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@@ -0,0 +1,4433 @@
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57839 ***
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+
+ EDMOND ROSTAND
+
+ LES ROMANESQUES
+
+ COMÉDIE EN TROIS ACTES
+ EN VERS
+ Représentée pour la première fois sur la scène de la COMÉDIE-FRANÇAISE
+ le lundi 21 Mai 1884.
+
+ QUARANTE-CINQUIÈME MILLE
+
+ PARIS
+ LIBRAIRIE CHARPENTIER ET FASQUELLE
+ EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
+ 11, RUE DE GRENELLE, 11
+
+ 1911
+
+ Tous droits réservés.
+
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+
+OUVRAGES D'EDMOND ROSTAND
+
+
+ Les Musardises, _Édition nouvelle_, 1887-1893, poésies 3 50
+
+ Les Romanesques, comédie en trois actes, en vers, 49e mille 3 50
+
+ La Princesse Lointaine, pièce en quatre actes, en vers,
+ 44e mille 2 »
+
+ La Samaritaine, évangile en trois tableaux, en vers, 42e mille 3 50
+
+ Cyrano de Bergerac, comédie héroïque en cinq actes, en vers,
+ 376e mille 3 50
+
+ L'Aiglon, drame en six actes, en vers, 271e mille 3 50
+
+ Chantecler, pièce en quatre actes, en vers, 150e mille 3 50
+
+ Pour la Grèce, poésie (_épuisé_).
+
+ Un Soir à Hernani, poésie 1 »
+
+ Discours de réception à l'Académie Française 1 »
+
+Paris.--L. MARETHEUX, imprimeur, 1, rue Cassette.--4856
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+A ROSEMONDE
+
+
+
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+PERSONNAGES
+
+
+ SYLVETTE
+ PERCINET
+ STRAFOREL
+ BERGAMIN, père de Percinet
+ PASQUINOT, père de Sylvette
+ BLAISE, jardinier
+
+UN MUR, personnage muet
+
+SPADASSINS, MUSICIENS, NÈGRES, PORTEURS DE TORCHES, UN NOTAIRE, QUATRE
+BOURGEOIS, ETC.
+
+
+_La scène se passe où l'on voudra, pourvu que les costumes soient
+jolis._
+
+
+
+
+DISTRIBUTIONS
+
+
+ 1894 1899 1901
+ Mlle Mlle Mlle
+ SYLVETTE REICHENBERG. HENRIOT. MULLER.
+ MM. MM. MM.
+ PERCINET LE BARGY G. BERR. G. BERR.
+ STRAFOREL DE FÉRAUDY. COQUELIN CADET. COQUELIN CADET.
+ BERGAMIN LELOIR. LELOIR. LELOIR.
+ PASQUINOT LAUGIER. BARRAL. LAUGIER.
+ BLAISE FALCONNIER. FALCONNIER. FALCONNIER.
+
+
+_La musique de scène est de M. GEORGES HÜE_
+
+
+_N. B._--Pour les droits de représentation en province ou à l'étranger,
+s'adresser à M. R. GANGNAT, _agent général de la Société des Auteurs
+Dramatiques_.
+
+Pour les détails de mise en scène, s'adresser à M. GAILLARD, à la
+_Comédie-Française_.
+
+
+
+
+ACTE PREMIER
+
+
+_La scène est coupée en deux par un vieux mur moussu et tout enguirlandé
+de folles plantes grimpantes. A droite, un coin du parc de Bergamin; à
+gauche, un coin du parc de Pasquinot. De chaque côté, contre le mur, un
+banc._
+
+_Quand le rideau se lève, Percinet est assis sur la crête du mur, ayant,
+sur son genou, un livre, dont il donne lecture à Sylvette, attentive,
+debout sur le banc, de l'autre côté du mur, auquel elle s'accoude._
+
+
+SCÈNE PREMIÈRE
+
+SYLVETTE, PERCINET.
+
+SYLVETTE.
+
+ Ah! Monsieur Percinet, mais comme c'est donc beau!
+
+PERCINET.
+
+ N'est-ce pas?... Écoutez répondre Roméo:
+
+Il lit.
+
+ «C'est l'alouette, Amour, je te dis que c'est elle!
+ «Vois, le bord des vapeurs légères se dentelle,
+ «Et là-bas, au sommet rose du mont lointain,
+ «Sur le bout de son pied se dresse le matin!
+ «Il faut fuir...»
+
+SYLVETTE, vivement, prêtant l'oreille.
+
+ Chut!
+
+PERCINET écoute un instant, puis:
+
+ Personne! Ainsi, Mademoiselle,
+ Ne prenez pas ces airs effarouchés d'oiselle
+ Qui de la branche, au moindre bruit, va s'envoler...
+ Écoutez les Amants Immortels se parler:
+ _Elle_: «Amour, amour cher, non, ce n'est pas l'aurore,
+ «Mais c'est, pour éclairer ta fuite, un météore!»
+ _Lui_: «Puisqu'elle le veut, eh bien, soit! ce n'est point
+ «L'alouette qui chante et l'aurore qui point:
+ «Ce reflet, c'est le tien, Cynthia, dans la nue!
+ «Vienne la Mort, la Mort sera la bienvenue!»
+
+SYLVETTE.
+
+ Oh! non, je ne veux pas qu'il parle de cela,
+ Ou bien je vais pleurer...
+
+PERCINET.
+
+ Alors, restons-en là!
+ Et, jusques à demain refermant notre livre,
+ Laissons, puisqu'il vous plaît, le doux Roméo vivre.
+
+Il ferme le livre et regarde tout autour de lui.
+
+ Quel adorable endroit, fait exprès, semble-t-il,
+ Pour s'y venir bercer aux beaux vers du grand Will!
+
+SYLVETTE.
+
+ Oui, ces vers sont très beaux, et le divin murmure
+ Les accompagne bien, c'est vrai, de la ramure,
+ Et le décor leur sied, de ces ombrages verts;
+ Oui, Monsieur Percinet, ils sont très beaux, ces vers!
+ Mais ce qui fait pour moi leur beauté plus touchante,
+ C'est que vous les lisez de votre voix qui chante.
+
+PERCINET.
+
+ La vilaine flatteuse!
+
+SYLVETTE, soupirant.
+
+ Ah! pauvres amoureux!
+ Que leur sort est cruel, qu'on fut méchant pour eux!
+
+Avec un soupir.
+
+ Ah! je pense...
+
+PERCINET.
+
+ A quoi donc?
+
+SYLVETTE, vivement.
+
+ A rien!...
+
+PERCINET.
+
+ A quelque chose
+ Qui vous a fait soudain devenir toute rose!
+
+SYLVETTE, de même.
+
+ A rien!...
+
+PERCINET, la menaçant du doigt.
+
+ Oh! la menteuse... aux yeux trop transparents!
+ Je le vois, à quoi vous pensez!...
+
+Baissant la voix.
+
+ A nos parents!
+
+SYLVETTE.
+
+ Peut-être...
+
+PERCINET.
+
+ A votre père, au mien, à cette haine
+ Qui les divise!
+
+SYLVETTE.
+
+ Eh! oui, c'est là ce qui me peine
+ Ce qui me fait pleurer en cachette, souvent.
+ Lorsque, le mois dernier, je revins du couvent,
+ Mon père, me montrant le parc de votre père,
+ Me dit: «Ma chère enfant, tu vois là le repaire
+ De mon vieil ennemi mortel, de Bergamin.
+ De ce gueux, de son fils, détourne ton chemin;
+ Promets-moi bien, sinon, vois-tu, je te renie,
+ D'être, pour ces gens-là, toujours, une ennemie,
+ Car, de tous temps, les leurs ont exécré les tiens!»
+ J'ai promis... Vous voyez, Monsieur, comme je tiens.
+
+PERCINET.
+
+ Et n'ai-je pas promis à mon père, de même,
+ De vous haïr toujours, Sylvette?--et je vous aime!
+
+SYLVETTE.
+
+ Sainte Vierge!
+
+PERCINET.
+
+ Et je t'aime, enfant!
+
+SYLVETTE.
+
+ C'est un péché!
+
+PERCINET.
+
+ Un gros... que voulez-vous? Plus on est empêché
+ D'aimer quelqu'un, et plus il vous en prend l'envie.
+ Sylvette, embrassez-moi!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais jamais de la vie!
+
+Elle saute du banc et s'éloigne.
+
+PERCINET.
+
+ Vous m'aimez cependant!
+
+SYLVETTE.
+
+ Que dit-il?
+
+PERCINET.
+
+ Chère enfant,
+ Je dis ce dont encor votre coeur se défend,
+ Mais ce dont plus longtemps douter serait un leurre!
+ Je dis... ce que vous-même avez dit tout à l'heure,
+ Oui, vous-même, Sylvette, en comparant ainsi
+ Les Amants de Vérone aux deux enfants d'ici.
+
+SYLVETTE.
+
+ Je n'ai pas comparé!...
+
+PERCINET.
+
+ Si!... Mon père et ton père
+ A ceux de Juliette et de Roméo, chère!
+ C'est pourquoi Juliette et Roméo c'est nous,
+ Et c'est pourquoi nous nous aimons comme des fous!
+ Et je brave à la fois, malgré leur haine aiguë,
+ Pasquinot-Capulet, Bergamin-Montaiguë!
+
+SYLVETTE, se rapprochant un peu du mur.
+
+ Alors, nous nous aimons? Mais, Monsieur Percinet,
+ Comment ça s'est-il fait si vite?...
+
+PERCINET.
+
+ L'amour naît,
+ On ne sait pas comment, pourquoi, quand il doit naître.
+ Je vous voyais souvent passer de ma fenêtre...
+
+SYLVETTE.
+
+ Moi de même...
+
+PERCINET.
+
+ Et nos yeux causaient en tapinois.
+
+SYLVETTE.
+
+ Un jour, là, près du mur, je ramassais des noix,
+ Par hasard...
+
+PERCINET.
+
+ Par hasard, là, je lisais Shakespeare;
+ Et--pour unir deux coeurs vois comme tout conspire...
+
+SYLVETTE.
+
+ Le vent fit envoler, psst!... chez vous, mon ruban!
+
+PERCINET.
+
+ Pour le rendre, aussitôt, je grimpai sur le banc...
+
+SYLVETTE, grimpant.
+
+ Je grimpai sur le banc...
+
+PERCINET.
+
+ Et depuis lors, petite,
+ Chaque jour je t'attends, et chaque jour plus vite
+ Bat mon coeur lorsqu'enfin monte, signal béni!
+ Là, derrière le mur, ton doux rire de nid,
+ Qui ne s'achève pas sans que ta tête émerge
+ Du fouillis frémissant de folle vigne vierge!
+
+SYLVETTE.
+
+ Puisque nous nous aimons, il faut nous fiancer.
+
+PERCINET.
+
+ C'est à quoi justement je venais de penser.
+
+SYLVETTE, solennellement.
+
+ Dernier des Bergamin, c'est à toi que se lie
+ La dernière des Pasquinot!
+
+PERCINET.
+
+ Noble folie!
+
+SYLVETTE.
+
+ On parlera de nous dans les âges futurs!
+
+PERCINET.
+
+ Oh! trop tendres enfants de deux pères trop durs!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais, qui sait, mon ami, peut-être l'heure tinte
+ Où Dieu veut que, par nous, leur haine soit éteinte?
+
+PERCINET.
+
+ J'en doute.
+
+SYLVETTE.
+
+ Moi, j'ai foi dans les événements,
+ Et j'entrevois déjà cinq ou six dénoûments
+ Très possibles.
+
+PERCINET.
+
+ Vraiment, et lesquels?
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais suppose
+ --Dans plus d'un vieux roman j'ai lu pareille chose--
+ Que le Prince Régnant vienne à passer un jour...
+ Je cours le supplier, lui conte notre amour,
+ Que nos pères entre eux ont une vieille haine...
+ --Un roi maria bien don Rodrigue et Chimène--
+ Le Prince fait venir mon père et Bergamin,
+ Et les réconcilie...
+
+PERCINET.
+
+ Et me donne ta main!
+
+SYLVETTE.
+
+ Ou bien, cela s'arrange ainsi que dans _Peau d'Ane_.
+ Tu dépéris, un sot médecin te condamne...
+
+PERCINET.
+
+ Mon père me demande, affolé: «Que veux-tu?»
+
+SYLVETTE.
+
+ Tu dis: «Je veux Sylvette!»
+
+PERCINET.
+
+ Et son orgueil têtu
+ Est contraint de fléchir!
+
+SYLVETTE.
+
+ Ou bien, autre aventure:
+ Un vieux duc, ayant vu de moi quelque peinture,
+ M'aime, envoie un superbe écuyer, en son nom,
+ M'offrir d'être duchesse...
+
+PERCINET.
+
+ Alors, tu réponds: «Non!»
+
+SYLVETTE.
+
+ Il se fâche: un beau soir, dans quelque sombre allée
+ Du parc, où pour rêver à toi je suis allée,
+ On m'enlève!... Je crie!...
+
+PERCINET.
+
+ Et je ne tarde point
+ A surgir près de toi; je mets la dague au poing,
+ Me bats comme un lion, pourfends...
+
+SYLVETTE.
+
+ Trois ou quatre hommes.
+ Mon père accourt, te prend dans ses bras; tu te nommes;
+ Alors, il s'attendrit, me donne à mon sauveur,
+ Et ton père consent, tout fier de ta valeur!
+
+PERCINET.
+
+ Et nous vivons longtemps et très heureux ensemble!
+
+SYLVETTE.
+
+ Et tout cela n'a rien d'impossible, il me semble?
+
+PERCINET, entendant du bruit.
+
+ On vient!
+
+SYLVETTE, perdant la tête.
+
+ Embrassons-nous!
+
+PERCINET, l'embrassant.
+
+ Et ce soir même, ici,
+ A l'heure du Salut, tu viendras, dis?
+
+SYLVETTE.
+
+ Non.
+
+PERCINET.
+
+ Si!
+
+SYLVETTE, disparaissant derrière le mur.
+
+ Ton père!
+
+Percinet saute vivement à bas du mur.
+
+
+SCÈNE II
+
+SYLVETTE, descendue du mur et, par conséquent, invisible à Bergamin,
+PERCINET, BERGAMIN.
+
+BERGAMIN.
+
+ Ah! je vous prends à rêvasser encore,
+ Seul, en ce coin de parc?
+
+PERCINET.
+
+ Mon père, je l'adore,
+ Ce coin de parc!... J'adore être assis sur ce banc
+ Que la vigne du mur abrite en retombant!...
+ Voyez-vous comme elle est gracieuse, la vigne?
+ Remarquez ces festons d'une arabesque insigne.
+ On est si bien ici pour respirer l'air pur!
+
+BERGAMIN.
+
+ Si bien devant ce mur?
+
+PERCINET.
+
+ Je l'adore, ce mur!
+
+BERGAMIN.
+
+ Je ne vois pas ce que ce mur a d'adorable.
+
+SYLVETTE, à part.
+
+ Il ne peut pas le voir!
+
+PERCINET.
+
+ Mais il est admirable,
+ Ce vieux mur, crêté d'herbe; enguirlandé, couvert
+ Ici de vigne rouge, ici de lierre vert,
+ Là de glycine mauve aux longues grappes floches,
+ Et là de chèvrefeuille, et là d'aristoloches!
+ Ce vieux mur centenaire et croulant, dont les trous
+ Laissent pendre au soleil d'étranges cheveux roux,
+ Qui de petites fleurs charmantes se constelle,
+ Ce mur sur qui la mousse est d'une épaisseur telle
+ Qu'il fait à l'humble banc scellé dans sa paroi
+ Un dossier de velours comme au trône d'un roi!
+
+BERGAMIN.
+
+ Ta! ta! ta! Voudrais-tu, blanc-bec, me faire accroire
+ Que tu viens ici pour les beaux yeux du mur?
+
+PERCINET.
+
+ Voire,
+ Pour les beaux yeux du mur!...
+
+Tourné vers le mur.
+
+ qui sont de bien beaux yeux
+ Frais sourires d'azur, doux étonnements bleus,
+ Fleurs profondes, clairs yeux, vous êtes nos délices,
+ Et si jamais des pleurs emperlent vos calices,
+ D'un seul baiser nous les volatiliserons!...
+
+BERGAMIN.
+
+ Mais le mur n'a pas d'yeux!
+
+PERCINET.
+
+ Il a les liserons.
+
+Et, gracieux, il en présente un, prestement cueilli, à Bergamin.
+
+SYLVETTE.
+
+ Est-il spirituel, doux Jésus!
+
+BERGAMIN.
+
+ Est-il bête!
+ Mais je connais ce qui te fait perdre la tête.
+
+Mouvement d'effroi de Percinet et de Sylvette.
+
+ Tu viens lire en cachette!
+
+Il prend le livre qui sort de la poche de Percinet, et regarde le dos.
+
+ Et du théâtre!...
+
+Il l'ouvre et le laisse tomber avec horreur.
+
+ En vers!
+ Des vers!... Voilà pourquoi, la cervelle à l'envers,
+ Vous rêvez, vous errez, évitant les approches,
+ Pourquoi vous me venez parler d'aristoloches,
+ Et pourquoi vous voyez des yeux bleus à ce mur!
+ Un mur n'a pas besoin d'être joli,--mais sûr!
+ Je vais faire enlever toutes ces choses vertes
+ Qui pourraient nous cacher quelques brèches ouvertes,
+ Et, pour mieux nous garder d'un voisin insolent,
+ Remaçonner ce pan, bâtir un beau mur blanc,
+ Bien blanc, bien net, bien propre; au lieu... d'aristoloches,
+ Le garnir, dans le plâtre ayant fait des encoches,
+ De tessons de bouteille au tranchant acéré
+ Qu'on verra s'en aller en bataillon serré...
+
+PERCINET.
+
+ Oh! grâce!
+
+BERGAMIN.
+
+ Pas de grâce!... Ainsi je le décrète!
+ Tout le long, tout le long, tout le long de la crête!
+
+SYLVETTE et PERCINET, consternés.
+
+ Oh!
+
+BERGAMIN, s'asseyant sur le banc.
+
+ Çà, causons!
+
+Il se relève et s'éloigne du mur avec un air soupçonneux.
+
+ Mais, hum!... les murs, s'ils n'ont pas d'yeux,
+ Ont des oreilles!
+
+Il fait le mouvement de monter sur le banc. Effroi de Percinet. Au
+bruit, Sylvette se fait toute petite derrière le mur, mais Bergamin
+renonce, après une grimace que lui arrache quelque vieille douleur, et
+fait signe à son fils de monter à sa place, et de regarder.
+
+ Vois si quelque curieux...
+
+PERCINET, grimpant lestement sur le banc et se penchant au-dessus du mur
+bas à Sylvette, qui aussitôt s'est redressée.
+
+ A ce soir!
+
+SYLVETTE, lui donnant sa main qu'il baise--tout bas.
+
+ Je viendrai devant que l'heure sonne.
+
+PERCINET, de même.
+
+ J'y serai!
+
+SYLVETTE, de même.
+
+ Je t'adore!
+
+BERGAMIN, à Percinet.
+
+ Eh bien?
+
+PERCINET, sautant à terre et à voix haute.
+
+ Eh bien,--personne!
+
+BERGAMIN, rassuré, se rassied.
+
+ Alors, causons... Mon fils, je veux vous marier.
+
+SYLVETTE.
+
+ Ah!
+
+BERGAMIN.
+
+ Qu'est-ce?
+
+PERCINET.
+
+ Rien.
+
+BERGAMIN.
+
+ On vient de faiblement crier.
+
+PERCINET, regardant en l'air.
+
+ Quelque oiselet blessé...
+
+SYLVETTE.
+
+ Hélas!...
+
+PERCINET.
+
+ dans la ramure!...
+
+BERGAMIN.
+
+ Or donc, mon fils, après réflexion très mûre,
+ J'ai fait pour vous un choix.
+
+PERCINET, remonte en sifflant.
+
+ Tu! tu!
+
+BERGAMIN, après un instant de suffocation, le suivant.
+
+ Je suis têtu,
+ Et je vous forcerai, Monsieur...
+
+PERCINET, redescendant.
+
+ Tu! tu! tu! tu!
+
+BERGAMIN.
+
+ Voulez-vous bien finir de siffler, mauvais merle!...
+ Une femme encor jeune, et très riche,--une perle!
+
+PERCINET.
+
+ Et si je n'en veux pas de votre perle!
+
+BERGAMIN.
+
+ Attends!
+ Je m'en vais te montrer, polisson!...
+
+PERCINET, rabaissant la canne levée de son père.
+
+ Le Printemps
+ A rempli les buissons, mon père, de bruits d'ailes,
+ Et les sources des bois voient s'abattre auprès d'elles
+ Des couples de petits oiseaux se caressant...
+
+BERGAMIN.
+
+ Impudique!
+
+PERCINET, même jeu.
+
+ Tout rit et fête Avril récent;
+ Les papillons...
+
+BERGAMIN.
+
+ Pendard!
+
+PERCINET, même jeu.
+
+ à travers champs essaiment,
+ Pour aller épouser toutes les fleurs qu'ils aiment!...
+ L'Amour...
+
+BERGAMIN.
+
+ Bandit!
+
+PERCINET.
+
+ met tous les coeurs en floraison...
+ Et vous me voulez voir marié de raison!
+
+BERGAMIN.
+
+ Oui, certes, garnement!
+
+PERCINET, d'une voix vibrante.
+
+ Eh bien, non, non, mon père!
+ Je jure... sur ce mur--qui m'entend, je l'espère!--
+ Que je me marierai si romanesquement,
+ Que l'on n'aura jamais vu dans aucun roman
+ Quelque chose de plus follement romanesque!
+
+Il se sauve en courant.
+
+BERGAMIN, courant après lui.
+
+ Oh! je t'attraperai!
+
+
+SCÈNE III
+
+SYLVETTE, puis PASQUINOT.
+
+SYLVETTE, seule.
+
+ Vraiment, je conçois presque
+ La haine de papa pour ce méchant...
+
+PASQUINOT, entrant à gauche.
+
+ Eh bien,
+ Que fait-on par ici, Mademoiselle?
+
+SYLVETTE.
+
+ Rien.
+ On se promène.
+
+PASQUINOT.
+
+ Ici! seule! Mais, malheureuse!...
+ Vous n'avez donc pas peur?
+
+SYLVETTE.
+
+ Je ne suis pas peureuse.
+
+PASQUINOT.
+
+ Seule près de ce mur!... Mais je vous le défend,
+ D'approcher de ce mur! Mais, imprudente enfant,
+ Regarde bien ce parc: tu vois là le repaire
+ De mon vieil ennemi mortel!...
+
+SYLVETTE.
+
+ Je sais, mon père.
+
+PASQUINOT.
+
+ Et tu viens t'exposer à des mots outrageants,
+ A des?... Sait-on de quoi sont capables ces gens?
+ Si ce gueux, ou son fils, connaissaient que ma fille
+ Vient seule rêvasser dessous cette charmille...
+ Oh! rien que d'y penser, je me sens frissonner!
+ Mais je vais le barder, le caparaçonner,
+ Ce mur, le hérisser de fer pour qu'on s'éventre,
+ Qu'on s'empale, en voulant le franchir, et qu'on s'entre,
+ Rien qu'en s'en approchant, des pointes dans la chair.
+
+SYLVETTE, à part.
+
+ Il ne le fera pas, ça coûterait trop cher.
+ Il est un peu serré, papa.
+
+PASQUINOT.
+
+ Rentre,--un peu vite!
+
+Elle sort, il la suit des yeux d'un air courroucé.
+
+
+SCÈNE IV
+
+BERGAMIN, PASQUINOT.
+
+BERGAMIN, parlant à cantonade.
+
+ Ce billet à Monsieur Straforel, tout de suite.
+
+PASQUINOT court vivement au mur et y grimpe.
+
+ Bergamin!
+
+BERGAMIN, même jeu.
+
+ Pasquinot!
+
+Ils s'embrassent.
+
+PASQUINOT.
+
+ Comment va?
+
+BERGAMIN.
+
+ Pas trop mal.
+
+PASQUINOT.
+
+ Ta goutte?
+
+BERGAMIN.
+
+ Mieux. Et ton coryza?
+
+PASQUINOT.
+
+ L'animal
+ Me tient toujours.
+
+BERGAMIN.
+
+ Eh bien, c'est fait, le mariage!
+
+PASQUINOT.
+
+ Hein?
+
+BERGAMIN.
+
+ J'ai tout entendu, caché dans le feuillage.
+ Ils s'adorent!
+
+PASQUINOT.
+
+ Bravo!
+
+BERGAMIN.
+
+ Brusquons le dénoûment!
+
+Se frottant les mains.
+
+ Ha! ha! tous les deux veufs, et pères mêmement,
+ Moi, d'un fils qu'une mère un peu trop romanesque
+ Appela Percinet...
+
+PASQUINOT.
+
+ Oui, c'est un nom grotesque.
+
+BERGAMIN.
+
+ Toi, d'un tendron rêveur, Sylvette, âme d'azur!
+ Quel était notre but, le seul?
+
+PASQUINOT.
+
+ Oter ce mur.
+
+BERGAMIN.
+
+ Pour vivre ensemble...
+
+PASQUINOT.
+
+ Et fondre en une nos deux terres.
+
+BERGAMIN.
+
+ Calcul de vieux amis...
+
+PASQUINOT.
+
+ Et de propriétaires!
+
+BERGAMIN.
+
+ Pour ce, que fallait-il?
+
+PASQUINOT.
+
+ Marier nos enfants!
+
+BERGAMIN.
+
+ Les marier! Oui, mais... serions-nous triomphants
+ S'ils avaient soupçonné nos désirs, notre entente?
+ Mariage arrangé n'est pas chose tentante
+ Pour deux jeunes serins poétiques. Aussi,
+ Profitant de ce qu'ils ont vécu loin d'ici,
+ Leur avons-nous caché tout projet d'hyménée.
+ Mais collège et couvent les lâchaient cette année
+ Lors, m'étant avisé que de les empêcher
+ De se voir, sûrement les ferait se chercher,
+ Que s'aimer en secret et d'un amour coupable
+ Leur plairait,--j'inventai cette haine admirable!...
+ Vous doutiez du succès de ce plan inouï?
+ Eh bien, nous n'avons plus qu'à dire nos deux oui.
+
+PASQUINOT.
+
+ Soit! mais comment?... Comment, avec assez d'astuce,
+ Consentir, sans leur mettre, à l'oreille, la puce?
+ Moi qui t'appelais gueux, idiot...
+
+BERGAMIN.
+
+ Idiot?
+ Gueux suffisait! Ne dis que juste ce qu'il faut.
+
+PASQUINOT.
+
+ Quel prétexte?...
+
+BERGAMIN.
+
+ Ah! voilà!--Mais ta fille elle-même
+ Vient de me suggérer l'ultime stratagème!
+ Tandis qu'elle parlait, mon plan se dessinait:
+ Ce soir, ils ont ici rendez-vous; Percinet
+ Arrive le premier; au moment où Sylvette
+ Paraît, des hommes noirs, surgis d'une cachette,
+ L'enlèvent! elle crie! Alors, mon jeune coq
+ Court sus aux ravisseurs, chamaille à coups d'estoc;
+ Ils font semblant de fuir; tu te montres; j'arrive;
+ Ta fille et son honneur sont saufs; ta joie est vive;
+ Tu bénis, laissant choir de tes yeux un peu d'eau,
+ L'héroïque sauveur; je m'attendris:--tableau.
+
+PASQUINOT.
+
+ Ah çà, c'est du génie!... Ah! non ça, par exemple,
+ C'est du génie!...
+
+BERGAMIN, modeste.
+
+ Eh! oui... proprement. Chut! contemple
+ Celui qui vient! C'est Straforel, le spadassin,
+ A qui j'ai, tout à l'heure, écrit de mon dessein...
+ Oui, notre enlèvement, c'est lui qui va le mettre
+ En scène.
+
+Straforel, dans un pompeux costume de spadassin, paraît au fond et
+s'avance majestueusement.
+
+
+SCÈNE V
+
+LES MÊMES, STRAFOREL.
+
+BERGAMIN, descendant du mur, et saluant.
+
+ Hum! Que d'abord je vous fasse connaître
+ Mon ami Pasquinot...
+
+STRAFOREL s'incline.
+
+ Monsieur...
+
+En se relevant, il s'étonne de ne pas voir Pasquinot.
+
+BERGAMIN, le lui montrant à cheval sur la crête.
+
+ Là, sur le mur.
+
+STRAFOREL, à part.
+
+ Exercice étonnant pour un homme aussi mûr.
+
+BERGAMIN.
+
+ Mon plan vous paraît-il, cher maître?...
+
+STRAFOREL.
+
+ Élémentaire.
+
+BERGAMIN.
+
+ Oui, vous savez comprendre, agir vite...
+
+STRAFOREL.
+
+ Et me taire.
+
+BERGAMIN.
+
+ Simulacre de rapt, n'est-ce pas, combat feint?
+
+STRAFOREL.
+
+ C'est tout compris.
+
+BERGAMIN.
+
+ Ayez d'adroits bretteurs, afin
+ Qu'ils n'aillent pas blesser mon garçonnet. Je l'aime,
+ C'est mon unique enfant!
+
+STRAFOREL.
+
+ J'opérerai moi-même.
+
+BERGAMIN.
+
+ Ah! très bien! Dans ce cas, je ne saurais douter...
+
+PASQUINOT, bas à Bergamin.
+
+ Dis donc, demande-lui ce que ça va coûter.
+
+BERGAMIN.
+
+ Pour un enlèvement, que prenez-vous, cher maître?
+
+STRAFOREL.
+
+ Cela dépend, Monsieur, de ce qu'on veut y mettre.
+ On fait l'enlèvement un peu dans tous les prix.
+ Mais, dans le cas présent, et si j'ai bien compris,
+ Il ne faut pas compter du tout. A votre place,
+ J'en prendrais un, Monsieur, là,--de première classe!
+
+BERGAMIN, ébloui.
+
+ Ah! vous avez plusieurs classes?
+
+STRAFOREL.
+
+ Évidemment!
+ Songez que nous avons, Monsieur, l'enlèvement
+ Avec deux hommes noirs, l'enlèvement vulgaire,
+ En fiacre,--celui-là ne se demande guère,--
+ L'enlèvement de nuit, l'enlèvement de jour,
+ L'enlèvement pompeux, en carrosse de cour,
+ Avec laquais poudrés et frisés--les perruques
+ Se payent en dehors,--avec muets, eunuques,
+ Nègres, sbires, brigands, mousquetaires, au choix!
+ L'enlèvement en poste, avec deux chevaux, trois,
+ Quatre, cinq,--on augmente _ad libitum_ le nombre,--
+ L'enlèvement discret, en berline,--un peu sombre,--
+ L'enlèvement plaisant, qui se fait dans un sac,
+ Romantique, en bateau,--mais il faudrait un lac!--
+ Vénitien, en gondole,--il faudrait la lagune!--
+ L'enlèvement avec ou sans le clair de lune,
+ --Les clairs de lune, étant recherchés, sont plus chers!--
+ L'enlèvement sinistre aux lueurs des éclairs,
+ Avec appels de pied, combat, bruit de ferraille,
+ Chapeaux à larges bords, manteaux couleur muraille,
+ L'enlèvement brutal, l'enlèvement poli,
+ L'enlèvement avec des torches--très joli!--
+ L'enlèvement masqué qu'on appelle classique,
+ L'enlèvement galant qui se fait en musique,
+ L'enlèvement en chaise à porteurs, le plus gai,
+ Le plus nouveau, Monsieur, et le plus distingué!
+
+BERGAMIN, se grattant la tête, à Pasquinot.
+
+ Voyons, que penses-tu?
+
+PASQUINOT.
+
+ Hon... Et toi?
+
+BERGAMIN.
+
+ Moi, je pense
+ Qu'il faut frapper très fort--tant pis si l'on dépense--
+ L'imagination!... Avoir de tout un peu!...
+ Faire un enlèvement...
+
+STRAFOREL.
+
+ Panaché? Ça se peut.
+
+BERGAMIN.
+
+ Donnons-en pour longtemps à nos jeunes fantasques:
+ Chaise à porteurs, manteaux, torches, musique, masques!
+
+STRAFOREL, prenant des notes sur un calepin.
+
+ Nous prendrons, pour grouper ces divers éléments,
+ Une première classe,--avec des suppléments.
+
+BERGAMIN.
+
+ Soit!
+
+STRAFOREL.
+
+ Je vais revenir bientôt...
+
+Montrant Pasquinot.
+
+ Mais il importe
+ Que Monsieur, de son parc, entre-bâille la porte...
+
+BERGAMIN.
+
+ Il entre-bâillera.
+
+STRAFOREL, saluant.
+
+ Messieurs, mes compliments!
+
+Avant de sortir.
+
+ Une première classe avec des suppléments!
+
+
+SCÈNE VI
+
+BERGAMIN, PASQUINOT.
+
+PASQUINOT.
+
+ Avec tous ses grands airs, il s'en va, l'homme honnête,
+ Sans qu'on ait fait le prix!
+
+BERGAMIN.
+
+ Laisse, l'affaire est faite!
+ On abattra le mur. Nous n'aurons qu'un foyer!
+
+PASQUINOT.
+
+ Et l'hiver, à la ville, ô douceur! qu'un loyer!
+
+BERGAMIN.
+
+ Nous ferons dans le parc des choses ravissantes!
+
+PASQUINOT.
+
+ Nous taillerons les ifs!
+
+BERGAMIN.
+
+ Nous sablerons les sentes!
+
+PASQUINOT.
+
+ Nos chiffres, au milieu de chaque massif rond,
+ Bien calligraphiés, en fleurs, s'enlaceront!
+
+BERGAMIN.
+
+ Comme cette verdure est un peu trop sévère...
+
+PASQUINOT.
+
+ Nous allons l'égayer par des boules de verre!
+
+BERGAMIN.
+
+ Nous aurons des poissons dans un bassin tout neuf!
+
+PASQUINOT.
+
+ Nous aurons un jet d'eau faisant danser un oeuf!
+ Nous aurons un rocher!--Hein! coquin, que t'en semble!
+
+BERGAMIN.
+
+ Tous nos voeux sont comblés!
+
+PASQUINOT.
+
+ Nous vieillirons ensemble.
+
+BERGAMIN.
+
+ Et ta fille est casée!
+
+PASQUINOT.
+
+ Ainsi que ton gamin!
+
+BERGAMIN.
+
+ Ah! mon vieux Pasquinot!
+
+PASQUINOT.
+
+ Ah! mon vieux Bergamin!
+
+Ils tombent dans les bras l'un de l'autre.
+
+
+SCÈNE VII
+
+LES MÊMES SYLVETTE, PERCINET, entrés brusquement, chacun de son côté.
+
+SYLVETTE, voyant son père tenir Bergamin.
+
+ Ah!
+
+BERGAMIN, apercevant Sylvette, à Pasquinot.
+
+ Ta fille!
+
+PERCINET, voyant son père tenir Pasquinot.
+
+ Ah!
+
+PASQUINOT, apercevant Percinet, à Bergamin.
+
+ Ton fils!
+
+BERGAMIN, bas à Pasquinot.
+
+ Battons-nous!
+
+Ils transforment l'embrassade en lutte à bras-le-corps.
+
+ Ah! canaille!
+
+PASQUINOT.
+
+ Ah! gueux!
+
+SYLVETTE, tirant son père par les basques de son habit.
+
+ Papa!...
+
+PERCINET, même jeu, à Bergamin.
+
+ Papa!...
+
+BERGAMIN.
+
+ Laissez-nous donc, marmaille!
+
+PASQUINOT.
+
+ C'est lui qui m'insulta!
+
+BERGAMIN.
+
+ C'est lui qui me frappa!
+
+PASQUINOT.
+
+ Lâche!
+
+SYLVETTE.
+
+ Papa!
+
+BERGAMIN.
+
+ Filou!
+
+PERCINET.
+
+ Papa!!
+
+PASQUINOT.
+
+ Brigand!
+
+SYLVETTE.
+
+ Papa!!!
+
+Ils réussissent à les séparer.
+
+PERCINET, entraînant son père.
+
+ Rentre, il est tard!
+
+BERGAMIN, essayant de revenir.
+
+ Ma rage est à son paroxysme!
+
+Percinet l'emmène.
+
+PASQUINOT, même jeu avec Sylvette.
+
+ J'écume!
+
+SYLVETTE, l'emmenant.
+
+ L'air fraîchit. Pense à ton rhumatisme!
+
+
+SCÈNE VIII
+
+Le jour baisse insensiblement. La scène reste vide un instant. Puis,
+dans le parc de Pasquinot, entrent STRAFOREL et ses SPADASSINS,
+MUSICIENS, etc.
+
+STRAFOREL.
+
+ D'une étoile déjà le ciel clair s'étoila.
+ Le jour fuit...
+
+Il place ses hommes.
+
+ Mets-toi là... Mets-toi là... Mets-toi là.
+ Oui, l'heure du Salut déjà doit être proche:
+ Blanche, elle apparaîtra quand tintera la cloche;
+ Alors, je sifflerai...
+
+Il regarde le ciel.
+
+ La lune?... C'est parfait!
+ Nous n'aurons pas manqué, ce soir, un seul effet!
+
+Regardant les manteaux extravagants des spadassins.
+
+ Excellents, les manteaux!... Que la colichemarde
+ Les retrousse un peu plus: appuyez sur la garde!
+
+On apporte la chaise à porteurs.
+
+ La chaise, ici, dans l'ombre.
+
+Regardant les porteurs qui sont noirs.
+
+ Ah! les nègres, pas mal!
+
+A la cantonade.
+
+ Les torches, vous n'entrez, n'est-ce pas, qu'au signal?
+
+On voit le fond vaguement coloré de rose par les reflets des torches qui
+restent derrière les arbres; entrent des musiciens.
+
+ Les musiciens?--là! sur fond de clartés roses...
+
+Il les place au fond.
+
+ De la grâce, du flou! Variez donc les poses!
+ Debout, la mandoline! Asseyez-vous, l'alto!
+ Comme dans le _Concert Champêtre_ de Watteau!
+
+Sévère, à un spadassin.
+
+ Premier Homme Masqué, que vois-je? On se dandine?
+ Ça, de l'allure!--Bien!--Instruments, en sourdine,
+ Veuillez vous accorder... Oh! très bien!--Sol, mi, si!
+
+Il se masque.
+
+
+SCÈNE IX
+
+LES MÊMES, PERCINET.
+
+PERCINET entre lentement. A mesure qu'il déclame les vers suivants, la
+nuit devient plus noire et le ciel s'étoile.
+
+ Mon père s'est calmé... J'ai pu fuir jusqu'ici.
+ Le jour baisse... L'odeur des sureaux flotte et grise!...
+ Les fleurs vont s'effaçant dans la pénombre grise...
+
+STRAFOREL, bas aux violons.
+
+ Musique!
+
+Les musiciens jouent doucement jusqu'à la fin de l'acte.
+
+PERCINET.
+
+ Je me sens trembler comme un roseau.
+ Qu'ai-je donc?... Elle va venir!
+
+STRAFOREL, aux musiciens.
+
+ Amoroso!...
+
+PERCINET.
+
+ Mon premier rendez-vous, le soir... Ah! je défaille!...
+ La brise fait le bruit d'une robe de faille...
+ On ne voit plus les fleurs... j'ai des larmes aux yeux...
+ On ne voit plus les fleurs... mais on les sent bien mieux!
+ Oh! ce grand arbre, avec une étoile à son faîte!...
+ Mais qui donc joue ainsi des airs?--La nuit s'est faite.
+
+ Oui, la douce nuit s'est faite, et voici
+ Qu'en l'azur foncé du ciel obscurci,
+ S'allumant partout, par là, par ici,
+ Et l'une après l'une,
+ Tandis que l'étang est tout coassant,
+ Les étoiles vont en nombre croissant
+ Tout autour, autour du grêle croissant
+ De la pâle lune!
+
+ Éclats de saphir et de diamant,
+ Étoiles, je fus longtemps votre amant,
+ Et je vous parlais, le soir, ardemment,
+ Perdu dans la nue!...
+ Mais ma poésie a changé de cours
+ Depuis que, tenant de naïfs discours,
+ Ses petits cheveux au front coupés courts,
+ Sylvette est venue!
+
+ Chers astres du ciel, astres familiers,
+ Vous êtes bien beaux, là-haut, par milliers,
+ Mais, allez! serez bien humiliés
+ Quand, parmi ses voiles,
+ Elle apparaîtra dans le bleu jardin,
+ Et, voyant ses yeux, vous serez soudain
+ Pour vos propres feux prises de dédain,
+ Mes pauvres étoiles!
+
+Une cloche sonne au loin.
+
+
+SCÈNE X
+
+LES MÊMES, SYLVETTE, puis BERGAMIN, PASQUINOT.
+
+SYLVETTE, paraît au tintement de la cloche.
+
+ Le Salut sonne. Il doit m'attendre.
+
+Coup de sifflet, Straforel surgit devant elle, les torches apparaissent.
+
+ Ah!
+
+Les spadassins l'enlèvent et la mettent vivement dans la chaise à
+porteurs.
+
+ Au secours!
+
+PERCINET.
+
+ Juste ciel!
+
+SYLVETTE.
+
+ Percinet, on m'enlève!
+
+PERCINET.
+
+ J'accours!
+
+Il enjambe le mur, tire l'épée, et ferraille avec plusieurs spadassins.
+
+ Tiens,--tiens,--tiens!
+
+STRAFOREL, aux musiciens.
+
+ Trémolo!
+
+Les violons élèvent un trémolo dramatique. Les spadassins se sauvent.
+Straforel, d'une voix de théâtre:
+
+ Per Baccho! C'est le diable
+ Que cet enfant!
+
+Duel entre Straforel et Percinet. Straforel porte tout à coup la main à
+sa poitrine.
+
+ Le coup... est irrémédiable!
+
+Il tombe.
+
+PERCINET, courant à Sylvette.
+
+ Sylvette!
+
+Tableau. Elle est dans la chaise à porteurs ouverte, lui à genoux.
+
+SYLVETTE.
+
+ Mon sauveur!
+
+PASQUINOT, surgissant.
+
+ Le fils de Bergamin!...
+ Ton sauveur!... ton sauveur?... Je lui donne ta main!
+
+SYLVETTE et PERCINET.
+
+ Ciel!
+
+Bergamin est entré de son côté, suivi de valets avec des flambeaux.
+
+PASQUINOT, à Bergamin qui paraît sur la crête du mur.
+
+ Bergamin, ton fils est un héros!... Pardonne!
+ Et faisons leur bonheur!
+
+BERGAMIN, solennel.
+
+ Ma haine m'abandonne!
+
+PERCINET.
+
+ Sylvette, nous rêvons, Sylvette, parlons bas,
+ Que le bruit de nos voix ne nous réveille pas!...
+
+BERGAMIN.
+
+ Les haines finiront toujours en hyménées.
+ La paix est faite.
+
+Montrant le mur.
+
+ Il n'y a plus de Pyrénées!
+
+PERCINET.
+
+ Qui l'aurait cru qu'ainsi mon père changerait?
+
+SYLVETTE, simplement.
+
+ Quand je vous le disais que tout s'arrangerait!
+
+Tandis qu'ils remontent avec Pasquinot, Straforel se soulève et tend un
+papier à Bergamin.
+
+BERGAMIN, bas.
+
+ Hein! Quoi donc? ce papier, et votre signature...
+ Qu'est cela, s'il vous plaît?
+
+STRAFOREL, saluant.
+
+ Monsieur, c'est ma facture!
+
+Il retombe.
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE DEUXIÈME
+
+
+_Même décor: le mur a disparu. Les bancs qui lui étaient adossés ont été
+repoussés à droite et à gauche. Menus changements, massifs de fleurs,
+kiosques de treillages, faux marbres prétentieux, serre. A droite, table
+de jardin, chaises._
+
+_Au lever du rideau, Pasquinot, assis sur le banc de gauche, lit sa
+gazette. Blaise, au fond, ratisse._
+
+
+SCÈNE PREMIÈRE
+
+PASQUINOT, BLAISE, puis BERGAMIN.
+
+BLAISE, ratissant.
+
+ Donc, Monsieur Pasquinot, ce soir vient le notaire?...
+ Hé! voici bien un mois que ce mur est par terre
+ Et que vous vivez tous ensemble. Il était temps;
+ Nos petits amoureux doivent être contents!
+
+PASQUINOT, levant la tête et regardant autour de lui.
+
+ Ça fait bien sans ce mur, hein, Blaise?
+
+BLAISE.
+
+ C'est superbe!
+
+PASQUINOT.
+
+ Oui, mon parc à gagné. Cent pour cent.
+
+Il se penche et tâte une touffe de gazon.
+
+ Mais cette herbe
+ Est mouillée!... On a donc arrosé ce matin?...
+
+Furieux.
+
+ Il ne faut arroser que le soir, vieux crétin!
+
+BLAISE, placidement.
+
+ C'est Monsieur Bergamin qui m'en a donné l'ordre.
+
+PASQUINOT.
+
+ Ah?... Ce bon Bergamin!... Il ne veut pas démordre
+ De son idée!... Il croit qu'arroser sans repos
+ Vaut mieux qu'arroser peu, mais bien, mais à propos!
+ Enfin!...
+
+A Blaise.
+
+ Vous sortirez les plantes de la serre.
+
+Blaise aligne au fond des plantes qu'il va chercher dans la serre.
+Pasquinot lit. Bergamin paraît au fond.
+
+BERGAMIN, arrosant les arbustes avec un énorme arrosoir.
+
+ Ouf!... On leur donne d'eau juste le nécessaire!
+ Ce qui leur fait du bien, c'est ce superflu-là!
+
+A un arbre.
+
+ Hein, mon vieux, tu mourais de soif?... Tiens, en voilà,
+ De l'eau... tiens, en voilà! Moi, j'aime ça, les arbres.
+
+Posant son arrosoir, et regardant autour de lui avec satisfaction.
+
+ Oui, mon parc a gagné... Très jolis, ces faux marbres
+ Très, très...
+
+Apercevant Pasquinot.
+
+ Bonjour.
+
+Pas de réponse.
+
+ Bonjour!!
+
+Pas de réponse.
+
+ Bonjour!!!
+
+Pasquinot lève la tête.
+
+ Eh bien, j'attends?
+
+PASQUINOT.
+
+ Oh! mon ami, mais nous nous voyons tout le temps!
+
+BERGAMIN.
+
+ Ah?--bien!...
+
+Voyant les plantes que range Blaise.
+
+ Veux-tu rentrer ces plantes!
+
+Blaise, ahuri, les rentre précipitamment. Pasquinot lève les yeux au
+ciel, hausse les épaules, et lit. Bergamin va et vient, l'air désoeuvré,
+finit par s'asseoir à côté de Pasquinot. Silence. Puis, tout à coup,
+avec mélancolie:
+
+ A cette heure,
+ Chaque jour je sortais, furtif, de ma demeure...
+
+PASQUINOT, rêveur, baissant sa gazette.
+
+ Je filais de chez moi, subreptice et léger...
+ C'était très amusant!
+
+BERGAMIN.
+
+ Le secret!
+
+PASQUINOT.
+
+ Le danger!
+
+BERGAMIN.
+
+ Il fallait dépister Percinet ou Sylvette
+ Chaque fois qu'on venait tailler une bavette!
+
+PASQUINOT.
+
+ On risquait, chaque fois qu'on grimpait sur le mur,
+ La casse d'une côte, ou le bris d'un fémur.
+
+BERGAMIN.
+
+ Nos conversations monoquotidiennes
+ Ne se pouvaient qu'au prix de ruses indiennes!
+
+PASQUINOT.
+
+ Il fallait se glisser sous les buissons épais...
+ C'était très amusant!
+
+BERGAMIN.
+
+ Quelquefois, je rampais...
+ Et, le soir, aux genoux, ma culotte était verte!
+
+PASQUINOT.
+
+ L'un de l'autre il fallait, sans fin, jurer la perte...
+
+BERGAMIN.
+
+ Et dire un mal affreux...
+
+PASQUINOT.
+
+ C'était très amusant!
+
+Bâillant.
+
+ Bergamin?
+
+BERGAMIN, de même.
+
+ Pasquinot?
+
+PASQUINOT.
+
+ Ça nous manque, à présent.
+
+BERGAMIN.
+
+ Non, voyons!...
+
+Après réflexion.
+
+ Si, pourtant. Oh! c'est très drôle!--Est-ce que
+ Ce serait la revanche, ici, du Romanesque?...
+
+Silence. Il regarde Pasquinot qui lit.
+
+ Son gilet est toujours veuf de quelque bouton!
+ C'est crispant!...
+
+Il se lève, s'éloigne, va et vient.
+
+PASQUINOT, le regardant, par-dessus sa gazette, à part.
+
+ Il a l'air d'un vaste hanneton
+ Qui virevolte, avec ses basques pour élytres.
+
+Il feint de lire quand Bergamin repasse devant lui.
+
+BERGAMIN, le regardant, à part.
+
+ Il louche, quand il lit, ainsi que font les pitres
+ Après leur papillon.
+
+Il remonte en sifflotant.
+
+PASQUINOT, à part, nerveux.
+
+ Il siffle!... c'est un tic!
+
+Haut.
+
+ Ne sifflote donc pas toujours, comme un aspic.
+
+BERGAMIN, souriant.
+
+ Nous distinguons le brin d'éteule aux yeux des autres
+ Et nous ne sentons pas la solive en les nôtres!
+ Vous avez bien vos tics...
+
+PASQUINOT.
+
+ Moi?
+
+BERGAMIN.
+
+ Vous vous dandinez,
+ Vous reniflez sans fin, Roi des Enchifrenés,
+ Le nez toujours noirci d'un vain sternutatoire,
+ Vous contez six-vingts fois par jour la même histoire.
+
+PASQUINOT, qui, assis, jambes croisées, balance son pied.
+
+ Mais...
+
+BERGAMIN.
+
+ Vous ne pouvez pas un instant vous asseoir
+ Sans balancer le pied comme un gros encensoir;
+ A table, vous roulez votre mie en boulettes...
+ Maniaque, mon cher, ah! non, ce que vous l'êtes!
+
+PASQUINOT.
+
+ Oui, comme maintenant on s'ennuie à moisir,
+ De m'inventorier vous avez le loisir;
+ Vous dénombrez mes tics, vous en dressez la liste,
+ Mais la vie en commun, cette grande oculiste,
+ Me désaveugle aussi! Je vous vois ladre, faux,
+ Égoïste, et chacun de vos menus défauts
+ Grossit,--comme la mouche amusante et gentille
+ Devient un monstre affreux, Monsieur, sous la lentille.
+
+BERGAMIN.
+
+ Ce dont je me doutais, maintenant j'en suis sûr!
+
+PASQUINOT.
+
+ Quoi?
+
+BERGAMIN.
+
+ Le mur te flattait.
+
+PASQUINOT.
+
+ Tu perds beaucoup sans mur.
+
+BERGAMIN.
+
+ De te voir tous les jours tu calmas mon envie!
+
+PASQUINOT, éclatant.
+
+ Depuis un mois, Monsieur, ce n'est plus une vie!
+
+BERGAMIN, très digne.
+
+ C'est bien, Monsieur, c'est bien. Ce que nous avons fait,
+ Ce n'était pas pour nous, n'est-ce pas?
+
+PASQUINOT.
+
+ En effet!
+
+BERGAMIN.
+
+ C'était pour nos enfants!...
+
+PASQUINOT, convaincu.
+
+ Pour nos enfants, oui, certe!...
+ Souffrons donc en silence, et supportons la perte
+ De notre liberté, sans soucis apparents.
+
+BERGAMIN.
+
+ Car, se sacrifier, c'est le sort des parents!
+
+Sylvette et Percinet paraissent à gauche, au fond, entre les arbres, et
+traversent lentement la scène, enlacés, avec des gestes d'exaltés.
+
+PASQUINOT.
+
+ Chut! voici les Amants!
+
+BERGAMIN, les regardant.
+
+ Voyez-moi cette pose!...
+ Semblent-ils pas marcher dans une apothéose?
+
+PASQUINOT.
+
+ Depuis que l'aventure exauça tous leurs voeux,
+ Ils sentent des rayons mêlés à leurs cheveux!
+
+BERGAMIN.
+
+ C'est l'heure où, copiant les attitudes lentes
+ Des Pèlerins d'Amour dans les Fêtes Galantes,
+ Ils viennent chaque jour, avec componction,
+ Sur le lieu du combat faire une station!
+
+Sylvette et Percinet, qui ont disparu à droite, y reparaissent, à un
+plan plus rapproché, et descendent en scène.
+
+ Voici nos pèlerins.
+
+PASQUINOT.
+
+ S'ils brodent sur leur thème
+ Coutumier, cela vaut d'être écouté!...
+
+(Bergamin et Pasquinot se retirent derrière un massif.)
+
+
+SCÈNE II
+
+SYLVETTE, PERCINET; BERGAMIN et PASQUINOT, cachés.
+
+PERCINET.
+
+ Je t'aime!...
+
+SYLVETTE.
+
+ Je vous aime...
+
+Ils s'arrêtent.
+
+ A l'endroit illustre nous voici!
+
+PERCINET.
+
+ Oui, c'est ici qu'eut lieu la chose. C'est ici
+ Que tomba lourdement la brute transpercée!
+
+SYLVETTE.
+
+ Là, je fus Andromède!
+
+PERCINET.
+
+ Et là, je fus Persée!
+
+SYLVETTE.
+
+ Combien donc étaient-ils contre toi?
+
+PERCINET.
+
+ Dix!
+
+SYLVETTE.
+
+ Oh!... vingt!...
+ Vingt au moins, sans compter ce grand dernier qui vint,
+ Et dont tu corrigeas l'humeur récalcitrante.
+
+PERCINET.
+
+ Oui, vous avez raison, ils étaient au moins trente.
+
+SYLVETTE.
+
+ Ah! redis-moi comment, dague au poing, flamme aux yeux.
+ Tu les frappas dans l'ombre, ô mon Victorieux!
+
+PERCINET.
+
+ Je ne sais si ce fut en sixte, ou bien en quarte...
+ Mais ils tombaient, pareils aux capucins de carte!
+
+SYLVETTE.
+
+ Ami, si vos cheveux avaient été moins blonds,
+ J'aurais cru voir le Cid!
+
+PERCINET.
+
+ Oui, nous nous ressemblons.
+
+SYLVETTE.
+
+ Il manque à nos amours d'être mis en poème.
+
+PERCINET.
+
+ Sylvette, ils le seront!
+
+SYLVETTE.
+
+ Je vous aime.
+
+PERCINET.
+
+ Je t'aime!
+
+SYLVETTE.
+
+ C'est du rêve vécu!... Je m'étais tant juré
+ D'épouser le héros follement rencontré,
+ Et pas le bon petit fiancé des familles!...
+
+PERCINET.
+
+ Ah?
+
+SYLVETTE.
+
+ Non, non, pas celui qu'on offre aux jeunes filles,
+ Le doux Monsieur que cherche à marier sa soeur,
+ Ou quelque digne abbé, son vague confesseur.
+
+PERCINET.
+
+ Tu n'aurais surtout pas épousé, que j'espère,
+ L'inévitable fils d'un ami de ton père!
+
+SYLVETTE, riant.
+
+ Ah! non!... Remarques-tu que mon père et le tien
+ Sont depuis quelques jours d'une humeur?...
+
+PERCINET.
+
+ Oui, de chien.
+
+BERGAMIN, derrière le massif.
+
+ Hum!
+
+PERCINET.
+
+ Et je sais pourquoi leur bonne humeur s'altère...
+
+BERGAMIN, derrière le massif.
+
+ Ah?
+
+PERCINET.
+
+ Mais oui! notre envol vexe leur terre-à-terre.
+ Je respecte beaucoup mon père,--et ton auteur;
+ Mais ce sont bons bourgeois pas très à la hauteur.
+ Notre éclat les relègue un peu dans les ténèbres.
+
+PASQUINOT, derrière le massif.
+
+ Hein?
+
+SYLVETTE, de même.
+
+ Les voilà passés pères d'amants célèbres!
+
+PERCINET, riant.
+
+ Mon panache excessif leur devient importun.
+
+SYLVETTE.
+
+ Ton père a devant toi la gêne obscure d'un...
+ Je ne sais si je peux dire?
+
+PERCINET.
+
+ Tu peux, espiègle.
+
+SYLVETTE.
+
+ D'un canard ayant fait la couvaison d'un aigle!
+
+BERGAMIN, derrière le massif.
+
+ Ho! ho!
+
+SYLVETTE, riant plus fort.
+
+ Pauvres parents, notre amour clandestin,
+ Comme il se joua d'eux!...
+
+PASQUINOT, derrière le massif.
+
+ Hé! hé!
+
+PERCINET.
+
+ Oui, le Destin
+ Joint toujours les Amants par d'imprévus méandres,
+ Et le hasard se fait le Scapin des Léandres!
+
+BERGAMIN, derrière le massif.
+
+ Ha! ha!
+
+SYLVETTE.
+
+ Et donc, ce soir, le contrat, nous allons
+ Le signer!
+
+PERCINET, remontant.
+
+ Et je vais mander les violons!
+
+SYLVETTE.
+
+ Allez vite!
+
+PERCINET.
+
+ Je cours!
+
+SYLVETTE, le rappelant.
+
+ Tenez, je suis gentille,
+ Et je vais vous mener, Monsieur, jusqu'à la grille
+
+Ils remontent enlacés, Sylvette minaudant.
+
+ Nous égalons, je crois, les plus fameux Amants.
+
+PERCINET.
+
+ Oui, nous serons parmi ces Immortels Charmants:
+ Roméo, Juliette,--Aude et Roland...
+
+SYLVETTE.
+
+ Aminte
+ Et son pâtre!
+
+PERCINET.
+
+ Pyrame et Thisbé!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mainte et mainte
+ Encore...
+
+Ils sont sortis. On entend leurs voix s'éloigner parmi les arbres.
+
+La voix de PERCINET.
+
+ Francesca, tu sais, de Rimini,
+ Et Paolo...
+
+La voix de SYLVETTE.
+
+ Pétrarque et Laure...
+
+BERGAMIN, sortant du massif.
+
+ As-tu fini?
+
+
+SCÈNE III
+
+PASQUINOT, BERGAMIN.
+
+PASQUINOT, gouailleur.
+
+ Le succès de ton plan, Monsieur l'homme sagace,
+ Répond à ton espoir, et même il le dépasse!
+ Résultat qui sans doute était prévu par vous,
+ Cher maître: nos enfants sont complètement fous!
+
+BERGAMIN.
+
+ Il est clair que ta fille est assez énervante
+ Avec son fameux rapt, que sans cesse elle vante!
+
+PASQUINOT.
+
+ Et ton fils, qui se croit un héros, prend des airs
+ Qui ne me portent pas moindrement sur les nerfs!
+
+BERGAMIN.
+
+ Mais le plus irritant, c'est qu'ils nous représentent
+ Comme deux bons bourgeois dupés, qu'ils nous plaisantent
+ Sur notre aveuglement voulu, sur ce que nous
+ Ne surprîmes jamais un de leur rendez-vous!
+ C'est bête, si tu veux, mais enfin ça m'agace.
+
+PASQUINOT.
+
+ Avais-tu prévu ça, Monsieur l'homme sagace?
+ Grâce à toi, ton moutard tient d'insanes propos,
+ Et se croit le premier des moutardiers papaux.
+
+BERGAMIN.
+
+ Moutardier dont au nez me monte la moutarde!
+
+PASQUINOT.
+
+ Je vais tout leur conter, sans plus tarder.
+
+BERGAMIN.
+
+ Non, tarde!
+ Il ne faut pas aller leur dire tout de go;
+ On parlera sitôt après le conjungo;
+ Jusqu'aux derniers accords des nuptiales harpes,
+ Sachons leur opposer un mutisme de carpes.
+
+PASQUINOT.
+
+ Soit, mais nous voilà pris nous-mêmes dans nos rêts,
+ Grâce à ton fameux plan.
+
+BERGAMIN.
+
+ Mon cher, tu l'admirais!
+
+PASQUINOT.
+
+ Ah! il était joli, ton plan!
+
+BERGAMIN, à part.
+
+ Il m'exaspère!
+
+
+SCÈNE IV
+
+LES MÊMES, SYLVETTE.
+
+Elle entre gaiement, une branche fleurie à la main, dont elle fait à la
+cantonade des signes à Percinet qu'elle vient de quitter, puis elle
+descend entre les deux pères.
+
+SYLVETTE.
+
+ Bonjour, mon cher papa. Bonjour, futur beau-père!
+
+BERGAMIN.
+
+ Bonjour, future bru!
+
+SYLVETTE, l'imitant.
+
+ Bonjour, future bru!
+ Oh! comme vous avez ce matin l'air bourru!
+
+BERGAMIN.
+
+ C'est Pasquinot qui me... qui me...
+
+SYLVETTE, lui agitant sa branche sous le nez.
+
+ Chut! chut! du calme!
+ Je viens comme la paix,--et j'agite une palme!
+ Vous vous boudez encore un peu? C'est bien permis:
+ Pouvez-vous vous aimer comme deux vieux amis?
+
+PASQUINOT, à part.
+
+ Ironie!...
+
+BERGAMIN, haut, gouailleur.
+
+ Oui, c'est vrai; notre haine fut telle
+ Qu'on ne peut...
+
+SYLVETTE.
+
+ Songez donc: une haine mortelle!
+ Oh! quand je me souviens de ce que vous disiez
+ De papa, bien souvent, là, parmi vos rosiers,
+ Sans vous douter que moi j'entendais tout, assise
+ Derrière le bon mur...
+
+BERGAMIN, à part.
+
+ Elle est d'une bêtise!
+
+SYLVETTE, à Pasquinot.
+
+ Car je venais ici chaque jour, vous savez,
+ Retrouver Percinet!--Dire que vous n'avez
+ Jamais eu de soupçons!
+
+PASQUINOT, ironique.
+
+ Oh! pour ça, que je meure,
+ Si...
+
+SYLVETTE.
+
+ Nous venions pourtant toujours à la même heure.
+
+A Bergamin.
+
+ Ha! ha! J'entends encor Percinet vous crier,
+ Le jour même du rapt: «Je veux me marier
+ De la façon la plus romanesquement folle!»
+ Eh! dame, dites donc, il a tenu parole!
+
+BERGAMIN, vexé.
+
+ Vraiment?... Et vous croyez que si j'avais voulu?...
+
+SYLVETTE.
+
+ Ta! ta! ta! Je le sais, pour l'avoir cent fois lu:
+ Les rêves des Amants toujours se réalisent,
+ Et les pères, toujours, tôt ou tard, s'humanisent,
+ Contraints par quelque étrange et fol événement
+ Qui force, à point nommé, leur attendrissement.
+
+PASQUINOT.
+
+ Qui force, à point nommé?... Non, non, laissez-moi rire!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais, nous l'avons prouvé!...
+
+BERGAMIN.
+
+ Si je voulais vous dire...
+
+SYLVETTE.
+
+ Quoi?
+
+BERGAMIN.
+
+ Rien!
+
+SYLVETTE, à Bergamin.
+
+ Alors, pourquoi prenez-vous cet air fin?
+
+BERGAMIN.
+
+ Mais, parce que...
+
+A part.
+
+ Ho!... c'est agaçant, à la fin!
+
+PASQUINOT.
+
+ Quand on pourrait d'un mot...
+
+Remontant.
+
+ Mais gardons le mystère!
+
+SYLVETTE.
+
+ Quand on n'a rien à dire, il le faut bien, se taire!
+
+PASQUINOT, éclatant.
+
+ Rien à dire! La folle! Alors, vous croyez ça,
+ Que tout se passe ainsi que cela se passa?
+ Qu'on envahit les parcs malgré les bonnes grilles?...
+
+BERGAMIN.
+
+ Vous croyez qu'on enlève encor les jeunes filles?
+
+SYLVETTE.
+
+ Si je crois? Que dit-il?
+
+BERGAMIN, se montant.
+
+ Moi, je dis qu'en voilà
+ Assez! Qu'il était temps que tout se dévoilât!...
+ Oui, depuis que le monde est monde entre les mondes,
+ Le succès fut toujours pour les perruques blondes;
+ Bartholo, dont la haine en secret s'aviva,
+ Dut toujours s'incliner devant Almaviva;
+ Mais l'heure du triomphe et des justes revanches
+ Vient enfin de sonner pour les perruques blanches!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais...
+
+PASQUINOT.
+
+ Jadis, nous étions, nous autres, les papas,
+ Cassandre, Orgon, Géronte, Argante, n'est-ce pas?
+ Vous en êtes restée à ces vieilles badernes?...
+ Mais on n'en trouve plus chez les pères modernes!
+ Les dupés d'autrefois sont dupeurs à leur tour.
+ L'ordre donné par nous de vous aimer d'amour,
+ Ni vous ni Percinet n'eussiez voulu l'entendre?
+ Ce fut donc bien joué que de vous le défendre!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais alors, vous saviez peut-être...
+
+PASQUINOT.
+
+ Sûrement!
+
+SYLVETTE.
+
+ Nos duos?
+
+BERGAMIN.
+
+ J'écoutais leur doux susurrement!
+
+SYLVETTE.
+
+ Les bancs où nous grimpions?...
+
+PASQUINOT.
+
+ Tout exprès nous les mîmes.
+
+SYLVETTE.
+
+ Le duel?
+
+BERGAMIN.
+
+ Simple jeu!
+
+SYLVETTE.
+
+ Les spadassins?
+
+PASQUINOT.
+
+ Des mimes!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mon rapt?--Oh! ça, c'est faux!...
+
+BERGAMIN, fouillant dans sa poche.
+
+ C'est faux? Quand justement
+ J'ai la facture, là, de votre enlèvement!
+
+SYLVETTE, la lui arrachant.
+
+ Ah! donnez!...
+
+Elle lit.
+
+ «_Straforel, maison de confiance,
+ Un faux rapt, mis en scène, afin que l'on fiance!..._»
+ Ah!--«_Huit sombres manteaux à cinq francs le manteau;
+ Huit masques..._»
+
+BERGAMIN, à Pasquinot.
+
+ Nous avons, je crois, parlé trop tôt!
+
+SYLVETTE, lisant.
+
+ «_Une chaise à porteurs, soignée, à coussins roses,
+ Création nouvelle..._»
+
+Haut, ironiquement.
+
+ On a bien fait les choses!
+
+Elle jette la facture en riant sur la table.
+
+PASQUINOT, surpris.
+
+ Elle n'est pas fâchée?
+
+SYLVETTE, avec bonne grâce.
+
+ Ah! le tour est charmant!
+ Mais c'est beaucoup d'esprit bien inutilement;
+ Cher Monsieur Bergamin, croyez-vous que si j'aime
+ Mon Percinet, c'est grâce à votre stratagème?
+
+PASQUINOT.
+
+ Elle le prend très bien.
+
+BERGAMIN, à Sylvette.
+
+ Vous le prenez très bien!
+
+PASQUINOT.
+
+ Mais alors... on peut dire à Percinet?...
+
+SYLVETTE, vivement.
+
+ Oh! rien!
+ Non, ne lui dites rien!... Les hommes, c'est si bête!
+
+BERGAMIN.
+
+ Quel bon sens! voyez-vous cette petite tête!...
+ Et moi qui la croyais...
+
+Tirant sa montre.
+
+ Mais le contrat, pardon,
+ Allons nous préparer...
+
+Tendant la main à Sylvette.
+
+ Bons amis?...
+
+SYLVETTE.
+
+ Comment donc!
+
+BERGAMIN, se retournant encore avant de sortir.
+
+ Vous ne m'en voulez pas du tout?
+
+SYLVETTE, tout miel.
+
+ Je vous l'atteste.
+
+Pasquinot et Bergamin sortent.--Avec une rage froide:
+
+ Ce Monsieur Bergamin, comme je le déteste!...
+
+
+SCÈNE V
+
+SYLVETTE, PERCINET.
+
+PERCINET, entrant épanoui.
+
+ Ah! vous êtes encore ici?... Je comprends ça.
+ Vous ne pouvez quitter l'endroit où se passa
+ Toute cette aventure inouïe!...
+
+SYLVETTE, assise sur le banc, à gauche.
+
+ Inouïe,
+ En effet!
+
+PERCINET.
+
+ C'est de là que, presque évanouie,
+ Vous me vîtes combattre, ainsi qu'un Amadis,
+ Ces trente spadassins...
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais non, ils étaient dix.
+
+PERCINET, se rapprochant.
+
+ Chère, mais qu'avez-vous? Mais quoi donc vous attriste?
+ Ces yeux, où du saphir fond dans de l'améthyste,
+ Ils semblent obscurcis par quelque ennui, ces yeux?
+
+SYLVETTE, à part.
+
+ Son langage est parfois un peu prétentieux.
+
+PERCINET.
+
+ Ah! tenez, je comprends tout ce qu'en vous suscite
+ De regrets attendris, cet adorable site!...
+ Vous pleurez le vieux mur aux feuillages grimpeurs,
+ Témoin de nos espoirs, jadis, et de nos peurs;
+ Mais il n'est pas détruit, la gloire le couronne...
+ Est-ce qu'il est détruit, le balcon de Vérone?...
+
+SYLVETTE, impatientée.
+
+ Ah!
+
+PERCINET.
+
+ Ne laisse-t-il pas, dans un vent toujours frais,
+ Ce balcon toujours blanc, trembler sans fin, auprès
+ D'un grenadier jamais défleuri, son échelle
+ Inusable, que dore une aurore immortelle?
+
+SYLVETTE.
+
+ Oh!
+
+PERCINET, de plus en plus lyrique.
+
+ L'éternel duo fait l'éternel décor!
+ C'est pourquoi, démoli, le mur se dresse encor,
+ Sur lequel a poussé, folle pariétaire,
+ Notre amour merveilleuse...
+
+SYLVETTE, à part.
+
+ Il ne va pas se taire!
+
+PERCINET, avec un sourire plein de promesses.
+
+ Mais le voeu fut par vous tout à l'heure exprimé
+ De voir sur notre histoire un poème rimé...
+ Donc, ce poème...
+
+SYLVETTE, inquiète.
+
+ Eh bien?
+
+PERCINET.
+
+ Moi-même je le rime.
+
+SYLVETTE.
+
+ Tu sais faire des vers?
+
+PERCINET.
+
+ Pouh!... Savais-je l'escrime?
+ Écoute mon début, que j'ai fait en marchant,
+ «_Les Pères Ennemis._» Poème.
+
+SYLVETTE.
+
+ Oh!...
+
+PERCINET, se campant pour déclamer.
+
+ Premier chant!
+
+SYLVETTE.
+
+ Oh!...
+
+PERCINET.
+
+ Qu'as-tu?
+
+SYLVETTE.
+
+ Le bonheur... les nerfs... une faiblesse.
+
+Fondant en pleurs.
+
+ Laissez-moi me remettre, un instant.
+
+Elle lui tourne le dos, assise sur le banc, et se cache le visage dans
+son mouchoir.
+
+PERCINET, un moment stupéfait.
+
+ Je vous laisse.
+
+Puis, à part, avec un sourire avantageux.
+
+ Un jour comme aujourd'hui, ce trouble est naturel!
+
+Il passe à droite, aperçoit sur la table le papier de la facture, et
+tirant vivement un crayon de sa poche, s'assied en disant:
+
+ Notons toujours mes vers.
+
+Il prend le papier, s'apprête à écrire--mais s'arrête, le crayon levé,
+et lit:
+
+ «_Avoir, moi, Straforel,
+ Feint de choir, transpercé d'une lame ignorante,--
+ Habit froissé: dix francs; amour-propre: quarante._»
+
+Souriant.
+
+ Qu'est cela?
+
+Il continue tout bas. Le sourire s'efface. L'oeil s'exorbite.
+
+SYLVETTE, toujours sur le banc, s'essuyant les yeux.
+
+ S'il savait, qu'il tomberait de haut!
+ J'ai failli me trahir. Prenons garde!
+
+PERCINET, se levant.
+
+ Ho!--ho!--ho!
+
+SYLVETTE, se retournant vers lui.
+
+ Que dites-vous?
+
+PERCINET, escamotant la facture.
+
+ Moi? rien, rien!
+
+SYLVETTE, à part.
+
+ Son erreur me navre.
+
+PERCINET, à part.
+
+ C'est pour ça qu'on n'a pas retrouvé le cadavre!
+
+SYLVETTE, à part, se levant.
+
+ Il a l'air de bouder. Rapprochons-nous de lui.
+
+Elle tourne un moment, puis voyant qu'il ne bouge pas,--coquettement:
+
+ Vous ne m'avez rien dit de ma robe aujourd'hui?
+
+PERCINET, négligemment.
+
+ Le bleu ne vous va pas. Je vous préfère en rose.
+
+SYLVETTE, à part, saisie.
+
+ Le bleu ne me va pas... Saurait-il quelque chose?
+
+Regardant la table.
+
+ Mais la facture, au fait, j'ai dû la mettre là!
+
+PERCINET, la voyant qui cherche.
+
+ Qu'avez-vous à tourner, voyons, comme cela?
+
+SYLVETTE.
+
+ Rien...
+
+A part.
+
+ Un papier, le vent quelquefois le dérobe.
+
+Haut, faisant bouffer sa jupe.
+
+ Rien... je tournais pour voir comment me va ma robe!...
+
+A part.
+
+ Je saurai bien s'il l'a trouvée.
+
+Haut.
+
+ Hum!... Tu voulais
+ Dire tantôt des vers sur nos amours?
+
+Mouvement de Percinet. Elle lui prend le bras, et, bien gentiment:
+
+ Dis-les.
+
+PERCINET.
+
+ Ah! non!
+
+SYLVETTE.
+
+ Dis-les, ces vers...
+
+PERCINET.
+
+ Non!
+
+SYLVETTE, ironique.
+
+ Sur notre aventure!
+
+PERCINET.
+
+ Ils sont mauvais, tu sais... Je n'ai pas...
+
+SYLVETTE.
+
+ La facture?
+
+PERCINET.
+
+ Non, je n'ai pas la fact...
+
+Sursautant et la regardant.
+
+ Pardon, mais...
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais, pardon...
+
+PERCINET.
+
+ Ah! mais elle sait donc?...
+
+SYLVETTE, de même.
+
+ Il sait donc?
+
+TOUS LES DEUX, ensemble.
+
+ Tu sais donc?
+
+Un temps, puis ils éclatent de rire.
+
+ Ha! ha! ha!...
+
+PERCINET.
+
+ N'est-ce pas que c'est drôle?
+
+SYLVETTE.
+
+ Très drôle!
+
+PERCINET.
+
+ Non, vraiment, on nous fit jouer un rôle.
+
+SYLVETTE.
+
+ Un rôle!
+
+PERCINET.
+
+ Nos pères étaient donc bons amis?
+
+SYLVETTE.
+
+ Bons voisins.
+
+PERCINET.
+
+ Ma parole, ils devraient être même cousins.
+
+SYLVETTE, faisant la révérence.
+
+ J'épouse mon cousin!
+
+PERCINET.
+
+ J'épouse ma cousine!
+
+SYLVETTE.
+
+ C'est gentil!...
+
+PERCINET.
+
+ C'est classique!
+
+SYLVETTE.
+
+ Ah! certe, on imagine
+ Des mariages plus... Mais c'est si bon de voir
+ Que l'on conciliait l'amour--et le devoir!
+
+PERCINET.
+
+ Et l'intérêt! Car ces deux parcs, leurs dépendances...
+
+SYLVETTE.
+
+ Excellent mariage, enfin, de convenances.
+ Elle est loin, notre pauvre idylle sur le mur!
+
+PERCINET.
+
+ Il ne faut plus parler d'idylle, c'est bien sûr!
+
+SYLVETTE.
+
+ Je rentre dans le rang banal des jeunes filles.
+
+PERCINET.
+
+ Je suis le bon petit fiancé des familles...
+ Et c'est en Roméo, Sylvette, que je plus!
+
+SYLVETTE.
+
+ Ah! Roméo, c'est clair que vous ne l'êtes plus!
+
+PERCINET.
+
+ Est-ce que vous croyez être encor Juliette?
+
+SYLVETTE.
+
+ Vous devenez amer.
+
+PERCINET.
+
+ Dame! et vous... aigrelette.
+
+SYLVETTE.
+
+ Si vous avez été ridicule, eh! mon Dieu!
+ Est-ce ma faute à moi?
+
+PERCINET.
+
+ Si je le fus un peu,
+ Je ne le fus pas seul!...
+
+SYLVETTE.
+
+ Eh bien, soit! nous le fûmes!
+ Ah! mon pauvre Oiseau Bleu, bien déteintes, vos plumes!
+
+PERCINET, ricanant.
+
+ Ha!... un simili-rapt!
+
+SYLVETTE.
+
+ De pseudo-coups d'estoc!...
+
+PERCINET.
+
+ Fi! la fausse enlevée!
+
+SYLVETTE.
+
+ Hou! le sauveur en toc!
+ Ah! notre poésie était une risée!
+ C'est ainsi qu'en crevant, belle bulle irisée,
+ Tu n'es plus, disparue à nos yeux étonnés,
+ Qu'un peu d'eau de savon qui nous pleut sur le nez!
+
+PERCINET.
+
+ Donc, Amant dont je fus le plus vil des émules,
+ Amante dont, indigne, elle chaussa les mules,
+ O pâle et noble couple, ô couple shakspearien,
+ Nous n'avions avec vous de commun rien, rien...
+
+SYLVETTE.
+
+ Rien!
+
+PERCINET.
+
+ Donc, au lieu de jouer le cher et divin drame,
+ Nous en avons joué la parodie infâme!
+
+SYLVETTE.
+
+ Donc, c'était un serin que notre rossignol!
+
+PERCINET.
+
+ Donc, il était, le mur immortel, un Guignol!
+ Et quand nous y venions, chaque jour, apparaître,
+ Chaque jour, à mi-corps, nous étions, au lieu d'être
+ Deux parangons d'amour aux types éternels,
+ Deux pantins qu'animaient les gros doigts paternels!
+
+SYLVETTE.
+
+ C'est vrai! Mais nous serions grotesques davantage
+ Si nous nous aimions moins!
+
+PERCINET.
+
+ Aimons-nous avec rage!
+ Nous sommes obligés de nous aimer, d'abord!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais, nous nous adorons!...
+
+PERCINET.
+
+ Le mot n'est pas trop fort!
+
+SYLVETTE.
+
+ L'amour peut consoler très bien d'un tel désastre!...
+ N'est-ce pas, mon trésor?
+
+PERCINET.
+
+ Certainement, mon astre!
+
+SYLVETTE.
+
+ Bonjour donc, ma chère âme!
+
+PERCINET.
+
+ Et bonsoir, ma beauté!
+
+SYLVETTE.
+
+ Je vais rêver à vous, mon coeur,--de mon côté!
+
+PERCINET.
+
+ Et moi du mien. Bonjour!
+
+SYLVETTE.
+
+ Bonsoir!
+
+Elle sort.
+
+PERCINET.
+
+ Ah! par exemple!...
+ Ah! l'on me traite ainsi!... Mais quel est, dans cet ample
+ Manteau, qui laisse voir cet étrange pourpoint,
+ Ce Monsieur moustachu que je ne connais point?...
+
+Straforel, qui est entré sur ces vers, descend majestueusement en scène.
+
+
+SCÈNE VI
+
+PERCINET, STRAFOREL.
+
+PERCINET.
+
+ Qu'est-ce?
+
+STRAFOREL, souriant.
+
+ C'est pour toucher une petite somme.
+
+PERCINET.
+
+ Un fournisseur?
+
+STRAFOREL.
+
+ Tout juste! Allez donc, bon jeune homme,
+ Dire à votre papa que j'attends.
+
+PERCINET.
+
+ Votre nom?
+
+STRAFOREL.
+
+ Mon nom est Straforel.
+
+PERCINET, bondissant.
+
+ Lui, maintenant? Ah! non!
+ Ah! non! ceci devient par trop intolérable!
+
+STRAFOREL, souriant.
+
+ Tiens, tiens! vous savez donc, jeune homme?
+
+PERCINET, lui jetant la facture qu'il tire chiffonnée de sa poche.
+
+ Misérable!
+ C'était toi!
+
+STRAFOREL.
+
+ Mon Dieu! oui, c'était moi: per Baccho!
+
+PERCINET.
+
+ Oh! rencontrer cet homme! Oh! je fuirais jusqu'au
+ Bout du monde...
+
+STRAFOREL, satisfait.
+
+ Et je suis tellement gras et rose
+ Que la citation, il me semble, s'impose:
+ Les gens que vous tuez se portent...
+
+PERCINET, se ruant sur lui l'épée à la main.
+
+ Tu vas voir!
+
+STRAFOREL, parant avec son bras, tranquille comme un maître d'armes qui
+donne la leçon.
+
+ La main haute!... le pied en dehors! n'en savoir
+ Pas plus long à votre âge, eh! Monsieur, c'est un crime!
+
+D'un tour de main il lui enlève son épée,--et la lui rendant, dans un
+salut:
+
+ Quoi! vous cessez déjà votre leçon d'escrime?
+
+PERCINET, exaspéré, la reprenant.
+
+ Ah! je pars!... On me traite en enfant: bien! j'aurai
+ Ma revanche! J'aurai du roman, et du vrai!
+ Je vais, par des amours et des duels sans nombre,
+ Scandaliser, ô Don Juan, jusqu'à ton ombre!
+ Et je vais enlever des filles d'opéra!
+
+Il sort en courant, l'épée brandie.
+
+STRAFOREL.
+
+ Très bien!... Mais, maintenant, est-ce qu'on me paiera?
+
+
+SCÈNE VII
+
+STRAFOREL, BERGAMIN, PASQUINOT
+
+STRAFOREL, regardant dans la coulisse.
+
+ Hé! là-bas! arrêtez!... En voici bien d'une autre!
+
+Entrent Bergamin et Pasquinot, décoiffés, déchirés, comme après une
+lutte.
+
+PASQUINOT, se rajustant et rendant à Bergamin sa perruque.
+
+ Voici votre perruque!
+
+BERGAMIN.
+
+ Ouf! Et voici la vôtre!
+
+PASQUINOT.
+
+ Vous comprenez qu'après de pareils procédés!...
+ Voici votre jabot...
+
+BERGAMIN, d'une voix sifflante.
+
+ Et vous me concédez
+ Que revivre avec vous serait un sacrifice
+ Trop grand pour qu'au bonheur de mon fils je le fisse!
+
+PASQUINOT, voyant entrer Sylvette.
+
+ Ma fille!... Cachons-lui d'abord ce qu'il en est!...
+
+
+SCÈNE VIII
+
+LES MÊMES, SYLVETTE, puis BLAISE, LE NOTAIRE, LES TÉMOINS, VIOLONS et
+INVITÉS.
+
+SYLVETTE, se jetant au cou de son père.
+
+ Papa, je ne veux plus épouser Percinet!...
+
+Entrent le notaire pour le contrat, et des bourgeois endimanchés,
+témoins.
+
+BERGAMIN.
+
+ Les témoins!... le notaire!... Au diable!
+
+LES TÉMOINS, ahuris.
+
+ Hein?
+
+LE NOTAIRE, avec dignité.
+
+ Ces paroles!...
+
+STRAFOREL, au milieu du tumulte, ayant ramassé la facture jetée par
+Percinet.
+
+ Ma facture!... payez!... quatre-vingt-dix pistoles!...
+
+Entrent des invités et trois violons jouant un menuet.
+
+BERGAMIN, hors de lui, les bousculant.
+
+ Les violons!... Au diable!
+
+Les violons continuent automatiquement leur menuet.
+
+STRAFOREL, impatienté, à Bergamin.
+
+ Eh bien!... Je tends la main?
+
+BERGAMIN.
+
+ Parlez à Pasquinot!
+
+PASQUINOT.
+
+ Parlez à Bergamin!
+
+STRAFOREL, soulignant les mots de la facture.
+
+ «_Un faux rapt mis en scène afin que l'on fiance..._»
+
+BERGAMIN.
+
+ Ils sont défiancés! Donc, cela me dispense
+ De payer.
+
+STRAFOREL, à Pasquinot.
+
+ Mais, Monsieur...
+
+PASQUINOT.
+
+ Que je vous donne un sol
+ Maintenant que tout est rompu?--Vous êtes fol!
+
+BERGAMIN, à qui Blaise est venu parler bas.
+
+ Mon fils!... parti!...
+
+SYLVETTE, saisie.
+
+ Parti?...
+
+STRAFOREL, qui remontait, s'arrête et la regarde.
+
+ Tiens! tiens!
+
+BERGAMIN.
+
+ Courez! en chasse!
+
+Il sort en courant, suivi du notaire et des invités.
+
+SYLVETTE, très émue.
+
+ Parti!
+
+STRAFOREL, redescendant en l'observant toujours.
+
+ S'il se pouvait que je rabibochasse
+ Ensemble ces mignons... eh! peut-être...
+
+SYLVETTE, tout d'un coup furieuse.
+
+ Parti?
+ Ah! ça c'est un peu fort!
+
+Elle sort, suivie de Pasquinot.
+
+STRAFOREL, triomphant.
+
+ Straforel, mon petit,
+ Pour te faire payer tes nonante pistoles,
+ Ce mariage, il faut que tu le rafistoles!
+
+Il sort. Les trois violons restés seuls au milieu de la scène jouent
+toujours leur menuet.
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+ACTE TROISIÈME
+
+
+_Même décor. On a apporté des matériaux pour la reconstruction du mur,
+qui est commencée au fond. Sacs de plâtre. Brouette. Auges et truelles._
+
+_Quand le rideau se lève, un maçon travaille, accroupi, le dos tourné au
+public. Bergamin et Pasquinot, chacun de son côté, inspectent les
+travaux._
+
+
+SCÈNE PREMIÈRE
+
+BERGAMIN, PASQUINOT, UN MAÇON.
+
+LE MAÇON chante en travaillant.
+
+ Tra laï deluriau...
+
+BERGAMIN.
+
+ Ces ouvriers sont longs!...
+
+LE MAÇON.
+
+ Deluriau, de lurot...
+
+PASQUINOT, suivant ses mouvements avec satisfaction.
+
+ C'est cela! des moellons!...
+
+BERGAMIN, même jeu.
+
+ Pouf! un tas de mortier!
+
+PASQUINOT.
+
+ Paf! un coup de truelle!
+
+LE MAÇON, faisant des roulades.
+
+ Deluriau delurie--ue--ue--ue--ue--ue--uel--le.
+
+PASQUINOT, redescendant.
+
+ Belle voix! mais travail bien lent!...
+
+BERGAMIN, redescendant aussi, avec un bonheur agressif.
+
+ Ha! ha! voici
+ Un pan de commencé! Bon!
+
+PASQUINOT, frappant du pied l'endroit non encore construit.
+
+ Demain même, ici,
+ Le mur va de deux pieds sortir de terre!--O joie!
+
+BERGAMIN, lyrique.
+
+ O cher mur, que bientôt, debout, je te revoie!
+
+PASQUINOT.
+
+ Que dites-vous, Monsieur?
+
+BERGAMIN.
+
+ Je ne vous parle pas.
+
+Un temps.
+
+ Que faites-vous le soir après votre repas?
+
+PASQUINOT.
+
+ Rien... Et vous?
+
+BERGAMIN.
+
+ Rien non plus.
+
+Un temps.--Ils se saluent, et se promènent.
+
+PASQUINOT, s'arrêtant.
+
+ Alors, pas de nouvelles
+ De votre fils?
+
+BERGAMIN.
+
+ Mais non. Il court toujours.
+
+PASQUINOT, poli.
+
+ Les belles
+ Le désargenteront promptement,--et, bien sûr,
+ Il reviendra.
+
+BERGAMIN.
+
+ Merci.
+
+Ils se saluent, et se promènent. Un temps.
+
+PASQUINOT, s'arrêtant.
+
+ Maintenant que le mur
+ Se relève, Monsieur, je veux bien vous permettre
+ De venir quelquefois,--en voisin.
+
+BERGAMIN.
+
+ Bien. Peut-être
+ Vous ferai-je l'honneur...
+
+Ils se saluent.
+
+PASQUINOT, brusquement.
+
+ Eh bien! mais, dites donc,
+ Venez faire un piquet?
+
+BERGAMIN, suffoqué.
+
+ Ah!... oh!... hé!... mais, pardon,
+ Je ne sais si je peux...
+
+PASQUINOT.
+
+ Puisque je vous invite...
+
+BERGAMIN.
+
+ Mon Dieu!... J'aimerais mieux un bésigue.
+
+PASQUINOT.
+
+ Allons vite!
+
+BERGAMIN, sortant derrière lui.
+
+ Vous me deviez dix sous de la dernière fois.
+
+Se retournant.
+
+ Travaillez bien, maçon!
+
+LE MAÇON, de toutes ses forces.
+
+ Tralaï!...
+
+PASQUINOT.
+
+ Belle voix!
+
+Ils sortent.
+
+
+SCÈNE II
+
+STRAFOREL, puis SYLVETTE.
+
+Dès qu'ils sont sortis, le maçon se retourne, ôte son chapeau: c'est
+Straforel.
+
+STRAFOREL.
+
+ Oui, maçon, je le suis,--puisque, sous ce grimage,
+ Je m'introduis céans pour faire un replâtrage!
+
+S'asseyant sur le mur commencé.
+
+ Le jeune homme est toujours au pourchas du roman;
+ Mais on peut deviner, sans être nécroman,
+ Qu'il reviendra bredouille et n'en menant plus large;
+ Donc, tandis que la Vie elle-même se charge,
+ Lui donnant de réel un salutaire bain,
+ De décoquebiner un peu ce coquebin
+ Et de le renvoyer ici tirant de l'aile,
+ Moi, par une action savante et parallèle,
+ Je travaille à guérir des goûts aventureux
+ Sylvette.--Straforel, homme aux talents nombreux,
+ Vous jouâtes souvent les marquis et les princes,
+ Du temps où vous étiez sifflé dans les provinces!
+ Ceci va nous servir.
+
+Il tire de sa souquenille une lettre qu'il met dans l'ouverture moussue
+d'un tronc d'arbre.
+
+ Ah! quel remercîment,
+ Pères, vous me devrez!
+
+Apercevant Sylvette.
+
+ C'est elle!--A mon ciment!
+
+Il se remet à gâcher et disparaît derrière le mur.
+
+SYLVETTE apparaît, furtive, regarde si on la guette, puis:
+
+ Non, personne!...
+
+Elle pose sur le banc de gauche sa mante de mousseline.
+
+ Aujourd'hui, trouverai-je la lettre?
+
+Elle va vers un arbre.
+
+ Tous les jours, un galant inconnu vient en mettre
+ Une, là, dans ce tronc par la foudre entr'ouvert,
+ Et qui fait une boîte aux lettres peinte en vert!...
+
+Elle plonge la main dans le creux de l'arbre.
+
+ Oui, voilà mon courrier.
+
+Elle lit.
+
+ «_Sylvette, coeur de marbre!
+ C'est le dernier billet que produira cet arbre,
+ Pourquoi n'avez-vous pas, tigresse, répondu
+ Au poulet que pour vous chaque jour j'ai pondu?_»
+ --Hein! quel style!
+ «_L'amour qui dans mon âme gronde..._»
+
+Elle chiffonne nerveusement la lettre.
+
+ Ah! Monsieur Percinet s'en va courir le monde!
+ Il a raison!--Et moi je ferai comme lui!
+ Croit-on que je m'en vais mourir ici d'ennui?
+ Mais qu'il vienne, celui qui m'écrivit ces choses!
+ Que de ces verts buissons pleins de nids et de gloses
+ Il surgisse soudain! et telle que je suis,
+ --Sans même aller chercher un chapeau,--je le suis!
+ A tout prix, maintenant, j'en veux, du romanesque!
+ Qu'il vienne! ce Monsieur!--déjà je l'aime presque!
+ Comme je lui tendrais les deux mains, s'il venait!
+ Et comme...
+
+STRAFOREL, apparaissant, d'une voix éclatante.
+
+ Le voilà!
+
+SYLVETTE.
+
+ Au secours, Percinet!
+
+Reculant à mesure que Straforel avance.
+
+ L'homme, n'approchez pas!
+
+STRAFOREL, amoureusement.
+
+ Pourquoi cet air hostile?...
+ Je suis pourtant celui dont vous aimiez le style,
+ Tout à l'heure!... le trop favorisé mortel
+ Dont le billet vous plut, et sur l'amour duquel
+ Vous comptiez, si j'en crois les propos que vous tintes,
+ Pour vous faire enlever et fuir loin des atteintes!
+
+SYLVETTE, ne sachant que devenir.
+
+ L'homme!...
+
+STRAFOREL.
+
+ Vous me prenez pour un maçon? Exquis!
+ C'est exquis!--Sachez donc que je suis le marquis
+ D'Astafiorquercita, fol esprit, coeur malade,
+ Qui cherche à pimenter l'existence trop fade,
+ Et voyage, façon de chevalier errant
+ Auquel est un rêveur, un poète, adhérent!
+ Et c'est pour pénétrer en vos jardins, Cruelle,
+ C'est par amour pour vous que j'ai pris la truelle!
+
+Il jette d'un geste élégant sa truelle, et, dépouillant vivement sa
+souquenille, ôtant son chapeau blanc de plâtre, apparaît dans un
+étincelant costume almavivesque. Perruque blonde, moustache conquérante.
+
+SYLVETTE.
+
+ Monsieur!...
+
+STRAFOREL.
+
+ Par un nommé Straforel, j'ai connu
+ Votre histoire. Un amour insensé m'est venu
+ Pour la pauvre victime, innocente étourdie,
+ Contre qui cette ruse infâme fut ourdie!...
+
+SYLVETTE.
+
+ Marquis!...
+
+STRAFOREL.
+
+ Ne prenez pas cet air épouvanté...
+ Du rôle qu'il joua ce gueux s'étant vanté,
+ Je l'ai tué...
+
+SYLVETTE.
+
+ Tué!...
+
+STRAFOREL.
+
+ D'une seule estocade.
+ D'être un justicier j'eus toujours la toquade!
+
+SYLVETTE.
+
+ Monsieur...
+
+STRAFOREL.
+
+ Je vous comprends, ô cher coeur incompris!
+ Vous voulez du roman, n'est-ce pas, à tout prix?
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais, Marquis!...
+
+STRAFOREL.
+
+ Donc, c'est dit: ce soir, je vous enlève!
+
+SYLVETTE.
+
+ Monsieur...
+
+STRAFOREL.
+
+ Et pour de bon!
+
+SYLVETTE.
+
+ Monsieur!
+
+STRAFOREL.
+
+ Ah! quel beau rêve!
+ Vous avez consenti! Je l'ai bien entendu!
+ Oui, ce soir nous prendrons notre vol éperdu!
+ Si de votre papa la tête se détraque
+ De douleur, c'est tant pis!...
+
+SYLVETTE.
+
+ Monsieur...
+
+STRAFOREL.
+
+ Si l'on nous traque
+ --Car on poursuit le rapt avec sévérité,--
+ C'est tant mieux!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais, Monsieur!...
+
+STRAFOREL.
+
+ Tant mieux, en vérité!
+ Nous pourrons fuir à pied par une nuit d'orage,
+ Nos fronts nus sous la pluie et le vent faisant rage!
+
+SYLVETTE.
+
+ Monsieur...
+
+STRAFOREL.
+
+ Et pour gagner un lointain continent,
+ Nous nous embarquerons, Madame, incontinent!
+
+SYLVETTE.
+
+ Monsieur...
+
+STRAFOREL.
+
+ Et loin, bien loin, dans quelque pays vierge,
+ Où nous vivrons heureux sous la bure et la serge...
+
+SYLVETTE.
+
+ Ah! mais...
+
+STRAFOREL.
+
+ Car je n'ai rien! Vous ne voudriez pas
+ Que j'eusse quelque chose!...
+
+SYLVETTE.
+
+ Enfin!
+
+STRAFOREL.
+
+ Nos seuls repas
+ Seront du pain,--du pain mouillé de douces larmes!
+
+SYLVETTE.
+
+ Pourtant...
+
+STRAFOREL.
+
+ L'exil pour nous se fleurira de charmes!
+
+SYLVETTE.
+
+ Monsieur...
+
+STRAFOREL.
+
+ Et le malheur pour nous ne sera qu'heur!
+ Pas même une chaumière: une tente!... et ton coeur!
+
+SYLVETTE.
+
+ Une tente?
+
+STRAFOREL.
+
+ Eh bien, oui, quatre piquets, deux toiles...
+ Ou, si vous préférez, rien du tout,--les étoiles!
+
+SYLVETTE.
+
+ Oh! mais...
+
+STRAFOREL.
+
+ Quoi! vous voilà prise d'un tremblement?
+ Vous voudriez aller moins loin, probablement?
+ Soit! nous vivrons cachés, ô ma Déité blonde,
+ Seuls, ayant encouru la vindicte du monde!
+ Ivresse!...
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais, Monsieur, vous vous êtes mépris...
+
+STRAFOREL.
+
+ Les gens s'écarteront de nous avec mépris!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mon Dieu!
+
+STRAFOREL.
+
+ Les préjugés sont faits pour qu'on les foule,
+ Et nous serons heureux des mépris de la foule!
+
+SYLVETTE.
+
+ Monsieur...
+
+STRAFOREL.
+
+ Je n'aurai pas d'autre occupation
+ Que de vous raconter au long ma passion!
+
+SYLVETTE.
+
+ Monsieur...
+
+STRAFOREL.
+
+ Bref, nous vivrons en pleine poésie!
+ J'aurai de furieux accès de jalousie...
+
+SYLVETTE.
+
+ Monsieur...
+
+STRAFOREL.
+
+ Et vous savez, lorsque je suis jaloux,
+ J'ai la férocité des chacals et des loups!
+
+SYLVETTE, tombant anéantie sur le banc.
+
+ Monsieur...
+
+STRAFOREL.
+
+ Si vous brisiez notre chaîne sacrée,
+ Immédiatement vous seriez massacrée!
+
+SYLVETTE.
+
+ Monsieur...
+
+STRAFOREL.
+
+ Vous frissonnez?
+
+SYLVETTE.
+
+ Ah! Dieu, quelle leçon!
+
+STRAFOREL.
+
+ Est-ce du sang, corbacque! ou bien si c'est du son
+ Qui court dans vos vaisseaux artériels!--Tonnerre!
+ Vous m'avez un peu l'air d'une pensionnaire,
+ Pour oser affronter ces destins hasardeux!...
+ Ça, voyons, pars-je seul, ou partons-nous tous deux?
+
+SYLVETTE.
+
+ Monsieur...
+
+STRAFOREL.
+
+ Oui, je comprends, ma voix vous réconforte.
+ Eh bien! nous partirons, puisque vous voilà forte.
+ Je vous enlèverai, tout à l'heure, à cheval,
+ En travers de ma selle... oh! vous y serez mal!
+ Mais la chaise à porteurs, esthétique et commode,
+ Dans l'enlèvement faux est seulement de mode!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais, Monsieur...
+
+STRAFOREL, remontant.
+
+ A tantôt!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais, Monsieur...
+
+STRAFOREL.
+
+ A tantôt!
+ Le temps d'aller quérir un cheval, un manteau...
+
+SYLVETTE, hors d'elle.
+
+ Monsieur!
+
+STRAFOREL avec un geste immense.
+
+ Et nous fuyons de contrée en contrée!...
+
+Redescendant.
+
+ O la longtemps rêvée et l'enfin rencontrée!
+ L'âme à qui peut mon âme enfin dire: «Ma soeur!»
+ A tantôt pour toujours!
+
+SYLVETTE, d'une voix éteinte.
+
+ Pour toujours!
+
+STRAFOREL.
+
+ O douceur!
+ Vous allez vivre auprès de l'être aimé, de l'être
+ Pour lequel vous brûliez avant de le connaître,
+ Et qui, vous ignorant, pour vous se calcinait!
+
+Avant de sortir, la voyant comme évanouie sur le banc.
+
+ Et maintenant, tu peux revenir, Percinet!
+
+Il sort.
+
+
+SCÈNE III
+
+SYLVETTE, seule
+
+Ouvrant les yeux.
+
+ Monsieur... Marquis... Non, pas en travers de la selle!
+ Ayez pitié de moi,--non, je ne suis pas celle...
+ Pas du tout!--Laissez-moi rentrer à la maison!
+ Une pensionnaire: oui, vous aviez raison!
+ Il n'est plus là!... Marquis!... Seule?... Ah! Dieu, l'affreux rêve.
+
+Un temps. Elle se remet.
+
+ J'aime mieux que ce soit pour rire qu'on m'enlève!
+
+Elle se lève.
+
+ Eh bien! Sylvette, eh bien, ma petite,--comment!
+ Vous appeliez tantôt à grands cris le roman,
+ Et, le roman venu, vous n'êtes pas contente?...
+ Oh! la serge, l'exil, les étoiles, la tente!...
+ Non, c'est trop!... Du roman, j'en voulais bien un peu,
+ Comme on met du laurier dedans le pot-au-feu!...
+ Mais c'est trop! Je ne puis supporter ces secousses.
+ Je me contenterais d'émotions plus douces...
+
+Le crépuscule violit vaguement le parc. Elle reprend son voile laissé
+sur le banc, s'en couvre la tête et les épaules, et, rêveuse:
+
+ Qui sait si?...
+
+Percinet paraît. Il est en haillons, le bras en écharpe, se traîne à
+peine. Un feutre d'où pend, lamentable, une plume cassée, cache ses
+traits.
+
+
+SCÈNE IV
+
+SYLVETTE, PERCINET.
+
+PERCINET, pas encore vu de Sylvette.
+
+ Je n'ai rien mangé depuis hier,
+ Je tombe de fatigue,--et je ne suis pas fier.
+ La fâcheuse équipée!... Ah! j'en ai vu de dures!
+ Ce n'est pas amusant du tout, les aventures!
+
+Il s'affaisse sur le mur. Son chapeau tombe et découvre sa figure.
+Sylvette l'aperçoit.
+
+SYLVETTE.
+
+ Vous!
+
+Il se lève, saisi. Elle le regarde.
+
+ Et dans quel état!... Se peut-il?...
+
+PERCINET, piteusement.
+
+ Il se peut.
+
+SYLVETTE, joignant les mains.
+
+ Mon Dieu!
+
+PERCINET.
+
+ J'ai, n'est-ce pas, la silhouette, un peu,
+ Que le dessinateur donne à l'Enfant Prodigue?...
+
+Il chancelle.
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais il ne se tient plus!
+
+PERCINET.
+
+ Je sens quelque fatigue.
+
+SYLVETTE, apercevant son bras, avec un cri.
+
+ Blessé!
+
+PERCINET, vivement.
+
+ Seriez-vous donc pitoyable aux ingrats?
+
+SYLVETTE, sévère et s'éloignant.
+
+ Les pères seuls, Monsieur, font tuer le veau gras!
+
+Percinet fait un mouvement, et son bras blessé lui arrache une
+grimace.--Sylvette, malgré elle, effrayée:
+
+ Pourtant, cette blessure?
+
+PERCINET.
+
+ Oh! que je vous rassure!
+ Elle n'est nullement grave, cette blessure!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais qu'avez-vous donc fait, Monsieur le vagabond,
+ Pendant tout ce long temps?...
+
+PERCINET.
+
+ Sylvette, rien de bon.
+
+Il tousse.
+
+SYLVETTE.
+
+ Vous toussez, maintenant?
+
+PERCINET.
+
+ Eh! mon Dieu! nous courûmes
+ Les grands chemins, la nuit...
+
+SYLVETTE.
+
+ Et l'on y prend des rhumes.
+ Quels étranges habits vous avez!...
+
+PERCINET.
+
+ Des voleurs
+ Ont pris les miens, Sylvette,--et m'ont donné les leurs.
+
+SYLVETTE, ironique.
+
+ Et combien avez-vous eu de bonnes fortunes?
+
+PERCINET.
+
+ Laissons ces questions, Sylvette, inopportunes.
+
+SYLVETTE.
+
+ Vous avez dû sans doute escalader beaucoup...
+ De balcons?...
+
+PERCINET, à part.
+
+ J'ai manqué de me rompre le cou...
+
+SYLVETTE.
+
+ De plus d'un doux succès vous gardez la mémoire?
+
+PERCINET, de même.
+
+ Je suis resté trois jours caché dans une armoire.
+
+SYLVETTE.
+
+ Et vous avez gagné plus d'un galant pari?
+
+PERCINET.
+
+ Oui, oui!...
+
+A part.
+
+ Je me suis fait rosser par un mari.
+
+SYLVETTE.
+
+ Guitare en main, chanté plus d'un couplet nocturne?
+
+PERCINET, de même.
+
+ Qui fit choir sur mon chef plus d'une petite urne!
+
+SYLVETTE.
+
+ Enfin, comme je vois, tâté d'un vrai duel?
+
+PERCINET, de même.
+
+ Qui me valut ce coup de peu s'en faut mortel.
+
+SYLVETTE.
+
+ Et vous nous revenez?...
+
+PERCINET.
+
+ Fourbu, minable, étique!
+
+SYLVETTE.
+
+ Oui,--mais ayant du moins trouvé du poétique?
+
+PERCINET.
+
+ Non,--je fus chercher loin ce que j'avais tout près!
+ Ah! ne me raillez plus!... je vous adore.
+
+SYLVETTE.
+
+ Après
+ La désillusion que nous eûmes?...
+
+PERCINET.
+
+ Qu'importe!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais nos pères nous ont trompés d'horrible sorte!
+
+PERCINET.
+
+ Qu'importe! Dans mon coeur, maintenant, il fait jour!
+
+SYLVETTE.
+
+ Mais ils feignaient la haine!...
+
+PERCINET.
+
+ Avons-nous feint l'amour?
+
+SYLVETTE.
+
+ Le mur fut un Guignol,--vous l'avez dit vous-même!
+
+PERCINET.
+
+ Sylvette, je l'ai dit!--mais ce fut un blasphème!
+ Ou du moins... quel Guignol, vieux mur, tu nous offrais,
+ Qui pour portants avait les grands branchages frais,
+ Pour fond le parc fuyant, l'azur vaste pour frises,
+ Pour orchestre invisible et vif les quatre brises,
+ Pour accessoires clairs le rayon et la fleur,
+ Le soleil pour quinquet, Shakspeare pour souffleur!
+ Oui, comme à ces pantins dont on gante les vestes,
+ Nos pères nous faisaient exécuter des gestes:
+ Mais, dans ce Guignol-là, Sylvette, songez-y,
+ C'est l'Amour qui faisait parler les pupazzi!
+
+SYLVETTE, soupirant.
+
+ C'est vrai, mais nous aimions, croyant être coupables!
+
+PERCINET, vivement.
+
+ Et nous l'étions!... Gardez ces remords agréables.
+ Comme l'intention compte autant que le fait,
+ Nous croyant criminels, nous l'étions en effet!
+
+SYLVETTE, ébranlée.
+
+ Est-ce bien sûr?
+
+PERCINET.
+
+ Très sûr, chère petite amie;
+ Nous avons simplement commis une infamie.
+ J'en atteste ta grâce et ton souffle aromal:
+ De nous aimer, ce fut très mal, très mal...
+
+SYLVETTE, s'asseyant près de lui.
+
+ Très mal?...
+
+Changeant et s'éloignant encore.
+
+ C'est vrai, mais je regrette un peu, pour notre gloire,
+ Que le danger couru n'ait été qu'illusoire!
+
+PERCINET.
+
+ Il fut réel pour nous qui le crûmes réel!
+
+SYLVETTE.
+
+ Non. Mon enlèvement, comme votre duel,
+ Était faux!...
+
+PERCINET.
+
+ Votre peur l'était-elle, Madame?
+ Et, puisque vous avez passé par l'état d'âme
+ De quelqu'un d'enlevé, Sylvette, en vérité,
+ C'est comme tout à fait si vous l'aviez été.
+
+SYLVETTE.
+
+ Non, le cher souvenir n'est plus; ces torches folles,
+ Ces masques, ces manteaux, et ces musiques molles,
+ Ce combat, tout ce charme enfin, c'est trop cruel
+ De penser que cela fut fait par Straforel!
+
+PERCINET.
+
+ Et la Nuit de Printemps, est-ce lui qui l'a faite?
+ Est-ce lui qui régla l'inoubliable fête
+ Que l'amitié d'Avril nous donna ce soir-là?
+ Est-ce lui qui, le ciel étoilé, l'étoila?
+ Lui, qui d'ombre effaça si bien les rosiers grêles
+ Que les roses semblaient, comme surnaturelles,
+ Se tenir en suspens dans l'air mystérieux?
+ Dispensa-t-il les frissons gris, les reflets bleus?
+ Versa-t-il les langueurs? Fut-il pour quelque chose
+ Dans l'apparition de l'Astre d'argent rose?
+
+SYLVETTE.
+
+ Non certe...
+
+PERCINET.
+
+ Et fit-il donc, dans la Nuit de Printemps,
+ Dis-moi, que nous étions deux enfants de vingt ans,
+ Et que nous nous aimions, car ce fut là le charme,
+ Tout le charme!
+
+SYLVETTE.
+
+ Tout le... c'est vrai, mais...
+
+PERCINET.
+
+ Une larme?
+ Il est donc pardonné, le méchant qui partit?
+
+SYLVETTE.
+
+ Je t'ai toujours aimé, va, mon pauvre petit.
+
+PERCINET.
+
+ J'ai retrouvé ton front, sa puérile frange,
+ Et ton jeune parfum qui fait un fin mélange
+ Avec tous les parfums des cytises voisins...
+ Ah! les Anges, ce soir, ne sont pas mes cousins!
+
+Il joue avec le voile de Sylvette.
+
+ Oh! laisse-moi baiser le liséré frivole
+ Du voile aérien qui de ton front s'envole!
+ Comme il me rafraîchit les lèvres, ce tissu,
+ Ce tendre et clair tissu, pour qui je n'ai pas su
+ Vous dédaigner, satins et velours équivoques!
+
+SYLVETTE.
+
+ Quels satins? Quels velours?
+
+PERCINET, vivement.
+
+ Oh! rien, rien, rien,--des loques.
+ Oh! jeune fille, enfant, mousseline est ton nom!
+ Oh! que j'aime ce voile frais!...
+
+SYLVETTE.
+
+ C'est du linon.
+
+PERCINET, s'agenouillant.
+
+ Je l'aime et suis tremblant que mon baiser le souille,
+ Car ce voile devant lequel je m'agenouille...
+
+ Ce léger linon
+ Qui vous emmitoufle,
+ Mais à la façon
+ D'un souffle;
+
+ Ce linon léger
+ Dont la candeur frêle
+ A le voltiger
+ D'une aile;
+
+ Ce léger linon,
+ Assez diaphane
+ Pour qu'un seul rayon
+ Le fane;
+
+ Ce linon, léger
+ Comme un fil de berge
+ Que fait voyager
+ La Vierge;
+
+ Ce léger linon,
+ C'est votre pensée
+ Que les choses n'ont
+ Froissée!
+
+ Ce linon léger,
+ C'est, neigeuse flamme
+ Qu'un rien fait bouger,
+ Votre âme!
+
+ Ce léger linon,
+ Ce linon que j'aime,
+ Ce n'est rien sinon
+ Vous-même!
+
+SYLVETTE, dans ses bras.
+
+ Vois-tu, la poésie est au coeur des amants:
+ Elle n'émane pas des seuls événements.
+
+PERCINET.
+
+ C'est vrai: ceux dont je sors, quoique très authentiques,
+ Ne furent pas du tout, Sylvette, poétiques...
+
+SYLVETTE.
+
+ Et ceux par nos papas machiavels arrangés
+ Le furent, Percinet, encor que mensongers.
+
+PERCINET.
+
+ Car elle peut broder, lorsqu'elle aime, notre âme,
+ De véritables fleurs sur une fausse trame.
+
+SYLVETTE.
+
+ La poésie, amour, mais nous fûmes des fous
+ De la chercher ailleurs lorsqu'elle était en nous!
+
+Straforel apparaît, ramenant les deux pères, et leur montre Sylvette et
+Percinet dans les bras l'un de l'autre.
+
+
+SCÈNE V
+
+LES MÊMES, STRAFOREL, BERGAMIN, PASQUINOT.
+
+STRAFOREL.
+
+ Refiancés!...
+
+BERGAMIN.
+
+ Mon fils!
+
+Il embrasse Percinet.
+
+STRAFOREL.
+
+ Me paierez-vous ma note?
+
+PASQUINOT, à sa fille.
+
+ Tu l'aimes derechef?
+
+SYLVETTE.
+
+ Oui.
+
+PASQUINOT.
+
+ Tête de linotte.
+
+STRAFOREL, à Bergamin.
+
+ Palperai-je mon or?
+
+BERGAMIN.
+
+ Vous palperez votre or!
+
+SYLVETTE, qui a tressailli.
+
+ Mais au fait... cette voix!... le marquis d'As-ta-fior...
+
+STRAFOREL, saluant.
+
+ Quercita? C'était moi, chère Mademoiselle,
+ Moi, Straforel!... Daignez me pardonner mon zèle;
+ Le moyen que j'ai pris était bon en ceci,
+ Qu'il vous a fait connaître--en vous laissant ici,--
+ Tout ce qu'ont d'ennuyeux ces aventures vraies
+ Dont les femmes toujours sont tôt désenivrées.
+ Sans doute vous pouviez...
+
+Montrant Percinet.
+
+ comme ce citoyen,
+ Vous même les courir; mais, dame! le moyen
+ Pour une jeune fille étant trop énergique,
+ Je vous en ai fait voir la lanterne magique.
+
+PERCINET.
+
+ Qu'est-ce?
+
+SYLVETTE, vivement.
+
+ Rien, rien,--je t'aime!...
+
+BERGAMIN, montrant le mur commencé.
+
+ Et demain même, pan!
+ D'un coup de pioche on va redémolir ce pan...
+
+PASQUINOT.
+
+ Enlever ce ciment, ces pierres et ce sable!...
+
+STRAFOREL.
+
+ Non, construisez le mur, il est indispensable!
+
+SYLVETTE, réunissant autour d'elle tous les acteurs.
+
+ Et maintenant, nous quatre,--et Monsieur Straforel--
+ Excusons ce que fut la pièce, en un rondel.
+
+Elle descend vers le public.
+
+ _Des costumes clairs, des rimes légères,
+ L'Amour, dans un parc, jouant du flûteau..._
+
+BERGAMIN.
+
+ _Un florianesque et fol quintetto,_
+
+PASQUINOT.
+
+ _Des brouilles... d'ailleurs toutes passagères._
+
+STRAFOREL.
+
+ _Des coups de soleil, des rayons lunaires,
+ Un bon spadassin en joyeux manteau..._
+
+SYLVETTE.
+
+ _Des costumes clairs, des rimes légères,
+ L'Amour, dans un parc, jouant du flûteau..._
+
+PERCINET.
+
+ _Un repos naïf des pièces amères,
+ Un peu de musique, un peu de Watteau,
+ Un spectacle honnête et qui finit tôt,
+ Un vieux mur fleuri,--deux amants,--deux pères..._
+
+SYLVETTE, dans une révérence.
+
+ _Des costumes clairs, des rimes légères!_
+
+RIDEAU
+
+
+
+
+TABLE
+
+
+ Pages
+ ACTE PREMIER 1
+ ACTE DEUXIÈME 55
+ ACTE TROISIÈME 115
+
+
+
+
+PARIS.--L. MARETHEUX, IMPRIMEUR
+
+1, RUE CASSETTE, 1
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Les Romanesques, by Edmond Rostand
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57839 ***
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-The Project Gutenberg EBook of Les Romanesques, by Edmond Rostand
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
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-this ebook.
-
-
-
-Title: Les Romanesques
- comédie en trois actes en vers
-
-Author: Edmond Rostand
-
-Release Date: September 3, 2018 [EBook #57839]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROMANESQUES ***
-
-
-
-
-Produced by Laurent Vogel (This file was produced from
-images generously made available by the Bibliothèque
-nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
-
-
-
-
-
-
-
- EDMOND ROSTAND
-
- LES ROMANESQUES
-
- COMÉDIE EN TROIS ACTES
- EN VERS
- Représentée pour la première fois sur la scène de la COMÉDIE-FRANÇAISE
- le lundi 21 Mai 1884.
-
- QUARANTE-CINQUIÈME MILLE
-
- PARIS
- LIBRAIRIE CHARPENTIER ET FASQUELLE
- EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
- 11, RUE DE GRENELLE, 11
-
- 1911
-
- Tous droits réservés.
-
-
-
-
-OUVRAGES D'EDMOND ROSTAND
-
-
- Les Musardises, _Édition nouvelle_, 1887-1893, poésies 3 50
-
- Les Romanesques, comédie en trois actes, en vers, 49e mille 3 50
-
- La Princesse Lointaine, pièce en quatre actes, en vers,
- 44e mille 2 »
-
- La Samaritaine, évangile en trois tableaux, en vers, 42e mille 3 50
-
- Cyrano de Bergerac, comédie héroïque en cinq actes, en vers,
- 376e mille 3 50
-
- L'Aiglon, drame en six actes, en vers, 271e mille 3 50
-
- Chantecler, pièce en quatre actes, en vers, 150e mille 3 50
-
- Pour la Grèce, poésie (_épuisé_).
-
- Un Soir à Hernani, poésie 1 »
-
- Discours de réception à l'Académie Française 1 »
-
-Paris.--L. MARETHEUX, imprimeur, 1, rue Cassette.--4856
-
-
-
-
-A ROSEMONDE
-
-
-
-
-PERSONNAGES
-
-
- SYLVETTE
- PERCINET
- STRAFOREL
- BERGAMIN, père de Percinet
- PASQUINOT, père de Sylvette
- BLAISE, jardinier
-
-UN MUR, personnage muet
-
-SPADASSINS, MUSICIENS, NÈGRES, PORTEURS DE TORCHES, UN NOTAIRE, QUATRE
-BOURGEOIS, ETC.
-
-
-_La scène se passe où l'on voudra, pourvu que les costumes soient
-jolis._
-
-
-
-
-DISTRIBUTIONS
-
-
- 1894 1899 1901
- Mlle Mlle Mlle
- SYLVETTE REICHENBERG. HENRIOT. MULLER.
- MM. MM. MM.
- PERCINET LE BARGY G. BERR. G. BERR.
- STRAFOREL DE FÉRAUDY. COQUELIN CADET. COQUELIN CADET.
- BERGAMIN LELOIR. LELOIR. LELOIR.
- PASQUINOT LAUGIER. BARRAL. LAUGIER.
- BLAISE FALCONNIER. FALCONNIER. FALCONNIER.
-
-
-_La musique de scène est de M. GEORGES HÜE_
-
-
-_N. B._--Pour les droits de représentation en province ou à l'étranger,
-s'adresser à M. R. GANGNAT, _agent général de la Société des Auteurs
-Dramatiques_.
-
-Pour les détails de mise en scène, s'adresser à M. GAILLARD, à la
-_Comédie-Française_.
-
-
-
-
-ACTE PREMIER
-
-
-_La scène est coupée en deux par un vieux mur moussu et tout enguirlandé
-de folles plantes grimpantes. A droite, un coin du parc de Bergamin; à
-gauche, un coin du parc de Pasquinot. De chaque côté, contre le mur, un
-banc._
-
-_Quand le rideau se lève, Percinet est assis sur la crête du mur, ayant,
-sur son genou, un livre, dont il donne lecture à Sylvette, attentive,
-debout sur le banc, de l'autre côté du mur, auquel elle s'accoude._
-
-
-SCÈNE PREMIÈRE
-
-SYLVETTE, PERCINET.
-
-SYLVETTE.
-
- Ah! Monsieur Percinet, mais comme c'est donc beau!
-
-PERCINET.
-
- N'est-ce pas?... Écoutez répondre Roméo:
-
-Il lit.
-
- «C'est l'alouette, Amour, je te dis que c'est elle!
- «Vois, le bord des vapeurs légères se dentelle,
- «Et là-bas, au sommet rose du mont lointain,
- «Sur le bout de son pied se dresse le matin!
- «Il faut fuir...»
-
-SYLVETTE, vivement, prêtant l'oreille.
-
- Chut!
-
-PERCINET écoute un instant, puis:
-
- Personne! Ainsi, Mademoiselle,
- Ne prenez pas ces airs effarouchés d'oiselle
- Qui de la branche, au moindre bruit, va s'envoler...
- Écoutez les Amants Immortels se parler:
- _Elle_: «Amour, amour cher, non, ce n'est pas l'aurore,
- «Mais c'est, pour éclairer ta fuite, un météore!»
- _Lui_: «Puisqu'elle le veut, eh bien, soit! ce n'est point
- «L'alouette qui chante et l'aurore qui point:
- «Ce reflet, c'est le tien, Cynthia, dans la nue!
- «Vienne la Mort, la Mort sera la bienvenue!»
-
-SYLVETTE.
-
- Oh! non, je ne veux pas qu'il parle de cela,
- Ou bien je vais pleurer...
-
-PERCINET.
-
- Alors, restons-en là!
- Et, jusques à demain refermant notre livre,
- Laissons, puisqu'il vous plaît, le doux Roméo vivre.
-
-Il ferme le livre et regarde tout autour de lui.
-
- Quel adorable endroit, fait exprès, semble-t-il,
- Pour s'y venir bercer aux beaux vers du grand Will!
-
-SYLVETTE.
-
- Oui, ces vers sont très beaux, et le divin murmure
- Les accompagne bien, c'est vrai, de la ramure,
- Et le décor leur sied, de ces ombrages verts;
- Oui, Monsieur Percinet, ils sont très beaux, ces vers!
- Mais ce qui fait pour moi leur beauté plus touchante,
- C'est que vous les lisez de votre voix qui chante.
-
-PERCINET.
-
- La vilaine flatteuse!
-
-SYLVETTE, soupirant.
-
- Ah! pauvres amoureux!
- Que leur sort est cruel, qu'on fut méchant pour eux!
-
-Avec un soupir.
-
- Ah! je pense...
-
-PERCINET.
-
- A quoi donc?
-
-SYLVETTE, vivement.
-
- A rien!...
-
-PERCINET.
-
- A quelque chose
- Qui vous a fait soudain devenir toute rose!
-
-SYLVETTE, de même.
-
- A rien!...
-
-PERCINET, la menaçant du doigt.
-
- Oh! la menteuse... aux yeux trop transparents!
- Je le vois, à quoi vous pensez!...
-
-Baissant la voix.
-
- A nos parents!
-
-SYLVETTE.
-
- Peut-être...
-
-PERCINET.
-
- A votre père, au mien, à cette haine
- Qui les divise!
-
-SYLVETTE.
-
- Eh! oui, c'est là ce qui me peine
- Ce qui me fait pleurer en cachette, souvent.
- Lorsque, le mois dernier, je revins du couvent,
- Mon père, me montrant le parc de votre père,
- Me dit: «Ma chère enfant, tu vois là le repaire
- De mon vieil ennemi mortel, de Bergamin.
- De ce gueux, de son fils, détourne ton chemin;
- Promets-moi bien, sinon, vois-tu, je te renie,
- D'être, pour ces gens-là, toujours, une ennemie,
- Car, de tous temps, les leurs ont exécré les tiens!»
- J'ai promis... Vous voyez, Monsieur, comme je tiens.
-
-PERCINET.
-
- Et n'ai-je pas promis à mon père, de même,
- De vous haïr toujours, Sylvette?--et je vous aime!
-
-SYLVETTE.
-
- Sainte Vierge!
-
-PERCINET.
-
- Et je t'aime, enfant!
-
-SYLVETTE.
-
- C'est un péché!
-
-PERCINET.
-
- Un gros... que voulez-vous? Plus on est empêché
- D'aimer quelqu'un, et plus il vous en prend l'envie.
- Sylvette, embrassez-moi!
-
-SYLVETTE.
-
- Mais jamais de la vie!
-
-Elle saute du banc et s'éloigne.
-
-PERCINET.
-
- Vous m'aimez cependant!
-
-SYLVETTE.
-
- Que dit-il?
-
-PERCINET.
-
- Chère enfant,
- Je dis ce dont encor votre coeur se défend,
- Mais ce dont plus longtemps douter serait un leurre!
- Je dis... ce que vous-même avez dit tout à l'heure,
- Oui, vous-même, Sylvette, en comparant ainsi
- Les Amants de Vérone aux deux enfants d'ici.
-
-SYLVETTE.
-
- Je n'ai pas comparé!...
-
-PERCINET.
-
- Si!... Mon père et ton père
- A ceux de Juliette et de Roméo, chère!
- C'est pourquoi Juliette et Roméo c'est nous,
- Et c'est pourquoi nous nous aimons comme des fous!
- Et je brave à la fois, malgré leur haine aiguë,
- Pasquinot-Capulet, Bergamin-Montaiguë!
-
-SYLVETTE, se rapprochant un peu du mur.
-
- Alors, nous nous aimons? Mais, Monsieur Percinet,
- Comment ça s'est-il fait si vite?...
-
-PERCINET.
-
- L'amour naît,
- On ne sait pas comment, pourquoi, quand il doit naître.
- Je vous voyais souvent passer de ma fenêtre...
-
-SYLVETTE.
-
- Moi de même...
-
-PERCINET.
-
- Et nos yeux causaient en tapinois.
-
-SYLVETTE.
-
- Un jour, là, près du mur, je ramassais des noix,
- Par hasard...
-
-PERCINET.
-
- Par hasard, là, je lisais Shakespeare;
- Et--pour unir deux coeurs vois comme tout conspire...
-
-SYLVETTE.
-
- Le vent fit envoler, psst!... chez vous, mon ruban!
-
-PERCINET.
-
- Pour le rendre, aussitôt, je grimpai sur le banc...
-
-SYLVETTE, grimpant.
-
- Je grimpai sur le banc...
-
-PERCINET.
-
- Et depuis lors, petite,
- Chaque jour je t'attends, et chaque jour plus vite
- Bat mon coeur lorsqu'enfin monte, signal béni!
- Là, derrière le mur, ton doux rire de nid,
- Qui ne s'achève pas sans que ta tête émerge
- Du fouillis frémissant de folle vigne vierge!
-
-SYLVETTE.
-
- Puisque nous nous aimons, il faut nous fiancer.
-
-PERCINET.
-
- C'est à quoi justement je venais de penser.
-
-SYLVETTE, solennellement.
-
- Dernier des Bergamin, c'est à toi que se lie
- La dernière des Pasquinot!
-
-PERCINET.
-
- Noble folie!
-
-SYLVETTE.
-
- On parlera de nous dans les âges futurs!
-
-PERCINET.
-
- Oh! trop tendres enfants de deux pères trop durs!
-
-SYLVETTE.
-
- Mais, qui sait, mon ami, peut-être l'heure tinte
- Où Dieu veut que, par nous, leur haine soit éteinte?
-
-PERCINET.
-
- J'en doute.
-
-SYLVETTE.
-
- Moi, j'ai foi dans les événements,
- Et j'entrevois déjà cinq ou six dénoûments
- Très possibles.
-
-PERCINET.
-
- Vraiment, et lesquels?
-
-SYLVETTE.
-
- Mais suppose
- --Dans plus d'un vieux roman j'ai lu pareille chose--
- Que le Prince Régnant vienne à passer un jour...
- Je cours le supplier, lui conte notre amour,
- Que nos pères entre eux ont une vieille haine...
- --Un roi maria bien don Rodrigue et Chimène--
- Le Prince fait venir mon père et Bergamin,
- Et les réconcilie...
-
-PERCINET.
-
- Et me donne ta main!
-
-SYLVETTE.
-
- Ou bien, cela s'arrange ainsi que dans _Peau d'Ane_.
- Tu dépéris, un sot médecin te condamne...
-
-PERCINET.
-
- Mon père me demande, affolé: «Que veux-tu?»
-
-SYLVETTE.
-
- Tu dis: «Je veux Sylvette!»
-
-PERCINET.
-
- Et son orgueil têtu
- Est contraint de fléchir!
-
-SYLVETTE.
-
- Ou bien, autre aventure:
- Un vieux duc, ayant vu de moi quelque peinture,
- M'aime, envoie un superbe écuyer, en son nom,
- M'offrir d'être duchesse...
-
-PERCINET.
-
- Alors, tu réponds: «Non!»
-
-SYLVETTE.
-
- Il se fâche: un beau soir, dans quelque sombre allée
- Du parc, où pour rêver à toi je suis allée,
- On m'enlève!... Je crie!...
-
-PERCINET.
-
- Et je ne tarde point
- A surgir près de toi; je mets la dague au poing,
- Me bats comme un lion, pourfends...
-
-SYLVETTE.
-
- Trois ou quatre hommes.
- Mon père accourt, te prend dans ses bras; tu te nommes;
- Alors, il s'attendrit, me donne à mon sauveur,
- Et ton père consent, tout fier de ta valeur!
-
-PERCINET.
-
- Et nous vivons longtemps et très heureux ensemble!
-
-SYLVETTE.
-
- Et tout cela n'a rien d'impossible, il me semble?
-
-PERCINET, entendant du bruit.
-
- On vient!
-
-SYLVETTE, perdant la tête.
-
- Embrassons-nous!
-
-PERCINET, l'embrassant.
-
- Et ce soir même, ici,
- A l'heure du Salut, tu viendras, dis?
-
-SYLVETTE.
-
- Non.
-
-PERCINET.
-
- Si!
-
-SYLVETTE, disparaissant derrière le mur.
-
- Ton père!
-
-Percinet saute vivement à bas du mur.
-
-
-SCÈNE II
-
-SYLVETTE, descendue du mur et, par conséquent, invisible à Bergamin,
-PERCINET, BERGAMIN.
-
-BERGAMIN.
-
- Ah! je vous prends à rêvasser encore,
- Seul, en ce coin de parc?
-
-PERCINET.
-
- Mon père, je l'adore,
- Ce coin de parc!... J'adore être assis sur ce banc
- Que la vigne du mur abrite en retombant!...
- Voyez-vous comme elle est gracieuse, la vigne?
- Remarquez ces festons d'une arabesque insigne.
- On est si bien ici pour respirer l'air pur!
-
-BERGAMIN.
-
- Si bien devant ce mur?
-
-PERCINET.
-
- Je l'adore, ce mur!
-
-BERGAMIN.
-
- Je ne vois pas ce que ce mur a d'adorable.
-
-SYLVETTE, à part.
-
- Il ne peut pas le voir!
-
-PERCINET.
-
- Mais il est admirable,
- Ce vieux mur, crêté d'herbe; enguirlandé, couvert
- Ici de vigne rouge, ici de lierre vert,
- Là de glycine mauve aux longues grappes floches,
- Et là de chèvrefeuille, et là d'aristoloches!
- Ce vieux mur centenaire et croulant, dont les trous
- Laissent pendre au soleil d'étranges cheveux roux,
- Qui de petites fleurs charmantes se constelle,
- Ce mur sur qui la mousse est d'une épaisseur telle
- Qu'il fait à l'humble banc scellé dans sa paroi
- Un dossier de velours comme au trône d'un roi!
-
-BERGAMIN.
-
- Ta! ta! ta! Voudrais-tu, blanc-bec, me faire accroire
- Que tu viens ici pour les beaux yeux du mur?
-
-PERCINET.
-
- Voire,
- Pour les beaux yeux du mur!...
-
-Tourné vers le mur.
-
- qui sont de bien beaux yeux
- Frais sourires d'azur, doux étonnements bleus,
- Fleurs profondes, clairs yeux, vous êtes nos délices,
- Et si jamais des pleurs emperlent vos calices,
- D'un seul baiser nous les volatiliserons!...
-
-BERGAMIN.
-
- Mais le mur n'a pas d'yeux!
-
-PERCINET.
-
- Il a les liserons.
-
-Et, gracieux, il en présente un, prestement cueilli, à Bergamin.
-
-SYLVETTE.
-
- Est-il spirituel, doux Jésus!
-
-BERGAMIN.
-
- Est-il bête!
- Mais je connais ce qui te fait perdre la tête.
-
-Mouvement d'effroi de Percinet et de Sylvette.
-
- Tu viens lire en cachette!
-
-Il prend le livre qui sort de la poche de Percinet, et regarde le dos.
-
- Et du théâtre!...
-
-Il l'ouvre et le laisse tomber avec horreur.
-
- En vers!
- Des vers!... Voilà pourquoi, la cervelle à l'envers,
- Vous rêvez, vous errez, évitant les approches,
- Pourquoi vous me venez parler d'aristoloches,
- Et pourquoi vous voyez des yeux bleus à ce mur!
- Un mur n'a pas besoin d'être joli,--mais sûr!
- Je vais faire enlever toutes ces choses vertes
- Qui pourraient nous cacher quelques brèches ouvertes,
- Et, pour mieux nous garder d'un voisin insolent,
- Remaçonner ce pan, bâtir un beau mur blanc,
- Bien blanc, bien net, bien propre; au lieu... d'aristoloches,
- Le garnir, dans le plâtre ayant fait des encoches,
- De tessons de bouteille au tranchant acéré
- Qu'on verra s'en aller en bataillon serré...
-
-PERCINET.
-
- Oh! grâce!
-
-BERGAMIN.
-
- Pas de grâce!... Ainsi je le décrète!
- Tout le long, tout le long, tout le long de la crête!
-
-SYLVETTE et PERCINET, consternés.
-
- Oh!
-
-BERGAMIN, s'asseyant sur le banc.
-
- Çà, causons!
-
-Il se relève et s'éloigne du mur avec un air soupçonneux.
-
- Mais, hum!... les murs, s'ils n'ont pas d'yeux,
- Ont des oreilles!
-
-Il fait le mouvement de monter sur le banc. Effroi de Percinet. Au
-bruit, Sylvette se fait toute petite derrière le mur, mais Bergamin
-renonce, après une grimace que lui arrache quelque vieille douleur, et
-fait signe à son fils de monter à sa place, et de regarder.
-
- Vois si quelque curieux...
-
-PERCINET, grimpant lestement sur le banc et se penchant au-dessus du mur
-bas à Sylvette, qui aussitôt s'est redressée.
-
- A ce soir!
-
-SYLVETTE, lui donnant sa main qu'il baise--tout bas.
-
- Je viendrai devant que l'heure sonne.
-
-PERCINET, de même.
-
- J'y serai!
-
-SYLVETTE, de même.
-
- Je t'adore!
-
-BERGAMIN, à Percinet.
-
- Eh bien?
-
-PERCINET, sautant à terre et à voix haute.
-
- Eh bien,--personne!
-
-BERGAMIN, rassuré, se rassied.
-
- Alors, causons... Mon fils, je veux vous marier.
-
-SYLVETTE.
-
- Ah!
-
-BERGAMIN.
-
- Qu'est-ce?
-
-PERCINET.
-
- Rien.
-
-BERGAMIN.
-
- On vient de faiblement crier.
-
-PERCINET, regardant en l'air.
-
- Quelque oiselet blessé...
-
-SYLVETTE.
-
- Hélas!...
-
-PERCINET.
-
- dans la ramure!...
-
-BERGAMIN.
-
- Or donc, mon fils, après réflexion très mûre,
- J'ai fait pour vous un choix.
-
-PERCINET, remonte en sifflant.
-
- Tu! tu!
-
-BERGAMIN, après un instant de suffocation, le suivant.
-
- Je suis têtu,
- Et je vous forcerai, Monsieur...
-
-PERCINET, redescendant.
-
- Tu! tu! tu! tu!
-
-BERGAMIN.
-
- Voulez-vous bien finir de siffler, mauvais merle!...
- Une femme encor jeune, et très riche,--une perle!
-
-PERCINET.
-
- Et si je n'en veux pas de votre perle!
-
-BERGAMIN.
-
- Attends!
- Je m'en vais te montrer, polisson!...
-
-PERCINET, rabaissant la canne levée de son père.
-
- Le Printemps
- A rempli les buissons, mon père, de bruits d'ailes,
- Et les sources des bois voient s'abattre auprès d'elles
- Des couples de petits oiseaux se caressant...
-
-BERGAMIN.
-
- Impudique!
-
-PERCINET, même jeu.
-
- Tout rit et fête Avril récent;
- Les papillons...
-
-BERGAMIN.
-
- Pendard!
-
-PERCINET, même jeu.
-
- à travers champs essaiment,
- Pour aller épouser toutes les fleurs qu'ils aiment!...
- L'Amour...
-
-BERGAMIN.
-
- Bandit!
-
-PERCINET.
-
- met tous les coeurs en floraison...
- Et vous me voulez voir marié de raison!
-
-BERGAMIN.
-
- Oui, certes, garnement!
-
-PERCINET, d'une voix vibrante.
-
- Eh bien, non, non, mon père!
- Je jure... sur ce mur--qui m'entend, je l'espère!--
- Que je me marierai si romanesquement,
- Que l'on n'aura jamais vu dans aucun roman
- Quelque chose de plus follement romanesque!
-
-Il se sauve en courant.
-
-BERGAMIN, courant après lui.
-
- Oh! je t'attraperai!
-
-
-SCÈNE III
-
-SYLVETTE, puis PASQUINOT.
-
-SYLVETTE, seule.
-
- Vraiment, je conçois presque
- La haine de papa pour ce méchant...
-
-PASQUINOT, entrant à gauche.
-
- Eh bien,
- Que fait-on par ici, Mademoiselle?
-
-SYLVETTE.
-
- Rien.
- On se promène.
-
-PASQUINOT.
-
- Ici! seule! Mais, malheureuse!...
- Vous n'avez donc pas peur?
-
-SYLVETTE.
-
- Je ne suis pas peureuse.
-
-PASQUINOT.
-
- Seule près de ce mur!... Mais je vous le défend,
- D'approcher de ce mur! Mais, imprudente enfant,
- Regarde bien ce parc: tu vois là le repaire
- De mon vieil ennemi mortel!...
-
-SYLVETTE.
-
- Je sais, mon père.
-
-PASQUINOT.
-
- Et tu viens t'exposer à des mots outrageants,
- A des?... Sait-on de quoi sont capables ces gens?
- Si ce gueux, ou son fils, connaissaient que ma fille
- Vient seule rêvasser dessous cette charmille...
- Oh! rien que d'y penser, je me sens frissonner!
- Mais je vais le barder, le caparaçonner,
- Ce mur, le hérisser de fer pour qu'on s'éventre,
- Qu'on s'empale, en voulant le franchir, et qu'on s'entre,
- Rien qu'en s'en approchant, des pointes dans la chair.
-
-SYLVETTE, à part.
-
- Il ne le fera pas, ça coûterait trop cher.
- Il est un peu serré, papa.
-
-PASQUINOT.
-
- Rentre,--un peu vite!
-
-Elle sort, il la suit des yeux d'un air courroucé.
-
-
-SCÈNE IV
-
-BERGAMIN, PASQUINOT.
-
-BERGAMIN, parlant à cantonade.
-
- Ce billet à Monsieur Straforel, tout de suite.
-
-PASQUINOT court vivement au mur et y grimpe.
-
- Bergamin!
-
-BERGAMIN, même jeu.
-
- Pasquinot!
-
-Ils s'embrassent.
-
-PASQUINOT.
-
- Comment va?
-
-BERGAMIN.
-
- Pas trop mal.
-
-PASQUINOT.
-
- Ta goutte?
-
-BERGAMIN.
-
- Mieux. Et ton coryza?
-
-PASQUINOT.
-
- L'animal
- Me tient toujours.
-
-BERGAMIN.
-
- Eh bien, c'est fait, le mariage!
-
-PASQUINOT.
-
- Hein?
-
-BERGAMIN.
-
- J'ai tout entendu, caché dans le feuillage.
- Ils s'adorent!
-
-PASQUINOT.
-
- Bravo!
-
-BERGAMIN.
-
- Brusquons le dénoûment!
-
-Se frottant les mains.
-
- Ha! ha! tous les deux veufs, et pères mêmement,
- Moi, d'un fils qu'une mère un peu trop romanesque
- Appela Percinet...
-
-PASQUINOT.
-
- Oui, c'est un nom grotesque.
-
-BERGAMIN.
-
- Toi, d'un tendron rêveur, Sylvette, âme d'azur!
- Quel était notre but, le seul?
-
-PASQUINOT.
-
- Oter ce mur.
-
-BERGAMIN.
-
- Pour vivre ensemble...
-
-PASQUINOT.
-
- Et fondre en une nos deux terres.
-
-BERGAMIN.
-
- Calcul de vieux amis...
-
-PASQUINOT.
-
- Et de propriétaires!
-
-BERGAMIN.
-
- Pour ce, que fallait-il?
-
-PASQUINOT.
-
- Marier nos enfants!
-
-BERGAMIN.
-
- Les marier! Oui, mais... serions-nous triomphants
- S'ils avaient soupçonné nos désirs, notre entente?
- Mariage arrangé n'est pas chose tentante
- Pour deux jeunes serins poétiques. Aussi,
- Profitant de ce qu'ils ont vécu loin d'ici,
- Leur avons-nous caché tout projet d'hyménée.
- Mais collège et couvent les lâchaient cette année
- Lors, m'étant avisé que de les empêcher
- De se voir, sûrement les ferait se chercher,
- Que s'aimer en secret et d'un amour coupable
- Leur plairait,--j'inventai cette haine admirable!...
- Vous doutiez du succès de ce plan inouï?
- Eh bien, nous n'avons plus qu'à dire nos deux oui.
-
-PASQUINOT.
-
- Soit! mais comment?... Comment, avec assez d'astuce,
- Consentir, sans leur mettre, à l'oreille, la puce?
- Moi qui t'appelais gueux, idiot...
-
-BERGAMIN.
-
- Idiot?
- Gueux suffisait! Ne dis que juste ce qu'il faut.
-
-PASQUINOT.
-
- Quel prétexte?...
-
-BERGAMIN.
-
- Ah! voilà!--Mais ta fille elle-même
- Vient de me suggérer l'ultime stratagème!
- Tandis qu'elle parlait, mon plan se dessinait:
- Ce soir, ils ont ici rendez-vous; Percinet
- Arrive le premier; au moment où Sylvette
- Paraît, des hommes noirs, surgis d'une cachette,
- L'enlèvent! elle crie! Alors, mon jeune coq
- Court sus aux ravisseurs, chamaille à coups d'estoc;
- Ils font semblant de fuir; tu te montres; j'arrive;
- Ta fille et son honneur sont saufs; ta joie est vive;
- Tu bénis, laissant choir de tes yeux un peu d'eau,
- L'héroïque sauveur; je m'attendris:--tableau.
-
-PASQUINOT.
-
- Ah çà, c'est du génie!... Ah! non ça, par exemple,
- C'est du génie!...
-
-BERGAMIN, modeste.
-
- Eh! oui... proprement. Chut! contemple
- Celui qui vient! C'est Straforel, le spadassin,
- A qui j'ai, tout à l'heure, écrit de mon dessein...
- Oui, notre enlèvement, c'est lui qui va le mettre
- En scène.
-
-Straforel, dans un pompeux costume de spadassin, paraît au fond et
-s'avance majestueusement.
-
-
-SCÈNE V
-
-LES MÊMES, STRAFOREL.
-
-BERGAMIN, descendant du mur, et saluant.
-
- Hum! Que d'abord je vous fasse connaître
- Mon ami Pasquinot...
-
-STRAFOREL s'incline.
-
- Monsieur...
-
-En se relevant, il s'étonne de ne pas voir Pasquinot.
-
-BERGAMIN, le lui montrant à cheval sur la crête.
-
- Là, sur le mur.
-
-STRAFOREL, à part.
-
- Exercice étonnant pour un homme aussi mûr.
-
-BERGAMIN.
-
- Mon plan vous paraît-il, cher maître?...
-
-STRAFOREL.
-
- Élémentaire.
-
-BERGAMIN.
-
- Oui, vous savez comprendre, agir vite...
-
-STRAFOREL.
-
- Et me taire.
-
-BERGAMIN.
-
- Simulacre de rapt, n'est-ce pas, combat feint?
-
-STRAFOREL.
-
- C'est tout compris.
-
-BERGAMIN.
-
- Ayez d'adroits bretteurs, afin
- Qu'ils n'aillent pas blesser mon garçonnet. Je l'aime,
- C'est mon unique enfant!
-
-STRAFOREL.
-
- J'opérerai moi-même.
-
-BERGAMIN.
-
- Ah! très bien! Dans ce cas, je ne saurais douter...
-
-PASQUINOT, bas à Bergamin.
-
- Dis donc, demande-lui ce que ça va coûter.
-
-BERGAMIN.
-
- Pour un enlèvement, que prenez-vous, cher maître?
-
-STRAFOREL.
-
- Cela dépend, Monsieur, de ce qu'on veut y mettre.
- On fait l'enlèvement un peu dans tous les prix.
- Mais, dans le cas présent, et si j'ai bien compris,
- Il ne faut pas compter du tout. A votre place,
- J'en prendrais un, Monsieur, là,--de première classe!
-
-BERGAMIN, ébloui.
-
- Ah! vous avez plusieurs classes?
-
-STRAFOREL.
-
- Évidemment!
- Songez que nous avons, Monsieur, l'enlèvement
- Avec deux hommes noirs, l'enlèvement vulgaire,
- En fiacre,--celui-là ne se demande guère,--
- L'enlèvement de nuit, l'enlèvement de jour,
- L'enlèvement pompeux, en carrosse de cour,
- Avec laquais poudrés et frisés--les perruques
- Se payent en dehors,--avec muets, eunuques,
- Nègres, sbires, brigands, mousquetaires, au choix!
- L'enlèvement en poste, avec deux chevaux, trois,
- Quatre, cinq,--on augmente _ad libitum_ le nombre,--
- L'enlèvement discret, en berline,--un peu sombre,--
- L'enlèvement plaisant, qui se fait dans un sac,
- Romantique, en bateau,--mais il faudrait un lac!--
- Vénitien, en gondole,--il faudrait la lagune!--
- L'enlèvement avec ou sans le clair de lune,
- --Les clairs de lune, étant recherchés, sont plus chers!--
- L'enlèvement sinistre aux lueurs des éclairs,
- Avec appels de pied, combat, bruit de ferraille,
- Chapeaux à larges bords, manteaux couleur muraille,
- L'enlèvement brutal, l'enlèvement poli,
- L'enlèvement avec des torches--très joli!--
- L'enlèvement masqué qu'on appelle classique,
- L'enlèvement galant qui se fait en musique,
- L'enlèvement en chaise à porteurs, le plus gai,
- Le plus nouveau, Monsieur, et le plus distingué!
-
-BERGAMIN, se grattant la tête, à Pasquinot.
-
- Voyons, que penses-tu?
-
-PASQUINOT.
-
- Hon... Et toi?
-
-BERGAMIN.
-
- Moi, je pense
- Qu'il faut frapper très fort--tant pis si l'on dépense--
- L'imagination!... Avoir de tout un peu!...
- Faire un enlèvement...
-
-STRAFOREL.
-
- Panaché? Ça se peut.
-
-BERGAMIN.
-
- Donnons-en pour longtemps à nos jeunes fantasques:
- Chaise à porteurs, manteaux, torches, musique, masques!
-
-STRAFOREL, prenant des notes sur un calepin.
-
- Nous prendrons, pour grouper ces divers éléments,
- Une première classe,--avec des suppléments.
-
-BERGAMIN.
-
- Soit!
-
-STRAFOREL.
-
- Je vais revenir bientôt...
-
-Montrant Pasquinot.
-
- Mais il importe
- Que Monsieur, de son parc, entre-bâille la porte...
-
-BERGAMIN.
-
- Il entre-bâillera.
-
-STRAFOREL, saluant.
-
- Messieurs, mes compliments!
-
-Avant de sortir.
-
- Une première classe avec des suppléments!
-
-
-SCÈNE VI
-
-BERGAMIN, PASQUINOT.
-
-PASQUINOT.
-
- Avec tous ses grands airs, il s'en va, l'homme honnête,
- Sans qu'on ait fait le prix!
-
-BERGAMIN.
-
- Laisse, l'affaire est faite!
- On abattra le mur. Nous n'aurons qu'un foyer!
-
-PASQUINOT.
-
- Et l'hiver, à la ville, ô douceur! qu'un loyer!
-
-BERGAMIN.
-
- Nous ferons dans le parc des choses ravissantes!
-
-PASQUINOT.
-
- Nous taillerons les ifs!
-
-BERGAMIN.
-
- Nous sablerons les sentes!
-
-PASQUINOT.
-
- Nos chiffres, au milieu de chaque massif rond,
- Bien calligraphiés, en fleurs, s'enlaceront!
-
-BERGAMIN.
-
- Comme cette verdure est un peu trop sévère...
-
-PASQUINOT.
-
- Nous allons l'égayer par des boules de verre!
-
-BERGAMIN.
-
- Nous aurons des poissons dans un bassin tout neuf!
-
-PASQUINOT.
-
- Nous aurons un jet d'eau faisant danser un oeuf!
- Nous aurons un rocher!--Hein! coquin, que t'en semble!
-
-BERGAMIN.
-
- Tous nos voeux sont comblés!
-
-PASQUINOT.
-
- Nous vieillirons ensemble.
-
-BERGAMIN.
-
- Et ta fille est casée!
-
-PASQUINOT.
-
- Ainsi que ton gamin!
-
-BERGAMIN.
-
- Ah! mon vieux Pasquinot!
-
-PASQUINOT.
-
- Ah! mon vieux Bergamin!
-
-Ils tombent dans les bras l'un de l'autre.
-
-
-SCÈNE VII
-
-LES MÊMES SYLVETTE, PERCINET, entrés brusquement, chacun de son côté.
-
-SYLVETTE, voyant son père tenir Bergamin.
-
- Ah!
-
-BERGAMIN, apercevant Sylvette, à Pasquinot.
-
- Ta fille!
-
-PERCINET, voyant son père tenir Pasquinot.
-
- Ah!
-
-PASQUINOT, apercevant Percinet, à Bergamin.
-
- Ton fils!
-
-BERGAMIN, bas à Pasquinot.
-
- Battons-nous!
-
-Ils transforment l'embrassade en lutte à bras-le-corps.
-
- Ah! canaille!
-
-PASQUINOT.
-
- Ah! gueux!
-
-SYLVETTE, tirant son père par les basques de son habit.
-
- Papa!...
-
-PERCINET, même jeu, à Bergamin.
-
- Papa!...
-
-BERGAMIN.
-
- Laissez-nous donc, marmaille!
-
-PASQUINOT.
-
- C'est lui qui m'insulta!
-
-BERGAMIN.
-
- C'est lui qui me frappa!
-
-PASQUINOT.
-
- Lâche!
-
-SYLVETTE.
-
- Papa!
-
-BERGAMIN.
-
- Filou!
-
-PERCINET.
-
- Papa!!
-
-PASQUINOT.
-
- Brigand!
-
-SYLVETTE.
-
- Papa!!!
-
-Ils réussissent à les séparer.
-
-PERCINET, entraînant son père.
-
- Rentre, il est tard!
-
-BERGAMIN, essayant de revenir.
-
- Ma rage est à son paroxysme!
-
-Percinet l'emmène.
-
-PASQUINOT, même jeu avec Sylvette.
-
- J'écume!
-
-SYLVETTE, l'emmenant.
-
- L'air fraîchit. Pense à ton rhumatisme!
-
-
-SCÈNE VIII
-
-Le jour baisse insensiblement. La scène reste vide un instant. Puis,
-dans le parc de Pasquinot, entrent STRAFOREL et ses SPADASSINS,
-MUSICIENS, etc.
-
-STRAFOREL.
-
- D'une étoile déjà le ciel clair s'étoila.
- Le jour fuit...
-
-Il place ses hommes.
-
- Mets-toi là... Mets-toi là... Mets-toi là.
- Oui, l'heure du Salut déjà doit être proche:
- Blanche, elle apparaîtra quand tintera la cloche;
- Alors, je sifflerai...
-
-Il regarde le ciel.
-
- La lune?... C'est parfait!
- Nous n'aurons pas manqué, ce soir, un seul effet!
-
-Regardant les manteaux extravagants des spadassins.
-
- Excellents, les manteaux!... Que la colichemarde
- Les retrousse un peu plus: appuyez sur la garde!
-
-On apporte la chaise à porteurs.
-
- La chaise, ici, dans l'ombre.
-
-Regardant les porteurs qui sont noirs.
-
- Ah! les nègres, pas mal!
-
-A la cantonade.
-
- Les torches, vous n'entrez, n'est-ce pas, qu'au signal?
-
-On voit le fond vaguement coloré de rose par les reflets des torches qui
-restent derrière les arbres; entrent des musiciens.
-
- Les musiciens?--là! sur fond de clartés roses...
-
-Il les place au fond.
-
- De la grâce, du flou! Variez donc les poses!
- Debout, la mandoline! Asseyez-vous, l'alto!
- Comme dans le _Concert Champêtre_ de Watteau!
-
-Sévère, à un spadassin.
-
- Premier Homme Masqué, que vois-je? On se dandine?
- Ça, de l'allure!--Bien!--Instruments, en sourdine,
- Veuillez vous accorder... Oh! très bien!--Sol, mi, si!
-
-Il se masque.
-
-
-SCÈNE IX
-
-LES MÊMES, PERCINET.
-
-PERCINET entre lentement. A mesure qu'il déclame les vers suivants, la
-nuit devient plus noire et le ciel s'étoile.
-
- Mon père s'est calmé... J'ai pu fuir jusqu'ici.
- Le jour baisse... L'odeur des sureaux flotte et grise!...
- Les fleurs vont s'effaçant dans la pénombre grise...
-
-STRAFOREL, bas aux violons.
-
- Musique!
-
-Les musiciens jouent doucement jusqu'à la fin de l'acte.
-
-PERCINET.
-
- Je me sens trembler comme un roseau.
- Qu'ai-je donc?... Elle va venir!
-
-STRAFOREL, aux musiciens.
-
- Amoroso!...
-
-PERCINET.
-
- Mon premier rendez-vous, le soir... Ah! je défaille!...
- La brise fait le bruit d'une robe de faille...
- On ne voit plus les fleurs... j'ai des larmes aux yeux...
- On ne voit plus les fleurs... mais on les sent bien mieux!
- Oh! ce grand arbre, avec une étoile à son faîte!...
- Mais qui donc joue ainsi des airs?--La nuit s'est faite.
-
- Oui, la douce nuit s'est faite, et voici
- Qu'en l'azur foncé du ciel obscurci,
- S'allumant partout, par là, par ici,
- Et l'une après l'une,
- Tandis que l'étang est tout coassant,
- Les étoiles vont en nombre croissant
- Tout autour, autour du grêle croissant
- De la pâle lune!
-
- Éclats de saphir et de diamant,
- Étoiles, je fus longtemps votre amant,
- Et je vous parlais, le soir, ardemment,
- Perdu dans la nue!...
- Mais ma poésie a changé de cours
- Depuis que, tenant de naïfs discours,
- Ses petits cheveux au front coupés courts,
- Sylvette est venue!
-
- Chers astres du ciel, astres familiers,
- Vous êtes bien beaux, là-haut, par milliers,
- Mais, allez! serez bien humiliés
- Quand, parmi ses voiles,
- Elle apparaîtra dans le bleu jardin,
- Et, voyant ses yeux, vous serez soudain
- Pour vos propres feux prises de dédain,
- Mes pauvres étoiles!
-
-Une cloche sonne au loin.
-
-
-SCÈNE X
-
-LES MÊMES, SYLVETTE, puis BERGAMIN, PASQUINOT.
-
-SYLVETTE, paraît au tintement de la cloche.
-
- Le Salut sonne. Il doit m'attendre.
-
-Coup de sifflet, Straforel surgit devant elle, les torches apparaissent.
-
- Ah!
-
-Les spadassins l'enlèvent et la mettent vivement dans la chaise à
-porteurs.
-
- Au secours!
-
-PERCINET.
-
- Juste ciel!
-
-SYLVETTE.
-
- Percinet, on m'enlève!
-
-PERCINET.
-
- J'accours!
-
-Il enjambe le mur, tire l'épée, et ferraille avec plusieurs spadassins.
-
- Tiens,--tiens,--tiens!
-
-STRAFOREL, aux musiciens.
-
- Trémolo!
-
-Les violons élèvent un trémolo dramatique. Les spadassins se sauvent.
-Straforel, d'une voix de théâtre:
-
- Per Baccho! C'est le diable
- Que cet enfant!
-
-Duel entre Straforel et Percinet. Straforel porte tout à coup la main à
-sa poitrine.
-
- Le coup... est irrémédiable!
-
-Il tombe.
-
-PERCINET, courant à Sylvette.
-
- Sylvette!
-
-Tableau. Elle est dans la chaise à porteurs ouverte, lui à genoux.
-
-SYLVETTE.
-
- Mon sauveur!
-
-PASQUINOT, surgissant.
-
- Le fils de Bergamin!...
- Ton sauveur!... ton sauveur?... Je lui donne ta main!
-
-SYLVETTE et PERCINET.
-
- Ciel!
-
-Bergamin est entré de son côté, suivi de valets avec des flambeaux.
-
-PASQUINOT, à Bergamin qui paraît sur la crête du mur.
-
- Bergamin, ton fils est un héros!... Pardonne!
- Et faisons leur bonheur!
-
-BERGAMIN, solennel.
-
- Ma haine m'abandonne!
-
-PERCINET.
-
- Sylvette, nous rêvons, Sylvette, parlons bas,
- Que le bruit de nos voix ne nous réveille pas!...
-
-BERGAMIN.
-
- Les haines finiront toujours en hyménées.
- La paix est faite.
-
-Montrant le mur.
-
- Il n'y a plus de Pyrénées!
-
-PERCINET.
-
- Qui l'aurait cru qu'ainsi mon père changerait?
-
-SYLVETTE, simplement.
-
- Quand je vous le disais que tout s'arrangerait!
-
-Tandis qu'ils remontent avec Pasquinot, Straforel se soulève et tend un
-papier à Bergamin.
-
-BERGAMIN, bas.
-
- Hein! Quoi donc? ce papier, et votre signature...
- Qu'est cela, s'il vous plaît?
-
-STRAFOREL, saluant.
-
- Monsieur, c'est ma facture!
-
-Il retombe.
-
-RIDEAU
-
-
-
-
-ACTE DEUXIÈME
-
-
-_Même décor: le mur a disparu. Les bancs qui lui étaient adossés ont été
-repoussés à droite et à gauche. Menus changements, massifs de fleurs,
-kiosques de treillages, faux marbres prétentieux, serre. A droite, table
-de jardin, chaises._
-
-_Au lever du rideau, Pasquinot, assis sur le banc de gauche, lit sa
-gazette. Blaise, au fond, ratisse._
-
-
-SCÈNE PREMIÈRE
-
-PASQUINOT, BLAISE, puis BERGAMIN.
-
-BLAISE, ratissant.
-
- Donc, Monsieur Pasquinot, ce soir vient le notaire?...
- Hé! voici bien un mois que ce mur est par terre
- Et que vous vivez tous ensemble. Il était temps;
- Nos petits amoureux doivent être contents!
-
-PASQUINOT, levant la tête et regardant autour de lui.
-
- Ça fait bien sans ce mur, hein, Blaise?
-
-BLAISE.
-
- C'est superbe!
-
-PASQUINOT.
-
- Oui, mon parc à gagné. Cent pour cent.
-
-Il se penche et tâte une touffe de gazon.
-
- Mais cette herbe
- Est mouillée!... On a donc arrosé ce matin?...
-
-Furieux.
-
- Il ne faut arroser que le soir, vieux crétin!
-
-BLAISE, placidement.
-
- C'est Monsieur Bergamin qui m'en a donné l'ordre.
-
-PASQUINOT.
-
- Ah?... Ce bon Bergamin!... Il ne veut pas démordre
- De son idée!... Il croit qu'arroser sans repos
- Vaut mieux qu'arroser peu, mais bien, mais à propos!
- Enfin!...
-
-A Blaise.
-
- Vous sortirez les plantes de la serre.
-
-Blaise aligne au fond des plantes qu'il va chercher dans la serre.
-Pasquinot lit. Bergamin paraît au fond.
-
-BERGAMIN, arrosant les arbustes avec un énorme arrosoir.
-
- Ouf!... On leur donne d'eau juste le nécessaire!
- Ce qui leur fait du bien, c'est ce superflu-là!
-
-A un arbre.
-
- Hein, mon vieux, tu mourais de soif?... Tiens, en voilà,
- De l'eau... tiens, en voilà! Moi, j'aime ça, les arbres.
-
-Posant son arrosoir, et regardant autour de lui avec satisfaction.
-
- Oui, mon parc a gagné... Très jolis, ces faux marbres
- Très, très...
-
-Apercevant Pasquinot.
-
- Bonjour.
-
-Pas de réponse.
-
- Bonjour!!
-
-Pas de réponse.
-
- Bonjour!!!
-
-Pasquinot lève la tête.
-
- Eh bien, j'attends?
-
-PASQUINOT.
-
- Oh! mon ami, mais nous nous voyons tout le temps!
-
-BERGAMIN.
-
- Ah?--bien!...
-
-Voyant les plantes que range Blaise.
-
- Veux-tu rentrer ces plantes!
-
-Blaise, ahuri, les rentre précipitamment. Pasquinot lève les yeux au
-ciel, hausse les épaules, et lit. Bergamin va et vient, l'air désoeuvré,
-finit par s'asseoir à côté de Pasquinot. Silence. Puis, tout à coup,
-avec mélancolie:
-
- A cette heure,
- Chaque jour je sortais, furtif, de ma demeure...
-
-PASQUINOT, rêveur, baissant sa gazette.
-
- Je filais de chez moi, subreptice et léger...
- C'était très amusant!
-
-BERGAMIN.
-
- Le secret!
-
-PASQUINOT.
-
- Le danger!
-
-BERGAMIN.
-
- Il fallait dépister Percinet ou Sylvette
- Chaque fois qu'on venait tailler une bavette!
-
-PASQUINOT.
-
- On risquait, chaque fois qu'on grimpait sur le mur,
- La casse d'une côte, ou le bris d'un fémur.
-
-BERGAMIN.
-
- Nos conversations monoquotidiennes
- Ne se pouvaient qu'au prix de ruses indiennes!
-
-PASQUINOT.
-
- Il fallait se glisser sous les buissons épais...
- C'était très amusant!
-
-BERGAMIN.
-
- Quelquefois, je rampais...
- Et, le soir, aux genoux, ma culotte était verte!
-
-PASQUINOT.
-
- L'un de l'autre il fallait, sans fin, jurer la perte...
-
-BERGAMIN.
-
- Et dire un mal affreux...
-
-PASQUINOT.
-
- C'était très amusant!
-
-Bâillant.
-
- Bergamin?
-
-BERGAMIN, de même.
-
- Pasquinot?
-
-PASQUINOT.
-
- Ça nous manque, à présent.
-
-BERGAMIN.
-
- Non, voyons!...
-
-Après réflexion.
-
- Si, pourtant. Oh! c'est très drôle!--Est-ce que
- Ce serait la revanche, ici, du Romanesque?...
-
-Silence. Il regarde Pasquinot qui lit.
-
- Son gilet est toujours veuf de quelque bouton!
- C'est crispant!...
-
-Il se lève, s'éloigne, va et vient.
-
-PASQUINOT, le regardant, par-dessus sa gazette, à part.
-
- Il a l'air d'un vaste hanneton
- Qui virevolte, avec ses basques pour élytres.
-
-Il feint de lire quand Bergamin repasse devant lui.
-
-BERGAMIN, le regardant, à part.
-
- Il louche, quand il lit, ainsi que font les pitres
- Après leur papillon.
-
-Il remonte en sifflotant.
-
-PASQUINOT, à part, nerveux.
-
- Il siffle!... c'est un tic!
-
-Haut.
-
- Ne sifflote donc pas toujours, comme un aspic.
-
-BERGAMIN, souriant.
-
- Nous distinguons le brin d'éteule aux yeux des autres
- Et nous ne sentons pas la solive en les nôtres!
- Vous avez bien vos tics...
-
-PASQUINOT.
-
- Moi?
-
-BERGAMIN.
-
- Vous vous dandinez,
- Vous reniflez sans fin, Roi des Enchifrenés,
- Le nez toujours noirci d'un vain sternutatoire,
- Vous contez six-vingts fois par jour la même histoire.
-
-PASQUINOT, qui, assis, jambes croisées, balance son pied.
-
- Mais...
-
-BERGAMIN.
-
- Vous ne pouvez pas un instant vous asseoir
- Sans balancer le pied comme un gros encensoir;
- A table, vous roulez votre mie en boulettes...
- Maniaque, mon cher, ah! non, ce que vous l'êtes!
-
-PASQUINOT.
-
- Oui, comme maintenant on s'ennuie à moisir,
- De m'inventorier vous avez le loisir;
- Vous dénombrez mes tics, vous en dressez la liste,
- Mais la vie en commun, cette grande oculiste,
- Me désaveugle aussi! Je vous vois ladre, faux,
- Égoïste, et chacun de vos menus défauts
- Grossit,--comme la mouche amusante et gentille
- Devient un monstre affreux, Monsieur, sous la lentille.
-
-BERGAMIN.
-
- Ce dont je me doutais, maintenant j'en suis sûr!
-
-PASQUINOT.
-
- Quoi?
-
-BERGAMIN.
-
- Le mur te flattait.
-
-PASQUINOT.
-
- Tu perds beaucoup sans mur.
-
-BERGAMIN.
-
- De te voir tous les jours tu calmas mon envie!
-
-PASQUINOT, éclatant.
-
- Depuis un mois, Monsieur, ce n'est plus une vie!
-
-BERGAMIN, très digne.
-
- C'est bien, Monsieur, c'est bien. Ce que nous avons fait,
- Ce n'était pas pour nous, n'est-ce pas?
-
-PASQUINOT.
-
- En effet!
-
-BERGAMIN.
-
- C'était pour nos enfants!...
-
-PASQUINOT, convaincu.
-
- Pour nos enfants, oui, certe!...
- Souffrons donc en silence, et supportons la perte
- De notre liberté, sans soucis apparents.
-
-BERGAMIN.
-
- Car, se sacrifier, c'est le sort des parents!
-
-Sylvette et Percinet paraissent à gauche, au fond, entre les arbres, et
-traversent lentement la scène, enlacés, avec des gestes d'exaltés.
-
-PASQUINOT.
-
- Chut! voici les Amants!
-
-BERGAMIN, les regardant.
-
- Voyez-moi cette pose!...
- Semblent-ils pas marcher dans une apothéose?
-
-PASQUINOT.
-
- Depuis que l'aventure exauça tous leurs voeux,
- Ils sentent des rayons mêlés à leurs cheveux!
-
-BERGAMIN.
-
- C'est l'heure où, copiant les attitudes lentes
- Des Pèlerins d'Amour dans les Fêtes Galantes,
- Ils viennent chaque jour, avec componction,
- Sur le lieu du combat faire une station!
-
-Sylvette et Percinet, qui ont disparu à droite, y reparaissent, à un
-plan plus rapproché, et descendent en scène.
-
- Voici nos pèlerins.
-
-PASQUINOT.
-
- S'ils brodent sur leur thème
- Coutumier, cela vaut d'être écouté!...
-
-(Bergamin et Pasquinot se retirent derrière un massif.)
-
-
-SCÈNE II
-
-SYLVETTE, PERCINET; BERGAMIN et PASQUINOT, cachés.
-
-PERCINET.
-
- Je t'aime!...
-
-SYLVETTE.
-
- Je vous aime...
-
-Ils s'arrêtent.
-
- A l'endroit illustre nous voici!
-
-PERCINET.
-
- Oui, c'est ici qu'eut lieu la chose. C'est ici
- Que tomba lourdement la brute transpercée!
-
-SYLVETTE.
-
- Là, je fus Andromède!
-
-PERCINET.
-
- Et là, je fus Persée!
-
-SYLVETTE.
-
- Combien donc étaient-ils contre toi?
-
-PERCINET.
-
- Dix!
-
-SYLVETTE.
-
- Oh!... vingt!...
- Vingt au moins, sans compter ce grand dernier qui vint,
- Et dont tu corrigeas l'humeur récalcitrante.
-
-PERCINET.
-
- Oui, vous avez raison, ils étaient au moins trente.
-
-SYLVETTE.
-
- Ah! redis-moi comment, dague au poing, flamme aux yeux.
- Tu les frappas dans l'ombre, ô mon Victorieux!
-
-PERCINET.
-
- Je ne sais si ce fut en sixte, ou bien en quarte...
- Mais ils tombaient, pareils aux capucins de carte!
-
-SYLVETTE.
-
- Ami, si vos cheveux avaient été moins blonds,
- J'aurais cru voir le Cid!
-
-PERCINET.
-
- Oui, nous nous ressemblons.
-
-SYLVETTE.
-
- Il manque à nos amours d'être mis en poème.
-
-PERCINET.
-
- Sylvette, ils le seront!
-
-SYLVETTE.
-
- Je vous aime.
-
-PERCINET.
-
- Je t'aime!
-
-SYLVETTE.
-
- C'est du rêve vécu!... Je m'étais tant juré
- D'épouser le héros follement rencontré,
- Et pas le bon petit fiancé des familles!...
-
-PERCINET.
-
- Ah?
-
-SYLVETTE.
-
- Non, non, pas celui qu'on offre aux jeunes filles,
- Le doux Monsieur que cherche à marier sa soeur,
- Ou quelque digne abbé, son vague confesseur.
-
-PERCINET.
-
- Tu n'aurais surtout pas épousé, que j'espère,
- L'inévitable fils d'un ami de ton père!
-
-SYLVETTE, riant.
-
- Ah! non!... Remarques-tu que mon père et le tien
- Sont depuis quelques jours d'une humeur?...
-
-PERCINET.
-
- Oui, de chien.
-
-BERGAMIN, derrière le massif.
-
- Hum!
-
-PERCINET.
-
- Et je sais pourquoi leur bonne humeur s'altère...
-
-BERGAMIN, derrière le massif.
-
- Ah?
-
-PERCINET.
-
- Mais oui! notre envol vexe leur terre-à-terre.
- Je respecte beaucoup mon père,--et ton auteur;
- Mais ce sont bons bourgeois pas très à la hauteur.
- Notre éclat les relègue un peu dans les ténèbres.
-
-PASQUINOT, derrière le massif.
-
- Hein?
-
-SYLVETTE, de même.
-
- Les voilà passés pères d'amants célèbres!
-
-PERCINET, riant.
-
- Mon panache excessif leur devient importun.
-
-SYLVETTE.
-
- Ton père a devant toi la gêne obscure d'un...
- Je ne sais si je peux dire?
-
-PERCINET.
-
- Tu peux, espiègle.
-
-SYLVETTE.
-
- D'un canard ayant fait la couvaison d'un aigle!
-
-BERGAMIN, derrière le massif.
-
- Ho! ho!
-
-SYLVETTE, riant plus fort.
-
- Pauvres parents, notre amour clandestin,
- Comme il se joua d'eux!...
-
-PASQUINOT, derrière le massif.
-
- Hé! hé!
-
-PERCINET.
-
- Oui, le Destin
- Joint toujours les Amants par d'imprévus méandres,
- Et le hasard se fait le Scapin des Léandres!
-
-BERGAMIN, derrière le massif.
-
- Ha! ha!
-
-SYLVETTE.
-
- Et donc, ce soir, le contrat, nous allons
- Le signer!
-
-PERCINET, remontant.
-
- Et je vais mander les violons!
-
-SYLVETTE.
-
- Allez vite!
-
-PERCINET.
-
- Je cours!
-
-SYLVETTE, le rappelant.
-
- Tenez, je suis gentille,
- Et je vais vous mener, Monsieur, jusqu'à la grille
-
-Ils remontent enlacés, Sylvette minaudant.
-
- Nous égalons, je crois, les plus fameux Amants.
-
-PERCINET.
-
- Oui, nous serons parmi ces Immortels Charmants:
- Roméo, Juliette,--Aude et Roland...
-
-SYLVETTE.
-
- Aminte
- Et son pâtre!
-
-PERCINET.
-
- Pyrame et Thisbé!
-
-SYLVETTE.
-
- Mainte et mainte
- Encore...
-
-Ils sont sortis. On entend leurs voix s'éloigner parmi les arbres.
-
-La voix de PERCINET.
-
- Francesca, tu sais, de Rimini,
- Et Paolo...
-
-La voix de SYLVETTE.
-
- Pétrarque et Laure...
-
-BERGAMIN, sortant du massif.
-
- As-tu fini?
-
-
-SCÈNE III
-
-PASQUINOT, BERGAMIN.
-
-PASQUINOT, gouailleur.
-
- Le succès de ton plan, Monsieur l'homme sagace,
- Répond à ton espoir, et même il le dépasse!
- Résultat qui sans doute était prévu par vous,
- Cher maître: nos enfants sont complètement fous!
-
-BERGAMIN.
-
- Il est clair que ta fille est assez énervante
- Avec son fameux rapt, que sans cesse elle vante!
-
-PASQUINOT.
-
- Et ton fils, qui se croit un héros, prend des airs
- Qui ne me portent pas moindrement sur les nerfs!
-
-BERGAMIN.
-
- Mais le plus irritant, c'est qu'ils nous représentent
- Comme deux bons bourgeois dupés, qu'ils nous plaisantent
- Sur notre aveuglement voulu, sur ce que nous
- Ne surprîmes jamais un de leur rendez-vous!
- C'est bête, si tu veux, mais enfin ça m'agace.
-
-PASQUINOT.
-
- Avais-tu prévu ça, Monsieur l'homme sagace?
- Grâce à toi, ton moutard tient d'insanes propos,
- Et se croit le premier des moutardiers papaux.
-
-BERGAMIN.
-
- Moutardier dont au nez me monte la moutarde!
-
-PASQUINOT.
-
- Je vais tout leur conter, sans plus tarder.
-
-BERGAMIN.
-
- Non, tarde!
- Il ne faut pas aller leur dire tout de go;
- On parlera sitôt après le conjungo;
- Jusqu'aux derniers accords des nuptiales harpes,
- Sachons leur opposer un mutisme de carpes.
-
-PASQUINOT.
-
- Soit, mais nous voilà pris nous-mêmes dans nos rêts,
- Grâce à ton fameux plan.
-
-BERGAMIN.
-
- Mon cher, tu l'admirais!
-
-PASQUINOT.
-
- Ah! il était joli, ton plan!
-
-BERGAMIN, à part.
-
- Il m'exaspère!
-
-
-SCÈNE IV
-
-LES MÊMES, SYLVETTE.
-
-Elle entre gaiement, une branche fleurie à la main, dont elle fait à la
-cantonade des signes à Percinet qu'elle vient de quitter, puis elle
-descend entre les deux pères.
-
-SYLVETTE.
-
- Bonjour, mon cher papa. Bonjour, futur beau-père!
-
-BERGAMIN.
-
- Bonjour, future bru!
-
-SYLVETTE, l'imitant.
-
- Bonjour, future bru!
- Oh! comme vous avez ce matin l'air bourru!
-
-BERGAMIN.
-
- C'est Pasquinot qui me... qui me...
-
-SYLVETTE, lui agitant sa branche sous le nez.
-
- Chut! chut! du calme!
- Je viens comme la paix,--et j'agite une palme!
- Vous vous boudez encore un peu? C'est bien permis:
- Pouvez-vous vous aimer comme deux vieux amis?
-
-PASQUINOT, à part.
-
- Ironie!...
-
-BERGAMIN, haut, gouailleur.
-
- Oui, c'est vrai; notre haine fut telle
- Qu'on ne peut...
-
-SYLVETTE.
-
- Songez donc: une haine mortelle!
- Oh! quand je me souviens de ce que vous disiez
- De papa, bien souvent, là, parmi vos rosiers,
- Sans vous douter que moi j'entendais tout, assise
- Derrière le bon mur...
-
-BERGAMIN, à part.
-
- Elle est d'une bêtise!
-
-SYLVETTE, à Pasquinot.
-
- Car je venais ici chaque jour, vous savez,
- Retrouver Percinet!--Dire que vous n'avez
- Jamais eu de soupçons!
-
-PASQUINOT, ironique.
-
- Oh! pour ça, que je meure,
- Si...
-
-SYLVETTE.
-
- Nous venions pourtant toujours à la même heure.
-
-A Bergamin.
-
- Ha! ha! J'entends encor Percinet vous crier,
- Le jour même du rapt: «Je veux me marier
- De la façon la plus romanesquement folle!»
- Eh! dame, dites donc, il a tenu parole!
-
-BERGAMIN, vexé.
-
- Vraiment?... Et vous croyez que si j'avais voulu?...
-
-SYLVETTE.
-
- Ta! ta! ta! Je le sais, pour l'avoir cent fois lu:
- Les rêves des Amants toujours se réalisent,
- Et les pères, toujours, tôt ou tard, s'humanisent,
- Contraints par quelque étrange et fol événement
- Qui force, à point nommé, leur attendrissement.
-
-PASQUINOT.
-
- Qui force, à point nommé?... Non, non, laissez-moi rire!
-
-SYLVETTE.
-
- Mais, nous l'avons prouvé!...
-
-BERGAMIN.
-
- Si je voulais vous dire...
-
-SYLVETTE.
-
- Quoi?
-
-BERGAMIN.
-
- Rien!
-
-SYLVETTE, à Bergamin.
-
- Alors, pourquoi prenez-vous cet air fin?
-
-BERGAMIN.
-
- Mais, parce que...
-
-A part.
-
- Ho!... c'est agaçant, à la fin!
-
-PASQUINOT.
-
- Quand on pourrait d'un mot...
-
-Remontant.
-
- Mais gardons le mystère!
-
-SYLVETTE.
-
- Quand on n'a rien à dire, il le faut bien, se taire!
-
-PASQUINOT, éclatant.
-
- Rien à dire! La folle! Alors, vous croyez ça,
- Que tout se passe ainsi que cela se passa?
- Qu'on envahit les parcs malgré les bonnes grilles?...
-
-BERGAMIN.
-
- Vous croyez qu'on enlève encor les jeunes filles?
-
-SYLVETTE.
-
- Si je crois? Que dit-il?
-
-BERGAMIN, se montant.
-
- Moi, je dis qu'en voilà
- Assez! Qu'il était temps que tout se dévoilât!...
- Oui, depuis que le monde est monde entre les mondes,
- Le succès fut toujours pour les perruques blondes;
- Bartholo, dont la haine en secret s'aviva,
- Dut toujours s'incliner devant Almaviva;
- Mais l'heure du triomphe et des justes revanches
- Vient enfin de sonner pour les perruques blanches!
-
-SYLVETTE.
-
- Mais...
-
-PASQUINOT.
-
- Jadis, nous étions, nous autres, les papas,
- Cassandre, Orgon, Géronte, Argante, n'est-ce pas?
- Vous en êtes restée à ces vieilles badernes?...
- Mais on n'en trouve plus chez les pères modernes!
- Les dupés d'autrefois sont dupeurs à leur tour.
- L'ordre donné par nous de vous aimer d'amour,
- Ni vous ni Percinet n'eussiez voulu l'entendre?
- Ce fut donc bien joué que de vous le défendre!
-
-SYLVETTE.
-
- Mais alors, vous saviez peut-être...
-
-PASQUINOT.
-
- Sûrement!
-
-SYLVETTE.
-
- Nos duos?
-
-BERGAMIN.
-
- J'écoutais leur doux susurrement!
-
-SYLVETTE.
-
- Les bancs où nous grimpions?...
-
-PASQUINOT.
-
- Tout exprès nous les mîmes.
-
-SYLVETTE.
-
- Le duel?
-
-BERGAMIN.
-
- Simple jeu!
-
-SYLVETTE.
-
- Les spadassins?
-
-PASQUINOT.
-
- Des mimes!
-
-SYLVETTE.
-
- Mon rapt?--Oh! ça, c'est faux!...
-
-BERGAMIN, fouillant dans sa poche.
-
- C'est faux? Quand justement
- J'ai la facture, là, de votre enlèvement!
-
-SYLVETTE, la lui arrachant.
-
- Ah! donnez!...
-
-Elle lit.
-
- «_Straforel, maison de confiance,
- Un faux rapt, mis en scène, afin que l'on fiance!..._»
- Ah!--«_Huit sombres manteaux à cinq francs le manteau;
- Huit masques..._»
-
-BERGAMIN, à Pasquinot.
-
- Nous avons, je crois, parlé trop tôt!
-
-SYLVETTE, lisant.
-
- «_Une chaise à porteurs, soignée, à coussins roses,
- Création nouvelle..._»
-
-Haut, ironiquement.
-
- On a bien fait les choses!
-
-Elle jette la facture en riant sur la table.
-
-PASQUINOT, surpris.
-
- Elle n'est pas fâchée?
-
-SYLVETTE, avec bonne grâce.
-
- Ah! le tour est charmant!
- Mais c'est beaucoup d'esprit bien inutilement;
- Cher Monsieur Bergamin, croyez-vous que si j'aime
- Mon Percinet, c'est grâce à votre stratagème?
-
-PASQUINOT.
-
- Elle le prend très bien.
-
-BERGAMIN, à Sylvette.
-
- Vous le prenez très bien!
-
-PASQUINOT.
-
- Mais alors... on peut dire à Percinet?...
-
-SYLVETTE, vivement.
-
- Oh! rien!
- Non, ne lui dites rien!... Les hommes, c'est si bête!
-
-BERGAMIN.
-
- Quel bon sens! voyez-vous cette petite tête!...
- Et moi qui la croyais...
-
-Tirant sa montre.
-
- Mais le contrat, pardon,
- Allons nous préparer...
-
-Tendant la main à Sylvette.
-
- Bons amis?...
-
-SYLVETTE.
-
- Comment donc!
-
-BERGAMIN, se retournant encore avant de sortir.
-
- Vous ne m'en voulez pas du tout?
-
-SYLVETTE, tout miel.
-
- Je vous l'atteste.
-
-Pasquinot et Bergamin sortent.--Avec une rage froide:
-
- Ce Monsieur Bergamin, comme je le déteste!...
-
-
-SCÈNE V
-
-SYLVETTE, PERCINET.
-
-PERCINET, entrant épanoui.
-
- Ah! vous êtes encore ici?... Je comprends ça.
- Vous ne pouvez quitter l'endroit où se passa
- Toute cette aventure inouïe!...
-
-SYLVETTE, assise sur le banc, à gauche.
-
- Inouïe,
- En effet!
-
-PERCINET.
-
- C'est de là que, presque évanouie,
- Vous me vîtes combattre, ainsi qu'un Amadis,
- Ces trente spadassins...
-
-SYLVETTE.
-
- Mais non, ils étaient dix.
-
-PERCINET, se rapprochant.
-
- Chère, mais qu'avez-vous? Mais quoi donc vous attriste?
- Ces yeux, où du saphir fond dans de l'améthyste,
- Ils semblent obscurcis par quelque ennui, ces yeux?
-
-SYLVETTE, à part.
-
- Son langage est parfois un peu prétentieux.
-
-PERCINET.
-
- Ah! tenez, je comprends tout ce qu'en vous suscite
- De regrets attendris, cet adorable site!...
- Vous pleurez le vieux mur aux feuillages grimpeurs,
- Témoin de nos espoirs, jadis, et de nos peurs;
- Mais il n'est pas détruit, la gloire le couronne...
- Est-ce qu'il est détruit, le balcon de Vérone?...
-
-SYLVETTE, impatientée.
-
- Ah!
-
-PERCINET.
-
- Ne laisse-t-il pas, dans un vent toujours frais,
- Ce balcon toujours blanc, trembler sans fin, auprès
- D'un grenadier jamais défleuri, son échelle
- Inusable, que dore une aurore immortelle?
-
-SYLVETTE.
-
- Oh!
-
-PERCINET, de plus en plus lyrique.
-
- L'éternel duo fait l'éternel décor!
- C'est pourquoi, démoli, le mur se dresse encor,
- Sur lequel a poussé, folle pariétaire,
- Notre amour merveilleuse...
-
-SYLVETTE, à part.
-
- Il ne va pas se taire!
-
-PERCINET, avec un sourire plein de promesses.
-
- Mais le voeu fut par vous tout à l'heure exprimé
- De voir sur notre histoire un poème rimé...
- Donc, ce poème...
-
-SYLVETTE, inquiète.
-
- Eh bien?
-
-PERCINET.
-
- Moi-même je le rime.
-
-SYLVETTE.
-
- Tu sais faire des vers?
-
-PERCINET.
-
- Pouh!... Savais-je l'escrime?
- Écoute mon début, que j'ai fait en marchant,
- «_Les Pères Ennemis._» Poème.
-
-SYLVETTE.
-
- Oh!...
-
-PERCINET, se campant pour déclamer.
-
- Premier chant!
-
-SYLVETTE.
-
- Oh!...
-
-PERCINET.
-
- Qu'as-tu?
-
-SYLVETTE.
-
- Le bonheur... les nerfs... une faiblesse.
-
-Fondant en pleurs.
-
- Laissez-moi me remettre, un instant.
-
-Elle lui tourne le dos, assise sur le banc, et se cache le visage dans
-son mouchoir.
-
-PERCINET, un moment stupéfait.
-
- Je vous laisse.
-
-Puis, à part, avec un sourire avantageux.
-
- Un jour comme aujourd'hui, ce trouble est naturel!
-
-Il passe à droite, aperçoit sur la table le papier de la facture, et
-tirant vivement un crayon de sa poche, s'assied en disant:
-
- Notons toujours mes vers.
-
-Il prend le papier, s'apprête à écrire--mais s'arrête, le crayon levé,
-et lit:
-
- «_Avoir, moi, Straforel,
- Feint de choir, transpercé d'une lame ignorante,--
- Habit froissé: dix francs; amour-propre: quarante._»
-
-Souriant.
-
- Qu'est cela?
-
-Il continue tout bas. Le sourire s'efface. L'oeil s'exorbite.
-
-SYLVETTE, toujours sur le banc, s'essuyant les yeux.
-
- S'il savait, qu'il tomberait de haut!
- J'ai failli me trahir. Prenons garde!
-
-PERCINET, se levant.
-
- Ho!--ho!--ho!
-
-SYLVETTE, se retournant vers lui.
-
- Que dites-vous?
-
-PERCINET, escamotant la facture.
-
- Moi? rien, rien!
-
-SYLVETTE, à part.
-
- Son erreur me navre.
-
-PERCINET, à part.
-
- C'est pour ça qu'on n'a pas retrouvé le cadavre!
-
-SYLVETTE, à part, se levant.
-
- Il a l'air de bouder. Rapprochons-nous de lui.
-
-Elle tourne un moment, puis voyant qu'il ne bouge pas,--coquettement:
-
- Vous ne m'avez rien dit de ma robe aujourd'hui?
-
-PERCINET, négligemment.
-
- Le bleu ne vous va pas. Je vous préfère en rose.
-
-SYLVETTE, à part, saisie.
-
- Le bleu ne me va pas... Saurait-il quelque chose?
-
-Regardant la table.
-
- Mais la facture, au fait, j'ai dû la mettre là!
-
-PERCINET, la voyant qui cherche.
-
- Qu'avez-vous à tourner, voyons, comme cela?
-
-SYLVETTE.
-
- Rien...
-
-A part.
-
- Un papier, le vent quelquefois le dérobe.
-
-Haut, faisant bouffer sa jupe.
-
- Rien... je tournais pour voir comment me va ma robe!...
-
-A part.
-
- Je saurai bien s'il l'a trouvée.
-
-Haut.
-
- Hum!... Tu voulais
- Dire tantôt des vers sur nos amours?
-
-Mouvement de Percinet. Elle lui prend le bras, et, bien gentiment:
-
- Dis-les.
-
-PERCINET.
-
- Ah! non!
-
-SYLVETTE.
-
- Dis-les, ces vers...
-
-PERCINET.
-
- Non!
-
-SYLVETTE, ironique.
-
- Sur notre aventure!
-
-PERCINET.
-
- Ils sont mauvais, tu sais... Je n'ai pas...
-
-SYLVETTE.
-
- La facture?
-
-PERCINET.
-
- Non, je n'ai pas la fact...
-
-Sursautant et la regardant.
-
- Pardon, mais...
-
-SYLVETTE.
-
- Mais, pardon...
-
-PERCINET.
-
- Ah! mais elle sait donc?...
-
-SYLVETTE, de même.
-
- Il sait donc?
-
-TOUS LES DEUX, ensemble.
-
- Tu sais donc?
-
-Un temps, puis ils éclatent de rire.
-
- Ha! ha! ha!...
-
-PERCINET.
-
- N'est-ce pas que c'est drôle?
-
-SYLVETTE.
-
- Très drôle!
-
-PERCINET.
-
- Non, vraiment, on nous fit jouer un rôle.
-
-SYLVETTE.
-
- Un rôle!
-
-PERCINET.
-
- Nos pères étaient donc bons amis?
-
-SYLVETTE.
-
- Bons voisins.
-
-PERCINET.
-
- Ma parole, ils devraient être même cousins.
-
-SYLVETTE, faisant la révérence.
-
- J'épouse mon cousin!
-
-PERCINET.
-
- J'épouse ma cousine!
-
-SYLVETTE.
-
- C'est gentil!...
-
-PERCINET.
-
- C'est classique!
-
-SYLVETTE.
-
- Ah! certe, on imagine
- Des mariages plus... Mais c'est si bon de voir
- Que l'on conciliait l'amour--et le devoir!
-
-PERCINET.
-
- Et l'intérêt! Car ces deux parcs, leurs dépendances...
-
-SYLVETTE.
-
- Excellent mariage, enfin, de convenances.
- Elle est loin, notre pauvre idylle sur le mur!
-
-PERCINET.
-
- Il ne faut plus parler d'idylle, c'est bien sûr!
-
-SYLVETTE.
-
- Je rentre dans le rang banal des jeunes filles.
-
-PERCINET.
-
- Je suis le bon petit fiancé des familles...
- Et c'est en Roméo, Sylvette, que je plus!
-
-SYLVETTE.
-
- Ah! Roméo, c'est clair que vous ne l'êtes plus!
-
-PERCINET.
-
- Est-ce que vous croyez être encor Juliette?
-
-SYLVETTE.
-
- Vous devenez amer.
-
-PERCINET.
-
- Dame! et vous... aigrelette.
-
-SYLVETTE.
-
- Si vous avez été ridicule, eh! mon Dieu!
- Est-ce ma faute à moi?
-
-PERCINET.
-
- Si je le fus un peu,
- Je ne le fus pas seul!...
-
-SYLVETTE.
-
- Eh bien, soit! nous le fûmes!
- Ah! mon pauvre Oiseau Bleu, bien déteintes, vos plumes!
-
-PERCINET, ricanant.
-
- Ha!... un simili-rapt!
-
-SYLVETTE.
-
- De pseudo-coups d'estoc!...
-
-PERCINET.
-
- Fi! la fausse enlevée!
-
-SYLVETTE.
-
- Hou! le sauveur en toc!
- Ah! notre poésie était une risée!
- C'est ainsi qu'en crevant, belle bulle irisée,
- Tu n'es plus, disparue à nos yeux étonnés,
- Qu'un peu d'eau de savon qui nous pleut sur le nez!
-
-PERCINET.
-
- Donc, Amant dont je fus le plus vil des émules,
- Amante dont, indigne, elle chaussa les mules,
- O pâle et noble couple, ô couple shakspearien,
- Nous n'avions avec vous de commun rien, rien...
-
-SYLVETTE.
-
- Rien!
-
-PERCINET.
-
- Donc, au lieu de jouer le cher et divin drame,
- Nous en avons joué la parodie infâme!
-
-SYLVETTE.
-
- Donc, c'était un serin que notre rossignol!
-
-PERCINET.
-
- Donc, il était, le mur immortel, un Guignol!
- Et quand nous y venions, chaque jour, apparaître,
- Chaque jour, à mi-corps, nous étions, au lieu d'être
- Deux parangons d'amour aux types éternels,
- Deux pantins qu'animaient les gros doigts paternels!
-
-SYLVETTE.
-
- C'est vrai! Mais nous serions grotesques davantage
- Si nous nous aimions moins!
-
-PERCINET.
-
- Aimons-nous avec rage!
- Nous sommes obligés de nous aimer, d'abord!
-
-SYLVETTE.
-
- Mais, nous nous adorons!...
-
-PERCINET.
-
- Le mot n'est pas trop fort!
-
-SYLVETTE.
-
- L'amour peut consoler très bien d'un tel désastre!...
- N'est-ce pas, mon trésor?
-
-PERCINET.
-
- Certainement, mon astre!
-
-SYLVETTE.
-
- Bonjour donc, ma chère âme!
-
-PERCINET.
-
- Et bonsoir, ma beauté!
-
-SYLVETTE.
-
- Je vais rêver à vous, mon coeur,--de mon côté!
-
-PERCINET.
-
- Et moi du mien. Bonjour!
-
-SYLVETTE.
-
- Bonsoir!
-
-Elle sort.
-
-PERCINET.
-
- Ah! par exemple!...
- Ah! l'on me traite ainsi!... Mais quel est, dans cet ample
- Manteau, qui laisse voir cet étrange pourpoint,
- Ce Monsieur moustachu que je ne connais point?...
-
-Straforel, qui est entré sur ces vers, descend majestueusement en scène.
-
-
-SCÈNE VI
-
-PERCINET, STRAFOREL.
-
-PERCINET.
-
- Qu'est-ce?
-
-STRAFOREL, souriant.
-
- C'est pour toucher une petite somme.
-
-PERCINET.
-
- Un fournisseur?
-
-STRAFOREL.
-
- Tout juste! Allez donc, bon jeune homme,
- Dire à votre papa que j'attends.
-
-PERCINET.
-
- Votre nom?
-
-STRAFOREL.
-
- Mon nom est Straforel.
-
-PERCINET, bondissant.
-
- Lui, maintenant? Ah! non!
- Ah! non! ceci devient par trop intolérable!
-
-STRAFOREL, souriant.
-
- Tiens, tiens! vous savez donc, jeune homme?
-
-PERCINET, lui jetant la facture qu'il tire chiffonnée de sa poche.
-
- Misérable!
- C'était toi!
-
-STRAFOREL.
-
- Mon Dieu! oui, c'était moi: per Baccho!
-
-PERCINET.
-
- Oh! rencontrer cet homme! Oh! je fuirais jusqu'au
- Bout du monde...
-
-STRAFOREL, satisfait.
-
- Et je suis tellement gras et rose
- Que la citation, il me semble, s'impose:
- Les gens que vous tuez se portent...
-
-PERCINET, se ruant sur lui l'épée à la main.
-
- Tu vas voir!
-
-STRAFOREL, parant avec son bras, tranquille comme un maître d'armes qui
-donne la leçon.
-
- La main haute!... le pied en dehors! n'en savoir
- Pas plus long à votre âge, eh! Monsieur, c'est un crime!
-
-D'un tour de main il lui enlève son épée,--et la lui rendant, dans un
-salut:
-
- Quoi! vous cessez déjà votre leçon d'escrime?
-
-PERCINET, exaspéré, la reprenant.
-
- Ah! je pars!... On me traite en enfant: bien! j'aurai
- Ma revanche! J'aurai du roman, et du vrai!
- Je vais, par des amours et des duels sans nombre,
- Scandaliser, ô Don Juan, jusqu'à ton ombre!
- Et je vais enlever des filles d'opéra!
-
-Il sort en courant, l'épée brandie.
-
-STRAFOREL.
-
- Très bien!... Mais, maintenant, est-ce qu'on me paiera?
-
-
-SCÈNE VII
-
-STRAFOREL, BERGAMIN, PASQUINOT
-
-STRAFOREL, regardant dans la coulisse.
-
- Hé! là-bas! arrêtez!... En voici bien d'une autre!
-
-Entrent Bergamin et Pasquinot, décoiffés, déchirés, comme après une
-lutte.
-
-PASQUINOT, se rajustant et rendant à Bergamin sa perruque.
-
- Voici votre perruque!
-
-BERGAMIN.
-
- Ouf! Et voici la vôtre!
-
-PASQUINOT.
-
- Vous comprenez qu'après de pareils procédés!...
- Voici votre jabot...
-
-BERGAMIN, d'une voix sifflante.
-
- Et vous me concédez
- Que revivre avec vous serait un sacrifice
- Trop grand pour qu'au bonheur de mon fils je le fisse!
-
-PASQUINOT, voyant entrer Sylvette.
-
- Ma fille!... Cachons-lui d'abord ce qu'il en est!...
-
-
-SCÈNE VIII
-
-LES MÊMES, SYLVETTE, puis BLAISE, LE NOTAIRE, LES TÉMOINS, VIOLONS et
-INVITÉS.
-
-SYLVETTE, se jetant au cou de son père.
-
- Papa, je ne veux plus épouser Percinet!...
-
-Entrent le notaire pour le contrat, et des bourgeois endimanchés,
-témoins.
-
-BERGAMIN.
-
- Les témoins!... le notaire!... Au diable!
-
-LES TÉMOINS, ahuris.
-
- Hein?
-
-LE NOTAIRE, avec dignité.
-
- Ces paroles!...
-
-STRAFOREL, au milieu du tumulte, ayant ramassé la facture jetée par
-Percinet.
-
- Ma facture!... payez!... quatre-vingt-dix pistoles!...
-
-Entrent des invités et trois violons jouant un menuet.
-
-BERGAMIN, hors de lui, les bousculant.
-
- Les violons!... Au diable!
-
-Les violons continuent automatiquement leur menuet.
-
-STRAFOREL, impatienté, à Bergamin.
-
- Eh bien!... Je tends la main?
-
-BERGAMIN.
-
- Parlez à Pasquinot!
-
-PASQUINOT.
-
- Parlez à Bergamin!
-
-STRAFOREL, soulignant les mots de la facture.
-
- «_Un faux rapt mis en scène afin que l'on fiance..._»
-
-BERGAMIN.
-
- Ils sont défiancés! Donc, cela me dispense
- De payer.
-
-STRAFOREL, à Pasquinot.
-
- Mais, Monsieur...
-
-PASQUINOT.
-
- Que je vous donne un sol
- Maintenant que tout est rompu?--Vous êtes fol!
-
-BERGAMIN, à qui Blaise est venu parler bas.
-
- Mon fils!... parti!...
-
-SYLVETTE, saisie.
-
- Parti?...
-
-STRAFOREL, qui remontait, s'arrête et la regarde.
-
- Tiens! tiens!
-
-BERGAMIN.
-
- Courez! en chasse!
-
-Il sort en courant, suivi du notaire et des invités.
-
-SYLVETTE, très émue.
-
- Parti!
-
-STRAFOREL, redescendant en l'observant toujours.
-
- S'il se pouvait que je rabibochasse
- Ensemble ces mignons... eh! peut-être...
-
-SYLVETTE, tout d'un coup furieuse.
-
- Parti?
- Ah! ça c'est un peu fort!
-
-Elle sort, suivie de Pasquinot.
-
-STRAFOREL, triomphant.
-
- Straforel, mon petit,
- Pour te faire payer tes nonante pistoles,
- Ce mariage, il faut que tu le rafistoles!
-
-Il sort. Les trois violons restés seuls au milieu de la scène jouent
-toujours leur menuet.
-
-RIDEAU
-
-
-
-
-ACTE TROISIÈME
-
-
-_Même décor. On a apporté des matériaux pour la reconstruction du mur,
-qui est commencée au fond. Sacs de plâtre. Brouette. Auges et truelles._
-
-_Quand le rideau se lève, un maçon travaille, accroupi, le dos tourné au
-public. Bergamin et Pasquinot, chacun de son côté, inspectent les
-travaux._
-
-
-SCÈNE PREMIÈRE
-
-BERGAMIN, PASQUINOT, UN MAÇON.
-
-LE MAÇON chante en travaillant.
-
- Tra laï deluriau...
-
-BERGAMIN.
-
- Ces ouvriers sont longs!...
-
-LE MAÇON.
-
- Deluriau, de lurot...
-
-PASQUINOT, suivant ses mouvements avec satisfaction.
-
- C'est cela! des moellons!...
-
-BERGAMIN, même jeu.
-
- Pouf! un tas de mortier!
-
-PASQUINOT.
-
- Paf! un coup de truelle!
-
-LE MAÇON, faisant des roulades.
-
- Deluriau delurie--ue--ue--ue--ue--ue--uel--le.
-
-PASQUINOT, redescendant.
-
- Belle voix! mais travail bien lent!...
-
-BERGAMIN, redescendant aussi, avec un bonheur agressif.
-
- Ha! ha! voici
- Un pan de commencé! Bon!
-
-PASQUINOT, frappant du pied l'endroit non encore construit.
-
- Demain même, ici,
- Le mur va de deux pieds sortir de terre!--O joie!
-
-BERGAMIN, lyrique.
-
- O cher mur, que bientôt, debout, je te revoie!
-
-PASQUINOT.
-
- Que dites-vous, Monsieur?
-
-BERGAMIN.
-
- Je ne vous parle pas.
-
-Un temps.
-
- Que faites-vous le soir après votre repas?
-
-PASQUINOT.
-
- Rien... Et vous?
-
-BERGAMIN.
-
- Rien non plus.
-
-Un temps.--Ils se saluent, et se promènent.
-
-PASQUINOT, s'arrêtant.
-
- Alors, pas de nouvelles
- De votre fils?
-
-BERGAMIN.
-
- Mais non. Il court toujours.
-
-PASQUINOT, poli.
-
- Les belles
- Le désargenteront promptement,--et, bien sûr,
- Il reviendra.
-
-BERGAMIN.
-
- Merci.
-
-Ils se saluent, et se promènent. Un temps.
-
-PASQUINOT, s'arrêtant.
-
- Maintenant que le mur
- Se relève, Monsieur, je veux bien vous permettre
- De venir quelquefois,--en voisin.
-
-BERGAMIN.
-
- Bien. Peut-être
- Vous ferai-je l'honneur...
-
-Ils se saluent.
-
-PASQUINOT, brusquement.
-
- Eh bien! mais, dites donc,
- Venez faire un piquet?
-
-BERGAMIN, suffoqué.
-
- Ah!... oh!... hé!... mais, pardon,
- Je ne sais si je peux...
-
-PASQUINOT.
-
- Puisque je vous invite...
-
-BERGAMIN.
-
- Mon Dieu!... J'aimerais mieux un bésigue.
-
-PASQUINOT.
-
- Allons vite!
-
-BERGAMIN, sortant derrière lui.
-
- Vous me deviez dix sous de la dernière fois.
-
-Se retournant.
-
- Travaillez bien, maçon!
-
-LE MAÇON, de toutes ses forces.
-
- Tralaï!...
-
-PASQUINOT.
-
- Belle voix!
-
-Ils sortent.
-
-
-SCÈNE II
-
-STRAFOREL, puis SYLVETTE.
-
-Dès qu'ils sont sortis, le maçon se retourne, ôte son chapeau: c'est
-Straforel.
-
-STRAFOREL.
-
- Oui, maçon, je le suis,--puisque, sous ce grimage,
- Je m'introduis céans pour faire un replâtrage!
-
-S'asseyant sur le mur commencé.
-
- Le jeune homme est toujours au pourchas du roman;
- Mais on peut deviner, sans être nécroman,
- Qu'il reviendra bredouille et n'en menant plus large;
- Donc, tandis que la Vie elle-même se charge,
- Lui donnant de réel un salutaire bain,
- De décoquebiner un peu ce coquebin
- Et de le renvoyer ici tirant de l'aile,
- Moi, par une action savante et parallèle,
- Je travaille à guérir des goûts aventureux
- Sylvette.--Straforel, homme aux talents nombreux,
- Vous jouâtes souvent les marquis et les princes,
- Du temps où vous étiez sifflé dans les provinces!
- Ceci va nous servir.
-
-Il tire de sa souquenille une lettre qu'il met dans l'ouverture moussue
-d'un tronc d'arbre.
-
- Ah! quel remercîment,
- Pères, vous me devrez!
-
-Apercevant Sylvette.
-
- C'est elle!--A mon ciment!
-
-Il se remet à gâcher et disparaît derrière le mur.
-
-SYLVETTE apparaît, furtive, regarde si on la guette, puis:
-
- Non, personne!...
-
-Elle pose sur le banc de gauche sa mante de mousseline.
-
- Aujourd'hui, trouverai-je la lettre?
-
-Elle va vers un arbre.
-
- Tous les jours, un galant inconnu vient en mettre
- Une, là, dans ce tronc par la foudre entr'ouvert,
- Et qui fait une boîte aux lettres peinte en vert!...
-
-Elle plonge la main dans le creux de l'arbre.
-
- Oui, voilà mon courrier.
-
-Elle lit.
-
- «_Sylvette, coeur de marbre!
- C'est le dernier billet que produira cet arbre,
- Pourquoi n'avez-vous pas, tigresse, répondu
- Au poulet que pour vous chaque jour j'ai pondu?_»
- --Hein! quel style!
- «_L'amour qui dans mon âme gronde..._»
-
-Elle chiffonne nerveusement la lettre.
-
- Ah! Monsieur Percinet s'en va courir le monde!
- Il a raison!--Et moi je ferai comme lui!
- Croit-on que je m'en vais mourir ici d'ennui?
- Mais qu'il vienne, celui qui m'écrivit ces choses!
- Que de ces verts buissons pleins de nids et de gloses
- Il surgisse soudain! et telle que je suis,
- --Sans même aller chercher un chapeau,--je le suis!
- A tout prix, maintenant, j'en veux, du romanesque!
- Qu'il vienne! ce Monsieur!--déjà je l'aime presque!
- Comme je lui tendrais les deux mains, s'il venait!
- Et comme...
-
-STRAFOREL, apparaissant, d'une voix éclatante.
-
- Le voilà!
-
-SYLVETTE.
-
- Au secours, Percinet!
-
-Reculant à mesure que Straforel avance.
-
- L'homme, n'approchez pas!
-
-STRAFOREL, amoureusement.
-
- Pourquoi cet air hostile?...
- Je suis pourtant celui dont vous aimiez le style,
- Tout à l'heure!... le trop favorisé mortel
- Dont le billet vous plut, et sur l'amour duquel
- Vous comptiez, si j'en crois les propos que vous tintes,
- Pour vous faire enlever et fuir loin des atteintes!
-
-SYLVETTE, ne sachant que devenir.
-
- L'homme!...
-
-STRAFOREL.
-
- Vous me prenez pour un maçon? Exquis!
- C'est exquis!--Sachez donc que je suis le marquis
- D'Astafiorquercita, fol esprit, coeur malade,
- Qui cherche à pimenter l'existence trop fade,
- Et voyage, façon de chevalier errant
- Auquel est un rêveur, un poète, adhérent!
- Et c'est pour pénétrer en vos jardins, Cruelle,
- C'est par amour pour vous que j'ai pris la truelle!
-
-Il jette d'un geste élégant sa truelle, et, dépouillant vivement sa
-souquenille, ôtant son chapeau blanc de plâtre, apparaît dans un
-étincelant costume almavivesque. Perruque blonde, moustache conquérante.
-
-SYLVETTE.
-
- Monsieur!...
-
-STRAFOREL.
-
- Par un nommé Straforel, j'ai connu
- Votre histoire. Un amour insensé m'est venu
- Pour la pauvre victime, innocente étourdie,
- Contre qui cette ruse infâme fut ourdie!...
-
-SYLVETTE.
-
- Marquis!...
-
-STRAFOREL.
-
- Ne prenez pas cet air épouvanté...
- Du rôle qu'il joua ce gueux s'étant vanté,
- Je l'ai tué...
-
-SYLVETTE.
-
- Tué!...
-
-STRAFOREL.
-
- D'une seule estocade.
- D'être un justicier j'eus toujours la toquade!
-
-SYLVETTE.
-
- Monsieur...
-
-STRAFOREL.
-
- Je vous comprends, ô cher coeur incompris!
- Vous voulez du roman, n'est-ce pas, à tout prix?
-
-SYLVETTE.
-
- Mais, Marquis!...
-
-STRAFOREL.
-
- Donc, c'est dit: ce soir, je vous enlève!
-
-SYLVETTE.
-
- Monsieur...
-
-STRAFOREL.
-
- Et pour de bon!
-
-SYLVETTE.
-
- Monsieur!
-
-STRAFOREL.
-
- Ah! quel beau rêve!
- Vous avez consenti! Je l'ai bien entendu!
- Oui, ce soir nous prendrons notre vol éperdu!
- Si de votre papa la tête se détraque
- De douleur, c'est tant pis!...
-
-SYLVETTE.
-
- Monsieur...
-
-STRAFOREL.
-
- Si l'on nous traque
- --Car on poursuit le rapt avec sévérité,--
- C'est tant mieux!
-
-SYLVETTE.
-
- Mais, Monsieur!...
-
-STRAFOREL.
-
- Tant mieux, en vérité!
- Nous pourrons fuir à pied par une nuit d'orage,
- Nos fronts nus sous la pluie et le vent faisant rage!
-
-SYLVETTE.
-
- Monsieur...
-
-STRAFOREL.
-
- Et pour gagner un lointain continent,
- Nous nous embarquerons, Madame, incontinent!
-
-SYLVETTE.
-
- Monsieur...
-
-STRAFOREL.
-
- Et loin, bien loin, dans quelque pays vierge,
- Où nous vivrons heureux sous la bure et la serge...
-
-SYLVETTE.
-
- Ah! mais...
-
-STRAFOREL.
-
- Car je n'ai rien! Vous ne voudriez pas
- Que j'eusse quelque chose!...
-
-SYLVETTE.
-
- Enfin!
-
-STRAFOREL.
-
- Nos seuls repas
- Seront du pain,--du pain mouillé de douces larmes!
-
-SYLVETTE.
-
- Pourtant...
-
-STRAFOREL.
-
- L'exil pour nous se fleurira de charmes!
-
-SYLVETTE.
-
- Monsieur...
-
-STRAFOREL.
-
- Et le malheur pour nous ne sera qu'heur!
- Pas même une chaumière: une tente!... et ton coeur!
-
-SYLVETTE.
-
- Une tente?
-
-STRAFOREL.
-
- Eh bien, oui, quatre piquets, deux toiles...
- Ou, si vous préférez, rien du tout,--les étoiles!
-
-SYLVETTE.
-
- Oh! mais...
-
-STRAFOREL.
-
- Quoi! vous voilà prise d'un tremblement?
- Vous voudriez aller moins loin, probablement?
- Soit! nous vivrons cachés, ô ma Déité blonde,
- Seuls, ayant encouru la vindicte du monde!
- Ivresse!...
-
-SYLVETTE.
-
- Mais, Monsieur, vous vous êtes mépris...
-
-STRAFOREL.
-
- Les gens s'écarteront de nous avec mépris!
-
-SYLVETTE.
-
- Mon Dieu!
-
-STRAFOREL.
-
- Les préjugés sont faits pour qu'on les foule,
- Et nous serons heureux des mépris de la foule!
-
-SYLVETTE.
-
- Monsieur...
-
-STRAFOREL.
-
- Je n'aurai pas d'autre occupation
- Que de vous raconter au long ma passion!
-
-SYLVETTE.
-
- Monsieur...
-
-STRAFOREL.
-
- Bref, nous vivrons en pleine poésie!
- J'aurai de furieux accès de jalousie...
-
-SYLVETTE.
-
- Monsieur...
-
-STRAFOREL.
-
- Et vous savez, lorsque je suis jaloux,
- J'ai la férocité des chacals et des loups!
-
-SYLVETTE, tombant anéantie sur le banc.
-
- Monsieur...
-
-STRAFOREL.
-
- Si vous brisiez notre chaîne sacrée,
- Immédiatement vous seriez massacrée!
-
-SYLVETTE.
-
- Monsieur...
-
-STRAFOREL.
-
- Vous frissonnez?
-
-SYLVETTE.
-
- Ah! Dieu, quelle leçon!
-
-STRAFOREL.
-
- Est-ce du sang, corbacque! ou bien si c'est du son
- Qui court dans vos vaisseaux artériels!--Tonnerre!
- Vous m'avez un peu l'air d'une pensionnaire,
- Pour oser affronter ces destins hasardeux!...
- Ça, voyons, pars-je seul, ou partons-nous tous deux?
-
-SYLVETTE.
-
- Monsieur...
-
-STRAFOREL.
-
- Oui, je comprends, ma voix vous réconforte.
- Eh bien! nous partirons, puisque vous voilà forte.
- Je vous enlèverai, tout à l'heure, à cheval,
- En travers de ma selle... oh! vous y serez mal!
- Mais la chaise à porteurs, esthétique et commode,
- Dans l'enlèvement faux est seulement de mode!
-
-SYLVETTE.
-
- Mais, Monsieur...
-
-STRAFOREL, remontant.
-
- A tantôt!
-
-SYLVETTE.
-
- Mais, Monsieur...
-
-STRAFOREL.
-
- A tantôt!
- Le temps d'aller quérir un cheval, un manteau...
-
-SYLVETTE, hors d'elle.
-
- Monsieur!
-
-STRAFOREL avec un geste immense.
-
- Et nous fuyons de contrée en contrée!...
-
-Redescendant.
-
- O la longtemps rêvée et l'enfin rencontrée!
- L'âme à qui peut mon âme enfin dire: «Ma soeur!»
- A tantôt pour toujours!
-
-SYLVETTE, d'une voix éteinte.
-
- Pour toujours!
-
-STRAFOREL.
-
- O douceur!
- Vous allez vivre auprès de l'être aimé, de l'être
- Pour lequel vous brûliez avant de le connaître,
- Et qui, vous ignorant, pour vous se calcinait!
-
-Avant de sortir, la voyant comme évanouie sur le banc.
-
- Et maintenant, tu peux revenir, Percinet!
-
-Il sort.
-
-
-SCÈNE III
-
-SYLVETTE, seule
-
-Ouvrant les yeux.
-
- Monsieur... Marquis... Non, pas en travers de la selle!
- Ayez pitié de moi,--non, je ne suis pas celle...
- Pas du tout!--Laissez-moi rentrer à la maison!
- Une pensionnaire: oui, vous aviez raison!
- Il n'est plus là!... Marquis!... Seule?... Ah! Dieu, l'affreux rêve.
-
-Un temps. Elle se remet.
-
- J'aime mieux que ce soit pour rire qu'on m'enlève!
-
-Elle se lève.
-
- Eh bien! Sylvette, eh bien, ma petite,--comment!
- Vous appeliez tantôt à grands cris le roman,
- Et, le roman venu, vous n'êtes pas contente?...
- Oh! la serge, l'exil, les étoiles, la tente!...
- Non, c'est trop!... Du roman, j'en voulais bien un peu,
- Comme on met du laurier dedans le pot-au-feu!...
- Mais c'est trop! Je ne puis supporter ces secousses.
- Je me contenterais d'émotions plus douces...
-
-Le crépuscule violit vaguement le parc. Elle reprend son voile laissé
-sur le banc, s'en couvre la tête et les épaules, et, rêveuse:
-
- Qui sait si?...
-
-Percinet paraît. Il est en haillons, le bras en écharpe, se traîne à
-peine. Un feutre d'où pend, lamentable, une plume cassée, cache ses
-traits.
-
-
-SCÈNE IV
-
-SYLVETTE, PERCINET.
-
-PERCINET, pas encore vu de Sylvette.
-
- Je n'ai rien mangé depuis hier,
- Je tombe de fatigue,--et je ne suis pas fier.
- La fâcheuse équipée!... Ah! j'en ai vu de dures!
- Ce n'est pas amusant du tout, les aventures!
-
-Il s'affaisse sur le mur. Son chapeau tombe et découvre sa figure.
-Sylvette l'aperçoit.
-
-SYLVETTE.
-
- Vous!
-
-Il se lève, saisi. Elle le regarde.
-
- Et dans quel état!... Se peut-il?...
-
-PERCINET, piteusement.
-
- Il se peut.
-
-SYLVETTE, joignant les mains.
-
- Mon Dieu!
-
-PERCINET.
-
- J'ai, n'est-ce pas, la silhouette, un peu,
- Que le dessinateur donne à l'Enfant Prodigue?...
-
-Il chancelle.
-
-SYLVETTE.
-
- Mais il ne se tient plus!
-
-PERCINET.
-
- Je sens quelque fatigue.
-
-SYLVETTE, apercevant son bras, avec un cri.
-
- Blessé!
-
-PERCINET, vivement.
-
- Seriez-vous donc pitoyable aux ingrats?
-
-SYLVETTE, sévère et s'éloignant.
-
- Les pères seuls, Monsieur, font tuer le veau gras!
-
-Percinet fait un mouvement, et son bras blessé lui arrache une
-grimace.--Sylvette, malgré elle, effrayée:
-
- Pourtant, cette blessure?
-
-PERCINET.
-
- Oh! que je vous rassure!
- Elle n'est nullement grave, cette blessure!
-
-SYLVETTE.
-
- Mais qu'avez-vous donc fait, Monsieur le vagabond,
- Pendant tout ce long temps?...
-
-PERCINET.
-
- Sylvette, rien de bon.
-
-Il tousse.
-
-SYLVETTE.
-
- Vous toussez, maintenant?
-
-PERCINET.
-
- Eh! mon Dieu! nous courûmes
- Les grands chemins, la nuit...
-
-SYLVETTE.
-
- Et l'on y prend des rhumes.
- Quels étranges habits vous avez!...
-
-PERCINET.
-
- Des voleurs
- Ont pris les miens, Sylvette,--et m'ont donné les leurs.
-
-SYLVETTE, ironique.
-
- Et combien avez-vous eu de bonnes fortunes?
-
-PERCINET.
-
- Laissons ces questions, Sylvette, inopportunes.
-
-SYLVETTE.
-
- Vous avez dû sans doute escalader beaucoup...
- De balcons?...
-
-PERCINET, à part.
-
- J'ai manqué de me rompre le cou...
-
-SYLVETTE.
-
- De plus d'un doux succès vous gardez la mémoire?
-
-PERCINET, de même.
-
- Je suis resté trois jours caché dans une armoire.
-
-SYLVETTE.
-
- Et vous avez gagné plus d'un galant pari?
-
-PERCINET.
-
- Oui, oui!...
-
-A part.
-
- Je me suis fait rosser par un mari.
-
-SYLVETTE.
-
- Guitare en main, chanté plus d'un couplet nocturne?
-
-PERCINET, de même.
-
- Qui fit choir sur mon chef plus d'une petite urne!
-
-SYLVETTE.
-
- Enfin, comme je vois, tâté d'un vrai duel?
-
-PERCINET, de même.
-
- Qui me valut ce coup de peu s'en faut mortel.
-
-SYLVETTE.
-
- Et vous nous revenez?...
-
-PERCINET.
-
- Fourbu, minable, étique!
-
-SYLVETTE.
-
- Oui,--mais ayant du moins trouvé du poétique?
-
-PERCINET.
-
- Non,--je fus chercher loin ce que j'avais tout près!
- Ah! ne me raillez plus!... je vous adore.
-
-SYLVETTE.
-
- Après
- La désillusion que nous eûmes?...
-
-PERCINET.
-
- Qu'importe!
-
-SYLVETTE.
-
- Mais nos pères nous ont trompés d'horrible sorte!
-
-PERCINET.
-
- Qu'importe! Dans mon coeur, maintenant, il fait jour!
-
-SYLVETTE.
-
- Mais ils feignaient la haine!...
-
-PERCINET.
-
- Avons-nous feint l'amour?
-
-SYLVETTE.
-
- Le mur fut un Guignol,--vous l'avez dit vous-même!
-
-PERCINET.
-
- Sylvette, je l'ai dit!--mais ce fut un blasphème!
- Ou du moins... quel Guignol, vieux mur, tu nous offrais,
- Qui pour portants avait les grands branchages frais,
- Pour fond le parc fuyant, l'azur vaste pour frises,
- Pour orchestre invisible et vif les quatre brises,
- Pour accessoires clairs le rayon et la fleur,
- Le soleil pour quinquet, Shakspeare pour souffleur!
- Oui, comme à ces pantins dont on gante les vestes,
- Nos pères nous faisaient exécuter des gestes:
- Mais, dans ce Guignol-là, Sylvette, songez-y,
- C'est l'Amour qui faisait parler les pupazzi!
-
-SYLVETTE, soupirant.
-
- C'est vrai, mais nous aimions, croyant être coupables!
-
-PERCINET, vivement.
-
- Et nous l'étions!... Gardez ces remords agréables.
- Comme l'intention compte autant que le fait,
- Nous croyant criminels, nous l'étions en effet!
-
-SYLVETTE, ébranlée.
-
- Est-ce bien sûr?
-
-PERCINET.
-
- Très sûr, chère petite amie;
- Nous avons simplement commis une infamie.
- J'en atteste ta grâce et ton souffle aromal:
- De nous aimer, ce fut très mal, très mal...
-
-SYLVETTE, s'asseyant près de lui.
-
- Très mal?...
-
-Changeant et s'éloignant encore.
-
- C'est vrai, mais je regrette un peu, pour notre gloire,
- Que le danger couru n'ait été qu'illusoire!
-
-PERCINET.
-
- Il fut réel pour nous qui le crûmes réel!
-
-SYLVETTE.
-
- Non. Mon enlèvement, comme votre duel,
- Était faux!...
-
-PERCINET.
-
- Votre peur l'était-elle, Madame?
- Et, puisque vous avez passé par l'état d'âme
- De quelqu'un d'enlevé, Sylvette, en vérité,
- C'est comme tout à fait si vous l'aviez été.
-
-SYLVETTE.
-
- Non, le cher souvenir n'est plus; ces torches folles,
- Ces masques, ces manteaux, et ces musiques molles,
- Ce combat, tout ce charme enfin, c'est trop cruel
- De penser que cela fut fait par Straforel!
-
-PERCINET.
-
- Et la Nuit de Printemps, est-ce lui qui l'a faite?
- Est-ce lui qui régla l'inoubliable fête
- Que l'amitié d'Avril nous donna ce soir-là?
- Est-ce lui qui, le ciel étoilé, l'étoila?
- Lui, qui d'ombre effaça si bien les rosiers grêles
- Que les roses semblaient, comme surnaturelles,
- Se tenir en suspens dans l'air mystérieux?
- Dispensa-t-il les frissons gris, les reflets bleus?
- Versa-t-il les langueurs? Fut-il pour quelque chose
- Dans l'apparition de l'Astre d'argent rose?
-
-SYLVETTE.
-
- Non certe...
-
-PERCINET.
-
- Et fit-il donc, dans la Nuit de Printemps,
- Dis-moi, que nous étions deux enfants de vingt ans,
- Et que nous nous aimions, car ce fut là le charme,
- Tout le charme!
-
-SYLVETTE.
-
- Tout le... c'est vrai, mais...
-
-PERCINET.
-
- Une larme?
- Il est donc pardonné, le méchant qui partit?
-
-SYLVETTE.
-
- Je t'ai toujours aimé, va, mon pauvre petit.
-
-PERCINET.
-
- J'ai retrouvé ton front, sa puérile frange,
- Et ton jeune parfum qui fait un fin mélange
- Avec tous les parfums des cytises voisins...
- Ah! les Anges, ce soir, ne sont pas mes cousins!
-
-Il joue avec le voile de Sylvette.
-
- Oh! laisse-moi baiser le liséré frivole
- Du voile aérien qui de ton front s'envole!
- Comme il me rafraîchit les lèvres, ce tissu,
- Ce tendre et clair tissu, pour qui je n'ai pas su
- Vous dédaigner, satins et velours équivoques!
-
-SYLVETTE.
-
- Quels satins? Quels velours?
-
-PERCINET, vivement.
-
- Oh! rien, rien, rien,--des loques.
- Oh! jeune fille, enfant, mousseline est ton nom!
- Oh! que j'aime ce voile frais!...
-
-SYLVETTE.
-
- C'est du linon.
-
-PERCINET, s'agenouillant.
-
- Je l'aime et suis tremblant que mon baiser le souille,
- Car ce voile devant lequel je m'agenouille...
-
- Ce léger linon
- Qui vous emmitoufle,
- Mais à la façon
- D'un souffle;
-
- Ce linon léger
- Dont la candeur frêle
- A le voltiger
- D'une aile;
-
- Ce léger linon,
- Assez diaphane
- Pour qu'un seul rayon
- Le fane;
-
- Ce linon, léger
- Comme un fil de berge
- Que fait voyager
- La Vierge;
-
- Ce léger linon,
- C'est votre pensée
- Que les choses n'ont
- Froissée!
-
- Ce linon léger,
- C'est, neigeuse flamme
- Qu'un rien fait bouger,
- Votre âme!
-
- Ce léger linon,
- Ce linon que j'aime,
- Ce n'est rien sinon
- Vous-même!
-
-SYLVETTE, dans ses bras.
-
- Vois-tu, la poésie est au coeur des amants:
- Elle n'émane pas des seuls événements.
-
-PERCINET.
-
- C'est vrai: ceux dont je sors, quoique très authentiques,
- Ne furent pas du tout, Sylvette, poétiques...
-
-SYLVETTE.
-
- Et ceux par nos papas machiavels arrangés
- Le furent, Percinet, encor que mensongers.
-
-PERCINET.
-
- Car elle peut broder, lorsqu'elle aime, notre âme,
- De véritables fleurs sur une fausse trame.
-
-SYLVETTE.
-
- La poésie, amour, mais nous fûmes des fous
- De la chercher ailleurs lorsqu'elle était en nous!
-
-Straforel apparaît, ramenant les deux pères, et leur montre Sylvette et
-Percinet dans les bras l'un de l'autre.
-
-
-SCÈNE V
-
-LES MÊMES, STRAFOREL, BERGAMIN, PASQUINOT.
-
-STRAFOREL.
-
- Refiancés!...
-
-BERGAMIN.
-
- Mon fils!
-
-Il embrasse Percinet.
-
-STRAFOREL.
-
- Me paierez-vous ma note?
-
-PASQUINOT, à sa fille.
-
- Tu l'aimes derechef?
-
-SYLVETTE.
-
- Oui.
-
-PASQUINOT.
-
- Tête de linotte.
-
-STRAFOREL, à Bergamin.
-
- Palperai-je mon or?
-
-BERGAMIN.
-
- Vous palperez votre or!
-
-SYLVETTE, qui a tressailli.
-
- Mais au fait... cette voix!... le marquis d'As-ta-fior...
-
-STRAFOREL, saluant.
-
- Quercita? C'était moi, chère Mademoiselle,
- Moi, Straforel!... Daignez me pardonner mon zèle;
- Le moyen que j'ai pris était bon en ceci,
- Qu'il vous a fait connaître--en vous laissant ici,--
- Tout ce qu'ont d'ennuyeux ces aventures vraies
- Dont les femmes toujours sont tôt désenivrées.
- Sans doute vous pouviez...
-
-Montrant Percinet.
-
- comme ce citoyen,
- Vous même les courir; mais, dame! le moyen
- Pour une jeune fille étant trop énergique,
- Je vous en ai fait voir la lanterne magique.
-
-PERCINET.
-
- Qu'est-ce?
-
-SYLVETTE, vivement.
-
- Rien, rien,--je t'aime!...
-
-BERGAMIN, montrant le mur commencé.
-
- Et demain même, pan!
- D'un coup de pioche on va redémolir ce pan...
-
-PASQUINOT.
-
- Enlever ce ciment, ces pierres et ce sable!...
-
-STRAFOREL.
-
- Non, construisez le mur, il est indispensable!
-
-SYLVETTE, réunissant autour d'elle tous les acteurs.
-
- Et maintenant, nous quatre,--et Monsieur Straforel--
- Excusons ce que fut la pièce, en un rondel.
-
-Elle descend vers le public.
-
- _Des costumes clairs, des rimes légères,
- L'Amour, dans un parc, jouant du flûteau..._
-
-BERGAMIN.
-
- _Un florianesque et fol quintetto,_
-
-PASQUINOT.
-
- _Des brouilles... d'ailleurs toutes passagères._
-
-STRAFOREL.
-
- _Des coups de soleil, des rayons lunaires,
- Un bon spadassin en joyeux manteau..._
-
-SYLVETTE.
-
- _Des costumes clairs, des rimes légères,
- L'Amour, dans un parc, jouant du flûteau..._
-
-PERCINET.
-
- _Un repos naïf des pièces amères,
- Un peu de musique, un peu de Watteau,
- Un spectacle honnête et qui finit tôt,
- Un vieux mur fleuri,--deux amants,--deux pères..._
-
-SYLVETTE, dans une révérence.
-
- _Des costumes clairs, des rimes légères!_
-
-RIDEAU
-
-
-
-
-TABLE
-
-
- Pages
- ACTE PREMIER 1
- ACTE DEUXIÈME 55
- ACTE TROISIÈME 115
-
-
-
-
-PARIS.--L. MARETHEUX, IMPRIMEUR
-
-1, RUE CASSETTE, 1
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Les Romanesques, by Edmond Rostand
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROMANESQUES ***
-
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- the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
- you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
- to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has
- agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
- within 60 days following each date on which you prepare (or are
- legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
- payments should be clearly marked as such and sent to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
- Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg
- Literary Archive Foundation."
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-* You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
- you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
- does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
- License. You must require such a user to return or destroy all
- copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
- all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm
- works.
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-* You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
- any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
- electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
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-* You comply with all other terms of this agreement for free
- distribution of Project Gutenberg-tm works.
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-1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
-Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than
-are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
-from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and The
-Project Gutenberg Trademark LLC, the owner of the Project Gutenberg-tm
-trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below.
-
-1.F.
-
-1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
-effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
-works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
-Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm
-electronic works, and the medium on which they may be stored, may
-contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
-or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
-intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
-other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
-cannot be read by your equipment.
-
-1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
-of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
-Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
-Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
-liability to you for damages, costs and expenses, including legal
-fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
-LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
-PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
-TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
-LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
-INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
-DAMAGE.
-
-1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
-defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
-receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
-written explanation to the person you received the work from. If you
-received the work on a physical medium, you must return the medium
-with your written explanation. The person or entity that provided you
-with the defective work may elect to provide a replacement copy in
-lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
-or entity providing it to you may choose to give you a second
-opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
-the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
-without further opportunities to fix the problem.
-
-1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
-in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO
-OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
-LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
-
-1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
-warranties or the exclusion or limitation of certain types of
-damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
-violates the law of the state applicable to this agreement, the
-agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
-limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
-unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
-remaining provisions.
-
-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
-providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in
-accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
-production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm
-electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
-including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
-the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
-or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or
-additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any
-Defect you cause.
-
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
-
-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
-goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
-www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state's laws.
-
-The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the
-mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its
-volunteers and employees are scattered throughout numerous
-locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt
-Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
-date contact information can be found at the Foundation's web site and
-official page at www.gutenberg.org/contact
-
-For additional contact information:
-
- Dr. Gregory B. Newby
- Chief Executive and Director
- gbnewby@pglaf.org
-
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
-spread public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
-state visit www.gutenberg.org/donate
-
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-
-Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-
-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.
-
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-
-Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-
-Most people start at our Web site which has the main PG search
-facility: www.gutenberg.org
-
-This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
-
diff --git a/57839-h/57839-h.htm b/57839-h/57839-h.htm
index d4ed08e..f9cec3a 100644
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+++ b/57839-h/57839-h.htm
@@ -53,46 +53,7 @@ td.num { text-align: right; vertical-align: bottom; }
<body>
-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of Les Romanesques, by Edmond Rostand
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll
-have to check the laws of the country where you are located before using
-this ebook.
-
-
-
-Title: Les Romanesques
- comédie en trois actes en vers
-
-Author: Edmond Rostand
-
-Release Date: September 3, 2018 [EBook #57839]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROMANESQUES ***
-
-
-
-
-Produced by Laurent Vogel (This file was produced from
-images generously made available by the Bibliothèque
-nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57839 ***</div>
<p class="c">EDMOND ROSTAND</p>
@@ -6993,378 +6954,7 @@ Percinet dans les bras l'un de l'autre.</div>
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Les Romanesques, by Edmond Rostand
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES ROMANESQUES ***
-
-***** This file should be named 57839-h.htm or 57839-h.zip *****
-This and all associated files of various formats will be found in:
- http://www.gutenberg.org/5/7/8/3/57839/
-
-Produced by Laurent Vogel (This file was produced from
-images generously made available by the Bibliothèque
-nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
-
-
-Updated editions will replace the previous one--the old editions will
-be renamed.
-
-Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
-law means that no one owns a United States copyright in these works,
-so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United
-States without permission and without paying copyright
-royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
-of this license, apply to copying and distributing Project
-Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm
-concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
-and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive
-specific permission. If you do not charge anything for copies of this
-eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook
-for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports,
-performances and research. They may be modified and printed and given
-away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks
-not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the
-trademark license, especially commercial redistribution.
-
-START: FULL LICENSE
-
-THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
-PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
-
-To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
-distribution of electronic works, by using or distributing this work
-(or any other work associated in any way with the phrase "Project
-Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full
-Project Gutenberg-tm License available with this file or online at
-www.gutenberg.org/license.
-
-Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project
-Gutenberg-tm electronic works
-
-1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
-electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
-and accept all the terms of this license and intellectual property
-(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
-the terms of this agreement, you must cease using and return or
-destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your
-possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
-Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound
-by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the
-person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph
-1.E.8.
-
-1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
-used on or associated in any way with an electronic work by people who
-agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
-things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
-even without complying with the full terms of this agreement. See
-paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
-Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this
-agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm
-electronic works. See paragraph 1.E below.
-
-1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the
-Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
-of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual
-works in the collection are in the public domain in the United
-States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
-United States and you are located in the United States, we do not
-claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
-displaying or creating derivative works based on the work as long as
-all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope
-that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting
-free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm
-works in compliance with the terms of this agreement for keeping the
-Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily
-comply with the terms of this agreement by keeping this work in the
-same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when
-you share it without charge with others.
-
-1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
-what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
-in a constant state of change. If you are outside the United States,
-check the laws of your country in addition to the terms of this
-agreement before downloading, copying, displaying, performing,
-distributing or creating derivative works based on this work or any
-other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no
-representations concerning the copyright status of any work in any
-country outside the United States.
-
-1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
-
-1.E.1. The following sentence, with active links to, or other
-immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear
-prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work
-on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the
-phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed,
-performed, viewed, copied or distributed:
-
- This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
- most other parts of the world at no cost and with almost no
- restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it
- under the terms of the Project Gutenberg License included with this
- eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the
- United States, you'll have to check the laws of the country where you
- are located before using this ebook.
-
-1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is
-derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
-contain a notice indicating that it is posted with permission of the
-copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
-the United States without paying any fees or charges. If you are
-redistributing or providing access to a work with the phrase "Project
-Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply
-either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
-obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm
-trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.
-
-1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
-with the permission of the copyright holder, your use and distribution
-must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any
-additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
-will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works
-posted with the permission of the copyright holder found at the
-beginning of this work.
-
-1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
-License terms from this work, or any files containing a part of this
-work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
-
-1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
-electronic work, or any part of this electronic work, without
-prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
-active links or immediate access to the full terms of the Project
-Gutenberg-tm License.
-
-1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
-compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
-any word processing or hypertext form. However, if you provide access
-to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format
-other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official
-version posted on the official Project Gutenberg-tm web site
-(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
-to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
-of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain
-Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the
-full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1.
-
-1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
-performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
-unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
-
-1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
-access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works
-provided that
-
-* You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
- the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
- you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
- to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has
- agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
- within 60 days following each date on which you prepare (or are
- legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
- payments should be clearly marked as such and sent to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
- Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg
- Literary Archive Foundation."
-
-* You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
- you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
- does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
- License. You must require such a user to return or destroy all
- copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
- all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm
- works.
-
-* You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
- any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
- electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
- receipt of the work.
-
-* You comply with all other terms of this agreement for free
- distribution of Project Gutenberg-tm works.
-
-1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
-Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than
-are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
-from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and The
-Project Gutenberg Trademark LLC, the owner of the Project Gutenberg-tm
-trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below.
-
-1.F.
-
-1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
-effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
-works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
-Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm
-electronic works, and the medium on which they may be stored, may
-contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
-or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
-intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
-other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
-cannot be read by your equipment.
-
-1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
-of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
-Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
-Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
-liability to you for damages, costs and expenses, including legal
-fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
-LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
-PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
-TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
-LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
-INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
-DAMAGE.
-
-1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
-defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
-receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
-written explanation to the person you received the work from. If you
-received the work on a physical medium, you must return the medium
-with your written explanation. The person or entity that provided you
-with the defective work may elect to provide a replacement copy in
-lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
-or entity providing it to you may choose to give you a second
-opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
-the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
-without further opportunities to fix the problem.
-
-1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
-in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO
-OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
-LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
-
-1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
-warranties or the exclusion or limitation of certain types of
-damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
-violates the law of the state applicable to this agreement, the
-agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
-limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
-unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
-remaining provisions.
-
-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
-providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in
-accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
-production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm
-electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
-including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
-the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
-or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or
-additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any
-Defect you cause.
-
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
-
-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
-goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
-www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
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