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diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..d7b82bc --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,4 @@ +*.txt text eol=lf +*.htm text eol=lf +*.html text eol=lf +*.md text eol=lf diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. 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You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: De la mer aux Vosges - -Author: Franc Nohain - -Illustrator: Pierre-Adrien Bouroux - -Release Date: November 2, 2019 [EBook #60616] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DE LA MER AUX VOSGES *** - - - - -Produced by Claudine Corbasson, Chuck Greif and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at -http://gallica.bnf.fr) - - - - - - - - - - De la Mer aux Vosges - - JUSTIFICATION DU TIRAGE - - - Exemplaire unique sur papier des Manufactures impériales du Japon, - contenant tous les dessins originaux, une suite des premiers états - des eaux-fortes et une suite d’états définitifs. - - Nᵒˢ 1 à 50.--Exemplaires sur papier des Manufactures impériales du - Japon, contenant une suite des premiers états et une suite d’états - définitifs. - - Nᵒˢ 51 à 300.--Exemplaires sur papier vélin d’Arches, contenant une - suite des eaux-fortes. - - - - - FRANC-NOHAIN - - - De la Mer - aux Vosges - - _Eaux-Fortes et Dessins_ - - DE - - P.-A. BOUROUX - - [Illustration] - - - PARIS - E. DE BOCCARD, ÉDITEUR - 1, RUE DE MÉDICIS, 1 - - 1921 - - - - - AU GÉNÉRAL DE COMBARIEU - - - _avec la fierté d’avoir servi sous ses ordres - hommage de notre reconnaissance - et de notre dévouement._ - - FRANC-NOHAIN, - PAUL-ADRIEN BOUROUX. - - - - -[Illustration] - - -_Les pages qui suivent n’ont pas la prétention d’être un chapitre -d’histoire; nous n’avons jamais cherché à expliquer, à commenter, ni -même à comprendre les événements militaires auxquels nous avons pu nous -trouver mêlés et qui nous dépassent singulièrement._ - -_Et nous ne nous flattons pas non plus d’apporter ici une contribution, -si modeste soit-elle, à l’étude déjà fréquemment tentée, et bien -inutilement à notre avis, de ce que l’on appelle la «psychologie du -combattant»._ - -_Je crois que les hommes qui ont fait la guerre l’ont faite avec la -nature, le caractère, et les habitudes d’esprit qu’ils avaient acquis en -temps de paix. La guerre n’a tout de même duré que quatre ans; et les -combattants avaient une formation intellectuelle, morale et sentimentale -qui allait de dix-sept à cinquante années, parfois même un peu plus._ - -_Pendant ces quatre ans d’exceptionnel bouleversement, il est possible -que certaines façons de penser aient semblé brusquement surgir, que -certains sentiments se soient épanouis ou exaspérés._ - -_Mais, en réalité, ils étaient déjà en nous, nous les avions avec nous, -et ils sont un moment sortis du fond de nous-mêmes, comme une pluie -d’orage peut amener à la surface du bassin des végétations en dépôt qui -dormaient dans sa profondeur; mais ce n’est pas elle qui les apporte, et -surtout elle ne les crée pas._ - -_La guerre aura été, pour ceux qui l’auront vécue,--et qui n’en sont pas -morts,--une extraordinaire aventure, la plus extraordinaire des -aventures, mais simplement une aventure. «Faire la guerre» est une -expression démesurée et vide de sens. Est-il un homme qui se puisse -vanter d’avoir «fait la guerre»? La vérité est que chacun de nous a fait -sa guerre, et qu’il l’a vue comme il la faite, dans son coin, à sa -place, suivant ses moyens, et de son mieux..._ - -_Cette guerre, la nôtre, a déposé dans notre mémoire un certain nombre -de souvenirs et d’images, pittoresques et touchants, insignifiants ou -formidables, mais qui ne sont pas nécessairement héroïques, et dont la -qualité peut être infiniment relative et variée._ - -_Ce sont ces souvenirs et ces images qu’il nous a plu de fixer ici, tels -quels. Et si nous les fixons, c’est que déjà nous sentons bien qu’ils -s’éloignent un peu de nous, qu’il nous faut presque un effort pour les -évoquer et les retenir._ - -_La guerre n’est qu’une convulsion, qui bouleverse les êtres et les -choses, mais une convulsion ne dure pas. A la place des ruines, dont le -burin du graveur trace la figure pathétique, d’autres édifices -s’élèveront un jour à nouveau. Et devant même que d’autres pierres aient -remplacé les pierres détruites, la nature la première n’a-t-elle pas -rétabli son harmonie éternelle, comblant les tranchées et les trous -d’obus? Les champs de désolation et de mort ne s’apprêtent-ils pas pour -les moissons de demain?_ - -_Avant les monuments, œuvre de l’homme, et ainsi que la nature elle -même, notre sensibilité retrouve aussitôt son apaisement et son -équilibre._ - -_Avant donc que tout cela, tout proche, entre et disparaisse dans la -sérénité de l’Histoire, interrogeons notre cœur encore vibrant, nos -nerfs encore tendus. Il ne s’agit pas, encore une fois, d’une Histoire -ni d’une contribution à l’Histoire de la Guerre: on n’écrit pas -l’Histoire à mesure. Une Histoire de la Guerre, non pas; tout au plus, -et tout simplement, des histoires de guerre, celles que nous raconterons -désormais, jusqu’à ce que la mort nous prenne, à nos enfants et aux -enfants de nos enfants, lorsqu’ils nous demanderont gentiment_: - -«_Racontez-nous la guerre, ce que vous avez vu à la guerre? -Racontez-nous l’Hartmann, et le Chemin des Dames, et la cathédrale de -Reims, et Verdun, et quand vous étiez avec les Américains devant -Château-Thierry, et quand vous êtes rentré dans Bruges avec le roi -Albert?_» - -_Voici..._ - - _F.-N._ - -_Versailles, août 1920._ - -[Illustration] - - - - -[Illustration] EN ALSACE - - -Hartmannswillerkopf,--nom compliqué et barbare, qui, dans notre mémoire, -résonne longuement, lugubrement, dominant nos souvenirs, comme son -sommet domine la guerre en Alsace, et les Vosges!... Vainement on a -voulu modifier ce nom, lui prêter un aspect familier, bonhomme: le -«Vieil Armand»,--mais jamais, ailleurs que dans les récits des journaux, -on n’employa cette désignation ingénieuse, ce plaisant jeu de mots. Si! -Un café de la vallée s’était intitulé ainsi «_A la descente du Vieil -Armand_.» Mais, en réalité, l’Hartmannswillerkopf fut et resta -simplement en deux syllabes, «l’Hartmann», ou--suivant l’abréviation des -ordres et des plans directeurs--trois lettres: l’H. W. K. - -Ce que représentent pour nous ces trois lettres... - -Je revois cette claire nuit des premiers jours de janvier 1916, et la -«voiture de liaison» qui m’emmenait de Remiremont. Un grand garçon -mince, aux traits marqués, est assis à côté du conducteur; tout à -l’heure, au moment du départ, les camarades du «courrier» le -félicitaient de sa médaille militaire et de sa belle croix de guerre -toutes neuves; son front s’est plissé, dans son visage tourmenté, et il -a répliqué avec brusquerie: - ---J’aimerais mieux n’avoir ni croix ni médaille, et que mon général soit -encore là! - -Son général, c’est le général Serret, dont il était le porte-fanion, -qu’il accompagnait toujours, partout, comme son ombre, dans ses -randonnées téméraires, le général Serret dont il a rapporté le corps -quand il a été tué, l’autre jour, (c’est pour cela qu’on vient de le -décorer),--tué comme le colonel Hennequin, tué comme le colonel -Boussat,--dans une tranchée de cet Hartmann où, maintenant, je vais -«rejoindre»... - -Mais je ne rejoindrai que demain matin. Ce soir, nous nous arrêtons à -Wesserling, où la division est installée, et où j’ai la surprise de -coucher dans une «vraie» chambre, d’un hôtel demeuré presque -confortable; simplement la servante s’excuse de me donner une bougie, et -qu’il n’y ait plus de gaz: - ---Le bec de gaz, il est _capout_! - -[Illustration] - -Cet accent, ce «capout», pour la première fois, j’ai l’impression d’un -pays conquis, ou reconquis, dont les habitants libérés ne parlent plus -notre langue; oui vraiment, et de quelque puérilité que nous jugions -sans doute après coup une telle impression démesurée, j’ai, en entendant -ce «capout», le premier sentiment de l’avance victorieuse, et, seul dans -ma chambre, je ferais volontiers sonner en conquérant mes bottes et mon -sabre,--le sabre dont je m’étais, bien inutilement d’ailleurs, -embarrassé. - -[Illustration] - -Une canonnade lointaine, assourdie. Les différents «plans» de la -montagne arrêtent et dispersent le bruit des éclatements. - -Ainsi tout semble concourir à ce que, de plus près, l’Hartmann -apparaisse bien moins effrayant que sa réputation sinistre. Et puis, -quand je me suis remis en route, au matin, quels jolis et plaisants -villages, aux maisons riantes, aux devantures gaîment offertes! - -Des ouvriers «civils» travaillent à la route en lacets qui, remplaçant -les sentiers muletiers, permet l’accès, presque jusqu’au sommet, des -lourds convois du ravitaillement et de l’artillerie. Parmi ces civils, -il en est de tout jeunes, qui se sont coiffés de bérets d’alpins, et -dont les bonnes joues roses et rondes me rappellent mes petits garçons. - -Cependant les sapins qui, jusqu’ici, m’avaient protégé de leur ombre -majestueuse et bleue se font plus rares; aux taillis naturels succèdent -des buissons de fil de fer barbelé. Des éclatements se précisent, plus -rapprochés, plus nets... A un tournant, une intolérable odeur de bêtes -en décomposition--des mulets ont été éventrés par une rafale «bien -placée». - -Et les sapins orgueilleux ne sont plus que des manches à balais. - -Le guide qui m’attendait là m’engage à hâter le pas: - ---C’est un mauvais endroit, mon lieutenant! - -Sur la carte allemande, que dressait le Club vosgien, que de jolis noms -cependant, et séduisants, et tentateurs: le «Chemin des Dames»,--ici -non plus, les «dames», à la guerre, ne nous portaient pas bonheur!--au -bout duquel le colonel Hennequin fut tué par un «méchant 77», un obus de -rien du tout, un de ces obus que nous affections de mépriser presque, et -qui, suivant l’expression d’un camarade, n’étaient dangereux que «si -l’on se rencontrait avec eux _personnellement_»,--le _Damenweg_ aux -pentes adoucies, par où les dames excursionnistes étaient invitées à -passer sans trop de fatigue, et sans risque pour leurs hauts talons. - -Et voici encore la «Pastetenplatz», l’endroit où l’on s’asseyait sur -l’herbe, où l’on ouvrait les paniers à provisions, où, les yeux -écarquillés et la bouche pleine, on admirait le beau point de vue en -dégustant des pâtisseries! - -Le point de vue est toujours admirable; mais il vaut mieux sans doute ne -pas s’y trop attarder. - -Et cependant j’ai pu constater que dans les circonstances les plus -difficiles, aux instants les plus pathétiques, la noblesse et l’agrément -des sites nous laissent rarement insensibles. Ce qui, peut-être, rendait -plus pénible encore la bataille de Verdun ou de l’Yser, c’était de -n’avoir devant soi rien où l’œil se pût reposer, qui nous divertît de la -tragique horreur environnante. Un paysage, malgré tout, un paysage varié -et doux apaise l’esprit, affermit notre espoir dans la vie (quand la -nature est là si calme!), nous tient compagnie. - -Singulièrement, en Alsace, nous lui étions reconnaissants, même -inconsciemment, à la nature, d’avoir fait ce pays si riant, si riche, et -qui valait vraiment la peine de se donner tant de mal pour le reprendre, -pour le garder! - -Je n’oublierai jamais qu’en arrivant à l’Hartmann, quand, pour me -présenter au P. C. du bataillon, je dévalais le Boyau Central le cœur un -peu serré par sa solitude menaçante--on ne le fréquentait guère par -plaisir, et pour cause,--le premier, le seul camarade, que j’aie alors -rencontré, c’était un chasseur de la brigade, adossé à un pare-éclats; -on l’avait envoyé relever un tracé des travaux, et, abandonnant sa -planchette de topographe, tranquillement, ne me voyant même pas venir, -il s’absorbait à peindre sur son bloc-notes une aquarelle. - -Cette insouciance ou ce fatalisme, je les retrouvais d’ailleurs dans le -P. C. où l’on m’accueillait, où la sécurité était pourtant assez -relative, si l’obscurité, par contre, y était à peu près complète, et où -les premières recommandations dont on m’entoura furent sur la manière de -porter le béret (le mien, paraît-il, était beaucoup trop large...). -N’est-ce pas là que j’ai entendu un capitaine, au plus fort d’un -bombardement, et alors qu’on le prévenait d’avoir à se tenir prêt pour -contre-attaquer, qui déplorait que dans l’ordre reçu fût employé le mot -«solutionner», et qui murmurait, tout en prenant de suprêmes -dispositions: - ---Pourquoi «solutionner» quand nous avons _résoudre_?... - -[Illustration] - -De semblables scrupules littéraires, de telles préoccupations -philologiques sont encore plus surprenants que le souci fréquent, -celui-là, en pareilles circonstances et en pareil endroit, d’un flush -royal ou d’un sans-atout... On se félicitait encore, lorsque j’arrivai, -des huit cents francs perdus au poker par un camarade, quelques heures -avant la sanglante et déplorable attaque allemande de décembre, où il -devait être blessé et fait prisonnier,--puisque ce sont les boches qui -auraient eu ses huit cents francs... - -Hélas! le cimetière tout proche témoignait cruellement que de trop -nombreux camarades n’avaient pas perdu que leur argent. On n’y prêtait -pas autrement d’attention, d’ailleurs. Ces cimetières qui se sont -dressés au milieu, comme au fur et à mesure de la bataille, - -[Illustration] - -qui font corps avec elle, dont les croix de bois se distinguent à peine -des piquets pour les fils barbelés, dont les tertres semblent alterner -avec des sacs à terre, ces cimetières ne sont pas tristes, ils ne sont -pas impressionnants, ou, du moins, beaucoup moins qu’on ne l’imagine. -Oui, détachée de l’ensemble, comme un lambeau de notre sensibilité -inquiète, leur image pantelante, maintenant, secoue nos nerfs et nous -bouleverse. Mais, sur le moment, on n’y pensait pas... La mort est là, -toute nue, sans idées associées, sans vain apparat, sans littérature -vaine, comme faisant partie tout naturellement d’une série -d’obligations, de nécessités ou de risques professionnels,--une tombe se -creuse comme une tranchée,--comme un accident du travail du bon ouvrier. -On ne récrimine, ni on ne s’effare. Les morts, ici, sur place, -n’apparaissent aux vivants ni des victimes, ni des - -[Illustration] - -martyrs, pas même--pas encore--des héros. Les morts semblent des -guetteurs qui ne doivent plus être jamais relevés, pour qui la faction -se prolonge, se prolonge désespérément, continue... - -Les morts de l’Hartmann montaient la garde face à la plaine d’Alsace, -face à Mulhouse, face au Rhin... - -Que de fois, près d’eux, je me suis couché sur l’une de ces tombes qui -dominaient le camp Rénier, pour voir, la nuit venue, s’allumer à -l’horizon les lumières de Mulhouse!... - -Car on ne devait pas tirer sur Mulhouse, on ne devait pas risquer de -ruiner, de détruire le gage précieux de Mulhouse. Et cette pièce de -marine, si soigneusement camouflée dans le village de Thann, sur le -chemin de l’Herrenstuhl, cette pièce énorme qui, par antiphrase sans -doute, s’appelait la «Petite Bretonne», demeura des mois pointée sur -Mulhouse, sans jamais tenter d’expérimenter la puissance de ses -projectiles monstrueux. - -Ainsi, chaque soir, à l’heure où nos villes frontières s’enfonçaient -dans l’ombre épaisse, où l’angoisse de Paris s’entourait de ténèbres, -tranquille, paisible, sûre de n’être point inquiétée, Mulhouse -s’éclairait peu à peu, et nous voyions briller la belle et complète -ordonnance de ses feux symétriques... Quelle émotion, chaque soir -renouvelée! Je me rappelais un voyage à Mulhouse quelques mois avant la -guerre, l’accueil que m’avait bien voulu faire la _Société -industrielle_, tant d’esprit, de grâce et de charme... Cependant, le -même jour, à l’_Hôtel Central_ où j’étais descendu, une kermesse -organisée par la Croix-Rouge allemande m’avait permis de confronter et -de comparer, avec la société alsacienne, les élégances des -fonctionnaires et officiers allemands et de leurs femmes...--Les -Allemandes, me disait une Alsacienne, font des prodiges ou des bassesses -pour avoir l’adresse de nos couturières et de nos modistes; elles -s’ingénient à copier nos robes, elles nous «chipent» nos chapeaux... Et -vous voyez...--Et je voyais que sur leurs têtes ce n’étaient plus les -mêmes chapeaux, que sur elles ce n’étaient plus du tout les mêmes robes. - -Que sont-elles devenues ces Alsaciennes de Mulhouse que j’avais connues -si joliment élégantes, si gaies, si malicieuses et fines, si françaises, -si parisiennes?... Et je songe qu’il y a encore des officiers allemands -à l’_Hôtel Central_!... - -_L’Hôtel Central_, j’aurais presque pu le distinguer du Storchenkopf, -avec la jumelle à ciseaux! Nous avions là, au Storchenkopf,--le mont des -Cigognes,--au-dessus du col de Haag, un poste optique et un observatoire -prodigieux. D’un côté, c’étaient les clochers de Colmar, et les villages -plus proches de la plaine encore allemande, si proches en effet qu’à la -jumelle on se promenait dans leurs rues, que nous y avons vu des dames -de la Croix-Rouge allemande sortant de la messe... Et de l’autre côté, -l’Hartmann, d’abord, cet Hartmann dont on sentait mieux l’importance -militaire et stratégique en constatant que partout on était «vu de -l’Hartmann», que partout dominait ainsi son double sommet, trop -reconnaissable à sa nudité lugubre, à sa végétation roussie et rasée, -dont ne subsistaient plus que quelques troncs ébranchés, -déchiquetés,--ce que la guerre fait des arbres comme des hommes,--et -cette silhouette singulière et symbolique que l’on appelait l’«arbre -canon»... - -Et toujours Mulhouse, les lumières bien alignées de Mulhouse, là-bas... - -C’était un bien joli endroit que le col de Haag, et l’on comprend -l’engoûment des touristes pour l’_Hôtel du Ballon_ qui en était voisin à -quelques centaines de mètres. Je n’ai connu cet hôtel que tout à fait -démoli, mais c’était pour nous un passe-temps, qui trompait notre -nostalgie, d’aller chercher parmi les décombres les vestiges d’un -confortable aboli, d’une civilisation qui semblait de la préhistoire: de -l’histoire d’avant la guerre, en effet. Et nous méditions - -[Illustration] - -devant des carreaux de faïence, retrouvés au milieu de gravats, et qui -avaient dû revêtir une salle de bains... - -Mais le grand ennemi à Haag, c’était le brouillard. Le soleil inondait -la vallée de la Thür ou celle de la Lauch, ses rayons perçaient -jusqu’aux frondaisons épaisses qui ceinturaient de leur ombre -mystérieuse et bleue le petit lac du Ballon. Et brusquement, à un -tournant des routes en lacets qui montaient vers le col, brusquement on -pénétrait dans le brouillard humide et pâle. La végétation, là-haut, -s’en trouvait nécessairement retardée. Et c’est ainsi que le même -printemps, qui triomphait déjà dans la vallée de la Thür, au moment où -nous l’avions quittée, mit plusieurs semaines pour atteindre le col de -Haag et nous y rejoindre. Les arbres de la forêt qui s’étageaient -au-dessous de nous, nous permettaient d’observer ses progrès, sa marche -comme d’un excursionniste en montagne, sa marche lente et continue. -Chaque matin, la ligne verte de la cime des branches aux bourgeons frais -éclos apparaissait un peu plus haut, un peu plus près: c’était le -printemps qui montait vers nous, suprême cadeau que nous envoyait la -vallée, un souvenir, un sourire, un «salut de Saint-Amarin...» - -Ah! cette vallée, comme nous l’avons aimée et comme elle nous a -choyés!... Elle nous recevait au sortir des horreurs et des angoisses du -Südel ou de l’Hartmann; et j’entends encore, après ses trois semaines de -dur secteur, ce capitaine, un vieux cavalier passé aux chasseurs qui -s’écriait, en arrivant à Willer, plein d’un enthousiasme ingénu et -battant des mains comme un enfant: - ---Il y a encore des femmes!... il y a encore des maisons, et des -jardins, et des fleurs!... - -Tous, hélas! n’y revenaient pas, dans la vallée, ou n’y revinrent qu’au -cimetière de Moosch, ce cimetière incliné comme un pupitre de lutrin, -pour chanter,--après les étranges et émouvantes messes basses où les -combattants en ligne exhalaient leur foi simple et fervente comme les -premiers chrétiens dans les catacombes,--pour chanter quel hymne superbe -de gloire et de délivrance, un _Libera nos_ et un _Magnificat_!... - -Mais pour les autres, pour les vivants, les rescapés, le retour à la -vallée, c’était le retour à la vie, à la joie, à la splendeur de vivre! -L’écho de nos fanfares y doit résonner encore, et les pas de nos -chevaux, ou plutôt de nos mulets en cavalcade... Car les mulets du -ravitaillement faisaient belle figure dans les retraites aux flambeaux -que les chasseurs de Nice, d’Antibes et de Menton ne manquaient jamais -d’organiser aussitôt, dans leur hâte d’annexer l’Alsace à la Côte -d’Azur. Et, par ailleurs, il était juste de voir les braves bêtes--les -«miaules» pour leur donner leur vrai nom, leur nom de guerre--participer -aux réjouissances des hommes dont ils partageaient les dangers. - -[Illustration] - -Oui, les «miaules», héros modestes, avaient leurs martyrs. Quand, chaque -soir, au crépuscule, ils partaient des cuisines installées à Moosch, -pour monter en ligne les barillets, les bouteillons, le trajet n’allait -pas toujours sans quelque fâcheuse rencontre. Jusque dans la vallée, les -bombes d’avion poursuivaient leur tranquillité. Un jour, d’un seul coup, -à Ranspach, trente mulets furent mis à mal par des aviateurs trop -adroits. Mais le plus déplorable peut-être fut que l’on eut l’idée -néfaste de vouloir utiliser leurs cadavres et qu’on les expédia au -plateau de Breitfirst pour être mis dans les pâtées des chiens de -l’Alaska employés là-haut à tirer des traîneaux. Les chiens de l’Alaska -se régalèrent fort, ils se régalèrent trop; ces festins les avaient mis -en goût; et dorénavant quand, dans les tranchées de neige, ils se -croisaient avec quelque équipe de mulets, bien vivants ceux-là, l’odeur -des agapes anciennes leur montait aux narines, ils se précipitaient, ils -les auraient, semblait-il, dévorés séance tenante et tout crus. Ces -chiens de l’Alaska, si gracieux, si doux, si dociles, sont très capables -de se montrer féroces quand on les provoque. En particulier, ils ont la -haine des autres chiens oisifs et flâneurs qui, lorsqu’ils peinent, eux, -à traîner les fardeaux dont on les a chargés, les regardent le nez au -vent. J’ai vu de la sorte un malheureux petit fox-terrier, arrêté sur le -rebord de la tranchée et qui jappait joyeusement, plein d’inconscience, -au passage de ses collègues de l’Alaska. Le chien de tête, sans -interrompre sa course, l’attrapa d’un coup de gueule, le secoua et le -rejeta au suivant, et ainsi de suite: quand le dernier chien de -l’attelage fut passé, il n’y avait plus de petit fox-terrier... - -[Illustration] - -Évidemment, les miaules offraient plus de résistance à ces farouches -amateurs de viande de mulet. Mais après de semblables émotions, de tels -risques et de telles fatigues, ils avaient bien droit, eux aussi, à -figurer dans nos apothéoses. Il reste à savoir, au demeurant, s’ils -appréciaient pleinement nos façons de nous distraire, et si galoper le -soir, dans les rues de Saint-Amarin, un bouquet sur l’oreille il est -vrai, mais ayant sur le dos un gaillard brandissant une torche et -chantant à pleins poumons, il reste à savoir si cela les amusait autant -que nous... - -[Illustration] - -Pour ce qui est de nous, par exemple, notre allégresse était totale, -faite à la fois des dangers auxquels nous venions d’échapper et de -l’oubli que nous souhaitions de ceux qui, demain, nous attendaient -encore. Cette allégresse s’extériorisait comme il est coutume à des -hommes de vingt ans, car tous alors nous avions vingt ans, même les -vieux engagés, même ceux, officiers ou territoriaux passés dans -l’active, ceux qui étaient, par leur âge mais non par le cœur, moins -près de vingt ans, hélas! que de quarante!... Que de chansons, que de -refrains joyeux coururent alors tout le long de la vallée, comme pour -purifier l’air alsacien des odieux accents de la _Wacht am Rhein_! - -A ce propos, fixons un point d’histoire. Cette _Madelon_, qui allait -devenir l’héroïne peut-être la plus populaire de la guerre, elle est -partie de la vallée de la Thür, elle est partie de Saint-Amarin. Avant -d’être la compagne fêtée de tous les soldats de France et même de tous -les soldats alliés, nous l’avons connue, débutante modeste et timide, au -28ᵉ bataillon de chasseurs. Les chasseurs du 28ᵉ célébraient la -_Madelon_ comme les chasseurs du 27ᵉ venus de Menton évoquaient les -_Bords de la Riviera_. Si un chasseur du 27ᵉ, au lieu de chanter _Sur -les Bords de la Riviera_, s’était alors avisé d’entonner la _Madelon_, -il manquait gravement à la tradition du bataillon, et au nom de l’esprit -de corps,--ou de cor,--il eût été vertement tancé par son commandant. - -Les régiments d’infanterie qui, au mois de juin, vinrent, en descendant -de Verdun, «se refaire» en Alsace, y trouvèrent la gracieuse pupille du -28ᵉ bataillon, l’adoptèrent aussitôt, cependant que les chasseurs -allaient répandre et propager l’éloge et les mérites de la _Madelon_ sur -les champs de bataille de la Somme. - -[Illustration] - -Mais _Madelon_ a conquis sa première gloire dans les auberges d’Alsace, -c’est entre Thann et Wilderstein que, d’abord, elle fut célèbre, à -Bischwiller, à Willer, Moosch, Saint-Amarin, Ranspach, Wesserling, Odern -et Kruth,--Kruth, où Joffre avait déjeuné lors de son premier voyage en -Alsace, aux premières semaines de la délivrance, ainsi que le souvenir -en était précieusement conservé et doublement marqué par une inscription -ingénue, et par ce nom des trois Joffrettes que portaient désormais -fièrement les trois filles de l’aubergiste... - -Mais à présent, si nous revoyons quelque jour ces jolis villages, d’où -_Madelon_ est partie, ne devons-nous pas craindre un peu de déception -peut-être,--passé le péril, passé le saint!...--et que la choucroute et -les vins du Rhin nous y semblent moins savoureux, et l’accueil moins -plaisant, d’un moins vif agrément? Les gâteaux que l’on mangeait à la -pâtisserie de Thann étaient-ils vraiment les meilleurs gâteaux du monde? - -Du moins ce qui ne saurait avoir changé, ce qui, avec le temps - -[Illustration] - -et à distance, nous apparaît toujours également digne de notre -admiration émue, c’est le cœur fidèle des habitants. Parmi tant de -traits dont nous fûmes témoins ou qui nous furent contés, j’entends -encore l’histoire attendrissante du vieux domestique des demoiselles -D... Chaque année, pendant quarante-trois ans, la fête de l’Empereur -fut, pour les Alsaciens, une occasion d’affirmer leur loyalisme et leur -mémoire. Ce jour-là, tandis que, par ordre, les édifices publics se -pavoisaient aux couleurs allemandes, régulièrement, immanquablement, un -drapeau français apparaissait tout à coup au faîte du plus haut sapin de -la forêt voisine, pour la plus grande confusion du gendarme allemand. -Mais sa pire, sa plus tragique déconvenue, au gendarme allemand, c’est -ce qui lui était arrivé, lorsque, pour la première fois, on voulut -célébrer cette fête après l’annexion, à Saint-Amarin. Les habitants de -Saint-Amarin n’avaient-ils pas eu, ce jour-là, la savoureuse, -l’étonnante et joyeuse surprise, lorsqu’au matin ils sortirent de leurs -maisons, de voir, sur la propre maison du garde des forêts, cette bête -malfaisante, une inscription, en lettres gigantesques, où le nom de -l’empereur d’Allemagne s’accompagnait, en toute sérénité, d’une grasse -injure bien française. Et jamais, en dépit de toutes les enquêtes, de -toutes les persécutions et de toutes les recherches, jamais le gendarme -allemand, jamais la police allemande, - -[Illustration] - -n’avaient pu soupçonner l’auteur de cette profession de foi si -tranquillement provocatrice, jamais le gendarme allemand, jamais la -police allemande, n’avaient pu mettre la main sur lui... - -Or voici qu’en août 1914, lorsque les premières troupes françaises -eurent cantonné dans la vallée de la Thür, les demoiselles D... reçurent -une lettre de Besançon. Un domestique de leur père,--leur père, mort -depuis, exerçait avant la guerre de 1870, la médecine à Saint-Amarin où -les demoiselles D... étaient demeurées,--ce vieux domestique qui, en -quittant leur service, s’était retiré à Besançon, leur écrivait: - ---«Mes chères demoiselles,--je crois que le moment est venu de vous -révéler un grand secret. C’est moi qui avais écrit «...pour le Kaiser» -sur la maison de M. le Garde des Forêts...» - -Oui, _le moment était venu_, en effet, et ce moment attendu avec tant de -ferveur, nous avons pu constater que, tout autant que dans la vallée de -la Thür, il était accueilli avec une joie égale dans la vallée de la -Doller, ou dans la plaine de Dannemarie. Dannemarie, c’était le -Saint-Amarin des secteurs de la plaine. On y venait au sortir des sapes -de la Maison Forestière, par exemple, comme, à Saint-Amarin, en -descendant du Südel ou de l’Hartmann. Une «Maison Forestière» avec des -sapes, quand le seul nom de «Maison Forestière» évoque des ombrages -accueillants et frais, quelque joyeux pique-nique, et l’omelette et le -bon lait que vous apporte la femme du garde... - -Sans doute là-haut, sur l’Hartmann, une canonnade entendue dans la -plaine ne nous préoccupait guère:--Ce n’est rien! ça doit se passer du -côté de Dannemarie!... Et de même, d’ailleurs, transportés dans un -secteur de Dannemarie, nous écoutions sans émotion excessive ce qui nous -semblait devoir être «encore un coup des Boches sur l’Hartmann». - -Mais tout cela était terre d’Alsace délivrée ou à délivrer. - -Et certes cette Alsace était encore empoisonnée, par endroits, des -ferments mauvais que l’Allemand avait pris grand soin d’y laisser en se -retirant, pour retarder notre conquête, comme il avait accoutumé, quand -il devait abandonner une position, d’y préparer, à l’intention des -nouveaux occupants, des fourneaux de mine... Nous avons eu aussi de -belles histoires d’espionnage. Dans la vallée de Saint-Amarin, c’étaient -les bouteilles confiées aux eaux de la Thür pour porter nos secrets -militaires jusqu’aux lignes ennemies. Et à Dannemarie, il y eut les -téléphones dans les caves, les téléphones pour régler le tir des -batteries allemandes qui démolirent une seconde fois le viaduc à -l’instant précis où, reconstruit, on s’apprêtait solennellement à -inaugurer sa mise en service. Elles étaient d’ailleurs bien pittoresques -et imposantes, ces ruines du viaduc de Dannemarie, on eût dit, à les -voir ainsi, d’un coin de la campagne romaine, et le savant travail de -nos ingénieurs eût, à coup sûr, beaucoup moins tenté les amateurs de -photographie, si les Boches ne l’avaient pas fait sauter... Mais nous ne -voulons pas insinuer qu’il ait sauté sur l’indication des -photographes!... - -[Illustration] - -Les briques de ses arches détruites, comme celles du Forum ou de Pompéi, -n’enrichissent point, cependant, le petit musée de guerre que rapportait -pieusement chez lui chaque permissionnaire; c’eût été un souvenir un peu -encombrant; et puis les entrepreneurs de Belfort en avaient, -certainement, un emploi meilleur, plus pratique et plus immédiat. Les -petits cailloux roulés par la Doller, avec leurs reflets et leurs -facettes multicolores, étaient plus précieux et plus appréciés, qui -rehaussèrent d’un intérêt nouveau, lorsqu’elles commençaient à être un -peu démodées et banales, les classiques bagues d’aluminium. - -Et le plus joli souvenir, le plus émouvant, pour les combattants de ce -coin d’Alsace, fut encore celui qu’avait imaginé l’ingéniosité du chef -armurier du 152ᵉ régiment d’infanterie,--de ce fameux Quinze-Deux qui -inscrivit dans cette région les pages les plus héroïques de son histoire -glorieuse. Lors de la prise de Steinbach, on avait retrouvé dans les -décombres de l’église les morceaux de la cloche qui s’était brisée en -tombant du clocher fracassé. Le chef armurier avait eu l’idée de les -recueillir, d’en ciseler divers objets, et c’est ainsi que j’ai pu -suspendre au berceau de ma petite fille une croix faite avec le métal de -la cloche de Steinbach. - -[Illustration] - -Et je me souviens de cette chanson des «Cloches d’Alsace» qu’un soir où -les bataillons donnaient un grand concert «suivi de retraite aux -flambeaux et de bal», pour inaugurer le kiosque à musique que nous -avions construit sur la place de Saint-Amarin, je me souviens de cette -chanson qu’un chasseur qui avait une voix magnifique--on trouve de tout -dans les bataillons de chasseurs--se mit à entonner avec -l’accompagnement d’une fanfare. Ce n’était plus la _Madelon_;--mais la -mélodie s’élevait, puissante et grave, appelant tous les clochers -d’Alsace au carillon de la délivrance prochaine. Et j’ai songé bien -souvent, depuis, et plus encore depuis la victoire, j’ai songé à la -charmante place de Saint-Amarin, à la foule confiante et cordiale qui se -pressait autour de ce kiosque pacifique dont nous étions si fiers, j’ai -songé à la belle chanson, et au chasseur qui la chantait avec tant de -flamme, et aux autres chasseurs; à tous les chasseurs mes camarades,--en -regardant la croix de ma petite fille, la croix faite du métal brillant -et sonore de la cloche de Steinbach... - - _Les cloches d’Alsace ont sonné!..._ - -[Illustration] - - - - -[Illustration] LE - -CHEMIN DES DAMES - - -Un méchant chemin de grande ou moyenne communication, pas même une route -départementale!... Et voilà le lieu de tous ces combats sanglants, où, -pendant des mois, des années, fut suspendue notre angoisse, où il sembla -même un instant que devait se jouer le sort de la France!... - -Un matin de juillet 1917, après une vertigineuse attaque en direction de -la ferme de la Royère, tous les objectifs dépassés, ils étaient là une -dizaine de petits chasseurs--l’aîné n’avait pas vingt ans--qui fumaient -de gros cigares en surveillant la contre-attaque. Fumer à cinq heures du -matin de ces gros cigares boches, durs et verts, qu’est-ce qu’elles -auraient dit, si elles les avaient vus, les pauvres mamans de ces -héroïques gamins!... Il est vrai que, si elles les avaient vus alors, -d’autres sujets d’effroi auraient bouleversé leur sollicitude et leur -tendresse, d’autres sujets plus pressants que la crainte, les voyant -ainsi fumer, qu’ils n’en fussent malades!... Mais le cigare de l’ennemi -tué ne fait jamais mal au cœur. Et c’étaient les cigares de quelque -«oberst», en effet, découverts dans l’abri bétonné dont les occupants -avaient été chassés à coups de grenades, que dégustaient fièrement, de -si bon matin, ces jeunes vainqueurs... Et comme je leur demandais s’ils -savaient que l’abri dont ils s’étaient emparés, était creusé, -précisément, en dessous de la chaussée du Chemin des Dames, ce nom -fameux, cet emplacement tragiquement célèbre, ne semblèrent pas les -impressionner autrement, et simplement avaient-ils constaté que «c’était -bien possible», sans en perdre une bouffée de cigare... - -[Illustration] - -Et j’ai un autre souvenir. C’était après la victoire de la Malmaison. Le -moulin de Laffaux, le château de Pinon, étaient soudainement et -miraculeusement devenus des endroits touristiques vers lesquels -s’empressaient les missions de journalistes et de parlementaires. On -venait déjeuner à Soissons, et de là on s’engageait sur la route de -Maubeuge pour aller admirer des carrières célèbres, des entonnoirs -extravagants; et l’on ne savait si l’on devait s’émerveiller davantage, -ou de la puissance terrifiante avec laquelle les artilleurs avaient -bouleversé le terrain, ou de l’habileté et de la rapidité dont -témoignaient les sapeurs du génie pour réparer les dégâts causés par les -artilleurs, et rétablir derrière eux une circulation presque normale... -Donc la route de Maubeuge connut alors des visiteurs qui, par leur -qualité et leur notoriété bien parisiennes, la rendaient quasi semblable -au boulevard à cinq heures du soir. En sorte que les conversations -finissaient par y devenir des conversations de boulevard, une fois la -première émotion passée et les premiers cris arrachés par la grandeur -tragique d’un spectacle inouï. J’entends encore un de ces visiteurs, et -non des moindres, apporter, sur cette route de Maubeuge, les derniers -potins de l’affaire Bolo; aussi bien n’était-ce point un sujet de -conversation si incohérent ni si déplacé, en cet endroit où s’était -déroulée la partie capitale de l’offensive d’avril, dont les suites ne -furent peut-être pas sans quelque relation avec cette affaire. A un -embranchement de la route, soudain quelqu’un s’arrêta, arrêta ses -compagnons, interrompit le personnage bien informé, et montra sur la -droite: - ---Le commencement du Chemin des Dames!... - ---Ah! oui, parfaitement!... acquiesça le conteur avec un regard -complaisant et distrait; puis le petit groupe reprit tout aussitôt sa -marche, et notre homme ses révélations passionnantes. - -La véritable importance stratégique du Chemin des Dames, beaucoup mieux -que sur le terrain, beaucoup mieux qu’auprès des «exécutants» chargés de -s’en emparer ou de le défendre, on la percevait pleinement sur l’immense -plan en relief qu’avait fait établir par son service géographique le -chef de la sixième armée. Ce plan occupait à lui seul un petit salon de -cette belle villa de Belleu, où le général commandant la sixième armée -avait installé son quartier général, tandis que tout autour, dissimulées -sous les arbres du parc, des baraques en bois, que le camouflage avait -soigneusement peintes en vert et jaune, et recouvertes de branchages, ce -qui leur donnait l’aspect d’un joujou de Noël, des baraques Adrian -abritaient l’État-Major. Elle était confortable la villa de Belleu, elle -n’était pas d’un goût très pur, et se singularisait notamment par tout -un luxe d’appareils d’éclairage du plus fâcheux style munichois. Seul le -petit salon, qui servait de bureau à l’officier d’ordonnance du général, -avait été débarrassé en partie pour faire place au plan en relief du -Chemin des Dames. Devant ce plan, dans ce petit salon, je revois, réunis -le 24 octobre 1917, les correspondants de guerre français, anglais et -américains, à qui, tout rayonnant de la victorieuse opération de la -veille, le chef d’État-Major explique comment elle fut conçue et -exécutée. Soudain la grande porte s’est ouverte sans bruit, qui -communique avec le cabinet du général, et le général, mêlé aux -journalistes, écoute les explications de son chef d’État-Major; c’est, -grand et mince, un peu voûté, les yeux plissés de bonhomie et de malice, -toujours souriant et simple, et tenant entre les doigts son éternelle -cigarette, c’est le général Maistre qui, depuis hier, a inscrit son nom -dans l’histoire de la guerre avec cette désignation magnifique: le -vainqueur de la Malmaison. - -La victoire de la Malmaison avait dégagé le Chemin des Dames, elle en -rendait, d’un bout à l’autre, la position intenable pour l’ennemi; c’est -ce que le plan en relief rendait sensible aux regards même des profanes, -aux esprits les moins avertis. La répercussion devait se faire sentir -aussitôt jusqu’au delà d’Hurtebise et de Craonne. C’était désormais -Soissons complètement dégagée, où en toute sécurité pourraient se -réinstaller les commerçants empressés à nous vendre des cuirs anglais, -de la parfumerie et des conserves de toutes sortes. Et les dames -américaines venues à Blérancourt pour aider avec un si généreux -empressement à la reconstitution des villages de l’Aisne que les -Allemands avaient laissés en un si lamentable état lors de leur -précédent repli, les dames américaines pouvaient, joyeuses et fébriles, -vérifier le bon fonctionnement de leur cuisine roulante automobile qui -devait servir, en arrivant à Laon, à donner tout de suite de la bonne -soupe chaude à la population libérée, mais affamée sans doute... - -[Illustration] - -Hélas! l’incompréhensible et foudroyante surprise d’une nouvelle -offensive allemande allait, quelques mois plus tard--mais pour un temps, -cette fois, heureusement court--détruire brutalement de légitimes -espérances, tous les fruits précieux de la victoire de la - -[Illustration] - -Malmaison. Dans Soissons à nouveau bombardée, les Allemands -redescendirent du Chemin des Dames reconquis et dépassé au pas de -course; ils revirent les vergers, dont, en se retirant l’été précédent, -ils avaient coupé les arbres, et qui blessés, martyrisés, leur tendaient -encore cependant des branches verdoyantes toutes neuves--car la nature -au printemps se montrait plus forte que la haine et l’odieuse perversité -de ses bourreaux, monstres à figure d’hommes... Belleu fut atteint, que -l’état-major de l’armée avait dû quitter en toute hâte sous les obus: un -officier fut tué là devant sa baraque, l’innocente petite baraque, comme -un jouet de Noël, où le premier bureau rangeait ses paperasses, le -premier bureau, aux occupations paisibles entre toutes: personnel, -avancement, décorations... Comme il semblait loin maintenant le jour -radieux où, à tire-d’aile, dans l’air brumeux et froid de cette matinée -du 23 octobre, un pigeon-voyageur était arrivé le premier, pour annoncer -au général Maistre que le fort de Malmaison venait (il y avait sept -minutes exactement), venait d’être occupé par nos troupes qui -«progressaient sur toute la ligne»!... Et je me suis souvent demandé ce -qu’était devenu le beau plan en relief, sur lequel avait été étudiée si -minutieusement, et si bien préparée la victoire d’octobre,--si l’on -avait eu le temps de l’emporter, pris la précaution de le détruire,--ou -si, au contraire, les Allemands l’avaient retrouvé là, dans le petit -salon attenant au cabinet du général et qui servait de bureau à son -officier d’ordonnance, si les Allemands, après nous avoir repris le -Chemin des Dames, en avaient pu remporter avec eux, trop précieux -trophée, cette effigie de plâtre?... - -[Illustration] - -La foudroyante avance ennemie sur le Chemin des Dames fut accueillie -avec une émotion que l’on n’a pas oubliée; mais surtout elle causa une -stupeur singulière à tous ceux qui, au cours des mois précédents, -avaient été appelés à participer aux durs et multiples combats dont le -Chemin des Dames avait été le théâtre et l’objectif constants. Eh! quoi, -quelques heures avaient pu suffire pour jeter bas ce formidable système -de défense, édifié (eux, ils le savaient mieux que personne!) au prix -de quels efforts, de quels sacrifices et de quelle peine, cimenté avec -tant de sang! - -Quand on avait vu comme eux, au moment de la préparation des offensives, -cette route de Soissons à Reims, à peu près parallèle au Chemin des -Dames, et qui était comme les coulisses de la bataille!... Quelle -puissance de moyens d’action, quelle abondance de troupes de toutes -armes et de toutes couleurs!... Depuis les Annamites, tout menus et -souples, employés à construire les immenses baraquements des -installations hospitalières de campagne, pour lesquels ils se montraient -des ouvriers exceptionnellement adroits et habiles, jusqu’aux Soudanais, -jusqu’aux Malgaches, à la fois terribles et ingénus! - -Ah! il ne faisait pas bon avoir affaire à quelqu’un de ces nègres, placé -en sentinelle à l’entrée d’un village, quand on avait oublié le «mot»!.. -Et même quand on le savait, ce mot, mais qu’il était d’une prononciation -un peu difficile: si vous ne le prononciez pas avec l’accent «nègre», -qui le déformait parfois d’une façon vraiment inattendue et spéciale, il -vous fallait renoncer à passer! - -La légendaire férocité de ces braves soldats de couleur se mêlait -d’ailleurs à la plus naïve bonhomie. - -Je revois encore cette scène: à Braisne, devant la maison du commandant -de l’un de ces bataillons malgaches, était arrêtée une automobile -américaine. Le planton du commandant, en faction à la porte, regardait -l’automobile, regardait le conducteur américain. Et comme il était de -nature avenante, et que le silence lui pesait: «Y en a bon?» -demande-t-il à l’Américain. L’Américain sourit et se tait. «Y en a pas -bon?» insiste le Malgache. L’Américain sourit encore mais se tait -toujours. Alors l’autre, superbe et méprisant: «Ti pas connaître -français? Ti jamais allé à l’école!...» - -Au repos, ces bataillons donnaient des fêtes merveilleuses, et les -plaines de l’Aisne retentirent de chants aux accompagnements - -[Illustration] - -étranges, et virent des danses qui évoquaient les cieux les plus -lointains! Certaines de ces danses cependant ne laissaient pas d’être -adaptées au cadre et aux circonstances, et il nous souvient d’avoir vu -un grand diable de nègre improviser et mimer une extraordinaire «danse -de la bombe à ailette», avec les gestes de frayeur, quand le sifflement -précurseur s’est fait entendre, les mouvements désordonnés, pour -échapper aux menaces d’éclatement, et le «pas de l’allégresse» quand la -bombe, ayant éclaté, vous a laissé indemne... Et ce divertissement -montrait bien que les troupes noires, en dépit de ce qui a été dit, -pouvaient «tenir sous le bombardement», que le bombardement ne leur -causait plus cette sorte de terreur sacrée des premiers temps, puisque -maintenant ils le tournaient en dérision et en accueillaient la parodie -avec de grands rires naïfs... - -Même sans être un nègre, on avait l’occasion certes de se familiariser -avec toutes les sortes de bombardement. Sur les arrières, jusque sur nos -hôpitaux, les avions faisaient rage. C’est dans cette région que régnait -le fameux Fantomas, le Boche légendaire qui descendait jusqu’à vingt -mètres des tranchées ou des routes qu’il devait mitrailler; on tirait -dessus, on croyait l’avoir abattu,--et brusquement il se relevait, -jetant, comme des prospectus sur la plage de Deauville, une pluie de -cartes de visite: «Fantomas.» - -Mais nous avions mieux que Fantomas; nos meilleurs aviateurs campaient -sur les plateaux voisins, si propices à leurs évolutions les plus -téméraires. Longtemps l’escadrille des Cigognes fut, entre Fismes et -Crugny, à la ferme de Bonnemaison. C’est à Bonnemaison que Guynemer -reçut sa croix d’officier de la Légion d’honneur. De Compiègne, les -parents du jeune héros étaient venus assister à son apothéose. Dans un -groupe, après la cérémonie, il s’entretenait familièrement avec ses -chefs; il disait, avec son admirable simplicité, ses projets, ses rêves; -ses exploits magnifiques ne le satisfaisaient pas encore; pour obtenir -les renseignements utiles, nécessaires, il rêvait d’une manœuvre hardie -qui lui permettrait de ramener indemne un de ses adversaires de -l’air:--Oui, je voudrais en prendre un vivant!... - -Mais près de lui une voix de femme, une voix timide, maternelle et -douce, avait murmuré: - ---Non, mon petit Georges, non, j’aime mieux que tu les tues! - -Une nuit, une escadrille allemande vint survoler et bombarder sévèrement -Bonnemaison; mais les heureuses et intrépides Cigognes l’avaient quitté -depuis la veille... - -Mais maintenant que les Allemands avaient si aisément, si rapidement, -dépassé la route de Soissons à Reims, qu’ils traversaient le Tardenois, -qu’ils marchaient vers Château-Thierry, nous songions, la rage au cœur, -à tous ces camps d’aviation, à tous ces hangars immenses et bondés -d’appareils, à tous ces nids de héros, dont ils s’empareraient sans -lutte, et qu’ils pourraient utiliser ou incendier. Et tant de positions -de batterie, dont on n’aurait pu retirer les pièces, et tout ce matériel -sanitaire emplissant les baraquements des H.O.E! Car le remède avait été -partout soigneusement placé à côté du mal, et l’on avait multiplié, -comme il convient, les moyens de guérir, à côté des moyens de détruire. -Sur les bords de l’Aisne, nous avions vu arriver un jour les tentes de -l’ingénieux docteur Marcille, et son «cirque» chirurgical; et l’Aisne -elle-même avait été sillonnée de péniches propres au transport des -blessés, qui naviguaient de concert avec les canonnières redoutables. -Oui, la rivière avait été, elle aussi, mobilisée, mobilisée comme la -route, comme le chemin de fer avec ses «épis» où s’aiguillaient les -pièces de marine et les trains blindés... - -[Illustration] - -Penser que des wagons passeront à nouveau dans cette région, avec leurs -compartiments bourrés de commères et de commis-voyageurs; que l’on -circulera à bicyclette sur le Chemin des Dames, et que des pêcheurs à la -ligne s’installeront paisiblement le long des rives charmantes de -l’Aisne et de la Vesle!... Mais oui, il y avait eu des pêcheurs à la -ligne au pont de Pontavert, par exemple, il y en aura encore!... -J’évoque Pontavert comme un des endroits les plus sinistres qu’il m’ait -été donné de traverser; endroit sinistre à la fois, et sournois: le -village n’était pas encore démoli complètement; on y arrivait par une -route à peu près tranquille, venant de Roucy, qui était un des grands -observatoires de la région, avec la ferme de Beauregard. C’est à la -ferme de Beauregard ou au Moulin de Roucy que l’on avait la plus -complète vue d’ensemble de cet immense paysage de bataille, jusqu’aux -plateaux d’Hurtebise et de Craonne. Paysage de bataille éternel, et que -Napoléon, lui aussi, avait contemplé en 1814. On s’est souvent -demandé--question piquante mais oiseuse--ce que Napoléon aurait dit et -fait, le Napoléon de 1814, s’il s’était tout à coup retrouvé là en 1917 -ou 1918: la seule chose que l’on puisse répondre à peu près sûrement, -c’est qu’il eût été bien étonné!... En tout cas il eût été, à tout le -moins, aussi étonné que nous, ce jour où, à une demi-heure d’intervalle, -dans la prairie qui dévalait près du Moulin de Roucy, nous vîmes -atterrir frais et dispos, en parachute, deux observateurs dont les -aviateurs ou les artilleurs allemands venaient d’incendier coup sur coup -les «saucisses»... - -Ce jour-là, si l’on avait dû traverser Pontavert, eût-il fallu prendre à -gauche ou à droite? Ce qui caractérisait en effet si agréablement ce -joli village, c’est qu’il y avait toujours des obus à y recevoir. On -s’arrêtait bien sagement, avant d’y pénétrer, près d’une tuilerie; de -là, on cherchait à se rendre compte si l’artilleur boche misait sur le -tableau de gauche ou sur celui de droite, après quoi - -[Illustration] - -on filait à droite ou à gauche, en souhaitant simplement que la -fantaisie ne lui prît pas tout à coup de changer sa chance,--et la -nôtre,--en modifiant brusquement sa série... Il n’y avait pas de -flâneurs, dans les rues de Pontavert, et l’on n’y voyait que des gens -courir, ce qui, pour le nouvel arrivant, est toujours un indice de -mauvais augure, et un spectacle peu rassérénant... - -[Illustration] - -Si le hasard me ramène quelque jour à Pontavert, j’aimerai m’y promener -à tous petits pas. Mais il faut faire un effort pour imaginer que l’on -pourrait un jour, tranquillement, aller dans un de ces petits villages, -où la vie aurait repris paisible et quotidienne, s’arrêter chez -l’épicier d’Oulches, aller acheter des cigarettes au débit de tabac de -Dravegny (et d’abord qu’il y eût encore un débit de tabac où il y eût à -nouveau des cigarettes...) - -Entre la route de Soissons à Reims par Braisne et Fismes et, là-haut, le -Chemin des Dames, il y avait une autre parallèle intermédiaire, la route -de Soissons à Berry-au-Bac, par Vailly. Ainsi semblait-il que, par -avance, la géographie et le service vicinal se fussent plu à ménager les -effets, à dresser la carte de nos émotions, à marquer les limites -évidentes et commodes pour l’horreur plus ou moins vive, pour le danger -plus ou moins grand. Il est certain qu’en dépit des raids d’avions trop -fréquents pour que l’on en goûtât pleinement les charmes, le séjour de -Fismes sentait encore la civilisation. Il y avait des boutiques de la -plus aimable diversité, une charcuterie renommée. On montrait la maison -(tout à fait la maison du notaire ou du vieux docteur, même si--j’aurais -pu me renseigner--aucun médecin ni aucun notaire ne l’ont jamais -habitée...), la maison où le général Mangin avait eu son poste de -commandement, lors de l’offensive d’avril, la maison où M. Clemenceau -avait couché, quand il n’était pas encore l’organisateur de la -victoire... - -[Illustration] - -Les choses commençaient à se gâter presque tout de suite, lorsqu’ayant -admiré l’Hôtel de ville,--de ces hôtels de villes qui semblent avoir été -construits tout exprès pour y accrocher des drapeaux et y lire, en haut -du perron, des proclamations enthousiastes,--on descendait vers le -passage à niveau qui consentait rarement à vous laisser passer tout de -suite, toujours encombré de troupes, de convois, ou de colonnes -d’artillerie, de voitures de ravitaillement. Et après avoir descendu, on -remontait aussitôt, pour avoir aussitôt l’impression du calvaire, -puisque c’est par là que l’on devait «monter vers l’avant». Et l’on -s’acheminait ainsi vers cette deuxième parallèle de départ, qu’était la -route de Vailly. Ici l’on disait adieu aux derniers civils, comme au -delà, il faudrait dire adieu aux dernières maisons. - -Maizy, Beaurieux, cités fertiles en artilleurs... A Beaurieux, il y -avait encore un hôpital de la Croix-Rouge, un quartier général de -division,--il y eut même jusqu’à deux états-majors divisionnaires, -chacun dans de gaies et confortables maisons de campagne toutes pleines -de jolis meubles, de tentures claires et de portraits de famille: une -maison de campagne à Beaurieux!--La vue, il est vrai, y était -magnifique, comme un avant-goût de ce qu’elle devait être au Chemin des -Dames... Et il y avait encore, à Beaurieux, quelques gamins qui jouaient -dans les rues, ce qui, sans doute, n’était pas très prudent... - -Mais après Beaurieux, le paysage devenait exclusivement militaire et -tout à fait dépourvu d’agrément, en dépit de ces noms charmants et -tentateurs: le P. C. Eden, Moulin Rouge... - -C’est à Moulin Rouge que défilèrent une nuit les trois cents prisonniers -de la Caverne du Dragon. On n’a pas oublié cette opération si habilement -et vigoureusement conduite, avec, aussi, cette part de chance -indispensable, de l’aveu de tous les stratèges, pour parachever le -succès. Et la première chance n’avait-elle pas été que la «creute» -fameuse s’appelât précisément la «Caverne du Dragon», ce qui sonne comme -un titre de film cinématographique, bien propre à frapper l’imagination, -et à se graver dans les mémoires? - -Aussi bien l’exploit était digne du titre. Les «creutes», carrières ou -champignonnières, constituaient des abris de premier ordre, qui -rendirent exceptionnellement difficile, longue et pénible la bataille de -l’Aisne. Mais, si les occupants s’y sentaient en parfaite sécurité, -c’était à condition d’en pouvoir sortir. - -Au début de l’affaire que nous relatons, quelques obus particulièrement -heureux causèrent des éboulements qui avaient obstrué les principales -issues de la Caverne. Après quoi, des asphyxiants énergiques rendirent -inquiet et rêveur, comme un renard que l’on enfume, le Dragon qui était -dedans,--ou du moins les 300 Boches qui y figuraient le Dragon. - -[Illustration] - -En sorte que lorsque les assaillants--il suffit même, assura-t-on, d’un -seul assaillant--ayant découvert l’unique et dernier couloir de sortie -qui fût encore libre, nos Boches furent poliment invités à s’y -rendre,--et à se rendre,--ils ne se le firent pas dire deux fois... - -Chose extraordinaire, cependant, quand on demanda au médecin allemand de -haut grade, que l’on eut la satisfaction de trouver parmi les -prisonniers, ce qu’il pensait des effets de nos obus à gaz, le médecin -allemand affirma, avec morgue et le plus ironique mépris, que seuls les -gaz allemands avaient une véritable, une sérieuse efficacité, mais que -les gaz français, grâce à l’excellence des masques allemands--et à -l’ignorance, sous-entendait-il, des chimistes et des savants -français,--nos gaz étaient une plaisanterie qui faisait sourire de -pitié, derrière leurs groins de porc, les soldats allemands: Mais alors -pourquoi s’étaient-ils rendus si vite?... - -Établi à l’ombre des grands arbres, dans un site verdoyant, le P. C. -Moulin Rouge était un asile sylvestre et champêtre des plus agréables, -mais d’un horizon strictement limité; il fallait gagner à 1 500 mètres -environ la lisière du bois, et s’engager sur le chemin, pas toujours -très sûr, du Village Nègre pour apercevoir à la jumelle ce qui avait été -la Ferme et le Monument d’Hurtebise, et les travaux du Doigt d’Hurtebise -que dégagea si heureusement l’opération de la Caverne du Dragon. Mais -le «superbe point de vue», on l’aurait trouvé de préférence au P. C. -Triangulaire. - -[Illustration] - -P. C. Triangulaire, Bois Triangulaire,--la simple géométrie semble avoir -suppléé ainsi dans bien des cas et bien des endroits du front à -l’indigence ou à la paresse d’invention des cartographes. Du moins -comprenait-on aussitôt que le P. C. Triangulaire occupait un point du -plateau qui s’avançait en triangle, en effet, comme une proue de navire, -dans la direction de l’ennemi, face à Craonne et Craonnelle. - -Ce qu’un cuisinier que j’ai connu appréciait du P. C. Triangulaire, ce -n’était pas cependant le panorama. Il était préférable, aussi bien, de -ne point trop s’attarder à le contempler, et l’on sait de reste que, -dans ce genre de villégiatures qu’étaient les P. C., on n’avait pas -accoutumé, pour séduire les nouveaux arrivants et futurs locataires, de -leur offrir des chambres avec de larges baies que l’on aurait ouvertes -en claquant les volets et en les invitant à admirer l’étendue du -paysage: - ---Tenez, vous aurez une vue magnifique sur Craonnelle!... - -Mais profitant des heures propices où l’artillerie ennemie se -repose,--on sait que chaque secteur a son «régime» d’artillerie, -c’est-à-dire que l’on arrive à connaître assez exactement les habitudes -d’estomac de l’artilleur d’en face, et le moment qu’il consacre à son -déjeuner et à son dîner,--notre cuisinier se glissait jusqu’aux premiers -jardins de Craonnelle, où il avait repéré des plants d’asperges «que ça -aurait été dommage de les laisser perdre sans en profiter»... Ce régal, -assurément, n’était pas sans risque. Pourtant si l’artilleur allemand -avait modifié ses heures de repas et qu’il fût arrivé malheur à cet -amateur d’asperges, eût-il convenu de le citer en exemple comme puni de -sa gourmandise ou victime de son héroïsme? Tous ses camarades, il est -vrai, bénéficiaient de cette gourmandise téméraire. Je crois qu’il faut -avoir vécu dans la nuit des «creutes», avoir plongé dans les profondeurs -des sapes, pour comprendre les suprêmes délices d’y savourer des légumes -frais,--attrait qui doit participer de cette lumière dont nous sommes -privés, de ce soleil qui les fit croître et qu’ils nous apportent? Et -c’est ainsi que je penserai toute ma vie avec émotion aux salades de -pissenlits que, durant l’offensive de Moronvilliers, une ordonnance -ingénieuse et dévouée trouvait le loisir de cueillir je ne sais où pour -nous en procurer le réconfort imprévu dans notre lugubre abri du Bois -Noir... - -Du Plateau Triangulaire, la vue s’étendait en direction de Laon, sur la -plaine bouleversée et désertique, que sillonnaient sans cesse, tragique -et sinistre feu d’artifice, l’éclair des obus, les jets de fumée des -éclatements. - -En direction de Laon: qui eût imaginé que Laon deviendrait ainsi une -sorte de Mecque vers laquelle se tendraient tous nos espoirs, toutes nos -énergies!... - -Qui eût imaginé qu’il serait un jour si difficile d’aller jusqu’à Laon? -Et nous pouvions contempler dans la direction de Laon, qui demeurait -comme jalonnée par leurs efforts sanglants et tenaces, les traces -douloureuses de quelques-uns, parmi les meilleurs, de ces pèlerins -héroïques. Là-bas, ces masses noires que nous distinguions à la jumelle, -comme les cadavres géants de quelques bêtes d’Apocalypse, c’est tout ce -qui restait des tanks et de leurs équipages de vaillants, qui, le 17 -avril, s’élancèrent résolument, farouchement à la mort «en direction de -Laon»... Mais non, leur sacrifice sublime n’avait pas été inutile; il -plaçait, il maintenait là, sous nos regards ardents, sa force -exemplaire. Il nous semblait voir briller encore les flammes où ils -avaient péri, et, sur la route du devoir et de la victoire, ces héros et -ces martyrs se dressaient pareils à des torches vivantes et illuminaient -nos cœurs... - -[Illustration] - -[Illustration] - - - - -[Illustration] REIMS - - -Ma première impression de Reims, c’est, sortant de terre, des appels de -clairon, des roulements de tambour: un régiment de territoriaux, -cantonné là, vaquait tranquillement aux occupations ordinaires de la vie -de caserne; dans cette cave, près de laquelle je passais, en toute -innocence, «la clique» répétait avec autant de consciencieuse -ponctualité qu’en temps de paix, et que si on avait été au bout du petit -chemin bordé de haies, le petit chemin creux, à l’écart, derrière les -casernes, où il est accoutumé que, dans toutes les garnisons de France, -ait lieu chaque jour, régulièrement, l’école des tambours et -clairons... - -Ainsi, dans cette ville de Reims qui, aux yeux du monde entier, passait -avec raison pour le type même de la cité martyre, dans cette ville de -Reims où, avec une régularité monotone et sinistre, les communiqués nous -annonçaient que l’ennemi avait «encore aujourd’hui» lancé trois cents, -quatre cents, cinq cents obus, un semblant d’existence persistait -jusqu’en ces derniers mois de 1917, et quelques milliers de civils -vivaient encore là, au milieu des troupes chargées de les défendre, -avaient réussi à _s’organiser_ dans l’angoisse constante,--on n’y -pensait plus,--et dans le danger. - -Mais oui, il y avait encore des boutiques ouvertes et bien achalandées -entre deux maisons en ruines. Par exemple, on les connaissait toutes, et -le tour en était vite fait, puisque les destructions systématiques de -l’ennemi avaient ramené cette ville immense et florissante aux -proportions d’un pauvre village. - -Il y avait le marché couvert, où une marchande de légumes, qui portait -fièrement l’insigne des blessés,--elle avait été atteinte d’un éclat -d’obus au cours d’un précédent bombardement,--s’autorisait de cette -circonstance héroïque, la brave fille, pour se donner les allures d’une -vivandière de la Grande Armée, et, véhémente, familière et pittoresque, -tutoyait les généraux. - -Et l’étonnant sentiment de satisfaction, de sécurité et de bien-être que -l’on éprouvait à flâner aux _Sœurs de Charité_, à s’arrêter le long des -comptoirs tout chargés de choses parfaitement inutiles, à acheter ces -choses inutiles, ou du moins à les marchander avec les vendeuses, douce -frivolité du temps de paix, du temps où les Allemands ne bombardaient -pas Reims, du temps où il n’y avait pas d’obus... - -Oui, le secteur de Reims, à tout prendre, n’était pas un mauvais -secteur; malheureusement, on l’«empoisonnait» un peu avec les «coups de -main». On comprend très bien que le commandement militaire ne puisse -laisser des troupes et leurs cadres uniquement occupés à manger des -macarons et des biscuits en fraude, et à - -[Illustration] - -traîner délicieusement au marché ou au bazar. Et comme, d’autre part, il -fallait renoncer à tenter contre des positions formidables une opération -de grande envergure dont le succès même n’eût point compensé les -sacrifices qu’elle eût nécessités, on s’en tenait aux «coups de main» -qui inquiètent constamment l’ennemi et renseignent sur ses intentions. -Seulement, l’ennemi ne veut pas demeurer en reste et répond aux coups de -main par d’autres coups de main. Cela se traduit surtout par des -débauches d’artillerie. Que l’on «pilonnât» la tranchée d’en face, pour -en rendre le séjour intenable à ses occupants, ou qu’on l’«encageât» de -façon à les isoler et à les priver de tout secours ou de toute retraite, -la dépense en projectiles représentait toujours un minimum de plusieurs -centaines de mille francs. Après quoi on «allait y voir», c’est-à-dire -qu’il s’agissait de ramener des prisonniers, ou de rapporter tout au -moins une casquette, une patte d’épaules, sur quoi s’exercerait l’esprit -subtil des deuxièmes bureaux, chargés de dresser l’ordre de bataille -ennemi: tel chiffre sur une patte d’épaules, telle cocarde à une -casquette, c’était la preuve que l’ennemi avait relevé ses divisions, -que les unités d’occupation avaient été remplacées par des unités -d’attaque, cette patte d’épaule pouvait être l’indice certain d’une -offensive imminente, d’une grande offensive. Dans la pratique, les coups -de main, en dépit de la science militaire des chefs, et de l’énergique -audace des exécutants, ne comportaient pas toujours des résultats aussi -efficaces et aussi heureux. Ce qui seul ne changeait guère c’était le -prix de la préparation d’artillerie, c’étaient tous les billets de mille -francs qui s’envolaient au vent des obus, ces obus destinés à «encager» -ou à «pilonner» une tranchée, que les occupants, méfiants, avaient -peut-être prudemment abandonnée la veille, ou (c’était suffisant) une -demi-heure avant. Et j’entendis bien souvent soutenir cette thèse que le -caractère et la moralité du soldat allemand n’eussent peut-être point -rendue si paradoxale: «Nous allons dépenser pour 500 000 francs de -projectiles, au bas mot, et nous allons risquer la peau, qui, elle, est -inappréciable, d’un certain nombre de braves gens. Tout cela dans -l’espoir problématique de ramener un prisonnier. Si, parmi les Boches -d’en face, on savait qu’il y a une prime de 10 000 francs assurée au -Fritz de bonne volonté qui viendra se la faire verser à notre poste de -commandement--10 000 francs et la «guerre finie»,--ne croyez-vous pas -qu’il y aurait beaucoup plus d’amateurs que pour le coup de main -lui-même? Et, sans compter le risque, on économiserait 490 000 francs!» - -[Illustration] - -On n’en continua pas moins à illustrer de la sorte, et à rendre -notoires, les différentes parties du secteur de Reims: «Aux Cavaliers de -Courcy, un coup de main heureux nous a permis de faire des prisonniers.» -Les Cavaliers de Courcy, Bétheny, que tant de revues avaient rendu -célèbre: notre puissance militaire s’affirmait autrement, maintenant, -que par des revues, et l’Allemagne était appelée à s’en rendre compte de -plus près que par les rapports d’un attaché militaire. Mais la vraie -défense de Reims était dans Reims même, dans les rues de ses faubourgs, -et, mieux, dans ses caves, ces caves, jadis curiosité de la ville, qui -étaient sa richesse, et qui furent peut-être son salut. - -[Illustration] - -On a pu dire que l’un des vainqueurs de la Marne--entre Gallieni et le -maréchal Joffre--avait été sans doute le vin de Champagne. Et il est -bien vrai que, jusqu’aux points extrêmes de leur avance vers Paris, on -remarqua, après leur départ, que les Boches avaient bu du champagne, et -apparemment en avaient trop bu; en arrière des éléments de tranchée -hâtifs et rudimentaires que l’on creusait alors, on retrouvait des -amoncellements de bouteilles, dont le goulot même avait été cassé, pour -les vider plus vite, les bouteilles dont les Allemands remplissaient au -passage, à travers le pays champenois, leurs sacs et leurs musettes, et -qui les laissèrent déprimés, exténués, ivres de vin, de peur et de -fatigue, devant le foudroyant retour offensif de l’armée française. -Comme cela est éloquent et joli, cette participation réelle du vin de -champagne à notre victoire, champagne à qui l’on prête avec raison les -meilleures vertus de notre race, spirituel, hardi, pétillant, mousseux, -comme la France elle-même, et par qui, pour une part, la France devait -être sauvée! - -Mais surtout n’était-il pas naturel et juste que Reims, cité du vin de -Champagne, fût vraiment sauvée par son vin de Champagne? - -On a affirmé que les coloniaux, à qui avait été principalement confiée -la défense de Reims, avaient fait ce serment:--Tant qu’il y aura encore, -dans les caves de Reims, une bouteille de champagne, les Boches -n’entreront pas dans Reims!... Et il est bien certain que, pour mieux -tenir le serment, les coloniaux burent eux-mêmes de nombreuses -bouteilles. «Encore une que les Boches n’auront pas!...» Mais on doit -admirer avec quelle discipline, qu’ils s’étaient eux-mêmes imposée, ils -se gardaient soigneusement de toucher une goutte de vin, le jour et la -veille du jour où ils savaient qu’ils allaient attaquer ou monter en -ligne. Savoir pour qui ou pour quoi l’on se bat, le savoir d’une façon -concrète, immédiate, précise, tenir le trophée à portée de sa main, un -trophée dont on apprécie tout le prix, dont on connaît et dont on aime -la valeur rare, voilà donc, à n’en pas douter, le meilleur stimulant, un -des éléments moraux essentiels de la victoire. Ce stimulant, cet élément -moral n’a pas manqué aux défenseurs de Reims: c’était le champagne! Il y -en eut d’autres, concordants. Et l’on pourrait décider en somme que -Reims fut sauvée par son vin, par son maire, et par son archevêque. - -Il faut avoir vu le docteur Langlet au milieu des ruines de sa ville, et -le cardinal Luçon parmi les décombres de sa cathédrale: on comprenait -alors ce que veulent dire ces mots, l’«âme de la défense». - -Le jour où les Allemands commencèrent de bombarder Reims, - -[Illustration] - -le conseil municipal était réuni à l’Hôtel de Ville. Aux premiers coups -de canon, le maire se précipite avec l’un de ses adjoints pour rassurer -la population et vérifier si toutes les mesures de protection ont été -prises. Un obus tue son compagnon à ses côtés. Le docteur Langlet ne -songe d’abord qu’à adoucir la douleur de la veuve, à lui éviter -l’émotion atroce. Puis il revient à l’Hôtel de Ville. Ses collègues, -pris sous la menace du bombardement se sont dispersés. L’ardent -vieillard les rassemble, les adjure de ne pas donner à la ville l’image -de la panique, dangereuse et avilissante. Quand on a l’honneur -d’administrer Reims, c’est dans la grande salle des délibérations de -l’Hôtel de Ville de Reims que ses édiles doivent siéger. Et réconfortés -soudain, exaltés par la parole enflammée de leur maire et la noblesse de -son exemple, les conseillers municipaux rentrent en ordre, reprennent -séance dans le calme et la dignité. Je sais qu’au cours d’une cérémonie -récente, où l’on rapportait devant une assemblée de journalistes du -monde entier ces faits héroïques, un Américain ne put contenir son -admiration, et, saisissant la main du docteur Langlet, il la porta -respectueusement et dévotieusement à ses lèvres... Le geste d’hommage -tout pareil associait l’héroïsme du maire à celui de l’archevêque. -Combien de lèvres s’inclinèrent ainsi, courbées par une émotion plus -forte que la foi et les rites, pieuses et émerveillées, sur l’anneau -d’améthyste de Mgr Luçon? Lui aussi, l’archevêque à côté du maire, -incarna l’âme de la ville qui ne veut pas se rendre, qui, blessée à -mort, ne veut pas mourir, et qui réalise, en effet, le miracle de se -survivre à elle-même: Reims est détruite, et pourtant Reims rayonne, -immortelle, toujours debout!... - -Comme le docteur Langlet, le cardinal Luçon voulut demeurer là, jusqu’au -bout, comme un exemple et un témoin. Un témoin: il faut avoir entendu, -en effet, l’archevêque jeter bas l’excuse mensongère des Allemands, -quand ils sont venus prétendre que, s’ils ont bombardé la cathédrale de -Reims, s’ils ont commis le crime dont la postérité ne cessera pas de -leur demander compte, c’était par nécessité militaire, et parce que les -tours de la cathédrale avaient été utilisées comme observatoire par nos -artilleurs. Mais le témoin est là, c’est l’archevêque. Et quand, drapé -dans sa pourpre cardinalice, Mgr Luçon répond aux Boches: «Je donne ma -parole devant Dieu, ma parole d’homme et de prélat, que jamais les tours -de la cathédrale de Reims n’ont abrité un observateur et n’ont failli à -leur mission sainte, sentinelles, oui, mais sentinelles uniquement de -prière et de foi!»,--que vaut la prétention allemande, que valent les -prétextes misérables des vandales allemands devant un semblable -témoignage? - -[Illustration] - -Le cardinal Luçon aimait à se mêler aux soldats qui venaient défendre -Reims, et tous ont conservé le souvenir de cette haute et noble figure -qui se penchait si volontiers, si simplement, sur les misères de chacun. -Même un régiment qui, dans ce secteur comme partout où il passait, avait -su s’imposer aussitôt et marquer glorieusement sa place, le 152ᵉ, -n’avait-il pas, sur sa demande, nommé Mgr le cardinal Luçon son aumônier -honoraire? Or, à quelque temps de là le vaillant régiment reçut, le -premier des régiments de France, la fourragère aux couleurs de la Légion -d’honneur, la fourragère rouge. Le cardinal Luçon, aumônier honoraire du -Quinze Deux, fut invité à dîner au P. C. du colonel, qui lui remit -l’insigne distribué aux hommes de troupe et aux officiers. Peut-on dire -sans inconvenance que le cardinal ressentit, en se parant de cette -fourragère rouge, une joie égale ou comparable à celle que lui avait -causée le chapeau? En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’après ce -dîner mémorable qui s’était prolongé un peu plus que de coutume,--Mgr -Luçon ne s’asseyait pas tous les soirs à une popote d’officiers, et l’on -ne traitait pas tous les soirs un cardinal à la popote,--Mgr Luçon -regagnait à une heure déjà tardive Reims et Sainte-Geneviève où il avait -dû transporter sa demeure archiépiscopale; et il était si heureux, si -fier,--oui, vraiment!--de sa fourragère, qu’il voulut la faire admirer -et narrer en détail la cérémonie aux bonnes religieuses qui, elles non -plus, n’avaient pas quitté Reims et partageaient avec l’archevêque son -dangereux apostolat. Comme cette nuit, par extraordinaire, les obus -allemands les laissaient à peu près tranquilles, elles en avaient -profité pour prendre sans attendre un repos qui était rare. Mais -n’importe! on n’a pas tous les jours, ou toutes les nuits, la fourragère -rouge. Et l’archevêque tint absolument à ce qu’elles fussent réveillées -sur l’heure. D’ailleurs, vous pouvez être assurés qu’elles ne furent -alors, les saintes filles, ni moins joyeuses, ni moins fières que leur -archevêque!... Mais il y a une suite à cette petite histoire, une suite -qui vraiment n’est pas ordinaire! Ce cardinal qui, sur sa robe, -accrochait une fourragère rouge, était-ce bien réglementaire? Mgr Luçon -avait-il réellement droit au porc de la fourragère rouge? Il était -aumônier honoraire du 152. Mais il n’y a pas d’aumôniers honoraires, Mgr -Luçon ne figurait pas, ne pouvait pas figurer sur les contrôles du -régiment. Et il se rencontra des parlementaires pour s’inquiéter et -s’émouvoir de cette infraction aux règlements, de cette _illégalité_!... -Il est seulement fâcheux que ces personnages si scrupuleux n’aient pas -pris soin de confronter leurs scrupules avec l’opinion des vrais, des -premiers intéressés, de ceux à qui, précisément, leur vaillance avait -conféré la fourragère rouge, et qui, mieux que personne,--mieux même -qu’un parlementaire,--étaient qualifiés pour apprécier si leur -fourragère serait ou non déplacée sur l’épaule du cardinal, si oui ou -non le cardinal Luçon était digne de la porter et ne l’avait pas, lui -aussi, gagnée et bien gagnée!... - -Mais c’est la question qui était déplacée, et superflue! Comme si aucun -témoignage d’admiration et de gratitude avait pu sembler trop haut, trop -beau, pour l’Archevêque de Reims, au même titre qu’aucun témoignage de -piété et d’admiration ne pouvait égaler notre douleur émue devant la -Cathédrale de Reims!... Le cardinal Luçon, c’était l’évocation vivante -de la cathédrale comme l’Hôtel de Ville s’incarnait magnifiquement dans -le docteur Langlet; et ces deux vieillards admirables dominaient leur -cité meurtrie, comme toutes les blessures, toute la «passion» de Reims -étaient et demeurent figurées par l’Hôtel de Ville et la cathédrale. -Reims a pu être frappée ailleurs, dans son luxe, dans sa richesse; le -quartier Cérès, qui disait l’orgueil et l’opulence de son trafic dans le -monde, de ses laines et de ses vins, le boulevard Lundy, ses -constructions élégantes, ses hôtels somptueux, ne sont plus qu’un -monceau de ruines. Ruinés également, abattus, mutilés, détruits les -joyaux d’art, comme cette exquise Maison des Musiciens, qui faisaient -son incomparable parure. Mais c’est devant l’Hôtel de Ville, c’est -devant la cathédrale, que nous venons saluer Reims martyrisée, que nous -venons pleurer et nous souvenir. Les ruines aussi ont leur beauté; et -pour la honte de l’ennemi, ce qui reste de l’Hôtel de Ville, les -murailles qui résistèrent à l’obus brutal et à l’injure des flammes, -atteignent à une grandeur nouvelle, plus éloquente, plus âpre, plus -farouche, où s’étonne et s’exalte davantage encore notre indignation. - -[Illustration] - -De loin, la Cathédrale apparaissait la moins touchée; quand, des coteaux -voisins, de la route, par exemple, qui, en lacets, descend sur Jonchery, -on apercevait à l’horizon, dominant la plaine, ses tours comme deux bras -tendus dans un geste de prière, oui, ses tours étaient encore dressées, -qui maintenaient, semblait-il, sa silhouette intacte, et un soupir de -soulagement, une action de grâces, s’échappait de nos -poitrines:--Allons!... le mal n’était pas encore si grand, le désastre -n’était pas consommé, la Cathédrale n’avait pas subi les atteintes que -redoutait notre angoisse!... - -Hélas! à mesure que nous approchions s’évanouissait cette illusion -favorable. On n’a pas oublié les premiers obus incendiaires, lancés sur -la Cathédrale, et qui mirent le feu aux échafaudages de la -façade,--avez-vous vu souvent une cathédrale sans échafaudages, gloire -et spécialité des architectes diocésains? Il faut le dire: les flammes -donnèrent à la pierre une couleur admirable, inouïe. Bien souvent, en -effet, loin d’en abolir la beauté l’incendie communique à la pierre ou -au marbre une beauté nouvelle. C’est ainsi qu’une figure de Falguière, -une figure d’adolescent a été retrouvée dans les cendres du musée de -Gerbeviller, entièrement modifiée, transfigurée par la morsure des -flammes avec une expression de désespérance et de sublime détresse -telles que ne les avait jamais réalisées l’ébauchoir de l’élégant -sculpteur. Et la patine singulière dont la partie incendiée de la -Cathédrale s’était revêtue faisait ressortir davantage la blancheur -écœurante du Palais de Justice tout proche, dont les blocs de pâtisserie -fade n’avaient pas encore été touchés, comme si l’obus allemand dans son -ignoble besogne avait pris grand soin de respecter la laideur,--la -laideur complice, et qu’il reconnaissait comme une amie, sans doute, -presque une parente... Mais, en s’écroulant, les échafaudages avaient -déjà fort endommagé les ornements charmants de la façade, et, comme -l’adolescent de Falguière qui s’était mis à pleurer, la Cathédrale de -Reims, sous les flammes, avait vu se crisper douloureusement son -Sourire... - -Puis ce furent les blessures cruelles, profondes, de l’abside, sous le -bombardement méthodique, organisé, régulier. Et les décombres -s’amoncelèrent, autour du Christ qui semblait présider, Juge et suprême -témoin du crime sacrilège, à une nouvelle Passion:--la Passion des -Pierres Saintes et de l’Art Sacré, insultés, frappés par les barbares, -et qui tombent une fois, deux fois, pour ne plus se relever... - -Les relèvera-t-on, ces pierres écroulées, ou les laissera-t-on telles -quelles, avec même, au milieu d’elles, ces obus monstrueux qui -n’avaient pas éclaté, et qui sont encore là comme le cambrioleur -assassin surpris et arrêté avant d’avoir pu accomplir son odieux -forfait, maintenant réduits à l’impuissance et ligotés au pilori de -l’infamie universelle? Quoi qu’il en soit et quoi que l’on décide, de -longues années s’écouleront sans doute avant que la Cathédrale de Reims -renaisse, entièrement guérie de ses ruines et de ses cendres. Le crime -qui l’a abattue est un crime contre la civilisation; c’est le monde -civilisé tout entier qui s’est ému, et prend à cœur d’en effacer la -trace. Mais une pierre de la Cathédrale, une pierre suffira, qu’aucun -effort ne pourra jamais plus soulever, lourde, si lourde,--lourde de -trop de crimes longuement médités et lâchement exécutés,--une pierre de -la Cathédrale de Reims scelle pour toujours le tombeau où l’on a jeté et -où pourriront pour l’éternité l’orgueil germanique et l’honneur du nom -allemand. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] VERDUN - - -J’entends encore cette Américaine, près des vieux remparts de Verdun, -qui, tout à coup, dans l’automobile arrêtée, fronçant les sourcils, -l’index levé, écoutait, prodigieusement intéressée:--Taca, taca... -mitrailleuse?...--et tendait les lèvres, avec une petite moue espiègle, -comme un enfant vers des friandises...--Taca, taca!...--Elle eût été -fort déçue, sans doute, si on lui eût dit que c’était bien une -mitrailleuse, en effet, mais une mitrailleuse française dont un aviateur -français, en prenant son vol, essayait la bande... Et l’officier -d’état-major qui accompagnait cette charmante jeune femme se garda bien -de la détromper. Il avait, par ailleurs, assez à faire pour la dissuader -de tirer le canon; car c’était chez elle une idée fixe, une idée qu’elle -s’était mise dans la tête qu’elle «tirerait le canon de Verdun»--avec -une ficelle, n’est-ce pas, comme on voit la Grande Mademoiselle, coiffée -de son feutre empanaché... Il ne faut pas sourire de semblables -curiosités dont Verdun était l’objet constant, et moins encore s’en -montrer choqué et crier à l’inconvenance. Il ne faut pas oublier que la -défense de Verdun demeurera le symbole même de la défense française. -Comment s’étonner de l’ardeur enthousiaste et ingénue de notre -Américaine, quand on se souvient que, dans les assemblées de son pays, -tout le monde se mettait debout, soulevé, transporté par les deux -syllabes magiques, à ce seul nom prononcé de Verdun! On eut raison -d’entretenir soigneusement, comme une flamme sacrée, ce prestige quasi -légendaire. Et tous les «civils», tous les étrangers, alliés ou neutres, -qui sollicitaient comme un honneur suprême d’être admis à visiter -Verdun, ne les appelez pas des touristes, c’étaient vraiment des -pèlerins, des pèlerins passionnés, vers l’autel ardent et magnifique de -l’héroïsme français. - -[Illustration] - -La première visite était naturellement pour la Citadelle. Elle donnait -au moins aux profanes, à tous ceux peut-être qui n’étaient point -familiarisés avec les secrets réels de la fortification moderne, une -impression formidable de puissance et de sécurité. Les casemates -immenses, où abriter des régiments entiers, et tout ce luxe, toute -cette - -[Illustration] - -extraordinaire variété d’appareils, de machines de toutes sortes, tout -ce que recélaient ses flancs énormes, et qui y tenait à l’aise: une -véritable usine d’électricité, des moulins, une boulangerie, des salles -d’hôpital et jusqu’à un théâtre!... Toute une vie souterraine était -organisée là, tous les rouages essentiels à la vie d’une cité, comme si -la cité même de Verdun, devant la menace de ruine, s’était repliée sur -elle-même, était, à la lettre, rentrée sous terre. Dans une salle à -manger fort agréable et confortable, le commandant de la citadelle -retenait à déjeuner les visiteurs de marque. Des objets d’art, des -coupes finement ciselées, des étendards brodés, des décorations de tous -les pays, croix et plaques enrichies de pierres rares, étaient là, venus -des quatre coins du monde, pour matérialiser en quelque sorte, à l’égard -de Verdun et de ses défenseurs, l’admiration du monde entier. Un livre -d’or portait les signatures de bien des hôtes illustres. Et il n’est ni -superflu ni ridicule d’ajouter que des crédits spéciaux, qui lui étaient -très justement alloués à cet effet, permettaient au commandant d’offrir -des menus dignes du cadre. Eh! sans doute, on était moins bien -ravitaillé à Bezonvaux!... Mais ceux-là ne seraient pas de notre race, -qui s’étonneraient, qui se scandaliseraient, qui ne comprendraient pas -ce qu’il y avait d’ironie élégante, de finesse et de coquetterie bien -françaises, à traiter avec cette recherche délicate, à la barbe des -boches, à leur sinistre barbe rousse, ceux qui s’aventuraient, en -frémissant, et le cœur serré, aux portes mêmes de l’«enfer de -Verdun»!... - -Au sortir de la Citadelle, on entrait à la cathédrale toute proche. Et -les visions d’horreur commençaient, avec le spectacle de la barbarie -allemande. On avait pu retirer à temps les ornements les plus précieux; -mais des vitraux avaient été brisés, dont on pouvait emporter encore -quelques éclats irisés, quelques parcelles multicolores: et quels joyaux -ou quelles gemmes rares, rubis, topaze ou saphir, semblaient avoir, à -cette heure décisive, plus de signification et plus de prix qu’un -fragment de vitrail de la cathédrale de Verdun, ce minuscule et fragile -morceau de verre bleu, jaune ou rouge?... - -[Illustration] - -Mais plus encore peut-être, que la cathédrale froide et nue, qu’il était -émouvant, le petit cloître intérieur, dont la fraîcheur et le -recueillement, comme indifférents à la violence des hommes, et à leur -fureur destructive et meurtrière, s’emplissaient encore de verdure et de -chants d’oiseaux!... Et surtout, c’était, à côté, la noble ordonnance de -l’Évêché, sa cour d’honneur aux proportions si pures, et la salle de -musique--prélats, petits abbés, et dames poudrées en robes de cour--avec -ses boiseries claires et ses grandes baies, d’où l’on découvrait la -ville et la Meuse. Au pied, une étroite «allée du bréviaire», -majestueuse et calme, dominait le même paysage d’élection le long du -haut mur couvert d’espaliers... - -Hélas! qu’était-elle devenue, la ville paisible, un peu sévère, serrée -au pied de sa Citadelle, de sa Cathédrale de son Évêché? La promenade -commençait parmi les maisons éventrées, effondrées; dans - -[Illustration] - -certains quartiers, là où avaient été alignées des maisons, ce n’étaient -plus que des alignements de pierres. Ailleurs, que les maisons fussent -encore debout, l’impression en était plus lugubre encore, ces maisons -maintenant ouvertes à tous les vents et à tout venant, véritables -cadavres de maisons, dont la vie s’était brusquement retirée, et où, -lorsque l’on y pénétrait, on surprenait l’effroi de la fuite -désespérée,--ceci, qui avait été une boutique florissante, où des -générations de petits marchands avaient dû peser des denrées, ou auner -du drap,--et tous ces comptoirs renversés, tous ces placards vides... -Verdun, ville des dragées, quelle mélancolie cruelle entre toutes dans -tes enseignes évocatrices des anniversaires joyeux et de l’allégresse -des baptêmes!... Et le théâtre... Je ne sais pas si le théâtre de Verdun -était, en temps de paix, exceptionnellement brillant, si la «saison de -Pâques» était fort suivie, s’il y avait au théâtre de Verdun une basse -chantante que l’on venait entendre même de Bar-le-Duc, si la gentillesse -de la deuxième des premières ou la drôlerie du laruette étaient célèbres -dans toute la région... Au milieu des décombres, la salle apparaît -encore tout à fait coquette et plaisante vraiment, pour un théâtre de -sous-préfecture!.. Et voici encore la loge du sous-préfet, voici la loge -du général, sans doute; voici l’avant-scène du rez-de-chaussée qui -devait être celle de ces messieurs du cercle, la loge infernale!... Et -tout ceci, qui est l’âme même de la province, immobile dans ses rites -immuables et doucement désuets, nous attendrit ici, nous attendrit -aujourd’hui jusqu’aux larmes. La scène est encore équipée, et des -cintres pendent des lambeaux de toiles bariolées... Le rideau est levé, -béant; mais c’est le canon qui frappe les trois coups, et au lieu de la -_Mascotte_ ou de _Lakmé_, du _Châlet_ ou des _Noces de Jeannette_, quel -drame ou quelle tragédie!... Qu’est devenue la deuxième des premières, -et la première chanteuse, et la dugazon? Où sont-ils ces messieurs du -cercle? Le cercle, pourtant, j’ai cru le reconnaître, il devait être là, -dans ce riant café avec un beau balcon sur la Meuse... Sournoise et -tragique douceur du fleuve qui continue à travers la ville sa course -molle et lente, qui continue à refléter avec la même impassibilité -heureuse et tranquille, au lieu même où s’égayaient ses rives, l’horreur -des ponts détruits et des maisons écroulées, dans le miroir de ses -eaux!...--On se bat sur la rive droite de la Meuse!... a décidé et -déclaré fièrement, ici même, en un anxieux, en un lourd et trouble matin -de mars 1916, le général de Castelnau,--qui, ce matin-là, peut-être, -aura sauvé la France. - -Et nous voici, sur la rive droite, au faubourg Pavé, au milieu de -l’extraordinaire encombrement des troupes qui montent et descendent vers -la ligne de boue, de silence et de mort, fantassins, artillerie, -ravitaillement. Tout ce que l’armée française compte de meilleur a -cantonné là, un soir au moins, au faubourg Pavé; la fleur de notre -jeunesse y a dormi ses rêves de sacrifice, ses cauchemars de lutte -décisive et suprême, les terreurs de l’aller et les espoirs du retour. -Car, en dépit du bombardement toujours grondant, de la menace constante -des avions au-dessus des têtes, le faubourg Pavé, c’était encore un -semblant de sécurité, une dernière étape, un dernier relai qui vous -rattachait à la vie, avant de plonger dans l’abîme de souffrance, de -péril et d’angoisses. - -[Illustration] - -Ceux qui revoyaient le faubourg Pavé se sentaient renaître, comme ceux -qui le quittaient se demandaient s’ils reverraient jamais une ville, une -rue, des maisons, leur maison... Et puis commençait la montée du -calvaire. Les casernes Marceau marquaient un bref répit; on y voyait -rangées les petites automobiles sanitaires américaines, toujours prêtes -à s’élancer jusqu’aux limites extrêmes du champ de bataille, narguant -les éclatements et se faufilant, rapides et diligentes, à travers les -trous d’obus, pour aller disputer les blessés à la mort, dans les bras -de la mort même. Sur cette redoutable et terrifiante route d’Alsace, où -des équipements abandonnés, des caissons renversés, des cadavres de -chevaux, criaient sans cesse: «Prends garde, téméraire, insensé, prends -garde!... Rebrousse chemin! Tu n’iras pas plus loin!...» voici que la -petite voiture américaine apparaissait insouciante, qui secouait et -dissipait soudain nos frayeurs découragées, comme un tonique et un -réconfort:--Mais si! mais si!... Vous voyez bien que l’on passe tout de -même!... Cheer up!... Nous n’avons pas envie de mourir, et ce ne sera -pas encore pour cette fois, malgré le Boche et toutes ses manigances -damnées!... Cheer up, vieux garçons!... Nous sommes le trait d’union -alerte et toujours vaillant entre l’enfer et la vie; oui, nous venons de -la vie, là-bas, et nous y retournons!... Et vous ferez comme nous--cheer -up!... - -Ainsi nous rassérénaient et nous redonnaient courage les petites -automobiles sanitaires américaines des casernes Marceau. - -Les casernes laissées à main droite, on entrait presque aussitôt dans la -région du désert chaotique, des paysages lunaires, de ce qui demeurera -dans la mémoire des hommes comme une image d’épouvante, à laquelle on ne -tente même plus de trouver des équivalences verbales, des épithètes -évocatrices et appropriées: c’est le terrain de la bataille de Verdun. -Et plus que toutes les épithètes, en effet, et que toutes les -descriptions, ces indications suffisent:--Vers Fort de Vaux.--Vers -Douaumont... Et les ravins qui s’appellent: Ravin du Mort-Homme;--Ravin -Sans-Nom;--Ravin de la Femme Sans-Tête... La mort, la mort, partout la -mort!... Et l’on était vraiment surpris, au milieu de tant de -désignations lugubres, d’entendre les noms de Normandie, de Calvados, -qui sonnaient clairs comme une revanche et une gageure, presque -joyeusement: ils étaient si loin tes pommiers en fleurs, ô Normandie, et -tes plages, ô Calvados, et tes auberges accueillantes, dans la grasse -campagne au bord de la mer!... - -Le nom seul, d’ailleurs, avait cette apparence apaisée. Pour gagner -Normandie, il fallait traverser Fleury, ce qui avait été le village de -Fleury. Rien ne pouvait donner une impression plus complète de la -dévastation, la dévastation absolue, intégrale, totale:--«L’herbe -poussera à l’endroit où s’élevait l’orgueil des palais.» Il n’y avait -même pas d’herbe; et sans doute, non plus, il n’y avait jamais eu de -palais, mais de riantes demeures paysannes, une église, une école, une -mairie... Il n’en restait plus pierre sur pierre,--il n’en restait plus -une pierre!... Ruiné, rasé, on eût encore aperçu quelques traces de ces -ruines, qui eussent figuré l’emplacement du village, de ses maisons et -de ses rues, qui eussent permis de dire, autrement que la carte en main: - ---Ici était Fleury! - -[Illustration] - -Mais non; il semblait que la terre se fût entr’ouverte, eût tout -englouti, pour se refermer ensuite, impassible.--Fleury gisait -maintenant, dans les entrailles de la terre, comme la ville d’Ys au sein -des flots. A peine les briques des constructions les plus récentes en se -mêlant à cette terre l’avaient-elles, par endroits, un peu teintée de -rouge. Et l’on a pu comparer l’anéantissement du village de Fleury à -quelque fruit mûr qu’un passant indifférent écrase du talon sur le -sol... - -A côté de Fleury, au bas de cette piste creusée d’ornières où, au -crépuscule, il ne faisait pas bon s’embouteiller avec les prolonges -d’artillerie, et tout l’encombrement du ravitaillement en munitions, -sous la menace d’un tir d’interdiction soigneusement réglé sur les -carrefours, Normandie, c’était la vie qui renaît, toute la vie militaire -intense:--Poste de commandement du général, Poste de secours, liaisons, -Central téléphonique, le tout tapi dans les parois du ravin, véritable -village de Troglodytes, substitué au village meusien disparu, comme si -Fleury, enfoncé dans la terre, ressortait un peu plus loin, ressortait, -sous cette forme étrange, primitive, un peu sauvage, des entrailles de -la terre même... - -Comment donc!... Il y avait, à Normandie, dépendant des Casernes Marceau -où il avait, toutefois, obtenu de demeurer logé, un major de -cantonnement. Et quand on songe à tout ce que ce titre exprimait, à -l’ordinaire, de confortable et de pacifique!... - -N’a-t-on pas tout naturellement et tout de suite tendance à se -représenter le major de cantonnement comme un personnage un peu gros, -bon vivant, bien nourri, qui jouit de toutes les commodités de -l’existence et d’un maximum de sécurité assez enviable, toujours sûr de -coucher dans un bon lit, admiré et respecté de la population civile, -jalousé peut-être mais redouté des militaires, et qui par ses -occupations, par ses distractions aussi et par ses loisirs, tient du -maire et du commissaire de police--avec qui, d’ailleurs, il ne lui était -pas interdit, dans la plupart des cas, de faire au «café de l’endroit» -sa partie de manille... - -Hélas! pauvre major de cantonnement de Normandie, que l’on ne pouvait -contempler sans une sympathie attendrie et apitoyée, infortuné major de -cantonnement de Normandie,--un major de cantonnement, c’est le roi -d’Yvetot!--qui, lorsqu’il fut nommé major de cantonnement, avait pu -s’imaginer qu’il tenait enfin le bon «filon»!... - -[Illustration] - -Ah! l’inégalité de traitement entre les hommes n’avait pas été abolie -par la guerre!... Et s’il est admis, n’est-ce pas, que l’entretien des -routes, par exemple, des pistes et boyaux d’accès était besogne de -territoriaux, c’était tout de même autre chose de se livrer, ou bien -entre «Normandie» et «Calvados», ou bien sur les routes du Calvados et -de la Normandie, à ces terrassements sans gloire, mais qui, là, -n’étaient pas sans péril!... - -Et, sous prétexte qu’ils ne se battaient pas, on les laissait, des mois -et des mois, les territoriaux de Verdun, eux comme les autres, enfouis -dans leurs abris boueux... - -La boue de Verdun!... - -Nous avons connu toutes les boues de cette guerre, qui fut, d’abord, une -guerre dans la boue, désespoir des lyriques: boue de Lorraine, boue -gluante et dont on n’arrivait pas à se dépêtrer, boue de Champagne, -crayeuse et blanchâtre, boue de la Somme et boue de l’Yser: la boue de -Verdun est à part, boue de terrain perdu, repris, cent fois conquis et -reconquis, et où chaque combat, chaque bataille laisse, comme le flot en -se retirant, ses épaves, ses alluvions; et la boue, chaque fois, -recouvrait le tout, s’assimilait le tout, pour arriver à former ce -mélange où il y avait de tout, où l’on s’enlisait effroyablement, mais -où la «récupération» devait être si fructueuse. - -Du jour où le commandement décida de tarifer cette «récupération», -c’est-à-dire de payer au prorata et suivant un barème fixe ces épaves du -champ de bataille, qu’une administration de la guerre, plus sage enfin -et plus prudente, souhaitait, la guerre se prolongeant, de ne plus -laisser perdre et d’utiliser, toute la plaine de Verdun et tous ses -ravins furent sillonnés de chiffonniers héroïques. - -On donnait tant pour une fusée d’obus, tant pour un fusil, tant la -douzaine de cartouches ou d’étuis de cartouches. - -Et la boue de Verdun dut rendre ses trésors et l’on citait des gars qui -s’étaient fait plus d’un millier de francs, rien qu’en se promenant -ainsi les mains dans leurs poches,--mais en prenant soin de remplir -leurs poches de tous ces objets aussi précieux qu’hétéroclites, et même -leurs musettes. - -[Illustration] - -C’est vrai qu’il y avait des trésors dans la boue de Verdun, et des -trésors aussi de bravoure, d’abnégation et d’endurance; mais ceux-là, on -ne payait pas pour les récupérer, c’était une récupération superflue, -inutile--c’était par-dessus le marché!... - -Ce que l’on ne «récupérera» pas non plus, ce sont les cadavres enlisés -dans cette boue, cadavres de jeunes hommes qui dormirent une dernière -nuit au faubourg Pavé, cadavres d’Allemands aussi que ne rendra plus la -terre de France qu’ils avaient souillée. - -Oui vraiment il y avait de tout dans cette boue de Verdun, de tout, du -meilleur et du pire, et même du Boche. - -Mais on était à une époque, et engagé dans une aventure, où le cœur -était devenu aussi froid, aussi dur, que les ossements mêlés à la boue -où l’on pataugeait, et que l’on pouvait découvrir au bout d’une botte, -en cherchant à «récupérer» la botte... - -[Illustration] - -L’homme de Bezonvaux qui, tout caparaçonné de courroies de bidon, des -bidons lui battant les flancs, l’échine et le ventre, était de -corvée,--la plus douce, la plus enviable,--de corvée de pinard, l’homme -de Bezonvaux qui s’en venait chercher du pinard à l’arrière, n’allait -pas s’émouvoir pour si peu, et en attrister cette minute de rare -allégresse; la vie humaine, a écrit Barrès, n’avait alors pas plus de -prix qu’une cerise au fort de la saison: au juste eût-il prêté plus -d’attention à l’aubaine d’une poignée de cerises... - -C’est que Bezonvaux était une de ces stations d’enfer, un de ces points -sacrifiés du front de Verdun, où quatre jours durant, d’une relève à -l’autre, il fallait bien se résoudre à vivre séparés du reste du monde, -il fallait renoncer à tout secours humain; la boue, par là, devenait -marécage, aucun ravitaillement d’aucune sorte n’y pouvait passer, même -les petits ânes que l’on voyait trotter si vaillants le long du ravin. - -En sorte que l’arrière,--tout est relatif,--l’arrière et ses délices -c’était l’autre côté du marécage, la région où l’on recevait bien encore -des obus, certes, mais où l’on pouvait espérer recevoir autre chose que -des obus; le paradis, vu de l’enfer de Bezonvaux, c’était l’étang de -Vaux. - -J’ai gardé de l’étang de Vaux un souvenir extraordinaire. C’était un -site ravissant, et qui n’avait pas cette mélancolie que la plupart des -étangs prêtent au paysage. Jadis un petit village, plaisant et coquet, -se mirait non loin, que fréquentaient les pêcheurs amateurs de fritures, -et dont il restait exactement autant que du village de Fleury, -c’est-à-dire exactement rien. - -Mais je ne pense pas qu’aux jours de fêtes votives, ou pour la plus -brillante ouverture de pêche, il y ait jamais eu autour de l’étang de -Vaux une foule aussi pittoresque, une animation comparable à celle qu’y -apportait le voisinage de la bataille. - -Ce n’était pas une animation fiévreuse et guerrière, comme au faubourg -Pavé. Il n’y avait ici aucun préparatif militaire, mais seulement des -tonneaux en perce, des étalages de boîtes de conserves, du papier à -lettres, de la parfumerie!... - -[Illustration] - -Une coopérative divisionnaire avait installé sous des tentes, le long du -chemin d’amoureux qui longe capricieusement et surplombe l’étang, comme -de petites boutiques de kermesse; et c’était une véritable kermesse où -se pressaient les hommes de Bezonvaux et d’ailleurs, où ils oubliaient -en une minute et pour une minute la nuit d’angoisse qui avait précédé, -et le jour atroce qui viendra,--une kermesse, la kermesse de l’étang de -Vaux, la kermesse des fiancés de la mort. Et au-dessus, le fort de -Vaux, et là-bas les fumées de Briey... - -Quel poète allemand écrira maintenant cette ballade de l’étang de Vaux, -car c’est bien un sujet de ballade allemande... Sous la lune, au -crépuscule, la brume blanche qui emmousseline l’étang, c’est le linceul -des morts de Verdun, qui, à l’entour, se sont couchés un soir dans la -boue, sans linceul... - -[Illustration] - -[Illustration] - - - - -[Illustration] LA DEUXIÈME MARNE - - -_29 mai 1918._--Et nous y voilà. Nous sommes arrivés à -Neuilly-Saint-Front en même temps que les premiers obus sur la gare. Je -n’ai pas «fait» Charleroi, je n’avais pas encore vu de retraite; tout le -long de la route, un défilé ininterrompu de véhicules de toute espèce, -charrettes à bœufs, brouettes, voitures d’enfant, et, là-dessus, les -objets les plus hétéroclites, empilés dans la hâte du départ; les femmes -ont mis sur elle ce qu’elles avaient de plus beau, leur chapeau de -cérémonie, dont les fleurs pendent, lamentables, et dont on n’oserait -pas sourire... Un pauvre vieux, infirme, que l’on transporte dans son -fauteuil roulant. Pas de plaintes, pas de cris; une sorte de stupeur; -des fantômes dans la poussière... Le général revient du corps d’armée: -nos bataillons doivent se tenir prêts à être engagés au fur et à mesure -des débarquements. Une limousine: des camarades de l’armée--l’armée qui -avait failli se faire prendre à Belleu, et qui, après avoir touché barre -à Oulchy-le-Château, va maintenant établir son quartier général à -Trilport--en attendant. Ils sont bien gentils, bien affectueux, ces -charmants camarades--et ils pensent bien dîner ce soir à Paris... La -nuit est venue, une belle nuit pour les avions. Sur la place, devant -l’église, des groupes de réfugiés et d’évacués, enveloppés dans des -châles, dorment sur des caisses. Un Monsieur très entouré, avec un -magnifique képi: c’est le sous-préfet. Il pérore; il assure que la -situation est excellente, qu’il vient de recevoir des nouvelles, et que -les Français viennent de reprendre Fère-en-Tardenois--Fère-en-Tardenois -d’où nous avons vu, cet après-midi, s’élever à l’horizon de grandes -colonnes de fumée, les dépôts que l’on avait fait sauter... De pauvres -gens recueillent avidement les paroles du sous-préfet; un vieil homme, -la tête toute tremblante, l’a pris par un bouton de son dolman:--Faut me -dire la vérité, Monsieur le Sous-Préfet, parce que je suis un bon, moi, -vous savez, moi, je suis un rouge!... Et le sous-préfet, exalté par sa -propre éloquence:--Rentrez chez vous, bonnes gens, les Boches sont en -pleine déroute, vous pouvez dormir tranquilles, vous n’avez rien à -craindre, c’est votre sous-préfet qui vous le dit!... Cependant, -impressionné moi-même, je me suis approché de ce fonctionnaire -enthousiaste et si bien renseigné, je me présente, je demande à M. le -Sous-Préfet de vouloir bien m’accompagner à l’État-Major du général de -division, qui sera heureux d’apprendre de sa bouche ces nouvelles -rassurantes qu’il vient de donner à la foule. M. le Sous-Préfet me suit -de fort bonne grâce, il sera ravi de faire la connaissance du général. -Le général est en train d’achever un dîner hâtif; le sous-préfet accepte -une tasse de café, s’installe, et, très à l’aise:--Alors, mon général, -quoi de nouveau? - - -_30 mai._--Quelle tristesse, cette maison où nous avons passé la nuit, -cette maison si confortable, que les propriétaires avaient meublée avec -autant d’amour que de mauvais goût, et qu’ils ont dû abandonner en une -heure... Des croûtons de pain traînent dans la cuisine; il y a encore, -dans le jardin, un petit jouet au milieu d’une allée, un arrosoir... -D’heure en heure, les nouvelles arrivent plus inquiétantes; -Château-Thierry est pris... Toute la population de Neuilly-Saint-Front, -hier encore si frémissante, est partie dans la nuit. Le sous-préfet a -disparu avec tout son enthousiasme et toute son éloquence. Il n’y a plus -un civil. Et voici des régiments (ce qui en reste) qui descendent, -l’arme à la bretelle,--ils viennent de là-bas, du côté des Boches: eh -bien! oui, quoi, les Boches arrivent...--et, dans les boutiques -ouvertes, dont les marchands se sont enfuis, un soldat entre, en -passant, puis deux, puis dix, qui font main basse sur les bouteilles, -les boîtes de conserves:--Autant nous que les Boches!... Deux chasseurs, -dans la grande rue, courent après un petit cochon qui crie, et les -hommes gouaillent: «On les aura!...» A 4 heures, ordre de départ pour -Sommelans. Nous allons, tant bien que mal, établir une ligne de -résistance face à l’est, en arrière de Château-Thierry. - -[Illustration] - -Au moment du départ, près de la voiture à fanion et du peloton de -l’escadron divisionnaire, j’aperçois deux civils importants, qui -s’entretiennent avec le général et son chef d’État-Major; je les -reconnais: c’est M. Abel Ferry et M. Renaudel; des bribes de leur -conversation viennent jusqu’à nous: «D’ici à deux jours, la situation -sera stabilisée... Il arrive des quantités de troupes...--Il faut que le -pays tienne jusqu’à octobre...»--Et ils filent... Au revoir et merci! -Nous sommes à Sommelans, installés chez l’institutrice. Comme elle a dû -avoir peur!... Le lit est encore défait... C’est un désarroi inouï de -papiers, de plumes de chapeaux, de rubans, dans les armoires, les -tiroirs renversés, au milieu de la chambre. Et il y a encore des fleurs, -de grosses pivoines rouges et blanches sur la cheminée... Elle avait un -piano, l’institutrice de Sommelans, et était abonnée aux _Annales_ et -aux _Grandes Modes de Paris_. - - -_31 mai._--Nous avons quitté Sommelans un quart d’heure avant les -premiers obus. A Licy-Clignon, à la maison d’école; sur le tableau noir, -cette dernière leçon: «Mercredi 29 mai: Instruction civique: la défense -nationale.» Et les «travaux à l’aiguille» des petites filles, surjets, -points de croix, canevas aux tapisseries ingénues, précipitamment jetés -au bas d’un placard. On vide consciencieusement les caves et les -basses-cours; ne s’y mêle-t-il pas un scrupule patriotique? Les -habitants ont recommandé, en s’enfuyant: «Brûlez plutôt ce que vous -n’emporterez pas!...» Chasses aux lapins et aux poules. Et dans chaque -maison l’armoire à linge, et l’armoire à confitures... Quelques -ivrognes, la chaleur aidant. Un homme d’un régiment qui monte a troqué -son casque contre un chapeau haute-forme. Dans une écurie, nous -découvrons un petit âne gris; dans un hangar, une charrette abandonnée: -nous attelons l’âne à la charrette, pour transporter nos sacs, et les -appareils de signalisation. De nouveaux ordres. On nous charge de -défendre la ligne de Château-Thierry avec des - -[Illustration] - -troupes que nous ne connaissons pas, des coloniaux, des malgaches. La -division s’établira à Crogis, nous à Montcourt. Et nous voici, de -nouveau, en route, avec notre âne... Un petit vallon délicieux, quelques -vieillards encore sur le pas des portes, dans les jardins; une vieille -femme qui lave son linge,--longtemps nous entendons le bruit du battoir, -frais, paisible, monotone... La canonnade se rapproche, les -mitrailleuses. Hantise de l’infiltration boche, à travers les pentes -boisées qui nous entourent, avec la nuit qui vient. On entend les coups -de sifflet des patrouilles: patrouilles françaises ou patrouilles -allemandes? On décide que l’état-major de la division et celui de -l’Infanterie divisionnaire passeront la nuit dans une ferme voisine, -plutôt que dans cet étroit vallon de Crogis, inquiétant et peu sûr. Et -nous montons à pied à la ferme de la Nouette. Des lueurs d’incendie dans -toutes les directions; au-dessus de Château-Thierry, ce sont de -continuels éclatements. La nuit est divine. Dans les champs, nous -troublons un cochon égaré, deux chèvres blanches. La ferme, immense, est -sens-dessus-dessous. Et le général, silencieux et seul, s’assied à -l’écart sur un banc, dans la vaste cuisine, dont les cuisiniers ont -déjà pris possession, allumant du feu, préparant le café. - - -_1ᵉʳ juin._--Repli vers Villiers-sur-Marne. Nous ne savons toujours rien -des troupes que nous avons devant nous. Départ à cinq heures du matin; -nous nous gardons avec nos cyclistes, nos éclaireurs montés; les -Allemands seraient sur les hauteurs qui dominent Montcourt et où tient -encore l’escadron divisionnaire. Notre départ fait se lever, dans la -grande cour, une nuée de pigeons. Et nous chevauchons au milieu des -chants d’alouette... Arrêt à la ferme de Beaurepaire. La situation se -précise; nous aurons avec nous une brigade de cavalerie (le bataillon -pied à terre des hussards), et un régiment américain. Le risque sera -donc un peu moins grand de nous faire enlever comme la nuit précédente. -Cette ferme de Beaurepaire est une merveille. Quelle vie agréable et -saine on devait mener là!... Il y a un billard, un piano, de vieux -meubles; et puis un grand attirail de chasse, une collection de -cravaches, des éperons... Et toujours l’armoire aux confitures... Voici -les Américains qui montent en ligne. Ils avancent comme s’il n’y avait -pas de Boches, ni surtout d’avions boches mitraillant les routes. Aucune -précaution; une rafale vient d’en coucher une dizaine par terre; et ça -n’a pas l’air de les émouvoir autrement: «C’est la guerre!...» Ils ont -fait halte devant Beaurepaire. Un Américain se risque à entrer dans la -cour pour prendre de l’eau; il prend aussi une poule, qui s’était -aventurée trop près de ses longues jambes; d’autres entrent, à leur -tour, mis en goût; et ce ne sont bientôt plus qu’Américains avec, sous -le bras, deux, trois poulets... Et dans le crépuscule qui vient, au -crépitement des mitrailleuses, au bruit sourd de la canonnade, se mêlent -les cris des poules effarouchées... C’est la guerre!... - - -_2 juin._--Réveil à 4 heures du matin. Ça va mal. La division de gauche -est fortement pressée, et, à notre droite, la division - -[Illustration] - -Marchand a décidément perdu la partie nord de Château-Thierry. Ordre de -faire sauter le pont d’Acy. On m’envoie alerter le colonel américain, et -le prévenir qu’il pourrait bien se trouver engagé dans la journée. Il -fait d’ailleurs une matinée exquise; je reviens à travers champs. -Canonnade intense. Et puis ça se tasse. Vers midi, (après déjeuner), on -redevient presque optimiste. On a de meilleures nouvelles de la division -de gauche; la progression allemande serait arrêtée de ce côté, du moins -pour aujourd’hui. Le cycliste d’un de nos chefs de bataillon, qui avait -été fait prisonnier hier, a réussi à brûler la politesse aux Boches. Il -est là. Le colonel lui remet la médaille militaire; il ne s’y attendait -guère; il est blanc d’émotion. Le colonel se dispose à ajouter cinquante -francs de sa poche, pour arroser la médaille; mais tout en causant, il -s’aperçoit que ce cycliste est «dans le civil» un gros entrepreneur de -maçonnerie qui doit être beaucoup plus riche et gagner beaucoup plus -d’argent qu’un colonel; alors le colonel a économisé ses cinquante -francs. - - -_3 juin._--Le colonel L... a planté sa canne quelque part dans le bois; -c’est son P. C. Nous sommes auprès de lui, consultant la carte. Tout à -coup des obus se mettent à tomber, pas loin, avec le bruit -caractéristique, sous bois, des branches brisées. Et je remarque une -fois de plus cette affectation que l’on met, en pareil cas, dans un -groupe d’officiers, à continuer, comme si de rien n’était, avec plus de -volubilité même, la conversation commencée,--simplement un petit clin -d’œil de côté, vers la direction où «ça tombe». Ce soir, après dîner, -dans la grande cour de la ferme, nous admirons les six cochons qui -restent et se vautrent ignoblement dans le fumier,--«ils se camouflent, -c’est prudent!» a dit assez plaisamment P..., le chef d’état-major. Et, -de fait, six avions boches passent au-dessus de nous, à une assez grande -hauteur, en formation triangulaire, comme des canards sauvages. Près de -la mare, le major du bataillon américain dort, roulé dans sa toile de -tente, son appareil téléphonique suspendu à un arbre au-dessus de sa -tête, et à côté, accroché également, un réveille-matin. - -[Illustration] - - -_4 juin._--Nous avons été relevés cette nuit par les Américains. Exquise -vallée de Domptin, si fraîche et boisée. A Bezu-le-Guery, nous -retrouvons le 152ᵉ; son colonel est en train de se raser; il descend en -pyjama, sa barbe à moitié faite. Les pertes: 650 hommes, 17 officiers. A -Montreuil-aux-Lions, la 2ᵉ division américaine est dans toute la fièvre -de l’arrivée et de l’installation; un luxe d’autos, de camions, de -side-cars, de motos, et quelle poussière sur cette route! Nous ne sommes -plus du tout chez nous, mais en Amérique: et pourtant la jolie petite -église qui domine le village est si française! A la mairie, le général -Pershing est en conférence avec le général Degoutte: quel sort étrange -que celui de ces petites mairies de campagne, qui semblaient uniquement -vouées aux comices agricoles et aux conseils de revision, et qui -s’inscrivent dans l’histoire par de semblables entrevues et de tels -conseils de guerre! La division américaine et la présence du général -Pershing ont aussitôt attiré ici une mission de journalistes américains. -V... l’accompagne, à qui un député, paraît-il, a déclaré hier à la -Chambre: «Nous ne traiterons pas sans l’Alsace-Lorraine. Nous -poursuivrons jusqu’au bout la solution militaire!» Fortes paroles! A la -Sablonnière, nous allons voir le groupe de chasseurs; les chasseurs en -ont supporté de rudes, pendant ces cinq jours: il reste 100 hommes au -bataillon de B..., et 250 au bataillon M... Le commandant M... a été -cerné trois fois et s’est trois fois dégagé; il est encore frémissant, -et il laisse pousser sa barbe. Nous cantonnons à Chamoust, une pauvre -petite ferme qui a été saccagée: on suit la trace des troupes en -campagne aux plumes de poulet. Autour de la ferme, un bataillon de -chasseurs de la division voisine, qui descend comme nous, et un autre -bataillon qui monte. Ceux qui montent ont placé des sentinelles aux -issues et des avant-postes. Cinq avions boches donnent la chasse à l’un -des nôtres et l’abattent. Au loin, la canonnade roule; lueur des -départs: c’est l’artillerie américaine qui s’entraîne. Le petit jardin -de la pauvre ferme est tout garni de roses, de mères-de-famille, de -pieds d’alouette, et d’innocents œillets blancs dont mon ordonnance a -mis un bouquet dans ce qui me sert de chambre. - - -_5 juin._--Et nous voici dans la calme et confortable maison de M. B..., -ancien notaire à Saâcy-sur-Marne. Nous sommes venus le long de la Marne. -Tristesse de ces petits villages évacués presque complètement, et si -verts, si «villégiature à deux heures de Paris». Sur la route, nous -doublons les bataillons de chasseurs; et ils ont défilé devant nous au -pont de Nanteuil: le 43ᵉ, clairons en tête; il a encore 250 hommes; le -59ᵉ derrière, n’a plus que 100 hommes, et plus de clairons. Et ces -hommes défilent encore allègrement, en tournant la tête à droite, et -certains avaient mis des fleurs au bout de leur fusil. - - -_11 juin._--La Ferté-sous-Jouarre. Dans la grande rue, où la moitié des -boutiques ont leur devanture fermée, des camions et des camions, amènent -des Américains sur la ligne. Une impression de gaîté et de force. Au -retour, les camions vides; dans l’un d’eux, debout, un convoyeur, -véritable excentric-comic, se démène et fait la parade, coiffé d’un -chapeau haute-forme: serait-ce le chapeau que j’avais déjà vu, quand -nous retraitions, à Licy-Clignon? - -[Illustration] - - -_Sans date._--L’aumônier divisionnaire nous raconte qu’au cours de la -retraite, à Dammard, il était arrêté à chaque pas par des soldats--tout -un groupe d’artillerie--qui lui demandaient à se confesser, et qu’il -confessait là, en pleine rue. Il était débordé, et il a fini par se -fâcher: «Vous avez donc peur?» - - -_Sans date._--Déjeuner chez le commandant M..., à Forchamps, avec les -officiers du 43ᵉ B. C. P. et le colonel D... Fanfare, champagne. On a -déjeuné sous une tonnelle de fleurs et de branchages, construite en -deux heures, ce matin, par les sapeurs du bataillon. Les places vides -des camarades tués sont déjà tenues par d’autres. - - -_Dimanche._--Sur la promenade de la Ferté, le long de la Marne, les -petites tentes des Américains, si comiques avec leurs pantalons haut -relevés jusque sous les aisselles, des pantalons de clowns. D’aucuns -canotent. Un phonographe joue un two-step. Sur un banc, au milieu de cet -exotisme frénétique, quelques promeneurs du dimanche, et des enfants qui -jouent. Le colonel prend une photo d’un groupe, qui mange la soupe en -plein air; un soldat américain s’en aperçoit, pique une pomme de terre -au bout de sa fourchette, qu’il tient au port d’armes. - -Ces soldats mettent à leur instruction une bonne volonté, une -application extraordinaires. Les exercices de tir, les «spécialités» les -passionnent; le grand sport c’est, lorsque la mitrailleuse a été -démontée, ou le fusil mitrailleur, de se faire bander les yeux pour en -rassembler les pièces «comme dans la nuit». Tout de même, comme ils -n’avaient pas été payés, paraît-il, depuis leur arrivée à La Ferté, -l’autre jour, à l’exercice, pendant la pause, comme les chasseurs qui -leur servent de «mannequins» pour les démonstrations et l’entraînement, -étaient allongés dans l’herbe, un Américain s’est approché d’un clairon, -lui a pris son instrument, et a joué «la solde». - - -_Sans date._--Instruction américaine. Grand exercice de démonstration, -progression de la section, avec incidents figurés: prisonniers boches, -barrages (les chasseurs, vautrés dans l’herbe, agitent des fanions -rouges pour simuler les lignes d’éclatement), prise de la tranchée -ennemie. Deux mille Américains comme spectateurs. Des têtes étonnantes -de lutteurs romains ou de clowns excentrics. Les majors, tout jeunes, en -bras de chemise, et avec leur insigne au collet de leur chemise. Le -général de division, général Cameroun, qui rit aux éclats et crie: -«Camarade» à l’épisode des prisonniers. - -[Illustration] - -C’est le général Cameroun qui déclare gravement: «Dans cette guerre, il -faut avoir un cinématographe dans la tête!...» A la fin de l’exercice, -la fanfare du 59ᵉ joue l’hymne américain. Et alors le colonel du -régiment, jusque-là impassible, visage de cinéma pour jouer les -_Mystères de New-York_, bondit au milieu de la prairie, en agitant son -grand chapeau, et pousse des cris inarticulés, des «you-you», des -sifflements aigus en l’honneur de la France, répétés aussitôt par les -deux mille Américains. Tout cela, dans un site délicieux de vieille -France, un plateau au-dessus de Reuil, avec, au pied, les boucles de la -Marne, et, sur les bords de la Marne, une vieille demeure Louis XVI qui -contemple cet étrange spectacle de tous les yeux étonnés de ses fenêtres -ouvertes. - - -_3 juillet._--Nous allons occuper le secteur de -Vendrest-Vaux-sous-Coulomb. Ce que ce village de Vaux, où nous nous -installons, a d’assez désagréable, c’est que les Boches nous y tiennent -sous le feu d’Hautevesnes, d’où il s’agira de les déloger d’abord, quand -nous attaquerons. L’attaque se fera «en direction d’Hautevesnes.» En -attendant, ici, nous sommes «vus d’Hautevesnes», ce qui oblige à -certaines précautions, et a fort endommagé la ferme qui nous sert de P. -C. Mais il y a un petit jardin avec des roses merveilleuses, un chat, un -chien, une vache et trois vieilles femmes qui, comme le vieux pauvre du -«Noël» de Debussy, n’ont pas voulu s’en aller. L’une d’elles, de ces -trois vieilles, garde la clé de l’église, une délicieuse église romane -avec des traces de fresques naïves sur les piliers. La nef a été trouée -avant-hier par un obus. Nous allons organiser un P. C. souterrain à -l’entrée du village, près de la maison dont le grenier nous sert -d’observatoire et où les observateurs ont découvert, pour rendre leur -poste tout à fait confortable, un mobilier de la plus pittoresque -variété; ils découvrent aussi, cela va sans dire, les Boches -d’Hautevesnes,--qui le leur rendent bien. Cependant, je visite des -potagers abandonnés, où je me régale de groseilles, de petits pois crus -et de fèves excellentes. Je rencontre une des trois vieilles, la -propriétaire des fèves, qui me déclare qu’on la coupera en deux plutôt -que de la faire partir. Elle couche dans une petite cave avec ses -poules, qu’elle a réussi à sauvegarder. Elle paraît moins préoccupée de -la guerre et des obus que de la sécheresse, depuis que les conduites -d’eau ont été crevées, et d’un certain mulot, qui mange les racines de -ses choux, qu’elle guette toute la journée, armée d’une bêche, et -qu’elle ne peut arriver à surprendre... - -_Sans date._--Le colonel du 152ᵉ habite les communs du château de -Brumetz. En 1914, les Allemands, passant par là, ont su que le château -appartenait à un officier, et ils l’ont soigneusement brûlé. Ils n’ont -tout de même pas brûlé les arbres du parc, qui est superbe, mais où des -tirs de toxiques nous empêchent de nous promener. Le cuisinier du -colonel s’est installé une petite cagna dans la niche à chien: _Villa -Mounet-Sully_ (il s’appelle Mounet); et cette inscription désabusée: - - Quand l’obus ici tombera, - Mounet vécu aura... - - -_Sans date._--L’église de Gandelu, haut perchée, avec l’obus qui est -entré juste derrière le maître-autel. Et les prix des concours -d’archers, des «Saint-Sébastien» exposés tout autour de l’église,--il y -en avait de toutes les époques et de tous les styles,--et que le -bombardement a fort endommagés: indiscutable supériorité des obus sur -les flèches... - - -_Sans date._--Deux chasseurs de la division voisine qui avaient été -faits prisonniers au Chemin des Dames viennent de rentrer après avoir -circulé quinze jours dans les lignes boches. C’était un guide de -Chamonix avec un de ses cousins. En sa qualité de guide, spécialisé dans -la clientèle allemande, il parlait admirablement l’allemand. Employés -par les Boches pour enterrer leurs morts, ils ont pris leur uniforme à -deux de ces morts, un officier et un soldat. Le guide, revêtu de -l’uniforme d’officier, faisait passer son cousin pour son ordonnance. -Arrêtés par les sentinelles, «l’officier» a déclaré qu’il commandait une -compagnie de minenwerfer, et qu’il était venu reconnaître des -emplacements pour ses pièces. On les a laissés passer. - - -_9 juillet._--Nous déménageons de Vaux-sous-Coulomb. Je regretterai les -roses. On nous ramène à Coulomb, grand village qui n’a pas été encore -trop démoli. Le presbytère, avant de nous abriter, fut certainement -l’asile d’un curé apiculteur. Une photographie suspendue à la place -d’honneur, dans la salle à manger, représente l’excellent prêtre au -milieu de ses ruches, avec une vieille dame, assise sur une chaise, une -dame plus jeune qui joue de la mandoline (_sic_), et une petite fille en -robe à carreaux... De nombreux Américains se succèdent dans ce temple de -l’apiculture, et pourront admirer la dame qui joue de la mandoline parmi -les abeilles. Mais ils viennent de préférence pour être conduits à -l’observatoire de la Grange-Coulomb, qui est ce que l’on fait de mieux -dans la région comme observatoire, et d’un accès assez facile. C’est -dans les greniers d’une ferme superbe; il a suffi d’enlever quelques -tuiles du toit, et, par les ouvertures ainsi pratiquées, on a braqué des -appareils de repérage aux lueurs, et notre jumelle à ciseaux. On voit -toujours Hautevesnes... - -[Illustration] - - -_13 juillet._--Trois visiteurs de marque pour l’observatoire, trois -Américains importants, dont l’un, qui rit tout le temps, mais n’entend -pas un mot de français, est un gros banquier, habillé d’ailleurs pour -la circonstance en colonel, le «président de la commission des achats» -nous confie l’officier de l’armée qui l’accompagne. Quels achats? Il a -une Rolls-Royce impressionnante et des cigares étonnants. A minuit nous -arrive un message de l’armée transmis par la division: d’après un -prisonnier qui «paraît digne de foi», les Boches déclencheraient cette -nuit leur grande offensive. Nous nous sommes couchés tout de même, et il -n’y a rien eu du tout. - - -_15 juillet._--Eh bien! ils l’ont déclenchée en effet, leur fameuse -offensive, mais seulement la nuit dernière, entre la Main de Massiges et -Château-Thierry. Ils ont passé la Marne à Jaulgonne, comme il était -annoncé. Mais, dès maintenant, il ne semble pas que ce soit la réussite -foudroyante. Un officier boche prisonnier a déclaré: «Nous venons -d’avoir notre 16 avril!...»--C’est cela. - - -_16 juillet._--Le berger va répondre à la bergère; à notre tour -d’attaquer! J’accompagne le colonel à la division, à Vendrest, et, -pendant qu’il doit assister là au Soviet préparatoire, je vais jusqu’à -Lizy-sur-Ourcq, à la cantine américaine, renouveler notre provision de -chocolats,--ces chocolats qui ont un goût sauvage!--de cigarettes et de -cigares. Ces cantines américaines sont vraiment bien approvisionnées; -mais que nous sommes donc bien approvisionnés, nous aussi, en -Américains!.. Il y en a partout, et qui se livrent, dans tous les coins, -à tous les jeux de la guerre, exercices de tir, relevés -topographiques... D’aucuns aussi se baignent tranquillement dans le -canal, et, tout nus, sur la berge, font leur toilette,--comme chez -eux!.. - - -_17 juillet._--On nous a adjoint l’état-major d’une brigade américaine, -qui partira avec nous à l’attaque. Il y a notamment un jeune -lieutenant de vingt ans, tout à fait le Bertie,--le colonel!--des -_Transatlantiques_, qui ne dit rien, semble s’amuser prodigieusement, et -siffle tout le temps, même à table... Nous avons quitté Coulomb, après -dîner, pour nous rendre à pied jusqu’à Vaux. Le ciel est terriblement -orageux. Le jeune Bertie marche à mes côtés, toujours sifflant; il ne -m’a pas encore adressé la parole; et tout à coup, il me saisit par le -bras, il me montre la forme capricieuse d’un nuage qui file au-dessus de -nous: «N’est-ce pas que l’on dirait une femme qui respire une rose?..» -Et comme quelques gouttes d’eau se sont mises lourdement à tomber, voilà -ce surprenant jeune homme qui enchaîne: - - Il pleure dans mon cœur - Comme il pleut sur la ville... - -[Illustration] - -«Vous connaissez Verlaine, lui demandé-je, vous l’aimez? - ---Oh! oui, Verlaine,--et aussi Béranger...» Mais ce qu’il aime surtout, -ce sont nos dramaturges. A l’Université--qu’il quitte à peine--ils -avaient, paraît-il, un professeur très intéressant, qui leur a fait un -cours très complet sur le théâtre français, depuis le _Jeu de Robin et -Marion_ jusqu’aux dernières comédies de MM. de Flers et Caillavet. Et -puis il a eu cette chance extraordinaire, pendant que la division -américaine était avec nous, à l’instruction, à la Ferté-sous-Jouarre, il -a eu la chance d’être cantonné dans une maison où il y avait la -collection très complète des pièces de l’_Illustration_. Alors vous -pensez s’il s’est régalé! Il y a gagné une admiration toute particulière -pour M. Maurice Donnay. Aussi, quand je lui dis que j’ai cette bonne -fortune de compter M. Maurice Donnay parmi mes amis, quand je l’assure -même que, si nous nous rencontrons à Paris, en permission, ou mieux, -quand la guerre sera finie, rien n’empêchera que je le présente à M. -Maurice Donnay, la joie de mon jeune camarade transatlantique se double -aussitôt de la gratitude la plus touchante; le voilà tout à fait en -confiance avec moi. J’apprends ainsi qu’ils se sont engagés ensemble, -trois camarades d’Université, ils ont débarqué ensemble en France, et -ils se sont donné les noms des Trois Mousquetaires. Lui, c’est Porthos. -Et Porthos me montre un petit carnet où il écrit ses impressions en -français, des impressions très rapides, une ou deux lignes seulement. Il -note par exemple: «Baptême du feu. Porthos se dém...»,--et le mot, si -militaire, est en français aussi; Porthos me demande même, confiant dans -la science d’un ami de M. Maurice Donnay, s’il faut y mettre une ou deux -_m..._ Ainsi nous devisions et passions le temps en attendant l’heure H. - - -_18 juillet._--H = 4 heures. Au soir, nous avons atteint nos objectifs, -pris 30 canons, fait 400 prisonniers et progressé de 4 kilomètres. - - -_19 juillet._--Sur les routes libérées, les routes où l’on se promène -maintenant sans être «vu de l’ennemi», vu de Hautevesnes, qui est à -nous... Je ne présenterai pas à Maurice Donnay son jeune admirateur -américain; il a été tué en reconnaissance... Pauvre Porthos!.. - - -_20 juillet._--La «poussée». Près de l’église démolie de -Saint-Gengoulph, dans une carrière où nous passons la nuit, protégés par -nos toiles de tente... Saint-Gengoulph, presque Saint-Gingolph, la -petite station frontière du lac de Genève, qui évoque pour moi de si -jolis souvenirs de vacances... Saint-Gengoulph,--il ne faut pas -confondre!.. B. et H. tués... - - -_21 juillet._--A travers champs, dans les trous d’obus. P. tué, J. -blessé au ventre. Batteries boches restées sur les positions; à -celle-ci, on venait d’amener les avant-trains pour détaler en vitesse. -Les trois chevaux ont été tués, les jambes en l’air, et le cadavre du -conducteur est coupé en deux... Des tanks passent, en se dandinant, -pareils à de vieilles dames précautionneuses... - - -_22 juillet._--La ferme des Vallées. L’officier boche qui a couché ici -avant moi a laissé un exemplaire tout crayonné de l’_Enfant_ de Vallés, -où il semble qu’il apprenait, à ses heures de loisir, la littérature -française... - - -_24 juillet._--La Maison du Bois a été enfin enlevée à la baïonnette. -Nous gagnons le bois du Châtelet. Cadavres de quatre ou cinq Boches, les -plus audacieux, ceux qui se sont avancés le plus loin, jusqu’à la route. -Et des nôtres aussi, trop des nôtres... Comme les morts du champ de -bataille ont tout de suite un aspect, des poses, de Musée Grévin; c’est -ce qui les rend moins émouvants, peut-être, moins effrayants... A la -corne Est du bois du Châtelet, emplacement de la nouvelle Bertha qui -devait tirer sur Paris. Un beau travail, vraiment, un gigantesque -travail!... Et si rapidement exécuté!... Car enfin nous y sommes passés -au bois du Châtelet, il y a deux mois à peine, les Boches n’y étaient -pas, et il a fallu amener, dresser cette énorme plate-forme... Nous -allons coucher dessous, d’ailleurs, elle nous sera un abri précieux, -sinon confortable. Le formidable et laborieux effort des Boches, que sa -mise en place représente, aura toujours, du moins, servi à ça... - -[Illustration] - - -_25 juillet._--Nous sommes relevés et quittons dans la nuit notre P. C. -Bertha. Arrivée à Monthiers dans une villa aux volets verts qui a bien -encore des volets, mais plus de toit; un amoncellement de plâtras, -d’ordures, et cette odeur de cadavre... Au jour, nous constatons que le -propriétaire de la villa aux volets verts avait bien choisi son endroit -pour faire construire. Quelle vue sur le village, au-dessus des toits du -village dont les tuiles ont été comme «écaillées» par l’artillerie, -celle des Boches, tour à tour, et la nôtre! On s’installe. Meubles -hétéroclites retrouvés dans les abris boches. L’église elle-même est au -pillage, missels, ornements sacerdotaux... Elle était charmante, cette -église, qui porte cette inscription: «Le Peuple français reconnaît -l’Être Suprême et l’Immortalité de l’Ame.» J’ai trouvé une rose «parmi -les ruines»... - - -_27 juillet._--En haut du château de Monthiers, panorama du champ de -bataille. Toutes ces côtes, tous ces bois qui ont été si disputés, dont -nous avons tant parlé, la Ferme Pétré, la Grenouillère... Ce n’était que -ça!... Arbres fracassés, trous d’obus. Et des débris d’équipements, des -bandes de mitrailleuses, des tombes hâtives, comme improvisées... Une -petite maison, la dernière du village, écroulée comme les autres, mais -où tient encore l’enseigne: «Sage-femme de 1ᵉʳ classe...» Hélas! ce sont -les hommes qui auraient besoin de sagesse!... - - -_28 juillet._--Nous faisons, _en sens inverse_, notre trajet d’il y a -deux mois. Sommelans, Neuilly-Saint-Front, c’est tout notre ancien champ -de bataille et de retraite, jalonné de trous d’obus et de tombes. Ah! la -bataille n’a pas «arrangé» le paysage!... Et au fond, nos hommes avaient -bien raison d’emporter au moins les poulets! - -Il y a du moins une impression très belle que ressentent profondément -les «terriens» qui sont avec nous: dans les champs les moissons -prochaines, que les Boches avaient respectées parce qu’ils comptaient -bien en profiter,--et c’est, par nous, pour nous, la libération des -moissons... - -On nous a assigné Dammard comme lieu de repos. Du village, rien ne -subsiste, que quelques pans de muraille. Le clocher de l’église a été -coupé en deux, du haut en bas, comme une armoire dont on aurait arraché -la porte... - -Tandis que je contemple ces ruines, trois limousines passent, vers la -Ferté-Milon; dans la seconde, un vieillard en chapeau mou, qui se -rencoigne à côté d’un général: Clemenceau. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] EN BELGIQUE - - -On peut regretter, certes, de n’avoir pas fini la guerre en Lorraine ou -en Alsace, de n’avoir pas connu les heures magnifiques où se matérialisa -la revanche victorieuse, où ce qui avait été l’enjeu, le but de cette -guerre, nous l’avons enfin touché de notre main, nous l’avons serré dans -nos bras, pour une étreinte passionnée; on peut regretter de n’avoir pas -été de ceux qui, dans Metz ou dans Strasbourg reconquises, connurent -l’allégresse et la fierté du premier retour, la douceur émouvante du -premier accueil. Du moins, nous aura-t-il été donné de laver la Belgique -de la souillure allemande, d’entendre, nous aussi, monter vers nous des -cris de joie et de reconnaissance, toute l’exaltation de ce noble et -vaillant petit peuple enfin libéré, et, à défaut de nos frères d’Alsace -et de Lorraine, nous nous réjouissons et nous nous enorgueillissons -d’avoir participé aux derniers combats qui délivrèrent nos frères de -Belgique, de nous être, à l’instant suprême de la victoire, trouvé -auprès d’eux, cœur à cœur. - -[Illustration] - -L’offensive d’octobre 1918 en forêt d’Houthulst, la prise de Roulers, -l’ennemi se repliant précipitamment, en déroute, abandonnant Ostende, -puis Bruges et puis Gand, Audenarde dépassée, et le salut de Bruxelles à -son Roi et à sa Reine derrière lesquels nous marchions nous, la France, -fraternellement mêlés à l’armée, au peuple belges, acclamés par eux et -comme eux--oui, ce sont là, aussi, des souvenirs qui comptent, et qui -paient bien des minutes cruelles. - -C’est qu’ils avaient été particulièrement pénibles, ces derniers -combats, pénibles surtout par le terrain abominable qui ne se compare -qu’à celui de Verdun--avec l’eau en plus! Un village comme Langemarck, -qui était mieux qu’un village, un gros bourg florissant, avec un très -beau château, où certains de nos camarades de la cavalerie se -rappelaient avoir trouvé, en 1914, un cantonnement spacieux et -confortable, Langemarck, son château--quelques briques écrasées dans la -boue et qui, à cet endroit où fut Langemarck, lui donnaient seulement -une couleur un peu rougeâtre--comme à Fleury! Pourtant quelque chose -subsistait de ce qui avait été Langemarck, quelque chose de plus que sur -l’emplacement de Fleury: un réverbère! - -Oui, dans ce paysage de désolation et de mort, sur ce sol chaotique et -désertique, il n’y avait que cela qui subsistait, qu’un miracle -extravagant avait maintenu debout et fait respecter,--un réverbère tout -tordu, que le bombardement infernal qui, tout autour, avait tout nivelé, -n’était point parvenu à abattre, ou qu’il avait dédaigné,--un réverbère -s’élevait encore, saugrenu et dérisoire... Et c’est qu’on le voyait de -loin, car la plaine était sans ondulations, monotone, impitoyable; et -l’on ne pouvait cependant, à cause de la nappe d’eau à moins de 30 -centimètres, ni ouvrir une tranchée, ni creuser un abri. Les seuls abris -étaient nécessairement en superstructure, casemates bétonnées, ou -simples tôles métro: métro, c’était leur nom officiel dû à leur forme -pareille, en effet, à la voûte du métro,--ce qui, avec son petit air -bien parisien, nous emmenait joliment loin du champ de bataille, et de -Langemarck. - -A défaut de tôles «métro» j’ai vu utiliser comme abris de vieux tanks, -épaves de la furieuse bataille anglaise de 1917. A Langemarck, -précisément, non loin de la tôle métro qui servait de P. C. à un général -de division, des territoriaux avaient pris possession d’un de ces tanks -qui n’avait pu aller plus loin et pour cause: la cause était marquée par -trois petites croix voisines, surmontant les tombes des trois Anglais de -l’équipage qui, lorsque le tank avait été démoli, avaient été en partie -brûlés sur place, puis enterrés là. En dépit de ce voisinage peu -encourageant, nos territoriaux avaient aménagé la carcasse du tank pour -leurs commodités personnelles, et, pour se chauffer et cuire leur soupe, -ils y avaient même installé un petit poêle de campagne dont le tuyau -sortait comiquement de l’ancien capot... - -[Illustration] - -Et cette région avait été, paraît-il, une des régions les plus riches -des Flandres, des plus fertiles, des plus riantes. Lorsque Bruges fut -délivrée, le général français, qui commandait le détachement de l’armée -des Flandres, et remplissait avec bonheur auprès du roi Albert les -fonctions de chef d’État-Major ou mieux de conseiller militaire, le -général Degoutte songea que les habitants de Bruges, pendant ces quatre -années d’occupation, avaient bien entendu quelquefois tonner le canon, -mais qu’ils ne pouvaient savoir ce qu’avait été cette bataille qui se -livrait à quelques dizaines de kilomètres de chez eux, qu’ils ignoraient -totalement dans quel état les Boches avaient mis toute la contrée -environnante. Et le général fit prier trente notables de Bruges, et les -invita à visiter ce qui avait été le front de l’Yser, de Roulers, -d’Ypres et de Dixmude. - -J’eus l’honneur d’être désigné pour guider ce pieux et poignant -pèlerinage. Malgré la fatigue et les difficultés certaines d’une telle -randonnée par les pistes en rondins, que l’on avait dû établir au milieu -de la campagne inondée, et les routes sur pilotis que les lourds convois -avaient dangereusement endommagées, coupées même par endroits, et par -ailleurs encombrées encore de fourgons renversés, de débris de toute -nature, les invités du général Degoutte se montrèrent fort empressés, et -parmi eux l’ancien bourgmestre avait bien voulu souhaiter, tout le -premier, de se joindre à notre caravane, ce noble et charmant comte -Visart, que les Allemands avaient révoqué, et qui, malmené par ces -rustres, sans égards pour ses quatre-vingts ans, leur avait un jour -répondu: - ---Fusillez-moi si vous voulez, mais soyez polis! - -J’ai dit que mes compagnons, de la formidable bataille qui s’était -livrée si près d’eux, ne savaient rien que les nouvelles plus ou moins -vagues, plus ou moins erronées, que laissait «filtrer» jusqu’à eux la -Kommandantur. Et surtout ils n’avaient pas la moindre idée, aucun -document photographique n’avait encore pu le leur révéler, ils ne se -faisaient aucune idée de cette ruine totale, de cette complète - -[Illustration] - -dévastation. Alors, imaginez l’impression de ces gens qui avaient encore -dans les yeux l’image de ces plaines flamandes, telles qu’ils les -avaient laissées en 1914, si peuplées et si prospères,--et brusquement -plus rien que ce chaos et ce désert où ils cherchent, sans même parvenir -à en démêler les traces, pas même l’emplacement exact, où ils cherchent -vainement ce qui fut leur ferme, leur maison des champs, la demeure -calme et joyeuse de parents, de voisins, d’amis. - -[Illustration] - -Pour nous, ce sentiment de stupeur consternée, d’indignation et de rage, -nous l’éprouvions devant Ypres en ruines, oui, un sentiment de tous -points analogue, aussi âprement douloureux et fort que pouvait l’être -celui de nos amis Belges devant leur patrimoine ruiné: des richesses -incomparables, de purs et uniques chefs-d’œuvre comme les Halles ou la -Cathédrale d’Ypres ne faisaient-ils point partie du patrimoine de -l’humanité tout entière, de son patrimoine artistique, et n’est-ce pas -l’humanité tout entière, tout le monde civilisé qui en aura été ainsi -frustré, dépossédé, par la barbarie allemande? - -Aussi quel soulagement d’apprendre et de constater que du moins Bruges -avait été respectée, que nous pourrions encore emplir nos yeux de ses -merveilles!... - -Je ne pense pas qu’il se puisse imaginer de cadre plus magnifique, pour -un cortège triomphal, que celui de cette Grande Place de Bruges, où le -Roi Albert, la Reine et le Prince héritier, arrivèrent à cheval, -escortés du général Degoutte et de son état-major, tandis que le -carillon du beffroi jouait la _Brabançonne_ et _La Marseillaise_. Les -notes grêles et charmantes de ce carillon résonnent encore dans notre -cœur. Comme il claquait joliment au vent, le fanion du général Degoutte, -fièrement dressé au milieu de la grande place, autour de laquelle -évoluaient les vaillants régiments belges! Sur le perron du Palais -Provincial, devant lequel les souverains belges avaient mis pied à -terre, c’étaient tous les chapeaux haute-forme de la Province, enfin -libérés eux aussi par la victoire, et les uniformes chamarrés des -bourgmestres, du Gouverneur. - -Et soudain le Roi Albert, qui nous dominait tous de sa haute taille, -aperçut modestement mêlé à la foule, l’amiral Ronarc’h, avec sa -redingote sombre, tel qu’il était à Dixmude au milieu de son héroïque -brigade de fusiliers marins. Et le Roi et la Reine, lui faisant -gentiment signe, voulurent, pendant la cérémonie, qu’il se tînt à leurs -côtés. - -Après tant de _Marseillaises_ et de _Brabançonnes_, d’acclamations, de -carillons et de fanfares,--Bruges-la-Morte était vraiment, ce jour-là, -Bruges la ressuscitée, et il n’y aura pas de trompettes plus éclatantes -au jour du Jugement dernier!..--j’étais allé chercher au Béguinage un -peu de repos et de silence. Le Béguinage, lui, je le retrouvai pareil à -lui-même, aussi calme, aussi recueilli, comme si toutes les agitations -du siècle, et même la guerre, n’avaient pu franchir son pont ni sa -porte, étaient venues se briser à la mouvante barrière de ses canaux... - -Seuls quelques enfants jouaient sur la petite place herbue devant la -chapelle. - -[Illustration] - -Mais en me voyant, ils cessèrent leurs jeux, et, gravement, la main au -bonnet, me firent un beau salut militaire. Je leur répondis en souriant, -et comme je m’éloignais, continuant ma promenade, je m’entendis appeler: - -«Monsieur l’officier!... Monsieur l’officier»!... - -Je m’arrêtai et tournai la tête: les enfants, maintenant, me montraient -l’un d’eux qui s’était mis à marcher sur les mains, et à exécuter de -superbes cabrioles; et je compris que, renouvelant l’hommage spontané et -naïf du Jongleur de Notre-Dame, ces cabrioles, c’était pour me faire -honneur, pour faire honneur à un officier français, c’était l’offrande -de leur admiration et de leur reconnaissance, à ces humbles et charmants -gamins, pour la France... - -C’est qu’ils témoignèrent de tant de crânerie et de malicieux héroïsme, -la plupart de nos petits Belges, pendant les dures heures de -l’occupation allemande! Et non pas seulement par les privations -imposées, qu’ils supportaient si allègrement; mais comme ils donnèrent -du fil à retordre aux lourds policiers boches, que de tours plaisants -où, piteusement, se laissaient prendre la sottise, et la morgue des -officiers de la Kommandantur!... - -Cette malice, d’ailleurs, n’était pas l’apanage exclusif de leur jeune -âge; toute la population belge rivalisa d’ingéniosité et d’esprit pour -jouer, duper, ridiculiser ses oppresseurs, et la «Zwanze» fut bien -souvent une arme de vengeance et de défense contre laquelle les -Allemands dépensaient en vain leur rage impuissante. C’est à force de -finesse inventive et subtile que les Belges parvinrent à ne point trop -souffrir des mesures vexatoires dont on cherchait à les accabler, -passant à travers les règlements, tournant l’obstacle, se moquant des -perquisitions. - -Nous en a-t-on conté de ces «zwanzes», de ces bonnes farces jouées aux -autorités allemandes, et qui ne dénotaient pas moins de courage que de -belle humeur... Car malheur à qui se serait laissé prendre! - -Et tout naturellement ces récits éveillaient en nous l’écho d’autres -récits, tout semblables, que nous avions entendus en Alsace, et cette -analogie vraiment frappante entre l’attitude des Belges et des -Alsaciens, que soulignait un tour d’esprit tout pareil, ajoutait encore -à l’émotion que ces courageux amis nous inspiraient, et à notre -affection pour eux, nous les rendait, si possible, encore plus chers et -plus proches... Ah! en dépit de leurs exigences odieuses, de leur -surveillance tyrannique, les Boches n’en virent pas beaucoup, en -Belgique, de cette laine et de ces cuivres qu’ils prétendaient -réquisitionner, c’est-à-dire voler... Et ils pouvaient bien interdire -les couleurs nationales: un beau matin les étalages des magasins, les -éventaires des boutiques rapprochaient, en toute innocence, des boîtes -noires, côte à côte avec des boîtes jaunes et des boîtes rouges; ou -bien, on peut avoir, n’est-ce pas, une ombrelle rouge, une ombrelle -jaune n’est pas subversive, non plus qu’une ombrelle noire ne saurait -être considérée comme une insulte au Kaiser: et trois jeunes femmes se -rencontrant boulevard Anspach, et se promenant de compagnie, faisaient -briller et tournoyer les chères couleurs de la patrie... - -[Illustration] - -Alors, en guise de punition ou de brimade, la kommandantur décidait que, -pendant une semaine, pendant quinze jours, pendant un mois, suivant la -gravité de la faute, les habitants de tel quartier devraient être -rentrés chez eux et n’en pourraient plus sortir passé huit heures, sept -heures, six heures et demie du soir! - -Et voici que, dans le quartier ainsi consigné, les policiers boches, en -faisant leur ronde, surprenaient, dans une rue obscure, à près de dix -heures, un passant qui se hâtait en longeant les murs!... - -Celui-là, son compte était bon, il paierait pour les autres; justement -voilà-t-il pas que, ne se doutant de rien, il s’était arrêté, quel -cynisme! Non, il repart!... Dépêchons!... - -Et les policiers, avec des précautions et des ruses d’apaches, se -faufilaient, s’approchaient, et, brusquement, d’un bond suprême, -s’élançaient pour mettre la main au collet du hardi noctambule... - ---Phttt!...--le hardi noctambule s’envolait dans les airs: c’était un -mannequin en baudruche que des amateurs de «zwanze» promenaient, du haut -des toits, au bout d’une ficelle... - -Cette robuste gaîté, qui avait persisté au milieu des pires tortures, on -imagine sans peine sa formidable explosion, quand il n’y eut plus rien -pour la contenir, quand l’heure de justice eut enfin sonné, l’heure de -la victoire et de la délivrance. - -Je ne pense pas que rien se puisse comparer à la joie délirante, une -sorte de délire sacré, qui s’empara de Bruxelles et secoua son peuple -tout entier, et toutes les classes de ce peuple, hommes et femmes de -toutes les conditions et de tous les âges, lorsque la famille royale fit -dans la capitale martyre et fidèle cette rentrée solennelle, à la tête -de la division de Bruxelles, que précédaient des détachements des -troupes alliées: quelle vénération, quel amour s’élevaient de cette -foule vers ce Roi, symbole d’honneur, vers cette Reine, symbole de -dévouement et de grâce, et vers leurs enfants, symboles de jeunesse -triomphante et d’espoir confiant, vers cette exquise et espiègle petite -princesse Marie-José, que nous avions vue, sur la plage de La Panne, -prendre, au début d’octobre, ses premières leçons d’équitation:--«pour -le jour de l’entrée à Bruxelles»; et tout de suite nous avions été -émerveillés de sa crânerie à cheval, et de ses progrès rapides... - -Mais, à ce moment, les Boches tenaient encore la forêt d’Houthulst; et, -en attendant de rentrer à Bruxelles, il avait fallu reprendre le chemin -du couvent italien où la jeune princesse était élevée. Avant son départ, -elle avait, par exemple, fait promettre au Roi son père, que «pour le -jour de l’entrée à Bruxelles», on la ferait revenir du couvent, et -qu’elle serait là,--et elle était là, en effet, le Roi avait tenu -parole. - -Le roi Albert tient toujours sa parole... - -[Illustration] - -On ne saurait défiler avec plus de perfection que ne fit la batterie -d’artillerie anglaise, dont les caissons aux roues étincelantes, et les -chevaux qui semblaient tous d’un équipage de maître, étaient un prodige -d’astiquage et forçaient l’admiration; le détachement américain -s’avançait dans le frémissement que causaient partout les réserves qu’on -sentait en lui d’énergie jeune et tranquille. - -Mais pour nous autres Français, les mots sont impuissants à dire -l’enthousiasme qui s’attachait aux pas de nos soldats à fourragère -rouge; ce n’étaient pas des fleurs que nous jetait le peuple de -Bruxelles, c’était son cœur!... Et j’entends encore les voix grêles et -fraîches de ces petites orphelines, sagement rangées au bord d’un -trottoir de la rue de la Loi, sous la conduite et la surveillance de -bonnes vieilles religieuses, et à qui les bonnes religieuses, en agitant -de petits drapeaux français et belges, faisaient entonner, en -l’entonnant elles-mêmes les premières, les paroles de _la Marseillaise_, -chaque fois que passait un officier ou un soldat français!... - -Ce cri de «Vive la France!» qui est le plus beau cri pour des oreilles -françaises, des milliers de poitrines belges ne se lassaient pas de nous -en saluer, de le répéter, et c’est encore lui qui, pour nous, dominait -cette marée humaine de la place de l’Hôtel-de-Ville, quand, le soir -venu, dans ce décor unique au monde, nous contemplions tous ces visages -ardemment tendus vers le balcon où devait paraître le Roi, des visages -qui, eux aussi, semblaient alors uniques au monde et les plus beaux du -monde, les visages de ceux qui voient enfin triompher la noble cause -pour laquelle ils ont tout sacrifié, tout souffert: «Vive le Roi! vive -la Reine! vive la Belgique! vive la France!...» - -Et puis, pourquoi voudrait-on le taire, il y eut la _Madelon_! - -Eh, oui! cette Madelon partie d’Alsace, cette Madelon qui, des Vosges à -la mer, avait fait si joyeusement toutes les étapes les plus dures, qui -s’était installée et avait triomphé sur tous nos champs de bataille, -Madelon n’était pas encore venue à Bruxelles, les Boches ne l’y avaient -point laissée pénétrer, bref les habitants de Bruxelles en étaient -encore aux héroïnes des refrains et chansons de 1914, ils ignoraient -Madelon! - -Oh! ils ne l’ignorèrent pas longtemps. Chaque soldat français -s’improvisa professeur de chant; et les élèves avaient une si grande -bonne volonté, tant de hâte empressée, un tel désir d’apprendre!... - -Ainsi, pendant trois jours et trois nuits, Bruxelles chanta et dansa -sans arrêt; car par une rencontre miraculeuse et comme si le ciel même -avait voulu prendre sa part de la commune allégresse et témoigner, lui -aussi, en faveur de la justice et du droit triomphants, nous eûmes -alors, malgré l’hiver déjà proche, des nuits d’une clémence, d’une -douceur incomparables. - -Et la ville, toute la nuit comme tout le jour, ne cessa d’être - -[Illustration] - -entraînée par cette étrange et irrésistible danse des kermesses: dans -une rue, quelques musiciens passent, jouant ou soufflant de n’importe -quel instrument, violon, piston ou clarinette--et, il faut bien le dire, -n’importe comment; mais, c’est du bruit, et c’est un rythme... - -Et aussitôt, derrière eux, suivant ce rythme, deux, trois passants se -prennent par le bras, et se mettent à se balancer en cadence--deux, -trois, puis vingt, puis trente, puis cent, puis deux cents, la rue est -pleine... - -[Illustration] - -Et c’est la rue elle-même qui semble agitée de ce balancement -frénétique, par lequel se trouvent emportés d’un même élan tous les -promeneurs, tous les passants, et tout ce monde s’agite ainsi et se -balance inlassablement, bras-dessus, bras-dessous, soldats français, -soldats alliés, femmes, vieillards, enfants, mêlés, pressés, serrés, -haletants, joyeux, infatigables, et parmi lesquels nous reconnaissions -un soir, place Brouckère, bras-dessus, bras-dessous, toujours, et que le -hasard seul avait cependant réunis, bras-dessus, bras-dessous un -académicien français, un colonel américain, et la femme d’un conseiller -d’ambassade... - -Ainsi la ronde macabre de ces quatre années de guerre aboutissait à -cette autre ronde; c’est vers elle que nous avaient appelés et guidés -les moulins à vent qui, des lignes ennemies, dès notre arrivée en -Belgique, de leurs grands bras nous faisaient signe: «Vite, vite, amis, -au secours, par ici!...» Et les moulins à vent nous avaient guidés -jusqu’à Audenarde, dont la brute allemande avait, hélas! comme à Ypres, -comme à Furnes, déchiré, déchiqueté en lambeaux les précieuses dentelles -de pierre, et jusqu’au delà d’Audenarde, où je devais voir le dernier -mort de la guerre et le dernier prisonnier. - -Ce dernier prisonnier nous fut amené le 11 novembre, vers une heure de -l’après-midi, alors que nous fêtions l’armistice par un déjeuner sans -champagne, nous qui, pendant quatre ans, n’avions cessé de répéter: - -«Quel fameux champagne on boira, quand ça sera fini et bien fini!...» - -Et voilà qui prouve bien que les choses les plus attendues ne sont pas -toujours celles qui arrivent, qu’on ne réalise pas tous ses rêves, et -qu’on ne fait pas toujours ce qu’on veut; on a, certes, bu du champagne, -et, souvent, et même beaucoup, dans nos popotes, pendant les quatre ans -de guerre. Et voici que le jour de l’armistice, avec l’encombrement des -routes, et les ponts que les Boches, en se retirant, avaient fait -sauter, et que nous n’avions pas encore eu le temps de rétablir, -impossible d’atteindre les ravitaillements, et notre festin de -l’armistice se composa de boîtes de singe arrosées de thé!... - -Mais nous étions rudement contents tout de même!... - -Et ce fut donc, en guise de dessert, que l’on nous amena, pitoyable et -larmoyant, le dernier Boche qui s’était fait prendre à dix heures et -demie du matin. - -[Illustration] - -La cessation du feu et l’arrêt sur les positions avaient été fixés pour -onze heures. Vers dix heures du matin, un de nos pelotons de cavalerie, -qui avait passé la rivière, continuait sa progression, quand les -cavaliers de pointe aperçoivent dans un champ une compagnie allemande. -Et ils ouvrent le feu avec leurs mousquetons. - -[Illustration] - -On voit aussitôt une assez vive effervescence se manifester parmi les -Boches, et l’un d’eux qui se détache et s’approche les bras levés: - -«Mais vous ne savez pas!... Vous faites erreur... il ne faut plus tirer: -Krieg fertig!... la guerre est finie!...» - -L’officier auprès de qui il avait été conduit interrompit son baragouin, -et, flegmatique, tira sa montre: - -«Les hostilités seront suspendues, en effet, à onze heures; il est dix -heures trente. Tu es prisonnier!... Krieg ist Krieg!...» - -Et ce fut encore sur la route d’Audenarde qu’il me fut donné de voir le -dernier mort de la guerre, après cette nuit bénie qui précéda -l’armistice, cette nuit du 10 au 11 novembre où le ciel s’illumina de -tout ce qui nous restait de fusées éclairantes, où, aussi bien dans les -lignes allemandes que dans les lignes françaises, se mirent à sonner les -cloches de tous les villages et leurs carillons... Déjà, aux endroits -préparés pour l’avance, les dépôts de munitions, tous ces obus de tous -calibres si soigneusement empilés et rangés, prenaient l’aspect ridicule -des choses effrayantes qui ne réussissent plus à nous effrayer, dont la -menace piteusement est tout à coup avortée: A-t-on écrit la «Ballade des -projectiles qui ne seront jamais tirés?...» - -Hélas! sur le bord de la route, un cadavre demeurait comme pour -témoigner que la menace n’avait pas toujours été vaine, que les obus -n’avaient point cessé depuis si longtemps leur effroyable besogne... - -Je m’approchai du cadavre: c’était celui d’un jeune Américain. - -Il avait été laissé là seul, étendu sur le dos, les yeux ouverts; il -avait dû être mortellement atteint par l’une de ces rafales que -l’artillerie ennemie, avant de fuir, lançait au hasard, pour vider ses -caissons... - -Et je songeais qu’il était émouvant et juste que ce dernier mort de la -guerre fût, en effet, un Américain, un de ces ouvriers de la dernière -heure qui vinrent, en suprême renfort, pour décider de la victoire aux -côtés de ses artisans; je songeais qu’il était émouvant et juste de voir -reposer sur la terre belge, saintement libérée, ce jeune héros -d’Amérique, dont les yeux ouverts pour l’éternité regardaient maintenant -vers le ciel apaisé, vers l’avenir... - -[Illustration] - - - - -[Illustration] TABLE - -DES - -ILLUSTRATIONS - - -_EAUX-FORTES_ - - Pages. - -Une tranchée de première ligne à l’Hartmannswillerkopf. 6 - -Une messe à l’Hartmannswillerkopf. 8 - -Le cimetière de Silberloch (Hartmannswillerkopf). 14 - -Craonnelle. 30 - -La cathédrale de Reims, vue de la Neuvillette. 40 - -Verdun, vu des remparts. 54 - -La porte Châtel, à Verdun. 62 - -L’église de Dammard. 74 - -La Halle d’Ypres. 94 - -L’église Sainte-Walburge à Audenarde. 102 - - -_DESSINS_ - -Le rocher de la Mort, à l’Hartmannswillerkopf. 1 - -Une cagna au Ballon de Guebwiller. 2 - -En faction (Ballon de Guebwiller). 3 - -Le soldat de N***, du 213ᵉ régiment d’infanterie. 5 - -Le Ballon de Guebwiller, vu de l’Hartmannswillerkopf. 6 - -Un coin de Haag. 10 - -Une cuisine roulante à Moosch. 11 - -Un poilu du 213ᵉ régiment d’infanterie. 12 - -Maisons bombardées à Steinbach. 13 - -Saint-Amarin. 14 - -Le viaduc de Dannemarie. 16 - -Une rue de Steinbach. 17 - -Le miaule (Ballon de Guebwiller). 18 - -Dans le parc du château d’Épaux. 19 - -Un escalier du P. C. Triangulaire. 20 - -Craonnelle. 23 - -La chambre du colonel d’A*** au P. C. Triangulaire. 24 - -La galerie d’accès au P. C. Triangulaire. 25 - -Le camp de Dravegny. 27 - -Les péniches à Maizy. 29 - -Oulches. 31 - -Cour de ferme à Maizy. 32 - -Panorama de l’observatoire du P. C. Triangulaire 34 et 35 - -Un abri en tôles «métro». 37 - -Reims. L’hôtel de ville. 38 - --- La cathédrale et l’archevêché. 39 - --- La gare de Petit-Bétheny. 42 - --- Dans les ruines de la Place Royale. 43 - --- L’intérieur de la cathédrale. 45 - --- Le faubourg de Cérès. 47 - --- Le Christ de la cathédrale. 50 - --- Rue Libergier. 52 - -Verdun. Les bords de la Meuse. 53 - --- La citadelle. 54 - --- La salle de musique. 56 - --- La rue des Gros-Degrés. 57 - --- Le faubourg Pavé. 59 - -Le P. C. Calvados. 61 - -La corvée de neige. 64 - -La corvée de pinard. 65 - -L’étang de Vaux. 66 - -Le bois de la Caillette. 67 - -Le cimetière de Dammard. 68 - -L’église de Passy-en-Valois. 69 - -L’évacuation de Chézy-en-Orxois. 71 - -Le château de Passy-en-Valois. 73 - -Lutrin dans les ruines de l’église de Dammard. 76 - -Le camp des Américains à la Ferté-sous-Jouarre. 78 - -L’observatoire de Vaux-sous-Coulomb. 80 - -L’observatoire de la Grange-Coulomb. 83 - -Croquis d’Américains. 85 - -Monthiers. 88 - -Usine en ruines à Dammard. 90 - -Le moulin de Saint-Jean d’Ypres. 91 - -Pilcken. 92 - -Sur la route de Langemarck. 93 - -Le P. C. de Spriet. 95 - -La cathédrale d’Ypres. 97 - -Intérieur de la cathédrale d’Ypres. 99 - -La place de l’Hôtel-de-Ville à Bruxelles, le 22 novembre 1918. 101 - -Le moulin d’Iseghem. 103 - -L’église Sainte-Walburge, à Audenarde. 105 - -Le moulin de Boshmolen. 106 - -Dans les ruines d’Ypres. 107 - -L’Hôtel du Ballon de Guebwiller. 109 - -Un poilu d’Alsace. 111 - -La rue des Musiciens, à Reims. 112 - -Bougeoirs de tranchées. 113 - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -TABLE DES MATIÈRES - - - Pages. - -EN ALSACE. 1 - -LE CHEMIN DES DAMES. 19 - -REIMS. 39 - -VERDUN. 53 - -LA DEUXIÈME MARNE. 69 - -EN BELGIQUE. 91 - -[Illustration] - - ACHEVÉ D’IMPRIMER A PARIS - - le 10 Janvier 1921 - - PAR - - PHILIPPE RENOUARD - - POUR - - LA S: A. DES ÉDITIONS "SONOR" - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of De la mer aux Vosges, by Franc Nohain - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DE LA MER AUX VOSGES *** - -***** This file should be named 60616-0.txt or 60616-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/6/0/6/1/60616/ - -Produced by Claudine Corbasson, Chuck Greif and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at -http://gallica.bnf.fr) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. 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Thus, we do not necessarily -keep eBooks in compliance with any particular paper edition. - - -Most people start at our Web site which has the main PG search facility: - - http://www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/old/60616-0.zip b/old/60616-0.zip Binary files differdeleted file mode 100644 index d1d56f7..0000000 --- a/old/60616-0.zip +++ /dev/null diff --git a/old/60616-h.zip b/old/60616-h.zip Binary files differdeleted file mode 100644 index 49cac6c..0000000 --- a/old/60616-h.zip +++ /dev/null diff --git a/old/60616-h/60616-h.htm b/old/60616-h/60616-h.htm deleted file mode 100644 index 7bbb866..0000000 --- a/old/60616-h/60616-h.htm +++ /dev/null @@ -1,3855 +0,0 @@ -<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" -"http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> - -<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" lang="en" xml:lang="en"> - <head> <link rel="coverpage" href="images/cover.jpg" /> -<meta http-equiv="Content-Type" content="text/html;charset=utf-8" /> -<title> - The Project Gutenberg eBook of De la mer aux Vosges. -</title> -<style type="text/css"> - p {margin-top:.2em;text-align:justify;margin-bottom:.2em;text-indent:4%;} - -p.spc {margin-top:1em;} - -.c {text-align:center;text-indent:0%;} - -.redd {color:#D25D49;} - -.hang {text-indent:-2%;margin-left:2%;} - -.letra {font-size:350%;float:left;margin-top:-2%;} - @media print, handheld - { .letra - {font-size:250%;padding:0%;} - } - -.nind {text-indent:0%;} - -.r {text-align:right;margin-right: 5%;} - -.rt {text-align:right;} - -small {font-size: 70%;} - -big {font-size: 130%;} - - h1 {margin-top:5%;text-align:center;clear:both; -font-weight:normal;} - - h2 {margin-top:4%;margin-bottom:2%;text-align:center;clear:both; - font-size:175%;font-weight:normal;color:#D25D49;} - - hr {width:90%;margin:2em auto 2em auto;clear:both;color:black;} - - hr.full {width: 60%;margin:2% auto 2% auto;border-top:1px solid black; -padding:.1em;border-bottom:1px solid black;border-left:none;border-right:none;} - - table {margin-top:2%;margin-bottom:2%;margin-left:auto;margin-right:auto;border:none;} - -th {padding-top:1em;padding-bottom:1em;} - - body{margin-left:4%;margin-right:6%;background:#ffffff;color:black;font-family:"Times New Roman", serif;font-size:medium;} - -a:link {background-color:#ffffff;color:blue;text-decoration:none;} - - link {background-color:#ffffff;color:blue;text-decoration:none;} - -a:visited {background-color:#ffffff;color:purple;text-decoration:none;} - -a:hover {background-color:#ffffff;color:#FF0000;text-decoration:underline;} - -.smcap {font-variant:small-caps;font-size:100%;} - - img {border:none;} - -.blockquot {margin:2% 25%;} - -.caption {font-weight:normal;} -.caption p{font-size:75%;text-align:center;text-indent:0%;} - -.figcenter {margin-top:3%;margin-bottom:3%;clear:both; -margin-left:auto;margin-right:auto;text-align:center;text-indent:0%;} - @media handheld, print - {.figcenter - {page-break-before: avoid;} - } - -.figleft {float:left;clear:left;margin-left:0;margin-bottom:1em;margin-top:1em;margin-right:1em;padding:0;text-align:center;} - -.figright {float:right;clear:right;margin-left:1em;margin-bottom:1em;margin-top:1em;margin-right:0;padding:0;text-align:center;} - -div.poetry {text-align:center;} -div.poem {font-size:100%;margin:auto auto;text-indent:0%; -display: inline-block; text-align: left;} -.poem .stanza {margin-top: 1em;margin-bottom:1em;} -.poem span.i0 {display: block; margin-left: 0em; padding-left: 3em; text-indent: -3em;} -.poem span.i2 {display: block; margin-left: 1em; padding-left: 3em; text-indent: -3em;} - -.pagenum {font-style:normal;position:absolute; -left:95%;font-size:55%;text-align:right;color:gray; -background-color:#ffffff;font-variant:normal;font-style:normal;font-weight:normal;text-decoration:none;text-indent:0em;} -@media print, handheld -{.pagenum - {display: none;} - } - -</style> - </head> -<body> - - -<pre> - -The Project Gutenberg EBook of De la mer aux Vosges, by Franc Nohain - -This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with -almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: De la mer aux Vosges - -Author: Franc Nohain - -Illustrator: Pierre-Adrien Bouroux - -Release Date: November 2, 2019 [EBook #60616] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DE LA MER AUX VOSGES *** - - - - -Produced by Claudine Corbasson, Chuck Greif and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at -http://gallica.bnf.fr) - - - - - - -</pre> - -<hr class="full" /> - -<div class="figcenter"> -<a href="images/cover_lg.jpg"> -<img src="images/cover.jpg" width="393" height="500" alt="" /></a> -</div> - -<p class="c"><big>De la Mer aux Vosges</big></p> - -<div class="blockquot"> -<p class="c">JUSTIFICATION DU TIRAGE</p> - -<p class="hang">Exemplaire unique sur papier des Manufactures impériales du Japon, -contenant tous les dessins originaux, une suite des premiers états -des eaux-fortes et une suite d’états définitifs.</p> - -<p class="hang">Nᵒˢ 1 à 50.—Exemplaires sur papier des Manufactures impériales du -Japon, contenant une suite des premiers états et une suite d’états -définitifs.</p> - -<p class="hang">Nᵒˢ 51 à 300.—Exemplaires sur papier vélin d’Arches, contenant une -suite des eaux-fortes.</p> -</div> - -<p class="c"> -FRANC-NOHAIN<br /> -</p> -<h1><span class="redd"> -<span style="margin-right: 10%;">De la Mer</span><br /> -<span style="margin-left: 10%;">aux Vosges</span></span></h1> - -<p class="c"> -<i>Eaux-Fortes et Dessins</i><br /> -<br /> -<small>DE</small><br /> -<br /> -P.-A. BOUROUX<br /> -<br /> -<img src="images/colophon.png" -width="100" -alt="" -/><br /> -<br /> -<br /> -PARIS<br /> -E. DE BOCCARD, ÉDITEUR<br /> -<small>1, RUE DE MÉDICIS, 1</small><br /> -<br /> -1921<br /> -</p> - -<div class="blockquot"> -<p class="c">AU GÉNÉRAL DE COMBARIEU</p> - -<p class="c"> -<i>avec la fierté d’avoir servi sous ses ordres<br /> -hommage de notre reconnaissance<br /> -et de notre dévouement.</i><br /> -<br /><span style="margin-left:15%;"> -<span class="smcap">Franc-Nohain,</span><br /> -<span style="margin-left: 15%;">Paul-Adrien Bouroux.</span><br /></span> -</p> - -</div> - -<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="" -style="border:3px outset gray;padding:.5em;text-align:center;" class="smcap"> -<tr><td><a href="#TABLE_DES_MATIERES">Table des matières</a></td></tr> -<tr><td><a href="#TABLE">Table des illustrations</a></td></tr> -</table> - -<div class="figcenter" style="width: 482px;"> -<a href="images/mer-13_lg.jpg"> -<img src="images/mer-13_sml.jpg" width="482" height="314" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><i>Les pages qui suivent n’ont pas la prétention d’être un chapitre -d’histoire; nous n’avons jamais cherché à expliquer, à commenter, ni -même à comprendre les événements militaires auxquels nous avons pu nous -trouver mêlés et qui nous dépassent singulièrement.</i></p> - -<p><i>Et nous ne nous flattons pas non plus d’apporter ici une contribution, -si modeste soit-elle, à l’étude déjà fréquemment tentée, et bien -inutilement à notre avis, de ce que l’on appelle la «psychologie du -combattant».</i></p> - -<p><i>Je crois que les hommes qui ont fait la guerre l’ont faite avec la -nature, le caractère, et les habitudes d’esprit qu’ils avaient acquis en -temps de paix. La guerre n’a tout de même duré que quatre ans; et les -combattants avaient une formation intellectuelle, morale et sentimentale -qui allait de dix-sept à cinquante années, parfois même un peu plus.</i></p> - -<p><i>Pendant ces quatre ans d’exceptionnel bouleversement, il est possible -que certaines façons de penser aient semblé brusquement surgir, que -certains sentiments se soient épanouis ou exaspérés.</i></p> - -<p><i>Mais, en réalité, ils étaient déjà en nous, nous les avions avec nous, -et ils sont un moment sortis du fond de nous-mêmes, comme une pluie -d’orage peut amener à la surface du bassin des végétations en dépôt qui -dormaient dans sa profondeur; mais ce n’est pas elle qui les apporte, et -surtout elle ne les crée pas.</i></p> - -<p><i>La guerre aura été, pour ceux qui l’auront vécue,—et qui n’en sont pas -morts,—une extraordinaire aventure, la plus extraordinaire des -aventures, mais simplement une aventure. «Faire la guerre» est une -expression démesurée et vide de sens. Est-il un homme qui se puisse -vanter d’avoir «fait la guerre»? La vérité est que chacun de nous a fait -sa guerre, et qu’il l’a vue comme il la faite, dans son coin, à sa -place, suivant ses moyens, et de son mieux...</i></p> - -<p><i>Cette guerre, la nôtre, a déposé dans notre mémoire un certain nombre -de souvenirs et d’images, pittoresques et touchants, insignifiants ou -formidables, mais qui ne sont pas nécessairement héroïques, et dont la -qualité peut être infiniment relative et variée.</i></p> - -<p><i>Ce sont ces souvenirs et ces images qu’il nous a plu de fixer ici, tels -quels. Et si nous les fixons, c’est que déjà nous sentons bien qu’ils -s’éloignent un peu de nous, qu’il nous faut presque un effort pour les -évoquer et les retenir.</i></p> - -<p><i>La guerre n’est qu’une convulsion, qui bouleverse les êtres et les -choses, mais une convulsion ne dure pas. A la place des ruines, dont le -burin du graveur trace la figure pathétique, d’autres édifices -s’élèveront un jour à nouveau. Et devant même que d’autres pierres aient -remplacé les pierres détruites, la nature la première n’a-t-elle pas -rétabli son harmonie éternelle, comblant les tranchées et les trous -d’obus? Les champs de désolation et de mort ne s’apprêtent-ils pas pour -les moissons de demain?</i></p> - -<p><i>Avant les monuments, œuvre de l’homme, et ainsi que la nature elle -même, notre sensibilité retrouve aussitôt son apaisement et son -équilibre.</i></p> - -<p><i>Avant donc que tout cela, tout proche, entre et disparaisse dans la -sérénité de l’Histoire, interrogeons notre cœur encore vibrant, nos -nerfs encore tendus. Il ne s’agit pas, encore une fois, d’une Histoire -ni d’une contribution à l’Histoire de la Guerre: on n’écrit pas -l’Histoire à mesure. Une Histoire de la Guerre, non pas; tout au plus, -et tout simplement, des histoires de guerre, celles que nous raconterons -désormais, jusqu’à ce que la mort nous prenne, à nos enfants et aux -enfants de nos enfants, lorsqu’ils nous demanderont gentiment</i>:</p> - -<p>«<i>Racontez-nous la guerre, ce que vous avez vu à la guerre? -Racontez-nous l’Hartmann, et le Chemin des Dames, et la cathédrale de -Reims, et Verdun, et quand vous étiez avec les Américains devant -Château-Thierry, et quand vous êtes rentré dans Bruges avec le roi -Albert?</i>»</p> - -<p><i>Voici...</i></p> - -<p class="r"> -<i>F.-N.</i><br /> -</p> - -<p><small><i>Versailles, août 1920.</i></small></p> - -<div class="figcenter" style="width: 207px;"> -<a href="images/mer-15_lg.jpg"> -<img src="images/mer-15_sml.jpg" width="207" height="235" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_1" id="page_1">{1}</a></span></p> - -<h2><a name="EN_ALSACE" id="EN_ALSACE"></a> -<a href="images/mer-17_lg.jpg"> -<img src="images/mer-17_sml.jpg" width="471" height="278" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -<br /> EN ALSACE</h2> - -<p class="nind"><span class="letra">H</span>ARTMANNSWILLERKOPF,—nom compliqué et barbare, qui, dans notre mémoire, -résonne longuement, lugubrement, dominant nos souvenirs, comme son -sommet domine la guerre en Alsace, et les Vosges!... Vainement on a -voulu modifier ce nom, lui prêter un aspect familier, bonhomme: le -«Vieil Armand»,—mais jamais, ailleurs que dans les récits des journaux, -on n’employa cette désignation ingénieuse, ce plaisant jeu de mots. Si! -Un café de la vallée s’était intitulé ainsi «<i>A la descente du Vieil -Armand</i>.» Mais, en réalité, l’Hartmannswillerkopf fut et resta -simplement en deux syllabes, «l’Hartmann», ou—suivant l’abréviation des -ordres et des plans directeurs—trois lettres: l’H. W. K.</p> - -<p>Ce que représentent pour nous ces trois lettres...</p> - -<p>Je revois cette claire nuit des premiers jours de janvier 1916, et la -«voiture de liaison» qui m’emmenait de Remiremont. Un grand garçon -mince, aux traits marqués, est assis à côté du conducteur;<span class="pagenum"><a name="page_2" id="page_2">{2}</a></span> tout à -l’heure, au moment du départ, les camarades du «courrier» le -félicitaient de sa médaille militaire et de sa belle croix de guerre -toutes neuves; son front s’est plissé, dans son visage tourmenté, et il -a répliqué avec brusquerie:</p> - -<p>—J’aimerais mieux n’avoir ni croix ni médaille, et que mon général soit -encore là!</p> - -<p>Son général, c’est le général Serret, dont il était le porte-fanion, -qu’il accompagnait toujours, partout, comme son ombre, dans ses -randonnées téméraires, le général Serret dont il a rapporté le corps -quand il a été tué, l’autre jour, (c’est pour cela qu’on vient de le -décorer),—tué comme le colonel Hennequin, tué comme le colonel -Boussat,—dans une tranchée de cet Hartmann où, maintenant, je vais -«rejoindre»...</p> - -<p>Mais je ne rejoindrai que demain matin. Ce soir, nous nous arrêtons à -Wesserling, où la division est installée, et où j’ai la surprise de -coucher dans une «vraie» chambre, d’un hôtel demeuré presque -confortable; simplement la servante s’excuse de me donner une bougie, et -qu’il n’y ait plus de gaz:</p> - -<p>—Le bec de gaz, il est <i>capout</i>!</p> - -<div class="figleft" style="width: 233px;"> -<a href="images/mer-18_lg.jpg"> -<img src="images/mer-18_sml.jpg" width="233" height="355" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Cet accent, ce «capout», pour la première fois, j’ai l’impression d’un -pays conquis, ou reconquis, dont les habitants libérés ne parlent plus -notre langue; oui vraiment, et de quelque puérilité que nous jugions -sans doute après coup une telle impression démesurée, j’ai, en entendant -ce «capout», le premier sentiment de l’avance victorieuse, et, seul dans -ma chambre, je ferais volontiers sonner en conquérant mes bottes et mon -sabre,—le<span class="pagenum"><a name="page_3" id="page_3">{3}</a></span> sabre dont je m’étais, bien inutilement d’ailleurs, -embarrassé.</p> - -<div class="figright" style="width: 253px;"> -<a href="images/mer-19_lg.jpg"> -<img src="images/mer-19_sml.jpg" width="253" height="360" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Une canonnade lointaine, assourdie. Les différents «plans» de la -montagne arrêtent et dispersent le bruit des éclatements.</p> - -<p>Ainsi tout semble concourir à ce que, de plus près, l’Hartmann -apparaisse bien moins effrayant que sa réputation sinistre. Et puis, -quand je me suis remis en route, au matin, quels jolis et plaisants -villages, aux maisons riantes, aux devantures gaîment offertes!</p> - -<p>Des ouvriers «civils» travaillent à la route en lacets qui, remplaçant -les sentiers muletiers, permet l’accès, presque jusqu’au sommet, des -lourds convois du ravitaillement et de l’artillerie. Parmi ces civils, -il en est de tout jeunes, qui se sont coiffés de bérets d’alpins, et -dont les bonnes joues roses et rondes me rappellent mes petits garçons.</p> - -<p>Cependant les sapins qui, jusqu’ici, m’avaient protégé de leur ombre -majestueuse et bleue se font plus rares; aux taillis naturels succèdent -des buissons de fil de fer barbelé. Des éclatements se précisent, plus -rapprochés, plus nets... A un tournant, une intolérable odeur de bêtes -en décomposition—des mulets ont été éventrés par une rafale «bien -placée».</p> - -<p>Et les sapins orgueilleux ne sont plus que des manches à balais.</p> - -<p>Le guide qui m’attendait là m’engage à hâter le pas:</p> - -<p>—C’est un mauvais endroit, mon lieutenant!</p> - -<p>Sur la carte allemande, que dressait le Club vosgien, que de jolis noms -cependant, et séduisants, et tentateurs: le «Chemin des<span class="pagenum"><a name="page_4" id="page_4">{4}</a></span> Dames»,—ici -non plus, les «dames», à la guerre, ne nous portaient pas bonheur!—au -bout duquel le colonel Hennequin fut tué par un «méchant 77», un obus de -rien du tout, un de ces obus que nous affections de mépriser presque, et -qui, suivant l’expression d’un camarade, n’étaient dangereux que «si -l’on se rencontrait avec eux <i>personnellement</i>»,—le <i>Damenweg</i> aux -pentes adoucies, par où les dames excursionnistes étaient invitées à -passer sans trop de fatigue, et sans risque pour leurs hauts talons.</p> - -<p>Et voici encore la «Pastetenplatz», l’endroit où l’on s’asseyait sur -l’herbe, où l’on ouvrait les paniers à provisions, où, les yeux -écarquillés et la bouche pleine, on admirait le beau point de vue en -dégustant des pâtisseries!</p> - -<p>Le point de vue est toujours admirable; mais il vaut mieux sans doute ne -pas s’y trop attarder.</p> - -<p>Et cependant j’ai pu constater que dans les circonstances les plus -difficiles, aux instants les plus pathétiques, la noblesse et l’agrément -des sites nous laissent rarement insensibles. Ce qui, peut-être, rendait -plus pénible encore la bataille de Verdun ou de l’Yser, c’était de -n’avoir devant soi rien où l’œil se pût reposer, qui nous divertît de la -tragique horreur environnante. Un paysage, malgré tout, un paysage varié -et doux apaise l’esprit, affermit notre espoir dans la vie (quand la -nature est là si calme!), nous tient compagnie.</p> - -<p>Singulièrement, en Alsace, nous lui étions reconnaissants, même -inconsciemment, à la nature, d’avoir fait ce pays si riant, si riche, et -qui valait vraiment la peine de se donner tant de mal pour le reprendre, -pour le garder!</p> - -<p>Je n’oublierai jamais qu’en arrivant à l’Hartmann, quand, pour me -présenter au P. C. du bataillon, je dévalais le Boyau Central le cœur un -peu serré par sa solitude menaçante—on ne le fréquentait guère par -plaisir, et pour cause,—le premier, le seul camarade, que j’aie alors -rencontré, c’était un chasseur de la brigade, adossé à<span class="pagenum"><a name="page_5" id="page_5">{5}</a></span> un pare-éclats; -on l’avait envoyé relever un tracé des travaux, et, abandonnant sa -planchette de topographe, tranquillement, ne me voyant même pas venir, -il s’absorbait à peindre sur son bloc-notes une aquarelle.</p> - -<p>Cette insouciance ou ce fatalisme, je les retrouvais d’ailleurs dans le -P. C. où l’on m’accueillait, où la sécurité était pourtant assez -relative, si l’obscurité, par contre, y était à peu près complète, et où -les premières recommandations dont on m’entoura furent sur la manière de -porter le béret (le mien, paraît-il, était beaucoup trop large...). -N’est-ce pas là que j’ai entendu un capitaine, au plus fort d’un -bombardement, et alors qu’on le prévenait d’avoir à se tenir prêt pour -contre-attaquer, qui déplorait que dans l’ordre reçu fût employé le mot -«solutionner», et qui murmurait, tout en prenant de suprêmes -dispositions:</p> - -<p>—Pourquoi «solutionner» quand nous avons <i>résoudre</i>?...</p> - -<div class="figright" style="width: 188px;"> -<a href="images/mer-21_lg.jpg"> -<img src="images/mer-21_sml.jpg" width="188" height="261" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>De semblables scrupules littéraires, de telles préoccupations -philologiques sont encore plus surprenants que le souci fréquent, -celui-là, en pareilles circonstances et en pareil endroit, d’un flush -royal ou d’un sans-atout... On se félicitait encore, lorsque j’arrivai, -des huit cents francs perdus au poker par un camarade, quelques heures -avant la sanglante et déplorable attaque allemande de décembre, où il -devait être blessé et fait prisonnier,—puisque ce sont les boches qui -auraient eu ses huit cents francs...</p> - -<p>Hélas! le cimetière tout proche témoignait cruellement que de trop -nombreux camarades n’avaient pas perdu que leur argent. On n’y prêtait -pas autrement d’attention, d’ailleurs. Ces cimetières qui se sont -dressés au milieu, comme au fur et à mesure de la bataille,</p> - -<div class="figcenter" style="width: 513px;"> -<a href="images/mer-22_lg.jpg"> -<img src="images/mer-22_sml.jpg" width="513" height="370" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p class="nind">qui font corps avec elle, dont les croix de bois se distinguent à peine -des piquets pour les fils barbelés, dont les tertres semblent alterner -avec des sacs à terre, ces cimetières ne sont pas tristes, ils ne sont -pas impressionnants, ou, du moins, beaucoup moins qu’on ne l’imagine. -Oui, détachée de l’ensemble, comme un lambeau de notre sensibilité -inquiète, leur image pantelante, maintenant, secoue nos nerfs et nous -bouleverse. Mais, sur le moment, on n’y pensait pas... La mort est là, -toute nue, sans idées associées, sans vain apparat, sans littérature -vaine, comme faisant partie tout naturellement d’une série -d’obligations, de nécessités ou de risques professionnels,—une tombe se -creuse comme une tranchée,—comme un accident du travail du bon ouvrier. -On ne récrimine, ni on ne s’effare. Les morts, ici, sur place, -n’apparaissent aux vivants ni des victimes, ni des</p> - -<div class="figcenter" style="width: 383px;"> -<a href="images/mer-23_lg.jpg"> -<img src="images/mer-23_sml.jpg" width="383" height="550" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_7" id="page_7">{7}</a></span><span class="pagenum"><a name="page_6" id="page_6">{6}</a></span></p> - -<p class="nind">martyrs, pas même—pas encore—des héros. Les morts semblent des -guetteurs qui ne doivent plus être jamais relevés, pour qui la faction -se prolonge, se prolonge désespérément, continue...</p> - -<p>Les morts de l’Hartmann montaient la garde face à la plaine d’Alsace, -face à Mulhouse, face au Rhin...</p> - -<p>Que de fois, près d’eux, je me suis couché sur l’une de ces tombes qui -dominaient le camp Rénier, pour voir, la nuit venue, s’allumer à -l’horizon les lumières de Mulhouse!...</p> - -<p>Car on ne devait pas tirer sur Mulhouse, on ne devait pas risquer de -ruiner, de détruire le gage précieux de Mulhouse. Et cette pièce de -marine, si soigneusement camouflée dans le village de Thann, sur le -chemin de l’Herrenstuhl, cette pièce énorme qui, par antiphrase sans -doute, s’appelait la «Petite Bretonne», demeura des mois pointée sur -Mulhouse, sans jamais tenter d’expérimenter la puissance de ses -projectiles monstrueux.</p> - -<p>Ainsi, chaque soir, à l’heure où nos villes frontières s’enfonçaient -dans l’ombre épaisse, où l’angoisse de Paris s’entourait de ténèbres, -tranquille, paisible, sûre de n’être point inquiétée, Mulhouse -s’éclairait peu à peu, et nous voyions briller la belle et complète -ordonnance de ses feux symétriques... Quelle émotion, chaque soir -renouvelée! Je me rappelais un voyage à Mulhouse quelques mois avant la -guerre, l’accueil que m’avait bien voulu faire la <i>Société -industrielle</i>, tant d’esprit, de grâce et de charme... Cependant, le -même jour, à l’<i>Hôtel Central</i> où j’étais descendu, une kermesse -organisée par la Croix-Rouge allemande m’avait permis de confronter et -de comparer, avec la société alsacienne, les élégances des -fonctionnaires et officiers allemands et de leurs femmes...—Les -Allemandes, me disait une Alsacienne, font des prodiges ou des bassesses -pour avoir l’adresse de nos couturières et de nos modistes; elles -s’ingénient à copier nos robes, elles nous «chipent» nos chapeaux... Et -vous voyez...—Et je voyais que sur leurs têtes ce n’étaient plus<span class="pagenum"><a name="page_8" id="page_8">{8}</a></span> les -mêmes chapeaux, que sur elles ce n’étaient plus du tout les mêmes robes.</p> - -<p>Que sont-elles devenues ces Alsaciennes de Mulhouse que j’avais connues -si joliment élégantes, si gaies, si malicieuses et fines, si françaises, -si parisiennes?... Et je songe qu’il y a encore des officiers allemands -à l’<i>Hôtel Central</i>!...</p> - -<p><i>L’Hôtel Central</i>, j’aurais presque pu le distinguer du Storchenkopf, -avec la jumelle à ciseaux! Nous avions là, au Storchenkopf,—le mont des -Cigognes,—au-dessus du col de Haag, un poste optique et un observatoire -prodigieux. D’un côté, c’étaient les clochers de Colmar, et les villages -plus proches de la plaine encore allemande, si proches en effet qu’à la -jumelle on se promenait dans leurs rues, que nous y avons vu des dames -de la Croix-Rouge allemande sortant de la messe... Et de l’autre côté, -l’Hartmann, d’abord, cet Hartmann dont on sentait mieux l’importance -militaire et stratégique en constatant que partout on était «vu de -l’Hartmann», que partout dominait ainsi son double sommet, trop -reconnaissable à sa nudité lugubre, à sa végétation roussie et rasée, -dont ne subsistaient plus que quelques troncs ébranchés, -déchiquetés,—ce que la guerre fait des arbres comme des hommes,—et -cette silhouette singulière et symbolique que l’on appelait l’«arbre -canon»...</p> - -<p>Et toujours Mulhouse, les lumières bien alignées de Mulhouse, là-bas...</p> - -<p>C’était un bien joli endroit que le col de Haag, et l’on comprend -l’engoûment des touristes pour l’<i>Hôtel du Ballon</i> qui en était voisin à -quelques centaines de mètres. Je n’ai connu cet hôtel que tout à fait -démoli, mais c’était pour nous un passe-temps, qui trompait notre -nostalgie, d’aller chercher parmi les décombres les vestiges d’un -confortable aboli, d’une civilisation qui semblait de la préhistoire: de -l’histoire d’avant la guerre, en effet. Et nous méditions</p> - -<div class="figcenter" style="width: 392px;"> -<a href="images/mer-27_lg.jpg"> -<img src="images/mer-27_sml.jpg" width="392" height="550" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_9" id="page_9">{9}</a></span></p> - -<p class="nind">devant des carreaux de faïence, retrouvés au milieu de gravats, et qui -avaient dû revêtir une salle de bains...</p> - -<p>Mais le grand ennemi à Haag, c’était le brouillard. Le soleil inondait -la vallée de la Thür ou celle de la Lauch, ses rayons perçaient -jusqu’aux frondaisons épaisses qui ceinturaient de leur ombre -mystérieuse et bleue le petit lac du Ballon. Et brusquement, à un -tournant des routes en lacets qui montaient vers le col, brusquement on -pénétrait dans le brouillard humide et pâle. La végétation, là-haut, -s’en trouvait nécessairement retardée. Et c’est ainsi que le même -printemps, qui triomphait déjà dans la vallée de la Thür, au moment où -nous l’avions quittée, mit plusieurs semaines pour atteindre le col de -Haag et nous y rejoindre. Les arbres de la forêt qui s’étageaient -au-dessous de nous, nous permettaient d’observer ses progrès, sa marche -comme d’un excursionniste en montagne, sa marche lente et continue. -Chaque matin, la ligne verte de la cime des branches aux bourgeons frais -éclos apparaissait un peu plus haut, un peu plus près: c’était le -printemps qui montait vers nous, suprême cadeau que nous envoyait la -vallée, un souvenir, un sourire, un «salut de Saint-Amarin...»</p> - -<p>Ah! cette vallée, comme nous l’avons aimée et comme elle nous a -choyés!... Elle nous recevait au sortir des horreurs et des angoisses du -Südel ou de l’Hartmann; et j’entends encore, après ses trois semaines de -dur secteur, ce capitaine, un vieux cavalier passé aux chasseurs qui -s’écriait, en arrivant à Willer, plein d’un enthousiasme ingénu et -battant des mains comme un enfant:</p> - -<p>—Il y a encore des femmes!... il y a encore des maisons, et des -jardins, et des fleurs!...</p> - -<p>Tous, hélas! n’y revenaient pas, dans la vallée, ou n’y revinrent qu’au -cimetière de Moosch, ce cimetière incliné comme un pupitre de lutrin, -pour chanter,—après les étranges et émouvantes messes basses où les -combattants en ligne exhalaient leur foi simple et<span class="pagenum"><a name="page_10" id="page_10">{10}</a></span> fervente comme les -premiers chrétiens dans les catacombes,—pour chanter quel hymne superbe -de gloire et de délivrance, un <i>Libera nos</i> et un <i>Magnificat</i>!...</p> - -<p>Mais pour les autres, pour les vivants, les rescapés, le retour à la -vallée, c’était le retour à la vie, à la joie, à la splendeur de vivre! -L’écho de nos fanfares y doit résonner encore, et les pas de nos -chevaux, ou plutôt de nos mulets en cavalcade... Car les mulets du -ravitaillement faisaient belle figure dans les retraites aux flambeaux -que les chasseurs de Nice, d’Antibes et de Menton ne manquaient jamais -d’organiser aussitôt, dans leur hâte d’annexer l’Alsace à la Côte -d’Azur. Et, par ailleurs, il était juste de voir les braves bêtes—les -«miaules» pour leur donner leur vrai nom, leur nom de guerre—participer -aux réjouissances des hommes dont ils partageaient les dangers.</p> - -<div class="figleft" style="width: 250px;"> -<a href="images/mer-30_lg.jpg"> -<img src="images/mer-30_sml.jpg" width="250" height="415" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Oui, les «miaules», héros modestes, avaient leurs martyrs. Quand, chaque -soir, au crépuscule, ils partaient des cuisines installées à Moosch, -pour monter en ligne les barillets, les bouteillons, le trajet n’allait -pas toujours sans quelque fâcheuse rencontre. Jusque dans la vallée, les -bombes d’avion poursuivaient leur tranquillité. Un jour, d’un seul coup, -à Ranspach, trente mulets furent mis à mal par des aviateurs trop -adroits. Mais le plus déplorable peut-être fut que l’on eut l’idée -néfaste de vouloir utiliser leurs cadavres et qu’on les<span class="pagenum"><a name="page_11" id="page_11">{11}</a></span> expédia au -plateau de Breitfirst pour être mis dans les pâtées des chiens de -l’Alaska employés là-haut à tirer des traîneaux. Les chiens de l’Alaska -se régalèrent fort, ils se régalèrent trop; ces festins les avaient mis -en goût; et dorénavant quand, dans les tranchées de neige, ils se -croisaient avec quelque équipe de mulets, bien vivants ceux-là, l’odeur -des agapes anciennes leur montait aux narines, ils se précipitaient, ils -les auraient, semblait-il, dévorés séance tenante et tout crus. Ces -chiens de l’Alaska, si gracieux, si doux, si dociles, sont très capables -de se montrer féroces quand on les provoque. En particulier, ils ont la -haine des autres chiens oisifs et flâneurs qui, lorsqu’ils peinent, eux, -à traîner les fardeaux dont on les a chargés, les regardent le nez au -vent. J’ai vu de la sorte un malheureux petit fox-terrier, arrêté sur le -rebord de la tranchée et qui jappait joyeusement, plein d’inconscience, -au passage de ses collègues de l’Alaska. Le chien de tête, sans -interrompre sa course, l’attrapa d’un coup de gueule, le secoua et le -rejeta au suivant, et ainsi de suite: quand le dernier chien de -l’attelage fut passé, il n’y avait plus de petit fox-terrier...</p> - -<div class="figright" style="width: 334px;"> -<a href="images/mer-31_lg.jpg"> -<img src="images/mer-31_sml.jpg" width="334" height="208" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Évidemment, les miaules offraient plus de résistance à ces farouches -amateurs de viande de mulet. Mais après de semblables émotions, de tels -risques et de telles fatigues, ils avaient bien droit, eux aussi, à -figurer dans nos apothéoses. Il reste à savoir, au demeurant, s’ils -appréciaient pleinement nos façons de nous distraire, et si galoper le -soir, dans les rues de Saint-Amarin, un bouquet sur l’oreille il est -vrai, mais ayant sur le dos un gaillard brandis<span class="pagenum"><a name="page_12" id="page_12">{12}</a></span>sant une torche et -chantant à pleins poumons, il reste à savoir si cela les amusait autant -que nous...</p> - -<div class="figright" style="width: 247px;"> -<a href="images/mer-32_lg.jpg"> -<img src="images/mer-32_sml.jpg" width="247" height="320" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Pour ce qui est de nous, par exemple, notre allégresse était totale, -faite à la fois des dangers auxquels nous venions d’échapper et de -l’oubli que nous souhaitions de ceux qui, demain, nous attendaient -encore. Cette allégresse s’extériorisait comme il est coutume à des -hommes de vingt ans, car tous alors nous avions vingt ans, même les -vieux engagés, même ceux, officiers ou territoriaux passés dans -l’active, ceux qui étaient, par leur âge mais non par le cœur, moins -près de vingt ans, hélas! que de quarante!... Que de chansons, que de -refrains joyeux coururent alors tout le long de la vallée, comme pour -purifier l’air alsacien des odieux accents de la <i>Wacht am Rhein</i>!</p> - -<p>A ce propos, fixons un point d’histoire. Cette <i>Madelon</i>, qui allait -devenir l’héroïne peut-être la plus populaire de la guerre, elle est -partie de la vallée de la Thür, elle est partie de Saint-Amarin. Avant -d’être la compagne fêtée de tous les soldats de France et même de tous -les soldats alliés, nous l’avons connue, débutante modeste et timide, au -28ᵉ bataillon de chasseurs. Les chasseurs du 28ᵉ célébraient la -<i>Madelon</i> comme les chasseurs du 27ᵉ venus de Menton évoquaient les -<i>Bords de la Riviera</i>. Si un chasseur du 27ᵉ, au lieu de chanter <i>Sur -les Bords de la Riviera</i>, s’était alors avisé d’entonner la <i>Madelon</i>, -il manquait gravement à la tradition du bataillon, et au nom de l’esprit -de corps,—ou de cor,—il eût été vertement tancé par son commandant.</p> - -<p>Les régiments d’infanterie qui, au mois de juin, vinrent, en<span class="pagenum"><a name="page_13" id="page_13">{13}</a></span> descendant -de Verdun, «se refaire» en Alsace, y trouvèrent la gracieuse pupille du -28ᵉ bataillon, l’adoptèrent aussitôt, cependant que les chasseurs -allaient répandre et propager l’éloge et les mérites de la <i>Madelon</i> sur -les champs de bataille de la Somme.</p> - -<div class="figright" style="width: 367px;"> -<a href="images/mer-33_lg.jpg"> -<img src="images/mer-33_sml.jpg" width="367" height="274" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Mais <i>Madelon</i> a conquis sa première gloire dans les auberges d’Alsace, -c’est entre Thann et Wilderstein que, d’abord, elle fut célèbre, à -Bischwiller, à Willer, Moosch, Saint-Amarin, Ranspach, Wesserling, Odern -et Kruth,—Kruth, où Joffre avait déjeuné lors de son premier voyage en -Alsace, aux premières semaines de la délivrance, ainsi que le souvenir -en était précieusement conservé et doublement marqué par une inscription -ingénue, et par ce nom des trois Joffrettes que portaient désormais -fièrement les trois filles de l’aubergiste...</p> - -<p>Mais à présent, si nous revoyons quelque jour ces jolis villages, d’où -<i>Madelon</i> est partie, ne devons-nous pas craindre un peu de déception -peut-être,—passé le péril, passé le saint!...—et que la choucroute et -les vins du Rhin nous y semblent moins savoureux, et l’accueil moins -plaisant, d’un moins vif agrément? Les gâteaux que l’on mangeait à la -pâtisserie de Thann étaient-ils vraiment les meilleurs gâteaux du monde?</p> - -<p>Du moins ce qui ne saurait avoir changé, ce qui, avec le temps<span class="pagenum"><a name="page_14" id="page_14">{14}</a></span></p> - -<div class="figleft" style="width: 278px;"> -<a href="images/mer-34_lg.jpg"> -<img src="images/mer-34_sml.jpg" width="278" height="349" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p class="nind">et à distance, nous apparaît toujours également digne de notre -admiration émue, c’est le cœur fidèle des habitants. Parmi tant de -traits dont nous fûmes témoins ou qui nous furent contés, j’entends -encore l’histoire attendrissante du vieux domestique des demoiselles -D... Chaque année, pendant quarante-trois ans, la fête de l’Empereur -fut, pour les Alsaciens, une occasion d’affirmer leur loyalisme et leur -mémoire. Ce jour-là, tandis que, par ordre, les édifices publics se -pavoisaient aux couleurs allemandes, régulièrement, immanquablement, un -drapeau français apparaissait tout à coup au faîte du plus haut sapin de -la forêt voisine, pour la plus grande confusion du gendarme allemand. -Mais sa pire, sa plus tragique déconvenue, au gendarme allemand, c’est -ce qui lui était arrivé, lorsque, pour la première fois, on voulut -célébrer cette fête après l’annexion, à Saint-Amarin. Les habitants de -Saint-Amarin n’avaient-ils pas eu, ce jour-là, la savoureuse, -l’étonnante et joyeuse surprise, lorsqu’au matin ils sortirent de leurs -maisons, de voir, sur la propre maison du garde des forêts, cette bête -malfaisante, une inscription, en lettres gigantesques, où le nom de -l’empereur d’Allemagne s’accompagnait, en toute sérénité, d’une grasse -injure bien française. Et jamais, en dépit de toutes les enquêtes, de -toutes les persécutions et de toutes les recherches, jamais le gendarme -allemand, jamais la police allemande,</p> - -<div class="figcenter" style="width: 392px;"> -<a href="images/mer-35_lg.jpg"> -<img src="images/mer-35_sml.jpg" width="392" height="550" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_15" id="page_15">{15}</a></span></p> - -<p class="nind">n’avaient pu soupçonner l’auteur de cette profession de foi si -tranquillement provocatrice, jamais le gendarme allemand, jamais la -police allemande, n’avaient pu mettre la main sur lui...</p> - -<p>Or voici qu’en août 1914, lorsque les premières troupes françaises -eurent cantonné dans la vallée de la Thür, les demoiselles D... reçurent -une lettre de Besançon. Un domestique de leur père,—leur père, mort -depuis, exerçait avant la guerre de 1870, la médecine à Saint-Amarin où -les demoiselles D... étaient demeurées,—ce vieux domestique qui, en -quittant leur service, s’était retiré à Besançon, leur écrivait:</p> - -<p>—«Mes chères demoiselles,—je crois que le moment est venu de vous -révéler un grand secret. C’est moi qui avais écrit «...pour le Kaiser» -sur la maison de M. le Garde des Forêts...»</p> - -<p>Oui, <i>le moment était venu</i>, en effet, et ce moment attendu avec tant de -ferveur, nous avons pu constater que, tout autant que dans la vallée de -la Thür, il était accueilli avec une joie égale dans la vallée de la -Doller, ou dans la plaine de Dannemarie. Dannemarie, c’était le -Saint-Amarin des secteurs de la plaine. On y venait au sortir des sapes -de la Maison Forestière, par exemple, comme, à Saint-Amarin, en -descendant du Südel ou de l’Hartmann. Une «Maison Forestière» avec des -sapes, quand le seul nom de «Maison Forestière» évoque des ombrages -accueillants et frais, quelque joyeux pique-nique, et l’omelette et le -bon lait que vous apporte la femme du garde...</p> - -<p>Sans doute là-haut, sur l’Hartmann, une canonnade entendue dans la -plaine ne nous préoccupait guère:—Ce n’est rien! ça doit se passer du -côté de Dannemarie!... Et de même, d’ailleurs, transportés dans un -secteur de Dannemarie, nous écoutions sans émotion excessive ce qui nous -semblait devoir être «encore un coup des Boches sur l’Hartmann».</p> - -<p>Mais tout cela était terre d’Alsace délivrée ou à délivrer.<span class="pagenum"><a name="page_16" id="page_16">{16}</a></span></p> - -<p>Et certes cette Alsace était encore empoisonnée, par endroits, des -ferments mauvais que l’Allemand avait pris grand soin d’y laisser en se -retirant, pour retarder notre conquête, comme il avait accoutumé, quand -il devait abandonner une position, d’y préparer, à l’intention des -nouveaux occupants, des fourneaux de mine... Nous avons eu aussi de -belles histoires d’espionnage. Dans la vallée de Saint-Amarin, c’étaient -les bouteilles confiées aux eaux de la Thür pour porter nos secrets -militaires jusqu’aux lignes ennemies. Et à Dannemarie, il y eut les -téléphones dans les caves, les téléphones pour régler le tir des -batteries allemandes qui démolirent une seconde fois le viaduc à -l’instant précis où, reconstruit, on s’apprêtait solennellement à -inaugurer sa mise en service. Elles étaient d’ailleurs bien pittoresques -et imposantes, ces ruines du viaduc de Dannemarie, on eût dit, à les -voir ainsi, d’un coin de la campagne romaine, et le savant travail de -nos ingénieurs eût, à coup sûr, beaucoup moins tenté les amateurs de -photographie, si les Boches ne l’avaient pas fait sauter... Mais nous ne -voulons pas insinuer qu’il ait sauté sur l’indication des -photographes!...</p> - -<div class="figleft" style="width: 302px;"> -<a href="images/mer-38_lg.jpg"> -<img src="images/mer-38_sml.jpg" width="302" height="352" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Les briques de ses arches détruites, comme celles du Forum ou de Pompéi, -n’enrichissent point, cependant, le petit musée de guerre que rapportait -pieusement chez lui chaque permissionnaire; c’eût été un souvenir un peu -encombrant; et puis les entrepreneurs de Belfort en avaient, -certainement, un emploi meilleur, plus pratique et plus immédiat. Les -petits cailloux roulés par la Doller, avec leurs reflets et leurs -facettes multicolores, étaient plus précieux et<span class="pagenum"><a name="page_17" id="page_17">{17}</a></span> plus appréciés, qui -rehaussèrent d’un intérêt nouveau, lorsqu’elles commençaient à être un -peu démodées et banales, les classiques bagues d’aluminium.</p> - -<p>Et le plus joli souvenir, le plus émouvant, pour les combattants de ce -coin d’Alsace, fut encore celui qu’avait imaginé l’ingéniosité du chef -armurier du 152ᵉ régiment d’infanterie,—de ce fameux Quinze-Deux qui -inscrivit dans cette région les pages les plus héroïques de son histoire -glorieuse. Lors de la prise de Steinbach, on avait retrouvé dans les -décombres de l’église les morceaux de la cloche qui s’était brisée en -tombant du clocher fracassé. Le chef armurier avait eu l’idée de les -recueillir, d’en ciseler divers objets, et c’est ainsi que j’ai pu -suspendre au berceau de ma petite fille une croix faite avec le métal de -la cloche de Steinbach.</p> - -<div class="figright" style="width: 334px;"> -<a href="images/mer-39_lg.jpg"> -<img src="images/mer-39_sml.jpg" width="334" height="555" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Et je me souviens de cette chanson des «Cloches d’Alsace» qu’un soir où -les bataillons donnaient un grand concert «suivi de retraite aux -flambeaux et de bal», pour inaugurer le kiosque à musique que nous -avions construit sur la place de Saint-Amarin, je me souviens de cette -chanson qu’un chasseur qui avait une<span class="pagenum"><a name="page_18" id="page_18">{18}</a></span> voix magnifique—on trouve de tout -dans les bataillons de chasseurs—se mit à entonner avec -l’accompagnement d’une fanfare. Ce n’était plus la <i>Madelon</i>;—mais la -mélodie s’élevait, puissante et grave, appelant tous les clochers -d’Alsace au carillon de la délivrance prochaine. Et j’ai songé bien -souvent, depuis, et plus encore depuis la victoire, j’ai songé à la -charmante place de Saint-Amarin, à la foule confiante et cordiale qui se -pressait autour de ce kiosque pacifique dont nous étions si fiers, j’ai -songé à la belle chanson, et au chasseur qui la chantait avec tant de -flamme, et aux autres chasseurs; à tous les chasseurs mes camarades,—en -regardant la croix de ma petite fille, la croix faite du métal brillant -et sonore de la cloche de Steinbach...</p> - -<div class="poetry"> -<div class="poem"><div class="stanza"> -<span class="i0"><i>Les cloches d’Alsace ont sonné!...</i><br /></span> -</div></div> -</div> - -<div class="figcenter" style="width: 268px;"> -<a href="images/mer-40_lg.jpg"> -<img src="images/mer-40_sml.jpg" width="268" height="278" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_19" id="page_19">{19}</a></span></p> - -<h2><a name="LE_CHEMIN" id="LE_CHEMIN"></a>LE<br /> -CHEMIN DES DAMES<br /> -<a href="images/mer-41_lg.jpg"> -<img src="images/mer-41_sml.jpg" width="534" height="359" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</h2> - -<p class="nind"><span class="letra">U</span>N méchant chemin de grande ou moyenne communication, pas même une route -départementale!... Et voilà le lieu de tous ces combats sanglants, où, -pendant des mois, des années, fut suspendue notre angoisse, où il sembla -même un instant que devait se jouer le sort de la France!...</p> - -<p>Un matin de juillet 1917, après une vertigineuse attaque en direction de -la ferme de la Royère, tous les objectifs dépassés, ils étaient là une -dizaine de petits chasseurs—l’aîné n’avait pas vingt ans—qui fumaient -de gros cigares en surveillant la contre-attaque. Fumer à cinq heures du -matin de ces gros cigares boches, durs et verts, qu’est-ce qu’elles -auraient dit, si elles les avaient vus, les pauvres mamans de ces -héroïques gamins!... Il est vrai que, si elles les avaient vus alors, -d’autres sujets d’effroi auraient bouleversé leur sollicitude et leur -tendresse, d’autres sujets plus pressants que la crainte, les voyant -ainsi fumer, qu’ils n’en fussent malades!...<span class="pagenum"><a name="page_20" id="page_20">{20}</a></span> Mais le cigare de l’ennemi -tué ne fait jamais mal au cœur. Et c’étaient les cigares de quelque -«oberst», en effet, découverts dans l’abri bétonné dont les occupants -avaient été chassés à coups de grenades, que dégustaient fièrement, de -si bon matin, ces jeunes vainqueurs... Et comme je leur demandais s’ils -savaient que l’abri dont ils s’étaient emparés, était creusé, -précisément, en dessous de la chaussée du Chemin des Dames, ce nom -fameux, cet emplacement tragiquement célèbre, ne semblèrent pas les -impressionner autrement, et simplement avaient-ils constaté que «c’était -bien possible», sans en perdre une bouffée de cigare...</p> - -<div class="figleft" style="width: 285px;"> -<a href="images/mer-42_lg.jpg"> -<img src="images/mer-42_sml.jpg" width="285" height="604" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Et j’ai un autre souvenir. C’était après la victoire de la Malmaison. Le -moulin de Laffaux, le château de Pinon, étaient soudainement et -miraculeusement devenus des endroits touristiques vers lesquels -s’empressaient les missions de journalistes et de parlementaires. On -venait déjeuner à Soissons, et de là on s’engageait sur la route de -Maubeuge pour aller admirer des carrières célèbres, des<span class="pagenum"><a name="page_21" id="page_21">{21}</a></span> entonnoirs -extravagants; et l’on ne savait si l’on devait s’émerveiller davantage, -ou de la puissance terrifiante avec laquelle les artilleurs avaient -bouleversé le terrain, ou de l’habileté et de la rapidité dont -témoignaient les sapeurs du génie pour réparer les dégâts causés par les -artilleurs, et rétablir derrière eux une circulation presque normale... -Donc la route de Maubeuge connut alors des visiteurs qui, par leur -qualité et leur notoriété bien parisiennes, la rendaient quasi semblable -au boulevard à cinq heures du soir. En sorte que les conversations -finissaient par y devenir des conversations de boulevard, une fois la -première émotion passée et les premiers cris arrachés par la grandeur -tragique d’un spectacle inouï. J’entends encore un de ces visiteurs, et -non des moindres, apporter, sur cette route de Maubeuge, les derniers -potins de l’affaire Bolo; aussi bien n’était-ce point un sujet de -conversation si incohérent ni si déplacé, en cet endroit où s’était -déroulée la partie capitale de l’offensive d’avril, dont les suites ne -furent peut-être pas sans quelque relation avec cette affaire. A un -embranchement de la route, soudain quelqu’un s’arrêta, arrêta ses -compagnons, interrompit le personnage bien informé, et montra sur la -droite:</p> - -<p>—Le commencement du Chemin des Dames!...</p> - -<p>—Ah! oui, parfaitement!... acquiesça le conteur avec un regard -complaisant et distrait; puis le petit groupe reprit tout aussitôt sa -marche, et notre homme ses révélations passionnantes.</p> - -<p>La véritable importance stratégique du Chemin des Dames, beaucoup mieux -que sur le terrain, beaucoup mieux qu’auprès des «exécutants» chargés de -s’en emparer ou de le défendre, on la percevait pleinement sur l’immense -plan en relief qu’avait fait établir par son service géographique le -chef de la sixième armée. Ce plan occupait à lui seul un petit salon de -cette belle villa de Belleu, où le général commandant la sixième armée -avait installé son quartier général, tandis que tout autour, dissimulées -sous les arbres du parc,<span class="pagenum"><a name="page_22" id="page_22">{22}</a></span> des baraques en bois, que le camouflage avait -soigneusement peintes en vert et jaune, et recouvertes de branchages, ce -qui leur donnait l’aspect d’un joujou de Noël, des baraques Adrian -abritaient l’État-Major. Elle était confortable la villa de Belleu, elle -n’était pas d’un goût très pur, et se singularisait notamment par tout -un luxe d’appareils d’éclairage du plus fâcheux style munichois. Seul le -petit salon, qui servait de bureau à l’officier d’ordonnance du général, -avait été débarrassé en partie pour faire place au plan en relief du -Chemin des Dames. Devant ce plan, dans ce petit salon, je revois, réunis -le 24 octobre 1917, les correspondants de guerre français, anglais et -américains, à qui, tout rayonnant de la victorieuse opération de la -veille, le chef d’État-Major explique comment elle fut conçue et -exécutée. Soudain la grande porte s’est ouverte sans bruit, qui -communique avec le cabinet du général, et le général, mêlé aux -journalistes, écoute les explications de son chef d’État-Major; c’est, -grand et mince, un peu voûté, les yeux plissés de bonhomie et de malice, -toujours souriant et simple, et tenant entre les doigts son éternelle -cigarette, c’est le général Maistre qui, depuis hier, a inscrit son nom -dans l’histoire de la guerre avec cette désignation magnifique: le -vainqueur de la Malmaison.</p> - -<p>La victoire de la Malmaison avait dégagé le Chemin des Dames, elle en -rendait, d’un bout à l’autre, la position intenable pour l’ennemi; c’est -ce que le plan en relief rendait sensible aux regards même des profanes, -aux esprits les moins avertis. La répercussion devait se faire sentir -aussitôt jusqu’au delà d’Hurtebise et de Craonne. C’était désormais -Soissons complètement dégagée, où en toute sécurité pourraient se -réinstaller les commerçants empressés à nous vendre des cuirs anglais, -de la parfumerie et des conserves de toutes sortes. Et les dames -américaines venues à Blérancourt pour aider avec un si généreux -empressement à la reconstitution des villages de l’Aisne que les -Allemands avaient laissés en un si lamentable état lors de leur<span class="pagenum"><a name="page_23" id="page_23">{23}</a></span> -précédent repli, les dames américaines pouvaient, joyeuses et fébriles, -vérifier le bon fonctionnement de leur cuisine roulante automobile qui -devait servir, en arrivant à Laon, à donner tout de suite de la bonne -soupe chaude à la population libérée, mais affamée sans doute...</p> - -<div class="figcenter" style="width: 529px;"> -<a href="images/mer-45_lg.jpg"> -<img src="images/mer-45_sml.jpg" width="529" height="463" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Hélas! l’incompréhensible et foudroyante surprise d’une nouvelle -offensive allemande allait, quelques mois plus tard—mais pour un temps, -cette fois, heureusement court—détruire brutalement de légitimes -espérances, tous les fruits précieux de la victoire de la<span class="pagenum"><a name="page_24" id="page_24">{24}</a></span></p> - -<div class="figleft" style="width: 386px;"> -<a href="images/mer-46_lg.jpg"> -<img src="images/mer-46_sml.jpg" width="386" height="320" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Malmaison. Dans Soissons à nouveau bombardée, les Allemands -redescendirent du Chemin des Dames reconquis et dépassé au pas de -course; ils revirent les vergers, dont, en se retirant l’été précédent, -ils avaient coupé les arbres, et qui blessés, martyrisés, leur tendaient -encore cependant des branches verdoyantes toutes neuves—car la nature -au printemps se montrait plus forte que la haine et l’odieuse perversité -de ses bourreaux, monstres à figure d’hommes... Belleu fut atteint, que -l’état-major de l’armée avait dû quitter en toute hâte sous les obus: un -officier fut tué là devant sa baraque, l’innocente petite baraque, comme -un jouet de Noël, où le premier bureau rangeait ses paperasses, le -premier bureau, aux occupations paisibles entre toutes: personnel, -avancement, décorations... Comme il semblait loin maintenant le jour -radieux où, à tire-d’aile, dans l’air brumeux et froid de cette matinée -du 23 octobre, un pigeon-voyageur était arrivé le premier, pour annoncer -au général Maistre que le fort de Malmaison venait (il y avait sept -minutes exactement), venait d’être occupé par nos troupes qui -«progressaient sur toute la ligne»!... Et je me suis souvent demandé ce -qu’était devenu le beau plan en relief, sur lequel avait été étudiée si -minutieusement, et si bien pré<span class="pagenum"><a name="page_25" id="page_25">{25}</a></span>parée la victoire d’octobre,—si l’on -avait eu le temps de l’emporter, pris la précaution de le détruire,—ou -si, au contraire, les Allemands l’avaient retrouvé là, dans le petit -salon attenant au cabinet du général et qui servait de bureau à son -officier d’ordonnance, si les Allemands, après nous avoir repris le -Chemin des Dames, en avaient pu remporter avec eux, trop précieux -trophée, cette effigie de plâtre?...</p> - -<div class="figright" style="width: 368px;"> -<a href="images/mer-47_lg.jpg"> -<img src="images/mer-47_sml.jpg" width="368" height="502" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>La foudroyante avance ennemie sur le Chemin des Dames fut accueillie -avec une émotion que l’on n’a pas oubliée; mais surtout elle causa une -stupeur singulière à tous ceux qui, au cours des mois précédents, -avaient été appelés à participer aux durs et multiples combats dont le -Chemin des Dames avait été le théâtre et l’objectif constants. Eh! quoi, -quelques heures avaient pu suffire pour jeter bas ce formidable système -de défense, édifié (eux, ils le<span class="pagenum"><a name="page_26" id="page_26">{26}</a></span> savaient mieux que personne!) au prix -de quels efforts, de quels sacrifices et de quelle peine, cimenté avec -tant de sang!</p> - -<p>Quand on avait vu comme eux, au moment de la préparation des offensives, -cette route de Soissons à Reims, à peu près parallèle au Chemin des -Dames, et qui était comme les coulisses de la bataille!... Quelle -puissance de moyens d’action, quelle abondance de troupes de toutes -armes et de toutes couleurs!... Depuis les Annamites, tout menus et -souples, employés à construire les immenses baraquements des -installations hospitalières de campagne, pour lesquels ils se montraient -des ouvriers exceptionnellement adroits et habiles, jusqu’aux Soudanais, -jusqu’aux Malgaches, à la fois terribles et ingénus!</p> - -<p>Ah! il ne faisait pas bon avoir affaire à quelqu’un de ces nègres, placé -en sentinelle à l’entrée d’un village, quand on avait oublié le «mot»!.. -Et même quand on le savait, ce mot, mais qu’il était d’une prononciation -un peu difficile: si vous ne le prononciez pas avec l’accent «nègre», -qui le déformait parfois d’une façon vraiment inattendue et spéciale, il -vous fallait renoncer à passer!</p> - -<p>La légendaire férocité de ces braves soldats de couleur se mêlait -d’ailleurs à la plus naïve bonhomie.</p> - -<p>Je revois encore cette scène: à Braisne, devant la maison du commandant -de l’un de ces bataillons malgaches, était arrêtée une automobile -américaine. Le planton du commandant, en faction à la porte, regardait -l’automobile, regardait le conducteur américain. Et comme il était de -nature avenante, et que le silence lui pesait: «Y en a bon?» -demande-t-il à l’Américain. L’Américain sourit et se tait. «Y en a pas -bon?» insiste le Malgache. L’Américain sourit encore mais se tait -toujours. Alors l’autre, superbe et méprisant: «Ti pas connaître -français? Ti jamais allé à l’école!...»</p> - -<p>Au repos, ces bataillons donnaient des fêtes merveilleuses, et les -plaines de l’Aisne retentirent de chants aux accompagnements<span class="pagenum"><a name="page_27" id="page_27">{27}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 460px;"> -<a href="images/mer-49_lg.jpg"> -<img src="images/mer-49_sml.jpg" width="460" height="377" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>étranges, et virent des danses qui évoquaient les cieux les plus -lointains! Certaines de ces danses cependant ne laissaient pas d’être -adaptées au cadre et aux circonstances, et il nous souvient d’avoir vu -un grand diable de nègre improviser et mimer une extraordinaire «danse -de la bombe à ailette», avec les gestes de frayeur, quand le sifflement -précurseur s’est fait entendre, les mouvements désordonnés, pour -échapper aux menaces d’éclatement, et le «pas de l’allégresse» quand la -bombe, ayant éclaté, vous a laissé indemne... Et ce divertissement -montrait bien que les troupes noires, en dépit de ce qui a été dit, -pouvaient «tenir sous le bombardement», que le bombardement ne leur -causait plus cette sorte de terreur sacrée des premiers temps,<span class="pagenum"><a name="page_28" id="page_28">{28}</a></span> puisque -maintenant ils le tournaient en dérision et en accueillaient la parodie -avec de grands rires naïfs...</p> - -<p>Même sans être un nègre, on avait l’occasion certes de se familiariser -avec toutes les sortes de bombardement. Sur les arrières, jusque sur nos -hôpitaux, les avions faisaient rage. C’est dans cette région que régnait -le fameux Fantomas, le Boche légendaire qui descendait jusqu’à vingt -mètres des tranchées ou des routes qu’il devait mitrailler; on tirait -dessus, on croyait l’avoir abattu,—et brusquement il se relevait, -jetant, comme des prospectus sur la plage de Deauville, une pluie de -cartes de visite: «Fantomas.»</p> - -<p>Mais nous avions mieux que Fantomas; nos meilleurs aviateurs campaient -sur les plateaux voisins, si propices à leurs évolutions les plus -téméraires. Longtemps l’escadrille des Cigognes fut, entre Fismes et -Crugny, à la ferme de Bonnemaison. C’est à Bonnemaison que Guynemer -reçut sa croix d’officier de la Légion d’honneur. De Compiègne, les -parents du jeune héros étaient venus assister à son apothéose. Dans un -groupe, après la cérémonie, il s’entretenait familièrement avec ses -chefs; il disait, avec son admirable simplicité, ses projets, ses rêves; -ses exploits magnifiques ne le satisfaisaient pas encore; pour obtenir -les renseignements utiles, nécessaires, il rêvait d’une manœuvre hardie -qui lui permettrait de ramener indemne un de ses adversaires de -l’air:—Oui, je voudrais en prendre un vivant!...</p> - -<p>Mais près de lui une voix de femme, une voix timide, maternelle et -douce, avait murmuré:</p> - -<p>—Non, mon petit Georges, non, j’aime mieux que tu les tues!</p> - -<p>Une nuit, une escadrille allemande vint survoler et bombarder sévèrement -Bonnemaison; mais les heureuses et intrépides Cigognes l’avaient quitté -depuis la veille...</p> - -<p>Mais maintenant que les Allemands avaient si aisément, si rapidement, -dépassé la route de Soissons à Reims, qu’ils traversaient le Tardenois, -qu’ils marchaient vers Château-Thierry, nous songions,<span class="pagenum"><a name="page_29" id="page_29">{29}</a></span> la rage au cœur, -à tous ces camps d’aviation, à tous ces hangars immenses et bondés -d’appareils, à tous ces nids de héros, dont ils s’empareraient sans -lutte, et qu’ils pourraient utiliser ou incendier. Et tant de positions -de batterie, dont on n’aurait pu retirer les pièces, et tout ce matériel -sanitaire emplissant les baraquements des H.O.E! Car le remède avait été -partout soigneusement placé à côté du mal, et l’on avait multiplié, -comme il convient, les moyens de guérir, à côté des moyens de détruire. -Sur les bords de l’Aisne, nous avions vu arriver un jour les tentes de -l’ingénieux docteur Marcille, et son «cirque» chirurgical; et l’Aisne -elle-même avait été sillonnée de péniches propres au transport des -blessés, qui naviguaient de concert avec les canonnières redoutables. -Oui, la rivière avait été, elle aussi, mobilisée, mobilisée comme la -route, comme le chemin de fer avec ses «épis» où s’aiguillaient les -pièces de marine et les trains blindés...</p> - -<div class="figright" style="width: 351px;"> -<a href="images/mer-51_lg.jpg"> -<img src="images/mer-51_sml.jpg" width="351" height="426" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_30" id="page_30">{30}</a></span></p> - -<p>Penser que des wagons passeront à nouveau dans cette région, avec leurs -compartiments bourrés de commères et de commis-voyageurs; que l’on -circulera à bicyclette sur le Chemin des Dames, et que des pêcheurs à la -ligne s’installeront paisiblement le long des rives charmantes de -l’Aisne et de la Vesle!... Mais oui, il y avait eu des pêcheurs à la -ligne au pont de Pontavert, par exemple, il y en aura encore!... -J’évoque Pontavert comme un des endroits les plus sinistres qu’il m’ait -été donné de traverser; endroit sinistre à la fois, et sournois: le -village n’était pas encore démoli complètement; on y arrivait par une -route à peu près tranquille, venant de Roucy, qui était un des grands -observatoires de la région, avec la ferme de Beauregard. C’est à la -ferme de Beauregard ou au Moulin de Roucy que l’on avait la plus -complète vue d’ensemble de cet immense paysage de bataille, jusqu’aux -plateaux d’Hurtebise et de Craonne. Paysage de bataille éternel, et que -Napoléon, lui aussi, avait contemplé en 1814. On s’est souvent -demandé—question piquante mais oiseuse—ce que Napoléon aurait dit et -fait, le Napoléon de 1814, s’il s’était tout à coup retrouvé là en 1917 -ou 1918: la seule chose que l’on puisse répondre à peu près sûrement, -c’est qu’il eût été bien étonné!... En tout cas il eût été, à tout le -moins, aussi étonné que nous, ce jour où, à une demi-heure d’intervalle, -dans la prairie qui dévalait près du Moulin de Roucy, nous vîmes -atterrir frais et dispos, en parachute, deux observateurs dont les -aviateurs ou les artilleurs allemands venaient d’incendier coup sur coup -les «saucisses»...</p> - -<p>Ce jour-là, si l’on avait dû traverser Pontavert, eût-il fallu prendre à -gauche ou à droite? Ce qui caractérisait en effet si agréablement ce -joli village, c’est qu’il y avait toujours des obus à y recevoir. On -s’arrêtait bien sagement, avant d’y pénétrer, près d’une tuilerie; de -là, on cherchait à se rendre compte si l’artilleur boche misait sur le -tableau de gauche ou sur celui de droite, après quoi</p> - -<div class="figcenter" style="width: 420px;"> -<a href="images/mer-53_lg.jpg"> -<img src="images/mer-53_sml.jpg" width="420" height="550" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_31" id="page_31">{31}</a></span></p> - -<p class="nind">on filait à droite ou à gauche, en souhaitant simplement que la -fantaisie ne lui prît pas tout à coup de changer sa chance,—et la -nôtre,—en modifiant brusquement sa série... Il n’y avait pas de -flâneurs, dans les rues de Pontavert, et l’on n’y voyait que des gens -courir, ce qui, pour le nouvel arrivant, est toujours un indice de -mauvais augure, et un spectacle peu rassérénant...</p> - -<div class="figright" style="width: 265px;"> -<a href="images/mer-55_lg.jpg"> -<img src="images/mer-55_sml.jpg" width="265" height="413" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Si le hasard me ramène quelque jour à Pontavert, j’aimerai m’y promener -à tous petits pas. Mais il faut faire un effort pour imaginer que l’on -pourrait un jour, tranquillement, aller dans un de ces petits villages, -où la vie aurait repris paisible et quotidienne, s’arrêter chez -l’épicier d’Oulches, aller acheter des cigarettes au débit de tabac de -Dravegny (et d’abord qu’il y eût encore un débit de tabac où il y eût à -nouveau des cigarettes...)</p> - -<p>Entre la route de Soissons à Reims par Braisne et Fismes et, là-haut, le -Chemin des Dames, il y avait une autre parallèle intermédiaire, la route -de Soissons à Berry-au-Bac, par Vailly. Ainsi semblait-il que, par -avance, la géographie et le service vicinal se fussent plu à ménager les -effets, à dresser la carte de nos émotions, à marquer les limites -évidentes et commodes pour l’horreur plus ou moins vive, pour le danger -plus ou moins grand. Il est certain qu’en dépit des raids d’avions trop<span class="pagenum"><a name="page_32" id="page_32">{32}</a></span> -fréquents pour que l’on en goûtât pleinement les charmes, le séjour de -Fismes sentait encore la civilisation. Il y avait des boutiques de la -plus aimable diversité, une charcuterie renommée. On montrait la maison -(tout à fait la maison du notaire ou du vieux docteur, même si—j’aurais -pu me renseigner—aucun médecin ni aucun notaire ne l’ont jamais -habitée...), la maison où le général Mangin avait eu son poste de -commandement, lors de l’offensive d’avril, la maison où M. Clemenceau -avait couché, quand il n’était pas encore l’organisateur de la -victoire...</p> - -<div class="figleft" style="width: 394px;"> -<a href="images/mer-56_lg.jpg"> -<img src="images/mer-56_sml.jpg" width="394" height="303" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Les choses commençaient à se gâter presque tout de suite, lorsqu’ayant -admiré l’Hôtel de ville,—de ces hôtels de villes qui semblent avoir été -construits tout exprès pour y accrocher des drapeaux et y lire, en haut -du perron, des proclamations enthousiastes,—on descendait vers le -passage à niveau qui consentait rarement à vous laisser passer tout de -suite, toujours encombré de troupes, de convois, ou de colonnes -d’artillerie, de voitures de ravitaillement. Et après avoir descendu, on -remontait aussitôt, pour avoir aussitôt l’impression du calvaire, -puisque c’est par là que l’on devait «monter vers l’avant». Et l’on -s’acheminait ainsi vers cette deuxième parallèle de départ, qu’était la -route de Vailly. Ici l’on disait adieu aux derniers civils, comme au -delà, il faudrait dire adieu aux dernières maisons.<span class="pagenum"><a name="page_33" id="page_33">{33}</a></span></p> - -<p>Maizy, Beaurieux, cités fertiles en artilleurs... A Beaurieux, il y -avait encore un hôpital de la Croix-Rouge, un quartier général de -division,—il y eut même jusqu’à deux états-majors divisionnaires, -chacun dans de gaies et confortables maisons de campagne toutes pleines -de jolis meubles, de tentures claires et de portraits de famille: une -maison de campagne à Beaurieux!—La vue, il est vrai, y était -magnifique, comme un avant-goût de ce qu’elle devait être au Chemin des -Dames... Et il y avait encore, à Beaurieux, quelques gamins qui jouaient -dans les rues, ce qui, sans doute, n’était pas très prudent...</p> - -<p>Mais après Beaurieux, le paysage devenait exclusivement militaire et -tout à fait dépourvu d’agrément, en dépit de ces noms charmants et -tentateurs: le P. C. Eden, Moulin Rouge...</p> - -<p>C’est à Moulin Rouge que défilèrent une nuit les trois cents prisonniers -de la Caverne du Dragon. On n’a pas oublié cette opération si habilement -et vigoureusement conduite, avec, aussi, cette part de chance -indispensable, de l’aveu de tous les stratèges, pour parachever le -succès. Et la première chance n’avait-elle pas été que la «creute» -fameuse s’appelât précisément la «Caverne du Dragon», ce qui sonne comme -un titre de film cinématographique, bien propre à frapper l’imagination, -et à se graver dans les mémoires?</p> - -<p>Aussi bien l’exploit était digne du titre. Les «creutes», carrières ou -champignonnières, constituaient des abris de premier ordre, qui -rendirent exceptionnellement difficile, longue et pénible la bataille de -l’Aisne. Mais, si les occupants s’y sentaient en parfaite sécurité, -c’était à condition d’en pouvoir sortir.</p> - -<p>Au début de l’affaire que nous relatons, quelques obus particulièrement -heureux causèrent des éboulements qui avaient obstrué les principales -issues de la Caverne. Après quoi, des asphyxiants énergiques rendirent -inquiet et rêveur, comme un renard que l’on<span class="pagenum"><a name="page_34" id="page_34">{34}</a></span> enfume, le Dragon qui était -dedans,—ou du moins les 300 Boches qui y figuraient le Dragon.</p> - -<div class="figcenter"> -<a href="images/mer-58_lg.jpg"> -<img src="images/mer-58_sml.jpg" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>En sorte que lorsque les assaillants—il suffit même, assura-t-on, d’un -seul assaillant—ayant découvert l’unique et dernier couloir de sortie -qui fût encore libre, nos Boches furent poliment invités à s’y -rendre,—et à se rendre,—ils ne se le firent pas dire deux fois...</p> - -<p>Chose extraordinaire, cependant, quand on demanda au médecin allemand de -haut grade, que l’on eut la satisfaction de trouver parmi les -prisonniers, ce qu’il pensait des effets de nos obus à gaz, le médecin -allemand affirma, avec morgue et le plus ironique mépris, que seuls les -gaz allemands avaient une véritable, une sérieuse efficacité, mais que -les gaz français, grâce à l’excellence des masques allemands—et à -l’ignorance, sous-entendait-il, des chimistes et des savants -français,—nos gaz étaient une plaisanterie qui faisait sourire de -pitié, derrière leurs groins de porc, les soldats allemands: Mais alors -pourquoi s’étaient-ils rendus si vite?...</p> - -<p>Établi à l’ombre des grands arbres, dans un site verdoyant, le P. C. -Moulin Rouge était un asile sylvestre et champêtre des plus agréables, -mais d’un horizon strictement limité; il fallait gagner à 1 500 mètres -environ la lisière du bois, et s’engager sur le chemin, pas toujours -très sûr, du Village Nègre pour apercevoir à la jumelle ce qui avait été -la Ferme et le Monument d’Hurtebise, et les travaux du Doigt d’Hurtebise -que dégagea si heureusement l’opération de la<span class="pagenum"><a name="page_35" id="page_35">{35}</a></span> Caverne du Dragon. Mais -le «superbe point de vue», on l’aurait trouvé de préférence au P. C. -Triangulaire.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 701px;"> -<a href="images/mer-59_lg.jpg"> -<img src="images/mer-59_sml.jpg" width="701" height="171" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>P. C. Triangulaire, Bois Triangulaire,—la simple géométrie semble avoir -suppléé ainsi dans bien des cas et bien des endroits du front à -l’indigence ou à la paresse d’invention des cartographes. Du moins -comprenait-on aussitôt que le P. C. Triangulaire occupait un point du -plateau qui s’avançait en triangle, en effet, comme une proue de navire, -dans la direction de l’ennemi, face à Craonne et Craonnelle.</p> - -<p>Ce qu’un cuisinier que j’ai connu appréciait du P. C. Triangulaire, ce -n’était pas cependant le panorama. Il était préférable, aussi bien, de -ne point trop s’attarder à le contempler, et l’on sait de reste que, -dans ce genre de villégiatures qu’étaient les P. C., on n’avait pas -accoutumé, pour séduire les nouveaux arrivants et futurs locataires, de -leur offrir des chambres avec de larges baies que l’on aurait ouvertes -en claquant les volets et en les invitant à admirer l’étendue du -paysage:</p> - -<p>—Tenez, vous aurez une vue magnifique sur Craonnelle!...</p> - -<p>Mais profitant des heures propices où l’artillerie ennemie se -repose,—on sait que chaque secteur a son «régime» d’artillerie, -c’est-à-dire que l’on arrive à connaître assez exactement les habitudes -d’estomac de l’artilleur d’en face, et le moment qu’il consacre à son -déjeuner et à son dîner,—notre cuisinier se glissait jusqu’aux premiers -jardins de Craonnelle, où il avait repéré des<span class="pagenum"><a name="page_36" id="page_36">{36}</a></span> plants d’asperges «que ça -aurait été dommage de les laisser perdre sans en profiter»... Ce régal, -assurément, n’était pas sans risque. Pourtant si l’artilleur allemand -avait modifié ses heures de repas et qu’il fût arrivé malheur à cet -amateur d’asperges, eût-il convenu de le citer en exemple comme puni de -sa gourmandise ou victime de son héroïsme? Tous ses camarades, il est -vrai, bénéficiaient de cette gourmandise téméraire. Je crois qu’il faut -avoir vécu dans la nuit des «creutes», avoir plongé dans les profondeurs -des sapes, pour comprendre les suprêmes délices d’y savourer des légumes -frais,—attrait qui doit participer de cette lumière dont nous sommes -privés, de ce soleil qui les fit croître et qu’ils nous apportent? Et -c’est ainsi que je penserai toute ma vie avec émotion aux salades de -pissenlits que, durant l’offensive de Moronvilliers, une ordonnance -ingénieuse et dévouée trouvait le loisir de cueillir je ne sais où pour -nous en procurer le réconfort imprévu dans notre lugubre abri du Bois -Noir...</p> - -<p>Du Plateau Triangulaire, la vue s’étendait en direction de Laon, sur la -plaine bouleversée et désertique, que sillonnaient sans cesse, tragique -et sinistre feu d’artifice, l’éclair des obus, les jets de fumée des -éclatements.</p> - -<p>En direction de Laon: qui eût imaginé que Laon deviendrait ainsi une -sorte de Mecque vers laquelle se tendraient tous nos espoirs, toutes nos -énergies!...</p> - -<p>Qui eût imaginé qu’il serait un jour si difficile d’aller jusqu’à Laon? -Et nous pouvions contempler dans la direction de Laon, qui demeurait -comme jalonnée par leurs efforts sanglants et tenaces, les traces -douloureuses de quelques-uns, parmi les meilleurs, de ces pèlerins -héroïques. Là-bas, ces masses noires que nous distinguions à la jumelle, -comme les cadavres géants de quelques bêtes d’Apocalypse, c’est tout ce -qui restait des tanks et de leurs équipages de vaillants, qui, le 17 -avril, s’élancèrent résolument, farouchement<span class="pagenum"><a name="page_37" id="page_37">{37}</a></span> à la mort «en direction de -Laon»... Mais non, leur sacrifice sublime n’avait pas été inutile; il -plaçait, il maintenait là, sous nos regards ardents, sa force -exemplaire. Il nous semblait voir briller encore les flammes où ils -avaient péri, et, sur la route du devoir et de la victoire, ces héros et -ces martyrs se dressaient pareils à des torches vivantes et illuminaient -nos cœurs...</p> - -<div class="figcenter" style="width: 261px;"> -<a href="images/mer-61_lg.jpg"> -<img src="images/mer-61_sml.jpg" width="261" height="285" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_38" id="page_38">{38}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 528px;"> -<a href="images/mer-62_lg.jpg"> -<img src="images/mer-62_sml.jpg" width="528" height="692" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_39" id="page_39">{39}</a></span></p> - -<h2><a name="REIMS" id="REIMS"></a>REIMS<br /> -<a href="images/mer-63_lg.jpg"> -<img src="images/mer-63_sml.jpg" width="510" height="549" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</h2> - -<p class="nind"><span class="letra">M</span>A première impression de Reims, c’est, sortant de terre, des appels de -clairon, des roulements de tambour: un régiment de territoriaux, -cantonné là, vaquait tranquillement aux occupations ordinaires de la vie -de caserne; dans cette cave, près de laquelle je passais, en toute -innocence, «la clique» répétait avec autant de consciencieuse -ponctualité qu’en temps de paix, et que si on avait été au bout du petit -chemin bordé de haies, le petit chemin creux, à l’écart, derrière les -casernes, où il est accoutumé que, dans toutes les garnisons de France, -ait lieu chaque jour, régulièrement, l’école des tambours et -clairons...<span class="pagenum"><a name="page_40" id="page_40">{40}</a></span></p> - -<p>Ainsi, dans cette ville de Reims qui, aux yeux du monde entier, passait -avec raison pour le type même de la cité martyre, dans cette ville de -Reims où, avec une régularité monotone et sinistre, les communiqués nous -annonçaient que l’ennemi avait «encore aujourd’hui» lancé trois cents, -quatre cents, cinq cents obus, un semblant d’existence persistait -jusqu’en ces derniers mois de 1917, et quelques milliers de civils -vivaient encore là, au milieu des troupes chargées de les défendre, -avaient réussi à <i>s’organiser</i> dans l’angoisse constante,—on n’y -pensait plus,—et dans le danger.</p> - -<p>Mais oui, il y avait encore des boutiques ouvertes et bien achalandées -entre deux maisons en ruines. Par exemple, on les connaissait toutes, et -le tour en était vite fait, puisque les destructions systématiques de -l’ennemi avaient ramené cette ville immense et florissante aux -proportions d’un pauvre village.</p> - -<p>Il y avait le marché couvert, où une marchande de légumes, qui portait -fièrement l’insigne des blessés,—elle avait été atteinte d’un éclat -d’obus au cours d’un précédent bombardement,—s’autorisait de cette -circonstance héroïque, la brave fille, pour se donner les allures d’une -vivandière de la Grande Armée, et, véhémente, familière et pittoresque, -tutoyait les généraux.</p> - -<p>Et l’étonnant sentiment de satisfaction, de sécurité et de bien-être que -l’on éprouvait à flâner aux <i>Sœurs de Charité</i>, à s’arrêter le long des -comptoirs tout chargés de choses parfaitement inutiles, à acheter ces -choses inutiles, ou du moins à les marchander avec les vendeuses, douce -frivolité du temps de paix, du temps où les Allemands ne bombardaient -pas Reims, du temps où il n’y avait pas d’obus...</p> - -<p>Oui, le secteur de Reims, à tout prendre, n’était pas un mauvais -secteur; malheureusement, on l’«empoisonnait» un peu avec les «coups de -main». On comprend très bien que le commandement militaire ne puisse -laisser des troupes et leurs cadres uniquement occupés à manger des -macarons et des biscuits en fraude, et à</p> - -<div class="figcenter" style="width: 428px;"> -<a href="images/mer-65_lg.jpg"> -<img src="images/mer-65_sml.jpg" width="428" height="550" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_41" id="page_41">{41}</a></span></p> - -<p class="nind">traîner délicieusement au marché ou au bazar. Et comme, d’autre part, il -fallait renoncer à tenter contre des positions formidables une opération -de grande envergure dont le succès même n’eût point compensé les -sacrifices qu’elle eût nécessités, on s’en tenait aux «coups de main» -qui inquiètent constamment l’ennemi et renseignent sur ses intentions. -Seulement, l’ennemi ne veut pas demeurer en reste et répond aux coups de -main par d’autres coups de main. Cela se traduit surtout par des -débauches d’artillerie. Que l’on «pilonnât» la tranchée d’en face, pour -en rendre le séjour intenable à ses occupants, ou qu’on l’«encageât» de -façon à les isoler et à les priver de tout secours ou de toute retraite, -la dépense en projectiles représentait toujours un minimum de plusieurs -centaines de mille francs. Après quoi on «allait y voir», c’est-à-dire -qu’il s’agissait de ramener des prisonniers, ou de rapporter tout au -moins une casquette, une patte d’épaules, sur quoi s’exercerait l’esprit -subtil des deuxièmes bureaux, chargés de dresser l’ordre de bataille -ennemi: tel chiffre sur une patte d’épaules, telle cocarde à une -casquette, c’était la preuve que l’ennemi avait relevé ses divisions, -que les unités d’occupation avaient été remplacées par des unités -d’attaque, cette patte d’épaule pouvait être l’indice certain d’une -offensive imminente, d’une grande offensive. Dans la pratique, les coups -de main, en dépit de la science militaire des chefs, et de l’énergique -audace des exécutants, ne comportaient pas toujours des résultats aussi -efficaces et aussi heureux. Ce qui seul ne changeait guère c’était le -prix de la préparation d’artillerie, c’étaient tous les billets de mille -francs qui s’envolaient au vent des obus, ces obus destinés à «encager» -ou à «pilonner» une tranchée, que les occupants, méfiants, avaient -peut-être prudemment abandonnée la veille, ou (c’était suffisant) une -demi-heure avant. Et j’entendis bien souvent soutenir cette thèse que le -caractère et la moralité du soldat allemand n’eussent peut-être point -rendue si paradoxale: «Nous allons dépenser pour 500 000 francs de -projectiles, au bas mot, et nous<span class="pagenum"><a name="page_42" id="page_42">{42}</a></span> allons risquer la peau, qui, elle, est -inappréciable, d’un certain nombre de braves gens. Tout cela dans -l’espoir problématique de ramener un prisonnier. Si, parmi les Boches -d’en face, on savait qu’il y a une prime de 10 000 francs assurée au -Fritz de bonne volonté qui viendra se la faire verser à notre poste de -commandement—10 000 francs et la «guerre finie»,—ne croyez-vous pas -qu’il y aurait beaucoup plus d’amateurs que pour le coup de main -lui-même? Et, sans compter le risque, on économiserait 490 000 francs!»</p> - -<div class="figleft" style="width: 350px;"> -<a href="images/mer-68_lg.jpg"> -<img src="images/mer-68_sml.jpg" width="350" height="490" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>On n’en continua pas moins à illustrer de la sorte, et à rendre -notoires, les différentes parties du secteur de Reims: «Aux Cavaliers de -Courcy, un coup de main heureux nous a permis de faire des prisonniers.» -Les Cavaliers de Courcy, Bétheny, que tant de revues avaient rendu -célèbre: notre puissance militaire s’affirmait autrement, maintenant, -que par des revues, et l’Allemagne était appelée à s’en rendre compte de -plus près que par les rapports d’un attaché militaire. Mais la vraie -défense de Reims était dans Reims même, dans les rues<span class="pagenum"><a name="page_43" id="page_43">{43}</a></span> de ses faubourgs, -et, mieux, dans ses caves, ces caves, jadis curiosité de la ville, qui -étaient sa richesse, et qui furent peut-être son salut.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 557px;"> -<a href="images/mer-69_lg.jpg"> -<img src="images/mer-69_sml.jpg" width="557" height="518" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>On a pu dire que l’un des vainqueurs de la Marne—entre Gallieni et le -maréchal Joffre—avait été sans doute le vin de Champagne. Et il est -bien vrai que, jusqu’aux points extrêmes de leur avance vers Paris, on -remarqua, après leur départ, que les Boches avaient bu du champagne, et -apparemment en avaient trop bu; en arrière des éléments de tranchée -hâtifs et rudimentaires que l’on creusait alors, on retrouvait des -amoncellements de bouteilles, dont le goulot même avait été cassé, pour -les vider plus vite, les bouteilles dont les Allemands remplissaient au -passage,<span class="pagenum"><a name="page_44" id="page_44">{44}</a></span> à travers le pays champenois, leurs sacs et leurs musettes, et -qui les laissèrent déprimés, exténués, ivres de vin, de peur et de -fatigue, devant le foudroyant retour offensif de l’armée française. -Comme cela est éloquent et joli, cette participation réelle du vin de -champagne à notre victoire, champagne à qui l’on prête avec raison les -meilleures vertus de notre race, spirituel, hardi, pétillant, mousseux, -comme la France elle-même, et par qui, pour une part, la France devait -être sauvée!</p> - -<p>Mais surtout n’était-il pas naturel et juste que Reims, cité du vin de -Champagne, fût vraiment sauvée par son vin de Champagne?</p> - -<p>On a affirmé que les coloniaux, à qui avait été principalement confiée -la défense de Reims, avaient fait ce serment:—Tant qu’il y aura encore, -dans les caves de Reims, une bouteille de champagne, les Boches -n’entreront pas dans Reims!... Et il est bien certain que, pour mieux -tenir le serment, les coloniaux burent eux-mêmes de nombreuses -bouteilles. «Encore une que les Boches n’auront pas!...» Mais on doit -admirer avec quelle discipline, qu’ils s’étaient eux-mêmes imposée, ils -se gardaient soigneusement de toucher une goutte de vin, le jour et la -veille du jour où ils savaient qu’ils allaient attaquer ou monter en -ligne. Savoir pour qui ou pour quoi l’on se bat, le savoir d’une façon -concrète, immédiate, précise, tenir le trophée à portée de sa main, un -trophée dont on apprécie tout le prix, dont on connaît et dont on aime -la valeur rare, voilà donc, à n’en pas douter, le meilleur stimulant, un -des éléments moraux essentiels de la victoire. Ce stimulant, cet élément -moral n’a pas manqué aux défenseurs de Reims: c’était le champagne! Il y -en eut d’autres, concordants. Et l’on pourrait décider en somme que -Reims fut sauvée par son vin, par son maire, et par son archevêque.</p> - -<p>Il faut avoir vu le docteur Langlet au milieu des ruines de sa ville, et -le cardinal Luçon parmi les décombres de sa cathédrale: on comprenait -alors ce que veulent dire ces mots, l’«âme de la défense».</p> - -<p>Le jour où les Allemands commencèrent de bombarder Reims,<span class="pagenum"><a name="page_45" id="page_45">{45}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 485px;"> -<a href="images/mer-71_lg.jpg"> -<img src="images/mer-71_sml.jpg" width="485" height="679" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_46" id="page_46">{46}</a></span></p> - -<p class="nind">le conseil municipal était réuni à l’Hôtel de Ville. Aux premiers coups -de canon, le maire se précipite avec l’un de ses adjoints pour rassurer -la population et vérifier si toutes les mesures de protection ont été -prises. Un obus tue son compagnon à ses côtés. Le docteur Langlet ne -songe d’abord qu’à adoucir la douleur de la veuve, à lui éviter -l’émotion atroce. Puis il revient à l’Hôtel de Ville. Ses collègues, -pris sous la menace du bombardement se sont dispersés. L’ardent -vieillard les rassemble, les adjure de ne pas donner à la ville l’image -de la panique, dangereuse et avilissante. Quand on a l’honneur -d’administrer Reims, c’est dans la grande salle des délibérations de -l’Hôtel de Ville de Reims que ses édiles doivent siéger. Et réconfortés -soudain, exaltés par la parole enflammée de leur maire et la noblesse de -son exemple, les conseillers municipaux rentrent en ordre, reprennent -séance dans le calme et la dignité. Je sais qu’au cours d’une cérémonie -récente, où l’on rapportait devant une assemblée de journalistes du -monde entier ces faits héroïques, un Américain ne put contenir son -admiration, et, saisissant la main du docteur Langlet, il la porta -respectueusement et dévotieusement à ses lèvres... Le geste d’hommage -tout pareil associait l’héroïsme du maire à celui de l’archevêque. -Combien de lèvres s’inclinèrent ainsi, courbées par une émotion plus -forte que la foi et les rites, pieuses et émerveillées, sur l’anneau -d’améthyste de Mgr Luçon? Lui aussi, l’archevêque à côté du maire, -incarna l’âme de la ville qui ne veut pas se rendre, qui, blessée à -mort, ne veut pas mourir, et qui réalise, en effet, le miracle de se -survivre à elle-même: Reims est détruite, et pourtant Reims rayonne, -immortelle, toujours debout!...</p> - -<p>Comme le docteur Langlet, le cardinal Luçon voulut demeurer là, jusqu’au -bout, comme un exemple et un témoin. Un témoin: il faut avoir entendu, -en effet, l’archevêque jeter bas l’excuse mensongère des Allemands, -quand ils sont venus prétendre que, s’ils ont bombardé la cathédrale de -Reims, s’ils ont commis le crime dont la<span class="pagenum"><a name="page_47" id="page_47">{47}</a></span> postérité ne cessera pas de -leur demander compte, c’était par nécessité militaire, et parce que les -tours de la cathédrale avaient été utilisées comme observatoire par nos -artilleurs. Mais le témoin est là, c’est l’archevêque. Et quand, drapé -dans sa pourpre cardinalice, Mgr Luçon répond aux Boches: «Je donne ma -parole devant Dieu, ma parole d’homme et de prélat, que jamais les tours -de la cathédrale de Reims n’ont abrité un observateur et n’ont failli à -leur mission sainte, sentinelles, oui, mais sentinelles uniquement de -prière et de foi!»,—que vaut la prétention allemande, que valent les -prétextes misérables des vandales allemands devant un semblable -témoignage?</p> - -<div class="figcenter" style="width: 478px;"> -<a href="images/mer-73_lg.jpg"> -<img src="images/mer-73_sml.jpg" width="478" height="365" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Le cardinal Luçon aimait à se mêler aux soldats qui venaient défendre -Reims, et tous ont conservé le souvenir de cette haute et<span class="pagenum"><a name="page_48" id="page_48">{48}</a></span> noble figure -qui se penchait si volontiers, si simplement, sur les misères de chacun. -Même un régiment qui, dans ce secteur comme partout où il passait, avait -su s’imposer aussitôt et marquer glorieusement sa place, le 152ᵉ, -n’avait-il pas, sur sa demande, nommé Mgr le cardinal Luçon son aumônier -honoraire? Or, à quelque temps de là le vaillant régiment reçut, le -premier des régiments de France, la fourragère aux couleurs de la Légion -d’honneur, la fourragère rouge. Le cardinal Luçon, aumônier honoraire du -Quinze Deux, fut invité à dîner au P. C. du colonel, qui lui remit -l’insigne distribué aux hommes de troupe et aux officiers. Peut-on dire -sans inconvenance que le cardinal ressentit, en se parant de cette -fourragère rouge, une joie égale ou comparable à celle que lui avait -causée le chapeau? En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’après ce -dîner mémorable qui s’était prolongé un peu plus que de coutume,—Mgr -Luçon ne s’asseyait pas tous les soirs à une popote d’officiers, et l’on -ne traitait pas tous les soirs un cardinal à la popote,—Mgr Luçon -regagnait à une heure déjà tardive Reims et Sainte-Geneviève où il avait -dû transporter sa demeure archiépiscopale; et il était si heureux, si -fier,—oui, vraiment!—de sa fourragère, qu’il voulut la faire admirer -et narrer en détail la cérémonie aux bonnes religieuses qui, elles non -plus, n’avaient pas quitté Reims et partageaient avec l’archevêque son -dangereux apostolat. Comme cette nuit, par extraordinaire, les obus -allemands les laissaient à peu près tranquilles, elles en avaient -profité pour prendre sans attendre un repos qui était rare. Mais -n’importe! on n’a pas tous les jours, ou toutes les nuits, la fourragère -rouge. Et l’archevêque tint absolument à ce qu’elles fussent réveillées -sur l’heure. D’ailleurs, vous pouvez être assurés qu’elles ne furent -alors, les saintes filles, ni moins joyeuses, ni moins fières que leur -archevêque!... Mais il y a une suite à cette petite histoire, une suite -qui vraiment n’est pas ordinaire! Ce cardinal qui, sur sa robe, -accrochait une fourragère rouge, était-ce bien réglementaire? Mgr Luçon -avait-il<span class="pagenum"><a name="page_49" id="page_49">{49}</a></span> réellement droit au porc de la fourragère rouge? Il était -aumônier honoraire du 152. Mais il n’y a pas d’aumôniers honoraires, Mgr -Luçon ne figurait pas, ne pouvait pas figurer sur les contrôles du -régiment. Et il se rencontra des parlementaires pour s’inquiéter et -s’émouvoir de cette infraction aux règlements, de cette <i>illégalité</i>!... -Il est seulement fâcheux que ces personnages si scrupuleux n’aient pas -pris soin de confronter leurs scrupules avec l’opinion des vrais, des -premiers intéressés, de ceux à qui, précisément, leur vaillance avait -conféré la fourragère rouge, et qui, mieux que personne,—mieux même -qu’un parlementaire,—étaient qualifiés pour apprécier si leur -fourragère serait ou non déplacée sur l’épaule du cardinal, si oui ou -non le cardinal Luçon était digne de la porter et ne l’avait pas, lui -aussi, gagnée et bien gagnée!...</p> - -<p>Mais c’est la question qui était déplacée, et superflue! Comme si aucun -témoignage d’admiration et de gratitude avait pu sembler trop haut, trop -beau, pour l’Archevêque de Reims, au même titre qu’aucun témoignage de -piété et d’admiration ne pouvait égaler notre douleur émue devant la -Cathédrale de Reims!... Le cardinal Luçon, c’était l’évocation vivante -de la cathédrale comme l’Hôtel de Ville s’incarnait magnifiquement dans -le docteur Langlet; et ces deux vieillards admirables dominaient leur -cité meurtrie, comme toutes les blessures, toute la «passion» de Reims -étaient et demeurent figurées par l’Hôtel de Ville et la cathédrale. -Reims a pu être frappée ailleurs, dans son luxe, dans sa richesse; le -quartier Cérès, qui disait l’orgueil et l’opulence de son trafic dans le -monde, de ses laines et de ses vins, le boulevard Lundy, ses -constructions élégantes, ses hôtels somptueux, ne sont plus qu’un -monceau de ruines. Ruinés également, abattus, mutilés, détruits les -joyaux d’art, comme cette exquise Maison des Musiciens, qui faisaient -son incomparable parure. Mais c’est devant l’Hôtel de Ville, c’est -devant la cathédrale, que nous venons saluer Reims martyrisée, que nous -venons pleurer<span class="pagenum"><a name="page_50" id="page_50">{50}</a></span> et nous souvenir. Les ruines aussi ont leur beauté; et -pour la honte de l’ennemi, ce qui reste de l’Hôtel de Ville, les -murailles qui résistèrent à l’obus brutal et à l’injure des flammes, -atteignent à une grandeur nouvelle, plus éloquente, plus âpre, plus -farouche, où s’étonne et s’exalte davantage encore notre indignation.</p> - -<div class="figleft" style="width: 324px;"> -<a href="images/mer-76_lg.jpg"> -<img src="images/mer-76_sml.jpg" width="324" height="729" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>De loin, la Cathédrale apparaissait la moins touchée; quand, des coteaux -voisins, de la route, par exemple, qui, en lacets, descend sur Jonchery, -on apercevait à l’horizon, dominant la plaine, ses tours comme deux bras -tendus dans un geste de prière, oui, ses tours étaient encore dressées, -qui maintenaient, semblait-il, sa silhouette intacte, et un soupir de -soulagement, une action de grâces, s’échappait de nos -poitrines:—Allons!... le mal n’était pas encore si grand, le désastre -n’était pas consommé, la Cathédrale n’avait pas subi les atteintes que -redoutait notre angoisse!...<span class="pagenum"><a name="page_51" id="page_51">{51}</a></span></p> - -<p>Hélas! à mesure que nous approchions s’évanouissait cette illusion -favorable. On n’a pas oublié les premiers obus incendiaires, lancés sur -la Cathédrale, et qui mirent le feu aux échafaudages de la -façade,—avez-vous vu souvent une cathédrale sans échafaudages, gloire -et spécialité des architectes diocésains? Il faut le dire: les flammes -donnèrent à la pierre une couleur admirable, inouïe. Bien souvent, en -effet, loin d’en abolir la beauté l’incendie communique à la pierre ou -au marbre une beauté nouvelle. C’est ainsi qu’une figure de Falguière, -une figure d’adolescent a été retrouvée dans les cendres du musée de -Gerbeviller, entièrement modifiée, transfigurée par la morsure des -flammes avec une expression de désespérance et de sublime détresse -telles que ne les avait jamais réalisées l’ébauchoir de l’élégant -sculpteur. Et la patine singulière dont la partie incendiée de la -Cathédrale s’était revêtue faisait ressortir davantage la blancheur -écœurante du Palais de Justice tout proche, dont les blocs de pâtisserie -fade n’avaient pas encore été touchés, comme si l’obus allemand dans son -ignoble besogne avait pris grand soin de respecter la laideur,—la -laideur complice, et qu’il reconnaissait comme une amie, sans doute, -presque une parente... Mais, en s’écroulant, les échafaudages avaient -déjà fort endommagé les ornements charmants de la façade, et, comme -l’adolescent de Falguière qui s’était mis à pleurer, la Cathédrale de -Reims, sous les flammes, avait vu se crisper douloureusement son -Sourire...</p> - -<p>Puis ce furent les blessures cruelles, profondes, de l’abside, sous le -bombardement méthodique, organisé, régulier. Et les décombres -s’amoncelèrent, autour du Christ qui semblait présider, Juge et suprême -témoin du crime sacrilège, à une nouvelle Passion:—la Passion des -Pierres Saintes et de l’Art Sacré, insultés, frappés par les barbares, -et qui tombent une fois, deux fois, pour ne plus se relever...</p> - -<p>Les relèvera-t-on, ces pierres écroulées, ou les laissera-t-on telles -quelles, avec même, au milieu d’elles, ces obus monstrueux<span class="pagenum"><a name="page_52" id="page_52">{52}</a></span> qui -n’avaient pas éclaté, et qui sont encore là comme le cambrioleur -assassin surpris et arrêté avant d’avoir pu accomplir son odieux -forfait, maintenant réduits à l’impuissance et ligotés au pilori de -l’infamie universelle? Quoi qu’il en soit et quoi que l’on décide, de -longues années s’écouleront sans doute avant que la Cathédrale de Reims -renaisse, entièrement guérie de ses ruines et de ses cendres. Le crime -qui l’a abattue est un crime contre la civilisation; c’est le monde -civilisé tout entier qui s’est ému, et prend à cœur d’en effacer la -trace. Mais une pierre de la Cathédrale, une pierre suffira, qu’aucun -effort ne pourra jamais plus soulever, lourde, si lourde,—lourde de -trop de crimes longuement médités et lâchement exécutés,—une pierre de -la Cathédrale de Reims scelle pour toujours le tombeau où l’on a jeté et -où pourriront pour l’éternité l’orgueil germanique et l’honneur du nom -allemand.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 263px;"> -<a href="images/mer-78_lg.jpg"> -<img src="images/mer-78_sml.jpg" width="263" height="341" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_53" id="page_53">{53}</a></span></p> - -<h2><a name="VERDUN" id="VERDUN"></a> -<a href="images/mer-79_lg.jpg"> -<img src="images/mer-79_sml.jpg" width="548" height="444" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -<br /> -VERDUN</h2> - -<p class="nind"><span class="letra">J</span>’ENTENDS encore cette Américaine, près des vieux remparts de Verdun, -qui, tout à coup, dans l’automobile arrêtée, fronçant les sourcils, -l’index levé, écoutait, prodigieusement intéressée:—Taca, taca... -mitrailleuse?...—et tendait les lèvres, avec une petite moue espiègle, -comme un enfant vers des friandises...—Taca, taca!...—Elle eût été -fort déçue, sans doute, si on lui eût dit que c’était bien une -mitrailleuse, en effet, mais une mitrailleuse française dont un aviateur -français, en prenant son vol, essayait la bande... Et l’officier -d’état-major qui accompagnait cette charmante jeune femme se garda<span class="pagenum"><a name="page_54" id="page_54">{54}</a></span> bien -de la détromper. Il avait, par ailleurs, assez à faire pour la dissuader -de tirer le canon; car c’était chez elle une idée fixe, une idée qu’elle -s’était mise dans la tête qu’elle «tirerait le canon de Verdun»—avec -une ficelle, n’est-ce pas, comme on voit la Grande Mademoiselle, coiffée -de son feutre empanaché... Il ne faut pas sourire de semblables -curiosités dont Verdun était l’objet constant, et moins encore s’en -montrer choqué et crier à l’inconvenance. Il ne faut pas oublier que la -défense de Verdun demeurera le symbole même de la défense française. -Comment s’étonner de l’ardeur enthousiaste et ingénue de notre -Américaine, quand on se souvient que, dans les assemblées de son pays, -tout le monde se mettait debout, soulevé, transporté par les deux -syllabes magiques, à ce seul nom prononcé de Verdun! On eut raison -d’entretenir soigneusement, comme une flamme sacrée, ce prestige quasi -légendaire. Et tous les «civils», tous les étrangers, alliés ou neutres, -qui sollicitaient comme un honneur suprême d’être admis à visiter -Verdun, ne les appelez pas des touristes, c’étaient vraiment des -pèlerins, des pèlerins passionnés, vers l’autel ardent et magnifique de -l’héroïsme français.</p> - -<div class="figleft" style="width: 258px;"> -<a href="images/mer-80_lg.jpg"> -<img src="images/mer-80_sml.jpg" width="258" height="317" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>La première visite était naturellement pour la Citadelle. Elle donnait -au moins aux profanes, à tous ceux peut-être qui n’étaient point -familiarisés avec les secrets réels de la fortification moderne, une -impression formidable de puissance et de sécurité. Les casemates -immenses, où abriter des régiments entiers, et tout ce luxe, toute -cette</p> - -<div class="figcenter" style="width: 432px;"> -<a href="images/mer-81_lg.jpg"> -<img src="images/mer-81_sml.jpg" width="432" height="550" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_55" id="page_55">{55}</a></span></p> - -<p class="nind">extraordinaire variété d’appareils, de machines de toutes sortes, tout -ce que recélaient ses flancs énormes, et qui y tenait à l’aise: une -véritable usine d’électricité, des moulins, une boulangerie, des salles -d’hôpital et jusqu’à un théâtre!... Toute une vie souterraine était -organisée là, tous les rouages essentiels à la vie d’une cité, comme si -la cité même de Verdun, devant la menace de ruine, s’était repliée sur -elle-même, était, à la lettre, rentrée sous terre. Dans une salle à -manger fort agréable et confortable, le commandant de la citadelle -retenait à déjeuner les visiteurs de marque. Des objets d’art, des -coupes finement ciselées, des étendards brodés, des décorations de tous -les pays, croix et plaques enrichies de pierres rares, étaient là, venus -des quatre coins du monde, pour matérialiser en quelque sorte, à l’égard -de Verdun et de ses défenseurs, l’admiration du monde entier. Un livre -d’or portait les signatures de bien des hôtes illustres. Et il n’est ni -superflu ni ridicule d’ajouter que des crédits spéciaux, qui lui étaient -très justement alloués à cet effet, permettaient au commandant d’offrir -des menus dignes du cadre. Eh! sans doute, on était moins bien -ravitaillé à Bezonvaux!... Mais ceux-là ne seraient pas de notre race, -qui s’étonneraient, qui se scandaliseraient, qui ne comprendraient pas -ce qu’il y avait d’ironie élégante, de finesse et de coquetterie bien -françaises, à traiter avec cette recherche délicate, à la barbe des -boches, à leur sinistre barbe rousse, ceux qui s’aventuraient, en -frémissant, et le cœur serré, aux portes mêmes de l’«enfer de -Verdun»!...</p> - -<p>Au sortir de la Citadelle, on entrait à la cathédrale toute proche. Et -les visions d’horreur commençaient, avec le spectacle de la barbarie -allemande. On avait pu retirer à temps les ornements les plus précieux; -mais des vitraux avaient été brisés, dont on pouvait emporter encore -quelques éclats irisés, quelques parcelles multicolores: et quels joyaux -ou quelles gemmes rares, rubis, topaze ou saphir, semblaient avoir, à -cette heure décisive, plus de signification et plus de<span class="pagenum"><a name="page_56" id="page_56">{56}</a></span> prix qu’un -fragment de vitrail de la cathédrale de Verdun, ce minuscule et fragile -morceau de verre bleu, jaune ou rouge?...</p> - -<div class="figcenter" style="width: 487px;"> -<a href="images/mer-84_lg.jpg"> -<img src="images/mer-84_sml.jpg" width="487" height="305" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Mais plus encore peut-être, que la cathédrale froide et nue, qu’il était -émouvant, le petit cloître intérieur, dont la fraîcheur et le -recueillement, comme indifférents à la violence des hommes, et à leur -fureur destructive et meurtrière, s’emplissaient encore de verdure et de -chants d’oiseaux!... Et surtout, c’était, à côté, la noble ordonnance de -l’Évêché, sa cour d’honneur aux proportions si pures, et la salle de -musique—prélats, petits abbés, et dames poudrées en robes de cour—avec -ses boiseries claires et ses grandes baies, d’où l’on découvrait la -ville et la Meuse. Au pied, une étroite «allée du bréviaire», -majestueuse et calme, dominait le même paysage d’élection le long du -haut mur couvert d’espaliers...</p> - -<p>Hélas! qu’était-elle devenue, la ville paisible, un peu sévère, serrée -au pied de sa Citadelle, de sa Cathédrale de son Évêché? La promenade -commençait parmi les maisons éventrées, effondrées; dans<span class="pagenum"><a name="page_57" id="page_57">{57}</a></span></p> - -<div class="figright" style="width: 264px;"> -<a href="images/mer-85_lg.jpg"> -<img src="images/mer-85_sml.jpg" width="264" height="509" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p class="nind">certains quartiers, là où avaient été alignées des maisons, ce n’étaient -plus que des alignements de pierres. Ailleurs, que les maisons fussent -encore debout, l’impression en était plus lugubre encore, ces maisons -maintenant ouvertes à tous les vents et à tout venant, véritables -cadavres de maisons, dont la vie s’était brusquement retirée, et où, -lorsque l’on y pénétrait, on surprenait l’effroi de la fuite -désespérée,—ceci, qui avait été une boutique florissante, où des -générations de petits marchands avaient dû peser des denrées, ou auner -du drap,—et tous ces comptoirs renversés, tous ces placards vides... -Verdun, ville des dragées, quelle mélancolie cruelle entre toutes dans -tes enseignes évocatrices des anniversaires joyeux et de l’allégresse -des baptêmes!... Et le théâtre... Je ne sais pas si le théâtre de Verdun -était, en temps de paix, exceptionnellement brillant, si la «saison de -Pâques» était fort suivie, s’il y avait au théâtre de Verdun une basse -chantante que l’on venait entendre même de Bar-le-Duc, si la gentillesse -de la deuxième des premières ou la drôlerie du laruette étaient célèbres -dans toute la région... Au milieu des décombres, la salle apparaît -encore tout à fait coquette et plaisante vraiment, pour un théâtre de -sous-préfecture!.. Et voici encore la loge du sous-préfet, voici la loge -du général, sans doute; voici l’avant-scène du rez-de-chaussée qui -devait<span class="pagenum"><a name="page_58" id="page_58">{58}</a></span> être celle de ces messieurs du cercle, la loge infernale!... Et -tout ceci, qui est l’âme même de la province, immobile dans ses rites -immuables et doucement désuets, nous attendrit ici, nous attendrit -aujourd’hui jusqu’aux larmes. La scène est encore équipée, et des -cintres pendent des lambeaux de toiles bariolées... Le rideau est levé, -béant; mais c’est le canon qui frappe les trois coups, et au lieu de la -<i>Mascotte</i> ou de <i>Lakmé</i>, du <i>Châlet</i> ou des <i>Noces de Jeannette</i>, quel -drame ou quelle tragédie!... Qu’est devenue la deuxième des premières, -et la première chanteuse, et la dugazon? Où sont-ils ces messieurs du -cercle? Le cercle, pourtant, j’ai cru le reconnaître, il devait être là, -dans ce riant café avec un beau balcon sur la Meuse... Sournoise et -tragique douceur du fleuve qui continue à travers la ville sa course -molle et lente, qui continue à refléter avec la même impassibilité -heureuse et tranquille, au lieu même où s’égayaient ses rives, l’horreur -des ponts détruits et des maisons écroulées, dans le miroir de ses -eaux!...—On se bat sur la rive droite de la Meuse!... a décidé et -déclaré fièrement, ici même, en un anxieux, en un lourd et trouble matin -de mars 1916, le général de Castelnau,—qui, ce matin-là, peut-être, -aura sauvé la France.</p> - -<p>Et nous voici, sur la rive droite, au faubourg Pavé, au milieu de -l’extraordinaire encombrement des troupes qui montent et descendent vers -la ligne de boue, de silence et de mort, fantassins, artillerie, -ravitaillement. Tout ce que l’armée française compte de meilleur a -cantonné là, un soir au moins, au faubourg Pavé; la fleur de notre -jeunesse y a dormi ses rêves de sacrifice, ses cauchemars de lutte -décisive et suprême, les terreurs de l’aller et les espoirs du retour. -Car, en dépit du bombardement toujours grondant, de la menace constante -des avions au-dessus des têtes, le faubourg Pavé, c’était encore un -semblant de sécurité, une dernière étape, un dernier relai qui vous -rattachait à la vie, avant de plonger dans l’abîme de souffrance, de -péril et d’angoisses.<span class="pagenum"><a name="page_59" id="page_59">{59}</a></span></p> - -<div class="figright" style="width: 408px;"> -<a href="images/mer-87_lg.jpg"> -<img src="images/mer-87_sml.jpg" width="408" height="363" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Ceux qui revoyaient le faubourg Pavé se sentaient renaître, comme ceux -qui le quittaient se demandaient s’ils reverraient jamais une ville, une -rue, des maisons, leur maison... Et puis commençait la montée du -calvaire. Les casernes Marceau marquaient un bref répit; on y voyait -rangées les petites automobiles sanitaires américaines, toujours prêtes -à s’élancer jusqu’aux limites extrêmes du champ de bataille, narguant -les éclatements et se faufilant, rapides et diligentes, à travers les -trous d’obus, pour aller disputer les blessés à la mort, dans les bras -de la mort même. Sur cette redoutable et terrifiante route d’Alsace, où -des équipements abandonnés, des caissons renversés, des cadavres de -chevaux, criaient sans cesse: «Prends garde, téméraire, insensé, prends -garde!... Rebrousse chemin! Tu n’iras pas plus loin!...» voici que la -petite voiture américaine apparaissait insouciante, qui secouait et -dissipait soudain nos frayeurs découragées, comme un tonique et un -réconfort:—Mais si! mais si!... Vous voyez bien que l’on passe tout de -même!... Cheer up!... Nous n’avons pas envie de mourir, et ce ne sera -pas encore pour cette fois, malgré le Boche et toutes ses manigances -damnées!... Cheer up, vieux garçons!... Nous<span class="pagenum"><a name="page_60" id="page_60">{60}</a></span> sommes le trait d’union -alerte et toujours vaillant entre l’enfer et la vie; oui, nous venons de -la vie, là-bas, et nous y retournons!... Et vous ferez comme nous—cheer -up!...</p> - -<p>Ainsi nous rassérénaient et nous redonnaient courage les petites -automobiles sanitaires américaines des casernes Marceau.</p> - -<p>Les casernes laissées à main droite, on entrait presque aussitôt dans la -région du désert chaotique, des paysages lunaires, de ce qui demeurera -dans la mémoire des hommes comme une image d’épouvante, à laquelle on ne -tente même plus de trouver des équivalences verbales, des épithètes -évocatrices et appropriées: c’est le terrain de la bataille de Verdun. -Et plus que toutes les épithètes, en effet, et que toutes les -descriptions, ces indications suffisent:—Vers Fort de Vaux.—Vers -Douaumont... Et les ravins qui s’appellent: Ravin du Mort-Homme;—Ravin -Sans-Nom;—Ravin de la Femme Sans-Tête... La mort, la mort, partout la -mort!... Et l’on était vraiment surpris, au milieu de tant de -désignations lugubres, d’entendre les noms de Normandie, de Calvados, -qui sonnaient clairs comme une revanche et une gageure, presque -joyeusement: ils étaient si loin tes pommiers en fleurs, ô Normandie, et -tes plages, ô Calvados, et tes auberges accueillantes, dans la grasse -campagne au bord de la mer!...</p> - -<p>Le nom seul, d’ailleurs, avait cette apparence apaisée. Pour gagner -Normandie, il fallait traverser Fleury, ce qui avait été le village de -Fleury. Rien ne pouvait donner une impression plus complète de la -dévastation, la dévastation absolue, intégrale, totale:—«L’herbe -poussera à l’endroit où s’élevait l’orgueil des palais.» Il n’y avait -même pas d’herbe; et sans doute, non plus, il n’y avait jamais eu de -palais, mais de riantes demeures paysannes, une église, une école, une -mairie... Il n’en restait plus pierre sur pierre,—il n’en restait plus -une pierre!... Ruiné, rasé, on eût encore aperçu quelques traces de ces -ruines, qui eussent figuré l’emplacement du<span class="pagenum"><a name="page_61" id="page_61">{61}</a></span> village, de ses maisons et -de ses rues, qui eussent permis de dire, autrement que la carte en main:</p> - -<p>—Ici était Fleury!</p> - -<div class="figcenter" style="width: 502px;"> -<a href="images/mer-89_lg.jpg"> -<img src="images/mer-89_sml.jpg" width="502" height="391" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Mais non; il semblait que la terre se fût entr’ouverte, eût tout -englouti, pour se refermer ensuite, impassible.—Fleury gisait -maintenant, dans les entrailles de la terre, comme la ville d’Ys au sein -des flots. A peine les briques des constructions les plus récentes en se -mêlant à cette terre l’avaient-elles, par endroits, un peu teintée de -rouge. Et l’on a pu comparer l’anéantissement du village de Fleury à -quelque fruit mûr qu’un passant indifférent écrase du talon sur le -sol...<span class="pagenum"><a name="page_62" id="page_62">{62}</a></span></p> - -<p>A côté de Fleury, au bas de cette piste creusée d’ornières où, au -crépuscule, il ne faisait pas bon s’embouteiller avec les prolonges -d’artillerie, et tout l’encombrement du ravitaillement en munitions, -sous la menace d’un tir d’interdiction soigneusement réglé sur les -carrefours, Normandie, c’était la vie qui renaît, toute la vie militaire -intense:—Poste de commandement du général, Poste de secours, liaisons, -Central téléphonique, le tout tapi dans les parois du ravin, véritable -village de Troglodytes, substitué au village meusien disparu, comme si -Fleury, enfoncé dans la terre, ressortait un peu plus loin, ressortait, -sous cette forme étrange, primitive, un peu sauvage, des entrailles de -la terre même...</p> - -<p>Comment donc!... Il y avait, à Normandie, dépendant des Casernes Marceau -où il avait, toutefois, obtenu de demeurer logé, un major de -cantonnement. Et quand on songe à tout ce que ce titre exprimait, à -l’ordinaire, de confortable et de pacifique!...</p> - -<p>N’a-t-on pas tout naturellement et tout de suite tendance à se -représenter le major de cantonnement comme un personnage un peu gros, -bon vivant, bien nourri, qui jouit de toutes les commodités de -l’existence et d’un maximum de sécurité assez enviable, toujours sûr de -coucher dans un bon lit, admiré et respecté de la population civile, -jalousé peut-être mais redouté des militaires, et qui par ses -occupations, par ses distractions aussi et par ses loisirs, tient du -maire et du commissaire de police—avec qui, d’ailleurs, il ne lui était -pas interdit, dans la plupart des cas, de faire au «café de l’endroit» -sa partie de manille...</p> - -<p>Hélas! pauvre major de cantonnement de Normandie, que l’on ne pouvait -contempler sans une sympathie attendrie et apitoyée, infortuné major de -cantonnement de Normandie,—un major de cantonnement, c’est le roi -d’Yvetot!—qui, lorsqu’il fut nommé major de cantonnement, avait pu -s’imaginer qu’il tenait enfin le bon «filon»!...</p> - -<div class="figcenter" style="width: 406px;"> -<a href="images/mer-91_lg.jpg"> -<img src="images/mer-91_sml.jpg" width="406" height="550" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_63" id="page_63">{63}</a></span></p> - -<p>Ah! l’inégalité de traitement entre les hommes n’avait pas été abolie -par la guerre!... Et s’il est admis, n’est-ce pas, que l’entretien des -routes, par exemple, des pistes et boyaux d’accès était besogne de -territoriaux, c’était tout de même autre chose de se livrer, ou bien -entre «Normandie» et «Calvados», ou bien sur les routes du Calvados et -de la Normandie, à ces terrassements sans gloire, mais qui, là, -n’étaient pas sans péril!...</p> - -<p>Et, sous prétexte qu’ils ne se battaient pas, on les laissait, des mois -et des mois, les territoriaux de Verdun, eux comme les autres, enfouis -dans leurs abris boueux...</p> - -<p>La boue de Verdun!...</p> - -<p>Nous avons connu toutes les boues de cette guerre, qui fut, d’abord, une -guerre dans la boue, désespoir des lyriques: boue de Lorraine, boue -gluante et dont on n’arrivait pas à se dépêtrer, boue de Champagne, -crayeuse et blanchâtre, boue de la Somme et boue de l’Yser: la boue de -Verdun est à part, boue de terrain perdu, repris, cent fois conquis et -reconquis, et où chaque combat, chaque bataille laisse, comme le flot en -se retirant, ses épaves, ses alluvions; et la boue, chaque fois, -recouvrait le tout, s’assimilait le tout, pour arriver à former ce -mélange où il y avait de tout, où l’on s’enlisait effroyablement, mais -où la «récupération» devait être si fructueuse.</p> - -<p>Du jour où le commandement décida de tarifer cette «récupération», -c’est-à-dire de payer au prorata et suivant un barème fixe ces épaves du -champ de bataille, qu’une administration de la guerre, plus sage enfin -et plus prudente, souhaitait, la guerre se prolongeant, de ne plus -laisser perdre et d’utiliser, toute la plaine de Verdun et tous ses -ravins furent sillonnés de chiffonniers héroïques.</p> - -<p>On donnait tant pour une fusée d’obus, tant pour un fusil, tant la -douzaine de cartouches ou d’étuis de cartouches.</p> - -<p>Et la boue de Verdun dut rendre ses trésors et l’on citait des<span class="pagenum"><a name="page_64" id="page_64">{64}</a></span> gars qui -s’étaient fait plus d’un millier de francs, rien qu’en se promenant -ainsi les mains dans leurs poches,—mais en prenant soin de remplir -leurs poches de tous ces objets aussi précieux qu’hétéroclites, et même -leurs musettes.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 476px;"> -<a href="images/mer-94_lg.jpg"> -<img src="images/mer-94_sml.jpg" width="476" height="360" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>C’est vrai qu’il y avait des trésors dans la boue de Verdun, et des -trésors aussi de bravoure, d’abnégation et d’endurance; mais ceux-là, on -ne payait pas pour les récupérer, c’était une récupération superflue, -inutile—c’était par-dessus le marché!...</p> - -<p>Ce que l’on ne «récupérera» pas non plus, ce sont les cadavres enlisés -dans cette boue, cadavres de jeunes hommes qui dormirent une dernière -nuit au faubourg Pavé, cadavres d’Allemands aussi que ne rendra plus la -terre de France qu’ils avaient souillée.</p> - -<p>Oui vraiment il y avait de tout dans cette boue de Verdun, de tout, du -meilleur et du pire, et même du Boche.</p> - -<p>Mais on était à une époque, et engagé dans une aventure, où le cœur -était devenu aussi froid, aussi dur, que les ossements mêlés à la boue -où l’on pataugeait, et que l’on pouvait découvrir au bout d’une botte, -en cherchant à «récupérer» la botte...<span class="pagenum"><a name="page_65" id="page_65">{65}</a></span></p> - -<div class="figright" style="width: 158px;"> -<a href="images/mer-95_lg.jpg"> -<img src="images/mer-95_sml.jpg" width="158" height="274" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>L’homme de Bezonvaux qui, tout caparaçonné de courroies de bidon, des -bidons lui battant les flancs, l’échine et le ventre, était de -corvée,—la plus douce, la plus enviable,—de corvée de pinard, l’homme -de Bezonvaux qui s’en venait chercher du pinard à l’arrière, n’allait -pas s’émouvoir pour si peu, et en attrister cette minute de rare -allégresse; la vie humaine, a écrit Barrès, n’avait alors pas plus de -prix qu’une cerise au fort de la saison: au juste eût-il prêté plus -d’attention à l’aubaine d’une poignée de cerises...</p> - -<p>C’est que Bezonvaux était une de ces stations d’enfer, un de ces points -sacrifiés du front de Verdun, où quatre jours durant, d’une relève à -l’autre, il fallait bien se résoudre à vivre séparés du reste du monde, -il fallait renoncer à tout secours humain; la boue, par là, devenait -marécage, aucun ravitaillement d’aucune sorte n’y pouvait passer, même -les petits ânes que l’on voyait trotter si vaillants le long du ravin.</p> - -<p>En sorte que l’arrière,—tout est relatif,—l’arrière et ses délices -c’était l’autre côté du marécage, la région où l’on recevait bien encore -des obus, certes, mais où l’on pouvait espérer recevoir autre chose que -des obus; le paradis, vu de l’enfer de Bezonvaux, c’était l’étang de -Vaux.</p> - -<p>J’ai gardé de l’étang de Vaux un souvenir extraordinaire. C’était un -site ravissant, et qui n’avait pas cette mélancolie que la plupart des -étangs prêtent au paysage. Jadis un petit village, plaisant et coquet, -se mirait non loin, que fréquentaient les pêcheurs amateurs de fritures, -et dont il restait exactement autant que du village de Fleury, -c’est-à-dire exactement rien.</p> - -<p>Mais je ne pense pas qu’aux jours de fêtes votives, ou pour la plus -brillante ouverture de<span class="pagenum"><a name="page_66" id="page_66">{66}</a></span> pêche, il y ait jamais eu autour de l’étang de -Vaux une foule aussi pittoresque, une animation comparable à celle qu’y -apportait le voisinage de la bataille.</p> - -<p>Ce n’était pas une animation fiévreuse et guerrière, comme au faubourg -Pavé. Il n’y avait ici aucun préparatif militaire, mais seulement des -tonneaux en perce, des étalages de boîtes de conserves, du papier à -lettres, de la parfumerie!...</p> - -<div class="figcenter" style="width: 489px;"> -<a href="images/mer-96_lg.jpg"> -<img src="images/mer-96_sml.jpg" width="489" height="347" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Une coopérative divisionnaire avait installé sous des tentes, le long du -chemin d’amoureux qui longe capricieusement et surplombe l’étang, comme -de petites boutiques de kermesse; et c’était une véritable kermesse où -se pressaient les hommes de Bezonvaux et d’ailleurs, où ils oubliaient -en une minute et pour une minute la nuit d’angoisse qui avait précédé, -et le jour atroce qui viendra,—une kermesse, la kermesse de l’étang de -Vaux, la kermesse des<span class="pagenum"><a name="page_67" id="page_67">{67}</a></span> fiancés de la mort. Et au-dessus, le fort de -Vaux, et là-bas les fumées de Briey...</p> - -<p>Quel poète allemand écrira maintenant cette ballade de l’étang de Vaux, -car c’est bien un sujet de ballade allemande... Sous la lune, au -crépuscule, la brume blanche qui emmousseline l’étang, c’est le linceul -des morts de Verdun, qui, à l’entour, se sont couchés un soir dans la -boue, sans linceul...</p> - -<div class="figcenter" style="width: 346px;"> -<a href="images/mer-97_lg.jpg"> -<img src="images/mer-97_sml.jpg" width="346" height="279" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_68" id="page_68">{68}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 492px;"> -<a href="images/mer-98_lg.jpg"> -<img src="images/mer-98_sml.jpg" width="492" height="592" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_69" id="page_69">{69}</a></span></p> - -<h2><a name="LA_DEUXIEME_MARNE" id="LA_DEUXIEME_MARNE"></a> -<a href="images/mer-99_lg.jpg"> -<img src="images/mer-99_sml.jpg" width="488" height="332" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -<br />LA DEUXIÈME MARNE</h2> - -<p><i>29 mai 1918.</i>—Et nous y voilà. Nous sommes arrivés à -Neuilly-Saint-Front en même temps que les premiers obus sur la gare. Je -n’ai pas «fait» Charleroi, je n’avais pas encore vu de retraite; tout le -long de la route, un défilé ininterrompu de véhicules de toute espèce, -charrettes à bœufs, brouettes, voitures d’enfant, et, là-dessus, les -objets les plus hétéroclites, empilés dans la hâte du départ; les femmes -ont mis sur elle ce qu’elles avaient de plus beau, leur chapeau de -cérémonie, dont les fleurs pendent, lamentables, et dont on n’oserait -pas sourire... Un pauvre vieux, infirme, que l’on transporte dans son -fauteuil roulant. Pas de plaintes, pas de cris; une sorte de stupeur; -des fantômes dans la poussière... Le<span class="pagenum"><a name="page_70" id="page_70">{70}</a></span> général revient du corps d’armée: -nos bataillons doivent se tenir prêts à être engagés au fur et à mesure -des débarquements. Une limousine: des camarades de l’armée—l’armée qui -avait failli se faire prendre à Belleu, et qui, après avoir touché barre -à Oulchy-le-Château, va maintenant établir son quartier général à -Trilport—en attendant. Ils sont bien gentils, bien affectueux, ces -charmants camarades—et ils pensent bien dîner ce soir à Paris... La -nuit est venue, une belle nuit pour les avions. Sur la place, devant -l’église, des groupes de réfugiés et d’évacués, enveloppés dans des -châles, dorment sur des caisses. Un Monsieur très entouré, avec un -magnifique képi: c’est le sous-préfet. Il pérore; il assure que la -situation est excellente, qu’il vient de recevoir des nouvelles, et que -les Français viennent de reprendre Fère-en-Tardenois—Fère-en-Tardenois -d’où nous avons vu, cet après-midi, s’élever à l’horizon de grandes -colonnes de fumée, les dépôts que l’on avait fait sauter... De pauvres -gens recueillent avidement les paroles du sous-préfet; un vieil homme, -la tête toute tremblante, l’a pris par un bouton de son dolman:—Faut me -dire la vérité, Monsieur le Sous-Préfet, parce que je suis un bon, moi, -vous savez, moi, je suis un rouge!... Et le sous-préfet, exalté par sa -propre éloquence:—Rentrez chez vous, bonnes gens, les Boches sont en -pleine déroute, vous pouvez dormir tranquilles, vous n’avez rien à -craindre, c’est votre sous-préfet qui vous le dit!... Cependant, -impressionné moi-même, je me suis approché de ce fonctionnaire -enthousiaste et si bien renseigné, je me présente, je demande à M. le -Sous-Préfet de vouloir bien m’accompagner à l’État-Major du général de -division, qui sera heureux d’apprendre de sa bouche ces nouvelles -rassurantes qu’il vient de donner à la foule. M. le Sous-Préfet me suit -de fort bonne grâce, il sera ravi de faire la connaissance du général. -Le général est en train d’achever un dîner hâtif; le sous-préfet accepte -une tasse de café, s’installe, et, très à l’aise:—Alors, mon général, -quoi de nouveau?<span class="pagenum"><a name="page_71" id="page_71">{71}</a></span></p> - -<p class="spc"><i>30 mai.</i>—Quelle tristesse, cette maison où nous avons passé la nuit, -cette maison si confortable, que les propriétaires avaient meublée avec -autant d’amour que de mauvais goût, et qu’ils ont dû abandonner en une -heure... Des croûtons de pain traînent dans la cuisine; il y a encore, -dans le jardin, un petit jouet au milieu d’une allée, un arrosoir... -D’heure en heure, les nouvelles arrivent plus inquiétantes; -Château-Thierry est pris... Toute la population de Neuilly-Saint-Front, -hier encore si frémissante, est partie dans la nuit. Le sous-préfet a -disparu avec tout son enthousiasme et toute son éloquence. Il n’y a plus -un civil. Et voici des régiments (ce qui en reste) qui descendent, -l’arme à la bretelle,—ils viennent de là-bas, du côté des Boches: eh -bien! oui, quoi, les Boches arrivent...—et, dans les boutiques -ouvertes, dont les marchands se sont enfuis, un soldat entre, en -passant, puis deux, puis dix, qui font main basse sur les bouteilles, -les boîtes de conserves:—Autant nous que les Boches!... Deux chasseurs, -dans la grande rue, courent après un petit cochon qui crie, et les -hommes gouaillent: «On les aura!...» A 4 heures, ordre de départ pour -Sommelans. Nous allons, tant bien que mal, établir une ligne de -résistance face à l’est, en arrière de Château-Thierry.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 318px;"> -<a href="images/mer-101_lg.jpg"> -<img src="images/mer-101_sml.jpg" width="318" height="405" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Au moment du départ,<span class="pagenum"><a name="page_72" id="page_72">{72}</a></span> près de la voiture à fanion et du peloton de -l’escadron divisionnaire, j’aperçois deux civils importants, qui -s’entretiennent avec le général et son chef d’État-Major; je les -reconnais: c’est M. Abel Ferry et M. Renaudel; des bribes de leur -conversation viennent jusqu’à nous: «D’ici à deux jours, la situation -sera stabilisée... Il arrive des quantités de troupes...—Il faut que le -pays tienne jusqu’à octobre...»—Et ils filent... Au revoir et merci! -Nous sommes à Sommelans, installés chez l’institutrice. Comme elle a dû -avoir peur!... Le lit est encore défait... C’est un désarroi inouï de -papiers, de plumes de chapeaux, de rubans, dans les armoires, les -tiroirs renversés, au milieu de la chambre. Et il y a encore des fleurs, -de grosses pivoines rouges et blanches sur la cheminée... Elle avait un -piano, l’institutrice de Sommelans, et était abonnée aux <i>Annales</i> et -aux <i>Grandes Modes de Paris</i>.</p> - -<p class="spc"><i>31 mai.</i>—Nous avons quitté Sommelans un quart d’heure avant les -premiers obus. A Licy-Clignon, à la maison d’école; sur le tableau noir, -cette dernière leçon: «Mercredi 29 mai: Instruction civique: la défense -nationale.» Et les «travaux à l’aiguille» des petites filles, surjets, -points de croix, canevas aux tapisseries ingénues, précipitamment jetés -au bas d’un placard. On vide consciencieusement les caves et les -basses-cours; ne s’y mêle-t-il pas un scrupule patriotique? Les -habitants ont recommandé, en s’enfuyant: «Brûlez plutôt ce que vous -n’emporterez pas!...» Chasses aux lapins et aux poules. Et dans chaque -maison l’armoire à linge, et l’armoire à confitures... Quelques -ivrognes, la chaleur aidant. Un homme d’un régiment qui monte a troqué -son casque contre un chapeau haute-forme. Dans une écurie, nous -découvrons un petit âne gris; dans un hangar, une charrette abandonnée: -nous attelons l’âne à la charrette, pour transporter nos sacs, et les -appareils de signalisation. De nouveaux ordres. On nous charge de -défendre la ligne de Château-Thierry avec des<span class="pagenum"><a name="page_73" id="page_73">{73}</a></span></p> - -<div class="figright" style="width: 356px;"> -<a href="images/mer-103_lg.jpg"> -<img src="images/mer-103_sml.jpg" width="356" height="459" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p class="nind">troupes que nous ne connaissons pas, des coloniaux, des malgaches. La -division s’établira à Crogis, nous à Montcourt. Et nous voici, de -nouveau, en route, avec notre âne... Un petit vallon délicieux, quelques -vieillards encore sur le pas des portes, dans les jardins; une vieille -femme qui lave son linge,—longtemps nous entendons le bruit du battoir, -frais, paisible, monotone... La canonnade se rapproche, les -mitrailleuses. Hantise de l’infiltration boche, à travers les pentes -boisées qui nous entourent, avec la nuit qui vient. On entend les coups -de sifflet des patrouilles: patrouilles françaises ou patrouilles -allemandes? On décide que l’état-major de la division et celui de -l’Infanterie divisionnaire passeront la nuit dans une ferme voisine, -plutôt que dans cet étroit vallon de Crogis, inquiétant et peu sûr. Et -nous montons à pied à la ferme de la Nouette. Des lueurs d’incendie dans -toutes les directions; au-dessus de Château-Thierry, ce sont de -continuels éclatements. La nuit est divine. Dans les champs, nous -troublons un cochon égaré, deux chèvres blanches. La ferme, immense, est -sens-dessus-dessous. Et le général, silencieux et seul, s’assied à -l’écart sur un banc, dans la<span class="pagenum"><a name="page_74" id="page_74">{74}</a></span> vaste cuisine, dont les cuisiniers ont -déjà pris possession, allumant du feu, préparant le café.</p> - -<p class="spc"><i>1ᵉʳ juin.</i>—Repli vers Villiers-sur-Marne. Nous ne savons toujours rien -des troupes que nous avons devant nous. Départ à cinq heures du matin; -nous nous gardons avec nos cyclistes, nos éclaireurs montés; les -Allemands seraient sur les hauteurs qui dominent Montcourt et où tient -encore l’escadron divisionnaire. Notre départ fait se lever, dans la -grande cour, une nuée de pigeons. Et nous chevauchons au milieu des -chants d’alouette... Arrêt à la ferme de Beaurepaire. La situation se -précise; nous aurons avec nous une brigade de cavalerie (le bataillon -pied à terre des hussards), et un régiment américain. Le risque sera -donc un peu moins grand de nous faire enlever comme la nuit précédente. -Cette ferme de Beaurepaire est une merveille. Quelle vie agréable et -saine on devait mener là!... Il y a un billard, un piano, de vieux -meubles; et puis un grand attirail de chasse, une collection de -cravaches, des éperons... Et toujours l’armoire aux confitures... Voici -les Américains qui montent en ligne. Ils avancent comme s’il n’y avait -pas de Boches, ni surtout d’avions boches mitraillant les routes. Aucune -précaution; une rafale vient d’en coucher une dizaine par terre; et ça -n’a pas l’air de les émouvoir autrement: «C’est la guerre!...» Ils ont -fait halte devant Beaurepaire. Un Américain se risque à entrer dans la -cour pour prendre de l’eau; il prend aussi une poule, qui s’était -aventurée trop près de ses longues jambes; d’autres entrent, à leur -tour, mis en goût; et ce ne sont bientôt plus qu’Américains avec, sous -le bras, deux, trois poulets... Et dans le crépuscule qui vient, au -crépitement des mitrailleuses, au bruit sourd de la canonnade, se mêlent -les cris des poules effarouchées... C’est la guerre!...</p> - -<p class="spc"><i>2 juin.</i>—Réveil à 4 heures du matin. Ça va mal. La division de gauche -est fortement pressée, et, à notre droite, la division</p> - -<div class="figcenter" style="width: 422px;"> -<a href="images/mer-105_lg.jpg"> -<img src="images/mer-105_sml.jpg" width="422" height="550" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_75" id="page_75">{75}</a></span></p> - -<p>Marchand a décidément perdu la partie nord de Château-Thierry. Ordre de -faire sauter le pont d’Acy. On m’envoie alerter le colonel américain, et -le prévenir qu’il pourrait bien se trouver engagé dans la journée. Il -fait d’ailleurs une matinée exquise; je reviens à travers champs. -Canonnade intense. Et puis ça se tasse. Vers midi, (après déjeuner), on -redevient presque optimiste. On a de meilleures nouvelles de la division -de gauche; la progression allemande serait arrêtée de ce côté, du moins -pour aujourd’hui. Le cycliste d’un de nos chefs de bataillon, qui avait -été fait prisonnier hier, a réussi à brûler la politesse aux Boches. Il -est là. Le colonel lui remet la médaille militaire; il ne s’y attendait -guère; il est blanc d’émotion. Le colonel se dispose à ajouter cinquante -francs de sa poche, pour arroser la médaille; mais tout en causant, il -s’aperçoit que ce cycliste est «dans le civil» un gros entrepreneur de -maçonnerie qui doit être beaucoup plus riche et gagner beaucoup plus -d’argent qu’un colonel; alors le colonel a économisé ses cinquante -francs.</p> - -<p class="spc"><i>3 juin.</i>—Le colonel L... a planté sa canne quelque part dans le bois; -c’est son P. C. Nous sommes auprès de lui, consultant la carte. Tout à -coup des obus se mettent à tomber, pas loin, avec le bruit -caractéristique, sous bois, des branches brisées. Et je remarque une -fois de plus cette affectation que l’on met, en pareil cas, dans un -groupe d’officiers, à continuer, comme si de rien n’était, avec plus de -volubilité même, la conversation commencée,—simplement un petit clin -d’œil de côté, vers la direction où «ça tombe». Ce soir, après dîner, -dans la grande cour de la ferme, nous admirons les six cochons qui -restent et se vautrent ignoblement dans le fumier,—«ils se camouflent, -c’est prudent!» a dit assez plaisamment P..., le chef d’état-major. Et, -de fait, six avions boches passent au-dessus de nous, à une assez grande -hauteur, en formation triangulaire, comme des canards sauvages. Près de -la mare, le major du bataillon américain -<span class="pagenum"><a name="page_76" id="page_76">{76}</a></span> -dort, roulé dans sa toile de -tente, son appareil téléphonique suspendu à un arbre au-dessus de sa -tête, et à côté, accroché également, un réveille-matin.</p> - -<div class="figleft" style="width: 404px;"> -<a href="images/mer-108_lg.jpg"> -<img src="images/mer-108_sml.jpg" width="404" height="474" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p class="spc"><i>4 juin.</i>—Nous avons été relevés cette nuit par les Américains. Exquise -vallée de Domptin, si fraîche et boisée. A Bezu-le-Guery, nous -retrouvons le 152ᵉ; son colonel est en train de se raser; il descend en -pyjama, sa barbe à moitié faite. Les pertes: 650 hommes, 17 officiers. A -Montreuil-aux-Lions, la 2ᵉ division américaine est dans toute la fièvre -de l’arrivée et de l’installation; un luxe d’autos, de camions, de -side-cars, de motos, et quelle poussière sur cette route! Nous ne sommes -plus du tout chez nous, mais en Amérique: et pourtant la jolie petite -église qui domine le village est si française! A la mairie, le général -Pershing est en conférence avec le général Degoutte: quel sort étrange -que celui de ces petites mairies de campagne, qui semblaient uniquement -vouées aux comices agricoles et aux conseils de revision, et qui -s’inscrivent dans l’histoire par de semblables entrevues et de tels -conseils de guerre! La division américaine et la présence du général -Pershing ont aussitôt attiré ici une mission de journalistes américains. -V... l’accompagne, à qui un député, paraît-il, a déclaré hier<span class="pagenum"><a name="page_77" id="page_77">{77}</a></span> à la -Chambre: «Nous ne traiterons pas sans l’Alsace-Lorraine. Nous -poursuivrons jusqu’au bout la solution militaire!» Fortes paroles! A la -Sablonnière, nous allons voir le groupe de chasseurs; les chasseurs en -ont supporté de rudes, pendant ces cinq jours: il reste 100 hommes au -bataillon de B..., et 250 au bataillon M... Le commandant M... a été -cerné trois fois et s’est trois fois dégagé; il est encore frémissant, -et il laisse pousser sa barbe. Nous cantonnons à Chamoust, une pauvre -petite ferme qui a été saccagée: on suit la trace des troupes en -campagne aux plumes de poulet. Autour de la ferme, un bataillon de -chasseurs de la division voisine, qui descend comme nous, et un autre -bataillon qui monte. Ceux qui montent ont placé des sentinelles aux -issues et des avant-postes. Cinq avions boches donnent la chasse à l’un -des nôtres et l’abattent. Au loin, la canonnade roule; lueur des -départs: c’est l’artillerie américaine qui s’entraîne. Le petit jardin -de la pauvre ferme est tout garni de roses, de mères-de-famille, de -pieds d’alouette, et d’innocents œillets blancs dont mon ordonnance a -mis un bouquet dans ce qui me sert de chambre.</p> - -<p class="spc"><i>5 juin.</i>—Et nous voici dans la calme et confortable maison de M. B..., -ancien notaire à Saâcy-sur-Marne. Nous sommes venus le long de la Marne. -Tristesse de ces petits villages évacués presque complètement, et si -verts, si «villégiature à deux heures de Paris». Sur la route, nous -doublons les bataillons de chasseurs; et ils ont défilé devant nous au -pont de Nanteuil: le 43ᵉ, clairons en tête; il a encore 250 hommes; le -59ᵉ derrière, n’a plus que 100 hommes, et plus de clairons. Et ces -hommes défilent encore allègrement, en tournant la tête à droite, et -certains avaient mis des fleurs au bout de leur fusil.</p> - -<p class="spc"><i>11 juin.</i>—La Ferté-sous-Jouarre. Dans la grande rue, où la moitié des -boutiques ont leur devanture fermée, des camions et des camions, amènent -des Américains sur la ligne. Une impression de<span class="pagenum"><a name="page_78" id="page_78">{78}</a></span> gaîté et de force. Au -retour, les camions vides; dans l’un d’eux, debout, un convoyeur, -véritable excentric-comic, se démène et fait la parade, coiffé d’un -chapeau haute-forme: serait-ce le chapeau que j’avais déjà vu, quand -nous retraitions, à Licy-Clignon?</p> - -<div class="figcenter" style="width: 528px;"> -<a href="images/mer-110_lg.jpg"> -<img src="images/mer-110_sml.jpg" width="528" height="392" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p class="spc"><i>Sans date.</i>—L’aumônier divisionnaire nous raconte qu’au cours de la -retraite, à Dammard, il était arrêté à chaque pas par des soldats—tout -un groupe d’artillerie—qui lui demandaient à se confesser, et qu’il -confessait là, en pleine rue. Il était débordé, et il a fini par se -fâcher: «Vous avez donc peur?»</p> - -<p class="spc"><i>Sans date.</i>—Déjeuner chez le commandant M..., à Forchamps, avec les -officiers du 43ᵉ B. C. P. et le colonel D... Fanfare, champagne. On a -déjeuné sous une tonnelle de fleurs et de branchages, construite<span class="pagenum"><a name="page_79" id="page_79">{79}</a></span> en -deux heures, ce matin, par les sapeurs du bataillon. Les places vides -des camarades tués sont déjà tenues par d’autres.</p> - -<p class="spc"><i>Dimanche.</i>—Sur la promenade de la Ferté, le long de la Marne, les -petites tentes des Américains, si comiques avec leurs pantalons haut -relevés jusque sous les aisselles, des pantalons de clowns. D’aucuns -canotent. Un phonographe joue un two-step. Sur un banc, au milieu de cet -exotisme frénétique, quelques promeneurs du dimanche, et des enfants qui -jouent. Le colonel prend une photo d’un groupe, qui mange la soupe en -plein air; un soldat américain s’en aperçoit, pique une pomme de terre -au bout de sa fourchette, qu’il tient au port d’armes.</p> - -<p>Ces soldats mettent à leur instruction une bonne volonté, une -application extraordinaires. Les exercices de tir, les «spécialités» les -passionnent; le grand sport c’est, lorsque la mitrailleuse a été -démontée, ou le fusil mitrailleur, de se faire bander les yeux pour en -rassembler les pièces «comme dans la nuit». Tout de même, comme ils -n’avaient pas été payés, paraît-il, depuis leur arrivée à La Ferté, -l’autre jour, à l’exercice, pendant la pause, comme les chasseurs qui -leur servent de «mannequins» pour les démonstrations et l’entraînement, -étaient allongés dans l’herbe, un Américain s’est approché d’un clairon, -lui a pris son instrument, et a joué «la solde».</p> - -<p class="spc"><i>Sans date.</i>—Instruction américaine. Grand exercice de démonstration, -progression de la section, avec incidents figurés: prisonniers boches, -barrages (les chasseurs, vautrés dans l’herbe, agitent des fanions -rouges pour simuler les lignes d’éclatement), prise de la tranchée -ennemie. Deux mille Américains comme spectateurs. Des têtes étonnantes -de lutteurs romains ou de clowns excentrics. Les majors, tout jeunes, en -bras de chemise, et avec leur insigne au collet de leur chemise. Le -général de division, général Cameroun, qui rit aux éclats et crie: -«Camarade» à l’épisode des prisonniers.<span class="pagenum"><a name="page_80" id="page_80">{80}</a></span></p> - -<div class="figleft" style="width: 393px;"> -<a href="images/mer-112_lg.jpg"> -<img src="images/mer-112_sml.jpg" width="393" height="574" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>C’est le général Cameroun qui déclare gravement: «Dans cette guerre, il -faut avoir un cinématographe dans la tête!...» A la fin de l’exercice, -la fanfare du 59ᵉ joue l’hymne américain. Et alors le colonel du -régiment, jusque-là impassible, visage de cinéma pour jouer les -<i>Mystères de New-York</i>, bondit au milieu de la prairie, en agitant son -grand chapeau, et pousse des cris inarticulés, des «you-you», des -sifflements aigus en l’honneur de la France, répétés aussitôt par les -deux mille Américains. Tout cela, dans un site délicieux de vieille -France, un plateau au-dessus de Reuil, avec, au pied, les boucles de la -Marne, et, sur les bords de la Marne, une vieille demeure Louis XVI qui -contemple cet étrange spectacle de tous les yeux étonnés de ses fenêtres -ouvertes.<span class="pagenum"><a name="page_81" id="page_81">{81}</a></span></p> - -<p class="spc"><i>3 juillet.</i>—Nous allons occuper le secteur de -Vendrest-Vaux-sous-Coulomb. Ce que ce village de Vaux, où nous nous -installons, a d’assez désagréable, c’est que les Boches nous y tiennent -sous le feu d’Hautevesnes, d’où il s’agira de les déloger d’abord, quand -nous attaquerons. L’attaque se fera «en direction d’Hautevesnes.» En -attendant, ici, nous sommes «vus d’Hautevesnes», ce qui oblige à -certaines précautions, et a fort endommagé la ferme qui nous sert de P. -C. Mais il y a un petit jardin avec des roses merveilleuses, un chat, un -chien, une vache et trois vieilles femmes qui, comme le vieux pauvre du -«Noël» de Debussy, n’ont pas voulu s’en aller. L’une d’elles, de ces -trois vieilles, garde la clé de l’église, une délicieuse église romane -avec des traces de fresques naïves sur les piliers. La nef a été trouée -avant-hier par un obus. Nous allons organiser un P. C. souterrain à -l’entrée du village, près de la maison dont le grenier nous sert -d’observatoire et où les observateurs ont découvert, pour rendre leur -poste tout à fait confortable, un mobilier de la plus pittoresque -variété; ils découvrent aussi, cela va sans dire, les Boches -d’Hautevesnes,—qui le leur rendent bien. Cependant, je visite des -potagers abandonnés, où je me régale de groseilles, de petits pois crus -et de fèves excellentes. Je rencontre une des trois vieilles, la -propriétaire des fèves, qui me déclare qu’on la coupera en deux plutôt -que de la faire partir. Elle couche dans une petite cave avec ses -poules, qu’elle a réussi à sauvegarder. Elle paraît moins préoccupée de -la guerre et des obus que de la sécheresse, depuis que les conduites -d’eau ont été crevées, et d’un certain mulot, qui mange les racines de -ses choux, qu’elle guette toute la journée, armée d’une bêche, et -qu’elle ne peut arriver à surprendre...</p> - -<p><i>Sans date.</i>—Le colonel du 152ᵉ habite les communs du château de -Brumetz. En 1914, les Allemands, passant par là, ont su que le château -appartenait à un officier, et ils l’ont soigneusement brûlé. Ils<span class="pagenum"><a name="page_82" id="page_82">{82}</a></span> n’ont -tout de même pas brûlé les arbres du parc, qui est superbe, mais où des -tirs de toxiques nous empêchent de nous promener. Le cuisinier du -colonel s’est installé une petite cagna dans la niche à chien: <i>Villa -Mounet-Sully</i> (il s’appelle Mounet); et cette inscription désabusée:</p> - -<div class="poetry"> -<div class="poem"><div class="stanza"> -<span class="i0">Quand l’obus ici tombera,<br /></span> -<span class="i2">Mounet vécu aura...<br /></span> -</div></div> -</div> - -<p><i>Sans date.</i>—L’église de Gandelu, haut perchée, avec l’obus qui est -entré juste derrière le maître-autel. Et les prix des concours -d’archers, des «Saint-Sébastien» exposés tout autour de l’église,—il y -en avait de toutes les époques et de tous les styles,—et que le -bombardement a fort endommagés: indiscutable supériorité des obus sur -les flèches...</p> - -<p class="spc"><i>Sans date.</i>—Deux chasseurs de la division voisine qui avaient été -faits prisonniers au Chemin des Dames viennent de rentrer après avoir -circulé quinze jours dans les lignes boches. C’était un guide de -Chamonix avec un de ses cousins. En sa qualité de guide, spécialisé dans -la clientèle allemande, il parlait admirablement l’allemand. Employés -par les Boches pour enterrer leurs morts, ils ont pris leur uniforme à -deux de ces morts, un officier et un soldat. Le guide, revêtu de -l’uniforme d’officier, faisait passer son cousin pour son ordonnance. -Arrêtés par les sentinelles, «l’officier» a déclaré qu’il commandait une -compagnie de minenwerfer, et qu’il était venu reconnaître des -emplacements pour ses pièces. On les a laissés passer.</p> - -<p class="spc"><i>9 juillet.</i>—Nous déménageons de Vaux-sous-Coulomb. Je regretterai les -roses. On nous ramène à Coulomb, grand village qui n’a pas été encore -trop démoli. Le presbytère, avant de nous abriter, fut certainement -l’asile d’un curé apiculteur. Une photographie suspendue à la place -d’honneur, dans la salle à manger, représente l’excellent prêtre au -milieu de ses ruches, avec une vieille dame,<span class="pagenum"><a name="page_83" id="page_83">{83}</a></span> assise sur une chaise, une -dame plus jeune qui joue de la mandoline (<i>sic</i>), et une petite fille en -robe à carreaux... De nombreux Américains se succèdent dans ce temple de -l’apiculture, et pourront admirer la dame qui joue de la mandoline parmi -les abeilles. Mais ils viennent de préférence pour être conduits à -l’observatoire de la Grange-Coulomb, qui est ce que l’on fait de mieux -dans la région comme observatoire, et d’un accès assez facile. C’est -dans les greniers d’une ferme superbe; il a suffi d’enlever quelques -tuiles du toit, et, par les ouvertures ainsi pratiquées, on a braqué des -appareils de repérage aux lueurs, et notre jumelle à ciseaux. On voit -toujours Hautevesnes...</p> - -<div class="figright" style="width: 354px;"> -<a href="images/mer-115_lg.jpg"> -<img src="images/mer-115_sml.jpg" width="354" height="622" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p class="spc"><i>13 juillet.</i>—Trois visiteurs de marque pour l’observatoire, trois -Américains importants, dont l’un, qui rit tout le temps, mais n’entend -pas un mot de français, est un gros banquier,<span class="pagenum"><a name="page_84" id="page_84">{84}</a></span> habillé d’ailleurs pour -la circonstance en colonel, le «président de la commission des achats» -nous confie l’officier de l’armée qui l’accompagne. Quels achats? Il a -une Rolls-Royce impressionnante et des cigares étonnants. A minuit nous -arrive un message de l’armée transmis par la division: d’après un -prisonnier qui «paraît digne de foi», les Boches déclencheraient cette -nuit leur grande offensive. Nous nous sommes couchés tout de même, et il -n’y a rien eu du tout.</p> - -<p class="spc"><i>15 juillet.</i>—Eh bien! ils l’ont déclenchée en effet, leur fameuse -offensive, mais seulement la nuit dernière, entre la Main de Massiges et -Château-Thierry. Ils ont passé la Marne à Jaulgonne, comme il était -annoncé. Mais, dès maintenant, il ne semble pas que ce soit la réussite -foudroyante. Un officier boche prisonnier a déclaré: «Nous venons -d’avoir notre 16 avril!...»—C’est cela.</p> - -<p class="spc"><i>16 juillet.</i>—Le berger va répondre à la bergère; à notre tour -d’attaquer! J’accompagne le colonel à la division, à Vendrest, et, -pendant qu’il doit assister là au Soviet préparatoire, je vais jusqu’à -Lizy-sur-Ourcq, à la cantine américaine, renouveler notre provision de -chocolats,—ces chocolats qui ont un goût sauvage!—de cigarettes et de -cigares. Ces cantines américaines sont vraiment bien approvisionnées; -mais que nous sommes donc bien approvisionnés, nous aussi, en -Américains!.. Il y en a partout, et qui se livrent, dans tous les coins, -à tous les jeux de la guerre, exercices de tir, relevés -topographiques... D’aucuns aussi se baignent tranquillement dans le -canal, et, tout nus, sur la berge, font leur toilette,—comme chez -eux!..</p> - -<p class="spc"><i>17 juillet.</i>—On nous a adjoint l’état-major d’une brigade américaine, -qui partira avec nous à l’attaque. Il y a notamment un jeune lieutenant -de vingt ans, tout à fait le Bertie,—le colonel<span class="pagenum"><a name="page_85" id="page_85">{85}</a></span>!—des -<i>Transatlantiques</i>, qui ne dit rien, semble s’amuser prodigieusement, et -siffle tout le temps, même à table... Nous avons quitté Coulomb, après -dîner, pour nous rendre à pied jusqu’à Vaux. Le ciel est terriblement -orageux. Le jeune Bertie marche à mes côtés, toujours sifflant; il ne -m’a pas encore adressé la parole; et tout à coup, il me saisit par le -bras, il me montre la forme capricieuse d’un nuage qui file au-dessus de -nous: «N’est-ce pas que l’on dirait une femme qui respire une rose?..» -Et comme quelques gouttes d’eau se sont mises lourdement à tomber, voilà -ce surprenant jeune homme qui enchaîne:</p> - -<div class="poetry"> -<div class="poem"><div class="stanza"> -<span class="i0">Il pleure dans mon cœur<br /></span> -<span class="i0">Comme il pleut sur la ville...<br /></span> -</div></div> -</div> - -<div class="figcenter" style="width: 513px;"> -<a href="images/mer-117_lg.jpg"> -<img src="images/mer-117_sml.jpg" width="513" height="420" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>«Vous connaissez Verlaine, lui demandé-je, vous l’aimez?</p> - -<p>—Oh! oui, Verlaine,—et aussi Béranger...» Mais ce qu’il aime<span class="pagenum"><a name="page_86" id="page_86">{86}</a></span> surtout, -ce sont nos dramaturges. A l’Université—qu’il quitte à peine—ils -avaient, paraît-il, un professeur très intéressant, qui leur a fait un -cours très complet sur le théâtre français, depuis le <i>Jeu de Robin et -Marion</i> jusqu’aux dernières comédies de MM. de Flers et Caillavet. Et -puis il a eu cette chance extraordinaire, pendant que la division -américaine était avec nous, à l’instruction, à la Ferté-sous-Jouarre, il -a eu la chance d’être cantonné dans une maison où il y avait la -collection très complète des pièces de l’<i>Illustration</i>. Alors vous -pensez s’il s’est régalé! Il y a gagné une admiration toute particulière -pour M. Maurice Donnay. Aussi, quand je lui dis que j’ai cette bonne -fortune de compter M. Maurice Donnay parmi mes amis, quand je l’assure -même que, si nous nous rencontrons à Paris, en permission, ou mieux, -quand la guerre sera finie, rien n’empêchera que je le présente à M. -Maurice Donnay, la joie de mon jeune camarade transatlantique se double -aussitôt de la gratitude la plus touchante; le voilà tout à fait en -confiance avec moi. J’apprends ainsi qu’ils se sont engagés ensemble, -trois camarades d’Université, ils ont débarqué ensemble en France, et -ils se sont donné les noms des Trois Mousquetaires. Lui, c’est Porthos. -Et Porthos me montre un petit carnet où il écrit ses impressions en -français, des impressions très rapides, une ou deux lignes seulement. Il -note par exemple: «Baptême du feu. Porthos se dém...»,—et le mot, si -militaire, est en français aussi; Porthos me demande même, confiant dans -la science d’un ami de M. Maurice Donnay, s’il faut y mettre une ou deux -<i>m...</i> Ainsi nous devisions et passions le temps en attendant l’heure H.</p> - -<p class="spc"><i>18 juillet.</i>—H = 4 heures. Au soir, nous avons atteint nos objectifs, -pris 30 canons, fait 400 prisonniers et progressé de 4 kilomètres.</p> - -<p class="spc"><i>19 juillet.</i>—Sur les routes libérées, les routes où l’on se promène -maintenant sans être «vu de l’ennemi», vu de Hautevesnes,<span class="pagenum"><a name="page_87" id="page_87">{87}</a></span> qui est à -nous... Je ne présenterai pas à Maurice Donnay son jeune admirateur -américain; il a été tué en reconnaissance... Pauvre Porthos!..</p> - -<p class="spc"><i>20 juillet.</i>—La «poussée». Près de l’église démolie de -Saint-Gengoulph, dans une carrière où nous passons la nuit, protégés par -nos toiles de tente... Saint-Gengoulph, presque Saint-Gingolph, la -petite station frontière du lac de Genève, qui évoque pour moi de si -jolis souvenirs de vacances... Saint-Gengoulph,—il ne faut pas -confondre!.. B. et H. tués...</p> - -<p class="spc"><i>21 juillet.</i>—A travers champs, dans les trous d’obus. P. tué, J. -blessé au ventre. Batteries boches restées sur les positions; à -celle-ci, on venait d’amener les avant-trains pour détaler en vitesse. -Les trois chevaux ont été tués, les jambes en l’air, et le cadavre du -conducteur est coupé en deux... Des tanks passent, en se dandinant, -pareils à de vieilles dames précautionneuses...</p> - -<p class="spc"><i>22 juillet.</i>—La ferme des Vallées. L’officier boche qui a couché ici -avant moi a laissé un exemplaire tout crayonné de l’<i>Enfant</i> de Vallés, -où il semble qu’il apprenait, à ses heures de loisir, la littérature -française...</p> - -<p class="spc"><i>24 juillet.</i>—La Maison du Bois a été enfin enlevée à la baïonnette. -Nous gagnons le bois du Châtelet. Cadavres de quatre ou cinq Boches, les -plus audacieux, ceux qui se sont avancés le plus loin, jusqu’à la route. -Et des nôtres aussi, trop des nôtres... Comme les morts du champ de -bataille ont tout de suite un aspect, des poses, de Musée Grévin; c’est -ce qui les rend moins émouvants, peut-être, moins effrayants... A la -corne Est du bois du Châtelet, emplacement de la nouvelle Bertha qui -devait tirer sur Paris. Un beau travail,<span class="pagenum"><a name="page_88" id="page_88">{88}</a></span> vraiment, un gigantesque -travail!... Et si rapidement exécuté!... Car enfin nous y sommes passés -au bois du Châtelet, il y a deux mois à peine, les Boches n’y étaient -pas, et il a fallu amener, dresser cette énorme plate-forme... Nous -allons coucher dessous, d’ailleurs, elle nous sera un abri précieux, -sinon confortable. Le formidable et laborieux effort des Boches, que sa -mise en place représente, aura toujours, du moins, servi à ça...</p> - -<div class="figcenter" style="width: 505px;"> -<a href="images/mer-120_lg.jpg"> -<img src="images/mer-120_sml.jpg" width="505" height="390" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p class="spc"><i>25 juillet.</i>—Nous sommes relevés et quittons dans la nuit notre P. C. -Bertha. Arrivée à Monthiers dans une villa aux volets verts qui a bien -encore des volets, mais plus de toit; un amoncellement de plâtras, -d’ordures, et cette odeur de cadavre... Au jour, nous consta<span class="pagenum"><a name="page_89" id="page_89">{89}</a></span>tons que le -propriétaire de la villa aux volets verts avait bien choisi son endroit -pour faire construire. Quelle vue sur le village, au-dessus des toits du -village dont les tuiles ont été comme «écaillées» par l’artillerie, -celle des Boches, tour à tour, et la nôtre! On s’installe. Meubles -hétéroclites retrouvés dans les abris boches. L’église elle-même est au -pillage, missels, ornements sacerdotaux... Elle était charmante, cette -église, qui porte cette inscription: «Le Peuple français reconnaît -l’Être Suprême et l’Immortalité de l’Ame.» J’ai trouvé une rose «parmi -les ruines»...</p> - -<p class="spc"><i>27 juillet.</i>—En haut du château de Monthiers, panorama du champ de -bataille. Toutes ces côtes, tous ces bois qui ont été si disputés, dont -nous avons tant parlé, la Ferme Pétré, la Grenouillère... Ce n’était que -ça!... Arbres fracassés, trous d’obus. Et des débris d’équipements, des -bandes de mitrailleuses, des tombes hâtives, comme improvisées... Une -petite maison, la dernière du village, écroulée comme les autres, mais -où tient encore l’enseigne: «Sage-femme de 1ᵉʳ classe...» Hélas! ce sont -les hommes qui auraient besoin de sagesse!...</p> - -<p class="spc"><i>28 juillet.</i>—Nous faisons, <i>en sens inverse</i>, notre trajet d’il y a -deux mois. Sommelans, Neuilly-Saint-Front, c’est tout notre ancien champ -de bataille et de retraite, jalonné de trous d’obus et de tombes. Ah! la -bataille n’a pas «arrangé» le paysage!... Et au fond, nos hommes avaient -bien raison d’emporter au moins les poulets!</p> - -<p>Il y a du moins une impression très belle que ressentent profondément -les «terriens» qui sont avec nous: dans les champs les moissons -prochaines, que les Boches avaient respectées parce qu’ils comptaient -bien en profiter,—et c’est, par nous, pour nous, la libération des -moissons...</p> - -<p>On nous a assigné Dammard comme lieu de repos. Du village,<span class="pagenum"><a name="page_90" id="page_90">{90}</a></span> rien ne -subsiste, que quelques pans de muraille. Le clocher de l’église a été -coupé en deux, du haut en bas, comme une armoire dont on aurait arraché -la porte...</p> - -<p>Tandis que je contemple ces ruines, trois limousines passent, vers la -Ferté-Milon; dans la seconde, un vieillard en chapeau mou, qui se -rencoigne à côté d’un général: Clemenceau.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 271px;"> -<a href="images/mer-122_lg.jpg"> -<img src="images/mer-122_sml.jpg" width="271" height="352" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_91" id="page_91">{91}</a></span></p> - -<h2><a name="EN_BELGIQUE" id="EN_BELGIQUE"></a> -<a href="images/mer-123_lg.jpg"> -<img src="images/mer-123_sml.jpg" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -<br />EN BELGIQUE</h2> - -<p class="nind"><span class="letra">O</span>N peut regretter, certes, de n’avoir pas fini la guerre en Lorraine ou -en Alsace, de n’avoir pas connu les heures magnifiques où se matérialisa -la revanche victorieuse, où ce qui avait été l’enjeu, le but de cette -guerre, nous l’avons enfin touché de notre main, nous l’avons serré dans -nos bras, pour une étreinte passionnée; on peut regretter de n’avoir pas -été de ceux qui, dans Metz ou dans Strasbourg reconquises, connurent -l’allégresse et la fierté du premier retour, la douceur émouvante du -premier accueil. Du moins, nous aura-t-il été donné de laver la Belgique -de la souillure allemande, d’entendre, nous aussi, monter vers nous des -cris de joie et de reconnaissance, toute l’exaltation de ce noble et -vaillant petit peuple enfin libéré, et, à défaut de nos frères d’Alsace -et de Lorraine, nous nous réjouissons et nous nous enorgueillissons -d’avoir participé aux derniers combats qui délivrèrent nos frères de -Belgique, de nous être, à l’instant suprême de la victoire, trouvé<span class="pagenum"><a name="page_92" id="page_92">{92}</a></span> -auprès d’eux, cœur à cœur.</p> - -<div class="figright" style="width: 376px;"> -<a href="images/mer-124_lg.jpg"> -<img src="images/mer-124_sml.jpg" width="376" height="348" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>L’offensive d’octobre 1918 en forêt d’Houthulst, la prise de Roulers, -l’ennemi se repliant précipitamment, en déroute, abandonnant Ostende, -puis Bruges et puis Gand, Audenarde dépassée, et le salut de Bruxelles à -son Roi et à sa Reine derrière lesquels nous marchions nous, la France, -fraternellement mêlés à l’armée, au peuple belges, acclamés par eux et -comme eux—oui, ce sont là, aussi, des souvenirs qui comptent, et qui -paient bien des minutes cruelles.</p> - -<p>C’est qu’ils avaient été particulièrement pénibles, ces derniers -combats, pénibles surtout par le terrain abominable qui ne se compare -qu’à celui de Verdun—avec l’eau en plus! Un village comme Langemarck, -qui était mieux qu’un village, un gros bourg florissant, avec un très -beau château, où certains de nos camarades de la cavalerie se -rappelaient avoir trouvé, en 1914, un cantonnement spacieux et -confortable, Langemarck, son château—quelques briques écrasées dans la -boue et qui, à cet endroit où fut Langemarck, lui donnaient seulement -une couleur un peu rougeâtre—comme à Fleury! Pourtant quelque chose -subsistait de ce qui avait été Langemarck, quelque chose de plus que sur -l’emplacement de Fleury: un réverbère!</p> - -<p>Oui, dans ce paysage de désolation et de mort, sur ce sol chao<span class="pagenum"><a name="page_93" id="page_93">{93}</a></span>tique et -désertique, il n’y avait que cela qui subsistait, qu’un miracle -extravagant avait maintenu debout et fait respecter,—un réverbère tout -tordu, que le bombardement infernal qui, tout autour, avait tout nivelé, -n’était point parvenu à abattre, ou qu’il avait dédaigné,—un réverbère -s’élevait encore, saugrenu et dérisoire... Et c’est qu’on le voyait de -loin, car la plaine était sans ondulations, monotone, impitoyable; et -l’on ne pouvait cependant, à cause de la nappe d’eau à moins de 30 -centimètres, ni ouvrir une tranchée, ni creuser un abri. Les seuls abris -étaient nécessairement en superstructure, casemates bétonnées, ou -simples tôles métro: métro, c’était leur nom officiel dû à leur forme -pareille, en effet, à la voûte du métro,—ce qui, avec son petit air -bien parisien, nous emmenait joliment loin du champ de bataille, et de -Langemarck.</p> - -<p>A défaut de tôles «métro» j’ai vu utiliser comme abris de vieux tanks, -épaves de la furieuse bataille anglaise de 1917. A Langemarck, -précisément, non loin de la tôle métro qui servait de P. C. à un général -de division, des territoriaux avaient pris possession d’un de ces tanks -qui n’avait pu aller plus loin et pour cause: la cause était marquée par -trois petites croix voisines, surmontant les tombes des trois Anglais de -l’équipage qui, lorsque le tank avait été démoli, avaient été en partie -brûlés sur place, puis enterrés là. En dépit de ce voisinage peu -encourageant, nos territoriaux avaient aménagé la carcasse du tank pour -leurs commodités personnelles, et, pour se chauffer et cuire leur soupe, -ils y avaient même installé un petit poêle de campagne dont le tuyau -sortait comiquement de l’ancien capot...</p> - -<div class="figright" style="width: 384px;"> -<a href="images/mer-125_lg.jpg"> -<img src="images/mer-125_sml.jpg" width="384" height="178" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Et cette région avait été, paraît-il, une des régions les plus riches -des Flan<span class="pagenum"><a name="page_94" id="page_94">{94}</a></span>dres, des plus fertiles, des plus riantes. Lorsque Bruges fut -délivrée, le général français, qui commandait le détachement de l’armée -des Flandres, et remplissait avec bonheur auprès du roi Albert les -fonctions de chef d’État-Major ou mieux de conseiller militaire, le -général Degoutte songea que les habitants de Bruges, pendant ces quatre -années d’occupation, avaient bien entendu quelquefois tonner le canon, -mais qu’ils ne pouvaient savoir ce qu’avait été cette bataille qui se -livrait à quelques dizaines de kilomètres de chez eux, qu’ils ignoraient -totalement dans quel état les Boches avaient mis toute la contrée -environnante. Et le général fit prier trente notables de Bruges, et les -invita à visiter ce qui avait été le front de l’Yser, de Roulers, -d’Ypres et de Dixmude.</p> - -<p>J’eus l’honneur d’être désigné pour guider ce pieux et poignant -pèlerinage. Malgré la fatigue et les difficultés certaines d’une telle -randonnée par les pistes en rondins, que l’on avait dû établir au milieu -de la campagne inondée, et les routes sur pilotis que les lourds convois -avaient dangereusement endommagées, coupées même par endroits, et par -ailleurs encombrées encore de fourgons renversés, de débris de toute -nature, les invités du général Degoutte se montrèrent fort empressés, et -parmi eux l’ancien bourgmestre avait bien voulu souhaiter, tout le -premier, de se joindre à notre caravane, ce noble et charmant comte -Visart, que les Allemands avaient révoqué, et qui, malmené par ces -rustres, sans égards pour ses quatre-vingts ans, leur avait un jour -répondu:</p> - -<p>—Fusillez-moi si vous voulez, mais soyez polis!</p> - -<p>J’ai dit que mes compagnons, de la formidable bataille qui s’était -livrée si près d’eux, ne savaient rien que les nouvelles plus ou moins -vagues, plus ou moins erronées, que laissait «filtrer» jusqu’à eux la -Kommandantur. Et surtout ils n’avaient pas la moindre idée, aucun -document photographique n’avait encore pu le leur révéler, ils ne se -faisaient aucune idée de cette ruine totale, de cette complète</p> - -<div class="figcenter" style="width: 417px;"> -<a href="images/mer-127_lg.jpg"> -<img src="images/mer-127_sml.jpg" width="417" height="550" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_95" id="page_95">{95}</a></span></p> - -<p class="nind">dévastation. Alors, imaginez l’impression de ces gens qui avaient encore -dans les yeux l’image de ces plaines flamandes, telles qu’ils les -avaient laissées en 1914, si peuplées et si prospères,—et brusquement -plus rien que ce chaos et ce désert où ils cherchent, sans même parvenir -à en démêler les traces, pas même l’emplacement exact, où ils cherchent -vainement ce qui fut leur ferme, leur maison des champs, la demeure -calme et joyeuse de parents, de voisins, d’amis.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 499px;"> -<a href="images/mer-129_lg.jpg"> -<img src="images/mer-129_sml.jpg" width="499" height="294" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Pour nous, ce sentiment de stupeur consternée, d’indignation et de rage, -nous l’éprouvions devant Ypres en ruines, oui, un sentiment de tous -points analogue, aussi âprement douloureux et fort que pouvait l’être -celui de nos amis Belges devant leur patrimoine ruiné: des richesses -incomparables, de purs et uniques chefs-d’œuvre comme les Halles ou la -Cathédrale d’Ypres ne faisaient-ils point partie du patrimoine de -l’humanité tout entière, de son patrimoine artistique, et n’est-ce pas -l’humanité tout entière, tout le monde civilisé qui en aura été ainsi -frustré, dépossédé, par la barbarie allemande?<span class="pagenum"><a name="page_96" id="page_96">{96}</a></span></p> - -<p>Aussi quel soulagement d’apprendre et de constater que du moins Bruges -avait été respectée, que nous pourrions encore emplir nos yeux de ses -merveilles!...</p> - -<p>Je ne pense pas qu’il se puisse imaginer de cadre plus magnifique, pour -un cortège triomphal, que celui de cette Grande Place de Bruges, où le -Roi Albert, la Reine et le Prince héritier, arrivèrent à cheval, -escortés du général Degoutte et de son état-major, tandis que le -carillon du beffroi jouait la <i>Brabançonne</i> et <i>La Marseillaise</i>. Les -notes grêles et charmantes de ce carillon résonnent encore dans notre -cœur. Comme il claquait joliment au vent, le fanion du général Degoutte, -fièrement dressé au milieu de la grande place, autour de laquelle -évoluaient les vaillants régiments belges! Sur le perron du Palais -Provincial, devant lequel les souverains belges avaient mis pied à -terre, c’étaient tous les chapeaux haute-forme de la Province, enfin -libérés eux aussi par la victoire, et les uniformes chamarrés des -bourgmestres, du Gouverneur.</p> - -<p>Et soudain le Roi Albert, qui nous dominait tous de sa haute taille, -aperçut modestement mêlé à la foule, l’amiral Ronarc’h, avec sa -redingote sombre, tel qu’il était à Dixmude au milieu de son héroïque -brigade de fusiliers marins. Et le Roi et la Reine, lui faisant -gentiment signe, voulurent, pendant la cérémonie, qu’il se tînt à leurs -côtés.</p> - -<p>Après tant de <i>Marseillaises</i> et de <i>Brabançonnes</i>, d’acclamations, de -carillons et de fanfares,—Bruges-la-Morte était vraiment, ce jour-là, -Bruges la ressuscitée, et il n’y aura pas de trompettes plus éclatantes -au jour du Jugement dernier!..—j’étais allé chercher au Béguinage un -peu de repos et de silence. Le Béguinage, lui, je le retrouvai pareil à -lui-même, aussi calme, aussi recueilli, comme si toutes les agitations -du siècle, et même la guerre, n’avaient pu franchir son pont ni sa -porte, étaient venues se briser à la mouvante barrière de ses canaux...<span class="pagenum"><a name="page_97" id="page_97">{97}</a></span></p> - -<p>Seuls quelques enfants jouaient sur la petite place herbue devant la -chapelle.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 464px;"> -<a href="images/mer-131_lg.jpg"> -<img src="images/mer-131_sml.jpg" width="464" height="397" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Mais en me voyant, ils cessèrent leurs jeux, et, gravement, la main au -bonnet, me firent un beau salut militaire. Je leur répondis en souriant, -et comme je m’éloignais, continuant ma promenade, je m’entendis appeler:</p> - -<p>«Monsieur l’officier!... Monsieur l’officier»!...</p> - -<p>Je m’arrêtai et tournai la tête: les enfants, maintenant, me montraient -l’un d’eux qui s’était mis à marcher sur les mains, et à exécuter de -superbes cabrioles; et je compris que, renouvelant l’hommage spontané et -naïf du Jongleur de Notre-Dame, ces cabrioles,<span class="pagenum"><a name="page_98" id="page_98">{98}</a></span> c’était pour me faire -honneur, pour faire honneur à un officier français, c’était l’offrande -de leur admiration et de leur reconnaissance, à ces humbles et charmants -gamins, pour la France...</p> - -<p>C’est qu’ils témoignèrent de tant de crânerie et de malicieux héroïsme, -la plupart de nos petits Belges, pendant les dures heures de -l’occupation allemande! Et non pas seulement par les privations -imposées, qu’ils supportaient si allègrement; mais comme ils donnèrent -du fil à retordre aux lourds policiers boches, que de tours plaisants -où, piteusement, se laissaient prendre la sottise, et la morgue des -officiers de la Kommandantur!...</p> - -<p>Cette malice, d’ailleurs, n’était pas l’apanage exclusif de leur jeune -âge; toute la population belge rivalisa d’ingéniosité et d’esprit pour -jouer, duper, ridiculiser ses oppresseurs, et la «Zwanze» fut bien -souvent une arme de vengeance et de défense contre laquelle les -Allemands dépensaient en vain leur rage impuissante. C’est à force de -finesse inventive et subtile que les Belges parvinrent à ne point trop -souffrir des mesures vexatoires dont on cherchait à les accabler, -passant à travers les règlements, tournant l’obstacle, se moquant des -perquisitions.</p> - -<p>Nous en a-t-on conté de ces «zwanzes», de ces bonnes farces jouées aux -autorités allemandes, et qui ne dénotaient pas moins de courage que de -belle humeur... Car malheur à qui se serait laissé prendre!</p> - -<p>Et tout naturellement ces récits éveillaient en nous l’écho d’autres -récits, tout semblables, que nous avions entendus en Alsace, et cette -analogie vraiment frappante entre l’attitude des Belges et des -Alsaciens, que soulignait un tour d’esprit tout pareil, ajoutait encore -à l’émotion que ces courageux amis nous inspiraient, et à notre -affection pour eux, nous les rendait, si possible, encore plus chers et -plus proches... Ah! en dépit de leurs exigences odieuses, de leur -surveillance tyrannique, les Boches n’en virent pas beaucoup, en -Belgique,<span class="pagenum"><a name="page_99" id="page_99">{99}</a></span> de cette laine et de ces cuivres qu’ils prétendaient -réquisitionner, c’est-à-dire voler... Et ils pouvaient bien interdire -les couleurs nationales: un beau matin les étalages des magasins, les -éventaires des boutiques rapprochaient, en toute innocence, des boîtes -noires, côte à côte avec des boîtes jaunes et des boîtes rouges; ou -bien, on peut avoir, n’est-ce pas, une ombrelle rouge, une ombrelle -jaune n’est pas subversive, non plus qu’une ombrelle noire ne saurait -être considérée comme une insulte au Kaiser: et trois jeunes femmes se -rencontrant boulevard Anspach, et se promenant de compagnie, faisaient -briller et tournoyer les chères couleurs de la patrie...</p> - -<div class="figright" style="width: 459px;"> -<a href="images/mer-133_lg.jpg"> -<img src="images/mer-133_sml.jpg" width="459" height="531" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Alors, en guise de punition ou de brimade, la kommandantur décidait que, -pendant une semaine, pendant quinze jours, pendant un mois, suivant la -gravité de la faute, les habitants de tel quartier devraient être -rentrés chez eux et n’en pourraient plus sortir passé huit heures, sept -heures, six heures et demie du soir!</p> - -<p>Et voici que, dans le quartier ainsi consigné, les policiers boches, en -faisant leur<span class="pagenum"><a name="page_100" id="page_100">{100}</a></span> ronde, surprenaient, dans une rue obscure, à près de dix -heures, un passant qui se hâtait en longeant les murs!...</p> - -<p>Celui-là, son compte était bon, il paierait pour les autres; justement -voilà-t-il pas que, ne se doutant de rien, il s’était arrêté, quel -cynisme! Non, il repart!... Dépêchons!...</p> - -<p>Et les policiers, avec des précautions et des ruses d’apaches, se -faufilaient, s’approchaient, et, brusquement, d’un bond suprême, -s’élançaient pour mettre la main au collet du hardi noctambule...</p> - -<p>—Phttt!...—le hardi noctambule s’envolait dans les airs: c’était un -mannequin en baudruche que des amateurs de «zwanze» promenaient, du haut -des toits, au bout d’une ficelle...</p> - -<p>Cette robuste gaîté, qui avait persisté au milieu des pires tortures, on -imagine sans peine sa formidable explosion, quand il n’y eut plus rien -pour la contenir, quand l’heure de justice eut enfin sonné, l’heure de -la victoire et de la délivrance.</p> - -<p>Je ne pense pas que rien se puisse comparer à la joie délirante, une -sorte de délire sacré, qui s’empara de Bruxelles et secoua son peuple -tout entier, et toutes les classes de ce peuple, hommes et femmes de -toutes les conditions et de tous les âges, lorsque la famille royale fit -dans la capitale martyre et fidèle cette rentrée solennelle, à la tête -de la division de Bruxelles, que précédaient des détachements des -troupes alliées: quelle vénération, quel amour s’élevaient de cette -foule vers ce Roi, symbole d’honneur, vers cette Reine, symbole de -dévouement et de grâce, et vers leurs enfants, symboles de jeunesse -triomphante et d’espoir confiant, vers cette exquise et espiègle petite -princesse Marie-José, que nous avions vue, sur la plage de La Panne, -prendre, au début d’octobre, ses premières leçons d’équitation:—«pour -le jour de l’entrée à Bruxelles»; et tout de suite nous avions été -émerveillés de sa crânerie à cheval, et de ses progrès rapides...</p> - -<p>Mais, à ce moment, les Boches tenaient encore la forêt d’Hou<span class="pagenum"><a name="page_101" id="page_101">{101}</a></span>thulst; et, -en attendant de rentrer à Bruxelles, il avait fallu reprendre le chemin -du couvent italien où la jeune princesse était élevée. Avant son départ, -elle avait, par exemple, fait promettre au Roi son père, que «pour le -jour de l’entrée à Bruxelles», on la ferait revenir du couvent, et -qu’elle serait là,—et elle était là, en effet, le Roi avait tenu -parole.</p> - -<p>Le roi Albert tient toujours sa parole...</p> - -<div class="figright" style="width: 243px;"> -<a href="images/mer-135_lg.jpg"> -<img src="images/mer-135_sml.jpg" width="243" height="383" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>On ne saurait défiler avec plus de perfection que ne fit la batterie -d’artillerie anglaise, dont les caissons aux roues étincelantes, et les -chevaux qui semblaient tous d’un équipage de maître, étaient un prodige -d’astiquage et forçaient l’admiration; le détachement américain -s’avançait dans le frémissement que causaient partout les réserves qu’on -sentait en lui d’énergie jeune et tranquille.</p> - -<p>Mais pour nous autres Français, les mots sont impuissants à dire -l’enthousiasme qui s’attachait aux pas de nos soldats à fourragère -rouge; ce n’étaient pas des fleurs que nous jetait le peuple de -Bruxelles, c’était son cœur!... Et j’entends encore les voix grêles et -fraîches de ces petites orphelines, sagement rangées au bord d’un -trottoir de la rue de la Loi, sous la conduite et la surveillance de -bonnes vieilles religieuses, et à qui les bonnes religieuses, en agitant -de petits drapeaux français et belges, faisaient entonner, en<span class="pagenum"><a name="page_102" id="page_102">{102}</a></span> -l’entonnant elles-mêmes les premières, les paroles de <i>la Marseillaise</i>, -chaque fois que passait un officier ou un soldat français!...</p> - -<p>Ce cri de «Vive la France!» qui est le plus beau cri pour des oreilles -françaises, des milliers de poitrines belges ne se lassaient pas de nous -en saluer, de le répéter, et c’est encore lui qui, pour nous, dominait -cette marée humaine de la place de l’Hôtel-de-Ville, quand, le soir -venu, dans ce décor unique au monde, nous contemplions tous ces visages -ardemment tendus vers le balcon où devait paraître le Roi, des visages -qui, eux aussi, semblaient alors uniques au monde et les plus beaux du -monde, les visages de ceux qui voient enfin triompher la noble cause -pour laquelle ils ont tout sacrifié, tout souffert: «Vive le Roi! vive -la Reine! vive la Belgique! vive la France!...»</p> - -<p>Et puis, pourquoi voudrait-on le taire, il y eut la <i>Madelon</i>!</p> - -<p>Eh, oui! cette Madelon partie d’Alsace, cette Madelon qui, des Vosges à -la mer, avait fait si joyeusement toutes les étapes les plus dures, qui -s’était installée et avait triomphé sur tous nos champs de bataille, -Madelon n’était pas encore venue à Bruxelles, les Boches ne l’y avaient -point laissée pénétrer, bref les habitants de Bruxelles en étaient -encore aux héroïnes des refrains et chansons de 1914, ils ignoraient -Madelon!</p> - -<p>Oh! ils ne l’ignorèrent pas longtemps. Chaque soldat français -s’improvisa professeur de chant; et les élèves avaient une si grande -bonne volonté, tant de hâte empressée, un tel désir d’apprendre!...</p> - -<p>Ainsi, pendant trois jours et trois nuits, Bruxelles chanta et dansa -sans arrêt; car par une rencontre miraculeuse et comme si le ciel même -avait voulu prendre sa part de la commune allégresse et témoigner, lui -aussi, en faveur de la justice et du droit triomphants, nous eûmes -alors, malgré l’hiver déjà proche, des nuits d’une clémence, d’une -douceur incomparables.</p> - -<p>Et la ville, toute la nuit comme tout le jour, ne cessa d’être</p> - -<div class="figcenter" style="width: 360px;"> -<a href="images/mer-137_lg.jpg"> -<img src="images/mer-137_sml.jpg" width="360" height="550" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_103" id="page_103">{103}</a></span></p> - -<p class="nind">entraînée par cette étrange et irrésistible danse des kermesses: dans -une rue, quelques musiciens passent, jouant ou soufflant de n’importe -quel instrument, violon, piston ou clarinette—et, il faut bien le dire, -n’importe comment; mais, c’est du bruit, et c’est un rythme...</p> - -<p>Et aussitôt, derrière eux, suivant ce rythme, deux, trois passants se -prennent par le bras, et se mettent à se balancer en cadence—deux, -trois, puis vingt, puis trente, puis cent, puis deux cents, la rue est -pleine...</p> - -<div class="figcenter" style="width: 494px;"> -<a href="images/mer-139_lg.jpg"> -<img src="images/mer-139_sml.jpg" width="494" height="419" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>Et c’est la rue elle-même qui semble agitée de ce balancement -frénétique, par lequel se trouvent emportés d’un même élan tous les -promeneurs, tous les passants, et tout ce monde s’agite ainsi et se -balance inlassablement, bras-dessus, bras-dessous, soldats français, -soldats alliés, femmes, vieillards, enfants, mêlés, pressés, serrés, -haletants, joyeux, infatigables, et parmi lesquels nous reconnaissions -un soir, place Brouckère, bras-dessus, bras-dessous, toujours, et que le -hasard seul avait cepen<span class="pagenum"><a name="page_104" id="page_104">{104}</a></span>dant réunis, bras-dessus, bras-dessous un -académicien français, un colonel américain, et la femme d’un conseiller -d’ambassade...</p> - -<p>Ainsi la ronde macabre de ces quatre années de guerre aboutissait à -cette autre ronde; c’est vers elle que nous avaient appelés et guidés -les moulins à vent qui, des lignes ennemies, dès notre arrivée en -Belgique, de leurs grands bras nous faisaient signe: «Vite, vite, amis, -au secours, par ici!...» Et les moulins à vent nous avaient guidés -jusqu’à Audenarde, dont la brute allemande avait, hélas! comme à Ypres, -comme à Furnes, déchiré, déchiqueté en lambeaux les précieuses dentelles -de pierre, et jusqu’au delà d’Audenarde, où je devais voir le dernier -mort de la guerre et le dernier prisonnier.</p> - -<p>Ce dernier prisonnier nous fut amené le 11 novembre, vers une heure de -l’après-midi, alors que nous fêtions l’armistice par un déjeuner sans -champagne, nous qui, pendant quatre ans, n’avions cessé de répéter:</p> - -<p>«Quel fameux champagne on boira, quand ça sera fini et bien fini!...»</p> - -<p>Et voilà qui prouve bien que les choses les plus attendues ne sont pas -toujours celles qui arrivent, qu’on ne réalise pas tous ses rêves, et -qu’on ne fait pas toujours ce qu’on veut; on a, certes, bu du champagne, -et, souvent, et même beaucoup, dans nos popotes, pendant les quatre ans -de guerre. Et voici que le jour de l’armistice, avec l’encombrement des -routes, et les ponts que les Boches, en se retirant, avaient fait -sauter, et que nous n’avions pas encore eu le temps de rétablir, -impossible d’atteindre les ravitaillements, et notre festin de -l’armistice se composa de boîtes de singe arrosées de thé!...</p> - -<p>Mais nous étions rudement contents tout de même!...</p> - -<p>Et ce fut donc, en guise de dessert, que l’on nous amena, pitoyable et -larmoyant, le dernier Boche qui s’était fait prendre à dix heures et -demie du matin.<span class="pagenum"><a name="page_105" id="page_105">{105}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 481px;"> -<a href="images/mer-141_lg.jpg"> -<img src="images/mer-141_sml.jpg" width="481" height="537" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>La cessation du feu et l’arrêt sur les positions avaient été fixés pour -onze heures. Vers dix heures du matin, un de nos pelotons de cavalerie, -qui avait passé la rivière, continuait sa progression, quand les -cavaliers de pointe aperçoivent dans un champ une compagnie allemande. -Et ils ouvrent le feu avec leurs mousquetons.<span class="pagenum"><a name="page_106" id="page_106">{106}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 479px;"> -<a href="images/mer-142_lg.jpg"> -<img src="images/mer-142_sml.jpg" width="479" height="261" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p>On voit aussitôt une assez vive effervescence se manifester parmi les -Boches, et l’un d’eux qui se détache et s’approche les bras levés:</p> - -<p>«Mais vous ne savez pas!... Vous faites erreur... il ne faut plus tirer: -Krieg fertig!... la guerre est finie!...»</p> - -<p>L’officier auprès de qui il avait été conduit interrompit son baragouin, -et, flegmatique, tira sa montre:</p> - -<p>«Les hostilités seront suspendues, en effet, à onze heures; il est dix -heures trente. Tu es prisonnier!... Krieg ist Krieg!...»</p> - -<p>Et ce fut encore sur la route d’Audenarde qu’il me fut donné de voir le -dernier mort de la guerre, après cette nuit bénie qui précéda -l’armistice, cette nuit du 10 au 11 novembre où le ciel s’illumina de -tout ce qui nous restait de fusées éclairantes, où, aussi bien dans les -lignes allemandes que dans les lignes françaises, se mirent à sonner les -cloches de tous les villages et leurs carillons... Déjà, aux endroits -préparés pour l’avance, les dépôts de munitions, tous ces obus de tous -calibres si soigneusement empilés et rangés, prenaient l’aspect ridicule -des choses effrayantes qui ne réussissent plus à nous effrayer, dont la -menace piteusement est tout à coup avortée: A-t-on écrit la «Ballade des -projectiles qui ne seront jamais tirés?...»<span class="pagenum"><a name="page_107" id="page_107">{107}</a></span></p> - -<p>Hélas! sur le bord de la route, un cadavre demeurait comme pour -témoigner que la menace n’avait pas toujours été vaine, que les obus -n’avaient point cessé depuis si longtemps leur effroyable besogne...</p> - -<p>Je m’approchai du cadavre: c’était celui d’un jeune Américain.</p> - -<p>Il avait été laissé là seul, étendu sur le dos, les yeux ouverts; il -avait dû être mortellement atteint par l’une de ces rafales que -l’artillerie ennemie, avant de fuir, lançait au hasard, pour vider ses -caissons...</p> - -<p>Et je songeais qu’il était émouvant et juste que ce dernier mort de la -guerre fût, en effet, un Américain, un de ces ouvriers de la dernière -heure qui vinrent, en suprême renfort, pour décider de la victoire aux -côtés de ses artisans; je songeais qu’il était émouvant et juste de voir -reposer sur la terre belge, saintement libérée, ce jeune héros -d’Amérique, dont les yeux ouverts pour l’éternité regardaient maintenant -vers le ciel apaisé, vers l’avenir...</p> - -<div class="figcenter" style="width: 303px;"> -<a href="images/mer-143_lg.jpg"> -<img src="images/mer-143_sml.jpg" width="303" height="282" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_109" id="page_109">{109}</a></span><span class="pagenum"><a name="page_108" id="page_108">{108}</a></span></p> - -<h2><a name="TABLE" id="TABLE"></a> -<a href="images/mer-145_lg.jpg"> -<img src="images/mer-145_sml.jpg" width="321" height="299" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -<br /> -TABLE<br /> -<small><small>DES</small></small><br /> -ILLUSTRATIONS</h2> - -<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary=""> - -<tr><th><i>EAUX-FORTES</i></th></tr> - -<tr><td> </td><td class="rt">Pages.</td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_6">Une tranchée de première ligne à l’Hartmannswillerkopf.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_6">6</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_8">Une messe à l’Hartmannswillerkopf.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_8">8</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_14">Le cimetière de Silberloch (Hartmannswillerkopf).</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_14">14</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_30">Craonnelle.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_30">30</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_40">La cathédrale de Reims, vue de la Neuvillette.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_40">40</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_54">Verdun, vu des remparts.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_54">54</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_62">La porte Châtel, à Verdun.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_62">62</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_74">L’église de Dammard.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_74">74</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_94">La Halle d’Ypres.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_94">94</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_102">L’église Sainte-Walburge à Audenarde.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_102">102</a></td></tr> - -<tr><th><i>DESSINS</i></th></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_1">Le rocher de la Mort, à l’Hartmannswillerkopf.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_1">1</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_2">Une cagna au Ballon de Guebwiller.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_2">2</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_3">En faction (Ballon de Guebwiller).</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_3">3</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_5">Le soldat de N***, du 213ᵉ régiment d’infanterie.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_5">5</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_6">Le Ballon de Guebwiller, vu de l’Hartmannswillerkopf.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_6">6</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_10">Un coin de Haag.</a><span class="pagenum"><a name="page_110" id="page_110">{110}</a></span></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_10">10</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_11">Une cuisine roulante à Moosch.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_11">11</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_12">Un poilu du 213ᵉ régiment d’infanterie.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_12">12</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_13">Maisons bombardées à Steinbach.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_13">13</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_14">Saint-Amarin.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_14">14</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_16">Le viaduc de Dannemarie.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_16">16</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_17">Une rue de Steinbach.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_17">17</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_18">Le miaule (Ballon de Guebwiller).</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_18">18</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_19">Dans le parc du château d’Épaux.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_19">19</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_20">Un escalier du P. C. Triangulaire.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_20">20</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_23">Craonnelle.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_23">23</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_24">La chambre du colonel d’A*** au P. C. Triangulaire.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_24">24</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_25">La galerie d’accès au P. C. Triangulaire.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_25">25</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_27">Le camp de Dravegny.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_27">27</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_29">Les péniches à Maizy.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_29">29</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_31">Oulches.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_31">31</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_32">Cour de ferme à Maizy.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_32">32</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_34">Panorama de l’observatoire du P. C. Triangulaire</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_34">34 et 35</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_37">Un abri en tôles «métro».</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_37">37</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_38">Reims. L’hôtel de ville.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_38">38</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_39">— La cathédrale et l’archevêché.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_39">39</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_42">— La gare de Petit-Bétheny.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_42">42</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_43">— Dans les ruines de la Place Royale.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_43">43</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_45">— L’intérieur de la cathédrale.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_45">45</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_47">— Le faubourg de Cérès.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_47">47</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_50">— Le Christ de la cathédrale.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_50">50</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_52">— Rue Libergier.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_52">52</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_53">Verdun. Les bords de la Meuse.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_53">53</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_54">— La citadelle.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_54">54</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_56">— La salle de musique.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_56">56</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_57">— La rue des Gros-Degrés.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_57">57</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_59">— Le faubourg Pavé.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_59">59</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_61">Le P. C. Calvados.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_61">61</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_64">La corvée de neige.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_64">64</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_65">La corvée de pinard.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_65">65</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_66">L’étang de Vaux.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_66">66</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_67">Le bois de la Caillette.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_67">67</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_68">Le cimetière de Dammard.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_68">68</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_69">L’église de Passy-en-Valois.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_69">69</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_55">L’évacuation de Chézy-en-Orxois.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_71">71</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_73">Le château de Passy-en-Valois.</a><span class="pagenum"><a name="page_111" id="page_111">{111}</a></span></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_73">73</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_76">Lutrin dans les ruines de l’église de Dammard.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_76">76</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_78">Le camp des Américains à la Ferté-sous-Jouarre.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_78">78</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_80">L’observatoire de Vaux-sous-Coulomb.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_80">80</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_83">L’observatoire de la Grange-Coulomb.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_83">83</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_85">Croquis d’Américains.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_85">85</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_88">Monthiers.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_88">88</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_90">Usine en ruines à Dammard.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_90">90</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_91">Le moulin de Saint-Jean d’Ypres.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_91">91</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_92">Pilcken.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_92">92</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_93">Sur la route de Langemarck.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_93">93</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_95">Le P. C. de Spriet.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_95">95</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_97">La cathédrale d’Ypres.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_97">97</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_99">Intérieur de la cathédrale d’Ypres.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_99">99</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_70">La place de l’Hôtel-de-Ville à Bruxelles, le 22 novembre 1918.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_101">101</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_103">Le moulin d’Iseghem.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_103">103</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_105">L’église Sainte-Walburge, à Audenarde.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_105">105</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_106">Le moulin de Boshmolen.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_106">106</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_107">Dans les ruines d’Ypres.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_107">107</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_109">L’Hôtel du Ballon de Guebwiller.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_109">109</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_111">Un poilu d’Alsace.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_111">111</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_112">La rue des Musiciens, à Reims.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_112">112</a></td></tr> - -<tr><td valign="top"><a href="#page_113">Bougeoirs de tranchées.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_113">113</a></td></tr> -</table> - -<div class="figcenter" style="width: 219px;"> -<a href="images/mer-147_lg.jpg"> -<img src="images/mer-147_sml.jpg" width="219" height="306" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_112" id="page_112">{112}</a></span></p> - -<div class="figcenter" style="width: 485px;"> -<a href="images/mer-148_lg.jpg"> -<img src="images/mer-148_sml.jpg" width="485" height="601" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_113" id="page_113">{113}</a></span></p> - -<h2><a name="TABLE_DES_MATIERES" id="TABLE_DES_MATIERES"></a>TABLE DES MATIÈRES</h2> - -<table border="0" cellpadding="3" cellspacing="0" summary=""> - -<tr><td> </td><td class="rt">Pages.</td></tr> -<tr><td valign="top"><a href="#EN_ALSACE">EN ALSACE.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_1">1</a></td></tr> -<tr><td valign="top"><a href="#LE_CHEMIN">LE CHEMIN DES DAMES.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_19">19</a></td></tr> -<tr><td valign="top"><a href="#REIMS">REIMS.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_39">39</a></td></tr> -<tr><td valign="top"><a href="#VERDUN">VERDUN.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_53">53</a></td></tr> -<tr><td valign="top"><a href="#LA_DEUXIEME_MARNE">LA DEUXIÈME MARNE.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_69">69</a></td></tr> -<tr><td valign="top"><a href="#EN_BELGIQUE">EN BELGIQUE.</a></td><td class="rt" valign="bottom"><a href="#page_91">91</a></td></tr> -</table> - -<div class="figcenter" style="width: 271px;"> -<a href="images/mer-149_lg.jpg"> -<img src="images/mer-149_sml.jpg" width="271" height="271" alt="[Image pas disponible.]" /></a> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="page_115" id="page_115">{115}</a></span><span class="pagenum"><a name="page_114" id="page_114">{114}</a></span></p> - -<p class="c"> -ACHEVÉ D’IMPRIMER A PARIS<br /> -<br /> -le 10 Janvier 1921<br /> -<br /> -PAR<br /> -<br /> -PHILIPPE RENOUARD<br /> -<br /> -POUR<br /> -<br /> -LA S: A. DES ÉDITIONS "SONOR"<br /> -</p> - -<div class="figcenter"> -<img src="images/back.jpg" width="393" height="500" alt="" title="" /> -</div> - -<hr class="full" /> - - - - - - - -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of De la mer aux Vosges, by Franc Nohain - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DE LA MER AUX VOSGES *** - -***** This file should be named 60616-h.htm or 60616-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/6/0/6/1/60616/ - -Produced by Claudine Corbasson, Chuck Greif and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at -http://gallica.bnf.fr) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. 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Information about the Project Gutenberg Literary Archive -Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at -http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent -permitted by U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. -Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered -throughout numerous locations. Its business office is located at -809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email -business@pglaf.org. 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Thus, we do not necessarily -keep eBooks in compliance with any particular paper edition. - - -Most people start at our Web site which has the main PG search facility: - - http://www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. - - -</pre> - -</body> -</html> diff --git a/old/60616-h/images/back.jpg b/old/60616-h/images/back.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 54f2833..0000000 --- a/old/60616-h/images/back.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/60616-h/images/colophon.png b/old/60616-h/images/colophon.png Binary files differdeleted file mode 100644 index e494077..0000000 --- a/old/60616-h/images/colophon.png +++ /dev/null diff --git a/old/60616-h/images/cover.jpg b/old/60616-h/images/cover.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 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