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| author | nfenwick <nfenwick@pglaf.org> | 2025-02-08 09:37:37 -0800 |
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MARETHEUX, imprimeur, 1, rue Cassette.--4856 + + + + +A ROSEMONDE + + + + +PERSONNAGES + + + SYLVETTE + PERCINET + STRAFOREL + BERGAMIN, père de Percinet + PASQUINOT, père de Sylvette + BLAISE, jardinier + +UN MUR, personnage muet + +SPADASSINS, MUSICIENS, NÈGRES, PORTEURS DE TORCHES, UN NOTAIRE, QUATRE +BOURGEOIS, ETC. + + +_La scène se passe où l'on voudra, pourvu que les costumes soient +jolis._ + + + + +DISTRIBUTIONS + + + 1894 1899 1901 + Mlle Mlle Mlle + SYLVETTE REICHENBERG. HENRIOT. MULLER. + MM. MM. MM. + PERCINET LE BARGY G. BERR. G. BERR. + STRAFOREL DE FÉRAUDY. COQUELIN CADET. COQUELIN CADET. + BERGAMIN LELOIR. LELOIR. LELOIR. + PASQUINOT LAUGIER. BARRAL. LAUGIER. + BLAISE FALCONNIER. FALCONNIER. FALCONNIER. + + +_La musique de scène est de M. GEORGES HÜE_ + + +_N. B._--Pour les droits de représentation en province ou à l'étranger, +s'adresser à M. R. GANGNAT, _agent général de la Société des Auteurs +Dramatiques_. + +Pour les détails de mise en scène, s'adresser à M. GAILLARD, à la +_Comédie-Française_. + + + + +ACTE PREMIER + + +_La scène est coupée en deux par un vieux mur moussu et tout enguirlandé +de folles plantes grimpantes. A droite, un coin du parc de Bergamin; à +gauche, un coin du parc de Pasquinot. De chaque côté, contre le mur, un +banc._ + +_Quand le rideau se lève, Percinet est assis sur la crête du mur, ayant, +sur son genou, un livre, dont il donne lecture à Sylvette, attentive, +debout sur le banc, de l'autre côté du mur, auquel elle s'accoude._ + + +SCÈNE PREMIÈRE + +SYLVETTE, PERCINET. + +SYLVETTE. + + Ah! Monsieur Percinet, mais comme c'est donc beau! + +PERCINET. + + N'est-ce pas?... Écoutez répondre Roméo: + +Il lit. + + «C'est l'alouette, Amour, je te dis que c'est elle! + «Vois, le bord des vapeurs légères se dentelle, + «Et là -bas, au sommet rose du mont lointain, + «Sur le bout de son pied se dresse le matin! + «Il faut fuir...» + +SYLVETTE, vivement, prêtant l'oreille. + + Chut! + +PERCINET écoute un instant, puis: + + Personne! Ainsi, Mademoiselle, + Ne prenez pas ces airs effarouchés d'oiselle + Qui de la branche, au moindre bruit, va s'envoler... + Écoutez les Amants Immortels se parler: + _Elle_: «Amour, amour cher, non, ce n'est pas l'aurore, + «Mais c'est, pour éclairer ta fuite, un météore!» + _Lui_: «Puisqu'elle le veut, eh bien, soit! ce n'est point + «L'alouette qui chante et l'aurore qui point: + «Ce reflet, c'est le tien, Cynthia, dans la nue! + «Vienne la Mort, la Mort sera la bienvenue!» + +SYLVETTE. + + Oh! non, je ne veux pas qu'il parle de cela, + Ou bien je vais pleurer... + +PERCINET. + + Alors, restons-en là ! + Et, jusques à demain refermant notre livre, + Laissons, puisqu'il vous plaît, le doux Roméo vivre. + +Il ferme le livre et regarde tout autour de lui. + + Quel adorable endroit, fait exprès, semble-t-il, + Pour s'y venir bercer aux beaux vers du grand Will! + +SYLVETTE. + + Oui, ces vers sont très beaux, et le divin murmure + Les accompagne bien, c'est vrai, de la ramure, + Et le décor leur sied, de ces ombrages verts; + Oui, Monsieur Percinet, ils sont très beaux, ces vers! + Mais ce qui fait pour moi leur beauté plus touchante, + C'est que vous les lisez de votre voix qui chante. + +PERCINET. + + La vilaine flatteuse! + +SYLVETTE, soupirant. + + Ah! pauvres amoureux! + Que leur sort est cruel, qu'on fut méchant pour eux! + +Avec un soupir. + + Ah! je pense... + +PERCINET. + + A quoi donc? + +SYLVETTE, vivement. + + A rien!... + +PERCINET. + + A quelque chose + Qui vous a fait soudain devenir toute rose! + +SYLVETTE, de même. + + A rien!... + +PERCINET, la menaçant du doigt. + + Oh! la menteuse... aux yeux trop transparents! + Je le vois, à quoi vous pensez!... + +Baissant la voix. + + A nos parents! + +SYLVETTE. + + Peut-être... + +PERCINET. + + A votre père, au mien, à cette haine + Qui les divise! + +SYLVETTE. + + Eh! oui, c'est là ce qui me peine + Ce qui me fait pleurer en cachette, souvent. + Lorsque, le mois dernier, je revins du couvent, + Mon père, me montrant le parc de votre père, + Me dit: «Ma chère enfant, tu vois là le repaire + De mon vieil ennemi mortel, de Bergamin. + De ce gueux, de son fils, détourne ton chemin; + Promets-moi bien, sinon, vois-tu, je te renie, + D'être, pour ces gens-là , toujours, une ennemie, + Car, de tous temps, les leurs ont exécré les tiens!» + J'ai promis... Vous voyez, Monsieur, comme je tiens. + +PERCINET. + + Et n'ai-je pas promis à mon père, de même, + De vous haïr toujours, Sylvette?--et je vous aime! + +SYLVETTE. + + Sainte Vierge! + +PERCINET. + + Et je t'aime, enfant! + +SYLVETTE. + + C'est un péché! + +PERCINET. + + Un gros... que voulez-vous? Plus on est empêché + D'aimer quelqu'un, et plus il vous en prend l'envie. + Sylvette, embrassez-moi! + +SYLVETTE. + + Mais jamais de la vie! + +Elle saute du banc et s'éloigne. + +PERCINET. + + Vous m'aimez cependant! + +SYLVETTE. + + Que dit-il? + +PERCINET. + + Chère enfant, + Je dis ce dont encor votre coeur se défend, + Mais ce dont plus longtemps douter serait un leurre! + Je dis... ce que vous-même avez dit tout à l'heure, + Oui, vous-même, Sylvette, en comparant ainsi + Les Amants de Vérone aux deux enfants d'ici. + +SYLVETTE. + + Je n'ai pas comparé!... + +PERCINET. + + Si!... Mon père et ton père + A ceux de Juliette et de Roméo, chère! + C'est pourquoi Juliette et Roméo c'est nous, + Et c'est pourquoi nous nous aimons comme des fous! + Et je brave à la fois, malgré leur haine aiguë, + Pasquinot-Capulet, Bergamin-Montaiguë! + +SYLVETTE, se rapprochant un peu du mur. + + Alors, nous nous aimons? Mais, Monsieur Percinet, + Comment ça s'est-il fait si vite?... + +PERCINET. + + L'amour naît, + On ne sait pas comment, pourquoi, quand il doit naître. + Je vous voyais souvent passer de ma fenêtre... + +SYLVETTE. + + Moi de même... + +PERCINET. + + Et nos yeux causaient en tapinois. + +SYLVETTE. + + Un jour, là , près du mur, je ramassais des noix, + Par hasard... + +PERCINET. + + Par hasard, là , je lisais Shakespeare; + Et--pour unir deux coeurs vois comme tout conspire... + +SYLVETTE. + + Le vent fit envoler, psst!... chez vous, mon ruban! + +PERCINET. + + Pour le rendre, aussitôt, je grimpai sur le banc... + +SYLVETTE, grimpant. + + Je grimpai sur le banc... + +PERCINET. + + Et depuis lors, petite, + Chaque jour je t'attends, et chaque jour plus vite + Bat mon coeur lorsqu'enfin monte, signal béni! + Là , derrière le mur, ton doux rire de nid, + Qui ne s'achève pas sans que ta tête émerge + Du fouillis frémissant de folle vigne vierge! + +SYLVETTE. + + Puisque nous nous aimons, il faut nous fiancer. + +PERCINET. + + C'est à quoi justement je venais de penser. + +SYLVETTE, solennellement. + + Dernier des Bergamin, c'est à toi que se lie + La dernière des Pasquinot! + +PERCINET. + + Noble folie! + +SYLVETTE. + + On parlera de nous dans les âges futurs! + +PERCINET. + + Oh! trop tendres enfants de deux pères trop durs! + +SYLVETTE. + + Mais, qui sait, mon ami, peut-être l'heure tinte + Où Dieu veut que, par nous, leur haine soit éteinte? + +PERCINET. + + J'en doute. + +SYLVETTE. + + Moi, j'ai foi dans les événements, + Et j'entrevois déjà cinq ou six dénoûments + Très possibles. + +PERCINET. + + Vraiment, et lesquels? + +SYLVETTE. + + Mais suppose + --Dans plus d'un vieux roman j'ai lu pareille chose-- + Que le Prince Régnant vienne à passer un jour... + Je cours le supplier, lui conte notre amour, + Que nos pères entre eux ont une vieille haine... + --Un roi maria bien don Rodrigue et Chimène-- + Le Prince fait venir mon père et Bergamin, + Et les réconcilie... + +PERCINET. + + Et me donne ta main! + +SYLVETTE. + + Ou bien, cela s'arrange ainsi que dans _Peau d'Ane_. + Tu dépéris, un sot médecin te condamne... + +PERCINET. + + Mon père me demande, affolé: «Que veux-tu?» + +SYLVETTE. + + Tu dis: «Je veux Sylvette!» + +PERCINET. + + Et son orgueil têtu + Est contraint de fléchir! + +SYLVETTE. + + Ou bien, autre aventure: + Un vieux duc, ayant vu de moi quelque peinture, + M'aime, envoie un superbe écuyer, en son nom, + M'offrir d'être duchesse... + +PERCINET. + + Alors, tu réponds: «Non!» + +SYLVETTE. + + Il se fâche: un beau soir, dans quelque sombre allée + Du parc, où pour rêver à toi je suis allée, + On m'enlève!... Je crie!... + +PERCINET. + + Et je ne tarde point + A surgir près de toi; je mets la dague au poing, + Me bats comme un lion, pourfends... + +SYLVETTE. + + Trois ou quatre hommes. + Mon père accourt, te prend dans ses bras; tu te nommes; + Alors, il s'attendrit, me donne à mon sauveur, + Et ton père consent, tout fier de ta valeur! + +PERCINET. + + Et nous vivons longtemps et très heureux ensemble! + +SYLVETTE. + + Et tout cela n'a rien d'impossible, il me semble? + +PERCINET, entendant du bruit. + + On vient! + +SYLVETTE, perdant la tête. + + Embrassons-nous! + +PERCINET, l'embrassant. + + Et ce soir même, ici, + A l'heure du Salut, tu viendras, dis? + +SYLVETTE. + + Non. + +PERCINET. + + Si! + +SYLVETTE, disparaissant derrière le mur. + + Ton père! + +Percinet saute vivement à bas du mur. + + +SCÈNE II + +SYLVETTE, descendue du mur et, par conséquent, invisible à Bergamin, +PERCINET, BERGAMIN. + +BERGAMIN. + + Ah! je vous prends à rêvasser encore, + Seul, en ce coin de parc? + +PERCINET. + + Mon père, je l'adore, + Ce coin de parc!... J'adore être assis sur ce banc + Que la vigne du mur abrite en retombant!... + Voyez-vous comme elle est gracieuse, la vigne? + Remarquez ces festons d'une arabesque insigne. + On est si bien ici pour respirer l'air pur! + +BERGAMIN. + + Si bien devant ce mur? + +PERCINET. + + Je l'adore, ce mur! + +BERGAMIN. + + Je ne vois pas ce que ce mur a d'adorable. + +SYLVETTE, à part. + + Il ne peut pas le voir! + +PERCINET. + + Mais il est admirable, + Ce vieux mur, crêté d'herbe; enguirlandé, couvert + Ici de vigne rouge, ici de lierre vert, + Là de glycine mauve aux longues grappes floches, + Et là de chèvrefeuille, et là d'aristoloches! + Ce vieux mur centenaire et croulant, dont les trous + Laissent pendre au soleil d'étranges cheveux roux, + Qui de petites fleurs charmantes se constelle, + Ce mur sur qui la mousse est d'une épaisseur telle + Qu'il fait à l'humble banc scellé dans sa paroi + Un dossier de velours comme au trône d'un roi! + +BERGAMIN. + + Ta! ta! ta! Voudrais-tu, blanc-bec, me faire accroire + Que tu viens ici pour les beaux yeux du mur? + +PERCINET. + + Voire, + Pour les beaux yeux du mur!... + +Tourné vers le mur. + + qui sont de bien beaux yeux + Frais sourires d'azur, doux étonnements bleus, + Fleurs profondes, clairs yeux, vous êtes nos délices, + Et si jamais des pleurs emperlent vos calices, + D'un seul baiser nous les volatiliserons!... + +BERGAMIN. + + Mais le mur n'a pas d'yeux! + +PERCINET. + + Il a les liserons. + +Et, gracieux, il en présente un, prestement cueilli, à Bergamin. + +SYLVETTE. + + Est-il spirituel, doux Jésus! + +BERGAMIN. + + Est-il bête! + Mais je connais ce qui te fait perdre la tête. + +Mouvement d'effroi de Percinet et de Sylvette. + + Tu viens lire en cachette! + +Il prend le livre qui sort de la poche de Percinet, et regarde le dos. + + Et du théâtre!... + +Il l'ouvre et le laisse tomber avec horreur. + + En vers! + Des vers!... Voilà pourquoi, la cervelle à l'envers, + Vous rêvez, vous errez, évitant les approches, + Pourquoi vous me venez parler d'aristoloches, + Et pourquoi vous voyez des yeux bleus à ce mur! + Un mur n'a pas besoin d'être joli,--mais sûr! + Je vais faire enlever toutes ces choses vertes + Qui pourraient nous cacher quelques brèches ouvertes, + Et, pour mieux nous garder d'un voisin insolent, + Remaçonner ce pan, bâtir un beau mur blanc, + Bien blanc, bien net, bien propre; au lieu... d'aristoloches, + Le garnir, dans le plâtre ayant fait des encoches, + De tessons de bouteille au tranchant acéré + Qu'on verra s'en aller en bataillon serré... + +PERCINET. + + Oh! grâce! + +BERGAMIN. + + Pas de grâce!... Ainsi je le décrète! + Tout le long, tout le long, tout le long de la crête! + +SYLVETTE et PERCINET, consternés. + + Oh! + +BERGAMIN, s'asseyant sur le banc. + + Çà , causons! + +Il se relève et s'éloigne du mur avec un air soupçonneux. + + Mais, hum!... les murs, s'ils n'ont pas d'yeux, + Ont des oreilles! + +Il fait le mouvement de monter sur le banc. Effroi de Percinet. Au +bruit, Sylvette se fait toute petite derrière le mur, mais Bergamin +renonce, après une grimace que lui arrache quelque vieille douleur, et +fait signe à son fils de monter à sa place, et de regarder. + + Vois si quelque curieux... + +PERCINET, grimpant lestement sur le banc et se penchant au-dessus du mur +bas à Sylvette, qui aussitôt s'est redressée. + + A ce soir! + +SYLVETTE, lui donnant sa main qu'il baise--tout bas. + + Je viendrai devant que l'heure sonne. + +PERCINET, de même. + + J'y serai! + +SYLVETTE, de même. + + Je t'adore! + +BERGAMIN, à Percinet. + + Eh bien? + +PERCINET, sautant à terre et à voix haute. + + Eh bien,--personne! + +BERGAMIN, rassuré, se rassied. + + Alors, causons... Mon fils, je veux vous marier. + +SYLVETTE. + + Ah! + +BERGAMIN. + + Qu'est-ce? + +PERCINET. + + Rien. + +BERGAMIN. + + On vient de faiblement crier. + +PERCINET, regardant en l'air. + + Quelque oiselet blessé... + +SYLVETTE. + + Hélas!... + +PERCINET. + + dans la ramure!... + +BERGAMIN. + + Or donc, mon fils, après réflexion très mûre, + J'ai fait pour vous un choix. + +PERCINET, remonte en sifflant. + + Tu! tu! + +BERGAMIN, après un instant de suffocation, le suivant. + + Je suis têtu, + Et je vous forcerai, Monsieur... + +PERCINET, redescendant. + + Tu! tu! tu! tu! + +BERGAMIN. + + Voulez-vous bien finir de siffler, mauvais merle!... + Une femme encor jeune, et très riche,--une perle! + +PERCINET. + + Et si je n'en veux pas de votre perle! + +BERGAMIN. + + Attends! + Je m'en vais te montrer, polisson!... + +PERCINET, rabaissant la canne levée de son père. + + Le Printemps + A rempli les buissons, mon père, de bruits d'ailes, + Et les sources des bois voient s'abattre auprès d'elles + Des couples de petits oiseaux se caressant... + +BERGAMIN. + + Impudique! + +PERCINET, même jeu. + + Tout rit et fête Avril récent; + Les papillons... + +BERGAMIN. + + Pendard! + +PERCINET, même jeu. + + à travers champs essaiment, + Pour aller épouser toutes les fleurs qu'ils aiment!... + L'Amour... + +BERGAMIN. + + Bandit! + +PERCINET. + + met tous les coeurs en floraison... + Et vous me voulez voir marié de raison! + +BERGAMIN. + + Oui, certes, garnement! + +PERCINET, d'une voix vibrante. + + Eh bien, non, non, mon père! + Je jure... sur ce mur--qui m'entend, je l'espère!-- + Que je me marierai si romanesquement, + Que l'on n'aura jamais vu dans aucun roman + Quelque chose de plus follement romanesque! + +Il se sauve en courant. + +BERGAMIN, courant après lui. + + Oh! je t'attraperai! + + +SCÈNE III + +SYLVETTE, puis PASQUINOT. + +SYLVETTE, seule. + + Vraiment, je conçois presque + La haine de papa pour ce méchant... + +PASQUINOT, entrant à gauche. + + Eh bien, + Que fait-on par ici, Mademoiselle? + +SYLVETTE. + + Rien. + On se promène. + +PASQUINOT. + + Ici! seule! Mais, malheureuse!... + Vous n'avez donc pas peur? + +SYLVETTE. + + Je ne suis pas peureuse. + +PASQUINOT. + + Seule près de ce mur!... Mais je vous le défend, + D'approcher de ce mur! Mais, imprudente enfant, + Regarde bien ce parc: tu vois là le repaire + De mon vieil ennemi mortel!... + +SYLVETTE. + + Je sais, mon père. + +PASQUINOT. + + Et tu viens t'exposer à des mots outrageants, + A des?... Sait-on de quoi sont capables ces gens? + Si ce gueux, ou son fils, connaissaient que ma fille + Vient seule rêvasser dessous cette charmille... + Oh! rien que d'y penser, je me sens frissonner! + Mais je vais le barder, le caparaçonner, + Ce mur, le hérisser de fer pour qu'on s'éventre, + Qu'on s'empale, en voulant le franchir, et qu'on s'entre, + Rien qu'en s'en approchant, des pointes dans la chair. + +SYLVETTE, à part. + + Il ne le fera pas, ça coûterait trop cher. + Il est un peu serré, papa. + +PASQUINOT. + + Rentre,--un peu vite! + +Elle sort, il la suit des yeux d'un air courroucé. + + +SCÈNE IV + +BERGAMIN, PASQUINOT. + +BERGAMIN, parlant à cantonade. + + Ce billet à Monsieur Straforel, tout de suite. + +PASQUINOT court vivement au mur et y grimpe. + + Bergamin! + +BERGAMIN, même jeu. + + Pasquinot! + +Ils s'embrassent. + +PASQUINOT. + + Comment va? + +BERGAMIN. + + Pas trop mal. + +PASQUINOT. + + Ta goutte? + +BERGAMIN. + + Mieux. Et ton coryza? + +PASQUINOT. + + L'animal + Me tient toujours. + +BERGAMIN. + + Eh bien, c'est fait, le mariage! + +PASQUINOT. + + Hein? + +BERGAMIN. + + J'ai tout entendu, caché dans le feuillage. + Ils s'adorent! + +PASQUINOT. + + Bravo! + +BERGAMIN. + + Brusquons le dénoûment! + +Se frottant les mains. + + Ha! ha! tous les deux veufs, et pères mêmement, + Moi, d'un fils qu'une mère un peu trop romanesque + Appela Percinet... + +PASQUINOT. + + Oui, c'est un nom grotesque. + +BERGAMIN. + + Toi, d'un tendron rêveur, Sylvette, âme d'azur! + Quel était notre but, le seul? + +PASQUINOT. + + Oter ce mur. + +BERGAMIN. + + Pour vivre ensemble... + +PASQUINOT. + + Et fondre en une nos deux terres. + +BERGAMIN. + + Calcul de vieux amis... + +PASQUINOT. + + Et de propriétaires! + +BERGAMIN. + + Pour ce, que fallait-il? + +PASQUINOT. + + Marier nos enfants! + +BERGAMIN. + + Les marier! Oui, mais... serions-nous triomphants + S'ils avaient soupçonné nos désirs, notre entente? + Mariage arrangé n'est pas chose tentante + Pour deux jeunes serins poétiques. Aussi, + Profitant de ce qu'ils ont vécu loin d'ici, + Leur avons-nous caché tout projet d'hyménée. + Mais collège et couvent les lâchaient cette année + Lors, m'étant avisé que de les empêcher + De se voir, sûrement les ferait se chercher, + Que s'aimer en secret et d'un amour coupable + Leur plairait,--j'inventai cette haine admirable!... + Vous doutiez du succès de ce plan inouï? + Eh bien, nous n'avons plus qu'à dire nos deux oui. + +PASQUINOT. + + Soit! mais comment?... Comment, avec assez d'astuce, + Consentir, sans leur mettre, à l'oreille, la puce? + Moi qui t'appelais gueux, idiot... + +BERGAMIN. + + Idiot? + Gueux suffisait! Ne dis que juste ce qu'il faut. + +PASQUINOT. + + Quel prétexte?... + +BERGAMIN. + + Ah! voilà !--Mais ta fille elle-même + Vient de me suggérer l'ultime stratagème! + Tandis qu'elle parlait, mon plan se dessinait: + Ce soir, ils ont ici rendez-vous; Percinet + Arrive le premier; au moment où Sylvette + Paraît, des hommes noirs, surgis d'une cachette, + L'enlèvent! elle crie! Alors, mon jeune coq + Court sus aux ravisseurs, chamaille à coups d'estoc; + Ils font semblant de fuir; tu te montres; j'arrive; + Ta fille et son honneur sont saufs; ta joie est vive; + Tu bénis, laissant choir de tes yeux un peu d'eau, + L'héroïque sauveur; je m'attendris:--tableau. + +PASQUINOT. + + Ah çà , c'est du génie!... Ah! non ça, par exemple, + C'est du génie!... + +BERGAMIN, modeste. + + Eh! oui... proprement. Chut! contemple + Celui qui vient! C'est Straforel, le spadassin, + A qui j'ai, tout à l'heure, écrit de mon dessein... + Oui, notre enlèvement, c'est lui qui va le mettre + En scène. + +Straforel, dans un pompeux costume de spadassin, paraît au fond et +s'avance majestueusement. + + +SCÈNE V + +LES MÊMES, STRAFOREL. + +BERGAMIN, descendant du mur, et saluant. + + Hum! Que d'abord je vous fasse connaître + Mon ami Pasquinot... + +STRAFOREL s'incline. + + Monsieur... + +En se relevant, il s'étonne de ne pas voir Pasquinot. + +BERGAMIN, le lui montrant à cheval sur la crête. + + Là , sur le mur. + +STRAFOREL, à part. + + Exercice étonnant pour un homme aussi mûr. + +BERGAMIN. + + Mon plan vous paraît-il, cher maître?... + +STRAFOREL. + + Élémentaire. + +BERGAMIN. + + Oui, vous savez comprendre, agir vite... + +STRAFOREL. + + Et me taire. + +BERGAMIN. + + Simulacre de rapt, n'est-ce pas, combat feint? + +STRAFOREL. + + C'est tout compris. + +BERGAMIN. + + Ayez d'adroits bretteurs, afin + Qu'ils n'aillent pas blesser mon garçonnet. Je l'aime, + C'est mon unique enfant! + +STRAFOREL. + + J'opérerai moi-même. + +BERGAMIN. + + Ah! très bien! Dans ce cas, je ne saurais douter... + +PASQUINOT, bas à Bergamin. + + Dis donc, demande-lui ce que ça va coûter. + +BERGAMIN. + + Pour un enlèvement, que prenez-vous, cher maître? + +STRAFOREL. + + Cela dépend, Monsieur, de ce qu'on veut y mettre. + On fait l'enlèvement un peu dans tous les prix. + Mais, dans le cas présent, et si j'ai bien compris, + Il ne faut pas compter du tout. A votre place, + J'en prendrais un, Monsieur, là ,--de première classe! + +BERGAMIN, ébloui. + + Ah! vous avez plusieurs classes? + +STRAFOREL. + + Évidemment! + Songez que nous avons, Monsieur, l'enlèvement + Avec deux hommes noirs, l'enlèvement vulgaire, + En fiacre,--celui-là ne se demande guère,-- + L'enlèvement de nuit, l'enlèvement de jour, + L'enlèvement pompeux, en carrosse de cour, + Avec laquais poudrés et frisés--les perruques + Se payent en dehors,--avec muets, eunuques, + Nègres, sbires, brigands, mousquetaires, au choix! + L'enlèvement en poste, avec deux chevaux, trois, + Quatre, cinq,--on augmente _ad libitum_ le nombre,-- + L'enlèvement discret, en berline,--un peu sombre,-- + L'enlèvement plaisant, qui se fait dans un sac, + Romantique, en bateau,--mais il faudrait un lac!-- + Vénitien, en gondole,--il faudrait la lagune!-- + L'enlèvement avec ou sans le clair de lune, + --Les clairs de lune, étant recherchés, sont plus chers!-- + L'enlèvement sinistre aux lueurs des éclairs, + Avec appels de pied, combat, bruit de ferraille, + Chapeaux à larges bords, manteaux couleur muraille, + L'enlèvement brutal, l'enlèvement poli, + L'enlèvement avec des torches--très joli!-- + L'enlèvement masqué qu'on appelle classique, + L'enlèvement galant qui se fait en musique, + L'enlèvement en chaise à porteurs, le plus gai, + Le plus nouveau, Monsieur, et le plus distingué! + +BERGAMIN, se grattant la tête, à Pasquinot. + + Voyons, que penses-tu? + +PASQUINOT. + + Hon... Et toi? + +BERGAMIN. + + Moi, je pense + Qu'il faut frapper très fort--tant pis si l'on dépense-- + L'imagination!... Avoir de tout un peu!... + Faire un enlèvement... + +STRAFOREL. + + Panaché? Ça se peut. + +BERGAMIN. + + Donnons-en pour longtemps à nos jeunes fantasques: + Chaise à porteurs, manteaux, torches, musique, masques! + +STRAFOREL, prenant des notes sur un calepin. + + Nous prendrons, pour grouper ces divers éléments, + Une première classe,--avec des suppléments. + +BERGAMIN. + + Soit! + +STRAFOREL. + + Je vais revenir bientôt... + +Montrant Pasquinot. + + Mais il importe + Que Monsieur, de son parc, entre-bâille la porte... + +BERGAMIN. + + Il entre-bâillera. + +STRAFOREL, saluant. + + Messieurs, mes compliments! + +Avant de sortir. + + Une première classe avec des suppléments! + + +SCÈNE VI + +BERGAMIN, PASQUINOT. + +PASQUINOT. + + Avec tous ses grands airs, il s'en va, l'homme honnête, + Sans qu'on ait fait le prix! + +BERGAMIN. + + Laisse, l'affaire est faite! + On abattra le mur. Nous n'aurons qu'un foyer! + +PASQUINOT. + + Et l'hiver, à la ville, ô douceur! qu'un loyer! + +BERGAMIN. + + Nous ferons dans le parc des choses ravissantes! + +PASQUINOT. + + Nous taillerons les ifs! + +BERGAMIN. + + Nous sablerons les sentes! + +PASQUINOT. + + Nos chiffres, au milieu de chaque massif rond, + Bien calligraphiés, en fleurs, s'enlaceront! + +BERGAMIN. + + Comme cette verdure est un peu trop sévère... + +PASQUINOT. + + Nous allons l'égayer par des boules de verre! + +BERGAMIN. + + Nous aurons des poissons dans un bassin tout neuf! + +PASQUINOT. + + Nous aurons un jet d'eau faisant danser un oeuf! + Nous aurons un rocher!--Hein! coquin, que t'en semble! + +BERGAMIN. + + Tous nos voeux sont comblés! + +PASQUINOT. + + Nous vieillirons ensemble. + +BERGAMIN. + + Et ta fille est casée! + +PASQUINOT. + + Ainsi que ton gamin! + +BERGAMIN. + + Ah! mon vieux Pasquinot! + +PASQUINOT. + + Ah! mon vieux Bergamin! + +Ils tombent dans les bras l'un de l'autre. + + +SCÈNE VII + +LES MÊMES SYLVETTE, PERCINET, entrés brusquement, chacun de son côté. + +SYLVETTE, voyant son père tenir Bergamin. + + Ah! + +BERGAMIN, apercevant Sylvette, à Pasquinot. + + Ta fille! + +PERCINET, voyant son père tenir Pasquinot. + + Ah! + +PASQUINOT, apercevant Percinet, à Bergamin. + + Ton fils! + +BERGAMIN, bas à Pasquinot. + + Battons-nous! + +Ils transforment l'embrassade en lutte à bras-le-corps. + + Ah! canaille! + +PASQUINOT. + + Ah! gueux! + +SYLVETTE, tirant son père par les basques de son habit. + + Papa!... + +PERCINET, même jeu, à Bergamin. + + Papa!... + +BERGAMIN. + + Laissez-nous donc, marmaille! + +PASQUINOT. + + C'est lui qui m'insulta! + +BERGAMIN. + + C'est lui qui me frappa! + +PASQUINOT. + + Lâche! + +SYLVETTE. + + Papa! + +BERGAMIN. + + Filou! + +PERCINET. + + Papa!! + +PASQUINOT. + + Brigand! + +SYLVETTE. + + Papa!!! + +Ils réussissent à les séparer. + +PERCINET, entraînant son père. + + Rentre, il est tard! + +BERGAMIN, essayant de revenir. + + Ma rage est à son paroxysme! + +Percinet l'emmène. + +PASQUINOT, même jeu avec Sylvette. + + J'écume! + +SYLVETTE, l'emmenant. + + L'air fraîchit. Pense à ton rhumatisme! + + +SCÈNE VIII + +Le jour baisse insensiblement. La scène reste vide un instant. Puis, +dans le parc de Pasquinot, entrent STRAFOREL et ses SPADASSINS, +MUSICIENS, etc. + +STRAFOREL. + + D'une étoile déjà le ciel clair s'étoila. + Le jour fuit... + +Il place ses hommes. + + Mets-toi là ... Mets-toi là ... Mets-toi là . + Oui, l'heure du Salut déjà doit être proche: + Blanche, elle apparaîtra quand tintera la cloche; + Alors, je sifflerai... + +Il regarde le ciel. + + La lune?... C'est parfait! + Nous n'aurons pas manqué, ce soir, un seul effet! + +Regardant les manteaux extravagants des spadassins. + + Excellents, les manteaux!... Que la colichemarde + Les retrousse un peu plus: appuyez sur la garde! + +On apporte la chaise à porteurs. + + La chaise, ici, dans l'ombre. + +Regardant les porteurs qui sont noirs. + + Ah! les nègres, pas mal! + +A la cantonade. + + Les torches, vous n'entrez, n'est-ce pas, qu'au signal? + +On voit le fond vaguement coloré de rose par les reflets des torches qui +restent derrière les arbres; entrent des musiciens. + + Les musiciens?--là ! sur fond de clartés roses... + +Il les place au fond. + + De la grâce, du flou! Variez donc les poses! + Debout, la mandoline! Asseyez-vous, l'alto! + Comme dans le _Concert Champêtre_ de Watteau! + +Sévère, à un spadassin. + + Premier Homme Masqué, que vois-je? On se dandine? + Ça, de l'allure!--Bien!--Instruments, en sourdine, + Veuillez vous accorder... Oh! très bien!--Sol, mi, si! + +Il se masque. + + +SCÈNE IX + +LES MÊMES, PERCINET. + +PERCINET entre lentement. A mesure qu'il déclame les vers suivants, la +nuit devient plus noire et le ciel s'étoile. + + Mon père s'est calmé... J'ai pu fuir jusqu'ici. + Le jour baisse... L'odeur des sureaux flotte et grise!... + Les fleurs vont s'effaçant dans la pénombre grise... + +STRAFOREL, bas aux violons. + + Musique! + +Les musiciens jouent doucement jusqu'à la fin de l'acte. + +PERCINET. + + Je me sens trembler comme un roseau. + Qu'ai-je donc?... Elle va venir! + +STRAFOREL, aux musiciens. + + Amoroso!... + +PERCINET. + + Mon premier rendez-vous, le soir... Ah! je défaille!... + La brise fait le bruit d'une robe de faille... + On ne voit plus les fleurs... j'ai des larmes aux yeux... + On ne voit plus les fleurs... mais on les sent bien mieux! + Oh! ce grand arbre, avec une étoile à son faîte!... + Mais qui donc joue ainsi des airs?--La nuit s'est faite. + + Oui, la douce nuit s'est faite, et voici + Qu'en l'azur foncé du ciel obscurci, + S'allumant partout, par là , par ici, + Et l'une après l'une, + Tandis que l'étang est tout coassant, + Les étoiles vont en nombre croissant + Tout autour, autour du grêle croissant + De la pâle lune! + + Éclats de saphir et de diamant, + Étoiles, je fus longtemps votre amant, + Et je vous parlais, le soir, ardemment, + Perdu dans la nue!... + Mais ma poésie a changé de cours + Depuis que, tenant de naïfs discours, + Ses petits cheveux au front coupés courts, + Sylvette est venue! + + Chers astres du ciel, astres familiers, + Vous êtes bien beaux, là -haut, par milliers, + Mais, allez! serez bien humiliés + Quand, parmi ses voiles, + Elle apparaîtra dans le bleu jardin, + Et, voyant ses yeux, vous serez soudain + Pour vos propres feux prises de dédain, + Mes pauvres étoiles! + +Une cloche sonne au loin. + + +SCÈNE X + +LES MÊMES, SYLVETTE, puis BERGAMIN, PASQUINOT. + +SYLVETTE, paraît au tintement de la cloche. + + Le Salut sonne. Il doit m'attendre. + +Coup de sifflet, Straforel surgit devant elle, les torches apparaissent. + + Ah! + +Les spadassins l'enlèvent et la mettent vivement dans la chaise à +porteurs. + + Au secours! + +PERCINET. + + Juste ciel! + +SYLVETTE. + + Percinet, on m'enlève! + +PERCINET. + + J'accours! + +Il enjambe le mur, tire l'épée, et ferraille avec plusieurs spadassins. + + Tiens,--tiens,--tiens! + +STRAFOREL, aux musiciens. + + Trémolo! + +Les violons élèvent un trémolo dramatique. Les spadassins se sauvent. +Straforel, d'une voix de théâtre: + + Per Baccho! C'est le diable + Que cet enfant! + +Duel entre Straforel et Percinet. Straforel porte tout à coup la main à +sa poitrine. + + Le coup... est irrémédiable! + +Il tombe. + +PERCINET, courant à Sylvette. + + Sylvette! + +Tableau. Elle est dans la chaise à porteurs ouverte, lui à genoux. + +SYLVETTE. + + Mon sauveur! + +PASQUINOT, surgissant. + + Le fils de Bergamin!... + Ton sauveur!... ton sauveur?... Je lui donne ta main! + +SYLVETTE et PERCINET. + + Ciel! + +Bergamin est entré de son côté, suivi de valets avec des flambeaux. + +PASQUINOT, à Bergamin qui paraît sur la crête du mur. + + Bergamin, ton fils est un héros!... Pardonne! + Et faisons leur bonheur! + +BERGAMIN, solennel. + + Ma haine m'abandonne! + +PERCINET. + + Sylvette, nous rêvons, Sylvette, parlons bas, + Que le bruit de nos voix ne nous réveille pas!... + +BERGAMIN. + + Les haines finiront toujours en hyménées. + La paix est faite. + +Montrant le mur. + + Il n'y a plus de Pyrénées! + +PERCINET. + + Qui l'aurait cru qu'ainsi mon père changerait? + +SYLVETTE, simplement. + + Quand je vous le disais que tout s'arrangerait! + +Tandis qu'ils remontent avec Pasquinot, Straforel se soulève et tend un +papier à Bergamin. + +BERGAMIN, bas. + + Hein! Quoi donc? ce papier, et votre signature... + Qu'est cela, s'il vous plaît? + +STRAFOREL, saluant. + + Monsieur, c'est ma facture! + +Il retombe. + +RIDEAU + + + + +ACTE DEUXIÈME + + +_Même décor: le mur a disparu. Les bancs qui lui étaient adossés ont été +repoussés à droite et à gauche. Menus changements, massifs de fleurs, +kiosques de treillages, faux marbres prétentieux, serre. A droite, table +de jardin, chaises._ + +_Au lever du rideau, Pasquinot, assis sur le banc de gauche, lit sa +gazette. Blaise, au fond, ratisse._ + + +SCÈNE PREMIÈRE + +PASQUINOT, BLAISE, puis BERGAMIN. + +BLAISE, ratissant. + + Donc, Monsieur Pasquinot, ce soir vient le notaire?... + Hé! voici bien un mois que ce mur est par terre + Et que vous vivez tous ensemble. Il était temps; + Nos petits amoureux doivent être contents! + +PASQUINOT, levant la tête et regardant autour de lui. + + Ça fait bien sans ce mur, hein, Blaise? + +BLAISE. + + C'est superbe! + +PASQUINOT. + + Oui, mon parc à gagné. Cent pour cent. + +Il se penche et tâte une touffe de gazon. + + Mais cette herbe + Est mouillée!... On a donc arrosé ce matin?... + +Furieux. + + Il ne faut arroser que le soir, vieux crétin! + +BLAISE, placidement. + + C'est Monsieur Bergamin qui m'en a donné l'ordre. + +PASQUINOT. + + Ah?... Ce bon Bergamin!... Il ne veut pas démordre + De son idée!... Il croit qu'arroser sans repos + Vaut mieux qu'arroser peu, mais bien, mais à propos! + Enfin!... + +A Blaise. + + Vous sortirez les plantes de la serre. + +Blaise aligne au fond des plantes qu'il va chercher dans la serre. +Pasquinot lit. Bergamin paraît au fond. + +BERGAMIN, arrosant les arbustes avec un énorme arrosoir. + + Ouf!... On leur donne d'eau juste le nécessaire! + Ce qui leur fait du bien, c'est ce superflu-là ! + +A un arbre. + + Hein, mon vieux, tu mourais de soif?... Tiens, en voilà , + De l'eau... tiens, en voilà ! Moi, j'aime ça, les arbres. + +Posant son arrosoir, et regardant autour de lui avec satisfaction. + + Oui, mon parc a gagné... Très jolis, ces faux marbres + Très, très... + +Apercevant Pasquinot. + + Bonjour. + +Pas de réponse. + + Bonjour!! + +Pas de réponse. + + Bonjour!!! + +Pasquinot lève la tête. + + Eh bien, j'attends? + +PASQUINOT. + + Oh! mon ami, mais nous nous voyons tout le temps! + +BERGAMIN. + + Ah?--bien!... + +Voyant les plantes que range Blaise. + + Veux-tu rentrer ces plantes! + +Blaise, ahuri, les rentre précipitamment. Pasquinot lève les yeux au +ciel, hausse les épaules, et lit. Bergamin va et vient, l'air désoeuvré, +finit par s'asseoir à côté de Pasquinot. Silence. Puis, tout à coup, +avec mélancolie: + + A cette heure, + Chaque jour je sortais, furtif, de ma demeure... + +PASQUINOT, rêveur, baissant sa gazette. + + Je filais de chez moi, subreptice et léger... + C'était très amusant! + +BERGAMIN. + + Le secret! + +PASQUINOT. + + Le danger! + +BERGAMIN. + + Il fallait dépister Percinet ou Sylvette + Chaque fois qu'on venait tailler une bavette! + +PASQUINOT. + + On risquait, chaque fois qu'on grimpait sur le mur, + La casse d'une côte, ou le bris d'un fémur. + +BERGAMIN. + + Nos conversations monoquotidiennes + Ne se pouvaient qu'au prix de ruses indiennes! + +PASQUINOT. + + Il fallait se glisser sous les buissons épais... + C'était très amusant! + +BERGAMIN. + + Quelquefois, je rampais... + Et, le soir, aux genoux, ma culotte était verte! + +PASQUINOT. + + L'un de l'autre il fallait, sans fin, jurer la perte... + +BERGAMIN. + + Et dire un mal affreux... + +PASQUINOT. + + C'était très amusant! + +Bâillant. + + Bergamin? + +BERGAMIN, de même. + + Pasquinot? + +PASQUINOT. + + Ça nous manque, à présent. + +BERGAMIN. + + Non, voyons!... + +Après réflexion. + + Si, pourtant. Oh! c'est très drôle!--Est-ce que + Ce serait la revanche, ici, du Romanesque?... + +Silence. Il regarde Pasquinot qui lit. + + Son gilet est toujours veuf de quelque bouton! + C'est crispant!... + +Il se lève, s'éloigne, va et vient. + +PASQUINOT, le regardant, par-dessus sa gazette, à part. + + Il a l'air d'un vaste hanneton + Qui virevolte, avec ses basques pour élytres. + +Il feint de lire quand Bergamin repasse devant lui. + +BERGAMIN, le regardant, à part. + + Il louche, quand il lit, ainsi que font les pitres + Après leur papillon. + +Il remonte en sifflotant. + +PASQUINOT, à part, nerveux. + + Il siffle!... c'est un tic! + +Haut. + + Ne sifflote donc pas toujours, comme un aspic. + +BERGAMIN, souriant. + + Nous distinguons le brin d'éteule aux yeux des autres + Et nous ne sentons pas la solive en les nôtres! + Vous avez bien vos tics... + +PASQUINOT. + + Moi? + +BERGAMIN. + + Vous vous dandinez, + Vous reniflez sans fin, Roi des Enchifrenés, + Le nez toujours noirci d'un vain sternutatoire, + Vous contez six-vingts fois par jour la même histoire. + +PASQUINOT, qui, assis, jambes croisées, balance son pied. + + Mais... + +BERGAMIN. + + Vous ne pouvez pas un instant vous asseoir + Sans balancer le pied comme un gros encensoir; + A table, vous roulez votre mie en boulettes... + Maniaque, mon cher, ah! non, ce que vous l'êtes! + +PASQUINOT. + + Oui, comme maintenant on s'ennuie à moisir, + De m'inventorier vous avez le loisir; + Vous dénombrez mes tics, vous en dressez la liste, + Mais la vie en commun, cette grande oculiste, + Me désaveugle aussi! Je vous vois ladre, faux, + Égoïste, et chacun de vos menus défauts + Grossit,--comme la mouche amusante et gentille + Devient un monstre affreux, Monsieur, sous la lentille. + +BERGAMIN. + + Ce dont je me doutais, maintenant j'en suis sûr! + +PASQUINOT. + + Quoi? + +BERGAMIN. + + Le mur te flattait. + +PASQUINOT. + + Tu perds beaucoup sans mur. + +BERGAMIN. + + De te voir tous les jours tu calmas mon envie! + +PASQUINOT, éclatant. + + Depuis un mois, Monsieur, ce n'est plus une vie! + +BERGAMIN, très digne. + + C'est bien, Monsieur, c'est bien. Ce que nous avons fait, + Ce n'était pas pour nous, n'est-ce pas? + +PASQUINOT. + + En effet! + +BERGAMIN. + + C'était pour nos enfants!... + +PASQUINOT, convaincu. + + Pour nos enfants, oui, certe!... + Souffrons donc en silence, et supportons la perte + De notre liberté, sans soucis apparents. + +BERGAMIN. + + Car, se sacrifier, c'est le sort des parents! + +Sylvette et Percinet paraissent à gauche, au fond, entre les arbres, et +traversent lentement la scène, enlacés, avec des gestes d'exaltés. + +PASQUINOT. + + Chut! voici les Amants! + +BERGAMIN, les regardant. + + Voyez-moi cette pose!... + Semblent-ils pas marcher dans une apothéose? + +PASQUINOT. + + Depuis que l'aventure exauça tous leurs voeux, + Ils sentent des rayons mêlés à leurs cheveux! + +BERGAMIN. + + C'est l'heure où, copiant les attitudes lentes + Des Pèlerins d'Amour dans les Fêtes Galantes, + Ils viennent chaque jour, avec componction, + Sur le lieu du combat faire une station! + +Sylvette et Percinet, qui ont disparu à droite, y reparaissent, à un +plan plus rapproché, et descendent en scène. + + Voici nos pèlerins. + +PASQUINOT. + + S'ils brodent sur leur thème + Coutumier, cela vaut d'être écouté!... + +(Bergamin et Pasquinot se retirent derrière un massif.) + + +SCÈNE II + +SYLVETTE, PERCINET; BERGAMIN et PASQUINOT, cachés. + +PERCINET. + + Je t'aime!... + +SYLVETTE. + + Je vous aime... + +Ils s'arrêtent. + + A l'endroit illustre nous voici! + +PERCINET. + + Oui, c'est ici qu'eut lieu la chose. C'est ici + Que tomba lourdement la brute transpercée! + +SYLVETTE. + + Là , je fus Andromède! + +PERCINET. + + Et là , je fus Persée! + +SYLVETTE. + + Combien donc étaient-ils contre toi? + +PERCINET. + + Dix! + +SYLVETTE. + + Oh!... vingt!... + Vingt au moins, sans compter ce grand dernier qui vint, + Et dont tu corrigeas l'humeur récalcitrante. + +PERCINET. + + Oui, vous avez raison, ils étaient au moins trente. + +SYLVETTE. + + Ah! redis-moi comment, dague au poing, flamme aux yeux. + Tu les frappas dans l'ombre, ô mon Victorieux! + +PERCINET. + + Je ne sais si ce fut en sixte, ou bien en quarte... + Mais ils tombaient, pareils aux capucins de carte! + +SYLVETTE. + + Ami, si vos cheveux avaient été moins blonds, + J'aurais cru voir le Cid! + +PERCINET. + + Oui, nous nous ressemblons. + +SYLVETTE. + + Il manque à nos amours d'être mis en poème. + +PERCINET. + + Sylvette, ils le seront! + +SYLVETTE. + + Je vous aime. + +PERCINET. + + Je t'aime! + +SYLVETTE. + + C'est du rêve vécu!... Je m'étais tant juré + D'épouser le héros follement rencontré, + Et pas le bon petit fiancé des familles!... + +PERCINET. + + Ah? + +SYLVETTE. + + Non, non, pas celui qu'on offre aux jeunes filles, + Le doux Monsieur que cherche à marier sa soeur, + Ou quelque digne abbé, son vague confesseur. + +PERCINET. + + Tu n'aurais surtout pas épousé, que j'espère, + L'inévitable fils d'un ami de ton père! + +SYLVETTE, riant. + + Ah! non!... Remarques-tu que mon père et le tien + Sont depuis quelques jours d'une humeur?... + +PERCINET. + + Oui, de chien. + +BERGAMIN, derrière le massif. + + Hum! + +PERCINET. + + Et je sais pourquoi leur bonne humeur s'altère... + +BERGAMIN, derrière le massif. + + Ah? + +PERCINET. + + Mais oui! notre envol vexe leur terre-à -terre. + Je respecte beaucoup mon père,--et ton auteur; + Mais ce sont bons bourgeois pas très à la hauteur. + Notre éclat les relègue un peu dans les ténèbres. + +PASQUINOT, derrière le massif. + + Hein? + +SYLVETTE, de même. + + Les voilà passés pères d'amants célèbres! + +PERCINET, riant. + + Mon panache excessif leur devient importun. + +SYLVETTE. + + Ton père a devant toi la gêne obscure d'un... + Je ne sais si je peux dire? + +PERCINET. + + Tu peux, espiègle. + +SYLVETTE. + + D'un canard ayant fait la couvaison d'un aigle! + +BERGAMIN, derrière le massif. + + Ho! ho! + +SYLVETTE, riant plus fort. + + Pauvres parents, notre amour clandestin, + Comme il se joua d'eux!... + +PASQUINOT, derrière le massif. + + Hé! hé! + +PERCINET. + + Oui, le Destin + Joint toujours les Amants par d'imprévus méandres, + Et le hasard se fait le Scapin des Léandres! + +BERGAMIN, derrière le massif. + + Ha! ha! + +SYLVETTE. + + Et donc, ce soir, le contrat, nous allons + Le signer! + +PERCINET, remontant. + + Et je vais mander les violons! + +SYLVETTE. + + Allez vite! + +PERCINET. + + Je cours! + +SYLVETTE, le rappelant. + + Tenez, je suis gentille, + Et je vais vous mener, Monsieur, jusqu'à la grille + +Ils remontent enlacés, Sylvette minaudant. + + Nous égalons, je crois, les plus fameux Amants. + +PERCINET. + + Oui, nous serons parmi ces Immortels Charmants: + Roméo, Juliette,--Aude et Roland... + +SYLVETTE. + + Aminte + Et son pâtre! + +PERCINET. + + Pyrame et Thisbé! + +SYLVETTE. + + Mainte et mainte + Encore... + +Ils sont sortis. On entend leurs voix s'éloigner parmi les arbres. + +La voix de PERCINET. + + Francesca, tu sais, de Rimini, + Et Paolo... + +La voix de SYLVETTE. + + Pétrarque et Laure... + +BERGAMIN, sortant du massif. + + As-tu fini? + + +SCÈNE III + +PASQUINOT, BERGAMIN. + +PASQUINOT, gouailleur. + + Le succès de ton plan, Monsieur l'homme sagace, + Répond à ton espoir, et même il le dépasse! + Résultat qui sans doute était prévu par vous, + Cher maître: nos enfants sont complètement fous! + +BERGAMIN. + + Il est clair que ta fille est assez énervante + Avec son fameux rapt, que sans cesse elle vante! + +PASQUINOT. + + Et ton fils, qui se croit un héros, prend des airs + Qui ne me portent pas moindrement sur les nerfs! + +BERGAMIN. + + Mais le plus irritant, c'est qu'ils nous représentent + Comme deux bons bourgeois dupés, qu'ils nous plaisantent + Sur notre aveuglement voulu, sur ce que nous + Ne surprîmes jamais un de leur rendez-vous! + C'est bête, si tu veux, mais enfin ça m'agace. + +PASQUINOT. + + Avais-tu prévu ça, Monsieur l'homme sagace? + Grâce à toi, ton moutard tient d'insanes propos, + Et se croit le premier des moutardiers papaux. + +BERGAMIN. + + Moutardier dont au nez me monte la moutarde! + +PASQUINOT. + + Je vais tout leur conter, sans plus tarder. + +BERGAMIN. + + Non, tarde! + Il ne faut pas aller leur dire tout de go; + On parlera sitôt après le conjungo; + Jusqu'aux derniers accords des nuptiales harpes, + Sachons leur opposer un mutisme de carpes. + +PASQUINOT. + + Soit, mais nous voilà pris nous-mêmes dans nos rêts, + Grâce à ton fameux plan. + +BERGAMIN. + + Mon cher, tu l'admirais! + +PASQUINOT. + + Ah! il était joli, ton plan! + +BERGAMIN, à part. + + Il m'exaspère! + + +SCÈNE IV + +LES MÊMES, SYLVETTE. + +Elle entre gaiement, une branche fleurie à la main, dont elle fait à la +cantonade des signes à Percinet qu'elle vient de quitter, puis elle +descend entre les deux pères. + +SYLVETTE. + + Bonjour, mon cher papa. Bonjour, futur beau-père! + +BERGAMIN. + + Bonjour, future bru! + +SYLVETTE, l'imitant. + + Bonjour, future bru! + Oh! comme vous avez ce matin l'air bourru! + +BERGAMIN. + + C'est Pasquinot qui me... qui me... + +SYLVETTE, lui agitant sa branche sous le nez. + + Chut! chut! du calme! + Je viens comme la paix,--et j'agite une palme! + Vous vous boudez encore un peu? C'est bien permis: + Pouvez-vous vous aimer comme deux vieux amis? + +PASQUINOT, à part. + + Ironie!... + +BERGAMIN, haut, gouailleur. + + Oui, c'est vrai; notre haine fut telle + Qu'on ne peut... + +SYLVETTE. + + Songez donc: une haine mortelle! + Oh! quand je me souviens de ce que vous disiez + De papa, bien souvent, là , parmi vos rosiers, + Sans vous douter que moi j'entendais tout, assise + Derrière le bon mur... + +BERGAMIN, à part. + + Elle est d'une bêtise! + +SYLVETTE, à Pasquinot. + + Car je venais ici chaque jour, vous savez, + Retrouver Percinet!--Dire que vous n'avez + Jamais eu de soupçons! + +PASQUINOT, ironique. + + Oh! pour ça, que je meure, + Si... + +SYLVETTE. + + Nous venions pourtant toujours à la même heure. + +A Bergamin. + + Ha! ha! J'entends encor Percinet vous crier, + Le jour même du rapt: «Je veux me marier + De la façon la plus romanesquement folle!» + Eh! dame, dites donc, il a tenu parole! + +BERGAMIN, vexé. + + Vraiment?... Et vous croyez que si j'avais voulu?... + +SYLVETTE. + + Ta! ta! ta! Je le sais, pour l'avoir cent fois lu: + Les rêves des Amants toujours se réalisent, + Et les pères, toujours, tôt ou tard, s'humanisent, + Contraints par quelque étrange et fol événement + Qui force, à point nommé, leur attendrissement. + +PASQUINOT. + + Qui force, à point nommé?... Non, non, laissez-moi rire! + +SYLVETTE. + + Mais, nous l'avons prouvé!... + +BERGAMIN. + + Si je voulais vous dire... + +SYLVETTE. + + Quoi? + +BERGAMIN. + + Rien! + +SYLVETTE, à Bergamin. + + Alors, pourquoi prenez-vous cet air fin? + +BERGAMIN. + + Mais, parce que... + +A part. + + Ho!... c'est agaçant, à la fin! + +PASQUINOT. + + Quand on pourrait d'un mot... + +Remontant. + + Mais gardons le mystère! + +SYLVETTE. + + Quand on n'a rien à dire, il le faut bien, se taire! + +PASQUINOT, éclatant. + + Rien à dire! La folle! Alors, vous croyez ça, + Que tout se passe ainsi que cela se passa? + Qu'on envahit les parcs malgré les bonnes grilles?... + +BERGAMIN. + + Vous croyez qu'on enlève encor les jeunes filles? + +SYLVETTE. + + Si je crois? Que dit-il? + +BERGAMIN, se montant. + + Moi, je dis qu'en voilà + Assez! Qu'il était temps que tout se dévoilât!... + Oui, depuis que le monde est monde entre les mondes, + Le succès fut toujours pour les perruques blondes; + Bartholo, dont la haine en secret s'aviva, + Dut toujours s'incliner devant Almaviva; + Mais l'heure du triomphe et des justes revanches + Vient enfin de sonner pour les perruques blanches! + +SYLVETTE. + + Mais... + +PASQUINOT. + + Jadis, nous étions, nous autres, les papas, + Cassandre, Orgon, Géronte, Argante, n'est-ce pas? + Vous en êtes restée à ces vieilles badernes?... + Mais on n'en trouve plus chez les pères modernes! + Les dupés d'autrefois sont dupeurs à leur tour. + L'ordre donné par nous de vous aimer d'amour, + Ni vous ni Percinet n'eussiez voulu l'entendre? + Ce fut donc bien joué que de vous le défendre! + +SYLVETTE. + + Mais alors, vous saviez peut-être... + +PASQUINOT. + + Sûrement! + +SYLVETTE. + + Nos duos? + +BERGAMIN. + + J'écoutais leur doux susurrement! + +SYLVETTE. + + Les bancs où nous grimpions?... + +PASQUINOT. + + Tout exprès nous les mîmes. + +SYLVETTE. + + Le duel? + +BERGAMIN. + + Simple jeu! + +SYLVETTE. + + Les spadassins? + +PASQUINOT. + + Des mimes! + +SYLVETTE. + + Mon rapt?--Oh! ça, c'est faux!... + +BERGAMIN, fouillant dans sa poche. + + C'est faux? Quand justement + J'ai la facture, là , de votre enlèvement! + +SYLVETTE, la lui arrachant. + + Ah! donnez!... + +Elle lit. + + «_Straforel, maison de confiance, + Un faux rapt, mis en scène, afin que l'on fiance!..._» + Ah!--«_Huit sombres manteaux à cinq francs le manteau; + Huit masques..._» + +BERGAMIN, à Pasquinot. + + Nous avons, je crois, parlé trop tôt! + +SYLVETTE, lisant. + + «_Une chaise à porteurs, soignée, à coussins roses, + Création nouvelle..._» + +Haut, ironiquement. + + On a bien fait les choses! + +Elle jette la facture en riant sur la table. + +PASQUINOT, surpris. + + Elle n'est pas fâchée? + +SYLVETTE, avec bonne grâce. + + Ah! le tour est charmant! + Mais c'est beaucoup d'esprit bien inutilement; + Cher Monsieur Bergamin, croyez-vous que si j'aime + Mon Percinet, c'est grâce à votre stratagème? + +PASQUINOT. + + Elle le prend très bien. + +BERGAMIN, à Sylvette. + + Vous le prenez très bien! + +PASQUINOT. + + Mais alors... on peut dire à Percinet?... + +SYLVETTE, vivement. + + Oh! rien! + Non, ne lui dites rien!... Les hommes, c'est si bête! + +BERGAMIN. + + Quel bon sens! voyez-vous cette petite tête!... + Et moi qui la croyais... + +Tirant sa montre. + + Mais le contrat, pardon, + Allons nous préparer... + +Tendant la main à Sylvette. + + Bons amis?... + +SYLVETTE. + + Comment donc! + +BERGAMIN, se retournant encore avant de sortir. + + Vous ne m'en voulez pas du tout? + +SYLVETTE, tout miel. + + Je vous l'atteste. + +Pasquinot et Bergamin sortent.--Avec une rage froide: + + Ce Monsieur Bergamin, comme je le déteste!... + + +SCÈNE V + +SYLVETTE, PERCINET. + +PERCINET, entrant épanoui. + + Ah! vous êtes encore ici?... Je comprends ça. + Vous ne pouvez quitter l'endroit où se passa + Toute cette aventure inouïe!... + +SYLVETTE, assise sur le banc, à gauche. + + Inouïe, + En effet! + +PERCINET. + + C'est de là que, presque évanouie, + Vous me vîtes combattre, ainsi qu'un Amadis, + Ces trente spadassins... + +SYLVETTE. + + Mais non, ils étaient dix. + +PERCINET, se rapprochant. + + Chère, mais qu'avez-vous? Mais quoi donc vous attriste? + Ces yeux, où du saphir fond dans de l'améthyste, + Ils semblent obscurcis par quelque ennui, ces yeux? + +SYLVETTE, à part. + + Son langage est parfois un peu prétentieux. + +PERCINET. + + Ah! tenez, je comprends tout ce qu'en vous suscite + De regrets attendris, cet adorable site!... + Vous pleurez le vieux mur aux feuillages grimpeurs, + Témoin de nos espoirs, jadis, et de nos peurs; + Mais il n'est pas détruit, la gloire le couronne... + Est-ce qu'il est détruit, le balcon de Vérone?... + +SYLVETTE, impatientée. + + Ah! + +PERCINET. + + Ne laisse-t-il pas, dans un vent toujours frais, + Ce balcon toujours blanc, trembler sans fin, auprès + D'un grenadier jamais défleuri, son échelle + Inusable, que dore une aurore immortelle? + +SYLVETTE. + + Oh! + +PERCINET, de plus en plus lyrique. + + L'éternel duo fait l'éternel décor! + C'est pourquoi, démoli, le mur se dresse encor, + Sur lequel a poussé, folle pariétaire, + Notre amour merveilleuse... + +SYLVETTE, à part. + + Il ne va pas se taire! + +PERCINET, avec un sourire plein de promesses. + + Mais le voeu fut par vous tout à l'heure exprimé + De voir sur notre histoire un poème rimé... + Donc, ce poème... + +SYLVETTE, inquiète. + + Eh bien? + +PERCINET. + + Moi-même je le rime. + +SYLVETTE. + + Tu sais faire des vers? + +PERCINET. + + Pouh!... Savais-je l'escrime? + Écoute mon début, que j'ai fait en marchant, + «_Les Pères Ennemis._» Poème. + +SYLVETTE. + + Oh!... + +PERCINET, se campant pour déclamer. + + Premier chant! + +SYLVETTE. + + Oh!... + +PERCINET. + + Qu'as-tu? + +SYLVETTE. + + Le bonheur... les nerfs... une faiblesse. + +Fondant en pleurs. + + Laissez-moi me remettre, un instant. + +Elle lui tourne le dos, assise sur le banc, et se cache le visage dans +son mouchoir. + +PERCINET, un moment stupéfait. + + Je vous laisse. + +Puis, à part, avec un sourire avantageux. + + Un jour comme aujourd'hui, ce trouble est naturel! + +Il passe à droite, aperçoit sur la table le papier de la facture, et +tirant vivement un crayon de sa poche, s'assied en disant: + + Notons toujours mes vers. + +Il prend le papier, s'apprête à écrire--mais s'arrête, le crayon levé, +et lit: + + «_Avoir, moi, Straforel, + Feint de choir, transpercé d'une lame ignorante,-- + Habit froissé: dix francs; amour-propre: quarante._» + +Souriant. + + Qu'est cela? + +Il continue tout bas. Le sourire s'efface. L'oeil s'exorbite. + +SYLVETTE, toujours sur le banc, s'essuyant les yeux. + + S'il savait, qu'il tomberait de haut! + J'ai failli me trahir. Prenons garde! + +PERCINET, se levant. + + Ho!--ho!--ho! + +SYLVETTE, se retournant vers lui. + + Que dites-vous? + +PERCINET, escamotant la facture. + + Moi? rien, rien! + +SYLVETTE, à part. + + Son erreur me navre. + +PERCINET, à part. + + C'est pour ça qu'on n'a pas retrouvé le cadavre! + +SYLVETTE, à part, se levant. + + Il a l'air de bouder. Rapprochons-nous de lui. + +Elle tourne un moment, puis voyant qu'il ne bouge pas,--coquettement: + + Vous ne m'avez rien dit de ma robe aujourd'hui? + +PERCINET, négligemment. + + Le bleu ne vous va pas. Je vous préfère en rose. + +SYLVETTE, à part, saisie. + + Le bleu ne me va pas... Saurait-il quelque chose? + +Regardant la table. + + Mais la facture, au fait, j'ai dû la mettre là ! + +PERCINET, la voyant qui cherche. + + Qu'avez-vous à tourner, voyons, comme cela? + +SYLVETTE. + + Rien... + +A part. + + Un papier, le vent quelquefois le dérobe. + +Haut, faisant bouffer sa jupe. + + Rien... je tournais pour voir comment me va ma robe!... + +A part. + + Je saurai bien s'il l'a trouvée. + +Haut. + + Hum!... Tu voulais + Dire tantôt des vers sur nos amours? + +Mouvement de Percinet. Elle lui prend le bras, et, bien gentiment: + + Dis-les. + +PERCINET. + + Ah! non! + +SYLVETTE. + + Dis-les, ces vers... + +PERCINET. + + Non! + +SYLVETTE, ironique. + + Sur notre aventure! + +PERCINET. + + Ils sont mauvais, tu sais... Je n'ai pas... + +SYLVETTE. + + La facture? + +PERCINET. + + Non, je n'ai pas la fact... + +Sursautant et la regardant. + + Pardon, mais... + +SYLVETTE. + + Mais, pardon... + +PERCINET. + + Ah! mais elle sait donc?... + +SYLVETTE, de même. + + Il sait donc? + +TOUS LES DEUX, ensemble. + + Tu sais donc? + +Un temps, puis ils éclatent de rire. + + Ha! ha! ha!... + +PERCINET. + + N'est-ce pas que c'est drôle? + +SYLVETTE. + + Très drôle! + +PERCINET. + + Non, vraiment, on nous fit jouer un rôle. + +SYLVETTE. + + Un rôle! + +PERCINET. + + Nos pères étaient donc bons amis? + +SYLVETTE. + + Bons voisins. + +PERCINET. + + Ma parole, ils devraient être même cousins. + +SYLVETTE, faisant la révérence. + + J'épouse mon cousin! + +PERCINET. + + J'épouse ma cousine! + +SYLVETTE. + + C'est gentil!... + +PERCINET. + + C'est classique! + +SYLVETTE. + + Ah! certe, on imagine + Des mariages plus... Mais c'est si bon de voir + Que l'on conciliait l'amour--et le devoir! + +PERCINET. + + Et l'intérêt! Car ces deux parcs, leurs dépendances... + +SYLVETTE. + + Excellent mariage, enfin, de convenances. + Elle est loin, notre pauvre idylle sur le mur! + +PERCINET. + + Il ne faut plus parler d'idylle, c'est bien sûr! + +SYLVETTE. + + Je rentre dans le rang banal des jeunes filles. + +PERCINET. + + Je suis le bon petit fiancé des familles... + Et c'est en Roméo, Sylvette, que je plus! + +SYLVETTE. + + Ah! Roméo, c'est clair que vous ne l'êtes plus! + +PERCINET. + + Est-ce que vous croyez être encor Juliette? + +SYLVETTE. + + Vous devenez amer. + +PERCINET. + + Dame! et vous... aigrelette. + +SYLVETTE. + + Si vous avez été ridicule, eh! mon Dieu! + Est-ce ma faute à moi? + +PERCINET. + + Si je le fus un peu, + Je ne le fus pas seul!... + +SYLVETTE. + + Eh bien, soit! nous le fûmes! + Ah! mon pauvre Oiseau Bleu, bien déteintes, vos plumes! + +PERCINET, ricanant. + + Ha!... un simili-rapt! + +SYLVETTE. + + De pseudo-coups d'estoc!... + +PERCINET. + + Fi! la fausse enlevée! + +SYLVETTE. + + Hou! le sauveur en toc! + Ah! notre poésie était une risée! + C'est ainsi qu'en crevant, belle bulle irisée, + Tu n'es plus, disparue à nos yeux étonnés, + Qu'un peu d'eau de savon qui nous pleut sur le nez! + +PERCINET. + + Donc, Amant dont je fus le plus vil des émules, + Amante dont, indigne, elle chaussa les mules, + O pâle et noble couple, ô couple shakspearien, + Nous n'avions avec vous de commun rien, rien... + +SYLVETTE. + + Rien! + +PERCINET. + + Donc, au lieu de jouer le cher et divin drame, + Nous en avons joué la parodie infâme! + +SYLVETTE. + + Donc, c'était un serin que notre rossignol! + +PERCINET. + + Donc, il était, le mur immortel, un Guignol! + Et quand nous y venions, chaque jour, apparaître, + Chaque jour, à mi-corps, nous étions, au lieu d'être + Deux parangons d'amour aux types éternels, + Deux pantins qu'animaient les gros doigts paternels! + +SYLVETTE. + + C'est vrai! Mais nous serions grotesques davantage + Si nous nous aimions moins! + +PERCINET. + + Aimons-nous avec rage! + Nous sommes obligés de nous aimer, d'abord! + +SYLVETTE. + + Mais, nous nous adorons!... + +PERCINET. + + Le mot n'est pas trop fort! + +SYLVETTE. + + L'amour peut consoler très bien d'un tel désastre!... + N'est-ce pas, mon trésor? + +PERCINET. + + Certainement, mon astre! + +SYLVETTE. + + Bonjour donc, ma chère âme! + +PERCINET. + + Et bonsoir, ma beauté! + +SYLVETTE. + + Je vais rêver à vous, mon coeur,--de mon côté! + +PERCINET. + + Et moi du mien. Bonjour! + +SYLVETTE. + + Bonsoir! + +Elle sort. + +PERCINET. + + Ah! par exemple!... + Ah! l'on me traite ainsi!... Mais quel est, dans cet ample + Manteau, qui laisse voir cet étrange pourpoint, + Ce Monsieur moustachu que je ne connais point?... + +Straforel, qui est entré sur ces vers, descend majestueusement en scène. + + +SCÈNE VI + +PERCINET, STRAFOREL. + +PERCINET. + + Qu'est-ce? + +STRAFOREL, souriant. + + C'est pour toucher une petite somme. + +PERCINET. + + Un fournisseur? + +STRAFOREL. + + Tout juste! Allez donc, bon jeune homme, + Dire à votre papa que j'attends. + +PERCINET. + + Votre nom? + +STRAFOREL. + + Mon nom est Straforel. + +PERCINET, bondissant. + + Lui, maintenant? Ah! non! + Ah! non! ceci devient par trop intolérable! + +STRAFOREL, souriant. + + Tiens, tiens! vous savez donc, jeune homme? + +PERCINET, lui jetant la facture qu'il tire chiffonnée de sa poche. + + Misérable! + C'était toi! + +STRAFOREL. + + Mon Dieu! oui, c'était moi: per Baccho! + +PERCINET. + + Oh! rencontrer cet homme! Oh! je fuirais jusqu'au + Bout du monde... + +STRAFOREL, satisfait. + + Et je suis tellement gras et rose + Que la citation, il me semble, s'impose: + Les gens que vous tuez se portent... + +PERCINET, se ruant sur lui l'épée à la main. + + Tu vas voir! + +STRAFOREL, parant avec son bras, tranquille comme un maître d'armes qui +donne la leçon. + + La main haute!... le pied en dehors! n'en savoir + Pas plus long à votre âge, eh! Monsieur, c'est un crime! + +D'un tour de main il lui enlève son épée,--et la lui rendant, dans un +salut: + + Quoi! vous cessez déjà votre leçon d'escrime? + +PERCINET, exaspéré, la reprenant. + + Ah! je pars!... On me traite en enfant: bien! j'aurai + Ma revanche! J'aurai du roman, et du vrai! + Je vais, par des amours et des duels sans nombre, + Scandaliser, ô Don Juan, jusqu'à ton ombre! + Et je vais enlever des filles d'opéra! + +Il sort en courant, l'épée brandie. + +STRAFOREL. + + Très bien!... Mais, maintenant, est-ce qu'on me paiera? + + +SCÈNE VII + +STRAFOREL, BERGAMIN, PASQUINOT + +STRAFOREL, regardant dans la coulisse. + + Hé! là -bas! arrêtez!... En voici bien d'une autre! + +Entrent Bergamin et Pasquinot, décoiffés, déchirés, comme après une +lutte. + +PASQUINOT, se rajustant et rendant à Bergamin sa perruque. + + Voici votre perruque! + +BERGAMIN. + + Ouf! Et voici la vôtre! + +PASQUINOT. + + Vous comprenez qu'après de pareils procédés!... + Voici votre jabot... + +BERGAMIN, d'une voix sifflante. + + Et vous me concédez + Que revivre avec vous serait un sacrifice + Trop grand pour qu'au bonheur de mon fils je le fisse! + +PASQUINOT, voyant entrer Sylvette. + + Ma fille!... Cachons-lui d'abord ce qu'il en est!... + + +SCÈNE VIII + +LES MÊMES, SYLVETTE, puis BLAISE, LE NOTAIRE, LES TÉMOINS, VIOLONS et +INVITÉS. + +SYLVETTE, se jetant au cou de son père. + + Papa, je ne veux plus épouser Percinet!... + +Entrent le notaire pour le contrat, et des bourgeois endimanchés, +témoins. + +BERGAMIN. + + Les témoins!... le notaire!... Au diable! + +LES TÉMOINS, ahuris. + + Hein? + +LE NOTAIRE, avec dignité. + + Ces paroles!... + +STRAFOREL, au milieu du tumulte, ayant ramassé la facture jetée par +Percinet. + + Ma facture!... payez!... quatre-vingt-dix pistoles!... + +Entrent des invités et trois violons jouant un menuet. + +BERGAMIN, hors de lui, les bousculant. + + Les violons!... Au diable! + +Les violons continuent automatiquement leur menuet. + +STRAFOREL, impatienté, à Bergamin. + + Eh bien!... Je tends la main? + +BERGAMIN. + + Parlez à Pasquinot! + +PASQUINOT. + + Parlez à Bergamin! + +STRAFOREL, soulignant les mots de la facture. + + «_Un faux rapt mis en scène afin que l'on fiance..._» + +BERGAMIN. + + Ils sont défiancés! Donc, cela me dispense + De payer. + +STRAFOREL, à Pasquinot. + + Mais, Monsieur... + +PASQUINOT. + + Que je vous donne un sol + Maintenant que tout est rompu?--Vous êtes fol! + +BERGAMIN, à qui Blaise est venu parler bas. + + Mon fils!... parti!... + +SYLVETTE, saisie. + + Parti?... + +STRAFOREL, qui remontait, s'arrête et la regarde. + + Tiens! tiens! + +BERGAMIN. + + Courez! en chasse! + +Il sort en courant, suivi du notaire et des invités. + +SYLVETTE, très émue. + + Parti! + +STRAFOREL, redescendant en l'observant toujours. + + S'il se pouvait que je rabibochasse + Ensemble ces mignons... eh! peut-être... + +SYLVETTE, tout d'un coup furieuse. + + Parti? + Ah! ça c'est un peu fort! + +Elle sort, suivie de Pasquinot. + +STRAFOREL, triomphant. + + Straforel, mon petit, + Pour te faire payer tes nonante pistoles, + Ce mariage, il faut que tu le rafistoles! + +Il sort. Les trois violons restés seuls au milieu de la scène jouent +toujours leur menuet. + +RIDEAU + + + + +ACTE TROISIÈME + + +_Même décor. On a apporté des matériaux pour la reconstruction du mur, +qui est commencée au fond. Sacs de plâtre. Brouette. Auges et truelles._ + +_Quand le rideau se lève, un maçon travaille, accroupi, le dos tourné au +public. Bergamin et Pasquinot, chacun de son côté, inspectent les +travaux._ + + +SCÈNE PREMIÈRE + +BERGAMIN, PASQUINOT, UN MAÇON. + +LE MAÇON chante en travaillant. + + Tra laï deluriau... + +BERGAMIN. + + Ces ouvriers sont longs!... + +LE MAÇON. + + Deluriau, de lurot... + +PASQUINOT, suivant ses mouvements avec satisfaction. + + C'est cela! des moellons!... + +BERGAMIN, même jeu. + + Pouf! un tas de mortier! + +PASQUINOT. + + Paf! un coup de truelle! + +LE MAÇON, faisant des roulades. + + Deluriau delurie--ue--ue--ue--ue--ue--uel--le. + +PASQUINOT, redescendant. + + Belle voix! mais travail bien lent!... + +BERGAMIN, redescendant aussi, avec un bonheur agressif. + + Ha! ha! voici + Un pan de commencé! Bon! + +PASQUINOT, frappant du pied l'endroit non encore construit. + + Demain même, ici, + Le mur va de deux pieds sortir de terre!--O joie! + +BERGAMIN, lyrique. + + O cher mur, que bientôt, debout, je te revoie! + +PASQUINOT. + + Que dites-vous, Monsieur? + +BERGAMIN. + + Je ne vous parle pas. + +Un temps. + + Que faites-vous le soir après votre repas? + +PASQUINOT. + + Rien... Et vous? + +BERGAMIN. + + Rien non plus. + +Un temps.--Ils se saluent, et se promènent. + +PASQUINOT, s'arrêtant. + + Alors, pas de nouvelles + De votre fils? + +BERGAMIN. + + Mais non. Il court toujours. + +PASQUINOT, poli. + + Les belles + Le désargenteront promptement,--et, bien sûr, + Il reviendra. + +BERGAMIN. + + Merci. + +Ils se saluent, et se promènent. Un temps. + +PASQUINOT, s'arrêtant. + + Maintenant que le mur + Se relève, Monsieur, je veux bien vous permettre + De venir quelquefois,--en voisin. + +BERGAMIN. + + Bien. Peut-être + Vous ferai-je l'honneur... + +Ils se saluent. + +PASQUINOT, brusquement. + + Eh bien! mais, dites donc, + Venez faire un piquet? + +BERGAMIN, suffoqué. + + Ah!... oh!... hé!... mais, pardon, + Je ne sais si je peux... + +PASQUINOT. + + Puisque je vous invite... + +BERGAMIN. + + Mon Dieu!... J'aimerais mieux un bésigue. + +PASQUINOT. + + Allons vite! + +BERGAMIN, sortant derrière lui. + + Vous me deviez dix sous de la dernière fois. + +Se retournant. + + Travaillez bien, maçon! + +LE MAÇON, de toutes ses forces. + + Tralaï!... + +PASQUINOT. + + Belle voix! + +Ils sortent. + + +SCÈNE II + +STRAFOREL, puis SYLVETTE. + +Dès qu'ils sont sortis, le maçon se retourne, ôte son chapeau: c'est +Straforel. + +STRAFOREL. + + Oui, maçon, je le suis,--puisque, sous ce grimage, + Je m'introduis céans pour faire un replâtrage! + +S'asseyant sur le mur commencé. + + Le jeune homme est toujours au pourchas du roman; + Mais on peut deviner, sans être nécroman, + Qu'il reviendra bredouille et n'en menant plus large; + Donc, tandis que la Vie elle-même se charge, + Lui donnant de réel un salutaire bain, + De décoquebiner un peu ce coquebin + Et de le renvoyer ici tirant de l'aile, + Moi, par une action savante et parallèle, + Je travaille à guérir des goûts aventureux + Sylvette.--Straforel, homme aux talents nombreux, + Vous jouâtes souvent les marquis et les princes, + Du temps où vous étiez sifflé dans les provinces! + Ceci va nous servir. + +Il tire de sa souquenille une lettre qu'il met dans l'ouverture moussue +d'un tronc d'arbre. + + Ah! quel remercîment, + Pères, vous me devrez! + +Apercevant Sylvette. + + C'est elle!--A mon ciment! + +Il se remet à gâcher et disparaît derrière le mur. + +SYLVETTE apparaît, furtive, regarde si on la guette, puis: + + Non, personne!... + +Elle pose sur le banc de gauche sa mante de mousseline. + + Aujourd'hui, trouverai-je la lettre? + +Elle va vers un arbre. + + Tous les jours, un galant inconnu vient en mettre + Une, là , dans ce tronc par la foudre entr'ouvert, + Et qui fait une boîte aux lettres peinte en vert!... + +Elle plonge la main dans le creux de l'arbre. + + Oui, voilà mon courrier. + +Elle lit. + + «_Sylvette, coeur de marbre! + C'est le dernier billet que produira cet arbre, + Pourquoi n'avez-vous pas, tigresse, répondu + Au poulet que pour vous chaque jour j'ai pondu?_» + --Hein! quel style! + «_L'amour qui dans mon âme gronde..._» + +Elle chiffonne nerveusement la lettre. + + Ah! Monsieur Percinet s'en va courir le monde! + Il a raison!--Et moi je ferai comme lui! + Croit-on que je m'en vais mourir ici d'ennui? + Mais qu'il vienne, celui qui m'écrivit ces choses! + Que de ces verts buissons pleins de nids et de gloses + Il surgisse soudain! et telle que je suis, + --Sans même aller chercher un chapeau,--je le suis! + A tout prix, maintenant, j'en veux, du romanesque! + Qu'il vienne! ce Monsieur!--déjà je l'aime presque! + Comme je lui tendrais les deux mains, s'il venait! + Et comme... + +STRAFOREL, apparaissant, d'une voix éclatante. + + Le voilà ! + +SYLVETTE. + + Au secours, Percinet! + +Reculant à mesure que Straforel avance. + + L'homme, n'approchez pas! + +STRAFOREL, amoureusement. + + Pourquoi cet air hostile?... + Je suis pourtant celui dont vous aimiez le style, + Tout à l'heure!... le trop favorisé mortel + Dont le billet vous plut, et sur l'amour duquel + Vous comptiez, si j'en crois les propos que vous tintes, + Pour vous faire enlever et fuir loin des atteintes! + +SYLVETTE, ne sachant que devenir. + + L'homme!... + +STRAFOREL. + + Vous me prenez pour un maçon? Exquis! + C'est exquis!--Sachez donc que je suis le marquis + D'Astafiorquercita, fol esprit, coeur malade, + Qui cherche à pimenter l'existence trop fade, + Et voyage, façon de chevalier errant + Auquel est un rêveur, un poète, adhérent! + Et c'est pour pénétrer en vos jardins, Cruelle, + C'est par amour pour vous que j'ai pris la truelle! + +Il jette d'un geste élégant sa truelle, et, dépouillant vivement sa +souquenille, ôtant son chapeau blanc de plâtre, apparaît dans un +étincelant costume almavivesque. Perruque blonde, moustache conquérante. + +SYLVETTE. + + Monsieur!... + +STRAFOREL. + + Par un nommé Straforel, j'ai connu + Votre histoire. Un amour insensé m'est venu + Pour la pauvre victime, innocente étourdie, + Contre qui cette ruse infâme fut ourdie!... + +SYLVETTE. + + Marquis!... + +STRAFOREL. + + Ne prenez pas cet air épouvanté... + Du rôle qu'il joua ce gueux s'étant vanté, + Je l'ai tué... + +SYLVETTE. + + Tué!... + +STRAFOREL. + + D'une seule estocade. + D'être un justicier j'eus toujours la toquade! + +SYLVETTE. + + Monsieur... + +STRAFOREL. + + Je vous comprends, ô cher coeur incompris! + Vous voulez du roman, n'est-ce pas, à tout prix? + +SYLVETTE. + + Mais, Marquis!... + +STRAFOREL. + + Donc, c'est dit: ce soir, je vous enlève! + +SYLVETTE. + + Monsieur... + +STRAFOREL. + + Et pour de bon! + +SYLVETTE. + + Monsieur! + +STRAFOREL. + + Ah! quel beau rêve! + Vous avez consenti! Je l'ai bien entendu! + Oui, ce soir nous prendrons notre vol éperdu! + Si de votre papa la tête se détraque + De douleur, c'est tant pis!... + +SYLVETTE. + + Monsieur... + +STRAFOREL. + + Si l'on nous traque + --Car on poursuit le rapt avec sévérité,-- + C'est tant mieux! + +SYLVETTE. + + Mais, Monsieur!... + +STRAFOREL. + + Tant mieux, en vérité! + Nous pourrons fuir à pied par une nuit d'orage, + Nos fronts nus sous la pluie et le vent faisant rage! + +SYLVETTE. + + Monsieur... + +STRAFOREL. + + Et pour gagner un lointain continent, + Nous nous embarquerons, Madame, incontinent! + +SYLVETTE. + + Monsieur... + +STRAFOREL. + + Et loin, bien loin, dans quelque pays vierge, + Où nous vivrons heureux sous la bure et la serge... + +SYLVETTE. + + Ah! mais... + +STRAFOREL. + + Car je n'ai rien! Vous ne voudriez pas + Que j'eusse quelque chose!... + +SYLVETTE. + + Enfin! + +STRAFOREL. + + Nos seuls repas + Seront du pain,--du pain mouillé de douces larmes! + +SYLVETTE. + + Pourtant... + +STRAFOREL. + + L'exil pour nous se fleurira de charmes! + +SYLVETTE. + + Monsieur... + +STRAFOREL. + + Et le malheur pour nous ne sera qu'heur! + Pas même une chaumière: une tente!... et ton coeur! + +SYLVETTE. + + Une tente? + +STRAFOREL. + + Eh bien, oui, quatre piquets, deux toiles... + Ou, si vous préférez, rien du tout,--les étoiles! + +SYLVETTE. + + Oh! mais... + +STRAFOREL. + + Quoi! vous voilà prise d'un tremblement? + Vous voudriez aller moins loin, probablement? + Soit! nous vivrons cachés, ô ma Déité blonde, + Seuls, ayant encouru la vindicte du monde! + Ivresse!... + +SYLVETTE. + + Mais, Monsieur, vous vous êtes mépris... + +STRAFOREL. + + Les gens s'écarteront de nous avec mépris! + +SYLVETTE. + + Mon Dieu! + +STRAFOREL. + + Les préjugés sont faits pour qu'on les foule, + Et nous serons heureux des mépris de la foule! + +SYLVETTE. + + Monsieur... + +STRAFOREL. + + Je n'aurai pas d'autre occupation + Que de vous raconter au long ma passion! + +SYLVETTE. + + Monsieur... + +STRAFOREL. + + Bref, nous vivrons en pleine poésie! + J'aurai de furieux accès de jalousie... + +SYLVETTE. + + Monsieur... + +STRAFOREL. + + Et vous savez, lorsque je suis jaloux, + J'ai la férocité des chacals et des loups! + +SYLVETTE, tombant anéantie sur le banc. + + Monsieur... + +STRAFOREL. + + Si vous brisiez notre chaîne sacrée, + Immédiatement vous seriez massacrée! + +SYLVETTE. + + Monsieur... + +STRAFOREL. + + Vous frissonnez? + +SYLVETTE. + + Ah! Dieu, quelle leçon! + +STRAFOREL. + + Est-ce du sang, corbacque! ou bien si c'est du son + Qui court dans vos vaisseaux artériels!--Tonnerre! + Vous m'avez un peu l'air d'une pensionnaire, + Pour oser affronter ces destins hasardeux!... + Ça, voyons, pars-je seul, ou partons-nous tous deux? + +SYLVETTE. + + Monsieur... + +STRAFOREL. + + Oui, je comprends, ma voix vous réconforte. + Eh bien! nous partirons, puisque vous voilà forte. + Je vous enlèverai, tout à l'heure, à cheval, + En travers de ma selle... oh! vous y serez mal! + Mais la chaise à porteurs, esthétique et commode, + Dans l'enlèvement faux est seulement de mode! + +SYLVETTE. + + Mais, Monsieur... + +STRAFOREL, remontant. + + A tantôt! + +SYLVETTE. + + Mais, Monsieur... + +STRAFOREL. + + A tantôt! + Le temps d'aller quérir un cheval, un manteau... + +SYLVETTE, hors d'elle. + + Monsieur! + +STRAFOREL avec un geste immense. + + Et nous fuyons de contrée en contrée!... + +Redescendant. + + O la longtemps rêvée et l'enfin rencontrée! + L'âme à qui peut mon âme enfin dire: «Ma soeur!» + A tantôt pour toujours! + +SYLVETTE, d'une voix éteinte. + + Pour toujours! + +STRAFOREL. + + O douceur! + Vous allez vivre auprès de l'être aimé, de l'être + Pour lequel vous brûliez avant de le connaître, + Et qui, vous ignorant, pour vous se calcinait! + +Avant de sortir, la voyant comme évanouie sur le banc. + + Et maintenant, tu peux revenir, Percinet! + +Il sort. + + +SCÈNE III + +SYLVETTE, seule + +Ouvrant les yeux. + + Monsieur... Marquis... Non, pas en travers de la selle! + Ayez pitié de moi,--non, je ne suis pas celle... + Pas du tout!--Laissez-moi rentrer à la maison! + Une pensionnaire: oui, vous aviez raison! + Il n'est plus là !... Marquis!... Seule?... Ah! Dieu, l'affreux rêve. + +Un temps. Elle se remet. + + J'aime mieux que ce soit pour rire qu'on m'enlève! + +Elle se lève. + + Eh bien! Sylvette, eh bien, ma petite,--comment! + Vous appeliez tantôt à grands cris le roman, + Et, le roman venu, vous n'êtes pas contente?... + Oh! la serge, l'exil, les étoiles, la tente!... + Non, c'est trop!... Du roman, j'en voulais bien un peu, + Comme on met du laurier dedans le pot-au-feu!... + Mais c'est trop! Je ne puis supporter ces secousses. + Je me contenterais d'émotions plus douces... + +Le crépuscule violit vaguement le parc. Elle reprend son voile laissé +sur le banc, s'en couvre la tête et les épaules, et, rêveuse: + + Qui sait si?... + +Percinet paraît. Il est en haillons, le bras en écharpe, se traîne à +peine. Un feutre d'où pend, lamentable, une plume cassée, cache ses +traits. + + +SCÈNE IV + +SYLVETTE, PERCINET. + +PERCINET, pas encore vu de Sylvette. + + Je n'ai rien mangé depuis hier, + Je tombe de fatigue,--et je ne suis pas fier. + La fâcheuse équipée!... Ah! j'en ai vu de dures! + Ce n'est pas amusant du tout, les aventures! + +Il s'affaisse sur le mur. Son chapeau tombe et découvre sa figure. +Sylvette l'aperçoit. + +SYLVETTE. + + Vous! + +Il se lève, saisi. Elle le regarde. + + Et dans quel état!... Se peut-il?... + +PERCINET, piteusement. + + Il se peut. + +SYLVETTE, joignant les mains. + + Mon Dieu! + +PERCINET. + + J'ai, n'est-ce pas, la silhouette, un peu, + Que le dessinateur donne à l'Enfant Prodigue?... + +Il chancelle. + +SYLVETTE. + + Mais il ne se tient plus! + +PERCINET. + + Je sens quelque fatigue. + +SYLVETTE, apercevant son bras, avec un cri. + + Blessé! + +PERCINET, vivement. + + Seriez-vous donc pitoyable aux ingrats? + +SYLVETTE, sévère et s'éloignant. + + Les pères seuls, Monsieur, font tuer le veau gras! + +Percinet fait un mouvement, et son bras blessé lui arrache une +grimace.--Sylvette, malgré elle, effrayée: + + Pourtant, cette blessure? + +PERCINET. + + Oh! que je vous rassure! + Elle n'est nullement grave, cette blessure! + +SYLVETTE. + + Mais qu'avez-vous donc fait, Monsieur le vagabond, + Pendant tout ce long temps?... + +PERCINET. + + Sylvette, rien de bon. + +Il tousse. + +SYLVETTE. + + Vous toussez, maintenant? + +PERCINET. + + Eh! mon Dieu! nous courûmes + Les grands chemins, la nuit... + +SYLVETTE. + + Et l'on y prend des rhumes. + Quels étranges habits vous avez!... + +PERCINET. + + Des voleurs + Ont pris les miens, Sylvette,--et m'ont donné les leurs. + +SYLVETTE, ironique. + + Et combien avez-vous eu de bonnes fortunes? + +PERCINET. + + Laissons ces questions, Sylvette, inopportunes. + +SYLVETTE. + + Vous avez dû sans doute escalader beaucoup... + De balcons?... + +PERCINET, à part. + + J'ai manqué de me rompre le cou... + +SYLVETTE. + + De plus d'un doux succès vous gardez la mémoire? + +PERCINET, de même. + + Je suis resté trois jours caché dans une armoire. + +SYLVETTE. + + Et vous avez gagné plus d'un galant pari? + +PERCINET. + + Oui, oui!... + +A part. + + Je me suis fait rosser par un mari. + +SYLVETTE. + + Guitare en main, chanté plus d'un couplet nocturne? + +PERCINET, de même. + + Qui fit choir sur mon chef plus d'une petite urne! + +SYLVETTE. + + Enfin, comme je vois, tâté d'un vrai duel? + +PERCINET, de même. + + Qui me valut ce coup de peu s'en faut mortel. + +SYLVETTE. + + Et vous nous revenez?... + +PERCINET. + + Fourbu, minable, étique! + +SYLVETTE. + + Oui,--mais ayant du moins trouvé du poétique? + +PERCINET. + + Non,--je fus chercher loin ce que j'avais tout près! + Ah! ne me raillez plus!... je vous adore. + +SYLVETTE. + + Après + La désillusion que nous eûmes?... + +PERCINET. + + Qu'importe! + +SYLVETTE. + + Mais nos pères nous ont trompés d'horrible sorte! + +PERCINET. + + Qu'importe! Dans mon coeur, maintenant, il fait jour! + +SYLVETTE. + + Mais ils feignaient la haine!... + +PERCINET. + + Avons-nous feint l'amour? + +SYLVETTE. + + Le mur fut un Guignol,--vous l'avez dit vous-même! + +PERCINET. + + Sylvette, je l'ai dit!--mais ce fut un blasphème! + Ou du moins... quel Guignol, vieux mur, tu nous offrais, + Qui pour portants avait les grands branchages frais, + Pour fond le parc fuyant, l'azur vaste pour frises, + Pour orchestre invisible et vif les quatre brises, + Pour accessoires clairs le rayon et la fleur, + Le soleil pour quinquet, Shakspeare pour souffleur! + Oui, comme à ces pantins dont on gante les vestes, + Nos pères nous faisaient exécuter des gestes: + Mais, dans ce Guignol-là , Sylvette, songez-y, + C'est l'Amour qui faisait parler les pupazzi! + +SYLVETTE, soupirant. + + C'est vrai, mais nous aimions, croyant être coupables! + +PERCINET, vivement. + + Et nous l'étions!... Gardez ces remords agréables. + Comme l'intention compte autant que le fait, + Nous croyant criminels, nous l'étions en effet! + +SYLVETTE, ébranlée. + + Est-ce bien sûr? + +PERCINET. + + Très sûr, chère petite amie; + Nous avons simplement commis une infamie. + J'en atteste ta grâce et ton souffle aromal: + De nous aimer, ce fut très mal, très mal... + +SYLVETTE, s'asseyant près de lui. + + Très mal?... + +Changeant et s'éloignant encore. + + C'est vrai, mais je regrette un peu, pour notre gloire, + Que le danger couru n'ait été qu'illusoire! + +PERCINET. + + Il fut réel pour nous qui le crûmes réel! + +SYLVETTE. + + Non. Mon enlèvement, comme votre duel, + Était faux!... + +PERCINET. + + Votre peur l'était-elle, Madame? + Et, puisque vous avez passé par l'état d'âme + De quelqu'un d'enlevé, Sylvette, en vérité, + C'est comme tout à fait si vous l'aviez été. + +SYLVETTE. + + Non, le cher souvenir n'est plus; ces torches folles, + Ces masques, ces manteaux, et ces musiques molles, + Ce combat, tout ce charme enfin, c'est trop cruel + De penser que cela fut fait par Straforel! + +PERCINET. + + Et la Nuit de Printemps, est-ce lui qui l'a faite? + Est-ce lui qui régla l'inoubliable fête + Que l'amitié d'Avril nous donna ce soir-là ? + Est-ce lui qui, le ciel étoilé, l'étoila? + Lui, qui d'ombre effaça si bien les rosiers grêles + Que les roses semblaient, comme surnaturelles, + Se tenir en suspens dans l'air mystérieux? + Dispensa-t-il les frissons gris, les reflets bleus? + Versa-t-il les langueurs? Fut-il pour quelque chose + Dans l'apparition de l'Astre d'argent rose? + +SYLVETTE. + + Non certe... + +PERCINET. + + Et fit-il donc, dans la Nuit de Printemps, + Dis-moi, que nous étions deux enfants de vingt ans, + Et que nous nous aimions, car ce fut là le charme, + Tout le charme! + +SYLVETTE. + + Tout le... c'est vrai, mais... + +PERCINET. + + Une larme? + Il est donc pardonné, le méchant qui partit? + +SYLVETTE. + + Je t'ai toujours aimé, va, mon pauvre petit. + +PERCINET. + + J'ai retrouvé ton front, sa puérile frange, + Et ton jeune parfum qui fait un fin mélange + Avec tous les parfums des cytises voisins... + Ah! les Anges, ce soir, ne sont pas mes cousins! + +Il joue avec le voile de Sylvette. + + Oh! laisse-moi baiser le liséré frivole + Du voile aérien qui de ton front s'envole! + Comme il me rafraîchit les lèvres, ce tissu, + Ce tendre et clair tissu, pour qui je n'ai pas su + Vous dédaigner, satins et velours équivoques! + +SYLVETTE. + + Quels satins? Quels velours? + +PERCINET, vivement. + + Oh! rien, rien, rien,--des loques. + Oh! jeune fille, enfant, mousseline est ton nom! + Oh! que j'aime ce voile frais!... + +SYLVETTE. + + C'est du linon. + +PERCINET, s'agenouillant. + + Je l'aime et suis tremblant que mon baiser le souille, + Car ce voile devant lequel je m'agenouille... + + Ce léger linon + Qui vous emmitoufle, + Mais à la façon + D'un souffle; + + Ce linon léger + Dont la candeur frêle + A le voltiger + D'une aile; + + Ce léger linon, + Assez diaphane + Pour qu'un seul rayon + Le fane; + + Ce linon, léger + Comme un fil de berge + Que fait voyager + La Vierge; + + Ce léger linon, + C'est votre pensée + Que les choses n'ont + Froissée! + + Ce linon léger, + C'est, neigeuse flamme + Qu'un rien fait bouger, + Votre âme! + + Ce léger linon, + Ce linon que j'aime, + Ce n'est rien sinon + Vous-même! + +SYLVETTE, dans ses bras. + + Vois-tu, la poésie est au coeur des amants: + Elle n'émane pas des seuls événements. + +PERCINET. + + C'est vrai: ceux dont je sors, quoique très authentiques, + Ne furent pas du tout, Sylvette, poétiques... + +SYLVETTE. + + Et ceux par nos papas machiavels arrangés + Le furent, Percinet, encor que mensongers. + +PERCINET. + + Car elle peut broder, lorsqu'elle aime, notre âme, + De véritables fleurs sur une fausse trame. + +SYLVETTE. + + La poésie, amour, mais nous fûmes des fous + De la chercher ailleurs lorsqu'elle était en nous! + +Straforel apparaît, ramenant les deux pères, et leur montre Sylvette et +Percinet dans les bras l'un de l'autre. + + +SCÈNE V + +LES MÊMES, STRAFOREL, BERGAMIN, PASQUINOT. + +STRAFOREL. + + Refiancés!... + +BERGAMIN. + + Mon fils! + +Il embrasse Percinet. + +STRAFOREL. + + Me paierez-vous ma note? + +PASQUINOT, à sa fille. + + Tu l'aimes derechef? + +SYLVETTE. + + Oui. + +PASQUINOT. + + Tête de linotte. + +STRAFOREL, à Bergamin. + + Palperai-je mon or? + +BERGAMIN. + + Vous palperez votre or! + +SYLVETTE, qui a tressailli. + + Mais au fait... cette voix!... le marquis d'As-ta-fior... + +STRAFOREL, saluant. + + Quercita? C'était moi, chère Mademoiselle, + Moi, Straforel!... Daignez me pardonner mon zèle; + Le moyen que j'ai pris était bon en ceci, + Qu'il vous a fait connaître--en vous laissant ici,-- + Tout ce qu'ont d'ennuyeux ces aventures vraies + Dont les femmes toujours sont tôt désenivrées. + Sans doute vous pouviez... + +Montrant Percinet. + + comme ce citoyen, + Vous même les courir; mais, dame! le moyen + Pour une jeune fille étant trop énergique, + Je vous en ai fait voir la lanterne magique. + +PERCINET. + + Qu'est-ce? + +SYLVETTE, vivement. + + Rien, rien,--je t'aime!... + +BERGAMIN, montrant le mur commencé. + + Et demain même, pan! + D'un coup de pioche on va redémolir ce pan... + +PASQUINOT. + + Enlever ce ciment, ces pierres et ce sable!... + +STRAFOREL. + + Non, construisez le mur, il est indispensable! + +SYLVETTE, réunissant autour d'elle tous les acteurs. + + Et maintenant, nous quatre,--et Monsieur Straforel-- + Excusons ce que fut la pièce, en un rondel. + +Elle descend vers le public. + + _Des costumes clairs, des rimes légères, + L'Amour, dans un parc, jouant du flûteau..._ + +BERGAMIN. + + _Un florianesque et fol quintetto,_ + +PASQUINOT. + + _Des brouilles... d'ailleurs toutes passagères._ + +STRAFOREL. + + _Des coups de soleil, des rayons lunaires, + Un bon spadassin en joyeux manteau..._ + +SYLVETTE. + + _Des costumes clairs, des rimes légères, + L'Amour, dans un parc, jouant du flûteau..._ + +PERCINET. + + _Un repos naïf des pièces amères, + Un peu de musique, un peu de Watteau, + Un spectacle honnête et qui finit tôt, + Un vieux mur fleuri,--deux amants,--deux pères..._ + +SYLVETTE, dans une révérence. + + _Des costumes clairs, des rimes légères!_ + +RIDEAU + + + + +TABLE + + + Pages + ACTE PREMIER 1 + ACTE DEUXIÈME 55 + ACTE TROISIÈME 115 + + + + +PARIS.--L. MARETHEUX, IMPRIMEUR + +1, RUE CASSETTE, 1 + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Les Romanesques, by Edmond Rostand + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57839 *** diff --git a/57839-8.txt b/57839-8.txt deleted file mode 100644 index 541ccb3..0000000 --- a/57839-8.txt +++ /dev/null @@ -1,4820 +0,0 @@ -The Project Gutenberg EBook of Les Romanesques, by Edmond Rostand - -This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and -most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions -whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll -have to check the laws of the country where you are located before using -this ebook. - - - -Title: Les Romanesques - comédie en trois actes en vers - -Author: Edmond Rostand - -Release Date: September 3, 2018 [EBook #57839] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROMANESQUES *** - - - - -Produced by Laurent Vogel (This file was produced from -images generously made available by the Bibliothèque -nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - - - - - - - - EDMOND ROSTAND - - LES ROMANESQUES - - COMÉDIE EN TROIS ACTES - EN VERS - Représentée pour la première fois sur la scène de la COMÉDIE-FRANÇAISE - le lundi 21 Mai 1884. - - QUARANTE-CINQUIÈME MILLE - - PARIS - LIBRAIRIE CHARPENTIER ET FASQUELLE - EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR - 11, RUE DE GRENELLE, 11 - - 1911 - - Tous droits réservés. - - - - -OUVRAGES D'EDMOND ROSTAND - - - Les Musardises, _Édition nouvelle_, 1887-1893, poésies 3 50 - - Les Romanesques, comédie en trois actes, en vers, 49e mille 3 50 - - La Princesse Lointaine, pièce en quatre actes, en vers, - 44e mille 2 » - - La Samaritaine, évangile en trois tableaux, en vers, 42e mille 3 50 - - Cyrano de Bergerac, comédie héroïque en cinq actes, en vers, - 376e mille 3 50 - - L'Aiglon, drame en six actes, en vers, 271e mille 3 50 - - Chantecler, pièce en quatre actes, en vers, 150e mille 3 50 - - Pour la Grèce, poésie (_épuisé_). - - Un Soir à Hernani, poésie 1 » - - Discours de réception à l'Académie Française 1 » - -Paris.--L. MARETHEUX, imprimeur, 1, rue Cassette.--4856 - - - - -A ROSEMONDE - - - - -PERSONNAGES - - - SYLVETTE - PERCINET - STRAFOREL - BERGAMIN, père de Percinet - PASQUINOT, père de Sylvette - BLAISE, jardinier - -UN MUR, personnage muet - -SPADASSINS, MUSICIENS, NÈGRES, PORTEURS DE TORCHES, UN NOTAIRE, QUATRE -BOURGEOIS, ETC. - - -_La scène se passe où l'on voudra, pourvu que les costumes soient -jolis._ - - - - -DISTRIBUTIONS - - - 1894 1899 1901 - Mlle Mlle Mlle - SYLVETTE REICHENBERG. HENRIOT. MULLER. - MM. MM. MM. - PERCINET LE BARGY G. BERR. G. BERR. - STRAFOREL DE FÉRAUDY. COQUELIN CADET. COQUELIN CADET. - BERGAMIN LELOIR. LELOIR. LELOIR. - PASQUINOT LAUGIER. BARRAL. LAUGIER. - BLAISE FALCONNIER. FALCONNIER. FALCONNIER. - - -_La musique de scène est de M. GEORGES HÜE_ - - -_N. B._--Pour les droits de représentation en province ou à l'étranger, -s'adresser à M. R. GANGNAT, _agent général de la Société des Auteurs -Dramatiques_. - -Pour les détails de mise en scène, s'adresser à M. GAILLARD, à la -_Comédie-Française_. - - - - -ACTE PREMIER - - -_La scène est coupée en deux par un vieux mur moussu et tout enguirlandé -de folles plantes grimpantes. A droite, un coin du parc de Bergamin; à -gauche, un coin du parc de Pasquinot. De chaque côté, contre le mur, un -banc._ - -_Quand le rideau se lève, Percinet est assis sur la crête du mur, ayant, -sur son genou, un livre, dont il donne lecture à Sylvette, attentive, -debout sur le banc, de l'autre côté du mur, auquel elle s'accoude._ - - -SCÈNE PREMIÈRE - -SYLVETTE, PERCINET. - -SYLVETTE. - - Ah! Monsieur Percinet, mais comme c'est donc beau! - -PERCINET. - - N'est-ce pas?... Écoutez répondre Roméo: - -Il lit. - - «C'est l'alouette, Amour, je te dis que c'est elle! - «Vois, le bord des vapeurs légères se dentelle, - «Et là-bas, au sommet rose du mont lointain, - «Sur le bout de son pied se dresse le matin! - «Il faut fuir...» - -SYLVETTE, vivement, prêtant l'oreille. - - Chut! - -PERCINET écoute un instant, puis: - - Personne! Ainsi, Mademoiselle, - Ne prenez pas ces airs effarouchés d'oiselle - Qui de la branche, au moindre bruit, va s'envoler... - Écoutez les Amants Immortels se parler: - _Elle_: «Amour, amour cher, non, ce n'est pas l'aurore, - «Mais c'est, pour éclairer ta fuite, un météore!» - _Lui_: «Puisqu'elle le veut, eh bien, soit! ce n'est point - «L'alouette qui chante et l'aurore qui point: - «Ce reflet, c'est le tien, Cynthia, dans la nue! - «Vienne la Mort, la Mort sera la bienvenue!» - -SYLVETTE. - - Oh! non, je ne veux pas qu'il parle de cela, - Ou bien je vais pleurer... - -PERCINET. - - Alors, restons-en là! - Et, jusques à demain refermant notre livre, - Laissons, puisqu'il vous plaît, le doux Roméo vivre. - -Il ferme le livre et regarde tout autour de lui. - - Quel adorable endroit, fait exprès, semble-t-il, - Pour s'y venir bercer aux beaux vers du grand Will! - -SYLVETTE. - - Oui, ces vers sont très beaux, et le divin murmure - Les accompagne bien, c'est vrai, de la ramure, - Et le décor leur sied, de ces ombrages verts; - Oui, Monsieur Percinet, ils sont très beaux, ces vers! - Mais ce qui fait pour moi leur beauté plus touchante, - C'est que vous les lisez de votre voix qui chante. - -PERCINET. - - La vilaine flatteuse! - -SYLVETTE, soupirant. - - Ah! pauvres amoureux! - Que leur sort est cruel, qu'on fut méchant pour eux! - -Avec un soupir. - - Ah! je pense... - -PERCINET. - - A quoi donc? - -SYLVETTE, vivement. - - A rien!... - -PERCINET. - - A quelque chose - Qui vous a fait soudain devenir toute rose! - -SYLVETTE, de même. - - A rien!... - -PERCINET, la menaçant du doigt. - - Oh! la menteuse... aux yeux trop transparents! - Je le vois, à quoi vous pensez!... - -Baissant la voix. - - A nos parents! - -SYLVETTE. - - Peut-être... - -PERCINET. - - A votre père, au mien, à cette haine - Qui les divise! - -SYLVETTE. - - Eh! oui, c'est là ce qui me peine - Ce qui me fait pleurer en cachette, souvent. - Lorsque, le mois dernier, je revins du couvent, - Mon père, me montrant le parc de votre père, - Me dit: «Ma chère enfant, tu vois là le repaire - De mon vieil ennemi mortel, de Bergamin. - De ce gueux, de son fils, détourne ton chemin; - Promets-moi bien, sinon, vois-tu, je te renie, - D'être, pour ces gens-là, toujours, une ennemie, - Car, de tous temps, les leurs ont exécré les tiens!» - J'ai promis... Vous voyez, Monsieur, comme je tiens. - -PERCINET. - - Et n'ai-je pas promis à mon père, de même, - De vous haïr toujours, Sylvette?--et je vous aime! - -SYLVETTE. - - Sainte Vierge! - -PERCINET. - - Et je t'aime, enfant! - -SYLVETTE. - - C'est un péché! - -PERCINET. - - Un gros... que voulez-vous? Plus on est empêché - D'aimer quelqu'un, et plus il vous en prend l'envie. - Sylvette, embrassez-moi! - -SYLVETTE. - - Mais jamais de la vie! - -Elle saute du banc et s'éloigne. - -PERCINET. - - Vous m'aimez cependant! - -SYLVETTE. - - Que dit-il? - -PERCINET. - - Chère enfant, - Je dis ce dont encor votre coeur se défend, - Mais ce dont plus longtemps douter serait un leurre! - Je dis... ce que vous-même avez dit tout à l'heure, - Oui, vous-même, Sylvette, en comparant ainsi - Les Amants de Vérone aux deux enfants d'ici. - -SYLVETTE. - - Je n'ai pas comparé!... - -PERCINET. - - Si!... Mon père et ton père - A ceux de Juliette et de Roméo, chère! - C'est pourquoi Juliette et Roméo c'est nous, - Et c'est pourquoi nous nous aimons comme des fous! - Et je brave à la fois, malgré leur haine aiguë, - Pasquinot-Capulet, Bergamin-Montaiguë! - -SYLVETTE, se rapprochant un peu du mur. - - Alors, nous nous aimons? Mais, Monsieur Percinet, - Comment ça s'est-il fait si vite?... - -PERCINET. - - L'amour naît, - On ne sait pas comment, pourquoi, quand il doit naître. - Je vous voyais souvent passer de ma fenêtre... - -SYLVETTE. - - Moi de même... - -PERCINET. - - Et nos yeux causaient en tapinois. - -SYLVETTE. - - Un jour, là, près du mur, je ramassais des noix, - Par hasard... - -PERCINET. - - Par hasard, là, je lisais Shakespeare; - Et--pour unir deux coeurs vois comme tout conspire... - -SYLVETTE. - - Le vent fit envoler, psst!... chez vous, mon ruban! - -PERCINET. - - Pour le rendre, aussitôt, je grimpai sur le banc... - -SYLVETTE, grimpant. - - Je grimpai sur le banc... - -PERCINET. - - Et depuis lors, petite, - Chaque jour je t'attends, et chaque jour plus vite - Bat mon coeur lorsqu'enfin monte, signal béni! - Là, derrière le mur, ton doux rire de nid, - Qui ne s'achève pas sans que ta tête émerge - Du fouillis frémissant de folle vigne vierge! - -SYLVETTE. - - Puisque nous nous aimons, il faut nous fiancer. - -PERCINET. - - C'est à quoi justement je venais de penser. - -SYLVETTE, solennellement. - - Dernier des Bergamin, c'est à toi que se lie - La dernière des Pasquinot! - -PERCINET. - - Noble folie! - -SYLVETTE. - - On parlera de nous dans les âges futurs! - -PERCINET. - - Oh! trop tendres enfants de deux pères trop durs! - -SYLVETTE. - - Mais, qui sait, mon ami, peut-être l'heure tinte - Où Dieu veut que, par nous, leur haine soit éteinte? - -PERCINET. - - J'en doute. - -SYLVETTE. - - Moi, j'ai foi dans les événements, - Et j'entrevois déjà cinq ou six dénoûments - Très possibles. - -PERCINET. - - Vraiment, et lesquels? - -SYLVETTE. - - Mais suppose - --Dans plus d'un vieux roman j'ai lu pareille chose-- - Que le Prince Régnant vienne à passer un jour... - Je cours le supplier, lui conte notre amour, - Que nos pères entre eux ont une vieille haine... - --Un roi maria bien don Rodrigue et Chimène-- - Le Prince fait venir mon père et Bergamin, - Et les réconcilie... - -PERCINET. - - Et me donne ta main! - -SYLVETTE. - - Ou bien, cela s'arrange ainsi que dans _Peau d'Ane_. - Tu dépéris, un sot médecin te condamne... - -PERCINET. - - Mon père me demande, affolé: «Que veux-tu?» - -SYLVETTE. - - Tu dis: «Je veux Sylvette!» - -PERCINET. - - Et son orgueil têtu - Est contraint de fléchir! - -SYLVETTE. - - Ou bien, autre aventure: - Un vieux duc, ayant vu de moi quelque peinture, - M'aime, envoie un superbe écuyer, en son nom, - M'offrir d'être duchesse... - -PERCINET. - - Alors, tu réponds: «Non!» - -SYLVETTE. - - Il se fâche: un beau soir, dans quelque sombre allée - Du parc, où pour rêver à toi je suis allée, - On m'enlève!... Je crie!... - -PERCINET. - - Et je ne tarde point - A surgir près de toi; je mets la dague au poing, - Me bats comme un lion, pourfends... - -SYLVETTE. - - Trois ou quatre hommes. - Mon père accourt, te prend dans ses bras; tu te nommes; - Alors, il s'attendrit, me donne à mon sauveur, - Et ton père consent, tout fier de ta valeur! - -PERCINET. - - Et nous vivons longtemps et très heureux ensemble! - -SYLVETTE. - - Et tout cela n'a rien d'impossible, il me semble? - -PERCINET, entendant du bruit. - - On vient! - -SYLVETTE, perdant la tête. - - Embrassons-nous! - -PERCINET, l'embrassant. - - Et ce soir même, ici, - A l'heure du Salut, tu viendras, dis? - -SYLVETTE. - - Non. - -PERCINET. - - Si! - -SYLVETTE, disparaissant derrière le mur. - - Ton père! - -Percinet saute vivement à bas du mur. - - -SCÈNE II - -SYLVETTE, descendue du mur et, par conséquent, invisible à Bergamin, -PERCINET, BERGAMIN. - -BERGAMIN. - - Ah! je vous prends à rêvasser encore, - Seul, en ce coin de parc? - -PERCINET. - - Mon père, je l'adore, - Ce coin de parc!... J'adore être assis sur ce banc - Que la vigne du mur abrite en retombant!... - Voyez-vous comme elle est gracieuse, la vigne? - Remarquez ces festons d'une arabesque insigne. - On est si bien ici pour respirer l'air pur! - -BERGAMIN. - - Si bien devant ce mur? - -PERCINET. - - Je l'adore, ce mur! - -BERGAMIN. - - Je ne vois pas ce que ce mur a d'adorable. - -SYLVETTE, à part. - - Il ne peut pas le voir! - -PERCINET. - - Mais il est admirable, - Ce vieux mur, crêté d'herbe; enguirlandé, couvert - Ici de vigne rouge, ici de lierre vert, - Là de glycine mauve aux longues grappes floches, - Et là de chèvrefeuille, et là d'aristoloches! - Ce vieux mur centenaire et croulant, dont les trous - Laissent pendre au soleil d'étranges cheveux roux, - Qui de petites fleurs charmantes se constelle, - Ce mur sur qui la mousse est d'une épaisseur telle - Qu'il fait à l'humble banc scellé dans sa paroi - Un dossier de velours comme au trône d'un roi! - -BERGAMIN. - - Ta! ta! ta! Voudrais-tu, blanc-bec, me faire accroire - Que tu viens ici pour les beaux yeux du mur? - -PERCINET. - - Voire, - Pour les beaux yeux du mur!... - -Tourné vers le mur. - - qui sont de bien beaux yeux - Frais sourires d'azur, doux étonnements bleus, - Fleurs profondes, clairs yeux, vous êtes nos délices, - Et si jamais des pleurs emperlent vos calices, - D'un seul baiser nous les volatiliserons!... - -BERGAMIN. - - Mais le mur n'a pas d'yeux! - -PERCINET. - - Il a les liserons. - -Et, gracieux, il en présente un, prestement cueilli, à Bergamin. - -SYLVETTE. - - Est-il spirituel, doux Jésus! - -BERGAMIN. - - Est-il bête! - Mais je connais ce qui te fait perdre la tête. - -Mouvement d'effroi de Percinet et de Sylvette. - - Tu viens lire en cachette! - -Il prend le livre qui sort de la poche de Percinet, et regarde le dos. - - Et du théâtre!... - -Il l'ouvre et le laisse tomber avec horreur. - - En vers! - Des vers!... Voilà pourquoi, la cervelle à l'envers, - Vous rêvez, vous errez, évitant les approches, - Pourquoi vous me venez parler d'aristoloches, - Et pourquoi vous voyez des yeux bleus à ce mur! - Un mur n'a pas besoin d'être joli,--mais sûr! - Je vais faire enlever toutes ces choses vertes - Qui pourraient nous cacher quelques brèches ouvertes, - Et, pour mieux nous garder d'un voisin insolent, - Remaçonner ce pan, bâtir un beau mur blanc, - Bien blanc, bien net, bien propre; au lieu... d'aristoloches, - Le garnir, dans le plâtre ayant fait des encoches, - De tessons de bouteille au tranchant acéré - Qu'on verra s'en aller en bataillon serré... - -PERCINET. - - Oh! grâce! - -BERGAMIN. - - Pas de grâce!... Ainsi je le décrète! - Tout le long, tout le long, tout le long de la crête! - -SYLVETTE et PERCINET, consternés. - - Oh! - -BERGAMIN, s'asseyant sur le banc. - - Çà, causons! - -Il se relève et s'éloigne du mur avec un air soupçonneux. - - Mais, hum!... les murs, s'ils n'ont pas d'yeux, - Ont des oreilles! - -Il fait le mouvement de monter sur le banc. Effroi de Percinet. Au -bruit, Sylvette se fait toute petite derrière le mur, mais Bergamin -renonce, après une grimace que lui arrache quelque vieille douleur, et -fait signe à son fils de monter à sa place, et de regarder. - - Vois si quelque curieux... - -PERCINET, grimpant lestement sur le banc et se penchant au-dessus du mur -bas à Sylvette, qui aussitôt s'est redressée. - - A ce soir! - -SYLVETTE, lui donnant sa main qu'il baise--tout bas. - - Je viendrai devant que l'heure sonne. - -PERCINET, de même. - - J'y serai! - -SYLVETTE, de même. - - Je t'adore! - -BERGAMIN, à Percinet. - - Eh bien? - -PERCINET, sautant à terre et à voix haute. - - Eh bien,--personne! - -BERGAMIN, rassuré, se rassied. - - Alors, causons... Mon fils, je veux vous marier. - -SYLVETTE. - - Ah! - -BERGAMIN. - - Qu'est-ce? - -PERCINET. - - Rien. - -BERGAMIN. - - On vient de faiblement crier. - -PERCINET, regardant en l'air. - - Quelque oiselet blessé... - -SYLVETTE. - - Hélas!... - -PERCINET. - - dans la ramure!... - -BERGAMIN. - - Or donc, mon fils, après réflexion très mûre, - J'ai fait pour vous un choix. - -PERCINET, remonte en sifflant. - - Tu! tu! - -BERGAMIN, après un instant de suffocation, le suivant. - - Je suis têtu, - Et je vous forcerai, Monsieur... - -PERCINET, redescendant. - - Tu! tu! tu! tu! - -BERGAMIN. - - Voulez-vous bien finir de siffler, mauvais merle!... - Une femme encor jeune, et très riche,--une perle! - -PERCINET. - - Et si je n'en veux pas de votre perle! - -BERGAMIN. - - Attends! - Je m'en vais te montrer, polisson!... - -PERCINET, rabaissant la canne levée de son père. - - Le Printemps - A rempli les buissons, mon père, de bruits d'ailes, - Et les sources des bois voient s'abattre auprès d'elles - Des couples de petits oiseaux se caressant... - -BERGAMIN. - - Impudique! - -PERCINET, même jeu. - - Tout rit et fête Avril récent; - Les papillons... - -BERGAMIN. - - Pendard! - -PERCINET, même jeu. - - à travers champs essaiment, - Pour aller épouser toutes les fleurs qu'ils aiment!... - L'Amour... - -BERGAMIN. - - Bandit! - -PERCINET. - - met tous les coeurs en floraison... - Et vous me voulez voir marié de raison! - -BERGAMIN. - - Oui, certes, garnement! - -PERCINET, d'une voix vibrante. - - Eh bien, non, non, mon père! - Je jure... sur ce mur--qui m'entend, je l'espère!-- - Que je me marierai si romanesquement, - Que l'on n'aura jamais vu dans aucun roman - Quelque chose de plus follement romanesque! - -Il se sauve en courant. - -BERGAMIN, courant après lui. - - Oh! je t'attraperai! - - -SCÈNE III - -SYLVETTE, puis PASQUINOT. - -SYLVETTE, seule. - - Vraiment, je conçois presque - La haine de papa pour ce méchant... - -PASQUINOT, entrant à gauche. - - Eh bien, - Que fait-on par ici, Mademoiselle? - -SYLVETTE. - - Rien. - On se promène. - -PASQUINOT. - - Ici! seule! Mais, malheureuse!... - Vous n'avez donc pas peur? - -SYLVETTE. - - Je ne suis pas peureuse. - -PASQUINOT. - - Seule près de ce mur!... Mais je vous le défend, - D'approcher de ce mur! Mais, imprudente enfant, - Regarde bien ce parc: tu vois là le repaire - De mon vieil ennemi mortel!... - -SYLVETTE. - - Je sais, mon père. - -PASQUINOT. - - Et tu viens t'exposer à des mots outrageants, - A des?... Sait-on de quoi sont capables ces gens? - Si ce gueux, ou son fils, connaissaient que ma fille - Vient seule rêvasser dessous cette charmille... - Oh! rien que d'y penser, je me sens frissonner! - Mais je vais le barder, le caparaçonner, - Ce mur, le hérisser de fer pour qu'on s'éventre, - Qu'on s'empale, en voulant le franchir, et qu'on s'entre, - Rien qu'en s'en approchant, des pointes dans la chair. - -SYLVETTE, à part. - - Il ne le fera pas, ça coûterait trop cher. - Il est un peu serré, papa. - -PASQUINOT. - - Rentre,--un peu vite! - -Elle sort, il la suit des yeux d'un air courroucé. - - -SCÈNE IV - -BERGAMIN, PASQUINOT. - -BERGAMIN, parlant à cantonade. - - Ce billet à Monsieur Straforel, tout de suite. - -PASQUINOT court vivement au mur et y grimpe. - - Bergamin! - -BERGAMIN, même jeu. - - Pasquinot! - -Ils s'embrassent. - -PASQUINOT. - - Comment va? - -BERGAMIN. - - Pas trop mal. - -PASQUINOT. - - Ta goutte? - -BERGAMIN. - - Mieux. Et ton coryza? - -PASQUINOT. - - L'animal - Me tient toujours. - -BERGAMIN. - - Eh bien, c'est fait, le mariage! - -PASQUINOT. - - Hein? - -BERGAMIN. - - J'ai tout entendu, caché dans le feuillage. - Ils s'adorent! - -PASQUINOT. - - Bravo! - -BERGAMIN. - - Brusquons le dénoûment! - -Se frottant les mains. - - Ha! ha! tous les deux veufs, et pères mêmement, - Moi, d'un fils qu'une mère un peu trop romanesque - Appela Percinet... - -PASQUINOT. - - Oui, c'est un nom grotesque. - -BERGAMIN. - - Toi, d'un tendron rêveur, Sylvette, âme d'azur! - Quel était notre but, le seul? - -PASQUINOT. - - Oter ce mur. - -BERGAMIN. - - Pour vivre ensemble... - -PASQUINOT. - - Et fondre en une nos deux terres. - -BERGAMIN. - - Calcul de vieux amis... - -PASQUINOT. - - Et de propriétaires! - -BERGAMIN. - - Pour ce, que fallait-il? - -PASQUINOT. - - Marier nos enfants! - -BERGAMIN. - - Les marier! Oui, mais... serions-nous triomphants - S'ils avaient soupçonné nos désirs, notre entente? - Mariage arrangé n'est pas chose tentante - Pour deux jeunes serins poétiques. Aussi, - Profitant de ce qu'ils ont vécu loin d'ici, - Leur avons-nous caché tout projet d'hyménée. - Mais collège et couvent les lâchaient cette année - Lors, m'étant avisé que de les empêcher - De se voir, sûrement les ferait se chercher, - Que s'aimer en secret et d'un amour coupable - Leur plairait,--j'inventai cette haine admirable!... - Vous doutiez du succès de ce plan inouï? - Eh bien, nous n'avons plus qu'à dire nos deux oui. - -PASQUINOT. - - Soit! mais comment?... Comment, avec assez d'astuce, - Consentir, sans leur mettre, à l'oreille, la puce? - Moi qui t'appelais gueux, idiot... - -BERGAMIN. - - Idiot? - Gueux suffisait! Ne dis que juste ce qu'il faut. - -PASQUINOT. - - Quel prétexte?... - -BERGAMIN. - - Ah! voilà!--Mais ta fille elle-même - Vient de me suggérer l'ultime stratagème! - Tandis qu'elle parlait, mon plan se dessinait: - Ce soir, ils ont ici rendez-vous; Percinet - Arrive le premier; au moment où Sylvette - Paraît, des hommes noirs, surgis d'une cachette, - L'enlèvent! elle crie! Alors, mon jeune coq - Court sus aux ravisseurs, chamaille à coups d'estoc; - Ils font semblant de fuir; tu te montres; j'arrive; - Ta fille et son honneur sont saufs; ta joie est vive; - Tu bénis, laissant choir de tes yeux un peu d'eau, - L'héroïque sauveur; je m'attendris:--tableau. - -PASQUINOT. - - Ah çà, c'est du génie!... Ah! non ça, par exemple, - C'est du génie!... - -BERGAMIN, modeste. - - Eh! oui... proprement. Chut! contemple - Celui qui vient! C'est Straforel, le spadassin, - A qui j'ai, tout à l'heure, écrit de mon dessein... - Oui, notre enlèvement, c'est lui qui va le mettre - En scène. - -Straforel, dans un pompeux costume de spadassin, paraît au fond et -s'avance majestueusement. - - -SCÈNE V - -LES MÊMES, STRAFOREL. - -BERGAMIN, descendant du mur, et saluant. - - Hum! Que d'abord je vous fasse connaître - Mon ami Pasquinot... - -STRAFOREL s'incline. - - Monsieur... - -En se relevant, il s'étonne de ne pas voir Pasquinot. - -BERGAMIN, le lui montrant à cheval sur la crête. - - Là, sur le mur. - -STRAFOREL, à part. - - Exercice étonnant pour un homme aussi mûr. - -BERGAMIN. - - Mon plan vous paraît-il, cher maître?... - -STRAFOREL. - - Élémentaire. - -BERGAMIN. - - Oui, vous savez comprendre, agir vite... - -STRAFOREL. - - Et me taire. - -BERGAMIN. - - Simulacre de rapt, n'est-ce pas, combat feint? - -STRAFOREL. - - C'est tout compris. - -BERGAMIN. - - Ayez d'adroits bretteurs, afin - Qu'ils n'aillent pas blesser mon garçonnet. Je l'aime, - C'est mon unique enfant! - -STRAFOREL. - - J'opérerai moi-même. - -BERGAMIN. - - Ah! très bien! Dans ce cas, je ne saurais douter... - -PASQUINOT, bas à Bergamin. - - Dis donc, demande-lui ce que ça va coûter. - -BERGAMIN. - - Pour un enlèvement, que prenez-vous, cher maître? - -STRAFOREL. - - Cela dépend, Monsieur, de ce qu'on veut y mettre. - On fait l'enlèvement un peu dans tous les prix. - Mais, dans le cas présent, et si j'ai bien compris, - Il ne faut pas compter du tout. A votre place, - J'en prendrais un, Monsieur, là,--de première classe! - -BERGAMIN, ébloui. - - Ah! vous avez plusieurs classes? - -STRAFOREL. - - Évidemment! - Songez que nous avons, Monsieur, l'enlèvement - Avec deux hommes noirs, l'enlèvement vulgaire, - En fiacre,--celui-là ne se demande guère,-- - L'enlèvement de nuit, l'enlèvement de jour, - L'enlèvement pompeux, en carrosse de cour, - Avec laquais poudrés et frisés--les perruques - Se payent en dehors,--avec muets, eunuques, - Nègres, sbires, brigands, mousquetaires, au choix! - L'enlèvement en poste, avec deux chevaux, trois, - Quatre, cinq,--on augmente _ad libitum_ le nombre,-- - L'enlèvement discret, en berline,--un peu sombre,-- - L'enlèvement plaisant, qui se fait dans un sac, - Romantique, en bateau,--mais il faudrait un lac!-- - Vénitien, en gondole,--il faudrait la lagune!-- - L'enlèvement avec ou sans le clair de lune, - --Les clairs de lune, étant recherchés, sont plus chers!-- - L'enlèvement sinistre aux lueurs des éclairs, - Avec appels de pied, combat, bruit de ferraille, - Chapeaux à larges bords, manteaux couleur muraille, - L'enlèvement brutal, l'enlèvement poli, - L'enlèvement avec des torches--très joli!-- - L'enlèvement masqué qu'on appelle classique, - L'enlèvement galant qui se fait en musique, - L'enlèvement en chaise à porteurs, le plus gai, - Le plus nouveau, Monsieur, et le plus distingué! - -BERGAMIN, se grattant la tête, à Pasquinot. - - Voyons, que penses-tu? - -PASQUINOT. - - Hon... Et toi? - -BERGAMIN. - - Moi, je pense - Qu'il faut frapper très fort--tant pis si l'on dépense-- - L'imagination!... Avoir de tout un peu!... - Faire un enlèvement... - -STRAFOREL. - - Panaché? Ça se peut. - -BERGAMIN. - - Donnons-en pour longtemps à nos jeunes fantasques: - Chaise à porteurs, manteaux, torches, musique, masques! - -STRAFOREL, prenant des notes sur un calepin. - - Nous prendrons, pour grouper ces divers éléments, - Une première classe,--avec des suppléments. - -BERGAMIN. - - Soit! - -STRAFOREL. - - Je vais revenir bientôt... - -Montrant Pasquinot. - - Mais il importe - Que Monsieur, de son parc, entre-bâille la porte... - -BERGAMIN. - - Il entre-bâillera. - -STRAFOREL, saluant. - - Messieurs, mes compliments! - -Avant de sortir. - - Une première classe avec des suppléments! - - -SCÈNE VI - -BERGAMIN, PASQUINOT. - -PASQUINOT. - - Avec tous ses grands airs, il s'en va, l'homme honnête, - Sans qu'on ait fait le prix! - -BERGAMIN. - - Laisse, l'affaire est faite! - On abattra le mur. Nous n'aurons qu'un foyer! - -PASQUINOT. - - Et l'hiver, à la ville, ô douceur! qu'un loyer! - -BERGAMIN. - - Nous ferons dans le parc des choses ravissantes! - -PASQUINOT. - - Nous taillerons les ifs! - -BERGAMIN. - - Nous sablerons les sentes! - -PASQUINOT. - - Nos chiffres, au milieu de chaque massif rond, - Bien calligraphiés, en fleurs, s'enlaceront! - -BERGAMIN. - - Comme cette verdure est un peu trop sévère... - -PASQUINOT. - - Nous allons l'égayer par des boules de verre! - -BERGAMIN. - - Nous aurons des poissons dans un bassin tout neuf! - -PASQUINOT. - - Nous aurons un jet d'eau faisant danser un oeuf! - Nous aurons un rocher!--Hein! coquin, que t'en semble! - -BERGAMIN. - - Tous nos voeux sont comblés! - -PASQUINOT. - - Nous vieillirons ensemble. - -BERGAMIN. - - Et ta fille est casée! - -PASQUINOT. - - Ainsi que ton gamin! - -BERGAMIN. - - Ah! mon vieux Pasquinot! - -PASQUINOT. - - Ah! mon vieux Bergamin! - -Ils tombent dans les bras l'un de l'autre. - - -SCÈNE VII - -LES MÊMES SYLVETTE, PERCINET, entrés brusquement, chacun de son côté. - -SYLVETTE, voyant son père tenir Bergamin. - - Ah! - -BERGAMIN, apercevant Sylvette, à Pasquinot. - - Ta fille! - -PERCINET, voyant son père tenir Pasquinot. - - Ah! - -PASQUINOT, apercevant Percinet, à Bergamin. - - Ton fils! - -BERGAMIN, bas à Pasquinot. - - Battons-nous! - -Ils transforment l'embrassade en lutte à bras-le-corps. - - Ah! canaille! - -PASQUINOT. - - Ah! gueux! - -SYLVETTE, tirant son père par les basques de son habit. - - Papa!... - -PERCINET, même jeu, à Bergamin. - - Papa!... - -BERGAMIN. - - Laissez-nous donc, marmaille! - -PASQUINOT. - - C'est lui qui m'insulta! - -BERGAMIN. - - C'est lui qui me frappa! - -PASQUINOT. - - Lâche! - -SYLVETTE. - - Papa! - -BERGAMIN. - - Filou! - -PERCINET. - - Papa!! - -PASQUINOT. - - Brigand! - -SYLVETTE. - - Papa!!! - -Ils réussissent à les séparer. - -PERCINET, entraînant son père. - - Rentre, il est tard! - -BERGAMIN, essayant de revenir. - - Ma rage est à son paroxysme! - -Percinet l'emmène. - -PASQUINOT, même jeu avec Sylvette. - - J'écume! - -SYLVETTE, l'emmenant. - - L'air fraîchit. Pense à ton rhumatisme! - - -SCÈNE VIII - -Le jour baisse insensiblement. La scène reste vide un instant. Puis, -dans le parc de Pasquinot, entrent STRAFOREL et ses SPADASSINS, -MUSICIENS, etc. - -STRAFOREL. - - D'une étoile déjà le ciel clair s'étoila. - Le jour fuit... - -Il place ses hommes. - - Mets-toi là... Mets-toi là... Mets-toi là. - Oui, l'heure du Salut déjà doit être proche: - Blanche, elle apparaîtra quand tintera la cloche; - Alors, je sifflerai... - -Il regarde le ciel. - - La lune?... C'est parfait! - Nous n'aurons pas manqué, ce soir, un seul effet! - -Regardant les manteaux extravagants des spadassins. - - Excellents, les manteaux!... Que la colichemarde - Les retrousse un peu plus: appuyez sur la garde! - -On apporte la chaise à porteurs. - - La chaise, ici, dans l'ombre. - -Regardant les porteurs qui sont noirs. - - Ah! les nègres, pas mal! - -A la cantonade. - - Les torches, vous n'entrez, n'est-ce pas, qu'au signal? - -On voit le fond vaguement coloré de rose par les reflets des torches qui -restent derrière les arbres; entrent des musiciens. - - Les musiciens?--là! sur fond de clartés roses... - -Il les place au fond. - - De la grâce, du flou! Variez donc les poses! - Debout, la mandoline! Asseyez-vous, l'alto! - Comme dans le _Concert Champêtre_ de Watteau! - -Sévère, à un spadassin. - - Premier Homme Masqué, que vois-je? On se dandine? - Ça, de l'allure!--Bien!--Instruments, en sourdine, - Veuillez vous accorder... Oh! très bien!--Sol, mi, si! - -Il se masque. - - -SCÈNE IX - -LES MÊMES, PERCINET. - -PERCINET entre lentement. A mesure qu'il déclame les vers suivants, la -nuit devient plus noire et le ciel s'étoile. - - Mon père s'est calmé... J'ai pu fuir jusqu'ici. - Le jour baisse... L'odeur des sureaux flotte et grise!... - Les fleurs vont s'effaçant dans la pénombre grise... - -STRAFOREL, bas aux violons. - - Musique! - -Les musiciens jouent doucement jusqu'à la fin de l'acte. - -PERCINET. - - Je me sens trembler comme un roseau. - Qu'ai-je donc?... Elle va venir! - -STRAFOREL, aux musiciens. - - Amoroso!... - -PERCINET. - - Mon premier rendez-vous, le soir... Ah! je défaille!... - La brise fait le bruit d'une robe de faille... - On ne voit plus les fleurs... j'ai des larmes aux yeux... - On ne voit plus les fleurs... mais on les sent bien mieux! - Oh! ce grand arbre, avec une étoile à son faîte!... - Mais qui donc joue ainsi des airs?--La nuit s'est faite. - - Oui, la douce nuit s'est faite, et voici - Qu'en l'azur foncé du ciel obscurci, - S'allumant partout, par là, par ici, - Et l'une après l'une, - Tandis que l'étang est tout coassant, - Les étoiles vont en nombre croissant - Tout autour, autour du grêle croissant - De la pâle lune! - - Éclats de saphir et de diamant, - Étoiles, je fus longtemps votre amant, - Et je vous parlais, le soir, ardemment, - Perdu dans la nue!... - Mais ma poésie a changé de cours - Depuis que, tenant de naïfs discours, - Ses petits cheveux au front coupés courts, - Sylvette est venue! - - Chers astres du ciel, astres familiers, - Vous êtes bien beaux, là-haut, par milliers, - Mais, allez! serez bien humiliés - Quand, parmi ses voiles, - Elle apparaîtra dans le bleu jardin, - Et, voyant ses yeux, vous serez soudain - Pour vos propres feux prises de dédain, - Mes pauvres étoiles! - -Une cloche sonne au loin. - - -SCÈNE X - -LES MÊMES, SYLVETTE, puis BERGAMIN, PASQUINOT. - -SYLVETTE, paraît au tintement de la cloche. - - Le Salut sonne. Il doit m'attendre. - -Coup de sifflet, Straforel surgit devant elle, les torches apparaissent. - - Ah! - -Les spadassins l'enlèvent et la mettent vivement dans la chaise à -porteurs. - - Au secours! - -PERCINET. - - Juste ciel! - -SYLVETTE. - - Percinet, on m'enlève! - -PERCINET. - - J'accours! - -Il enjambe le mur, tire l'épée, et ferraille avec plusieurs spadassins. - - Tiens,--tiens,--tiens! - -STRAFOREL, aux musiciens. - - Trémolo! - -Les violons élèvent un trémolo dramatique. Les spadassins se sauvent. -Straforel, d'une voix de théâtre: - - Per Baccho! C'est le diable - Que cet enfant! - -Duel entre Straforel et Percinet. Straforel porte tout à coup la main à -sa poitrine. - - Le coup... est irrémédiable! - -Il tombe. - -PERCINET, courant à Sylvette. - - Sylvette! - -Tableau. Elle est dans la chaise à porteurs ouverte, lui à genoux. - -SYLVETTE. - - Mon sauveur! - -PASQUINOT, surgissant. - - Le fils de Bergamin!... - Ton sauveur!... ton sauveur?... Je lui donne ta main! - -SYLVETTE et PERCINET. - - Ciel! - -Bergamin est entré de son côté, suivi de valets avec des flambeaux. - -PASQUINOT, à Bergamin qui paraît sur la crête du mur. - - Bergamin, ton fils est un héros!... Pardonne! - Et faisons leur bonheur! - -BERGAMIN, solennel. - - Ma haine m'abandonne! - -PERCINET. - - Sylvette, nous rêvons, Sylvette, parlons bas, - Que le bruit de nos voix ne nous réveille pas!... - -BERGAMIN. - - Les haines finiront toujours en hyménées. - La paix est faite. - -Montrant le mur. - - Il n'y a plus de Pyrénées! - -PERCINET. - - Qui l'aurait cru qu'ainsi mon père changerait? - -SYLVETTE, simplement. - - Quand je vous le disais que tout s'arrangerait! - -Tandis qu'ils remontent avec Pasquinot, Straforel se soulève et tend un -papier à Bergamin. - -BERGAMIN, bas. - - Hein! Quoi donc? ce papier, et votre signature... - Qu'est cela, s'il vous plaît? - -STRAFOREL, saluant. - - Monsieur, c'est ma facture! - -Il retombe. - -RIDEAU - - - - -ACTE DEUXIÈME - - -_Même décor: le mur a disparu. Les bancs qui lui étaient adossés ont été -repoussés à droite et à gauche. Menus changements, massifs de fleurs, -kiosques de treillages, faux marbres prétentieux, serre. A droite, table -de jardin, chaises._ - -_Au lever du rideau, Pasquinot, assis sur le banc de gauche, lit sa -gazette. Blaise, au fond, ratisse._ - - -SCÈNE PREMIÈRE - -PASQUINOT, BLAISE, puis BERGAMIN. - -BLAISE, ratissant. - - Donc, Monsieur Pasquinot, ce soir vient le notaire?... - Hé! voici bien un mois que ce mur est par terre - Et que vous vivez tous ensemble. Il était temps; - Nos petits amoureux doivent être contents! - -PASQUINOT, levant la tête et regardant autour de lui. - - Ça fait bien sans ce mur, hein, Blaise? - -BLAISE. - - C'est superbe! - -PASQUINOT. - - Oui, mon parc à gagné. Cent pour cent. - -Il se penche et tâte une touffe de gazon. - - Mais cette herbe - Est mouillée!... On a donc arrosé ce matin?... - -Furieux. - - Il ne faut arroser que le soir, vieux crétin! - -BLAISE, placidement. - - C'est Monsieur Bergamin qui m'en a donné l'ordre. - -PASQUINOT. - - Ah?... Ce bon Bergamin!... Il ne veut pas démordre - De son idée!... Il croit qu'arroser sans repos - Vaut mieux qu'arroser peu, mais bien, mais à propos! - Enfin!... - -A Blaise. - - Vous sortirez les plantes de la serre. - -Blaise aligne au fond des plantes qu'il va chercher dans la serre. -Pasquinot lit. Bergamin paraît au fond. - -BERGAMIN, arrosant les arbustes avec un énorme arrosoir. - - Ouf!... On leur donne d'eau juste le nécessaire! - Ce qui leur fait du bien, c'est ce superflu-là! - -A un arbre. - - Hein, mon vieux, tu mourais de soif?... Tiens, en voilà, - De l'eau... tiens, en voilà! Moi, j'aime ça, les arbres. - -Posant son arrosoir, et regardant autour de lui avec satisfaction. - - Oui, mon parc a gagné... Très jolis, ces faux marbres - Très, très... - -Apercevant Pasquinot. - - Bonjour. - -Pas de réponse. - - Bonjour!! - -Pas de réponse. - - Bonjour!!! - -Pasquinot lève la tête. - - Eh bien, j'attends? - -PASQUINOT. - - Oh! mon ami, mais nous nous voyons tout le temps! - -BERGAMIN. - - Ah?--bien!... - -Voyant les plantes que range Blaise. - - Veux-tu rentrer ces plantes! - -Blaise, ahuri, les rentre précipitamment. Pasquinot lève les yeux au -ciel, hausse les épaules, et lit. Bergamin va et vient, l'air désoeuvré, -finit par s'asseoir à côté de Pasquinot. Silence. Puis, tout à coup, -avec mélancolie: - - A cette heure, - Chaque jour je sortais, furtif, de ma demeure... - -PASQUINOT, rêveur, baissant sa gazette. - - Je filais de chez moi, subreptice et léger... - C'était très amusant! - -BERGAMIN. - - Le secret! - -PASQUINOT. - - Le danger! - -BERGAMIN. - - Il fallait dépister Percinet ou Sylvette - Chaque fois qu'on venait tailler une bavette! - -PASQUINOT. - - On risquait, chaque fois qu'on grimpait sur le mur, - La casse d'une côte, ou le bris d'un fémur. - -BERGAMIN. - - Nos conversations monoquotidiennes - Ne se pouvaient qu'au prix de ruses indiennes! - -PASQUINOT. - - Il fallait se glisser sous les buissons épais... - C'était très amusant! - -BERGAMIN. - - Quelquefois, je rampais... - Et, le soir, aux genoux, ma culotte était verte! - -PASQUINOT. - - L'un de l'autre il fallait, sans fin, jurer la perte... - -BERGAMIN. - - Et dire un mal affreux... - -PASQUINOT. - - C'était très amusant! - -Bâillant. - - Bergamin? - -BERGAMIN, de même. - - Pasquinot? - -PASQUINOT. - - Ça nous manque, à présent. - -BERGAMIN. - - Non, voyons!... - -Après réflexion. - - Si, pourtant. Oh! c'est très drôle!--Est-ce que - Ce serait la revanche, ici, du Romanesque?... - -Silence. Il regarde Pasquinot qui lit. - - Son gilet est toujours veuf de quelque bouton! - C'est crispant!... - -Il se lève, s'éloigne, va et vient. - -PASQUINOT, le regardant, par-dessus sa gazette, à part. - - Il a l'air d'un vaste hanneton - Qui virevolte, avec ses basques pour élytres. - -Il feint de lire quand Bergamin repasse devant lui. - -BERGAMIN, le regardant, à part. - - Il louche, quand il lit, ainsi que font les pitres - Après leur papillon. - -Il remonte en sifflotant. - -PASQUINOT, à part, nerveux. - - Il siffle!... c'est un tic! - -Haut. - - Ne sifflote donc pas toujours, comme un aspic. - -BERGAMIN, souriant. - - Nous distinguons le brin d'éteule aux yeux des autres - Et nous ne sentons pas la solive en les nôtres! - Vous avez bien vos tics... - -PASQUINOT. - - Moi? - -BERGAMIN. - - Vous vous dandinez, - Vous reniflez sans fin, Roi des Enchifrenés, - Le nez toujours noirci d'un vain sternutatoire, - Vous contez six-vingts fois par jour la même histoire. - -PASQUINOT, qui, assis, jambes croisées, balance son pied. - - Mais... - -BERGAMIN. - - Vous ne pouvez pas un instant vous asseoir - Sans balancer le pied comme un gros encensoir; - A table, vous roulez votre mie en boulettes... - Maniaque, mon cher, ah! non, ce que vous l'êtes! - -PASQUINOT. - - Oui, comme maintenant on s'ennuie à moisir, - De m'inventorier vous avez le loisir; - Vous dénombrez mes tics, vous en dressez la liste, - Mais la vie en commun, cette grande oculiste, - Me désaveugle aussi! Je vous vois ladre, faux, - Égoïste, et chacun de vos menus défauts - Grossit,--comme la mouche amusante et gentille - Devient un monstre affreux, Monsieur, sous la lentille. - -BERGAMIN. - - Ce dont je me doutais, maintenant j'en suis sûr! - -PASQUINOT. - - Quoi? - -BERGAMIN. - - Le mur te flattait. - -PASQUINOT. - - Tu perds beaucoup sans mur. - -BERGAMIN. - - De te voir tous les jours tu calmas mon envie! - -PASQUINOT, éclatant. - - Depuis un mois, Monsieur, ce n'est plus une vie! - -BERGAMIN, très digne. - - C'est bien, Monsieur, c'est bien. Ce que nous avons fait, - Ce n'était pas pour nous, n'est-ce pas? - -PASQUINOT. - - En effet! - -BERGAMIN. - - C'était pour nos enfants!... - -PASQUINOT, convaincu. - - Pour nos enfants, oui, certe!... - Souffrons donc en silence, et supportons la perte - De notre liberté, sans soucis apparents. - -BERGAMIN. - - Car, se sacrifier, c'est le sort des parents! - -Sylvette et Percinet paraissent à gauche, au fond, entre les arbres, et -traversent lentement la scène, enlacés, avec des gestes d'exaltés. - -PASQUINOT. - - Chut! voici les Amants! - -BERGAMIN, les regardant. - - Voyez-moi cette pose!... - Semblent-ils pas marcher dans une apothéose? - -PASQUINOT. - - Depuis que l'aventure exauça tous leurs voeux, - Ils sentent des rayons mêlés à leurs cheveux! - -BERGAMIN. - - C'est l'heure où, copiant les attitudes lentes - Des Pèlerins d'Amour dans les Fêtes Galantes, - Ils viennent chaque jour, avec componction, - Sur le lieu du combat faire une station! - -Sylvette et Percinet, qui ont disparu à droite, y reparaissent, à un -plan plus rapproché, et descendent en scène. - - Voici nos pèlerins. - -PASQUINOT. - - S'ils brodent sur leur thème - Coutumier, cela vaut d'être écouté!... - -(Bergamin et Pasquinot se retirent derrière un massif.) - - -SCÈNE II - -SYLVETTE, PERCINET; BERGAMIN et PASQUINOT, cachés. - -PERCINET. - - Je t'aime!... - -SYLVETTE. - - Je vous aime... - -Ils s'arrêtent. - - A l'endroit illustre nous voici! - -PERCINET. - - Oui, c'est ici qu'eut lieu la chose. C'est ici - Que tomba lourdement la brute transpercée! - -SYLVETTE. - - Là, je fus Andromède! - -PERCINET. - - Et là, je fus Persée! - -SYLVETTE. - - Combien donc étaient-ils contre toi? - -PERCINET. - - Dix! - -SYLVETTE. - - Oh!... vingt!... - Vingt au moins, sans compter ce grand dernier qui vint, - Et dont tu corrigeas l'humeur récalcitrante. - -PERCINET. - - Oui, vous avez raison, ils étaient au moins trente. - -SYLVETTE. - - Ah! redis-moi comment, dague au poing, flamme aux yeux. - Tu les frappas dans l'ombre, ô mon Victorieux! - -PERCINET. - - Je ne sais si ce fut en sixte, ou bien en quarte... - Mais ils tombaient, pareils aux capucins de carte! - -SYLVETTE. - - Ami, si vos cheveux avaient été moins blonds, - J'aurais cru voir le Cid! - -PERCINET. - - Oui, nous nous ressemblons. - -SYLVETTE. - - Il manque à nos amours d'être mis en poème. - -PERCINET. - - Sylvette, ils le seront! - -SYLVETTE. - - Je vous aime. - -PERCINET. - - Je t'aime! - -SYLVETTE. - - C'est du rêve vécu!... Je m'étais tant juré - D'épouser le héros follement rencontré, - Et pas le bon petit fiancé des familles!... - -PERCINET. - - Ah? - -SYLVETTE. - - Non, non, pas celui qu'on offre aux jeunes filles, - Le doux Monsieur que cherche à marier sa soeur, - Ou quelque digne abbé, son vague confesseur. - -PERCINET. - - Tu n'aurais surtout pas épousé, que j'espère, - L'inévitable fils d'un ami de ton père! - -SYLVETTE, riant. - - Ah! non!... Remarques-tu que mon père et le tien - Sont depuis quelques jours d'une humeur?... - -PERCINET. - - Oui, de chien. - -BERGAMIN, derrière le massif. - - Hum! - -PERCINET. - - Et je sais pourquoi leur bonne humeur s'altère... - -BERGAMIN, derrière le massif. - - Ah? - -PERCINET. - - Mais oui! notre envol vexe leur terre-à-terre. - Je respecte beaucoup mon père,--et ton auteur; - Mais ce sont bons bourgeois pas très à la hauteur. - Notre éclat les relègue un peu dans les ténèbres. - -PASQUINOT, derrière le massif. - - Hein? - -SYLVETTE, de même. - - Les voilà passés pères d'amants célèbres! - -PERCINET, riant. - - Mon panache excessif leur devient importun. - -SYLVETTE. - - Ton père a devant toi la gêne obscure d'un... - Je ne sais si je peux dire? - -PERCINET. - - Tu peux, espiègle. - -SYLVETTE. - - D'un canard ayant fait la couvaison d'un aigle! - -BERGAMIN, derrière le massif. - - Ho! ho! - -SYLVETTE, riant plus fort. - - Pauvres parents, notre amour clandestin, - Comme il se joua d'eux!... - -PASQUINOT, derrière le massif. - - Hé! hé! - -PERCINET. - - Oui, le Destin - Joint toujours les Amants par d'imprévus méandres, - Et le hasard se fait le Scapin des Léandres! - -BERGAMIN, derrière le massif. - - Ha! ha! - -SYLVETTE. - - Et donc, ce soir, le contrat, nous allons - Le signer! - -PERCINET, remontant. - - Et je vais mander les violons! - -SYLVETTE. - - Allez vite! - -PERCINET. - - Je cours! - -SYLVETTE, le rappelant. - - Tenez, je suis gentille, - Et je vais vous mener, Monsieur, jusqu'à la grille - -Ils remontent enlacés, Sylvette minaudant. - - Nous égalons, je crois, les plus fameux Amants. - -PERCINET. - - Oui, nous serons parmi ces Immortels Charmants: - Roméo, Juliette,--Aude et Roland... - -SYLVETTE. - - Aminte - Et son pâtre! - -PERCINET. - - Pyrame et Thisbé! - -SYLVETTE. - - Mainte et mainte - Encore... - -Ils sont sortis. On entend leurs voix s'éloigner parmi les arbres. - -La voix de PERCINET. - - Francesca, tu sais, de Rimini, - Et Paolo... - -La voix de SYLVETTE. - - Pétrarque et Laure... - -BERGAMIN, sortant du massif. - - As-tu fini? - - -SCÈNE III - -PASQUINOT, BERGAMIN. - -PASQUINOT, gouailleur. - - Le succès de ton plan, Monsieur l'homme sagace, - Répond à ton espoir, et même il le dépasse! - Résultat qui sans doute était prévu par vous, - Cher maître: nos enfants sont complètement fous! - -BERGAMIN. - - Il est clair que ta fille est assez énervante - Avec son fameux rapt, que sans cesse elle vante! - -PASQUINOT. - - Et ton fils, qui se croit un héros, prend des airs - Qui ne me portent pas moindrement sur les nerfs! - -BERGAMIN. - - Mais le plus irritant, c'est qu'ils nous représentent - Comme deux bons bourgeois dupés, qu'ils nous plaisantent - Sur notre aveuglement voulu, sur ce que nous - Ne surprîmes jamais un de leur rendez-vous! - C'est bête, si tu veux, mais enfin ça m'agace. - -PASQUINOT. - - Avais-tu prévu ça, Monsieur l'homme sagace? - Grâce à toi, ton moutard tient d'insanes propos, - Et se croit le premier des moutardiers papaux. - -BERGAMIN. - - Moutardier dont au nez me monte la moutarde! - -PASQUINOT. - - Je vais tout leur conter, sans plus tarder. - -BERGAMIN. - - Non, tarde! - Il ne faut pas aller leur dire tout de go; - On parlera sitôt après le conjungo; - Jusqu'aux derniers accords des nuptiales harpes, - Sachons leur opposer un mutisme de carpes. - -PASQUINOT. - - Soit, mais nous voilà pris nous-mêmes dans nos rêts, - Grâce à ton fameux plan. - -BERGAMIN. - - Mon cher, tu l'admirais! - -PASQUINOT. - - Ah! il était joli, ton plan! - -BERGAMIN, à part. - - Il m'exaspère! - - -SCÈNE IV - -LES MÊMES, SYLVETTE. - -Elle entre gaiement, une branche fleurie à la main, dont elle fait à la -cantonade des signes à Percinet qu'elle vient de quitter, puis elle -descend entre les deux pères. - -SYLVETTE. - - Bonjour, mon cher papa. Bonjour, futur beau-père! - -BERGAMIN. - - Bonjour, future bru! - -SYLVETTE, l'imitant. - - Bonjour, future bru! - Oh! comme vous avez ce matin l'air bourru! - -BERGAMIN. - - C'est Pasquinot qui me... qui me... - -SYLVETTE, lui agitant sa branche sous le nez. - - Chut! chut! du calme! - Je viens comme la paix,--et j'agite une palme! - Vous vous boudez encore un peu? C'est bien permis: - Pouvez-vous vous aimer comme deux vieux amis? - -PASQUINOT, à part. - - Ironie!... - -BERGAMIN, haut, gouailleur. - - Oui, c'est vrai; notre haine fut telle - Qu'on ne peut... - -SYLVETTE. - - Songez donc: une haine mortelle! - Oh! quand je me souviens de ce que vous disiez - De papa, bien souvent, là, parmi vos rosiers, - Sans vous douter que moi j'entendais tout, assise - Derrière le bon mur... - -BERGAMIN, à part. - - Elle est d'une bêtise! - -SYLVETTE, à Pasquinot. - - Car je venais ici chaque jour, vous savez, - Retrouver Percinet!--Dire que vous n'avez - Jamais eu de soupçons! - -PASQUINOT, ironique. - - Oh! pour ça, que je meure, - Si... - -SYLVETTE. - - Nous venions pourtant toujours à la même heure. - -A Bergamin. - - Ha! ha! J'entends encor Percinet vous crier, - Le jour même du rapt: «Je veux me marier - De la façon la plus romanesquement folle!» - Eh! dame, dites donc, il a tenu parole! - -BERGAMIN, vexé. - - Vraiment?... Et vous croyez que si j'avais voulu?... - -SYLVETTE. - - Ta! ta! ta! Je le sais, pour l'avoir cent fois lu: - Les rêves des Amants toujours se réalisent, - Et les pères, toujours, tôt ou tard, s'humanisent, - Contraints par quelque étrange et fol événement - Qui force, à point nommé, leur attendrissement. - -PASQUINOT. - - Qui force, à point nommé?... Non, non, laissez-moi rire! - -SYLVETTE. - - Mais, nous l'avons prouvé!... - -BERGAMIN. - - Si je voulais vous dire... - -SYLVETTE. - - Quoi? - -BERGAMIN. - - Rien! - -SYLVETTE, à Bergamin. - - Alors, pourquoi prenez-vous cet air fin? - -BERGAMIN. - - Mais, parce que... - -A part. - - Ho!... c'est agaçant, à la fin! - -PASQUINOT. - - Quand on pourrait d'un mot... - -Remontant. - - Mais gardons le mystère! - -SYLVETTE. - - Quand on n'a rien à dire, il le faut bien, se taire! - -PASQUINOT, éclatant. - - Rien à dire! La folle! Alors, vous croyez ça, - Que tout se passe ainsi que cela se passa? - Qu'on envahit les parcs malgré les bonnes grilles?... - -BERGAMIN. - - Vous croyez qu'on enlève encor les jeunes filles? - -SYLVETTE. - - Si je crois? Que dit-il? - -BERGAMIN, se montant. - - Moi, je dis qu'en voilà - Assez! Qu'il était temps que tout se dévoilât!... - Oui, depuis que le monde est monde entre les mondes, - Le succès fut toujours pour les perruques blondes; - Bartholo, dont la haine en secret s'aviva, - Dut toujours s'incliner devant Almaviva; - Mais l'heure du triomphe et des justes revanches - Vient enfin de sonner pour les perruques blanches! - -SYLVETTE. - - Mais... - -PASQUINOT. - - Jadis, nous étions, nous autres, les papas, - Cassandre, Orgon, Géronte, Argante, n'est-ce pas? - Vous en êtes restée à ces vieilles badernes?... - Mais on n'en trouve plus chez les pères modernes! - Les dupés d'autrefois sont dupeurs à leur tour. - L'ordre donné par nous de vous aimer d'amour, - Ni vous ni Percinet n'eussiez voulu l'entendre? - Ce fut donc bien joué que de vous le défendre! - -SYLVETTE. - - Mais alors, vous saviez peut-être... - -PASQUINOT. - - Sûrement! - -SYLVETTE. - - Nos duos? - -BERGAMIN. - - J'écoutais leur doux susurrement! - -SYLVETTE. - - Les bancs où nous grimpions?... - -PASQUINOT. - - Tout exprès nous les mîmes. - -SYLVETTE. - - Le duel? - -BERGAMIN. - - Simple jeu! - -SYLVETTE. - - Les spadassins? - -PASQUINOT. - - Des mimes! - -SYLVETTE. - - Mon rapt?--Oh! ça, c'est faux!... - -BERGAMIN, fouillant dans sa poche. - - C'est faux? Quand justement - J'ai la facture, là, de votre enlèvement! - -SYLVETTE, la lui arrachant. - - Ah! donnez!... - -Elle lit. - - «_Straforel, maison de confiance, - Un faux rapt, mis en scène, afin que l'on fiance!..._» - Ah!--«_Huit sombres manteaux à cinq francs le manteau; - Huit masques..._» - -BERGAMIN, à Pasquinot. - - Nous avons, je crois, parlé trop tôt! - -SYLVETTE, lisant. - - «_Une chaise à porteurs, soignée, à coussins roses, - Création nouvelle..._» - -Haut, ironiquement. - - On a bien fait les choses! - -Elle jette la facture en riant sur la table. - -PASQUINOT, surpris. - - Elle n'est pas fâchée? - -SYLVETTE, avec bonne grâce. - - Ah! le tour est charmant! - Mais c'est beaucoup d'esprit bien inutilement; - Cher Monsieur Bergamin, croyez-vous que si j'aime - Mon Percinet, c'est grâce à votre stratagème? - -PASQUINOT. - - Elle le prend très bien. - -BERGAMIN, à Sylvette. - - Vous le prenez très bien! - -PASQUINOT. - - Mais alors... on peut dire à Percinet?... - -SYLVETTE, vivement. - - Oh! rien! - Non, ne lui dites rien!... Les hommes, c'est si bête! - -BERGAMIN. - - Quel bon sens! voyez-vous cette petite tête!... - Et moi qui la croyais... - -Tirant sa montre. - - Mais le contrat, pardon, - Allons nous préparer... - -Tendant la main à Sylvette. - - Bons amis?... - -SYLVETTE. - - Comment donc! - -BERGAMIN, se retournant encore avant de sortir. - - Vous ne m'en voulez pas du tout? - -SYLVETTE, tout miel. - - Je vous l'atteste. - -Pasquinot et Bergamin sortent.--Avec une rage froide: - - Ce Monsieur Bergamin, comme je le déteste!... - - -SCÈNE V - -SYLVETTE, PERCINET. - -PERCINET, entrant épanoui. - - Ah! vous êtes encore ici?... Je comprends ça. - Vous ne pouvez quitter l'endroit où se passa - Toute cette aventure inouïe!... - -SYLVETTE, assise sur le banc, à gauche. - - Inouïe, - En effet! - -PERCINET. - - C'est de là que, presque évanouie, - Vous me vîtes combattre, ainsi qu'un Amadis, - Ces trente spadassins... - -SYLVETTE. - - Mais non, ils étaient dix. - -PERCINET, se rapprochant. - - Chère, mais qu'avez-vous? Mais quoi donc vous attriste? - Ces yeux, où du saphir fond dans de l'améthyste, - Ils semblent obscurcis par quelque ennui, ces yeux? - -SYLVETTE, à part. - - Son langage est parfois un peu prétentieux. - -PERCINET. - - Ah! tenez, je comprends tout ce qu'en vous suscite - De regrets attendris, cet adorable site!... - Vous pleurez le vieux mur aux feuillages grimpeurs, - Témoin de nos espoirs, jadis, et de nos peurs; - Mais il n'est pas détruit, la gloire le couronne... - Est-ce qu'il est détruit, le balcon de Vérone?... - -SYLVETTE, impatientée. - - Ah! - -PERCINET. - - Ne laisse-t-il pas, dans un vent toujours frais, - Ce balcon toujours blanc, trembler sans fin, auprès - D'un grenadier jamais défleuri, son échelle - Inusable, que dore une aurore immortelle? - -SYLVETTE. - - Oh! - -PERCINET, de plus en plus lyrique. - - L'éternel duo fait l'éternel décor! - C'est pourquoi, démoli, le mur se dresse encor, - Sur lequel a poussé, folle pariétaire, - Notre amour merveilleuse... - -SYLVETTE, à part. - - Il ne va pas se taire! - -PERCINET, avec un sourire plein de promesses. - - Mais le voeu fut par vous tout à l'heure exprimé - De voir sur notre histoire un poème rimé... - Donc, ce poème... - -SYLVETTE, inquiète. - - Eh bien? - -PERCINET. - - Moi-même je le rime. - -SYLVETTE. - - Tu sais faire des vers? - -PERCINET. - - Pouh!... Savais-je l'escrime? - Écoute mon début, que j'ai fait en marchant, - «_Les Pères Ennemis._» Poème. - -SYLVETTE. - - Oh!... - -PERCINET, se campant pour déclamer. - - Premier chant! - -SYLVETTE. - - Oh!... - -PERCINET. - - Qu'as-tu? - -SYLVETTE. - - Le bonheur... les nerfs... une faiblesse. - -Fondant en pleurs. - - Laissez-moi me remettre, un instant. - -Elle lui tourne le dos, assise sur le banc, et se cache le visage dans -son mouchoir. - -PERCINET, un moment stupéfait. - - Je vous laisse. - -Puis, à part, avec un sourire avantageux. - - Un jour comme aujourd'hui, ce trouble est naturel! - -Il passe à droite, aperçoit sur la table le papier de la facture, et -tirant vivement un crayon de sa poche, s'assied en disant: - - Notons toujours mes vers. - -Il prend le papier, s'apprête à écrire--mais s'arrête, le crayon levé, -et lit: - - «_Avoir, moi, Straforel, - Feint de choir, transpercé d'une lame ignorante,-- - Habit froissé: dix francs; amour-propre: quarante._» - -Souriant. - - Qu'est cela? - -Il continue tout bas. Le sourire s'efface. L'oeil s'exorbite. - -SYLVETTE, toujours sur le banc, s'essuyant les yeux. - - S'il savait, qu'il tomberait de haut! - J'ai failli me trahir. Prenons garde! - -PERCINET, se levant. - - Ho!--ho!--ho! - -SYLVETTE, se retournant vers lui. - - Que dites-vous? - -PERCINET, escamotant la facture. - - Moi? rien, rien! - -SYLVETTE, à part. - - Son erreur me navre. - -PERCINET, à part. - - C'est pour ça qu'on n'a pas retrouvé le cadavre! - -SYLVETTE, à part, se levant. - - Il a l'air de bouder. Rapprochons-nous de lui. - -Elle tourne un moment, puis voyant qu'il ne bouge pas,--coquettement: - - Vous ne m'avez rien dit de ma robe aujourd'hui? - -PERCINET, négligemment. - - Le bleu ne vous va pas. Je vous préfère en rose. - -SYLVETTE, à part, saisie. - - Le bleu ne me va pas... Saurait-il quelque chose? - -Regardant la table. - - Mais la facture, au fait, j'ai dû la mettre là! - -PERCINET, la voyant qui cherche. - - Qu'avez-vous à tourner, voyons, comme cela? - -SYLVETTE. - - Rien... - -A part. - - Un papier, le vent quelquefois le dérobe. - -Haut, faisant bouffer sa jupe. - - Rien... je tournais pour voir comment me va ma robe!... - -A part. - - Je saurai bien s'il l'a trouvée. - -Haut. - - Hum!... Tu voulais - Dire tantôt des vers sur nos amours? - -Mouvement de Percinet. Elle lui prend le bras, et, bien gentiment: - - Dis-les. - -PERCINET. - - Ah! non! - -SYLVETTE. - - Dis-les, ces vers... - -PERCINET. - - Non! - -SYLVETTE, ironique. - - Sur notre aventure! - -PERCINET. - - Ils sont mauvais, tu sais... Je n'ai pas... - -SYLVETTE. - - La facture? - -PERCINET. - - Non, je n'ai pas la fact... - -Sursautant et la regardant. - - Pardon, mais... - -SYLVETTE. - - Mais, pardon... - -PERCINET. - - Ah! mais elle sait donc?... - -SYLVETTE, de même. - - Il sait donc? - -TOUS LES DEUX, ensemble. - - Tu sais donc? - -Un temps, puis ils éclatent de rire. - - Ha! ha! ha!... - -PERCINET. - - N'est-ce pas que c'est drôle? - -SYLVETTE. - - Très drôle! - -PERCINET. - - Non, vraiment, on nous fit jouer un rôle. - -SYLVETTE. - - Un rôle! - -PERCINET. - - Nos pères étaient donc bons amis? - -SYLVETTE. - - Bons voisins. - -PERCINET. - - Ma parole, ils devraient être même cousins. - -SYLVETTE, faisant la révérence. - - J'épouse mon cousin! - -PERCINET. - - J'épouse ma cousine! - -SYLVETTE. - - C'est gentil!... - -PERCINET. - - C'est classique! - -SYLVETTE. - - Ah! certe, on imagine - Des mariages plus... Mais c'est si bon de voir - Que l'on conciliait l'amour--et le devoir! - -PERCINET. - - Et l'intérêt! Car ces deux parcs, leurs dépendances... - -SYLVETTE. - - Excellent mariage, enfin, de convenances. - Elle est loin, notre pauvre idylle sur le mur! - -PERCINET. - - Il ne faut plus parler d'idylle, c'est bien sûr! - -SYLVETTE. - - Je rentre dans le rang banal des jeunes filles. - -PERCINET. - - Je suis le bon petit fiancé des familles... - Et c'est en Roméo, Sylvette, que je plus! - -SYLVETTE. - - Ah! Roméo, c'est clair que vous ne l'êtes plus! - -PERCINET. - - Est-ce que vous croyez être encor Juliette? - -SYLVETTE. - - Vous devenez amer. - -PERCINET. - - Dame! et vous... aigrelette. - -SYLVETTE. - - Si vous avez été ridicule, eh! mon Dieu! - Est-ce ma faute à moi? - -PERCINET. - - Si je le fus un peu, - Je ne le fus pas seul!... - -SYLVETTE. - - Eh bien, soit! nous le fûmes! - Ah! mon pauvre Oiseau Bleu, bien déteintes, vos plumes! - -PERCINET, ricanant. - - Ha!... un simili-rapt! - -SYLVETTE. - - De pseudo-coups d'estoc!... - -PERCINET. - - Fi! la fausse enlevée! - -SYLVETTE. - - Hou! le sauveur en toc! - Ah! notre poésie était une risée! - C'est ainsi qu'en crevant, belle bulle irisée, - Tu n'es plus, disparue à nos yeux étonnés, - Qu'un peu d'eau de savon qui nous pleut sur le nez! - -PERCINET. - - Donc, Amant dont je fus le plus vil des émules, - Amante dont, indigne, elle chaussa les mules, - O pâle et noble couple, ô couple shakspearien, - Nous n'avions avec vous de commun rien, rien... - -SYLVETTE. - - Rien! - -PERCINET. - - Donc, au lieu de jouer le cher et divin drame, - Nous en avons joué la parodie infâme! - -SYLVETTE. - - Donc, c'était un serin que notre rossignol! - -PERCINET. - - Donc, il était, le mur immortel, un Guignol! - Et quand nous y venions, chaque jour, apparaître, - Chaque jour, à mi-corps, nous étions, au lieu d'être - Deux parangons d'amour aux types éternels, - Deux pantins qu'animaient les gros doigts paternels! - -SYLVETTE. - - C'est vrai! Mais nous serions grotesques davantage - Si nous nous aimions moins! - -PERCINET. - - Aimons-nous avec rage! - Nous sommes obligés de nous aimer, d'abord! - -SYLVETTE. - - Mais, nous nous adorons!... - -PERCINET. - - Le mot n'est pas trop fort! - -SYLVETTE. - - L'amour peut consoler très bien d'un tel désastre!... - N'est-ce pas, mon trésor? - -PERCINET. - - Certainement, mon astre! - -SYLVETTE. - - Bonjour donc, ma chère âme! - -PERCINET. - - Et bonsoir, ma beauté! - -SYLVETTE. - - Je vais rêver à vous, mon coeur,--de mon côté! - -PERCINET. - - Et moi du mien. Bonjour! - -SYLVETTE. - - Bonsoir! - -Elle sort. - -PERCINET. - - Ah! par exemple!... - Ah! l'on me traite ainsi!... Mais quel est, dans cet ample - Manteau, qui laisse voir cet étrange pourpoint, - Ce Monsieur moustachu que je ne connais point?... - -Straforel, qui est entré sur ces vers, descend majestueusement en scène. - - -SCÈNE VI - -PERCINET, STRAFOREL. - -PERCINET. - - Qu'est-ce? - -STRAFOREL, souriant. - - C'est pour toucher une petite somme. - -PERCINET. - - Un fournisseur? - -STRAFOREL. - - Tout juste! Allez donc, bon jeune homme, - Dire à votre papa que j'attends. - -PERCINET. - - Votre nom? - -STRAFOREL. - - Mon nom est Straforel. - -PERCINET, bondissant. - - Lui, maintenant? Ah! non! - Ah! non! ceci devient par trop intolérable! - -STRAFOREL, souriant. - - Tiens, tiens! vous savez donc, jeune homme? - -PERCINET, lui jetant la facture qu'il tire chiffonnée de sa poche. - - Misérable! - C'était toi! - -STRAFOREL. - - Mon Dieu! oui, c'était moi: per Baccho! - -PERCINET. - - Oh! rencontrer cet homme! Oh! je fuirais jusqu'au - Bout du monde... - -STRAFOREL, satisfait. - - Et je suis tellement gras et rose - Que la citation, il me semble, s'impose: - Les gens que vous tuez se portent... - -PERCINET, se ruant sur lui l'épée à la main. - - Tu vas voir! - -STRAFOREL, parant avec son bras, tranquille comme un maître d'armes qui -donne la leçon. - - La main haute!... le pied en dehors! n'en savoir - Pas plus long à votre âge, eh! Monsieur, c'est un crime! - -D'un tour de main il lui enlève son épée,--et la lui rendant, dans un -salut: - - Quoi! vous cessez déjà votre leçon d'escrime? - -PERCINET, exaspéré, la reprenant. - - Ah! je pars!... On me traite en enfant: bien! j'aurai - Ma revanche! J'aurai du roman, et du vrai! - Je vais, par des amours et des duels sans nombre, - Scandaliser, ô Don Juan, jusqu'à ton ombre! - Et je vais enlever des filles d'opéra! - -Il sort en courant, l'épée brandie. - -STRAFOREL. - - Très bien!... Mais, maintenant, est-ce qu'on me paiera? - - -SCÈNE VII - -STRAFOREL, BERGAMIN, PASQUINOT - -STRAFOREL, regardant dans la coulisse. - - Hé! là-bas! arrêtez!... En voici bien d'une autre! - -Entrent Bergamin et Pasquinot, décoiffés, déchirés, comme après une -lutte. - -PASQUINOT, se rajustant et rendant à Bergamin sa perruque. - - Voici votre perruque! - -BERGAMIN. - - Ouf! Et voici la vôtre! - -PASQUINOT. - - Vous comprenez qu'après de pareils procédés!... - Voici votre jabot... - -BERGAMIN, d'une voix sifflante. - - Et vous me concédez - Que revivre avec vous serait un sacrifice - Trop grand pour qu'au bonheur de mon fils je le fisse! - -PASQUINOT, voyant entrer Sylvette. - - Ma fille!... Cachons-lui d'abord ce qu'il en est!... - - -SCÈNE VIII - -LES MÊMES, SYLVETTE, puis BLAISE, LE NOTAIRE, LES TÉMOINS, VIOLONS et -INVITÉS. - -SYLVETTE, se jetant au cou de son père. - - Papa, je ne veux plus épouser Percinet!... - -Entrent le notaire pour le contrat, et des bourgeois endimanchés, -témoins. - -BERGAMIN. - - Les témoins!... le notaire!... Au diable! - -LES TÉMOINS, ahuris. - - Hein? - -LE NOTAIRE, avec dignité. - - Ces paroles!... - -STRAFOREL, au milieu du tumulte, ayant ramassé la facture jetée par -Percinet. - - Ma facture!... payez!... quatre-vingt-dix pistoles!... - -Entrent des invités et trois violons jouant un menuet. - -BERGAMIN, hors de lui, les bousculant. - - Les violons!... Au diable! - -Les violons continuent automatiquement leur menuet. - -STRAFOREL, impatienté, à Bergamin. - - Eh bien!... Je tends la main? - -BERGAMIN. - - Parlez à Pasquinot! - -PASQUINOT. - - Parlez à Bergamin! - -STRAFOREL, soulignant les mots de la facture. - - «_Un faux rapt mis en scène afin que l'on fiance..._» - -BERGAMIN. - - Ils sont défiancés! Donc, cela me dispense - De payer. - -STRAFOREL, à Pasquinot. - - Mais, Monsieur... - -PASQUINOT. - - Que je vous donne un sol - Maintenant que tout est rompu?--Vous êtes fol! - -BERGAMIN, à qui Blaise est venu parler bas. - - Mon fils!... parti!... - -SYLVETTE, saisie. - - Parti?... - -STRAFOREL, qui remontait, s'arrête et la regarde. - - Tiens! tiens! - -BERGAMIN. - - Courez! en chasse! - -Il sort en courant, suivi du notaire et des invités. - -SYLVETTE, très émue. - - Parti! - -STRAFOREL, redescendant en l'observant toujours. - - S'il se pouvait que je rabibochasse - Ensemble ces mignons... eh! peut-être... - -SYLVETTE, tout d'un coup furieuse. - - Parti? - Ah! ça c'est un peu fort! - -Elle sort, suivie de Pasquinot. - -STRAFOREL, triomphant. - - Straforel, mon petit, - Pour te faire payer tes nonante pistoles, - Ce mariage, il faut que tu le rafistoles! - -Il sort. Les trois violons restés seuls au milieu de la scène jouent -toujours leur menuet. - -RIDEAU - - - - -ACTE TROISIÈME - - -_Même décor. On a apporté des matériaux pour la reconstruction du mur, -qui est commencée au fond. Sacs de plâtre. Brouette. Auges et truelles._ - -_Quand le rideau se lève, un maçon travaille, accroupi, le dos tourné au -public. Bergamin et Pasquinot, chacun de son côté, inspectent les -travaux._ - - -SCÈNE PREMIÈRE - -BERGAMIN, PASQUINOT, UN MAÇON. - -LE MAÇON chante en travaillant. - - Tra laï deluriau... - -BERGAMIN. - - Ces ouvriers sont longs!... - -LE MAÇON. - - Deluriau, de lurot... - -PASQUINOT, suivant ses mouvements avec satisfaction. - - C'est cela! des moellons!... - -BERGAMIN, même jeu. - - Pouf! un tas de mortier! - -PASQUINOT. - - Paf! un coup de truelle! - -LE MAÇON, faisant des roulades. - - Deluriau delurie--ue--ue--ue--ue--ue--uel--le. - -PASQUINOT, redescendant. - - Belle voix! mais travail bien lent!... - -BERGAMIN, redescendant aussi, avec un bonheur agressif. - - Ha! ha! voici - Un pan de commencé! Bon! - -PASQUINOT, frappant du pied l'endroit non encore construit. - - Demain même, ici, - Le mur va de deux pieds sortir de terre!--O joie! - -BERGAMIN, lyrique. - - O cher mur, que bientôt, debout, je te revoie! - -PASQUINOT. - - Que dites-vous, Monsieur? - -BERGAMIN. - - Je ne vous parle pas. - -Un temps. - - Que faites-vous le soir après votre repas? - -PASQUINOT. - - Rien... Et vous? - -BERGAMIN. - - Rien non plus. - -Un temps.--Ils se saluent, et se promènent. - -PASQUINOT, s'arrêtant. - - Alors, pas de nouvelles - De votre fils? - -BERGAMIN. - - Mais non. Il court toujours. - -PASQUINOT, poli. - - Les belles - Le désargenteront promptement,--et, bien sûr, - Il reviendra. - -BERGAMIN. - - Merci. - -Ils se saluent, et se promènent. Un temps. - -PASQUINOT, s'arrêtant. - - Maintenant que le mur - Se relève, Monsieur, je veux bien vous permettre - De venir quelquefois,--en voisin. - -BERGAMIN. - - Bien. Peut-être - Vous ferai-je l'honneur... - -Ils se saluent. - -PASQUINOT, brusquement. - - Eh bien! mais, dites donc, - Venez faire un piquet? - -BERGAMIN, suffoqué. - - Ah!... oh!... hé!... mais, pardon, - Je ne sais si je peux... - -PASQUINOT. - - Puisque je vous invite... - -BERGAMIN. - - Mon Dieu!... J'aimerais mieux un bésigue. - -PASQUINOT. - - Allons vite! - -BERGAMIN, sortant derrière lui. - - Vous me deviez dix sous de la dernière fois. - -Se retournant. - - Travaillez bien, maçon! - -LE MAÇON, de toutes ses forces. - - Tralaï!... - -PASQUINOT. - - Belle voix! - -Ils sortent. - - -SCÈNE II - -STRAFOREL, puis SYLVETTE. - -Dès qu'ils sont sortis, le maçon se retourne, ôte son chapeau: c'est -Straforel. - -STRAFOREL. - - Oui, maçon, je le suis,--puisque, sous ce grimage, - Je m'introduis céans pour faire un replâtrage! - -S'asseyant sur le mur commencé. - - Le jeune homme est toujours au pourchas du roman; - Mais on peut deviner, sans être nécroman, - Qu'il reviendra bredouille et n'en menant plus large; - Donc, tandis que la Vie elle-même se charge, - Lui donnant de réel un salutaire bain, - De décoquebiner un peu ce coquebin - Et de le renvoyer ici tirant de l'aile, - Moi, par une action savante et parallèle, - Je travaille à guérir des goûts aventureux - Sylvette.--Straforel, homme aux talents nombreux, - Vous jouâtes souvent les marquis et les princes, - Du temps où vous étiez sifflé dans les provinces! - Ceci va nous servir. - -Il tire de sa souquenille une lettre qu'il met dans l'ouverture moussue -d'un tronc d'arbre. - - Ah! quel remercîment, - Pères, vous me devrez! - -Apercevant Sylvette. - - C'est elle!--A mon ciment! - -Il se remet à gâcher et disparaît derrière le mur. - -SYLVETTE apparaît, furtive, regarde si on la guette, puis: - - Non, personne!... - -Elle pose sur le banc de gauche sa mante de mousseline. - - Aujourd'hui, trouverai-je la lettre? - -Elle va vers un arbre. - - Tous les jours, un galant inconnu vient en mettre - Une, là, dans ce tronc par la foudre entr'ouvert, - Et qui fait une boîte aux lettres peinte en vert!... - -Elle plonge la main dans le creux de l'arbre. - - Oui, voilà mon courrier. - -Elle lit. - - «_Sylvette, coeur de marbre! - C'est le dernier billet que produira cet arbre, - Pourquoi n'avez-vous pas, tigresse, répondu - Au poulet que pour vous chaque jour j'ai pondu?_» - --Hein! quel style! - «_L'amour qui dans mon âme gronde..._» - -Elle chiffonne nerveusement la lettre. - - Ah! Monsieur Percinet s'en va courir le monde! - Il a raison!--Et moi je ferai comme lui! - Croit-on que je m'en vais mourir ici d'ennui? - Mais qu'il vienne, celui qui m'écrivit ces choses! - Que de ces verts buissons pleins de nids et de gloses - Il surgisse soudain! et telle que je suis, - --Sans même aller chercher un chapeau,--je le suis! - A tout prix, maintenant, j'en veux, du romanesque! - Qu'il vienne! ce Monsieur!--déjà je l'aime presque! - Comme je lui tendrais les deux mains, s'il venait! - Et comme... - -STRAFOREL, apparaissant, d'une voix éclatante. - - Le voilà! - -SYLVETTE. - - Au secours, Percinet! - -Reculant à mesure que Straforel avance. - - L'homme, n'approchez pas! - -STRAFOREL, amoureusement. - - Pourquoi cet air hostile?... - Je suis pourtant celui dont vous aimiez le style, - Tout à l'heure!... le trop favorisé mortel - Dont le billet vous plut, et sur l'amour duquel - Vous comptiez, si j'en crois les propos que vous tintes, - Pour vous faire enlever et fuir loin des atteintes! - -SYLVETTE, ne sachant que devenir. - - L'homme!... - -STRAFOREL. - - Vous me prenez pour un maçon? Exquis! - C'est exquis!--Sachez donc que je suis le marquis - D'Astafiorquercita, fol esprit, coeur malade, - Qui cherche à pimenter l'existence trop fade, - Et voyage, façon de chevalier errant - Auquel est un rêveur, un poète, adhérent! - Et c'est pour pénétrer en vos jardins, Cruelle, - C'est par amour pour vous que j'ai pris la truelle! - -Il jette d'un geste élégant sa truelle, et, dépouillant vivement sa -souquenille, ôtant son chapeau blanc de plâtre, apparaît dans un -étincelant costume almavivesque. Perruque blonde, moustache conquérante. - -SYLVETTE. - - Monsieur!... - -STRAFOREL. - - Par un nommé Straforel, j'ai connu - Votre histoire. Un amour insensé m'est venu - Pour la pauvre victime, innocente étourdie, - Contre qui cette ruse infâme fut ourdie!... - -SYLVETTE. - - Marquis!... - -STRAFOREL. - - Ne prenez pas cet air épouvanté... - Du rôle qu'il joua ce gueux s'étant vanté, - Je l'ai tué... - -SYLVETTE. - - Tué!... - -STRAFOREL. - - D'une seule estocade. - D'être un justicier j'eus toujours la toquade! - -SYLVETTE. - - Monsieur... - -STRAFOREL. - - Je vous comprends, ô cher coeur incompris! - Vous voulez du roman, n'est-ce pas, à tout prix? - -SYLVETTE. - - Mais, Marquis!... - -STRAFOREL. - - Donc, c'est dit: ce soir, je vous enlève! - -SYLVETTE. - - Monsieur... - -STRAFOREL. - - Et pour de bon! - -SYLVETTE. - - Monsieur! - -STRAFOREL. - - Ah! quel beau rêve! - Vous avez consenti! Je l'ai bien entendu! - Oui, ce soir nous prendrons notre vol éperdu! - Si de votre papa la tête se détraque - De douleur, c'est tant pis!... - -SYLVETTE. - - Monsieur... - -STRAFOREL. - - Si l'on nous traque - --Car on poursuit le rapt avec sévérité,-- - C'est tant mieux! - -SYLVETTE. - - Mais, Monsieur!... - -STRAFOREL. - - Tant mieux, en vérité! - Nous pourrons fuir à pied par une nuit d'orage, - Nos fronts nus sous la pluie et le vent faisant rage! - -SYLVETTE. - - Monsieur... - -STRAFOREL. - - Et pour gagner un lointain continent, - Nous nous embarquerons, Madame, incontinent! - -SYLVETTE. - - Monsieur... - -STRAFOREL. - - Et loin, bien loin, dans quelque pays vierge, - Où nous vivrons heureux sous la bure et la serge... - -SYLVETTE. - - Ah! mais... - -STRAFOREL. - - Car je n'ai rien! Vous ne voudriez pas - Que j'eusse quelque chose!... - -SYLVETTE. - - Enfin! - -STRAFOREL. - - Nos seuls repas - Seront du pain,--du pain mouillé de douces larmes! - -SYLVETTE. - - Pourtant... - -STRAFOREL. - - L'exil pour nous se fleurira de charmes! - -SYLVETTE. - - Monsieur... - -STRAFOREL. - - Et le malheur pour nous ne sera qu'heur! - Pas même une chaumière: une tente!... et ton coeur! - -SYLVETTE. - - Une tente? - -STRAFOREL. - - Eh bien, oui, quatre piquets, deux toiles... - Ou, si vous préférez, rien du tout,--les étoiles! - -SYLVETTE. - - Oh! mais... - -STRAFOREL. - - Quoi! vous voilà prise d'un tremblement? - Vous voudriez aller moins loin, probablement? - Soit! nous vivrons cachés, ô ma Déité blonde, - Seuls, ayant encouru la vindicte du monde! - Ivresse!... - -SYLVETTE. - - Mais, Monsieur, vous vous êtes mépris... - -STRAFOREL. - - Les gens s'écarteront de nous avec mépris! - -SYLVETTE. - - Mon Dieu! - -STRAFOREL. - - Les préjugés sont faits pour qu'on les foule, - Et nous serons heureux des mépris de la foule! - -SYLVETTE. - - Monsieur... - -STRAFOREL. - - Je n'aurai pas d'autre occupation - Que de vous raconter au long ma passion! - -SYLVETTE. - - Monsieur... - -STRAFOREL. - - Bref, nous vivrons en pleine poésie! - J'aurai de furieux accès de jalousie... - -SYLVETTE. - - Monsieur... - -STRAFOREL. - - Et vous savez, lorsque je suis jaloux, - J'ai la férocité des chacals et des loups! - -SYLVETTE, tombant anéantie sur le banc. - - Monsieur... - -STRAFOREL. - - Si vous brisiez notre chaîne sacrée, - Immédiatement vous seriez massacrée! - -SYLVETTE. - - Monsieur... - -STRAFOREL. - - Vous frissonnez? - -SYLVETTE. - - Ah! Dieu, quelle leçon! - -STRAFOREL. - - Est-ce du sang, corbacque! ou bien si c'est du son - Qui court dans vos vaisseaux artériels!--Tonnerre! - Vous m'avez un peu l'air d'une pensionnaire, - Pour oser affronter ces destins hasardeux!... - Ça, voyons, pars-je seul, ou partons-nous tous deux? - -SYLVETTE. - - Monsieur... - -STRAFOREL. - - Oui, je comprends, ma voix vous réconforte. - Eh bien! nous partirons, puisque vous voilà forte. - Je vous enlèverai, tout à l'heure, à cheval, - En travers de ma selle... oh! vous y serez mal! - Mais la chaise à porteurs, esthétique et commode, - Dans l'enlèvement faux est seulement de mode! - -SYLVETTE. - - Mais, Monsieur... - -STRAFOREL, remontant. - - A tantôt! - -SYLVETTE. - - Mais, Monsieur... - -STRAFOREL. - - A tantôt! - Le temps d'aller quérir un cheval, un manteau... - -SYLVETTE, hors d'elle. - - Monsieur! - -STRAFOREL avec un geste immense. - - Et nous fuyons de contrée en contrée!... - -Redescendant. - - O la longtemps rêvée et l'enfin rencontrée! - L'âme à qui peut mon âme enfin dire: «Ma soeur!» - A tantôt pour toujours! - -SYLVETTE, d'une voix éteinte. - - Pour toujours! - -STRAFOREL. - - O douceur! - Vous allez vivre auprès de l'être aimé, de l'être - Pour lequel vous brûliez avant de le connaître, - Et qui, vous ignorant, pour vous se calcinait! - -Avant de sortir, la voyant comme évanouie sur le banc. - - Et maintenant, tu peux revenir, Percinet! - -Il sort. - - -SCÈNE III - -SYLVETTE, seule - -Ouvrant les yeux. - - Monsieur... Marquis... Non, pas en travers de la selle! - Ayez pitié de moi,--non, je ne suis pas celle... - Pas du tout!--Laissez-moi rentrer à la maison! - Une pensionnaire: oui, vous aviez raison! - Il n'est plus là!... Marquis!... Seule?... Ah! Dieu, l'affreux rêve. - -Un temps. Elle se remet. - - J'aime mieux que ce soit pour rire qu'on m'enlève! - -Elle se lève. - - Eh bien! Sylvette, eh bien, ma petite,--comment! - Vous appeliez tantôt à grands cris le roman, - Et, le roman venu, vous n'êtes pas contente?... - Oh! la serge, l'exil, les étoiles, la tente!... - Non, c'est trop!... Du roman, j'en voulais bien un peu, - Comme on met du laurier dedans le pot-au-feu!... - Mais c'est trop! Je ne puis supporter ces secousses. - Je me contenterais d'émotions plus douces... - -Le crépuscule violit vaguement le parc. Elle reprend son voile laissé -sur le banc, s'en couvre la tête et les épaules, et, rêveuse: - - Qui sait si?... - -Percinet paraît. Il est en haillons, le bras en écharpe, se traîne à -peine. Un feutre d'où pend, lamentable, une plume cassée, cache ses -traits. - - -SCÈNE IV - -SYLVETTE, PERCINET. - -PERCINET, pas encore vu de Sylvette. - - Je n'ai rien mangé depuis hier, - Je tombe de fatigue,--et je ne suis pas fier. - La fâcheuse équipée!... Ah! j'en ai vu de dures! - Ce n'est pas amusant du tout, les aventures! - -Il s'affaisse sur le mur. Son chapeau tombe et découvre sa figure. -Sylvette l'aperçoit. - -SYLVETTE. - - Vous! - -Il se lève, saisi. Elle le regarde. - - Et dans quel état!... Se peut-il?... - -PERCINET, piteusement. - - Il se peut. - -SYLVETTE, joignant les mains. - - Mon Dieu! - -PERCINET. - - J'ai, n'est-ce pas, la silhouette, un peu, - Que le dessinateur donne à l'Enfant Prodigue?... - -Il chancelle. - -SYLVETTE. - - Mais il ne se tient plus! - -PERCINET. - - Je sens quelque fatigue. - -SYLVETTE, apercevant son bras, avec un cri. - - Blessé! - -PERCINET, vivement. - - Seriez-vous donc pitoyable aux ingrats? - -SYLVETTE, sévère et s'éloignant. - - Les pères seuls, Monsieur, font tuer le veau gras! - -Percinet fait un mouvement, et son bras blessé lui arrache une -grimace.--Sylvette, malgré elle, effrayée: - - Pourtant, cette blessure? - -PERCINET. - - Oh! que je vous rassure! - Elle n'est nullement grave, cette blessure! - -SYLVETTE. - - Mais qu'avez-vous donc fait, Monsieur le vagabond, - Pendant tout ce long temps?... - -PERCINET. - - Sylvette, rien de bon. - -Il tousse. - -SYLVETTE. - - Vous toussez, maintenant? - -PERCINET. - - Eh! mon Dieu! nous courûmes - Les grands chemins, la nuit... - -SYLVETTE. - - Et l'on y prend des rhumes. - Quels étranges habits vous avez!... - -PERCINET. - - Des voleurs - Ont pris les miens, Sylvette,--et m'ont donné les leurs. - -SYLVETTE, ironique. - - Et combien avez-vous eu de bonnes fortunes? - -PERCINET. - - Laissons ces questions, Sylvette, inopportunes. - -SYLVETTE. - - Vous avez dû sans doute escalader beaucoup... - De balcons?... - -PERCINET, à part. - - J'ai manqué de me rompre le cou... - -SYLVETTE. - - De plus d'un doux succès vous gardez la mémoire? - -PERCINET, de même. - - Je suis resté trois jours caché dans une armoire. - -SYLVETTE. - - Et vous avez gagné plus d'un galant pari? - -PERCINET. - - Oui, oui!... - -A part. - - Je me suis fait rosser par un mari. - -SYLVETTE. - - Guitare en main, chanté plus d'un couplet nocturne? - -PERCINET, de même. - - Qui fit choir sur mon chef plus d'une petite urne! - -SYLVETTE. - - Enfin, comme je vois, tâté d'un vrai duel? - -PERCINET, de même. - - Qui me valut ce coup de peu s'en faut mortel. - -SYLVETTE. - - Et vous nous revenez?... - -PERCINET. - - Fourbu, minable, étique! - -SYLVETTE. - - Oui,--mais ayant du moins trouvé du poétique? - -PERCINET. - - Non,--je fus chercher loin ce que j'avais tout près! - Ah! ne me raillez plus!... je vous adore. - -SYLVETTE. - - Après - La désillusion que nous eûmes?... - -PERCINET. - - Qu'importe! - -SYLVETTE. - - Mais nos pères nous ont trompés d'horrible sorte! - -PERCINET. - - Qu'importe! Dans mon coeur, maintenant, il fait jour! - -SYLVETTE. - - Mais ils feignaient la haine!... - -PERCINET. - - Avons-nous feint l'amour? - -SYLVETTE. - - Le mur fut un Guignol,--vous l'avez dit vous-même! - -PERCINET. - - Sylvette, je l'ai dit!--mais ce fut un blasphème! - Ou du moins... quel Guignol, vieux mur, tu nous offrais, - Qui pour portants avait les grands branchages frais, - Pour fond le parc fuyant, l'azur vaste pour frises, - Pour orchestre invisible et vif les quatre brises, - Pour accessoires clairs le rayon et la fleur, - Le soleil pour quinquet, Shakspeare pour souffleur! - Oui, comme à ces pantins dont on gante les vestes, - Nos pères nous faisaient exécuter des gestes: - Mais, dans ce Guignol-là, Sylvette, songez-y, - C'est l'Amour qui faisait parler les pupazzi! - -SYLVETTE, soupirant. - - C'est vrai, mais nous aimions, croyant être coupables! - -PERCINET, vivement. - - Et nous l'étions!... Gardez ces remords agréables. - Comme l'intention compte autant que le fait, - Nous croyant criminels, nous l'étions en effet! - -SYLVETTE, ébranlée. - - Est-ce bien sûr? - -PERCINET. - - Très sûr, chère petite amie; - Nous avons simplement commis une infamie. - J'en atteste ta grâce et ton souffle aromal: - De nous aimer, ce fut très mal, très mal... - -SYLVETTE, s'asseyant près de lui. - - Très mal?... - -Changeant et s'éloignant encore. - - C'est vrai, mais je regrette un peu, pour notre gloire, - Que le danger couru n'ait été qu'illusoire! - -PERCINET. - - Il fut réel pour nous qui le crûmes réel! - -SYLVETTE. - - Non. Mon enlèvement, comme votre duel, - Était faux!... - -PERCINET. - - Votre peur l'était-elle, Madame? - Et, puisque vous avez passé par l'état d'âme - De quelqu'un d'enlevé, Sylvette, en vérité, - C'est comme tout à fait si vous l'aviez été. - -SYLVETTE. - - Non, le cher souvenir n'est plus; ces torches folles, - Ces masques, ces manteaux, et ces musiques molles, - Ce combat, tout ce charme enfin, c'est trop cruel - De penser que cela fut fait par Straforel! - -PERCINET. - - Et la Nuit de Printemps, est-ce lui qui l'a faite? - Est-ce lui qui régla l'inoubliable fête - Que l'amitié d'Avril nous donna ce soir-là? - Est-ce lui qui, le ciel étoilé, l'étoila? - Lui, qui d'ombre effaça si bien les rosiers grêles - Que les roses semblaient, comme surnaturelles, - Se tenir en suspens dans l'air mystérieux? - Dispensa-t-il les frissons gris, les reflets bleus? - Versa-t-il les langueurs? Fut-il pour quelque chose - Dans l'apparition de l'Astre d'argent rose? - -SYLVETTE. - - Non certe... - -PERCINET. - - Et fit-il donc, dans la Nuit de Printemps, - Dis-moi, que nous étions deux enfants de vingt ans, - Et que nous nous aimions, car ce fut là le charme, - Tout le charme! - -SYLVETTE. - - Tout le... c'est vrai, mais... - -PERCINET. - - Une larme? - Il est donc pardonné, le méchant qui partit? - -SYLVETTE. - - Je t'ai toujours aimé, va, mon pauvre petit. - -PERCINET. - - J'ai retrouvé ton front, sa puérile frange, - Et ton jeune parfum qui fait un fin mélange - Avec tous les parfums des cytises voisins... - Ah! les Anges, ce soir, ne sont pas mes cousins! - -Il joue avec le voile de Sylvette. - - Oh! laisse-moi baiser le liséré frivole - Du voile aérien qui de ton front s'envole! - Comme il me rafraîchit les lèvres, ce tissu, - Ce tendre et clair tissu, pour qui je n'ai pas su - Vous dédaigner, satins et velours équivoques! - -SYLVETTE. - - Quels satins? Quels velours? - -PERCINET, vivement. - - Oh! rien, rien, rien,--des loques. - Oh! jeune fille, enfant, mousseline est ton nom! - Oh! que j'aime ce voile frais!... - -SYLVETTE. - - C'est du linon. - -PERCINET, s'agenouillant. - - Je l'aime et suis tremblant que mon baiser le souille, - Car ce voile devant lequel je m'agenouille... - - Ce léger linon - Qui vous emmitoufle, - Mais à la façon - D'un souffle; - - Ce linon léger - Dont la candeur frêle - A le voltiger - D'une aile; - - Ce léger linon, - Assez diaphane - Pour qu'un seul rayon - Le fane; - - Ce linon, léger - Comme un fil de berge - Que fait voyager - La Vierge; - - Ce léger linon, - C'est votre pensée - Que les choses n'ont - Froissée! - - Ce linon léger, - C'est, neigeuse flamme - Qu'un rien fait bouger, - Votre âme! - - Ce léger linon, - Ce linon que j'aime, - Ce n'est rien sinon - Vous-même! - -SYLVETTE, dans ses bras. - - Vois-tu, la poésie est au coeur des amants: - Elle n'émane pas des seuls événements. - -PERCINET. - - C'est vrai: ceux dont je sors, quoique très authentiques, - Ne furent pas du tout, Sylvette, poétiques... - -SYLVETTE. - - Et ceux par nos papas machiavels arrangés - Le furent, Percinet, encor que mensongers. - -PERCINET. - - Car elle peut broder, lorsqu'elle aime, notre âme, - De véritables fleurs sur une fausse trame. - -SYLVETTE. - - La poésie, amour, mais nous fûmes des fous - De la chercher ailleurs lorsqu'elle était en nous! - -Straforel apparaît, ramenant les deux pères, et leur montre Sylvette et -Percinet dans les bras l'un de l'autre. - - -SCÈNE V - -LES MÊMES, STRAFOREL, BERGAMIN, PASQUINOT. - -STRAFOREL. - - Refiancés!... - -BERGAMIN. - - Mon fils! - -Il embrasse Percinet. - -STRAFOREL. - - Me paierez-vous ma note? - -PASQUINOT, à sa fille. - - Tu l'aimes derechef? - -SYLVETTE. - - Oui. - -PASQUINOT. - - Tête de linotte. - -STRAFOREL, à Bergamin. - - Palperai-je mon or? - -BERGAMIN. - - Vous palperez votre or! - -SYLVETTE, qui a tressailli. - - Mais au fait... cette voix!... le marquis d'As-ta-fior... - -STRAFOREL, saluant. - - Quercita? C'était moi, chère Mademoiselle, - Moi, Straforel!... Daignez me pardonner mon zèle; - Le moyen que j'ai pris était bon en ceci, - Qu'il vous a fait connaître--en vous laissant ici,-- - Tout ce qu'ont d'ennuyeux ces aventures vraies - Dont les femmes toujours sont tôt désenivrées. - Sans doute vous pouviez... - -Montrant Percinet. - - comme ce citoyen, - Vous même les courir; mais, dame! le moyen - Pour une jeune fille étant trop énergique, - Je vous en ai fait voir la lanterne magique. - -PERCINET. - - Qu'est-ce? - -SYLVETTE, vivement. - - Rien, rien,--je t'aime!... - -BERGAMIN, montrant le mur commencé. - - Et demain même, pan! - D'un coup de pioche on va redémolir ce pan... - -PASQUINOT. - - Enlever ce ciment, ces pierres et ce sable!... - -STRAFOREL. - - Non, construisez le mur, il est indispensable! - -SYLVETTE, réunissant autour d'elle tous les acteurs. - - Et maintenant, nous quatre,--et Monsieur Straforel-- - Excusons ce que fut la pièce, en un rondel. - -Elle descend vers le public. - - _Des costumes clairs, des rimes légères, - L'Amour, dans un parc, jouant du flûteau..._ - -BERGAMIN. - - _Un florianesque et fol quintetto,_ - -PASQUINOT. - - _Des brouilles... d'ailleurs toutes passagères._ - -STRAFOREL. - - _Des coups de soleil, des rayons lunaires, - Un bon spadassin en joyeux manteau..._ - -SYLVETTE. - - _Des costumes clairs, des rimes légères, - L'Amour, dans un parc, jouant du flûteau..._ - -PERCINET. - - _Un repos naïf des pièces amères, - Un peu de musique, un peu de Watteau, - Un spectacle honnête et qui finit tôt, - Un vieux mur fleuri,--deux amants,--deux pères..._ - -SYLVETTE, dans une révérence. - - _Des costumes clairs, des rimes légères!_ - -RIDEAU - - - - -TABLE - - - Pages - ACTE PREMIER 1 - ACTE DEUXIÈME 55 - ACTE TROISIÈME 115 - - - - -PARIS.--L. MARETHEUX, IMPRIMEUR - -1, RUE CASSETTE, 1 - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Les Romanesques, by Edmond Rostand - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROMANESQUES *** - -***** This file should be named 57839-8.txt or 57839-8.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/7/8/3/57839/ - -Produced by Laurent Vogel (This file was produced from -images generously made available by the Bibliothèque -nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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Redistribution is subject to the -trademark license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll -have to check the laws of the country where you are located before using -this ebook. - - - -Title: Les Romanesques - comédie en trois actes en vers - -Author: Edmond Rostand - -Release Date: September 3, 2018 [EBook #57839] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROMANESQUES *** - - - - -Produced by Laurent Vogel (This file was produced from -images generously made available by the Bibliothèque -nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - - - - - - -</pre> +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57839 ***</div> <p class="c">EDMOND ROSTAND</p> @@ -6993,378 +6954,7 @@ Percinet dans les bras l'un de l'autre.</div> -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Les Romanesques, by Edmond Rostand - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROMANESQUES *** - -***** This file should be named 57839-h.htm or 57839-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/7/8/3/57839/ - -Produced by Laurent Vogel (This file was produced from -images generously made available by the Bibliothèque -nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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Redistribution is subject to the -trademark license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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