres</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch7">95</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">Les pays épargnés par la guerre se sont enrichis. &mdash; Leurs
-emprunts sont d'un moindre rapport que ceux des
-belligérants. &mdash; Est-ce le moment d'entrer dans ces
-valeurs? &mdash; Avantages qu'elles offrent encore temporairement. &mdash; Examen
-des six pays neutres d'Europe :
-Espagne, Suisse, Hollande, pays Scandinaves. &mdash; Le
-Mexique et l'Amérique du Sud. &mdash; Nécessité d'une
-soigneuse discrimination.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre VIII. &mdash; Un élément des fortunes françaises en
-danger : les actions de chemins de fer</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch8">108</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">Illusion du public quant à la prospérité des compagnies. &mdash; Elles
-sont écrasées par leurs charges financières,
-fiscales et sociales. &mdash; Elles n'ont pas la liberté de leurs
-tarifs et le terme des concessions approche. &mdash; L'actionnaire
-garde tous les risques et ne touche qu'une
-faible part des bénéfices, quand il y en a. &mdash; Le rachat
-est un soulagement et un bienfait : exemple de l'Ouest. &mdash; Cas
-des chemins de fer algériens. &mdash; Les rachats
-futurs seront-ils aussi avantageux?</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre IX. &mdash; Les actions des chemins de fer étrangers.</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch9">146</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">La plus grande partie des bonnes lignes d'Europe constitue
-des exploitations directes d'État. &mdash; Les Compagnies
-qui existent encore sont dans une situation voisine de
-celle des chemins de fer français. &mdash; Un mot alarmant
-de M. Lloyd George. &mdash; Le cas de la Compagnie du
-Sud de l'Autriche : Comment un chemin de fer est conduit
-à la ruine. &mdash; Crise grave des chemins de fer américains
-avant la guerre européenne ; pourquoi cette crise
-menace de se représenter et d'être durable. &mdash; Le krach
-des chemins de fer exotiques. &mdash; Conclusion : les actions
-des chemins de fer sont le type de la valeur mobilière
-qui meurt.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre X. &mdash; Les obligations des chemins de fer français
-et étrangers</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch10">161</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">Conditions auxquelles ces obligations peuvent attirer des
-placements sérieux. &mdash; Une garantie d'un grand État
-solvable est presque toujours nécessaire. &mdash; Exemple
-des obligations des grandes Compagnies françaises. &mdash; Avantages
-respectifs de ces diverses catégories d'obligations. &mdash; Des
-obligations de bonne apparence qui auront
-fait subir de lourdes pertes aux fortunes : les obligations
-lombardes. &mdash; Autre expérience pénible : les obligations
-des chemins de fer américains. &mdash; Éclaircissements
-sur la valeur de ces titres. &mdash; Quels sont ceux
-dont les porteurs ont eu à se féliciter? &mdash; Gages et remboursements
-des obligations américaines. &mdash; Il convient
-de se détourner des obligations de chemins de fer exotiques. &mdash; De
-quelques pièges dont le public n'est pas
-assez averti.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre XI &mdash; Les valeurs industrielles</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch11">188</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">Mot typique du baron de Rothschild. &mdash; Mal manger et
-bien dormir ou mal dormir et bien manger? &mdash; Petit
-nombre de bonnes valeurs industrielles. &mdash; Leur instabilité. &mdash; Nécessité
-de connaissances spéciales pour les
-acquérir et les surveiller. &mdash; Sept conseils pratiques
-essentiels. &mdash; Les booms et les krachs. &mdash; Des mines et
-spécialement des charbonnages français après la guerre. &mdash; Un
-mot sur le canal de Suez. &mdash; Généralités sur les
-actions de jouissance et les parts de fondateur.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre XII. &mdash; Les obligations industrielles</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch12">205</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">Ce genre déplacement peut être fort recommandable. &mdash; Il
-est de très bonnes obligations industrielles, mais
-toutes ne sont pas bonnes. &mdash; Comment les distinguer. &mdash; Nécessité
-de les diversifier et de ne pas se cantonner
-dans une seule branche d'industrie. &mdash; Les bons 6 p. 100
-et les prochaines émissions de l'industrie française. &mdash; Des
-titres de premier ordre et peu connus : les obligations
-des services municipaux américains. &mdash; Leurs
-avantages et leurs garanties. &mdash; Comment les choisir et
-comment les acheter.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre XIII. &mdash; Actions des banques et des sociétés de
-crédit</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch13">212</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">Caractère dangereux de ces valeurs. &mdash; Absence de contrôle
-des actionnaires sur la marche des affaires sociales. &mdash; Différentes
-sortes de banques. &mdash; Les banques d'émission
-à privilège. &mdash; Les grands établissements de crédit :
-le système dont ils ont vécu paraît usé. &mdash; Les banques
-d'affaires. &mdash; Les Crédits fonciers et les sociétés immobilières :
-leurs actions et leurs obligations.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre XIV. &mdash; La spéculation et la bourse</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch14">219</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">Danger de la spéculation à terme. &mdash; La partie est inégale
-et déloyale. &mdash; Ceux qui jouent à coup sûr contre ceux
-qui jouent à l'aveuglette. &mdash; La contre-partie. &mdash; La
-spéculation au comptant. &mdash; Dans quelle mesure on peut
-s'y livrer. &mdash; Les arbitrages. &mdash; Nécessité d'une étude
-attentive des mouvements de Bourse : c'est une science
-et un métier. &mdash; Conseils pour la vente et l'achat des
-valeurs et la gestion des patrimoines. &mdash; Dangers des
-engouements et des paniques.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre XV. &mdash; Le capitaliste, les impôts et les lois</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch15">229</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">Multiplication et aggravation des impôts. &mdash; La tentation
-d'y échapper. &mdash; Dangers de la fraude et de la dissimulation
-en ce qui concerne l'impôt sur le revenu et les
-droits de succession. &mdash; L'intérêt des patrimoines et des
-familles ne s'accorde pas toujours avec les dons de la
-main à la main et les partages secrets. &mdash; Quelques cas
-et quelques exemples. &mdash; Divers moyens employés pour
-se soustraire aux impôts. &mdash; Trésors et cachettes. &mdash; Dépôts
-de titres et de fonds à l'étranger : écueils à
-éviter. &mdash; Les échanges de renseignements entre les
-États. &mdash; Péril des doubles taxations. &mdash; Une précaution
-légitime : la provision dans une banque anglaise ou américaine. &mdash; Conclusion
-et moralité de ce chapitre.</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Chapitre XVI. &mdash; Tâches et besoins du temps présent</td>
-<td class="bot"><div class="r"><a href="#ch16">243</a></div></td></tr>
-<tr><td class="ind">Transformations et nécessités. &mdash; Le besoin de produire. &mdash; Les
-capitaux sont la réserve des producteurs. &mdash; Aux
-générations nouvelles. &mdash; Le «&nbsp;tempérament d'obligataire&nbsp;»
-et le «&nbsp;tempérament d'actionnaire&nbsp;». &mdash; Français
-et Allemands. &mdash; Perspectives d'avenir. &mdash; La France
-ne peut plus être un «&nbsp;pays de rentiers&nbsp;».</td> <td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td class="drap sc">Appendice. &mdash; Tableaux des droits de mutation par décès
-et des droits de donation entre vifs</td>
-<td class="bot">hors texte <a href="#ht"><i lang="la" xml:lang="la">in fine</i></a></td></tr>
-</table>
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-limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
-unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
-remaining provisions.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
-providing copies of Project Gutenberg&#8482; electronic works in
-accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
-production, promotion and distribution of Project Gutenberg&#8482;
-electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
-including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
-the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
-or any Project Gutenberg&#8482; work, (b) alteration, modification, or
-additions or deletions to any Project Gutenberg&#8482; work, and (c) any
-Defect you cause.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg&#8482;
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg&#8482;&#8217;s
-goals and ensuring that the Project Gutenberg&#8482; collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg&#8482; and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation&#8217;s EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state&#8217;s laws.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation&#8217;s business office is located at 809 North 1500 West,
-Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
-to date contact information can be found at the Foundation&#8217;s website
-and official page at www.gutenberg.org/contact
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; depends upon and cannot survive without widespread
-public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
-visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 5. General Information About Project Gutenberg&#8482; electronic works
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg&#8482; concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg&#8482; eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Most people start at our website which has the main PG search
-facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This website includes information about Project Gutenberg&#8482;,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
-</div>
-
-</div>
-
-</body>
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