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diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..d7b82bc --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,4 @@ +*.txt text eol=lf +*.htm text eol=lf +*.html text eol=lf +*.md text eol=lf diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. 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You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: La Nonne Alferez - -Author: José-María de Heredia - -Illustrator: Daniel Vierge - -Release Date: May 24, 2020 [EBook #62216] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA NONNE ALFEREZ *** - - - - -Produced by Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online -Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/Canadian Libraries) - - - - - - - - - - COLLECTION LEMERRE ILLUSTRÉE - - JOSÉ-MARIA DE HEREDIA - - La - - Nonne Alferez - - [Illustration] - - _Illustrations - de - DANIEL VIERGE_ - - gravées - par - - PRIVAT-RICHARD - - - PARIS - - ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR - - _23-31, Passage Choiseul, 23-31_ - - 1894 - - - - - La - Nonne Alferez - - - - - _Tous droits réservés._ - - - - - JOSÉ-MARIA DE HEREDIA - - La - Nonne Alferez - - ILLUSTRATIONS DE DANIEL VIERGE - - GRAVÉES PAR PRIVAT-RICHARD - - [Illustration: colophon] - - PARIS - - ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR - - _23-31, Passage Choiseul, 23-31_ - - 1894 - - - - -[Illustration] - -PRÉFACE - - -BIEN _qu’elle ait toute l’allure aventureuse et picaresque d’un roman -de cape et d’épée, l’histoire de la Nonne Alferez est une histoire -vraie. Elle sent même parfois terriblement fort la vérité. Catalina -de Erauso a vécu, d’une vie exaspérée, comme disent les Espagnols. Le -récit qu’elle en écrivit, de sa main plus dextre à manier l’épée que -la plume, étonna ses contemporains. De graves historiens font mention -de cette femme extraordinaire. Une première et une seconde_ Relacion -_de ses exploits et hauts faits furent publiées coup sur coup, en 1625, -à Madrid par Bernardino de Guzman et par Simon Faxardo à Séville. -Lorsqu’elle revint en Espagne, l’élève bien-aimé du grand Lope, Juan -Perez de Montalvan, composa et fit jouer à la Cour sa Comédie Fameuse -de la Monja Alferez. Enfin, en 1829, M. Joaquin Maria de Ferrer imprima -à Paris, chez Jules Didot, d’après un manuscrit de l’historien Muñoz, -le texte complet de l’_Historia, _accompagné de nombreuses notes et de -force pièces justificatives, actes de baptême, extraits de registres -conventuels, attestations, états de services, enquêtes, requêtes, -certificats et décrets royaux. Ce petit livre est aujourd’hui des plus -rares. Il s’ouvre par une longue préface où l’éditeur, après avoir -savamment disserté sur les sphinx, les hippogriffes, les acéphales, -les androgynes et les hermaphrodites, compare Doña Catalina aux -femmes illustres de tous les temps, à Sapho, à Aspasie, à Portia, à -Sainte Thérèse et à Madame de Staël. Le portrait de l’héroïne gravé -d’après une peinture du maître Sévillan Pacheco semble peu propre à -justifier, du moins physiquement, cette comparaison. Doña Catalina, -avec la golille, le hausse-col de fer et le pourpoint de buffle aux -aiguillettes mal nouées, est, à vrai dire, peu avenante, d’aspect -viril, militaire et rébarbatif. Nous avons un autre portrait d’elle, -d’après le vif, à la plume. Dans sa dix-septième lettre de Rome, datée -du 11 juillet 1626, le voyageur Pietro della Valle, le Pèlerin, comme -on le nomme, écrivait à son ami Mario Schipano:--Le 5 de juin vint pour -la première fois chez moi l’Alfiere Caterina d’Arcuso, Biscaïenne, -arrivée la veille même d’Espagne. C’est une demoiselle d’environ -trente-cinq à quarante ans.... Sa renommée m’était parvenue jusque -dans l’Inde Orientale. Ce fut mon ami le P. Rodrigo de San Miguel, son -compatriote, qui me l’amena. Je la fis depuis connaître à plusieurs -Dames et à des Cavaliers dont l’entretien lui agréait davantage. Le -Signor Francesco Crescentio, bon peintre, l’a portraicturée. Grande et -forte de taille, d’apparence plutôt masculine, elle n’a pas plus de -gorge qu’une fillette. Elle me dit avoir fait je ne sais quel remède -pour se la faire passer. Ce fut, je crois, un emplâtre fourni par un -Italien. L’effet en fut douloureux, mais fort à souhait. De visage, -elle n’est point trop laide, mais assez fatiguée et déjà sur l’âge. -Ses cheveux noirs sont courts, comme il sied à un homme, et mêlés en -crinière, à la mode du jour. L’air est plutôt d’un eunuque que d’une -femme. Elle s’habille en homme, à l’espagnole, porte l’épée bravement, -comme la vie, avec la tête un peu basse et enfoncée dans des épaules -trop hautes. Bref, elle a la mine plus d’un soldat que d’un mignon de -Cour. Seule, sa main pourrait faire douter de son sexe, car elle est -pleine et charnue, bien que robuste et forte, et le geste en a parfois -encore je ne sais quoi de féminin._ - -_Telle fut la Nonne Alferez, doña Catalina de Erauso. Écoutez -l’histoire de sa vie qu’elle va vous narrer elle-même. C’est une -confession hardie, peut-être sincère, qu’elle commença d’écrire ou -de dicter le 18 septembre de l’an 1624, alors quelle rentrait en -Espagne sur le galion le Saint-Joseph. Ce fut sans doute pour occuper -le désœuvrement de ces longues journées de traversée qu’allongent -les calmes étouffants de la mer des Tropiques. Peut-être sentit-elle -l’impérieux besoin de décharger sa conscience, son cœur trop lourds. -Dans l’inaction forcée, prisonnière lasse de fouler les planches d’un -pont de navire, elle se plut à revivre par la pensée les aventures -d’autrefois, les courses à cheval à travers les Andes, en quête d’El -Dorado, les querelles, les combats, les fuites, la fortune hasardeuse, -la vie errante et libre. Elle l’a fait dans une langue nette, concise -et mâle. Elle ne parle d’elle-même au féminin que très rarement, dans -les cas désespérés, aux minutes de suprême détresse, alors qu’elle sent -la Mort et qu’elle a peur de l’Enfer. Ce récit naïf et brutal reflète -rapidement son âme et sa vie. Elles furent d’un homme d’action._ - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - - - - -_LA NONNE ALFEREZ_ - - - - -CHAPITRE I - - _Son pays, ses parents, sa naissance, son éducation, sa fuite et - ses courses à travers l’Espagne._ - - -Moi doña Catalina de Erauso, je suis née en la ville de San Sebastian -de Guipuzcoa, l’an mil cinq cent quatre-vingt-cinq, fille du capitaine -don Miguel de Erauso et de doña Maria Perez de Galarraga y Arce, -natifs et bourgeois de ladite ville. Mes parents me nourrirent dans -leur maison avec mes autres frères jusques à l’âge de quatre ans. En -mil cinq cent quatre-vingt-neuf, ils me firent entrer au couvent de -San Sebastian et Antiguo, lequel est de nonnes Dominicaines. Ma tante -doña Ursula de Unza y Sarasti, cousine germaine de ma mère, en était -prieure. J’y fus tenue jusques à l’âge de quinze ans et il fut alors -traité de ma profession. J’étais presque au bout de mon année de -noviciat, lorsque je me pris de querelle avec une nonne professe nommée -doña Catalina de Aliri, laquelle étant veuve, était entrée au couvent -et y avait fait profession. Elle était robuste et moi fillette; elle me -rudoya manuellement et je le ressentis. - -La nuit du dix-huit mars de l’an mil six cent, vigile de Saint-Joseph, -la communauté se levant à minuit pour chanter matines, j’entrai dans -le chœur et y trouvai ma tante agenouillée. Elle m’appela et, me -baillant la clef de sa cellule, m’ordonna de lui aller querir son -bréviaire. J’y allai, j’ouvris, le pris et vis, pendues à un clou, -les clefs du couvent. Je laissai la cellule ouverte et rapportai à ma -tante sa clef et son bréviaire. Les nonnes étaient au chœur et les -matines solennellement commencées. A la première leçon, je m’approchai -de ma tante et lui demandai congé, sous prétexte que j’étais malade. -Ma tante, me mettant la main sur la tête, me dit:--Va, couche-toi. Je -quittai le chœur, allumai une chandelle, retournai à la cellule et, -y ayant pris, outre les clefs du couvent, des ciseaux, du fil, une -aiguille et quelques réaux de huit qui traînaient par là, je sortis, -ouvrant et refermant les portes. A la dernière qui était celle de -dehors, j’ôtai mon scapulaire et me lançai dans la rue, sans l’avoir -jamais vue ni savoir de quel côté tirer ni où aller. Je pris à -l’aventure et m’en vins donner en une châtaigneraie qui est hors la -ville, derrière et tout contre le couvent. Je m’y cachai et y demeurai -trois jours, m’accommodant et coupant de quoi me vêtir. Je taillai et -me fis dans une basquine de drap bleu que j’avais, des chausses, et -d’un cotillon vert de tiretaine que je portais dessous, un pourpoint -et des guêtres. Ne sachant que faire de mon habit, je le laissai là. -Je me coupai les cheveux et les jetai. La troisième nuit, je partis -et, poussant à l’aventure à travers routes et villages, afin de gagner -au large, je vins aboutir à Vitoria, à une vingtaine de lieues de San -Sebastian, à pied et très lasse, sans avoir rien mangé que les herbes -que je trouvais le long du chemin. - -J’entrai dans Vitoria sans savoir où gîter. Au bout de quelques jours, -je m’accommodai avec le Docteur don Francisco de Cerralta qui y -occupait une chaire, - -[Illustration] - -lequel m’accueillit facilement, sans me connaître, et m’habilla. Il -était marié avec une cousine germaine de ma mère, à ce que je sus -depuis; mais je ne me découvris point. Je demeurai avec lui quelque -chose comme trois mois, au cours desquels, me voyant bien lire le -latin, il se prit de plus de goût pour moi et me voulut faire étudier. -Je m’y refusai, il s’entêta, insistant à renfort de mains. Là-dessus, -je déterminai de le quitter, ce que je fis ainsi: je lui pris quelque -monnaie, et m’arrangeant avec un muletier qui allait à Valladolid, à -quarante-cinq lieues de là, je partis en sa compagnie. - -En entrant à Valladolid où se tenait pour lors la Cour, je me plaçai -comme page chez don Juan de Idiaquez, secrétaire du Roi. Il me vêtit -proprement, et je pris le nom de Francisco Loyola. Je demeurai là sept -mois, bien aise. Au bout de ce temps, une nuit que je me tenais à la -porte avec un autre page, mon compagnon, mon père survint et s’enquit -de nous si le seigneur don Juan était céans. Mon camarade répondit que -oui. Mon père lui dit de l’aviser qu’il était là. Le page monta, et -je restai avec mon père sans nous dire mot et sans qu’il me reconnût. -Le page revint et lui dit de monter. Il entra, je le suivis. Don Juan -sortit sur l’escalier et, l’accolant, s’écria:--Seigneur Capitaine, -quel bon vent vous amène? Mon père lui répondit de telle sorte qu’il -comprit qu’il avait quelque ennui. Il rentra, congédia une visite et -revint. Ils s’assirent. Il demanda ce qu’il y avait de neuf, et mon -père lui dit comme quoi sa fille s’était sauvée du couvent, ce qui -l’amenait dans ces parages, à sa recherche. Don Juan témoigna d’en -être très marri, autant pour le chagrin qu’en avait mon père et pour -moi qu’il aimait fort, qu’à cause du couvent dont il était patron par -fondation de ses ancêtres et du pays où il était né. Quant à moi, après -avoir ouï l’entretien et les doléances paternelles, je me retirai, -courus à mon appartement, pris mes hardes et sortis emportant à peu -près huit doublons que je me trouvais avoir. J’allai à l’auberge où je -dormis cette nuit-là et, ayant su qu’un muletier partait le lendemain -pour Bilbao, je fis prix avec lui et, à l’aube, levai le pied sans -savoir que faire ni où aller, sinon me laisser emporter du vent comme -une plume. - -Au bout d’un long chemin, une quarantaine de lieues, ce me semble, -j’entrai dans Bilbao, où je ne trouvai ni gîte ni commodité. Et je -ne savais que faire de moi. Sur ces entrefaites, quelques garçonnets -s’avisèrent de m’entourer et dévisager tant et si bien qu’ils -m’importunèrent. Il me fallut ramasser des pierres et les leur jeter. -Je dus en blesser un, je ne sais où, car je ne le vis point. Là-dessus, -je fus appréhendé au corps et tenu un long mois en la prison, jusqu’à -ce qu’il guérit. Alors, on me lâcha. Les frais payés, il me restait -quelque monnaie. Je sortis incontinent et partis pour Estella de -Navarre, qui doit être à quelque vingt lieues. J’entrai à Estella et -m’y accommodai pour page de don Carlos de Arellano, de l’habit de -Saint-Jacques, en la maison et service duquel je demeurai deux ans -bien traité et vêtu. Après quoi, sans autre raison que mon caprice, je -laissai cette commodité - -[Illustration: - -_P. 3_ -] - -et passai à San Sebastian, mon pays, à dix lieues de là, où je me -tins, sans être connu de personne, nippé et galant à merveille. Un -jour, j’allai ouïr la messe à mon couvent. Ma mère y assistait aussi. -Je vis qu’elle me regardait. Elle ne me reconnut pas. La messe dite, -des nonnes m’appelèrent au chœur, mais je fis le sourd et, après force -courtoisies, m’esquivai lestement. C’était au commencement de l’année -mil six cent trois. - -De là, je me rendis au port du Pasage qui n’est qu’à une lieue. J’y -fis rencontre du capitaine Miguel de Borroiz dont le navire était -en partance pour Séville. Je le priai de m’emmener, et m’appointai -avec lui au prix de quarante réaux. Je m’embarquai, nous partîmes et -arrivâmes promptement à San Lucar. Aussitôt débarqué, j’allai visiter -Séville et, encore que tout me conviât à m’y amuser, je ne m’y arrêtai -que deux jours et revins sans plus - -[Illustration: _P. 6_] - -tarder à San Lucar. J’y rencontrai le capitaine Miguel de Echazarreta, -mon compatriote, lequel commandait une patache des galions dont était -Général don Luis Fernandez de Cordova, dans l’Armada que, l’an mil six -cent trois, don Luis Fajardo menait à la pointe de Araya. Je m’enrôlai -comme mousse sur un galion du capitaine Estevan Eguiño, mon oncle, -cousin germain de ma mère, lequel vit aujourd’hui à San Sebastian. Je -m’embarquai, et nous partîmes de San Lucar le Lundi Saint de l’an mil -six cent trois. - - - - -CHAPITRE II - - _Elle part de San Lucar pour la pointe de Araya, Carthagène, Nombre - de Dios et Panama._ - - -Je passai quelques misères au cours du voyage, pour être novice dans le -métier. Sans me connaître, mon oncle me prit en goût et me fit fête en -apprenant d’où j’étais et les noms supposés de mes parents. Il ne me -reconnut point, et j’eus en lui un soutien. - -En arrivant à la pointe de Araya, nous y trouvâmes une flottille -ennemie fortifiée à terre. Notre Armada l’en chassa. Finalement, nous -gagnâmes Carthagène des Indes, où nous demeurâmes huit jours. Là, je -me fis rayer du rôle d’équipage et passai au service dudit capitaine -Eguiño, mon oncle. Nous allâmes à Nombre de Dios et y restâmes neuf -jours. Et comme il nous y mourait force gens, on hâta le départ. - -L’argent embarqué et tout mis à point pour retourner en Espagne, je fis -à mon oncle un trait de conséquence en lui prenant cinq cents pesos. -Sur les dix heures de nuit, cependant qu’il dormait, je sortis et dis -aux gardes que le capitaine m’envoyait à terre pour affaire. Comme -ils me connaissaient, ils me laissèrent bonnement passer. Je sautai à -terre, et oncques plus ils ne me virent. Une heure après, on tira le -canon de partance et, les ancres levées la flotte mit à la voile. - -L’Armada partie, je m’accommodai avec le capitaine Juan de Ibarra, -Facteur des Caisses Royales du Panama, lequel est encore vivant. Quatre -ou six jours après, nous partîmes pour Panama où il habitait. Je restai -environ trois mois avec lui. Ce n’était pas un bon marché que j’avais -fait là, car il était chiche et je dus dépenser tout ce que j’avais -tiré de mon oncle, si bien qu’il ne m’en demeura pas quatre maravédis. -Il me fallut donc prendre congé afin de chercher ailleurs mon remède. -En faisant mes diligences, je découvris Juan de Urquiza, marchand de -Truxillo, avec lequel je m’appointai. Je m’en trouvai à merveille. Nous -demeurâmes trois mois à Panama. - -[Illustration: _P. 3_] - - - - -CHAPITRE III - - _De Panama, elle passe avec son maître Urquiza, marchand de - Truxillo, au port de Paita et de là à la ville de Saña._ - - -De Panama, je partis sur une frégate avec mon maître Juan de Urquiza -pour le port de Paita, où il avait une grosse cargaison. En arrivant à -Manta, un si rude coup de vent nous assaillit que nous fîmes côte. Ceux -qui savaient nager comme moi, mon maître et quelques autres, prirent -terre; le reste périt. Nous nous rembarquâmes audit port de Manta sur -un galion du Roi, ce qui nous coûta de l’argent. Bref, nous partîmes et -arrivâmes enfin à Paita. - -Mon maître y trouva, comme il l’espérait, toutes ses marchandises -chargées en un navire du capitaine Alonso Cerrato, et m’ayant commandé -de les décharger suivant leurs numéros d’ordre et de lui en faire -à mesure remise là-bas, il partit. Je m’y embesognai aussitôt, -déchargeant les marchandises et les lui remettant à mesure à Saña où -il les recevait. Ladite ville de Saña est à quelque soixante lieues de -Paita. Enfin, avec les dernières charges, je partis de Paita pour Saña. -A l’arrivée, mon maître me reçut à bras ouverts, se montrant satisfait -de ma bonne besogne. Il me fit faire sur-le-champ deux fort braves -habits, l’un noir et l’autre de couleur, me traitant bien en tout. Il -m’installa en une sienne boutique, me confia, tant en marchandises -qu’en argent en compte, plus de cent trente mille pesos, et m’inscrivit -sur un registre les prix auxquels je devais vendre chaque chose. Il me -laissa deux esclaves pour me servir, une négresse pour cuisiner, et -m’assigna trois piastres pour la dépense de chaque jour. Cela fait, -emportant le reste de son bien, il partit pour la cité de Truxillo -distante d’une trentaine de lieues. - -[Illustration: - -_P. 11_ -] - -Il me laissa aussi dans ledit registre la liste des personnes -auxquelles je pouvais bailler à crédit la marchandise qu’elles -voudraient et pourraient prendre, comme étant à son gré et sûres, mais -suivant compte raisonné et chaque article couché sur le livre. Cet avis -concernait particulièrement Madame doña Beatriz de Cardenas, personne -de toute sa satisfaction et obligation. Après quoi, il partit pour -Truxillo. Moi, je demeurai à Saña, en ma boutique, vendant conformément -à la règle qu’il m’avait laissée, recouvrant et inscrivant sur le -livre, avec mention du jour, mois et année, qualité, aunage, nom des -acheteurs et prix, ainsi que ce que je donnais à crédit. Madame doña -Beatriz de Cardenas commença à prendre des étoffes, continua et y alla -si largement que j’entrai en doute. Sans qu’elle le pût soupçonner, -j’écrivis tout par le menu à mon maître à Truxillo. Il me répondit que -c’était bien et que, pour le cas de ladite dame, si elle me demandait -la boutique entière, je la lui pouvais bailler. Sur quoi, gardant par -devers moi cette lettre, je laissai courir. - -Qui m’eût dit que cette sérénité devait m’être si peu durable et -promptement suivie de si grièves peines! J’étais, un jour de fête, à -la comédie, assis à la place que j’avais prise, lorsque, sans plus -d’égard, un quidam nommé Reyes entra et se mit droit devant, sur un -autre siège si collé à moi qu’il m’empêchait de voir. Je le priai -de s’écarter un peu. Il répondit insolemment, je répliquai du même -ton. Il m’enjoignit de sortir ou qu’il me couperait la figure. Me -trouvant sans autre arme qu’une dague, je lui quittai le lieu, plein de -rancœur. Quelques amis informés du fait me suivirent et m’apaisèrent. -Le lendemain, un lundi, dans la matinée, tandis que j’étais occupé à -vendre dans ma boutique, le Reyes passa devant la porte et repassa. -J’y pris garde, fermai la boutique, saisis un couteau et, courant chez -un barbier, le fis passer à la meule et affiler en scie. Je me mis -une épée qui fut la première que je ceignis, et voyant Reyes qui se -promenait avec un autre devant l’église, j’allai à lui par derrière et -lui criai:--Holà! seigneur Reyes! Il se retourne, disant:--Qu’est-ce -qu’on me veut?--Celle-ci est la figure qui se coupe! fis-je, le -balafrant avec le couteau d’une estafilade à dix coutures. Il porta -les mains à sa plaie, son ami tira l’épée et me vint sus. J’en fis de -même. Nous ferraillâmes et je lui entrai ma pointe par le côté gauche. -Il tomba. Je courus à l’église. Tôt après, le corregidor don Mendo de -Quiñonez, de l’habit d’Alcantara, y entra, me traîna dehors, me mena à -la prison (ce fut ma première) et me fit ferrer et mettre aux ceps. - -J’avisai mon maître Juan de Urquiza qui était à Truxillo, à trente -lieues de - -[Illustration: - -_P. 15_ -] - -Saña. Il accourut, parla au Corregidor et fit d’autres bonnes -diligences, moyennant quoi il obtint l’allégement de ma prison. -La cause suivit son cours. Je fus, après trois mois de plaids et -procédures du Seigneur Évêque, restitué à l’église d’où j’avais été -extrait. Sur ces entrefaites, mon maître me dit que pour sortir de -ce conflit, éviter le bannissement et m’ôter du sursaut d’être tué, -il avait imaginé une chose bienséante qui était de me marier à doña -Beatriz de Cardenas dont la nièce était femme de ce même Reyes auquel -j’avais coupé la figure; ce qui arrangerait tout. Il faut savoir que -cette doña Beatriz de Cardenas était la mignonne de mon maître qui, -par ce moyen, s’assurait de nous, de moi pour son service et d’elle -pour son plaisir. Ils étaient, ce semble, tous deux d’accord, car après -avoir été restitué à l’église, je sortais de nuit et allais chez ladite -dame qui me caressait fort. Prétextant la peur de la Justice, elle me -suppliait de ne pas rentrer nuitamment à l’église et de rester près -d’elle. Une nuit, elle m’enferma, me déclara que malgré que le diantre -en eût, il me fallait dormir avec elle et me serra de si près que je -dus jouer des mains pour m’esquiver. - -Je me hâtai de dire à mon maître qu’il ne pouvait être question d’un -pareil mariage, que pour rien au monde je ne le ferais. Il s’y entêta -et me promit des monts d’or, me représentant la beauté et qualités de -la dame, l’heureuse issue de cette fâcheuse affaire et maintes autres -convenances. Néanmoins, je demeurai ferme. Ce que voyant, mon maître -me proposa de passer à Truxillo, avec les mêmes commodités et emploi. -J’acceptai. - - - - -CHAPITRE IV - -_De Saña, elle passe à Truxillo et tue un homme._ - - -Je passai à la cité de Truxillo, Évêché suffragant de Lima, où mon -maître m’avait levé boutique. J’y entrai et me mis à débiter en la même -guise qu’à Saña, à l’aide d’un autre livre comme le premier, où je -tenais compte des prix et crédits. Deux mois passèrent ainsi. - -Un matin, vers les huit heures, j’étais, dans ma boutique, à payer une -lettre de change de mon maître de quelque vingt-quatre mille pesos, -lorsque entra un nègre qui me dit:--Il y a à la porte des hommes qui -ont l’air d’être armés de rondaches. Je pris l’alarme, dépêchai mon -receveur après en avoir tiré reçu et envoyai querir Francisco Zerain. -Il vint incontinent et reconnut les trois hommes qui se tenaient à -l’entrée. C’étaient Reyes, avec son ami, celui que j’avais couché d’une -estocade à Saña, et un autre. Après avoir recommandé au nègre de clore -la porte, nous sortîmes dans la rue. Aussitôt ils nous chargèrent. Nous -les reçûmes et, nous escrimant, ma malechance voulut que j’allongeasse, -je ne sais où, un coup de pointe à l’ami de Reyes. Il tomba. Nous -continuâmes à batailler deux contre deux, avec du sang. - -En ce point, survint le corregidor don Ordoño de Aguirre avec deux -sergents. Il m’empoigna. Francisco Zerain gagna au pied et entra -en lieu saint. Tout en me menant lui-même à la prison (les sergents -étaient occupés avec les autres) le Corregidor me demanda qui et d’où -j’étais. Ayant entendu que j’étais Biscayen, il me dit en basque de -détacher, en passant devant la cathédrale, la ceinture de cuir avec -laquelle il me tenait et de m’y réfugier, ce que je m’empressai de -faire. Je me sauvai dans l’église, et lui resta à jeter les hauts cris. - -Réfugié là, j’avisai mon maître à Saña. Il vint sans retard et tâcha -d’accommoder l’affaire, mais il n’y eut pas moyen parce qu’on renforça -l’homicide de je ne sais quelles autres vétilles. Il se fallut résoudre -à me faire filer à Lima. Je rendis mes comptes, mon maître me fit faire -deux habits, me donna deux mille six cents pesos et une lettre de -recommandation, et je partis. - - - - -CHAPITRE V - -_Elle va de Truxillo à Lima._ - - -Parti de Truxillo, après plus de quatre-vingts lieues de route, -j’entrai dans la cité de Lima, capitale de l’opulent royaume du Pérou, -lequel comprend cent deux cités d’Espagnols, sans compter nombre de -villes, vingt-huit Évêchés et Archevêchés, cent trente-six Corregidors, -les Audiences Royales de Valladolid, Granada, las Charcas, Quito, Chili -et la Paz. Lima a un - -[Illustration: - -_P. 30_ -] - -Évêque, une église cathédrale dans le goût de celle de Séville, bien -que moins grande, avec cinq bénéfices, dix chanoines, six prébendes -entières et six demi-prébendes, quatre cures, sept paroisses, douze -couvents de moines et de nonnes, huit hôpitaux, un ermitage, tribunal -d’Inquisition (il y en a un autre à Carthagène), Université, Vice-Roi, -Audience Royale qui gouverne le reste du Pérou, et autres magnificences. - -Je rendis ma lettre à Diego de Solarte, très riche marchand, qui est -aujourd’hui Consul Mayor de Lima. C’est à lui que mon maître Juan de -Urquiza m’avait adressé. Il m’accueillit en sa maison avec grâce et -affabilité et, peu de jours après, me remit sa boutique, m’appointant à -six cents pesos l’an. Et je m’y employai fort à son gré et contentement. - -Au bout de neuf mois, il me dit de chercher ma vie ailleurs. Voici -pourquoi. Il avait chez lui deux jeunes sœurs de sa femme avec -lesquelles, et surtout avec une qui me plaisait davantage, j’avais -coutume de m’ébattre et folâtrer. Or, un jour que j’étais sur l’estrade -à me peigner, couché parmi ses jupes et me jouant dans ses jambes, il -nous vit par aventure à travers la grille de la fenêtre et l’entendit -qui me disait d’aller au Potosi chercher de l’argent et que nous nous -marierions. Il se retira, tôt après m’appela, me demanda mes comptes, -me congédia, et je m’en allai. - -[Illustration] - -Me voilà donc mal à l’aise et mal paré. On levait alors six compagnies -pour le Chili. J’allai m’enrôler comme soldat dans l’une d’elles et -reçus sur l’heure deux cent quatre-vingts pesos de solde. Mon maître -Diego de Solarte l’ayant su, en fut très marri. Il n’en demandait pas -autant, paraît-il. Il m’offrit de faire diligence auprès des officiers -afin qu’on me rayât du rôle et de rembourser l’argent que j’avais reçu. -Mais je n’y consentis point, disant que mon inclination me portait à -faire du chemin et à voir le monde. Bref, je fus incorporé dans la -compagnie du capitaine Gonzalo Rodriguez et, avec mille six cents -hommes de troupe dont était Mestre de Camp Diego Bravo de Sarabia, je -partis de Lima pour la cité de la Concepcion qui en est éloignée de -cinq cent quarante lieues environ. - - - - -CHAPITRE VI - - _Arrivée à la Concepcion de Chili, elle y trouve son frère, - passe à Paicabi, prend part à la bataille de Valdivia, gagne une - enseigne, se retire au Nacimiento, va au Val de Puren, revient à la - Concepcion et y tue deux hommes et son propre frère._ - - -Nous arrivâmes au port de la Concepcion après vingt jours de route. -C’est une cité passable ayant titre de Noble et Loyale. Elle a un -Évêque. Nous fûmes bien accueillis, vu la faute de gens qu’il y -avait au Chili. Le gouverneur Alonso de Ribera envoya un ordre -de nous faire débarquer immédiatement, lequel fut apporté par son -secrétaire, le capitaine Miguel de Erauso. En entendant son nom, je -me réjouis et compris que c’était mon frère. Je ne l’avais jamais vu -et ne le connaissais point, car il était parti pour les Indes alors -que je n’avais que deux ans; mais j’étais informée de lui, bien que -j’ignorasse sa résidence. Il prit la liste de la troupe et passa, -demandant à chacun son nom et son pays. Quand il fut à moi et qu’il -ouït mon nom et ma patrie, lâchant la plume, il m’accola et se mit à -me faire cent questions sur son père, sa mère, ses sœurs et sa petite -sœur Catalina la nonne. J’y répondis comme je pus, sans me déceler et -sans qu’il se doutât de rien. Il continua sa liste et, l’achevant, -m’emmena dîner chez lui. Je me mis à table. Il me dit que le préside -de Paicabi où j’étais destiné était triste logis à soldats et qu’il -parlerait au Gouverneur pour me faire changer de garnison. Après dîner, -il m’emmena chez le Gouverneur et, après lui avoir fait son rapport sur -l’arrivée de la troupe, le pria en grâce de lui laisser prendre dans sa -compagnie un des nouveaux venus, jouvenceau de sa terre, le seul qu’il -eût vu depuis son départ du pays. Le Gouverneur me fit entrer et, en me -voyant, je ne sais pourquoi, dit qu’il ne me pouvait laisser permuter. -Mon frère piqué sortit. Un moment après, le Gouverneur le rappela et -lui dit de faire à son gré. - -Donc, les compagnies parties, je demeurai avec mon frère, comme son -soldat, mangeant à sa table, quasi trois ans durant, sans qu’il se -doutât de rien. Je l’accompagnai quelques fois chez une maîtresse qu’il -avait, puis j’y retournai seul. Il le vint à savoir, entra en soupçon -et me défendit d’y remettre les pieds. M’ayant guetté, il m’y surprit -encore, m’attendit à la sortie, me tomba dessus à coups de ceinturon et -me blessa à la main. Force me fut de me défendre. Au bruit, survint le -capitaine Francisco de Aillon qui mit la paix. Mais je dus entrer à San -Francisco, par peur du Gouverneur qui était roide. Il le fut en cette -occasion. Mon frère eut beau intercéder, il m’exila à Paicabi et j’y -restai trois ans. - -Il me fallut donc aller à Paicabi et y tâter de la misère, trois ans -durant, après avoir auparavant joyeusement vécu. Nous étions toujours -les armes à la main, à cause de la grosse invasion d’Indiens qu’il y -a là. Finalement le gouverneur Alonso de Sarabia arriva avec toutes -les compagnies du Chili. Nous nous joignîmes à lui et nous logeâmes, -au nombre de cinq mille hommes, non sans incommodité, dans les plaines -de Valdivia, en rase campagne. Les Indiens prirent et ruinèrent ladite -ville de Valdivia. Nous leur sortîmes à l’encontre et, dans trois -ou quatre batailles, toujours les maltraitâmes et défîmes. Mais à la -dernière affaire, du renfort leur étant venu, la chose tourna mal -pour nous. Ils nous tuèrent beaucoup de monde, plusieurs Capitaines -et mon Alferez dont ils prirent l’enseigne. La voyant enlever, nous -nous lançâmes derrière, moi et deux autres cavaliers, au milieu de la -presse, foulant, frappant et recevant force horions. Bientôt, un des -trois tomba mort. Nous poursuivîmes, nous atteignîmes l’enseigne. Mon -camarade fut renversé d’un revers de lance. Je reçus un mauvais coup -à une jambe, et je tuai le cacique qui portait l’enseigne et la lui -repris, poussant mon cheval, foulant, occisant et blessant à merveille, -mais aussi lourdement blessé, traversé de trois flèches et d’un coup -de lance à l’épaule gauche, que je sentais cruellement. Enfin, je -parvins jusqu’à nos gens et me laissai choir de cheval. Quelques-uns -accoururent et, parmi eux, mon frère que je n’avais pas revu. Ce me -fut un réconfort. On me guérit, et nous demeurâmes logés là. Au bout -de neuf mois, mon frère m’obtint du Gouverneur l’enseigne que j’avais -gagnée et je devins Alferez de la compagnie de don Alonso Moreno. Peu -de temps après, cette compagnie fut donnée à don Gonzalo Rodriguez, mon -premier capitaine. J’en fus fort aise. - -Je fus cinq ans Alferez. Je me trouvai à la bataille de Puren, -où mourut mondit capitaine, et commandai la compagnie six mois -environ, durant lesquels j’eus, non sans diverses blessures de -flèches, plusieurs rencontres avec les ennemis. Dans l’une d’elles, -j’eus affaire à un chef Indien, déjà chrétien, nommé don Francisco -Quispiguancha, homme riche, qui nous avait fort inquiétés par diverses -alarmes. Bataillant avec lui, je le désarçonnai, il se rendit à moi et -je le fis sur-le-champ brancher à un arbre. Le Gouverneur qui désirait -l’avoir vivant en fut très fâché et dit que, pour ce fait, il ne -m’avait point donné la compagnie. Il la donna au capitaine Casadevante, -me réformant et me la promettant pour la première occasion. - -Les troupes se retirèrent, chaque compagnie à sa garnison, et je passai -au Nacimiento, bon seulement de nom et, pour le demeurant, une vraie -mort. On y avait, à toute heure, les armes à la main. Je n’y restai que -peu de jours, car le Mestre de Camp don Alvaro Nuñez de Pineda y vint, -d’ordre du Gouverneur, et en retira, ainsi que d’autres garnisons, -jusques à huit cents hommes de cavalerie pour le Val de Puren. J’en -fus, avec d’autres officiers et capitaines. Nous allâmes audit Val -et y fîmes, six mois durant, force dommages, dégâts et incendies de -récoltes. Après quoi, le gouverneur don Alonso de Ribera me donna - -[Illustration: - -_P. 42_ -] - -licence de retourner à la Concepcion, et étant rentré avec mon grade -dans la compagnie de don Francisco Navarrete, je m’y tins. - -La fortune jouait avec moi à heur ou malheur. J’étais bien tranquille -à la Concepcion, lorsqu’un jour, trouvant au corps de garde un autre -Alferez de mes amis, j’entrai avec lui dans une maison de jeu du -voisinage. Nous nous mîmes à jouer. La partie s’engagea au milieu d’une -nombreuse assistance. Sur un coup douteux, il me dit que je mentais -comme un cornard. Je tirai l’épée et la lui mis dans la poitrine. -On se jeta sur moi, et il en entra tant au bruit que je ne me pus -mouvoir. Un Adjudant, entre autres, me tenait particulièrement serré. -L’Auditeur Général don Francisco de Perraga entra et m’empoigna, -lui aussi, fortement. Il me secouait le pelisson, me faisant je ne -sais quelles questions. Je répondais que par-devant le Gouverneur -je ferais ma déclaration. Là-dessus, survint mon frère qui me dit en -basque de tâcher de sauver la vie. L’Auditeur me prit par le collet du -pourpoint. Je le sommai, la dague haute, de me lâcher. Il me secoua, -je lui allongeai un coup à travers les joues. Il me tenait encore. -Je le frappai derechef, il me lâcha, je tirai mon épée, la foule me -chargea. Je reculai vers la porte, il y eut quelque embarras, je -sortis et gagnai San Francisco qui est proche. Je sus que l’Alferez et -l’Auditeur étaient restés morts sur la place. Le gouverneur don Alonso -Garcia Remon accourut tout à la chaude et entoura l’église de soldats. -Il la tint ainsi six mois. Il fit un ban promettant récompense à qui -me livrerait, avec défense de me laisser embarquer en aucun port. -Les garnisons et places fortes furent avisées et autres diligences -faites. Enfin, le temps qui guérit tout tempéra cette rigueur et, les -intercessions aidant, les gardes - -[Illustration: - -_P. 51_ -] - -furent retirées, le sursaut s’accoisa, je fus chaque jour moins -resserré, je trouvai des amis pour me visiter et l’on en vint à -découvrir que la provocation, dès le principe, était extrême et le -péril et la nécessité urgents. - -Sur ces entrefaites, un jour, mon ami don Juan de Silva, Alferez en -activité, me vint voir et me dit qu’il avait eu des mots avec don -Francisco de Rojas, de l’habit de Saint-Jacques, qu’il l’avait défié -pour cette nuit même, à onze heures, chacun menant un ami, et qu’il -n’avait personne autre que moi qui lui pût servir de second. J’hésitai -un peu, craignant quelque coup monté pour me prendre. Lui, qui s’en -aperçut, me dit:--Si ça ne vous va pas, rien de fait: j’irai seul, car -je ne fierai mon flanc à nul autre.--Y pensez-vous? répondis-je, et -j’acceptai. - -Au coup de cloche de l’oracion, je sortis du couvent et allai à sa -maison. Nous soupâmes et devisâmes jusqu’à dix heures. En les entendant -sonner, nous prîmes les épées et les capes et gagnâmes vitement le lieu -fixé. L’obscurité était si profonde qu’on ne se voyait pas les mains, -ce que remarquant, je convins avec mon ami, pour nous reconnaître au -besoin, de nous attacher chacun le mouchoir au bras. - -Les deux autres survinrent, et l’un, que je reconnus à la voix pour don -Francisco de Rojas, dit:--Don Juan de Silva?--Je suis là, répondit don -Juan. Ils mirent la main aux épées et se chargèrent. Moi et l’autre -nous ne bougions. Ils ferraillèrent, et bientôt je sentis que mon -ami avait tâté de la pointe. Je me rangeai incontinent à son côté et -l’autre auprès de don Francisco. Nous tirâmes deux à deux. Peu après, -don Francisco et don Juan tombèrent. Moi et mon adversaire, nous -continuâmes à nous battre, et je lui entrai le fer, suivant qu’il -parut, au-dessous du téton gauche, lui perçant, à ce que je sentis, un -double collet de buffle. Il tomba.--Ah! traître, cria-t-il, tu m’as -tué! Je crus reconnaître la voix de celui que je ne voyais pas et lui -demandai qui il était.--Le capitaine Miguel de Erauso, dit-il. Je -demeurai éperdu. Il criait:--Confession! et les autres aussi. Je courus -à San Francisco et dépêchai deux moines, qui les confessèrent tous. -Les deux premiers expirèrent aussitôt. Mon frère fut porté chez le -Gouverneur dont il était secrétaire de guerre. Médecin et chirurgien le -vinrent panser et firent tout le possible. L’enquête fut ouverte. On -lui demanda le nom du meurtrier. Il réclamait à toute force un peu de -vin. Le docteur Robledo ne voulait pas, disant que cela lui ferait mal. -Il insista. Le docteur refusa. Il dit alors:--Votre Grâce est avec moi -plus cruelle que l’Alferez Diaz! Un instant après, il expira. - -Là-dessus, le Gouverneur cerna le couvent et s’y jeta avec sa garde. -Les moines et leur Provincial Fray Francisco de Otalora, lequel vit -aujourd’hui à Lima, résistèrent. Le débat fut âpre, au point que des -moines résolus dirent au Gouverneur de prendre bien garde que s’il -entrait céans, il ne sortirait plus. Sur ce, il se modéra et rebroussa, -laissant les gardes. Mort, ledit capitaine Miguel de Erauso fut enterré -dans le même couvent de San Francisco. Du chœur, je le vis, Dieu sait -avec quelle angoisse! - -Je restai là huit mois, entre temps que se poursuivait le procès -de rébellion, l’affaire ne me permettant pas de paraître. Grâce à -l’assistance de don Juan Ponce de Leon qui me fournit cheval, armes et -viatique, je trouvai moyen de sortir de la Concepcion et partis vers -Valdivia et Tucaman. - - - - -CHAPITRE VII - -_Elle va de la Concepcion à Tucaman._ - - -Je commençai à cheminer tout le long de la côte de la mer, endurant -rudes fatigues et soif, car nulle part je ne trouvai d’eau. En route, -je fis rencontre de deux autres soldats fugitifs, et tous trois nous -suivîmes notre chemin, résolus à mourir avant que de nous laisser -prendre. Nous avions nos chevaux, des armes blanches et à feu, et la -haute providence de Dieu. Nous suivîmes le haut de la Cordillère, -sans trouver durant ces trente lieues de montée, non plus qu’en trois -cents autres que nous fîmes, une bouchée de pain. L’eau était rare. -Rien que des herbes, de petits animaux et quelques racines pour nous -sustenter. De loin en loin, un Indien qui fuyait. Il nous fallut tuer -un de nos chevaux pour en faire sécher la viande; il n’avait que les -os et la peau. Ainsi cheminant, peu à peu, nous en fîmes autant des -autres, restant à pied et sans nous pouvoir tenir. Nous entrâmes en une -terre si froide que nous gelions. Nous rencontrâmes deux hommes adossés -contre une roche. Tout réjouis, nous allâmes à eux, les saluant de loin -et leur demandant ce qu’ils faisaient là. Ils ne répondirent pas. Nous -approchâmes. Ils étaient morts, gelés, la bouche ouverte, comme s’ils -riaient. Cela nous fit peur. - -Nous passâmes outre et, la dernière nuit, en nous étendant sur la -pierre dure, l’un de nous, n’en pouvant plus, trépassa. Nous n’étions -plus que deux. Nous continuâmes. Le lendemain, vers quatre heures -de l’après-midi, mon compagnon, ne pouvant plus marcher, se laissa -choir en pleurant et expira. Je lui trouvai dans la poche huit pesos -et poursuivis mon chemin, à l’aventure, chargé de l’arquebuse et du -morceau de viande sèche qui me restait. On voit mon affliction. J’étais -lasse, sans chaussures, les pieds ensanglantés. Je m’appuyai contre un -arbre, je pleurai (je pense que ce fut la première fois), et je dis le -rosaire, me recommandant à la Très-Sainte Vierge et au glorieux Saint -Joseph, son époux. Je me reposai un peu et, me relevant, me remis en -marche. Il me sembla reconnaître à l’air plus tiède que j’étais sortie -du royaume de Chili et entrée dans celui de Tucaman. - -Je marchai encore. Le lendemain j’étais à terre, harassée de fatigue et -de faim, - -[Illustration] - -lorsque je vis venir deux hommes à cheval. Je ne sus si je devais -m’affliger ou me réjouir, ne sachant si c’étaient Indiens cannibales -ou pacifiques. J’armai mon arquebuse sans pouvoir la lever. Ils -approchèrent et me demandèrent où j’allais par là, si isolé. Je -reconnus des chrétiens et vis le ciel ouvert. Je leur dis que j’étais -égaré je ne savais où, rendu et mort de faim, et sans forces pour me -lever. Ils eurent pitié, mirent pied à terre, me donnèrent à manger -de ce qu’ils avaient, me montèrent sur un cheval et me menèrent à une -ferme, à trois lieues de là, où, dirent-ils, était leur maîtresse. Nous -y arrivâmes vers les cinq heures du soir. - -La dame était une métisse fille d’Espagnol et d’Indienne, veuve, -bonne femme, qui me voyant et apprenant mon désarroi et ma détresse, -s’apitoya et m’accueillit bien. Toute compatissante, elle me fit -aussitôt coucher dans un bon lit, me servit un bon souper et me laissa -reposer et dormir, ce qui me restaura. Le lendemain matin, elle me -fit bien déjeuner et, me voyant totalement dépourvu, me donna un -bon habit de drap. Elle continua à me traiter de son mieux et à me -régaler à merveille. Elle était bien à son aise et avait force bêtes -et troupeaux. Et comme peu d’Espagnols viennent aborder là, elle eut, -paraît-il, envie de moi pour sa fille. - -Au bout de huit jours que j’étais là, la bonne femme me dit de rester -pour gouverner sa maison. Je me montrai fort touché de la grâce qu’elle -me faisait en mon désarroi et m’offris à la servir du mieux que je -pourrais. Peu de jours après, elle me donna à entendre qu’elle verrait -de bon œil mon mariage avec une fille qu’elle avait, laquelle était -très noire et laide comme un diable, fort à l’encontre de mon goût qui -a toujours été pour les beaux visages. Je lui témoignai une extrême -joie d’un si grand bienfait si peu mérité, me mettant à ses pieds -pour qu’elle disposât de moi ainsi que d’une chose à elle, recueillie -comme épave. Je la servis donc le mieux que je pus. Elle me vêtit -galamment et m’abandonna libéralement sa maison et son bien. Deux mois -s’étant passés, nous allâmes à Tucaman afin d’effectuer le mariage. -J’y demeurai deux autres mois, différant l’exécution, sous divers -prétextes, jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, je pris une mule et -détalai. Et ils ne m’ont plus vu. - -J’eus à Tucaman une autre aventure du même genre. Au cours de ces deux -mois que j’y passai amusant mon Indienne, je fis par hasard amitié avec -le secrétaire de l’Évêque, lequel me festoya et me mena souvent jouer -chez lui. J’y fis connaissance de don Antonio de Cervantes, chanoine -de cette église et proviseur dudit Évêque. Lui aussi, s’étant pris de -goût pour moi, me pria plusieurs fois à dîner et finalement s’ouvrit -à moi, me disant qu’il avait à la maison une nièce, fillette de mon -âge, des mieux douées et bien dotée, que je lui avais plu, et qu’il lui -semblait bienséant de la fiancer avec moi. Je me montrai fort soumis à -son bienveillant vouloir. Je vis la - -[Illustration] - -fille, elle me plut. Elle m’envoya un habit de beau velours, douze -chemises, six paires de chausses de toile de Rouen, quelques cols -de Hollande, une douzaine de mouchoirs et deux cents pesos dans un -bassin, le tout en cadeau et par pure galanterie, sans préjudice de -la dot. Je reçus le présent avec plaisir et haute estime et composai -la réponse du mieux que je sus, en attendant de lui aller baiser la -main et me mettre à ses pieds. Je celai ce que je pus à l’Indienne et, -quant au reste, je lui donnai à entendre que ce gentilhomme, mû par son -inclination pour moi, avait voulu fêter mon mariage avec sa fille qu’il -estimait beaucoup. Les choses en étaient là, quand je doublai le cap et -disparus. Je n’ai jamais su ce qu’il était advenu de la négresse et de -la nièce du Proviseur. - - - - -CHAPITRE VIII - -_Elle part de Tucaman pour le Potosi._ - - -Parti de Tucaman, comme j’ai dit, je piquai droit sur le Potosi qui -est à quelque cinq cent cinquante lieues de là. Je mis trois mois à -les faire, chevauchant par terre froide et presque partout déserte. Je -rencontrai bientôt un soldat qui allait du même côté. J’en fus aise, et -nous fîmes route ensemble. Peu après, trois hommes, coiffés de monteras -et armés d’escopettes, sortirent de huttes sises au bord du chemin et -nous demandèrent la bourse. Il n’y eut pas moyen de les en détourner -ni de leur persuader que nous n’avions rien à donner. Il nous fallut -mettre pied à terre et leur faire tête. Nous nous tirâmes dessus, ils -nous manquèrent; deux d’entre eux tombèrent, l’autre s’enfuit. Nous -remontâmes à cheval et poursuivîmes notre route. - -Finalement, à force de marcher et peiner, nous parvînmes au Potosi -après plus de trois mois. Nous y entrâmes sans connaître personne, et -chacun tira de son bord pour faire ses diligences. Quant à moi, je -fis rencontre de don Juan Lopez de Arquijo, natif de la cité de la -Plata dans la province de las Charcas, et m’accommodai avec lui pour -camarero, qui est comme qui dirait majordome, avec salaire appointé -à neuf cents pesos l’an. Il me confia douze mille moutons de somme -du pays et quatre-vingts Indiens, avec lesquels je partis pour -las Charcas. Mon maître y alla aussi. A peine arrivés, il eut avec -d’aucunes gens des ennuis et débats qui finirent en querelles, prison -et saisies, à la suite desquelles je dus prendre mon congé et m’en -revenir. - -De retour au Potosi, survint la révolte de don Alonzo Ibañez. Le -corregidor don Rafael Ortiz, de l’habit de Saint-Jean, rassembla contre -les rebelles qui étaient plus de cent, une troupe armée. J’en fus. Nous -sortîmes et les rencontrâmes, une nuit, dans la rue de Santo Domingo. -Au Corregidor qui leur criait:--Qui vive? ils ne sonnèrent mot et se -retiraient. A une deuxième sommation, quelques-uns répondirent:--La -liberté! Le Corregidor, avec plusieurs autres, au cri de: Vive le Roi! -leur courut sus, nous autres le suivant à balles et taillades. Ils se -défendirent. Après les avoir resserrés dans une rue, les prenant à -revers, nous les chargeâmes si roidement qu’ils se rendirent. D’aucuns -s’échappèrent. Trente-six furent pris et, parmi eux, l’Ibañez. Nous -trouvâmes sept des leurs et deux des nôtres morts. Il y eut, des deux -côtés, nombre de blessés. Quelques prisonniers furent mis à la torture -et confessèrent leur dessein de se soulever avec la ville, cette nuit -même. Aussitôt trois compagnies de Biscayens et de gens des montagnes -furent levés pour la garde de la cité. Quinze jours après, ils furent -tous pendus et la ville demeura tranquille. - -Sur ce, à cause de quelque brave action que je dus faire ou que -j’avais antérieurement faite, l’office d’adjudant sergent-major me fut -octroyé. Je le remplis deux ans durant. Tandis que je servais ainsi au -Potosi, le gouverneur don Pedro de Legui, de l’habit de Saint-Jacques, -donna l’ordre de lever des gens pour les Chunchos et El Dorado, pays -d’Indiens de guerre, à cinq cents lieues du Potosi, terre riche en or -et pierreries. Don Bartolomé de Alba était Mestre de Camp. Il fit les -préparatifs de l’expédition et, tout étant à point, au bout de vingt -jours, nous quittâmes le Potosi. - - - - -CHAPITRE IX - -_Elle part du Potosi vers les Chunchos._ - - -Partis du Potosi vers les Chunchos, nous parvînmes à un village -d’Indiens de paix nommé Arzaga, où nous demeurâmes huit jours. Nous -prîmes des guides pour la route, ce qui ne nous empêcha pas de nous -perdre et de nous voir en grand désarroi sur des roches plates d’où -furent précipités cinquante mules chargées de vivres et munitions et -douze hommes. - -Entrant dans l’intérieur du pays, nous découvrîmes des plaines plantées -d’une infinité d’amandiers pareils à ceux d’Espagne, d’oliviers -et d’arbres à fruits. Le Gouverneur y voulait faire des semailles -pour suppléer à la perte de nos vivres. L’infanterie n’y voulut -point entendre, disant que nous n’étions pas venus pour semer, mais -pour conquérir et récolter de l’or, et que nous trouverions notre -subsistance. Ayant passé outre, le troisième jour, nous découvrîmes une -peuplade d’Indiens qui nous reçurent en armes. Nous avançâmes. Sentant -l’arquebuse, ils s’enfuirent épouvantés, laissant quelques morts. Nous -entrâmes dans le village, sans avoir pu prendre un Indien de qui savoir -le chemin. - -A la sortie, le mestre de camp don Bartolomé de Alba, fatigué du poids -de sa salade, l’ôta pour s’essuyer la sueur. Un endiablé petit gars -d’une douzaine d’années, qui s’était perché sur un arbre en face la -sortie, lui tira une flèche qui lui entra dans l’œil et le renversa, si -grièvement blessé que, le troisième jour, il expira. L’enfant fut mis -en pièces. - -Entre temps, les Indiens, au nombre de plus de dix mille, avaient -réoccupé le village. Nous leur revînmes dessus si furieusement et en -fîmes un tel carnage, qu’un ruisseau de sang gros comme une rivière -coulait au bas de la place. Nous menâmes la poursuite et tuerie -jusqu’au delà du rio Dorado. Là, le Gouverneur commanda la retraite. -Nous obéîmes de mauvaise grâce. Quelques-uns avaient recueilli dans les -cases de l’endroit plus de soixante mille pesos de poudre d’or. Sur -les bords du fleuve, d’autres en trouvèrent quantité et en emplirent -leurs chapeaux. Nous apprîmes depuis que les basses eaux en laissent -ordinairement plus de trois doigts. C’est pourquoi nous demandâmes au -Gouverneur licence de conquérir cette terre et comme, pour raisons -à lui, il ne l’octroya pas, plusieurs soldats, entre autres moi, -s’échappant nuitamment, prirent le large. Parvenus en terre chrétienne, -nous tirâmes chacun de notre bord. Moi, je gagnai Cenhiago et, de là, -la province de las Charcas, avec quelques pauvres réaux que, petit à -petit et bien vite, je perdis. - - - - -CHAPITRE X - -_Elle passe à la cité de la Plata._ - - -Je passai à la cité de la Plata et m’accommodai avec le capitaine don -Francisco de Aganumen, Biscayen, très riche mineur, auprès duquel je -demeurai quelques jours. Je laissai la place à cause d’un désagrément -que j’eus avec un autre Biscayen ami de mon maître. Entre temps que -je cherchais un emploi, je me retirai chez une dame veuve nommée doña -Catalina de Chaves, - -[Illustration: - -_P. 76_ -] - -la plus considérable et qualifiée de la ville, à ce qu’on disait. Grâce -à un de ses domestiques avec lequel je m’étais lié par hasard, elle me -permit, en attendant, de prendre gîte dans sa maison. - -Or il advint que le Jeudi Saint, cette dame, allant aux stations, se -rencontra à San Francisco avec doña Francisca Marmolejo, femme de -don Pedro de Andrade, neveu du comte de Lemos. Pour des questions de -préséance, elles se prirent de querelle, et doña Francisca s’outrepassa -jusques à frapper de son patin doña Catalina. Là-dessus, grand émoi et -attroupement du populaire. Doña Catalina rentra chez elle, où parents -et connaissances affluèrent. Le cas y fut férocement agité. L’autre -dame demeura dans l’église au milieu de semblable concours des siens, -sans oser sortir jusqu’à l’entrée de la nuit que vint don Pedro son -mari accompagné de don Rafael Ortiz de Sotomayor, Corregidor (qui est -aujourd’hui à Madrid), chevalier de Malte, des Alcaldes Ordinaires et -de sergents, avec des torches allumées pour la reconduire chez elle. - -En suivant la rue qui va de San Francisco à la place, on entendit -un bruit de rixe et de couteaux. Corregidors, Alcaldes et sergents -y allèrent, laissant la dame seule avec son mari. Au même temps, un -Indien passa en courant et, au passage, lança à Madame doña Francisca -Marmolejo un coup de couteau ou de rasoir à travers le visage, le lui -coupa de part en part et continua sa course. Le coup fut si soudain que -son mari don Pedro ne s’en aperçut pas tout d’abord. Mais bientôt le -tumulte fut extrême. Vacarme, confusion, rassemblement, nouveaux coups -de couteau, arrestations, le tout sans s’entendre. - -Entre temps, l’Indien alla à la maison de Madame doña Catalina et, en -entrant, dit à Sa Grâce:--C’est fait. - -L’inquiétude grossissait avec la crainte de plus grands malheurs. Il -dut résulter quelque chose des diligences qui furent faites, car le -troisième jour le Corregidor entra chez doña Catalina, qu’il trouva -assise sur son estrade. Il reçut son serment et s’informa si elle -savait qui avait coupé la figure à doña Francisca Marmolejo. Elle -répondit que oui. Il lui demanda qui c’était:--Un rasoir et cette main, -repartit elle. Là-dessus, il sortit, lui laissant des gardes. - -Il interrogea un à un les gens de la maison et en vint à un Indien -auquel il fit peur du chevalet. Le lâche déclara qu’il m’avait vu -sortir sous un habit et perruque d’Indien que m’avait donnés sa -maîtresse, que Francisco Ciguren, barbier Biscayen, avait fourni le -rasoir et qu’il m’avait vu rentrer et entendu dire:--C’est fait. Le -Corregidor prit acte, m’arrêta, moi et le barbier, nous chargea de -fers, nous sépara et nous mit au secret. Quelques jours passèrent -ainsi. Une nuit, un Alcalde de la Royale Audience qui avait pris la -cause en main et avait, je ne sais pourquoi, arrêté des sergents, entra -dans la prison et fit donner la question au barbier, qui avoua aussitôt -son cas et le fait d’autrui. Après quoi, ce fut mon tour. L’Alcalde -reçut ma déclaration. J’affirmai énergiquement ne rien savoir. Il passa -outre et me fit dépouiller et mettre sur le chevalet. Un procureur -entra, alléguant que j’étais Biscayen et qu’il n’était loisible de me -bailler la torture, pour cause de privilège de noblesse. L’Alcalde n’en -fit cas et poursuivit. On commença de serrer les vis. Je demeurai ferme -comme un chêne. L’interrogatoire et les tours de vis continuaient, -lorsqu’on lui fit tenir un papier, à ce que je sus depuis, de doña -Catalina de Chaves. On le lui mit dans la main, il l’ouvrit, lut, -demeura, un moment, immobile, à me regarder et dit:--Qu’on ôte ce -garçon de là. On me retira du chevalet, on me réintégra dans ma prison; -et il s’en retourna chez lui. - -Le procès se suivit, je ne saurais dire comme, tant et si bien que j’en -sortis condamné à dix ans de Chili sans solde, et le barbier à deux -cents coups de fouet et six ans de galères. Nous en appelâmes, à grand -renfort de sollicitations de compatriotes. L’affaire suivit son cours, -je ne sais trop comment. Bref, un beau jour, sentence fut rendue en la -Royale Audience, par laquelle j’étais acquitté et Madame doña Francisca -condamnée aux dépens. Le barbier s’en tira aussi. De tels miracles sont -fréquents en semblables conflits, surtout aux Indes, grâce à la belle -industrie. - - - - -CHAPITRE XI - -_Elle passe à las Charcas._ - - -Quitte de cette angoisse, je ne pus faire moins que de m’absenter de la -Plata. Je passai à las Charcas, à seize lieues de là. J’y retrouvai le -déjà nommé don Juan Lopez de Arquijo, qui me confia dix mille têtes de -moutons du pays avec cent et quelques Indiens et me remit une grosse -somme de deniers pour aller, aux plaines de Cochabamba, acheter du blé -et, après - -[Illustration: - -_P. 80_ -] - -l’avoir fait moudre, le vendre au Potosi où il y avait disette. J’y -fus, achetai huit mille fanègues à quatre pesos, les chargeai sur les -moutons, me rendis aux moulins de Guilcomayo, en fis moudre trois mille -cinq cents et, les ayant portées au Potosi, les vendis de prime abord -aux boulangers du lieu à quinze pesos et demi. Puis je retournai aux -moulins, où je trouvai partie du reste moulu et des acheteurs auxquels -je vendis le tout à dix pesos. Après quoi, je revins à las Charcas, -avec l’argent comptant, vers mon maître qui, vu le bon profit, me -renvoya à Cochabamba. - -Entre temps, un dimanche, à las Charcas, n’ayant que faire, j’entrai -jouer chez don Antonio Calderon, neveu de l’Évêque. Il y avait là le -Proviseur, l’Archidiacre et un marchand de Séville marié dans le pays. -Je m’assis au jeu avec le marchand. La partie s’engagea. Sur un coup, -le marchand, déjà piqué, dit:--Je fais.--Combien faites-vous?--Je -fais, redit-il.--Combien faites-vous? répétai-je. Il frappa sur la -table avec un doublon, en criant:--Je fais une corne!--Je tiens, -répliquai-je, et je double pour celle qui vous reste. Il jeta les -cartes et tira sa dague. Moi, la mienne. Les assistants se jetèrent -sur nous et nous séparèrent. On changea d’entretien. A la nuit close, -je sortis pour rentrer chez moi. A quelques pas, au coin d’une rue, je -tombe sur mon homme. Il tire son épée et marche sur moi. Je dégaîne, -nous nous chargeons. Après avoir quelque peu ferraillé, je lui poussai -une botte. Il tomba. On vint au bruit, la Justice accourut et me voulut -prendre; je résistai, reçus des blessures et, battant en retraite, me -réfugiai dans la cathédrale. Je m’y tins quelques jours, averti par mon -maître de me garder. Enfin, une belle nuit, toutes précautions prises, -je partis pour Piscobamba. - - - - -CHAPITRE XII - -_Elle part de las Charcas pour Piscobamba._ - - -Arrivé à Piscobamba, je me retirai chez un ami, Juan Torrizo de -Zaragoza, où je demeurai quelques jours. Une nuit, tout en soupant, on -organisa une partie avec quelques amis qui étaient entrés. Je m’assis -en face d’un Portugais, Fernando de Acosta, fort ponte. Son enjeu était -de quatorze pesos par pinta. Je lui tirai seize pintas. En les voyant, -il se donna un soufflet au visage, s’exclamant:--Le diable incarné -m’assiste!--Jusqu’à présent, qu’a donc perdu Votre Grâce pour perdre -ainsi le sens? lui dis-je. Il allongea les mains à me toucher le menton -et cria:--J’ai perdu les cornes de mon père! Je lui jetai les cartes au -nez et tirai mon épée. Lui, la sienne. Les assistants s’entremirent et -nous retinrent. Tout s’arrangea, on plaisanta et rit des piques du jeu. -Il paya et s’en alla, en apparence bien tranquille. - -A trois nuits de là, rentrant à la maison, vers les onze heures, -j’entrevis un homme posté au coin d’une rue. Je mis la cape de -biais, dégaînai et m’avançai. En approchant, il se jeta sur moi, me -chargeant et criant:--Gueux de cornard! Je le reconnus à la voix. Nous -ferraillâmes. Presque aussitôt, je lui donnai de la pointe et il tomba -mort. - -Je restai un moment, songeant à ce que je ferais. Je regardai de tous -côtés et ne vis personne. J’allai chez mon ami Zaragoza et me couchai -sans mot dire. Dès le matin, le corregidor don Pedro de Meneses me vint -faire lever et m’emmena. J’entrai à la prison et on me mit aux fers. -Au bout d’une heure environ, le Corregidor revint avec un greffier et -reçut ma déclaration. J’affirmai ne rien savoir. On passa aux aveux. -Je niai. L’acte d’accusation fut dressé, je fus admis à la preuve. Je -la fis. La publication faite, je vis des témoins que je ne connaissais -aucunement. Sentence de mort fut rendue. J’en appelai. Ce nonobstant -on ordonna d’exécuter. J’étais fort affligé. Un moine entra pour me -confesser, je m’y refusai; il s’obstina, je tins bon. Il se mit à -pleuvoir des moines. J’en étais submergé, mais j’étais devenu un vrai -Luther. Enfin, ils me vêtirent d’un habit de taffetas et me hissèrent -sur un cheval, le Corregidor ayant répondu à leurs instances que si je -voulais aller en enfer cela ne le regardait point. On me tira de la -prison, - -[Illustration] - -me conduisant par des rues détournées et peu fréquentées, de peur des -moines. J’advins au gibet. Les moines m’avaient ôté tout jugement, à -force de cris et de poussées. Ils me firent monter quatre échelons, et -celui qui m’assommait le plus était un dominicain, Fray Andrès de San -Pablos, que j’ai vu et à qui j’ai parlé, à Madrid, il y a à peu près -un an, dans le collège d’Atocha. Je dus monter plus haut. On me jeta le -voletin (c’est le mince cordeau avec lequel on pend). Le bourreau me le -mettait de travers.--Ivrogne, lui dis-je, mets-le bien ou ôte-le, car -ces bons pères m’ont suffisamment jugulé! - -J’en étais là, lorsque entra à toute poste un courrier de la cité -de la Plata dépêché par le Secrétaire, sur l’ordre du Président don -Diego de Portugal, à la requête de Martin de Mendiola, Biscayen, qui -avait été informé de mon procès. Ce courrier rendit en mains propres -au Corregidor, par-devant un greffier, un pli dans lequel l’Audience -lui ordonnait de surseoir à l’exécution de la sentence, et de remettre -l’accusé et les pièces à la Royale Audience, à douze lieues de là. La -cause en fut singulière et manifeste miséricorde de Dieu. Il paraît -que ces témoins soi-disant oculaires qui déposèrent contre moi dans -l’affaire du meurtre du Portugais, tombèrent aux mains de la justice -de la Plata, pour je ne sais quels méfaits, et furent condamnés à -la potence. Au pied du gibet, ils déclarèrent, sans savoir l’état -où j’étais, que induits et payés, ils avaient, sans me connaître, -faussement témoigné contre moi dans cette affaire d’homicide. C’est -pourquoi l’Audience, à la requête de Martin de Mendiola, s’émut et -ordonna le renvoi. - -Cette dépêche venue si à point excita l’allégresse du peuple -compatissant. Le Corregidor me fit ôter du gibet et ramener à la -prison, d’où il m’expédia sous bonne garde à la Plata. A peine arrivé, -mon procès fut revu et annulé sur la déclaration faite par ces hommes -au pied de la potence, et, n’ayant rien autre à ma charge, je fus -relâché au bout de vingt-quatre jours. Je séjournai quelque temps à la -Plata. - - - - -CHAPITRE XIII - -_Elle passe à la cité de Cochabamba et revient à la Plata._ - - -De la Plata, je passai à la cité de Cochabamba, afin d’y régler -des comptes qu’avait ledit Juan Lopez de Arquijo avec don Pedro de -Chavarria, Navarrais de naissance, y résidant et marié à doña Maria -Davalos, fille de feu le capitaine Juan Davalos et de Maria de Ulloa, -nonne à la Plata dans le couvent qu’elle y fonda. Nous arrêtâmes les -comptes, et il en résulta un reliquat de mille pesos en faveur dudit -Arquijo, mon maître. Ledit Chavarria me les versa de fort bonne grâce, -m’invita à dîner et m’hébergea deux jours. Ensuite, je pris congé et -partis, chargé par la femme de plusieurs commissions pour sa mère, -nonne à la Plata, que je devais aller visiter de sa part. - -Après avoir quitté mes hôtes, je m’amusai avec des amis à des -bagatelles, jusque sur le tard. Enfin je partis. Mon chemin était de -passer devant la porte de Chavarria. En passant, je vis du monde dans -l’allée de la maison; au dedans on menait grand bruit. Je m’arrêtai -pour écouter. Au même instant, doña Maria Davalos me cria de la -fenêtre:--Seigneur capitaine, emmenez-moi, mon mari veut me tuer! -Ce disant, elle se jette en bas. Deux moines s’approchèrent et me -dirent:--Emmenez-la! son mari l’a trouvée avec don Antonio Calderon, - -[Illustration: - -_P. 89_ -] - -neveu de l’Évêque; il a tué l’homme et veut en faire autant à la femme, -qu’il tient enfermée. Sur ce, ils me la mirent en croupe et je piquai -ma mule. - -Je n’arrêtai pas de marcher jusqu’à la minuit que j’arrivai au rio -de la Plata. J’avais rencontré en chemin, venant de la Plata, un -domestique de Chavarria qui nous dut reconnaître, malgré tout ce que -je fis pour m’écarter et me celer. Il avisa probablement son maître. -En arrivant au fleuve, je fus désespéré; il était fort gros et il me -parut impossible de le franchir à gué. Elle me dit:--En avant! Il faut -passer, coûte que coûte, à la grâce de Dieu! Je mis pied à terre, -tâchai de découvrir un gué et me décidai pour celui qui me parut le -meilleur. Je remontai, mon affligée toujours en croupe, et entrai -dans l’eau. Nous enfonçâmes, Dieu nous soutint et nous passâmes. Une -auberge était proche, je réveillai l’hôte qui fut ébahi de nous voir -à pareille heure, ayant traversé le fleuve. Je m’occupai de faire -reposer ma mule. L’hôte nous servit des œufs, du pain et des fruits. -Nos vêtements tordus et égouttés, nous repartîmes grand’erre et, au -point du jour, découvrîmes, à cinq lieues environ, la cité de la Plata. - -Cette vue nous avait un peu consolés, quand tout à coup doña Maria -m’étreint plus fort en s’écriant:--Aïe, Seigneur, mon mari! Je me -tournai et le vis monté sur un cheval qui paraissait rendu. - -Je ne sais vraiment pas, et j’en suis encore émerveillé, comme cela -se put faire. Je partis de Cochabamba le premier, le laissant dans sa -maison, et, sans m’arrêter une minute, j’allai jusqu’au fleuve, je le -passai, gagnai l’auberge, y demeurai à peu près une heure et repartis. -D’ailleurs, il fallut à ce domestique rencontré en route, et qui -probablement l’avisa, le temps d’arriver et à Chavarria celui de monter - -[Illustration] - -à cheval et de partir. Comment donc me sortit-il à l’encontre sur le -chemin? Je n’y comprends rien, à moins que, connaissant mal le pays, -je n’aie fait plus de détours que lui. - -Quoi qu’il en soit, il nous tira un coup d’escopette à trente pas et -nous manqua. Les balles nous passèrent si près que nous les ouïmes -siffler. Je poussai ma mule et dévalai à travers les halliers d’une -côte, sans plus le voir. Son cheval devait être fourbu. Après quatre -longues lieues de course, j’entrai à la Plata, las et éreinté, et -allant droit à la grand’porte du couvent de San Agustin, je remis doña -Maria Davalos à sa mère. - -En revenant prendre ma mule, je me trouvai nez à nez avec Pedro de -Chavarria. Il se jeta sur moi, l’épée au poing, sans me donner le -loisir de le raisonner. Sa brusque apparition m’alarma fort. Il me -surprenait, recru de fatigue, plein de compassion pour son erreur, -car il me tenait pour l’affronteur. Je tâchai de me défendre. Tout en -ferraillant, nous entrâmes dans l’église. Là, il me piqua par deux -fois à la poitrine, sans que je l’eusse touché. Il était sans doute -plus dextre que moi. La colère me gagna, je le pressai et le menai -toujours rompant, jusqu’à l’autel. Là, il me porta une rude botte à -la tête, je la parai de la dague et lui entrai d’un empan mon fer à -travers les côtes. La foule était telle qu’il ne put riposter. La -Justice survint qui nous voulait tirer de l’église. Mais deux moines de -San Francisco qui est en face me transportèrent dans le couvent avec -l’aide secrète de l’Alguacil Mayor don Pedro Beltran, beau-frère de mon -maître Juan Lopez de Arquijo. Recueilli charitablement et assisté en ma -cure par ces saints pères, je demeurai cinq mois dans cette retraite de -San Francisco. - -Chavarria resta aussi de longs jours à se guérir de sa blessure, -toujours réclamant à grands cris sa femme. Il y eut à ce sujet -procédures et diligences. Elle résistait, alléguant le risque -manifeste de la vie. L’Archevêque, le Président et d’autres seigneurs -s’y employèrent et convinrent enfin qu’ils entreraient tous deux en -religion et feraient profession, elle au couvent où elle était et lui -là où il lui plairait. - -Il ne restait plus à régler que mon cas. Plainte avait été déposée. Mon -maître Juan Lopez de Arquijo vint et informa l’Archevêque don Alonso -de Peralta, le Président et les Seigneurs de la vérité et de la rare -aventure où, naïvement et sans malice aucune, je m’étais embesogné, si -différente de ce que cet homme s’était imaginé, n’ayant fait rien autre -que secourir au dépourvu une femme qui s’était jetée à moi pour fuir la -mort et la remettre, sur sa requête, au couvent de sa mère. La chose -vérifiée et reconnue patente fut jugée satisfaisante et la plainte sans -objet. On poursuivit l’entrée en religion des deux autres. Je sortis de -ma retraite, réglai mes affaires et visitai fréquemment ma nonne, sa -mère et d’autres dames du lieu qui, par reconnaissance, me régalèrent à -qui mieux mieux. - - - - -CHAPITRE XIV - -_Elle passe de la Plata à Piscobamba et à Mizque._ - - -Je me mis en quête d’un emploi. Madame doña Maria de Ulloa, sensible -à mon service, m’obtint du Président et de l’Audience une commission -pour Piscobamba et les plaines de Mizque, ayant pour objet la recherche -et le châtiment de certains délits qui y avaient été commis. Flanqué -d’un greffier et d’un alguacil, je partis. J’allai à Piscobamba où -je poursuivis et appréhendai l’Alferez Francisco de Escobar résidant -et marié audit endroit. Il était accusé d’avoir traîtreusement occis -deux Indiens pour les voler et de les avoir enterrés chez lui, dans -une carrière. J’y fis creuser et les retrouvai. Je poursuivis la cause -dans tous ses termes jusqu’à la mettre en état. Je la fermai. Les -parties citées, je rendis sentence, condamnant le coupable à mort. Il -en appela. J’octroyai l’appel, et procès et accusé furent transférés à -l’Audience de la Plata. Le jugement y fut confirmé et l’homme pendu. - -Je passai aux plaines de Mizque et, après avoir réglé l’affaire qui m’y -appelait, je revins rendre compte de ma mission et remettre les pièces -concernant Mizque. Puis je restai quelques jours à la Plata. - - - - -CHAPITRE XV - -_Elle va à la cité de la Paz et tue un homme._ - - -Je passai à la Paz où je vécus tranquille pendant quelque temps. Un -beau jour, libre de tout souci, je m’arrêtai à la porte du corregidor -don Antonio Barraza à converser avec un sien domestique, quand le -diable soufflant la braise, il finit par me donner un démenti et me -frappa de son chapeau par le visage. Je tirai la dague et il tomba mort -sur la place. Tant de gens se ruèrent sur moi que je fus saisi, blessé -et jeté en prison. Ma guérison et mon procès marchèrent de compagnie. -La cause fut instruite, mise en état, d’autres y furent jointes et le -Corregidor me condamna à mort. J’en appelai, mais, ce nonobstant, il -fut ordonné de passer outre à l’exécution. - -Je mis deux jours à me confesser. Le suivant, la messe fut dite dans -la prison et le saint prêtre, ayant consommé, se retourna, me donna la -communion et revint à l’autel. Tout aussitôt, je crachai l’hostie que -j’avais dans la bouche et la reçus dans la paume de la main droite en -criant:--J’en appelle à l’Église! J’en appelle à l’Église! Le tumulte -fut extrême. Tous disaient que j’étais hérétique. Le prêtre vint au -bruit et défendit que personne m’approchât. Comme il achevait sa -messe, le seigneur Évêque don fray Domingo de Valderrama, dominicain, -entra accompagné du Gouverneur. Prêtres et peuple s’assemblèrent, les -cierges furent allumés, le dais apporté, et l’on me mena en procession -au tabernacle. Là, tous à genoux, un prêtre revêtu de ses ornements -me prit l’hostie de la main et l’introduisit dans le tabernacle. Je -ne vis pas où il la mit. Ensuite, on me gratta la main, on me la lava -à plusieurs reprises et on me l’essuya. Après quoi, l’église évacuée -et Leurs Seigneuries sorties, je restai seul. Un saint religieux -franciscain qui était dans la prison, et qui en dernier lieu me -confessa, m’avait, outre ses bons avis, donné ce bon conseil. - -Durant plus d’un mois, le Gouverneur tint l’église cernée. Moi, je m’y -tenais bien à couvert. Enfin, il retira les gardes. Un saint prêtre du -lieu, par ordre du seigneur Évêque, à ce que je supposai, après avoir -reconnu les alentours et la route, me donna une mule et de l’argent et -je partis pour le Cuzco. - - - - -CHAPITRE XVI - -_Elle part pour la cité du Cuzco._ - - -La cité du Cuzco ne le cède en rien à Lima en habitants et richesses. -Tête d’Évêché, sa cathédrale dédiée à l’Assomption de Notre-Dame -est desservie par cinq prébendiers et huit chanoines. Elle a huit -paroisses, quatre monastères de religieux Franciscains, Dominicains, -Augustins et de la Merci, quatre collèges, deux couvents de femmes et -trois hôpitaux. - -Là m’advint, au bout de quelques jours, une cruelle mésaventure -réellement et vraiment non méritée, car je n’étais aucunement coupable, -mais bien mal noté. Une nuit, à l’improviste, mourut don Luis de -Godoy, Corregidor du Cuzco, Cavalier des mieux doués et qualifiés de -l’endroit. Il fut tué, comme on le découvrit depuis, par un certain -Carranza, à la suite de contestations trop longues à déduire. L’auteur -du méfait étant inconnu, on me l’imputa. Le corregidor don Fernando de -Guzman m’arrêta et me tint cinq mois en prison et lourde affliction. -Enfin, au bout de ce temps, Dieu permit que la vérité fût découverte -et ma complète innocence en cette affaire. Je fus mis en liberté et -déguerpis du Cuzco. - -[Illustration: - -_P. 114_ -] - - - - -CHAPITRE XVII - - _Elle passe à Lima, prend part à la sortie contre le Hollandais, - fait naufrage, est recueillie par la flotte ennemie et jetée sur la - côte de Paita d’où elle rentre à Lima._ - - -Je gagnai Lima. Don Juan de Mendoza y Luna, marquis de Montes Claros, -était en ce temps vice-roi du Pérou. Le Hollandais battait alors -Lima avec huit navires de guerre et la cité était en armes. Nous lui -sortîmes à l’encontre du port du Callao, dans cinq bateaux. Longtemps -tout alla bien pour nous, quand notre nef Amirale fut si rudement -abordée qu’elle coula. Seuls, trois hommes purent s’échapper en nageant -vers un navire ennemi qui les recueillit. C’était moi, un Franciscain -déchaux et un soldat. L’ennemi nous traita mal, nous bafouant et -moquant. Tout l’équipage de l’Amirale périt. - -Au matin, nos quatre nefs, dont était général don Rodrigo de Mendoza, -étant rentrées au port du Callao, on trouva en moins neuf cents hommes, -parmi lesquels je fus compté comme perdu avec l’Amirale. J’étais -au pouvoir des ennemis, craignant fort qu’ils ne m’emmenassent en -Hollande. Au bout de vingt-six jours, ils nous jetèrent, moi et mes -deux compagnons, sur la côte de Paita, à une centaine de lieues de -Lima. Après plusieurs journées de misère, un brave homme, apitoyé par -notre dénûment, nous habilla et nous donna de quoi regagner Lima. - -[Illustration] - -J’y demeurai environ sept mois, m’ingéniant du mieux que je pus. -J’avais acheté un bon cheval, à bon marché, et je me plaisais à le -monter en attendant mon départ pour le Cuzco. Un jour, prêt à partir, -je traversais la place, quand un alguacil vint à moi et me dit que -le seigneur Alcalde don Juan de Espinosa, chevalier de l’Ordre de -Saint-Jacques, me faisait appeler. Je m’avançai vers Sa Grâce. -Deux soldats étaient là. A mon approche, ils s’écrièrent:--C’est -lui, seigneur! Ce cheval est le nôtre, c’est celui qui nous manque -et nous en donnerons sans tarder des preuves suffisantes! Des -sergents m’entourèrent et l’Alcalde s’exclama:--Que faire? Le cas -est embarrassant. Moi, prise au dépourvu, je ne savais que dire. -Inquiète et confuse, je devais avoir l’air coupable, lorsqu’il me -vint à l’idée d’ôter vivement ma cape et, la jetant sur la tête du -cheval:--Seigneur, fis-je, je supplie Votre Grâce de vouloir bien -demander à ces gentilshommes quel est l’œil qui manque à ce cheval, -le droit ou le gauche? Ce peut être une autre bête et ces messieurs -peuvent faire erreur.--C’est juste, dit l’Alcalde. Vous autres, -répondez en même temps, de quel œil est-il borgne? Ils demeurèrent -confus.--Allons, insista l’Alcalde, dites ensemble.--Du gauche, dit -l’un.--Du droit, fit l’autre, du gauche, veux-je dire!--Votre preuve -ne vaut rien et ne concorde guère, conclut l’Alcalde. Là-dessus, tous -deux se mirent à crier à la fois:--Du gauche! du gauche! Nous l’avons -dit tous les deux, d’ailleurs, ce n’est pas se tromper de beaucoup. -J’intervins:--Seigneur, il n’y a pas là de preuve, l’un dit blanc -et l’autre noir.--Non! Nous avons toujours répondu de même, protesta -l’un d’eux, qu’il est borgne de l’œil gauche: j’allais le dire, la -langue m’a tourné, mais je me suis repris aussitôt et j’affirme que -ce cheval est borgne de l’œil gauche! L’Alcalde hésitait.--Qu’ordonne -Votre Grâce? lui demandai-je.--Que s’il n’est d’autre preuve, vous -alliez avec Dieu à vos affaires. Alors, tirant ma cape:--Votre Grâce le -peut voir, ni l’un ni l’autre n’a dit vrai, mon cheval est sain et non -point borgne. L’Alcalde se leva, s’approcha du cheval, le regarda et -dit:--Montez, Monsieur, et allez avec Dieu! Puis se retournant vers les -deux compères, il les fit empoigner. - -J’enfourchai mon cheval et m’en allai, sans savoir la fin de leur -mésaventure, car je partis pour le Cuzco. - - - - -CHAPITRE XVIII - -_Au Cuzco, elle tue le Nouveau Cid et est grièvement blessée._ - - -Je revins au Cuzco et me logeai dans la maison du Trésorier don Lope de -Alcedo. J’y demeurai quelque temps. Un jour, j’entrai chez un ami pour -jouer. Nous étions deux amateurs assis à la table. Le jeu courait. Le -Nouveau Cid vint se mettre à côté de moi. C’était un homme brun, velu, -de très haute taille et de mine farouche. On - -[Illustration] - -l’avait surnommé le Nouveau Cid. Je continuai mon jeu et gagnai un -coup. Il allongea la main dans mon argent, prit quelques réaux de huit -et sortit. Un moment après, il rentra et, manœuvrant de même, prit une -autre poignée et se mit derrière moi. Je préparai ma dague et continuai -de jouer. Pour la troisième fois, il recommença son manège. Je le -sentis venir, d’un coup de dague lui clouai la main sur la table et, -me levant, tirai mon épée. Les assistants en firent autant. D’autres -amis du Cid vinrent à la rescousse et me serrèrent de près. Blessé en -trois endroits, je gagnai la rue et ce fut heureux, car ils m’auraient -mis en pièces. Le premier qui sortit derrière moi fut le Cid. Je le -reçus par une estocade, mais il était plastronné. Les autres sortirent -et me pressèrent. Deux Biscayens qui passaient par là fort à point -accoururent au bruit et, me voyant seul et contre cinq, se mirent à -mon côté. Néanmoins, nous avions le dessous et il nous fallut filer -tout le long d’une rue pour prendre le large. En arrivant auprès de San -Francisco, le Cid me dagua par derrière si furieusement qu’il me perça -de part en part l’épaule. Un autre m’entra d’un empan son épée dans le -côté gauche. Je chus à terre dans une mer de sang. - -Sur ce, les uns et les autres gagnèrent au pied. Je me relevai, dans -l’angoisse de la mort, et vis le Cid à la porte de l’église. J’allai -sur lui. Il vint à moi:--Chien! Tu es donc encore vivant! et il -me détacha une estocade. Je la parai avec la dague et ripostai si -heureusement que mon fer, pénétrant au creux de l’estomac, le traversa. -Il tomba, demandant confession. Je tombai aussi. Le peuple s’attroupa -avec quelques moines et le corregidor don Pedro de Cordova, de l’habit -de Saint-Jacques, qui me voyant empoigner par les sergents, leur -dit:--Laissez! Il n’est plus bon qu’à confesser. Le Cid expira sur -la place. Des âmes charitables me portèrent chez le Trésorier où je -logeais. On me coucha. Le chirurgien n’osa pas me toucher avant que -je ne fusse confessé, de peur que je n’expirasse. Le Père fray Luis -Ferrer de Valence, un fameux homme, vint et me confessa. Me voyant -mourir, j’avouai mon sexe. Il s’émerveilla, me donna l’absolution et -tâcha de me conforter et consoler. Après avoir reçu le viatique, je me -sentis plus fort. - -Le pansement commença. J’en souffris beaucoup. La douleur et le sang -perdu m’ôtèrent tout sentiment. Je restai en cet état quatorze heures -et, tout ce temps, ce saint homme ne me quitta pas. Que Dieu le lui -paye! Je revins à moi, appelant Saint Joseph. J’eus là de hautes -assistances. Dieu sait pourvoir à la nécessité. Les trois jours se -passèrent. Au cinquième, on commença d’espérer. Bientôt, une nuit, on -me transporta à San Francisco, dans la cellule du Père fray Martin de -Arostegui, où je passai les quatre mois que dura ma maladie. A cette -nouvelle, le Corregidor furieux - -[Illustration: - -_P. 123_ -] - -fit garder les alentours et battre les chemins. - -Déjà mieux portant, convaincu que je ne pouvais rester au Cuzco et -redoutant la haine de certains amis du mort, avec l’aide et sur le -conseil des miens, je résolus de changer d’air. Le Capitaine don Gaspar -de Carranza me donna mille pesos, le Trésorier don Lope de Alcedo trois -mules et des armes, don Francisco de Arzaga trois esclaves. Ainsi muni -et accompagné de deux amis Biscayens, hommes sûrs, je partis une belle -nuit du Cuzco vers Guamanga. - - - - -CHAPITRE XIX - - _Partie du Cuzco pour Guamanga, elle passe par le pont de - Andahuilas et Guancavélica._ - - -Étant sorti du Cuzco, ainsi que je l’ai conté, j’arrivai au pont -d’Apurimac où je trouvai la Justice et les amis du défunt Cid qui me -guettaient au passage.--Je vous arrête! cria le sergent, et il me vint -mettre la main dessus, assisté de huit autres personnages. Nous étions -cinq qui ne nous laissâmes pas intimider. L’affaire fut chaude. - -[Illustration] - -De prime abord, un de mes nègres fut jeté bas. Un homme de l’autre -bande le suivit de près, puis un autre. Mon second nègre tomba. D’un -coup de pistolet, je renversai le sergent. Plusieurs de ses partisans -étaient blessés. Au bruit des armes à feu, ils décampèrent laissant, -sauf à y revenir, trois des leurs sur la place. La juridiction du Cuzco -s’étend, à ce qu’on dit, jusqu’à ce pont, mais ne passe pas plus outre. -C’est pourquoi mes camarades, après m’avoir accompagné jusque-là, -rebroussèrent. Je poursuivis ma route. - -En entrant à Andahuilas, je rencontrai le Corregidor qui, de la -façon la plus affable et courtoise, m’offrit sa personne et sa -maison, et m’invita à dîner. Je n’acceptai pas et, me méfiant de tant -d’honnêtetés, je partis. - -Arrivé à la cité de Guancavélica, je descendis à l’auberge. J’employai -un couple de jours à visiter l’endroit. En entrant sur une petite -place, proche la colline de vif-argent, j’y aperçus le Docteur -Solorzano, Alcalde de Cour de Lima, qui était venu prendre résidence -au Gouverneur don Pedro Osorio. Je vis un alguacil, que je sus depuis -se nommer Pedro Xuarez, s’approcher de lui. Le Docteur tourna la tête, -me regarda, tira un papier, y jeta l’œil et me regarda derechef. -L’alguacil et un nègre s’avancèrent aussitôt vers moi. Je m’esquivai -d’un air indifférent, quoique fort soucieux au fond. J’avais à peine -fait quelques pas, que l’alguacil, me dépassant, m’ôte son chapeau. -J’ôte le mien. Le nègre, venu par derrière, m’empoigne la cape. Je la -lui laisse aux mains et tire mon épée et un pistolet. Ils me chargent -tous deux, l’arme haute. Je lâche le coup, l’alguacil s’effondre, -j’estocade le nègre, il tombe, je détale, et rencontrant un Indien qui -tenait par la bride un cheval, que je sus depuis être à l’Alcalde, je -le lui prends, saute dessus, et pique vers Guamanga, à quatorze lieues -de là. - -Après avoir traversé le rio de Balsas, je descendis pour laisser un -peu souffler le cheval. A ce moment, je vois arriver trois cavaliers -qui entrent jusqu’au milieu de la rivière. Mû par je ne sais quel -pressentiment, je leur criai:--Où allez-vous donc, messieurs?--Vous -arrêter, seigneur Capitaine, me répondit l’un d’eux. Je tirai mes -armes, armai deux pistolets, et dis:--Vous ne m’aurez pas vivant, il -faut me tuer pour me prendre. Et je m’approchai de la berge. Alors -un autre:--Seigneur Capitaine, nous avons des ordres et il faut bien -marcher, mais nous sommes tout au service de Votre Grâce. Et ils -étaient toujours arrêtés au beau milieu de l’eau. Je leur sus gré du -bon procédé. Déposant sur une pierre trois doublons, je remontai à -cheval et, après force courtoisies, repris le chemin de Guamanga. - - - - -CHAPITRE XX - - _Son entrée à Guamanga et ses aventures jusqu’à ses aveux au - seigneur Évêque._ - - -J’entrai dans Guamanga et me logeai à l’hôtellerie. J’y rencontrai -un soldat de passage qui s’éprit du cheval; je le lui vendis deux -cents pesos. J’allai visiter la ville. Elle me parut belle, pleine de -beaux édifices, les meilleurs que j’aie vus au Pérou. Je vis trois -couvents de Religieux de la Merci, de Franciscains et de Dominicains, -un couvent de nonnes, un hôpital, une multitude d’Indiens et nombre -d’Espagnols. Le lieu est agréablement tempéré. C’est une plaine ni -froide ni chaude, riche en froment, vin, fruits et grains divers. -L’église est bonne, avec trois prébendes, deux chanoines et un saint -Évêque, don fray Agustin de Carvajal, religieux Augustin, qui me fut -secourable médecin. Il me manqua trop tôt, trépassant subitement l’an -mil six cent vingt. Il était Évêque, à ce qu’on disait, depuis l’an -douze. - -Je séjournai quelque temps à Guamanga et le guignon voulut que -j’entrasse parfois dans une maison de jeu. Un jour que je m’y trouvais, -le corregidor don Baltasar de Quiñones survint et, me regardant, me -demanda d’où j’étais.--De Biscaye, répondis-je.--Et d’où venez-vous -présentement?--Du Cuzco. Il resta un moment à m’examiner, et dit:--Je -vous arrête.--Bien volontiers, repartis-je, et, tirant l’épée, je -reculai vers la porte. Il se mit à crier:--Main-forte au Roi! Je -rencontrai à la porte une telle résistance, que je ne pus sortir. Je -montrai un pistolet à trois canons. On me fit place et je disparus -pour aller me cacher au logis d’un nouvel ami que je m’étais fait. Le -Corregidor partit et fit saisir ma mule et quelques menues choses que -j’avais à l’hôtellerie. - -Je demeurai plusieurs jours chez ledit ami, ayant découvert qu’il était -Biscayen. Cependant on ne sonnait mot de l’aventure, et la Justice ne -semblait pas s’en occuper. Néanmoins, il nous parut prudent de changer -d’air; il n’était pas plus sain là qu’ailleurs. Le départ fut décidé. -Une nuit, je sortis. A peine dehors, ma malechance me fait rencontrer -deux alguacils.--Qui va là?--Ami.--Votre nom?--Le Diable! La réponse -était incongrue, ils veulent m’arrêter, je dégaîne. Grand tapage. -Ils crient:--Main-forte! à l’aide! On s’attroupe. Le Corregidor -sort de chez l’Évêque. Des sergents me happent. Me voyant pris, je -lâche un coup de pistolet. J’en abats un. Le tumulte redouble. Mon -ami le Biscayen et d’autres compatriotes se rangent auprès de moi. -Le Corregidor hurlait:--Tuez-le! Les coups de feu partaient de tous -côtés. Tout à coup, éclairé par quatre torches flambantes, l’Évêque -parut et entra dans la mêlée. Son secrétaire don Juan Bautista de -Arteaga s’achemina vers moi. Il s’avança et me dit:--Seigneur Alferez, -rendez-moi vos armes.--Seigneur, lui répondis-je, j’ai ici bien des -ennemis.--Rendez-les, insista-t-il, vous êtes en sûreté avec moi et je -vous donne parole de vous tirer d’ici sain et sauf, quoi qu’il m’en -puisse coûter. Alors je m’écriai:--Illustrissime Seigneur, sitôt que -je serai dans l’église, je baiserai les pieds à votre Très Illustre -Seigneurie. Au même instant, quatre esclaves du Corregidor se - -[Illustration: - -_P. 136_ -] - -jettent sur moi, me tiraillant outrageusement, sans aucun égard pour -une si glorieuse présence, de sorte que, me défendant, il me fallut -jouer des mains et en culbuter un. Le secrétaire du seigneur Évêque, -l’épée nue et le bouclier au poing, me vint à la rescousse avec -d’autres personnes de sa maison, jetant les hauts cris d’un tel manque -de respect. La bagarre s’apaisa. L’Illustrissime me prit par le bras, -m’ôta les armes des mains et, me plaçant à son côté, m’emmena et me -mit dans son palais. Il me fit sur l’heure panser une petite plaie que -j’avais, me donna souper et gîte, et, m’enfermant, emporta la clef. Le -Corregidor survint et eut, à mon sujet, avec Sa Seigneurie un long et -orageux entretien dont je fus par la suite plus amplement informé. - -Le lendemain, vers les dix heures du matin, l’Illustrissime, m’ayant -fait mener en sa présence, me demanda qui j’étais, de quel pays, -fils de qui et tout le compte de ma vie, les causes et les voies qui -m’avaient conduit là, détaillant tout et mêlant à son interrogatoire -de bons conseils sur les risques de la vie, l’effroi de la mort -toujours menaçante et l’horreur de l’autre vie pour une âme mal -préparée, m’exhortant à m’apaiser, à dompter mon esprit inquiet et à -m’agenouiller devant Dieu. Je me sentis devenir tout petit et voyant un -si saint homme, comme si j’eusse été devant Dieu, j’avouai tout et lui -dis:--Seigneur, tout ce que j’ai conté à Votre Seigneurie Illustrissime -est faux. Voici la vérité: Je suis une femme, née en tel lieu, fille -d’un tel et d’une telle, mise dans tel couvent, à tel âge, avec une -mienne tante; j’y grandis, pris l’habit et fus novice; sur le point de -professer, je m’évadai pour tel motif, gagnai tel endroit, me dévêtis, -me rhabillai, me coupai les cheveux, allai ici et là, m’embarquai, -abordai, trafiquai, tuai, blessai, malversai et courus jusques à -présent où me voici rendue aux pieds de Votre Très-Illustre Seigneurie. - -Tout le temps que dura mon récit, jusqu’à une heure, le saint Évêque -demeura en suspens, oreille ouverte, bouche close, sans cligner l’œil. -Après que j’eus fini, il resta sans parler, pleurant à larmes vives. -Enfin, il me dit d’aller reposer et manger et, agitant une sonnette, -fit venir un vieux chapelain qui me conduisit à son oratoire. On m’y -dressa la table et un matelas, puis on m’enferma. Je me couchai et -dormis. Vers les quatre heures du soir, le seigneur Évêque me fit -rappeler et me parla avec une grande bonté d’âme, m’engageant à bien -remercier Dieu de la miséricorde dont il avait usé envers moi en -me montrant le chemin de perdition qui me menait droit aux peines -éternelles. Il m’exhorta à repasser ma vie et à faire une bonne -confession qu’il considérait d’ailleurs comme à peu près faite et peu -malaisée; après quoi, Dieu aidant, nous aviserions pour le mieux. En -tels et semblables propos, s’acheva la journée. Je me retirai et, après -un bon souper, je me couchai. - -Le lendemain matin, le seigneur Évêque dit la messe. Je l’entendis. -Après avoir fait son action de grâces, il m’emmena déjeuner avec lui. -Il reprit et poursuivit le discours de la veille et convint qu’il -tenait mon cas pour le plus notable en son genre qu’il eût ouï de sa -vie. Il finit par dire:--Enfin, est-ce bien vrai?--Oui, seigneur, -répondis-je.--Ne vous étonnez pas, répliqua-t-il, qu’une si rare -aventure inquiète la crédulité. Je lui dis alors:--Seigneur, c’est -ainsi; et si une épreuve de matrones peut tirer de ce doute Votre -Très-Illustre Seigneurie, je m’y prêterai volontiers.--J’y consens, -dit-il, et j’en suis aise. - -Je me retirai, car c’était l’heure de l’audience. A midi je dînai, -puis reposai un peu. Le soir, sur les quatre heures, entrèrent deux -matrones. Elles m’examinèrent à leur satisfaction et déclarèrent -par-devant l’Évêque, sous serment, qu’elles m’avaient visitée et -reconnue autant qu’il était nécessaire pour pouvoir certifier m’avoir -trouvée vierge intacte comme au jour où je naquis. L’Illustrissime -s’attendrit, congédia les commères et, m’ayant fait comparaître, -accompagnée du chapelain, m’embrassa tendrement et, se mettant debout, -me dit:--Ma fille, maintenant je crois sans doute aucun ce que vous -m’avez dit et dorénavant je croirai tout ce que vous me direz; je vous -vénère comme une des personnes notables de ce monde et promets de vous -assister de tout mon pouvoir et de m’employer pour votre bien et le -service de Dieu. - -Un appartement décent fut disposé pour moi. Je m’y installai -commodément, préparant ma confession que je fis le mieux que je pus. -Après quoi, Sa Seigneurie me donna la communion. - -Le cas s’étant divulgué, le concours des curieux fut immense. Malgré -tout l’ennui que j’en avais ainsi que l’Illustrissime, il ne fut pas -possible de refuser l’entrée aux personnes de marque. - -Enfin, au bout de six jours, Sa Seigneurie détermina de me faire -entrer au couvent des nonnes de Sainte-Claire de Guamanga. C’est la -seule maison de religieuses qu’il y ait là. J’en revêtis l’habit. -L’Évêque sortit de son palais, me menant à son côté, au milieu d’un -si merveilleux peuple que toute la ville y devait être, de sorte -qu’on tarda longtemps à gagner le couvent. Enfin, nous parvînmes -à la grand’porte. Il fallut renoncer à entrer dans l’église où -l’Illustrissime voulait d’abord aller, car elle était comble. Toute la -communauté, cierges allumés, nous attendait à la porte. Là, l’Abbesse -et les plus anciennes passèrent un acte par lequel la communauté -s’engageait à me remettre au prélat ou à son successeur, toutes les -fois qu’il me demanderait. Sa Très-Illustre Seigneurie m’accola, me -donna sa bénédiction, et j’entrai. Menée processionnellement au chœur, -j’y fis mon oraison. Je baisai la main à Madame l’Abbesse, et après -avoir embrassé toutes les nonnes et en avoir été embrassée, elles me -menèrent à un parloir où l’Illustrissime m’attendait. Il me donna de -bons conseils, m’exhorta à être bonne chrétienne, à rendre grâces à -Notre-Seigneur, à fréquenter les sacrements, s’engageant, comme il le -fit plusieurs fois, à me les venir administrer. Puis, m’ayant offert -généreusement tout ce dont je pourrais avoir besoin, il partit. - -La nouvelle de cet événement courut partout. Ceux qui m’avaient vue -auparavant et ceux qui, dans toutes les Indes, avant et depuis, -connurent mes aventures, s’émerveillèrent. - -Cinq mois plus tard, l’an mil six cent vingt, mon saint Évêque trépassa -subitement. La perte pour moi fut grande. - - - - -CHAPITRE XXI - - _Sur l’ordre du seigneur Archevêque, elle passe, en habit de - nonne, de Guamanga à Lima, entre au couvent de la Trinidad, en - sort, retourne à Guamanga et en repart pour Santa Fé de Bogota et - Tenerife._ - - -Sitôt après la mort de l’Illustrissime Évêque de Guamanga, le -Très-Illustre seigneur don Bartolomé Lobo Guerrero, Archevêque -métropolitain de Lima depuis l’an mil six cent sept jusques au douze -de janvier mil six cent vingt-deux qu’il décéda, m’envoya quérir. -Les nonnes me laissèrent aller, non sans extrême regret. Je partis en -litière, escortée de six prêtres, quatre moines et six hommes d’épée. - -[Illustration] - -Nous entrâmes dans Lima à la nuit close, et néanmoins nous ne pouvions -avancer à travers la foule des curieux qui voulaient voir la Nonne -Alferez. On me fit descendre chez le seigneur Archevêque. J’eus toutes -les peines à entrer. Je baisai la main de Sa Seigneurie qui me régala à -merveille et m’hébergea cette nuit-là. Le lendemain matin, on me mena -au palais voir le Vice-Roi don Francisco de Borja, comte de Mayalde et -prince d’Esquilache, qui gouverna le Pérou de l’an mil six cent quinze -à mil six cent vingt-deux. Je dînai chez lui ce même jour. Je rentrai -à la nuit chez le seigneur Archevêque où je trouvai bon souper et bon -gîte. - -Le lendemain, Sa Seigneurie me dit de voir et de choisir le couvent où -il me plairait demeurer. Je lui demandai la permission qu’il m’octroya -de les visiter tous. J’entrai dans tous et les vis tous, restant trois -ou quatre jours dans chacun. Finalement, je me décidai pour celui de la -Très-Sainte Trinité des Commanderesses de Saint-Bernard, grand couvent -où sont entretenues cent religieuses de voile noir, cinquante de voile -blanc, dix novices, dix converses et seize servantes. J’y séjournai -juste deux ans et cinq mois, jusqu’à ce que vinrent d’Espagne les -preuves authentiques que je n’avais été ni n’étais nonne professe. Sur -quoi, je fus autorisée à sortir du couvent, à l’universel regret des -nonnes, et me mis en route pour l’Espagne. - -J’allai tout d’abord à Guamanga voir les dames du couvent de -Sainte-Claire et prendre congé d’elles. J’y fus retenue huit jours avec -bien de l’agrément, cadeaux et regrets au départ. Je continuai mon -voyage vers la cité de Santa Fé de Bogota, dans le Nouveau Royaume de -Grenade. Je vis le seigneur Évêque don Julian de Cortazar qui me pressa -instamment d’y rester dans le couvent de mon ordre. Je lui répondis -que je n’étais d’aucun ordre ni couvent et que je n’avais d’autre -souci que de retourner au pays où je ferais ce qui me semblerait plus -convenable à mon salut. Sur ce et avec un beau présent qu’il me fit, -je pris congé. Je passai à Zaragoza en remontant le fleuve de la -Madalena. J’y tombai malade. Le terroir est, à mon avis, malsain pour -les Espagnols. J’y fus à la mort. Au bout de quelques jours, allant un -peu mieux, un médecin me fit partir. Je ne me tenais pas encore sur -mes pieds. Je descendis le fleuve jusqu’à Tenerife où je me rétablis -promptement. - - - - -CHAPITRE XXII - - _Elle s’embarque à Tenerife, passe à Carthagène et, de là, part - pour l’Espagne sur la flotte._ - - -L’Armada du général don Tomas de Larraspuru se trouvant à Carthagène -en partance pour l’Espagne, je m’embarquai sur la Capitane, l’an mil -six cent vingt-quatre. Le Général m’y accueillit fort obligeamment, me -régala, me fit asseoir à sa table et me continua cet honnête traitement -jusques à plus de deux cents lieues en - -[Illustration] - -deçà du canal de Bahama. Mais, un beau jour, dans une querelle de -jeu, il m’advint d’égratigner quelqu’un au visage avec un couteau qui -se trouva là. On s’en inquiéta fort. Le Général se vit contraint -de m’éloigner et me transborda sur la nef Amirale où j’avais des -compatriotes. Ce changement ne fut pas de mon goût et je le priai -de me faire passer sur le San Telmo, capitaine Andrès de Oton. Il y -consentit; mais j’y eus de l’ennui, car cette patache qui servait -d’aviso faisait eau et nous faillîmes nous y noyer. - -Grâces à Dieu, nous arrivâmes à Cadix le premier de novembre de mil six -cent vingt-quatre. Nous débarquâmes et je restai huit jours en cette -ville. Le seigneur don Fadrique de Toledo, général de l’Armada, fut -très gracieux pour moi. Il avait à son service deux de mes frères que -je reconnus et lui fis connaître. Depuis lors, pour me faire honneur, -il les avança beaucoup, gardant l’un d’eux à son service et donnant une -enseigne à l’autre. - - - - -CHAPITRE XXIII - - _Elle va de Cadix à Séville, de Séville à Madrid, à Pampelune et à - Rome, mais ayant été détroussée au Piémont, elle rentre en Espagne._ - - -De Cadix, j’allai à Séville où je demeurai quinze jours, me celant -autant que possible et fuyant le peuple qui s’attroupait pour me voir -vêtue en habits d’homme. De là, je gagnai Madrid. J’y restai vingt -jours sans me montrer. On m’arrêta, je ne sais pourquoi, par ordre du -Vicaire. Le comte de Olivares me fit aussitôt relâcher. Alors, je -m’accommodai avec le comte de Javier qui partait pour Pampelune et lui -fis compagnie et service environ deux mois. - -De Pampelune, quittant le comte de Javier, je partis pour Rome, car -c’était l’année sainte du grand Jubilé. Je m’acheminai par la France. -Je souffris de cruelles misères, car, en traversant le Piémont, -aux approches de Turin, je fus accusé d’être un espion Espagnol, -arrêté, dépouillé du peu de deniers et d’habits que j’avais, et tenu -cinquante jours en prison. Après quoi, ces gens ayant, à ce que -je présume, fait leurs diligences et n’ayant relevé aucune charge -contre moi, me relâchèrent. Mais ils ne me laissèrent pas continuer -mon voyage et m’enjoignirent de rebrousser chemin, sous peine des -galères. Je dus donc m’en retourner à grand’peine, pauvre, à pied et -mendiant. Ayant gagné Toulouse de France, je me présentai au comte de -Gramont, Vice-Roi de Pau et Gouverneur de Bayonne, auquel en venant -j’avais apporté et remis des lettres d’Espagne. En me voyant, ce bon -gentilhomme s’affligea, me fit habiller, me régala et me donna, pour la -route, cent écus et un cheval. Je partis. - -Je vins à Madrid et me présentai devant Sa Majesté, La suppliant de -récompenser mes services que j’exposai dans un mémoire que je remis -en Ses Royales mains. Sa Majesté me renvoya au Conseil des Indes. Je -m’y adressai, avec les papiers que j’avais sauvés de mon désastre. -Les Seigneurs du Conseil me virent et me favorisant, sur avis de Sa -Majesté, je fus appointé à huit cents écus de rente viagère, un peu -moins de ce que j’avais demandé. Ce fut au mois d’août de mil six cent -vingt-cinq. Entre temps, il m’advint à la Cour quelques aventures de -mince étoffe que j’omets. Peu après, Sa Majesté partit pour les Cortès -d’Aragon et vint à Saragosse dans les premiers jours de janvier de mil -six cent vingt-six. - - - - -CHAPITRE XXIV - -_Elle part de Madrid pour Barcelone._ - - -Je m’acheminai vers Barcelone avec trois amis qui allaient de ce -côté. Ayant pris quelque relâche à Lérida, nous nous remîmes en route -le Jeudi Saint, après midi. Vers les quatre heures du soir, nous -approchions de Velpuche, bien joyeux et libres de souci, quand tout à -coup, au tournant du chemin, d’un hallier sur la droite, sortent neuf -hommes avec leurs escopettes, les chiens levés, qui nous entourent -et nous crient:--Pied à terre! Nous ne pûmes qu’obéir et descendre -de cheval, trop heureux de le faire vivants. Ils nous prirent armes, -chevaux, habits et tout ce que nous avions, sauf nos papiers que nous -leur demandâmes en grâce. Après les avoir examinés, ils nous les -rendirent sans nous laisser un fil d’autre. - -A pied, nus, honteux, nous poursuivîmes notre chemin et entrâmes à -Barcelone le Samedi Saint de mil six cent vingt-six, dans la nuit, -sans savoir, moi du moins, que devenir. Mes compagnons tirèrent je ne -sais de quel côté, cherchant leur remède. Quant à moi, de porte en -porte, récitant mon lamentable cas, je récoltai quelques haillons et -une méchante cape pour me couvrir. La nuit s’avançant, je me réfugiai -sous un portail, où je trouvai d’autres pauvres hères couchés. J’appris -d’eux que le roi était céans et que le Marquis de Montes Claros, brave -et charitable Cavalier que j’avais hanté et entretenu à Madrid, était -à son service. Au matin, je l’allai trouver et lui contai ma disgrâce. -Le bon seigneur s’affligea de me voir en si pitoyable état, me fit -incontinent vêtir et, saisissant l’occasion, m’introduisit auprès de Sa -Majesté. - -J’entrai et relatai à Sa Majesté, fort ponctuellement, ma -mésaventure. Elle m’écouta et me dit:--Comment vous laissâtes-vous -détrousser?--Seigneur, répondis-je, je n’en pouvais mais.--Combien -étaient-ils donc?--Neuf, Seigneur, avec des escopettes, les chiens -levés, qui nous prirent en sursaut, au coin d’un hallier. Sa Majesté -fit signe avec la main de vouloir mon placet. Je le baisai et le Lui -remis.--Je le verrai, dit-Elle. Et Sa Majesté, qui était alors debout, -sortit. - -Je ne tardai guère à recevoir le mandat par lequel Sa Majesté ordonnait -de me pourvoir de quatre rations d’Alferez réformé et de trente ducats -de gratification. Sur ce, ayant pris congé du Marquis de Montes Claros, -auquel je devais tout, je m’embarquai sur la galère courrière de -Sicile, le San Martin, qui faisait route pour Gênes. - - - - -CHAPITRE XXV - -_Elle va de Barcelone à Gênes et de là à Rome._ - - -Partis de Barcelone sur la galère, nous arrivâmes rapidement à Gênes, -où nous restâmes quinze jours. Un beau matin, il me vint à l’esprit -d’aller voir le contrôleur général Pedro de Chavarria, de l’habit de -Saint-Jacques. Il était, paraît-il, de trop bonne heure; sa maison -n’était pas encore ouverte. Je me mis à me promener pour tuer le temps. -Puis je m’assis sur un banc de pierre à la porte du prince Doria. Peu -après, un homme bien vêtu vint aussi s’y asseoir. C’était un galant -soldat, à la longue chevelure, que je reconnus au parler pour un -Italien. Nous nous saluâmes. La conversation s’engagea. Bientôt il me -dit:--Vous êtes Espagnol? Je lui répondis que oui.--J’en conclus que -vous devez être glorieux, car, pour arrogants, les Espagnols le sont, -bien qu’ils n’aient pas autant de poigne qu’ils s’en vantent.--Moi, je -les vois en tout et pour tout très excellents mâles, répliquai-je.--Et -moi je sais qu’ils ne sont tous que de la merda! Alors me levant:--Ne -parlez pas de la sorte, car le dernier des Espagnols vaut mieux que le -meilleur Italien.--Soutiendrez-vous votre dire? fit-il.--Certes!--Eh -bien, soit, sur-le-champ! Je passai derrière un château d’eau qu’il y -avait là. Il me suivit. Nous mîmes les épées au clair et commençâmes à -ferrailler. Tout à coup je vois un - -[Illustration] - -autre galant s’aligner à son côté. Tous deux s’escrimaient de taille -et moi d’estoc. Je touchai l’Italien, il tomba. Il me restait l’autre, -que je faisais rompre devant moi, quand arrive un bien gaillard -boiteux, sans doute un ami, qui se met à son côté et me pousse -vivement. Un troisième survient et se range auprès de moi, peut-être -parce qu’il me vit seul, car je ne le reconnus pas. Bref, il accourut -tant et tant d’amateurs, que ce devint une vraie bagarre, dont, tout -bellement, m’étant retiré sans que personne s’en aperçût, peu curieux -du dénouement, je regagnai ma galère où je pansai une égratignure que -j’avais à la main. Le marquis de Santa Cruz était alors à Gênes. - -De Gênes, j’allai à Rome. Je baisai le pied de Sa Sainteté Urbain VIII -et Lui narrai brièvement, du mieux que je pus, ma vie, mes aventures, -mon sexe et ma virginité. Sa Sainteté parut trouver mon cas étrange -et m’octroya très gracieusement licence de porter habit d’homme, me -recommandant de continuer à vivre honnêtement, de m’abstenir d’offenser -le prochain et de me garder d’enfreindre, sous peine de la vengeance -de Dieu, son commandement qui dit: Non occides. Là-dessus, je pris -congé. - -Mon cas fut bientôt notoire dans Rome et notable le concours de gens -dont je fus entouré, personnages, princes, Évêques et Cardinaux. -Toutes portes m’étaient ouvertes, si bien que, durant le mois et -demi que je séjournai à Rome, rare fut le jour où je ne fus invité -et fêté chez quelque prince. Particulièrement, un certain vendredi, -sur l’ordre exprès et aux frais du Sénat, je fus convié et régalé -par des gentilshommes qui m’inscrivirent sur le livre des citoyens -romains. Puis, le jour de Saint-Pierre, vingt-neuf de juin mil six -cent vingt-six, ils me firent entrer dans la Chapelle où je vis les -cérémonies accoutumées de la fête et les Cardinaux. Tous ou quasi -tous se montrèrent envers moi fort affables et caressants. Plusieurs -me parlèrent et, le soir, me trouvant en une assemblée avec trois -Cardinaux, l’un d’eux, c’était le Cardinal Magalon, me dit que mon -seul défaut était d’être Espagnol. A quoi je répliquai:--A mon avis, -Monseigneur, et sauf le respect que je dois à Votre Illustrissime -Seigneurie, je n’ai que cela de bon. - -[Illustration: - -_P. 167_ -] - - - - -CHAPITRE XXVI - -_De Rome, elle va à Naples._ - - -Après un mois et demi de séjour à Rome, je partis pour Naples. Le cinq -de juillet mil six cent vingt-six, nous nous embarquâmes à Ripa. - -Un jour, à Naples, me promenant sur le môle, je remarquai les éclats -de rire de deux donzelles qui parlaient avec deux beaux fils en me -regardant. Je les dévisageai. L’une d’elles me dit alors:--Madame -Catalina, où allez-vous comme ça?--Vous administrer cent claques sur -le chignon, dames putes, et cent estocades au ruffian qui vous oserait -défendre! Elles se turent et me quittèrent la place. - - - - -ÉPILOGUE - - -C’est _là, sur le môle de Naples, en pleine querelle, au mois de -juillet 1626, que la Nonne Alferez nous quitte brusquement. Ces arrêts -sont fréquents chez les picaresques espagnols. Lazarille laisse le -lecteur au milieu d’un chapitre; le Buscon de Quevedo ne finit pas. La -querelle si bien entamée se termina-t-elle pour Doña Catalina, comme -à l’ordinaire, par un trop heureux coup de pointe et quelque départ -précipité? Ou plutôt ne fut-ce pas l’ennui d’écrire, le dégoût de -vivre et de conter toujours la même vie?_ - -_Quoi qu’il en soit, ses traces se perdent durant quatre années. Nous -la retrouvons en Espagne. A la date de 1630, on lit dans un journal -manuscrit des choses de Séville cité par Muñoz:--Le 4 juillet, la Monja -Alferez alla à la Cathédrale. Elle avait été nonne à San Sebastian, -s’enfuit, passa aux Indes en 1603, y fut, pendant vingt ans qu’elle y -servit, tenue pour castrat, revint en Espagne, alla à Rome où le pape -Urbain VIII lui octroya dispense et licence de se vêtir en homme.... -Le Capitaine Don Miguel de Echazarreta, qui l’avait jadis menée aux -Indes comme mousse, y retourne en qualité de Général et l’emmène comme -Alferez.--Effectivement, à la date du 21 juillet de la même année, au -folio 160 du livre de Despacho, l’Alferez doña Catalina de Erauso est -inscrit comme passager sur la flotte à destination de la Nouvelle -Espagne, par cédule de Sa Majesté._ - -_Enfin, en 1645, le P. Fray Nicolas de Renteria, de l’ordre des -Capucins, la rencontra plusieurs fois à la Vera Cruz où elle était -connue sous le nom de Don Antonio de Erauso et faisait, avec -quelques mulets et quelques nègres qu’elle avait, des transports de -marchandises. Elle conduisit même Fray Nicolas et son bagage de la côte -jusqu’à Mexico. Elle était tenue pour un brave sujet, dit le Révérend -Père, de beaucoup de cœur et de dextérité; vêtue d’un habit d’homme, -elle portait une épée et sa dague garnies d’argent. Elle pouvait être -âgée de cinquante ans environ, bien bâtie, bien en chair, de visage -basané, avec quelques petits poils de moustache._ - -_Et c’est tout. On ne sait plus rien de la Nonne Alferez doña Catalina -de Erauzo. Elle disparaît sans retour. Mourut-elle dans son lit, de sa -triste mort, comme dit un chroniqueur militaire? D’aucuns prétendent -que son convoi de mules fut attaqué et qu’elle fut détroussée et -assassinée par une bande de ces braves gens qui, dès lors, battaient -les grands chemins, au Mexique. Son corps fut sans doute jeté dans -quelqu’une de ces ravines profondes qui bordent la route de Vera Cruz à -Mexico. D’autres croient qu’elle fut emportée par le Diable._ - - - - -[Illustration] - - - - -NOTE BIBLIOGRAPHIQUE - - -C’est _à l’obligeance de l’éminent érudit D. Pedro de Madrazo que nous -devons nos renseignements sur la_ Relacion Verdadera _et la_ Segunda -Relacion _imprimées à Madrid par Bernardino de Guzman en 1624 et 1625, -et sur les manuscrits de_ La Vida y sucesos de la Monja Alferez, _dont -l’un appartient à D. Sancho Rayon et l’autre à la Bibliothèque de -la Royale Académie de l’Histoire. Ce dernier provient de Muñoz et a -servi à M. de Ferrer pour établir le texte de l’_Historia _imprimée -en 1829 par Jules Didot. L’année suivante, Bossange édita une très -médiocre version française qui est aujourd’hui peut-être plus rare -encore que l’original. Nous avons eu sous les yeux une autre édition de -l’_Historia _(Barcelona, imprenta de José Tauló. 1838) qui n’est qu’une -reproduction du texte de Ferrer_. - -_Nous devons mentionner encore, dans le Musée des Familles de 1838-39, -un article où, en quelques pages, la duchesse d’Abrantès a fort -agréablement résumé la vie de notre héroïne. Enfin, M. Alexis de Valon_ -(Nouvelles et Chroniques. _Dentu, 1851_), _dans un récit intitulé_ -Catalina de Erauso, _a fâcheusement dénaturé cette figure singulière -de la Monja Alferez, dont les Mémoires si caractéristiques nous ont -paru dignes d’être fidèlement traduits en français._ - - J.-M. H. - - - - - _Achevé d’imprimer_ - - le treize mars mil huit cent quatre-vingt-quatorze - - PAR - - ALPHONSE LEMERRE - - 25, RUE DES GRANDS-AUGUSTINS, 25 - - _A PARIS_ - - - - -COLLECTION LEMERRE ILLUSTRÉE - -Volumes in-32, illustrés de gravures sur bois, imprimés sur papier -vélin. - -Chaque volume: broché, 2 francs; relié: 3 francs. - - -PAUL BOURGET: _Un Scrupule_ 1 vol. - Illustrations de Myrbach. - -FRANÇOIS COPPÉE: _Rivales_ 1 vol. - Illustrations de Moisand. - -A. DE MUSSET: _Frédéric et Bernerette_. 1 vol. - Illustrations de Myrbach. - -ANDRÉ THEURIET: _L’Abbé Daniel_. 1 vol. - Illustrations de Jeanniot. - -A. DE MUSSET: _Le Fils du Titien.--Croisilles_ 1 vol. - Illustrations de Paul Chabas. - -STENDHAL: _L’Abbesse de Castro_. 1 vol. - Illustrations de Paul Chabas. - -PAUL BOURGET: _Un Saint_. 1 vol. - Illustrations de Paul Chabas. - -MARCEL PRÉVOST: _Le Moulin de Nazareth_ 1 vol. - Illustrations de Myrbach. - -J.-M. DE HEREDIA: _La Nonne Alferez_. 1 vol. - Illustrations de Daniel Vierge. - - -EN PRÉPARATION - -FRANÇOIS COPPÉE: _Henriette_. 1 vol. - Illustrations de Orazi. - - -_Paris. Imp. Lemerre, 25, r. des Grands-Augustins._ - - - - - -End of Project Gutenberg's La Nonne Alferez, by José-María de Heredia - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA NONNE ALFEREZ *** - -***** This file should be named 62216-0.txt or 62216-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/6/2/2/1/62216/ - -Produced by Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online -Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/Canadian Libraries) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: La Nonne Alferez - -Author: José-María de Heredia - -Illustrator: Daniel Vierge - -Release Date: May 24, 2020 [EBook #62216] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA NONNE ALFEREZ *** - - - - -Produced by Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online -Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/Canadian Libraries) - - - - - - -</pre> - -<hr class="full" /> - -<div class="figcenter"> -<img src="images/cover.jpg" width="283" height="500" alt="" /> -</div> - -<table border="0" cellpadding="4" cellspacing="0" summary="" -style="border:2px solid gray;text-align:center; -margin:1em auto 2em auto;max-width:50%;"> -<tr><td class="smcap"> -<a href="#CHAPITRE_I">Chapitre: I, </a> -<a href="#CHAPITRE_II"> II, </a> -<a href="#CHAPITRE_III"> III, </a> -<a href="#CHAPITRE_IV"> IV, </a> -<a href="#CHAPITRE_V"> V, </a> -<a href="#CHAPITRE_VI"> VI, </a> -<a href="#CHAPITRE_VII"> VII, </a> -<a href="#CHAPITRE_VIII"> VIII, </a> -<a href="#CHAPITRE_IX"> IX, </a> -<a href="#CHAPITRE_X"> X, </a> -<a href="#CHAPITRE_XI"> XI, </a> -<a href="#CHAPITRE_XII"> XII, </a> -<a href="#CHAPITRE_XIII"> XIII, </a> -<a href="#CHAPITRE_XIV"> XIV, </a> -<a href="#CHAPITRE_XV"> XV, </a> -<a href="#CHAPITRE_XVI"> XVI, </a> -<a href="#CHAPITRE_XVII"> XVII, </a> -<a href="#CHAPITRE_XVIII"> XVIII, </a> -<a href="#CHAPITRE_XIX"> XIX, </a> -<a href="#CHAPITRE_XX"> XX, </a> -<a href="#CHAPITRE_XXI"> XXI, </a> -<a href="#CHAPITRE_XXII"> XXII, </a> -<a href="#CHAPITRE_XXIII"> XXIII, </a> -<a href="#CHAPITRE_XXIV"> XXIV, </a> -<a href="#CHAPITRE_XXV"> XXV, </a> -<a href="#CHAPITRE_XXVI"> XXVI. </a><br /> -<a href="#EPILOGUE">Épilogue.</a><br /> -<a href="#NOTE_BIBLIOGRAPHIQUE">Note Bibliographique </a> -</td></tr> -</table> - -<p class="c"><span class="red">COLLECTION LEMERRE ILLUSTRÉE</span></p> -<p> </p> - -<p class="cig">JOSÉ-MARIA DE HEREDIA</p> - -<h1>La<br /><br /> -Nonne Alferez</h1> - -<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> -<tr><td> -<p><img src="images/colophon.jpg" -width="150" -alt="" -/></p> -</td><td> -<p class="c"><i>Illustrations<br /> -de<br /> -<span class="red">DANIEL VIERGE</span></i><br /> -gravées<br /> -par<br /> -<span class="red">PRIVAT-RICHARD</span></p> -</td></tr> -</table> - -<p class="c">PARIS<br /> -<span class="red">ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR</span><br /> -<i>23-31, Passage Choiseul, 23-31</i><br /> -1894 -<br /><br /><br /> -<big>La<br /> -Nonne Alferez</big><br /> -<br /><br /><i>Tous droits réservés.</i></p> - -<p class="c">JOSÉ-MARIA DE HEREDIA</p> - -<h1>La<br /> -Nonne Alferez</h1> - -<p class="c">ILLUSTRATIONS DE DANIEL VIERGE<br /> -<br /> -GRAVÉES PAR PRIVAT-RICHARD<br /> -<br /> -<img src="images/colophon2.png" -width="125" -alt="" -/><br /> -<br /> -PARIS<br /> -<br /> -ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR<br /> -<br /> -<i>23-31, Passage Choiseul, 23-31</i><br /> -<br /> -1894<br /> -<span class="pagenum"><a name="page_i" id="page_i">{i}</a></span></p> - -<h2> -<img src="images/bar.png" -width="350" -alt="" -/><br /> -<a name="PREFACE" id="PREFACE"></a>PRÉFACE</h2> - -<p class="nind"><span class="letra">B</span><span class="smcap">ien</span> <i>qu’elle ait toute l’allure aventureuse -et picaresque d’un roman de cape et d’épée, -l’histoire de la Nonne Alferez est une histoire -vraie. Elle sent même parfois terriblement -fort la vérité. Catalina de Erauso a -vécu, d’une vie exaspérée, comme disent les -Espagnols. Le récit qu’elle en écrivit, de sa -main plus dextre à manier l’épée que la -<span class="pagenum"><a name="page_ii" id="page_ii">{ii}</a></span>plume, étonna ses contemporains. De graves -historiens font mention de cette femme -extraordinaire. Une première et une seconde</i> -Relacion <i>de ses exploits et hauts faits furent -publiées coup sur coup, en 1625, à Madrid -par Bernardino de Guzman et par Simon -Faxardo à Séville. Lorsqu’elle revint en -Espagne, l’élève bien-aimé du grand Lope, -Juan Perez de Montalvan, composa et fit -jouer à la Cour sa Comédie Fameuse de la -Monja Alferez. Enfin, en 1829, M. Joaquin -Maria de Ferrer imprima à Paris, -chez Jules Didot, d’après un manuscrit de -l’historien Muñoz, le texte complet de l’</i>Historia, -<i>accompagné de nombreuses notes et de -force pièces justificatives, actes de baptême, -extraits de registres conventuels, attestations, -états de services, enquêtes, requêtes, -certificats et décrets royaux. Ce petit livre<span class="pagenum"><a name="page_iii" id="page_iii">{iii}</a></span> -est aujourd’hui des plus rares. Il s’ouvre par -une longue préface où l’éditeur, après avoir -savamment disserté sur les sphinx, les hippogriffes, -les acéphales, les androgynes et les -hermaphrodites, compare Doña Catalina -aux femmes illustres de tous les temps, à -Sapho, à Aspasie, à Portia, à Sainte Thérèse -et à Madame de Staël. Le portrait de -l’héroïne gravé d’après une peinture du -maître Sévillan Pacheco semble peu propre à -justifier, du moins physiquement, cette comparaison. -Doña Catalina, avec la golille, le -hausse-col de fer et le pourpoint de buffle -aux aiguillettes mal nouées, est, à vrai -dire, peu avenante, d’aspect viril, militaire -et rébarbatif. Nous avons un autre portrait -d’elle, d’après le vif, à la plume. Dans sa -dix-septième lettre de Rome, datée du 11 juil<span class="pagenum"><a name="page_iv" id="page_iv">{iv}</a></span>let -1626, le voyageur Pietro della Valle, le -Pèlerin, comme on le nomme, écrivait à -son ami Mario Schipano:—Le 5 de juin -vint pour la première fois chez moi l’Alfiere -Caterina d’Arcuso, Biscaïenne, arrivée la -veille même d’Espagne. C’est une demoiselle -d’environ trente-cinq à quarante ans.... Sa -renommée m’était parvenue jusque dans -l’Inde Orientale. Ce fut mon ami le P. Rodrigo -de San Miguel, son compatriote, qui -me l’amena. Je la fis depuis connaître à plusieurs -Dames et à des Cavaliers dont l’entretien -lui agréait davantage. Le Signor -Francesco Crescentio, bon peintre, l’a portraicturée. -Grande et forte de taille, d’apparence -plutôt masculine, elle n’a pas plus de -gorge qu’une fillette. Elle me dit avoir fait -je ne sais quel remède pour se la faire passer.<span class="pagenum"><a name="page_v" id="page_v">{v}</a></span> -Ce fut, je crois, un emplâtre fourni par un -Italien. L’effet en fut douloureux, mais fort -à souhait. De visage, elle n’est point trop -laide, mais assez fatiguée et déjà sur l’âge. -Ses cheveux noirs sont courts, comme il sied -à un homme, et mêlés en crinière, à la mode -du jour. L’air est plutôt d’un eunuque que -d’une femme. Elle s’habille en homme, à -l’espagnole, porte l’épée bravement, comme -la vie, avec la tête un peu basse et enfoncée -dans des épaules trop hautes. Bref, elle a la -mine plus d’un soldat que d’un mignon de -Cour. Seule, sa main pourrait faire douter -de son sexe, car elle est pleine et charnue, -bien que robuste et forte, et le geste en a -parfois encore je ne sais quoi de féminin.</i></p> - -<p><i>Telle fut la Nonne Alferez, doña Catalina -de Erauso. Écoutez l’histoire de sa vie<span class="pagenum"><a name="page_vi" id="page_vi">{vi}</a></span> -qu’elle va vous narrer elle-même. C’est une -confession hardie, peut-être sincère, qu’elle -commença d’écrire ou de dicter le 18 septembre -de l’an 1624, alors quelle rentrait -en Espagne sur le galion le Saint-Joseph. -Ce fut sans doute pour occuper le désœuvrement -de ces longues journées de traversée -qu’allongent les calmes étouffants de la mer -des Tropiques. Peut-être sentit-elle l’impérieux -besoin de décharger sa conscience, son -cœur trop lourds. Dans l’inaction forcée, prisonnière -lasse de fouler les planches d’un -pont de navire, elle se plut à revivre par la -pensée les aventures d’autrefois, les courses à -cheval à travers les Andes, en quête d’El -Dorado, les querelles, les combats, les fuites, -la fortune hasardeuse, la vie errante et -libre. Elle l’a fait dans une langue nette,<span class="pagenum"><a name="page_vii" id="page_vii">{vii}</a></span> -concise et mâle. Elle ne parle d’elle-même -au féminin que très rarement, dans les cas -désespérés, aux minutes de suprême détresse, -alors qu’elle sent la Mort et qu’elle a peur -de l’Enfer. Ce récit naïf et brutal reflète -rapidement son âme et sa vie. Elles furent -d’un homme d’action.</i><span class="pagenum"><a name="page_viii" id="page_viii">{viii}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 300px;"> -<a href="images/illu-014_lg.jpg"> -<img src="images/illu-014_sml.jpg" width="300" height="536" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_1" id="page_1">{1}</a></span></p> - - -<h2><a name="CHAPITRE_I" id="CHAPITRE_I"></a> -<img src="images/bar.png" -width="350" -alt="" -/><br /><br /><span class="blk"><i>LA<br /><br /> -NONNE ALFEREZ</i></span><br /><br /> -CHAPITRE I</h2> - -<div class="blockquot"><p class="c"><i>Son pays, ses parents, sa naissance, son éducation, -sa fuite et ses courses à travers -l’Espagne.</i></p></div> - -<p class="nind"><span class="letra">M</span><span class="smcap">oi</span> doña Catalina de Erauso, je suis née -en la ville de San Sebastian de Guipuzcoa, -l’an mil cinq cent quatre-vingt-cinq, fille -du capitaine don Miguel de Erauso et de -doña Maria Perez de Galarraga y Arce,<span class="pagenum"><a name="page_2" id="page_2">{2}</a></span> -natifs et bourgeois de ladite ville. Mes parents -me nourrirent dans leur maison avec -mes autres frères jusques à l’âge de quatre -ans. En mil cinq cent quatre-vingt-neuf, -ils me firent entrer au couvent de San Sebastian -et Antiguo, lequel est de nonnes -Dominicaines. Ma tante doña Ursula de -Unza y Sarasti, cousine germaine de ma -mère, en était prieure. J’y fus tenue jusques -à l’âge de quinze ans et il fut alors -traité de ma profession. J’étais presque au -bout de mon année de noviciat, lorsque je -me pris de querelle avec une nonne professe -nommée doña Catalina de Aliri, laquelle -étant veuve, était entrée au couvent -et y avait fait profession. Elle était robuste -et moi fillette; elle me rudoya manuellement -et je le ressentis.</p> - -<p>La nuit du dix-huit mars de l’an mil -six cent, vigile de Saint-Joseph, la communauté -se levant à minuit pour chanter -matines, j’entrai dans le chœur et y trou<span class="pagenum"><a name="page_3" id="page_3">{3}</a></span>vai -ma tante agenouillée. Elle m’appela -et, me baillant la clef de sa cellule, m’ordonna -de lui aller querir son bréviaire. -J’y allai, j’ouvris, le pris et vis, pendues -à un clou, les clefs du couvent. Je laissai -la cellule ouverte et rapportai à ma tante -sa clef et son bréviaire. Les nonnes étaient -au chœur et les matines solennellement -commencées. A la première leçon, je m’approchai -de ma tante et lui demandai congé, -sous prétexte que j’étais malade. Ma tante, -me mettant la main sur la tête, me dit:—Va, -couche-toi. Je quittai le chœur, -allumai une chandelle, retournai à la cellule -et, y ayant pris, outre les clefs du -couvent, des ciseaux, du fil, une aiguille -et quelques réaux de huit qui traînaient -par là, je sortis, ouvrant et refermant les -portes. A la dernière qui était celle de dehors, -j’ôtai mon scapulaire et me lançai -dans la rue, sans l’avoir jamais vue ni savoir -de quel côté tirer ni où aller. Je pris<span class="pagenum"><a name="page_4" id="page_4">{4}</a></span> -à l’aventure et m’en vins donner en une -châtaigneraie qui est hors la ville, derrière -et tout contre le couvent. Je m’y -cachai et y demeurai trois jours, m’accommodant -et coupant de quoi me vêtir. Je -taillai et me fis dans une basquine de drap -bleu que j’avais, des chausses, et d’un cotillon -vert de tiretaine que je portais dessous, -un pourpoint et des guêtres. Ne sachant -que faire de mon habit, je le laissai -là. Je me coupai les cheveux et les jetai. -La troisième nuit, je partis et, poussant à -l’aventure à travers routes et villages, afin -de gagner au large, je vins aboutir à Vitoria, -à une vingtaine de lieues de San -Sebastian, à pied et très lasse, sans avoir -rien mangé que les herbes que je trouvais -le long du chemin.</p> - -<p>J’entrai dans Vitoria sans savoir où gîter. -Au bout de quelques jours, je m’accommodai -avec le Docteur don Francisco -de Cerralta qui y occupait une chaire,<span class="pagenum"><a name="page_5" id="page_5">{5}</a></span></p> - -<div class="figright" style="width: 273px;"> -<a href="images/illu-019_lg.jpg"> -<img src="images/illu-019_sml.jpg" width="273" height="398" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -</div> - -<p class="nind">lequel m’accueillit facilement, sans me connaître, -et m’habilla. Il était marié avec une -cousine germaine -de ma mère, -à ce que je sus -depuis; mais je -ne me découvris -point. Je demeurai -avec lui quelque -chose comme -trois mois, au -cours desquels, -me voyant bien -lire le latin, il se -prit de plus de -goût pour moi et -me voulut faire -étudier. Je m’y -refusai, il s’entêta, -insistant à renfort de mains. Là-dessus, -je déterminai de le quitter, ce que je -fis ainsi: je lui pris quelque monnaie, et<span class="pagenum"><a name="page_6" id="page_6">{6}</a></span> -m’arrangeant avec un muletier qui allait -à Valladolid, à quarante-cinq lieues de là, -je partis en sa compagnie.</p> - -<p>En entrant à Valladolid où se tenait -pour lors la Cour, je me plaçai comme -page chez don Juan de Idiaquez, secrétaire -du Roi. Il me vêtit proprement, et je pris -le nom de Francisco Loyola. Je demeurai -là sept mois, bien aise. Au bout de ce -temps, une nuit que je me tenais à la -porte avec un autre page, mon compagnon, -mon père survint et s’enquit de nous si le -seigneur don Juan était céans. Mon camarade -répondit que oui. Mon père lui -dit de l’aviser qu’il était là. Le page monta, -et je restai avec mon père sans nous dire -mot et sans qu’il me reconnût. Le page -revint et lui dit de monter. Il entra, je le -suivis. Don Juan sortit sur l’escalier et, -l’accolant, s’écria:—Seigneur Capitaine, -quel bon vent vous amène? Mon père lui -répondit de telle sorte qu’il comprit qu’il<span class="pagenum"><a name="page_7" id="page_7">{7}</a></span> -avait quelque ennui. Il rentra, congédia -une visite et revint. Ils s’assirent. Il demanda -ce qu’il y avait de neuf, et mon -père lui dit comme quoi sa fille s’était sauvée -du couvent, ce qui l’amenait dans ces -parages, à sa recherche. Don Juan témoigna -d’en être très marri, autant pour le -chagrin qu’en avait mon père et pour moi -qu’il aimait fort, qu’à cause du couvent -dont il était patron par fondation de ses -ancêtres et du pays où il était né. Quant -à moi, après avoir ouï l’entretien et les -doléances paternelles, je me retirai, courus -à mon appartement, pris mes hardes et -sortis emportant à peu près huit doublons -que je me trouvais avoir. J’allai à l’auberge -où je dormis cette nuit-là et, ayant -su qu’un muletier partait le lendemain -pour Bilbao, je fis prix avec lui et, à l’aube, -levai le pied sans savoir que faire ni où -aller, sinon me laisser emporter du vent -comme une plume.<span class="pagenum"><a name="page_8" id="page_8">{8}</a></span></p> - -<p>Au bout d’un long chemin, une quarantaine -de lieues, ce me semble, j’entrai -dans Bilbao, où je ne trouvai ni gîte ni -commodité. Et je ne savais que faire de -moi. Sur ces entrefaites, quelques garçonnets -s’avisèrent de m’entourer et dévisager -tant et si bien qu’ils m’importunèrent. Il -me fallut ramasser des pierres et les leur -jeter. Je dus en blesser un, je ne sais où, -car je ne le vis point. Là-dessus, je fus -appréhendé au corps et tenu un long mois -en la prison, jusqu’à ce qu’il guérit. Alors, -on me lâcha. Les frais payés, il me restait -quelque monnaie. Je sortis incontinent et -partis pour Estella de Navarre, qui doit -être à quelque vingt lieues. J’entrai à -Estella et m’y accommodai pour page de -don Carlos de Arellano, de l’habit de -Saint-Jacques, en la maison et service duquel -je demeurai deux ans bien traité et -vêtu. Après quoi, sans autre raison que -mon caprice, je laissai cette commodité<span class="pagenum"><a name="page_9" id="page_9">{9}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 293px;"> -<a href="images/illu-023_lg.jpg"> -<img src="images/illu-023_sml.jpg" width="293" height="442" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p> -[<i><a href="#page_3">P. 3</a></i>]<br /> -</p></div> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_11" id="page_11">{11}</a></span> </p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_10" id="page_10">{10}</a></span> </p> - -<p class="nind">et passai à San Sebastian, mon pays, à dix -lieues de là, où je me tins, sans être connu -de personne, nippé et galant à merveille. -Un jour, j’allai ouïr la messe à mon couvent. -Ma mère y assistait aussi. Je vis -qu’elle me regardait. Elle ne me reconnut -pas. La messe dite, des nonnes m’appelèrent -au chœur, mais je fis le sourd et, -après force courtoisies, m’esquivai lestement. -C’était au commencement de l’année -mil six cent trois.</p> - -<p>De là, je me rendis au port du Pasage -qui n’est qu’à une lieue. J’y fis rencontre -du capitaine Miguel de Borroiz dont le navire -était en partance pour Séville. Je le -priai de m’emmener, et m’appointai avec -lui au prix de quarante réaux. Je m’embarquai, -nous partîmes et arrivâmes promptement -à San Lucar. Aussitôt débarqué, -j’allai visiter Séville et, encore que tout -me conviât à m’y amuser, je ne m’y arrêtai -que deux jours et revins sans plus<span class="pagenum"><a name="page_12" id="page_12">{12}</a></span></p> - -<div class="figright" style="width: 311px;"> -<a href="images/illu-026_lg.jpg"> -<img src="images/illu-026_sml.jpg" width="311" height="426" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p>[<a href="#page_6"><i>P. 6</i></a>]</p></div> -</div> - -<p class="nind">tarder à San Lucar. J’y rencontrai le capitaine -Miguel de Echazarreta, mon compatriote, -lequel commandait une patache des -galions dont était Général don Luis Fer<span class="pagenum"><a name="page_13" id="page_13">{13}</a></span>nandez -de Cordova, dans l’Armada que, -l’an mil six cent trois, don Luis Fajardo -menait à la pointe de Araya. Je m’enrôlai -comme mousse sur un galion du capitaine -Estevan Eguiño, mon oncle, cousin germain -de ma mère, lequel vit aujourd’hui à -San Sebastian. Je m’embarquai, et nous -partîmes de San Lucar le Lundi Saint de -l’an mil six cent trois.<span class="pagenum"><a name="page_14" id="page_14">{14}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_II" id="CHAPITRE_II"></a>CHAPITRE II</h2> - -<div class="blockquot"><p class="c"><i>Elle part de San Lucar pour la pointe de -Araya, Carthagène, Nombre de Dios et -Panama.</i></p></div> - -<p class="nind"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> passai quelques misères au cours du -voyage, pour être novice dans le métier. -Sans me connaître, mon oncle me prit en -goût et me fit fête en apprenant d’où j’étais -et les noms supposés de mes parents. -Il ne me reconnut point, et j’eus en lui un -soutien.</p> - -<p>En arrivant à la pointe de Araya, nous y<span class="pagenum"><a name="page_15" id="page_15">{15}</a></span> -trouvâmes une flottille ennemie fortifiée -à terre. Notre Armada l’en chassa. Finalement, -nous gagnâmes Carthagène des -Indes, où nous demeurâmes huit jours. -Là, je me fis rayer du rôle d’équipage et -passai au service dudit capitaine Eguiño, -mon oncle. Nous allâmes à Nombre de -Dios et y restâmes neuf jours. Et comme -il nous y mourait force gens, on hâta le -départ.</p> - -<p>L’argent embarqué et tout mis à point -pour retourner en Espagne, je fis à mon -oncle un trait de conséquence en lui prenant -cinq cents pesos. Sur les dix heures -de nuit, cependant qu’il dormait, je sortis -et dis aux gardes que le capitaine m’envoyait -à terre pour affaire. Comme ils me -connaissaient, ils me laissèrent bonnement -passer. Je sautai à terre, et oncques plus ils -ne me virent. Une heure après, on tira le -canon de partance et, les ancres levées la -flotte mit à la voile.<span class="pagenum"><a name="page_16" id="page_16">{16}</a></span></p> - -<p>L’Armada partie, je m’accommodai avec -le capitaine Juan de Ibarra, Facteur des -Caisses Royales du Panama, lequel est -encore vivant. Quatre ou six jours après, -nous partîmes pour Panama où il habitait. -Je restai environ trois mois avec lui. Ce -n’était pas un bon marché que j’avais fait -là, car il était chiche et je dus dépenser -tout ce que j’avais tiré de mon oncle, si -bien qu’il ne m’en demeura pas quatre maravédis. -Il me fallut donc prendre congé -afin de chercher ailleurs mon remède. En -faisant mes diligences, je découvris Juan -de Urquiza, marchand de Truxillo, avec -lequel je m’appointai. Je m’en trouvai à -merveille. Nous demeurâmes trois mois à -Panama.<span class="pagenum"><a name="page_17" id="page_17">{17}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 313px;"> -<a href="images/illu-031_lg.jpg"> -<img src="images/illu-031_sml.jpg" width="313" height="497" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p>[<a href="#page_3"><i>P. 3</i></a>]</p></div> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_18" id="page_18">{18}</a></span> </p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_19" id="page_19">{19}</a></span> </p> - -<h2><a name="CHAPITRE_III" id="CHAPITRE_III"></a>CHAPITRE III</h2> - -<div class="blockquot"><p class="c"><i>De Panama, elle passe avec son maître Urquiza, -marchand de Truxillo, au port de -Paita et de là à la ville de Saña.</i></p></div> - -<p class="nind"><span class="letra">D</span><span class="smcap">e</span> Panama, je partis sur une frégate -avec mon maître Juan de Urquiza pour le -port de Paita, où il avait une grosse cargaison. -En arrivant à Manta, un si rude -coup de vent nous assaillit que nous fîmes -côte. Ceux qui savaient nager comme moi, -mon maître et quelques autres, prirent -terre; le reste périt. Nous nous rembar<span class="pagenum"><a name="page_20" id="page_20">{20}</a></span>quâmes -audit port de Manta sur un galion -du Roi, ce qui nous coûta de l’argent. -Bref, nous partîmes et arrivâmes enfin à -Paita.</p> - -<p>Mon maître y trouva, comme il l’espérait, -toutes ses marchandises chargées en -un navire du capitaine Alonso Cerrato, et -m’ayant commandé de les décharger suivant -leurs numéros d’ordre et de lui en -faire à mesure remise là-bas, il partit. Je -m’y embesognai aussitôt, déchargeant les -marchandises et les lui remettant à mesure -à Saña où il les recevait. Ladite ville -de Saña est à quelque soixante lieues de -Paita. Enfin, avec les dernières charges, -je partis de Paita pour Saña. A l’arrivée, -mon maître me reçut à bras ouverts, se -montrant satisfait de ma bonne besogne. Il -me fit faire sur-le-champ deux fort braves -habits, l’un noir et l’autre de couleur, me -traitant bien en tout. Il m’installa en une -sienne boutique, me confia, tant en mar<span class="pagenum"><a name="page_21" id="page_21">{21}</a></span>chandises -qu’en argent en compte, plus -de cent trente -mille pesos, et -m’inscrivit sur -un registre les -prix auxquels -je devais vendre -chaque -chose. Il me -laissa deux esclaves -pour me -servir, une -négresse pour -cuisiner, et -m’assigna trois -piastres pour la -dépense de chaque -jour. Cela -fait, emportant -le reste de son -bien, il partit pour la cité de Truxillo distante -d’une trentaine de lieues.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 257px;"> -<a href="images/illu-035_lg.jpg"> -<img src="images/illu-035_sml.jpg" width="257" height="435" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p> -[<a href="#page_11"><i>P. 11</i></a>]<br /> -</p></div> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_22" id="page_22">{22}</a></span></p> - -<p>Il me laissa aussi dans ledit registre la -liste des personnes auxquelles je pouvais -bailler à crédit la marchandise qu’elles -voudraient et pourraient prendre, comme -étant à son gré et sûres, mais suivant -compte raisonné et chaque article couché -sur le livre. Cet avis concernait particulièrement -Madame doña Beatriz de Cardenas, -personne de toute sa satisfaction et obligation. -Après quoi, il partit pour Truxillo. -Moi, je demeurai à Saña, en ma boutique, -vendant conformément à la règle qu’il -m’avait laissée, recouvrant et inscrivant -sur le livre, avec mention du jour, mois -et année, qualité, aunage, nom des acheteurs -et prix, ainsi que ce que je donnais à -crédit. Madame doña Beatriz de Cardenas -commença à prendre des étoffes, continua -et y alla si largement que j’entrai en doute. -Sans qu’elle le pût soupçonner, j’écrivis -tout par le menu à mon maître à Truxillo. -Il me répondit que c’était bien et que,<span class="pagenum"><a name="page_23" id="page_23">{23}</a></span> -pour le cas de ladite dame, si elle me demandait -la boutique entière, je la lui pouvais -bailler. Sur quoi, gardant par devers -moi cette lettre, je laissai courir.</p> - -<p>Qui m’eût dit que cette sérénité devait -m’être si peu durable et promptement suivie -de si grièves peines! J’étais, un jour -de fête, à la comédie, assis à la place que -j’avais prise, lorsque, sans plus d’égard, -un quidam nommé Reyes entra et se mit -droit devant, sur un autre siège si collé à -moi qu’il m’empêchait de voir. Je le priai -de s’écarter un peu. Il répondit insolemment, -je répliquai du même ton. Il m’enjoignit -de sortir ou qu’il me couperait la -figure. Me trouvant sans autre arme qu’une -dague, je lui quittai le lieu, plein de rancœur. -Quelques amis informés du fait me -suivirent et m’apaisèrent. Le lendemain, -un lundi, dans la matinée, tandis que j’étais -occupé à vendre dans ma boutique, le -Reyes passa devant la porte et repassa. J’y<span class="pagenum"><a name="page_24" id="page_24">{24}</a></span> -pris garde, fermai la boutique, saisis un -couteau et, courant chez un barbier, le fis -passer à la meule et affiler en scie. Je me -mis une épée qui fut la première que je -ceignis, et voyant Reyes qui se promenait -avec un autre devant l’église, j’allai à lui -par derrière et lui criai:—Holà! seigneur -Reyes! Il se retourne, disant:—Qu’est-ce -qu’on me veut?—Celle-ci est la figure -qui se coupe! fis-je, le balafrant avec le -couteau d’une estafilade à dix coutures. -Il porta les mains à sa plaie, son ami tira -l’épée et me vint sus. J’en fis de même. -Nous ferraillâmes et je lui entrai ma pointe -par le côté gauche. Il tomba. Je courus à -l’église. Tôt après, le corregidor don Mendo -de Quiñonez, de l’habit d’Alcantara, y -entra, me traîna dehors, me mena à la prison -(ce fut ma première) et me fit ferrer -et mettre aux ceps.</p> - -<p>J’avisai mon maître Juan de Urquiza -qui était à Truxillo, à trente lieues de<span class="pagenum"><a name="page_25" id="page_25">{25}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 314px;"> -<a href="images/illu-039_lg.jpg"> -<img src="images/illu-039_sml.jpg" width="314" height="495" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p> -[<a href="#page_15"><i>P. 15</i></a>]<br /> -</p> -</div> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_27" id="page_27">{27}</a></span> </p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_26" id="page_26">{26}</a></span> </p> - -<p>Saña. Il accourut, parla au Corregidor et -fit d’autres bonnes diligences, moyennant -quoi il obtint l’allégement de ma prison. -La cause suivit son cours. Je fus, après -trois mois de plaids et procédures du Seigneur -Évêque, restitué à l’église d’où j’avais -été extrait. Sur ces entrefaites, mon -maître me dit que pour sortir de ce conflit, -éviter le bannissement et m’ôter du sursaut -d’être tué, il avait imaginé une chose -bienséante qui était de me marier à doña -Beatriz de Cardenas dont la nièce était -femme de ce même Reyes auquel j’avais -coupé la figure; ce qui arrangerait tout. -Il faut savoir que cette doña Beatriz de -Cardenas était la mignonne de mon maître -qui, par ce moyen, s’assurait de nous, de -moi pour son service et d’elle pour son -plaisir. Ils étaient, ce semble, tous deux -d’accord, car après avoir été restitué à l’église, -je sortais de nuit et allais chez ladite -dame qui me caressait fort. Prétextant<span class="pagenum"><a name="page_28" id="page_28">{28}</a></span> -la peur de la Justice, elle me suppliait de -ne pas rentrer nuitamment à l’église et de -rester près d’elle. Une nuit, elle m’enferma, -me déclara que malgré que le diantre -en eût, il me fallait dormir avec elle -et me serra de si près que je dus jouer des -mains pour m’esquiver.</p> - -<p>Je me hâtai de dire à mon maître qu’il -ne pouvait être question d’un pareil mariage, -que pour rien au monde je ne le ferais. -Il s’y entêta et me promit des monts -d’or, me représentant la beauté et qualités -de la dame, l’heureuse issue de cette fâcheuse -affaire et maintes autres convenances. -Néanmoins, je demeurai ferme. -Ce que voyant, mon maître me proposa -de passer à Truxillo, avec les mêmes commodités -et emploi. J’acceptai.<span class="pagenum"><a name="page_29" id="page_29">{29}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_IV" id="CHAPITRE_IV"></a>CHAPITRE IV<br /><br /> -<i>De Saña, elle passe à Truxillo et tue un homme.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">J</span>E passai à la cité de Truxillo, Évêché -suffragant de Lima, où mon maître m’avait -levé boutique. J’y entrai et me mis à -débiter en la même guise qu’à Saña, à -l’aide d’un autre livre comme le premier, -où je tenais compte des prix et crédits. -Deux mois passèrent ainsi.</p> - -<p>Un matin, vers les huit heures, j’étais,<span class="pagenum"><a name="page_30" id="page_30">{30}</a></span> -dans ma boutique, à payer une lettre de -change de mon maître de quelque vingt-quatre -mille pesos, lorsque entra un nègre -qui me dit:—Il y a à la porte des hommes -qui ont l’air d’être armés de rondaches. -Je pris l’alarme, dépêchai mon receveur -après en avoir tiré reçu et envoyai querir -Francisco Zerain. Il vint incontinent et -reconnut les trois hommes qui se tenaient -à l’entrée. C’étaient Reyes, avec son ami, -celui que j’avais couché d’une estocade à -Saña, et un autre. Après avoir recommandé -au nègre de clore la porte, nous sortîmes -dans la rue. Aussitôt ils nous chargèrent. -Nous les reçûmes et, nous escrimant, ma -malechance voulut que j’allongeasse, je ne -sais où, un coup de pointe à l’ami de Reyes. -Il tomba. Nous continuâmes à batailler -deux contre deux, avec du sang.</p> - -<p>En ce point, survint le corregidor don -Ordoño de Aguirre avec deux sergents. Il -m’empoigna. Francisco Zerain gagna au<span class="pagenum"><a name="page_31" id="page_31">{31}</a></span> -pied et entra en lieu saint. Tout en me -menant lui-même à la prison (les sergents -étaient occupés avec les autres) le Corregidor -me demanda qui et d’où j’étais. Ayant -entendu que j’étais Biscayen, il me dit en -basque de détacher, en passant devant la -cathédrale, la ceinture de cuir avec laquelle -il me tenait et de m’y réfugier, ce que je -m’empressai de faire. Je me sauvai dans -l’église, et lui resta à jeter les hauts cris.</p> - -<p>Réfugié là, j’avisai mon maître à Saña. -Il vint sans retard et tâcha d’accommoder -l’affaire, mais il n’y eut pas moyen parce -qu’on renforça l’homicide de je ne sais -quelles autres vétilles. Il se fallut résoudre -à me faire filer à Lima. Je rendis mes -comptes, mon maître me fit faire deux habits, -me donna deux mille six cents pesos -et une lettre de recommandation, et je -partis.<span class="pagenum"><a name="page_32" id="page_32">{32}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_V" id="CHAPITRE_V"></a>CHAPITRE V<br /><br /> -<i>Elle va de Truxillo à Lima.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">P</span>ARTI de Truxillo, après plus de quatre-vingts -lieues de route, j’entrai dans la cité -de Lima, capitale de l’opulent royaume du -Pérou, lequel comprend cent deux cités -d’Espagnols, sans compter nombre de -villes, vingt-huit Évêchés et Archevêchés, -cent trente-six Corregidors, les Audiences -Royales de Valladolid, Granada, las Charcas, -Quito, Chili et la Paz. Lima a un<span class="pagenum"><a name="page_33" id="page_33">{33}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 294px;"> -<a href="images/illu-047_lg.jpg"> -<img src="images/illu-047_sml.jpg" width="294" height="416" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p> -[<a href="#page_30"><i>P. 30</i></a>]<br /> -</p></div> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_35" id="page_35">{35}</a></span> </p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_34" id="page_34">{34}</a></span> </p> - -<p>Évêque, une église cathédrale dans le goût -de celle de Séville, bien que moins grande, -avec cinq bénéfices, dix chanoines, six -prébendes entières et six demi-prébendes, -quatre cures, sept paroisses, douze couvents -de moines et de nonnes, huit hôpitaux, -un ermitage, tribunal d’Inquisition -(il y en a un autre à Carthagène), Université, -Vice-Roi, Audience Royale qui gouverne -le reste du Pérou, et autres magnificences.</p> - -<p>Je rendis ma lettre à Diego de Solarte, -très riche marchand, qui est aujourd’hui -Consul Mayor de Lima. C’est à lui que mon -maître Juan de Urquiza m’avait adressé. -Il m’accueillit en sa maison avec grâce et -affabilité et, peu de jours après, me remit -sa boutique, m’appointant à six cents pesos -l’an. Et je m’y employai fort à son gré et -contentement.</p> - -<p>Au bout de neuf mois, il me dit de chercher -ma vie ailleurs. Voici pourquoi. Il<span class="pagenum"><a name="page_36" id="page_36">{36}</a></span> -avait chez lui deux jeunes sœurs de sa -femme avec lesquelles, et surtout avec une -qui me plaisait davantage, j’avais coutume -de m’ébattre et folâtrer. Or, un jour que -j’étais sur l’estrade à -me peigner, couché -parmi ses jupes et -me jouant dans ses -jambes, il nous vit -par aventure à travers -la grille de la -fenêtre et l’entendit -qui me disait d’aller -au Potosi chercher -de l’argent et que -nous nous marierions. Il se retira, tôt -après m’appela, me demanda mes comptes, -me congédia, et je m’en allai.</p> - -<div class="figleft" style="width: 205px;"> -<a href="images/illu-050_lg.jpg"> -<img src="images/illu-050_sml.jpg" width="205" height="242" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -</div> - -<p>Me voilà donc mal à l’aise et mal paré. -On levait alors six compagnies pour le -Chili. J’allai m’enrôler comme soldat dans -l’une d’elles et reçus sur l’heure deux cent<span class="pagenum"><a name="page_37" id="page_37">{37}</a></span> -quatre-vingts pesos de solde. Mon maître -Diego de Solarte l’ayant su, en fut très -marri. Il n’en demandait pas autant, paraît-il. -Il m’offrit de faire diligence auprès -des officiers afin qu’on me rayât du rôle et -de rembourser l’argent que j’avais reçu. -Mais je n’y consentis point, disant que -mon inclination me portait à faire du chemin -et à voir le monde. Bref, je fus incorporé -dans la compagnie du capitaine -Gonzalo Rodriguez et, avec mille six cents -hommes de troupe dont était Mestre de -Camp Diego Bravo de Sarabia, je partis de -Lima pour la cité de la Concepcion qui en -est éloignée de cinq cent quarante lieues -environ.<span class="pagenum"><a name="page_38" id="page_38">{38}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_VI" id="CHAPITRE_VI"></a>CHAPITRE VI</h2> - -<div class="blockquot"><p class="c"><i>Arrivée à la Concepcion de Chili, elle y -trouve son frère, passe à Paicabi, prend -part à la bataille de Valdivia, gagne une -enseigne, se retire au Nacimiento, va au -Val de Puren, revient à la Concepcion et -y tue deux hommes et son propre frère.</i></p></div> - -<p class="nind"><span class="letra">N</span><span class="smcap">ous</span> arrivâmes au port de la Concepcion -après vingt jours de route. C’est une -cité passable ayant titre de Noble et Loyale. -Elle a un Évêque. Nous fûmes bien accueillis, -vu la faute de gens qu’il y avait au<span class="pagenum"><a name="page_39" id="page_39">{39}</a></span> -Chili. Le gouverneur Alonso de Ribera -envoya un ordre de nous faire débarquer -immédiatement, lequel fut apporté par son -secrétaire, le capitaine Miguel de Erauso. -En entendant son nom, je me réjouis et -compris que c’était mon frère. Je ne l’avais -jamais vu et ne le connaissais point, car il -était parti pour les Indes alors que je n’avais -que deux ans; mais j’étais informée de lui, -bien que j’ignorasse sa résidence. Il prit -la liste de la troupe et passa, demandant -à chacun son nom et son pays. Quand il -fut à moi et qu’il ouït mon nom et ma -patrie, lâchant la plume, il m’accola et se -mit à me faire cent questions sur son père, -sa mère, ses sœurs et sa petite sœur Catalina -la nonne. J’y répondis comme je -pus, sans me déceler et sans qu’il se doutât -de rien. Il continua sa liste et, l’achevant, -m’emmena dîner chez lui. Je me mis à -table. Il me dit que le préside de Paicabi -où j’étais destiné était triste logis à soldats<span class="pagenum"><a name="page_40" id="page_40">{40}</a></span> -et qu’il parlerait au Gouverneur pour me -faire changer de garnison. Après dîner, il -m’emmena chez le Gouverneur et, après -lui avoir fait son rapport sur l’arrivée de -la troupe, le pria en grâce de lui laisser -prendre dans sa compagnie un des nouveaux -venus, jouvenceau de sa terre, le -seul qu’il eût vu depuis son départ du pays. -Le Gouverneur me fit entrer et, en me -voyant, je ne sais pourquoi, dit qu’il ne -me pouvait laisser permuter. Mon frère -piqué sortit. Un moment après, le Gouverneur -le rappela et lui dit de faire à son -gré.</p> - -<p>Donc, les compagnies parties, je demeurai -avec mon frère, comme son soldat, -mangeant à sa table, quasi trois ans durant, -sans qu’il se doutât de rien. Je l’accompagnai -quelques fois chez une maîtresse -qu’il avait, puis j’y retournai seul. Il le vint -à savoir, entra en soupçon et me défendit -d’y remettre les pieds. M’ayant guetté, il<span class="pagenum"><a name="page_41" id="page_41">{41}</a></span> -m’y surprit encore, m’attendit à la sortie, -me tomba dessus à coups de ceinturon et -me blessa à la main. Force me fut de me -défendre. Au bruit, survint le capitaine -Francisco de Aillon qui mit la paix. Mais -je dus entrer à San Francisco, par peur du -Gouverneur qui était roide. Il le fut en -cette occasion. Mon frère eut beau intercéder, -il m’exila à Paicabi et j’y restai trois -ans.</p> - -<p>Il me fallut donc aller à Paicabi et y -tâter de la misère, trois ans durant, après -avoir auparavant joyeusement vécu. Nous -étions toujours les armes à la main, à cause -de la grosse invasion d’Indiens qu’il y a là. -Finalement le gouverneur Alonso de Sarabia -arriva avec toutes les compagnies du -Chili. Nous nous joignîmes à lui et nous logeâmes, -au nombre de cinq mille hommes, -non sans incommodité, dans les plaines de -Valdivia, en rase campagne. Les Indiens -prirent et ruinèrent ladite ville de Valdi<span class="pagenum"><a name="page_42" id="page_42">{42}</a></span>via. -Nous leur sortîmes à l’encontre et, -dans trois ou quatre batailles, toujours les -maltraitâmes et défîmes. Mais à la dernière -affaire, du renfort leur étant venu, la chose -tourna mal pour nous. Ils nous tuèrent -beaucoup de monde, plusieurs Capitaines -et mon Alferez dont ils prirent l’enseigne. -La voyant enlever, nous nous lançâmes -derrière, moi et deux autres cavaliers, au -milieu de la presse, foulant, frappant et -recevant force horions. Bientôt, un des -trois tomba mort. Nous poursuivîmes, nous -atteignîmes l’enseigne. Mon camarade fut -renversé d’un revers de lance. Je reçus un -mauvais coup à une jambe, et je tuai le -cacique qui portait l’enseigne et la lui repris, -poussant mon cheval, foulant, occisant -et blessant à merveille, mais aussi -lourdement blessé, traversé de trois flèches -et d’un coup de lance à l’épaule gauche, -que je sentais cruellement. Enfin, je parvins -jusqu’à nos gens et me laissai choir<span class="pagenum"><a name="page_43" id="page_43">{43}</a></span> -de cheval. Quelques-uns accoururent et, -parmi eux, mon frère que je n’avais pas -revu. Ce me fut un réconfort. On me guérit, -et nous demeurâmes logés là. Au bout -de neuf mois, mon frère m’obtint du Gouverneur -l’enseigne que j’avais gagnée et -je devins Alferez de la compagnie de don -Alonso Moreno. Peu de temps après, cette -compagnie fut donnée à don Gonzalo Rodriguez, -mon premier capitaine. J’en fus -fort aise.</p> - -<p>Je fus cinq ans Alferez. Je me trouvai -à la bataille de Puren, où mourut mondit -capitaine, et commandai la compagnie six -mois environ, durant lesquels j’eus, non -sans diverses blessures de flèches, plusieurs -rencontres avec les ennemis. Dans l’une -d’elles, j’eus affaire à un chef Indien, déjà -chrétien, nommé don Francisco Quispiguancha, -homme riche, qui nous avait fort -inquiétés par diverses alarmes. Bataillant -avec lui, je le désarçonnai, il se rendit à<span class="pagenum"><a name="page_44" id="page_44">{44}</a></span> -moi et je le fis sur-le-champ brancher à un -arbre. Le Gouverneur qui désirait l’avoir -vivant en fut très fâché et dit que, pour ce -fait, il ne m’avait point donné la compagnie. -Il la donna au capitaine Casadevante, -me réformant et me la promettant pour la -première occasion.</p> - -<p>Les troupes se retirèrent, chaque compagnie -à sa garnison, et je passai au Nacimiento, -bon seulement de nom et, pour -le demeurant, une vraie mort. On y avait, -à toute heure, les armes à la main. Je n’y -restai que peu de jours, car le Mestre de -Camp don Alvaro Nuñez de Pineda y vint, -d’ordre du Gouverneur, et en retira, ainsi -que d’autres garnisons, jusques à huit cents -hommes de cavalerie pour le Val de Puren. -J’en fus, avec d’autres officiers et capitaines. -Nous allâmes audit Val et y fîmes, -six mois durant, force dommages, dégâts -et incendies de récoltes. Après quoi, le gouverneur -don Alonso de Ribera me donna<span class="pagenum"><a name="page_45" id="page_45">{45}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 300px;"> -<a href="images/illu-059_lg.jpg"> -<img src="images/illu-059_sml.jpg" width="300" height="440" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p> -[<a href="#page_42"><i>P. 42</i></a>]<br /> -</p></div> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_47" id="page_47">{47}</a></span> </p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_46" id="page_46">{46}</a></span> </p> - -<p class="nind">licence de retourner à la Concepcion, et -étant rentré avec mon grade dans la compagnie -de don Francisco Navarrete, je m’y -tins.</p> - -<p>La fortune jouait avec moi à heur ou -malheur. J’étais bien tranquille à la Concepcion, -lorsqu’un jour, trouvant au corps -de garde un autre Alferez de mes amis, -j’entrai avec lui dans une maison de jeu -du voisinage. Nous nous mîmes à jouer. -La partie s’engagea au milieu d’une nombreuse -assistance. Sur un coup douteux, il -me dit que je mentais comme un cornard. -Je tirai l’épée et la lui mis dans la poitrine. -On se jeta sur moi, et il en entra tant -au bruit que je ne me pus mouvoir. Un -Adjudant, entre autres, me tenait particulièrement -serré. L’Auditeur Général don -Francisco de Perraga entra et m’empoigna, -lui aussi, fortement. Il me secouait le pelisson, -me faisant je ne sais quelles questions. -Je répondais que par-devant le Gou<span class="pagenum"><a name="page_48" id="page_48">{48}</a></span>verneur -je ferais ma déclaration. Là-dessus, -survint mon frère qui me dit en basque -de tâcher de sauver la vie. L’Auditeur me -prit par le collet du pourpoint. Je le sommai, -la dague haute, de me lâcher. Il me -secoua, je lui allongeai un coup à travers -les joues. Il me tenait encore. Je le frappai -derechef, il me lâcha, je tirai mon épée, la -foule me chargea. Je reculai vers la porte, -il y eut quelque embarras, je sortis et gagnai -San Francisco qui est proche. Je sus -que l’Alferez et l’Auditeur étaient restés -morts sur la place. Le gouverneur don -Alonso Garcia Remon accourut tout à la -chaude et entoura l’église de soldats. Il la -tint ainsi six mois. Il fit un ban promettant -récompense à qui me livrerait, avec -défense de me laisser embarquer en aucun -port. Les garnisons et places fortes furent -avisées et autres diligences faites. Enfin, -le temps qui guérit tout tempéra cette rigueur -et, les intercessions aidant, les gardes<span class="pagenum"><a name="page_49" id="page_49">{49}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 299px;"> -<a href="images/illu-063_lg.jpg"> -<img src="images/illu-063_sml.jpg" width="299" height="395" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p> -[<a href="#page_51"><i>P. 51</i></a>]<br /> -</p></div> -</div> - -<p class="nind">furent retirées, le sursaut s’accoisa, je fus -chaque jour moins resserré, je trouvai des -amis pour me visiter et l’on en vint à découvrir -que la provocation, dès le <span class="pagenum"><a name="page_50" id="page_50">{50}</a></span>principe, était extrême et le péril et la nécessité -urgents.</p> - -<p>Sur ces entrefaites, un jour, mon ami -don Juan de Silva, Alferez en activité, me -vint voir et me dit qu’il avait eu des mots -avec don Francisco de Rojas, de l’habit de -Saint-Jacques, qu’il l’avait défié pour cette -nuit même, à onze heures, chacun menant -un ami, et qu’il n’avait personne autre que -moi qui lui pût servir de second. J’hésitai -un peu, craignant quelque coup monté -pour me prendre. Lui, qui s’en aperçut, me -dit:—Si ça ne vous va pas, rien de fait: -j’irai seul, car je ne fierai mon flanc à nul -autre.—Y pensez-vous? répondis-je, et -j’acceptai.</p> - -<p>Au coup de cloche de l’oracion, je sortis -du couvent et allai à sa maison. Nous soupâmes -et devisâmes jusqu’à dix heures. -En les entendant sonner, nous prîmes les -épées et les capes et gagnâmes vitement le -lieu fixé. L’obscurité était si profonde qu’on<span class="pagenum"><a name="page_51" id="page_51">{51}</a></span> -ne se voyait pas les mains, ce que remarquant, -je convins avec mon ami, pour -nous reconnaître au besoin, de nous attacher -chacun le mouchoir au bras.</p> - -<p>Les deux autres survinrent, et l’un, que -je reconnus à la voix pour don Francisco -de Rojas, dit:—Don Juan de Silva?—Je -suis là, répondit don Juan. Ils mirent la -main aux épées et se chargèrent. Moi et -l’autre nous ne bougions. Ils ferraillèrent, -et bientôt je sentis que mon ami avait tâté -de la pointe. Je me rangeai incontinent à -son côté et l’autre auprès de don Francisco. -Nous tirâmes deux à deux. Peu après, don -Francisco et don Juan tombèrent. Moi et -mon adversaire, nous continuâmes à nous -battre, et je lui entrai le fer, suivant qu’il -parut, au-dessous du téton gauche, lui perçant, -à ce que je sentis, un double collet -de buffle. Il tomba.—Ah! traître, cria-t-il, -tu m’as tué! Je crus reconnaître la voix -de celui que je ne voyais pas et lui deman<span class="pagenum"><a name="page_52" id="page_52">{52}</a></span>dai -qui il était.—Le capitaine Miguel -de Erauso, dit-il. Je demeurai éperdu. Il -criait:—Confession! et les autres aussi. -Je courus à San Francisco et dépêchai deux -moines, qui les confessèrent tous. Les deux -premiers expirèrent aussitôt. Mon frère -fut porté chez le Gouverneur dont il était -secrétaire de guerre. Médecin et chirurgien -le vinrent panser et firent tout le possible. -L’enquête fut ouverte. On lui demanda -le nom du meurtrier. Il réclamait à toute -force un peu de vin. Le docteur Robledo -ne voulait pas, disant que cela lui ferait -mal. Il insista. Le docteur refusa. Il dit -alors:—Votre Grâce est avec moi plus -cruelle que l’Alferez Diaz! Un instant -après, il expira.</p> - -<p>Là-dessus, le Gouverneur cerna le couvent -et s’y jeta avec sa garde. Les moines -et leur Provincial Fray Francisco de Otalora, -lequel vit aujourd’hui à Lima, résistèrent. -Le débat fut âpre, au point que des<span class="pagenum"><a name="page_53" id="page_53">{53}</a></span> -moines résolus dirent au Gouverneur de -prendre bien garde que s’il entrait céans, -il ne sortirait plus. Sur ce, il se modéra -et rebroussa, laissant les gardes. Mort, ledit -capitaine Miguel de Erauso fut enterré -dans le même couvent de San Francisco. -Du chœur, je le vis, Dieu sait avec quelle -angoisse!</p> - -<p>Je restai là huit mois, entre temps que se -poursuivait le procès de rébellion, l’affaire -ne me permettant pas de paraître. Grâce à -l’assistance de don Juan Ponce de Leon qui -me fournit cheval, armes et viatique, je -trouvai moyen de sortir de la Concepcion -et partis vers Valdivia et Tucaman.<span class="pagenum"><a name="page_54" id="page_54">{54}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_VII" id="CHAPITRE_VII"></a>CHAPITRE VII<br /><br /> -<i>Elle va de la Concepcion à Tucaman.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">J</span>E commençai à cheminer tout le long de -la côte de la mer, endurant rudes fatigues -et soif, car nulle part je ne trouvai d’eau. -En route, je fis rencontre de deux autres -soldats fugitifs, et tous trois nous suivîmes -notre chemin, résolus à mourir avant que -de nous laisser prendre. Nous avions nos -chevaux, des armes blanches et à feu, et la -haute providence de Dieu. Nous suivîmes<span class="pagenum"><a name="page_55" id="page_55">{55}</a></span> -le haut de la Cordillère, sans trouver durant -ces trente lieues de montée, non plus -qu’en trois cents autres que nous fîmes, -une bouchée de pain. L’eau était rare. Rien -que des herbes, de petits animaux et quelques -racines pour nous sustenter. De loin -en loin, un Indien qui fuyait. Il nous fallut -tuer un de nos chevaux pour en faire sécher -la viande; il n’avait que les os et la -peau. Ainsi cheminant, peu à peu, nous -en fîmes autant des autres, restant à pied -et sans nous pouvoir tenir. Nous entrâmes -en une terre si froide que nous gelions. -Nous rencontrâmes deux hommes adossés -contre une roche. Tout réjouis, nous allâmes -à eux, les saluant de loin et leur demandant -ce qu’ils faisaient là. Ils ne répondirent -pas. Nous approchâmes. Ils étaient -morts, gelés, la bouche ouverte, comme -s’ils riaient. Cela nous fit peur.</p> - -<p>Nous passâmes outre et, la dernière nuit, -en nous étendant sur la pierre dure, l’un<span class="pagenum"><a name="page_56" id="page_56">{56}</a></span> -de nous, n’en pouvant plus, trépassa. Nous -n’étions plus que deux. Nous continuâmes. -Le lendemain, vers quatre heures de -l’après-midi, mon compagnon, ne pouvant -plus marcher, se laissa choir en pleurant -et expira. Je lui trouvai dans la poche huit -pesos et poursuivis mon chemin, à l’aventure, -chargé de l’arquebuse et du morceau -de viande sèche qui me restait. On voit -mon affliction. J’étais lasse, sans chaussures, -les pieds ensanglantés. Je m’appuyai -contre un arbre, je pleurai (je pense que -ce fut la première fois), et je dis le rosaire, -me recommandant à la Très-Sainte Vierge -et au glorieux Saint Joseph, son époux. Je -me reposai un peu et, me relevant, me -remis en marche. Il me sembla reconnaître -à l’air plus tiède que j’étais sortie -du royaume de Chili et entrée dans celui -de Tucaman.</p> - -<p>Je marchai encore. Le lendemain j’étais -à terre, harassée de fatigue et de faim,<span class="pagenum"><a name="page_57" id="page_57">{57}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 301px;"> -<a href="images/illu-071_lg.jpg"> -<img src="images/illu-071_sml.jpg" width="301" height="360" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -</div> - -<p class="nind">lorsque je vis venir deux hommes à cheval. -Je ne sus si je devais m’affliger ou me réjouir, -ne sachant si c’étaient Indiens cannibales -ou pacifiques. J’armai mon arquebuse -sans pouvoir la lever. Ils approchèrent et -me demandèrent où j’allais par là, si isolé.<span class="pagenum"><a name="page_58" id="page_58">{58}</a></span> -Je reconnus des chrétiens et vis le ciel -ouvert. Je leur dis que j’étais égaré je ne -savais où, rendu et mort de faim, et sans -forces pour me lever. Ils eurent pitié, mirent -pied à terre, me donnèrent à manger -de ce qu’ils avaient, me montèrent sur un -cheval et me menèrent à une ferme, à trois -lieues de là, où, dirent-ils, était leur maîtresse. -Nous y arrivâmes vers les cinq -heures du soir.</p> - -<p>La dame était une métisse fille d’Espagnol -et d’Indienne, veuve, bonne femme, -qui me voyant et apprenant mon désarroi -et ma détresse, s’apitoya et m’accueillit -bien. Toute compatissante, elle me fit aussitôt -coucher dans un bon lit, me servit un -bon souper et me laissa reposer et dormir, -ce qui me restaura. Le lendemain matin, -elle me fit bien déjeuner et, me voyant totalement -dépourvu, me donna un bon habit -de drap. Elle continua à me traiter de -son mieux et à me régaler à merveille. Elle<span class="pagenum"><a name="page_59" id="page_59">{59}</a></span> -était bien à son aise et avait force bêtes -et troupeaux. Et comme peu d’Espagnols -viennent aborder là, elle eut, paraît-il, -envie de moi pour sa fille.</p> - -<p>Au bout de huit jours que j’étais là, la -bonne femme me dit de rester pour gouverner -sa maison. Je me montrai fort touché -de la grâce qu’elle me faisait en mon -désarroi et m’offris à la servir du mieux que -je pourrais. Peu de jours après, elle me -donna à entendre qu’elle verrait de bon œil -mon mariage avec une fille qu’elle avait, -laquelle était très noire et laide comme un -diable, fort à l’encontre de mon goût qui -a toujours été pour les beaux visages. Je -lui témoignai une extrême joie d’un si -grand bienfait si peu mérité, me mettant à -ses pieds pour qu’elle disposât de moi ainsi -que d’une chose à elle, recueillie comme -épave. Je la servis donc le mieux que je -pus. Elle me vêtit galamment et m’abandonna -libéralement sa maison et son bien.<span class="pagenum"><a name="page_60" id="page_60">{60}</a></span> -Deux mois s’étant passés, nous allâmes à -Tucaman afin d’effectuer le mariage. J’y -demeurai deux autres mois, différant l’exécution, -sous divers prétextes, jusqu’à ce -que, n’en pouvant plus, je pris une mule -et détalai. Et ils ne m’ont plus vu.</p> - -<p>J’eus à Tucaman une autre aventure du -même genre. Au cours de ces deux mois -que j’y passai amusant mon Indienne, je -fis par hasard amitié avec le secrétaire de -l’Évêque, lequel me festoya et me mena -souvent jouer chez lui. J’y fis connaissance -de don Antonio de Cervantes, chanoine de -cette église et proviseur dudit Évêque. Lui -aussi, s’étant pris de goût pour moi, me -pria plusieurs fois à dîner et finalement -s’ouvrit à moi, me disant qu’il avait à la -maison une nièce, fillette de mon âge, des -mieux douées et bien dotée, que je lui avais -plu, et qu’il lui semblait bienséant de la -fiancer avec moi. Je me montrai fort soumis -à son bienveillant vouloir. Je vis la<span class="pagenum"><a name="page_61" id="page_61">{61}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 316px;"> -<a href="images/illu-075_lg.jpg"> -<img src="images/illu-075_sml.jpg" width="316" height="357" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -</div> - -<p class="nind">fille, elle me plut. Elle m’envoya un habit -de beau velours, douze chemises, six paires -de chausses de toile de Rouen, quelques -cols de Hollande, une douzaine de mouchoirs -et deux cents pesos dans un bassin, -le tout en cadeau et par pure galanterie,<span class="pagenum"><a name="page_62" id="page_62">{62}</a></span> -sans préjudice de la dot. Je reçus le présent -avec plaisir et haute estime et composai -la réponse du mieux que je sus, en -attendant de lui aller baiser la main et me -mettre à ses pieds. Je celai ce que je pus à -l’Indienne et, quant au reste, je lui donnai -à entendre que ce gentilhomme, mû par -son inclination pour moi, avait voulu fêter -mon mariage avec sa fille qu’il estimait -beaucoup. Les choses en étaient là, quand -je doublai le cap et disparus. Je n’ai jamais -su ce qu’il était advenu de la négresse et -de la nièce du Proviseur.<span class="pagenum"><a name="page_63" id="page_63">{63}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_VIII" id="CHAPITRE_VIII"></a>CHAPITRE VIII<br /><br /> -<i>Elle part de Tucaman pour le Potosi.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">P</span>ARTI de Tucaman, comme j’ai dit, je -piquai droit sur le Potosi qui est à quelque -cinq cent cinquante lieues de là. Je mis -trois mois à les faire, chevauchant par -terre froide et presque partout déserte. Je -rencontrai bientôt un soldat qui allait du -même côté. J’en fus aise, et nous fîmes -route ensemble. Peu après, trois hommes, -coiffés de monteras et armés d’escopettes,<span class="pagenum"><a name="page_64" id="page_64">{64}</a></span> -sortirent de huttes sises au bord du chemin -et nous demandèrent la bourse. Il n’y -eut pas moyen de les en détourner ni de -leur persuader que nous n’avions rien à -donner. Il nous fallut mettre pied à terre -et leur faire tête. Nous nous tirâmes dessus, -ils nous manquèrent; deux d’entre eux -tombèrent, l’autre s’enfuit. Nous remontâmes -à cheval et poursuivîmes notre -route.</p> - -<p>Finalement, à force de marcher et peiner, -nous parvînmes au Potosi après plus -de trois mois. Nous y entrâmes sans connaître -personne, et chacun tira de son bord -pour faire ses diligences. Quant à moi, je -fis rencontre de don Juan Lopez de Arquijo, -natif de la cité de la Plata dans la -province de las Charcas, et m’accommodai -avec lui pour camarero, qui est comme qui -dirait majordome, avec salaire appointé à -neuf cents pesos l’an. Il me confia douze -mille moutons de somme du pays et<span class="pagenum"><a name="page_65" id="page_65">{65}</a></span> -quatre-vingts Indiens, avec lesquels je -partis pour las Charcas. Mon maître y alla -aussi. A peine arrivés, il eut avec d’aucunes -gens des ennuis et débats qui finirent -en querelles, prison et saisies, à la -suite desquelles je dus prendre mon congé -et m’en revenir.</p> - -<p>De retour au Potosi, survint la révolte -de don Alonzo Ibañez. Le corregidor don -Rafael Ortiz, de l’habit de Saint-Jean, rassembla -contre les rebelles qui étaient plus -de cent, une troupe armée. J’en fus. Nous -sortîmes et les rencontrâmes, une nuit, -dans la rue de Santo Domingo. Au Corregidor -qui leur criait:—Qui vive? ils -ne sonnèrent mot et se retiraient. A une -deuxième sommation, quelques-uns répondirent:—La -liberté! Le Corregidor, -avec plusieurs autres, au cri de: Vive le -Roi! leur courut sus, nous autres le suivant -à balles et taillades. Ils se défendirent. -Après les avoir resserrés dans une rue, les<span class="pagenum"><a name="page_66" id="page_66">{66}</a></span> -prenant à revers, nous les chargeâmes si -roidement qu’ils se rendirent. D’aucuns -s’échappèrent. Trente-six furent pris et, -parmi eux, l’Ibañez. Nous trouvâmes sept -des leurs et deux des nôtres morts. Il y -eut, des deux côtés, nombre de blessés. -Quelques prisonniers furent mis à la torture -et confessèrent leur dessein de se soulever -avec la ville, cette nuit même. Aussitôt -trois compagnies de Biscayens et de -gens des montagnes furent levés pour la -garde de la cité. Quinze jours après, ils -furent tous pendus et la ville demeura -tranquille.</p> - -<p>Sur ce, à cause de quelque brave action -que je dus faire ou que j’avais antérieurement -faite, l’office d’adjudant sergent-major -me fut octroyé. Je le remplis deux -ans durant. Tandis que je servais ainsi au -Potosi, le gouverneur don Pedro de Legui, -de l’habit de Saint-Jacques, donna l’ordre -de lever des gens pour les Chunchos et El<span class="pagenum"><a name="page_67" id="page_67">{67}</a></span> -Dorado, pays d’Indiens de guerre, à cinq -cents lieues du Potosi, terre riche en or -et pierreries. Don Bartolomé de Alba était -Mestre de Camp. Il fit les préparatifs de -l’expédition et, tout étant à point, au bout -de vingt jours, nous quittâmes le Potosi.<span class="pagenum"><a name="page_68" id="page_68">{68}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_IX" id="CHAPITRE_IX"></a>CHAPITRE IX<br /><br /> -<i>Elle part du Potosi vers les Chunchos.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">P</span>ARTIS du Potosi vers les Chunchos, -nous parvînmes à un village d’Indiens de -paix nommé Arzaga, où nous demeurâmes -huit jours. Nous prîmes des guides pour la -route, ce qui ne nous empêcha pas de nous -perdre et de nous voir en grand désarroi -sur des roches plates d’où furent précipités -cinquante mules chargées de vivres et munitions -et douze hommes.<span class="pagenum"><a name="page_69" id="page_69">{69}</a></span></p> - -<p>Entrant dans l’intérieur du pays, nous -découvrîmes des plaines plantées d’une -infinité d’amandiers pareils à ceux d’Espagne, -d’oliviers et d’arbres à fruits. Le -Gouverneur y voulait faire des semailles -pour suppléer à la perte de nos vivres. -L’infanterie n’y voulut point entendre, -disant que nous n’étions pas venus pour -semer, mais pour conquérir et récolter de -l’or, et que nous trouverions notre subsistance. -Ayant passé outre, le troisième jour, -nous découvrîmes une peuplade d’Indiens -qui nous reçurent en armes. Nous avançâmes. -Sentant l’arquebuse, ils s’enfuirent -épouvantés, laissant quelques morts. Nous -entrâmes dans le village, sans avoir pu -prendre un Indien de qui savoir le chemin.</p> - -<p>A la sortie, le mestre de camp don Bartolomé -de Alba, fatigué du poids de sa salade, -l’ôta pour s’essuyer la sueur. Un endiablé -petit gars d’une douzaine d’années, -qui s’était perché sur un arbre en face la<span class="pagenum"><a name="page_70" id="page_70">{70}</a></span> -sortie, lui tira une flèche qui lui entra dans -l’œil et le renversa, si grièvement blessé -que, le troisième jour, il expira. L’enfant -fut mis en pièces.</p> - -<p>Entre temps, les Indiens, au nombre de -plus de dix mille, avaient réoccupé le village. -Nous leur revînmes dessus si furieusement -et en fîmes un tel carnage, qu’un -ruisseau de sang gros comme une rivière -coulait au bas de la place. Nous menâmes -la poursuite et tuerie jusqu’au delà du rio -Dorado. Là, le Gouverneur commanda la -retraite. Nous obéîmes de mauvaise grâce. -Quelques-uns avaient recueilli dans les -cases de l’endroit plus de soixante mille -pesos de poudre d’or. Sur les bords du -fleuve, d’autres en trouvèrent quantité et -en emplirent leurs chapeaux. Nous apprîmes -depuis que les basses eaux en laissent -ordinairement plus de trois doigts. -C’est pourquoi nous demandâmes au Gouverneur -licence de conquérir cette terre et<span class="pagenum"><a name="page_71" id="page_71">{71}</a></span> -comme, pour raisons à lui, il ne l’octroya -pas, plusieurs soldats, entre autres moi, -s’échappant nuitamment, prirent le large. -Parvenus en terre chrétienne, nous tirâmes -chacun de notre bord. Moi, je gagnai Cenhiago -et, de là, la province de las Charcas, -avec quelques pauvres réaux que, petit à -petit et bien vite, je perdis.<span class="pagenum"><a name="page_72" id="page_72">{72}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_X" id="CHAPITRE_X"></a>CHAPITRE X<br /><br /> -<i>Elle passe à la cité de la Plata.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">J</span>E passai à la cité de la Plata et m’accommodai -avec le capitaine don Francisco de -Aganumen, Biscayen, très riche mineur, -auprès duquel je demeurai quelques jours. -Je laissai la place à cause d’un désagrément -que j’eus avec un autre Biscayen ami de -mon maître. Entre temps que je cherchais -un emploi, je me retirai chez une dame -veuve nommée doña Catalina de Chaves,<span class="pagenum"><a name="page_73" id="page_73">{73}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 306px;"> -<a href="images/illu-087_lg.jpg"> -<img src="images/illu-087_sml.jpg" width="306" height="503" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p> -[<a href="#page_76"><i>P. 76</i></a>]<br /> -</p></div> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_75" id="page_75">{75}</a></span> </p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_74" id="page_74">{74}</a></span> </p> - -<p class="nind">la plus considérable et qualifiée de la ville, -à ce qu’on disait. Grâce à un de ses domestiques -avec lequel je m’étais lié par -hasard, elle me permit, en attendant, de -prendre gîte dans sa maison.</p> - -<p>Or il advint que le Jeudi Saint, cette -dame, allant aux stations, se rencontra à -San Francisco avec doña Francisca Marmolejo, -femme de don Pedro de Andrade, -neveu du comte de Lemos. Pour des questions -de préséance, elles se prirent de querelle, -et doña Francisca s’outrepassa jusques -à frapper de son patin doña Catalina. -Là-dessus, grand émoi et attroupement du -populaire. Doña Catalina rentra chez elle, -où parents et connaissances affluèrent. Le -cas y fut férocement agité. L’autre dame -demeura dans l’église au milieu de semblable -concours des siens, sans oser sortir -jusqu’à l’entrée de la nuit que vint don -Pedro son mari accompagné de don Rafael -Ortiz de Sotomayor, Corregidor (qui est<span class="pagenum"><a name="page_76" id="page_76">{76}</a></span> -aujourd’hui à Madrid), chevalier de Malte, -des Alcaldes Ordinaires et de sergents, -avec des torches allumées pour la reconduire -chez elle.</p> - -<p>En suivant la rue qui va de San Francisco -à la place, on entendit un bruit de -rixe et de couteaux. Corregidors, Alcaldes -et sergents y allèrent, laissant la dame -seule avec son mari. Au même temps, un -Indien passa en courant et, au passage, -lança à Madame doña Francisca Marmolejo -un coup de couteau ou de rasoir à travers -le visage, le lui coupa de part en part -et continua sa course. Le coup fut si soudain -que son mari don Pedro ne s’en aperçut -pas tout d’abord. Mais bientôt le tumulte -fut extrême. Vacarme, confusion, -rassemblement, nouveaux coups de couteau, -arrestations, le tout sans s’entendre.</p> - -<p>Entre temps, l’Indien alla à la maison -de Madame doña Catalina et, en entrant, -dit à Sa Grâce:—C’est fait.<span class="pagenum"><a name="page_77" id="page_77">{77}</a></span></p> - -<p>L’inquiétude grossissait avec la crainte -de plus grands malheurs. Il dut résulter -quelque chose des diligences qui furent -faites, car le troisième jour le Corregidor -entra chez doña Catalina, qu’il trouva assise -sur son estrade. Il reçut son serment -et s’informa si elle savait qui avait coupé -la figure à doña Francisca Marmolejo. -Elle répondit que oui. Il lui demanda qui -c’était:—Un rasoir et cette main, repartit -elle. Là-dessus, il sortit, lui laissant -des gardes.</p> - -<p>Il interrogea un à un les gens de la maison -et en vint à un Indien auquel il fit -peur du chevalet. Le lâche déclara qu’il -m’avait vu sortir sous un habit et perruque -d’Indien que m’avait donnés sa maîtresse, -que Francisco Ciguren, barbier Biscayen, -avait fourni le rasoir et qu’il m’avait vu -rentrer et entendu dire:—C’est fait. Le -Corregidor prit acte, m’arrêta, moi et le -barbier, nous chargea de fers, nous sépara<span class="pagenum"><a name="page_78" id="page_78">{78}</a></span> -et nous mit au secret. Quelques jours passèrent -ainsi. Une nuit, un Alcalde de la -Royale Audience qui avait pris la cause en -main et avait, je ne sais pourquoi, arrêté -des sergents, entra dans la prison et fit -donner la question au barbier, qui avoua -aussitôt son cas et le fait d’autrui. Après -quoi, ce fut mon tour. L’Alcalde reçut ma -déclaration. J’affirmai énergiquement ne -rien savoir. Il passa outre et me fit dépouiller -et mettre sur le chevalet. Un procureur -entra, alléguant que j’étais Biscayen -et qu’il n’était loisible de me bailler la torture, -pour cause de privilège de noblesse. -L’Alcalde n’en fit cas et poursuivit. On -commença de serrer les vis. Je demeurai -ferme comme un chêne. L’interrogatoire -et les tours de vis continuaient, lorsqu’on -lui fit tenir un papier, à ce que je sus -depuis, de doña Catalina de Chaves. On -le lui mit dans la main, il l’ouvrit, lut, -demeura, un moment, immobile, à me<span class="pagenum"><a name="page_79" id="page_79">{79}</a></span> -regarder et dit:—Qu’on ôte ce garçon -de là. On me retira du chevalet, on me -réintégra dans ma prison; et il s’en retourna -chez lui.</p> - -<p>Le procès se suivit, je ne saurais dire -comme, tant et si bien que j’en sortis condamné -à dix ans de Chili sans solde, et le -barbier à deux cents coups de fouet et six -ans de galères. Nous en appelâmes, à grand -renfort de sollicitations de compatriotes. -L’affaire suivit son cours, je ne sais trop -comment. Bref, un beau jour, sentence -fut rendue en la Royale Audience, par laquelle -j’étais acquitté et Madame doña -Francisca condamnée aux dépens. Le barbier -s’en tira aussi. De tels miracles sont -fréquents en semblables conflits, surtout -aux Indes, grâce à la belle industrie.<span class="pagenum"><a name="page_80" id="page_80">{80}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XI" id="CHAPITRE_XI"></a>CHAPITRE XI<br /><br /> -<i>Elle passe à las Charcas.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">Q</span>UITTE de cette angoisse, je ne pus faire -moins que de m’absenter de la Plata. Je -passai à las Charcas, à seize lieues de là. -J’y retrouvai le déjà nommé don Juan -Lopez de Arquijo, qui me confia dix mille -têtes de moutons du pays avec cent et -quelques Indiens et me remit une grosse -somme de deniers pour aller, aux plaines -de Cochabamba, acheter du blé et, après<span class="pagenum"><a name="page_81" id="page_81">{81}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 298px;"> -<a href="images/illu-095_lg.jpg"> -<img src="images/illu-095_sml.jpg" width="298" height="465" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p> -[<a href="#page_80"><i>P. 80</i></a>]<br /> -</p></div> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_83" id="page_83">{83}</a></span> </p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_82" id="page_82">{82}</a></span> </p> - -<p class="nind">l’avoir fait moudre, le vendre au Potosi -où il y avait disette. J’y fus, achetai huit -mille fanègues à quatre pesos, les chargeai -sur les moutons, me rendis aux moulins -de Guilcomayo, en fis moudre trois mille -cinq cents et, les ayant portées au Potosi, -les vendis de prime abord aux boulangers -du lieu à quinze pesos et demi. Puis je -retournai aux moulins, où je trouvai partie -du reste moulu et des acheteurs auxquels -je vendis le tout à dix pesos. Après -quoi, je revins à las Charcas, avec l’argent -comptant, vers mon maître qui, vu le bon -profit, me renvoya à Cochabamba.</p> - -<p>Entre temps, un dimanche, à las Charcas, -n’ayant que faire, j’entrai jouer chez -don Antonio Calderon, neveu de l’Évêque. -Il y avait là le Proviseur, l’Archidiacre et -un marchand de Séville marié dans le pays. -Je m’assis au jeu avec le marchand. La partie -s’engagea. Sur un coup, le marchand, -déjà piqué, dit:—Je fais.—Combien<span class="pagenum"><a name="page_84" id="page_84">{84}</a></span> -faites-vous?—Je fais, redit-il.—Combien -faites-vous? répétai-je. Il frappa sur -la table avec un doublon, en criant:—Je -fais une corne!—Je tiens, répliquai-je, et -je double pour celle qui vous reste. Il jeta -les cartes et tira sa dague. Moi, la mienne. -Les assistants se jetèrent sur nous et nous -séparèrent. On changea d’entretien. A la -nuit close, je sortis pour rentrer chez moi. -A quelques pas, au coin d’une rue, je tombe -sur mon homme. Il tire son épée et marche -sur moi. Je dégaîne, nous nous chargeons. -Après avoir quelque peu ferraillé, -je lui poussai une botte. Il tomba. On vint -au bruit, la Justice accourut et me voulut -prendre; je résistai, reçus des blessures et, -battant en retraite, me réfugiai dans la cathédrale. -Je m’y tins quelques jours, averti -par mon maître de me garder. Enfin, une -belle nuit, toutes précautions prises, je -partis pour Piscobamba.<span class="pagenum"><a name="page_85" id="page_85">{85}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XII" id="CHAPITRE_XII"></a>CHAPITRE XII<br /><br /> -<i>Elle part de las Charcas pour Piscobamba.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">A</span>RRIVÉ à Piscobamba, je me retirai chez -un ami, Juan Torrizo de Zaragoza, où je -demeurai quelques jours. Une nuit, tout -en soupant, on organisa une partie avec -quelques amis qui étaient entrés. Je m’assis -en face d’un Portugais, Fernando de -Acosta, fort ponte. Son enjeu était de quatorze -pesos par pinta. Je lui tirai seize -pintas. En les voyant, il se donna un soufflet -au visage, s’exclamant:—Le diable<span class="pagenum"><a name="page_86" id="page_86">{86}</a></span> -incarné m’assiste!—Jusqu’à présent, qu’a -donc perdu Votre Grâce pour perdre ainsi -le sens? lui dis-je. Il allongea les mains à -me toucher le menton et cria:—J’ai perdu -les cornes de mon père! Je lui jetai les -cartes au nez et tirai mon épée. Lui, la -sienne. Les assistants s’entremirent et nous -retinrent. Tout s’arrangea, on plaisanta et -rit des piques du jeu. Il paya et s’en alla, -en apparence bien tranquille.</p> - -<p>A trois nuits de là, rentrant à la maison, -vers les onze heures, j’entrevis un homme -posté au coin d’une rue. Je mis la cape de -biais, dégaînai et m’avançai. En approchant, -il se jeta sur moi, me chargeant et -criant:—Gueux de cornard! Je le reconnus -à la voix. Nous ferraillâmes. Presque -aussitôt, je lui donnai de la pointe et -il tomba mort.</p> - -<p>Je restai un moment, songeant à ce que -je ferais. Je regardai de tous côtés et ne -vis personne. J’allai chez mon ami Zara<span class="pagenum"><a name="page_87" id="page_87">{87}</a></span>goza -et me couchai sans mot dire. Dès le -matin, le corregidor don Pedro de Meneses -me vint faire lever et m’emmena. J’entrai -à la prison et on me mit aux fers. Au bout -d’une heure environ, le Corregidor revint -avec un greffier et reçut ma déclaration. -J’affirmai ne rien savoir. On passa aux -aveux. Je niai. L’acte d’accusation fut -dressé, je fus admis à la preuve. Je la fis. -La publication faite, je vis des témoins que -je ne connaissais aucunement. Sentence de -mort fut rendue. J’en appelai. Ce nonobstant -on ordonna d’exécuter. J’étais fort affligé. -Un moine entra pour me confesser, -je m’y refusai; il s’obstina, je tins bon. Il -se mit à pleuvoir des moines. J’en étais -submergé, mais j’étais devenu un vrai Luther. -Enfin, ils me vêtirent d’un habit de -taffetas et me hissèrent sur un cheval, le -Corregidor ayant répondu à leurs instances -que si je voulais aller en enfer cela ne le -regardait point. On me tira de la prison,<span class="pagenum"><a name="page_88" id="page_88">{88}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 216px;"> -<a href="images/illu-102_lg.jpg"> -<img src="images/illu-102_sml.jpg" width="216" height="329" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -</div> - -<p class="nind">me conduisant par des rues détournées et -peu fréquentées, de peur des moines. J’advins -au gibet. Les moines m’avaient ôté -tout jugement, à force de cris et de poussées. -Ils me firent monter quatre échelons, -et celui qui m’assommait le plus était un -dominicain, Fray Andrès de San Pablos, -que j’ai vu et à qui j’ai parlé, à Madrid, il<span class="pagenum"><a name="page_89" id="page_89">{89}</a></span> -y a à peu près un an, dans le collège d’Atocha. -Je dus monter plus haut. On me -jeta le voletin (c’est le mince cordeau avec -lequel on pend). Le bourreau me le mettait -de travers.—Ivrogne, lui dis-je, mets-le -bien ou ôte-le, car ces bons pères m’ont -suffisamment jugulé!</p> - -<p>J’en étais là, lorsque entra à toute poste -un courrier de la cité de la Plata dépêché -par le Secrétaire, sur l’ordre du Président -don Diego de Portugal, à la requête de -Martin de Mendiola, Biscayen, qui avait -été informé de mon procès. Ce courrier -rendit en mains propres au Corregidor, par-devant -un greffier, un pli dans lequel l’Audience -lui ordonnait de surseoir à l’exécution -de la sentence, et de remettre l’accusé -et les pièces à la Royale Audience, à douze -lieues de là. La cause en fut singulière et -manifeste miséricorde de Dieu. Il paraît -que ces témoins soi-disant oculaires qui -déposèrent contre moi dans l’affaire du<span class="pagenum"><a name="page_90" id="page_90">{90}</a></span> -meurtre du Portugais, tombèrent aux -mains de la justice de la Plata, pour je ne -sais quels méfaits, et furent condamnés à la -potence. Au pied du gibet, ils déclarèrent, -sans savoir l’état où j’étais, que induits et -payés, ils avaient, sans me connaître, faussement -témoigné contre moi dans cette -affaire d’homicide. C’est pourquoi l’Audience, -à la requête de Martin de Mendiola, -s’émut et ordonna le renvoi.</p> - -<p>Cette dépêche venue si à point excita -l’allégresse du peuple compatissant. Le -Corregidor me fit ôter du gibet et ramener -à la prison, d’où il m’expédia sous bonne -garde à la Plata. A peine arrivé, mon procès -fut revu et annulé sur la déclaration -faite par ces hommes au pied de la potence, -et, n’ayant rien autre à ma charge, je fus -relâché au bout de vingt-quatre jours. Je -séjournai quelque temps à la Plata.<span class="pagenum"><a name="page_91" id="page_91">{91}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XIII" id="CHAPITRE_XIII"></a>CHAPITRE XIII<br /><br /> -<i>Elle passe à la cité de Cochabamba et revient à la Plata.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">D</span>E la Plata, je passai à la cité de Cochabamba, -afin d’y régler des comptes qu’avait -ledit Juan Lopez de Arquijo avec don -Pedro de Chavarria, Navarrais de naissance, -y résidant et marié à doña Maria Davalos, -fille de feu le capitaine Juan Davalos -et de Maria de Ulloa, nonne à la Plata dans<span class="pagenum"><a name="page_92" id="page_92">{92}</a></span> -le couvent qu’elle y fonda. Nous arrêtâmes -les comptes, et il en résulta un reliquat de -mille pesos en faveur dudit Arquijo, mon -maître. Ledit Chavarria me les versa de -fort bonne grâce, m’invita à dîner et m’hébergea -deux jours. Ensuite, je pris congé -et partis, chargé par la femme de plusieurs -commissions pour sa mère, nonne à la -Plata, que je devais aller visiter de sa part.</p> - -<p>Après avoir quitté mes hôtes, je m’amusai -avec des amis à des bagatelles, jusque -sur le tard. Enfin je partis. Mon chemin -était de passer devant la porte de Chavarria. -En passant, je vis du monde dans l’allée -de la maison; au dedans on menait grand -bruit. Je m’arrêtai pour écouter. Au même -instant, doña Maria Davalos me cria de la -fenêtre:—Seigneur capitaine, emmenez-moi, -mon mari veut me tuer! Ce disant, -elle se jette en bas. Deux moines s’approchèrent -et me dirent:—Emmenez-la! son -mari l’a trouvée avec don Antonio Calderon,<span class="pagenum"><a name="page_93" id="page_93">{93}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 290px;"> -<a href="images/illu-107_lg.jpg"> -<img src="images/illu-107_sml.jpg" width="290" height="429" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p> -[<a href="#page_89"><i>P. 89</i></a>]<br /> -</p></div> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_95" id="page_95">{95}</a></span> </p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_94" id="page_94">{94}</a></span> </p> - -<p class="nind">neveu de l’Évêque; il a tué l’homme -et veut en faire autant à la femme, qu’il -tient enfermée. Sur ce, ils me la mirent en -croupe et je piquai ma mule.</p> - -<p>Je n’arrêtai pas de marcher jusqu’à la minuit -que j’arrivai au rio de la Plata. J’avais -rencontré en chemin, venant de la Plata, -un domestique de Chavarria qui nous dut -reconnaître, malgré tout ce que je fis pour -m’écarter et me celer. Il avisa probablement -son maître. En arrivant au fleuve, je -fus désespéré; il était fort gros et il me parut -impossible de le franchir à gué. Elle -me dit:—En avant! Il faut passer, coûte -que coûte, à la grâce de Dieu! Je mis pied -à terre, tâchai de découvrir un gué et me -décidai pour celui qui me parut le meilleur. -Je remontai, mon affligée toujours en -croupe, et entrai dans l’eau. Nous enfonçâmes, -Dieu nous soutint et nous passâmes. -Une auberge était proche, je réveillai -l’hôte qui fut ébahi de nous voir à pareille<span class="pagenum"><a name="page_96" id="page_96">{96}</a></span> -heure, ayant traversé le fleuve. Je m’occupai -de faire reposer ma mule. L’hôte nous -servit des œufs, du pain et des fruits. Nos -vêtements tordus et égouttés, nous repartîmes -grand’erre et, au point du jour, découvrîmes, -à cinq lieues environ, la cité -de la Plata.</p> - -<p>Cette vue nous avait un peu consolés, -quand tout à coup doña Maria m’étreint -plus fort en s’écriant:—Aïe, Seigneur, -mon mari! Je me tournai et le vis monté -sur un cheval qui paraissait rendu.</p> - -<p>Je ne sais vraiment pas, et j’en suis encore -émerveillé, comme cela se put faire. -Je partis de Cochabamba le premier, le -laissant dans sa maison, et, sans m’arrêter -une minute, j’allai jusqu’au fleuve, je le -passai, gagnai l’auberge, y demeurai à peu -près une heure et repartis. D’ailleurs, il -fallut à ce domestique rencontré en route, -et qui probablement l’avisa, le temps -d’arriver et à Chavarria celui de monter<span class="pagenum"><a name="page_97" id="page_97">{97}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 296px;"> -<a href="images/illu-111_lg.jpg"> -<img src="images/illu-111_sml.jpg" width="296" height="435" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -</div> - -<p>à cheval et de partir. Comment donc me -sortit-il à l’encontre sur le chemin? Je n’y -comprends rien, à moins que, connaissant<span class="pagenum"><a name="page_98" id="page_98">{98}</a></span> -mal le pays, je n’aie fait plus de détours -que lui.</p> - -<p>Quoi qu’il en soit, il nous tira un coup -d’escopette à trente pas et nous manqua. -Les balles nous passèrent si près que nous -les ouïmes siffler. Je poussai ma mule et -dévalai à travers les halliers d’une côte, -sans plus le voir. Son cheval devait être -fourbu. Après quatre longues lieues de -course, j’entrai à la Plata, las et éreinté, et -allant droit à la grand’porte du couvent de -San Agustin, je remis doña Maria Davalos -à sa mère.</p> - -<p>En revenant prendre ma mule, je me -trouvai nez à nez avec Pedro de Chavarria. -Il se jeta sur moi, l’épée au poing, sans me -donner le loisir de le raisonner. Sa brusque -apparition m’alarma fort. Il me surprenait, -recru de fatigue, plein de compassion pour -son erreur, car il me tenait pour l’affronteur. -Je tâchai de me défendre. Tout en -ferraillant, nous entrâmes dans l’église.<span class="pagenum"><a name="page_99" id="page_99">{99}</a></span> -Là, il me piqua par deux fois à la poitrine, -sans que je l’eusse touché. Il était sans -doute plus dextre que moi. La colère me -gagna, je le pressai et le menai toujours -rompant, jusqu’à l’autel. Là, il me porta -une rude botte à la tête, je la parai de la -dague et lui entrai d’un empan mon fer à -travers les côtes. La foule était telle qu’il -ne put riposter. La Justice survint qui nous -voulait tirer de l’église. Mais deux moines -de San Francisco qui est en face me transportèrent -dans le couvent avec l’aide secrète -de l’Alguacil Mayor don Pedro Beltran, -beau-frère de mon maître Juan Lopez -de Arquijo. Recueilli charitablement et -assisté en ma cure par ces saints pères, je -demeurai cinq mois dans cette retraite de -San Francisco.</p> - -<p>Chavarria resta aussi de longs jours à se -guérir de sa blessure, toujours réclamant -à grands cris sa femme. Il y eut à ce sujet -procédures et diligences. Elle résistait,<span class="pagenum"><a name="page_100" id="page_100">{100}</a></span> -alléguant le risque manifeste de la vie. -L’Archevêque, le Président et d’autres -seigneurs s’y employèrent et convinrent -enfin qu’ils entreraient tous deux en religion -et feraient profession, elle au couvent -où elle était et lui là où il lui plairait.</p> - -<p>Il ne restait plus à régler que mon cas. -Plainte avait été déposée. Mon maître Juan -Lopez de Arquijo vint et informa l’Archevêque -don Alonso de Peralta, le Président -et les Seigneurs de la vérité et de la rare -aventure où, naïvement et sans malice aucune, -je m’étais embesogné, si différente -de ce que cet homme s’était imaginé, -n’ayant fait rien autre que secourir au dépourvu -une femme qui s’était jetée à moi -pour fuir la mort et la remettre, sur sa requête, -au couvent de sa mère. La chose -vérifiée et reconnue patente fut jugée -satisfaisante et la plainte sans objet. On -poursuivit l’entrée en religion des deux -autres. Je sortis de ma retraite, réglai mes<span class="pagenum"><a name="page_101" id="page_101">{101}</a></span> -affaires et visitai fréquemment ma nonne, -sa mère et d’autres dames du lieu qui, par -reconnaissance, me régalèrent à qui mieux -mieux.<span class="pagenum"><a name="page_102" id="page_102">{102}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XIV" id="CHAPITRE_XIV"></a>CHAPITRE XIV<br /><br /> -<i>Elle passe de la Plata à Piscobamba et à Mizque.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">J</span>E me mis en quête d’un emploi. Madame -doña Maria de Ulloa, sensible à mon -service, m’obtint du Président et de l’Audience -une commission pour Piscobamba -et les plaines de Mizque, ayant pour objet -la recherche et le châtiment de certains -délits qui y avaient été commis. Flanqué -d’un greffier et d’un alguacil, je partis.<span class="pagenum"><a name="page_103" id="page_103">{103}</a></span> -J’allai à Piscobamba où je poursuivis et -appréhendai l’Alferez Francisco de Escobar -résidant et marié audit endroit. Il était -accusé d’avoir traîtreusement occis deux -Indiens pour les voler et de les avoir enterrés -chez lui, dans une carrière. J’y fis -creuser et les retrouvai. Je poursuivis la -cause dans tous ses termes jusqu’à la mettre -en état. Je la fermai. Les parties citées, je -rendis sentence, condamnant le coupable -à mort. Il en appela. J’octroyai l’appel, et -procès et accusé furent transférés à l’Audience -de la Plata. Le jugement y fut confirmé -et l’homme pendu.</p> - -<p>Je passai aux plaines de Mizque et, après -avoir réglé l’affaire qui m’y appelait, je -revins rendre compte de ma mission et remettre -les pièces concernant Mizque. Puis -je restai quelques jours à la Plata.<span class="pagenum"><a name="page_104" id="page_104">{104}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XV" id="CHAPITRE_XV"></a>CHAPITRE XV<br /><br /> -<i>Elle va à la cité de la Paz et tue un homme.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">J</span>E passai à la Paz où je vécus tranquille -pendant quelque temps. Un beau jour, -libre de tout souci, je m’arrêtai à la porte -du corregidor don Antonio Barraza à converser -avec un sien domestique, quand le -diable soufflant la braise, il finit par me -donner un démenti et me frappa de son -chapeau par le visage. Je tirai la dague et -il tomba mort sur la place. Tant de gens -se ruèrent sur moi que je fus saisi, blessé<span class="pagenum"><a name="page_105" id="page_105">{105}</a></span> -et jeté en prison. Ma guérison et mon -procès marchèrent de compagnie. La cause -fut instruite, mise en état, d’autres y furent -jointes et le Corregidor me condamna à -mort. J’en appelai, mais, ce nonobstant, -il fut ordonné de passer outre à l’exécution.</p> - -<p>Je mis deux jours à me confesser. Le -suivant, la messe fut dite dans la prison et -le saint prêtre, ayant consommé, se retourna, -me donna la communion et revint -à l’autel. Tout aussitôt, je crachai l’hostie -que j’avais dans la bouche et la reçus dans la -paume de la main droite en criant:—J’en -appelle à l’Église! J’en appelle à l’Église! -Le tumulte fut extrême. Tous disaient que -j’étais hérétique. Le prêtre vint au bruit -et défendit que personne m’approchât. -Comme il achevait sa messe, le seigneur -Évêque don fray Domingo de Valderrama, -dominicain, entra accompagné du Gouverneur. -Prêtres et peuple s’assemblèrent,<span class="pagenum"><a name="page_106" id="page_106">{106}</a></span> -les cierges furent allumés, le dais apporté, -et l’on me mena en procession au tabernacle. -Là, tous à genoux, un prêtre revêtu -de ses ornements me prit l’hostie de la -main et l’introduisit dans le tabernacle. -Je ne vis pas où il la mit. Ensuite, on me -gratta la main, on me la lava à plusieurs -reprises et on me l’essuya. Après quoi, -l’église évacuée et Leurs Seigneuries sorties, -je restai seul. Un saint religieux -franciscain qui était dans la prison, et qui -en dernier lieu me confessa, m’avait, outre -ses bons avis, donné ce bon conseil.</p> - -<p>Durant plus d’un mois, le Gouverneur -tint l’église cernée. Moi, je m’y tenais bien -à couvert. Enfin, il retira les gardes. Un -saint prêtre du lieu, par ordre du seigneur -Évêque, à ce que je supposai, après avoir -reconnu les alentours et la route, me donna -une mule et de l’argent et je partis pour le -Cuzco.<span class="pagenum"><a name="page_107" id="page_107">{107}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XVI" id="CHAPITRE_XVI"></a>CHAPITRE XVI<br /><br /> -<i>Elle part pour la cité du Cuzco.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">L</span>A cité du Cuzco ne le cède en rien à -Lima en habitants et richesses. Tête d’Évêché, -sa cathédrale dédiée à l’Assomption -de Notre-Dame est desservie par cinq prébendiers -et huit chanoines. Elle a huit -paroisses, quatre monastères de religieux -Franciscains, Dominicains, Augustins et -de la Merci, quatre collèges, deux couvents -de femmes et trois hôpitaux.<span class="pagenum"><a name="page_108" id="page_108">{108}</a></span></p> - -<p>Là m’advint, au bout de quelques jours, -une cruelle mésaventure réellement et -vraiment non méritée, car je n’étais aucunement -coupable, mais bien mal noté. -Une nuit, à l’improviste, mourut don Luis -de Godoy, Corregidor du Cuzco, Cavalier -des mieux doués et qualifiés de l’endroit. -Il fut tué, comme on le découvrit depuis, -par un certain Carranza, à la suite de contestations -trop longues à déduire. L’auteur -du méfait étant inconnu, on me l’imputa. -Le corregidor don Fernando de Guzman -m’arrêta et me tint cinq mois en prison et -lourde affliction. Enfin, au bout de ce -temps, Dieu permit que la vérité fût découverte -et ma complète innocence en -cette affaire. Je fus mis en liberté et déguerpis -du Cuzco.<span class="pagenum"><a name="page_109" id="page_109">{109}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 309px;"> -<a href="images/illu-123_lg.jpg"> -<img src="images/illu-123_sml.jpg" width="309" height="499" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p> -[<a href="#page_114"><i>P. 114</i></a>]<br /> -</p></div> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_111" id="page_111">{111}</a></span> </p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_110" id="page_110">{110}</a></span> </p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XVII" id="CHAPITRE_XVII"></a>CHAPITRE XVII</h2> - -<div class="blockquot"><p class="c"><i>Elle passe à Lima, prend part à la sortie -contre le Hollandais, fait naufrage, est -recueillie par la flotte ennemie et jetée sur -la côte de Paita d’où elle rentre à Lima.</i></p></div> - -<p class="nind"><span class="letra">J</span><span class="smcap">e</span> gagnai Lima. Don Juan de Mendoza y -Luna, marquis de Montes Claros, était en -ce temps vice-roi du Pérou. Le Hollandais -battait alors Lima avec huit navires de -guerre et la cité était en armes. Nous lui -sortîmes à l’encontre du port du Callao, -dans cinq bateaux. Longtemps tout alla<span class="pagenum"><a name="page_112" id="page_112">{112}</a></span> -bien pour nous, quand notre nef Amirale -fut si rudement abordée qu’elle coula. -Seuls, trois hommes purent s’échapper en -nageant vers un navire ennemi qui les recueillit. -C’était moi, un Franciscain déchaux -et un soldat. L’ennemi nous traita -mal, nous bafouant et moquant. Tout -l’équipage de l’Amirale périt.</p> - -<p>Au matin, nos quatre nefs, dont était -général don Rodrigo de Mendoza, étant -rentrées au port du Callao, on trouva en -moins neuf cents hommes, parmi lesquels -je fus compté comme perdu avec l’Amirale. -J’étais au pouvoir des ennemis, craignant -fort qu’ils ne m’emmenassent en -Hollande. Au bout de vingt-six jours, ils -nous jetèrent, moi et mes deux compagnons, -sur la côte de Paita, à une centaine -de lieues de Lima. Après plusieurs journées -de misère, un brave homme, apitoyé -par notre dénûment, nous habilla et nous -donna de quoi regagner Lima.<span class="pagenum"><a name="page_113" id="page_113">{113}</a></span></p> - -<div class="figright" style="width: 245px;"> -<a href="images/illu-127_lg.jpg"> -<img src="images/illu-127_sml.jpg" width="245" height="190" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -</div> - -<p>J’y demeurai environ sept mois, m’ingéniant -du mieux que je pus. J’avais acheté -un bon cheval, à bon marché, et je me -plaisais à le monter en attendant mon -départ pour le Cuzco. Un jour, prêt à -partir, je traversais la place, quand un -alguacil vint -à moi et me -dit que le seigneur -Alcalde -don Juan de -Espinosa, chevalier -de l’Ordre de -Saint-Jacques, me faisait -appeler. Je m’avançai vers Sa Grâce. Deux -soldats étaient là. A mon approche, ils s’écrièrent:—C’est -lui, seigneur! Ce cheval -est le nôtre, c’est celui qui nous manque -et nous en donnerons sans tarder des -preuves suffisantes! Des sergents m’entourèrent -et l’Alcalde s’exclama:—Que -faire? Le cas est embarrassant. Moi, prise<span class="pagenum"><a name="page_114" id="page_114">{114}</a></span> -au dépourvu, je ne savais que dire. Inquiète -et confuse, je devais avoir l’air coupable, -lorsqu’il me vint à l’idée d’ôter vivement -ma cape et, la jetant sur la tête du cheval:—Seigneur, -fis-je, je supplie Votre Grâce -de vouloir bien demander à ces gentilshommes -quel est l’œil qui manque à ce -cheval, le droit ou le gauche? Ce peut être -une autre bête et ces messieurs peuvent -faire erreur.—C’est juste, dit l’Alcalde. -Vous autres, répondez en même temps, -de quel œil est-il borgne? Ils demeurèrent -confus.—Allons, insista l’Alcalde, dites -ensemble.—Du gauche, dit l’un.—Du -droit, fit l’autre, du gauche, veux-je dire!—Votre -preuve ne vaut rien et ne concorde -guère, conclut l’Alcalde. Là-dessus, -tous deux se mirent à crier à la fois:—Du -gauche! du gauche! Nous l’avons dit -tous les deux, d’ailleurs, ce n’est pas se -tromper de beaucoup. J’intervins:—Seigneur, -il n’y a pas là de preuve, l’un dit<span class="pagenum"><a name="page_115" id="page_115">{115}</a></span> -blanc et l’autre noir.—Non! Nous avons -toujours répondu de même, protesta l’un -d’eux, qu’il est borgne de l’œil gauche: -j’allais le dire, la langue m’a tourné, mais -je me suis repris aussitôt et j’affirme que -ce cheval est borgne de l’œil gauche! -L’Alcalde hésitait.—Qu’ordonne Votre -Grâce? lui demandai-je.—Que s’il n’est -d’autre preuve, vous alliez avec Dieu à vos -affaires. Alors, tirant ma cape:—Votre -Grâce le peut voir, ni l’un ni l’autre n’a -dit vrai, mon cheval est sain et non point -borgne. L’Alcalde se leva, s’approcha du -cheval, le regarda et dit:—Montez, Monsieur, -et allez avec Dieu! Puis se retournant -vers les deux compères, il les fit empoigner.</p> - -<p>J’enfourchai mon cheval et m’en allai, -sans savoir la fin de leur mésaventure, car -je partis pour le Cuzco.<span class="pagenum"><a name="page_116" id="page_116">{116}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XVIII" id="CHAPITRE_XVIII"></a>CHAPITRE XVIII<br /><br /> -<i>Au Cuzco, elle tue le Nouveau Cid et est grièvement blessée.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">J</span>E revins au Cuzco et me logeai dans la -maison du Trésorier don Lope de Alcedo. -J’y demeurai quelque temps. Un jour, j’entrai -chez un ami pour jouer. Nous étions -deux amateurs assis à la table. Le jeu courait. -Le Nouveau Cid vint se mettre à côté -de moi. C’était un homme brun, velu, de -très haute taille et de mine farouche. On<span class="pagenum"><a name="page_117" id="page_117">{117}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 299px;"> -<a href="images/illu-131_lg.jpg"> -<img src="images/illu-131_sml.jpg" width="299" height="438" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -</div> - -<p class="nind">l’avait surnommé le Nouveau Cid. Je continuai -mon jeu et gagnai -un coup. Il allongea la -main dans mon argent, prit quelques -réaux de huit et sortit. Un moment après,<span class="pagenum"><a name="page_118" id="page_118">{118}</a></span> -il rentra et, manœuvrant de même, prit -une autre poignée et se mit derrière moi. -Je préparai ma dague et continuai de jouer. -Pour la troisième fois, il recommença son -manège. Je le sentis venir, d’un coup de -dague lui clouai la main sur la table et, -me levant, tirai mon épée. Les assistants -en firent autant. D’autres amis du Cid vinrent -à la rescousse et me serrèrent de près. -Blessé en trois endroits, je gagnai la rue -et ce fut heureux, car ils m’auraient mis -en pièces. Le premier qui sortit derrière -moi fut le Cid. Je le reçus par une estocade, -mais il était plastronné. Les autres -sortirent et me pressèrent. Deux Biscayens -qui passaient par là fort à point accoururent -au bruit et, me voyant seul et contre -cinq, se mirent à mon côté. Néanmoins, -nous avions le dessous et il nous fallut filer -tout le long d’une rue pour prendre le large. -En arrivant auprès de San Francisco, le -Cid me dagua par derrière si furieusement<span class="pagenum"><a name="page_119" id="page_119">{119}</a></span> -qu’il me perça de part en part l’épaule. Un -autre m’entra d’un empan son épée dans -le côté gauche. Je chus à terre dans une -mer de sang.</p> - -<p>Sur ce, les uns et les autres gagnèrent -au pied. Je me relevai, dans l’angoisse de -la mort, et vis le Cid à la porte de l’église. -J’allai sur lui. Il vint à moi:—Chien! Tu -es donc encore vivant! et il me détacha -une estocade. Je la parai avec la dague et -ripostai si heureusement que mon fer, pénétrant -au creux de l’estomac, le traversa. -Il tomba, demandant confession. Je tombai -aussi. Le peuple s’attroupa avec quelques -moines et le corregidor don Pedro de Cordova, -de l’habit de Saint-Jacques, qui me -voyant empoigner par les sergents, leur -dit:—Laissez! Il n’est plus bon qu’à confesser. -Le Cid expira sur la place. Des âmes -charitables me portèrent chez le Trésorier -où je logeais. On me coucha. Le chirurgien -n’osa pas me toucher avant que je ne<span class="pagenum"><a name="page_120" id="page_120">{120}</a></span> -fusse confessé, de peur que je n’expirasse. -Le Père fray Luis Ferrer de Valence, un -fameux homme, vint et me confessa. -Me voyant mourir, j’avouai mon sexe. Il -s’émerveilla, me donna l’absolution et -tâcha de me conforter et consoler. Après -avoir reçu le viatique, je me sentis plus -fort.</p> - -<p>Le pansement commença. J’en souffris -beaucoup. La douleur et le sang perdu -m’ôtèrent tout sentiment. Je restai en cet -état quatorze heures et, tout ce temps, ce -saint homme ne me quitta pas. Que Dieu -le lui paye! Je revins à moi, appelant -Saint Joseph. J’eus là de hautes assistances. -Dieu sait pourvoir à la nécessité. Les trois -jours se passèrent. Au cinquième, on commença -d’espérer. Bientôt, une nuit, on me -transporta à San Francisco, dans la cellule -du Père fray Martin de Arostegui, où je -passai les quatre mois que dura ma maladie. -A cette nouvelle, le Corregidor furieux<span class="pagenum"><a name="page_121" id="page_121">{121}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 304px;"> -<a href="images/illu-135_lg.jpg"> -<img src="images/illu-135_sml.jpg" width="304" height="555" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p> -[<a href="#page_123"><i>P. 123</i></a>]<br /> -</p></div> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_123" id="page_123">{123}</a></span> </p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_122" id="page_122">{122}</a></span> </p> - -<p class="nind">fit garder les alentours et battre les chemins.</p> - -<p>Déjà mieux portant, convaincu que je -ne pouvais rester au Cuzco et redoutant -la haine de certains amis du mort, avec -l’aide et sur le conseil des miens, je résolus -de changer d’air. Le Capitaine don Gaspar -de Carranza me donna mille pesos, le Trésorier -don Lope de Alcedo trois mules et -des armes, don Francisco de Arzaga trois -esclaves. Ainsi muni et accompagné de -deux amis Biscayens, hommes sûrs, je -partis une belle nuit du Cuzco vers Guamanga.<span class="pagenum"><a name="page_124" id="page_124">{124}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XIX" id="CHAPITRE_XIX"></a>CHAPITRE XIX</h2> - -<div class="blockquot"><p class="c"><i>Partie du Cuzco pour Guamanga, elle passe -par le pont de Andahuilas et Guancavélica.</i></p></div> - -<p class="nind"><span class="letra">É</span><span class="smcap">tant</span> sorti du Cuzco, ainsi que je l’ai -conté, j’arrivai au pont d’Apurimac où je -trouvai la Justice et les amis du défunt Cid -qui me guettaient au passage.—Je vous arrête! -cria le sergent, et il me vint mettre la -main dessus, assisté de huit autres personnages. -Nous étions cinq qui ne nous laissâmes -pas intimider. L’affaire fut chaude.<span class="pagenum"><a name="page_125" id="page_125">{125}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 304px;"> -<a href="images/illu-139_lg.jpg"> -<img src="images/illu-139_sml.jpg" width="304" height="413" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -</div> - -<p>De prime abord, un de mes nègres fut jeté -bas. Un homme de l’autre bande le suivit -de près, puis un autre. Mon second nègre -tomba. D’un coup de pistolet, je renversai<span class="pagenum"><a name="page_126" id="page_126">{126}</a></span> -le sergent. Plusieurs de ses partisans étaient -blessés. Au bruit des armes à feu, ils décampèrent -laissant, sauf à y revenir, trois -des leurs sur la place. La juridiction du -Cuzco s’étend, à ce qu’on dit, jusqu’à ce -pont, mais ne passe pas plus outre. C’est -pourquoi mes camarades, après m’avoir -accompagné jusque-là, rebroussèrent. Je -poursuivis ma route.</p> - -<p>En entrant à Andahuilas, je rencontrai -le Corregidor qui, de la façon la plus affable -et courtoise, m’offrit sa personne et sa maison, -et m’invita à dîner. Je n’acceptai pas -et, me méfiant de tant d’honnêtetés, je -partis.</p> - -<p>Arrivé à la cité de Guancavélica, je descendis -à l’auberge. J’employai un couple de -jours à visiter l’endroit. En entrant sur une -petite place, proche la colline de vif-argent, -j’y aperçus le Docteur Solorzano, Alcalde -de Cour de Lima, qui était venu prendre -résidence au Gouverneur don Pedro Oso<span class="pagenum"><a name="page_127" id="page_127">{127}</a></span>rio. -Je vis un alguacil, que je sus depuis -se nommer Pedro Xuarez, s’approcher de -lui. Le Docteur tourna la tête, me regarda, -tira un papier, y jeta l’œil et me regarda -derechef. L’alguacil et un nègre s’avancèrent -aussitôt vers moi. Je m’esquivai d’un -air indifférent, quoique fort soucieux au -fond. J’avais à peine fait quelques pas, que -l’alguacil, me dépassant, m’ôte son chapeau. -J’ôte le mien. Le nègre, venu par derrière, -m’empoigne la cape. Je la lui laisse -aux mains et tire mon épée et un pistolet. -Ils me chargent tous deux, l’arme haute. -Je lâche le coup, l’alguacil s’effondre, -j’estocade le nègre, il tombe, je détale, et -rencontrant un Indien qui tenait par la -bride un cheval, que je sus depuis être à -l’Alcalde, je le lui prends, saute dessus, et -pique vers Guamanga, à quatorze lieues -de là.</p> - -<p>Après avoir traversé le rio de Balsas, je -descendis pour laisser un peu souffler le<span class="pagenum"><a name="page_128" id="page_128">{128}</a></span> -cheval. A ce moment, je vois arriver trois -cavaliers qui entrent jusqu’au milieu de la -rivière. Mû par je ne sais quel pressentiment, -je leur criai:—Où allez-vous donc, -messieurs?—Vous arrêter, seigneur Capitaine, -me répondit l’un d’eux. Je tirai -mes armes, armai deux pistolets, et dis:—Vous -ne m’aurez pas vivant, il faut me -tuer pour me prendre. Et je m’approchai -de la berge. Alors un autre:—Seigneur -Capitaine, nous avons des ordres et il faut -bien marcher, mais nous sommes tout au -service de Votre Grâce. Et ils étaient toujours -arrêtés au beau milieu de l’eau. Je -leur sus gré du bon procédé. Déposant sur -une pierre trois doublons, je remontai à -cheval et, après force courtoisies, repris -le chemin de Guamanga.<span class="pagenum"><a name="page_129" id="page_129">{129}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XX" id="CHAPITRE_XX"></a>CHAPITRE XX</h2> - -<div class="blockquot"><p class="c"><i>Son entrée à Guamanga et ses aventures -jusqu’à ses aveux au seigneur Évêque.</i></p></div> - -<p class="nind"><span class="letra">J</span>’<span class="smcap">entrai</span> dans Guamanga et me logeai -à l’hôtellerie. J’y rencontrai un soldat de -passage qui s’éprit du cheval; je le lui vendis -deux cents pesos. J’allai visiter la ville. -Elle me parut belle, pleine de beaux édifices, -les meilleurs que j’aie vus au Pérou. -Je vis trois couvents de Religieux de la -Merci, de Franciscains et de Dominicains,<span class="pagenum"><a name="page_130" id="page_130">{130}</a></span> -un couvent de nonnes, un hôpital, une -multitude d’Indiens et nombre d’Espagnols. -Le lieu est agréablement tempéré. -C’est une plaine ni froide ni chaude, riche -en froment, vin, fruits et grains divers. -L’église est bonne, avec trois prébendes, -deux chanoines et un saint Évêque, don -fray Agustin de Carvajal, religieux Augustin, -qui me fut secourable médecin. Il -me manqua trop tôt, trépassant subitement -l’an mil six cent vingt. Il était Évêque, à -ce qu’on disait, depuis l’an douze.</p> - -<p>Je séjournai quelque temps à Guamanga -et le guignon voulut que j’entrasse parfois -dans une maison de jeu. Un jour que je -m’y trouvais, le corregidor don Baltasar -de Quiñones survint et, me regardant, me -demanda d’où j’étais.—De Biscaye, répondis-je.—Et -d’où venez-vous présentement?—Du -Cuzco. Il resta un moment -à m’examiner, et dit:—Je vous arrête.—Bien -volontiers, repartis-je, et, tirant<span class="pagenum"><a name="page_131" id="page_131">{131}</a></span> -l’épée, je reculai vers la porte. Il se mit à -crier:—Main-forte au Roi! Je rencontrai -à la porte une telle résistance, que je ne -pus sortir. Je montrai un pistolet à trois -canons. On me fit place et je disparus pour -aller me cacher au logis d’un nouvel ami -que je m’étais fait. Le Corregidor partit -et fit saisir ma mule et quelques menues -choses que j’avais à l’hôtellerie.</p> - -<p>Je demeurai plusieurs jours chez ledit -ami, ayant découvert qu’il était Biscayen. -Cependant on ne sonnait mot de l’aventure, -et la Justice ne semblait pas s’en occuper. -Néanmoins, il nous parut prudent -de changer d’air; il n’était pas plus sain là -qu’ailleurs. Le départ fut décidé. Une nuit, -je sortis. A peine dehors, ma malechance -me fait rencontrer deux alguacils.—Qui -va là?—Ami.—Votre nom?—Le Diable! -La réponse était incongrue, ils veulent -m’arrêter, je dégaîne. Grand tapage. -Ils crient:—Main-forte! à l’aide! On<span class="pagenum"><a name="page_132" id="page_132">{132}</a></span> -s’attroupe. Le Corregidor sort de chez -l’Évêque. Des sergents me happent. Me -voyant pris, je lâche un coup de pistolet. -J’en abats un. Le tumulte redouble. Mon -ami le Biscayen et d’autres compatriotes se -rangent auprès de moi. Le Corregidor hurlait:—Tuez-le! -Les coups de feu partaient -de tous côtés. Tout à coup, éclairé -par quatre torches flambantes, l’Évêque -parut et entra dans la mêlée. Son secrétaire -don Juan Bautista de Arteaga s’achemina -vers moi. Il s’avança et me dit:—Seigneur -Alferez, rendez-moi vos armes.—Seigneur, -lui répondis-je, j’ai ici bien des ennemis.—Rendez-les, -insista-t-il, vous -êtes en sûreté avec moi et je vous donne -parole de vous tirer d’ici sain et sauf, quoi -qu’il m’en puisse coûter. Alors je m’écriai:—Illustrissime -Seigneur, sitôt que -je serai dans l’église, je baiserai les pieds à -votre Très Illustre Seigneurie. Au même -instant, quatre esclaves du Corregidor se<span class="pagenum"><a name="page_133" id="page_133">{133}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 308px;"> -<a href="images/illu-147_lg.jpg"> -<img src="images/illu-147_sml.jpg" width="308" height="437" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p> -[<a href="#page_136"><i>P. 136</i></a>]<br /> -</p></div> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_135" id="page_135">{135}</a></span> </p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_134" id="page_134">{134}</a></span> </p> - -<p class="nind">jettent sur moi, me tiraillant outrageusement, -sans aucun égard pour une si glorieuse -présence, de sorte que, me défendant, -il me fallut jouer des mains et en -culbuter un. Le secrétaire du seigneur -Évêque, l’épée nue et le bouclier au poing, -me vint à la rescousse avec d’autres personnes -de sa maison, jetant les hauts cris -d’un tel manque de respect. La bagarre -s’apaisa. L’Illustrissime me prit par le -bras, m’ôta les armes des mains et, me -plaçant à son côté, m’emmena et me mit -dans son palais. Il me fit sur l’heure panser -une petite plaie que j’avais, me donna -souper et gîte, et, m’enfermant, emporta -la clef. Le Corregidor survint et eut, à -mon sujet, avec Sa Seigneurie un long et -orageux entretien dont je fus par la suite -plus amplement informé.</p> - -<p>Le lendemain, vers les dix heures du -matin, l’Illustrissime, m’ayant fait mener -en sa présence, me demanda qui j’étais, de<span class="pagenum"><a name="page_136" id="page_136">{136}</a></span> -quel pays, fils de qui et tout le compte de -ma vie, les causes et les voies qui m’avaient -conduit là, détaillant tout et mêlant à son -interrogatoire de bons conseils sur les risques -de la vie, l’effroi de la mort toujours -menaçante et l’horreur de l’autre vie pour -une âme mal préparée, m’exhortant à m’apaiser, -à dompter mon esprit inquiet et à -m’agenouiller devant Dieu. Je me sentis -devenir tout petit et voyant un si saint -homme, comme si j’eusse été devant Dieu, -j’avouai tout et lui dis:—Seigneur, tout -ce que j’ai conté à Votre Seigneurie Illustrissime -est faux. Voici la vérité: Je suis -une femme, née en tel lieu, fille d’un tel et -d’une telle, mise dans tel couvent, à tel âge, -avec une mienne tante; j’y grandis, pris -l’habit et fus novice; sur le point de professer, -je m’évadai pour tel motif, gagnai -tel endroit, me dévêtis, me rhabillai, me -coupai les cheveux, allai ici et là, m’embarquai, -abordai, trafiquai, tuai, blessai,<span class="pagenum"><a name="page_137" id="page_137">{137}</a></span> -malversai et courus jusques à présent où -me voici rendue aux pieds de Votre Très-Illustre -Seigneurie.</p> - -<p>Tout le temps que dura mon récit, jusqu’à -une heure, le saint Évêque demeura -en suspens, oreille ouverte, bouche close, -sans cligner l’œil. Après que j’eus fini, il -resta sans parler, pleurant à larmes vives. -Enfin, il me dit d’aller reposer et manger -et, agitant une sonnette, fit venir un vieux -chapelain qui me conduisit à son oratoire. -On m’y dressa la table et un matelas, puis -on m’enferma. Je me couchai et dormis. -Vers les quatre heures du soir, le seigneur -Évêque me fit rappeler et me parla avec -une grande bonté d’âme, m’engageant à -bien remercier Dieu de la miséricorde dont -il avait usé envers moi en me montrant le -chemin de perdition qui me menait droit -aux peines éternelles. Il m’exhorta à repasser -ma vie et à faire une bonne confession -qu’il considérait d’ailleurs comme à<span class="pagenum"><a name="page_138" id="page_138">{138}</a></span> -peu près faite et peu malaisée; après quoi, -Dieu aidant, nous aviserions pour le -mieux. En tels et semblables propos, s’acheva -la journée. Je me retirai et, après un -bon souper, je me couchai.</p> - -<p>Le lendemain matin, le seigneur Évêque -dit la messe. Je l’entendis. Après avoir fait -son action de grâces, il m’emmena déjeuner -avec lui. Il reprit et poursuivit le discours -de la veille et convint qu’il tenait mon -cas pour le plus notable en son genre qu’il -eût ouï de sa vie. Il finit par dire:—Enfin, -est-ce bien vrai?—Oui, seigneur, -répondis-je.—Ne vous étonnez pas, répliqua-t-il, -qu’une si rare aventure inquiète -la crédulité. Je lui dis alors:—Seigneur, -c’est ainsi; et si une épreuve -de matrones peut tirer de ce doute Votre -Très-Illustre Seigneurie, je m’y prêterai -volontiers.—J’y consens, dit-il, et j’en -suis aise.</p> - -<p>Je me retirai, car c’était l’heure de l’au<span class="pagenum"><a name="page_139" id="page_139">{139}</a></span>dience. -A midi je dînai, puis reposai un -peu. Le soir, sur les quatre heures, entrèrent -deux matrones. Elles m’examinèrent -à leur satisfaction et déclarèrent par-devant -l’Évêque, sous serment, qu’elles m’avaient -visitée et reconnue autant qu’il était nécessaire -pour pouvoir certifier m’avoir -trouvée vierge intacte comme au jour où -je naquis. L’Illustrissime s’attendrit, congédia -les commères et, m’ayant fait comparaître, -accompagnée du chapelain, m’embrassa -tendrement et, se mettant debout, -me dit:—Ma fille, maintenant je crois -sans doute aucun ce que vous m’avez dit et -dorénavant je croirai tout ce que vous me -direz; je vous vénère comme une des personnes -notables de ce monde et promets de -vous assister de tout mon pouvoir et de -m’employer pour votre bien et le service -de Dieu.</p> - -<p>Un appartement décent fut disposé pour -moi. Je m’y installai commodément, pré<span class="pagenum"><a name="page_140" id="page_140">{140}</a></span>parant -ma confession que je fis le mieux -que je pus. Après quoi, Sa Seigneurie me -donna la communion.</p> - -<p>Le cas s’étant divulgué, le concours des -curieux fut immense. Malgré tout l’ennui -que j’en avais ainsi que l’Illustrissime, il -ne fut pas possible de refuser l’entrée aux -personnes de marque.</p> - -<p>Enfin, au bout de six jours, Sa Seigneurie -détermina de me faire entrer au couvent -des nonnes de Sainte-Claire de Guamanga. -C’est la seule maison de religieuses qu’il -y ait là. J’en revêtis l’habit. L’Évêque sortit -de son palais, me menant à son côté, au -milieu d’un si merveilleux peuple que -toute la ville y devait être, de sorte qu’on -tarda longtemps à gagner le couvent. Enfin, -nous parvînmes à la grand’porte. Il -fallut renoncer à entrer dans l’église où -l’Illustrissime voulait d’abord aller, car -elle était comble. Toute la communauté, -cierges allumés, nous attendait à la porte.<span class="pagenum"><a name="page_141" id="page_141">{141}</a></span> -Là, l’Abbesse et les plus anciennes passèrent -un acte par lequel la communauté s’engageait -à me remettre au prélat ou à son -successeur, toutes les fois qu’il me demanderait. -Sa Très-Illustre Seigneurie m’accola, -me donna sa bénédiction, et j’entrai. -Menée processionnellement au chœur, j’y -fis mon oraison. Je baisai la main à Madame -l’Abbesse, et après avoir embrassé -toutes les nonnes et en avoir été embrassée, -elles me menèrent à un parloir où -l’Illustrissime m’attendait. Il me donna de -bons conseils, m’exhorta à être bonne chrétienne, -à rendre grâces à Notre-Seigneur, -à fréquenter les sacrements, s’engageant, -comme il le fit plusieurs fois, à me les venir -administrer. Puis, m’ayant offert généreusement -tout ce dont je pourrais avoir -besoin, il partit.</p> - -<p>La nouvelle de cet événement courut -partout. Ceux qui m’avaient vue auparavant -et ceux qui, dans toutes les Indes,<span class="pagenum"><a name="page_142" id="page_142">{142}</a></span> -avant et depuis, connurent mes aventures, -s’émerveillèrent.</p> - -<p>Cinq mois plus tard, l’an mil six cent -vingt, mon saint Évêque trépassa subitement. -La perte pour moi fut grande.<span class="pagenum"><a name="page_143" id="page_143">{143}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XXI" id="CHAPITRE_XXI"></a>CHAPITRE XXI</h2> - -<div class="blockquot"><p class="c"><i>Sur l’ordre du seigneur Archevêque, elle -passe, en habit de nonne, de Guamanga -à Lima, entre au couvent de la Trinidad, -en sort, retourne à Guamanga et en repart -pour Santa Fé de Bogota et Tenerife.</i></p></div> - -<p class="nind"><span class="letra">S</span><span class="smcap">itôt</span> après la mort de l’Illustrissime -Évêque de Guamanga, le Très-Illustre seigneur -don Bartolomé Lobo Guerrero, Archevêque -métropolitain de Lima depuis -l’an mil six cent sept jusques au douze -de janvier mil six cent vingt-deux qu’il<span class="pagenum"><a name="page_144" id="page_144">{144}</a></span> -décéda, m’envoya quérir. Les nonnes me -laissèrent aller, -non sans extrême -regret. Je partis -en litière, escortée de six prêtres, quatre -moines et six hommes d’épée.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 301px;"> -<a href="images/illu-158_lg.jpg"> -<img src="images/illu-158_sml.jpg" width="301" height="407" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -</div> - -<p>Nous entrâmes dans Lima à la nuit close,<span class="pagenum"><a name="page_145" id="page_145">{145}</a></span> -et néanmoins nous ne pouvions avancer à -travers la foule des curieux qui voulaient -voir la Nonne Alferez. On me fit descendre -chez le seigneur Archevêque. J’eus toutes -les peines à entrer. Je baisai la main de Sa -Seigneurie qui me régala à merveille et -m’hébergea cette nuit-là. Le lendemain -matin, on me mena au palais voir le Vice-Roi -don Francisco de Borja, comte de -Mayalde et prince d’Esquilache, qui gouverna -le Pérou de l’an mil six cent quinze -à mil six cent vingt-deux. Je dînai chez lui -ce même jour. Je rentrai à la nuit chez le -seigneur Archevêque où je trouvai bon -souper et bon gîte.</p> - -<p>Le lendemain, Sa Seigneurie me dit de -voir et de choisir le couvent où il me plairait -demeurer. Je lui demandai la permission -qu’il m’octroya de les visiter tous. -J’entrai dans tous et les vis tous, restant -trois ou quatre jours dans chacun. Finalement, -je me décidai pour celui de la Très-<span class="pagenum"><a name="page_146" id="page_146">{146}</a></span>Sainte -Trinité des Commanderesses de -Saint-Bernard, grand couvent où sont -entretenues cent religieuses de voile noir, -cinquante de voile blanc, dix novices, dix -converses et seize servantes. J’y séjournai -juste deux ans et cinq mois, jusqu’à ce -que vinrent d’Espagne les preuves authentiques -que je n’avais été ni n’étais nonne -professe. Sur quoi, je fus autorisée à sortir -du couvent, à l’universel regret des -nonnes, et me mis en route pour l’Espagne.</p> - -<p>J’allai tout d’abord à Guamanga voir les -dames du couvent de Sainte-Claire et -prendre congé d’elles. J’y fus retenue huit -jours avec bien de l’agrément, cadeaux et -regrets au départ. Je continuai mon voyage -vers la cité de Santa Fé de Bogota, dans le -Nouveau Royaume de Grenade. Je vis le -seigneur Évêque don Julian de Cortazar -qui me pressa instamment d’y rester dans -le couvent de mon ordre. Je lui répondis<span class="pagenum"><a name="page_147" id="page_147">{147}</a></span> -que je n’étais d’aucun ordre ni couvent et -que je n’avais d’autre souci que de retourner -au pays où je ferais ce qui me semblerait -plus convenable à mon salut. Sur ce -et avec un beau présent qu’il me fit, je pris -congé. Je passai à Zaragoza en remontant -le fleuve de la Madalena. J’y tombai malade. -Le terroir est, à mon avis, malsain -pour les Espagnols. J’y fus à la mort. Au -bout de quelques jours, allant un peu -mieux, un médecin me fit partir. Je ne me -tenais pas encore sur mes pieds. Je descendis -le fleuve jusqu’à Tenerife où je me -rétablis promptement.<span class="pagenum"><a name="page_148" id="page_148">{148}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XXII" id="CHAPITRE_XXII"></a>CHAPITRE XXII</h2> - -<div class="blockquot"><p class="c"><i>Elle s’embarque à Tenerife, passe à Carthagène -et, de là, part pour l’Espagne -sur la flotte.</i></p></div> - -<p class="nind"><span class="letra">L</span>’<span class="smcap">Armada</span> du général don Tomas de -Larraspuru se trouvant à Carthagène en -partance pour l’Espagne, je m’embarquai -sur la Capitane, l’an mil six cent vingt-quatre. -Le Général m’y accueillit fort obligeamment, -me régala, me fit asseoir à sa -table et me continua cet honnête traitement -jusques à plus de deux cents lieues en<span class="pagenum"><a name="page_149" id="page_149">{149}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 303px;"> -<a href="images/illu-163_lg.jpg"> -<img src="images/illu-163_sml.jpg" width="303" height="486" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -</div> - -<p class="nind">deçà du canal de Bahama. Mais, un beau -jour, dans une -querelle de jeu, -il m’advint d’égratigner -quelqu’un -au visage -avec un couteau -qui se -trouva là. On<span class="pagenum"><a name="page_150" id="page_150">{150}</a></span> -s’en inquiéta fort. Le Général se vit contraint -de m’éloigner et me transborda sur -la nef Amirale où j’avais des compatriotes. -Ce changement ne fut pas de mon goût -et je le priai de me faire passer sur le San -Telmo, capitaine Andrès de Oton. Il y -consentit; mais j’y eus de l’ennui, car -cette patache qui servait d’aviso faisait -eau et nous faillîmes nous y noyer.</p> - -<p>Grâces à Dieu, nous arrivâmes à Cadix -le premier de novembre de mil six cent -vingt-quatre. Nous débarquâmes et je restai -huit jours en cette ville. Le seigneur -don Fadrique de Toledo, général de l’Armada, -fut très gracieux pour moi. Il avait -à son service deux de mes frères que je reconnus -et lui fis connaître. Depuis lors, -pour me faire honneur, il les avança beaucoup, -gardant l’un d’eux à son service et -donnant une enseigne à l’autre.<span class="pagenum"><a name="page_151" id="page_151">{151}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XXIII" id="CHAPITRE_XXIII"></a>CHAPITRE XXIII</h2> - -<div class="blockquot"><p class="c"><i>Elle va de Cadix à Séville, de Séville à -Madrid, à Pampelune et à Rome, mais -ayant été détroussée au Piémont, elle -rentre en Espagne.</i></p></div> - -<p class="nind"><span class="letra">D</span><span class="smcap">e</span> Cadix, j’allai à Séville où je demeurai -quinze jours, me celant autant que possible -et fuyant le peuple qui s’attroupait -pour me voir vêtue en habits d’homme. -De là, je gagnai Madrid. J’y restai vingt -jours sans me montrer. On m’arrêta, je ne -sais pourquoi, par ordre du Vicaire. Le<span class="pagenum"><a name="page_152" id="page_152">{152}</a></span> -comte de Olivares me fit aussitôt relâcher. -Alors, je m’accommodai avec le comte de -Javier qui partait pour Pampelune et lui -fis compagnie et service environ deux -mois.</p> - -<p>De Pampelune, quittant le comte de Javier, -je partis pour Rome, car c’était l’année -sainte du grand Jubilé. Je m’acheminai -par la France. Je souffris de cruelles misères, -car, en traversant le Piémont, aux -approches de Turin, je fus accusé d’être un -espion Espagnol, arrêté, dépouillé du peu -de deniers et d’habits que j’avais, et tenu -cinquante jours en prison. Après quoi, ces -gens ayant, à ce que je présume, fait leurs -diligences et n’ayant relevé aucune charge -contre moi, me relâchèrent. Mais ils ne -me laissèrent pas continuer mon voyage -et m’enjoignirent de rebrousser chemin, -sous peine des galères. Je dus donc m’en -retourner à grand’peine, pauvre, à pied -et mendiant. Ayant gagné Toulouse de<span class="pagenum"><a name="page_153" id="page_153">{153}</a></span> -France, je me présentai au comte de Gramont, -Vice-Roi de Pau et Gouverneur de -Bayonne, auquel en venant j’avais apporté -et remis des lettres d’Espagne. En me -voyant, ce bon gentilhomme s’affligea, -me fit habiller, me régala et me donna, -pour la route, cent écus et un cheval. Je -partis.</p> - -<p>Je vins à Madrid et me présentai devant -Sa Majesté, La suppliant de récompenser -mes services que j’exposai dans un mémoire -que je remis en Ses Royales mains. -Sa Majesté me renvoya au Conseil des -Indes. Je m’y adressai, avec les papiers que -j’avais sauvés de mon désastre. Les Seigneurs -du Conseil me virent et me favorisant, -sur avis de Sa Majesté, je fus appointé -à huit cents écus de rente viagère, un peu -moins de ce que j’avais demandé. Ce fut -au mois d’août de mil six cent vingt-cinq. -Entre temps, il m’advint à la Cour -quelques aventures de mince étoffe que<span class="pagenum"><a name="page_154" id="page_154">{154}</a></span> -j’omets. Peu après, Sa Majesté partit pour -les Cortès d’Aragon et vint à Saragosse -dans les premiers jours de janvier de mil -six cent vingt-six.<span class="pagenum"><a name="page_155" id="page_155">{155}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XXIV" id="CHAPITRE_XXIV"></a>CHAPITRE XXIV<br /><br /> -<i>Elle part de Madrid pour Barcelone.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">J</span>E m’acheminai vers Barcelone avec trois -amis qui allaient de ce côté. Ayant pris quelque -relâche à Lérida, nous nous remîmes -en route le Jeudi Saint, après midi. Vers -les quatre heures du soir, nous approchions -de Velpuche, bien joyeux et libres de souci, -quand tout à coup, au tournant du chemin, -d’un hallier sur la droite, sortent neuf -hommes avec leurs escopettes, les chiens<span class="pagenum"><a name="page_156" id="page_156">{156}</a></span> -levés, qui nous entourent et nous crient:—Pied -à terre! Nous ne pûmes qu’obéir -et descendre de cheval, trop heureux de le -faire vivants. Ils nous prirent armes, chevaux, -habits et tout ce que nous avions, -sauf nos papiers que nous leur demandâmes -en grâce. Après les avoir examinés, ils nous -les rendirent sans nous laisser un fil d’autre.</p> - -<p>A pied, nus, honteux, nous poursuivîmes -notre chemin et entrâmes à Barcelone -le Samedi Saint de mil six cent vingt-six, -dans la nuit, sans savoir, moi du moins, -que devenir. Mes compagnons tirèrent je -ne sais de quel côté, cherchant leur remède. -Quant à moi, de porte en porte, récitant -mon lamentable cas, je récoltai quelques -haillons et une méchante cape pour me -couvrir. La nuit s’avançant, je me réfugiai -sous un portail, où je trouvai d’autres pauvres -hères couchés. J’appris d’eux que le -roi était céans et que le Marquis de Montes -Claros, brave et charitable Cavalier que<span class="pagenum"><a name="page_157" id="page_157">{157}</a></span> -j’avais hanté et entretenu à Madrid, était à -son service. Au matin, je l’allai trouver et -lui contai ma disgrâce. Le bon seigneur -s’affligea de me voir en si pitoyable état, -me fit incontinent vêtir et, saisissant l’occasion, -m’introduisit auprès de Sa Majesté.</p> - -<p>J’entrai et relatai à Sa Majesté, fort -ponctuellement, ma mésaventure. Elle -m’écouta et me dit:—Comment vous -laissâtes-vous détrousser?—Seigneur, -répondis-je, je n’en pouvais mais.—Combien -étaient-ils donc?—Neuf, Seigneur, -avec des escopettes, les chiens levés, qui -nous prirent en sursaut, au coin d’un hallier. -Sa Majesté fit signe avec la main de -vouloir mon placet. Je le baisai et le Lui -remis.—Je le verrai, dit-Elle. Et Sa Majesté, -qui était alors debout, sortit.</p> - -<p>Je ne tardai guère à recevoir le mandat -par lequel Sa Majesté ordonnait de me -pourvoir de quatre rations d’Alferez ré<span class="pagenum"><a name="page_158" id="page_158">{158}</a></span>formé -et de trente ducats de gratification. -Sur ce, ayant pris congé du Marquis de -Montes Claros, auquel je devais tout, je -m’embarquai sur la galère courrière de Sicile, -le San Martin, qui faisait route pour -Gênes.<span class="pagenum"><a name="page_159" id="page_159">{159}</a></span></p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XXV" id="CHAPITRE_XXV"></a>CHAPITRE XXV<br /><br /> -<i>Elle va de Barcelone à Gênes et de là à Rome.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">P</span>ARTIS de Barcelone sur la galère, nous -arrivâmes rapidement à Gênes, où nous -restâmes quinze jours. Un beau matin, il -me vint à l’esprit d’aller voir le contrôleur -général Pedro de Chavarria, de l’habit de -Saint-Jacques. Il était, paraît-il, de trop -bonne heure; sa maison n’était pas encore -ouverte. Je me mis à me promener pour -tuer le temps. Puis je m’assis sur un banc<span class="pagenum"><a name="page_160" id="page_160">{160}</a></span> -de pierre à la porte du prince Doria. Peu -après, un homme bien vêtu vint aussi s’y -asseoir. C’était un galant soldat, à la longue -chevelure, que je reconnus au parler pour -un Italien. Nous nous saluâmes. La conversation -s’engagea. Bientôt il me dit:—Vous -êtes Espagnol? Je lui répondis que -oui.—J’en conclus que vous devez être -glorieux, car, pour arrogants, les Espagnols -le sont, bien qu’ils n’aient pas autant -de poigne qu’ils s’en vantent.—Moi, je -les vois en tout et pour tout très excellents -mâles, répliquai-je.—Et moi je sais qu’ils -ne sont tous que de la merda! Alors me -levant:—Ne parlez pas de la sorte, car le -dernier des Espagnols vaut mieux que le -meilleur Italien.—Soutiendrez-vous votre -dire? fit-il.—Certes!—Eh bien, soit, -sur-le-champ! Je passai derrière un château -d’eau qu’il y avait là. Il me suivit. -Nous mîmes les épées au clair et commençâmes -à ferrailler. Tout à coup je vois un<span class="pagenum"><a name="page_161" id="page_161">{161}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 292px;"> -<a href="images/illu-175_lg.jpg"> -<img src="images/illu-175_sml.jpg" width="292" height="446" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -</div> - -<p class="nind">autre galant s’aligner à son côté. Tous -deux s’escrimaient de -taille et moi d’estoc. -Je touchai l’Italien, il tomba. Il me restait -l’autre, que je faisais rompre devant moi,<span class="pagenum"><a name="page_162" id="page_162">{162}</a></span> -quand arrive un bien gaillard boiteux, sans -doute un ami, qui se met à son côté et me -pousse vivement. Un troisième survient -et se range auprès de moi, peut-être parce -qu’il me vit seul, car je ne le reconnus pas. -Bref, il accourut tant et tant d’amateurs, -que ce devint une vraie bagarre, dont, tout -bellement, m’étant retiré sans que personne -s’en aperçût, peu curieux du dénouement, -je regagnai ma galère où je pansai -une égratignure que j’avais à la main. Le -marquis de Santa Cruz était alors à Gênes.</p> - -<p>De Gênes, j’allai à Rome. Je baisai le -pied de Sa Sainteté Urbain VIII et Lui -narrai brièvement, du mieux que je pus, -ma vie, mes aventures, mon sexe et ma -virginité. Sa Sainteté parut trouver mon -cas étrange et m’octroya très gracieusement -licence de porter habit d’homme, -me recommandant de continuer à vivre -honnêtement, de m’abstenir d’offenser le -prochain et de me garder d’enfreindre,<span class="pagenum"><a name="page_163" id="page_163">{163}</a></span> -sous peine de la vengeance de Dieu, son -commandement qui dit: Non occides. Là-dessus, -je pris congé.</p> - -<p>Mon cas fut bientôt notoire dans Rome -et notable le concours de gens dont je fus -entouré, personnages, princes, Évêques -et Cardinaux. Toutes portes m’étaient ouvertes, -si bien que, durant le mois et demi -que je séjournai à Rome, rare fut le jour -où je ne fus invité et fêté chez quelque -prince. Particulièrement, un certain vendredi, -sur l’ordre exprès et aux frais du -Sénat, je fus convié et régalé par des gentilshommes -qui m’inscrivirent sur le livre -des citoyens romains. Puis, le jour de Saint-Pierre, -vingt-neuf de juin mil six cent -vingt-six, ils me firent entrer dans la Chapelle -où je vis les cérémonies accoutumées -de la fête et les Cardinaux. Tous ou quasi -tous se montrèrent envers moi fort affables -et caressants. Plusieurs me parlèrent et, -le soir, me trouvant en une assemblée avec<span class="pagenum"><a name="page_164" id="page_164">{164}</a></span> -trois Cardinaux, l’un d’eux, c’était le -Cardinal Magalon, me dit que mon seul -défaut était d’être Espagnol. A quoi je -répliquai:—A mon avis, Monseigneur, -et sauf le respect que je dois à Votre Illustrissime -Seigneurie, je n’ai que cela -de bon.<span class="pagenum"><a name="page_165" id="page_165">{165}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 351px;"> -<a href="images/illu-179_lg.jpg"> -<img src="images/illu-179_sml.jpg" width="351" height="500" alt="[pas d'image disponible]" /></a> -<div class="caption"><p> -[<a href="#page_167"><i>P. 167</i></a>]<br /> -</p></div> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_167" id="page_167">{167}</a></span> </p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_166" id="page_166">{166}</a></span> </p> - -<h2><a name="CHAPITRE_XXVI" id="CHAPITRE_XXVI"></a>CHAPITRE XXVI<br /><br /> -<i>De Rome, elle va à Naples.</i></h2> - -<p class="nind"><span class="letra">A</span>PRÈS un mois et demi de séjour à Rome, -je partis pour Naples. Le cinq de juillet -mil six cent vingt-six, nous nous embarquâmes -à Ripa.</p> - -<p>Un jour, à Naples, me promenant sur -le môle, je remarquai les éclats de rire de -deux donzelles qui parlaient avec deux -beaux fils en me regardant. Je les dévisageai. -L’une d’elles me dit alors:—Ma<span class="pagenum"><a name="page_168" id="page_168">{168}</a></span>dame -Catalina, où allez-vous comme ça?—Vous -administrer cent claques sur le -chignon, dames putes, et cent estocades au -ruffian qui vous oserait défendre! Elles se -turent et me quittèrent la place.<span class="pagenum"><a name="page_169" id="page_169">{169}</a></span></p> - -<h2><a name="EPILOGUE" id="EPILOGUE"></a>ÉPILOGUE</h2> - -<p class="nind"><span class="letra">C</span>’<span class="smcap">est</span> <i>là, sur le môle de Naples, en pleine -querelle, au mois de juillet 1626, que la -Nonne Alferez nous quitte brusquement. Ces -arrêts sont fréquents chez les picaresques espagnols. -Lazarille laisse le lecteur au milieu -d’un chapitre; le Buscon de Quevedo ne finit -pas. La querelle si bien entamée se termina-t-elle -pour Doña Catalina, comme à l’ordinaire, -par un trop heureux coup de pointe -et quelque départ précipité? Ou plutôt ne<span class="pagenum"><a name="page_170" id="page_170">{170}</a></span> -fut-ce pas l’ennui d’écrire, le dégoût de vivre -et de conter toujours la même vie?</i></p> - -<p><i>Quoi qu’il en soit, ses traces se perdent -durant quatre années. Nous la retrouvons -en Espagne. A la date de 1630, on lit dans -un journal manuscrit des choses de Séville -cité par Muñoz:—Le 4 juillet, la Monja -Alferez alla à la Cathédrale. Elle avait été -nonne à San Sebastian, s’enfuit, passa aux -Indes en 1603, y fut, pendant vingt ans -qu’elle y servit, tenue pour castrat, revint -en Espagne, alla à Rome où le pape Urbain -VIII lui octroya dispense et licence de -se vêtir en homme.... Le Capitaine Don Miguel -de Echazarreta, qui l’avait jadis menée -aux Indes comme mousse, y retourne en qualité -de Général et l’emmène comme Alferez.—Effectivement, -à la date du 21 juillet -de la même année, au folio 160 du livre de -Despacho, l’Alferez doña Catalina de Erauso -est inscrit comme passager sur la flotte à des<span class="pagenum"><a name="page_171" id="page_171">{171}</a></span>tination -de la Nouvelle Espagne, par cédule -de Sa Majesté.</i></p> - -<p><i>Enfin, en 1645, le P. Fray Nicolas de -Renteria, de l’ordre des Capucins, la rencontra -plusieurs fois à la Vera Cruz où elle -était connue sous le nom de Don Antonio -de Erauso et faisait, avec quelques mulets -et quelques nègres qu’elle avait, des transports -de marchandises. Elle conduisit même -Fray Nicolas et son bagage de la côte jusqu’à -Mexico. Elle était tenue pour un brave -sujet, dit le Révérend Père, de beaucoup -de cœur et de dextérité; vêtue d’un habit -d’homme, elle portait une épée et sa dague -garnies d’argent. Elle pouvait être âgée de -cinquante ans environ, bien bâtie, bien en -chair, de visage basané, avec quelques petits -poils de moustache.</i></p> - -<p><i>Et c’est tout. On ne sait plus rien de la -Nonne Alferez doña Catalina de Erauzo. -Elle disparaît sans retour. Mourut-elle<span class="pagenum"><a name="page_172" id="page_172">{172}</a></span> -dans son lit, de sa triste mort, comme dit -un chroniqueur militaire? D’aucuns prétendent -que son convoi de mules fut attaqué et -qu’elle fut détroussée et assassinée par une -bande de ces braves gens qui, dès lors, battaient -les grands chemins, au Mexique. Son -corps fut sans doute jeté dans quelqu’une de -ces ravines profondes qui bordent la route -de Vera Cruz à Mexico. D’autres croient -qu’elle fut emportée par le Diable.</i><span class="pagenum"><a name="page_173" id="page_173">{173}</a></span></p> - -<h2><a name="NOTE_BIBLIOGRAPHIQUE" id="NOTE_BIBLIOGRAPHIQUE"></a> -<img src="images/bar.png" -width="350" -alt="" -/><br /> -NOTE BIBLIOGRAPHIQUE</h2> - -<p class="nind"><span class="letra">C</span>’<span class="smcap">est</span> <i>à l’obligeance de l’éminent érudit -D. Pedro de Madrazo que nous devons nos -renseignements sur la</i> Relacion Verdadera -<i>et la</i> Segunda Relacion <i>imprimées à Madrid -par Bernardino de Guzman en 1624 et 1625, -et sur les manuscrits de</i> La Vida y sucesos -de la Monja Alferez, <i>dont l’un appartient<span class="pagenum"><a name="page_174" id="page_174">{174}</a></span> -à D. Sancho Rayon et l’autre à la Bibliothèque -de la Royale Académie de l’Histoire. -Ce dernier provient de Muñoz et a servi à -M. de Ferrer pour établir le texte de l’</i>Historia -<i>imprimée en 1829 par Jules Didot. -L’année suivante, Bossange édita une très -médiocre version française qui est aujourd’hui -peut-être plus rare encore que l’original. -Nous avons eu sous les yeux une autre -édition de l’</i>Historia <i>(Barcelona, imprenta -de José Tauló. 1838) qui n’est qu’une reproduction -du texte de Ferrer</i>.</p> - -<p><i>Nous devons mentionner encore, dans le -Musée des Familles de 1838-39, un article -où, en quelques pages, la duchesse d’Abrantès -a fort agréablement résumé la vie de notre -héroïne. Enfin, M. Alexis de Valon</i> (Nouvelles -et Chroniques. <i>Dentu, 1851</i>), <i>dans -un récit intitulé</i> Catalina de Erauso, <i>a fâ<span class="pagenum"><a name="page_175" id="page_175">{175}</a></span>cheusement -dénaturé cette figure singulière -de la Monja Alferez, dont les Mémoires si -caractéristiques nous ont paru dignes d’être -fidèlement traduits en français.</i></p> - -<p class="r"> -J.-M. H.<br /> -</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_176" id="page_176">{176}</a></span> </p> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_177" id="page_177">{177}</a></span> </p> - -<p class="c"> -<i>Achevé d’imprimer</i><br /> -<br /> -le treize mars mil huit cent quatre-vingt-quatorze<br /> -<br /> -PAR<br /> -<br /> -ALPHONSE LEMERRE<br /> -<br /> -25, RUE DES GRANDS-AUGUSTINS, 25<br /> -<br /> -<i>A PARIS</i></p> - -<p> </p> - -<hr class="full" /> - -<p class="c">COLLECTION LEMERRE ILLUSTRÉE</p> - -<hr /> - -<p class="c">Volumes in-32, illustrés de gravures sur bois, -imprimés sur papier vélin.</p> - -<p class="c">Chaque volume: broché, 2 francs; -relié: 3 francs.</p> - -<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> - -<tr><td valign="top" class="smcap"><span class="spcc">Paul Bourget</span>: <i>Un Scrupule</i></td><td valign="bottom">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="indd">Illustrations de Myrbach.</td></tr> - -<tr><td valign="top" class="smcap"><span class="spcc">François Coppée</span>: <i>Rivales</i></td><td valign="bottom">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="indd">Illustrations de Moisand.</td></tr> - -<tr><td valign="top" class="smcap"><span class="spcc">A. de Musset</span>: <i>Frédéric et Bernerette</i>.</td><td valign="bottom">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="indd">Illustrations de Myrbach.</td></tr> - -<tr><td valign="top" class="smcap"><span class="spcc">André Theuriet</span>: <i>L’Abbé Daniel</i>.</td><td valign="bottom">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="indd">Illustrations de Jeanniot.</td></tr> - -<tr><td valign="top" class="smcap"><span class="spcc">A. de Musset</span>: <i>Le Fils du Titien.—Croisilles</i></td><td valign="bottom">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="indd">Illustrations de Paul Chabas.</td></tr> - -<tr><td valign="top" class="smcap"><span class="spcc">Stendhal</span>: <i>L’Abbesse de Castro</i>.</td><td valign="bottom">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="indd">Illustrations de Paul Chabas.</td></tr> - -<tr><td valign="top" class="smcap"><span class="spcc">Paul Bourget</span>: <i>Un Saint</i>.</td><td valign="bottom">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="indd">Illustrations de Paul Chabas.</td></tr> - -<tr><td valign="top" class="smcap"><span class="spcc">Marcel Prévost</span>: <i>Le Moulin de - Nazareth</i></td><td valign="bottom">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="indd">Illustrations de Myrbach.</td></tr> - -<tr><td valign="top" class="smcap"><span class="spcc">J.-M. de Heredia</span>: <i>La Nonne Alferez</i>.</td><td valign="bottom">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="indd">Illustrations de Daniel Vierge.</td></tr> - -<tr><td colspan="2" class="c">EN PRÉPARATION</td></tr> - -<tr><td valign="top" class="smcap"><span class="spcc">François Coppée</span>: <i>Henriette</i>.</td><td valign="bottom">1 vol.</td></tr> -<tr><td class="indd">Illustrations de Orazi.</td></tr> - -</table> - -<hr /> - -<p class="fint"><i>Paris. Imp. Lemerre, 25, r. des Grands-Augustins.</i></p> - -<hr class="full" /> - - - - - - - -<pre> - - - - - -End of Project Gutenberg's La Nonne Alferez, by José-María de Heredia - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA NONNE ALFEREZ *** - -***** This file should be named 62216-h.htm or 62216-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/6/2/2/1/62216/ - -Produced by Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online -Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/Canadian Libraries) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is -subject to the trademark license, especially commercial -redistribution. - - - -*** START: FULL LICENSE *** - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project -Gutenberg-tm License (available with this file or online at -http://gutenberg.org/license). - - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm -electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the -trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone -providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance -with this agreement, and any volunteers associated with the production, -promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, -harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, -that arise directly or indirectly from any of the following which you do -or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm -work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any -Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. - - -Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm - -Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of computers -including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists -because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from -people in all walks of life. - -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's -goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. -To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 -and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. - - -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive -Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at -http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent -permitted by U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. -Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered -throughout numerous locations. Its business office is located at -809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email -business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact -information can be found at the Foundation's web site and official -page at http://pglaf.org - -For additional contact information: - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. 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Donations are accepted in a number of other -ways including checks, online payments and credit card donations. -To donate, please visit: http://pglaf.org/donate - - -Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic -works. - -Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm -concept of a library of electronic works that could be freely shared -with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project -Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. - - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. -unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily -keep eBooks in compliance with any particular paper edition. - - -Most people start at our Web site which has the main PG search facility: - - http://www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. - - -</pre> - -</body> -</html> diff --git a/old/62216-h/images/bar.png b/old/62216-h/images/bar.png Binary files differdeleted file mode 100644 index 30b5a87..0000000 --- a/old/62216-h/images/bar.png +++ /dev/null diff --git a/old/62216-h/images/colophon.jpg b/old/62216-h/images/colophon.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index a2d9b5f..0000000 --- a/old/62216-h/images/colophon.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/62216-h/images/colophon2.png b/old/62216-h/images/colophon2.png Binary files differdeleted file mode 100644 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